Le Phenomene Kamwina Nsapu Et La Defiance Envers Letat Au Centre

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Le phénomène « Kamwina Nsapu » et la défiance

envers l’État au centre de la RDC

Grégoire Ngalamulume Tshiebue1

Introduction
La région du Kasaï, jadis oasis de paix, a connu ces dernières années
une situation sécuritaire délétère à la suite d’un conflit très violent d’origine
coutumière dans le groupement « Bajila Kasanga », dans le territoire de
Dibaya, province du Kasaï-Central.
Ce conflit de lutte pour le pouvoir coutumier occasionna l’émergence des
milices « Kamwina Nsapu », qui semèrent la terreur sur toute l’étendue de la
province du Kasaï-Central d’abord, puis dans l’ensemble des cinq provinces
de l’espace kasaïen, couramment appelé « Grand Kasaï2 » (Kabata Kabamba
2018 ; Unicef-SOS Enfants 2018 ; GEC 2018 ; UNOCHA RDC 2017). Il
passe pour l’un des épisodes les plus dramatiques de l’histoire du Kasaï et
une première dans le mode opératoire et le déroulement des guerres des
dernières décennies en RDC.
Alors que tous les regards étaient tournés vers l’Est du pays où des
milices locales et communautaires maï-maï, nées dans la foulée ou en
marge des guerres et de l’instabilité sécuritaire dans cette région depuis
la fin des années 1990, s’affrontaient ou affrontaient l’État et les groupes
armés d’origine étrangère pour des motivations politiques, économiques,
sociales et identitaires, dont notamment des revendications d’autochtonie,
de nationalité douteuse, de droit à la terre, de contrôle des ressources
naturelles, d’exclusion (Stearns, Mercier & Donner 2018 ; de Villers 2016 ;
Stearns 2013 ; Stearns, Verweijen & Eriksson 2013), cette tension éclata
au centre du pays où vivaient paisiblement de pauvres populations depuis
des décennies, partageant largement une même origine et une identité
culturelle.

1 Professeur à l’Institut supérieur de Développement rural, ISDR-Tshibashi et Centre de


Recherche-Action en Population, Environnement et Développement, CRAPED.
2
L’Espace Grand Kasaï comptait depuis la 2e République deux provinces : le Kasaï-
Occidental et le Kasaï-Oriental jusqu’au découpage territorial de 2015 donnant lieu à
5 provinces : Kasaï, Kasaï-Central, Kasaï-Oriental, Lomami et Sankuru.

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Instrumentalisant les griefs liés à la crise du pouvoir coutumier et à la


déliquescence de l’État ainsi qu’à la frustration relative à l’exclusion de
la région des politiques publiques, ce conflit a auguré de ce que Gauthier
de Villers (2016) qualifie de régime de violence, à cause de l’articulation
et de la relative hiérarchisation des trois formes de violence : la violence
physique, la violence symbolique et la violence économique dans le
contexte historique du Grand Kasaï. Dans ce sens, ce conflit a engendré dans
la région une crise humanitaire sans précédent et entraîné de nombreuses
pertes en vies humaines, des pillages et des destructions méchantes des
infrastructures de base ainsi que des déplacements massifs des populations
(UNOCHA RDC 2017), freinant ainsi le développement local, provincial
et régional. Une crise de confiance a été exacerbée entre membres des
communautés et entre populations et institutions étatiques, menaçant ainsi
les efforts de réconciliation et de reconstruction, à cause des blessures qui
demeurent encore ouvertes (Interpeace, APC, CDJP & TDH 2020 ; Kasaï-
Central 2018).
Au-delà de l’insurrection Kamwina Nsapu, la recherche d’un nouveau
partenariat entre l’État et les diverses couches socioprofessionnelles, et,
donc, d’un nouveau contrat social devient impérieuse pour renforcer la
résilience de la province face aux menaces déstabilisatrices et insécurisantes
qui pourraient venir de son environnement interne et/ou externe. Cela
passe obligatoirement par la mise en place d’une dynamique systémique
de restauration de l’autorité de l’État, de consolidation de la paix, de
réconciliation et de prise en compte et de priorisation des demandes
populaires de développement.
Ambitionnant de mettre en lumière la dynamique complexe de la crise
du Kasaï non encore suffisamment documentée sur le plan scientifique,
cette étude se propose de relire l’histoire du conflit Kamwina Nsapu pour en
comprendre les causes profondes, en relever les conséquences multiples et,
surtout, en dégager les défis majeurs ainsi que les enjeux qui se profilent sur
la dynamique de reconstruction et de développement durable de la province
du Kasaï-Central, quatre ans après le déclenchement officiel de cette crise.
Les données pour sa matérialisation sont issues de la littérature sur
le conflit, des entretiens et contacts avec les personnes clés intervenues
dans la province durant la crise (chefs coutumiers, anciens miliciens,
leaders communautaires, victimes du conflit, agences humanitaires ainsi
que les autorités politico-administratives), mais aussi, et surtout, de notre
expérience personnelle en tant qu’acteur de la reconstruction du Kasaï-
Central post-conflit, d’abord comme ministre provincial en charge du
Plan, de l’Agriculture, du Développement rural, de l’Environnement et du
Tourisme, de février 2018 à mai 2019, ensuite comme directeur de cabinet
du gouverneur de cette province, de mai à décembre 2019, et, enfin, comme
enseignant-chercheur dans cette région.

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1. Comprendre le conflit Kamwina Nsapu dans la région


du Kasaï
1.1. L’origine du conflit Kamwina Nsapu
Comprendre le conflit Kamwina Nsapu nécessite de le resituer dans
l’histoire des relations entre les peuples du Kasaï, et des rapports que
ceux-ci entretiennent avec le pouvoir politique. Avant 2016, la région a
connu quelques épisodes troubles au début des années 1960 avec le conflit
d’autochtonie dit « Luba-Lulua » lié à l’exclusion des Luba par les Lulua
de l’ouest du Kasaï, d’une part, et à la sécession kasaïenne, d’autre part.
En effet, l’influence de la communauté luba s’était accrue à la suite des
études de ses membres et des postes élevés occupés dans l’Administration,
ce qui avait suscité l’animosité et la jalousie des Lulua, dans un contexte
d’émergence des mouvements politico-ethniques et identitaires, en marge
des revendications d’accession du pays à l’indépendance (Lombe &
Kangitsi 1994 ; Mabika Kalanda 1970). Les Luba furent ainsi forcés d’aller
s’installer à l’est du Kasaï, autour de Bakwanga (Mbujimayi), à la suite
d’une guerre ethnique au cours de laquelle ils furent pourchassés, molestés
et massacrés. Par ailleurs, en rapport avec ce qui a été appelé la « crise
congolaise » au cours des premières années de l’indépendance, conséquence
d’une décolonisation bâclée, symbolisée par des mutineries de la Force
publique, les grandes rébellions de 1963-1964, les sécessions katangaise et
kasaïenne (Ndaywel 1998), une grande partie du Kasaï fut plongée dans une
crise majeure, à cause des velléités sécessionnistes de certains de ses leaders
et fils ayant adhéré à ce mouvement. En outre, en 1996, lors de la guerre dite
de « libération », les troupes loyalistes qui fuyaient l’avancée des troupes
de l’AFDL s’adonnèrent au vol et au pillage des biens, maisons et magasins
ainsi qu’à des tueries de tous ceux qui pouvaient opposer une quelconque
résistance. En outre, lors de la guerre dite d’« agression », entre 1998 et
2003, une partie du Kasaï-Central fut occupée par les troupes rebelles
du Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD), notamment les
territoires de Demba et Dimbelenge, où se situait la ligne de front entre les
belligérants. Des atrocités de toutes sortes ont en ce sens été vécues par les
populations de ces lieux.
L’actuel conflit est né en 2016 de la revendication, émise par Jean-
Prince Mpandi, de la reconnaissance légale de son pouvoir par les autorités
étatiques. Intronisé le 20 septembre 2013 par la famille royale Bajila Kasanga
comme sixième chef de la lignée Kamwina Nsapu, en remplacement de son
oncle paternel Kamwina Nsapu Anaclet Kabeya Mupala, mort le 25 mars
2012, le nouveau Kamwina Nsapu aura du mal à obtenir son arrêté de
reconnaissance, jusqu’à sa mort, le 12 août 2016. Les divers témoignages
renseignent qu’il aurait été victime de la stratégie de dédoublement,

