L' Avenir Du Français

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L’ AVENIR DU FRANÇAIS

L’ AVENIR DU FRANÇAIS

Sous la direction de :

Jacques Maurais
Pierre Dumont
Jean-Marie Klinkenberg
Bruno Maurer
Patrick Chardenet
Copyright © 2008 Éditions des archives contemporaines et en partenariat avec l’Agence universitaire
de la Francophonie (AUF).

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute reproduction
ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit (électronique, mécanique,
photocopie, enregistrement, quelque système de stockage et de récupération d’information) des pages
publiées dans le présent ouvrage faite sans autorisation écrite de l’éditeur, est interdite.

Éditions des archives contemporaines


41, rue Barrault
75013 Paris (France)
Tél.-Fax : +33 (0)1 45 81 56 33
Courriel : [email protected]
Catalogue : www.eacgb.com

ISBN : 2-914610-47-5
▀ SOMMAIRE

Préface
Abdou DIOUF ...................................................................................................... 1
Introduction............................................................................................................. 3

L’ÉTAT DES LIEUX


L’héritage du passé : Aux origines de l’expansion du français
Jean-Marie KLINKENBERG................................................................................. 9
L’héritage du passé : Au XXe siècle, un nouveau marché des langues
Bernard CERQUIGLINI .................................................................................... 15
Le français dans les pays de la Francophonie en 2006
Robert CHAUDENSON .................................................................................... 19
Le français dans les organisations internationales
Alexandre WOLFF .............................................................................................. 25
Les institutions de diffusion du français : les résultats sont-ils à la mesure de leur
nombre ?
Jean-François DE RAYMOND ........................................................................... 31
Les dispositifs de coopération linguistique à l’intérieur de l’espace francophone
du Nord
Martine GARSOU .............................................................................................. 35
Les politiques du français à l'heure de la mondialisation
Lia VARELA........................................................................................................ 41
Le français dans les nouvelles technologies de l'information
Le comité de rédaction ........................................................................................ 49
La puissance économique du français
François GRIN, Michele GAZZOLA.................................................................. 53
La puissance politique du français
Jean LAPONCE................................................................................................... 57
Le français et la défense de la diversité linguistique et culturelle
Louise BEAUDOIN ............................................................................................ 61
Le français au travail dans un monde en voie de mondialisation
Pierre BOUCHARD ........................................................................................... 65
Le français et les jeunes : la modernité du français
Carole DE FÉRAL, Gueorgui JETCHEV .......................................................... 73
La coopération internationale entre aires linguistiques
Louis-Jean CALVET ............................................................................................ 79
De la francophonie à la Francophonie : les discours des Sommets
Bruno MAURER................................................................................................. 83
Les langues de la science : (a) Vers un modèle de diglossie gérable
Rainer Enrique HAMEL ..................................................................................... 87
Les langues de la science : (b) le français et la diffusion des connaissances
Yves GINGRAS ................................................................................................... 95

L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS
La perception des variétés nationales de français
Marie-Louise MOREAU ................................................................................... 101
L’enseignement du français et des langues partenaires en Afrique
Moussa DAFF .................................................................................................... 105
L’enseignement du français « langue commune » dans les pays du Nord
Jean-François DE PIETRO................................................................................ 111
L'enseignement du français langue seconde et langue étrangère
Jean-Pierre CUQ................................................................................................ 119

LA MODERNISATION DU FRANÇAIS
L’intervention sur le corpus : (a) la langue courante
Jean-Marie KLINKENBERG,............................................................................ 129
L’intervention sur le corpus : (b) les langues de spécialités
Daniel BLAMPAIN ........................................................................................... 135
Pour de nouvelles représentations du français dans la modernité
Bruno MAURER............................................................................................... 139

PERSPECTIVES D'AVENIR
Unité de la langue, diversité des normes : vers un éclatement du français ?
Pierre DUMONT .............................................................................................. 145
Le poids démographique des francophones : passé, présent et perspectives
Richard MARCOUX ........................................................................................ 151
Pour un partenariat entre le français et les langues romanes
Jean-Marie KLINKENBERG............................................................................. 159
L’avenir du français en Europe
Claude TRUCHOT .......................................................................................... 163
L'avenir du français en Amérique du Nord
Lise DUBOIS, Jacques MAURAIS, Michel PAILLÉ .............................................. 171
L’avenir du français en Afrique subsaharienne
Auguste MOUSSIROU-MOUYAMA .............................................................. 179
L’avenir du français en Asie
Daniel WEISSBERG......................................................................................... 183
L’avenir du français en Océanie
Michel WAUTHION........................................................................................ 187
Caraïbe et Amérique centrale : le français en évolution régionale
Patrick DAHLET............................................................................................... 195
L’avenir du français au Machrek
Sélim ABOU...................................................................................................... 201
L’avenir du français au Maghreb
Ahmed BOUKOUS .......................................................................................... 205
L’avenir du français dans l’Océan Indien
Rada TIRVASSEN ............................................................................................ 211
L’avenir du français en Amérique du Sud
Patrick CHARDENET, José Carlos CHAVES DA CUNHA ......................... 219
Point de vue anglophone sur l'avenir du français
Robert PHILLIPSON ........................................................................................ 229
Point du vue hispanophone sur l’avenir du français
Rainer Enrique HAMEL ................................................................................... 235
Point de vue arabophone sur l’avenir du français
Fouzia BENZAKOUR ....................................................................................... 241
Point de vue lusophone sur l’avenir du français
Luís Carlos PIMENTA GONÇALVES ............................................................ 247
Point de vue russophone sur l’avenir du français
Vassili KLOKOV ............................................................................................... 253
Conclusion : Propositions pour une politique du français
Le comité de rédaction ...................................................................................... 257
▀ PRÉFACE
Ce nouvel ouvrage scientifique, mais accessible à un très large public, proposé par
l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), est un véritable défi. En effet, au
moment où certaines voix remettent en cause la Francophonie et la langue française
elle-même, d’autres s’élèvent aujourd’hui et osent parler de son avenir. Mais que les
lecteurs se rassurent : il ne s’agit pas d’un nouvel hymne incantatoire célébrant les
valeurs éternelles d’une langue universelle !
Née chez les sociolinguistes du réseau AUF Sociolinguistique et dynamique des langues,
l’idée de L’Avenir du français n’aurait pu voir le jour sans la contribution des géogra-
phes, des démographes, des économistes et même des politiques qui ont participé à
la rédaction de cet ouvrage.
Les uns et les autres ont réussi, d’abord, à dresser un état des lieux de la francopho-
nie dans le monde et ont répondu, en cela, à un besoin qui se faisait cruellement
sentir depuis des décennies. Que devient le français face à la mondialisation, au dé-
veloppement des nouvelles technologies, à l’émergence du multimédia et à
l’effacement des frontières géographiques et peut-être même culturelles ?
C’est sans concession qu’est ensuite évoqué le nouveau destin d’une langue face à
son présent, prête à relever les défis de demain. Ce n’est pas seulement en conti-
nuant de prôner l’idée de la « promotion » de la langue française que se forgera et se
consolidera son avenir, mais en défendant et en diffusant celle de la « diversité »
linguistique et culturelle au sein de « l’espace francophone ». Le français n’appartient
plus aux seuls Français mais à tous ceux qui, à un titre ou à un autre, en sont les
usagers et, par conséquent, les copropriétaires.
Par-delà l’analyse scientifique et objective, parfois inquiétante, des causes de ce que
d’aucuns pourraient appeler le « déclin » de la langue française dans le monde,
L’Avenir du français a l’immense mérite de mettre l’accent sur l’émergence inélucta-
ble, dans le monde de demain, du sujet plurilingue et pluriculturel. C’est seulement
dans cet esprit que peut et doit se concevoir le futur du français, en France comme
partout dans le monde.
Seule une véritable « appropriation » du français par tous ceux qui le parlent et
l’écrivent pour être eux-mêmes permettra de mettre fin à l’insécurité linguistique,
complexe dont souffrent encore aujourd’hui trop de sujets parlants francophones en
mal de reconnaissance. Le temps de la norme unique, généralement exogène, est
bien révolu et chacun, à sa place, doit prendre en compte toutes les conséquences de
cet état de fait. Telle est la seule condition de l’avenir du français.
Abdou DIOUF
Secrétaire général de la Francophonie
▀ INTRODUCTION

Dans un Dans la dernière décennie du XXe siècle, la réunification de l'Alle-


contexte inter- magne, l'éclatement du bloc de l'Est, l’effondrement de l’URSS, la
national en fin de l'apartheid en Afrique du Sud, la renaissance de la Chine et
pleine muta- l’affirmation de l’Inde, la poursuite de la construction européenne
tion… ont laissé entrevoir un possible rééquilibrage entre les langues de
grande diffusion à l’échelle planétaire.
À ces évolutions géopolitiques s’ajoutent des tendances inscrites dans
la longue durée : création de nouveaux blocs économiques, mondiali-
sation, diffusion massive des nouvelles technologies bouleversant les
modes d’organisation du travail et les modes de communication. Les
rapports entre langues ne peuvent plus s'analyser seulement dans le
cadre géographique. L'arrivée des nouveaux médias, d'Internet, des
satellites de télévision oblige à tenir compte d'un espace virtuel auquel
tous les citoyens du monde n’ont pas encore accès, en raison du coût
prohibitif d'accès aux nouvelles technologies.
Plusieurs évolutions des rapports entre les « grandes » langues sont
… où les posi- déjà observables. L’éclatement de l'URSS a entraîné en Europe cen-
tions des lan- trale et en Europe de l'Est une réorganisation du marché des lan-
gues sont gues étrangères. Le russe a abandonné son statut de lingua franca, en
moins acquises perte de vitesse face à l'anglais et à l'allemand. Les républiques ex-
que jamais… soviétiques turcophones, Azerbaïdjan au Caucase, Ouzbékistan,
Turkménistan, Kazakhstan et Kirghizie en Asie Centrale, entrent
progressivement dans l'orbite de la Turquie. En 1997, le British
Council publiait un rapport (The Future of English ?) prévoyant la
montée en puissance du hausa et du swahili en Afrique, des langues
régionales en Inde, du tok pisin en Océanie, ailleurs du russe, du
mandarin et de l'arabe.
La fin de l'apartheid, en rendant l'Afrique du Sud « fréquentable »,
… à commencer devrait favoriser la diffusion de l'anglais en Afrique australe. Sur le
par celle du reste du continent, la situation est préoccupante pour le français,
français en concurrencé par de grandes langues africaines dont le prestige aug-
Afrique… mente et fragilisé par les faiblesses structurelles des systèmes
d’enseignement. Or, du point de vue de la démographie tout autant
que du point de vue de la place du français dans les relations inter-
nationales, les choix linguistiques que feront les pays africains se-
ront déterminants.
Pour le British Council, le français ne serait déjà plus la deuxième
langue internationale aux côtés de l'anglais, devancé par l'allemand
... et ailleurs…
du fait de son statut hégémonique en Europe centrale et du nombre
de ses locuteurs natifs. Si la prévision laisse le français parmi les six
premières langues pour les prochaines décennies, son statut serait
encore affaibli en 2050 dans un contexte général où aucune langue
n'occuperait plus la position hégémonique de l'anglais à la fin du
XXe .

L’Avenir du français est un ouvrage collectif né du réseau de cher-


…L’Avenir cheurs Sociolinguistique et dynamique des langues de l’Agence universi-
du français… taire de la Francophonie et projeté en 2004 par son comité scienti-
fique (Ahmed Boukous, Pierre Dumont, Jean-Marie Klinkenberg,
Bruno Maurer, Auguste Moussirou Mouyama), coordonné par Jac-
ques Maurais. L’ouvrage vise à faire l’« état des lieux » du français
dans le monde au début du XXIe siècle et à présenter les scénarios les
plus réalistes quant à son avenir dans les prochaines décennies.
Les auteurs ont cherché à évaluer les impacts à long terme de la
…propose une mondialisation, de l'élargissement de l'Europe, des nouvelles tech-
synthèse reflé- nologies de l'information et des changements démographiques sur
tant différents la place du français dans le monde.
points de vue…
Le parti pris éditorial a été celui de produire un ouvrage allant à
l’essentiel, illustré de cartes, tableaux, graphiques, le plus court et le
plus synthétique possible, composé de monographies qui sont le
reflet de chercheurs de sensibilité et de style différents issus de tous
les horizons de l’espace francophone et n’hésitant pas à s’engager
sur des sujets où les certitudes sont rares. Les sociolinguistes au-
raient été bien en peine de faire seuls le tour d’un tel sujet : géogra-
phes, démographes, économistes, politiques, acteurs de la franco-
phonie ont été mis à contribution. La variété des points de vue at-
teint jusqu’à l’orthographe : certains auteurs ayant opté pour appli-
quer les recommandations de simplification orthographique de
1992, que le lecteur ne soit pas surpris de trouver au sein de
l’ouvrage des articles écrits dans les deux systèmes. Illustration, s’il
en fallait une, du fait que la francophonie est aujourd’hui décidé-
ment plurielle, ouverte.
… à un large La cohérence de l’ensemble a été assurée par un comité de rédaction
public… soucieux de la rigueur et de la qualité des contributions et qui a
tâché d’éliminer redites et contradictions éventuelles.
Par le fait qu’il va à l’essentiel et qu’il évite autant que possible
l’emploi d’une terminologie linguistique trop spécialisée, L’Avenir du
français s’adresse en premier lieu aux décideurs politiques, écono-
-4-
miques, sociaux, rassemblant à leur intention une information es-
sentielle à leurs prises de décision. Les mêmes qualités en font un
ouvrage répondant également aux attentes du grand public franco-
phone, souvent passionné par ces questions linguistiques qui font
partie de son quotidien.
Des bilans L’ouvrage s’ouvre sur une série de mises au point historiques et
historiques et géographiques composant une sorte de bilan. L’évolution du fran-
géographi- çais, dans ses aspects politiques sans entrer dans des considérations
ques… purement linguistiques, puis la situation du français dans plusieurs
régions de la francophonie constituent l’entrée en matière.
Les contributions suivantes offrent des vues d’ensemble relatives à
…aux perspec-
de grands domaines comme l’utilisation du français dans les scien-
tives transver-
ces, les rapports entre langue française et économie, langue française
sales…
et monde professionnel ou bien encore l’enseignement du français.
La dernière partie, la plus importante, tente de démêler pour
…pour finir sur l’avenir l’écheveau du présent… Périlleux exercice que celui qui
le périlleux consiste à dire ce que sera demain, à prédire un « avenir du fran-
exercice de la çais » quand certains doutent même qu’il puisse en avoir un... Pour-
prospective. ra-t-il se maintenir face à la concurrence de l'anglais ? Réussira-t-il à
nouer des partenariats avec les autres langues, comme l’appellent
aujourd’hui de leur voeux les instances francophones ? On retrou-
vera dans les dernières contributions aussi bien les éclairages régio-
naux que les points de vue transversaux relatifs aux secteurs clés de
la vie sociale.
Par la vue d’ensemble qu’il offre, par sa dimension prospective,
L’Avenir du français présente sur bien des plans des analyses et des
données inédites, jamais encore mise à la disposition du public, y
compris dans les plus récents ouvrages sur la francophonie.
Et s’il fallait à ce livre une dernière justification, ce serait celle de
prendre date pour l’avenir en osant prendre parti.

Note :
Plusieurs chapitres du présent livre font usage des rectifications de l'orthographe publiées au
Journal Officiel de la République française le 6 décembre 1990, et approuvées par toutes les
instances francophones compétentes (dont l'Académie française). Conformément à l'esprit de
tolérance qui a présidé à ces rectifications, les responsables de l'ouvrage ont laissé aux au-
teurs la liberté d'en user ou non.

-5-
L’état des lieux
: L’HÉRITAGE DU PASSÉ
AUX ORIGINES DE L’EXPANSION DU
FRANÇAIS

Jean-Marie KLINKENBERG
de l'Académie royale de Belgique, Université de Liège

Évaluer les chances d’avenir du français ne peut se faire sans se référer aux situations
qu’il vit actuellement, et qui sont la résultante de mouvements historiques à long
terme. On ne peut donc faire l’impasse sur cette histoire dans la mesure où son exa-
men pourra fournir des clés de lectures pour les chapitres qui suivront, essentielle-
ment prospectifs eux.
L’essentiel sera ici de se doter des outils conceptuels permettant de décrire le rôle
joué par le français sur la scène internationale. Au premier rang d’entre eux : le
concept d’expansion linguistique.
L’expansion linguistique est le processus par lequel une variété de langue est amenée
à élargir le champ de ses fonctions sociales. C’est évidemment lorsque ce phénomène
a une dimension spatiale — lorsque la variété se déplace géographiquement — qu’il
est le plus spectaculaire. Mais il peut y avoir expansion d’une langue à l’intérieur
d’une même société, sans que ses frontières géographiques soient modifiées. Par
exemple, lorsque les dialectes perdent pied au profit de la langue standard, quand les
rituels religieux recourent à la langue vernaculaire et non plus à un langage sacré
spécialisé, quand des minorités maintiennent leur parler ou que le discours scientifi-
que ou économique tend à s’énoncer en anglais dans les sociétés non anglophones.
Dans tous les cas, en dehors de l’exemple rarissime d’une colonisation de terres vier-
ges, l’expansion d’une langue se fait toujours au détriment d'une autre, et passe donc
toujours par des situations de diglossie et de conflit.
Les causes de l’expansion sont diverses, mais aucune ne semble à elle seule détermi-
nante. Les premières sont proprement linguistiques (par exemple, les structures
d’une langue, qui peuvent rendre son acquisition difficile pour certains usagers) ;
toutefois celles-ci jouent un rôle. Un second type de causes est plus déterminant :
l’expansion économique. La fortune du français au XVIIIe siècle, et celle de l'anglais
dans les communications contemporaines tiennent partiellement à ce type de cause.
Ce facteur a certes joué de tous temps, mais son poids grandissant au sein des para-
mètres de la domination linguistique est lié à deux phénomènes plus récents : le rôle
croissant joué par les technologies et surtout la tertiairisation de l'économie (la pro-
Aux origines de l’expansion du français

duction de services et la part grandissante du savoir dans le développement sont en


effet plus immédiatement liées à la sphère de créativité symbolique que la produc-
tion de biens industriels, et leur impact sur la langue est donc immédiat). Un troi-
sième facteur est celui de la politique internationale, susceptible de faire évoluer les
rapports de force entre groupes linguistiques. Le quatrième est lié à la politique inté-
rieure des États et à l’institutionnalisation des langues qu’ils soutiennent :
l’expansion d’une langue peut ainsi être favorisée par sa normalisation, et par les
institutions ou les équipements dont elle se voit dotée. Une cinquième famille de
causes, de nature psychologique et sociologique à la fois, est plus difficile à décrire,
mais joue un rôle non moins important : c’est la représentation que l’on se fait de la
langue en expansion et de celles qu’elle concurrence. Une langue dont les locuteurs
vivent en état d'insécurité a une faible aptitude à faire face à cette concurrence.
L'image négative de soi — et des autres membres du groupe surtout — détruit en effet
toute assurance chez les locuteurs, et tend à les persuader que leur langue ne peut
correctement remplir certaines fonctions qu'elle exerçait jusque-là. L’idée que l’on se
fait de la souplesse d’une langue et du caractère peu coercitif de sa norme peut aussi
jouer en sa faveur. Enfin, on tiendra compte du facteur démographique, souvent
associé à des phénomènes économiques (misère, colonisation, modifications climati-
ques), mais pas exclusivement (persécution religieuse ou politique, par exemple).
On peut classer les différents phénomènes d’expansion linguistique selon divers
points de vue.
Le premier est la nature du support de l’expansion. Celle-ci peut se manifester soit à
travers les locuteurs de langue (émigration, colonisation, tourisme, occupation mili-
taire...), soit à travers les produits de la société que cette variété véhicule (administra-
tion, biens de consommation, connaissances, technologie, production culturelle).
Toutefois, c’est un second type de classement que nous détaillerons, dans la mesure
où il nous sera très utile pour décrire l’expansion du français. Selon ce point de vue,
on considère les modes d'expansion linguistique en fonction de l'aboutissement —
toujours provisoire — du processus. Les deux premiers modes (implantation, impor-
tation) tendent à l’instauration d’un état plus ou moins fragile d’unilinguisme, et
peuvent aisément recevoir une définition géographique; les seconds (superposition,
rayonnement) laissent par définition la place à des situations de diglossie, et sont
moins susceptibles d’être cartographiés. Par convention, on nommera implantation
le phénomène par lequel une variété linguistique tend à dominer un espace impor-
tant, parfois au point de devenir la langue usuelle de la majorité des occupants de cet
espace. L’importation, quant à elle, est le phénomène par lequel une variété se ré-
pand sur un territoire et y crée des îlots. Il y a superposition lorsque deux ou plu-
sieurs variétés sont amenées à coexister et que l'une d'elles joue le rôle de langue
standard ou de langue officielle. Enfin, on parlera de rayonnement lorsqu’une varié-
té se répand au point de créer des situations diglossiques, mais sans bénéficier d'un
statut officiel. Son apprentissage dépend dès lors de décisions individuelles (inspi-
rées, cela va sans dire, par le rapport de force entre variétés présentes).

- 10 -
Jean-Marie Klinkenberg

L’expansion étant un phénomène présentant de multiples facettes, dans les faits, on


n’observe pas de véritable solution de continuité entre les quatre modalités d'expan-
sion décrites. On gardera aussi à l’esprit qu’aucun des aboutissements qui définissent
les modes d'expansion linguistique ne peut être considéré comme définitif : ce qui
est décrit comme simple rayonnement à un moment donné de l’histoire peut pren-
dre de l’ampleur et donner lieu, à une étape ultérieure, à un phénomène de super-
position.
L'expansion de la langue française a été remarquable par la diversité des situations
sociolinguistiques qu'elle a engendrées. Cette diversité ne doit toutefois pas masquer
son originalité principale, la distinguant d’autres langues européennes ayant connu
une forte expansion (comme l’espagnol, le portugais ou l’anglais) : celle de ne pas
avoir débouché sur de vastes mouvements d’implantation, et de ne pas avoir été liée
à un mode de production économique unique. L’expansion du français a donc plu-
tôt emprunté les voies de la superposition et du rayonnement. Les conséquences de
ceci sont importantes. La moindre n’est pas le rôle que conserve la France dans
l’espace francophone. Alors que, dans les autres grands blocs d'États soudés par une
langue européenne, l'ancienne métropole est devenue très minoritaire — c'est le cas
pour le bloc anglophone, pour l'hispanophone et plus encore pour le lusophone —,
la France continue à peser d'un poids décisif dans une francophonie où seule une
minorité d'usagers a le français comme langue maternelle ou d’usage quotidien.
On pourra décrire les diverses situations auxquelles a abouti l’expansion du français
en les ramenant à cinq types : (1) l'expansion « interne », dans les zones européennes
(françaises ou contigües à la France), où se pratiquaient des parlers gallo-romans; (2)
l'expansion dans les zones européennes où se pratiquaient des parlers non gallo-
romans, voire non romans; (3) l'expansion coloniale ayant abouti à des situations
d'implantation ou d'importation; (4) l'expansion coloniale ayant abouti à des situa-
tions de superposition; (5) l'expansion sous les espèces du rayonnement.
L'expansion que nous avons appelée interne est un mouvement qui se confond avec
celui de la standardisation de la langue, sur la base de dialectes d’oïl. Ce mouvement
ne concerne pas que le berceau français, mais affecte aussi l’Occitanie et les zones
qui coïncident avec la Belgique traditionnellement romane, ou Wallonie, la Suisse
romande et le Val d’Aoste. Il n'a laissé subsister qu'une diglossie standard-dialecte,
diglossie prise d’assaut au XXe siècle et présentant à ce jour des visages fort divers. Le
deuxième type d’expansion, dans les zones européennes où se pratiquaient des par-
lers non gallo-romans ou non romans a entrainé des situations très différentes les
unes des autres : dans le pays à tradition centralisatrice qu’est la France, l’expansion
du français a laissé subsister maintes minorités, dont le statut a souvent été précaire ;
hors de France, cette expansion a touché, à diverses époques et avec des résultats
divers, Bruxelles, la Belgique orientale germanophone, la Flandre, le Grand-Duché
de Luxembourg.
Les troisième et quatrième types de situation sont liés à l’expansion coloniale. Celle-
ci n’a abouti à des implantations et des importations qu’en de rares endroits. En
- 11 -
Aux origines de l’expansion du français

général, ces situations sont le fruit de la première vague de colonisation (XVIe-XVIIIe


siècles) : le cas le plus visible est celui de l'Amérique française, dont le Québec et
l’Acadie sont les héritiers. Dans les cas où cette expansion coloniale s’accompagnait
d’une économie fondée sur l’esclavage, elle a pu aboutir à la création de variétés
créoles (qui se répartissent en deux grandes zones géographiques : la zone américano-
caraïbe — avec la Louisiane, Haïti, les Antilles, la Guyane — et la zone de l'Océan
indien, avec la Réunion, Maurice et Rodrigues, les Seychelles).
C’est donc surtout à des situations de superposition qu’a abouti l'expansion colo-
niale française (et la belge). Ce processus s'est surtout vérifié à partir de la seconde
vague de colonisation, au XIXe siècle. Ici, le plurilinguisme et la diglossie restent la
règle, comme en Afrique. (Mais dans ce continent, il importe de distinguer la situa-
tion du Maghreb de celle des pays d'Afrique subsaharienne. Dans le premier, la pré-
sence d'une autre langue répandue — l'arabe — change les données du problème ;
dans les seconds, le français est généralement seule langue officielle, mais il est utilisé
à côté d'un grand nombre d'autres variétés dont certaines — les « langues nationales »
— peuvent d’ailleurs avoir un statut privilégié).
Le rayonnement du français est déjà bien établi au Moyen Âge. On relève dès cette
époque des interférences lexicales qui affectent l’anglais, l’allemand, l’espagnol,
l’italien et le portugais. Et lorsque Brunetto Latini, le maître de Dante, publie au
XIIIe siècle Li Livres dou Trésor, il explique qu’il a choisi la « parlure la plus délitable ».
Ce rayonnement ne se démentira pas aux époques suivantes. Mais c’est au XVIIIe
siècle, pour des raisons à la fois politiques, économiques et culturelles, qu’il atteint
une intensité qu’il n’aura plus jamais par la suite. C'est alors la langue des classes
supérieures en Allemagne, en Europe centrale et orientale. Dans nombre de pays
d'Europe ou extra-européens, il est ou a été en bonne position comme langue ensei-
gnée ou comme langue de minorités privilégiées (par exemple en Roumanie, en
Perse, en Égypte, en Turquie, au Liban).
Une langue connaissant des situations aussi variées ne peut qu’être soumise à
d’importantes forces centrifuges. Le grand public découvre aujourd'hui seulement ce
phénomène de variation, surtout reconnu sur le plan lexical. C'est qu'il avait jusqu'à
présent été largement occulté par l'hypertrophie de la conscience grammaticale qui
est le lot du francophone et par la concentration à Paris des instances de légitimation
linguistique, que l’on a déjà expliquée et qui sera commentée à loisir dans cet ou-
vrage. Ces variétés n'ont toujours qu'une légitimité toute relative, le cas du Québec
étant à cet égard exceptionnel.
Toutes les situations qui viennent d’être décrites l’ont été depuis le point de vue fixe
qu’est l’époque moderne. Mais elles suivent évidemment une dynamique historique,
que le chapitre 2 décrira avec plus de précision pour les XIXe et XXe siècles.
C’est très tôt dans l’histoire du français que l’on observe des faits d’expansion. On
n’en veut que trois exemples. La première expansion des parlers d’oïl s’observe à
partir de la première croisade, qui voit la domination franque s’étendre en Palestine
- 12 -
Jean-Marie Klinkenberg

et sur l'empire d'Orient ; deuxième cas : la conquête de l’Angleterre par les Nor-
mands, qui fait de l'anglo-normand la langue de la classe dominante jusqu'au XIIIe
siècle (la plupart des nombreux emprunts faits par l'anglais au « français » l'ont été
par l'intermédiaire de ce standard) ; enfin, l’expansion des variétés d’oïl vers le Sud
de l’ensemble gallo-roman est sensible dès le Moyen Âge. À cette époque, le français
en voie de standardisation connait une expansion remarquable face à deux types de
concurrents : les dialectes et le latin. La majeure partie de la population ne pratique
oralement que les parlers véhiculaires (situation qui prévaudra jusqu’au début du XXe
siècle), les lettrés ayant à leur disposition deux standards écrits : le latin, le plus pres-
tigieux, et le français, plus populaire. Ce français instable se retrouve d'abord dans
des textes religieux puis, plus tard, dans des textes littéraires : à partir du XIIe siècle, il
commence à concurrencer le latin dans les textes officiels. C'est la première grande
période d'universalité de la langue : on l'écrit en Italie et elle commence à s'imposer
dans les importantes zones non francophones de France. Le XVIe siècle marque un
tournant décisif : déjà largement utilisé dans les administrations royales, le français
s'impose dans la justice (Édit de Villers-Cotterêts, 1539) et cesse définitivement d'être
une langue populaire.
Au XVIIe siècle, la centralisation politique du royaume de France va de pair avec la
centralisation linguistique, que l'invention de l'imprimerie avait stimulée : des dic-
tionnaires et des grammaires se publient, et des instances de consécration (comme
l'Académie) se mettent en place. Cela prépare la seconde période d'universalité du
français du XVIIIe siècle. Parallèlement, la langue progresse en France. La révolution
industrielle et l'enseignement obligatoire, au XIXe siècle, renforcent l'uniformisation
de la langue, en renvoyant les parlers locaux au rang de « patois ». Le XIXe siècle voit
un troisième mouvement d'expansion du français. Cette fois, c'est la colonisation qui
en est la cause. À partir du XVIe siècle, le français avait déjà pris pied en Amérique et
en Afrique ; mais à présent, il se répand massivement, essentiellement sur ce conti-
nent, mais dans d’autres régions du monde encore.
Les mouvements que l’on vient d’évoquer ainsi que les situations sociolinguistiques
qu’ils ont créées demandent évidemment à être replacés chacun dans leur logique
sociale, politique et géolinguistique propre. Ce qui sera fait tout au long du présent
ouvrage.

- 13 -
: L’HÉRITAGE DU PASSÉ
AU XXe SIÈCLE, UN NOUVEAU MARCHÉ
DES LANGUES

Bernard CERQUIGLINI
Université d’État de Louisiane (Baton Rouge)

Quand on évoque le statut international de la langue française au cours du dernier


siècle, l’exposé le plus impartial se mêle d’ordinaire d’un sourd chagrin, voire de
rancune. On rapporte en effet un destin funeste : le déclin d’une langue universelle
perdant tour à tour chacun des ses apanages, victime d’une rivale triomphante. On
considère alors, avec fair play, qu’un cycle brillant s’est achevé pour la langue fran-
çaise ; ou bien on se rassure en constatant l’émergence d’un condominium (certes iné-
gal) anglo-français en matière internationale ; ou bien encore, on appelle à résister
vaillamment à l’impérialisme yankee.
Une telle présentation ne saurait satisfaire l’observateur lucide, ni fonder une politi-
que francophone.

UNE UNIVERSALITÉ TRÈS PARTICULIÈRE


Le français, comme on le prétend, fut-il donc universel, entre la fin du XVIIe siècle et
le tournant du XXe ? À la fois oui et non. Que l’Europe du XVIIIe siècle « parlât fran-
çais » peut sembler une évidence. Un fameux concours de l’Académie de Berlin
(1784) en donne une double preuve : par son sujet (« Qu’est-ce qui a rendu la lan-
gue française la langue universelle de l’Europe ? ») ; par la teneur de la dissertation
brillamment superficielle d’Antoine Rivarol qui remporta le prix. Elle développait la
thèse d’une primauté intrinsèque du français : sa clarté, sa rigueur, son élégance la
rendaient de droit langue internationale. Cet essentialisme, bientôt rejoint au cours
de la Révolution française par un rivarolisme de gauche (« langue universelle de la
liberté et des droits de l’homme »), constitue une réponse idéologique, jamais tota-
lement absente des discours actuels qui déplorent l’injuste déclin de la langue ; elle
justifie un état de fait. La situation fut pourtant bien décrite par l’Allemand franco-
phile Johann Christoph Schwab (dont on a oublié qu’il partagea le prix) : si le fran-
çais est la langue universelle de culture en Europe et dans ses dépendances, c’est
pour des raisons précises : idiome solidement normé, magnifiquement équipé
(grammaires et dictionnaires), il est illustré par des écrivains brillants, porteur d’idées
neuves (les Lumières), et favorisé par un État dont il est à la fois l’emblème et
Au XXe siècle, un nouveau marché des langues

l’expression depuis longtemps, — un État qui, accessoirement, gagne les batailles (et
dicte les traités). Schwab ne lui voit guère de concurrent avant longtemps, et sans
doute alors du côté de la jeune nation américaine en expansion. Cette thèse est juste
sur le fond : le français est par excellence une langue cultivée, au double sens des
soins constants dont elle est l’objet, du corpus d’œuvres et d’idées auquel elle est
associée et dont elle est inséparable. C’est également par excellence une langue poli-
tique.
Cela relativise par là même son universalité, et l’idée de son déclin. Cette universali-
té fut, si l’on ose dire, toute relative. Dans l’espace, d’abord : durant son « expan-
sion », le français international fut la langue des élites cultivées européennes et
d’obédience européenne. Son universalité était sociale : en France même, quand en
1789 le peuple devint souverain, comprenait-il les lois votées en son nom ? Dans ses
fonctions, ensuite. Il remplissait celles dont, il est vrai, on avait alors besoin : donner
une culture commune à l’élite internationale, véhiculer des idées et des valeurs, faire
entendre des États. Au cours du XXe siècle, des besoins linguistiques nouveaux sont
apparus ; ils étaient immenses.

L’OUVERTURE DU MARCHÉ
Dans ce monde immobile, on reste entre soi. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les profes-
sionnels des voyages (commerçants, diplomates, etc.), les savants se débrouillent avec
les diverses lingua franca régionales, la connaissance bricolée de la langue d’autrui.
Point n’est besoin d’une langue d’échange universelle car, à l’aune de la situation
actuelle, il n’est pas alors de vraie communication internationale. Au tournant du XXe
siècle, l’ère de la conversation (pour laquelle le français fait merveille) s’achève ; en
quelques générations les échanges, les déplacements, la science et les techniques
explosent : on se parle d’un bout à l’autre de la planète, les deux tiers des chercheurs
scientifiques depuis l’origine de l’humanité sont vivants et ils communiquent. Les
nouveaux besoins linguistiques sont promptement remplis, grâce à l’Angleterre, ber-
ceau de la « révolution industrielle », puis par l’expansion nord-américaine qu’avait
pressentie Schwab : les capacités d’innovation, le capitalisme conquérant, le PNB par
habitant furent décisifs, la tolérance de ce peuple neuf en matière de norme linguis-
tique fit le reste. L’anglais exprime aujourd’hui notre monde globalisé, médiatique,
technique et commerçant ; les fonctions qu’il remplit étant, en outre, des plus visi-
bles, il est perçu comme hégémonique, voire menaçant.
On tiendra pour autant que le français n’a pas perdu ses parts d’un marché qui s’est
largement diversifié ; elles sont moindres, elles ne sont pas mineures. Langue de
culture, tout d’abord, toujours apprise et appréciée comme telle (le tropisme Sartre-
Foucault-Céline Dion importe à un monde qu’oriente le Dow Jones), langue politi-
que (voir, ici même, la contribution de J. Laponce). On notera tout d’abord que les
diverses organisations internationales créées au cours du XXe siècle (Nations unies,
Commission européenne, etc.) ont rangé le français parmi leurs langues officielles ou

- 16 -
Bernard Cerquiglini

de travail ; plus encore, ce siècle a vu la première alliance politique internationale


fondée sur une langue : la Francophonie est l’extension au monde de la capacité du
français à produire du politique. On comprend par suite que les pays francophones,
et spécialement ceux où il est langue maternelle ou commune, aient le souci de leur
langue, qui n’est pas un simple outil de communication ; on perçoit la légitimité de
leur action, conduite selon deux axes. Ils s’attachent d’une part à lui faire porter les
couleurs de la diversité culturelle mondiale (elle rappelle l’existence d’autres cultu-
res), ils veillent ensuite à ce qu’elle soit respectée dans les instances internationales
(elle traduit une autre façon de faire de la politique). En ce début du XXIe siècle,
l’anglais et le français forment bien un couple, dont la dissymétrie n’est pas à déplo-
rer, mais à valoriser dans tous les sens. Face aux redoutables risques d’uniformisation
par l’idiome principal, il est bon qu’une autre langue, grâce à ses valeurs et à ses tra-
ditions, rappelle les vertus du plurilinguisme.

- 17 -
LE FRANÇAIS DANS LES PAYS DE LA
FRANCOPHONIE EN 2006

Robert CHAUDENSON
Université de Provence Aix-Marseille

La tâche proposée au rédacteur ne saurait se résumer à une synthèse des données


présentées dans Chaudenson et Rakotomalala (2004). On peut d’autant moins y
songer que, lors du Sommet de Bucarest, en septembre 2006, sont entrés dans
l’Organisation de la Francophonie de nouveaux États, soit comme membres associés,
soit comme observateurs. Actuellement, l’OIF compte donc, selon la page d’accueil
de son site internet, 53 États ou gouvernements, deux États associés et treize États
observateurs, alors que l’ouvrage cité ne traite que des 56 États ou gouvernements
que comptait l’OIF avant le Sommet de Ouagadougou. S’il s’avère impossible de
résumer cet ouvrage, quoiqu’il traite exactement du sujet, on peut néanmoins en
dégager l’esprit et les lignes majeures puisque c’est à travers ces options que nous
nous traiterons de la situation du français dans les pays francophones en 2004.

QUELQUES POINTS DE MÉTHODE


Ce livre reflète l’état d’esprit dans lequel le réseau de l’AUF Observatoire du français et
des langues nationales a travaillé, développant de nouveaux outils et procédures de
recherche et prenant en compte non la seule langue française, comme on a eu trop
souvent tendance à le faire, mais la globalité des situations linguistiques de la Fran-
cophonie. La nature linguistique a, comme l’autre, « horreur du vide » et l’on ne
peut traiter du français sans prendre en compte les autres langues des territoires en
cause.
Un deuxième aspect important est que, dans les situations étudiées, toutes les lan-
gues considérées sont toujours examinées à l’aide du même outil d’analyse, une
« grille » combinant, pour chaque idiome pris en compte, des éléments du status et
du corpus. Si ces dénominations sont reprises de H. Kloss, le sens qui leur est donné
est fort différent de ceux que leur attribuait cet auteur et qui ont été souvent repris
dans l’aménagement linguistique (status planning vs corpus planning). Dans la grille
utilisée (dont la première version remonte à 1986 et la première publication à 1988),
sont regroupés sous status cinq domaines (l’officialité, les usages institutionnels,
l’éducation, les moyens de communication de masse, les représentions) et sous corpus
cinq autres domaines (l’acquisition comme L1 [première langue], l’apprentissage
Le français dans les pays de la Francophonie en 2006

comme L2 ou Ln, la véhicularisation et la vernacularisation, la compétence linguisti-


que et la production langagière). Par un système d’évaluation, un peu complexe pour
certains points, mais clairement explicité, on parvient à affecter au status comme au
corpus de chaque langue examinée des valeurs numériques qui permettent de la pla-
cer de façon précise dans un plan défini où le status figure en ordonnée et le corpus
en abscisse.

UN GROUPE RESTREINT DE PAYS À FRANCOPHONIE « ÉQUILIBRÉE »


On peut ainsi, par une des multiples applications de ce modèle, embrasser, d’un
simple coup d’œil, toutes les situations sociolinguistiques de la langue française dans
tous les pays de la Francophonie (2004 : 318-319). Le principe même de ce mode
d’analyse fait que, sur la diagonale du plan ainsi dessiné, se situent les cas où le cor-
pus du français (ou de toute autre langue mais c’est du français qu’il s’agit ici) est égal
(ou à peu près) au status. Cette position correspond, de façon certes un peu abstraite,
à une forme de « justice » ou d’« équité » (la langue a le corpus qui correspond à son
status ou l’inverse, si l’on préfère). Pour le français, on ne trouve guère, sur cette
diagonale ou dans sa proximité immédiate, que le Liban, le Nouveau-Brunswick, le
Québec, la Région de langue française de Belgique, Bruxelles et la France. Tous les
autres États de la Francophonie se trouvent au-dessus de cette diagonale (donc avec
des valeurs de status supérieures à celles de corpus). On peut donc dire, en schémati-
sant beaucoup que, globalement dans la Francophonie, le français souffre essentiel-
lement d’un déficit de corpus et que, de ce fait, la priorité essentielle, sinon unique,
devrait être la diffusion de la langue. Ajoutons que l’évolution de la Francophonie,
dans la dernière décennie, n’a pu qu’accentuer ce déficit puisque la plupart des nou-
veaux États qui y ont adhéré n’ont (Andorre mis à part) qu’un pourcentage très ré-
duit de francophones réels.

TROIS GROUPES DE PAYS DIVERSEMENT « DÉFICITAIRES »


L’examen du schéma donne à voir que se dessinent trois groupes correspondant à
des types majeurs de situations.
Dans le premier, en bas et à gauche du tableau, on trouve la Guinée-Bissau, le Cap-
Vert, la Guinée Équatoriale (territoires lusophones ou hispanophones), Sainte-Lucie
et la Dominique (anciennes colonies britanniques où sont en usage des créoles fran-
çais), le Laos, le Cambodge, le Vietnam (ancienne Indochine), et enfin l’Égypte. Se
trouveraient dans cette même zone les PECO (Albanie, Bulgarie, Lituanie, Macé-
doine, Moldavie, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie) qui font l’objet
d’un schéma particulier vu les valeurs très réduites du status et du corpus du français
dans ces États (Chaudenson et Rakotomalala, 2004 : 320-321). Dans tous ces États
(19 au total), les valeurs du français sont, en moyenne, inférieures à 15 (sur 100)
pour le status et à 10 (sur 100) pour le corpus.

- 20 -
Robert Chaudenson

Un deuxième regroupement d’États se dégage, caractérisé par des valeurs de status


comprises entre 30 et 50, celles du corpus s’établissant entre 10 et 30 : Rwanda, Va-
nuatu, Seychelles, Canada, Mauritanie, Algérie, Tunisie, Maroc.
Le troisième regroupement majeur rassemble, dans le haut du schéma à gauche, avec
des valeurs de status très élevées (entre 80 et 90) et des valeurs de corpus très inférieu-
res (au dessous de 25), les États du Sud où le français, le plus souvent unique langue
officielle, n’est connu que d’une partie très réduite de la population : Djibouti, Ni-
ger, Mali, Haïti, Burkina Faso, Guinée, Centrafrique, Congo démocratique, Bénin,
Togo. Ces États, sont, on le devine, un enjeu capital pour l’avenir de la francopho-
nie ; tout le problème est d’y changer les francophones potentiels en francophones
réels, ce que l’école, qui a le monopole de cette mission, est de moins en moins en
état de faire, vu l’état de crise et parfois de faillite dans lequel elle se trouve.

S’APPUYER SUR LA TÉLÉVISION POUR DIFFUSER LE FRANÇAIS


La croissance constante du nombre des États de l’OIF (63 début 2005) comme les
différences mêmes entre les situations du français (que rend évidente la dispersion
des positions du français dans le schéma présenté) rendent indispensable une ré-
flexion prospective sérieuse sur la diffusion réelle du français.
Selon le Haut Conseil de la Francophonie (HCF), il y aurait dans les pays de la Fran-
cophonie, 110 millions de francophones réels et 65 millions de francophones par-
tiels (2003 : 19). Le HCF a renoncé à des catégories aussi discutables que « franci-
sants » ou « francophones occasionnels ». Toutefois la notion de francophones « par-
tiels » continue à faire problème puisque se trouvent rassemblés, sous cette rubrique,
des locuteurs que j’ai autrefois qualifiés, par boutade, de « francophonoïdes » et/ou
de « franco-aphones » dans le chapitre intitulé « De la franco-faune » (Chaudenson,
1989 : 41-42). En fait, tout le problème est celui qui a été évoqué ci-dessus. Com-
ment rendre francophones les francophonoïdes et les franco-aphones du Sud qui ne
demandent qu’à apprendre le français, le plus souvent langue officielle des États
dont ils sont citoyens ?
Autre indicateur : lors des premières réunions, dans les années 1980, sauf circons-
tances particulières, la quasi-totalité des chefs d’État ou de gouvernement étaient
présents. A Ouagadougou, en 2004, on n’en a guère compté qu’un peu plus de la
moitié. Ce détail peut paraître anodin ; il ne l’est pas. En fait, beaucoup de chefs
d’États n’ont sans doute pas les compétences linguistiques qui leur permettraient
une réelle participation à un Sommet francophone où la langue française demeure le
médium unique de communication. Ils sont donc de plus en plus nombreux à ne
pas s’y rendre eux-mêmes.
La mise au point d’un système audio-visuel de diffusion du français pourrait permet-
tre de faire face à l’immensité des besoins, tant dans les pays où le français est langue
officielle (mais où, souvent, moins de 10 % des citoyens sont effectivement franco-
phones) que dans les États relevant de la francophonie d’appel (un tiers du total
- 21 -
Le français dans les pays de la Francophonie en 2006

désormais) ou dans les États de l’étranger traditionnel où la France conduit, de son


côté, une politique active de diffusion de sa langue. Le dispositif télévisuel actuel est
inadapté et ne s’intéresse guère à ces problématiques. TV5, chaîne de la Francopho-
nie qui, pour l’essentiel, rediffuse des produits télévisuels réalisés pour des téléspecta-
teurs francophones natifs et CFI, banque et outil de diffusion de programmes issus
des télévisions du Nord et conçus selon le même principe, n’offrent à peu près rien
qui permette une appropriation du français par des téléspectateurs à compétences
linguistiques réduites, voire nulles. La création d’une CNN à la française n’apportera
rien de plus dans le domaine de la diffusion réelle de la langue. On sait pourtant
depuis longtemps qu’on peut diffuser efficacement une langue par la télévision et
cela d’autant qu’on conçoit, à cette fin, des produits s’inscrivant dans des stratégies
didactiques, mais réalisés sous des formes attrayantes et fidélisantes, dessins animés
pour les enfants, feuilletons ou telenovelas pour les adultes.
La diffusion du français dans les pays de la Francophonie, en particulier dans les
pays qui en sont le cœur historique, n’est pas un simple problème linguistique et
culturel parmi d’autres. Il s’agit en fait du premier des droits de l’homme ; le citoyen
d’un État dont la langue officielle est le français et qui compte parmi les 85 % ou les
90 % qui n’ont pas de compétences réelles en cette langue se trouve, de facto, exclu
de tous les droits qui lui sont en principe garantis : droit à l’éducation, à
l’information, au travail, à la santé, etc. Dans de telles conditions, que vaut le droit
qu’on lui accorde, de temps à autre, de mettre dans une urne un bulletin au cours
d’un vote dont le sens comme la portée ne peuvent que lui échapper ?

- 22 -
Robert Chaudenson

Valeur de status et de corpus des pays francophones.


sta tus
100 46 22
2

37
23
90 48 5 18 16
17
14
6 24
3
80 15 42
27
3 8 .3 3
19

70

11
47

60 9
45

50 31
32
7
44
4 9 .3 4
40
36 1 10
50 43 35 12

30
30
39

20
41
26 4
40
2 8 .2 1 .2 0
10 8
25 13
51

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100
co rp us

Conventions de notation : 1 Algérie, 2 Belgique/région de langue française, 3 Belgique/Bruxelles-capitale,


4 Belgique/Flandre, 5 Bénin, 6 Burkina Faso, 7 Burundi, 8 Cambodge, 9 Cameroun, 10 Canada, 11 Cana-
da/Québec, 12 Canada/Nouveau-Brunswick, 13 Cap-Vert, 14 Centrafrique, 15 Comores, 16 Congo (Brazzaville), 17
Congo démocratique, 18 Côte-d’Ivoire, 19 Djibouti, 20 Dominique, 21 Égypte, 22 France, 23 Gabon, 24 Guinée,
25 Guinée-Bissau, 26 Guinée Équatoriale, 27 Haïti, 28 Laos, 30 Liban, 31 Luxembourg, 32 Madagascar, 33 Mali, 34
Maroc, 35 Maurice, 36 Mauritanie, 37 Monaco, 38 Niger, 39 Rwanda, 40 Sainte-Lucie, 41 São Tomé et Principe, 42
Sénégal, 43 Seychelles, 44 Suisse fédérale, 45 Suisse / cantons bilingues, 46 Suisse / cantons unilingues, 47 Tchad,
48 Togo, 49 Tunisie, 50 Vanuatu, 51 Vietnam

- 23 -
LE FRANÇAIS DANS LES ORGANISATIONS
INTERNATIONALES

Alexandre WOLFF
Organisation internationale de la Francophonie

Non seulement la langue française fait partie du petit groupe des idiomes choisis
(une dizaine) par les organisations internationales pour dire leur droit (langues offi-
cielles), mais elle partage aussi, avec l'anglais et plus rarement une troisième langue
(espagnol, russe, arabe, allemand, etc.), le rare privilège d'être utilisée dans les rela-
tions et l'organisation quotidiennes du travail de ces structures (langues de travail).
La France d'une part, et l'organisation internationale de la Francophonie (OIF) d'au-
tre part, font du maintien de ce statut un de leurs objectifs stratégiques. Partant du
principe, énoncé dans la plupart de leurs textes fondateurs ou de leurs règlements,
que le plurilinguisme est un facteur de démocratie, les organisations internationales
recherchent toutes, plus ou moins activement, un équilibre acceptable réduisant la
part croissante occupée par l'anglo-américain.
Mais qu'en est-il concrètement de la situation du français ? Quels sont les moyens
mis en œuvre par les uns et les autres ? Quelles perspectives, enfin, peut-on dégager
des tendances actuelles et comment les (ré)orienter ?
Globalement, le volume de français, qui se répartit entre expression écrite et expres-
sion orale, connaît une baisse tendancielle1, observée depuis que l'on cherche, inquiet
du phénomène, à le mesurer (25 à 30 ans).

LE SYSTÈME DES NATIONS UNIES : DES ZONES D'OMBRE ET DES


EFFORTS RÉCOMPENSÉS
D’après les sources onusiennes, le pourcentage de réunions sans interprétation est
passé de 58 % en 1994 à 77 % en 2003. S’agissant des textes écrits (imprimés et
électroniques), il faut se féliciter d’une amélioration du bilinguisme du site officiel
des Nations unies avec, notamment, depuis juillet 2003, un résumé quotidien du
point de presse du porte-parole du Secrétaire général rendu disponible en français
sur le site. Par ailleurs, le nombre de délégations intervenant en français lors de l'As-

1
Pour plus de détails, voir le Rapport du secrétaire général de la Francophonie. De Beyrouth à Ouagadougou 2002-2004,
présenté au Xe Sommet de la Francophonie, le 26 novembre 2004 (www.francophonie.org) et le chapitre consacré au
français dans les organisations internationales du Rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française, de la Déléga-
tion générale à la langue française et aux langues de France, septembre 2004.
Le français dans les organisations internationales

semblée générale est sensiblement identique d'année en année. En revanche, moins


remarquées, mais d'autant plus graves qu'elles interviennent dans des organismes
d'où le français semblait inexpugnable, les évolutions au sein de l'ensemble du sys-
tème onusien sont alarmantes. Ainsi, l’anglais est pratiquement la seule langue utili-
sée à la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement
(CNUCED) et la majorité de la documentation produite ou disponible sur le site
Internet n’est qu'en anglais. De même, les déclarations et les communiqués de presse
du Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH), pourtant basé à Genève, ne
sont rédigés, dans un premier temps, qu’en anglais. Comme le sont les communi-
qués des rapporteurs spéciaux et des experts indépendants de la Commission des
droits de l’homme. Pourtant, l'Office des Nations unies à Genève (ONUG) continue
de publier les 9/10e de ses communiqués de presse simultanément en français et en
anglais. Ce qui est loin d'être le cas de son homologue viennois (Office des Nations
unies à Vienne, ONUV), au sein duquel très peu de délégations, y compris celles des
pays membres de la Francophonie, s’expriment en français et où la quasi-totalité
(95 %) des documents originaux est rédigée en anglais. Quant au site Internet, il
n’est accessible qu'en anglais et en allemand.
En tendance, des progrès certains ont été réalisés dans le respect de l’égalité des lan-
gues officielles à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment à la suite
d'un rapport de son directeur général sur les langues et la communication (2000).
On peut citer : le remboursement intégral des frais liés à la formation linguistique du
personnel, l’extension des services de traduction et d’interprétation à un plus grand
nombre de réunions, un choix plus large de langues offert par le site de
l’Organisation ou la nomination d’un coordonnateur spécial chargé de promouvoir
le multilinguisme. Autre exemple, les documents de l’Assemblée de la santé sont
envoyés aux participants dans les six langues officielles dans les trois jours précédant
l’ouverture de la session et les procès-verbaux du Conseil exécutif et des commissions
de l’Assemblée de la santé sont disponibles en anglais, en espagnol, en français et en
russe.

L'UNION EUROPÉENNE : UN EFFORT À POURSUIVRE


Aujourd'hui, la langue d'origine de rédaction des documents à la Commission euro-
péenne et au Conseil2 est d'abord l'anglais (respectivement 59 % et 72 % des textes
contre 28 % et 18 % au français en 2003) alors que jusqu'en 1997-1998, l'égalité était à
peu près respectée. Concernant l'interprétation, intégrale (de et vers les 20 langues offi-
cielles) au Conseil européen, en vigueur jusqu'à l’élargissement du 1er mai 2004, elle ne
se maintient que pour les séances du Conseil lui-même, pour les réunions des Conseils
des ministres ainsi que pour vingt de leurs sessions préparatoires. Pour les autres
réunions, les États disposent de droits de tirage limités leur permettant de recourir à
l'interprétation, qu'ils doivent financer eux-mêmes après épuisement. Il apparaît

2
Voir ici même la contribution de Claude Truchot, « L’avenir du français en Europe ».
- 26 -
Alexandre Wolff

d'ores et déjà que l'interprétation intégrale est en baisse de 25 % par rapport à la


période antérieure et qu'elle est totalement supprimée de beaucoup de réunions.
Si tous les textes officiels et toutes les directives destinées à intégrer les législations
nationales sont traduits dans toutes les langues officielles, la Direction générale de la
traduction (DGT), qui ne travaille que pour la Commission, annonce déjà un déficit
de traduction concernant tous les autres documents écrits : de 60 000 pages au
1er mai 2004 et de 350 000 pages au 31 décembre 2006. Les communiqués de presse,
les communications au Conseil, les rapports des Conseils européens et des Conseils
des ministres, les rapports des commissions ne sont déjà, la plupart du temps, dispo-
nibles qu’en anglais, bien avant la traduction en français. De plus, des consultations
régulières ont prouvé que l'accès aux informations récentes sur les sites de la Com-
mission et du Conseil se fait quasi exclusivement en anglais.

INVESTIR L'AFRIQUE
Certaines organisations en Afrique, pourtant naturellement associées à nombre de
pays francophones, étaient jusqu'à présent délaissées : cas de l’Union africaine (UA)
ou de la Commission économique pour l'Afrique (CEA) de l'ONU. Les données
existantes sont suffisamment alarmantes pour que le Secrétaire général de l'OIF,
M. Abdou Diouf, ait décidé d'en faire un nouveau champ d'action. Actuellement,
plus de 60 % des documents officiels de l’UA sont rédigés en anglais et, si les docu-
ments sont généralement disponibles dans toutes les langues de travail chaque fois
qu’il s’agit de réunions de haut niveau (chefs d’État ou ministres), pour les réunions
à caractère technique, ils sont en anglais. Pire, environ 95 % des documents officiels
de la CEA sont rédigés en anglais.

DISPOSITIONS MISES EN ŒUVRE


Conformément aux décisions prises par les chefs d’États et de gouvernements des
pays ayant le français en partage, notamment depuis le Sommet de Hanoi en 1997,
l’Agence intergouvernementale et les quatre représentations permanentes de l’OIF
(Addis-Abeba, Bruxelles, Genève et New York) ont œuvré pour soutenir et renforcer
l’usage de la langue française dans les organisations internationales et dans les insti-
tutions européennes. Des progrès ont été réalisés, notamment dans la prise en
compte du critère plurilingue dans le recrutement et l'évolution de carrière des
agents.
Au niveau de l’OIF, les efforts se sont déployés principalement dans les institutions
du système des Nations unies et dans celles de l’Union européenne au travers de
quatre projets : formation à la fonction publique internationale ; jeunes experts
francophones ; environnement francophone ; « Plan pluriannuel d’action pour le
français ». Plusieurs centaines de fonctionnaires et de diplomates ont progressive-
ment été concernés avec une certaine efficacité. Cependant, l'examen de la situation
conduit à affirmer au moins deux évidences : l’engagement renouvelé des États et
- 27 -
Le français dans les organisations internationales

gouvernements membres de l’OIF et le partenariat dans l’ouverture aux autres lan-


gues sont indispensables à la préservation de la place du français dans les organisa-
tions internationales.
Il apparaît en effet que les États membres de l'OIF n’assument pas leurs engagements
ou, pour le moins, n’ont pas mis en œuvre les moyens indispensables à leur pleine
réalisation. M. Abdou Diouf suggère, dans son dernier rapport, l’élaboration et la
mise en pratique d’un vade mecum, à l’attention des fonctionnaires et diplomates
francophones en postes dans les organisations internationales. Ce dernier pourrait
notamment donner quelques règles à suivre : obligation de prendre la parole en
français et/ou dans la langue officielle de son pays lorsque son statut le permet ; en
cas d’absence de service d’interprétariat, préférence à accorder à d’autres langues
partenaires de la Francophonie ; obligation de développer ses compétences linguisti-
ques démontrant l’ouverture et la volonté de partenariat avec les autres langues.
Concernant les moyens mis en œuvre, ce premier bilan dressé par le Secrétaire géné-
ral de l’OIF des actions conduites et des résultats constatés révèle que les grands
points faibles de l’édifice multilingue gisent principalement dans les ressources hu-
maines et dans l’information. Ces deux domaines doivent constituer l’ossature de la
programmation francophone.
Enfin, l’alliance avec toutes les autres langues est aujourd’hui comprise par la Fran-
cophonie comme une nécessité. Des réunions de concertation et des programmes de
coopération commencent à émerger avec les lusophones (Communauté des peuples
de langue portugaise, CPLP) et les hispanophones (Organisation des États ibéro-
américains, OEI). Ce début de partenariat gagnerait à s’organiser aussi en suivant
une logique propre aux différentes organisations : l’alliance, avec les autres langues
(latines et allemande) en Europe, peut se faire plus large à l’ONU, avec les sinopho-
nes ou les russophones, dont plusieurs rencontres de haut niveau avec des responsa-
bles de la Francophonie montrent l’intérêt qu’ils lui portent3. Dans les organisations
africaines, les locuteurs d’arabe ou de langues africaines sont les alliés désignés du
plurilinguisme.

3
Cf. « La langue russe : une nouvelle question politique », p. 39-48 dans La Francophonie dans le monde 2004-2005,
Larousse, 2005, Paris.
- 28 -
Alexandre Wolff

Le renforcement de l’utilisation du français dans les organisations africaines


Julien Kilanga Musinde
Chef de la Division langue française et langues partenaires
Organisation internationale de la Francophonie

Le projet « Le français dans les organisations africaines » est dans sa phase exploratoire. Son
objectif est de renforcer l’usage du français dans les différentes organisations africaines et
d’améliorer l’environnement francophone par la mise à disposition de la documentation, par
la formation et le renforcement des capacités et de l’expertise des francophones par des ac-
tions de sensibilisation et de formation. Il est prévu deux niveaux d’intervention : dans les
sièges ou agences spécialisées des organisations et dans les administrations nationales des pays
membres de la Francophonie en visant les fonctionnaires et personnes ayant vocation à tra-
vailler dans ou en relation avec les organisations multilatérales sur le continent africain. Il
s’agit du mode d’intervention sur les capacités linguistiques et sur l’aptitude à la prise de
parole et à la négociation des francophones. En 2005, les opérations suivantes ont été lan-
cées :
Avec le Comesa
- Signature d’une convention portant sur l’utilisation de la langue française au sein de
l’organisation, comprenant le renforcement du Centre de langues du secrétariat général par
le recrutement d’un enseignant de français animateur pour une durée d’une année ;
- L’envoi de fonctionnaires et personnels d’assistance du Comesa, en stages de six semaines
d’apprentissage du français, au Centre international d’études pédagogiques de La Réunion,
dans la perspective de la tenue du Sommet du Comesa à Kigali du 2 au 3 juin 2005 ;
- Aide aux services de traduction et d’interprétation pendant la durée du Sommet de Kigali.
Avec l’Union africaine
- Intégration, dans l’accord de coopération de portée plus générale qui devrait être passé avec
l’OIF, d’un plan pluriannuel ayant pour objectif le renforcement de l’utilisation du français
dans l’organisation comprenant :
- Une aide à l’élaboration d’un instrument juridique visant au respect de l’emploi des langues
statutaires de l’organisation ;
- Le renforcement des capacités à enseigner le français du Centre de langues de l’Union afri-
caine ;
- Le renforcement des services de traduction et d’interprétation ;
- Une contribution à la production de documents, en langue française, des services de com-
munication et d’information.
Avec le tribunal pénal international pour le Rwanda
- Contribution au renforcement des activités linguistiques, en langue française ;
- Contribution à l’organisation par l’équipement de 50 postes de traducteurs, d’un logiciel de
traduction en langue française.

- 29 -
LES INSTITUTIONS DE DIFFUSION DU
FRANÇAIS : LES RÉSULTATS SONT-ILS À LA
MESURE DE LEUR NOMBRE ?

Jean-François DE RAYMOND
L'Année francophone internationale, Université Laval, Québec

Prétendre estimer le rapport entre l’investissement global en faveur de la langue


française et les résultats obtenus est une gageure. En effet, la francophonie est une
réalité complexe et évolutive, où l’on observe des actions souvent parallèles émanant
de partenaires indépendants, actions dont les objectifs débordent la tâche que
s’assigne la Francophonie institutionnelle. Toutefois il est licite de s’interroger sur le
sens et l’évolution de ces actions multiformes.

I. LES INSTITUTIONS DE LA FRANCOPHONIE ET LA PLACE DE LA


LANGUE FRANÇAISE
La promotion de la langue française s’appuie sur un important réseau d’institutions
multilatérales. Sans les énumérer toutes, rappelons les Sommets francophones, les
Conférences des Ministres des pays membres, l’AIPLF, l’AIMF, le CIRTEF, ou en-
core l’AUF, qui regroupait en 2006 659 établissements d’enseignement supérieur.
Il faut également tenir compte des actions individuelles des pays membres, qui sont
également susceptibles d’œuvrer à la promotion de la langue française (Office qué-
bécois de la langue français, conseils supérieurs de la langue française, commissions
de terminologie, de néologie, etc.) ou encore des systèmes d’enseignement et de for-
mation linguistique des fonctionnaires, de traducteurs et d’interprètes, de journalis-
tes ; tenir compte encore des outils technologiques mis au point, des publications
scientifiques et de vulgarisation, de la dynamique des industries culturelles. En
même temps, des structures et des réseaux culturels et linguistiques — principalement
ceux de la France, du Canada, du Québec, de la Communauté française de Belgi-
que — contribuent à établir dans le monde le maillage assurant la permanence de
cette promotion : la France dispose ainsi de 151 centres et instituts culturels et de
283 Alliances françaises avec un millier d’associations dans 138 pays ; 400 écoles et
lycées dans près de 140 pays scolarisent 224 000 élèves dont 150 000 de toutes na-
tionalités. De plus, 140 établissements de divers pays suivent des programmes fran-
çais, accueillant plus de 250 000 élèves. La chaîne de télévision francophone TV5 —
résultat de la coopération de cinq chaînes européennes, de celles du Canada et du
Les institutions de diffusion du français

Québec — couvre la plupart des régions des cinq continents, atteignant 60 millions
de foyers, où 11 millions de personnes la regardent chaque jour. Elle exprime une
pluralité de points de vue en langue française et atteint des communautés franco-
phones méconnues et isolées, au-delà des pays dits de la Francophonie.
Enfin, le mouvement associatif constitué de 350 organisations de toutes catégories
œuvrant pour la promotion de la langue française atteste la mobilisation de la socié-
té civile pour les actions communes. Cette multiplicité d’initiatives témoigne d’un
intérêt partagé à travers le monde pour la francophonie, mais leur diversité même
pose la question de leur efficience.

II. LES RÉSULTATS CORRESPONDENT-ILS AUX EFFORTS DÉPLOYÉS ?


Pour prendre tout son sens, l’appréciation devrait d’abord considérer l’état global de
la Francophonie, avec ses tendances à la progression ou au recul, ventilées région par
région, et mettre cette dynamique en regard des efforts consentis. Or ces mouve-
ments répondent à des tendances tantôt profondes – par exemple les taux de natalité
et de scolarisation (voir, ici même, les contributions de R. Marcoux, M. Daff, J.-P.
Cuq) – tantôt conjoncturelles (situations politiques, variations de l’image de la Fran-
cophonie, etc.).
Certes la langue française a gagné en audience dans des régions riches et industriali-
sées (par exemple au Royaume-Uni ) et dans des pays d’inégal développement, du
Maghreb (Maroc, Tunisie), d’Afrique noire (Cameroun, Burkina Faso, Guinée,
Zaïre). Elle est enseignée à près de 60 millions de personnes dans le monde et dans
tous les systèmes éducatifs d’Europe occidentale (soit plus de 12 millions de franco-
phones), dont l’Europe de l’Est. Elle se maintient au Proche et Moyen-Orient, où un
quart des élèves et étudiants apprennent le français ; elle est concurrencée par
l’anglais et elle marque une certaine stabilité au Canada, en Asie et Océanie, au
Vietnam et en Inde. Toutefois, son audience connaît un net infléchissement dans
certaines régions. Ainsi le français n’est plus la langue officielle de l’Algérie ; il a
perdu de son influence dans de larges zones d’Europe ; son apprentissage a reculé
aux États-Unis, dans les universités et dans les domaines scientifique et des affaires.
Au total, si le nombre des francophones et des personnes apprenant le français a
augmenté durant les vingt dernières années, la part des francophones tend à dimi-
nuer par rapport à l’augmentation de la population mondiale (voir, ici même,
l’article de R. Marcoux). Si le nombre des étudiants en français hors de France a
augmenté, son rapport au total des étudiants s’établit à environ 6 %. La population
scolaire apprenant la langue tend à diminuer, a fortiori là où la présence franco-
phone n’a pas été marquante (Amérique latine, Afrique non francophone ; voir ici
même la contribution de J.C. da Cunha).
Plusieurs facteurs contribuent à renforcer la résistance à la promotion de la franco-
phonie.

- 32 -
Jean-François De Raymond

Tout d’abord l’ubiquité et la simultanéité, caractéristiques de la modernité et de la


mondialisation, sont parfois interprétées comme une inéluctable nécessité de
l’histoire, à laquelle il serait vain de s’opposer. La langue française résiste dès lors
difficilement à la puissance de l’anglo-américain et à la propension à adopter
l’anglais, par commodité ou par conformisme. Dans l’Europe élargie, les langues des
nouveaux pays européens n’étant guère parlées hors de leur territoire, ceux-ci peu-
vent être tentés d’adopter cette langue comme seule lingua franca. Bien que l’Union
ait pour doctrine le maintien de la diversité culturelle, il s’impose de réguler de ma-
nière pragmatique la Babel européenne. C’est dans ce cadre que l’on observe certains
efforts convergents afin que le français demeure langue de travail, langue officielle et
relais d’interprétation, à côté d’autres langues à vocation fédératrice.
En second lieu, il faut souligner que si le réseau d’institutions culturelles, scientifi-
ques et diplomatiques décrit dans cet ouvrage contribue à la promotion du français,
la multiplicité des organismes parallèles des États membres et la dispersion des cré-
dits précarisent leurs actions. Ce qui pointe la nécessité d’une meilleure coordina-
tion de celles-ci.
En troisième lieu, on notera que certains membres de la Francophonie participent
simultanément à des aires culturelles et linguistiques distinctes : monde arabe, luso-
phonie, et même Commonwealth. Or ces ensembles définissent également leur iden-
tité, de sorte que l’on peut assister à certains conflits de valeurs.
En outre, la disparité des niveaux de développement économique des membres de la
Francophonie (dont l’ensemble produit un peu plus de 9 % de la richesse mondiale ;
voir, ici même, la contribution de F. Grin et M. Gazzolla) risque de détourner cer-
tains pays de l’influence francophone pour les réorienter vers d’autres pôles.
Enfin œuvrer au rayonnement du français, c’est veiller à sa promotion dans des do-
maines de la modernité : la science et les affaires, où son avenir semble incertain. Or
c’est précisément là que la langue doit montrer sa capacité de créer des concepts, de
la terminologie et d’énoncer des idées.
Quant à la télévision francophone, il ne suffit pas que ses ondes parviennent dans les
villes et les campagnes d’une majeure partie du monde. Encore faut-il que les per-
sonnes aient le désir de la regarder depuis leur foyer, leur bureau ou leur hôtel, et
que dans chaque région, les téléspectateurs y trouvent à la fois un écho d’eux-mêmes
et l’ouverture au monde qu’ils attendent du regard francophone. Cela suppose de
faire vivre la diversité de l’unité et de contrer la globalisation culturelle par des vi-
sions diverses de la francophonie.
Ainsi la multiplicité des actions, des programmes et des moyens répond à la diversité
des composantes de la francophonie ; elle est le signe d’une vie sociale impliquant
toutes les catégories socioprofessionnelles, les activités politiques, intellectuelles,
ludiques, à tous les âges de la vie. La question initiale trouverait ici une première
réponse. Mais la francophonie gagne en audience et en attachement là où la synergie
des ressources, des programmes et des associations évite les dispersions d’énergies et
- 33 -
Les institutions de diffusion du français

forme des ensembles qui se complètent, leur donnant une force et une visibilité qui
profitent à leur efficacité. Par exemple, l’AUF fédère des universités où l’appel à
d’anciens boursiers et stagiaires tisse une trame féconde, source de réseaux et moteur
de l’action. Non seulement des principes d’économie d’échelle et de subsidiarité
favorisent l’efficacité des actions, mais une conception unifiée et démultipliée tire
parti de la promotion de la diversité où elle risque de se disperser. Tout ne relève pas
du volume des moyens mis en œuvre mais de leur convergence et du dynamisme
imaginatif, ainsi que du courage nécessaire pour témoigner de la légitimité et de la
fécondité de l’usage de la langue française. C’est l’autre partie de la réponse.

- 34 -
LES DISPOSITIFS DE COOPÉRATION
LINGUISTIQUE À L’INTÉRIEUR
DE L’ESPACE FRANCOPHONE
DU NORD

Martine GARSOU
Directrice générale adjointe du Service général des Lettres et du Livre
Ministère de la Communauté française de Belgique

La coopération linguistique entre États francophones vise essentiellement deux ob-


jets : harmoniser l’évolution de la langue et renforcer la position du français ; elle
est soit le fait d’actions bilatérales, impliquant alors deux pays francophones, soit le
fait d’actions multilatérales.
Si l’Agence de la francophonie créée en 1970 (aujourd’hui OIF) apparait comme
l’instance adéquate pour développer une coopération multilatérale en vue de pro-
mouvoir la langue française, dès le début des années 1990, les organismes de gestion
linguistique du Québec (l’Office et le Conseil de la langue française), de France (le
Conseil supérieur de la langue française et la Délégation générale à la langue fran-
çaise), de la Communauté française (le Conseil supérieur de la langue française et le
service de la langue française) et de Suisse romande (Délégation à la langue française,
créée en 1995) ont éprouvé le besoin de se concerter entre pays francophones du
Nord.
Cette concertation « multilatérale du Nord » se justifiait par le fait que certains défis
pour renforcer le français concernaient prioritairement ces pays. Par ailleurs, la ré-
forme de l’orthographe proposée par le Conseil supérieur de la langue française de
France avait fait ressentir le besoin d’une meilleure circulation de l’information dans
cette zone géographique.
Ainsi, dès le départ, cette concertation s’articulait autour de deux axes : le renforce-
ment de la position du français dans les zones d’influence de ces entités politiques et
l’harmonisation concertée des propositions en matière d’aménagement de la langue.
Elle portait donc à la fois sur le statut, c’est-à-dire toutes les actions et stratégies à
mener pour renforcer la présence du français, particulièrement dans les secteurs où il
est menacé, et le corpus, c’est-à-dire sur tout ce qui a trait à la langue elle-même, à
son usage, son évolution, son enrichissement.
Les dispositifs de coopération linguistique

1.LA CONCERTATION SUR LE STATUT


À la fin des années 1980, les Conseils de la langue française de France, du Québec et
de la Communauté française de Belgique se trouvaient confrontés au même défi :
comment assurer la présence du français dans un environnement de plus en plus
mondialisé, où l’anglais prenait une place prépondérante ? Pour réfléchir à cette
question, et plus particulièrement pour étudier la place du français dans
l’information scientifique et technique, un des lieux où le recul du français paraissait
le plus sensible, un premier séminaire fut organisé en 1991 par les Conseils. À partir
de l’analyse de la situation dans chacun des trois États, des mesures communes fu-
rent proposées aux gouvernements concernés.
Ce séminaire devait constituer le point de départ d’une concertation permanente
entre organismes linguistiques du Nord. Une réunion annuelle — la « Table de
concertation » — fut mise sur pied dès 1993. L’échange d’informations sur la situa-
tion du français et sur les actions menées dans chacun des pays apparaissait en effet
comme constituant une source d’enrichissement importante pour chacun des parte-
naires. Des projets de recherches en commun ont aussi régulièrement été évoqués,
mais n’ont pas réellement abouti : l’inégalité des moyens entre les différents orga-
nismes linguistiques et la spécificité des situations de chaque pays rendent difficile la
mise en œuvre de recherches qui seraient portées simultanément par les quatre gou-
vernements.
En revanche, l’organisation conjointe de séminaires de réflexion consacrés à des
enjeux essentiels pour le français a permis de faire avancer l’analyse et la comparai-
son des situations et d’adresser des recommandations communes aux gouvernements
concernés.
Ces séminaires ont ainsi successivement porté sur l’analyse des conséquences linguis-
tiques de la mondialisation des échanges, et en particulier des échanges économiques
(1994), sur la rédaction technique (1997, v. AAVV, 2000a), sur la gestion du pluri-
linguisme et des langues nationales dans un contexte de mondialisation (1998), sur
le rôle du français dans une société de connaissance (2000), sur l’intégration linguis-
tique des migrants (2001), sur le français et la diversité linguistique (2005), sur
l’intercompréhension entre langues voisines (2006).
Les thématiques de ces différents séminaires montrent assurément que la réflexion
des organismes linguistiques du Nord prend désormais en compte la diversité lin-
guistique et culturelle. Il ne s’agit plus de concevoir des politiques défensives pour le
français, mais au contraire de mettre en place des politiques qui prennent en compte
le rapport de la langue française aux autres langues, notamment en promouvant le
multilinguisme.
La concertation permanente n’a pas négligé non plus les aspects symboliques de
l’action francophone. Ainsi, chaque année, aux alentours du 20 mars, une semaine
de manifestations festives autour de la langue française est organisée aussi bien en

- 36 -
Martine Garsou

France, en Suisse romande qu’au Québec et en Communauté française : des actions


communes ont été mises en place pour alimenter cette semaine du français.

