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UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

La gestion sociale de l’irrigation en Haïti

Par

Eno Hérard

Mémoire présenté à la Faculté d’administration

en vue de l’obtention du grade de

M. Sc.

Juin 2005
 Eno Hérard, 2005
ii
UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

La gestion sociale de l’irrigation en Haïti

Eno Hérard

a été évalué par un jury composé des personnes suivantes :

Chakda Yorn Directeur de recherche et professeur à la Faculté d’administration


de l’Université de Sherbrooke

Michel Lafleur Professeur et directeur de l'Institut de recherche pour


l'enseignement des coopératives de l’Université de Sherbrooke
(IRECUS)

Bastien Dion Lecteur

Notes :

La réalisation de ce mémoire a été rendue possible grâce à un stage de recherche au Centre international de
coopération pour le développement agricole (CICDA) qui exécutait un programme de formation sur la gestion
sociale de l'irrigation en Haïti pour le ministère de l'Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement
rural (MARNDR) au bénéfice des intervenants dans le domaine de l'irrigation en Haïti.

Indépendamment du genre grammatical, les appellations qui s’appliquent à des personnes visent autant les femmes
que les hommes. L’emploi du masculin a donc pour seul but de faciliter la lecture de ce document.

iii
SOMMAIRE

La gestion sociale de l'eau (GSE) ou du moins la gestion sociale de l'irrigation (GSI) est un
concept très à la mode dans le secteur irrigué en Haïti. Selon son esprit, les systèmes irrigués
devraient être gérés pas les usagers organisés en associations. Ils devraient assurer la prise en
charge de ces systèmes. La prise en charge implique un ensemble d’obligations et de
responsabilités que les usagers ne sont pas toujours prêts à assumer. Prôné depuis les années
1980, les acteurs haïtiens n'arrivent pas toujours à faire de ce concept une réalité. Par exemple,
Haïti s'embarquait dans cette aventure au même moment que la République Dominicaine,
actuellement plus de 50% des systèmes irrigués ont été transférés aux agriculteurs dominicains,
tandis que du côté des haïtiens, ce chiffre est à peine 10%. L'étude se propose de répondre à la
question : comment les associations d’irrigants arrivent-elles à assurer la prise en charge effective
de leur système irrigué? Le résultat attendu est un modèle d'autogestion des systèmes irrigués qui
garantisse leur pérennité.

L'étude a été réalisée sur six (6) systèmes d’irrigation répartis dans 5 départements géographiques
du pays, notamment Jean David dans le Sud-Est, Ti Carénage et Bayonnais dans l’Artibonite,
Croix Fer dans le Centre, Dory dans le Sud et Fauché dans l’Ouest. Dans le but d'avoir une image
riche de la réalité entourant la gestion sociale de l'irrigation, les informations ont été collectées
auprès des exploitants de ces systèmes mais également auprès des acteurs locaux, des autorités
étatiques et des spécialistes du secteur irrigué en Haïti. Des résultats spécifiques ont permis de
répondre à la question générale de recherche.

Premièrement, l'étude montre que le processus de transfert de gestion s'opère dans un


environnement difficile. En effet, l'État s'embarque dans le processus, mais ne dispose pas des
ressources nécessaires à rendre cet environnement favorable. Les bassins versants se détériorent
de manière inquiétante. Cela menace les infrastructures hydro-agricoles et la disponibilité en eau
d'irrigation. Face à cette situation, les acteurs font des interventions ponctuelles de manière non
coordonnée créant, par exemple, de mauvaises habitudes chez les usagers. L'apport des autorités
judiciaires, jugé nécessaire, est pourtant marginal. Cela rend difficile l'application des règles des
associations d'irrigants. Les appuis techniques et financiers octroyés aux systèmes irrigués sont
très faibles. Les agriculteurs n'arrivent pas à pratiquer une agriculture d'entreprise de façon
compétitive sur les marchés local et international.

iv
Deuxièmement, dans le temps l'État pratiquait l'autoritarisme et le favoritisme. La répartition de
l'eau d'irrigation était peu équitable. Néanmoins, les horaires de distributio n fonctionnaient. À
partir de 1986, l'État s'affaiblit et perd graduellement son autorité sur les systèmes. Les horaires
de distribution sont sabotés. Il en résulte un déplacement de l'autoritarisme et du favoritisme des
protégés de l'État vers des usagers en amont des systèmes et des bandits au détriment des usagers
en aval et des citoyens paisibles. Donc, avec l'absence de l'État, la distribution de l'eau d'irrigation
n'est pas plus équitable.

