Approche Multimodale de L Analgesie
Approche Multimodale de L Analgesie
Approche Multimodale de L Analgesie
Points essentiels
1
INTRODUCTION
Le concept de l’analgésie multimodale est né dans les années 1990 sous l’impulsion d’équipes
très impliquées dans les stratégies analgésiques telles que JB Dahl, H Kehlet ou GP Joshi (1-
2). Le concept est fondé sur le fait 1/ que certaines douleurs ne peuvent être vaincues par un
seul antalgique d’autant que les mécanismes nociceptifs diffèrent d’un acte chirurgical à
l’autre. À la douleur postopératoire par excès de nociception s’ajoute parfois une douleur
neuropathique, mais aussi à forte composante inflammatoire. 2/ les morphiniques, longtemps
oubliés dans les stratégies thérapeutiques, sont tout de même responsables d’évènements
indésirables liés le plus souvent à la dose et qui s’expriment d’autant plus que ces
médicaments sont prescrits seuls. De plus, ils ne permettent pas le soulagement des douleurs
en conditions dynamiques. 3/ L’association d’antalgiques à sites d’action différents permet
d’augmenter la puissance antalgique avec pour corollaire une diminution des scores de
douleur au repos, mais également à la mobilisation pour certaines associations. 4/ la
combinaison d’antalgiques agissant à des niveaux différents permet de réduire la
consommation médicamenteuse, en particulier en morphiniques avec parfois une réduction
des effets secondaires.
Moins de dix années se passent avant l’apparition d’un nouveau concept complémentaire de
celui de l’analgésie multimodale : celui d’une approche multimodale de la physiopathologie
postopératoire avec la notion de programme de réhabilitation (8-9). La gestion de la douleur
doit s’intégrer dans un programme de réhabilitation plus vaste, intégrant l’action même des
chirurgiens, et qui permet de réduire les complications postopératoires et donc les coûts (10).
2
Les techniques d’analgésie locorégionale, mais également locale s’imposent largement dans
les stratégies multimodales avec notamment le développement recommandé dans les années
2000 des infiltrations en chirurgie digestive. Il s’agit d’améliorer le confort du patient, en
réduisant sa douleur, mais également certaines complications de la chirurgie et des techniques
d’analgésie morphiniques, telles que l’iléus (11). La morbidité postopératoire devient alors
prioritaire et l’analgésie, un des éléments contributifs à la réduction des suites opératoires
difficiles. Ainsi, en 2001, Kehlet et son équipe suggèrent en chirurgie urologique majeure une
stratégie combinant une analgésie péridurale thoracique, une mobilisation active, mais
également une re-nutrition orale précoce comme cofacteurs d’une réduction du stress
métabolique et hormonal avec pour conséquence une amélioration de la convalescence (12).
La notion de collaboration multidisciplinaire s’impose en 2002 comme facteur indissociable
de la récupération précoce et de la réduction de la morbidité. Le soulagement de la douleur est
toujours d’actualité, mais se trouve cerné par d’autres items tels que l’atténuation du stress
chirurgical (incision chirurgicale réduite par exemple), l’exercice et la mobilisation, la
nutrition orale précoce, mais également tous les facteurs d’optimisation périopératoire dont la
gestion de l’hypothermie ou l’information du patient (13-14). Dans une revue générale, les
auteurs considèrent que l’épargne morphinique et l’analgésie périmédullaire sont prioritaires,
ces éléments semblant se substituer à l’analgésie « classique » comme si le simple
soulagement de la douleur n’était plus la priorité (14) (figure 1). L’accent est tout de même
mis sur le risque de douleur chronique post-chirurgicale pour les patients insuffisamment
soulagés en postopératoire (15). Enfin, après le concept de la prise en charge multimodale,
intégrant la gestion des douleurs périopératoires, apparait le principe du « fast track surgery »
ou parcours rapide du patient opéré (16). Dans un travail récent, les auteurs évaluent les
bénéfices d’un programme ambitieux permettant une sortie précoce – au 2e jour et au 5e jour
respectivement après chirurgie de résection hépatique par laparoscopie et par laparotomie
(16). Ce programme comporte notamment un objectif : combiner plusieurs techniques
analgésiques et antihyperalgésiques permettant une épargne si possible totale en
morphiniques. À ce titre, les patients bénéficient d’une association d’antalgiques non
morphiniques : paracétamol, celecoxib et gabapentine mais aussi – pour certains patients
opérés d’une chirurgie majeure – d’une anesthésie péridurale pendant 48 heures comportant
l’association de bupivacaïne et de morphine. Le taux de réadmission des patients est de 6 % et
les résultats encourageants dans l’ensemble des groupes de patients opérés d’une chirurgie
mineure ou même majeure (16).
