Maitgarc,+075 098 FR
Maitgarc,+075 098 FR
Maitgarc,+075 098 FR
https://dx.doi.org/10.5209/anqe.75294
Résumé. Cette étude a pour but d’analyser l’arabe algérien, qui, malgré sa constante évolution comparée
à la langue arabe standard et la langue française, n’est toujours pas reconnu comme langue officielle,
mais plutôt comme langue maternelle. De ce fait, il est essentiel de réaliser une étude descriptive-
quantitative, afin de comprendre cette réalité linguistique. Ce travail de recherche vise, donc, à
contextualiser la sociolinguistique d’une part mais aussi à réaliser une étude d’analyse à travers un
questionnaire de recueil des préférences linguistiques des algériens. Les résultats obtenus nous
permettent d’identifier les domaines dans lesquels l’arabe algérien est le plus utilisé et à proposer des
recommandations pour la planification de la politique linguistique en Algérie.
Mots-clés: arabe algérien, sociolinguistique, politique linguistique, planification linguistique.
1
Institución: Universidad Pompeu Fabra
Email: [email protected]
ORCID: 0000-0002-9700-8257
2
Institución: Universidad de Granada
Email: [email protected]
ORCID: 0000-0002-3066-8082
order to understand this linguistic situation. This research work therefore aims not only to contextualize
sociolinguistics but also to carry out an analytical study through a questionnaire to collect the linguistic
preferences of the Algerian people. The results obtained allow us to identify the areas in which the
dialect is most used and help to improve the planning of language policy in Algeria.
Key words: Algerian Arabic, sociolinguistics, linguistic policy, linguistic planning.
Cómo citar: Kerras, Nassima et Baya Essayahi, Moulay-Lahssan (2022), « L’évolution des dialectes
arabes: étude sociolinguistique et quantitative (le cas de l’Algérie) », Anaquel de Estudios Árabes,
33, 75-98
1. Introduction
L’usage de la langue mère en Algérie est en constante évolution. Chose qui suscite
notre intérêt aujourd’hui et nous pousse à étudier et analyser cette émergence lin-
guistique.
Une étude sociolinguistique se réalise afin d’observer l’évolution de l’arabe algé-
rien au sein de la société. Ce dernier a existé depuis l’arabisation initiale, mais l’évo-
lution de l’écriture est un fait récent (Mansouri)3.
Dans cet article, on s’intéresse à l’usage de l’arabe algérien dans la société algé-
rienne en comparaison avec l’usage de la langue arabe standard, qui est considérée
comme officielle, ainsi que la langue française qui reste omniprésente dans ce pays.
En effet, il est intéressant d’étudier la possibilité de la planification linguistique en
Algérie et les politiques linguistiques de ce pays. Pour ce, la sociolinguistique est
définie en premier lieu afin d’étudier la relation entre la société et l’usage de la
langue, suite à quoi la méthodologie de ce travail est définie et une étude pratique est
réalisée via un questionnaire, dans le but d’analyser la préférence linguistique des
algériens.
À cet effet, deux volets sont pris en considération : la théorie et la pratique, afin
d’arriver à expliquer les enjeux politiques et le manque de planification linguistique
en Algérie.
2. Sociolinguistique
La langue arabe est reconnue comme langue officielle dans la Constitution algé-
rienne et ce depuis son indépendance, cela dit, la langue utilisée quotidiennement par
la majorité des algériens est l’arabe algérien, une langue qui témoigne du brassage
culturel et patrimonial de ce pays.
Cependant, ce parler est considéré comme un dialecte à ce jour et n’a pas encore
gagné sa place officielle à côté de la langue arabe, et ce, à cause d’un manque de
planification linguistique dans le pays, un manque de recherche et surtout l’absence
3
MANSOURI, Nabil, (2020) “Algérie : quand les mouvements de contestation libèrent le dialecte algérien”,
Maghreb Emergent [En ligne]. Disponible : https://url2.cl/kzlIf [consulté le 27/01/2020].
Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98 77
de coordination entre les chercheurs et les politiciens ; ce qui crée par conséquent
une discrimination linguistique. La langue transmet une littérature, une culture, une
religion et définit également le pouvoir du pays. L’arabe algérien est présent dans
pratiquement toutes ces sphères, néanmoins, il n’est pas reconnu par le pouvoir algé-
rien. Comme le souligne Moreno Cabrera4 : “la force linguistique est basiquement la
force politique ”. Selon l’auteur, la langue affirme sa force grâce aux puissances
(l’usage par les marins, les aviateurs ou les créateurs de bombes atomiques ; sans
oublier l’extension de ses interlocuteurs).
L’arabe algérien est une langue présente dans ces domaines et partagée par près
de 43 millions d’utilisateurs, dont 15 millions sont amazighs, en plus de la diaspora
dans plusieurs pays, dont le nombre est estimé à plus de six millions. C’est la langue
naturelle que les algériens ont acquis dès la naissance, une hérédité génétique, et un
fait biologique et culturel. S’intéresser aux variantes linguistiques maternelles
(Hamdi et al.5) est devenu une nécessité permettant de comprendre les enjeux d’une
discrimination linguistique.
Dans cette analyse, nous observons les contextes d’usage de cette langue. Le
système phonétique de l’algérien est bien différent de la langue officielle (l’arabe). Il
en est de même pour la morphologie et la syntaxe (Kerras et Baya6). Cela est dû à
l’influence des langues qui ont existé dans ce pays, notamment la langue française
qui jouit d’un statut particulier et la langue amazighe qui est aussi reconnue comme
langue officielle du pays après une longue revendication des militants amazighs. En
plus des autres langues qui ont côtoyées l’arabe7, principalement l’espagnol et le
turc, qui ont laissé des couleurs variées et visibles dans l’arabe algérien, ce qui fait
que le système phonétique soit plus ample en comparaison avec l’arabe standard.
L’arabe algérien a des variantes consonantiques qui n’existent pas dans l’arabe stan-
dard ainsi que des variantes vocaliques très riches, et ce grâce au contact avec la
langue amazighe qui existe depuis des siècles, ces variantes sont aperçues principa-
lement au niveau syntaxique et morphologique.
L’Algérie a vécu depuis l’aube des temps un métissage culturel et linguistique
important dont l’impact reste à ce jour vivant. Cela est présent dans les pratiques
linguistiques et culturelles des citoyens (Salhi8 ; Chachou9) qui utilisent une langue
hybride.
C’est une langue utilisée par un nombre élevé d’utilisateurs dans la majorité des
sphères de la vie et est considérée comme dialecte de nos jours, ce qui crée une dis-
crimination envers la langue mère, et nous pousse à nous poser la question suivante :
Existe-t-il une préférence entre les deux langues qui justifierait la non-officialisation
4
MORENO CABRERA, Juan Carlos, La dignidad e igualdad de las lenguas, Madrid 2016, p. 59.
5
HAMDI, Ahmed, et al, “Un système de traduction de verbes entre arabe standard et arabe dialectal par analyse
morphologique profonde”, TALN-Récital (2013), pp. 395-406.
6
KERRAS, Nassima et BAYA ESSAYAHI, Moulay Lahssan, “L’arabe standard et l’algérien : une approche so-
ciolinguistique et une analyse grammaticale”, Ikala 24,3 (2019), pp. 651-665.
7
BENALI, Ismaël, “La Prosodie du focus dans les parles algérois et oranais”, Actes de la conférence conjointe
JEP-TALN-RECITAL 1 (2016), pp. 554-562.
8
SALHI, Salah Eddine, Aproximación a un estudio paremiológico: similitud y equivalencia entre el refrán es-
pañol y el refrán argelino, Oran, 2010.
9
CHACHOU, Ibtissem, “Repenser le champ conceptuel de la sociolinguistique maghrébine à la lumière des
impératifs du terrain : le cas du concept de citadinité”, Revue d’Histoire de l’Université de Sherbrooke 4.1
(2012), pp. 1-18.