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largement utilisée par le pouvoir congolais de l’époque pour réprimer ceux


des chefs coutumiers jugés peu soumis et, donc, proches de l’opposition. Les
autorités provinciales auraient préféré soutenir Jacques Ntenda Tshiambi
(chef du groupement voisin mais issu de la même famille régnante) dans la
bataille pour le leadership des Bajila Kasanga, alors que Mpandi considérait
celui-ci comme un de ses sujets. Il faut signaler que monsieur Ntenda venait
d’adhérer au parti politique3 du gouverneur de province, Alex Kande, ce qui
tend à accréditer la thèse de l’instrumentalisation du pouvoir coutumier par
les hommes politiques.
En effet, le dédoublement « est destiné à affaiblir un chef coutumier
considéré comme favorable à l’opposition politique, soit en refusant de lui
donner un arrêté, soit en reconnaissant un prétendant rival à son titre » (GEC
2018 : 9).
Proche de l’opposition politique en raison de ses prises de position
hostiles au pouvoir en place, Jean-Prince Mpandi verra perquisitionner sa
résidence officielle sur ordre du gouvernement provincial, alors qu’il se
trouvait à l’étranger. Cette perquisition aurait été ordonnée sur la base d’un
renseignement fourni par un soldat démobilisé, cousin du chef Kamwina
Nsapu, prétendant que ce dernier organiserait une cache d’armes à son
domicile en vue de créer une milice dans son groupement (Kabata Kabamba
2018 ; GEC 2018 ; Kasaï-Central 2016). Bien qu’aucune arme n’ait été
trouvée, l’opération donnera lieu à des actes qui seront considérés comme
des éléments déclencheurs du conflit. D’abord, l’épouse du chef aurait été
violée ou agressée et, ensuite, les attributs ou objets sacrés4 associés au pou-
voir coutumier de Kamwina Nsapu ont été profanés, ce viol d’un important
tabou constituant un pur sacrilège vis-à-vis de la coutume.
À son retour, le 23 avril 2016, Kamwina Nsapu passe à l’offensive en
préparant et organisant des actions punitives et de vengeance. La marmite
commence à bouillir et le conflit Kamwina Nsapu éclate au cœur du Congo.
En quête d’adhésion populaire, le chef Kamwina Nsapu présente, dans
des discours incendiaires fortement relayés, sa vision et le sens de son com-
bat. Des recrutements de jeunes sont organisés à travers des « baptêmes »
qui sont des rites d’initiation à la résistance et à la lutte coutumière autour
du foyer initiatique, communément appelé « Tshiota5 », où ils boivent une

3
Congrès des Alliés pour l’Action au Congo (CAAC).
4
« Tenues traditionnelles et objets associés ». Certaines sources avancent que le conflit a été
déclenché par la révolte des ancêtres/esprits contre les militaires et l’État qui avaient brisé
le tabou (GEC 2018).
5
Dans la coutume lulua, « Tshiota » est un feu ancestral tenu dans la cour spécifiquement
par un aîné d’un lignage, un chef de famille, de clan, de tribu. Symbole de l’unité, le chef
y réunit ses collaborateurs et sujets, généralement le soir, pour résoudre les problèmes de
la famille. C’est autour de ce feu traditionnel que toutes les cérémonies sont célébrées,

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potion magique « Tshizaba ». Cela permet l’expansion de son idéologie dans


plusieurs villages et dans la ville de Kananga. Désormais, les barrières sont
érigées sur tous les axes dans et autour de son groupement et les attaques se
multiplient contre les symboles de l’État et contre les villages et personnes
jugés hostiles à son action, désignés comme « traîtres ». L’invocation des
ancêtres par Kamwina Nsapu était une sorte d’appel à la revanche justifiée
par la « provocation » des militaires et policiers ayant violé leurs règles,
en touchant sans qualité et en pillant les symboles du pouvoir. D’où, le
recours aux pratiques coutumières et ancestrales lors des combats pour être
en harmonie avec les ancêtres et bénéficier de leur protection. En outre, la
délégation à la base du forfait ayant compté des « Rwandais6 » parmi ses
membres, donc des « étrangers », leur chasse devenait légitime ; ce qui
explique le recours au slogan : « Buloba ebu bwikala bwenu7 ». Ce slo-
gan insinue que Kamwina Nsapu et ses combattants se battent pour une
cause noble, juste : la défense de la terre de leurs ancêtres et de leur dignité
contre les usurpateurs étrangers. Cela suggère aussi un fort lien à la terre des
ancêtres et donc aux traditions.
En effet, chez les Lulua, les chefs coutumiers sont censés recourir aux
coutumes, à la tradition et aux pouvoirs magiques sous le label de la sor-
cellerie (« mupongo », « buloji » ou « tshianda »). Si, généralement, la
sorcellerie a une connotation négative, dans la mesure où elle peut être uti-
lisée pour nuire aux individus ou aux groupes, elle est recommandée aux
chefs, qui utilisent son versant positif pour protéger leur population et leur
village des forces surnaturelles ennemies. D’où la présence des pratiques
magico-religieuses sujettes à la controverse dans le combat de Kamwina
Nsapu. Toutefois, le recours généralisé aux pratiques magiques et féti-
chistes contribue à la banalisation du fétichisme, qui tend à s’incruster dans
la société, surtout auprès des jeunes. Certains acteurs y voient également
un mauvais usage, dans la mesure où le feu du Tshiota a pour vocation de
sauver, de résoudre les problèmes, de ramener la paix dans la communauté
et jamais de tuer, comme cela a été le cas avec Jean Prince Mpandi.
Notons que le recours aux pratiques « mystiques » est un élément carac-
téristique des milices et des mouvements rebelles en RDC. Cela a été mis en
exergue dans les enquêtes d’Hélène Morvan (2005) sur les milices maï-maï
du territoire de Bunyakiri au Sud-Kivu ou de Benoît Verhaegen (2005 ; cité
par de Villers 2016) sur les rébellions des années 1960.

notamment la communion et l’invocation des ancêtres qui y viennent régulièrement et


répondent.
6
Militaires tutsi congolais en provenance de l’Est de la RDC, assimilables aux Rwandais
par leur morphologie.
7
« Que cette terre soit vôtre. »

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Les actions entreprises sur le terrain (barrières routières, attaque des


forces de l’ordre et agents de l’État, des villages) furent mal perçues par le
pouvoir provincial, qui y opposera une ferme répression, avec l’appui du
pouvoir de Kinshasa, jusqu’à la neutralisation de Jean-Prince Mpandi, le
vendredi 12 août 2016.