Pour résumer, le concept de l’analgésie balancée a beaucoup évolué en 20 ans puisqu’il lui a
été associé toute une stratégie de prise en charge multimodale impliquant l’ensemble des
acteurs de soins et dans laquelle la douleur n’est qu’un des nombreux éléments.
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Tableau 1.- Prise en charge optimale au cours de laquelle la douleur est intégrée dans une stratégie multimodale
périopératoire large.
Déroulement de la récupération
postopératoire
Période préopératoire
Évaluation préopératoire
Optimisation préopératoire
Période opératoire
Anesthésie
Chirurgie
Dysfonction d’organe
Période postopératoire précoce
Réponse au stress chirurgical
Douleur
Nausées, vomissements, iléus
Gestion des apports liquidiens
Mobilisation
Nutrition
Fatigue et troubles du sommeil
Période postopératoire tardive
Douleur
Fatigue et troubles du sommeil
convalescence
Figure 10- Facteurs contribuant au retard ou à l’accélération de la récupération après chirurgie élective (14)
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DÉFINITION DE L’ANALGÉSIE MULTIMODALE MODERNE
Pendant plusieurs années, des auteurs ont travaillé sur l’association idéale en combinant le
plus souvent deux voire maximum trois agents et/ou techniques analgésiques avec le plus
souvent l’épargne morphinique en critère de jugement principal. L’inconvénient majeur est
qu’une réduction isolée de la consommation en morphinique n’a de sens que si elle est
accompagnée d’une réduction de l’incidence en évènements indésirables morphiniques ou
d’une réduction du risque de développement d’une douleur résiduelle à distance d’un acte
chirurgical. Or l’incidence d’un EI de type nausées vomissements est suffisamment élevée (20
à 30 %) pour qu’un agent puisse espérer en réduire le taux. Ce n’est pas le cas de la
dépression respiratoire dont le risque est fort heureusement faible. Étudier les bénéfices
d’analgésie non morphinique (ANM) dans un objectif de réduction de l’incidence de la
dépression respiratoire liée à la morphine est une mission impossible car le nombre de
patients à inclure dans l’étude est trop élevé. D’autres équipes ont tout de même tenté d’aller
plus loin en recherchant les bénéfices d’une association en termes d’épargne en EI
morphiniques de type NVPO, somnolence ou en termes d’amélioration du confort à long
terme. La question s’est également posée de l’adaptation de ce concept en fonction des types
de chirurgies ou des populations de patients opérées. La stratégie d’analgésie en chirurgie
orthopédique majeure doit-elle différer de celle d’une colectomie ou d’une hystérectomie ?
De même, l’analgésie multimodale de l’obèse doit-elle s’avérer différente de celle d’un
patient âgé de 80 ans opérés tous les deux de la même chirurgie ? Enfin, faut-il différencier
l’analgésie en chirurgie conventionnelle de celle de la chirurgie ambulatoire ?
Le principal objectif est finalement souligné dès les années 2000: intégrer l’analgésie
multimodale dans une stratégie globale, à laquelle participent tous les acteurs de soins avec
des objectifs ambitieux d’amélioration du confort, de réduction de la morbidité et de parcours
rapide du patient.
Ce concept de l’analgésie multimodale a-t-il encore évolué en 2013, tenant compte par
exemple des questions posées ci-dessus et quels sont alors les nouveaux challenges ?
Parmi les huit questions traitées par la RFE de la SFAR de 2008 figure l’utilisation des
morphiniques, des antalgiques non morphiniques (ANM), des agents antihyperalgésiques et
de l’ALR. Si les morphiniques oraux sont un traitement de secours efficace en association
avec l’analgésie multimodale (www.sfar.org/ référentiels) (17), il est recommandé d’associer
au moins un ANM lorsque la morphine est utilisée en postopératoire par voie systémique. En
d’autres termes, la morphine ou plus généralement les morphiniques ne doivent pas être
prescrits seuls.