78 Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98
L’arabe classique ne s’est pas beaucoup altéré au cours des siècles (Khelef11), en
revanche, l’arabe algérien continue à évoluer constamment. Il est évident que plu-
sieurs variantes coexistent dans le même pays, mais cela a toujours existé et dans
tous les pays du monde, une standardisation est possible afin de choisir le dialecte de
la capitale, par exemple, qui est compris par la majorité des interlocuteurs, grâce aux
médias. Comme le souligne Rau12, chaque pays a une diversité de variantes linguis-
tiques et c’est le cas de l’Algérie :
Un des traits les plus remarquables de la Grèce antique est le degré extraordinaire
de la diversité dialectale qui est attestée pour la langue grecque, telle qu’elle était
parlée en Grèce, en Asie Mineure, dans la mer Egée, et plus largement dans la mer
Méditerranée13.
L’arabe algérien peut atteindre un certain prestige social et académique s’il est
considéré comme langue officielle. À partir de ce moment, une récolte littéraire peut
être entamée et une production en même temps afin d’enrichir cette langue qui trans-
met un héritage historique, une richesse culturelle et l’identité de son utilisateur.
Il est primordial de citer l’importance de la langue amazighe et ses variétés en
Algérie. Le kabyle, le chaoui, le mozabite, le targui et le tachelhit constituent un
panorama complexe et intéressant du point de vue sociolinguistique. Baktache14 at-
teste que le territoire algérien présente une multitude de variétés linguistiques dont
la langue berbère, qui a été marginalisée durant des années, et qui a gagné du terrain
petit à petit jusqu’à son officialisation en 2016. Les variétés de la langue amazighe
ont une importance au sein de la société, pratiquée par des interlocuteurs de plusieurs
régions en Algérie.
Néanmoins, cette analyse se concentre sur l’arabe algérien, laissant la langue
amazighe pour un travail postérieur étant donné que c’est une langue à part entière
qui exige une analyse profonde. Son importance est palpable compte tenu du contact
quotidien avec l’arabe algérien et son influence sur le vocabulaire en termes de lexi-
10
MORENO CABRERA, Juan Carlos, La dignidad e igualdad, p. 59. (Traduction de l’espagnol).
11
KHELEF, Fatma, “Evolution ethnique et dialectes du Maghreb”, Synergies 8 (2011), pp.- 19-32.
12
RAU, Jeremy, “ Dialectes et histoire de la langue grecque”, École Pratique des Hautes Études 149 (2018), pp.
428-430.
13
RAU, Jeremy, “Dialectes et histoire”, p. 428.
14
BEKTACHE, Mourad, “Officialisation de la langue amazighe en Algérie : impact sur les attitudes et représen-
tations sociolinguistiques de quelques locuteurs algériens”, Multilinguales 10 (2018), pp. 1-9.
Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98 79
cographie (Kerras & Baya15). Même si des lacunes existent au niveau de l’aménage-
ment linguistique en Algérie, l’amazigh a effectué un grand pas vers sa normalisation
(Aït Mimoune & Chalah16). Les variétés berbères ne sont pas les seules variétés
marginalisées, puisque plusieurs langues ne sont pas officialisées dans le monde et
sont considérées comme irrégulières.
On a toujours considéré les variétés linguistiques comme irrégulières par rapport
à la langue officielle, mais cette explication ne se base pas sur des faits scientifiques,
car plusieurs dialectes de langues diverses sont devenus lettrés une fois reconnus
par les politiciens, comme le souligne Moreno Cabrera17 « On définit le dialecte ou
la variété linguistique comme inculte, par rapport à la langue, illettrée, variable, ir-
régulière, quand la langue est considérée comme culte, lettrée, constante et régulière
». Cette définition est une considération volontaire, une fois qu’on la considère
comme langue officielle, le dialecte devient lettré. Le dialecte est régulier même
sans être la langue officielle, du point de vue phonétique, morphologique, syn-
taxique et sémantique.
