Qu'est-Ce Que Les Lumières
Qu'est-Ce Que Les Lumières
Qu'est-Ce Que Les Lumières
»
— Foucault, Michel. « Qu’est-ce que les Lumières ? » in Dits et Ecrits, tome IV, 1984, 562-578.
De nos jours, quand un journal pose une question à ses lecteurs, c’est pour leur demander leur
avis sur un sujet où chacun a déjà son opinion: on ne risque pas d’apprendre grand‑chose. Au
XVIIIème siècle, on préférait interroger le public sur des problèmes auxquels justement on n’avait
pas encore de réponse. Je ne sais si c’était plus efficace; c’était plus amusant.
Texte mineur, peut-être. Mais il me semble qu’avec lui entre discrètement dans l’histoire de la
pensée une question à laquelle la philosophie moderne n’a pas été capable de répondre, mais dont
elle n’est jamais parvenue à se débarrasser. Et sous des formes diverses, voilà deux siècles
maintenant qu’elle la répète. De Hegel à Horckheimer ou à Habermas, en passant par Nietzsche ou
Max Weber, il n’y a guère de philosophie qui, directement ou indirectement, n’ait été confrontée à
cette même question : quel est donc cet événement qu’on appelle l’Aufklärung et qui a déterminé,
pour une part au moins, ce que nous sommes, ce que nous pensons et ce que nous faisons aujourd’hui?
Imaginons que la Berlinische Monatsschrift existe encore de nos jours et qu’elle pose à ses lecteurs
la question: « Qu’est‑ce que la philosophie moderne? »; peut‑être pourrait‑on lui répondre en écho :
la philosophie moderne, c’est celle qui tente de répondre à la question lancée, voilà deux siècles,
avec tant d’imprudence: Was ist Aufklärung?
Arrêtons‑nous quelques instants sur ce texte de Kant. Pour plusieurs raisons, il mérite de retenir
l’attention.
1) À cette même question Moses Mendelssohn, lui aussi, venait de répondre dans le même
journal, deux mois auparavant. Mais Kant ne connaissait pas ce texte quand il avait rédigé le sien.
Certes, ce n’est pas de ce moment que date la rencontre du mouvement philosophique allemand
avec les nouveaux développements de la culture juive. Il y avait une trentaine d’années déjà que
Mendelssohn était à ce carrefour, en compagnie de Lessing. Mais jusqu’alors, il s’était agi de donner
droit de cité à la culture juive dans la pensée allemande ‑ ce que Lessing avait tenté de faire dans
Die Juden [2] ‑ ou encore de dégager des problèmes communs à la pensée juive et à la philosophie
allemande: c’est ce que Mendelssohn avait fait dans les Entretiens sur l’immortalité de l’âme [3].
Avec les deux textes parus dans la Berlinische Monatsschrift, l’Aufklärung allemande et l’Haskala
juive reconnaissent qu’elles appartiennent à la même histoire; elles cherchent à déterminer de quel
processus commun elles relèvent. Et c’était peut‑être une manière d’annoncer l’acceptation d’un
destin commun, dont on sait à quel drame il devait mener.
Ce n’est certainement pas la première fois que la pensée philosophique cherche à réfléchir sur
son propre présent. Mais, schématiquement, on peut dire que cette réflexion avait pris jusqu’alors
trois formes principales
‑ on peut représenter le présent comme appartenant à un certain âge du monde, distinct des
autres par quelques caractères propres, ou séparé des autres par quelque événement dramatique.
Ainsi dans Le Politique de Platon, les interlocuteurs reconnaissent qu’ils appartiennent à l’une de
ces révolutions du monde où celui‑ci tourne à l’envers, avec toutes les conséquences négatives que
cela peut avoir;
‑ on peut aussi interroger le présent pour essayer de déchiffrer en lui les signes annonciateurs
d’un événement prochain. On a là le principe d’une sorte d’herméneutique historique dont Augustin
pourrait donner un exemple;
‑ on peut également analyser le présent comme un point de transition vers l’aurore d’un monde
nouveau. C’est cela que décrit Vico dans le dernier chapitre des Principes de la philosophie de
l’histoire [4] ; ce qu’il voit « aujourd’hui », c’est « la plus complète civilisation se répandre chez les
peuples soumis pour la plupart à quelques grands monarques »; c’est aussi « l’Europe brillant d’une
incomparable civilisation », abondant enfin « de tous les biens qui composent la félicité de la vie
humaine ».
Or la manière dont Kant pose la question de l’Aufklärung est tout à fait différente ‑ ni un âge
du monde auquel on appartient, ni un événement dont on perçoit les signes, ni l’aurore d’un
accomplissement. Kant définit l’Aufklärung d’une façon presque entièrement négative, comme une
Ausgang, une « sortie », une « issue ». Dans ses autres textes sur l’histoire, il arrive que Kant pose
des questions d’origine ou qu’il définisse la finalité intérieure d’un processus historique. Dans le
texte sur l’Aufklärung, la question concerne la pure actualité. Il ne cherche pas à comprendre le
présent à partir d’une totalité ou d’un achèvement futur. Il cherche une différence: quelle différence
aujourd’hui introduit‑il par rapport à hier?