Cet ANM, dont le mode d’action est central (18) semble agir au moins en partie via
l’interaction avec la protéine TRPA1, activée par différents signaux douloureux. Le mode
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d’action central n’est pas synonyme de puissance d’effet puisqu’aux posologies
recommandées, cet agent n’est efficace qu’en cas de douleur faible à modérée. Selon la
SFAR, il n’est d’ailleurs pas recommandé d’utiliser seul ce médicament en association avec la
morphine dans les chirurgies à douleur même modérée, mais surtout sévère. L’épargne
morphinique en cas de douleur modérée et après douleur sévère peut atteindre respectivement
37 % et 18 %. Selon une méta-analyse récente, la dose moyenne de morphine économisée est
de 6,34 mg (19). Toutefois, cette épargne n’est pas associée à une réduction en effets
secondaires morphiniques ce qui réduit considérablement l’intérêt de cet agent pour les
douleurs après chirurgie majeure (19-21). Il existe d’autres solutions : augmenter les doses à
l’image de ce qui a été proposé il y a quelques années par certains auteurs (22), associer à
d’autres médicaments, en particulier les AINS. À ce titre, il semble d’après une méta-analyse
que les AINS augmentent l’efficacité analgésique du paracétamol, sans toutefois que
l’association soit supérieure aux AINS seuls (23). De même, l’association entre le
paracétamol et le tramadol semble supra-additive (24), comme l’association entre le
paracétamol et l’oxycodone (25-26) ou la combinaison avec la codéine (27). Ce palier 2 est
toutefois deux à trois fois moins puissant que l’oxycodone (26) et son association au
paracétamol ne permet de soulager en moyenne que 50 % des patients souffrant de douleurs
modérées à sévères versus 20 % avec un placebo. L’association au paracétamol permet
d’augmenter la durée de l’analgésie en moyenne d’une heure par rapport à la durée de
soulagement offerte par le paracétamol seul. (28). Enfin, Nauta et al. (29) ont relevé dans une
méta-analyse que l’association entre le paracétamol et la codéine n’avait pas démontré de
supériorité d’efficacité comparée à l’administration d’AINS seuls après chirurgie abdominale.
Un élément doit être toutefois signalé : pour plusieurs auteurs, le paracétamol a un effet
antihyperalgésique et le bénéfice de son administration peut s’inscrire dans la durée… (30-
32). Il ne s’agit toutefois que d’une hypothèse qui n’a jamais été étudiée sur le plan clinique.
Le néfopam est un antalgique central non morphinique de palier 1. Il agit sur les voies
monoaminergiques descendantes inhibitrices de la douleur. Il exerce une inhibition de la
recapture de la dopamine, sérotonine et noradrénaline (33). Pour certains auteurs, il exerce
une activité antihyperalgésique en réduisant la libération présynaptique du glutamate et
l’hyperexcitabilité neuronale (34), mais aussi en réduisant l’hyperalgésie liée aux
morphiniques (35). Le néfopam présente un effet synergique avec le kétoprofène mais
uniquement additif avec le paracétamol (36). Quant à sa synergie d’action avec la morphine,
certains auteurs l’ont démontré sur modèle expérimental animal de douleur chirurgicale (37)
alors que d’autres équipes n’observent qu’un effet infra-additif (38). En clinique, l’épargne
morphinique est en moyenne de 20 à 50 % et l’effet antalgique (une dose de 20 mg
équivaudrait à 7 à 10 mg de morphine) d’autant plus important que le patient est algique en
préopératoire (39). L’efficacité combinée à celle de la morphine est comparable à celle de la
kétamine également associée à la morphine titrée en SSPI (40). Il est intéressant de noter que
certains auteurs ont évalué l’association de néfopam et de paracétamol après chirurgie
abdominale majeure. L’épargne en morphine par analgésie autocontrôlée était de 33 % durant
les 48 h postopératoire dans le groupe néfopam + paracétamol vs paracétamol seul (41).
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L’efficacité du néfopam est toutefois limitée par ses effets indésirables avec un effet
chronotrope et inotrope positifs mais aussi anticholinergique (42).
Des associations multiples (néfopam +, AINS +/- paracétamol) devraient être étudiées avec la
recherche de bénéfices à distance de l’acte chirurgical dans le cadre par exemple d’une
réduction de l’incidence en douleur chronique post-chirurgicale.