L’un des problèmes linguistiques rencontrés en Algérie est la guerre déclarée
entre les défenseurs de l’amazighisation, les défenseurs de l’arabisation et les défen-
seurs de la darijisation, minorité naissante (El Maadani18). L’auteur la considère
comme minorité, alors que les utilisateurs sont une grande majorité, et cela se
constate dans les manifestations qui se sont déroulées en 2019 en Algérie afin d’ex-
primer le désir d’un changement politique et l’espoir d’une éventuelle reconstruction
du pays, en utilisant la langue qui leur parle particulièrement. Nous constatons dans
ce cas-là que la préférence tend vers l’algérien (Sidi Boumedine19) et les langues
amazighes dans les régions berbères.
Effectivement, les slogans chantés et les pancartes portées par les algériens dans
cette étape décisive de leurs vies sont majoritairement écrits en arabe algérien, et cela
prouve l’importance et la nécessité de transmettre les sentiments en langue mater-
nelle. Par conséquent, il est évident que le l’arabe algérien s’écrit et permet aux in-
terlocuteurs de communiquer leurs connaissances et expériences ; et grâce à l’écri-
ture la langue évolue et impose encore plus le besoin de définir des règles
grammaticales (Kerras et Baya20), ainsi que la création de dictionnaires. Même si les
règles grammaticales de l’arabe algérien sont définies depuis longtemps, il est pri-
mordial de réaliser des recherches afin d’accompagner leurs évolutions. Dans ce
même sens, Moreno Cabrera21 atteste que la capacité de transmettre la culture la rend
immense et cela est possible grâce à l’écriture et la création de dictionnaires. Et
même si on remarque déjà la naissance de quelques dictionnaires ces dernières an-
15
KERRAS, Nassima et BAYA ESSAYAHI, Moulay Lahssan, “A Sociolinguistic Comparison between Algerian
and Maltese”, European Scientific Journal 13 (2017), pp. 38-39.
16
AÏT MIMOUNE, Ourida et CHALAH, Seïdh, “L’enseignement de la langue « tamazight/berbère » (en Algérie
de 1995 à 2011) et ses effets/conséquences sur l’insécurité linguistique des apprenants”, Éla 175 (2014), pp.
303-316.
17
MORENO CABRERA, Juan Carlos, La dignidad e igualdad, p. 73. (Traduction de l’espagnol).
18
EL MAADANI, Selma, L’évolution des parlers au Maroc : le dialecte marocain progresse, mais reste à Stan-
dardiser. Rabat 2015, p. 6.
19
SIDI BOUMEDINE, Rachid, Aux sources du Hirak, Algérie 2019, pp. 31-35.
20
KERRAS, Nassima et BAYA ESSAYAHI, Moulay Lahssan, “Langue et identité algérienne : étude et analyse du
texte audiovisuel et le sous-titrage”, Dirasat : Human and Social Science (2020), pp. 457-470.
21
MORENO CABRERA, Juan Carlos, La dignidad e igualdad, p. 198.
80 Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98
L’emprunt dont on fait souvent référence est un fait ordinaire dans une société en
contact avec d’autres langues. En effet, chaque pays a son histoire et cela se reflète
dans les pratiques langagières. Le frottement des idiomes a toujours existé comme
l’explique Khelef : « La pertinence de l’emprunt est justifiée par le dessein de com-
bler un vide linguistique ou par le souci d’une économie de langage ou encore pour
exprimer des raisons psychologiques (exotisme, snobisme, ...) »29.
Ferrando30 considère que les variantes sont indépendantes de l’arabe standard,
même si elles témoignent de la descendance commune d’un hypothétique ancêtre, le
proto-arabe. Est-il possible de considérer l’arabe algérien comme langue irrégulière
car on ne décline pas les mots ? Peut-on la décliner et la considérer comme une dé-
formation de la langue arabe ? Ou cela est juste une évolution comme l’ont vécu
d’autres langues :
Le français a continué d’évoluer aux XIII et XIV siècles, les déclinaisons dispa-
raissant peu à peu. Rappelons, qu’héritées du latin, les déclinaisons correspondent
22
TADJIR, Said, (2012) “Dictionnaire algérien-français”, Lexilogos [En ligne]. Disponible
https://url2.cl/lbD3Z [consulté le 01/01/2020].
23
AZIRI, Mohamed Nazim, Dictionnaire des locutions de l’arabe dialectal algérien. Algérie 2012.