Troisièmement, certains systèmes avaient été mis en place au moyen de projets participatifs. Ces
projets ont créé de bonnes structures organisationnelles et ont laissé la gestion de ces systèmes
entre les mains des usagers. En dépit de la participation des usagers et des structures mises en
place, le manque de suivi nuit au fonctionnement de ces organisations. La sclérose démocratique
s'installe, les mandats des dirigeants ne sont pas renouvelés, les assemblées générales ne
s'organisent que rarement, la liste des usagers n'est pas actualisée et la gestion devient peu
transparente. Il s'en suit un manque d'intégration des nouveaux usagers dans la gestion du
système accompagné d'un manque de transfert de connaissance. La relève de l'association est
menacée et la pérennité du système n'est pas garantie.

Quatrièmement, avec une bonne coordination, les usagers peuvent être mobilisés dans les travaux
d'entretien et de maintenance des réseaux. En effet, les usagers peuvent s'organiser sous forme de
konbit et réaliser les travaux d'entretien. Leur participation à ces activités est jugée acceptable sur
tous les systèmes.

Cinquièmement, le projet IDAI laisse des impacts auprès des usagers qui l'ont connu. En effet, les
services d'accompagnement agricole étaient accessibles aux agriculteurs. Toutefois, l'aspect
organisationnel n'a pas été pris en compte. Il semble que ce projet reflétait son époque, puisqu'au
moment de sa réalisation, l'approche top dow était préconisée. On pourrait retenir les éléments
positifs de ce projet et les intégrer dans les nouvelles interventions.

Sixièmement, les demandes d'accompagnement des usagers convergent autour de six sortes de
besoins: la formation et l'information, la justice et la sécurité, l'accès aux intrants agricoles, le
crédit, la présence de techniciens sur les systèmes et la réhabilitation physique des systèmes.

v
L'ensemble de ces résultats a conduit à l'élaboration d'un modèle d'autogestion des systèmes
irrigués. Le modèle place le système d'irrigation dans son environnement global avec 3
composantes. Une composante biophysique qui vise à garantir la disponibilité en eau pour le
système et la pérennité des réseaux. Une composante sociale qui vise à élaborer des politiques ou
à établir des lois permettant aux usagers de se réunir en associations, et à leurs représentants,
d'appliquer leurs règlements. Une composante économique qui vise à élaborer des politiques ou
des lois à portée économique ou à appuyer techniquement ou financièrement les agriculteurs en
vue de les protéger contre les effets pervers de la mondialisation.

Le système d'irrigation est une construction historique, technique et sociale. Cette histoire permet
de comprendre les infrastructures mises en place, les règles d'accès à l'eau d'irrigation et de
distribution et les choix techniques et économiques des usagers. L'autogestion efficace du
système repose sur le maintien d'un équilibre entre quatre pôles de gestion qui sont les pôles
technique, financier, associatif et économique. Cet équilibre pourra se rompre à tout moment et
requiert des actions d'accompagnement pour son maintien ou son rétablissement. Ces actions
concernent la formation, l'information, l'incitation et la coercition. Étant donné que
l'environnement change et que l'association est dynamique, une évaluation des actions et de
l'association est souhaitable afin de permettre d'identifier les nouveaux besoins et de faire des
ajustements en conséquence.

vi
TABLE DES MATIÉRES

SOMMAIRE..................................................................................................................................IV

LISTE DES FIGURES ................................................................................................................XI

LISTE DES TABLEAUX ...........................................................................................................XII

LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES................................................................................XIII

LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES................................................................................XIII