Les AINS sont des agents puissants dont l’efficacité est démontrée dans de nombreux types
de chirurgie majeure. Les AINS réduisent l’intensité des douleurs au repos amis également en
conditions dynamiques (43). Il existe une synergie d’action avec les morphiniques, une
épargne morphinique d’environ 50 %, mais également une réduction de l’incidence des
NVPO liées en particulier aux morphiniques administrées en périopératoire et dont la dose est
réduite grâce à cet ANM (19,43-44). Pour Elia et al. (43), la réduction des NVPO est de
28 ,8 % à 22 % avec un NNT (nombre de patients à traiter) de 15 et la réduction de la
sédation de 15,4 % à 12,7 % (NNT = 37). Certains, AINS semblent avoir une action
antihyperalgésique (32) ce qui rend ces agents précieux chez les patients susceptible des
développer une chronicisation de leur douleur chirurgicale. Que dit la SFAR concernant la
participation des AINS à l’analgésie, multimodale ? « Il est recommandé d’associer un, AINS
à la morphine en l’absence de contre-indications » (www.sfar.org/référentiels; 17). La durée
de cette prescription ne doit pas dépasser en règle générale 5 jours dont 48 heures par voie
intraveineuse. Les contre-indications sont connues et les risques de saignement à ne pas sous-
estimer (43), notamment en cas d’amygdalectomies pour lesquelles la Sfar s’est clairement
positionnée contre son utilisation périopératoire (17). Les résultats des études concernant les
inhibiteurs sélectifs de cyclooxygénases de type 2, peu disponibles en France, sont
comparables à ceux des AINS non sélectifs (45). Outre l’association entre les AINS et la
morphine, ce qui semble intéressant concerne l’association entre les AINS et le paracétamol
puisque le bénéfice en termes d’analgésie est significatif par rapport à la prescription seul de
paracétamol pour 85 % des études analysées dans le travail de synthèse de Ong et al. (46) et
pour 64 % des études comportant l’administration d’AINS seuls (46). De même, l’association
permet une réduction des scores de douleur et une épargne morphinique respectivement de
35,0 ± 20,9 % et 38,8 % ± 13,1 % vs paracétamol et de 31,3 % ± 13,4 % et 37,7 % ± 26,6 %
versus, AINS seuls.
Corticoïdes
Les corticoïdes ont une place non contestable dans la prévention des NVPO. Ils ont également
un rôle important dans le traitement des douleurs périopératoires (47). Initialement proposés
en chirurgie dentaire – en particulier pour l’extraction des dents de sagesse (48) – les effets
bénéfiques des corticoïdes semblent dépasser la « simple » action anti-inflammatoire. Dans
une méta-analyse récente, Waldron et al. (49) ont recensé l’efficacité analgésique, mais aussi
les effets secondaires de la dexaméthasone (DXM) administrée en périopératoire. Il faut noter
que la DXM est l’agent le plus étudié dans le cadre de l’analgésie périopératoire de par ses
propriétés pharmacocinétique, mais aussi pharmacodynamique favorables par rapport aux
autres anti-inflammatoire stéroïdiens dont la durée d’efficacité est notamment plus courte.
7
Quarante-cinq études regroupant 5796 patients ont été analysées dans le travail de Waldron et
al. (49) avec des doses de DXM variant de 1,25 à 20 mg. Il existait un bénéfice en termes de
réduction des scores de douleur avec la DXM à 2h et à 24h postopératoires. Les auteurs ont
observé une épargne antalgique et en particulier morphinique, mais pas d’épargne en effets
secondaires morphiniques. La durée d’analgésie était plus longue dans le groupe DXM avec
une demande d’antalgiques de complément plus tardive. La durée de présence en SSPI était
également plus courte, ce qui constitue un critère d’analyse un peu inhabituel (bien que très
intéressant) pour un antalgique. En dehors d’une instabilité de la glycémie périopératoire, la
DXM n’entrainait aucun effet indésirable sévère tel qu’une augmentation du risque infectieux.
