L'éthique Relationnelle Dans La Pratique Quotidienne
L'éthique Relationnelle Dans La Pratique Quotidienne
L'éthique Relationnelle Dans La Pratique Quotidienne
la pratique quotidienne
par Jane Moore, Joyce Engel et Dawn Prentice patients neutropéniques qui ont un lymphome et chez les personnes
ayant reçu une greffe et qui subissent un traitement immunosup-
Résumé pressif (Skiada et al., 2012).
Les infirmières en oncologie sont régulièrement confrontées à des ques- Peu après l’apparition de sa lésion sur le bras, Matthieu a subi
tions d’ordre éthique dans le cadre de leur pratique quotidienne en un arrêt cardiaque soudain. Il s’agissait d’un effet secondaire d’une
raison des besoins complexes de leurs patients, besoins qui requièrent hémoptysie massive découlant de la formation d’une fistule entre
l’expertise de nombreux fournisseurs de soins. La participation de dif- son poumon et son artère axillaire droite. Ce genre d’invasion de tis-
férents fournisseurs, du patient et de sa famille peut entraîner des sus agressive est caractéristique de la mucormycose disséminée et
opinions divergentes concernant la meilleure voie à suivre pour le est habituellement associé à des taux de mortalité extrêmement éle-
patient. Cet article vise à décrire différentes questions d’ordre éthique vés. Matthieu a été réanimé, puis transféré à l’unité de soins inten-
auxquelles les infirmières peuvent faire face et à illustrer la façon dont sifs, où il a subi une embolisation de l’artère bronchiale et s’est fait
l’éthique relationnelle peut offrir une orientation pour les infirmières poser une endoprothèse. Mais les lésions continuaient d’apparaître
qui dispensent des soins à des patients atteints de cancer. sur son bras et sa main, et sa condition s’est détériorée. Avec grande
réticence, Matthieu, sa famille et son médecin de premier recours
Profil d’un patient ont décidé de mettre en place une ordonnance de non-réanimation
Matthieu (pseudonyme) était un étudiant universitaire de 20 ans qui (ONR). On a ainsi orienté la thérapie vers le confort, on a recom-
vivait avec ses parents et sa sœur lorsqu’il a reçu un diagnostic de mandé que Matthieu soit renvoyé chez lui avec un nouveau médica-
leucémie lymphoblastique de type B (LLAB). La LLAB se caractérise ment antifongique. Alors que le traitement antifongique précédent
par un excès de lymphoblastes B dans la moelle osseuse et le sang était couvert par l’assurance médicale—pour administration en éta-
(Pui, Robison & Look, 2008). Il s’agit du type de leucémie lymphoblas- blissement ou à domicile—ce nouveau médicament ne l’était pas.
tique aiguë le plus courant. Une fois la présence de la LLAB confir- Matthieu et sa famille n’avaient aucune couverture d’assurance pri-
mée par biopsie de la moelle osseuse, on a amorcé un traitement de vée, et le médicament coûtait environ 2000 $ par semaine, ce qui
chimiothérapie, et le patient a connu une rémission complète. dépassait leurs moyens. Pour ce genre de situation, le ministère onta-
Deux ans plus tard, Matthieu s’est présenté à l’hôpital avec un rien de la Santé et des Soins de longue durée (MSSLD) a mis en place
ensemble de symptômes qui étaient apparus une semaine aupara- un programme d’accès exceptionnel qui facilite l’accès des patients
vant : douleurs à l’abdomen et aux épaules, fatigue, ecchymoses dans aux médicaments ne figurant pas dans le Formulaire des médica-
les deux jambes et épistaxis. Des analyses sanguines ont révélé une ments de l’Ontario lorsqu’aucun produit de remplacement cou-
rechute de la LLAB, et Matthieu a reçu un traitement de réinduction. vert n’est disponible (Gouvernement de l’Ontario, 2012). On a donc
Il a développé une neutropénie fébrile et une présumée mycose pul- demandé au MSSLD de couvrir les frais du traitement antifongique
monaire et a subi un traitement antifongique. de Matthieu, mais le Ministère a refusé la demande en alléguant un
Plusieurs semaines après le début du traitement de réinduction, manque de recherche publiée démontrant l’efficacité de ce médica-
une lésion est apparue sur le haut du bras droit de Matthieu. La biop- ment antifongique particulier pour le traitement de la mucormycose
sie a révélé que la lésion était causée par un hyphe non cloisonné, un chez les patients immunodéprimés. Le Ministère offrait de couvrir les
champignon qui signale habituellement la présence d’une mucormy- frais à domicile pour un médicament moins coûteux que Matthieu
cose, une infection fongique rare mais dont l’incidence s’est accrue avait déjà pris et dont l’efficacité pour le traitement de la mucormy-
au cours des dix dernières années (Pagano et al., 1997). La mucor- cose était douteuse.
mycose peut envahir le système vasculaire et apparaît le plus fré- Matthieu souhaitait rentrer chez lui, mais le refus de paiement
quemment chez les patients atteints d’une leucémie aiguë, chez les pour le traitement antifongique signifiait qu’il pouvait soit rester
à l’hôpital et prendre le nouveau médicament, soit rentrer chez lui
avec les médicaments qui s’étaient avérés inefficaces. Il a choisi de
Au sujet des auteures rester à l’hôpital, et ce, jusqu’à son décès 15 mois plus tard. Cette
Jane Moore, inf., Ph.D., CCRN, IPA, Professeure situation a été extrêmement difficile et onéreuse pour les membres de
adjointe, Département des sciences infirmières, Faculty sa famille qui vivaient à 45 minutes de l’hôpital en autobus. Matthieu
of Applied Health Sciences, Université Brock, Bureau : est décédé quelques semaines après la mise en place de l’ONR.
EA 321, St. Catharines, Ontario L2S 3A1. Tél.: 905-
688-5550 poste 4189 ; Téléc. : 905-688-6658 ; Courriel : Introduction
[email protected] En 2013, plus de 180 000 Canadiens recevront un diagnostic de
cancer. Quelque 75 000 d’entre eux décéderont de la maladie, et
Joyce Engel, inf., Ph.D., Professeure agrégée, près d’un million de personnes continueront de vivre avec un cancer
Département des sciences infirmières, Faculty dix ans après leur diagnostic (Société canadienne du cancer, 2013).
of Applied Health Sciences, Université Brock, Bien que les soins prodigués aux patients atteints de cancer mettent
St. Catharines, Ontario L2S 3A1. Tél. : 905-688-5550 à contribution des professionnels issus de plusieurs domaines de
poste 3168 ; Téléc. : 905-688-6658 ; Courriel : la santé, les infirmières constituent le plus important groupe de
[email protected] fournisseurs de soins qui travaillent en continu auprès des patients
Dawn Prentice, inf., Ph.D., Professeure agrégée et en oncologie (McLennon, Uhrich, Lasiter, Chamness & Helft, 2013).
directrice, Département des sciences infirmières, Pour dispenser des soins de haute qualité, les infirmières en oncolo-
Faculty of Applied Health Sciences, Université Brock, gie ont besoin d’un ensemble de compétences spécialisées leur per-
St. Catharines, Ontario L2S 3A1. Tél.: 905-688-5550 mettant de gérer les complexes besoins physiques, psychologiques,
poste 5161 ; Téléc. : 905-688-6658 ; Email : émotionnels et spirituels des patients atteints de cancer. À ce défi
dprentice@ brocku.ca complexe s’ajoute la gamme souvent contradictoire de croyances,
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