Pure Nature (L. Renault)
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LA PHILOSOPHIE CARTESIENNE
ET L'HYPOTHESE
DE LA PURE NATURE
Resume
Abstract
1. at, V, 133-139.
2. at, V, 137,1. 7.
3. at, V, 137,1. 11-12
4. at, V, 138,1. 30.
5. at, V, 137,1. 3.
6. at,V, 137,1. 4-5.
7. Mcditatio at, VII, 46,1. 16-18: ?Est etiam maxime clara et distincta; nam quid
et distincte percipio, quod est reale et verum, et quodperfectionem aliquant importat, totum
quid dare
in ea continetur.?
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30 Laurence Renault
a la certitude
obscure, approche grossiere et confuse de Dieu, quant qui
s'appuyait sur ces criteres1, elle disparait pour laisser place au doute.
Cette inversion ne remet pourtant pas en cause les affirmations pre
cedentes de Descartes. En effet, elle n'est rendue possible que par le
vue un
point de adopte ici par Descartes, qui est point de vue extrin
seque a la telle que Descartes la congoit. Aussi Descartes
philosophic,
ecrit-il a Silhon (?): ?Vous voyez ce que vous pouvez sur moi, puisque
vous me fakes passer les bornes de
philosopher que je me suis pres
crites... ?2 Silhon (?) interrogeait Descartes sur la qualite de la connais
sance de Dieu en la beatitude, c'est-a-dire une
qu'il lui posait question
relative a la felicite promise par l'Ecriture. II lui soumettait done une
une reference au donne revele. Or,
question theologique, impliquant
a sa reflexion
Descartes, d'une part, toujours pretendu limiter philoso
a ce que la lumiere naturelle peut connaitre3 et, d'autre part,
phique
a pu
congoit la theologie d'une maniere qu'on rapprocher de la theologie
ne la
positive4, parce qu'il pense pas que simple raison naturelle puisse
etre tout a fait competente pour expliciter le donne revele 5.La reponse
de Descartes est done la mise en ceuvre d'un discours qui n'appartient
1. Meditatio 111a, AT, VII, 46,1. 5-10: ?Nec diet potest hanc forte ideam Dei materialiter
falsam esse..., nam contra, cum maxlme clara et distincta sit, etplus realitatis objectivae quam ulla
alia contineat, nulla estper se magts vera...?
2. AT, V, 139,1. 8-10.
3. Bp. ad Voetium, AT, VIII-2, 26: ? Pbllosophia...nibil aliud est quam cognitio earum veri
tatum quae naturall lumine I, 75: ?ad seriophilosophandum, verita
percipi possunt.?; Principia,
temque omnium rerum cognoscibiJium indagandam...? ;Lettre-preface d lfeditionfrancaise des Prin
est l'etude de la sagesse, au sens humain du
clpes, AT, IX-2, 2,1. 10-11: la philosophic
terme, e'est-a-dire l'effort pour acquerir la ?parfaite connaissance de toutes les choses
que l'homme peut savoir?.
4. Jean Laporte, Le rationallsme de Descartes, 1950 (2? ed.), p. 334-338; H. Gouhier,
dans Lapensee religieuse deDescartes, Paris, 1972 (2e ed.), p. 279-309, n'identifie pas la posi
tion de Descartes vis-a-vis de la thiologie avec celle des tenants de la
theologie positive.
5. Discours de la metbode, AT, VI, 8,1. 8-17: ?Je reverais notre theologie, et preten
dais, autant qu'aucun autre, a le ciel; mais, ayant appris comme chose tres assuree
^agner
que le chemin n'en est pas moins ouvert aux plus ignorants qu'aux plus doctes, et que les
verites revelees, qui y conduisent, sont au-dessus de la faiblesse de notre
intelligence, je
n'eusse ose les soumettre a la faiblesse de mes raisonnements, et je
pensais que, pour
de les examiner, et y reussir, il etait besoin d'avoir extraordinaire
entreprendre quelque
assistance du ciel, et d'etre plus qu'homme.? Cette derniere proposition est
equivoque,
elle peut donner lieu a deux interpretations de la conception cartesienne de la
possibles
celle que soutient Laporte, selon laquelle Descartes a la
theologie, appartient theologie
etre peut signifier ici avoir recu un don special, le don
positive, puisque plus qu'homme
ce
d'intelligence, qui serait le propre des Peres de PEglise, des papes et des eveques, des
conciles. Cela s'accorde avec le texte des Slxlemes 7-8. On peut
reponses, AT, VII, 429,1.
