+++avenir de La vallee+GestionCrue PDF
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et avenir de la Vallée
Adrian Adams
Adrian Adams vit depuis vingt ans au Sénégal et travaille avec une
association paysanne de la Vallée. Dans son dernier livre “A claim to land
by the river : a household in Senegal 1720-1994” elle décrit comment les
organisations paysannes ont lutté pendant 20 ans pour défendre leur vision
du développement, centré sur les populations locales, en contraste avec les
objectifs de développement des organisations gouvernementales responsables
des projets d’irrigation dans la Vallée (voir Haramata N°32, page 23).
Pour de plus amples informations, veuillez contacter l’auteur à l’adresse
suivante : BP 11, Kounghani via Bakel, Sénégal. Fax : +221 983 52 56.
Courriel : [email protected].
INTRODUCTION 1
REFERENCES 27
CARTES
Prenant sa source dans le Futa Jalon, le fleuve Sénégal coule vers le nord. Il
traverse donc des contrées de plus en plus arides ; lorsqu’enfin son cours
s’infléchit vers l’Océan, il confine au désert. Plus les pluies se font rares, plus
la crue du fleuve est essentielle. Celle-ci inonde vers la fin de la saison des
pluies, la large plaine alluviale de la moyenne vallée, cultivée en saison sèche
après le retrait des eaux. Les systèmes de production agricole de la vallée se
sont construits autour de cette complémentarité dans l’espace et dans le temps :
aux cultures et pâturages sous pluie dans les hautes terres du jeeri, succédaient
les cultures et pâturages de décrue dans les basses terres du waalo. Pour la
période 1946-1971, la moyenne des surfaces inondées a été estimée à 312.000
hectares de part et d’autre du fleuve et celle des surfaces cultivées à 108.000
hectares, dont 65.000 hectares pour la rive sénégalaise (OMVS-IRD, 1999).
Les projets de mise en valeur du fleuve, fondés depuis l’époque coloniale sur la
riziculture irriguée, n’ont jamais tenu compte de ce système de production
millénaire. A partir des années 1960, les pluies et la crue ont fortement
diminué, disparu même certaines années. Pour l’élevage comme pour
l’agriculture, la sécheresse allait simplifier les choses, en permettant aux
« développeurs » de faire comme si les systèmes de production traditionnels de
la Vallée appartenaient désormais au passé ; l’avenir, c’était l’agriculture
irriguée. Avec l’adhésion du Sénégal au programme de l’OMVS, la politique
de la table rase devenait irrévocable ; les barrages projetés ne supprimeraient
pas la pluie, mais ils permettraient de supprimer en grande partie la crue.
1
Cette même année, l’OMVS a déclaré ses objectifs : sécuriser et améliorer les
revenus des habitants du bassin du fleuve et des zones avoisinantes ; assurer
autant que possible l’équilibre écologique dans le bassin ; rendre les économies
des trois Etats membres moins vulnérables aux conditions climatiques et aux
facteurs extérieurs ; et accélérer le développement économique des pays
membres par la promotion intensive de la coopération régionale.
2
Encadré 1 : Critiques des barrages
Il y a un peu moins d’un an, la France avait demandé que l’on envisage des solutions de
rechange. L’étude fut menée à terme. Seuls quelques initiés en prirent connaissance... et
s’empressèrent de la cacher au fond d’un tiroir. Il y avait de quoi. Elle démontrait non
seulement que le programme de l’OMVS n’est pas indispensable pour assurer la sécurité
alimentaire de la région, mais qu’à bien des égards, c’est la plus mauvaise solution possible.
(...)
De plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer, avant de se lancer dans de gigantesques
travaux, un réexamen du dossier en tenant compte de toutes les solutions envisageables. Il
serait ainsi possible de mettre sur pied dans des délais raisonnables un programme réalisant
de façon harmonieuse et utile le développement économique et social d’une région qui, après
avoir été longtemps délaissée, risque de servir de cobaye à des apprentis sorciers (Bessis,
1981).
