Document 230
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L'INCULTURATION
DE
LA LITURGIE
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en théologie
pour l'obtention du grade de maître ès arts (M.A.)
Ce mémoire étudie et établit la relation entre l' inculturation, phénomène nouveau dans le
processus d' évangélisation, et un domaine qui est au cœur même de la vie de l' Église : la
liturgie. La réalité encore nouvelle de l'inculturation de la liturgie suscite une certaine
espérance quant aux retombées possibles qu'elle peut entraîner dans le secteur de la
mission de l'Église et de la liturgie. Considéré comme étant un des premiers fruits de
l'inculturation liturgique, le Missel romain pour les Diocèses du Zaïre est à ce titre très
significatif. Les notions d'incarnation et d'évangélisation imprègnent de manière
importante le processus d' inculturation de la liturgie, apparaissant en réalité comme les
fondements sur lesquels reposent sa réalisation et son efficacité.
Table des matières
CHAPITRE 1
L'INCULTURATION
CHAPITRE II
LA LITURGIE
Introduction ................................................................................................................................ 46
1. Explication et histoire du mot ............................................................................................ 47
2. La science de la liturgie ...................................................................................................... '48
3. Définitions de la liturgie .................................................................................................. .. . 50
3.1. Définitions antérieures à Vatican II ..................................................................,.... 50
-
IV
CHAPITRE III
LITURGIE ET INCULTURATION
DANS LES DOCUMENTS CONCILIAIRES
Introduction ........................................................................................................................... 98
1. Culture et liturgie .......................................................................................................... 99
1.1. Transmission et création de la culture ................................................................ 100
1.2. Tradition et inculturation de la liturgie ............................................................... 102
2. Inculturation et liturgie dans les documents conciliaires ............................................ 109
3. Conditions et normes pratiques pour l'inculturation du rite romain ........................... 11 0
3.1. Adaptation des livres liturgiques ........................................................................ 111
3.2. Ce qui peut être adapté ......................................................................................... 117
3.3. La condamnation des rites chinois ...................................................................... 119
3.4. Procédures pour l'adaptation de la liturgie ......................................................... 122
v
CHAPITRE IV
ÉTUDE DE CAS: LE RITE ZAÏROIS DE LA MESSE
AG Ad Gentes
EN Evangelii Nuntiandi
GS Gaudium et Spes
SC Sacrosanctum Concilium
INTRODUCTION GÉNÉRALE
L'inculturation de la liturgie. Qu'entend-on par cette expression? Quel rapport les unit l'un
à l'autre? Si le sujet de cette recherche a suscité mon intérêt, c' est parce qu' il rejoint à
prime . abord deux aspects auxquels je m' intéresse, c' est-à-dire la liturgie et
l'évangélisation.
Or, l'évangélisation des cultures devient actuellement un problème et un défi parce que la
chrétienté telle qu'on l'a connue n'existe plus. Le couple foi et culture fait place au
pluralisme culturel et religieux. La culture moderne n'est donc plus le milieu naturel où
l'Église peut s'implanter, comme c'était le cas autrefois, mais elle devient son champ
d'évangélisation, le lieu qu'elle doit d'abord évangéliser!.
Ainsi, le rapport entre foi et culture a actuellement une grande place au sein de la réflexion
théologique et une plus grande sensibilité à ce rapport s'opère dans la pratique ecclésiale.
C'est ce rapport entre foi et culture qui est désigné aujourd' hui par le terme
« inculturation ». L'Évangile s'adressant à tous les peuples et pouvant être accueilli par
tous sans exception, il suffit de voir de quelle manière un peuple, une culture, saura
répondre à la Bonne Nouvelle qui lui est proclamée et de voir comment il le fera.
L'inculturation aura donc pour tâche de vérifier, une fois la semence évangélique jetée en
terre, la manière dont la culture l'accueillera. Comment elle répond à l'annonce qui a été
faite ? De quelle manière en parle-t-elle ? Comment cela se traduit-il et comment cela
transforme-t-illes mœurs, la pensée et la culture en elle-même? En effet, l'Évangile a pour
effet de transformer de l'intérieur les personnes ou les cultures.
En effet, l'un des premiers endroits où se manifeste la réponse d'une personne, d'un peuple
ou d'une culture à l'annonce de l'Évangile est la liturgie. Puisque la liturgie est « la plus
haute manifestation de l' Église 2 », elle est en quelque sorte le lieu privilégié, pour ne pas
dire par excellence, où l'on peut constater de manière concrète et palpable les résultats de
l'inculturation au sein de l'Église. La liturgie devient alors un endroit pour voir notamment
comment prend chair la foi accueillie, exprimée et vécue.
Non seulement la liturgie procure un lieu à une personne ou un peuple pour dire son amour·
et exprimer sa relation avec Dieu, pour exprimer sa foi, mais elle devient aussi un lieu pour
la nourrir et apprendre à en vivre dans sa vie de tous les jours. On se retrouve ainsi avec un
double mouvement sans cesse croissant qui va de la mission à hi liturgie et de la liturgie à la
mission. L'une nourrit l'autre dans une admirable corrélation. Elle est donc, à juste titre,
« une source et un sommet dans l'activité de l'Église 3 ».
Or, la manière d'exprimer sa foi n'est pas un absolu universel. Tous n'ont pas la même
manière de dire et de faire les choses. Il m'est arrivé un jour d'assister à une messe africaine.
Au niveau de la foi qui nous réunissait, il n'y avait rien à redire. C'était la même foi en
1 Achiel Peelman, L'inculturation. L'Église et les cultures, Paris, DescléelNovalis, 1988, p. 73.
2 Jean de Dieu Mvuanda, lnculturer pour évangéliser en profondeur: des initiations traditionnelles africaines
à une initiation chrétienne engageante, Études d'histoire interculturelle du christianisme, Band 101, Bem ;
Berlin; Frankfurt/M. ; New-York; Paris; Wien, Peter Lang, 1998, p. 201.
3 Jean-Paul II, La réforme liturgique : Lettre apostolique « Vicesimus quintus annus » pour le vingt-cinquième
anniversaire de la constitution conciliaire « Sacrosanctum Concilium» sur la Sainte Liturgie, Montréal,
Fides (coll. L' Église aux quatre vents), 1989, p. 36.
3
Jésus Christ que nous célébrions ensemble. Par contre, dans la manière de célébrer et de
dire cette même foi, là c'était autre chose. Musique rythmée par les tambours, un immense
cortège dansant apportant les offrandes, des expressions nouvelles ... Voilà qui, à prime
abord, m'a vraiment surpris. Cependant, cette célébration a aussi eu pour effet de m' ouvrir
à un univers culturel qui m'était inconnu.
Moi qui avais l'habitude d' entendre pratiquement toujours les mêmes paroles, d'entendre
un certain genre musical, voilà que la liturgie avait pris les traits d'un autre visage que je ne
connaissais pas, mais qui était également empreint de beauté. Elle s' était pour ainsi dire
incarnée en prenant la couleur et les traits des Africains. Une prise de conscience venait de
se faire , la liturgie peut se vivre d'une manière différente. Or, comment s'était-elle adaptée
? Comment était-elle parvenue à le faire? Était-ce simplement une initiative personnelle ou
une manière de faire reconnue par l'Église? Voilà qui m'interrogeait. Une chose du moins
m'apparaissait clairement évidente: la liturgie a la capacité de se faire proche de ceux qui
la vivent.
Les chrétiens catholiques ont une foi commune, mais ils ont cependant une manière bien à
eux de la vivre, de l'exprimer et de l'expérimenter selon leur lieu d'origine et leur culture.
Ainsi, tout comme chaque pays possède une nourriture, un art ou encore des danses qui leur
sont propres, il en est de même pour l'expression de la foi dans la liturgie. Parce que la
symbolique et les référents culturels diffèrent, il sera donc tout à fait normal de retrouver
une foi commune en Jésus Christ, mais exprimée et vécue de manière différente.
Cette recherche est donc l'occasion d'approfondir et d'établir la relation entre la liturgie et
l'inculturation.
L'inculturation de la liturgie, en effet, comporte des enjeux majeurs car, d'une part, il y a
dans la liturgie, quelque chose qui transcende toute culture, Dieu lui -même. En effet, la
liturgie est, notamment à travers les sacrements, porteuse de la présence de Dieu. Elle
aujourd'hui les actions du Christ pour le salut des hommes. C'est ce que l'on
retrouve dans Sacrosanctum Concilium quand on dit que « la liturgie est considérée à juste
titre comme l'exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ, exercice dans lequel la
sanctification de l'homme est signifiée par des signes sensibles et réalisée d'une manière
propre à chacun d'eux» (SC 7). C'est donc dire que la liturgie comporte une partie
immuable parce que d'institution divine. Elle porte en elle un mystère qui dépasse 1'homme,
le mystère d'un Dieu qui veut se révéler à l'homme et qui ne demande qu'à être accueilli
par lui.
D'autre part, parce que l' inculturation consiste en une réponse de la part de la culture à
l'Évangile, c'est en quelque sorte une réinterprétation du christianisme, une réactualisation
de l'expérience de Jésus Christ qui s'effectue. Ce qui peut être à la fois une chance inouïe
pour le christianisme d'un enrichissement, tout comme ce peut être un risque dans le sens
où la réinterprétation ou la réactualisation pourrait, à la limite, aller jusqu'à remettre en
cause les fondements du christianisme lui-même.
Pour pousser un peu plus loin les choses, d'autres questions surgissent. En effet, si chaque
culture peut exprimer la foi à sa couleur et d'une manière spécifique dans la liturgie, est-ce
à dire que tout est bon ? Que l'on peut finalement fabriquer une liturgie comme bon nous
semble? Comment, à travers la conserver une certaine communion avec l' Église
universelle devant une diversité d'expressions qui deviennent alors possibles ? De plus,
quand on considère que la culture est un phénomène actif qui change continuellement, est-
ce à dire que la liturgie doit aussi sans cesse changer ? À culture changeante, liturgie
changeante? S'il s'agit d'intégrer des éléments culturels, comme les chants, la musique,
etc., cela n'est-il pas plutôt de l'ordre de l'adaptation liturgique plus que de l'inculturation
liturgique ? Quelle est la distinction entre les deux ? Quels sont les défis que cela pose au
niveau de l' inculturation de la liturgie?
Se pourrait-il que dans pénétration de l'Évangile dans les cultures, celles-ci puissent
l'accueillir sans pour autant cesser d'être elles-mêmes? Se pourrait-il qu'une nouvelle
manière de formuler le christianisme, ou dans ce cas-ci de vivre la liturgie, se fasse à partir
des contextes culturels différents sans que le message chrétien ne perde pour autant son
essence propre? Il sera donc intéressant de voir, à travers ce travail, comment les éléments
porteurs de l'inculturation, notamment l'Évangile, peuvent influencer la manière de vivre la
liturgie au sein d'une culture donnée.
Serait-il pertinent de croire que l'incarnation du Christ puisse agir à titre de modèle et de
référence dans le domaine de l'inculturation de la liturgie? Car, en effet, Jésus est né à une
époque précise de l 'histoire et a vécu dans une culture particulière qui est celle des Juifs. Il
6
a utilisé une langue et une manière de faire qui était celle des Juifs. Il priait comme tout bon
Juif le faisait et l' avait appris. Il est deIpeuré bien enraciné dans sa culture, apportant
également de la nouveauté par ses gestes et ses paroles. Pour que Jésus puisse être compris
des siens, il fallait qu'il soit Juif et qu'il utilise les référents culturels du monde juif. Or
comment l' incarnation peut-elle nous inspirer aujourd' hui ? Si la célébration décrite
précédemment a su s'incarner en prenant les traits africains, il me semble déceler ici
quelque chose qu' il serait intéressant de vérifier. Je me risque donc à émettre, comme
hypothèse de recherche, que l' incarnation du Christ agit comme condition d 'efficacité de
l'inculturation de la liturgie.
Certes, d'autres auteurs auraient pu ici être nommés, mais le but n'est pas de faire une
énumération de tous les auteurs qui traitent de ces sujets. Je veux simplement dire que
5 Cesare Giraudo, « Inculturer la liturgie. Le défi des Églises du Tiers Monde au seuil du troisième
millénaire» dans S.1. Mariasusai Dhavamony (dir.), Inculturation. Évangile et Culture, Rome, Editrice
Pontifica universita gregoriana (coll. Studia missionalia 44), 1995, p. 337-366 et Cesare Giraudo, « Prière
eucharistique et inculturation. Jalons pour le synode d'Afrique et de Madagascar », dans Nouvelle Revue
Théologique 116, 1994, p. 181-200.
6 Pierre-Marie Gy, « L'inculturation de la liturgie chrétienne en Occident », dans La Maison-Dieu 179, 1989,
p. 15-30.
7 Aidan Kavanagh, « L'inculturation de la liturgie: un regard prospectif», dans La Maison-Dieu 179, 1989, p.
67-82.
8 Aimé Georges Martimort (dir.), L'Église en prière. Introduction à la Liturgie. Édition nouvelle, volume 1 :
Principes de' la liturgie, Paris, Desclée, 1983-1984, 309 p.
9 Adolf Adam, La liturgie aujourd'hui. Précis de liturgie catholique, volume 1, traduit de l'allemand par Henri
Rochais. Adaptation française par Henri Delhougne o.s.h., Henri Delhougne (dir.), luxemhourg, Brepols (coll.
liturgique Mysteria), 1989, 345 p.
10 Paul De Clerck, L'intelligence de la liturgie, Paris, Cerf ( coll. Liturgie), 2000, 208 p.
11 A. Peelman, L'inculturation. L'Église et les cultures, 197 p.
12 1. de D. Mvuanda, Inculturer pour évangéliser en profondeur ... , 456 p.
Méthodologie
Le deuxième chapitre, pour sa part, analysera plus en profondeur le deuxième élément mis
en cause, c'est-à-dire la liturgie. À la lumière des Évangiles, de l'histoire et de la tradition
chrétienne, une analyse sera faite afin de dégager l'essence de la liturgie, ses fondements et
ses caractéristiques. Cela permettra également d'entrevoir en quoi elle peut être modifiée
ou non.
Qui dit inculturation de la liturgie indique également un rapport existant entre la liturgie et
la culture. Le troisième chapitre abordera donc dans un premier temps la corrélation
existante entre liturgie et culture avant de voir, dans les documents ecclésiaux, la manière
dont l'Église perçoit et parle de l'inculturation de la liturgie. En effet, l'Église s'est
également penchée sur le suj et. Elle a émis différents documents sur le sujet, dont la IV
Instruction sur la liturgie romaine et l'inculturation, qu'il sera bon d'analyser.
13 Hervé Carrier, Évangélisation et développement des cultures, Rome, Editrice Pontifica Universita
Gregoriana, 1990,380 p.
8
Le dernier chapitre sera l' occasion de faire l' étude d' un cas d' inculturation de la liturgie. Le
rite zaïrois de la messe, ou pour être plus juste le Missel romain pour les diocèses du Zaïre,
permettra de vérifier comment la mise en application des éléments abordés s' effectue. Il
permettra, par la même occasion, de vérifier ou non la validité de l' hypothèse de cette
recherche. À la lumière de l'analyse qui aura été faite sur ce qu' est l'inculturation liturgique
et les implications que cela comporte, le rite zaïrois de la messe sera aussi l'occasion de
voir les limites et les interpellations que suscite l' inculturation de la liturgie.
C'est donc ainsi que s' amorce l' étude sur l' inculturation de la liturgie. Dans le chapitre qui
suit, je commencerai par essayer de définir les principes de base et les fondements d'un
processus qui se situe au niveau même de l'évangélisation des cultures, l' inculturation.
CHAPITRE 1
L'INCULTURATION
Introduction
Depuis les ongines de l'Église, l' évangélisation des peuples et l' annonce de la Bonne
Nouvelle ont été considérés comme deux actions essentielles à l' édification de l'Église.
L ' Évangile ne peut être mis sous silence. Il doit être proclamé. Il existe donc ainsi une
relation entre mission et Évangile ainsi qu' entre Évangile et culture.
L'Église a toujours eu conscience de la relation qui existe entre mission et Évarigile. Or, à
la suite du Concile Vatican II, l' Église a évolué dans sa compréhension de la mission et
s'est soudainement élargie en ce qui a trait à la corrélation entre l'Évangile et la culture.
Cependant, on ne peut en conclure que l'Église n'a jamais eu connaissance de la corrélation
qui existe entre la mission, l'Évangile et la culture. Au contraire, c' est plutôt
l'approfondissement de cette corrélation, que l'on désigne par le terme « inculturation »,
qui se fait plus particulièrement présent depuis le Concile Vatican II.
Est-ce un nouveau souffle pour l'évangélisation? Est-ce une nouvelle évangélisation qui
s'effectue? Chose certaine, l'Évangile, lorsqu'il est reçu et vécu, porte un fruit autant chez
la personne que chez le groupe humain qui l'accueille. La Parole de Dieu ne peut pas
laisser celui qui la reçoit indifférent. Quelle est l'interaction entre Évangile et culture ?
C'est ce à quoi le premier chapitre de cette étude s'attardera afin de définir plus amplement
la relation entre l'Évangile et la culture dans ses fondements et ses caractéristiques. Pour ce
faire, en définissant quelques termes propres à cette conception, il sera possible de clarifier
et de distinguer de façon plus précise ce qu'est l'inculturation par rapport à certaines
notions avec lesquelles celle-ci est parfois confondue.
10
Comme cela a été souligné plus haut, depuis Vatican II, la conscience du rapport entre
Évangile et culture a pris une importance plus considérable. En effet, le décret « Ad
gentes» marque cet aspect primordial de l' activité missionnaire. Ce décret explique
comment, de par sa nature, l' Église est missionnaire puisque découlant du dessein
bienveillant du Père, elle tire son origine de la mission du Fils et de l' Esprit (AG 2). En ce
sens, la missi<;>n confiée aux disciples et à l'Église participe pleinement à la mission même
du Christ, c'est-à-dire « d ' apporter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le
cœur brisé, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue (Lc 4, 18) »
(AG 3). De même, un peu plus loin dans le texte, le décret Ad gentes présente de façon
claire ce rapport entre l'Évangile et la mission de l'Église: « Ce qui a été une fois prêché
par le Seigneur ou accompli en lui pour le salut du geme humain, doit être proclamé et
répandu jusqu'aux extrémités de la terre (Ac 1,8) (AG 3). »
L'Église est donc envoyée par le Christ lui-même et c'est sur son commandement qu' elle
poursuit l' œuvre du Christ: «Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les
baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce
que je vous ai prescrit» (Mt 28, 19s.) ; «Allez par le monde entier proclamer la bonne
nouvelle à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira
pas sera condamné» (Mt 16, 15s.).
La mission de l'Église est unique et poursuit le même dessein en toute situation, bien qu'il
puisse exister plusieurs manières de l'exercer selon les diverses circonstances qui se
présentent. La nature comme telle de la mission ne change pas, mais si elle s' effectue
différemment, c'est à cause des conditions dans lesquelles elle est menée (cf. AG 6). En
quelques mots, le décret conciliaire présente quelques conditions qui peuvent influencer
l'Église dans sa façon d'annoncer l'Évangile dans la culture où elle évolue:
Ces conditions dépendent soit de l'Église, soit même des peuples, des groupes
humains ou des hommes à qui s'adresse la mission. Car l'Église, bien que de
soi elle contienne la totalité ou la plénitude des moyens de salut, n'agit pas ni ne
peut agir toujours et immédiatement selon tous ces moyens; elle connaît des
commencements et des degrés dans l' action par laquelle elle s'efforce de
Il
conduire à son effet le dessein de Dieu; bien plus, elle est parfois contrainte,
après des débuts heureux, de déplorer de nouveau un ou tout au moins de
demeurer dans un état de semi-plénitude et d'insuffisance. En ce qui concerne
les hommes, les groupes humains et les peuples, elle ne les atteint et ne les
pénètre que progressivement, et les assume ainsi dans la plénitude catholique.
Les actes propres, les moyens adaptés doivent s'accorder avec chaque condition
ou état (AG 6).
De plus, bien que l'Église soit enracinée dans un peuple ou un groupe humain, il est
possible que ces derniers évoluent et changent avec le temps. En effet, « il n' est pas rare de
voir que les groupes humains parmi lesquels l'Église existe déj à soient complètement
transformés pour des raisons diverses» (AG 6). Il importe alors à l'Église de vérifier si ces
changements nécessitent à nouveau une activité missionnaire. De cette façon, l'Église
pourra se repositionner, si cela est nécessaire, dans le but que la manifestation de Dieu, son
Épiphanie et sa réalisation dans le monde et son histoire (dans laquelle Dieu conduit
clairement à son terme, au moyen de la mission, l'histoire du salut) soient réalisées (cf. AG
9).
Ainsi, depuis Vatican II, l'évangélisation des cultUres est devenue un aspect prédominant
dans le domaine missionnaire de l'Église. Paul VI, dans son exhortation apostolique
Evangelii Nuntiandi, évoque cette importance:
Il importe d'évangéliser, non pas de façon décorative, èomme par "un vernis
superficiel, mais de façon vitale, en profondeur, jusque dans leurs racines, la
culture et les cultures de l 'homme, dans le sens riche et large que ces termes
ont dans Gaudium et Spes, partant toujours de la personne et revenant toujours
au rapport des personnes entre elles et avec Dieu (EN 20).
Si l'on est passablement familier avec le vocabulaire théologique, on se rend vite compte
que le terme « inculturati9n» est souvent employé comme allant de soi. En fait, le terme
« inculturation» est fortement polysémique. Il s'agit d'un néologisme dont l'apparition est
survenue, entre autres, à la suite de l'essor des sciences humaines telles que l'anthropologie
et la sociologie. Or, en théologie missionnaire, ce terme prend un se!ls très spécifique.
12
Trop souvent, on ne fait pas une distinction assez claire entre l' inculturation et les notions
qui sont plutôt d'ordre anthropologique, dont l'un des effets est de parfois apporter une
certaine confusion. Pour cette raison, il est important de s'arrêter sur les différents sens que
peut prendre le terme «inculturation» selon la discipline dans laquelle il est utilisé.
Cependant, avant d'approfondir cette analyse du processus d'inculturation, il est prioritaire
de s'attarder à une définition plus précise de ce qu'est la culture.
2.1. La culture
Dès sa naissance, l'homme s' emacine dans une culture propre et spécifique qui fait de lui
l'être humain qu'il est. C'est ce que le théologien A. Peelman exprime et définit en ces
mots: «Chacun de nous, dès le premier jour de sa vie, a été programmé, éduqué ou
endoctriné dans une seule façon d'être humain 1 • » En ce sens, on ne peut définir la culture
seulement en tant que référence à des éléments appartenant à un peuple spécifique, par
exemple la nourriture ou les vêtements. Elle n'est pas non plus l'unique expression
artistique d'un peuple.
Pour sa part, Jean-Pierre Martinon indique que l'histoire du mot «culture» apporte
diverses manières de définir la culture. Il mentionne que deux types de définitions
apparaissent pour parler de la culture, une définition restreinte et une définition plus large.
La première « utilise le terme de culture pour la description de l'organisation symbolique
d'un groupe, de la transmission de cette organisation et de l'ensemble des valeurs étayant la
représentation que le groupe se fait de lui-même, de ses rapports avec les autres groupes et
de ses rapports avec l'univers naturel 2 ».
La définition plus large, pour sa part, sera utilisée pour décrire aussi bien « les coutumes,
les croyances, la langue, les · idées, les goûts esthétiques et la connaissance technique que
l'organisation de l'environnement total de l'honime, c'est-à-dire la culture matérielle, les
À vrai dire, il est difficile de s'accorder sur une seule définition qui saurait exposer
convenablement ce qu'est la culture. Avec une pointe d'ironie, A. Peelman fait ressortir
dans son étude cette complexité à définir ce terme: « De fait, il semble y avoir autant de
définitions de la culture qu'il y a d'anthropologues 5 ! » Cependant, cela n'empêche pas pour
autant de tenter de cerner ce qu'elle est et d'en tirer quelques définitions.
De toutes les définitions qu'il est possible d'attribuer à la culture, il est intéressant, pour ce
travail, d'en retenir trois afin de rendre compte de ce qu'elle est. Elles serviront aussi à
dégager certains éléments communs à toutes ces définitions. Dans un temps, il est
intéressant de s'attarder d'abord à la définition qu'A. Peelman fait de la culture :
La culture est une dynamique et collective. Elle est la façon dont chaque
société (non l'individu comme tel) s'adapte aux problèmes vitaux que pose son
environnement physique, social et idéologique. Ce processus d'adaptation
produit une « conception de vie normalisée et standardisée». Cette conception
de vie est constituée par un ensemble de modèles (types, normes), qui offrent à
chaque individu un champ de comportements possibles en vue de la réalisation
concrète de son existence. Ces modèles sont en quelque sorte les règles de jeu
dont l'individu a besoin pour réaliser sa vie de façon harmonieuse, en
communion avec les autres et d'après sa situation particulière à l'intérieur de son
groupe (fonctions, âge, sexe, classe sociale, sous-groupe)6.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 A. Peelman, L'inculturation. L'Église et les cultures, p. 42.
6 Ibid., p. 45.
14
Pour sa part, Azevedo présente la culture comme un ensemble d'éléments qui font partie de
la réalité d'un groupe ou d'un sujet humain:
En dernier lieu, Meslin présente la culture comme étant davantage de l' ordre du
comportement humain et de la façon par laquelle il réagit par rapport au monde qui
l'entoure:
Ces différentes définitions sont marquées par certains éléments qUI reviennent dans
chacune d' elles et qui nous donnent un bon aperçu de ce que peut être la culture. Voici
quelques-uns des principaux éléments qu'il est possible d'y retracer:
elle est quelque chose de transformable parce qu'elle fait référence à la réalité
actuelle de chaque peuple ou société. Elle est donc inachevée justement à cause des
Ainsi, chacune des définitions variera selon les accents mis par l'auteur sur l'un ou l' autre
aspect. Qu'en est-il maintenant de la culture au niveau ecclésial ? De quelle manière
l'Église parle-t-elle ou définit-elle la culture? En effet, ce qui vient d' être dit pour définir la
culture se situe au niveau de la vision anthropologique de la culture. Avant d' opter pour une
définition de la culture qui servira pour ce travail, il importe donc de se pencher sur la
vision que porte l'Église sur la culture.
Bien avant le Concile Vatican II, le Saint-Siège avait à cœur les préoccupations sociales et
9
culturelles. Quelques grandes encycliques ont d'ailleurs été publiées à ce sujet . Cependant,
l'optique de l'analyse culturelle de ces ouvrages était avant tout éthique. En effet, à partir
des significations latines anciennes du mot « culture», l'Occident n'avait fini par retenir
que le sens abstrait d'une culture qui serait l'ensemble des valeurs permettant
l'accomplissement le plus total de l'homme. L'accès à la culture devenait le privilège d'une
élite plus ou moins large, selon qu'elle était fondée sur la naissance ou sur"l'argent. Même
en cela, on retrouve pourtant l'un des fondements essentiels du concept de culture: « On ne
naît pas cultivé, on accède à la culture 10. »
9 Je pense notamment à Léon XIII, Encyclique Rerum novarum (15 mai 1891) : Leonis XIII P.M Acta, XI,
Rome 1892, pp. 97-144 et à Pie XI, Encyclique Quadragesimo anno ( 15 mai 1931) : AAS 23 (1931), pp.
177-228.
10 M. Meslin, Théologie et choc des cultures .. ., p. 76.
Il Ibid., p. 77.
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16
Ainsi, à la différence de Léon XIII ou de Pie XI - et même de Vatican 1 qui avait l'intention
d'aborder certaines questions sociales et se situait plus dans l'optique du jugement moral
plutôt que de l' analyse sociologique -, «la nouveauté de Vatican II sera précisément
d' accueillir l' approche moderne de l'anthropologie, tout en ne récusant en rien,
évidemment, l' optique morale traditionnelle 12 ». Ceci montre bien que la conscience
culturelle de l' Église a évolué au fil des années.
Développant sa réflexion sur la culture, le Concile Vatican II nous donne, aux numéros 53 à
62 de Gaudium et Spes, un exposé concernant la culture. D ' ailleurs, cet exposé fournit une
base qui aura des répercussions maj eures sur le reste de la réflexion conciliaire, reliant et
harmonisant de manière admirable l'aspect éthique (conception traditionnelle) et
anthropologique (conception moderne) :
Au sens large, le mot « culture» désigne tout ce par quoi l ' homme affine et
développe les multiples capacités de son esprit et de son corps; s'efforce de
soumettre l'univers par la connaissance et le travail; humanise la vie sociale,
aussi bien la vie familiale que l'ensemble de la vie civile, grâce au progrès des
mœurs et des institutions; traduit, communique et conserve enfin dans ses
œuvres, au cours du temps, les grandes expériences spirituelles et les
aspirations majeures de l'homme, afin qu'elles servent auprès d'un grand
nombre et même de tout le genre humain. Il en résulte que la culture humaine
comporte nécessairement un aspect historique et social et que le mot « culture»
prend souvent un sens sociologique et même En sens, on
parlera de la pluralité des cultures. Car des styles de vie divers et des échelles
de valeurs différentes trouvent leur source dans la façon particulière que l'on a
de se servir des choses, de travailler, de s'exprimer, de pratiquer sa religion, de
se conduire, de légiférer, d'établir des institutions juridiques, d'enrichir les
sciences et les arts et de cultiver le beau (GS 53).
Se référant à la fois au progrès de l'individu, qui développe toutes ses potentialités par
l'application de son intelligence et de ses talents (la culture entendue au sens classique et
humaniste), cette définition fait aussi référence à un vécu anthropologique, aux mentalités
typiques de chaque groupe humain. C'est une double dimension de la culture qui permet de
comprendre les relations entre la culture de l'individu et les cultures des collectivités, entre
12 Hervé Carrier, «L'apport du Concile à la culture» dans René Latourelle (dir.), Vatican II Bilan et
perspectives 25 ans après, 1962-1987, nO 17, Paris: Bellannin et Montréal: Cerf (coll. Recherches Nouvelle
Série), 1988, p. 442.
17
la culture savante et les cultures vivantes, car de tout progrès culturel, il ne faut pas oublier
que c'est l'homme qui en est le sujet et le bénéficiaire 13 .
Pour cette raison, l'assise que je retiendrai de façon plus prononcée pour représenter la
culture est la définition qui en est faite dans le Concile Vatican II. C'est donc cette dernière
qui sera retenue pour la suite du travail et à laquelle il faudra référer lorsqu' il sera fait
mention de la culture.
Ceci étant dit, la prochaine section étudiera dé façon plus approfondie certaines notions
anthropologiques dans le but de mieux définir et distinguer ce qu'elles sont par rapport à la
notion d' inculturation.
2.2. Acculturation
On utilise le terme d'acculturation lorsqu' on parle d'une transformation opérée chez une
personne ou un groupe humain dans un processus qui résuJte d'un contact avec une culture
différente de la leur. Par exemple, cela peut notamment se constater par un changement
dans les croyances, les institutions et les coutume du peuple. Ces éléments de changement
sont par contre rarement repris tels quels. Ils sont assimilés et transformés par la culture qui
les adopte 14.
Ce qui est très caractéristique, c'est que l'acculturation se fait très rarement par
consentement, mais plutôt par l'imposition d'une culture sur une autre. Elle devient alors
un chemin à sens unique qui peut aller jusqu'à causer la mort d'une culture. On parle alors
de déçulturation.
Dans son étude sur l'inculturation, Jean de Dieu Mvuanda nous présente une définition de
l'acculturation, qui peut être vue comme l'abandon d'anciennes façons de penser vers un
passage à une nouvelle culture :
13 Ibid. , p. 441.
14Jacques Scheuer, « L'inculturation. Présentation du thème» dans Lumen Vitae, vol. 34, nO 3, 1984, p. 253.
18
Dans son effort pour s' approprier et connaître la culture qui deviendra désormais la sienne,
le missionnaire en « monde étranger» est confronté à ce mouvement d 'acculturation. En
vivant dans une culture tout à fait autre, il doit en principe assimiler celle-ci en adoptant la
culture de ceux et celles avec qui il vit. L ' acculturation se situe donc dans l' ordre dù
rapprochement d ' une culture avec une autre ainsi que dans l' ordre de l'assimilation. Elle se
distingue donc de l'inculturation qui, elle, se situe dans un rapport entre l' Évangile et la
culture.
2.3. Transculturation
Ce terme est utilisé pour désigner le fait qu'une culture ayant une prédominance sur une
autre a tendance à faire de son système culturel la seule référence valide. La prise de la
Pologne par l'Allemagne lors de la guerre de 1939-1945 en est un bel exemple 16 . Le régime
nazi était la seule référence valide et valable. La politique des nazis qui occupaient la
Pologne était de réduire les Polonais non juifs à l'état de servitude. Tout ce qui ne
concordait pas avec cela était tout simplement supprimé. Ainsi, nombreuses sont les écoles
qui ont été fermées. Il en a été de même en ce qui concerne le domaine culturel, artistique et
scientifique des Polonais.
Ainsi, avec la transculturation, on assiste à l'imposition d'éléments culturels sur une autre
culture, et ce, de manière unidirectionnelle. C'est en quelque sorte un transfert de culture
sur une autre. À la différence de l'acculturation, la transculturation est une imposition de
culture plus qu'un rapprochement.
2.4. Enculturation
Ce terme est utilisé pour désigner une personne ou un groupe inséré dans un processus
d'initiation à sa propre culture ou à sa propre société. Ainsi, puisque la culture conditionne
une personne et le groupe auquel elle appartient tout au long de son existence, un individu
continuera de s' enculturer tout au long de sa vie :
L'enculturation est donc un processus actif qui touche à tous les aspects de la vie humaine
et culturelle parce qu'elle affectera autant les comportements que les valeurs et les
croyances. Touchant à tout l'être humain, l'enculturation est donc un processus qui agit en
profondeur. C'est souvent au contact d'une culture .autre que la nôtre que nous nous
apercevons de notre enculturation.
2.5. Adaptation
2.6. Inculturation
Contrairement aux notions sociologiques qUI viennent d' être défmies, le mot
« inculturation» est un terme proprement théologique qui s'applique à la vie interne de
l'Église. Le terme en lui-même fait autant référence à la réalité complexe des cultures
qu'aux acquis de l'anthropologie, à cause de la racine « culture» qu' il renferme . Quant à
lui, le préfixe « in» rappelle le mystère de l' Incarnation. Le terme inculturation comporte
donc un aspect anthropologico-culturel et il est une « qualification indispensable de la
révélation, de l'évangélisation et de la réflexion théologique 18 ».
L'inculturation désigne un processus actif qui s' effectue à partir de l' intérieur même de la
culture. C'est un processus par lequel quelque chose, dans ce cas-ci l'Évangile, s'insère de
manière progressive au sein d'une culture. L'inculturation fait partie intégrante de l' élan et
de l'activité missionnaire de l'Église.
De même que pour le terme «culture», plusieurs définitions sont attribuées au terme
« inculturation ». D'ailleurs, Achiel Peelman rapporte un grand nombre de définitions que
différents auteurs donnent au mot « inculturation »20. Par là, il démontre que le débat
théologique par rapport à ce sujet est encore en cours. Voici quelques-unes de ces
définitions :
« L' inculturation désigne l'effort pour faire pénétrer le message du Christ dans
un milieu socio-culturel, appelant celui-ci à croître selon toutes ses valeurs
propres, dès lors que celles-ci sont conciliables avec l'Évangile. L'inculturation
vise à naturaliser l'Église dans chaque pays, région ou secteur social, dans le
plein respect du caractère et du génie de chaque collectivité humaine (H. Car-
rier). »
Ces quelques définitions nous donnent un aperçu général de ce qu'est l' inculturation aux
yeux de différents auteurs et ainsi d'en saisir quelques constats importants dans le cadre de
cette étude. Tout d'abord, bien que ces définitions diffèrent les unes des autres, celles-ci
mettent en valeur l'idée que l'Évangile agit avec une force créatrice. Ainsi, la Parole
apporte une nouveauté transformatrice puisqu'elle opère un changement dans les cultures
qui l'accueillent.