aussi interpreter cette expression comme Phomme de la revelation,
designant disposant
en ce sens elle ne dit rien d'autre que le choix de Descartes de pratiquer la philosophic,
e'est-a-dire une fondee sur la seule lumiere naturelle. Le rapport de la raison a
discipline
la theologie n'est evidemment pas le meme dans l'un et l'autre cas. Le second sens s'ac
corde mieux avec les tentatives de Descartes pour expliquer certains points du doeme
par ses principes meme si Descartes s'est toujours merle des complica
philosophiques,
tions et des disaccords qui surgissent d'un trop grand usage de la raison en theologie, cf.
A Mersenne, 27 mai 1630, AT, I, 153,1. 9-13; a ***, aout 1638, AT, II, 347-348; a Mer
senne, 27 aout 1639, AT, II, 570,1. 20-22.
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Philosophie cartesienne et hypothesede la pure nature 31
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32 Laurence Renault
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Philosophie cartesienne et hypothesede la pure nature 33
Ce qui nous parait essentiel dans cette lettre, pour resoudre la question
proposee, e'est que la devaluation de la connaissance naturelle qu'elle met
en ceuvre ne porte pas sur toute la connaissance naturelle. Ce n'est pas
toute connaissance naturelle qui se trouve ici devaluee: la connaissance
naturelle de Dieu est bien trouble et douteuse si on la compare a la connais
sance des Bienheureux, mais les connaissances naturelles qui presentent un
caractere intuitifne sont pas privees de leur certitude (et done elles ne sont
pas privees non plus de la clarte et de la distinction qui fondent cette certi
tude, bien que Descartes ne le precise pas). Elles conservent toutes leurs
Elles constituent une connaissance ?certaine?1, que Ton se
prerogatives.
vue ou d'un vue
place d'un point de philosophique point de theologique.
Leur valeur de verite n'est pas modifiee par le choix du point de vue. Le
nouveau vue a une devaluation de la
point de adopte n'introduit done pas
connaissance naturelle dans son ensemble, devaluation qui s'appuierait sur
rimperfection de notre puissance naturelle de connaitre: il ne s'agit pas ici
de dire que la connaissance humaine est imparfaite si on la compare a la
connaissance que Dieu possede et a laquelle il peut nous associer, dans la
vision beatifique ? par une impression directe de la clarte divine sur notre
entendement ?2. Ce n'est pas ce type de comparaison qui est en cause ici. Ce
un certain mode naturel de connaissance, par rapport
qui est devalue, e'est
a un autre mode de connaissance, qui peut etre soit naturel, soit surnaturel,
lemode de connaissance intuitif.En d'autres termes, ce n'est pas la natura
lite de la connaissance qui est problematique et source de defaut du point
de vue theologique. Ce n'est pas le couple naturel/surnaturel qui opere la
discrimination, bien que ce soit le point de vue de la vision surnaturelle qui
rende cette discrimination possible. La discrimination s'opere en fonction
de la distinction entre ce qui est intuitif et ce qui ne Test pas, et nous avons
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34 Laurence Renault
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Philosophie cartesienne et hypothesede la pure nature 35
1. A Mersenne, juillet 1641, AT, III, 394, 1. 4-8: ?I1 faut done demeurer d'accord
au'on a Pidee de Dieu, et ne peut pas est cette idee, ni ce que Ton
qu'on ignorer quelle
cloit entendre par elle; car sans cela nous ne pourrions du tout rien connaitre de Dieu.?
2. Secundae responsiones, Rationes more geometrico disposatae: AT, VII> 163,1. 27: ? absqne
ullo discursu?, et demonstration de la proposition I, AT, VII, 167,1. 4-7 ? hie est syllogismm,
de quo jam supra ad objectionem sextam; ejusque conclusio per se nota essepotest Us qui a praejudi
ciis sunt liberi, ut dictum estpostulato quinto.?
3. AT, V, 137,1. 20-21.
non intuitives, du vue
4. La deficience des connaissances point de theologique,
refere done a un tout autre probleme que celui qui implique de garantir la science des
conclusions par la veracite divine, dans l'ordre philosophique.