A qui profiteront les grands barrages ? L’OMVS nous dit qu’ils sont prévus (notamment)
pour : « donner des revenus aux paysans et améliorer ces revenus ». Une fois de plus, les
paysans sont pris pour alibi. En principe, tout cela est fait pour eux. En regardant de plus
près, on peut noter que les barrages ont déjà profité :
• aux bureaux d’études qui ont touché des milliards de francs d’honoraires et espèrent en
retirer bien plus ;
• à la bureaucratie de l’OMVS, et à ses homologues dans chacun des trois Etats.
Une fois la décision prise, et la construction commencée, ce seront les grandes entreprises
de travaux publics qui seront les plus sûrement bénéficiaires... En profiteront aussi
largement leurs fournisseurs de matériels très divers... Toutes ces opérations vont laisser de
gros bénéfices à ces multiples « intéressés ». Une fois les barrages terminés, ils laisseront les
paysans et les Etats concernés essayer d’en tirer le meilleur parti ; mais ils se laveront les
mains des échecs et des difficultés qui ne peuvent manquer de survenir (Dumont, 1981).
La mise en valeur du fleuve Sénégal est une tâche primordiale pour les peuples du Fleuve et
des pays riverains dans leur ensemble. Si toutefois elle devait se faire selon les objectifs et
les méthodes prévus actuellement, mieux vaudrait pour eux qu’elle ne se fasse pas (Adams,
1977).
3
CULTURES IRRIGUEES : L’IMPASSE
Des essais de riziculture irriguée avaient eu lieu dans le Delta dès les années
1950. Mais c’est à partir de 1973 que la SAED, Société d’Etat chargée du
développement agricole de la rive gauche du Fleuve, a étendu son action du
Delta à la Vallée : à Nianga, dans le département de Podor, elle a endigué
10.000 hectares de terres de décrue, et mis en place en 1975 un premier grand
périmètre de 650 hectares. En 1975, à Matam, un agent de la SATEC chargé
d’améliorer les techniques de production du sorgho, créa trois petits périmètres
irrigués rizicoles, 25 hectares en tout, avec 150 cultivateurs touchés par la
sécheresse ; enfin à Bakel, la riziculture irriguée fut introduite par
l’intermédiaire d’un technicien agricole français venu aider un cultivateur local
à améliorer les cultures vivrières.
4
la nouvelle donne. Désormais, la dimension sociale et foncière de l’irrigation
pose problème, surtout dans la Vallée.
A la fin des années 1980, plus des deux-tiers des périmètres se situent dans le
Delta, défini ici comme la zone en aval de Dagana : grands périmètres
aménagés par la SAED, dont beaucoup ont été réhabilités et transférés aux
groupements de producteurs, et périmètres du secteur privé, en expansion
rapide. Dans cette zone, peu cultivée avant l’irrigation, les cultures irriguées
sont souvent le fait de « nouveaux paysans » ayant d’autres ressources ; elles
sont fortement mécanisées, et la majeure partie de la production est
commercialisée. Les principales difficultés, baisse des rendements, pollution et
salinisation de terres mal-drainées, sont issues de la multiplication anarchique
de périmètres privés très sommairement aménagés, sans schéma directeur
hydraulique ; il y a par ailleurs de graves problèmes de remboursement du
crédit. Les terres du Delta demandent des investissements que peu de leurs
exploitants actuels, qu’on les dénomme « paysans » ou « privés », semblent
capables de fournir.
A la même époque, moins du tiers des périmètres se situent dans la Vallée (en
amont de Dagana), essentiellement des PIV de première génération
sommairement réalisés. En 1989-1990, seuls 121 des 215 périmètres irrigués
villageois du département de Matam sont cultivés (totalement ou en partie) ; les
PIV de première génération sont dégradés et ne sont plus exploités ; quelques
périmètres de seconde génération, implantés sur des terres de décrue, ont donné
de piètres rendements. Par ailleurs, les résultats d’une étude dans le
département de Bakel, portant sur 823 hectares de PIV, ont montré que 40%
de la zone étudiée n’a pas été cultivée en 1988-1989.
