Keita, B

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ROYAUME DU MAROC

INSTITUT AGRONOMIQUE ET VETERINAIRE HASSAN II

Mémoire de troisième cycle présenté pour obtenir


le grade d’ingénieur d’Etat en Agronomie
Option : Agroéconomie

L’IRRIGATION DANS LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ


(HAUT-ATLAS CENTRAL) :
Quelles articulations entre la dynamique de gestion locale coutumière
et la mise en œuvre de la gestion participative de l’irrigation (GPI) ?

Mémoire de troisième cycle

Présenté et soutenu publiquement par


KEITA Bamoye

Devant le jury composé de :


Président : Mr. GUERDOUH Mohamed…………………….(DAHA, Rabat)
Rapporteur : Pr. HERZENNI Abdallah…………………………(IAV HASSAN II, DSH)
Examinateurs : Mme CHICHE Jeanne…………………………….(IAV HASSAN II, DSH)
Pr. KUPER Marcel………………………………...(CIRAD-Tera/IAV HASSAN II, GR)
Mr. RUF Thierry…………………………………..(IRD-DSI/IAV HASSAN II, DSH)

Juillet 2004
Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II-BP.6202-Instituts, 10101 Rabat
Tel. : (037) 77 17 58/59/45 OU 77 07 92, Fax : (037) 77 81 35 OU 77 58 38
Site web : www.iav.ac.ma
DEDICACES

A mes chers parents DJIGUI et DICKO,


Aucun mot ne saurait exprimer ce que je ressens pour vous

A la mémoire de mon grand frère Salia KEITA,


qui nous a quitté cette année. Que ton âme repose en paix

A mes tantes et mes oncles de GOUNDAM, TONKA et MOPTI


Je vous exprime toute ma gratitude et toute ma reconnaissance

A mes sœurs et mes frères


dont le soutien et l’amour m’ont toujours accompagné

Aux familles SARRO, COUMA et DIAKITE


pour leur soutien et leur aide

A tous mes amis

II
REMERCIEMENTS

Au terme de ce travail, j’adresse mes sincères remerciements au professeur Abdellah


HERZENNI pour les orientations précises qu’il m’a données tout au long de sa réalisation.

Je remercie également Thierry RUF, chef de l’UR-044-DSI-IRD, pour le grand intérêt qu’il a
porté à cette étude et pour les conseils et les pistes de réflexion judicieux qu’il m’a apportés.

Qu’il me soit également permis d’adresser mes vifs remerciements à tous les membres du jury
qui m’ont fait l’honneur d’accepter de juger ce travail et d’y apporter leur contribution.

Un très grand merci à Abdelaziz ELGEUROUA, animateur du projet ISIIMM dans la vallée des
Aït Bouguemez. En tant que traducteur, il a été, pendant près de 5 mois mes oreilles et ma voix
auprès des agriculteurs. Sa très bonne connaissance de la culture berbère Tachelhit a été
determinante lors de la réalisation des enquêtes. Je remercie également Mohamed AÏT BELA,
animateur du projet ISIIMM à Marrakech. Tout au long de cette année, il a facilité mes transits
par Marrakech en m’hébergeant gentillement chez lui.

Les agriculteurs de la vallée des Aït Hakim et du douar Ifrane m’ont toujours acceulli
chaleureusement chez eux. Ils ont accepté de me consacrer du temps et de partager un peu de
leur savoir avec moi. Qu’ils trouvent ici l’expression de mon respect et de ma reconnaissance.

Plusieurs personnes appartenant à l’Equipe ISIIMM Maroc, l’Equipe de coordination ISIIMM


Montpellier, la DPA d’Azilal, la DAHA Rabat et l’ADL Rabat ont contribué directement ou
indirectement à ce travail en fournissant des conseils, de la documentation ou de la logistique.
Qu’elles trouvent ici l’expression de mes remerciements sincères.

Un très grand merci à Jeanne RIAUX, doctorante de l’EHESS dans la vallée des Aït Bouguemez,
pour la documentation qu’elle m’a fournie au tout début de ce travail.

Enfin, merci à Sadio, Hassan, Boul, Boubacar Sangaré, Adama Berthé, Djeneba Dembelé et Aziz
Yanogo pour leur amitié et pour leurs encouragements tout au long de la réalisation de ce travail.

III
RESUME
Depuis 1999, les périmètres irrigués de la vallée montagnarde des Aït Bouguemez bénéficient
d’un programme de modernisation. L’un des objectifs de ce programme est de rendre plus
efficiente l’irrigation. Dans le cadre d’une Gestion Participative de l’Irrigation, les Services de
l’Etat, responsables du programme, ont introduit de nouvelles institutions de gestion de l’eau (les
Associations des Usagers des Eaux Agricoles : AUEA) dans les systèmes d’irrigation
traditionnels de la vallée qui comportent déjà des institutions coutumières flexibles et
dynamiques, historiquement construites.
Le but de ce mémoire de fin d’études est de faire un état des lieux de l’irrigation visant à fournir
aux différents intervenants dans la vallée les informations utiles pour un meilleur
accompagnement de la transition institutionnelle en cours dans la vallée.
L’étude s’est concentrée sur le système d’irrigation de la vallée des Aït Hakim, un territoire
caractérisé par une organisation socio-territoriale complexe basée sur des alliances et des
oppositions entre douars autour de la gestion des ressources naturelles. L’approche systémique a
permis de mettre en évidence les caractéristiques essentielles des institutions de gestion de l’eau
et du réseau d’irrigation : le réseau se compose de 36 canaux alimentés essentiellement par des
prises situées le long d’un oued. Cet oued est lui-même réalimenté tout au long de son cours par
des sources latérales ou des résurgences de fond de vallée appartenant aux différents douars. Le
long de ce réseau, la répartition de l’eau entre les douars se fait selon ou sans des tours d’eau. Au
sein de chaque douar, la Taqbilt de douar, assemblée des chefs de foyer, est l’institution
coutumière chargée de définir, de mettre en œuvre et de veiller au respect des règles de
distribution de l’eau. Le long de chaque canal, la répartition de l’eau entre les parcelles dépend
du groupe d’ayants droit du canal qui en fixe collectivement les règles et les modalités. Chaque
règle de gestion de l’eau comporte un aspect de flexibilité qui permet de l’adapter à différentes
situations (abondance ou raréfaction de l’eau).
La création des AUEA, en 1999-2001, n’a pas pris en compte la complexité de l’organisation
socio-territoriale, les différents modes d’attribution des droits d’eau et l’aspect de flexibilité qui
caractérise les règles de gestion sociale de l’eau. Ainsi, dans la vallée des Aït Hakim, les
agriculteurs ne se sont pas appropriés l’AUEA en tant qu’institution de gestion de l’eau, d’une
part, parce qu’elle ne correspond à aucune demande de leur part et d’autre part, parce qu’ils
n’ont pas été suffisamment informés de ses objectifs. L’étude montre pourtant que des rôles
importants existent pour les AUEA. Elles peuvent gérer la répartition de l’eau le long de l’oued,
améliorer l’irrigation à la parcelle ou fournir des intrants aux agriculteurs. En prenant des
mesures de réduction des disparités de débits amont-aval et en mettant l’accent sur l’information-
sensibilisation, les AUEA pourraient devenir de véritables institutions de gestion de l’eau au
service des agriculteurs.

Mots clés : Maroc, Haut-Atlas, GPI, AUEA, Gestion sociale de l’eau, Irrigation, système irrigué
traditionnel.

IV
ABSTRACT
Since 1999, the irrigated perimeters of the Aït Bouguemez valley benefit from a program of
modernization financed by the State. One of the objectives of this program is to make more
efficient the irrigation. In the setting of a Participatory Irrigation Management, the Services of
the State, responsible of the program, introduce the new institutions of water management (the
WUA1) in the traditional irrigation systems of the valley that already include the supple and
dynamic customary institutions, historically constructed.
The goal of this memory of end of the study is to establish a diagnosis of the local water
management for a better accompaniment of the institutional transition in the valley.
The study concentrated on the irrigation system of the Aït Hakim valley, a territory characterized
by a complex social and territorial organization based on alliances and oppositions between the
villages around the management of the natural resources. The systemic approach permitted to put
in evidence the essential features of the water management institutions and the irrigation
network: the network is composed by 36 channels, essentially provided in water by holds on a
wadi. This wadi is provided in water all along its course by sources belonging at the different
villages. Along this network, water is distributed between the villages according to or without
water tours. Within every village, the Taqbilt, the families’ chief’s assembly, is the customary
institution assigned to define and to look after the respect of the rules of water distribution.
Along every channel, the distribution of water between the parcels depends on the group of
having right of the channel that fixes the rules and the modes collectively of it. Every rule of
water management includes an aspect of flexibility that permits to adapt it to different situations
(abundance or rarefaction of water).
The creation of the WUA didn't take in account of the complexity of the social and territorial
organization, the different fashions of the water rights assignment and the aspect of flexibility
that characterize the rules of social water management. So, in the valley Aït Hakims, the
agriculturists didn't appropriate the WUA as institution of water management, on the one hand,
because it doesn't correspond to any demand of their part and on the other hand, because they
have not been informed sufficiently of its objectives.
The study yet shows that some important roles exist for the WUA. They can manage the
distribution of water along water, to improve the irrigation to the parcel or to provide some
inputs to the agriculturists. While taking measures of reduction of the uphill-downstream debits
disparities and while putting the accent on the information-sensitization, the AUEA could
become of real institutions of water management to the service of the agriculturists.

Key words: Morocco, High-Atlas, PIM, WUA, social water Management, Irrigation, traditional
irrigated system.

1
Water Users Associations

V
TABLE DES MATIIÈRES
DEDICACES……………………………………………………………………………………………………………….............I
REMERCIEMENTS……………………………………………………………………….………………………………...…...II
RESUME………………………………………………………………………….……………………………..…...……….......III
ABSTRACT…………………………………………………………………………………………………………...…………..IV
TABLE DES MATIERES……………………………………………………………………………….…..…….…………...…V
LISTE DES ANNEXES……………………………………………………………………………….………………...…...…VIII
LISTE DES TABLEAUX……………………………………………………………………………………………..….............IX
LISTE DES CARTES………………………………………………………………………………….……………….…...…....IX
LISTE DES PHOTOGRAPHIES…………………………………..….……………..……………....…….………………...….IX
LISTE DES SCHEMAS…………………………………………...…………………………..……….….....................................X
LISTE DES FIGURES……………………………………………………………………………..…..…………………...…......X
LISTE DES GRAPHIQUES…………………………………..….……………..…………………....…….………………....…..X
TABLE DES SIGLES, ABREVIATIONS ET ACRONYMES………………………………..………….….………………....X
LEXIQUE DES TERMES TACHELHIT (TT) ET ARABES (AR)……………………………..….......….……………….…XI

INTRODUCTION GENERALE...................................................................................................................... 1
PREMIERE PARTIE : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE ET CONSTRUCTION DE LA
PROBLEMATIQUE DE L’ETUDE.......................................................................................................................... 3
CHPITRE I : LA GESTION DE L’IRRIGATION AU MAROC................................................................. 3
I. L’EAU : UNE PROBLEMATIQUE MONDIALE ....................................................................................................... 3
Introduction : ....................................................................................................................................................... 3
1. La sécheresse : une caractéristique structurelle de la région du Maghreb ?............................................... 3
2. La gestion étatique centraliseé des années 50-80 : une nécessité ? ............................................................ 4
3. Les limites de l’intervention publique : ..................................................................................................... 5
4. Vers la gestion participative de l’irrigation :.............................................................................................. 5
Conclusion :......................................................................................................................................................... 6
II. LES POLITIQUES D’IRRIGATION DU MAROC : ...................................................................................... 6
Introduction : ....................................................................................................................................................... 6
1. Sous le protectorat : des aménagements hydro-agricoles prioritairement destinés aux colons .................. 6
2. Les politiques du Maroc indépendant : à la recherche d’une cohérence .................................................... 7
Conclusion : des efforts d’investissement concentrés essentiellement dans les zones de GH........................... 11
III. APPROCHES ET POLITIQUES D’INTERVENTION DE L’ETAT DANS LES ZONES DE (PMH)....... 11
Introduction : ..................................................................................................................................................... 11
1. Caractéristiques des zones de PMH : ....................................................................................................... 11
2. Approches et politiques d’interventions de l’etat dans la PMH : un regain d’intéret progressif.............. 13
Conclusion : introduction des AUEA dans les périmètres irrigués traditionnels de PMH ................................ 14
CHPITRE II : LA PROBLEMATIQUE ET LES OBJECTIFS DE L’ETUDE, LES HYPOTHESES ET
LA METHODOLOGIE DE TRAVAIL.................................................................................................................. 15
I. LA PROBLEMATIQUE DE L’ETUDE : ..................................................................................................... 15
1. Les constats :............................................................................................................................................ 15
2. Formulation de la problématique : ........................................................................................................... 16
II. LES OBJECTIFS DE L’ETUDE : ......................................................................................................................... 17
1. L’objectif principal de l’étude : faire un état des lieux de la gestion locale de l’irrigation dans la valle des
Aït Bouguemez.................................................................................................................................................. 17
2. L’objectif pédagogique de l’étude : approfondir les connaissances théoriques par la pratique .............. 17
III. LES HYPOTHESES DE TRAVAIL : ................................................................................................................ 17
IV. LA METHODOLOGIE DE TRAVAIL : L’APPROCHE SYSTEMIQUE ET LA DEMARCHE DE TERRAIN ............... 18
1. Justifications du choix de l’approche systémique : .................................................................................. 18
2. Les principes méthodologiques :.............................................................................................................. 19
3. La démarche de terrain : sources d’informations et de données............................................................... 22
DEUXIEME PARTIE : LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ ET LA HAUTE VALLEE DES AÏT HAKIM
.................................................................................................................................................................................... 24

VI
CHAPITRE III : CARACTERISTIQUES PHYSIQUES ET SOCIO-TERRITORIALES DE LA ZONE
D’ETUDE................................................................................................................................................................... 24
I. LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ : UN ENSEMBLE ECOLOGIQUE DE TYPE AGRO-SYLVO-PASTORAL .............. 24
Introduction : ..................................................................................................................................................... 24
1. Organisation administrative et territoriale : ............................................................................................. 25
2. Caractéristiques du milieu biophysique : ................................................................................................. 26
3. Les étages écologiques : un étagement montagnard classique, socle des systèmes de production .......... 29
4. Caractéristiques humaines : une population berbère Tachelhit d’origine très diverse ............................. 32
5. Organisation socio-institutionnelle : la logique du cumul........................................................................ 34
6. La dynamique de l’activité économique : des apports extérieurs déterminants ....................................... 35
7. Les initiatives locales de développement :............................................................................................... 39
Conclusion :....................................................................................................................................................... 39
II. LA HAUTE VALLEE DES AÏT HAKIM : UN EMBOITEMENT COMPLEXE DE FINAGES ........................................ 40
Introduction : ..................................................................................................................................................... 40
1. Une délimitation difficile des finages : .................................................................................................... 40
2. Quels critères de délimitation des finages retenir ?.................................................................................. 40
3. Les niveaux d’organisation territoriale et la gestion communautaire des ressources naturelles : ............ 41
4. Les emboîtements de finages : ................................................................................................................. 42
III. LA GESTION DES ESPACES COMMUNAUTAIRES : LES FORETS ET LES PARCOURS................... 45
Introduction ....................................................................................................................................................... 45
1. La gestion des espaces naturels : la logique du contrat ............................................................................ 45
2. Répartition spatiale et règles de gestion des parcours et des forêts :....................................................... 46
Conclusion :....................................................................................................................................................... 47
TROISIEME PARTIE : LE SYSTEME D’IRRIGATION DE LA VALLEE DES AÏT HAKIM........... 49
CHAPITRE IV : LE RESEAU PHYSIQUE D’IRRIGATION ................................................................... 49
I. ELEMENTS D’HISTOIRE DES CANAUX D’IRRIGATION : .................................................................................... 49
1. L’agriculture irriguée : ............................................................................................................................. 49
2. Les premiers canaux d’irrigation : ........................................................................................................... 49
Conclusion :....................................................................................................................................................... 50
II. HYDROLOGIE DE LA VALLEE : ALIMENTATION EN EAU DU RESEAU D’IRRIGATION ........................................ 50
1. L’Assif-n-Aït Hakim :.............................................................................................................................. 50
2. Alimentation en eau de l’assif : les sources, les résurgences et les torrents de haute montagne.............. 51
3. Hydrologie de la vallée des Aït Hakim : l’origine des sources et des resurgences .................................. 51
Conclusion :....................................................................................................................................................... 53
III. ARCHITECTURE DES CANAUX : LA CIRCULATION DE L’EAU DANS LE RESEAU D’IRRIGATION ..................... 54
1. Principes generaux de l’architecture du reseau : ...................................................................................... 54
2. Les ouvrages de captage et de deviation de l’eau: ................................................................................... 56
3. Les ouvrages de franchissement : ............................................................................................................ 58
4. Les autres ouvrages d’utilisation de l’eau :.............................................................................................. 59
Conclusion : imbrication des réseaux de douars................................................................................................ 59
IV. LE DIAGNOSTIC TECHNIQUE DU RESEAU :.................................................................................................. 60
Introduction : ..................................................................................................................................................... 60
1. L’érosion du lit des canaux principaux : .................................................................................................. 60
2. Le nombre élevé de prises sur les canaux : .............................................................................................. 60
3. Les éboulis provoqués par la neige : ........................................................................................................ 61
4. Les dégâts provoqués par les inondations :.............................................................................................. 61
5. Les problèmes du canal bétonné : des seuils qui provoquent des fuites importantes............................... 62
Conclusion : un réseau d’irrigation très vulnérable ........................................................................................... 62
V. LE ZONAGE HYDRAULIQUE : DES SOUS-SYSTEMES D’IRRIGATION IMBRIQUES .............................................. 62
Introduction : ..................................................................................................................................................... 62
1. Les secteurs hydrauliques : ...................................................................................................................... 62
Conclusion : des secteurs hydrauliques qui entretiennent des relations tendues ............................................... 69
CHAPITRE V : LA GESTION SOCIALE DE L’EAU D’IRRIGATION........................................................... 72
INTRODUCTION : LA GESTION SOCIALE DE L’EAU ........................................................................ 72
I. LE CADRE INSTITUTIONNEL DE LA GESTION SOCIALE DE L’EAU ..................................................................... 72
Introduction : ..................................................................................................................................................... 72
1. Les instances locales de gestion de l’eau ................................................................................................. 73
2. Les institutions modernes et la gestion de l’eau :..................................................................................... 76
Conclusion :....................................................................................................................................................... 78

VII
II. LES PRINCIPES ET LES REGLES DE DISTRIBUTION DE L’EAU : .......................................................................... 78
Introduction : ..................................................................................................................................................... 78
1. les droits d’eau et les statuts de l’eau : ..................................................................................................... 78
Conclusion :....................................................................................................................................................... 81
2. les regles coutumières de distribution de l’eau : ...................................................................................... 81
3. La maintenance des infrastructures d’irrigation :..................................................................................... 94
4. les conflits liés a la distribution de l’eau :................................................................................................ 97
CONCLUSION :............................................................................................................................................ 104
QUATRIEME PARTIE : LA GESTION DE L’EAU INTRA-DOUAR ET LES STRATEGIES DES
EXPLOITATIONS AGRICOLES FACE A LA RAREFACTION DE L’EAU : CAS DU DOUAR IFRANE
.................................................................................................................................................................................. 107
CHAPITRE VI : LE SYSTEME DE GESTION L’EAU INTRA-DOUAR, UNE CONSTRUCTION
SOCIO-HISTORIQUE COMPLEXE................................................................................................................... 107
I. PRESENTATION GENERALE DU DOUAR IFRANE : ........................................................................................... 107
Introduction : ................................................................................................................................................... 107
1. Le territoire et ses ressources : ............................................................................................................... 107
2. L’histoire du peuplement : ..................................................................................................................... 109
Conclusion :..................................................................................................................................................... 111
II. HISTOIRE DES GRANDES EVOLUTIONS DU SYSTEME SOCIAL DE DISTRIBUTION DE L’EAU:.............. 111
Introduction : ................................................................................................................................................... 111
1. Les premiers droits sur la terre et sur l’eau : un partage consensuel des ressources .............................. 111
Version 1 du récit : les deux premières familles sont détentrices de tous les droits d’eau ............................. 112
Version 2 du récit : les trois familles fondatrices ont défini les droits d’eau de façon consensuelle ............... 112
2. La mise en place des principes de la distribution de l’eau intra-douar :................................................. 113
Conclusion : flexibilité et adaptabilité des règles coutumières de répartition de l’eau.................................... 115
III. LES MODALITES ACTUELLES DE DISTRIBUTION DE L’EAU LE LONG DES CANAUX D’IFRANE : .................. 115
Introduction : ................................................................................................................................................... 115
1. Rappel de l’architecture du réseau d’Ifrane : ......................................................................................... 116
2. Les règles et les modalités théoriques d’attribution des droits d’eau des familles le long des canaux : 117
3. Les arrangements entre agriculteurs : quel degré d’application des règles théoriques ? ........................ 120
Conclusion :..................................................................................................................................................... 123
IV. LA MAINTENANCE DES INFRASTRUCTURES D’IRRIGATION : .................................................................... 123
Introduction : ................................................................................................................................................... 123
1. Les règles d’entretien :........................................................................................................................... 123
2. Déroulement des travaux : ..................................................................................................................... 123
Conclusion : un respect rigoureux des règles d’entretien des canaux.............................................................. 124
V. LE SYTEME DE GESTION DES CONFLITS : ...................................................................................................... 125
Introduction : ................................................................................................................................................... 125
1. Les conflits entre agriculteurs d’Ifrane : ................................................................................................ 125
2. Les conflits inter-douars : ...................................................................................................................... 126
Conclusion :..................................................................................................................................................... 127
CHPITRE VII : LA PLACE DE L’IRRIGATION DANS LES SYSTEMES DE PRODUCTION ET
LES STRATEGIES DES EXPLOITATIONS AGRICOLES FACE A LA RAREFACTION DE L’EAU . 127
I. LA REPARTITION DES TACHES AU SEIN DES EXPLOITATIONS FAMILIALES :................................................... 128
Introduction : ................................................................................................................................................... 128
1. La composition des familles : ................................................................................................................ 128
2. Répartition des tâches au sein de la famille : ........................................................................................ 128
Conclusion :..................................................................................................................................................... 130
II. LA PRODUCTION ANIMALE :......................................................................................................................... 130
Introduction : ................................................................................................................................................... 130
1. La conduite des animaux : ..................................................................................................................... 130
2. Destination des produits de l’élevage : .................................................................................................. 131
Conclusion :..................................................................................................................................................... 132
III. LA PRODUCTION VEGETALE :.................................................................................................................. 132
Introduction : ................................................................................................................................................... 132
1. Les obstacles naturels au bon développement de l’agriculture .............................................................. 132
2. Les saisons de cultures : Laili et Smaïm ................................................................................................ 133
3. La production en bour :.......................................................................................................................... 133
4. La production irriguée :.......................................................................................................................... 134
5. Les techniques culturales : partage du travail et solidarité villageoise................................................... 137

VIII
Conclusion : une interdependance très poussee de l’extensif et de l’intensif .................................................. 138
IV. LA TYPOLOGIE DES EXPLOITATIONS AGRICOLES : ................................................................................... 138
Introduction : ................................................................................................................................................... 138
1. Les critères de différenciation des types : .............................................................................................. 138
2. Méthode de définition des types : .......................................................................................................... 139
3. Les types d’exploitations agricoles : ...................................................................................................... 140
Conclusion : tendances actuelles des systèmes de production......................................................................... 144
V. LA GESTION DE L’EAU A LA PARCELLE : LES TECHNIQUES D’IRRIGATION .................................................... 144
Introduction : ................................................................................................................................................... 144
1. L’irrigation des parcelles : une activité masculine................................................................................. 144
2. La préparation des parcelles pour l’irrigation : ...................................................................................... 145
3. L’application de l’eau à la parcelle : la submersion............................................................................... 145
4. Le drainage des parcelles : ..................................................................................................................... 147
Conclusion : l’irrigation à la parcelle, des difficultés techniques et organisationnelles .................................. 147
VI. LA GESTION DE LA RAREFACTION DE L’EAU : .......................................................................................... 150
Introduction : la raréfaction de l’eau ............................................................................................................... 150
1. Les stratégies des agriculteurs face à la raréfaction de l’eau................................................................. 150
2. Préférences des types d’exploitations agricoles pour les différentes stratégies : ................................... 158
Conclusion :..................................................................................................................................................... 159
CONCLUSION :............................................................................................................................................ 159
CINQUIEME PARTIE : LA GESTION PARTICIPATIVE DE L’IRRIGATION (GPI) DANS LA
VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ ...................................................................................................................... 161
CHAPITRE VIII : L’INTRODUCTION DES AUEA DANS LE SYSTEME D’IRRIGATION
TRADITIONNEL DE LA VALLEE DES AÏT HAKIM..................................................................................... 161
I. LE CADRE LEGAL DE CONSTITUTION DES AUEA : ....................................................................................... 161
Introduction : ................................................................................................................................................... 161
1. Le cadre de création des AUEA :........................................................................................................... 161
2. Les objectifs et les rôles des AUEA :..................................................................................................... 161
3. Les principales dispositions législatives : .............................................................................................. 162
Conclusion :..................................................................................................................................................... 163
II. LE PROCESSUS DE CREATION DES ASSOCIATIONS DES USAGERS DES EAUX AGRICOLES (AUEA) DANS LA
VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ :............................................................................................................................. 163
Introduction : ................................................................................................................................................... 163
1. Le projet-programme DRI-PMH : ......................................................................................................... 163
2. Le processus de création des auea dans la vallee des Aït Bouguemez :................................................. 165
3. les rôles des auea : discutés par les differents acteurs............................................................................ 174
4. Le fonctionnement du bureau l’auea Aït Hakim :.................................................................................. 174
Conclusion :..................................................................................................................................................... 178
5. Eléments d’analyse de l’auea des Aït Hakim :....................................................................................... 179
Conclusion : l’auea des Aït Hakim, une entité territoriale nouvelle ................................................................ 186
III. ELEMENTS POUR UNE GESTION PARTICIPATIVE DE L’IRRIGATION SOCIALEMENT VIABLE ...................... 187
Introduction : ................................................................................................................................................... 187
1. Comment dynamiser l’AUEA Aït Hakim ? ........................................................................................... 188
2. Hypothèse de création de plusieurs AUEA :.......................................................................................... 192
Conclusion :..................................................................................................................................................... 192
CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS..................................................................... 193
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES .................................................................................................... 197
ANNEXES...................................................................................................................................................... 201
LISTE DES ANNEXES
ANNEXE 1 : DONNEES DEMOGRAPHIQUES DE LA VALLEE DES AÏT HAKIM ................................................................. 201
ANNEXE 2: PRINCIPES ET PRATIQUES DE LA DISTRIBUTION DE L'EAU DANS LES SYSTEMES IRRIGUES GRAVITAIRES ... 203
ANNEXE 3 : EMPLACEMENTS DES PRISES DES CANAUX .............................................................................................. 204
ANNEXE 4: LES TOURS D'EAU SUR LES CANAUX DES SECTEURS (A) (B) ET (C) ......................................................... 205
ANNEXE 5 : MODES D'ENTRETIEN DES CANAUX......................................................................................................... 206
ANNEXE 6: REPARTITION DE L'EAU DE TAGHFIST ENTRE LES FAMILLES DE ZAOUIT ALEMZI ..................................... 206
ANNEXE 7 : DROITS D'EAU DES FAMILLES ET LEURS MODALITES D'ATTRIBUTION SUR LES CANAUX D'IFRANE .......... 207
ANNEXE 8 : OBSERVATIONS DES PRATIQUES DE TOURS D’EAU A IFRANE .................................................................. 213
ANNEXE 9 : LEÇONS TIREES DE QUELQUES EXPERIENCES DE GPI DANS LE MONDE ................................................... 214

IX
ANNEXE 10 : LE REGLEMENT INTERIEUR DE L'AUEA DES AÏT HAKIM ...................................................................... 216
ANNEXE 11 : MODES D’EXPLOITATION DES PARCOURS ET DES FORETS ..................................................................... 218
ANNEXE 12 : ESTIMATIONS DES REVENUS DES CINQ TYPES D’EXPLOITATIONS AGRICOLES ....................................... 220
ANNEXE 13 : QUESTIONS ABORDEES AU COURS DES ENTRETIENS SEMI DIRECTIFS .................................................... 221
ANNEXE 14 : EXTRAIT DES ENTRETIENS .................................................................................................................... 222
LISTE DES TABLEAUX
TABLEAU 1 : LES ECHELLES D’ANALYSE DES OBJETS D’ETUDE .................................................................................... 22
TABLEAU 2 : REPARTITION ET DEBITS DES SOURCES DANS LES DOUARS ...................................................................... 51
TABLEAU 3 : LES CANAUX BETONNES ......................................................................................................................... 54
TABLEAU 4 : TEMPS D’ACCES A L’EAU DES QUATRE DOUARS DU SECTEUR (B)............................................................ 83
TABLEAU 5 : TEMPS D’ACCES A L’EAU D’IFRANE ET D’AÏT OUCHI .............................................................................. 84
TABLEAU 6 : REPARTITION DES DARAT SUR LES CANAUX : TIN OUSSAMAR ET TIN OUAMMASS .................................... 87
TABLEAU 7 : TOURS D’EAU ENTRE IGHIRINE ET AÏT OUCHI ........................................................................................ 99
TABLEAU 8 : MODES D’ALIMENTATION ET NATURE DES CANAUX D’IFRANE ............................................................. 116
TABLEAU 9 : PERIODES DE SEMIS ET DE RECOLTES DES CULTURES BOUR .................................................................. 134
TABLEAU 10 : PERIODES DE SEMIS ET DE RECOLTES DES CULTURES IRRIGUEES D’AUTOCONSOMMATION ................. 134
TABLEAU 11: LE CALENDRIER DES IRRIGATIONS ....................................................................................................... 149
TABLEAU 12 : RECAPITULATION DES DIFFERENTES ETAPES DE FORMATION DE L’AUEA AÏT HAKIM ....................... 179
TABLEAU 13: FONCTIONS DES MEMBRES DU BUREAU DE L'AUEA AÏT HAKIM ......................................................... 182
LISTE DES CARTES
CARTE 1 : GEOGRAPHIE DU MAROC ET LOCALISATION DE LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ ...................................... 24
CARTE 2 : PROVINCE D'AZILAL ET COMMUNE RURALE DE TABANT ............................................................................ 25
CARTE 3 : HYDROLOGIE GENERALE DE LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ ................................................................... 27
CARTE 4 : LES ETAGES ECOLOGIQUES .......................................................................................................................... 31
CARTE 5 : OCCUPATION DES TERRITOIRES ................................................................................................................... 34
CARTE 6 : LES EMBOITEMENTS DE FINAGES DE LA VALLEE DES AÏT HAKIM ................................................................ 43
CARTE 7 : HYDROLOGIE DE LA VALLEE DES AÏT HAKIM .............................................................................................. 50
CARTE 8 : ECARTEMENTS ET RESSERREMENTS DE VALLEES ET EMPLACEMENTS DES SOURCES ................................... 53
CARTE 9 : ORGANISATION HYDRAULIQUE DE LA VALLEE DES AÏT HAKIM................................................................... 57
CARTE 10 : LES TYPES DE CANAUX .............................................................................................................................. 57
CARTE 11 : LE SECTEUR (B) DE AÏT OUHAM A IGHIRINE ............................................................................................. 64
CARTE 12 : LE SECTEUR (C) DE AÏT OUCHI A TAGHOULIT .......................................................................................... 68
CARTE 13 : LE SECTEUR (D) DES AÏT WANOUGHDAL .................................................................................................. 69
CARTE 14 : LES QUATRE SECTEURS HYDRAULIQUES .................................................................................................... 70
CARTE 15 : TERROIR IRRIGUE PAR CHAQUE CANAL ET AIRE IRRIGUE DE CHAQUE DOUAR ............................................ 71
CARTE 16 : RESEAU D'IRRIGATION D'IFRANE ............................................................................................................. 116
CARTE 17 : LES LIMITES GEOGRAPHIQUES DES QUATRE AUEA ................................................................................ 168
CARTE 18 : CIRCONSCRIPTIONS ELECTORALES ET REPRESENTATION DES DOUARS DANS L'AUEA ............................ 171
LISTE DES PHOTOGRAPHIES
PHOTOGRAPHIE 1 : LES ETAGES ECOLOGIQUES ............................................................................................................ 30
PHOTOGRAPHIE 2 : SEUIL METALLIQUE DU CANAL BETONNE....................................................................................... 54
PHOTOGRAPHIE 3 : L’OUVRAGE DE PROTECTION DE LA SOURCE D'AÏT OUHAM ........................................................... 56
PHOTOGRAPHIE 4 : UN OUGOUG .................................................................................................................................. 56
PHOTOGRAPHIE 5 : UN ASSEMDI ................................................................................................................................. 58
PHOTOGRAPHIE 6 : UN AQUEDUC EN BOIS A TAGHOULIT ............................................................................................. 58
PHOTOGRAPHIE 7 : UN MOULIN A EAU ......................................................................................................................... 59
PHOTOGRAPHIE 8 : PORTION SUR-CREUSEE DU CANAL TASSEMELIT (IGHIRINE, IGLOUANE, AÏT OUHAM) ................... 60
PHOTOGRAPHIE 9 : EBOULIS SUR LE CANAL TASSEMELILT .......................................................................................... 61
PHOTOGRAPHIE 10 : TRAVAUX D'ENTRETIEN DU CANAL TASSEMELILT ......................................................................... 96
PHOTOGRAPHIE 11 : DOUAR IFRANE : PERIMETRE IRRIGUE, TERROIR BOUR ET AGOUDAL FORESTIER ....................... 108
PHOTOGRAPHIE 12 : TROUPEAU D'OVINS SUR LE PARCOURS D'IZUGHAR ................................................................... 130
PHOTOGRAPHIE 13 : BOVINS LOCAUX ET CROISES EN ENCLOS FAMILIAL ................................................................... 131
PHOTOGRAPHIE 14 : PARCELLES DETRUITES PAR LES ORAGES DU 11/06/04 .............................................................. 132
PHOTOGRAPHIE 15 : PARCELLES ENVAHIES PAR DES PIERRES .................................................................................... 133
PHOTOGRAPHIE 16 : ORGE EN ASSOCIATION AVEC LE POMMIER ................................................................................ 134
PHOTOGRAPHIE 17 : PARCELLE DE LUZERNE ............................................................................................................. 135
PHOTOGRAPHIE 18 : PARCELLE DE POMME DE TERRE ................................................................................................ 136
PHOTOGRAPHIE 19 : PLANTATION DE POMMIERS ....................................................................................................... 136
PHOTOGRAPHIE 20 : L'ARAIRE, UN OUTIL ADAPTE A LA MONTAGNE .......................................................................... 137

X
PHOTOGRAPHIE 21 : PARCELLE D'ORGE IRRIGUEE EN NAPPE ..................................................................................... 146
PHOTOGRAPHIE 22 : PARCELLE DE LUZERNE IRRIGUEE EN PLANCHES ....................................................................... 146
PHOTOGRAPHIE 23 : PARCELLE DE POMME DE TERRE EN ALTERNANCE DE BILLONS ET DE SILLONS .......................... 147
LISTE DES SCHEMAS
SCHEMA 1 : PROLIFERATION DES PRISES SUR LE CANAL TIGHDOUINE ......................................................................... 60
SCHEMA 2 : LE SECTEUR (A) DE ZAOUIT ALEMZI ........................................................................................................ 63
SCHEMA 3 : DISTRIBUTION PRISE PAR PRISE ................................................................................................................ 86
SCHEMA 4 : DISTRIBUTION DE L'EAU ENTRE QUARTIERS .............................................................................................. 88
SCHEMA 5 : FONCTIONNEMENT DES QUARTIERS D'IRRIGATION ................................................................................... 89
LISTE DES FIGURES
FIGURE 1 : COUPE NORD-SUD DE LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ............................................................................. 30
FIGURE 2 : HYPOTHESES DE FONCTIONNEMENT HYDROLOGIQUE DE LA VALLEE DES AÏT HAKIM ............................ 52
FIGURE 3 : GENEALOGIE DES FAMILLES D'IFRANE ..................................................................................................... 109
LISTE DES GRAPHIQUES
GRAPHIQUE 1 : PLUIES MENSUELLES (DONNEES DE LA STATION DE TABANT : 1992-2002) ........................................ 28
GRAPHIQUE 2 : DIAGRAMME OMROTHERMIQUE (DONNEES DE LA STATION D'AZILAL) ............................................... 28

TABLE DES SIGLES ET ABREVIATIONS


AABDC : ASSOCIATION DES AÏT BOUGUEMEZ POUR LE DEVELOPPEMENT ET LA COOPERATION
AUEA: ASSOCIATION DES USAGERS DE L'EAU AGRICOLE
BM : BANQUE MONDIALE
CFAMM : CENTRE DE FORMATION AUX METIERS DE LA MONTAGNE.
CICDA : CENTRE INTERNATIONAL DE COOPERATION ET DE DEVELOPPEMENT AGRICOLE.
CNEARC : CENTRE NATIONAL D'ETUDES AGRONOMIQUES DES REGIONS CHAUDES
DH : DIRHAM (10 DH = 1 EURO)
DPA: DIVISION PROVINCIALE DE L'AGRICULTURE.
DRI-PMH : DEVELOPPEMENT RURAL INTEGRE CENTRE SUR LA PETITE ET MOYENNE HYDRAULIQUE.
DSH : DEPARTEMENT DES SCIENCES HUMAINES.
ENESAD : ETABLISSEMENT NATIONAL D'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR AGRONOMIQUE DE DIJON
GPI : GESTION PARTICIPATIVE DE L'IRRIGATION
GSE: GESTION SOCIALE DE L’EAU.
HA : HECTARE
IRD : INSTITUT DE RECHERCHE POUR LE DEVELOPPEMENT.
IVA : INSTITUT AGRONOMIQUE ET VETERINAIRE HASSAN II.
KG : KILOGRAMME
M : METRE
OMVA : OFFICE DE MISE EN VALEUR AGRICOLE.
ONG : ORGANISATION NON GOUVERNEMENTALE
ONI : OFFICE NATIONAL DE L’IRRIGATION.
ONMR : OFFICE NATIONAL DE MODERNISATION RURALE.
ORMVA : OFFICE REGIONAL DE MISE EN VALEUR AGRICOLE.
PAS: PLAN (OU POLITIQUE) D'AJUSTEMENT STRUCTUREL
PASA : PLAN (OU POLITIQUE) D’AJUSTEMENT STRUCTUREL AGRICOLE.
PCM : PROGRAMME CONCERTE MAROC.
PMH : PETITE ET MOYENNE HYDRAULIQUE

XI
LEXIQUE DES TERMES TACHELHIT (Tt) ET ARABES (Ar)

Aâdel (Ar) : notaire appliquant la chariàa. Ifri (Tt) : la grotte (pluriel : Ifrane)
Aassas (Tt) : surveillant. Ighil (Tt) : Montagne.
Abra (Tt) : unité de mesure des céréales Ighs (Tt) : Famille, groupes de ménages issus
équivalent à 17 kg en moyenne. d’un ancêtre commun.
Adouar (Ar-Tt) : Douar, Village, Hameau. Igli (Tt) : prairie (pluriel : Iglouane)
Agdal (Ar) : zone de mis en défens, forestière ou Iguer (Tt) : champ; Iguer s’Iguer : champ par
pastorale. champ.
Aghbalou (Tt) : Source (ex : Aghbalou-n-Aït Ikhatarn (Tt) : grand, personne influente au sein
Ouchi : source d'Aït Ouchi). de la Taqbilt.
Aguerd : (Tt) le col (Aguerd Zouguarne : le col Imgharn (Tt) : saint.
rouge).
Lhakem (de l'Ar, berbérisé): litt.juge, arbitre
Aït (Tt) : signifie l'appartenance territoriale ou
Makhzen (Ar) : gouvernement central
familiale.
Melk (Ar) : privé
Ajmuâ (Tt),Jmaâ (Ar) : réunion, assemblée
villageoise le vendredi (jour de prière collective). Moqadem pl. moqqadmi (Ar) : assistant du
cheikh, parfois désigne le Naïb
Amghar (Tt) : chef, amghar Eljumaâ : chef de la
mosquée. Morakib (Ar) : contrôleur.
Aka (Tt): Thalweg. Morcheh pl. Morchehhin (Ar): élu communal
Amalou (Tt) : à l’ombre. Naïb (Ar) : représentant. Fonction officielle de
représentant de village vis-à-vis de
Aman (Tt) : l’eau.
l'administration. Utilisé dans le sens courant pour
Amassaye (Tt) : l’élu : personne désignée, à titre désigner le responsable des ressources naturelles
bénévole, pour gérer les affaires du douar d'un village, parois appelé le Moqadem
pendant une année.
Ouammass (Tt) : milieu.
Amghar (Tt) : chef (ex : Amghar-n-l-Jmaa : le
chef de la mosquée) ou Cheikh : auxiliaire du Oufella (Tt) : le haut, l’amont
caïdat Ouggoug (Tt) : barrage de dérivation situé
Assamar (Tt) : au soleil obliquement sur un cours d'eau

Assarou (Tt) : canal secondaire Ouzdir (Tt) : le bas, l’aval.

Assemdi (Tt) : prise ; Assemdi s'assemdi: prise Raïs (Ar) : président


par prise Siba (Ar - Tt): période de dissidence vis-à-vis de
Assif (Tt) (= oued) : cours d'eau temporaire ou l'Etat marocain
permanent Souk (Ar) : marché hebdomadaire.
Bour (Ar) : zone cultivée non irriguée Taghoulit (Tt) : rocher.
Chaâba (Ar): Thalweg Takât (Tt) (pl. Takâtin) : le ménage.
Cheikh pl. chioukh (Ar): litt. Chef, ici assistant Taqbilt (Tt) de Qbila (Ar) : tribu, utilisé pour
du caïd désigner toute unité socio-territoriale, les
Daou (Tt) : sous ; Daou Ifri : sous la grotte ; villageois, assemblée des chefs de foyer qui
Daou Igherm : sous la maison ; Daou Imi : sous prend toutes des décisions concernant tout le
la bouche, sous les portes ; Daou Targa : sous les douar.
canaux : périmètre irrigué. Targa (Tt): canal, (pl. tergouine).
Dart (Tt) : bloc de parcelles, quartier d’irrigation, Tiremt (Tt) : nourriture.
ensemble de champs irrigués pendant un temps
déterminé (pluriel : Darat). Tizi (Tt) : le col.

Douar (Ar) : village, hameau Zaouit (Tt) : confrérie religieuse (maraboutique)

XII
INTRODUCTION GENERALE
La vallée des Aït Bouguemez, enserrée entre de hauts sommets (3000 à 4000 m d’altitude), est
une enclave du Haut-Atlas central s’étendant sur une trentaine de km entre 1800 et 2200 m.
Entité à la fois géographique, ethnique et administrative, le territoire compte près de 13.000
habitants, essentiellement des berbères Tachelhits d’origine très diverse vivant dans une trentaine
de douars construits en pisé et en pierres à flanc de coteau.
Les conditions climatiques difficiles ont amené les habitants de cette vallée à mettre en place
des stratégies de production basées sur l’exploitation combinée des ressources de cet ensemble
écologique de type agro-sylvo-pastoral. Le facteur central de ces systèmes, l’eau d’irrigation, est
aussi le plus instable d’où la nécessité pour la population de mettre en oeuvre une multitude de
règles et d’institutions coutumières visant à réguler l’utilisation de cette ressource. A la tête de
ces institutions, la Taqbilt de douar, assemblée des chefs de foyer, chargée de définir et de veiller
au respect des règles collectives d’exploitation de l’eau.
Dans sa volonté de sortir les zones de PMH2 de leur sous-développement, l’Etat marocain a
lancé le projet DRI-PMH3, un programme intégré de développement des périmètres de PMH.
L’un des objectifs de ce projet est de rendre plus efficiente l’utilisation de l'eau d'irrigation par la
modernisation partielle du réseau hydraulique. Dans le cadre d'une GPI4, les services de l’Etat,
responsables du projet, posent comme condition au démarrage des travaux le regroupement des
agriculteurs en AUEA5.
Le processus de GPI engagé dans la vallée des Aït Bouguemez pose plusieurs questions : le
statut associatif, tel que conçu par l’Etat, répond-t-il véritablement aux besoins d'organisation et
de gestion des communautés d’irrigants de la vallée ? Prend-il en compte les savoir-faire paysans
en matière de gestion de l’irrigation ? Autant de questions qui méritaient que la vallée soit
étudiée sous différentes approches pour comprendre comment accompagner cette transition
institutionnelle afin qu’elle débouche sur des situations efficaces et durables.
Ce mémoire est une contribution à la réflexion sur les dimensions socio-institutionnelle et
organisationnelle de l’irrigation dans la vallée des Aït Bouguemez. Dans une approche
systémique, il vise à établir un diagnostic de la situation qui porte sur plusieurs aspects : quelles
sont les règles institutionnelles d’utilisation de l’eau ? Quels sont les espaces pertinents de
gestion collective de l’eau ? Les entités territoriales qui accueillent les AUEA sont-elles
cohérentes pour une gestion consensuelle de l’eau ?
Le travail d’analyse, réalisé dans la vallée de septembre 2003 à juin 2004, sera présenté de la
façon suivante :
Après une brève réflexion sur les approches et politiques de l’Etat marocain en matière de
pilotage de l’irrigation, aussi bien en zone de Petite et Moyenne Hydraulique qu’en zone de

2
Petite et Moyenne et Hydraulique
3
Développement Rural Intégré centré sur la PMH
4
Gestion Participative de l'Irrigation
5
Associations des Usagers des Eaux Agricoles

1
Grande Hydraulique, nous exposons la problématique et les objectifs de l’étude, les hypothèses
et la méthodologie de travail.
La vallée sera ensuite présentée sous différents aspects : caractéristiques physiques,
structuration sociale, finages, gestion des forêts et des parcours,…L’accent sera aussi mis sur les
différentes mutations qu’elle a subies (introduction des cultures de rente, développement rapide
du tourisme, présence massive des ONG6,…).
Après cette présentation générale de la vallée, nous analyserons les relations qui se
construisent entre les douars autour du partage de l’eau à travers l’étude des trois principaux
pôles du système d’irrigation de la haute vallée des Aït Hakim : le réseau physique d’irrigation,
les institutions de gestion de l’eau et les règles de distribution de l’eau.
Dans le douar Ifrane, sera approfondie l’étude des relations entre les agriculteurs ayants
droit d’un canal et les règles de partage de l’eau le long des canaux d’irrigation. Dans ce même
douar, les aspects liés aux systèmes de production, aux stratégies des agriculteurs face à la
raréfaction de l’eau et à la gestion de l’eau à la parcelle seront analysés.
Nous terminerons par l’analyse de la mise en place des Associations des Usagers des
Eaux Agricoles dans la vallée et par la proposition de quelques éléments de solutions aux
problèmes qui se posent dans la gestion de l’eau dans la vallée des Aït Bouguemez.

6
Organisation Non Gouvernementale

2
PREMIERE PARTIE : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE ET
CONSTRUCTION DE LA PROBLEMATIQUE DE L’ETUDE
CHPITRE I : LA GESTION DE L’IRRIGATION AU MAROC
7
I. L’EAU : UNE PROBLEMATIQUE MONDIALE
INTRODUCTION :
L’eau est une ressource précieuse et indispensable à la vie humaine et à toutes les activités socio-
économiques humaines. Elle constitue aujourd’hui un enjeu politique et stratégique du
développement durable à l’échelle de la planète. La terre possède d’énormes ressources en eau
dont 97,5% sont salées. Les 2,5% d’eau douce (≈35 millions de km3) sont très inégalement
réparties entre les différentes régions de la terre.
Les précipitations, sources premières d’eau douce, sont très variables annuellement. Une même
zone peut connaître la sécheresse une année et des inondations l’année suivante. Mesurées en
fonction du nombre d’habitants, les précipitations les plus élevées sont observées en Amérique
latine et dans les Caraïbes, les plus faibles au Moyen-Orient et en Afrique du nord. Les niveaux
de prélèvements sont aussi très variables. Mesurés en fonction du nombre d’habitants, ils sont les
plus élevés en Amérique du nord et les plus faibles en Afrique. A l’heure actuelle, 22 pays
présentent des signes d’un grave manque d’eau. En effet leurs ressources en eau renouvelables
sont inférieures à 1000 m3 / habitant. Dans dix huit autres pays, la moyenne est inférieure à 2000
m3 / habitant. Ces chiffres vont encore baisser avec l’accroissement démographique. A l’échelle
planétaire, l’agriculture est de loin l’activité humaine la plus consommatrice d’eau (69%), suivie
de l’industrie (23%) et des besoins domestiques (8%). Dans les pays en voie de développement,
la part de l’agriculture atteint même 80% des ressources en eau disponibles.
1. LA SECHERESSE : UNE CARACTERISTIQUE STRUCTURELLE DE LA REGION DU
MAGHREB8 ?
Selon la BM, c’est au niveau des grandes régions géographiques que les problèmes d’eau
peuvent s’avérer les plus graves. Région à prédominance aride et semi-aride, le Maghreb se
caractérise par une situation de rareté des ressources en eau avec des pluies moyennes annuelles
faibles (98,16 mm) et des températures très élevées.
La compétition autour de l’eau est de plus en plus poussée. La surexploitation des nappes
profondes devient courante. Le cycle hydrologique subit des perturbations exogènes non
seulement liées aux changements climatiques mais aussi à la déforestation et à la désertification.
Les pouvoirs publics des pays de cette région encouragent l'intensification et la diversification
des cultures en vue de mieux valoriser aussi bien les ressources en terre que les ressources en
eau. Actuellement, les aménagements agricoles concernent 70 % du potentiel irrigable. La
pénurie d'eau limite l'extension des périmètres irrigués. L’intensification de l'agriculture est

7
Tous les chiffres de cette partie viennent de www.worldbank.org et de www.fao.org
8
Les chiffres de cette partie proviennent du document du séminaire ENDA Maghreb 2003 sur les techniques
d’irrigation dans les pays du Maghreb (cf. biblioraphie).

3
principalement réalisée par l'irrigation. Le taux d'intensification varie de 83 à plus de 124 %
selon les pays. Il est de 96,3 % pour l'ensemble de la région.
L’agriculture dépend donc essentiellement de l'irrigation et exerce de fortes pressions sur les
ressources en eau, elle consomme plus de 81,6 % des ressources renouvelables disponibles et ne
laisse que 18,4 % pour le secteur industriel et les ménages. L’efficience globale des secteurs
irrigués dans le Maghreb varie entre 36,8 % et 60 %, la moyenne étant de 42,4 %.
Pour soutenir leur politique de sécurité alimentaire, les Etats maghrébins mobilisent chaque
année de nouvelles ressources en eau par la construction d’ouvrages hydrauliques pour répondre
à une demande en eau de plus en plus croissante. La valorisation des réserves existantes devient
donc une nécessité. Les techniques d'irrigation adoptées sont très variées : le système d'irrigation
par gravité reste dominant et occupe 72 % des terres irriguées, suivi par l’ aspersion, soit 26,18
%, alors que le localisée ne concerne que 2 %.
Dans ces conditions naturelles difficiles, l’amélioration des performances des systèmes
d'irrigation était vitale et a nécessité dans ces pays le déploiement de moyens techniques,
financiers et humains dans plusieurs approches de gestion de l’eau.
2. LA GESTION ETATIQUE CENTRALISEE DES ANNEES 50-80 : UNE NECESSITE ?
Selon (KARL WITTFOGEL, 1957), les sociétés despotiques orientales sont nées en créant des
institutions puissantes autour de l'hydraulique. Selon lui, le despotisme hydraulique ou oriental
avait des institutions plus puissantes que le capitalisme du XXe Siècle. La maîtrise de l’eau est
donc non seulement un gage de stabilité sociopolitique mais aussi une des conditions du
développement humain durable.
Dans plusieurs pays, la gestion étatique centralisée fut la première approche de gestion de l’eau.
La Banque Mondiale donne plusieurs raisons qui étaient évoquées pour justifier la main mise des
Etats sur le secteur de l’eau :
2.1 L’EAU : UN BIEN PUBLIC

L’eau est une ressource dont l’usage est généralement partagé par plusieurs types d’utilsateurs.
Les utilisations de l'eau d'un bassin fluvial ou d'une nappe phréatique sont donc
interdépendantes. Les prélèvements d'eau dans une partie du bassin en réduisent d'autant les
disponibilités pour d'autres utilisateurs; le pompage de l'eau souterraine par un utilisateur peut
faire baisser la nappe phréatique et augmenter les coûts de pompage pour tous les utilisateurs,
surtout en aval. Il ressort de ces interdépendances que la présence de l’Etat pour réglementer
l’utilisation des ressources en eau est nécessaire (définition de règles strictes régissant
l’exploitation commune de l’eau par les différents utilisateurs).
2.2 LA MAITRISE DE L’EAU : DES INVESTISSEMENTS LOURDS

Les capitaux privés dans le domaine des infrastructures hydrauliques sont rares à cause des
temps de gestation longs des investissements et des risques d’ingérence politique. Les Etats
restent dans ce cas les seuls garants de la réalisation d’infrastructures permettant une utilisation
efficiente de l’eau d’irrigation. Ces investissements publics lourds pouvaient justifier
l’intervention de l’Etat dans la gestion de l’eau.

4
2.3 L’EAU : UN ROLE STRATEGIQUE

Les ressources en eau sont souvent exploitées en raison de leur importance stratégique pour la
sécurité nationale, la stabilité du pays et le développement régional. Certaines régions sont
sujettes à des sécheresses périodiques. Vu l'importance de l'eau pour la vie humaine, les pouvoirs
publics peuvent prendre en main le contrôle de l'approvisionnement en eau pendant les périodes
de sécheresses graves, afin d'éviter les pertes en vies humaines et d'assurer une répartition
équitable de l'eau. La lutte contre les inondations, la prévention des maladies hydriques sont
autant de raisons qui justifient l’initiative publique dans le domaine de l’eau.
3. LES LIMITES DE L’INTERVENTION PUBLIQUE :
L’intervention publique a ses limites. Les actions engagées par l’Etat, quand elles ne sont pas
bien formulées ou bien mises en œuvre, sont souvent causes de graves erreurs de répartition et de
gaspillage des ressources en eau. Trois problèmes sont, à cet égard, particulièrement
préoccupants selon la Banque Mondiale :
1. des investissements et règlements publics oublieux de la qualité de l'eau, de la santé,
l'environnement et des facteurs socio-historiques de la gestion de l’eau,
2. le recours à des administrations surchargées qui se sont désintéressées de ce qui a trait à la
responsabilité financière, à la participation des utilisateurs et à la vérité des prix, sans pour autant
se montrer irréprochables dans leurs prestations de services aux utilisateurs, et particulièrement
aux habitants des zones marginalisées,
3. la gestion fragmentaire du secteur public : les organismes gouvernementaux chargés de la
gestion de l’eau sont surchargés et les activités gouvernementales sont en général organisées de
telle sorte que chaque type d'utilisation de l'eau est géré par un ministère ou un organisme
différent. Chacun est responsable de ses propres opérations et indépendant des autres. Dans
plusieurs cas, la gestion de l’eau est assurée par des administrations qui centralisent non
seulement la direction et le contrôle des aménagements mais aussi la gestion des ressources en
eau. Souvent, les engagements pris dépassent la capacité limitée de mise en oeuvre des pouvoirs
publics.
De plus, dans la plupart des cas, les utilisateurs n'ont pas été consultés ou n'ont participé en
aucune manière à la planification et à la gestion des ressources en eau. Cela a créé des situations
difficiles : des projets mal formulés, oublieux des attentes réelles des utilisateurs qui refusent de
participer financièrement à la production de services inadaptés à leurs besoins. De là est née
l’idée de la participation des bénéficiaires aux projets.
4. VERS LA GESTION PARTICIPATIVE DE L’IRRIGATION :
Dans les années 1980, la plupart des pays en voie de développement étaient fortement endettés à
cause des investissements publics énormes réalisés notamment dans le domaine hydro agricole,
investissements qui se sont souvent révélés non rentables. Ces pays ont, pour la plupart, fait
appel aux institutions financières internationales pour sortir du marasme économique. Des Plans
d’Ajustement Structurel (PAS) furent engagés. L’accent est mis sur le désengagement financier
des Etats de certains secteurs-clés comme celui de l’agriculture. Vers début 1990, la participation

5
des bénéficiaires aux différents aspects des projets de développement qui les affectent devenait la
doctrine de travail des institutions internationales, donc la condition nécessaire à l’obtention de
tout financement.
La Gestion Participative de l’Irrigation est définie comme étant la participation effective des
usagers des eaux agricoles, réunis en associations, à tous les aspects et à tous les niveaux de la
gestion de leurs systèmes d’irrigation. Cette participation va de la conception initiale de
nouveaux projets d’irrigation à la réhabilitation d'anciens périmètres, mais aussi jusqu’à la
construction, la supervision, le financement et l’évaluation des systèmes d’irrigation.
Les Etats sont appelés à abandonner leur politique"d’assistanat" dans le cadre d’une gestion
centralisée par des organismes gouvernementaux et à mettre en place le cadre légal d’un
véritable partenariat avec les usagers des eaux agricoles, partenariat dans lequel des rôles précis
seront définis pour chaque acteur. (Voir en annexe 9 : les leçons tirées des expériences de
Gestion Participative de l’Irrigation au Mexique et en Turquie).
CONCLUSION :
L’eau est une ressource rare et précieuse. L’agriculture irriguée est l’activité humaine qui
mobilise l’essentiel des ressources en eau disponibles. La gestion de l’irrigation fut longtemps
une affaire des Etats seuls. Dans les années 1980, la plupart des pays ont opté pour l’approche
participative en irrigation, souvent parce qu’elle a été imposée par la Banque Mondiale.
Dans la partie qui suit, nous examinerons les différentes approches et politiques d’irrigation de
l’Etat marocain depuis les premières années de l’indépendance où la gestion de l’eau était
essentiellement concentrée entre les mains de l’Etat jusqu’à nos jours où il tente de mettre en
place une Gestion Participative efficace et durable de l’Irrigation.
II. LES POLITIQUES D’IRRIGATION DU MAROC :
INTRODUCTION :
L'agriculture, un des secteurs-clés de l'économie marocaine, reste largement tributaire de la
pratique de l’irrigation à cause des conditions géographiques et climatiques du pays.
L’agriculture irriguée, pratique séculaire, aussi bien dans les zones de plaine que de montagne, a
connu de nombreuses évolutions dans le temps et dans l’espace. Le Maroc, depuis son
indépendance, n’a cessé de mettre en œuvre des programmes destinés à la maîtrise de l’eau.
1. SOUS LE PROTECTORAT : DES AMENAGEMENTS HYDRO-AGRICOLES
PRIORITAIREMENT DESTINES AUX COLONS

Les premiers grands aménagements modernes sont entrepris à partir des années 1930 avec la
construction de deux premiers barrages (El Kansera et Lalla Takerkoust) destinés à l'irrigation
des grandes propriétés appartenant aux colons pratiquant une agriculture rémunératrice dont les
produits sont destinés à l'exportation vers la métropole française (ANAFID, 1991). L'office des
Béni-Amir et Béni-Moussa, créé en 1941, fut chargé de réaliser le premier aménagement hyro-
agricole destiné aux agriculteurs nationaux, avec l'introduction de techniques agricoles modernes
et des cultures industrielles. En 1956, année de son indépendance, le Maroc comptait déjà 72.600

6
ha aménagés (en équipement externe) pour une superficie totale dominée (par 14 barrages) de
229.000 ha (ANAFID, 1991).
2. LES POLITIQUES DU MAROC INDEPENDANT : A LA RECHERCHE D’UNE
COHERENCE

Le Maroc indépendant affirme sa vocation agricole et entend utiliser au mieux ses potentialités
naturelles dans ce domaine. Il entame donc son développement économique par l’intensification
de l’agriculture irriguée, en poursuivant la politique de construction de grands ouvrages hydro-
agricoles, commencée déjà sous le protectorat. Les objectifs assignés à cette politique étaient les
suivants :
⇒ couverture des besoins alimentaires d’une population qui double tous les 25 ans,
⇒ développement de l'économie nationale par effet de levier de l’agriculture irriguée.
L’irrigation mobilise ainsi l'essentiel des investissements publics dans le domaine agricole en
pleine croissance, soit plus de 50% entre 1968 et 1990. Plusieurs structures étatiques de gestion
de l’irrigation sont créées. Elles seront maintes fois révisées pour les adapter aux nouvelles
orientations de cette politique d’irrigation.
2.1 DES STRUCTURES ETATIQUES DE GESTION MAINTES FOIS REMODELEES :

L’une des premières structures de gestion de l’irrigation, l'ONI9, est créé en 1960 avec pour
mission la recherche et la mobilisation de ressources en eau à des fins agricoles, l'aménagement
des terres et leur mise en valeur, la valorisation des productions agricoles. En 1965, l'OMVA voit
le jour sous la tutelle du Ministère de l'Agriculture en remplacement de l'ONI et son homologue
en zones bour, l'ONMR. En 1966, dans le cadre de la décentralisation cinq ORMVA sont créés à
la place de l'OMVA. Actuellement on compte neuf ORMVA pour les neuf périmètres de Grande
Hydraulique.
2.2 LES ACTIONS : DEVELOPPER LA GRANDE HYDRAULIQUE (GH)

Par le biais de ces puissants offices, la politique de développement de l'irrigation a consisté à


créer et gérer de grands périmètres publics irrigués. Il en résulte un développement rapide de la
surface irrigable (dans les grandes plaines agricoles) par la mobilisation de ressources nouvelles
et l'extension des réseaux de distribution. En 1999, le Maroc a atteint le million d’hectares
irrigués équipés, un des objectifs de la "politique dite des barrages".
2.3 DES POLITIQUES ETATIQUES SANS CESSE REVISEES :

Dès les premières années, tout un arsenal d’instruments de politique agricole est mis en œuvre
pour faire de l’agriculture un secteur performant. Les nouveaux instruments viennent remplacer
ou compléter les anciens. La plupart du temps, il s’agit de mettre en place un cadre qui définit les
conditions dans lesquelles les agriculteurs peuvent bénéficier des réalisations et des subventions
de l’Etat (ce qui a valu à cette politique le qualificatif de "dirigiste"). Parmi les politiques et
instruments mobilisés, on peut citer :

9
ONI : Office National des Irrigations ; OMVA : Office de Mise en Valeur Agricole ; ONMR : Office National de
Modernisation Rurale ; ORMVA : Offices Régionaux de Mise en Valeur Agricole.

7
2.3.1 Le code des investissements agricoles (1969) :
"Le développement de l’agriculture constitue l’une des options de notre politique économique et
sociale. Aussi, nous est-il apparu nécessaire de définir dans le cadre d’un code des
investissements agricoles les avantages que les agriculteurs peuvent recevoir de l’Etat ainsi que
les obligations qui leur incombent". Cette phrase introductive du CIA illustre bien la philosophie
de cette politique qui proposait aux agriculteurs (de Grande Hydraulique surtout) un certain
nombre d’avantages en termes de subventions de l’Etat à condition qu’ils se conforment à des
disciplines strictes sur des normes d’exploitation définies par l’Etat (taille des périmètres, types
d’assolements,…). Les avantages proposés par le code avaient pour but d’encourager
l’agriculteur à mettre en valeur le plus efficacement possible les potentialités naturelles en vue de
satisfaire les besoins en produits végétaux et animaux et de contribuer à l’essor général de
l’économie du pays (EL KHYARI, 1985 cité par GOUZAYE, 2003).
2.3.2 Les politiques d’ajustement structurel et le désengagement
financier de l’Etat :
Dans les années 1980, le Maroc entre dans une phase de récession économique qui l’oblige à
faire appel aux organismes internationaux de développement (FMI et BM)10 qui posent comme
condition à l'octroi de crédits supplémentaires la mise en œuvre de Plans d'Ajustement Structurel
(PAS) destinés à assainir l’économie nationale. Les politiques agricoles sont ainsi orientées vers
une réduction des dépenses publiques. Le désengagement financier de l’Etat est proposé comme
la solution aux difficultés économiques. Il se traduit alors par une décentralisation et un transfert
de responsabilités, en particulier vers les agriculteurs qui sont amenés à supporter une part des
coûts de l'irrigation autrefois pris en charge par l’Etat. Ainsi, pour répondre aux exigences des
organismes internationaux en termes de désengagement financier, l’Etat marocain a très
rapidement opté pour la Gestion Participative de l’Iirrigation (GPI) en favorisant l'émergence
d'associations d'agriculteurs dans les périmètres irrigués.
2.3.3 Les programmes d’amélioration de la grande irrigation
(PAGI 1 et 2) :
En 1983, le Maroc a débuté ses réformes dans le cadre du PAS par le PAGI 1 et le poursuit par
le PAGI 2 (1993). Il s’agissait, dans ces programmes, de donner une autonomie administrative et
financière aux ORMVA (préparant ainsi une réduction des subventions étatiques) et de soustraire
du champ de compétences de ces Offices, une grande partie des missions de gestion des
périmètres publics irrigués (EL ALAOUI, 1997). Une redéfinition des rôles entre l'Etat, les
agriculteurs et les futures associations d'agriculteurs est proposée :
(a) Les rôles de l'Etat :

Dans cette nouvelle politique, l’Etat aura pour rôle :


la définition du cadre juridico-administratif et sa mise en œuvre à l'échelle régionale,
la gestion des plus gros ouvrages et la fourniture d'eau aux associations d'agriculteurs,

10
FMI : Fonds Monétaire International ; BM : Banque Mondiale.

8
l'aide financière pour les grands travaux de maintenance et l'aide technique (promotion de
la GPI, formation des agriculteurs et des responsables des associations),
le contrôle des activités des associations (contrôle du budget, contrôle de la légalité des
actes, mais aussi participation aux délibérations des associations au sein de leur Conseil
d'Administration).
(b) Les rôles des agriculteurs :

Les agriculteurs, moyennant le paiement d'une cotisation d'adhésion et l’achat de l'eau qu'ils
consomment, bénéficient du service de l’eau proposée par l'association d'agriculteurs. Ils
participent aux prises de décision et au contrôle de leur exécution, usant de leur droit d'être élus,
d'émettre des propositions, de voter aux Assemblées Générales de l'association. En parallèle, ils
respectent les décisions prises par l'Assemblée Générale et le Conseil d'Administration,
participent à la sauvegarde des intérêts et des biens de l'association et à la résolution des conflits.
(c) Les rôles des associations d'agriculteurs :

Les associations d’agriculteurs ont hérité d’une très large gamme de compétences autrefois
domaine exclusif des Offices. Cela va de la définition de programmes de travaux à la gestion et à
la maintenance des ouvrages réalisés. Nous aborderons plus en détails, dans la partie 5 consacrée
à la GPI, les modalités de création de ces associations d’agriculteurs et les rôles qu’elles sont
appelées à assurer.
2.3.4 Le Plan National d’Irrigation (1993) :
La philosophie du PNI est que la valorisation du potentiel irrigable du Maroc passe par le
principe d’intégration dans une politique unique de la réalisation des infrastructures et de la mise
en valeur agricole. En effet, les plans d’ensemble sont jugés vagues et inadaptés, l’accent est mis
désormais sur les exigences d’une agriculture irriguée performante et compétitive et sur la
réduction des coûts des aménagements tout en renforçant les capacités des ORMVA.
Les retombées socioéconomiques espérées de ce plan sont multiples : Création d'emplois directs
ou indirects estimés à 36 millions de journées de travail par an, Amélioration sensible des
niveaux et des conditions de vie dans les campagnes, Renforcement des infrastructures publiques
(eau potable, électrification, route….).
2.3.5 La loi sur l’eau de 1995 :
Cette loi, considérée comme la nouvelle version du CIA de 1969, reprend les dispositions
générales prévues dans les précédentes lois. Le fait nouveau de cette loi est la domanialisation de
toutes les eaux du Maroc quelles que soient leurs origines. On peut, dors et déjà, se demander
comment cette loi sera appliquée dans les périmètres irrigués traditionnels autogérés, soumis à
des systèmes de droits d’eau coutumiers.
2.4 ELEMENTS D’ANALYSE DES POLITIQUES HYDRO-AGRICOLES DE
DEVELOPPEMENT DE LA GRANDE HYDRAULIQUE : UN BILAN MITIGE

2.4.1 Des résultats certes encourageants…

9
La politique d’irrigation du Maroc a largement contribué aux objectifs initiaux qui lui étaient
assignés, à savoir, améliorer la couverture des besoins alimentaires du pays et participer au
développement économique national par effet d’entraînement sur plusieurs autres secteurs de
l’économie. Les périmètres de grande irrigation apportent une forte contribution à la valeur
ajoutée agricole (45%) et aux recettes d’exportation agricole (plus de 75%) (HERZENNI, 2000).
Le niveau de vie de certaines zones rurales s’est nettement amélioré avec la réalisation
d’infrastructures de bases (adduction d’eau potable, électrification rurale, construction de routes,
d’écoles,…).
2.4.2 ...mais de gros écarts entre les objectifs initiaux et les
résultats atteints :
Une certaine surestimation des bénéfices macroéconomiques des actions de développement
hydro-agricole est relevée par (EL ALAOUI, 1997), surestimation liée, selon lui, à la non prise
en compte de la difficulté d'exporter la production agroalimentaire dans un "marché international
de plus en plus concurrentiel". L’écart observé entre les objectifs fixés et les résultats atteints est
important et peut s'expliquer par l'incapacité de l’Etat à dégager de nouveaux financements pour
faire face à des besoins d'investissements sans cesse croissants (équipements des superficies
dominées)."Les ORMVA, outils principaux de la politique de l’irrigation à l’échelle régionale"
(HERZENNI, 2000) sont entrés dans un "cercle vicieux" (RANVOISY, 2000) où les faibles
produits de la vente d'eau ne permettaient pas de réaliser les travaux de maintenance nécessaires
pour disposer d'un système en bon état et fournir de l'eau en quantité suffisante. Dans ces
conditions, seul le recours à l'aide publique a permis aux ORMVA de poursuivre la gestion de
systèmes dont la viabilité économique était discutable. Ainsi, la défaillance et l’inéfficacité du
système obligeait l’Etat à subventionner l’eau agricole à hauteur de 25 à 70 % selon les régions,
afin de couvrir les dépenses de gestion des périmètres irrigués (EL ALAOUI, 1997).
2.4.3 Une démarche essentiellement dirigiste….
Même si le niveau de vie s’est sensiblement amélioré dans certaines zones rurales, on constate
tout de même que la démarche adoptée par l’Etat dans son programme d'irrigation est
responsable d'un échec sur le plan social. Dans cette démarche dirigiste où toutes les décisions
sont prises par le haut, les agriculteurs ne sont pas impliqués dans la définition et la réalisation
des projets qui les affectent (RANVOISY, 2000). L’objectif de maximisation de la production
prime avant tout et amène l'administration à définir les périmètres irrigués sur la base de trames
"rationnelles": tracé géométrique des parcelles et intensification des cultures à haut rendement.
Selon (PASCON, 1979), l’application de la trame B découle d’une pensée qui cherche à obtenir
des agriculteurs "une discipline stricte dans l’emblavement de leurs parcelles et un respect légal
des tours d’eau". Cette politique de trame s’est, cependant, heurtée au morcellement des
parcelles (complexité et diversité des statuts fonciers) et à la diversité des cultures pratiquées par
les agriculteurs (dans le cadre de certaines stratégies anti-risques).
2.4.4 …et techniciste :
La taille des grands périmètres irrigués était définie sur des considérations hydrauliques (autour
des ouvrages hydrauliques) et non sur des considérations sociales (autour des structures sociales

10
préexistantes). L’équipement technologique au détriment de la composante sociale s’est traduit
par l’étouffement de la participation des agriculteurs qui sont devenus des spectateurs face à la
politique dirigiste de l’Etat (CHRAIBI, 1972). Les associations d'agriculteurs, créées sur des
périmètres trop grands, ont ravivé ou fait apparaître des tensions en demandant à des groupes
villageois de coexister contre leur gré (RANVOISY, 2000). Par ailleurs, "les programmes
d'irrigation, bouleversant l'ordre social local, ont souvent favorisé les exploitants disposant de
capacités d'investissement au détriment des plus pauvres, conformément au principe de Colin
Clark selon lequel [il ne sera donné qu'à celui qui possède déjà]" (CABRITA, 1998). Le résultat
de cette démarche, une faible adhésion des agriculteurs aux projets étatiques qui se sont très
souvent terminés par des bilans mitigés.
CONCLUSION : DES EFFORTS D’INVESTISSEMENT CONCENTRES
ESSENTIELLEMENT DANS LES ZONES DE GH

Les efforts d’investissements de l’Etat dans le domaine de l’irrigation ont été concentrés sur les
périmètres de Grande Hydraulique qui ont vu la réalisation de grands ouvrages hydro- agricoles
gérés par les Services étatiques dans une démarche essentiellement dirigiste et techniciste.
Aux antipodes de ce qui se passait dans la GH, les zones de PMH sont restées longtemps
écartées des grands chantiers du développement de l’hydraulique agricole.

III. APPROCHES ET POLITIQUES D’INTERVENTION DE L’ETAT DANS LES


ZONES DE (PMH)
INTRODUCTION :
Les zones de PMH sont longtemps restées à la marge des investissements importants réalisés par
l’Etat dans le secteur hydro-agricole. Selon (EL ALAOUI, 1997), le moindre intérêt de l'Etat à
investir dans ces zones de montagnes s’explique par : "le coût élevé de l'investissement à
l'hectare aménagé, la grande dispersion des périmètres irrigués dans l'espace, la faible
superficie des périmètres irrigués, la complexité des statuts fonciers, l'existence de nombreuses
plantations et le fort attachement des agriculteurs à leurs droits privatifs". Pourtant l'irrigation
de type PMH, est loin d'être négligeable, elle représente, selon la DAHA, 649 000 ha soit 49 %
de la superficie totale irriguée nationale (HUGON, 2003). C’est à partir des années 1980 que
l’Etat a décidé d’investir dans les zones de PMH dans le cadre des programmes PASA.
1. CARACTERISTIQUES DES ZONES DE PMH11 :
Situés en général dans des zones à faible équipement et difficiles d’accès, les périmètres de PMH
se caractérisent par des spécificités liées à la taille des périmètres, aux statuts fonciers et aux
droits d’eau coutumiers :
1.1 LA TAILLE DES PERIMETRES :

11
Tous les chiffres sur la PMH viennent de deux études réalisées par (BENJELLOUL, 2001) et (BURGHAD et al.,
2001) pour le compte de l’IAD (Institut Allemand du Développement).

11
Les périmètres de PMH ont des suparficies faibles. Selon (BURGHAD et al., 2001) : 60% des
périmètres de PMH du Maroc ont une suparficie inférieure à 100 ha ; seulement 5% des
périmètres de PMH atteigent une superficie de 1.000 ha.
1.2 LE STATUT FONCIER :

Le statut privé (Melk) est prédominant (75 % des terres irriguées de PMH), le reste des terres est
reparti entre le collectif, le domanial, les Habous12 et le Guich13. Tous ces statuts juridiques
peuvent coexister sur un même périmètre. Il faut ajouter à cette caractéristique, le morcellement
important des exploitations et la micropropriété (prédominance des exploitations inférieurs à 2
ha). Ce morcellement des propriétés est, selon certains auteurs, dû aux règles d'héritage et
constitue un handicap à la mise en valeur agricole. Pour d’autres encore, les règles d’héritage
posent, certes, le problème de la multiplicité des propriétaires mais la division physique de la
propriété est rarement constatée; le morcellement entrerait dans une stratégie de limitation des
risques en permettant aux agriculteurs, non seulement de profiter de toute la gamme des sols du
périmètre, mais aussi de ne pas avoir toutes leurs parcelles concentrées dans des zones à haut
risque (d’inondations par exemple).
1.3 LES DROITS D'EAU :

C’est l’une des caractéristiques les plus anciennes et les complexes des zones de PMH. L'usage
et la répartition de l'eau entre les usagers obéissent à des règles coutumières, minutieusement
conservées jusqu'à nos jours. L'historique du droit de l'eau au Maroc est parallèle à celui de
l'organisation sociale qui s'est constituée par des apports successifs : la tradition (Orf), la loi
islamique (Charia) et le droit contemporain (droit français). Ces trois fondements, ainsi stratifiés,
forment une complémentarité sans qu'aucun ne fasse disparaître l'autre (ANAFID, 1991),
(BURGHAD et al., 2001). "A l'époque précoloniale, le droit de l'eau est composé pour l'essentiel
de "coutumes indigènes" d'origine pré islamique qui se sont fortement maintenues dans les zones
arides dans lesquelles leur adaptation très locale aux conditions écologiques explique leur
résistance face aux tendances à l'uniformisation de la Charia et de la domanialisation française"
(ANAFID, 1991). Dès 1914, l'appropriation de l'eau a été reconnue par la loi qui a soustrait de la
domanialité publique toutes les eaux acquises par les usagers avant cette date14. (BURGHAD et
al., 2001).
L'eau peut être propriété privée (Melk) ou collective (Joumou), mariée à la terre ou célibataire.
Elle peut être aussi liée à une situation géographique (priorité de l'amont sur l'aval à l'intérieur
d'un même périmètre et des fois même intra-périmètres quand un même cours d'eau est utilisé en
commun). Le droit musulman (Charia) joue surtout un rôle de référence morale.

12
Habous: terre ou immeuble dont la dévolution successorale est arrêtée et l'usufruit affecté éternellement à une
institution religieuse ou à l'indivision des descendants.
13
Guich: terres exploitées par les tribus dont les aïeux servaient dans l'armée du sultan Moulay Ismaïl (14° siècle)
14
On notera que la loi sur l’eau de 1995 a rétabli la domanialité publique sur toutes les eaux du pays.

12
2. APPROCHES ET POLITIQUES D’INTERVENTIONS DE L’ETAT DANS LA PMH :
UN REGAIN D’INTERET PROGRESSIF

2.1 DANS LES ANNEES QUI ONT SUIVI L’INDEPENDANCE : DES ACTIONS DE
REHABITITATION SOMMAIRE DES PERIMETRES

Les actions des pouvoirs publics dans les périmètres de PMH se sont limitées à des interventions
de réhabilitation sommaires sans actions d'accompagnement. Ces aménagements, visant surtout
l’efficience technique, ne tenaient pas compte des caractéristiques (ci-dessus citées) des zones
de PMH. Ils se sont avérés inefficaces et ont provoqué des perturbations dans le système de
distribution et d'allocation des droits d'eau. Dans certains cas, les populations retournaient très
vite à leurs infrastructures traditionnelles en détruisant les réalisations modernes.
2.2 A PARTIR DES ANNEES 1980 : EQUILIBRER L’INTERVENTION ENTRE
GRANDE HYDRAULIQUE ET PETITE ET MOYENNE HYDRAULIQUE

L’Etat change sa politique et veut concrétiser sa nouvelle conception du développement basée


sur un équilibre entre l'intervention dans la grande hydraulique (agriculture industrielle et
commerciale) et l'intervention dans la Petite et Moyenne Hydraulique (agriculture dite vivrière)
(BURGHAD & al. 2001). Les interventions se traduisaient alors par une approche davantage
économique et relativement intégrée, associant à la composante aménagement, la composante
développement agricole. C’est dans ce cadre qu’a vu le jour, le premier véritable projet de
PMH : (PMH1) financé par la Banque Mondiale et touchant près de 13.000 ha.
Cette période coïncide aussi avec l’entrée en vigueur du PASA qui voyait se développer une
nouvelle vision : la nécessité de responsabiliser l'ensemble des opérateurs du développement en
milieu rural. La question de la participation des bénéficiaires aux projets de développement
devient un élément central de la politique de l’Etat en zone de PMH.
2.3 LES ANNEES 1990 : CONCRETISER LA GPI

Les périmètres de PMH sont intégrés dans l’objectif du million d'hectares irrigué à l’horizon
2000 et connaissent une relance particulière dans la réhabilitation des réseaux d’irrigation. Les
gros efforts d'investissement de la part de l'Etat ne pouvaient se développer efficacement sans
entreprendre l'option d'une participation plus active des bénéficiaires (BENJELLOUL, 2001).
L’approche participative et partenariale devient ainsi partie intégrante de la politique
d'aménagement hydro-agricole. Cette nouvelle démarche ambitionne d'impliquer les agriculteurs,
organisés en Associations, dans le processus de décision afin de développer des relations
équilibrées entre les différents intervenants dans le secteur de l'irrigation (administration,
usagers, bailleurs de fonds…). Désormais, l'administration, ainsi que tous les autres intervenants
externes, auront un partenaire local légal : les AUEA, constituées conformément à la Loi n°
02.84 promulguée par le dahir n°1.87.12 du 21 décembre 1990.
2.4 LE PROJET DRI-PMH : L’INTRODUCTION DES AUEA DANS LES ZONES DE
PETITE ET MOYENNE HYDRAULIQUE (PMH)

13
Les zones de PMH bénéficient depuis 1999 d’un projet d’aménagements et de réhabilitation des
réseaux d’irrigation qui prend la suite du (PAGI 2) : le projet DRI-PMH. Les objectifs annoncés
de ce projet sont les suivants :
⇒ Contribuer à la couverture des besoins alimentaires du pays,
⇒ Fixer les populations rurales en améliorant le revenu des agriculteurs.
Le projet DRI-PMH est un programme de développement intégré qui associe au développement
de la composante agriculture irriguée, celui des services socio-économiques de base tels que :
transport, adduction d’eau potable, santé, électrification rurale, scolarisation des
enfants,…L’option de la démarche participative est adoptée par l’Etat et définie ainsi dans les
Stratégies de Développement Rural du (MINISTERE de L’AGRICULTURE, 2002) :
"la mise en œuvre d'une approche locale, globale et cohérente à travers la programmation
territoriale et l'intégration des actions de l'administration".
"la responsabilisation des acteurs en matière de définition des options de développement,
de co-financement et d'entretien et de maintenance des équipements réalisés".
Les bénéficiaires sont appelés à contribuer activement à la mise en place du projet et à son
déroulement (participation financière, main d’œuvre, …).
Dans le domaine de l’irrigation, le projet s’est fixé deux objectifs majeurs qui sont :
• l’amélioration de l’efficience d’utilisation de l’eau par la réhabilitation et la modernisation
des réseaux d’irrigation,
• l’amélioration de la gestion de l’eau et de la maintenance des réseaux par l’organisation des
agriculteurs en Associations d’Usagers des Eaux Agricoles.
CONCLUSION : INTRODUCTION DES AUEA DANS LES PERIMETRES IRRIGUES
TRADITIONNELS DE PMH

Le projet DRI-PMH est un programme ambitieux de développement rural intégré. Dans le cadre
d’une GPI, il impose comme condition au démarrage des travaux de réhabilitation des périmètres
irrigués l’adoption de la démarche participative. Sur les périmètres irrigués, cette démarche se
traduit par la création de nouvelles institutions de gestion de l’irrigation : les AUEA.
Etant l’un des quatre grands périmètres de PMH de la province d’Azilal, la vallée des Aït
Bouguemez, notre zone d’étude, bénéficie de ce projet de développement depuis 1999. La
Banque Mondiale et les services de l’Etat, responsables du projet, ont posé comme condition au
démarrage des travaux de réhabilitation du réseau la création des AUEA. Après plusieurs
tractations entre Bénéficiaires et Services de l’Etat, quatre AUEA furent créées dans la vallée.
Dans la vallée des Aït Bouguemez, comme dans plusieurs autres périmètres irrigués traditionnels
de PMH, les rôles assignés à cette nouvelle institution sont déjà assurés, pour une grande part,
par des institutions coutumières de gestion de l’irrigation très anciennes, fonctionnant avec des
règles complexes dont la rationalité est souvent difficile à cerner par l’observateur extérieur. On
peut dès lors poser la question de savoir ce que sera la place des AUEA dans la gestion de l’eau
d’irrigation dans ces systèmes d’irrigation ?