1.2. Embrasement de la situation et émergence du phénomène


Kamwina Nsapu
Après son élimination physique et la tentative d’exposition de son corps
à Kananga par les autorités, ses adeptes décidèrent de le venger ; ce qui sera
à la base du nouveau cycle de violences qui démarrera dès septembre 2016,
quelques semaines après sa mort, et s’enlisera (Kasonga Ndunga Mule
2018).
Ainsi, le refus de la voie politique en vue de résoudre le conflit par la
négociation a vite précipité le Kasaï dans l’horreur. Sa neutralisation, loin
de calmer la situation et de résoudre le problème, l’a davantage amplifié et
a auguré d’une ère d’instabilité, voire d’instabilisation, non seulement de
la situation sécuritaire au Kasaï-Central, mais aussi des institutions socio-
politiques et communautaires, de manière générale, dans l’ensemble de la
région du Grand Kasaï et du pays.
Immédiatement après la mort de leur chef, certains survivants de ses
douze apôtres8 entreprennent de réorganiser le mouvement et décident de
le venger. Ils rassemblent les éléments restés et procèdent au recrutement,
au réarmement moral et initiatique des troupes. Les nouveaux baptisés sont
majoritairement des jeunes et, pour la plupart, des enfants, qui adhèrent au
mouvement et s’y lient par les rituels et par la coutume. L’endoctrinement
est tellement fort que même les jeunes enfants obtiennent le courage de
manipuler les corps humains : crânes, têtes, organes sexuels, etc., ou même
d’en manger. Ces pratiques corroborent celle, effective ou symbolique, de
l’« anthropophagie » liée à des croyances magiques chez les Maï-Maï du
Sud-Kivu, documentée par Hélène Morvan (2005 : 77-86) ou même du
« cannibalisme » dans les mouvements rebelles chez Benoît Verhaegen
(2005, cité par de Villers 2016).
Ils se dotent d’armes, notamment de longs couteaux, de frondes et de
bâtons de bois, taillés en forme de fusils calibres 12 ou AK-47. Selon les
« éléments », comme ils aiment s’appeler, leurs objets se transforment au
combat en véritables fusils, plus puissants que les armes traditionnelles.
Habillés de rouge (longues tuniques rouges pour les apôtres, T-shirt ou pan-
talon rouge pour les autres, bandeaux rouges sur la tête parfois entrelacés
de gris-gris : plantes, insectes, etc.), les miliciens placent les « Ya mama »,

8
Les membres du cercle rapproché de Jean-Prince Mpandi, initiés par lui-même.

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des filles vierges et de jeunes femmes pendant leurs périodes de règles, en


première ligne au front, après initiation, car, soutiennent-ils, elles disposent
de pouvoirs surnaturels pour arrêter les balles ennemies en les balayant dans
leurs jupes ou robes rouges.
Il faut mentionner que ce groupe original de miliciens, à l’instar des
groupes maï-maï dans l’Est du Congo, est caractérisé par une certaine disci-
pline, notamment des interdits rituels : activités sexuelles, consommation de
viande, de poisson, vol, moments stricts de repas autour du foyer initiatique,
panique, recul ou regard vers l’arrière pendant les combats, etc. En outre,
ses cibles sont bien claires : les symboles de l’État : autorités, forces de
défense et de sécurité (militaires, policiers, agents des renseignements…),
bâtiments et édifices publics, etc. Ils s’attaquent rarement aux populations
civiles, sauf celles considérées comme des traîtres, et lancent souvent leurs
attaques le vendredi, en mémoire de l’assassinat de leur chef un vendredi.
La non-observance de ces règles entraîne la faillite des éléments concernés
et, donc, leur vulnérabilité aux attaques ennemies. Selon plusieurs témoi-
gnages de terrain, certains éléments tombés au front se recrutaient parmi les
indisciplinés, alors que certains éléments respectueux de la discipline, qui
avaient malgré tout succombé aux balles ennemies, pouvaient être rappelés
à la vie après invocation des ancêtres au niveau du « Tshiota ». La dimension
culturelle a donc été très présente dans ce conflit.
Il faut ici reconnaître que les fétiches des miliciens ont révélé une cer-
taine efficacité et une relative invulnérabilité aux balles ennemies, au point
que certains éléments des forces armées battaient carrément en retraite,
abandonnant leurs tenues et leurs armes.
Entrés dans la ville de Kananga après l’attaque de l’aéroport, le 23 sep-
tembre, quelques groupes de miliciens s’y installent. Certains de ceux qui
avaient été baptisés au premier rang commencent à s’installer dans certains
quartiers et à y recruter et baptiser les gens, sans réelle concertation avec
le noyau dur tenu par les rescapés des 12 apôtres et sans coordination. Les
milices commencent, dès lors, à se fragmenter en groupes relativement
autonomes et prolifèrent dans plusieurs quartiers. On en trouve à Nganza,
au quartier de l’aéroport, à Malole, à Kambote, à Katoka 3, mais la faction
la plus importante et la plus farouche sera celle basée à Nganza, qui compte
les disciples de Kamwina Nsapu, dont certains membres des 12 apôtres.
Notons, en passant, que la commune de Nganza, limitrophe du territoire de
Dibaya, compte plusieurs ressortissants de ce territoire, particulièrement les
Bajila Kasanga de Kamwina Nsapu, ce qui justifie cette forte proximité à la
fois géographique et ethnique.
Au fur et à mesure que les affrontements s’amplifient et que les victoires
se « multiplient », les groupes commenceront à recevoir, hormis les jeunes
et les enfants, des personnes ayant une certaine expérience des activités
violentes et/ou illégales, notamment, les anciens soldats démobilisés, les

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ex-prisonniers, les bandits de grand chemin, les catcheurs (GEC 2018). Très
vite, les milices deviennent aussi armées, avec des armes parfois sophisti-
quées récupérées sur le champ de bataille. Les baptêmes s’intensifient et
les pratiques « coutumières » et les rituels « magiques » deviennent très
importants, avec le maniement des têtes et crânes humains retirés sur des
personnes décapitées et ramenés au Tshiota. La potion magique « Tshizaba »
commence à contenir des os humains moulus et les recrues sont invitées à
manger de la chair humaine et des insectes vivants (mankenene).
L’expansion de la milice va conduire rapidement à sa fragmentation. Les
règles disciplinaires de départ vont être abandonnées progressivement, voire
méconnues par les groupes hétérogènes et divers qui vont intégrer le mou-
vement. Ainsi, la violence et la barbarie envers les populations civiles vont
s’amplifier à travers les mutilations et décapitations, de même que les vols,
les extorsions ainsi que les violences sexuelles. Les Ya mamas autrefois pro-
tégées et utilisées pour leur force surnaturelle, en raison de leur virginité,
vont être vite transformées par certains groupes en partenaires sexuelles des
responsables et les viols vont être commis sur plusieurs femmes et filles.
Le mouvement Kamwina Nsapu se développe alors très vite, dépassant
les limites de la ville et atteignant désormais les territoires et les villages du
Kasaï-Central ; il s’oriente vers d’autres provinces du Grand Kasaï, deve-
nant de plus en plus fragmenté et autonome, faute de coordination et de
vision commune, mais surtout d’intégration des éléments indépendants en
quête de leadership et de positionnement politique et/ou économique (chefs
coutumiers en conflit, militaires démobilisés, bandits de grand chemin,
jeunes désœuvrés, anciens fonctionnaires). Cette situation va compliquer
davantage les initiatives de négociations avec les autorités publiques, les
milices n’ayant pas de répondant reconnu par tous et, donc, de centre de
décision opposable à tous.
Ce qui est intéressant à signaler dans ce développement est que la pro-
pagation du mouvement à travers l’Espace Grand Kasaï est le fait de deux
dynamiques complémentaires : une dynamique locale/endogène et une
dynamique extérieure.
La dynamique locale/endogène est le fait des chefs coutumiers et/ou
jeunes locaux qui vont eux-mêmes solliciter les éléments de Kamwina
Nsapu pour se faire baptiser et emmener le mouvement chez eux, dans
leur propre village, y installer un Tshiota, recruter et initier les autres avant
de commencer les actions. Mécontents de la situation socio-économique
précaire, notamment du chômage de masse et de la pauvreté généralisée,
et inspirés par des révoltes d’autres contrées dans le pays, ces dirigeants
locaux et les jeunes se mobilisent de leur propre initiative pour se lancer
dans la protestation contre le régime en place à leur manière. Les conflits
locaux, notamment coutumiers, vont également être à la base de la propaga-
tion du mouvement. Pour se faire respecter, les concurrents dans les villages