Les propos d'Azevedo cités précédemment (voir page 23) attestent d'une part quelque
chose de primordial: le lien entre inculturation et évangélisation est indéniable. En effet, si
l'on tient compte du fait que l'Évangile agit avec une force créatrice à la suite d'une
annonce, cela ne peut se faire que par le biais d'une certaine évangélisation. Cela semble
être évident. D'autre part, l' inculturation réside aussi dans la réponse que donnera une
- - - - - - - - -- - - -- - - - ---- - - -
22
L'inculturation est donc quelque chose qui s'opère dans l'intimité entre la Parole et la
culture qui la reçoit. Lorsqu'une culture accueille la Parole, quelque chose naît et croît, sans
que cela ne soit visible et apparent. La culture réagit à l'annonce qui lui est faite, et ce, de
l'intérieur. Tout comme pour un jardin où une graine a été semée, le jardinier ne voit pas la
semence germer en un jour ou en un instant. Celle-ci croît peu à peu et finit par porter son
fruit. Le temps de la récolte peut alors se faire. Ainsi, c'est la culture elle-même qui, à
l'annonce qui lui faite de la Parole, donnera une réponse à la semence qui a été déposée,
lui permettant de produire un fruit nouveau. « Il en est du Royaume de Dieu comme d'un
homme qui jette la semence en terre: qu'il dorme ou qu'il soit ,debout, la nuit et le jour, la
semence germe et grandit, il ne sait comment. » (Mc 4, 26-27)
3. But de l'inculturation
L'objectif visé par l'inculturation est la pénétration de l'Évangile dans les cultures. Bien
que l'emploi de ce mot soit nouveau en Église, la réalité qui est exprimée dans le concept
d'inculturation est présente depuis le début du christianisme. C'est d'ailleurs ce que saint
Paul accomplissait en s'efforçant de rendre le message du Christ accessible aux cultures
auxquelles il s'adressait:
Oui, libre à l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous, pour en gagner le
plus grand nombre. J'ai été avec les Juifs comme un Juif, pour gagner les Juifs,
avec ceux qui sont assujettis à la loi, comme si je l'étais - alors que moi-même
23
je ne le suis pas -, pour gagner ceux qui sont assujettis à la loi; avec ceux qui
sont sans loi - alors que je ne suis pas sans loi de Dieu, puisque Christ est ma
loi -, pour gagner ceux qui sont sans loi. J' ai partagé la faiblesse des faibles ,
pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver sûrement
quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l'Évangile afin d 'y avoir
part (1 Co 9, 19-23).
Pour les Juifs, devenir chrétien tout en observant la loi juive était chose possible, mais pour
Paul, il était inacceptable d'imposer la culture juive aux chrétiens issus du paganisme. Cela
donne un aperçu des qui ont commencé à apparaître lorsque l' Évangélisation
s'est étendue au monde païen: « Il y a eu là un problème difficile parce que précisément la
foi chrétienne au début était tellement enracinée dans la culture juive qu'on ne voyait pas
comment il était possible de les distinguer 21 . » La connaissance de la réalité vécue entre les
Juifs et les païens permet donc de comprendre tout d'abord pourquoi il était difficile de les
distinguer et ensuite pourquoi le christianisme s' est distancé peu à peu du judaïsme.
S'il était nécessaire qu'une rupture ait lieu à ce niveau, Paul a néanmoins compris que la
religion chrétienne ne devait pas imposer des ruptures dans tous les aspects de la vie des
Grecs. Par exemple, il affirmait que ceux qui n'avaient pas reçu la circoncision n' avaient
pas à se faire circoncire. (cf. 1 Co 7, 17-20) Tout comme ceux qui étaient dans le mariage
devaient y rester. (cf. 1 Co 7, 27) Aucune obligation au célibat n'était donc nécessaire pour
être chrétien. Chacun devait accueillir le Christ là où il était et dans la condition qui était la
21 Albert Vanhoye, « L'inculturation aux origines du christianisme » dans Gilles Langevin et Raphaël Pirro
(dir.), Le Christ et les cultures dans le monde et l'histoire, Montréal, Bellannin, 1991, p. 47.
24
SIenne, dans le monde avec la culture qui était la sienne, mais en devenant un ferment
capable de transformer peu à peu cette culture 22 .
Pour cette raison, l' inculturation ne peut pas être considérée comme une rencontre violente
entre l'Évangile et la culture. Au contraire, cette inculturation, vécue dans une attitude de
dialogue et d'écoute de l'autre, est plutôt une joyeuse rencontre entre l'Évangile et la
culture, qui se fait de manière dynamique et qui porte du fruit. C' est donc dans le plus
grand respect qu'elle se réalise. D' ailleurs, les discours de Paul à Lystres et à Athènes sont
admirables quant à l' approche de Paul auprès des païens (cf. Ac 14, 15-17; 17, 22-31 ).,
Dans ces discours, l'apôtre entre véritablement en dialogue avec les valeurs culturelles et
religieuses des peuples auxquels il s'adresse.
Comme je l'ai déjà définie, la culture n'est pas quelque chose qui se fixe définitivement.
Au contraire, elle évolue, se transforme et s'exprime d'une façon nouvelle. C'est pourquoi
l'inculturation cherchera à atteindre les fondements, c'est-à-dire les racines de la culture.
Il faut se rappeler que l'inculturation se situe, d'une part, dans un rapport étroit entre la
culture et l'Évangile. Elle est un processus qui se fait à partir de l'intérieur même de la
culture. L'inculturation toujours être en quête du « sens que les contemporains
donnent à leur existence dans le monde 23 ». C'est donc par une rencontre englobante entre
Évangile et culture que celle-ci pourra être renouvelée de l'intérieur. D'autre part, il ne faut
pas aussi négliger le fait que l' inculturation se situe aussi dans un rapport entre deux
cultures. Ce qui se veut également être ici un deuxième aspect possible de transformer la
culture qui reçoit l'annonce de la bonne nouvelle. Ces deux aspects doivent pris en compte
dans le processus d' inculturation.
Mais sur quoi repose l' inculturation ? Quels en sont les fondements ? Lorsque l'on parle
d'inculturation, deux repères essentiels peuvent être définis. Le premier est un repère
22Ibid., p. 47-48.
23 Normand Provencher, Lafoi, une étrangère dans le monde moderne ?, Montréal, Fides, 1998, p. 27.
25
4.1. L'incarnation
Pour faire usage de la parole, Jésus n'a pas utilisé une autre manière de parler que celle de
l 'humanité dans laquelle il a vécu. Par exemple, par l'emploi des paraboles, Jésus utilisait
une forme de parler qui était un langage courant à son époque. Jésus ne s'est pas séparé de
l'univers cultuel et culturel juif. Au niveau des signes et symboles, Jésus s'est exprimé avec
les réalités qui étaient connues et en usage à son époque.
L'institution de l'Eucharistie par Jésus peut être vue comme un exemple. Elle se fait dans le
contexte de la Pâque juive et s'effectue dans le rituel propre au repas pascal juif existant:
«La nouveauté réside . essentiellement dans les paroles intentionnellement prononcées
comme instituant un ordre nouveau, puis dans la singularité des circonstances et le sens
nouveau du salut et du nouveau peuple de Dieu, le nouvel »
24 Cette citation fait référence à R. Le Deaut, dans J. de D. Mvuanda, Inculturer pour évangéliser en
p. 47.
5 Ibid., p. 48.
26
De plus, Jésus et ses disciples participèrent à la liturgie juive, comme tous les Juifs. Il ne se
sont donc pas créé une nouvelle liturgie, distincte des autres Juifs . Ce n'est que peu à peu,
notamment avec l'organisation des communautés de croyants et à la suite de certains
événemenfs fondateurs, comme la Pentecôte - où historiquement l'Église prend de plus en
plus d'indépendance face au judaïsme - que la liturgie chrétienne proprement dite fera son
apparition.
Cependant, bien que Jésus se soit enculturé en parlant la langue de son peuple et en vivant
selon ses coutumes, etc., il n' en demeure pas moins qu'il a fait preuve d' une certaine
critique face à cette culture qui était la sienne. Il reprenait les gens, leurs façons de faire ,
corrigeait ce qui pouvait dévier du plan de salut de Dieu pour le peuple: « Car je vous le
dis, si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, non, vous n'entrerez
pas dans le Royaume cieux (Mt 5, 20).» Cela dit, toute à
discuter les travers à corriger et à avoir une critique juste, Jésus devait connaître sa culture
et s'en être laissé imprégner.
Parfois, certains passages des Écritures nous présentent comment les Juifs sont étonnés par
la manière dont Jésus parle. Il ne présente pas le message de foi de la même manière que
les scribes de son temps (Mt 7, 28-29 ; Mc 1,22 ; Lc 4, 32). Jésus s'exprime avec une
autorité nouvelle qui lui est propre. Jésus s'est même fait, sous une certaine forme,
contestataire de la tradition juive en lui opposant sa propre position: « Vous avez entendu
qu'il a été dit aux Anciens ... », « Et moi je vous dis ... » (Mt 5, 21; 27; 33; 38; 43). Cela ne
pouvait se faire que si Jésus était un Juif parmi les Juifs, incarné dans un lieu et une culture
particuliers.
26 Ibid., p. 49.
27
Pour ces différentes raisons, il est possible d'affirmer sans se contredire que Jésus était un
homme bien de son temps et bien enraciné dans sa culture. Or, Jésus ne parlerait
certainement pas aujourd'hui de la même manière qu'il l'a fait il y a deux mille ans.
L'univers culturel et social qui avait lieu à cette époque a évolué et s' est transformé de
manière radicale depuis. Bien que le message soit sensiblement le même, la manière de le
dire serait, elle, tout à fait différente. L'incarnation peut donc être considérée comme étant
le modèle par excellence de l'inculturation. Jean Bacon mentionne d' ailleurs que « le point
de départ de toute inculturation se trouve en ·effet dans la capacité de s'incarner ou,
expression plus heureuse, de s'humaniser 27 ». Langevin, pour sa part, rejoindra lui aussi
cette thèse en affirmant :
4.2. L'évangélisation
Le deuxième repère de l'inculturation concerne l'universalité du salut de Dieu pour tous les
peuples. Cela implique également la capacité que tous les peuples ont de répondre à ce plan
salvifique à partir du milieu socioculturel dans lequel ils vivent. Par le fait même, si ce
premier constat s'avère véridique, cela équivaut à reconnaître que Dieu est déjà agissant au
sein de tous les peuples et que ces derniers ont une particularité nouvelle et inouïe à
27 Jean Bacon, Les cultures à la rescousse de la foi, MontréallParis, Médiaspaul (coll. Brèches théologiques),
2001, p. 57.
28
Dans l'inculturation, le processus fait en sorte qu'une culture assimile de l'Évangile ce qui
lui est vital sans qu'elle cesse d'être elle-même. « C'est ici la sagesse de l'inculturation :
signifier la transcendance propre de la Révélation dans chaque culture 29 . »
Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'est plus nécessaire qu' il y ait d' évangélisation. En
effet, bien que la révélation soit déjà présente en partie dans chaque culture, l'activité
évangélisatrice doit se faire. lnculturation de l'Évangile et évangélisation de la culture sont
un double mouvement dans le processus d' inculturation. C'est pourquoi l'évangélisation
constitue le deuxième fondement de l' inculturation.
La tâche du chrétien sera donc de reconnaître l' œuvre de l'Esprit qui est déj à en action dans
le peuple qu'il tente d'évangéliser. Cette reconnaissance sera par conséquent un travail
ardu, car cela implique non seulement d'être à l'écoute de l'autre et de la culture, mais de
voir cette culture en prenant le regard infiniment aimant de Dieu.
28 Gilles Langevin, « Incarnation et inculturation » dans Gilles Langevin et Raphaël Pirra (dir.), Le Christ et
les cultures dans le monde et l'histoire, Montréal, Bellarmin, 1991 , p. 24.
29 Martyn Lachance, Une analyse critique du concept d'inculturation, mémoire de maîtrise, Université Laval,
2001, p. 30.
29
d'évangélisation, Peelman avance que l'Église elle-même peut être un obstacle ou une voie
d'accès pour l' inculturation :
L'acte de vouloir énoncer quels seront les résultats qui s'ensuivront de la proclamation de
la Parole serait une action en elle-même prétentieuse. Cela équivaut à ne pas comprendre ce
qu'est l'inculturation dans ses fondements. En conséquence, le travail d ' évangélisation est
de favoriser, chez la culture que les missionnaires approchent, une expression vivante de la
foi inculturée.
Loin d'être une réalisation seulement individuelle, puisqu'elle est avant tout une œuvre de
Dieu, l'inculturation est aussi une réalisation collective, communautaire. Cela signifie donc
que l'acte d'évangélisation se fait également par la communauté chrétienne dans un milieu
et une culture spécifiques.
D'après le décret conciliaire Ad Gentes, l'activité missionnaire concerne les peuples qui
n'ont pas encore reçu l'annonce de la Parole. « La fin propre de l'activité missionnaire est
l'évangélisation et l;implantation de l'Église dans les peuples ou les groupes humains dans
lesquels elle n'a pas encore été enracinée (AG 6). » Et le but de l'évangélisation, quant à
lui, doit d'abord viser la transformation intérieure de l'humanité dans son ensemble. :
Évangéliser, pour l'Église, c'est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux
de l'humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve
. l'humanité. [... ] Le but de l'évangélisation est donc bien ce changement de
l'intérieur et, s'il fallait le traduire en un mot, le plus juste serait de dire que
. l'Église évangélise lorsque, par la seule puissance divine du Message qu'elle
proclame, elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et
collective des hommes, l'activité dans laquelle ils s'engagent, la vie et les
milieux concrets qui sont les leurs 31 .
En tenant compte de cela, il me semble devoir insister sur trois dimensions qui apparaissent
dans l'acte d'évangélisation et qui demeurent vitales pour le processus d' inculturation. Il
est premièrement important de se rappeler qu'il s'agit d'un échange qui s'effectue entre
deux cultures. Celui qui fait acte d'évangéliser ne peut donc pas faire ressortir un noyau
évangélique d'une notion abstraite et ensuite transmettre directement à une autre culture un
énoncé de foi dans lequel elle ne se reconnaît pas. La foi transmise et la foi reçue est la
même, mais à cause des différences culturelles, elle doit s'exprimer de manière différente
pour être comprise et accueillie adéquatement par la culture évangélisée.
En second lieu, il est aussi nécessaire de se rappeler que l'activité évangélisatrice n'én est ·
pas une de transmission ou de traduction unilatérale. L'interaction et le dialogue entre deux
cultures sont au cœur même du processus. Finalement, il faut être conscient du fait que la
domination d'une culture sur une autre est toujours un risque présent. Qu'on le veuille ou
\
non, deux cultures qui entrent en relation ne peuvent pas demeurer en situation d'égalité.
En d'autres mots, il y a toujours une culture qui prédomine sur l'autre.
L'évangélisation ne peut donc pas se résumer en une simple adaptation de certaines formes
superficielles. Par exemple, la traduction d'un ouvrage de théologie dans la langue du
peuple évangélisé s'avère être touj ours la théologie de la culture évangélisatrice.
L'inculturation va plus loin encore en visant une création nouvelle à partir de l'intérieur
même de la culture où celle-ci pourra donner une expression nouvelle à partir de sa propre
pensée.
1
31
Dans la manière appropriée de procéder pour que le processus d' inculturation réponde à
l'objectif d'évangélisation, les deux cultures en cause sont sujettes à être conduites à une
pleine libération à la suite même du processus dialectique qui s'effectue dans leur dialogue
inter-culturel. Ainsi, malgré les tensions ou les difficultés qui peuvent surgir, il est possible
d'évoluer dans un climat qui favorise l' intérêt le plus favorable des deux cultures entrées en
relation. En résumé, la véritable inculturation portera à son plus haut niveau de beauté la
culture qu'elle côtoie.
Or, devant l'état de nos sociétés contemporaines, qui sont de plus en plus sécularisées, il est
possible de se demander si ce sont seulement les cultures non-évangélisées qui doivent
recevoir l'annonce de la Bonne Nouvelle ou si cela ne doit pas se faire aussi dans les
cultures déjà évangélisées. L'urgence d'une nouvelle évangélisation est une réalité qui
ressort dans de nombreux ouvrages et qui est de plus en plus mise en avant dans l'Église.
D'ailleurs, dans sa réflexion sur les liens entre la foi et la culture, le Comité de théologie de
l'Assemblée des évêques du Québec a soutenu, dans son discours, qu'il est vrai d' affirmer
« qu'une foi mieux enracinée saura mieux se faire fraternité, engagement et célébration 32 ».
Cette mission d'évangélisation est donc nécessaire auprès de toute culture; qu'elle ait été
évangélisée ou non, celle-ci se fera par un dialogue nouveau entre la foi et la culture. Les
communautés chrétiennes ont donc comme tâche de réapprendre à partager leur foi au sein
de leur propre culture. Par conséquent, on peut affirmer que, l'inculturation qualifie tout
processus d'évangélisation, quel qu'il soit, auprès d'une culture étrangère ou déjà
évangélisée.
Une des questions que soulève l'inculturation est donc de savoir ce que la culture peut
apporter en réponse à l'annonce qui lui est faite. Par conséquent, l'approche de la culture ne
peut pas se faire de n'importe quelle façon. L 'histoire de l'Église le démontre clairement.
31 Ibid., p. 73-74.
32
Par une approche des peuples tantôt heureuse, elle a donné naissance à une semence qui a
porté son fruit. Parfois cependant, par une approche plutôt regrettable, elle a laissé une
marque douloureuse chez certains peuples. Bien évidemment, le présent travail ne pourra
pas présenter cette histoire de l' inculturation dans tous ses détails, mais l' exemple de
Matteo Ricci se révèle fort intéressant et éclairant pour cette étude.
Matteo Ricci est certainement 'une des personnalités les plus reconnues et citées dans le
domaine de l'inculturation en vertu du génie incroyable qu'il a déployé dans
l'évangélisation de la terre chinoise. Il est en effet considéré, dans l'Église, comme l' un des
plus grands modèles de l' inculturation et la prochaine section s' attardera à rendre compte
de l'héritage qu'il a légué.
Italien d'origine, né à Macerata en 1552, Matteo Ricci fait son entrée au noviciat de la
Compagnie de Jésus en 1571, à 18 ans. Sept ans plus tard, il quittera l'Europe pour se
rendre à Goa, « la grande mission qui servait de plate-forme pour l' œuvre missionnaire en
Inde et au-delà 34 », où il demeurera pendant quatre ans. La dernière étape avant de le
\
conduire en Chine se déroulera à Macao, une enclave commerciale portugaise établie sur la
presqu' île de la grande Chine. Il demeurera à cet endroit à peine,plus d'un a!l.
C'est donc en 1583 que le P. Ricci débute sa mission en Chine après avoir été accepté, et
non s'être imposé de lui-même. Il est accompagné de l'un de ses confrères, le P. Ruggieri.
C'est à titre de religieux venus d'Occident qu'ils furent reçus. Leur premier effort
d'adaptation a donc été celui d'être des moines d'Occident, vêtus de la même manière que
les bonzes bouddhistes. Le P. Ricci venait de réussir ce que personne n ' avait jamais
vraiment réussi encore : entrer en terre chinoise.
32 Comité de théologie de l'Assemblée des évêques du Québec, Mission de l'Église et culture québécoise,
Réflexion sur les liens entre foi et culture, Montréal, Fides (coll. L'Église aux quatre vents), 1992, p. 48.
33 Pour l'ensemble de cette partie, je me réfère beaucoup au texte de Yves Raguin, «Un exemple
d'inculturation : Matteo Ricci », dans Lumen Vitae 34, 1984, p. 260-277., spécialiste de l'histoire de la Chine.
L'ensemble de ses propos, qui décrivent en une synthèse extraordinaire l' œuvre de Matteo Ricci, est ici repris
et résumé.
34 Y. Raguin, « Un exemple d'inculturation : Matteo Ricci», p. 263.
33
Pendant neuf ans, Ricci et son compagnon vécurent dans cette situation. Cependant, si les
bonzes méritaient le respect de certains, ils étaient aussi méprisés par beaucoup d'autres,
surtout par les Chinois les plus instruits. Ricci a alors réalisé que, tant et aussi longtemps
qu'ils seraient associés aux bonzes bouddhistes, la cause de l'Évangile ne ferait guère de
progrès.
Pour cette raison, Matteo Ricci a donc mis tous ses efforts pour apprendre le chinois afin de
mieux saisir la culture chinoise. De cette façon, la connaissance du peuple chinois a occupé
la maj eure partie de son temps:
S'il faut trois ou quatre ans pour pouvoir communiquer ce que l'on sait, il en
faut dix ou pour saisir ce que nos auditeurs comprennent. Or c'est cela
qui compte. Ce fut l'un des traits de génie de Matteo Ricci: apprendre le
chinois pour mieux écouter et mieux comprendre 35' .
C'est ainsi qu'il découvrit que les bonzes étaient considérés, par les Chinois, comme des
marginaux. Si Ricci voulait que son influence soit plus grande sur le peuple chinois, il ne
fallait plus s'associer aux bonzes. Dès lors, son objectif premier fut de s'installer dans la
capitale et de rejoindre ainsi, si possible, l'empereur afin d'obtenir de ce dernier la
permission d'annoncer l'Évangile dans toute la Chine.
Étant foncièrement un humaniste, le P. Ricci décida donc de quitter l'habit des bonzes pour
s'embarquer sous le pavillon de l'humanisme des lettrés confucéens, qui dirigeaient la
politique impériale. Désormais, il se présentait comme un lettré venu de l'Occident 36 .
Pour Matteo Ricci, une chose était importante: être accepté et reçu. Il ne suffisait pas d'être
simplement écouté. De par sa propre écoute attentive de la culture, Ricci en était venu à
trouver trois portes pour pénétrer la culture chinoise: le confucianisme, le taoïsme et le
bouddhisme 37 . Ne pouvant pas emprunter ces trois portes à la fois, il choisit celle qui lui
convenait le mieux et qui lui était déjà largement ouverte, le confucianisme. Sans jamais se
35 Ibid. , p. 264.
36 Ibid.
34
présenter avec une supériorité culturelle, il s'est appliqué à faire en sorte que l'Évangile qu'il
annonçait soit d'abord perçu comme respectable et raisonnable en appelant les personnes à
qui il s'adressait à l'attention et à la réflexion. La raison pour laquelle il a agi de la sorte est
qu'il avait compris l'extrême richesse de la culture chinoise et qu'il fallait entrer dans leur
propre culture, puisque c'était « le seul moyen de savoir en quoi et comment l'Évangile était
pour eux recevable 38 ».
En pénétrant la culture de la sorte, le P. Ricci s'est peu à peu fait initier à la littérature et à
la philosophie chinoise. Étant entièrement ouvert, il s'est attiré l'amitié de plusieurs
personnes influentes. De plus, en se laissant éduquer et instruire par eux, il était aussi en
mesure de savoir en quelque sorte dans quelle terre la Parole allait être semée. Sans
reprendre toute la doctrine chrétienne dans les formulations courantes de l'Église, il a
d'abord recherché les éléments les plus acceptables pour les Chinois. Dans son œuvre,
Raguin présente la manière de procéder que cet évangélisateur prendra pour approcher le
peuple chinois et lui donner le Christ:
Pour cela, il retourne à la pensée confucéenne la plus ancienne et, pour lui, la
plus pure, avec la notion fondamentale de « nature humaine». Dans la pensée
chinoise classique, la nature humaine est bonne. Ricci cherche à retrouver dans
la culture et la morale de la Chine les éléments naturels, qui vont lui permettre
d'amorcer une vraie présentation du message chrétien. C'est ainsi qu'il va
semer ce message nouveau dans le sol de la pensée chinoise, voulant- amener la
Parole évangélique à refaire tout le parcours de l'incarnation, à partir de la
morale naturelle. Telle est essentiellement la démarche suivie par Ricci, et sa
manière de faire 39 .
Le point de départ de Ricci fut donc une morale humaniste très simple, de sorte que tout
bon Chinois était en mesure de comprendre. C'est à partir de l'homme dans sa situation
concrète, dans la nature humaine, qu'il s'est efforcé à déployer la semence évangélique. Ce
n'est qu'à la suite d'un long processus qu'il amènera ses auditeurs à connaître Dieu. Ce
n'est donc pas d'abord la prédication qùi marque, chez Ricci, la présentation de l'Évangile,
mais bien la relation.
37 Ibid., p. 266.
38 Ibid.
39 Ibid., p. 267.
35
Puisque l'éducation à la foi se faisait dans le cadre d'échanges amicaux que les Chinois
écoutaient volontiers, cette façon de faire permettait à Matteo Ricci d'exposer certains
points de la doctrine chrétienne. D'ailleurs, Raguin soulignera comment « Ricci a
développé au plus haut "point ce,tte vertu d'amitié, devenant ainsi le support de sa
présentation de la doctrine chrétienne 40 ».
Le génie du P. Ricci était donc de se baser sur les éléments culturels de la pensée chinoise
pour présenter l' Évangile à ce peuple qu'elle caractérise. En agissant de la sorte, il était
davantage préoccupé à ce que la semence de la foi soit plantée dans une terre apte à la
recevoir qu' à présenter le christianisme comme il a germé en Occident. C'est ainsi qu'il
pourra leur dire entre autres :
Vous aviez autrefois une notion de Dieu plus claire que celle de maintenant ;
pourquoi ne pas y retourner ? Vous avez dévié de l'enseignement de vos
anciens sages, en vous "laissant séduire par les fausses théories des bouddhistes
et des taoïstes 41 . "
Cet exemple présente ce sur quoi Ricci se fondait pour amener des échanges et un
cheminement qui lui permettraient de présenter la foi chrétienne et de conduire ainsi ses
auditeurs, lentement mais sûrement, à la rencontre de Dieu. C'est souvent en invitant les
Chinois, surtout les confucéens, à revenir à leurs anciennes croyances, qui n'étaient pas
éloignées de la foi chrétienne, qu'il le faisait. « Il ne pouvait pas se présenter uniquement
comme messager d'une doctrine purement "spirituelle". Il lui fallait un message chrétien
non séparé de l'existence, un message globa1 42 . »
L'apport de Matteo Ricci a donc été immense dans l'histoire de la chrétienté. Il a été en
quelque sorte un pont entre deux cultures: la Chine et l'Occident. Il est également
intéressant de mentionner que ce n'est pas seulement au niveau évangélique que Ricci
amena un apport considérable, mais aussi au niveau scientifique, notamment en
introduisant des traités de géométrie et d'astronomie. Il a peu à peu ouvert la culture
chinoise à la culture occidentale et l'inverse est aussi vrai. Encore aujourd'hui, le
Ibid. , p. 268.
41 Ibid.
42 Ibid., p. 271.
- -- - - - - - -- - - - - -- ---- - -
36
témoignage de Matteo Ricci est un exemple à suivre dans l' immense tâche qu' a l'Église
que de chercher à approfondir le processus d ' inculturation.
L'exemple de Matteo Ricci et de l' héritage qu' il a légué à l' Église dans le domaine de
l'inculturation présente quelques aspects primordiaux qu'il est possible de dégager de toute
approche de la cultùre. Pour cette raison, je présenterai quelques caractéristiques .de
l'approche de la culture.
Dans un premier temps, l'approche de la culture doit être englobante 43. On ne peut éliminer
de façon trop précipitée, à cause d'un jugement précoce, certains traits de la culture parce
que ceux -ci nous paraissent moins importants. Cette approche demandera du temps et de la
patience, car on ne peut prétendre à une véritable inculturation seulement si cette dernière
prend en considération tous les aspects de la culture.
Cela exige un dialogue constant, un accueil mutuel, entre les deux cultures mises en cause -
celle de l'évangélisateur et celle de l'évangélisé - et cela suppose aussi que ces dernières se
37
laissent remettre en question par les nouveautés qui s'ensuivent de cette rencontre. En effet,
les deux cultures sont toujours appelées à entrer dans le mouvement de la conversion.
C'est un aspect que Matteo Ricci avait également compris. C'est en se faisant d ' abord
moine, puis en se présentant ensuite comme un lettré confucéen qu'il s'est inséré peu à peu
au sein de la culture chinoise. La compréhension de celle-ci n'aura été que le fruit d' un
long labeur échelonné Sur plusieurs années.
De plus, par l'exemple de Ricci, on peut voir que la reconnaissance des valeurs culturelles
adviendra par la reconnaissance des croyances, des représentations du monde, des mythes,
des connaissances, etc. C'est une manière de voir et de percevoir les choses qui
s'exprimeront d'une manière propre à la culture par un ensemble de symboles qui lui est
spécifique.
43 Les deux caractéristiques qui suivent font référence à A. Peelman, L'inculturation. L'Église et les cultures,
p.88.
38
façon à ce que l'Évangile soit proclamé et célébré dans les signifiants qui lui
sont propres et selon la mentalité qui lui est sienne 44.
C'est ce que l'on pourrait définir comme étant la prise en considération de la contextualité.
C'est en tenant compte de cela qu'une liturgie, par exemple, pourra être produite en
conformité avec ce qu'elle est dans ses fondements sans l'aliéner pour autant.
Pour cela, il est nécessaire que le missionnaire dépasse tout jugement téméraire devant la
différence de l'autre. De même, il doit exercer une réelle écoute de l'autre dans ce qu'il est
et dans ce qu'il vit. Le missionnaire doit toujours veiller à ce que son attitude ne le porte pas
à tenter de dominer l'autre. En effet, l'un des plus grands risques de l'inculturation est
toujours de ne garder que sa propre culture pour seule référence. L'écoute de la culture est
une attitude et une aptitude primordiales dans le processus d'inculturation afin de saisir la
culture de l'intérieur.
Actuellement, la bonne volonté d'une personne et son zèle apostolique ne sont plus des
éléments suffisants pour que l'annonce de la Bonne Nouvelle soit efficace et réponde aux
besoins de la société contemporaine. Il faut indéniablement connaître la culture dans
laquelle on s'insère. Une fois que celle-ci sera saisie de l'intérieur par la culture
évangélisatrice - processus qui devra d'ailleurs toujours s'effectuer constamment -, le
discernement des valeurs culturelles sera aussi nécessaire. De cette façon, l'évangélisateur
pourra voir, dans la culture, ce qui peut être « enrichi, purifié et perfectionné par la force de
, 45
l'Evangile ».
De plus, l'enrichissement et l'échange d'une culture à l'autre est aussi vrai dans le chemin
inverse, c'est-à-dire du côté de la culture évangélisée vers la culture évangélisatrice. Ainsi,
le missionnaire et l'évangélisateur peut voir, toujours dans la culture, ce qui peut enrichir à
son tour le christianisme. C'est une des raisons pour lesquelles il importe de conserver une
communion entre les Églises, jeunes ou moins jeunes. Cela est aussi exprimé dans les
textes du Concile Vatican II :
Intime doit demeurer la communion des jeunes Églises avec l'Église tout
entière; elles doivent en joindre les éléments traditionnels à leur culture propre,
pour accroître la vie du Corps Mystique par des échanges mutuels (AG 19).
Le problème du changement socioculturel doit aussi être envisagé par toute approche de la
culture, car, «à l'intérieur de chaque culture, la dynamique du changement est aussi
importante que la quête ou le maintien de l'identité 46 ». En effet, les cultures évoluent et
c'est pourquoi il est toujours nécessaire que celles-ci entrent dans urie confrontation
nouvelle avec l'Évangile. Pour cette même raison, l'inculturation est un processus qui doit
se faire continuellement, même dans une culture qu'on dit déjà évangélisée.
8. Interprétation et appropriation
effet, lorsque ces substrats ne sont pas pris en considération, il peut en résulter certaines
difficultés.
Dans le processus d' inculturation, il y a, en quelque sorte, une certaine réinterprétation qui
doit se faire, spécialement du côté de l'évangélisateur. S' assurer que les contenus de la foi
s'expriment de manière intelligible et compréhensible pour qu'une autre culture demande
une part de réflexion sur le contenu proprement dit. C ' est cette réflexion qui obligera la
réinterprétation. Par moments, cette réflexion n'amènera aucun changement alors qu' en
d'autres occasions, elle amènera une difficulté ou une situation à corriger.
Comment l' homme d'aujourd'hui peut-il être contemporain de Jésus? C'est la question qui
se pose et que l'on doit se poser dans le processus d'inculturation. Cette question exige que
la culture évangélisatrice ose le risque de l'interprétation pour que les énoncés de foi n'en
restent pas seulement au niveau de la répétition ou de l'imitation. Au contraire,
l'évangélisation demande à ce que ces énoncés soient réellement ré appropriés dans la
culture du peuple évangélisé, et ce, en se basant sur la réalité des nouvelles situations
historiques.
Le langage obligera aussi la réinterprétation. C'est une réalité qui, ici, est très importante,
car le langage peut aussi être un obstacle à la transmission d'un contenu. L'exemple de
Matteo Ricci peut encore être d'une grande utilité pour appuyer cette idée, car ce dernier a
aussi eu à affronter ce problème de l'interprétation des textes:
Ricci a donc conscience qu'il peut se permettre d'interpréter à sa manière certains textes ou
certaines notions fondamentales, « comme celle de l'Empereur d'en-haut ou du Seigneur du
Cie1 48 ». En effet, les Chinois ont toujours cru à l'existence d'un « Être suprême ». Ricci
revenait régulièrement sur cette croyance chinoise. Toutefois, pour ce qui est de la manière
par laquelle il proposait de nommer cet « Être suprême», qui est en définitive Dieu, Rome
refusa la première appellation pour ne lui accorder que la deuxième qui, en réalité, est un
terme bouddhique. Raguin renchérira à ce sujet: « S'il n'a pas fait problème, c'est soit que
Rome n'en avait pas conscience, soit qu'il était plus facile à ttchristianiser" que l' autre 49 . »
Par ailleurs, bien que l'exemple qui vient d'être décrit ci-haut présente la réinterprétation
des textes et des notions de la culture chinoise, Ricci a aussi eu à effectuer une
réinterprétation des textes et des notions de sa propre culture, c'est-à-dire la culture
occidentale. Ici encore, le mouvement d'interprétation s'accomplit dans les deux sens.
Christianiser un terme chinois peut impliquer l'interprétation du christianisme. Par
exemple, il est possible de se demander si, en remplaçant le mot Dieu par un autre terme
repris de la culture chinoise, la notion fondamentale de Dieu demeure toujours la même ou
si elle s'en trouve changée à cause d'une nouvelle appellation. C'est pourquoi le langage
pourra parfois faire obstacle au processus d'inculturation.
Par conséquent, cette difficulté exige une réinterprétation et une meilleure actualisation afin
que le contenu de foi, transmis dans une autre langue, n'en reste pas seulement au niveau
d'une adaptation ou d'une imposition.
8.2. L'appropriation
Bien entendu, une fois le message évangélique reçu et accueilli, la tâche que la culture
réceptrice se doit d'accomplir est l'intégration de ce message à sa culture. En effet, ce n'est
qu'en s'appropriant les choses que l'on pourra les comprendre et se situer, culturellement,
devant elles.
Un aspect important de l'inculturation mérite ici d'être souligné. En effet, l'auteur présente
l'accueil des Écritures, mais aussi l'accueil de la Tradition. Cette appropriation, qui est
aussi une forme de création, doit donc se faire en tenant compte de cette dernière. L' histoire
chrétienne en son entièreté s'est établie en fonction d'un héritage reçu. Cela ne veut pas
dire que les situations n'évoluent pas, mais que l'appropriation de la culture, ainsi que la
réinterprétation du christianisme, doit se faire dans la fidélité à cette Tradition, riche de sens
et de sagesse.
Au fond, dans la réponse à inventer pour les Églises locales, il n'y a que deux
exigences: être à l'écoute de la réalité concrète pour retrouver l'homme dans ce
qui fait sa vie aujourd'hui, en nous dépouillant du langage et des schémas
sécurisants qui nous paralysent et être à l'écoute de la Parole de Dieu pour
retrouver le «cœur» de notre foi afin de le livrer dans un authentique
témoignage de vie, apte à interpeller d'autres vies. C'est bien là, croyons-nous,
la seule manière de dire à nos frères que notre foi les concerne, que nous ne
pouvons la penser comme étrangère à leur vie et que l'amour de Jésus-Christ
est présent au cœur de notre itinéraire commun sur cette terreS 1 .
50 Léonard Santedi Kinkupu, Dogme et inculturation en Afrique, Paris, Éditons Karthala, 2003, p. 162.
51 Ibid., p. 172.
43
9.1. Syncrétisme
Ainsi, une déviation du but de l' inculturation pourrait conduire au syncrétisme. L' effet
apporté par cet écart n'en est-il pas qu'on en vient à approuver toute forme d'expressions
culturelles comme étant juste et vraie ? Si tel est le cas, chaque culture pourrait donc se
créer un christianisme à son goût.
Dans une allocution au Conseil pontifical pour la culture, le pape Jean-Paul II mentionne
aussi ce risque toujours présent et il « invite les pasteurs, les théologiens et les spécialistes
des sciences humaines à faire en sorte que soit évitée toute simplification ou précipitation,
qui aboutirait à un syncrétisme ou à une réduction séculière de l'annonce
évangélisatrice 53 ».