14
CHPITRE II : LA PROBLEMATIQUE ET LES OBJECTIFS DE L’ETUDE,
LES HYPOTHESES ET LA METHODOLOGIE DE TRAVAIL
I. LA PROBLEMATIQUE DE L’ETUDE :
1. LES CONSTATS :
La partie bibliographique précédente montre que le Maroc, depuis 1956, s’est engagé dans une
ambitieuse politique d’irrigation qui s’est traduite par la réalisation de grands ouvrages hydro-
agricoles et l’aménagement de grands périmètres irrigués publics ayant nécessité des
investissements lourds. Essentiellement concentrés au départ dans les zones de GH, ces
investissements hydro-agricoles se sont ensuite étendus aux zones de PMH, avec l’évolution des
politiques d’irrigation de l’Etat qui passent d’une gestion étatique centralisée vers une gestion
décentralisée assurée par des structures étatiques dotées d’une certaine autonomie administrative
et financière (les ORMVA et les DPA). Cette évolution s’explique par la récession économique
des années 1980 qui pousse le pays à recourir aux institutions financières internationales qui
acceptent d'apporter des crédits supplémentaires, à condition que soient mises en place des
mesures d’assainissement de l’économie nationale.
Dans le secteur hydro-agricole, ces mesures se traduisent, non seulement par le lancement de
nouveaux programmes : (PASA, 1983), (PAGI I en 1986), (PAGI II en 1993), (PNI 1993), mais
aussi par la volonté de l’Etat de mettre en œuvre le concept de Gestion Participative de
l’Irrigation. Une nouvelle loi, permettant l’organisation des agriculteurs en AUEA est
promulguée. Théoriquement, ce processus marque le début du désengagement progressif de
l’Etat du secteur hyro-agricole et le transfert de certaines tâches de gestion des réseaux
d’irrigation à ces nouvelles organisations d’agriculteurs.
Longtemps restée à l’écart des grands chantiers de développement hydraulique des grandes
plaines agricoles, pour diverses raisons socio politiques et économiques, la PMH connaît ses
premières actions de développement agricole à partir des années 1980 dans le cadre du PASA,
actions qui se traduisent en zones de montagnes par des améliorations ponctuelles de
réhabilitation des réseaux d’irrigation : bétonnage de quelques canaux, linéarisation de certains
oueds, captages de sources. Les véritables actions de développement en matière d’aménagement
hydro-agricoles sont initiées en 1999 avec le projet DRI-PMH cofinancé par l’Etat et les
bénéficiaires. Il ambitionne d’améliorer le revenu des agriculteurs (en introduisant des
innovations institutionnelles et en réhabilitant les réseaux d’irrigation) et fixer ainsi les
populations rurales pour freiner un exode rural devenu inquiétant. Il s’agit, dans ce programme,
non seulement de développer l'irrigation mais aussi les autres services socio-économiques de
base. Pour atteindre ces objectifs, l’Etat adopte une nouvelle méthode d’intervention dans
laquelle il veut "responsabiliser les acteurs en matière de définition des options de
développement, de co-financement, d'entretien et de maintenance des équipements réalisés".
Autrement dit, il faut faire contribuer les bénéficiaires, organisés en AUEA, à la mise en place du
projet, aux travaux de réhabilitation du réseau hydraulique et à la maintenance des nouveaux
aménagements.

15
Etant l’un des quatre grands périmètres de PMH de la province d’Azilal, la vallée des Aït
Bouguemez a bénéficié de certains programmes passés et bénéficie encore aujourd’hui du projet
DRI-PMH qui impose la création des AUEA dans ses systèmes irrigués traditionnels.
2. FORMULATION DE LA PROBLEMATIQUE :
Un premier bilan15 contrasté des actions de développement en matière d’innovations
institutionnelles et d'aménagements hydro-agricoles dans les zones de montagne nous a amené à
nous poser la question de la viabilité de ces actes institutionnels et techniques d’"amélioration"
de l’efficience d’utilisation de l’eau d’irrigation.
L’approche participative et le "transfert de gestion"16 sont devenus des "réalités" dans la vallée
des Aït Bouguemez depuis la mise en place des AUEA, appelées à assurer la gestion des
nouveaux aménagements et à être des interlocuteurs face à l’Etat. Dans un contexte de
décentralisation et de désengagement financier de l’Etat, ce processus de "transfert" de
responsabilités à des associations locales d'agriculteurs créées est appelé à se poursuivre.
Dès lors, les questions cruciales qui se posent aujourd’hui sont :

1. Comment le processus doit-il se poursuivre dans les systèmes irrigués traditionnels de la


vallée des Aït Bouguemez qui recèlent des institutions coutumières fonctionnelles ?
Répondre à cesassociatif,
2. Le statut questions, tel
c’est traiter
qu’il est un certain
conçu nombre depar
aujourd’hui questions sous-jacentes,
l’Etat, répond-t-il à savoir :
véritablement
aux besoins d'organisation et de gestion de ces communautés montagnardes alors qu'elles
1. Comment lesleur
possèdent associations d’agriculteurs
propre forme ont-elles
d'organisation et deété misestraditionnelle
gestion en place dans? la vallée ? Et dans
quel climat socio-institutionnel ?
3. Comment peut-on intégrer dans ce processus les savoir-faire paysans en matière de
gestion
2. Quels sontdeles
l’irrigation pour que la pour
rôles envisageables transition institutionnelle
les AUEA dans un en cours dans
contexte cesinstitutions
où des systèmes
irrigués encore
coutumières, traditionnels débouche
dynamiques, sur des situations
s’occupent de tous lesefficaces,
aspects dedurables et équitables
la gestion de l’eau ? ?
3. Les règles introduites par ces nouvelles organisations peuvent-elles s’articuler avec celles déjà
mises par les communautés d’agriculteurs ?
4. Les entités territoriales nouvelles définies pour les AUEA sont-elles cohérentes pour une
gestion consensuelle de l’eau ?
5. Quels sont les espaces pertinents pour la gestion collective de l’eau ?

15
Nous avons étudié et dressé un premier bilan de la mise en place de la Gestion Participative de l’Irrigation au
cours du stage [IVA-DSH&CNEARC-GSE] effectué en avril 2003 dans la vallée des Aït Bouguemez.
16
Contrairement à ce qui se passait dans les zones de Grande Hydraulique dans les années 60, 70 et 80, l’Etat s’est
très peu engagé dans la maîtrise et la gestion de l’eau en zones de Petite et Moyenne Hydraulique.

16
6. Et enfin, quelles sont les règles institutionnelles d’utilisation de l’eau historiquement
construites par les communautés d’agriculteurs concernées par le programme de modernisation ?
II. LES OBJECTIFS DE L’ETUDE :
1. L’OBJECTIF PRINCIPAL DE L’ETUDE : FAIRE UN ETAT DES LIEUX DE LA
GESTION LOCALE DE L’IRRIGATION DANS LA VALLE DES AÏT BOUGUEMEZ

Cette étude vise à comprendre ce qui se fait dans la vallée des Aït Bouguemez en matière de
gestion de l’irrigation. Il s’agit, pour nous, d’identifier les carences et les atouts de cette gestion
locale (tant au niveau des règles coutumières de partage de l’eau qu’au niveau des
infrastructures physiques d’irrigation) ; le but est d’aider, par la suite, à la mise en œuvre d’une
gestion de l’irrigation dans laquelle les organisations locales d’agriculteurs sont renforcées et
pleinement impliquées.
Le processus récent de l’introduction, dans la vallée, du concept de GPI nous offrait un terreau
favorable pour entamer ce travail de compréhension de la gestion de l’eau et d’exploration des
possibilités d’introduction de solutions socio-institutionnelles innovantes. Ce qui explique,
d’une certaine façon, l’orientation et la formulation de notre problématique, centrée sur le
concept de GPI.
2. L’OBJECTIF PEDAGOGIQUE DE L’ETUDE : APPROFONDIR LES
CONNAISSANCES THEORIQUES PAR LA PRATIQUE

En plus des questions pratiques qu’il vise à traiter, notre mémoire de fin d’étude est aussi un
exercice pédagogique qui donne aux élèves-ingénieurs en agronomie (que nous sommes) la
possibilité d’expérimenter des outils théoriques d’analyse et de compréhension du monde rural,
appris tout au long de notre cursus universitaire. Nous espérons, dans le cadre de ce travail de
fin d’études, arriver à une meilleure maîtrise de ces outils.
III. LES HYPOTHESES DE TRAVAIL :
Le stage IAV-DSH_CNEARC-GSE (2003) et les travaux de JEANNE RIAUX17 nous ont permis
de nous faire une première idée de l’organisation socio-institutionnelle autour de la gestion
sociale de l’eau, mais plusieurs autres questions, restées en suspens, ne peuvent être abordées
qu’en partant de certaines hypothèses.
Dans le cadre de notre étude, nous admettrons comme hypothèses et tenterons de montrer que :
Hypothèse 1: Malgré les changements institutionnels survenus dans la vallée, le douar avec sa
Taqbilt, reste toujours l'unité socio-territoriale pertinente pour la gestion de l’eau.
Hypothèse 2: La gestion de l’eau n’est pas isolée de celle des autres ressources. Un douar qui
contrôle une grande quantité d’une ressource donnée l’utilise pour accéder aux ressources qu’il
n’a pas en établissant des accords et des alliances avec d’autres douars.
Hypothèse 3: Les règles coutumières de gestion de l’eau sont flexibles et s’adaptent facilement
aux changements (climatiques, sociaux, institutionnels,…) qui surviennent. Elles peuvent donc

17
Doctorante en Anthropologie des techniques à l'EHESS – Paris – sous la direction de François SIGAUT, avec une
co-direction de Thierry RUF, IRD Montpellier, UR "Dynamique Sociale de l'irrigation". Jeanne RIAUX a gentiment
mis à notre disposition ses bilans de terrain et des articles traitant différents aspects de la vallée des Aït Bouguemez.

17
s’adapter au nouveau paysage institutionnel de la vallée (introduction des AUEA). La rigidité
des règles théoriques, telles que dictées par les agriculteurs, ne se retrouve pas toujours dans les
pratiques d’irrigation. Plusieurs arrangements se font entre les ayants droit d’un canal de façon
à atteindre une meilleure efficience de l’irrigation. Sans arrangements, les modes de distribution
trop complexes ou trop simplistes ne pourront pas fonctionner.
Hypothèse 4: Face à la raréfaction de l’eau, les agriculteurs développent des stratégies
individualistes qui peuvent avoir des effets néfastes sur la gestion communautaire de l’eau. Les
institutions coutumières de gestion de l’eau disposent de règles visant à limiter ces
comportements individualistes.
Hypothèse 5: La simple introduction de la composante "participative" dans les projets
d’aménagements hydrauliques ne suffit pas à modifier la logique de fonctionnement interne d'un
système d'irrigation traditionnel (logique qui est d’ordre socio-économique et technique), ni la
logique d'intervention externe des décideurs (bailleurs de fonds, services techniques de l’Etat)
qui initient, financent et mettent en oeuvre ces projets (MATHIEU, 2001).
Hypothèse 6: L’AUEA18, institution issue du droit moderne et fondée sur des règles figées, ne
peut pas, dans sa forme actuelle, assurer une gestion de l’irrigation viable et durable, à même de
remplacer celle assurée par les institutions coutumières, basées sur la tradition orale avec des
règles flexibles, historiquement construites.
Hypothèse 7: Bien qu’une création de l’Etat, les AUEA peuvent constituer un outil intéressant
de développement agricole si leur mise en place se fait sur des bases démocratiques et si elles
sont dotées d’une certaine flexibilité des règles, leur permettant de s’adapter aux situations, fort
dissemblables, rencontrées sur les différents terrains.
Hypothèse 8: Une AUEA, sur un territoire très vaste avec plusieurs groupes sociaux ayant des
intérêts très distants, ne peut pas être efficace. Une organisation plus locale, autour de
territoires hydrauliques plus petits mais socialement plus cohérents, fournirait une meilleure
assise socio-territoriale à l’AUEA et serait plus efficace pour une gestion durable et équitable de
l’irrigation. La fédération d’AUEA, objectif ultime du processus de GPI, pourrait ensuite être
formée pour s’occuper de la gestion d’ensemble du bassin et des relations avec les autres
acteurs externes (Etat, Bailleurs de fonds externes,...).
IV. LA METHODOLOGIE DE TRAVAIL : L’APPROCHE SYSTEMIQUE ET LA
DEMARCHE DE TERRAIN
1. JUSTIFICATIONS DU CHOIX DE L’APPROCHE SYSTEMIQUE :
1.1 D’UNE APPROCHE TECHNICISTE SANS NOTION DE "SYSTEME"….

Selon plusieurs auteurs19, au Maroc et dans beaucoup d’autres pays ayant développé une grande
irrigation, les premiers programmes de développement en matière d’aménagements hydro-
agricoles ont été menés selon une approche essentiellement techniciste. La plupart du temps, ce
sont les axes techniques et économiques qui sont mis en avant au détriment des questions
latérales soulevées par ces politiques. Sur les grands périmètres irrigués, les actions sont initiées
sur des considérations hydrauliques (autour des ouvrages hydrauliques), à la recherche
d’efficiences technico-économiques établies selon des normes de génie rural et d’agronomie (qui
sont les disciplines dont relève traditionnellement l’agriculture irriguée). L’équipement

18
En parlant d’AUEA dans les hypothèses, nous faisons référence à celles constituées dans la vallée des Aït
Bouguemez dans le cadre du projet DRI-PMH.
19
CHRAIBI (1972); OSTROM (1992) ; EL ALAOUI (1997) ; MOLLE et RUF (1994); RANVOISY (2000)…

18
technologique au détriment de la composante sociale s’est traduit par l’ignorance des savoirs-
faires paysans en matière de gestion de l’irrigation et par l’étouffement de la participation des
agriculteurs qui deviennent des spectateurs face aux ingénieurs de l’Etat qui décident tout à leur
place (tracé des canaux, tracé géométrique des périmètres, assolements…). Ces politiques
technicistes se sont, en général, terminées par des bilans très mitigés, qui ont poussé les
chercheurs à revoir leurs approches en matière de gestion de l’agriculture irriguée.
1.2 …..A LA NECESSITE D’UNE APPROCHE SYSTEMIQUE :

Dans les années 1970-1980, des chercheurs modifient radicalement leurs approches et intègrent
la notion de "système" à l’agriculture (HUGON, 2003). Dans l’agriculture irriguée, cette
approche a abouti au concept de système irrigué qui associe à la composante technico-
économique, les dimensions historico-socio-culturelles de l’irrigation (acteurs, institutions,
savoirs hydrauliques locaux, etc.). Selon (RUF et al., 1991) "Avant d’être un ouvrage
d'ingénierie civile, un système d’irrigation est une construction sociale pour laquelle les
agriculteurs définissent ensemble :
les droits des usagers, notamment d’accès et de distribution de l’eau, et les obligations
dont tous doivent s’acquitter pour conserver le droit d’accès et d’usage de cette ressource ;
une infrastructure physique qui réponde aux règles ainsi établies et aux modalités de
gestion de l’eau définies collectivement par le groupe d’agriculteurs ;
enfin, le type d’organisation d’agriculteurs capable de faire respecter les droits et les
obligations définies." (APOLLIN et EBERHART, 2000).
Dans les systèmes irrigués traditionnels, perçus comme des constructions socio-historiques
complexes, la nécessité d’une approche systémique peut s’expliquer par le fait que :
la viabilité de ces systèmes dépend surtout de la cohérence des interactions20 complexes
entre leurs différentes composantes (MATHIEU, 2001),
les problèmes soulevés par la gestion de l’eau sont très complexes et touchent au foncier, à
l’histoire, à la sociologie rurale, aux caractéristiques naturelles et géographiques (COUTURE,
1997) ; ils exigent, de ce fait, plusieurs types d’analyses nécessitant, faute d’un travail d’équipe
pluridisciplinaire, la mobilisation des références de plusieurs disciplines des sciences sociales.
2. LES PRINCIPES METHODOLOGIQUES :
2.1 LES TYPES D’ANALYSES :

2.1.1 L’analyse systémique :


Dans le souci d’éviter de décrire les différents composants du système irrigué comme une
collection d’objets et d’approcher le plus possible les réalités complexes de notre terrain d’étude,
le fonctionnement du système irrigué sera analysé à travers, non seulement l’étude de ses trois

20
Paul Mathieu (2001) rapporte que"...le facteur déterminant de la viabilité d’un système d'irrigation est la
cohérence des interactions complexes (et variables dans chaque cas) entre ses différentes composantes. Le système
est toujours plus que la somme (ou la juxtaposition) des éléments qui le composent…"

19
pôles principaux : les acteurs, les institutions et les infrastructures, mais aussi des relations que
ces trois pôles entretiennent entre eux.
2.1.2 L’analyse historique :
"La gestion de l'eau est avant tout un construit social, historiquement produit, mais jamais
totalement figé car générateur de contingence et donc porteur d'évolution en fonction de tous les
imprévus […]"(RUF et SABATIER, 1992). Une meilleure compréhension du système actuel
passe nécessairement par l’analyse de ses différents composants à la lumière des grands
changements historiques (augmentation démographique, sécheresses, changements socio-
institutionnels, introduction des cultures de rentes, etc.). L’analyse historique est d’autant plus
importante pour nous que notre zone d’étude se caractérise par une quasi-absence de sources
relatives à l’histoire de la construction des réseaux d’irrigation, à la mise en place des tours d’eau
entre les différents douars ou à la logique d’attribution des droits d’eau aux agriculteurs.
2.2 LES OBJETS D’ANALYSE :

2.2.1 Le périmètre physique d’irrigation :


Le périmètre physique, dans sa conception initiale, a dû obéir aux contraintes topographiques et
géographiques (relations amont aval). Comprendre sa logique de construction peut nous fournir
des éléments utiles quant à la compréhension des modes d’appropriation de l’eau, des règles de
distribution de l’eau et des dysfonctionnements et contraintes techniques actuels.
2.2.2 Le fonctionnement des institutions :
Les institutions sont une composante essentielle de la performance et de la viabilité d’un système
irrigué (MATHIEU, 2001). A l’instar de (HUGON, 2003), nous appellerons Institutions de
gestion de l’eau toute entité formalisée ou non qui a un rôle dans la prise de décision autour de la
gestion de l’eau d’irrigation. A titre d’exemples, seront considérés comme Institutions de gestion
de l’eau : la Taqbilt, l’AUEA ou le Caïdat.
Les institutions de gestion de l’eau sont variées et ont des rôles spécifiques, d’où la nécessité
d’accorder une attention particulière à chaque type d’institutions. Ainsi :
Le fonctionnement des institutions coutumières sera analysé à travers les modes de prise de
décision (groupe qui prend réellement la décision) et la portée des décisions prises (acceptation
par le reste du groupe). La portée des décisions est indicateur de la légitimité de ces institutions
auprès de la communauté.
Une attention particulière sera accordée à tous les aspects de l’AUEA : (création,
fonctionnement, position socio-politique des membres, statut et règlement intérieur,...).
Les représentations locales de l’Etat seront abordées à travers leurs rôles dans le règlement des
conflits liés au partage de l’eau, dans les projets d’aménagements hydrauliques et dans la mise en
place des AUEA.
Les ONG locales de développement ont des rôles de plus en plus importants dans le
financement de projets de développement local touchant à plusieurs secteurs dont celui de
l’agriculture. Nous verrons les rôles de ces ONG locales et leurs partenaires étrangers dans la

20
gestion de l’eau (sans toute fois nous étendre sur la vaste question des ONG dans la vallée,
nécessitant une étude plus appropriée).
2.2.3 Les relations entre acteurs et institutions :
(a) L’expression des logiques sociales :

L’étude des relations des agriculteurs avec les institutions permet de faire émerger les logiques
de formulation, d'adoption, de mise en pratique, de refus, ou d'adaptation des règles de gestion
du système irrigué (HUGON, 2003). "Dans tous les cas, l'analyse sociale conduit à mettre en
évidence les liens entre les structures du pouvoir (rôles, hiérarchies, attributs, privilèges, etc.) et
les formes de partage et de transmission de l'eau et de la terre; elle fait apparaître également une
division du travail et l'existence d'une autorité hydraulique responsable du bon fonctionnement et
de la pérennité du périmètre" (MOLLE et RUF, 1994).
(b) L’approche par les conflits :

Les conflits surviennent, le plus souvent, lorsque :


des inégalités liées à des positions sociales ou spatiales différentes atteignent un certain
seuil que le groupe d’acteurs défavorisés (par ces hiérarchisations sociales ou ces positions
géographiques) juge inacceptable,
des divergences d’intérêts et des contradictions de conceptions apparaissent au sein du
groupe d’acteurs (à propos des décisions qui les affectent : cas de l’introduction des AUEA). Les
conflits peuvent ainsi survenir entre agriculteurs, entre agriculteurs et institutions, entre
institutions coutumières et institutions modernes etc. Leur étude est intéressante en ce sens
qu’elle nous permet d'identifier les groupes qui entrent en concurrence pour l'utilisation de l’eau
et nous renseigne sur la façon dont ces groupes parviennent à dépasser leurs divergences et à
trouver des compromis acceptables par tous.
2.2.4 Les pratiques de distribution ou les tours d'eau :
Dans un même système irrigué, les règles de distribution peuvent changer selon que l’eau soit
abondante ou rare (souplesse ou rigidité des règles). Ces adaptations, très peu abordées dans les
discours par les agriculteurs, sont pourtant l’expression de la flexibilité et de l’adaptabilité des
règles coutumières en matière de gestion de l’eau. C’est par l’observation et l’étude de la
pratique des tours d’eau que l’on peut mettre en évidence les réaménagements susceptibles d’être
effectués dans les règles selon l’état de la ressource en eau.
2.2.5 Les pratiques d'irrigation :
Pour fonctionner un système irrigué a besoin de plusieurs règles (OSTROM, 1992) pour,
notamment, contrôler les pratiques individuelles, une des conditions de la viabilité du système.
Mais les règles énoncées par les institutions de gestion sont-elles réellement mises en pratique
par les agriculteurs ? La réponse à cette question pourrait se trouver dans les pratiques
d’irrigation, observables au niveau de la parcelle, d’où la nécessité de consacrer du temps à
l’étude des pratiques d’irrigation. Il s’agit aussi de voir si les déclarations orales se retrouvent
dans les pratiques quotidiennes.

21
2.2.6 Les systèmes de production :
Nos premiers éléments d’enquête montrent que les stratégies de production des agriculteurs sont
très réfléchies et semblent procéder d’un besoin de combiner de façon optimale les différentes
ressources de l’espace bouguemezien de type agro-sylvo-pastoral et de trouver un certain
équilibre entre l’agriculture et l’élevage. Le facteur de production central de ce système, l’eau
d’irrigation, est aussi le plus instable, donc le plus difficilement prévisible.
Il s’agit de voir, par l’étude du fonctionnement de l’exploitation, en quoi la disponibilité du
"facteur de production eau" conditionne les choix de production des exploitations et quelles
stratégies ces exploitations mettent en place pour faire face à la raréfaction de l’eau.
2.3 LES ECHELLES D’ETUDE :

L’étude sera réalisée à deux niveaux complémentaires :


1. la vallée des Aït Hakim : qui est le territoire de l’AUEA Aït Hakim ; les questions liées à
l’introduction de la GPI et les relations inter-douars autour du partage de l’eau y seront
examinées,
2. le douar Ifrane : un douar de la vallée des Aït Hakim, où seront étudiées les relations entre
agriculteurs, les pratiques d’irrigation et les systèmes de production.
Tableau 1 : les échelles d’analyse des objets d’étude

Objets d’étude Echelles d’étude

Etude de la gestion sociale de l’eau

Etude des logiques sociales et des conflits Le grand système irrigué de la vallée des Aït Hakim.

Etude de la GPI (création des AUEA)

Etude de la gestion de l’eau intra-douar

Etude des systèmes de production Les exploitations agricoles du douar Ifrane

Etude des pratiques d’irrigation

Source : Elaboration propre

3. LA DEMARCHE DE TERRAIN : SOURCES D’INFORMATIONS ET DE DONNEES


3.1.1 Les sources écrites :
Un travail préliminaire de bibliographie a été effectué et s’est poursuivi au fur et à mesure qu’on
découvrait le terrain. Il a concerné des sources nombreuses et des questions aussi diverses que :
L’anthropologie des berbères du Haut Atlas : BERQUE J., LECESTRE-ROLLIER B…,
Les aspects de l’irrigation au Maroc : EL ALAOUI M., CHRAÏBI M., HERZENNI A,….,
Le concept de Gestion Sociale de l’Eau, les questions des organisations d’agriculteurs et les
méthodes d’approche des systèmes irrigués traditionnels : OSTROM E., MATHIEU P.,RUF T…
Les sources consultées, citées ou non citées, sont intégralement référencées à la fin du document.

22
3.1.2 Les sources orales :
Une série d’entretiens semi dirigés, à l’aide de guides d’entretien21, a été réalisée auprès des
acteurs concernés par la gestion locale de l’eau :
(a) Les acteurs locaux : agriculteurs, anciens, naïbs,…

Ce sont les interlocuteurs avec qui nous avons eu le plus d’entretiens avec, une préférence
particulière pour les naïbs qui ont une bonne connaissance des règles coutumières de gestion de
l’eau et les personnes âgées qui ont vécu certains changements historiques (une certaine perte de
mémoire collective est constatée pour les faits de longue durée). Les représentants des douars au
sein de l’AUEA, les élus locaux à la commune rurale et le caïdat ont été aussi consultés sur
certaines questions d’ordre institutionnel.
(b) Les Services techniques de l’Etat :

Quelques entretiens ont été réalisés à ce niveau pour connaître la vision des autorités sur les
questions de gestion participative de l’irrigation et pour pouvoir mettre à jour notre étude en
fonction des actions qui sont mises en application dans le cadre du projet DRI-PMH.
3.1.3 Les visites de terrain et la cartographie du territoire :
Nous avons effectué une série de reconnaissances du terrain, toujours accompagnés par les
agriculteurs, pour reporter les détails importants du territoire sur les fonds cartographiques22 dont
nous disposions. Ces données ont ensuite traitées informatiquement par des logiciels de CAO23
pour produire les cartes, les schémas et les illustrations présentés dans ce document. On pourrait
déplorer quelques erreurs et incorrections dans les toponymes et les emplacements de certains
terroirs, dues essentiellement à la multiplicité des noms attribués aux éléments du territoire24 et à
la transcription de certains termes Tachelhit. Nous avons essayé de limiter ces erreurs en
réalisant les entretiens qui les concernent l’identification du territoire en présence de plusieurs
agriculteurs d’un douar ou de différents douars.

21
Un guide a été élaboré pour chaque aspect du sujet. Voir les guides d’entretien en annexe 13.
22
Carte 1/5000 des Aït Hakim (DPA, 1994), Carte 1/100.000 de la vallée (MARA, 1977)
23
Conception Assistée par Ordinateur; Logiciels utilisés : Deneba Canvas® 6 et 7, Adobe Illustrator®10.
24
Les noms des canaux, des terroirs,…changent selon les douars et selon les agriculteurs au sein d’un même douar.

23
DEUXIEME PARTIE : LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ ET LA
HAUTE VALLEE DES AÏT HAKIM
CHAPITRE III : CARACTERISTIQUES PHYSIQUES ET SOCIO-
TERRITORIALES DE LA ZONE D’ETUDE
I. LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ : UN ENSEMBLE ECOLOGIQUE DE
TYPE AGRO-SYLVO-PASTORAL
INTRODUCTION :
La vallée des Aït Bouguemez, située dans la province d’Azilal, est une enclave du Haut-Atlas
central (Carte1) enserrée entre de puissantes chaînes de montagnes. Elle est limitée au nord par
le Jbel Azourki (3682 m), au Sud par le Jbel Waougoulzat (3763 m), à l’Est par le Jbel Anzing.
La vallée s’étend sur près de 30 Km, entre 1800 m d’altitude (à Agouti, douar le plus en aval) et
2200 m (à Zaouit Alemzi, douar le plus en amont). La vallée est étroite (de quelques dizaines de
mètres dans sa partie la plus étroite à près d’un km dans sa partie la plus large) avec un fond
relativement plat qui permet la pratique de l’agriculture, activité principale de la population.
Dans la partie suivante nous examinerons les caractéristiques physiques et humaines de la vallée
et les différentes mutations qu’elle a subies au cours de son histoire.
Carte 1 : Géographie du Maroc et localisation de la vallée des Aït Bouguemez

Source : Elaboration propre d’après un fond de carte de (AMROUCH, 2003)

24
1. ORGANISATION ADMINISTRATIVE ET TERRITORIALE :
Le Maroc se subdivise en 16 régions administratives qui se répartissent en Provinces ou
Préfectures. Une Province est subdivisée en Cercles qui, eux-mêmes, se subdivisent en Sous-
Cercles ou Caïdats. Un caïdat peut comprendre une ou plusieurs Communes Rurales. Pour
chaque subdivision administrative (la Commune Rurale exceptée), un fonctionnaire est nommé
par le Ministère de l’Intérieur : Gouverneur pour la Province, Super-Caïd pour le Cercle et Caïd
pour le Caïdat.
La vallée des Aït Bouguemez fait partie de la province d’Azilal (région de Tadla-Azilal). Elle
correspond à la Commune Rurale de Aït Bouguemez et au Caïdat de Tabant (créé en 1985). Le
caïdat de Tabant administre aussi la Commune rurale voisine d’Abachkou (Aït Bou Oulli).
Tabant, siège du Caïdat et de la Commune Rurale, concentre toutes les activités commerciales.
Le caïd est l’autorité qui représente le Ministère de l’Intérieur, la Police, la Gendarmerie et, dans
certains cas, les Pouvoirs Judiciaire et Exécutif. Il est aidé dans ce travail par deux Chioukh25,
eux-mêmes assistés par des Moqadem qui quadrillent les 29 douars que compte la Commune
Rurale de Aït Bouguemez. Chaque Moqadem s’occupe de deux à trois douars.
La Commune Rurale est le plus petit découpage territorial reconnu par l’Etat. Le douar, unité
territoriale-clé de la gestion des ressources naturelles, n’est pas reconnu par l’Etat sur le plan
administratif (HUGON, 2003).
Carte 2 : Province d'Azilal et Commune Rurale de Tabant

Source : (HERZENNI, 1993)

25
Cheikh au singulier

25
2. CARACTERISTIQUES DU MILIEU BIOPHYSIQUE :
2.1 CONTEXTE GEOLOGIQUE ET GEOGRAPHIQUE :

Le Haut-Atlas central, où se situe la vallée des Aït Bouguemez, est constitué principalement de
sédiments calcaires jurassiques. Il est formé de plis réguliers et parallèles, orientés sensiblement
ENE-WSW et séparés par les sillons profonds des principaux cours d'eau. Six grands chaînons se
succèdent ainsi de la plaine du Tadla à la ligne de faîte, dont l'altitude s'élève progressivement
pour culminer à 4.068 m à Ighil Mgoun, massif le plus vaste et le plus élevé."D'aspect lourd et
massif, ce domaine montagneux présente une succession d'anticlinaux allongés, de synclinaux à
flancs raides et fonds plats, d'amples vals longitudinaux et de cluses transversales étroites et
profondes qui rendent la circulation méridienne difficile" (LECESTRE-ROLLIER,1992). Seuls
les hauts seuils tels le plateau d’Izughar et le lac d’Imilchil offrent, en dehors de la saison
hivernale, des carrefours de voies de passage.
2.2 FORMATION DE LA VALLEE :

"Les couches sédimentaires déposées au secondaire (jurassique) lorsque la zone était recouverte
par l'océan, sont pour l'essentiel calcaires (durs ou tendres selon les couches). Entre ces strates se
trouvent par endroit d'épaisses couches de grès (de couleur rouge). Toutes ces strates, à l'origine
horizontales, ont été plissées au cours de la formation de l'Atlas (et des Alpes), lors du
rapprochement des continents africain et européen. Les vallées ont été creusées dans les
synclinaux dus à ces mouvements. Cette période marquée par l'influence de la tectonique des
plaques, est suivie, au quaternaire, par la formation d'un lac de plusieurs dizaines de mètres de
profondeur, due à l'éboulement de tout un pan de falaise à Imi-n-Tourza (en aval du dernier
village de la vallée, Agouti). Derrière ce barrage, se sont déposés les sédiments qui constituent
aujourd'hui la plaine du fond de vallée" (MARTIN, 2002)26.
2.3 CARACTERISTIQUES HYDROLOGIQUES :

Le Haut-Atlas est considéré comme le "château d'eau du Maroc". En effet, les cours d’eau
temporaires des vallées montagnardes se jettent dans les grands oueds qui alimentent les barrages
des plaines de la Grande Hydraulique.
La vallée des Aït Bouguemez constitue une partie du haut bassin versant de l'oued Lakhdar qui
se jette dans l'oued Tessaout qui alimente à son tour l'oued Oum er Rbia, principale alimentation
en eau du barrage Hassan 1er qui permet d'irriguer l'imposant périmètre du Haouz de Marrakech
(RIAUX, 2003).
La vallée est arrosée par l'assif-n-Aït Bouguemez (carte 3) , issu de la confluence (au centre de la
vallée) de deux affluents principaux (l'assif-n-Aït Hakim et l’Assif-n-Tawaïa) qui sont alimentés
par plusieurs sources et résurgences (d’origine alluviale ou karstique) et par les eaux des pluies et
des fontes de neiges drainées par les affluents de montagnes (Thalwegs, Ar : Chaâba, Th : Aka).

26
Résumé d’après Hassan Baraouze, animateur de l'Association de Développement et de Coopération des Aït
Bougmez et licencié en géologie. Résumé repris aussi par (Hugon, 2003).

26
Carte 3 : Hydrologie générale de la vallée des Aït Bouguemez

Source : AMROUCH (2003).

Source : Elaboration propre d’après un fond de carte du MARA (1977)

2.4 LE CLIMAT DE LA VALLEE : SEMI-ARIDE ET CONTINENTAL

De façon générale, le climat du Haut-Atlas central se caractérise par une forte continentalité
avec deux saisons principales très marquées : une saison froide et pluvieuse entre novembre et
mars et une saison chaude et sèche de juin à octobre. Les précipitations sont très irrégulières.
Pour ce qui est de la vallée des Aït Bouguemez, il existe très peu de données précises sur le

27
climat. Les seuls points de repères sont le pluviomètre de Tabant, les stations météorologiques
d’Azilal et d’Aït Mhamed et les observations faites par les étudiants sur place. Sur ces bases,
nous pouvons émettre les approximations suivantes :
2.4.1 Une répartition irrégulière des précipitations :
La pluviométrie de la vallée est caractérisée par une forte irrégularité des pluies intra-annuelles
(500 à 750 mm) et inter-annuelles. Les précipitations sont abondantes en automne et au
printemps (crues automnales et printanières, souvent dévastatrices) et rares en hiver. Il peut
neiger de Novembre à Mai au dessus de 1.500 m, mais la neige n'est pas abondante et ne tient
guère en deçà de 2.000 m. Le haut pays bénéficie par contre d'un manteau nival dès le mois de
novembre et pour tout l'hiver (LECESTRE-ROLLIER, 1992).
Graphique 1 : Pluies mensuelles (Données de la Station de Tabant : 1992-2002)

160,00
140,00
120,00
100,00
80,00
60,00
40,00
20,00
0,00
1

13

25

37

49

61

73

85

97

109

121
Source : AMROUCH (2003)

2.4.2 Des amplitudes thermiques élevées :


Les températures oscillent entre -6°C et +45°C. En hiver, les températures descendent
fréquemment en dessous de 0°C et provoquent des risques importants de gels entre les mois
d'octobre et mai. En été, les températures élevées provoquent une évapotranspiration très
importante. Selon (HUGON, 2003), au mois de juillet, l'ETP moyenne est de 6mm/ jour, le
déficit annuel (ETP- Précipitations) est de 770 mm.
Graphique 2 : Diagramme omrothermique (données de la Station d'Azilal)

Diagramme ombrothermique (données de la Stattion d'Azilal)

100 50

90 45

80 40

70 35
Précipitations (mm)

Températures (°C)

60 30

50 25 Précipitations
moyennes

40 20
Températures
moyennes
30 15

20 10

10 5

0 0
janv. févr. mars avril mai juin juil. août sept. oct. nov. déc.
Mois

Source : HUGON (2003)

28
2.4.3 Des sécheresses sévères :
L'une des caractéristiques principales du climat marocain est son irrégularité que traduit la forte
variabilité inter-annuelle des précipitations, avec des sécheresses critiques qui surviennent
environ tous les dix ans et qui durent plusieurs années. La dernière en date, celle des années 1990
(avec un pic entre 1999-2001), a frappé de plein fouet la vallée des Aït Bouguemez. Les
précipitations étaient quasi absentes, les sources complètement taries. Selon le Morcheh d’ Ifrane
"De mémoire de bouguemezien, on n’a jamais vu la source de Tadrouit tarir, mais entre 1999 et
2001, elle était complètement sèche". Les agriculteurs les plus âgés disent ne pas avoir connu de
sécheresses aussi dures et longues depuis la fin des années 1940, ils se souviennent d'avoir
souffert de la faim comme ce fut le cas en 2001. Les récoltes de l'année 2000 ont été si
mauvaises que certains habitants affirment n’avoir pas eu assez de céréales pour réaliser un
battage (MARTIN, 2002). Plusieurs puits individuels sont apparus dans la vallée durant cette
période (RIAUX, 2003).
3. LES ETAGES ECOLOGIQUES : UN ETAGEMENT MONTAGNARD CLASSIQUE,
SOCLE DES SYSTEMES DE PRODUCTION

Le découpage de l’espace adopté ici (fond de vallée, versants, hautes montagnes) ne reflète pas
toute la diversité et la complexité de l’organisation spatiale. Selon (LECESTRE-ROLLIER,
1992), "Pour l'habitant des hautes vallées, les étages ne sont pas isolés mais complémentaires, et
leur assise spatiale est une". Trois étages écologiques se superposent le long du gradient
altitudinal :
3.1 L’ETAGE CULTIVE DE FOND DE VALLEE ET DU BAS VERSANT :

Le fond de vallée (de 1200 à 1800m) : est la zone où est pratiquée l'agriculture irriguée.
Cet espace, situé au voisinage immédiat de l'assif, est délimité par les grandes seguias en terre,
construites à flanc de coteau. Il comprend différentes terrasses cultivées, chacune dominée par un
canal d’irrigation (partagé par deux ou trois douars) alimenté par une source ou une prise située
sur l’oued. Les parcelles, petites et morcelées (atteignant rarement 500 m2), sont délimitées par
des canaux tertiaires. Elles relèvent entièrement du statut privé Melk.
Les limites entre les douars qui se caractérisent par une mixité des parcelles (un douar pouvant
posséder des parcelles sur le périmètre irrigué du douar positionné en amont ou aval), sont les
mieux définies dans le périmètre irrigué.
Dans certaine partie de la vallée, les douars peuvent se situer partiellement dans l’espace irrigué,
au milieu des parcelles et des canaux (cas du douar Iglouane en amont de la vallée).
Le bas versant (de 1800 à 2200m) : sur la rive droite de l’assif, on y trouve les douars
organisés en hameaux, le long de la piste. Quelques hameaux peuvent aussi se situer sur la rive
gauche. Mais c’est surtout les terres cultivées bour (et en irrigué pour les douars qui possèdent
des sources latérales de versants) qui occupent les terroirs du bas des versants. C'est aussi là que
sont localisées les parcelles destinées au maraîchage à usage familial.
3.2 L’ETAGE SYLVICOLE DE VERSANT (DE 2200 A 2400 M) :

29
C’est l’étage où se situent les Agoudals forestiers27 des douars. Cet espace, relevant du statut
communautaire, est géré par tout le douar. On y trouve les espèces suivantes :
• le genévrier de Phénicie (Aïfs) sur le bas des versants et sur les adrets,
• le chêne vert (Tassaft) et le genévrier oxycèdre (Tiqi) dans la haute vallée,
• le buis sempervirent (azazr) sur les éboulis rocheux et les substrats mobiles,
• le genévrier thurifère (Adghoumam) à la limite supérieure des Agoudals.
3.3 L’ETAGE PASTORAL DE HAUTE MONTAGNE (DE 2700 A 3000 M) :

La haute montagne supporte les grands alpages intertribaux qui peuvent avoir ou non le statut
d’Agoudal. Ces grands parcours d’altitude couvrent près de la moitié de l’espace, avec des
espèces telles que : steppes à xérophytes en coussinets (Bupleurum spinosum, Cytisus
balancae...), formations à Omenis scariosa et pelouses des dépressions humides (AUCLAIR,
1991).
Figure 1 : Coupe nord-sud de la vallée des Aït Bouguemez

Source : Source (HERZENNI, 1993)


Photographie 1 : Les étages écologiques

Source : KEITA (2004)

27
Forêt communautaire des douars où est pratiquée une mise en défens temporaire annuelle ou continuelle

30
Carte 4 : Les étages écologiques

31
3.4 INTERPENETRATIONS DES TERROIRS :

D’une façon générale, cet étagement montagnard est ce qui se rencontre dans toute la vallée,
mais les différents terroirs peuvent parfois s’interpénétrer de façon à tirer le meilleur profit de
l’espace. On peut ainsi trouver :
des parcelles du terroir irrigué qui servent comme pâturages ou lieux de coupe d’herbes,
des parcelles préalablement bour qui deviennent irriguées dans les douars où des
sources latérales de versant sont découvertes,
des terres bour qui sont enclavées dans les Agoudals forestiers ou pastoraux.
3.5 ETAGES ECOLOGIQUES ET SYSTEMES DE PRODUCTION :

"Les systèmes de production reposent sur l’exploitation combinée de ces trois étages
écologiques. A l’agriculture vivrière de fond de vallée succède, au fur et à mesure que l’on
prend de la hauteur sur les versants, l’espace forestier parcouru par le bétail, producteur de bois
et de fourrage foliaire, puis les parcours d’altitude, lieux d’estive des troupeaux ovins et
caprins. La combinaison de l’agriculture intensive et de l’élevage extensif est la clé de voûte
des systèmes de production. Les champs irrigués sont soumis à des cycles culturaux intenses
(deux récoltes par an) que permet la fumure animale des troupeaux qui, de ce point de vue,
jouent le rôle de collecteurs d’éléments fertilisants, transférés des versants et concentrés vers
les cultures du fond de vallée" (AUCLAIR, 1991).
La répartition des trois étages écologiques et l’utilisation en concomitance que les habitants en
font montrent que la vallée des Aït Bouguemez est un ensemble écologique dont les systèmes
de production sont de type agro-sylvo-pastoral.
4. CARACTERISTIQUES HUMAINES : UNE POPULATION BERBERE TACHELHIT
D’ORIGINE TRES DIVERSE

4.1 ELEMENTS D’HISTOIRE DU PEUPLEMENT DE LA VALLEE :

La vallée des Aït Bouguemez est peuplée par une population berbère Tachelhit, un des trois
principaux groupes berbérophones du Maroc. Elle compte 13.22128 habitants vivant dans une
trentaine de douars bâtis en pisé et en pierres sur le bas des versants. Selon (LECESTRE
ROLLIER, 1992), les deux principales fractions qui ont peuplé historiquement la vallée des
Aït Bouguemez forment deux groupes distincts et opposés d’origines différentes:
les Aït Hakim, qui occupent les territoires d’amont, seraient des pasteurs nomades
venus du sud, poussés par la puissante tribu des Aït Atta. Ils se seraient ensuite
progressivement sédentarisés avant d’être rejoints par d’autres populations venues de Draâ, de
Zaouit Ahançal, du Mgoun et de Ouarzazate,

28
Selon les chiffres du dernier recensement du centre médical de Tabant en 2002.

32
les Aït Méhiya, qui occupent les territoires d’aval, seraient des agriculteurs venus du
nord et rejoints par d’autres populations venues de Tanant, de Beni Mellal, de Aït Mhamed,
des piémonts et des plaines centrales.
Les oppositions entre ces deux fractions ont commencé bien avant Siba et ont atteint leur
point culminant au moment de la pacification des montagnes berbères par le Protectorat
français dans les années 1930. Les Aït Hakim étaient alliés au caïd Ahançal contre les français
et les Aït Méhiya, liés au Glaoui, luttaient contre les Aït Hakim. "Cette opposition traduite en
rapports amont / aval conflictuels est observable actuellement à travers des oppositions
politiques et des conflits liés à la gestion des ressources naturelles" (RIAUX, 2003).
4.2 DYNAMIQUE DU PEUPLEMENT ET COMPLEXIFICATION DE
L’OCCUPATION TERRITORIALE :

Les guerres de l’ère préislamique ont fortement remodelé l’occupation territoriale de la vallée.
Pendant les conflits, très fréquents à cette époque, les douars, les groupes de douars ou les
fractions envoient toujours un groupe de guerriers s’installer dans des avant-postes (Tighremt)
situés en face des territoires ennemis pour prévenir toute attaque surprise. La surveillance de
l’ennemi s’éternisant, ces tours de gardes finissent par devenir des entités territoriales avec
une certaine indépendance vis-à-vis du territoire d’origine. De nouveaux territoires se sont
ainsi créés dans toute la vallée tout au long de l’histoire.
Les harkas, les transhumances et les déplacements de populations à la recherche de terres plus
clémentes ont aussi fortement contribué à créer des territoires pour les nouveaux venus, non
sans une certaine résistance des populations déjà installées.
Donc au gré des guerres intertribales, des harkas, des transhumances et des déplacements de
populations à la recherche de terres plus clémentes, l’occupation territoriale de la vallée s’est
radicalement modifiée. Même si aujourd’hui, l’ensemble des habitants est désigné sous
l’ethnonyme Aït Bouguemez, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là de groupes très
hétérogènes qui peuvent avoir des intérêts très distants.
4.3 OCCUPATION DES TERRITOIRES ET STRUCTURATION SOCIALE
ACTUELLE DE LA VALLEE :

Aujourd’hui, les populations qui occupent la vallée se répartissent comme suit :


le territoire aval organisé en 8 douars, est occupé par la fraction des Aït Méhiya,
le territoire central est occupé par la tribu des Aït Ouriat (4 douars), Aït Imi (1
douar) et Tabant (avec Tabant village et Tabant centre administratif et commercial),
le territoire amont nord29 est occupé par deux fractions : les Aït Wanoughdal en aval
(3 douars) et les Aït Hakim en amont (8 douars),

29
Communément appelé la vallée des Aït Hakim

33
le territoire amont sud30 comprend les douars R’bat et Akourbi (dont les habitants se
réclament des Aït Hakim), le douar Ibaqalioun (habité par des Aït Atta).
Carte 5 : Occupation des territoires

Source : Elaboration propre d’après un fond de carte du MARA (1977)

5. ORGANISATION SOCIO-INSTITUTIONNELLE : LA LOGIQUE DU CUMUL


5.1 LA LOGIQUE DU CUMUL CHEZ LES BERBERES DU HAUT-ATLAS :

L’organisation socio-institutionnelle actuelle des populations berbères du Haut-Atlas est le


résultat d’un fonctionnement selon la logique du cumul. L’ethnologue JAQUES BERQUE
(1955), rapporte "qu’au fil des siècles, des invasions, l'identité berbère demeure et a une
capacité indéniable à perdurer : une capacité à intégrer les apports étrangers qu'ils soient
techniques, sociaux ou religieux, à incorporer les éléments d'origine allogène, des individus
ou familles venus s'installer sur ce territoire". En effet, les berbères ont une capacité
indéniable de s’approprier tout apport externe nouveau sans qu’il ne fasse disparaître les
éléments anciens. On peut ainsi noter, sur le plan historique, que les droits d’eau actuels sont
le résultat d’un cumul des traditions préislamiques, de la charia islamique et du droit moderne.
5.2 ORGANISATION SOCIO-INSTITUTIONNELLE31 :

Toute la vie socio-politique locale est structurée autour de deux unités : la Taqbilt et l’Ighs.
5.2.1 La Taqbilt32 : unité socio-spatiale d’ordre politique
Toute la vie socio-politique locale est structurée autour de deux unités : la Taqbilt et l’Ighs.

30
Communément appelé la vallée de R’bat
31
Les éléments présentés dans cette partie sont le résultat des entretiens et des observations enrichis par la
lecture de la thèse de l’ethno-anthropologue Béatrice Lecestre-Rollier Op. Cit.
32
Au Maroc, le vocable Taqbilt, berbérisation de l'arabe Qabil, désigne couramment la tribu.

34
Dans la vallée des Aït Bouguemez, le douar, la fraction ou la tribu ne se réfère pas à une
ascendance commune, même fictive. Au contraire, l'hétérogénéité des origines est pleinement
revendiquée, les entités humaines ne sont qu’un agrégat d'éléments venus de différents
horizons. Elles sont gérées par tous les chefs de foyer réunis au sein de la Taqbilt, seule unité
socio-politique liée au territoire. Selon (LECESTRE-ROLLIER, 1992), "la Taqbilt s'applique
à toute formation socio-spatiale d'ordre public, c'est-à-dire éminemment politique, depuis la
communauté de base, le douar, jusqu'à la tribu dans son ensemble". La Taqbilt a la charge de
la gestion de toutes les ressources naturelles du douar, mais son rôle le plus important est de
loin la gestion de l'eau d’irrigation dont elle s’occupe de tous les aspects (surveillance des
tours d’eau, entretien des infrastructures d’irrigation, résolution des conflits,..).
5.2.2 La Jemaâ : instance de décision de la Taqbilt
"Si la Taqbilt est le lieu où s'élabore la politique de la communauté, la Jemaâ en est l'organe
consultatif ou l'assemblée délibérante, là s'articulent les intérêts familiaux et collectifs, se
prennent les décisions engageant la vie du groupe et, […], les règles de gestion de l'espace
collectif (terroirs irrigués et espaces sylvo-pastoraux). Toutes les questions de la vie publique
locale sont débattues dans le cadre de la Jemaâ" (LECESTRE-ROLLIER, 1992). La Jemaâ de
douar se réunit ordinairement chaque vendredi à la mosquée, après la prière collective, pour
débattre de toutes les questions relatives à la vie du douar et de ses relations avec les autres.
Les décisions prises ne sont applicables que lorsqu’elles sont admises par l'ensemble du
groupe. L’Amghar-Jemaa (chef de l’assemblée), nommé pour un an par ses pairs à la tête de
la Jemaâ, dirige les débats et veille à l’application des décisions. En théorie, des pratiques de
rotation permettent à chaque lignée de la Taqbilt d’occuper cette position d’autorité et de
prestige, mais en pratique les lignées les plus puissantes se partagent simplement ce pouvoir.
5.2.3 L’Ighs33 : base de l’édifice social
L’Ighs, groupe parental ou lignage, est la plus petite unité de gestion des ressources
communes. Les lignages entretiennent des relations d'équilibre et d'opposition qui rendent
compte de l'ordre social. Selon (LECESTRE-ROLLIER, 1992), l’Ighs est "[…] un groupe où
les individus, situés dans un même cadre généalogique, se relient unilinéairement à une même
et unique souche". L’Ighs se compose de plusieurs foyers ou Takât (niveau de gestion de
l’exploitation agricole). Nous verrons plus tard que les Ighs ont un rôle déterminant dans la
gestion de l’eau, au sein de certains douars.
6. LA DYNAMIQUE DE L’ACTIVITE ECONOMIQUE : DES APPORTS EXTERIEURS
DETERMINANTS

L’activité économique de la vallée est, pour l’essentiel, basée sur l’agriculture et l’élevage.
Les céréales (blé, orge) sont produites en irrigué et en bour pour l’autoconsommation. Au fil

33
Terme Tachelhit, signifie : Os

35
de l’histoire, l’économie de la vallée a connu de nombreuses évolutions qui ont profondément
modifié la façon de penser l’agriculture et d’exploiter les ressources naturelles (terre et eau).
La période de Siba va nous servir de point de départ pour l’analyse des grands changements
survenus dans les activités économiques (au cours de nos entretiens, la mémoire collective
n’est jamais allée au delà de cette période).
6.1 PENDANT LE SIBA : DES PRATIQUES AGRICOLES RENDUES DIFFICILES
PAR LE CLIMAT D’INSECURITE

La période de Siba est marquée par une insécurité générale liée aux guerres incessantes entre
tribus rivales. Les activités économiques s’en sont fortement ressenties. En effet, les
agriculteurs de peur de se faire attaquer, une fois esseulés dans les champs, ne s’y rendaient
presque plus; les mauvaises pratiques agricoles qui en ont résultées conduisaient à des récoltes
faibles, à peine suffisantes pour nourrir la famille. Une forte solidarité s’était développée entre
les habitants pour ce qui concerne les travaux champêtres (déplacements en groupe). Des
bergers étaient employés pour l’élevage transhumant, mais les déplacements n’étaient pas
sans risque et se faisaient avec beaucoup de précautions. Les échanges commerciaux avec les
vallées avoisinantes étaient aussi faibles et quand ils ont lieu, les groupes de marchands ne
partaient jamais sans éclaireur pour ouvrir le chemin et s'assurer du bon accueil des villages
traversés (MARTIN, 2002). La période de Siba prend fin en 1934 avec la pacification de
l’Atlas central par l’armée française.
6.2 SOUS LE PROTECTORAT : L’IMMIGRATION VERS L’ETRAGER ET
L’INTRODUCTION DE L’AGRICULTURE DE RENTE

Le protectorat a apporté une certaine stabilité dans les montagnes en procédant à l’installation
de grands caïds issus de grandes familles. Les agriculteurs pouvaient accéder plus facilement
à leurs champs, les bergers aux parcours de hautes montagnes pour le bétail. Les relations
entre villages et tribus se sont améliorées et les déplacements (transhumance et commerce)
deviennent moins dangereux et plus faciles. En effet, le transport des commerçants et leurs
biens vers Ouarzazate et sa région fut facilité grâce aux routes creusées dans la montagne par
l'armée française. Deux faits économiques majeurs marquent cette période :
6.2.1 L’immigration vers l’étranger :
De nombreux jeunes de la vallée ont été enrôlés dans l'armée française pendant la guerre
d’Indochine et la deuxième guerre mondiale ; ce fut le premier grand mouvement des hommes
de la vallée vers l’étranger et les grandes villes marocaines. Ils envoyaient à leurs familles des
sommes d’argent permettant de faire de nouveaux investissements : acquisition de nouvelles
parcelles (MARTIN, 2002), achat de bétails….
6.2.2 L’introduction de la pomme de terre :
Le changement le plus important (du point de vue de notre étude) survenu sous le protectorat
est sans doute l'introduction de la pomme de terre par les capitaines français en 1954. Dans un
premier temps, la pomme de terre fut rapidement adoptée par tous les agriculteurs comme

36
culture d’autoconsommation. Au début des années 1960, seuls quelques agriculteurs
possédant une mule ont commencé à commercialiser leurs récoltes dans les souks d’Azilal.
Dans les années 1970, les revenus importants des agriculteurs qui commercialisaient déjà la
pomme de terre et l’arrivée des camions dans la vallée ont incité la plupart des agriculteurs à
produire la pomme de terre pour la vente. La pomme de terre devient ainsi la première
spéculation agricole perçue comme pouvant apporter un revenu monétaire important.
6.3 SOUS LE MAROC INDEPENDANT : INTRODUCTION DE
L’ARBORICULTURE ET DEVELOPPEMENT DU TOURISME DE MONTAGNES

En 1956, le Maroc est indépendant. Les grands investissements entrepris dans le domaine de
la maîtrise de l’eau ne concernent pas les zones de montagnes. L’activité économique locale
n’en est, cependant, pas moins dynamique. La vallée continue son ouverture vers l’extérieur
avec : l’accentuation des arrivées de camions de marchandises (dans les années 1970), le
départ de nombreux hommes vers les villes (à l’occasion de la marche verte en 1975).
La production de pomme de terre pour la vente s’est accentuée, les agriculteurs de la vallée
profitaient du décalage des périodes de production avec la plaine pour acheminer leurs
produits par camions vers les souks d’Azilal et de Béni Mellal.
6.3.1 L’introduction du pommier par la DPA d’Azilal :
En 1975, la DPA distribue gratuitement aux agriculteurs de jeunes plants de pommiers pour
des essais. Les agriculteurs sont restés longtemps réticents à la pratique du pommier. Ce n'est
qu'en 1995, après avoir constaté les bons résultats de l'arboriculture chez les autres, qu’ils
commencent à planter une grande partie de leurs parcelles en pommiers. Une conséquence de
l’adoption du pommier fut l’emploi d’une main d’œuvre spécialisée pour la taille des arbres.
6.3.2 L’introduction de la race Holstein :
La race Holstein a été introduite dans les années 1980 pour augmenter la production laitière.
Mais cette vache n’a pas apporté d’améliorations notables dans la production laitière de la
vallée, cela s’explique par plusieurs facteurs : la Holstein est peu adaptée à la vie en
montagne, elle a besoin de grandes quantités d'aliments pour une bonne production laitière,
elle exige aussi des conditions d'hygiène drastiques que ne lui assurent pas les étables de la
vallée. Aujourd’hui, les vaches Holstein sont surtout des croisées avec la race locale
(Bildiyin). Elles sont toujours considérées comme fragiles par la plupart des agriculteurs et
n'arrivent pas encore à produire autant qu'elles le pourraient (MARTIN, 2002).
6.3.3 L’essor des activités touristiques de montagnes :
Les touristes randonneurs se sont intéressés à la vallée dès le début des années 1980. Les
activités de trekking furent initiées, dans la même période, dans le cadre du PHAC
(Programme Haut Atlas Central), projet de coopération franco-marocain. Le CFAMM (Centre
de Formation Aux Métiers de la Montagne) est installé à Tabant fin 1980. En 1985, la
première promotion de guides de montagne diplômés, issus pour la plupart des douars de la
vallée, en sort. Le tourisme a continué à se développer très rapidement dans la vallée grâce,

37
notamment, à la construction de nombreux gîtes, à la construction de la route goudronnée
reliant directement la vallée à Azilal, à l’électrification de l’ensemble de la vallée en août
2002. Les habitants de la vallée sont très impliqués dans cette activité, c’est eux qui sont, en
effet, propriétaires de gîtes, muletiers, cuisiniers, chauffeurs, porteurs ou guides de
montagnes. En outre, de nombreuses boutiques ont été ouvertes à Tabant pour la vente de
matériels de trekking, de conserves, de souvenirs pour touristes. Le tourisme apporte un
revenu complémentaire à de nombreux agriculteurs et fait vivre certaines familles dont les
enfants sont guides (un guide touristique gagne 200 DH/jour et un muletier 100 DH /jour).
6.4 CONCLUSION : PREDOMINANCE DE L’AGRICULTURE DANS LE REVENU
FAMILIAL ET EMERGENCE DE NOUVEAUX ACTEURS

L’activité économique a été profondément modifiée au cours des cent cinquante dernières
années. Sous le protectorat a débuté un mouvement d’immigration saisonnière ou définitive
vers l’étranger et les villes. Les dernières années de sécheresse ont encore accentué ce
mouvement qui contribue grandement à l’économie des ménages.
L’introduction des cultures de rente (pomme de terre et pommier) a modifié la façon de
penser l’agriculture. En plus de produire pour l’autoconsommation, on produit aussi pour la
vente (la production agricole satisferait 60% des besoins économiques et alimentaires des
familles) (DAHA, 1994). Cette nouvelle donne augmente le besoin en terres et en eau
d’irrigation et accentue la pression sur ces ressources. Par ailleurs, les contraintes
topographiques et climatiques constituent un frein au développement des cultures de rente.
Les exploitations deviennent très différenciées : "certaines sont restées sur des exploitations
de type polyculture élevage, d'autres se spécialisent dans l'arboriculture, d'autres encore
dans l'engraissement" (HUGON, 2003). Il faut cependant noter le déclin du pastoralisme [1/3
des effectifs ovins et 1/4 des effectifs caprins en moins (MARTIN, 2002)] au profit de
l’agriculture irriguée depuis une vingtaine d'années (LECESTRE-ROLLIER, 1992).
L'introduction récente des cultures de rente et les dernières années de sécheresse ont favorisé
l'accélération de ce changement (RIAUX, 2003).
L’essor des activités touristiques a introduit le recours à la pluriactivité pour compléter les
revenus des ménages et a permis l’émergence de nouveaux acteurs dans le paysage
économique et socio-institutionnel. En effet, bien souvent, des touristes de passage dans la
vallée, tombés sous le charme des habitants et la beauté des paysages, reviennent pour
contribuer au développement local. Les habitants sont ainsi incités à se constituer en
associations pour coordonner et légitimer les actions des différentes O.N.G. étrangères.

38
7. LES INITIATIVES LOCALES DE DEVELOPPEMENT :
7.1 L’ACTION DE CICDA34- AGHBALOU35- AABDC 36 :

En 2002, un projet de développement local a été lancé dans la vallée, dans le cadre du PCM37,
par un groupe d’ONG françaises (CICDA et AGHBALOU) et l’association locale(Association
des Aït Bouguemez pour le développement et la coopération : AABDC). Il s’agissait, au
départ, d’un partenariat de 5 ans qui avait pour objectifs principaux : réduire la pauvreté et les
inégalités et aider le milieu associatif à se constituer. Grâce à un nouveau financement de
l’Union Européenne, le programme a bénéficié d’un prolongement de 3 ans supplémentaires
et va se poursuivre jusqu’en 2008. Une série d’actions, devant bénéficier à près de 300 foyers
d'agriculteurs représentant près de 1800 habitants, sont prévues : construction de deux
systèmes d'eau potable dans deux douars, amélioration des captages de sources ou creusement
de puits, mise en place de réseaux de transport et de distribution de l'eau par bornes-fontaines,
amélioration de deux systèmes irrigués, construction de petits ouvrages hydrauliques pour le
transport, distribution ou stockage de l'eau d'irrigation, organisation de missions techniques
d’appui-conseil avec des échanges entre des producteurs Marocains et Français.
Certaines actions comme la construction de systèmes d’adduction d’eau potable ont été déjà
réalisées, d’autres encore comme l’amélioration de l’irrigation sont en cours de réalisation
(construction de 3 réservoirs de stockage de l’eau de 800m3 dans 3 douars). Le premier
bassin-réservoir achevé permet aux agriculteurs du douar Iskataffen ( au centre de la vallée)
d’emmagasiner l’eau de la source Ansouss pendant toute la nuit et de la distribuer ensuite le
matin dans le réseau d’irrigation selon le tour d’eau déjà en vigueur entre les agriculteurs. Au
départ, ce réservoir a posé quelques difficultés parce qu’il fallait intégrer dans le tour d’eau
des agriculteurs d’aval qui n’y figuraient pas avant. Après de longues tractations, une journée
d’irrigation a été accordée à ces agriculteurs et tout semble plutôt bien marcher aujourd’hui.
En outre, plusieurs mémoires de fin d’études et stages, portant sur l’amélioration de
l’agriculture dans la vallée, ont été réalisés dans différents douars de la vallée dans le cadre de
ce partenariat.
CONCLUSION :
La vallée des Aït Bouguemez est un ensemble écologique de type agro-sylvo-pastoral
caractérisé par une forte instabilité du climat. Elle est peuplée par une population berbère
Tachelhit d’origine très diverse. Dans ce territoire, considéré comme source historique de
contestation politique, l’Etat a progressivement mis en place des représentations locales de
son autorité (Caïdat) et des structures de développement (Commune rurale, DPA) oeuvrant
dans l’agriculture, l’éducation, la santé….

34
CICDA : Centre International de Coopération pour le Développement Agricole.
35
AGHBALOU : Source en Tachelhit, ONG réunissant des dijonnais passionnés de l’Atlas marocain.
36
AABDC : Association des Aït Bouguemez pour le développement et la coopération.
37
PCM : Programme Concerté Maroc

39
La vallée a subi de grands changements avec l’introduction des cultures de rente qui ont
augmenté la pression sur l’eau et la terre. Le développement du tourisme a introduit la
pluriactivité. Il a aussi provoqué l’arrivée de plusieurs ONG oeuvrant dans différents
domaines du développement rural.
Dans la partie suivante, nous présentons les caractéristiques socio-territoriales de la vallée des
Aït Hakim, branche amont de la vallée des Aït Bouguemez dans laquelle se concentre notre
étude.
II. LA HAUTE VALLEE DES AÏT HAKIM : UN EMBOITEMENT COMPLEXE
DE FINAGES
INTRODUCTION :
La vallée se scinde en deux branches en son centre. Le territoire désigné sous le nom de la
vallée des Aït Hakim est la branche la plus longue, orientée vers le nord (voire carte 4). En
plus du groupe social (Aït Hakim) qui lui confère son nom, il abrite plusieurs autres groupes,
organisés autour de la gestion de l’eau et des espaces naturels dans une superposition
complexe de territoires. Il convient donc, dès ici, de faire une distinction importante entre le
territoire ou la vallée des Aït Hakim et le groupe humain désigné sous l’ethnonyme Aït Hakim.
1. UNE DELIMITATION DIFFICILE DES FINAGES :
Le finage est défini comme étant le territoire d’un groupe humain dont les membres exploitent
ensemble toutes les ressources de ce territoire, c'est-à-dire un ensemble de terroirs sur lesquels
se déroulent les activités de production du groupe humain. Définir les finages de la vallée des
Aït Hakim sur la base de cette définition n’est pas aisé. En effet, les groupes qui peuplent la
vallée des Aït Hakim sont liés par une série d’alliances et d’oppositions, à la base d’une
organisation complexe du territoire en vue de son exploitation. Les contrats qui lient les
groupes, les modalités de gestion des différentes ressources villageoises et inter-villageoises
font qu’il y a interpénétration des espaces villageois dévolus à chaque douar. Certaines
ressources sont exploitées à l'intérieur du douar, d'autres en association ou en alliance avec les
autres douars. Les modalités de partage des ressources collectives sont ainsi liées aux
caractéristiques géographiques (amont, aval, frontières) et sociales (alliances et oppositions)
de chaque douar. Dans ce contexte, définir un espace géographique clos dévolu à chaque
douar ne rendrait pas compte de la diversité des relations inter-douars et de la complexité de
l’organisation territoriale et surtout de son importance dans la gestion de l’eau.
2. QUELS CRITERES DE DELIMITATION DES FINAGES RETENIR ?
Au cours de nos entretiens qui ont porté sur les questions territoriales, les éléments comme :
les niveaux d’organisation territoriale autour de la gestion de chaque ressource, la situation
géographique des ressources par rapport aux douars, les liens historiques entre les douars, sont
très souvent revenus quand les habitants parlent de leurs douars. L’accent est chaque mis sur
le fait que le territoire, ce n’est pas seulement le douar mais aussi tout ce qu’il possède

40
ailleurs. Nous allons donc utiliser ces éléments de discours et nos observations de terrain pour
tenter de construire les aires d’influence de chaque groupe.
3. LES NIVEAUX D’ORGANISATION TERRITORIALE ET LA GESTION
COMMUNAUTAIRE DES RESSOURCES NATURELLES :

On distingue dans la vallée des Aït Hakim, trois principaux niveaux d’organisation territoriale
en lien avec la gestion communautaire des ressources : le plus petit niveau est le douar et sa
Taqbilt. Les douars appartiennent à des ensembles plus larges : les fraction38. A l’intérieur des
fractions, on peut trouver des groupes particuliers de deux à trois douars unis par des alliances
anciennes ou par une même origine commune.
3.1 LES FRACTIONS :

Dans la vallée, les fractions peuvent regrouper de trois à huit douars qui gèrent collectivement
certaines ressources naturelles (principalement les alpages). Ces ressources pastorales, situées
généralement, très loin des douars, sont exploitées aujourd’hui selon des contrats ou des
accords avec d’autres groupes installés sur des territoires riverains de ces grands espaces
naturels. Mais il n’en a pas toujours été ainsi, avant la pacification des montagnes berbères par
l’armée française, les groupes ont dû se battre pour garder le contrôle de ces ressources
convoitées par les rivaux. Les fractions ne se réclamant pas d’une même ascendance
commune39, on peut supposer que les douars se sont regroupés dans ces entités territoriales
pour mieux défendre leurs ressources.
Aujourd’hui, un certain recul des fractions est constaté, surtout sur le plan identitaire. Elles ne
sont plus évoquées que pour parler de la gestion des ressources communes ou pour parler des
harkas glorieuses et des expéditions punitives contre les groupes rivaux.
3.2 LES GROUPES DE DOUARS :

A l’intérieur de la fraction, on peut trouver un groupe de deux à trois douars unis par des
alliances guerrières et des contrats de gestion des ressources naturelles. Ces douars forment
en général une Taqbilt commune qui gère les eaux d’irrigation et de boisson. Certains
Agoudals40 forestiers et pastoraux sont aussi gérés par ces groupes de douars
indépendamment des fractions auxquelles ils appartiennent.
3.3 LES DOUARS :

C’est la plus petite entité territoriale de gestion communautaire des ressources naturelles. Les
eaux (d’irrigation et de boisson), les terres bour situées loin du douar, les Agoudals forestiers
situés dans le voisinage immédiat des douars sont gérés par la Taqbilt de douar. Il s’agit là de
ressources faisant souvent l’objet de litiges avec les voisins d’amont ou d’aval. En effet, elles
sont situées sur des zones (Th : Aka) que les habitants définissent comme frontières inter-

38
Béatrice Lecestre-Rollier, Op. Cit.
39
Voir aussi en annexe 14, entretiens réalisés à Ifrane sur l’origine des groupes.
40
Se dit aussi Agdal : Th : mise en défens (qui peut être partielle ou totale sur une période donnée)

41
douars. On constate ainsi une forte cohésion des familles du douar autour de la défense de ces
ressources, que ce soit face aux douars voisins ou à l’Etat.
Le douar est aussi le lieu d’une gestion individuelle centrée sur le ménage. Les parcelles du
périmètre irrigué et de l’espace bour sont des ressources privées qui relèvent du statut privé
(Melk), elles donc gérées par le chef de foyer.
4. LES EMBOITEMENTS DE FINAGES :
4.1 LA FRACTION DES AÏT HAKIM :

Le groupe humain, désigné sous l’ethnonyme Aït Hakim, est constitué des habitants des huit
douars41 suivants : Zaouit Alemzi, Aït Ouham, Aït Issa Ou Ali, Iglouane, Ighirine, Aït Ouchi,
Ifrane et Taghoulit (carte 6). Le territoire de la fraction est, de ce fait, une simple
juxtaposition des territoires de ces huit douars. Les ressources communes de cette fraction
sont constituées essentiellement de deux grands alpages (Izouawadan situé entre R’bat et le
territoire des Aït Hakim et le plateau d’Izughar situé au nord-est de la vallée, à la frontière
avec Zaouit Ahançal). En dehors de la gestion commune de ces ressources pastorales, les
douars Aït Hakim sont liés, dans le cadre des relations amont aval, par l’eau de l’oued
traversant tout leur territoire. Nous verrons, dans la partie consacrée à l’hydrologie, que cet
oued est réalimenté tout au long de son cours par des sources appartenant aux différents
douars. Ce qui explique que, même s’il est commun à tous les douars de la fraction des Aït
Hakim, ses modalités de gestion ne relèvent pas de la fraction. Chaque douar a en effet mis en
place ses propres règles de gestion des quantités d’eau dont il peut disposer dans l’oued.
4.2 LES DOUARS ET LES GROUPES DE DOUARS AU SEIN DE LA FRACTION
DES AÏT HAKIM :

Les douars et les groupes de douars sont décrits d’amont en aval en mettant en évidence les
liens qu’ils entretiennent autour de la gestion des ressources naturelles :
(a) Zaouit Alemzi : un douar à part

Le douar Zaouit Alemzi, à l’extrême amont des Aït Hakim, est le seul douar indépendant des
autres du point de vue de son alimentation en eau. Il possède ses propres sources d’eau
(situées sur les montagnes qui dominent son territoire) qu'il exploite indépendamment du
réseau principal lié à l’Assif. Dans un passé récent, le douar exploitait sur le plateau
d’Izughar des terres bour (Tiqojine) avec les douars Aït Ouham et Aït Ouchi. En tant que Aït
Hakim, les Aït Zaouit ont droit aux parcours d’Izughar et d’Izouawadan. Il faut aussi noter
qu’une grande partie des terres irrigués (Melk) de Zaouit sont situées sur le périmètre irrigué
du voisin Aït Ouham.

41
Dans la vallée voisine, les habitants de R’bat et Akourbi se réclament aussi de cette fraction.

42
Carte 6 : Les emboîtements de finages de la vallée des Aït Hakim

Source : Elaboration propre d’après un fond de carte de la DPA d’Azilal (1994)

43
(b) Aït Ouham et Aït Issa Ou Ali : une origine commune

Le douar Aït Ouham a une Taqbilt commune avec les Aït Issa Ou Ali, qui à l'origine,
vivaient à Aït Ouham. Le douar Aït Issa Ou Ali était une tour de garde (Th : Tighremt)
construite pour surveiller les Aït Ali, tribu guerrière, qui convoitait la source des Aït Ouham
et les attaquait fréquemment. Aujourd’hui, Aït Issa Ou Ali est devenu un douar à part entière.
Il exploite avec Aït Ouham une partie des ressources en eau et des Agoudals forestiers. Les
deux douars ont aussi des droits sur tous les alpages des Aït Hakim. Il faut aussi noter que Aït
Ouham a un droit d’eau de deux jours sur le canal Taghfist de Zaouit Alemzi.
(c) Les Aït Ali : une alliance guerrière ?

Les douars Ighirine, Iglouane et Ifrane forment la Taqbilt des Aït Ali. Le douar Ifrane est
géographiquement séparé de Ighirine et Iglouane par le douar Aït Ouchi. Il s’agirait d’une
alliance guerrière42, dans laquelle Ifrane était chargé de surveiller les tribus d’aval (Aït Ouriat
et Aït Méhiya, historiquement opposés aux Aït Hakim). Aujourd’hui, les trois douars gèrent
ensemble plusieurs parcours et forêts (Agoudal-n-Tamda, Ighil Ikiss, Tissadouane).
Notons aussi qu'Ighirine et Iglouane forment une alliance puissante (sans Ifrane) autour de
la gestion de l'eau, de l’ensemble des terroirs forestiers des deux douars (Tagana, Tirkist,
Taouralt). Les Aït Ali ont aussi des droits sur tous les parcours de la fraction des Aït Hakim.
(d) Aït Ouchi : un douar enclavé au sein des Aït Ali

Les Aït Ouchi seraient des Aït Marghad, originaires de Boumalen (Ouarzazate). Leur douar
est enclavé dans le territoire des Aït Ali. Ce qui provoque plusieurs conflits territoriaux. Ce
douar a des Agoudals forestiers propres (Amalou et Oussamar) et des sources (Ikiss,
Iglouane) dont Ifrane profite dans le cadre des relations amont aval. Les Aït Ouchi ont des
droits sur l’ensemble des ressources pastorales des Aït Hakim.
(e) Taghoulit : des Aït Hakim ?

Taghoulit est le douar le plus en aval, à la frontière des Aït Hakim et de la fraction voisine
des Aït Wanoughdal. Il possède ses propres terroirs forestiers mais dépend entièrement
d’Ifrane pour son alimentation en eau d’irrigation. Bien qu’il se réclame des Aït Hakim43,
jusqu’à très récemment Taghoulit ne possédait aucun droit sur le parcours Izouawadan
(propriété commune des Aït Hakim). Ce n’est que suite à un procès qu’il a fait aux autres
douars Aït Hakim que Taghoulit a acquis le droit d’exploiter ce parcours.
4.3 LA FRACTION DES AÏT WANOUGHDAL :

En aval des Aït Hakim, les Aït Wanoughdal sont constitués de trois douars (Ait Oughral,
Ait Sellam et Tadrouit). Même si ces trois douars gèrent individuellement leurs terroirs
forestiers situés sur les deux rives de l’oued, l’esprit communautaire semble s’être mieux

42
Nous détaillerons les conditions de constitution de cette alliance quand nous aborderons l’histoire d’Ifrane.
43
L’identité d’Aït Hakim de Taghoulit est contestée par certains douars qui affirment que les habitants de
Taghoulit sont plutôt originaires de la tribu voisine des Aït Ouriat

44
conservé chez eux. Entièrement dépendants des Aït Hakim pour leur alimentation en eau
d’irrigation, les trois douars gèrent ensemble l’eau qu’ils reçoivent de l’amont selon un type
particulier de tours d’eau que nous verrons dans la partie consacrée à la gestion de l’eau.
CONCLUSION : UN DECOUPAGE CONTEXTUEL ET IDENTITAIRE

La vallée des Aït Hakim comporte deux fractions : les Aït Hakim et les Aït Wanoughdal. A
l’intérieur de la fraction des Aït Hakim, on trouve trois groupements de douars (Aït Ali,
Ighirine-Iglouane et Aït Ouham-Aït Issa Ou Ali), réunis autour de la gestion de certaines
ressources. Il faut souligner l'aspect identitaire et contextuel de ce découpage territorial des
populations de cette partie de la vallée. Nous avons vu que les fractions délimitent des
ensembles de personnes liées autrefois par des alliances guerrières et par une exploitation
commune de certains espaces. Actuellement, elles ne se distinguent que par ce dernier aspect :
la gestion de certaines ressources communes.
III. LA GESTION DES ESPACES COMMUNAUTAIRES : LES FORETS ET LES
PARCOURS
INTRODUCTION
Dans le découpage territorial que nous venons de voir, les parcours et les forêts occupent une
place très importante. Au cours du stage IAV-DSH_CNEARC-GSE 2003, nous avons
constaté que plusieurs conflits autour du partage de l’eau se répercutaient sur les accords et les
contrats établis sur les terroirs pastoraux et forestiers et vice versa. L’une des hypothèses que
nous avons alors posée était que "la gestion de l’eau n’est pas isolée de celle des autres
ressources. Un douar qui contrôle une grande quantité d’une ressource donnée l’utilise pour
accéder aux ressources qu’il n’a pas, en établissant des accords et des alliances avec
d’autres douars".C’est cette hypothèse que nous avons tenté de vérifier en nous intéressant à
la gestion des parcours et des forêts dans une étude qui est plutôt centrée sur la gestion de
l’eau. Nous ne donnons donc ici que quelques grandes lignes concernant la gestion de ces
espaces communautaires (pour plus de détails, se référer aux fiches détaillées sur le mode
d’exploitation des parcours et des forêts en annexe 11).
1. LA GESTION DES ESPACES NATURELS : LA LOGIQUE DU CONTRAT
L’ethnologue (LECESTRE-ROLLIER, 1997) a défini la société berbère du Haut-Atlas
comme une société basée sur la logique de contrat. Au fil du temps, de nombreux contrats se
sont établis entre les différents groupes autour de la gestion des ressources naturelles et cela à
différents niveaux : entre lignages, entre douars ou entre tribus. Les alliances entre les
groupes sociaux sont fréquentes et se font de façon à tirer le plus de profit possible de l’espace
social, mais elles sont instables et changeantes en fonction des besoins et de l’apparition des
enjeux nouveaux (HUGON, 2003). Dans la vallée des Aït Hakim, de nombreux cas de
contrats ont existé ou existent encore autour de la gestion des espaces naturels, entre les
groupes de douars, entre les douars et entre les familles au sein des douars.