3) Je n’entrerai pas dans le détail du texte qui n’est pas toujours très clair malgré sa brièveté.
je voudrais simplement en retenir trois ou quatre traits qui me paraissent importants pour
comprendre comment Kant a posé la question philosophique du présent.
Kant indique tout de suite que cette « sortie » qui caractérise l’Aufklärung est un processus qui
nous dégage de l’état de « minorité ». Et par « minorité », il entend un certain état de notre volonté
qui nous fait accepter l’autorité de quelqu’un d’autre pour nous conduite dans les domaines où il
convient de faire usage de la raison. Kant donne trois exemples : nous sommes en état de minorité
lorsqu’un livre nous tient lieu d’entendement, lorsqu’un directeur spirituel nous tient lieu de
conscience, lorsqu’un médecin décide à notre place de notre régime (notons en passant qu’on
reconnaît facilement le registre des trois critiques, bien que le texte ne le dise pas explicitement).
En tout cas, l’Aufklärung est définie par la modification du rapport préexistant entre la volonté,
l’autorité et l’usage de la raison.
Il faut aussi remarquer que cette sortie est présentée par Kant de façon assez ambiguë. Il la
caractérise comme un fait, un processus en train de se dérouler; mais il la présente aussi comme une
tâche et une obligation. Dès le premier paragraphe, il fait remarquer que l’homme est lui‑même
responsable de son état de minorité. Il faut donc concevoir qu’il ne pourra en sortir que par un
changement qu’il opérera lui‑même sur lui‑ même. D’une façon significative, Kant dit que cette
Aufklärung a une « devise » (Wahlspruch) : or la devise, c’est un trait distinctif par lequel on se fait
reconnaître; c’est aussi une consigne qu’on se donne à soi‑même et qu’on propose aux autres. Et
quelle est cette consigne? Aude saper, « aie le courage, l’audace de savoir ». Il faut donc considérer
que l’Aufklärung est à la fois un processus dont les hommes font partie collectivement et un acte de
courage à effectuer personnellement. Ils sont à la fois éléments et agents du même processus. Ils
peuvent en être les acteurs dans la mesure où ils en font partie; et il se produit dans la mesure où les
hommes décident d’en être les acteurs volontaires.
Une troisième difficulté apparaît là dans le texte de Kant. Elle réside dans l’emploi du mot
Menschheit. On sait l’importance de ce mot dans la conception kantienne de l’histoire. Faut‑il
comprendre que c’est l’ensemble de l’espèce humaine qui est prise dans le processus de
l’Aufklärung? Et dans ce cas, il faut imaginer que l’Aufklärung est un changement historique qui
touche à l’existence politique et sociale de tous les hommes sur la surface de la terre. Ou faut‑il
comprendre qu’il s’agit d’un changement qui affecte ce qui constitue l’humanité de l’être humain?
Et la question alors se pose de savoir ce qu’est ce changement. Là encore, la réponse de Kant n’est
pas dénuée d’une certaine ambiguïté. En tout cas, sous des allures simples, elle est assez complexe.
Kant définit deux conditions essentielles pour que l’homme sorte de sa minorité. Et ces deux
conditions sont à la fois spirituelles et institutionnelles, éthiques et politiques.
La première de ces conditions, c’est que soit bien distingué ce qui relève de l’obéissance et ce
qui relève de l’usage de la raison. Kant, pour caractériser brièvement l’état de minorité, cite
l’expression courante : « Obéissez, ne raisonnez pas » : telle est, selon lui, la forme dans laquelle
s’exercent d’ordinaire la discipline militaire, le pouvoir politique, l’autorité religieuse. L’humanité
deviendra majeure non pas lorsqu’elle n’aura plus à obéir, mais lorsqu’on lui dira: « Obéissez, et
vous pourrez raisonner autant que vous voudrez. » Il faut noter que le mot allemand ici employé est
räzonieren; ce mot, qu’on trouve aussi employé dans les Critiques, ne se rapporte pas à un usage
quelconque de la raison, mais à un usage de la raison dans lequel celle‑ci n’a pas d’autre fin qu’elle-
même; räzonieren, c’est raisonner pour raisonner. Et Kant donne des exemples, eux aussi tout à fait
triviaux en apparence : payer ses impôts, mais pouvoir raisonner autant qu’on veut sur la fiscalité,
voilà ce qui caractérise l’état de majorité; ou encore assurer, quand on est pasteur, le service d’une
paroisse, conformément aux principes de l’Église à laquelle on appartient, mais raisonner comme
on veut au sujet des dogmes religieux.