Le débat sur l' inculturation a soulevé un grand nombre d'éléments et traité de plusieurs
aspects. L'un des grands points de sa recherche a été la question de savoir comment
l'Église pourrait accueillir certaines valeurs ou croyances ancestrales très valables dans sa
vie interne. Il ne faut pas oublier non plus que l'Église, à travers ses pasteurs, surtout le
pape et les est garante du dépôt de la ' foi. Paul VI, insistant sur la gravité de la
responsabilité de conserver le dépôt de la foi, nous démontre que :
52Michel Dubost (dir.), Théo. Nouvelle encyclopédie catholique, Paris, Éditions Droguet!Ardant - Fayard,
1989, p. 533.
53 lean-Paul II, Discours à l'Assemblée plénière du Conseil pontifical de la culture (17 janvier1987), nO5, [s.
é.], [s. 1.].
44
Traduit dans tous les langages, ce contenu ne doit pas être entamé ni mutilé;
revêtu des symboles propres à chaque peuple, explicité par des expressions
théologiques qui tiennent compte des milieux culturels, sociaux et même
raciaux divers, il doit rester le contenu de la foi catholique tel que le Magistère
ecclésial l'a reçu et le transmet (EN 65).
Cela pourrait aller jusqu' à adapter les textes sacrés de l'Église. La chose n'est pas facile.
Comment concilier les deux sans en altérer une ? Comment, par exemple, intégrer à la
liturgie certains éléments de croyance sans atteindre l'essence même de la liturgie et sans
réduire pour autant les aspects de la culture? La tâche est grande.
Même si elle s'est exprimée à travers des époques et des cultures différentes, l'identité
essentielle de l'Église n'en a pas été réduite pour autant. L'Église a aussi une identité
propre qui s'exprime dans diverses cultures sans être liée à aucune d'elles. Or, même si
l'Église aune identité propre qui transcende toutes les cultures, cette identité ne peut que
s'exprimer dans diverses cultures particulières. Gaudium et spes exprime nettement cet
équilibre dans le fait que, d'une part, l'Église est toujours liée à une culture et que, d'autre
part, elle n'est pas liée de manière exclusive à une culture.
De la même façon·, l'Église, qui a connu au cours des temps des conditions
d'existence variées, a utilisé les ressources des diverses cultures pour répandre
et exposer par sa prédication le message du Christ à toutes les nations, pour
mieux le découvrir et mieux l'approfondir, pour l'exprimer plus parfaitement
dans la célébration liturgique comme dans la vie multiforme de la communauté
des fidèles.
Mais en même temps, l'Église, envoyée à tous les peuples de tous les temps et
de tous les lieux, n'est liée d'une manière exclusive et indissoluble à aucune race
ou nation, à aucun genre de vie particulier, à aucune coutume ancienne ou
récente. Constamment fidèle à sa propre tradition et tout à la fois consciente de
l'universalité de la mission, elle peut entrer en communion avec les diverses
civilisations: d'où l'enrichissement qui en résulte pour elle-même et pour les
différentes cultures (GS 58, art. 2-3).
L'inculturation conduit donc à une communion entre les Églises locales et ce, malgré le fait
que le christianisme ne se vit pas de la même manière partout.
D'ailleurs, au niveau liturgique, l'Église accepte déjà cette pluralité de par les différents
rites qui existent au sein du christianisme. La nouveauté liturgique n'est donc pas
impossible, mais elle doit «nettement s'affIrmer dans une adhésion des communautés
ecclésiales à l'unique communion dans la foi 54 ». Après tout, la communion n'est-elle pas
le signe d'un véritable pluralisme?
Conclusion
La relation étroite entre Évangile et culture est donc à la base de l'inculturation. Cette
relation étroite met en cause plusieurs éléments qui ont été définis dans ce premier chapitre.
Tout cet effort pour définir et caractériser l' inculturation aidera à étudier comment son
application se fait au niveau liturgique. En effet, un des buts de ce travail est de voir quelle
interaction il y a entre la foi et la culture dans la liturgie. Le principe de l' inculturation étant
mis en place, il sera plus facile d'observer cette dynamique et de voir comment le processus
d'inculturation s'articule avec celle-ci et comment il peut être ou est appliqué aujourd'hui.
LA LITURGIE
Introduction
La liturgie est, pour Vatican II, « le sommet auquel tend l' action de l' Église, et en même
temps la source d'où découle toute sa vertu» (SC 10). Par analogie, on peut dire que la
liturgie est comme la pulsation cardiaque de l' Église faisant circuler en elle le souffle de la
vie. C'est donc dire son importance. Le présent chapitre tâchera donc d'étudier l' ampleur
de l'affirmation conciliaire en tentant de décrire la nature et la structure de la liturgie.
Bien que la liturgie soit un domaine qui comporte une grande complexité, j ' essaierai tout de
même d'en dégager les principaux aspects pour en faire ressortir les composantes. Pour en
arriver à une plus grande explication du mot« liturgie », une approche historique sera d'une
très grande utilité. Par la suite, il sera plus aisé de présenter la définition que le Concile
Vatican II fait de la liturgie ainsi que sa compréhension et sa vision de cette structure
ecclésiale. Par la suite, un bref résumé de l' évolution historique de la liturgie démontrera de
manière concrète les différentes formes que celle-ci a pu prendre selon les
différents emplacements géographiques et les époques où elle a été mise en pratique. De
plus, ce bref aperçu historique introduira le thème de la liturgie par rapport à son
inculturation. En effet, cette approche sera une façon d'entrevoir déj à la manière dont la
liturgie s'est incarnée et s',e st adaptée ou, pour le dire autrement, s'est inculturée au fil des
siècles. Finalement, l'approche de quelques nouveaux éléments propres à la liturgie viendra
compléter l' étude dans ce chapitre.
47
Le mot liturgie provient de l'adjectif grec lèitos (public), dérivé de léôs (en ionien laos) et
du nom commun ergon (service, œuvre, travail). La liturgie est donc, au niveau de
l'étymologie, un « service public», une œuvre faite au bénéfice du peuple 1 .
À l'origine, la liturgie était considérée comme étant les services que l'on accomplissait pour
le peuple. Plus particulièrement, ce terme visait surtout «la fonction publique dont le
titulaire supportait les dépenses 2 ». Ces services étaient accomplis par des gens aisés ou
encore par des citadins. Ces services pouvaient s'étendre de l'entretien du chœur dans le
théâtre grec à l'équipement d 'un navire ou l'hébergement d'une délégation aux fêtes
nationales, etc. 3
Ce n'est que vers le Ille siècle avant Jésus-Christ que le service cultuel sera désigné par
leitourgia. Cette appellation vient de la traduction grecque des Septante qui rend le mot
hébreu 'abodah par leitourgia. Le peuple n'est plus le bénéficiaire, mais il devient le sujet:
«La liturgie devient le "service" !eligieux et rituel, rendu à Dieu par la communauté
rassemblée en son nom 4 • »
Dans l'Ancien Testament, le mot liturgie fait toujours référence au service religieux que les
lévites rendaient à Dieu. Ce service était rendu d'abord dans la 'Tente, puis' dans le Temple
de Jérusalem. Toutefois, pour le Nouveau Testament, le mot « liturgie» n'apparaît pas pour
désigner le culte en particulier, sauf en Ac 13, 2. Cette réalité est causée de façon très
pro bable par l'idée que le terme « liturgie» était fortement lié au service rendu par les
lévites. Ce n'est que plus tard, une fois qu'il aura été distinctement séparé de la
signification cultuelle lévitique, que l'expression « liturgie» apparaîtra à nouveau, cette
fois pour désigner le culte chrétien.
1 Robert Le Gall, « Liturgie », dans Dictionnaire de la liturgie, Chambray-Les-Tours, C.L.D., 1983, p. 153.
2 Ibid.
3 A. Adam, La liturgie aujourd'hui ... , p. 13.
4 R. Le Gall, Liturgie, p. 153.
48
Dans cette situation, « liturgie» était alors utilisé en tant que référence à la fois au culte
divin et à l'annonce de la Parole et de la charité en actes. En effet, le service que les diacres
accomplissaient en faveur des veuves, des pauvres et des malades était considéré comme un
acte liturgique. Cette désignation de la liturgie comporte alors deux dimensions: le service
de Dieu et le service des hommes.
Par ailleurs, en Orient, l' emploi du terme « liturgie» s'est restreint peu à peu pour en finir
par ne se rapporter qu'à la célébration eucharistique. Il. faudra attendre le XVIe siècle avant
que ce sens donné à l'emploi du mot « liturgie» soit introduit en Occident et employé plus
amplement dans le vocabulaire ecclésial. Il signifiait alors les anciens rituels ou encore tout
ce qui concerne le culte chrétien 6 .
2. La science de la liturgie
À la fin du XVIIIe siècle et au début XIXe siècle, est apparu ce que l'on appelle la science
de la liturgie. F .X. Schmid est le premier à affirmer que la «liturgique» doit être
considérée comme une science autonome 7 . Par la suite, plusieurs autres théologiens,
notamment Prosper Guéranger, les frères Wolter, dom Suitbert Baumer, Romano Guardini, '
empruntèrent la voie ouverte par Schmid pour élever la liturgie au rang de science. Dom O.
Casel donnera un statut remarquable à la science de la liturgie en mettant en évidence le fait
que cette dernière est «principalement une science théologique et reflète les réalités
centrales de la foi 8 ».
Aujourd'hui, cette science aide à répondre aux problèmes posés à la liturgie tant par
l' œcuménisme que par l'adaptation aux différentes cultures 9 . Elle y parvient en acquérant
une connaissance plus profonde et organique de la liturgie.
La science de la liturgie aura aussi une tâche historique. Cet aspect historique de la liturgie
s'explique par le fait que celle-ci est issue de communautés chrétiennes primitives et
qu'elle a évolué au sein de plusieurs contextes culturels différents les uns les autres.
Chaque époque a été en mesure de donner à la liturgie le charme de sa créativité avec une
compréhension qui était propre à chacune. Cependant, la signification qui était alors donnée
à la liturgie peut se perdre dans l'oubli et rendre cette compréhension insignifiante pour une
époque ultérieure. L 'historien aura par conséquent une double tâche . Premièrement, il devra
rendre compte du déroulement extérieur et matériel des rites. Dans un deuxième temps, il
aura aussi la fonction de tâcher de découvrir avec quelle attitude intérieure ce déroulement
a pu être pratiqué et vécu par le clergé et le peuple à ces différentes époques 12.
La science de la liturgie doit donc tenir compte de l'homme concret, soumis au temps et
aux changements, qui célèbre avec les autres membres de la communauté locale qui forme
l'Église: « Il s'agit d'examiner sa capacité à la liturgie, c'est-à-dire de savoir si et dans
quelle mesure il est ouvert au don de Dieu, s'il peut comprendre les signes qui prétendent
éclairer le Mystère et répondre à l'appel de Dieu nous offrant le salut, par la parole, les
signes et la vie 14. »
De plus, la science de la liturgie a pour devoir d'organiser des recherches dans le but de
relever les différentes parties de la liturgie sujettes au changement, nécessitant une révision
et, le cas échéant, rénovation.
La philologie aura aussi sa place dans l'étude liturgique. En effet, les mots et les
expressions, dans une même langue, peuvent prendre une signification différente selon les
époques. Le mot « liturgie» en est lui-même un très bel exemple. Alors qu'il était utilisé en
premier lieu pour désigner un service public, il a peu à peu été attribué et réservé
strictement au culte religieux. De plus, lorsque vient la nécessité de traduire, la
connaissance de la langue originale sera nécessaire et aidera ainsi à surmonter les
difficultés de langage en demeurant fidèle à la signification des mots.
Ainsi, on peut affirmer avec assurance que la science de la liturgie, pour reprendre les mots
d'Adolf Adam,« est éminemment une branche de la théologie 15 ».
3. Définitions de la liturgie
Dans les sections précédentes, la présente étude a été en mesure de présenter l'origine du
mot « liturgie» et la place qu'elle a au sein des sciences. La présente partie de ce travail
s'attachera, quant à elle, à considérer la définition que le Concile Vatican II donne de la
liturgie. Pour ce faire, cette recherche prendra pour point de départ la période préconciliaire
afin d'expliquer de quelle manière Vatican II en arrive à définir la liturgie.
Avant Vatican II, deux courants de pensée définissaient la liturgie. D'une part, certains
considéraient la liturgie davantage comme l'ensemble de toutes les cérémonies et des
D'autre part, certains entrevoyaient la liturgie en tant que célébration. Ils la comprenaient
alors comme l' ensemble des normes établies par l' autorité ecclésiastique qui règlent la
célébration du culte l7 . Comparativement à la définition précédente de la liturgie qui la
considère sur un plan extérieur et esthétique, cette deuxième manière de définir la liturgie
l'approche principalement dans une optique juridique. En ce sens, la liturgie se situerait
plutôt dans l'ordre d'une action effectuée de la part des hommes et de l' Église pour
glorifier Dieu et obtenir de lui sa grâce.
Le mouvement liturgique qui a été amorcé au début du XXe siècle a introduit une nouvelle
définition au mot « liturgie» qui se situe fortement au niveau théologique. Dom Lambert
Beauduin, notamment, en arrive à définir la liturgie comme «le culte de l'Église18 ».
Marsili fait ressortir admirablement bien l' enj eu qui se trouve .derrière cette définition de
Beauduin, devenue ébauche à partir de laquelle tout le mouvement liturgique se développa.
Une autre définition est également apportée par Dom O. Case!. Pour sa part, Casel présente
la liturgie d'une manière novatrice en soulignant que « la liturgie est l' action rituelle de
l' œuvre salvifique du Christ, la présence, sous le voile des symboles, de l' œuvre divine de
la rédemption 20 ». Cette définition de Casel diffère considérablement de la notion de culte
qu'avait Beauduin. Pour Casel, la liturgie n'est plus en premier lieu l' action de l'homme
vers Dieu, mais celle de Dieu vers l 'homme afin de faire participer celui -ci au mystère du
Christ rendu présent par le rite. L'ordre des choses est inversé.
Ces deux exemples illustrent bien l'agitation qu 'on pouvait sentir à travers le mouvement
de réforme liturgique qui avait été entrepris. Chacun des investigateurs apportait à la fois
approfondissement et nouveauté sur le plan rituel, certains allant même jusqu' à opérer des
modifications au niveau des rituels eux-mêmes 21 . C'est alors qu'intervint le pape Pie XII en
publiant son encyclique Mediator Dei.
L'encyclique de Pie XII, publiée en 1947, est une réponse à une question controversée de
cette époque: qu'est-ce que la liturgie ? En considérant de façon plus approfondie le
contenu de l'encyclique, on peut définir la liturgie, selon Mediator Dei, comme étant
l'exercice de la fonction sacerdotale du Christ, le culte public que Jésus, Chef de l'Église,
rend au Père 22 . À cela, l'encyclique ajoute que la liturgie « est aussi le culte rendu par la
société des fidèles à son Chef et, par lui, au Père éternel: c'est, en un mot, le culte intégral
du Corps mystique de Jésus-Christ, c'est-à-dire du Chef et de ses membres 23 ».
Ce qui ressort ici comme élément constitutif de la liturgie est, dans un premier temps, que
le culte rendu au Père par le Christ, qui devient par communication le culte de l' Église, se
réalise dans la liturgie. Il importe de garder présent à l'esprit cet aspect de la liturgie, « car
c'est sur lui que se fonde sa caractéristique principale: la liturgie, de par sa nature
20 Ibid., p. 631.
21 Ibid.
22 Pie XII, Lettre encyclique Mediator Dei de S. S. Pie XII sur la sainte liturgie, Montréal - Sherbrooke -
Paris, Apostolat de la presse, 1947, p. 1-9.
23 S. Marsili, « Liturgie », p. 631.
53
profonde, est sacramentelle, car elle est toujours sIgne d'une présence effective du
Christ24 ».
Le deuxième élément qui ressort de Mediator Dei est la sainteté de l'homme. En rendant un
culte au Père, le Christ nous a rendus également dignes de participer à ce culte et c' est de
cette participation que résulte la sanctification de 1'homme. Comme le Christ l'a fait pour la
multitude des hommes, 1'homme est maintenant aussi invité à rendre gloire au Père en
s'offrant à lui.
La définition que le Concile Vatican II expose de la liturgie est dans la lignée de celle qui
était exprimée dans l'encyclique de Pie XII. L' œuvre sacerdotale du Christ y est située
d'abord au niveau du mystère de l'incarnation par lequel s'est réalisée l'œuvre de la
rédemption des hommes et de la glorification de Dieu 25 .
Dieu, qui «veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la
connaissance de la vérité» (1 Tm 2, 4), «qui jadis, tant de fois et tant de
manières, avait parlé à nos pères par les prophètes» (Rb ·1, 1), lorsque vint la
plénitude des temps, envoya son Fils, le Verbe fait chair, oint par le Saint-
Esprit, pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, pour guérir les cœurs
brisés, comme un « médecin chamel et spirituel», le Médiateur de Dieu et des
hommes. Car c'est son humanité, dans l'unité de la personne du Verbe, qui fut
l'instrument de notre salut. C'est pourquoi dans le Christ «est apparue la
parfaite rançon de notre réconciliation, et la plénitude du culte divin est entrée
chez nous» (SC 5).
24 Ibid.
25 Ibid., p. 633.
54
Or, l' œuvre de glorification et de sanctification de Jésus Christ se réalise principalement par
le mystère pascal du Christ, c'est-à-dire par sa passion, sa résurrection et. son ascension
dans le ciel (cf. SC 5). «C'est de ce mystère que nous vient la grâce du salut et sa
célébration est l' essence même de la liturgie, car cette Pâque représente le sommet de
l'histoire·du salut 26 . »
C'est pourquoi, de même que le Christ fut envoyé par le Père, ainsi lui-même
envoya ses apôtres, remplis de l'Esprit Saint, non seulement pour que, prêchant
l'Évangile à toute créature, ils annoncent que le Fils de Dieu, par sa mort et sa
résurrection, nous a délivrés du pouvoir de Satan ainsi que de la mort, et nous a
transférés dans le royaume de son Père, mais aussi afin qu'ils exercent cette
œuvre de salut qu'ils annonçaient, par le sacrifice et les sacrements autour
desquels gravite toute la vie liturgique (SC 6).
26 Hermann Volk, Pour une liturgie rénovée. Fondements théologiques de la liturgie., traduit par l'allemand
- - -- - - - - - - - - - -
55
De plus, même si l' initiative vient d' abord de Dieu, l'homme ne doit pas avoir une attitude
passive. L'être humain est un être libre et lui seul pourra donner une réponse à la Parole que
Dieu lui adresse, à l' amour qu' il lui prodigue. L'œuvre de Dieu appelle continuellement
l'homme à le louer et à lui rendre grâces. En tant que membre d'une communauté, membre
du corps du Christ, comme le dit saint Paul, cette louange devient celle de l' Église tout
entière dont le Christ est la tête 28 .
Si la liturgie est l' œuvre du Christ, comme cela a déjà été dit, et que l'œuvre de salut se
poursuit encore aujourd' hui à travers l'Église, il est donc juste de dire que le Christ y est
présent. Sans son action agissante, comment cette œuvre se réaliserait-elle ? Cette
réalisation ne s'effectuerait certainement pas par l'intermédiaire d'une quelconque force
humaine. C'est pourquoi le Christ a voulu s'associer son Église pour y parvenir. C'est ce
que nous rappelle le Concile en affirmant la présence du Christ auprès de son Église,
surtout à travers les actions liturgiques.
La présence du Christ dans la liturgie ne se limite pas toutefois à cette seule forme. Il est
aussi présent dans sa Parole, car c'est lui qui parle quand la Parole est proclamée (cf. SC 7).
Il est également présent par l'assemblée, lui qui a dit que lorsque deux ou trois personnes
sont réunies en son nom, il est là au milieu d' eux (cf. Mt 18, 20). La présence du Seigneur
est donc liée à la présence de plusieurs baptisés réunis pour prier ensemble.
d'eux, et dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de
Jésus Christ, c' est-à-dire par le Chef et ses membres (SC 7).
En approfondissant la liturgie définie par le Concile, on est en mesure de constater que l' on
retrouve pratiquement le même concept que dans Mediator Dei. De même, en mettant les
textes en parallèle, cette similitude nous apparaît de façon plus claire.
L'Église, fidèle au mandat reçu de son C' est donc à juste titre que la
Fondateur, continue donc la fonction liturgie est considérée comme
sacerdotale de Jésus-Christ, principalement l' exercice de la fonction sacerdotale
par la sainte liturgie. (MD p. 2) de Jésus-Christ, exercice dans
lequel la sanctification de l' homme
est signifiée par des SIgnes
sensibles [ ... ] (SC 7)
La sainte liturgie est donc le culte public
que notre Rédempteur rend au Père comme [ ... ] et ·dans lequel le culte public
Chef de l'Église; c'est aussi le culte rendu intégral est exercé par le Corps
par la société des fidèles à son Chef et, par mystique de Jésus-Christ, c' est-à-
lui, au Père éternel: c'est, en un mot, le dire par le Chef et par ses membres.
culte intégral du Corps mystique de Jésus (SC 7)
Christ, c'est-à-dire du Chef et de ses
membres. (MD p. 9)
Vatican II affirme donc, dans la suite de Mediator Dei, que la liturgie, tout comme l' Église
elle-même, est tout entière un signe sacré . D'autre part, dans le texte conciliaire, l' action
liturgique fait non seulement monter vers Dieu la prière d'adoration et de supplication de
l'Église, mais aussi descendre sur l'Église et ses membres les grâces de la Rédemption. De
plus, en situant la liturgie dans l'économie du salut, la place et la nature de celle-ci s'en
trouvent bien éclairées. Finalement, de cette façon, le Concile souligne aussi que la liturgie
appartient au peuple de Dieu qui, par son baptême, est appelé 'à y prendre une part active.
Évidemment cette participation se fera sous la direction et la présidence du sacerdoce
ministériel 29 . Cependant, le Concile apporte un aspect nouveau que l'encyclique Mediator
Dei n'avait pas relevé, soit «l'exercice dans lequel la sanctification de l'homme est
signifiée par des signes sensibles» (SC 7).
Bien entendu, la liturgie peut se manifester sous de multiples formes. Les formes les plus
courantes et les plus connues sont sans conteste les sacrements. Un premier ensemble de
sacrements est communément appelé sacrements de l'initiation et comporte les sacrements
du baptême, de la confirmation et de l'eucharistie, considérés comme ceux qui forment à la
vie chrétienne. Parmi les autres sacrements, on compte aussi ceux constitués pour le
réconfort de l'âme et du corps lors de graves maladies: le sacrement de réconciliation et
l'onction des malades. Finalement, il y a dans l'Église deux autres sacrements, l'ordre et le
mariage, dont la fonction est d'ordre social et ecclésiologique tel que le rappelle le
théologien Adolf Adam: « L'ordre confère un ministère pour assurer la réalisation du salut
par la prédication de la foi, la liturgie et l'amour effectif; le mariage, pour fonder et
sanctifier la famille, pour édifier "l'Ecclésiole" ou "Église domestique", comme on a appelé
les familles 30 . »
Parmi ces sept sacrements, l'Eucharistie est sans contredit le sacrement qu'on peut qualifier
de plus important ou de plus essentiel puisqu'il est l'actualisation et le mémorial du mystère
pascal. Tous les autres sacrements sont orientés en vue de l'eucharistie et puisent en elle les
vertus qui leur sont propres. En quelque sorte, toutes les autres célébrations découlent et
vivent de la célébration eucharistique.
Le mot « sacrement» vient du latin sacramentum qui traduit le mot grec employé dans le
Nouveau Testament, mysterion. Pour le Nouveau Testament, le mot mysterion englobe une
signification plus large que la seule évocation . d'un mystère, puisqu'il y est avant tout
rapporté l'œuvre salvifique de Dieu pour l'homme dans le Christ Jésus qui est lui-même le
mystère de notre foi 31 .
Par la suite, les paroles et les actions de Jésus, pUIsque accomplies pour notre salut,
devinrent aussi incluses dans ce mystère. Plus tard encore, c'est l'Église, sa liturgie et sa
30 Ibid., p. 116.
58
doctrine qu'on appellera« mysteria = sacramenta ». Cependant, ce n'est qu' à partir du XIr
siècle qu'on adoptera l' usage du terme «sacrement », tel que nous le concevons
actuellement, pour désigner 'la liturgie et les sacrements de l'Église.
C'est à cause de la présence du Christ dans la liturgie que les sacrements sont efficaces
dans la réalisation de l' œuvre salvifique de Dieu. Cela signifie qu'ils confèrent la grâce
qu'ils signifient parce que c' est le Christ lui-même qui est à l'œuvre à travers eux 33 . C'est
pour cela que l' Église peut affirmer que lorsque quelqu'un baptise, c'est le Christ lui-même
qui baptise puisque c'est lui qui agit dans les sacrements (cf. SC 7).
Dès lors, les actions que Jésus a posées au long de sa vie humaine, d'où a résulté la
réalisation de l' œuvre salvifique de Dieu sur le genre humain, sont alors prolongées et
prennent leur pleine signification à travers l'Église qui réactualise ces gestes déterminants ,
dans ses sacrements. Les gestes sacramentels (verser de l'eau la tête, prendre du pain et
du vin sur lesquels est prononcée une prière d'action de grâce, imposer les mains aux
malades, etc.) seront tous des actions qui seront perçues différemment si l'homme est en
mesure d'y reconnaître l'œuvre de salut qui est rendue présente à travers ceux-ci.
Les sacrements sont une rencontre personnelle avec le Christ. Dieu, par le Christ Jésus,
prend l' initiative de venir vers l'homme en lui accordant, par les sacrements, le salut. C' est,
par conséquent, en se servant de l'Église qu'il le fait. Les sacrements invitent donc à une
ouverture de l'un à l' autre, c'est-à-dire de l'homme, en sa pleine liberté et conscience, à
Dieu. La foi en Jésus, celle qui est autant une profession de foi qu'une confiance à s' en
remettre au Père, sera alors garante d'une rencontre fructueuse. En effet, pour que l'homme
soit gratifié du salut, il doit croire. L'ouverture humble du cœur au message du salut
proclamé dans la liturgie sera nécessaire afin de lui permettre de répondre par la foi au don
de Dieu qui lui est fait 34 . Cependant, malgré le fait que les sacrements introduisent le fidèle
dans une rencontre personnelle avec le Christ, il ne faut pas oublier que leur 'mise en
pratique ne concerne pas uniquement la vie privée des croyants, mais la vie de l' Église tout
entière.
Comme cela a déjà été souligné antérieurement, l'Église réalise en elle la volonté salvifique
de Dieu par le Christ. En effet, on peut voir en elle son prolongement, tel un instrument
entre ses mains pour rendre présent le salut opéré par Dieu au milieu de son peuple. « La
distribution des sacrements n'est certes pas la seule tâche confiée par Dieu. à l'Église, mais
une de ses tâches essentielles et importantes 35 . » Par là, l'Église se construit elle-même
dans et par l'Esprit Saint.
Cependant, la liturgie n'est pas composée uniquement des sacrements. La prière des Heures
de l'Église, les sacramentaux, c'est-à-dire les bénédictions et les consé'crations de toutes
sortes, les funérailles, les assemblées liturgiques spéciales, comme les dévotions et les
processions, font également partie de la liturgie.
Toutes les fois qu'une Église particulière, soumise à son évêque, ou même une
communauté ou un groupe particuliers, en accord avec la doctrine de l' Église,
s'assemblent pour écouter la parole de Dieu, prier et chanter ensemble, le Christ
grand-prêtre est présent (cf. Mt 18,20). Une liturgie de cette sorte est, elle aussi,
animée par le mystère pascal du Christ, elle glorifie Dieu et opère le salut de
ceux qui la célèbrent 37 .
De cette façon, bien qu'il se trouve une importante diversité dans les nombreux aspects de
la liturgie, celle-ci est touj ours animée par le mystère pascal du Christ, permettant la
glorification de Dieu et le salut de l'homme. De plus, le fait que la liturgie se manifeste
sous de nombreuses facettes permet aussi à l'être humain d'exprimer sa foi, de louer le
Seigneur d'une manière autre. Comme il n'y a pas qu'une seule manière de dire notre
amour pour quelqu' tin, il en est de même pour dire ·notre amour envers Celui qui nous a
aimés le premier (cf. 1 ln 4, 19).
Cela dit, une autre précision se révèle importante dans l'élaboration de ce travail. Comme il
vient d'être souligné, peu importe la façon par laquelle la liturgie est célébrée, le rite
eucharistique demeure le centre de la liturgie. En effet, cette dernière est animée par le
mystère pascal du Christ dont l'eucharistie est l'actualisation. Ainsi, afin de pénétrer
davantage la problématique soulevée dans l'étude en cours, il est important de préciser
l'analyse dans une ligne de recherche plus définie. En effet, la volonté de tenir compte, à
travers ce travail, de tous les aspects que couvre la liturgie serait un désir pour le moins
utopique. C'est pourquoi il faudra comprendre dorénavant l'emploi du mot « liturgie» en
36 Ibid.
- -- -- -- -- -- --- - - -- -- - - - - -- - -- --
61
tant que référence à la célébration eucharistique. Cela dit, les différents éléments abordés
dans la suite du mémoire pourraient facilement être appliqués aux différentes manières dont
la liturgie peut être mise en pratique. Cependant, le développement de cette étude sera
délibérément orienté en fonction de la célébration eucharistique, ce qui donnera une plus
grande précision d'analyse et d'approfondissement à la recherche en cours.
Puisque la liturgie a une origine déterminée qu'on ne peut pas attribuer au hasard, il est
essentiel d'explorer davantage son évolution historique. En la situant dans le temps, de ses
origines à aujourd'hui, cette vue d'ensemble suscitera une meilleure compréhension de sa
nature et la manière par laquelle elle s'est forgée au fil des siècles.
Entre l'Orient et l'Occident, il existe plusieurs formes de pratiques liturgiques. Tous deux
comportent une expression rituelle différente pour une même célébration, notamment pour
l'eucharistie. Par analogie, le développement de la liturgie pourrait être comparé à la
croissance d'un arbre qui plonge ses racines dans les premières communautés chrétiennes.
Avec le temps, de nouvelles branches sont apparues ainsi que de nouveaux germes. Dans
leur croissance, ces derniers en sont venus à se détacher du tronc. Malgré toute la diversité
qu'ils forment, ces germes constituent « un tout qui s'alimente à une unique source de vie,
celle de Jésus-Christ 38 ».
modifications qui ont été apportées au cours des siècles et d'évaluer, par le fait même, le
fondement de leur justification. Par surcroît, l'étude de cette évolution permettra de saisir
« si et comment des réformes doivent y être apportées 39 ».
37 Ibid., p. 18.
38 A. Adam, La liturgie aujourdJhui... , p. 20.
39 Ibid
---
62
Comme tel, on ne retrouve pas dans le Nouveau Testament un exposé bien détaillé sur la
première liturgie chrétienne. Le lecteur y rencontre davantage de détails qui indiquent la
façon dont les premiers chrétiens vivaient la liturgie.
Tout d'abord, pour expliquer la célébration liturgique, ce sont généralement les expressions
« se réunir» ou « s'assembler» qui font partie de celles qui sont le plus souvent employées.
De plus, les premiers chrétiens étant issus du milieu juif, la liturgie chrétienne des premiers
siècles a largement été influencée par la liturgie juive. À la différence toutefois que les
4o
usages juifs ont été adaptés pour être rendus conformes aux enseignements du Christ . Ce
sera le cas, entre autres, du mémorial du repas pascal. Seuls quelques éléments, comme les
bénédictions juives traditionnelles (berakot), Alléluia, Amen et Hosanna, s'apparentent de
très près à la prière juive 41 .
En ce qui a trait à l'assemblée des croyants, elles ont mis du temps avant de se faire dans
des maisons privées. De fait, même si les gens se convertissaient au Christ, ils continuaient
tout de même à se rassembler au temple, avec les autres Juifs. C'était pour eux la manière
normale de prier. Ils ont donc continué à aller prier au temple, comme ils se devaient de le
faire. Ce n'est que quelques années plus tard la prière s'est introduite peu à peu dans
des maisons privées.
D'autre part, les Actes des Apôtres (2, 46) présentent un témoignage de la façon dont les
assemblées en maisons privées pouvaient se dérouler. Celles-ci consistaient principalement
à rompre le pain et à partager un repas. C'est aussi ce que l'on retrouve en Ac 20, 7 ou
encore dans la première lettre aux Corinthiens 10,16 s. ; Il, 17-34, où l'on sous-entend que
ces assemblées sont autant « l'agape fraternelle que le repas eucharistique, accompagnés de
la louange de Dieu et d'une prière d'intercession 42 » (Ac 2,14.24.42.47; 4, 24-31; 12, 5b).
D'ailleurs, si la prière synagogale a influencé la prière des premiers chrétiens, on peut
supposer que le chant des psaumes, les lectures, certains cantiques et hymnes chrétiennes,
40 I.-H. Dalmais dans Aimé Georges Martimort (dir.), L'Église en prière ... , p. 37.
41 A. Adam, La liturgie aujourd'hui... , p. 21.
42 Ibid.
63
prières de supplication et d' action de grâce pouvaient également faire partie des assemblées
des premières communautés chrétiennes 43 . Enfin, puisque la résurrection s'est produite le
premier j our de la semaine, le dimanche, le rassemblement liturgique a rapidement accordé
une importance particulière à cette journée en tant que jour du Seigneur. En effet,
l'événement fondateur de la foi chrétienne était spécialement ravivé en ce jour.
De manière concrète, cette période ne comporte pas de dispositions fixes qui ordonnent la
célébration de la liturgie. Le christianisme devra attendre quelques décennies avant de
posséder une liturgie qui lui soit propre. Par contre, il est une caractéristique qq' il est
intéressant de souligner dans la liturgie de époque: c'est la place et la participation
que chacun des fidèles y prend. En effet, les charismes déployés par l' Esprit sont nombreux
et sont mis au profit de la communauté chrétienne. La première épître aux Thessaloniciens
(5, 19-21) ainsi que la première épître aux Corinthiens (14, 26) expriment comment la
participation de chacun est encouragée. Même si le texte ne laisse aucune précision
concernant les dispositions liturgiques et que la contribution de chacun suit davantage le
souffle de l' Esprit que des règles cultuelles, Paul rappelle également que tout doit se passer
de manière à édifier, dignement et dans l'ordre (cf. 1 Co 16,26. 40). En d'autres mots, on
ne fait pas les célébrations de n ' importe quelle façon.
En résumé, on peut exprimer que la liturgie des premiers siècles était en quelque sorte
improvisée, ou plutôt organisée selon le vouloir de l'Esprit Saint, et qu'elle ne se
structurera que plus tard dans l 'histoire chrétienne.
Les écrits postérieurs au Ier siècle permettent de constater que la liturgie n'a pas cessé
d'évoluer et de se construire. La première Apologie du philosophe et martyr Justin (mort
vers 165) rend compte de la façon par laquelle la liturgie chrétienne se déroulait autour de
l'an 150 :
43 Dom Guy-Marie Oury, La créativité liturgique, Trois-Rivières, Éditions du Bien Public, 1977, p. I l .
64
- - - -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- - - -- - - -- -
65
De plus, à partir du IVe siècle, la liturgie de l'Occident passe du grec (la langue qui était
alors en usage) à la langue latine. Cette modification a grandement aidé à l ' expansion des
liturgies latines qui, d' ailleurs, garderont l ' usage de cette langue jusqu'au XXe siècle, à la
différence près de quelques éléments grecs qui ont été admis pour certaines occasions et de
quelques livres liturgiques glagolitiques dont on a permis l'utilisation 47. Il est aussi
intéressant de noter, comme le souligne P . M. Gy, que l' expression « liturgies en langue
latine» ne signifie pas « langage unique» :
Les contemporains de cette époque avaient une forte conscience des diversités liturgiques
existantes, mais cette diversité ne fait en aucun cas obstacle à l'unité de la foi du peuple
chrétien.
L'expansion de la liturgie romaine a été renforcée par l'adoption des livres liturgiques
romains qui s'est faite dans tout le royaume franc sous le règne de Charlemagne,
remplaçant ainsi l'utilisation des livres liturgiques antérieurs 49 . La période carolingienne a
ainsi connu une unification liturgique qui s'est faite à travers une liturgie romano-franque.