2. LA CONCERTATION SUR LE CORPUS


C’est la réforme de l’orthographe portée en 1990 par le Conseil supérieur de la lan-
gue française de France qui a suscité le besoin d’une concertation avec d’autres orga-
nismes linguistiques : les Conseils de la langue de la Communauté française et du
Québec ont été consultés et, après consultation de diverses instances locales, ont
apporté leur soutien à cette réforme dont l’impact déborde évidemment les frontiè-
res de l’Hexagone. La Suisse romande ne put participer à la concertation : elle ne
disposait en effet pas d’organisme de gestion linguistique. C’est à la suite de cet épi-
sode qu’elle décida de créer une Délégation à la langue française, dépendant des
ministres de l’Éducation des cantons francophones, afin d’être représentée dans
toute concertation internationale. On n’ignore pas que l’application de la réforme
orthographique a connu bien des freins. Les différents organismes linguistiques ont
récemment décidé de faire ensemble le bilan et d’envisager d’autres actions prolon-
geant celle-ci.
Depuis 2002, sous l’égide du Conseil supérieur de la langue française de la Commu-
nauté française, un travail de réflexion sur une réforme de l’orthographe grammati-
cale a en effet été mis en place, en concertation avec les autres organismes linguisti-
ques. Il paraissait évident que, comme la précédente, une telle réforme n’aurait de
sens que si elle était portée et validée par l’ensemble des partenaires francophones, y
compris cette fois la francophonie du Sud. Celle-ci est associée à la réflexion, par la
participation d’observateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie.
Autre dossier relevant de la gestion du corpus : la féminisation des noms de métier.
Antérieure à 1990 pour trois des quatre pays, et prise en ordre dispersé (en 1979 au
Québec, en 1986 en France, en 1988 en Suisse et en 1993 en Communauté fran-
çaise de Belgique), la mesure n’avait pas fait l’objet de concertation. Sans doute, ici
plus qu’ailleurs, en matière de langue, la féminisation renvoie-t-elle au fait que
l’évolution de la langue reflète celle de la société, et que la sensibilité à ces questions
était différente dans chacun des pays, comme le montrent d’ailleurs les différences
que l’on y note quant au sort réservé à la féminisation.
Dernier dossier : la terminologie. Ici, le cadre privilégié est multilatéral :
l’Organisation internationale de la Francophonie soutient le RIFAL (Réseau interna-
tional francophone d’aménagement linguistique), auquel les organismes linguisti-
ques de France, de la Communauté française et du Québec participent aux côtés de
nombreux autres pays. À signaler toutefois que pour la Suisse, la représentation est
assurée non par la Délégation à la langue française mais par le Bureau fédéral de la
traduction. Ceci témoigne des complexités institutionnelles dans lesquelles
s’inscrivent les actions des différents organismes et dont il faut tenir compte pour la
concertation en matière de langue.
- 37 -
Les dispositifs de coopération linguistique

3. CONCLUSIONS
Depuis plus de dix ans, les organes de gestion linguistique du Nord se réunissent
une fois par an pour se concerter sur les actions à mener en matière de langue fran-
çaise. Une part importante de cette concertation est consacrée à l’échange
d’informations sur les priorités de politique linguistique et les actions menées dans
chacun des pays ou régions. Cet échange d’informations permet de situer le déve-
loppement des politiques linguistiques dans leur contexte spécifique et de dégager
éventuellement des pistes d’action communes.
La nécessité de mettre en place des recherches communes pour disposer de données
objectives a souvent été évoquée mais s’est heurtée jusqu’à présent à la difficulté de
mettre en œuvre des ressources adéquates. Force est d’ailleurs de reconnaître que les
moyens réservés à la politique linguistique varient fortement selon les États.
Mais les recommandations communes issues des différents séminaires de réflexion
montrent bien que, en matière de langue, les États de la francophonie septentrionale
sont confrontés aux mêmes défis, et que les organismes compétents ont une action
de sensibilisation à mener auprès de leur gouvernement. C’est aussi de manière
concertée qu’ils peuvent porter leurs réflexions et leurs recommandations auprès de
l’OIF. Les résultats engrangés par cette coopération indiquent à suffisance que des
organismes de gestion linguistique devraient également se mettre en place dans la
francophonie du Sud, afin qu’existe une véritable chambre d’écho internationale
pour toute question liée à l’évolution de la langue.

La langue et l’État
Xavier NORTH
Délégué général à la langue française et aux langues de France

Que la langue française soit historiquement l’affaire de l’État, non seulement en France, son
creuset historique, mais aussi dans de nombreux pays où elle a le statut de langue officielle
(pensons notamment aux politiques linguistiques menées au Canada et au Québec), c’est
sans doute un de ses traits distinctifs les plus souvent relevés par rapport aux autres grandes
langues de diffusion internationale. Aussi est-il tentant de se demander si l’intervention des
pouvoirs publics est susceptible de déterminer peu ou prou l’avenir du français là où il est
aujourd’hui parlé. Sans tirer des conclusions abusives des exemples, souvent cités, de l’hébreu
(exhumé du texte biblique par le projet sioniste) ou du français au Québec (imposé contre
l’anglais par la revendication nationaliste), les leçons de l’Histoire incitent en effet à penser
que l’action volontariste d’une communauté peut influer de manière décisive sur le destin
d’une langue.
En France, on le sait, l'État, qu'il fût royal, impérial ou républicain, a constamment placé le
français au cœur même de la construction politique de la Nation, imposant son usage dans
les actes et opérations de justice (ordonnance de Villers-Cotterêts), renforçant ainsi un mou-
vement de centralisation linguistique déjà bien amorcé, puis luttant contre les langues quali-
fiées aujourd’hui de « régionales » (comme en témoigne la vigoureuse politique d’instruction
- 38 -
Martine Garsou

publique menée sous la IIIe République). L’imposition de la langue française sur le territoire
national ne sera achevée qu’au XXe siècle, avec son inscription symbolique dans la Constitu-
tion de la Ve République (« la langue de la République est le français », art. 2) : dans le pro-
cessus plusieurs fois séculaire qui finit par faire du français un des éléments constitutifs de
l’identité culturelle, de l’unité nationale et de l’égalité des citoyens devant la loi, nul doute
que l’État a joué un rôle central.
La longue histoire du français est marquée par le culte d’une langue unique, dans une France
qui s’est pensée — et posée dès l’origine — comme monolingue, contre l’évidence d’un pluri-
linguisme de fait. Depuis une cinquantaine d’années, ce modèle est ébranlé par le profond
changement de statut que connaît la langue française. Le temps n’est plus en France où, tout
en affichant des ambitions universalistes, le français avait à se situer exclusivement par rap-
port aux langues régionales, dans une relation de rivalité ou d’antagonisme ; il se trouve
désormais tout à la fois confronté à une langue de communication dominante et engagé dans
un dialogue permanent avec l’ensemble des langues du monde, dont certaines ont été impor-
tées sur son territoire par les flux migratoires. Face à cette nouvelle donne, la politique en
faveur de la langue française a dû évoluer afin de répondre à de nouveaux défis.
Si la responsabilité première que se donne l’État, aujourd’hui comme hier, est d’en favoriser
l’apprentissage et, le cas échéant, d’en assurer la transmission par l’école, les pouvoirs publics
français se sont assignés plus récemment pour mission de garantir un « droit au français »,
dans tous les secteurs de la vie sociale où le rapport des forces économiques et culturelles avec
d’autres langues risquait de faire perdre à la langue française sa « fonctionnalité ». C’est dans
cet esprit du moins qu’a été adoptée la loi du 4 août 1994 (dite « loi Toubon »), considérée
comme la pierre angulaire de la politique linguistique menée en France : dans un contexte de
développement accéléré des échanges internationaux, elle a en effet pour ambition de garan-
tir aux citoyens, en toutes circonstances, la possibilité de s’exprimer et de recevoir une infor-
mation en langue française.
Loin d’avoir été inspirées par le souci de préserver une supposée pureté langagière en faisant
la chasse aux mots étrangers, les dispositions de la loi Toubon portent exclusivement sur
l’emploi du français sur le territoire national et non sur son (bon) usage : le législateur
n’entendait ni régir la langue, ni entraver son évolution naturelle, encore moins inciter l’État
à exercer la fonction de gardien d’un temple du bien parler. Un sondage réalisé en 2000 pour
le syndicat Force ouvrière a d’ailleurs montré que 93 % des personnes interrogées trouvaient
ces dispositions « utiles » ou « très utiles » (il est vrai que seuls 34 % en connaissaient
l’existence…). Pour le reste, l’usage lui-même continue à faire loi.
De la puissance publique, l’usager peut attendre en revanche qu’elle veille à ce que le français
reste en phase avec l'évolution des réalités contemporaines, notamment dans les domaines
sociaux, économiques, technologiques et scientifiques. Répondre à des besoins d’expression
que ne satisfait pas l’état actuel de la langue : c’est le rôle dévolu aux commissions de termi-
nologie et de néologie, étant entendu que l'État n'a ni vocation à décider du choix des termes
ni pouvoir de les imposer à d'autres qu'à lui-même. Veiller à la bonne marche du dispositif
d'enrichissement de la langue française, en concertation avec ses partenaires francophones
(voir ici même le texte de M. Garsou), encourager à la recherche en matière de traitement
informatique de la langue et œuvrer à la diffusion des ressources terminologiques constituent
ses seules prérogatives. À l’actif de cette démarche, on portera le succès de termes d’usage
aussi courant aujourd’hui que baladeur, covoiturage, ou logiciel (après le mot ordinateur, forgé
sur un mot latin relevant de la théologie).
- 39 -
Les dispositifs de coopération linguistique

Souvent mal comprise, l’action des pouvoirs publics en matière de politique linguistique,
strictement encadrée par le droit, ne constitue donc en rien un combat d’arrière-garde. Face
aux enjeux identitaires que comporte toute intervention dans ce domaine, c’est à l’État —
considère-t-on en France — que revient la charge de transmettre, de faire partager et de favori-
ser la vitalité de ce patrimoine que constitue la langue française. D’autant qu’en veillant à la
place du français sur son territoire, il favorise indirectement son usage en Europe et dans le
monde : en raison d’un fait statistique maintes fois souligné — l’importante proportion de
Français dans la population de langue maternelle française, trait qui oppose la francophonie
à l’hispanophonie, à l’anglophonie et à la lusophonie, où l’ancienne métropole n’a plus
qu’un poids négligeable —, l’avenir du français reste pour une grande part déterminé par
l’emploi qui continuera ou non d’en être fait en France même.

- 40 -
LES POLITIQUES DU FRANÇAIS À L'HEURE
DE LA MONDIALISATION

Lia VARELA
Instituto de Investigação e Desenvolvimento
em Política Lingüística -Florianopolis

1. LES POLITIQUES DU FRANÇAIS AUJOURD’HUI : ACTEURS ET


1
CHAMPS D’ACTION
Comparée à d’autres aires linguistiques politiquement organisées, les espaces hispano-
lusophone et anglophone, la francophonie se trouve dans des conditions que l’on
2
pourrait qualifier d’idéales pour l’exercice de l’aménagement linguistique . Les pays
francophones disposent aujourd’hui d’un important capital de connaissances
concernant les mécanismes de l’intervention linguistique grâce à l’expérience accu-
mulée dans la diffusion de la langue nationale à l’intérieur et à l’extérieur des fron-
tières (c’est le cas de la France), dans des programmes d’officialisation et de moderni-
sation de la langue en contexte de lutte pour l’affirmation identitaire (le Québec),
dans la gestion d’équilibres linguistiques (aux cas bien connus du Canada, de la Bel-
gique, du Luxembourg et de la Suisse on pourrait ajouter celui d’Andorre) et dans la
réflexion et l’action sur des terrains caractérisés par un contact linguistique intense
(du français avec les langues africaines et différents créoles). Ils disposent également
de vastes réseaux de spécialistes et d’institutions, ainsi que d’une conscience sociale
relativement élevée quant à la dimension politique des langues. On retrouve
justement cette sensibilité politico-linguistique à l’origine de la Francophonie
institutionnelle, structure multilatérale qui est devenue le lieu d’expériences
pionnières d’aménagement linguistique. En effet, le savoir-faire en gestion linguisti-
que multilatérale développé par les pays francophones n’a peut-être pas son équiva-
lent ailleurs dans le monde.

1
L’information utilisée dans cet article est disponible sur les sites Internet des organismes suivants : Académie
africaine des langues (www.acalan.org) ; Organisation internationale de la Francophonie (www.francophonie.org),
Agence universitaire de la Francophonie (www.auf.org) et TV5 Monde (www.tv5.org) ; Service et Conseil supérieur
de la langue française de la Communauté française de Belgique (www.cfwb.be/franca/index.htm) ; Ministère des
Affaires étrangères (www.diplomatie.gouv.fr), Délégation à a langue française et aux langues de France
(www.culture.gouv.fr/culture/dglf/) et Centre international d’études pédagogiques (www.ciep.fr) ; Office et Conseil
supérieur de la langue française du Québec (www.oqlf.gouv.qc.ca, www.cslf.gouv.qc.ca) ; Délégation à la langue
française de Suisse romande (www.ciip.ch/ciip/DLF/).
2
Voir tableau I et graphique.
Les politiques du français à l’heure de la mondialisation

Que ce soit en raison de contraintes idéologiques ou autres d’ordre éducatif, maté-


riel ou proprement sociolinguistique, les pays officiellement francophones partici-
pent à des degrés et sous des formes très divers à la gestion de la langue commune.
Leur capacité à définir et/ou mettre en place ce genre de politique est inégale ; les
cibles que chacun privilégie (qu’elles relèvent du corpus, du statut ou de l’acquisition
de la langue) diffèrent suivant le type de problématique dominante localement ou la
nature des besoins et des objectifs visés.
Ainsi, pour ce qui est du corpus du français, le Canada-Québec se distingue par
l’important savoir-faire développé dans le domaine de la lexicographie, de la termi-
nologie et de l’informatisation dans le cadre de sa politique de francisation. Par ail-
leurs, ces travaux donnent lieu à des échanges soutenus entre pays francophones du
Nord (voir, ici même, la contribution de M. Garsou). Dans les pays francophones
d’Afrique on ne trouve guère de politiques d’aménagement du corpus, mais plutôt
des actions de coopération et des recherches universitaires dont résultent des travaux
de description de variétés locales ou des ouvrages lexicographiques.
Une fois adoptée une politique des langues officielles – forme classique des politi-
ques d’aménagement du statut –, la question se pose de sa traduction pratique. Les
pays de la Francophonie du Sud manquent souvent des moyens pour mettre leurs
décisions en application – ce qu’illustre, a contrario, l’exemple du Québec. La France,
dans son rôle de grande puissance, se préoccupe notamment du statut international
de sa langue. À son initiative, des politiques sont conçues en vue de renforcer la
présence du français dans les enceintes internationales, dans les grands événements
médiatiques (les Jeux olympiques) ou dans la communication scientifique. Ces objec-
tifs étant partagés par l’ensemble des partenaires francophones, ce sont souvent les
opérateurs multilatéraux qui assument la conduite des projets dont l’envergure est à
la mesure des ambitions.
Quant aux politiques d’acquisition, plus les questions d’enseignement du français
langue maternelle ou seconde sont maîtrisées à l’intérieur de son territoire (dans le
cadre de programmes de scolarisation, d’alphabétisation ou d’intégration des mi-
grants), plus le pays a de chances de pouvoir se consacrer à la promotion/diffusion
3
du français comme langue étrangère . Ainsi, à côté de l’enseignement à des publics
scolaires et adultes autour du monde assuré depuis plus d’un siècle, la France mène
aujourd’hui d’importantes actions dans ce domaine à travers un vaste dispositif insti-
tutionnel : démarches diplomatiques en vue du maintien du français dans le système
scolaire des pays non francophones, européens en particulier ; programmes de for-
mation intensive en français destinés à des publics choisis (élèves concernés par le
programme des « Classes bilingues », étudiants des « Filières universitaires franco-
phones », formation des diplomates et fonctionnaires internationaux) ; développe-
ment et gestion de systèmes d’accréditation de compétences linguistiques (Delf-Dalf,

3
La possibilité pour un pays de développer une politique linguistique extérieure dépend bien entendu d’un ensem-
ble plus complexe de facteurs (Varela, 2006).
- 42 -
Lia Varela

TCF) et autres produits d’ingénierie éducative, etc. Depuis quelques années, la ten-
dance est à confier des opérations de promotion et de diffusion de la langue à
grande échelle à des opérateurs multilatéraux : OIF (Journée de la Francophonie),
TV5 (programme « Apprendre et enseigner le français avec TV5 ») et partenaires du
monde associatif comme la Fédération internationale des professeurs de français.
En Afrique, où se trouve plus de la moitié des apprenants de français dans le
4
monde – et cela sans compter le public potentiel que constituent les millions
d’enfants qui restent hors du système scolaire –, les besoins prioritaires relèvent de
l’enseignement du français langue seconde, ce qui implique en amont que des déci-
sions effectives soient prises quant au rôle des « langues partenaires » (les langues des
élèves et le français) dans l’éducation. Or rares sont les pays qui ont entrepris à ce
sujet des politiques conséquentes, et les actions conduites par les opérateurs multila-
téraux, en raison des discontinuités et des recommencements fréquents, de
l’éparpillement ou de la faiblesse des moyens, ont rarement la cohérence et la capaci-
té d’impact d’une politique linguistique.
On voit apparaître dans cette brève énumération la diversité des champs d’action de
la politique du français, mais aussi quelques particularités nationales ou régionales.
Certains objectifs pourtant semblent largement partagés : préserver la qualité et
l’unité de la langue, ainsi que sa capacité à dire la modernité et à évoluer dans
l’environnement numérique ; généraliser la maîtrise du français dans les pays qui
l’ont comme langue officielle, attirer de nouveaux publics vers la connaissance de la
langue ; renforcer la position du français dans des fonctions considérées comme
prestigieuses au plan mondial. Les tendances qui se dégagent de quelques projets
aujourd’hui à l’œuvre invitent à imaginer, dans chaque secteur visé, des scénarios
possibles pour l’avenir du français.

2. RÉALISATIONS ET PERSPECTIVES
Parmi les actions en cours, retenons pour cet exercice prospectif celles qui, en raison
du poids de leurs promoteurs et de l’importance des moyens attribués, ont les plus
fortes chances de produire les effets escomptés.
– Les travaux d’aménagement du corpus menés par les organismes publics et privés
des pays du Nord (production et gestion de terminologie technico-scientifique, re-
cherche et développement en industries de la langue, participation coordonnée dans
les instances internationales de normalisation, etc.), du fait de la compétence techni-
que que ceux-ci mobilisent et de la coordination croissante entre les acteurs, ont
toutes les chances d’atteindre les objectifs réalistes qui seront fixés. La généralisation
de l’accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC) contri-

4
C’est-à-dire, un effectif de 52 617 368 en 2002. Cf. Document préparatoire de la 3e session du Haut Conseil de la
Francophonie, 2006, p. 70.
- 43 -
Les politiques du français à l’heure de la mondialisation

buera à la prise de conscience par les publics concernés de l’importance (pratique et


symbolique) du progrès continu dans ce domaine.
– Les actions politiques, de communication et de veille en faveur du maintien du
français dans son rôle de langue véhiculaire des relations internationales entreprises
dans le cadre du Plan d’urgence pour la relance de l’utilisation du français dans les organisa-
tions internationales (OIF) n’ont pas pour l’heure réussi à freiner la tendance au re-
cours majoritaire à l’anglais. Mais elles créent les conditions favorables d'un respect
accru des règlements, donc de la démocratie linguistique, au sein des organisations
internationales, et pourraient avoir un effet d’entraînement dans les autres aires
linguistiques.
– Le Plan pluriannuel pour le français en préparation de l’élargissement de l’Union euro-
péenne (Communauté française de Belgique, France, Luxembourg et AIF) a permis la
formation en français de milliers de fonctionnaires et diplomates européens ayant
reçu des formations gratuites en français mais qui ne deviendront pas nécessaire-
ment des locuteurs-scripteurs autonomes. Les effets à moyen et à long terme de leur
aptitude à devenir des moteurs espérés d’un processus de changement linguistique
en faveur du français restent encore à être évalués.
– Reste à évaluer également l’impact sur la pratique du français dans les organisations
internationales qu’aurait à terme le programme Formation à la fonction publique interna-
tionale, ainsi que son complément, Jeunes experts francophones. Parmi les actions menées
dans le cadre du programme « Le français dans la vie internationale » de l’ex-AIF, ce
dernier est de loin le plus coûteux : la moitié du budget annuel total du Programme
(5 535 000 euros) lui a été consacrée en 2004 et 2005. Quatre-vingts stagiaires ont
été placés depuis 1999 à l’issue de leur formation, dont 80 % ont été recrutés par la
suite par les Nations unies. Les résultats d’une évaluation réalisée en 2005 suggèrent
une réorientation du programme. Il semble en effet évident qu’une quinzaine de
jeunes venus d’horizons divers, placés pour une brève période en situation privilégiée
et projetés ensuite dans le milieu des fonctionnaires internationaux, ne réussiraient
pas à développer les compétences et le degré d’adhésion aux valeurs du programme
qui leur permettraient ensuite d’en être les vecteurs dans leur travail quotidien, à un
niveau d’efficacité à la hauteur des investissements.
– Le programme des Classes bilingues (action déléguée à l’AUF par la France et autres
partenaires du Nord), a déjà contribué à former au moins une génération de jeunes
cadres bilingues dans les pays où il est implanté (Cambodge, Laos, Vietnam, Molda-
vie) : une génération de jeunes ouverts au monde, donc une force de changements
pour leurs sociétés.
– Dans le cadre du programme Enseignement et apprentissage du français et des langues
partenaires de l’ex-AIF, un budget annuel de 745 000 euros est alloué, dans la pro-
grammation 2004-05, aux actions en faveur des pays membres qui enseignent le
français comme langue étrangère – parmi celles-ci, la création ou la redynamisation
de trois centres régionaux d’expertise pour l’enseignement du français (Asie-
- 44 -
Lia Varela

Pacifique, Océan Indien et Europe centrale et orientale) consacrés notamment à la


formation continue des enseignants. Les vingt-deux pays africains de français langue
officielle ont bénéficié, dans le cadre de ce même programme, de 1 160 000 euros
par an destinés à la mise en place de mécanismes de concertation, d’appui à la défi-
nition de curricula et à la formation de maîtres.

- 45 -
Les politiques du français à l’heure de la mondialisation

Tableau I
Organisme nombre pays % par catégorie de revenu
(classification Banque Mondiale)

faible Moyen* élevé absence de


données

Communauté ibéro-américaine des 22 4,5 82 13,5 –


nations
Commonwealth 53 34 45 17 4
Communauté des pays de langue 8 50 37,5 12,5 –
portugaise
Pays mem- 50 50 34 16 –
Organisation interna- bres
tionale de la Franco- membres+ 60 41,6 41,6 16,6 –
phonie observateurs

Source : Banque mondiale, Data & Statistics, Country classification (2005). En ligne : http://go.worldbank.org/D7SN0B8YU0
* Note : la colonne « moyen » regroupe les catégories « moyen supérieur » et « moyen inférieur », présentées séparément dans les
figures qui suivent.

- 46 -
Lia Varela

Politiques linguistiques intérieures et extérieures,


bilatérales et multilatérales : recherche de cohérence
Le comité de rédaction
Fonder une politique linguistique extérieure sur des principes de diversité culturelle et lin-
guistique n’a de véritable sens en termes d’effets que si elle s’appuie sur des politiques inté-
rieures cohérentes avec les finalités ainsi exprimées, c’est-à-dire pouvoir faire des choix explici-
tes entre des contraintes parfois difficiles à lever et des ambitions parfois difficiles à réaliser.
Dans quelle mesure ce qu’on déclare valoir ailleurs vaut-il toujours ici, à l’endroit où le prin-
cipe est énoncé ? On peut défendre sa langue grâce à des mesures de contrainte dans le
même temps que l’on tente aussi d’en favoriser la reconnaissance ou la diffusion à l’extérieur.
Ainsi la défense du plurilinguisme extérieur ne s’accompagne malheureusement pas toujours
d’une valorisation du plurilinguisme intérieur.
« L’ambivalence française ne joue pas en faveur de l’emploi, sur une base égalitaire, des lan-
gues de l’Union européenne. Les droits et le respect des langues entrent en conflit avec le
souhait de mettre en évidence le français au plan international, y compris dans les institu-
tions européennes »5
On pourrait d’autant plus développer des classes bilingues intégrant le français, des filières
techniques et universitaires francophones, si les systèmes éducatifs des pays francophones et,
en premier lieu, celui de la France, qui n’affronte aucun problème crucial de statut intérieur
de sa langue officielle dans les différents secteurs de la société hormis dans des espaces très
spécialisés, montraient, en introduisant de véritables offres d’éducation au plurilinguisme et
de formations multilingues, l’efficacité de dispositifs qu’ils tendent à promouvoir à
l’extérieur :
– gains éducatifs d’un enseignement primaire (de base) dans la langue d’éducation familiale
(ce qui ne doit pas être qu’un slogan pour l’Afrique mais aussi une démarche pour la scolari-
sation des populations immigrantes);
– gains éducatifs d’un enseignement secondaire où certaines matières pourraient être trans-
mises progressivement dans une langue étrangère et où l’apprentissage des langues reposerait
sur une offre élargie avec des compétences sélectives variables;
– gains formatifs et scientifiques d’un enseignement supérieur intégrant, en plus des mobili-
tés externes, le potentiel linguistique des étudiants et enseignants-chercheurs étrangers; ceux-
ci pouvant apporter leurs compétences linguistiques et leurs connaissances bibliographiques
dans leur langue, dans le cadre d’équipes de projet de formation et de recherche par « tan-
dems linguistiques »6.
On pourrait également dynamiser l’apprentissage du français, notamment dans l’Union
européenne (en particuliers dans les nouveaux États membres) et au Canada (et entre
l’Union européenne et le Canada), où existent déjà des potentiels légaux de migrations, si les

5
Voir dans cet ouvrage l’article de R. Phillipson.
6
Plusieurs configurations seraient possibles : régime symétrique d’appui réciproque à l’apprentissage de la langue de
l’autre ; régime asymétrique qui permet à chacun de s’exprimer dans sa langue, mais de n’obtenir de traduction que
dans un nombre restreint de langues dites « actives ».
- 47 -
Les politiques du français à l’heure de la mondialisation

diplômes obtenus dans l’un des pays francophones par des étudiants venus de pays non-
francophones, permettaient un accès professionnel au même titre et sans autre délai que
pour les étudiants nationaux à preuve de compétences professionnelles et linguistiques relati-
ves à la nature de l’emploi, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Si le ministère lituanien
des Affaires étrangères a signé le 20 février 2006, avec l’OIF, la France, la Communauté fran-
çaise de Belgique et le Grand-Duché du Luxembourg, un mémorandum pour la mise en
œuvre d’un programme pluriannuel de formation au français pour ses fonctionnaires, un
étudiant lituanien titulaire d’une licence de français, d’un diplôme d’une prestigieuse école
de commerce française et parlant quatre langues, se trouve confronté après ses études au
dilemme de rentrer dans son pays ou de chercher du travail en Grande Bretagne car, pour
trouver un emploi en France, le candidat devra affronter de longues et fastidieuses procédu-
res et l’entreprise de recrutement devra s’acquitter d’une redevance forfaitaire pouvant at-
teindre 1500 euros7. De la même façon, l’annonce fin 2005 de la fermeture de cours à
l’Institut français de Vienne (entre 1 500 et 2 000 étudiants par an)8, moins d’un an après
l’accession de l’Autriche au statut d’observateur à l’OIF et un an avant l’ouverture à Vienne
du 1er Congrès européen des professeurs de français, pose le problème d’une cohérence stra-
tégique, d’abord de la politique linguistique bilatérale et, ensuite, de celle-ci avec les organisa-
tions multilatérales de la Francophonie.
Les Commissions de terminologie en France ou de toponymie au Québec, montrent, par leur
caractère inter-administratif, comment une politique de la langue implique des modèles de
coordination. Mais le différentiel terminologique entre les institutions françaises et québécoi-
ses, qui ont parfois peiné à trouver des accords, montre aussi que la cohérence doit se cons-
truire au niveau multilatéral. Sans nécessairement s’appuyer sur des instruments de
contrainte, les démarches explicites de cohérence permettent au moins d’éviter autant les
doublons inutiles que les contradictions coûteuses ou les non-choix qui remettent à demain
des engagements nécessaires pour adapter autant la langue que les dispositifs de diffusion et
d’enseignement aux configurations du monde.

7
SIMON, C., 2006, « L’élite polonaise fait du baby-sitting à Paris », dans Le Monde, 17 février, p.3.
8
SCHWAB, P., 2006, AFP Infos Mondiales, 14 février.
- 48 -
LE FRANÇAIS DANS LES NOUVELLES
TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION

Le comité de rédaction

Les rapports entre langues ne peuvent plus s'analyser seulement dans le cadre géo-
graphique. L'arrivée des nouveaux médias, d'Internet, des satellites de radio et de
télévision oblige à tenir compte de l'espace virtuel.
C'est au cours de l'an 2000 que le nombre d'utilisateurs non anglophones d'Internet
a dépassé celui des utilisateurs anglophones (voir tableau 1); mais la diminution de la
place de l'anglais n'est pourtant que relative, beaucoup de non-anglophones pouvant
au moins lire l'anglais. De plus, les dernières données disponibles, qui datent de
2004, laissent croire à un arrêt de la progression de la proportion des usagers non
anglophones.
Tableau 1 : Usagers anglophones et non anglophones d'Internet (en %)
1999 2000 2001 2003 2004

Anglais 56,3 51,3 43,0 35,6 35,8


Autres langues 43,7 48,7 57,0 64,4 64,2

Source: www.euromkyg.com/globstats (en ligne le 8 juillet 2006 ;


les données les plus récentes du site dataient de septembre 2004).

Pour permettre, sur la Toile, l'apparition d'une large gamme d'outils en d'autres lan-
gues que l'anglais, on estimait dans les années 1990 qu'il fallait une « masse critique »
de deux millions d'usagers potentiels (Séguin, 1996). En 1996, le Japon avait franchi
ce seuil, mais pas encore la France, ni les autres pays francophones. Depuis, la situa-
tion a beaucoup évolué, comme le montrent les données du site Euro-Marketing.
Dans le premier trimestre de 2001, une douzaine et demie de langues avaient plus de
deux millions d'usagers « connectés » et en 2004 ce serait le cas de plus de deux dou-
zaines de langues (voir tableau 2). Les francophones connectés étaient 7,2 millions
en 1999 mais le cap des 20 millions a été franchi en 2001 (Maurais, 2003 : 21) et
leur nombre dépassait les 40 millions en 2004.
Même si la diversité linguistique s'accroît, la plupart des langues sont déjà exclues de
facto du World-Wide Web (puisqu'on parlerait sur terre autour de 6 000 langues) mais,
techniquement, rien n'empêche qu'elles puissent y avoir accès dans un avenir plus ou
moins rapproché. Pour l'heure, l'intervention de l'État (on peut citer l'exemple de
l'Islande ou du Gouvernement autonome basque, ce dernier ayant a payé de larges
sommes à Microsoft afin d'obtenir la localisation de Windows et Office en basque)
Le français dans les nouvelles technologies de l’information

s'avère nécessaire car les « petites » langues n'offrent pas de marchés suffisamment
rentables pour les géants du logiciel. Le danger pour les langues minoritaires est
d'être exclues d'un noyau de langues pour lesquelles il est commercialement viable de
développer des systèmes de reconnaissance vocale ou de traduction automatique. Ce
qui n'est évidemment pas le cas du français mais celui de plusieurs de ses langues
« partenaires ».
On oublie souvent que les nouvelles technologies de l'information font beaucoup de
laissés pour compte. Dans plusieurs pays, notamment la majorité des pays franco-
phones, le coût prohibitif de l'achat d'un ordinateur freine l'accès aux nouvelles
technologies. De plus, au micro-ordinateur il faut souvent ajouter dans ces contrées
l'achat d'un ondulateur, appareil qui permet de réguler les variations électriques
inopinées, et celui d'un parafoudre.
Le lien consubstantiel qui semblait exister entre informatique et langue anglaise est
désormais en voie de se rompre ; c'est d'ailleurs ce que constate le rapport Graddol
de 2006. Mais sur un milliard de documents recensés sur le Web par la firme Ink-
tomi en 1999, 86,5 % étaient encore rédigés en anglais, contre 2,4 % en français1;
toutefois, selon Vilaweb.com2 la proportion de pages en anglais n'aurait plus été que
de 68,4 % en 2001, mais il est difficile de savoir si ces deux dernières études sont
comparables et quelle est l'évolution depuis cette dernière date. Quoi qu’il en soit,
l'hégémonie de l'anglais, même si elle s’atténue, continuera de se faire sentir encore
longtemps.
Figure 1 : Évolution du nombre d'usagers d'Internet par langue (en millions)

Pourcentage d'usagers anglophones


et non anglophones d'Internet
100
90
80
70
64,4 64,2
60 56,3 57
51,3 Anglais
50
43,7 48,7 43 Autres langues
40
35,6 35,8
30
20
10
0
1999 2000 2001 2003 2004

Source: www.euromktg.com/globstats (=glreach.com) (en ligne le 17 décembre 2006 ;


les données les plus récentes du site dataient de septembre 2004).

1
Inktomi, communiqué du 18 janvier 2000.
2
Citant la source http://www.emarketer.com/analysis/edemographics/20010227_edemo.html
- 50 -
Le français dans les nouvelles technologies de l’information

Dynamique des langues et variation des supports électroniques


Le comité de rédaction

Depuis le développement d’Internet dans les années 1990, l’attention a été portée à la distri-
bution des langues sur les pages de la Toile et dans les échanges de courrier électronique. Il
apparaît aujourd’hui que les supports de communication électroniques ont subi et vont
continuer de subir des transformations rapides, offrant des espaces nouveaux répondant à de
nouveaux besoin ou les stimulant. Leur appropriation sociale tendant elle aussi à varier, la
place qu’occupent les langues dans la communication électronique apparaît davantage
comme le résultat de facteurs multiples, qu’une simple reproduction des rapports démolin-
guistiques, accélérant ainsi la déterritorialisation des langues et offrant de nouveaux territoi-
res virtuels aux locuteurs.
On peut citer deux exemples paradoxaux puisqu’en général on pense que ces technologies
qui rendent possible la communication mondiale, tendent à renforcer les langues dominan-
tes et la langue hyperdominante. Ainsi, parmi ce que l’on appelle les réseaux électroniques
sociaux :
–le réseau ORKUT (http://www.orkut.com) qui permet de créer des communautés virtuelles,
fondé par les dirigeants de Google, est devenu en 2005 l'un des réseaux les plus peuplés et
actifs grâce aux Brésiliens de l’intérieur et de l’extérieur qui assurent ainsi une position do-
minante à la langue portugaise (72 % fin 2005)3; on a même vu s’y former des communautés
américaines, protestant en anglais contre cette domination ;
–autres exemples où la langue française est présente, celui des échanges synchrones du babil-
lard sur MSN (Microsoft), plus appréciés par les jeunes français que par les autres jeunes
européens, et surtout celui des blogues où la présence de la langue est moins évanescente que
dans les supports d’échanges synchrones; avec environ sept millions de blogues fin 2005,
l’espace blogue francophone est aujourd’hui le premier d’Europe devant la Grande-Bretagne
(900 000) et la Russie (800 000), et le deuxième du monde après celui des États-Unis. Rien
que chez l’éditeur Skyblog qui abritait en France à peu près 35 % des blogues en décembre
2005, cela représente plus de 170 millions d’articles et 260 millions de documentaires.4
La question reste de savoir si ce processus représente une fragmentation de la Toile en com-
munautés linguistiques fermées (notée dés 20045 et semblant ainsi se renforcer avec les nou-
veaux supports), ou une diversification linguistique par l’appropriation des nouveaux espaces.
Un moyen d’y répondre est de mesurer l’étendue des lectorats et des interlocuteurs et leur
provenance, ce qui reste relativement difficile.

3
Source : Fabrice Epelboin, Yades, Rubrique « Web 2.0 » vendredi 15 juillet 2005 (http://www.yades.com
/index.php/l-invasion-bresilienne-d-orkut-pourquoi-la-mutualisation-est-la-voie-a-suivre), consulté le 4 janvier 2006.
4
Sources : Médiamétrie/HEAVEN, Le Monde, 4 janvier 2006, p. 15.
5
Cf. recherche Aston University/UNESCO, citée par Bulletin de l’UNISIST, vol.32, nº2, 2004, pp.14-15.
- 51 -
Le français dans les nouvelles technologies de l’information

Tableau 2 : Origine des internautes sur ORKUT

Brésil 71,71 %
États-Unis 6,85 %
Iran 5,2 %
Pakistan 3,33 %
Inde 2,05 %
Japon 0,87 %
Grande-Bretagne 0,84 %
Canada 0,78 %
Estonie 0,68 %
Portugal 0,5 %

- 52 -
LA PUISSANCE ÉCONOMIQUE
DU FRANÇAIS

François GRIN
Université de Genève
Michele GAZZOLA
Université de Genève

INTRODUCTION
La notion de « poids », d'« importance » ou de « puissance économique » est com-
plexe au départ ; elle l’est plus encore si elle est censée s’attacher à telle ou telle lan-
gue. On ne peut donc parler de puissance économique du français, de l’anglais ou de
toute autre langue que moyennant un certain nombre d’éclaircissements.
Divers indicateurs reconnus, comme le revenu national brut (RNB) donnent une idée
du poids économique de différents pays. On peut ensuite associer une langue à cha-
que pays (ou partie de pays) qui l’emploie pour évaluer l’importance, dans l’activité
économique mondiale, de telle ou telle langue. Même abstraction faite des limites
inhérentes aux agrégats macroéconomiques (cf. ci-dessous), un tel chiffre ne peut être
qu’indicatif, car l’importance d’une langue dans la vie économique se reflète aussi
dans l’usage effectif qui en est fait dans la production, la distribution et l’échange.
Pour mieux cerner l’importance économique du français, on peut envisager de re-
courir à d’autres indicateurs macroéconomiques, tels que la part des pays franco-
phones dans le commerce international, ou leur investissement net dans l’ensemble
des pays non francophones ; on peut ensuite ajuster ces chiffres à l’aide
d’observations sociolinguistiques statistiquement fiables ; malheureusement, les
données disponibles ne permettent pas de tels ajustements, et la façon dont ces der-
niers devraient être effectués pour aboutir à une estimation plus fiable n’est, à
l’heure actuelle, pas analytiquement établie.
Le calcul du RNB de la francophonie reste donc sans doute, en l’état, la meilleure
façon d’évaluer l’importance économique du français. Il offre aussi l’avantage
d’éviter les confusions engendrées par le parallèle parfois proposé entre langue et
monnaie : en effet, même la stabilité internationale d’une monnaie sur le marché des
changes (indicateur de la santé économique du pays dont c’est la monnaie nationale,
pourtant plus pertinent que la « convertibilité » parfois invoquée) ne présente pas de
corrélation avec l’importance démolinguistique et géopolitique de la langue associée
à ce pays, et ne peut dès lors pas servir d’indicateur de sa « puissance » économique.
La puissance économique du français

DÉFINITIONS
L’agrégat souvent pris comme point de départ de comparaisons internationales de
l’activité économique est le produit intérieur brut (PIB) d’un pays. Le PIB représente la
valeur totale des biens et des services finis produits sur le territoire d’un État au
cours d’une année. Toutefois, dans les comparaisons entre pays, on préfère généra-
lement utiliser un autre indicateur, le revenu national brut (autrefois produit national
brut). Le RNB est calculé à partir du PIB en ajoutant les revenus du capital et du
travail reçus du reste du monde et en soustrayant les revenus du capital et du travail
versés au reste du monde. Le RNB met donc en évidence l’ensemble des revenus
reçus par les unités résidentes dans un pays et permet ainsi de mieux tenir compte de
la structure de propriété de l’économie mondiale.
Le RNB dépend de la taille de l’économie considérée et, tout comme le PIB, on peut
le diviser par la population du pays pour obtenir une grandeur par tête. Cependant,
les comparaisons entre pays restent difficiles, surtout lorsque le même montant
d’une monnaie de référence ne permet pas d’y acquérir la même quantité de biens,
indiquant l’existence entre ces pays des différences de pouvoir d’achat. Pour
contourner ce problème, on choisit une monnaie comme référence commune (sou-
vent le dollar) et on calcule le RNB en « parité des pouvoirs d’achat » (PPA), c’est-à-
dire en utilisant un taux de conversion monétaire tenant compte des différences de
niveau général des prix entre pays. Le RNB par tête en PPA permet donc la compa-
raison internationale des niveaux de vie, même s’il ne dit rien d’autres aspects de la
qualité de vie (qualité environnementale, vitalité culturelle, littératie, espérance de
vie, sécurité de l’emploi, degré de justice sociale, etc.).

ESTIMATIONS
Le rapport La Francophonie dans le monde 2004-2005 introduit une distinction entre
« francophone» — « personne capable de faire face, en français, aux situations de
communication courante » — et « francophone partiel » — « personne ayant une compé-
tence réduite en français, lui permettant de faire face à un nombre limité de situa-
tions » (OIF 2005 : 21). Étant donné que la définition du francophone est d’emblée
assez peu exigeante, on ne prendra pas en compte ici les « francophones partiels ».
Aujourd’hui, 29 pays dans le monde ont le français comme langue officielle (seul ou
avec d’autres langues) ; ils représentant une population totale d’environ 317 millions
de personnes (dont 62,8 % vivent en Afrique). Nous appellerons ici « espace franco-
phone » (EF) l’ensemble des personnes francophones habitant dans ces 29 pays.
Les francophones ne sont pas distribués de façon uniforme au sein de l’EF. Par
exemple, si en France 99,2 % de la population sont constitués de francophones1, ce

1
Métropole plus Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion. Les données pour l’île de Mayotte, la Nouvelle-
Calédonie et la Polynésie française sont calculées séparément. Faute de données précises, Saint-Martin, Saint-
Barthélemy et Wallis-et-Futuna ne sont pas pris en compte ici.
- 54 -
François Grin et Michele Gazzola

pourcentage est de 10 % à Madagascar. Au total, 30,2 % des habitants de l’EF, soit


95,6 millions, peuvent conventionnellement être définis comme francophones.
(Dans les pays francophones africains, c’est le cas de 9,6 % de la population, soit
19,1 millions.) Les Français représentent environ 63 % de l’EF, suivis par les Cana-
diens (9,5 %), les Ivoiriens (5 %) et les Belges (4,4 %). Les francophones africains
représentent ensemble environ 20 % de l’EF.
Le RNB agrégé des 29 pays francophones s’élève à 2 652 milliards de dollars (3 300
milliards de dollars en PPA). Le RNB total, ajusté pour tenir compte du pourcentage
de francophones dans ces 29 pays, est de 1740 milliards de dollars (2085 PPA). En
PPA, le RNB de l’espace francophone correspond donc à 94 % du RNB de
l’Allemagne (2 226 milliards de dollars). Toujours en PPA, les francophones africains
contribuent pour 1,4 % au RNB de l’EF, les pays européens pour 85,8 % et les Ca-
nadiens (plus les Haïtiens) pour 12,8 %.
Le RNB par tête varie considérablement entre pays, les deux extrêmes étant le
Luxembourg, avec 39 470 dollars par an (53 290 dollars PPA), et le Burundi, avec
100 dollars par an (630 dollars PPA). Le RNB par tête d’une personne qui habite
dans un pays où le français est langue officielle se monte à 8 369 dollars par an
(10 414 dollars PPA). Le RNB par tête moyen d’une personne qui habite dans l’EF
s’élève à 18 200 dollars par an (21 812 dollars PPA). Cette différence s’explique sim-
plement par le fait que la plupart des francophones habitent en Europe, alors que la
plupart des habitants des pays francophones sont en Afrique. Le RNB en dollars
PPA d’une personne appartenant à l’EF correspond à peu près au RNB d’un Espa-
gnol (21 210 dollars PPA). Il est probable que dans beaucoup de pays du Sud affiliés
à la francophonie, le revenu des francophones est supérieur au revenu moyen du
pays. Cependant, on ne dispose pas de données permettant un ajustement en consé-
quence. De toute façon, même si l’on considère, par exemple, que les francophones
des pays africains ont un revenu double de leur moyenne nationale respective, le
RNB par tête des francophones, au niveau mondial, n’augmente que de 0,6 % envi-
ron ; le poids économique de la francophonie dans son ensemble n’en serait donc
que très peu affecté. Le calcul du poids économique du français pourrait être élargi
aux pays où le français n’est pas langue officielle, mais où, pour des raison histori-
ques, il a conservé une présence importante dans la société ou dans enseignement. Il
s’agit au total de 20 nouveaux pays2, ce qui porte à 49 le nombre de pays concernés.
La population totale de ces 49 pays est d’environ 600 millions de personnes, dont
19,1 % (soit environ 115 millions) peuvent être définis comme francophones.
L’ensemble des francophones habitant dans ces 49 pays constituent un « espace fran-
cophone élargi » (EFE).

2
Albanie, Macédoine, Bulgarie, Roumanie, Moldavie, Liban, Égypte, Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie, Cap-Vert,
Guinée-Bissau, São Tomé et Principe, Île Maurice, Cambodge, Laos, Vietnam, Dominique, Sainte-Lucie. Cette liste
ne comporte pas les États ayant statut d’observateur.
- 55 -
La puissance économique du français

Le tableau ci-après résume les données économiques et démographiques les plus


importantes pour l’ensemble de ces pays, pour l’EFE, ainsi que les données déjà
citées.

Indicateurs du poids économique de la Avec 29 pays Espace Avec 49 pays Espace franco-
francophonie, 2002 francophones francophone francophones phone élargi

Population 316 878 000 95 600 000 600 722 000 114 488 000

Part dans la population mondiale (%) 5,1 1,5 9,6 1,8

RNB (milliards de dollars) 2 651,9 1 739,9 3 374,1 2 155,2

RNB PPA (milliards de dollars) 3 300,0 2 085,2 4 450,5 2 235,8

Part dans l’économie mondiale (%) 6,8 4,3 9,2 4,6

RNB/tête (dollars) 8 369 18 200 4 974 15 483

RNB/tête en PPA (dollars) 10 414 21 812 7 322 19 078

Sources : pour les données économiques et démographiques, Banque mondiale (2004) ; pour les pourcentages de
francophones dans les pays concernés, Organisation Internationale de la Francophonie (2005) et Haut Conseil de
la francophonie (1999).

En PPA, le RNB de l’espace francophone élargi est donc légèrement plus élevé que
celui de l’Allemagne, et le RNB par tête moyen d’un francophone habitant dans
l’EFE est plus ou moins équivalent à celui d’un résident en Israël ou en Grèce. En
retenant une définition de la francophonie basée sur le nombre des locuteurs effec-
tifs du français, on constate donc qu’elle pèse environ 5 % de l’économie mondiale,
alors que les francophones représentent entre 1,5 % et 2 % de la population mon-
diale.

- 56 -
LA PUISSANCE POLITIQUE DU FRANÇAIS

Jean LAPONCE
University of British Columbia

Du Discours sur l’universalité de la langue française de Rivarol (1784), on a retenu qu’il


expliquait la prédominance du français à l’aide d’arguments essentiellement littérai-
res et grammaticaux. Quelque 150 ans plus tard, lors d’une réunion de l’Académie
française, Lyautey aurait déclaré : « une langue… c’est un patois qui a une armée et
une marine ». La thèse de Rivarol, souvent citée pour faire du français la langue par
excellence de la diplomatie, me paraît bien moins valable que celle à quoi renvoie la
boutade de Lyautey : la puissance d’une langue tient essentiellement à la puissance
des États qui l’utilisent.
Dans cette perspective, il faut énoncer deux règles générales, qui émergent de
l’examen des diverses situations de concurrence des langues, et qui sont valables au
niveau du village, de la région et de l’État comme à celui du monde : 1) les langues
en contact forment des hiérarchies où les plus fortes éliminent les plus faibles ou
bien les rendent périphériques (voir ici même la contribution de L.J. Calvet) ; 2) la
meilleure stratégie de survie d’une langue de second rang est de se concentrer dans
un espace géographique et d’obtenir le contrôle du gouvernement — local, régional,
ou national — que permet cette concentration (Laponce, 1984, 2001).

LE FRANÇAIS SELON « SES » ÉTATS


Le français est, après l’anglais, la langue la plus souvent utilisée dans l’administration
centrale des 191 pays membres des Nations unies. De ces pays, l’anglais « possède »
30 %, le français 16 %, l’espagnol 11 %, l’arabe 11 %, le portugais 4 %, l’allemand,
le chinois et le malais 2 % chacun. Si nous ne retenons que les 111 principales puis-
sances de Wright (2004), le décompte devient moins favorable au français, l’anglais
passant à 21 %, l’espagnol à 15 %, l’arabe à 14 %, et le français à 12 %. Cependant,
le français reste, après l’anglais, la langue de gouvernement ayant la meilleure réparti-
tion géographique mondiale (Breton, 2003).
Le grand nombre de « ses » États conforte le français dans son rôle de langue de la
diplomatie. Il est langue officielle des grandes organisations internationales, notam-
ment l’ONU, l’Union européenne, l’OTAN, l’Organisation des États américains, et
l’Union africaine. Mais la mondialisation et les divers élargissements de l’Union
européenne réduisent son influence relative. En réponse à un questionnaire de
l’ONU demandant à 185 de ses membres en quelle langue ils voulaient correspon-
La puissance politique du français

dre, 70 % choisirent l’anglais, 19 % le français, et 10 % l’espagnol (Geneva, 2004).


Alors qu’au départ le français était la langue unique des textes originaux des publi-
cations de la CECA, il est maintenant devancé par l’anglais au sein de l’Union euro-
péenne (Van Parys, 2000 ; voir ici même la contribution de Claude Truchot).
Les hiérarchies que nous venons de décrire ignorent le poids politique de chacun des
États ou institutions mis en lice. Essayons de corriger cette lacune à l’aide de mesures
tenant compte de la puissance militaire, mesures plus politiques mais tout aussi ap-
proximatives que le PIB en matière économique.

LE FRANÇAIS SELON « SES » RESSOURCES MILITAIRES


En 2001, il y avait environ 13 000 ogives nucléaires opérationnelles. L’anglais en
avait 51 %, le russe 42 %, le français 4 % et le chinois 2 %. Dans la mesure où ces
armes sont des armes défensives d’intimidation de dernier recours, en sur-avoir ne
donne pas un avantage correspondant. Mais il est clair que l’anglais et le russe domi-
nent de très loin le français qui a un poids proche de celui de la Chine au niveau
international et de l’anglais au sein de l’Union européenne (IISS, 2002/03 ; Wright,
2004).
La mesure de la puissance selon les dépenses et le personnel militaires, répartis en
fonction de la langue utilisée dans l’administration centrale des États, confirme la
domination de l’anglais, mais offre un tableau plus équilibré de la puissance relative
du français par rapport aux langues concurrentes. Pour la comparaison, retenons les
111 principaux États de Wright (2004), toujours en les répartissant selon la ou les
langues utilisées dans leur administration centrale, et examinons-les au regard des
deux critères qui suivent :1) les dépenses militaires (mesurées en dollars américains)
et 2) le nombre d’individus composant le personnel militaire actif (voir les graphi-
ques 1 et 2). Toutes grossières qu’elles soient, ces mesures permettent de situer le
français au rang de deuxième ou troisième langue selon la puissance politique, un
rang qui sera sujet à basculer vers le bas lorsque la Russie sera sortie de sa période de
transition vers la démocratie et que la Chine aura accru sa puissance économique.
Mais, du moins à moyen terme, le français devrait garder l’avantage qu’il tire du fait
qu’il est langue mondiale, donc bien placé à l’ère d’une diplomatie planétaire.

- 58 -
Jean Laponce

Graphe 1: Pourcentage mondial des


dépenses militaires

60 48
50
40
30
20 8 6 6 5 5 3
10
0
e

be

ais
is

is

ol
ss
gla

ino

gn
a ra

on
ru

pa
an

ch

jap

es
Cf Laponce (2006)

anglais

italien.

néerl
Chevauchement de langue selon la français
puissance militaire des États
concernés. La surface des groupes
linguistiques est, comme celle des
chevauchements, à peu près propor- allemand
tionnelle aux dépenses militaires.
arabe

- 59 -
La puissance politique du français

Graphe 2: Pourcentage mondial du


personnel militaire actif

20
15
15 13 13
9
10
5 4
5
0
is

is

n
be

ais
ss
rée
gl a

ino
ara


ru
co
an

ch

f ra

- 60 -
LE FRANÇAIS
ET LA DÉFENSE DE LA DIVERSITÉ
LINGUISTIQUE ET CULTURELLE

Louise BEAUDOIN
Membre associée, chargée des questions de francophonie internationale,
Université de Montréal

La question de la défense de la diversité culturelle s’est posée en deux temps dans les
traités économiques internationaux.
D'abord sous la forme de l’exception culturelle qui a vu le jour à l’occasion de la
négociation de l’Accord de libre-échange (ALE) entre les États-Unis et le Canada. En
1988, le Canada a tenté d’exclure le secteur audiovisuel du champ d’application de
l’accord avec les États-Unis. Il a réussi en partie, mais cette clause d’exception cultu-
relle n’est pas étanche : par l’article 2005 de l’ALE1, les États-Unis se réservent le
droit de prendre des mesures de représailles si de nouvelles politiques culturelles
canadiennes heurtent les intérêts américains. De leur côté, les Européens, dans le
cadre des négociations du GATT, qui ont abouti en 1994 à la création de
l’Organisation mondiale du commerce, ont obtenu que la culture n'y soit pas in-
cluse. En fait, le secteur culturel ne sera libéralisé que dans les pays qui auront pris
des engagements en ce sens ; une vingtaine de pays ont fait des offres par lesquelles
ils acceptent les règles de l’OMC en matière d’accès au marché, de traitement natio-
nal et de clause de la nation la plus favorisée. Tous les pays membres, à l’époque, de
l’Union européenne ont ainsi réussi à sauvegarder leur marge de manœuvre pour
promouvoir, par toutes sortes de moyens (quotas, subventions, etc.), leurs industries
culturelles.
Dans un deuxième temps, le concept d’exception culturelle s'est transformé en celui de
diversité culturelle, moins défensif, plus positif, plus consensuel, mais aussi plus flou
et sujet à plusieurs interprétations. L’objectif étant, pour plusieurs pays, d’exclure la
culture des négociations commerciales multilatérales, il est vite apparu que la meilleure

1
L’article 2005 se lit comme suit :
1) Les industries culturelles sont exemptées des dispositions du présent accord, sauf stipulation expresse à l’article
401 (élimination des droits de douane), au paragraphe 4 de l’ article 1607 (cession forcée d’une acquisition directe)
et aux articles 2106 et 2107 du présent chapitre.
2) Malgré les autres dispositions du présent accord, chaque Partie pourra prendre des mesures ayant un effet com-
mercial équivalent en réaction à des interventions qui seraient incompatibles avec le présent accord, si ce n’était du
paragraphe 1.
Le français et la défense de la diversité linguistique et culturelle

façon de l'atteindre était de traiter cette question ailleurs et autrement. C’est-à-dire à


l’UNESCO. De là les négociations qui ont abouti en 2005 à l’adoption d’une Conven-
tion sur la promotion de la diversité des expressions culturelles2.
Or qu’en est-il, dans ce contexte, de la diversité linguistique, du rôle et de la place,
en particulier, du français ?
Il n’est pas question dans ces traités internationaux de diversité linguistique, sinon
implicitement. Pourtant, diversité linguistique et diversité culturelle sont intrinsè-
quement liées. La promotion de la diversité linguistique est sous-jacente à la promo-
tion de la diversité culturelle. Alors pourquoi n’en traite-t-on pas ? Vraisemblable-
ment pour des raisons d’efficacité : il semble difficile, voire impossible, aux défen-
seurs de la diversité culturelle d’introduire la notion de diversité linguistique dans
ces négociations internationales sans mettre en péril tout le processus. Protéger et
promouvoir la diversité culturelle même entendue dans son sens le plus restreint
d’« industries culturelles » est une tâche titanesque. Aller au-delà, c’est l’échec assuré,
tant le consensus international est fragile.

LE RÔLE DE LA FRANCOPHONIE
La Francophonie a été à l’avant-garde de ce combat en faveur de la diversité cultu-
relle. Elle fut la première organisation internationale à voter, à l'issue du sommet de
Moncton de 1999, une résolution exigeant que les États et gouvernements puissent
maintenir leur droit souverain de soutenir, par des politiques publiques, leur secteur
culturel3. Décision réitérée et bonifiée lors du Sommet de Beyrouth de 20024 :
l’UNESCO était alors appelée à se saisir du dossier. La Francophonie a aussi com-
pris qu’elle devait élargir le débat au-delà de la sphère exclusivement francophone, en
s’associant à d’autres aires linguistiques, plus particulièrement hispanophone, luso-
phone et arabophone. Selon le principe suivant : défendre les diverses cultures fran-
cophones, c’est défendre toutes les cultures et défendre le français, c’est défendre
toutes les autres langues. La Francophonie a aussi compris qu’elle devait se préoccu-
per des pays africains. Car pourquoi ceux-ci ratifieraient-ils, par exemple, la Conven-
tion adoptée à l’UNESCO s’il ne s’agissait que d’une nouvelle manière de se parta-
ger, entre pays du Nord, un marché, principalement audiovisuel, en croissance ex-
ponentielle ?
Les participants au Sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Ouagadougou, au
Burkina Faso, en novembre 2004, ont réaffirmé que la première mission de la Fran-
cophonie était de promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguis-
tique5. Car tous constatent que la tendance à l’hégémonie mondiale de l’anglais

2
http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php
RL_ID=11281&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
3
http://www.francophonie.org/francophonie/sommets/moncton_1999.html
4
http://www.francophonie.org/francophonie/sommets/beyrouth_2002.html
5
http://www.francophonie.org/francophonie/sommets/Ouagadougou_2004.html
- 62 -
Louise Beaudoin

s’intensifie, avec l’accord implicite ou délibéré des pays non anglophones, la princi-
pale justification étant économique : diminuer les coûts de fonctionnement des or-
ganisations multilatérales, par exemple aux Nations unies et dans ses institutions
spécialisées. En Europe, les dix nouveaux États de l’Union ont tous choisi l’anglais
comme langue de communication avec la Commission européenne. Les résultats
sont là : colonisation linguistique par la diffusion des produits anglo-américains,
emprunts terminologiques, réduction des autres langues, au mieux, au statut de lan-
gues régionales, au pire à celui de langue nationale d’un seul pays. Il ne faut pas non
plus sous-estimer, chez les locuteurs, la chute de prestige de leur propre langue. L’un
des enjeux consiste, en réaction, à faire que les langues conservent leur vitalité : vita-
lité de création, particulièrement en matière de cinéma et de télévision, vitalité
d’expression dans le domaine des sciences et de la technologie par le biais du déve-
loppement terminologique, vitalité informatique en disposant des logiciels courants
en de multiples langues.
Au-delà de la nécessité de développer des politiques proactives de promotion de la
diversité linguistique dans chacune des zones économiques et géographiques concer-
nées, par exemple en établissant des alliances entre pays de l’éventuelle ZLÉA (Zone
de libre-échange des Amériques) ou de l’Europe élargie, la question se pose : faut-il
inclure la diversité linguistique dans un nouvel accord international ? Cela octroie-
rait aux États la capacité de déclarer une ou des langues officielles, tout en respectant
la présence sur leur territoire de langues tierces et en acceptant de faire que
l’administration s’adresse aux membres de la ou des principales minorités dans leur
langue. Il s’agirait également d’établir la capacité des États d’adopter des politiques
publiques de nature à assurer la prédominance de la ou des langues officielles. Les
États seraient ainsi légitimés d’intervenir, en prenant en compte, en particulier, les
intérêts des consommateurs, selon la dose d’intervention qui leur conviendrait et
dans la limite de l’interdiction d’interdire. Faute de quoi, bon nombre des mesures
de protection linguistique, telles celles que se sont données plusieurs pays et nations,
pourraient, en effet, être considérées comme des entraves au commerce par l’OMC.
Par exemple, les dispositions obligeant l'étiquetage ou les modes d'emploi des pro-
duits importés dans les langues nationales.
Si les francophones des cinq continents veulent que la langue française demeure
dans les années à venir une grande langue internationale alors qu’elle est en plein
repli, il leur revient, comme ils l’ont si bien fait pour la diversité culturelle, de pren-
dre la tête et de proposer l’adoption d’un traité sur la diversité linguistique.

- 63 -
LE FRANÇAIS AU TRAVAIL
DANS UN MONDE EN VOIE
DE MONDIALISATION

Pierre BOUCHARD
Ancien directeur de la recherche et de l'évaluation
Office québécois de la langue française

La langue utilisée au sein des milieux de travail préoccupe depuis quelque temps déjà
certains États. Le mode d’intervention retenu par eux peut être très variable : il se
situe quelque part entre le recours à une loi et la simple observation du phénomène.
Ainsi, dans certains cas, on a été jusqu’à enchâsser cette préoccupation dans une loi
(cas du Québec – voir l’encadré ci-dessous), dans d’autres cas, le gouvernement a
simplement choisi d’encourager l’utilisation de la langue à promouvoir (cas de la
Catalogne) ou, ailleurs, on en est à l’étape de la prise de conscience de la situation
par le moyen d’études de plus ou moins grande envergure (cas de la France).
En 2003, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, la
Generalitat de Catalogne et le Secrétariat à la politique linguistique du Québec sont
même allés jusqu’à organiser conjointement un Colloque international sur les prati-
ques linguistiques dans les entreprises à vocation internationale1. Il y fut, entre au-
tres sujets, question des enjeux auxquels ces entreprises, qu’elles soient établies en
France, en Catalogne, au Pays basque ou au Québec, doivent désormais faire face et
des pratiques linguistiques de ces différents États. Il en est ressorti l’importance de
chercher à définir avec le plus de réalisme possible les attentes linguistiques de cha-
cun des États à l’endroit des entreprises et de se donner les moyens d’intervenir dans
les limites de leurs compétences.
La question de la langue de travail est donc bien d’actualité. La langue de travail, il
importe d’en prendre conscience, est tributaire du contexte économique et social et
des caractéristiques de l’entreprise, mais aussi d’autres facteurs liés aux caractéristi-
ques de la direction et du personnel de cette dernière. Et la définition de ce qu’on
entend par le travail dans une langue donnée, le français par exemple, se pose tou-
jours. Ce sont là autant de thèmes qui seront abordés dans les lignes qui suivent.

1
Les actes de ce colloque ont été publiés en français et en catalan. Il est possible de se les procurer auprès du Secré-
tariat à la politique linguistique du Québec ou à la Generalitat de Catalogne.
Le français au travail

Le cas du Québec
La législation relative à la langue de travail comprend plusieurs dispositions qui ont été
consignées dans la Charte de la langue française, sous différents titres : la langue du travail
(art. 41 à 50) ; la langue du commerce et des affaires (art. 51 à 71) et la francisation des en-
treprises (art. 129 à 154). Les dispositions relatives à la langue de travail auxquelles sont assu-
jettis tous les employeurs traitent, entre autres, de la langue des communications de
l’employeur avec son personnel, de la langue de publication des offres d’emploi, de la langue
des conventions collectives et de la langue d’accès à un emploi.
Les dispositions relatives à la langue du commerce et des affaires fixent le cadre linguistique
dans lequel doivent s’effectuer les activités commerciales (tout doit au moins être en français).
Elles couvrent les informations écrites destinées aux consommateurs de biens et services (les
inscriptions sur les produits, les catalogues, les logiciels, les jouets ou jeux, les bons de com-
mande, l’affichage public, etc.).
Les dispositions relatives à la francisation des entreprises, quant à elles, ne s’appliquent
qu’aux entreprises employant 50 personnes et plus. Elles décrivent le processus de francisa-
tion auquel ces entreprises doivent se soumettre et établissent les éléments susceptibles de
faire partie du programme de francisation devant mener à la délivrance d’un certificat de
francisation, le programme de francisation ayant pour but la généralisation de l’utilisation du
français à tous les niveaux de l’entreprise. On trouve aussi des dispositions permettant des
mesures temporaires d’exemption et des mesures visant à permettre l’utilisation d’une autre
langue que le français comme langue de fonctionnement (ententes particulières pour les
sièges sociaux, les centres de recherche, les entreprises entretenant des relations avec
l’étranger).

LES DÉTERMINANTS DE LA LANGUE DE TRAVAIL

Le contexte économique et social de l’entreprise


De façon générale, le contexte économique et social de l’entreprise est connu, que
l’on pense au phénomène de la mondialisation, à la démocratisation des technolo-
gies de l’information et des communications et, enfin, à la concentration de
l’immigration. Il importe tout de même d’en faire ressortir les tenants et les aboutis-
sants relativement à la langue.

Le phénomène de mondialisation
Sans vouloir accorder plus d’importance à la mondialisation qu’elle ne devrait en
avoir, il semble qu’elle explique au moins en partie certaines transformations obser-
vées au sein des entreprises, qui ont des incidences sur leur situation linguistique
(sur l’utilisation du français dans le cas du Québec). Les entreprises sont de plus en
plus ouvertes sur le monde et les pressions de l’anglais se font de plus en plus sentir.
Il se fait de plus en plus d’affaires à l’extérieur de l’État, exportations interrégionales
et internationales obligent. Le nombre d’entreprises au sein d’un État évolue sans
cesse : on trouve beaucoup de nouvelles entreprises, mais aussi beaucoup

- 66 -
Pierre Bouchard

d’entreprises transformées ou restructurées2. Les changements organisationnels aussi


se font de plus en plus rapidement. Au nom d’une certaine rationalisation, on en
arrive à un aplatissement de la structure hiérarchique et, en conséquence, à une res-
ponsabilisation de plus en plus grande de la strate opérationnelle, qui se traduit par
un déplacement ou un élargissement des actions de communication à d’autres caté-
gories de personnel, ainsi qu’une transformation des actions de communication en
nouveaux types de communications. Enfin, on assiste à l’élargissement du recrute-
ment de professionnels à l’échelle du globe et à la possible contradiction entre la
recherche de la compétitivité nationale et la protection étroite de la langue (le fran-
çais au Québec et, dans une certaine mesure, en France) (Sales, 2005 : 176).

La démocratisation des technologies de l’information et des communications


L’informatisation a maintenant gagné l’ensemble des entreprises et Internet a permis
une plus grande circulation de l’information, et ce tout en faisant fi des frontières
connues et respectées jusqu’à tout récemment. L’avènement des TI (technologies de
l’information) occasionne de nouvelles configurations du travail : des équipes (télé-
travail, entreprises-réseaux) peuvent fonctionner à distance, les tâches sont de plus en
plus atomisées et même les lieux de travail ont tendance à connaître une certaine
désagrégation, voire délocalisation. Il en résulte des enjeux importants pour
l’utilisation des langues. Il ne faut pas remonter très loin dans le temps pour voir que
la plupart des produits informatiques étaient en anglais. La situation actuelle a gran-
dement évolué : les logiciels multilingues sont de plus en plus disponibles et Internet
est devenu multilingue lui aussi (voir ici même p. 49). Il demeure tout de même que,
dans un tel contexte, les États doivent faire preuve de vigilance et que les entreprises
concernées doivent contribuer à fournir aux travailleurs utilisateurs des nouvelles
technologies une nouvelle littératie (Dupont et Painchaud, 1995 : 129-130), car dans
un monde où l’automation croît sans cesse, l’homme doit pouvoir détecter les ano-
malies, poser des diagnostics et même prévenir les problèmes.

La concentration de l’immigration
Les travailleurs qui ne connaissent pas la langue officielle de l’État ont généralement
tendance à se concentrer sur un territoire. Cette concentration n’est pas sans poser
un autre défi aux États concernés et aux entreprises qui embauchent. C’est, entre
autres, le cas de certaines entreprises de la région métropolitaine de Montréal au
Québec, notamment celles de l’Ouest de l’île.
Cette concentration a alors forcément un impact sur le choix de la langue de travail3.
En effet, il arrive trop souvent que, du fait de la méconnaissance de la langue offi-

2
Ce phénomène a souvent des incidences importantes sur le processus de francisation d’une entreprise. En effet, un
changement à la haute direction, par exemple, pourra avoir pour effet de favoriser la francisation de l’entreprise, si le
haut dirigeant est favorable au français.
3
Selon le dernier recensement canadien (2001), la quasi-totalité de la main-d’œuvre de langue maternelle française
(84,9 %) travaille principalement en français dans l’île de Montréal, les trois quarts (74,3 %) de la main d’œuvre de
- 67 -
Le français au travail

cielle de la part d’un supérieur ou d’un collègue, un travailleur soit dans l’obligation
d’utiliser une langue autre que celle qu’il aurait souhaitée.

Les caractéristiques de l’entreprise


Outre l’impact non négligeable des variables contextuelles sur la situation linguisti-
que des entreprises, il ressort de la documentation scientifique que plusieurs autres
déterminants, notamment les caractéristiques de l’entreprise, peuvent expliquer
d’une manière ou d’une autre ses pratiques linguistiques. Parmi les caractéristiques
de l’entreprise, il faut mentionner la localisation du siège social, le type de produit, la
dimension internationale, la langue des propriétaires, la proportion de cadres fran-
cophones. La propriété (entendue dans son sens le plus large4) et sa relation à la
langue ont déjà été reconnues comme des déterminants importants de politiques et
de pratiques linguistiques particulières au sein des entreprises (sur l’impact de la
propriété, voir l’encadré ci-dessous). La langue des fournisseurs et celle des clients
ressortent aussi parmi les déterminants incontournables de la situation linguistique
de nombreuses entreprises, à tout le moins de certaines unités administratives ou de
certains emplois (acheteurs, vendeurs et autres) (sur l’impact des clients et des four-
nisseurs, voir l’encadré ci-après).

L’impact de la propriété
D'une étude portant sur le processus de francisation des grandes entreprises québécoises
prévu par la Charte de la langue française (Bouchard, 1990) il ressort que la prédominance
linguistique du conseil d’administration de l’entreprise a une influence significative sur l’état
de francisation de l’entreprise au moment de son inscription dans ledit processus. En effet,
toutes les entreprises ayant une direction majoritairement anglophone ont eu à élaborer un
programme de francisation, l’utilisation du français y ayant été jugée non généralisée. Par
ailleurs, dans le cas des entreprises francophones, ce sont plutôt 40 % de ces entreprises qui
ont eu à élaborer un tel programme de francisation. Cette dernière donnée, il importe de le
mentionner, montre aussi que la prédominance linguistique du conseil d’administration
n’est pas le seul facteur déterminant de la situation linguistique. D’autres critères devraient
dès lors être pris en compte pour saisir toute la complexité de la situation
Cette conclusion ressort aussi d’autres analyses menées sur les mêmes données. Par exemple,
à l’aide de l’« analyse du déroulement des événements » (event history), on observe que la vi-
tesse de certification des entreprises relève bien du type de propriété (le fait d’être une entre-
prise étrangère ou non et la proportion d’administrateurs francophones), mais aussi de cer-
taines caractéristiques non linguistiques (le fait d’appartenir à certains secteurs d’activité, la
proportion de cadres – ce qui nous renvoie à l’organisation de l’entreprise).

langue maternelle anglaise travaillent en anglais, alors qu’il y a pratiquement autant de travailleurs de langue mater-
nelle tierce qui travaillent principalement en anglais (38,9 %) qu’il y en a qui travaillent en français (40,1 %).
4
Il faut comprendre l’origine de la propriété, la localisation de la maison-mère et du siège social, ainsi que la langue
du propriétaire et des administrateurs.
- 68 -
Pierre Bouchard

L’impact des clients et des fournisseurs


Selon une enquête menée auprès de grandes entreprises du Québec (Laur, 2004), le fait
d’être en contact avec des clients et des fournisseurs a des répercussions directes sur
l’utilisation des langues au sein des entreprises concernées. En effet, les clients de l’extérieur
du Québec exigent généralement des entreprises québécoises que les documents de produc-
tion soient rédigés dans une autre langue que le français (75 %). Les fournisseurs non québé-
cois, pour leur part, génèrent une communication écrite en anglais dans 54 % des entreprises
québécoises. Cela étant, la communication avec des fournisseurs et des clients non québécois
se déroule uniquement en français dans 21 % des entreprises concernées, alors qu’avec des
fournisseurs et des clients québécois, l’utilisation du français atteint plutôt les 73 %.

Les facteurs explicatifs des comportements linguistiques de la direction et du per-


sonnel de l’entreprise
Enfin, il est important d’ajouter que l’utilisation, au travail, d’une langue plutôt que
d’une autre ne saurait être expliquée seulement par le contexte et les caractéristiques
d’entreprise. Il faut aussi considérer divers facteurs psychosociologiques, sociolin-
guistiques et organisationnels qui caractérisent le personnel de direction et
l’ensemble des travailleurs. La motivation à utiliser telle ou telle langue fait partie de
ce premier ensemble. Un locuteur peut, par exemple, adapter ou modifier sa façon
de parler (ex. : en utilisant un français plus ou moins soutenu) ou tout simplement la
maintenir ou en diverger. Ce sont là des stratégies langagières qui résultent d’un
choix plus ou moins conscient de la part du travailleur de vouloir se rapprocher de
son interlocuteur ou d’affirmer son identité linguistique et culturelle vis-à-vis des
autres.
Outre cela, il y a les facteurs sociolinguistiques qui nous renvoient à des normes
situationnelles et sociales et au statut des langues dans l’entreprise. Ainsi, il y a des
contextes où le choix de la langue doit tenir compte du sujet de la conversation, du
cadre, des objectifs de l’échange et de l’origine linguistique ou nationale des interlo-
cuteurs. Et il y en a d’autres où c’est la langue du groupe dominant qui l’emporte,
quel que soit le type de dominance.

La langue de l’autre
Une étude menée en France (Gratiant, 2004) fait ressortir les territoires (internes et externes)
des langues et les situations dans lesquelles les choix sont opérés.
« Le français apparaît la langue de travail, à l’écrit et à l’oral, entre francophones, lorsque le
sujet (métier, activité…) le permet et lorsque les éléments initiaux ont été produits en fran-
çais. Mais il suffit que les échanges initiaux (courriels, notes de travail, correspondance, rap-
port…) soient produits en anglais pour qu’en cascade, toute la chaîne des échanges passe à
l’anglais, y compris entre francophones.

- 69 -
Le français au travail

Lorsque l’activité requiert que l’on utilise l’anglais de manière dominante, y compris en
France, entre francophones, les échanges oraux se font aussi en anglais (cas de services finan-
ciers travaillant à l’international et de sociétés de services informatiques). »
Et dès qu’un document doit être communiqué à au moins un destinataire non francophone,
la totalité de la communication se fait en anglais.

Quant aux facteurs organisationnels, ils ont trait à l’intensité de la présence d’un
groupe linguistique particulier dans le milieu de travail immédiat et au rôle non
négligeable des superviseurs de ce groupe. En plus, il faut mentionner que le travail-
leur ne travaille plus seul, mais dans des groupes mis en relations complexes et cela a
forcément des incidences sur la langue de travail utilisée.