5
droits traditionnels pour se lancer dans l‘agriculture marchande ; les surfaces
aménagées sont en général restreintes.
Il était clair dès la fin des années 1980, que si des familles paysannes démunies
devaient continuer à dépendre des seules cultures irriguées pour vivre, le seul
moyen pour eux de faire face aux frais, hormis l’émigration qui les prive de la
main d’œuvre nécessaire, serait de trouver des petits emplois agricoles salariés,
ce qui suppose un secteur privé dynamique. Ainsi l’absence de modes de
production agricoles autres que l’irrigation, et avant tout des cultures de décrue,
risque d’entraîner à terme la prolétarisation et la paupérisation de la paysannerie
indépendante : directement en excluant de l’accès à l’eau, donc à la terre, ceux
qui n’ont pas les moyens d’irriguer, et indirectement en rendant les paysans
dépendants d’emplois créés par l’aliénation d’une proportion croissante des
terres irrigables, compromettant ainsi l’accès des jeunes à l’irrigation.
6
manque de semences ou de main-d’œuvre, n’ont pas pu ressemer. En 1990,
malgré la sécheresse et l’échec presque total des cultures sous pluie dans la
Vallée, l’OMVS a décidé de ne pas faire de lâchers du tout, mais de retenir
toute l’eau pour tester les capacités de stockage du réservoir.
En 1992, l’OMVS a lâché en septembre assez d’eau pour que le débit à Bakel
atteigne de 1.900 à 2.400 m3 ; c’était assez pour inonder les cuvettes les plus
basses, mais pas assez pour qu’il y ait de bonnes cultures de waalo dans
l’ensemble de la plaine inondable. Les pluies avaient été mauvaises dans une
grande partie de la Vallée, et les lâchers d’eau étaient, de l’aveu même des
consultants de l’OMVS en la matière, en-deçà du minimum requis pour une
« crue utile » (Horowitz, 1993).
Le non-respect de ses engagements par l’OMVS est d’autant plus frappant que
durant cette même période, la position du gouvernement du Sénégal sur la
question semble avoir nettement évolué. Si pour l’OMVS la crue artificielle
devait être transitoire et limitée à dix ans, le Ministre du Plan, Cheikh
Hamidou Kane, proposa dès 1984 une position plus souple, selon laquelle la
modulation des crues devrait être maintenue tant que toute la population
agricole de la Vallée vivant de la culture de décrue, n’aurait pas eu accès à une
superficie irriguée assez grande pour subvenir à ses besoins essentiels. De plus,
7
disait-il, « le maintien de la crue artificielle peut s’avérer nécessaire dans la
mesure où sa suppression entraînerait la dégradation des écosystèmes naturels
et le bouleversement des systèmes agro-pastoraux existants. » (République du
Sénégal, 1984).
En 1987, une équipe d’un institut universitaire basé aux Etats-Unis, l’Institute
for Development Anthropology, a commencé un programme de recherches au
Sénégal, dénommé « Suivi des Activités du Bassin du Fleuve Sénégal »
(Senegal River Basin Monitoring Activity - SRBMA), qui a notamment permis
de démontrer qu’à surfaces égales, les cultures de décrue offrent un meilleur
rendement que les cultures irriguées par rapport à l’argent et au travail investis,
tout en minimisant les risques. Les travaux de cette équipe, d’une haute tenue
scientifique, ont défendu avec succès l’idée qu’une crue permanente contrôlée à
partir de Manantali, qui élèverait le niveau du Fleuve jusqu’à celui obtenu en
cas de crue naturelle, se justifierait par l’augmentation, dans des conditions
favorables à la protection de l’environnement, de la production, des revenus et
de l’emploi ; et que, contrairement à l’affirmation des consultants de l’OMVS,
il n’y a pas d’incompatibilité entre une crue contrôlée et la production
d’électricité. Ils seront désormais une référence de base pour toute discussion
de l’avenir de l’agriculture dans la Vallée (IDA, 1991).