45
2. REPARTITION SPATIALE ET REGLES DE GESTION DES PARCOURS ET DES
FORETS :

2.1 REPARTITION SPATIALE :

Nous avons déjà présenté la répartition des étages écologiques que nous avons qualifiée
d’étagement montagnard classique du Haut-Atlas. Dans la vallée des Aït Hakim, la
répartition des parcours et des forêts obéit à ce même étagement montagnard avec les
Agoudals forestiers qui se situent (entre 2200 et 2400 m d’altitude) sur les versants des
montagnes en regard des douars et les parcours d’altitude qui sont localisés sur la haute
montagne (entre 2700 et 3000 m d’altitude).
2.2 LES REGLES DE GESTION DES PARCOURS ET DES FORETS :

2.2.1 Les Agoudals forestiers des douars : la mise en défens


Pour l’ensemble des douars, la Taqbilt de douar est l’institution chargée de prendre toutes les
décisions concernant les Agoudals avec, dans certains cas, la désignation d’une à trois
personnes pour veiller au respect de ces décisions. La pratique de la mise en défens est aussi
commune à tous les douars; elle ne concerne, cependant, que la coupe de bois et l’ébranchage.
Ces espaces sont en effet utilisés toute l’année comme pâturages pour les petits ruminants. Le
non respect de la mise en défens est toujours sanctionné par une amende de 150 à 400
dirhams, versée à la Taqbilt. Devant les cas de non paiement, les douars privilégient toujours
les solutions locales mais le recours au Caïdat ou à la Commune Rurale devient de plus en
plus fréquent pour résoudre ce genre de problèmes. En dehors de ces points qui sont communs
à tous les douars en matière de gestion des Agoudals forestiers, chaque douar a ses propres
modalités internes de gestion des Agoudals. On peut, ainsi, noter de grandes différences44
dans les temps d’ouverture (variables d’une demie journée à deux semaines selon la rudesse
de l’hiver) et les quantités prélevées de branches ou de bois (fixées par la Taqbilt ou liées au
nombre de bovins possédé par chaque ménage).
2.2.2 L’Agoudal-n-Tamda des Aït Ali :
L’Agoudal-n-Tamda est un grand parcours intertribal d’altitude (2700m) situé au nord de la
vallée des Aït Bouguemez vers Waousremt et Aït Mhamed. La terre de Tamda appartient aux
Aït Ali (Iglouane, Ighirine, Ifrane). Ce droit est reconnu et respecté par toutes les autres tribus.
Mais les ressources pastorales qu’elle recèle sont exploitées par les Aït Ali, la tribu des Aït
Mhamed et l’Ighs Aït Ounir (de la tribu des Aït Atta).
Le parcours est mis en défens chaque année (du 15 Mars au 15 Mai). Un droit d’entrée est
payé par chaque éleveur (20 centimes par tête quelle que soit l’espèce). Cet argent sert à
rémunérer les trois gardiens désignés (par les trois Taqbilt : Aït Ali, Aït Mhamed et Aït
Ounir) pour veiller au respect des limites de l’Agoudal et empêcher la coupe de bois (qui n’est
permise que pour les éleveurs-transhumants saisonniers possédant des azibs sur place).

44
Pour plus de détails sur la gestion des parcours et des forêts, voir les fiches détaillées par douar en annexe 11.

46
L’ensemble des Aït Ali amène sur cet alpage moins de 3000 têtes (ovin, caprin, équidé). Chez
les Aït Ounir (qui sont de grands pasteurs), un seul éleveur peut y amener jusqu’à 1000 têtes.
L’Agoudal-n-Tamda est domanialisé. Les tribus ont, cependant, la permission de continuer à
pratiquer le pâturage saisonnier, tradition séculaire qui est à la base de l’économie des tribus
semi-nomades comme les Aït Ounir (Aït Atta).
2.2.3 Les Alpages des Aït Hakim :
(a) Aguerd Zouguarne ou Izouawadan :

Le parcours d’Izouawadan est situé sur les montagnes qui se trouvent entre les deux branches
amont de la vallée. Il est mis en défens chaque année du 15 Avril au 24 Juin. Cet Agoudal,
très proche des douars Aït Hakim, est utilisé surtout quand les grands pâturages comme
Tamda et Izughar sont épuisés. Les Aït Hakim désignent chaque année un gardien chargé de
veiller au respect de la mise en défens. Il est rémunéré par l’argent que les propriétaires paient
comme droit d’entrée de leurs animaux sur le parcours (20 centimes par tête).
Une des particularités de ce parcours, c’est l’attribution d’une zone précise à chaque douar
ayant droit pour les azibs saisonniers : Ahounji pour Aït Ouham, Gnouitane pour Zaouit
Alemzi, Zomakt pour Iglouane et Ighirine, Aguerd Zouguarne pour Aït Ouchi, Izouawadan
pour Ifrane et Taghoulit et Tagount pour R’bat et Akourbi.
(b) Le plateau d’Izughar :

Le parcours d’Izughar est un large plateau situé au nord-est de la vallée entre Jbel Azourki,
Tizi-n-Taghfist, Tikojine, Ageurd Zouguarne, Tagafayt et Zaouit Ahançal. C’est le seul
alpage toujours libre d’accès (pas de mise en défens). Il est exploité selon des accords anciens
d’échange d’échange de ressources pastorales entre les Aït Hakim, les Aït Atta et les Aït
Imgoun.
Les bergers Aït Hakim restent très longtemps sur le parcours, en général jusqu’à l’ouverture
d’Ageurd Zouguarne. Chez les Aït Atta, l’accès est interdit à certaines Ighs (les Aït Ounir, par
exemple, n’ont qu’un simple droit de passage de trois jours pour se rendre sur l’Agoudal-n-
Tamda). Les Aït Imgoun ont tous droit à Izughar et peuvent y amener jusqu’à 3000 ou 3500
têtes, pendant trois mois (jusqu’en l’hiver).
L’histoire d’Izughar est jalonnée de plusieurs conflits en relation avec des terres bour
cultivées : Zaouit et Aït Ouham (1977), Aït Atta-Aït Ali et Zaouit-Aït Ouham (1936), Aït Atta
et Zaouit-Aït Ouham (1960). Après le conflit de 1977, les autorités ont formellement interdit
la pratique de l’agriculture sur le plateau d’Izughar.
CONCLUSION :
La vallée des Aït Hakim est le siège d’une organisation socio-territoriale complexe basée sur
des alliances et des oppositions autour de l’exploitation des différentes ressources naturelles.
Les douars peuvent être liés par la gestion commune des ressources pastorales des alpages et
opposés par des questions de partage des ressources d’une forêt ou de l’eau de l’assif.

47
Au cours de nos enquêtes sur les parcours et les forêts, nous avons pu mettre en évidence un
accord très important d’échange de ressources (bois contre eau) qui est à la base du tour d’eau
qui est encore en vigueur entre les quatre douars d’amont : Ighirine, Iglouane, Aït Issa Ou Ali
et Aït Ouham. Nous expliquerons l’histoire de cet accord dans la partie suivante consacrée à
l’étude du système d’irrigation de la vallée des Aït Hakim.

48
TROISIEME PARTIE : LE SYSTEME D’IRRIGATION DE LA
VALLEE DES AÏT HAKIM
CHAPITRE IV : LE RESEAU PHYSIQUE D’IRRIGATION
Le réseau physique d’irrigation est le lieu où se mettent en pratique les règles collectives de
gestion de l’eau décidées par les assemblées de douar. Dans ce chapitre, nous tenterons de
comprendre sa logique de construction et de mettre en évidence les éléments utiles à la
compréhension des modes d’appropriation de l’eau, des règles de distribution de l’eau et des
dysfonctionnements et contraintes techniques actuels de ce réseau.
I. ELEMENTS D’HISTOIRE DES CANAUX D’IRRIGATION :
1. L’AGRICULTURE IRRIGUEE :
Les quelques éléments d’histoire que nous avons pu recueillir auprès des anciens et les
travaux de (LECESTRE-ROLLIER, 1992) montrent que l’agriculture est une pratique très
ancienne dans la vallée des Aït Bouguemez et qu’à l’origine, c’est la richesse en eau et en
terre de la vallée qui y a attiré beaucoup de familles nomades qui se sont ensuite
sédentarisées. Nous n’avons pas d’informations nous permettant de dater l’apparition de
l’irrigation dans les pratiques agricoles. On peut seulement faire l’hypothèse que : les
caractéristiques environnementales favorables (richesse en terre et en eau) et l’arrivée de
populations du nord et du sud (pratiquant peut-être déjà l’irrigation) ont favorisé il y a près
de trois siècles l’émergence d’une agriculture irriguée qui est devenue, par la suite, l’élément
central des systèmes de production avec la sédentarisation des familles nomades et
l’apparition des cultures de rente sous le protectorat.
2. LES PREMIERS CANAUX D’IRRIGATION :
Chez les Aït Hakim, on ne sait pas de quand datent les premiers canaux d’irrigation mais
quelques éléments subsistent quand à leur logique de construction. Selon les anciens, tous les
canaux auraient été construits en même temps. Les plus anciens seraient ceux qui se trouvent
dans le périmètre proche de l’assif. Avec l’arrivée de nouvelles familles dans les douars, les
besoins en terres augmentaient considérablement. Les habitants profitaient alors des
possibilités d’extension du périmètre et aménageaient de nouvelles parcelles (en allant du
fond de vallée vers le piémont). Les dernières possibilités d’extension du périmètre irrigué
étaient l’aménagement des terrasses. Selon la plupart de nos interlocuteurs, c’est justement
l’aménagement de ces terrasses qui aurait conduit à la construction de canaux inter-douars très
longs. La topographie de la vallée obligeait alors les douars d’aval à installer les prises de
leurs canaux chez le douar voisin d’amont. C’est ainsi que des accords auraient été conclus
entre les douars voisins pour l’emplacement des prises, l’utilisation et l’entretien des canaux.
Le douar d’aval, qui construisait le canal, devait se charger de son entretien et permettre que
son voisin d’amont utilise la partie du canal située sur son territoire. A l’intérieur de chaque
douar, il aurait été décidé qu’en cas de nécessité, le tracé d’un canal peut passer par n’importe
quelle parcelle sans que son propriétaire ne s’y oppose.

49
Tous nos interlocuteurs sont unanimes sur le fait que depuis leur construction, les canaux
n’ont pas beaucoup changé. Ils parlent seulement de quelques changements mineurs de tracés
dus aux inondations fréquentes. Les parcelles aussi n’ont pas tellement augmenté puisque les
possibilités d’extension du périmètre étaient déjà épuisées. On remarquera, cependant, deux
cas récents où plusieurs nouvelles parcelles ont été rajoutées à la maille hydraulique d’un
canal. Il s’agit du canal Tin-l-bour à Ighirine (où le périmètre présentait encore de larges
possibilités d’extension) et du canal Tin Ouammass d’Aït Ouchi.
CONCLUSION :
De ces quelques éléments historiques, il ressort que chaque douar a aménagé ses canaux en
allant du fond de vallée vers le piémont. A cause de la topographie de la vallée, les prises de
certains canaux des douars d’aval ont été installées chez le voisin d’amont selon des accords
bilatéraux qui se retrouvent encore aujourd’hui dans les règles coutumières de distribution de
l’eau et d’entretien des canaux. Il est important ici de noter que, dans une large mesure, c’est
une contrainte topographique qui est à la base des relations qui se sont construites entre les
douars autour des canaux inter-douars.
II. HYDROLOGIE DE LA VALLEE : ALIMENTATION EN EAU DU RESEAU
D’IRRIGATION
1. L’ASSIF-N-AÏT HAKIM :
La vallée des Aït Hakim est parcourue par l’Assif-n-Aït Hakim, rivière autour de laquelle se
structure tout le réseau d’irrigation. C’est l’oued le plus important de la vallée des Aït
Bouguemez tant par sa longueur (près de 15 km) que par son débit. Il traverse tout le
territoire des Aït Hakim et rejoint l’Assif-n-Tawaïa45 à Aguerd-n-Ozro au centre de la vallée
pour former l’assif Bouguemez, un des principaux affluents de l’oued Lakhdar.
Carte 7 : Hydrologie de la vallée des Aït Hakim

Source : AMROUCH (2003)

45
Oued issu de la source Tawaïa du vallon de R’bat.

50
2. ALIMENTATION EN EAU DE L’ASSIF : LES SOURCES, LES RESURGENCES ET
LES TORRENTS DE HAUTE MONTAGNE

L’Assif-n-Aït Hakim est alimenté tout au long de son cours par une série de sources et de
résurgences d’origine alluviale ou karstique, appartenant aux différents douars. Il reçoit
aussi des apports de plusieurs Chaâba (en pointillé sur la carte 7) qui drainent les eaux des
pluies et des fontes de neige vers le fond de vallée. Les Chaâba sont à la base des
inondations dont la vallée est souvent victime.
Tableau 2 : Répartition et débits des sources dans les douars

Débits

Douars Sources Etiage Hiver

Avant séch. Après séch. Avant séch. Après séch.

Zaouit Alemzi Taghfist 20 12 35 25

Aït Ouham Aït Ouham 240 120 500 240

Ighirine Aït Aamar 240 180 500 300

Ighirine Ikiss 20 20 30 30

Aït Ouchi Wahman 10 8 40 20

Aït Ouchi Iglouane 30 30 35 35

Ifrane Oulzweg 15 8 25 20

Ifrane Aït Magdoul 20 20 40 30

Taghoulit Tasdount 4 4 8 8

Tadrouit Tadrouit 360 250 500 400

Source des données sur les débits : DAHA (1994)

3. HYDROLOGIE DE LA VALLEE DES AÏT HAKIM : L’ORIGINE DES SOURCES ET


DES RESURGENCES

3.1 HYPOTHESES DE FONCTIONNEMENT HYDROLOGIQUE :

Le tableau 2 montre que toutes les sources sont concentrées en amont de la vallée (de Zaouit à
Taghoulit), les douars d’aval ne possèdent qu’une seule source se trouvant à l’extrême aval de
leur territoire. Les hypothèses de (AMROUCH, 2003)46 sur l’hydrologie de la vallée
apportent une certaine contribution dans l’explication de cette répartition particulière des
sources et des résurgences. Selon cet hydrogéologue, deux sortes de flux d’eau souterraine
parcourent la vallée des Aït Hakim d’amont en aval : un flux de surface et un inféro-flux

46
KHALID AMROUCH est un hydrogéologue qui a recensé et étudié l’ensemble des points d’eau de la vallée
(sources, résurgences, oueds, puits) pour le compte de CICDA, ARBALOU et AABCD.

51
profond circulant dans les sédiments accumulés en fond de vallée, sur le lit rocheux. A
l’intérieur de ces sédiments, une couche imperméable divise l’inféro-flux profond en deux.
On distingue alors :
un premier inféro-flux de faible profondeur dont le trajet peut être modifié par un
resserrement de vallée ou par un obstacle naturel. Ces barrages souterrains contraignent
l’inféro-flux à la remontée en surface d’où l’origine des sources et des résurgences du lit
majeur de l’Assif. Les principaux resserrements se situent entre Aït Ouham et Ifrane d’où une
forte concentration des sources et des résurgences dans cette partie de la vallée. Même si la
vallée présente une certaine étroitesse entre Taghoulit et Tadrouit, elle ne comporterait aucun
barrage souterrain naturel qui permettrait de faire remonter l’inféro-flux. Ce qui expliquerait,
selon (AMROUCH 2003), l’absence de sources dans cette zone.
un second inféro-flux profond est contraint au cheminement souterrain jusqu’en aval par
le plafond étanche. Il peut faire surface dans les endroits où la dalle se perméabilise. Ce qui
semble être le cas à l’extrême aval de la vallée où se trouvent une source très abondante et des
sols hydromorphes consacrés aux prairies et à l’arboriculture fruitière.
Il semblerait aussi que les sources d’amont et l’irrigation réalimentent les sources et les
résurgences de l’aval par le biais de ce même réseau souterrain d’eau.
Figure 2 : Hypothèses de fonctionnement hydrologique de la vallée des Aït Hakim

Source: Stage IAV-DSH_CNEARC-GSE (2003)

52
3.2 ECARTEMENTS ET RESSERREMENTS DE VALLEES : DES AMONTS ET
DES AVALS

La topographie de la vallée des Aït Hakim complète d’une certaine façon l’hypothèse de
fonctionnement basée sur les flux d’eau souterraine. Elle montre en effet que l’amont de la
vallée se caractérise par une alternance d'écartements et de resserrements de vallées47 et qu’à
chaque resserrement de vallée existe(ent) une ou plusieurs sources (en triangle bleu sur la
carte 8) qui alimentent le territoire allant en s'élargissant à l'aval. Il existe donc plusieurs
amonts et plusieurs avals48, chaque source ou groupe de sources représentant l'amont d'un
sous-système d'irrigation. Il en ressort que la vallée des Aït Hakim n’est pas une entité
hydraulique simple, mais un ensemble de sous-unités hydrauliques naturelles plus ou moins
homogènes, certes reliées par l’assif, mais avec chacune une certaine indépendance vis-à-vis
de la ressource en eau.
Carte 8 : Ecartements et resserrements de vallées et emplacements des sources

Source : Elaboration propre d’après un fond de carte de la DPA d’Azilal (1994)

CONCLUSION :
Le fonctionnement hydrologique de la vallée montre qu’il existe aux différents resserrements
de vallées plusieurs sources et résurgences qui donnent lieu à un certain nombre de sous
systèmes hydrauliques naturels, relativement autonomes pour l’eau d’irrigation. Les sources
d’amont et l’irrigation réalimentent les sources d’aval par le biais du réseau souterrain. La
vallée n’est donc pas une entité hydraulique simple.
Les territoires d’aval ne possèdent pas de sources propres mais la nappe souterraine y est peu
profonde et facilement accessible par des puits. Elle engendre aussi des sols hydromorphes
utilisés pour l’arboriculture fruitière.

47
Remarque de Thierry RUF au cours du stage IVA-DSH_CNEARC-GSE 2003.
48
Autre remarque de Mohamed RAKI au cours du même stage.

53
III. ARCHITECTURE DES CANAUX : LA CIRCULATION DE L’EAU DANS LE
RESEAU D’IRRIGATION
1. PRINCIPES GENERAUX DE L’ARCHITECTURE DU RESEAU :
L’eau est acheminée vers les parcelles du périmètre de fond de vallée par gravité au moyen
d’un réseau complexe de trente six canaux (carte 9) dont les plus longs, positionnés à flanc de
coteaux, marquent les limites du terroir irrigué. Ces canaux, pour la plupart en terre, sont
alimentés par des captages directs de sources ou par des prises aménagées sur l’assif.
C’est en amont (de Aït Ouham à Taghoulit) que les canaux sont les plus nombreux, ils suivent
les courbes de niveau et permettent l’irrigation des terrasses situées en contrebas. En règle
générale, l’ensemble des parcelles d’une terrasse sont dominées par un seul canal. En aval du
réseau (de Taghoulit à Tadrouit), le schéma en terrasse s’estompe et laisse place à un espace
irrigué assez plat, s’étendant seulement d’une dizaine de mètres autour de l’Assif.
1.1 LES CANAUX INTER-DOUARS :

Chaque douar possède un réseau de canaux qui lui est propre. Ces réseaux privés de douars
sont connectés par l’intermédiaire de canaux très longs (qui peuvent traverser jusqu’à trois
douars). C’est principalement au niveau de ces canaux inter-douars et de l’assif que se jouent
les relations complexes entre les différents douars, comme nous le verrons par la suite.
1.2 LES CANAUX BETONNES :

La plupart des canaux de l’amont du réseau ont été bétonnés entièrement ou partiellement par
la DPA (dans le cadre des projets PMH ou des PAGI) ou par les Taqbilt des douars. Ce béton,
en très mauvais état aujourd’hui, occasionne des fuites d’eau considérables sur ces canaux. Un
seul canal a été bétonné dans le cadre du projet DRI-PMH. Il est équipé de seuils métalliques
qui occasionnent aussi des fuites d’eau parce qu’elles ne se ferment jamais hermétiquement.
On trouve aussi des cas où le bétonnage a un autre objectif : les agriculteurs ou les Taqbilt
peuvent bétonner, par leurs propres moyens, un tronçon d’un canal lorsque celui-ci passe sous
une habitation ou lorsqu’il occasionne des fuites d’eau considérables à certains droits.
Photographie 2 : Seuil métallique du canal bétonné

Source : KEITA (2003)

Tableau 3 : Les canaux bétonnés

54
Canaux Année Longueur (Km) Réalisation Douars

Taghfist 1987 ≈2 DPA Zaouit Alemzi

Tin Oussamar (RD) 1983 ≈ 2.5 DPA Aït Ouham

Tin Oukbou (RG) 1990 ≈ 1,6 DPA Aït Ouham

Tawaline (RG) 1989 ≈ 1,2 DPA Aït Ouham, Aït Issa Ou Ali, Ighirine

Daou Iglouane (RD) 2001 ≈ 1,4 DRI-PMH Aït Ouchi, Ifrane

Lbour lmechrek (RG) ≈ 0,8 DPA Aït Wanoughdal

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations

1.3 LE RESEAU INDIVIDUEL DE CANAUX :

En plus du réseau de canaux collectif du douar, chaque agriculteur dispose d’un réseau plus
ou moins dense de canaux privés qui transportent l’eau des canaux primaires jusqu’aux
parcelles. On peut assimiler ces canaux privés à des canaux secondaires ou tertiaires (dans le
langage du génie-rural), mais les agriculteurs ne les identifient pas de cette manière, ils
parlent plutôt de "petits canaux" (Th : Assarou) et de "grands canaux" (Th : targua).
Certaines parcelles ne disposent pas de "petits canaux", elles sont directement alimentées par
des prises (Th : Assemdi) situées sur les "grands canaux".
L’architecture des "petits canaux" n’est pas stable, elle évolue constamment en fonction des
besoins de l’agriculteur. Il les adapte chaque fois aux disponibilités de l’eau (raréfaction ou
abondance) en changeant leur nombre, leur taille ou leur tracé. Certains "petits canaux" sont
utilisés par plusieurs agriculteurs; dans ce cas, leur utilisation et leur maintenance dépendent
du groupe d’agriculteurs concerné. Il en fixe les règles et les modalités.
1.4 LES DRAINS :

Le drainage n’est pratiqué qu’en période d’abondance de l’eau. En amont du réseau, des
connections canal-canal ou canal-assif peuvent être réalisées pour éviter les débordements.
Les excédents d’eau des parcelles peuvent retourner dans les "grands canaux" par
l’intermédiaire de certains "petits canaux" que l’on peut appeler drains.
C’est en aval du réseau, où se trouvent des sols hydromorphes, que l’on rencontre les
systèmes de drainage les mieux élaborés. A Taghoulit et Aït Oughral, en plus des connections
canal-canal et canal-assif, des canaux de drainage spéciaux ont été construits pour évacuer les
surplus d’eau des parcelles vers les "grands canaux" et l’assif. Plus en aval, vers Aït Sellam et
Tadrouit, les systèmes de drainage consistent en des bandes de prairies et de chemins
aménagés entre les parcelles. Elles permettent d’évacuer les eaux de pluies et les surplus
d’eau des parcelles. Ces prairies servent de pâturages ou de lieu de coupe d’herbes pendant les
périodes estivales et hivernales.

55
2. LES OUVRAGES DE CAPTAGE ET DE DEVIATION DE L’EAU:
2.1 LE CAPTAGE DES SOURCES :

Contrairement à d’autres zones du Haut-Atlas (Ounein sur le versant sud et Azzaden sur le
versant nord), il n’existe pas à Bouguemez de Tifrouine (Tafraout au sing : bassin-réservoir)
où sont accumulées les eaux des sources, avant d’être distribuées dans le réseau d’irrigation.
Les eaux des sources s’engagent directement dans les canaux.
Les ouvrages que l’on trouve autour de certaines sources sont surtout destinés à les protéger
contre les alluvions charriées par les eaux des crues. Réalisé en 1984 par la DPA, l’ouvrage de
protection de l’Aghbalou-n-Aït Ouham est le plus imposant. Il a été en partie endommagé par
les crues répétitives. Les autres types d’ouvrages sont de petite taille, généralement construits
par les Taqbilt elles-mêmes ; ils sont soit en pierres (cas de l’Aghbalou-n-Ikiss nouzdir
d’Ighirine et Aït Ouchi), soit en béton (cas de l’Aghbalou-n-Iglouane d’Aït Ouchi et Ifrane).
Photographie 3 : L’ouvrage de protection de la source d'Aït Ouham

Source : KEITA (2004)

2.2 LES OUGOUGS : DES BARRAGES DE DEVIATION RUDIMENTAIRES

La plupart des canaux (22 sur 36) sont alimentés en eau à partir de l’assif par des prises
rudimentaires appelées Ougoug (pluriel Ougougen). Ce sont de simples barrages de déviation
construits avec les matériaux trouvés sur place (pierres, terres, morceaux de bois,...) et placés
obliquement dans le lit de l’assif. L’eau est déviée dans le canal par simple gravité dès qu’elle
atteint une certaine hauteur.
Photographie 4 : Un Ougoug

Source : KEITA & ELGUEROUA (2003)

56
Carte 9 : Organisation hydraulique de la vallée des Aït Hakim

Carte 10 : Les types de canaux


Sources : Elaboration propre d’après enquêtes et observations sur fond de carte DPA d’Azilal (1994)

57
2.3 LES ASSEMDIS : DES PRISES RUDIMENTAIRES

Les Assemdis sont de petites prises construites sur les "grands canaux" pour dévier leurs eaux
dans les parcelles via les "petits canaux" ou directement (lorsque l’agriculteur a le tour d’eau).
Sur les seguias, les Assemdis sont de simples trous dans la terre que l’agriculteur peut ouvrir
ou fermer à l’aide des matériaux trouvés sur place (en général des pierres assez plates ou des
mottes de terre). Il est intéressant de constater que le terme Assemdi ne désigne que le barrage
qui dévie l’eau vers l’ouverture dans le canal et non l’ouverture elle-même que ne désigne
d’ailleurs aucun mot particulier.
Les canaux, anciennement bétonnés, sont pourvus de simples ouvertures rectangulaires
réalisées dans le béton. L’agriculteur les contrôle de la même manière que les Assemdi des
seguias (en utilisant des pierres plates ou mottes de terre). Le canal, nouvellement bétonné
dans le cadre du projet DRI-PMH, est, lui, équipé de seuils métalliques qui fonctionnent à la
manière d’une "vanne tout ou rien" ou "d’un module à masse". Les agriculteurs désignent ces
prises équipées de vannes par le terme arabe lbab qui signifie porte (Voir photographie n°3).
Photographie 5 : Un Assemdi

Source : KEITA (2004)

3. LES OUVRAGES DE FRANCHISSEMENT :


3.1 LES AQUEDUCS :

Les crues dévastatrices sont fréquentes dans la vallée des Aït Hakim. Les canaux se trouvent
souvent séparer des parcelles qu’ils irriguent. Les agriculteurs construisent alors des aqueducs
en bois qui permettent au canal de traverser l’oued de part en part. On en compte aujourd’hui
deux à Ifrane, un à Taghoulit et un à Aït Ouchi.
Photographie 6 : Un aqueduc en bois à Taghoulit

Source : ELGUEROUA (2003)

58
3.2 LES PONTS :

Dans le périmètre irrigué, plusieurs ponts en terre et en bois et (rarement en béton) ont été
aménagés au dessus de l’assif ou des canaux d’irrigation. Ils permettent aux agriculteurs de
rejoindre facilement leurs parcelles de rive gauche et de se déplacer entre les différents
hameaux situés de part et d’autre de l’assif. Les agriculteurs s’en servent aussi pour faire
passer les animaux vers l’assif et les prairies.
Dans le cadre du projet DRI-PMH, il était prévu de reconstruire les points de passage en
béton. Plusieurs ponts traditionnels ont été donc détruits (surtout à Aït Ouchi), mais ils n’ont
jamais été reconstruits à cause de la résiliation de l’entreprise chargée des travaux. A Aït
Ouchi, la Taqbilt de douar les a sommairement rétablis.
4. LES AUTRES OUVRAGES D’UTILISATION DE L’EAU :
4.1 LES ABREUVOIRS :

La source Taghfist de Zaouit Alemzi située à la limite inférieure des parcours d’Izughar sert
aussi à abreuver les animaux. Les autorités coloniales ont construit sur Taghfist un abreuvoir
en béton qui fait en même temps office de bassin-réservoir accumulant les eaux de la source
avant qu’elles se déversent dans le canal Taghfist. L’abreuvoir est utilisé et entretenu par les
éleveurs Aït Zaouit, Aït Ouham et Aït Ouchi.
4.2 LES MOULINS A EAU :

Nous avons dénombré une dizaine de moulins à eau (en ruine ou en bon état) qui ne sont plus
utilisés depuis l’introduction des moulins électriques et des moulins à moteur. Ces vestiges du
passé sont conservés surtout pour leur intérêt touristique.
Photographie 7 : Un moulin à eau

Source : ELGUEROUA (2003)

CONCLUSION : IMBRICATION DES RESEAUX DE DOUARS


La description du réseau hydraulique a permis de mettre en évidence l’existence d’un réseau
privé de chaque douar à l’intérieur duquel se trouvent des réseaux individuels de petits canaux
plus ou moins denses appartenant aux agriculteurs. Donc sur un plan purement hydraulique, le
douar se positionne comme une unité pertinente de gestion des ressources en eau pour
l’irrigation.

59
La connexion entre les réseaux des différents douars se fait par l’intermédiaire de l’assif et des
canaux inter-douars (qui peuvent traverser jusqu’à trois douars). C’est principalement au
niveau de ces canaux inter-douars et de l’assif que se jouent toutes les relations (amicales ou
conflictuelles) entre les différents douars autour du partage de l’eau d’irrigation.
IV. LE DIAGNOSTIC TECHNIQUE DU RESEAU :
INTRODUCTION :
Le réseau d’irrigation présente plusieurs défaillances qui limitent ses performances :
1. L’EROSION DU LIT DES CANAUX PRINCIPAUX :
Dans les territoires d’amont où la vitesse de l’eau est très importante, le fond des canaux est
érodé. Chaque année, pendant les travaux d’entretien, les agriculteurs sont obligés de creuser
toujours de plus en plus profondément pour obtenir une bonne pente d’écoulement. Ainsi, on
observe sur certaines portions des canaux d’amont, des trous de près de deux mètres de
profondeur. Le curage de ces portions demande beaucoup d’efforts aux agriculteurs. Sur une
zone "normale" d’un canal (profond de quelques centimètres), chaque agriculteur s’occupe du
curage d’une portion d’1m et 1/2. Sur les zones érodées, il faut deux agriculteurs pour une
portion d’1m. C’est d’ailleurs principalement cette rudesse des travaux d’entretien qui pousse
les agriculteurs à demander continuellement que les canaux soient revêtis.
Photographie 8 : Portion sur-creusée du canal Tassemelit (Ighirine, Iglouane, Aït Ouham)

Source : ELGUEROUA (2004)

2. LE NOMBRE ELEVE DE PRISES SUR LES CANAUX :


En plus des canaux secondaires, chaque canal principal comporte une multitude de prises
directes qui alimentent les parcelles accolées au canal. Dans la plupart des cas, une seule prise
aurait pu irriguer plusieurs parcelles voisines, mais la répartition des droits d’eau et les modes
d’attribution des tours d’eau font que les agriculteurs n’acceptent pas de partager les mêmes
prises. Le problème posé par cette multiplicité des prises, c’est que lors de l’irrigation, la
mauvaise fermeture des prises rudimentaires occasionne des fuites d’eau (qui sont d’autant
plus importantes que les prises sont nombreuses). L’efficience en transport s’en trouve
considérablement réduite et les agriculteurs d’aval sont pénalisés par la diminution des débits.

Schéma 1 : Prolifération des prises sur le canal Tighdouine

60
Source : KEITA & ELGUEROUA (2003)

3. LES EBOULIS PROVOQUES PAR LA NEIGE :


Chaque année, pendant l’hiver, les chutes de neiges provoquent de graves dégâts sur les
canaux d’irrigation. Dans la plupart des cas, les murets de protection des parcelles s’effritent
sous le poids de la neige et remblaient le canal qui se trouve en contrebas.
Photographie 9 : Eboulis sur le canal Tassemelilt

Source : KEITA (2003)

4. LES DEGATS PROVOQUES PAR LES INONDATIONS :


4.1 DES CANAUX COUPES EN DEUX OU ENVAHIS PAR DES PIERRES :

La violence des orages change fréquemment le cours de l’oued. Des canaux se retrouvent
ainsi coupés en deux, séparés d’une partie des parcelles qu’ils irriguent. Dans ces cas, les
agriculteurs se débrouillent pour construire des aqueducs en bois traversant l’oued
(Photographie 7). Dans d’autres cas, les canaux sont complètement comblés par les apports
solides des crues, les agriculteurs organisent alors des séances exceptionnelles de remise en
état des canaux. Si le déblaiement des canaux s’avère très difficile, les agriculteurs changent
légèrement le cours du canal.
La DPA a construit à plusieurs endroits du périmètre des ouvrages de calibrage ponctuel de
l’assif. Ils ont permis de réduire considérablement les dégâts. Mais le périmètre reste toujours
très vulnérable aux inondations.
4.2 DES SOURCES COMBLEES PAR LES APPORTS SOLIDES :

La plupart des sources ne sont pas équipées d’ouvrages de protection (sinon il est en très
mauvais état ou à ciel ouvert). A chaque orage, les sources du lit majeur sont comblées par
des pierres charriées par la vitesse des crues. Les agriculteurs s’organisent souvent pour
construire des ouvrages de protection en pierres ou en béton mais ils résistent rarement à la
violence des eaux sauvages.

61
5. LES PROBLEMES DU CANAL BETONNE : DES SEUILS QUI PROVOQUENT DES
FUITES IMPORTANTES

Dans la vallée des Aït Hakim, un seul canal a été bétonné dans le cadre du projet DRI-PMH.
Il est équipé de seuils métalliques qui ne se ferment pas correctement selon les agriculteurs.
Après l’irrigation, l’eau continue à s’écouler légèrement dans les parcelles (Photographie 3).
Le nombre important de prises fait que les agriculteurs d’aval se retrouvent avec des débits
faibles même en période d’abondance de l’eau. Le canal bétonné présente aussi des fissures,
des prises inachevées, des débordements et des infiltrations à plusieurs endroits.
CONCLUSION : UN RESEAU D’IRRIGATION TRES VULNERABLE
Les problèmes que nous venons de dénombrer ont tous plus ou moins un lien avec les orages
violents dont la vallée est fréquemment victime. Ils rendent pénible les travaux d’entretien des
canaux et provoquent des fuites importantes pendant le transport de l’eau. L’efficience du
réseau pourrait être améliorée par la construction d’ouvrages de protection qui réduirait la
vitesse des eaux qui s’écoulent dans les thalwegs. (On notera qu’il est prévu dans le cadre du
projet DRI-PMH de sécuriser le périmètre contre les eaux sauvages de quarante Chaâba).
V. LE ZONAGE HYDRAULIQUE : DES SOUS-SYSTEMES D’IRRIGATION
IMBRIQUES
INTRODUCTION :
A partir du fonctionnement hydrologique de la vallée et des connexions entre les réseaux des
différents douars, nous avons pu isoler dans le système irrigué de la vallée des Aït Hakim,
quatre secteurs qui présentent une certaine cohérence quand à leurs caractéristiques
hydrauliques. Nous les avons baptisés A, B, C et D. Dans la suite, nous donnons leurs
caractéristiques hydrauliques d’amont en aval.
1. LES SECTEURS HYDRAULIQUES :
1.1 LE SECTEUR (A) : LE TERRITOIRE DE ZAOUIT ALEMZI

1.1.1 Alimentation en eau :


Le secteur de Zaouit Alemzi n’a aucune possibilité topographique d’utiliser l’eau de l’assif. Il
possède par contre trois sources propres (Aghbalou-n-Taghfist, Tighboula-n-Ighaizin et
Taghbalout-n-Iffilan) qui lui confèrent une quasi-indépendance du point de vue de son
alimentation en eau et de son réseau d’irrigation.
1.1.2 Le réseau d’irrigation de Zaouit : la targa-n-Taghfist
La source la plus importante est Aghbalou-n-Taghfist. Elle est située à 3,8 km du douar sur le
Tizi-n-Taghfist (le col de Taghfist). Elle alimente la Targa-n-Taghfist, le seul canal du douar
qui parcourt 1 km sur la haute montagne (tête morte) avant d’irriguer les premières parcelles
du douar. Sur les montagnes qui dominent le douar, se trouvent les deux sources Tighboula-n-

62
Ighaizin et Taghbalout-n-Iffilan dont les eaux, après avoir rempli les fontaines d’eau potable
du douar, rejoignent la Traga-n-Taghfist.
Une série de "petits canaux", entièrement orientés vers le fond de vallée, partent de la Targa-
n-Taghfist pour irriguer les parcelles du douar qui s’étendent en une large bande verte
jusqu’au second hameau d’Aït Ouham où la Targa-n-Taghfist déverse ses surplus dans le
canal Tin Oussamar (de Aït Ouham, Aït Issa Ou Ali, Ighirine et Ighirine).
Le bétonnage de la Targa-n-Taghfist a été entamé par la DPA en 1984. Les travaux n’ont pas
pu se terminer à cause d’un conflit apparu entre la Tabqilt de Zaouit et le caïd de l’époque.
Les Aït Zaouit Alemzi et les Aït Ouham qui étaient les ouvriers du chantier ont accusé le caïd
de pointer des journées de travail au nom d’ouvriers fictifs (qu’ils n’ont jamais vus). Les
travaux ont été stoppés par la DPA qui a abandonné sur place près de 240 sacs de ciment. La
Taqbilt de Zaouit s’est servi de ce ciment pour poursuivre les travaux de bétonnage qui se
sont finalement limités à la moitié du canal avec l’épuisement du ciment.
Schéma 2 : Le secteur (A) de Zaouit Alemzi

Source : Elaboration propre d’après observations et enquêtes

1.2 LE SECTEUR (B) : DE AÏT OUHAM A IGHIRINE

1.2.1 Alimentation en eau :


Le secteur de Aït Ouham à Ighirine comporte deux sources importantes :
⇒ L’Aghbalou-n-Aït Ouham : source la plus importante en débit, alimente directement
l’assif et deux canaux inter-douars importants d’irrigation (Tin Oussamar et Tin Oukbou),
⇒ L’Aghbalou-n-Aït Aamar : qui alimente le canal Targa-n-ghbalou-n-Aït Aamar avant de
se jeter dans l’assif.

63
Les quatre autres canaux utilisés par les douars de ce secteur sont tous issus de prises situées
sur l’assif. A part la Targa-n-Idmtchilou qui a son Ougoug à Iglouane, tous les autres canaux
(Tassemelilt, Tazmamat et Tin Taoualine) partent du territoire d’Aït Ouham. Ce qui confère
une position de force à ce douar.
1.2.2 Une absence de réseaux privés de douar :
La caractéristique la plus remarquable de ce secteur est sans doute l’imbrication complète des
parcelles et des canaux des quatre douars : Aït Ouham, Aït Issa Ou Ali, Ighirine et Iglouane.
A part Aït Ouham qui possède un canal privatif (Tin Oukbou) qu’il partage souvent avec les
Aït Issa Ou Ali, aucun autre douar ne possède de canaux propres. En effet, les quatre canaux
principaux (Tin Oussamar, Tassemelilt, Tazmamat et Tin Taoualine) sont communs aux
quatre douars. La Tarag-n-Idmitchlou appartenant à Ighirine et à Iglouane ne fonctionne que
pendant les périodes de très forte abondance d’eau.
Carte 11 : Le secteur (B) de Aït Ouham à Ighirine

Source : Elaboration propre sur fond de carte DPA d’Azilal (1994)

64
1.2.3 Histoire des tours d’eau du secteur (B) :
Dans ce secteur, une légende très populaire, racontée par les anciens des quatre douars, décrit
en quatre étapes comment le tour d’eau a été instauré entre Ighirine et Aït Ouham :

1ère étape : Découverte de la source d’Aït Ouham


Selon les anciens d’Ighirine et d’Aït Ouham, Boutkhoum49 serait l’ancêtre fondateur
d’Ighirine. Il aurait eu un berger nommé Achnid. Un jour, ce dernier se serait aperçu qu’une
chèvre qui s’était éloignée du troupeau est revenue la barbe mouillée alors que le point d’eau
le plus proche, à l’époque, était très loin de la zone où pâturaient les animaux. Le berger aurait
alors privé l’animal d’eau pendant un certain temps. La chèvre assoiffée aurait ensuite conduit
le berger, qui la suivait à bonne distance, vers une forêt50 dense où sourdait une source d’eau
abondante. C’est ainsi que la source d’Aït Ouham aurait été découverte par l’ancêtre des Aït
Ouham grâce à une chèvre de l’ancêtre des Aït Ighirine.

2ème étape : Partage consensuel de l’eau et des terres


Le berger, de retour à Ighirine, aurait informé son employeur de sa découverte. Content de
cette bonne nouvelle, Boutkhoum lui aurait donné sa fille en mariage. Quelques temps après,
le berger serait allé s’installer, avec l’accord de son beau-père, sur les terres de rive gauche,
juste en aval de la nouvelle source. Ce fut la fondation du douar Aït Ouham. Boutkhoum et
Achnid aurait alors conclu un premier accord qui attribuait toutes les terres de rive droite à
Boutkhoum et toutes celles de rive gauche à Achnid. Ils auraient ensuite creusé un canal sur
chaque rive pour l’irrigation des parcelles de chaque douar. (Il pourrait s’agir des deux canaux
qui captent directement la source d’Aït Ouham aujourd’hui).
Les descendants de Boutkhoum et Achnid auraient continué à vivre ainsi paisiblement jusqu’à
ce que Ighirine, son douar satellite Iglouane et son allié Ifrane forment la Taqbilt des Aït Ali.

3ème étape : guerre pour les espaces sylvicoles


Lorsque les douars Ighirine, Iglouane et Ifrane se sont alliés pour former le leff des Aït Ali, ils
auraient conquis tous les terroirs forestiers importants de la zone et en interdire l’accès aux
autres douars. Ce qui aurait eu pour conséquence, de priver plusieurs douars dont Aït Ouham
de bois de chauffage pendant les hivers rudes. C’est à partir de là que les Aït Ouham auraient
eu, pour la première fois, l’idée d’utiliser l’eau d’irrigation comme moyen de pression sur
Ighirine pour obtenir du bois et du fourrage foliaire. Ils auraient ainsi coupé l’alimentation en
eau des canaux d’Ighirine et d’Iglouane. Ces deux douars auraient lancé plusieurs rezzous
pour reprendre la source, sans succès. C’est d’ailleurs au même moment que les Aït Ouham
auraient envoyé quelques guerriers s’installer en face d’Ighirine pour les prévenir contre les

49
Aujourd’hui encore, il existe une famille Boutkhoum à Ighirine et une famille Achnid à Aït Ouham.
50
Plusieurs autres récits rapportent que la source d’Aït Ouham se situait plus haut sur versant, cachée par une
forêt assez dense. Les crues fréquentes l’auraient déplacé petit à petit jusqu’à son emplacement actuel.

65
attaques surprises. Ce sont ces guerriers qui auraient donné naissance au douar Aït Issa Ou Ali
(qui revendique fièrement encore aujourd’hui son appartenance à la Taqbilt d’Aït Ouham).

4ème étape : la mise en place de l’accord


Quand les conflits sont devenus intenables pour les deux douars, ils auraient décidé de
négocier. On dit d’ailleurs qu’au même moment, ils se trouvaient tous sous la menace de la
puissante tribu des Aït Atta qui s’approchait de la vallée. Après de longues négociations, les
deux douars seraient parvenus à un accord qui définissait des droits d’eau pour Ighirine sur
chaque canal et des droits pour Aït Ouham sur la forêt d’Ikiss, située au dessus du douar Aït
Ouchi. Certains anciens rapportent que ces accords seraient écrits sur une peau de bouc et se
trouveraient encore avec la famille Achnid d’Aït Ouham.
1.2.4 Conclusion :un secteur complexe
La situation assez particulière de ce secteur qui connaît un partage de l’eau selon des tours
clairs entre les quatre douars trouve son explication dans trois facteurs :
1. Topographie et hydrologie de l’amont de la vallée des Aït Hakim : les caractéristiques du
milieu ne permettaient pas à chaque douar d’avoir un périmètre irrigué avec des parcelles et
des canaux bien individualisés. Les douars étaient donc amenés inévitablement à utiliser les
mêmes canaux d’où la nécessité de mettre en œuvre, dès le départ, des règles claires de
partage de l’eau, d’utilisation et d’entretien des infrastructures communes. Les débits très
importants des sources ont aussi pu faciliter la mise en place de ces tours d’eau,
2. Histoire commune des quatre douars : l’histoire nous montre que les quatre douars n’en
faisaient que deux dans le passé avec Aït Ouham et Ighirine qui ont donné naissance
respectivement à Aït Issa Ou Ali et à Iglouane. La légende de la découverte de la source
Aghbalou-n-Aït Ouham mentionne deux faits importants :
• un accord a très tôt été conclu entre les premières familles d’Ighirine et d’Aït Ouham
pour l’utilisation de l’eau de la source,
• elles ont construit des infrastructures communes permettant la mise en œuvre de cet
accord. Il fallait, en effet, transporter la part d’eau d’Ighirine de la source jusqu’en aval.
3. Les transactions foncières : les ventes-achats de terres sont aussi un facteur très important.
Ils ont permis à chaque douar d’avoir plusieurs parcelles dans le périmètre irrigué de ses
voisins. Ce qui a contribué à accentuer l’imbrication des périmètres des quatre douars.
1.3 LE SECTEUR (C) : DE AÏT OUCHI A TAGHOULIT

1.3.1 Alimentation en eau :


Ce secteur comporte plusieurs sources :
⇒ Ighboula-n-Ikiss Nouzdir et Nouffela : ces deux sources, bien que situées à Ighirine,
alimentent le canal Tin Aït Ouchi (utilisé exclusivement par Aït Ouchi) et le canal Daou
Timililt (qui irrigue les parcelles du dernier hameau d’Ighirine : Timililt),

66
⇒ Aghbalou-n-Iglouane : est située à Aït Ouchi. Elle n’irrigue pourtant que quelques
parcelles de ce douar. Elle coule principalement vers Ifrane par le biais du canal Targa-n-
Aghbalou-n-Aït Ouchi,
⇒ Aghbalou-n-Oumalou : est une source d’Aït Ouchi située sur l’ubac, elle permet
l’irrigation de certaines parcelles de flac de montagne, préalablement cultivées en bour.
⇒ Aghbalou-n-Oulzweg : est située tout au fond du large thalweg d’Ifrane appelé localement
Aka-n-Oulzwez. Elle alimente le canal Targa-n-Oulzweg commun à Ifrane et Aït Ouchi. Le
bétonnage de ce canal est prévu dans le cadre du projet Banque Mondiale.
⇒ Aghbalou-n-Aït Magdoul : cette source se trouve sur les terres de la famille Aït Magdoul
d’Ifrane d’où son nom d’ailleurs. Elle alimente le canal Tin Tfraout (ou Daou Ifri) utilisé
exclusivement par Ifrane.
⇒ Tassdount : c’est la dernière source du secteur ; elle se situe à l’aval de Taghoulit. Elle est
utilisée pour l’alimentation en eau potable du douar. Un filet d’eau de cette source coule vers
le premier douar des Aït Wanoughdal (Aït Oughral).
1.3.2 Les connexions inter-douars :
En plus des sources qu’ils partagent, les trois douars de ce secteur sont liés deux à deux par
plusieurs canaux qui sont alimentés par des Ougougs situés sur l’assif :
⇒ Jonction Aït Ouchi_Ifrane : trois canaux Tin Ouammass, Tin Oumalou et Imjoujoua dont
les prises se situent à Aït Ouchi. L’utilisation des eaux de ces canaux est régie par des règles
communes de partage (tour d’eau) entre Ifrane et Aït Ouchi. Il en est de même de leur
maintenance.
⇒ Jonction Ifrane_Taghoulit : deux canaux Daou Imcht et Daou Tarahamount dont les
prises se situent à Ifrane. Si l’entretien de ces canaux est régi par des règles inter-douars, il
n’existe, par contre, aucune règle commune de partage de l’eau entre les deux douars.
Contrairement aux douars du secteur (B), chaque douar de ce secteur dispose d’un réseau très
dense de canaux propres. Le secteur s’étend en effet sur près de 5 km dans un écartement de
vallée, ce qui permet à chaque douar d’avoir un périmètre irrigué assez bien individualisé.
1.3.3 Des sous-secteurs bien individualisés
Malgré les liens hydrauliques qui existent entre les trois douars, la répartition des sources et
l’existence de réseaux privatifs de chaque douar nous permet de considérer chaque douar
comme un sous-secteur particulier avec ses caractéristiques propres. Ainsi :
Le douar Aït Ouchi : possède trois sources et des canaux propres qui lui assurent une
grande indépendance vis-à-vis de ses voisins d’amont : Ighirine et Aït Issa Ou Ali.
Le douar Ifrane: possède aussi deux sources et un réseau de canaux propres. Cela ne lui
assure pourtant pas toute son indépendance hydraulique puisque ses canaux les plus
importants (qui dominent la majorité des parcelles) ont leurs prises situées chez Aït Ouchi.

67
Le douar Taghoulit: ne possède qu’une seule source propre de très faible débit. Son
alimentation en eau dépend entièrement des disponibilités en eau dans l’assif. Cette situation
de dépendance est, par ailleurs, aggravée par l’absence de tours d’eau avec Ifrane.
Carte 12 : Le secteur (C) de Aït Ouchi à Taghoulit

Source : Elaboration propre sur fond de carte DPA d’Azilal (1994)

1.4 LE SECTEUR (D) : LES AÏT WANOUGHDAL

1.4.1 Alimentation en eau : dépendance de l’amont


Sur le plan de leur alimentation en eau, les trois douars Aït Oughral, Aït Sellam et Tadouit qui
composent ce secteur sont, sans doute, ceux qui connaissent la situation la plus difficile. Dans
leur périmètre irrigué exigu (de plus de 6 km de long), il n’existe qu’une seule source
(Aghbalou-n-Tadrouit à l’extrême aval du dernier douar du secteur) dont les eaux irriguent
seulement quelques parcelles de Tadrouit avant de continuer vers le périmètre irrigué de la
tribu voisine des Aït Ouriat. Les Aït Wanoughdal dépendent donc entièrement des douars
d’amont pour l’irrigation.
1.4.2 Partage de l’eau : un esprit communautaire fort
Chaque douar de ce secteur possède son réseau propre. Les canaux de chaque douar pénètrent
de quelques mètres dans le périmètre du douar voisin pour pouvoir y déverser les surplus
d’eau, chaque fois que cela est nécessaire. En fait, les canaux des trois douars fonctionnent
comme s’il s’agissait des canaux d’un seul et même douar.
La situation de fragilité vis-à-vis de l’eau et l’absence de tours d’eau avec le secteur amont
ont, sans doute, contribué à renforcer l’esprit communautaire chez les trois douars Aït

68
Wanoughdal. Ils se sont en effet organisés ensemble pour gérer et partager l’eau qu’ils
reçoivent dans l’assif selon un type particulier de tour d’eau que nous verrons dans le chapitre
suivant.
Carte 13 : Le secteur (D) des Aït Wanoughdal

Source : Elaboration propre sur fond de carte DPA d’Azilal (1994)

CONCLUSION : DES SECTEURS HYDRAULIQUES QUI ENTRETIENNENT DES


RELATIONS TENDUES

Les trois secteurs hydrauliques que nous venons de définir ne sont pas des entités territoriales
complètement isolées sur le plan hydraulique. Les douars qui en constituent leurs frontières
sont ceux qui entretiennent les relations conflictuelles les plus graves. Nous analyserons, plus
tard, en détails les conflits fréquents qui surviennent dans ces zones tampons.
Il est aussi important de signaler que ce zonage hydraulique n’est que le résultat de nos
observations de terrain recoupées avec certains discours des agriculteurs. Les habitants ne
pensent pas forcément leur espace selon les mêmes critères que nous.

69
Carte 14 : Les quatre secteurs hydrauliques

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations sur fond de carte DPA d’Azilal (1994)

70
Carte 15 : terroir irrigué par chaque canal et aire irrigué de chaque douar

En contrebas de chaque canal, se trouve le terroir qu’il irrigue. Il est représenté par la même couleur que le canal, mais en moins accentuée.

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations sur fond de carte DPA d’Azilal (1994)

71
CHAPITRE V : LA GESTION SOCIALE DE L’EAU D’IRRIGATION
INTRODUCTION : LA GESTION SOCIALE DE L’EAU
"La gestion sociale de l’eau (GSE) se base sur une approche systémique des relations entre les
sociétés humaines, les territoires, les eaux et les activités économiques. Pour ce qui touche
aux agricultures et au développement de l’irrigation dans le monde, l’approche en termes de
gestion sociale de l’eau comprend quatre notions essentielles à aborder et travailler de
manière analytique et à combiner et comprendre de manière synthétique :
1. un savoir hydraulique et agronomique : captage, réseau, partage, organisation du
travail,…
2. une division sociale du travail : entre les acteurs chargés de produire en irriguant et les
acteurs chargés d'amener l'eau dans les meilleures conditions.
3. une autorité hydraulique assurant des fonctions de proposition d'un règlement,
d'enregistrements des droits d'eau, de transmission des droits, de police de l'eau, de
maintenance hydraulique, de partage des charges (en travail et financières)
4. une démocratie hydraulique: l'autorité hydraulique peut être révoquée si elle n'assure pas
ses fonctions ; les règles sont équitables, contraignantes tout en assurant des marges de liberté
et d'adaptation ; la concentration des droits d'eau pour une personne est rendue difficile, voire
impossible ; la demande sociale en eau peut évoluer (nouvelles cultures, nouveaux acteurs) et
amener une nouvelle négociation des accès à l'eau ; l'offre en eau peut diminuer
(accidentellement ou durablement) et susciter un équitable partage des déficits" (RUF et
SABATIER, 1991).
Dans le chapitre précédent, nous avons vu la première notion abordée par cette définition de
la GSE en étudiant la façon dont les agriculteurs s’organisent pour capter et acheminer l’eau
dans le réseau d’irrigation. Dans ce chapitre, nous étudierons les institutions de gestion de
l’eau, les règles de partage de l’eau, l’organisation de l’entretien des infrastructures et le
système de gestion des conflits.
I. LE CADRE INSTITUTIONNEL DE LA GESTION SOCIALE DE L’EAU
INTRODUCTION :
Selon (OSTROM, 1992), le terme "Institution" n'est pas forcément synonyme d'organisation.
Il signifie plutôt "un ensemble de règles réellement mises en pratique par un ensemble
d'individus pour organiser des activités répétitives qui ont des effets sur ces individus, et
éventuellement sur d'autres". Ces règles, poursuit-elle, peuvent ou non se traduire par des
organisations formelles ou non."Une institution d'irrigation est donc l'ensemble des règles
effectives de distribution et d'utilisation de l'eau, dans un endroit donné". Sur la base de cette
définition, nous considérons ici comme institutions de gestion de l’eau toute entité, formalisée
ou non, chargée de définir, de mettre en œuvre ou de faire respecter des règles de gestion de
l’eau. Ainsi, dans la vallée, nous pouvons distinguer deux types d’institutions qui

72
interviennent dans la gestion de l’eau : 1. les institutions coutumières historiquement
construites par les habitants et 2. les institutions issues du droit moderne, progressivement
introduites par l’Etat. Bien que des rôles assez précis soient attribués à chaque type
d’institutions, nous verrons que les deux types d’institutions entretiennent des relations assez
complexes qui, parfois, dépassent le cadre habituel d’opposition entre Etat et Communautés
locales.
1. LES INSTANCES LOCALES DE GESTION DE L’EAU
1.1 LA TAQBILT DE DOUAR : L’AUTORITE HYDRAULIQUE DU DOUAR

Nous avons mentionné que les douars du territoire Aït Hakim ne disposent pas de chef de
douar et que la Taqbilt est, de ce fait, la seule institution sociopolitique à l'échelle du douar.
1.1.1 Rôles de la Taqbilt de douar:
Les rôles de la Taqbilt sont nombreux : elle prend toutes les décisions qui concernent la
gestion de l’eau, des pâturages, des forêts, des chemins et des biens de la Mosquée. Elle
résout aussi les litiges entre agriculteurs et décide des sanctions à infliger à ceux qui
enfreignent les règles collectives de gestion des ressources naturelles.
1.1.2 Modes de prise de décisions :
Chaque fois que cela est nécessaire, l’ensemble des chefs de foyer se réunit le vendredi, après
la prière, pour discuter des affaires du douar et prendre des décisions. Dans la plupart des
douars, on nous a rapporté que toutes les décisions de la Taqbilt sont prises à l’unanimité du
groupe. Lorsque quelques personnes se montrent inflexibles sur certaines questions, la
décision de la majorité est imposée pour éviter les situations d’impasse.
A première vue, la Taqbilt fonctionne de façon à impliquer tous ses membres aux débats et à
la prise de décision. Quelques déclarations d’un petit nombre d’agriculteurs51 montrent
pourtant qu’au cours de la Jemaâ, deux groupes (qui n’ont pas le même pouvoir de décision)
se distinguent : les Ikhatarn (qui sont les "grands" ou les "anciens") et le reste du groupe. Les
"grands" sont en général des personnes influentes issues de grandes familles du douar. Les
"anciens" sont les personnes âgées qui connaissent mieux les traditions du douar. Dans la
plupart des douars, les Ikhatarn52 seraient les vrais détenteurs du pouvoir de décision au sein
de la Taqbilt.
1.1.3 Application des décisions de la Taqbilt :
En règle générale, une fois qu’une décision est prise au sein de la Jemaâ, elle est considérée
comme collectivement admise. La Taqbilt peut, dès lors, désigner des personnes pour la faire
respecter, sinon c’est l’ensemble de la Taqbilt qui s’en charge.

51
Les observations de Jeanne Riaux dans le vallon de R’bat abordent dans le même sens.
52
Dans la plupart des cas, les "Grands" sont aussi des entrepreneurs, des commerçants, des membres du bureau
de l’AUEA et des élus communaux de leurs douars. Parfois, une seule personne cumule toutes ces fonctions.

73
Depuis l’introduction du caïdat, les Taqbilt ont trouvé une nouvelle façon de faire respecter
leurs décisions. A la fin de la Jemaâ, l’Amghar-l-Jumaâ (chef de la mosquée ou imam) est
chargé de rédiger toutes les décisions prises dans un document qui est ensuite déposé au
caïdat (par l’intermédiaire du Moqadem) pour servir de base d’arbitrage des affaires du douar.
Les documents déposés au caïdat précisent les règles en vigueur et les sanctions prévues pour
les contrevenants. On peut supposer que cette nouvelle pratique est une première étape vers
l’adoption probable de règles écrites de gestion des ressources naturelles. Pour le moment,
l’écriture des décisions de la Taqbilt ne fige en rien les règles coutumières. En effet, il faut
savoir que les décisions de la Taqbilt sont prises pour répondre à des situations temporaires
(rareté de l’eau, entretien des canaux,…). Dès qu’une autre situation se présente, de nouvelles
décisions sont prises et consignées dans un nouveau document déposé au caïdat en
remplacement de l’ancien qui s’y trouvait déjà.
1.2 LES TAQBILTS INTER-DOUARS :

1.2.1 Les Taqbilts des groupes de douar :


Dans la vallée des Aït Hakim, il existe encore quatre Taqbilt inter-douars qui fonctionnent : la
Taqbilt des Aït Ali, la Taqbilt d’Ighirine-Iglouane, la Taqbilt d’Aït Ouham-Aït Issa Ou Ali et
la Taqbilt de la fraction des Aït Wanoughdal. Ces institutions inter-douars fonctionnent selon
les mêmes principes que les Taqbilt de douar, mais ne se réunissent pas aussi fréquemment
qu’elles. La plupart du temps, si elles se réunissent, c’est pour débattre des questions qui
concernent la gestion des ressources communes (pâturages, forêts et les eaux de certains
canaux et sources) et pour résoudre les conflits entre les douars qui les constituent.
1.2.2 Recul de la Taqbilt des Aït Hakim :
Dans cette partie de la vallée, seule la Taqbilt de la fraction des Aït Hakim a réellement perdu
de sa vivacité. Pour les décisions de gestion des ressources communes de la fraction (les
alpages surtout), chaque Taqbilt de douar délègue une personne pour défendre sa position. La
décision consensuelle trouvée par les différents délégués est ensuite exposée devant chaque
Taqbilt de douar qui peut l’accepter ou la refuser. En cas de refus d’un seul douar, la
négociation est relancée jusqu’à ce qu’un consensus soit trouvé entre tous les douars.
1.3 LES AUTRES INSTANCES LOCALES DE GESTION DE L’EAU:

1.3.1 Le Naïb-n-Taqbilt : l’aiguadier du douar


De Zaouit Alemzi jusqu’à Ifrane (secteurs A, B, C), les Naïbs sont des personnes désignées
par la Taqbilt pour s’occuper de la gestion des ressources du douar pendant une année. Ils sont
rémunérés par l’ensemble des ménages du douar (en moyenne un abra d’orge ≈16 Kg et 10
Dh par ménage). A partir de Taghoulit, la fonction de Naïb est un devoir bénévole que les
ménages assument à tour de rôle pendant une année. La transmission de cette responsabilité se
fait entre les ménages selon le même ordre que les tours d’eau au sein du douar.
Qu’ils soient rémunérés ou bénévoles, les Naïbs ont les mêmes rôles :

74
garantir l’application et le respect des décisions de la Taqbilt,
être le porte-voix de la Taqbilt auprès des douars voisins et des autorités locales,
gérer les affaires de la Mosquée,
décider de l’ouverture des Agoudals de douar,
régler les conflits entre les agriculteurs,
décider de la date d’entretien des canaux,
régler les questions de partage de l’eau avec les douars voisins,
veiller au respect des tours d’eau entre agriculteurs.
Dans la plupart des douars Aït Hakim, le Naïb n’exerce plus, soit qu’il parce qu’il demande à
être payé plus que d’habitude, soit parce que la Taqbilt n’a pas pu se mettre d’accord pour
désigner une personne. Mais cette situation peut s’expliquer aussi par l’influence de plus en
plus grandissante des Moqadem (qui sont en même temps membre de la Taqbilt et
représentant du caïdat dans le douar). Leur présence dans le douar offre peut-être un certain
garanti de respect des règles collectives. L’arbitrage du Naïb n’est donc plus tout à fait
nécessaire.
1.3.2 L’Amghar-n-lajmaât, l’Amassaye : des Naïbs bénévoles
A Aït Sellam et à Tadrouit, l’Amghar-n-lajmaât ou l’Amassaye est une personne bénévole qui
a les mêmes rôles qu’un Naïb. Ces deux douars ont abandonné la désignation d’un Naïb
annuel pour éviter les dissensions au sein de la Taqbilt et les problèmes de rémunération.
Chaque année, après la prière de l’Aid El Kebir ou de l’Aid Ramadan, la Taqbilt désigne,
pour une année, une personne digne de confiance pour assurer cette fonction. Si la personne
choisie refuse d’assumer ce rôle, un tirage au sort est effectué entre les Ighs du douar. L’Ighs
tirée au sort est chargée de trouver un Amghar ou un Amassaye parmi ces membres.
1.3.3 Le Moqadem-n-Waman53 ou Moqadem-n-Tergouine :
Le Moqadem-n-Waman ou Moqadem-n-Tergouine est désigné par la Taqbilt pendant la
période d’entretien des canaux pour aider le Naïb ou pour le remplacer en cas de nécessité.
Pendant le déroulement des travaux de curage des canaux, c’est lui qui attribue les tronçons à
curer par chaque agriculteur. Il peut aussi s’occuper du contrôle de la distribution de l’eau et
de la collecte des amendes et des cotisations (dans les douars où le Naïb n’a pas été désigné).
1.3.4 Le Morakib :
Le Mourakib est, lui aussi, désigné le temps du curage des canaux. Il vient renforcer le
Moqadem-n-Waman en contrôlant le travail effectué par chaque agriculteur pendant les
travaux de maintenance des canaux.

53
Moqadem de l’eau ou Moqadem des canaux.

75
NB : Nous détaillerons les rôles du Moqaden-n-Waman et du Mourakib quand nous
aborderons les règles d’entretien des infrastructures d’irrigation.
1.3.5 L’Aassas :
La fonction de l’Aassas n’existe que dans les douars d’aval et seulement pendant les périodes
de raréfaction de l’eau. Il s’agit d’un agriculteur du douar, désigné et rémunéré par la Taqbilt,
pour surveiller les Ougougs pendant la nuit : il doit s’assurer que les Ougougs d’amont
restent bien fermés pendant que ceux d’aval ont le tour d’eau. Il doit signaler les moindres
infractions constatées à la Taqbilt qui prend ensuite la décision qui s’impose.
1.3.6 L’Amghar-El-jumuâ : l’Imam de la Mosquée
Dans la plupart des douars, en plus de gérer les affaires de la mosquée, les Imams sont
chargés de rédiger les décisions de la Taqbilt, de gérer les fonds issus des cotisations et des
amendes. Cet argent sert généralement à la restauration de la mosquée. Etant les meilleurs
connaisseurs des paroles saintes (et souvent des traditions aussi), les Amghar-el-jumua
peuvent jouer un rôle important (de référence morale) dans le règlement des conflits d’eau
entre agriculteurs d’un même douar ou entre douars voisins.
CONCLUSION : DES TAQBILT DE DOUARS ENCORE TRES DYNAMIQUES

La Taqbilt de douar, assemblée des chefs de foyer d’un douar, est la seule instance politique
de décision à l’échelle du douar. Elle s’occupe de tous les aspects de la gestion de l’eau. Elle
peut désigner plusieurs personnes du douar (rémunérées ou non) pour veiller à l’application et
au respect de ses décisions. La Taqbilt de douar se positionne donc comme la seule autorité
hydraulique reconnue à l’échelle du douar.
2. LES INSTITUTIONS MODERNES ET LA GESTION DE L’EAU :
2.1 LE CAÏDAT DE TABANT :

2.1.1 Création et organisation du caïdat :


Les premiers caïds qui contrôlaient la vallée des Aït Bouguemez étaient des élites, alliées du
protectorat, qui maintenaient l’ordre dans ces zones éloignées par la pratique de la terreur. Ils
se sont enrichis en spoliant, pendant longtemps, les populations d’une partie de leurs biens.
Après l’indépendance, le Makhzen qui voyait en ces élites locales devenues très riches et très
puissantes des menaces potentielles pour la stabilité de la région, les a progressivement
remplacées par des fonctionnaires. C’est ainsi que le caïdat de Tabant a été créé en 1985. Un
caïd, nommé par le ministère de l’intérieur, y représente tous les aspects du pouvoir :
administratif, policier et judiciaire. Il est aidé par deux Chioukh (Cheick des Aït Méhiya et
Cheick des Aït Hakim), eux-mêmes assistés par une dizaine de Moqadem (à raison d’un
Moqadem par 2 à 3 douars).
2.1.2 Rôles du caïdat dans la gestion de l’eau :

76
Les Aït Hakim, historiquement hostiles à la présence du caïd, ont longtemps évité d’y recourir
pour résoudre les problèmes du douar. Mais les anciens attestent d'une certaine augmentation
des conflits non résolus par les Taqbilt et qui sont portés devant le caïd ou ses assistants
depuis une dizaine d'années (RIAUX, 2003).
Le caïd se charge donc d’arbitrer les conflits qui dépassent le cadre villageois et inter-
villageois en faisant appliquer les règles prévues par les Taqbilt. Chez les Aït Hakim,
plusieurs conflits inter-douars concernant le partage des ressources en eau ont dépassé le
caïdat. Ils ont, alors, été portés devant les tribunaux provinciaux qui ont attribué des droits
écrits à chaque douar, et c’est le caïd qui a été alors chargé de faire respecter les jugements
rendus par les tribunaux.
Le caïd est aussi un acteur-clé de la mise en place et de l’exécution des projets de l’Etat. Dans
le cadre du DRI-PMH, nous verrons que la caïd et les Chioukh ont eu des rôles déterminants
dans toutes les étapes de la création des AUEA.
2.2 LA COMMUNE RURALE ET LE HAKEM :

2.2.1 Contexte de création :


Les communes rurales actuelles sont le résultat d’une transformation (en 1965) des communes
administratives créées sous le protectorat pour remplacer les Taqbilt des tribus (LEVEAU,
1985). Un tribunal coutumier (dirigé par un juge: LHakem) est rattaché à chaque commune
rurale pour la résolution des conflits qui nécessitent une bonne connaissance des traditions
locales (orf).
Au départ, la commune rurale devait être une structure de développement local dotée de
moyens financiers lui permettant d’améliorer plusieurs secteurs de la vie socio-économique
(agriculture, santé, éducation,…) ; mais les faibles financements accordés par l’Etat ne lui ont
pas permis d’atteindre cet objectif. Aujourd’hui, la commune rurale est une scène politique
investie par les élites locales qui se disputent le pouvoir.
2.2.2 Rôles de la commune dans la gestion de l’eau :
La commune rurale finance souvent des ouvrages hydrauliques dans les douars. Elle résout
aussi certains conflits liés à la gestion de l’eau par le biais du LHakem. Le conseil communal
a souvent utilisé ces financements pour modifier les rapports de force entre les douars en
obligeant certains douars à céder une partie de leurs droits sur certaines ressources54. Dans la
vallée, la résolution des conflits liés à la gestion de l’eau par le LHakem est de moins en
moins fréquente. Il faut cependant noter que chez les Aït Hakim, le recours au LHakem est
préférable au caïdat.

54
Il semblerait que ce soit sous la pression du Morcheh d’Aït Ouchi que les Aït Issa Ouali ont cédé une partie de
leur Agoudal de douar aux Aït Ouchi.

77
CONCLUSION :
Le paysage institutionnel de la vallée a beaucoup évolué depuis l’indépendance avec
l’introduction des représentations locales de l’Etat qui n’ont pas pu supplanter les institutions
coutumières. Elles s’y sont superposées. Selon (RIAUX, 2003), le paysage socio-
institutionnel actuel de la vallée est le fruit de plus d’un siècle d’histoires entre :
d’une part : un Etat central mettant progressivement en place des représentations locales
de son autorité (Caïdat) et des structures développement local (Communes Rurales, DPA),
et d’autre part : les habitants d’une vallée montagnarde fort attachés à leurs coutumes,
mais ayant toujours réussi à intégrer les nouvelles institutions introduites par l’Etat grâce à la
flexibilité et au dynamisme des institutions traditionnelles. Cette intégration des institutions
dites makhzeniennes se manifeste dans la façon dont les Taqbilt de douar se basent sur le
caïdat pour faire respecter leurs décisions.
L’un des effets les plus remarquables de cette dynamique institutionnelle reste la réduction,
voire la disparition de l’influence des institutions inter-douars (les Taqbilt de tribu).
Sur le plan socio-institutionnel, le douar avec sa Taqbilt, se positionne comme l'unité socio-
territoriale pertinente pour la gestion de l’eau.
II. LES PRINCIPES ET LES REGLES DE DISTRIBUTION DE L’EAU :
INTRODUCTION :
La vallée des Aït Hakim présente une grande diversité des règles et des principes coutumiers
qui régissent la distribution de l’eau. Dans cette partie, nous essayerons de comprendre les
logiques qui se trouvent derrière chaque règle.
1. LES DROITS D’EAU ET LES STATUTS DE L’EAU :

Le nombre important de douars et la diversité des pratiques dans la vallée des Aït Hakim ne
permettent pas d’aborder l’histoire des droits d’eau ici, cet aspect sera développé lorsque nous
aborderons l’étude du système d’irrigation du douar Ifrane.
1.1 DEFINITION DES DROITS D’EAU :

Dans la vallée des Aït Hakim, le droit d’eau est défini comme une "quantité d’eau" ou un
"temps d’accès à l’eau" alloué à une personne pour l’irrigation de ses parcelles. Lorsqu’il
s’agit d’une quantité d’eau, le volume d’eau alloué pour l’irrigation n’est pas prédéfini (il n y
a pas de mesures de débits). De même, lorsqu’il s’agit d’un "temps d’accès à l’eau", la durée
d’irrigation de la parcelle n’est pas prédéfinie (il n y a pas de limitation de la durée
d’irrigation). Par conséquent, pour le montagnard bouguemezien, posséder un droit d’eau,
c’est disposer de la quantité d’eau ou du temps suffisant pour irriguer totalement sa parcelle.
Signalons tout de même que la non-limitation des quantités d’eau ou des temps d’irrigation ne
laisse pas toujours à l’agriculteur le loisir de pratiquer la sur-irrigation. En effet, une certaine
forme de contrôle social, assez efficace, se met en place entre agriculteurs voisins.

78
La conception des droits d’eau est la même dans tous les douars de la vallée Aït Hakim. Ce
qui diffère, c’est la façon dont les groupes d’agriculteurs d’un même douar ou de douars
différents s’arrangent entre eux pour se répartir l’eau.
1.2 STATUTS DE L’EAU ET AYANTS DROIT :

Dans l’ensemble des douars de la vallée Aït Hakim,"l’eau est mariée à la terre", c’est-à-dire
que l’eau n’appartient à l’homme que pendant le laps de temps où il est propriétaire de la
terre. Par ailleurs, les sources d’eau et les infrastructures d’irrigation appartiennent à toutes les
familles du douar (absence de revendication d’appartenance à des familles fondatrices ou
maraboutiques). Par conséquent toute personne (membre de la Taqbilt ou non) qui possède au
moins une parcelle sur le périmètre irrigué est un ayant droit (du canal qui irrigue sa parcelle).
En contrepartie, il lui est demandé de contribuer au travail annuel de maintenance des
infrastructures et de se soumettre à toutes les règles communes de partage de l’eau.
1.3 STATUT DE "L’EAU MARIEE A LA TERRE" ET AMENAGEMENT DE
NOUVELLES PARCELLES :

Selon, les agriculteurs, le statut de "l’eau mariée à la terre" a l’avantage de garantir à tous un
accès à l’eau égalitaire parce que les temps d’irrigation accordés à un ayant droit dépendent
du nombre de parcelles qu’il possède. Cela était vrai jusqu’à l’introduction des cultures de
rente. Certains agriculteurs ont en effet aménagé plusieurs nouvelles parcelles destinées à la
pomme de terre. Ils se sont retrouvés ainsi avec beaucoup de parcelles alors que leurs droits
d’eau sont restés les mêmes en vertu du principe qui veut qu’une parcelle, nouvellement
aménagée, ne puisse être irriguée par un canal que si tous les ayants droit de ce canal sont
d’accord. Ce qui est rare. Les agriculteurs propriétaires de ces nouvelles parcelles se plaignent
ainsi de ce système des droits d’eau qui, selon eux, ne tient pas compte du fait que les besoins
en terre augmentent avec le temps. Ils demandent donc que les droits d’eau soient repensés.
Certains vont jusqu’à solliciter l’intervention de l’Etat pour redéfinir les droits de chacun de
façon à ce que les temps d’irrigation accordés soient proportionnels à la superficie totale
possédée par chaque agriculteur. Cette proposition fait réagir les agriculteurs défenseurs du
système traditionnel des droits d’eau qui se demandent, en ironisant, s’il faut que l’Etat
intervienne pour redéfinir les droits d’eau chaque fois qu’un agriculteur zélé décide de se faire
plus d’argent dans la pomme de terre en allant conquérir de nouvelles parcelles.
1.4 PARCELLES ET CHEMINS DE L’EAU :

Une parcelle ne peut être irriguée que par un seul et unique canal, c’est-à-dire qu’elle ne
possède qu’un seul et unique chemin de l’eau. Si une parcelle est separée de son canal par des
inondations, les agriculteurs peuvent se mettre d’accord pour irriguer cette parcelle avec l’eau
d’un autre canal. S’il n’y a pas d’accord, la Taqbilt procède à un collecte de fonds dans le
douar pour construire des ouvrages de franchissement (aqueducs en bois traversant l’assif de
part en part) permettant de relier les parcelles isolées à leur canal d’irrigation.

79
1.5 DROITS D’EAU ET TRANSACTIONS FONCIERES :

Dans la vallée des Aït Hakim, le statut des terres est Melk. Les transactions foncières sont
donc fréquentes. Dans le passé, elles étaient privilégiées entre personnes d’un même douar,
d’une part, pour éviter de céder des droits d’eau à des personnes étrangères à la Taqbilt et
d’autre part, pour éviter de donner à ces personnes une inscription sociale dans le douar.
Aujourd’hui, les transactions se font couramment entre personnes de douars différents
(surtout dans les trois douars Aït Wanoughdal) puisque la terre est maintenant perçue plus
comme un moyen de production qu’une inscription sociale dans une communauté.
Une personne qui décide de vendre l’une de ses parcelles informe prioritairement ses voisins
de parcelle. La nouvelle circule très vite au sein de tous les douars. Les seules informations
fournies sont : la position de la parcelle (rive droite ou gauche, sensibilité aux inondations),
son canal d’irrigation et une estimation de sa superficie (en journées de travail).
Dans la plupart des cas, c’est aux acheteurs potentiels qu’il revient de faire des offres de prix.
Le vendeur choisit alors la meilleure offre. Selon certains agriculteurs, il suffit de quelques
témoins pour entériner l’acte de vente (aucune référence n’est faite aux autorités locales ou
aux institutions coutumières). Mais d’autres agriculteurs rapportent que de plus en plus de
transactions foncières sont accompagnées par des actes de vente écrits en bonne et due forme,
signés par douze témoins et légalisés chez les autorités locales (caïdat ou commune rurale).
Ces actes portent les noms du vendeur, de l’acheteur et de leurs douze témoins, la surface
estimée de la parcelle, le prix de vente et la mention "terre irriguée".
Dans tous les cas (présence ou absence d’actes de vente), les droits d’eau sont cédés avec la
terre vendue. Le nouveau propriétaire doit, à partir de ce jour, fournir un travail annuel
d’entretien du canal qui irrigue sa nouvelle parcelle, au même titre que les autres ayant droits.
1.6 ZAOUIT ALEMZI : STATUT DE "L’EAU LIEE A LA FAMILLE" ?

Les Aït Alemzi forment une communauté religieuse ayant des modes de gestion et
d’organisation reposant sur un fonctionnement lignager. Les premiers droits d’eau (temps
d’irrigation) ont été accordés aux lignages, avant Siba, indépendamment du nombre de
parcelles possédées par ceux-ci. Les transactions foncières existaient bien avant Siba, mais
elles se faisaient uniquement entre agriculteurs de Zaouit Alemzi et aucun acte de vente écrit
n’était établi. Le droit d’eau n’était pas alors cédé avec la terre vendue. L’acheteur devait, par
conséquent, irriguer sa nouvelle parcelle avec son propre droit d’eau.
L’apparition des actes de vente écrits sous le protectorat français et la généralisation des
transactions foncières entre agriculteurs de douars différents ont modifié les pratiques des Aït
Alemzi qui se sont vus contraints de céder les droits d’eau avec la terre, à cause notamment :
de la mention "terre irriguée" qui figurait sur les ventes de vente,
du fait que les acheteurs non originaires du douars exigent d’avoir de l’eau pour irriguer
une parcelle avant de l’acheter.

80
Nous verrons d’ailleurs que les droits d’eau restent toujours liés aux lignages et aux familles
mais seulement dans les pratiques de distribution de l’eau à l’intérieur du douar. En effet,
dans les cas de transactions foncières, les Aït Alemzi se sont tous orientés vers le statut de
"l’eau mariée à la terre" puisqu’un droit d’irrigation est cédé à toute personne qui fait
l’acquisition d’une parcelle irriguée dans le douar.
1.7 DROITS D’EAU ET HERITAGE :

Lors qu’un chef de foyer décède, ses terres sont réparties entre ses héritiers selon les règles de
la charia islamique (deux parts pour un fils et une part pour une fille). Les parts de tous les
garçons restant dans la famille, les droits d’eau qui y sont liés ne changent pas.
Les mariages virilocaux étant les plus fréquents dans les Aït Hakim, avant de partir chez leurs
maris, les filles décident généralement de laisser leurs parts à leurs frères. Donc de façon
générale, la propriété familiale (patrimoine foncier et droit d’eau) reste indivise.
Pourtant, dans certains cas très rares, considérés d’ailleurs comme honteux, une fille peut
partir avec sa part ou revenir la réclamer plus tard (le plus souvent parce que son mari se
trouve dans la nécessité). Les droits d’eau liés à la part de cette fille sont alors perdus pour la
propriété familiale.
CONCLUSION :
Les droits d’eau actuels ne sont pas écrits, ils sont le résultat d’accords oraux anciens entre les
familles fondatrices des douars. Ces accords, qui ont su traverser le temps, se sont imprégnés
d’éléments issus des traditions préislamiques (Orf), du droit malikite (charia) et du droit
moderne (français et marocain) (BERQUE, 1955). Les familles arrivées plus tard dans les
douars n’ont pu acquérir des droits d’eau que par des transactions foncières et des alliances
avec celles, déjà installées. En effet, le statut de "l’eau mariée à la terre" fait, qu’en théorie,
les droits d’eau sont intransférables, inaliénables et incessibles sauf dans les cas de
transactions foncières et d’héritages.
2. LES REGLES COUTUMIERES DE DISTRIBUTION DE L’EAU :
INTRODUCTION :

Après avoir présenté le cadre institutionnel de la gestion de l’eau et quelques généralités sur
les modalités d’accès à l’eau et à la terre, nous allons exposer les règles de distribution de
l’eau : d’abord entre les canaux (les tours inter-douars) et ensuite, entre les parcelles le long
d’un canal (les tours d’eau intra-douar).
Pour une meilleure compréhension de ces règles, nous les étudierons dans les quatre secteurs
hydrauliques que nous avons préalablement définis. La répartition de l’eau entre les parcelles
le long d’un canal, sera, elle aussi examinée dans chaque secteur, mais nous l’étudierons plus
en détails dans le douar Ifrane qui présente une mosaïque des tous les modes de distribution
rencontrés dans la vallée des Aït Hakim.