CE QUE SIGNIFIE « TRAVAILLER EN FRANÇAIS »


Cela étant, il reste qu’il n’y a toujours pas de définition claire de ce qu’est le « travail
dans une langue donnée » et que l’élaboration d’une telle définition n’est pas sans
difficulté. Une première approche dans l’élaboration d’une telle définition serait
d’en exclure complètement l’« autre » langue, par exemple l’anglais, l’espagnol ou le
russe, selon l’État concerné. Cette approche a cependant des limites. Si le système de
passerelles linguistiques (ex. : un employé est responsable de toutes les communica-
tions en anglais) proposé par J.-C. Corbeil (1980) a permis durant un certain temps à
des travailleurs québécois de « travailler en français » (l’anglais étant pour eux com-
plètement absent), il semble actuellement qu’avec l’ouverture des marchés, il soit de
plus en plus difficile de le mettre en place, de le maintenir ou de l’adapter à la situa-
tion actuelle.
Dès lors, il faut plutôt aller du côté des perceptions des travailleurs qui peuvent pour
une bonne part faire état de ce que travailler dans une langue donnée veut dire
(Chénard et van Schendel, 2002). Selon des travailleurs de petites et moyennes en-
treprises, il existe, au sein du marché du travail, des frontières linguistiques (entrepri-
ses faisant des affaires à travers le monde/entreprises locales) qui permettent en
quelque sorte de cerner la place à accorder à l’une et l’« autre » langue et ainsi à qua-
lifier dans quelle langue on travaille. Il existe aussi des milieux géolinguistiques au
sein de l’entreprise où les travailleurs concernés, surtout s’ils se sentent entourés de
français par exemple, ont l’impression de travailler dans cette langue, peu importe le
volume d’usage de l’« autre » langue qu’ils font effectivement dans la réalisation de
leurs tâches.
Outre cela, plusieurs critères propres aux tâches des travailleurs (temps de communi-
cation, accomplissement de tâches plus ou moins régulières, espace d’utilisation de la
langue, etc.) peuvent être pris en compte et contribuer à façonner l’impression de
travailler dans l’une ou l’autre langue.

- 70 -
Pierre Bouchard

CONCLUSION
De tout cela, il ressort que la langue de travail est une question bien actuelle. Elle est
tributaire d’un ensemble de facteurs liés à l’entreprise, mais aussi à la direction et
aux travailleurs. Et, nous l’avons vu, il n’est pas simple de déterminer précisément
dans quelle langue un individu travaille.
La question de la langue de travail doit continuer à préoccuper les États qui, dans le
contexte actuel, doivent rechercher les meilleurs moyens d’intervenir auprès des
entreprises, car « l’émergence de nouveaux contextes modifie le rôle de la langue
dans les activités des entreprises. En effet, la langue devient de plus en plus un ins-
trument de travail crucial puisque l’information et son traitement sont maintenant
une ressource stratégique pour l’ensemble de la société et le nouveau centre de gravi-
té du système socio-économique. Tous les marchés sont désormais liés à son utilisa-
tion » (Conseil supérieur de la langue française, 2005 : 8).

- 71 -
LE FRANÇAIS ET LES JEUNES :
LA MODERNITÉ DU FRANÇAIS

Carole DE FÉRAL
Université de Nice-Sophia Antipolis
Gueorgui JETCHEV
Université de Sofia Saint Clément d'Ohrid

Si le français a un avenir, celui-ci passe par les représentations que s’en font les jeu-
nes d’aujourd’hui, par les usages qu’ils en ont, les choix qu’ils opèrent sur un marché
linguistique de plus en plus ouvert qui s’offre à eux. Mais qui sont les « jeunes » ? Des
scolaires ? Des étudiants ? De jeunes travailleurs ? On sait depuis Bourdieu que « les
jeunes » ne constituent pas une classe sociale, ni même une catégorie homogène dans
une société. La gageure est donc grande quand il s’agit d’étudier la posture de ce
« groupe » dans l’ensemble du monde francophone. Raison pour laquelle
l’exhaustivité étant hors d’atteinte, le choix a été fait de quelques coups de sonde
dans deux régions souvent dites cruciales pour l’avenir du français, l’Afrique et
l’Europe centrale et orientale1.

DE L’AFRIQUE FRANCOPHONE EN GÉNÉRAL…


Malgré les réserves que l’on vient de faire, si l’on accepte le postulat que les jeunes
forment un groupe distinct de celui des adultes, notamment dans ses pratiques lan-
gagières, et qu’ils peuvent se référer à une culture semblable (mode vestimentaire,
musique...) d’une région à l'autre et même d'un pays voire d’un continent à l'autre,
alors notre regard doit se porter vers les villes africaines. Ce sont elles essentiellement
qui permettent l'accès à la modernité et à une culture « jeune » mondialisante, véhi-
culée en grande partie par les médias. Et cet accès à la modernité passe essentielle-
ment par le français dans les pays africains où il est langue officielle.
Les grandes villes africaines ont connu de fortes migrations venues des campagnes
avec, pour corollaire, le besoin de variétés assurant la communication entre des locu-
teurs d’origines et de langues différentes. La langue véhiculaire dominante d'une ville
peut être une langue africaine (bamanankan au Mali, hausa au Niger, wolof au Séné-
gal...), également langue première pour une partie de ses locuteurs, et utilisée, depuis
fort longtemps parfois, sur une vaste étendue de territoire. Parler cette langue véhicu-

1
Sur ces deux régions, de manière plus générale, voir ici même les contributions d’Auguste Moussirou-Mouyama et
de Claude Truchot.
Le français et les jeunes

laire est un facteur primordial d'intégration urbaine tandis que le français n'a pas a
priori – dans ces cas-là – de fonction de communication interethnique. On peut
cependant employer la langue officielle comme « langue neutre » pour tenter
d'échapper à la domination du véhiculaire africain ou pour d’autres raisons symboli-
ques. Dans de nombreuses villes, des discours mixtes sont utilisés, principalement
par les jeunes, qui perçoivent le recours au français comme un signe de modernité et
mêlent dans une même phrase français et langue africaine (wolof à Dakar, sango à
Bangui, lingala à Kinshasa, moore à Ouagadougou),
À Abidjan (Côte-d’Ivoire), Brazzaville ou Pointe-Noire (Congo), Douala ou Yaoundé
(Cameroun), ou encore Libreville (Gabon), la fonction véhiculaire est en grande
partie assurée par le français même si co-existent d'autres variétés véhiculaires (kituba
et lingala au Congo, pidgin-english à Douala, dioula sur les marchés ivoiriens…). Un
nombre croissant d’enfants parlent le français dans la rue et les cours de récréation
mais aussi à la maison avec leurs frères et sœurs et même, pour certains, avec leurs
parents : ces derniers pensent, en donnant la préférence au français, favoriser la réus-
site scolaire et professionnelle de leurs enfants. On observe donc une véritable ap-
propriation du français. Et l’aisance avec laquelle certains enfants parlent français
leur permet de lui faire jouer une fonction cryptique et ludique en le codant (sortes
de javanais où une ou plusieurs syllabes parasites sont ajoutées à chaque syllabe,
comme dans cet exemple du Cameroun : Estguéré ceguere queguere tuguru asgara
vuguru pagarapagara ? « Est-ce que tu as vu papa ? »).
Autre illustration, plus phénoménale, de l’appropriation du français par les jeunes :
le développement, depuis plus d’une vingtaine d’années, de pratiques langagières qui
rappellent ce qui se passe dans l’Hexagone avec « les parlers jeunes ». Ces pratiques
se démarquent du français courant par la présence de termes qui ont subi des modi-
fications (troncation, inversion des syllabes) mais surtout d’emprunts à d’autres lan-
gues en contact. Si la structure est toujours celle du français et le recours aux mots
empruntés non systématique, on peut toutefois se demander si, dans un avenir plus
ou moins proche, ces pratiques ne risquent pas de donner le jour à de nouvelles
langues.
Parler le camfranglais au Cameroun et le nouchi en Côte-d’Ivoire, par exemple, permet
de revendiquer une identité non seulement « francophone » mais aussi « jeune »,
« urbaine » et même « nationale ». Certains journaux, certains chanteurs qui
s’adressent aux jeunes utilisent ces « parlers jeunes » et le fait que ces parlers soient
fortement médiatisés contribue à leur maintien et à leur expansion.

- 74 -
Carole de Féral et Georgui Jetchev

Anglais, français et… camfranglais au Cameroun.


Anglais et français, les deux langues officielles, se superposent à près de 280 langues africai-
nes et au pidgin-english. Dans les faits, le français domine nettement : huit provinces sur dix
sont francophones ; la capitale économique, Douala, et la capitale politique, Yaoundé, sont
en zone francophone. La presse écrite est majoritairement francophone ; même si la radio en
zone francophone affiche la volonté de traiter équitablement les deux langues, le français
reste le plus utilisé. Les jeunes francophones écoutent certes du rap et du R'N'B et regardent
des films américains, doublés en français, mais la plupart ne possèdent qu’un anglais scolaire
appris dans des classes aux effectifs pléthoriques.
En zone anglophone, l'anglais est fortement concurrencé par le pidgin-english (parlé égale-
ment dans une partie de la zone francophone), principal moyen de communication dans les
villes en dehors des situations formelles. Considéré comme un frein à l’apprentissage de
l’anglais, son emploi est fortement déconseillé par les autorités éducatives. On peut lire des
mises en garde sur des panneaux installés à l’entrée des collèges et même à l’Université de
Buéa : « Drop your pidgin here » (« laisse tomber ton pidgin ici »), « Be my friend, speak En-
glish » (sois mon ami, parle anglais).
Le camfranglais, ainsi nommé par les universitaires et journalistes camerounais mais plutôt
appelé francanglais ou français du kwat (français du quartier) par les jeunes, recourt à des em-
prunts ou à des mots transformés. Les emprunts viennent de langues comme le duala et
l’ewondo et surtout de l’anglais et/ou du pidgin-english. Selon l’expression d’un jeune locu-
teur, il s’agit d’un « français élastique », où se côtoient des phrases très proches du français de
France et des énoncés comportant de nombreux mots perçus comme « camfranglais », comme
dans les échantillons qui suivent.
- Ils ont un opposant qui a ron (couru), ils ont un opposant qui a ron (couru) en Guinée, en Espagne et
le gars est condamné. S’il kem (vient) on le kil (tue). […]
- Tu as déjà vu quelqu’un dire qu’il est insatiable ? Quand tu es habitué à avoir les do (fric), tu veux
toujours multiplier.
- L’argent même c’est le nerf de la guerre.
Extrait de conversation entre étudiants (corpus Féral, décembre 2004)

Si tu vois ma go / Dis lui que je go / je go chez les wat / nous fala les do / La galère du Camer / Toi-
même tu no / tu bolo tu bolo / mais où sont les do (Si tu vois ma copine / dis-lui que je vais / je vais
chez les Blancs / pour chercher du fric / La galère du Cameroun / Toi-même tu sais / tu travailles tu
travailles / mais où est le fric ?)
Extrait d'un rap de Koppo

Le premier go serait emprunté à l’ewondo (mais on retrouve ce mot, avec le même sens, au
Burkina Faso, en nouchi, et même chez les « jeunes des banlieues » en France !), bolo est d'ori-
gine duala. Tous les autres termes viennent de l’anglais/du pidgin : go (« go » : aller); wat
(« white », blanc); do (« dollar »; cf. aussi « dough », fric); no (« know », savoir); fala (« follow »,
suivre) avec, ici, le sens pidgin de « chercher ».

- 75 -
Le français et les jeunes

…. AUX PAYS D’EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE


Pour les jeunes en Europe centrale et orientale le français est aujourd’hui en concur-
rence sur le marché des langues non seulement avec l’anglais, mais aussi avec
l’allemand, le russe, l’espagnol, l’italien, le grec.
Le Plan d’action pour le français en préparation de l’élargissement de l’Union européenne,
lancé en janvier 2002 par quatre partenaires (les trois États et gouvernements mem-
bres de l’UE et de la Francophonie, c’est-à-dire la France, la Communauté française
Wallonie-Bruxelles et le Grand-Duché de Luxembourg, et l’Agence intergouverne-
mentale de la Francophonie, qui est son maître d’œuvre), a pour objectif la promo-
tion de la langue française auprès des nouveaux pays adhérents. Ce plan pluriannuel
met l’accent sur le français comme langue de travail européenne, comme langue des
trois villes où les institutions européennes ont élu domicile (Bruxelles, Strasbourg et
Luxembourg) et comme langue de partenaires importants des pays de l’élargissement
européen, dans le cadre de partenariats dans les domaines culturel et éducatif, mais
aussi juridique, scientifique et économique. Les cibles de ce programme sont « les
fonctionnaires, cadres administratifs, politiques, économiques, académiques », ainsi
que les étudiants, susceptibles de travailler au contact des institutions européennes.
C’est dans les dix pays entrés à l’UE en mai 2004, dont huit faisaient partie de
l’ancien bloc soviétique (les quatre pays de l’Europe centrale – la Pologne, la Répu-
blique tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, les trois républiques baltes – la Lituanie, la
Lettonie et l’Estonie –, et un pays issu de l’ex-Yougoslavie, la Slovénie), ainsi que
dans les deux pays de la deuxième vague de l’élargissement (la Bulgarie et la Rouma-
nie, pays du Sud-Est européen, membres de l'UE depuis janvier 2007, également des
pays ex-communistes) que se jouera probablement le sort du français comme langue
de l’Europe. Les pays de la deuxième vague sont les seuls dont les gouvernements ont
adhéré à part entière à la francophonie institutionnelle, alors que parmi les pays de
la première vague six ont à ce jour le statut d’observateurs dans l’OIF (Pologne, Ré-
publique tchèque, Slovaquie, Hongrie, Lituanie, Slovénie). C’est la jeune génération
d’aujourd’hui de ces pays qui constituera une partie des citoyens européens de de-
main et c’est à elle de décider si elle adoptera ou non le français comme deuxième
langue de travail de l’Union, à côté de l’anglais, qui semble en ce moment in-
contournable pour un fonctionnaire européen. D’autres pays ont posé leur candida-
ture à l’UE et attendent leur tour : la Croatie, qui a obtenu le statut d’observateur au
Sommet de Ouagadougou en 2004, la Macédoine et l’Albanie, qui sont des membres
associés depuis 2002. Un autre membre à part entière dans la région est la Moldavie,
ex-république soviétique, alors que la Géorgie et l’Arménie sont devenues elles aussi
des observateurs depuis le dernier Sommet.

- 76 -
Carole de Féral et Georgui Jetchev

Images des langues en concurrence


Enquête menée auprès d’étudiants (18 à 25 ans) du master en études francophones de
l’Université de Sofia Saint Clément d’Ohrid :
– l’anglais : les États-Unis, la liberté, le conservatisme anglais ;
– le français : une culture riche, la cuisine, un style de vie raffiné, les parfums, un certain
snobisme ;
– l’allemand : un peuple sévère, la technocratie.
Quelques phrases-clés :
« Dans la société contemporaine les frontières entre les pays s'effacent et si on veut être inté-
gré aux réseaux de communication on ne peut pas se passer de l’anglais. »
« Lorsqu'il s’agit de l’Europe, le minimum requis c’est de parler anglais ! »
« L’anglais, c’est mon billet pour le monde, mais il ne suffit pas. »
« L’anglais nous est imposé et nous envahit de partout : la télé, la musique, Internet. J'en ai
un peu marre. »

Les choix scolaires comme indicateurs : français et langue d’enseignement


en Bulgarie
Le français est la quatrième langue étrangère en Bulgarie par le nombre de ses apprenants,
mais la troisième langue choisie comme médium d’enseignement dans les classes bilingues où
il est devancé seulement par l’anglais et l’allemand : en 2003-2004, sur l’ensemble du terri-
toire bulgare, 447 établissements de l’enseignement secondaire public avaient des classes
bilingues en anglais, 198 en allemand, 103 en français, 34 en espagnol et 14 en russe.
Le français se trouve ainsi cantonné dans des filières d’excellence : les classes bilingues des lycées
de prestige dans les grandes villes, les filières francophones gérées par le multilatéral (l’AUF) ou
le bilatéral (des consortiums avec des universités françaises ou belges). Les huit filières universi-
taires qui utilisent le français comme langue-médium sont dans des domaines variés : génie
électrique et informatique, industrie alimentaire, chimie industrielle, sciences politiques, ges-
tion hôtelière et restauration, économie et gestion, administration des entreprises.

Publicité et hiérarchie des langues…


De nombreuses écoles privées de langue ont ouvert en Bulgarie depuis les années 1990.
L’ordre de présentation choisi dans leur matériel promotionnel est un indicateur intéressant :
Detelina : anglais, allemand, italien, espagnol, français et grec.
Accent : anglais, espagnol, français, italien et allemand.
Omega : anglais, allemand, français, espagnol, italien, grec, russe.
Certaines ne proposent qu’une langue, l’anglais (Solid-K, Libra) ou l’allemand (Blitz).

- 77 -
Le français et les jeunes

D’autres encore ont une offre plurilingue d’où le français est absent : anglais, allemand, ita-
lien, grec (Leter), anglais, italien, grec, espagnol (Atlas-S), anglais et espagnol (Intelekt-Info).

- 78 -
LA COOPÉRATION INTERNATIONALE
ENTRE AIRES LINGUISTIQUES

Louis-Jean CALVET
Institut de la Francophonie, Université de Provence

Dans le grand désordre babélien que constituent les quelques six mille cinq cents
langues parlées dans le monde, on a tenté de mettre de l’ordre en utilisant le modèle
gravitationnel (Calvet 1999) fondé sur le fait que les langues sont reliées entre elles
par les locuteurs bilingues. On arrive ainsi à une configuration dans laquelle, autour
d’une langue pivot, hypercentrale, l’anglais, gravitent une dizaine de langues super-
centrales (français, espagnol, arabe, hindi, chinois et quelques autres) qui sont à leur
tour le pivot de la gravitation de langues centrales autour desquelles gravitent des
langues périphériques.
Dans ce modèle, les langues de deuxième niveau, les langues supercentrales, sont
face à l’anglais dans des situations comparables : les locuteurs de l’anglais ont une
forte tendance au monolinguisme tandis que les locuteurs de ces langues supercen-
trales, lorsqu’ils s’approprient une autre langue, apprennent soit l’anglais soit une
langue de même niveau. Mais les pays dans lesquels on les parle ne sont pas tous
dans la même situation. Certains se sont donné une organisation reposant sur le
partage d’une langue. C’est bien sûr le cas de la Francophonie (organisation géopoli-
tique de pays regroupés autour de la langue française), et l’on pourrait généraliser
cette notion sous la forme abstraite de Xphonie, terme dans lequel le X représente
une langue de grande expansion (anglophonie, hispanophonie, arabophonie, luso-
phonie, sinophonie, etc.). Dans ces ensembles, l’un est dominant à l’échelle mon-
diale (l’anglophonie) et n’a guère besoin de s’organiser, certains n’ont aucune orga-
nisation structurelle (l’arabophonie), d’autres enfin ont une organisation sur certains
points comparable à celle de la francophonie (hispanophonie, lusophonie).
Il faut en outre noter l’existence d’interférences sociolinguistiques et géopolitiques
entre la Francophonie et certains des autres ensembles linguistiques : sur les 53 États
membres de plein droit de l’OIF, sept sont en effet également membres du Com-
monwealth (Cameroun, Canada, Dominique, Maurice, Sainte-Lucie, Seychelles,
Vanuatu), trois de la CPLP (Cap-Vert, Guinée Bissau, São Tomé et Principe), cinq
des pays de la Ligue arabe (Djibouti, Liban, Maroc, Mauritanie, Tunisie), et un de
l’Organisation des États ibéro-américains (Guinée Équatoriale).
Or la situation de certaines de ces Xphonies face à la langue hypercentrale est en de
nombreux points semblable. Pour ne prendre qu'un exemple, voici le pourcentage
La coopération internationale entre aires linguistiques

des interventions devant l'Assemblée générale des Nations unies en anglais, français,
espagnol et arabe en 1992 et 1999 (Calvet 2002 page 195) :

1992 1999
anglais 45 % 50 %
français 19 % 13,8 %
espagnol 12 % 10 %
arabe 10 % 9,5 %

On voit qu'en sept ans toutes les langues ont reculé au profit de l’anglais, et la situa-
tion serait plus frappante encore si nous considérions les langues dans lesquelles sont
rédigés les documents, les langues dans lesquelles se tiennent les réunions informel-
les, le pourcentage d'ouvrages acquis dans les différentes langues par la bibliothèque
de l'ONU.
Sous l’impulsion de son ancien secrétaire général, Boutros Boutros-Ghali, la Franco-
phonie a donc tenté de se rapprocher d’autres Xphonies pour envisager des actions
communes en faveur du respect de la diversité linguistique et des règlements linguis-
tiques dans les organisations internationales, face au danger d'uniformisation par
l'anglais. Dans un premier temps, une tentative de rapprochement, sans lendemain,
avec l’arabophonie a été tentée : en novembre 2000 s'est ainsi réuni à Paris un collo-
que sur « francophonie et arabophonie », mais la situation sociolinguistique très
particulière des pays arabophones (diglossie entre la langue officielle qu’est l’arabe
standard et les arabes nationaux parlés par les populations, fonction religieuse de
l’arabe classique) rendait difficile ce rapprochement stratégique. En revanche les
choses ont rapidement semblé plus faciles avec les pays de langue espagnole et portu-
gaise. Les 20 et 21 mars 2001 s'est ainsi tenu, toujours à Paris, un colloque sur le
thème de la diversité, réunissant les organisations de la francophonie, des espaces
hispanophone et lusophone, trois ensembles linguistiques représentés par cinq orga-
nisations : l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie, l’Organisation
des États ibéro-américains (OEI), la Communauté des pays de langue portugaise
(CPLP), le Secretaría de Cooperación Iberoamericana (SECIB) et l’Union latine
(UL).
L’OEI, dont le siège est à Madrid, avec des représentations à Bogotá, Buenos Aires,
Lima, Mexico et San Salvador, est une structure un peu particulière dans la mesure
où elle n’est pas définie par une seule langue mais par deux, l’espagnol et le portu-
gais. Vingt-trois pays en sont membres : Argentine, Bolivie, Brésil, Colombie, Costa
Rica, Cuba, Chili, République Dominicaine, Équateur, Espagne, Guatemala, Gui-

- 80 -
Louis-Jean Calvet

née équatoriale, Honduras, Mexico, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, Portugal,


Puerto Rico, Salvador, Uruguay, Venezuela.
La CPLP, dont le siège est à Lisbonne, réunit pour sa part les pays lusophones sui-
vants : Angola, Brésil, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique, Portugal, São Tomé et
Principe.
L’Union Latine, dont le siège est à Haïti et le secrétariat général à Paris, est une or-
ganisation intergouvernementale pour la valorisation des langues nationales
d’origine néo-latine (espagnol, français, italien, portugais et roumain), qui se préoc-
cupe essentiellement d’industrie des langues (terminologie), de politique linguistique
et d’enseignement des langues et de culture, et dont les trente-cinq États membres
d’alors ont signé le 7 avril 1997 une déclaration soulignant le danger
d’appauvrissement culturel de l’humanité constitué par l’uniformisation linguistique
du monde.
Quant la Secretaría de Cooperación Iberoamericana, il s’agit d’une super-structure
technique de coopération.
Mettre en place une action de coopération commune entre ces différents organismes
impliquait que l’on ne réfléchisse pas en termes de « jeux à somme nulle », dans les-
quels il y a un vainqueur et des perdants, mais en termes de « jeux à somme posi-
tive », dans lesquels chacun des participants peut trouver un bénéfice. Après le collo-
que de Paris de mars 2001, une réunion des secrétaires généraux de ces cinq organi-
sations (décembre 2001) a décidé de créer deux comités d'experts internationaux
chargés de les conseiller l’un en matière de politique linguistique et l’autre en ma-
tière de nouvelles technologies, l’ensemble de ces opérations étant baptisé « Trois
Espaces Linguistiques ». Après un certain nombre de réunions (à Madrid et Paris) les
deux comités ont présenté leurs propositions lors d’un colloque réuni à Mexico
(avril 2003) où furent lancés un certain nombre de projets communs portant en
particulier sur le statut international des langues des trois ensembles et sur les prati-
ques linguistiques dans les organisation internationales, sur la formation des fonc-
tionnaires internationaux (éveil aux problèmes de politiques linguistiques, intercom-
préhension entre les langues romanes), sur l’harmonisation des systèmes
d’accréditation des compétences linguistiques (test, examens) et leurs référentiels.
Mais d’autres projets proposés par les comités d’experts n’ont pas été retenus, en
particulier ceux concernant la défense des langues périphériques dans ces trois espa-
ces (langues africaines, langues amérindiennes), ce qui risque de faire apparaître cette
coopération linguistique internationale comme une sorte de « Yalta linguistique »
consacré à la seule défense de trois « grandes langues » face à l’anglais.
Le fait que les trois langues concernées appartiennent à la même famille (les langues
romanes) a bien entendu facilité les premiers pas de cette coopération. Reste que la
présence de cinq pays arabophones dans l’OIF, six peut-être si l’Algérie décidait de
rejoindre les instances de la Francophonie, pourrait ouvrir des perspectives d’actions
plus larges dans le domaine du « marché aux langues » (Calvet 2002) et constituer
- 81 -
La coopération internationale entre aires linguistiques

une nouvelle donne. Nous avons vu que la Francophonie se concerte depuis 2001
avec les pays hispanophones et lusophones pour des actions communes dans les
organisations internationales, où les règlements linguistiques sont rarement respectés
et où il faut se battre quotidiennement pour leur application. Si les pays arabes rejoi-
gnaient ce groupe autant sur des fondements d’alliance stratégique qu’historiques
d’emprunts lexicaux relativement importants des langues romanes (espagnol, portu-
gais, français) à l’arabe, c’est plus de la moitié des membres de l’ONU, représentant
trois des six langues officielles (arabe, espagnol, français) et un poids démolinguisti-
que puissant qui pourraient agir contre l’hégémonie de l’anglais. Et cela pourrait
également avoir, par effet de cascade, des retombées sur la politique linguistique au
sein des nombreuses instances internationales (on se souvient par exemple des pro-
blèmes rencontrés lors des Jeux olympiques d’Athènes de 2004), en particulier au
sein des instances européennes. De ce point de vue, cette coopération internationale
entre aires linguistiques pourrait n’être qu’un premier pas vers une réflexion plus
large sur les rapports entre les langues du monde et la protection de la diversité.

- 82 -
DE LA FRANCOPHONIE
À LA FRANCOPHONIE :
LES DISCOURS DES SOMMETS

Bruno MAURER
Université de Montpellier III
Directeur du Bureau régional Océan Indien de l'AUF

Repérer les lignes de force des discours de la « francophonie politique » n’est pas
simple. Notre point de vue sera celui des « Conférences des chefs d’État et de gou-
vernement ayant en commun l’usage du français/ayant le français en partage » et
l’ensemble des contributions – séances inaugurales et de clôture, ateliers – représente
quelques milliers de pages.
Une ligne de force guidera notre lecture : la manière dont se construit peu à peu
dans les discours le passage de la francophonie à la Francophonie, de la réalité lin-
guistique à la construction politique.

LA LANGUE FRANÇAISE, PARENT PAUVRE DES DISCOURS


FRANCOPHONES
Si l’on considère l’ensemble des discours tenus de Chaillot (1986) à Bucarest (2006),
la question linguistique est peu représentée.
Même si les qualités supposées du français sont parfois rappelées, il faut reconnaître
une certaine sagesse aux dirigeants, qui produisent peu d’envolées lyriques sur
l’universalité ou la supériorité présumée du français.
Certes, F. Mitterrand, à Paris (1986 : 254)1, affirme ainsi que « notre langue com-
mune a toujours été porteuse d’une capacité d’ouverture et d’expression qui dépas-
sait ses propres limites». S’il renoue en cela avec une tradition discursive bien attestée
sur les mérites du français, c’est à l’occasion du sommet inaugural, dans des circons-
tances attendues.
Après d’autres également, J. Chirac, à Cotonou (1995 : 212), parle de « génie de la
langue », pour rappeler que le français « prédispose à une certaine vision des rap-
ports entre les hommes et les communautés. Une vision qu’inspirent les valeurs de la

1
Les dates renvoient aux Sommets, dont les actes sont publiés par le Secrétariat des Instances de la Francophonie.
AIF, 13 quai André-Citroën, 75015 Paris.
De la francophonie à la Francophonie

solidarité de la fraternité ; un sens de l’universel. » Toutefois, il n’est pas dupe de la


part d’idéologie de ces discours et prend la précaution de dire que le français est
« réputé » pour ses « capacités à synthétiser la réalité, à refléter les idées, les senti-
ments, les émotions », sans prendre totalement ce discours à son compte.
En fait, les Sommets parlent plus de solidarité, de politique internationale et d’aide
au développement que de langue française, même si l’ambition d’un soutien à la
langue est régulièrement affirmée, comme c’est le cas avec Brian Mulroney, Premier
ministre du Canada, (1986 : 262) : « Le Sud comme le Nord risqueraient de se dé-
tourner du français si celui-ci devait cesser de s’affirmer comme instrument de com-
munication scientifique et technique » ; « Accentuons le rôle du français comme
langue d’invention ». Des résolutions sont prises, comme sur l’usage du français dans
les organisations internationales (Chaillot, 1991), mais les actions en faveur du fran-
çais ne constituent pas, et de loin, l’essentiel des programmes. À Hanoï (1997) par
exemple, alors que trois volets sont distingués – politique, économique et coopéra-
tion – un seul programme mobilisateur appartenant au volet coopération et intitulé
« La Francophonie dans le monde » présente une dimension d’action sur la langue.
La chose est d’une certaine manière heureuse, qui fait de la langue un simple outil
de rassemblement et pas une fin en soi. F. Mitterrand, lors du quatrième sommet
tenu à Chaillot (1991 : 149), n’allait-il pas jusqu’à affirmer : « La francophonie, ce
n’est pas le français » ?
Au plan des contenus, l’évolution la plus notable des discours sur le français tient à
l’affirmation progressive d’un espace francophone posé comme résolument plurilin-
gue. De F. Mitterrand qui affirmait que le français n’est « plus une langue de domi-
nation, mais une langue de coexistence » (Maurice, 1993 : 169) à A. Diouf qui em-
ployait pour la première fois l’image de « langues partenaires » (Cotonou, 1995 :
315), l’idée se renforce. Elle aboutit même à l’affirmation par J. Chirac, pour la pre-
mière fois dans la bouche d’un Président français, de l’importance de la langue ma-
ternelle de l’enfant dans l’éducation de base, et ce en rupture totale avec plus d’un
siècle de règne exclusif du français sur les systèmes scolaires africains (1995 : 213 et
297).
Pour finir, il importe de souligner que le discours sur la francophonie linguistique,
dite plurielle, diverse, vient en appui de la construction de la francophonie politique,
conçue comme un espace de solidarité.

DE LA FRANCOPHONIE À LA FRANCOPHONIE : CONSTRUCTION D’UN


ESPACE POLITIQUE
Les premières déclarations posaient le caractère non formel de la francophonie.
F. Mitterrand déclarait (Paris, 1986, 255) : « Nous formons une communauté infor-
melle, c’est-à-dire sans lien organique de caractère administratif ». Les discours of-
frent d’autres métaphores que celle de la « communauté » : ainsi pour la « cité fran-

- 84 -
Bruno Maurer

cophone », employée par A. Diouf (Paris, 1986 : 273), ou la « famille » (B. Mulroney,
Chaillot, 1991 : 167).
Pourtant, par-delà ces métaphores, les discours consacrent bel et bien une structura-
tion progressive de la francophonie comme espace politique.
Ainsi, le terme « Sommet de la francophonie » apparaît pour la première fois, dans la
bouche d’A. Diouf, à Dakar (1989). C’est également à Dakar que la majuscule est
mise à « Francophonie », sous la plume de F. Mitterrand. Autre indicateur : jusqu’en
1991, étaient concernés « les pays ayant en commun l’usage du français ». Depuis
Maurice (1993), on parle de « pays ayant le français en partage ». Le changement
d’appellation entérine l’évolution vers une cohérence linguistique moindre pour
favoriser l’entrée de nouveaux États dans la francophonie. Dès lors, l’écart tend à se
creuser entre francophonie linguistique et Francophonie géopolitique. Le concept de
« francophonie d’appel », cher à Boutros-Ghali (Hanoï, 1997), en est un révélateur
supplémentaire. Toujours au plan de la construction politique, une mention spéciale
est à apporter au Sommet de Cotonou (1995), celui du renforcement des institutions
et de la création d’un poste de Secrétaire général de la Francophonie.
Au plan des contenus, la résistance de la France à la mondialisation a constitué un
moment de cristallisation de la Francophonie politique, qui s’est exprimé pleine-
ment à Maurice (1993). B. Boutros Ghali parlait du français comme « langue non
alignée et langue de solidarité » (Maurice, 1993 : 182) et F. Mitterrand (1993 : 167)
réussit à ériger la Francophonie en modèle de diversité linguistique et de résistance à
l’uniformisation linguistique et culturelle. C’était là un véritable tour de force dis-
cursif car le plurilinguisme en Francophonie, s’il est bien réel, n’est pas le résultat
des politiques linguistiques de la France et de ses alliés du Sud, lesquels n’ont jamais
fait de place, avant les années 90, aux langues nationales. Il est plutôt l’enfant non
désiré de politiques éducatives du tout-français qui ont échoué à scolariser les mas-
ses, en Afrique notamment.
Depuis 1993, la Francophonie politique trouve donc sa légitimité dans ce discours
sur la diversité culturelle – le thème du Sommet de Beyrouth (2002) n’était-il pas « le
dialogue des cultures » ? – qu’elle contribuerait activement à préserver dans un
monde en voie d’uniformisation. On comprend mieux ainsi comment francophonie
et Francophonie s’articulent.
Les Sommets de la Francophonie : Paris, 1986 – Québec, 1987 – Dakar, 1989 –
Chaillot, 1991 – Maurice, 1993 – Cotonou, 1995 – Hanoï, 1997 – Moncton, 1999 –
Beyrouth, 2002 – Ouagadougou, 2004 – Bucarest, 2006.

- 85 -
LES LANGUES DE LA SCIENCE :
(A) VERS UN MODÈLE
DE DIGLOSSIE GÉRABLE

Rainer Enrique HAMEL


Universidad Autónoma Metropolitana, Mexico

(Traduit de l'espagnol par Bernadette Dumont)

PASSER D’UN PLURILINGUISME EN DIFFÉRENTES LANGUES


INTERNATIONALES À UN MONOPOLE DE L’ANGLAIS ?
Dans le domaine des sciences et de l’enseignement supérieur, tout pays ou toute
communauté se doit de définir des politiques linguistiques, de même que des activi-
tés stratégiques se définissent dans tous les autres domaines. Bien que de nombreux
scientifiques et aussi des décideurs pensent que la science est universelle et qu’elle
peut s’exprimer dans n’importe quelle langue sans que son contenu soit affecté, la
situation n’est pas si simple. Les pays et les communautés scientifiques qui abandon-
nent complètement le développement de leur propre langue dans le domaine scienti-
fique et dans celui de l’enseignement supérieur sacrifient une ressource stratégique
de leur capital humain, ce qui les reléguera inexorablement à une position de second
plan dans le développement des sciences et les rendra donc dépendants des pays de
premier rang.
Au début du XXe siècle, trois langues, l’allemand, le français et l’anglais, se parta-
geaient le champ de la science. Chacune prédominait dans certaines disciplines : le
français en droit, médecine et sciences politiques, l’anglais en économie et géologie,
l’allemand en médecine, chimie et philosophie, si bien que les spécialistes et les étu-
diants devaient étudier la langue dominante de leur discipline. En outre, il régnait
un modèle plurilingue qui permettait à chacun, parmi les usagers de ces langues, de
présenter des communications et de publier dans leur langue, étant entendu qu’ils
devaient comprendre les autres.
Dans le courant du XXe siècle, la communauté scientifique internationale passa peu à
peu d’un modèle plurilingue à un usage hégémonique de l’anglais et les espaces des
autres langues scientifiques se réduisirent de plus en plus. À la fin du XXe siècle, les
É.-U. et la Grande-Bretagne produisaient à elles deux 41 % des publications scienti-
fiques du monde (des articles dans des revues scientifiques), mais la totalité de la
Les langues de la science

diffusion scientifique en anglais atteignait, selon certaines statistiques, plus de 74 %


ou selon d’autres, entre 82 % pour les sciences sociales et humaines et 90 % en
sciences naturelles. Cela signifie que de plus en plus de scientifiques non anglopho-
nes publient en anglais alors qu’ils continuent leur recherche et leur enseignement
dans leur propre langue.
Malgré cette tendance globale, de larges espaces se maintiennent en langues nationa-
les dans de nombreux domaines, particulièrement en sciences sociales et humaines.
Cependant, les publications scientifiques ne représentent qu’une composante, même
si elle est très importante, du domaine scientifique. Il faut désormais prendre en
compte l’ensemble des domaines incluant les processus de la recherche scientifique
comme activités généralement collectives et interactives ainsi que la diffusion des
résultats (conférences, congrès, publications, informations) et la formation des cher-
cheurs par le biais de l’enseignement universitaire.

CONSERVER ET AMPLIFIER LES CONDITIONS DE LA DIVERSITÉ


LINGUISTIQUE
Bien que l’utilisation d’une seule langue pour la communication scientifique ait sans
doute certains avantages, il existe des arguments solides pour considérer comme
néfaste le monopole d’une seule langue dans le domaine des sciences et de
l’enseignement supérieur sur le long terme :
1. Réduire la diversité à une seule langue dans la production de modèles, de thèmes
et de stratégies de recherche pourrait conduire à un dangereux appauvrissement du
développement scientifique lui-même, à la destruction de son fondement constitutif
d’une pluralité de modèles et de points de vue, culturellement et historiquement
enracinés. Ceci vaut pour toutes les sciences, même si cela est plus nettement appa-
rent dans les sciences sociales et humaines.
2. Imposer totalement l’anglais renforcerait encore plus les dissymétries existantes,
aussi bien dans les conditions d’accès à la science internationale que, et surtout, dans
la production et la diffusion de la science et de la technologie elles-mêmes. Si on
prend en compte la valeur de la science comme moyen de production de premier
ordre, cela nuirait à moyen et long terme au développement de l’économie elle-
même des pays qui abandonnent ces espaces.
3. Le monolinguisme croissant de la communauté scientifique anglo-saxonne et de
quelques-uns de ses satellites pose des problèmes, non seulement pour la communi-
cation scientifique internationale elle-même mais, bien au-delà, dans les domaines de
la culture, des relations internationales, de la communication interculturelle et de la
préservation de la paix. Les communautés linguistiques non anglophones pourront
contribuer à contrecarrer ce monolinguisme anglophone indésirable dans la mesure
où elles maintiendront leurs langues actives, vigoureuses et attractives, y compris
pour la communauté scientifique anglophone elle-même.

- 88 -
Rainer Enrique Hamel

Pour la définition des politiques scientifiques et linguistiques dans les communautés


linguistiques de second rang comme les communautés française, allemande et espa-
gnole, tout modèle monolingue paraît hautement inadapté. Il convient, en effet, de
discuter et d’examiner les perspectives d’un modèle plurilingue pour la production et
la diffusion de la science. Nous suggérons ici de lancer une double stratégie, déve-
loppant et consolidant une politique et une pratique scientifiques, stratégie qui
existe déjà dans nos pays mais qui souvent ne s’envisage pas dans une perspective
d’enrichissement. Un des piliers de cette stratégie repose sur le renforcement du
français comme langue scientifique dans les domaines de la production et de la dif-
fusion scientifique nationale et internationale. Le second vise à réduire les barrières
d’accès – dans le double sens de réception et de distribution – aux espaces interna-
tionaux de la science au sein desquels la langue véhiculaire est principalement
l’anglais ; pour cela il faut identifier avec précision les points cruciaux et conflictuels
et améliorer significativement l’enseignement spécialisé de l’anglais et des autres
langues.

UN MODÈLE PLURILINGUE POUR LA PRODUCTION, LA DIFFUSION


ET LA FORMATION DANS LE DOMAINE DES SCIENCES
Un tel modèle devrait avoir les caractéristiques suivantes :
1. Les politiques scientifiques et de l’enseignement supérieur n’ont pas de raison de
se concevoir en opposition avec les politiques linguistiques. Au contraire, les politi-
ques linguistiques doivent prendre en compte le contexte sociolinguistique concret
et imaginer des stratégies qui relancent et améliorent le développement des sciences,
tant au niveau collectif qu’au niveau individuel.
2. Une stratégie plurilingue dans le contexte de la mondialisation doit partir d’une
analyse réaliste des dynamiques linguistiques et reconnaître la situation d’hégémonie
de l’anglais. Comme proposition immédiate et à moyen terme, elle doit contrecarrer
le passage de la situation actuelle de plurilinguisme restreint et déséquilibré, à une
situation de monolinguisme scientifique en anglais. Cela s’obtient en renforçant la
langue nationale en sciences et en facilitant en même temps l’appropriation de
l’anglais et des autres langues.
3. Le renforcement de sa propre langue nationale implique de ne permettre son
élimination dans aucun domaine. Une politique adéquate doit être souple et
s’adapter aux nécessités variables des communautés scientifiques. Bien sûr, les néces-
sités et les conditions linguistiques varient selon les disciplines. Dans le domaine des
sciences naturelles et exactes, l’anglais est très en avance. Il est pourtant fondamental
de conserver, même dans ces domaines, une présence qualitative de la langue natio-
nale, même si elle est minimale du point de vue des pourcentages de publications
internationales, et cela pour deux raisons. D’une part, cela évite qu’une langue ne
s’atrophie dans un espace d’importance stratégique ; d’autre part, l’utilisation de sa
propre langue scientifique est essentielle, comme nous l’avons vu, pour la produc-
- 89 -
Les langues de la science

tion scientifique, qui ne se développe jamais en dehors des conditions historiques et


sociales qui l’entourent. Toute politique linguistique d’appui à la langue nationale
devra se concentrer prioritairement sur les sciences sociales et humaines. Il existe là
des espaces de grande vitalité linguistique qui intègrent fermement la recherche et la
diffusion des résultats et l’enseignement. Étant donné son importance historique
dans les principales langues européennes, une politique d’appui pourra retrouver et
renforcer son attractivité pour les autres communautés scientifiques, y compris la
communauté anglophone. La nécessité stratégique de préserver la langue nationale
dans ce domaine se justifie en plus pour deux raisons : une plus grande proximité de
ces langages scientifiques avec les langues naturelles, ce qui représente un enrichis-
sement permanent et nécessaire de ses sources originelles ; de plus, l’existence de
modèles culturels et de types de discours particuliers à une langue, qui nécessitent
une étroite relation avec les langues dans lesquelles ils s’expriment. En outre, la plus
grande difficulté à rédiger dans ou à traduire vers une langue étrangère les résultats
des recherches d’une communauté linguistique et culturelle spécifique joue aussi un
rôle non négligeable.

DU CÔTÉ DES MOYENS


Il existe une série de mesures possibles dont l’application varie selon les contextes et
les moments. Cela suppose l’appui décidé aux publications scientifiques en langue
nationale de la part des organismes d’État et d’initiative privée. Les critères devront
se concentrer non sur des arguments économiques de marché, mais sur la qualité des
publications et aussi sur leurs thématiques, nationales, régionales et internationales
dans lesquelles les apports de chaque recherche sont fondamentaux et même indis-
pensables dans les espaces internationaux. Pour atteindre ces marchés stratégiques en
dehors des espaces traditionnels, nos publications doivent avoir une présence bien
plus importante que jusqu’à présent dans les principales bases de données et biblio-
thèques internationales. De plus, nous devons rechercher une plus grande présence
de notre langue sur les réseaux électroniques de la communication scientifique, avec
des résumés en français dans les banques de données internationales et autres publi-
cations bibliographiques. Cette politique inclut la production de comptes rendus
dans d’autres langues, des publications françaises pour renforcer le rôle et
l’attractivité du français comme langue étrangère.
Le second pilier d’une politique linguistico-scientifique repose sur la réduction des
barrières linguistiques, particulièrement face à l’anglais, à travers un meilleur ensei-
gnement des langues étrangères, à travers la traduction et à travers tous les autres
moyens de médiation. Ils se conçoivent tous comme des initiatives complémentaires
qui contribueront à construire une politique plurilingue appropriée. Celle-ci doit
proposer la formation de chercheurs et d’étudiants avec une formation linguistique
de haut niveau dans au moins deux langues, ce qui inclut la capacité d’exposer ora-
lement et de rédiger des textes scientifiques dans ces deux langues. Une politique

- 90 -
Rainer Enrique Hamel

linguistique appropriée tendra à créer et à diversifier une offre plurilingue d’autres


langues, pour éviter que seul l’anglais soit appris.
Enfin, il faudra appuyer et subventionner une ferme politique de traduction dans les
deux directions, aussi bien de textes étrangers en français que de production scienti-
fique propre, en anglais ou dans d’autres langues, pour pouvoir être compétitif sur le
marché scientifique international.
Tout bilinguisme massif entre deux langues en relation inégale d’usage et de prestige
comporte certains risques de déplacement de la langue minorée et le transfert de
l’activité scientifique vers la langue dominante. Cependant, aujourd’hui, l’alternative
ne peut être la préservation d’espaces monolingues fermés et encore moins d’une
population scientifique monolingue. Une politique plurilingue doit promouvoir un
multilinguisme quotidien capable de réduire et d’amortir les inégalités existantes.
Dans les espaces plurilingues vitaux de la science et de l’enseignement supérieur, la
connaissance se produit à travers la constante circulation entre la réception et
l’information, souvent en anglais, tandis que l’application de la recherche et la diffu-
sion de ses résultats se font de manière plurilingue. L’interaction systématique avec
d’autres langues et communautés scientifiques, sur la base d’un modèle plurilingue
(ou de diversité linguistique) renforcera sans aucun doute, aussi bien le français
comme langue internationale de la science que la position de la communauté scien-
tifique francophone dans le contexte international des sciences.

- 91 -
Les langues de la science

Cadre 1
LES CHAMPS DE LA RECHERCHE, DE LA CIRCULATION ET DE LA FORMATION
DANS LES SCIENCES

Sphères Activités Sous-activités

Travail avec instruments, matériels ;


Activités avec des informateurs ;
Production de données, etc.
Recherche scientifique Présentation et exécution de
Rédaction, communication par @
projets de recherche indivi-
(production)
duels et collectifs Échanges verbaux avec des collègues et
des étudiants.

Réception Lire des publications ;


Écouter des communications.
Échanges quotidiens Discussion avec des collègues (orale-
ment, par @).

Élaboration et présentation de commu-


nications, conférences, ateliers ;
Diffusion
Utilisation de moyens audiovisuels.
Communication des résultats
Expositions et publications Rédaction de publications.
scientifiques Évaluation, expertises, discussion à
propos des publications.

Conférences, ateliers.
Vulgarisation de la science Rédaction de publications ;
Utilisation de moyens audiovisuels.

Enseignement/apprentissage, travail en
équipes, participation aux cours, ateliers,
Préparation (enseignement ?
auto apprentissage.
habilitation) et actualisation
Formation scientifique
Formation universitaire de Enseignement (cours), lectures, évalua-
base (1er cycle) tion, initiation a la recherche.

Formation de 2e et 3e cycle Enseignement (cours), lectures, évalua-


tion, recherche collective.

- 92 -
Rainer Enrique Hamel

Cadre 2
POUR UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE DES SCIENCES ET DE L’ENSEIGNEMENT
SUPÉRIEUR

ESPACES SCIENTIFIQUES PLURILINGUES

Pôle du français Zone plurilingue Pôle de l’anglais et des autres


langues étrangères.

Objectif global 1 : Promouvoir des espa- Objectif global 2 :


ces et des attitudes
Renforcer le français comme lan- S’approprier l’anglais et les autres
plurilingues
gue internationale de la science langues étrangères pour le dévelop-
pement scientifique.

Terminologie et banques Promouvoir la créa- Terminologie et banques


de données tion de terminologies de données
et de banques de
–Développer et renforcer la termi- – Participer au développement de la
données multilingues
nologie et les banques de données terminologie et des banques de
et y participer
en français données dans d’autres langues ;
– Inciter à une plus grande pré- – Faciliter sa connaissance et sa
sence de nos publications dans les diffusion dans notre pays ;
banques de données internationa-
– Promouvoir la création de termi-
les
nologies et de banques de données
– Encourager l’introduction de multilingues et y participer.
résumés en français dans les ban-
ques de données internationales

Publications Publier dans différen- Publications


tes langues simulta-
– Appuyer les publications scienti- – Appuyer la diffusion de notre
nément ou non
fiques en français science sur le marché international
à travers :
– Élargir son marché international
– la rédaction dans d’autres
langues ;
– la traduction dans d’autres
langues.

Traduction Promouvoir Traduction


– Appuyer la traduction de textes l’utilisation de diffé- – Appuyer la traduction de la
scientifiques en français rentes langues recherche nationale en langues
étrangères pour le marché interna-
– Participer au développement et
tional ;
utiliser les programmes les plus
avancés de la traduction automati- – Financer la traduction de la
que de textes recherche propre en langues étran-
gères pour le marché international.

- 93 -
Les langues de la science

Enseignement du français (com- Promouvoir Enseignement d’autres langues


préhension et rédaction) l’utilisation de diffé- (compréhension et rédaction)
– Encourager l’enseignement du rentes langues – Améliorer et élargir
français comme langue de la l’enseignement des langues étrangè-
science au niveau national et inter- res : lecture et compréhension de
national textes scientifiques ; rédaction de
textes scientifiques dans d’autres
langues ;
– Créer des centres de rédaction, de
traduction et de conseil pour la
publication dans d’autres langues.

Formation scientifique en Promouvoir Formation scientifique dans


français l’enseignement scienti- d’autres langues
– Encourager l’utilisation de la fique en deux langues – Permettre aux chercheurs et aux
terminologie et des banques de étudiants de s'initier à la démarche
données en français scientifique, en anglais comme dans
d'autres langues.
– Encourager la création de 2e et
3e cycles internationaux en français
ou en deux langues

Échanges internationaux Encourager la créa- Échanges internationaux


– Définir une politique linguisti- tion d’espaces et – Définir une politique de la langue
que dans les échanges internatio- d’attitudes plurilingues dans les échanges internationaux :
naux : dans tous les échanges
– Encourager un bon apprentissage
– Encourager l’échange avec des langues étrangères (registre
d’autres pays francophones ou de scientifique) pendant les séjours à
langues romanes (espagnol, italien, l’étranger ;
portugais) ;
– Profiter du séjour des chercheurs
– Encourager l’apprentissage et le en visite pour promouvoir
perfectionnement du français l’apprentissage et l’utilisation du
scientifique des professeurs et registre scientifique dans d’autres
chercheurs en visite ; langues pour les chercheurs et les
étudiants.
– Encourager l’utilisation du fran-
çais scientifique (enseignement,
bibliographies) pendant les séjours
de nos chercheurs à l’étranger.

- 94 -
LES LANGUES DE LA SCIENCE :
(B) LE FRANÇAIS ET LA DIFFUSION
DES CONNAISSANCES

Yves GINGRAS
Université du Québec à Montréal

On parle beaucoup de « mondialisation des échanges » depuis une quinzaine


d’années. Dans le domaine de la recherche scientifique, cependant, les échanges
internationaux sont très anciens, le champ scientifique étant d’emblée plus interna-
tional que le champ économique (Gingras, 2002). Or, l’une des conséquences du
caractère international d’un champ scientifique est la forte propension à
l’homogénéisation linguistique des produits qui y circulent, à savoir les publications
scientifiques (Gingras, 1984). La montée en puissance de la recherche scientifique
américaine, particulièrement après la Seconde Guerre mondiale, couplée à
l’importance des contributions britanniques, a fait de la langue anglaise un pôle
d’attraction de plus en plus irrésistible pour les chercheurs de pays non anglophones.
Comme l’indique la figure 1, la proportion des articles publiés en français dans les
revues les plus importantes sur le plan international (et recensées dans les bases de
données Thomson ISI) a chuté de façon régulière au cours des vingt-cinq dernières
années. Comme on pouvait s’y attendre, la place du français est plus importante en
sciences humaines et sociales que dans les sciences de la nature et le génie. Si l’on se
limite aux trois pays francophones (Belgique, France, Québec) qui, réunis, sont res-
ponsables d’environ de 75 % des articles en sciences humaines et sociales et de 85 %
des articles en sciences de la nature rédigés en français dans le monde, on constate
que dans les sciences sociales et humaines, la part des articles en français est beau-
coup plus importante que dans les sciences de la nature où elle est devenue, à toutes
fins pratiques, négligeable (figure 2). La place marginale du français dans les discipli-
nes scientifiques est encore plus évidente si l’on note que la France produit à elle
seule environ 5 % des articles mondiaux alors que le français occupe moins de 1 %
de l’ensemble des publications mondiales en 2003. L’écart entre les disciplines
s’explique d’abord par le fait que les objets d’étude des sciences humaines et sociales
sont davantage locaux et nationaux que ceux des sciences de la nature, qui sont peu
liés aux frontières nationales, les électrons et les cellules étant a priori les mêmes par-
tout. Notons cependant que du simple fait que l’usage du français dans ces discipli-
nes soit aujourd’hui une pratique révolue, il ne faudrait pas conclure que c’est le cas
pour tout ce qui concerne la formation scientifique, car l’enseignement des sciences
Les langues de la science

continue à se dérouler en français dans les pays francophones et les manuels utilisés
dans la plupart des disciplines existent en français et sont même souvent des traduc-
tions de textes anglophones (pour le cas du Québec, voir Gingras et Limoges, 1991).
Il faut donc distinguer d’un côté l’enseignement (même aux cycles supérieurs) et de
l’autre la diffusion des résultats de recherche sous forme de publication. Notre ana-
lyse ne porte ici que sur les publications scientifiques évaluées par les pairs.

LA PRISE DE CONSCIENCE D’UN DÉCLIN


Derrière les tendances globales représentées dans ces figures, se profilent des choix
stratégiques de la part des principaux acteurs de la scène scientifique francophone.
La France produisant à elle seule 77 % des articles en français dans les sciences de la
nature, il n’est pas inutile de rappeler brièvement les débats entourant la place du
français dans la science française depuis la fin des années 1970. L’espace nous man-
que pour les rappeler ici en détail (voir Gingras, 2002 : 39-41). Notons seulement
qu’une première phase se déroule à la fin des annnées 1970, suite à la publication,
par l’américain Eugene Garfield (le concepteur du Science Citation Index), d’un
article intitulé « La science française est-elle trop provinciale ? » (La Recherche en
septembre 1976). Cette période se clôt au début des années 1980 par la tenue de
plusieurs colloques consacrés au thème de la place du français dans les publications
scientifiques. Une fois ces échanges terminés les chercheurs retournèrent à leurs
activités et continuèrent à diffuser en anglais les résultats de leurs recherches.
Le prestige associé au personnage de Pasteur a suffi pour que l'annonce, en 1989, de
la décision de publier uniquement en anglais les célèbres Annales de l'Institut Pasteur
ait eu l'effet d'une bombe dans le monde politique et relance une seconde (et der-
nière ?) fois les débats sur la place du français en science. Surpris de l'impact suscité
par une décision qui n'était pour eux que l'aboutissement logique d'un long proces-
sus, les autorités de l'Institut Pasteur durent se justifier publiquement, expliquant
que « au Moyen Âge, la langue de communication des gens de science était le latin.
Aujourd'hui c'est l'anglais. Cela ne nous fait pas plaisir, mais c'est comme ça. Nous
avions le choix entre l'anglais […] et une disparition totale à moyen terme » (La Presse,
15 avril, 1989, p. A2).
Pour apaiser encore une fois les esprits, un nouveau colloque fut organisé à l'initia-
tive du ministère de la Francophonie, début janvier 1990. Les discours politiques
volontaristes habituels affirmant que « la communauté scientifique se doit de refuser
cet appauvrissement intellectuel qui résulterait du monopole de l'anglo-américain »
(Le Monde diplomatique, janvier 1990, p. 25) ont pu s’y faire entendre, sans toutefois
changer vraiment le cours des choses. Les scientifiques français demeurèrent en effet
sourds à des discours qui, mis en pratique, mèneraient en fait à leur propre margina-
lisation dans un champ scientifique globalisé où leurs véritables collègues, mais aussi
compétiteurs, ont plus de chance d'être américains, britanniques ou allemands que
français.

- 96 -
Yves Gingras

Interprétant à leur façon la phrase célèbre de Pasteur : « Si la science n'a pas de pa-
trie, l'homme de science doit en avoir une », ils conclurent que si le rayonnement de
la science française devait passer par l’usage de l’anglais, c’était le prix à payer pour
éviter que la France ne soit totalement marginalisée dans le champ scientifique in-
ternational. Un rapport publié au Québec en 1991 concluait de façon similaire en
notant même que la généralisation de l’usage de l’anglais par les chercheurs québé-
cois francophones des sciences de la nature constituait en fait un indice du degré de
leur accès au champ international et donc de la qualité de leurs travaux (Gingras et
Médaille, 1991 : 15).
Figure 1 : Proportion des articles publiés en français dans le monde, 1981-2003

10%

9%

8%

7%

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5%

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20

20

20

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Année
Sciences humaines et sociales Sciences naturelles et génie

Source : Bases de données Thomson ISI (SCI, SSCI, AHCI)

Proportion des articles publiés en français (Belgique, France, Québec) 1981-2003

70%

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50%

40%

30%

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0%
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19

19

19

20

20

20

20

Année
Sciences humaines et sociales Sciences naturelles et génie

Source : Bases de donnnées Thomson ISI (SCI, SSCI, AHCI)

- 97 -
L'enseignement du
français
LA PERCEPTION DES VARIÉTÉS
NATIONALES DE FRANÇAIS

Marie-Louise MOREAU
Université de Mons-Hainaut

L’ensemble des études consacrées à la manière dont les francophones se représentent


et hiérarchisent leurs variétés de langue propres et les autres usages offre un panora-
ma assez complexe, même si les différents pays francophones, à une importante res-
triction près il est vrai (dont on traitera en fin de travail), ne se distinguent guère
pour ce qui est de leur rapport aux normes.

UNE INSÉCURITÉ LINGUISTIQUE LARGEMENT RÉPANDUE


Il semble que pour bien des francophones hors Hexagone, toute conversation
concernant la qualité de la langue doive nécessairement comparer l’usage de leur
communauté avec le français de France. Ceci trouve son reflet dans un certain nom-
bre d’enquêtes scientifiques, qui invitent les personnes interrogées à exprimer leur
opinion sur cette relation. Un sentiment d’insécurité linguistique se lit dans une
proportion importante de réponses : les usages pratiqués dans la communauté sont
dévalorisés, présentés sous un jour peu flatteur ; la bonne variété, la norme, est située
en dehors du groupe, généralement en France.
Des sentiments tels que ceux-là ne participent pas de la génération spontanée. Ils se
sont vraisemblablement alimentés au discours d’une certaine tradition grammai-
rienne normative, dont l’école s’est fait l’écho. Ils tiennent sans doute aussi à
l’histoire, ou à une certaine représentation de l’histoire : le bassin géographique
d’origine d’une langue est souvent conçu, plusieurs siècles même après la diffusion
de la langue, comme l’endroit où cette langue est le mieux parlée. Contribuent cer-
tainement à l’insécurité linguistique des francophones hors Hexagone, la localisation
en France des maisons qui éditent la plupart des ouvrages de référence (grammaires,
dictionnaires, etc.), comme le fait que l’enseignement de la littérature, dans leur pays
même, consacre, ou ait consacré l’essentiel de son programme à des œuvres
d’auteurs français, en ne réservant qu’une part congrue aux textes littéraires de leur
propre communauté ou d’autres pays de la francophonie.
La perception des variantes nationales de français

UNE AFFIRMATION ET UNE REVENDICATION IDENTITAIRES


Pour redondants qu’ils soient parfois, et pour importantes que soient les proportions
de témoins chez qui on les rencontre, ces indices d’insécurité ne doivent toutefois
pas être vus comme absolus : dans aucune enquête, la dévalorisation des pratiques
nationales au profit de l’usage de France n’est le fait de 100 % des personnes inter-
rogées en réponse à 100 % des questions posées. Des avis opposés, ou plus nuancés,
s’expriment aussi, qui deviennent majoritaires sur certains items dans les mêmes
travaux, ou bien dans d’autres enquêtes, dont les groupes cibles, les choix méthodo-
logiques et la formulation des questions ne varient pourtant que sur des détails par-
fois. On dénie alors au français de France le statut de modèle, il se voit au contraire
associé à des étiquettes péjoratives, qui réservent une bonne place à la notion de
prétention. Lorsqu’on suggère aux témoins qu’ils pourraient intégrer dans leur usage
les traits de ce français, au détriment des traits nationaux, on suscite des protesta-
tions, exprimées en termes d’identité et de cohésion avec le groupe. Renoncer aux
marques linguistiques nationales reviendrait à masquer son identité nationale, en
usurper une autre, se désolidariser de son groupe d’appartenance, trahir.
Même les personnes qui assimilent usage français et norme entendent que cet usage
reste à distance : certes, quelques locuteurs de la communauté nationale ont adopté
un usage rigoureusement français, mais le fait est assez mal considéré. Par ailleurs,
dans aucune des situations, les pratiques linguistiques des enseignants de français ne
se démarquent de celles de leur groupe socioculturel, ce n’est pas l’usage français
qu’ils ont intégré et enseignent, et personne, dans le corps social, ne s’en offusque.

DES NORMES NATIONALES


L’idée que chaque communauté dispose de son propre standard, distinct du stan-
dard français, se fait jour. C’est au Québec qu’elle a pris le plus de consistance. Dès
1977, les enseignants québécois, réunis en congrès annuel, revendiquent la recon-
naissance d’une norme québécoise. Les deux dernières décennies ont vu paraître,
non sans vifs débats toujours d’actualité, deux dictionnaires généraux (Boulanger,
1993 ; Shiaty, 1988), qui accueillent les diverses unités lexicales du français pratiqué
au Québec, qu’il s’agisse d’usages nationaux ou internationaux ; un troisième est en
chantier, sous la direction de Cajolet-Laganière et Martel.
Une marque nationale n’est toutefois pas l’autre. On voit dans les enquêtes que
certains particularismes sont frappés de stigmatisation, alors que d’autres ne font
l’objet d’aucune réserve et sont même valorisés. Dans lequel de leurs usages internes
les communautés identifient-elles leur norme ? On ne peut sans doute répondre à la
question que si on tient compte de la variation sociale, à l’intérieur de chacun des
groupes nationaux. En ce sens, Bouchard, Harmegnies, Moreau, Prikhodkine et
Singy (2004) réunissent des enregistrements de locuteurs belges, français, québécois
et suisses, recrutés, à parts égales, dans deux groupes socioculturels contrastés. Ces
enregistrements sont soumis à des auditeurs belges, québécois et suisses, chaque
- 102 -
Marie-Louise Moreau

groupe entendant les locuteurs français et les locuteurs de sa propre communauté, et


devant répondre, à l’aide d’échelles graduées, à la question « Dans quelle mesure
chacune des personnes enregistrées conviendrait-elle pour enseigner le français dans
votre communauté ?» Les réponses, dans les trois situations, contrastent très nette-
ment les groupes sociaux : les évaluations les plus favorables concernent les locuteurs
de scolarité longue, les plus négatives ceux de scolarité courte, quelle que soit leur
appartenance géographique. À scolarité égale, les locuteurs nationaux font l’objet
d’une meilleure appréciation que les locuteurs français de la part des auditeurs belges
et suisses, la différence n’étant pas significative chez les auditeurs québécois. Autre-
ment dit, contrairement à ce que pose avec insistance leur discours épilinguistique,
les francophones, quand ils ont à évaluer des échantillons de parole réels (et non
plus à se prononcer sur des locuteurs abstraits), ne manifestent plus de crispation sur
la distinction entre français de France et français de leur communauté, mais c’est à
un critère social qu’ils se montrent attentifs au premier chef, accordant leur préfé-
rence aux variétés pratiquées par les groupes socioculturellement dominants, indé-
pendamment de leur nationalité.

LES FRANCOPHONES DE FRANCE


On aura sans doute noté une absence importante dans ce panorama : celle des fran-
cophones de France, dont on ne sait pas de manière précise comment ils situent
leurs usages dans l’ensemble de la francophonie. Se perçoivent-ils comme ils sont
perçus ? Ou bien les cartes du bien et du mal parler sont-elles distribuées autre-
ment dans leurs représentations ? Alors que les sociolinguistes belges, canadiens et
suisses ont consacré de multiples travaux, théoriques et empiriques, aux questions
de norme et d’insécurité linguistique, la matière a fait en France l’objet de quelques
enquêtes seulement (Gueunier, Genouvrier, Khomsi, 1978). Peut-on interpréter
cette absence comme révélatrice d’un rapport particulier à la légitimité linguistique
dans le cadre de la francophonie ?

DES SIGNES AVANT-COUREURS D’UN CHANGEMENT DANS


LES MENTALITÉS ?
Quelques faits récents suggèrent que dans les différentes communautés francopho-
nes, toute la culture concernant la norme et la variation connaît un important in-
fléchissement. On a mentionné déjà la publication au Québec de deux dictionnaires
généraux de langue. Dans les divers pays de la francophonie, de très nombreux dic-
tionnaires, inventaires, lexiques ont été publiés ces deux dernières décennies, qui
décrivent tout uniment, sans jugement normatif, les spécificités du français concer-
né. Les dictionnaires usuels publiés par des maisons françaises s’ouvrent à la varia-
tion, accueillant un nombre croissant de particularismes régionaux, et, dans un pro-
jet appuyé par l’AUF, une gigantesque base de données informatiques, le « Trésor
des vocabulaires français », est occupée à se constituer. Pour traduire e-mail, c’est
courriel, un néologisme québécois, bien identifié comme tel, que recommande la
- 103 -
La perception des variantes nationales de français

Délégation à la langue française. Pour la féminisation des termes de profession,


d’une part, les Québécois, les Suisses, les Belges n’ont pas attendu la caution fran-
çaise pour proposer les nouvelles dénominations au féminin ; d’autre part, la France,
après avoir accusé plusieurs longueurs de retard sur ses partenaires de la francopho-
nie du Nord, et en particulier le Québec, a aligné ses positions sur les leurs.
Des faits tels que ceux-là, qui ont été impulsés par un rapport nouveau à la norme,
pourraient, avec des effets boule-de-neige, contribuer à modifier la culture des fran-
cophones en matière de langue, de norme et de rapports linguistiques entre les
communautés. La norme du français, déjà plurielle dans les faits, pourrait bien ap-
paraître alors comme telle dans les esprits.

- 104 -
L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS ET DES
LANGUES PARTENAIRES EN AFRIQUE

Moussa DAFF
Université Cheikh Anta Diop de Dakar

S’il fallait donner une définition de la francophonie après les États Généraux du fran-
çais en Afrique francophone subsaharienne qui se sont tenus à Libreville (Gabon) en
mars 2003 (désormais EG), nous pourrions dire qu’elle se caractérise par la ren-
contre du français et des langues nationales dans un espace qui fonctionne entiè-
rement ou partiellement en français. La langue française se trouve donc ainsi au
cœur d’un partenariat où elle est partout en situation de cohabitation. Les recom-
mandations formulées lors des EG ont donné lieu à l’organisation d’un atelier de
suivi, organisé au Togo par l’Agence intergouvernementale de la Francophonie
(AIF), dans le but de proposer une grille de lecture permettant d’analyser plus faci-
lement les 186 recommandations de Libreville.
Cette analyse a permis de constater que les EG ont montré avec force que dans le
domaine pédagogique et éducatif, la « refondation » des systèmes éducatifs africains
invite à abandonner les stratégies didactiques héritées de la colonisation, fondées
essentiellement sur des idéologies de la langue, de la transmission ou de l’intégration
pour passer à celle que commande l’idéologie de la diversité culturelle et de la plura-
lité linguistique. Idéologie au sein de laquelle l’identité plurielle se vit en termes de
complémentarité et de partenariat et non comme un facteur de conflit et de néga-
tion de soi. Le plurilinguisme et le pluriculturalisme doivent désormais apparaître
comme un processus de neutralisation des différentes identités par l’altérité. Cette
sauvegarde de l’identité culturelle doit être compatible avec la « convivialité cultu-
relle » qui invite à passer du multiculturel à l’interculturel.
Si, dans cet esprit, l’éducation doit avoir pour finalité cette symbiose, terreau fé-
condant du développement durable, tous les agents des systèmes éducatifs doivent
conduire une réflexion sur un certain nombre de problèmes à résoudre.
Ces problèmes sont, pour l’essentiel :
– Le choix de la ou des langues nationales ou régionales, pour une scolarisation ini-
tiale.
– Les incidences de ce choix du point de vue de la normalisation de ces langues, de
la formation des maîtres, de l’élaboration du matériel didactique, etc.
L'enseignement du français en Afrique

– La répartition rationnelle et optimale des fonctions des langues de scolarisation en


présence, fondée sur un nécessaire aménagement linguistique et didactique des lan-
gues africaines.
Mais la seule réflexion ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’une volonté politique
des décideurs. C’est ainsi qu’on répondra aux vœux du Secrétaire général de l’OIF,
Abdou Diouf, qui précisait dans l’avant-projet du Rapport général des EG :
Les réunions de Libreville (5, 6 et 7 février 2002) et Ouagadougou (19, 20 et
21 mars 2002), véritables assises régionales de l’enseignement du français en
Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, ont été essentielles puisqu’elles ont
permis non seulement de mobiliser toutes les énergies, mais aussi de préciser
avec clarté les grands sujets qui sont au cœur des préoccupations des respon-
sables des systèmes éducatifs des pays de l’Afrique francophone :
– Rôle et statut des langues nationales
– Nature du français à enseigner
– Formation des enseignants
– Définition d’une nouvelle école pour tous.
Les résultats ont dépassé les espérances des trois institutions organisatrices.
Près de 600 participants ont rédigé 186 propositions sur lesquelles il faut au-
jourd’hui que travaillent les spécialistes pour relever le défi de Libreville.
L’Afrique de demain peut se doter d’un système éducatif approprié aux néces-
sités de son développement et à l’épanouissement de ces citoyens. C’est ce
qu’il nous reste à faire et pour réussir nous avons besoin de la collaboration de
tous.
Les problèmes sont donc sériés à Libreville, la réponse et l’action de refondation
sont laissées à l’appréciation de chaque État africain solidaire des recommandations
de la CONFEMEN lors de cette rencontre. La responsabilité du suivi incombe bien
à chaque État francophone et aux opérateurs de la Francophonie dans le domaine de
l’éducation. C’est ce qui justifie la tenue de l’atelier d’Atakpamé, au Togo, qui a dû,
non seulement analyser l’ensemble des recommandations formulées à Libreville,
mais aussi et surtout élaborer un ordre de priorité dans les actions à entreprendre
par les partenaires de l’éducation.
Dans cet esprit, le cahier des charges de l’atelier porte sur les quatre axes suivants :
– Faire l’état des lieux de ce qui a été réalisé depuis la réunion de Libreville.
– Réfléchir sur l’impact et la perception des EG.
– Examiner les recommandations adoptées et définir un ordre de priorité dans leur
application.

- 106 -
Moussa Daff

– Concevoir des modalités pratiques de travail et de mise en œuvre de ces recom-


mandations dans les systèmes éducatifs en tenant compte et de manière précise des
différents ordres de contraintes.
Pour réaliser cette commande, le groupe s’est réparti en trois ateliers pour sélection-
ner chacun dix recommandations considérées comme prioritaires et parmi les dix,
opérer un tri de cinq propositions jugées plus prioritaires, sans hiérarchisation pré-
alable.
Sur la base de cette consigne, l’atelier a procédé à une sélection de quinze recom-
mandations considérées comme étant les plus urgentes à réaliser. Elles touchent
pour l’essentiel aux politiques d’aménagement linguistique, aux contenus disciplinai-
res et surtout à la professionnalisation du métier d’enseignant par la formation ini-
tiale et continue.

LES RECOMMANDATIONS PRIORITAIRES


Le terme « langues partenaires » ne doit pas s’arrêter aux mots. Il faut aller jusqu’aux
actes, c’est-à-dire outiller les langues africaines pour en faire des instruments de déve-
loppement.
Veiller à offrir aux enfants une scolarisation initiale qui fasse de la langue du milieu
l’instrument de la scolarisation primaire, le ressort cognitif des premiers comporte-
ments et qui évite la rupture intellectuelle et psychosociale entre le milieu et l’école.
Conduire les pouvoirs publics à appliquer les résolutions concernant l’introduction
des langues nationales dans les systèmes éducatifs.
Pouvoir disposer, dans les pays du Sud, des structures éditoriales indispensables au
développement de leur système éducatif et de leur production culturelle.
Favoriser l’installation d’une politique linguistique et éducative tenant compte de
l’aménagement linguistique (formation des enseignants et élaboration de program-
mes adaptés et réalistes).
Mettre en place l’élaboration des programmes à partir de la notion de compétence,
et travailler à leur harmonisation sur le plan africain.
Promouvoir la littérature francophone dans toutes ses variétés nationales et même
régionales, avec d’éventuelles traductions en français standard, ou dans d’autres va-
riétés.
Doter les enseignants d’outils d’évaluation performants en matière d’évaluation et de
certification :
Repenser les épreuves proposées
Assurer la formation de docimologie
Sortir de l’évaluation par la négative pour bonifier le travail de l’élève
- 107 -
L'enseignement du français en Afrique

Élaborer des grilles d’évaluation avant chaque épreuve ou examen


Adopter les méthodologies à même d’encourager l’apprenant.
Favoriser l’autonomie éditoriale des pays africains, chacun d’entre eux devant dispo-
ser de ses propres concepteurs de manuels.
Il doit être procédé à la mise à la disposition des écoles de matériels audio, audiovi-
suels et informatiques et à une formation des enseignants à leur utilisation pédago-
gique.
Faire de la formation des formateurs une priorité.
Redéfinir la formation adéquate des enseignants (notamment leur formation à
l’analyse, à l’évaluation et à l’utilisation des manuels ainsi qu’à la fabrication d’outils
didactiques).
Établir un plan de carrière des enseignants avec des conditions financières et maté-
rielles motivantes.
Au niveau de l’enseignement technique et professionnel, il faut donc :
Renforcer la synergie entre enseignants de français et enseignants des matières
professionnelles.
Mettre un accent particulier sur l’expression orale et écrite.
Valoriser la place du français de spécialité.
Revoir les horaires et les coefficients affectés au français dans l’enseignement
professionnel et technique.
Demander aux institutions de la Francophonie de renforcer les capacités des centres
de formation de professeurs.