Lorsque les résultats des travaux de l’IDA ont été présentés lors d’un séminaire
à Dakar, en Novembre 1990, ils ont été favorablement accueillis par le
Gouvernement du Sénégal, qui venait d’opter, avec le Plan Directeur de la
Rive Gauche, en faveur du maintien d’une crue artificielle pérenne. Le Haut
Commissaire de l’OMVS à l’époque a cependant déclaré que ces recherches
constituaient un affront à l’autorité de l’OMVS, seule habilitée à décider de
l’utilisation des eaux du réservoir de Manantali. Par ailleurs, l’expert en
hydrologie de l‘IDA a été informé par le personnel de l’OMVS qu’il était
« dangereux » même de poser des questions au sujet de la crue artificielle, car
cela pourrait donner à croire aux paysans qu’ils y avaient droit.
8
Or il est maintenant largement admis que de toutes les conséquences découlant
de la construction d’un barrage, la modification du régime du fleuve en aval est
parmi celles qui porte le plus grand tort au milieu naturel et humain.
La solution à ces problèmes ne réside pas dans l’abandon de l’irrigation mais dans le fait
qu’il faut la placer dans une meilleure perspective comme l’un - et pas automatiquement le
plus important - des éléments d’un système de production complexe. La productivité
générale de ce système et la valorisation de la main-d’œuvre investie peuvent être améliorées
par la gestion appropriée du barrage de Manantali. Mais pour que les gens puissent faire les
investissements nécessaires dans une production agricole durable, on doit leur garantir
l’accès continu à des intrants primordiaux, notamment la terre (aussi bien irriguée que de
décrue) et l’eau (IDA, 1994 : 23).
Nous recommandons que le barrage soit géré afin de soutenir un système de production
diversifié dans lequel une croissance économique équitable et sans dommage pour
l’environnement soit reconnue comme principe directeur. Cela implique que les responsables
du barrage lâchent le volume d’eau à partir du réservoir de Manantali, ce qui maximiserait la
production de la plaine inondable, et ce sans détériorer l’environnement et de manière
compatible avec les demandes de la production d’énergie hydroélectrique et de l’irrigation
(IDA, 1994 : 39).
Le moment est venu d’adopter une nouvelle approche au développement des bassins fluviaux
et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, les manifestations des coûts écologiques,
économiques et socio-politiques des stratégies de développement des bassins fluviaux
réduisant fortement la crue annuelle sont de plus en plus notables. Deuxièmement, (…) on
met de plus en plus l’accent sur un développement favorisant la majorité rurale aux revenus
faibles. La troisième raison est la plus grande attention que les gouvernements africains
portent à la décentralisation des responsabilités de prise de décision et de gestion en faveur
du niveau local. La quatrième est représentée par la prise de conscience grandissante (...)
que la réussite de la gestion de l’environnement passe par la participation et le
développement des pauvres en milieu rural. Les stratégies de développement qui
appauvrissent ces populations et dégradent certains des écosystèmes les plus productifs
d’Afrique, comme l’a fait le développement de beaucoup de bassins fluviaux en Afrique,
sont vraiment surannées (IDA, 1994 : 318).
Source : IDA, 1994
9
Y A-T-IL AUJOURD’HUI UNE POLITIQUE AGRICOLE POUR LE
FLEUVE ?
Ainsi, au début des années 1990, la mise en valeur du Fleuve est en crise,
n’ayant atteint ni ses objectifs de production, ni ses objectifs sociaux. Le Plan
Directeur de Développement Intégré de la Rive Gauche (PDRG), rédigé pour
l’essentiel en 1990, adopté par le gouvernement du Sénégal en 1994, semble le
reconnaître : il brosse dans son introduction un diagnostic sans complaisance
des vingt premières années, et annonce que « vers la fin des années 80, tant
d’échecs et tant de craintes pour l’avenir provoquèrent un certain renversement
de tendance ».