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recourent à Kamwina Nsapu pour obtenir des forces surnaturelles et écraser


la partie adverse. Il faut aussi rappeler que l’intégration des milices au titre
de responsable procurait certains avantages, notamment une certaine estime
auprès des autres dans le village ainsi que des ressources allant de pair avec
ce titre, particulièrement lors de l’occupation et de l’exploitation des carrés
miniers : les perceptions à des barrières routières érigées, les amendes en cas
d’accusation, etc. Dans ces conditions, une course au lancement des milices
dans les villages était observée pour bénéficier des avantages de cette situa-
tion. Cette dynamique endogène s’est poursuivie et même amplifiée après
les premières tentatives de réconciliation, où certains chefs miliciens ont
gagné des biens auprès des autorités. Créer une milice devenait dans ces
conditions un moyen d’attirer l’attention des autorités sur soi.
La dynamique extérieure est relative, quant à elle, à l’expansion du
mouvement antérieur ; les éléments se déplacent vers d’autres villages, y
installent un Tshiota, baptisent et initient d’autres personnes pour qu’elles
intègrent le mouvement et lancent des attaques.
Dès lors, les attaques se multiplient et le Kasaï s’embrase, devenant le
bastion de la violence, de la terreur et de l’horreur.
Le nouveau régime de conflictualité qui se manifeste au Kasaï entraî-
nant les mobilisations miliciennes qui instrumentalisent les griefs liés aux
conflits fonciers et à la crise des pouvoirs coutumiers conforte les résultats
des études de cas des conflits des dernières décennies au Congo (USAID &
International Alert 2015 ; Stearns, Verweijen & Eriksson 2013 ; Vlassenroot
& Raeymaekers 2004).
Il faut également signaler qu’avec l’arrivée des milices sur le territoire
de la province du Kasaï, le conflit a pris une dimension communautaire
et interethnique. En effet, contrairement au Kasaï-Central et au territoire
de Dibaya, bastions de la crise, comprenant majoritairement les popula-
tions lulua, la province du Kasaï est, en revanche, hétérogène, avec divers
groupes ethniques, dont aucun n’est majoritaire (Tshokwe, Pende, Lulua,
Luba, Tetela). Ici, le mouvement Kamwina Nsapu a été associé aux popu-
lations lubaphones (Lulua et Luba) non sans raison. En effet, une bonne
partie des attaques dans le territoire de Tshikapa-Kamonia est attribuée à
Mbawu Nkanka, proche parent de Kamwina Nsapu et d’autres ressortissants
lubaphones.
Selon des rapports des Nations unies (GEC 2018), des hommes poli-
tiques9 sont cités comme ayant été à l’initiative de la milice « Bana Mura »
accusée des pires exactions sur les populations lubaphones indexées comme

9
Ces rapports citent notamment les députés nationaux Maker Muangu Famba, Hubert
Mbingho ou même l’ancien chef de secteur Lovua Loangatshimu et actuellement député
provincial, Kabuya Shamasanza Muyej.

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proches des Kamwina Nsapu. Sous leur instigation, les communautés tsho-
kwe, pende et leurs alliées tetela se sont liguées pour former cette milice en
vue de résister aux miliciens Kamwina Nsapu ou de s’attaquer aux com-
munautés lubaphones, qu’elles ont accusées de véhiculer l’idéologie et
les violences Kamwina Nsapu dans leurs entités. L’identité ethnique est,
désormais, instrumentalisée à des fins politiques. Cela corrobore la thèse
des conflits locaux, mais ayant des ramifications, bénéficiant d’appuis et
de complicités dans des « réseaux d’élite » qui « au sein de l’armée et de
la scène politique » rivalisent pour le partage des pouvoirs (Stearns 2013).
Comment alors mettre fin à ce cycle infernal de criminalité ?

1.3. Fin progressive de la violence


Plusieurs facteurs ont contribué à la fin de ce conflit violent. Dans un
premier temps, la signature d’un accord de paix entre le Gouvernement
congolais et la famille Kamwina Nsapu, fin mars 2017, a permis à cette
dernière de récupérer les restes du corps de Jean-Prince Mpandi, le 15 avril
2017, de l’inhumer conformément à la coutume et d’appeler à la fin des
combats (GEC 2018 ; Ministère de l’Intérieur et Sécurité, ministère de la
Justice et garde des Sceaux, ministère des Droits humains-RDC 2017). Cet
appel ne fut toutefois pas unanimement suivi, de nombreuses milices s’étant
autonomisées depuis le début du conflit et refusant de déposer les armes.
La situation s’est davantage apaisée à partir de septembre 2017, après la
conférence sur la paix, la réconciliation et le développement dans l’Espace
Grand Kasaï organisée par le Gouvernement central à Kananga. Les appels
à la paix lancés à cette occasion par de nombreux chefs coutumiers et
représentants politiques ont encouragé l’abandon des armes et permis la
récupération de plusieurs zones insurgées par les autorités et les forces de
sécurité. Un an plus tard, en décembre 2018, l’élection de Félix-Antoine
Tshisekedi, fils de la figure de l’opposition historique de la région, à la
présidence de la République entérina la démobilisation volontaire des
miliciens. Malgré ces efforts de pacification, certaines poches de tension
persistent, cependant, à ce jour autour de quelques milices, chefs coutumiers
et membres de la famille Kamwina Nsapu, qui refusent d’abandonner la
lutte et poursuivent leurs attaques à l’encontre des représentants de l’État,
de leurs soutiens ou de membres de communautés rivales.

2. Une révolte localisée qui émerge dans un contexte


instable et canalise les frustrations populaires
Une enquête publiée en octobre 2020, menée au Kasaï et au Kasaï-
Central par l’ONG Interpeace avec ses partenaires relève 4 facteurs clés à
l’origine de la crise sécuritaire de 2016 dans la région et qui demeurent, à ce

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Le phénomène « Kamwina Nsapu » et la défiance envers l’État au centre de la RDC 423

jour, au cœur des préoccupations locales. Il s’agit de l’instrumentalisation


du pouvoir coutumier à des fins politiques, des rivalités ethniques et inter-
communautaires, de l’accès disputé au foncier et aux ressources naturelles
et de la crise de confiance de la population envers l’État et ses institutions
(Interpeace, APC, CDJP et TDH 2020). Ces conclusions impliquent de repla-
cer ce conflit dans le contexte sociopolitique et économique du Congo en
général et du Kasaï en particulier. Ce contexte est effectivement marqué par
les conflits au niveau coutumier, alors que les populations n’ont pas accès
aux services sociaux de base de manière générale, ce qui accroît les frus-
trations et érode la confiance dans l’élite dirigeante et dans les institutions.