LISTES DES INDEXES ET DES FORMULES.................................................................... XIV

REMERCIEMENTS................................................................................................................... XV

INTRODUCTION......................................................................................................................1

PREMIER CHAPITRE : PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE........................4

1. LE CONTEXTE DE L’ÉTUDE.............................................................................................4

2. LA PROBLÉMATIQUE GÉNÉRALE.................................................................................6

2.1 Un cadre légal non mis en place ..................................................................................................................................6

2.2 Des données techniques peu disponibles et peu fiables .........................................................................................8

2.3 Un secteur non maitrisé par les intervenants ....................................................................................................... 10

2.4 La dégradation accelerée des infrastructutres..................................................................................................... 11

2.5 Le manque de moyen humain pour la gestion des systèmes ............................................................................ 12

2.6 Un faible niveau de recherche .................................................................................................................................. 13

3 LA PROBLÉMATIQUE SPÉCIFIQUE............................................................................ 14

3.1 Des associations fonctionnant avec une sclérose démocratique ...................................................................... 15

3.2 Les missions des associations d'irrigants ............................................................................................................... 16

3.2.1 La distribution de l’eau : une mission idéale.......................................................................................................... 17

3.2.2 L'application des règles : un héritage sociopolitique difficile............................................................................. 18

vii
3.2.3 Des redevances qui ne répondent pas aux budgets................................................................................................ 18

3.2.4 Les entretiens : une mission perturbée par des interventions externes ............................................................. 20

3.2.5 Une administration fonctionnelle quand il y a projet............................................................................................ 20

4 LES QUESTIONS ET LES OBJECTIFS DE LA RECHERCHE................................ 21

DEUXIÈME CHAPITRE : CADRE CONCEPTUEL.............................................................. 23

1 L’IRRIGATION ET LE FONCTIONNEMENT D’UN SYSTÈME IRRIGUÉ ............... 23

2 LA GESTION D'UNE ORGANISATION ......................................................................... 25

3 LA GESTION SOCIALE DE L’IRRIGATION................................................................. 29

4 LES ASSOCIATIONS D'IRRIGANTS............................................................................. 29

4.1 Leurs caractéristiques................................................................................................................................................. 30

4.2 Leurs missions............................................................................................................................................................... 31

5 LE TRANSFERT DE GESTION....................................................................................... 36

6 LA GESTION PARTICIPATIVE....................................................................................... 37

7 LE CADRE MÉTHODOLOGIQUE DU MARNDR POUR LE TRANSFERT DE


GESTION ..................................................................................................................................... 37

TROISIÈME CHAPITRE: MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE....................................... 42

1 LA STRATÉGIE DE RECHERCHE ................................................................................ 43

2 LA COLLECTE DES DONNÉES..................................................................................... 45

2.1 L'échantillonnage et le sous-échantillonnage ....................................................................................................... 45

2.2 Les outils de collecte d’Informations ...................................................................................................................... 46

2.3 La recherche documentaire....................................................................................................................................... 47

2.4 Le cahier de charges.................................................................................................................................................... 47

2.5 Le journal de bord....................................................................................................................................................... 48

2.6 La collecte proprement dite....................................................................................................................................... 48

viii
2.7 D’autres sources d’information ............................................................................................................................... 48

3 LA STRATÉGIE ET PRINCIPES D’ANALYSE ............................................................ 49

4 LA VALIDITÉ DE LA RECHERCHE............................................................................... 51

QUATRIÈME CHAPITRE : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS.................................... 52

1 PRÉSENTATION DES CAS .................................................................................... 52


1.1 Le système irrigué de Ti Carénage......................................................................................................................... 52

1.2 Le système irrigué de Bayonnais ............................................................................................................................. 55

1.3 Le système irrigué de Jean David............................................................................................................................ 58

1.4 Le système irrigué de Croix Fer............................................................................................................................... 61

1.5 Le système irrigué de Dory........................................................................................................................................ 63

1.6 Le Système irrigué de Fauché................................................................................................................................... 66