Le PDRG affirme, il est vrai, que ce sont les cultures irriguées qui permettront
le mieux d’atteindre les objectifs de type « social » (autosuffisance alimentaire
et création d’emplois), vision qui semble avoir peu de rapport avec la situation
prévalante à l’époque de sa rédaction. Sur cinq scénarios divers, il choisit
« après arbitrage politique de la part des autorités sénégalaises, en concertation
avec la Banque mondiale », le scénario A, c’est-à-dire le maximum de surfaces
irriguées qui ne mette pas en danger les autres usages de l’eau (environnement,
cultures de décrue, hydro-électricité).
10
moyenne des surfaces inondées a été estimée à 312.000 hectares pour les deux
rives, et celle des surfaces cultivées à 108.000 hectares pour les deux rives et
65.000 hectares pour la rive sénégalaise. La surface maxima cultivée en décrue
durant les années 1970-1979 était 62.200 hectares ; la surface minima, 10.700
hectares (OMVS-IRD, 1999).
A : Développement important de la surface irriguée (88.000 ha), avec délivrance d’une crue
artificielle garantissant plus de 33.000 ha de cultures de décrue (submersion supérieure à 15
jours) et assurant environ 63.000 ha de pâturages et boisements (submersion inférieure à 15
jours).
B1 : Progression modérée des surfaces irriguées actuelles pour parvenir à un total de 53.000
ha, avec une crue artificielle garantissant plus de 107.000 ha submergés, dont 50.000 ha
pour les cultures de décrue.
Mais qu’est devenu dans les faits, ce Plan Directeur ? Il semble avoir disparu
sans laisser de traces ; pour l’OMVS, il semble ne jamais avoir existé. En
1994, après une bonne crue, les cultivateurs avaient commencé à semer ce qui
devait être de grandes surfaces ; une seconde crue, due à la vidange du
réservoir de Manantali, est venue tuer les premiers semis et inonder pendant
plusieurs mois les surfaces à cultiver ; la campagne de décrue a dû être
abandonnée. La crue exceptionnelle de 1995 était aussi tout à fait fortuite, due à
la décision de ne pas effectuer de retenue, en vue d’un contrôle du barrage. Un
suivi de l’IRD, par survol aérien et délimitation des surfaces sur cartes et
photographies aériennes, a montré que dans le département de Podor, les
surfaces cultivées en décrue en 1995-96 représentent plus du double de celles
calculées par l’OMVS en 1970-71 ; ce qui montre bien l’intérêt que portent les
11
populations à cette culture, et leur rapidité d’adaptation (Le Roy, 1997). Mais
l’année suivante, il n’y a pas eu de crue.
1
Certaines sources font état d’une récente relance de l’irrigation ; mais elle serait due à un
moratoire consenti sur les dettes, ce qui ne constitue qu’un sursis, pas une solution durable.
12
qui avaient cours dans les années 1970. Ainsi le Ministre d’Etat chargé de
l’Agriculture affirmait en 1997 : « La seule solution pour nous est l’irrigation »
(Sud, 17/11/97). A croire que l’adoption du PDRG, qui admet la possibilité du
doute, était une aberration.
13
par la construction des barrages de l’OMVS, en faisant bénéficier les zones
centrales du territoire national des excédents d’eau rejetés en mer pendant les
crues du Fleuve. Il est censé contribuer ainsi à la relance économique durable
du Sénégal, grâce à l’agriculture (notamment 75.000 hectares de cultures
irriguées), l’élevage, la pêche continentale et la foresterie. Son coût est estimé à
30 milliards de francs CFA.
Frontières internationales
14
Ce scénario de prise d’eau dans le Fleuve ne peut se concevoir qu’en période
de crue2 insuffisante pour permettre l’irrigation de ces 75.000 ha sans mettre en
péril les autres modes d’exploitation de l’eau. En effet, l’eau supposée
« perdue » vers la mer sert plutôt à maintenir, durant une période minimale de
15 jours, le niveau nécessaire à la submersion des cuvettes de décrue. Le projet
affirme toutefois que les prélèvements prévus restent largement en dessous des
quotas alloués au Sénégal par l’OMVS, équivalant selon lui à 6 milliards de
mètres cubes d’eau par an, alors que les principaux usages prévus (PDRG,
Canal du Cayor, Vallées Fossiles) ne totaliseraient que 5,4 milliards de mètres
cubes par an. Cependant ce calcul ne tient pas compte des besoins en eau du
Projet Energie de Manantali.