81
2.1 REPARTITION DE L’EAU DE L’ASSIF ENTRE LES CANAUX : LES TOURS
D’EAU INTER-DOUARS

Introduction :
Nous avons eu très peu de données historiques sur la mise en place des tours d’eau entre les
douars. Il semble, selon les discours des anciens, que ces tours d’eau soient le résultat
d’accords très anciens survenus (avant Siba) entre les douars suite à de graves conflits liés à
l’eau (cas d’Aït Ouchi et Ighirine) ou pour échanger des ressources (cas d’Ighirine et Aït
Ouham). Nous avons expliqué ce dernier cas dans la partie consacrée au zonage hydraulique.
2.1.1 Des règles de distribution de l’eau contextuelles :
La répartition de l’eau entre les canaux55 diffère dans le temps (période d’abondance ou de
raréfaction de l’eau) et dans l’espace (amont ou aval du réseau).
De Aït Ouham à Taghoulit [Secteurs (B) et (C)], en période d’abondance de l’eau, aucun tour
d’eau particulier n’est observé entre les canaux. Tous les Ougougs situés le long de l’assif
sont ouverts en même temps. Les règles que nous exposons pour ces deux secteurs ne sont
donc mises en application que pendant les périodes de raréfaction de l’eau.
Pour les douars du Secteur aval (D), habitués à la gestion de la raréfaction de l’eau, les règles
restent les mêmes quelles que soient les disponibilités de l’eau dans l’assif.
2.1.2 Les tours d’eau du secteur(B) : de Aït Ouham à Ighirine :
(a) Répartition de l’eau entre les canaux en période de
raréfaction de l’eau :

Nous avons déjà mentionné que les douars d’amont ne disposaient pas de canaux propres.
C'est-à-dire que tous les canaux, Tin Oukbou d’Aït Ouham excepté, sont inter-douars. Il s’en
suit qu’en période de raréfaction de l’eau, les quatre douars sont amenés à décider ensemble
comment répartir l’eau entre les différents canaux étant donné qu’il devient impossible de les
alimenter tous en même temps. Selon les agriculteurs interrogés, en période de raréfaction de
l’eau, les quantités d’eau disponibles sont distribuées entre les canaux de la façon suivante :
les deux canaux (Tin Oukbou, Tin Oussamar) captant directement les eaux de la source
(Aghbalou-n-Aït Ouham) sont prioritairement alimentés en eau,
le canal (Tin Tassemelilt), premier ougoug sur l’assif, est aussi alimenté en eau.
Tous les autres Ougougs sont fermés jusqu’à ce que les débits d’eau dans l’assif atteignent un
niveau permettant de les alimenter.
(b) Les temps d’accès des douars : une répartition de
l’eau inégalitaire ?

55
Le douar Zaouit Alemzi qui n’a qu’un seul canal d’irrigation n’est pas concerné par cette distribution de l’eau.

82
Cette répartition de l’eau entre les canaux semble surtout favorable au douar Aït Ouham. Il
bénéficie en effet de 4,5 jours d’eau sur Tin Oussamar et 3 jours d’eau sur Tin Tassemelilt. Il
exploite aussi tout seul les eaux du canal Tin Oukbou.
Le douar Ighirine a 1 jour d’eau sur Tin Oussamar et 2 jours d’eau sur Tin Tassemelilt. Il
reçoit aussi une partie des eaux de sources Aghbalou-n-Ikiss et Aghbalou-n-Aït Aamar.
Iglouane bénéficie de 1,5 jours d’eau sur Tin Oussamar et 2 jours d’eau sur Tin Tassemelilt.
Quand à Aït Issa Ou Ali, aucun des trois canaux alimentés en période de raréfaction de l’eau
n’irrigue directement ses parcelles. Il reçoit par contre suffisamment d’eau grâce à la
connexion entre le canal Tazmamat (qui irrigue la presque totalité de ses parcelles) et le canal
Tin Oukbou d’Aït Ouham. L’ouvrage qui permet de déverser les surplus d’eau de Tin Oukbou
dans Tin Tazmamat a été construit par la Taqbilt commune d’Aït Issa Ou Ali et d’Aït Ouham.
Ighirine et Iglouane qualifient de vols d’eau ce transfert d’eau entre les deux douars frères.
Selon les agriculteurs d’Ighirine, Aït Ouham n’envoie l’eau à Aït Issa Ou Ali que lorsque
Ighirine et Iglouane ont le tour d’eau et l’opération a toujours lieu la nuit. Ighirine se plaint
aussi du fait que Aït Ouham détient trop de jours d’eau pour très peu de parcelles, privant
ainsi les parcelles des autres douars d’eau d’irrigation. Mais selon les anciens d’Aït Ouham, le
partage de l’eau effectué lors de la mise en place du tour d’eau aurait attribué l’eau à chaque
douar au prorata des parcelles qu’il possédait. Selon eux, les parcelles d’Aït Ouham seraient
restées stables depuis la mise en place du tour d’eau en raison du fait que le périmètre ne
présentait pas de possibilités d’extensions. Chez Ighirine, par contre, les habitants se seraient
mis à aménager énormément de nouvelles parcelles dans la Chaâba Ikiss lorsque l’eau était
abondante, mais quand les sécheresses ont commencé à sévir, ils se seraient retrouvés avec
beaucoup de parcelles sans possibilité de les irriguer puisqu’ils n’avaient qu’un jour
d’irrigation sur Tin Oussamar. Donc pour Aït Ouham et même pour certains agriculteurs
d’Ighirine, c’est Ighirine qui a créé chez lui les conditions d’une rareté constate de l’eau.
Tableau 4 : Temps d’accès à l’eau des quatre douars du secteur (B)

Canaux mis en eau Alimentation en eau des canaux Jours d’irrigation de chaque douar

Aït Ouham : 4,5 jours ; Iglouane : 1,5


Tin Oussamar Aghbalou-n-Aït Ouham
jour ; Ighirine : 1 jour

Tin Oukbou Aghbalou-n-Aït Ouham Aït Ouham : 7 jours sur 7

Aït Ouham : 3 jours ; Iglouane : 2 jours ;


Tin Tassemelit Premier ougoug sur l’assif
Ighirine : 2 jours

Tmadla lghboula-n-Ikiss Ighirine (Timililt) : 3 jours

Targa-n-Aghbalou-n- Ighirine et quelques agriculteurs d’Aït


Aghbalou-n-Aït Aamar
Aït Aamar Issa Ou Ali (pas de tours d’eau)

Source : Elaboration propre d’après enquêtes

83
2.1.3 Les tours d’eau du secteur (C) : de Aït Ouchi à Taghoulit
La façon dont l’eau est répartie entre les trois douars de ce secteur reflète bien la diversité et
la complexité des relations qui se construisent entre les douars le long de l’assif. A la
différence du secteur (B) où aucun douar ne dispose de réseaux propres, ici en plus des
canaux qui lient les douars deux à deux, chaque douar possède son propre réseau de canaux
bien individualisé qui lui permet d’organiser un tour d’eau interne entre ses propres canaux.
(a) En amont du secteur : un tour d’eau inter-douars

En amont du secteur, les quatre canaux exploités par Ifrane et Aït Ouchi fonctionnent selon un
tour d’eau hebdomadaire qui attribue l’eau à chaque douar pendant un certain nombre de
jours. Ce tour d’eau reste le même quel que soit le contexte (abondance ou raréfaction de
l’eau). Aucune stratégie commune n’est décidée par les deux douars pour gérer les
sécheresses. Pendant le temps d’accès à l’eau qui lui est accordé, chaque douar alimente ses
canaux Ougoug par Ougoug, d’amont en aval, en alternant entre les Ougougs des deux rives.
D’une façon générale, toute l’eau disponible dans l’assif est envoyée dans un seul canal. Dès
que les ayants droit de ce canal terminent l’irrigation de leurs parcelles, la totalité de l’eau est
acheminée vers le canal suivant. L’irrigation se poursuit ainsi jusqu’au dernier canal du douar.
Tableau 5 : Temps d’accès à l’eau d’Ifrane et d’Aït Ouchi

Canaux Alimentation en eau Aït Ouchi Ifrane

Targa-n-Oulzweg Aghbalou-n-Oulzweg ½ jour 6 jours et ½

Tin Ouammass 4 jours 3 jours

Tin Oumalou Ougoug à Aït Ouchi 5 jours 2 jours

Imjoujoua Quelques agriculteurs Presque 7 jours

Source : Elaboration propre d’après enquêtes

(b) En aval du secteur : aucun tour d’eau inter-douars

Les deux canaux d’aval utilisés par Ifrane et Taghoulit ne sont soumis à aucune règle
commune de partage de l’eau. A Ifrane où se trouvent les prises de ces deux canaux, les
agriculteurs ne laissent passer l’eau à Taghoulit que lorsqu’ils jugent que toutes leurs parcelles
sont suffisamment irriguées.
On pourrait s’attendre à ce que cette situation d’absence de tour d’eau soit à l’origine de
conflits fréquents entre les deux douras, il n’en est pourtant rien. Les deux douars
entretiennent des relations plutôt amicales. Ils ont le même représentant à l’AUEA et le même
élu communal. Nous verrons que c’est entre Ifrane et Aït Ouchi (qui se partagent l’eau de
l’assif selon un tour d’eau) que les conflits sont fréquents.

84
2.1.4 Le secteur (D) : de Aït Oughral à Tadrouit
(a) Absence de tour d’eau avec les douars d’amont :

Les trois douars Aït Wanoughdal ne disposent d’aucune source propre réalimentant l’assif. Ils
dépendent, de ce fait, entièrement des douars d’amont pour leur alimentation en eau
d’irrigation et pourtant il n’existe aucun tour d’eau entre eux et les douars Aït Hakim en
amont. Cette situation d’absence de tour d’eau est, nous le verrons, à la base de tous les
conflits qui éclatent entre les douars Aït Wanoughdal et les douars Aït Hakim.
(b) Le tour d’eau entre les Aït Wanoughdal : le 2 - 4 - 2

L’esprit communautaire fort des Aït Wanoughdal dont nous parlions tantôt prend toute son
importance ici. Les trois douars, habitués à gérer les situations de raréfaction de l’eau, ont mis
en place le tour d’eau suivant sur l’assif :
deux jours pour Aït Oughral,
quatre jours pour Aït Sallam,
deux jours pour Tadrouit.
Au sein de chaque douar, en période de raréfaction, l’eau est distribuée entre les canaux
Ougoug par Ougoug mais pas systématiquement d’amont en aval comme c’est le cas dans le
secteur (C). Un tirage au sort est effectué pour déterminer le sens de l’alimentation des canaux
et de l’irrigation des parcelles (qui peut se faire d’amont en aval ou d’aval en amont). En
période d’abondance de l’eau, chaque douar ouvre l’ensemble de ses Ougougs en même
temps, mais seulement dans son tour d’eau.
Conclusion : des tours d’eau inter-douars peu respectés
En amont, les quatre douars ont bien mis en place des règles communes de gestion de la rareté
mais tout porte à croire qu’elles sont peu respectées puisque Ighirine et Iglouane accusent
toujours Aït Ouham de profiter de sa situation en amont du réseau pour procéder, nuitamment,
à des coupures d’eau et des transferts d’eau vers Aït Issa Ou Ali.
Dans le secteur(C), un tour d’eau existe entre Ifrane et Aït Ouchi mais pas entre Ifrane et
Taghoulit. Au sein de chaque douar, l’eau est repartie entre les canaux d’amont en aval.
Chez les trois douars Aït Wanoughdal, habitués à la gestion de la rareté, l’eau de l’assif est
répartie entre les trois douars selon un tour d’eau simple (le 2-4-2).
Dans tous les cas, cette distribution de l’eau de l’assif entre les canaux fait ressortir un aspect
important de la gestion de l’eau : à l’échelle du territoire des Aït Hakim, il n’existe aucune
règle commune régissant l’utilisation de l’eau de l’assif entre les 11 douars. Les tours d’eau
qui existent entre certains douars sont peu respectés. Il en résulte des situations fréquentes de
conflits entre les douars voisins pendant les périodes de raréfaction de l’eau.

85
2.2 LA DISTRIBUTION DE L’EAU DES CANAUX ENTRE LES PARCELLES : LES
TOURS D’EAU INTRA-DOUAR

Introduction :
Dans la vallée des Aït Hakim, on distingue quatre modes principaux de répartition de l’eau
entre les parcelles, le long d’un canal : la distribution selon le premier arrivé, la distribution
prise par prise, la distribution entre quartiers et la distribution entre familles (ou lignages).
L’utilisation de l’un ou l’autre de ces modes de distribution de l’eau est contextuelle et dépend
des ayants droit de chaque canal qui en fixent les règles et les modalités selon les périodes
(raréfaction ou abondance de l’eau) :
2.2.1 Le "premier arrivé" ou absence de tours d’eau :
Le "premier arrivé" est le mode de répartition de l’eau le plus fréquent sur les canaux intra-
douar. Utilisé par tous les douars en période d’abondance de l’eau, il consiste à laisser aux
ayants droit d’un canal une liberté totale quant aux moments d’irriguer leurs parcelles. Le
premier agriculteur arrivé sur le périmètre irrigue toutes ses parcelles et passe ensuite l’eau au
suivant, arrivé juste après lui. L’eau est ainsi distribuée entre les parcelles tout au long d’un
canal sans observer un ordre particulier et sans aucune restriction sur les durées d’irrigation
puisque, selon les agriculteurs, les quantités importantes d’eau garantissent l’accès à l’eau à
tous les ayants droit quel que soit le moment où ils se présentent sur le périmètre irrigué.
2.2.2 La distribution prise par prise (Assemdi’s Assemdi) :
La distribution de l’eau prise par prise se rencontre surtout dans le secteur (C) d’Ifrane à
Taghoulit pendant les périodes de relative abondance de l’eau. Pour comprendre ce type de
répartition de l’eau, il faut se souvenir que chaque agriculteur ou (groupe d’agriculteurs)
possède sur le canal primaire des prises secondaires (Assemdi) qui permettent d’irriguer les
parcelles directement à partir du canal primaire ou indirectement par l’intermédiaire de
canaux secondaires ou tertiaires.
La distribution prise par prise consiste à accorder l’eau à ces prises généralement, d’amont en
aval, tout le temps nécessaire pour l’irrigation des parcelles qu’elles dominent. Les ayants
droit se succèdent ainsi pour l’irrigation tout au long du canal. Lorsque l’eau vient à manquer
alors même que toutes les parcelles n’ont pas été irriguées, à la prochaine disponibilité de
l’eau dans le canal, l’irrigation reprend exactement là où elle s’est arrêtée.

Schéma 3 : Distribution prise par prise

86
Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations

2.2.3 La distribution entre quartiers ou Dart :


(a) Essai de définition de la Dart :

En Tachelhit, le terme Dart ou Dairat (pluriel Darat) signifie quartier ou cercle. Au cours de
nos entretiens, il est ressorti que, de Aït Ouham jusqu’à Ait Ouchi, les parcelles sont
organisées le long de certains canaux en sept Darat (six dans un seul cas). A chaque Dart est
attribué, en général, un temps d’irrigation d’un jour et d’une nuit (24 heures). Nous avons,
cependant, trouvé à Ifrane sur le canal Imjoujoua une Dart inter-douars (Aït Ouchi et Ifrane)
irriguée pendant deux jours et deux nuits (48 heures) et quelques petites Darat irriguées en
une demie journée (12 heures).
Une Dart peut donc être définie comme un bloc de parcelles, appartenant à un nombre plus ou
moins important de familles d’un même douar ou de douars différents, auquel est attribué un
temps d'irrigation allant de 12 heures à 48 heures (le cas le plus fréquent étant 24 heures).
Que l’on soit en période abondance ou de raréfaction de l’eau, le long d’un canal (surtout s’il
est inter-douar), l’eau est distribuée d’amont en aval, dans un ordre fixe, entre les sept Darat.
Les tours d’eau commencent le vendredi et se terminent jeudi. Les heures des prières sont
utilisées comme repères.
Tableau 6 : Répartition des Darat sur les canaux : Tin Oussamar et Tin Ouammass

Canal Tin Ouammass : Ifrane et Aït Ouchi

Dart Tamps d’irrigation Douars

4 Darat Du Dohr du mardi au Dohr du vendredi Aït Ouchi

3 Dart Du Dohr du vendredi au Dohr du mardi Ifrane

87
Canal Tin Oussamar : Aït Ouham, Iglouane et Ighirine

Dart Tamps d’irrigation Douars

1ère Dart : Ighboula Maghrib Jeudi au Maghrib du vendredi

2ème Dart : Tighdouine Du Maghrib du vendredi au Maghrib du samedi


Aït Ouham
3ème Dart : Id M’hand Du Maghrib du samedi au Maghrib du dimanche

4ème Dart : Daou’Route Du Maghrib du dimanche au Maghrib du lundi

Aït Ouham
5ème Dart Du Maghrib du lundi au Magrib du Mardi
et Iglouane

6ème Dart Du Maghrib du Mardi au Dohr du Marcredi Iglouane

7ème Dart Du Dohr du Mercredi au Maghrib du Jeudi Ighirine

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations


Schéma 4 : Distribution de l'eau entre quartiers

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations

(b) Répartition de l’eau au sein des Darat :

Au sein d’un quartier, la distribution de l’eau se fait toujours prise par prise (Assemdi’s
Assemdi). On peut, cependant noter selon les douars, quelques particularités d’organisations et
de gestion selon les disponibilités en eau dans le réseau d’irrigation :

(i) Assemdi’s Assemdi avec ordre de succession fixe :


Cette variante de l’Assemdi’s Assemdi se rencontre dans les Darat de Aït Ouham, Ighirine,
Ifrane et Aït Ouchi. Dans ces douars, l’irrigation se fait Assemdi’s Assemdi d’amont en aval
du quartier. En période de rareté, il est fréquent que toutes les parcelles d’un quartier ne soient
pas irriguées dans un même tour d’eau. Dans ce cas, les parcelles non irriguées seront
prioritaires lors du tour d’eau de la semaine suivante, toujours en suivant le même ordre
d’irrigation. En période d’abondance, l’Assemdi’s Assemdi qui est adoptée dans les quartiers
est très proche de la distribution selon le "premier arrivé". En effet, à la grande flexibilité de
l’ordre de succession des parcelles, est associée une grande souplesse sur les durées

88
d’irrigation des parcelles. C’est cela qui fait dire à certains agriculteurs d’Iglouane : "quand il
y a beaucoup d’eau Daou Tergouine56, on irrigue comme on veut dans les Darat".

(ii) Assemdi’s Assemdi avec ordre de succession déterminé par tirage au sort :
Le douar Iglouane est sans doute le douar le plus spécialisé dans l’irrigation par Dart.
L’ensemble des parcelles, sur tous les canaux principaux, est organisé en quartiers dans
lesquels l’irrigation se fait Assemdi’s Assemdi. Un tirage au sort est toujours effectué entre les
agriculteurs pour déterminer l’ordre de succession des parcelles. L’irrigation peut ainsi se
faire d’amont en aval ou vice-versa. Dans tous les cas, l’irrigation ne se fait jamais dans le
même sens. Si le premier tirage au sort désigne un agriculteur d’amont, l’irrigation se fera
d’amont en aval, mais la semaine suivante, le tirage au sort est systématiquement organisé
entre les agriculteurs d’aval pour que l’irrigation se fasse d’aval en amont du quartier. Dans
les années où la rudesse de la sécheresse provoque l’arrêt de l’irrigation (pour manque d’eau)
pendant un certain temps (souvent jusqu’à trois semaines), au sein de chaque quartier, une
certaine priorité est accordée aux parcelles qui ont subi un trop fort stress hydrique. En effet,
dès que l’eau est à nouveau disponible, elle est repartie entre les parcelles selon le temps
qu’elles ont passé sans être irriguées. Ainsi, au sein d’une Dart, l’eau est accordée à trois
groupes distincts de parcelles, selon l’ordre de priorité suivant :
1. les parcelles qui n’ont pas été irriguées depuis trois semaines ou plus,
2. les parcelles qui n’ont pas été irriguées depuis deux semaines,
3. les parcelles qui n’ont été irriguées depuis une semaine.
Dans les trois cas, un tirage au sort est chaque fois effectué entre les agriculteurs pour
déterminer l’ordre de succession des parcelles.
Schéma 5 : Fonctionnement des quartiers d'irrigation

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations

56
Daou Tergouine: littéralement sous les canaux. Cette expression désigne le périmètre irrigué.

89
2.2.4 La distribution de l’eau entre famille ou Ighs : cas de
Zaouit Alemzi
La distribution entre Ighs se retrouve à Zaouit Alemzi et à Ifrane. Etant donné le choix que
nous avons fait de détailler plus tard le système d’irrigation d’Ifrane, seul le cas du douar
Zaouit Alemzi sera exposé ici.
(a) Le fonctionnement lignager à la base du premier
partage de l’eau :

Zaouit Alemzi est une ancienne communauté religieuse fondée par neuf lignages de base
autour desquels se structure, encore aujourd’hui, toute la vie sociale. Selon les anciens de
Zaouit Alemzi, chaque lignage avait ses parcelles groupées en un seul endroit du périmètre.
Quand la source Aghbalou-n-Taghfist fut découverte et captée par le canal Targa-n-Taghfist,
chaque lignage s’est vu attribuer un temps d’accès à l’eau d’une journée et d’une nuit (24
heures) pour l’irrigation de toutes ses parcelles (sans lien avec la superficie possédée par ce
lignage). Le douar voisin Aït Ouham (dont le canal Tin Oussamar reçoit les surplus du canal
Trga-n-Taghfist) a bénéficié de deux journées et d’une nuit d’irrigation (rappelons que les Aït
Zaouit Alemzi se sont très tôt associés aux Aït Ouham pour la gestion des terres bour de
Tikojine situées sur le Plateau d’Izughar).
(b) Le fractionnement des lignages et la création des
Tiremt :

Avec le fractionnement des lignages en familles, un second partage de l’eau a été effectué. Il
attribue aux familles issues de chaque lignage des temps d’accès à l’eau plus petits appelés
Tiremt. Les Tiremt sont en fait le résultat d’une simple division du jour d’irrigation initial de
chaque lignage (24 heures) en trois temps d’accès à l’eau : de 8h du matin à 13h, de 13h à
Maghrib (prière du crépuscule) et de Maghrib à 8h du matin.
Les agriculteurs qui bénéficient d’un même Tiremt font l’irrigation d’amont en aval, selon la
succession topographique des parcelles (Igeurd’s Igeurd : champ par champ) ou selon des
compromis particuliers (ils peuvent, par exemple, décider ensemble en temps de raréfaction
de l’eau, de n’irriguer que les cultures qu’ils jugent prioritaires). Lorsque le groupe
d’agriculteurs est d’origine assez diverse57, un tirage au sort peut être effectué pour définir
l’ordre de succession des parcelles.
Quel que soit le mode de répartition de l’eau décidé par les agriculteurs pendant leur Tiremt,
le groupe d’agriculteurs ne bénéficie jamais du même Tiremt au cours de deux tours d’eau
successifs. En effet pour le groupe d’agriculteurs, si dans le tour d’eau en cours l’irrigation
s’est faite dans le Tiremt du matin (de 8h à 13h), elle se fera onze jours plus tard dans le

57
Rappelons que les transactions de terres ont introduit dans les Tiremt de certaines familles plusieurs
agriculteurs étrangers (d’une autre famille du douar ou carrément d’un autre douar).

90
Tiremt de l’après-midi (de 13h à Maghrib), puis onze plus tard dans le Tiremt de nuit (de
Maghrib à 8h).
(c) Cas de la famille maraboutique : les Imgharn58

Un tableau en annexe 6 reprend les détails de la distribution de l’eau pour les neuf lignages de
Zaouit Alemzi. En guise d’exemple, nous ne détaillons que le cas de la famille maraboutique.
Lorsque le premier partage a été effectué entre les neuf lignages fondateurs du douar, étant la
famille des saints, les Imgharn ont bénéficié du premier jour du tour d’eau. Pendant cette
journée, tous les agriculteurs ou les ménages (Takât) de la famille irriguaient leurs parcelles
selon la succession topographique (Igeurd’s Igeurd).
Avec le temps, le lignage des Imgharn a donné naissance à trois familles distinctes : les Aït
Taaza (5 ménages), les Aït Benhaçaïn (3 ménages) et les Imgharn (qui ont conservé le nom
et le rôle du lignage des saints). C’est à partir de là que survint (au cours de Siba, selon les
anciens) le second partage qui va attribuer à chacune de ses familles un Tiremt (division en
trois parts égales du premier jour du tour d’eau). Donc aujourd’hui, lorsque le tour d’eau
commence, les trois familles irriguent leurs parcelles selon l’ordre suivant :
1. les cinq ménages Aït Taaza dans le Tiremt du matin,
2. les trois ménages Aït Benhaçaïn dans le Tiremt de l’après midi,
3. la famille Imgharn dans le Tiremt de la nuit.
A chaque tour (11 jours), une rotation est effectuée entre les agriculteurs des trois familles de
façon à ce qu’en trois tours (33 jours) chaque famille puisse utiliser les trois Tiremt.
2.2.5 Conclusion : des modes dedistribution de l’eau adaptés à
des situations différentes
La classification des tours d’eau dans les systèmes gravitaires (voir figure en annexe 2)
réalisée par GILO LUC et RUF THIERRY (1998) apporte une grande contribution à la
compréhension des quatre modes de distribution de l’eau que nous venons de décrire. Selon
cette classification, nous pouvons repartir en deux grandes familles les quatre modes de
distribution :
1. la rotation souple : le premier arrivé et la distribution prise par prise,
2. la rotation rigide : la distribution par quartiers ou par familles.
(a) Les rotations souples :

Les rotations souples sont fréquemment utilisées en période d’abondance de l’eau. Elles
s’apparentent à ce que GILO et RUF qualifient de "distribution à volonté". En effet, les
agriculteurs ont la possibilité d’utiliser la quantité d’eau qu’ils veulent et quand ils veulent. Ce
type de distribution, même s’il a l’avantage d’être très souple, conduit très souvent à la

58
Imgharn : terme Tashelhit signifient Saint

91
pratique de la sur-irrigation puisque les agriculteurs considèrent qu’il y a suffisamment d’eau
pour tout le monde et que cette pratique ne prive personne de son tour d’eau. On verra
d’ailleurs que les conflits sont beaucoup plus fréquents entre les ayants droit des canaux qui
fonctionnent sous ce mode de partage de l’eau. En période de d’étiage de l’assif, la
distribution prise par prise d’amont en aval pose le problème de l’inégalité d’accès à l’eau. En
effet, ceux qui ont leurs parcelles en aval des canaux peuvent attendre plusieurs jours pour
avoir l’eau. Généralement, ils sont aussi victimes des coupures d’eau en amont.
(b) Les rotations rigides :

Les rotations rigides ne présentent aucune flexibilité sur les moments et les durées d’irrigation
des parcelles. Les parcelles sont toujours irriguées selon un ordre fixe ou déterminé par tirage
au sort. L’agriculteur qui rate son tour d’eau doit attendre le tour prochain où il aura la priorité
pour irriguer ses parcelles.
Dans le cas de la distribution entre quartiers, la taille des quartiers d’irrigation est assez
variable : cela peut varier du simple au triple. Lorsque les ayants droit des petits quartiers
finissent l’irrigation avant la fin du temps qui leur est imparti, ils ne passent pas l’eau tout de
suite aux grands quartiers, ils préfèrent plutôt irriguer des pâturages ou des prairies. Ce
comportement se justifie, selon les propriétaires des petits quartiers, par le fait que les
arrangements sont souvent mal interprétés et se transforment vite en règles. On retrouve ainsi
des quartiers qui sont irrigués en un seul tour d’eau et des quartiers qui le sont en trois tours
d’eau. La distribution entre quartiers fixe l’espace irrigué par chaque canal. Théoriquement, il
n’est permis d’irriguer que les parcelles du quartier pendant le temps accordé à ce quartier
quoi que certains agriculteurs trouvent toujours le moyen de faire sortir l’eau du quartier.
Dans le cas de la distribution entre familles, les familles peuvent amener l’eau là où elles
veulent (le long d’un même canal) pourvu qu’elles ne dépassent pas le temps imparti. Un
avantage de ces rotations rigides, c’est de permettre, en période de raréfaction de l’eau, à
chaque quartier ou à chaque famille d’avoir l’eau au moins une fois par semaine (même si les
débits sont très faibles). Les coupures d’eau sont assez rares dans les cas des rotations rigides.
2.3 LE CONTROLE DE LA DISTRIBUTION DE L’EAU :

La Taqbilt de douar, assemblée de tous les chefs de foyer, est l’instance locale qui garantit les
droits d’eau de chaque agriculteur et qui désigne les personnes (Naïb, Amghar-n-lajmaât,
Amassaye..) chargées de veiller au respect des tours d’eau. C’est aussi elle qui contacte
généralement les institutions makhzeniennes lorsqu’un individu ou un groupe d’individus du
douar refuse de respecter les règles collectives de partage de l’eau. Il va s’en dire que la
Taqbilt de douar est l’autorité hydraulique qui régule et contrôle la distribution de l’eau.
Le contrôle de la distribution de l’eau est donc social et se fait entre agriculteurs, membres de
la Taqbilt, ayant des parcelles ou des quartiers d’irrigation contigus.
Dans le cas de l’irrigation à volonté, selon le premier arrivé, le contrôle est moins rigide. Le
contexte d’abondance de l’eau permet à chaque ayant droit d’un canal d’irriguer toutes ses

92
parcelles quel que soit le moment où il se présente sur le périmètre. Si le second arrivé
patiente jusqu’à ce que le précédent termine l’irrigation de toutes ses parcelles dominées par
le canal, il ne lui permet cependant toujours pas de garder l’eau plus de temps qu’il ne le faut.
Il la réclame dès qu’il juge que tout arrosage supplémentaire serait de la sur-irrigation. En
général, l’eau est libérée sans problème.
L’irrigation prise par prise est sans doute le cas où le contrôle est le plus rigide. En effet, la
plupart des agriculteurs qui ont leurs parcelles dominées par le canal sont présents dès le
début de l’irrigation. L’agriculteur dont la parcelle suit celle qui est irriguée présentement
commence à insister pour que l’eau soit libérée dès qu’il estime que l’irrigation est terminée.
Si l’agriculteur ne libère pas l’eau, le suivant peut aller lui-même dévier l’eau vers sa parcelle
(surtout dans les cas où l’irrigation se fait d’aval en amont). Chaque agriculteur se voit ainsi
harceler par son voisin jusqu’à ce que toutes les parcelles soient irriguées.
Pour ce qui est de l’irrigation par quartier, dès que le temps imparti à un quartier est épuisé,
l’agriculteur qui possède la première parcelle, en amont du quartier suivant, dévie l’eau vers
ce quartier. Au sein de chaque quartier, le contrôle de la distribution est similaire à ce qui se
fait dans le cas de l’irrigation à volonté (en période de raréfaction de l’eau) ou dans le cas de
l’irrigation prise par prise (en période d’abondance d’eau).
L’établissement d’un contrôle social, entre agriculteurs s’explique, d’une part par le fait que
les personnes désignées par la Taqbilt pour veiller au respect des règles communes de partage
de l’eau ne sont pas toujours présentes sur le périmètre irrigué quand l’irrigation a lieu (ayant
elles-mêmes d’autres occupations). D’autre part, on a vu qu’en amont de la vallée des Aït
Hakim, de plus de plus de douars renoncent à désigner des Naïbs.
Il faut, cependant, noter que pendant les périodes de pression sur l’eau (périodes de sécheresse
et de secondes cultures d’été) et dans les zones de tensions sur l’eau (aval du réseau), le
contrôle est plus formalisé et plus institutionnalisé avec présence et intervention, selon les cas,
d’un Naïb, d’un Amghar-n-lajmaât ou d’un Amassaye. Le contrôle est d’autant plus sévère
que le recours au caïdat et au LHakem est fréquent avec des amendes qui varient de 100 à 500
dirhams selon la gravité de la faute.
CONCLUSION :

L’eau peut être repartie entre les douars selon des tours d’eau hebdomadaires qui attribuent
l’eau à chaque douar pendant un certain nombre de jours ou sans aucun tour d’eau. Lorsqu’il
n’y a pas de tour d’eau, les agriculteurs d’amont ne laissent l’eau à l’aval que lorsqu’ils jugent
que toutes leurs parcelles sont suffisamment irriguées. On peut aisément imaginer les conflits
fréquents qui découlent de cette situation.
Au sein d’un douar, la répartition de l’eau entre les canaux est différente selon que l’on soit en
abondance ou en raréfaction de l’eau. En abondance, tous les canaux fonctionnent en même
temps. En rareté, les canaux sont alimentés prises par prise d’amont en aval.

93
Le long des canaux, l’eau est distribuée entre les parcelles selon quatre modes : le premier
arrivé qui correspond à une absence de tours d’eau, la distribution prise par prise, la
distribution entre quartiers et la distribution entre familles. Chaque type de distribution est
adapté à des situations particulières.
Le contrôle de la distribution est assuré par un Naïb désigné chaque année par la Taqbilt de
douar. Un contrôle social s’établit aussi entre agriculteurs voisins qui veillent à ce que celui
qui a le tour libère l’eau à temps et ne s’adonne pas à la sur-irrigation.
3. LA MAINTENANCE DES INFRASTRUCTURES D’IRRIGATION :
INTRODUCTION :

Nous avons signalé qu’en contrepartie des droits d’eau qu’il possède, chaque ayant droit doit
fournir un travail annuel d’entretien des infrastructures d’irrigation. C’est pour lui, non
seulement, le moyen de mériter la part d’eau qui lui est attribuée, mais aussi d’affirmer son
appartenance à une communauté d’agriculteurs (MATHIEU et al., 2001).
Dans un premier temps, nous exposons les règles d’entretien des canaux telles qu’elles nous
ont été rapportées par les agriculteurs. Dans un second temps, nous les analyserons à la
lumière des pratiques que nous avons pu observer lors du déroulement des travaux d’entretien
3.1 LES REGLES D’ENTRETIEN DES CANAUX :

3.1.1 Période et fréquence des travaux :


Les travaux d’entretien des canaux se font une fois par an et débutent juste après le labour des
champs (en général fin février). Leur durée dépend de l’état de dégradation des canaux à curer
et du temps qu’il fait (le froid est intense en février). Les travaux sont refaits chaque fois qu’il
y a des intempéries qui détruisent les canaux (ce qui est assez fréquent).
3.1.2 La participation aux travaux :
Nous avons vu que tout au long du périmètre irrigué, plusieurs douars peuvent partager les
mêmes canaux d’irrigation. On pourrait croire que l’entretien de ces canaux incombe donc à
l’ensemble des ayants droit de ces canaux. Il n’en est pourtant rien en amont du réseau. Dans
cette zone, ce sont les douars en aval des sources d’eau et des canaux qui s’occupent de
l’entretien des canaux et des Ougougs. C’est peut-être pour eux un moyen d'affirmer un droit
d'usage sur ces canaux et une contrepartie de l'usage de l'eau de la source d'un douar en amont
(RIAUX, 2003).
(a) De Aït Ouham à Ighirine :

Les canaux principaux que partagent les quatre douars ont tous leurs prises situées à Aït
Ouham. Ce sont donc les agriculteurs d’Iglouane et d’Ighirine qui entretiennent les trois
canaux principaux de rive droite et avec les agriculteurs d’Aït Issa Ouali, les deux canaux
principaux de rive gauche. Les agriculteurs d’Ighirine et d’Iglouane ont d’ailleurs une phrase

94
très célèbre pour illustrer cette situation : "Ighirine et Iglouane nettoient les canaux, Aït Issa
Ou Ali les aide sur la rive gauche, Aït Ouham joue toujours les spectateurs".
(b) De Aït Ouchi à Tadrouit :

Les règles sont quelques peu différentes. Tous les douars qui utilisent les canaux participent à
leur curage. De Aït Ouchi à Taghoulit, les travaux se font collectivement pour certains canaux
et individuellement pour d’autres. Chez les Aït Wanoughdal (de Aït Oughral à Tadrouit),
chaque agriculteur s’occupe des tronçons situés en regard de ses parcelles.
Dans tous les cas, c’est au douar d’aval qu’il revient d’entretenir la tête morte et l’Ougoug du
canal, de décider de la date de démarrage des travaux et d’en informer son voisin d’amont.
Dans l’ensemble du périmètre, tous les agriculteurs ne participent pas aux travaux de
maintenance de tous les canaux. Si chaque ménage est tenu de fournir une personne, c’est
uniquement pour participer au nettoyage des canaux qui irriguent les parcelles de ce ménage.
Les ménages qui ne fournissent personne pour l’entretien des canaux doivent payer une
amende de 35 à 40 dirhams qui serviront à rémunérer l’ouvrier que le Naïb ou le Moqadem-n-
Targa aura employé pour faire leurs parts de travail. En cas de refus de s’acquitter de cette
amende, les absents se verront convoquer au caïdat où ils paieront le double.
3.2 DEROULEMENT DES TRAVAUX :

3.2.1 Dans les secteurs (A), (B) et (C) :


Il est important de signaler, dès ici, que durant l’entretien des canaux, nous n’avons vu les
agriculteurs du douar Aït Ouham participer qu’aux travaux de leur canal privatif Tin Oukbou,
situé sur la rive gauche de l’assif. Ce qui confirme la règle qui veut que seuls les douars d’aval
participent aux travaux d’entretien des canaux inter-douars.
Les travaux d’entretien ont débuté, comme prévu, vers fin février et se sont étendus sur près
de deux semaines. Dès 8h du matin, chaque agriculteur concerné par les travaux du "canal du
jour" est assis devant sa parcelle en aval du canal en attendant "l’arrivée des travaux". Chaque
agriculteur ne participe, en effet, qu’aux travaux du tronçon situé entre sa parcelle la plus en
aval du canal et l’Ougoug du canal.
Ce sont donc les agriculteurs propriétaires des dernières parcelles irriguées par le canal qui
donnent le coup d’envoi des travaux. Au fur et à mesure qu’ils avancent, ils sont rejoints par
les autres agriculteurs mais seulement quand "les travaux arrivent" au niveau de leurs
parcelles. Ainsi, au moment d’entamer la tête morte du canal, tous agriculteurs ayant au moins
une parcelle irriguée par le canal sont présents sur le chantier.
Les participants aux travaux arrivent sur le périmètre, munis d’une sape, d’une pelle et d’un
panier. La sape sert à creuser dans le canal, la pelle et le panier à ramasser les déblais. Le fait
que ces déblais doivent toujours être jetés sur la terrasse au dessus canal et non en bas
augmente considérablement la pénibilité des travaux. Et pour ceux qui ne respectent pas cette
consigne, les agriculteurs propriétaires des parcelles situées en bas du canal sont là pour les

95
rappeler à l’ordre : "nos parcelles ne sont pas des dépotoirs, les déblais doivent être
entreposés sur la terrasse au dessus du canal car c’est de là qu’ils viennent" insistent-ils
bruyamment.
Photographie 10 : Travaux d'entretien du canal Tassemelilt

Source : ELGUEROUA (2004)

3.2.2 Dans le secteur (D) :


Chez les Aït Wanoughdal, les règles énoncées sont effectivement mises en pratique. Lors de
l’entretien des canaux nous avons pu voir chaque agriculteur s’occuper du nettoyage du
tronçon de canal en regard de sa parcelle, selon les mêmes techniques que ci-haut (utilisation
de sape, de pelle et de panier). Les Amassaye et les Amghar-l-jmaât, présents sur le chantier,
contrôlent le travail de chaque agriculteur et établissent une liste de tous les absents.
3.3 LA SUPERVISION DES TRAVAUX :

Dans les secteurs (A), (B) et (C), nous avons pu noter la présence sur le chantier de quatre
personnes particulières (trois désignées par la Taqbilt et une mandatée par le caïdat) qui, de
part les rôles très importants qu’elles détiennent, assurent le bon déroulement des travaux :
le Naïb-n-Taqbilt : chargé de la supervision générale des travaux et du règlement de
tous les petits problèmes qui peuvent apparaître entre les agriculteurs,
le Moqadem-n-Targua : est toujours à la tête de la file. Il mesure la distance à curer par
chaque agriculteur à l’aide d’un bâton de 1,5m de longueur qu’il quitte rarement. Il consulte
très fréquemment le Morakib avant d’attribuer aux agriculteurs de nouveaux tronçons à curer.
le Morakib des travaux : Il contrôle le travail effectué par chaque agriculteur. Il
verbalise fréquemment ceux qui ne travaillent pas correctement et leurs demande même
certaines fois de revenir sur le tronçon qu’il juge mal curé. Il arrive donc que quelques
agriculteurs traînent loin, derrière la file. En ce moment, le Morakib demande au Moqadem-
n-Targua d’arrêter d’attribuer de nouveaux tronçons à curer jusqu’à ce que les retardataires
rejoignent le reste du groupe. Certaines fois, le Morakib ne se rend compte de la mauvaise
qualité d’un travail que longtemps après que les agriculteurs soient passés. Dans ces cas, il
demande après celui qui était chargé du nettoyage de ce tronçon. Ce dernier peut se déclarer
spontanément, sinon il est dénoncé par un autre agriculteur. On peut ainsi remarquer que les

96
agriculteurs voisins se verbalisent fréquemment et se dénoncent mutuellement chez le
Morakib pour un travail mal fait. Il faut aussi noter que certaines fois, devant un travail mal
fait, personne ne se déclare et aucune dénonciation n’est faite, c’est le Mourakib lui-même
qui se charge alors de revenir sur le tronçon mal nettoyé.
le Moqadem du caïdat : présent sur le chantier dès le début des travaux, il reste jusqu’à
ce que la tête morte du canal soit atteinte. C’est seulement en ce moment qu’il note sur une
liste les noms des absents que le Naïb lui communique. Cette liste sera ensuite déposée au
caïdat et servira de base d’arbitrage dans les cas où des absents refuseraient de s’acquitter de
l’amende décidée par la Taqbilt.
CONCLUSION :

On distingue deux aspects dans les règles d’entretien des canaux : dans les zones où des
douars d’aval utilisent l’eau d’une source considérée comme propriété de l’amont, les douars
d’aval sont les seuls à participer à l’entretien des infrastructures. On retrouve ce cas entre les
quatre douars d’amont et entre Aït Oughral et Taghoulit. Dans les territoires d’aval,
l’ensemble des usagers participe à l’entretien des canaux.
Il est important de signaler que les règles d’entretien des canaux sont rigoureusement
respectées. Des personnes sont désignées par les Taqbilt pour surveiller les travaux et veiller à
ce que chaque agriculteur fasse correctement sa part de travail.
4. LES CONFLITS LIES A LA DISTRIBUTION DE L’EAU :
INTRODUCTION :

Nous avons choisi de terminer notre étude du système d’irrigation des Aït Hakim par l’exposé
de trois conflits inter-douars majeurs qui, à notre avis, illustrent assez bien toute la diversité et
la complexité des problèmes de la gestion de l’eau et des relations qui se construisent entre les
douars tout au long de l’assif. Dans un premier temps, nous exposons simplement les conflits
en insistant sur les raisons qui les ont déclenchés et les acteurs qui y ont été impliqués. Dans
un second temps, nous ferons une analyse de ces conflits en insistant sur les stratégies des
différents acteurs et les imbrications institutionnelles.
On peut regrouper les conflits liés à la gestion de l’eau en deux grandes catégories :
4.1 LES CONFLITS MINEURS (INTRA-DOUAR):

Ce type de conflits survient au sein des douars surtout en période de raréfaction de l’eau où
les arrangements mis en place lors des périodes précédentes d'abondance d’eau deviennent de
plus en plus intolérables. Les désaccords interpersonnels dus à des retards de libération de
l’eau ou à des coupures d’eau lors de l’irrigation (surtout dans les rotations souples où les
durées d’irrigation ne sont pas contrôlées) sont alors très fréquents et peuvent rapidement
dégénérer en affrontements. Les agriculteurs qualifient, cependant, ces désaccords de "petits
problèmes du douar". Il faut dire aussi qu’ils dépassent rarement le cadre villageois. Le
recours au caïdat est considéré comme une solution extérieure aux affaires internes du douar.

97
Dans la plupart des cas, ces problèmes sont donc réglés à l’amiable grâce aux bons offices
d’un Naïb, d’un Amassaye, d’un Amghar-l-jmaât, d’un imam ou de toute la Taqbilt réunie. Le
coupable s’en sort généralement avec une blâme ou une amende. Le recours au caïdat n’est
envisagé que lorsque qu’aucun terrain d’entente n’a pas pu être trouvé entre les protagonistes.
4.2 LES CONFLITS MAJEURS (INTER-DOUARS) :

Ces conflits surviennent en période de raréfaction de l’eau et se manifestent à deux niveaux :


4.2.1 Entre les deux fractions :
Les conflits qui éclatent entre les deux fractions sont dus principalement à l’absence de tours
d’eau sur l’assif entre les douars d’amont (la fraction des Aït Hakim : lieu de concentration et
d’appropriation de l’eau) et les douars d’aval (la fraction des Aït Wanoughdal : lieu d’une
constante pénurie d’eau d’irrigation).
4.2.2 Entre les douars au sein d’une fraction :
Les conflits peuvent aussi opposer des douars au sein de la même fraction comme ce fut le
cas en 1953 entre Ighirine et Aït Ouchi (lorsque Ighirine a tenté s’approprier toutes les eaux
de la source Aghbalou-n-Ikiss) ou en 1980 entre Aït Ouham et Ighirine (quand Aït Ouham a
coupé l’eau et que Ighirine a répliqué en interdisant l’accès de la forêt Ikiss aux Aït Ouham).
4.3 QUELQUES CAS DE CONFLITS INTER-DOUARS :

4.3.1 Conflit Aït Oughral-Taghoulit : opposition inter-fractions


(a) Le lieu du conflit : une zone de tension sur l’eau

Lorsque nous avons effectué le zonage hydraulique, nous avons expliqué que si les relations
inter-douars étaient moins conflictuelles à l’intérieur des secteurs hydrauliques définis, il n’en
est rien à leurs frontières (que nous avons appelées "zones tampons"). Les deux douars Aït
Oughral et Taghoulit protagonistes de ce conflit sont à la frontière entre les deux fractions
opposées et aussi la limite de deux secteurs (C) et (D). On peut aisément imaginer que toutes
les tensions entre les deux fractions s’expriment à travers les relations que ces deux douars
entretiennent (avec Aït Oughral représentant les Aït Wanoughdal et Taghoulit les Aït Hakim).
(b) Le contexte du conflit : période de tension sur l’eau

En 1994, une sécheresse estivale assez importante a touché toute la vallée des Aït Hakim. Le
manque d’eau a atteint son point culminant au mois de juillet, moment justement où les
deuxièmes cultures (destinées à la vente) ont le plus besoin d’irrigation. Selon certains
témoignages, à l’époque toutes les cultures des douars d’aval jaunissaient faute d’irrigation.
C’est dans ce contexte que des représentants des douars Aït Oughral, Aït Sellam et Tadrouit,
accompagnés du caïd et du cheikh des Aït Hakim, se sont rendus un vendredi, après la prière,
à la mosquée de Taghoulit pour demander à toute la Taqbilt réunie de ce douar de laisser
passer un peu d’eau dans l’assif pour leur éviter de perdre toute la récolte. Les Aït Taghoulit
ont donné leur accord et ont assuré les trois douars requérants qu’un peu d’eau sera laissé

98
dans l’assif. Selon plusieurs agriculteurs de Taghoulit, comme promis, un filet d’eau a bien
été laissé dans l’assif mais il ne serait pas arrivé jusqu’à Aït Oughral. Pour le Morcheh
d’Ifrane – Taghoulit, les Aït Oughral, en faisant leur requête, savaient très bien que Taghoulit
lui-même n’avait pas suffisamment d’eau pour irriguer ses propres parcelles.
(c) Le conflit : une façon d’obtenir un tour d’eau

Les Aït Oughral n’ont pas contacté la Taqbilt de Taghoulit pour demander des explications
comme cela est de coutume dans de telles affaires. Ils ne se sont pas non plus plaints auprès
des autorités locales. Forts du soutien du caïd et encouragés par Aït Sellam et Tadrouit, ils ont
directement porté l’affaire devant le tribunal provincial d’Azilal. En se comportant de cette
façon, les Aït Wanoughdal avaient un objectif clair qui s’inscrivait dans une stratégie plus
globale : dans un premier, ils voulaient obtenir un tour d’eau sur l’assif avec Taghoulit et par
là même obliger ce douar à entamer le même type de démarche contre son voisin d’amont le
douar Ifrane. De cette façon, petit à petit, des tours d’eau seraient établis entre tous les douars
le long de l’assif.
Le jugement rendu par le tribunal d’Azilal a été favorable aux Aït Oughral (et par extension
aux Aït Wanoughdal) avec une amende de près de 10.000 Dh infligée à Taghoulit et
l’établissement d’un tour d’eau de six jours : deux jours pour Taghoulit et quatre jours pour
les douars Aït Wanoughdal. Taghoulit n’a jamais respecté ce tour d’eau et a fait appel de cette
décision devant le tribunal régional de Béni Mellal qui n’a fait que reconduire le jugement
précédent. Aujourd’hui, l’affaire a été portée devant la cour suprême de Rabat qui n’a, à ce
jour, pas rendu son verdict (qui sera d’ailleurs définitif).
4.3.2 Conflit Aït Ouchi – Ighirine : à la frontière de deux
secteurs hydrauliques
(a) Les relations inter-douars Ighirine – Aït Ouchi :

Ighirine (secteur B) et Aït Ouchi (secteur C) partagent depuis toujours, selon un tour d’eau,
les eaux des deux canaux Ichou Ali et Tin Ouamass qui ont leurs prises à Timilit, hameau
d’Ighirine qui fait la jonction entre les secteurs (B) et (C). Le tour d’eau entre les deux douars
est résumé dans le tableau suivant :
Tableau 7 : Tours d’eau entre Ighirine et Aït Ouchi

Canaux Douars Tours d’eau

Ighirine Une ½ journée : Jeudi


Ichou Ali
Aït Ouchi Du Vendredi au Samedi plus la ½ journée du Jeudi

Ighirine 1 jour : Du Maghrib de Jeudi au Maghrib de Vendredi


Tin Ouammass
Aït Ouchi 6 jours : Du Maghrib de Vendredi au Maghrib de Jeudi

Source : Elaboration propre d’après enquêtes

99
(b) Objet du conflit : une exploitation anarchique des
sources Ikiss

En plus de ces deux canaux qui les lient, Ighirine et Aït Ouchi ont aussi en commun les
sources Ighboula-n-Ikiss Nouffela et Nouzdir qui sont, elles aussi, situées à Timilit. Ce sont
justement ces sources qui sont l’objet du conflit qui a éclaté entre Ighirine et Aït Ouchi en
1953, sous le protectorat. Si les deux canaux étaient exploités selon un tour d’eau accepté par
les deux douars, il n’en était pas de même des sources Ikiss ; leurs eaux coulaient
principalement dans l’assif Ikiss59 avant de rejoindre ensuite l’assif-n-Aït Hakim à Aït Ouchi
Wahman. Le tracé naturel de cet assif Ikiss (traversant les territoires des deux douars) et la
position même des deux sources ont permis aux agriculteurs des deux douars d’aménager des
canaux qui drainaient une partie des eaux des sources vers leurs parcelles respectives, sans
pour autant que ce partage ne se fasse dans un tour d’eau particulier. C’est cette situation qui a
prévalu sur les sources Ikiss jusqu’en 1953, période de sécheresse relativement importante.
Cette année-là, le douar Ighirine a construit, sans en aviser Aït Ouchi, le canal Daou Timilit
qui déviait toutes les eaux des deux sources Ikiss vers ses parcelles situées sous Timilit. Les
agriculteurs d’Aït Ouchi, surpris de voir leurs parcelles privées d’eau, se sont précipités à
Timilit pour rétablir les connections de leurs canaux sur les sources. Plusieurs témoignages
rapportent que les luttes qui ont éclatées alors entre les agriculteurs des deux douars ont fait
de nombreux blessés.
(c) La résolution du conflit : un processus conflictuel
de négociations60

Après les affrontements entre les agriculteurs des deux douars, le douar Aït Ouchi a dépêché à
Ighirine des "Grands" de sa Taqbilt qui ont eu pour mission de convaincre Ighirine de revenir
à la situation initiale qui a toujours prévalu sur les sources ou de mettre en place un tour d’eau
qui éviterait tout clash entre les deux douars. Vraisemblablement, cette démarche n’a pas été
couronnée de succès puisque les Aït Ouchi ont porté l’affaire devant les autorités coloniales
qui ont alors chargé le caïd d’Aït M’hamed et le capitaine français, chargé de la sécurité de la
zone, de résoudre le problème. Les Chioukh, les Naïbs et les "Grands" des deux Taqbilt ont
été réunis pour trouver une issue à la crise. Après d’intenses négociations, les agriculteurs
d’Ighirine ont fini par accepter l’idée d’un tour d’eau sur les sources. La décision fut d’abord
de conserver seulement deux canaux sur les sources (Tin Aït Ouchi pour Aït Ouchi et Daou
Timililt pour Ighirine) et d’établir ensuite un tour d’eau qui alternerait l’alimentation en eau de
ces deux canaux. Si le principe du tour d’eau a été vite acquis, il n’en a pas été de même du
tour d’eau lui-même. Ighirine mettait en avant le fait que la source se trouve sur son territoire
et réclamait plus de jours d’irrigation. Selon les anciens, même si les Chioukh et le capitaine

59
L’assif Ikiss est l’un des affluents les plus importants de l’assif-n-Aït Hakim. Formé depuis le Jbel Azourki, il
traverse tout le vallon d’Ighirine et rejoint l’assif-n-Aït Hakim au niveau du hameau d’Aït Ouchi (dénommé Aït
Ouchi Wahman) situé sur la rive gauche de l’assif.
60
Terme emprunté à (MATHIEU et al., 2001).

100
français n’ont pas tout à fait forcé la main aux deux douars, c’est quand même eux qui les ont
encouragé à accepter le principe d’une répartition de l’eau selon la superficie que chaque
douar irriguait avec les eaux de la source avant le déclenchement de la crise. Le tour d’eau
suivant a été ainsi établi sur les sources Ikiss : Aït Ouchi a l’eau du Lundi Dohr au Vendredi
Fajr et Ighirine du Vendredi Fajr au Lundi Dohr. Ce partage qui donne cinq jours à Aït Ouchi
et deux jours à Ighirine peut paraître injuste (c’est d’ailleurs le point de vue des agriculteurs
d’Ighirine), mais sur le terrain, on voit qu’il suit bien une certaine logique puisque Aït Ouchi
possède plusieurs parcelles irriguées par les sources alors que Ighirine en possède très peu.
Dans ces conditions, on peut d’ailleurs se demander pourquoi Ighirine a voulu s’approprier
toutes les eaux de la source ? A notre avis, il faut voir en la sécheresse qui prévalait à cette
époque la raison du geste d’Ighirine. Les sources Ikiss, même si elles n’ont pas un débit
important, gardent toujours un peu d’eau même dans les situations d’extrême sécheresse où la
source d’Aït Ouham peut tarir.
4.3.3 Conflits Aït Ouham – Ighirine : deux douars en
perpetuelle opposition
(a) Le non respect des accords d’échange de
ressources :

Le secteur (B) est sans doute le plus complexe tant les parcelles et les canaux des quatre
douars sont imbriqués. Cette situation du périmètre provoque bien sûr plusieurs conflits inter-
douars surtout pour des retards de libération de l’eau et des coupures d’eau en amont. Le
conflit qui nous intéresse ici a pourtant peu à voir avec cette complexité du périmètre irrigué.
Nous avons expliqué, dans la partie consacrée aux tours d’eau inter-douars, comment Ighirine
et Aït Ouham ont conclu un accord d’échange de ressources : Ighirine-Iglouane permettent à
la Taqbilt d’Aït Ouham d’accéder à certaines de leurs forêts en contrepartie de l’eau qu’ils
reçoivent de la source d’Aït Ouham. La plupart du temps, cet accord est respecté par les
douars. Mais il est fréquent que, pour des raisons diverses, l’un ou l’autre de ces douars ne
s’en tienne pas tout à fait aux termes de l’accord, il s’en suit alors des conflits qui peuvent
dépasser le simple cadre du partage des ressources.
(b) Le déclenchement des conflits : une façon de
s’adjuger plus de ressources ?

En 1980, année de sécheresse, c’est à cause d’une dispute survenue sur la forêt Ikiss entre une
femme d’Aït Ouham et une femme d’Ighirine que Aït Ouham a privé d’eau d’irrigation
Ighirine et Iglouane. Bien entendu les raisons de cette coupure d’eau changent selon qu’on
interroge les agriculteurs d’Aït Ouham ou d’Ighirine. Pour les Aït Ouham, Ighirine et
Iglouane ne respectent pas l’accord, leurs femmes empêchent celles d’Aït Ouham de ramasser
tranquillement le bois. Pour Ighirine et Iglouane par contre, les Aït Ouham cherchaient
seulement un moyen pour couper l’eau parce qu’à cause de la sécheresse qui sévissait, ils
voulaient utiliser tout seul toute la ressource en eau disponible. La dispute ente femmes ne fut
donc qu’un prétexte pour s’adjuger toute l’eau disponible dans les canaux.

101
La réaction d’Ighirine et d’Iglouane a été assez violente. Ils ont détruit tous les moulins des
Aït Ouham qui fonctionnaient encore à cette époque. Ils ont aussi empêché tous les camions
et voitures en provenance de Aït Ouham de traverser leurs territoires (les Aït Ouham ont deux
camions qui transportent animaux et récoltes aux souks de Tabant, Azilal et Beni Mellal).
Ce n’est qu’au dernier moment, quand Ighirine et Iglouane ont décidé d’attaquer Aït Ouham,
que le caïd qui siégeait à l’époque à Aït Mhamed est intervenu pour calmer la tension. Les Aït
Ouham ont été sommés de laisser passer l’eau vers ses voisins d’aval et Ighirine-Iglouane de
respecter les termes de l’accord conclu entre les deux douars.
Ce type de différends entre les deux douars n’est pas isolé, il est même fréquent. En 1992,
pour des raisons qui ne sont pas encore très claires (il semblerait que ce soit à cause de
l’utilisation abusive du bois par Aït Ouham), c’est Ighirine et Iglouane qui ont interdit l’accès
de leurs forêts aux Aït Ouham. Ces derniers ont bien sûr riposté en coupant l’alimentation en
eau de tous les canaux qui desservent Ighirine et Iglouane. Contrairement au conflit de 1980,
un terrain d’entente n’a pas pu être trouvé par le caïdat, l’affaire a donc été portée devant le
tribunal d’Azilal qui a rendu le jugement suivant : Aït Ouham laisse passer l’eau vers Ighirine
et Iglouane selon les tours d’eau qui existent entre les trois douars. Ighirine et Iglouane, en
contrepartie, doivent permettre à 35 femmes d’Aït Ouham de venir chercher le bois sur la
forêt Ikiss. Ce jugement semble avoir satisfait tout le monde puisqu’il n’y a pas eu d’appel, et
depuis 1992, aucun conflit important n’a éclaté dans le secteur (B). Mais les petits conflits
concernant les coupures d’eau existent toujours entre l’amont et l’aval.
4.4 CONCLUSION : LES CONFLITS, L’EXPRESSION DE LA CAPACITE DES
INSTITUTIONS ET DES REGLES A EVOLUER

Les trois cas de conflits que nous venons d’exposer apportent plusieurs éléments quant à la
capacité des institutions coutumières à s’adapter au nouvel environnement institutionnel de la
vallée et quant à la façon dont les règles coutumières inter-douars se mettent en place.
Le premier cas de conflit (entre Aït Oughral et Taghoulit) montre comment la Taqbilt des Aït
Wanoughdal a réussi, grâce au droit moderne, à déclencher dans toute la vallée des Aït Hakim
un dialogue sur l’introduction probable d’un principe d’équité dans la distribution de l’eau.
Dans le passé, les conflits de ce type sont négociés entre les Taqbilt des douars qui tentent
toujours de trouver d’abord un terrain d’entente. Lorsqu’elles n’y parvenaient pas, la Taqbilt
de la tribu toute entière est mobilisée pour résoudre le différend. Aujourd’hui, les Taqbilt de
tribu n’existent plus. Elles ont été supplantées par les institutions modernes introduites par
l’Etat. Aujourd’hui, les Taqbilt de douar ont donc fréquemment recours au caïdat, à la
commune rurale ou aux tribunaux, mais pas pour tous les cas de conflit. Les affaires internes à
un douar ne sont que rarement portées devant les institutions modernes alors que les affaires
inter-douars (pour obliger un douar d’amont à laisser passer de l’eau par exemple) finissent
fréquemment devant les tribunaux.
Le conflit entre Aït Oughral et Taghoulit, même s’il n’est pas encore tout à fait terminé, a
permis aux Aït Wanoughdal de faire un grand pas vers l’établissement d’un tour d’eau sur

102
l’assif avec les Aït Hakim et cela grâce au droit moderne. Il faut savoir que dans l’ensemble
de la vallée des Aït Hakim, c’est seulement dans cette zone qu’il n’y a pas de tours d’eau
inter-douars (entre Aït Oughral et Taghoulit et entre Taghoulit et Ifrane). Or depuis le début
de ce conflit, même si les habitants de Taghoulit admettent qu’Ifrane ne les a jamais privé
d’eau (malgré l’absence d’un tour d’eau entre les deux douars), ils n’arrêtent pas, en période
de sécheresse, d’adresser à Ifrane des requêtes du même type que celui que Aït Oughral leur
adressait à l’époque du conflit. De façon générale, Ifrane a toujours accédé à la demande de
son voisin d’aval. Mais en été 2002, période de sécheresse majeure, la Taqbilt d'Ifrane n'a
donné qu’un accord partiel puisque l’eau qui a été laissée suffisait à peine pour les besoins
domestiques de Taghoulit, même si quelques agriculteurs affirment avoir pu utiliser quelques
seaux de cette eau pour sauver les arbres fruitiers. Si les Aït Taghoulit n’ont, pour le moment,
pas réagi de la même façon que les Aït Oughral, en intentant un procès à Ifrane, c’est parce
que le douar entretient de très bonnes relations61 avec Ifrane. Une petite analyse des discours
des agriculteurs de Taghoulit montre cependant qu’il suffirait de très peu pour que le douar
entre conflit ouvert avec Ifrane. Mais vu la longue tradition d’amitié qui unit les deux douars,
il est aussi fort possible qu’ils arrivent à l’établissement d’un tour d’eau sans devoir passer par
un procès. (MTHIEU et al., 2001) ont remarqué dans un système irrigué semi-traditionnel du
nord du Maroc qu’il suffit souvent que de tiers extérieurs aident les groupes opposés à
entamer un dialogue constructif pour que des solutions équitables et innovantes soient
trouvées aux problèmes liés au partage de l’eau.
Le conflit suivant entre Ighirine et Aït Ouchi apporte plusieurs éléments quand à la façon dont
les agriculteurs réunissent à trouver des compromis acceptables par tous. A la différence du
conflit entre Aït Oughral et Taghoulit où c’est un juge qui a décidé du tour d’eau à établir
entre les deux douars, ici ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui ont réussi à trouver, grâce à
un processus conflictuel de négociations, le compromis qui a redéfini et précisé les droits de
chacun sur une ressource qui était utilisée de façon presque "arbitraire". Il a seulement fallu,
l’arbitrage de tiers extérieurs pour amener les deux groupes à discuter de leurs problèmes. Ce
conflit nous montre d’une certaine façon qu’il est possible d’introduire des solutions
innovantes dans la gestion sociale de l’eau en facilitant l’ouverture d’un dialogue constructif
entre les groupes qui entrent en compétition pour la ressource en eau.
Les cas de conflits qui opposent Ighirine et Aït Ouham confirment partiellement une
hypothèse que nous avons posée au départ de ce travail. C’est que la gestion de l’eau n’est pas
isolée de celle des autres ressources (du moins dans le secteur B). Le douar qui contrôle une
grande partie d’une ressource donnée l’utilise pour accéder aux ressources qu’il ne possède
pas. On peut donc s’attendre à ce que les douars opposent une certaine résistance à toute
intervention qui leur ferait perdre le contrôle d’une ressource puisque cela les priverait aussi
de leur moyen de négociations face aux autres douars pour avoir accès à d’autres ressources.

61
Comme nous l’avons dit, les deux douars sont dans la même circonscription électorale et ont de ce fait un
même représentant au conseil communal et un même représentant dans l’AUEA

103
C’est peut-être la vraie raison qui a conduit les Aït Ouham à se retirer de l’AUEA. On peut en
effet penser que si la distribution prise par prise est acquise et garantie grâce à l’AUEA,
Ighirine et Iglouane pourraient être tentés de ne plus respecter les termes de l’accord qui les
obligent à donner du bois à Aït Ouham en contrepartie de l’eau qu’ils reçoivent de la source.

CONCLUSION :
Le fonctionnement hydrologique de la vallée a permis de mettre en évidence une répartition
particulière des sources et des résurgences. Qu’elles soient latérales ou de fond de vallée, les
sources, situées aux différents resserrements de vallées, définissent des unités hydrauliques
naturelles en réalimentant l’assif. Ce schéma s’estompe à partir des territoires d’aval qui ne
possèdent pas de sources propres. Mais la faible profondeur de l’aquifère donne à ces douars
la possibilité d’accéder facilement à l’eau grâce à des puits.
Le réseau d’irrigation est composé d’un ensemble de canaux qui peuvent être intra-douar ou
inter-douars. Ils sont alimentés par des sources ou par des prises (les Ougougs) situées le long
de l’oued. Les réseaux des différents douars peuvent être très imbriqués (en amont de la
vallée) ou relativement indépendants (territoire intermédiaire et aval de la vallée). Autour de
ces réseaux, les populations des douars se sont organisées de différentes façons pour le
maintien des infrastructures inter-douars d’irrigation. Ainsi dans les cas où une source d’eau
utilisée par l’aval est reconnue comme propriété de l’amont, seuls les douars d’aval
participent à l’entretien des infrastructures, une façon pour eux d’affirmer leur droit d’usagers
et de mériter la ressource qu’ils reçoivent de l’amont. Ces cas se retrouvent dans le secteur (B)
entre Aït Ouham et ses voisins d’aval et dans le secteur (C) entre Taghoulit et Aït Oughral.
Dans les autres parties du périmètre, l’entretien est assuré par l’ensemble des douars usagers
des infrastructures. Les travaux se font collectivement ou individuellement.
L’étude de la gestion sociale de l’eau montre que deux types d’institutions sont impliqués
dans la gestion de l’eau. Les institutions modernes (caïdat, commune rurale), progressivement
introduites par l’Etat, sont fréquemment sollicitées par les communautés pour le règlement
des conflits qui apparaissent entre les douars à propos du partage de l’eau le long de l’oued.
Les institutions coutumières, historiquement construites par les communautés d’agriculteurs,
sont garantes de la définition, de la mise en œuvre et du respect des règles de distribution de
l’eau.
Les règles définies par ces institutions peuvent être homogènes pour tous les douars comme
c’est le cas pour les droits d’eau (temps d’accès à l’eau accordé à chaque agriculteur), les
transactions foncières (statut de l’eau lié à la terre) et les règles d’héritage basées sur les rites
malikites. L’histoire montre, cependant, qu’à Zaouit et à Ifrane, les droits d’eau n’ont pas
toujours été liés à la terre. Actuellement, ces deux douars ont rejoint les autres en adoptant le
droit d’irrigation lié à la terre, surtout dans les cas de transactions foncières.

104
Les règles liées à la distribution de l’eau entre les douars et entre les agriculteurs au sein d’un
douar présentent, par contre, une très grande diversité selon les secteurs, selon les douars et
selon les périodes (abondance ou raréfaction de l’eau). La distribution de l’eau entre les
douars peut ainsi se faire sans tours d’eau (cas de Taghoulit et Ifrane et de Taghoulit et Aït
Oughral) ou selon des tous d’eau (cas des autres douars du périmètres). Au sein de chaque
douar, en période d’abondance de l’eau, tous les canaux sont alimentés en eau en même
temps. En période de raréfaction de l’eau, par contre, un tour d’eau est observé entre les
canaux, sinon l’alimentation de certains canaux est suspendue momentanément.
Le long des canaux de chaque douar, on distingue quatre modes de répartition de l’eau entre
agriculteurs : la distribution selon le premier arrivé qui correspond à une absence de tour
d’eau , la distribution prise par prise qui consiste à alimenter successivement les prises situées
le long du canal, la distribution entre quartiers où l’eau est répartie entre des blocs de parcelles
disposés le long des canaux et enfin, la distribution entre familles où l’eau est accordée à une
famille ou à une groupe de familles pendant 24 heures. L’utilisation de l’un ou l’autre de ces
modes de distribution est contextuelle et dépend du groupe d’ayants droits de chaque canal.
Avec la multiplicité des règles de gestion, les conflits ne manquent pas, surtout en période de
raréfaction de l’eau où les règles peuvent être interprétées différemment. Les conflits peuvent
se produire entre agriculteurs au sein d’un douar ou entre les douars pour différentes raisons.
Dans la plupart des cas, il s’agit de coupures d’eau en amont. Toutes les institutions sont
mobilisées pour la résolution de ces conflits. Si les conflits intra-douar sont réglés par la
communauté villageoise, le recours au caïdat et aux tribunaux est devenu fréquent pour les
conflits qui opposent des douars ou des groupes de douars.
Le dernier point important de cette analyse du système d’irrigation des Aït Hakim, c’est que
la gestion de l’eau n’est pas toujours isolée de celle des autres ressources naturelles. Le douar
qui dispose d’une quantité importante d’une ressource donnée l’utilise pour avoir accès aux
ressources qu’il n’a pas. Des accords sont ainsi établis entre les douars pour le partage des
différentes ressources. C’est ce qui a fait dire à l’ethnologue LECESTRE-ROLLIER (1992)
que la société berbère du Haut-Atlas est une société basée sur la logique du contrat. Ces
contrats sont une sorte de cadre juridique de partage des ressources que les douars se donnent
pour limiter les situations de conflits. On remarque d’ailleurs qu’en amont du réseau, c’est le
non respect des accords passés sur les ressources qui est fréquemment à la base des conflits
qui opposent les douars.
L’étude de la gestion de l’eau dans la vallée des Aït Hakim nous a certes permis de mettre en
évidence les relations complexes qui se construisent entre les douars le long de l’assif, mais
elle ne nous a pas suffisamment éclairé sur la façon dont ces relations s’établissent entre les
douars, ni sur la façon dont les règles de distribution de l’eau se construisent à l’intérieur d’un
douar. Si les quatre modes de distribution de l’eau se retrouvent sur tout le périmètre, leur
modalité d’utilisation n’est pas la même selon les douars et selon les ayants droit de chaque

105
canal. Les aspects de système de production et de gestion de la sécheresse n’ont pas aussi pu
être suffisamment développés.
Tous ces aspects ne pouvaient pas être analysés en profondeur sur l’ensemble de la vallée des
Aït Hakim (un territoire de onze douars). Dans la partie suivante, nous nous proposons donc
de les analyser dans le douar Ifrane qui présente une mosaïque de tous les modes de
distribution de l’eau rencontrés dans la vallée des Aït Hakim.

106
QUATRIEME PARTIE : LA GESTION DE L’EAU INTRA-DOUAR ET
LES STRATEGIES DES EXPLOITATIONS AGRICOLES FACE A LA
RAREFACTION DE L’EAU : CAS DU DOUAR IFRANE
CHAPITRE VI : LE SYSTEME DE GESTION L’EAU INTRA-DOUAR, UNE
CONSTRUCTION SOCIO-HISTORIQUE COMPLEXE
L’objectif de ce chapitre est de mettre en évidence la logique d’attribution des premiers droits
d’eau à l’intérieur d’un douar, les grands changements survenus dans les modes de partage de
l’eau, la façon dont les règles de distribution de l’eau sont historiquement construites et enfin,
la façon dont les usagers appliquent ces règles le long des canaux.
L’étude du réseau d’irrigation a montré que sur un plan purement hydraulique, le douar peut
être considéré comme un espace pertinent de gestion de l’eau. L’étude de la gestion de l’eau à
l’intérieur du douar Ifrane nous permettra de vérifier si le douar reste un espace pertinent de
gestion de l’eau au niveau des règles de distribution de l’eau.
I. PRESENTATION GENERALE DU DOUAR IFRANE :
INTRODUCTION :
Dans cette partie, nous présentons les caractéristiques physiques du douar et l’histoire de son
peuplement. Ces éléments nous permettrons de mieux comprendre les changements survenus
dans le système social de gestion de l’eau dans ce douar.
1. LE TERRITOIRE ET SES RESSOURCES :
1.1 LOCALISATION DU DOUAR :

Ifrane est le septième douar de la vallée des Aït Hakim (dans le sens amont aval). Il se situe
dans le secteur (C) entre Taghoulit et Aït Ouchi. Selon les habitants, la frontière avec Aït
Ouchi, en amont, est la Chaâba dans laquelle coule une petite source (Taghbalout-Noukarrat)
utilisée par Aït Ouchi pour son alimentation en eau potable ; la frontière avec Taghoulit, en
aval, est la Chaâba Aghdish, zone peu boisée qui sépare les Agoudals forestiers de l’adret des
deux douars.
Le douar se situe entièrement sur l’adret. Les maisons, construites en pierres et en pisés, sont
assez dispersées pour une zone de haute montagne. La position particulière du douar à flanc
de coteau permettait aux habitants, d’une part, de limiter les effets dévastateurs des
inondations assez fréquentes dans la zone et d’autre part, de se défendre contre les attaques
des groupes ennemis. Le douar n’a presque pas changé depuis sa fondation, il continue
seulement de s’étendre autour de son noyau central localisé en bas versant.
1.2 LES RESSOURCES DU DOUAR :

1.2.1 Les terroirs forestiers et pastoraux :


A la différence de la majorité des douars qui possèdent deux Agoudals forestiers sur l’ubac et
l’adret, Ifrane ne possède qu’un seul Agoudal privatif (Th : Ighil-n-Ifrane : montagne

107
d’Ifrane) situé l’adret. Il faut, cependant, noter que son appartenance à la Taqbilt des Aït Ali
lui donne des droits sur les terroirs forestiers d’Ighil Ikiss (au dessus d’Aït Ouchi) et de
Tissadouane (sur le versant opposé à l’Agoudal-n-Oussamar d’Aït Ouchi).
Les ressources pastorales du douar proviennent essentiellement des trois grands alpages sur
lesquels son double statut d’Aït Hakim et d’Aït Ali lui donne des droits : Agoudal-n-Tamda
des Aït Ali, Izughar et Ageurd Zouguarne des Aït Hakim.
1.2.2 La terre cultivée :
(a) Un périmètre irrigué morcelé :

Le terroir irrigué est localisé entre le fond de vallée et la limite inférieure de la piste. Il est
constitué d’une multitude de petites parcelles, dont la surface unitaire atteint rarement 500 m2.
Les parcelles de fond de vallée, situées le long de l’assif, ont des surfaces plus importantes
que les parcelles situées sur les terrasses.
Le terroir bour est localisé entre la piste et la limite inférieure de l’Ighil-n-Ifrane. Le statut
d’Aït Ali d’Ifrane lui donne des droits sur plusieurs autres terres bour à Tissadouane et à
Tighremt Aït Ali.
Photographie 11 : Douar Ifrane : périmètre irrigué, terroir bour et Agoudal forestier

Source : KEITA (2004)

(b) Une prédominance du statut privatif : Melk

Les terres sont assez propices à l’agriculture bien qu’en partie exposées aux inondations. Il
s’agit de vertisols (sols profonds et fertiles) formés par des alluvions déposées lors du retrait,
au quaternaire, d’un lac qui occupait l’emplacement actuel de la vallée des Aït Bouguemez
(AUCLAIR, 1991).
La plupart des parcelles relèvent du statut privé Melk avec un mode de faire-valoir direct. On
notera l’existence de quelques parcelles appartenant à la mosquée "statut Habous". Elles sont
louées aux enchères annuellement à des agriculteurs du douar. L’argent issu de l’opération est
géré par l’imam du douar. Il sert à la restauration ou à la réfection de la mosquée.

108
1.2.3 L’eau d’irrigation :
Les ressources en eau d’Ifrane sont relativement abondantes. Elles sont issues principalement
des sources Aghbalou-n-Iglouane (située à Aït Ouchi), Aghbalou-n-Aït Magdoul et Aghbalou-
n-Oulzweg (situées à Ifrane) mais aussi et surtout de l’Assif-n-Aït Hakim. Même si ces trois
sources lui confèrent une certaine indépendance du point de vue de son alimentation en eau
pendant les périodes de raréfaction de l’eau, il n’en reste pas moins que le douar est tributaire
de son voisin d’amont Aït Ouchi (avec qui, il a un tour d’eau sur l’eau de l’assif).
2. L’HISTOIRE DU PEUPLEMENT :
2.1 LES FAMILLES FONDATRICES DU DOUAR :

Selon les anciens d’Ifrane, le douar aurait été fondé par deux éleveurs transhumants,
originaires de Zaouit Ahançal. Ils appartiendraient aux Ighs Tamazouzt et Aït Saïd Ouhadou
que l’on retrouverait encore aujourd’hui à Zaouit Ahançal. Ayant constaté la richesse en terre
et en eau de la vallée, les deux éleveurs auraient décidé d’y faire venir leurs familles. Ils
auraient été ensuite rejoints, bien plus tard, par les Aït Sidi Ahmed dont on ignore l’origine. La
zone aurait été baptisée Ifrane (Th : grotte) à cause des nombreuses petites grottes que l’on
peut encore apercevoir à la base de l’ubac du douar. Aujourd’hui, Ifrane compte plus de 23
familles (Ighs) qui se répartissent en 74 ménages (Takât). Tous les habitants du douar se
réclament de l’une des trois premières familles fondatrices (Latat) : Tamazouzt, Aït Saïd
Ouhadou et Aït Sidi Ahmed.
Figure 3 : Généalogie des familles d'Ifrane

Source : Elaboration propre d’après enquêtes

109
2.2 LE STATUT D’AÏT ALI D’IFRANE : ACQUIS GRACE A UNE ALLIANCE
GUERRIERE ?