La réflexion s’est poursuivie par le bilan de ce qui a été réalisé dans chacun des pays
concernés, un an après les EG de Libreville.
Les deux dernières séances ont permis de procéder au dépouillement et à l’analyse
du questionnaire de l’AIF sur le suivi et la réception des EG ainsi qu’à
l’établissement d’une hiérarchisation d’une opérationnalisation des quinze proposi-
tions de recommandations prioritaires pour n’en retenir finalement que cinq à
transformer en terme de référence.
Cette démarche a eu l’avantage de monter une pyramide des priorités et de rendre
visibles les domaines d’intervention d’urgence des décideurs politiques et éducatifs
engagés, à la suite des EG, à réaliser l’objectif de refondation des systèmes éducatifs.
L’atelier a ainsi retenu trois domaines de recommandations prioritaires qui portent
sur les curricula, l’aménagement linguistique et la didactique du français et des lan-

- 108 -
Moussa Daff

gues nationales, sur la formation initiale et continue des enseignants dans le but de
rendre l’enseignement plus professionnel et sur la politique éditoriale.
Les cinq recommandations prioritaires sont :
1. Mettre en place l’élaboration des programmes à partir de la notion de com-
pétence, et travailler à leur harmonisation sur le plan africain.
2. Le terme de langues partenaires ne doit pas s’arrêter aux mots. Il faut aller
jusqu’aux actes, c’est-à-dire outiller les langues africaines pour en faire des instru-
ments de développement.
3. Faire de la formation des formateurs une priorité.
4. Veiller à offrir aux enfants une scolarisation initiale qui fasse de la langue du
milieu l’instrument de la scolarisation primaire, le ressort cognitif des premiers com-
portements, et qui évite la rupture intellectuelle et psychosociale entre le milieu et
l’école.
5. Pouvoir disposer dans les pays du Sud, des structures éditoriales indispensa-
bles au développement de leur système éducatif et de leur production culturelle.
La réalisation des urgences signalées permettra de relever le défi de la qualité dans les
systèmes éducatifs africains. Enfin, le suivi pour la réalisation de ces recommanda-
tions installera progressivement le socle sur lequel reposera une éducation tournée
vers un développement durable, seule alternative pour faire face à la mondialisation
tout en valorisant la diversité culturelle et linguistique, fondement des identités plu-
rielles permettant de penser le pluriel dans l’unité.

État des lieux et mémorandum


Le comité de rédaction
Pour compléter le point de vue émis par les participants à l’atelier d’Atakpamé, tel qu’il vient
d’être présenté ici, on peut néanmoins s’interroger sur l’état de bonne conscience de l’état
des lieux de l’état des lieux ! Des constats successifs émis depuis le début des années 1960 sur
les taux de scolarisation, l’alphabétisation, la formation des maîtres jusqu’à la Conférence
régionale de Windhoek d’août 2005 sur L’enseignement bilingue et l'utilisation des langues natio-
nales1 en passant par les EG dont il vient d’être largement question, les objectifs s’accumulent
sans véritable engagement décisif. Et pendant ce temps, les stratégies sociales d’offre et de
demande se développent dans un cadre privé pour des élites. Le Mémorandum présenté par le
président en exercice de la CONFEMEN2, soulignait pourtant, également à Libreville en
2003, « la nécessité de privilégier la diversité linguistique et culturelle au sein des systèmes
éducatifs qui ont tout à gagner, d'un point de vue linguistique, pédagogique et didactique, à

1
Voir le document de travail : Optimiser l’apprentissage et l’éducation en Afrique – le facteur langue
( http://www.adeanet.org/meetings/fr_laout-windhoek-2005.htm )
2
Conférence des ministres de l’Éducation nationale des pays ayant le français en partage, qui se réunit tous les deux
ans.
- 109 -
L'enseignement du français en Afrique

élaborer des stratégies éducatives incluant le bilinguisme fonctionnel ». C'était bien entendu
poser les bases d'une École spécifiquement africaine. Mais qui peut s’en charger dans
l’application ? Quels experts locaux ? Sur quelles recherches impliquées localement ? Avec
quels moyens de mise en valeur ? Paradoxalement, on trouve plus de docteurs dans les dépar-
tements de français des universités africaines que dans ceux des universités d’Amérique la-
tine, d’Asie ou du Proche-Orient. Cependant, ceux-ci se concentrent dans la discipline litté-
raire avec une certaine ouverture vers la sociolinguistique mais on ne trouve pas l’amplitude
académique et heuristique aujourd’hui nécessaire au développement des sciences du langage
et des sciences de l’éducation comme laboratoires de pensée et de formation des responsables
des dispositifs (planification, projets, gestion), des spécialistes disciplinaires (recherche), des
enseignants (formation de formateurs, formateurs). Peu de départements d’université propo-
sent des enseignements et des équipes de recherche dans des domaines stratégiques comme :
– La traductologie, la terminologie, la didactique des langues, la politologie des langues
(sciences du langage).
– L’anthropologie culturelle, la sociologie et l’économie de l’éducation (sciences de
l’éducation).
Les conséquences sont lourdes, directement pour les systèmes éducatifs mais aussi en matière
d’intégration inter-africaine et de place de l’Afrique dans le développement global mondial :
ressources en industrie des langues (traduction, équipement technologique des langues afri-
caines) ; ressources en supports d’enseignement ; ressources conceptuelles propres au
contexte africain.
Parallèlement de nombreux dispositifs de formation des maîtres restent infra-universitaires et
les ressources cognitives tardent à être générées localement pour affronter les enjeux qui
peuvent être représentés par deux interrogations :
– Qu’est-ce qu’un système éducatif qui ne prend pas en compte les comportements sociaux
des parents et qui ne représente pas la somme du savoir et des savoir-faire d’un espace natio-
nal en matière de transmission ?
– Qu’est-ce qu’un système universitaire qui contribue peu ou mal à la collecte et l’analyse des
données sur son propre terrain et à la formation des cadres, laissant ainsi ce terrain offert et
cet enjeu à une épistémologie importée et à une coopération d’assistance ?

- 110 -
L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS
« LANGUE COMMUNE »
DANS LES PAYS DU NORD

Jean-François DE PIETRO
Institut de recherche et de documentation pédagogique, Neuchâtel

Le destin de l’enseignement du français est directement concerné par les mouve-


ments économiques, sociaux et culturels qui affectent aujourd’hui l’ensemble des
sociétés et des langues : mondialisation, nouvelles technologies, nouveaux concepts
(compétences, standards...). Ces mouvements concernent au premier chef
l’enseignement du français langue seconde ou étrangère car c’est sur ces terrains que
les enjeux économiques et stratégiques sont le plus aigus (cf. Graddol, 1997). Mais ils
concernent également l’enseignement du français dans les pays et régions où il a un
statut dominant évident : les régions francophones de Belgique, du Canada et de la
Suisse ainsi, bien sûr, qu’en France.

DE LA LANGUE MATERNELLE À LA « LANGUE COMMUNE »


La dénomination même de français langue maternelle ne va plus aujourd’hui de soi
pour l’enseignement. En effet, même dans ces pays et régions où le français apparait
comme la langue de la communauté, de la vie civique et de l’école, le nombre de
personnes pour lesquelles il n’est pas la langue maternelle ne cesse de croitre, en
raison des mouvements sociaux liés à la mondialisation et à la migration. Ce phé-
nomène a des répercussions immédiates sur l’enseignement scolaire car le nombre
d’élèves qui, d’une part, n’ont pas le français comme langue maternelle – ce qui,
soulignons-le, ne signifie en aucun cas qu’ils seraient « non francophones » ! –, et,
d’autre part, possèdent d’autres langues dans leur répertoire langagier y est en aug-
mentation constante, comme en témoignent les chiffres qui suivent1 :

1
Ces données doivent être lues avec prudence car elles proviennent de sources diverses (publications des ministères,
etc.) qui ne sont pas parfaitement comparables ; de plus, la notion même d’« élève migrant » ne recouvre pas exacte-
ment la même réalité à chaque fois, entre autres en raison des règles d’établissement et de naturalisation propres à
chaque pays.
L'enseignement du français « langue commune » dans les pays du Nord

Effectif scolaire total Pourcentage d'élèves migrants

Communauté française de Belgique


Enseignement primaire 309 192 (2002-2003) 12 132 : 3,9 % (2002-2003)
Secondaire ordinaire (12 à 17 339 710 (2002-2003) 21 474 : 6,3 % (2002-2003)
ans)

France
Enseignement primaire 6 572 000 (1999-2000) 372 300 : 5,9 % (1999-2000)
Secondaire : collège (11 à 15 3 323 000 (2003-2004) 230 900 : 4,3 % (2003-2004)
ans)

Québec
Enseignement primaire 564 559 (2002-2003) 212 763 : 19,06 % (2002-2003)

Secondaire premier cycle (12 à 16 455 467 (2002-2003)


ans)

Suisse romande
Enseignement primaire 111 708 (2003-2004) 32 530 : 29,1 % (2003-2004)

Secondaire premier cycle (12 à 15 82 649 (2003-2004) 22 643 : 27,3 % (2003-2004)


ans)

Une telle évolution demande que l’enseignement de ce que nous appellerons dé-
sormais la langue commune soit repensé, entre autres pour répondre à deux diffi-
cultés : (1) l’impossibilité pour un grand nombre d’élèves de disposer d’un soutien à
la maison, ce qui crée une situation d’inégalité; et (2) la nécessité de proposer des
démarches d’enseignement ne présupposant plus que les apprenants « savent déjà »
(sans savoir qu’ils le savent) ce qu’on leur enseigne.
Ces difficultés ont été bien identifiées2. En revanche, les réponses qui leur sont ap-
portées varient et soulèvent à leur tour d’importantes interrogations. Sans insister
sur le repli identitaire, qui résoud le problème en le supprimant, deux voies au
moins peuvent être suivies :

1. Un enseignement pragmatique et recentré


Cette première orientation, pragmatique, consiste à recentrer l’enseignement sur
l’apprentissage de bases fondamentales (lire, écrire, compter). Outre les difficultés
des élèves migrants, c’est la fameuse enquête PISA3 qui a incité certains responsables

2
Comme le montrent clairement, par exemple, les recommandations récemment émises à l’intention de leurs
autorités respectives par les organismes linguistiques de ces pays et régions francophones (Conti & de Pietro, dirs,
2005).
3
Le programme PISA, initié par l’OCDE et répété à intervalles réguliers, porte sur l’enseignement de la lecture, des
mathématiques et des sciences. Il a pour but de mesurer, à l’aide d’instruments standardisés et à fins de comparai-
sons internationales, les connaissances des jeunes de 15 ans et leurs aptitudes à les utiliser efficacement. Pour la
lecture, les résultats de la première enquête (2000) ont par exemple fait apparaitre que les élèves suisses atteignaient
des performances très moyennes ; plus « grave », il est apparu que 20 % environ des élèves en fin de scolarité –
provenant en particulier des milieux immigrés et des couches sociales culturellement défavorisées – ne remplissaient
- 112 -
Jean-François de Pietro

à prôner ce recentrage sur des objectifs minimaux, atteignables par tous les élèves.
On peut toutefois craindre l’apparition d’une école à deux vitesses, dans laquelle des
contenus plus ambitieux seraient transmis ailleurs, ou plus tard, à celles et ceux qui
sont sélectionnés pour les recevoir...
En fait, cette option est surtout mise en avant dans certains cercles économiques et
politiques. Les acteurs du terrain savent, eux, qu’il n’est plus possible de se contenter
d’exigences minimales à l’heure du digital et du multimédia. Les nouveaux métiers
comportent en effet toujours davantage de tâches liées à la langue (cf. AAVV, 2000).
Et les compétences complexes exigées par ces tâches (faire des inférences, interpréter,
synthétiser, etc.) sont précisément celles qui s’avèrent insuffisamment maitrisées
selon l’enquête PISA.
Ainsi, si PISA a parfois fait l’objet de récupérations politiques discutables, il faut lui
reconnaitre le mérite de rappeler à l’école certains devoirs que, dans l’euphorie théo-
risante et l’explosion technologique, elle avait peut-être tendance à négliger : assurer
solidement les fondements des apprentissages plus complexes, quitte à prolonger
certains enseignements plus loin qu’auparavant4, ne laisser aucun élève à l’écart.

2. Un enseignement orienté vers le plurilinguisme


La seconde orientation — qui n’est pas nécessairement exclusive de la première —
souligne pour sa part la nouvelle position de la langue française : langue commune,
qui doit nouer des relations de partenariat avec les autres langues présentes sur le
territoire.
Une telle orientation comporte diverses implications pour l’enseignement :
— assurer la maitrise de la langue commune par les élèves issus de la migration tout
en valorisant les compétences linguistiques préalablement acquises dans leur(s) lan-
gue(s) d’origine ;
— favoriser la mise en relation des diverses langues enseignées ou présentes ainsi que
l’intercompréhension entre langues proches (les langues romanes en l’occurrence) ;
— s’appuyer sur la diversité linguistique pour aider tous les élèves (y compris les uni-
lingues francophones) à mieux comprendre le fonctionnement du français et déve-
lopper chez eux une véritable culture plurilangagière.
L’hypothèse forte sous-jacente à cette doctrine, c’est que la langue française peut, et
doit, ne pas être prétéritée par cette prise en compte de la diversité.

pas les exigences requises pour suivre une formation ultérieure. Pour les pays francophones – à l’exception notoire
du Canada, dont le Québec – , les résultats se sont ainsi avérés bien au-dessous des attentes et ont suscité, via les
médias, diverses polémiques. Il est regrettable toutefois que les interprétations, souvent « catastrophistes », des résul-
tats se soient le plus souvent appuyées sur le classement obtenu par chaque pays ou région. Voir, parmi les nombreu-
ses publications sur le thème, OCDE 2001 ; Soussi et al. 2004.
4
À cet égard, diverses propositions didactiques concernent aujourd’hui un « enseignement continué » de la lecture,
bien au-delà des apprentissages dits fondamentaux.
- 113 -
L'enseignement du français « langue commune » dans les pays du Nord

D’un point de vue didactique, diverses tentatives ont été développées afin de concré-
tiser ces principes. Les démarches envisagées visent d’une part à mieux intégrer les
différents enseignements de langues, à la fois du point de vue des démarches, des
objectifs et de la terminologie (Roulet 1980), et d’autre part à renforcer les capacités
de transfert d’une langue à l’autre. On les regroupe aujourd’hui sous les termes
d’« intercompréhension entre langues voisines » (Blanche-Benveniste & Valli, dirs,
1997, Dabène & Degache, dirs, 1996) et d’« éveil aux langues »5.
Au début du troisième millénaire, tels sont quelques-uns des principaux enjeux so-
cio-pédagogiques de l’enseignement du français langue commune. Mais cet ensei-
gnement s’inscrit en même temps dans un cadre didactique spécifique.

LE NOUVEAU CADRE DIDACTIQUE

De la langue à la communication
Dans les années 1960-1970, sous l’influence conjuguée de phénomènes sociologi-
ques (démocratisation des études, arrivée d’une nouvelle population scolaire dans le
secondaire, développement des études longues), de la psychologie (théories construc-
tivistes piagétiennes fondées sur l’activité de l’élève) et surtout de la linguistique
(théories de la communication, structuralisme, grammaire générative transforma-
tionnelle), l’enseignement du français a été entièrement repensé, à l’enseigne de la
communication. Il s’agissait désormais pour les élèves d’apprendre à communiquer
et, pour ce faire, de maitriser les quatre compétences de base : lire, écrire, parler,
écouter. L’enseignement se réorganisait par conséquent selon deux axes, la commu-
nication (ou expression) et la structuration de la langue, désormais (censée être) pla-
cée au service de la communication. Le changement était considérable : en gram-
maire, bon nombre de catégories et de fonctions ont été revues ; l’oral acquérait une
importance comparable à celle de l’écrit, lui-même conçu désormais dans une pers-
pective plutôt fonctionnelle, la dictée perdait de son importance...
Diverses études ont toutefois montré dès les années 1980 que les pratiques en classe
peinaient parfois à intégrer ces transformations, qui touchaient non seulement aux
contenus mais à l’esprit même de l’enseignement (rapport différent à l’erreur, relati-

5
Lancées dans les années 1980 en Grande-Bretagne, par le linguiste Hawkins (1987), les démarches d’éveil aux
langues (language awareness) mettent l’accent sur des capacités telles que l’observation, l’analyse, la comparaison. Elles
ont été développées, sous des dénominations diverses, dans de nombreux pays : voir par exemple, pour la Belgique,
Blondin & Mattar 2004, Top & De Smedt, dirs, 2005 ; pour la France, Chignier et al. 1990, Dabène 1995, Moore,
dir., 1995, Candelier dir., 2003, projet JA-LING (http://jaling.ecml.at/) ; pour le Québec, Armand et al. 2004,
projet ELODIL (http://www.elodil.com/biblio.htm); pour la Suisse, projet EOLE : Perregaux et al. 2003. Elles
reposent sur le pari que la diversité langagière et culturelle n’est pas un obstacle aux apprentissages mais, au
contraire, et pour tous les élèves, un matériau à même de fonder une compréhension plus opératoire des objets
étudiés, compréhension qui peut être réinvestie dans les apprentissages mais aussi dans la construction d’une identi-
té linguistique plus consciente. Les démarches mises en œuvre portent à la fois sur les aptitudes langagières (discrimi-
nation auditive et visuelle, capacités de repérage, d’analyse, etc.), les représentations et attitudes envers les langues
(curiosité, ouverture) et les savoirs à leur propos. Elles ne prétendent pas se substituer aux enseignements des langues
(L1 et L2), mais représentent un complément et un cadre qui permet leur mise en relation intégrative.
- 114 -
Jean-François de Pietro

visation de la place des modèles littéraires par rapport aux textes dits fonctionnels,
etc.). On a dû constater par exemple que l’ancienne grammaire, désormais incluse
dans la « structuration », restait bien souvent le cœur de l’enseignement, et, plus
encore, de l’évaluation. En outre, certains de ces changements devaient susciter – et
suscitent encore – des remous dans les milieux conservateurs de la société civile.
Comme par hasard, ces critiques se sont surtout concentrées sur l’orthographe et la
grammaire (en Suisse par exemple, la disparition du « COD » (remplacé par la no-
tion de « complément de verbe ») a été vue comme menaçant l’avenir même de la
langue, et les élèves risquaient de ne plus savoir écrire s’ils faisaient moins de dic-
tées…6.
On peut conclure que 1) dans le contexte de cette réforme généralisée,
l’enseignement du français s’est considérablement modifié, en raison certes des in-
novations proposées, mais aussi parce que la société elle-même avait profondément
changé (remodelage de la morphologie sociale, apparition de la photocopie puis de
l’informatique...) ; 2) très ou trop ambitieuse, cette réforme a suscité une certaine
déception, tant dans les milieux traditionnalistes qui y voyaient une menace pour la
langue, que dans les milieux progressistes qui en apercevaient les difficultés, consta-
tant en particulier que les écarts entre élèves n’avaient en aucune façon été comblés.

L’avènement de la didactique
Dès la fin des années 1980 et surtout dans les années 1990, une nouvelle évolution
allait se dessiner, sous l’influence de nouvelles avancées dans les champs de la lin-
guistique et de la psychologie du développement.
En linguistique, ce sont les travaux sur le texte, l’énonciation et le discours qui vont
désormais alimenter l’enseignement et donner – enfin – corps à l’idée de communi-
cation, certes déjà prônée auparavant mais souvent sans qu’on puisse lui faire cor-
respondre des fonctionnements langagiers concrets. Diverses techniques vont per-
mettre aux élèves de travailler, en référence aux théories des types (descriptif, explica-
tif, argumentatif, narratif...) et/ou des genres (conte, débat, fait divers, etc.) de textes,
les procédés linguistiques nécessaires à leur structuration (reprises anaphoriques,
thématisation, articulation du discours, point de vue énonciatif, etc.). En psycholo-
gie, le tropisme vers le constructivisme piagétien laisse progressivement la place au
cognitivisme, parfois au socioconstructivisme vygotskien (théorie pourtant dévelop-
pée à la même époque que celle de Piaget, dans les années 1930, mais qui était restée
dans l’ombre). Comme le constructivisme et le cognitivisme, le socioconstructivisme
met l’accent sur le rôle actif du sujet apprenant dans la construction des connaissan-
ces. Mais, pour Vygostky, et au rebours de Piaget, le principal moteur du développe-
ment n’est pas un simple rapport entre le sujet et l’objet, via des mécanismes
d’accomodation et d’équilibration, mais un rapport socialement médiatisé : les inte-
ractions qui ont lieu autour de l’objet aident le sujet à en explorer diverses facettes,

6
Ces critiques ne sont pas sans lien avec les difficultés rencontrées par les propositions de réforme orthographique
de 1991 (voir ici même l’article « L’intervention sur le corpus » de J.-M. Klinkenberg).
- 115 -
L'enseignement du français « langue commune » dans les pays du Nord

elles le confrontent également aux dimensions normatives de l’objet, pré-définies par


la communauté dans laquelle il doit progressivement prendre sa place. Le processus
de développement consiste ainsi à intérioriser ce qu’on parvient d’abord à faire avec le
concours des « autres », lesquels aident à baliser le parcours d’apprentissage
(« étayage »). On voit immédiatement l’intérêt pédagogique de cette nouvelle orienta-
tion qui continue certes à valoriser les activités de découverte des élèves mais en
restituant à l’enseignant un rôle important d’étayage.
Tel est l’arrière-fond de cette nouvelle évolution. Mais c’est l’avènement d’une nou-
velle discipline, la didactique, qui va désormais jouer un rôle majeur. Elle postule
qu’il existe un champ théorico-pratique spécifique ayant précisément pour visée de
comprendre et modéliser les processus d’apprentissage d’un objet de savoir et
d’action (la langue, les mathématiques, etc.), puis de fournir les bases pour une ac-
tion didactique raisonnée. Des associations de didacticiens se sont ainsi créées pour
les diverses disciplines scolaires : la DFLM (Association internationale pour le déve-
loppement de la recherche en Didactique du Français Langue Maternelle), créée en
1987 et qui – pour les raisons évoquées au début de ce texte – devait devenir
l’AIRDF (Association internationale pour la recherche en didactique du français,
http://mercure.fltr.ucl.ac.be/airdf/default.htm), qui réunit des associations nationa-
les de Belgique, du Canada, de France et de Suisse, constitue aujourd’hui le cadre
dans lequel se développent les recherches et recherches-actions dans le domaine de
l’enseignement et de l’apprentissage du français7. L’association a organisé plusieurs
congrès, dont les thématiques sont révélatrices de l’évolution des centres d’intérêts
de la didactique : Apprendre/enseigner à produire des textes écrits (Chiss et al., dirs,
1987), L'hétérogénéité des apprenants : un défi pour la classe de français (Lebrun. & Paret,
dirs, 1993) ; Les métalangages dans la classe de français (Bouchard & Meyer, dirs,
1995) ; DFLM : quels savoirs pour quelles valeurs ? (Legros et al., dirs, 1999) ; Les tâches
et leurs entours en classe de français (Dolz et al. (dirs) 2002); Le français: discipline singu-
lière, plurielle ou transversale ? (à paraitre).

CONVERGENCES : DE LA CONNNAISSANCE À LA COMPÉTENCE,


DE LA GRAMMAIRE AU DISCOURS
Au début du troisième millénaire, les convergences sont fortes entre les quatre pays
ou régions prises en compte dans ce panorama. Quatre orientations en témoignent,
orientations qui vont vraisemblablement se confirmer dans les annnées à venir.

7
Parmi les thèmes de recherche : les pratiques et démarches de la classe (procédures d'enseignement et d'apprentis-
sage, interactions entre acteurs) ; les savoirs et les savoir-faire enseignés et appris (la manière dont ils sont élaborés,
notamment par rapport aux savoirs savants et aux pratiques sociales), et la manière dont les élèves se les appro-
prient ; les discours et les représentations des acteurs de l'enseignement (élèves, enseignants, directions, inspecteurs,
parents) ; l’analyse des textes qui pensent et/ou organisent le champ (instructions officielles, manuels et outils
d'enseignement, revues et ouvrages didactiques) ; la diversité sociale de cet enseignement; l'histoire et le fonction-
nement institutionnel de l'enseignement. Signalons qu’il existe également une association de didactique du français
langue étrangère : http://fle.asso.free.fr/asdifle/2D4.htm
- 116 -
Jean-François de Pietro

1) Les objectifs de l’enseignement sont aujourd’hui définis en termes de compétences,


à travers lesquelles un sujet mobilise et coordonne des ressources (connaissances,
mais aussi ressources affectives, sociales, etc.) pour traiter efficacement une situation
(Jonnaert 2002, 41)8. Il s’agit d’orienter l’enseignement vers la « capacité de résoudre
une famille de situations-problèmes » (Roegiers, 2000), en dépassant l’atomisme de la
pédagogie par objectifs. Toutefois, l’approche par les compétences ne consiste nul-
lement à nier l’importance des savoirs, qui constituent un des ensembles de ressour-
ces à la disposition des acteurs (Perrenoud 1999, Ropé 2000).
2) L’enseignement tend à être centré non plus sur la phrase comme unité de base,
mais sur le texte, voire le discours. Cette orientation est bien sûr liée au point précé-
dent, comme aussi aux changements visant à mettre l’accent sur la communication,
mais elle est aujourd’hui rendue opératoire grâce aux progrès réalisés en linguistique
textuelle, en pragmatique et en psycholinguistique9.
3) Le caractère transversal, ou transdisciplinaire, de l’enseignement du français. On prête
aujourd’hui une attention plus soutenue aux usages de la langue dans l’ensemble des
disciplines. Cette perspective intégrée est tout particulièrement marquée en France,
où l’enseignement de la langue est désormais pour l’essentiel distribué entre les di-
verses disciplines dans lesquelles elle intervient, par exemple sous la forme d’ateliers
de lecture10.
4) Au-delà d’une nécessaire évaluation sommative des compétences, et de
l’élaboration de bases comparatives d’évaluation, on met aujourd’hui l’accent sur
une évaluation formative. Celle-ci prend par exemple appui sur l’analyse des erreurs,
conçues non plus seulement comme manques mais comme traces de processus in-
ternes d’apprentissage en cours, et d’hypothèses que les élèves construisent à propos
du fonctionnement de la langue.

ET L’AVENIR ?
Malgré des différences persistantes (par exemple en matière de terminologie gram-
maticale), on observe ainsi d’importantes convergences entre les pays francophones
du Nord. Ces convergences procèdent pour une part des travaux en didactique de la
langue, domaine où les échanges internationaux sont continus. C’est ainsi que

8
En Belgique on parle ainsi de « socles de compétences », en Suisse on s’occupe actuellement de définir des « modè-
les de compétences » pour les disciplines fondamentales.
9
En Suisse, c’est ainsi la collection « S’exprimer en français » (Dolz, Noverraz & Schneuwly [Dirs], 2001), constituée
de séquences didactiques pour l’enseignement des « genres textuels » : le conte, le fait divers, le débat, la note de
lecture, etc.), qui constitue aujourd’hui la colonne vertébrale de l’enseignement.
10
« ... L’enseignement de la lecture et celui de l’écriture sont d’abord, au cycle 3, rattachés aux grands domaines
disciplinaires définis par le programme. On lit, on écrit de la littérature, de l’histoire, de la géographie, des sciences,
etc. Pour éviter que l’entrainement, encore nécessaire à cet âge, ne soit négligé, chacun de ces domaines disciplinai-
res comporte, dans l’horaire qui est le sien, des « ateliers » de lecture destinés à renforcer les compétences de tous les
élèves (stratégies de compréhension, automatisation de la reconnaissance des mots). » (Ministère de l’Éducation
nationale, 2002 : 166).
- 117 -
L'enseignement du français « langue commune » dans les pays du Nord

l’enseignement du français tente de s’adapter aux évolutions à la fois sociales, tech-


nologiques et théoriques, et s’efforce de résoudre les difficultés constatées, tout en
évitant les polémiques stériles et certains excès du passé. Sans remettre en question le
fait que c’est en dernière instance l’élève qui doit s’approprier de nouvelles compé-
tences, les approches récentes tendent à réhabiliter le travail d’étayage de
l’enseignant et la médiation offerte par les outils didactiques. C’est ainsi que l’élève
peut construire des compétences orientées vers les normes sociales en vigueur dans la
communauté langagière francophone à laquelle il doit s’intégrer.
Trois finalités donnent finalement à l’enseignement de la langue commune sa confi-
guration propre. Elles consistent à rendre les élèves capables (1) de communiquer de
façon adéquate, en fonction de la situation, des buts de la communication, etc. ; (2)
de réfléchir sur la langue et la communication (car l’ambition de l’école ne peut être
seulement d’amener les élèves à savoir utiliser la langue mais encore à savoir se dis-
tancier de leurs pratiques immédiates pour mieux les comprendre) ; (3) de construire
des références culturelles. C’est prioritairement dans le cadre de cette troisième fina-
lité, par exemple, que prend place l’enseignement de la littérature – autre domaine
aujourd’hui objet d’une réflexion renouvelée –, à la fois comme transmission d’un
héritage constitutif de l’identité et comme réflexion sur les valeurs de la société et de
la francophonie.
C’est dans ce cadre que doit être pensé l’enseignement du français là où il est langue
commune, langue civique et langue des apprentissages, dans ce cadre que doit être
trouvée la voie tierce entre les lois du marché et le conservatisme, entre le pragma-
tisme et la construction des identités, entre les exigences des normes sociales et
l’expression de soi. Le chemin est étroit ; il est aussi parsemé d’embûches — dues
d’un côté à l’éternel climat de polémique à propos de l’enseignement de la langue, et
de l’autre aux tâches restant à accomplir (harmonisation de la terminologie gramma-
ticale, élaboration d’outils de mesure communs, fondés sur des modèles de compé-
tences avalisés, etc.) —, mais il doit permettre à l’enseignement du français de relever
le défi des années à venir : former des locuteurs francophones maitrisant leur langue
tout en étant partie prenante de leur environnement toujours plus plurilingue.

- 118 -
L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS LANGUE
SECONDE ET LANGUE ÉTRANGÈRE.

Jean-Pierre CUQ
Université de Nice-Sophia Antipolis

L’enseignement d’une langue à des non-natifs, dans ses aspects quantitatifs et quali-
tatifs, est à l’évidence un marqueur important de sa vitalité. La distinction didactique
entre langue étrangère et langue seconde est aujourd’hui passée dans le langage si-
non du commun, du moins dans celui des décideurs politiques. Rappelons briève-
ment que, du point de vue didactique, l’enseignement du français comme langue
étrangère concerne les pays (ou les apprenants issus de pays) dans lesquels le français
n’a pas de réelle existence sociale ou de reconnaissance officielle (ex. : Chine, Rus-
sie). À l’inverse est réputé de langue seconde un enseignement à des locuteurs non
natifs qui se déroule dans un pays (ex. : pays d’Afrique dite francophone, Belgique,
Canada, Suisse dans leurs parties non francophones) où le français possède à des
titres divers une reconnaissance officielle ou sociale (par exemple dans la vie com-
merciale et professionnelle, ou comme langue vecteur d’autres enseignements). On
qualifie aussi de langue seconde le français enseigné dans des pays francophones
(ex. : France) à des adultes migrants ou à des élèves nouvellement arrivés. Toutefois,
pour des raisons idéologiques ou politiques, la dénomination de langue seconde,
justifiée didactiquement, n’est pas toujours reconnue par les décideurs politiques ou
même par les populations de certains pays (ex. : Algérie) qui préfèrent la dénomina-
tion générale de français langue étrangère, quitte à lui octroyer parfois un qualificatif
(première, privilégiée, etc.). De ce fait, une cartographie délimitant les pays où le
français est langue étrangère et les pays où le français est langue seconde et qui serait
reconnue par tous est impossible à établir.
Du point de vue quantitatif, il est également très difficile de donner le chiffre exact
des personnes qui sont chargées de l’enseignement du français dans les pays de lan-
gue seconde ou de langue étrangère car beaucoup de pays ne fournissent pas de sta-
tistiques. On est donc généralement réduit à des études par pays ou régions ou à des
approximations parfois très discordantes1.
Il est de toutes façons difficile d’interpréter finement les statistiques dont on dispose
car elles ne rendent guère compte de la diversité des situations. Elles ne distinguent pas

1
Voir État de la Francophonie dans le monde, données 1999-2000, La documentation française, 2001, pp. 385-435 ;
Haut Conseil de la Francophonie, La Francophonie dans le monde 2004-2005, Larousse, 2005, pp. 51-75.
L'enseignement du français, langue seconde et langue étrangère

les enseignants de français, ceux qui enseignent une autre discipline en français, et ceux
qui enseignent plusieurs disciplines dont le français, une même personne pouvant ap-
partenir en même temps à plusieurs de ces catégories. Il faudrait en outre distinguer
ceux qui enseignent à temps complet de ceux qui enseignent à temps partiel, ceux qui,
outre leur temps complet d’enseignement exercent aussi pour vivre un autre métier,
ceux qui sont assurés de la pérennité de leur emploi de ceux qui sont soumis à une
plus ou moins grande précarité. Toutes ces réalités socio-économiques exercent à
l’évidence une pression non négligeable sur les aspects qualitatifs de l’enseignement :
on ne peut exiger que le minimum de qui vit trop mal de son métier. Sur beaucoup de
ces points toutefois, ceux qu’on appellera par commodité les enseignants de français
ne diffèrent pas des autres enseignants, partageant avec eux non pas un statut moyen
sans signification, mais un métier soumis à une très grande disparité de situations. Si
l’ensemble des 63 États et gouvernements représente entre 9 et 10 % de la population
et de la richesse produite, sur ce nombre « 80 % provient du Canada, de la Belgique,
de la France et de la Suisse ». La situation des enseignants de ces pays n’aura donc rien
de commun avec celle de leurs collègues dont les pays se situent à l’autre bout de
l’échelle économique. Il parait donc plus sage de s’en tenir, comme pour le nombre
réel des francophones, à des ordres de grandeur, qui, eux, restent significatifs.
Selon l’UNESCO, il y aurait environ 60 millions d’enseignants dans le monde. Les
statistiques du dernier rapport de l’Organisation intergouvernementale de la Fran-
cophonie (OIF) qui comptabilisent ensemble les enseignants de français et en fran-
çais donnent un résultat de l’ordre de 1,7 million (voir tableau ci-après). Dans le
monde, l’ordre de grandeur envisageable serait alors d’un peu plus d’un enseignant
de français sur 60.
Du côté des apprenants, on avance souvent un nombre entre 100 et 110 millions
d’apprenants de français hors de l’espace francophone2. Toutefois les statistiques du
dernier rapport de l’OIF donnent plutôt un ordre de grandeur de 88 millions (voir
tableau ci-après). L’évolution des données entre les deux derniers rapports (2001 et
2003) du Haut Conseil de la Francophonie laisse apparaître quelques tendances. En
tant que première langue étrangère enseignée, le français connait un léger recul global,
qu’atténuent toutefois l’implantation de classes bilingues, l’augmentation
d’enseignements donnés en français dans des établissements privés, et l’importance des
inscriptions aux cours des Alliances françaises et des Centres culturels français (généra-
lement enseignement aux adultes). Géographiquement parlant, le nombre d’élèves de
français reste faible en Asie-Océanie (même dans les pays appartenant à l’OIF) ; il
connait un recul en Amérique latine, un recul plus léger aux USA, mais une certaine
stabilité au Québec et au Canada anglophone. En Europe, on enregistre quelques
progrès dans certains pays de l’ouest, au nord comme au sud, mais un recul en Europe
centrale et orientale. Le nombre d’apprenants de français connaît en revanche une
croissance parfois assez forte en Afrique, du Nord comme sub-saharienne, croissance

2
Rapport sur l’état de la francophonie dans le monde, données 1997-1998, La Documentation française, 1999.
- 120 -
Jean-Pierre Cuq

qui serait due à la natalité et à l’augmentation de la scolarisation, notamment des fil-


les3. C’est donc dans les régions didactiquement dites de langue seconde que la pro-
gression numérique potentielle est la plus forte. C’est pourtant là que les difficultés de
formation et d’enseignement s’avèrent les plus importantes.
Le programme Éducation pour tous de l’UNESCO envisage qu’il pourrait manquer
entre 15 et 35 millions d’enseignants en 2015. Si les proportions restent les mêmes
qu’aujourd’hui, il faudrait donc prévoir de former, d’ici dix ans, entre 250 000 et
580 000 nouveaux enseignants de français. La formation de nouveaux enseignants
de FLES est donc une question fondamentale et qui ne peut souffrir d’aucun retard.
Dans les situations de FLS, il ne faut pas non plus sous-estimer la quasi-inexistence
de formation dont souffrent un très grand nombre d’enseignants actuellement en
poste. Au niveau primaire ces formations devraient être consubstantielles à une for-
mation d’enseignants en langues nationales.
La ressource potentielle en formation est loin d’être négligeable. En effet, l’Agence
universitaire de la Francophonie (AUF) recense actuellement 659 membres, univer-
sités ou établissements d’enseignement supérieur répartis dans toutes les régions du
monde. Certes tous ces établissements ne sont pas concernés par la formation
d’enseignants de français ou de disciplines en français, mais ils constituent incontes-
tablement un réseau d’appui de premier plan. L’AUF propose un programme « lan-
gue française, francophonie et diversité linguistique » qui comporte un volet d’étude
de l’objet d’enseignement, notamment lexical et qui affiche des objectifs d’aide à
l’enseignement et de création de matériel pédagogique. Mais, de façon générale, on
observe un double déséquilibre.
Le premier concerne le rapport entre la recherche et la formation. Dans les pays fran-
cophones les plus riches (à l’exception peut-être du Canada et du Québec, mais no-
tamment en France) et qui disposent des universités et des centres de formation les
plus performants, la priorité est donnée à la formation des enseignants de FLM. Si on
peut admettre facilement que dans les pays de français langue maternelle la formation
des enseignants de FLES ne soit pas la première priorité, elle devrait pourtant occuper
une tout autre place qu’elle ne le fait aujourd’hui. La recherche en didactique des lan-
gues étrangères, que la réalité sociale intérieure (migration) et l’urgence internationale
que montrent les chiffres cités plus haut devraient pourtant légitimer, subit le désinté-
rêt des politiques et les pesanteurs d’une culture universitaire marquée par la préémi-
nence de la tradition littéraire, et, de façon plus récente, de la linguistique, sur la for-
mation langagière et pédagogique. Malheureusement, un effet démultiplicateur s’est
opéré à la fin du siècle précédent dans les universités francophones des pays de langue
seconde. Ainsi la plupart des docteurs africains le sont en littérature ou en linguistique
française, et très peu en didactique. Ils sont donc, par leur formation même, appelés
majoritairement à perpétuer des recherches et des formations sur l’objet
d’enseignement plutôt que sur l’enseignement lui-même.

3
Op. cit., note 3, p. 91.
- 121 -
L'enseignement du français, langue seconde et langue étrangère

Le second est un déséquilibre d’ordre socio-démographique. Si les universités des pays


riches sont aptes à former des enseignants de FLES, ceux-ci ne trouvent que rarement
des débouchés professionnels convenables y compris dans leurs propres pays. Sur ce
point cependant, l’ouverture des frontières européennes commence à opérer un pre-
mier changement. Par exemple, depuis une dizaine d’années, la Grande-Bretagne en-
gage des professeurs français formés par un programme conjoint de maîtrise de FLE et
du PGCE4 britannique. Mais le recrutement de professionnels non nationaux est loin
d’être la règle commune et, d’autre part, l’attractivité du métier dans la plupart des
pays, notamment de français langue seconde, reste si faible qu’elle ne suscite que très
peu de candidatures à l’expatriation autrement que pour des motifs familiaux. Inver-
sement, les pays francophones économiquement les moins favorisés et dont le taux de
formation universitaire est aussi le plus faible connaissent aussi le plus fort accroisse-
ment potentiel d’enfants scolarisables. Pour pallier en partie l’insuffisance du nombre
des enseignants de français, on est donc amené à procéder au recrutement de person-
nels moins formés, parfois eux-mêmes à la limite de disposer de compétences commu-
nicatives minimales en français. Ce type de recrutement s’est même opéré dans cer-
tains territoires français d’outre-mer jusqu’il n’y a guère (ex. : Mayotte), où il faudra
attendre encore plusieurs années avant que l’ensemble du corps enseignant, notam-
ment dans le primaire, atteigne un standard de formation comparable à celui de la
métropole. Globalement, cette disparité s’accroit encore en fonction de la situation
géographique, entre les campagnes et les villes, et, au sein des grandes métropoles,
entre les quartiers centraux et les banlieues défavorisées.
Par ailleurs, le fait que l’essentiel de la recherche en didactique du FLES s’effectue
dans les pays les plus développés influe aussi sur les thématiques de recherche, sur les
préconisations méthodologiques et sur l’édition pédagogique. Sans qu’il soit question
de dresser ici un état de la recherche, on peut dire que la tendance est incontestable-
ment à la prééminence du FLE sur le FLS. La culture dans laquelle baigne cette re-
cherche et ses aires d’application pédagogique induisent naturellement une certaine
prédilection pour les thèmes qui rejoignent les grandes préoccupations sociétales du
temps comme la promotion de l’individu et ses rapports à la technologie. Il n’est donc
pas étonnant de voir augmenter, dans leur nombre et dans la reconnaissance qu’on
leur accorde, les publications traitant des nouvelles technologies d’apprentissage et de
l’individualisation des apprentissages. Dans le même ordre d’idée, on peut dire aussi
que la puissance culturelle et financière de la recherche qui s’effectue dans les pays
anglo-saxons fait de plus en plus prévaloir aujourd’hui en didactique l’influence de la
psycholinguistique sur la sociolinguistique. Il n’est certes pas question de dénier
l’importance de la poursuite de ce type de recherches, sans laquelle la didactique du
FLE serait très vite distancée par celle des autres langues vivantes, mais il faut tout de
même mettre cela en regard de l’énorme fossé économique et technologique qui n’a
cessé de se creuser avec une bonne partie des pays de FLS.

4
Pedagogical General Certificate of Education.
- 122 -
Jean-Pierre Cuq

Il convient en effet de distinguer les conditions d’enseignements du FLE et du FLS,


le premier jouissant de façon générale de conditions plus favorables. Pour ce qui
concerne les adultes, leur engagement dans l’apprentissage du français témoigne
généralement d’une forte motivation personnelle puisqu’il n’hésitent pas à y consa-
crer du temps et souvent de l’argent (cours dans des centres privés, des Alliances ou
centres culturels, séjours dans des pays francophones). Cet enseignement s’effectue
dans des conditions matérielles et technologiques généralement satisfaisantes, en
groupes assez restreints. Il concerne un public relativement aisé ou au moins solva-
ble. Mais il est loin d’être exclu qu’un appétit de français ne se manifeste pas aussi
chez de nombreux adultes ne disposant pas de revenus suffisants pour y satisfaire. Il
y a là, dans de nombreux pays, un volant sans doute non négligeable de francopho-
nes potentiels. Les apprenants de FLE enfants ou adolescents vivent quant à eux le
plus souvent dans des pays dont les systèmes éducatifs offrent des conditions
d’enseignement relativement satisfaisantes.
En revanche, les enfants et adolescents de FLS, dans leur plus grand nombre, fré-
quentent des classes où la présence d’un livre par élève, parfois d’un banc pour cha-
cun, voire d’un tableau et d’une craie n’est pas toujours assurée. Très souvent aussi,
leur nombre atteint la cinquantaine par classe et peut dépasser par endroits la cen-
taine. On ne peut donc dire que les méthodologies actuelles de FLE, qui nécessitent
la mise en œuvre de technologies plus ou moins sophistiquées, qui sont fondées sur
des présupposés culturels qui privilégient l’individu ou le petit nombre plutôt que le
groupe, ou même qui considèrent la communication comme l’alpha et l’oméga de
l’apprentissage d’une langue, sont pour le moins mal adaptées à la majorité des situa-
tions qui se rencontrent dans les pays de FLS. Dans ces régions enfin, les adultes qui
s’affrontent à un apprentissage tardif du français appartiennent aux catégories dé-
munies de la population, les autres ayant satisfait à une scolarisation en français. Ils
attendent de la connaissance du français, et notamment de l’écrit, une possibilité de
promotion économique et sociale. Mais ils doublent souvent leur problème linguis-
tique d’un problème d’illettrisme voire d’alphabétisation.
Pour toutes ces raisons, il apparait donc nécessaire de distinguer l’enseignement du
français langue étrangère et l’enseignement du français langue seconde, tant du
point de vue de la recherche didactique que de ses applications méthodologiques et
pédagogiques. Incontestablement, le réservoir majeur de francophones potentiels
appartient aux régions de FLS, mais ce sont elles qui disposent des enseignants les
moins formés, des conditions d’enseignement les moins bonnes et du potentiel de
recherche et d’innovation le plus faible. Sans pour autant négliger l’enseignement du
FLE, dont l’essentiel est le plus souvent pris en charge par les pays qui décident de
l’établir chez eux, c’est sur les enseignants et les apprenants de FLS qu’il est donc
impératif de faire porter le plus grand et le plus urgent des efforts.
La recherche didactique en FLS a déjà fourni les cadres conceptuels de référence et de
réflexion, mais les conséquences aux niveaux méthodologique et pédagogique sont
encore faibles. C’est aux universités, aux chercheurs et aux centres de formation des
- 123 -
L'enseignement du français, langue seconde et langue étrangère

régions concernées qu’il appartient principalement de les établir et de les mettre en


œuvre. Il est certes nécessaire de leur faciliter l’accès aux ressources que permettent les
technologies modernes dont disposent leurs homologues des régions de FLE, et dont il
serait à la fois injuste et contre-productif qu’ils demeurent éloignés. Mais compte tenu
des réalités évoquées ci-dessus, il est fondamental de promouvoir la publication de
livres de niveau universitaire en français dans toutes les disciplines et de faciliter leur
diffusion à coût raisonnable dans les circuits de l’enseignement supérieur de pays de
FLS, auprès des enseignants comme des étudiants. Pour cela, contrairement à la ten-
dance actuelle qui favorise les publications en anglais, surtout dans des revues, il est de
première importance de valoriser au contraire la publication de livres en français dans
les carrières universitaires. C’est leur existence massive dans les bibliothèques universi-
taires des régions de FLS qui justifiera seule, à court terme, le maintien de la position
encore avantageuse d’enseignements universitaires en français. Si en effet une docu-
mentation de haut niveau n’est disponible qu’en anglais, c’est cette langue qui sera
légitimement choisie au détriment du français qui ne pourra plus se prévaloir d’être
une langue d’accès au savoir dans tous les domaines.
Pour les niveaux primaire et secondaire, c’est une aide résolue à la production, à la
distribution et à la maintenance de matériel pédagogique de base qui devrait être
prioritaire, avec un soutien important et à une édition scolaire francophone de qua-
lité et à bas prix.

NOMBRE D’APPRENANTS DE FRANÇAIS

FLP FLS FLE Total

Primaire 8 395 656 28 861 283 5 159 277 42 416 216

Secondaire 6 830 697 11 197 906 17 513 609 35 542 212

Supérieur 3 053 548 1 073 358 4 689 850 77 958 428

Centres et instituts 422 806 76 837 334 742 834 385

Total 18 702 707 41 209 384 27 697 478 87 609 569

Note :
Pour le FLS, sont décomptés les apprenants de français et les apprenants en français.
Certains pays ne fournissent pas de statistiques (ex. : Comores, Madagascar).
Pour le FLS sup., sont comptés les enseignements partiellement ou entièrement en français.
Pour le FLE, les statistiques de certains pays regroupent le primaire et le secondaire. Dans ce cas, c’est la proportion
1/5 vs 4/5 qui a été appliquée.
Les apprenants fréquentant les Centres, Instituts, Alliances ou écoles peuvent être partiellement les mêmes que ceux
qui ont été décomptés précédemment.

- 124 -
Jean-Pierre Cuq

NOMBRE D’ENSEIGNANTS DE FRANÇAIS ET EN FRANÇAIS

FLP FLS FLE Total

Primaire 367 995 235 236 235 989 839 220

Secondaire 470 324 120 824 137 329 728 477

Supérieur 140 413 27 591 19 852 1 567 697

Total 978 732 383 651 393 170 1 755 553

Note :
Pour le FLE, les statistiques de certains pays regroupent le primaire et le secondaire. Dans ce cas, c’est un calcul
sommairement proportionnel au nombre d’apprenants qui a été appliqué, ou, à défaut, une proportion 1/5 vs 4/5.
D’autres regroupent les trois niveaux. Dans ce cas, c’est un calcul sommairement proportionnel au nombre
d’apprenants qui a été appliqué ou, à défaut, une proportion 1/5, 3/5, 1/5.
Certains pays ne fournissent pas de statistiques (ex. : Australie, Cambodge, Indonésie, Italie, Suisse).
Certains pays ne fournissent pas de statistiques pour le supérieur (ex. : Grande-Bretagne).
Source des tableaux : Haut Conseil de la Francophonie, La Francophonie dans le monde, 2004-2005, OIF-Larousse, 2005.

- 125 -
La
modernisation du
français
L’INTERVENTION SUR LE CORPUS :
(A) LA LANGUE COURANTE

Jean-Marie KLINKENBERG,
de l'Académie royale de Belgique
Université de Liège

Une idée reçue à propos de la langue est qu’elle constitue un « organisme », vivant
d'une vie autonome. En fait, chaque locuteur intervient sur la langue, par le fait
même qu'il la pratique et parce que ses attitudes peuvent modifier les pratiques des
autres usagers. On désigne cependant par la locution « intervention linguistique »
non cette intervention habituelle, mais un ensemble d'actions plus ou moins concer-
tées dont le but est de modifier le code linguistique ou ses conditions d'usage. Lors-
que cette action volontaire est le fait des pouvoirs publics, on parle de politique ou
d’aménagement linguistique. Une telle politique peut porter sur deux types d'objets :
soit sur les structures de la langue, soit sur ses conditions d'utilisation ; en termes
techniques, on parlera de corpus et de statut. On distingue parfois, en les détachant
des questions de statut, un troisième et un quatrième champ d’action politique : la
diffusion ou l’enseignement de la langue et le travail sur les images ou représenta-
tions de la langue.
Ainsi que le note L. Varela1, le français est peut-être la langue du monde qui a le plus
souvent été l’objet de telles mesures. Aussi une réflexion sur son avenir ne peut-elle
faire l’impasse sur l’examen de ces politiques. C’est cette tâche que se sont assignée
maints contributeurs du présent ouvrage. Cet article et les suivants posent dans ce
cadre une question très précise : comment et à quelles conditions peut-on équiper la
langue française pour qu’elle puisse répondre aux défis du XXIe siècle ? Il y a là un
travail qui est à mener tant sur les représentations2 que sur le corpus. De ce côté,
plusieurs chantiers sont ouverts : celui de la terminologie scientifique, administrative
et technique, mais aussi celui des usages quotidiens auxquels l’usager doit avoir
accès : lecture, écriture, langue des médias. Le premier aspect sera traité au chapitre
suivant, tandis que celui-ci se centrera, pour en tirer quelques enseignements, sur
deux types d’actions récemment menées sur le corpus quotidien : la féminisation des
noms de métiers, titres, grades et fonctions et la réforme de l’orthographe.

1
Voir, ici même, Lia Varela, « Les politiques du français à l’heure de la mondialisation. »
2
Voir, ici même, Bruno Maurer, « Pour de nouvelles représentations du français dans la modernité ».
L’intervention sur le corpus : La langue courante

RÉFORMER L’ÉCRITURE DU FRANÇAIS ?


C’est au XVIe siècle seulement que la diffusion de l’imprimé rend indispensable une
certaine normalisation de la graphie (normalisation que, plus tard, la numérisation
réclamera avec plus de force encore). Pourtant, la question de l’orthographe était
inscrite dans les origines mêmes du français écrit. Pour transcrire cette langue, on ne
pouvait évidemment recourir à un autre modèle qu'à l'écriture latine. Or celle-ci,
relativement bien adaptée au latin, ne comportait qu'une vingtaine de signes, alors
que le français allait développer une structure phonématique originale, requérant
des ressources de transcription plus étendues. Phonographique dans son principe,
l'écriture du français devra donc recourir à diverses techniques compensatoires. La
première consistera à créer des signes nouveaux (j, v, k, accents, etc.). La seconde,
d’usage plus fréquent, sera celles des combinaisons : chaque signe a plusieurs valeurs,
qui seront déterminées par sa position (par rapport à ses voisins et dans le mot). Dès
la Renaissance, certains imprimeurs entendent rendre compte des originalités du
français. Mais ils le font parfois au prix d'innovations révolutionnaires et
d’application délicate. Face aux remuants imprimeurs et aux écrivains qui les cô-
toient, les conservateurs mettent en avant « l'usage », et prolongent donc la vie des
techniques mises au point à l'époque précédente : manie étymologisante, souci de
distinguer les homophones. Et c'est de ce côté que penchera la balance. Le courant
traditionaliste sera conforté par l'Académie française qui, au XVIIe siècle, devient la
gestionnaire de la langue et publie son dictionnaire (mais il faut noter que le libéra-
lisme orthographique continue à régner et que l'Académie admettra certaines réfor-
mes d’une ampleur qu'on peine à imaginer aujourd'hui).
À partir du XIXe siècle, la question se pose en de tout autres termes. D’une part,
l’orthographe, qui se fixe largement et s’investit de nouvelles valeurs éthiques, de-
vient un des socles de l’enseignement, en même temps que les besoins de l'économie
rendent indispensable la capacité de savoir lire (mais moins celle d'écrire). D’autre
part, l’expansion coloniale de la France pose la question d’une éventuelle simplifica-
tion de sa langue. D’individuelles qu’elles étaient jusque-là, les initiatives en faveur
d’une réforme deviennent collectives dans le dernier tiers du XIXe siècle (Société phi-
lologique française, 1872, Société de réforme orthographique, 1886), en France,
mais aussi en Suisse, en Belgique et en Algérie. Le premier facteur qui fournira leur
principal argument aux réformateurs, lesquels tenteront de le faire entendre jusqu’à
nos jours : le fardeau que font peser sur les écoliers des conventions riches en com-
plications arbitraires et suscitant maints dégâts psychologiques. C’est donc tout natu-
rellement que le dossier vient entre les mains des divers ministres de l’instruction
publique, en même temps que la compétence de l’Académie — qu’aucun texte légal
ne consacre — se voit reconnue par les protagonistes. Diverses mesures de « tolé-
rance » sont alors proposées (1891, 1900, 1901) et des commissions chargées
d’étudier la simplification orthographique sont mises sur pied (Commission Meyer,
1903 ; Commission Brunot, 1905). Mais les premières restent sans effet et le travail
des secondes est contesté. L’entre-deux-guerres voit une série d’initiatives restant
surtout individuelles, de sorte qu’il faut attendre 1950 pour voir le ministère de
- 130 -
Jean-Marie Klinkenberg

l’Éducation étudier de nouvelles mesures : ce sont les deux commissions Beslais


(1950-1952 et 1960-1965, cette dernière ayant été constituée à l’instigation de
l’Académie des sciences). Les rapports de ces commissions suscitent — pour la pre-
mière fois — de nombreux débats dans le grand public, débats au cours desquels se
manifeste clairement l’effroi devant toute modification profonde des habitudes
d’écriture.
Jusque-là, la question est restée une affaire purement française, les usagers extra-
hexagonaux restant confinés dans leur rôle traditionnel de consommateurs. La pers-
pective change en 1968 — époque à laquelle les études scientifiques sur l'orthographe
commencent à se développer sérieusement — lorsque le ministère de l’Éducation
donne au Conseil international de la langue française, nouvellement créé, mandat
d’examiner un modeste projet d’émondage dont le principal intérêt était surtout de
prétendre couper court à toute tentative de refonte sérieuse.
Il faut attendre 1990 pour qu’un début de réforme, préparé par un manifeste de
linguistes et des débats chez les enseignants, ne connaisse pas l’enlisement. Des recti-
fications sont proposées en France par le Conseil supérieur de la langue française et
sont publiées au Journal officiel après approbation de l’Académie et des organismes de
gestion linguistique des pays francophones du Nord. Bien préparées par une com-
mission où étaient représentées les principales autorités lexicographiques, elles por-
tent essentiellement sur l’« orthographe d’usage » : régularisation des accents (cir-
conflexe notamment) et du tréma, soudure et pluriel de certains mots composés,
pluriel des mots étrangers. Mais l'idée même de rectification devait une fois de plus
susciter des levées de boucliers et des discours polémiques où les arguments, généra-
lement irrationnels et fondés sur une information défectueuse, ne se sont pas renou-
velés depuis 150 ans. Ces rectifications sont toutefois appliquées timidement par
certains dictionnaires, et ont gagné certaines revues et certains auteurs, mais, il faut
le noter, avec un plus grand succès en Suisse et en Belgique qu’ailleurs en franco-
phonie.

FÉMINISER LES NOMS DE PROFESSION ?


Ce que l’on appelle le genre n’a en principe rien à voir avec le sexe mais est une pure
propriété formelle de certains mots (par exemple, en français, c’est une propriété du
substantif qui détermine l’accord de l’adjectif). D’ailleurs, certaines langues se pas-
sent de ces marques, tandis que d’autres les conjuguent avec d’autres distinctions
(comme animé vs inanimé) et que d’autres encore leur préfèrent des répartitions en
classes nombreuses. De surcroit, dans les langues qui disposent de genres, ceux-ci se
distribuent de manière parfaitement arbitraire (la lune, du féminin en français, est
du masculin en allemand). Il n’en reste pas moins que, pour un certain nombre
d’animés — dont les noms qui désignent des êtres humains —, le genre peut recouper
l’opposition sémantique mâle-femelle. De là la représentation de l’opposition mascu-
lin vs féminin comme renvoyant à la répartition des sexes.

- 131 -
L’intervention sur le corpus : La langue courante

La question du genre des mots désignant les êtres humains dans leur statut ou leurs
activités professionnelles n’est donc pas simplement formelle, mais est intimement
liée aux représentations sociales en matière de relations entre sexes (expression que
l’on préférera à l’anglicisme « genre », vecteur d’ambigüité). On constate ainsi que de
telles représentations se manifestent dans les discours prétendument les plus neutres,
comme celui de la science : les grammaires témoignent ainsi de la pérennité d'un
schéma idéologique posant le féminin comme dérivé et le masculin comme non-
marqué : il est, de manière immanente.
A fortiori, ces représentations se manifestent dans le choix des noms de métiers, ti-
tres, grades et fonctions.
Au long de l’essentiel de l’histoire du français, la langue a systématiquement utilisé le
féminin pour désigner les femmes, sans les réserver aux fonctions subalternes : reine,
abbesse, etc. C’est à l’époque moderne seulement que l’usage prévaut d’utiliser le
masculin pour désigner aussi bien des femmes que des hommes (d’où des groupes
comme madame le président, madame le juge), principalement dans le cas des fonctions
de prestige (car on continue à féminiser l’ouvrière et l’institutrice), et de réserver le
féminin pour les épouses des titulaires de ces fonctions (la colonelle, comme femme
du colonel). C’est cette situation qui est dénoncée à partir des années 1960 par les
mouvements féministes, en Amérique d’abord, puis en Europe, à un moment où la
morphologie sociale s’est largement remodelée, les femmes étant désormais plus
nombreuses à occuper des postes à responsabilités. Or les étiquettes masculines oc-
cultent ces réalités nouvelles. Elles font par conséquent peser une hypothèque sur la
promotion des femmes, en confortant l’idée que la qualification et le prestige sont
liés à la masculinité.
Il est compréhensible que, dans le cadre de leurs politiques sociales, les États démo-
cratiques aient entendu imposer à leurs administrations l’usage d’une terminologie
féminisée et aient prôné les techniques non sexistes de rédaction des textes ; inter-
vention assurément aussi légitime que celles qui portent sur les conditions de travail.
Ce mouvement, qui affecte toutes les langues, s’observe aussi dans les grands orga-
nismes internationaux, comme l’ONU, l’UNESCO et le Conseil de l'Europe.
En francophonie — où une plus grande attention a été réservée au travail terminolo-
gique, au détriment de la féminisation des textes —, c’est le Québec qui, stimulé par
la proximité des États-Unis, a été le premier à intervenir : dès 1979, la Gazette offi-
cielle adresse aux administrations des recommandations visant à féminiser les déno-
minations professionnelles. En France, il faut attendre 1986 pour observer une pre-
mière intervention allant dans le même sens : le Journal officiel publie une circulaire
du premier ministre Laurent Fabius. Mais un changement de majorité jettera cette
initiative aux oubliettes : le mouvement ne reprendra que sous le gouvernement
Jospin, qui voit un certain nombre de femmes occuper des postes ministériels, et sera
consacré par une nouvelle circulaire de 1998. En Suisse, la Confédération n’a pas
formellement légiféré — à la différence du canton de Genève, où une loi de 1988
- 132 -
Jean-Marie Klinkenberg

féminise les titres de profession —, mais elle a donné des instructions pour l’adoption
de dénominations non discriminantes. En Communauté française de Belgique en-
fin, un décret de 1993 impose la féminisation aux administrations de la Commu-
nauté et aux institutions qu'elle subventionne.
Correspondant largement aux vœux du corps social, la féminisation s’est implantée
rapidement et profondément dans le grand public québécois et canadien, touchant à
la fois la terminologie (notamment au prix de l’invention du féminin en -eure), mais
aussi la rédaction des textes. En Suisse, et dans une moindre mesure en Belgique, la
féminisation s’est largement répandue, quoique moins spectaculairement. C’est sans
doute en France qu’elle s’impose avec le moins de vigueur : les controverses y ont été
plus vives et les résistances plus fortes. Mais elles se sont manifestées ailleurs encore,
notamment en Belgique et en Suisse, où a parfois été exprimée l’idée que le droit
d’initiative en matière de langue était un monopole français. Ces différences dans les
pratiques féminisantes ne sont pas que nationales : on peut aussi les corréler avec la
sensibilité politique des usagers autant qu’avec des phénomènes proprement linguis-
tiques ; et certaines réticences ont pu être le fait de féministes militantes, désireuses
d’affirmer l’identité de leur travail avec celui des hommes. En dépit de ces différen-
ces de rythme, on peut affirmer que le mouvement de féminisation est, dans toute la
francophonie, profond et rapide, eu égard à la lenteur habituelle des innovations
linguistiques.

PERSPECTIVES
Les efforts de modernisation de la langue que l’on vient d’examiner suggèrent
d’importants enseignements sur les conditions de succès des actions de politique
linguistique à venir.
On peut en premier lieu avancer que toute action concertée sur la langue doit, pour
avoir quelque chance d’aboutir, correspondre à une demande du corps social. Ou,
pour être plus nuancé, correspondre comme moyen à des objectifs auxquels le corps
social peut s’identifier. Ceci explique peut-être la différence entre l’accueil favorable
qui a été réservé aux mesures de féminisation d’une part et celui dont n’a jamais
bénéficié la réforme orthographique. Notons que, comme en toute matière, la de-
mande du corps social peut évidemment être infléchie. Car le rôle des représenta-
tions est capital : les deux domaines ici étudiés ont permis de voir à quel point les
fantasmes et les légendes linguistiques ont la vie dure. L'orthographe n’a jamais été la
simple technique qu’on prétend parfois y voir, et le genre est plus qu’une question
grammaticale : ces thèmes renvoient à un imaginaire collectif, où viennent se cristal-
liser les contradictions des différents systèmes de valeurs sur lesquels nos sociétés se
sont érigées. Agir sur ces faits de corpus pose donc la question du rapport entre la
langue et les communautés d’usagers et des relations de pouvoir entre ceux qui dé-
tiennent la légitimité culturelle et les autres.

- 133 -
L’intervention sur le corpus : La langue courante

Ce premier point en suggère un second : c’est que toute action sur le corpus doit
aller de pair avec un travail sur les représentations. Et celui-ci commence avec une
information correcte. Si l’action doit reposer sur une préparation technique, elle
doit aussi déboucher, en aval, sur des opérations de diffusion et d’implantation. Le
relatif échec de la réforme orthographique est en partie dû au fait que la campagne
de désinformation n’a pas pu être efficacement contrée. A contrario, les mesures
d’information qui ont accompagné la féminisation en Belgique francophone consti-
tuent un bon exemple de ce qui peut être fait.
La prise en compte de l’opinion du corps social suggère aussi que des réformes mo-
destes, en principe plus aisées à appliquer, peuvent être récusées, précisément en
raison de leur modestie (l’usager estimant qu’elles ne méritent pas qu’on y investisse
de l’énergie). Mais à l’inverse, des réformes modérées peuvent avoir une utilité péda-
gogique dans la mesure où elle peuvent convaincre cet usager qu’on peut intervenir
sur sa langue sans que le monde s’écroule (et on sait combien le français est volon-
tiers présenté comme une langue immuable).
De manière plus globale, les usagers de base se posent implicitement la question de
la légitimité des interventions concertées. Aucune intervention ne pourra avoir de
sens si l'on répète au francophone qu’il n’est pas le propriétaire de sa langue, mais
qu’il en est tout au plus un locataire, constamment gourmandé et censuré : autre
travail de longue haleine à mener sur les représentations.
Enfin, la question du cadre géographique de l’intervention est aussi importante,
comme le souligne le fait que, si la France reste en gros l’épicentre des innovations
linguistiques, la périphérie peut désormais mener le mouvement (ce qui est le cas
avec la féminisation et, dans une moindre mesure, avec la diffusion des rectifications
orthographiques). La légitimité de l’intervention peut parfois être garantie dans un
espace restreint (ce qu’indique le succès de la féminisation au Québec), mais il est
évident qu’elle ne sera dorénavant pleinement assurée quand dans le cadre d’une
coopération multilatérale. C’est dans ce cadre que devra être exécuté le travail de
préparation technique ; et c’est bien ce qui se fait pour la production de terminolo-
gie scientifique et technique. Un tel cadre tend à se constituer dans la francophonie
septentrionale3, mais il devra également intégrer au plus tôt la francophonie sud,
restée ou maintenue à l’écart des mouvements que l’on vient d’étudier. Ce qui pré-
suppose que, dans le respect de ses spécificités, cette francophonie se dote enfin des
instruments de gestion linguistique adéquats.

3
Voir, ici même, la contribution de Martine Garsou.
- 134 -
L’INTERVENTION SUR LE CORPUS :
(B) LES LANGUES DE SPÉCIALITÉS

Daniel BLAMPAIN
Institut supérieur des traducteurs et interprètes de Bruxelles (ISTI)
Directeur du centre de recherche en terminologie (TERMISTI)1

HISTORIQUE
Depuis plus de vingt ans, le corpus textuel et surtout lexical de la langue française a
bénéficié de recherches menées dans la Francophonie. Deux dynamiques importan-
tes sont à rappeler. Le Réseau international de néologie et de terminologie (RINT),
créé en 1986 à l’occasion du premier sommet des pays ayant en commun l’usage du
français, réunissait des modules issus de l’ensemble de la Francophonie. Les objectifs
étaient notamment d’adapter la langue française à l’expression de la modernité
scientifique et technique et de favoriser, parallèlement au développement du fran-
çais, le développement des langues nationales dans l’espace francophone du Sud.
Aujourd’hui, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) continue à
appuyer une politique linguistique menée en réseau avec le Réseau international
francophone d’aménagement linguistique (RIFAL), né de la réunion en 1999 du
RINT et du RIOFIL (Réseau international des observatoires francophones et du
traitement informatique des langues). Le RIFAL déploie des efforts de recherche
pour l’aménagement linguistique du français et des langues partenaires du Sud à
partir des technologies de l’information et de la communication (Desmet et alii,
2001).
L’autre dynamique importante de la recherche a été imprimée par deux réseaux de
l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). Les réseaux Lexicologie-Terminologie
et Traduction (LTT) et Étude du français en francophonie (EFF) ont étudié la probléma-
tique des corpus. En 1996, les journées scientifiques de l’EFF ont porté sur le corpus
lexicographique (méthodes de constitution et de gestion) et ont cristallisé l’attention
sur la constitution, le traitement et la validation de corpus avec prise en compte des
variétés lexicales du français ainsi que sur le traitement de la variante topolectale à
partir de corpus textuels (Frey et Latin, 1997). Depuis 2001, au centre des travaux du
réseau EFF, se trouve la Base de données lexicographique panfrancophone (BDLP),
qui a été élaborée au Québec et qui a pour objectifs de constituer et de regrouper des
bases représentatives du français dans chacun des pays de la Francophonie. Mise en

1
Jusqu’en 2005.
L’intervention sur le corpus : Les langues de spécialité

ligne en mars 2004, elle a été conçue au départ comme complément au Trésor de la
langue française et permet d’apporter une aide technique aux équipes du Nord et du
Sud pour réaliser des bases nationales et régionales.

BILAN
Aujourd’hui, l’évolution technologique rend nécessaire un nouvel élan pour assurer
l’avenir des corpus en langue française à l’échelle internationale.
Certes, la terminologie a été rapidement comprise dans sa dimension multilingue et
l’étude systématique des termes et des concepts constituant les langues de spécialité,
du lexique bilingue aux banques informatisées, a été largement perçue comme re-
mède aux dérives lexicales et pragmatiques, qu’il y ait normalisation ou non. En
outre, elle a permis de prendre conscience partiellement que la vie de la langue fran-
çaise à l’échelle internationale dépendrait de son degré d’adaptation à la modernité
et de son ouverture aux variations du français, que la néologie était indissociable-
ment liée à la terminologie et que les recherches de termes adéquats étaient indis-
pensables à l’activité de « traduction » dans les domaines spécialisés, voire dans les
échanges entre spécialistes et grand public (Blampain, 1997).
Toutefois, les travaux ont trop souvent porté sur des problèmes de méthodologie.
Les banques mises au point ne rencontrent pas toujours l’intérêt des chercheurs du
Sud, confrontés aux multiples réalités de terrain et au multilinguisme de leur pays. Il
s’agit aujourd’hui d’aller au-delà des banques de textes littéraires africains non balisés
ou des dictionnaires plurilingues, souvent restés à l’état de projets ou abandonnés
dès la deuxième phase de réalisation.

PERSPECTIVES
Au moment où nous sommes capables de traiter de vastes corpus textuels (Habert et
alii, 1997) et que les frontières entre les différentes disciplines telles que la lexicolo-
gie, la terminologie et la traduction se trouvent par là-même remises en cause, nous
sommes confrontés à des exigences cruciales de deux types.
Le nombre de corpus étiquetés, de corpus de référence fiables, en langue française
est largement insuffisant sur la Toile : moins de 5 % par rapport aux corpus de lan-
gue anglaise accessibles. Notre déficit est énorme et ne va pas contribuer à accroître
la confiance dans la langue française à l’échelle mondiale (Renard, 2000).
D’autre part, les chercheurs des pays du Sud devraient pouvoir gérer leurs propres
ressources et s’affirmer par la diffusion de leurs travaux de description linguistique
sur le réseau Internet. Il convient de dépasser le stade de travaux enregistrés sur des
supports variés et consultables sur place. Il faut s’engager dans cette tâche
d’aménagement linguistique en garantissant la maîtrise d’un langage de balisage qui
assure la représentation d’un grand nombre d’informations descriptives au sein d’un
corpus et qui permette l’utilisation d’une grande variété de systèmes d’écriture. Le
- 136 -
Daniel Blampain

langage XML (Extensible Markup Language) s’impose comme clé multilingue et univer-
selle. Il utilise par défaut le nouveau codage de caractères Unicode et est en train de
se généraliser dans l’univers informatique. Tout contenu textuel, pour être utilisé
dans les années à venir, doit être accompagné d’une identification des données. Les
réseaux LTT et RIFAL viennent de mener à bien leurs premières réalisations en
matière de balisage des langues partenaires.
Garantir la modernité du français suppose donc que nous soyons capables
d’enregistrer la diversité à l’échelle de la Francophonie, de promouvoir la langue
dans sa puissance néologique et de relever le défi technologique de la gestion des
corpus, au sein de ce grand marché linguistique où la langue française doit exister
pour elle-même mais aussi comme instrument de traduction. Freiner
l’uniformisation aliénante ne peut se faire qu’en maintenant le statut de langue
d’accès aux savoirs et aux techniques d’aujourd’hui et de demain.

- 137 -
POUR DE NOUVELLES REPRÉSENTATIONS
DU FRANÇAIS DANS LA MODERNITÉ

Bruno MAURER
Université de Montpellier III
Directeur du Bureau régional Océan Indien de l'AUF

L’avenir du français dépend de facteurs objectifs, comme le nombre de locuteurs de


langue maternelle et de pays où il est parlé. Mais l’image que la langue véhicule cons-
titue également un atout ou un obstacle à sa diffusion.

UN HÉRITAGE PARFOIS LOURD À PORTER

La langue française vue hors de France


Hors de France, le poids d’un passé glorieux fait que l’on continue parfois à parler
métaphoriquement de la langue de Voltaire… Même si l’appellation est impropre, le
français reste étroitement associé aux arts et aux lettres : une langue de haute culture,
destinée aux personnes raffinées. Longtemps, cette image a alimenté le désir
d’apprentissage. Ainsi s’explique que les élites européennes aient couramment parlé
le français, de Lisbonne à Moscou, jusqu’au milieu du XXe siècle. Mais dans un
monde dominé par le développement de la technologie et du commerce internatio-
nal, c’est plutôt le revers de la médaille qui s’offre aujourd’hui. Langue des arts et des
lettres ? Inadaptée aux usages commerciaux… Langue des grands écrivains ? Langue
difficile, aux pièges innombrables, quand d’autres sont réputées si simples… Langue
des élites ? Langue de la différenciation sociale, rejetée comme telle.
Dans de nombreux pays d’Afrique, le français continue à être perçu comme la lan-
gue des Blancs — en bambara, français se dit « tubabukan » : littéralement, « langue
du toubab », du « colonisateur » — ; son apprentissage, en dehors des pays à fort plu-
rilinguisme comme la Côte-d’Ivoire, le Cameroun ou le Gabon, est resté l’apanage
d’une école qui fonctionne souvent sur les modèles pyramidaux de l’école coloniale.
Réalité incontournable, par son officialité et les fonctions que celle-ci lui confère, le
français est souvent vécu comme radicalement extérieur.
Dans les pays comptant de nombreux francophones de langue maternelle — Belgi-
que, Canada, Suisse — entre en jeu un autre ensemble de représentations, intelligi-
ble à partir du couple centre/périphérie. La France s’étant doté dès le XVIIe siècle
d’un important appareil normatif garant de la légitimité des usages, les francophones
Pour de nouvelles représentations du français dans la modernité

des autres pays vivent souvent le rapport au français dans une attitude ambiguë, mé-
lange de fascination et de rejet : fascination pour une norme établie à laquelle il
convient de se conformer pour suivre le « bon usage », rejet parce que l’on souhaite-
rait voir ses propres usages constituer le point de référence.
L’image de la France entre également en ligne de compte, tant le français est associé
au pays auquel il emprunte son nom. Dans les pays du Golfe, de tradition anglo-
phone, les ouvertures de cours de français sont nombreuses : peut-être la position de
la France face au conflit irakien n’y est-elle pas étrangère. Mais les attitudes négatives
sont bien entendu elles aussi repérables, fondées sur une condamnation de la politi-
que française de « non-alignement », souvent considérée comme une arrogance de la
part d’un pays qui a pour symbole le coq…

Les Français et leur langue


Du côté des Français eux-mêmes, autodénigrement et complexe sont fréquents :
complexe face à des langues régionales quasi éradiquées et complexe du colonisateur,
comme s’il fallait aujourd’hui mettre sa langue dans sa poche… faute de l’avoir dans
le passé fait précéder de bataillons de missionnaires missels en main et de militaires
en armes. Sans parler du complexe du colonisé chez certaines élites françaises, per-
suadées que le combat est perdu d’avance et qui ne se soucient que de faire preuve
de leurs compétences en langue anglaise…

Tendances lourdes
Pour achever de peindre en couleurs sombres le tableau de l’avenir du français, il
faut considérer le contexte international : celui de l’intégration européenne d’une
part (la conséquence en est que les francophones africains ont parfois le sentiment
que la France se soucie plus de ses nouveaux liens dans l’Union que de ses solidarités
francophones), celui des idéologies politiques dominantes de l’autre : l’image du
français est très liée à la construction de l’État-nation, quand les maîtres mots du
jour sont plutôt ceux de communautarisme, régionalisme et identités transnationa-
les. Et comment nier aussi le sentiment de perte d’influence de la France après la
chute du Mur de Berlin, quand la position de non-alignement ne semble plus, à
première vue du moins, avoir de signification ?