1.7 Point de vue des intervenants ................................................................................................................................... 69

2 ANALYSE TRANSVERSALE DES CAS ....................................................................... 76

2.1 La légitimité des associations .................................................................................................................................... 76

2.2 La représentativité ....................................................................................................................................................... 78

2.3 Le fonctionnement des associations d’irrigants ................................................................................................... 79

2.4 La vie associative .......................................................................................................................................................... 79

2.5 Les redevances .............................................................................................................................................................. 80

2.6 La Gestion financière.................................................................................................................................................. 82

2.7 L'entretien et la maintenance ................................................................................................................................... 83

2.8 L'administration........................................................................................................................................................... 84

2.9 La distribution de l’eau.............................................................................................................................................. 85

2.10 Les activités connexes........................................................................................................................................................ 86

CINQUIÈME CHAPITRE : DISCUSSION DES RÉSULTATS............................................ 89

1 INTERPRÉTATION...................................................................................................... 89

ix
2 MODÉLISATION........................................................................................................... 91
2.1 L'environnement.......................................................................................................................................................... 93

2.2 Le système et sa gestion .............................................................................................................................................. 97

3 LIMITES DU TRAVAIL .............................................................................................103

4 CONCLUSION .............................................................................................................105

BIBLIOGRAPHIE .....................................................................................................................109

ANNEXES ..............................................................................................................................112
ANNEXE A : CATÉGORIE DES PERSONNES RENCONTRÉES ...........................................................................112

ANNEXE B: LES GRILLES DE COLLECTE DES INFORMATIONS ...................................................................113

ANNEXE C: GRILLE D'ANALYSE DES INFORMATIONS .....................................................................................117

Annexe D : Grille de référence des variables pour l'analyse de la gestion d'une AI en Haïti ..............................118

Annexe E: Localisation des systèmes ....................................................................................................................................121

ANNEXE F : PRESENTATION DES SYSTEMES .........................................................................................................122

x
LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Méthodologie du MARNDR pour le transfert de gestion des ppi 38

Figure 2 : Variables pour analyser le fonctionnement d'un AI........................41

Figure 3 : Méthodologie de recherche adoptée...................................................42

Figure 4 : Modèle de transfert de la gestion des SI en Haïti ............................92

Figure 5 : Environnement d'un système d'irrigation..........................................94

xi
LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Liste des périmètres irrigués inventoriés par le MARNDR .......... 9

Tableau 2 : Les fonctions de gestion .....................................................................26

Tableau 3 : Éléments de synthèse des cas...........................................................72

Tableau 4 : Synthèse des principaux éléments de l'analyse des cas ...........88

Tableau 5 : Synthèse des éléments structurants du modèle.........................101

xii
LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES

ACOJEB Association coopérative des jeunes de Bercy


AG Assemblée générale
AI Association d'irrigants
AICF Action internationale contre la faim
AIFA Association des irrigants de Fauché
AJEDEC Association des jeunes pour le développement de Clona
ASIDC Association du système d’irrigation de Dory-Cavaillon

BAC Bureau agricole communal


BIA Boutique d'intrants agricoles

CA Conseil d’administration
CARICOM Marché commun caribéen
CHADEV Centre haïtien de développement
CICDA Centre international de coopération pour le développement agricole
CNEARC Centre national d’études agronomiques des régions chaudes
CONADEA Conseil national de l’eau et de l’assainissement
CPH Comité protos haïtien
CUSIC Comité des usagers du système d’irrigation de Croix Fer

DCCH Développement communautaire chrétien haïtien


DDA Direction départementale agricole

FEUCAJ Fédération des usagers du canal Jean David

GDU Groupement des usagers


GRI Groupe de réflexion en irrigation
GSE Gestion sociale de l’eau
GSI Gestion sociale de l’irrigation

HIMO Haute intensité de main d’œuvre

IDAI Institut de développement agricole et industriel

MARNDR Ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement


rural
MAS Ministère des Affaires sociales
MEF Ministère de l’Économie et des Finances
MSS Méthodologie des systèmes souples

OBNL Organisme à but non lucratif


OG Organisme de gestion
ONG Organisation non gouvernementale

PIB Produit intérieur brut


PPI Projet de réhabilitation des petits périmètres irrigués

xiii
LISTES DES INDEXES ET DES FORMULES
Unité nom équivalent
cx Carreau 1,29 ha
ha hectare 0,78 cx
HTG Gourdes 0,038 CAN$, au moment de l'enquête
l/s litre par seconde

xiv
REMERCIEMENTS

Ce travail ne saurait réaliser sans l’appui et la collaboration d’un ensemble de personnes.