5. Theme tous les le xilf siecle, a la suite: 1 /de la cri
repris par theologiens, depuis
de Saint-Victor, d'une certaine interpretation du theme dionysien des
tique, par Hugues
theophanies selon laquelle Tintellect cree ne pourrait pas connaitre Dieu lui-meme, mais
seulement des similitudes creees de la divinite; et 2/de la condamnation de cette inter
Paris en 1241.
pretation par l'eveque de
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36 Laurence Renault
five theologique est done une perspective d'ou la connaissance est mesu
ree par sa coincidence avec l'objet. La connaissance est imparfaite lors
qu'elle n'est pas intuitive, e'est-a-dire lorsqu'elle n'est pas relation imme
diate, ou contact avec ou la verite a connaitre: ?connaissance
l'objet
directed. C'est la non-coincidence avec l'objet qui est
disqualifiante,
e'est done la connaissance par simple representation qui est devaluee de
ce point de vue. Le jugement propose ici se refere done a une noetique
fondee sur le primat de l'objet sur le sujet connaissant.
Ce qui est en jeu ici, c'est bien en effet une theoriede la connaissance dis
tincte de la theorie philosophique de la connaissance vraie ou parfaite, et
c'est precisement pourquoi a
il y devaluation de toutes les connaissances
naturelles de ce point de vue. Descartes ne dit pas
simplement que la
connaissance la plus parfaite, la connaissance de l'essence divine par les
bienheureux, est intuitive. II affirme, du point de vue theologique ou il
se place, qu'une connaissance est imparfaite si elle n'est pas
quelconque
intuitive. La connaissance beatifique n'est done pas seulement un sommet,
elle est aussi un modele, sa perfection ne reside pas seulement dans Faeces
a un certain ? objet?, mais aussi dans sa modalite de connaissance de cet
?objet?, et c'est cette modalite de connaissance (l'intuition comme
connaissance est assurer la verite ou la
directe) qui exigee pour perfec
tion de nos autres connaissances, quels que soient leurs objets. Autre
ment dit, pour parfaite que soit la connaissance beatifique, elle n'a pas
pour autant un statut de totale tout au contraire, sa perfection
exception:
est normative pour les autres connaissances. La perspective
theologique
ne met done pas en jeu seulement la connaissance de Dieu, elle implique
une certaine conception de la connaissance. Et cette conception de la
connaissance ne peut pas etre identique a la conception philosophique de
la connaissance: pour qu'il y ait deux evaluations differentes des memes
connaissances, il faut bien que ces deux evaluations se referent a deux
normes differentes, a deux manieres differentes de concevoir la perfec
tion dans Fordre de la connaissance. On peut done parler de deux noeti
ques cartesiennes, Fune philosophique, Fautre theologique.
Or, cette conception ?theologique? de la connaissance presente un
autre caractere concerne directement notre la
particulier qui question:
connaissance directe n'est jamais a attribuer au pouvoir de la pensee
humaine, mais releve toujours d'un don divin ou, comme Fecrit Des
cartes, de la ? beneficence ?2 du createur, de telle sorte que cette coinci
dence peut etre appelee une connaissance ? gratuite ?3. Produire une telle
coincidence de la pensee et de la chose n'est done pas au pouvoir de la
pensee finie (ce qui n'est pas le cas du sens4), la connaissance intuitive
1. AT, V, 137,1.20-21.
2. AT, V, 137,1.24.
3. AT, V, 137,1. 27-28.
4. AT, V, 137,1. 20-23: ?De telles illustrations et connaissances directes... les sens
lui en donnent des choses corporelles et sensibles. ?
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Philosophie cartesienne et hypothesede la pure nature 37
laquelle il voit en la lumiere de Dieu les choses qu'il lui plait decouvrir par une impres
sion directe de la clarte divine sur notre entendement, en cela comme
qui n'estpoint considere
comme recevant les rayons de laDivinite.? Nous Cette
agent, mais seulement soulignons.
de Fentendement dans Fintuition n'est pas du meme ordre que celle que sou
passivite
il distingue entre les actions et les passions de Fame, c'est-a-dire
ligne Descartes quand
entre ses et ses volontes art. 17). Elle refere a la dis
perceptions (cf. Passions de l}dme, I,
tinction d'origine aristotelicienne entre intellect agent et intellect possible, et aux debats
sur la these d'origine avicennienne. En particu
medievaux separation de Pintellect agent,
lier, elle se situe dans la lignee de Faugustinisme avicennisant, identifiant Fintellect agent
cette
separe a Dieu, represente notamment par Guillaume d'Auvergne. Chez Descartes,
these ne vaut pourtant pas de toute intellection, mais de la seule connaissance intellec
tuelle intuitive, et elle ne vaut de Pintellection que pour autant que Fon se place d'un
vue II semble done que ce soit la difference des points de
point de extra-philosophique.