D’AUTRES IMAGES À CULTIVER


D’autres images du français sont à mettre en avant, par des politiques résolues.
Il faut ainsi donner un nouveau contenu à l’idée de non-alignement et la transposer
du champ diplomatique au champ politico-économique, pour imposer l’idée que le
français peut être la langue d’un autre mode de développement économique. Quand
la mondialisation de la dérégulation et du libre-échange généralisé s’opère en langue
anglaise, entraînant érosion des cultures et accroissement des inégalités à l’échelle
planétaire, le français peut se positionner sur le paradigme de la régulation, de la
- 140 -
Bruno Maurer

protection des identités culturelles au travers d’un modèle de développement rai-


sonné. Si un sens doit être donné au thème du Sommet de Ouagadougou « Franco-
phonie et développement durable » (2004), c’est assurément du côté d’une mondiali-
sation raisonnée qu’il doit être trouvé : une mondialisation réduisant les inégalités
de développement et préservant la diversité culturelle.
Aux images d’une langue empreinte de purisme, figée pour l’éternité par l’Académie
française, il faut substituer celle d’une langue ouverte, en pleine évolution, mettre en
valeur la vitalité linguistique dont le français fait preuve en Afrique ou au Canada,
créant chaque jour de nouveaux mots et contribuant à enrichir un patrimoine lin-
guistique commun, et pas seulement franco-français.
Le français langue des arts et des lettres ? Que cela continue à attirer vers lui certai-
nes catégories de locuteurs ! Mais il est tout aussi important d’affirmer qu’il est éga-
lement une langue de travail et de possible réussite personnelle : la chose est vraie en
Afrique où la maîtrise de la langue, celle de l’administration, offre de fortes oppor-
tunités ; elle peut également se révéler juste partout dans le monde où des entrepri-
ses françaises s’installent quotidiennement à la recherche d’occasions d’affaires, à la
seule condition que des compétences linguistiques, même basiques, figurent parmi
les critères de recrutement.
Le français, langue du colonisateur ? Le fait est indéniable. Mais aujourd’hui, en
Afrique, il est aussi très souvent langue de la construction nationale, de la neutralité
ethnique et de la modernité. Et nulle part, le français n’a éliminé les langues verna-
culaires : à ce titre, il est le mieux placé pour servir d’interface et de médiateur entre
la mondialisation en marche et les langues et cultures traditionnelles.
L’avenir du français passe par un changement d’image. Il ne s’agit pas de renverser
les vieilles statues mais d’imposer de nouvelles figures, à commencer par
l’affirmation que la Francophonie n’est pas une fin en soi, mais l’illustration d’un
paradigme pluriculturel. Le pluriculturalisme doit trouver son illustration en Fran-
cophonie même, par le passage d’un modèle franco-centré à un modèle à plusieurs
foyers, faisant toute sa place à la diversité des français parlés. Les changements
d’attitude les plus importants sont peut-être à induire d’abord chez les francophones,
qui doivent se débarrasser de leurs complexes… vis-à-vis du français.

- 141 -
Perspectives
d'avenir
UNITÉ DE LA LANGUE, DIVERSITÉ DES
NORMES :VERS UN ÉCLATEMENT
DU FRANÇAIS ?

Pierre DUMONT
Université des Antilles et de la Guyane
Directeur de l’Institut supérieur d'études francophones (ISEF)

Le thème de la diversité culturelle et linguistique, qui fut celui du IXe Sommet de la


Francophonie (Beyrouth, 2002) a été l’occasion, pour de nombreux spécialistes par-
mi les plus compétents, de s’interroger sur les conséquences positives ou négatives,
nées de l’avènement d’une langue française aux normes plurielles, à géométrie varia-
ble.
Dans le texte intitulé Diversité culturelle et linguistique : quelles normes pour le fran-
çais ? qu’il produisit le 26 septembre 2001, lors du colloque organisé par l’AUF et
l’université Saint-Esprit de Kaslik (Liban), Jacques Maurais, membre du Conseil de la
langue française au Québec, incitait les linguistes, sociolinguistes et didacticiens à la
plus grande prudence : « Il ne faudrait pas — disait-il — lâcher la proie pour l’ombre
en provoquant ou en hâtant la fragmentation d’une langue qui permet
l’intercompréhension au plan international. »
Le spectre de la babélisation ou l’épouvantail de la créolisation de la langue, terme
ambigu largement commenté par Gabriel Manessy1, sont également évoqués par
Suzanne Lafage2 qui, elle aussi, se montre très sensible à la possibilité d’un éclate-
ment du français : « Pour maintenir intercompréhension et cohésion à travers la
francophonie, il faudrait qu’un enseignement de qualité répande une variété de
français commun, à la fois vivant et adapté à la communication tant écrite qu’orale,
afin de corriger les fortes tendances en cours à la différenciation et à l’éclatement. »
Que le même type de discours soit tenu par un Québécois et une Française a quel-
que chose de rassurant. En effet, ce n’est ni la prégnance du modèle franco-français
ni la prétention des francophones hexagonaux qui sont en jeu mais bien une situa-
tion dont la réalité est désormais indéniable.

1
Le français en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1994.
2
« Le français en Afrique noire à l’aube de l’an 2000 : éléments de problématique », Le français en Afrique, n° 13,
Paris, Didier Édition, CNRS-UPRESA 6039, pp.163-179.
Unité de la langue, diversité des normes : vers un éclatement du français ?

Dans ce domaine, l’AUF a joué un rôle capital. C’est ainsi, par exemple, que le ré-
seau Étude du français en francophonie (EFF) a permis de publier des dizaines de tra-
vaux universitaires sur les français d’Afrique noire, du Maghreb, de l’océan Indien,
des Caraïbes et de l’océan Pacifique avant d’accueillir les équipes du Trésor des vocabu-
laires francophones représentant la Belgique, la Suisse, la France et le Québec. La pu-
3
blication du Dictionnaire universel francophone qui, dans sa préface « présente sur un
pied d’égalité avec le français dit ‘standard’ les mots et les expressions du français tel
qu’on le parle sur les cinq continents » a fourni une première description globale du
français de la francophonie, apportant la preuve que la question de la norme est
d’abord associée au travail lexicographique, qu’il s’agisse d’inventaires ou de diction-
naires, souvent confondus dans les représentations des locuteurs. Le plus bel exem-
ple de ce type de confusion étant fourni par Ahmadou Kourouma qui, dans son
4
roman Allah n’est pas obligé , fait de l’Inventaire des particularités lexicales du français en
5
Afrique noire un outil de légitimation des usages africains du français. C’est donc
bien le lexique qui, dans une langue, fait qu’une norme standard peut être remise en
cause. L’importance numérique considérable des emprunts et des néologismes qui
« envahissent » le français, notamment en Afrique noire, est naturellement de nature à
interroger l’observateur. Pourquoi ? Parce que c’est à travers les mots qu’il emploie
qu’un locuteur exprime sa vision du monde et qu’il adhère ou non aux valeurs symbo-
liques qu’ils expriment. La description des africanismes et d’une façon plus générale
des régionalismes à laquelle se sont livrés un peu partout dans le monde linguistes,
sociolinguistes, lexicologues, lexicographes et didacticiens francophones au cours des
trente dernières années ne permet plus de douter aujourd’hui d’un phénomène cen-
trifuge qui, il faut bien le reconnaître, peut a priori ressembler à un éclatement ;
d’autant plus que, quel que soit leur statut (inventaires ou dictionnaires, sans parler
des « lexiques » comme Le Lexique du français du Sénégal publié à Paris chez EDICEF
dès 19796) ces travaux ont toujours tendance, on l’a vu, à légitimer les usages de leurs
lecteurs et utilisateurs.
Pourtant, même s’il est réel, le risque de l’éclatement doit être pris. En effet, la do-
mination du modèle français de la Langue État-Nation à norme unique induit une
représentation élitiste qui place le français dans une position difficile. La mise en
place d’une norme plurielle est en elle-même une stratégie de développement qui
tient compte des besoins de tous les locuteurs du français, quel que soit leur statut.
Le premier avantage de cette légitimation des usages régionaux ou nationaux ayant
acquis de facto — c’est-à-dire du point de vue des fonctionnements sociaux — le statut
de standards dans les différentes communautés francophones, serait de faire dispa-
raître l’insécurité linguistique. C’est en effet ce sentiment, profondément ancré chez

3
Paris, Hachette EDICEF et AUPELF-UREF, 1997.
4
Paris, Édition du Seuil, 2000.
5
Publié pour la première fois par l’AUPELF dès 1983 et qui a fait l’objet d’une deuxième édition, EDI-
CEF/AUPELF en 1988, puis d’une troisième en 2004.
6
Lexique du français du Sénégal par J. Blondé, P.Dumont et D. Gontier, Paris, Dakar, NEA/EDICEF, 1979.
- 146 -
Pierre Dumont

tous les locuteurs francophones (et la France n’échappe pas à la règle générale
contrairement à ce que semblent croire de nombreux observateurs étrangers), qui est
la principale cause de l’éclatement. Actuellement, l’image d’une norme unique de
référence implantée dans la plupart des systèmes éducatifs (en particulier dans les
zones où le français peut être qualifié de langue seconde) est bien à la source du dé-
veloppement de l’insécurité et, par conséquent, de l’éclatement anarchique auquel
elle aboutit naturellement, selon des processus bien connus des sociolinguistes et des
didacticiens (hypercorrection, absence ou confusion des registres de langue, etc.).
La reconnaissance, la prise en compte et même la valorisation des normes endogènes
s’inscrivent désormais dans la définition d’une réelle interculturalité, thème de re-
cherche récemment inscrit parmi les priorités du réseau AUF Dynamique des langues
et francophonie. Mais il faut encore aller plus loin. En effet, l’émergence et la recon-
naissance officielle de nouvelles normes sont de nature à remettre en question cer-
taines données traditionnelles de l’enseignement, que ce soit en France même (où
l’on connaît de plus en plus souvent des situations plurilingues et pluriculturelles),
ou hors de France, en Afrique francophone particulièrement et, d’une façon géné-
rale partout où le français est une langue seconde, voire de scolarisation.
Les recherches déjà conduites par les universitaires dans le domaine de la description
des français régionaux demandent à être approfondies, en particulier pour tout ce
qui touche aux déplacements de sens témoignant d’une réelle appropriation de la
langue française par tous ses locuteurs (production de sens en néologie : innovation
référentielle et implication en discours ; mise en place et fonctionnement de nou-
veaux champs sémantiques, mise à jour des fonctionnements rhétoriques propres à
tel ou tel environnement culturel, distinction entre oralité et oraliture, etc.). Mais
cette liberté sans laquelle le français ne peut que s’étioler est-elle porteuse d’anarchie
comme le craignent encore certains ? Les chercheurs se sont trop souvent contentés
de décrire et d’analyser les variétés de français en usage dans les diverses régions de la
francophonie, sans s’intéresser à la dynamique du rapport entre ces variétés de lan-
gue imbriquées dans des situations de plurilinguisme, généralement d’une très
grande complexité. Il faut désormais analyser les forces qui militent en faveur de
l’équilibre des normes en concurrence, au sein d’une même communauté sociale ou
langagière, comme entre communautés distinctes. On sait déjà, par exemple, qu’au
sein de chaque communauté francophone l’usage promu au rang de standard, et par
conséquent de modèle académique (quelles que soient les structures éducatives), sera
toujours celui qui se situe au sommet de la hiérarchie socioculturelle : ce n’est ni le
français moussa de Côte-d’Ivoire, ni le joual qui vont être érigés en norme standard.
Dans ces conditions, se pose de manière nouvelle non la question de l’éclatement du
français, mais celle de la véritable intercompréhension entre francophones. Même si
l’on ne sait pas grand-chose, aujourd’hui encore, de l’état de fonctionnement de la
communication entre locuteurs pratiquant différentes variétés d’une même langue,
on sait en revanche que la diversité a toujours existé et on peut constater que, dans
l’immédiat, l’intercompréhension entre francophones existe bel et bien.

- 147 -
Unité de la langue, diversité des normes : vers un éclatement du français ?

Reste une question primordiale à aborder. C’est celle de la responsabilité liée aux
choix en matière de norme qui ne se limitent pas au système linguistique propre-
ment dit. Du point de vue de l’enseignement et de l’apprentissage des langues, cette
responsabilité échoit aux politiques. Quels sont, ou quels seront, les choix des
grammairiens et des auteurs de méthodes, eux-mêmes « inspirés » par les décideurs
en matière éducative puisque l’on sait que dans de très nombreux États les manuels
autorisés font l’objet de listes officielles imposées aux enseignants ? Quelle(s) varié-
té(s) linguistique(s) sera (ont) « proposée(s) » dans l’enseignement primaire et se-
condaire ? Quels modèles de prononciation seront soumis à l’écoute et à la répéti-
tion des apprenants ? Quelle sera la place respective de la littérature française et des
littératures francophones dans les programmes ? Toutes les cultures de la francopho-
nie seront-elles un objet d’enseignement ? Les évaluations pédagogiques prendront-
elles en compte les variétés régionales du français ? Le premier travail consistait à
repérer les écarts entre systèmes et variétés. Ce fut celui des universitaires et des
chercheurs. Ils l’ont fait, et très bien fait. Le second est désormais celui des politiques
dont les décisions relatives à la mise en place de programmes bilingues et à la prise
en compte des facteurs sociaux dans l’enseignement et l’apprentissage du français
seront lourdes de conséquences. Or, une langue, pour être bien vivante, ne doit pas
être le simple reflet de son passé, surtout lorsque celui-ci est marqué au fer de
l’assimilation culturelle et politique. Elle doit aussi être celui de son présent, de son
quotidien, du vécu de ses usagers, d’où la nécessité du métissage qui permettra à
chacun de se retrouver dans sa langue, tout en se faisant comprendre de l’Autre,
seule façon de se comprendre soi-même.
Entre le IXe Sommet de la Francophonie, celui de la Diversité linguistique et culturelle, et le
Xe, celui de Ouagadougou (2004), dont le thème fut Francophonie et développement
durable, se sont tenus à Libreville (Gabon) en mars 2003 les premiers États généraux
de l’enseignement du français en Afrique francophone. Le mémorandum signé par les
treize ministres de l’Éducation et chefs de délégations présents à Libreville (Burkina
Faso, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo, RDC, Gabon, Guinée, Mali, Ni-
ger, Rwanda, São Tomé et Tchad) a rappelé que le principe du partenariat des lan-
gues en francophonie impliquait « l’enrichissement lexical des langues en présence,
le respect de la prise en compte des normes endogènes pour ce qui est des français
régionaux, le refus de l’inféodation systématique à un modèle normatif ».
Il est bien clair que la question du choix de la norme du français à enseigner est bien
du ressort exclusif des décideurs, éclairés par les chercheurs et les didacticiens en
contact direct avec les usagers. Ce sont donc les mesures prises par les responsables
des systèmes éducatifs, en Afrique comme ailleurs, qui devront assurer la cohérence
de l’enseignement et préserver ce potentiel d’intercompréhension sans lequel le
français ne sera plus, bientôt, qu’une langue éclatée. À Libreville, ce sont des objec-
tifs bien précis qui ont été assignés aux systèmes éducatifs devant répondre à la ques-
tion posée : quel français enseigner ?

- 148 -
Pierre Dumont

Parmi les mesures concrètes énumérées et consignées dans le rapport de synthèse


desdits États généraux, les trois suivantes peuvent être retenues. Elles n’ont rien de
spécifique au domaine africain et pourraient donc servir de « modèle » à l’ensemble
de la communauté des didacticiens et éducateurs francophones :
- Production de nouveaux manuels adaptés aux besoins et aux goûts des apprenants.
- Programmes réellement adaptés.
- Amélioration de la formation des enseignants.
Cette mise en forme politique et éducative des normes du français est-elle vraiment
suffisante pour préserver cette langue de l’implosion partout dans le monde ? Il est
sans doute trop tôt pour le dire, mais les perspectives actuelles n’inclinent pas à
l’optimisme, tout au moins dans les zones où le français est langue seconde. En effet,
le fossé entre le Nord et le Sud est dans ce domaine encore plus profond que dans
les domaines économiques ou politiques. À quelques exceptions près (comme au
Mali par exemple où se met en place un programme d’éducation bilingue), rien ou
presque n’a été fait de concret depuis les États généraux de Libreville (2003) pour
rendre effectif l’enseignement et l’apprentissage des langues premières, ce qui fait
que le français continue à garder son statut de langue imposée par l’école. Com-
ment, dans ces conditions, imaginer le développement systématique et contrôlé
d’une norme à vocation identitaire, la seule qui puisse définitivement mettre fin à
tout sentiment d’insécurité linguistique ? Enfin, peut-on encore ignorer aujourd’hui
la nature des rapports existant entre une langue, quelle qu’elle soit et quel que soit
son statut, et son mode d’appropriation ? De nombreux observateurs ont constaté
que la complémentarité fonctionnelle (qu’on opposera à la complémentarité offi-
cielle, qui souvent n’existe pas puisque les langues nationales africaines n’ont pas
encore fait l’objet d’une réelle reconnaissance institutionnelle se traduisant par leur
émergence dans les cursus d’enseignement) entre le français et les véhiculaires locaux
est remise en cause, de manière très dynamique certes, par l’émergence des nouvelles
représentations qu’ont les locuteurs africains du français. En effet, leur comporte-
ment linguistique donne à penser qu’une norme de référence non hexagonale, issue
de l’existence de parlers populaires voire argotiques, de l’apparition de spécificités
nationales, de la prise en compte de la variété interne (sociale et stylistique) et de la
nécessité d’adapter son discours aux situations de communication est en train de
naître.

- 149 -
LE POIDS DÉMOGRAPHIQUE DES
FRANCOPHONES : PASSÉ, PRÉSENT
ET PERSPECTIVES1

Richard MARCOUX
Université Laval, Québec

La présente contribution se donne comme objectif de circonscrire, d’une part, le


poids démographique de la Francophonie et d’autre part, de tenter un exercice pros-
pectif se donnant 2050 pour horizon, et cela en s’appuyant sur les toutes dernières
projections de population des Nations unies.

COMMENT DÉFINIR LA POPULATION FRANCOPHONE ?


Bien qu’elle puisse paraître banale, il n’est pas aisé de répondre à cette question, car
la définition de l’ensemble francophone dépend de la définition retenue pour ap-
procher le concept de francophonie, comme le souligne fort à propos Michel Tétu
(1992). Dans le cadre du présent exercice nous retiendrons deux approches, débou-
chant chacune sur deux scénarios prospectifs.
La première approche retient ce que Jean-Louis Roy, ancien Secrétaire général de
l’Agence de la francophonie, appelle l’espace francophone, qui regroupe l’ensemble
politique de la francophonie : on évalue la population des pays dits francophones,
en lui ajoutant les francophiles ou francophones vivant à l’extérieur de ces pays.
Selon Jean-Marc Léger (1987), la quarantaine de pays formant la francophonie au
milieu des années 1980 représentait 4 % de la population mondiale (soit un peu
plus de 200 millions d’habitants), mais la simple addition des populations des pays
où le français est reconnu comme langue officielle ou utilisé par une certaine pro-
portion de la population donnerait une estimation d’environ 380 millions de per-
sonnes. Jean-Louis Roy (1995 : 84) avance que l’espace francophone regrouperait au
milieu des années 1990 environ un demi-milliard de personnes.
De cette première approche il nous est possible d’obtenir deux types d’estimation de
la population de la Francophonie. D’une part on pourrait dire que l’on est franco-
phone si on appartient à cet ensemble de pays dits francophones. On peut d’une
part dire que la population francophone est celle des pays qui ont le statut de mem-

1
Ce texte reprend de nombreux éléments d’un article paru en 2004 dans les Cahiers québécois de démographie (Mar-
coux, 2003).
Le poids démographique des francophones

bres de plein droit de l’Organisation internationale de la francophonie en 2002 et où


le français a le statut de langue officielle. Nous définissons ici ce groupe formé de
29 pays comme étant l’ensemble des pays de la francophonie officielle. Il s’agit donc des
pays membres de l’OIF qui ont retenu le français comme langue officielle. La population de
cette « francophonie officielle » pouvait ainsi être estimée à 307 millions de person-
nes, et elle aurait doublé depuis 1960.

Tableau 1. Population (en milliers) appartenant à la francophonie selon trois définitions différentes de l’espace
francophone.

1960 2000

Population des pays de la


Francophonie officielle 146 838 306 692
Population des pays de la
Francophonie active 262 243 551 864
Population dite
francophone 174 524

Pop. mondiale totale 3 021 475 6 070 581

Source : Marcoux, 2003

La liste des membres en titre de l’OIF comprend également un certain nombre de


pays dont le français n’est pas l’une des langues officielles. La jeune organisation
internationale francophone qu’est l’OIF est largement façonnée par les vestiges de
l’entreprise coloniale française des XIXe et XXe siècles (Le Scouarnec, 1997). À la suite
d’un processus de décolonisation et de conquête des indépendances, la plupart des
ex-colonies françaises ont conservé un lien avec l’ancienne métropole, notamment en
participant activement aux instances de la francophonie. Celle-ci, comme institution
politique internationale, représente donc la population de l’ensemble de ces pays,
qu’ils comptent ou non une proportion importante de locuteurs francophones. Selon
cette variante, la population retenue est celle qui appartient à ce que l’on nomme les
pays de la francophonie active, donc celle des 29 pays membres de l’OIF dont le fran-
çais est l’une des langues officielles, plus celle des 16 autres pays membres de plein
droit de l’OIF en 2002 et dont le français n’est pas l’une des langues officielles. Il
s’agit par exemple de pays du Maghreb comme le Maroc et la Tunisie mais aussi de
pays d’Asie comme le Laos et le Vietnam, que l’histoire relativement récente a
conduits à maintenir un lien avec les institutions politiques de la francophonie. La
population de cette francophonie active pouvait être évaluée à plus d’un demi-

- 152 -
Richard Marcoux

milliard de personnes en l’an 2000, et elle aussi aurait connu un doublement depuis
le début des années 1960.
Nous référant à cette première approche, on pourrait nous reprocher de définir la
francophonie sans tenir compte des francophones… Comme le souligne Michel Tétu,
cette approche peut être trompeuse, « car contrairement aux pays d’Amérique du
Sud, par exemple, où la grande majorité de la population parle la même langue, les
pays dits francophones comptent des proportions extrêmement variables de locu-
teurs francophones » (1992 : 208).
La seconde approche nous permet de répondre à cette critique puisqu’elle repose sur
une estimation de la population francophone dans chacun des pays. Dans ce qu’il
appelle l’espace francophone, Jean-Louis Roy estime ainsi que l’on retrouverait 40 %
de « pratiquants » du français, soit environ 180 millions de personnes (cité par Le
Scouarnec, 1997: 22). Jean-Marc Léger, pour sa part, évaluait au début des années
1980 que les « parlant français » se chiffreraient à environ 70 millions dans les pays
francophones du Nord et à 30 à 35 millions dans les pays francophones du Sud (Léger,
1987). La deuxième approche consiste ainsi à évaluer les locuteurs francophones, ou
l’ensemble des individus qui font usage du français, qui le maîtrisent bien ou le maî-
trisent partiellement. Notre indicateur s’appuie sur des estimations du nombre de
francophones en 1997 et en 2000 dans plus d’une cinquantaine de pays du monde.
Cet indicateur national est obtenu à partir de deux études qui ont permis d’estimer
la proportion de francophones que compte chacun des pays (HCF, 1998; OIF,
2003). Il ne s’agit donc plus ici de définir la population francophone uniquement à
partir du lien politique et juridique qu’entretient le pays d’appartenance d’un indi-
vidu à l’égard des institutions francophones, mais plutôt de prendre en considéra-
tion la prévalence du français dans chacun de ces pays du monde où l’on trouve un
certain nombre de francophones, parfois une faible minorité. Sur cette base, la po-
pulation francophone du monde en 2000 était estimée à 175 millions de personnes,
soit un nombre proche de l’évaluation suggérée par Jean-Louis Roy. Il ne nous est
toutefois pas possible, sur la base des sources utilisées, d’estimer cette population
dans les années 1960.

NOUVELLES PROJECTIONS DES NATIONS UNIES : UNE RÉVOLUTION


Un exercice de projection des populations conduit à faire des hypothèses sur chacun
des trois paramètres qui conditionnent la croissance d’une population : la natalité, la
mortalité et les migrations. Jusqu’à la fin du XXe siècle, les projections des Nations
unies reposaient sur certains postulats qui ont été abondamment critiqués (Mathews,
1994 ; Singer, 2002). Les critiques portaient plus particulièrement sur la notion
d’équilibre, centrale dans les exercices de projection menés à New York, et concer-
naient plus particulièrement deux des trois paramètres, à savoir la fécondité et les
migrations. D’une part, les experts des Nations unies supposaient qu’il y aurait à
l’échelle de la planète convergence des transitions de la fécondité vers le fameux seuil
de 2,1 enfants par femme, niveau qui permet de garantir le remplacement des géné-
- 153 -
Le poids démographique des francophones

rations dans un contexte de faible mortalité. D’autre part, ces experts entrevoyaient
une augmentation continue de l’espérance de vie à la naissance, et ce pour
l’ensemble des pays en développement. Enfin, en matière de migration, on supposait
que l’on assisterait à une certaine convergence de tous les pays vers des soldes migra-
toires nuls.
La « révision 2002 » des projections représente un virage majeur, Jean-Pierre Guenguant
(2002) parlant même de révolution. Outre l’intégration attendue des effets de la
pandémie du VIH-sida sur les niveaux de mortalité dans de nombreux pays et la
prise en compte de la complexité des modèles de migrations internationales en fonc-
tion des mouvements passés, les nouvelles projections se démarquent principalement
des anciennes sur le point de la natalité : la convergence vers un seuil de remplace-
ment des générations n’est plus le postulat retenu. En effet, d’une part, les récentes
études montrent que dans de nombreux pays en développement la fécondité a dimi-
nué beaucoup moins rapidement que le laissaient supposer les prévisions antérieu-
res. D’autre part, la reprise envisagée de la natalité dans la plupart des pays dévelop-
pés ne s’est pas produite; ces pays présentant des niveaux de fécondité souvent infé-
rieurs au seuil de remplacement des générations (Bongaarts, 2002). De ce fait, la
croissance démographique de certains pays en développement devrait être beaucoup
plus importante que ne l’annonçaient les exercices de projection précédents. À
l’inverse, la nouvelle approche prospective conduit à prévoir un ralentissement
considérable de la croissance démographique dans les pays développés, et même une
décroissance plus rapide pour certaines régions et certains pays, avec le vieillissement
démographique qui accompagne ce phénomène. Il ne fait aucun doute que ces nou-
velles tendances conduisent à une reconfiguration majeure des poids démographi-
ques des pays de la planète.
La « Révision 2002 des projections démographiques mondiales » fournit des estima-
tions relatives à six prévisions distinctes2. La principale différence entre les scénarios
présentés tient aux hypothèses sur l’évolution des taux de fécondité. Sous la variante
moyenne par exemple — soit le scénario retenu ici pour la suite de l’exercice —, un
seuil relatif aux taux de fécondité a été fixé. Ainsi, pour les pays à fécondité moyenne
et élevée, aucune diminution en-dessous de 1,85 enfant par femme n’est prévue.
Conséquemment, 1,85 enfant par femme est la valeur-plancher sous laquelle la fé-
condité des pays concernés ne devrait pas chuter avant 2050. En ce qui a trait aux
pays à basse fécondité, les taux de fécondité devraient y demeurer inférieurs à 1,85
enfant par femme pendant une bonne partie de la première moitié du XXIe siècle,
tout en augmentant lentement pour atteindre 1,85 vers 2045-2050.

2
www.un.org/esa/population/unpop.htm.
- 154 -
Richard Marcoux

LA FRANCOPHONIE ET L’OBJECTIF D’ÉDUCATION POUR TOUS


L’utilisation de ces nouvelles perspectives démographiques pour estimer la population
de l’espace francophone est assez aisée. En effet, il ne nous suffit que de retenir
l’ensemble des pays de la Francophonie officielle ou de la Francophonie active pour
estimer ce que seront ces sous-ensembles dans les années à venir. On estime ainsi que
la population des pays qui ont aujourd’hui le français comme langue officielle sera de
677 millions de personnes en 2050, alors que la population de la Francophonie active
sera de plus de plus de un milliard d’habitants, soit 12 % de la population mondiale.
L’estimation du nombre de francophones en 2050 est toutefois plus délicate dans la
mesure où les taux de francophones pourraient être conduits à évoluer grandement.
Suivant l’hypothèse où nous conservons constantes les proportions de francophones
au cours des 50 prochaines années, nous pourrions obtenir 277 millions de locu-
teurs francophones, soit 100 millions de plus qu’en 2000.
Cette hypothèse du maintien des proportions de francophones dans le futur peut
paraître assez réaliste pour les pays francophones du Nord et pour les pays non fran-
cophones. Il en est autrement toutefois de certains pays du Sud, notamment ceux
d’Afrique subsaharienne où le français a le statut de langue officielle et où il est lar-
gement utilisé dans l’espace public (radio, télévision, journaux, fonction publique,
etc.) tout en cohabitant avec d’autres langues nationales ou locales.
Mais plus encore, le statut que conserve la langue française dans l’enseignement
public et privé mérite une attention particulière et représente à n’en pas douter un
enjeu crucial pour l’avenir du français. Dans la presque totalité des pays francopho-
nes d’Afrique subsaharienne, l’enseignement primaire, secondaire et supérieur se fait
exclusivement en français. Le problème pour l’instant est que les niveaux
d’éducation et d’alphabétisation y sont particulièrement faibles. Devant l’ampleur
des défis de développement, en Afrique notamment, et vu le rôle que joue
l’éducation, la plupart des intervenants internationaux réunis à Dakar autour de
l’UNICEF et de l’UNESCO se sont donné un programme d’action en se fixant
comme objectif l’éducation pour tous en l’an 2015. De ce fait, compte tenu des fai-
bles niveaux d’éducation dans de nombreux pays africains de la francophonie, dans
la mesure où les efforts accomplis pour relever ces niveaux d’éducation en vue
d’atteindre une alphabétisation globale avant 2015 se révéleront fructueux, on pour-
rait s’attendre à une augmentation considérable des proportions de francophones
dans ces pays au cours des prochaines décennies3.
Nous avons ainsi retenu un scénario que nous avons nommé Scolarisation du Sud
francophone, et qui suppose une augmentation des proportions de francophones dans
certains pays au cours des prochaines décennies et ce, grâce à une augmentation

3
L’étude du HCF (1998) et celle de l’OIF (2003) relèvent l’amélioration des taux de scolarisation pour expliquer
l’augmentation observée de locuteurs francophones en Afrique subsaharienne depuis la fin des années 1980. À
l’inverse, dans les pays qui ont connu un processus de déscolarisation, il y a eu diminution de la proportion de
francophones.
- 155 -
Le poids démographique des francophones

importante de la scolarisation primaire et secondaire en Afrique. Pour les fins du


présent exercice, nous avons donc fixé arbitrairement à 70 % en 2025 et à 95 % en
2050 les proportions de locuteurs francophones en Haïti et dans les 20 pays
d’Afrique subsaharienne où le français est l’une des langues officielles et la langue de
l’enseignement4. Soulignons que ce taux de 95 % que nous estimons pour 2050 est
celui que l’on obtenait à la Réunion, à la Martinique et à la Guadeloupe en 2000.
Selon ce scénario, la population des locuteurs francophones passerait de 174 mil-
lions en 2000 à près de 400 millions en 2025, pour atteindre plus de 680 millions en
2050. Le poids des francophones dans la population mondiale passerait ainsi de
2,9 % à 7,7 % de 2000 à 2050.

Tableau 2. Répartition (%) par continent des populations de la francophonie et des francophones, et effectifs
totaux (en milliers), selon quatre scénarios, 1960-2050

Continents 1960 2000 2050

Francophonie officielle
Afrique 43,8 % 62,0 % 80,3 %
Amériques 14,9 % 12,7 % 7,7 %
Europe 41,2 % 25,2 % 12,0 %
Océanie 0,1 % 0,1 % 0,1 %
Population de la
Francophonie officielle 146 838 306 692 677 203
Population mondiale 3 021 475 6 070 581 8 918 724

Francophonie active
Afrique 42,3 % 54,9 % 69,7 %
Amériques 8,4 % 7,1 % 4,9 %
Asie 16,3 % 18,5 % 15,7 %
Europe 33,1 % 19,5 % 9,7 %
Population de la
Francophonie active 262 243 551 864 1 072 013
Population mondiale 3 021 475 6 070 581 8 918 724

4
Il importe de préciser ici que, selon ce scénario, les proportions de francophones sont maintenues au niveau de
2000 pour les pays du Maghreb membres de l’OIF et dont le français n’est pas l’une des langues officielles. L’arabe
occupe dans ces pays un place très importante et les tendances récentes semblent indiquer une stagnation du nom-
bre de locuteurs francophones (Amrani, 2004).
- 156 -
Richard Marcoux

Continents 2000 2050

Francophones (stabilisation des taux de 1997-2000)


Afrique 47,7 % 63,0 %
Amériques 7,9 % 6,5 %
Asie 2,3 % 2,5 %
Europe 41,9 % 27,7 %
Océanie 0,3 % 0,3 %
Population francophone
(taux de scolarisation fixes) 174 524 276 836
Population mondiale 6 070 581 8 918 724

Francophones (scolarisation du Sud francophone)


Afrique 47,7 % 83,7 %
Amériques 7,9 % 3,9 %
Asie 2,3 % 1,0 %
Europe 41,9 % 11,2 %
Océanie 0,3 % 0,1 %
Population francophone
(augmentation scolarisation) 174 524 683 563
Population mondiale 6 070 581 8 918 724

CONCLUSION : RECONFIGURATION GÉOGRAPHIQUE


DE LA FRANCOPHONIE
Les tendances démographiques que prévoient les Nations unies et une large part de
la communauté scientifique des démographes conduisent, dans l’ensemble, à une
reconfiguration importante du poids des nations à l’échelle de la planète. Le monde
francophone n’est nullement épargné par cette reconfiguration. Quel que soit le
scénario retenu, l’Afrique voit son poids démographique augmenter : alors que
moins de la moitié des francophones du monde y vivaient en 2000, on peut
s’attendre à y trouver près de 84 % des locuteurs du français en 2050, soit plus d’un
demi-milliard des 680 millions de francophones de la planète.

- 157 -
Le poids démographique des francophones

Enfin, il ne faut pas oublier que les mécanismes assurant la croissance démographi-
que se répercutent directement sur les structures par âge des populations. Ainsi, le
processus de vieillissement accéléré des populations des pays occidentaux, associé au
maintien d’une fécondité plus élevée dans les pays d’Afrique, fait en sorte que les
jeunes se retrouvent en proportions plus importantes dans le Sud. Les trois « pères »
de la francophonie internationale, Hamani Diori, Léopold Sédar Senghor et Habib
Bourguiba, anciens présidents du Niger, du Sénégal et de la Tunisie respectivement,
seraient sûrement bien étonnés d’apprendre que 9 francophones de 15 à 29 ans sur
10 pourraient provenir de l’Afrique en 2050.
S’il semble destiné à passer par l’Afrique, l’avenir démographique de la francophonie
est conditionné par au moins deux éléments majeurs :
– des mesures fortes et efficaces dans le domaine de l’enseignement devront permet-
tre de relever substantiellement les niveaux d’éducation dans les pays de l’Afrique
francophone ;
– les pays de l’Afrique francophone et leurs populations devront considérer que ce
relèvement très sensible des niveaux d’éducation peut et doit se faire notamment
dans le cadre de programmes d’enseignement et de formation où la langue française
occupe une place importante.
Étant donné le multilinguisme pratiqué dans la plupart des pays d’Afrique, y com-
pris ceux de la francophonie, il faudra nécessairement identifier la place et le rôle de
la langue française par rapport aux autres langues en usage dans ces pays, mais éga-
lement aux autres langues qui semblent s’imposer dans le monde, notamment
l’anglais, l’arabe et l’espagnol. Compte tenu des écarts disproportionnés dans les
moyens dont disposent les pays, il est évident que l’avenir démographique de la fran-
cophonie dépendra grandement des gestes de solidarité et des efforts que seront
prêts à consentir les pays du Nord de la francophonie à l’endroit des pays franco-
phones d’Afrique. Les acteurs de la francophonie auront aussi un rôle majeur à jouer
pour susciter ou maintenir un intérêt pour le développement du français dans de
nombreux secteurs en Afrique, notamment dans les médias (écrits, radiophoniques,
audiovisuels et électroniques), dans les milieux des arts (cinéma, littérature, etc.) et
dans le secteur de l’enseignement et de la recherche scientifique.

- 158 -
POUR UN PARTENARIAT ENTRE LE
FRANÇAIS ET LES LANGUES ROMANES

Jean-Marie KLINKENBERG
de l'Académie royale de Belgique,
Université de Liège

Le français fait partie des langues néo-latines ou romanes. Le mot « roman » provient
du latin romanus, « citoyen de Rome » : il renvoie donc originellement à une réalité
politique et non langagière. C'est que le latin doit sa fortune à l’État qui portait le
nom de sa capitale : Rome. Dans l’empire que Rome avait progressivement constitué
sur le pourtour méditerranéen, cette langue s'était répandue avec des fortunes diver-
ses, mais de façon suffisamment spectaculaire pour apparaitre comme un puissant
symbole de la citoyenneté romaine. On comprend donc que romanus ait pu prendre
une signification linguistique. Un sens qui va subsister chez les descendants de ceux
qui avaient adopté « la langue des Romains » après la disparition de l'Empire. Les
parlers romans d’aujourd’hui sont la forme qu’a progressivement revêtue ce latin,
« venu à pied du fond des âges ».
Insister sur la romanité du français peut signifier plusieurs choses.
D’une part, la perspective romane a une évidente pertinence dans le champ de la
linguistique historique. La romanistique, ou linguistique romane, y a permis de subs-
tantielles avancées au XIXe siècle, et constitue aujourd’hui encore un champ
d’investigation dynamique. Replacer le français dans le cadre des parlers latins per-
met d’éclairer les phases anciennes de son évolution en même temps que de prendre
la mesure de ses originalités structurelles.
Il peut aussi s’agir de tirer parti des correspondances typologiques entre langues ro-
manes, corollaire de leur origine commune, par exemple pour mettre au point des
méthodes de compréhension interlinguistique, ou pour y harmoniser la production
terminologique.
Mais insister sur la latinité du français peut aussi renvoyer au désir de l’arrimer à un
système de références idéologiques, au nom du grandiose passé romain. En une dé-
marche essentialiste, les usagers des langues romanes se voient ainsi intégrés à une
collectivité mythique (quand on ne fantasme pas sur une bien suspecte « race latine ») ;
mythique dans la mesure où les groupes que constituent ces locuteurs ont des origi-
nes, des cultures et des statuts tels qu’il est bien malaisé de percevoir leur unité.
Pour un partenariat entre le français et les langues romanes

C’est de ces hésitations que témoigne le destin de l’Union latine (qu’on ne confon-
dra pas avec son homonyme, qui, en 1865, fut la première forme d'union monétaire
entre des pays européens). Le préambule de la Convention de Madrid de 1954, qui
instituait cette organisation internationale, se réfère ainsi aux « valeurs spirituelles »
d’une « civilisation humaniste et chrétienne » et entend promouvoir une « culture
latine » qui est à la fois mystérieuse (puisqu’il ne s’agit pas de celle de la Rome anti-
que, excepté peut-être en ce qui concerne une certaine tradition juridique) et pro-
metteuse d’interculturations (car en se fondant sur l’association linguistique, l’Union
met en contact des entités variées quant à leurs situations linguistiques et culturelles,
leurs niveaux économiques et leurs organisations politiques). Regroupant initiale-
ment une douzaine d’États, l’Union ne s’est réellement dotée de moyens qu'en 1983
(sous forme d’organisation intergouvernementale impulsée par la France, qui en est
le plus gros contributeur avec l’Italie). Elle compte aujourd'hui 35 membres (15 en
Amérique latine, son centre de gravité, huit en Europe, sept en Afrique, deux en
Asie, trois en Caraïbes) et deux observateurs permanents (Argentine et Saint-Siège).
La Belgique, le Canada et la Suisse n’en font pas partie, pas plus que les pays franco-
phones d’Afrique et de l’Océan Indien, ce qui en réduit le poids politique et écono-
mique et relativise son impact dans la Francophonie.
Si elle s’est d’abord surtout vouée à la promotion des cultures des pays membres,
notamment dans les domaines des beaux-arts et de la littérature, l’Union latine a par
la suite redéployé ses activités en direction de la promotion et de l’enseignement des
langues romanes d’une part, de la terminologie et des industries de la langue d’autre
part. Sur le premier versant, elle est active dans l’élaboration de programmes d’éveil
aux langues et d’entrainement à l’intercompréhension (programmes prenant appui
sur les parentés typologiques entre idiomes romans et souvent élaborés en partena-
riat avec la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, avec le
Mercosur educativo et avec l’Agence universitaire de la Francophonie), elle encou-
rage la mise au point de pédagogies interlinguistiques de formation de formateurs,
dont on peut regretter que des freins limitent leur généralisation. Sur le second,
l’Union latine pilote les réseaux ibéro-américain (RITerm) et pan-latin de terminolo-
gie (Realiter), ainsi que le serveur européen de terminologie (ETIS), et participe aux
travaux des associations européennes (AET) et internationales (Infoterm) de termi-
nologie, au Réseau international de néologie et de terminologie (RINT), franco-
phone, et à certaines commissions de terminologie du Mercosur.
L’Union, dont les moyens sont limités, reste timide sur le plan de la définition de politi-
ques linguistiques générales, bien qu’elle ait conclu des accords organiques avec l’OEI
(Oficina de Educación Iberoamericana ; 1978), l’Istituto Italo-Latinoamericano (1995),
la CPLP (Comunidade dos Países de Língua Portuguesa ; 2000), l’OIF (accord signé
en 1996 avec l'Agence de coopération culturelle et technique), ainsi qu’avec
l’UNESCO (1985), qui héberge plusieurs de ses activités. Mais l’évolution de son
action pointe l’intérêt des coopérations interlinguistiques, qui se déploient efficace-
ment dans des zones plus restreintes, par exemple celle du Mercosur.

- 160 -
Jean-Marie Klinkenberg

À condition de renoncer à sa tradition centralisatrice, le français pourrait avec profit


s’inscrire dans de telles coopérations interlinguistiques : en mobilisant à cet effet les insti-
tutions et les organisations sur lesquelles il s’appuie déjà, il bénéficierait du dynamisme
exceptionnel des autres langues romanes, espagnol et portugais surtout. Or ce dyna-
misme est à la fois interne (qu’on songe à la créativité de ces deux langues dans l’espace
latino-américain) et externe : l’expansion démolinguistique actuelle de ces langues, par
exemple, a d’indéniables répercussions sur la demande d’apprentissage. Plutôt que de
fonder des politiques linguistiques sur une logique de concurrence, il serait certai-
nement pertinent pour la Francophonie de favoriser l’alliance des langues romanes à
l’intérieur et à l’extérieur des pays potentiellement membres de l’Union. Imaginons
des systèmes éducatifs proposant des apprentissages simultanés de langues néo-
latines. Imaginons un marché intégré des cours de langues romanes dans tous ces
pays à travers une entente entre les Alliances françaises, les Institutos Cervantes, les
Istituti Italiani di Cultura et les Institutos Camões et Machado de Assis, lesquels
bénéficient déjà d’un accord de coopération entre le Portugal et le Brésil (2006).
Pensons également au développement du tourisme linguistique roman grâce aux
méthodologies d’intercompréhension.
Mais il est patent que le succès de telles coopérations n’est assuré que lorsqu’elles
sont adossées à un projet économique ou politique (ce qui est le cas avec le Merco-
sur). Une synergie entre espagnol, portugais et français pourrait ainsi jouer un rôle
dans le processus d’intégration des Amériques ; une autre entre italien, espagnol et
français dans l’espace méditerranéen, entre le portugais et le français d’Afrique per-
mettrait d’affronter en partenariat les défis du développement.

- 161 -
L’AVENIR DU FRANÇAIS
EN EUROPE

Claude TRUCHOT
Université Marc Bloch, Strasbourg

DANS LES COMMUNAUTÉS FRANCOPHONES


En France, en Communauté française de Belgique (Wallonie-Bruxelles) et dans les
Cantons de Suisse romande, le français est connu de la quasi-totalité des populations
et est depuis longtemps la langue maternelle de leur très grande majorité. Le français
y gagne des locuteurs par le jeu de la croissance démographique, à un rythme sensi-
blement supérieur à celui des autres langues européennes. Les populations d’origine
étrangère apprennent la langue, qui est en mesure d’exprimer la modernité, et s’y
assimilent. L’assise du français est donc forte dans ces régions et les fonctions que le
langage assume dans le monde moderne tendent à la renforcer.
Cette dynamique interne du français n’est pas moindre en Belgique et en Suisse
qu’en France. Mais on s’interroge certes sur l’avenir du français dans certains sec-
teurs de ces territoires.
On sait qu’une partie de l’intelligentsia flamande considère Bruxelles comme un
territoire francisé à reconquérir ; mais les mesures prises paraissent plutôt placer une
couverture néerlandophone sur un ensemble très majoritairement francophone.
Deux faits montrent au demeurant la réalité linguistique de Bruxelles : la création
culturelle, particulièrement dynamique, s’y effectue essentiellement en français ; et
c’est ce dernier qui est langue d’intégration et d’assimilation des immigrants, lesquels
représentent une forte proportion de la population de la Région de Bruxelles-
Capitale. On s’inquiétera en revanche du rôle grandissant de langue supracommu-
nautaire dévolu à l’anglais. En Flandre, le français est demandé dans les entreprises,
et il reste assez bien connu d’une partie de la population, tout en continuant à être
rejeté pour des raisons historico-politiques : une contradiction qui ne semble pas
près de s’atténuer (sur ceci, voir Blampain, Goosse, Klinkenberg, Wilmet, 1997).
Dans la Confédération helvétique, il est malaisé d’évaluer l’impact de la décision ré-
cente de certains Cantons alémaniques, suivant en cela l’exemple de celui de Zürich,
de remplacer le français par l’anglais comme première langue vivante enseignée. Il est
probablement plus politique que linguistique (dans la mesure où l’enseignement des
langues des communautés linguistiques a surtout pour objectif de renforcer la cohé-
L'avenir du français en Europe

sion nationale) : c’est tout le statut des Suisses romands qui se trouve affaibli. Mais
les Cantons alémaniques n’ont pas tous suivi Zürich.
Depuis les années 1980, le statut du français a en partie changé au Grand-Duché de
Luxembourg. Historiquement langue des élites et de l’administration, le français est
également devenu la principale langue d’intégration de la population d’origine
étrangère (environ 30 % des habitants). L’explication qui est donnée à ce choix lin-
guistique est que ces populations nouvelles sont majoritairement de langues roma-
nes. Mais le luxembourgeois, désormais langue nationale, s’est parallèlement affirmé
en dehors de son cadre social traditionnel, à l’école et dans les pratiques écrites.
Cette dynamique semble destinée à se confirmer.
La politique scolaire de bilinguisme dans la Vallée d’Aoste en Italie y a incontesta-
blement développé la connaissance du français, en fort déclin jusque dans les années
1980. Mais ceci ne semble pas de nature à déterminer les pratiques linguistiques
dans les sphères publique et privée. Même si la région bénéficie d’une forte autono-
mie, ces pratiques sont celles d’un pays où la langue nationale est fermement im-
plantée.
Les craintes sur l’avenir du français s’expriment de plus en plus nettement dans la
francophonie européenne. Elle prennent le plus souvent la forme d’un jugement sur
la détérioration de la langue — qui serait due à l’expansion des parlers urbains non
standard et aux emprunts à l’anglais — et sur les conséquences de l’usage véhiculaire
de l’anglais.
Le développement des parlers urbains non standard est un phénomène qui n’est pas
propre au français mais touche de nombreuses langues : ces parlers se développent
au fur et à mesure que la langue écrite et orale standard s’impose dans la sphère pu-
blique (notamment en raison des exigences professionnelles et des normes de plus
en plus élaborées qui encadrent la vie sociale) ; or un nombre croissant d’individus
restent à l’écart cette variété standard, du fait de l’exclusion sociale, de la baisse de
l’investissement public dans l’éducation, et de la privatisation de ce secteur, qui
creuse les inégalités. Par exemple, en France, obtenir le permis de conduire exige à
présent de bien maîtriser le français écrit, et ce qui amène de plus en plus de per-
sonnes, pour la plupart jeunes et issues de milieux défavorisés, à conduire sans per-
mis. Ce qui est en cause, ce n’est donc pas la détérioration du français mais la fonc-
tion de la langue dans la cohésion sociale.
L’emprunt à l’anglais s’est considérablement renforcé si on le compare avec ce qu’il
était il y a une quinzaine d’années (Truchot, 1990). Il s’agissait alors d’une pratique
relativement périphérique (discours branchés, usage connotatif dans la publicité) et
dont l’impact sur la langue standard restait faible. Désormais, des termes anglais sont
utilisés de manière courante dans la communication. Cette pratique est particuliè-
rement évidente dans la dénomination des entreprises, marques, produits, services,
loisirs. On peut considérer cette pratique comme de nature idéologique, dans la
mesure où son objectif est d’exprimer la modernité et l’internationalité en évitant
- 164 -
Claude Truchot

l’usage de la langue nationale. Elle est préoccupante pour l’avenir du français car elle
tend à convaincre ses locuteurs que, contre toute évidence, leur langue est archaïque
et dépassée (cf. Garsou, 1991).
Sans que ceci doive amener à sous-estimer la progression de l’usage véhiculaire de
l’anglais, l’observation du terrain montre toutefois qu’il est nettement moins établi,
notamment dans le monde du travail, que ce que font croire les représentations
répandues (DGLF, 2004). Bien souvent ce n’est pas la nécessité de l’usage qui en-
traîne le besoin de connaissance en anglais, mais sa connaissance — au demeurant
assurée par les systèmes éducatifs payés par le citoyen — est exploitée à des fins com-
merciales. Dans de nombreux cas, le français pourrait être utilisé, moyennant des
aménagements ou simplement la volonté de le faire. En fait derrière les fonctions
véhiculaires que l’on proclame comme indispensables, ce qui s’exprime ici est une
idéologie reposant sur le postulat de la supériorité de l’international et du global, et
présentant de manière négative tout ce qui est local ou national. Ce qui s’exprime
aussi probablement, c’est le rôle que l’anglais joue dans les rapports de pouvoir, et le
rôle de marqueur social qu’il assume auprès de ceux qui aspirent à se différencier de
la masse de la population, pour laquelle le français est, ou est devenu, une langue
vernaculaire (cf. Klinkenberg, 2001).
Il est vraisemblable que ce discours est amené à se confirmer dans l’avenir, sinon à se
renforcer, à moins d’un travail volontariste sur les représentations de la langue, mené
principalement auprès des faiseurs d’opinion (cf. Wynants, 2001).

SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE


De fortes préoccupations s’expriment quant au statut international du français en
Europe, qui portent en fait surtout sur son rôle dans les institutions de l’Union eu-
ropéenne1. Il importe là aussi de situer la nature des problèmes. Rappelons que les
institutions communautaires sont depuis 1958 régies par un régime linguistique qui
établit les langues officielles des États membres (quatre à l’origine, 20 en 2005)
comme langues officielles et de travail. Dans la pratique, ces langues ont été traitées
sur un pied d’égalité relative dans la communication officielle externe. Mais dès les
origines la communication interne s’est organisée, de manière plus ou moins tacite,
selon des usages linguistiques préférentiels. Pendant près de quarante ans, la préfé-
rence a été accordée au français. L’anglais, qui a été introduit dans les années
soixante-dix, a d’abord été utilisé surtout dans la communication externe (relative à
la gestion des programmes par exemple). Cet usage externe s’est élargi au fur et à
mesure que les compétences politiques des institutions grandissaient, c’est-à-dire de
manière spectaculaire, mais la culture de l’organisation maintenait en interne une
certaine précellence du français. Et, à la faveur des élargissements de 1995 et de 2004
notamment, l’organisation s’est orientée en direction de la culture globalisée, dont la

1
Voir ici même la contribution d’Alexandre Wolff, « Le français dans les organisations internationales ».
- 165 -
L'avenir du français en Europe

langue de référence est l’anglais. Cette fusion a été accélérée par une réorganisation
imposant des normes plus proches de celles des entreprises multinationales que de
celles des administrations nationales (et en particulier de l’administration française,
longtemps influente). Le français a donc perdu une partie de ses positions, même si
celles qui lui restent sont enviables par rapport à celles des autres langues.
Les mesures prises, notamment par la France et la Communauté française Wallonie-
Bruxelles, pour renforcer le statut du français sont utiles et nécessaires (comme la for-
mation au français des fonctionnaires et diplomates en poste à Bruxelles), mais reste-
ront d’une efficacité limitée. Ce qui permettrait d’assurer l’avenir du français serait
une refonte du régime linguistique officiel, laquelle établirait explicitement une dis-
tinction entre les langues officielles et les langues de travail. Le régime des langues
officielles offrirait aux citoyens les garanties du régime actuel, et devrait certainement
les améliorer. Le régime des langues de travail, quant à lui, garantirait le fonctionne-
ment plurilingue de l’organisation, les instances communautaires étant alors contrain-
tes de maintenir un équilibre entre ces langues. Ce qui est possible si leur nombre fait
l’objet d’une limitation raisonnable (par exemple à trois : anglais, allemand, français).
On peut citer à titre de comparaison le Conseil de l’Europe, où un équilibre est main-
tenu entre l’anglais et le français dans le fonctionnement interne.
En l’état actuel de l’Union européenne, il est peu probable qu’une telle refonte soit
acceptée, et même proposée. L’anglais a donc toutes les chances de continuer à pro-
gresser. Mais il nous semble nécessaire malgré tout de lancer le débat.
Tableau 1 : Langues des textes primaires de la Commission européenne (en %).
Pages reçues et produites en 2001 (en %)

Langue Entrées Sorties


Anglais 56,8 11,6
Français 29,8 12,7
Allemand 4,3 13,0
Italien 2,0 8,4
Espagnol 1,6 8,9
Néerlandais 1,5 8,0
Grec 1,1 7,8
Suédois 0,7 7,2
Portugais 0,7 7,8
Danois 0,6 7,1
Finnois 0,6 7,1

Source : Service de traduction de la Commission européenne

- 166 -
Claude Truchot

Tableau 2 : Langues des textes primaires de la Commission européenne 1986-2003 (en %)

Français Anglais Allemand Autres

1986 58 26 11 5

1989 49 30 9 12

1991 48 35 6 11

1996 38,5 44,7 5,1 11,7

1997 40,4 45,3 5,4 8,9

1998 37 48 5 10

1999 35 52 5 8

2000 33 55 4 8

2001 30 57 4 9

2002 29 57 5 9
2003 28 59 4 9

Source : Service de traduction de la Commission européenne

Ce recul du français dans les institutions communautaires est dommageable pour


son statut international en général, mais il n’est pas la conséquence ou le reflet d’un
déclin général. Toutefois, il est renforcé par une représentation trop floue de ce
qu’on peut faire avec cette langue, et souvent par son image de « langue perdante ».
Alors qu’un certain nombre d’observations objectives font apparaître des réalités
plus positives, même s’il convient d’être prudent sur l’avenir.
L’aspect le plus négatif du processus est sans doute le tassement des effectifs scolaires
des apprenants du français langue étrangère (OIF, 2005). Il faut souligner qu’il
s’inscrit dans un recul général de l’enseignement des langues autres que l’anglais,
recul qui pour l’instant atteint d’ailleurs moins le français. Cette baisse est due en
grande partie à la réorientation de l’investissement public éducatif vers
l’enseignement de l’anglais aux dépens des autres langues, problème politique préoc-
cupant et particulièrement mal géré tant au niveau européen qu’à celui des gouver-
nements nationaux, y compris francophones2. Comme ailleurs, et notamment en

2
On saluera néanmoins l’initiative de la Communauté française de Belgique de développer les méthodes d’éveil aux
langues dans l’enseignement primaire plutôt que l’apprentissage de l’anglais comme en France (voir ici même la
contribution de Jean-François de Pietro).
- 167 -
L'avenir du français en Europe

Amérique latine3, ce tassement du français est partiellement compensé par le succès


des filières francophones ou bilingues (enseignement secondaire et supérieur), particu-
lièrement en Europe centrale et orientale. On relèvera quand même le caractère ambi-
gu de ce succès puisqu’il est fondé sur le caractère sélectif de ces filières. Par ailleurs, les
effectifs des établissements d’enseignement du français aux adultes (Alliances françai-
ses, Instituts culturels français) sont en augmentation régulière. Cette augmentation
est souvent mise en relation avec la présence d’entreprises françaises (bien que celles-
ci affichent rarement leurs besoins en langue française). On relèvera aussi le succès
grandissant de la certification en français, mais les outils et procédures de certifica-
tion ayant été mis en place de manière récente, il est prématuré d’en tirer des
conclusions (DGLF, 2004).
La connaissance du français en Europe semble relativement répandue, contrairement
aux idées reçues. Une étude récente d’Eurobaromètre (2001), l’organisme d’enquête
de la Commission européenne, établit que 19 % des Européens ont une connaissance
du français en tant que langue étrangère (anglais 41 %, allemand 10 %, espagnol 7 %,
italien 3 %). Cette connaissance semble de plus en plus fondée sur « l’apprentissage
tout au long de la vie ». Les personnes interrogées placent aussi le français à un niveau
relativement élevé dans un classement des langues les plus utiles : anglais 75 %, fran-
çais 40 %, allemand 23 %, espagnol 18 %. Ces données, fondées sur des déclara-
tions subjectives, doivent être interprétées avec prudence, mais elles révèlent au
moins certaines représentations positives du français sur la scène internationale.
L’enseignement supérieur en français reste attractif, dans les universités francopho-
nes et dans les filières francophones. C’est d’ailleurs sur leur capacité à maintenir cet
intérêt que va se jouer une partie de l’avenir de la langue. De ce point de vue, la
faiblesse chronique de l’investissement dans l’enseignement supérieur en France est
préoccupante, alors que l’internationalisation des universités s’effectue à un rythme
accéléré, et que le recours à l’anglais comme véhicule de l’enseignement supérieur se
développe dans tous les pays européens (voir l’étude de Ulrich Ammon et Grant
McConnell). La standardisation européenne des filières et des diplômes universitaires
sur le modèle américain, appelée aussi « processus de Bologne », aura certainement des
conséquences linguistiques, dont certaines sont déjà perceptibles en 2005. Mais jus-
qu’à présent elles ont été ignorées par les pouvoirs publics compétents (Truchot,
2006).
Enfin, l’intérêt d’un nombre important de pays européens pour les organisations de
la Francophonie constitue assurément un phénomène positif : huit pays membres,
quatre associés, dix observateurs en 2005 (OIF, 2005). Mais l’essentiel résidera ail-
leurs : il sera dans les initiatives prises par ces pays en faveur du français, et dans les
initiatives des pays francophones en faveur de leurs langues.

3
Voir ici la contribution de Patrick Chardenet et José Carlos Chaves da Cunha.
- 168 -
Claude Truchot

Le cas de l’Estonie
Denis Soriot
Ministère des Affaires étrangères et européennes

Selon une enquête réalisée entre octobre 2003 et avril 2004 par le Centre culturel et de
coopération linguistique (CCCL) de Tallinn, parmi 1000 jeunes fonctionnaires appre-
nant le français, la langue française est la langue par excellence pour être apprise
comme troisième langue après l’anglais et le russe. 95,3 % pensent que l’anglais est
indispensable comme première langue étrangère. La majorité (60,5 %) trouvent que le
russe doit être leur deuxième langue étrangère et 45,5 % pensent que la maîtrise du
français comme troisième langue étrangère est d’une grande utilité. Sans doute l’entrée
de l’Estonie dans l’Union européenne a-t-elle motivé davantage non seulement les adminis-
trations à financer les formations au français mais aussi nombre de fonctionnaires à prendre
des cours de français. Ces derniers soulignent que le français est nécessaire mais qu’ils ne le
maîtrisent pas suffisamment, ce qui explique leur souhait de se perfectionner en français à
des fins plutôt professionnelles (66,5 %). Le jeune fonctionnaire estonien, bien qu’il n’utilise
pas le français au travail, participe aux formations proposées de sa propre initiative dans
85 % des cas. Les objectifs visés dans apprentissage du français sont les suivants : la compré-
hension de documents écrits en français, l’expression orale, la recherche d’information dans
des sources en français, la participation aux séances de travail en français, etc. Malgré la
faible présence d’investisseurs français en Estonie (la France occupe le 11e rang des investis-
sements étrangers), les jeunes fonctionnaires estoniens choisissent d’apprendre le français.

Motivations exprimées par les fonctionnaires estoniens apprenant le français


Pour avoir des échanges professionnels avec des collègues francophones...........................28,8 %
Pour faire connaissance avec la langue française..................................................................26,4 %
Pour faire connaissance avec la culture française.................................................................16,1 %
Pour travailler avec des documents issus des institutions européennes...............................15,4 %
Pour travailler en Estonie dans le cadre de la coopération multilatérale............................. 6,7 %
Pour travailler dans une institution européenne.................................................................. 6,5 %

- 169 -
L'AVENIR DU FRANÇAIS
EN AMÉRIQUE DU NORD

Lise DUBOIS
Université de Moncton
Jacques MAURAIS
Directeur de la recherche et de l'évaluation à l'Office québécois de la langue française
Michel PAILLÉ
Chaire Hector-Fabre, Université du Québec à Montréal

HISTORIQUE
Le français a été implanté en Amérique du Nord dès le tout début du XVIIe siècle. À
son apogée, l'empire français d'Amérique s'étendait de l'Atlantique aux Rocheuses,
de la baie d’Hudson au golfe du Mexique, empêchant l'expansion vers l'intérieur du
continent des colonies britanniques beaucoup plus peuplées (1 610 000 personnes
en 1760) établies le long du littoral atlantique. Au moment du traité de Paris (1763),
par lequel la France cédait à l'Angleterre le Canada, l'Acadie et la rive gauche du
Mississipi, la population de la Nouvelle-France était évaluée à quelque 70 000 per-
sonnes (en excluant les autochtones). En 1791, le parlement anglais adopte une loi
qui divise le territoire canadien en deux colonies, le Haut-Canada et le Bas-Canada,
ce dernier à majorité française, et qui introduit le parlementarisme. Le premier débat
de la Chambre d'assemblée, en janvier 1793, porte sur la question des langues. Lors
de l'union des deux Canadas en 1840, le français perd son caractère de langue offi-
cielle pour le retrouver en 1848. À la naissance de la Confédération canadienne en
1867, le français et l'anglais sont déclarés langues officielles du parlement fédéral
ainsi que de la législature et des tribunaux dans la province de Québec. Lorsque de
nouvelles provinces sont créées, elles sont officiellement bilingues, comme le Manitoba
en 1870. Mais plusieurs lois ou règlements, dans les provinces à majorité anglo-
phone, restreignent ou interdisent l'enseignement du français ou lui enlèvent son
caractère de langue officielle (Manitoba, 1890). La plus célèbre de ces mesures contre
le français est sans doute le règlement 17, adopté par l'Ontario en 1912, qui restreint
l'enseignement du français aux francophones aux deux premières années de l’école
primaire dans le but manifeste de les assimiler. Pendant un siècle, le régime fédéral
canadien, notamment par sa politique d'immigration, aura contribué à la minorisa-
tion de la population francophone. La figure 1 montre que la progression numéri-
que des francophones au Canada (qui atteignent près de 6,8 millions en 2001) n’a
pas empêché leur recul relatif (de 31,1 % à 22,9 % en 130 ans).
L'avenir du français en Amérique du Nord

Figure 1 : Les francophones au Canada, 1871-2001


évolution numérique et proportion

10 35%
Millions

30%
8
25%
6 20%
4 15%
10%
2
5%
0 0%
1871 1901 1911 1921 1931 1941 1951 1961 1971 1981 1991 2001

Origine ethnique (N) Langue maternelle (N)


Origine ethnique (%) Langue maternelle (%)

DYNAMIQUE
La constitution de 1982, avec sa « Charte des droits et libertés », tout en contrecar-
rant la législation linguistique du Québec sur certains points, a constitué, pour les
francophones vivant dans les provinces et territoires anglophones, l'assise juridique
qui leur a permis de faire reconnaître des droits qu'on leur avait précédemment niés
ou enlevés. À la suite de contestations judiciaires, les francophones ont ainsi pu ob-
tenir le droit de gérer leurs écoles partout au Canada (ce qui ne signifie pas que cela
est une réalité partout). En revanche, l'enseignement du français langue seconde
n'est pas obligatoire dans les provinces anglophones (sauf au Nouveau-Brunswick) ;
ces provinces ont toutefois connu, depuis les années 1970, un engouement pour les
classes d'immersion française, ce qui a contribué à la croissance de la proportion des
Canadiens qui ont le français comme seconde langue. Le tableau 1 montre les pour-
centages de bilinguisme français-anglais dans les provinces (hormis le Québec) et les
territoires en 2001.
Tableau 1 : Bilinguisme français-anglais au Canada à l'extérieur du Québec, 2001

Province % Province %

Terre-Neuve-Labrador 4,1 Manitoba 9,3


Île-du-Prince-Édouard 12,0 Saskatchewan 5,1
Nouvelle-Écosse 10,1 Alberta 6,9
Nouveau-Brunswick 34,2 Colombie britannique 7,0
Ontario 11,7 Territoires 7,6

Source : Marmen et Corbeil, 2004.

- 172 -
Lise Dubois, Jacques Maurais, Michel Paillé

La tardive reconnaissance juridique des droits des francophones dans les provinces
anglophones ne saurait redresser une situation démographique préoccupante. Le
taux d'anglicisation est particulièrement élevé, allant de 17,9 % en 1931 à 37,5 % en
2001 (tableau 2), sauf au Nouveau-Brunswick où il était tout de même de 8,8 % en
2001 (tableau 3). Fait encore plus inquiétant pour l’avenir de la langue française
dans les provinces à majorité anglophone, une forte proportion de francophones se
marie à des personnes d’une autre langue, ce qui augmente la propension à
l’anglicisation.
Tableau 2 : Anglicisation des Canadiens francophones à l'extérieur du Québec, 1931-2001

Ancienne Nouvelle
Année définition Année définition
1931 17,9 1971 27,0
1941 19,1 1981 27,8
1951 26,7 1991 34,8
1961 27,2 2001 37,5

Ancienne définition : rapport de l’effectif selon la langue maternelle sur celui selon l'origine ethnique française ;
nouvelle définition : rapport de l’effectif qui parle français le plus souvent sur celui dont le français est
la langue maternelle. Sources : 1931-1961 : Lachapelle et Henripin, 1980 ; 1971-2001 : Marmen et Corbeil, 2004.

Au Canada francophone, la maîtrise du français demeurera sans doute encore long-


temps une question d’actualité. Même si on a essayé de les présenter sous leur jour le
plus favorable pour le Québec, en insistant sur le seul critère (la structuration du
texte) où les jeunes Québécois se classaient en tête, les résultats de l’enquête interna-
tionale DIEPE (comparant des productions écrites d’élèves de France, de Belgique,
du Québec et du Nouveau-Brunswick) ne laissent pas d’être préoccupants pour les
Québécois et, encore plus, pour les francophones du Nouveau-Brunswick.
L’amélioration ne pourra venir que d’un changement d’attitudes, en particulier du
corps enseignant, lequel éprouve des difficultés à concilier les représentations parfois
contradictoires touchant le français standard et les variétés régionales, ce qui est
source d’insécurité linguistique. L’accroissement des contacts avec la langue écrite
des autres pays francophones et, surtout, celui des contacts avec la langue parlée
depuis l’apparition du cinéma parlant sans compter, plus récemment, la participa-
tion active à des réseaux nationaux et transnationaux, ont amené une plus grande
connaissance du vocabulaire standard (et même argotique). La mondialisation ne
pourra qu’accroître cette tendance. En revanche, du côté phonétique, l’évolution en
cours se fait vers une koïnéisation propre au Canada.
La question de la norme, endogène ou exogène, continue de soulever des débats, voire
des passions. Il est vraisemblable que cette question trouvera sa réponse à Montréal,
métropole francophone du Canada, principal lieu de création culturelle, moteur de
l'évolution linguistique. Or, les enfants francophones de langue maternelle française
y constituent maintenant moins de la moitié de la population scolaire (45 % en
- 173 -
L'avenir du français en Amérique du Nord

2003-2004). Une enquête (Bouchard et Maurais, 1999) a montré que les parents
immigrants favorisent un modèle linguistique plus proche du français européen. La
dynamique sociolinguistique de Montréal pourrait donc connaître des infléchisse-
ments à mesure que ces enfants d’« allophones », en vieillissant, occuperont une
place de plus en plus grande sur le marché linguistique québécois.

LE QUÉBEC
Bien qu'il ait toujours été majoritaire au Québec, le français y a connu une situation
de minoration progressive jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle : l'anglais s'imposait
comme langue du commerce et des affaires, les immigrants choisissaient en majorité
(80 %) d'inscrire leurs enfants dans des écoles anglaises, les personnes de langues
tierces étaient beaucoup plus nombreuses à adopter l’anglais plutôt que le français
comme langue parlée à la maison.
Les lois linguistiques des années 1970 ont permis de redresser la situation : doréna-
vant, les enfants d'immigrants doivent être scolarisés en français, les mesures législa-
tives cherchent à faire du français de plus en plus la langue du travail. L’inscription
des immigrants à l’école française s’est faite graduellement, car tous ceux qui
s’étaient prévalus du libre choix de la langue d'enseignement avant l’adoption de la
loi 101 ont conservé ce droit pour eux-mêmes, leurs frères et sœurs et tous leurs
descendants. Néanmoins, l’analyse du choix de la langue parlée au foyer par les per-
sonnes de langues tierces montre une préférence de plus en plus marquée pour le
français, surtout chez les jeunes immigrants touchés par la scolarisation en français.
Toutefois, les limites de l'intervention législative commencent à apparaître à la fin
des années 1990 : la francisation des milieux de travail semble avoir atteint ses limi-
tes, l'école française a fait le plein des immigrants qu'elle pouvait accueillir, mais
ceux-ci sont trop peu nombreux pour contrer pleinement une fécondité trop faible
(indice de fécondité de seulement 1,49 enfant en 2004). En dépit d’un solde migra-
toire négatif des anglophones avec le reste du Canada, les inscriptions à l'école an-
glaise enregistrent une remontée soutenue depuis 1992 pour un gain de 12 000 éco-
liers (11%), résultat de divers facteurs. Par ailleurs, la mondialisation de l'économie
crée des pressions en faveur de l'anglais dans des entreprises qui commençaient à se
franciser.
Les dernières projections démographiques (Termote, 1999, scénario 17) laissent
croire que la proportion des francophones devrait se maintenir, au Québec, au-
dessus de 80 % mais, à Montréal, il y aurait perte de six points en 25 ans (56 % en
1996, 50 % en 2021). Mais le recensement de 2006 a montré que ces projections
surévaluent fort probablement le poids du français.
La vitalité culturelle du Québec, sa politique linguistique volontariste et ses revendi-
cations autonomistes devraient contribuer à assurer le maintien du statut du français
au Canada et son rayonnement international.

- 174 -
Lise Dubois, Jacques Maurais, Michel Paillé

L'ACADIE
L’Acadie de l’Atlantique ne correspond à aucun territoire délimité par des frontières :
elle est constituée plutôt par les communautés de langue françaises éparpillées sur le
territoire des quatre provinces atlantiques (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-
du-Prince-Édouard, Terre-Neuve). Nous concentrerons notre analyse sur le Nouveau-
Brunswick qui, depuis 1969, est un territoire officiellement bilingue.
La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick de 1969 confère un statut égal au français
et à l’anglais « pour toutes les fins relevant de la compétence de la Législature du Nouveau-
Brunswick ». En d’autres termes, le régime linguistique institué par cette loi est un bilin-
guisme institutionnel selon le principe de la personnalité. En 2002, avec l’adoption d’une
nouvelle Loi sur les langues officielles, les obligations d’offrir des services en français sont éten-
dues à d’autres domaines dont, entre autres, les soins de santé. Le régime scolaire du Nou-
veau-Brunswick est organisé depuis 1978 selon le principe de la dualité linguistique, c’est-à-
dire que le ministère de l’Éducation a deux composantes autonomes, l’une francophone qui
s’occupe de gérer les écoles de langue française et l’autre, anglophone, qui a la responsabilité
des écoles de langue anglaise. En 1981, le Nouveau-Brunswick adopte la Loi reconnaissant
l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, loi qui garantit aux
deux communautés linguistiques le droit à des institutions distinctes dans les domaines
culturel, économique et éducationnel. Cette loi a été enchâssée dans la constitution cana-
dienne en 1993 et confère au Nouveau-Brunswick une place unique dans la fédération cana-
dienne.
Au cours des quarante dernières années, grâce en partie aux mesures législatives décri-
tes ci-dessus, le français au Nouveau-Brunswick s’est étendu à des espaces et à des do-
maines d’où il avait été exclu. De plus, l’action sociale et politique des Acadiennes et
Acadiens a mené à la diversification des marchés linguistiques faisant une plus grande
place aux français locaux, par la voie notamment des radios communautaires et d’une
industrie culturelle et artistique en plein foisonnement. Malgré l’érosion de l’effectif
francophone du Nouveau-Brunswick depuis le début des années 1990 (voir tableau 3)
et les défis démographiques qui y sont associés, le degré de complétude des institu-
tions acadiennes et francophones, les mesures législatives en vigueur, l’insertion offi-
cielle du Nouveau-Brunswick dans divers organismes liés à la Francophonie interna-
tionale et le dynamisme de la société acadienne constituent des facteurs qui assure-
ront le maintien et la consolidation du statut du français dans cette province.
Tableau 3 : Population francophone du Nouveau-Brunswick, 1991, 1996, 2001

Langue maternelle Langue parlée

Nombre Nombre Différence


Recensement en milliers % en milliers % nette (%)

1991 244 34,0 223 31,2 -8,6


1996 242 33,2 222 30,1 -8,3
2001 239 33,3 218 30,3 -8,8

Source : Marmen et Corbeil, 2004.

- 175 -
L'avenir du français en Amérique du Nord

LA LOUISIANE
Contrairement à une croyance qui semble assez répandue, le français n'a pas le statut de
langue officielle en Louisiane (pas plus que l'anglais, d'ailleurs). Toutefois, le français
jouit d'une certaine reconnaissance, par exemple du fait que le texte officiel du Code civil
de la Louisiane demeure la version originale française (rédigée au XIXe siècle).
Étant donné l'insuffisance des statistiques linguistiques américaines, il est difficile de
déterminer le nombre de Louisianais francophones. On admet généralement que ces
derniers constituent moins de 5 % de la population (moins de 200 000 si l'on en
croit les données du recensement de 2000). Ces francophones sont des descendants
d'Acadiens expulsés du Canada par les Britanniques (les Cajuns), de Créoles (pre-
miers colons français et espagnols) et d'esclaves (« Créoles de couleur »), ces derniers
tout comme certains Cajuns parlant parfois une forme de créole.
Une quarantaine de conseils scolaires (sur 66) ont rendu obligatoire l'enseignement
du français. L'enseignement contribuera certainement à faire disparaître les variétés
traditionnelles de français et le créole. Dans la mesure où le français peut jouer un
rôle identitaire pour les Louisianais, il devrait continuer à être enseigné et le nombre
des francophones pourrait atteindre une certaine stabilité mais au détriment des
variétés traditionnelles.
Le point le plus positif pour l'avenir du français dans cette partie de l'Amérique est le
fait que les Louisianais ont rompu leur isolement par rapport aux autres francopho-
nes, grâce notamment à des programmes de coopération avec la France, la Belgique,
le Québec et l'« Acadie du Nord ».