La Taqbilt des Aït Ali est constituée des trois douars Ifrane, Ighirine et Iglouane qui gèrent
ensemble plusieurs terroirs forestiers et pastoraux, situés à différents endroits du territoire. Si
les Aït Ighirine et les Aït Iglouane étaient à l’origine habitants d’un seul et même douar, il
n’en est rien des Aït Ifrane qui, nous venons de le voir, sont originaires de Zaouit Ahançal. On
s’est donc posé la question de savoir comment, séparé géographiquement d’Ighirine et
Iglouane par Aït Ouchi, Ifrane a pu devenir membre de ce puissant groupe ?
Le climat initial de tension dans lequel l’espace a été progressivement occupé apporte un
premier élément de réponse. Lors de la création des douars, les luttes intertribales pour le
contrôle des ressources naturelles (la terre, l’eau, le bois, le pâturage) étaient fréquentes. Il
était alors fréquent que les douars ayant des intérêts communs s’allient pour se défendre
contre les attaques ennemies. Ce type d’alliances politiques et guerrières contextuelles,
connues sous le nom de leff-s (LECESTRE-ROLLIER, 1992), étaient fréquentes dans la
vallée des Aït Bouguemez. On sait ainsi que les tribus d’aval (les Aït Méhiya, les Aït Ouriat et
les Aït Wanoughdal) se sont unies dans plusieurs leff-s contre la tribu des Aït Hakim.
A Ifrane, les anciens ne sont ni formels, ni unanimes quand ils expliquent leur appartenance à
la Taqbilt des Aït Ali. Selon plusieurs d’entre eux, quand la Taqbilt des Aït Ali s’est formée,
Ighirine était déjà en conflit avec Aït Ouham pour le contrôle de la source Aghbalou-n-Aït
Ouham. C’est d’ailleurs dans ce contexte que quelques Aït Ighirine auraient été envoyés
s’installer en face d’Aït Ouham dans une tour de garde (Tighremt) en plein milieu des praires
(Th : Iglouane) du périmètre irrigué. La surveillance s’éternisant, le Tighremt serait alors
devenu l’actuel douar Iglouane. C’est ainsi qu’aurait vu le jour la Taqbilt d’Ighirine-Iglouane.
Selon les anciens, pendant cette même période, les velléités territoriales des Aït Ouriat
grandissaient. Ighirine dont le territoire était très convoité à cause de sa position stratégique,
avait besoin d’un allié puissant en aval pour se défendre. Mais il n’était pas en bon terme avec
Aït Ouchi à cause des conflits territoriaux qui les opposaient pour le contrôle de la zone Ikiss
et le plateau d’Izughar. Dans ces conditions, le seul allié possible en aval était Ifrane, qui lui
aussi, était en conflit avec ses voisins d’aval. C’est ainsi que le leff des Aït Ali aurait été créé.
Certains habitants d’Ifrane supposent que leur douar était chargé de surveiller les tribus d’aval
(principalement les Aït Ouriat et les Aït Wanoughdal, plus grands ennemis des Aït Hakim).
C’est grâce à cette alliance que les terroirs forestiers (Ikiss et Tissadouane) situés
respectivement au dessus et en arrière d’Aït Ouchi auraient été conquis. Contrairement, aux
autres leff-s qui se défaisaient une fois que l’objet de leur alliance (qui était la menace
ennemie) disparaissait, les Aït Ali sont restés ensemble et sont encore très actifs. On peut
penser que si ce groupe s’est maintenu, c’est parce que l’objet de leur alliance n’était plus la
défense de leurs territoires initiaux de douars mais plutôt de pouvoir garder le contrôle des
immenses territoires qu’ils avaient conquis. Plusieurs récits rapportent en effet que pendant le
Siba, période marquée par une insécurité générale due aux conflits intertribaux incessants, les

110
guerriers Aït Ali se seraient spécialisés dans l’escorte des bergers et des marchands qui
sillonnaient l’Atlas et ses piémonts. En échange, ils recevaient des droits sur des terroirs
pastoraux et forestiers. C’est d’ailleurs de cette façon qu’ils se seraient appropriés les terres du
grand parcours intertribal Agoudal-n-Tamda.
CONCLUSION :
Ifrane a été fondé par des éleveurs transhumants originaires de Zaouit Ahançal. Il compte
aujourd’hui 23 familles (Ighs) et 74 ménages (Takât) qui se réclament tous de l’une des trois
premières familles fondatrices Tamazouzt, Aït Saïd Ouhadou et Aït Sidi Ahmed. Les Aït
Ifrane seraient devenus Aït Ali en s’alliant à Ighirine et Iglouane contre les tribus d’aval. Le
périmètre irrigué d’Ifrane est un patchwork de parcelles à statut Melk et à mode de faire-valoir
direct.
II. HISTOIRE DES GRANDES EVOLUTIONS DU SYSTEME SOCIAL DE
DISTRIBUTION DE L’EAU:
INTRODUCTION :
Les éléments présentés dans cette partie sont des hypothèses que nous avons construites à
partir des maigres éléments d’histoires que nous avons pu collecter lors de nos enquêtes. La
construction de ces hypothèses s’est avérée nécessaire parce que la première réponse aux
questions qui portent sur l’histoire, c’est toujours "on l’a trouvé comme ça et nos parents
aussi". Et pourtant, au cours des discussions avec les différents interlocuteurs, de petits
éléments d’histoire apparaissent ça et là. Une fois regroupés, ils ont permis de construire des
hypothèses sur l’évolution du système social de distribution de l’eau.
1. LES PREMIERS DROITS SUR LA TERRE ET SUR L’EAU : UN PARTAGE
CONSENSUEL DES RESSOURCES

1.1 LES PREMIERS DROITS FONCIERS :

Les familles Tamazouzt et Aït Saïd Ouhadou sont reconnues comme propriétaires des
premiers droits fonciers du douar. Après leur installation, elles se seraient partagées de façon
consensuelle les terres de fond de vallée directement exploitables de la manière suivante :
toutes les terres situées en amont du douar auraient été attribuées aux Tamazouzt et toutes
celles situées en aval aux Aït Saïd Ouhadou. Les Aït Sidi Ahmed, arrivés bien plus tard dans le
douar, n’avaient aucune terre. Ils auraient progressivement acquis des terres grâce à des
transactions foncières et à des alliances avec les deux premières familles installées.
Aujourd’hui, la structure foncière dans le douar tend à confirmer ce partage initial des terres.
On remarque, en effet, que toutes les familles qui se réclament des Tamazouzt ont la majorité,
sinon la totalité, de leurs parcelles situées en amont du périmètre. Les terres des familles se
réclamant des Aït Saïd Ouhadou sont localisées en aval du périmètre, vers Taghoulit. Les
terres des Aït Sidi Ahmed se retrouvent, par contre, aussi bien en aval qu’en amont du
périmètre de fond de vallée. On notera aussi que ce sont les familles issues des Tamazouzt et
des Aït Saïd Ouhadou qui détiennent la majeure partie des terres du douar.

111
La répartition des premiers droits fonciers à l’intérieur du douar se base donc sur
l’antériorité de l’implantation. Les transactions foncières sont une pratique très ancienne.
1.2 LES PREMIERS DROITS D’EAU :

A propos de l’attribution des premiers droits d’eau et de l’établissement du premier tour


d’eau, deux versions d’un même récit, situé dans un temps anhistorique, sont relatées par les
anciens. Elles portent sur le partage de l’eau de Tin Ouammass, canal inter-douars (Ifrane –
Aït Ouchi) traversant tout le douar Ifrane. Tin Ouammass serait l’un des plus anciens canaux.
Il aurait été creusé par les habitants des deux douars qui auraient ensuite décidé de mettre en
place un tour d’eau62 qui conférait quatre jours à Aït Ouchi et trois jours à Ifrane. C’est ce
même tour d’eau qui régit encore aujourd’hui l’utilisation du canal par les deux douars.
Les deux versions du récit sur le partage de l’eau du canal Tin Ouammass à l’intérieur du
douar Ifrane ne diffèrent que très légèrement selon les différents interlocuteurs :
Version 1 du récit : les deux premières familles sont détentrices de
tous les droits d’eau
Selon cette version du récit, il semble que ce soit les deux premières familles Tamazouzt et Aït
Saïd Ouhadou qui aient procédé au premier partage de l’eau. Le tour d’eau mis en place
initialement se ferait sur trois jours : le premier jour était attribué aux Tamazouzt pour irriguer
leurs terres situées en amont, le second jour aux Aït Saïd Ouhadou qui avaient toutes leurs
terres en aval et le troisième jour était consacré aux autres besoins du douar (abreuvement des
animaux, besoins ménagers, construction des maisons, irrigation des prairies,...). C’est ce
partage de l’eau qui aurait prévalu jusqu’à l’arrivée des Aït Sidi Ahmed et l’acquisition de
terres par ces derniers dans le périmètre de fond de vallée. Les deux premières familles
auraient alors décidé de diviser en deux le troisième jour consacré aux besoins divers du
douar : une demie journée d’irrigation aurait été ainsi attribuée aux Aït Sidi Ahmed tandis que
l’autre demie journée aurait conservé son usage d’origine. Aujourd’hui encore, le jour
d’irrigation des familles Aït Sidi Ahmed sur le canal Tin Ouammass s’appelle : Aït Sidi Ahmed
di’douar, ce qui signifie littéralement : Aït Sidi Ahmed et le douar.
Version 2 du récit : les trois familles fondatrices ont défini les droits
d’eau de façon consensuelle

62
Nous n’avons pas eu assez d’éléments historiques sur l’établissement des tours d’eau entre Ifrane et Aït
Ouchi. Les anciens racontent seulement qu’il n y a pas eu de conflits entre les deux douars pour le partage de
l’eau comme ce fut le cas entre plusieurs autres douars dans d’autres parties de la vallée. On peut seulement
émettre l’hypothèse qu’après avoir creusé les quatre canaux qu’ils ont en commun, les deux douars se sont
partagés l’eau de façon consensuelle au prorata des parcelles de chaque dour. La répartition des droits
d’irrigation entre les deux douars montre, en effet, que là où un douar a beaucoup de parcelles, il a aussi
beaucoup de jours d’irrigation.

112
Dans cette version du récit, les Aït Sidi Ahmed seraient déjà à Ifrane quand le canal Tin
Ouammass a été creusé. Le partage des trois jours d’irrigation aurait été donc fait par les trois
familles. Les familles Tamazouzt et Aït Saïd Ouhadou, détentrices de la majorité des terres,
auraient ainsi bénéficié chacune d’un jour d’irrigation. Les Aït Sidi Ahmed, qui
commenceraient à peine à acquérir des terres, auraient bénéficié d’une demie journée
d’irrigation, l’autre demie journée étant consacrée aux autres besoins du douar.

Même si les deux versions de ce récit diffèrent légèrement, elles permettent toutes deux de
tirer quelques2. conclusions
LA MISE ENintéressantes : dans le DE
PLACE DES PRINCIPES partage initial de l’eau,
LA DISTRIBUTION DE L’onEAUtenait
INTRA-
compte du patrimoine
DOUAR :
foncier de chaque famille mais c’est à la famille que le droit d’eau
était attribué et non à la terre elle-même. Sinon, les Aït Sidi Ahmed auraient tout
simplement bénéficié
2.1 desDdroits s’eauD’EAU
ES DROITS liés LIGNAGERS
aux terres qu’ils acquéraient,
AUX DROITS or il An’en
D’EAU LIES était :
LA TERRE
rien. On peut donc conclure qu’à Ifrane,
UNE EVOLUTION NECESSAIRE les premiers droits d’eau étaient lignagers et
que le groupe d’ayants droit a été défini de façon consensuelle.
Selon les deux récits qu’on vient de voir, à Ifrane, les deux premières familles installées se
partageaient l’eau sans que ce partage ne soit lié à leur possession foncière. Les droits d’eau
étaient donc liés aux lignages dans ce douar. Ce serait l’arrivée tardive d’une troisième famille
qui aurait amené une certaine évolution dans le rapport aux droits d’eau dans ce douar. Cette
troisième famille aurait acquis beaucoup de terres auprès des deux premières familles. Si les
ménages (au sein des deux premières familles) pouvaient vendre des parcelles, ils ne
pouvaient pas céder l’eau avec (puisqu’elle était une propriété de toute la famille). Ceux qui
achetaient des terres devaient donc solliciter la Taqbilt entière pour obtenir une nouvelle
répartition de l’eau. Mais ce système de redistribution du droit d’irriguer est arrivé à ses
limites quand les transactions foncières se sont généralisées entre les familles devenues très
nombreuses. La Taqbilt, face à la multiplication des revendications et des différends, aurait
donc décidé que "là où il y a la terre, il y a l’eau". C'est-à-dire, que toute personne qui vend
une parcelle devra désormais céder à l’acheteur une portion suffisante du temps d’accès à
l’eau de sa famille pour l’irrigation de ladite parcelle. A partir de ce moment, les temps
d’accès à l’eau des familles se sont fractionnés au rythme des transactions foncières.
Les actes de vente écrits apparus sous le protectorat français ont accéléré et rendu définitive
l’adoption du droit d’eau "lié à la terre" comme ce fut le cas à Zaouit Alemzi. La mention
"terre irriguée"qui figurait sur ces actes de vente écrits donnait systématiquement à l’acheteur
le droit d’irriguer la parcelle acquise.

113
2.2 INTRODUCTION DU PRINCIPE DE L’UNICITE DU CHEMIN DE L’EAU DE
CHAQUE PARCELLE :

Au départ, le fait que chaque parcelle ne possède qu’un seul et unique chemin de l’eau n’était
dû qu’à une contrainte topographique, surtout pour les parcelles situées en bordure du
périmètre irrigué. En effet, les canaux construits en bordure des terrasses ne permettaient
d’irriguer que les parcelles disposées le long du canal. Pour les parcelles de fond de vallée,
situées dans le voisinage immédiat de l’assif, cette contrainte n’existait pas. Lorsqu’il y avait
très peu de canaux, la question d’irriguer une parcelle par un ou plusieurs canaux ne se posait
même pas, mais avec la multiplication des canaux d’irrigation, le problème a commencé à se
poser à cause du fait que tous les canaux n’avaient pas toujours les mêmes disponibilités en
eau. Il faut savoir que les canaux intra-douar issus de l’assif ne disposaient pas toujours d’eau
alors que les canaux inter-douars, situés plus en amont ou issus des sources, possédaient
presque toujours une certaine quantité d’eau. En période de raréfaction de l’eau, les
agriculteurs qui en avaient la possibilité "topographique" auraient commencé à irriguer leurs
parcelles en fonction des disponibilités en eau sur les canaux. Ils se rabattaient tous sur les
canaux où il y avait encore un peu d’eau. Il suffisait pour ça qu’ils construisent juste un petit
canal qui relie la parcelle aux canaux en question. Les agriculteurs, qui utilisent
habituellement ces canaux, se retrouvaient ainsi léser par l’augmentation soudaine du nombre
d’agriculteurs sur leurs canaux. Les conflits plus ou moins graves qui découlaient de cette
situation auraient obligé la Taqbilt à définir pour chaque parcelle un seul et unique canal
d’irrigation unique. On peut aussi supposer que c’est cette situation qui est à la base de la
mise en place, à l’intérieur du douar, d’une alternance de l’alimentation en eau des canaux en
période de raréfaction de l’eau.
2.3 INTRODUCTION DES ROTATIONS RIGIDES DANS LA DISTRIBUTION DE
L’EAU : REDUIRE LES INEGALITES D’ACCES A L’EAU

Selon plusieurs de nos interlocuteurs, dans le passé, les seuls modes de distribution de l’eau à
Ifrane étaient les rotations souples. Les familles ayant la même ascendance commune se
répartissaient l’eau le long d’un canal selon le premier arrivé ou Assemdi’s Assemdi. Pendant
les périodes de forte sécheresse, il arrivait donc que les parcelles situées en aval d’un canal
soient privées d’eau pendant très longtemps. Or, la structure foncière du douar faisait que
toutes les parcelles privées d’eau appartenaient aux mêmes familles. Les familles qui avaient
leurs parcelles en amont étaient donc favorisées au détriment de celles ayant les leurs en aval.
Cette situation aurait été à la base de plusieurs conflits plus ou moins importants et aurait
donc obligé les familles utilisant le même canal à penser à des modes de distribution de l’eau
moins conflictuels. Ainsi les familles Tamazouzt et Aït Sidi Ahmed utilisatrices des trois
canaux d’amont auraient décidé de regrouper leurs parcelles de façon à ce que chaque famille
puisse irriguer au moins quelques parcelles pendant un tour d’eau complet (sept jours). Pour
les canaux qui irriguent des parcelles n’ayant pas subi de morcellement notable, la solution
adoptée aurait consisté à répartir l’eau entre les familles de façon à ce qu’elles puissent
irriguer au moins quelques parcelles pendant un tour d’eau complet. Ces deux modes de

114
répartition auraient tellement réduit les tensions autour de l’eau que les familles les ont
adoptés définitivement.
Aujourd’hui, ces deux modes de répartition de l’eau se retrouvent encore sur quatre canaux
d’Ifrane. La rotation rigide entre familles se retrouve sur le canal Targa-n-Oulzweg dont le
périmètre a subi très peu de transactions foncières. La rotation rigide entre quartiers est
observable sur les trois canaux inter-douars amont (Tin Oumalou, Tin Ouammass et
Imjoujoua). Dans les quartiers d’irrigation de ces canaux, on retrouve surtout des parcelles
appartenant aux familles Tamazouzt et Aït Sidi Ahmed.
Le fait que l’irrigation entre quartiers ne se retrouve que sur les canaux partagés avec Aït
Ouchi est peut être à mettre en lien avec les pratiques de distribution chez Aït Ouchi. En effet,
ce douar ne pratique que la distribution de l’eau entre quartiers. Les familles d’Ifrane ont pu
être influencées par leur voisin d’amont dans leur décision d’adopter l’irrigation par quartiers.
Si en amont, les solutions adoptées par les ayants droit pour gérer la raréfaction ont consisté
en un abandon des rotations souples entre agriculteurs au profit des rotations rigides entre
quartiers ou entre familles, en aval du réseau aucun arrangement de ce type n’a été mis en
place. Quelle que soit la période, les familles d’Ifrane, détentrices des droits d’eau d’aval,
continuent à distribuer l’eau selon le premier arrivé ou prise par prise.
CONCLUSION : FLEXIBILITE ET ADAPTABILITE DES REGLES COUTUMIERES DE
REPARTITION DE L’EAU

L’histoire de l’évolution des droits d’eau et de la mise en place des différents modes de
distribution de l’eau montre que le système social de gestion de l’eau n’est pas figé. Il évolue
en fonction des conflits qui apparaissent entre les groupes d’ayants droit lors des périodes de
tension sur l’eau. Aucune décision n’est donc fortuite. On remarquera ainsi que l’adoption du
droit d’irrigation lié à la terre visait essentiellement à éviter les problèmes qui se posaient lors
des transactions foncières. L’introduction du principe de l’unicité du chemin de l’eau d’une
parcelle a permis d’éviter que plusieurs agriculteurs ne se rabattent sur les mêmes canaux lors
des périodes de raréfaction de l’eau. Les modes de distribution de l’eau (rotation souple ou
rotation rigide) adoptés sur les différents canaux à différents endroits du périmètre, répondent
tous à des impératifs d’adaptation du système de distribution de l’eau : réduire les tensions et
les inégalités d’accès à l’eau entre les ayants droit d’amont et d’aval du réseau d’irrigation.
III. LES MODALITES ACTUELLES DE DISTRIBUTION DE L’EAU LE LONG
DES CANAUX D’IFRANE :
INTRODUCTION :
Nous savons grâce à l’étude des tours d’eau inter-douars dans la vallée des Aït Hakim que
c’est la disponibilité de l’eau dans le réseau qui conditionne la façon dont les Aït Ifrane
répartissent l’eau entre les dix canaux du douar. En période d’abondance, tous les Ougoug de
tous les canaux sont ouverts en même temps alors qu’en période de raréfaction de l’eau, les
canaux sont alimentés Ougoug par Ougoug d’amont en aval. Nous détaillerons d’ailleurs ce

115
second cas dans la partie consacrée à la gestion de la raréfaction d’eau. Ce qui nous intéresse
ici, c’est de savoir comment l’eau est repartie entre les ayants droit le long de chaque canal.
Dans un premier temps, nous étudierons les modalités théoriques d’attribution des droits
d’eau des familles le long de chaque canal. Nous verrons ensuite comment ces règles
théoriques sont mises en pratique lors de l’irrigation.
1. RAPPEL DE L’ARCHITECTURE DU RESEAU D’IFRANE :
L’architecture du réseau d’irrigation d’Ifrane ne diffère pas de celle du réseau général du
secteur (C) que nous avons largement décrite. On retiendra seulement que le réseau d’Ifrane
se compose de six canaux inter-douars (quatre avec Aït Ouchi en amont et deux avec
Taghoulit en aval) et de quatre canaux intra-douar (propres aux familles d’Ifrane). Ces canaux
sont alimentés soit par des Ougoug situés sur l’assif, soit par des captages directs de sources.
Carte 16 : Réseau d'irrigation d'Ifrane

Source : Elaboration propre sur fond de carte DPA d’Azilal (1994)

Tableau 8 : Modes d’alimentation et nature des canaux d’Ifrane


Nom des canaux Modes d’alimentation en eau Nature
1. Tin Oumalou

2. Tin Ouammass Ougoug situé à Aït Ouchi


Partagés avec Aït
Ouchi
3. Imjoujoua

4. Targa-n-Oulzweg Source Aghbalou-n-Oulzweg d’Ifrane

5. Daou Tarahamount
Partagés avec
Ougoug situé à Ifrane
Taghoulit
6. Daou Imcht

7. Targa-n-Aghbalou-n-Aït Ouchi Source Aghbalou-n-Iglouane d’Aït Ouchi

8. Tin Tafraout Source Aghbalou-n-Aït Magdoul d’Ifrane Utilisés


exclusivement par les
9. Daou Imi familles d’Ifrane
Ougoug situé à Ifrane
10. Aït Issimour

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations

116
2. LES REGLES ET LES MODALITES THEORIQUES D’ATTRIBUTION DES DROITS
63
D’EAU DES FAMILLES LE LONG DES CANAUX :

2.1 LES CANAUX INTER-DOUARS D’AMONT : DIVERSITE ET COMPLEXITE


DES MODES DE DISTRIBUTION DE L’EAU

2.1.1 Le canal Tin Ouammass : rotation hebdomadaire entre


quartiers et répartition prise par prise
Le canal Tin Ouammass est alimenté par un Ougoug situé à Aït Ouchi et une partie des eaux
de la source Iglouane d’Aït Ouchi. Il est utilisé par Aït Ouchi et Ifrane selon le tour d’eau
suivant : 4 jours (mardi, mercredi, jeudi, vendredi) pour Aït Ouchi et 3 jours (samedi,
dimanche, lundi) pour Ifrane.
Le samedi est attribué à quatre familles Tamazouzt qui ont leurs parcelles organisées en deux
quartiers d’irrigation que l’on va appeler : quartier (A) et quartier (B). L’eau est repartie entre
ces deux quartiers selon une rotation hebdomadaire, c'est-à-dire qu’un seul quartier est irrigué
par jour : un samedi toute l’eau disponible dans le canal est attribuée au quartier (A), le
samedi suivant il en sera de même du quartier (B) et ainsi de suite. Le dimanche est attribué
aussi à quatre autres familles Tamazouzt qui ont organisé leurs parcelles en deux quartiers :
quartier (C) et quartier (D). L’eau est répartie entre ces deux quartiers selon une rotation
hebdomadaire comme précédemment. La distribution prise par prise d’amont en aval est
pratiquée seulement le lundi par les huit familles Aït Sidi Ahmed qui ont leurs parcelles à
l’extrême aval du canal.
En résumé, les parcelles des huit familles Tamazouzt sont organisées en quatre quartiers. A
chaque quartier est attribué une demie journée d’irrigation (12 heures). Selon l’histoire de
l’établissement des rotations rigides à Ifrane, les quartiers étaient irrigués en 24 heures. On
peut donc faire l’hypothèse que les quartiers actuels ne sont qu’une nouvelle subdivision des
deux quartiers initiaux des Tamazouzt : de deux quartiers irrigués en 24 heures chacun, ces
familles sont arrivées à quatre quartiers irrigués en 12 heures chacun.
Chez les Aït Sidi Ahmed, même si toutes leurs parcelles sont concentrées en aval du canal, ils
ne parlent pas de quartiers d’irrigation. L’irrigation se fait simplement prise par prise d’amont
en aval. Le fait que toutes les parcelles des familles Aït Sidi Ahmed soient en aval du canal
montre que les familles Tamazouzt n’ont en fait vendu que leurs parcelles susceptibles de
manquer d’eau en cas de sécheresse (parce que situées tout en aval d’un canal inter-douars).
2.1.2 Le canal Tin Oumalou : des quartiers d’irrigation avec
Assemdi’s Assemdi
Le canal Tin Oumalou, alimenté par un Ougoug situé à Aït Ouchi, fonctionne selon le tour
d’eau suivant : 5 jours (dimanche, lundi, mardi, mercredi et jeudi) pour Aït Ouchi et 2 jours
(vendredi et samedi) pour Ifrane.

63
Des tableaux en annexe 7 précisent les temps d’accès à l’eau de chaque famille ayant droit des canaux d’Ifrane

117
Les deux jours d’irrigation d’Ifrane sont repartis entre deux quartiers d’irrigation qui
appartiennent à des agriculteurs issus des trois familles fondatrices :
La journée du vendredi appartient à six familles Tamazouzt et cinq familles Aït Sidi
Ahmed dont les parcelles sont organisées en un seul quartier dans lequel la distribution de
l’eau se fait prise par prise d’amont en aval du quartier.
Le samedi est attribué à quatre familles Tamazouzt, quatre familles Aït Sidi Ahmed et
une famille Aït Saïd Ouhadou qui ont, elles aussi, leurs parcelles dans un seul quartier, avec à
l’intérieur de ce quartier,la distribution prise par prise d’amont en aval comme précédemment.
2.1.3 Le canal Targa-n-Oulzweg : un exemple de diversité des
modes de distribution de l’eau
La Targa-n-Oulzweg est alimentée par la source Aghbalou-n-Oulzweg, située tout au fond de
la grande Chaâba dénommée Aka-Oulzweg par les Aït Ifrane. Les familles d’Aït Ouchi ne
bénéficient que d’une demie journée sur ce canal dans le cadre du tour d’eau inter-douars.
La Targa-n-Oulzweg est sans doute le canal qui présente le plus de complexité et de diversité
dans les règles de distribution de l’eau qui régissent son utilisation par les familles d’Ifrane.
D’une manière générale, chaque jour l’eau est attribuée à un groupe de familles mixtes
(Tamazouzt, Aït Sidi Ahmed, Aït Saïd Ouhadou et Aït Ouchi). Chaque groupe de familles est
ensuite libre d’adopter le mode de partage de l’eau qui lui convient. On retrouve ainsi sur ce
canal tous les modes de partage existants dans la vallée des Aït Hakim :
Le vendredi, premier jour du tour d’eau, l’eau est donnée à une famille Tamazouzt de
deux agriculteurs (deux ménages) qui se partagent l’eau prise par prise d’amont en aval ou
vice versa. Un tirage au sort est toujours effectué pour désigner le ménage qui commence
l’irrigation.
Le samedi, l’eau est donnée à deux familles Tamazouzt et une famille d’Aït Ouchi qui se
répartissent l’eau de la même façon que précédemment : prise par prise avec tirage au sort.
Le dimanche, l’eau est attribuée à trois familles Tamazouzt qui se répartissent l’eau à la
manière des familles de Zaouit Alemzi. Le jour d’irrigation est divisé en trois parties : A=14 h
– 19 h, B=19 h – 10 h et C=10 h – 14 h. A la différence du cas de Zaouit Alemzi où une
rotation s’effectue entre les familles, ici un tirage au sort unique est réalisé en début de
période d’irrigation ; chaque famille garde ensuite la partie (A, B ou C) qui lui a été attribuée
jusqu’à la fin de la période d’irrigation.
Le lundi est attribué à deux familles Aït Sidi Ahmed qui se partagent l’eau selon une
rotation hebdomadaire. Toute l’eau est attribuée à une famille un lundi et à l’autre famille le
lundi suivant.
La journée du mardi appartient à quatre familles Aït Sidi Ahmed qui se partagent l’eau
selon un mode de distribution qui est aussi assez proche du système de Zaouit Alemzi. Ici, le
jour est divisé seulement en deux parties : A=19h – 10 h et B=10h – 19h. Chaque partie (A ou

118
B) est attribuée à un groupe de deux familles lors d’un tirage au sort unique en début de la
période d’irrigation. Là aussi, les familles gardent la partie sur laquelle elles tombent durant
toute la période d’irrigation.
Le mercredi, l’eau est donnée à quatre familles Tamazouzt, deux familles d’Aït Ouchi et
une famille Aït Sidi Ahmed qui ont leurs parcelles situées dans un seul quartier d’irrigation.
Dans le quartier, l’irrigation se fait prise par prise (c’est toujours les deux familles d’Aït Ouchi
qui commencent l’irrigation).
Le jeudi, dernier jour du tour d’eau, est aussi attribué à un quartier d’irrigation. Deux
familles d’Aït Ouchi et deux familles d’Ifrane (Tamazouzt et Aït Sidi Ahmed) y ont leurs
parcelles. Elles se partagent l’eau selon deux modes de distribution : soit prise par prise dans
le quartier, soit par rotation hebdomadaire entre familles d’Ifrane et familles d’Aït Ouchi.
Dans ce dernier cas, chaque groupe de familles pratique la distribution prise par prise.
On retrouve donc trois modes de distribution sur le canal Targa-n-Oulzweg : la distribution
prise par prise, deux variantes de la distribution entre familles et la distribution entre quartiers.
Seul le mode de distribution selon le premier arrivé est absent sur ce canal, sans doute à cause
de la faiblesse des débits de la source Aghbalou-n-Oulzweg.
2.1.4 Le canal Imjoujoua : des quartiers d’irrigation classiques
Le canal Imjoujoua est alimenté par un Ougoug situé à Aït Ouchi mais il ne fait que quelques
mètres dans ce douar avant d’atteindre les premières parcelles d’Ifrane. On ne peut donc pas
parler de tour d’eau puisqu’il n y a que quelques agriculteurs d’Aït Ouchi qui l’utilisent.
Les parcelles irriguées par ce canal sont organisées en six quartiers d’irrigation dans lesquels
l’irrigation se fait prise par prise d’amont en aval des quartiers. Le premier quartier,
appartenant à huit familles Tamazouzt d’Ifrane et trois familles d’Aït Ouchi, est irrigué en 48
heures (jeudi et vendredi). Les quatre quartiers suivants (samedi, dimanche, lundi et mardi)
contenant des parcelles des familles Tamazouzt, Aït Sidi Ahmed et Aït Saïd Ouhadou, sont
irrigués chacun en 24 heures. Le dernier quartier, irrigué le mercredi, appartient
exclusivement à des familles Aït Saïd Ouhadou.
2.2 LES CANAUX INTRA-DOUAR ET LES CANAUX INTER-DOUARS AVAL :
UNE SIMPLICITE QUI CONTARSTE AVEC LES CANAUX D’AMONT

2.2.1 Les canaux intra-douar :


Ifrane possède trois canaux propres Tin Tafraout, Daou Imi et Aït Issimour dont l’utilisation
n’est régie que par la règle du "premier arrivé" et cela quelle que soit la période (abondance
ou raréfaction de l’eau). Même si le mode de distribution de l’eau est libre sur ces canaux,
toutes les familles du douar n’y ont cependant pas droit. Des tableaux en annexe 7 donnent les
familles ayants droit de chacun de ces canaux.
2.2.2 Les canaux inter-douars aval :

119
Les canaux Daou Imcht et Daou Tarahamount sont alimentés par des Ougougs situés à Ifrane.
Leur utilisation par Ifrane et Taghoulit n’est pas régie par un tour d’eau. Les ayants droit
d’Ifrane pratiquent la distribution selon la règle du "premier arrivé". Dès qu’ils terminent
l’irrigation de toutes leurs parcelles, l’eau est laissée aux agriculteurs de Taghoulit qui
pratiquent le même type de partage de l’eau. Le canal Daou Tarahamount est utilisé aussi par
huit agriculteurs d’Aït Oughral, en aval de Taghoulit.
2.3 DES MODES DE DISTRIBUTION DE L’EAU CONTEXTUELS :

En amont du périmètre, on distingue deux modes principaux de distribution de l’eau le long


des quatre canaux inter-douars : rotation entre quartiers ou rotation entre familles. Dans ces
deux cas, les ayants droit peuvent se mettre d’accord pour répartir l’eau selon un ordre
particulier, sinon un tirage au sort est organisé pour désigner ceux qui doivent commencer
l’irrigation. Les tours d’eau se déroulent généralement sur sept jours.
Le long des trois canaux intra-douar d’Ifrane et les deux canaux inter-douars aval, le seul
mode de distribution de l’eau entre les ayants est le "le premier arrivé".
La répartition des droits d’eau sur l’ensemble des canaux vient appuyer les dires des anciens
sur l’histoire du partage des droits fonciers et des droits d’eau dans le douar. En effet, on
remarque aujourd’hui encore que la plupart des terres et des droits d’eau de l’amont du
périmètre appartiennent aux familles Tamazouzt tandis que les terres et les droits d’eau de
l’aval du périmètre sont majoritairement détenus par les familles Aït Saïd Ouhadou. Les
familles Aït Sidi Ahmed ont des terres et des droits d’eau sur l’ensemble du périmètre
irrigué, mais en quantité moins importante que les deux premières familles.
Donc dans le passé, c’est l’antériorité de son implantation qui conférait à une famille plus de
droits sur la terre et donc sur l’eau aussi. Aujourd’hui, c’est plutôt la capacité de la famille à
acquérir des terres qui lui donne accès à plus de droits sur l’eau.
3. LES ARRANGEMENTS ENTRE AGRICULTEURS : QUEL DEGRE
D’APPLICATION DES REGLES THEORIQUES ?

Une de nos hypothèses de travail, c’est que la rigidité des règles théoriques, telles que décrites
par les agriculteurs, ne se retrouve pas toujours dans les pratiques d’irrigation. Plusieurs
arrangements se font entre les ayants droit d’un canal de façon à atteindre une meilleure
efficience de l’irrigation. Sans arrangements, les modes de distribution trop complexes
(distribution entre familles) ou trop simple (distribution selon le premier arrivé) ne pourront
pas fonctionner.
Pour valider cette hypothèse, nous avons d’abord demandé aux agriculteurs de nous parler des
arrangements qu’ils effectuent entre eux sur les différents canaux. Nous avons ensuite observé
directement ce qui se passe sur le terrain pendant deux périodes : mi-mai et début juin de
façon à pouvoir confirmer ou infirmer les discours des agriculteurs et de nous rendre compte
par nous-mêmes ce qui se passe réellement sur le terrain. Les résultats sont surprenants.

120
3.1 UN RESPECT RIGOUREUX DES TOURS D’EAU INTRA-DOUAR :

Le premier fait qui a retenu notre attention, c’est la grande discipline des agriculteurs en
matière de respect des tours d’eau le long des canaux. Lorsqu’une famille a le tour d’eau,
seuls ses agriculteurs (ses ménages) pratiquent l’irrigation. Si un agriculteur d’une famille qui
n’a pas droit à l’eau ce jour est présent sur le périmètre pour irriguer ses parcelles, c’est parce
qu’il a passé un arrangement avec un agriculteur de la famille dont c’est le tour. Nous avons
par ailleurs remarqué qu’à cause des restrictions liées au tour d’eau le long d’un canal, les
quantités d’eau disponibles qui pourraient être utilisées par beaucoup d’agriculteurs ne le sont
que par une poignée. Selon plusieurs agriculteurs interrogés sur ce sujet, "il ne faut pas
commencer ce que tu ne peux pas continuer. Si on commence à permettre à d’autres
agriculteurs de pratiquer l’irrigation pendant notre jour d’accès à l’eau, cela pourrait un
jour être perçu comme une règle et poser des problèmes. On préfère donc éviter". Ils ajoutent
par contre que des arrangements entre agriculteurs sont possibles. Ils peuvent s’échanger des
temps d’irrigation, mais ils doivent en informer, au préalable, les autres ayants droit des
canaux concernés pour éviter les problèmes. On est donc en présence d’une "flexibilité dans
la prudence". Les arrangements sont possibles mais seulement lorsque c’est clair pour tous les
ayants droit. (voir dans l’encadré suivant, un cas d’arrangement qui s’est transformé en règle).

UN ARRANGEMENT QUI SE TRANSFORME EN REGLE :


La prudence des agriculteurs d’Ifrane avec les arrangements se justifie quand on voit les
mauvaises interprétations qui peuvent souvent en découler. C’est en effet une histoire
d’arrangement qui a fait perdre aux agriculteurs Ighirine deux heures d’irrigation. Sur le
canal Tin Oussamar, Ighirine a droit à l’eau chaque jeudi à partir de Maghrib (prière du
crépuscule). Pendant les périodes d’abondance d’eau, les agriculteurs d’Ighirine toléraient
les retards de libération de l’eau de ceux 121 d’Iglouane parce qu’ils les considèrent comme
des frères. On considérait que "s’ils ne libéraient pas l’eau, c’est parce qu’ils n’avaient pas
fini l’irrigation". Ces retards de libérations de l’eau ont duré longtemps et n’ont posé aucun
3.2 LE NON RESPECT DES MODES D’IRRIGATION : UNE NECESSITE ?

L’autre remarque qui est frappante à Ifrane, c’est le non respect des modes d’irrigation qui se
retrouvent dans les règles théoriques, surtout pour les canaux qui sont sensés être soumis aux
rotations rigides entre quartiers et entre familles. Les modes d’irrigation qui sont pratiqués sur
ces canaux se rapprochent plutôt de la distribution selon "le premier arrivé".
Si l’on se réfère aux règles théoriques qui régissent l’utilisation de l’eau du canal Targa-n-
Oulzweg, le mercredi 14/04/04, on devait voir les agriculteurs des familles suivantes irriguer
leurs parcelles prise par prise dans la dernière Dart du canal, et cela dans l’ordre suivant : 1.
Aït Alinou, 2. Aït Maqdid, 3. Aït Oubragaz, 4. Aït Boualn, 5. Aït Ouaattar, 6. Aït Ammi et 7.
Aït Ouhadda.
Tous les agriculteurs qui sont venus irriguer leurs parcelles appartenaient effectivement à ces
familles. Ce qui confirme le respect des tours d’eau. Par contre, ils ne sont pas venus dans
l’ordre prévu et ils n’ont pas irrigué leurs parcelles prise par prise d’amont an aval du quartier
d’irrigation (c’est ce qui est prévu par les règles théoriques). Ils sont plutôt venus dans un
ordre quelconque ; chaque agriculteur qui arrivait sur le périmètre déviait l’eau et irriguait
toutes ses parcelles. Certaines fois, les agriculteurs ne s’attendaient même pas (le suivant est
sensé attendre que celui qui a le tour termine l’irrigation), ils irriguaient tous en même temps.
Parfois, certains agriculteurs déplaçaient même l’eau hors du quartier d’irrigation sans que
cela ne provoque de réactions hostiles des voisins. Des situations de ce genre, en totale
contradiction avec les règles, ont été constatées sur la plupart des canaux (voir annexe 8).
Selon les agriculteurs, les choses ne se passent pas toujours ainsi. Le non-respect des règles
n’est pas une pratique courante. Ils expliquent que cette année, l’eau est particulièrement
abondante64 et permet à plusieurs agriculteurs de travailler en même temps. Certaines fois,
disent-ils, c’est même une nécessité de travailler ensemble puisque les volumes d’eau sont si
importants qu’une seule prise ouverte ne pourrait pas les contenir. Ainsi, avant de partir
irriguer, un agriculteur peut appeler son frère ou son ami pour irriguer ensemble. Ce qui
permet d’éviter ou de réduire le travail lié au contrôle des débits d’eau dans le canal principal.
3.3 LA GESTION DES ABSENCES : L’ENTRAIDE FAMILIALE

C’est dans les cas d’absence que nous avons remarqué le plus d’arrangements. De façon
générale, cela se passe entre agriculteurs d’une même famille et c’est particulièrement
remarquable les jeudis et les dimanches, respectivement jours de Souks d’Azilal et de Tabant.
Les agriculteurs des familles qui ont le tour d’eau ces jours ne sont jamais tous toujours
présents pour l’irrigation. Ceux d’entre eux qui vont au marché font irriguer (s’ils n’ont pas

64
Malgré le fait que nos observations se sont étendues jusqu’au début du moins de juin, nous n’avons pas pu
observer une situation de rareté de l’eau. L’eau est particulière abondante cette année. Il pleuvait encore mi-juin.

122
un enfant qui peut pratiquer l’irrigation) leurs parcelles par leurs frères ou leurs amis. En
contrepartie, ils font des commissions au marché pour ces derniers.
Les jours de Souk, la plupart des hommes partent au marché, le nombre d’agriculteurs est par
conséquent très réduit sur le périmètre irrigué. Il n’est pas aussi rare d’apercevoir parmi eux
des femmes et des enfants pratiquant l’irrigation.
CONCLUSION :
Les règles de distribution de l’eau ne sont pas toujours appliquées telles qu’elles sont
énoncées par les agriculteurs. Elles constituent une sorte de cadre juridique de la distribution
de l’eau que les agriculteurs s’imposent de façon à disposer d’une base d’arbitrage des
conflits qui peuvent apparaître au cours du partage de l’eau. Elles permettent aussi de limiter
les comportements opportunistes. Les réarrangements que les agriculteurs apportent à ces
règles ne sont des cas de non respect mais plutôt une nécessité. Ils confirment cet aspect de
flexibilité qui, à notre avis, assure la pérennité du système social de gestion de l’eau.
IV. LA MAINTENANCE DES INFRASTRUCTURES D’IRRIGATION :
INTRODUCTION :
La plupart des règles que nous retrouvons dans l’ensemble du territoire Aït Hakim, à propos
de l’entretien des infrastructures d’irrigation, restent valables à Ifrane. Dans un premier temps,
nous donnons l’essentiel de ces règles telles que dictées par les agriculteurs. Nous les
comparons ensuite aux résultats des observations du déroulement des travaux sur le terrain.
1. LES REGLES D’ENTRETIEN :
Tout ayant droit a l’obligation de fournir un travail annuel d’entretien des infrastructures,
Un ayant droit ne participe qu’aux travaux d’entretien des canaux qu’il utilise,
Chaque ménage doit fournir au moins une personne pour l’entretien des infrastructures,
Le ménage qui ne fournit aucune personne doit payer une amende de 35 dirhams qui
servira à rémunérer l’ouvrier que la Taqbilt aura employé pour faire sa part de travail. (A Ifrane,
les cas de refus de paiement des amendes ne sont pas portés devant le caïdat. Ils sont réglés
localement),
Il revient à Ifrane de décider de la date d’entretien des canaux inter-douars amont et d’en
d’informer Aït Ouchi. Pour les canaux inter-douars aval, c’est Taghoulit qui décide de la date
d’entretien des canaux et en informe ensuite Ifrane,
Les Taqbilt des douars sont responsables du bon déroulement des travaux, elles désignent
des personnes (Naïb ou Moqadem-n-targa) pour se charger de la surveillance des travaux.
2. DEROULEMENT DES TRAVAUX :
2.1 LES TRAVAUX COLLECTIFS :

Il y a deux types de travaux collectifs :

123
1. les travaux collectifs des canaux inter-douars qui concernent :
les familles d’Ifrane et d’Aït Ouchi pour les quatre canaux communs d’amont : Tin
Oumalou, Tin Ouammass, Imjoujoua et Targa-n-Oulzweg,
les familles d’Ifrane et de Taghoulit pour les deux canaux communs d’aval : Daou
Tarahamount et Daou Imcht.
Dans ces deux cas, seules les familles qui possèdent au moins une parcelle irriguée par le
canal concerné participent aux travaux. Un membre désigné de chaque Taqbilt de douar est
présent pour surveiller la qualité des travaux et s’assurer de leur bon déroulement.
2. les travaux collectifs des prises et des têtes mortes des canaux intra-douar chaque
famille d’Ifrane qui possède au moins une parcelle irriguée par le canal participe aux travaux.
Ils se déroulent sous la supervision d’une personne désignée par la Taqbilt.
2.2 LES TRAVAUX INDIVIDUELS :

On distingue deux types de travaux individuels :


1. L’entretien des canaux intra-douar : chaque agriculteur s’occupe des portions du canal
en regard de ses parcelles. L’aspect individuel ne change pas le fait que les travaux se
déroulent en une seule journée par chaque canal, notamment pour faciliter la surveillance. Le
vrai contrôle de ces travaux s’exerce entre les agriculteurs eux-mêmes. Tout au long du canal,
chaque agriculteur fait pression sur son voisin d’amont pour qu’il nettoie correctement sa
portion. Le représentant de la Taqbilt est souvent sollicité pour constater les cas de travaux
mal réalisés.
2. L’entretien du réseau privé : la maintenance du réseau interne de distribution de l’eau
dans la parcelle est à la charge de chaque agriculteur. Il peut les réaliser comme il veut et
quand il veut. En général, ces travaux se font en même temps que les précédents. Une fois que
l’agriculteur termine le nettoyage de la portion de canal contiguë à sa parcelle, il s’attaque
directement à son réseau privé qui comprend les petits canaux, les prises et les ados.
CONCLUSION : UN RESPECT RIGOUREUX DES REGLES D’ENTRETIEN DES
CANAUX

Nous avons constaté que lors du déroulement des travaux, les règles édictées sont
rigoureusement respectées : établissement d’une liste des absents, contrôle rigoureux par la
Taqbilt...Ce respect des règles est, selon nous, du à l’interdépendance entre les aspects
collectif et individuel de l’entretien des canaux. En effet, chaque agriculteur, pour avoir un
canal en bon état, compte sur l’assiduité au travail de tout le groupe d’ayants droit et
inversement, le groupe d’ayants droit d’un canal compte sur le travail individuel de chaque
agriculteur pour avoir un canal en bon état. Dans ces conditions, seule une observation
rigoureuse des règles permet à la communauté d’agriculteurs de disposer d’infrastructures
d’irrigation bien maintenues.

124
V. LE SYTEME DE GESTION DES CONFLITS :

INTRODUCTION :
Ici nous nous appliquerons à analyser les problèmes qui surviennent entre les agriculteurs
d’Ifrane et entre les agriculteurs d’Ifrane et d’Aït Ouchi respectivement autour du partage de
l’eau intra-douar et l’eau inter-douars.
1. LES CONFLITS ENTRE AGRICULTEURS D’IFRANE :
1.1 LES CAUSES DES CONFLITS INTRA-DOUAR :

Les conflits qui surviennent entre les agriculteurs d’Ifrane sont liés le plus souvent au type de
distribution "le premier arrivé" qui régit l’utilisation des six canaux d’aval du réseau. En
période d’abondance de l’eau, les agriculteurs sont sûrs de pouvoir irriguer leurs parcelles
quel que soit le moment où ils se présentent sur le périmètre. En plus, il y a très peu de
contrôle sur les durées d’irrigation des parcelles. Donc les conflits sont très rares. En période
de raréfaction de l’eau, l’assurance de pouvoir irriguer ses parcelles à tout moment et la
flexibilité sur les durées d’irrigation disparaissent très rapidement. Seuls les agriculteurs les
plus matinaux ont la chance de bénéficier du peu d’eau disponible dans le canal. Ainsi, il
arrive fréquemment que beaucoup d’agriculteurs se présentent en même temps sur le
périmètre. Tout au long des canaux, on peut rencontrer trois types principaux de problèmes :
L’ordre d’irrigation : l’ordre d’arrivée sur le périmètre étant difficile à contrôler ou à
vérifier, les agriculteurs peinent à se mettre d’accord sur un ordre d’irrigation des parcelles,
Les durées d’irrigation : les retards de libération de l’eau et la pratique de la sur-
irrigation ne sont plus tolérés par ceux qui attendent. Ils exigent que l’eau soit libérée dès
qu’ils jugent que la parcelle de celui qui a le tour est suffisamment irriguée,
Les "coupures d’eau"65 en amont : ces cas de problèmes ne sont pas aussi rependus
que les deux premiers mais ils sont considérés par les agriculteurs comme très graves. Il
arrive, dès fois, que des agriculteurs d’amont laissent intentionnellement les prises de leurs
parcelles ouvertes. Nous donnerons plus de détails sur ces cas de vols d’eau dans la partie
consacrée aux stratégies de lutte contre la raréfaction de l’eau.
1.2 LE MODE DE REGLEMENT DES CONFLITS INTRA-DOUAR :

A Ifrane, les conflits interpersonnels liés aux retards de libération de l’eau ou aux coupures
d’eau sont résolus par le Naïb (s’il a été désigné) ou toute la Taqbilt réunie. Le plaignant
expose le problème. L’accusé tente de se justifier. Si ses arguments sont jugés impertinents, il
est soumis à une amende décidée par la Taqbilt selon les cas (la somme excède rarement 300
dirhams) ou condamné à inviter à dîner celui ou ceux à qui il a fait du tort. Le but de cette

65
Il s’agit en fait des vols d’eau. Mais les Aït Ifrane n’emploient pas le mot "vol". Ils préfèrent plutôt parler de
"bi aman" qui signifie littéralement "couper l’eau".

125
démarche est de resserrer les liens entre les membres de la Taqbilt. Il s’agit de ne pas
permettre que les conflits mettent à mal l’unité de la Taqbilt. A Ifrane, on ne se souvient pas
d’un cas de conflit entre agriculteurs d’Ifrane ayant dépassé le cadre villageois. Le fait que
tous les conflits soient faciles à régler localement est peut-être dû à l’histoire commune, très
pacifique, des trois familles fondatrices du douar. Elles sont arrivées à mettre en place tout le
système de partage de l’eau sans conflits majeurs. Le recours au caïdat ou au Hakem n’est
pourtant pas totalement exclu. Si aucun terrain d’entente n’est trouvé entre les protagonistes,
ils peuvent porter l’affaire devant les autorités locales. Nous verrons d’ailleurs que le recours
aux autorités locales devient très fréquent, sinon même systématique, dès lors qu’il s’agit d’un
conflit avec le voisin d’amont Aït Ouchi.

UNE METHODE SIMPLE POUR REDUIRE LES CONFLITS LIES À L’ODRE


D’ARRIVEE2.
DES AGRICULTEURS
LES SUR LE :PERIMETRE :
CONFLITS INTER-DOUARS
Pendant les périodes 2.1 deLraréfaction de l’eau, l’ordre d’arrivée des agriculteurs sur le
A COHABITATION IFRANE - AÏT OUCHI : UN VOISINAGE DIFFICILE
périmètre devient un véritable problème dans le cadre de la distribution de l’eau selon le
"premier
Nous avonsarrivé".
vu que Etant
dans ladonné
valléeledes
manque d’eau, les
Aït Hakim, chaque agriculteur
conflits amont-aval devient très matinal
sont assez fréquents
en espérant être le premier sur le périmètre. Ainsi plusieurs d’entre eux se retrouvent
avec, chaque fois, le douar d’aval qui accuse son voisin d’amont de coupures d’eau sur l’assif. en
même temps sur le périmètre et ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’ordre
Entre Ifrane et Taghoulit son voisin d’aval, cette logique n’est pas tout à fait respectée. Pour
d’irrigation. Le Naïb-n-Taqbilt décide alors d’établir une liste des agriculteurs selon
des raisons
l’ordre non encore
d’arrivée bien
sur le élucidées,
périmètre. les conflits
Chaque entre ces
agriculteur quideux
arrivedouars sont quasi-inexistants
fait inscrire son nom sur
(même au L’irrigation
la liste. plus fort desvasécheresses où l’absence
ainsi se faire de tours
selon l’ordre d’eau entre
d’arrivée les deux
des noms sur douars pénalise
cette liste. Il
s’agit d’une méthode simple qu’un Naïb d’Ifrane a inventé quand il
Taghoulit). Par contre, avec Aït Ouchi le voisin d’amont, les conflits sont très fréquents, a constaté
l’augmentation
d’abord des conflits
pour le terroir liésd’Ikiss,
forestier à l’ordre d’arrivée
propriété desdes
Aïtagriculteurs sur leAït
Ali, sur laquelle périmètre. Son
Ouchi réclame
utilisation implique que le Naïb soit plus matinal que les autres agriculteurs. Ce qui n’est
des
pasdroits et ensuite
toujours le cas. pour les coupures d’eau dont Ifrane accuse toujours Aït Ouchi. Ces
coupures d’eau surviendraient fréquemment aux mois d’Août et de Septembre (périodes
d’étiage de l’assif mais aussi d’irrigation des deuxièmes cultures destinées à la vente).
Généralement ces coupures d’eau ne concernent pas directement le partage de l’eau sur les
canaux que les deux douars partagent. Les Aït Ifrane affirment que dès qu’ils ont le tour d’eau
sur les canaux communs avec Aït Ouchi, les Aït Ouchi ouvrent leurs Ougougs qui se trouvent
plus en amont de ces canaux. Il s’en suit une diminution considérable des débits d’eau lors du

126
tour d’eau d’Ifrane. Ce comportement des Aït Ouchi provoque des conflits très graves qui
peuvent aller jusqu’à l’affrontement entre les agriculteurs des deux douars.
2.2 LES CONFLITS IFRANE – AÏT OUCHI : COUPURE D’EAU EN AMONT

En Août 1999, au plus fort d’une période sécheresse, un conflit ayant nécessité l’intervention
du caïdat est survenu entre Ifrane et Aït Ouchi. A la base du conflit, une coupure d’eau sur les
deux canaux inter-douars Tin Oumalou et Tin Ouammass. Selon les agriculteurs d’Ifrane, les
Aït Ouchi coupaient l’eau et irriguaient toutes leurs parcelles en seulement huit jours. Les
agriculteurs d’Ifrane qui devaient attendre plus de quinze jours pour espérer irriguer quelques
parcelles ont dépêché une délégation à Aït Ouchi pour engager le dialogue, le but était de
convaincre Aït Ouchi de respecter les tours d’eau établis sur les canaux communs. Les Aït
Ouchi n’ont, apparemment, rien voulu entendre "ils ont continué à faire comme s’il n y avait
personne en aval" (Un irigant d’Ifrane). C’est alors qu’Ifrane a porté l’affaire devant le caïdat.
Les Moqadem que le caïd a chargé de trouver une solution au problème auraient obligé Aït
Ouchi à respecter les tours d’eau qui régissent l’utilisation des canaux communs.
Ce conflit n’a pas conduit à des affrontements violents parce que Ifrane s’est vite adressé au
caïdat pour résoudre le différend. Mais lors d’un conflit similaire, survenu dans un passé
lointain, les agriculteurs d’Aït Ouchi et d’Ifrane se seraient violemment affrontés. La bataille
aurait même fait 43 blessés des deux côtés. Ce n’est qu’après cet affrontement que les
autorités locales seraient intervenues pour obliger Aït Ouchi à respecter les tours d’eau.
CONCLUSION :
Le conflit entre Ifrane et Aït Ouchi montre d’une certaine façon qu’il ne suffit qu’il ait des
tours d’eau clairs entre deux douars pour que le partage de l’eau soit équitable. Avec le recul
des instances inter-douars (Taqbilt inter-douars) qui s’occupaient des conflits entre les douars,
les autorités locales sont devenues le moyen privilégié des douars pour obliger leurs voisins
d’amont à respecter les règles inter-douars de distribution de l’eau.
Les modes de distribution sur les canaux d’Ifrane obéissent aux mêmes règles que celles
rencontrées dans l’ensemble des Aït Hakim. Ce qui est intéressant, c’est de voir le contraste
qu’il y a entre l’amont avec des modes très complexes et l’aval avec des modes très simples.

CHPITRE VII : LA PLACE DE L’IRRIGATION DANS LES SYSTEMES


DE PRODUCTION ET LES STRATEGIES DES EXPLOITATIONS
AGRICOLES FACE A LA RAREFACTION DE L’EAU
L’objectif de ce chapitre est de voir en quoi l’accès à l’eau conditionne le choix de production
des agriculteurs. Il s’agit de comprendre comment la raréfaction de l’eau est gérée par les
agriculteurs et quelles sont les réadaptations qu’elle provoque dans les systèmes de
production, selon les catégories d’exploitations agricoles.

127
Dans un premier temps, nous donnons un bref aperçu de la façon dont les tâches sont réparties
au sein de l’exploitation familiale. Dans un deuxième temps, nous étudions les types de
productions et les techniques d’irrigation à la parcelle.
Avant d’étudier les stratégies des agriculteurs face à la sécheresse, nous établissons une
typologie des agriculteurs, le but est de comprendre les choix que les agriculteurs font face à
la sécheresse. Il s’agit aussi de voir si les systèmes de production s’orientent vers une plus
grande ou une moindre consommation d’eau.
I. LA REPARTITION DES TACHES AU SEIN DES EXPLOITATIONS
FAMILIALES :
INTRODUCTION :
La Takât (la famille ou le ménage selon les auteurs) est le dernier niveau de la structuration
sociale après la Taqbilt et l’Ighs . Son fonctionnement est intéressant à étudier en ce sens que
c’est le lieu de la gestion de l’exploitation agricole.
1. LA COMPOSITION DES FAMILLES :
Les familles d’Ifrane se composent généralement de trois générations : le patriarche et sa
femme, leurs enfants dont certains sont mariés et ont eux-mêmes des enfants. Ils vivent tous
dans la même maison. Dans certains cas, les garçons mariés peuvent aller s’installer dans
leurs propres maisons construites grâce à l’aide de leurs frères.
Le nombre moyen de personnes par famille est de 10. Mais cette moyenne cache une très
forte variabilité : aux deux extrêmes, on trouve des familles qui ne comptent que 2 personnes
(un homme et sa femme sans enfants) et d’autres qui en comptent jusqu’à 30 (le patriarche et
sa femme, leurs enfants et leurs petits enfants).
2. REPARTITION DES TACHES AU SEIN DE LA FAMILLE :
La répartition des tâches que nous donnons ici est celle qui est observable dans une famille
moyenne de 10 personnes. Sinon elle reste très variable selon la structure de chaque famille.
2.1 LE PATRIARCHE : REPRESENTANT DE LA FAMILLE A LA TAQBILT ET
VIS-A-VIS DE L’EXTERIEUR

Le patriarche, d’âge généralement très avancé, a un rôle de prestige dans la maison. C’est lui
qui assure l’union de la famille. Toute la maison adhère aux décisions qu’il prend pour la
famille. En tant que"ancien", c’est aussi lui qui représente la famille aux réunions de la
Taqbilt et vis-à-vis de l’extérieur.

128
2.2 LES FILS AINES : GESTIONNAIRES DE L’EXPLOITATION66

De façon générale, les fils aînés sont les chefs effectifs de la famille, avec à leur tête, le plus
âgé d’entre eux qui peut remplacer son père aux réunions de la Taqbilt quand celui-ci a un
empêchement. Il prend la plupart des décisions importantes qui concernent la bonne marche
de l’exploitation familiale. Dans le contexte actuel de diversification des sources de revenus
des familles (commerces, boutiques, métiers du tourisme, travail saisonnier en ville,
émigration vers l’étranger,…), le fils aîné et le père sont ceux qui se chargent de la répartition
de la force de travail familiale. Ces sources de revenus supplémentaires peuvent occuper,
selon les cas, jusqu’à trois ou quatre garçons. La main d’œuvre familiale pour les travaux
champêtres s’en trouve souvent considérablement réduite.
2.3 LES FEMMES : LA VRAIE FORCE DE TRAVAIL DE LA FAMILLE

Dans cette société éminemment patriarcale, les tâches assignées aux femmes sont nombreuses
et assez pénibles. En plus de l’entretien des enfants et de la réalisation des tâches ménagères
courantes, les femmes, aidées par les filles, s’occupent de la coupe et du ramassage du bois
dans les forêts situées à de très hautes altitudes, de toutes les tâches courantes liées à l’élevage
(celle de berger exceptée), d’une partie des travaux de préparation des parcelles pour le semis,
de la coupe périodique de la luzerne, du désherbage et du transport de la récolte. Dans certains
cas, les femmes réalisent aussi l’irrigation. D’autres tâches comme le transport des sacs de
farine,…que le mari ramène du Souk reviennent aux femmes et aux filles.
Même si elles ne prennent aucune décision de gestion, de part leur seule contribution à la
force de travail, la place des femmes et des filles est centrale dans l’exploitation familiale.
2.4 LES GARÇONS : LES CHARGES DES TRAVAUX CHAMPETRES

Aujourd’hui, dans la vallée, la plupart des petits garçons et des petites filles en âge d’être
scolarisés vont à l’école. L’école coranique reste un passage obligé pour l’apprentissage des
percepts religieux. Certaines familles décident souvent d’envoyer un garçon ailleurs
(Waousremt, Aït Mhamed, Zaouit Ahançal) chez des marabouts pour suivre une formation de
Fquih. Ce métier rapportera plus tard des revenus supplémentaires à la famille.
Malgré l’intérêt des parents pour l’école, les enfants continuent à assurer plusieurs tâches dans
la famille. Ils sont, en effet, chargés de conduire les animaux aux pâturages proches du douar
et même sur les alpages (dans certains cas), de labourer les champs, de réparer les prises
(Assemdi) et les canaux internes aux parcelles (Assarou) en début de période d’irrigation.
Les jeunes hommes sont chargés de conduire les troupeaux sur les alpages, de faire le labour à
l’araire, d’irriguer les parcelles et de participer, pour la famille, à l’entretien collectif des
infrastructures d'irrigation du douar.

66
Cas où le père est très âgé. Habituellement, toutes les tâches de gestion reviennent au père.

129
CONCLUSION :
La famille s’organise autour du père et des fils aînés qui prennent toutes les décisions de
gestion au sein de l’exploitation familiale. Les travaux chmpêtres reviennent aux garçons. Les
femmes et les filles sont chargées de la coupe de luzerne et l’élevage des petits ruminants.
Elles participent aussi très activement aux travaux champêtres.
II. LA PRODUCTION ANIMALE :
INTRODUCTION :

Selon (LECESTRE-ROLLIER, 1992), la vallée a connu un recul du pastoralisme avec une


diminution importante des effectifs ovins et caprins. Mais l’élevage reste toujours une activité
importante pour de nombreuses familles de la vallée. C’est le cas notamment de plusieurs
familles du douar Ifrane qui, avant de se sédentariser, avaient comme activité principale
l’élevage transhumant. Aujourd’hui, ces familles gardent toujours un cheptel important qui
constitue la base de leur économie.
1. LA CONDUITE DES ANIMAUX :
1.1 LES OVINS ET LES CAPRINS :

La conduite des troupeaux n’est pas pareille pour tous les agriculteurs, elle dépend du nombre
de têtes que chaque agriculteurs posséde :
• les troupeaux de grande taille (de 100 à 300 têtes) sont conduits par des bergers
embauchés ou par un membre de la famille sur les parcours d’altitude (Izughar, Tamda ou
Ageurd Zouguarne) entre avril et octobre. Le reste du temps, ils sont conduits par les enfants
sur les Agoudals forestiers proches des douars ou gardés à la maison. Dans ce cas, ce sont les
femmes qui s’occupent de les nourrir avec la paille d’orge, la luzerne, l’herbe des prairies
irriguées ou le fourrage foliaire issu des Agoudals forestiers (ébranchage des arbres par les
femmes en hiver).
Photographie 12 : Troupeau d'ovins sur le parcours d'Izughar

Source : ELGEUROUA (2004)

• les propriétaires des troupeaux (de 20 à 100 têtes) ne se déplacent pas sur les alpages et
n’engagent que rarement des bergers. Le plus souvent, ils confient leurs animaux aux grands
propriétaires de troupeaux (qui sont en général des frères ou des amis). Si c’est nécessaire, ils

130
paient au berger le droit d’entrée des animaux dans les parcours (en général 20 centimes par
tête quelle que soit l’espèce). Le reste du temps, les animaux sont gardés et nourris à la
maison comme précédemment dans le cas des grands propriétaires de troupeaux.
1.2 LES BOVINS ET LES EQUINS :

Les bovins sont gardés à la maison et nourris de la même façon que les ovins et caprins. La
majorité des exploitations ne possède qu’une vache dont les veaux sont vendus dès qu’ils
atteignent l’âge d’un an. L’ensemble des Aït Ali (Ifrane, Ighirine et Iglouane) ne dispose que
de deux géniteurs entretenus par l’ensemble des exploitants des trois douars. L’introduction
de la race Holstein dans les années 1980 n’a pas fondamentalement modifié la conduite des
vaches, ni augmenté la production laitière qui n’est que de 3 à 6 litres/jour selon que la race
soit locale ou améliorée. Les soins vétérinaires ont lieu une fois par an.
Pour l’ensemble du douar Ifrane, on ne compte que 23 mules et 11 ânes. Ils fournissent la
force de traction de l’araire et permettent de transporter les récoltes.
Dans la plupart des exploitations, il n’existe pas de bergeries ou d’étables spécialement
conçues pour l’élevage. Les animaux sont parqués dans un coin de la cour intérieure des
maisons ou dans des pièces délabrées. Pour les grands propriétaires de troupeaux, des enclos
couverts sont souvent construits à l’extérieur des maisons.
Photographie 13 : Bovins locaux et croisés en enclos familial

Source : KEITA (2004)

2. DESTINATION DES PRODUITS DE L’ELEVAGE :


Chaque semaine, les agneaux, les chevreaux et les veaux sont transportés par camions pour
être vendus aux souks de Tabant ou d’Azilal. Les agneaux et les chevreaux peuvent rapporter
entre 500 et 1500 dirhams et les veaux jusqu’à 5000 ou 10.000 dirhams selon l’état
d’engraissement. Le lait est essentiellement autoconsommé. Il sert à la fabrication des dérivés
laitiers accompagnant le pain et le thé. Sa commercialisation est rendue impossible par
l’absence de tout système de collecte de lait (le centre le plus proche se trouvant à 80 km de la
vallée). La laine sert à la fabrication de tapis utilisés à la maison ou vendus dans les boutiques
de souvenirs pour touristes à Tabant. Le fumier est sans doute le produit de l’élevage le plus
recherché. Il est épandu tous les deux ans dans les parcelles irriguées. Les propriétaires de
grands troupeaux peuvent vendre ou donner leur surplus de fumier aux agriculteurs qui en ont
besoin.

131
CONCLUSION :
L’élevage reste une source de revenus importante pour les familles d’Ifrane. Nous verrons que
certaines d’entre elles tentent même de se spécialiser dans cette activité. Les parcours et les
forêts, avec l’irrigué, fournissent l’essentiel de l’alimentation des troupeaux.
III. LA PRODUCTION VEGETALE :
INTRODUCTION :

La production végétale est l’activité centrale dans l’agriculture. Selon la DPA, elle fournit
plus de 40% du revenu de certaines familles. Cette activité est pratiquée aussi bien en bour
qu’en irrigué. Mais la production irriguée est de loin la plus importante comme nous le
verrons dans la suite.
1. LES OBSTACLES NATURELS AU BON DEVELOPPEMENT DE L’AGRICULTURE
1.1 UN PERIMETRE IRRIGUE CONSTAMMENT ENVAHI :

La pratique de l’agriculture irriguée à Ifrane et comme dans la plupart des douars de la vallée
est une lutte de tous les instants tant les contraintes du milieu qui entravent la réalisation de
cette activité sont nombreuses. Toutes les parties du périmètre sont concernées : le fond de
vallée est soumis à des inondations fréquentes qui peuvent détruire tout le périmètre irrigué
(les parcelles sont complètement envahies par les apports solides des Chaâba-Thalwegs). En
1996, les eaux sauvages de l’assif ont emporté tous murets de protection en pierre (Imarine)
construits par les agriculteurs autour des parcelles. Cette année, la violence des crues a aussi
emporté les murets de protection construits le long de l’assif. Les parcelles en terrasses sont
moins touchées mais elles ne sont totalement épargnées. En effet, le poids de la neige qui
s’accumule en hiver détruit fréquemment les murets des terrasses, les pierres se répandent
ensuite dans toute la parcelle. Les parcelles envahies sont tout de suite remises en état par les
agriculteurs. Mais certaines fois, devant l’ampleur des dégâts, elles sont abandonnées par les
agriculteurs qui ne les utilisent plus que comme pâturages irrigués (servant généralement au
drainage des parcelles).
Photographie 14 : Parcelles détruites par les orages du 11/06/04

Source : KEITA (2004)

132
1.2 DES SOLS DE VERSANTS EMPIERRES OU RENDUS PEU FERTILES PAR
L’EROSION :

Les sols bour des versants ne sont pas épargnés. Ils ont une faible épaisseur à cause, d’une
part, de l’érosion par les torrents et les vents et, d’autre part, de la pente qui peut être très
forte. Ils sont rendus ainsi très peu fertiles. Les sols du bas des versants sont constamment
envahis par les pierres qui tombent de la montagne calcaire très friable.

Photographie 15 : Parcelles envahies par des pierres

Source : KEITA (2004)

2. LES SAISONS DE CULTURES : LAILI ET SMAÏM


Dans la vallée des Aït Bouguemez, les agriculteurs divisent l’année en deux périodes
agricoles principales (la période des premières cultures et la période des secondes cultures).
Ces deux périodes sont séparées par deux micro-saisons qui sont Liali et Smaïm.
Liali est une micro-saison de 40 jours qui se situe à cheval entre décembre et janvier
(généralement du 20 décembre au 30 janvier). Elle est décrite comme l’une des périodes les
plus froides de l’année. La fin de Liali marque le début des travaux du sol et des semis pour la
plupart des premières cultures (sauf l’orge semée en cycle long dans certains douars d’aval).
Smaïm est aussi une micro-saison de 40 jours qui se situe entre juin et juillet (il englobe
généralement tout le mois de juillet). C’est l’une des périodes les plus chaudes qui permet aux
agriculteurs de se faire une idée de ce que sera la disponibilité en eau. En effet, les
agriculteurs bouguemeziens affirment que s’il n y a pas de problème de raréfaction de l’eau
pendant Smaïm, il n y en aura pas pendant tout le reste de l’année. Smaïm est la saison des
travaux de moisson des premières cultures et de semis de certaines secondes cultures.
3. LA PRODUCTION EN BOUR :
Les principales spéculations en bour sont l’orge, le blé dur et les lentilles avec, depuis
quelques années, une préférence grandissante des agriculteurs pour les lentilles. Toutes ces
productions sont autoconsommées. Une parcelle n’est jamais ensemencée deux années de
suite par la même culture. La rotation cyclique de type orge-lentille-blé-lentille-orge est la
plus fréquente. Les rendements en bour (de l’ordre de 7 Qx/ha pour l’orge et les blés) sont très

133
inférieurs à ceux observés en irrigué. Les techniques culturales sont les mêmes que celles que
nous allons décrire pour les cultures irriguées.
Tableau 9 : Périodes de semis et de récoltes des cultures bour

Cultures Semis Récolte Succession des cultures

lentilles (laatass) Octobre Juin


La rotation se fait entre les
blé (irden) Octobre-Janvier Juillet
trois cultures
Orge (timzin) Octobre-Janvier Juin

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations

4. LA PRODUCTION IRRIGUEE :
4.1 LES CEREALES ET LES LEGUMES : DES CULTURES DESTINEES A
L’AUTOCONSOMMATION

Les principales spéculations céréalières sont l’orge, les blés (tendre et dur) avec une place de
choix pour la sole d’orge qui est de loin la plus importante (elle peut occuper jusqu’à 60% de
la superficie totale emblavée). Les blés sont semés fin janvier (après Liali). A Ifrane et dans la
plupart des douars d’aval, l’orge est surtout semée en cycle long en octobre. Mais elle peut
aussi être semée en cycle court entre janvier et février. Les quantités de semences utilisées
varient de 150 à 200 Kg/ha pour des quantités récoltées de 20 à 40 Qx/ha selon les années.
L’orge est sans doute la céréale la plus adaptée aux conditions difficiles de la montagne. "En
fonction des aléas climatiques, elle peut être déprimée ou non en hiver, pâturée en totalité au
printemps et/ou moissonnée en mai-juin" (AUCLAIR, 1991). Les usages de l’orge sont aussi
multiples : production de grains, de fourrages verts ou de pailles selon les besoins de
l’agriculteur.
Photographie 16 : Orge en association avec le pommier

Source : KEITA (2004)

Dans la succession des cultures, l’orge et les blés sont toujours suivis du maïs ou des légumes.
Ainsi après la moisson des premières cultures entre juin et juillet (Smaïm), les parcelles sont
réensemencées en maïs ou en navets. Ces deuxièmes cultures nécessitent, selon les
agriculteurs, de grands apports de fumiers et d’engrais pour l’obtention de bonnes récoltes.
Tableau 10 : Périodes de semis et de récoltes des cultures irriguées d’autoconsommation

134
Cultures Semis Récolte Succession

Les premières cultures

Blé
10 derniers jours de Janvier (juste en
Orge De Juin à Juillet
fin de Liali)
Légumes Les céréales sont
toujours suivies des
Les deuxièmes cultures légumes

Maïs Juin à Juillet


De septembre à Octobre
Navets Smaïm (40 jours de juillet)

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations

4.2 LA LUZERNE : UN FOURRAGE INDISPENSABLE

Tous les agriculteurs de la vallée réservent quelques parcelles pour la luzerne. Elle est semée
en automne ou en printemps en association avec l’orge ou sous les pieds de pommiers (dans
les deux cas, le but est de la protéger du froid). Elle reste généralement sur la parcelle pour
une période de quatre à cinq ans. La première coupe est effectuée au printemps qui suit son
ensemencement puis environ tous les mois. La luzerne est utilisée verte ou séchée pour
l’alimentation des animaux.
Photographie 17 : Parcelle de luzerne

Source : KEITA (2004)

4.3 LES CULTURES DE RENTE : UNE INNOVATION RECENTE

4.3.1 La pomme de terre : principale source de numéraire


Depuis son introduction par les militaires français sous le protectorat (MARTIN, 2002), la
pomme de terre a occupé, chez tous les agriculteurs de la vallée, une part importante de la
superficie totale emblavée. Aujourd’hui, c’est la première source de revenus de plusieurs
d’entre eux qui lui réservent d’ailleurs un apport important de fumure et une irrigation
abondante. Dans certaines exploitations d’Ifrane, une partie de la pomme est réservée à
l’autoconsommation. L’introduction de cette culture a véritablement augmenté la pression sur
la terre et sur l’eau. Depuis la grande période de sécheresse des années 1990, près de 50% des

135
agriculteurs d’Ifrane ont diminué presque de moitié les superficies consacrées à la pomme de
terre. C’est d’ailleurs, cette tendance qui est observée dans tous les autres douars de la vallée.
La pomme de terre est semée entre avril et mai. La récolte a lieu entre octobre et novembre.
Les rendements sont de l’ordre de 150 Qx/ha (AUCLAIR, 1991).
Photographie 18 : Parcelle de pomme de terre

Source : KEITA (2004)

4.3.2 L’arboriculture : une prédominance du pommier


Selon (MARTIN, 2002), le pommier a été introduit par la DPA en 1975. Certains agriculteurs
d’Ifrane affirment, eux, avoir planté leurs premiers pieds de pommiers dès 1970. Mais la
pratique du pommier ne s’est réellement généralisée dans la vallée qu’à partir de 1995.
Dans les douars d’amont, les parcelles des dernières terrasses (vers le piémont) sont
généralement consacrées aux pommiers pour limiter les risques liés aux inondations. Dans les
douars d’aval, c’est plutôt le contraire, le pommier est planté sur les sols hydromorphes de
fond de vallée pour limiter les risques de sécheresse. Dans les deux cas, le pommier n’est que
rarement planté seul sur une parcelle. Sous les pieds de pommiers, des céréales ou la luzerne
sont cultivées. Le but est de profiter au maximum de l’espace irrigué assez limité en taille.
Avant de mettre en terre les jeunes plants, un labour est effectué à l’araire. Des carrés de trois
mètres de côté sont ensuite tracés sur la parcelle à l’aide de cendre ou de chaux. C’est au
sommet de ces carrés que sont creusés les trous destinés à recevoir les jeunes plants. Une fois
plantés, les jeunes plants sont immédiatement arrosés. Ce n’est qu’après cinq ans que survient
la première production. Les cueillettes se font entre octobre et novembre. Les rendements sont
de l’ordre de 200 Kg/arbre (cas d’Ifrane). Les fruits sont vendus à Tabant ou à Azilal.
La taille des pommiers, réalisée une fois par an, est la seule opération agricole qui nécessite
l’emploi d’une main d’œuvre qualifiée. Les branches trop hautes ou mal positionnées sont
coupées à l’aide de sécateurs. Les femmes ramassent ensuite les branches qui sont utilisées
comme bois de feu ou comme fourrage foliaire.
Les noyers sont très grands (près de six mètres de circonférence pour certains arbres) et très
anciens (certains arbres sont âgés de plusieurs siècles). Ils sont plantés en bordure du
périmètre irrigué ou le long de certains canaux. A Ifrane, on ne compte que quelques pieds de
noyers. Dans d’autres douars de la vallée, le noyer représente une source importante de
revenus pour certaines familles.
Photographie 19 : Plantation de pommiers

136
Source : KEITA (2004)

5. LES TECHNIQUES CULTURALES : PARTAGE DU TRAVAIL ET SOLIDARITE


VILLAGEOISE

La préparation des sols et le semis sont réalisés au mois de janvier. Leur durée, très variable,
dépend du nombre de parcelles possédées par l’exploitant et de la main d’œuvre disponible
dans la famille. Ces travaux commencent par la fumure et/ou par l’épandage de l’engrais
(surtout pour les parcelles irriguées ensemencées en pomme de terre, en orge et en blés). Le
lisier récupéré dans les bergeries est séché et transporté jusqu’aux champs par les ânes ou les
mules pour être épandu sur la parcelle non labourée. Les semences sont ensuite épandues à la
volée. Ce n’est qu’en dernier lieu que la parcelle est labourée à l’araire en bois de chêne tracté
généralement par deux mules. A Ifrane, il n’existe que 23 mules et 11 ânes dans tout le douar.
Les agriculteurs qui ne disposent pas de cette force de traction indispensable peuvent compter
sur la solidarité des autres. Les travaux des sols mobilisent en général toute la force de travail
disponible dans la famille au moment où ils sont réalisés.
Le désherbage des parcelles est réalisé par les femmes chaque fois que cela est nécessaire.
Elles utilisent généralement une petite houe appelée amadir. C’est d’ailleurs ce même outil
qui est utilisé pour la plupart des travaux champêtres. L’herbe récupérée peut être donnée
verte aux animaux ou séchée et conservée pour l’hiver.
Les travaux de moisson, réalisés par les hommes et les femmes à la faucille, peuvent
nécessiter l’emploi de main d’œuvre journalière. Les femmes sont chargées de transporter à
dos la récolte.
Les travaux de battage des céréales sont marqués par une grande solidarité villageoise. Les
équidés nécessaires pour le dépiquage des céréales sont prêtés à ceux qui n’en ont pas.
Chaque agriculteur possède une aire de battage à côté de sa maison.
Photographie 20 : l'araire, un outil adapté à la montagne

137
Source : ELGEUROUA (2004)

CONCLUSION : UNE INTERDEPENDANCE TRES POUSSEE DE L’EXTENSIF ET DE


L’INTENSIF

Il faut noter la complémentarité importante qui existe entre les productions animales et
végétales. Les cycles culturaux intenses auxquels sont soumises les parcelles irriguées ne sont
rendus possibles que grâce à un apport très important de fumure fournie par les animaux. Le
troupeau devient ainsi garant de la fertilité des sols en transférant vers le fond de vallée les
éléments fertilisants qu’il collecte sur le bassin versant (AUCLAIR, 1991). Les animaux (ânes
et mules) assurent aussi la force de traction à l’araire, le dépiquage des céréales et le transport
de la récolte. L’alimentation des équidés, des bovins et d’une partie des ovins et caprins est,
en retour, assurée par le domaine cultivé (production de chaumes, de luzerne, de maïs
fourrager, d’orge en vert et d’herbes). Il faut aussi noter le rôle primordial des parcours et des
forêts qui fournissent l’essentiel de l’alimentation des ovins et des caprins.
On est donc en présence d’un système de production basé sur une interdépendance très
poussée de l’extensif (élevage sur parcours d’altitude) et de l’intensif (agriculture irriguée
dans le périmètre de fond de vallée).
IV. LA TYPOLOGIE DES EXPLOITATIONS AGRICOLES :
INTRODUCTION :
L’objectif de cette typologie des exploitations agricoles est de voir dans quelles mesures
l’accès à l’eau conditionne les choix de production des agriculteurs et quelles sont les
stratégies que les agriculteurs, en fonction des moyens dont ils disposent, mettent en œuvre
pour limiter les effets d’une raréfaction du facteur de production "eau".
La typologie des exploitations agricoles nous permettra aussi de saisir la tendance actuelle des
systèmes de production (c'est-à-dire de voir si elles s’orientent vers une plus grande ou une
moindre consommation d’eau).
1. LES CRITERES DE DIFFERENCIATION DES TYPES :
Nous avons établi les types d’exploitations agricoles en tenant compte d’un certain nombre de
critères discriminants dans la production végétale, la production animale et les activités
annexes comme le tourisme et le commerce :

138
La production végétale : A Ifrane, l’agriculture reste tournée vers la céréaliculture destinée à
l’autoconsommation et l’alimentation des animaux. L’agriculture de rente est récente et ne
concerne que la pomme de terre et le pommier. La spécialisation n’est donc pas très poussée.
Comme nous l’avons vu plus haut, toutes les cultures sont conduites à peu près de la même
façon. Seuls les modes d’irrigation et les apports de fumure peuvent changer selon les
cultures. Ainsi pour la production végétale, les seuls véritables critères de différenciation des
exploitations sont les nombres de parcelles, les assolements et, dans une moindre mesure, les
successions culturales.
La production animale : En matière d’élevage, il n’y a pas non plus de spécialisation
poussée dans l’engraissement ou dans la production laitière. Le seul critère qui peut
différencier les exploitations est le nombre de têtes possédé. Nous avons vu en effet qu’en
fonction du nombre de têtes, la conduite des animaux n’est pas la même pour tous. Ceux qui
ont plusieurs têtes exploitent les parcours d’altitude alors que ceux qui en ont peu ne se
déplacent guère.
Les activités annexes : Le tourisme se développe dans la vallée depuis les années 1980.
Certains agriculteurs s’y sont pleinement impliqués en construisant des gîtes, en achetant des
mules, en ouvrant une boutique à Tabant,... La prise en compte de cette activité est donc
importante dans la différenciation des exploitations.
La main d’œuvre familiale : C’est aussi un facteur important de différenciation des types en
ce sens que sa quantité disponible peut impliquer beaucoup de choses pour les exploitations.
Son insuffisance implique l’embauche de journaliers ou l’abandon de certaines parcelles. Son
abondance amène certaines exploitations à vendre ou à fournir gratuitement des services
ouvriers.
2. METHODE DE DEFINITION DES TYPES :
Il est important de signaler que cette typologie a souffert d’une insuffisance de données qui
s’explique, d’une part par le fait que les agriculteurs n’ont aucune idée des surfaces
emblavées, des productions,…dans les référentielles que nous utilisons habituellement et
d’autre part, par le fait que beaucoup d’entre eux n’ont pas apprécié les questions portant sur
leurs revenus ou sur leurs situations socio-économiques. Nous avons aussi essayé de
déterminer les quantités semées pour ensuite en déduire une approximation des superficies
des parcelles, mais la plupart des agriculteurs n’en ont qu’une idée très vague : "on met ce qui
est suffisant pour la parcelle, on le sait comme ça" (Un agriculteur d’Ifrane).
Grâce à l’aide du Morcheh d’Ifrane, nous avons pu déterminer l’origine des 74 ménages du
douar et avoir quelques approximations sur la situation économique de ces ménages (cheptel,
nombre de parcelles, nombre de pommiers) mais seulement par catégories d’agriculteurs.
Nous avons ensuite réalisé avec ces données une analyse économique (voir les résultats en
annexe 12) qui nous a permis d’établir notre typologie. Les types déterminés ne sont donc pas
très affinés, mais ils nous ont permis quand même de comprendre les stratégies développées

139
par les agriculteurs en cas de raréfaction de l’eau et de saisir les tendances actuelles des
systèmes de production.
3. LES TYPES D’EXPLOITATIONS AGRICOLES :
3.1 TYPE 1 : PRODUIRE POUR SE NOURRIR

Dans le douar Ifrane, le nombre de parcelles possédé par les agriculteurs varient de 10 à 50 et
le nombre de têtes ovines de moins de 20 à 300. Les agriculteurs du type 1 font partie d’une
catégorie assez particulière qui possède moins de 10 parcelles et moins de 10 têtes ovines.
Production végétale :
Le système de production de ces agriculteurs est très intensifié :
En premières cultures : plus de la moitié des parcelles est consacré à la céréaliculture,
principalement de l’orge pour nourrir la famille et fournir un complément aux animaux. Le
reste des parcelles est consacré à la pomme de terre et au maïs autoconsommés. Une parcelle
peut aussi être consacrée à la luzerne,
En deuxièmes cultures : le maïs fourrager, l’orge fourragère ou les légumes (généralement les
navets) sont pratiqués pour l’autoconsommation.
L’absence de jachères et le peu de variabilités dans les successions culturales se traduisent par
une diminution progressive des rendements des cultures et de la fertilité des sols.
Production animale :
La dizaine de têtes ovines est nourrie grâce à la paille d’orge et à la luzerne issues de l’irrigué.
Pour l’utilisation des pâturages, les animaux sont en général confiés aux bergers des grands
propriétaires de cheptel.
Position socio-économique :
Ils sont une vingtaine d’agriculteurs dans tout le douar et proviennent des trois grandes
familles fondatrices. Ils ne sont pas spécialisés dans un domaine particulier et ne pratiquent
pas d’activités annexes. Les agneaux et la laine sont les seuls produits vendus
occasionnellement. Ils n’ont pas accès aux facteurs d’intensification comme les engrais et les
semences de qualité et le nombre réduit de têtes ne fournit pas aussi assez de fumure. Ne
possédant pas de mules, ils comptent sur la solidarité villageoise (très développée à Ifrane)
pour les travaux de dépiquage des céréales. S’il existe, l’excédent de main d’œuvre est
valorisé comme journaliers dans la vallée ou dans la plaine. Le processus d’appauvrissement
semble inéluctable chez ces agriculteurs parce que c’est eux qui sont les plus grands vendeurs
de parcelles dans le douar.
3.2 TYPE 2 : DIVERSIFIER LES ACTIVITES

Les agriculteurs de type 2 possèdent entre 10 à 20 parcelles, 15 à 30 têtes de petits ruminants


et une vache dans certains cas.