vue la philosophic cartesienne un certain nombre de theses noetiques.
qui exclut de
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38 Laurence Renault
n'est pas le pouvoir que cet entendement aurait de les produire, mais
en
simplement le fait que rentendement dispose naturellement, parce
que Dieu a
les lui donnees en le creant, a la difference de la connaissance
intuitive de Dieu. La modalite de connaissance qui est normative, du
vue une modalite de connaissance
point de theologique, n'est done pas
qui releve du pouvoir de notre entendement. Le point de vue theolo
se refere a une theorie de la connaissance en
gique qui implique la prise
compte de l'intervention de Dieu dans la connaissance intellectuelle.
Si maintenant on considere les criteres de la connaissance vraie que
propose la philosophic cartesienne, on verra qu'ils ne font, en revanche,
que refleter le pouvoir de l'entendement humain et ses limites. En effet,
d'un point de vue philosophique, la clarte et la distinction de la connais
sance (assorties, pour l'evidence passee, de l'etablissement de la veracite
divine) suffisent a proclamer une connaissance vraie1. Et jamais Des
cartes n'affirme que la condition de cette clarte et de cette distinction
serait l'acces immediat, non-representatif a la chose qui est connue. La
meme ou cet acces direct a la chose nous serait donne dans notre
connaissance intellectuelle naturelle, comme e'est le cas du cogito,d'apres
le point de vue theologique, ce n'est pas ce que Descartes remarque dans
son analyse de la certitude de cette connaissance, tout au
philosophique
moins quand il s'agit d'eriger ces caracteristiques du cogito en criteres de
toute connaissance vraie. L'exportation des caracteristiques de la verite,
autrement dit la generalisation de ce qui apparait comme
temoignant de
la verite du cogito a d'autres connaissances, y compris a des connaissances
discursives et representatives, manifeste tout au contraire que clarte et
distinction ne peuvent exercer leur fonction de critere que si elles ne sont
pas solidaires de l'intuition comme connaissance directe et non represen
tative. L'etablissement de la ? regie generale?2 implique done une indif
ference de la theorie philosophique de la connaissance au caractere direct
ou indirect d'une connaissance. Le passage de la
description du cogito a
l'elaboration de criteres normatifs de la connaissance vraie semble devoir
neutraliser, ou rendre sans consequence, toute tentative
philosophique
qui viserait a au un caractere intuitif, au sens d'immediat.
assigner cogito
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Philosophie cartesienne et hypothesede la pure nature 39
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40 Laurence Renault
Descartes est a ce point optimiste qu'il affirme souvent que tout ce qui
tombe sous la lumiere naturelle peut etre connu avec verite par l'enten
dement. Ce qui adjoint a 1'autosuffisance de notre faculte naturelle de
connaissance, la toute-puissance de 1'entendement pour produire le vrai
en tout ce sa lumiere naturelle, comme si le domaine de ce
qui releve de
au domaine ou
qui releve de la lumiere naturelle pouvait etre identique
1'entendement peut effectivement produire le vrai1.
La norme de la connaissance est ce que l'activite de connaissance bien
a un bon usage de notre nature, et, en ce
regulee, c'est-a-dire conforme
sens, naturelle, vise a atteindre en tout ce qu'elle connait. Clarte et dis
tinction sont done ce qui finalise l'effort de connaissance, ce qui en cons
titue le terme, selon Descartes2. C'est done seulement quand 1'entende
ment y atteint que le desk de connaissance de tel ou tel objet est apaise,
ou satisfait. Or, cette clarte et cette distinction de la representation, 1'en
tendement peut les produire notamment quand il connait Dieu. II semble
done qu'on puisse conclure que la connaissance philosophique de Dieu,
obtenue par recours au seul pouvoir de 1'entendement, satisfasse notre
desk naturel de connaitre Dieu, puisqu'elle atteint a ce qui, qualitative
1. Cest notamment rambition des Regulae, Regie I, AT, X, 359, 1. 5-7: ?Studiorum
esse debet et vera, de Us omnibus quae occurunt,
finis ingenii directio ad solida proferanda judicia?,
cf. aussi Regie IV, sur la mathesis: ?Haec enimprima rationis humanae rudimenta continere et
ad veritates ex quovis subjecto eliciendas se extendere debet?, AT, X, 374,1. 7-9. Cf. Discours de la
19,1. 6-17: ?Ces toutes et faciles,
methode, II, AT, VI, longues chaines de raison, simples
dont les geometres ont coutume de se servir, pour parvenir a leur plus difficiles demons
trations, m'avaient donne occasion de penser que toutes les choses qui peuvent tomber sous la
connaissance des hommes, s'entresuivent en meme facon, et que, pourvu seulement qu'on
s'abstienne d'en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu'on garde toujours l'ordre
faut pour les deduire les unes des autres, // avoir de si
qu'il n'y enpeut eloignees auxquelles
enfin on ne parvienne, ni de si cachees qu'on ne decouvre.? Nous soulignons.