L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS LANGUE ÉTRANGÈRE


AUX ÉTATS-UNIS
Le tableau 4 montre l’évolution des inscriptions à des cours de français aux États-
Unis (institutions d’enseignement supérieur) sur une période de plus de 40 ans. Les
données sont présentées de manière à comparer la place du français par rapport aux
autres langues étrangères ; l’espagnol a toutefois été traité à part car il doit être
considéré aux États-Unis plus comme une langue patrimoniale que comme une lan-
gue étrangère.

Tableau 4 : Inscriptions à des cours de français, d'espagnol et autres langues étrangères modernes, dans les institu-
tions d'enseignement supérieur, États-Unis, 1960 à 2002
Langues 1960 1970 1980 1990 1995 1998 2002
Français 228 813 359 313 248 361 272 472 205 351 199 064 201 979
Espagnol 178 689 389 150 379 379 533 944 606 286 656 590 746 267
Autres langues 196 994 308 926 236 723 319 449 267 695 277 858 373 074

Source : E. B. Welles, 2004.

- 176 -
Lise Dubois, Jacques Maurais, Michel Paillé

En 1970 déjà, les inscriptions à des cours d’espagnol dépassaient de près de 30 000
celles du français. Comme l’illustre clairement la figure 2, l’espagnol a depuis pris un
tel ascendant qu’aucune autre langue étrangère moderne n’est désormais plus dans
la course. Toutefois, le français garde une importance relative plus qu’intéressante,
surtout lorsqu’on le compare à l’ensemble des autres langues modernes. En 2002,
l’espagnol arrivait au premier rang avec près de trois quarts de million d’inscriptions,
le français au deuxième rang avec un peu plus de 200 000 inscriptions, l’allemand et
l’italien respectivement au troisième et au quatrième rang avec 91 100 et 63 899
inscriptions.

Figure 2 : Inscriptions à des cours de français, d'espagnol et de


toutes autres langues étrangères modernes,
Milliers institutions d'enseignement supérieur, États-Unis, 1960 à 2002
800

700

600
500

400

300
200
100

0
1960 1970 1980 1990 1995 1998 2002

Français Espagnol Autres langues

- 177 -
L’AVENIR DU FRANÇAIS
EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Auguste MOUSSIROU-MOUYAMA
Université de Libreville

En regardant la carte de la « Francophonie »1, l’Afrique subsaharienne — qui compte


le plus d’États membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)
et qui correspond aux États ACP d’Afrique — apparaît au centre. Sa superficie
concurrence fortement la matrice européenne en train de se déployer vers l’Est.
Cette position sémiologique de l’Afrique permet de profiler des lignes de lecture de
l’avenir du français dans cette partie du continent noir.
Sensible à l’écho des Amériques qui parlent anglais, surprise par l’affirmation d’une
Europe politique, inquiète de l’intérêt de l’Union européenne pour les anciens pays
de l’Est alors qu’elle se croyait à jamais favorisée par l’histoire coloniale, indifférente
à une Asie qui regarde pourtant de son côté et dont l’inscription dans la modernité
pourrait lui servir d’exemple, l’Afrique est face à elle-même, alourdie par le poids de
l’histoire et en butte à de nombreux paradoxes. Par exemple, alors que les langues
natales aspirent à une survie, l’Afrique constitue et constituera le bassin démogra-
phique de la Francophonie2 ; mais elle reste soumise, au même titre que les autres
continents, aux impératifs d’une économie mondialisée où elle pèse moins de 1 %.
Dernier exemple des dilemmes africains : comment mener une politique
d’urbanisation sans accepter de perdre des langues natales, alors qu’on sait que la
ville accentue la pression sur les langues non équipées pour la lutte des traces, le
monde moderne reposant sur une logique de l’écrit ?
Sur une population estimée à 187 700 000 habitants, l’Afrique subsaharienne compte-
rait 28 157 000 francophones, soit environ 15 % de la population totale3 (voir ta-
bleau). Cette population francisante est répartie entre les deux grands espaces écono-
miques qui détermineront demain l’avenir du français en Afrique subsaharienne : la
CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) / UEMOA
(Union économique et monétaire ouest-africaine) et la CEEAC (Communauté des

1
Voir par exemple la carte de la page II du Cahier central de La francophonie dans le monde 2004-2005 (2005, C.,
Valantin, dir., F., Morgienszten, coord., Larousse Paris, Larousse) qui représente, en couleur, les États et gouverne-
ments membres de l’Organisation internationale de la Francophonie.
2
Voir ici même les données produites par Robert Chaudenson et Richard Marcoux.
3
Le Haut Conseil de la Francophonie qui a fournit ces « estimations » souligne « à quel point l’exercice consistant à
dénombrer les francophones dans le monde est périlleux » (La francophonie dans le monde 2004-2005, p. 21).
L'avenir du français en Afrique subsaharienne

États de l’Afrique centrale) / CEMAC (Communauté économique et monétaire des


États de l’Afrique centrale).
Si hier, la Côte-d’Ivoire — premier pays francophone d’Afrique — pouvait contenir la
poussée anglophone du Nigeria ou du Ghana en Afrique de l’Ouest, la guerre civile
a aujourd’hui fragilisé la position stratégique et économique du pays au profit de
pays francophones comme le Sénégal ou le Bénin. En Afrique centrale, des pays
comme le Cameroun et le Gabon ont encore un effet captif sur leurs voisins luso-
phone (São Tomé) ou hispanophone (Guinée-Équatoriale) mais la position hégémo-
nique du français s’effrite avec l’émergence d’un Rwanda qui s’anglicise au fur et à
mesure que s’enracine le pouvoir « post-génocide » et que s’affaiblit un Zaïre
(re)devenu République démocratique du Congo. Les cas de la Côte-d’Ivoire et de
l’Afrique centrale permettent de comprendre l’imbrication des facteurs économi-
ques, idéologiques et stratégiques dans l’avenir des langues. On voit bien que le por-
tugais n’arrive pas à gêner les positions du français dans les territoires où l’armée
angolaise intervient (principalement les deux Congo), malgré la respectabilité
conquise par le pouvoir de Luanda. Si les interventions militaires angolaises n’ont
que peu d’effets linguistiques, ce n’est sans doute pas faute de volonté hégémonique.
C’est que les pays lusophones demeurent des îlots linguistiques tant en Afrique cen-
trale qu’en Afrique occidentale (Guinée-Bissau, Cap-Vert) qui ont en outre fini par
entrer dans les dispositifs de coopération économique régionale ou internationale
(CEDEAO/CEMAC/CEEAC, Francophonie, etc). Comme en Guinée-Équatoriale
dont l’espagnol ne réussit pas à s’imposer à son entourage francophone, les puits de
pétrole angolais ou saotoméens n’ont pas constitué une arme linguistique ; preuve,
s’il est nécessaire, que ni les richesses du sous-sol ni la puissance démographique (cas
de la République démocratique du Congo) ne peuvent constituer à elles seules des
atouts pour le développement d’une langue.
Les difficultés de pénétration du français dans les parties australe et orientale de
l’Afrique noire témoignent des enjeux réels de la guerre des langues en Afrique : les
pays lusophones se retrouvent dans les mêmes positions que dans le centre et l’ouest
du continent — position comparable à celle du français dans son îlot de Djibouti — et
l’anglais garde sa position dominante qui a tôt fait de contaminer le Rwanda franco-
phone. Au regard des positions stratégiques du Nigeria et de l’Afrique du Sud, c’est sur
le marché linguistique des pays anglophones que le français doit aujourd’hui se battre,
aux côtés des langues africaines. Le prestige des Alliances françaises sera de peu de
poids sans le soutien du monde des affaires, d’une part, et, d’autre part, la crédibilité
des systèmes politiques francophones et l’appui des élites intellectuelles africaines.
On s’étonnera que dans ce tableau de l’avenir du français en Afrique, il ne soit pas
fait mention des langues locales, comme s’il était acquis que la langue française
s’était définitivement installée comme une « langue africaine ». Ce que cachent les
taux élevés de francophones au Gabon, en Côte-d’Ivoire, au Congo, au Cameroun et
au Sénégal, c’est une diversité linguistique gérée par défaut et soumise à la force aspi-
rante des villes : ces pays sont les plus urbanisés de l’espace francophone africain : on
- 180 -
Auguste Moussirou-Mouyama

sera attentif à l’exemple du Gabon, qui présente à la fois le taux le plus élevé de fran-
cophones et le plus fort taux d’urbanisation (73 % avec 40 % de la population pour
la seule capitale).
Si la Francophonie s’accommodait à l’avenir de tels déséquilibres, sa mission huma-
niste s’arrêterait aux portes des villes. Sans doute, le français pourra-t-il se satisfaire
d’avoir donné naissance à de nouveaux langages, comme le nouchi de Côte-d’Ivoire,
ou participé à l’émergence du camfranglais au Cameroun et peut-être, demain, à des
créoles dans les pays qui auront persisté à « avoir honte » de leurs langues natales ou
de leur diversité linguistique. Mais à quoi serviront ces « voix de la ville » si elles res-
tent exclues de la citoyenneté et du développement durable ? Si ces expressions de
l’urbanité africaine n’assurent que le confort des élites et le dépaysement des usagers
de la langue française, alors le partenariat aura été inégal et aura contribué aux cliva-
ges sociaux.
L’avenir du français en Afrique dépend donc, en première instance, des stratégies
nationales mises en œuvre pour :
— réduire la pauvreté et les inégalités sociales et géographiques et promouvoir l’État de
droit et l’éducation à la citoyenneté démocratique, tous gages d’une culture de la paix ;
— développer la recherche et la créativité en langue française, qui sont les moyens
d’une production de sens et de l’affermissement d’un imaginaire autonome, gages
d’un développement durable. Autrement, le poids du passé colonial et des pratiques
politiques post-coloniales viendra toujours — à rebours — consolider l’une ou l’autre
des deux tendances fortes ou, plus grave, les deux à la fois : l’attrait de la jeunesse
africaine pour d’autres langues hypercentrales (au premier rang desquelles l’anglais
qui bénéficie de l’appui symbolique et financier et souvent militaire des États-Unis
qui n’ont aucun passé colonial) et les tentations identitaires, au bout desquelles se
lovent les replis communautaires dont on connaît le venin contre le vouloir vivre
ensemble en paix.
La notion de partage, qui est au cœur du projet francophone, permet d’éviter ces
écueils, mais les instances francophones ne peuvent vaincre les réticences des per-
sonnes qui ne perçoivent pas ce nouveau paradigme, sans volonté politique natio-
nale réelle et sans une affirmation de plus en plus forte des dimensions économiques
et politiques4 des actions de la Francophonie, lesquelles doivent appuyer ces politi-
ques nationales.
Les projets francophones en faveur de la recherche au Sud, à travers notamment les
réseaux de l’AUF, les actions pour accompagner l’introduction des langues locales
dans le système éducatif des pays soucieux d’un aménagement linguistique cohérent,
l’intégration des pays de langue officielle espagnole ou portugaise dans des projets

4
Au sens noble du terme, parce que la Francophonie intervient dans la gestion de la polis et agit donc sur la cité et le
devenir des citoyens.

- 181 -
L'avenir du français en Afrique subsaharienne

francophones témoignent de cette volonté de faire vivre ensemble, sous le label de la


langue française, des communautés différentes au destin menacé. C’est à cette me-
nace que le français doit s’attaquer et non aux langues partenaires — africaines ou
occidentales. De ce point de vue, l’anglais est un allié, au Cameroun, au Togo ou au
Congo, si la prise en compte de cette langue peut aider à la réduction des violences
urbaines ou à l’intégration sociale des enfants de la rue, par une pédagogie ouverte
sur la société.
Ce sont les succès du français — et de la Francophonie politique — dans ce combat
contre la précarité, la maladie et l’ignorance qui entraîneront autour de lui de plus
en plus d’Africains qu’elle n’en atteint encore aujourd’hui, près d’un demi-siècle
après les indépendances, faute de passerelles et de passeurs de mots, face aux sutures,
ruptures et fractures inévitables quand des mondes aussi opposés consentent à se
parler. Et qu’est-ce qui rassemble ce qui est épars, si ce n’est le symbole : c’est du sens
dont l’Afrique a besoin, pour exister dans un monde de compétition.

(*) Données en pourcentage.


(**) Source : Programme des Nations unies pour le développement.
(*)14 : En attente de la publication des résultats du dernier recensement
Source : La francophonie dans le monde 2002-2003, Haut Conseil de la Francophonie, La Documentation Française.
« Estimation du nombre de francophone dans le monde », p. 22.

- 182 -
L’AVENIR DU FRANÇAIS EN ASIE

Daniel WEISSBERG
Université de Toulouse II- Le Mirail

Si la géopolitique des langues, en tant qu’« étude des rivalités de pouvoirs et


d’influences », peut éclairer sur les dynamiques récentes du français au sein d’aires
culturelles particulièrement complexes, l’analyse des politiques linguistiques nationa-
les, et celle de l’ingénierie éducative qui en résulte, doivent être inscrites dans le
cadre de la construction d’espaces économiques régionalement intégrés. À cet égard,
l’avenir du français en Asie n’échappe ni à la mondialisation des échanges ni à
l’interpénétration des cultures régionales, entre harmonisations régionales et frag-
mentations locales, entre héritages recomposés et ouvertures assumées dans les aires
géographiques de référence auxquelles nous nous limiterons ici : le monde indien,
l’Asie du Sud-Est1, l’Asie du Nord-Est2.

GÉOPOLITIQUE ET REPRÉSENTATIONS DU FRANÇAIS EN ASIE


À l’évidence, l’Asie est la région la moins francophone du monde : près de deux
millions de locuteurs, en cumulant les estimations nationales, à rapporter aux trois
milliards d’habitants. Les situations nationales, le statut de la langue française, ses
représentations et ses usages y sont des plus variables. En Inde, au Japon et en Corée
du Sud, l’apprentissage et l’usage du français s’inscrivent historiquement dans une
vision élitiste et culturelle de la langue.
Avec ses deux langues officielles, hindi et anglais, ses 18 langues nationales, l’Inde est
spontanément et organiquement plurilingue. S’il s’avère que près de 10 % des na-
tionaux ont une maîtrise suffisante de l’anglais pour assurer leur bonne insertion
dans l’économie-société-monde contemporaine, le français est de fait la « quatrième
langue », première langue étrangère enseignée avec près de 350 000 apprenants dont
60 000 dans le supérieur. Deux associations de professeurs de français s’efforcent de
mener à bien la vie associative autour de colloques, formations continues et publica-
tions. Elles sont particulièrement actives sur la côte Ouest (Bombay, Goa) et autour
de Pondichéry et Chennai (Madras), où les héritages de la présence française et des
congrégations restent encore notables.

1
Les dix pays de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (dite ASEAN en anglais) dont les trois membres de la
Francophonie politique : Laos, Cambodge, Vietnam.
2
Chine, Japon, Corée du Sud.
L'avenir du français en Asie

Au Japon, Nobutaka Miura (Miura, N., 2001) estime le nombre de locuteurs à


60 000 en notant le poids de l’association des professeurs et la prégnance du référent
littérature dans les contenus pédagogiques et dans la formation initiale d’un corps
professoral nombreux (2000 membres associés). Pour autant, cet apprentissage du
français « langue de culture », valorisant le patrimoine culturel, artistique et littéraire,
répond-il aux attentes de l’économie et de la société japonaise contemporaine ? Les
mêmes questions peuvent être posées à propos de la Corée du Sud, où l’on observe
une implantation encore plus favorable dans le secondaire et le supérieur : près de
400 000 apprenants dont 20 000 étudiants. L’héritage du confucianisme et la valori-
sation intrinsèque de la culture et des arts dans la construction de l’identité ont
orienté nombre de pratiquants vers la langue française, perçue également comme
une alternative à la diffusion de modèles japonais ou chinois.
En Chine et dans la plupart des États non francophones de l’Asie orientale, le statut du
français en tant que « seconde langue étrangère » (après l’anglais) repose sur des oppor-
tunités de niche, en grande partie tributaires des actions ciblées des coopérations linguis-
tiques et éducatives. Celles-ci sont a priori articulées sur la présence d’investisseurs fran-
cophones, dont il s’avère qu’ils recherchent en fait un environnement économique an-
glophone… Les pratiques francophones héritées y sont aujourd’hui quasiment inexistan-
tes, même au Yunnan chinois, ancien arrière-pays du Tonkin colonial français. Restent
ici ou là des « climats » politiquement favorables, comme à Kunming ou Shanghai en
Chine, comme en Thaïlande où la francophilie avérée de la famille royale pose la langue
française comme une alternative au « thaïglish ».
La situation géopolitique dans l’ex-Indochine française est tout autre. Vietnam, Laos
et Cambodge sont membres de l’Organisation internationale de la Francophonie.
Bien que ces pays soient membres de l’OIF, le français n’y est en aucune manière
une langue officielle ou de communication, d’abord en raison des partenariats ré-
gionaux tissés, ensuite à cause du nombre restreint de locuteurs compétents, que les
meilleures estimations récentes chiffrent à 0,5 % de la population. S’y ajoutent les
générations successives d’apprenants seconde langue étrangère, des classes bilingues,
des départements de français et des filières universitaires bilatérales et multilatérales
qui pourraient avoir, à notre sens et après dix années de programmations, doublé le
nombre des apprenants et conforté l’estimation globale de 900 000 personnes, dont
un demi-million au Vietnam. Mais la statistique ne rend pas compte d’une part de la
réalité de l’insertion des trois pays dans l’espace francophone international, en parti-
culier dans leurs relations avec la France, voire avec l’Afrique3, et d’autre part du
poids géopolitique que représentent les réformes des structures administratives et
juridiques, l’aide au développement durable et les formations médicales mises en
œuvre dans le concert des nations francophones. Reste à y parfaire une meilleure
valorisation sur un marché plurilingue de l’emploi : celui-ci, étroitement imbriqué
aux nouveaux flux de l’intégration économique régionale, prend en compte les usa-

3
Coopération vietnamo-africaine en riziculture, par exemple.
- 184 -
Daniel Weissberg

ges multiples et renouvelés du mandarin, du japonais mais aussi… de l’anglais et du


français.

POLITIQUES LINGUISTIQUES ET INGÉNIERIE DU FRANÇAIS


Si les francophones hâtifs, question de génération et d’héritages, semblent aujourd’hui
en Asie prendre le pas sur les francophones natifs, la question de la didactique du
français au sein des politiques linguistiques nationales conditionne assurément son
avenir dans la région.

La didactique à l’épreuve des cultures


En Asie, l’apprentissage des langues en général, et celui du français en particulier, se
fait en environnement socioculturel familier, mais forcément difficile, car la fonction
identitaire qui signe l’appartenance à la nouvelle communauté linguistique exigerait
un positionnement culturel au moins partiellement exogène. Dans ces conditions,
en dehors de la situation non équivoque que constitue l’adhésion volontariste et
contextuelle de certains apprenants à une langue/culture seconde et étrangère, la
reproduction de modèles pédagogiques nationaux, la mise en œuvre de méthodes
livresques et magistrales constituent autant de freins didactiques. L’avenir du fran-
çais en Asie ne repose-t-il pas dès lors sur la capacité de ses vecteurs (institutions,
entreprises, opérateurs linguistiques, enseignants, etc.) à assimiler et à diffuser un
modèle cognitif d’approche communicative faisant la part belle aux attendus de la
diversité culturelle et valorisant l’enseignement du français et en français de discipli-
nes non linguistiques ?

L’enseignement bilingue, miracle ou mirage ?


Mis en œuvre dans l’enseignement primaire et secondaire du Vietnam (1994) puis du
Laos et du Cambodge, décliné dans sa version proprement universitaire des filières uni-
versitaires francophones dans les mêmes pays, l’enseignement bilingue4 vise à créer les
conditions d’accessibilité à l’univers de la formation linguistique et scientifique franco-
phone avec un éveil précoce et continu au plurilinguisme et l’ouverture sur la culture
« du dehors ». La réussite est indéniable en termes de diplômation et d’intégration uni-
versitaire et les lieux de formation initiés, établissements scolaires et universitaires, sont
des points d’ancrage de l’action francophone. Décliné également, mais à une moindre
ampleur, dans des établissements chinois ou thaïlandais, le système ne saurait être un
modèle que dans le cadre d’appropriations nationales. Le peut-il quand les décentralisa-
tions et les dérégulations des systèmes éducatifs en cours en Asie renouvellent singuliè-
rement les paramètres de pilotage des politiques linguistiques ?

4
Dans le programme Classes bilingues, l’Agence universitaire de la Francophonie a été opérateur. Dans le cadre de
ses programmes, elle a contribué à la mise en place des filières universitaires francophones au sein des universités ;
près d’une soixantaine existent en 2005. Les Pôles universitaires français, mis en place à partir de 2005 à l’initiative
de la coopération française, constituent une autre modalité d’enseignement plurilingue dans l’enseignement supé-
rieur vietnamien.
- 185 -
L'avenir du français en Asie

CLASSES BILINGUES EN ASIE DU SUD-EST EN 2005

Pays Classes Elèves Enseignants


Cambodge 103 3090 153
Laos 99 2697 142
Vietnam 639 16818 532
TOTAL 841 22605 827

Source : Bureau Asie Pacifique - AUF

UN CADRE DE SOLUTION : THE FUTURE OF FRENCH IN ASIA ?


Successivement et/ou simultanément langue de culture partagée, outil de communi-
cation, le français occupe toujours une place à part dans la géopolitique des langues
en Asie, entre autochtonies linguistiques et anglophonie des affaires. Dans cet envi-
ronnement invariant, il peut trouver, sans renier temporalités de diffusion et échelles
d’essaimage, de nouvelles perspectives dans la « troisième voie » ouvrant vers les pa-
radigmes intégrateurs des sciences sociales et humaines.

Enseignement du/en français 2002 Asie-Pacifique

- 186 -
L’AVENIR DU FRANÇAIS EN OCÉANIE

Michel WAUTHION
Université de la Nouvelle-Calédonie

Dominée par deux pays anglophones dont l’un, l’Australie, fait figure de puissance
régionale, et l’autre, la Nouvelle-Zélande, affiche une identité polynésienne très mar-
quée, l’Océanie est néanmoins d’abord le fait des 24 États et territoires qui constituent
les trois grandes régions du Pacifique, pour quelque 6,5 millions d’habitants : la Méla-
nésie, la Micronésie et la Polynésie1. Le français est langue officielle et d’éducation
dans les territoires de souveraineté française (Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie
et la Polynésie française) ainsi que sur l’archipel de Vanuatu, où il partage ce statut
avec l’anglais et, en partie, avec le bislama, pidgin à base lexicale anglaise. Partout
ailleurs et à l’exception de l’île de Pâques, l’anglais est la langue officielle.
Le statut du français s’analyse donc dans ce vaste espace selon trois aspects diffé-
rents : langue première ou d’éducation dans les espaces de souveraineté française ;
langue d’éducation ou langue seconde à Vanuatu ; langue étrangère partout ailleurs.

1. LANGUE PREMIÈRE OU D’ÉDUCATION DANS LES TERRITOIRES DE


SOUVERAINETÉ FRANÇAISE

Nouvelle-Calédonie
La population de Nouvelle-Calédonie s’élève à 230 268 habitants (dont les deux tiers
dans le Grand Nouméa), répartis selon les origines suivantes : 45 % de Mélanésiens,
34 % d’Européens, 12 % de Polynésiens, 9 % d’origine asiatique et diverse2. Hormis
le groupe européen, où l’unilingue francophone constitue la règle, les différentes
communautés ont une pratique différenciée du français, allant de la langue mater-
nelle à une langue seconde pratiquée plus ou moins régulièrement en fonction du
lieu et de la durée d’implantation du locuteur, ainsi que de l’identité du groupe

1
Ces territoires sont, en Mélanésie : Fidji, Nouvelle-Calédonie (France), Papouasie-Nouvelle-Guinée, Salomon,
Vanuatu ; en Micronésie : États Fédérés de Micronésie, Guam, Mariannes du Nord, Marshall (USA) ; Kiribati,
Nauru, Palau ; en Polynésie : Cook, Niue, Tokelau (Nouvelle-Zélande) ; île de Pâques (Chili), Pitcairn (Royaume-
Uni), Polynésie française ; Hawaï, Samoa, Samoa américaines (USA), Tonga, Tuvalu, Wallis-et-Futuna (France). La
Nouvelle-Zélande forme avec Hawaï et l’île de Pâques le triangle polynésien mais seule cette dernière fait partie du
Pacifique Sud proprement dit.
2
Toutes les données statistiques proviennent des instituts nationaux ou territoriaux auxquels renvoie la bibliogra-
phie (AAVV, 1991, 2000, 2002, 2005a, 2005b). La dernière mention de l’appartenance ethnique en Nouvelle-
Calédonie remonte au recensement de 1996.
L'avenir du français en Océanie

culturel d’appartenance. La vitalité des langues d’origine dans les communautés im-
migrées est variable et semble liée au milieu social et aux activités professionnelles,
sans que des chiffres précis soient disponibles. On sait en revanche qu’environ un
Kanak sur deux est locuteur d’une des 28 langues mélanésiennes recensées. Depuis
la signature de l’Accord de Nouméa (1998), une politique linguistique est mise en
place pour valoriser les langues vernaculaires qui sont reconnues comme langues
d’enseignement et de culture de la Nouvelle-Calédonie.
La place du français, qui a remplacé depuis plus d’un siècle le pidgin comme langue de
communication sur la Grande Terre et aux îles Loyauté, n’est pas menacée. Le taux de
scolarisation et les moyens de communication sont ceux des pays développés ; les gou-
vernements s’emploient à contrôler l’évolution du marché de l’emploi et
l’augmentation de la population urbaine. C’est la préservation de la diversité linguisti-
que qui est davantage en jeu ; les spécialistes notent une érosion des compétences lin-
guistiques en langue maternelle kanak et une politique active d’aménagement linguis-
tique à cet égard se fait attendre.

Polynésie française
Pour une population sensiblement équivalente à celle de la Nouvelle-Calédonie
(219 521 habitants), la situation démolinguistique de la Polynésie française n’en est
pas moins très différente, même si l’on retrouve autour de Papeete une égale densifi-
cation urbaine (un habitant sur deux du territoire). Si l’émergence d’« une commu-
nauté humaine affirmant son destin commun »3 est en cours en Nouvelle-Calédonie,
une telle identité existe depuis longtemps en Polynésie et frappe d’emblée le visiteur,
ne serait-ce que par le français aux accents caractéristiques qu’il entend. D’une part,
il n’y a jamais eu de peuplement européen à proprement parler sur ce territoire,
malgré un accroissement significatif des métropolitains à l’époque du Centre
d’expérimentations du Pacifique. D’autre part, la langue première et véhiculaire est
le reo maohi pour plus de 80 % de la population polynésienne (représentant elle-
même 80 % du Territoire), même si cette réalité a eu tendance à s’affaiblir dans la
deuxième moitié du XXe siècle, surtout dans l’île principale, Tahiti, sous la pression
du français, langue administrative et économique du Territoire. Une politique de
renaissance de la langue polynésienne a donc été mise en place par les autorités loca-
les, en vue d’assurer durablement un bilinguisme additif plutôt qu’un usage ap-
proximatif des deux langues. L’implantation du tahitien en milieu scolaire existe et
continue de se développer ; les émissions télévisées bilingues sont suivies (souvent
dans les deux langues) par la population.

Wallis-et-Futuna
Les îles de Wallis (Uvea) et Futuna, distantes entre elles de 230 kilomètres, comptent
14 692 habitants. Mais on sait qu’il y a désormais davantage de personnes d’ethnies

3
Article 4 du préambule de l’Accord de Nouméa.
- 188 -
Michel Wauthion

wallisiennes et futuniennes dans les communautés de Nouvelle-Calédonie (plus de


17 000 personnes) que sur les îles d’origine, ce qui n’est pas sans poser des problè-
mes de cohabitation ethnique autour de Nouméa. Le territoire exprime fortement
l’isolement des micro-États du Pacifique : une activité économique dépendant entiè-
rement des transferts financiers de la France, des sociétés traditionnelles fortement
enracinées, organisées en chefferies et royaumes dont les dirigeants exercent par
ailleurs des fonctions administratives officielles. L’enseignement contribue à mainte-
nir les équilibres existants puisqu’il est géré pour le maternel et le primaire par la
Direction de l'enseignement catholique (DEC) avec du personnel enseignant quasi
exclusivement wallisien ou futunien. Seuls les collèges et le lycée relèvent de l'ensei-
gnement public. Les langues vernaculaires sont bien vivantes sur chacune des îles.

2. LANGUE SECONDE DANS UN ÉTAT MEMBRE À LA FOIS DE LA


FRANCOPHONIE ET DU COMMONWEALTH
A Vanuatu (186 678 habitants en 1999), les équilibres linguistiques sont diverse-
ment mesurables. Trois, voire quatre langues sont utilisées par une grande partie de
la population en permanence, en fonction des activités de la vie quotidienne. La
langue du foyer demeure pour 72 % des gens (55 % en zone urbaine) l’une des 108
langues vernaculaires répertoriées, le reste faisant usage du pidgin bislama, langue
nationale véhiculaire. En revanche, les langues d’éducation demeurent celles des
anciennes puissances coloniales : le français (37,5 %) ou l’anglais (62,5 %), à
l’exception de quelques classes-pilotes où l’alphabétisation est organisée en langue
mélanésienne. Mais le taux de scolarisation est très faible et la qualification des en-
seignants encore insuffisante : si les chiffres parlent d’une population scolaire de
45 228 élèves en 2001, taux remarquable pour un pays dont le revenu national brut
en 2003 était de 1 180 dollars par habitant, 16,5 % de la population âgée de cinq
ans et plus déclare n’avoir jamais fréquenté l’école et 81,2 % de la population adulte
n’aurait pas dépassé le niveau d’enseignement primaire. Il est dès lors bien délicat de
transférer la répartition linguistique des élèves en termes de francophonie ou
d’anglophonie de la population totale. La réalité est que le réseau d’enseignement
privé et public produit depuis cinq ans l’équivalent annuel de 30 à 40 bacheliers
francophones, ce qui est peu. L’activité économique, concentrée sur la capitale,
donne l’impression de s’exercer surtout en anglais, même si beaucoup de petites et
moyennes entreprises sont dirigées par des francophones et que le français est par-
tiellement ou entièrement la langue de travail des compagnies nationales d’électricité
ou de télécommunications. Dans la fonction publique, les langues de travail sont
l’anglais écrit et le bislama parlé depuis l’indépendance (1980), avec une augmenta-
tion de l’usage écrit du bislama au cours des dernières années. Le français est une
langue officielle de traduction, avec des retards tels qu’il est presque sorti d’usage
dans le domaine juridique, malgré les efforts de la coopération internationale. Et
cependant, c’est une langue vivante, dont les populations et l’autorité politique ex-
priment régulièrement la propriété collective, même si sa maîtrise ne saurait se com-
parer à celle d’aires francophones de diversité linguistique moindre.
- 189 -
L'avenir du français en Océanie

3. LANGUE ÉTRANGÈRE EN MILIEU ANGLOPHONE


ET MULTICULTUREL

Australie
Le recensement australien de 2001 indique que 80 % des 18 972 350 habitants
n’utilisent que l’anglais comme langue du foyer. Les principales langues allogènes
domestiques sont les langues chinoises, l’italien et le grec. Le français n’arrive qu’en
19e position, avec 39 529 locuteurs (dix fois moins que les communautés italophones
ou sinophones). Ces chiffres ne traduisent certes pas les enjeux du français en Aus-
tralie, qui sont d’abord liés au nombre d’apprenants dans un pays où la concurrence
de l’anglais comme langue étrangère n’existe pas, ce qui a longuement assuré au
français une position dominante. Au cours des années 80, ce rôle dominant dans
l’enseignement supérieur a commencé à décliner. À cette époque en effet, une poli-
tique nationale d’aménagement linguistique est mise en place afin de favoriser la
promotion dans le système scolaire des langues maternelles des centaines de milliers
d’immigrants venus s’installer en Australie après la Deuxième Guerre mondiale en
en faisant une société multiculturelle dynamique. À cet égard, on peut aujourd’hui
mesurer les effets somme toute limités du programme national d’introduction des
langues asiatiques4 dans les écoles australiennes (NALSAS, 1995-2002). En dépit de
l’augmentation notable de l’apprentissage du japonais, le français demeure la
deuxième langue enseignée, dans des cursus de nature très variable allant de classes
d’immersion bilingue à des formations courtes. Un indicateur souvent cité concerne
le choix des langues pour l’épreuve optionnelle du baccalauréat : en 2000, 4 082
candidats sur 24 562 avaient choisi le français, pour 5 292 candidats au japonais. Le
nombre d’étudiants de français dans les établissements d’enseignement supérieur et
le réseau des 30 Alliances françaises d’Australie est d’environ 15 000 apprenants et
semble se stabiliser, après une période d’érosion.

Nouvelle-Zélande
Selon les statistiques de 2001, 1,3 % (49 722) de la population totale néo-zélandaise
(4 096 742 habitants) serait capable de s’exprimer en français. Dans ce pays officiel-
lement bilingue (le maori est langue officielle depuis 1987), 93 % de la population
aurait l’anglais pour langue première et 4,3 % le maori. Ce bilinguisme d’État fait en
sorte que, contrairement à l’Australie, la Nouvelle-Zélande a élaboré un dispositif
favorable aux politiques d’éducation bilingue, qui concernent également les langues
des îles associées ou l’ayant été. On compte 23 816 apprenants de français dans les
établissements scolaires, soit 3,2 % de la totalité, auxquels il convient d’ajouter,
d’une part environ 1 500 étudiants dans les départements de français de
l’enseignement supérieur et, d’autre part, les apprenants en nombre variable qui
fréquentent les neuf Alliances françaises de Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande a
exprimé au cours des trente dernières années tantôt une francophobie affichée au

4
Il s’agit du japonais, du chinois (mandarin), de l'indonésien et du coréen.
- 190 -
Michel Wauthion

plus fort des essais nucléaires français dans le Pacifique, en particulier avec l’affaire
du Rainbow Warrior (1985) coulé en rade d’Auckland, tantôt une francophilie bien
britannique. Cette dernière tendance domine bel et bien aujourd’hui, et son dernier
avatar pourrait être représenté par les différentes recherches engagées en Nouvelle-
Calédonie relatives à l’émergence d’une culture hybride francophone.

4. LES ÉTATS OCÉANIENS : UNE FRANCOPHONIE D’APPEL ?


Les États et territoires insulaires d’Océanie constituent une sorte de « francophonie
d’appel du Pacifique ». Les services de coopération et d’action culturelle des ambas-
sades de France appuient des actions favorables à l’apprentissage du français de fa-
çon ciblée. Des potentiels existent, encore peu exploités : à Fidji, où existe une sec-
tion de français au sein de l’université anglophone à vocation régionale ; à Tonga, où
la politique royale marque régulièrement un intérêt pour la langue française ; en
Papouasie-Nouvelle-Guinée, dont le premier ministre, docteur honoris causa de
l’Université de la Nouvelle-Calédonie en 2005, est favorable à l’implantation du
français dans les universités papoues ; aux Salomon, où des campagnes archéologi-
ques sous-marines françaises font naître un regain d’intérêt pour l’apprentissage du
français…

5. ORGANISATIONS INTERNATIONALES
Enfin, il faut considérer les organisations internationales implantées en Océanie.
Fondé en 1947 à l’initiative des puissances coloniales, le Secrétariat de la Commis-
sion du Pacifique est un organe de coopération régionale et d’assistance technique
au service de tous les territoires du Pacifique Sud, à l’exception de l’île de Pâques et
de Hawaï. L’implantation de son siège principal à Nouméa, la présence en son sein
des territoires de souveraineté française et la contribution de la France à son finan-
cement concourent à maintenir l’usage relatif du français comme langue officielle de
travail aux côtés de l’anglais. Le Secrétariat du Forum des îles du Pacifique est
l’organe politique correspondant pour la région, chargé d’exprimer le Pacific way sur
la scène internationale. Restreint aux États indépendants ou librement associés
d’Océanie, ce qui inclut l’Australie et la Nouvelle-Zélande mais exclut la France et les
territoires de souveraineté française, le Forum ne compte que des pays membres du
Commonwealth et reflète parfaitement l’idée traditionnelle de l’Océanie « vaste
océan anglophone », au milieu duquel évolue la plus grande densité de diversité
linguistique de l’humanité.

- 191 -
L'avenir du français en Océanie

6. CONCLUSIONS

6.1. Un potentiel francophone de plus de sept cent mille personnes

Nouvelle- Polynésie Wallis-et- Nouvelle-


Vanuatu Australie Total
Calédonie française Futuna Zélande Divers
Langue première 130 000 22 000 400 39 529 192 043

Langue
d’éducation/de 230 268 219 521 14692 30000 1023 43 495 547
communication

Langue enseignée 25000 100 000 45909 1000 151 000

Enseignants de
600 150 15 765
français (zone FLE)

Etud. universitaires/
463 5018 1620 7 101
AEFE (Vanuatu)

DELF et assimilés 8000 300 8300

Francophones
56034 100 000 25000 181 034
partiels

Francophones 230 268 219 521 14 692 30 463 53 684 2 113 1 015 551756
Total 230 268 219 521 14 692 86 497 153 684 27 113 1015 718 790

Langue d'éducation NZ : Classes bilingues primaires de Richmond Road School, Auckland (AEFE).
Langue d'éducation AUS : un établissement binational, Telopea Park School à Canberra (563) et à Manuka (130);
l'école primaire Camberwell à Melbourne (nd) ; Benowa School à Brisbane (nd) ; le lycée Condorcet à Sydney
(AEFE, 330).
Langue d’éducation Vanuatu : population scolaire du régime linguistique français (37,5 % de 45228 élèves) + 7,5 % de
la population totale.
Francophones partiels Vanuatu : 30 % de la population totale.
Enseignants de français : estimation NZ sur base enseignants secondaires.
Langue enseignée : estimation pour Autralie; les chiffres pour NZ concernent seulement le secondaire : Barnett (2004)
donne 24 253 apprenants au niveau secondaire et 21 656 apprenants au niveau primaire.

On peut estimer la population francophone totale actuelle en Océanie à environ


720 000 personnes, dont cent quatre-vingt mille francophones partiels5. Ces chiffres
sont à situer parallèlement à 192 000 locuteurs de français langue première, dont
20 % relèvent d’une communauté australienne où le français ne correspond sans
doute pas à un usage réel. Le véritable enjeu est celui des langues d’éducation : le

5
La terminologie du Haut Conseil de la Francophonie retient l’appellation de « francophones » (toute personne
capable de faire face en français aux situations de communication courante) et « francophones partiels » (toute
personne ayant une compétence réduite en français, lui permettant de faire face à un nombre limité de situations de
communication ), «langue première» (la première langue acquise et encore comprise par le locuteur), «langue se-
conde» (langue faisant l'objet d'un usage ou d'un apprentissage particuliers du fait de sa présence dans l'environne-
ment, dans la culture ou dans l'histoire). Nous employons ici le terme de francophone au sens englobant et préférons
réserver aux données chiffrées la notion de langue d’éducation. Il nous paraît difficile en effet d’établir une présenta-
tion quantitative de la langue seconde dans le cadre de la présente analyse.
- 192 -
Michel Wauthion

français est ou a été la langue de scolarisation pour près de 500 000 personnes, et il
est enseigné à des degrés divers à 166 000 personnes au moins. L’atout majeur du
français dans cette région du monde réside dans le fait qu’il n’est finalement menacé
ni dans son usage de langue première, ni dans celui de langue vivante étrangère,
emplois pour lesquels on peut raisonnablement prédire le rétablissement d’une stabi-
lité à venir en Australie et en Nouvelle-Zélande, après deux décennies d’érosion. La
part d’instabilité concerne l’usage du français langue seconde, essentiellement à Va-
nuatu. Dans les territoires de souveraineté française, la politique linguistique est celle
qui a conduit au cours des années 1990 à la reconnaissance institutionnelle des
« langues de France ». La diversité des communautés et des ethnies, l’absence d’une
langue mélanésienne dominante ne sauraient remettre en cause l’usage du français
en Nouvelle-Calédonie. Le pays est largement sous-peuplé (10 hab./km2) et une im-
migration importante est prévisible dans les années à venir, avec un resserrement de
l’emploi du français. En revanche, une plus large autonomie en Polynésie française
pourrait conduire le pays à valoriser davantage le tahitien (reconnu comme langue
officielle de 1984 à 1992), sur le modèle du luxembourgeois, par exemple.
La mondialisation touche faiblement les milieux insulaires : la part limitée des
échanges économiques internationaux contribue à un certain statu quo, que ne par-
vient pas à modifier l’industrie du tourisme, au développement somme toute assez
lent. La pression géolinguistique qu’exercerait normalement l’environnement anglo-
saxon est neutralisée par les effets de la continuité territoriale dans l’outre-mer fran-
çais. Tel n’est pas le cas de Vanuatu, pays dont la faiblesse économique ne pourra
qu’être accentuée par le taux très élevé de natalité persistant. Sans un véritable essor
des relations économiques avec le voisin calédonien et en l’absence de toute politi-
que linguistique volontariste en matière de langues officielles, l’usage du français est
appelé à se marginaliser à Vanuatu. Enfin, le poids des médias peut sembler plus
important en Océanie qu’ailleurs et l’action renforcée des opérateurs francophones,
de TV5 par exemple, constitue un atout indéniable pour l’avenir

6.2. Perspectives du français dans les zones développées


On pourrait dès lors formuler la prédiction suivante, dans un espace géopolitique
étendu à l’ensemble Asie-Pacifique. Les oasis de développement et de francophonie
que sont les territoires français vont poursuivre leur rôle de stabilité linguistique et
stratégique, malgré un accroissement significatif de population et la perspective d’un
accès à l’indépendance à l’horizon 2015-20206. Toutefois, le développement de
l’autonomie de ces espaces est corollaire à leur intégration dans l’économie régio-
nale. L’appui économique de la France aidant, ces territoires pourraient maintenir
leur équilibre social et les partenariats enracinés avec Vanuatu en ce qui concerne la
Nouvelle-Calédonie. Structurellement sous-peuplé, ce pays d’outre-mer français pos-
sède des réserves de développement inexploitées, qu’une augmentation significative
de l’apport extérieur en main-d’œuvre qualifiée pourrait dynamiser. Mais, contrai-

6
Selon l’Accord de Nouméa pour la Nouvelle-Calédonie.
- 193 -
L'avenir du français en Océanie

rement aux politiques d’immigration des pays voisins développés7, les accords poli-
tiques conclus à l’heure actuelle (Matignon, 1988 ; Nouméa, 1999) ne sont pas favo-
rables à un accroissement démographique migratoire, malgré des projets avancés
d’expansion de l’industrie du nickel qui entraîneront une demande importante en
main-d’œuvre. Dans le domaine des services, les liens culturels avec l’Asie franco-
phone (Vietnam, principalement) pourraient constituer une solution de rechange
attrayante pour le Pacifique francophone ; le faible coût des ressources humaines
asiatiques, le degré de qualification élevé permettraient de développer des prestations
originales si la technologie est au rendez-vous (centres d’appel, coopération scientifi-
que, ingénierie pédagogique). L’évolution du français en Australie et en Nouvelle-
Zélande est très marginalement influencée par la francophonie océanienne ; elle
relève avant tout d’une appréciation de la situation du français à l’échelle mondiale
et demeure de ce fait tributaire de la puissance économique et industrielle française,
accessoirement de la place du français dans les organisations internationales
(l’impact francophone de la tenue des Jeux olympiques à Sydney en 2000 l’illustre
parfaitement). Si le français continue d’être attrayant pour les candidats au multilin-
guisme d’Australasie (en y incluant aussi l’important marché potentiel indonésien),
la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française devront alors en saisir tous les enjeux
à l’échelle de leurs économies respectives, par exemple dans le domaine de
l’ingénierie pédagogique et de l’apprentissage du français langue étrangère, où ils se
situent sans concurrent sur le marché régional.

7
30 000 immigrants en 2004 et 2005 en Nouvelle-Zélande.
- 194 -
CARAÏBE ET AMÉRIQUE CENTRALE :
LE FRANÇAIS EN ÉVOLUTION RÉGIONALE

Patrick DAHLET
Université des Antilles et de la Guyane
Attaché de coopération éducative à l'ambassade de France à Mexico

UNE VUE RÉGIONALE PLURILINGUE


L’Amérique centrale et la Caraïbe regroupent 36 pays et collectivités territoriales,
une centaine d’îles, aux dimensions et aux économies modestes. L’étroitesse des
marchés induit nécessairement une vision régionale. Les deux ensembles constituent
de fait les pôles d’intégration économique les plus anciens du continent : le Système
de l’intégration centro-américaine (SIECA puis SICA) est créé dés 1964 et le Marché
commun de la Caraïbe (CARICOM) en 1973. Cette volonté d’intégration régionale
s’affirme encore avec la création en 1994 de l’Association des États de la Caraïbe
(AEC) qui regroupe aujourd’hui les 36 pays, en qualité d’États membres ou de
membres associés, y compris El Salvador pourtant dépourvu de façade caraïbe.
En 1998, le conseil des ministres de l’AEC assied officiellement le processus
d’intégration sur un cadre plurilingue. Il appelle à « éliminer les barrières de langues
au sein de la région en améliorant la compétence des ressortissants de la Caraïbe en
une seconde et même une troisième langue » et fixe des objectifs de référence pour la
promotion et l’enseignement réciproque de l’anglais, de l’espagnol et du français
(AEC, 1998). La résolution bénéficie de l’engagement déterminé des Départements
français des Amériques (DFA) et de leurs institutions (Assemblées régionales, recto-
rats, Université des Antilles et de la Guyane) dans la projection de la dynamique
plurielle de la francophonie.
Cet acte politique majeur en faveur de la diversité linguistique est décisif pour le
renouvellement des représentations et l’élargissement des pratiques du français dans
la grande région centro-américaine et caraïbe : reçu comme une langue de l’extérieur
plus ou moins obligée dans les espaces créolophones (Antilles françaises, Haïti), déchu
ou supplétif dans les espaces anglophones et hispanophones, le français est consacré
comme langue caribéenne d’identification régionale et d’ouverture internationale, sous
l’égide des DFA.
La légitimation régionale du français, aux côtés de l’anglais et de l’espagnol, recouvre
néanmoins des situations à la fois assez nettement différenciées et apparentées dans
leur complexité.
Caraïbe et Amérique centrale : le français en évolution régionale

En termes de présence de francophones d’abord : sur les 75 millions d’habitants que


comptent ensemble la Caraïbe insulaire et l’Amérique centrale, 54 millions ont
l’espagnol pour langue première et/ou de scolarisation, 13 millions l’anglais et 8
millions le français, soit à peine plus de 10 %, si on inclut aux côtés des 600 000
locuteurs des Antilles françaises la fiction d’une population haïtienne francophone.
La réalité, on le sait, est autre. L’indigence endémique et le défaut alarmant de scola-
risation ramènent la francophonie haïtienne à une minorité, et avec elle la propor-
tion de francophones au sein de l’AEC à un seuil qui ne dépasse pas 3 % du total
des ressortissants.
En termes institutionnels ensuite, le français se présente dans trois contextes linguis-
tiques caractérisés : comme langue première, avec le créole, et seule langue officielle
dans les Antilles françaises ; comme langue seconde, après le créole, et langue offi-
cielle avec lui, en Haïti ; et comme langue étrangère partout ailleurs. Mais cette ré-
partition prend elle-même des formes spécifiques et mouvantes.
L’entrelacement permanent du créole et du français dans l’expérience langagière des
Antillais, devenus majoritairement bilingues, invite à considérer dans ce cas le fran-
çais plutôt comme langue commune que comme langue maternelle (Dahlet, 2000,
p. 4) ; d’autre part, le monolinguisme créole assorti à l’inégalité de l’accès à
l’éducation du peuple haïtien délimite le français comme langue d’enseignement réservée
plutôt que comme langue seconde.
En contexte de langue étrangère enfin, le français apparaît dans les établissements
d’enseignement public sous trois statuts distincts : obligatoire dans les cinq États de
l’Organisation de la Caraïbe orientale (OECS), en république Dominicaine et au
Costa Rica; optionnel dans la quasi-totalité des autres pays, le Panama le maintenant
comme obligatoire en fin d’études littéraires ; inexistant au Guatemala où aucune
langue n’est enseignée. Mention spéciale doit être faite à cette étape de l’exemple
unique que constituent sur le continent des Amériques, et bien au-delà, le Costa
Rica et la république Dominicaine qui offrent dès le primaire, et durant toute la
scolarité, un enseignement obligatoire de français à parité avec l’anglais. Au total, les
systèmes scolaires de l’Amérique centrale et de la Caraïbe réunissent 240 000 appre-
nants de FLE, dont 203 000 pour l’Amérique centrale et 37 000 pour la Caraïbe. Si
on ajoute les étudiants de FLE du réseau des universités, des établissements scolaires
français et des Alliances françaises, on parvient à un total de 260 000 apprenants de
FLE pour la zone, dont 211 000 en Amérique centrale et 49 000 en Caraïbe.

UNE DEUXIÈME LANGUE CONVOITÉE


La place du français est somme toute avantageuse dans l’environnement centro-
américain et caraïbe : significative en Amérique centrale, où aucune autre langue
étrangère n’est proposée après l’anglais en contexte scolaire, préférentielle dans la
Caraïbe où il devance assez largement l’enseignement de l’espagnol (27 000 appre-
nants) comme langue étrangère.
- 196 -
Patrick Dahlet

Mais surtout, on relève que le français, objet d’une relative désaffection dans la pé-
riode 1980-1995, est (re)devenu progressivement depuis une dizaine d’années une
langue convoitée. Les indicateurs positifs ne manquent pas : ouverture de sections
bilingues espagnol-français au Costa Rica, introduction et extension d’enseignements
précoces du français (8 000 élèves dans les pays de l’OECS, 20 000 au Costa Rica) ;
demandes gouvernementales caribéennes de formation supérieure de professeurs de
français avec l’implication systématique de l’Université des Antilles et de la Guyane
par le biais de l’Institut supérieur d’études francophones (ISEF) (notamment, créa-
tion à Haïti du certificat d’aptitude à l’enseignement du français, en concertation
avec l’ENS, délocalisations de formations de maîtrise en français langue seconde à
Haïti et en FLE en république Dominicaine, et demain d’un DEA FLE à l’Université
de La Havane) ; ouverture de cinq nouvelles licences en français dans les universités
centro-américaines ; mise en place au Costa Rica et au Panama de licences de fran-
çais à distance par l’Université d’État à distance (UNED), l’Université du Costa Rica
(UCR) et l’Université autonome de Chiriqui (UNACHI – Panama), avec l’expertise
du CNED ; mise en réseau des associations de professeurs de français par la création
de l’Association centro-américaine et l’organisation régulière de rencontres régiona-
les pour de meilleures synergies (en 2004 par exemple, Saint-Lucie accueille les Assi-
ses sur l’enseignement du français et les politiques linguistiques en francophonie et le Costa
Rica, le IIe congrès centro-américain des professeurs de français). On soulignera en-
fin, à côté de la hausse partout constante des inscriptions en Alliances françaises
(4 000 à Cuba seulement), la montée en puissance de demandes de français à usage
professionnel, attestée notamment par l’audience régionale des formations franco-
phones de l’École des hautes études de l’hôtellerie et du tourisme (EAEHT) de La
Havane, en liaison avec l’Université de Nancy 2, et la mise en place, impensable il y a
quelques années, de filières spécialisées de licences de français en tourisme et traduc-
tion dans les universités nationales du Honduras et du Nicaragua.

MAIS UNE DEUXIÈME LANGUE VULNÉRABLE SANS LES AUTRES


Pourtant, en dépit de la résolution plurilingue de l’AEC, de la couverture scolaire et
universitaire, de la nouvelle clientèle du français dans la région et des réponses inno-
vantes apportées à sa demande, la revalorisation actuelle du français reste fragile :
bilingues, les Antillais tiennent communément le français à distance de leur langue,
sans guère jouer de l’expressivité de l’une au contact de l’autre ; bilingues, les Haï-
tiens ne le sont pas dans leur grande majorité ; apprenants de FLE, les publics des
autres pays le sont dans des conditions qui appellent une vigilance constante.
Vigilance sur la proportion d’apprenants d’abord. Dans la Caraïbe, le français tota-
lise certes encore plus d’apprenants que l’espagnol mais tend à être devancé par ce-
lui-ci dans toutes les îles anglophones (Barbade, Jamaïque, Trinité et Tobago pour ne
citer qu’elles) non membres de l’OECS (et de l’OIF). Et en Amérique centrale, la
présence significative du français devient très relative, si on la compare aux publics
de l’anglais : au Costa Rica, le français ne retient que 10 % des élèves quand, dans
- 197 -
Caraïbe et Amérique centrale : le français en évolution régionale

les deux dernières années du secondaire, ils ne sont plus soumis qu’à l’obligation
d’une LE ; dans les pays où il est optionnel, le français n’inscrit jamais plus de 3 %
des élèves de l’enseignement obligatoire d’anglais (5 000 élèves en français contre
333 000 en anglais au Nicaragua par exemple) ; sur les 15 langues offertes à la com-
munauté par le Centre de langues (CALUSAC) de l’Université San Carlos de Gua-
temala, le français arrive bien en second par ordre de préférence après l’anglais, mais
avec 6 % des apprenants contre 92 % pour l’anglais. Si on porte son attention sur les
apprenants des établissements conventionnés avec l’AEFE (écoles et lycées français),
on est confronté à un paradoxe : alors que dans toute la zone, la qualité de leur offre
éducative est plébiscitée, la quantité d’élèves qui poursuivent des études dans des
universités francophones est infime : de l’ordre de 4 % au mieux chaque année.
Vigilance ensuite sur la détermination institutionnelle en faveur du français. Si le
statut optionnel permet de localiser l’enseignement du français à peu près partout
dans la zone, il l’enferme aussi fréquemment dans un ensemble de conditionne-
ments négatifs (horaires réduits, programmes chaotiques, manque de matériel et de
locaux, concrétisation dans la dépendance du chef d’établissement) qui l’exposent,
malgré la créativité reconnue des professeurs de français dans la région, à une image
et à des résultats peu valorisants, et donc susceptibles d’en éloigner les volontaires.
En dépit de ses 700 professeurs (pour 3 millions d’habitants), le statut privilégié du
français au Costa Rica n’échappe pas aux incertitudes. Car à bien y regarder, il ré-
sulte moins d’un choix prospectif que d’un intérêt rétrospectif : idéaliser le pays
comme référence démocratique et culturelle pour la scène régionale et internationale
en fonctionnant comme métaphore de son attachement à l’égalité républicaine. Il
suffit alors que le modèle jacobin de service public incarné au Costa Rica par l’offre
de français paraisse s’opposer à des logiques de croissance néolibérales et d’appel au
désengagement social de l’État, pour que la place du français soit remise en cause,
comme des résolutions ministérielles visant à rendre le français optionnel s’y essaient
assez régulièrement avant d’être toujours annulées, jusqu’à présent.
Si, comparée à un passé récent et aux langues de statut non maternel autres que
l’anglais, la situation du français dans la région est enviable, nul ne prétend donc
que son avenir y soit assuré. Il pourrait l’être néanmoins dans le cadre plurilingue
que la grande région vient de se donner. L’habilitation récente par le conseil des
ministres de l’AEC de trois centres d’excellence pour l’enseignement des langues de
l’union (dont l’ISEF pour le français) et les formations régionales qui s’y déroulent
depuis, vont manifestement en ce sens. Mais au-delà de ses effets de synergies
concrets, le plus positif de la résolution plurilingue de l’AEC est à ce stade encore
son existence même : la preuve de la nécessité politique de la diversité linguistique
qu’elle apporte et la réflexion qu’elle mobilise et alimente sur son sens et ses moyens.
Liée à son avenir régional, la francophonie doit enfin porter un surcroît d’attention
à la régionalisation en cours. Car, de ce côté là aussi, rien n’est acquis. Malgré les
volontés politiques exprimées de desserrer le face à face avec les États-Unis,
l’incorporation des deux régions, caraïbe et centro-américaine, à un espace
- 198 -
Patrick Dahlet

d’intégration élargie, centré sur ces États-Unis, au travers de l’ALENA d’abord et de


la ZLEA ensuite, tend à s’imposer à bon nombre d’interlocuteurs comme une issue
aux exigences des marchés globaux. Mais dans la diffusion des langues étrangères
et/ou de scolarisation, ce ne sont pas les dirigeants ou les techniciens qui tranchent :
ce sont les populations elles-mêmes qui décident où, quand et comment les parler.
Victimes d’une sorte de linguicide silencieux, les locuteurs des langues mayas et des
créoles voient dans la région leurs langues et leurs valeurs s’éteindre inexorablement.
C’est contre cette fatalité que le français doit œuvrer en assurant la projection des
langues sur la scène régionale et internationale et en articulant le réaménagement
régional des économies et des sociétés centro-américaines et caribéennes sur des pro-
cessus d’intégration multilatéraux. C’est aussi à cette condition que les populations
de la région s’engageront pour le devenir du français chez elles.

- 199 -
L’AVENIR DU FRANÇAIS AU MACHREK

Sélim ABOU
Responsable de la chaire d'anthropologie interculturelle Louis D.
Institut de France (2002-2003)
Recteur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (1995 –2003)

En l’absence de données chiffrées précises récentes, on peut seulement identifier des


tendances qui pourront avoir une influence sur l’évolution de la langue française
dans la région du Machrek. La première de ces tendances est qu’aujourd’hui plus
que jamais l’avenir du français est tributaire des facteurs politique et économique : à
court terme, on pourrait distinguer deux mouvements contradictoires, le premier
porté par le facteur économique de la globalisation, qui tend à imposer l’usage de
l’anglo-américain comme unique langue de communication internationale, le second
bénéficiant au français dans la mesure où les prises de position de la France dans la
guerre d’Irak ont provoqué un regain d’intérêt pour sa langue essentiellement auprès
de populations qui n’étaient pas, ou très peu, francophones ; ainsi, grâce à son excel-
lente couverture de la guerre d’Irak, mais aussi parce qu’elle apparaissait comme une
alternative aux médias américains, la chaîne francophone TV5 a très nettement accru
son public dans la région. L’effort de la communauté chiite libanaise pour enseigner
précocement cette langue dans ses institutions scolaires, la production de manuels scolai-
res en français et la formation d’enseignants à l’appui, est également remarquable. Au
plan idéologique, on assiste donc à un renversement : l’usage du français était na-
guère dénoncé par certains comme un signe d’inféodation, il est récemment apparu
comme un signe de dignité.
Cependant, ces deux mouvements méritent d’être nuancés : certes, tout le monde
admet que la maîtrise, au moins moyenne, de l’anglo-américain est désormais une
nécessité professionnelle ; mais dans une région qui a toujours été plurilingue, et où
l’usage d’une langue autre que l’arabe a varié d’un pays à l’autre selon les aléas de
l’histoire, un principe de hiérarchisation ciblée des langues semble continuer à préva-
loir, donnant à la maîtrise du français l’avantage sur l’anglo-américain dans la forma-
tion de la personne. Au Liban, où le choix du français comme langue scolaire n’a pas
connu de baisse significative, mais où le choix de l’anglais comme langue universitaire
se développe, c’est plutôt un trilinguisme hiérarchisé qui se profile : le français, langue
de formation et de culture, l’anglais, langue instrumentale, les deux langues étant par
ailleurs, avec l’arabe, des langues de communication nationale et internationale.
L'avenir du français au Machrek

La francophonie au Machrek est loin d’être uniforme. Elle varie considérablement


selon les pays. En Syrie, comme au Liban, les écoles fondées par les missions françai-
ses avaient implanté le français un demi-siècle avant le mandat de protectorat de la
France sur les deux pays, lequel avait à son tour contribué à l’extension de cette lan-
gue et de la culture qu’elle véhicule. Mais en Syrie, la nationalisation des écoles pri-
vées survenue dans les années 1960 et la politique d’arabisation de l’enseignement
ont abouti au déclin rapide de la francophonie. Bannie de l’enseignement scolaire en
1984, la langue française y fut réintroduite dix ans plus tard, à la faveur d’une ré-
forme de l’enseignement. En concurrence avec l’anglais comme langue étrangère
optionnelle, elle bénéficie aujourd’hui de l’existence d’un corps enseignant quantita-
tivement plus francophone qu’anglophone.
En Égypte, les écoles créées par Méhémet Ali furent organisées sur le modèle fran-
çais. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, Libanais et Syriens francophones fuyant
les massacres dont leurs pays respectifs étaient le théâtre, trouvèrent une base
d’accueil. Ils y fondèrent leurs écoles, aidés par les missions religieuses présentes,
créèrent des journaux francophones et favorisèrent le développement d’activités
culturelles essentiellement francophones. La nationalisation des écoles privées, à
partir de 1954, prive le pays du réseau des écoles religieuses qui prodiguaient un
enseignement de grande qualité. Les rares établissements privés qui restent au-
jourd’hui disposent encore tacitement d’une plus grande liberté pédagogique. Au
niveau de l’enseignement supérieur, la fondation de l’Université Senghor1 et un
projet d’université francophone sont susceptibles d’apporter un certain dynamisme,
mais jusqu’à un certain point seulement, face à ce qui est, jusqu’ici, un franc déclin
de la francophonie.
Sous mandat de protectorat anglais, la Jordanie a opté très tôt pour un bilinguisme
arabe-anglais. Mais elle s’ouvre aujourd’hui à la langue française, particulièrement en
accueillant des réfugiés palestiniens qui apportent une certaine francophonie avec
des institutions scolaires religieuses fondées auparavant en Palestine par des missions
françaises. Depuis la visite présidentielle française en 1997, le français est devenu
langue étrangère optionnelle dans le système scolaire public.
Au Liban, le français et l’anglais progressent parallèlement, mais le français demeure
la langue occidentale majoritaire dans le système éducatif. Ainsi sur les 347 498 élè-
ves des écoles officielles, 72,3 % ont le français comme première langue étrangère et
27,7 % l’anglais. Dans les écoles privées, sur 432 832 élèves, 63,7 % ont le français
comme première langue étrangère et 36,3 % l’anglais. Il faut ajouter que le Liban
offre des conditions particulièrement favorables pour l’apprentissage scolaire du
français : le taux de scolarisation frôle les 90 % et l’âge du premier apprentissage de
la langue est de 6 ans dans l’enseignement officiel et de 3 ans dans le privé.

1
Principalement financée par la Francophonie.
- 202 -
Sélim Abou

L’enseignement universitaire est aussi libre que l’enseignement scolaire : 13,2 % des
étudiants font leurs études entièrement en français, 26,3 % reçoivent un enseigne-
ment partiel dans cette langue. Mais aussi importante que soit la proportion des
étudiants concernés par un enseignement universitaire entièrement ou partiellement
en français, elle est nettement inférieure à celle des élèves effectuant une scolarité en
français. « La raison en est que, d’une part, beaucoup de parents estiment que
l’essentiel de l’intérêt d’une formation francophone pour leurs enfants se trouve
dans la formation scolaire, et qu’ensuite des études en anglais constituent un meil-
leur atout dans la vie professionnelle ; ils considèrent aussi que la langue française
étant plus difficile à acquérir et à maîtriser que l’anglais, elle nécessite une plus lon-
gue familiarisation, et que des études universitaires en anglais permettent
l’acquisition, tardive mais suffisante, de la langue anglaise »2.
Pour synthétiser ces observations, il nous paraît utile de résumer en un tableau les
caractéristiques de la francophonie dans chacun des quatre pays du Machrek.

Liban Syrie Égypte Jordanie

Taux
d’alphabétisation
(Unesco 1993) 87 % 64 % 48 % 80 %

Éducation 43 % de la Moins de Moins de 29 %


pré-scolaire population 10 % 10 %
(Unesco 1995) scolaire

Écoles privées en 57 % de la inexistantes 4 % des 3 % des


1997-1998 (1) population effectifs effectifs
scolaire (écoles
bilingues) (écoles
francopho-
nes)

Âge Public : 6 Public : à Public : à Public : à


d’apprentissage ans partir de 12 partir de 14 partir de 14
du français (1) ans ans ans
Privé : 3 (français ou
ans anglais)

Choix 2e langue
français 73 % du Optionnel : Optionnel : Optionnel :
choix autour de autour de autour de
20 % 45 % 12 %

27 % du
anglais (1)
choix

2
Katia Haddad, La francophonie dans le monde arabe : état des lieux, Agence intergouvernementale de la Francophonie,
2002. Beaucoup de données sont extraites de ce rapport.

- 203 -
L'avenir du français au Machrek

Liban Syrie Égypte Jordanie

Enseignement en 40 % néant néant néant

français (1)

Volume horaire
FLS 40 %
FLE 4,5 % 10 % Privé : Privé :
11,5 % 13 %
(1)
Public : Public : 4
3,5 % %

Accès à 10,5 % 6% 6% 8,1 %


l’université
(Unesco 1995)

% des étudiants
touchés par
études univ. 39,5 % 1,9 % 1,7 % 1,6 %
entièrement ou (13,2
partiellemment entière-
en français. ment
26,3
partielle-
ment)

(1) D’après les données des ministères de l’Éducation, sauf pour le Liban : cf. S. Abou, C. Kasparian,
K. Haddad, Anatomie de la francophonie libanaise, AUF/FMA, 1996.

Pour l’instant donc, le pessimisme systématique concernant l’avenir du français dans


la région semble hors de propos, mais il reste à la langue française à déterminer clai-
rement sa place et à œuvrer pour la conforter.

- 204 -
L’AVENIR DU FRANÇAIS AU MAGHREB

Ahmed BOUKOUS
Recteur de l’Institut royal de la culture amazighe

CONTOUR DE LA SITUATION SOCIOLINGUISTIQUE


Au Maghreb, les langues en présence dans les communautés sont, d’une part, les
langues nationales, l’arabe et l’amazighe (le berbère), et, d’autre part, les langues
étrangères, notamment le français. La langue française est institutionnellement pré-
sente au Maghreb depuis le XIXe siècle consécutivement à la colonisation de l’Algérie
en 1830 et au protectorat français en Tunisie (1883) et au Maroc (1912). Cette pré-
sence s’est poursuivie après les indépendances recouvrées respectivement en 1962 et
1956, avec cependant moins de densité, notamment dans les secteurs de l’éducation,
de la formation, des médias, de la culture et de la vie publique en général. Le statut
du français a naturellement connu un changement en passant de facto du statut de
langue officielle des institutions coloniales et protectorales à celui de première lan-
gue étrangère dans les institutions nationales indépendantes au bénéfice de l’arabe
qui devient de jure langue officielle dans les pays du Maghreb. Au Maroc, le français
conforte sa position de première langue étrangère face à l’espagnol dans les institu-
tions éducatives et administratives, y compris dans les régions du nord et du sud
anciennement sous protectorat espagnol.
Ce changement de statut du français découle de l’évolution des données de la situa-
tion politique, linguistique et culturelle au Maghreb. En effet, les élites politiques et
culturelles ont opté pour la politique d’arabisation dès l’accession à l’indépendance.
Issues généralement de la bourgeoisie urbaine, bien que souvent formées à l’école
française, ces élites se sont d’emblée inscrites dans l’idéologie des mouvements de
libération nationale, fortement marqués par les idéaux du nationalisme arabe
moyen-oriental. Cette tendance s’est vue renforcée par l’émergence puis la domi-
nance de l’idéologie islamiste véhiculée par les élites traditionalistes et fortement
ancrée dans la masse. L’évolution de la situation symbolique génère des changements
qui se traduisent dans la situation linguistique par une dynamique animée par des
débats et des tensions en raison des enjeux qu’elle sous-tend. C’est ainsi que trois
courants majeurs se partagent le champ du discours épilinguistique sur la politique
linguistique : l’arabophonie, la francophonie et la berbérophonie. L’anglophonie
constitue encore un courant mineur ; mais il est appelé à se développer dans le
contexte de la globalisaion, dont les accords d’échanges avec les USA constituent les
prémices.
L'avenir du français au Maghreb

USAGES DES LANGUES


Les études consacrées à la situation sociolinguistique au Maghreb (Chikhi, Elmandjara
et Touzani 1988, Elgherbi 1993, Boukous 1995, Laroussi 1999) montrent que les
Maghrébins font preuve d'un réel pragmatisme sociolinguistique dans la mesure où ils
pratiquent des diglossies enchâssées à partir de la combinaison des différentes langues
disponibles dans leur répertoire selon la nature de la situation de communication. La
motivation qui pousse les locuteurs à employer le français est essentiellement de type
instrumental ; il est généralement considéré comme une langue utile pour avoir une
bonne formation académique et professionnelle, et nécessaire à la promotion profes-
sionnelle et à la mobilité sociale. L’intérêt pour le français est donc essentiellement
pragmatique. Quant à l’arabe et à l’amazighe, il leur échoit d’être les langues de
l’identité. C'est ainsi que dans le paysage linguistique structuré par les trois pôles que
sont l’arabophonie, la berbérophonie et la francophonie, il apparaît que chacune des
langues assure des fonctions sociolinguistiques particulières et intervient dans des rôles
sociaux spécifiques : l’arabophonie comme véhicule de l’identité arabo-musulmane, la
berbérophonie comme véhicule de l’identité patrimoniale régionale et la francophonie
comme langue d’ouverture sur le monde moderne.
Les données démolinguistiques relatives à l’usage des langues au Maghreb ne sont
pas toujours disponibles. Pour le Maroc, d’après les résultats du recensement de
2004 et pour la population de 10 ans et plus, nous avons les pourcentages suivants :

(i) Langues lues et écrites (en %)


Néant (taux d’analphabétisme) 43,0
Arabe standard 17,3
Arabe standard + français 30,3
Arabe standard + français + autre langue 9,1
Arabe + autre langue (– le français) 0,1
Autres cas 0,2

(ii) Population du Maroc selon la langue locale utilisée (en %) :


Langue locale Amazighe Arabe seul Total
Milieu urbain 21 79 100
Milieu rural 34 66 100
Ensemble 28 72 100
Source : Population légale du Maroc en 2004, Haut Commissariat au Plan, Rabat

- 206 -
Ahmed Boukous

Pour ce qui concerne le français, le tableau (i) ne donne pas de chiffre propre à
l’usage du français, mais on peut déduire des lignes 2 et 3 que le taux de la popula-
tion qui lit et écrit cette langue est de 13 %.
Le statut assigné de facto au français dans la politique linguistique des institutions
publiques, notamment l’enseignement et l’éducation, est celui de première langue
étrangère. En effet, le français est enseigné à partir des premières années de
l’enseignement primaire alors que l'espagnol et l’anglais ne font leur apparition que
dans le secondaire. Socialement, les francophones appartiennent aux élites urbaines,
membres des classes supérieures et moyennes, bureaucratie civile et militaire, mem-
bres des professions libérales, employés du secteur des services, enseignants et cher-
cheurs en sciences exactes et accessoirement en sciences humaines et sociales. Le
français marque en profondeur le comportement langagier des Maghrébins qui, dans
une proportion appréciable, ont une attitude positive à son égard et l’assimilent
généralement à la modernité et au progrès. Les francophones sont essentiellement
exposés au français standard, langue dont la norme est apprise de façon formelle
dans le cadre scolaire et par le biais du livre et des médias. Outre sa position dans
l’enseignement, le français est présent dans les médias écrits et audio-visuels et dans
la vie culturelle, notamment grâce à l’existence d’une littérature maghrébine
d’expression française, qui a donné des écrivains célèbres comme Kateb Yacine,
Mouloud Mammeri, Tahar Benjelloun, Assia Djebar et Abdelouahab Meddeb. Une
étude portant sur la langue française au Maroc montre que même les étudiants enre-
gistrent un degré d'usage limité de la langue française (en %) :

Degré d'usage oral lecture rédaction audition


Nul 6,3 9 14,33 8,02
Peu 33,33 41 27,33 22,40
Assez 36,33 7,33 31,33 39,46
Beaucoup 24 42,66 27 30,10
Source : A. Boukous 1998 : 16

Les chiffres que livre ce tableau montrent que les locuteurs emploient passablement
le français si l’on tient compte des différents types d’usage. Le domaine où le français
est le plus employé est l’audition, celui où il est le moins utilisé est la lecture. Ceci
signifie que l’usage que les sujets font du français est essentiellement passif. Il
convient évidemment de nuancer ces résultats en précisant qu'il existe au Maghreb
une élite culturelle maîtrisant parfaitement le français dans tous ses usages comme il
existe un autre segment de la population qui n'en a aucune connaissance, notam-
ment en milieu rural (48 % de la population globale). Il faut également souligner
que le français est employé quasiment en tant que langue première par les élèves des
écoles de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger dans lesquelles 85 % des
- 207 -
L'avenir du français au Maghreb

usagers sont des Maghrébins, notamment au Maroc et en Tunisie. En outre, dans


l’enseignement privé, le français occupe une place prépondérante. Ces données ex-
pliquent comment, en valeur absolue, la masse des francophones n’a jamais été aussi
importante au Maghreb.

ENJEUX DE LA FRANCOPHONIE
Il est indéniable que la langue française a introduit au Maghreb, à la faveur de la colo-
nisation, une donne exogène dans la dynamique de la situation sociolinguistique en se
constituant en un troisième pôle aux côtés du pôle berbère et du pôle arabe. C’est
pourquoi on peut dire que l’état de la situation symbolique y est fonction de
l’interaction de ces trois pôles. L’état de la situation de ce trinôme est évidemment lié à
la conjoncture, il se maintient dans un équilibre dont le degré de stabilité est fonction
de la dynamique des trois pôles. Que l’emporte le pôle du repliement avec la tentation
de la dérive identitaire (quelle que soit sa substance d’ailleurs) ou le pôle de
l’extraversion imposé par la dépendance économique et l’équilibre se trouve rompu.
Les locuteurs maghrébins sont soucieux de réaliser en eux-mêmes cet équilibre en pla-
çant l’arabe standard au sommet de la hiérarchie sociolinguistique, en appréciant le
français pour son utilité et en considérant le berbère comme l'idiome de l'identité his-
torique. La gestion de cet équilibre idéal dépend de l’autorégulation des différents
pôles : réussir à être politiquement maghrébin, culturellement arabo-berbéro-
musulman par la voix/voie de l’arabe et du berbère, et économiquement méditerra-
néen par le biais du français. Telle semble être l’équation de l’indépendance maghré-
bine et les fondements de son identité culturelle et linguistique.
Les pays du Maghreb entretiennent des relations privilégiées avec les pays franco-
phones du Centre, notamment avec la France qui représente pour eux un partenaire
important en termes d’échanges commerciaux, de coopération culturelle et d’alliance
stratégique. Les pays maghrébins sont en effet membres de l’Organisation interna-
tionale de la Francophonie. L’avenir de la langue française au Maghreb est lié à la
nature et à la qualité des réponses que peut fournir la « francophonie du Nord » aux
attentes et aux besoins des pays du Sud qui choisissent de s’inscrire dans l’espace
francophone. La francophonie, pour les citoyens de ces pays, se doit d’être un espace
de coopération œuvrant dans le sens de la prise en compte des intérêts des différen-
tes parties, un espace qui allie la dimension linguistique et politique à la dimension
socio-économique, un espace ouvert à la libre circulation, dans les deux sens, des
hommes et des femmes, des idées et des marchandises. La chance de maintien du
français au Maghreb est également liée à la capacité de l’espace francophone d’être
un lieu de partage et de reconnaissance de la diversité linguistique et culturelle. C’est
ce nouveau concept de la francophonie qui pourrait neutraliser les effets pervers de
la lame de fond qui voudrait faire de l’espace maghrébin le monopole de la logos-
phère du patrimonialisme dans sa version arabo-islamiste.
Dans le cadre de la déferlante anglo-saxonne soutenue par les puissants moyens de la
globalisation des échanges, les termes de l’alternative sont soit le repli identitaire
- 208 -
Ahmed Boukous

comme stratégie de résistance face à la dominance et à l’agression des économies, des


langues et des cultures puissantes, soit l’intégration dans des ensembles idéalement
porteurs de valeurs universelles, l’équité, la solidarité et la tolérance. L’espace fran-
cophone a les moyens de se constituer en pôle de référence attractif pour les com-
munautés maghrébines si les pays francophones du Nord mettent à bas le masque de
Janus dont ils s’affublent, en présentant, au gré de leurs intérêts conjoncturels, tan-
tôt le visage des Ténèbres en brandissant le spectre de la « menace barbare » pour
courtiser une opinion publique frileuse, tantôt le visage des Lumières en arborant
l’apparat du discours humaniste et œcuménique de l’égalité et de la fraternité des
peuples.
L’avenir de la langue française au Maghreb dépendra in fine de sa résistance face à
l’anglais et à l’espagnol en se positionnant sur le marché des langues par la qualité
des services qu’elle peut rendre à l’usager en répondant à ses besoins et à ses attentes,
notamment en le dotant des compétences exigées par le marché du travail dans le
contexte de la globalisation des échanges. La francophonie se constituera ainsi en
espace vital et viable si elle est conçue et vécue comme espace de solidarité et de tolé-
rance.