À noter que cette vaste étude concernait plusieurs types de chirurgies à composante
inflammatoire variable. Les auteurs soulignent également que le pic d’efficacité de la DXM
(dose moyenne proposée = 8 mg) étant entre 1 et 2 heures, les utilisateurs sont invités à
anticiper l’administration de cet agent avant l’incision chirurgicale(49). Toutefois, nous
manquons de données factuelles et quelques travaux soulignent encore des résultats négatifs
en termes d’analgésie alors que la prévention des NVPO reste d’actualité (50). Plusieurs
équipes travaillent sur l’augmentation de la durée de l’analgésie par voie locorégionale
périnerveuse. Cummings et al. (51) ont justement évalué les bénéfices de l’adjonction de
DXM à des anesthésiques locaux (bupivacaïne et ropivacaïne) chez des patients opérés sous
bloc interscalénique. Les auteurs ont ainsi démontré qu’une dose de 8 mg augmentait la durée
de l’analgésie sous bloc. S’agit-il d’un effet local ou par diffusion systémique ? La question
n’est pas encore résolue (52). Outre la piste de l’effet adjuvant en analgésie locorégionale, la
DXM peut s’intégrer dans une stratégie multimodale forte avec l’association d’agents
antalgiques et antihyperalgésiques dès la période préopératoire (53). Dans une étude de
Rasmussen et al, les auteurs ont évalué les bénéfices de l’association de gabapentine, de
DXM, de kétorolac, de paracétamol et de kétamine administrés en préopératoire d’une
arthroplastie de hanche versus paracétamol et kétorolac en postopératoire. Les auteurs n’ont
retrouvé qu’une diminution des scores de douleur dans le premier groupe sans épargne
morphinique (53). Ce concept s’inscrit pourtant dans une stratégie justifiant le rôle de chaque
médicament administré et la complémentarité des agents les uns par rapport aux autres. Il vaut
mieux en revanche choisir les bons critères de jugement. L’épargne morphinique est à ce titre
obsolète et il est souhaitable de s’orienter vers un bénéfice à court terme (parcours rapide du
patient) et/ou à distance de la chirurgie tel que la réhabilitation ou encore la diminution de
l’incidence de la douleur résiduelle.
La kétamine à faible dose (0,15 mg/kg à l’induction anesthésique) est largement proposée en
périopératoire de chirurgies pour lesquelles le risque de développement d’une hyperalgésie
postopératoire est importante (www.sfar.org/référentiels). Elle est également adaptée aux
patients présentant un parcours clinique chaotique, traités notamment par des antalgiques
morphiniques en préopératoires ou qui risquent de développer ou d’aggraver des douleurs
postopératoires sévères. La chirurgie délabrante, en particulier carcinologique, est une bonne
indication à la kétamine qui se prescrit toujours dans un contexte multimodal. Il existe à ce
titre une synergie d’action entre la kétamine et la morphine, avec une réduction des scores de
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douleur, une épargne morphinique d’autant plus intéressante qu’elle est susceptible de
concerner les patients douloureux chroniques (54-55). Cet effet d’épargne morphinique (allant
jusqu’à 50 %) ne s’accompagne pas le plus souvent d’une augmentation de l’incidence en
évènements indésirables liés à ce médicament à effet théoriquement psychodysleptique. Il
existe même une réduction de l’incidence en NVPO (56). De même, plus la chirurgie est
majeure, plus la kétamine est efficace, et son efficacité semble indépendante du type de
morphinique, mais également du moment de l’administration ou de la dose de kétamine
injectée (57). Même si cet agent antihyperalgésique est d’une utilité indiscutable, il ne doit
pas être proposé à tous les patients. Son efficacité peut être réduite, voire nulle, notamment
s’il est administré dans le cadre d’une stratégie comportant d’autres médicaments puissants
pour des gestes peu douloureux ou dont les risques de DCPC sont particulièrement faibles
(58-59).
Le concept de réhabilitation rapide, de parcours rapide du patient date des années 1990 avec
notamment Kehlet et al. (voir ci-dessus). Le terme « fast-track » décrit un ensemble de
mesures dont la conjonction contribue à améliorer les suites opératoires et réduire la durée de
présence du patient en structure de soins. Ces mesures doivent conjuguer une réhabilitation
efficace avec une sécurité absolue. Il ne s’agit pas de laisser repartir le patient trop tôt avec le
risque de le réhospitaliser. Le but est de privilégier l’efficacité de la réhabilitation et non sa
vitesse. Le concept « ERAS » (« enhanced recovery after surgery » http://erassociety.org)
apparaît une dizaine d’années après les propositions d’H. Kehlet. Les stratégies sont liées, une
amélioration des pratiques contribuant à réduire la présence des patients en structure de soins.
Ce concept intègre largement, mais pas exclusivement l’analgésie qui doit être nécessairement
balancée (63-65).