C'est également durant cette période, particulièrement du IVe au VIe siècle, que les
différentes familles liturgiques, telles que nous les connaissons encore de nos jours,
commencent à se distinguer les unes des autres. L'influence des grands centres culturels et
politiq.u es ont grandement contribué à la cause. D'ailleurs, les villes d'Alexandrie et
d'Antioche auront un rôle important à jouer en ce sens 50 . Dans le cadre de ce travail, il
serait difficile de faire la description détaillée de leur apparition et de la forme qu'elles ont
prise dans l'histoire. C'est pourquoi il en sera fait une courte mention qui permettra d' en
notifier l'existence.
Du côté de l'Orient, la communauté chrétienne a pris une dynamique propre et cela est
évidemment présent dans le domaine de la liturgie. On y retrouve notamment la liturgie de
Syrie occidentale, dite la liturgie de saint Jacques. Cette liturgie a vu le jour et a évolué à
Antioche, principal centre ecclésiastique de l'Orient dans les premiers siècles. De cette
première liturgie est née au VIe siècle la liturgie jacobite. Elle se distingue de la liturgie de
saint Jacques du fait « qu'elle transpose la liturgie de Jacques en syriaque et allie à des
tendances monophysites des éléments de Syrie orientale 5l ».
Parmi toutes les liturgies orientales existantes, la plus répandue fut sans conteste la liturgie
byzantine, dont l'activité missionnaire de Cyrille et- Méthode a largement contribué à la
propagation. Celle-ci tire son origine des liturgies d'Antioche et de Cappadoce, ainsi que de
la liturgie de Jérusalem. Une dernière liturgie dont il est intéressant de faire mention est la
liturgie géorgienne. On retrouve cette liturgie dans « l'actuelle république soviétique de
Géorgie 52 ». Tout en tirant son origine principale.des liturgies syriaque et arménienne, cette
forme de liturgie orientale est passée sous l'influence majeure de la. liturgie russo-
53
byzantine; elle a pris une particularité et une couleur propres à la nation russe .
Par ailleurs, pour ce qui est de la liturgie de l'Occident, à travers son histoire, cette dernière
s'est subdivisée en deux branches : celle d'Afrique du Nord et de Rome ainsi que celle de
Gaule. En ce qui concerne celle d'Afrique du Nord, la connaissance qui nous en est restée
nous vient principalement d'Augustin. C'est ainsi qu'on apprend que, dès ses origines, la
. langue utilisée était le latin, contrairement à Rome où le latin succéda au grec seulement au
cours du IVe siècle. Néanmoins, la liturgie d'Afrique du Nord et de Rome sont très proches
l'une de l'autre, puisqu'elles sont toutes les deux basées sur la liturgie romaine.
D'autre part, l'Occident est aussi marqué par d'autres rites que l'on dit « en dehors de la
zone romaine 54 ». Ils sont du type gallican de la liturgie:
Malgré leurs différences, ils ont en commun d' être fortement influencés par des
rites orientaux, en particulier par le rite byzantin. La langue (le latin) est plus
prolixe et colorée, le cérémonial plus dramatique. Par réaction contre
l'arianisme, les prières s'adressent le plus souvent au Christ, contrairement à
l'usage romain 55 .
En conséquence, l'Occident comporte plusieurs formes de liturgie, selon ses régions. Parmi
celles-ci, on dénombre la liturgie hispanique ancienne ou wisigothique, appelée
ultérieurement la liturgie mozarabe après l'occupation des Arabes musulmans au sud de
l'Espagne. De même, la liturgie ancienne de la Gaule (ou liturgie gallicane) fait partie de
ce même ensemble des liturgies occidentales. Comme son nom l' indique,- cette liturgie est
principalement célébrée en Gaule. Faute d'un centre unificateur et prépondérant, cette
liturgie comportera de nombreuses particularités locales 56 . De ces mêmes célébrations de
cultes propre à chaque pays, on recense la liturgie celtique, qui se concentre en Irlande, en
Écosse et au pays de Galles. Finalement, la région de Milan, en Italie, compte aussi sa
liturgie. S'il en est ainsi, c'est notamment dû au fait qu'à cette époque, le sud de l'Italie est
grec et a les usages de la liturgie byzantine. C'est ce qui expliquerait les emprunts de la
liturgie de milan à la liturgie byzantine. La liturgie de milan a porté en premier lieu le nom
de liturgie milanaise avant d'être renommée, au VIlle siècle, la liturgie ambrosienne parce
qu'on l'attribuait à saint Ambroise 57 .
Compte tenu du nombre largement étendu de liturgies qui se sont développées dans
1'histoire de l'Orient et de l'Occident, ce travail ne peut évidemment pas étudier les
54 Ibid., p. 32.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Ibid. , p. 33.
68
dimensions et les particularités qui composent chacune de ces liturgies. C'est pourquoi,
pour la suite de ce travail, la liturgie romaine sera le seul suj et de développement
puisqu'elle est celle qui est la plus répandue.
Tout d'abord, la liturgie romaine a pris une plus grande expansion et s'est peu à peu
imposée en Occident à partir du YlIe siècle. Ce déploiement a été causé notamment par
l'effort très prononcé de l'évêque Boniface de «rattacher de manière étroite les tribus
germaniques à Rome et à sa liturgie 58 ». De même, on considère également qu' en imposant
la liturgie romaine dans son royaume, le roi Pépin a favorisé lui aussi l'essor de la liturgie
romaine en Occident.
Par la suite, au XIe siècle, le pape Grégoire VII (1073-1085) initie une phase de
consolidation de la liturgie. L'obligation imposée aux évêques de demeurer dans les normes
établies par la Curie romaine fait alors son apparition dans le monde ecclésial. Cependant,
pour en arriver là, un travail de longue haleine était nécessaire. Cette phase de consolidation
a entre autres été favorisée par l'ordre des Franciscains dont les prédications itinérantes ont
grandement influencé l'expansion de la liturgie en Occident.
58 Ibid.
59 Ibid., p. 35 .
69
De plus, on observe que le même phénomène tendant à la privatisation s'est aussi opéré en
ce qui a trait à la prière des ·Heures. Alors que cette prière d'Église était publique et
communautaire, l'apparition du bréviaire a fait en sorte que son usage s'est fait davantage
en tant que prière personnelle plutôt qu'en prière communautaire 6o •
Au début du XVIe siècle, la vie liturgique de l'Église était critiquée par beaucoup,
notamment parce qu'elle ne favorisait pas l' unité de la communauté et devenait de plus en
plus étrangère aux réalités des fidèles à un tel point que le désir d'une réforme liturgique
En 1542, Georg Witzel préconisait une réforme de l' Église par une réforme de
la liturgie. Il exprimait également avec insistance qu' il était primordial d' expliquer la
liturgie au peuple. D'un autre côté, on réclamait de plus en plus un répertoire de nouveaux
livres liturgiques qui serait le même pour l'ensemble de l'Église et qui amènerait ainsi une
plus grande uniformité.
Par la suite, le concile de Trente a finalement pris son essor et sa dernière session (1562-
1563) a eu une importance considérable sur le renouveau de la liturgie. Une commission
avait pris soin de dénombrer tous les abus de la messe. Quel en a été le résultat ? Bien
évidemment, il fut tel que le Concile n'a pas été en mesure de regarder chac.un de ces points
en détail. Pour cette raison, le Concile de Trente s'est terminé en laissant au bon jugement
du pape la question de la communion au calice et en lui confiant également le mandat de
réviser le Missel et le Bréviaire 61 . Par ailleurs, en ce qui concerne l'utilisation de la langue
vernaculaire dans la liturgie, le Concile refusa d'en admettre l'usage. C'est entre autres
pour cela que l'emploi de la langue latine dans les célébrations liturgiques s'est maintenu
jusqu'au Ile Concile du Vatican.
Ainsi, de 1566 à 1614, on a vu apparaître une nouvelle édition des livres liturgiques,
favorisant une plus grande uniformité de la liturgie romaine. Malgré toute cette réforme, la
60 Ibid., p. 36.
61 A. G. Martimort, L 'Église en prière ...) p. 77.
70
prise en considération du peuple dans la liturgie demeure très minime. Sa participation reste
pratiquement toujours la même: assister aux célébrations en écoutant et en regardant.
Le culte des saints, devenu exagéré, caractérise aussi cette époque. À titre d' exemple, le
calendrier liturgique de 1568 comportait déj à 182 j ours de fêtes. À ce nombre, on a vu 118
autres jours de fêtes s'ajouter au calendrier, la plupart d'entre elles avaient prééminence sur .
la célébration de la messe dominicale. On ne peut déplorer l'idée que le culte des saints se
soit probablement développé en raison d'une réelle sainteté de ces personnes, mais
l'expansion de ce culte « eut incontestablement pour cause majeure la volonté expresse de
substituer les offices festifs aux .offices dominic';lux et fériaux, parce qu'ils étaient plus
courts 64 ».
Cette fois encore, plusieurs ont fait entendre leur désir de ramener la liturgie dans un état
plus sain, mais toutes leurs tentatives ont été vaines. Même la commission d'experts
mandatée par le pape Benoît XIV, conscient que la liturgie avait besoin d'être rénovée, ne
parvint pas à donner des résultats satisfaisants.
Un dernier point marque la liturgie de cette époque. Tout d'abord, il faut rappeler que la
liturgie était- quasi réservée au régistre des prêtres et que les fidèles assistaient au culte sans
trop comprendre ce qui s 'y passait. Le peuple avait donc pris 1'habitude, notamment
pendant la célébration eucharistique, de réciter le chapelet ou de faire des prières de
dévotions que l' on retrouvait dans des livres de prières. En plus, pour ceux qui désiraient la
recevoir, la communion n'était donnée qu'après la messe. Ainsi, ceux qui voulaient partir
avant la fin de la célébration pouvaient le faire librement 65 . Cet état des choses a eu pour
effet que la communion a été reléguée au rang de la piété personnelle. En quelque sorte, les
actes de dévotion étaient devenus plus signifiants pour le peuple que les actes proprement
dits de la liturgie.
La période qu'on appelle communément le « Siècle des Lumières» amène un nouvel angle
d'approche pour aborder la liturgie. Ce sera l'essor de la raison qui aura un impact sur la
liturgie. Cependant, cette vision plutôt intellectuelle vers laquelle celle-ci tendait avait ses
avantages, mais aussi ses défauts :
Le concept de la participation active des fidèles ad' ailleurs été réutilisé par plusieurs autres
liturgistes. L'un d'eux est Lambert Beauduin, du Mont César en Belgique, qui soulignait,
pour sa part, la « nécessité de démocratiser la liturgie, c'est-à-dire d'en faire l' affaire de
tout le peuple. [ . . . ] Il présenta la liturgie comme la véritable prière de l'Église, réalisant
l'unité entre le prêtre et le peuple, et le moyen privilégié de l'annonce de la foi de
l'Église 69 ».
Dans la poursuite de ce même idéal, Pie X lança une invitation à une réforme liturgique qui
trouva un écho favorable au sein de l'Église. La floraison de plusieurs mouvements
(soutenus par dom Lambert Beauduin, les cours et conférences donnés à Louvain, l'abbaye
Saint-André de Bruges, le Sulpicien Pierre Paris, Romano Guardini et le moine dom Odon
Casel de en Allemagne) vint ajouter à ce désir de renouveau un élan
d'enthousiasme. Un des principaux buts poursuivis de cette réforme était alors de favoriser
et d'orienter les chrétiens vers un retour aux sources de la foi chrétienne 70.
À partir de la seconde guerre mondiale, une deuxième phase prépara la réforme qu'allait
connaître l'Église avec le Concile Vatican II : celle du développement de la pastorale
liturgique. C'est ainsi que, dans le but de répondre à cette demande, le Centre de Pastorale
67 Ibid. , p. 45 .
68 A. G. Martimort, L'Église en prière ... , p. 85.
69 A. Adam, La liturgie aujourd'hui.. . , p. 46.
70 Paul De Clerck, « Influences de la Constitution "De Sacra Liturgia" sur la pastorale contemporaine » dans
La Maison-Dieu 176, 1989, p. 14.
73
liturgique a été créé en 1943 et s'est fait connaître par sa revue La Maison-Dieu (1945), qui
a été très connue et pionnière pour cette époque.
Sous l'influence de Beauduin, on entreprit également une traduction des textes de la messe
et des Vêpres du dimanche en langue vernaculaire. De nombreuses publications parurent,
des semaines d' études liturgiques se mirent en place, etc.
De plus, après la première guerre mondiale, de nouvelles formes liturgiques ont fait leur
apparition dans la célébration du culte : à certains endroits, le prêtre présidait la messe face
au peuple, les fidèles pouvaient entourer l'autel et répondre à certains endroits dans la
liturgie eucharistique où, autrefois, seulement le prêtre faisait usage de la parole. Bien
entendu, toutes ces innovations avaient pour but de favoriser la participation active des
fidèles.
Finalement, l'encyclique Mediator Dei (1947) de Pie XII constitua un point tournant dans
la réforme liturgique, encourageant les efforts qui se faisaient déjà en vue de celle-ci. Non
seulement on avait compris que le peuple tout entier devait participer à la liturgie, mais on
avait également compris par la suite que la liturgie elle-même avait un grand besoin d'être
renouvelée. Quelques changements furent donc effectués, dont une nouvelle ordonnance de
la Semaine Sainte tout entière qui s'est faite en deux temps. Soit une première phase en
1951 avec une réforme de la Veillée pascale, et des autres célébrations en 1955. D'ailleurs,
un an plus tard, cette dernière est devenue obligatoire pour toute l'Église. Dès lors, les
changements allaient s'enchaîner les uns après les autres :
Le terreau était donc enfin propice à ce qu'une réforme de la liturgie puisse être effectuée
•
en profondeur. L'espérance de ceux qui l'attendaient allait être comblée quand Jean XXIII
74
Le Concile se proposait « de faire progresser la vie chrétienne de jour en jour chez les
fidèles; mieux adapter aux nécessités de notre époque celles des institutions qui sont
sujettes à des changements; de favoriser tout ce qui peut contribuer à l'union de tous ceux
qui croient au Christ et de fortifier tout ce qui concourt à appeler tous les hommes dans le
sein de l'Église» (SC 1). De plus, l'estime de la liturgie à reconquérir, la participation
active des fidèles, la valorisation de l'étude scientifique de la liturgie et la formation
liturgique, la rénovation de certaines parties de la liturgie aptes aux changements, etc.,
seront autant d'objectifs poursuivis par les pères conciliaires 73.
Paul VI, en favorisant cet emploi, allait créer un mouvement de non-retour sur la langue
d'usage en liturgie. Il n'aura suffi que de quelques années pour que l'usage des langues
vivantes prédomine sur la langue latine autrefois employée dans la liturgie. Ainsi, dès 1971,
on permettait l'usage de la langue vernaculaire pour l'entièreté des célébrations.
Plusieurs documents ont par la suite été d'une aide précieuse pour la mise en application de
ce pour quoi le Concile avait opté. Notons simplement le motu proprio Sacram Liturgiam
du 25 janvier 1964 de Paul VI, les instructions Inter oecumenici (1964), Tres abhinc annos
75 Ibid., p. 90.
76 Ibid., p. 91.
77 Vatican II, La liturgie: Constitution « Sacrosanctum Concilium », France, Marne (coll. Vivre le Concile),
1966, p. 103.
76
Il arrIve parfois que la liturgie soit appelée prière de l' Église. Si elle est la prière de
l'Église, la liturgie est aussi considérée comme l' action d'une assemblée qui est réunie à
l'invitation de son Seigneur. En d'autres mots, cela pourrait équivaloir à dire que l'acte
liturgique n'a pas obligatoirement besoin d'un prêtre pour être réalisé. La liturgie des
heures en est un bel exemple. Cependant, l'assemblée a nécessairement besoin de lui pour
les actions proprement sacramentelles 79.
Au numéro 41, la Constitution fait d'ailleurs ressortir de façon admirable cette dimension
ecclésiale de la liturgie: «Ils [les fidèles] doivent être persuadés que la principale
manifestation de l'Église consiste dans la participation plénière et active de tout le saint
peuple de Dieu aux mêmes célébrations liturgiques, surtout dans la même eucharistie, dans
une seule prière, auprès de l'autel unique où préside l'évêque entouré de son presbyterium
et de ses ministres (SC 41).»
La manière dont sont formulées les prières dans la liturgie, sous la forme du « nous», est
aussi un indice que la liturgie a un caractère ecclésial. En effet, le « nous» exprimé est
celui de l'assemblée. Le prêtre, même s'il y exerce une fonction liturgique particulière, fait
également partie de l'assemblée. En effet, l'exercice de la liturgie ne concerne pas
seulement le prêtre, elle comporte un « nous» qui inclut l'assemblée.
78 Pour une liste plus détaillée des diverses parutions, voir A. Adam, La liturgie aujourd'hui..... . , p. 52-54 et
A. G. Martimort, L'Église en prière ... , p. 91-94.
79 Pour l'ensemble du paragraphe, De .Clerck, L'intelligence de la liturgie, p. 88.
80 H. Volk, Pour une liturgie rénovée ... , p. 39.
77
En ce sens, se rassembler pour vivre la liturgie, c'est donc signifier l'Église et la construire.
Or, les actions liturgiques ne sont pas d'ordre privé, mais elles sont des actions qui
appartiennent à l' Église. Ainsi, en la manifestant et en l'affectant, «c' est toute la
communauté, le Corps du Christ uni à son chef, qui célèbre 8l ». Cependant, comme le
rappelle la Constitution, les actions liturgiques « atteignent chacun de ses membres, de
façon diverse, selon la diversité des ordres, des fonctions et de la participation effective »
(SC 26).
C'est donc la communauté des baptisés, réunie en un seul corps, qui célèbre et participe
ainsi au sacerdoce du Christ, l'unique Grand Prêtre. Cette participation se fera de manières
diverses, allant des ministères ordonnés aux ministères particuliers qui ne requièrent pas le
sacrement de l'Ordre. «Même les servants, les lecteurs, les commentateurs et ceux qui
appartiennent à la chorale s'acquittent d'un véritable ministère liturgique (SC 29). »
La participation active des fidèles est l'un des aspects sur lequel Vatican II insiste
fortement. Ce thème revient régulièrement dans la Constitution sur la liturgie, notamment
aux articles nOs 11-14-19-21-48-50. En effet, comme cela a été souligné précédemment, la
participation active des fidèles était tombée presque complètement en désuétude. Les
fidèles ne communiaient que très rarement, l'accès au chœur était fermé par des murs et des
jubés qui rendaient l'assemblée spectatrice du déroulement de la célébration. Le deuxième
Concile du Vatican a donc amené un important progrès doctrinal à cette situation. En effet,
les textes du Concile expriment que le droit et le devoir que les fidèles ont de prendre une
part active à la liturgie se fondent sur le baptême qu' ils ont reçu et sur la nature de l'Église,
peuple royal et sacerdotal (cf. SC 14). Ainsi, selon leur condition, les fidèles ont part au
sacerdoce du Christ. Ils forment un corps aux fonctions variées, mais unifié par l'Esprit
Saint 83 . De la sorte, la participation active, c'est-à-dire la participation commune à la
célébration, est comme un remède à l' écart qui s' est créé avec le temps entre le clergé et les
fidèles. Elle recentre également sur le fait que l' assemblée est le sujet de l' action liturgique
et, par là, elle vient souligner que la liturgie est l'action de toute l'assemblée qui est
célébrante 84.
Il est aussi essentiel d'être attentif à un détail important par rapport à la liturgie en milieu
ecclésial. Parler de participation active ne signifie pas que le fidèle doive accomplir un
grand nombre d ' actions liturgiques. Certes, les ministères accomplis sont une forme de
participation, tout comme le sont les multiples expressions corporelles (agenouillements,
génuflexions, prières, chants, acclamations, position debout ou assise, etc.). Comme il a été
mentionné plus haut, la participation active à la liturgie implique d'abord une participation
de chaque croyant au niveau intérieur. Même si une personne possède des techniques
d'animation ou de nombreux talents, aucun de ces avantages personnels ne peut dispenser
chaque fidèle d ' un oui personnel à Dieu et à son amour 85 . C'est seulement à la suite de
cette première participation active, qui se situe au niveau de l'intérieur, que vient
l'implication la plus concrète et directe au niveau de la célébration.
On ne peut pas comparer la liturgie à une scène extérieure devant laquelle l'homme est
dans la position du spectateur. Au contraire, l'être humain, acteur de la liturgie, se situe sur
et dans la scène. La liturgie nous introduit dans le domaine de l'expérience qui s' acquiert
lorsqu'elle est mise en pratique 86 . En ce sens, il est important de rappeler qu'avant d'être
82 François Marty, «Universel et particulier: enjeu de l'usage liturgique de la langue du pays» dans La
Maison-Dieu 208, 1996, p. 103.
83 A. G. Martimort, L'Église enprière ... , p. 109.
84 P. De Clerck, L'intelligence de la liturgie, p. 20.
85 François Favreau, La liturgie, Paris, Desclée (coll. L'héritage du concile), 1983, p. 166.
86 Monique Brulin, « Retentissement des figures liturgiques. La liturgie chrétienne comme expérience » dans
La Maison-Dieu 209, 1997, p. 27.
79
objet d'étude, la liturgie est d'abord vie: « Elle est vie, au point qu'une science liturgique
qui ne se fonderait pas sur cette vie n'atteindrait pas son objet 87 . »
Il est important de souligner encore que la liturgie n'est pas de la magie ! La liturgie nous
met devant un Dieu qui se livre à nous et ce, sans jamais forcer la liberté humaine. Le
consentement de la personne n'est pas un superflu ou un ajout extraordinaire à la liturgie, il
est une nécessité. François Favreau a raison de dire que « paradoxalement, la grâce de Dieu
a besoin d'être exaucée par l'Amen de l'homme 89 ! ». La liturgie concerne aussi un « je ».
C'est à partir de la prière du cœur que la liturgie devient vie. Là est le seuil personnel à
franchir et où tout se décide, mais voilà l'appel premier auquel il est dur de répondre 9o .
Dans le cadre de cette étude, il a été possible d'affirmer que le rite est un élément essentiel
de la liturgie. C'est principalement à travers celui-ci que les sacrements sont Si la
célébration du culte peut sembler par moment monotone et insignifiant pour certains, ce
n'est pas nécessairement seulement en raison du rite. Le rite fait partie inhérente de la vie
quotidienne et n'en est pas pour autant monotone ou insignifiant.
En effet, la vie comporte un grand nombre d' exemples de rites que toute personne côtoie
quotidiennement. Parmi ceux-ci, on peut compter l' ordre d ' arrivée pour un repas: soupe,
plat principal (viande) et dessert. La manière de saluer quelqu' un est un autre rituel que
toute personne normale peut faire instinctivement. L'être humain est rituel. C' est une façon
d'être qui lui est naturelle, sinon il serait nécessaire pour lui de toujours réfléchir sur la
bonne manière de faire les choses avant de poser une action ou encore de réinventer un
nouvel agir à chaque fois. Pour reprendre l'expression de Jean Lebon, « ce serait épuisant et
invivable 91 ». Le rite est donc porteur d'une manière de faire qui sera, en quelque sorte,
récurrente.
Or, l'avantage de la répétition du rite, c ' est que celle-ci permet une appropriation. La
plupart du temps, c'est en lisant ou en regardant une œuvre d'art à plusieurs reprises qu' un
amateur d'art peut s'approprier l'ouvrage en question. Il en est de même pour la liturgie.
Plus le rite est répété, plus il est possible, pour le fidèle, de le faire sien. De plus, le rite
favorise une plus grande stabilité et, en ce sens, il peut être comparé à un « garde-fou contre
la subjectivité, le désordre et l'anarchie. Sans lui, la célébration serait vite tuée par les
inventions farfelues, livrée aux mains de ceux qui veulent se faire remarquer 92 ».
91 Pour l'ensemble du paragraphe voir 1. Lebon, Pour vivre la lîturgie, Paris, Cerf, 1986, p. 19.
92 Ibid.
93 Joseph Ratzinger, L'esprit de la liturgie, traduit de l' allemand par Génia Català avec la collaboration de
Grégory Solari, Genève, Ad Solem, 2001, p. 30.
94 1. Lebon, Pour vivre la liturgie, p. 18.
81
concrétise le lien entre la liturgie et l'Église, laquelle garde le dépôt de la foi transmis par la
tradition apostolique 95 ». Le rite garde donc une place de grande importance au sein de la
liturgie et, pour cette raison, le redécouvrir ne pourra être que favorable à l' Église.
Tout comme les signes et les symboles occupent une place indéniable dans la vie humaine,
il en est également de même dans la liturgie. Le Catéchisme de l'Église Catholique rappelle
que» 1'homme, étant un être à la fois corporel et spirituel, exprime et perçoit les réalités
spirituelles à travers des signes et des symboles matériels. Comme être social, l'homme a
besoin de signes et de symboles pour communiquer avec autrui, par le langage, par des
gestes, par des actions. Il en est de même pour sa relation à Dieu 96 ». Pour cette raison, les
signes et les symboles que la célébration liturgique utilise et déploie font partie intégrante
de cette célébration.
Ainsi, au sein de la liturgie, les gestes et les attitudes s'unissent à la parole proclamée pour
évoquer quelque chose qui est extérieur. Les mots sont révélateurs d'une quelconque
réalité, mais d'autres aspects sont également perceptibles à travers les sens, les actions et
les attitudes des personnes mis à contribution. Ceux-ci renvoient à des réalités qui sont
autres, invisibles 97 . L'univers des différents signes et symboles que l'on rencontre dans la
liturgie renvoient à ces différentes réalités indiquées.
Elles ont en plus de leur sens propre un autre sens auquel elles font référence,
elles sont les « images sensibles» de réalités invisibles, elles ont valeur de
signes. En ce sens, Thomas d'Aquin déjà, dans sa doctrine des sacrements,
définit le signe comme quelque chose grâce à quoi on accède à la connaissance
d'autre chose. Les signes ont donc pour fonction de révéler, sans pourtant
!
L_
82
l'éclairer parfaitement, la réalité signifiée dans la plénitude de son être. Cela est
possible du fait d'une certaine ressemblance entre le signe et ce qu'il signifie 98 .
De cette manière, la création visible devient pour l 'homme langage de Dieu qui lui est
adressé. La lumière du soleil, par exemple, apparaît comme un des premiers symboles
représentant le Christ, soleil de justice alors que la lumière d'une petite flamme rappelle la
présence du Seigneur semblable à la flamme qui, dans l'Ancien Testament, brûlait dans la
tente devant le Seigneur (Ex 27, 20 ; Lv 24, 2-4 ; 1 S 3, 3) ou encore celle qui brûlait sur les
sept branches du candélabre d'or (Ex 25, 31-40). Comment ne pas souligner ici le cierge
pascal qui, dans la liturgie catholique, est signe du Christ ressuscité au milieu des hommes,
signe de joie qui rappelle une présence sacrée.
La nuit, le feu, l'eau et le vent seront également des signes de la grandeur et de la proximité
de Dieu vis-à-vis de l'homme. En même temps, «ces réalités peuvent devenir le lieu
d'expression de l'action de Dieu qui sanctifie les hommes, et de l'action des hommes qui
rendent leur culte à Dieu 99 ». C'est pourquoi la liturgie reprend les grands signes et
symboles de la création dans la liturgie.
De plus, les signes et les symboles donnés par Dieu peuvent aussi devenir un sceau
particulier qui marquera le choix de Dieu et, en dernier lieu, la liturgie. L 'histoire du culte
en donne un grand nombre d'exemples avec la circoncision, l'onction et la
consécration des rois et des prêtres, l'imposition des mains, etc. Ce qui marquait le choix de
Dieu s'est par la suite inscrit dans la liturgie. Jésus lui-même a utilisé les signes et les
symboles pour faire connaître les mystères du Royaume de Dieu. C'est d'ailleurs souvent
par l'intermédiaire de paraboles qu'il cette mission d'annoncer le Royaume.
L'épisode de la parabole de la semence (Luc 8, 4-8) en donne un bon aperçu. À la suite de
cette parabole, les disciples demandèrent à Jésus ce que pouvait en être la réelle
signification. Jésus leur répondit: «À vous il est donné de connaître les mystères du
Royaume de Dieu, mais pour les autres, c'est en paraboles, pour qu'ils voient sans voir et
entendent sans comprendre. Et voici ce que signifie la parabole (Lc 8, 10-11 a). »
98 Ibid.
99 CEC, « La célébration du mystère chrétien », nO 1148, p. 305.
83
Toutefois, dans la liturgie, l'Église fait également usage d' un grand nombre d' éléments qui
sont d'ordre matériel. Encore une fois , ces derniers trouvent pratiquement tous leur origine
dans le texte biblique. La pierre, ou l'autel, dressée en mémorial de la rencontre divine (Gn
28, 18) ou destinée à recevoir les victimes du sacrifice (Ex 20, 23 ; Dt 27, 5-7 ; 1 M 4, 44-
47) ; l'huile répandue (Gn 28,18) ; l'encens dont la fumée suggère la montée agréable de la
prière vers Dieu (Ps 140, 2). D ' ailleurs, le rituel juif était marqué par un encens aromatique
que l'on faisait brûler dans le Temple, chaque matin et chaque soir devant le Saint des
Saints, en sacrifice de louange 101. Dans une étude plus exhaustive, on pourrait encore
relever plusieurs exemples tels que la cendre, la poussière, etc.
Par contre, il est important de souligner que certains de ces éléments matériels dont Jésus a
fait usage sont devenus les symboles de la Nouvelle Alliance. Cependant, ce cas-ci présente
une différence majeure. En effet, on peut considérer ces symboles comme des « symboles
efficaces» puisqu'ils sont devenus signes sacramentels, dont l'utilisation rend présente la
réalité qu'ils évoquent. Dans ces symboles, on peut dénombrer' entre autreS le pain, le vin,
l'eau, l'huile et le parfum 102 •
Il peut arriver parfois que l'on désigne les signes par le mot « symbole». À l'origine, le
terme « symbole» renvoyait aux deux moitiés d'un objet qui avait été cassé et que l'on
rassemblait comme signe de reconnaissance pour vérifier si la personne envoyée était
réellement un ami, un messager ou un mandataire du possesseur de l'autre moitié: « Le
symbole est donc le signe qui résulte en quelque sorte de deux parties : la partie visible et la
réalité suprasensible qu'il signifie. C'est seulement par la conjonction des deux que la
totalité devient visible 103. »
Toutefois, il y a aussi une complication dans le fait que le signe comporte lui aussi un
double sens, c'est-à-dire qu'il renvoie également à un sens plus profond. Il est donc difficile
de voir où se situe la limite entre les deux. Cependant, il importe de mentionner que les
signes et les symboles ne renvoient pas à la réalité qu'ils signifient de la même manière et
avec la même intensité. Les deux entités sont néanmoins en mesure d'exprimer une rëalité
invisible que le langage parlé est incapable d'évoquer.
Précédemment, la présente étude a démontré que. les deux principaux acteurs de la liturgie
sont le Christ et l'Église. Ici, dans le contexte liturgique, l'Église représente la communauté
rassemblée. Or, parmi cette communauté rassemblée, les multiples fonctions sont
accomplies par divers groupes de personnes. Il y a d'une part les ministres ayant reçu le
sacrement de l'Ordre - évêques, prêtres et diacres - et, d'autre part, les laïcs qui sont aussi
co-acteurs de la liturgie. En effet, tout comme les ministres ordonnés, les laïcs sont aussi
appelés à s'ouvrit à la Parole de Dieu, à louer Dieu, à lui rendre grâce et à l'implorer. Ils
sont aussi conviés à faire leur la prière de l'assemblée en participant à la liturgie de « façon
active et fructueuse », (SC Il) manifestant ainsi aux autres, par la liturgie, « le
mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Église» (SC 2).
De plus, parmi les laïcs, plusieurs accomplissent, de par le rôle spécifique qu'ils jouent, un
« véritable ministère liturgique» (SC 29). C' est le cas notamment des lecteurs, des
servants, de la chorale, des ministres de la communion, des musiciens, de l' éqùipe
liturgique, etc. Généralement, ministères nécessitent une formation liturgique solide qui
permet d'être en mesure d'accomplir de la façon la plus appropriée le service que les
ministres ont à rendre (SC 14-20).
9.1. L'assemblée
Aux origines de la chrétienté, l'assemblée constituait déj à une réalité bien présente en
Église. D'ailleurs, dans ses épîtres, saint Paul ne s'empêche pas de reprendre les
communautés chrétiennes et d'exhorter celles qui ne vivent pas leurs assemblées
conformément à l'esprit de l'Évangile (1 Cor Il, 17-34 ; 14, 26-40). En plus de la
fréquentation au Temple, les premiers chrétiens se rassemblaient aussi dans les maisons
pour y faire des réunions de prière qui leur étaient spécifiques. À partir du témoignage que
les Écritures ont laissé par rapport aux premières assemblées . chrétiennes, il est possible
d'en déduire que « le service devait prése,n ter quelque analogie avec la liturgie synagogale
[ ... ] que les femmes y participaient [ ... ] et que seuls les fidèles étaient admis à la liturgie
eucharistique, t<?ut en accueillant facilement des non-baptisés dans les réunions de prière (1
Co 14, 23-25) 106 ».
Même si l' Église connut une période de désertion des assemblées, le rassemblement a
toujours conservé une signification importante pour l'édification du peuple croyant.
L 'histoire de l'Église fournit de nombreux exemples où la communauté a dû insister plus
ardemment pour que les fidèles participent en plus grand nombre aux assemblées. Ignace
106 G .- MOL , . . , /.
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lturglque, p. Il .
86
d'Antioche et Jean Chrysostome seront d'ailleurs deux porte-paroles qui élaboreront plus
amplement sur la dimension de l'assemblée lo7 .
L'assemblée est le signe visible de l'Église, manifestant aussi le choix de Dieu sur
l'homme, mais aussi du peuple qu' il s'est choisi. Depuis l'Ancien Testament avec le
rassemblement des Hébreux au Sinaï - où le peuple juif est devenu le peuple de Dieu,
scellé par une alliance - celui-ci connut d'autres assemblées. Parmi ces assemblées, on peut
considérer la dédicace du temple par Salomon (1 R 8 et 2 Ch 6-7) et le renouvellement de
l'Alliance avec le livre «trouvé» dans le temple sous Josias (2 Ch 29-30) comme deux
exemples 109 .
L'assemblée est donc un signe sacré parce qu'elle manifeste l'Église, mais aussi parce
qu'elle est présence du Christ dans le monde, présence qui l 'habite continuellement.
L'assemblée est également l'image anticipée de l'Église du ciel. Dans les VISIons de
l'Apocalypse, l'auteur biblique décrit le ciel comme une assemblée liturgique. C' est le
même rassemblement du peuple de Dieu qu' il Y voit; il y entend les mêmes acclamations et
les mêmes cantiques (cf. Ap 15,3; 19, 1-8).
Dans les sections précédentes, l' de la liturgie en milieu ecclésial a esquissé une vision
de la participation active à partir des textes du Concile Vatican II. Il est important de
spécifier que cette participation ne peut pas s'effectuer de n'importe quelle manière. En
effet, pour que la participation active des fidèles puisse se faire dans le meilleur ordre qui
soit, il est nécessaire que les rôles de chacun soient bien répartis, car tous ne tiennent pas la
même fonction dans la célébration (cf. SC 28). Sinon, le sacerdoce baptismal suffirait et le
sacerdoce ministériel serait alors désuet. François Favreau .rappelle d'ailleurs qu' une
certaine tendance à interpréter de manière abusive l'enseignement conciliaire circule au
sein de certains groupes: «Pour ceux-ci, l'absence de prêtre n'aurait plus d' incidence
dramatique pour la vie de l'Église, les laïcs pouvant assumer toutes les fonctions tenues par
le prêtre 111 ! » Or, dans la lettre aux Romains, saint Paul lui-même rappelle aux chrétiens
que tous doivent agir selon le don reçu de l'Esprit (Rm 12, 6-8).
Les différents rôles ne sont pas des lieux de prestations, ni un dû ou un mérite, ils sont un
service que la personne doit rendre pour le bien de la prière communautaire et l'édification
du peuple de Dieu. Aucun salaire honorable n' est donné, sinon celui de la grâce de Dieu qui
agit et qui se déploie dans le ministère assumé.
C'est pourquoi le Concile invite chaque croyant à prendre la charge qui est sienne : « Dans
la célébration liturgique, chacun, ministre ou fidèle, en s' acquittant de sa fonction, fera
seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature de la chose et des normes
liturgiques (SC 28). »
Chaque fonction liturgique répond à une nécessité de service, à un besoin, et elle n'est
conçue que pour serVIr au bien de tout l' ensemble 113 . Or, malgré le fait que cette
affirmation nécessite un savoir-faire et démontre par là l'importance également de la
formation, il importe de mentionner que la liturgie ne consiste pas en un esprit de
compétition, un poste à acquérir. Il s'agit plutôt d'une disposition de ses capacités au
service de la liturgie. Pour que le service liturgique à rendre soit au service de la beauté et
de l'efficacité, il est prioritaire que le fidèle cherche à être .participant avant d'être ministre.