2.1. Difficile articulation entre le pouvoir d’État et le pouvoir


traditionnel
Le conflit de pouvoir coutumier est très prononcé au Kasaï-Central.
Il est manifeste dans les cinq territoires et constitue un handicap majeur
pour le développement local et provincial. En février 2018, lors du forum
des chefs coutumiers à Kananga, 74 cas de conflits de pouvoir dans les
492 groupements avaient été recensés (Kasaï-Central 2018) et plus de 130
en 2019. En effet, il y a lieu de noter à cette étape la difficile articulation
entre le pouvoir d’État et le pouvoir traditionnel (Kabata Kabamba 2018 ;
GEC 2018 ; RFI 2017b).
Trois causes principales en étroite interaction peuvent être mentionnées.
Il y a, à la base, le non-respect des normes en matière de succession au
pouvoir dans des familles régnantes, ensuite, l’ingérence des autorités
politico-administratives, et, enfin, la problématique d’affranchissement
ou d’autonomisation de certaines localités par les chefs coutumiers eux-
mêmes. En effet, la loi n° 15/015 du 25 août 2015 fixant le statut des chefs
coutumiers, qui dépouille pourtant les chefs traditionnels d’une partie de leur
pouvoir en les soumettant aux ordres des autorités politico-administratives
par l’institution d’un salaire avec le statut de fonctionnaire, n’est même
jamais respectée en ce qui concerne les procédures de reconnaissance.
S’agissant du non-respect des normes en matière de succession, il y
a lieu de noter l’absence de consensus au niveau de la famille régnante
sur le successeur, en cas d’absence de testament opposable à tous.
Traditionnellement au Kasaï, le pouvoir coutumier se transmet du père au
fils, mais aussi, lorsque le titulaire n’a pas de fils majeur, du frère au frère,
de l’oncle paternel au neveu ou même de cousin à cousin. Cette situation
est source de conflits de succession, dans la mesure où elle génère une base
de plus en plus large de prétendants au trône. En dehors de tout testament
reconnu et non contesté, le prétendant est censé réunir l’unanimité autour de
sa personne, notamment de la part des différents chefs des familles membres
de la lignée royale.

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424 Conjonctures de l’Afrique centrale

Comme les prétendants au trône sont nombreux, certains, qui estiment


avoir le soutien d’hommes politiques, peuvent profiter de cette situation,
qui conduit généralement au dédoublement du groupement. La mauvaise
gestion du conflit de succession et du contrôle du pouvoir coutumier est
donc mise en cause.
Ensuite, les interférences politiques dans la gestion coutumière sont
nombreuses. Elles sont le fait d’hommes politiques à la recherche de bases
électorales. Comme ce sont des décideurs ou des proches, ils arrivent ainsi à
attiser le feu en refusant l’arrêté de reconnaissance au chef désigné et/ou en
soutenant les candidats qui leur sont favorables, juste pour punir l’infidélité
du candidat légitime. Ainsi, les autorités politico-administratives (chef de
secteur, administrateur de territoire, chef de division des affaires coutumières,
ministre provincial de l’Intérieur, gouverneur de province, secrétaire
général aux affaires coutumières et ministre de l’Intérieur) s’ingèrent dans
les affaires coutumières en refusant volontairement de reconnaître le chef
désigné par la famille régnante ou en reconnaissant le pouvoir coutumier à
d’autres personnes que celles désignées par les familles régnantes, ce qui est
à la base de plusieurs conflits dans la région, comme en témoigne un chef
coutumier de Kamwandu à Dibaya : « On rencontre dans un même village
deux chefs, l’un avec l’arrêté sans être désigné par la famille régnante, et
l’autre désigné par sa famille régnante mais sans arrêté de reconnaissance
légale » (Interpeace, ACP, CDJP et TDH, 2020 : 41). Comme le pouvoir
procure des avantages et que les concurrents sont nombreux, il y a toujours
des gens disponibles pour jouer ce jeu dans les familles régnantes. D’où, la
persistance de la problématique de non-reconnaissance des chefs désignés
par les arrêtés du ministère de l’Intérieur, comme ce fut le cas de Jean-Prince
Mpandi et du dédoublement des groupements.
Enfin, certains chefs coutumiers ont une part de responsabilité dans
la prolifération des conflits coutumiers, à travers le phénomène de
l’affranchissement de certains kapitas (chefs de localité) et de l’émergence
de groupements de fait, à la suite de dons et autres biens qui leur sont offerts,
dans un contexte de pauvreté. Ils offrent à ces derniers des documents
d’affranchissement et, donc, d’autonomisation de leurs localités, qui
deviennent ainsi de nouveaux groupements qui, dans certains cas, sont remis
en cause par leurs successeurs. Cette pratique ne peut se justifier que dans le
contexte d’une croissance importante de la population du groupement ; dans
ce cas, le groupement peut se scinder avec l’appui des autorités politico-
administratives en confiant le pouvoir au kapita disposant d’une population
importante susceptible de former un groupement. Toutefois, cela ne respecte
pas souvent les procédures et se fait de manière anarchique, ce qui est à la
base des problèmes.

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Le phénomène « Kamwina Nsapu » et la défiance envers l’État au centre de la RDC 425

2.2. Diversité et complexité des conflits locaux liés à l’accès au


pouvoir et aux ressources, perturbant le vivre-ensemble au niveau
local
Le conflit Kamwina Nsapu a émergé dans un contexte local où persistaient
déjà des conflits divers entre les populations locales, facilitant de ce fait sa
propagation. Comme le note Kabata Kabamba (2018 : 19), les enjeux de
pouvoir et d’appropriation territoriale se trouvent au cœur d’une situation
de conflictualité permanente handicapant le développement. Ainsi pour lui,
c’est de la fragilité de l’État, du clientélisme politique et de l’utilisation par
les élites de l’ethnicité aux moments de crise que proviennent les nombreux
conflits parmi lesquels ont été identifiés ceux liés à une difficile coexistence
du légal et du légitime et ceux opposant le pouvoir coutumier au pouvoir de
l’État.
En effet, au Kasaï-Central, les conflits et les foyers de tension sont divers
et complexes. Il s’agit spécifiquement de conflits du pouvoir coutumier ;
de conflits fonciers ; de conflits de limite entre les provinces, entre les
groupements et les villages ; de conflits de gestion des ressources naturelles ;
de conflits intercommunautaires ; de conflits de leadership, etc. (Kasaï-
Central 2018).
Face à des conflits d’origine coutumière et/ou foncière dans les entités,
le vivre-ensemble est sapé et l’élan de développement communautaire est
freiné, dans la mesure où les parties en conflit ainsi que leurs supporters
ne peuvent unir leurs efforts pour des actions communes. Pire, des actions
de sabotage et de représailles éclatent, donnant lieu à de nombreuses pertes
en vies humaines, des incendies des cases et maisons, la fuite des villages
et des déplacements de populations. Les affaires coutumières et foncières
sont ainsi sources de multiples conflits meurtriers et destructeurs entre
les groupements ou les communautés. Les derniers événements du mois
d’août 2020 dans la cité de Bakwa Kenge10 avec une dizaine de morts, une
centaine de cases incendiées et des milliers de personnes déplacées en disent
long (GEC 2020). Même chose pour le conflit entre les Bakua Tshimuna
Tshimpanga, secteur de Dibataie (Dibaya, Kasaï-Central) et les Bakua Lonji,
secteur Mulungula (Kabeya Kamuanga, Kasaï-Oriental) en septembre 2020
ou même entre Bakua Kanyinga et Bakua Ndaye aux environs de la mission
catholique Katende, secteur de Kunduyi, dans le territoire de Dimbelenge.

10
S’agissant de Bakwa Kenge, le récent rapport d’août 2020 du GEC montre que cette cité
est au cœur de grands enjeux politico-économiques entre les deux provinces. Le village
natal d’Évariste Boshab, notable du Kasaï (Tete Kalamba) se trouve dans cette localité et
sa reconnaissance comme entité du Kasaï-Central aurait de graves implications sur la vie
politique de ce dernier.