Ainsi, je tiens à remercier :

- Dieu pour son amour envers moi en m’accordant la vie et le courage de mener à bien le
travail;

- Mes parents qui ont consenti beaucoup d’efforts envers moi tout au long de mes
études;

- Chakda Yorn, mon directeur académique, Lafleur Michel et Bastien Dion mes lecteurs
pour leur support et leurs critiques constructives;

- Cécile Bérut, représentante du CICDA en Haïti, pour m’avoir accordé le stage et


m’appuyer durant toute sa période de réalisation;

- Bernard J. E. Abel du CICDA qui a été pour moi un compagnon de terrain infatigable
et qui m’a offert toute la collaboration nécessaire à la collecte des données;

- Julien Lenève et Manéus Wilma pour avoir participé activement dans la collecte des
données;

- Les agriculteurs de tous les périmètres visités qui ont été hospitaliers envers moi;

- Tous les informants qui ont accepté de répondre à mes rencontres et interviews;

Enfin toutes celles et tous ceux qui ont contribué d’une manière ou d’une autre dans la
réalisation du travail.

xv
INTRODUCTION
Haïti est reconnue comme un pays essentiellement agricole. En effet, l’agriculture haïtienne
représente plus de 27% du PIB national, elle occupe plus de 50% de la main d’œuvre rurale et
près de 80% des ruraux vivent totalement ou partiellement des activités agricoles (MEF, 2002).
Paradoxalement, ce pays n’arrive pas à nourrir sa population. Dans le temps, l’économie du pays
était basée sur ses denrées d’exportation notamment le café et le cacao. Au fil du temps, on
observe une dégradation des structures socioéconomiques des exploitations agricoles, à cause
d’une faible prise en charge du secteur par l'État. Cela a forcé les agriculteurs à abandonner les
cultures d’exploitation au profit des cultures vivrières, plus exigeantes en eau comme le riz et le
haricot. Cette situation a renforcé le recours à l’irrigation pour satisfaire les besoins en eau des
cultures.

Ce recours a conduit à la création ou à la réhabilitation des périmètres irrigués par plusieurs


acteurs dont l’État, les ONG, les agriculteurs et des entreprises. La gestion de ces périmètres est
régie par quelques textes dont la loi du 20 septembre 1952 et le code rural de 1962 qui peuvent
se résumer comme suit «l’eau est la propriété de l’État, qui exerce un contrôle et une
responsabilité sur la gestion des systèmes ainsi que sur la construction d’infrastructures (Bérut et
Apollin, 2004)». Cette forme de gestion, qui consistait à imposer des normes générales de
fonctionnement, sans consultation des usagers dans la conception et le fonctionnement des
infrastructures, conduit à une dégradation des systèmes et une distribution non équitable de l’eau
(Bérut, 2004).

Face à ce constat, l’État haïtien a élaboré, en 1990, une politique en matière d’irrigation intégrant
le concept « Gestion sociale de l’eau (GSE) ». Cette politique prévoit la réhabilitation des
périmètres irrigués et le transfert de leur gestion aux associations d’irrigants qui en assureront la
prise en charge. Le processus, une fois enclenché, beaucoup d’organismes publics et privés
s’impliquent dans la dynamique. Paradoxalement, on constate peu de recherche dans ce domaine.
Ainsi, cette étude vise à comprendre la gestion des systèmes irrigués par les associations
d’irrigants dans une perspective de prise en charge desdits systèmes.