- 209 -
L’AVENIR DU FRANÇAIS
DANS L’OCÉAN INDIEN

Rada TIRVASSEN
Mauritius Institute of Education

En raison de son passé politique et de l’histoire de son peuplement, la zone du sud-


ouest de l’océan Indien offre un paysage plurilingue au sein duquel le français oc-
cupe une place significative. C’est à l’expansion coloniale française (installation des
Français à l’île de la Réunion en 1665) qu'est due la présence de cette langue dans la
région. L’île de la Réunion est d’ailleurs demeurée française, de même que Mayotte
qui a choisi de se détacher du territoire comorien pour négocier un statut de terri-
toire d’outre-mer en 1958 avant de devenir Collectivité départementale. En revan-
che, Madagascar (annexé par la France en 1896) et les Comores, colonisées en 1841,
sont indépendants respectivement depuis 1960 et 1975. Toutefois Maurice et les
Seychelles ont obtenu leur indépendance des Britanniques, la conquête de ces deux
îles par les Anglais, en 1810, ayant mis fin à l’hégémonie de la France dans cette
région. Du coup, le français n’est plus la seule langue de grande communication,
concurrencé qu’il est dans ces deux États par l’anglais et par l’arabe aux Comores,
qui ont été sous l’autorité de sultans arabes dès le Xe siècle.
L’histoire du peuplement de ces îles est aussi intimement liée aux réalités sociolinguis-
tiques de la zone. L’arrivée des colons français à la Réunion et leur rôle dans le peu-
plement de Maurice, et plus indirectement dans celui des Seychelles et de Rodrigues
(une île de 40 000 habitants faisant partie du territoire mauricien), sont à l’origine
d’une certaine homogénéité linguistique de la région. Les deux traits de cette homo-
généité sont la présence d’une langue créole ayant pour langue mère le français et
celle d’une variété endogène du français, indice non seulement d’une vernacularisa-
tion de cette langue mais aussi du rôle (parfois ambigu) qu’elle peut jouer au plan
identitaire. Madagascar, qui, contrairement aux autres îles, n’a pas été une colonie
de peuplement, et les Comores n’ont ni langue créole ni variété endogène du fran-
çais (si l’on en croit M. Beniamino in Bavoux et Gaudin, 2001, pp. 38-54).
Sur le plan synchronique, le plurilinguisme de la région est fondé sur la répartition
des fonctions entre les (catégories de) langues par secteur avec une ligne de partage
entre les communications dans les institutions officielles et celles qui concernent la
vie quotidienne. Le français est une des langues de l’administration et des communi-
cations institutionnalisées dans toutes les îles du sud-ouest de l’océan Indien, avec
toutefois des formes de concurrence qui varient selon la communauté linguistique.
L'avenir du français dans l'Océan indien

À l’écrit, cette concurrence vient de l’anglais à Maurice et aux Seychelles, de l’arabe


aux Comores, et du malgache standard à Madagascar. S’agissant des communica-
tions orales, l’essentiel est assuré par les langues locales, même à la Réunion où le
créole prend une place de plus en plus importante. Ces constats peuvent donner
l’impression que le français relève des seules communications « imposées » et d’une
aire de diffusion circonscrite. On passerait alors sous silence la place de cette langue
à l’école et dans la presse où le choix se fait en fonction des compétences du lectorat
et surtout du type du véhicule de communication dans lequel il veut investir ses
ressources (temps, argent, etc.). En effet, la presse locale « libre » est, sinon majoritai-
rement francophone (la Réunion, Maurice et Mayotte), du moins bilingue à Mada-
gascar (malgache et français) et aux Comores (le français et le comorien) et trilingue
aux Seychelles (anglais surtout mais aussi créole et français). Quant à l’audiovisuel, il
reflète en général le plurilinguisme de ces communautés, avec une place garantie
pour le français qui prend la fonction de la langue d’ouverture sur le monde exté-
rieur. S’agissant de l’école, si le français occupait une place centrale dans les îles où il
n’est pas concurrencé par une autre langue de grande communication, ce sont les
efforts de promotion des langues nationales qui réduisent son espace, notamment à
Madagascar qui a vécu les tentatives d’une malgachisation ayant coupé de cette lan-
gue toute une génération (celle des années 1970) d’enfants. Les efforts de promotion
du créole à Maurice (c’est l’hégémonie de l’anglais qui est menacée), et à la Réunion
ne semblent pas avoir le même succès qu’aux Seychelles où c’est encore une fois la
place de l’anglais qui a été remise en question.
Dans la communication quotidienne, la situation est totalement différente. On peut,
à nouveau, opérer une division entre les communautés linguistiques où le français
est vernacularisé (Maurice et la Réunion) et celles où la vernacularisation est, sinon
inexistante, du moins très faible (les Comores, Madagascar et les Seychelles). Dans
ces trois communautés, l’essentiel des communications orales non marquées est
assuré par les langues endogènes, en général non standardisées. Comme par ailleurs
l’école diffuse peu (les Seychelles) ou mal (les Comores et Madagascar) cette langue,
le niveau de compétence en français peut être très bas. Se fondant sur des données
concernant la scolarisation et le niveau d’instruction de la population, M. Rambelo
estime le pourcentage de Malgaches qui maîtrisent le français entre 10 et 15, chiffre
qui donne une représentation de la diffusion de cette langue puisque la population
malgache est plus de deux fois supérieure à toutes les populations des autres îles
réunies. La situation est totalement différente à la Réunion et à Maurice : D. Baggioni
et M. Beniamino (C. Bavoux in R. Tirvassen : 2003 : 27) estimaient qu’il y avait, en
1993, 40 % de francophones, auxquels s’ajoutait un pourcentage important de fran-
cophones exolingues. À Maurice, on peut estimer le taux de la population possèdant
une certaine maîtrise du français à plus de 50 % (avec toutefois une majorité de
francophones exolingues), dans une communauté linguistique où la langue officielle
et la langue de communication pédagogique à l’école (pour aller vite) est l’anglais. Il
est toutefois nécessaire de signaler une différence majeure entre ces deux commu-
nautés : l’ensemble des communications quotidiennes peut être rempli par le créole
- 212 -
Rada Tirvasen

à Maurice, alors que le français est plus incontournable à la Réunion, département


français d’outre-mer.
On aurait tort d’esquisser une prospective sans un certain nombre de précautions
scientifiques. L’état des lieux des situations linguistiques de la francophonie réalisé
par R. Chaudenson et D. Rakotomalala (2004 : désormais RC & DR) nous propose
tout à la fois une démarche consistant à analyser le mode de gestion des plurilin-
guismes nationaux à partir des notions de status et de corpus (cette notion est toute-
fois aménagée : pour les détails voir Chaudenson et Rakotomalala : 13-20) ainsi que
des données sociolinguistiques récentes sur chacune des communautés linguistiques
sur lesquelles nous travaillons, la Réunion mise à part. Nous prendrons en compte
les notes globales que le français obtient au niveau du status et du corpus : le status
désigne, en gros, le statut et les fonctions institutionnelles1 alors que le corpus ren-
voie aux pratiques et aux compétences langagières. Par ailleurs, dans la masse
d’informations détaillées fournies par Chaudenson et Rakotomalala, nous en avons
privilégié certaines. Nous pensons que l’efficacité des systèmes éducatifs et, complé-
mentairement, la production en français à laquelle nous associons le rayonnement des
médias francophones, sont les éléments à prendre en compte si l’on veut avoir des
indications précises sur la place du français dans le paysage sociolinguistique. Il y aurait
une étude à mener pour évaluer l’impact réel de l’école dans des sociétés où les lan-
gues prestigieuses sont à la fois des symboles valorisés et des outils instrumentalisant la
réussite scolaire et socioprofessionnelle. Un exemple significatif du rôle de l’école et
des facteurs sociaux nous vient de Mayotte. En effet, l’école y joue un rôle singulier :
en 1997, seuls 13 % des 15-19 ans déclaraient ne pas avoir été scolarisés ; parallèle-
ment, selon des enquêtes de l’INSEE, 55 % des citoyens âgés de 15 ans ou plus pou-
vaient pratiquer le français alors que la situation était différente quelques décennies
auparavant tant pour ce qui est du taux de scolarisation que de la maîtrise du français.
On peut développer la même argumentation en citant les travaux de S. Babault, qui
associe le redressement du système éducatif malgache à la réhabilitation du français
(S. Babault in Tirvassen, 2002 : 83-106).
Revenons aux données fournies par RC & et DR. Dans leur étude, des valeurs nu-
mériques sont attribuées aux langues. On s’intéresse dans un premier temps à celles
accordées au status et au corpus du français. Puis on commentera certains aspects
spécifiques, concernant notamment l’éducation et les médias et production. Pour

1
Chaudenson et Rakotomalala prennent aussi en compte, dans l’identification des éléments constitutifs du status,
les possibilités économiques qu’offrent les langues : la définition, un peu rapide de cette entrée « possibilités écono-
miques », soulève des questions théoriques. En effet, elle renvoie aux limites conceptuelles des notions linguistiques
qui, pour le linguiste, recouvrent uniquement des réalités linguistiques alors que cette dimension linguistique est
indissociable des autres aspects sociaux auxquels elle est inextricablement liée. Le découpage scientifique est, en
quelque sorte, arbitraire. Dans ce cas, justement, est-ce qu’on n’aurait pas dû prendre en compte la dynamique et la
croissance économiques des États, la mobilité sociale espérée, etc., et leur impact sur l’évolution sociolinguistique
pour donner une représentation plus juste des possibilités économiques ? Un exemple : dans cette rubrique, le
français obtient 16 points aux Comores et 13 à Maurice alors que Maurice est, au moins dans cette région du
monde, un exemple de réussite économique et de dynamique francophone.
- 213 -
L'avenir du français dans l'Océan indien

permettre une lecture facile de ces données, nous les présentons sous forme de ta-
bleau.

Corpus Status Apprentissage Compétence Production Médias


langue scolaire

Comores 81,4 8,7 04 02 01 24,5


Madagascar 49,2 21,1 10,4 04 1,5 11
Maurice 37,3 30 12 08 03 14
Les Seychelles 34,4 23,1 12 3,5 1,5 05

Un premier constat porte sur l’équilibre relatif entre les valeurs numériques du status
et celles du corpus du français à Maurice et aux Seychelles. Cet équilibre est moins
évident à Madagascar puisque les valeurs numériques du status y sont deux fois supé-
rieures à celles du corpus, alors que le déséquilibre est particulièrement marquant aux
Comores. La Réunion ne figure pas dans ce tableau puisque le département fait
partie de l’État français, mais il n’est pas difficile de deviner que les valeurs de cette
langue auraient été très élevées au plan du status et élevées dans les pratiques et les
compétences/productions. Selon une enquête réalisée par l’INSEE (Chevallier et
Lallemant, in Bavoux, 2003: 67), sur cinq mères créolophones, quatre seulement
choisissent de transmettre le créole à leurs enfants. Dans les classes moyennes, la
tendance est à la transmission du français. Mais le plus important à la Réunion
comme à Maurice est cet investissement intergénérationnel des parents soucieux de
la réussite scolaire de leurs enfants : et c’est le français qui garantit cette réussite.
Revenons aux écarts entre le status du français et son corpus : les tendances notées
dans l’océan Indien cadrent avec celles qu’on observe dans l’ensemble de la Franco-
phonie (D. Rakotomalala : 2005). Le déficit du corpus dans cette région du monde,
la Réunion et d’une certaine façon Maurice mises à part, peut être attribué aux per-
formances scolaires, dont l’effet est bien plus prolongé qu’on l’imagine puisque le
rayonnement des médias ne dépend pas seulement de la place offerte au français
mais du nombre de lecteurs que l’école aura formés ! C’est sans doute pour cela qu’il
est nécessaire de dépasser les seuls dispositifs officiels pour évaluer l’efficacité des
enseignements.
Le deuxième élément à prendre en compte pour comprendre la dynamique des lan-
gues concerne les évolutions qualitatives fines et les mouvements souterrains tramés
par la classe politique dans des États où le pouvoir de la société civile demeure relatif.
S’agissant des tendances évolutives, on peut avancer que dans la zone du sud-ouest de
l’océan Indien, les langues nationales sont au centre des dynamiques constatées. Nul
besoin de revenir sur ce point, sauf pour signaler la décréolisation constatée à la Ré-
- 214 -
Rada Tirvasen

union, phénomène que les linguistes tentent de conceptualiser à partir d’outils tels que
continuum franco-créole, interlecte, plurilinguismes nouveaux, etc. Si l’on prend les
cas des Seychelles et de Madagascar, on peut noter des tentatives pour promouvoir la
variété officielle du malgache et du créole seychellois. Madagascar tente, dans les
textes, d’équilibrer les statuts du français et de ce malgache, même si tel n’est pas
vraiment le cas dans les faits. En 1992, le malgache a été désigné comme langue offi-
cielle, ce qui constitue une suite logique des décisions, traduites dans les faits, et qui
visait, dès les années 1980, à promouvoir le malgache dans les institutions officielles
de l’île, notamment à l’école. Même remarque au sujet du créole seychellois. Toute-
fois, dans les deux États, les anciennes langues coloniales maintiennent une certaine
suprématie sur les langues nationales dans les communications formelles. On assiste,
à des degrés moindres, au même phénomène aux Comores et à Djibouti, mais les
initiatives prises dans ces deux États demeurent timides. Quant à Maurice et à la
Réunion, elles connaissent des types différents de plurilinguisme. On peut évoquer
le plurilinguisme à langue dominante minoritaire à la Réunion même si l’école ainsi
que les médias assurent une forte diffusion du français, si bien que l’on peut se de-
mander jusqu’à quand on pourrait avoir recours à cette notion de plurilinguisme
pour caractériser la Réunion. Quant à Maurice, on est là dans une situation à lan-
gues dominantes (anglais et français) minoritaires.
À ces dynamiques sociolinguistiques se superpose un phénomène de regroupement
régional. Une première organisation régionale, la Commission de l’océan Indien
(COI), a été créée en janvier 1984 et regroupe quatre États ACP (les Comores,
Madagascar, Maurice, Seychelles) et une région ultrapériphérique européenne (La
Réunion). Elle compte parmi ses membres la France qui agit pour le compte de la
Réunion. Bien que cette organisation ne soit pas officiellement associée à la franco-
phonie, elle est perçue comme proche d’elle. En 1992, un deuxième bloc régional, la
Southern African Development Community, a été créé. Elle regroupe les pays de
l’Afrique australe (Angola, Botswana, la République démocratique du Congo, Lesotho,
Malawi, Maurice, le Mozambique, la Namibie, les Seychelles, l’Afrique du Sud, le
Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe). Lors du dernier sommet des
chefs d’État tenu à l’île Maurice en 2004, Madagascar a soumis une requête deman-
dant son adhésion au bloc. Contrairement à la COI où les débats ont lieu en fran-
çais, l’article XV du traité de la SADC précise que les langues de travail de
l’organisation sont l’anglais et le portugais. Ce phénomène de regroupement régio-
nal relativement nouveau comparé au poids nettement moins important de la COI
semble donner des indications sur les choix économiques et politiques de certains
États de la région, options qui auront évidemment des conséquences linguistiques
puisque Madagascar exhibe, dans le même temps, une demande appuyée pour
l’anglais, notamment auprès des institutions mauriciennes.
Si les dynamiques évoquées ci-dessous ont eu un impact sur certaines des fonctions
assurées par le français, pour l’essentiel, cette langue conserve la position stratégique
et symbolique privilégiée qu’elle a toujours occupée dans la zone : sur le plan em-
blématique, c’est une langue de prestige, même si elle comporte un faisceau de signi-
- 215 -
L'avenir du français dans l'Océan indien

fications le plus souvent ambigu en raison de l’histoire sociopolitique de chacune des


communautés linguistiques concernées. Au plan communicationnel, c’est la langue
des médias et, surtout, dans pratiquement toutes les îles (sauf les Seychelles), elle est
utilisée (parfois de manière non officielle comme à Maurice) comme langue de struc-
turation des connaissances. Elle bénéficie donc d’un potentiel de diffusion qui peut
être mesuré par le taux de scolarisation (il est toutefois nécessaire de procéder à une
pondération en s’appuyant sur l’efficacité des enseignements offerts), de la consom-
mation des médias dans les familles et d’une valorisation scolaire qui peut venir de
ces possibilités économiques qu’offre cette institution et les apprentissages (dont
celui des langues prestigieuses) qu’elle offre.
S’agissant justement du rapport entre école, croissance économique et langues, Maurice
montre que le développement économique durable peut créer les conditions indirectes
(mobilité sociale, accès à l’audio-visuel par exemple) de la diffusion des langues de grande
communication. Tout le problème est de savoir si, pour accélérer la diffusion d’une lan-
gue susceptible d’améliorer la qualité de vie de la population, on peut mettre en œuvre
toutes ces opérations emboîtées qui vont d’une amélioration de la qualité de
l’enseignement-apprentissage de cette langue à l’école à la valorisation de l’éducation,
largement déterminées par les perspectives qu’offrent le marché de l’emploi et de façon
plus générale, le développement économique quand on sait que les Comores et Mada-
gascar font partie des pays les plus pauvres du monde.
Si l’on devait s’appuyer sur toutes ces données pour esquisser les tendances évoluti-
ves du français dans la zone, on pourrait affirmer qu’il se dessine deux grandes ten-
dances. La première est marquée par une dynamique francophone à Mayotte, à la
Réunion et à Maurice (même si dans le même temps on sait que cette vision ne doit
pas être assimilée à une conception simpliste d’un usage quantitativement plus im-
portant du français dans les deux îles créolophones). Les observations réalisées sur le
terrain mauricien et surtout réunionnais soulignent l’émergence de variétés de lan-
gues propres au contact franco-créole. On peut associer les Seychelles à ces deux îles
même si la vernacularisation du français est nettement moins importante dans cet
archipel mais où l’école bénéficie de moyens adéquats. Pour les Comores, le taux
d’illettrisme (seuls 20 % des Comoriens ont fait une scolarisation primaire com-
plète : A. Valette in Chaudenson et Rakotomalala, 2004 : 89), l’absence de signes
d’une solution au marasme économique et à l’instabilité politique vont contrarier
l’efficacité de l’école et sa diffusion du français. Certains de ces facteurs ont les mê-
mes effets à Madagascar : par exemple, le taux d’achèvement au primaire n’y est que
de 36 % (G. D. Randriamasitiana : 175 : RC & DR : 2004 ). Si, en plus, Madagas-
car consacre certaines de ses ressources à l’enseignement de l’anglais, on peut
s’attendre au mieux à une stabilisation de la diffusion du français, en admettant que
l’école soit un peu plus efficace.
Une meilleure gestion des ressources langagières suppose un certain nombre
d’opérations d’aménagement linguistique, à condition toutefois que cette démarche
s’inscrive dans un cadre allant au-delà de la seule préoccupation qui consiste à assu-
- 216 -
Rada Tirvasen

rer une diffusion plus efficace du français. À cet égard, il n’est pas nécessaire de se
lancer dans une argumentation étoffée : il suffit de s’inspirer des principes qui dic-
tent l’action de la francophonie dans le monde. Les nombreuses associations franco-
phones non seulement prônent la diversité linguistique mais tentent d’associer le
rayonnement de la langue et de la culture françaises avec les notions de bonne gou-
vernance et de respect de la dignité et des droits de la personne. Cet ensemble ne
doit pas faire oublier le potentiel fonctionnel (savoir, langue d’ouverture vers le
monde extérieur, pouvoir, etc.) et symbolique (indice de mobilité sociale, prestige,
etc.) du français, qui peut faire de cette langue un outil susceptible de participer au
bien-être de la population dans un rapport complémentaire avec les langues locales.
On peut alors envisager deux types d’opérations d’aménagement linguistique. Le
premier concerne la poursuite des travaux de description (socio)linguistique de la
variation qui caractérise l’usage du français dans les communautés où la vernaculari-
sation de cette langue (ou tout simplement son usage comme langue véhiculaire) a
fait émerger des normes endogènes. L’ensemble des travaux de description des fran-
çais hors de France réalisé avec le soutien de l’Agence universitaire de la Francopho-
nie ainsi que les études complémentaires consacrées aux autres aspects des pratiques
langagières constituent un point de départ appréciable. Mais il reste des recherches
complémentaires à réaliser. Toutefois, sans le soutien des institutions locales la re-
cherche universitaire risque de demeurer théorique : la Francophonie ne peut plus
considérer l’aménagement de la variation du français hors de France comme la seule
préoccupation des linguistes. Les États désireux de tirer un profit judicieux de
l’implantation de la langue française dans leur communauté linguistique doivent
prendre les décisions qui s’imposent. Le deuxième type d’opérations vise à équiper
les langues endogènes afin qu’elles participent plus efficacement à la vie socio-
culturelle et économique des populations. Certaines associations francophones ont,
à cet égard, pris des initiatives qu’il est nécessaire de systématiser. Aucune de ces
initiatives n’aura un impact réel sur la diffusion du français si l’école n’enseigne pas
plus efficacement cette langue.

- 217 -
L’AVENIR DU FRANÇAIS
EN AMÉRIQUE DU SUD

Patrick CHARDENET
Université de Franche-Comté
José Carlos CHAVES DA CUNHA
Universidade Fédéral do Pará

LA PLACE DU FRANÇAIS : QUATRE FACTEURS DE RÉAMÉNAGEMENT


L’espace géolinguistique de l’Amérique du Sud où se côtoient 938 langues amérin-
diennes regroupées en 85 familles et parlées par 25 millions de locuteurs1, représente
aujourd’hui un enjeu pour les langues de communication internationale d’origine
européenne : l’espagnol et le portugais comme langues premières ou secondes, mais
aussi les langues communautaires comme l’italien et ses dialectes dans les grandes
métropoles (Buenos Aires, Bogotá, Caracas, São Paulo) et l’allemand, à la fois disper-
sé au Chili, en Argentine et concentré dans les États du sud du Brésil2.
Le français, qui avait failli s’installer au Brésil à la suite de tentatives d’implantations
coloniales (essentiellement dues à des Bretons et des Normands entre 1555 et le
début du XVIIIe siècle), y a par la suite été longtemps valorisé dans l’enseignement
secondaire d’élite. En Argentine, avant même l’indépendance des Provinces-Unies
d'Amérique du Sud le 9 juillet 1816, l’enseignement du français est considéré comme
de grande importance par les membres du conseil municipal de Buenos Aires ; au
Brésil, les luttes contre le Portugal ont été nourries des idées françaises en vogue du
XVIIe au XIXe siècle, et le rejet du colonisateur va de pair avec l’adoption du modèle
français ; au Chili, le français est première ou deuxième langue étrangère depuis le
XIXe siècle, et en Uruguay, il a été langue obligatoire pendant de nombreuses années.
Cette précellence a ensuite été battue en brèche par quatre facteurs (sur lesquels on
verra aussi, dans le présent ouvrage, R.E. Hamel) :
– Les immigrations massives de la première partie du XXe siècle, qui offrent une op-
portunité à d’autres langues ;

1
Summer Institute of Linguistics du Texas. On considère généralement que seulement cinq d'entre elles, parlées par
plus de 300 000 locuteurs, ont grâce à cette masse critique quelque chance de se maintenir : ce sont les langues
andino-équatoriales comme le quechua (8 millions), le guarani (3 millions), l'aymara (1,5 million) ainsi qu’au Mexi-
que le nahuatl (0,9 million) et le maya (0,5 million).
2
À quoi on peut ajouter le russe, l’ukrainien, l’arabe et le japonais (entre 5 et 8 millions de Brésiliens sont d'origine
libanaise et près d’un million d’origine japonaise).
L'avenir du français en Amérique du Sud

– La mise en place, dans la seconde moitié du XXe siècle, de lois cadres sur
l’éducation exprimant les pressions réelles du marché des langues : 1952, 1993,
1997 en Argentine ; 1971, 1996 au Brésil ; 1990 au Chili ; 1998 au Paraguay pour
les plus récentes ; en 1963, le programme d'études de l'enseignement secondaire
uruguayen s'était inspiré du programme pilote français des classes d’éducation nou-
velles, rendant à la langue française une place de choix, mais à partir de 1970 la révi-
sion du programme conduisit à la réduction du temps accordé aux cours de français ;
– La reconnaissance du rôle des langues amérindiennes dans les systèmes éducatifs
(1985 en Argentine ; 1996 au Chili ; 1992 au Paraguay, où la coexistence de deux
langues officielles, l’espagnol et le guarani, a pour effet de repousser la première lan-
gue étrangère en troisième position)3 ;
– L’intégration régionale : le 1er juin1992 est signé à Buenos Aires le Plan trienal del
sector educación del mercosur, complété en 1997 par les recommandations de la Comi-
sión técnica lingüística del mercosur educativo.
– Dans un contexte mondial de redistribution de la place des langues de large diffu-
sion, il semble impossible de faire un état des lieux figé du français en Amérique du
Sud sans masquer une grande diversité de situations selon les pays et les régions et
selon les institutions chargées de son enseignement. Les propos qui suivent doivent
être replacés dans le cadre d’une dynamique impliquant des changements à long
terme et des variations conjoncturelles dont l’impact est délicat à mesurer.

RÉFORMES ÉDUCATIVES ET DYNAMIQUE DES LANGUES


Entre 1970 et 2000, les taux de scolarisation et d’alphabétisation, comme aussi la
durée de la scolarité, ont considérablement augmenté et les systèmes de
l’enseignement secondaire incluent désormais l’enseignement d’au moins une langue
étrangère obligatoire, et parfois d’autres langues optionnelles. La conséquence est le
passage progressif d’une influence francophone culturelle élitiste, bien identifiée et
s’imposant dans les représentations sociales, à une présence éclatée, variable et dif-
fuse, au fur et à mesure que l’anglo-américain monte en puissance comme langue
internationale et que la jeunesse devient agent prescripteur4. Ce constat doit être mis
en regard des résultats d’une étude du Fonds des Nations unies pour l’enfance5 :
celui-ci montre que le rendement des systèmes scolaires latino–américains est insuffi-

3
Le cas du Brésil est plus complexe avec une population indigène de 0,17 % pratiquant environ 200 langues : les
langues amérindiennes y jouent surtout un rôle d’alphabétisation avant le passage au portugais (loi n°6.001 du 19
décembre 1973).
4
À la fin des années 1990, une enquête produite à la demande de la Maison de la France (organisme du tourisme
français) pour l’Association brésilienne des agences de voyage auprès des jeunes voyageurs à l’aéroport de São Paulo,
montrait que si les destinations effectives et idéales des jeunes voyageurs s’orientaient vers les États-Unis, la Grande-
Bretagne, l’Italie, l’Espagne, une majorité estimait qu’ils feraient certainement un jour un voyage en France mais une
fois mariés et installés dans une profession stable, liant ces conditions à un type de voyage « culturel » ou « romanti-
que ».
5
UNICEF, 1999, La situation des enfants dans le monde 1999 : éducation ( www.unicef.org/french).
- 220 -
Patrick Chardenet et José Carlos da Cunha

sant car les méthodes d’enseignement, rigides et traditionnelles, découragent les


élèves. D’un côté, l’explosion démographique n’a pas été accompagnée d’une évolu-
tion de conditions matérielles, des stratégies éducatives et des ressources humaines;
de l’autre, les crises économiques et l’endettement des pays de la zone ont entraîné
d’importants réajustements fiscaux, ce qui a provoqué une chute de la qualité glo-
bale de l’enseignement et une limitation de l’offre de langues.
Pour clore ce tableau, il faut également prendre en compte la dynamique des langues
entre ruptures et continuum. Steven Fischer6 estime qu’à l’horizon de quelques cen-
taines d’années, le portugais du Brésil fusionnera avec l’espagnol rio-platense sous la
pression de multiples facteurs, externes comme les échanges économiques et les flux
de population, internes comme la plasticité de la norme7. Par ailleurs, à propos de
l’espagnol du Rio de la Plata, Louis-Jean Calvet8 et Lia Varela ont pu montrer qu’une
des raisons de son évolution en Argentine tient particulièrement à la non-
transmission des langues d’une immigration italienne qui représentait à la fin du
XIXe siècle presque 50% de la population de Buenos Aires, ce qui a eu pour consé-
quence de transférer directement dans la langue espagnole9 des habitudes langagières
acquises dans les différents dialectes italiens avec des interférences qui rétroagissent
sur l’italien, hypothèse qui pourrait également être interrogée dans le cas du portu-
gais du sud du Brésil (São Paulo et Rio Grande do Sul), voire de l’arabe de la com-
munauté syro-libanaise et du judéo-espagnol de la communauté juive10. En outre, la
sociolinguistique urbaine11 ayant mis en évidence le fait que la dynamique des lan-
gues s’exprime davantage dans les flux de population en milieu urbain, le Brésil
(5 560 villes) et l’Argentine (906 villes)12 sont sujets à des évolutions linguistiques
(Buenos Aires et São Paulo sont deux des plus grandes régions urbaines du monde).

6
Veja, n°1643, 5 avril 2000, São Paulo.
7
Chardenet, P., 2005, « La dynamique d'extension de l'objet et du sujet de la didactique des langues vers l'interlin-
guisme », Entrelinhas, année II, n° 1, revue électronique (http://www.unisinos.br /_diversos/revistas/entrelinhas/ ),
Universidade do Vale do Rio dos Sinos (Brésil), Chardenet, P., 2005, « L’entre et le lien (apprendre à manier des
langues) / El entre y el lazo (aprender a manejar las lenguas) », Synergies-Chili, n° 1 (programme mondial de diffusion
scientifique francophone en réseau), président Carlos Villalón (Directeur du département des Sciences de
l’éducation, Université de Playa Ancha à Valparaiso), GERFLINT (Groupe d’études et de recherches en français
langue internationale) http://www.gerflint.org/ ,Université Métropolitaine de Santiago, Université de Playa Ancha à
Valparaiso, Institut culturel franco-chilien), pp. 90-105.
8
Calvet, L.-J., 1999, Pour une écologie des langues du monde, Plon, pp. 190-191.
9
On considère généralement que les bases de l’espagnol latino-américain étaient fixées depuis longtemps : dès le
XVIe siècle selon Angel Rosenblat (1973, « Bases del español en América : nivel social y cultural de los conquistado-
res y pobladores », Actas de la primera reunión latinoamericana de lingüística y filología, Bogotá).
10
SEFARAires, revue en ligne
(http://www.webdelacole.com/cgi-bin/medios/medio.cgi?medio=sefaraires).
11
Cécile van den Avenne (éd.), 2005, Mobilités et contacts de langue, L'Harmattan (coll. Espaces Discursifs), Paris,
Bulot T. (Dir.), 2004, Les parlers jeunes (Pratiques urbaines et sociales), Cahiers de Sociolinguistique 9, Presses Universitaires
de Rennes.
12
Daonino, J, M., Canavese, P. et P., 1996, Metropolización en Argentina, Económica, La Plata, t. XLII, n° 1-2, Alia.
- 221 -
L'avenir du français en Amérique du Sud

QUELQUES DONNÉES LOCALES


Il faut ici rappeler quelques données géopolitiques et économiques. Au centre de cet
espace, deux candidats à une place au Conseil de sécurité dans l’un des plans de la
réforme envisagée de l’ONU : le cinquième (Brésil) et le huitième (Argentine) plus
grand pays du monde par leur surface, avec un ensemble démographique de poids (la
République fédérative du Brésil est le pays le plus peuplé d'Amérique latine avec
175 009 350 habitants13 dont 43 182 467 élèves; la population de la République
argentine atteint 37 384 816 habitants14 avec 9 964 095 élèves15), en majorité des-
cendant des Européens qui émigrèrent en flot continu de 1880 à 1960. L'Argentine,
le Brésil et le Chili se situent aux six premières places de l’Amérique latine du point
de vue du PIB, avec des taux de croissance variant de 6 à 9 %16 et jouent un rôle
actif dans les processus d’intégration17 régional (Mercosul : Mercado Común del
Sur18), continental (Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le
gouvernement de la République du Chili), et intercontinental (Chili - Association
européenne de libre-échange; Mercosur - Communauté européenne).
Dans ce contexte, on imagine difficilement que les politiques linguistiques et éduca-
tives puissent se fonder sur des objectifs à long terme. Si les systèmes éducatifs ont
imposé l’anglais de façon massive au cours de la décennie 1990, et s’orientent dé-
sormais vers l’introduction de la langue voisine (portugais en Argentine, en Uruguay
et au Paraguay, espagnol au Brésil19), il est clair que la langue française doit s’affirmer
comme partenaire des autres langues.
L’état des langues doit être apprécié en fonction des critères de statut (poids et repré-
sentations dans la société) et de corpus de locuteurs, d’enseignants et d’apprenants.
Dans le nord du sous-continent, les informations dont nous disposons confirment le
contraste signalé au début. En Colombie, le français maintient son statut de
deuxième langue étrangère dans le secondaire, ce qui est un gage pour le moyen
terme tant que l’on continue à former des enseignants dans les 30 départements de
langues des universités (mais l’absence de départements d’études françaises ne per-
met pas de constituer un large vivier d’enseignants-chercheurs en langue et littéra-
ture). Au Venezuela, où il conserve la deuxième place dans l’enseignement (mais loin
derrière l’anglais), la baisse des effectifs dans le réseau des écoles publiques a pour
corollaire une ré-estimation dans le réseau privé, ce qui n’est pas observable dans des
contextes comparables de désengagement de l’offre de français dû à des réformes du

13
Estimation 2002, source : Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE).
14
En 2001.
15
Données pour l’enseignement primaire et secondaire.
16
Selon le classement des économies d'Amérique latine établi par Global Invest.
17
http://www.sice.oas.org
18
http://www.mercosur.org.uy
19
Une loi du 5 août 2005 rend l’espagnol obligatoire dans l’enseignement secondaire brésilien. Elle donne 5 ans
aux États de la fédération pour réaliser cet objectif qui implique le recrutement de 19 800 enseignants (« Para Argen-
tina, lei abre mercado no Brasil », Pablo López Guellli, A Folha de São Paulo, 18 août 2005).
- 222 -
Patrick Chardenet et José Carlos da Cunha

système éducatif20. Dans cette région nord, il ne faut pas sous-estimer le potentiel
d’impact du statut de langue première ou seconde en Guyane française avec des
effets dus aux flux de population, au Surinam, en Guyana et dans le nord-est du
Brésil, où commence le cône-sud.
Les références à la langue française et aux cultures francophones dans les quotidiens
de Buenos Aires (La Nación, El Clarín, Pagina 12), São Paulo (O Estado21, a Folha de
São Paulo) et Rio de Janeiro (O Globo, Jornal do Brasil) voire de Porto Alegre (Zero
Hora), sont fréquentes à travers les auteurs, acteurs, artistes francophones et l’activité
politique, scientifique et économique de la France. Ce qui, mis en relation avec le
nombre de responsables politiques, universitaires, médiatiques et économiques pou-
vant s’exprimer en français, constitue un signe de vitalité de la langue dans les
contextes d’information et de savoir où une part significative de la vie sociale passe
par les médias.

Nombre de quoti-
Pays Tirage Journalistes
diens

Argentine 230 2,65 mi* 14 000

Bolivie 31 353 mil. 1 300

Brésil 331 4,30 mi* 20 000

Chili 39 840mil 4 000

Paraguay 4 127 mi l 900

Uruguay 36 700 mil

* En millions; sources: Enciclopédia Abril; ANJ/SIP; Felap/FENAJ;


Indicadores Folha S. Paulo

Sur le plan audiovisuel, on ne peut ignorer trois facteurs d’interculturation et


d’interlinguisme :
— la stratégie internationale de la chaîne brésilienne Globo (troisième entreprise
mondiale de télévision, présente dans 64 pays22, entrée dans le bouquet de Comcast,
le plus important câblo-distributeur nord-américain) ;

20
Voir le cas de l’Argentine et du Brésil.
21
L’Estado de São Paulo héberge un site culturel en français : http://busca.estadao.com.br/ext/frances
/canada3p.htm
22
Jornal Brasileiro de Ciências da Comunicação, ano 7, n° 262 - São Bernardo do Campo, São Paulo, Brasil, septembre
2004. http://www2.metodista.br/unesco/JBCC/jbcc_mensal/jbcc262 /corporacoes_estrategia.htm
- 223 -
L'avenir du français en Amérique du Sud

— la densité des abonnés au câble en Argentine et au Brésil, où TV5 et Eurochannel


constituent des points de contact avec la langue française et les productions culturel-
les francophones ;
— le développement rapide de l’Internet à partir de 1995, qui crée des situations
nouvelles de contacts de langues.
En ce qui concerne les effectifs des apprenants, il faut compter avec la forte décentra-
lisation des systèmes éducatifs en Argentine23, au Brésil24 et au Chili25, qui favorise
certes les initiatives et expériences locales, mais ne permet pas toujours d’obtenir des
statistiques complètes. Ainsi en Argentine, depuis 2001, cinq établissements scolaires
de quartiers populaires de la municipalité de Buenos Aires proposent un enseigne-
ment en classes bilingues espagnol/français et, au Brésil, 12 écoles municipales de
Porto Alegre sur 47 ont pu ouvrir des enseignements de langue française dans le
cadre d’un projet de démocratisation de l’accès aux langues étrangères mis en place
en 1994 ; le 29 janvier 1999 a été inauguré le Centre d’État de langue et de culture
française Danielle Mitterrand de l’Amapa afin de favoriser l’apprentissage de la lan-
gue française aux enseignants, aux élèves des établissements scolaires à partir du ni-
veau collégial, aux cadres de la coopération franco-brésilienne, aux acteurs du tou-
risme, et au public en général dans le cadre du développement de la coopération
transfrontalière avec la Guyane française. Le Centre comporte aujourd’hui 2 400
élèves environ26. À une autre extrémité du système éducatif, les établissements
d’excellence privés comme ceux de l’Agence pour l’enseignement français à
l’étranger, les « lycées français », sont présents parfois de longue date (le lycée de
Montevideo est le plus ancien au monde en dehors des pays des ex-colonies françai-
ses ; Buenos Aires en compte deux et Brasilia, Rio de Janeiro et São Paulo un) et
contribuent davantage à l’éducation en français d’enfants des classes aisées locales
(50 à 70 % des effectifs) ou d’étrangers que de la scolarisation d’enfants d’expatriés
français27.
D’autres établissements privés de prestige28 qui avaient fait le choix du français dans
les années 1970 suite à la loi sur l’éducation du régime militaire brésilien ont modi-
fié leur image dans les années 1990, anticipant sur la demande d’espagnol, alors que
les établissements publics d’élite de Buenos Aires29 ont conservé leur enseignement

23
INDEC. Instituto Nacional de Estadísticas y Censos (http://www.indec.mecon.ar/default.htm)
24
INEP. Instituto Nacional de Estudos e Pesquisas Educacionais (http://www.inep.gov.br/ default.asp)
25
Ministerio de Educación (http://www.mineduc.cl/ ). Voir aussi les textes cadres des lois sur l’éducation dans
Bertolotti, V., García, G., Pugliese, L, 2002, Relevamiento de la enseñanza de lenguas romances en el cono sur, Unión
Latina / Facultad de Humanidades y Ciencias de la Educación-Universidad de la República, Montevideo.
26
Service de presse-communication du conseil général de la Guyane : revue de presse, 1999.
27
Cheyvialle, A., 2005, « La bourgeoisie de Rio préfère la langue de Molière », Le Figaro, 5 septembre 2005, Nadine
Vasseur (propos recueillis), 2005, La leçon de français, Actes Sud / Agence de l’enseignement français à l’étranger.
28
Colegios de Rio de Janeiro et de São Paulo surtout.
29
Colegio Nacional de Buenos Aires (http://www.cnba.uba.ar); Escuela Superior de Comercio « Carlos Pellegrini »
(http://www.cpel.uba.ar); école d’application de l’Instituto Nacional Superior del Profesorado en Lenguas Vivas
« Juan Ramón Fernández ».
- 224 -
Patrick Chardenet et José Carlos da Cunha

bilingue espagnol/français. Pour les autres établissements privés, l’enseignement des


langues n’est pas une affaire de choix éducatif mais de stratégie économique, comme
le montre la distribution de l’offre de langues dans les écoles privées et publiques
d’Entre Rios30 (Argentine).

Figure 1. Pourcentage d’apprenants par langue dans les écoles publiques


de la province d’Entre Rios

Figure 2. Pourcentage d’apprenants par langue dans les écoles privées


de la province d’Entre Rios

Dans les pays andins, la situation est différente, et est en partie due à l’absence de
mécanismes sociaux compensant les situations de crise budgétaire et les réforme des

30
Source : Comisión de política lingüística para Entre Rios (RESOL, n° 1689/00 C.G.E.), 2000, Informe de Gusta-
vo Artucio, Susana Barbosa, Adrián Canteros, Ma. Teresa Chiosso, Marcela Reynoso, Mónica Sforza.
- 225 -
L'avenir du français en Amérique du Sud

programmes scolaires (capacités d’influences corporatistes des associations


d’enseignants, initiatives de l’enseignement privé, déplacement vers les Alliances
françaises). En Bolivie, le français a été rayé de l’enseignement public ; au Chili, les
langues autres que l’anglais ont quasiment disparu aussi bien du réseau public que
du réseau privé ; en Équateur, où un projet audacieux d’enseignement bilingue de
l’anglais, de l’espagnol et du français par une formation bivalente des enseignants
avait vu le jour au milieu des années 1990, « les intentions concrétisées par des pro-
grammes d’enseignement obligatoire du français et de l’anglais dans le secondaire ne
peuvent être appliquées faute d’argent »31 ; au Pérou, l’offre d’enseignement du fran-
çais tend à diminuer dans les collèges publics, même s’il est toujours présent dans les
grandes universités et dans les écoles privées32. Très souvent dans ces cas, le seuil de
maintien est lié au nombre d’enseignants de français en activité jusqu’à leur départ
en retraite.
Dans le domaine de l’enseignement supérieur, la situation des départements de fran-
çais a été marquée au cours des années 1990 par une diminution progressive du
nombre de candidats et de diplômés eu égard au mouvement de baisse dans
l’enseignement secondaire, où les postes d’enseignants tendaient à disparaître. Seuls
les cursus de traduction ont pu se maintenir à un niveau comparable. Des restructu-
rations sont proposées, comme des diplômes multilingues33. En revanche, les services
linguistiques universitaires de cours de langues pour non-spécialistes (Centro de
Ensino de Línguas Modernas au Brésil et Centros de idiomas en Uruguay) répon-
dent à une demande réelle et connaissent un développement dans des langues très
variées parmi lesquelles le français tient une place importante34. Il faut ajouter à cela
l’existence d’un programme bilatéral de coopération universitaire efficace, qui per-
met le développement de recherches conjointes, de thèses en co-tutelle et de soute-
nances bilingues, et qui contribue à la présence annuelle en France de 800 à 1 000
étudiants brésiliens35 .
Les Alliances Françaises constituent de leur côté un pôle de référence prestigieux.
Elles donnent une image de stabilité que leur vaut la densité de leur mailllage — une
centaine d’implantations en Argentine et 65 au Brésil —, la qualité de leurs comités
de direction autant que l’importance de leur patrimoine immobilier, acquis dans les
périodes fastes d’écolage (années 1950-1980). Dans ce contexte, parallèlement à la
dévalorisation du français dans le système scolaire, l'activité de l'Alliance française a
subi une baisse considérable (le nombre des inscrits à Buenos Aires est passé de
10 000 au début des années 1990 à 5 570 en 1999 pour 11 494 au total dans le ré-
seau argentin). Mais cet affaiblissement institutionnel doit aussi être apprécié dans le

31
Ploquin, F., « Amérique latine. Nouvelle donne, nouveaux publics », Le français dans le Monde, septembre-octobre
2003, n° 329 (http://www.fdlm.org/fle/article/329/donnepublics.php) .
32
Annuaire 2003, Fédération internationale des professeurs de français, p. 111.
33
Projet Maestría multilingüe, Universidad Nacional de Córdoba, Facultad de Lenguas.
34
Le CELEM de l’Universidade de Campinas UNICAMP propose des cours de français fonctionnel à environ 600
étudiants de toutes disciplines par an mais la demande excède un millier.
35
Les accords CAPES/COFECUB ont une trentaine d’années (http://www.capes-cofecub25.usp.br/fr/i_fr_acc.htm)
- 226 -
Patrick Chardenet et José Carlos da Cunha

cadre d’une recomposition de l’offre de cours de langues depuis le début des années
1990 : de petits établissements à la gestion plus souple se créent pour répondre à des
besoins de cours en entreprise36, et surtout nombre de cours de langues particuliers
sont donnés (dont une bonne partie par des enseignants jouissant du prestige d’un
engagement à l’Alliance française). Un sondage auprès d’enseignants particuliers
permet d’estimer que le nombre d’étudiants de cette économie informelle des cours
de français est à peu près égal aux nombres d’inscrits d’une Alliance française lo-
cale37.

TENDANCES À LONG TERME


Avec toutes les précautions qui s’imposent, étant donné la diversité des situations
que nous venons d’évoquer, on peut dire que sur le long terme, de 1950 à 2006, le
français a toujours retrouvé une place dans les mouvements de redistribution des
langues en Amérique du Sud. S’il réussit à conserver son statut de deuxième langue
dans les systèmes éducatifs, derrière l’anglais, voire de troisième langue étrangère,
derrière le portugais dans les pays hispanophones et l’espagnol au Brésil, c’est en
grande partie grâce à la diversité de son intégration sociale, à sa proximité néo-latine
et à sa capacité à relier l’espace sud-américain à l’espace européen. On peut faire
l’hypothèse que sa future place dans l’interculturation latino-américaine (voire amé-
ricaine comme langue des Amériques et des Caraïbes) dépendra de cette valeur mé-
diatrice et de sa capacité à construire des alliances entre les institutions de gestion
des trois langues38.

36
Ce sont plusieurs centaines d’entreprises françaises qui se sont installées en Argentine et au Brésil dans ces années de
privatisation de services et d’ouverture de capital dont certaines de poids (Renault, Peugeot, Total, EDF, France Télécom).
37
Enquête réalisée par le Bureau d’action linguistique du Consulat général de France à São Paulo (1997).
38
Sur ceci, voir la contribution de R.E. Hamel au présent ouvrage.
- 227 -
POINT DE VUE ANGLOPHONE
SUR L'AVENIR DU FRANÇAIS

Robert PHILLIPSON
Copenhagen Business School

DÉCLIN DU FRANÇAIS À L'ÉCHELLE INTERNATIONALE?


Comme n'importe quel voyageur d'expérience le sait, l'idée qu'on peut se servir de
l'anglais partout dans le monde est complètement fausse. On utilise encore plusieurs
linguas francas et plusieurs langues « internationales ». En revanche, c'est avec succès
que l'on a mis en marché l'anglais comme la langue mondiale indispensable du
commerce, des affaires militaires, de la politique internationale, des médias, du spec-
tacle et de la culture des jeunes. Il n'est pas possible pour le français de disputer la
prééminence actuelle de la langue de l'unique super-puissance du monde. Les plain-
tes exprimées par les francophones au sujet de la part réduite accordée au français à
l'ONU ou dans les institutions de l'Union européenne n'ont aucun effet. Même la
loi Toubon n'a guère qu'une valeur symbolique puisqu'elle s'en prend aux symptô-
mes plutôt qu'à la cause profonde du problème : la puissance et l'influence des locu-
teurs de l'anglais.
Les responsables des systèmes d'enseignement tout autant que les individus investis-
sent beaucoup de temps et d'efforts dans l'apprentissage d'une langue dont on dit
qu'elle ouvre tant de portes. Le nombre de personnes qui apprennent l'anglais dans
le monde est astronomique et il a crû de façon significative depuis que la Chine a
fait une priorité de l'enseignement de cette langue. De façon générale, l'apprentissage
du français est en régression, excepté en Afrique sub-saharienne. Aux États-Unis, il y
a trois fois plus d'enfants qui apprennent l'espagnol à l'école primaire que le français.
En Australie, les langues les plus enseignées sont celles des partenaires commerciaux
asiatiques et celles amenées dans le pays par les immigrants. Là où le français était
traditionnellement la première langue étrangère, comme en Grande-Bretagne et dans
certains pays latino-américains, les effectifs chutent.
Point de vue anglophone sur l'avenir du français

Étude de cas : le déclin du français au Danemark


Quelques données
– Dans le dernier cycle du secondaire, le nombre des élèves a chuté. Il y a bien eu augmenta-
tion du nombre des élèves âgés de 13 à 16 ans mais l'enseignement est assuré principalement
par du personnel non qualifié.
– En ce qui concerne l'université, le nombre d'étudiants se spécialisant en langues étrangères
est en déclin, sauf pour l'anglais. Cela vaut même pour l'allemand, pourtant essentiel pour le
commerce extérieur du pays. Il y a risque qu'il n'y ait plus la masse critique nécessaire de
spécialistes de langues étrangères pour maintenir un environnement de recherche et d'ensei-
gnement supérieur.
– Seule une petite minorité de Danois utilisent vraiment le français dans leur vie, que ce soit
pendant leurs études supérieures ou dans leur vie professionnelle ou privée.
– En 2002, sur 1719 livres traduits en danois, seulement 86 ont été traduits du français.
– Les usagers du français bénéficient de toute une gamme de programmes d’assistance de
l’ambassade de France en matière de langue, de culture et de recherche scientifique.
L’ambassade de France publie un Bulletin électronique Danemark qui rend accessible en fran-
çais dans le monde les résultats de la recherche scientifique danoise.
– En 2004, l’ambassadeur de France a choisi de s’exprimer en anglais devant les étudiants du
programme d’études européennes de la Faculté des langues, de la communication et des
études culturelles de l’École de commerce de Copenhague ; et pourtant, on y enseigne le
français et on y forme des interprètes.
Les autorités danoises croient-elles qu’il y a un problème ? La conscience de la nécessité de
formuler une politique linguistique plus explicite apparaît dans trois textes d’orientation :
– un rapport de 2003 du ministère de la Culture sur le renforcement du danois face aux
pressions de la mondialisation et de l’anglais ;
– en 2004, le comité national des vice-chanceliers d’université a évalué les défis posés par
l’internationalisation et a recommandé que tous les établissements d’enseignement supérieur
se dotent de politiques explicites pour renforcer le multilinguisme ;
– le ministère de l’Éducation nationale a publié en 2003 une déclaration de principe sur
l’enseignement des langues étrangères.
Toutefois, le français est pratiquement absent de ces textes, sauf lorsqu’il est question de son
utilité dans les activités internes des institutions européennes. Ces documents ne font mon-
tre que d’un souci limité quant au développement des compétences dans des langues autres
que le danois et l’anglais. On a emprunté aux Suédois, qui ont mis plus d’énergie dans la
formulation d’une politique linguistique, l’expression à la mode de « compétence parallèle ».
On voudrait donc que les Danois acquièrent dans plusieurs domaines une compétence égale
en danois et en anglais. On n’a toutefois adopté aucune mesure proactive en ce sens et on n’a
pas accru le financement de la promotion de la diversification de l’enseignement des langues.
Les langues étrangères autres que l’anglais, les langues maternelles minoritaires, les langues
régionales et les langues des immigrants sont effectivement dévalorisées et marginalisées. La
pression du marché et les influences socioculturelles ne font que renforcer l’anglais.

- 230 -
Robert Phillipson

LA HIÉRARCHIE DES LANGUES DANS L’UNION EUROPÉENNE


Le tableau sombre de la situation du Danemark vaut sans doute aussi pour les autres
pays d'Europe. Les Européens sont exposés massivement aux produits culturels étrangers,
à la musique anglo-américaine, aux films de Hollywood tant à la télévision qu'au cinéma.
La France et le Danemark sont les seuls pays d'Europe à présenter sur leurs écrans une
majorité de films produits localement. Les chances que les jeunes se familiarisent avec les
cultures et les langues de leurs partenaires européens sont minces. L'Union européenne
a financé l'échange d'étudiants mais a fait bien peu pour promouvoir la diversité dans les
médias ou les échanges culturels. Jusqu'en 1992, ce qui relevait de la culture, de l'éduca-
tion et de la langue était considéré comme des prérogatives nationales sur lesquelles
l'Union ne devait pas exercer d'influence. Le gouvernement français notait en 2003 que,
au contraire des États-Unis d'Amérique, peu d'États européens étaient conscients de
l'importance des industries culturelles tant sur le plan économique que proprement
culturel. Le gouvernement britannique exploite activement les avantages de l'anglais
comme langue internationale en accroissant substantiellement le nombre d'étudiants
étrangers qu'il reçoit (en particulier les postdoctorants pour renforcer l'économie du
savoir). De plus, l'enseignement de l'anglais est devenu une industrie d'importance
majeure dans l'économie britannique : enseignement supérieur, perfectionnement,
publication, écoles de langue privées, exportation de savoir-faire et de produits et
services éducatifs.
Les Français et les Allemands ont, du point de vue politique, tenu le haut du pavé
dans l'Union européenne depuis les années 1950 jusqu'au début des années 1990.
Les efforts de la France sont pour beaucoup dans le fait que le maintien de la diversi-
té linguistique soit inscrit dans le projet de constitution européenne. D'autres énon-
cés de politique insistent aussi sur l'égalité des langues de l'Union européenne. Cela
ne s'applique toutefois qu'aux langues qui sont officielles à l'échelle de l'Union euro-
péenne, quatre au début et maintenant vingt. Dans les travaux internes de l'Union, il
y a toujours eu une hiérarchie des langues. Jusqu'à tout récemment, le français était
primus inter pares, position qui lui a été progressivement enlevée par l'anglais. Cette
réorganisation se manifeste dans les données concernant les documents à traduire :
– 1970 français 60 %, allemand 40 %
– 1989 français 49 %, allemand 9 %, anglais 30 %
– 1997 français 40 %, anglais 45 %
– 2000 français 33 %, anglais 55 %
Aux plus hauts échelons politiques, la politique linguistique est un sujet « explosif » à
en croire les députés français au Parlement européen. Les enjeux sont le pouvoir et
l'influence. Certaines langues sont de facto plus égales que d'autres. Même à la
Commission, le quartier général de l'administration de l'Union, la position du fran-
çais comme principale langue interne est instable. La domination de l'anglais a été
encore plus assurée par l'élargissement de 15 à 25 pays membres en 2004. Durant
- 231 -
Point de vue anglophone sur l'avenir du français

tout le processus de négociation qui a traîné en longueur, les États candidats ont dû
présenter toute leur documentation dans une seule des langues de l'Union, l'anglais.
Les pays francophones ont essayé de faire en sorte que les nouveaux venus à Bruxelles,
Strasbourg et Luxembourg aient une connaissance d'usage du français. Ces efforts
n'ont probablement connu qu'un succès mitigé.
On parle beaucoup du « déficit démocratique » de l'Union européenne et de l'inca-
pacité de ses organes à communiquer avec les citoyens de la même façon que le font
les États. Un aspect de ce problème est le nombre limité des langues concernées, ce
qui ennuie beaucoup les Catalans et les autres locuteurs de langues minoritaires.
Mais il est important de se rappeler que les plus grands services de traduction et
d'interprétation du monde assurent efficacement une communication, une docu-
mentation et une législation multilingues.
Il existe un deuxième déficit démocratique à l'intérieur des États membres, quand de
grandes communautés d'immigrants n'ont pas de droits politiques, ce qui conduit à
ce qu'Étienne Balibar appelle l'« apartheid européen ». Dans la plupart des États, il
existe aussi un apartheid linguistique.

LA FRANCE ET SON PLAIDOYER EN FAVEUR DE LA DIVERSITÉ LIN-


GUISTIQUE
Le président de la France prêche la valeur de la diversité linguistique à l’échelle in-
ternationale. Quand le président Jacques Chirac s’est adressé en 2003 à la 32e session
de la Conférence générale de l’UNESCO, il a insisté sur le « patrimoine culturel et
linguistique ». Il appert toutefois qu’aucune langue de France à part le français ne
fait partie de ce patrimoine. Le gouvernement français a refusé de ratifier la Charte
européenne des langues régionales et minoritaires, qui aurait pu donner plus de
droits aux langues minoritaires de France. La position française voulant que la charte
soit une attaque « aux principes fondamentaux de notre république » (Reuters, 23
juin 1999) contraste avec celle de plusieurs de ses partenaires européens. Une solide
documentation internationale tend à prouver que respecter plusieurs langues dans le
cadre national et leur accorder des droits dans des domaines clés comme
l’enseignement et les services publics n’affaiblissent pas nécessairement la position de
la langue nationale dominante. La France ne convainc donc pas quand elle plaide la
cause du plurilinguisme à l’étranger et cherche à demeurer unilingue chez elle.
L’ambivalence française ne joue pas en faveur de l’emploi, sur une base égalitaire,
des langues de l’Union européenne. Les droits et le respect des langues entrent en
conflit avec le souhait de mettre en évidence le français au plan international, y
compris dans les institutions européennes.
Le fait que les forces du marché mettent sur la défensive toutes les langues à
l’exception de l’anglais, tant au plan national qu’au plan international, prouve la
nécessité d’adopter des politiques linguistiques plus efficaces pour assurer la diversi-
té. Une politique, nationale et internationale, de laisser-faire et une réticence à abor-
- 232 -
Robert Phillipson

der de front la question d’une politique linguistique ne peuvent mener qu’à un ren-
forcement de l’anglais et des forces économiques, politiques et militaires sur lesquel-
les cette langue prend appui. La position de l’anglais ne peut effectivement être re-
mise en cause que par des politiques qui assurent le respect de toutes les langues.
C’est ce vers quoi les efforts devraient se diriger plutôt que vers le maintien d’une
position privilégiée pour le français.
(Traduit de l’anglais par Jacques Maurais)

- 233 -
POINT DU VUE HISPANOPHONE
SUR L’AVENIR DU FRANÇAIS

Rainer Enrique HAMEL


Universidad Autónoma Metropolitana de México

(Traduit de l’espagnol par J.-M. Klinkenberg)

La représentation que la francophonie et l’hispanophonie se font l’une de l’autre a


une importance capitale. Les deux langues appartiennent en effet, avec tout ce qui
les distingue dans le présent et les a séparées dans le passé, au second cercle des lan-
gues internationales : celles que l’on qualifie de « supercentrales » dans la typologie
de De Swaan (1993, 2001) et de Calvet (1999) ; ce sont deux importantes langues
internationales, dont l’espace est actuellement menacé par la seule langue hypercen-
trale au monde : l’anglais. Dans cet espace, le français est indubitablement en recul,
tandis que beaucoup y pointent l’émergence de l’espagnol. Jusqu’à quel point ces
langues — comme aussi les États et les institutions qui s’identifient à elles — y sont-
elles des rivales ? Et jusqu’à quel point peuvent-elles par ailleurs coopérer dans la
poursuite d’objectifs communs ? Nous tenterons de répondre à ces questions en
analysant quelques-unes des représentations que l’hispanophonie, tant espagnole
que latino-américaine, se fait de la francophonie.

« L’HISPANOPHONIE »
Commençons par caractériser brièvement le monde hispanique, afin de comprendre
depuis quels lieux s’élaborent les conceptions du présent et de l’avenir du français
qui s’y construisent.
Il convient de souligner d’entrée de jeu qu’on n’y trouve rien que l’on puisse compa-
rer à la Francophonie. Bien que l’espagnol soit une langue de large diffusion, le
monde hispanique n’a mis sur pied aucune institution supranationale pour la gérer,
elle et la culture qu’elle exprime. Il y a bien la Real Academia de la Lengua Española,
fondée en 1713, et les Académies qui ont été créées à sa suite entre 1870 et 1930
dans les pays hispanophones ayant accédé à l’indépendance (et qui ont leur équiva-
lent aux Philippines et aux États-Unis). Mais le travail de ces instances se limite à
l’élaboration de dictionnaires et de grammaires, et a peu d’impact et de visibilité. Le
terme même d’Hispanophonie n’a guère d’existence en espagnol : il a été inventé par
le géographe français Reclus, et essentiellement diffusé par des linguistes français.
Surtout, il a dans le monde hispanique une connotation négative, que lui vaut sa
Point de vue hispanophone sur l'avenir du français

parenté avec francophonie et anglophonie : il renvoie à l’image d’une langue contrô-


lée depuis son berceau colonial historique, langue qui n’est de surcroit pratiquée que
par une minorité de la population des pays concernés. En revanche, le monde his-
panique se reconnait dans le concept d’hispanité (« Hispanidad »), qui suggère une
unité de culture, de langue et d’histoire remontant au premier Royaume d’Espagne
et à son expansion coloniale en Amérique.
L’espagnol compte approximativement 350 millions de locuteurs natifs, nombre
comparable à celui des anglophones, et qui équivaut à la somme des locuteurs de
99 % des langues du monde. Dans les 20 États où il est langue officielle, il est prati-
qué par 94,6 % de la population, ce qui contraste fortement avec ce que l’on observe
du côté de l’anglophonie et de la francophonie (où cette proportion n’est respecti-
vement que de 27 et de 34,6 %). Ses locuteurs représentent 10 % de la population
des deux lieux où se concentre le pouvoir mondial : les États-Unis et l’Union euro-
péenne (avant l’élargissement de celle-ci de 15 à 25 membres). Langue de nombreux
organismes internationaux, il témoigne d’une vitalité et d’une homogénéité envia-
bles, homogénéité qui est davantage le produit d’un développement historique natu-
rel que de l’activité normative étatique. La distribution quantitative de ses locuteurs
est également particulière. Avec plus de 100 millions, le Mexique occupe de loin la
première place, suivi par l’Espagne (39,9 M), la Colombie (39,6 M) et l’Argentine
(36,9 M). Le nombre d’hispanophones va croissant aux États-Unis, où il est de plus
de 30 millions : ce qui en fera, d’ici quelques décennies, le second pays hispano-
phone du monde. Les deux principales faiblesses de l’espagnol sont qu’il n’est la
langue d’aucun membre du premier cercle des pays industrialisés, et qu’il n’a jamais
joué dans les relations internationales un rôle comparable à celui du français.
En l’absence d’organisation commune de la politique linguistique, des différences
très significatives opposent l’Espagne et le reste des pays hispanophones. Depuis son
entrée en 1986 dans la Communauté économique européenne (aujourd’hui Union
européenne, UE), l’Espagne a connu un développement économique vertigineux.
Elle se présente comme un intermédiaire naturel entre l’Amérique latine et l’UE.
Cela lui vaut d’un côté une pénétration économique remarquable sur le marché sud-
américain, où elle contrôle une bonne partie des activités stratégiques de plusieurs
pays (banques, communications, pétrochimie, eaux, maisons d’édition). De l’autre
côté, représenter une communauté linguistique de 350 millions de personnes ren-
force son rôle dans l’UE. En matière culturelle et linguistique, sa politique étrangère
est inspirée par une stratégie offensive qui suit deux axes : dans le monde hispanique,
elle n’a pas besoin de se préoccuper de la diffusion de la langue, qui jouit d’une belle
vitalité ; en revanche, elle mène une politique de rétablissement de son hégémonie sur
la norme linguistique (bien qu’elle reconnaisse officiellement les autres normes natio-
nales), sur l’activité lexicographique, et surtout sur l’enseignement de l’espagnol
comme langue étrangère et sa certification, activités qui génèrent d’importants flux
financiers. Inspirée par le succès politique et économique du British Council,
l’Espagne a fondé en 1992 l’Instituto Cervantes (IC) pour l’enseignement de
l’espagnol comme langue étrangère et la formation des professeurs d’espagnol. L’IC
- 236 -
Rainer Enrique Hamel

est déjà établi dans plus de 25 pays, et répond à l’explosion de la demande


d’espagnol. La stratégie de l’IC mérite qu’on s’y intéresse : il se centre sur le monde
méditerranéen, où il compte 10 sièges, néglige la Scandinavie et l’Afrique, et a dési-
gné comme ses principales zones d’expansion le Brésil (membre du Mercosur) et les
États-Unis (membre de l’ALENA), espaces dont les voisins hispanophones immé-
diats (Argentine et Uruguay d’une part, Mexique de l’autre) devraient être les pour-
voyeurs naturels. Dans le cadre de son projet hégémonique, l’Espagne se présente
ainsi comme investie par les autres pays hispanophones du droit à parler sur la scène
internationale au nom de la langue espagnole et de la culture hispanique. Ce qui est
facilité par le fait que les États hispano-américains, de leur côté, n’ont pratiquement
pas mis au point de politique linguistique extérieure, et ont cédé ce rôle à l’Espagne.
(Notons toutefois que le Mexique entretient quelques institutions d’enseignement
aux États-Unis et que l’Argentine se concerte avec le Brésil pour mettre au point des
programmes d’éducation bilingue espagnol-portugais, en assurer la certification et
former des professeurs pour ces langues.)

REPRÉSENTATIONS HISPANIQUES DE LA FRANCOPHONIE


De même que ses politiques sont diverses, les représentations que le monde hispani-
que peut avoir de la francophonie sont plurielles. Ici encore, les points communs ne
doivent pas dissimuler les divergences.
Historiquement, il y a toujours eu depuis le XVIIe siècle un enthousiasme pour la
langue et la culture françaises. En Amérique latine, elle atteint son sommet après
l’indépendance conquise sur l’Espagne (1810-1828), une des manifestations de cette
tendance étant le fait que le français fut la première langue étrangère jusqu’à la moi-
tié du XXe siècle (sur ceci, voir ici même l’article de José Carlos Chaves da Cunha et
Patrick Chardenet). Alors qu’en Espagne l’admiration pour la culture française était
affectée par les rivalités entre voisins, elle ne pouvait, en Amérique latine, qu’être
renforcée par le rejet de la puissance coloniale et la conviction qu’une Espagne déca-
dente n’avait rien à offrir au Nouveau Monde. Le tropisme vers la culture française a
aussi été alimenté par la résistance à la prétention des États-Unis à dominer le conti-
nent américain. Ce n’est que depuis la Seconde Guerre mondiale que le déclin de la
langue française affecte l’Amérique latine (Brésil compris) et que l’anglais se substi-
tue à lui, non seulement dans les relations internationales, mais aussi dans le monde
de la culture et des universités, et qu’il devient la première langue étrangère. La forte
vitalité de l’espagnol et la croissance des populations hispanophones — de 65 millions
en 1928 à 350 en 2000 — ont également eu un impact sur la représentation de la
langue française. Peu à peu, le sentiment d’infériorité s’est estompé et l’importance
du français a décru.
On examinera ici les trois lieux où se forme la représentation hispanique de la fran-
cophonie : l’Europe, la scène internationale et le continent américain.

- 237 -
Point de vue hispanophone sur l'avenir du français

En Europe
En Europe, l’Espagne a développé une politique linguistique offensive. Au cours des
dernières années, elle a tenté d’élargir l’espace qui lui est officiellement dévolu dans
l’UE, notamment face à l’allemand, le principe étant « là où il y a de l’allemand, il
faut de l’espagnol » ; et cela en dépit du fait que l’allemand est clairement la pre-
mière langue européenne en nombre de locuteurs et que l’Allemagne est, tout aussi
clairement, la première puissance économique d’Europe. Il faudra être attentif, dans
la nouvelle Europe à 25, à la politique linguistique de l’Espagne : celle-ci ne traduit
pas nécessairement le sentiment de ses populations, qui ont quatre langues officiel-
lement reconnues. En tout cas, pour les autorités espagnoles le français est un rival,
bien qu’il y ait des espaces de coopération face à l’hégémonie de l’anglais.

Sur la scène internationale


Sur nombre de terrains, l’espagnol entre en concurrence directe avec les autres lan-
gues du second cercle, et en particulier le français. Se faisant les porte-paroles du
monde hispanique, les représentants de l’Espagne argüent que l’espagnol est avec
l’anglais la seconde langue mondiale en nombre de locuteurs, et qu’il lui revient dès
lors d’occuper une place qui ne saurait plus être celle du français. On observe ici une
nette différence entre l’Espagne et les autres pays hispanophones : ces derniers ne
partagent pas nécessairement les prétentions de la première, mais ne développent pas
pour autant une politique linguistique propre dans les lieux où l’on peut prévoir des
conflits entre français et espagnol. Il faut en tout cas se garder de prendre le monde
hispanophone comme un bloc monolithique, et plus encore refuser que l’Espagne
s’autoproclame représentante de ce monde.

Sur le continent américain


Avec les pays hispano-américains et le Brésil, les perspectives de coopération sont
bonnes. L’image du français et de sa culture reste globalement positive, et les multi-
ples instances qui témoignent de la francophonie sur le continent jouissent d’un
prestige élévé dans les secteurs culturels traditionnels, bien que le français se déprécie
sur les terrains du commerce, de la science et des nouvelles technologies.
Dans les dynamiques de plurilinguisme qui se mettent en place en Amérique du
Nord (Canada, États-Unis, Mexique), le français joue un rôle très secondaire du
point hispanique (et singulièrement mexicain). Le principal point de contact — et de
conflit — se situe entre l’anglais et l’espagnol. La confrontation directe a lieu sur le
sol même des États-Unis, où l’espagnol s’est gagné des positions solides et est peut-
être appelé à s’établir de façon permanente. On observe un boom de l’enseignement
de l’espagnol, aux États-Unis comme au Canada, ce qui peut jouer en défaveur du
français (CLF, 2001). Dans les fonctions spécialisées du commerce, des relations
politiques, des sciences et de la technologie, la prévalence de l’anglais se confirme.
On note toutefois dans certains milieux mexicains une défiance vis-à-vis des États-
Unis et de l’anglais. Les représentants de ces milieux considèrent d’un œil sympathi-

- 238 -
Rainer Enrique Hamel

que la politique culturelle et linguistique du Québec, en qui ils voient un allié poten-
tiel dans la lutte pour la préservation de la diversité culturelle.
On retrouve d’ailleurs en général en Amérique du Sud une vision qui articule la
sympathie vis-à-vis du français, que l’on oppose à l’anglais, et la reconnaissance de
son recul (ce qui se traduit par une réduction de son enseignement comme langue
étrangère). Les politiques d’intégration régionale ont longtemps balancé entre deux
perspectives : d’une part l’option panaméricaine, dominée par les États-Unis et qui
favorise l’anglais comme principale langue étrangère — c’est la ZLEA, dont la pers-
pective s’éloigne —, et de l’autre une option latino-américaine, qui privilégie
l’intégration indépendante du Mercosur (Marché Commun du Sud, avec
l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay comme membres, et auquel d’autres
États encore sont susceptibles de s’agréger). Cette dernière perspective induit un
bilinguisme espagnol-portugais massif, qui doit ensuite seulement être complété par
l’enseignement d’autres langues étrangères (Hamel, 2001). Dans les deux options,
qui ne sont pas exemptes de contradictions, le français devrait occuper une place
secondaire, bien que les récentes expériences réalisées dans le cadre du Mercosur
témoignent de la volonté de maintenir un plurilinguisme ménageant une place à
d’autres langues européennes, comme aussi aux langues indigènes.

HISPANOPHONIE ET FRANCOPHONIE : RIVALITÉ ET COOPÉRATION


Les différentes représentations des rapports entre hispanophonie et francophonie
doivent s’apprécier dans le cadre d’une double relation de rivalité et de coopération.
Le potentiel de conflit se situe dans les espaces qui viennent d’être décrits. Il est lié à
une idéologie de la politique linguistique que l’on pourrait qualifier de militaire : le
monolinguisme y apparaît comme un idéal, et les langues y sont vues comme occupant
des positions exclusives ; là où l’une avance, l’autre recule nécessairement, et entre
elles, il ne peut y avoir que des guerres gagnées ou perdues. Une telle conception est
largement répandue chez les responsables d’institutions linguistiques, francophones
comme espagnols.
Cette tension génératrice de conflit pourrait croitre si les prétentions de certaines
instances espagnoles à conquérir les positions que détient encore le français étaient
couronnées de succès. Une politique agressive de part et d’autre pourrait bien affai-
blir la situation de chacune des deux langues et en dernière instance renforcer le rôle
de l’anglais.
Si en revanche des conceptions plurilingues prévalent de part et d’autre, favorisant
une authentique diversité linguistique, alors un espace de coopération pourrait
s’établir entre le français et l’espagnol, espace dans lequel le portugais, et même
d’autres langues néolatines, pourraient trouver à s’inscrire.
En Amérique latine, le débat sur la question de la diversité linguistique et culturelle
a pris des dimensions considérables; les enjeux sont à présent les droits des cultures
- 239 -
Point de vue hispanophone sur l'avenir du français

indigènes, et la transformation des États-Nations actuels, homogénéisateurs et mo-


noculturels, en ensembles véritablement pluriculturels et plurilingues. On y a dès
lors observé avec attention la réorientation de la politique officielle de la francopho-
nie en direction de la « diversité linguistique ». Le monde hispanique s’interroge
évidemment sur la portée de cette nouvelle attitude. S’agit-il, comme c’est le cas en
Amérique latine, de transformer les États en entités pluriculturelles et de reconnaître
les droits culturels et linguistiques des minorités ? Jusqu’à présent, on a surtout cru
comprendre que le concept de diversité traduisait le principe « pas seulement
l’anglais », principe s’appliquant aux organismes internationaux et devant permettre
d’y assurer la place du français. Force est de constater qu’en France, le concept ne
s’applique pas aux minorités régionales ; et qu’il n’y a pas davantage de changement
significatif dans les politiques éducatives et linguistiques en francophonie africaine.
Une coopération intense et fructueuse sur le thème du pluralisme linguistique re-
querrait assurément la généralisation du concept de diversité à tous les espaces et à
toutes les langues.
Du point de vue hispanique, et dans cette optique de plurilinguisme, il est important
que la francophonie conserve certains de ses avantages qualitatifs face à des langues
qui peuvent se prévaloir d’un plus grand nombre de locuteurs, avantages que lui
donne son statut de langue de culture, de civilisation, de la science, de la technologie
et de l’éducation. Si le français devait être dépossédé de ces fonctions, il perdrait la
main devant les autres langues super-centrales du second cercle : l’espagnol, le portu-
gais, l’arabe, qui comptent plus de locuteurs que lui. Or nombre d’aspects de la poli-
tique linguistique francophone restent indubitablement stimulants pour ses voisins.
Ce sont par exemple la défense systématique des espaces stratégiques dévolus à la
langue, la mise en avant de « l’exception culturelle », le développement terminologi-
que et, plus généralement, l’implication de l’appareil d’État dans les politiques lin-
guistiques.
S’ouvre ici un vaste champ de coopération, particulièrement dans les espaces linguis-
tiques dévolus en Amérique latine à l’espagnol, au français et au portugais, champ
qui peut recevoir nombre des points stratégiques que nous avons mentionnés, et qui
sont aujourd’hui disputés, et qui concernent bien plus de gens qu’il n’y a de locu-
teurs natifs des langues en question.
Le français et la francophonie sont vraisemblablement voués à s’intégrer davantage
encore au second cercle des langues super-centrales, et perdront encore quelque-uns
de leurs privilèges. Mais, plus qu’un classement vertical absolu, ce qui nous paraît
important, c’est l’effort commun dans le développement d’espaces partagés, et la
mise au point de modèles de convivialité linguistique et culturelle. Une convivialité
qui pourra même s’étendre au monde anglophone, afin d’y circonvenir son dange-
reux penchant pour les monopoles et les agglomérats monoglottes…

- 240 -
POINT DE VUE ARABOPHONE
SUR L’AVENIR DU FRANÇAIS

Fouzia BENZAKOUR
Université de Sherbrooke

Comment, en ces temps troubles où Occident et Orient se détournent l’un de


l’autre, séparés de plus en plus par ce que d’aucuns appellent le « choc des civilisa-
tions », parler de l’avenir du français en terre arabe ? Pire encore, comment envisager
son devenir dans cette autre terre arabe de « mouvance », francophone de par les
aléas de l’histoire, mais prise dans la tourmente de la reconstruction des identités
égratignées par un passé colonial encore récent qu’est le Maghreb ? Mais n’est-ce pas
en temps de crise que les valeurs essentielles d’humanisme, de respect mutuel des
différences... inhérentes à des civilisations millénaires ressortent, quoique durement
secouées, renforcées et consolidées ? Les turbulences qui agitent le monde auront-
elles un impact sur la santé voire la survie du français dans une région divisée par des
barrières qui se multiplient, sur un fond de mondialisation uniformisant ? Des ré-
ponses semblent venir aussi bien de l’horizon identitaire que des enjeux symboliques
liés aux relations entre langue et culture arabes et langue et culture françaises.