24
BEAUSSIER, Marcelin et BEN CHENEB, Mohammed et LENTIN, Albert, Dictionnaire pratique arabe –
français : arabe maghrébin. France 2006.
25
MADOUNI – LAPEYRE, Jihane, Dictionnaire arabe algérien – français : Algérie de l’ouest. France : 2003.
26
PRUVOST, Jean, La langue française : une longue histoire riche d’emprunts. France 2018, p. 1.
27
PRUVOST, Jean, La langue française, p. 2.
28
PRUVOST, Jean, La langue française, p. 5.
29
KHELEF, Fatma, “Evolution ethnique”, p. 29.
30
FERRANDO, Ignacio, Introducción a la lengua árabe. Nuevas perspectivas. Espagne 2001.
Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98 81
Ce n’est pas un travail compliqué, car les cours en Algérie se font partiellement
en algérien. La langue véhiculaire en classe est l’arabe algérien, même si le profes-
seur doit donner son cours en arabe standard au primaire. L’arabe algérien reste un
pont de communication surtout à l’école primaire et au secondaire.
L’étape primordiale est de fixer la grammaire et préparer un corps d’enseignant
afin de transmettre ces bases (Kerras et Baya39). De ce fait, la standardisation de
31
PRUVOST, Jean, La langue française, p. 6-7.
32
KERRAS, Nassima et BAYA ESSAYAHI, Moulay, Lahssan, “A sociolinguistic comparaison between Algerian
and Maltese”, European Scientific Journal 13, 2 (2017), p. 38.
33
PRUVOST, Jean, La langue française, p. 16.
34
EL MAADANI, Selma, L’évolution des parlers, pp. 3-4.
35
KERRAS, Nassima et BAYA ESSAYAHI, Moulay Lahssan, “L’arabe standard et l’algérien”.
36
MOSCOCO GARCIA, Francisco, Literatura oral de Touggourt, México 2015.
37
KERRAS, Nassima et BAYA ESSAYAHI, Moulay Lahssan, “Les proverbes algériens et les proverbes arabes :
une étude sociolinguistique et parémiologique”, Paremia 27 (2018), pp. 187-200.
38
EL MAADANI, Selma, L’évolution des parlers au Maroc, p. 41.
39
KERRAS, Nassima et BAYA ESSAYAHI, Moulay Lahssan, “L’arabe standard et l’algérien”, p. 664.
82 Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98
Martinet (1991 : 173) semble adhérer lorsqu’il déclare : l’évolution d’une langue
est sous la dépendance de l’évolution des besoins communicatifs du groupe qui
l’emploie. Bien entendu, l’évolution de ces besoins est en rapport direct avec
l’évolution intellectuelle, sociale et économique de ce groupe41.
Cette évolution n’est pas unique, car toutes les langues passent par cette difficul-
té. Néanmoins, il n’est pas impossible de standardiser une langue, comme le souligne
Pruvost42 : “La presse en plein développement standarise peu à peu la langue fran-
çaise à l’échelle du pays tout en accompagnant l’évolution quotidienne du lexique au
contact des nouvelles réalités”.
La presse est en train d’utiliser l’arabe algérien timidement en parallèle à l’arabe
standard, un pas en avant qui aide l’usage de cette langue dans les sphères officielles
de l’état. C’est un pas crucial qui démontre l’importance de l’usage de cette langue.
Il est possible de comparer notre situation à la langue luxembourgeoise qui était
la langue véhiculaire de toutes les couches sociales. Elle a été introduite en 1912,
toutefois seulement de façon marginale, comme matière dans l’enseignement pri-
maire. Le but était la conservation d’un patrimoine culturel qui d’ailleurs n’était pas
encore standardisé et reconnu comme tel par les gens éduqués (Rau43). Cela, dé-
montre que la standardisation se fait graduellement.
Une fois que l’arabe algérien a sa place dans les médias, une fois que les cher-
cheurs font pressions pour démontrer la nécessité d’enseigner la langue mère, elle
sera certainement introduite comme matière secondaire, puis, essentielle, afin d’en-
seigner la culture et la littérature de ce pays. Enfin, la diffusion se fera petit à petit à
l’échelle nationale.
