Mobilité, Absence de Longue Durée Et Relations Intergénérationnelles en Milieu Rural (État Du Veracruz, Mexique)
Mobilité, Absence de Longue Durée Et Relations Intergénérationnelles en Milieu Rural (État Du Veracruz, Mexique)
Mobilité, Absence de Longue Durée Et Relations Intergénérationnelles en Milieu Rural (État Du Veracruz, Mexique)
latines
45 | 2004
Migrations, territoires et multiculturalisme
Dossier. Migrations, territoires et multiculturalisme
Résumés
Français Español English
Dans le cadre de l’Alena, le Mexique a engagé des réformes institutionnelles et
économiques majeures : réforme de la constitution, restructuration des espaces
économiques, libérant des flux migratoires, en particulier de jeunes ruraux,
principalement dirigés vers le nord du pays et les États Unis. Ces destinations lointaines
supposent une nouvelle organisation des familles et de nouveaux rapports
intergénérationnels du fait de l’absence prolongée des migrants. Les familles passent alors
d’une économie domestique centrée sur la production agricole à une nouvelle
organisation, qui reste toutefois fortement déterminée par le statut agraire des familles
rurales. L’objectif de cet article est de proposer une première analyse de l’absence de
longue durée des individus les plus jeunes dans une zone du sud de l’état du Veracruz
(Mexique), et des nouvelles relations intergénérationnelles qui se mettent en place dans
les familles d’émigrants. Il s’agit ainsi de proposer une lecture de la recomposition
territoriale des espaces ruraux mexicains et de leur devenir sous l’impact de la migration
internationale.
Entrées d’index
Mots-clés : Alena, rapports familiaux, rapports intergénérationnels, migration
internationale, statut agraire, espaces ruraux, Mexique, Veracruz
Keywords: Alena, family reports, generation’s relations, international migration, agrarian
status, rural areas, Mexico, Veracruz
Palabras claves: TLC, informes familiares, las relaciones de la generación, migración
internacional, estado agrario, áreas rurales, México, Veracruz
Texte intégral
1 Depuis la fin des années 1980, dans le cadre du processus de son intégration à
l’Alena, le Mexique a engagé des réformes institutionnelles et économiques afin
de restructurer ses espaces économiques, réformes qui ont réorienté les flux
migratoires dans tout le pays (Hiernaux, 1994) et plus particulièrement ceux en
provenance du monde rural (Palma, Quesnel et al., 2000). D’une part, le
développement du secteur agricole d’exportation dans les États du nord et de
l’ouest, celui de l’industrie des « maquiladoras » dans les villes de la frontière
nord et enfin la propre croissance économique des États-Unis, ont créé un appel
très important de main-d’œuvre vers ces régions. D’autre part, les réformes
économiques et institutionnelles en direction du monde rural, au premier rang
desquelles la réforme de l’article 27 de la Constitution se rapportant à la
propriété sociale de l’ejido1, ont libéré un flux important de jeunes actifs
agricoles. Ainsi les flux en provenance de la zone sud de l’état du Veracruz, que
nous présentons ici, qui ont été contenus jusqu’au début des années 1990 à
l’intérieur la région du Golfe du Mexique, sont aujourd’hui dirigés vers le nord
du pays et les États Unis.
2 Ces destinations lointaines supposent des déplacements de durées plus longues
et bien évidemment une nouvelle organisation des familles et de la société
d’origine. En effet, en même temps que se diversifie l’espace migratoire des
individus, des familles et des communautés surgissent de nouveaux rapports
familiaux du fait de cette absence prolongée des migrants. Comme il a été montré
à propos des régions de l’ouest et du centre-ouest du Mexique la migration
internationale fragmente l’espace de la reproduction sociale des familles rurales
(López, 1986) dans la mesure où le réseau migratoire qui se met en place
constitue à la longue une ressource à laquelle pourront recourir toutes les
familles qu’elles cherchent à s’installer définitivement ou bien à revenir (Massey
et al. 1987). Cependant, du fait de l’allongement de la durée d’absence (liée entre
autre à la difficulté croissante d’effectuer un va-et-vient entre les zones de départ
et les zones d’accueil), les réseaux d’individus, qu’ils soient familiaux,
communautaires ou régionaux, favorisent plus encore qu’auparavant la création
de noyaux de peuplement qui finissent par constituer des lieux, sinon des
« territoires » s’imposant comme une référence possible à tous les individus
originaire d’un même lieu. Entre tous ces lieux de passage ou d’installation et le
lieu d’origine circulent les personnes et les biens et plus particulièrement
l’information nécessaire au fonctionnement d’une économie d’archipel (Quesnel
et Del Rey, 2001). Cela suppose dès lors pour les familles de passer d’une
économie domestique territoriale, centrée sur la production agricole, à une
nouvelle organisation où les individus s’inscrivent dans d’autres activités en
différents lieux.