2
Période du 15 août au 15 octobre.
15
donateurs, outre la Banque mondiale, sont la France, l’Allemagne, et l’Union
Européenne.
Lignes
électriques Barrages
Frontières Capitales
internationales
16
kilomètres, avec des embranchements Matam-Kaédi (87 km) et Dagana-Rosso-
Nouakchott (226 km), rejoignant l’actuelle ligne Sakal-Tobène qui alimente
Dakar.
Selon la Banque mondiale, le projet vise les objectifs suivants : réduire le coût
de l’électricité dans les trois pays ; contribuer au service de la dette encourue
pour la construction du barrage de Manantali ; accroître l’efficacité et la
fiabilité des réseaux d’électricité des trois pays ; promouvoir la participation du
secteur privé à l’exploitation du projet ainsi qu’à d’autres futurs projets dans la
Vallée ; mettre en place une organisation efficace pour construire et faire
fonctionner les installations du projet, et pour atténuer les impacts négatifs du
projet et du barrage de Manantali sur l’environnement et la santé ; et appuyer
le secteur agricole traditionnel à l’aval par une gestion rationnelle du réservoir
de Manantali (Banque mondiale, 1997).
Pour ce qui est de réduire les coûts de l’électricité et accroître l’efficacité des
réseaux, l’énergie de Manantali (dont 52% ira au Mali, 33% au Sénégal et
15% à la Mauritanie) ne réduira que de 8% les tarifs d’électricité pour le
consommateur sénégalais, et ne fournira que 15% des besoins de la
SENELEC, dont la capacité actuelle est de 330 MW ; elle ne fera que retarder
de trois ans la nécessité de nouveaux investissements. En outre, les projections
de production d’électricité dont découlent les calculs de la rentabilité sont basées
sur les données hydrologiques 1950-1994 ; si on les avait basées sur la série
1974-94, période de faible hydraulicité qui correspond mieux aux réalités
actuelles, la production d’énergie prévue aurait chuté de 804 à 547 GWh ; et
les économies de dépenses pour l’énergie dont bénéficieront les gouvernements
des Etats OMVS grâce à Manantali, passeraient de 22% à 17%. On aurait
aimé que les alternatives : gaz naturel de Diamnadio, ressources hydro-
électriques du fleuve Gambie, réduction du prix du carburant (par suppressions
des subventions de l’Etat à la Société Africaine de Raffinage), soient explorées
à fond, avant de s’engager dans une option dont les coûts (directs et, on le
verra, indirects) sont très élevés, et la rentabilité plus incertaine qu’on a voulu
le faire croire.
17
assumé par l’irrigation (et la navigation si elle existe un jour). Cependant, les
prêts pour financer le Projet Energie augmenteront considérablement la dette ;
de 47.4 milliards CFA en 1997, elle passera à 184.6 milliards en 2001.
18
Banque, comme relevant de la « lutte contre la pauvreté ». On nous affirme
que le réservoir de Manantali sera géré comme réservoir multi-usages, et que
la crue artificielle rétablira les fonctions traditionnelles de la plaine de décrue.
Mais le doute s’instaure vite : est-ce vraiment au moment précis où Manantali
va fournir de l’électricité aux capitales, et apporter des revenus à l’OMVS,
qu’elle va se mettre à l’utiliser en faveur des cultures et pâturages de décrue ?
A y regarder d’un peu plus près, on constate que les choses ne sont pas aussi
simples : les rapports des bailleurs se contredisent eux-mêmes.