On pourrait penser qu’il n’y a là rien de bien différent de ce qu’on entend, depuis le XVI ème
siècle, par la liberté de conscience : le droit de penser comme on veut, pourvu qu’on obéisse comme
il faut. Or c’est là que Kant fait intervenir une autre distinction et la fait intervenir d’une façon assez
surprenante. Il s’agit de la distinction entre l’usage privé et l’usage public de la raison. Mais il ajoute
aussitôt que la raison doit être libre dans son usage public et qu’elle doit être soumise dans son usage
privé. Ce qui est, terme à terme, le contraire de ce qu’on appelle d’ordinaire la liberté de conscience.
Mais il faut préciser un peu. Quel est, selon Kant, cet usage privé de la raison? Quel est le
domaine où il s’exerce? L’homme, dit Kant, fait un usage privé de sa raison, lorsqu’il est « une pièce
d’une machine »; c’est‑à‑dire lorsqu’il a un rôle à jouer dans la société et des fonctions à exercer :
être soldat, avoir des impôts à payer, être en charge d’une paroisse, être fonctionnaire d’un
gouvernement, tout cela fait de l’être humain un segment particulier dans la société; il se trouve mis
par là dans une position définie, où il doit appliquer des règles et poursuivre des fins particulières.
Kant ne demande pas qu’on pratique une obéissance aveugle et bête; mais qu’on fasse de sa raison
un usage adapté à ces circonstances déterminées; et la raison doit alors se soumettre à ces fins
particulières. Il ne peut donc pas y avoir là d’usage libre de la raison.
En revanche, quand on ne raisonne que pour faire usage de sa raison, quand on raisonne en tant
qu’être raisonnable (et non pas en tant que pièce d’une machine), quand on raisonne comme membre
de l’humanité raisonnable, alors l’usage de la raison doit être libre et public. L’Aufklärung n’est
donc pas seulement le processus par lequel les individus se verraient garantir leur liberté personnelle
de pensée. Il y a Aufklärung lorsqu’il y a superposition de l’usage universel, de l’usage libre et de
l’usage public de la raison.
Or cela nous amène à une quatrième question qu’il faut poser à ce texte de Kant. On conçoit
bien que l’usage universel de la raison (en dehors de toute fin particulière) est affaire du sujet
lui‑même en tant qu’individu; on conçoit bien aussi que la liberté de cet usage puisse être assurée
de façon purement négative par l’absence de toute poursuite contre lui; mais comment assurer un
usage public de cette raison? L’Aufklärung, on le voit, ne doit pas être conçue simplement comme
un processus général affectant toute l’humanité; elle ne doit pas être conçue seulement comme une
obligation prescrite aux individus : elle apparaît maintenant comme un problème politique. La
question, en tout cas, se pose de savoir comment l’usage de la raison petit prendre la forme publique
qui lui est nécessaire, comment l’audace de savoir peut s’exercer en plein jour, tandis que les
individus obéiront aussi exactement que possible. Et Kant, pour terminer, propose à Frédéric 11, en
termes à peine voilés, une sorte de contrat. Ce qu’on pourrait appeler le contrat du despotisme
rationnel avec la libre raison : l’usage public et libre de la raison autonome sera la meilleure garantie
de l’obéissance, à la condition toutefois que le principe politique auquel il faut obéir soit lui‑même
conforme à la raison universelle.
Laissons là ce texte. je n’entends pas du tout le considérer comme pouvant constituer une
description adéquate de l’ Aufklärung; et aucun historien, je pense, ne pourrait s’en satisfaire pour
analyser les transformations sociales, politiques et culturelles qui se sont produites à la fin du XVIII
ème siècle.
Cependant, malgré son caractère circonstanciel, et sans vouloir lui donner une place exagérée
dans l’œuvre de Kant, je crois qu’il faut souligner le lien qui existe entre ce bref article et les trois
Critiques. Il décrit en effet l’Aufklärung comme le moment où l’humanité va faire usage de sa propre
raison, sans se soumettre à aucune autorité; or c’est précisément à ce moment‑là que la Critique est
nécessaire, puisqu’elle a pour rôle de définir les conditions dans lesquelles l’usage de la raison est
légitime pour déterminer ce qu’on peut connaître, ce qu’il faut faire et ce qu’il est permis d’espérer.
C’est un usage illégitime de la raison qui fait naître, avec l’illusion, le dogmatisme et l’hétéronomie;
c’est, en revanche, lorsque l’usage légitime de la raison a été clairement défini dans ses principes
que son autonomie peut être assurée. La Critique, c’est en quelque sorte le livre de bord de la raison
devenue majeure dans l’Aufklärung; et inversement, l’Aufklärung, c’est l’âge de la Critique.