140
Production végétale :
Le système de cultures n’est pas très loin de celui du type1 puisque la majeure partie des
parcelles est consacrée aux céréales avec cependant un nombre plus important de parcelles de
blé. En deuxièmes cultures, la pomme de terre destinée à la vente, le maïs et les légumes sont
pratiqués. Ces agriculteurs possèdent généralement quelques pieds de pommiers en état de
produire ou envisagent d’en planter en remplacement de la pomme de terre.
Production animale :
Deux à trois parcelles fournissent permanemment la luzerne qui complète l’orge en vert pour
nourrir les animaux. Les animaux sont souvent conduits sur les alpages par les fils sinon ils
sont confiés aux bergers des grands propriétaires, moyennant le paiement du prix d’entrée
dans les alpages. L’unique vache de l’exploitation fournit les dérivés laitiers. Les petits des
animaux sont vendus. L’argent sert à acquérir plus de terres ou de têtes ovines.
Positon socio-économique :
Ils sont aussi une vingtaine d’agriculteurs issus des trois familles grandes fondatrices du
douar. Ils s’en sortent mieux que les premiers grâce, notamment à la vente de pomme de terre
et de pommes qui fournit du numéraire. Ils peuvent avoir de petites échoppes dans le douar ou
à Tabant tenues par un fils. En outre, beaucoup d’entre eux envisagent de s’impliquer dans les
activités du tourisme (boutiquiers, muletiers, cuisiniers,…).
3.3 TYPE 3 : INTENSIFIER LE POMMIER ET LA POMME DE TERRE

Les agriculteurs de type 3 possèdent entre 30 à 40 parcelles, 20 à 40 têtes de petits ruminants,


1 vache et 2 mules pour la traction.
Production végétale :
Ces agriculteurs appartiennent aux familles qui ont adopté le pommier et la pomme de terre
dès leur introduction dans la vallée. C’est à eux qu’appartient l’essentiel des pommiers adultes
du douar (plus de 500 pieds pour la plupart d’entre eux). Les revenus importants que générait
la pomme de terre dans les années 1970 à 1980 leur ont permis d’acquérir beaucoup de
parcelles. La chute des cours de la pomme de terre à partir de 1980 et l’intérêt grandissant des
villes de la plaine pour la pomme de la montagne les ont amené à investir d’avantage dans
l’arboriculture. Ils sont les plus gros consommateurs de la main d’œuvre excédentaire des
types 1 et 2, essentiellement pour la taille des pommiers et la récolte des pommes. L’exiguïté
de la vallée et les intempéries sont les principaux freins à l’intensification du pommier.
Ces agriculteurs possèdent aussi quelques pieds de noyers dont les fruits sont vendus à Tabant
et comme tous les autres agriculteurs, ils ont des parcelles de céréales (orge et blé) et de
luzerne. Les céréales et la luzerne se retrouvent aussi sous les pommiers, mais pas toujours
parce que certains agriculteurs considèrent que cette association provoque une diminution de
rendements chez le pommier.

141
Beaucoup d’agriculteurs de type 3 ont aussi commencé à consacrer, en deuxièmes cultures,
une dizaine de parcelles au maraîchage (navets, carotte, petits poids, oignons) pour
l’autoconsommation mais aussi et surtout pour la vente au Souk.
Production animale :
Même s’ils ont un nombre assez important de petits ruminants, ils ne sont pas vraiment
tournés vers l’élevage. La plupart du temps, les animaux sont parqués dans un coin de la
maison où les femmes les nourrissent avec l’orge en vert et la luzerne. Pendant les périodes
d’ouverture des parcours d’altitude, ils sont confiés à un frère ou un ami qui s’occupe de leur
alimentation. La plupart d’entre eux sont prêts à se séparer d’une grande partie du troupeau
pour réinvestir dans l’arboriculture mais les contraintes naturelles de la vallée sont des
facteurs de découragement.
Position socio-économique :
Ils sont une quinzaine d’agriculteurs issus surtout des familles Tamazouzt et Aït Saïd
Ouhadou qui, historiquement, détiennent l’essentiel des droits fonciers du douar. Ils sont en
général impliqués dans d’autres affaires et se déplacent fréquemment à Azilal ou à Marrakech
pour rapporter dans la vallée du ciment, de la farine, de l’huile…qu’ils vendent en gros aux
boutiquiers de Tabant. Ils peuvent posséder eux-mêmes une boutique. La plupart d’entre eux
envisagent aussi d’investir dans les activités du tourisme.
3.4 TYPE 4 : SE SPECIALISER EN ELEVAGE

Ils possèdent entre 150 à 300 têtes de petits ruminants, 3 à 5 vaches et 10 à 30 parcelles.
Production végétale :
Les agriculteurs de type 4 ont un nombre de parcelles très variable. Pour ceux dont le nombre
de parcelles s’approche de 30, la production est assez voisine des agriculteurs du type 3 avec
cependant un moindre intérêt pour l’arboriculture. Pour ceux dont le nombre de parcelles est
voisin de 10, la production se rapproche plutôt de celle des agriculteurs du type 2. Dans les
deux cas, une place de choix est réservée à la luzerne, à l’orge fourragère et au maïs fourrager.
Production animale :
Les exploitations de ce type se caractérisent surtout par le nombre important de têtes de petits
ruminants. Ils sont les plus gros utilisateurs des Agoudals forestiers de douar et des parcours
intertribaux d’altitude. Ils emploient en général des bergers qui conduisent les animaux sur les
parcours pendant toute la période d’ouverture. Une grande partie de la production végétale est
destinée à nourrir les animaux pendant l’hiver. Les bergeries sont assez bien construites. Une
attention particulière est accordée aux soins vétérinaires (réalisés une à deux fois par an).
Dans les années 1980, ces agriculteurs ont été les premiers à adopter la Holstein. Aujourd’hui,
la plupart de leurs vaches sont croisées et ils ont réussi à augmenter sensiblement leur
production laitière. Faute de pouvoir commercialiser le lait (à cause de l’absence de centre de

142
collecte) à grande échelle, ils se contentent d’en retirer les dérivés laitiers pour la famille. Le
reste est donné aux nécessiteux.
Fréquemment, des camions transportent les agneaux et les veaux dans les souks de la région.
Une part de l’argent est investie dans les intrants destinés à améliorer la production
fourragère.
Position socio-économique :
Ils sont aussi une quinzaine d’agriculteurs et proviennent tous des familles Tamazouzt et Aït
Saïd Ouhadou, grands éleveurs transhumants qui se sont sédentarisés dans la vallée. Ils sont
très riches et ne manquent aucune occasion d’acquérir des parcelles pour augmenter leur
production fourragère. Ils sont aussi de gros acheteurs de compléments fourragers. Les
principaux freins au bon développement de leur activité sont l’absence d’assistance technique
et l’impossibilité de commercialiser le lait. Une idée de coopérative laitière est entrain de
germer avec les producteurs des autres douars. Les mules de ces exploitants ne servent pas
qu’aux travaux champêtres, elles sont aussi utilisées pour transporter les affaires des touristes
sur la montagne. Ce qui engendre des revenus supplémentaires non négligeables.
3.5 TYPE 5 : LES PLURIACTIFS

Ces agriculteurs possèdent entre 50 à 150 têtes de petits ruminants, 3 à 5 mules, 1 à 2 vaches,
20 à 30 parcelles.
Productions végétale et animale :
Le terme entrepreneur agricole convient parfaitement aux agriculteurs de ce type puisqu’ils
regroupent les activités du types 3 (intensification de l’arboriculture) et type 4 (intensification
de l’élevage). Mais ils ne s’occupent pas personnellement de ces activités. Un autre membre
de la famille s’occupe des cultures. Un berger est employé pour conduire les animaux sur les
alpages.
Activités annexes :
Les agriculteurs de ce type sont impliqués dans différentes autres activités dans la vallée. Un
agriculteur de ce type possède déjà un gîte fonctionnel où il accueille des touristes. Trois
autres projets de construction de gîtes existent chez cette catégorie. Les membres de leurs
familles sont des muletiers, des guides ou des accompagnateurs de montagne.
Position socio-économique :
Les agriculteurs de ce type (moins de dix dans tout le douar) sont surtout issus des Aït Sidi
Ahmed, derniers arrivés dans le douar. Ils possédaient déjà un cheptel important et ont acquis
beaucoup de terres grâce à la manne financière issue de la vente des agneaux.
Les exploitants de type 5 sont en forte croissance puisque tous les agriculteurs tentent
d’investir d’une façon ou d’une autre dans les activités du tourisme.

143
CONCLUSION : TENDANCES ACTUELLES DES SYSTEMES DE PRODUCTION
L’intensification agricole a commencé depuis les années 1970 avec la pomme de terre et le
pommier. Ceux qui disposaient de beaucoup de terres se sont lancés très tôt dans l’agriculture
de rente et se sont très vite enrichis. La chute des cours de la pomme de terre dans les années
1980 et les sécheresses à répétition ont amené les agriculteurs à diminuer de près de la moitié
la sole de pomme de terre. Timidement adoptée au début des années 1970, la pomme de terre
est à la mode depuis 1995. Même les agriculteurs qui possèdent très peu de terres y consacrent
une à deux parcelles. Aujourd’hui, les pommiers sont encore très jeunes mais dans une
dizaine d’années, on peut s’attendre à une forte augmentation de la production de pommes.
Une des conséquences pourrait être justement la chute des prix et la diminution des parcelles
du pommier par les agriculteurs comme ce fut le cas avec la pomme terre.
Depuis les années 1980, le tourisme exerce un effet d’entraînement sur les activités agricoles.
Les nombreux gîtes qui se construisent sont très demandeurs de fruits, de légumes, de viandes
et de produits laitiers. Beaucoup d’agriculteurs ont investi dans cette activité qui fournit des
compléments de revenus importants. Pour ceux qui ont un gîte, la production agricole est
planifiée de façon à s’auto fournir, pendant l’été, en produits maraîchers.
Dans tous les cas, aujourd’hui on est en présence d’un système de production qui s’oriente
vers une plus grande consommation d’eau ; le pommier, la pomme de terre et les fourrages,
cultures en croissance dans les assolements, sont en effet très demandeurs d’eau. Dans
beaucoup de douars, l’eau du tourisme provient des mêmes sources qui servent à l’irrigation,
le développement important de cette activité pourrait donc augmenter la pression sur l’eau.
V. LA GESTION DE L’EAU A LA PARCELLE : LES TECHNIQUES
D’IRRIGATION
INTRODUCTION :
Après avoir vu les différentes cultures pratiquées par les agriculteurs d’Ifrane, nous allons
étudier ici les techniques d’irrigation de ces cultures. C’est en effet au moment de l’irrigation
des parcelles que l’on peut se faire une idée du degré d’application de certaines règles
décidées par les Taqbilt. C’est aussi en observant les pratiques d’irrigation à la parcelle que
l’on peut se faire une idée de l’efficacité d’utilisation de l’eau.
1. L’IRRIGATION DES PARCELLES : UNE ACTIVITE MASCULINE
Tous les hommes de la famille (et dans certains cas les femmes) peuvent se charger de
réaliser l’irrigation des parcelles selon leur disponibilité au moment du tour d’eau de la
famille. De façon générale, ils vont sur le périmètre irrigué à deux ou trois, munis d’une houe
(ageulzim). Les agriculteurs voisins suivants sont eux aussi présents sur le périmètre.
Pendant qu’une personne surveille l’irrigation de la parcelle en veillant à ce que les Assemdi
soient bien ouvertes et que la hauteur d’eau ne dépasse pas les ados, une deuxième se charge
de surveiller en amont que toutes les autres prises sont correctement fermées. Si tel n’est pas

144
le cas, elle se charge elle-même de leur fermeture, le but étant de pouvoir disposer de tout le
débit disponible dans le canal pendant le tour d’eau de la famille.
Lorsqu’une parcelle est suffisamment irriguée, l’agriculteur suivant, déjà présent sur le
périmètre, dévie l’eau et commence l’irrigation de ses parcelles. L’irrigation continue ainsi
jusqu’aux dernières parcelles du canal. La passation de l’eau entre les agriculteurs provoque
souvent sur le périmètre de petits conflits en période de sécheresse où la pratique de la sur-
irrigation tend à se généraliser.
2. LA PREPARATION DES PARCELLES POUR L’IRRIGATION :
Avant de songer à l’irrigation d’une parcelle, plusieurs travaux sont nécessaires, certains dès
la fin de la saison agricole, d’autres en début de la période d’irrigation :
Pour les petites parcelles, il s’agit d’un travail de planage qui a lieu juste après la récolte. Il est
réalisé par simple transfert de la terre entre les différentes parties de la parcelle. Les canaux
internes, s’ils existent, sont réparés, mais cette fois-ci, au moment de l’entretien des canaux.
Pour les grandes parcelles de fond de vallée, il s’agit surtout de refaire les "petits canaux"
internes de distribution de l’eau, généralement envahis par les herbes. Les prises,
démesurément agrandies par la période d’irrigation précédente, sont réparées. Les ados des
parcelles, généralement très tassés, sont reconstruits pour que chaque planche soit bien
individualisée.
Le but de tous ces travaux est d’obtenir une meilleure circulation de l’eau dans les parcelles.
Nous verrons aussi que la bonne réalisation de ces travaux rentre dans les stratégies anti-
risques de certains agriculteurs en période de raréfaction de l’eau.
3. L’APPLICATION DE L’EAU A LA PARCELLE : LA SUBMERSION
L’eau est amenée dans la parcelle directement par des prises situées sur le canal principal ou
indirectement par l’intermédiaire de petits canaux. Généralement, on fait circuler l’eau dans la
parcelle progressivement d’amont en aval (ou rarement d’aval en amont). La parcelle est
jugée suffisamment irriguée dès que la lame d’eau atteint une dizaine de centimètres. On
notera cependant que la façon d’irriguer les parcelles n’est pas unique. Elle dépend de
plusieurs facteurs dont : le positionnement de la parcelle par rapport au canal d’irrigation
(perpendiculairement ou parallèlement), le mode d’alimentation en eau de la parcelle (par des
Assemdi sur le "grand canal" ou par l’intermédiaire de "petits canaux"), le planage de la
parcelle et les pratiques propres à chaque agriculteur. Nous pouvons, moyennant une certaine
simplification, distinguer trois modes principaux d’irrigation à la parcelle :
3.1 L’IRRIGATION EN NAPPE :

Les parcelles d’un seul tenant et les prairies sont équipées généralement de plusieurs prises.
Pour les irriguer on ouvre successivement les prises situées en amont des parcelles. Lorsque la
partie dominée par la première prise est suffisamment couverte d’eau (≈10 cm), on ouvre la
seconde prise et ainsi de suite jusqu’à ce que toute la parcelle soit totalement submergée.

145
Photographie 21 : Parcelle d'orge irriguée en nappe

Source : KEITA (2004)

3.2 L’IRRIGATION EN PLANCHES :

Certaines parcelles, disposées parallèlement à la pente, sont constituées de planches de 2 à 3


m de largeur séparées par des ados de 15 à 20 cm de hauteur. L’irrigation de ce type de
parcelles se fait de la même façon que celle des parcelles d’un tenant, à la seule différence que
chaque prise irrigue une planche assez bien individualisée comme c’était une parcelle à part.
Les parcelles équipées de planches perpendiculaires à la pente possèdent un canal interne ou
un canal d’amenée. Les prises qui irriguent les différentes planches sont disposées le long de
ces canaux. L’irrigation commence par la première planche. On retire la motte de terre qui
ferme la première prise et la place juste derrière celle-ci pour dévier l’eau dans la planche. On
procède de la même façon pour toutes les autres planches. Certaines fois, la terre qui sert à
barrer le canal est retirée de l’ados. Elle est remise en place une fois l’irrigation terminée.
Photographie 22 : Parcelle de luzerne irriguée en planches

Source : KEITA (2004)

3.3 L’IRRIGATION A LA RAIE :

Ce mode d’irrigation concerne les parcelles de pomme de terre ou de navets aménagées en


alternance de billons et sillons et les parcelles de pommiers aménagées en bassins.
L’irrigation de ces types de parcelles nécessite la présence d’au moins deux personnes. Les
raies sont ouvertes successivement ou mises en eau en même temps. La contrainte de ce mode
d’irrigation, c’est que l’eau ne doit pas dépasser une certaine hauteur (≈la moitié de la hauteur
du billon) au risque de détruire ou de tasser les billons. Ainsi pendant qu’une personne
contrôle le débit en régulant l’ouverture des prises, une seconde surveille la hauteur d’eau en

146
bout de raie. Le principe est le même pour les parcelles des plantations en bassins avec
cependant l’absence de la contrainte liée au contrôle de la hauteur d’eau. L’eau est passée
dans les différentes rangées d’arbres de bassin en bassin ou dans plusieurs bassins en même
temps selon le débit disponible dans le canal.
Photographie 23 : Parcelle de pomme de terre en alternance de billons et de sillons

Source : KEITA (2004)

4. LE DRAINAGE DES PARCELLES :


Dans les périodes d’abondance, le drainage des parcelles est souvent nécessaire à cause des
surplus d’eau dus à la sur-irrigation ou à une mauvaise surveillance de l’irrigation combinée
avec l’absence, sur le périmètre, de l’agriculteur suivant qui doit, en principe, prendre l’eau
dès que la parcelle de son voisin est suffisamment irriguée. L’eau peut ainsi déborder dans la
parcelle du voisin. Il y a deux façons principales d’évaluer les surplus d’eau : ils sont soit
envoyés vers les petits pâturages situés à la base de la plupart des parcelles, soit vers le canal
principal d’irrigation via les petits canaux qui entourent certaines parcelles. De façon
générale, les surplus d’eau finissent toujours par retourner à l’assif en empruntant un petit
affluent naturel ou un canal conçu spécialement à cet effet.
CONCLUSION : L’IRRIGATION A LA PARCELLE, DES DIFFICULTES TECHNIQUES
ET ORGANISATIONNELLES

La technique de submersion est une pratique ancestrale. Elle est bien maîtrisée par les
agriculteurs. Les cas de débordements lors de l’irrigation existent mais sont assez rares. Même
s’il n’existe pas de mesures permettant de se prononcer sur son efficience, on notera quand
même que cette technique est très adaptée au contexte d’abondance d’eau qui est la
caractéristique structurelle de la vallée. Elle permettrait aussi, selon (AMROUCH, 2003), de
recharger la nappe alluviale par les infiltrations au niveau des canaux d’irrigation et des
parcelles. Elle jouerait donc un rôle très important dans le cycle hydrique de la vallée.
Le problème technique qui résulte de l’irrigation par submersion est sans doute celui de la
surconsommation d’eau liée à la difficulté de contrôler les débits sur les prises rudimentaires.
Certaines fois, c’est le mauvais planage des parcelles qui provoque la surconsommation
d’eau. En période d’abondance de l’eau, cette surconsommation d’eau est tolérée parce
qu’aucun agriculteur n’est réellement privé d’eau. Par contre, lorsque l’eau se fait rare, elle
provoque plusieurs conflits entre agriculteurs.

147
L’autre problème de l’irrigation à la parcelle est organisationnel. Il est lié au mode de
distribution prise par prise d’amont en aval. En période de raréfaction, l’agriculteur qui a le
tour d’eau est obligé d’aller lui-même libérer l’eau. Il s’en suit une perte de temps et des fuites
d’eau dans les canaux. Les modes de distribution par quartier et par famille peuvent aussi
présenter ces inconvénients surtout quand les parcelles des familles sont trop dispersées ou
quand les quartiers d’irrigation sont très étendus.

148
Tableau 11: Le calendrier des irrigations

Janv. Fév. Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. Nov. Déc.

Cultures Maïs 1ère culture


annuelles

Pomme de terre 1ère culture

Orge grain

Blé

Maïs 2ème culture

Pomme de terre 2ème culture


(rare)

Orge fourragère

Cultures Luzerne
pluriannuelles

Cultures Pommiers
pérennes
Source : HUGON (2003)

Période végétative
Période de chevauchement
1ère/2ème culture
Période irrigation

149
VI. LA GESTION DE LA RAREFACTION DE L’EAU :
INTRODUCTION : LA RAREFACTION DE L’EAU
Etant donné que nous n’avons aucune donnée chiffrée sur les débits d’eau dans les canaux et
dans l’assif, nous ne pouvons pas dire à partir de quels débits l’agriculteur parle de sécheresse.
La raréfaction de l’eau peut avoir plusieurs causes : l’insuffisance des précipitations ; les
conflits inter-douars marqués par des coupures d’eau sur une période plus ou moins longue
peuvent provoquer une raréfaction de l’eau chez les douars d’aval qui se retrouvent dans
l’impossibilité de satisfaire les besoins d’irrigation de leurs cultures pendant la durée du
conflit ; lorsque les inondations détruisent les canaux, les agriculteurs sont privés d’eau
pendant les deux semaines que prend la réfection des canaux. Dans toutes ces situations, les
pratiques et les comportements de l’agriculteur sont modifiés pendant un certain temps.
Donc de façon générale, en parlant de sécheresse ou de raréfaction de l’eau, nous faisons
référence à toutes les situations où les quantités disponibles du facteur de production "eau" ne
permettent pas aux agriculteurs de satisfaire les besoins d’irrigation des assolements qu’ils ont
l’habitude de réaliser.
En pleine campagne agricole, les agriculteurs se basent sur la durée des tours d’eau pour
estimer les risques de raréfaction de l’eau dans l’assif. Ils parlent de sécheresse dès qu’ils
constatent une généralisation des retards de libération ou une augmentation des durées
d’irrigation des parcelles. C’est alors qu’ils décident de mettre en place collectivement et/ou
individuellement les stratégies visant à limiter les effets de la diminution des volumes d’eau.
1. LES STRATEGIES DES AGRICULTEURS FACE A LA RAREFACTION DE L’EAU

En parlant de stratégies, nous faisons référence aux moyens que les agriculteurs mettent
collectivement et/ou individuellement pour limiter les effets de la sécheresse. Dans la plupart
des cas, il s’agit d’une simple réadaptation des assolements aux disponibilités de l’eau dans le
réseau hydraulique. On peut isoler trois grandes catégories de stratégies :
1. les stratégies collectives décidées par la Taqbilt,
2. les stratégies collectives mises en place par les familles ayants droit d’un canal,
3. les stratégies individuelles que chaque agriculteur mobilise selon ses moyens propres.
1.1 LES STRATEGIES COLLECTIVES DECIDEES PAR LA TAQBILT :

Le but premier des disciplines strictes d’utilisation de l’eau que la Taqbilt impose à tous les
agriculteurs est d’éviter que le comportement individualiste de certains agriculteurs ne mettent
en péril l’unité et la survie de la Taqbilt en période de raréfaction de l’eau. Ces décisions,
prises au cours de la Jemaâ à l’unanimité, peuvent concerner aussi bien la distribution de
l’eau que les assolements (tout dépend de la gravité de la sécheresse).
1.1.1 Les stratégies liées à la distribution de l’eau :

150
(a) La régulation des ougoug :

En période "normale", tous les canaux du douar fonctionnent simultanément ; les débits
importants de l’assif font que les Ougoug d’amont laissent passer suffisamment d’eau pour
que soient alimentés ceux d’aval. Il est possible, pour les agriculteurs, d’irriguer
simultanément le long de tous les canaux du douar.
Lorsque l’eau se fait rare, cette pratique n’est plus possible. La Taqbilt décide alors de mettre
en vigueur la règle d’alternance de l’alimentation des canaux le long de l’assif. L’eau
disponible dans l’assif pour le douar est acheminée vers le premier ougoug sur l’assif. Un
temps, variable selon le canal concerné (les agriculteurs parlent d’un temps suffisant pour
l’irrigation de toutes les parcelles), est ensuite consacré aux ayants droit pour l’irrigation de
leurs parcelles. Dès que ce temps est écoulé ou dès que l’irrigation des parcelles est terminée,
l’eau est déviée vers le second Ougoug, situé sur la rive opposée du premier Ougoug.
L’irrigation se poursuit ainsi Ougoug par Ougoug jusqu’à ce que toutes les parcelles soient
irriguées.
Selon les agriculteurs, il faut en général, une quinzaine de jours pour faire le tour de tous les
canaux du douar. Les agriculteurs d’aval du périmètre ne sont pas toujours satisfaits de ce
partage de l’eau du fait que la distribution commence toujours par l’amont. En temps de
sécheresse, disent-ils, plus on avance dans l’été, plus le débit de l’eau diminue. Donc lorsque
leur tour arrive, il y a forcément moins d’eau pour eux dans l’assif. On notera, cependant, que
cette inégalité d’accès à l’eau est quelque peu compensée par l’absence de tours d’eau avec
les douars d’aval. En effet, les agriculteurs d’aval du réseau peuvent utiliser librement tout le
débit disponible dans l’assif pendant leur tour d’eau alors ceux d’amont subissent tous les
problèmes posés par le voisinage avec d’Aït Ouchi (les coupures d’eau fréquentes et le non
respect des tours d’eau). Dans tous les cas, cette alternance de la distribution de l’eau entre les
Ougoug a l’avantage de diminuer les pertes liées au transport par la diminution du chemin
parcouru par l’eau. Elle permet aussi à chaque agriculteur d’accéder à l’eau au moins une fois
par quinzaine.
(b) Le renforcement du contrôle de la distribution :

Lorsque la sécheresse survient, le contrôle de la distribution devient plus sévère. Le Naïb-n-


Taqbilt devient plus exigent, il se rend constamment sur le périmètre pour veiller au bon
déroulement de la distribution de l’eau. En fait, c’est l’ensemble des agriculteurs qui participe
à la surveillance du tour d’eau. Chacun contrôle son voisin et le dénonce en cas de coupure
d’eau ou de pratique de la sur-irrigation. On remarque aussi que pendant ces périodes, les
amendes infligées aux coupables sont plus sévères (le but étant de dissuader les autres de ne
se comporter de la même façon).
1.1.2 Les stratégies liées aux assolements : le choix des
deuxièmes cultures
Il faut distinguer deux situations dans la régulation des assolements par la Taqbilt :

151
(a) Première situation : L’eau est rare dès le début de
la période agricole

La décision concerne les premières cultures d’hiver destinées à l’autoconsommation. La


Taqbilt se réunit pour décider, à l’unanimité de ses membres, de ne pratiquer qu’une seule
culture. Toute fois, le choix de cette culture est laissé à chaque agriculteur. En général, ils
choisissent tous de semer l’orge parce qu’elle est très tolérante au manque d’eau. Dès l’instant
que cette décision est prise, il n’est plus question de pratiquer une deuxième culture d’été. Si
au cours de l’été, l’eau se fait à nouveau disponible (ce qui est rare), elle est utilisée pour
irriguer la luzerne (déjà semée), les plantations ou les prairies.
(b) Deuxième situation : L’eau se fait rare après la
récolte des premières cultures

Dans ce cas, la décision concerne les deuxièmes cultures d’été destinées à la vente. La Taqbilt
décide, à l’unanimité des ses membres, de ne pratiquer qu’une seule culture avec ou sans
détermination de la culture à pratiquer (selon la gravité de la sécheresse). En général, la
pomme de terre est interdite parce qu’elle est considérée comme très consommatrice en eau.
D’ailleurs, les agriculteurs l’évitent parce qu’en cas de manque total d’eau, elle occasionnerait
beaucoup de pertes. Ils choisissent plutôt le navet et/ou le maïs, considérés comme plus
tolérants au manque d’eau et occasionnant moins de pertes.
1.1.3 Portée des décisions de la Taqbilt :
Si les agriculteurs se soumettent à des disciplines d’utilisation de l’eau assez drastiques, c’est
à cause de l’ampleur des sécheresses survenues dans la vallée. Lors de la période récente de
sécheresse (1990-2001), la source d’Aït Ouham, principale alimentation en eau de l’oued,
était complètement tarie. Les anciens parlent aussi de sécheresses si graves qu’ils n’ont pas eu
suffisamment de céréales pour réaliser un battage. Les famines qui résultaient de ces
sécheresses poussaient massivement les habitants vers les villes de la plaine (selon la DAHA,
plus de 120 foyers ont quitté la vallée durant ces dernières années). Certains ne seraient plus
jamais revenus. Ce sont toutes ces difficultés, gardées intactes dans la mémoire collective, qui
poussent les agriculteurs d’Ifrane à réagir violemment quand quelqu’un ne respecte pas les
décisions collectives. Chez les Aït Ifrane, en période de sécheresse, les stratégies
individualistes qui sont en contradiction totale avec les décisions de la Taqbilt ne sont pas
tolérées. Toutes les décisions prises collectivement, sont écrites et déposées au caïdat pour
servir de base d’arbitrage des conflits fréquents qui apparaissent entre la communauté et
certains de ses individus récalcitrants. Mais avant d’en arriver au caïdat ou au Hakem, les Aït
Ifrane privilégient toujours les solutions locales. Ceux qui ne respectent pas les règles de
partage de l’eau sont soumis à des amendes record. Pour ceux qui refusent de respecter les
assolements imposés, la Taqbilt utilise surtout la pression morale en empêchant, par exemple,
l’agriculteur de sortir de chez lui ou d’accéder à ses parcelles. Le recours au caïdat
n’intervient que lorsque la situation commence à dégénérer. Mais on ne se souvient pas, à
Ifrane, de cas ayant nécessité le recours aux autorités locales. On notera aussi que si un

152
agriculteur décide de pratiquer une culture interdite, il peut la faire mais il ne pourra pas
l’irriguer parce que les autres ayants droit du canal concerné s’y opposeront farouchement.
1.2 LES STRATEGIES COLLECTIVES DECIDEES PAR LES FAMILLES AYANTS
DROIT D’UN CANAL :

Le long de certains canaux, les familles ayants droits peuvent prendre certaines décisions
collectives pour limiter les effets d’une sécheresse inattendue. Il est, en effet, souvent arrivé
que les agriculteurs soient surpris par une raréfaction soudaine de l’eau en plein milieu d’une
campagne agricole. Toutes les cultures ont déjà été mises en terre et les risques de les perdre
sont très importants. Dans ces cas, la Taqbilt impose aussitôt l’alternance de l’alimentation
des canaux. Mais les décisions les plus remarquables sont celles que prennent les groupes
d’ayants droit des canaux pour limiter les pertes de récoltes :
1.2.1 L’irrigation des cultures prioritaires :
En dehors des plantations de pommiers, pour les agriculteurs d’Ifrane, en cas de manque
d’eau, la culture à irriguer prioritairement est l’orge. Il faut mettre cela en lien avec la grande
plasticité de l’orge et le multi-usage qu’elle permet en fonction des aléas climatiques et des
besoins de l’agriculteur (production de grains, d’herbes vertes ou de paille,…). En général, les
agriculteurs ayants droit d’un canal, décident de n’irriguer que la sole d’orge. Ils effectuent
une première rotation au cours de laquelle ils n’irriguent que les parcelles d’orge. Si à la fin
de ce tour, les ayants droit disposent encore de temps avant que l’eau ne soit attribuée à un
autre canal, ils effectuent une seconde rotation au cours de laquelle les autres cultures ne sont
irriguées que sommairement.
On pourrait se demander pourquoi chaque agriculteur ne pratique pas individuellement cette
stratégie. En effet, dans son tour d’eau, il pourrait donner prioritairement l’eau à ses parcelles
d’orge puis irriguer sommairement le reste des cultures avant de passer l’eau à son voisin.
Les agriculteurs d’Ifrane évoquent deux raisons qui font que, si elle est pratiquée
individuellement, cette stratégie ne donnera pas de résultats satisfaisants :
la première, c’est que l’agriculteur sera tenté d’irriguer toutes ses cultures au lieu de s’en
tenir à l’orge seule,
la seconde, c’est la divergence des intérêts : pour une poignée d’agriculteurs fortunés (de
type 3 et 4 et 5 en général), l’orge n’est pas tellement prioritaire. Ils peuvent toujours acheter
au marché la farine et les compléments alimentaires nécessaires pour leurs troupeaux. Ils
auraient donc préféré attribuer l’eau à la pomme de terre, à la luzerne ou aux pommiers. Ils
n’acceptent cette stratégie que parce qu’elle a été décidée par tout le groupe d’ayants droit.
On notera d’ailleurs que c’est pour ces deux raisons que les agriculteurs mettent en place un
système de contrôle dans lequel chacun doit veiller à ce que son voisin respecte le tour d’eau.

153
1.2.2 La limitation des temps d’irrigation :
Les ayants droit des canaux qui sont soumis au mode de distribution "le premier arrivé"
connaissent une recrudescence des conflits interpersonnels en temps de raréfaction de l’eau.
Habituellement, sur ces canaux, l’agriculteur qui a le tour ne passe l’eau à ses voisins que
lorsqu’il juge que toutes ses parcelles sont suffisamment irriguées. Quand l’eau se fait rare,
cette liberté sur la durée d’irrigation n’est plus possible. Les agriculteurs, le long d’un canal,
décident de limiter les temps d’irrigation pour tout le monde. Etant donné que les gens n’ont
pas les mêmes surfaces à irriguer par le même canal, c’est plutôt le niveau d’arrosage des
parcelles qui est contrôlé. Cette surveillance s’effectue généralement entre agriculteurs ayant
des parcelles voisines.
Les deux stratégies décidées par les familles ayants droit des canaux ne sont pas en
contradiction avec les décisions que la Taqbilt prend pour tout le douar. Elles les complètent
même d’une certaine façon en limitant les surfaces à irriguer et les temps d’irrigation.
1.3 LES STRATEGIES INDIVIDUELLES :

Si des décisions collectives sont prises pour limiter les effets de la raréfaction de l’eau, chaque
agriculteur, de son côté, prend aussi des décisions individuelles. Les stratégies que nous
rapportons ici ne sont pas toutes appliquées par tous les agriculteurs. En fonction des moyens
dont il dispose, l’agriculteur préféra telle stratégie plutôt que telle autre. Nous consacrerons la
partie suivante à l’examen des préférences des différents types d’exploitants pour les
différentes stratégies.
A l’instar de (HUGON, 2003), nous pouvons distinguer deux grandes catégories de stratégies
individuelles :
1. les stratégies positives : qui ne sont pas en contradiction avec les décisions collectives
puisqu’elles ne posent pas de problèmes pour les autres agriculteurs.
2. les stratégies négatives : qui peuvent entrer en totale contradiction avec les décisions
collectives, elles sont généralement dommageables pour les autres agriculteurs.
1.3.1 Les stratégies positives :
(a) Meilleure préparation des parcelles pour
l’irrigation :

Lorsque survient la sécheresse, certains agriculteurs réalisent de façon très assidue les travaux
préliminaires de préparation des parcelles pour l’irrigation. Le planage est mieux effectué.
L’intérieur des canaux internes à la parcelle est tassé. Les ados sont surélevés et les planches
parfaitement individualisées. Ces travaux permettent d’obtenir une meilleure circulation et
une meilleure répartition de l’eau dans les parcelles. L’agriculteur aura ainsi l’avantage de
pouvoir irriguer correctement ses parcelles pendant le peu de temps qui lui est consacré.
La diminution des durées d’irrigation qui résulte de cette pratique (même si ce n’est pas le but
premier visé par les agriculteurs) permet de laisser plus de temps au reste du groupe.

154
L’efficience d’utilisation de l’eau s’en trouve aussi améliorée puisque les parcelles bien
préparées occasionnent moins de fuites par infiltration.
(b) Réduction de la surface à irriguer :

Lorsqu’il y a une incertitude d’avoir accès à la quantité d’eau nécessaire pour irriguer toutes
leurs parcelles, certains agriculteurs décident volontairement de ne pas mettre en culture
toutes leurs parcelles. On distingue deux cas de réduction de la surface à irriguer :
1. Situation une : les agriculteurs n’emblavent que les parcelles qui sont dominées par les
canaux directement reliés à une source ou les parcelles qui sont directement accolées à un
canal d’irrigation,
2. Situation deux : les agriculteurs peuvent séparer chaque parcelle en deux. Les cultures à
forte sensibilité au manque d’eau comme la pomme de terre sont installées dans la partie
accolée au canal d’irrigation. Dans l’autre partie, ils installent les cultures plus résistantes au
manque d’eau comme l’orge (qui peut se passer d’irrigation). Dans certains cas, aucune
culture n’est installée sur la moitié de la parcelle non accolée au canal. Les adventices qui y
poussent sont fauchées et données aux animaux.
La diminution des surfaces à irriguer peut être synonyme de réduction de la pression sur l’eau.
(c) Adaptation des assolements :

L’adaptation des assolements ne concerne pas que les risques liés à la raréfaction de l’eau. Il
s’agit, pour l’agriculteur, de bien penser son assolement dès le début de la campagne agricole
pour limiter les risques liés à la sécheresse mais aussi au gel.
Lorsque le risque de sécheresse est élevé dès le début de la campagne agricole, les
agriculteurs inversent complètement l’ordre habituel de mise en cultures : la pomme de terre
est semée en première culture pour profiter du peu d’eau de début de campagne. Les céréales,
très tolérantes au manque d’eau, sont semées en deuxièmes cultures (elles produiront même
s’il n y pas d’eau alors que la pomme de terre serait entièrement perdue). Si l’eau manque dès
le début de la campagne, les agriculteurs abandonnent complètement la pomme de terre. Ils ne
font que les céréales. Pendant les sept années de sécheresse des années 1990, les agriculteurs
d’Ifrane n’ont pratiqué que les céréales et, dans une moindre mesure, la luzerne.
Contre le risque de gel, les pratiques sont aussi quelque peu modifiées. On se rappelle que les
agriculteurs d’Ifrane ont l’habitude de semer l’orge en cycle long en octobre. Mais si la
campagne agricole précédente a été très sèche, ils préfèrent la semer en cycle court en janvier-
février. Le but de cette pratique est de profiter de la fraîcheur de l’hiver en comptant sur la
résistance de l’orge au gel (dont le risque reste encore très élevé en cette période). Vers le
mois d’avril où il fait encore froid, les agriculteurs sèment la pomme de terre (destinée à
l’autoconsommation). Elle profite ainsi de la fraîcheur sans être trop exposée au gel. Le maïs
et la pomme de terre de vente sont semés en été parce que le risque de gel est quasi-inexistant.

155
1.3.2 Les stratégies négatives :
(a) La pratique de la sur-irrigation :

En période de sécheresse, face à l’allongement des tours d’eau, les agriculteurs se mettent à
augmenter considérablement les doses à appliquer aux parcelles. Comme ils ne connaissent
pas la date de la prochaine irrigation (des intervalles de plus de vingt jours ont été observés
entre deux irrigations), ils préfèrent se rassurer en inondant complètement leurs parcelles. Le
but, disent-ils, c’est de profiter de l’eau tant qu’ils l’ont puisqu’ils ne savent pas quand ils
l’auront encore. Ce n’est que sous la pression du voisin, généralement présent sur le périmètre
au moment de l’irrigation, que l’eau est libérée. Même si cette pratique est interdite par la
Taqbilt, elle reste assez répandue puisque la plupart des agriculteurs interrogés sur le sujet
reconnaissent avoir pratiquer certaines fois la sur-irrigation.
Le premier effet de la sur-irrigation est paradoxalement l’allongement des tours d’eau que les
agriculteurs semblent craindre (en pratiquant la sur-irrigation). Les quantités disponibles dans
un canal ne sont utilisées que par quelques agriculteurs pendant le tour d’eau alors qu’elles
auraient pu servir à irriguer beaucoup plus de parcelles. Les agriculteurs d’aval, qui se
trouvent ainsi privés d’eau pendant très longtemps, se mettent à utiliser, eux aussi, le
maximum d’eau quand ils ont le tour. Dans ces conditions, seul le contrôle entre agriculteurs
voisins reste efficace (c’est d’ailleurs pendant ces moments là que les tensions entre
agriculteurs voisins atteignent leur paroxysme).
(b) Les vols d’eau : une pratique banalisée ?

(i) Les types de vols d’eau :


On peut distinguer trois types principaux de vols d’eau :
1. le vol d’eau entre deux douars : déjà traité (conflit Ifrane – Aït Ouchi),
2. le vol d’eau entre agriculteurs utilisant des canaux différents : assez rare,
3. le vol d’eau entre agriculteurs utilisant le même canal : assez fréquent.

(ii) Comment vole-t-on l’eau ?


La nuit est le moment privilégié pour les vols d’eau. De façon générale, c’est toujours un
agriculteur d’amont qui coupe l’eau pendant qu’un autre agriculteur est entrain d’irriguer plus
en aval du canal. Le vol d’eau peut se faire de plusieurs façons :
le cas le plus fréquent consiste à laisser ouvertes intentionnellement les prises de sa parcelle
ou à irriguer nuitamment sa parcelle pendant que l’on a pas le tour d’eau. Dans ces cas,
l’agriculteur choisit toujours le moment où celui qui a le tour d’eau se trouve pratiquement à
l’autre bout du canal, le but étant de gagner suffisamment de temps.

156
un autre cas assez courant mais pas toujours considéré comme vol d’eau, c’est de prendre le
soin de ne laisser qu’une petite ouverture sur le canal. Ce qui permet de profiter
momentanément de l’eau sans pour autant provoquer une forte diminution de débit en aval.

(iii)Comment débusque-t-on le "coupeur d’eau" ?


Lorsque l’agriculteur en aval constate une diminution soudaine du débit, il peut se déplacer en
amont ou y envoyer quelqu’un pour vérification. Mais le fautif, qui peut se trouver à un km en
amont, a généralement tout son temps pour refermer ses prises avant d’être découvert. Ainsi,
la façon la plus fréquente et la plus sûre de confondre un "coupeur d’eau", c’est de vérifier, le
lendemain, les niveaux d’irrigation de toutes les parcelles. C’est une opération qui semble, à
première vue, minutieuse et coûteuse en temps, mais les agriculteurs connaissant parfaitement
les tours d’eau, ils repèrent très rapidement les parcelles anormalement irriguées.

(iv) Le vol d’eau : une pratique qui se généralise ?


En période de sécheresse, certains agriculteurs érigent le vol d’eau en une véritable stratégie
anti-risque. Ils estiment, en effet, que payer moins de 300 dirhams (amende pour vol d’eau à
Ifrane) est préférable au risque de perdre leurs productions. Cette situation pose, bien
évidemment, la question de l’efficacité des amendes pécuniaires trop faibles comme moyens
de dissuasion face aux coupures d’eau fréquentes en période d’étiage de l’assif.
(c) Le pompage individuel de l’eau : une pratique
récente

(i) Les types de pompages :


On peut distinguer trois systèmes de pompages individuels à Ifrane :
1. le puit équipé d’un système de puisage traditionnel : l’eau est puisée manuellement
avec une puisette avant d’être déversée dans un canal qui amène l’eau jusqu’à la parcelle. Il
existe à Ifrane un seul puit de ce type, situé hors du périmètre irrigué.
2. le puit équipé d’une pompe motorisée : l’eau est pompée et envoyée vers la parcelle via
un tuyau ou un canal d’amenée. Il en existe un seul à Ifrane.
3. Motopompe installée sur canal d’irrigation : il en existe deux à Ifrane. Elles sont
installées sur le canal Daou Tarahamount partagé avec Taghoulit et Aït Oughral. L’eau est
envoyée vers les parcelles via des canaux aménagés à cet effet.

(ii) Réglementation du pompage individuel :


A Ifrane, la seule condition exigée lorsqu’on veut creuser un puit, c’est de s’éloigner de
l’assif, des sources d’eau et des canaux d’irrigation. Quant aux motopompes, aucune règle
particulière ne régit leur installation. L’agriculteur actionne sa pompe quand il a le tour d’eau.
Il irrigue toutes ses parcelles et passe ensuite l’eau à son voisin. Au départ quand ces systèmes
de pompage ont été installés, c’était pour irriguer des parcelles de piémont qui étaient

157
préalablement exploitées en bour. Mais lors de la grande période de sécheresse des années
1990, ils ont servi quelques fois à irriguer des parcelles du périmètre irrigué.

(iii)Les conséquences à long terme du pompage


individuel :
Aussi curieux que cela puise paraître, les autres agriculteurs (aujourd’hui en tout cas) ne
perçoivent pas ce pompage comme un problème ("du moment, disent-ils, que tout le monde a
le droit d’en installer"). Le pompage individuel pourrait pourtant favoriser les agriculteurs
fortunés (types 3, 4 et 5) au détriment de ceux qui n’ont pas de moyens (types 1 et 2), le coût
de l’installation d’un système de pompage individuel variant de 15.000 à 20.000 dirhams. Un
autre avantage de disposer d’une pompe, c’est de pouvoir aller chercher l’eau directement
dans la nappe alluviale quand son niveau ne permet plus aux sources de sourdre (de donner
l’eau aux autres agriculteurs). On peut aussi évoquer le risque de sur-pompage qui diminuerait
considérablement les quantités disponibles pour les autres agriculteurs. A terme, un
développement excessif du pompage individuel pourrait mettre à mal la solidarité du groupe
en temps de sécheresse : il y a, en effet, risque que les propriétaires de pompe ne se sentent
plus concerner par les règles collectives mises en place par enrayer les effets de la sécheresse.
2. PREFERENCES DES TYPES D’EXPLOITATIONS AGRICOLES POUR LES
DIFFERENTES STRATEGIES :

2.1 LES TYPES 1 ET 2 : READAPTER LES ASSOLEMENTS, MIEUX


PREPARER LES PARCELLES ET NE PAS RESPECTER LES RESTRICTIONS SUR
LES CULTURES D’ETE

Les agriculteurs de types 1 et 2 ne disposent pas de suffisamment de moyens. Leurs seules


stratégies restent la réadaptation des assolements et une bonne préparation des parcelles pour
l’irrigation. Ces deux types d’agriculteurs sont les plus dérangés par les décisions collectives
qui concernent les restrictions sur les cultures d’été puisque c’est l’intensification et l’absence
de jachère qui leur permettent de produire pour l’alimentation familiale et les besoins des
animaux. Il est donc fréquent qu’ils outrepassent ces décisions. Il faut se souvenir qu’à Ifrane,
l’agriculteur peut bien ne pas respecter les restrictions sur les secondes cultures mais ses
voisins ne lui permettront pas d’irriguer les cultures interdites. Plusieurs témoignages
rapportent pourtant qu’il est fréquent que les voisins laissent ces deux types d’agriculteurs
réaliser l’irrigation des cultures interdites. Il s’agit là sans doute d’une forme de solidarité du
douar envers les plus pauvres. Si les agriculteurs de type 1 et 2 ne s’adonnent pas à la coupure
d’eau, c’est parce qu’ils n’ont pas le moyen de s’acquitter des amendes s’ils sont pris.
2.2 LE TYPE 3 ET 5 : ACCORDER LA PRIORITE AUX PLANTATIONS, POMPER
L’EAU ET COUPER L’EAU SI NECESSAIRE

Les agriculteurs de types 3 et 5 se rapprochent par les stratégies qu’ils adoptent face à la
sécheresse. Lorsque le long des canaux, les familles décident d’accorder la priorité à certaines
cultures, ces deux types d’agriculteurs consacrent l’essentiel de leur temps d’irrigation aux

158
plantations. Les systèmes de pompage qui existent à Ifrane appartiennent à des agriculteurs de
ces types. Au début, c’était pour étendre les parcelles irriguées, mais par la suite ces systèmes
de pompages sont devenus de véritables outils stratégiques. Les agriculteurs de type 3 et 5
sont aussi ceux qui s’adonnent le plus souvent aux coupures d’eau. Ils ont le moyen de payer
les amendes et leur poids important au sein de la Taqbilt est un bon garanti de sécurité.
2.3 LE TYPE 4 : GARANTIR LA PRODUCTION DE FOURRAGES

Pendant que les types 3 et 5 accordent la priorité aux plantations, le type 4 s’oriente plutôt
vers l’irrigation des cultures fourragères (orge fourragère, maïs fourrager et luzerne). Le but
est d’assurer l’alimentation du troupeau puisque dans les années de faibles précipitations, les
alpages ne fournissent pas suffisamment de compléments fourragers pour les animaux.
CONCLUSION :
Il faut noter ici la divergence d’intérêts qu’il y a entre les agriculteurs d’Ifrane. Les types 1 et
2 (les plus nombreux d’ailleurs : plus de 60%) sont surtout préoccupés, dans leurs stratégies,
par les besoins de consommation de la famille. Les types 3, 4 et 5 sont plutôt préoccupés par
la continuité de leurs activités ; ils peuvent toujours acheter au marché les produits nécessaires
pour les besoins de consommation de la famille.
Les préférences des agriculteurs pour les stratégies face à la raréfaction de l’eau montre aussi
que les systèmes de production s’orientent vers une plus grande consommation d’eau avec le
pompage qui se développe : tous les agriculteurs d’Ifrane, quel que soit leur type, affirment
qu’ils creuseront un puit dès qu’ils en auront les moyens.

CONCLUSION :
L’analyse historique montre que les Aït Ifrane sont passés des droits d’eau lignagers aux
droits d’eau liés à la terre pour limiter les conflits qui entouraient les transactions foncières.
Les modes d’alimentation en eau des dix canaux qui composent le réseau hydraulique d’Ifrane
confirment la diversité des relations qui se sont établies entre les douars le long de l’assif. En
effet, les quatre canaux d’amont exploités avec le douar voisin d’amont Aït Ouchi
fonctionnent selon des tours d’eau hebdomadaires qui attribuent l’eau à chaque douar pendant
un certain nombre de jours alors que les deux canaux d’aval utilisés avec le douar d’aval
Taghoulit ne sont soumis à aucune règle commune de partage de l’eau. Les agriculteurs
d’Ifrane utilisent l’eau comme bon leur semble et ne laissent passer l’eau à l’aval que
lorsqu’ils jugent que toutes leurs parcelles sont suffisamment irriguées. Cette situation n’est
pourtant pas à l’origine de conflits entre les deux douars. Ils entretiennent des relations plutôt
amicales. A l’intérieur du douar Ifrane, la répartition de l’eau entre les canaux est l’affaire de
la Taqbilt de douar mais la distribution de l’eau entre les parcelles disposées le long d’un
canal dépend des ayants droit de chaque canal qui en fixent les règles et les modalités. On
retrouve ainsi dans le douar différentes variantes des quatre modes principaux de distribution
de l’eau que nous avons décrits pour l’ensemble de la vallée des Aït Hakim : premier arrivé,

159
distribution prise par prise, distribution entre quartiers, distribution entre familles. Au niveau
des parcelles, la seule technique d’irrigation utilisée est la submersion. L’irrigation peut ainsi
se faire en nappe, en planches ou à la raie selon les types de parcelles.
Le contrôle de la distribution est assurée par un Naïb, sorte d’aiguadier désigné chaque année
par la Taqbilt de douar. Un contrôle social s’établit aussi entre agriculteurs voisins qui veillent
à ce que celui qui a le tour d’eau libère l’eau à temps et ne s’adonnent pas à la sur-irrigation.
Une certaine flexibilité des règles de gestion de l’eau est matérialisée par les stratégies de
gestion de la raréfaction de l’eau. Dans les périodes d’étiage de l’assif ou de sécheresses
prolongées, les règles de gestion sont revues et adaptées au nouveau contexte. La Taqbilt peut
ainsi prendre la décision de réguler et d’alterner l’alimentation en eau des prises situées le
long de l’assif, de renforcer le contrôle de la distribution et d’augmenter les amendes pour les
cas de non respect des règles. De leur côté, les familles décident de n’irriguer que les soles
prioritaires (orge, pommier) et de limiter les temps d’irrigation des parcelles. Les agriculteurs
mobilisent aussi individuellement certains moyens qui peuvent être positifs (meilleure
préparation des parcelles, diminution des surfaces à irriguer) ou négatifs (sur-irrigation, vol
d’eau, pompage individuel).
La maintenance des infrastructures d’irrigation est une affaire de tous. Chaque ayant droit
participe à l’entretien des canaux qu’il utilise. Les travaux peuvent se faire collectivement
(pour les canaux inter-douars) ou individuellement (pour les canaux intra-douars). Des
amendes sont prévues pour ceux qui n’y participent pas.
Les différends entre les agriculteurs du douar sont l’affaire de la Taqbilt qui tente de trouver
toujours des solutions locales, le recours aux autorités locales est vécu comme une ingérence
dans les affaires internes du douar. Les conflits qui opposent Ifrane à son voisin Aït Ouchi
dépassent fréquemment le cadre villageois local. Ils sont portés devant le Caïdat ou le Hakem.
Le mode de fonctionnement des institutions villageoises et la façon dont elles intègrent
les institutions modernes sont les meilleures expressions de leur dynamisme et de leur
flexibilité. Les règles qu’elles définissent ne sont pas figées. Elles changent chaque fois
qu’un nouveau contexte l’exige. Ainsi plusieurs questions se posent aujourd’hui quant
aux possibilités de prise en compte de la flexibilité des règles coutumières dans la mise
en place des Associations des Usagers de l’eau Agricole (AUEA) imposées par l’Etat et la
Banque Mondiale comme condition de l’octroi de financements destinés à réhabiliter les
réseaux d’irrigation traditionnels de la vallée des Aït Bouguemez. C’est toutes les
questions liées à cette transition institutionnelle que nous allons analyser dans la
dernière partie de notre travail.

160
CINQUIEME PARTIE : LA GESTION PARTICIPATIVE DE
L’IRRIGATION (GPI) DANS LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ
CHAPITRE VIII : L’INTRODUCTION DES AUEA DANS LE SYSTEME
D’IRRIGATION TRADITIONNEL DE LA VALLEE DES AÏT HAKIM
Ce chapitre vise à analyser la transition institutionnelle engagée dans les Aït Bouguemez
depuis 1999, dans le cadre du projet DRI-PMH. Dans un premier temps, nous donnons le
cadre légal de consitutiton des Associations des Usagers des Eaux Agricoles (AUEA). Dans
un deuxième temps, nous analysons, à travers une approche basée sur les stratégies d’acteurs,
le processus de création des AUEA dans la vallée des Aït Bouguemez.
67
I. LE CADRE LEGAL DE CONSTITUTION DES AUEA :
INTRODUCTION :
Dans les années 1980, les difficultés économiques du Maroc l’obligent à recourir aux
organismes financiers internationaux (FMI, BM et autres bailleurs de fonds) pour poursuivre
le financement de sa politique hydro-agricole. Ces organismes acceptent d’octroyer des
crédits supplémentaires à condition que le Maroc mette en œuvre des programmes nationaux
d’ajustement structurel visant à assainir l’économie.
Les politiques agricoles sont alors orientées vers une réduction des dépenses publiques. Le
désengagement financier de l’Etat est entamé dans plusieurs secteurs dont celui de
l’agriculture. L’un des effets de cette nouvelle politique est la décentralisation et le transfert
de responsabilités, en particulier, vers les agriculteurs organisés en associations qui sont
appelées à supporter une partie des coûts de l'irrigation, autrefois pris en charge par l’Etat.
1. LE CADRE DE CREATION DES AUEA :
Dans le cadre de sa politique de Gestion Participative de l’Irrigation initiée en 1990, l’Etat
Marocain a adopté la loi 02-84 et le dahir de promulgation n°1.84.12 portant création des
AUEA qui sont définies comme le cadre légal de participation des usagers de l'eau d'irrigation
à la gestion de l’exploitation et de la maintenance des périmètres irrigués.
La création de ces AUEA répond à une exigence de la Banque Mondiale qui a fait de la mise
en place du programme de gestion participative de l’irrigation la condition pour l’octroi de
tout nouveau financement. Le but est de définir un cadre légal dans lequel les responsabilités
réciproques de l’administration et des agriculteurs, en matière de travaux d’aménagement,
d’exploitation et de maintenance des réseaux, seront clairement définies.
2. LES OBJECTIFS ET LES ROLES DES AUEA :
Selon la loi 02-84, "l’AUEA est un instrument et un moyen que les usagers se donnent en vue
d'atteindre un objectif, bien défini au départ, de prise en charge progressive de la gestion des

67
Les éléments présentés dans cette partie proviennent des documents de l’ANAFID (1991) et du Séminaire
National à Rabat et à Marrakech (1995) sur la Gestion Participative de l’Irrigation (GPI). (cf. bibliographie).

161
eaux et des réseaux". Il s’agit, en fait, d’amener les usagers des eaux agricoles à concevoir
leur propre schéma d'organisation dans le respect du cadre légal défini, avec l'appui de leur
administration de tutelle (ORMVA ou DPA) pour atteindre l’objectif général d'exécution de
tous les travaux d'aménagement liés à l'utilisation des eaux agricoles.
Les usagers doivent définir, en collaboration avec leur administration de tutelle, le territoire
de l'Association : une unité hydraulique homogène indépendante dans laquelle l’AUEA aura
pour rôle la prise en charge de l'exploitation et de la maintenance des équipements hydro-
agricoles. La définition d'unité hydraulique homogène indépendante cohérente est un
critère fondamental d'implantation de l'association. A l’intérieur de son périmètre ainsi
défini, l'AUEA aura pour rôles :
l'amélioration des réseaux et des techniques d'irrigation dans le but d'accroître l'efficience des
réseaux et d'augmenter la productivité de l'agriculture irriguée,
l’organisation de la distribution des eaux destinées à l'irrigation et la collecte, auprès de ses
membres, de toutes taxes et redevances dont le recouvrement lui est confié par l'Etat.
Les AUEA peuvent également s'investir dans d'autres domaines du développement rural pour
la fourniture d'autres services à leurs membres (approvisionnement en intrants,
commercialisation des produits,...). Mais l'objectif premier des AUEA reste la gestion et
l'amélioration des équipements hydro-agricoles, c'est uniquement dans cet objectif qu'elles se
constituent et que la législation les reconnaît et leur confère certains pouvoirs.
3. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS LEGISLATIVES :
3.1 LE CHAMP D'APPLICATION :

Les AUEA ne peuvent être créées que dans les périmètres où l'Etat procède ou a procédé à
l'aménagement d'équipements en vue de l'utilisation des eaux à usage agricole. Ce qui
suppose l'exclusion de la constitution de ce type d'associations dans les périmètres où l'Etat
n'intervient pas (cas des réseaux traditionnels: seguias, par exemple) (ANAFID, 1991).
3.2 LA CONSTITUTION :

Les AUEA se constituent soit à l'initiative de l'Administration, soit à la demande des deux
tiers des propriétaires ou exploitants dont les fonds sont concernés par les travaux
d'aménagement. La qualité d'associé et les droits et obligations qui y sont rattachés ne
prennent fin que par la vente des fonds, le décès du propriétaire ou de l'exploitant du fonds.
En cas de vente de fonds ou de décès, les héritiers sont membres de droit de l'association.
Une fois constituée, l'AUEA est dotée de la personnalité morale et de la capacité juridique tel
que le prévoit le Dahir du 15 novembre 1958 relatif aux associations reconnues d'utilité
publique (ANAFID, 1991).
3.3 L'ADMINISTRATION ET LA DIRECTION :

162
L'association est administrée par un conseil élu par l'ensemble des membres qui la compose
avec comme principe "un membre = une voix". Ce conseil élit en son sein un président investi
de tous les pouvoirs nécessaires à l'accomplissement des missions de l'association selon les
décisions de l'assemblée générale et essentiellement du conseil. Un représentant de
l'administration (le 7ème membre) est membre de droit du conseil de l’Association. Il participe
à toutes les réunions avec voix délibérative.
3.4 LES RESSOURCES FINANCIERES :

Le paiement des cotisations des membres est obligatoire. Cette cotisation comprend, outre la
participation de l'associé aux dépenses de l'association, le montant des taxes et des redevances
que l'association est mandatée pour recouvrer, au nom de l'Etat, auprès des sociétaires.
3.5 LES PRIVILEGES :

⇒ les AUEA sont exemptées de tous impôts, droits ou taxes quel qu'en soit la nature,
⇒ les AUEA peuvent recevoir délégation de l'Administration, aux fins d'expropriation pour
cause d'utilité publique, des droits nécessaires à l'accomplissement de leurs missions.
CONCLUSION :
Les AUEA peuvent être créées à l’initiative de l’Administration ou des 2/3 des agriculteurs.
Les agriculteurs doivent délimiter, en collaboration avec l’Administration, le territoire de
l’AUEA qui doit être une unité hydraulique homogène. Le fonctionnent des AUEA est basé
sur des principes démocratiques avec élection d’un bureau par l’ensemble des agriculteurs, au
cours d’une assemblée générale.
II. LE PROCESSUS DE CREATION DES ASSOCIATIONS DES USAGERS DES
EAUX AGRICOLES (AUEA) DANS LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ :
INTRODUCTION :
C’est dans le cadre du projet DRI-PMH que les AUEA ont été introduites dans la vallée des
Aït Bouguemez. D’abord, nous donnons les améliorations visées par le projet. Ensuite, nous
étudions le processus de mise en place des AUEA (en mettant l’accent sur l’AUEA Aït
Hakim). Nous terminerons par quelques éléments d’analyse des difficultés que rencontrent les
AUEA dans la vallée et par la proposition de quelques éléments de solutions.
1. LE PROJET-PROGRAMME DRI-PMH :
1.1 UN PROGRAMME INTEGRE DE DEVELOPPEMENT DE LA PMH :

Le projet DRI-PMH s’inscrit dans le plan quinquennal 2000-2004. Prévu sur 13 ans, il
concerne 46 000 ha de PMH ( essentiellement des zones de montagne et des zones oasiennes).
Première étape de l’application concrète de la stratégie 2020, ce programme se base sur :
• une approche globale et cohérente basée sur la programmation locale et l’intégration des
diverses actions des services publics,

163
• le renforcement de la responsabilisation et de la participation des intervenants (options de
développement, suivi des travaux, contribution aux investissements,…),
• L’assignation aux périmètres de PMH d’un rôle de catalyseurs du développement agricole
et du développement rural grâce à l’action en concomitance dans les deux secteurs, afin de
lever les contraintes du sous-équipement en infrastructures de base (routes, écoles,…).
Selon les documents de la DAHA, les principaux objectifs du projet sont les suivants :
• protection des périmètres d’irrigation et amélioration des performances hydrauliques des
réseaux d’irrigation traditionnels,
• augmentation des revenus des agriculteurs grâce au renforcement de la mise en valeur
agricole et à l’organisation des producteurs,
• amélioration des conditions de vie des populations grâce à l’implantation d’infrastructures
de base,
• renforcement institutionnel grâce à l’appui à la programmation participative intégrée et à
l’encadrement du développement agricole (recherche-développement, démonstrations,
formations, contractualisation de services d’appui technique aux producteurs).
1.2 LA VALLEE DES AÏT BOUGUEMEZ : UNE ZONE DU PROJET

Au début des années 1990, la vallée des Aït Bouguemez a bénéficié de la phase d’étude du
projet DRI-PMH. La condition au démarrage des travaux était la définition d’un cadre légal
de participation des Usagers au projet. C’est ainsi qu’en 1994, à l’initiative de la DPA
d’Azilal, une AUEA regroupant tous les agriculteurs de la vallée a été créée pour "ne pas
perdre ce financement potentiel". Par la suite, la BM a jugé énorme le coût de l’aménagement
de l’hectare (15 à 20.000 dh l’hectare). Le projet n’a donc pas eu de suite dans la vallée.
En 1994, lorsque la route goudronnée reliant directement Azilal à la vallée a été construite, le
coût du transport des matériels dans la vallée a été fortement réduit. La BM a alors accepté de
financer le projet DRI-PMH, avec toujours comme préalable au démarrage des travaux, le
regroupement des agriculteurs en associations d’usagers de l’eau agricole.
Les services de l’Etat (DAHA et DPA), responsables du projet, ont mis en place un
programme devant se réaliser en trois phases principales :
1ère phase : la réalisation d’études pour déterminer les besoins de réhabilitation et de
protection du périmètre irrigué et de ses infrastructures.
2ème phase : la mise en place des Association d’Usagers de l’Eau Agricole qui vise :
⇒ une gestion collective plus rationnelle et plus égalitaire de l’eau d’irrigation,
⇒ une participation financière des agriculteurs à la construction et à l’entretien du réseau.
3ème phase : la réalisation des travaux de réhabilitation du réseau d’irrigation pour une
utilisation plus efficiente de l’eau et pour protéger le périmètre contre les inondations.

164
Sur la base des études hydrauliques de 1994 et celles de 1991, les experts ont conclu que l’état
du réseau occasionnait des pertes d’eau estimées à 50% des volumes disponibles dans l’Assif.
C’est ainsi qu’il fut décidé, dans le cadre du projet, de faire les réalisations suivantes :
Améliorer l'efficience du réseau d’irrigation par son revêtement sur des linéaires
appropriées (50 km de seguias sur 121 que compte la vallée sont concernés),
Améliorer le captage des sources,
Protéger le périmètre contre les eaux sauvages de (40 Chaâba Thalwegs) par la
réalisation d'ouvrages permettant le passage des crues vers l'oued sans endommager les
parcelles, le réseau d'irrigation et les habitations,
Adopter un système de drainage, qui consiste à calibrer les cours d'eau ponctuellement
et à créer des collecteurs d'assainissement à ciel ouvert au niveau des grands thalwegs; les
agriculteurs, sous la tutelle technique de l'Administration, devront réaliser à leur charge un
drainage léger de leurs propriétés pour éviter la remontée de la nappe dans les parcelles.
Le préalable au démarrage des travaux de réhabilitation des réseaux d’irrigation est donc la
mise en place des Associations d’Usagers des Eaux Agricoles (AUEA), nouveaux
interlocuteurs locaux face à l’administration et aux bailleurs de fonds, mais aussi nouvelles
institutions chargées de gérer le réseau d’irrigation et de recouvrer et rentabiliser
l’investissement. Dans la partie qui suit, nous allons examiner les différents aspects de la
création de ces nouvelles institutions dans la vallée des Aït Bouguemez.
2. LE PROCESSUS DE CREATION DES AUEA DANS LA VALLEE DES AÏT
BOUGUEMEZ :
2.1 LES ETAPES PRELIMINAIRES : UNE FORTE IMPLICATION DE L’ONG
LOCALE DE DEVELOPPEMENT

En 1998, lorsque l’Association des Aït Bouguemez pour le Développement et la Coopération


(AABDC) est créée, la phase de réalisation du projet DRI-PMH n’avait toujours pas démarré
dans la vallée des Aït Bouguemez. Les responsables expliquent ce retard par le fait qu’il
fallait éviter les erreurs du passé en prenant tout le temps nécessaire pour une meilleure prise
en compte des aspects socio-organisationnels du territoire. Selon l’animateur de l’AABDC,
c’est au cours d’une tournée de recherche de fonds en France que son Association aurait
appris l’existence du projet et s’y serait particulièrement intéressée. Elle aurait ainsi pris
contact avec la DPA pour en savoir plus sur le projet. Toujours selon le même animateur,
c’est au cours d’une réunion qu’elle a réussi à tenir avec la DPA que l’AABDC aurait appris
que la DPA et la BM ont besoin d’interlocuteurs locaux pour démarrer les travaux. Elle se
serait alors mobilisée pour véhiculer cette information à travers toute la vallée et pour inciter
les agriculteurs à se constituer en Associations.
Il faut rappeler que selon la loi 02-84, le rôle d’information et de sensibilisation des
agriculteurs revient à l’administration de tutelle (ici la DPA) et non à une autre entité,
formalisée ou non. Selon les déclarations des agriculteurs, tout porte à croire qu’au cours de

165
sa campagne d’information improvisée, l’AABDC a surtout insisté sur le fait que "les AUEA
seront créées pour que les canaux soient bétonnés". Les autres rôles des AUEA n’ont pas
pratiquement pas été abordés. Ainsi dès le départ, les agriculteurs n’ont retenu de la création
des AUEA que l’aspect "Réalisation des travaux". La façon dont les agriculteurs désignent les
AUEA en est la preuve la plus éloquente : l’Association de bétonnage des canaux.
2.2 LA CREATION DES AUEA : UNE INITIATIVE DE LA DPA

Selon les responsables d’AUEA que nous avons interviewés sur la façon dont l’idée de créer
des AUEA a germé, en 1999 un représentant de chaque douar de la vallée a été convoqué à
une réunion au caïdat de Tabant, en présence du caïd, des deux chioukh de la vallée, du
président de la commune rurale, de l’AABDC, de la DPA, de la DAHA et d’un représentant
de la BM. Au cours de cette réunion, la BM et l’Administration ont fait part de leur besoin de
disposer d’un interlocuteur local privilégié pour démarrer le programme de réhabilitation des
réseaux, interlocuteur qui, ont-elles expliqué, sera chargé des opérations de surveillance des
travaux, de gestion et de maintenance des nouveaux aménagements. L’AABDC s’est alors
proposée pour jouer ce rôle en insistant sur le fait qu’elle est la seule Association qui
représente réellement toutes les mouvances de la vallée. La DPA a décliné cette proposition
en insistant sur le fait qu’elle a besoin d’un interlocuteur pleinement investi au niveau de
l’irrigation. Après avoir longuement expliqué les objectifs visés par le projet et par la création
des AUEA, la BM et l’Administration ont finalement proposé aux agriculteurs de se
constituer en AUEA.
La loi précise que les AUEA se constituent soit à l'initiative de l'Administration, soit à la
demande des deux tiers des agriculteurs ayants droit des réseaux. Ici, on est plutôt dans le cas
d’une initiative de création décidée par l’Administration de tutelle et le bailleur de fond.
2.3 DES JOURNEES DE SENSIBILISATION : ORGANISEES POUR LES
AGRICULTEURS ?

Dès que la décision de créer des AUEA fut prise, la DPA a entamé auprès des agriculteurs un
travail d’information et de sensibilisation. Une liste des ayants droit a été établie et des
journées de sensibilisation ont été organisées au profit des agriculteurs au caïdat de Tabant.
Selon nos interlocuteurs, les avis sont très divergents à propos de ces journées de
sensibilisation : certains agriculteurs affirment n’avoir jamais entendu parler de telles
journées. Le président d’une AUEA affirme, lui, que les agriculteurs ont bien été invités mais
qu’ils ne se seraient pas rendus au caïdat, et il ajoute "dans la vallée, si tu invites les gens au
caïdat, ils ne viennent jamais, même si c’est pour leur intérêt, il faut qu’ils soient convoqués".
D’autres, enfin, reconnaissent avoir reçu quelques informations mais seulement de la part de
l’AABDC. Après plusieurs entretiens sur le sujet, nous avons compris que le caïdat, qui a été
chargé de prévenir les agriculteurs de cette réunion, a seulement convoqué quelques notables
de douars qui étaient sensés, par la suite, diffuser le contenu de la réunion au reste des
agriculteurs de leurs douars respectifs. Ce qui, selon toute vraisemblance, n’a pas été fait ou
du moins ne l’a pas été correctement. Dans tous les cas, le niveau d’information des

166
agriculteurs sur les AUEA montre que l’étape de sensibilisation a été manquée. Les rares
agriculteurs qui ont pu nous parler des AUEA, semblent n’avoir en effet retenu là aussi que
l’aspect "bétonnage des canaux". La plupart du temps, ils nous ont dit : "nous avons compris
que quatre associations vont être créées pour bétonner les canaux et surveiller
l’entrepreneur".
2.4 LE VOYAGE DE SENSIBILISATION : ORGANISE POUR LES NOTABLES

Nous avons appris par les membres du bureau de l’AUEA Aït Hakim qu’un voyage de
sensibilisation et d’information a été organisé par la DPA en direction de Marrakech et de
Safi68 pour voir des réalisations sur des périmètres d’AUEA et discuter avec les membres de
leurs bureaux. Selon le vice-président de l’AUEA Aït Hakim, les participants à ce voyage ont
été choisis par le caïdat parmi les notables des douars qui étaient déjà pressentis pour devenir
membres des futurs bureaux. Ils ont été invités en tant qu’agriculteurs mais ils étaient tous
élus locaux, riches ou notables de douars. On verra d’ailleurs que ce sont les participants à ce
voyage qui deviendront les membres des bureaux des quatre AUEA.
Voici ce que nous a dit le vice-secrétaire de l’AUEA Aït Hakim quand on lui a demandé ce
qu’il a retenu de la visite :"nous avons tout de suite compris que l’AUEA n’était pas faite pour
des pauvres comme nous ; eux, ils sont riches, ils peuvent donc participer au projet et même
mettre en place toutes les techniques modernes d’irrigation que nous avons vues là bas".
2.5 LES LIMITES GEOGRAPHIQUES DES QUATRE AUEA : DEFINIES PAR LES
AGRICULTEURS EN COLLABORATION AVEC LA DPA ?

Selon les responsables de la DPA, la décision de créer quatre AUEA se justifie par la taille
importante de la vallée et par le souci d’éviter certaines erreurs commises dans le passé. Ainsi,
il aurait été décidé, après 8 mois de tractations avec les agriculteurs, de regrouper dans une
même AUEA les douars qui dépendent des mêmes sources d’eau pour l’irrigation.
Les agriculteurs tiennent un tout autre discours quand à la façon dont les territoires des quatre
AUEA ont été délimités. Le président d’une AUEA affirme que le caïdat a tout simplement
décidé de regrouper les douars de façon à avoir deux AUEA sur le territoire de chaque
Cheikh. Ce qui, selon lui, facilitait le contrôle de ces nouvelles associations par le caïdat.
Après vérification, nous avons constaté que les territoires des AUEA et des Cheikh ne se
recoupaient pas parfaitement. Pour certains agriculteurs, les AUEA ont été tout simplement
créées sur les territoires des différentes fractions. Ce qui semble être le cas si l’on se fie aux
noms que portent trois des quatre AUEA de la vallée: AUEA des Aït Hakim, AUEA des Aït
Méhiya, AUEA des Aït Ouriat.
Dans tous les cas, on peut noter que les territoires des AUEA sont de tailles très variables (de
quatre douars pour l’AUEA des Aït Ouriat à onze douars pour l’AUEA des Aït Hakim) et que
le critère principal retenu par la DPA dans leur délimitation est hydraulique.

68
Safi où se trouve l’une des meilleures AUEA du Maroc : l’AUEA Jemaâ Shim. (Selon Benjelloul M)

167
Carte 17 : Les limites géographiques des quatre AUEA

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations sur fond de carte ministère de la agriculture (1977)

168
2.6 LA FORMATION DES BUREAUX DES QUATRE AUEA : PAR LES
AGRICULTEURS AU COURS D’UNE ASSEMBLEE GENERALE ?

La formation des bureaux est une étape décisive parce qu’elle voit les agriculteurs désigner
les personnes en qui ils ont confiance pour se charger du pilotage des travaux et des relations
avec l’administration. La formation des bureaux, qui ne devait être qu’une simple élection de
six agriculteurs par d’autres agriculteurs, a pris des tournures tout à fait inattendues. En effet,
selon certains membres du bureau de l’AUEA Aït Hakim, le caïd a informé leur Taqbilt de la
tenue d’une réunion importante au caïdat. Chaque douar aurait alors envoyé un membre de sa
Taqbilt pour le représenter à la réunion. D’autres encore affirment qu’ils ont été
personnellement convoqués à la réunion par le caïd, sans ordre du jour précis. Mais que ce
soit le premier ou le second groupe d’interlocuteurs, ce n’est qu’une fois à Tabant qu’ils ont
compris que les bureaux des quatre AUEA allaient être formés. Le caïd, après avoir
longuement parlé des réalisations prévues dans le cadre du projet, a conclu par le fait que la
condition pour le démarrage des travaux était la création des AUEA et que les bureaux des
quatre AUEA allaient donc être mis en place.

NB : Les étapes que nous venons de voir sont communes aux quatre AUEA de la vallée
des Aït Bouguemez. 2.7 Dans la suite de
FORMATION DUnotre
BUREAUanalyse,
DE Lnous
’AUEAneAÏTnous intéresserons
HAKIM qu’à
: DES MEMBRES
l’AUEA des Aït Hakim dont nous avons étudié le territoire
DESIGNES PAR LE CAÏDAT OU PAR LES TAQBILT
dans les parties précédentes.
Nous ferons, chaque fois, si nécessaire, référence aux trois autres AUEA de la vallée.
Selon le vice-secrétaire de l’AUEA Aït Hakim, le caïd a invité les notables de la vallée des Aït
Hakim qui avaient participé au voyage organisé par la DPA. Une fois au caïdat, ils ont été
informés qu’ils allaient former le bureau de l’AUEA Aït Hakim. Ceux qui étaient présents à la
réunion se sont alors consultés entre eux pour se repartir les postes. Selon le vice-trésorier,
quand le bureau a été formé, il est rentré dans son douar expliquer aux siens qu’il est leur
représentant dans l’AUEA et que grâce à cette nouvelle association, tous les canaux allaient
être bétonnés. L’accueil lui a alors été très favorable. Quand au vice-président, représentant
d’Ifrane, il affirme que quand le bureau a été formé, il était en voyage d’affaire à Marrakech.
C’est donc son frère qui a représenté la Taqbilt à la réunion de formation du bureau. Mais dès
son retour, il a été informé et par sa Taqbilt et par le caïdat qu’il est vice-président de l’AUEA
Aït Hakim "J’ai alors accepté avec fierté cette charge qui m’a été confiée et cette confiance
que toute la Taqbilt a placée en moi".
Cette formation du bureau n’est pas conforme aux prescriptions légales. En effet, la loi
constitutionnelle précise les conditions dans lesquelles, seuls les agriculteurs peuvent procéder
à l’élection des membres du bureau. Or à aucun moment, il n’a été question d’Assemblée
Générale ou d’élection. Aucun agriculteur enquêté n’a su nous dire réellement comment le
bureau a été mis en place. D’ailleurs, pour beaucoup d’entre eux, peu importe comment leur

169
représentant est arrivé au sein du bureau dès lors qu’il se charge de veiller à ce que les canaux
du douar soient pris en compte lors du choix des canaux à bétonner.
2.8 LA REPRESENTATION DES DOUARS DANS LE BUREAU : DES MEMBRES
QUI REPRESENTENT DES CIRCONSCRIPTIONS ELECTORALES

La vallée des Aït Hakim compte onze douars alors que l’AUEA ne compte que six membres
choisis parmi les agriculteurs et un 7ème membre, représentant de l’administration. On se
devait donc de se poser la question de la représentation des douars au sein du bureau. Selon le
vice-secrétaire et le vice-président, chaque membre de bureau est le représentant d’une
circonscription électorale et non d’un douar. En effet, lorsque la commune rurale a été créée,
les onze douars de la vallée des Aït Hakim ont été repartis en cinq circonscriptions pour les
besoins électoraux de cette institution. C’est donc ces mêmes entités territoriales qui ont été
utilisées lors de la formation du bureau de l’AUEA. On remarque que chaque circonscription
est représentée par un membre sauf une seule (où il y a un représentant par douar).
Il est important de signaler que les douars qui se trouvent dans une même circonscription
électorale s’entendent assez bien et ont, par ailleurs, une longue tradition de gestion commune
des ressources naturelles. Ce qui a, sans doute, facilité ce mode de représentation des douars.