9
anesthésiques locaux et les morphiniques par voie périmédullaire, certaines équipes
soulignent toutefois la pauvreté méthodologique de nombreux travaux concernant la
prétendue supériorité à long terme de l’anesthésie péridurale, y compris dans une démarche
multimodale, par rapport aux techniques analgésies habituelles (68). Le nombre de patients
inclus dans les études est souvent faible et les critères de jugement insuffisamment définis
(69). Tout dépend en fait du choix de ces critères de jugement et surtout de l’intégration de la
stratégie analgésique dans un programme bien plus vaste de réhabilitation tel que ce qui a été
présenté ci-dessus. À ce titre, les avantages d’une anesthésie péridurale par rapport à une
analgésie par PCA morphine ne sont majeurs que si cette technique d’analgésie s’inscrit dans
la cadre d’un programme de réhabilitation rapide (« Fast Track postoperative care plan »)
(70). En chirurgie du colon, les avantages d’une APD sont significatifs en cas de laparotomie
et beaucoup plus faibles lors d’un abord laparoscopique (63-65,70). Outre une analgésie
locorégionale dans certaines indications, le programme de réhabilitation rapide comporte une
optimisation préopératoire du patient, une éducation et une sélection des patients pouvant
bénéficier de ce type de programme. Un monitorage adapté à l’acte chirurgical et au type
d’anesthésie, une réhabilitation précoce, avec un remplissage adapté (ni trop, ni trop peu..),
une normothermie peropératoire, la prévention des NVPO sont autant d’objectifs que
l’anesthésiste, mais également les autres acteurs de soins doivent rechercher (2). La technique
chirurgicale doit être la moins traumatisante possible (vers la chirurgie mini-invasive) ce qui
réduit les conséquences en termes de syndrome inflammatoire et de douleur. Le stress
postopératoire est également réduit par l’amélioration du sommeil, la renutrition et la
rééducation précoces (68).
White et al. (71) soulignent le rôle déterminant des anesthésistes dans la réhabilitation précoce
des patients opérés, avec une démarche multimodale raisonnée et adaptée aux actes
chirurgicaux. L’infiltration par des anesthésiques locaux permet une analgésie efficace pour
des chirurgies « superficielles » (hernie inguinale, chirurgie anorectale…) (71-72). De même,
l’anesthésie locorégionale plexique permet d’améliorer sensiblement le confort postopératoire
du patient et faciliter ainsi sa rééducation (71).
10
avait pour objet de produire des recommandations fondées sur l’analyse de la littérature et les
recommandations de la Sfar (www.institut-upsa-douleur.org). Le programme PROSPECT
(PROcedure-SPECific Postoperative Pain ManagemenT : http://www.postoppain.org) a une
analyse un peu différente, celle de produire des recommandations issues d’un travail
d’expertise dans une démarche pluridisciplinaire de type « evidence base medicine »
(Médecine fondée sur les preuves).
Il faut toutefois réfléchir au risque de trop concentrer ses efforts sur des actes chirurgicaux
majeurs. Joshi et Kehlet (76) font référence dans un éditorial récent à un article publié dans
Anesthesiology par une équipe allemande sur le constat d’une prise en charge insuffisante et
inadéquate de la douleur postopératoire. Les auteurs de ce travail colossal (77) ont en effet
constaté à propos d’un collectif de 70 764 patients issus de 105 hôpitaux et 578 services, que
les scores de douleur les plus élevés à J1 concernaient souvent des chirurgies qualifiées de
« mineures » telles que l’appendicectomie, la chirurgie des amygdales, la cholécystectomie ou
encore l’hémorroïdectomie. Le problème n’est pas tant lié à la prise en charge peropératoire,
mais plutôt à l’analgésie postopératoire avec une stratégie peu orientée vers l’analgésie
locorégionale, faisant insuffisamment référence à une stratégie multimodale et trop focalisée
sur les morphiniques dont on connait le risque d’évènements indésirables liés à la dose. Dans
cet article (et dans l’éditorial), les auteurs soulignent que les praticiens concentrent leur
stratégie analgésique multimodale « agressive » vers des chirurgies lourdes pour lesquelles les
patients bénéficient des techniques sophistiquées. Pour des patients opérés de chirurgie
« mineures », la stratégie est bien plus allégée et c’est d’autant plus ennuyeux que les patients
relèvent de plus en plus de l’ambulatoire. Ces douleurs sévères (estimées en général à 20-40%
des patients) apparaissent souvent à domicile avec une gestion insuffisante, cause souvent
d’une ré-hospitalisation en structure de soins. Dans ce travail, les auteurs ont recensé 40
procédures chirurgicales associées à des suites postopératoires particulièrement douloureuses
incluant 22 actes d’orthopédie périphérique. Quant aux actes « mineurs » entrainant des
douleurs sévères à j1, ils concernaient 25 chirurgies dont certaines sont citées ci-dessus.
11
CONCLUSION
RÉFÉRENCES
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