Il faut aussi, je crois, souligner le rapport entre ce texte de Kant et les autres textes consacrés à
l’histoire. Ceux‑ci, pour la plupart, cherchent à définir la finalité interne du temps et le point vers
lequel s’achemine l’histoire de l’humanité. Or l’analyse de l’ Aufklärung, en définissant celle‑ci
comme le passage de l’humanité à son état de majorité, situe l’actualité par rapport à ce mouvement
d’ensemble et ses directions fondamentales. Mais, en même temps, elle montre comment, dans ce
moment actuel, chacun se trouve responsable d’une certaine façon de ce processus d’ensemble.
L’hypothèse que je voudrais avancer, c’est que ce petit texte se trouve en quelque sorte à la
charnière de la réflexion critique et de la réflexion sur l’histoire. C’est une réflexion de Kant sur
l’actualité de son entreprise. Sans doute, ce n’est pas la première fois qu’un philosophe donne les
raisons qu’il a d’entreprendre son œuvre en tel ou tel moment. Mais il me semble que c’est la
première fois qu’un philosophe lie ainsi, de façon étroite et de l’intérieur, la signification de son
œuvre par rapport à la connaissance, une réflexion sur l’histoire et une analyse particulière du
moment singulier où il écrit et à cause duquel il écrit. La réflexion sur « aujourd’hui » comme
différence dans l’histoire et comme motif pour une tâche philosophique particulière me paraît être
la nouveauté de ce texte.
Et, en l’envisageant ainsi, il me semble qu’on peut y reconnaître un point de départ : l’esquisse
de ce qu’on pourrait appeler l’attitude de modernité.
Je sais qu’on parle souvent de la modernité comme d’une époque ou en tout cas comme d’un
ensemble de traits caractéristiques d’une époque; on la situe sur un calendrier où elle serait précédée
d’une prémodernité, plus ou moins naïve ou archaïque et suivie d’une énigmatique et inquiétante «
postmodernité ». Et on s’interroge alors pour savoir si la modernité constitue la suite de
l’Aufklärung et son développement, ou s’il faut y voir une rupture ou une déviation par rapport aux
principes fondamentaux du XVIII ème siècle.
Pour caractériser brièvement cette attitude de modernité, je prendrai un exemple qui est presque
nécessaire : il s’agit de Baudelaire, puisque c’est chez lui qu’on reconnaît en général l’une des
consciences les plus aiguës de la modernité au XIX ème siècle.
2) Cette héroïsation est ironique, bien entendu. Il ne s’agit aucunement, dans l’attitude de
modernité, de sacraliser le moment qui passe pour essayer de le maintenir ou de le perpétuer. Il ne
s’agit surtout pas de le recueillir comme une curiosité fugitive et intéressante : ce serait là ce que
Baudelaire appelle une attitude de « flânerie ». La flânerie se contente d’ouvrir les yeux, de faire
attention et de collectionner dans le souvenir. À l’homme de flânerie Baudelaire oppose l’homme
de modernité : « Il va, il court, il cherche. À coup sûr, cet homme, ce solitaire doué d’une
imagination active, toujours voyageant à travers le grand désert d’hommes, a un but plus élevé que
celui d’un pur flâneur, un but plus général, autre que le plaisir fugitif de la circonstance. Il cherche
ce quelque chose qu’on nous permettra d’appeler la modernité. Il s’agit pour lui de dégager de la
mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique. » Et comme exemple de modernité,
Baudelaire cite le dessinateur Constantin Guys. En apparence, un flâneur, un collectionneur de
curiosités; il reste « le dernier partout où peut resplendir la lumière, retentir la poésie, fourmiller la
vie, vibrer la musique, partout où une passion peut poser son œil, partout où l’homme naturel et
l’homme de convention se montrent dans une beauté bizarre, partout où le soleil éclaire les joies
rapides de l’animal dépravé [7] ».
Mais il ne faut pas s’y tromper. Constantin Guys n’est pas un flâneur; ce qui en fait, aux yeux
de Baudelaire, le peintre moderne par excellence, c’est qu’à l’heure où le monde entier entre en
sommeil, il se met, lui, au travail, et il le transfigure. Transfiguration qui n’est pas annulation du réel,
mais jeu difficile entre la vérité du réel et l’exercice de la liberté; les choses « naturelles » y
deviennent « plus que naturelles », les choses « belles » y deviennent « plus que belles » et les
choses singulières apparaissent « dotées d’une vie enthousiaste comme l’âme de l’auteur » [8] . Pour
l’attitude de modernité, la haute valeur du présent est indissociable de l’acharnement à l’imaginer,
à l’imaginer autrement qu’il n’est et à le transformer non pas en le détruisant, mais en le captant
dans ce qu’il est. La modernité baudelairienne est un exercice où l’extrême attention au réel est
confrontée à la pratique d’une liberté qui tout à la fois respecte ce réel et le viole.