170
Carte 18 : Circonscriptions électorales et représentation des douars dans l'AUEA

Source : Elaboration propre d’après enquêtes et observations sur fond de carte DPA (1994)

171
2.9 ELABORATION DU STATUT ET DU REGLEMENT INTERIEUR DE L’AUEA
AÏT HAKIM :

2.9.1 Le statut de l’AUEA Aït Hakim : élaboré selon le statut-


type présenté par la DPA
Selon les membres du bureau, en présentant le statut-type des AUEA, la DPA a bien insisté
sur le fait qu’il ne s’agit que d’un modèle que chaque AUEA peut modifier et adapter à ses
spécificités. Mais ce statut-type a été adopté en l’état par les quatre AUEA de la vallée parce
qu’il ne présentait, selon nos interlocuteurs, que des dispositions générales relatives à la
constitution des AUEA, au fonctionnement du bureau et à la tenue des réunions et des
assemblées générales.
Le statut-type dont il est question ici est le même que pour toutes les AUEA du Maroc. En
plus des questions d’administration qui furent, il mentionne aussi les dispositions
relatives aux cotisations, aux droits des sociétaires et à la tenue d’une comptabilité à son titre
cinq.
La plupart de nos interlocuteurs (aussi bien les membres du bureau que les autres agriculteurs)
ignorent totalement ou connaissent très mal ces trois points dont la bonne compréhension par
les sociétaires (dès le départ) est pourtant essentielle à la bonne marche d’une AUEA.
2.9.2 Le règlement intérieur : des règles décidées par les
agriculteurs ?
Chaque AUEA a été chargée d’élaborer un règlement intérieur adapté à ses spécificités. Les
six membres de chaque bureau, aidés par le septième membre, devaient élaborer le règlement
intérieur et en exposer ensuite le contenu aux autres agriculteurs, chacun dans la zone qu’il
représente. Pour l’AUEA Ennour du vallon de R’bat, il semble que c’est de cette manière que
cela s’est passé. Pour l’AUEA Aït Hakim par contre, les choses sont très confuses. Certains
membres du bureau affirment ne pas savoir comment le règlement intérieur a été élaboré. Ils
disent seulement qu’il était question de rédiger les modalités de participation des sociétaires
aux travaux et à l’entretien des ouvrages. Le représentant de la première circonscription en
amont (Aït Ouham, Aït Issa Ou Ali et Zaouit Alemzi) affirme avoir tout simplement signé, au
nom des trois douars, le papier que le président lui a présenté sans en connaître réellement le
contenu69. Pour ce qui est des agriculteurs Aït Hakim, leurs discours montrent qu’ils n’ont pas
été consultés pour l’élaboration du règlement et qu’ils n’ont pas été informés de son contenu
une fois qu’il a été établi. En fait, la plupart des agriculteurs n’ont découvert le contenu du
règlement intérieur qu’une fois que l’élu communal d’Aït Ouham, ayant constaté certaines
nouvelles règles qu’il a jugées inacceptables, en a fait lecture devant sa Taqbilt pour l’avertir,
selon lui, du "danger" que représentait ce règlement pour le douar. C’est à partir de là que les
tous premiers conflits ont éclaté au sein de l’AUEA et ils n’ont plus cessé de s’aggraver à

69
Il est analphabète.

173
mesure que les agriculteurs des autres douars de la vallée des Aït Hakim découvraient les
nouvelles règles de partage de l’eau de l’assif.
(Nous donnerons plus tard les détails des points qui sont contestés par tous les agriculteurs).
3. LES ROLES DES AUEA : DISCUTES PAR LES DIFFERENTS ACTEURS
3.1 LA DPA : L’ADMINISTRATION DE TUTELLE

Pour la DPA, les AUEA sont créées pour responsabiliser les agriculteurs. C’est un outil qui
leur permettra de participer activement à la définition et à la réalisation des programmes de
travaux et de prendre en charge, par la suite, la gestion et la conservation des ouvrages
d'utilisation des eaux. A terme, les instances traditionnelles de gestion de l’eau devront céder
la place à la voie de la modernité.
3.2 LE BUREAU DE L’AUEA AÏT HAKIM : L’ORGANE DE GESTION

Les membres du bureau pensent que les AUEA ont été créées pour bétonner les canaux,
surveiller l’entrepreneur pendant la réalisation des travaux, assurer la coordination avec la
DPA, collecter les cotisations des sociétaires qui serviront à l’entretien des futurs canaux
bétonnés et aider les Taqbilt (à leur demande) à résoudre certains conflits liés au partage de
l’eau. Ils sont tous unanimes sur le fait que d’autres rôles ne sont pas envisageables pour les
AUEA dans la gestion de l’eau. Selon le vice-secrétaire, "il n’a jamais été question pour les
AUEA d’intervenir dans la gestion de l’eau ou de revoir les tours d’eau, la DPA ne nous a
jamais dit ça. D’ailleurs, ajoute-t-il, ce que mon père m’a laissé, personne ne le changera".
3.3 LES AGRICULTEURS : LES SOCIETAIRES DE L’AUEA

Une réelle confusion règne dans l’esprit des agriculteurs quant aux rôles de l’AUEA : Pour
certains, les AUEA ont été créées pour "capter le financement de la BM et bétonner les
canaux". Pour d’autres, les AUEA sont chargées de "surveiller l’entrepreneur qui bétonne les
canaux". Un autre groupe pense que grâce à l’AUEA, ils seront soulagés des travaux annuels
d’entretien des canaux car "c’est désormais l’AUEA qui va chercher l’argent pour entretenir
les canaux". En outre, l’ensemble des agriculteurs n’envisage aucun rôle pour les AUEA dans
la distribution de l’eau.
4. LE FONCTIONNEMENT DU BUREAU L’AUEA AÏT HAKIM :
4.1 EN THEORIE : SELON LE REGELEMENT INTERIEUR…

4.1.1 Postes et tâches des six membres locaux du bureau :


Selon son statut et son règlement intérieur, le bureau de l’AUEA Aït Hakim est le corps
exécutif de l’Association. Il est constitué de six membres élus par les agriculteurs dont les
postes et les tâches sont définis comme suit :
le président : est responsable du bon fonctionnement de l’Association ; il la représente
devant les autorités judiciaires, administratives et autres,

174
le vice-président : aide le président dans ses fonctions et le remplace en cas d’absence
ou de démission,
le secrétaire : est responsable de l’organisation de la gestion administrative de
l’Association ; il signe les courriers au nom du bureau,
le vice-secrétaire : est responsable de la documentation, des médias et de la
publication ; il remplace le secrétaire en cas d’absence ou de démission,
le trésorier : est responsable du contrôle du budget et de sa gestion ; il ne peut engager
de dépenses qu’avec l’accord de tout le bureau. Il doit présenter un procès verbal financier à
l’Assemblée Générale. Il signe les chèques bancaires avec le président.
le vice-trésorier : aide le trésorier dans ses fonctions et le remplace en cas d’absence ou
de démission. Il doit se tenir régulièrement au courant de la situation financière de l’AUEA.
4.1.2 Le 7ème membre du bureau :
Le règlement intérieur signale que les activités de l’AUEA sont suivies par un membre du
Ministère de l’Agriculture qui est considéré aussi membre du bureau avec voie délibérative.
Il participe à l’encadrement permanent de l’AUEA et se charge de ses relations avec toutes les
institutions sous tutelle du Ministère de l’Agriculture. Ce 7ème membre, un technicien de la
DPA, est le même pour les quatre AUEA de la vallée des Aït Bouguemez.
4.1.3 La fréquence des réunions :
Le bureau se réunit ordinairement une fois par mois et exceptionnellement chaque fois que
cela s’avère nécessaire. Il peut convoquer toute partie ou personne dont la présence est jugée
importante. Tous les membres du bureau ont l’obligation d’assister de façon continue aux
réunions ou de justifier valablement leur absence. Trois absences successives injustifiées sont
sanctionnées par une amende de 100 dirhams versée à la trésorerie de l’Association.
4.1.4 Le financement des activités de l’AUEA :
Les revenus de l’AUEA viennent de la cotisation exceptionnelle de fondement (de l’ordre de
1000 dirhams par agriculteur), des cotisations annuelles continues d’abonnement (de l’ordre
de 50 dirhams), des aides (de l’Etat ou d’autres bailleurs de fonds) et enfin des crédits que
l’Association peut demander auprès des Banques (surtout du Crédit Agricole).
4.2 …ET DANS LA PRATIQUE : CE QUI S’EST PASSE DEPUIS LA FORMATION
DU BUREAU DE L’AUEA AÏT HAKIM

4.2.1 Avant le démarrage des travaux : des réunions fréquentes


pour choisir les canaux à bétonner
Après sa mise en place, le bureau s’est fréquemment réuni (une fois tous les 15 jours selon le
vice-secrétaire) pour discuter surtout du choix des canaux à bétonner. Il faut savoir en effet
que le projet propose de revêtir 50 km de seguias sur 121 que compte l’ensemble de la vallée.
Dans les Aït Hakim, moins de la moitié des canaux seront donc bétonnés. Le premier critère

175
qui a prévalu dans le choix des canaux à bétonner, c’est de faire en sorte que chaque douar ait
au moins un canal bétonné. Le 7ème membre qui a assisté à la plupart de ces réunions du
bureau aurait fait des propositions qui étaient surtout d’ordre technique. Une fois que les
membres du bureau se sont mis d’accord sur les canaux à bétonner, il fallait maintenant
choisir lesquels seront prioritaires. Les discussions autour de cette question du choix ont failli,
une première fois, diviser le bureau parce que les usagers d’aval voulaient qu’on s’intéresse
prioritairement à leurs canaux. Leur argument se basait sur le fait que la plupart des
programmes passés se sont intéressés prioritairement à l’amont du périmètre en partant du
principe que si les canaux d’amont sont revêtus, l’eau arrivera plus vite en aval. Mais ces
programmes arrivant rarement à leur terme, les usagers de l’aval du périmètre n’ont jamais
bénéficié de revêtement de leurs canaux. Le consensus trouvé fut de faire un tirage au sort70
pour choisir les canaux à bétonner prioritairement. Cette solution semble satisfaire tous les
douars puisqu’aucune réclamation n’a été introduite contre cette façon d’accorder au hasard la
priorité à certains canaux.
4.2.2 Participation financière aux travaux : des membres de
bureau qui paient à la place des agriculteurs
Selon le vice-secrétaire, dans un premier temps, la DPA a décidé que chaque agriculteur
participerait pour 15 dh aux travaux. Elle a aussi insisté sur le fait que cette participation des
agriculteurs est cruciale pour le démarrage des travaux. Chaque membre du bureau fut alors
chargé de procéder à la collecte de cet argent dans les douars qu’il représente.
Selon le vice-président, le secrétaire et le vice-secrétaire, au lieu de procéder à la collecte de
l’argent auprès des agriculteurs de leurs douars respectifs, chaque membre du bureau a
personnellement payé la totalité de la cotisation pour tous les agriculteurs des douars qu’il
représente afin, disent-ils, que les travaux démarrent rapidement. Pour eux, le choix de payer
pour tout le monde, se justifie aussi par le fait que les agriculteurs ne payeront pas si on ne
leur montre pas du concret. Ils assurent donc que dès que les travaux démarreront, ils pourront
récupérer leur argent auprès des agriculteurs.
Selon les agriculteurs que nous avons questionnés sur la participation financière, il a bien été
question un moment de payer pour le démarrage des travaux mais ils disent ne pas
comprendre pourquoi l’Etat ou la BM a besoin de leur argent pour réaliser des travaux.
Beaucoup d’entre eux ont déclaré : "l’Etat a toujours fait ce qu’il a à faire sans demander
l’avis de personne, on n’a jamais payé et on ne payera pas". Selon d’autres, plus modérés,
s’ils n’ont pas payé, c’est parce que personne n’est venu réclamer l’argent.
4.2.3 Déroulement des travaux : un contrôle effectif de l’AUEA
Les travaux de réhabilitation du périmètre ont débuté en 2001 par le bétonnage du canal inter-
douars Daou Iglouane utilisé par Aït Ouchi et Ifrane. Un entrepreneur d’Azilal, très connu

70
Contrairement aux autres AUEA qui ont décidé d’accorder la priorité aux canaux desservant les douars situés
en aval des périmètres. Il s’agit de douars en constante pénurie d’eau d’irrigation.

176
dans la vallée pour y avoir souvent travaillé, a été retenu par la DPA après un appel d’offre
international.
Le bureau a été très actif pendant cette période. Sa première démarche fut de chercher à
obtenir de la DPA que l’entrepreneur n’embauche que de la main d’œuvre locale. Il s’est
fréquemment réuni, avec une présence effective de tous les membres, pour examiner les
problèmes qui apparaissaient entre l’entrepreneur et les agriculteurs à propos du tracé du canal
ou du positionnement des prises. Il a aussi pleinement joué son rôle de contrôleur des travaux
en alertant la DPA sur la lenteur des travaux et les malfaçons constatées sur le canal
partiellement bétonné. On notera tout de même que tous les membres du bureau n’étaient pas
d’accord avec cette démarche. Le vice-secrétaire et le vice-président estimaient que les
travaux étaient correctement réalisés.
4.2.4 Résiliation de l’entrepreneur et arrêt des travaux : un rôle
effectif du 7ème membre
Face aux plaintes incessantes qui émanaient des quatre AUEA, le 7ème membre est allé sur
place vérifier les travaux. Il a effectivement constaté que certains détails du cahier des charges
n’étaient pas respectés. L’entrepreneur a été alors simplement sommé de se conformer aux
prescriptions du cahier des charges. Mais devant l’insistance des bureaux des quatre AUEA,
le 7ème membre a fait suspendre les travaux. Il a alors été décidé d’instaurer une série de
réunions bimensuelles entre la DPA, les AUEA, l'entreprise et le Caïd (qui jouait un rôle de
médiateur entre l’entrepreneur et les AUEA) pour examiner les problèmes qui se posaient.
Après plusieurs rencontres et discussions infructueuses, la DPA a fini par admettre que les
travaux réalisés n’étaient pas conformes à ce que prévoyait le cahier des charges. Elle a
aussitôt contacté une commission d'experts de la BM qui est venue évaluer les travaux
réalisés. En début 2003, l'entreprise a été remerciée et les travaux ont été arrêtés.
Les travaux devaient reprendre fin 2003 avec un autre entrepreneur mais, à ce jour, ils n’ont
toujours pas été repris. Selon le vice-secrétaire, une commission71 est passée dans la vallée
début janvier 2004. Elle a tenu une réunion au Caïdat avec les présidents des quatre AUEA. Il
aurait été décidé, au cours de cette réunion, que les travaux reprendront dans le courant de
l’année 2004 avec cependant, une différence de taille : les deux entrepreneurs qui vont être
engagés proposeraient de revêtir moins de linéaires que le précédent. Ce qui fâche le vice-
secrétaire et le vice-président qui estimaient, dès le début, que les travaux étaient correctement
réalisés. Ils ne cachent d’ailleurs pas leur souhait de voir revenir l’ex-entrepreneur.
4.2.5 Arrêts des travaux : arrêt des réunions et fin des activités
de l’AUEA
La résiliation de l’entreprise fut le point de départ des premières véritables difficultés de
l’AUEA Aït Hakim. En effet, les agriculteurs qui n’ont pas été informés de la lenteur de la

71
Cette commission serait composée du Moudir (directeur) de la DPA et deux responsables venus de Rabat.

177
procédure de résiliation ont commencé à s’impatienter voyant que les travaux ne reprenaient
pas. En fait, pour bétonner le canal choisi, l’entrepreneur l’avait sur-creusé sur une grande
partie de son cours. Les agriculteurs qui croyaient que les travaux allaient reprendre vite n’ont
rien fait pour remettre le canal en état après la résiliation de l’entrepreneur. Selon le vice-
président, la période d’irrigation approchant, le bureau a écrit plusieurs fois à la DPA pour
l’informer de la situation et lui demander d’intervenir rapidement. Voyant que la DPA ne
réagissait pas aux courriers de l’AUEA, la Taqbilt d’Ifrane, douar le plus concerné par ce
problème, a décidé de ne plus se fier au bureau et de prendre elle-même l’affaire en main. Le
canal a été ainsi sommairement remis en état par les agriculteurs. Mais cette décision tardive
de la Taqbilt d’Ifrane n’a pas servi à grande chose puisque le douar Ifrane a perdu72 plusieurs
pommiers en état de produire, faute de pouvoir les irriguer (selon les agriculteurs).
Depuis l’arrêt des travaux et le mutisme de la DPA sur leur date de reprise, les membres du
bureau ne se sont plus jamais réunis. Le président serait le seul à être resté en contact avec la
DPA. Lorsque des commissions ou des responsables passent dans la vallée, ils se réunissent
au caïdat avec les présidents des quatre AUEA. Selon le vice-secrétaire et le vice-président,
les autres membres de bureau ne sont pas invités à ces réunions et c’est tout juste s’ils sont
informés de leurs contenus.
CONCLUSION :
Depuis sa création, les activités de l’AUEA Aït Hakim se sont donc limitées au choix des
canaux à bétonner et à la surveillance des travaux de bétonnage. On note aussi qu’en plusieurs
points, le déroulement du processus de création de cette AUEA n’a pas été conforme aux
prescriptions légales. Le tableau suivant récapitule les différentes étapes de ce processus de
création en insistant sur les irrégularités constatées dans chaque étape et les problèmes
qu’elles ont ensuite engendrés.

72
Nous avons pu constater ces dégâts sur le terrain. Les agriculteurs n’ont toujours pas remis ces parcelles en
état.

178
Tableau 12 : récapitulation des différentes étapes de formation de l’AUEA Aït Hakim

Phases de mise en place Acteurs ayant participé Irrégularité ou vices de Conséquences sur
de l’AUEA à cette phase procédure l’AUEA Aït Hakim

L’organisation socio-
Les aspects socio-
Réalisation des études DAHA, DPA d’Azilal, territoriale de la vallée
territoriaux de la vallée
préliminaires sur le Groupement EQUITER - des Aït Hakim a été très
des Aït Hakim n’ont été
périmètre des Aït SCET-Maroc, Caïdat de peu prise en compte dans
que sommairement
Bouguemez Tabant la formation de l’AUEA
abordés par ces études
Aït Hakim.

Forte implication de
Des agriculteurs relégués
DPA, Caïdat, Commune l’AABDC, ONG
Décision de création des au second plan, peu
Rurale, AABDC, BM, fortement politisée et ne
AUEA informés des vrais
Notables des douars représentant pas tous les
objectifs des AUEA
agriculteurs

Faire cohabiter dans une


Réunir les douars sur des
même association des
Délimitation du considérations
DPA, Caïdat, Commune douars, historiquement
territoire de l’AUEA Aït hydrologiques (selon les
Rurale, Notables locaux opposés et n’ayant aucune
Hakim sources d’eau qu’ils
tradition commune de
utilisent).
gestion de l’eau.

Des agriculteurs peu


Peu de temps pour
Information et DPA, Caïdat, AABDC, informés des vrais
l’animation, mauvaise
sensibilisation des Notables de douars objectifs des AUEA,
circulation de
agriculteurs choisis par le Caïdat. confusion fréquente entre
l’information.
AUEA et AABDC

Nomination des membres Les vrais agriculteurs ne


DPA, Caïdat, Commune du bureau par le Caïd ou sont pas impliqués dans la
Mise en place du bureau
Rurale, Notables de par les Taqbilt. vie de l’Association. Ils
de l’AUEA Aït Hakim
douars Représentation par n’ont pas élus le bureau
circonscription. de l’AUEA.

Plusieurs points du
Adoption du statut et du
règlement intérieur
Elaboration du statut et DPA, Caïdat, Certains règlement intérieur sans
contestés par les
du règlement intérieur membres du bureau les porter à l’approbation
agriculteurs et retrait de
des agriculteurs.
deux douars de l’AUEA

Perte de crédibilité du
Mauvaise qualité des
bureau auprès des
Fonctionnement de travaux, Lenteur de la
Membres du bureau, agriculteurs. Perte de
l’AUEA, Réalisation des procédure de résiliation,
Entreprise d’Azilal, DPA plantations dans un douar.
travaux Sous information du
Arrêt des activités de
bureau et des agriculteurs
l’AUEA.

Source : Elaboration propre d’après observations et enquêtes

5. ELEMENTS D’ANALYSE DE L’AUEA DES AÏT HAKIM :


INTRODUCTION :

Les irrégularités constatées dans les différentes phases de la formation de l’AUEA Aït Hakim
sont certes importantes dans la compréhension des problèmes actuels de cette institution, mais
elles ne suffisent pas à les expliquer complètement. Les dissensions apparues entre les

179
membres du bureau et les conflits qui ont éclaté entre les douars d’amont et ceux d’aval ont, à
notre avis, des causes qu’il faut chercher dans la structuration socio-politico-territoriale de la
vallée des Aït Hakim et dans les nouvelles règles de gestion de l’eau proposées par les AUEA.
C’est ce que nous avons tenté de vérifier en étudiant la position socio-politique des membres
du bureau et le règlement intérieur établi et. Il ressort de cette étude que l’AUEA Aït Hakim
est ou sera confrontée aux problèmes développés dans cette partie.
5.1 LA NON IMPLICATION DES AGRICULTEURS ET DES INSTANCES
COUTUMIERES DE GESTION DE L’EAU…

La démarche du projet DRI-PMH est participative, c'est-à-dire que les agriculteurs qui sont
les acteurs les plus directement concernés doivent être impliqués autant que possible dans les
différentes phases des décisions qui concernent leur périmètre. La loi dit que lorsque des
organisations traditionnelles existent déjà dans le périmètre, elles doivent être pleinement
impliquées dans le processus. Le but est de faire en sorte que le transfert de la gestion de l’eau
de la Jemaâ à l’AUEA se fasse sans trop bousculer les conceptions locales des droits d’eau.
Le processus de formation des AUEA dans la vallée des Aït Bouguemez n’a pas été, sur
plusieurs aspects, conforme avec cette démarche participative. Il a, en effet, été très peu
question des instances coutumières de gestion de l’eau (encore très vivaces dans la vallée).
Les agriculteurs, premiers concernés par le projet, ont été les plus grands absents du processus
de mise en place des AUEA. Si l’on s’en tient à leurs dires :
ils n’ont pas été informés des vrais objectifs de l’AUEA,
ils n’ont pas procédé à l’élection des membres du bureau,
ils n’ont pas été consultés lors de l’élaboration du règlement intérieur.
Cette non-implication des agriculteurs au processus de création de l’AUEA est, à notre avis,
l’une des raisons principales qui expliquent le rejet actuel de l’AUEA par les agriculteurs.
5.2 …ET LA FORTE PRESENCE DES AUTORITES LOCALES :

L’un des objectifs de la politique de Gestion Participative de l'Irrigation est le désengagement


progressif de l'Etat (quoi que dans la vallée des Aït Bouguemez l’Etat n’ait jamais été
réellement engagé dans la gestion de l’eau). Même s’ils affirment que la DPA est très peu
présente dans la vallée, pour les agriculteurs enquêtés, sa forte présence dans le processus de
formation des AUEA n’est pas un problème parce qu’elle est leur administration de tutelle.
Par contre, la forte présence des autorités locales dans le processus est difficile à comprendre
dans une zone où les agriculteurs ont une très grande méfiance vis-à-vis de tout ce qui est
entrepris par les autorités locales dans le domaine de la gestion des ressources. Les autorités
locales sont sensées jouer un rôle de médiateur et de facilitateur entre les AUEA et
l’entrepreneur, mais elles ont largement dépassé ce rôle en s’impliquant dans la définition des
territoires des AUEA et en désignant même certains membres du bureau. Pour la plupart des
agriculteurs, la mise en place des AUEA a été perçue comme une façon d’impliquer le caïdat
dans la gestion de l’eau (domaine privé des Taqbilt de douar). Dans ces conditions peut-on

180
parler d’autonomisation ou de responsabilisation des agriculteurs dans ce système irrigué qui
a toujours été caractérisé par l’autogestion de l’eau d’irrigation ?
5.3 LES SIX MEMBRES LOCAUX DU BUREAU : DES NOTABLES DE DOUAR
QUI N’ONT PAS DE TEMPS POUR L’AUEA

Malgré le fait que le bureau n’a pas véritablement été élu par les agriculteurs, nous avons
constaté, au cours de nos entretiens, que certains de ses membres bénéficiaient d’une certaine
légitimité auprès des agriculteurs. Nous nous sommes donc intéressés à ce qu’ils représentent
dans leurs douars respectifs, en dehors de leurs fonctions dans l’AUEA. Il ressort que les
présidents des quatre AUEA sont des entrepreneurs très actifs dans la vallée et dans toute sa
région. Pour l’AUEA Aït Hakim, les six membres du bureau sont tous des notables de leurs
douars. Certains sont très riches et ont une grande influence au sein de leur Taqbilt.
Lors des dernières élections de la Commune Rurale, cinq membres du bureau ont été
candidats de leurs circonscriptions. Trois ont été élus au Conseil Communal. Deux
appartiennent à l’opposition. Le troisième a rejoint la majorité.
Pour les agriculteurs, le fait qu’un membre du bureau porte plusieurs casquettes à la fois
(entrepreneur, élu communal, agriculteur, commerçant) ne pose aucun problème tant qu’il
défend bien les intérêts du douar. Pourtant cette multiplicité des statuts des membres du
bureau a provoqué plusieurs problèmes au sein de l’AUEA :
un premier problème, lié à l’implication des membres dans la politique, est venu mettre à mal
la cohésion du bureau. La scission apparue entre les trois qui ont été élus au Conseil
Communal s’est répercutée sur le bureau tout entier. Les deux qui sont dans l’opposition (le
président et le vice-secrétaire) disent ne plus pouvoir travailler avec quelqu’un (ils parlent du
trésorier) qui les a trahi en permettant à un autre groupe d’obtenir la majorité au Conseil
Communal. Dans l’hypothèse d’une reprise prochaine des activités de l’AUEA, cette scission
entre les membres du bureau peut entraver le bon fonctionnement de l’Association.
le second problème est lié à la pluriactivité des membres du bureau. Ils ne sont pas toujours
dans la vallée et ont tous d’autres affaires qui les accaparent complètement. Ils ont tous des
champs mais c’est d’autres membres de leurs familles qui s’en occupent. Ils ne sont donc pas
tous pleinement investis dans l’irrigation. La plupart d’entre eux sont analphabètes et ne sont
pas très assidus quant à la participation aux séances de formation, et quand ils y participent,
ils disent ne rien comprendre à ce qui se dit au cours de ces séances.
Seul point positif de cette situation, l’implication dans le jeu politique local leur confère un
certain dynamisme et un certain charisme. Ils connaissent bien les agriculteurs, ont le contact
facile avec eux et peuvent les amener facilement à adhérer à certaines décisions du bureau.

181
Tableau 13: Fonctions des membres du bureau de l'AUEA Aït Hakim

Date de Niveau Fonction Fonctions Fonctions Adresse Douars


Code
Naissance d’instruction AUEA actuelles Passées (Douar) représentés

Entrepreneur Tadrouit,
MA 1946 Primaire Président Agriculteur Ait Sallam Ait Sallam
Elu Communal Ait Oughral

Vice Agriculture Agriculteur Taghoulit


BA 1951 Primaire Ifrane
président Commerçant Commerçant Ifrane

Entrepreneur
JM 1958 Primaire Trésorier Agriculteur Ighirine Ighirine
Elu Communal

Trésorier
BM 1963 Primaire Agriculteur Agriculteur Iglouane Iglouane
adjoint

BL Zaouit,
Zaouit
1950 Primaire Secrétaire Agriculteur Agriculteur Ait Ouham,
Alemzi
Aissa ouali

Secrétaire Agriculteur Elu


AA 1932 Sans Militaire Ait Ouchi Ait Ouchi
adjoint Communal

Source : Elaboration propre d’après enquêtes

5.4 LE 7EME MEMBRE : DES DIFFICULTES A ASSURER SON ROLE DE


CONSEILLER TECHNIQUE DES AUEA

Le 7ème membre des AUEA de la vallée est un technicien de la DPA. Selon la loi, il joue un
rôle tampon entre l’administration et les AUEA. En tant que technicien, il assure le suivi des
travaux et la formation des membres du bureau. Il assure aussi un rôle de recyclage du bureau
en ce sens qu’il se charge de former les nouveaux membres lors d’un chargement de bureau.
Lors du conflit qui a opposé les AUEA et l’entrepreneur, il a pleinement joué son rôle en
faisant suspendre les travaux quand il a constaté des malfaçons sur les canaux bétonnés. Mais
ce technicien a de véritables difficultés à assurer son rôle. Tout d’abord, il y a l’éloignement
et le manque de moyens. Il doit aussi s’occuper seul de cinq AUEA dont les membres ne
comprennent pas toujours sa présence parmi eux. Selon (RIAUX, 2003), des dissensions sont
apparues entre les membres de l’AUEA Ennour du vallon de R’bat à propos du 7ème membre
quand il a fait suspendre les travaux qu’il a jugés non-conformes aux prescriptions du cahier
des charges. Une partie du bureau (les deux représentants de R’bat et Akourbi) s’est liée à
l’entrepreneur et voulait que le 7ème membre soit démis de ses fonctions. L’autre partie (le
présidant et le reste des membres) refusait son départ et menaçait de porter l’affaire devant le
tribunal d’Azilal. Cette situation montre qu’il n’est pas facile pour les septièmes membres
d’assurer correctement leurs rôles lorsqu’ils sont pris entre des intérêts locaux divergents.
5.5 LE REGLEMENT INTERIEUR : LE NŒUD DE DISCORDE

Comme nous l’avons dit plus haut, les agriculteurs affirment n’avoir pas été consultés pour
l’élaboration du règlement intérieur. Ce n’est que lorsque le Morcheh d’Aït Ouham en a fait

182
lecture devant sa Taqbilt qu’ils ont réellement découvert son contenu. Le douar Aït Ouham a
alors décidé de se retirer de l’AUEA. Il a été suivi en cela, peu de temps après, par le douar
Zaouit Alemzi. Aujourd’hui, plusieurs agriculteurs de l’amont de la vallée des Aït Hakim (y
compris certains membres du bureau) déclarent que les nouvelles règles de distribution de
l’eau proposées par l’AUEA ne sont pas compatibles avec les traditions et les pratiques.
Après plusieurs entretiens avec les agriculteurs des deux douars démissionnaires et les
membres du bureau, nous avons pu recenser les points du règlement intérieur qui sont jugés
inacceptables. Ils concernent essentiellement certaines prérogatives accordées aux AUEA, le
mode de partage de l’eau proposé, les décisions de secondes cultures, l’utilisation des pompes
et des puits, l’irrigation des prairies et le montant des amendes infligées aux douars et aux
personnes qui ne respectent pas les règles de partage de l’eau (Voir en annexe 10, les détails
de ces points soulignés en rouge sur le règlement intérieur traduit).
5.6 LES GENS DE L’AVAL : OBTENIR DES TOURS D’EAU A TOUT PRIX

Le conflit qui oppose les Aït Hakim et les Aït Wanoughdal, à propos de l’AUEA, concerne
surtout le contenu du règlement intérieur. On se souvient, lors de l’étude des conflits, que les
Aït Wanoughdal, en aval du périmètre, tentent d’obtenir un tour d’eau sur l’oued avec les
douars Aït Hakim en leur intentant des procès. Il semble que l’introduction des AUEA dans le
système irrigué fusse aussi pour eux un autre moyen favorable pour arriver à cette fin.
Fortement impliqués dans la mise en place de l’AUEA Aït Hakim, ce seraient les Aït
Wanoughdal qui auraient introduit dans le règlement intérieur le principe d’une distribution
de l’eau prise par prise de l’amont jusqu’en aval du réseau. Pour les agriculteurs d’amont,
l’imposition de ce modèle unique de distribution de l’eau le long de l’oued est une tentative
de modification des droits d’eau puisqu’elle les empêchera de pratiquer les modes de
distribution qu’ils ont l’habitude de mettre en place lors des périodes de sécheresses. Comme
nous l’avons vu précédemment, le douar Aït Ouham a vu en cette nouvelle règle une menace
pour son droit d’amont et s’est retiré de l’AUEA. Il a été suivi en cela par le douar Zaouit
Alemzi qui conteste aussi les articles liés à l’interdiction de creusement des puits et à la
pratique des secondes cultures. Aujourd’hui, la plupart des douars Aït Hakim disent ne pas
pouvoir demeurer dans une institution qui modifiera leurs droits d’eau ancestraux.
Interrogés sur la question, les Aït Wanoughdal se défendent d’avoir essayé de modifier les
droits d’eau et accusent Aït Ouham de vouloir faire main basse sur une ressource dont
dépendent tous les douars. Ce qui, pour eux, est inacceptable. D’ailleurs, ils n’ont jamais
reconnu le principe du droit d’amont que les autres douars semblent reconnaître à Aït Ouham.
5.7 LES GENS DE L’AMONT : LA RETICENCE A RENONCER A LEUR
SUPREMATIE SUR L’EAU

5.7.1 Aït Ouham : la méfiance à l’égard de l’aval


Le douar Aït Ouham, en amont du périmètre, a connu tout au long de son histoire des conflits
fréquents avec les douars d’aval. Selon les anciens d’Aït Ouham, le douar a été plusieurs fois

183
attaqué par les Aït Ali qui voulaient prendre le contrôle de la source d’Aït Ouham (principale
alimentation en eau de l’oued). Ainsi plusieurs habitants seraient morts pour la défense de la
source. Ce n’est que suite à l’établissement d’un accord de partage des ressources (Bois des
Aït Ali contre Eau des Aït Ouham) que les attaques ont cessé. Les Aït Ouham ont donc
développé à l’égard des douars d’aval une très grande méfiance pour tout ce qui concerne les
questions de partage de l’eau. Selon les anciens d’Aït Ouham, même si Siba est fini et qu’il n
y a plus d’attaques, il existe toujours des moyens pour prendre le contrôle des ressources : ce
sont les papiers. Ils ont en effet remarqué depuis le protectorat, qu’on n’arrête pas de leur faire
signer des papiers sans qu’ils sachent réellement ce que cette signature implique. C’est
d’ailleurs de cette façon, disent-ils, qu’ils ont perdu leurs droits sur les terres de Tiqojine sur
le plateau d’Izughar. Donc pour eux, il n’est plus question de signer des papiers sans qu’ils
sachent clairement ce que cela implique, surtout disent-ils "quand ça vient de nos ennemis les
Aït Wanoughdal". Selon eux, si un agriculteur de Zaouit Alemzi a été choisi par le caïdat pour
les représenter à l’AUEA, c’est parce que le caïd et les cheikh savaient très bien qu’un Aït
Ouham n’allait jamais accepter de signer ce règlement intérieur. A ce propos, le geste de l’élu
communal est édifiant : dès qu’il a lu le règlement intérieur, il a alerté son douar qui s’est
ensuite retiré de l’AUEA. Cette méfiance historique de Aït Ouham à l’égard de l’aval est
l’une des raisons qui expliquent le comportement actuel de rejet de l’AUEA par ce douar.
Nous avons vu aussi que plusieurs fois, l’accord passé entre Aït Ouham et Ighirine-Iglouane
est fréquemment remis en cause. Pour Aït Ouham, si Ighirine et Iglouane respectent cet
accord, c’est parce que les Aït Ouham gardent un contrôle sur l’eau de la source. Donc pour
Aït Ouham, si le principe d’une distribution prise par prise d’amont en aval le long de l’oued
est acquis, Ighirine et Iglouane ne respecteront plus l’accord (puisque plus rien ne les y
contraindrait). Les Aït Ouham ne pourront donc plus accéder aux forêts des Aït Ali.
Un dernier point qui illustre bien la méfiance de l’amont concerne le projet lui-même. En
effet, pour les Aït Ouham, la démarche de ce projet est suspecte. Selon eux, dans les
programmes passés, tous leurs canaux ont été bétonnés sans qu’on ne leur demande quoi que
ce soit. Donc pour eux, si on leur demande aujourd’hui d’entrer dans une AUEA pour que
leurs canaux soient bétonnés, c’est parce qu’il y a quelque chose derrière. D’ailleurs, ajoutent-
ils : "nous n’avons pas besoin de bétonnage puisque tous nos canaux sont déjà bétonnés ; si le
Makhzen veut bétonner les canaux, il peut le faire, nous, on n’est pas concernés".
Dans tous les périmètres de PMH, il a été constaté que les gens de l’amont sont toujours
réticents. En effet pourquoi adhérer à une organisation qui te prive souvent d’une partie de tes
droits au profit des gens de l’aval et qui t’oblige à payer pour une ressource qui est sensée
t’appartenir. Seul un travail d’information et de sensibilisation permet de faire comprendre
aux gens d’amont les vrais objectifs des AUEA. Le comportement des Aït Ouham montre que
s’il y a eu un travail d’information et de sensibilisation dans la vallée, il n’a pas véritablement
contribué à clarifier la démarche du projet et les objectifs des AUEA.

184
5.7.2 Zaouit Alemzi : préserver son indépendance
Le douar Zaouit Alemzi s’est aussi retiré de l’AUEA Aït Hakim mais pas pour les mêmes
raisons que Aït Ouham (même si certains habitants affirment que c’est par solidarité pour ce
douar). Le zonage hydraulique nous a montré que le système de Zaouit Alemzi est totalement
indépendant de l’oued qui lie les dix autres douars de la vallée des Aït Hakim. Il possède en
effet trois sources qui alimentent son unique canal d’irrigation. Loin de la maille hydraulique
de ce canal, certains habitants de Zaouit Alemzi ont recours au pompage individuel pour
étendre leurs superficies irriguées. Le douar a donc vu dans ce que ses habitants appellent "la
règle d’interdiction de creusement des puits" une menace pour son indépendance et s’est retiré
de l’AUEA. D’autre part, le seul véritable intérêt de Zaouit Alemzi dans l’AUEA, selon ses
habitants, c’était le bétonnage de son canal. Lorsque les travaux ont été arrêtés, le douar n’a
pas vu de raison de rester dans l’AUEA.
Le cas de Zaouit Alemzi montre aussi une sous-information évidente des agriculteurs puisque
le règlement intérieur n’interdit pas totalement le creusement des puits. Il y est seulement
stipulé que des puits ne doivent pas être creusés à côté des sources et des canaux d’irrigation.

MODES D’APPROPRIATION DE L’AUEA AÏT HAKIM :


5.8
Des points précédents, LAressort
il DOUBLEque
GESTION DE L’IRRIGATION
les agriculteurs : ARTICULER
se sont appropriésLEl’AUEA
MODERNE
AïtET
Hakim de trois façons :
LE TRADITIONNEL

Même Pour lesconflits


si les agriculteurs
autourd’amont, c’est intérieur
du règlement une façon d’obtenir
semblent le revêtement
prouver de illeurs
le contraire, a été
canaux,
décidé dans la vallée des Aït Bouguemez que les AUEA ne vont pas s’impliquer dans le
Pour
partage de les agriculteurs
l’eau d’aval,
entre douars c’est laune
et dans façon d’obtenir
distribution un tour
de l’eau entred’eau sur l’oued.
agriculteurs Ils
(RIAUX,
ont d’ailleurs mis dans la balance tout leur poids politique pour arriver à un règlement
2003). Elles auront pour seuls rôles l’entretien des ouvrages construits dans le cadre du projet
intérieur qui leur permet d’atteindre cet objectif.
et, par la suite, le financement de nouvelles infrastructures d’utilisation de l’eau. Il s’agit donc
Pour les notables de douar, c’est un moyen d’accéder rapidement à la Commune
pour les AUEA de mettre en place une gestion moderne des réseaux avec cotisation des
Rurale et d’obtenir plus facilement les marchés de cette institution.
agriculteurs pour l’entretien et recouvrement de l’investissement initial auprès d’eux par un
Donc dans la vallée des Aït Hakim, les agriculteurs ne se sont donc pas appropriés
l’AUEA en tant que structure de gestion de l’eau d’une part, parce qu’elle ne correspond
à aucune demande de leur part et d’autre part, parce qu’ils n’ont pas été impliqués dans
la création de cette institution, ni correctement 185 informés de ses vrais objectifs.
système de cotisation annuelle. On se retrouve donc dans un système de double gestion de
l’irrigation où :
les Taqbilt pratiquent une gestion coutumière pour le partage de l’eau intra-douar,
et les AUEA, une gestion moderne du réseau et le règlement des conflits.
Les agriculteurs vont-ils pouvoir articuler ces deux modes de gestion pratiqués par ces deux
types d’institutions ayant des logiques de fonctionnement différentes ?
CONCLUSION : L’AUEA DES AÏT HAKIM, UNE ENTITE TERRITORIALE NOUVELLE
Selon la loi constitutionnelle des AUEA, les usagers doivent définir, en collaboration avec
l’administration, le territoire de l'AUEA qui doit être une unité hydraulique homogène
indépendante [….]. La définition d'unité hydraulique homogène indépendante cohérente est
un critère fondamental d'implantation de l'association.
L’étude du réseau d’irrigation et de l’hydrologie de la vallée des Aït Hakim montre que la
vallée des Aït Hakim est une unité hydraulique indépendante mais pas homogène. On est en
effet en présence d’un ensemble de sous-systèmes d’irrigation, certes liés par l’assif et les
canaux inter-douars, mais relativement indépendants du point de vue de l’alimentation en eau.
Tout au long de son cours, l’assif est réalimenté par une série de sources latérales, de
résurgences de fonds de vallée et de torrents de montagnes qui atténuent quelque peu les
disparités de débits amont aval.
L’homogénéité d’un secteur n’est pas que physique, elle doit aussi se manifester dans les
règles d’utilisation de l’eau. L’étude de la gestion sociale de l’eau nous a montré d’abord qu’il
n’existe, entre les douars, aucune règle commune d’utilisation de l’eau de l’assif. Ensuite nous
avons vu que tout au long de la vallée des Aït Hakim, les règles d’utilisation de l’eau sont très
variées et très complexes. Dans les quatre secteurs hydrauliques que nous avons définis, il
peut exister des règles de partage de l’eau entre deux douars voisins (selon des tous d’eau ou
sans tours d’eau) mais chaque douar a ses propres modalités de distribution de l’eau. L’étude
de la gestion de l’eau intra-douar (cas d’Ifrane) a montré qu’au sein d’un douar si les ayants
droits peuvent être soumis à des règles collectives de distribution de l’eau de l’assif ou des
sources, ils ont aussi leurs propres règles de partage de l’eau le long des canaux,
indépendamment du reste du groupe. Dans ces conditions vouloir définir et imposer un
modèle unique de distribution de l’eau (comme c’est le cas dans le règlement intérieur de
l’AUEA Aït Hakim) dans la vallée des Aït Hakim parait presque relever de la mission
impossible.
Selon (OSTROM, 1992), lorsqu’on façonne des institutions d’irrigation, "une homogénéité
culturelle des participants limite les problèmes d'interprétation sur les règles, car les limites de
ce qui est licite sont alors clairement établies". L’étude des finages nous a montré que la
vallée des Aït Hakim est loin d’être homogène sur le plan socio-territorial. Elle se compose en
effet d’une série de groupes sociaux structurés dans des superpositions complexes de
territoires. Les deux fractions principales (Aït Hakim et Aït Wanoughdal) ont toujours eu des

186
intérêts distants et ont été opposées historiquement. Cette opposition s’est d’ailleurs toujours
traduite par des conflits en période de raréfaction de l’eau et s’est, une fois de plus, manifestée
au sein de l’AUEA parce que les règles qui sont jugées comme "normales" par les gens de
l’aval sont perçues par ceux de l’amont comme une tentative de modification des droits d’eau
ancestraux. Il y a donc problème d’interprétation des nouvelles règles selon qu’on soit en
amont ou en aval du périmètre.
Il ressort de toutes ces observations que "la vallée des Aït Hakim comme territoire d’une
AUEA" est une entité territoriale nouvelle dans laquelle l’administration tente de fédérer dans
une institution commune de gestion de l’eau des territoires et des groupes qui n’ont pas de
tradition commune de partage de l’eau. La faiblesse de l’assise socio-territoriale de l’AUEA
Aït Hakim est donc l’un des plus gros obstacle à son bon fonctionnement. Dans ces
conditions, la question qui se pose aujourd’hui, c’est comment dynamiser les AUEA (s’il le
faut dans de nouvelles organisations socio-territoriales) pour une Gestion Participative de
l’Irrigation équitable, durable et efficace dans l’ensemble du bassin des Aït Bouguemez ?
Dans la dernière partie de notre travail, nous allons tenter d’apporter quelques éléments de
réponses à cette question.
III. ELEMENTS POUR UNE GESTION PARTICIPATIVE DE L’IRRIGATION
SOCIALEMENT VIABLE
INTRODUCTION :
Le système irrigué paysan de la vallée des Aït Bouguemez comporte, comme nous l’avons vu,
des règles coutumières prenant en charge tous les aspects de la gestion de l’eau. La flexibilité
des règles coutumières et le dynamisme des institutions qui les décident sont à la base de la
pérennité de ce système irrigué.
L’Etat a décidé de réhabiliter les infrastructures de ce système traditionnel dans un projet
participatif. Cette intervention de l’Etat pose bien sûr plusieurs questions de gestion et
d’action collective puisqu’elle a aussi introduit les AUEA, institutions modernes
d’agriculteurs, chargées de gérer les nouvelles infrastructures et de veiller à une participation
effective des agriculteurs au projet. La mise en place de ces AUEA a pris des aspects qui
n’ont pas été conformes aux prescriptions légales. Des désaccords sont apparus entre les
douars et se sont traduits par le retrait de deux d’entre eux de l’AUEA. Malgré ces problèmes,
une institution telle que l’AUEA, a des rôles importants à jouer dans la gestion de l’eau en
palliant, par exemple, à l’absence d’une institution commune de gestion d’ensemble de l’eau
de l’oued. Cela suppose qu’elle soit fonctionnelle et que l’ensemble des agriculteurs de la
vallée des Aït Hakim se l’approprie comme un espace de discussion et de concertation pour
les questions liées au partage de l’eau de l’oued. En clair, l’AUEA Aït Hakim doit être pensée
comme une Taqbilt inter-douars avec des règles flexibles adaptées aux besoins de gestion des
communautés d’agriculteurs de la vallée.

187
Dans la partie qui suit, nous essayerons de donner quelques éléments de solutions aux
problèmes dont souffre cette institution. Nous ferons ensuite l’hypothèse de mise en place de
plus d’une AUEA sur le territoire actuel de l’AUEA Aït Hakim.
1. COMMENT DYNAMISER L’AUEA AÏT HAKIM ?
1.1 LA NECESSITE DE REVISER LE REGLEMENT INTERIEUR : FAIRE
REVENIR LES DOUARS DEMISSIONNAIRES

Les deux douars Aït Ouham et Zaouit Alemzi se sont retirés de l’AUEA Aït Hakim parce
qu’ils contestent certains articles du règlement intérieur qui, selon eux, ne sont pas conformes
avec leur tradition de gestion de l’eau. Nos entretiens avec les agriculteurs de Aït Ouham et
Zaouit Alemzi montrent que la seule condition de leur retour dans l’AUEA est que le
règlement intérieur soit expurgé de certains points (soulignés en rouge en annexe 10 ). Selon
ces agriculteurs, le nouveau règlement devra comporter les caractéristiques suivantes :
1.1.1 Être flexibles sur les modes de distribution de l’eau :
Il s’agit de donner la possibilité aux douars de pouvoir appliquer les stratégies qu’ils ont
l’habitude de mettre en place en période de raréfaction de l’eau. Selon les Aït Zaouit, il faut
mettre à la place du modèle unique de distribution de l’eau proposé par l’AUEA, un système
qui permettrait d’appliquer une rotation souple entre les agriculteurs en période d’abondance
de l’eau et une rotation rigide entre familles ou entre quartiers en période d’étiage de l’oued.
Ces deux modes étant les plus fréquents dans la vallée des Aït Hakim, ils pourraient faire
l’unanimité.
1.1.2 Définir des amendes raisonnables :
Pour les agriculteurs, les amendes définies par l’AUEA sont excessives et ne tiennent compte
ni de la gravité des fautes, ni des moyens des agriculteurs. Pour eux, les amendes doivent être
alignées sur celles qui sont déjà en vigueur dans les différents douars. Il faut seulement
discuter pour arriver à des sommes acceptables par toutes les Taqbilt de douars.
1.1.3 Laisser la décision de secondes cultures aux Taqbilt :
Pour les agriculteurs, il n’était pas nécessaire que l’AUEA touche à la gestion des secondes
cultures puisque tous les douars interdisent systématiquement les deuxièmes cultures en cas
de sécheresse grave.
1.2 REDUIRE LES DEPENDANCES AMONT AVAL :

1.2.1 Stocker la nuit, distribuer le matin :


Etant donné que l’AUEA Aït Hakim se veut une institution de gestion collective équitable de
l’eau d’irrigation, elle devra trouver le moyen de donner à tous ses adhérents un accès égal à
l’eau d’irrigation, c'est-à-dire réduire les disparités de débits entre l’amont et l’aval du réseau.
On sait qu’en vertu du principe coutumier du droit d’amont, l’amont a plus de temps d’accès à
l’eau que l’aval. Le règlement intérieur, stipulant que les droits d’eau ne peuvent être changés

188
quoi qu’il arrive, on peut se demander comment arriver à une réduction des disparités de
débits amont aval sans toucher aux droits d’eau des douars ?
L’une des solutions à cette équation difficile pourrait être la recherche de ressources
supplémentaires par le stockage. L’ONG française CICDA a mis en place dans un douar du
centre de la vallée (Iskataffen) un système de bassin-réservoir proche de celui des Tifrouine73,
rencontré dans les vallées de l’Azzaden et de l’Ounein. Un réservoir de 800m3 a été construit à
l’entrée du périmètre irrigué du douar. Il permet aux agriculteurs d’emmagasiner l’eau
pendant toute la nuit et de la distribuer le matin dans le réseau d’irrigation selon le tour d’eau
déjà en vigueur. Selon les agriculteurs, ce système a permis une amélioration notable de la
situation des agriculteurs d’aval. En effet avant la construction du réservoir, il leur fallait 36
heures pour irriguer 5 parcelles. Aujourd’hui, il leur faut seulement 24 heures pour irriguer 35
parcelles.
Ce système de bassin-réservoir pourrait être envisagé en aval de la vallée des Aït Hakim en
tenant compte des caractéristiques physiques du réseau que nous avons largement décrites
dans les parties précédentes. L’irrigation de nuit n’étant pas très fréquente en amont du
réseau, les surplus d’eau provenant de l’amont pourraient être stockés pendant la nuit à
l’entrée du périmètre de l’aval. Ils seront ensuite distribués le matin selon les tours d’eau
existants entre les douars. On peut, grâce à ce système, espérer réduire considérablement les
tensions amont aval autour de l’eau comme c’est le cas dans les douars où ce système
fonctionne déjà.
1.2.2 Mettre en place un pompage régularisé :
Le pompage est, en général, perçu comme une pratique qui met en danger les équilibres
fragiles du milieu. Cela est encore plus vrai lorsqu’il est pratiqué de façon anarchique, sans
aucune réglementation.
La nappe phréatique est très peu profonde dans les territoires d’aval de la vallée des Aït
Hakim. Chaque fois que l’eau se raréfie, les agriculteurs d’aval qui voient leurs récoltes
menacées se mettent à pomper dans la nappe sans aucune réglementation (que celle de la
Taqbilt qui dit que les puits doivent être creusés loin des canaux d’irrigation).
Comme nous l’avons vu, la tendance actuelle des systèmes de production est à
l’intensification de l’arboriculture et des cultures maraîchères. Ce qui signifie que les besoins
en eau augmentent. Les agriculteurs d’aval sont très impliqués dans cette agriculture de rente.
Ils ont les plus grandes plantations de pommiers de la vallée des Aït Hakim, mais ils sont très
limités par les disparités de débits avec l’amont. Aussi, le pompage anarchique est ent rain de
se généraliser chez ces agriculteurs.
Il serait intéressant que la DPA, en collaboration avec l’AUEA et les agriculteurs, pense à
mettre en place un système de pompage régularisé. Il permettra non seulement de réduire les

73
Bassin réservoir permettant de stocker l’eau avant de l’envoyer dans le réseau d’irrigation.

189
disparités de débits amont aval mais aussi de contrôler les prélèvements afin de préserver
l’équilibre fragile de la vallée.
1.2.3 Optimiser les aménagements :
En décidant de ne financer que le bétonnage de 50 km de seguias sur les 121 que compte la
vallée, l’Etat et la Banque Mondiale ont fait le choix d’une modernisation partielle qui pose
une question fondamentale quant à la participation financière des agriculteurs : ceux d’entre
eux qui n’auront pas leurs canaux bétonnés vont-ils accepter de payer pour des aménagements
dont ils ne bénéficieront pas ?
Les travaux prévus dans le cadre du projet DRI-PMH ne résoudront donc pas tous les
problèmes. Ils pourraient par contre contribuer à réduire les disparités de débits amont aval si
l’AUEA accordait la priorité du revêtement aux canaux inter-douars. L’amélioration du
transport de l’eau dans ces canaux pourrait réduire considérablement les tensions amont aval.
Les seuils métalliques (vannes tout ou rien ou module à masse) devront être revus pour limiter
les infiltrations et les fuites.
1.3 UNE MEILLEURE IMPLICATION DES AGRICULTEURS :

1.3.1 Mettre l’accent sur l’information-sensibilisation :


Tous nos entretiens montrent que les agriculteurs et même les membres du bureau ne sont pas
au courant des vrais objectifs de l’AUEA parce qu’ils n’ont pas été suffisamment sensibilisés
lors de la formation des AUEA. Il serait intéressant de mettre l’accent sur l’information des
agriculteurs en veillant à ce qu’ils s’approprient l’AUEA. Il faut souligner ici l'importance du
rôle du 7ème membre qui devra être doté des moyens nécessaires pour l’organisation d'un
dialogue constructif entre les différents groupes sociaux.
1.3.2 Adapter les programmes de formation aux besoins des
agriculteurs :
(a) Des programmes de formation bien formulés… :

L’AUEA Aït Hakim est appelée à être le partenaire de l’administration, des bailleurs de fonds
et des entrepreneurs. Ses dirigeants doivent donc avoir un certain niveau, notamment en
matière de gestion, de comptabilité, de suivi-évaluation et de contrôle de qualité des travaux.
Le gros challenge, c’est que les membres du bureau sont, pour la plupart d’entre eux, des
analphabètes. Ils n’ont reçu aucune formation leur permettant d’assurer de telles charges de
gestion. Il faillait donc mettre en place, pour eux, des programmes spécifiques de formation.
L’administration et les bailleurs de fond ont mis en œuvre un programme de formation qui
dure 18 mois dont 7 à 8 de terrain. Il se déroule en 6 sessions. Les thèmes abordés sont
organisés en modules de formation (fondements de l’AUEA, diagnostic participatif, élection
du bureau, vie de l’AUEA, suivi-évaluation, trésorerie, comptabilité, secrétariat, aspects
techniques, gestion de l’eau, valorisation de l’eau à la parcelle).

190
La formation est assurée par des équipes d’ingénieurs-conseils issus de bureaux d’études
privés. Les outils didactiques utilisés sont de type scolaire et l’accent est surtout mis sur le
respect de la progression pédagogique. Le but à terme, c’est que les formateurs deviennent de
véritables conseillers pour les AUEA. Le contrôle de la qualité de la formation est assuré par
une cellule de la DAHA.
(b) …mais peu adaptés aux besoins des agriculteurs :

La formation des membres des bureaux des quatre AUEA a commencé cette année. Nous
avons choisi, à la fin de certaines séances, d’aller demander aux membres de bureau présents
à ces séances ce qu’ils en ont retenu. Les résultats montrent que plusieurs d’entre eux ne
comprennent pas bien comprendre le contenu des séances, soit parce que c’est loin de leurs
préoccupations, soit parce que c’est trop technique pour eux. Selon le président de l’AUEA
des Aït Ouriat (80 ans) "Je ne comprend rien à ces choses là. Je pense plutôt qu’il faut les
dire aux jeunes agriculteurs. Eux, ils comprendront peut-être,…".
Les membres du bureau sont des notables très occupés par d’autres affaires. Ils ne sont donc
pas toujours présents aux séances de formation. Leur niveau de formation ne leur permet pas
de comprendre certains sujets techniques. Il serait donc intéressant de simplifier davantage ces
programmes et de les adapter aux besoins des agriculteurs. Il serait aussi intéressant d’aider
les agriculteurs à améliorer le gravitaire plutôt que de leur parler de techniques d’irrigation
qu’ils ne mettront peut être jamais en place.
1.4 CREER DES COMITES AU SEIN DU BUREAU :

L’AUEA Aït Hakim souffre aussi du désintérêt des membres du bureau qui sont trop occupés
par d’autres affaires. Grâce aux programmes de formation et aux problèmes apparus au sein
de l’AUEA, plusieurs d’entre eux sont maintenant conscients de leur carence. Si des élections
étaient organisées, ils céderaient facilement leur place à des agriculteurs dynamiques,
pleinement investis au niveau de l’irrigation. Mais depuis, la création des AUEA, il n y a
jamais eu de changements des bureaux.
L’autre moyen de palier à ce désintérêt des membres du bureau serait de créer des comités au
sein du bureau. Ils seront composés d’agriculteurs et des membres actuels du bureau. Ils
pourront se charger plus facilement des relations avec les autres agriculteurs, l’administration
et les bailleurs. Ils pourront aussi participer à la surveillance des travaux de réhabilitation du
réseau (au cas où ils reprendront).
CONCLUSION :

Les points que nous venons d’aborder pourront peut-être aider à faire revenir les douars
d’amont qui ont quitté l’AUEA et à améliorer la situation des douars d’aval de façon à
dynamiser l’AUEA Aït Hakim. On notera tout de même qu’aucun règlement intérieur ne
permettra de tenir compte de la grande diversité des règles de gestion de l’eau qui existe dans
les onze douars de la vallée des Aït Hakim.

191
2. HYPOTHESE DE CREATION DE PLUSIEURS AUEA :
Le zonage hydraulique que nous avons effectué montre que les secteurs définis sont cohérents
du point de vue hydraulique et du point de vue des règles de gestion de l’eau. Certains douars
peuvent donc être regroupés dans une même institution pour prendre en charge la gestion
d’ensemble de la partie du réseau qui les concerne et discuter des questions de partage de
l’eau de l’oued. De nos discussions avec les agriculteurs, il ressort que les regroupements
suivants sont porteurs d’espoirs :
1. Secteur (A) et (B) : Zaouit Alemzi, Aït Ouham, Aït Issa Ou Ali, Ighirine et Iglouane,
2. secteur (C) : Aït Ouchi, Ifrane et Taghoulit,
3. Secteur (D) : Aït Wanoughdal (Aït Oughral, Aït Sellam et Tadrouit).
Dans ces trois secteurs, on a une certaine homogénéité des règles de gestion de l’eau. Les
intérêts des douars étant à peu près les mêmes, on peut penser qu’ils arriveraient à mettre en
place un règlement intérieur consensuel dans le cadre d’une AUEA.
Si la création de plusieurs AUEA est envisagée, des mesures devront être prises pour limiter
les problèmes amont aval qui pourraient apparaître entre trois secteurs isolés, pratiquant
chacun sa gestion de l’eau sans se soucier de son voisin. Il sera donc nécessaire d’une part,
d’envisager les mesures de réduction des disparités de débits (ci-dessus proposées) entre ces
secteurs de façon à donner une relative autonomie à chacun d’eux et d’autre part, de penser
l’AUEA Aït Hakim actuelle comme un espace de dialogue entre les AUEA des trois secteurs.
CONCLUSION :
La vallée des Aït Bouguemez est un petit bassin à dimension humaine. Il est composé de
groupes ayant une longue de tradition de gestion communautaire des ressources. Les
institutions coutumières sont très dynamiques mais ne prennent pas en charge toutes les
questions inter-douars. Les différents acteurs (agriculteurs, autorités locales, ONG locales et
étrangères, projets de développement ou d’accompagnement,..) devront consentir beaucoup
d’effort pour des AUEA dynamiques de façon, ensuite, à pouvoir les fédérer pour arriver à
une gestion d’ensemble cohérente et équitable du bassin.

192
CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS
Degré de validation des hypothèses de travail :
Hypothèse 1 : Malgré les changements institutionnels survenus dans la vallée, le douar, avec
sa Taqbilt reste toujours l'unité socio-territoriale pertinente pour la gestion de l’eau.
Le douar avec sa Taqbilt est le seul territoire où tous les usagers d’un réseau d’irrigation sont
d’accord avec toutes les règles du jeu. Ils assurent ensemble toutes les charges de gestion de
l’eau et d’entretien des infrastructures. Le douar est donc une unité socio-territoriale
pertinente pour la gestion collective de l’eau.
Hypothèse 2 : La gestion de l’eau n’est pas isolée de celle des autres ressources. Un douar
qui contrôle une grande quantité d’une ressource donnée l’utilise pour accéder aux
ressources qu’il n’a pas en établissant des accords et des alliances avec d’autres douars.
Cette hypothèse n’est vérifiée que pour les quatre douars d’amont qui sont liés par un accord
ancestral d’échange de ressources naturelles.
Hypothèse 3 : Les règles coutumières de gestion de l’eau sont flexibles et s’adaptent
facilement aux changements (climatiques, sociaux, institutionnels,…) qui surviennent. Elles
peuvent donc s’adapter au nouveau paysage institutionnel de la vallée (introduction des
AUEA). La rigidité des règles théoriques, telles que dictées par les agriculteurs, ne se
retrouve pas toujours dans les pratiques d’irrigation. Plusieurs arrangements se font entre les
ayants droit d’un canal de façon à atteindre une meilleure efficience de l’irrigation. Sans
arrangements, les modes de distribution trop complexes ou trop simplistes ne pourront pas
fonctionner.
La flexibilité des règles coutumières de gestion de l’eau a été largement démontrée tout au
long de l’étude. Il existe des règles pour gérer l’abondance et la raréfaction de l’eau. Nous
avons aussi vu que les règles ne sont pas appliquées telles qu’elles sont dictées. Dans la
pratique, les agriculteurs font plusieurs arrangements entre eux de façon à simplifier les
modes de distribution de l’eau qui sont trop complexes.
Hypothèse 4: Face à la rareté, les agriculteurs développent des stratégies individualistes qui
peuvent avoir des effets néfastes sur la gestion communautaire de l’eau. Les institutions
coutumières de gestion de l’eau disposent de règles visant à limiter les comportements
individualistes.
Plusieurs stratégies individuelles négatives comme le pompage ou le vol d’eau sont
développées par certains agriculteurs pour pallier les effets de la sécheresse. La Taqbilt de
douar dispose de peu de moyens pour limiter ces stratégies. Ces comportements opportunistes
sont donc en forte croissance. Ils risquent de mettre à mal l’unité de la Taqbilt de douar. Le
contexte d’abondance d’eau de cette année n’a pas permis d’observer sur le terrain les
comportements des agriculteurs face à la sécheresse. L’accent devra donc être mis sur cet
aspect par la suite.
Hypothèse 5 : La simple introduction de la composante "participative" dans les projets
d’aménagements hydrauliques ne suffit pas à modifier la logique de fonctionnement interne
d'un système d'irrigation traditionnel, ni la logique d'intervention de l’Etat et des bailleurs de
fonds qui initient, financent et mettent en oeuvre ces projets (MATHIEU, 2001).

193
A cause de leur faible implication dans le processus de formation des AUEA, les agriculteurs
ne se sont pas appropriées les AUEA en tant qu’institution de gestion de l’eau. Le système
d’irrigation fonctionne donc aujourd’hui comme s’il n’y a pas d’AUEA.
Hypothèse 6 : L’AUEA, institution issue du droit moderne et fondée sur des règles figées, ne
peut pas, dans sa forme actuelle, assurer une gestion de l’irrigation viable et durable, à même
de remplacer celle assurée par les institutions coutumières basées sur la tradition orale avec
des règles flexibles, historiquement construites.
Le système irrigué traditionnel des Aït Hakim comporte des règles multiples pour gérer
plusieurs situations (l’abondance, les situations de crise,..). Le modèle unique de distribution
de l’eau proposé par l’AUEA ne tient pas compte de cette diversité et de cette flexibilité des
règles. Ce modèle est donc, par conséquent, jugé par les agriculteurs comme inadapté et
inacceptable.
Hypothèse 7: Bien qu’une création de l’Etat, les AUEA peuvent constituer un outil
intéressant de développement agricole si leur mise en place se fait sur bases démocratiques et
si elles sont dotées d’une certaine flexibilité des règles, leur permettant de s’adapter aux
situations, fort dissemblables, rencontrées sur les différents terrains.
Les rôles potentiels pour les AUEA sont nombreux : régulation de l’utilisation de l’eau de
l’oued, fourniture d’intrants aux agriculteurs, création d’un label pour les produits de la
montagne,… Mais leur processus de formation n’a pas été conforme aux dispositions prévues
par la loi 02-84, elles n’ont donc pas la crédibilité nécessaire pour assurer ces rôles. Au cours
de la réalisation de ce travail, nous avons rencontré des agriculteurs dynamiques qui n’ont pas
été impliqués dans le processus faute de transparence et d’information. Tout porte à croire que
si tout s’était déroulé correctement, les AUEA auraient eu plus de crédibilité et seraient plus
fonctionnelles.
Hypothèse 8 : Une AUEA, sur un territoire aussi grand que les Aït Hakim avec plusieurs
groupes sociaux ayant des intérêts très distants, ne peut pas être efficace. Une organisation
plus locale, autour de territoires hydrauliques plus petits mais socialement plus cohérents,
fournirait une meilleure assise socio-territoriale à l’AUEA et serait plus efficace pour une
gestion durable et équitable de l’irrigation. La fédération d’AUEA, objectif ultime du
processus de GPI, pourrait ensuite être formée pour s’occuper de la gestion d’ensemble du
bassin et des relations avec les autres acteurs externes.
Le territoire de l’AUEA Aït Hakim n’est pas homogène sur le plan hydraulique et sur le plan
socio-territorial. Les intérêts des groupes qui le composent sont très distants : certains ne sont
intéressés que par le revêtement de leurs canaux, d’autres par l’obtention d’un tour d’eau sur
l’oued et d’autres encore par l’intérêt qu’ils peuvent en tirer sur le plan politique. Cette
situation est, dans une large mesure, la cause du blocage de cette Association. Des territoires
plus restreints (comme les secteurs hydrauliques que nous avons définis) sont plus homogènes
parce que les intérêts sont moins divergents. Des AUEA sur ces territoires seraient plus
fonctionnelles que l’AUEA Aït Hakim à condition, bien sûr, que des mesures soient prises
pour réduire les disparités de débits entre les différents secteurs.

194
Eléments de recommandations :
Le diagnostic de situation établi par cette étude a surtout été concentré sur les aspects socio-
institutionnels et organisationnels de l’irrigation. Il ne sera véritablement complet qu’en
approfondissant les points suivants :
A notre avis, si tous agriculteurs sont réticents à l’idée de modifier les pratiques ancestrales de
distribution de l’eau le long des canaux, il n’en est pas de même des techniques d’utilisation
de l’eau à la parcelle qui recèlent encore des marges importantes d’amélioration. Il serait
intéressant de mener une étude sur les bilans hydriques (en fonction des cultures et des types
de sols) des doses d’irrigation apportées de façon à acquérir des données permettant
d’apporter des conseils adaptés pour l’irrigation à la parcelle.
La tendance actuelle des systèmes de production est à l’intensification des cultures
maraîchères et de l’arboriculture fruitière. Cependant, cette intensification s’installe sans
appui technique. Les doses d’engrais et de pesticides sont apportées aléatoirement. Elles
pourraient, à moyen terme, poser des problèmes de pollution. Le développement excessif des
cultures très consommatrices en eau pourrait aussi faire de la raréfaction de l’eau une
caractéristique structurelle alors qu’elle n’est, pour le moment, que conjoncturelle.
Dans ce sens, la typologie des exploitations agricoles que nous avons réalisée à Ifrane devra
être affinée et étendue à toute la vallée des Aït Hakim pour se faire une idée claire de la
trajectoire des exploitations agricoles et voir ainsi si elles s’orientent vers une plus grande
consommation d’eau et dans quelles proportions. Les connaissances acquises dans une telle
étude pourront être très utiles à la décision.
L’étude des comportements face à la raréfaction de l’eau devra aussi être approfondie dans
toute la vallée des Aït Hakim afin de voir dans quelles proportions se développe le pompage
individuel. Comme nous l’avons déjà signalé ci-haut, une régulation de cette pratique sera
salutaire pour préserver l’équilibre naturel fragile de ce bel ensemble écologique qu’est la
vallée des Aït Bouguemez.
Conclusion :
Tout au long de cette étude, nous avons été guidés par cette question principale que pose notre
problématique : le statut associatif, tel que conçu par l’Etat, est-il adapté au besoin de gestion
et d’organisation des communautés d’agriculteurs de la vallée des Aït Bouguemez ?
L’analyse du réseau d’irrigation montre une grande diversité des situations : certains douars
ont des périmètres irrigués complètement imbriqués, ils sont donc obligés d’organiser
ensemble le partage de l’eau et la gestion des infrastructures. D’autres, par contre, ont des
périmètres assez bien individualisés et peuvent faire cavalier seul jusqu’à un certain point.
L’étude de la gestion sociale de l’eau, aussi bien dans l’ensemble de la vallée des Aït Hakim
que dans le douar Ifrane, montre une grande diversité des relations entre les douars et entre les
agriculteurs au sein d’un douar. Entre les douars, l’eau peut être repartie selon des tours d’eau
ou sans aucun tour d’eau. Au sein des douars, les ayants droit d’un canal sont soumis à des
disciplines collectives d’utilisation de l’eau décidées par les Taqbilt, mais ils peuvent
organiser la distribution de l’eau le long de leur canal selon le mode qui leur convient.
L’étude des systèmes de production a permis aussi de voir que, même le long des canaux, les
préoccupations des agriculteurs ne sont pas les mêmes vis-à-vis de la ressource en eau.

195
Pendant que certains produisent pour se nourrir, d’autres sont lancés dans un véritable
entreprenariat agricole. Ils ont donc des comportements différents face à l’eau.
Cette grande diversité des situations qui se retrouve à tous les niveaux de la gestion de l’eau
peut paraître à première vue ingérable mais les communautés d’agriculteurs sont arrivées à
concilier, tant bien que mal, les intérêts divergents des uns et des autres et à assurer ainsi la
durabilité du système social de gestion de l’eau et des autres ressources naturelles.
Malgré sa pérennité, ce système présente, comme nous l’avons vu, certaines failles. En effet,
l’utilisation de l’eau de l’oued n’est régie par aucune règle commune, il s’ensuit de nombreux
conflits en période de raréfaction de l’eau. Nous ne disposons pas de mesures nous permettant
de nous prononcer sur l’efficience de l’irrigation à la parcelle, mais vues les grandes quantités
d’eau utilisées pour irriguer les parcelles de faibles dimensions, elle paraît en dessous des
possibilités du système de distribution de l’eau.
L’AUEA aurait pu être l’organisation d’agriculteurs qui prendrait en charge la gestion
d’ensemble du bassin et trouver des solutions à ces problèmes et cela, dans une cohabitation
harmonieuse avec les institutions coutumières. Mais les agriculteurs n’ont pas été pleinement
impliqués dans sa mise en place et la grande diversité des situations qui existent sur le terrain
n’a pas été prise en compte. Ainsi cette institution qui aurait pu être un outil intéressant de
développement agricole est devenu un instrument que chacun acteur tente d’utiliser selon ses
intérêts personnels.
Des éléments de solutions ont été proposés pour faire de cette institution ce qu’elle doit être :
une institution d’agriculteurs entre les mains des agriculteurs. Ils impliquent que l’accent soit
mis sur l’information et la sensibilisation ou que tout le processus soit remis en cause en
adoptant de nouveaux découpages territoriaux, moins conflictuels et plus fonctionnels. La
fédération d’AUEA, objectif ultime du processus, pourra être envisagée, mais seulement une
fois que les Associations, à petite échelle, commenceront à fonctionner comme de véritables
institutions d’agriculteurs.
Au terme de cette étude, un fait qui attire aujourd’hui notre attention et qui devrait intéresser
les décideurs et les intervenants, c’est que les agriculteurs sont capables de formuler des
demandes cohérentes, adaptées aux problèmes qu’ils rencontrent. Ne faudrait-il pas mieux les
écouter et concevoir des schémas d’intervention adaptés à leurs besoins plutôt que de vouloir
leur imposer des modèles exogènes ?
La vallée des Aït Bouguemez est promue à un développement certain. Comme nous l’avons
dit au début de ce document, les nombreux intervenants qui y oeuvrent sont tous animés de la
même bonne intention : aider à mettre en place un développement durable et cohérent. Mais
aucun cadre de concertation, formelle ou informelle, n’existe entre tous ces intervenants. Ils
mènent des actions dispersées et isolées dans différentes zones. Un échange d’informations et
d’expériences rendrait plus efficaces les différentes actions et serait bénéfique pour
l’ensemble de la vallée des Aït Bouguemez.

196
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199
ANNEXES
annexe 1 : Données démographiques de la vallée des Aït Hakim

Ait Ouham Aït Issa Ou Ali Zaouit Alemzi Iglouane Ighirine Ait Ouchi Ifrane Taghoulit Ait Oughral Ait Wanoughdal Tadrouit totaux

Familles 3 11 5 5(2) 14(3)

Foyer 85 Dr Tissot 73 14 44 34 46 100 64 36 16 52 24 503

Foyer 2002 ADCAB 79 17 59 49 68 125 86 40 21 74 36 654

Foyer 2003 enquête 73 14 51 44 30 105 130 40 21 74 36 618

Ecart 2002-2003 6 3 8 5 38 20 -44 0 0 0 0

Augmentation 85-02 % 8.22 21.43 34.09 44.12 47.83 25 34.38 11.11 31.25 42.31 50 30.02

Habitants 85 Dr Tissot 449 73 342 236 280 617 417 232 127 374 146 3293

Habitants 2002 ADCAB 632 133 458 397 543 1039 559 345 192 529 236 5063

Augmentation 85-02 % 40.76 82019 33.92 68.22 93.93 68.4 34.05 48.71 51.18 41.44 61.64 53.75

Croissance annuelle 2.32 4.08 1.96 3.5 4.5 3.5 1.9 2.68 2.80 2.34 3.25 2.90

En 1950 194 17 167 66 55 174 210 87 46 159 45 11.45

Sur base croissance annuelle


EN 2023 996 296 675 790 1310 2067 815 586 334 840 447 8968
constante

En 2033 1250 441 820 1114 2034 2916 983 763 440 1059 616 11936

Mini 220 200 70 75 30 80 60 735


Ha irrigués
Maxi 250 90 75 30 100 85 880
250
Mini 1.6 0.81 1.88 1.43 1.08 1.67 1.12
Ha par foyer 2002
maxi 0.81 2 1.05 1.88 1.43 1.35 2.36 1.35

Source: stage IAV-CNEARC (2003)


201
annexe 2: principes et pratiques de la distribution de l'eau dans les systèmes irrigués gravitaires

Déterminé à l’avance
(ou limité par les infrastructures)

Par rotation fixe

Rotation souple
(LFL) (FFL) (LFF)
Moins de souplesse pour Moins bonnes performances
les usagers technico-économiques

Contrôle central A la demande


(M,M,M) (S,S,S)

Varié par l’organisme Choisi par l’usager


de gestion
Moins de
transparence
Schéma : mode de distribution selon la détermination des paramètres du calendrier des arrosages
(d’après Gilot 1994). Exemple : (A, L, A)= dates arrangées; débit limité; durée libre.
Tableau : Les cinq types principaux de détermination des paramètres du calendrier des irrigations.

1) fixe (F) Aucune modification durant la saison

2) modulé (M) L’organisme de gestion décide en temps utile des nouvelles valeurs à donner

3) arrangé Les valeurs, redéfinies de temps à autre, sont issues d’un accord entre organisme de
gestion et usagers ou représentants des usagers

4) limité (L) A la volonté de l’usager dans les limites imposées par le centre de gestion

5) libre (S) A la volonté de l’usager, sans limite

Source: (Gilo, L., Ruf, T., 1998)

203
Annexe 3 : Emplacements des prises des canaux

Modes Emplacement Source,


Canaux Douars utilisant le canal
d’alimentation Ougoug

Taghfist Source Taghfist Tizi-n-Taghfist Zaouit et Ait Ouham

Tin Oussamar (RD) Source Ait Ouham Douar Aït Ouham Ait Ouham, Iglouane et Ighirine

T in Oukbou (RG) ≠ Aït Ouham Ait Ouham

Tassemelilt (RD) Ougoug sur Assif ≠ Ait Ouham, Iglouane et Ighirine

Tazmamat (RG) ≠ ≠ Ait Ouham Iglouane, Ighirine et Aït Issa


Ou Ali

Mizrigan (RD) ≠ ≠ Ait Ouham, Iglouane et Ighirine

Tawaline (RG) ≠ ≠ Issa Ou Ali, Iglouane et Ighirine

Imchahcha (RD) ≠ Iglouane Iglouane et Ighirine

Targua Amalou-n-Ikiss Source Ighirine (hameau Timelilt) Ighirine et Ait Ouchi


(RG)

Tin Ouammass (RD) Ougoug sur Assif Aït Aissa Ou Ali ≠

Ichou Ali (RD) ≠ ≠ ≠

Tin Oumalou (RG) ≠ Ait Ouchi Ait Ouchi et Ifrane

Daou Iglouane (RD) ≠ ≠ ≠

Imjoujoua (RG) ≠ ≠ ≠

Daou Imi (RD) ≠ Ifrane Ifrane

Tin Tafraout (RD) ≠ ≠ ≠

Ait Issimour (RG) ≠ ≠ ≠

Tin Ougmadine (RG) ≠ ≠ Taghoulit et Ait Oughral

Tarahmount(RD) Ougoug sur Assif Taghoulit Taghoulit

Taghda n’ouhlima(RD) ≠ ≠ Taghoulit

Tassdount(RD) Source ≠ Taghoulit et Ait Oughral

Targua n’Imezrain(RG) Ougoug sur Assif ≠ Taghoulit


Ait Oughral

Imi n’Tafrit (RD) ≠ Ait Oughral ≠

Imi n’Ljamaa(RG) ≠ ≠ ≠

204
Annexe 4: Les tours d'eau sur les canaux des secteurs (A) (B) et (C)
Tableau1 : Tours d’eau sur les canaux des secteurs (A) et (B)
Douars Zaouit Aït Aït Issa Iglouane Ighirine
Canaux Alemzi Ouham Ou Ali

Targa-n-Taghfist 9 jours 1.5 jours

Tin Oussamar (RD) 4.5 jours 1.5 jours 1jour

Tin Oukbou (RG) 7 jours

Tassemelilt (RD) 3.5 jours 2 j/avec Ighirine et 1j/Ait 2 j/avec Iglouane


Ouham
1 j pour Ighirine

Tazmamat (RG) 4 jours 1j seul + 1 j/ avec 1 jour 1 j/avec Ighirine


Ighirine

Mizrigan (RD) 2 j seul + 2 j/ avec 2 j/avec Iglouane + 2 j/ avec 2 j/ avec Iglouane +1j
Iglouane ighirine Ighirine seul

Tawaline (RG) 1 j seul + 1j/ avec 4 j+ 1j/ avec Ighirine 1 j/avec Iglouane et 1 j/
Ighirine avec Aït Aissa Ou Ali

Imchahcha (RD) Pas de tour d’eau

Tableau 2 : Tours d’eau sur les canaux du secteur (C)


Douars
Timelilt Ait Ouchi Ifrane Taghoulit
Canaux

Targua n’Ikiss Amalou 2.5 Jours 4.5 Jours

Tin Ouammass 1Jour partagé avec Ait Ouchi 6.5 Jours

Ichou Ali 1 Jour partagé avec Ait Ouchi 6.5 Jours

Tin Oumalou 2 Jours 5 Jours

Daou Iglouane 4 Jours 3 Jours

Imjoujoua 7 Jours /7

Daou Imi 7 Jours / 7

Targua Tafraout 7 Jours / 7

Ait Issimour 7 Jours / 7

Daou Imcht 7 Jours /7

Tarahmount

Taghda n’Ouhlima 7 Jours / 7

Tin Ouzdir 7 Jours / 7

205
Annexe 5 : Modes d'entretien des canaux
Canaux Douars utilisant le canal Modes d’entretien Douars participants

Taghfist Zaouit Alemzi et Ait Ouham Collectif Zaouit Alemzi

Ait Ouham, Iglouane et


Tin Oussamar (R.D) ? Iglouane, Ighirine
Ighirine

Tin Oukbou (R.G) Ait Ouham ? Ait Ouham

Tassemelilt (R.D) Ait Ouham, Iglouane et Ighirine ? Iglouane, Ighirine

Ait Ouham, Iglouane, Ighirine


Tazmamat (R.G) ?
Issa Ou Ali, Iglouane, Ighirine Issa Ou Ali

Issa Ou Ali,
Tawaline (R.G) Issa Ou Ali, Iglouane, Ighirine ?
Iglouane, Ighirine

Ait Ouham, Iglouane


Mizrigan (R.D) ? Iglouane, Ighirine
Ighirine

Iglouane
Imchahcha (R.D) Iglouane, Ighirine ?
Ighirine

Tin Oumalou-n-Ikiss (R.D) Ighirine, Ait Ouchi ? Ait Ouchi

Tin Ouammass (R.D) Ait Ouchi, Ighirine ? Ait Ouchi

Ichou Ali (R.D) Ait ouchi ? Ait Ouchi

Tin Oumalou-n-Ait Ouchi (R.G) Ait Ouchi, Ifrane ? Ifrane

Collectif
Daou Iglouane (R.D) Ait Ouchi, Ifrane Ifrane
Individuel

Imjoujoua (R.G) Ifrane ? Ifrane

Ait Issimour (R.G) Ifrane, Taghoulit ? Taghoulit

Individuel
Dou Imi (R.D) Ifrane
Collectif

Tafraout (R.D) Ifrane ?