1
Le transfert de gestion, donc des responsabilités, est un processus qui met un changement
profond de rapport entre l’État et les producteurs, et a des dimensions juridiques et
institutionnelles fortes (Mesmy, 2000). Ces nouvelles responsabilités ne peuvent être assumées
que s’il y a aussi transfert de moyen et de pouvoir. L’autogestion des périmètres irrigués signifie
que les associations d’irrigants (AI) doivent conquérir leur place dans un environnement
institutionnel et économique complexe et diversifié. Elles auront à gérer les relations tant avec
leurs membres qu’avec leurs partenaires économiques et les services de l’État (Ibid.).

La première partie du travail traite des problématiques générale et spécifique de la gestion de


l’eau en Haïti. La problématique générale aborde les problèmes relatifs 1) à la mise en place du
cadre légal de l'irrigation en Haïti; 2) à la disponibilité et à la fiabilité des données techniques de
l'irrigation; 3) à la maîtrise du secteur par l’État; 4) à la stratégie d'intervention des acteurs; 5) à
la dégradation accélérée des infrastructures hydro-agricoles; 6) à la diminution des débits des
sources et des cours d'eau; 7) au manque de ressources humaines affectées au secteur; et 8) au
faible niveau de recherche dans le secteur. Dans la problématique spécifique, nous abordons les
différents aspects de gestion des AI. Il s’agit de leur fonctionnement, de la poursuite de leurs
missions et des problèmes d’ordre technique ou socioéconomique.

Le cadre conceptuel fait l'objet de la deuxième partie du travail. Il définit et explicite les
différents concepts qui ont été utilisés. Ces concepts ont rapport à l’irrigation, au système irrigué,
à la gestion d’une organisation, à la gestion sociale de l’irrigation et au transfert de gestion des
périmètres irrigués. Le chapitre se termine par une brève présentation d’un cadre
méthodologique développé par le ministère de l’Agriculture, des Ressources natur elles et du
Développement rural (MARNDR) pour le transfert de gestion des périmètres irrigués ainsi que
des variables d’analyse de la gestion d’un système irrigué (SI).

La troisième partie du travail se réfère à la méthodologie utilisée. Nous avons adopté la stratégie
de l’étude de cas avec un regard profond sur la Méthodologie des systèmes souples (MSS). La
MSS, qui est souvent une approche procédant souvent par étude de cas, implique de se pencher
sur une situation problématique et de penser à un système qui permet de comprendre la situation
réelle examinée et enfin de prendre des actions cohérentes en fonction de ce qui est appris (Yorn,
2005). Cette démarche procède initialement de sept étapes qui peuvent être résumées en quatre

2
étapes interactives : 1) décrire la situation problématique perçue afin 2) d’élaborer un modèle
conceptuel à partir d’un point de vue et 3) comparer le modèle avec la réalité perçue en vue de
trouver des accommodations et 4) prendre des actions pour initier des changements afin
d’améliorer la situation problématique initiale (Ibid.). Le travail est réalisé sur six systèmes
d’irrigation en Haïti qui constituent nos cas. Ces systèmes sont : Jean David, Ti Carénage,
Bayonnais, Croix Fer, Dory et Fauché.

La quatrième partie du travail se divise en deux sections. La première fait une présentation des
résultats. Chaque système est présenté séparément selon la structure logique suivante: son
historique, ses caractéristiques techniques, sa structure sociale de gestion et son fonctionnement
en regard de ses missions de maintenance, de distribution, de gestion financière et de redevance.
Cette section se termine par une présentation des points de vue des acteurs autres que les
irrigants. La deuxième section analyse les résultats à travers les points suivants : la
représentativité, la légitimité et le fonctionnement des AI, ainsi que leur gestion en termes de
collecte de redevance, de distribution de l’eau d’irrigation aux usagers, d’administration, de
maintenance et de la vie associative.

La dernière partie est présentée en quatre sections. La première fait une discussion des résultats.
La deuxième présente un modèle d'autogestion des systèmes irrigués. Les limites du travail font
l'état de la troisième section et le document prend fin avec le s conclusions suivies de la
bibliographie et des annexes.