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426 Conjonctures de l’Afrique centrale

Dans certains coins de la province, la population se trouve dans l’insécurité


à cause des tracasseries militaires et policières, dont de multiples barrières,
rendant difficile la circulation des personnes et de leurs biens.
Par ailleurs, les conflits fonciers représentent le premier type de conflit
au niveau des cours et tribunaux congolais (Bisa Kibul 2019 ; Justice et
Paix 2017). Cette situation est valable pour le Kasaï-Central. Ils concernent
les limites de parcelles ou de champs entre voisins, de terres et forêts entre
villages, groupements, secteurs, territoires et les provinces et sont exacerbés
par les bureaux des cadastres et titres fonciers qui, sur fond de flou juridique
et de corruption à tous les niveaux, confisquent les terres de certaines
personnes et communautés pour les brader au plus offrant. L’accaparement
des terres agricoles et communautaires par des élites économiques, politiques
et militaires contribue également à ce dysfonctionnement, sans oublier le
mauvais rôle joué par certains chefs coutumiers qui attribuent et réattribuent
les mêmes terres à plusieurs concurrents (Peemans 2018 ; Baraka, Nyenyezi
Bisoka & Ansoms 2017 ; Nyenyezi Bisoka et Ansoms 2015 ; Ngalamulume
2011). La spoliation des terres agricoles en vue de l’exploitation minière
ravive également des tensions dans certaines contrées. Concrètement dans
ce domaine, se pose le problème de la légalité et de la légitimité en matière
foncière (Kabata Kabamba 2018). Malgré les intentions affichées par
l’État, le pouvoir coutumier pèse de tout son poids sur la gestion des terres,
particulièrement en milieu rural et périurbain. Ces chefs exercent un contrôle
sur les terres communautaires considérées comme propriété du clan ou des
lignages. Ils en assurent la distribution et y ont un droit de regard reconnu
par tous, autorité « moderne » comprise (Sakata 2010). Cette coexistence du
légal et du légitime augure d’un pluralisme juridique à la base de plusieurs
conflits que l’on rencontre au pays et dans la région, brisant le lien social
entre les communautés (Bisa Kibul 2019 ; SFCG 2017 ; Ngalamulume
2016). Le conflit Kamwina Nsapu s’est engouffré à certains égards dans les
conflits préexistants, ce qui a permis sa rapide intensification.

2.3. La montée des frustrations communautaires sur fond


de précarité socio-économique, entraînant la crise de confiance
de la population envers l’État et les institutions
Depuis quelques décennies, la population du Grand Kasaï en général et
du Kasaï-Central en particulier se considère marginalisée sur le plan de son
développement, d’où son faible niveau de confiance envers les institutions
de l’État. Elle s’estime victime de ses positions politiques jugées proches de
l’opposition politique, ce qui génère et nourrit des frustrations que peuvent
bien capitaliser les mouvements de révolte, comme ce fut le cas avec
Kamwina Nsapu. Le Grand Leader de l’opposition depuis les années 1980
et jusqu’il y a 3 ans, feu Étienne Tshisekedi, est né au Kasaï-Central où son

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Le phénomène « Kamwina Nsapu » et la défiance envers l’État au centre de la RDC 427

parti politique, l’UDPS, dispose de solides bases militantes et électorales.


La formation d’un espace monétaire indépendant entre 1993 et 1997, avec
le rejet de la nouvelle monnaie, le nouveau zaïre, au mépris des instructions
du pouvoir de Kinshasa, et le maintien de l’ancienne sur ordre d’Étienne
Tshisekedi, malgré les tracasseries des forces armées et de sécurité, ou le
vote massif contre le président Kabila aux élections organisées en 2006
et 2011 et contre son dauphin désigné en 2018 en sont des illustrations11.
Considérée comme « terre d’opposition politique », la région a subi au cours
des dernières décennies un relatif écartement des politiques publiques et des
investissements socio-économiques, générant des frustrations au sein de sa
population.
Avec une ville essentiellement administrative, donc sans entreprises,
la région présente le taux de chômage de même que le taux de pauvreté
parmi les plus élevés du pays, selon les données de dernières enquêtes
socioéconomiques (ICREDES-PPA/LCPI 2019 ; INS 2019a ; Banque
mondiale 2017 ; PNUD RDC 2017 ; ministère du Plan & INS 2014 ;
Ministère du Plan, ministère de la Santé publique & ICF International 2014),
et ce, malgré les immenses potentialités agricoles, minières et hydrauliques.
La pauvreté est multidimensionnelle et élevée dans cette province, où les
indicateurs de développement humain figurent parmi les plus faibles du pays
(PNUD RDC 2017 ; INS 2016). La vulnérabilité économique est avérée pour
une grande majorité de la population, avec un niveau de pauvreté extrême
élevé et un chômage de masse. Les taux de pauvreté restent supérieurs
à 80 % dans le Kasaï, contre 50 %, autour des grandes agglomérations
comme Kinshasa et Lubumbashi (Banque mondiale 2017). Les entreprises
sont de fait peu implantées dans la province, en raison notamment de son
enclavement par rapport au reste du pays, et du manque d’infrastructures,
d’électricité et de routes pour relier les principaux pôles économiques des
différentes provinces.
Cette fragilité socio-économique alimente les préoccupations et remonte
les frustrations au niveau des communautés qui se croient abandonnées par
les pouvoirs publics.
La grille d’analyse des nouvelles guerres civiles au Congo proposée
par William Zartman (2005, cité par de Villers 2016) s’applique bien au
conflit du Kasaï, notamment au niveau des facteurs need et creed, alors que
le troisième, greed, ne s’est pas concrétisé. En effet, la situation de déliques-
cence économique et sociale liée à la défaillance de l’État a bien créé un
état de besoin (need) en même temps que de frustration et de contestation

11
Au Kasaï-Occidental, Jean-Pierre Bemba a recueilli 67,2 % au second tour de la
présidentielle en 2006 et Étienne Tshisekedi 75,64 % en 2011 contre Joseph Kabila. En
2018, Félix Tshisekedi a obtenu plus de 90 %. Le pouvoir n’obtient des voix au Kasaï-
Central qu’auprès des communautés minoritaires non lubaphones.

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428 Conjonctures de l’Afrique centrale

(grievance). Les mécontentements ont été canalisés en entretenant une


croyance (creed) victimaire au Kasaï. Toutefois, la forme revendicatrice et
contestataire de la crise n’a pas permis des phénomènes d’accaparement des
ressources ou de pillage des richesses au profit des chefs de guerre (greed)
comme observé dans l’Est du pays.

3. Les conséquences de la crise au Kasaï-Central


La crise qui a embrasé le Grand Kasaï depuis le mois d’août 2016 a été
d’une violence extrême. Elle a occasionné des dégâts immenses à la fois
sur les plans humain, matériel et environnemental, générant ainsi une crise
humanitaire sans précédent au Kasaï.
En effet, c’est la pauvreté, la souffrance, la colère, les drogues, l’alcool
qui font agir les militaires et insurgés, les conduisant à voler, piller,
violer, tuer, comme renseigné dans les entretiens des soldats de l’armée
gouvernementale dans l’Est du Congo avec deux chercheuses, justifiant
ainsi leurs mauvaises conditions de vie, leur misère sexuelle et affective, le
mépris que leur témoignent les populations, l’irresponsabilité et la brutalité
du commandement, les désordres d’une guerre absurde. « La guerre est
folle, elle détruit l’esprit des gens. Certains deviennent carrément fous… »,
s’était exclamé l’un deux (Eriksson & Stern 2007, cités par de Villers 2016).