A long terme, la construction des deux barrages permettra de résoudre les problèmes de
population et d’alimentation, en retenant les populations sur place et en restaurant l’équilibre
de l’écosystème(p.1). La stratégie de développement du bassin du fleuve Sénégal vise à
établir un équilibre entre l’homme et son environnement (p.8). Grâce au barrage de
Manantali, l’eau est disponible toute l’année dans le fleuve Sénégal. Des deux côtés du
fleuve se déroule une vaste campagne d’occupation de terres agricoles... Les résultats
probants de l’activité agricole, dans cette région auparavant inadaptée à l’agriculture, attirent
de nouvelles populations (p.25). Les résultats du projet (du barrage) sont impressionnants :
régularisation du débit du Bafing, pour faciliter la double culture annuelle en irrigué, et
apport d’une crue artificielle annuelle (p.39). Il y a eu une amélioration notable de la santé
des habitants de la Vallée (p.36) (Banque Africaine de Développement, 1994).
Bien que le (Projet Energie) en soi ne doive pas avoir d’effets majeurs sur l’environnement,
il fournit l’occasion de rectifier les effets négatifs des barrages de Manantali et Diama sur les
fragiles écosystèmes du bassin, les cultures traditionnelles de décrue, la pêche fluviale et la
santé des populations (...). La disparition ou le faible niveau de la crue par suite de la
retenue des eaux du Bafing par le barrage (60% environ du débit du fleuve), a sérieusement
perturbé les écosystèmes du bassin et déstabilisé ses activités économiques traditionnelles
(…) ; la région est devenue la plus pauvre des trois pays. Les inégalités sociales accrues et la
malnutrition ont causé un exode massif de travailleurs du bassin. En outre, le développement
de l’agriculture irriguée et l’absence de remontées salines dans le Delta ont causé une
prolifération des vecteurs de maladies endémiques telles que la bilharziose. Le nombre de
19
cas de paludisme a aussi augmenté, et des souches résistantes sont apparues (36) (Fonds
Africain de Développement, 1997).
Source : Rapport d’évaluation du Projet Energie de Manantali (Décembre 1997)
20
l’eau qui tienne compte de tous les usagers, comportant des directives précises
et contraignantes, les paysans de la Vallée seront encore une fois les perdants,
et cette fois de manière définitive. Une fois que la gestion du barrage aura été
transférée par la SOGEM à un opérateur privé, avec un contrat garantissant un
certain niveau de production d’électricité et pénalisant les Etats en cas de non-
respect, les priorités de gestion du barrage ne pourront plus être modifiées.
21
composantes : le débit naturel du Bakoye et de la Falémé, et le complément
qu’il faudra prélever de la réserve de Manantali. En pratique, la crue artificielle
résulte des lâchers d’eau de la retenue de Manantali calculés sur la base des
apports des affluents non régularisés, afin de fournir à Bakel le débit requis.
Elle est donc d’autant plus forte que l’hydraulicité du Bakoye et de la Falémé
est faible. Toutes ces dernières années depuis la mise en service du barrage de
Manantali, où le débit du fleuve a été faible ou moyen, ce sont les lâchers d’eau
de la retenue de Manantali qui ont constitué l’essentiel de la crue.
La gestion des réservoirs est actuellement assurée à partir des mesures de débit ou de
hauteur d’eau, sur le Bafing à l’entrée du réservoir de Manantali et sur le fleuve en aval des
confluents non régularisés. Ces mesures, collectées en temps réel, permettent la gestion des
réservoirs pendant la saison sèche. Mais l’absence de prévisions pluie-débit sur le bassin
versant des trois affluents du fleuve ne permet pas au gestionnaire de coordonner les lâchers
du barrage de Manantali avec les crues naturelles des affluents non régularisés.
22
crue retenu, de volume quasi-identique à celui sur lequel sont basées les
prévisions du PDRG, est défini au niveau de Bakel comme suit : Jour 0 : 0
m3/s, Jour 6 : 2.500 m3/s, Jour 11 : 2.500 m3/s, Jour 55 : 0 m3/s.