3
PREMIER CHAPITRE :
PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE
La problématique de recherche est l’étape à l’intérieur de laquelle sont formulés le problème
général, la question générale et les questions spécifiques de recherche (D’Amboise, 1996). Dans
les sections suivantes nous présentons le contexte de l’étude ainsi que les éléments précités. Le
contexte a été défini de concert avec notre organisme de stage qu’est le Centre international de
coopération et le développement agricole (CICDA). La problématique générale a été élaborée
grâce au colloque sur le transfert de gestion des systèmes irrigués et également à partir de
quelques livrets de la politique du MARNDR sur le transfert de gestion ainsi que d'une
bibliographie sur le secteur irrigué en Haïti. Quant à la problématique spécifique, elle est surtout
tirée de quelques rapports de diagnostic des différents systèmes réalisés entre 2001 et 2003.

1. LE CONTEXTE DE L’ÉTUDE

La gestion de l’irrigation en Haïti est fortement liée à son histoire. À l’époque coloniale, les
colons avaient reçu l’appui financier de la métropole française pour mettre en place des systèmes
d’irrigation dont ils assuraient l’exploitation et la maintenance (Jean-Noël, 2002). Avec
l’indépendance du pays en 1804, l’État a pris la gestion de ces systèmes dont la plupart ont été
réhabilités durant l’occupation américaine de 1915 à 1934. Après le départ des Américains, l'idée
d'une nouvelle forme de gestion a été initiée. Par exemple, en 1953, l'État a octroyé la gestion du
système d'Avezac, dans la plaine des Cayes, à un syndicat agricole (Binet, 2004). Vers les années
1980, certains projets ont construit des périmètres avec la participation des agriculteurs et leur
ont laissé la gestion. L'idée de participation des usagers allait se renforcer avec la constitution de
1987 qui, dès son préambule, stipulait que la population doit participer dans les grandes
décisions qui la concernent. Cette participation devrait améliorer la gestion de l'irrigation en
Haïti.

Une meilleure gestion de l’eau peut permettre, en premier lieu, une croissance décisive des
productions vivrières destinées aux marchés intérieurs, en second lieu, une certaine sécurisation
interannuelle de la production vivrière (Jean-Marc et David, 2000). La maîtrise de l’eau, qui ne
se limite pas aux seuls aspects de l’irrigation, est un des éléments de la maîtrise des systèmes

4
agricoles. Elle participe à remplir les objectifs assignés à l’agriculture dans les pays du Sud :
renforcer la sécurité alimentaire et favoriser le développement économique et social (Ibid.).

Dans une optique de meilleure gestion, l’État prône la participation des usagers regroupés en
associations d'irrigants. Ces dernières sont appelées à gérer leur système par un mécanisme de
prise en charge technico- financière à la suite d'un contrat signé avec l'État.

C’est dans ce contexte de l’évolution de la gestion des systèmes irrigués en Haïti que les
interlocuteurs haïtiens ont demandé au consortium Gestion sociale de l’eau (GSE), formé
CICDA et le Centre national d'études agronomiques des régions chaudes (CNEARC) de mettre
en œuvre un projet de formation relative au transfert de gestion des systèmes irrigués. Ce projet,
porté par le CICDA et démarré en juillet 2001, vise les grands objectifs suivants :

- Engager rapidement des programmes de formation professionnelle pour le renforcement


et l’acquisition de nouvelles compétences pour les cadres et techniciens, tant du secteur
public que du secteur privé, en charge de l’appui et l’accompagnement à des processus de
transfert et de renforcement des associations d’irrigants en Haïti; notamment apporter des
références, méthodes et outils concrets pour aborder le transfert de systèmes irrigués, qui
tiennent compte des spécificités du milieu rural haïtien et de l’environnement
institutionnel ;

- Améliorer parallèlement les systèmes de formation actuellement existants pour les AI et


les dirigeants de ces organisations, dans le cadre des nouvelles responsabilités qui leur
incombent, mais aussi pour promouvoir leur plus grande participation dans l’élaboration
de ces politiques et des mécanismes de leur future mise en œuvre.