3.1. Des pertes en vies humaines


Sous l’impulsion des croyances et des forces magiques, l’insurrection
Kamwina Nsapu et les affrontements avec les forces de sécurité qui s’en
sont suivis ont généré des violences meurtrières énormes ayant causé
la mort de plusieurs milliers de personnes dans toutes les couches de la
population : populations civiles, miliciens et forces de l’ordre. Étant donné
que les miliciens étaient confondus avec – et même dissimulés dans – les
populations civiles, les victimes ont été importantes, à cause des attaques
de masse opérées par les forces de l’ordre en signe de représailles, lors des
opérations de ratissage ou même des combats sanctionnant de la sorte le
supposé soutien des populations à leur cause. Les tueries constituaient une
démonstration de force et de puissance de chaque camp. Il est important
de noter que durant le conflit, tant les insurgés que les forces de l’ordre se
sont rendus coupables d’atteintes au droit à la vie, en opérant des massacres
de grande ampleur, suffisamment documentés par plusieurs sources
indépendantes.
Comme si la violence, le traumatisme, la sauvagerie de l’homme
définissaient désormais l’identité kasaïenne et que le destin de la région
s’inscrivait en marge de celui du pays dans son ensemble (Vellut 2004 :
270), ce recours à la violence extrême, devenue presque un « habitus »

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Le phénomène « Kamwina Nsapu » et la défiance envers l’État au centre de la RDC 429

transformant l’« économie morale », en particulier au sein d’une jeunesse


sans perspectives comme documenté par Luca Jourdan (2004 : 171) au
Nord-Kivu au début des années 2000, renvoie à la notion de « brutalisation »
appliquée à la guerre de 1914-1918 par l’historien George L. Mosse.
Après recoupement de plusieurs sources (Kabata Kabamba 2018 ;
Kasonga Ndunga Mule 2018 ; GEC 2018 ; RFI 2017a, b ; UNOCHA RDC,
2017, Le Monde Afrique 2017a, b), il y a lieu d’avancer un bilan entre 3000
et 5000 morts et 80 fosses communes. Par ailleurs, 2 experts de l’ONU et
leurs 4 accompagnateurs congolais ont été exécutés à Moyo Musuile dans le
territoire de Dibaya, le 12 mars 2017.

3.2. Une crise humanitaire sans précédent


La crise du Kasaï a généré une situation d’urgence complexe qui s’est
rapidement propagée dans tout l’Espace Grand Kasaï, entraînant d’immenses
besoins humanitaires, et ce même au-delà du Kasaï. Selon UNOCHA
(2017), sept provinces, notamment celles du Kasaï, du Kasaï-Central, du
Kasaï-Oriental, du Lomami, du Sankuru, du Kwilu et du Lualaba, étaient
particulièrement touchées, avec une population de près de 1,9 million de
personnes dans le besoin d’une aide humanitaire d’urgence. Sur l’ensemble
des sept provinces touchées, au total, 79 zones de santé sur 95, dont 24
sur 26 au Kasaï-Central ont été directement affectées par le conflit, en
raison notamment de nombreux déplacements de population (y compris les
retournés12) et de destruction de villages et d’infrastructures. Cela montre
effectivement la propagation de la crise.
Notons que le conflit a provoqué des déplacements internes massifs,
soit environ 1,5 million de personnes ainsi que plus de 30 000 réfugiés
en Angola. De plus, les nombreuses destructions et violences vécues par
les populations représentent des sources importantes de traumatisme, dont
l’impact individuel et social compromet le renforcement de la paix et du
développement de la région.
De multiples violations des droits humains ont été enregistrées, dont
64 456 cas de violences sexuelles sur les femmes (UNOCHA 2017). Il s’est
ainsi observé une sorte de déchaînement d’atrocités visant particulièrement
les femmes (Hunt 2008). Ces « violences d’en bas » ont été commises à la
fois par les miliciens et par les forces de l’ordre ainsi que les populations
civiles. Certaines filles dans le mouvement Kamwina Nsapu étaient prises
en otage et utilisées comme partenaires sexuelles des responsables.

12
Ce terme fait référence aux déplacés internes qui reviennent chez eux après le conflit. Le
mot « rapatriés » renvoie quant à lui aux personnes qui étaient accueillies dans d’autres
pays et qui reviennent.

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430 Conjonctures de l’Afrique centrale

Par ailleurs, plusieurs milliers d’enfants, au moins 5000 selon l’UNICEF,


ont été séparés de leurs familles et utilisés dans les combats. Pour l’UNICEF
et SOS Enfants (2018), l’aspect le plus effroyable de la crise reste l’utilisation
des enfants par les milices. Il en résulte que les enfants ont été véritablement
les premières victimes de cette crise dévastatrice.
À ces questions s’ajoutaient les préoccupations sécuritaires ainsi que la
protection, vu la persistance des poches de tension, au long de 2017 et 2018.

3.3. Incidences socio-économiques


Au cours de cette période, les miliciens – particulièrement – se sont
attaqués presque systématiquement aux infrastructures socio-économiques
et communautaires, dont les écoles, les centres de santé, les édifices
religieux, les bâtiments publics (commissariats de police, bureaux de la
commission électorale nationale indépendante, résidences des autorités,
etc.). Cela a dans une large mesure contribué à aggraver une situation qui
était déjà précaire au départ.
Les bilans renseignent qu’au moins 416 écoles et 118 structures de santé
ont été attaquées et détruites au Kasaï-Central, alors que l’Église du Kasaï,
particulièrement l’Église catholique, a été la cible des milices et a enregistré
d’énormes pertes (attaques contre des séminaires, paroisses, couvents).
Notons que c’est à la suite de l’échec des négociations de la Saint-Sylvestre
menées entre l’opposition politique et le pouvoir, à la fin de 2016 et au
début de 2017, que l’Église a été la cible des miliciens, leurs revendications
devenant davantage politiques au fur et à mesure que le conflit durait.

3.3.1. La malnutrition aiguë et l’insécurité alimentaire préoccu-


pantes dans plusieurs ménages
La situation alimentaire, déjà précaire au Kasaï-Occidental bien avant
la crise, avec un taux de malnutrition chronique de 52 % (EDS 2014),
soit le 3e plus élevé du pays après les Kivus, a été aggravée par la crise
Kamwina Nsapu. Cette situation tient principalement au fait que des milliers
de personnes fuyant la guerre ont été forcées d’abandonner leurs moyens
d’existence, notamment leurs champs et leurs récoltes. Les saisons agricoles
A 2016 et B 201713 ont été complètement ratées à cause de la crise sécuritaire.
Il faut noter que cette crise est pour beaucoup responsable de la situation
alimentaire préoccupante de la région, à cause de la perturbation des activités

13
La saison agricole A est la grande saison dont le semis commence mi-août et la récolte
entre décembre et février, alors que la petite saison B commence mi-janvier et février pour
le semis et de mai à juin pour la récolte. Ces périodes correspondent au pic de la crise
sécuritaire.

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Le phénomène « Kamwina Nsapu » et la défiance envers l’État au centre de la RDC 431

économiques dont les activités agricoles, des circuits de commercialisation


et des déplacements massifs des populations.
3.3.2. Une économie paralysée
Durant l’insurrection Kamwina Nsapu, le Kasaï-Central a tourné
complètement au ralenti. Dans ce climat de terreur, toutes les activités
socio-économiques ont été perturbées, réduisant les populations innocentes
au néant en aggravant leur misère et leur pauvreté, confirmant l’hypothèse
de Jean-Philippe Peemans selon laquelle la sécurité est une demande
universelle de développement (Peemans 2002 ; Ngalamulume 2016 ; 2011).
Du gouvernement provincial aux ménages, toutes les activités ont été
asphyxiées et ces turbulences ont eu des répercussions néfastes sur le tissu
économique de la province : boutiques et magasins fermés, fonctionnement
des écoles et des universités perturbé, agriculteurs et creuseurs de diamant
et d’or en fuite, « bayanda » (porteurs de marchandises à vélos) livrant
en cachette, bureaux désertés… Dans ce sens, les finances publiques ont
été affectées aussi bien en termes de mobilisation et de maximisation des
ressources qu’en termes de leur affectation, minant ainsi à la fois l’équilibre
budgétaire et l’efficacité de la gestion. Les maigres ressources qui
rentraient étaient désormais orientées vers l’effort de guerre et les activités
primordiales de sécurisation du territoire, reléguant au cadet des soucis les
préoccupations essentielles des populations relatives à la satisfaction de
leurs besoins fondamentaux. Les principaux moteurs de croissance de la
province ont ainsi été touchés : agriculture, services, commerce, artisanat,
transport, transformation des produits, capital humain, etc. Les quelques
partenaires au développement présents en province se sont repliés et ont
fermé leurs bureaux, abandonnant les populations à leur triste sort. Le
fonctionnement de l’Administration publique a été également perturbé, sans
oublier celui des institutions politiques provinciales : assemblée provinciale
et gouvernement provincial.
En définitive, cette crise a eu un impact très négatif sur le développement de
la province en dégradant et empirant tous les indicateurs socio-économiques.