2. Beaucoup de textes de Descartes affirment d'ailleurs que la fin de la connaissance
ne reside pas dans ^extension de la connaissance, ni dans la connaissance d'un objet pri
seulement dans la capacite de connaitre droitement tout ce que nous pou
vilegie, mais
vons avoir a connaitre dans toutes les occurrences de la vie. Cf. le theme de l'accroisse
ment de la lumiere naturelle comme fin de l'etude dans la Regie I, et le theme de la
recherche d'une methode ? pour a la connaissance de toutes les choses dont mon
parvenir
esprit serait capable? de la seconde partie du Discours (AT, VI, 17, 9-10), qui fait notam
ment echo a la
Regie IV (AT, X, 372,1. 2-3). On peut ajouter a cela le texte de La recherche
de la veritepar la lumiere naturelle, ou Eudoxe compare le desk de savoir ? commun a tous
les hommes ?, en tant qu'il est insatiable, au desk deregle de veut boire:
l'hydropique qui
? Le n'est pas plus eloigne de son juste temperament
corps des hydropiques que l'esprit
de ceux-la qui sont perpetuellement travailles d'une curiosite insatiable.? L'apaisement
du desk de savoir bien regie n'est autre que la capacite de trouver des verites: ?Je croirai
avoir assez satisfait ma promesse si en vous les verites qui se peuvent deduire
expfiquant
des choses ordinakes et connues a chacun, vous rends capables de trouver vous
je
memes toutes les autres, vous
lorsqu'il plaira prendre la peine de les chercher.? Ce theme
semble d'ailleurs etre dkectement lie a notre probleme, puisque le desk de savoir n'a ici
d'autre fin que le pouvoir de savoir que nous pouvons acquerk naturellement,
et
puisque
c'est dans ce texte que se trouve, a notre connaissance, la seule reference explicite de Des
cartes a la these de la pure nature. Poliandre dit, en echo a la remarque d'Eudoxe sur le
dereglement du desk de savoir: ?J'ai bien appris autrefois que notre desk ne se peut
etendre naturellement aux choses nous etre impossibles.?
jusques qui paraissent
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Philosophie cartesienne et hypothesede la pure nature 41
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42 Laurence Renault
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Philosophie cartesienne et hypothesede la pure nature 43
1. F. Suarez, De divina substantia, II, VIII, 3: ?Sententia Scoti 2 dist. 3 q. 9, ubi docet
se est,
posse angelum per virtutem naturalem quidditative cognoscere essentiam Dei, prout in per spe
ciem sibi inditam repraesentem Deum abstractive sicuti est, quam speciem dicit esse naturalem
angelo.?
2. F. Suarez, De divina substantia, II, XIII, 11: ?Dicendum censeo, posse Deum efftcere
creatus possit ilium dare videre.?
speciem intelligibilem,per quam intellects
3. F. Suarez, De divina substantia, II, VIII, 3: ? Gratis nullaque reddita ratione concedit
sicuti est abstractive cognoscant, et negat posse
posse angelos habere speciem naturalem, qua Deum,
habere speciem quae sit visionis intuitivae principium.?
4. Cf. ci-dessus, p. 32, n. 4.
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44 Laurence Renault
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Philosophie cartesienne et hypothesede la pure nature 45
n'est pas apaise par la connaissance qui est a la portee de notre lumiere
naturelle. Le desk naturel de connaissance s'etend done plus loin que le
pouvoir naturel de connaissance. II n'est pas necessaire, d'ailleurs, pour
affirmer ce desk naturel de voir Dieu, que nous l'eprouvions consciem
ment, un tel desk peut en effet s'ignorer ou rester dans le vague, quant
a son
objet1. Ainsi Thomas explique-t-il qu'Aristote n'ait pas ete jusqu'a
affirmer clairement un tel desir2, alors meme qu'il avait per^u le caractere
limite de la felicite qu'il propose3.