3) Cependant, pour Baudelaire, la modernité n’est pas simplement forme de rapport au présent;
c’est aussi un mode de rapport qu’il faut établir à soi‑même. L’attitude volontaire de modernité est
liée à un ascétisme indispensable. Être moderne, ce n’est pas s’accepter soi‑même tel qu’on est dans
le flux de moments qui passent; c’est se prendre soi‑même comme objet d’une élaboration complexe
et dure: ce que Baudelaire appelle, selon le vocabulaire de l’époque, le « dandysme ». Je ne
rappellerai pas des pages qui sont trop connues : celles sur la nature « grossière, terrestre, immonde
»; celles sur la révolte indispensable de l’homme par rapport à lui-même; celle sur la « doctrine de
l’élégance » qui impose « à ses ambitieux et humbles sectaires » une discipline plus despotique que
les plus terribles des religions; les pages, enfin, sur l’ascétisme du dandy qui fait de son corps, de
son comportement, de ses sentiments et passions, de son existence, une œuvre d’art. L’homme
moderne, pour Baudelaire, n’est pas celui qui part à la découverte de lui‑ même, de ses secrets et de
sa vérité cachée; il est celui qui cherche à s’inventer lui‑même. Cette modernité ne libère pas
l’homme en son être propre; elle l’astreint à la tâche de s’élaborer lui‑même.
4) Enfin, j’ajouterai un mot seulement. Cette héroïsation ironique du présent, ce jeu de la liberté
avec le réel pour sa transfiguration, cette élaboration ascétique de soi, Baudelaire ne conçoit pas
qu’ils puissent avoir leur lieu dans la société elle‑même ou dans le corps politique. Ils ne peuvent
se produire que dans un lieu autre que Baudelaire appelle l’art.
Je ne prétends pas résumer à ces quelques traits ni l’événement historique complexe qu’a été
l’Aufklärung à la fin du XVIIIème siècle ni non plus l’attitude de modernité sous les différentes
formes qu’elle a pu prendre au cours des deux derniers siècles.
Je voulais, d’une part, souligner l’enracinement dans l’Aufklärung d’un type d’interrogation
philosophique qui problématise à la fois le rapport au présent, le mode d’être historique et la
constitution de soi‑même comme sujet autonome; je voulais souligner, d’autre part, que le fil qui
peut nous rattacher de cette manière à l’Aufklärung n’est pas la fidélité à des éléments de doctrine,
mais plutôt la réactivation permanente d’une attitude; c’est‑à‑dire d’un êthos philosophique qu’on
pourrait caractériser comme critique permanente de notre être historique. C’est cet êthos que je
voudrais très brièvement caractériser.
A. Négativement.
1) Cet êthos implique d’abord qu’on refuse ce que j’appellerai volontiers le « chantage » à l’
Aufklärung. je pense que l’ Aufklärung, comme ensemble d’événements politiques, économiques,
sociaux, institutionnels, culturels, dont nous dépendons encore pour une grande partie, constitue un
domaine d’analyse privilégié. je pense aussi que, comme entreprise pour lier par un lien de relation
directe le progrès de la vérité et l’histoire de la liberté, elle a formulé une question philosophique
qui nous demeure posée. je pense enfin ‑ j’ai essayé de le montrer à propos du texte de Kant ‑ qu’elle
a défini une certaine manière de philosopher.
Mais cela ne veut pas dire qu’il faut être pour ou contre l’ Aufklärung. Cela veut même dire
précisément qu’il faut refuser tout ce qui se présenterait sous la forme d’une alternative simpliste et
autoritaire : ou vous acceptez l’Aufklärung, et vous restez dans la tradition de son rationalisme (ce
qui est par certains considéré comme positif et par d’autres au contraire comme un reproche); ou
vous critiquez l’ Aufklärung et vous tentez alors d’échapper à ces principes de rationalité (ce qui
peut être encore une fois pris en bonne ou en mauvaise part). Et ce n’est pas sortir de ce chantage
que d’y introduire des nuances « dialectiques » en cherchant à déterminer ce qu’il a pu y avoir de
bon et de mauvais dans l’ Aufklärung.
2) Cette critique permanente de nous‑mêmes doit éviter les confusions toujours trop faciles
entre l’humanisme et l’ Aufklärung. Il ne faut jamais oublier que l’ Aufklärung est un événement ou
un ensemble d’événements et de processus historiques complexes, qui se sont situés à un certain
moment du développement des sociétés européennes. Cet ensemble comporte des éléments de
transformations sociales, des types d’institutions politiques, des formes de savoir, des projets de
rationalisation des connaissances et des pratiques, des mutations technologiques qu’il est très
difficile de résumer d’un mot, même si beaucoup de ces phénomènes sont encore importants à
l’heure actuelle. Celui que j’ai relevé et qui me paraît avoir été fondateur de toute une forme de
réflexion philosophique ne concerne que le mode de rapport réflexif au présent.