3.4. L’arrêt des opérations d’identification des électeurs entraînant


de facto le report des élections nationales
Alors que certaines de ses revendications étaient politiques, notamment
la fin du mandat du président Kabila et l’alternance démocratique au sommet
de l’État, l’insurrection Kamwina Nsapu a produit des effets pervers sur le
terrain. En effet, en raison de l’insécurité engendrée par ce mouvement sur
une grande partie de l’Espace Grand Kasaï, les opérations d’enregistrement
des électeurs pour la révision du fichier électoral, préalables aux élections
et devant déterminer le nombre d’électeurs pour chaque circonscription et

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432 Conjonctures de l’Afrique centrale

donc, son poids électoral grâce au nombre de sièges à pourvoir, n’ont pas
été lancées au Kasaï. Un débat s’est ouvert pour savoir s’il fallait aller aux
élections sans le Kasaï, ce qui n’a pas été envisageable. Le pouvoir, qui tenait
à gagner quelques mois de rallonge, a profité de cette brèche ouverte pour
repousser les échéances, avec raison cette fois. Tout le monde a pu accepter
de retarder les élections de manière à prendre en compte les populations du
Kasaï non intégrées dans le nouveau fichier électoral. Même les Kamwina
Nsapu n’y ont curieusement pas trouvé d’inconvénient.
Logiquement, le processus a été postposé et n’a pu démarrer qu’avec
le retour au calme. Concrètement, la crise Kamwina Nsapu a été en partie
responsable du report des élections au Congo.

Conclusion
Le regard sur la crise Kamwina Nsapu suggère de tirer quelques
enseignements permettant sa bonne gestion ainsi que la prévention d’autres
conflits de même nature au pays. Il s’avère donc utile de comprendre les
principales dynamiques politiques et sociales qui ont constitué les sources
vitales du déclenchement du conflit et de sa rapide propagation.
Notons d’emblée que le conflit Kamwina Nsapu a été essentiellement
et globalement l’œuvre des enfants de la province et du pays, qui se sont
soulevés contre l’État et ses institutions. Aucun contact ni implication
d’origine étrangère en termes d’appui technique ou logistique, en termes
de base arrière, d’intervention directe de troupes étrangères ou de soutien
quelconque n’ont été signalés. Dans ce sens, le mouvement Kamwina
Nsapu, dans son émergence et son mode opératoire, est à mettre au même
titre que les Bundu dia Kongo, essentiellement constitués des adeptes d’un
mouvement politico-religieux au Kongo-Central, ou les Raïa Mutomboki
(citoyens en colère) à leurs débuts au Sud-Kivu sous la forme d’une force
d’autodéfense spontanée contre les exactions perpétrées par les rebelles des
FDLR (Stearns et al. 2013).
Cette crise révèle par ailleurs la rapidité avec laquelle une lutte pour le
pouvoir coutumier bien localisée dans un village peut se propager dans un
contexte très instable, comme il en a été avec Kamwina Nsapu. Ce conflit a
été en fin de compte hors de contrôle et parfois sans lien réel avec Kamwina
Nsapu lui-même et ses préoccupations de départ. Ceci met en lumière les
tensions et dissensions profondes au sein des communautés, dépassant le cas
isolé d’un chef coutumier en quête de reconnaissance.
Ces éléments laissent supposer l’existence d’un terrain fertile dans
lequel la crise est née et s’est engouffrée. Ce terrain fertile réfère à
l’instrumentalisation du pouvoir coutumier à des fins politiques, aux rivalités
communautaires, claniques et tribales, ethniques et intercommunautaires, à
l’accès disputé au foncier et aux ressources naturelles ainsi qu’à la crise de

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confiance de la population envers l’État et ses institutions (Interpeace, ACP,


CDJP & TDH 2020 ; GEC 2018).
Il faut reconnaître que la situation politique du pays à l’époque, notamment
le climat d’incertitude générée par la fin du mandat et donc du règne du
président Joseph Kabila et les mobilisations citoyennes et politiques pour
sa succession ont sensiblement contribué à l’éclosion et au renforcement
de cette dynamique. Les frustrations accumulées ont engendré une sorte de
défiance vis-à-vis des élites politiques et des institutions de sécurité et de
justice, dont l’intégrité et l’efficacité ont été remises en question.
De plus, le rôle joué par la croyance à la tradition et aux coutumes, à la
magie, aux fétiches a été déterminant dans ce conflit. La médiatisation des
aspects sensationnels, notamment l’efficacité supposée et prouvée à certains
égards de ces pratiques a contribué à fasciner et à attirer bon nombre de jeunes
en quête de pouvoirs surnaturels. Cela a permis de répandre l’idéologie et de
susciter davantage d’adhésions dans un contexte où beaucoup de personnes
souhaitaient s’affirmer au niveau de la communauté, voire régler des
comptes par la vengeance. Cette croyance en la magie et en la puissance
des fétiches fait ainsi partie du fonctionnement du monde et ne peut être
considérée comme irrationnelle.
Par ailleurs, en lien avec les pouvoirs surnaturels et les pratiques
traditionnelles, ce conflit a permis de mettre en exergue, au-delà du Kasaï,
le rôle des autorités traditionnelles et la problématique de la gestion de leur
pouvoir en RDC. En effet, avec un cadre juridique peu connu des familles
régnantes et appliqué de manière tendancieuse par les autorités, le statut
des chefs coutumiers et la gestion de leurs affaires font l’objet de tensions
récurrentes.
Un autre élément de taille, spécifique à la crise du Kasaï, est le choix
problématique de la réponse militaire par le Gouvernement sans avoir
réellement et de façon sincère tenté de résoudre le différend par des voies
pacifiques et politiques.
En définitive, la propagation rapide de la rébellion de Kamwina Nsapu et
ses attaques sanglantes contre les institutions étatiques devraient amener les
décideurs à réexaminer la façon dont ils évaluent les dynamiques politiques
et sociales en RDC de manière plus générale.
Toutefois, bien qu’ayant engendré une grave crise humanitaire et socio-
économique, le conflit Kamwina Nsapu peut être considéré à ce jour comme
un mal nécessaire au Kasaï-Central, dans la mesure où il a permis de replacer
la province et la région au centre des attentions, tant du niveau national qu’au
niveau international. Désormais, le Kasaï-Central est devenu fréquentable et
observe un balai de personnalités tant publiques, que privées ou émanant
du monde de la coopération, venant explorer les pistes de partenariat et
d’exploitation des ressources.

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434 Conjonctures de l’Afrique centrale

Il est dès lors utile de tirer les leçons de cette crise pour bâtir et renforcer
la capacité de résilience du Kasaï-Central post-conflit, à travers des actions
de stabilisation, de restauration de la paix, d’amélioration de la gouvernance
et de développement durable.

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