3 Cette forme d’organisation n’est toutefois pas accessible à toutes les familles et
reste fortement déterminée par différents facteurs au premier rang desquels le
statut agraire des familles rurales2. Selon les conditions d’accès au foncier se
différencient en effet les objectifs de la migration, le profil du migrant et les
modalités des relations intergénérationnelles et familiales d’obligation,
d’engagement du bien de rupture qui se nouent entre les différents acteurs dans
le cadre de l’intensification très récente des déplacements de longue durée des
individus originaires de ces localités rurales du sud du Veracruz.
4 Dans ce contexte où les difficultés d’entrée aux États-Unis sont croissantes,
l’absence apparaît être un élément fondamental de l’organisation de la
reproduction sociale des familles, ainsi qu’un espace social de relations entre
différents acteurs. À partir des résultats d’une enquête démographique (Moreso,
1999) et d’une étude auprès d’un sous-échantillon de familles tiré de celle-ci
(Moreso, 2002), l’objectif de cet article est de proposer une première analyse de la
construction de cet espace social du fait de l’absence de longue durée des
individus les plus jeunes et de ses implications quant aux relations
intergénérationnelles au sein des localités rurales aujourd’hui. Il s’agit ainsi de
proposer une lecture de la recomposition territoriale des espaces ruraux
mexicains et de leur devenir sous l’impact de la migration internationale.
Tableau n° 1 : Destinations des déplacements de travail depuis les localités rurales du sud de
l’État du Veracruz selon l’époque (%)
Tableau n° 2 : Destinations depuis 1995 des déplacements de travail à partir du sud de l’État du
Veracruz selon le statut agraire (%)
EJIDOS COLONIES/PP
États de la frontière
45.8 % 40.0 % 11.9 % 15.3 % 27.9 %
nord
EJIDOS COLONIES/PP
Chef de
15.0 % 52.8 % 17.5 % 41.7 % 29.1 %
famille
Nombre de
60 36 40 36 172
cas
Bibliographie
Bourdieu, P., 1972, « Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduction »,
Annales Économies, Sociétés, Civilisations, 27, N° 4 mai.
DOI : 10.3406/ahess.1972.422586
Cornelius, W. A., 1981. « The Reagan Administration’s Proposals for a New U.S.
Immigration Policy : An Assessment of Potential Effects ». International Migration Review
15, 4, (Winter) : 769-778.
DOI : 10.1177/019791838101500410
Cornelius, W. A., 1989. « Impacts of the 1986 US Immigration Law on Emigration from
Rural Mexican Sending Communities ». Population and Development Review 15, 4,
(December) : 689-705.
DOI : 10.2307/1972595
Cornelius, W. A., 2001. « Death at the border : Unintended consequences of US migration
control policy ». Population and Development Review 27, 4 (December) : 661-685.
Guilmoto, C. Z. y F. Sandron, 1999, « Approche institutionnelle de la migration dans les
pays en développement », Economie Rurale, N° 252, juillet-août 1999 : 47-54.
DOI : 10.3406/ecoru.1999.5100
Hareven, T. K., 1982, Family Time and Industrial Time : the relationship between the family
and work in a New England Community. Cambridge : Cambridge University Press.
Hiernaux, D., 1994, « De frente hacia la modernización : hacia una nueva geografía en
México », Campo y ciudad en una era de transición, Bassols, M. (coord.), México : UAM-
Ixtapalapa : 9-46.
López, G., 1986, La casa dividida. Colegio de Michoacán, AMEP, Zamora.
Massey, D. S., R. Alarcón, J. Durán, et al., 1987, Return to Aztlan. The Social Process of
International Migration from Western México. Berkeley : University of California Press.
Palma, R., Quesnel, A. y Delaunay, D., 2000. « Una nueva dinámica de poblamiento rural en
México : el caso del sur de Veracruz (1970-1995) », El Sotavento veracruzano. Procesos
sociales y dinámicas territoriales, Léonard E. y Velázquez E., México : CIESAS-IRD : 83-108.
Pollack, R.A., 1985, « A transaction cost approach to families and households », Journal of
Economic Literature, N° 23 : 581-608.