Pour que l’enseignement devienne efficace, il est primordial de modifier nos atti-
tudes envers la langue, car l’usage et la maîtrise d’une langue mère est une obligation
dans un pays. Il est nécessaire de décoder la langue et de créer un débat entre cher-
cheurs afin d’établir les règles orthographiques et grammaticales. On cite comme
exemple le publicitaire Noureddine Ayouch44 qui offre à l’arabe marocain ses lettres
40
ALBALAWI, Ibrahim, “Evolution de la langue arabe : étude sociolinguistique”, Synergie 4 (2007), pp. 123-139.
41
ALBALAWI, Ibrahim, “Evolution de la langue arabe”, p. 121.
42
PRUVOST, Jean, La langue française, p.17.
43
RAU, Jeremy, “Dialectes et histoire”, p. 2.
44
AIT AKDIM, Youssef. “Noureddine Ayouch, l’homme qui offre à l’arabe marocain ses lettres de noblesse”, Le
Monde (2017).
Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98 83
3. Méthodologie
45
SAADANE, Houda, et al. “Une approche linguistique pour la détection des dialectes arabes”, TALN 2 (2017),
pp. 242-250.
46
ALBALAWI, Ibrahim, “Evolution de la langue arabe”.
47
COUPLAND, Nicolas, “Style: Language Variation and Identity”, Applied Linguistics 30.1 (2007), pp. 144-147.
84 Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98
L’objectif de cette étude quantitative est de mesurer les comportements des utilisa-
teurs de la Darija en Algérie. Les études quantitatives font partis des fondements de
l’analyse théorique en sociolinguistique afin d’arriver à définir quantitativement les
notions linguistiques, comme l’explique Moreux :
A cet effet, un questionnaire a été formulé afin d’analyser l’usage des langues en
Algérie et la préférence des utilisateurs. Un questionnaire mixte a été établi sur Google
Drive afin de connaître la préférence des Algériens au moment des interactions : https://
bit.ly/36PvoI2. Les participants avaient à leurs dispositions une série de questions, ayant
des réponses fermées et la possibilité de répondre librement à la question à travers la
case “autre”. Aucune référence bibliographique n’a été mise à leurs dispositions.
Le formulaire a été adressé à la totalité des citoyens algériens sans distinction,
indépendamment de leurs préférences linguistiques ou origines ethniques. Aucune
ville n’a été visée, la participation a été spontanée et sans critères spécifiques. Les
locuteurs des dialectes berbères font parties des citoyens algériens qui ont participés
également, sachant que l’étude porte sur l’arabe algérien spécifiquement, et n’ana-
lyse pas la langue amazighe en particulier.
48
LEROUX, Jean, “Langage et pensée chez W. Von Humboldt”, Philosophiques 33.2 (2006), p. 380.
49
LEROUX, Jean, “Langage et pensée chez W. Von Humboldt”, p. 382.
50
TALEB IBRAHIMI, Khaoula, l’Algérie Plurilingüe, ses expressions et ses identités culturelles. Rennes 2009.
51
MOREUX, Bernard, “L’utilisation des méthodes quantitatives en linguistique grecque et latine”, L’antiquité
classique 51 (1982), p. 293.
Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98 85
Cette étude s’est réalisée entre le mois de novembre 2019 et janvier 2020 et a
permis la récolte de 58 réponses (Voir graphique 1 et 2). Il est à noter que les ques-
tions portant sur les préférences linguistiques dans chaque domaine étaient à choix
multiples, ce qui permet de donner plus de visibilités aux langues les plus fréquem-
ment utilisées sans léser les autres. Les résultats à ces questions seront visibles sur
les graphes suivants.
Les réponses obtenues nous ont permis d’avoir les résultats présentés sur le
graphique 3 et indiquent que la langue la plus répandue dans les interactions dans
le secteur médical est la langue française (79%-84%), suivi du dialecte algérien
(56%-62%), et que la langue arabe est utilisée par une minorité des interlocuteurs
(5%-8%).