Le prêtre, par exemple, peut lire les prières, mais ce, sans les' prier. Il en est de même pour
les lectures proclamées lors des célébrations. De même, le chantre, qui a manqué de
préparation avant la célébration, peut ne faire que tourner les pages du .cahier de chant
pendant toute la célébration. De telles situations laissent sous-entendre que, parfois, les
actions peuvent être faites seulement pour être faites.
9.2.1. Le président
Or ce ne sont pas toutes les fonctions liturgiques qui requièrent le sacrement de l' ordre.
D'autres fonctions sont aussi nécessaires dans la liturgie où celles-ci sont accomplies par
des personnes laïques.
Notamment, le ministère de la Parole de Dieu est l'un des rôles qu'il est possible d' attribuer
aux laïcs. Puisque la proclamation de la Parole occupe une grande place dans la liturgie, les
ministres de la lecture jouent un rôle majeur. Aux temps des origines chrétiennes, on
différenciait les lecteurs du président comme cela se faisait déjà dans les synagogues 11 5 .
Cependant, très rapidement, les lectures ont été attribuées à ceux qui étaient considérés
ministres supérieurs dans la hiérarchie. C'est pour cela notamment que la lecture de
l'Évangile est réservée au diacre, sinon au prêtre en l'absence de diacre. Quant aux autres
lectures, y compris le psaume, celles-ci sont proclamées par des ministres laïcs que l' on
appelle « lecteurs institués» ou simplement par des laïcs qui n'ont pas reçu de mandat.
Généralement, ce sont surtout les diacres qui ont la charge d'être ministres de l'autel et du
président, mais on dénombre également quelques autres ministères au service de l'autel en
vue d'aider le diacre et le président dans leur fonction: l'acolyte et les servants de messe.
Un autre ministère important dans la célébration liturgique est le chant qui intervient dans
la célébration et aide à la prière. La constitution sur la Sainte Liturgie décrit la finalité de la
musique sacrée comme étant la gloire de Dieu et la sanctification des hommes (cf. SC 112).
De plus, en exécutant des chants destinés à accompagner une action liturgique, son rôle sera
La musique sacrée sera d'autant plus sainte qu'elle sera en connexion plus
étroite avec l'action liturgique, en donnant à la prière une expression plus suave,
en favorisant l'unanimité ou en rendant les rites sacrés plus solennels. Mais
l'Église approuve toutes les fo.rmes d'art véritables, si elles sont dotées des
qualités requises, et elle les admet dans le culte divin (SC 112).
D'une certaine manière, la liturgie nous fait entrer dans un mouvement qui prend sa source
de l'extérieur pour se diriger vers l'intérieur. Les gestes et les paroles, les actions et les
chants introduisent le fidèle dans une dimension plus intérieure qui lui permet ainsi d' entrer
dans le mystère avec plus de profondeur. Une fois de plus, ce qui est mis de l'avant, c'est
l'expérience. C'est d'ailleurs l'une des façons avec laquelle les Pères de l'Église
approchaient autrefois les catéchumènes en refusant de leur expliquer quoi que ce soit de la
célébration avant qu'ils aient vécu l'expérience d'une première célébration. Ce n'est
qu'après leur baptême ou leur confirmation, par exemple, que les catéchumènes recevaient
la catéchèse 116. On peut parler aussi de catéchèses mystagogiques. En ce sens, Paul De
Clerck ajoute:
De plus, une personne qui ne conçoit la prière que comme un acte mental peut en arriver à
un sentiment de surprise, voire de déception, dans certains cadres de liturgie. En effet, cette
personne risque . de ne pas se sentir rej ointe par une prière dont l'expression se fait
majoritairement par des manifestations vocales ainsi que des gestes et des attitudes
corporelles (debout, assis, à genoux, prosterné, etc.). Cependant, il est important de rappeler
que l'intervention de ces différentes formes liturgiques ne s'exécute pas de manière libre ou
encore spontanée. En effet, la liturgie a fixé leur utilisation par certaines lois 118 .
La liturgie tient compte du corps et de l'âme qui forment une unité dans la personne
humaine. Le matériel et le spirituel sont à juste titre associés l'un à l'autre, entrant ainsi
dans la complémentarité en formant un tout.
temps, les fidèles sont mis en contact avec eux et remplis par la grâce du salut
(SC 102).
Par ailleurs, il est possible de faire ressortir un aspect qui rend la liturgie extraordinaire
dans l'idée que sdn action n'est pas de seulement faire mémoire d'un événement passé,
mais de le rendre actuel dans le temps En effet, les fidèles sont appelés eux
aussi à entrer dans cet « aujourd ' hui » de Dieu où, comme autrefois, le Christ accomplit sa
Pâque pour eux. Ainsi, particulièrement à travers les sacrements, tous les événements
sauveurs sont actualisés et renouvelés tout au long de l'année liturgique 121 . De cette façon,
l'existence humaine est reliée à celle de Dieu, en faisant communier l'homme d' une
manière particulière à la vie de Jésus.
L'année liturgique nous fait parcourir les étapes de la vie du Christ et nous fait
vivre le temps ordinaire de la fidélité à l' Évangile dans la suite jours: la
mémoire des mystères du Christ et l'actualisation renouvelée de la Pentecôte
éclairent le sens de l 'histoire pour le croyant 122 .
La durée d ' une année attribuée au cycle liturgique, lui permettant ainsi d' y inscrire un
rythme de répétitions des fêtes chrétiennes, est en partie fondée sur l'Écriture ainsi que sur
la tradition chrétienne. De cette manière, une place est attribuée à chacune des fêtes
liturgiques, fixes (Noël) ou mobiles (Pâques), qui peut ainsi se réitérer, d'une année à
l'autre, dans un cycle régulier.
De plus, ces célébrations n'ont pas seulement le mérite de faire mémoire du salut opéré
jadis et réactualisé pour aujourd' hui, mais elles comportent aussi une composante
93
eschatologique. En effet, les célébrations liturgiques rappellent à celui qui a la foi que le
salut de Dieu lui est accordé dans l'aujourd'hui de sa vie et' qu' il « doit aussi s'efforcer
- d'affermir son salut toujours menacé_et se découvrir, dans et par la célébration liturgique,
solidairement responsable, en tant que témoin et coopérateur, du salut offert à tous les
hommes 123 ». En cela, tout en gardant un regard tourné sur le passé, les célébrations de
l'année liturgique portent aussi un regard vers l'avenir. En chaque célébration est attendu le
retour du Seigneur; l'accomplissement définitif du salut accordé par Dieu.
La liturgie est donc l'événement qui fait le lien entre deux événements, celui du
Fils incarné, mort et ressuscité, celui de la fin des temps où sera révélé en
plénitude le secret de toute l' histoire; et cet événement présent engage l' homme
et sa vie terrestre dans le mystère de sa destinée divine: « Chaque fois que vous
mangez ce pain, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne (1
Co Il , 26) 124. »
Ce n'est que peu à peu que le calendrier s'est constitué. Le mystère pascal du
Christ, événement central et source de l'année liturgique, était célébré chaque dimanche
comme Pâque-hebdomadaire. Par la suite, la Pâque annuelle s'est ajoutée au calendrier et
en est venue à finalement prendre la structure d'un cycle pascal en se composant d'un
temps de préparation qui se prolonge par un temps de fête . L-e Missel Romain, dans ses
Normes universelles de l'année liturgique, énonce que le cycle pascal débute avec le
mercredi des Cendres et se termine, après treize semaines et demie, avec le dimanche de la
Pentecôte 125 .
forment le temps ordinaire où le mystère du Christ est célébré d' une manière qu' on peut
dire plus générale. Celui -ci commence donc le lundi après la fête du baptême du Christ
pour se terminer le samedi avant le premier dimanche de l ' Avent 126.
Par ailleurs, il est possible de remarquer, en s'appuyant sur les écrits du Nouveau
Testament, que dès les premiers siècles, le premier jour de la semaine était très significatif.
C'est le jour de la résurrection du Seigneur (Jn 20, 1 s. ; Mt 28, 1 s. ; Mc 16, 1 s. ; Lc 24, 1
s.) et le jour également où l'Esprit du Seigneur est donné au Cénacle (Jn 20, 22 ; Ac 2, 1 s.).
Dès lors, le dimanche est devenu le jour par excellence pour le rassemblement de la
communauté puisqu'en quelque sorte, il donne corps à la foi en la résurrection.
Vatican II a insisté sur l' importance du dimanche en tant que célébration du mystère pascal
pour les chrétiens. Il est difficile de ne pas se rendre à l'évidence que la participation au
rassemblement dominical n'est pas dans une situation à la hausse ! C'est pourquoi le
- - - - - - -- - -
95
manière à ce que, dans l'office religieux, le prêtre puisse le contourner facilement et être en
mesure de célébrer le rite face au peuple (cf. 10 91).
Puisque la Parole prend aussi une place centrale dans la liturgie, en tant que lieu où se fait
la proclamation de la Parole, l'ambon doit être lui aussi mis en évidence. Il est essentiel
qu'on lui décerne une place de choix où il sera visible pour tous les fidèles présents à la
célébration liturgique. Par ailleurs, le lieu où se fait le baptême est en droit, en raison de la
signification qu'il possède, d'être lui aussi disposé à la vue de toute l'assemblée.
Notamment par son aménagement interne, le lieu liturgique devrait refléter et être en
quelque sorte un «signe de l'existence et de la vérité d'autre chose. Ils ont pour
fonction d'être signes et appels de la vocation divine des hommes l31 ». De la sorte, les
édifices qui servent au culte divin conservent leur importance, car ces églises visibles
« signifient et manifestent l'Église vivant en ce lieu, demeure de Dieu avec les hommes
réconciliés et unis dans le Christ 132 ».
Conclusion
La section présente conclut cette vue d'ensemble présentant les fondements et les
différentes composantes de la liturgie. L'objectif visé dans ce chapitre était d'aider à cerner
davantage ce qu'est la liturgie en elle-même au-delà de la complexité de ses éléments
constitutifs. De même, il est indéniable que l'importance. de la liturgie' dans la vie de
l'Église est capitale. Dans un premier temps, elle permet à l'homme de redonner au monde
ce qu'il a reçu en Église. De l'autre côté, elle accueille de l'homme tout ce qu'il a acquis
dans ses expériences quotidiennes pour l'offrir au Seigneur en action de grâce.
Cela dit, un élément s'avère être nécessaire à la réalisation de la liturgie. Il s'agit de l'acte
missionnaire et de la proclamation de la Parole. En effet, si l'homme n'a pas entendu
l'annonce de la Bonne Nouvelle, comment fera-t-il pour célébrer le Seigneur dans la
liturgie ? Les Pères du Concile Vatican II étaient eux aussi conscients de cette réalité. La
Introduction
Dans un deuxième temps, en se basant sur l'étude des concepts d' inculturation et de
liturgie, déj à abordés précédemment dans ce travail, la deuxième partie de ce chapitre
portera sur la manière dont l'Église perçoit et présente l'inculturation de la liturgie. Puisque
la liturgie est partie prenante de la vie ecclésiale, il est également primordial de tenir
compte de ce que l'Église exprime à ce sujet dans ses discours officiels. Pour ce faire, je me
rapporterai maj oritairement à certains documents ecclésiaux, considérés comme étant les
plus influents par rapport à la recherche entreprise pour ce travail 1 •
Finalement, quelques difficultés relatives à l' inculturation de la liturgie seront exposées afin
de favoriser une meilleure compréhension des différentes facettes et des enj eux variés liés
au processus a'inculturation liturgique.
1 Je fais notamment référence ici à la Constitution Sacrosanctum Concilium, l' Instruction Liturgicae
instaurationes et l' Instruction La liturgie romaine et l 'inculturation.
99
1. Culture et liturgie
2
Selon le cardinal Antonio M. Javierre Ortas, l ' homme est, par définition, un être religieux .
Si cette affirmation est véridique, cela veut dire que le culte que l 'homme rend à Dieu,
considéré comme une expression religieuse, est un élément constitutif de la culture. Or,
d'un autre côté, l ' exercice du culte est profondément conditionné par la culture. Il est alors
3
inséré dans les catégories propres, spatio-temporelles, de l'homme . En ce sens, on constate
que les éléments du binôme « culture et liturgie» s' appellent mutuellement l'un et l' autre. _
Si la liturgie est le lieu par excellence où un peuple peut exprimer sa foi , on peut expliquer
pour quelle raison celle-ci peut alors être considérée comme un phénomène culturel. En .
effet, puisque la liturgie fait usage de toutes les vertus culturelles d' un peuple, il est donc
juste de dire que non seulement le rapport entre liturgie et culture est existant, mais qu' il est
même une exigence.
Cette réalité a pour .effet que, malgré son aspect universel - qui s'explique du fait que,
partout dans le monde, les célébrations du culte font usage des mêmes textes liturgiques
pour une même journée par exemple -, la liturgie demeure toujours l'expression unique
d'un peuple particulier.
4
En fait, comme le soulève C. Di Sante, «le culturel ne s'oppose pas au naturel ». Il
n'existe toujours qu'un homme culturel, « c'est-à-dire sujet de la culture, qui est le résultat
d'une interaction constante entre sa dimension biopsychique et le milieu dont il est à la fois
2 Antonio M. Javierre Ortas, « Inculturation et liturgie» dans Notitiae 340, vol. 30, nO Il, 1994, p. 610.
3 Ibid.
4 Cannen Di Sante, « Culture et liturgie» dans Domenico Sartore et Achille M. Triacca. Adaptation français e
sous la direction d'Remi Delhougne (dir.), Dictionnaire encyclopédique de la liturgie, vol. 1 Turnhout,
Brepols, 1992, p. 253.
100
le créateur et la créature, la cause et l'effets». Il est ainsi plus facile de comprendre en quoi
la liturgie et la culture ont un lien qui les unit. En effet, tout symbole, rite, chant ou texte
trouve son origine dans une source ou une cause culturelle quelconque. Ils ne sont pas tirés
du néant: « Ils s'épanouissent à l'intérieur de structures plus larges qui caractérisent une
forme déterminée de pensée et d'action, de modèles et de pratiques 6 . » Comme la liturgie
utilise abondamment les signes et les symboles, généralement issus de la culture, cet aspect
s'ajoute à la corrélation entre culture et liturgie.
En définitive, il n'est pas faux d ' affirmer que le meilleur endroit où se manifeste l' identité
de l'homme et que le meilleur lieu pour apprendre à le connaître réellement est la culture :
«La culture est l'unique terrain de lecture, d'interprétation et de compréhension de
l 'homme, le lieu privilégié où se manifeste son identité 7 . » Puisque la liturgie sera marquée
et nourrie entre autres par la culture, elle sera ainsi un lieu pour révéler à l'homme sa propre
identité culturelle. Cependant, la liturgie porte en soi une finalité encore plus grande, car
celle-ci a aussi le rôle de révéler à l'homme son identité d'enfant de Dieu. Si la culture se
dévoile à travers la liturgie, cette dernière montre aussi à la culture quelque chose qui la
dépasse largement: le mystère même du Christ qui la fait vivre et dont elle se nourrit.
Par cette réalité, on voit à quel point la liturgie n'est pas dissociée de la culture. C'est à
l'intérieur même de la culture qu'elle se situe, car c'est d'elle qu'ellè emprunte un langage,
des signes et des symboles, une architecture, une musique, etc. On peut certainement
affirmer en contrepartie que n'importe quelle langue peut présenter un discours sur Dieu,
porter le sacré ou produire un langage et une expression liturgique. La question qui
demeure en finalité est celle de savoir comment cette langue, ou plutôt le peuple qui la
parle, procédera pour le faire.
La liturgie est un moyen et même un lieu privilégié pour permettre à une culture de se dire.
La liturgie ne se situe pas uniquement au niveau des textes. Les lieux, les objets, les
5 Ibid.
6 Ibid.
101
vêtements, la peinture, la musique sont tous des éléments qui font aussi partie de l'action
liturgique. Empruntant tous ces éléments à la culture, la liturgie sera un lieu favorisé pour
en permettre l'expression. À titre d'exemple, on peut évoquer l'architecture des bâtiments.
Une basilique romaine et une cathédrale gothique n'ont pas le même style d'architecture et
toutes deux sont considérées avec raison comme des lieux de culte. En effet, ces deux chefs
d'œuvres architecturaux sont le reflet du génie culturel qui a été mis en œuvre à une époque
bien précise.
Pour les gens de cette époque, il d'une construction qui les renvoyait à leur réalité
ainsi qu'à un visage de Dieu. De plus, il est même possible de faire une extrapolation qui
serait quelque peu extrême en affirmant que ce qui peut être beauté et qui a une raison
d'être pour une époque peut prendre, dix siècles plus tard, une connotation totalement
inverse dans l'esprit des gens. Cela dit, on ne peut pas nier que ces réalités conservent tout
de un sens et une valeur en tant qu'appartenance à l'histoire et à la culture d' un
peuple. De ce point de vue, il est juste d'affirmer que c'est de génération en génération que
la liturgie se transmet: « La liturgie véhicule en fait toute une culture, ne fût-ce que des
textes admirables, depuis l'Exultet de Pâques et son Felix culpa, jusqu'à des hymnes
modernes dont on commence à peine à percevoir toute -la profondeur 8 . »
De plus, la liturgie est également créatrice de culture dans le sens où elle donne à une
culture la possibilité de s'exprimer selon sa couleur et ce qui la caractérise. Puisque la
liturgie est un système de représentation symbolique, elle ne peut représenter les choses
autrement que par la culture dans laquelle elle s'insère. Sinon, son message demeure vide
de sens, dénué de toute signification et la fait alors devenir étrangère à la réalité du peuple.
Cela explique pourquoi, par exemple, il sera jugé normal de retrouver, chez les
Amérindiens, une chasuble confectionnée en peau d'orignal. Chez un autre peuple encore,
ce seront les objets liturgiques qui prendront une forme ou une couleur différente -
ciboires, calices, ostensoirs, etc. Cependant, on peut affirmer avec assurance que la création
de ces objets ou de ces éléments constitutifs de la littrrgie ont leur origine. Ces créations
7 Ibid, p. 254.
8 P. De Clerck, L'intelligence de la liturgie, p. 14.
102
sont nées en raison même de la liturgie, qui est devenue leur source d' inspiration. Encore à
titre d'exemple, on peut mentionner ces nombreuses toiles, inspirées de la liturgie, qui
représentent divers passages bibliques - la Cène, le baptême de Jésus, etc. - et qui sont
l'expression visible d'un peuple, d'une culture.
De plus, si la liturgie est le lieu d'origine de ces œuvres et que celles-ci apportent leur part à
la réalisation des actions liturgiques, il n'en demeure pas moins que ces œuvres provoquent
la réalisation de l'un des objectifs principaux de la liturgie: l'unité d'un peuple qui se
rassemble 9 . En effet, lorsqu'un peuple se retrouve - tant dans l'environnement qu 'en tant
qu'être - dans ce qu'il célèbre par la liturgie, par conséquent, le résultat amené est
l'unification de celui -ci. Cependant, cette unification s'inscrit dans une tradition vivante et
c'est dans ce milieu qu'elle pourra s'accomplir.
Il faut avoir conscience que la tension entre l'expression culturelle et le dépôt de la foi
transmis par la tradition est toujours présente et qu'elle doit être prise en considération. Si
on tient compte de cela, on s'aperçoit rapidement que tout ce qui est culturel n'est pas
nécessairement béni. La glorification de Dieu ne signifie pas l'autoglorification de l'homme
! Si la liturgie est un lieu pour exprimer la louange et la prière d'un peuple, ce n'est pas
envers lui-même qu'il le fait, mais bien envers Dieu qui en est le centre de gravité.
En fait, recevoir l'héritage de la tradition dépasse l'idée d'être encadré dans une série de
règles. Cela signifie que le croyant reçoit sa vie, sa prière, son agir, sa foi, etc., qui lui sont
préservés dans une fidélité qui s'est faite à travers la succession apostolique. C'est ce qui
sera étudié de plus près dans le prochain chapitre.
Dans son approche de la liturgie, Guy -Marie Oury souligne que, dans l'acte liturgique, on
ne peut pas faire abstraction du passé. En effet, nier cet héritage serait une façon de causer
sa propre« mort», de se renier individuellement ou sociétairement 1o . Il faut respecter
l'arbre sur lequel la est greffée. Assurément, la liturgie de l'Église ne peut pas se
9 Ibid. , p. 129.
103
faire sans référer à son histoire, sinon elle se serait depuis longtemps habituée d' aller
d' invention en invention, suivant les goûts de chaque personne et de chaque époque. Dans
une telle circonstance, cela reviendrait à changer radicalement la façon de la célébrer et de
la vivre quand elle semble ne plus être à la mode. Or, ce n ' est pas le cas. La liturgie porte
en elle-même des racines profondes et tout changement qu' on y apporte est comme une
nouvelle pousse qui s' ajoute à un tronc déjà bien enraciné.
qu' on peut trouver lourd ou encombrant comme il a été associé dans l' esprit de beaucoup à
travers les conventions des siècles précédents Il. Dans ce même ordre d' idée, on peut
comparer la tradition à un boulet attaché à la cheville et que l' on doit traîner derrière soi.
Or, la tradition, en terme théologique, fait référence à un processus actif et dynamique
comportant trois phases: la réception, l'assimilation et la transmission 12.
Pour aborder le concept de « tradition», il est tout cl' abord important de prendre conscience
que les êtres humains de notre époque ne sont pas les premiers habitants de la terre. Le
nombre de ceux qui les ont précédés est .incalculable et ceux-ci ont apporté .Jeur époque une
richesse inestimable que nous livre la tradition. Cet héritage qui nous a été légué est, c'est
le moins qu'on puisse dire, un réel trésor qui est confié à l'Église et à l'humanité. Pour cette
raison, la liturgie aura l' effet d'approfondir cette culture en gardant vivant ce trésor à
chacune de ses célébrations. Une première étape sera donc à franchir, celle de la réception
de la tradition. Ainsi, une première étape qu'il est important d'approcher est celle de la
réception de la tradition. Tout ce qui fait partie de l'expérience humaine qui a précédé les
hommes de ce temps est porteur d'un enseignement important par rapport au génie culturel
de l'humanité.
La tradition dans l'Église ne sera donc pas seulement quelques vérités non
écrites et transmises de bouche en bouche; mais surtout sa vie pratique, sa façon
d'agir, ses cadres, sa discipline, ses sacrements, sa prière, sa foi vécue à travers
les siècles: cette foi exercita selon le terme de l' École, c'est-à-dire impliquée
dans la vie. Dès lors, à côté de l'Écriture sainte, la tradition, c' est ce consensus
universel de l'Église, cette façon générale de l' Église entière, depuis les âges
apostoliques et sous la direction des pasteurs, de professer sa foi, de vivre, de
, . d . 13
S organIser, e prIer .
Dans un second temps, l' approche de la liturgie nécessite également une assimilation du
contenu de la tradition. En d'autres mots, cela signifie qu'elle se doit d'ouvrir le coffre de
ce trésor pour observer ce qu'il contient et essayer d'en dégager toute la profondeur.
De cette façon, en étant porteuse de l 'héritage culturel et religieux des siècles qui l'ont
précédée, la liturgie introduit peu à peu tous ceux qui participent au culte à une plus grande
compréhension du mystère de la foi. De nos jours, la liturgie annonce ce qui était autrefois
parole écrite. En ce sens, elle apporte de la nouveauté sur la base de l'ancien et fait ainsi
acte de tradition.
À travers les phrases et les mots qui la constituent, la liturgie propose tout ce qui est
nécessaire pour rendre compte du mystère qui l 'habite et l'anime de l'intérieur. Cela ne
signifie pas que le fidèle se doit de tout comprendre dans l'immédiat pour entrer pleinement
dans la célébration liturgique. Au contraire, la liturgie permet au croyant de cheminer à son
rythme personnel. Dans la répétition de l' office liturgique, elle réitérera les paroles, les
actions et les gestes symboliques aussi souvent que nécessaire. Au moment où ils auront
enfin été saisies par le croyant, il en résultera, pour ce dernier, une profonde action de grâce
envers le Dieu qui est célébré. Alors, ce sera une joie pour lui de les entendre à nouveau. En
bref, la liturgie met des mots pour que le chrétien puisse comprendre et saisir le mystère de
la foi, mais elle lui laisse aussi le temps qu' il faut pour l'accueillir plus profondément dans
sa VIe.
13 Lambert Beauduin, « La liturgie: défmition - hiérarchie - tradition» dans Questions liturgiques 80, 1999, p.
214. .
105
De plus, il est important aussi de souligner que l'enjeu qui est présenté dans cet acte
liturgique n' est pas seulement d'ordre intellectuel. La liturgie doit être vécue, c'est-à-dire
qu'elle ne doit pas se réduire uniquement à un message. La participation du fidèle au rite
liturgique implique toute sa vie humaine, ce qui lui permet de saisir de l'intérieur ce qu' est
la liturgie à partir de l' expérience qu'il peut en faire.
En fait, si la liturgie provoque un apprentissage culturel, c'est parce qu'elle initie les
participants à la connaissance de cet apprentissage. Lorsqu'elle les met en présence d' un
texte ou d'une musique par exemple, cela se fait de façon à ce qu' ils puissent se
l'approprier et en soient imprégnés, de sorte qu'ils puissent comprendre ce qu'ils y vivent.
Quand on attribue à la liturgie la place qui lui est réservée, par le fait même, on éveille un
peuple à ce qu'il est dans sa nature profonde en lui donnant de communier à un mystère de
foi qui l'embellit et le renouvelle continuellement. Cette réalité rappelle une fois de· plus
l'importance, pour l'Église, de faire l'expérience de la liturgie.
Comme cela a été présenté précédemment, à travers la liturgie, la tradition passe par un
mode de réception et d'assimilation. Ce n'est que lorsqu'elle a traversé ces deux étapes que
la transmission de la tradition pourra se faire aux générations sl:livantes. Ayant été passé au
crible des interrogations et de la réalité culturelle actuelles, ce trésor sera à nouveau
proposé, mais d'une manière nouvelle. Ainsi, alors que l'on pourrait s'attendre à ne
recevoir que du vieux, de « l'usagé», on s'aperçoit que la tradition crée du neuf.
Cette nouveauté est d'ailleurs un trait qui caractérise l'Église depuis ses tout débuts.
L'Évangile se transmet de siècle en siècle en tenant compte du lieu et du temps qui sont
propres à chaque individu. Ainsi, sachant tirer du neuf de l'ancien, la tradition a su assurer
la transmission de la Bonne Nouvelle à travers les siècles pour parvenir à rej oindre les
hommes d'aujourd'hui. En ce sens, ici encore, il est juste d'affirmer que la liturgie fait acte
de tradition pour la raison qu'elle accomplit continuellement ces différentes étapes liées au
développement de la tradition.
- -- -- -- -- -- -.- - - -- -- -- - - -- -- - - - - - - - _ . -----
- -
106
Dans son étude sur la liturgie, Oury rappelle que « l'essentiel d'une liturgie, ce n' est pas
d'être d'un siècle ou d'une nation, c'est d'être chrétienne, c'est-à-dire d'être l' expression de
la foi de l'Église qui est de tous les temps 14 ». De son côté, Cesare Giraudo présente
quelques jalons pour le Synode d'Afrique et de Madagascar, ce qui lui permet d' aborder
directement cette dimension :
De cette façon, l'auteur énonce que, puisqu'on fait référence à la foi chrétienne et à une
liturgie chrétienne, c'est d'abord sous cet angle que le rite liturgique doit être considéré:
« C'est de fait le dépôt de la foi chrétienne qui ouvre et dirige le processus d'incarnation,
par lequel la liturgie prend corps et se façonne selon les richesses des peuples 16. »
Cela signifie aussi que le processus de tradition comporte deux réalités. D 'une part, il
suppose la connaissance vive des sources de la foi, plus précisément celle des sources
liturgiques et des trésors accumulés par l'Église en prière. Par ailleurs, ce processus
entraîne aussi une sensibilité à la culture de l'époque contemporaine. En effet, pour que la
tradition puisse effectivement toucher nos contemporains, cette sensibilité est nécessaire 17.
17 L'ensemble du paragraphe fait référence à P. De Clerck, « Influences de la Constitution "De Sacra Liturgia"
sur la pastorale contemporaine », p. 16.
107
Au niveau du processus de tradition qui doit s'effectuer, le Nouveau Testament peut être
considéré en soi comme un modèle d' inculturation dans sa démarche. Déjà dans son titre, le
Nouveau Testament laisse entendre qu' il y a un autre Testament qui lui est antérieur. Pour
le christianisme, il s'agit de l'Ancien Testament. Normalement, dans la plupart des cas, ce
qui est nouveau survient pour remplacer l' ancien. Or, dans le contexte biblique, on
remarque qu'à aucun endroit, il est dit que le Nouveau Testament est venu remplacer
l'Ancien. Au contraire, il est venu l'accomplir. Il s'explique et s' articule à partir des
fondements même de celui-ci. Pour cette raison, il n'est pas possible d' affirmer que
l'Ancien Testament n'a plus son actualité. D'ailleurs, le Seigneur affirme lui-même que le
Nouveau s'enracine et se bâtit sur l'Ancien 18.
Si tel n'avait pas été le cas, l'Ancien Testament aurait été simplement et rapidement abrogé
et n'aurait pas été conservé comme faisant partie du canon des Écritures. Pour l'Église, il
fait partie de l'héritage chrétien qu'elle conserve et proclame encore aujourd'hui dans la
liturgie. «L'un et l'autre Testament ne font qu'un seul l'un constitue
l'annonce et l'autre l'accomplissement 19. »
Cette division entre l'Ancien et le Nouveau peut aussi se retrouver, par analogie, dans le
domaine de l' inculturation. En effet, un peuple porte lui aussi dans son histoire un « ancien
testament». On vient à l'appeler « ancien» à cause du « nouveau» qui surgit par l'annonce
et principalement par l'accueil de la Bonne Nouvelle qui sont faits à ce peuple 20 . Il est
cependant primordial de se rappeler que, cette fois encore, c'est sur la base de l'ancien, reçu
dans la tradition, que le nouveau se construira. Pour cette raison, la tradition ne peut pas
être ignorée dans le processus d' inculturation de la liturgie, car c'est à partir d'elle que la
18 L'ensemble du paragraphe fait référence à C. Girauda, « Prière eucharistique et inculturation ... », p. 184-
185.
19 Ibid. , p. 185.
20 Ibid. , p. 185-186.
108
véritable inculturation se réalisera. À son tour, le chrétien est appelé à savoir tirer du neuf
d'un trésor reçu qui est l 'héritage de sa foi.
Ces différents aspects de la liturgie permettent donc de constater que la tradition ne peut
pas être considérée comme quelque chose qui alourdit. Au contraire, son rôle est très
important, car elle vient la vie de l' Église et de ses membres. Cela n ' empêche
pas pour autant certaines personnes, comme F. Kabasele, d' affirmer le contraire.
Nous n ' avons pas à être fidèles à une tradition quelque chrétienne qu'elle soit,
car les chemins par lesquels Dieu nous fait passer aujourd' hui sont tout autres,
culturellement et temporellement, au point qu'une tradition ne peut nous fournir
des solutions toutes faites; nous n'avons pas à être attentifs à des traditions
antérieures à notre cheminement, afin d ' être plus prudents, et de ne pas
commettre les mêmes gaffes, éventuellement. C'est un besoin d'information et
21
non de fidélité •
Pourtant, si une personne veut respecter le moindrement la liturgie, elle se doit de ne pas
faire abstraction de la tradition, car « en toute vérité, dans l'ordre d ' importance comme
source de tradition, la liturgie occupe la première place. Elle est par excellence la tradition
orale, fondement vivant de la doctrine de l'Église 22 ». Et puisque la liturgie est l'exercice
authentique du sacerdoce du Christ par son Église (cf. SC 7), réfuter la tradition est aussi,
en quelque sorte, réfuter l'action du Christ dans l'Église depuis hier jusqu'à aujourd'hui.
La liturgie a donc un rapport étroit avec la culture et cette corrélation ne doit pas être
écartée ou perdue de vue dans le processus d'inculturation. En effet, le rapport existant du
binôme liturgie - culture ne peut être ignoré et devrait être analysé plus profondément afin
d'en arriver à une meilleure compréhension des documents ecclésiaux relatifs à
l'inculturation de la liturgie. C'est ce qui fera l'objet de la deuxième partie de ce chapitre.
21 François Kabasele, « Du canon romain au rite zaïrois» dans Bulletin de théologie africaine 4, nO 8, (1 982),
fiL22B3.
. eaud· L 1· . d'fi·· h·' h· d· .
Uill,« a Iturgle: e InItlon - lerarc le - tra It1on», p. 215.
109
Les Pères du Concile Vatican II avaient conscience de cette diversité qui existait entre les
cultures. C'est pourquoi Vatican II a rappelé, dans la mise en œuvre de la restauration
liturgique, qu'il ne s' agissait en aucun cas d'imposer une quelconque obligation. Dans ses
textes conciliaires, il a rappelé l' importance, pour l' Église, de promouvoir la culture dans
laquelle le christianisme s'insère et se doit donc de la respecter.
L'Église, dans les domaines qui ne touchent pas la foi ou le bien de toute la
communauté, ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d'un
libellé unique: bien au contraire, elle cultive les qualités et les dons des divers
peuples et elle les développe; tout ce qui, cians leurs mœurs, n'est pas
indissolublement solidaire de superstitions et d'erreurs, elle l'apprécie avec
bienveillance et, si elle peut, elle en assure la parfaite conservation; qui plus est,
elle l'admet parfois dans la liturgie elle-même, pourvu que cela s'harmonise
avec les principes d'un véritable et authentique esprit liturgique (SC 37).
De plus, l'Instruction sur la liturgie romaine et l'inculturation mentionne que les diversités
existantes dans la liturgie de rite romain, ne sont pas un obstacle à son unité. Au contraire,
ce sont même ces différences qui me't tent en valeur cette unité (cf. Instruction 1). La liturgie
doit donc être capable de s'exprimer dans toute culture, notamment avec les mots et les
gestes mêmes de celle-ci, sans perdre pour autant son identité ou sa nature. C'est aussi un
des présupposés de l'inculturation elle-même.
C'est parce qu'elle évolue dans une culture différente que l'Église admettra des adaptations
au sein de la liturgie afin qu'elle soit plus en mesure de répondre aux besoins de la culture
dans laquelle elle prend racine. Dans le processus d'inculturation, « la liturgie, comme
l'Évangile, doit respecter les cultures, mais en même temps, elle les invite à se purifier et à
se sanctifier» (Instruction 19). En d'autres mots, si la liturgie doit se laisser interpeller par
la culture afin de lui être accessible, la culture elle-même doit aussi se laisser remettre en
question par l'Évangile qui l'invite à une croissance, à une purification, voire même à un
changement.
Ainsi, l'Église a le devoir de rappeler sans cesse à ses membres qu'elle doit servir et
assumer « toutes les facultés , les ressources et les formes de vie des peuples en ce qu'elles
110
ont de bon» (Instruction 18). En effet, l'Instruction poursuit en disant que « son activité n'a
qu'un but : tout ce qu'il y a de germes de bien dans te cœur et la pensée des hommes ou
dans leurs rites propres et leur culture, non seulement ne pas le laisser perdre, mais le
guérir, l'élever, l'achever pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de
l'homme» (Instruction 18).
Ainsi, particulièrement depuis Vatican II, l'Église perçoit le rapport entre la liturgie et la
culture comme étant primordial. Quelques documents ont d'ailleurs été émis en ce qui a
trait à la corrélation entre la liturgie et la culture et, notamment en ce qui concerne le sujet
de ce mémoire, l'inculturation de la liturgie. Il est donc important d'étudier comment les
différents documents ecclésiaux présentent l' inculturation de la liturgie afin de saisir la
façon dont l'Église entrevoit ce processus. À partir de cette dernière étape, il sera aussi
possible d'émettre une critique plus éclairée de l' inculturation de la liturgie, ce qui sera fait
dans le prochain chapitre de ce mémoire.
L'unité substantielle du rite romain, pour sa part, est tout simplement celle qui est exprimée
dans les livres liturgiques typiques, publiés sous l'autorité du pape, et dans les livres
liturgiques confirmés par le Siège apostolique (cf. Instruction 36).