Quesnel, A. et Del Rey, A., 2001, « La construction d’une économie familiale d’archipel.
Mobilité et recomposition des relations inter-générationnelles en milieu rural mexicain »,
XXIV Congrès Général de la Population, Salvador-Brésil 18-25 août 2001.
Quesnel, A., 2004, « Poblamiento, regulaciones agrarias y movilidad en el sur del estado de
Veracruz », en É Léonard, A. Quesnel y E. Velázquez (coords.), Políticas y regulaciones
agrarias. Dinámicas de poder y juegos de actores en torno a la tenencia de la tierra, México,
CIESAS-IRD-Miguel Angel Porrúa : 41-71.
Rosenzweig, M. R., 1988, «Risk, implicit contracts and the family in rural areas of low-
income countries», The Economic Journal, N° 98, pp. 1148-1170.
DOI : 10.2307/2233724
Sources statistiques
Recensement Général de Population 2000 : INEGI, México.
ENADID 1992 : Enquête Nationale de la Dynamique Démographique, INEGI, México.
ENADID 1997 : Enquête Nationale de la Dynamique Démographique, INEGI, México.
MORESO 1999 : Enquête démographique et foncière auprès de 947 familles : Poblamiento,
movilidad y reproducción social de las familias rurales del Sotavento, Veracruz, Mexico,
IRD-CIESAS (Quesnel, A. dir.).
MORESO 2002. Entretiens en 2002 auprès de 70 familles de MORESO, Poblamiento,
movilidad y reproducción social de las familias rurales del Sotavento, Veracruz, Mexico,
IRD-CIESAS (Quesnel, A. dir.).
Notes
1 L’ejido est l’institution agraire en charge d’un patrimine foncier reçu par un groupe de
paysans durant la Réforme agraire qui suit la Révolution. L’ejido est organisé autour d’une
assemblée sous la direction d’un comité exécutif. Les ejidatarios bénéficiaient dans ce
cadre d’un droit agraire jusqu’à la Reforme de l992. La modification de l’article 27 de la
Constitution a été suivie d’un programme de cadastrage et de certification à titre privé des
parcelles des ejidos (PROCEDE).
2 On peut distinguer d’une part, les familles qui vivent dans une localité d’un ejido (entre
ejidatarios et avecindados – qui n’ont pas de titre de parcelle agricole) et d’autre part, les
familles qui vivent dans les localités des zones de colonisation agricole, selon qu’elles
possèdent un titre foncier (colonos) ou non (pobladores).
3 En 1992, l’état du Veracruz était parmi les huit états des 32 états de la Fédération, les
moins touchés par la migration internationale, et l’avant-dernier pour l’incidence de la
migration en général (ENADID, 1992). En 2000, il est situé parmi les six premiers états
pour volume de la migration internationale (4,9 %), et seulement dépassé par le DF
(district fédéral) pour l’intensité de la migration interne : 12,8 ‰ de 1995 à 2000.
4 Toute une littérature économique s’est développée autour de la notion de « contrat »
entre le migrant et sa famille afin de minimiser, de part et d’autre, les risques de la
migration. (Pollack, 1985 ; Rosenzweig, 1988 ; Guilmoto et Sandron, 1999).
5 Dans les localités de notre échantillon il oscillait à l’époque (1999-2002) entre 1 000 et
2 000 dollars alors que la journée d’un journalier agricole était de l’ordre de 5 à 6 dollars
par jour.
6 Les prêteurs sont des commerçants voire des familles d’anciens ou actuels migrants qui
se convertissent en « entrepreneurs de la migration » au même titre que ceux qui
investissent dans les entreprises de transport et tirent un grand profit de l’intensification
des mouvements migratoires.
7 Une autre source de financement est la vente de bétail qui était seulement à la portée de
quelques propriétaires avant que se développe la migration au nord et aux États-Unis.
8 « Me aburrió », je m’ennuyais, j’en avais assez est le terme qui clôt l’ensemble des
raisons qui l’ont poussé à revenir.
Référence électronique
André Quesnel et Alberto del Rey, « Mobilité, absence de longue durée et relations
intergénérationnelles en milieu rural (état du Veracruz, Mexique) », Cahiers des Amériques latines
[En ligne], 45 | 2004, mis en ligne le 12 août 2017, consulté le 23 juillet 2023. URL :
http://journals.openedition.org/cal/7534 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cal.7534
Auteurs
André Quesnel
IRD.
Droits d’auteur
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/