86 Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98
Par ailleurs, les résultats concernant la langue la plus utilisée dans les interac-
tions dans les institutions académiques affirment que le dialecte algérien est utilisé à
(57%), et la langue française à (68%-70%), alors que l’arabe standard est utilisé à
seulement (37%-50%) (Voir graphique 5).
88 Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98
Il en est de même pour les résultats concernant la langue la plus utilisée dans les
interactions dans le domaine professionnel qui indiquent que le dialecte algérien est
le plus répandu (69%-74%), suivi de la langue française (67%-70%), et que la langue
arabe est utilisée par une minorité des interlocuteurs (5%-8%) (Voir graphique 6).
Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98 89
Il est observé de la même manière que les interactions dans le secteur mar-
chand mettent en évidence que le dialecte algérien est le plus répandu (53%-54%),
suivi de la langue française (15%), et que la langue arabe est utilisée par une mino-
rité des interlocuteurs (3%-5%) (Voir graphique 9).
92 Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98
Pour finir, les résultats concernant la langue la plus utilisée dans les interactions
formelles affirment que la langue française (65%-70%) est la plus utilisée, suivi du
dialecte algérien (51%-56%), et enfin l’arabe standard en dernier lieu (15%-
20%) (Voir graphique 11).
94 Kerras, N. ; Baya Essayahi, M.-L. Anaquel estud. árabes 33 (2022): 75-98
5. Conclusion
La discussion logique qui découle de notre étude dans ces pages est la forte utilisa-
tion de l’arabe algérien dans tous les domaines de la vie. Une langue qui est en
constante évolution et dynamisme, que les chercheurs doivent préciser davantage.
La langue est malléable au niveau phonétique et syntaxique grâce aux frictions avec
les autres langues qui l’ont côtoyé (arabe, amazighe, français, espagnol et turc prin-
cipalement), et grâce à l’usage volontaire ou involontaire des interlocuteurs. Cette
réalité se reflète dans l’usage linguistique qui engendre une forte relation entre la
langue et la culture dont Humboldt fait référence.
Le questionnaire réalisé dans cette recherche démontre la forte utilisation de
l’arabe algérien en comparaison avec l’arabe standard et la langue française. Il est à
préciser que la langue amazighe n’a pas été prise en considération étant donné la
complexité de ses variantes, d’où la nécessité de lui consacrer un chapitre à part.
Neufs secteurs ont été pris en considération afin d’observer la langue la plus uti-
lisée en Algérie. Premièrement, les langues utilisées dans le secteur médical dé-
montrent que la langue française (79%-84%) est fortement utilisée, suivi de l’arabe
algérien (56%-62%). Le deuxième exemple illustre les langues utilisées à l’heure de
la communication dans les administrations et comme résultat il est constaté que
l’arabe algérien est le plus pratiqué (94%-94.8%) suivi de la langue française (27%-
32%). Les institutions académiques quant à elles révèlent l’usage de la langue fran-
çaise en premier lieu (68%-70%), suivi de l’arabe algérien (56%-57%) et pour finir
l’arabe standard (37%-50%) qui obtient un pourcentage important également. Le
résultat est inversé dans le domaine professionnel où l’arabe algérien dépasse les
deux autres langues (74%), même si le français le suit de justesse (67%-70%). Ainsi,
les statistiques révèlent que les citoyens algériens utilisent fortement l’arabe algérien
(91%-96%) pour les interactions quotidiennes. De même il en est pour le secteur
bancaire (74%-75%) : même si le français reste présent (58%-59%), le secteur mar-
chand prouve également que l’arabe algérien est utilisé par la majorité des membres
de la société (91%-93%). Ce pourcentage est similaire aux résultats obtenus pour les
interactions amicales où l’arabe algérien est prédominant (91%-93%), même si les
locuteurs utilisent les autres langues à des degrés différents. Pour ce qui est des inte-
ractions formelles, il est habituel d’utiliser la langue française (56%-70%) jusqu’à
nos jours même si l’arabe algérien est présent (30%-56%).