L’humanisme est tout autre chose : c’est un thème ou plutôt un ensemble de thèmes qui ont
réapparu à plusieurs reprises à travers le temps, dans les sociétés européennes; ces thèmes, toujours
liés à des jugements de valeur, ont évidemment toujours beaucoup varié dans leur contenu, ainsi
que dans les valeurs qu’ils ont retenues. De plus, ils ont servi de principe critique de différenciation :
il y a eu un humanisme qui se présentait comme critique du christianisme ou de la religion en général;
il y a eu un humanisme chrétien en opposition à un humanisme ascétique et beaucoup plus
théocentrique (cela au XVII ème siècle). Au XIX ème siècle, il y a eu un humanisme méfiant, hostile
et critique à l’égard de la science; et un autre qui plaçait [au contraire] son espoir dans cette même
science. Le marxisme a été un humanisme, l’existentialisme, le personnalisme l’ont été aussi; il y
eut un temps où on soutenait les valeurs humanistes représentées par le national‑socialisme, et où
les staliniens eux-mêmes disaient qu’ils étaient humanistes.
De cela il ne faut pas tirer la conséquence que tout ce qui a pu se réclamer de l’humanisme est
à rejeter; mais que la thématique humaniste est en elle‑même trop souple, trop diverse, trop
inconsistante pour servir d’axe à la réflexion. Et c’est un fait qu’au moins depuis le XVII ème siècle
ce qu’on appelle l’humanisme a toujours été obligé de prendre son appui sur certaines conceptions
de l’homme qui sont empruntées à la religion, à la science, à la politique. L’humanisme sert à colorer
et à justifier les conceptions de l’homme auxquelles il est bien obligé d’avoir recours.
Or justement, je crois qu’on peut opposer à cette thématique, si souvent récurrente et toujours
dépendante de l’humanisme, le principe d’une critique et d’une création permanente de nous‑mêmes
dans notre autonomie : c’est‑à‑dire un principe qui est au cœur de la conscience historique que l’
Aufklärung a eue d’elle‑même. De ce point de vue je verrais plutôt une tension entre Aufklärung et
humanisme qu’une identité.
En tout cas, je crois que, tout comme il faut échapper au chantage intellectuel et politique «
être pour ou contre l’ Aufklärung », il faut échapper au confusionnisme historique et moral qui mêle
le thème de l’humanisme et la question de l’ Aufklärung. Une analyse de leurs relations complexes
au cours des deux derniers siècles serait un travail à faire, qui serait important pour débrouiller un
peu la conscience que nous avons de nous‑mêmes et de notre passé.
B. Positivement.
Mais, en tenant compte de ces précautions, il faut évidemment donner un contenu plus positif
à ce que peut être un êthos philosophique consistant dans une critique de ce que nous disons, pensons
et faisons, à travers une ontologie historique de nous‑mêmes.
1) Cet êthos philosophique peut se caractériser comme une attitude limite. il ne s’agit pas d’un
comportement de rejet. On doit échapper à l’alternative du dehors et du dedans; il faut être aux
frontières. La critique, c’est bien l’analyse des limites et la réflexion sur elles. Mais si la question
kantienne était de savoir quelles limites la connaissance doit renoncer à franchir, il me semble que
la question critique, aujourd’hui, doit être retournée en question positive : dans ce qui nous est donné
comme universel, nécessaire, obligatoire, quelle est la part de ce qui est singulier, contingent et dû
à des contraintes arbitraires. Il s’agit en somme de transformer la critique exercée dans la forme de
la limitation nécessaire en une critique pratique dans la forme du franchissement possible.
Ce qui, on le voit, entraîne pour conséquences que la critique va s’exercer non plus dans la
recherche des structures formelles qui ont valeur universelle, mais comme enquête historique à
travers les événements qui nous ont amenés à nous constituer à nous reconnaître comme sujets de
ce que nous faisons, pensons, disons. En ce sens, cette critique n’est pas transcendantale, et n’a pas
pour fin de rendre possible une métaphysique ‑ elle est généalogique dans sa finalité et archéologique
dans sa méthode. Archéologique -‑ et non pas transcendantale ‑ en ce sens qu’elle ne cherchera pas
à dégager les structures universelles de toute connaissance ou de toute action morale possible; mais
à traiter les discours qui articulent ce que nous pensons, disons et faisons comme autant
d’événements historiques. Et cette critique sera généalogique en ce sens qu’elle ne déduira pas de
la forme de ce que nous sommes ce qu’il nous est impossible de faire ou de connaître; mais elle
dégagera de la contingence qui nous a fait être ce que nous sommes la possibilité de ne plus être,
faire ou penser ce que nous sommes, faisons ou pensons.
Elle ne cherche pas à rendre possible la métaphysique enfin devenue science; elle cherche à
relancer aussi loin et aussi largement que possible le travail indéfini de la liberté.