Le Concile Vatican II avait entre autres pour but de restaurer la liturgie. Une première
adaptation était nécessaire pour que cela s'accomplisse: un réalignement des livres
liturgiques. Vatican II a été amené à en réaliser la profonde nécessité dès lors que la liturgie
de l'Église s'est retrouvée « en face d'une situation de décalage grave entre les besoins
contemporains et ce que présentaient, face à ceux-ci, les rituels dont il [Vatican II]
disposait 23 ».
23 Adrien Nocent, « Les livres liturgiques typiques présentent-ils une méthode d'adaptation et en offrent-ils
des modèles? » dans Ildebrando Scicolone (dir.), L'adattamento Culturale Della liturgia. Metodi e modelli.
112
24
Dans le même article , Adrien Nocent démontre à quel point les rituels de l'initiation
chrétienne des adultes, du baptême des enfants et du mariage ne correspondaient plus aux
besoins de l'époque. De même, il présente les différents éléments qui ont défavorisé le
rituel de l'initiation chrétienne des adultes:
Par ailleurs, ce manque de communion entre la culture et le culte était également présent
dans les sacrements du baptême des enfants ou encore du mariage. Dans le rite du baptême
des enfants, on appliquait la même procédure que celle qui était proposée pour le baptême
d'un adulte sans apporter aucun changement qui rende l'office plus approprié à un enfant.
Par rapport au sacrement du mariage, le problème touchait spécialement à la forme
juridique qui prenait parfois plus d'importance que l'aspect religieux. Par conséquent, le
rite sacramentel du mariage religieux devenait pratiquement .semblable à la célébration
civile du mariage.
De plus, « les rituels de l'initiation chrétienne et du mariage n'étaient pas introduits par un
corps doctrinal 26 ». C'est pourquoi le Concile s'est efforcé de relier les sacrements à leurs
sources scripturaires et de présenter la théologie du sacrement d'une façon qui soit la plus
27
appropriée possible pour en arriver à une meilleure pastorale des rites liturgiques . De la
Atti dei IV congresso internazionale di liturgia, Analecta Liturgica 19, nO 113 (Studia Anselmiana), Rome,
Pontifico Instituto Liturgico, 1993, p. 139.
24 Ibid., p. 135-150.
25 Ibid., p. 139.
26 Ibid., p. 140.
27 Ibid.
113
sorte, on a aj outé une nouvelle forme à la célébration des sacrements en y introduisant une
liturgie de la Parole, ce qui ne faisait pas partie du rite auparavant.
Ainsi, des critères d ' ordre pastoral et doctrinal se présentaient et pointaient, par la 'même
occasion, vers la nécessité d ' une adaptation des livres liturgiques aux réalités de l'Église
contemporaine. Cependant, pour que la réalisation de cette dernière puisse se faire tout en
répondant aux différents besoins des peuples, il était essentiel qu' il y ait une démarche
supplémentaire dans l'effort d'adaptation des livres. En effet, il fallait les textes dont ils
étaient composés soient intelligibles pour les croyants.
Cette intelligibilité peut se comprendre de diverses manières. Certes, la plus obvie consiste
en la traduction des textes dans la langue du peuple. Cependant, la traduction ne peut être
considérée totalement suffisante, car elle n'est pas toujours en mesure de fournir, pour un
mot ou pour une phrase, un équivalent qui soit exact dans les autres cultures que la culture
latine 28 . L'Église doit alors prendre les dispositions nécessaires pour assimiler à la fois le
contenu du texte et la traduction que celui-ci demande dans le but d' en composer une autre
version dans la langue vernaculaire :
Un dernier critère peut être ajouté à la liste de ceux qui viennent d'être décrits. Il s'agit de
l'intelligibilité des rites. La Constitution sur la liturgie souligne elle-même cette importance
de comprendre les rites, spécialement les signes que constituent les sacrements.
Les sacrements ont pour fin de sanctifier les hommes, d'édifier le Corps du
Christ, enfin de rendre le culte à Dieu; mais, à titre de signes, ils ont aussi un
rôle d'enseignement. Non seulement ils supposent la foi, mais encore, par les
paroles et par les choses, ils la nourrissent, ils la fortifient, ils l'expriment; c'est
, pourquoi ils sont dits sacrements de la foi. Certes, ils confèrent la grâce, mais,
en outre, leur célébration dispose au mieux les fidèles à recevoir fructueusement
cette grâce, à rendre à Dieu le culte voulu, et à exercer la charité.
28 Ibid., p. 141.
29 Ibid., p. 142.
114
Il est donc de la plus grande importance que les fidèles comprennent facilement
les signes des sacrements et fréquentent de la façon la plus assidue les
sacrements qui nourrissent la vie chrétienne (SC 59).
En effet, avec le temps, certains éléments s'étaient greffés aux sacrements et sacramentaux
et ne permettaient plus aux croyants de saisir la nature et la fin de ceux-ci. Pour cette
raison, il en est ressorti la nécessité d' une adaptation des rites (cf. SC 62). On comprend
alors les propositions que le Concile a avancées dans le but de réviser les sacrements et les
sacramentaux (SC 61-80).
De plus, en édictant des Normes pour adapter la liturgie au tempérament et aux conditions
des différents peuples, (SC 37 - 40) la Constitution Sacrosantum Concilium indiquait
également que cette adaptation des textes devait prendre en compte les spécificités de
chaque culture. Pour cette raison, des mesures de réajustement des livres liturgiques ont été
prévues en vue d'une inculturation du rite romain. Dans certains cas, notamment dans les
pays de mission, il était urgent que des adaptations plus profondes soient effectuées
(cf. Instruction 52).
Par conséquent, on peut retenir deux types d'adaptation considérés comme valides.
Premièrement, on y compte les adaptations qui sont prévues par les livres liturgiques.
D'autre part, on y comprend également celles qui sortent du. cadre prévu par les livres
liturgiques pour être plus profondes et propres à la culture à laquelle elles s' adressent (cf.
Instruction 63) . .
À partir des livres liturgiques, la première mesure qui a été prise pour inculturer la liturgie
est sans contredit la traduction des textes liturgiques dans la langue vernaculaire. Il en a été
question à maintes reprises dans ce travail. Toutefois, il est primordial de se rappeler que,
dans son exercice, le traducteur doit garder à l'esprit certains éléments qu'il se doit de
respecter dans sa traduction d'un texte: « Avec l'attention due aux divers genres littéraires,
le contenu des textes de l'édition typique latine, la traduction doit être accessible aux
participants, convenir à la proclamation et au chant aussi. bien qu'aux réponses et aux
acclamations de l'assemblée (Instruction 53) ».
115
De plus, l' Instruction énonce aUSSI que, même si chaque peuple possède un langage
religieux apte à exprimer la prière, il faut se rappeler que le langage liturgique a ses
caractéristiques propres. Il est un langage profondément imprégné de la Bible. On doit
également y tenir compte que certains mots issus du latin courant n'ont plus la même
signification dans l'expression de la foi chrétienne d'un autre siècle. De même, certains
mots utilisés dans le langage chrétien peuvent aussi se transmettre d 'une langue à une autre,
d'une culture à une autre. On peut ressortir à titre d'exemple certaines langues qui
n'utilisent pas de concept abstrait, telles que les langues africaines. Dans celles-ci, le
passage à la langue vernaculaire, tout en étant un défi, est une réelle nécessité.
Par ailleurs, les livres liturgiques prévoient également une série d'adaptations qui peuvent
se faire par rapport aux sacrements. Pour la célébration eucharistique par exemple, les
livres liturgiques donnent, conformément à la Constitution sur la liturgie, les facultés
nécessaires aux conférences épiscopales qui «pourront décider pour leur territoire des
normes qui tiennent compte des traditions et de la mentalité des peuples, des régions et des
différentes assemblées » (Instruction 54). Cela vaut notamment pour les gestes et les
attitudes des personnes, pour la vénération de l'autel, pour le rite d'échange de la paix, la
matière et la forme des vases liturgiques et les vêtements liturgiques.
De plus, toujours au niveau des sacrements, les livres typiques offrent aussi des possibilités
et vont même jusqu'à proposer « parfois explicitement, la suppression d'éléments romains
qui ne seraient pas compatibles avec la sensibilité culturelle d'un peuple 30 ». Ainsi, le geste
de toucher le corps par exemple, qui peut être parfois mal perçu par une culture particulière,
pourra être modifié ou supprimé et tout simplement remplacé par un signe de croix tracé à
distance, sans que le corps de la personne ne soit touché. 31
30 Ibid., p. 145.
31 Ibid., p. 146.
116
Malgré les mesures d'adaptation prévues désormais dans les livres liturgiques, il
peut se trouver « qu'en différents lieux et en diverses circonstances, il est urgent
d'adapter plus profondément la liturgie, ce qui augmente la difficulté». Il ne
s'agit plus ici d'adaptations à l'intérieur du cadre prévu par les Institutiones
generales et les Praenotanda des livres liturgiques (Instruction 63).
Cela signifie que, dans les lieux où l'urgence de l'adaptation de la liturgie se manifeste,
toutes les possibilités offertes par les livres liturgiques ont déj à été utilisées, mais sans effet
ou encore avec insuffisance. Cela implique également qu'en vue des adaptations
envisagées, un discernement ait été fait pour en évaluer la portée, les conséquences et la
nécessité. De plus, l'Instruction soutient également que ce type d'adaptation n'a pas pour
but premier une transformation du rite romain, mais qu'elles se situent à l'intérieur de ce
dernier (cf. Instruction 63).
Si le cas d' une telle adaptation se présente, c'est à l'évêque ou aux évêques concernés
d'exposer la situation à la conférence épiscopale. En effet, pour le bien des âmes, ceux -ci
doivent soumettre à la conférence les adaptations plus profondes qu'ils souhaitent effectuer
pour en recevoir l'approbation officielle. Il en reviendra par la suite à la conférence
épiscopale d'entamer les procédures nécessaires à la réalisation de celles-ci.
Il suffit de penser au rite zaïrois de la messe approuvé par Rome en avril 1988.
L'établissement de ce rite a nécessité de nombreux efforts pour en arriver à un tel résultat.
Dans son étude, Kabasele nous donne un aperçu des particularités de cette inculturation
liturgique : «Ce rite s'était efforcé d'offrir un cadre qui laisserait de la place à toute
expression locale particulière, étant donné que le Zaïre est composé de peuples
différents 32 . » Voulant laisser place à une plus grande reconnaissance de la culture africaine
dans le rite chrétien, la création du rite zaïrois de la messe respecte à la fois les conditions
nécessaires à l' inculturation de la liturgie - la finalité inhérente à l' œuvre d' inculturation,
l'unité substantielle du rite romain et l'autorité compétente (cf. Instruction 34) - et la
culture qui vit maintenant la liturgie selon ce rite.
3.2.1. La langue
Précédemment, dans ce mémoire, il a été avancé que le langage est le principal moyen pour
un peuple de communiquer et de vivre. Dans la liturgie, le langage a pour but « d'annoncer
aux fidèles la bonne nouvelle du salut et d' exprimer la prière de l'Église au Seigneur 33 ».
Utiliser la langue du peuple sera donc le premier pas à effectuer. Comment dire Dieu au
peuple chinois sans parler leur langue? Et même s'il en vient à parler leur langue, comment
un homme doit-il s 'y prendre ? Quels sont les mots qui sont les plus appropriés pour
traduire les éléments du langage sans les altérer? En quelque sorte, la langue est l' âme d'un
peuple parce que tout se situe au niveau\du langage. Même si ce sujet a déjà été abordé, il
est important de rappeler que le liturgiste doit demeurer attentif à ce qui peut être emprunté
d'un langage pour être introduit dans la liturgie.
À leur manière, la musique et le chant expriment eux aussi, en quelque sorte, l' âme d'un
peuple. Cela se voit entre autres dans les pays de mission où la tradition musicale se fait
présente autant dans la vie religieuse que sociale. La musique et le chant permettent aussi
34
aux fidèles d'affirmer leur participation au sein même des actions liturgiques . Par
conséquent, les instruments de musique, s'ils sont aptes à un usage sacré et s'ils conduisent
à l'édification véritable d'un peuple 35 , pourront être admis.
33 Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements, La liturgie romaine et l'inculturation : IVè
Instruction de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements pour une juste application
de la Constitution conciliaire sur la liturgie (n° 37-40), 25 janvier 1994, [http//www.sacrosanctum-
concilium.org/textesIDC/ 1994/435.html.] nO 39, (consulté le 20 août 2007).
34 Ibid, nO 40 .
35 Ibid.
118
« La liturgie étant une action, les gestes et les attitudes ont une particulière importance
(Instruction 41). » Que ce soit la danse, les balancements qui accompagnent un rythme ou
encore des battements de mains, tous ces comportements «sont liés à la sensibilité
profonde et à la manière de vivre ensemble dans un groupe donné 36 ». Par exemple, la
génuflexion dans une église est, chez les catholiques, la confession d'une présence réelle
dans le Saint-Sacrement, ce qui les distingue entre autres de plusieurs confessions
protestantes. Le signe de croix chez les orthodoxes sera aussi une marque particulière. La
prosternation chez les musulmans est aussi une distinction qui les caractérise. Évidemment,
il serait possible d'ajouter plusieurs exemples à cette liste, selon les pays et les rites.
En même temps, les attitudes et les gestes permettent aussi la participation active du peuple
ou de l'assemblée. Chaque culture possède ses manières propres de se situer devant Dieu.
La liturgie, à travers les comportements corporels d'un peuple, lui permet de s'exprimer tel
qu'il est devant Dieu. S'ils expriment une réelle prière communautaire de louange et
d'adoration, de supplication ou d'offrande, on ne peut pas interdire l' inclusion de ces
comportements au sein de la liturgie.
Pour sa part, l'art est lui aussi appelé à jouer un rôle dans le processus d'inculturation de la
liturgie. Elles sont rares les pratiques rituelles qui ne recourent pas au monde des arts. Que
ce soit par l' art floral , les peintures, les poèmes, les sculptures ou les autres formes d'art, la
liturgie utilise le domaine artistique pour conduire les fidèles à une plus grande profondeur.
L'inculturation de la liturgie doit donc passer par la mise en valeur de l'art en général en
36Joseph Gelineau, Libres propos sur les assemblées liturgiques, Paris, Édit. de l'Atelier / Édit. Ouvrières,
1999, p. 62.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - -
119
« donnant préférence aux matières, aux formes et aux couleurs familières dans le pays37 ».
C'est ce qui est fortement encouragé dans les documents constitutifs du Concile Vatican II :
L'Église n'a jamais considéré aucun style artistique comme lui appartenant en
propre, mais selon le caractère et les conditions des peuples, et selon les
nécessités des divers rites, elle a admis les genres de chaque époque, produisant
au cours des siècles un trésor artistique qu'il faut conserver avec tout le soin
possible. Que l'art de notre époque et celui de tous les peuples, et de toutes les
régions ait lui aussi, dans l'Église, liberté de s'exercer, pourvu qu'il serve les
édifices et les rites sacrés avec le respect et l'honneur qui leur sont dus (SC
123).
Comme cela vient d'être démontré par notre étude, la liturgie présente un large éventail
d'adaptations possibles selon les cultures et les époques. Cependant, il est important que-la
vigilance et la prudence demeurent au centre de tout changement liturgique. La question
des rites chinois en est un bon exemple. La Querelle des rites peut être considérée comme
un enseignement qui laisse entrevoir que l' inculturation de la liturgie n'est pas aussi simple
qu'on pourrait le penser au premier abord.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, alors que les jésuites sont missionnaires en Chine, une
querelle éclate, notamment avec les franciscains et les dominicains qui ne sont pas du
même avis que les jésuites sur certaines pratiques chrétiennes chinoises. En effet, on
dénombre plusieurs points de litige qui divisent les missionnaires: la désignation de Dieu
dans les langues locales, l'adaptation des rites chrétiens comme le baptême, l'acceptation
ou le refus des rites traditionnels tels que la vénération des ancêtres, etc. Alors que les
37 Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements, La liturgie romaine et !'inculturation. .. ,
nO 43.
120
Jésuites sont plutôt favorables à ces adaptations, les Franciscains et les Dominicains y
voient plutôt une forme d ' idolâtrie 38 .
Bien évidemment, dans tous les efforts d' enracinement du christianisme qui se sont faits en
Asie, la figure de Matteo Ricci (dont il a déj à été question dans le premier chapitre de ce
mémoire) ressort de façon éloquente. Éminent sinologue, Matteo Ricci était convaincu que
l'évangélisation qu' il entreprenait ne serait fertile que dans la mesure où la connaissance et
le respect de la culture prévaudraient. Se présentant d'abord comme bonze bouddhiste, il
découvrit par la suite que l'élite chinoise était plutôt imprégnée du confucianisme. Dès lors,
il s'efforça de se nouer d'amitié avec cette élite en se présentant comme un lettré venu
d'Occident.
De plus, Matteo Ricci ne voyait aucun inconvénient à ce que les convertis au christianisme
rendent honneur, selon la coutume locale, aux ancêtres. Il voyait plutôt dans ces rites
« l'expression d'une sagesse plutôt qu'un culte païen superstitieux 40 ».
Malgré cela, la Querelle prit une autre tournure lorsque Monseigneur Maigrot, mandaté
comme vicaire apostolique en Chine, interdit en 1693 certains usages du vocabulaire que
les Jésuites utilisaient. Il prohibe également « la vénération des ancêtres et de Confucius par
38 L'ensemble du paragraphe fait référence à Jean-Urbain Comby, «Condamnation des rites chinois »,
Encyclopaedia Universalis , [http://www.universalis-edu.com/imprim_CL. php?nref=Z020736] (consulté le 29
juillet 2008).
39 Claude Prudhomme, « 1742-1744: la condamnation des rites chinois. Le christianisme peut-il s'exprimer
dans des cultures non occidentales? » dans Histoire des chrétiens, Paris: Centurion et Montréal: Éditions
Paulines (coll. Parcours), 1992, p. 125.
40 Ibid.
- - - - -- - -- - -- -- - -
121
les chrétiens 41 ». Quelques années plus tard, en 1704, le pape Clément XI condamnera les
rites chinois que les Jésuites avaient établis. Presque trois siècles plus tard, en 1938, le pape
Pie XII admit l'erreur commise en reconnaissant que les rites funéraires chinois n ' avaient
pas de caractère religieux 42 .
Quoi qu' il en soit, si l' expérience de Matteo Ricci peut servir de source d' inspiration pour
la façon adéquate de procéder dans le processus d' inculturation aujourd'hui, l'Église a
certainement su tirer des leçons de cette expérience de son passé. S' il Y a actuellement une
série de procédures à suivre avant d' apporter.un changement liturgique, ce n ' est pas pour
rien. Cela ne veut pas dire que la Querelle des rites est à l'origine de 'cette convention.
Cependant, puisque l'Église s' enrichit sans cesse des expériences qui constituent son
histoire, on peut affirmer sans douter que la Querelle des rites a eu son influence dans cette
prise de conscience ecclésiale.
En conséquence, ces procédures à suivre sont une occasion idéale pour éviter, en Église,
toute confusion ou erreur dans les avancées liturgiques qui s'effectuent. Bien que certains
gardent une réticence devant les difficultés que ces procédures peuvent occasionner, cela
n'empêche pas qu'on peut y percevoir une grande part de sagesse. La Querelle des rites
chinois l'illustre bien et rappelle qu'il est important que l'Église use toujours de prudence
devant les nouvelles formes de rites amenées en liturgie. Cependant, la Querelle des rites
chinois rappelle aussi à l'Église qu'elle a intérêt à examiner les nouveautés avec plus de
sympathie et d'attention pour ne pas condamner par erreur de jugement et d'appréciation ce
qui n'est pas condamnable dans la culture.
43
3.4.1. Procédures à suivre pour les adaptations prévues par les livres liturgiques
Précédemment, ce travail a abordé les adaptations relatives aux livres liturgiques, quant au
vocabulaire et à la traduction, comme forme d' inculturation de la liturgie. Pour ces formes
d'adaptation, c'est la conférence épiscopale qui joue un rôle de premier plan. En effet,
« quand la conférence épiscopale prépare son édition propre des livres liturgiques, elle se
prononce sur la traduction et sur les adaptations prévues, selon le droit» (Instruction 62).
Une fois que cette action est effectuée, les actes de la conférence, ainsi que le résultat du
vote, doivent être adressés et signés par le président et le secrétaire de la conférence. Par la
suite, ces documents seront envoyés, en deux exemplaires complets, à la Congrégation pour
le Culte divin et la Discipline des sacrements.
De plus, les raisons pour lesquelles chaque adaptation a été faite doivent être également
transmises. Des indications mentionnant ce qui a été emprunté à d'autres livres liturgiques
déjà approuvés et ce qui consiste en une nouvelle composition seront également incluses
dans le dossier envoyé. Lorsque le projet est finalement approuvé par le Siège apostolique,
la conférence épiscopale pourra émettre un décret de promulgation, en indiquant à partir de
quelle date le texte agréé entrera en vigueur.
43 Cette partie du travail fait référence au n° 62 de l'Instruction sur la Liturgie romaine et l'incultur(1tion.
123
Dans le cas des adaptations plus profondes de la liturgie, l' insertion de nouveaux
changements devra nécessairement faire l' objet d'une étude avant qu ' ils ne soient admis
définitivement:
Par ailleurs, comme ces différentes adaptations se réfèrent souvent à une culture spécifique,
il est également important que toute situation soit examinée avec les conférences
épiscopales « des pays limitrophes ou de ceux de la même culture» (Instruction 65).
Par la suite, le proj et sera acheminé à la Congrégation romaine, dont le rôle sera de décider
si elle autorise l'initiative en question pour qu'elle soit expérimentée pour une période
précise. Bien entendu, comme dans le cas de la procédure à suivre pour une adaptation se
rapportant aux livres liturgiques, ceux à qui il revient de juger d'une adaptation plus
profonde doivent émettre une description ' des modifications apportées ainsi qu'une·
justification de ces changements: « Les critères retenus, les lieux et temps souhaités pour
faire, le cas échéant, une expérimentation préalable, et la désignation des groupes qui
auront à le faire, enfin les actes de délibération et de vote de la conférence sur le sujet»
(Instruction 66) devront aussi être inclus dans le dossier envoyé à la Congrégation. Le cas
échéant, cette dernière autorisera la conférence épiscopale à faire une expérimentation pour
une période et un lieu bien déterminés.
À la fin de la période d'essai, le projet sera de nouveau évalué par la conférence épiscopale
afin de vérifier s'il correspond au résultat recherché ou si on doit le corriger sur certains
points. Le dossier d'évaluation sera de nouveau transmis à la Congrégation qui, dans un cas
favorable , « pourra donner par décret son consentement» (Instruction 67).
124
Cependant, après cette brève synthèse sur le discours des documents conciliaires sur
l'inculturation de la liturgie, une autre question demeure primordiale pour la
compréhension de cette étude. En effet, en regardant attentivement la manière dont les
documents ecclésiaux présentent l'inculturation de la liturgie, on en arrive au constat que,
pour l'Église, l' inculturation consiste principalement en une adaptation de la liturgie du rite
romain pour le rendre plus accessible à une culture spécifique.
4. Adaptation et inculturation.
La manière dont les documents conciliaires présentent l' inculturation liturgique démontre
que tous les changements éventuels à apporter à liturgie sont pratiquement tous de l'ordre
de l'adaptation. Est-ce à dire que le Concile Vatican II a considéré ces deux termes comme
des termes similaires? Même si dans les documents ecclésiaux on constate un certain degré
de différence par rapport au binôme adaptation et inculturation, la dissemblance semble
parfois être minime entre ces deux réalités. Il est donc d'une très grande utilité de se
pencher plus longuement sur cette question. Ce qui sera l'objet de la présente partie de ce
chapitre.
Selon les principes généraux de l'inculturation du rite romain (la finalité qui doit la guider,
la conservation de l'unité du rite romain, etc.), l'Instruction sur la liturgie romaine et
l'inculturation déclare elle aussi que « la recherche d' inculturation ne vise pas le création
de nouvelles familles rituelles; en répondant aux besoins d'une culture déterminée, elle
aboutit à des adaptations, qui font toujours partie du rite romain» (Instruction 36).
Or, cette phrase de l'Instruction est lourde de conséquences! En effet, celle-ci fait ressortir
une question essentielle par rapport à la liturgie: est-ce que l'inculturation de la liturgie ne
se limite qu'à des adaptations ' culturelles ? Pourtant, en lui-même, le concept
d'inculturation dépasse l'idée d' une simple adaptation. Son action ne peut pas en demeurer
au niveau des éléments externes, mais s'étend jusqu'à la racine de la culture, de son
125
essence. En définitive, on peut en déduire que l'adaptation est une première étape de
l'inculturation de la liturgie.
Par ailleurs, Giraudo souligne un problème amené par la position de ceux pour qUI
l'inculturation se situe au niveau du chant.· Il est parfaitement louable que beaucoup de
musiciens et de compositeurs aient élaboré un répertoire qui se renouvelle sans cesse. La
question ne se situe donc pas à ce niveau. Or, il y a problème dans le sens où, en se référant
par exemple à une célébration eucharistique dominicale, on fait abstraction des chants qui
composent la liturgie et ainsi de la participation qui se fait au moyen de l' expression
mélodique. Dans ce cas qu'en est-il de la participation réelle des chrétiens à l' action
liturgique 45 ? Cet exemple est donc très révélateur des limites qu'apportent des adaptations
de ce genre, ainsi insuffisantes pour entraîner une réelle inculturation :
Si on considère l'adaptation comme un intermédiaire, cela ne signifie pas qu'elle est une
création nouvelle de la liturgie. En faisant notamment référence au sens que Shorter donne
à l' inculturati<?n liturgique, Aidan Kavanagh présente une réponse convaincante à ceux
pour qui l' inculturation de la liturgie serait une création totalement neuve. En effet, pour
lui, « la liturgie change évidemment avec le temps, mais elle ne le fait pas en produisant de
toutes nouvelles créations qui feraient système 47 ».
Les changements apportés dans un domaine ne se font pas sans référence à un passé et la
liturgie en est une preuve. De même, il est important de prendre garde à l'impression que la
Constitution empêche la création de nouveaux rites par ses règles sur la liturgie. Les
adaptations amenées au rite zaïrois, après tous les efforts et le temps qui ont été investis
avant son approbation officielle, témoignent d' un résultat tout opposé. Par ailleurs, le
chapitre suivant de ce mémoire présentera d' une façon plus détaillée le succès de
l'inculturation liturgique dans ce rite africain.
Pour d'autres auteurs, la source du problème se situe àun autre niveau. C'est entre autres le
cas d'Aidan Kavanagh. Pour lui, l'enjeu primordial n'est pas tant de savoir si
l'inculturation est de l'ordre de l'adaptation ou de la création nouvelle. Dans son analyse
sur l'inculturation de la liturgie, il explique sa compréhension du problème en question :
« L'enjeu fondamental ne semble pas être une inculturation purement liturgique, mais de
manière bien plus complexe, un ensemble valable d'inculturation du christianisme lui-
49
même . »
Quoi qu'il en soit, le prochain chapitre portera sur la question soulevée au début de cette
partie du chapitre, à savoir si les termes inculturation et adaptation sont des termes
différents ou similaires dans le langage de l'Église. Pour ce faire, l'étude d' Antonio
47 Aidan Kavanagh, « L'inculturation de la liturgie: un regard prospectif» dans La Maison-Dieu 179, 1989, p.
69.
48 Ibid., p. 70.
127
En premier lieu, afin de mieux saisir la pensée d' Ortas, il est important de développer
d'abord la thèse de son étude selon laquelle «la note caractéristique du renouveau
conciliaire se trouve dans l' acceptation du dialogue dans toute l' étendue de la pastorale 5 1 ».
La voie du dialogue avait été adoptée comme un moyen privilégié pour permettre à la
mission de l ' Église de progresser dans le monde. C ' est notamment par le biais de
l' œcuménisme que le dialogue fit son entrée au Concile. En ce qui a trait à l' unité de
l'Église, il n'est nul doute que l' œcuménisme est une application concrète du dialogue dans
ce secteur. De plus, pour ce qui concerne sa vie liturgique, l'Église a poursuivi cet élan
d'ouverture au monde en recourant aux ressources des différentes cultures. De cette façon,
elle était en mesure non seulement de prêcher le message du Christ, mais d ' en encourager
l'expression. Pour Ortas, ce dialogue appliqué à la pastorale est un réel progrès amené dans
le domaine ecclésial.
À ses débuts, l'œcuménisme faisait appel à une méthode dite celle de la c·o nversion 52 . On
voyait par là la possibilité, pour les frères séparés, «d'un retour à la maison» , un peu
comme à l'image du fils prodigue dans l'Évangile. Or, le dialogue a favorisé un
élargissement des horizons. La loi du Seigneur doit être appliquée à tous et le dialogue
n'épargne pas pour autant la conversion. La différence ici c'est que la conversion n'est pas
tant unilatérale, mais se situe au niveau des deux sujets mis en cause. C'est ainsi qu'Ortas
établit une analogie entre l'influence du dialogue sur le terrain œcuménique et dans le
domaine liturgique.
49 Ibid., p. 79.
50 L'exposé qui suit sur la pensée d'Antonio M. Javierre Ortas est un résumé de ce que l'on peut retrouver
dans« Inculturation et liturgie», p. 614-619.
51 A. M. Javierre Ortas, «Inculturation et liturgie», p. 614.
52 lb id., p. 616.
128
Par ailleurs, Javierre Ortas montre avec évidence que le processus d'inculturation dépasse
l'adaptation: « L' inculturation ne se limite pas à considérer des détails externes, elle va à la
racine même des réalités en jeu 53. » De plus, il discerne dans l' inculturation un apport
réciproque entre la culture évangélisée et la culture évangélisatrice. Ainsi, comme le
rappelle Gaudium et spes, il y a d'un côté « l'Évangile qui féconde comme de l' intérieur les
dons propres à chaque peuple et à chaque âge, et de l' autre, en utilisant les ressources des
diverses cultures, l'Église qui découvre 'et approfondit mieux le message du Christ pour
l'exprimer plus parfaitement dans la célébration liturgique» (cf. GS 58).
'De plus, Ortas soulève cette question afin de discerner s'il n'y aurait pas un danger de
confronter le dialogue à la liturgie qui comporte, surtout dans les sacrements, une partie
immuable parce qu'elle est d'institution divine. Au contraire, d'un côté, le respect que l'on
doit à l'interlocuteur et, de l'autre, le Magistère à qui revient le service du dépôt de la foi
viennent dissiper toute crainte résultant du problème soulevé. Faisant partie de la Tradition,
telle qu'elle a été définie dans la première partie de ce chapitre, c'est à la succession
apostolique que revient d'en garantir la conservation par l'action agissante de l'Esprit.
53 Ibid., p. 617.
54 Ibid. ,
129
D'une manière analogue, notre Congrégation ne se contredit pas quand elle met
l'accent sur une inculturation comme norme juste et à jour de pastorale
liturgique et quand elle continue néanmoins l'application des normes
d'adaptations expressément indiquées dans la Constitution Sacrosanctum
Concilium. Ce n'est pas là un syncrétisme ni une confusion de méthode, mais
une application respectueuse des catégories pastorales de l'Église, qui progresse
sans cesse, mais toujours dans la fidélité aux valeurs du dépôt 55 .
Ainsi, la pensée d' Ortas pour démystifier la confusion qui pourrait subsister entre
l'utili,sation que l'Église fait des termes «adaptation» et «inculturation» apporte un
éclairage et une meilleure compréhension de la situation. La pensée développée dans ce
mémoire tend à se rallier à celle qu'Ortas présente à ce sujet.
L'analogie proposée par Ortas permet de réaliser que, si l'inculturation tend aujourd'hui à
prendre le relais de la méthode d'adaptation, cette dernière demeure d'une grande nécessité.
Il ne faut pas évacuer trop rapidement une discipline de l'Église, car les conséquences qui
s'ensuivraient pourraient se révéler néfastes. Il faut que l'Église use de patience, de sagesse
et de discernement à travers les pas qu'elle fait pour parvenir à l' inculturation liturgique.
Provoquer un changement pourrait être comparable à l'acte de forcer une femme qui porte
un enfant à accoucher avant son temps dans la hâte de voir advenir le petit · être.
L'impatience, l'imprudence, le manque de discernement et toute autre forme
d'empressement entraîneraient l'arrivée d'un nouveau-né prématuré, encore incomplet dans
la formation de son être qui en porterait les conséquences toute sa vie.
55 Ibid., p. 619.
130
Comme cela a été souligné précédemment, la recherche effréqée d'un résultat rapide peut
être un obstacle à l'évolution du processus d'inculturation de la liturgie. Or, cet aspect est
représentatif de plusieurs autres défis que rencontre toute inculturation. Le syncrétisme, le
manque de formation et les changements culturels, notamment, s' aj outent aussi à ce
nombre. Afin de mieux cerner la question de l'inculturation, il est également important de
prendre conscience des enjeux qui se cachent derrière les difficultés que rencontre
l'inculturation liturgique.
5.1. Le syncrétisme
Le syncrétisme religieux .est une des principales réalités qui menacent la liturgie et à
laquelle elle doit touj ours faire attention. En effet, par rapport à l'insertion de nouvelles
adaptations, l'Instruction sur la liturgie romaine et l'inculturation vient rappeler que « cela
pourrait arriver si les lieux, les objets de culte, les vêtements liturgiques, les gestes et
attitudes laissaient supposer que, dans les célébrations chrétiennes, certains rites ont la
même signification qu'avant l'évangélisation» (Instruction 47).
De plus, l'action de remplacer des textes liturgiques par les textes d'une autre religion serait
un syncrétisme dont la portée serait encore pire, bien que ces textes portent en eux-mêmes
une valeur religieuse et morale (cf. Instruction 47).
Le syncrétisme est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles, lors d'expérimentations
liturgiques, on recourt à de nombreuses normes et conditions pour en arriver à un éventuel
résultat. En effet, si chaque individu transformait ou «adaptait» la liturgie selon son
131
plaisir, celle-ci deviendrait assurément trop semblable au folklore d'un peuple. Plusieurs
constituantes de la nature de la liturgie s'en trouveraient probablement ainsi affectées et on
pourrait même en arriver à faire en sorte que la liturgie ne soit plus en mesure de répondre à
ce qu'elle est.
Par ailleurs, le défi est d' autant plus grand dans les pays où plusieurs cultures se côtoient.
Tantôt, cette existence commune entre les cultures entraînera peu à peu la formation d' une
nouvelle culture. À un autre moment, elle aura pour effet que chacune des cultures, voulant
affirmer sa propre existence, cherchera à se différencier ou à s'opposer à d' autres (cf.
Instruction 49). Cependant, même si une situation d'inculturation présente plusieurs
cultures coexistantes, chacune d'entre elles doit être prise en considération.
Ainsi, comme il en a été fait mention dans le premier chapitre de ce mémoire, une
déviation du but de l'inculturation pourrait conduire à un syncrétisme. Il ne suffit pas
simplement de modifier les éléments qui apparaissent inadéquats à notre regard. Toute
précipitation ou simplification peut conduire au syncrétisme et doit être évitée 56.
D'un autre côté, dans cette même disposition, on doit aussi considérer le manque de
formation au niveau biblique et liturgique. D ' ailleurs, pour Jean-Paul II, l' une des tâches les
plus et pertinentes pour assurer le renouveau liturgique demeure toujours la
formation biblique et liturgique, autant des pasteurs que des fidèles 58 . Par cette affirmation,
59
il reprend l'un des principaux points amenés par la Constitution Sacrosanctum Concilium .
Pour les pasteurs, cette formation est à commencer dans les séminaires et les maisons de
formation, mais elle doit, en réalité, se poursuivre tout au long de la vie sacerdotale (cf. 10
nOs 11-17). Plus encore, les laïcs eux-mêmes devraient bénéficier de cette formation compte
tenu que, dans bien des régions, ils sont appelés à « assumer des responsabilités de plus en
plus notables dans la communauté 60 ». Par exemple, une formation liturgique pourrait aider
« à saisir le sens des textes et des rites présentés dans les livres liturgiques actuels et ainsi,
bien souvent, d'éviter des changements ou des suppressions dans ce qui provient de la
tradition romaine» (Instruction 33).
Quel est celui qui entreprendrait la rénovation de sa maison sans savoir utiliser les outils
nécessaires et sans connaître les bases du métier? De même, il est primordial que celui qui
désire œuvrer au niveau du renouveau et de l;inculturation liturgique reçoive la formation
nécessaire à l'accomplissement effectif de cette tâche.