L’étude pratique démontre la forte utilisation de l’arabe algérien dans tous les
secteurs de la vie quotidienne et ce par un pourcentage élevé de locuteurs (Il est à
noter que la diaspora n’a pas été prise en compte). L’arabe algérien pour sa
part est fortement utilisé par les migrants et sa transmission dans le foyer est primor-
dial, ainsi, il est indispensable de préserver la langue et l’identité au sein du cercle
familial algérien dans tous les pays du monde (Ouhassine53). L’apprentissage de cette
langue est nécessaire pour la communication au sein de la famille même si les utili-
sateurs appartenant à la troisième génération dominent d’autres langue comme le
français, par exemple. De même, le questionnaire n’a pas atteint la totalité des ci-
toyens vue qu’il a été transmis en ligne et a donc touché que l’échantillon maitrisant
OUHASSINE, Chahrazed Meryem, “La transmission familiale de la langue d’origine en contexte d’immigra-
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l’outil informatique, malgré ces contraintes les résultats prouvent nettement l’utilisa-
tion de cette langue dans tous les domaines, ce qui souligne la nécessité de l’étudier
et la reconnaitre comme langue nationale et officielle.
Des recherches et dictionnaires doivent être établis afin de démontrer son dyna-
misme. Même si une planification linguistique est absente dans un pays où d’autres
priorités règnent, il est nécessaire de la part des chercheurs de se mobiliser afin de
créer des débats, décoder la langue, et créer des dictionnaires. De cette manière, la
seule tâche qui reste aux politiciens est de créer une loi pour définir sa mise œuvre et
lui donner un caractère officiel, ainsi que les modalités de son intégration dans l’en-
seignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique, et ce, afin de lui
permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle (El Hadrati54). Peu de
négociations ont été faites et aucune politique linguistique n’a été établie ; même si
l’ancienne ministre de l’Éducation Nationale (Nouria Benghebrite) a pris des initia-
tives dans ce sens-là ; la porte n’a pas été ouverte à ses propositions durant son
mandat (Kerras et Baya55).
La promotion et le développement de l’arabe algérien sont patronnés principale-
ment par les utilisateurs algériens dans le pays. Les programmes culturels sont pré-
sentés en arabe algérien et sont suivis par un pourcentage élevé des citoyens. Pour
ces raisons, la recherche dans ce domaine est importante et permet de contribuer à la
préservation de cette langue si riche qui fait partie du patrimoine algérien. Pour ce
fait, une coordination entre chercheurs est primordiale au sein du pays.
Nous insistons sur l’institutionnalisation de la langue algérienne, pour lui donner
un aspect officiel, un caractère légal, et surtout pour permettre l’enseignement d’une
langue mère en parallèle avec l’arabe standard. Malgré les variantes régionales en
Algérie la langue est homogène, elle mérite une rationalité. Il est donc important
d’assurer un aménagement linguistique et de dépasser ce malaise linguistique. Pour
finir, il est rappelé que l’arabe est une langue tout aussi importante et nous devons la
maitriser parallèlement à la langue mère.
La langue arabe standard peut coexister à côté de la langue mère et son statut
symbolique peut persister, comme a toujours été le cas jusqu’à nos jours. Il ne s’agit
pas d’éliminer une langue et la remplacer par une autre. Il s’agit de reconnaître la
langue nationale ou la langue mère comme langue officielle, et cela permet de dimi-
nuer le taux d’analphabétisme et de suivre le cours sociolinguistique de la société en
question.
Références bibliographiques
AIT AKDIM, Youssef. “Noureddine Ayouch, l’homme qui offre à l’arabe marocain ses lettres
de noblesse”, Le Monde (2017).
AÏT MIMOUNE, Ourida et CHALAH, Seïdh, “L’enseignement de la langue « tamazight/
berbère » (en Algérie de 1995 à 2011) et ses effets/conséquences sur l’insécurité linguis-
tique des apprenants”, en Éla 175 (2014) 303-316.
EL HADRATI, Latifa, Le plurilinguisme, quel avenir pour les jeunes marocains ? Maroc 2010, p. 1-35.
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KERRAS, Nassima et BAYA ESSAYAHI, Moulay Lahssan, “Reflexión sobre el uso de la lengua argelina:
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