Tin Ougmadine (R.G) Taghoulit ? Taghoulit

Taghoulit,
Tarahamount (R.D) Ifrane, Taghoulit, Ait Oughral ?
Ait Oughral

Taghda-n-ouhlima Taghoulit Taghoulit et


Collectif et Individuel quelques Ait
(R.D) quelques Ait Oughral Oughral

Tin Ouzdir (R.D) Taghoulit ? Taghoulit

Annexe 6: Répartition de l'eau de Taghfist entre les familles de Zaouit Alemzi

206
Nombre Mode
Jours Lignages Familles Temps
d’Irrigants d’irrigation

Aït Taaza 8h-13h 5

1er Jour Imgharn Aït Benhçaien 13h-Maghrib 3

Imgheren Maghrib-8h 1

8h-13h 6

2ème Jour Aït Lhaz 13h-Maghrib 3

héritiers khouya Maghrib-8h 6

8h-13h 3

3ème Jour Aït Hamid Aït Oullalah 13h-Maghrib 3

Aït Taârabt Maghrib-8h 3

8h- Maghrib 3
4ème Jour Aït Aâmer
Maghrib-8h 3

8h-13h 4

5ème Jour Igounaden Ouchrif 13h-Maghrib 1

Maghrib-8h 3 Champ par champ

8h-13h 4

6ème Jour Aït Oukhrid Aït Boya 13h-Maghrib 2

Maghrib-8h 2

8h-13h 5

7ème Jour Aït Ali Aït Berrehou 13h-Maghrib 2

Maghrib-8h 2

8h-13h 3

8ème Jour Tamshtarkt 13h-Maghrib 7

Aït Taârabt Maghrib-8h 3

Aït Baallah 8h-13h 10


Aït Baallah
9ème Jour Mosquée 13h-Maghrib
WaLjmaâ
Id N’Ogram Maghrib-8h 3

1 nuit et 2
Aït Ouham
jours

Source : Elaboration propre d’après enquête

Annexe 7 : Droits d'eau des familles et leurs modalités d'attribution sur les canaux d'Ifrane
207
Tableau 1 : Modalités du partage de l’eau sur Tin Ouammass

Jours Latalat Ighs Modes de partage

Aït Boualn Quartier (A) 1er Samedi

Aït Laakoun
Samedi Tamazouzt
Aït Ouragh Quartier (B) 2nd Samedi
Aït Oubrakhaz

Aït Khash
Quartier (C) 1er dimanche
Aït Ouattar
Dimanche Tamazouzt
Aït Maqdid
Quartier (D) 2nd dimanche
Aït Moulay

Aït Tahoukt
Aït Bibi
Aït Douari
Aït Lkadi
Aït Alinou L’irrigation se fait prise par prise d’amont en aval
Lundi Aït Sidi Ahmed quelle que soit la période (abondance ou
Aït Taïchate raréfaction de l’eau)
Aït Magdoul
Aït Ouaattar
Aït Ouragh
Aït Oumana

Tableau 2 : Modalités de partage de l’eau sur Tin Oumalou

Jours Latlat Ighs Irrigants Modes de partage

Aït Ouragh 2

Aït Laakoun 6

Aït Boualn 1
Tamazouzt
Aït Ouaattar 2

Aït Lqanziz 2
L’irrigation se fait
Assemdi’s Assemdi dans
Vendredi Aït Khash 1
une Dart (nommée Dart du
Vendredi)
Aït Alinou 1

Aït Douari 2

Aït Sidi Ahmed Aït Lkadi 3

Aït Bibi 3

Aït Tahoukt 1

Samedi Aït Tamazouzt Aït Boualn 1 L’irrigation se fait là aussi


par Assemdi’s Assemdi
Aït Laakoun 2 dans une Dart (nommée
Dart du Samedi)

208
Dart du Samedi)
Aït Ouragh 4

Aït Ouaattar 2

Aït Outtaijine 3

Aït Lqanziz 1
Aït Sidi Ahmed
Aït Douari 2

Aït Lkadi 1

Aït Saïd Ouhadou Aït Koko 1

Tableau 3 : Répartition de l’eau sur la Targa-n-Oulzweg

Jours Ayant-droits Modes de Répartition Caractéristiques

Aït Dammou
Vendredi Assemdi’s Assemdi Tirage au sort pour 1er Takât

Aït Maqdid
Aït Ouragh
Samedi Assemdi’s Assemdi Tirage au sort
Aït Ammi
(Aït Ouchi)

Aït Alinou 14 h – 19 h

Dimanche Aït Lqanziz 19 h – 10 h Tirage au sort annuel unique

Aït Bibi 10 h – 14 h

Aït El Kadi 1er Lundi


Lundi Partage par semaine
Aït Douari 2ème Lundi

Aït El Kadi 19 h – 10 h

Aït Douari Tirage au sort unique pour


Mardi désigner les Ighs
Aït Taïchate qui irrigue la nuit
10 h – 19 h
Aït Tahkout

Aït Alinou
Aït Maqdid
Aït Oubragaz Toutes ces familles ont leurs
Mercredi Aït Boualn Assemdi’s Assemdi parcelles dans une seule et
même Dart
Aït Ouaattar
(Aït Ammi Aït et Ouhadda d’Aït
Ouchi)

Aït Koko
En cas de rotation entre
Aït L’Kadi Dart avec Assemdi’s Assemdi ou
Jeudi familles, chaque famille
Rotation entre Ifrane et Aït Ouchi.
pratique Assemdi’s Assemdi.
Aït Hanabou et Aït Houali d’Aït Ouchi

Tableau 4 : Répartition de l’eau sur Imjoujoua


209
Jours Darts Ighs Irrigants Observations

Aït Hanabou, Aït Ouidir et Les quelques familles d’Aït


Aït Ichou Nouadir Ouchi qui utilisent ce canal en
amont

Aït Boualn 4

Aït Ouragh 3

Aït Ouaattar 2
Jeudi et Vendredi 1ère Dart
Aït Taïchate 2
Toutes ces familles d’Ifrane
sont des Aït Tamazouzt
Aït Khash 3

Aït Koko 4

Aït Lkadi 4

Aït Oubraghaz 2

Aït Oubraghaz 1 Les trois familles fondatrices


du douar sont présentes dans
Aït Lkadi 2 tous ces quartiers

Aït Taïchate 1

Aït Ouaatar 1
Samedi 2ème Dart
Aït Magdoul 1

Aït Boualn 1

Aït Koko 1

Aït Daoud 4

Aït Boualn 1

Aït Daoud 2

Aït Lkadi 2
Dimanche 3ème Dart
Aït Koko 1

Aït Ouaattar 1

Aït Tahoukt 1

Aït Nasser 4

Aït Aït Koko 1

Aït Lkadi 3
Lundi 4ème Dart
Aït Dabar 3

Aït Tahoukt 1

Aït Oubraghaz 1

Mardi 5ème Dart Aït Ouaattar 1

210
Aït Ousmoun 1

Aït Lkadi 1

Aït Dabar 4

Aït Oumana 3

Aït Koko 2

Aït Brahim 4

Aït Boualn 1

Aït Douari 1

Aït Brahim 4

Aït Ousmou 1

Aït Daoud 4

Toutes ces familles d’Ifrane


Mercredi 6ème Dart Aït Ouaijine 1
sont des Aït Saïd Ouhadou

Aït Alinou 1

Aït Nasser 3

Aït Dabar 2

Aït Oumana 4

Tableau 5 : Ayants droit du canal Daou Imcht :

Latlat Familles Irrigants

Aït Sidi Ahmed Aït Lqanziz 2

Aït Koko 4

Aït Oumana 4

Aït Ousmou 1
Aït Saïd Ouhadou
Aït Dabar 4

Aït Nasser 5

Aït Brahim 2

Taghoulit 10

Total 31

Tableau 6 : Ayants droits du canal Daou Tarahamount

Latlat Ighs Irrigants

Aït Saïd Ouhadou Aït Oumana 4

211
Aït Ousmou 4

Aït Koko 4

Aït Daoud 5

Aït Douari 2

Aït Dabar 3

Aït Brahim 2

Taghoulit 36

Aït Oughral 8

Total 68

Tableau 7 : Ayants droit et irrigants du canal Tin Tafraout :

Ighs Nombre d’irrigants

Aït Ousmou ?

Aït Oumana 3

Aït Koko 2

Aït Daoud 3

Aït Ouaattar 1

Aït Douari 2

Aït Lkadi 3

Aït Dabar 2

Aït Nasser 3

Aït Brahim 3

Total 22

212
Annexe 8 : Observations des pratiques de tours d’eau à Ifrane

MERCREDI 14/04/2004 : TARGA-N-OULZWEG


Selon les règles énoncées par les irrigants, nous ne devrions voir que des membres des familles : Aït
Alinou, Aït Maqdid, Aït Oubragaz, Aït Boualn, Aït Ouaattar, Aït Ammi Aït et Ouhadda venir irriguer
leurs parcelles Assemdi’s Assemdi dans une dart qui se trouve à la fin de l’Oulzweg.
Les premiers irrigants venus étaient d’Aït Ouchi. Nous avons remarqué qu’un seul agriculteur d’une
famille donnée pouvait irriguer les parcelles de tous ses frères. Ce qui explique le petit nombre
d’irrigants présents ce jour là (à peine une dizaine). Seules les céréales étaient irriguées.
Tous les irrigants que nous avons vus venir sont effectivement des familles ci-dessus citées. Les
parcelles qu’ils irriguaient ne se trouveraient toutes à l’emplacement prévu. On nous a expliqué que
cela est dû aux transactions foncières. Les familles ont donc le loisir d’amener l’eau là où elles veulent.

JEUDI 15/04/2004 : IMJOUJOUA


Selon les règles énoncées seuls les irrigants du Latlat Aït Tamazouzt (Aït Boualn, Aït Ouragh, Aït
Ouaattar, Aït Taïchate, Aït Khash, Aït Koko, Aït Lkadi et Aït Oubraghaz) devraient irriguer leurs
parcelles Assemdi’s Assemdi dans la première dart qui se trouve à la frontière avec Aït Ouchi.
Nous avons effectivement vu venir tout au long de la journée des irrigants Aït Tamzouzt venir irriguer
leurs parcelles. Aucun ordre précis n’était respecté, celui qui arrive irrigue toutes ses parcelles. Les
suivants n’attendaient pas qu’ils terminent, ils se mettaient directement au travail. En fait, plusieurs
irrigants travaillaient en même temps.
Il faut noter que l’eau est abondante sur Imjoujoua, ce qui, selon les irrigants, justifie le fait de ne pas
attendre que les autres terminent avant de commencer.

VENDREDI 16/04/2004 : TIN-N-TAFRAOUT OU DAOU IFRI


Comme prévu, aucun tour particulier n’a été respecté sur ce canal. Le premier venu irriguait toutes ses
parcelles. Les autres devraient attendre qu’il termine avant de commencer mais tel n’était pas le cas.
Cinq irrigants travaillaient en même temps.
Là aussi, c’est l’abondance d’eau qui est avancée par les irrigants pour justifier le fait de ne pas
attendre que les autres terminent.

213
Annexe 9 : Leçons tirées de quelques expériences de GPI dans le monde
1. 1. LE MEXIQUE :
Le Mexique a longtemps fait office de modèle de GPI à cause de sa bonne gestion du programme de transfert de
responsabilités aux associations d’irrigants. Commencé en 1988, ce programme était la suite logique d’un ensemble
de réformes économiques entamées début 1986.Une nouvelle et puissante agence de gestion de l’eau, la National
Water Commission Agency (CNA), a vu le jour en 1989 et la nouvelle loi sur l'eau décrétée en 1992, a été adoptée par
le congrès début 1994. Vers fin 1996, la gestion de 87% des périmètres de moyenne et grande irrigation a été
transférée à des associations d’irrigants.
La CNA, agence détentrice du rôle principal dans ce processus de transfert, a tenu plusieurs réunions avec les ejitarios
et les petits propriétaires terriens. Ces derniers réclamaient une implication effective à toutes les étapes du processus
de transfert, condition préalable à la formation des associations d’usagers.
La CNA a promis l'assistance du gouvernement en terme de réhabilitation et d’équipement des réseaux, promesses qui
n’ont été que partiellement tenues.
Les tensions entre ejitarios et petits propriétaires terriens étaient fortes pour la présidence des Associations. Un
arrangement a donc été conclu entre ces deux groupes pour mettre en place une présidence tournante : un représentant
d'un groupe fait office de président du conseil d'administration pendant que le poste de trésorier général est confié au
représentant de l'autre groupe. Les postes sont ensuite alternés à chaque élection. Le conseil d'administration est choisi
par des représentants des deux groupes réunis en assemblée générale. L’engagement et le sérieux des membres élus
furent des critères déterminants de l'efficacité des associations.
Des fédérations d'associations d’usagers ont été ensuite formées à l’échelle des systèmes d’irrigation ou des districts.
Une fédération nationale a aussi été mise en place pour représenter les intérêts des irrigants.
Dans une enquête d'opinion auprès d’un grand nombre de fermiers, quatre fermiers sur cinq ont indiqué que le service
d’irrigation et de maintenance du réseau s’est amélioré depuis le transfert. Cependant, les données sur l’usage de l'eau
indiquent qu’en moyenne, les systèmes consomment plus d'eau que par le passé et fonctionnent presque toujours en
condition de pénurie d’eau et dans besoin accru de réhabilitation.
Les résultats les plus dramatiques du transfert ont été financiers. Au début des années 1980, le gouvernement
fournissait près de 80% des fonds dont le système avait besoin pour les opérations de réhabilitation et de maintenance.
Aujourd'hui, ce chiffre tourne autour de 25% ; dans le même temps, les prix de l’eau d'irrigation ont été multipliés par
quatre. Actuellement, beaucoup d’associations d’usagers se sont tournées vers d’autres types d’activités économiques,
notamment : fourniture de micro-crédits aux membres, achat d’inputs agricoles, location de matériels agricoles aux
membres,….
Selon (Palacios, 1999), aujourd’hui, des problèmes dits de seconde génération émergent. Il s’agit notamment de
conflits sur l’eau dus :
à une mauvaise spécification des droits et des devoirs des différents acteurs,
aux revenus insuffisants pour supporter de façon adéquate les opérations de réhabilitation et de maintenance des
réseaux,
à une mauvaise comptabilité assortie de pratiques frauduleuses,
à un changement complet du personnel de la CNA chaque fois qu’un nouveau directeur est nommé,
au népotisme dans le travail des agents
et enfin, à l'utilisation du poste de directeur comme tremplin politique.
Les autres problèmes sont inhérents au mauvais état des infrastructures d'irrigation et de l’incapacité du gouvernement
à accomplir sa part de travail dans le programme de transfert : modernisation du système et coordination entre
associations d’usagers et CNA. Même après sa restructuration, la CNA est restée déséquilibrée avec des directeurs et
des gestionnaires déconnectés des réalités. Pour E. PALACIOS, les problèmes que rencontre la GPI au Mexique ne
sont pas dus aux Associations d’irrigants plutôt au mauvais fonctionnement de l’organisme étatique de gestion qui,
selon lui, nécessite plus que jamais une réorganisation consciencieuse pour ajuster sa structure à son nouveau rôle
d’accompagnement des associations d’usagers des eaux agricoles.
2. La Turquie :
C’est en 1993 que la Turquie a commencé à transférer les prorogatives de gestion de son grand système d'irrigation à
des Associations d’irrigations ou à de petites agences gouvernementales locales, spécialement formées pour ce but. En

214
trois ans, l'Agence Nationale de l'Irrigation (DSI : Devlet Su Isleri : General Directorate of State Hydraulic Works) a
réussi à transférer à ces structures locales presque un million d'hectares, soit 61% des périmètres anciennement gérés
par l’Etat. Selon (SVENDSEN et al., 1999), trois motifs importants expliquent la mise en œuvre de ce transfert rapide
:
1. l’augmentation rapide du coût de la main-d'œuvre,
2. le gel des embauches des agences du gouvernement, et
3. l’inquiétude concernant la capacité de la DSI à opérer dans des périmètres irrigués trop vastes.
A cela, il faut ajouter la pression de la Banque Mondiale et les visites d'étude au Mexique et ailleurs qui ont donné aux
chefs de la DSI une vision de ce qui pourrait être accompli à travers un programme de transfert de prérogatives de
gestion des systèmes d’irrigation à des organisations localement contrôlées.
Le programme de transfert a été entièrement entrepris avec le staff existant de la DSI et a été rendu effectif grâce à
l’implication des agents de terrain des divisions régionales. Un programme de formation et d'orientation a été mis en
place pour apprendre à ces agents les nouvelles approches qui devront prévaloir dans les relations avec les
agriculteurs. Une des spécificités de ce programme de transfert réside dans son approche qui consiste à commencer
l'action à travers les structures gouvernementales locales existantes plutôt qu'à travers une campagne populaire de
création d'associations d’irrigants. L’autre spécificité importante du programme réside dans la dimension des unités
transférées et les nombres d’agriculteurs servis par chaque unité. Les dimensions des unités gérées par les
Associations font en moyenne 6.500 hectares, beaucoup plus que les unités transférées en Philippines, Indonésie, ou
Sri Lenka dans les années 1980.
La structure d'organisation utilisée est du type unifié, différent du type fédéré rencontré dans les grands systèmes
traditionnels tels que ceux du Népal. Ces structures d'organisation sont semblables, à plusieurs égards, à ceux des
districts de l'irrigation aux États-Unis, au Canada, en Allemagne, en Nouvelle Zélande et en Australie, et des districts
de drainage en Hollande.
Les premiers résultats du transfert furent un doublement de l’ensemble des frais liés à l’irrigation, un transfert des
dépenses O&M (Opérations and Maintenance) du secteur public au secteur privé, une réduction de la masse salariale
du staff O&M et une expansion des périmètres irrigués. La DSI a fortement résisté à la réduction de son staff malgré
la diminution des besoins en personnel, résultat du transfert, limitant ainsi des économies potentielles sur le coût du
personnel. Cependant, certains constats indiquent que les niveaux de recrutement de personnel O&M commencent à
décliner, et des économies considérables pourraient être réalisées par le gouvernement. Le nombre de plaintes des
fermiers adressées à la DSI a considérablement décliné depuis la mise en œuvre du programme. Il n’est, cependant,
pas sûr que le nombre total de plaintes aient vraiment diminué, en effet les plaintes sont souvent traitées au niveau
local, donc n’arrivent pas toutes au bureau principal de la DSI. Aujourd’hui encore, beaucoup d’auteurs pensent que le
programme de transfert en Turquie est jeune et qu’il faut donc du temps pour que ses vrais impacts soient connus.
Tout comme au Mexique, des problèmes et des défis dits de seconde génération sont apparus malgré les premiers
succès de l’initiative. Ils sont répartis en deux catégories selon les acteurs qu’ils affectent :
DSI : (1) la difficulté pour la DSI de réduire son niveau de personnel en général, et celui du staff O&M en
particulier après le transfert, (2) l'absence d'un mécanisme de transfert du contrôle des dotations d'eau par les IA et
l'absence d'une économie d'eau conséquente sur la demande, et (3) l’absence d’une vraie vision de ce que sera le
nouveau rôle de cette agence dans l’irrigation après le transfert de prérogatives.
IA : (1) la nature mal définie des droits d'eau en Turquie et les incertitudes liées à la demande en eau
d'irrigation, (2) les options restreintes quand à l’obtention de matériel lourd d'entretien, (3) le manque d'une base
légale pour former des fédérations d'IA habilitées à acheter et à fournir des services tels que le matériel d'entretien, (4)
le manque d'une politique claire sur le partage du coût de la réhabilitation (et de la construction de nouveaux réseaux),
(5) le besoin d'accroître la participation directe des fermiers au management des IA et de réduire l’influence des chefs
municipaux sur la direction des IA.
Selon (SVENDSEN, 1999), la conduite flexible et pragmatique du programme de transfert jusqu’à ce jour,
l'enthousiasme et la capacité de plusieurs leaders d'associations offrent des raisons d’espérer que ces problèmes
trouveront solutions. Dans certaines régions, des actions sont déjà entamées dans ce sens. Un prêt de la Banque
mondiale, négocié actuellement, devrait aider à réduire les contraintes de matériel avec des arrangements d'achat
subventionné pour les IA. En revanche, la question des droits d’eau présente un problème majeur qui nécessitera une
action au plus haut niveau de l’Etat pour y remédier. La levée des autres contraintes exigera l'action concertée de la

215
DSI, des IA et des autres organisations. Le vrai danger, pour ce programme, réside dans l’apparente satisfaction que
donne la situation actuelle, le gouvernement pourrait s’en contenter et se laver les mains complètement de la gestion
de l'irrigation et manquerait ainsi d'appréhender son rôle progressif de résolution des problèmes qui émergeront dans
le futur.

Annexe 10 : Le règlement intérieur de l'AUEA des Aït Hakim


(En rouge, les points contestés par les agriculteurs)
Association "Aït Hakim" pour les utilisateurs d'eau agricole Aït Bouguemez ; Commune de Tabant, province d'
Azilal ; Règlement intérieur
Chapitre premier : l'adhésion
Art. 1. conditions d'adhésion :
Premièrement, c'est le respect des objectifs de l'association et de son règlement
Deuxièmement, payer la cotisation annuelle d'adhésion
Art. 2. d'après ce qui est cité dans l'article quatre dans la Loi constitutionnelle des associations, l'objectif de
l'association est la création d'une caisse de collecte des cotisations avec la participation des membres et ceci pour
l'employer en :
• l'entretien des installations pour l'irrigation et la gestion de l'eau avec sa conservation,
• compléter tous les travaux « moyens» par l'utilisation de l'eau agricole et veiller sur la distribution de l'eau
destinée à l'irrigation.
• la non utilisation des pompes à eau sur les sources d'eau et les canaux d'irrigation du champ bour et des champs
nouvellement créés.
• l'interdiction de creusement de puits à côté des sources d'eau.
Art.3.
• l'irrigation s'effectue à tour de rôle le long de chaque canal, de la source jusqu'au dernier point de ce canal.
• il n'est pas possible pour une personne qui n'est pas présente au moment de l'irrigation de profiter de l'eau, sauf si
et seulement si, il y a un accord complet de tous les adhérents.
• toute personne qui ne respecte pas l'une des règles d'irrigation ou la détourne va payer une amende pécuniaire de
l'ordre de 500 dirhams qui est versée au compte de l'association.
• en cas de manque d'eau, ou en cas de nécessité, ou si l'intérêt général ou tout ce qui a trait à ce que l'on vient de
citer, sera interdit ce qui suit:
l'irrigation des champs non semés ou ce que l'on appelle localement "tikkelt" (tour d'eau).
la plantation d'une deuxième culture qu'après l'accord de l'association.
• tout adhérent a l'obligation de respecter les droits d'eau utilisés actuellement et il ne peut pas les changer quoi qu'il
arrive.
Art. 4.
Tout agriculteur profitant de l'eau d'irrigation est obligé d'adhérer à l'association et de subir toutes les décisions prises
par son conseil.
Art.5.
Il faut que tout ayant droit paye à l'association:
• une cotisation exceptionnelle pour le fondement de l'ordre de 1000 dirhams
• un abonnement continu de l'ordre de 50 dirhams annuellement.
Art. 6.
Tout adhérent ne peut se retirer de l'association sauf si il ne profite plus de l'eau d'irrigation, c'est-à-dire après la vente
de son droit à l'eau à un autre adhérent.
Art. 7.

216
En cas de décès de l'un des adhérents, il peut-être remplacé par ses héritiers avec le respect du règlement de
l'association.
Art. 8.
Tous les conflits et litiges se présentent devant le bureau de l'association qui désigne une commission d'arbitrage.
Chapitre deuxième : le bureau de l'association
Art. 9.
Le bureau de l'association est considéré comme le corps exécutif de l'association.
Art. 10.
Le bureau de l'association est constitué par des membres élus parmi les membres de l'association ajoutant à ces
membres un représentant du ministère de l'agriculture et du développement agricole.
Art. 11.
Les tâches sont distribuées entre les membres du bureau comme suit:
• le président est responsable du fonctionnement général de l'association, il la représente devant les autorités
judiciaires, administratives et autres.
• le vice-président aide le président dans ses fonctions et le remplace durant son absence ou sa démission.
• le secrétaire est responsable de l'organisation de la gestion administrative de l'association, il signe les courriers au
nom de ????
• le vice-secrétaire est responsable de la documentation, des médias et de la publication, il remplace le secrétaire
durant son absence ou sa démission.
• le trésorier est responsable du contrôle du budget et de sa gestion. Il ne peut dépenser aucune somme qu'après
l'accord du bureau. Il présente un procès verbal financier à l'assemblée du bureau. Il signe le chèque bancaire en
compagnie du président.
• le vice-trésorier aide le trésorier dans ses responsabilités, il doit être en permanence au courant de la situation
financière de l'association et il remplace le trésorier lors de son absence.
Art. 12.
Tous les membres de l'association ont l'obligation d'assister aux audiences de l'assemblée générale organisée par le
bureau et de participer d'une manière efficace et sérieuse aux discussions. Toute absence doit être justifiée par un réel
empêchement ou par une excuse légitime et acceptable.
Art. 13.
Les membres du bureau de l'association sont obligés d'assister aux réunions du bureau de façon continue et chaque
absent doit présenter une raison acceptable par les autres membres.
Art. 14.
Si un membre du bureau s'absente d'une réunion du bureau trois fois successifs sans justification acceptée par les
autres membres du bureau, il devra payer une amende de l'ordre de 100 dirhams et sera expulsé spontanément du
bureau.
Art. 15.
Une amende de l'ordre de 100 dirhams est imposée à chaque membre de l'association s'il n'assiste pas à la réunion de
l'assemblée générale et qu'il ne présente pas d'excuse acceptable. Cette somme sera versée sur le compte propre au
budget de la gestion de l'association.
Art. 16.
• Le bureau peut convoquer aux réunions de l'assemblée générale et à la réunion du bureau toute personne ou partie
dont la présence est jugée importante.
• le bureau se réunit d'une façon normale une fois par mois et d'une façon exceptionnelle chaque fois que cela
s'avère nécessaire.
Art. 17.

217
Les activités de l'association sont suivies par un représentant du ministère de l'agriculture et du développement
agricole qui est considéré en même temps comme membre du bureau selon ce qui est cité dans l'article 23 de la Loi
constitutionnelle de l'association. Comme il participe à son encadrement permanent et se charge des relations de
l'association avec toutes les institutions qui sont sous tutelle du ministère de l'agriculture et du développement
agricole.
Chapitre troisième: la caisse financière.
Art. 18.
Les revenus de l'association sont constitués par :
• la cotisation annuelle des membres
• les aides et les crédits
Art. 19.
L'association a le droit de demander des crédits aux banques, en cas de besoin, et surtout au crédit agricole et ceci
après l'unanimité de l'ensemble des membres du bureau de l'association.
Signé du président de l'association Traduction : El Mokadam Abdelmohssin

Annexe 11 : Modes d’exploitation des parcours et des forets


Fiche1 : Agoudals Itghssi et Fighssou de Zaouit Alemzi
Localisation, Situés au Nord, derrière le douar Zaouit sur lJbel Azourki.

Nature Agoudals forestiers exploités exclusivement par Zaouit. Il ne fait partie pas du domaine forestier de l’Etat.
(Statut)

Contenance Itghssi : Adgoumam (genévrier),


(Espèces) Fighssou : Tassaft Chêne), Ifssi, Ouchfoud.

Usagers Toutes les familles du douar Zaouit.

Espèces animales Ovins, Caprins.

Périodes de mise en défens Mise en défens continuelle pour empêcher la coupe de bois.
Ouverture permanente pour le pâturage des petits animaux.

Périodes d’utilisation Période de froid intense : ébranchage pour les animaux et coupe de bois pour la Mosquée.

Règles de gestion Ces deux Agoudals sont destinés toute l’année aux pâturages pour les petits animaux, à la coupe de bois et à l’ébranchage
pendant les périodes de grand froid. La gestion est assurée par la Taqbilt. Chaque année, un seul Agoudal est ouvert. Le
nombre de fagots de branches par ménage est déterminé en fonction du nombre de têtes possédées par le ménage. Les
branches de chêne poussant plus vite que celles du genévrier, c’est l’Agoudal de chêne qui est ouvert le plus souvent. Le bois
est cherché ailleurs sur deux forêts faisant partie du domaine de l’Etat : Agouni et Issadar, situées derrière les deux Agoudals.
Toute violation de l’Agoudal est passible d’une amende de 100 à 200 dirhams. En cas de refus d’obtempérer, l’affaire est
portée devant le caïd où le coupable paie le double.

Conflits Très rares.

Parcelles cultivées Il y a plusieurs parcelles Bour sur ces deux Agoudals. Selon les habitants, les parcelles sont plus anciennes que les Agoudals.
Les propriétaires de ces parcelles auraient accepté la décision de la Taqbilt mettre en défens ces terres. Les animaux doivent
être gardés pour ne pas détruire les cultures. Après les récoltes, les animaux sont lâchés dans les parcelles pour les nettoyer.

Rôles de l’agent forestier L’agent forestier a pour rôle d’empêcher surtout la coupe du chêne et de surveiller le reboisement de l’Etat. Jusqu’ici, aucune
amende n’a été payée. Les gens de Zaouit s’opposent formellement à toute ingérence du forestier dans leur gestion de la
forêt.

218
Fiche 2 : Agoudal-n-Akhanchouch d’Aït Ouham
Localisation, Situation Situé sur le versant Sud derrière le douar Aït Ouham.

Nature Agoudal forestier exploité exclusivement par le douar Aït Ouham. Il fait partie du domaine forestier de l’Etat.
(Statut)

Espèces Adgoumam (genévrier), Ifssi, Azmroug.

Usagers Toutes les familles du douar Aït Ouchi.

Nombre effectif d’usagers 3 Ighs reparties en 73 ménages.

Espèces animales Ovins, Caprins.

Périodes de mise en défens Mise en défens continuelle pour empêcher la coupe de bois.
Ouverture permanente pour le pâturage des petits animaux.

Périodes d’utilisation Période de froid intense où la hauteur de neige empêche d’aller chercher le bois sur la forêt d’Ighil Ikiss exploité avec les
Aït Ali selon un accord ancien.

Règles de gestion A l’instar des autres Agoudals de douar, Agoudal-n-Akhounchouch est un utilisé seulement quand la hauteur de neige
empêche les habitants d’Aït Ouham d’aller chercher le bois sur la forêt Ikiss, propriété des Aït Ali, située sur les hauteurs
d’Aït Ouchi. Chaque année, la Taqbilt nomme un Moqadem des Agoudals. C’est lui qui décide de la levée de la mise en
défens sur l’Agoudal pendant ces périodes de froid. Il en informe le garde forestier, ensuite l’ensemble du douar à la
Mosquée. La durée d’ouverture de l’Agoudal dépend de la rudesse du climat. Cela peut aller d’une semaine à trois.
L’utilisation de cet Agoudal pour fournir le bois aux habitants est rare. Il sert surtout à alimenter la Mosquée en bois.
En outre, l’Agoudal est ouvert toute l’année aux petits ruminants.
Toute violation de l’Agoudal est passible d’une amende de 200 dirhams. En cas de refus d’obtempérer, l’affaire est portée
devant le caïd où le coupable paie 400 dhs.

Rôles de l’agent forestier L’agent forestier a pour rôle d’empêcher surtout la coupe du chêne et de surveiller le reboisement de l’Etat.

Liens avec les ressources en Cet Agoudal est le seul appartenant exclusivement à Aït Ouham. Dans le passé, les conflits avec les Aït Ali étaient fréquents
eau et conduisaient presque toujours à la coupure d’eau par Aït Ouham et à l’interdiction par les Aït Ali de la forêt d’Ighil Ikiss
aux Aït Ouham. Lors ces conflits surviennent, les Aït Ouham n’ont guère d’autres choix que de se rabattre sur leur Agoudal.
La superficie de l’Agoudal étant faible, ils finissent toujours par revenir négocier avec les Aït Ali. On rapporte aujourd’hui
que les conflits qui conduisent à ces situations sont de plus en plus rares car les gens ont appris, avec le temps, à respecter
les accords.

Fiche 3: Taouralt-Tirkist d’Ighirine et d’Iglouane


Localisation, Situation Situés sur le versant Nord du vallon d’Ighirine-Iglouane, entre l’Azourki et Ikiss.

Nature Deux Agoudals forestiers exploités en commun par les douars Ighirine et Iglouane. Ils font partie du domaine
forestier de l’Etat.
(Statut)

Espèces Chêne, Genévrier, Al Ar ar, Irghil, Ouchfoud, Ifssi, Chêh.

Usagers Toutes les familles des deux douars Ighirine, Iglouane.

Nombre effectif d’usagers Ighirine : 30 foyers, Iglouane : 44 foyers.

Espèces animales Ovins, Caprins.

Périodes de mise en défens Mise en défens continuelle pour empêcher la coupe de bois par les ménages.
Ouverture permanente pour le pâturage et la coupe de bois pour la mosquée.

Périodes d’utilisation Période de grands froids.

219
Règles de gestion Ceux deux Agoudals sont utilisés toute l’année pour fournir le bois à la mosquée et pour faire paître les petits
animaux. Par contre, ils ne sont utilisés pour fournir du bois aux ménages que des grandes périodes de froids.
Chaque année, les deux Taqbilt désignaient deux Naïbs (un provenant de chaque douar). Mais cette année, ils ont
jugé qu’un seul Naïb (Naïb d’un an) suffit pour s’occuper de la gestion des Agoudals. Sa rémunération est d’un
abra d’orge par ménage. Pendant ces grandes périodes de froid, le Naïb décide d’ouvrir l’Agoudal pendant une
journée. Un crieur public informe les ménages des deux douars de cette décision. Lorsque la quantité de neige est
très importante, la quantité de bois à prélever par chaque ménage n’est limitée que par le temps. Si la quantité de
neige est moins importante, la quantité coupée est de deux fagots par ménage au maximum.

Utilisation de la ressource Le bois sert pour le chauffage et la cuisine.

Conflits Quelques rares cas de non respect de la mise en défens qui sont d’ailleurs punis par une amende de 100 dirhams.
En cas de refus de payer, le fautif est traduit devant le caïd et là, il paie 200 dirhams que le caïdat remet au Naïb du
Problèmes douar.

Parcelles cultivées Il y a quelques parcelles cultivées en Bour sur ces deux Agoudals, les deux Taqbilt ont permis à des gens qui
n’avaient pas de terres d’y aménager quelques parcelles mais à trois conditions : 1. Ces terres ne deviennent jamais
propriété privée de ceux qui les exploitent, 2. Interdiction formelle de couper un arbre même si c’est au milieu de
la parcelle, 3. La Taqbilt peut à tout moment reprendre ces terres.

Rôles de l’agent forestier Il veille au respect des bornes qui indiquent clairement les limites du domaine forestier de l’Etat. Il est rarement sur
place. Jusqu’à présent, les sanctions les plus sévères ont consisté à saisir le matériel de coupe.

Liens avec les ressources en eau Ighirine et Iglouane ont des accords avec Aït Ouham sur Ighil Ikiss, ces accords stipulent que Ighirine et Iglouane
auront l’eau tant que Aït Ouham bénéfice du bois d’Ikiss. Ainsi tout problème entre les femmes des douars
conduisait à la coupure d’eau par Aït Ouham. La réaction d’Ighirine Iglouane était d’interdire la piste aux camions
d’Aït Ouham. Aujourd’hui, ces cas de conflits sont rares et s’ils interviennent des arrangements à l’amiable sont
toujours trouvés.

Annexe 12 : Estimations des revenus des cinq types d’exploitations agricoles

TYPE 1 TYPE 2 TYPE 3 TYPE 4 TYPE 5

Pourcentage dans le douar 39,19 25,67 16,21 12,16 6,75

Actif 1 1,5 3,5 1,7 3,5

Nombre de jours de
15 95 388,8 557 470
travail

Surface Agricole Utile


0,005 0,011 4,50 0,751 1,5
(Ha)

Revenu agricole

Revenu ovins (DH) 1 000,00 1 610,0 1 898,0 21 016,6 4 000,0

Revenu bovins (DH) 0,0 650,0 850,0 7 480,0 650,0

Revenu cultures (DH) 500,00 166,6 50 000,00 1 500,0 20 000,00

Revenu total (DH) 15 00,00 2 426,6 52 748,00 29 996, 60 24 650,60

Revenu extra-agricole 0,00 1 500,00 4 500,00 3 000,00 20 000,00

220
Revenu total : 1 500,00 3 926,60 57 248,00 32 996, 00 46 650, 00

Annexe 13 : Questions abordées au cours des entretiens semi directifs


A. CANEVAS HYDRAULIQUE ET GESTION SOCIALE DE L’EAU
I. ALIMENTATION EN EAU, MOBILISATION DES RESSOURCES
1. Sources d’eau (captage, débit estimé, protection, aménagement) ; 2. Les Ougougs (nombre, état,
fonctionnement,..) ; 3. Nombres de puits, de motopompes sur le périmètre
II. TRANSPORT DE L’EAU, DISTRIBUTION
1. Les canaux latéraux ? 2. Les droits d’eau ; 3. Les tours d’eau ; 4. Les dysfonctionnements
III. PROTECTION DU PERIMETRE
1. Ouvrage de protection des sources ; 2. Protection des parcelles contre les crues des Chaâbas ? 3. Alimentation en
eau potable ? 4. Protection de l’habitat contre les eaux sauvages ?
IV. ENTRETIEN DU RESEAU
1. Curage des canaux : Fréquence, Par qui ? Modalités ?
V. MODES D’IRRIGATION
1. Modes d’irrigation des parcelles ; 2. Que se passe-t-il en cas d’excès ou d’insuffisance ? 3. Les Assolements ; 4.
La conduite de l’irrigation.
VI. LES DYSFONCTIONNEMENTS DANS LE RESEAU
VII. INSTITUTIONS DE GESTION DE L’EAU
VIII. CONFLITS LIES À LA GESTION SOCIALE DE L’EAU
IX. PROPOSITIONS POUR L’AMELIORATION DE LA GESTION
1. Au niveau institutionnel ; 2. Au niveau du réseau d’irrigation ; 3. Autres,…
B. ORGANISATION SOCIO-INSTITUTIONNELLE
I. LE DOUAR
1. Histoire : Création du douar ; Peuplement (origine)
2. Le finage : Les limites ; Superficie ; Les ressources ; Nombre d’habitants ; Nombre de ménages ; Les grandes
familles (Ighs)
3. Organisation sociale : Le ménage (statuts et rôles des membres) ; Le groupe familial (rôle, partage de
ressources ?) ; Relations entre les groupes familiaux ; Relation terre-eau ; Héritage.
4. Organisation du territoire (étagement montagnard) : Le terroir irrigué ; Le bour ; L’habitat ; Les parcours ; Les
forêts.
5. Les institutions, Rôles dans différents domaines : gestion des ressources, règlements des conflits, transactions
foncières, entretien des infrastructures…
a. Coutumières : Taqbilt ; Naïbs ; Amghar El Jumaâ ; Moqadem de l’eau ; Aassas ; Autres,….
b. Makhzéniennes : LHakem ; Commune rurale ; Caïdat ; Azilal (Gouverneur, tribunal).
6. Les systèmes de production :
6.1 La production animale : Nombre de têtes : Bovins, Ovins, Caprins ; Nourriture des animaux ; Production
laitière, Viande ; Destination de la production ; Autres rôles du cheptel ; Evolution de l’élevage : grands
changements, innovations,…leurs effets ; Etat actuel de l’élevage, part dans l’économie du ménage,
l’alimentation…
6.2 La production végétale
6.2.1 Le domaine irrigué : Les cultures d’autoconsommation, de rente ; Types de sol ; Semences ;
Pratiques culturales, techniques,… ; Décisions de seconde cultures, effets sur le partage de l’eau,…
6.2.2 Le domaine bour : Les cultures ; Pratiques culturales, techniques,…
6.2.3 Luttes anti-risque : Sécheresse ? Inondations ? Autres,… ?
6.3 Les autres sources de revenus : Métiers, Artisanat ; Tourisme ; Autres,…
II. LES RELATIONS INTER-DOUARS
1. Frontières ; 2. Transactions inetr-douars ; 3. Contrats, Accords, Arrangements ; 4. Conflits
III. ACCORD, ENTENTE, ALLIANCE, ARRANGEMENT

221
1. Avec un autre douar ; un groupe de Douars, dans la fraction ; Avec une autre fraction ; Niveau tribal ; Niveau
Intertribal ; 2. Motifs socio-historiques ; 3. Contrats ; 4. Négociations ; 5. Contreparties ; 6. Liés à d’autres
ressources ? 7. Origines des droits acquis ?
VI. CONFLITS, OPPOSITIONS
1. Nature, types de conflits ; 2. Origines des conflits ; 3. Les protagonistes ; 4. Etendu du conflit ; 5. Modes de
règlement : Local : Taqbilt, les arbitres sociaux, etc.… ; Juridictionnel : Juge coutumier, Caïdat ; 6. Tribunaux ; 7.
Persistance ; 8. Influence sur la gestion, la répartition, le partage de l’eau ; 9. Autres,…
C. LES ASSOCIATIONS DES USAGERS DES EAUX AGRICOLES
I. MISE EN PLACE DE L’AUEA
1. Loi constitutive, statut juridique ; 2. Décision (Initiative) de création ; 3. Information sur les AUEA : Par qui ?
Comment ? Quand ? Contenu ? 4. Assemblée constitutive : Oui, Non ? Comment ? Où ? Par qui ? 5. Election des
membres du bureau : Choix ? Désignation ? Vote ? Mode de scrutin ?
II. ROLES DE L’AUEA
1. Rôles selon les statuts et règlements, la loi, la DPA ? 2. Que doit faire l’AUEA ? 3. Que peut faire l’AUEA ? 4.
Quelles sont les tâches transférées de Taqbilt à AUEA ?
III. REALISATIONS
1. Déjà faites ; En cours ; Prévisions ; Ampleur ; 2. Niveau de satisfaction : des besoins, des usagers ; 3. Qualité
des travaux réalisés ; 4. Contrôle des travaux.
IV. FONCTIONNEMENT
1. Rôles des membres du bureau (dans l’AUEA, Social, Politique) ; 2. Rôles du 7ème membre ; 3. Réunions ; 4.
Prise de décision ; 5. Application des décisions : 6. Mode d’information ; 7. Assemblées générales ; 8. Relations
avec les autres acteurs (DPA, Caïdat, CR, Bailleurs de fonds) ; 9. Communication : Externe ; Interne.
V. GESTION
1. Sources de fonds : Cotisations, Don, Subvention, Autres partenaires et acteurs ; 2. Gestion des ressources
financières ; 3. Types de contrôles : par qui ? 4. Tenue de la comptabilité ; 5. Bilan
VI. FORMATION
1. Sujets abordés ; Quelle fréquence ? Par qui ? Comment ? 2. Résultats : Diffusion du savoir.
VII. DIFFICULTES
Sur les points précédents
VIII. PERSPECTIVES
Annexe 14 : Extrait des entretiens
A. ENTRETEINS REALISES DANS LES DOUARS DE Quand irrigue-t-on ces Dart ?
LA VALLE DES AÏT HAKIM
Ighboula : Du Maghrib du jeudi au Maghrib du vendredi ;
THEME 1 : LE RESEAU D’IRRIGATION Tighdouine : Du Maghrib du vendredi au Maghrib du
samedi ; Id M’hand : Du Maghrib du samedi au Maghrib du
1. AÏT OUHAM.
dimanche ; Daou’Route : Du Maghrib du dimanche au
Comment partagez-vous l’eau ? Maghrib du lundi ; La demie journée est pour Daou’Route.
Après c’est le tour d’Iglouane et d’Ighirine qui ont deux
On a quatre jours et demi sur Tin Oussamar, répartis en jours.
Darat. L’irrigation d’une Dart commence à partir de la prière
de Maghrib du jour jusqu’à au Maghrib du jour suivant. Comment se fait l’irrigation dans une Dart ?
C’est quoi une Dart ? Lorsqu’il y a abondance, c’est le premier arrivant qui irrigue,
sinon on fait Assemdi’sAssemdi. Là, on commence de
C’est un groupe de parcelles que nous irriguons en un jour. Il
l’amont à l’aval jusqu’à ce que toutes les parcelles soient
y a des grands et des petits. irriguées. Le tour prochain commence là l’irrigation s’est
Est-ce que les Dart ont des noms ? arrêtée la fois dernière. S’il y a la sécheresse, on fait un
tirage au sort pour désigner le premier fellah qui va
Il y a Ighboula et Tighdouine, Id M’hand, Daou’Route, commencer le tour. Le suivant, c’est celui qui a sa maison à

222
droite de celle de ce fellah. Ce tirage au sort s’appelle "Ala est des tuyaux en polystyrène alimentent cinq fontaines du
Ifous". Celui qui est absent quand son tour arrive ne peut douar. Elle n’est pas bien aménagée mais elle est bien
plus irriguer dans ce tour. Au prochain tour, on ne fait pas de protégée à cause de sa position sur le flanc, Taghbalout-n-
tirage au sort, il sera le premier à irriguer. Si la Dart n’est pas oukarat : là aussi la Taqbilt a mis un tuyau. Les sources
totalement irriguée, le tour prochain commencera par les d’irrigation sont : Aghbalou-n-Iglouane : située à Aït Ouchi,
parcelles qui n’ont pas été irriguées la dernière fois. Les se trouve sur la rive droite de l’assif, c’est une source
règles sont très anciennes, très connues de tous. Le tirage, permanente non aménagée. Il y a un tout petit bétonnage fait
c’est le plus important. Dès qu’un fellah est tiré au sort, tout par la Taqbilt, elle est très exposée aux eaux de crues.
le monde connaît le suivant. Aghbalou-n-Oumalou : située à Aït Ouchi, c’est aussi une
permanente non aménagée. Ighboula-n-Ikiss : Nouzdir et
Vous ne trouvez pas ce système compliqué ?
Nouffela, entre Aït Ouchi et Ighirine.
Non, c’est très simple, d’ailleurs tous les scénarii se sont
Personne Agée : il ne faut pas dire ça, il faut leur dire que
répétés, tout le monde sait tout.
c’est situé à Aït Ouchi.
Combien de parcelles y a t-il dans ce que vous appelez
Elgueroua : À Ighirine, ils ont seulement dit que c’est pour
Dart ?
les deux douars.
On ne compte pas, les Dart sont comme ça, héritées du
Personne Agée : C’est des criminels, ils veulent s’approprier
passé, même nos grands parents les ont trouvé comme ça. Si
les sources.
vous voulez, vous pouvez aller compter un jour où il n’y a
pas la neige. Il y a une grande Dart avec beaucoup de Quels sont les canaux qui ont leur prise sur Ikiss ?
parcelles, un jour c’est insuffisant pour tout irriguer, mais on
Daou Timililt et Tin Aït Ouchi qui va de la Chaâba à Iguern
ne peut pas demander l’eau aux autres Dart. Il y a aussi des
Aaatifi.
petites Darts où il y a abondance d’eau. Même s’il y a des
surplus, on ne laisse pas passer aux autres Dart, on irrigue Quels sont les tours d’eau sur ces canaux ?
nos pâturages.
Sur Daou Timililt, il n’y a pas de tours d’eau, c’est utilisé par
Pourquoi cette rigidité dans le partage de l’eau ? Ighirine, Aït n’a qu’une parcelle sur ce canal. Sur Tin Aït
Ouchi, nous avons l’eau du Dohr du lundi au Fajr du
Ici, tout ce que tu fais une fois devient une règle. Si tu es
vendredi.
gentil avec les gens quand il y a abondance, dans la
sécheresse, ils vont faire comme ton geste de gentillesse est Il s’agit donc d’un tour sur la source et non sur le canal ?
une règle.
C’est ça, nous avons l’eau sur Tin Aït Ouchi du Dohr du
Est-ce que toutes vos seguias fonctionnent de la même lundi au Fajr du vendredi, le reste du temps Ighirine a l’eau
façon ? dans Daou Timililt.
Oui, sur Tiniqbou qui est à nous seuls, on a seulement Quels sont les canaux sur Aghbalou-n-Iglouane ?
changé le jour du début de l’irrigation. Ça commence
Samedi et se termine Vendredi. Targa-n-Igounfate, utilisée uniquement par Aït Ouchi, le
premier arrivé irrigue toutes ces parcelles, l’eau est
Pourquoi ce changement ? abondante sur cette source.
Les dernières parcelles irriguées se trouvent à côté de la Quels sont les canaux qui ont leurs prises sur l’Assif ?
mosquée. Comme ça la prière Vendredi, il faut que l’eau soit
à la mosquée pour que les gens puissent faire les ablutions. Targa-n-Ouamass : l’Ougoug est situé Daou Timililt (sous
Timililt) à Ighirine. Ichou Ali : l’Ougoug est situé à
Quelqu’un de Aït Ouham nous a dit que l’irrigation se fait Tigdouine à Aït Issa OuAli. Daou Iglouane : l’Ougoug est
Assemdi’s Assemdi ? situé à Tassaount à Aït Ouchi, ce canal va jusqu’à Ifrane.
Targa-n-Oumalou-n-Oulzweg : l’Ougoug est situé à
Seulement s’il y a abondance d’eau, on ne fait de tour, on
Tassaount à Aït Ouchi, ce canal va jusqu’à l’Aka Oulzweg
fait premier arrivant ou Assemdi’s Assemdi.
Ifrane.
Est-il vrai que vous recevez de l’eau de Zaouit ?
Quels sont les tours d’eau sur ces canaux ?
Oui, on a deux jours sur Taghfist.
Targa-n-Ouammass : utilisée par Ighirine et Aït Ouchi.
Ighirine : du Mghrib de Jeudi au Maghrib de Vendredi.
2. AÏT OUCHI. Aït Ouchi : le reste du temps, du Maghrib de Vendredi au
Mghrib de Jeudi. Les dernières parcelles sur ce canal sont
Quelles sont les sources d’Aït Ouchi ?
celles de Hanabou Saïd. Ichou Ali : utilisée par Ighirine et
Nous avons deux types de sources : les sources d’eau potable Aït Ouchi. Du Vendredi au Samedi, c’est Aït Ouchi. Le
et les sources d’irrigation. Les sources d’eau potables sont : Jeudi, c’est Aït Ouchi et Ighirine. Daou Iglouane : utilisée
Taghbalou-n-ourja : la Taqbilt a a creusé le captage sous par Aït Ouchi et Ifrane. Ifrane : Du Samedi au Lundi. Aït
forme d’un petit réservoir qui permet la stagnation de l’eau

223
Ouchi : Du Mardi au Vendredi. Targa-n-Oumalou-n- pour discuter de ces choses, il faut une réunion entre tous les
Oulzweg : utilisée par Aït Ouchi et Ifrane. douars pour éviter les contradictions et les malentendus.
Ifrane : Du Vendredi au Samedi. Aït Ouchi : Du Dimanche Quelles sont les priorités pour Aït Ouchi ?
au Jeudi.
Je pense qu’il faut travailler les trois Chaâba qui sont très
Comment se fait l’irrigation sur ces canaux à Aït Ouchi ? destructeurs.
Par Darat, chaque Dart est irrigué pendant 24 h. Dans une
dart, il y a des parcelles de tout le monde. Quand le tour
THEME II : LES ASSPCOATIONS DES USAGERS DE
d’une dart est fini, on passe à la dart suivante. Les autres
L’EAU AGRICOLE
parcelles non irriguées dans la dart seront prioritairement
irriguées le tour prochain.
Combien de Dart il peut y avoir sur un canal ? 3. AÏT OUHAM.
Il y a sept darat sur un canal, aucun canal ne peut dépasser Comment s’est passée la mise en place du bureau ?
sept darat car l’irrigation se fait toujours sur sept jours.
Correctement, on a mis les gens qu’on veut dans le bureau.
Quelles sont les institutions qui interviennent dans la
gestion de l’eau ? Que vous a-t-on dit lors de la création de l’AUEA Aït
Hakim ?
C’est la Taqbilt uniquement.
On nous seulement du bétonnage des canaux, d’une
Quels les problèmes liés à la configuration du réseau et à cotisation de 15 dirhams par ménage pour l’entretien des
la gestion de l’eau ? canaux. Rien d’autres. On ne nous a jamais dit qu’il y aurait
toutes ces règles là.
Les tours d’eau sont très anciens et bien connus de tous. Les
darat aussi sont très connus. Si chacun respecte son tour, il Quelles règles ?
n’y aura aucun problème. Il faut bétonner les canaux mais il
ne faut changer la position des canaux. Quand ils ont mis en place le règlement, ils ont mis là dans :

Est-ce que le périmètre est bien protégé ? • Qu’il n’y aura plus de deuxième culture,
• Que l’irrigation se fera désormais Assemdi s’Assemdi
Pendant les crues tout est inondé, parcelles et canaux. Il faut d’amont en aval,
faire de petits barrages de protection devant les Talat. Mais • Que celui qui est absent au moment de l’irrigation perd
c’est difficile de savoir là où les dégâts vont se produire. son tour,
Est-ce qu’il y a des dangers pour l’habitat ? Nous, on a un système d’irrigation qui est très bien, c’est par
Non, les maisons ne sont pas menacées. dart, même si quelqu’un est absent, on peut toujours trouver
un arrangement dans les darat. Une irrigation Assemdi
Comment se fait l’entretien des canaux ? s’Assemdi changerait les tours d’eau et l’attente sera trop
L’entretien est fait par les Taqbilt des douars qui partagent le longue.
canal. Avant c’est le Naïb de la Taqbilt qui décide la date de Est-ce qu’il y avait une décision de prolonger les canaux
nettoyage et on informe Ifrane. Maintenant, c’est Ifrane qui jusqu’à Aït Wanoughdal ?
prend l’initiative et nous informe ensuite.
Je n’ai lu ça nulle part, il n’y avait pas vraiment de décision
Quelle est la fréquence des entretiens ? de prolonger les canaux. Mais l’AUEA Aït Hakim comptait
En général, c’est une fois par an sauf quand il y a des 525 ménages, on a compris que le paiement de 15 dirhams
inondations, c’est au mois 05. par ménage ferait de chaque ménage un ayant droit, il va
donc bénéficier d’un tour d’eau. Non, le tour d’eau rester. On
Quels sont les conflits liés au partage de l’eau ? ne peut pas partager notre tour. Ces tours sont hérités des
En 1953, il y a eu un grand conflit entre Ighirine et Aït Ouchi ancêtres.
sur les sources Ikiss. Ighirine refusait de partager l’eau. Le Quelle est la condition pour que vous retourniez dans
conflit a été résolu grâce à l’intervention des Chioukh des l’AUEA ?
deux Tiqbilin et d’un capitaine français. Ils ont fait la
répartition de l’eau selon les parcelles de chaque douar. C’est Qu’on enlève ces règles ! Les tours d’eau doivent rester
la première fois que le tour d’eau a été établi sur Ikiss. comme ils sont. Quand il y a abondance, l’eau part jusqu’à
Aït Wanoughdal. Il y a des sources partout sauf les Aït
Mais tout ça, c’est fini, on n’a rien à faire avec ces choses là, Wanoughdal. Ils veulent interdire la deuxième culture !
c’est du passé tout ça. Quand il y a sécheresse, nous on sait ce qu’on fait.
Est-ce qu’il y a eu d’autres conflits ? Qu’est ce que cette histoire de vouloir imposer les mêmes
Avant, il y avait tout le temps des conflits. L’amont coupe conditions à tout le monde ! Est-ce qu’on doit avoir la
l’eau. Les gens d’aval ne sont pas d’accord. Je pense que sécheresse ici parce qu’il y a la sécheresse en aval. Au moins
le peu d’eau qu’il y a suffit à produire un peu ici, une fois

224
partagée, l’eau se perdrait et personne ne produira. Ils Quelles sont vos relations avec Aït Issa OuAli ?
veulent créer des conditions artificielles de sécheresse chez
Aït Ouham, Aït Issa OuAli, c’est kif-kif. Mais leur tour
nous, on ne va jamais accepter ce qui n’est pas de l’héritage.
d’eau c’est avec les Aït Ali. En dehors du tour d’eau, on peut
Il ajoute : leur donner un peu d’eau comme cadeau. Ils n’ont pas de
tour sur Tiniqbou mais cette Targa peut se jeter dans leur
A l’époque j’étais morcheh, c’est qui ai refusé toutes ces
Targa Tazamamat.
règles et j’ai alerté la Taqbilt, si le nouvel élu veut accepter
leurs conditions, c’est son problème, la Taqbilt n’acceptera Pourquoi toutes les lettres sont signées par BL de zaouit ?
jamais, c’est la Taqbilt qui décide.
En réalité, on lui a dit que c’est lui qui représentait Aït
Personne âgée : C’est pendant le Siba que les Aït Ali ont été Ouham et Zaouit. On lui a soumis des tas de papiers à signer
impliqués dans le tour d’eau, ils nous donnaient du bois sur en notre nom. Comme c’est un analphabète, il a signé sans
Ighil Ikiss et nous on leurs donnait de l’eau. Dans tous les savoir dans quoi il nous engageait. Quand notre Morcheh a
Aït Bouguemez, il y avait trois grands tours d’eau : vu ces papiers, il a alerté la Taqbilt, on a dit à B que s’il ne
démissionne pas, on va le tuer. C’est pour ça qu’il a signé
1. Le Tour d’eau Aït Ouham-Aït Ali,
tous les papiers de démission.
2. Le Tour d’eau Aït Ouchi-Ifrane et
3. Le Tour d’eau R’Bat-Ibaqalioun. Il ajoute :
Ce sont les tours d’eau les plus anciens de la vallée. Ce qu’ils font, c’est vraiment grave, beaucoup d’habitants
d’Aït Ouham sont morts pour défendre cette source, eux ils
Est-ce qu’il y a eu des conflits sur l’eau ?
veulent nous l’enlever par des papiers. Si c’était encore Siba,
Avant le Siba, il y avait toujours des guerres pour l’eau. Il y on allait tous les tuer.
avait des coupures d’eau et des coupures de route.
Maintenant ça va, il y a un respect des tours d’eau.

B. ENTRETIENS REALISES À IFRANE :


1. Boualn Ahmed
250
2. Aït Dabar
THEME : SYSTEMES DE PRODUCTION, TYPES
D’EXPLOITANTS, STRATEGIES ANTI-RISQUE 1. Boualn Si Moha
Quel est le cheptel de l’ensemble du douar ? 2. Said Ouchou
80 à 100
Espèces Effectifs 3. Aït hamou Nasser
4. Bibi Boutalla
Ovins et Caprins 1500
1. Douari Hamouni
Bovins 85 70 à 80
2. Douari Moha
Equins 25 mules et 11 ânes 1. Boutalla Moha
2. Boutalla Hamad
40 à 50
3. Ali Nou Ali
4. Aït L’hadi Ibrahim
Ça fait très peu de mules pour 74 ménages, comment font 1. Koko Hamou
ceux qui n’en ont pas ? 2. Said Abdallah
Oui, tous les ménages n’ont pas de mules, ceux qui en ont les 3. Ansouss Youssef 20 à 40
prêtent gratuitement aux autres pour les travaux champêtres. 4. Boualn Ali
5. Khash Ali
Le reste (56 ménages) Inférieur à 20
Quelle est la répartition du nombre de têtes par
ménages ?
Quelle est la destination des produits de l’élevage ?
Le lait est autoconsommé. En général, on retire le beurre et
on donne le reste à ceux qui en ont besoin. On ne peut pas
Ménages (Takât) Nombres de têtes vendre le lait parce qu’il n y a pas de coopératives laitières.
(Ovins et Caprins) La laine était vendue il y a 10 ans. Mais aujourd’hui on
l’utilise pour faire des tapis pour la maison. On fait aussi la
1. Dammou Hamou 300 vente d’animaux. Les jeunes bœufs âgés d’un an sont vendus

225
au souk de 5000 à 10.000 dhs. Les veilles vaches sont pomme de terre destinée au marché est semée en mai pour
vendues aux bouchers pour les remplacer. Les jeunes limiter les risques de gel et les risques de rareté de l’eau.
moutons sont aussi vendus entre 500 à 1500.
Et s’il y a des risques de sécheresse ?
Est-ce qu’il y a des ménages qui ont essayé de spécialiser
On fait la pomme de terre en 1ère culture et les céréales en
en élevage ?
bour et en 2ème culture. Même s’il n y a pas d’eau, les
Oui, Boualn Ahmed, il a 3 vaches et 250 ovins-caprins. céréales résistent et donnent quelque chose alors la pomme
Mais, on fait toujours les deux activités en même temps .On de terre serait complètement détruite. Si le risque de
essaie de trouver un certain équilibre entre l’agriculture et sécheresse est très élevé, on abandonne la pomme de terre,
l’élevage. on ne fait que les céréales. C’était le cas dans les années
1990 où il y a eu 7 ans de sécheresse. De mémoire de
Comment se fait l’abreuvement des animaux ? Est-ce
bouguemezien, on a jamais vu la source de Tadrouit tarir,
qu’on tient compte des tours d’eau ?
mais entre 1999 et 2001, elle était complètement sèche.
Pour les grands troupeaux, on les mène à l’Assif par des
Que faites-vous contre les risques d’inondations ?
passages spéciaux qui existent pour ça. Pour les petits, on les
abreuve à la maison. L’abreuvement des animaux n’a rien à En 1996, tout le périmètre d’irrigué d’Ifrane a été détruit par
voir avec les tours d’eau. Tu peux faire boire tes animaux les inondations. On construit souvent des murets autour de
quand tu veux. l’Assif mais ça ne sert à rien, tout est emporté. Le Makhzen
avait fait construire de petites retenues au niveau des Chaâba
Dans les produits de l’élevage, vous n’avez pas parlé de la
mais ça ne sert à rien.
fumure ?
Est-ce qu’il y a d’autres activités pratiquées à part
Oui, pour ceux qui ont beaucoup de parcelles irriguées, la
l’agriculture et l’élevage ?
fumure est utilisée dans les champs. Pour ceux qui ont peu
de terres et qui ont beaucoup d’animaux, ils vendent la Ceux qui ont peu de parcelles vont travailler en ville dans le
fumure à ceux qui en ont besoin. bâtiment. Il y a aussi certains qui profitent du tourisme. Il y a
ici trois guides qui utilisent les membres de leurs familles
Quels sont les types de sols d’Ifrane ?
comme muletiers. Il y a un gîte qui marche, un autre est en
Dans le périmètre irrigué, les sols sont meubles, sablonneux construction et d’autres sont en projets.
et faciles à cultiver.
Dans le Bour, les sols sont très durs et très compacts.
Comment se fait la gestion de la raréfaction de l’eau :
Est-ce que la possession de terres suit le même schéma
Première situation : L’eau est rare depuis le début de
que la possession des animaux ?
l’année :
Oui et Non, Boualn a 250 ovins-caprins, 3 vaches et il a 40
La décision concerne les premières cultures. La Taqbilt se
parcelles irriguées.
réunit pour décider de pratiquer une seule culture en laissant
Koko Hamou a moins de 20 têtes et il a beaucoup de terres le choix de la culture à chaque agriculteur. En ce moment, il
irriguées et bour. n’est plus question de pratiquer une seconde culture.
En général, le nombre de parcelles entre 10 et 30 avec la Deuxième situation : L’eau se fait rare après la récolte
moitié en irriguée et l’autre moitié en bour. Mais il y a aussi des premières cultures :
des gens comme Koko Moha Oualhoussein qui n’a que des
La décision est prise collectivement de pratiquer une seule
terres bour et d’autres comme Aït Ali Nouhamou (2
culture avec certaines fois détermination de la culture à
parcelles irriguées) qui n’a que des terres irriguées.
pratiquer par la Taqbilt. En général, la pomme de terre est
Comment se fait la prise de décision pour les pratiques de interdite parce qu’elle nécessite trop d’eau.
deuxième culture ?
Application des décisions :
La décision dépend de plusieurs facteurs. On fait en général
A Ifrane, les stratégies individualistes sont bannies dans ces
le maïs et la pomme de terre vendue en deuxième culture. En
périodes difficiles. Dès que les décisions sont prises
avril, il fait encore, on préfère mettre en première culture la
collectivement, elles sont écrites et déposées au caïdat. Elles
pomme de terre autoconsommée. Comme ça, en ces de gel,
serviront de base de jugement des gens qui ne s’y
les pertes sont limitées. En été où le risque de gel est très
conforment pas.
faible, on pratique en deuxième culture la pomme de terre
vendue. Mais en été, il y a souvent rareté de l’eau, c’est qui Mais avant d’en arriver au caïdat, les Aït Ifrane utilisent
pose aussi quelques problèmes. surtout la pression en empêchant l’agriculteur qui ne veut
pas se conformer aux décisions de sortir de chez lui ou
De façon générale : la 2ème culture qui suit l’orge ou le blé est
d’accéder à ses parcelles. Le recours au caïdat intervient
le maïs semé en juin, les 2ème cultures qui suivent la pomme
quand la situation commence à dégénérer.
de terre autoconsommée sont les navets et les carottes, la

226
‫ﻣﻠﺨﺺ‬
‫ﻣﻨﺬ ‪ ،1999‬ﺗﺴﺘﻔﻴﺪ اﻝﻤﻨﺎﻃﻖ اﻝﻤﺴﻘﻴﺔ ﺑﺎﻝﻮاد اﻝﺠﺒﻠﻲ ﺁیﺖ ﺑﻮآﻤﺰ ﻣﻦ ﺑﺮﻥﺎﻣﺞ ﻝﻠﺘﺤﺪیﺚ‪ ،‬ﻣﻤﻮل ﻣﻦ‬
‫ﻃﺮف اﻝﺪوﻝﺔ و اﻝﺒﻨﻚ اﻝﺪوﻝﻲ‪ ،‬یﻬﺪف أﺱﺎﺱﺎ إﻝﻰ ﺗﻔﻌﻴﻞ اﻝﺴﻘﻲ‪.‬‬
‫أﻗﺎﻣﺖ ﻣﺼﺎﻝﺢ اﻝﺪوﻝﺔ اﻝﻤﺴﺆوﻝﺔ ﻋﻦ اﻝﺒﺮﻥﺎﻣﺞ ﻓﻲ إﻃﺎر إدارة ﺝﻤﺎﻋﻴﺔ ﻝﻠﺴﻘﻲ ﻣﺆﺱﺴﺎت ﺝﺪیﺪة‬
‫ﻝﺘﺪﺑﻴﺮ ﻣﺎء )ﺝﻤﻌﻴﺔ ﻣﺴﺘﻌﻤﻠﻲ اﻝﻤﻴﺎﻩ اﻝﻔﻼﺡﻴﺔ( أﻥﻈﻤﺔ اﻝﺴﻘﻲ اﻝﺘﻘﻠﻴﺪیﺔ ﻝﻠﻬﻀﺒﺔ اﻝﺘﻲ ﺗﻀﻢ أﺹﻼ‬
‫ﻣﺆﺱﺴﺎت ﺗﻘﻠﻴﺪیﺔ‪ ،‬ﻣﺮﻥﺔ و ﻥﺸﻴﻄﺔ‪.‬‬
‫ﺗﻬﺪف هﺬﻩ اﻷﻃﺮوﺡﺔ إﻝﻰ ﺗﻘﻴﻴﻢ اﻝﻮﺽﻊ اﻝﺤﺎﻝﻲ ﻝﻠﺴﻘﻲ اﻝﺸﻲء اﻝﺬي ﺱﻴﻤﻜﻦ ﻣﻦ وﺽﻊ رهﻦ‬
‫إﺵﺎرة ﻣﺨﺘﻠﻒ اﻝﻤﺘﺪﺥﻠﻴﻦ ﻓﻲ اﻝﻬﻀﺒﺔ اﻝﻤﻌﻠﻮﻣﺎت اﻷﺱﺎﺱﻴﺔ ﻣﻦ أﺝﻞ ﻣﺮاﻓﻘﺔ ﻓﻌّﺎﻝﺔ ﻝﻼﻥﺘﻘﺎل‬
‫اﻝﻤﺆﺱﺴﺎﺗﻲ اﻝﺠﺎري ﻓﻴﻬﺎ اﻝﻌﻤﻞ‪.‬‬
‫رآﺰت اﻝﺪراﺱﺔ ﻋﻠﻰ ﻥﻈﺎم ﺱﻘﻲ واد ﺡﻜﻴﻢ‪ .‬ﺗﺘﻤﻴﺰ هﺬﻩ اﻝﻤﻨﻄﻘﺔ ﺑﺘﻨﻈﻴﻢ اﺝﺘﻤﺎﻋﻲ إﻗﻠﻴﻤﻲ ﻣﻌﻘﺪ‬
‫یﺮﺗﻜﺰ أﺱﺎﺱﺎ ﻋﻠﻰ ﺗﺸﺎﺑﻜﺎت و ﺗﺤﺎﻝﻔﺎت ﺑﻴﻦ اﻝﺪواویﺮ ﺡﻮل إدارة اﻝﻤﻮارد اﻝﻄﺒﻴﻌﻴﺔ‪.‬‬
‫ﻣﻜﻨﺖ اﻝﻤﻘﺎرﺑﺔ اﻝﺸﻤﻮﻝﻴﺔ ﻣﻦ ﺗﻮﺽﻴﺢ اﻝﻤﻴﺰات اﻷﺱﺎﺱﻴﺔ ﻝﻤﺆﺱﺴﺎت إدارة اﻝﻤﺎء و ﺵﺒﻜﺔ اﻝﺴﻘﻲ‪.‬‬
‫ﺗﺘﻜﻮن اﻝﺸﺒﻜﺔ ﻣﻦ ‪ 36‬ﻗﻨﺎة ﺗﺘﻐﺬى أﺱﺎﺱﺎ ﻣﻦ اﻝﻤﺂﺥﺬ اﻝﻤﺘﻮاﺝﺪة ﻋﻠﻰ ﻃﻮل اﻝﻮاد‪ .‬هﺬا اﻝﺨﻴﺮ‬
‫یﺘﻐﺬى ﺑﺪورﻩ ﻣﻦ ﻣﻨﺎﺑﻊ ﺝﺎﻥﺒﻴﺔ أو اﻥﺒﺘﺎ ﻗﺎت ﻗﻌﺮ اﻝﻮاد‪.‬‬
‫ﺗﻮزیﻊ اﻝﻤﺎء ﺑﻴﻦ اﻝﺪواویﺮ یﺘﻢ ﻋﺒﺮ أو ﺑﺪون ﺗﻨﺎوب‪ .‬ﺗﺘﻜﻠﻒ اﻝﺘﺎﻗﺒﻴﻠﺖ‪ ،‬ﺝﻤﻌﻴﺔ أرﺑﺎب اﻝﺒﻴﻮت‪،‬‬
‫ﻞ دوار‪.‬‬ ‫ﺑﺘﺤﺪیﺪ‪ ،‬ﺗﻨﻈﻴﻢ و اﻝﺴﻬﺮ ﻋﻠﻰ اﺡﺘﺮام ﻗﻮاﻥﻴﻦ ﺗﻮزیﻊ اﻝﻤﺎء ﺑﻜ ّ‬
‫ﺗﻮزیﻊ اﻝﻤﺎء ﺑﻴﻦ اﻝﻘﻄﻊ اﻷرﺽﻴﺔ رهﻴﻦ ﺑﺄﺹﺤﺎب اﻝﺴﻘﻲ ﻋﺒﺮ اﻝﻘﻨﺎة اﻝﺬیﻦ یﺤﺪدون ﺝﻤﺎﻋﺔ‬
‫اﻝﻘﻮاﻥﻴﻦ و اﻝﻘﻮاﻋﺪ اﻝﺘﻲ ﺗﻨﻈﻢ هﺬا اﻝﺘﻮزیﻊ‪ .‬آﻞ ﻗﺎﻋﺪة ﻝﺘﺪﺑﻴﺮ ﻣﻴﺎﻩ اﻝﺴﻘﻲ ﺗﻌﺮف اﺱﺘﺜﻨﺎءات‬
‫ﺗﻤﻜﻨﻬﺎ ﻣﻦ اﻝﺘﺄﻗﻠﻢ ﻣﻊ ﺡﺎﻻت ﻣﺨﺘﻠﻔﺔ ﺡﺴﺐ وﻓﺮة أو ﻗﻠﺔ اﻝﻤﺎء‪.‬‬
‫ﺗﺄﺱﻴﺲ ﺝﻤﻌﻴﺎت ﻣﺴﺘﻌﻤﻠﻲ اﻝﻤﻴﺎﻩ اﻝﻔﻼﺡﻴﺔ ﺱﻨﺔ ‪ 2001- 1999‬ﻝﻢ ﺗﺄﺥﺬ ﺑﻌﻴﻦ اﻻﻋﺘﺒﺎر ﺗﻌﻘﻴﺪ‬
‫اﻝﻨﻈﺎم اﻻﺝﺘﻤﺎﻋﻲ اﻻﻗﻠﻴﻤﻲ‪ ،‬ﻣﺨﺘﻠﻒ أﺱﺎﻝﻴﺐ ﻣﻨﺢ ﺡﻘﻮق اﺱﺘﻌﻤﺎل اﻝﻤﺎء و ﻻ اﻝﻤﺮوﻥﺔ اﻝﺘﻲ ﺗﻤﻴﺰ‬
‫ﻗﻮاﻋﺪ اﻝﺘﺪﺑﻴﺮ اﻻﺝﺘﻤﺎﻋﻲ ﻝﻠﻤﺎء‪.‬‬
‫ﻓﻼﺡﻲ واد أیﺖ ﺡﻜﻴﻢ ﻝﻢ یﺘﺨﺬوا ﺝﻤﻌﻴﺎت ﻣﺴﺘﻌﻤﻠﻲ اﻝﻤﻴﺎﻩ اﻝﻔﻼﺡﻴﺔ آﻤﺆﺱﺴﺔ ﻝﺘﺪﺑﻴﺮ اﻝﻤﺎء ﻷﻥﻬﻢ‬
‫ﻝﻢ یﺘﻘﺪﻣﻮا ﺑﺄي ﻃﻠﺐ و ﻝﻢ یﻜﻮﻥﻮا ﻋﻠﻰ ﻋﻠﻢ آﻔﺎیﺔ ﺑﺄهﺪاف هﺬﻩ اﻝﺠﻤﻌﻴﺎت‪.‬‬
‫أﺙﺒﺘﺖ هﺬﻩ اﻝﺪراﺱﺔ اﻷدوار اﻝﻔﻌﺎﻝﺔ اﻝﺘﻲ ﺗﻠﻌﺒﻬﺎ ﺝﻤﻌﻴﺎت ﻣﺴﺘﻌﻤﻠﻲ اﻝﻤﻴﺎﻩ اﻝﻔﻼﺡﻴﺔ ﺑﺤﻴﺚ ﺗﻘﻮم‬
‫ﺑﺘﺪﺑﻴﺮ ﺗﻮزیﻊ اﻝﻤﺎء ﻋﻠﻰ ﻃﻮل اﻝﻮاد‪ ،‬ﺑﺘﺤﺴﻴﻦ اﻝﺴﻘﻲ أو ﺑﺘﺰویﺪ اﻝﻔﻼﺡﻴﻦ ﺑﻤﺪاﺥﻴﻞ‪.‬‬
‫یﻤﻜﻦ ﻝﻬﺬﻩ اﻝﺠﻤﻌﻴﺎت أن ﺗﺼﺒﺢ ﻣﺆﺱﺴﺎت ﻓﻌﺎﻝﺔ ﻝﺘﺪﺑﻴﺮ اﻝﻤﺎء ﻓﻲ ﺥﺪﻣﺔ اﻝﻔﻼﺡﻴﻦ إذا اﺗﺨﺬت‬
‫ﺑﻌﺾ اﻝﻤﻌﺎیﻴﺮ ﻝﻨﻘﺺ ﺗﻔﺎوت اﻝﺼﺒﻴﺐ ﺑﻴﻦ ﻣﺼﻌﺪ و ﻣﻬﺒﻂ اﻝﻨﻬﺮ و اﻝﺘﺸﺪیﺪ ﻋﻠﻰ ﺗﺤﺴﻴﺲ‬
‫وإﻋﻼم اﻝﻔﻼﺡﻴﻦ‪.‬‬

‫‪227‬‬
‫اﻟﻤﻤﻠﻜﺔ اﻟﻤﻐﺮﺑﻴﺔ‬

‫ﻡﻌﻬﺪ اﻟﺤﺴﻦ اﻟﺜﺎﻧﻲ ﻟﻟﺰراﻋﺔ واﻟﺒﻴﻄﺮة اﻟﺮﺑﺎط‬

‫أﻃﺮوﺡﺔ ﻝﻨﻴﻞ ﺵﻬﺎدة ﻣﻬﻨﺪس ﻓﻼﺡﻲ‬

‫ﺵﻌﺒﺔ ﻓﻼﺡﺔ اﻗﺘﺼﺎد‬

‫اﻟﺴﻘﻲ ﻓﻲ واد ﺁیﺖ ﺑﻮﻏﻤﺎز )اﻷﻃﻠﺲ اﻟﻜﺒﻴﺮ و اﻟﻤﺘﻮﺱﻂ(‬


‫ﻡﺎ هﻲ اﻟﺘﺸﺎﺑﻜﺎت ﺑﻴﻦ اﻹدارة اﻟﻤﺤﻠﻴﺔ اﻟﺘﻘﻠﻴﺪیﺔ و إﻧﺸﺎء إدارة ﻡﺴﺎهﻤﺎﺕﻴﺔ ﻟﻠﺴﻘﻲ؟‬
‫اﻟﻤﻨﺠﺰة ﻡﻦ ﻃﺮف‪:‬‬

‫آﻴﺘﺎ ﺑﺎﻡﻮي‬

‫اﻟﻤﻘﺪﻡﺔ أﻡﺎم اﻟﻠﺠﻨﺔ اﻟﻤﻜﻮﻧﺔ ﻡﻦ‪:‬‬

‫رﺋﻴﺲ‬ ‫ادارة اﻟﺘﻬﻴﻴﺂت اﻟﻬﻴﺪرو اﻟﻔﻼﺡﻴﺔ‬ ‫‪ :‬ﻏﺮدوش ﻡﺤﻤﺪ‬ ‫اﻟﺴﻴﺪ‬

‫ﻡﺆﻃﺮ‬ ‫ﻡﻌﻬﺪ اﻟﺤﺴﻦ اﻟﺜﺎﻧﻲ ﻟﻟﺰراﻋﺔ و اﻟﺒﻴﻄﺮة‬ ‫اﻟﺒﺮوﻓﺴﻮر‪ :‬ﺡﺮزﻧﻲ ﻋﺒﺪ اﷲ‬

‫ﻡﻤﺘﺤﻦ‬ ‫ﻡﻌﻬﺪ اﻟﺤﺴﻦ اﻟﺜﺎﻧﻲ ﻟﻟﺰراﻋﺔ و اﻟﺒﻴﻄﺮة‬ ‫اﻟﺒﺮوﻓﺴﻮر‪ :‬آﻮﺑﺮ ﻡﺮﺱﻴﻞ‬

‫ﻡﻤﺘﺤﻦ‬ ‫ﻡﻌﻬﺪ اﻟﺤﺴﻦ اﻟﺜﺎﻧﻲ ﻟﻟﺰراﻋﺔ و اﻟﺒﻴﻄﺮة‬ ‫اﻟﺒﺮوﻓﺴﻮر‪ :‬ﺷﻴﺶ ﺝﺎن‬

‫یﻮﻟﻴﻮز ‪2004‬‬

‫ﻡﻌﻬﺪ اﻟﺤﺴﻦ اﻟﺜﺎﻧﻲ ﻟﻠﺰراﻋﺔ و اﻟﺒﻴﻄﺮة‪ .‬ص‪.‬ب‪ 6202-‬اﻟﻤﻌﺎهﺪ ‪ 10101‬اﻟﺮﺑﺎط‬


‫‪Tél. : (037) 77 17 58/59/45 ou 77 07 92, Fax (037) 77 81 35 ou 77 58 38‬‬
‫ﻣﻮﻗﻊ اﻻﻥﺘﺮﻥﻴﺖ‪www.iav.ac.ma :‬‬

‫‪228‬‬

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