En dernier lieu, l'inculturation fait face à un autre défi majeur. Il s'agit du contexte
socioculturel qui ne cesse d'évoluer et a pris un tournant radical au cours des dernières
décennies. En faisant un bref retour dans l 'histoire, on constate en effet que l'avènement de
la modernité a pour ainsi dire entraîné une véritable scission entre l'Église et la société et,
par 'conséquent, dans les rapports de l'Église avec les cultures 61 . La privatisation du
religieux, le rej et des institutions, la remise en question de la foi personnelle, la perte de
visibilité de l'Église dans la société, un langage ecclésial de moins en moins crédible ne
sont que les conséquences de cette société changeante qui caractérise le monde
contemporain dans sa conception de ce est religieux. Tous ces phénomènes ont des
répercussions dans le processus d'inculturation et oblige l'Église à faire un effort
supplémentaire.
Bien que ces évolutions ne soient pas linéaires, loin s'en faut, et nous réservent
donc souvent des surprises, elles n'en participent pas moins toutes de ce même
ébranlement culturel de fond qui nous invite à y reconnaître une véritable
« mutation», laquelle touche à la matrice même où se forment les
représentations symboliques. Cela veut dire que les recompositions de paysage
culturel et social ne sont pas seulement d'ordre matériel, mais bien aussi et
surtout d'ordre formel: ce sont les représentations mêmes des contenus de
culture qui ont changé. Cela affecte évidemment au premier chef les
représentations religieuses et, parmi elles, celles qui touchent à la liturgie 62 .
61 Pour connaître les changements opérés par l'avènement de la modernité dans le rapport entre l'Église et la
société, on peut se référer à l'ouvrage deD. Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d'un monde, Paris, Bayard,
2003, où elle différencie notamment les moments typiques de cette histoire en la marquant de trois temps: (1)
la laïcisation, (2) la sécularisation et (3) l'ultramodernité.
62 Louis-Marie Chauvet, « La liturgie demain: essai de prospective» dans Paul De Clerck (dir.), La liturgie,
lieu théologique, Paris, Beauchesne (coll. Sciences liturgiques et religieuses), 1999, p. 202-203 .
63 A. G. Martimort, « La Constitution "Sacrosanctum Concilium" vingt-cinq ans après» dans Mirabile laudis
canticum. Mélanges liturgiques, Rome, C.L.V. - Edizioni Liturgiche, 1991 , p. 269.
64 Ibid., p. 270.
- - - - - - - - -- - -- - - -- - - - -
134
Les signes sacrés doivent donc pouvoir être déchiffrés par la foi. Cela suppose
qu'ils soient d' abord lisibles; il ne suffit pas, en effet, que la célébration soit
valide; il faut que l' usage des éléments matériels en soit fait avec une certaine
prodigalité et, plus encore, que ces éléments soient authentiques: le saint
chrême sera-t-il perçu comme un parfum? Les gestes ont-ils l'ampleur et la
noblesse nécessaires? Les vêtements du célébrant suggèrent-ils qu' il agit non
comme l'un des fidèles, mais in persona Christi 65 ?
De plus, le monde que l' homme a fabriqué par iui-même intervient grandement comme
facteur référentiel. Or, la liturgie est au-delà d'une pensée qui se limite seulement à la
fabrication humaine. En effet, elle tient compte du temps, des saisons... et même de la
création toute entière. Il y a là un enjeu majeur que l ' homme contemporain doit retrouver
pour apprécier pleinement la liturgie. Elle nous fait entrer dans une autre dimension ou,
plutôt, dans une autre conception qui dépasse celle à laquelle l' être humain en général est
habitué.
Finalement, un dernier point témoigne des changements culturels qui se sont effectués dans
les dernières décennies et qui ont influencé la liturgie. On remarque que la modernité a
également engendré un nouveau rapport à la temporalité 66. En effet, par l'intermédiaire
d'Internet par exemple, une personne peut avoir accès au monde entier en seulement
quelques · secondes. Le monde moderne a donc amené un élargissement de l'espace en
même temps qu'un raccourcissement du temps67.
Cette réalité se vérifie notamment à travers les différents rassemblements chrétiens qui se
font de plus en plus nombreux et fréquents: les pèlerinages, les Journées Mondiales de la
Jeunesse, Taizé, etc. Ces événements sporadiques s'inscrivent également dans une autre
particularité qui marque la liturgie : le rapport de l'être humain au temps. Ce qui était
habituel dans la liturgie pour les gens d'autrefois, par exemple participer à la messe chaque
dimanche, a laissé place au ponctuel. Cela se voit aussi dans la grande majorité des
croyants qui ne se rendent aux célébrations liturgiques que quelques fois par année, souvent
à des temps de fête plus particuliers : Noël, Pâques, etc.
65 Ibid.
66 Voir L.-M. CHAUVET, « La liturgie demain ... », p. 220. et D. Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d'un
monde, p. 86-87, qui traite de ce sujet.
67 D. Hervieu-Léger, Catholicisme, lafin d'un monde, p. 85.
135
Dans ce même facteur de temporalité, on inclut aussi l'acte de choisir un lieu de célébration
en fonction d'un emploi du temps ou d'un goût personnel. On entre alors dans une
dynamique qu'il est possible de qualifier de « magasinage préférentiel ». Souvent, l' heure
de la célébration peut mieux convenir à telle personne ou encore, le lieu est considéré
comme étant plus motivant ou intéressant, parce que l' ambiance qu'on y trouve est la
meilleure. Ces différentes raisons expliquent pourquoi les croyants peuvent se rendre à tel
ou tel endroit pour participer à une célébration liturgique. Il peut y avoir un danger dans
une telle attitude, car le fidèle peut limiter sa vie de foi aux charismes de tel prêtre ou
encore à des « prestations liturgiques» accomplies à tel ou tel endroit. Dans la plupart de
ces cas, c'est souvent l'esthétique et l'affectif qui motivent les célébrations liturgiques et, si
le chrétien n'y fait pas attention, il peut facilement se laisser influencer et se diriger petit à
petit vers cette tangente 68 .
Or, devant le phénomène de la culture changeante, une question se pose: est-ce qu' une
culture changeante doit obligatoirement entraîner une liturgie changeante ? C' est une
position dont il faut se méfier, car ce serait une façon d'affirmer que la liturgie n ' appartient
qu'à un temps ou à un groupe humain particulier. Or, c'est tout le contraire: la liturgie a
traversé l'histoire sans pour autant demeurer immobilisée définitivement. Elle a pu
embrasser diverses époques et diverses cultures, toutes aussi changeantes les unes que les
autres, sans nécessairement être remise en question à chaque fois.
L'inculturation de la liturgie doit donc reposer sur des conditions durables. Le prochain
chapitre expliquera en quelques mots en quoi consistent ces conditions.
Conclusion
Liturgie et culture sont donc deux termes difficilement séparables en vertu du rapport qui
les unit l'une à l'autre. Les deux parties ont quelque chose d'unique et de particulier à
s'apporter mutuellement. La dynamique qUI les rassemble en est donc une
d'enrichissement.
68 L ' ensemble du paragraphe fait référence à L.-M. Chauvet, « La liturgie demain ... », p. 220.
136
Au terme de ce parcours, la question de notre travail est de déterminer quelles sont les
conditions durables favorisant une inculturation de la liturgie. Dans les chapitres
précédents, ce mémoire a présenté une analyse des différents rapports que l' inculturation et
la liturgie entretiennent entre eux. Dans un autre temps, elle s'est attardée à observer à quel
niveau l' Église situe l' inculturation de la liturgie et la manière dont elle la définit dans ses
discours officiels. Après ces différents points abordés, le prochain chapitre de ce mémoire
sera en mesure d'apporter une définition plus juste des conditions durables d'une
inculturation.
CHAPITRE IV
UNE ÉTUDE DE CAS
LE RITE ZAÏROIS DE LA MESSE
Introduction .
Pour ce faire, cette partie de l'étude se divisera en deux sections. Dans un premier temps,
une brève synthèse exposera les principaux éléments qui ont été élaborés dans les chapitres
précédents. De cette façon, il sera possible de ramener à la mémoire les points majeurs du
parcours effectué jusqu'à présent dans cette étude. Par la suite, le rite zaïrois de la messe
sera pris pour modèle de résultat concret d'une réalisation d'inculturation liturgique. Étant
reconnu comme un des premiers fruits concrets de l'inculturation de la liturgie depuis
Vatican II, cet exemple servira de jonction entre les données récoltées dans les chapitres
précédents et la réponse à la question de ce travail. En quelque sorte, le rite zaïrois de la
messe pourra être considéré comme un sceau qui sera une confirmation ou une réfutation de
toute la démarche entreprise dans ce travail ainsi que de l' hypothèse de recherche émise en
début de parcours.
Par après, ces différentes informations rendront possible une connaIssance des
conséquences de l' inculturation liturgique en vue de répondre efficacement à la question
soulevée par cette recherche avant la conclusion de ce chapitre.
138
Comme premier élément à rappeler, je souligne le fait que l'inculturation se situe d' abord
dans la rencontre entre l'Évangile et la culture, mais aussi dans la rencontre d'une culture
avec une autre. En effet, il ne faut pas oublier que l'Évangile se présente toujours lié à une
culture. C'est pourquoi il importe de conserver à l'esprit les différentes définitions qui ont
servi à distinguer l' inculturation d'avec les notions sociologiques d'acculturation,
d'enculturation et de transculturation.
Ainsi, l'objectif de l'inculturation est la pénétration de l'Évangile dans les cultures. Elle est
un processus actif qui s'effectue à partir de l'intérieur même de la culture. L'inculturation
est en quelque sorte un fruit nouveau de l'évangélisation, une réponse inédite à la suite de
l'annonce de la Parole de Dieu qui s'insère progressivement au sein d'un peuple, d' une
culture. Par conséquent, elle fait partie intégrante de l'activité missionnaire l'Église.
Ce.tte définition énonce que l'inculturation agit avec une force créatrice. En effet,
l'Évangile se fait interpellation auprès de la culture et suscite une réponse chez celle-ci.
C'est précisément à travers cette réponse donnée par la culture (par son langage, sa pensée,
sa manière de l'exprimer et de vivre) que la force créatrice de l' inculturation prendra forme.
Cette nouveauté sera le fruit de la joyeuse rencontre entre l'Évangile et la culture, rencontre
qui se fait par l'écoute, l'accueil et le respect de l'autre.
L'inculturation apporte certes une nouveauté qui transforme la culture, malS toute
nouveauté n'est pas exempte de discernement et de purification. En effet, invite
parfois la culture à se purifier et à se convertir sur certains aspects. Les exemples de la vie
- - -- - - - - - - - - -- - - - - -- --- - - - - - - - - -
139
de saint Paul décrits au premier chapitre l'ont démontré de façon excellente (cf. 1 Co 7, 17-
20.27).
De plus, l'inculturation comporte également deux principes fondateurs qui supportent tout
le processus. Il s' agit de l' incarnation et de l' évangélisation. Le terme « inculturation » fait
référence d ' une part à la réalité complexe des cultures, spécialement à cause de la racine
« culture» qui fait partie de son étymologie. De même, par son préfixe « in », ce même
terme se rapporte au mystère de l' incarnation. Ces deux principes sont primordiaux, car ils
sous-tendent tout œuvre entreprise pour l' inculturation. Ils constituent donc une clé de
lecture indispensable pour le travail en cours.
1.1. Incarnation
Ainsi, d'après le principe de l' incarnation, l'inculturation s'exécute par l'utilisation des
éléments connus par la culture à laquelle on s'adresse. Toutefois, cela n'a pas empêché
Jésus de demeurer critique face à certains aspects de la culture. Il ne s'est pas empêché de
réprimander les individus dans leur mode de vie ou de corriger ce qui pouvait dévier du
plan de salut de Dieu pour le peuple.
Or, il ne suffit pas de connaître l'Évangile. Pour aVOIr un regard juste en cas
d'inculturation, le missionnaire doit connaître et être imprégné de la culture dans
140
laquelle l'Évangile s'insère. D'un côté, l' inculturation se situe dans le rapport reliant
l'Évangile à la culture et, de l'autre, elle suscite une nouveauté dans la réponse à la
proclamation évangélique. Il est donc inévitable que la culture utilise ses propres référents
culturels pour approcher la Bonne Nouvelle. Pour cette raison, l' évangélisation doit
nécessairement être pénétrée par ce qui constitue la culture afin de pouvoir rejoindre cette
dernière.
1.2. Évangélisation
Évangéliser, pour l'Église, c'est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux
de l'humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve
l'humanité. [... ] Le but de 1'évangélisation est donc bien ce changement de
l'intérieur ·et, s'il fallait le traduire d'un mot, le plus juste serait de dire que
l'Église évangélise lorsque, par la seule puissance divine du Message qu'elle
proclame, elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et
collective des hommes, l'activité dans laquelle ils s'engagent, la vie et les
milieux concrets qui sont les leurs (EN 18).
De plus, l'inculturation touche l'universalité du salut de Dieu pour tous les peuples. Cette
conception laisse entendre également que chaque peuple a la capacité de répondre à ce plan
salvifique de Dieu en s'appuyanf sur le milieu socioculturel dans lequel il évolue. Si ce
141
premier constat est véridique, Dieu est donc déjà agissant au sein de tous les peuples et
ceux-ci ont un message nouveau et inouï à transmettre à la culture évangélisatrice. La
semence évangélique jetée en terre n'aura d'autre effet que de faire poindre la révélation de
Dieu qui s 'y trouve déj à. On entre alors dans un rapport de réciprocité où la culture de
l'évangélisé et la culture de l'évangélisateur s'enseignent mutuellement l'une et l'autre.
DIEU
!
LITURGIE
/
CULTURE ÉVANGILE
DIEU
t
LITURGIE
CULTURE
/ ÉVANGILE
Dans le domaine de l' inculturation liturgique, la liturgie se retrouve donc en relation avec
plusieurs facteurs qu'elle doit tenir en considération et maintenir en tension les uns avec les
autres. Quelques-unes des questions sur lesquelles il peut alors être utile de s'interroger
sont celles-ci: de quelle manière la liturgie participe-t-elle à la pénétration de l'Évangile
dans les cultures ? Comment la culture arrivera-t-elle à dire sa foi suite à l'annonce de
l'Évangile? Quelle forme prendra la liturgie en réponse à cette annonce? Est-elle appelée à
conserver les mêmes expressions ou à changer, et ce, sous quelles conditions ? Comment
mettra-t-elle en application les piliers fondateurs de l'inculturation que sont l'incarnation et
l'évangélisation?
143
Dans la liturgie, bien que celle-ci soit effective, ce n'est pas d ' abord l'initiative de l ' homme
qui va vers Dieu qui prime, mais bien l' inverse. En effet, c' est bien Dieu qui, dans un
premier temps, prend l'initiative de venir à la rencontre de l'homme pour se révéler à lui. À
travers la liturgie, c'est le Seigneur et Christ Jésus qui agit et son action suscite une réponse
de la part du croyant dont le point culminant sera atteint dans l'action de grâce qui suivra
dans le cours de la célébration liturgique. De plus, l'acte de la liturgie a aussi pour effet la
transformation de l'humanité.
Or, c'est précisément ici que se situe l'enjeu de l' inculturation liturgique. Pour exprimer la
pensée de ce travail, il est bon de rappeler ici la définition de la liturgie proposée par la
.Constitution Sacrosantum Concilium :
Le premier constat qui peut se faire est d'abord relié à l' œuvre du Christ Jésus qui se
poursuit à travers la liturgie. Ce que Jésus a accompli au milieu des siens, dont l'œuvre de
rédemption qui était au cœur de sa mission, est réalisé à nouveau dans la liturgie,
particulièrement à travers les sacrements. Cette réalité de foi permet de dire que, lorsqu'un
prêtre baptise une personne, c'est le Christ lui-même qui baptise. Quand l' Église fait
mémoire de la mort et de la résurrection de Jésus dans l'eucharistie, ici encore, l'offrande
que le Christ a faite de sa chair et de son sang pour le salut de l 'humanité est réactualisée.
La présence du Christ est donc continuellement manifestée dans les sacrements et dans la
144
liturgie. L'efficacité des sacrements découle donc de cette présence du Christ dont l' œuvre
salvifique est réalisée à nouveau.
Le Christ a confié la poursuite de son œuvre à l' Église: « Faites ceci en mémoire de moi »
(Lc 22, 19) ; « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du
Père, du Fils et du Saint Esprit» (Mt 28, 19) ; « Guérissez les malades [ ... ] expulsez les
démons» (Mt 10, 8); « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leurs seront remis; ceux à
qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus» (Jn 20, 23). Cette Église est le corps du
Christ. Elle devient, avec les sacrements, comme le prolongement de son incarnation. Ce
que Jésus accomplissait comme actions salvifiques est maintenant renouvelé par l' Église et
par les sacrements. C ' est donc au moyen de ceux-ci que ces actions trouvent leur
prolongement et leur signification.
Dans un deuxième temps, si la liturgie est la rencontre de Dieu qui se révèle à l'homme,
elle est aussi cependant la rencontre de l'homme qui va vers Dieu. L'être humain a sa .
propre façon de dire et d'exprimer sa relation à Dieu. C'est pourquoi la liturgie doit
également tenir compte de la culture dans laquelle elle prend chair. En d'autres mots, le
principe d'incarnation oblige aussi la liturgie à tenir compte de la culture afin que cette
dernière soit en mesure de définir le mystère de foi qui l 'habite avec des mots qui sont les
siens, ses propres référents et signifiants culturels.
L'analyse qui a été entreprise au chapitre trois a pu démontrer que la relation unissant la
liturgie à la culture exige également une réciprocité où ces deux domaines se répondent l'un
et l'autre. Cela signifie que la culture a autant à apporter à la liturgie que la liturgie à la
culture. En effet, la liturgie ne pourra que prendre les traits et le visage du peuple dans
lequel elle se vit. En retour, la liturgie révèlera à l'homme non sa propre identité
culturelle, mais aussi son identité de fils et de filles de Dieu.
La liturgie n'est donc pas dissociée de la culture, car elle se situe à l'intérieur même de
cette dernière, lui empruntant un langage, des signes et des symboles, une architecture, une
musique, etc. Par conséquent, malgré son aspect universel et bien que ses textes soient .
utilisées de la même façon dans les différents pays du monde, la liturgie demeure tout de
même et toujours l'expression unique d ' un peuple particulier. Celle-ci devient donc un
145
Pour répondre à leur mission de révéler le mystère de Dieu, les signes et les symboles en
liturgie doivent obligatoirement emprunter des référents ou des signifiants qui renvoient à
la réalité qui caractérise la culture en question. Sinon, comment pourraient-ils être perçus et
compris par les gens qui constituent cette communauté culturelle? On peut donc affirmer
que si l'inculturation, dans ce cas-ci de la liturgie, est une réponse à la Parole, les signes et
symboles, pour leur part, en seront l'expression. Or, comm.ent présenteront-ils ce mystère?
Une fois de plus, le travail d' évangélisation est d'une grande importance pour aider à
discerner ce qui est juste et convenable au sein de chaque culture tout en évaluant de même .
ce qui a besoin d'y être purifié et transformé. Cette action est délicate, car afin de porter un .
regard véridique sur les réalités culturelles, elle exige une connaissance de ce qui constitue
l'essence de la culture. De même, il faudra énormément de patience dans l'exécution de
cette fonction, car il s'agit d'une action qui évolue dans la durée et ne s'accomplit pas dans
un court laps de temps. L'exemple de l'inculturation opérée par Matteo Ricci en terre
chinoise est un exemple qui permet de le constater.
Il est important de rappeler, en premier lieu, que la liturgie naît de la mission, d'une
proclamation de la Parole. En effet, avant d'accéder à la liturgie, il est nécessaire que
1'homme soit appelé à la foi et à la conversion. C'est une des raisons qui explique pourquoi
146
Comme cela vient d'être expliqué, la mission précède et donne naissance à la liturgie. Or,
cette dernière a aussi pour fonction, dans un second temps, de participer elle aussi à
l'édification de la mission. Mission et liturgie sont donc unies dans une dynamique
extraordinaire où l'un sera sans cesse nourri par l'autre.
De plus, puisqu'elle ne cesse d'être une présence qui témoigne de Dieu et qu'elle conduit le
croyant à une rencontre du Christ vivant dans l'aujourd'hui de sa vie humaine, la liturgie
est nécessairement un acte d'évangélisation. Cette rencontre avec le Christ transforme,
engage et suscite une réponse de l'être humain et de la collectivité. C'est donc dans ce
contact personnel avec Dieu dont elle est le lieu privilégié et dans l'annonce de la Bonne
Nouvelle par sa Parole qu'elle poursuit continuellement l' œuvre d'évangélisation de
l'Église.
Elle vérifie par le fait même la qualité de l'annonce par la manière dont la foi est célébrée.
Si la liturgie devient banale, monotone et sans intérêt, c' est peut-être parce qu'elle
n'accomplit plus son rôle d'évangélisation comme il le faut ou parce qu'elle n'est plus
perçue de la sorte. De même, on peut encore supposer que le peuple peut aussi ne plus
percevoir ou même ne plus vouloir entendre l'appel que Dieu lui tend, à travers la liturgie,
pour se convertir et répondre à son amour.
Ainsi, bien qu'on ne puisse pas limiter seulement à ces deux éléments, incarnation et
évangélisation constituent aussi deux principes fondamentaux de la liturgie qu'on ne peut
pas négliger.
Concilium. Elle y affirme entre autres que l'objectif de la liturgie n'est pas d' imposer la
forme rigide d'un libellé unique, mais bien au contraire, de cultiver et de développer les
qualités et les dons des différents peuples (cf. SC 37).
En fait, l'inculturation liturgique doit maintenir l'équilibre entre deux principes. D 'une part,
elle doit servir et assumer «toutes les facultés, les ressources et les formes .de vie des
peuples en ce qu'elles ont de bon. Son activité n'a qu'un but: tout ce qu'il y a de germes de
bien dans le cœur et la pensée des hommes ou dans leurs rites propres et leur culture, non
seulement ne pas le laisser perdre, mais le guérir, l'élever, l'achever pour la gloire de Dieu,
[ ... ] et le bonheur de l'homme » (Instruction 18). D'autre part, elle doit préserver
l'authenticité de l'esprit dans lequel la liturgie est vécue. D'où l'importance d'ailleurs de la
tradition et de la fidélité à ce que Jésus lui-même a institué, sagesse et trésor de l'Église.
Çomme il a déj à été souligné, l' inculturation amène la culture à accueillir de l'Évangile ce
qui lui est vital pour qu'elle soit meilleure tout en veillant à ce qu'elle demeure fidèle à .
elle-même. Cependant, le chemin inverse est ici aussi applicable. La liturgie doit être
capable de s'exprimer dans toute culture, tout en conservant son identité et sa nature. Pour
cette raison, il est important que l'Église, gardienne du dépôt de la foi, en assure la
conservation. Il sera donc tout à fait normal que les résultats de l'inculturation liturgique
soient fidèles à la tradition de l'Église, assurée et préservée par la succession apostolique.
Il est donc tout à fait possible que, dans le processus d' inculturation liturgique, la nouveauté
qui surgit s' inscrive dans la communion avec l'Église universelle. Elle ne se veut pas être a
priori une création ex nihilo, mais une expression nouvelle de ce qui est déjà présent et
semé dans les cœurs. En fait, il faut rappeler que le travail d' inculturation se situe à la
. jonction du neuf et de l'ancien, d'une création nouvelle et d'un héritage reçu.
L'inculturation de la liturgie ne devrait donc pas conduire à une rupture avec la tradition
liturgique chrétienne, mais bien mener à une communion avec l'Église universelle.
Pour utiliser une analogie, si l'Église et la liturgie, notamment par les sacrements, sont le
prolongement de l'incarnation et de l'action du Christ, on ne peut séparer le corps en deux
parties: l'Église d'un côté et, de l'autre, la liturgie. Cette façon de faire est, pour le moins
qu'on puisse dire, inconcevable. C'est pourquoi, dans l'inculturation de la liturgie, la
communIon sera un des premiers signes indicateurs que l'on se situe sur une voie de
réussite.
Cette brève synthèse a été en mesure de prendre en considération les différentes dimensions
et les divers rapports que l'inculturation de la liturgie doit prendre en considération et
veiller au maintien. En posant un regard sur une expérience qui s'est avérée fructueuse dans
ce domaine, la prochaine section sera en mesure de vérifier la véracité de ce qui a pu être
avancé dans les lignes précédentes. Pour cela, il s'attachera à l'étude d'un des premiers
fruits concrets de l'inculturation liturgique: le rite zaïrois de la messe.
À travers l'étude de cas du rite zaïrois de la messe qui sera présentée ici, cette partie du
mémoire tâchera de vérifier ce qui, dans ce rite, a répondu ou non à l'application des
différents éléments présentés dans la synthèse du chapitre précédent. De plus, l'étude de ce
rite sera également l'occasion de vérifier les fondements de 1'hypothèse de recherche
amenée dans ce travail qui, jusqu'ici, s' esquisse de manière positivement affirmée.
149
Pour ce faire, le rite zaïrois de la messe sera, dans un premier temps, situé historiquement
dans l'évolution de l' Église missionnaire en Afrique. En effet, si la liturgie a son origine
dans la mission, le rite zaïrois de la messe puise donc sa source dans l'activité missionnaire
effectuée sur le continent africain.
Par la suite, une description brève, mais plus concrète, du rite zaïrois permettra de mieux
distinguer en quoi celui-ci diffère du rite romain de la messe. Il sera présenté entre autres
que si ce rite peut être appelé zaïrois, c'est en raison des caractéristiques spécifiques au
peuple du Zaïre qu'il comporte. Ainsi, on peut supposer que le rite zaïrois porte les
marques d'une incarnation. De la sorte, la dernière partie de ce chapitre s'attardera à l'étude
des différents éléments culturels qui sont propres aux Africains et qui ont été pris en
considération dans l'élaboration de ce nouveau rite.
noir comme l 'homme blanc. Il faut dire aussi que le pouvoir exercé par les puissances
coloniales l'était en fonction d'une européanisation de l'Afrique.
À partir de ce moment, mission et colonialisme sont devenus étroitement liés. En fait, dans
le but de prendre une plus grande expansion géographique, on appuyait la mission qui avait
un grand rôle, pour ne pas dire un rôle primordial, quant à l'accomplissement de cet
objectif. L'État européen avait donc grandement intérêt à soutenir les œuvres
missionnaires, puisqu'il pouvait en recevoir des avantages allant dans le sens de son intérêt.
Or, par cette façon de procéder, on amplifiait encore ce jeu de pouvoir et de forces opérés
par les puissances coloniales européennes. Giampietro Casiraghi démontre bien l'état
d'esprit des gens de l'époque en se référant au rapport entre mission et colonialisme:
De telles affirmations [ ... ] reflètent bien la mentalité qu'on résume avec « les
trois C » du colonialisme : christianisme, commerce et civilisation, ou bien avec
« les trois M» des Français: des militaires blancs, des mercenaires blancs et
des missionnaires blancs 5 .
Ainsi, chaque colonie comportait des missionnaires qui lui étaient rattachés. D'ailleurs,
plusieurs de ces missionnaires avaient été influencés par un sens du nationalisme aigu. En
? Actes du colloque tenu le 26 mai 2001, au Marché Bonsecours à Montréal, Québec, Missionnaires de la
Consolata, 2001, p. 207.
3 Ibid., p. 209.
4 Ibid.
151
Rappelez-vous que vous n'êtes pas là pour étendre le règne humain, mais celui
de Jésus-Christ, ni pour ajouter des citoyens à la patrie terrestre, mais à la
céleste. C'est pourquoi nous saisissons bien combien ce serait déplorable qu' il y
ait des missionnaires qui, oubliant leur propre dignité, pénseraient plus à leur
patrie terrestre qu'à la patrie suprême, et qui seraient préoccupés à en voir
s'étendre l'influence, et célébrer par-dessus tout le nom et la gloire 6 .
Les grands fondateurs des sociétés missionnaires de l' époqu,e - dont François Libermann,
Daniele Comboni et Charles Lavigerie - avaient compris' que, pour qu'une Église africaine
puisse naître, il fallait que celle-ci corresponde à la culture africaine 7 . Dès lors, on voulut se
faire Africain avec les Africains. La méthodologie des missions en Afrique a donc
encouragé les futurs missionnaires à s'adapter culturellement, à apprendre les langues et les
coutumes des peuples, à explorer de nouveaux territoires, à découvrir et à connaître des
5 Ibid. , p. 211.
6 Benoît XV, Maximum Illud., nO 10., cité dans ibid. , p. 212.
7 Ibid., p. 216.
152
nouveaux peuples. On favorisa aussi la mise en valeur des traits culturels caractéristiques
comme leur artisanat, leur organisation sociale et leur tradition religieuse 8 .
Évidemment, les premiers pas de la mission en terre africaine connurent des difficultés et
des embûches, particulièrement par rapport au Nil Blanc 10. On a compté le climat
particulièrement malsain ainsi que le contexte politique comme des raisons qui n' ont pas
aidé à cette première évangélisation. D'une part, les missionnaires européens étaient peu
habitués au climat rude du N il Blanc. Souvent, lorsqu'un missionnaire avait gagné le
moindrement d'expérience dans l'évangélisation sur le terrain, il mourrait avant même
qu'un autre missionnaire puisse faire l'acquisition de ses connaissances. En conséquence,
une autre personne avait alors la tâche de recommencer ce même travail.
D'un autre côté, avec l'accord secret des autorités égyptiennes, le commerce des esclaves
s'est continué tout de même en terre égyptienne, bien que le vice-roi d'Égypte ait aboli
l' esclavage. Certains, comme les Européens impliqués dans le commerce, n'hésitaient pas à
discréditer les missionnaires auprès des Africains afin d'assurer l'existence de leur
commerce Il .
Néanmoins, on réussit peu à peu à former les gens du milieu en leur donnant une éducation,
en construisant des écoles, etc. En 1840, notamment grâce aux efforts de Marie Javouhey,
fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny en France, trois prêtres africains ont pu faire
leurs études et être ordonnés. Cette femme au zèle missionnaire faisait partie des gens qui
8 Ibid
9 Ibid., p. 219.
10 Le Nil Blanc est un embranchement du Nil en aval des grands lacs Victoria et Albert. Il traverse le Burundi,
croyaient que le christianisme devait évoluer de pair avec la civilisation. Dénonciatrice des
abus de toutes sortes, influente auprès des classes coloniales, elle arrivait à surmonter les
obstacles qui ralentissaient l' œuvre missionnaire. De même, son action a ouvert de
nouveaux horizons qui ont permis à ce que l'Afrique puisse trouver un j our son autonomie.
Les écoles furent considérées comme le moyen le plus profitable non seulement pour
l'expansion du christianisme, mais aussi pour celle de la civilisation. Tous et chacun y
reconnaissaient une manière privilégiee, dans laquelle il fallait s'investir, pour permettre à
l'Afrique de recevoir une plus grande autonomie. Ainsi , peu à peu, on passât du dispensaire
à l'école primaire, puis au collège et à l'université. De la sorte, autant la population
africaine acquérait une formation qui pourrait assurer son indépendance, autant l'Église
assurait son implantation et la formation du clergé et sa hiérarchie.
Cependant, bien que ces statistiques témoignent d'une croissance évidente d'un,e Église
autochtone et de plus en plus autonome, il n'en demeure pas moins que la présence
missionnaire était encore imposante. On ne peut cacher que, constituant une majorité dans
certains des nouveaux diocèses, leur influence était bien présente, notamment dans
plusieurs milieux: le contrôle des finances, la catéchèse et la pastorale. Il en a résulté un
grand sentimentd'inquiétude du côté du peuple africain. Cette inquiétude était telle qu'un
moratoire, tant sur le personnel missionnaire que sur les moyens employés, fut proposé lors
de la Conférence des Églises de toute l'Afrique tenue en 1974 en Zambie 13 .
12 Ibid. , p. 234-235.
13 L'ensemble du paragraphe fait référence à Ibid
154
Ces différentes démarches ont été motivées par la recherche de l'identité du christianisme
africain qui prenait de plus en plus d' expansion, tant du côté protestant que catholique.
Tous deux étaient préoccupés par la même chose. Le christianisme et le protestantisme
portaient le même désir: connaître son « identité ecclésiale propre afin de mieux s' intégrer
à la communion de l' Église universelle comme des membres adultes et actifs 14 ».
Or, cette recherche d' identité s' inscrivait également dans le contexte de l'ecclésiologie de
Vatican II, dont l'un des objectifs était de redonner sa valeur aux Églises particulières.
Ainsi, le cadre mISSIonnaIre avait favorisé et même permis la formation d'une Église
autonome. Cette autonomie a été également revendiquée jusque dans le domaine de la
liturgie. En effet, il est juste d'affirmer que, jusqu'à cette époque, la seule liturgie à être
reconnue validement était la liturgie romaine, et ce, même en pays de mission. Cependant,
le mouvement liturgique amorcé avant le deuxième Concile du Vatican éveilla également le
désir de l'épiscopat africain d'avoir une liturgie qui soit en elle-r:nême
Par ailleurs, par une mise en parallèle avec le contexte ecclésiologique qui vient d'être
souligné, le rite zaïrois de la messe s'inscrit aussi dans le contexte global du mouvement
liturgique d'avant - et d'après - Concile, c'est-à-dire dans l'organisation de l'ensemble de
la liturgie dans l' Église 16. C' est donc dans ce cadre socioculturel et ecclésial que le rite
zaïrois de la messe a pu naître et se former.
14 Ibid., p. 235 .
15 Ibid., p. 236.
16 1. de D. Mvuanda, Inculturer pour évangéliser en profondeur... , p. 31.
155
Pour qu'on puisse considérer une liturgie comme étant typiquement africaine, il faut
indéniablement qu'elle reflète d' une manière évidente sa sensibilité aux valeurs africaines
traditionnelles 17. Les évêques africains avaient bien compris cette réalité en affirmant que
la liturgie, présente en Afrique, n'était pas encore adaptée au caractère propre des
populations africaines. Par conséquent, cette liturgie leur était en quelque sorte étrangère 18 .
Pour eux, il était clair que le retour à l' authentique tradition liturgique et
l'accueil des formes expressives verbales, sonores ou musicales, gestuelles et
culturelles du monde africain noir constituait la voie d'une meilleure
compréhension de la liturgie et d'une meilleure participation du peuple à celle-
Ci 19 . . .
Les premiers pas vers ce renouveau liturgique ont été quelques adaptations de la liturgie,
telles' que des traductions en langue vernaculaire. Or, «malgré les exhortations et les
avertissements du pape Pie XII pour le respect des cultures et coutumes des cibles de
l'évangélisation et pour éviter l'excès de zèle en liturgie, toute la structure et l'organisation
17 Chris Nwaka Egbulem O.P., « An African Interpretation of Liturgical Inculturation: The Rite Zaïrois» dans
Michael Downey and Richard Fragomeni (dir.), A promise ofpresence, Washington, DC, The Pastoral Press,
1992, p. 238.
18 Ibid., p. 228.
de la liturgie resta sans différences significatives avec celle célébrée à Rome 21 ». Ainsi,
pour ce qui est des rites, des symboles, des habits liturgiques, etc. , les adaptations étaient
jugées insuffisantes pour rejoindre les croyants africains dans la culture à laquelle ils
appartiennent. Cela n'empêcha pas pour autant les évêques congolais, notamment, de
continuer le travail amorcé. Pour eux, il était possible d' intégrer les éléments culturels
africains à la liturgie.
L'épiscopat congolais a donc continué à oser quelques efforts, qu' on peut qualifier de
modestes, dans l'adaptation du rite liturgique. Ainsi, on a pu assister à l' apparition de,
gestes plus expressifs dans la liturgie. Cependant, ces différents ajouts se faisaient toujours
sous le contrôle de l'Ordinaire du lieu. La proposition d'un nouveau schéma de la messe fut
également faite. De même, on compte également parmi ces autres innovations la
proposition d'un nouveau schéma de la messe, mais ces adaptations ne témoignaient que
très peu d'une véritable inculturation liturgique. À titre d ' exemple, le propre de la messe
était encore en latin et non dans la langue. du peuple. Il n ' était notamment pas question de la
danse, élément typique qui se retrouve dans pratiquement toutes les célébrations de culture
africaine.
Dans cet élan de réforme liturgique et dans l'élaboration du rite zaïrois de la messe, les
évêques zaïrois sont toujours demeurés fidèles aux recommandations de la Constitution
Sacrosanctum Concilium par rapport aux adaptations liturgiques instaurées au sein des
différents peuples. Pourvu qu'elles respectaient et sauvegardaient la signification
chrétienne, l' unité substantielle du rite, etc., la réalisation des adaptations désirées était
favorisée et même Ce désir était également celui des évêques du Zaïre:
2 1 Ib id.