LA CIVILISATION ARABE ENTRE UN PASSÉ GLORIEUX ET UN AVENIR


À (RE)PENSER
La langue arabe, qui nourrit le quotidien de près de trois cent millions d'Arabes,
régit la vie religieuse et spirituelle de plus d'un milliard d'êtres humains sur la pla-
nète. Elle est une essence qui permet à tout Arabe de s’inscrire dans cette grande
civilisation que fut la civilisation arabe.
Les capacités de création, d'échange et d'ouverture de la civilisation arabe, de par le
passé, ne sont pas à démontrer. Le monde arabe, comme le monde musulman, est
chargé d’histoire et regorge de poésies, d'architectures, de musiques, de récits, de
sciences, etc. Il a été et est encore un lieu de flambées mystiques où tout compromis
sur des questions aussi « organiques » que celles d’identité, de dignité, de respect
dû à son passé glorieux est systématiquement refusé.
Aujourd’hui, il ne semble plus être que l’ombre de lui-même. Les peuples arabes
sont freinés dans leur élan par l’extension de la paupérisation, par la montée de la
haine, par le recul des valeurs, par la perte progressive de leur hospitalité légendaire.
Les cassures, les conflits, les guerres qui font progresser l'analphabétisme et l'inté-
Point de vue arabophone sur l'avenir du français

grisme sont devenus le lot quotidien de cette terre qui abrita tant de savants, de
conteurs, de poètes. Mais si ce temps de crise se montre propice au renfermement sur
soi et sur le passé et exacerbe l’identité arabe, il ne mène pas nécessairement à la rup-
ture définitive avec l’autre. Il s’agit tout au plus d’un orage, d’un gros orage qui se-
coue de nouveau les deux rives de la Méditerranée mais qui finira par mourir au pied
de ses vagues écumantes

LANGUE ET IDENTITÉ. LA SITUATION PARTICULIÈRE DU MAGHREB


C’est une évidence, au Machreck comme au Maghreb1, l’arabe est perçu comme la
langue d’identité commune, et encore plus aujourd’hui qu’hier ; il constitue sans
conteste une valeur centrale dans l’identité arabe. Mais de quel arabe identitaire
s’agit-il ? Est-il le même pour l’ensemble du monde arabe ?
Le champ linguistique maghrébin, contrairement à la plupart des pays du Machreck,
ne se réduit pas à une langue nationale et officielle, mais est constitué par un bou-
quet de langues et de variétés de langues ethniques nationales, même si le Maghreb
est officiellement arabe. Le berbère est la langue d’une bonne partie de la population
du Maghreb bien que l’arabe soit parlé par plus de 80 % de la population maghré-
bine. Mais l’arabe dont il est question ici n’est certainement pas l’arabe classique et
encore moins les variétés modernes d’arabe du Machreck (même si l’arabe égyptien
trouve quelque écho dans les couches sociales populaires séduites par les feuilletons,
les chansons égyptiennes mais aussi plus récemment les prêches des religieux égyp-
tiens et moyen-orientaux), mais les variétés d’arabe dialectal maghrébines. Dans une
région où une bonne partie de la population est analphabète (au Maroc plus de
50 % de la population ne sait ni lire ni écrire), il va sans dire que l’arabe classique
reste une langue élitaire, même s’il est diffusé en tant que langue coranique, dans un
Maghreb traversé, comme le reste du monde arabe, par le courant islamique fonda-
mentaliste. Ces langues locales coexistent depuis plus d’un demi-siècle avec le fran-
çais, langue étrangère d’imposition mais enracinée dans toute la société maghrébine.
Quel est alors l’impact identitaire de chaque langue en présence ? Y a-t-il une franco-
phonie vivante en relation et en discussion avec une arabophonie sûre d'elle et
épanouie ? Et quel avenir pour un français au passé colonial encore présent dans
bien des mémoires ?
S’il est vrai qu’il n’est rien dans le futur qui ne vienne du passé, on peut dire que le
projet d’arabisation, souhaité par l’ensemble des pays du Maghreb, avait d’abord
pour visée de corriger une anomalie sociohistorique : le français, langue officielle en
période coloniale, continua à porter ombrage à la langue arabe bien longtemps après
la décolonisation. Or, la politique d’arabisation, mise en place plus de vingt ans
après les indépendances, avait justement pour objectif de redonner à la langue arabe
la place qu’elle occupait avant la colonisation, c’est-à-dire de lui restituer son rôle de

1
Voir les articles de Sélim Abou et d’Ahmed Boukous dans cet ouvrage.
- 242 -
Fouzia Benzakour

langue nationale, ce qui a, peu à peu, apaisé les forces sociales arabistes, qui éprou-
vaient de l’humiliation à voir la langue française se maintenir dans la société après la
conquête de l’indépendance. La mise en place effective et progressive de la politique
d’arabisation a modéré quelque peu l’ardeur de ses défenseurs les plus fervents, qui
ont mené une lutte sans merci, dans la première décennie de la décolonisation,
contre le joug de la langue française, même si l’arabisation n’a pas eu le succès es-
compté. Confortés dans leur langue et donc dans leur identité, ils manifestent ac-
tuellement une attitude plus nuancée voire plus positive vis-à-vis du français, can-
tonné désormais dans des domaines spécifiques (économie moderne ouverte sur le
monde, accès à la culture occidentale, etc.).
L’arabe moderne, traversé par l’arabe parlé mais aussi par le français (particulière-
ment au niveau de son lexique), a accédé à de nouvelles fonctions sociales, aussi bien
dans la littérature moderne que dans la presse et l’enseignement. Un tel confort
statutaire a eu pour effet de libérer des espaces symboliques non conflictuels et de les
ouvrir aux autres idiomes en présence et plus particulièrement à la langue immédia-
tement concurrentielle, le français.
La marge de manœuvre du français constitue un chantier important de construction
identitaire pour un idiome d’importation, qui doit non seulement survivre mais
encore se développer en ancienne terre de colonisation. Mais la trêve « durement
arrachée » ne le met pas pour autant complètement à l’abri d’autres tempêtes identi-
taires. Les variétés d’arabe dialectal et le berbère tentent à leur tour de retrouver la
place qui leur revient de droit dans le paysage linguistique et culturel maghrébin non
sans bousculer quelque peu la langue française encore en quête de légitimité. Actuel-
lement, les variétés d’arabe dialectal connaissent un regain d’intérêt (revalorisation
du patrimoine culturel et linguistique populaire). Les locuteurs exclusifs des variétés
d’arabe maghrébin, stigmatisés par le passé, retrouvent, de plus en plus, assurance et
fierté à parler leur langue « natale » et à vivre dans leur culture, renonçant progressi-
vement à l’attitude de méfiance ou de rejet agressif notamment à l’égard des langues
qui les ont dominés, l’arabe classique et le français. Le berbère, en quête de recon-
naissance officielle, est en train d’investir, de plus en plus, une bonne partie du
champ culturel et linguistique maghrébin.
Quel devenir alors pour le français dans ce chantier identitaire en phase
d’apaisement ?
Ressenti comme une blessure identitaire, aux premières années des indépendances, le
français a connu des fluctuations dues à la mise en place de l’arabisation et aux recons-
tructions identitaires des autres langues locales. En dépit de ces secousses, le français
est non seulement toujours présent dans la vie et la société maghrébines, mais est éga-
lement langue d’écriture de plusieurs générations d’écrivains, y compris la toute jeune.
Comment expliquer cette résistance voire cette « re-naissance » du français en terre
anciennement colonisée, alors que d’aucuns avaient sonné son glas au lendemain
même des indépendances ? Cette interrogation trouve réponse dans le nouveau statut
identitaire de la langue française. Dans un Maghreb constamment en contact linguis-
- 243 -
Point de vue arabophone sur l'avenir du français

tique et culturel, le français est vécu sous forme de variétés inégalement appropriées et
est donc de moins en moins perçu comme un pur vestige colonial. Certes, la variété
élitaire, qui demande un investissement financier et intellectuel important, ne consti-
tue pas un bien collectif ; elle tend à être remplacée par une langue française « appro-
priée ». En effet, et aussi paradoxalement que cela puisse paraître en ces temps troublés
où les amalgames favorisent la méfiance mutuelle, le français en terre maghrébine est
en train de se forger une place de plus en plus confortable, en rapport avec les langues
locales en présence. C’est ainsi que d’idiome étranger « dominant » et décrié, il est en
passe de devenir une langue que les Maghrébins francophones s’approprient volontiers
pour en faire une « langue transculturelle », apte à dire leur maghrébanité. Il est la
variété de tous ceux qui ont fait du métissage leur terrain de prédilection, journalistes,
universitaires, gens des médias. Ce français en contact linguistique, à look plus
maghrébin, est devenu une langue d’écriture plus identitaire, à forte communauté
de mots migrants, venus essentiellement de l’arabe. Largement donc traversé par les
cultures locales, il s’enracine, de jour en jour, plus profondément dans le terroir
maghrébin, ce qui lui redonne vigueur et élan et lui assure une coexistence plus équi-
librée, plus harmonieuse et donc plus épanouie et plus féconde avec les variétés ara-
bes et berbères, enfin réconfortées dans leur identité longtemps malmenée. La re-
connaissance (encore timide actuellement), le développement et la légitimité à venir
de cette variété « adoptée » ne peuvent qu’augurer d’un avenir prometteur pour le
français, qui deviendra, un jour peut-être, une « langue maghrébine » !

LES ENJEUX SYMBOLIQUES LIÉS AUX RELATIONS ENTRE LANGUE ET


CULTURE ARABES ET LANGUE ET CULTURE FRANÇAISES SUR LE
VERSANT MACHRECK
Le Machreck (comme le Maghreb d’ailleurs) a besoin, à côté de la langue sacrée du
Coran, d'une autre langue qui lui permet d'accéder à la modernité scientifique et
technologique. D’aucuns diraient que cette langue est logiquement l’anglais, langue
internationale, langue du développement vertigineux de la science et des nouvelles
technologies et surtout langue largement disponible dans les sphères intellectuelles.
Mais cette langue autre ne peut être, aujourd’hui comme demain, pour le monde
arabe, que le français, parce que d’une part, dans cet univers déchiré par des conflits
injustes (conflit israélo-palestinien et israélo-arabe, occupation de l’Irak, conflit souda-
nais), c’est la langue des droits de l'Homme et des droits des peuples qu’est le français
qui a le plus de chances de s’imposer comme langue d’ouverture. D’autre part, dans
bien des pays du Moyen-Orient, comme le Liban, l’Égypte, la Syrie, etc., la langue fran-
çaise est disponible (francophonie dynamique, universités de langue française, etc.,
partenariat Euro-Méditerranée, initié principalement par la France) et reste en dépit de
la « crise aiguë actuelle » entre l’Orient et l’Occident, une langue de l’ « aimance ».
Mieux encore, langue « travaillée de l’intérieur » et devenue « bi-langue » au Maghreb
mais aussi au Liban, en Égypte, etc., le français permet d’ouvrir le monde arabe sur la
modernité et de l’inscrire, parallèlement, dans l’immense espace francophone, aux
frontières toujours repoussées, même si un pays comme l’Algérie, pourtant premier
- 244 -
Fouzia Benzakour

pays francophone de cet ensemble, n’a pas encore officiellement rejoint la famille
francophone. Face à une mondialisation « anglophone » agressive et uniformisante,
la francophonie où ne cessent de se nouer des systèmes d’interférences complexes,
des interculturalités éclatées en une variété infinie de métissages, constitue bien cet
espace autre, où se redéfinira la civilisation de demain et où peut encore se mirer
toute une arabophonie en quête de dialogues constructifs avec un Occident, lui-
même à la recherche de renouement avec un monde où il s’est toujours ressourcé.
Certes, le repliement actuel du monde arabe sur lui-même, secoué par un fondamen-
talisme de plus en plus revendicatif, semble plutôt aller vers une méfiance envers
toute brèche dans le monde culturel et linguistique occidental. Mais ce n’est là
qu’introversion provisoire.

- 245 -
POINT DE VUE LUSOPHONE
SUR L’AVENIR DU FRANÇAIS

Luís Carlos PIMENTA GONÇALVES


Universidade Aberta de Lisboa

La langue portugaise a dans le passé connu plusieurs vagues d’influence provenant des
terres françaises. On repère quelques emprunts linguistiques dès la fin du Xe siècle.
Puis, au XIIIe, c’est l’installation sur le territoire galicien et portugais d’ordres monasti-
ques français ; c’est aussi l’influence des troubadours, qui acclimatent leurs techniques
littéraires à une lyrique gallego-portugaise vouée à rayonner sur toute la péninsule, y
important des vocables occitans. À partir du XVIIIe siècle, l’espagnol perd sa place de
deuxième langue de culture et est relayé par le français, d’où l’introduction de nom-
breux gallicismes.
Si des traits syntaxiques et lexicaux communs (voire des traits phonétiques comme la
nasalisation de certaines voyelles) donnent encore aujourd’hui un certain avantage au
locuteur lusophone par rapport à un hispanophone dans la segmentation et dans la
prononciation du français, les bizarreries orthographiques de cette langue ne contri-
buent certainement pas à sa diffusion dans le monde en général et dans l’espace luso-
phone en particulier. C’est que le portugais a allégrement sabré dans les afféteries de
son écriture. Si la langue portugaise a pu bénéficier de tels changements, c’est parce
que le Portugal n’en est plus le seul dépositaire et en a pris conscience depuis bien
longtemps. Le véritable creuset de cultures qu’est le Brésil, avec ses populations origi-
naires d’Europe, d’Afrique et d’Asie, ne pouvait s’embarrasser de subtilités linguisti-
ques. La vitalité économique et démographique de ce géant a donc eu pour consé-
quence linguistique une simplification de la norme et une production néologique —
populaire autant que savante — considérable. Grâce à cet apport, le portugais a pu plus
facilement devenir la langue de l’Autre, et il suffit pour s’en convaincre d’observer le
nombre de non-lusophones parlant le portugais avec un accent brésilien. En comparai-
son, le français est hypothéqué par le poids historique, culturel, économique, politique
et démographique du pays qui l’a le premier façonné.

INSTANCES ET INSTRUMENTS DE DIFFUSION


DE LA LANGUE PORTUGAISE
Dans les pays lusophones, aucune instance linguistique n’a eu une fonction normali-
satrice comparable à celle qu’a pu exercer l’Académie française. La langue portugaise
a pu ainsi plus facilement s’adapter à ses multiples usagers, mise à l’abri des foudres
Point de vue lusophone sur l'avenir du français

du prescriptivisme. Alors que l’Académie française a publié son premier dictionnaire


en 1694, le seul travail lexicographique d’envergure de l’Académie des Sciences de
Lisbonne — un dictionnaire en deux volumes — n’aboutira qu’au bout de 222 ans
d’existence de l’institution portugaise. Le titre indique d’emblée l’ambition d’un
projet qui se veut attentif à la variation des usages puisqu’il s’agit d’un Dictionnaire du
portugais contemporain1. L’audace de l’équipe coordonnée par João Malaca Casteleiro,
qui a admis notamment des termes d’origine africaine utilisés par les adolescents des
banlieues portugaises tandis qu’elle refusait des expressions littéraires, en a inévita-
blement irrité plus d’un.
De création récente, la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP)2 déclare,
dans son communiqué constitutif du 17 juillet 1996, vouloir réactiver prioritaire-
ment l’Institut international de la langue portugaise3. Dans le but de promouvoir la
littérature contemporaine en langue portugaise, elle crée dès l’année suivante un prix
littéraire destiné à récompenser une première œuvre poétique ou romanesque, en
collaboration avec l’Institut Camões4. Conjointement avec le département
d’enseignement fondamental du ministère de l’Éducation et l’Université de Lisbonne,
ce dernier a mis en place un système de certification, à l’exemple du DELF et du
DALF français, qui permet de tester les compétences langagières en portugais de
locuteurs non natifs 5.

LE FRANÇAIS DANS LES PAYS LUSOPHONES


Après avoir survécu comme langue des élites politiques et culturelles au Portugal et
dans l’ensemble des autres pays lusophones jusqu’à la fin des années 1970, la langue
française y a définitivement perdu ce statut. Convaincues de la nécessité d’adopter
un modèle de développement et une culture technique s’affirmant par le biais d’une

1
Dicionário da Língua Portuguesa Contemporânea da Academia das Ciências de Lisboa, Lisbonne, Editorial Verbo, 2001, 2
vol., 3809 p.
2
Le Timor Oriental, devenu indépendant en mai 2002, a rejoint depuis les pays fondateurs de la CPLP : Angola,
Brésil, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique, Portugal et São Tomé et Príncipe.
3
Créé initialement à São Luís do Maranhão, en novembre 1989, à l’initiative de l’ancien président brésilien, José
Sarney, ses statuts ne seront rédigés qu’une dizaine d’années après. Ses principaux objectifs sont ainsi definis : « La
promotion, la défense, l’enrichissement et la diffusion de la langue portugaise comme véhicule de culture,
d’éducation, d’information et d’accès à la connaissance scientifique, technologique et son utilisation officielle lors de
forums internationaux » (http://www.iilp-cplp.cv/).
4
Autre dispositif de promotion du portugais, l’Institut Camões, qui succède à l’ICALP (Instituto de Cultura e de
Língua Portuguesa), est créé par décret réglementaire 15/92 du 15 juillet 1992. Dépendant tout d’abord du minis-
tère de l’Éducation, il est ensuite passé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. Il a pour mission de
promouvoir la diffusion de la langue et de la culture portugaises à l’étranger, à l’instar des Instituts français, mais
sans en avoir les moyens puisqu’il ne dispose que d’un réseau limité de centres culturels. Il couvre toutefois
l’ensemble des pays lusophones plus la Chine, la France, l’Inde, le Japon, le Luxembourg, le Maroc et la Thaïlande.
5
Cette certification est le résultat d’un protocole signé entre le ministère des Affaires étrangères, le ministère de
l’Éducation portugais et l’Université de Lisbonne le 2 mars 1999, il prévoit l’existence de cinq niveaux de compéten-
ces de communication qui correspondent à autant de certificats : CIPLE (Certificado Inicial de Português Língua
Estrangeira), DEPLE (Diploma Elementar de Português Língua Estrangeira), DIPLE (Diploma Intermédio), DAPLE
(Diploma Avançado), DUPLE (Diploma Universitário). Ces niveaux correspondent à ceux définis par l’ALTE (Asso-
ciation of Language Testers in Europe).
- 248 -
Luis Carlos Pimenta Gonçalves

seule langue internationale — l’anglais, les nouvelles classes dirigeantes portugaises


ont semble-t-il renoncé à toute véritable politique de promotion du plurilinguisme,
ceci en contradiction avec les directives européennes. Ainsi la politique linguistique
du Conseil de l’Europe et celle de l’Union européenne, dont une récente communi-
cation de la Commission du 22 novembre 2005 est intitulée « Plus tu connais de
langues, plus tu es humain »6, ne semblent guère trouver de réel écho au Portugal. Il
est d’ailleurs symptomatique que l’actuel gouvernement socialiste ait misé sur un
développement technologique passant par la formation et par l’apprentissage obliga-
toire de l’anglais dès le primaire à l’exclusion de toute autre langue7. Politique qui va
évidemment à l’encontre de la décision de l’Union européenne, prise lors du som-
met de Barcelone en mars 2002, de promouvoir au moins deux langues étrangères
dès le plus jeune âge. Ce choix semble n’avoir ému personne au Portugal : ni les
parents d’élèves, ni les enseignants, ni les électeurs, qui s’étaient prononcés favora-
blement pour un programme de gouvernement misant notamment sur la diffusion
de l’anglais comme facteur de développement. Une sorte de fuite en avant en ma-
tière de plurilinguisme semble donc entraîner la société portugaise. En témoigne un
texte relevé sur un blog de centre-droit8 , proche du principal parti d’opposition :
daté du 14 avril 2005, ce texte se réjouit de l’enseignement précoce de l’anglais et
déplore que le mérite en revienne à un gouvernement de gauche alors que cette pro-
position fut un temps au programme électoral du PSD. Le même document s’insurge
contre le fait que le président de la République, en visite officielle en France, ait
accepté comme contrepartie au principe du développement de l’enseignement du
portugais en France celui du français au Portugal. L’auteur conclut par une question
rhétorique : « Par-delà le portugais, notre langue maternelle, et de l’anglais, langue de
communication universelle, pourquoi aurions-nous besoin d’inclure d’autres langues
dans l’enseignement public ? » Exit donc le français, mais également l’allemand, pour
ne pas parler de l’espagnol, malgré l’importance de l’Espagne dans la vie économique
du Portugal. Exit aussi les 80 langues parlées par les diverses communautés étrangè-
res vivant dans le pays dont le français, utilisé par 8,5 % des élèves d’origine française
dans l’enseignement primaire et secondaire au Portugal9. Malgré cette base sociolo-

6
Sous ce mot d’ordre emprunté à un proverbe slovaque, la Commission européenne réaffirme son engagement en
faveur du multilinguisme en adoptant la première communication de son histoire sur ce sujet. Le document explore
les diverses facettes des politiques de la Commission en la matière et présente une nouvelle stratégie-cadre pour le
multilinguisme, assortie de propositions d’actions spécifiques. Celles-ci portent sur trois domaines distincts dans
lesquels les langues occupent une place importante dans la vie quotidienne des Européens : la société, l’économie et
les relations de la Commission elle-même avec les citoyens de l’Union. La Commission incite les États membres à
jouer leur rôle dans la promotion de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’utilisation des langues. Pour marquer
l’occasion, un nouveau portail web consacré aux langues et consultable dans les 20 langues officielles a été lancé sur
EUROPA, le site web de l’ensemble des institutions de l’Union (http://europa.eu.int/languages/fr/document/74).
7
Décision de la ministre de l’Éducation du 24 juin 2005 prévoyant la généralisation de l’apprentissage de l’anglais
dès l’école primaire.
8
http://contundente.blogspot.com/2005_04_01_contundente_archive.html. Ce blog n’est cependant plus actif
depuis l’élection d’Aníbal Cavaco Silva, candidat appuyé par les deux formations parlementaires de droite, au pre-
mier tour de l’élection présidentielle le 2 janvier 2006.
9
Selon une enquête réalisée en 2004-2005 par la DGIDC (Direction générale du développement curriculaire) du
ministère portugais de l’Education (http://www.dgidc.min-edu.pt/plnmaterna/RelatorioFinal.pdf ).
- 249 -
Point de vue lusophone sur l'avenir du français

gique non négligeable, il est donc à craindre que le français ne disparaisse totalement
du premier cycle de l’enseignement supérieur puisque l’apprentissage d’une
deuxième langue est devenu optionnel pour les élèves inscrits dans le secondaire
dans d’autres filières que celle des Lettres. À terme pourraient ne subsister que des
étudiants de français de dernière année de licence, entrés par équivalence, et ceux
des mastères de l’enseignement supérieur.
António Mega Ferreira, dans sa chronique hebdomadaire pour la revue Visão, dresse
en 2003 un constat pessimiste sur le recul de la langue français. Bien qu’excessif, le
diagnostic est significatif : « Il est pratiquement impossible aujourd’hui de trouver
quelqu’un de moins de trente ans qui écrive, parle ou, au moins, lise habituellement
en français ». Il convient toutefois de nuancer le propos. Pour la génération de cet
homme de lettres, il était impensable qu’un intellectuel n’ait pas une connaissance
du français proche du bilinguisme, alors que la majorité des jeunes Portugais dési-
reux aujourd’hui d’apprendre cette langue se contenteront d’un niveau intermé-
diaire, voire d’un niveau de survie10. Le Portugal demeurerait de cette façon le pays
non francophone où la connaissance du français serait la plus grande : 10 % de la
population pourrait encore communiquer dans cette langue. Un tel chiffre est cer-
tainement surévalué, mais divers facteurs l’expliquent : l’apprentissage obligatoire du
français à l’école pendant des décennies, situation qui laisse des traces aujourd’hui
encore11, ou le phénomène de l’immigration portugaise en France (de 1960 à 1970,
près de 1,5 million de Portugais sur une population de 6 millions, se sont exilés —
dont environ 800 000 en France — et une partie d’entre eux est rentrée au Portugal
après la révolution des Œillets de 1974).

Le français semble assuré d’un certain avenir dans quelques pays d’Afrique luso-
phone comme la Guinée-Bissau, dont le voisinage avec le Sénégal explique en partie
son adhésion à l’Organisation internationale de la Francophonie et l’adoption du
franc CFA. À l’inverse, le Mozambique proche de l’Afrique du Sud et membre du
Commonwealth sera peut-être à terme moins sensible à l’influence du français12. Au
Brésil, la vitalité dont le français bénéficie dans l’enseignement supérieur depuis les
années 1980 ne saurait dissimuler le rôle croissant que joue l’anglais, mais aussi
l’espagnol. Selon la Chambre de commerce argentino-brésilienne13 , il y aurait envi-
ron 1 200 000 étrangers hispaniques au Brésil ; chiffre assurément faible au regard
des 170 millions d’habitants, mais auquel il faut ajouter les Brésiliens d’origine espa-

10
Nous n’avons aucune donnée statistique qui permette de l’affirmer mais il semblerait que la majorité des élèves de
français n’iront pas au-delà du niveau B1, pour reprendre les désignations du Cadre européen commun de référence,
c’est-à-dire le troisième niveau d’une échelle qui en compte six.
11
Malgré une diminution significative, le nombre d’élèves apprenant le français dans le secondaire demeure élevé : 410 000
en 2002-2003, 394 500 en 2004-2005, 391 678 en 2005-2006 (chiffres élaborés par le Service de coopération et d’action
culturelle de l’ambassade de France au Portugal à partir des statistiques du ministère de l’Éducation).
12
Malgré l’adhésion de l’Université pédagogique de Maputo à l’Agence universitaire de la Francophonie en 2006 et un
appui important de la coopération française à la formation des enseignants de français depuis le milieu des années 1990.
13
http://www.camarbra.com.br/boletins/200510.asp#elmayor
- 250 -
Luis Carlos Pimenta Gonçalves

gnole, dont le nombre est estimé à 15 millions14. Ce matelas sociologique est un des
facteurs — un autre étant la consolidation du Mercosul — qui expliquent l’intérêt
porté par des entreprises de communication en langue espagnole au marché brési-
lien15. La loi nº 11 161 du 5 août 2005, qui rend obligatoire l’enseignement de
l’espagnol dans les établissements secondaires, crée de surcroît les conditions de
renforcement du rôle de l’espagnol. Celui-ci est en outre assuré par un large accord
cadre avec l’Espagne16, qui offre un rôle prépondérant aux actions de formation de
formateurs et aux certifications de l’Institut Cervantes17. L’aspect régional semble
également pris en compte : un protocole d’accord signé avec l’Argentine le 30 no-
vembre 2005 prévoit des modalités d’échanges d’enseignants de portugais et
d’espagnol18. Ainsi, comme le soulignent José Carlos Chaves da Cunha et Patrick
Chardenet dans le présent ouvrage, le français devra se contenter d’une place de
troisième langue étrangère, après l’anglais et l’espagnol, dans un pays qui oriente
également ses activités diplomatiques, scientifiques, techniques et commerciales vers
l’Afrique19 et se pose plus largement comme un leader du monde lusophone et un
acteur des pays émergents.

Il en est des langues comme du flux et reflux des marées. Après avoir très longtemps
nourri de ses alluvions, voire submergé, les terres de la lusophonie, le français, très
(trop ?) longtemps pratiqué comme une « monoculture », se doit désormais de pro-
mouvoir le plurilinguisme. Reste à espérer que le français et le portugais, débarrassés
de leurs vieux oripeaux coloniaux, au lieu de vouloir partager le monde avec les

14
ABEP - Associação Brasileira de Estudos Populacionais (http://www.abep.org.br, consulté le 7 mars 2006. Les
deux facteurs qu’ont été la demande de main-d’œuvre à la suite de l’abolition de l’esclavage et la crise affectant
l’Espagne à la fin du XIXe siècle font que le Brésil a largement dépassé les anciennes colonies espagnoles d’Amérique
latine dans l’accueil d’immigrants de ce pays. Ces immigrants se sont d’abord répartis entre les États de São Paulo,
Rio de Janeiro, Minas Gerais et Bahia entre 1880 et 1900, puis avec l’appui des autorités locales dans l’État de São
Paulo pendant les trente premières années du XIXe siècle. Cf. Manoel Lelo Bellotto (1992), « A Imigração Espanhola
no Brasil. Estado do fluxo migratório para o Estado de São Paulo (1931-1936) », dans Estudios Interdisciplinarios de
América Latina y el Caribe, vol. 3 n° 2, Université de Tel Aviv (http://www.tau.ac.il/eial/III_2/index.html#articulos,
consulté le 8 mars 2006).
15
En 2006, le groupement La Interactiv, qui représente les principaux groupes de communication du monde hispa-
nique, ouvrait au Brésil un portail de services en espagnol sur Internet.
16
Qui permet au Brésil d’investir une partie de sa dette avec l’Espagne dans la formation d’enseignants par des
opérateurs espagnols.
17
http://www.ateiamerica.com/pages/lusoatei/noticias/17novencontroministroRio.htm. Une première estimation
du MEC — ministère de l’Éducation et de la Culture du Brésil — estime à 12 000 les besoins immédiats en forma-
teurs.
18 Mais le XIe congrès brésilien des professeurs d’espagnol (14-16 septembre 2005, http://www.mec.gov.br
/news/Boletim_AI/boletim_ai.asp?Edicao=6) a attiré l’attention sur la nécessité d’une contextualisation de cet
enseignement, mettant en garde contre les risques de monopole en matière de coopération.
19
La visite du président Lula en Afrique australe dès 2003 et en Afrique de l’Ouest en 2005 a ouvert les portes de relationns
institutionelles entre le Mercosul et la SADC (Coordination pour le développement de l’Afrique australe) ; Paulo Fagundes
Vizentini, 2003, Educaterra (http://educaterra.terra.com.br/vizentini/artigos /artigo_138.htm). En 2004, la valeur globale
des échanges entre le Brésil et l’Afrique était de 6,6 milliards de dollars, dont 70 millions avec le Sénégal et 30
millions avec le Cameroun.
- 251 -
Point de vue lusophone sur l'avenir du français

autres « phonies » en un quelconque Yalta linguistique, pourront participer de


concert à la promotion d’une cartographie des langues résolument plurielle.

- 252 -
POINT DE VUE RUSSOPHONE
SUR L’AVENIR DU FRANÇAIS

Vassili KLOKOV
Université Tchernichevsky de Saratov

(Traduit du russe par Jacques Maurais)

Plusieurs facteurs expliquent la signification internationale du français. Sur le plan


proprement linguistique, il faut considérer avant tout la situation de la langue fran-
çaise dans l'ensemble francophone, c'est-à-dire le nombre de pays et de personnes qui
l'utilisent comme langue nationale et officielle dans l'expression de la culture
contemporaine, de la science, de la technologie, de la religion, etc. L'avenir de la
langue française dépendra de l'appui de la France et des autres puissances franco-
phones ainsi que de l'intérêt que lui manifesteront les autres peuples de la terre.
Pour les pays francophones, les perspectives d'avenir du français ont aussi partie liée
avec l'enseignement et le soutien non seulement de la langue française mais aussi des
autres langues. Tout cela se réalise déjà, d'une façon ou d'une autre, dans le monde
francophone. Pour la Russie, l'expérience qu’ont de la politique linguistique interna-
tionale la France et les autres pays francophones pourrait se révéler d'une grande
utilité. Il nous faut malheureusement constater à cet égard l'absence d'ambition du
pouvoir russe.
Sur bien des plans, ces grandes langues nationales que sont le français et le russe ont
connu des sorts semblables. La décolonisation que la Grande-Bretagne et la France
ont connue dans les années 1960 a entraîné des changements importants au plan
linguistique tout comme le démembrement de l'Union soviétique au début des an-
nées 1990. D'un côté, les langues de ces puissances ont cessé d'être des langues colo-
niales, de l'autre l'anglais a été choisi comme unique langue des relations internatio-
nales, le français et le russe cessant de prétendre à ce rôle.
Le russe a connu un recul significatif sur la scène mondiale, ce qui, il va sans dire, est
lié à l'état de crise de la Russie après le démembrement de l'empire soviétique. Les
citoyens des républiques qui se sont séparées de l'Union soviétique (en particulier
ceux des Pays baltes) de même que ceux d'Europe occidentale (Polonais, Hongrois,
Point de vue russophone sur l'avenir du français

etc.) rejettent le russe en tant que la langue des anciens colonisateurs et, comme il se
doit, le remplacent par la langue internationale qu'est l'anglais1.
On observe dans les Pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) un processus actif d'as-
similation de la population russophone. En Lituanie particulièrement, le russe n'est
plus autorisé dans la sphère officielle, même si la proportion des russophones se
situe autour de 20 %. Le russe ne se parle qu'au foyer mais on l'enseigne dans des
écoles primaires et secondaires2.
On ne peut guère espérer un rétablissement rapide de la position du russe dans les
territoires aujourd'hui séparés de la russophonie. D'autant moins qu'il n'y a pas
grand désir chez ces peuples de revenir à la culture et à la langue russes et que la
Russie elle-même ne consent que le minimum d'efforts au rétablissement de son
prestige. Cependant, tout récemment, au cours du mois de mars 2006, les pouvoirs
locaux ont voté pour attribuer à la langue russe le statut de deuxième langue offi-
cielle dans la ville de Kharkov en Ukraine. En outre, les pouvoirs locaux de Crimée
se sont prononcés en faveur d’un référendum sur la même question dans ce terri-
toire ukrainien. Mais le pouvoir central à Kiev s’y est opposé avec vigueur, craignant
que le même désir n’apparaisse chez les russophones ailleurs en Ukraine.
Du même coup, dans ces mêmes pays, le français et l'allemand sont devenus
deuxième et troisième langues étrangères. Le tableau 1 présente la situation de l'en-
seignement des langues étrangères en Bulgarie.

Tableau 1 : L'enseignement des langues étrangères en Bulgarie, année scolaire 2003 – 2004

Anglais 233 000


Allemand 111 000
Russe 96 000
Français 49 000
Espagnol 15 000
Italien 5 000

Source : Jetchev G., « Diversité et articulation des enseignements linguistiques en Bulgarie : place du
français », Dialogues et cultures, 2005. № 50. Le français, le défi de la diversité. Actes du XIe congrès mondial
des professeurs de français, Atlanta (USA), 19 – 23 juillet 2004 (CD), p. 431.

1
Cf. А В.М. я Ф — я я.
М XIII А я . М , 20 – 21
2001 . . 13.
2
Cf. Mikhal’chenko V. « La langue russe dans le monde contemporain », dans J. Maurais et Michael Morris, Géostra-
tégies des langues, Terminogramme 99-100 (2001), p. 345.
- 254 -
Vassili Klokov

En Biélorussie le nombre des élèves qui choisissent l'anglais croît aux dépens des
autres langues étrangères : la part du français y est passée de 12,8 % des écoliers en
1992 à 8,5 % en 2000 puis à 6,8 % en 20043. En Ukraine la proportion des élèves
du secondaire qui optent pour le français comme première langue étrangère n'est
plus que de 7 % alors que précédemment elle tournait autour de 12 à 14 %.
En Russie même, la situation de l'enseignement des langues étrangères est à peu près
la même que celle qui prévaut dans les pays de l'ancien Bloc soviétique : l'anglais
occupe la première place et sa part s'accroît aux dépens de celles de l'allemand et du
français. La place du français a diminué significativement en Russie centrale et en
Sibérie. Il n'y a guère que dans les écoles de Moscou et de Saint-Pétersbourg que le
recul du français est négligeable. Le pouvoir fédéral et les pouvoirs locaux réglemen-
tent peu l'enseignement des langues étrangères et l'offre de langues excède la de-
mande (les professeurs d’allemand et de français trouvent difficilement de l’emploi).
En matière de politique linguistique, le libéralisme a pour résultat que, sur le plan
local, ce sont les parents qui au bout du compte font le choix de la langue étrangère
et ils choisissent celle qui ouvre le plus de perspectives à leurs enfants, l'anglais. Par
exemple, à Yaroslavl, pendant l'année scolaire 2003-2004, 4 222 élèves – 6 % des
élèves de la ville – étudiaient le français4. Les pouvoirs publics entretiennent aussi
cette orientation vers l'anglais. Le décret de 2000 du président de la république de
Sakha (Yakoutie) est à cet égard caractéristique : l'enseignement de l'anglais est deve-
nu obligatoire dans toutes les écoles publiques yakoutes et cette langue a même été
déclarée officielle. Jusqu'en 2000, l'enseignement des langues étrangères dans cette
république se répartissait de la façon suivante : 70 % pour l'anglais, 15 % pour l'al-
lemand et 15 % pour le français5.
La tendance générale à n’étudier que l'anglais a conduit à ce qu'en Russie le français,
l'allemand et l'espagnol ont maintenant le statut de deuxième langue étrangère. L'en-
seignement d'une deuxième langue est loin de s'étendre à toutes les écoles et l'horaire
est insignifiant (une à trois heures par semaine de la 5e à la 9e année ou de la 7e à la
11e année). Toutefois il existe toujours des écoles spécialisées dans l'enseignement
des langues étrangères : dans tout le pays, 372 écoles se spécialisent dans l'enseigne-
ment du français et offrent une préparation linguistique de haut niveau6.
Comme le souligne l'ambassadeur de Russie en France, A. A. Avdeev, « plus de qua-
tre millions de personnes étudient aujourd'hui le français en Russie7 ». D'autres sour-
ces parlent plutôt de un à trois millions d'apprenants. L'intérêt des Russes pour le

3
Voir Bourlo V. « Innovations dans l’enseignement du français en Biélorussie (état actuel, problèmes, perspecti-
ves) », Dialogues et cultures, 2005. No 50. Le francais, le défi de la diversité. Actes du XIe congrès mondial des professeurs
de français. Atlanta (USA), 19 – 23 juillet 2004 (CD), p. 440.
4
М . .Ф я ш я. http://www.yspu.yar.ru/msk-conf.
5
Zamorschikova L. « La politique linguistique et l’enseignement du français en République Sakha (Yakoutie-
Russie) », Dialogues et cultures, 2001, № 45 ; Modernité, diversité, solidarité. Actes du Xe congrès mondial des professeurs de
français. Paris, 17 – 21 juillet 2000, p. 174.
6
http://www.amba.1co.ru/rus/culture/coop_ling_sector2.
7
http://www.france.mid.ru/rus/news.
- 255 -
Point de vue russophone sur l'avenir du français

français a en effet toujours été soutenu. De nos jours, on assiste à une croissance du
nombre de personnes qui l'étudient seules pour des motifs de développement per-
sonnel. Le choix de la langue française est aussi souvent dicté par des considérations
professionnelles (en particulier dans des domaines comme le tourisme, la banque, les
assurances, les services et l'industrie). Un nombre croissant d'étudiants choisit le
français pour poursuivre des études complémentaires dans des universités françaises,
y compris des études postdoctorales.
C'est avec beaucoup d'espoir qu'on a accueilli l'annonce faite à Moscou en 2005, à
l'occasion d'une conférence internationale célébrant la Journée de la Francophonie,
d’une amélioration de l'enseignement du français en Russie : un accord franco-russe
porte en effet sur le renforcement de l'enseignement du russe et du français. Cet
accord intergouvernemental signé le 10 décembre 2004 s'intitule « Sur l'enseigne-
ment de la langue française en Russie et celle de la langue russe en France ».
En ce qui concerne l'enseignement de la langue russe en France, A.A Avdeev a décla-
ré dans une interview à la revue Russkaïa mysl' [La Pensée russe] que « la situation de
l'enseignement du russe en France inquiète sérieusement. Le nombre d'apprenants a
tendance à diminuer, en particulier dans le secondaire. Au début des années 1990,
28 500 élèves étudiaient le russe. Ils sont maintenant deux fois moins nombreux
même si les besoins sont beaucoup plus grands : en effet, un millier d'entreprises
françaises sont établies en Russie et l'intensité des relations franco-russes est telle
qu'on a un besoin constant de traducteurs connaissant bien la Russie.8 »
L'intérêt pour le russe en France, tout comme l'intérêt pour le français en Russie, revêt
souvent un caractère personnel : l'apprentissage du russe ne résulte généralement pas
d'une nécessité sociale mais s’explique par l'influence française sur la culture, l'histoire,
la littérature et l'art de la Russie. Les chercheurs constatent que le russe est plus ensei-
gné dans le secondaire en France que dans les autres pays d'Europe occidentale. Cet
intérêt, particulièrement grand dans les années 1950, a atteint son apogée dans les
années 1960-1980 ; il a régressé significativement dans les années 1990, mais tend
maintenant à renaître9.

8
Voir: Groppo A. «L’enseignement des langues étrangères à l’Université Paris X-Nanterre», я
я. М XIII А я .
М , 20 – 21 2001 . p. 71.
9
я . 2004, 28 . – 3 я . № 39.
- 256 -
CONCLUSION :
PROPOSITIONS POUR
UNE POLITIQUE DU FRANÇAIS

Le comité de rédaction

Quelle sera la place de la langue française dans le monde dans les années qui vien-
nent ? Nous ne nous risquerons pas à répondre à cette question de façon tranchée,
ne serait-ce que pour nous éviter l’épreuve de devoir relire dans vingt ans nos propres
estimations. Toutefois, de l’ensemble des analyses présentées ici ressortent des ten-
dances suffisamment nettes pour pouvoir servir de socle à des initiatives visant à
mieux diffuser la langue française. Une question se pose alors pour caractériser ces
initiatives : promotion ou valorisation ? De la réponse dépendent peut-être des types
d’action qui ne recouvrent pas les même domaines et n’empruntent pas aux mêmes
schémas. Si l’on promeut un bien produit par l’industrie des langues (dictionnaire,
logiciel de traduction, méthode d’apprentissage, séjour linguistique…), on peut
considérer que cela contribue à la diffusion de la langue. Mais si l’on cherche à in-
fluer sur les représentations linguistiques, ou si l’on veut prouver qu’une langue joue
un rôle social, politique, scientifique, une action promotionnelle suffit-elle ? La mise
en valeur de la langue relève peut-être d’actions plus complexes, comme en témoigne
la diversité des positions du français dans les contextes décrits par cet ouvrage.
Le premier constat qui se dégage est d’ordre géographique : l’avenir du français sem-
ble se jouer sur deux dimensions politiques, démographiques, économiques différen-
tes : d’abord en Europe, espace géopolitique de première importance économique
où la concurrence avec d’autres langues internationales est directe, puis en Afrique,
continent qui assure encore aujourd’hui à cette langue l’essentiel de son rayonne-
ment international par le nombre de pays qui participent à l’espace politique franco-
phone autant que par son dynamisme démographique.

FAIBLESSES DES POSITIONS DU FRANÇAIS


Le poids linguistique du français dans le monde dépend essentiellement d’un seul
pays, les Français représentant environ le tiers du nombre total de francophones, si
l’on prend une estimation « moyenne » d’environ 180 millions de locuteurs. Cette
forte proportion de locuteurs appartenant au centre historique de la francophonie
constitue assurément une faiblesse quand l’anglais, l’espagnol et le portugais dispo-
sent de relais démographiques forts en dehors des territoires originels européens,
répartis sur plusieurs continents (Amérique, Afrique et dans une moindre mesure
Proposition d'une politique de promotion du français

Asie). L’exemple de la lusophonie est parlant : les 12 millions de Portugais ne repré-


sentent que 7 % environ de l’ensemble des locuteurs de cette langue, le Brésil repré-
sentant un pôle plus important que l’ancienne puissance coloniale ; en Afrique, dans
les zones urbaines de l’Angola ou du Mozambique, le portugais gagne chaque jour
du terrain. L’espagnol, en Amérique latine, en Amérique du Nord, jouit également
de positions très fortes. L’anglais en Amérique du Nord, en Australie ou dans les
pays d’Afrique australe peut lui aussi compter sur plusieurs foyers démographique-
ment importants ; à cet ensemble s’ajoute le géant indien qui fait de l’anglais un
usage de langue seconde assez répandu. Ainsi peut-on considérer que l’anglophonie,
l’hispanophonie et, à un degré moindre, la lusophonie (sans majuscules…) sont réel-
les, tandis que la Francophonie est une réalité plus politique que linguistique, en
attestent les adhésions à cet espace institutionnel de pays où la langue française n’a
pas d’usages sociaux. Cela dit, la base démolinguistique est une condition nécessaire
mais pas suffisante : c’est ainsi que l’importance numérique des foyers de langue
italienne dans les grands centres urbains des Amériques (Buenos Aires, Saõ Paulo,
Caracas, New York, Montréal, Toronto), peu valorisée par une politique linguistique
extérieure italienne relativement faible, ne lui assure pas une forte position.
Nous ne reviendrons pas ici sur les raisons de cet état de fait, sans doute à chercher
du côté d’histoires coloniales différentes, bien moins anciennes pour la France que
pour l’Espagne et le Portugal, et de nature différente, le plus souvent sans réelle mi-
gration de population de la métropole vers les territoires coloniaux. La conséquence
est que, du fait de ce poids démographique, la situation du français continue à être
étroitement liée à l’influence de la France dans le monde, à l’importance de ce pays
sur la scène politique internationale.
Force est de constater que, dans le processus actuel dit de globalisa-
tion/mondialisation, la France tend à perdre de son influence. Plusieurs causes à
cette situation :
–depuis la chute du Mur de Berlin, la position de non-alignement de la
France, en marge de l’OTAN et en dehors de la sphère d’influence soviétique,
a perdu de sa pertinence ;
–les pays relevant du champ traditionnel d’influence de la France, principale-
ment situés en Afrique subsaharienne, pourvoyeurs de matières première pour
l’essentiel, ne sont pas des acteurs importants de l’économie mondiale. Il en
est de même pour les anciennes colonies belges ;
–l’intégration de la France à l’Union européenne l’amène de plus en plus à
mêler sa voix à celle de ses partenaires. L’action propre de la France perd par-
fois de sa visibilité.
C’est précisément dans le cadre de la construction européenne que la place du fran-
çais, et sa diffusion, se trouvent aujourd’hui les plus incertaines. Là encore, plusieurs
facteurs explicatifs peuvent être invoqués :

- 258 -
Conclusion

–la position géographique de la France et des pays francophones dans la nou-


velle Europe, situés au bout du continent européen, à comparer avec celle
centrale de l’Allemagne, dont la langue est en contact avec pas moins de 15
langues ;
–l’Union européenne, ensemble par nature supranational, favorise également
les régionalismes : deux forces qui vont à l’encontre de l’État-nation, entité à
la construction de laquelle la langue est en France historiquement très liée ;
–les institutions européennes affirment le plurilinguisme, mais l’égalitarisme
de façade cache des inégalités importantes dont l’anglais profite aujourd’hui.
Faute d’avoir défini des modalités variables : faire la distinction entre langue(s)
officielle(s) et langue(s) de travail, déterminer un nombre « raisonnable » de
langues selon les situations de travail, valoriser des modèles
d’intercompréhension, l’Union européenne adopte le plus souvent une posi-
tion pragmatique simpliste consistant à privilégier l’anglais comme véhiculaire
de facto des institutions. À mesure que de nouveaux pays intègrent cet espace
politique, les difficultés liées à la traduction des documents et des échanges
sont telles que c’est ce mode de communication qui s’installe.
En Europe centrale (Pologne, Hongrie, Bulgarie, Roumanie), la langue française voit
ses positions reculer face à l’anglais du fait de facteurs économiques (le désir d’une
économie de marché est assimilé au modèle économique américain) et de facteurs
politiques (ces pays qui ne souhaitent pas entrer dans une Europe dominée par un
seul – ou par le couple franco-allemand – préfèrent la relative neutralité de l’anglais à
l’emploi de l’allemand ou du français).
En Grande-Bretagne, réservoir traditionnel d’apprenants de français langue étran-
gère, dans un contexte général d’extension d’un modèle bilingue communautaire
s’appuyant sur les communautés d’immigrés, plus de 60 langues sont aujourd’hui
offertes, ce qui entraîne une baisse des inscriptions en français (de 20 % en deux ans
à Birmingham selon une enquête du Centre for Information on Language Teaching citée
par Graddol, 2006 : 119), mais aussi en allemand et en espagnol.
Dans ce contexte qui prend des formes variables difficilement appréhendables de
son seul point de vue, la France hésite devant les mesures à prendre. Empêtrée dans
un passé impérialiste, elle craint que toute action ne soit interprétée comme manifes-
tation de sa volonté de puissance, et ses problèmes économiques plus ou moins cy-
cliques induisent des difficultés budgétaires dont la politique culturelle et linguisti-
que fait souvent les frais par des alternances de largesses immédiates, et des restric-
tions subites : la France peine parfois à répondre aux demandes d’appui au français
émanant par exemple des pays de l’Europe de l’Est, encore marqués d’une francophi-
lie traditionnelle ; des actions sont menées puis abandonnées au gré des orientations
diplomatiques sans qu’un plan de politique linguistique extérieure soit clairement
défini au service de la langue et non pour la langue au service d’autres intérêts plus
immédiats.
- 259 -
Proposition d'une politique de promotion du français

Ce dernier diagnostic concerne également l’appui à la francophonie africaine. Contrai-


rement à ce que disent parfois les médias africains, la France n’a pas tourné le dos à sa
politique d’aide au développement ; mais force est de constater qu’elle le fait au-
jourd’hui de façon croissante dans le cadre multilatéral de l’Europe, au détriment de la
visibilité qu’assurait l’aide bilatérale. Une des conséquences de cette délégation
d’action est que peu de projets en Afrique concernent aujourd’hui le développement
de l’environnement francophone alors même que, dans des pays qui ont choisi cette
langue comme langue officielle, les pourcentages de francophones réels sont parfois
très bas, proches de 10 %. Les effectifs de l’assistance technique française décroissent
régulièrement pendant que d’autres partenaires techniques et financiers, les États-Unis
d’Amérique notamment, augmentent leur aide bilatérale dans quelques pays jugés
importants stratégiquement. Une des solutions serait peut-être de pouvoir faire agir le
bloc des pays francophones d’Europe (ceux où le français est langue officielle et ceux
qui adhèrent à l’OIF), à travers les organismes de coopération de la Francophonie, en
partenariat avec ceux de l’Union européenne.

POINTS D’APPUI
Pourtant, les atouts de la langue française sont non négligeables. Contrairement aux
apparences, le monde ne tend pas vers un monolinguisme anglophone de substitution
mais vers la constitution de grands ensembles constitués autour de langues véhiculaires
à l’échelle de continents ou de sous-continents : l’anglais, l’espagnol, le portugais, le
chinois, l’hindi, l’arabe et le français assurent la communication sur de vastes aires
géographiques, situationnelles et virtuelles. L’espagnol gagne du terrain jusqu’en Amé-
rique du Nord et le mandarin sert de plus en plus souvent à la communication entre
ressortissants de différents pays d’Asie du Sud-Est, voire dans un espace Pacifique où se
dispersent les communautés émigrantes, vecteurs d’installation de services linguisti-
ques (enseignement, traduction).
Partant de ce constat, finalement rassurant pour l’avenir du plurilinguisme à l’échelle
mondiale, il faut, si l’on veut renforcer la position de la langue française, distinguer
des possibilités d’action adaptées à chaque zone géographique et à ses problémati-
ques spécifiques.
En Europe, la permanence – voire le renforcement – de l’emploi du français au ni-
veau des institutions européennes sera assurément un des points cruciaux de son
rayonnement futur. Une part importante de son caractère de langue internationale
en dépend.
La langue française peut s’appuyer sur les trois capitales de l’Union (Strasbourg,
Bruxelles, Luxembourg), toutes situées dans un environnement francophone, avec
un personnel d’exécution largement francophone.
Sur le plan politique, les enjeux des questions linguistiques sont considérables. Le
tout-anglais projetterait de l’Union européenne l’image d’une sorte de vassal des États-
Unis et de leur système économique. À travers la mise en valeur d’un plurilinguisme
- 260 -
Conclusion

dont le français serait une des composantes, il s’agit au contraire de parvenir à un mo-
dèle de culture indépendant, réellement pluriculturel. Cette option suppose que l’on
parvienne à faire accéder un ensemble de langues au rang de langues de travail, en
marge du trop large multilinguisme officiel qui est le meilleur tremplin pour le tout-
anglais. Ces langues pourraient représenter par exemple les principales familles lin-
guistiques de l’Union : germanique, latine, et depuis peu slave au sein desquelles
seraient développées des formations à l’intercompréhension. S’il était relayé dans les
systèmes éducatifs, pareil trilinguisme assurerait l’identité d’une Europe continen-
tale, de préférence à celle d’un ensemble politique atlantiste porté par l’anglais. En-
core faut-il se donner les moyens de cette politique, cesser d’être dans une attitude de
complexe vis-à-vis de la nécessité de maintenir le français à un niveau international,
et agir dans cette voie auprès des autorités européennes par des canaux variés, parmi
lesquels la médiation d’intérêts sous forme de pressions et de contraintes.
Le français est depuis les origines de la construction européenne une des principales
langues de travail, il importe de renforcer cette position. Contrairement aux idées
reçues, l’anglais n’assure pas seul la totalité de la communication entre fonctionnai-
res européens. Une répartition fonctionnelle existe de facto, qui voit l’anglais domi-
ner dans les domaines économique et financier, les questions liées au marché inté-
rieur et à la concurrence, aux relations extérieures, aux douanes et à l’industrie ; en
revanche, le français prévaut encore pour les affaires générales et administratives, le
budget et le contrôle financier, l’agriculture et la pêche, les affaires régionales,
l’éducation et la consommation. Il faut s’appuyer sur ces positions et les renforcer
par une politique d’offre de formation en français des fonctionnaires – ou futurs
fonctionnaires – européens dans les différents pays de l’Union. Pareils programmes
existent d’ailleurs, et six nouveaux entrants (Roumanie, Hongrie, Slovénie, Bulgarie,
Lituanie, Slovaquie) ont ces tout derniers temps signé avec l’OIF un memorandum
prévoyant dans chacun de ces pays la formation au français de plusieurs centaines de
leurs fonctionnaires et diplomates en charge des dossiers européens. Il s’agit égale-
ment de multiplier les chaires francophones de droit européen, notamment dans les
pays qui viennent de rejoindre l’Europe à 25, de créer des écoles francophones
d’administration, de constituer un vivier de fonctionnaires aptes à travailler en fran-
çais, et plus efficients dans cette langue que dans toute autre pour ce qui est de ces
questions spécifiques.
Ensuite, les actions de niveau institutionnel doivent être complétées, au plan des
populations, par une nouvelle politique d’enseignement des langues, plus engagée
dans la voie du multilinguisme et en cohérence avec une stratégie préalablement
définie de variabilité des langues de travail.
La première action doit concerner l’enseignement des langues en France même. Ce
pays doit donner aux autres l’exemple du multilinguisme, en accordant déjà une plus
grande place aux langues d’immigration en les mettant en valeur au-delà de simples
choix recommandés aux groupes communautaires, puis aux autres langues de
l’Europe, au-delà du binôme anglais-espagnol régnant aujourd’hui sur
- 261 -
Proposition d'une politique de promotion du français

l’enseignement secondaire. L’offre d’apprentissage de langues par groupes (latin,


slave, germanique plus nordique), avec entraînement à l’intercompréhension de
plusieurs langues dans les groupes, doit être développé : le portugais
(+ intercompréhension latine), l’allemand (+ intercompréhension germanique), le
polonais (+ intercompréhension slave), le suédois (+ intercompréhension nordique
et germanique, si l’on fait abstraction du finnois, où l’intercompréhension ne peut
pas jouer, de même avec le hongrois ou l’estonien) doivent être offerts aux élèves
français afin de montrer l’exemple de la réciprocité en matière de langues. Méthodo-
logiquement, la France devrait mettre l’accent, et encourager ses partenaires – latins
notamment – à faire de même. Les pays francophones et les pays membres de l’OIF
en Europe doivent travailler à une politique commune pour obtenir dans tous les
pays l’enseignement de deux langues étrangères (peut-on aller jusqu’à introduire
l’idée que l’anglais ne soit jamais choisi comme première langue mais offert seule-
ment en deuxième place ?) selon un modèle qui consisterait à faire choisir la pre-
mière langue étudiée dans une autre famille linguistique que celle de sa langue ma-
ternelle, le choix de la deuxième étant entièrement ouvert. Le français sera pris, à
concurrence de l’espagnol, par une part importante des locuteurs des langues ger-
maniques (parmi lesquelles les germanophones et les anglophones). Pour les slavo-
phones et les locuteurs des langues latines, il y a fort à parier que l’anglais sera choisi
prioritairement comme première langue, mais les occasions de choix du français en
tant que deuxième langue étrangère restent importantes.
Concernant le continent africain, il est essentiel de lier la diffusion du français aux
Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) définis pour l’horizon 2015.
L’aide publique au développement, émanant des pays francophones du Nord, doit
naturellement continuer à aller prioritairement vers les pays du Sud parlant la même
langue et donner du corps à ce que l’on appelle parfois une communauté de destins.
À côté de cette aide « traditionnelle », qu’elle soit bilatérale ou multilatérale, il faut
développer les expériences de codéveloppement, en s’appuyant sur les populations
immigrées en France, au Canada, en Belgique, en Suisse, à la fois vecteurs du fran-
çais et porteurs de pratiques socioéconomiques favorables au développement. Ainsi
s’approfondiront les liens entre pays francophones développés et pays moins avancés,
sur d’autres bases que le prolongement des relations coloniales. Ainsi pourra naître
sur de nouvelles bases le désir de français : encore cela suppose-t-il que les pays fran-
cophones développés restent, ou redeviennent pour certains, des pays d’accueil, des
horizons possibles, ne serait-ce que par une politique de visa plus ouverte.
Au nombre des OMD figure la scolarisation pour tous. Les systèmes éducatifs
d’Afrique francophone étant construits autour de cette langue, le développement du
français doit aller de pair avec le développement de l’école. Dans cette perspective,
une attention particulière doit être apportée à la mise en place de filières restructu-
rées dédiées à la formation initiale et continue des enseignants de français, tenant
compte de la spécificité de l’enseignement/apprentissage du français, langue seconde
et langue de scolarisation.

- 262 -
Conclusion

Sans doute ne faut-il plus se figer sur le maintien du français comme langue unique
d’enseignement. Plusieurs expériences montrent que les apprentissages du français
ont tout à gagner de débuts de scolarisation dans les langues maternelles des enfants.
Sur le plan des représentations, la politique de bilinguisme français-langue nationale
donnerait du sens au concept de « langue partenaire », souvent mis en avant pour
justifier la présence du français en Afrique. Partout où cela est politiquement possi-
ble et linguistiquement raisonnable, des politiques éducatives de partenariat français-
langue africaine devraient être mises en place.
Mais il serait dangereux de résumer tous les efforts de diffusion du français aux ap-
puis apportés aux systèmes éducatifs. Quantitativement et qualitativement, les objec-
tifs de scolarisation universelle risquent de ne pouvoir être atteints sur ce continent
du fait des efforts budgétaires que cet achèvement supposerait. Dès lors, il convient
sans doute de développer deux secteurs riches de potentialités et répondant à des
demandes fortes de la part des populations : l’éducation non formelle et le multimé-
dia (variable selon les situations d’accès). Les politiques d’alphabétisation pourraient
être repensées comme débouchant sur une alphabétisation en français : la plupart
des expériences menées en Afrique subsaharienne montrent qu’après quelques mois
passés à l’apprentissage du lire-écrire dans leur langue maternelle, les publics, no-
tamment professionnels, demandent un passage à la langue française, celle dans
laquelle les écrits sont disponibles. Au-delà de l’intérêt économique du français, lan-
gue d’accès au marché international, il y va du fonctionnement démocratique de
pays dans lesquels il n’est pas souhaitable que la majeure partie de la population
continue à ne pas maîtriser la langue officielle. Le développement des médias audio-
visuels francophones devrait également être une priorité : la télévision notamment
jouit d’un intérêt considérable, dont les groupes assemblés autour d’un poste uni-
que, sur un trottoir, témoignent bien. Le développement des chaînes internationales
francophones mais aussi l’appui aux télévisions nationales doivent être considérés :
quand l’école ne va pas dans tous les villages ou n’atteint que de trop rares enfants et
laisse de côté les adultes, la télévision est parfois la seule présence francophone. Plu-
sieurs directions pourraient être explorées parmi lesquelles l’extension des heures de
diffusion (en français) et la fourniture de programmes « populaires », intéressant des
pans très larges de la population : feuilletons et dessins animés sont probablement de
meilleurs vecteurs de la langue que les émissions à caractère éducatif…
Dans le même ordre d’idée, il faut développer le secteur de la traduction avec la pu-
blication, dans tous les pays où le français est langue officielle, de dictionnaires bilin-
gues dans les principales langues en usage, afin de donner du corps à l’idée que
l’espace francophone est bien celui de la « diversité linguistique et culturelle » et de
permettre que le français joue réellement un rôle d’interface dans l’accès à la mon-
dialisation dans ses aspects scientifiques, techniques et culturels.
La diffusion du français en Asie représente assurément un autre défi : en dehors de
la péninsule indochinoise, marquée par une brève histoire coloniale, la langue fran-
çaise est pour l’essentiel – près de trois milliards d’habitants – en terre totalement
- 263 -
Proposition d'une politique de promotion du français

étrangère. Même au Vietnam, au Cambodge et au Laos, la francophonie réelle reste


faible, fruit d’une époque coloniale où le nombre de locuteurs de français n’a jamais
été important. Par une politique volontariste, la langue française, qui a peu à perdre,
devrait tenter de se renforcer sur ce continent, centre démographique du monde
représentant une puissance économique croissante.
Pour ce faire, un important changement au niveau des représentations reste à ac-
complir. Trop souvent, le français apparaît comme langue de culture, langue des
élites, langue du passé, dans un monde tout entier tourné vers l’entreprise et le déve-
loppement économique. Afin de rompre avec cette image, aujourd’hui contrepro-
ductive, il faut affirmer la place du français sur le marché du travail et les perspecti-
ves d’emploi qui peuvent y être attachées. D’ores et déjà, le développement de filières
bilingues francophones au Vietnam contribue à rénover l’image du français : encore
faut-il que les élèves qui les fréquentent puissent ensuite valoriser sur le marché du
travail leur compétence linguistique. Nombre d’entreprises françaises ou de langue
française sont aujourd’hui installées dans cette zone et l’on sait que les sirènes de la
délocalisation vont en attirer d’autres dans les années à venir. Il ne faut pas négliger
ces opérateurs privés et le rôle qu’ils peuvent jouer en tant que passeurs de langue :
les entreprises américaines demandent que l’anglais soit langue de travail, pourquoi
ne pas faire de même pour la langue française et les unités économiques issues de la
zone francophone ? Voilà qui pourrait durablement changer l’image du français et
créer une demande vis-à-vis de cette langue, conçue comme un tremplin vers
l’emploi. Mais encore convient-il, pour ce faire, que les opérateurs économiques
francophones soient résolument décomplexés par rapport à leur langue.
Une autre piste permettant d’allier développement et valorisation de la langue fran-
çaise consisterait à encourager les coopérations entre pays d’Afrique francophone et
pays de la zone asiatique ; ces derniers pourraient amener des transferts d’expertise et
l’aide au développement, venant de pays engagés dans la même voie mais un peu
plus avancés, pourrait être l’occasion de transferts linguistiques au profit du français.
Sur le continent nord-américain, le plus grand défi pour le statut de la langue fran-
çaise est l’intégration économique, à plus ou moins brève échéance, de l’ensemble
des pays dans le cadre de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) – quoique,
en 2008, ce projet semble, mais ce n'est peut-être que provisoire, au point mort. Jus-
qu’à présent, les pourparlers ne se sont déroulés que dans deux langues, l’anglais et
l’espagnol. Et si les documents préliminaires ont finalement été publiés en français et
en portugais, c’est grâce au gouvernement fédéral du Canada. Curieux paradoxe qui
se profile à l’horizon : le gouvernement central du Canada qui, pendant plus d’un
siècle, n’a pu empêcher l’assimilation linguistique des minorités francophones vivant
à l’extérieur du Québec (quand il ne l’a pas favorisée) pourrait donc contribuer à
assurer au français le statut de langue officielle dans les futures organisations com-
munautaires de la ZLÉA. Pour l'instant, même si on semble s'orienter plutôt vers des
négociations bilatérales, il est important de ne pas oublier la dimension linguistique
du processus d’intégration.
- 264 -
Conclusion

Cette action internationale du Canada ne sera toutefois rendue possible, voire dic-
tée, que par la persistance, à l’intérieur de ses frontières, d’un fort mouvement auto-
nomiste au Québec et, peut-être à un degré moindre, d’une volonté d’affirmation
culturelle du Canada anglais face aux États-Unis d’Amérique. Mais cet aspect ne
concerne que le statut officiel du français, non sa diffusion comme langue mater-
nelle ou comme langue étrangère. De ce côté, il ne faut pas se cacher que le français
a de nombreux concurrents sur un marché encombré. Et ces concurrents ne sont pas
toujours ceux auxquels on pense en premier. Pensons à la situation des langues au-
tochtones d'Amérique. Celles-ci bénéficient de politiques volontaristes (voir par
exemple la proposition pour faire du guarani une langue officielle du Mercosur). Dès
lors, sur un continent où les francophones ne représentent guère qu’un pour cent de
la population (il pourrait y avoir aujourd'hui autant de locuteurs de quechua que de
français), on ne voit pas quels arguments pourraient convaincre Américains et Latino-
Américains de rendre obligatoire l’enseignement systématique de deux langues
étrangères. Le français, sauf au Canada anglais, n'a guère de chances de s'imposer
comme première langue étrangère. Ailleurs, on voit mal comment il pourrait être
choisi comme deuxième langue étrangère, hormis pour une élite minoritaire, comme
c’est le cas aujourd’hui. En définitive, le statut du français ailleurs dans le monde, en
Europe principalement et dans les organisations internationales, sera un détermi-
nant majeur de son statut dans les Amériques.
Au Canada francophone, la maîtrise du français demeure et demeurera sans doute
encore longtemps une question d’actualité. L’amélioration ne pourra venir que d’un
changement d’attitudes, en particulier du corps enseignant : que l’on cesse de consi-
dérer le français standard comme une langue étrangère, propriété des Français, voire
des seuls Parisiens ; que le discours pédagogique valorise de plus en plus une variété
de français d’audience internationale dans le respect des usages locaux.
L’accroissement des contacts avec la langue écrite des autres pays francophones et,
surtout, celui des contacts avec la langue orale depuis l’apparition du cinéma parlant
et le développement de la télévision (par l’achat de programmes ou plus directement,
l’arrivée de chaînes pan-francophones comme TV5 ou RFO), ont amené une plus
grande connaissance du vocabulaire standard (mais aussi même une pénétration de
l’argot parisien et des incursions d’autres variétés lexicales et phonétiques). La mon-
dialisation ne pourra qu’accroître cette tendance.
En guise de conclusion, quelques faits marquants peuvent être rappelés. Dans un
monde où de grands ensembles linguistiques se construisent, le français peut conser-
ver sa place de langue de communication internationale et peut-être renforcer ses
positions mais au prix de quelques évolutions.
Au premier rang, il faut sans doute placer les nécessaires changements de représenta-
tions : chez les locuteurs du français d’abord, qui doivent parfois se débarrasser de
véritables complexes pour oser affirmer la nécessité d’un plurilinguisme mondial au
sein duquel le français est une des composantes parmi d’autres ; chez les apprenants

- 265 -
Proposition d'une politique de promotion du français

potentiels, encore trop souvent persuadés que le français est la langue des élites, du
luxe et des belles-lettres…
Il faut ensuite que les différents pays francophones participent chacun à leur ma-
nière à la valorisation de cette langue, de manière que s’opère une déconnexion en-
tre la langue française et le pouvoir exercé sur elle par la France : celle-ci sera effective
quand, dans les pays ayant le français pour langue officielle, une part notable des
citoyens pratiqueront effectivement cette langue et se la seront appropriée, à l’image
de ce qui s’est passé en Amérique du Sud pour l’espagnol, au Brésil pour le portu-
gais.
Ce dernier cas illustre une autre des dimensions que devrait revêtir la politique de
mise en valeur du français : l’acceptation de l’évolution de la norme en francopho-
nie, moins centrée sur un hypothétique français de France et intégrant les contribu-
tions des différentes parties de la francophonie, qui, loin de compliquer la commu-
nication entre francophones, pourrait élargir les capacités du français à constituer un
pont entre de nombreuses langues. La diffusion du français, son appropriation par
l’ensemble des locuteurs dans les différents pays, est encore aujourd’hui freinée par
une référence presque inévitable au français de France. Là encore, des actions
concrètes doivent être menées pour induire un changement de mentalités, au niveau
des responsables politiques de chaque pays de la Francophonie, dans le sens de
l’acceptation de l’évolution de la langue dans les différentes aires où elle se trouve
implantée. C’est peut-être encore au niveau de l’école que se trouve une partie de la
solution, dans l’accueil favorable fait en son sein à ce que l’on appelle des « régiona-
lismes » ou des « particularités » mais qui doivent demain être intégrés à une norme
internationale du français, plus ouverte, moins figée.

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▀ SIGLES ET ACRONYMES UTILISÉS

AEC : Association des États de la Caraïbe


AEFE : Agence pour l’Enseignement français à l’étranger
AIF : Agence intergouvernementale de la Francophonie
AIRDF : Association Internationale pour la Recherche en Didactique du Français
ALCA : Área de Libre Comercio de las Américas
ALENA : Accord de libre-échange nord-américain
ASDIF : Association internationale de didactique du français langue étrangère
ASEAN : Association of Southeast Asian Nations, Association des Nations d’Asie du
Sud-Est
AUF : Agence universitaire de la Francophonie
BDLP : Base de données lexicographique panfrancophone
BM : Banque mondiale
CAPES : Coordenação de Aperfeiçoamento de Pessoal de Nível Superior
SECIB : Secretaría de Cooperación Iberoamericana
CARICOM : Caribbean Community, Communauté du bassin des Caraïbes
CEDEAO : Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest
CEE : Communauté Économique européenne
CEEAC : Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale
CELEM : Centro de Ensino de Línguas Modernas (Brésil)
CEMAC : Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale
CIN : Communauté ibéro-américaine des nations
CNED : Centre national d’enseignement à distance
COFECUB : Comité Français d’Évaluation de la Coopération Universitaire et
Scientifique avec le Brésil
COI : Commission de l’Océan Indien
CONFEMEN : Conférence des ministres de l’Éducation nationale des pays ayant en
commun l’usage du français
CPLP : Comunidade dos Países de Língua Portuguesa
CPS : Secrétariat de la Commission du Pacifique Sud
Delf-Dalf : Diplôme d’études de langue française-Diplôme approfondi de langue
française
DIEPE : Description Internationale des Enseignements et des Performances en Écrit
DFA : Départements Français des Amériques
DFLM : Association internationale pour le développement de la recherche en Didac-
tique du Français Langue Maternelle
DGLF : Délégation générale à la langue française
EFF : Étude du français en francophonie (réseau AUF)
ELODIL : Éveil au langage etouverture à la diversité linguistique
ENS : École Normale Supérieure
FIPF : Fédération internationale des professeurs de français
FLE(S) : Français langue étrangère (et seconde)
GERFLINT : Groupe d’Etudes et de Recherches en Français Langue Internationale
HCF : Haut Conseil de la Francophonie
IBGE : Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística
IC : Instituto Cervantes
INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques
JA-LING : Janua Linguarum (Progamme du Centre européen pour les langues vivan-
tes, European Centre for modern languages)
LTT : Lexicologie, Terminologie et Traduction (réseau AUF)
Mercosur, mercosul : Mercado Común del Sur
NALSAS : National Asian Languages and Studies in Australian Schools Strategy
OCDE : Organisation de coopération et de développement économique
OECS : Organization of Eastern Caribbean States, Organisation de la Caraïbe orien-
tale
OEI : Organización de Estados Iberoamericanos
OIF : Organisation internationale de la Francophonie
OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement
ONU : Organisation des nations unies
PISA : Programme international pour le suivi des acquis des élèves

- 280 -
RIFAL : Réseau international francophone d’aménagement linguistique
RINT : Réseau international de néologie et de terminologie
RIOFIL : Réseau international des observatoires francophones et du traitement in-
formatique des langues
RFO : Réseau France Outre-mer
SADC : Southern African Development Community
SDL : Sociolinguistique et dynamique des langues (réseau AUF)
SIECA, SICA : Secretaría de Integración Económica Centroamericana, Sistema de
Integración de Centroamérica
TCF : Test de connaissance du français
TIC : Technologies de l’information et de la communication
TOM : Territoires d’outre-mer
UE : Union européenne
UL : Union latine
UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization
UNICEF : United Nations Children’s Fund (originellement United Nations Inter-
national Children’s Emergency Fund), Fonds des Nations-Unies pour l’Enfance
ZLEA : Zone de Libre-échange des Amériques

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