C'est done quand la norme de la connaissance naturelle n'est acces
sible, pour la connaissance de Dieu, que par une aide divine, que le prin
cipe de proportion entre desk et pouvoir naturels est refuse. La theorie
de la connaissance, et en
particulier la constitution du modele de
connaissance exige/desire pour la perfection de rintellection, qui definit
la fin du desk de connaissance intellectuelle, permettent done de mesurer
la portee qu'accorde une au desk naturel de connaitre. On
philosophie
voit done que la norme de connaissance adoptee par la philosophie est le
signe d'une eventuelle transcendance du desir naturel par rapport au
naturel de connaissance. C'est done en definissant sa norme de
pouvoir
connaissance que la philosophie decide de sa suffisance ou de son insuf
fisance relativement au desir naturel de connaitre parce qu'elle decide par
la de la portee de ce desir naturel par rapport au pouvoir naturel de
connaissance4. La presence ou l'absence d'un desk naturel de voir Dieu
pas supplementaire vers la coherence de cette these, sans doute facilite par sa volonte de
rupture avec la scolastique thomiste.
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46 Laurence Renault
1. Cf. J.-L. Marion, Sur I'ontologie grise de Descartes, Paris, 1981 (seconde edition).
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Philosophie cartesienne et hypothesede la pure nature 47
Nous n'en donnerons ici qu'un exemple: le theme d'une nature humaine
a les perfections que lui represente l'idee de Dieu1,
qui aspire posseder
qui n'est qu'une autre figure de la these cartesienne selon laquelle le fini
ne se comme defaut ou manque par rapport a l'infini2,
pergoit jamais que
manifeste un desir de ? divinisation?, inherent a la nature intellectuelle
finie. Or, ce desir de divinisation se porte precisement sur ce qu'est cen
see
accomplir la vision beatifique. Celle-ci est connaissance unitive, qui
nous assimile a Dieu, autant que cela est
possible a une nature creee, en
nous elevant au dessus de notre nature et de ses limitations, ce que la
connaissance naturelle de Dieu est totalement impuissante a realiser, du
fait de sa dependance par rapport a notre faculte de connaitre Umitee.
Comme nous n'avons pas non plus epuise les textes et les themes car
tesiens qui pourraient abonder dans le sens d'une filiation entre Des
cartes et la tradition de la pure nature, le debat reste ouvert. Nous espe
rons seulement avoir montre de ce
quelques enjeux probleme
relativement a la conception de la philosophie et de la
noetique carte
siennes3, et avoir pose des jalons pour une enquete plus vaste.
Laurence Renault.
1. Meditatio Ilia, AT, VII, 51, 1. 23-29: ?Dum in meipsum mentis aciem converto, non
modo intelligo me esse rem incompletam et ab alio dependentem, remque ad majora et majora sive
meliora aspirantem; sed simul etiam intelligo ilium a quo pendeo, majora ista omnia non indefinite
et se habere, esse.? Cest le meme
potentia tan turn, sed reipsa infinite in atque ita Deum argu
ment que Ton retrouve sous une autre forme se demandant s'il est l'au
quand Descartes,
teur de lui-meme, conclut
negativement, parce que, dans ce cas, il se serait donne toutes
les perfections dont il a connaissance. Cf. Meditatio Ilia, AT, VII, 48, 16-24.
2. Cf. par exemple, a Hyperaspistes, aout 1641, AT, III, 426-427.
3. Quoi en soit de la reponse a cette il faut souligner que
qu'il question, Pinscription
de Descartes aans la
lignee des penseurs de la pure nature ne saurait apporter de l'eau au
moulin de ceux qui soutiennent la these d'une hypocrisie de Descartes eu a la reli
egard
tout desir naturel de voir Dieu ne revient pas a nier purement et sim
gion. En effet, nier
plement
tout desir de voir Dieu. La theorie de la pure nature n'intervient que pour deli
nk le rapport entre ce disk et notre nature, elle n'intervient pas pour nier que la finalite
effective de l'homme soit la vision beatifique, puisqu'elle laisse la place a un desk proce
dant d'une elevation de notre nature au-dessus de ce a quoi elle peut pretendre par elle
meme.
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