2) Mais pour qu’il ne s’agisse pas simplement de l’affirmation ou du rêve vide de la liberté, il
me semble que cette attitude historico‑critique doit être aussi une attitude expérimentale. je veux
dire que ce travail fait aux limites de nous‑mêmes doit d’un côté ouvrir un domaine d’enquêtes
historiques et de l’autre se mettre à l’épreuve de la réalité et de l’actualité, à la fois pour saisir les
points où le changement est possible et souhaitable et pour déterminer la forme précise à donner à
ce changement. C’est dire que cette ontologie historique de nous‑mêmes doit se détourner de tous
ces projets qui prétendent être globaux et radicaux. En fait, on sait par expérience que la prétention
à échapper au système de l’actualité pour donner des programmes d’ensemble d’une autre société,
d’un autre mode de penser, d’une autre culture, d’une autre vision du monde n’ont mené en fait qu’à
reconduire les plus dangereuses traditions.
Je préfère les transformations très précises qui ont pu avoir lieu depuis vingt ans dans un certain
nombre de domaines qui concernent nos modes d’être et de penser, les relations d’autorité, les
rapports de sexes, la façon dont nous percevons la folie ou la maladie, je préfère ces transformations
même partielles qui ont été faites dans la corrélation de l’analyse historique et de l’attitude pratique
aux promesses de l’homme nouveau que les pires systèmes politiques ont répétées au long du XX
ème siècle.
3) Mais sans doute serait‑il tout à fait légitime de faire l’objection suivante : à se borner à ce
genre d’enquêtes ou d’épreuves toujours partielles et locales, n’y a‑t‑il pas risque à se laisser
déterminer par des structures plus générales dont on risque de n’avoir ni la conscience ni la maîtrise?
À cela deux réponses. Il est vrai qu’il faut renoncer à l’espoir d’accéder jamais à un point de
vue qui pourrait nous donner accès à la connaissance complète et définitive de ce qui peut constituer
nos limites historiques. Et, de ce point de vue, l’expérience théorique et pratique que nous faisons
de nos limites et de leur franchissement possible est toujours elle‑même limitée, déterminée et donc
à recommencer.
Mais cela ne veut pas dire que tout travail ne peut se faire que dans le désordre et la contingence.
Ce travail a sa généralité, sa systématicité, son homogénéité et son enjeu.
Son enjeu. Il est indiqué par ce qu’on pourrait appeler « le paradoxe (des rapports) de la
capacité et du pouvoir ». On sait que la grande promesse ou le grand espoir du XVIII ème siècle,
ou d’une partie du XVIII ème siècle, était dans la croissance simultanée et proportionnelle de la
capacité technique à agir sur les choses, et de la liberté des individus les uns par rapport aux autres.
D’ailleurs on peut voir qu’à travers toute l’histoire des sociétés occidentales (c’est peut‑être là que
se trouve la racine de leur singulière destinée historique ‑ si particulière, si différente [des autres]
dans sa trajectoire et si universalisante, dominante par rapport aux autres) l’acquisition des capacités
et la lutte pour la liberté ont constitué les éléments permanents. Or les relations entre croissance des
capacités et croissance de l’autonomie ne sont pas aussi simples que le XVIII ème siècle pouvait le
croire. On a pu voir quelles formes de relations de pouvoir étaient véhiculées à travers des
technologies diverses (qu’il s’agisse des productions à fins économiques, d’institutions à fin de
régulations sociales, de techniques de communication) : les disciplines à la fois collectives et
individuelles, les procédures de normalisation exercées au nom du pouvoir de l’État, des exigences
de la société ou des régions de la population en sont des exemples. L’enjeu est donc : comment
déconnecter la croissance des capacités et l’intensification des relations de pouvoir?
Homogénéité. Ce qui mène à l’étude de ce qu’on pourrait appeler les « ensembles pratiques ».
Il s’agit de prendre comme domaine homogène de référence non pas les représentations que les
hommes se donnent d’eux‑mêmes, non pas les conditions qui les déterminent sans qu’ils le sachent.
Mais ce qu’ils font et la façon dont ils le font. C’est‑à‑dire les formes de rationalité qui organisent
les manières de faire (ce qu’on pourrait appeler leur aspect technologique); et la liberté avec laquelle
ils agissent dans ces systèmes pratiques, réagissant à ce que font les autres, modifiant jusqu’à un
certain point les règles du jeu (c’est ce qu’on pourrait appeler le versant stratégique de ces pratiques).
L’homogénéité de ces analyses historico‑critiques est donc assurée par ce domaine des pratiques
avec leur versant technologique et leur versant stratégique.
Systématicité. Ces ensembles pratiques relèvent de trois grands domaines : celui des rapports
de maîtrise sur les choses, celui des rapports d’action sur les autres, celui des rapports à soi‑même.