Sur la base des débits naturels pour la période 1970-93, qui correspondent
mieux à la réalité actuelle, le troisième mode de gestion envisagé donnerait les
résultats suivants (juxtaposés, pour permettre la comparaison, à ceux du régime
naturel du Fleuve, sans barrages) :
Deux années sur trois permettent les cultures Moins d’années permettent les cultures de
de décrue décrue
23
période étudiée), la majeure partie de l’eau passe dans les turbines et donc la
plupart des lâchers sont utilisables pour la production d’énergie. On envisage
pour les scénarios 1 et 3 les mêmes consignes de gestion, avec pour le scénario
3, deux consignes supplémentaires concernant la préservation du niveau du
réservoir de Manantali d’une part et la production d’électricité d’autre part.
Quand le niveau du réservoir est inférieur ou égal à 195 mètres, les lâchers
sont limités en fonction des priorités établies. En ce qui concerne la production
d’électricité, on lâche un débit permettant de produire 90 MW si le niveau du
réservoir est supérieur à 182 mètres, ou le maximum productible si le niveau
dépasse le seuil de déversement du barrage.
A noter cependant que contrairement à ce qui est préconisé dans les termes de
référence, il n’a pas été possible de mettre en place pour la crue de 1997 un
système permettant de prévoir 10 jours à l’avance les débits sur le haut bassin
(Bakoye et Falémé). Le soutien de crue à date mobile n’a donc pas pu être
effectué, alors que, comme le reconnaît le rapport de l’IRD, il « permet une
meilleure production électrique que le soutien à date fixe. De plus il est
accompagné d’une fréquence de crue « correcte » toujours supérieure à celle du
régime naturel. »
24
Reste un problème essentiel, qui se situe au-delà de considérations techniques.
En effet, pour que le soutien de crue se fasse selon les critères énoncés, il ne
suffit pas que les conditions techniques soient réunies (on a vu qu’elles ne le
sont pas encore) : il faut aussi qu’il y ait la volonté politique d’assurer ce
soutien, et que l’opérateur auquel sera confiée la gestion de Manantali ait reçu à
cette fin des consignes incontournables. Cette dernière condition devrait être
encore réalisable, puisque le recrutement de l’opérateur doit être précédé de la
finalisation par les Etats membres de l’OMVS, de la Charte des Eaux. Mais
rien ne permet de croire à l’existence de la volonté politique nécessaire. A tout
le moins, comme le note l’IRD en conclusion de son rapport de synthèse, après
avoir rappelé que « la crue artificielle constitue un enjeu environnemental,
humain et économique », « il reste une incertitude ambiante sur la volonté des
pays partenaires à maintenir sur le long terme cette crue artificielle » (IRD
1998).
La « mise en valeur » du Fleuve n’en a pas été une. Elle n’a pas créé de
prospérité, hormis quelques enclaves artificielles. La rentabilisation des
barrages semble plus lointaine que jamais. En l’absence d’investissements
massifs pour le moins improbables, elle ne se fera pas par l’agriculture
irriguée, et repose donc sur le seul Projet Energie. Peut-on même parler encore
de rentabilisation, lorsque pour assurer le service d’une dette qui ne sera jamais
remboursée, on en contracte une autre, en ce qui n’est plus un cercle, mais une
spirale vicieuse ?
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création de l’OMVS, n’autorisait jusqu’ici à penser que les responsables
puissent se remettre en question.
Si l’agriculture de la Vallée est en crise, n’est-ce pas en grande partie parce que
les paysans, éleveurs et pêcheurs de la Vallée n’ont pas participé aux décisions
concernant leur avenir ? De récentes élections au Sénégal ont consacré pour la
première fois l’alternance, en portant au pouvoir un nouveau président issu de
l’opposition. On ignore encore dans la Vallée si son équipe mènera une autre
politique. En attendant de savoir, il est permis d’espérer.
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REFERENCES
Hollis, G.E. (1990) The Senegal River Basin monitoring activity : Hydrological
issues, parts I and II. Institute for Development Anthropology, Binghamton,
NY.
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IRD-OMVS (1999) Impacts potentiels de la gestion des ouvrages et des eaux
de surface du Fleuve Sénégal sur l’agriculture de décrue. Summary report,
provisional draft. OMVS, Dakar.
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