Par ailleurs,. en 1979, la Congrégation pour le Culte Divin a demandé à l'épiscopat zaïrois
de transmettre un rapport présentant les détails de l'expérimentation des adaptations
liturgiques dans différents diocèses. L'appréciation du document s'est montré positif autant
auprès de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qu'auprès des conférences épiscopales
d'Afrique et de Madagascar. De manière générale, les responsables d'Église manifestaient
un sentiment d'intérêt et de sympathie pour le rite. C'est ainsi qu'après presque vingt ans
d'attente, le processus d'élaboration du rite zaïrois de la messe reçut son approbation
officielle le 30 .avril 1988. Ce qui était alors connu sous le nom de « projet de la liturgie de
la messe au Zaïre» fut dès lors appelé « Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre» 25. .
L'accueil positif du Missel romain pour les Diocèses du Zaïre témoigne de la relation
d'ouverture qui s'est vécue entre l'africanité et la romanité et vice versa. En d'autres mots,
cette expérience témoigne de la façon par laquelle des éléments étrangers, le rituel romain
et les anaphores orientales notamment, sont en symbiose avec le génie culturel
africain26 .
D'une part, en effet, la création du nouveau rituel était originaire du rituel romain lui-
même. Le nouveau rite pour la messe des diocèses du Zaïre a donc réorganisé,
conformément aux prescriptions de SC, les éléments propres au rituel romain « en tenant
compte des éléments essentiels des "rites positifs africains", c'est-à-dire les rites socio-
23 Ibid., p. 338.
24 Ibid.
25 Cf. ibid., p. 339.
158
D'autre part, les anaphores orientales ont été une deuxième source d'inspiration pour la
création du nouveau rituel. Leur contenu et leurs formes expressives se rapprochent, de fait,
de l' univers africain, notamment par la structure dialogique de la célébration africaine 28 ,
apportant ainsi dans la liturgie des éléments très significatifs pour ce peuple.
Ainsi, par ce va-et-vient alliant accueil, dialogue, respect et ouverture, l'Église du Zaïre en
est arrivée à soumettre un cadre liturgique dans lequel elle reconnaît pleinement sa culture.
Cependant, à travers cette reconnaissance de son authenticité culturelle, elle est également
demeurée fidèle à la tradition apostolique, à la nature intime de la liturgie, au génie
religieux ainsi qu'au patrimoine de la culture africaine et zaïroise 30 . La partie subséquente
de ce travail présentera ce rite proposé par le peuple zaïrois qui est un témoignage vivant de
son identité religieuse et culturelle.
26 Ibid., p. 340.
27 Ibid., p. 342.
28 Ibid.
29 Jean Evenou, « Le rite zaïrois de la messe» dans P. Gerardo 1. Békés O.S.B (dir.), L'adattamento culturale
della liturgia. Metodi e modelli. Alti dei IV congresso internazionale di liturgia, dans Studia Anselma 113,
Analecta Liturgica 19, Roma, Pontifico Ateneo S. Anselmo, 1993 , p. 225.
Ibid., p. 225 .
30
159
Avant d ' entreprendre la présentation du rite zaïrois, il est important de préciser que la
description qui suit ne se veut pas exhaustive. Le but premier de cette étude est de connaître
sommairement la structure du rite zaïrois de la messe tout en observant en quoi il se
différencie du rite romain de la messe. Il n ' est donc pas nécessaire d ' approfondir
longuement tous les détails associés aux composantes de ce rite africain, ce qui pourrait être
l'objet d'un autre travail de maîtrise. Toutefois, il importe de faire mention des
particularités de ce rite qui permettront d ' évaluer en quoi celui-ci répond à une
inculturation de la liturgie. C'est donc ce que la présente partie de ce chapitre tentera de
résoudre à travers la description du rite zaïrois de la messe.
- L ' annonciateur
Le rôle de l'annonciateur s'inscrit au tout début de la célébration, à vrai dire avant même
que celle-ci n'ait débuté. L'annonciateur n'est en fait ni un religieux, ni un prêtre, mais une
personne qui agit à titre de précurseur de la célébration: «Il annonce l'événement en
32
renforçant la conscience de la communauté qui va célébrer .» S'il Y a lieu, c' est
également à ce moment qu'il présentera les ministres qui seront présents· à l'autel. C ' est
également lui qui donne le signal de départ de la célébration en invitant l'assemblée à se
lever et la chorale à débuter le chant d'entrée.
- La procession d'entrée
La procession d ' entrée comprendra pour sa part toutes les personnes qui ont un rôle à jouer
dans la célébration eucharistique. De plus, et dans la mesure du possible, chaque ministre
impliqué porte, dans la procession, l'instrument de son ministère.
31 Devant la difficulté de me procurer personnellement un Missel romain pour les diocèses du Zaïre, je n' ai eu
d'autre choix que de me rabattre sur les quelques descriptions faites par certains auteurs. La partie descriptive
du rite zaïrois de la messe s' inspire donc largement ici de l'article de 1. Evenou, « Le rite zaïrois de la messe »
cité précédemment.
32 1. Evenou, « Le rite zaïrois de la messe », p. 225.
160
- V énération de l'autel
Une fois que les membres de la procession sont parvenus au sanctuaire, l'Évangéliaire est
déposé sur l' autel par le ministre qui le porte et le prêtre qui préside se met face au peuple,
près de l'autel. Les concélébrants et les autres ministres accomplissent la même action et,
tous ensemble, ils saluent l' autel en faisant « une inclination profonde, une génuflexion, ou
une prostration 33 ».
Un autre geste peut également être posé en tant qu'acte de vénération de l' autel. À ce
moment, le prêtre peut rester debout, toujours en étant face au peuple, au centre de l' autel
avec les bras étendus en forme de V. Par la suite, il appuie son front sur l'autel en répétant
ce geste aux trois autres côtés de l' autel. Pendant que le prêtre qui préside accomplit ce
geste, les autres concélébrants et ministres demeurent profondément inclinés.
- Salutation
Après le chant d' entrée, le prêtre salue l'assemblée en employant une formule qui manifeste
la présence du Seigneur. Par la suite, en quelques mots et de manière brève, il introduit les
fidèles à la liturgie du jour 34 .
Avant de s' approcher de l'eucharistie, considérée comme l'action sacrée par excellence,
l'assemblée prend conscience de sa pauvreté en face de la présence du Dieu tout-puissant,
source de leur salut. Pour ce faire, la célébration débute par une invocation des saints qui
agissent comme intercesseurs pour le peuple auprès de Dieu. En effet, « la communion
entre les chrétiens de la terre débouche dans la communauté avec les saints du ciel. Par là se
réalise l'union au Christ, de qui découle toute grâce et la vie du peuple de Dieu 35 ». Dans le
même ordre d'idées, on invoque les ancêtres qui sont vénérés comme des cœurs
droits en vertu des mérites du Christ qui les garde en communion avec Dieu. Cela au même
titre qu' Abel le juste est invoqué dans la liturgie romaine.
33 Ibid., p. 226.
161
- Chant d'acclamation
- Prière d'ouverture
Pendant que le prêtre prononce la prière d'ouverture, l'assemblée lève les mains et fait
sienne cette prière par l'acclamation de l'Amen, à moins que la prière ne soit chantée. Dans
ce cas, l'assemblée chante la conclusion de la prière en union avec le prêtre.
Avant de proclamer la Parole de Dieu devant l'assemblée, I.e ministre chargé de cette
fonction va s'incliner devant le prêtre pour demander la bénédiction. En effet, pour toute
prise de parole au nom de Dieu, il convient que la personne soit accréditée par celui qui
préside in persona Christi. Une fois la bénédiction reçue, la personne fait un geste de
remerciement. Comme pour le rite romain, une acclamation indique l' acqu,i escement de la
foule à la fin de la proclamation de la Parole de Dieu.
- L'intronisation de l'Évangile
Au moment de la lecture <;le l' Évangile, le ministre - prêtré ou diacre - qui en fera la
proclamation, répand de l'encens sur de la braise qui se trouve soit dans l'encensoir, soit
34 Ibid.
35 Ibid.
1_ _ _ _ __
162
dans un vase situé près de l'autel. Demeurant incliné devant l'autel, le ministre formule une
,Prière de purification avant de prendre l'Évangéliaire pour aller demander la bénédiction au
président. Par la suite, l'annonciateur s'avance tandis que les céroféraires escortent le
ministre qui présente l'Évangéliaire à l'assemblée. Par la suite, pendant que la procession
se dirige vers l'ambon, l'assemblée réunie acclame, par l'Alléluia ou par un autre chant
d'intronisation, le Verbe fait chair avant d' entendre sa Parole.
- L'homélie
- L'acte pénitentiel
C'est à la suite de l 'homélie que vient l'acte pénitentiel. Parce que « la parole de Dieu,
proclamée dans l'assemblée, est efficace et libératrice: elle interpelle la communauté,
suscite l'adhésion du peuple de Dieu et purifie les cœurs 37 ». L'acte pénitentiel exprime
justement cette purification préparée dans les cœurs des croyants par la proclamation de la
Parole de Dieu. De plus, le rite pénitentiel s'inspire, dans sa structure, de la palabre
africaine.
- Le rite de la paix
36 Ibid., p. 228.
37"Ibid.
38 Ibid.
163
- La prière universelle
La prière universelle, après le rite de la paix, a pour rôle de signifier non seulement la
fraternité entre les croyants, mais aussi le souci que cette paix soit accueillie et prisée de
tous. Pendant ce temps, on peut aussi déposer à nouveau de l' encens sur la braise pour que
la fumée de l'encens s' élève en même temps que les prières du peuple.
L'apport des dons veut avant tout exprimer l'amitié qui existe entre Dieu et les hommes
ainsi qu'entre les membres de l'assemblée et leurs frères dans la foi 39. Cela ,s ' exprime
notamment dans le fait que chacun, avant de venir à l'église, apporte son offrande qui est
déposée en-arrière de l'église, près de la crédence où le pain, le vin et l'eau qui serviront à
la célébration ont déj à été disposés.
Ainsi, pendant le chant d'offertoire, les fidèles récupèrent les offrandes pour les apporter
vers l'autel au rythme du chant. Cette procession est également encadrée par des acolytes.
Ayant rejoint les fidèles à l'entrée du cortège, le prêtre accueille alors les offrandes par un
geste de remerciement et les remet à un ministre pour qu' il le dépose à l'endroit prévu. Seul
le pain et la vin sont déposés sur l'autel. Il est bon de noter également que chaque personne
apportant une offrande au prêtre la présente avec une parole qui en explique la provenance
et la finalité.
- La prière eucharistique
39 Ibid. , p. 229.
40 Ibid.
164
Comme il a été expliqué précédemment, le rite zaïrois de la messe trouve ses fondements
dans le rite latin et romain. Cela dit, bien évidemment, dans le processus d'élaboration de
ce rite, plusieurs éléments relatifs au génie culturel et religieux du monde africain ont été
pris en considération. Dans le cadre de cette étude, quatre principes seront retenus dans la
présentation de ·ces différents éléments. Il s'agit de la vision spirituelle de la vie; de
l'adaptation du style et de la structure de la palabre africaine; de l'intégration d' éléments
culturels s'inspirant de l'organisation du culte et des réunions cians la tradition du pays; de
l'adoption du style oral africain.
La vision spirituelle de la vie peut être d'une certaine façon comprIse comme la
communion du monde visible avec le monde invisible. C' est de cette manière que la
conçoit et la présente la tradition africaine. Par exemple, on y entre le geste de reconnaître,
à travers la création, l'action et la présence de Dieu. Tout prend racine et trouve sa source
en lui. Dans l'univers africain, le monde du visible et le monde de l'invisible
s'interpénètrent mutuellement.
165
De pl,us, cette communion se manifeste à travers des rites d'intégration ou d ' alliance où le
sacrifice demeure le modèle parfait 41. Ces rites ont pour conséquence de favoriser la
participation de l 'homme et de la communauté «à ses modèles supérieurs, à ses
archétypes 42 ». L'introduction de cette conception de l'alliance et du sacrifice était donc
souhaitable dans le nouveau rite zaïrois de la messe. C'est pourquoi, dans ce rituel de la
messe, la célébration débute par une mise en présence de Dieu et une invocation des saints.
La mise en présence de Dieu unit les images de la vie quotidienne à celles de la Bible tandis
que l'invocation des saints met l'assemblée en communion avec nos amis du eiel et lui
donne ainsi en quelque sorte accès au divin 43.
Quand donc tu présentes ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère
a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l'autel, et va te
réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande (Mt 5, 23-
24).
Puis, lorsque tous les membres de l'assemblée sont dans ce commun accord entre frères et
sœurs, les prières universelles sont proclamées. En soi, ce schéma ne constitue pas une
nouveauté puisqu'on trouve une liturgie similaire dans la célébration de l'eucharistie de rite
romain du second siècle.
41 Ibid., p. 230.
42 Ibid.
43 Ibid.
44 Ibid., p. 231.
166
En intégrant de la sorte divers éléments culturels propre aux Africains, le rituel zaïrois de la
messe voulait répondre à une des attentes importantes çlu renouveau liturgique de SC, c' est-
à-dire la participation pleine, active et consciente des fidèles (SC Il ; 14 ; 19 ; 21 ; 48 ; 50).
Ces différents aspects ont déjà été mentionnés dans la description du rite zaïrois. C' est
pourquoi un simple rappel de ces divers éléments sera fait.
Que ce soit les textes ou la langue concrète, imagée ou colorée du peuple du Zaïre ou
encore son rythme, ses gestes, ses mouvements, etc., la liturgie du rite zaïrois de la messe a
su l'intégrer dans la célébration eucharistique. De cette façon, elle a su contribuer à rendre
vivant et perceptible le mystère qui est célébré 45 .
45 Ibid., p. 232.
--
167
Par ailleurs, le rite zaïrois aura une manière spécifique d' exprimer ses prières et ses
acclamations. Ainsi, comparativement au rite romain où le prêtre, avant la prière de la
collecte, dit: «prions le Seigneur», le rite zaïrois utilisera plutôt les mots : «Frères et
sœurs, tenons les mains levées pour la prière 46. » Un autre exemple est significatif des
particularités du vocabulaire zaïrois dans l'invocation du peuple pour demander à Dieu son
pardon:
Ainsi, même si le rite pénitentiel est un élément constitutif du rite romain et du rite zaïrois,
ce n'est cependant pas en utilisant le même langage que ces deux derniers exprimeront à
Dieu une même prière de pardon.
46 Ibid.
47 Ibid.
48 1. de D. Mvuanda, Inculturer pour évangéliser en profondeur... , p. 348.
168
Afin que la frontière de la superstition et de la magie ne soit pas dépassée, il a fallu que les
responsables de l'Église zaïroise veillent à ce qu'aucune ambiguïté ne ressorte des gestes et
mouvements culturels empruntés par la liturgie. De plus, il aurait été inacceptable
d'admettre des gestes, des mouvements ou des attitudes sans « respecter les règles locales
de la convenance 50 ». Mvuanda renchérit sur ce double-sens qui peut être accordé à certains
gestes culturels dont la liturgie du Zaïre devait tenir compte dans l'élaboration de son
nouveau rite:
Les rites avec leur gestes, mouvements et attitudes, peuvent avoir une double
valence, selon qu'ils sont permis en public, parce qu'admis par la société; ou au
contraire accomplis seulement en secret, parce qu'ayant une connotation
moralement négative ou superstitieuseS 1•
À titre d'exemple, s'incliner en montrant de façon visible son postérieur au-public peut être
considéré comme un grave manque de respect 52 . On pouvait donc facilement comprendre
que plusieurs chrétiens étaient offusqués, heurtés dans leur sensibilité, quand le prêtre
s'inclinait profondément pour saluer l'autel. .. dos au peuple. Ainsi, il était nécessaire qu'on
adapte le geste rituel de la salutation à l'autel. Lorsque le prêtre a la possibilité de
contourner l'autel, il est alors en possibilité d'accomplir le geste de l'inclination à l'autel.
Dans un cas où il n'est pas en mesure de l'effectuer, il est préférable qu'il s'en abstienne
pour éviter de créer tout sentiment d'offense ou de confusion.
49 Ibid., p. 350.
50 Ibid.
51 Ibid., p. 35l.
52 Ibid.
169
la danse
Cela dit, à ce sujet, la culture africaine présente un avantage. En effet, les Africains font
eux-mêmes une distinction très nette entre la danse récréative, rituelle, religieuse ou
profane : « On parle de Makinu ma nlongo (danses sacrées) par opposition au makinu ma
nsoni (danses impudiques )54.» De plus, en ce qui concerne le folklore, les rites ou la
récréation, la tradition africaine en pose elle-même les limites dans le choix des danses.
Ainsi, en tenant ·compte de la dignité de la liturgie chrétienne, cette même tradition agit à
titre de référence dans l'encadrement qui doit être observé dans le domaine de la créativité
des chants et des danses liturgiques 55 .
- le chant
Parmi les éléments qui constituent le rite africain, le chant est une caractéristique qu'on
peut considérer indéniable et permanente pour toute célébration 56. En Afrique, ce trait
culturel est présent dans tous les différents domaines de la vie. Ainsi, de la naissance à la
mort et aux funérailles, en passant par le jeu, le mariage ou tout autre moment important de
la vie, le chant fait partie des diverses cérémonies liées à l'existence humaine. Or, le chant a
plusieurs fonctions. En effet, il peut avoir une fonction ludique, éducative, rituelle et
affecti ve 57 .
53 Ibid.
54 Ibid., p. 351-352.
55 Ibid., p. 352.
56 Ibid., p. 353 .
57 Ibid.
170
D'une part, le chant accomplit sa fonction ludique quand il intervient dans le domaine
récréatif. Il puise certes dans le répertoire traditionnel, mais il permet à l'imagination de
l'homme de s'exprimer. Par ailleurs, lorsqu'il ne sert plus à provoquer un sentiment de
détente, le chant devient un message ou un discours chanté qui s'adresse aux personnes ou
à toute la collectivité. C'est en s'inspirant des proverbes, des énigmes ou encore des satires
que l'Africain donne au chant sa fonction éducative. Portant ainsi attention aux paroles qui
sont chantées, le chant devient, pour la culture africaine, un moyen privilégié d'expression.
Un célèbre dicton africain présente le sens profond caché dans un chant pour celui qui est
Cependant, la confusion des chants et des danses avec le folklore africain demeure un
risque et une difficulté. Toutefois, la tradition a la responsabilité du discernement et de
l'imposition de normes et de limites dans l'acceptation des chants et des danses. De cette
façon, les excès, les abus ou les déviations possibles dans l'application du rite peuvent être
'évités. De plus, toutes ces craintes s'estompent rapidement, lorsque la conception de la fête
et le caractère festif de la célébration du mystère pascal se rej oignent dans le rite
eucharistique 59.
Précédemment, la présente étude a fait mention du rôle ludique ou didactique que le chant
et la danse peuvent contenir en tant que langage. La danse et le chant liturgique
s'enracinent dans cette « tradition socio-religieuse et initiatique, où les fonctions ludique et
didactique se laissent aisément distinguer, même si parfois elles interviennent au même
moment 60 ». Paroles, gestes et mouvements deviennent donc un langage, une
58 Ibid., p. 354.
59 Ibid., p. 356.
60 Ibid., p. 357.
171
communication. Pour employer des termes plus exacts, ils deviennent une action à laquelle
61
l'homme participe entièrement, entrant ainsi en relation avec la transcendance .
Or, par la mise en présence de Dieu, l' approche de cette transcendance suscite un
mouvement intérieur chez l'homme et chez la communauté entière. C ' est à travers ce
mouvement que la communauté est transformée et vivifiée:
61 Ibid., p. 356.
62 Ibid., p. 357.
63 C. Nwaka Egbulem a.p., « An African Interpretation of Liturgical Inculturation ... », p. 234 .
172
Le rite zaïrois répond au rapport entre liturgie et culture, notamment par l'intégration des
différents éléments qui s'inspirent de l'organisation du culte et des réunions dans la
tradition africaine. De cette façon, il permet à la culture africaine de répondre avec son être,
ce qui fait son essence, à la proclamation de la Parole et à l'appel de Dieu. C' est aussi à
partir de son langage verbal et gestuel que cette dernière entre en dialogue mutuel avec
Dieu.
De même, le rite zaïrois résout le rapport liturgie - Évangile par une double fonction
accomplie par la liturgie : celle d' être une expression vivante de la foi ainsi que son rôle
d'évangéliser en ne cessant de révéler Dieu à travers ses rites. Cette révélation se fait autant
par la proclamation de la Parole où, encore aujourd'hui, Dieu s'adresse à son peuple, que
par l'action du Christ qui, à travers elle, réactualise son œuvre de glorification de Dieu et de
salut du monde. Par le fait même, ce rite remplit les exigences du rapport liturgie - Dieu,
élément central du processus d'inculturation de la liturgie à cause de la nature même de
cette dernière.
De plus, en plus de tous ces éléments constitutifs d'une inculturation liturgique, le rite
zaïrois respect et applique avec efficacité l'incarnation et l'évangélisation, les deux
principes fondamentaux et majeurs de l'inculturation et de la liturgie. À vrai dire, tous les
rapports mis en tension dans le processus d' inculturation liturgique trouvent leurs assises
dans les principes d'incarnation et d'évangélisation.
Afin de compléter le schéma présenté à la partie 1.3 du chapitre 4, il est important d'ajouter
ces deux fondements que sont l' incarnation et l'évangélisation aux rapports entre Dieu, la
liturgie, la culture et l 'Évangile. Voici le résultat final de ce tableau, qui représente en
quelque sorte les différents éléments à prendre en compte pour qu'un processus
d'inculturation liturgique puisse porter un résultat qui soit adéquat :
173
DIEU
t
LITURGIE
/
CUL TURE ... ÉVANGILE
INCARNATION
+
ÉV ANGÉLISATION
Conclusion
Quelle conclusion peut-on tirer de tous ces éléments ? Est-ce que les résultats
amenés dans cette étude répondent à la question soulevée: quelles sont les conditions
durables de l'inculturation liturgique ? L'exemple du rite zaïrois de la messe semble
amener une réponse positive et une confirmation de l 'hypothèse de recherche de départ.
Voilà donc deux conditions durables qui assureront un avenir certain à toute inculturation
liturgique. De plus, elles sauront nourrir l'espérance des cultures et des peuples qui
souhaitent ardemment voir la liturgie prendre les traits de leur humanité. D'ailleurs, la
conclusion générale de ce travail permettra de poser un regard prometteur sur cet avenir de
la liturgie.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Ce sont les fondements d ' évangélisation et d' incarnation qui, majoritairement, constituent
le moteur de l' inculturation de la liturgie. Tout le travail qui s' effectue en ce sens ne saurait
porter son fruit si ces deux fondements sont négligés ou écartés. Si l' on comprend bien les
principes d' évangélisation et d' incarnation, cela ne pourrait entraîner d' autres résultats que
celui d' une inculturation équilibrée.
Au terme de cette recherche, je suis également bien conscient des limites que ce travail
comporte et qui peuvent facilement être dépassées par une recherche plus approfondie. En
effet, le processus d' inculturation appliqué à la liturgie laisse entrevoir que ce domaine en
est un qui demande encore beaucoup de travail. De nombreux travaux et études s' attachent
encore à approfondir la question des signes et des symboles liturgiques. Par exemple, en ce
cas, on peut facilement faire référence au débat sur les espèces eucharistiques.
À travers ce travail, mon intérêt premier était d'approfondir un suj et me rej oignant
personnellement afin d'acquérir une certaine connaissance théorique en cette matière. Le
parcours effectué dans ce mémoire a quant à moi largement répondu aux attentes fixées
dans ce travail. Qui plus est, ce travail aura également permis de développer une capacité à
exercer un jugement pratique afin de voir quelles retombées sont possibles sur le terrain.
Étant passionné de la liturgie et œuvrant dans le domaine de l'évangélisation, cela ne peut
qu'être bénéfique dans ma vie personnelle et professionnelle.
En cette fin de travail, il est bon de rappeler que l' inculturation ne se situe pas dans une
relation qui met en j eu deux cultures ·différentes, mais bien dans un rapport étroit entre la
culture et Ainsi, si l' inculturation se fait à partir de la réponse d'une culture à la
proclamation de la Bonne Nouvelle, il y a de fortes chances que la réponse donnée soit
justement plus adéquate par rapport à la culture. Elle sera à la fois attendue et inattendue.
En liturgie, cette manière de célébrer et de s'exprimer se manifeste par les symboles et les
éléments culturels qu'elle admettra en son sein.
175
Or, une question se pose: si Jésus était né en Afrique, quels éléments aurait-il utilisés lors
de l'institution de l'Eucharistie, si on prend pour acquis que le pain de blé et le vin de raisin
ne sont pas des éléments typiques de cette culture? En effet, l' identité d'un peuple se
construit et s'exprime par des symboles qui lui sont propres. Jésus est entré dans cette
dynamique en prenant les symboles de la culture juive dans le rite eucharistique. Le peuple
africain serait-il en droit de revendiquer un symbole qui rejoindrait son identité culturelle
pour la célébration de la messe ? Que ce soit l'eau, le feu ou le vent, il serait prétentieux
pour quelqu' un d'attribuer à un symbole une valeur universelle et identique pour tous les
peuples. Si chaque culture constitue un tout, c'est donc qu' elle possède un cadre de
référence et des valeurs qui lui sont spécifiques et uniques. Par conséquent, elle se fera une
compréhension unique à elle-même d'un symbole que l'on retrouve pourtant partout dans le
monde.
Par exemple, on peut imaginer le cas d'un missionnaire qui a adopté pratiquement tous les
aspects de la culture africaine où il a été envoyé - dont la nourriture qui provient
effectivement de la terre locale et est le fruit de leur labeur. Or, dans le rite eucharistique, il
utilise du pain et du vin, qui sont les fruits d'une importation et d'un travail extérieur. Peut-
il prononcer les paroles d'offrande du pain et du vin en les appelant« fruits de la terre et du
travail des hommes» sans entrer en contradiction avec la réalité du quotidien de la culture
où il est appelé à porter l'Évangile? Si la liturgie fait preuve d'un symbolisme désincarné,
elle refuse en quelque sorte un des principes même de l' inculturation qui est l'incarnation.
Que penser de tout cela ? C'est là une question de fond que suscite l' inculturation de la
liturgie, une interpellation à approfondir les retombées de son application.
L'inculturation de la liturgie nous place devant une évidence très claire: on ne peut
transférer d'une culture à une autre un ensemble liturgique. C'est une exigence même de
l'inculturation. Elle témoigne de changements profonds qui dépassent une adaptation au
niveau du langage, des gestes ou encore de la musique. Jusqu'où peut-on aller dans le
processus d' inculturation liturgique? Il s'agit d'une autre réalité sur laquelle il peut être
bon de s' interro ger.
176
L'un des principes souligné à maintes reprises dans ce mémoire est que la liturgie n'est pas
une fabrication où une personne peut tout se permettre selon ses goûts personnels ou encore
ses humeurs. La liturgie porte en elle quelque chose qui dépasse toute culture, tout langage.
Elle est le lieu où Dieu se révèle à l 'homme pour entrer dans une relation réciproque avec
lui. Un lieu où le salut de l'homme se réalise. Si, dans l'inculturation de la liturgie, il y a
une part où cette dernière emprunte certains éléments à la culture, on ne peut nier aussi la
réalité qu'elle est d'abord d'institution divine. Alors, qui donc est l'homme pour changer ce
que le Christ lui-même a voulu .et institué ? Comme l' exprimait le cardinal Godfried
Danneels lors de son intervention au Congrès international de liturgie, tenu en septembre
2008 à Barcelone: « Nous ne sommes pas des créateurs, mais des gardiens et des serviteurs
des mystères qui nous sont donnés; qui dérivent d'une autre réalité et qui existaient déjà
avant nous 1• »
Il peut donc être raisonnable de se méfier quelque peu de ceux qui réclament avec ardeur
que la liturgie s'adapte aux réalités nouvelles de l'époque contemporaine. D'une certaine
façon, cette revendication est juste et valable, mais elle peut aussi porter une forme de
piège. Est-ce que le désir d'adaptation est vécu dans une logique d'économie de marché,
dont le but serait de « plaire» davantage, ou répond-il au désir de mettre l'emphase sur
l'aspect prophétique de la liturgie ? Ces deux façons d'agir en liturgie portent deux
conceptions complètement différentes l'une de l'autre.
Bien que l'inculturation de la liturgie puisse rencontrer certaines difficultés, il ne faut pas
oublier qu'il y a un énorme travail qui s'accomplit et qui est source d'espérance. Le rite
zaïrois de la messe - ou plutôt le Missel romain pour les Diocèses du Zaïre - en est un bel
exemple. Cela a pu prendre un temps assez long pour que cette initiative soit effective, mais
le désir d'un peuple est en quelque sorte aujourd'hui couronné. Bien sûr, l'adaptation
culturelle du rjte n'a pas encore atteint un stade parfait, mais elle est néanmoins la preuve
de l'action de l' inculturation liturgique. La culture africaine a pu intégrer dans son rite
1 Miriam Diez i Bosch, « Selon le cardinal Danneels, la liturgie se comprend avec le cœur. Intervention au
Congrès international de liturgie», dans Zenit, le monde vu de Rome. Agence d'information, Il septembre
2008, [http://www.zenit.org/article-18765? I=french] (consulté le 12 septembre 2008).
-- · l
177
divers éléments culturels, et ce, tout en répondant aux enjeux tant de l'inculturation que de
la nature de la liturgie.
TeI?ps, patience, dialogue, accueil, écoute, etc. , auront été des clés de réussite dans cette
réalisation. En mettant trop de rapidité dans l'accomplissement des tâches liturgiques, on
risque souvent de s'épuiser et de ne pas arriver, en fin de compte, à un résultat qui soit
satisfaisant. L ' inculturation liturgique demande du temps! L ' exemple de Matteo Ricci l' a
d'ailleurs démontré. L'Église fait donc preuve de sagesse lorsqu' elle prend le temps de
discerner les gestes à poser, car en effet, ces situations d' inculturation cachent souvent des
Les résultats obtenus à la suite de cette recherche laissent entrevoir un avenir certainement
très prometteur et positif pour l' inculturation de la liturgie et pour le renouveau liturgique
tant souhaité par Vatican II. En effet, en appliquant le principe de l' inculturation à la
liturgie, le rite zaïrois de la messe a su montrer un dynamisme nouveau et une appropriation
nouvelle dans la manière d'exprimer et de célébrer la foi dans le Dieu de Jésus Christ. La
liturgie, dans le rapport qu'elle entretient avec la culture, a su être parlante et significative
pour un peuple, empruntant de son génie culturel certains éléments qui lui sont vitaux.
En ce sens, l' inculturation liturgique vient répondre au désir qu'avait Vatican II de favoriser
la participation pleine, conscience et active des fidèles au mystère de la foi. Cette
participation estl'œuvre de l'appropriation, ou même de la réappropriation, qu'ils feront du
message chrétien et de l'expérience de Jésus-Christ. De la sorte, le croyant pourra nourrir
une relation avec Dieu qui culmine et se célèbre dans la liturgie. La liturgie répond encore
au désir du Concile en rendant la présence de Dieu intelligible et compréhensible dans la
vie du chrétien. Par ailleurs, elle fait également preuve d ' une meilleure adaptation aux
besoins du temps présent par rapport à ce qui concerne les institutions sujettes à des
changements (cf. SC 1). De même, son expérience est le témoignage d'une Église à la
conscience culturelle éveillée. Par son ouverture aux changements et aux modifications
liturgiques, elle enrichit autant la culture évangélisée que le christianisme lui-même. La
liste des bienfaits apportés par l'inculturation liturgique pourrait encore s'approfondir, tant
les effets qu'elle a sur le monde et sur l' Église sont nombreux.
178
L'Église ne doit cesser de chercher de toutes ses forces à accomplir cet autre désir du
Concile Vatican II, c'est-à-dire que le langage de la liturgie vivant,
compréhensible et accessible pour la culture. Chercher à ce qu'une culture particulière soit
pleinement intégrée dans le christianisme est une action noble qui exige-cependant, sous la
réserve de la prudence, une grande confiance de la part de l' Église. C'est pourquoi, même
si le processus d' inculturation implique d'abord une mise en relation entre l'Évangile et la
culture, il est inévitable qu' il s'accomplisse par une dialectique entre deux cultures. Cela
implique que chacune des cultures use de respect et d' accueil de l' autre afin qu'aucune des
deux ne domine ou ne réduise l' autre. Ce dialogue doit porter autant une culture que l' autre
à un sommet de beauté. Chose certaine, l' inculturation constitue, à mon avis, une avenue à
exploiter.
L'un de ces outils, dont la nature essentielle est d'une évidence pour plusieurs, est
l'utilisation de la langue maternelle d'un peuple. Par elle, -il est plus · facile, pour le
missionnaire, de communiquer et d'entrer en contact avec les personnes. Cela dit, la langue
maternelle comporte même un plus grand avantage : elle introduit directement celui qui
l'étudie à la culture et à la mentalité d'un peuple. Connaître ce moyen de transmission de la
culture et de la mentalité d'un peuple, c'est atteindre l'âme de celui-ci de telle sorte que la
vie et le message chrétiens pourront être intégrés. Les missionnaires sont en cela un très bel
exemple. Cependant, la connaissance de la langue est encore insuffisante. Il faut aussi que
l'évangélisateur vive au sein même de ce peuple.
Un autre atout important dans l' inculturation liturgique d'un peuple est la formation
biblique et liturgique. Effectivement, l'utilité de cet instrument pour l'évangélisation est
indéniable et on peut même. dire indispensable dans la société actuelle. En permettant de
comprendre le sens des textes et des rites qui constituent les livres liturgiques, cette
179
formation aiderait à ce que des changements regrettables, voire même des suppressions,
soient appliqués au rite romain transmis par tradition. De même, cette éducation à la foi
soutiendrait la liturgie dans sa mission de satisfaire aux exigences de la culture qui est elle-
même insérée dans une tradition qui lui est propre.
De plus, à cette éducation peut aussi s' ajouter une formation anthropologique des personnes
oeuvrant en milieu pastoral. En effet, les agents de pastorale semblent éprouver de plus en
2
plus de difficulté à percevoir l'importance de la culture dans la vie de l' homme . Les
enjeux de la liturgie comprennent une dimension personnelle, mais ils comportent d' abord
et avant tout une dimension communautaire. Et c'est cette dimension qu'il est important de
cerner en approchant la liturgie dans un monde contemporain marqué par un individualisme
prédominant. Si cet aspect communautaire de la liturgie n'est pas considéré, les réalisations
liturgiques en resteront seulement à un niveau superficiel.
En dernier lieu, un élément d'importance capitale doit être souligné: la Parole de Dieu.
Non seulement elle nourrit l'Église, mais l' Église elle-même, en la proclamant à travers sa
liturgie, l'accueille comme étant une présence même du Christ. C' est une des raisons qui
fait en sorte que l' Église insiste particulièrement à ce qu'aucun des textes bibliques ne
soient remplacés. La Parole de Dieu fournit donc à la liturgie tout ce dont elle a besoin.
2 Bernard Ugeux, « L' inculturation de la liturgie: chemins et difficultés en Afrique subsaharienne », dans La
Maison-Dieu 208, 1996, p. 93.
180
de Dieu est au cœur même de tout le processus. Ce rapport à la Parole est certes présent,
mais il est souhaitable qu'il soit davantage encouragé et présent dans l' Église.
Danneels a raison de dire que ce qu'il faut à notre temps ce n'est pas de mettre en pratique
toute une série de dispositions, mais plutôt tout un processus d'éducation qui puisse
permettre aux croyants à apprendre à entrer dans le mystère qui les dépasse: une action de
Dieu en leur faveur avant d'être une action de l'homme en faveur de Dieu 3 .
Il ne reste plus maintenant qu'à explorer les avenues qu'offre l'inculturation de la liturgie.
La liturgie est le lieu où seront apparents les premiers fruits d'une véritable évangélisation,
d'une véritable inculturation qui montreront que la culture a, par la conversion, épousé
l'Évangile et où le christianisme aura à son tour épousé la culture dans laquelle elle a
annoncé la Bonne Nouvelle. Que la Parole de Dieu portée par l'évangélisation puisse
s'incarner et prendre vie. Voilà qui n'est pas œuvre d' homme, même s'il y contribue, mais ·
bien œuvre de l'Esprit.
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