Cela ne veut pas dire que ce sont là trois domaines complètement étrangers les uns aux autres. On
sait bien que la maîtrise sur les choses passe par le rapport aux autres; et celui‑ci implique toujours
des relations à soi; et inversement. Mais il s’agit de trois axes dont il faut analyser la spécificité et
l’intrication : l’axe du savoir, l’axe du pouvoir, l’axe de l’éthique. En d’autres termes, l’ontologie
historique de nous‑mêmes a à répondre à une série ouverte de questions, elle a affaire à un nombre
non défini d’enquêtes qu’on peut multiplier et préciser autant qu’on voudra; mais elles répondront
toutes à la systématisation suivante : comment nous sommes‑nous constitués comme sujets de notre
savoir; comment nous sommes‑nous constitués comme sujets qui exercent ou subissent des relations
de pouvoir; comment nous sommes‑nous constitués comme sujets moraux de nos actions.
Généralité. Enfin, ces enquêtes historico‑critiques sont bien particulières en ce sens qu’elles
portent toujours sur un matériel, une époque, un corps de pratiques et de discours déterminés. Mais,
au moins à l’échelle des sociétés occidentales dont nous dérivons, elles ont leur généralité : en ce
sens que jusqu’à nous elles ont été récurrentes; ainsi le problème des rapports entre raison et folie,
ou maladie et santé, ou crime et loi; le problème de la place à donner aux rapports sexuels, etc.
Mais, si j’évoque cette généralité, ce n’est pas pour dire qu’il faut la retracer dans sa continuité
métahistorique à travers le temps, ni non plus suivre ses variations. Ce qu’il faut saisir c’est dans
quelle mesure ce que nous en savons, les formes de pouvoir qui s’y exercent et l’expérience que
nous y faisons de nous‑mêmes ne constituent que des figures historiques déterminées par une
certaine forme de problématisation qui définit des objets, des règles d’action, des modes de rapport
à soi. L’étude des (modes de) problématisations (c’est‑à‑dire de ce qui n’est ni constante
anthropologique ni variation chronologique) est donc la façon d’analyser, dans leur forme
historiquement singulière, des questions à portée générale.
Un mot de résumé pour terminer et revenir à Kant. je ne sais pas si jamais nous deviendrons
majeurs. Beaucoup de choses dans notre expérience nous convainquent que l’événement historique
de l’ Aufklärung ne nous a pas rendus majeurs; et que nous ne le sommes pas encore. Cependant, il
me semble qu’on peut donner un sens à cette interrogation critique sur le présent et sur nous‑mêmes
que Kant a formulée en réfléchissant sur l’ Aufklärung. Il me semble que c’est même là une façon
de philosopher qui n’a pas été sans importance ni efficacité depuis les deux derniers siècles.
L’ontologie critique de nous‑mêmes, il faut la considérer non certes comme une théorie, une doctrine,
ni même un corps permanent de savoir qui s’accumule; il faut la concevoir comme une attitude, un
êthos, une vie philosophique où la critique de ce que nous sommes est à la fois analyse historique
des limites qui nous sont posées et épreuve de leur franchissement possible.
Cette attitude philosophique doit se traduire dans un travail d’enquêtes diverses; celles‑ci ont
leur cohérence méthodologique dans l’étude à la fois archéologique et généalogique de pratiques
envisagées simultanément comme type technologique de rationalité et jeux stratégiques des libertés;
elles ont leur cohérence théorique dans la définition des formes historiquement singulières dans
lesquelles ont été problématisées les généralités de notre rapport aux choses, aux autres et à nous
mêmes. Elles ont leur cohérence pratique dans le soin apporté à mettre la réflexion historico-critique
à l’épreuve des pratiques concrètes. Je ne sais s’il faut dire aujourd’hui que le travail critique
implique encore la foi dans les Lumières ; il nécessite, je pense, toujours le travail sur nos limites,
c’est-à-dire un labeur patient qui donne forme à l’impatience de la liberté.
[1] In Bertiniscbe Monatsschrift, décembre 1784, vol. IV, pp. 481‑491 « Qu’est‑ce que les Lumières?
», trad. Wismann, in Œuvres, Paris, Gallimard, coll. “Bibliothèque de la Pléiade” , 1985, t. Il.
[3] Mendelssohn (M.), Phädon oder liber die Unsterblichkeit der Seele, Berlin, 1767, 1768, 1769.
[4] Vico (G.), Principii di una scienza nuova d’interno alla comune natura delle nazioni, 1725
(Principes de la philosophie de l’histoire,trad. Michelet, Paris, 1835; rééd. Paris, & Colin, 1963).
[5] Baudelaire (C.),Le Peintre de la vie moderne, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll.
“Bibliothèque de la Pléiade”, 1976, t. II, p. 695.
[7] Baudelaire (C.), Le Peintre de la vie moderne, op. cit., pp. 693-694.