Le programme se compose de trois volets d’intervention:

N°1 : Formation des cadres

N°2 : Appui à la formation des irrigants

N°3 : Expériences d’appui à l’autogestion.

5
Cette dernière intervention nécessite un travail de capitalisation sur cinq systèmes irrigués en
Haïti notamment Jean David, Ti Carénage, Bayonnais, Croix Fer et Dory. Ces travaux devraient
donner des informations sur les méthodes d’intervention sur ces terrains, leur histoire, leur
fonctionnement, leur efficacité, etc.

Motivé par nos intérêts pour la gestion de l'irrigation, nous avons conduit cette étude sur les
systèmes susmentionnés ainsi que celui de Fauché qui venait de signer un contrat de transfert de
gestion avec l’État haïtien pour une période de dix ans.

2. LA PROBLÉMATIQUE GÉN ÉRALE

La gestion de l’eau demeure un sujet de première importance compte tenu du poids de cette
ressource dans l’économie mondiale et de sa valeur dans l’évolution des agro-systèmes dont
dépend l’élaboration de la production agricole (Perrier, 1998). La masse totale de l’eau utilisée
dans l’agriculture représente 65% de la consommation mondiale (Magny, 1995). La superficie
irriguée occupe 235 millions d’hectares, soit 20% des terres cultivées pour une contribution de
50% à la production alimentaire mondiale. Certains organismes mondiaux ont reconnu que la
gestion de l'eau est complexe en raison de son utilité pour l'homme.

L’eau est un bien rare, et plusieurs fins se disputent son utilisation : les systèmes
écologiques, la santé humaine et l’assainissement, et le développement économique
(notamment l’agriculture et l’industrie). La gestion correcte de cette ressource est dès lors
une tâche qui n’est pas aisée et qui doit tenir compte de manière intégrée de l’ensemble des
trois dimensions du développement durable : environnementale, sociale et économique
(OCDE, 2003, pp.3-4).

La plupart des réflexions sur la problématique de l'irrigation en Haïti tournent autour des points
suivants: la mise en place d'un cadre légal, le manque de données techniques la dégradation des
infrastructures physiques, la faible coordination du secteur par les autorités, le faible niveau de
recherche dans le secteur et le manque de moyens techniques, humains et financiers.

2.1 UN CADRE LÉGAL NON MIS EN PLACE

En Haïti, 70 textes de loi parlent de l’irrigation et confèrent à l’État la propriété de l’eau, mais il
n’y a pas de loi cadre portant sur l’irrigation, notamment sur le transfert de gestion (Binette,
2004). Le premier texte de loi favorable à un transfert de gestion est la loi du 21 septembre 1953

6
sanctionnant le contrat entre l’ État haïtien et le Syndicat agricole d’Avezac pour la gestion de
leur système d'irrigation. Dans une approche orientée vers la participation, le MARNDR prône
l’intégration des collectivités locales et particulièrement des associations d’usagers dans la
gestion des systèmes. Cependant, l’une des principales contraintes à l’établissement de cette
approche est et demeure la législation actuellement en vigueur (Ibid.). Ces formes d’organisation
ne peuvent pas avoir la personnalité juridique et les textes de loi n’existent que pour les
coopératives et les ONG (Bérut, Damais et Mathurin, 2003).

Dans le cadre du lancement de la décennie de l’eau (1981-1990) par les Nations Unies, le
gouvernement haïtien a promulgué un décret sur la gestion de l’eau (Magny, 1991). Ce projet
aboutit à la proposition d’un texte de loi créant le Conseil national de l’eau et de l’assainissement
(CONADEA). Ce conseil aurait pour mission d’assurer la planification du secteur eau-
assainissement sur l’ensemble du territoire. Ce décret considéra que l'eau était un élément
indispensable à la vie et au bien-être des populations urbaine et rurale, son amélioration
qualitative et quantitative devrait constituer une des préoccupations prioritaires de l’État,
soucieux d’assurer la promotion économique et sociale de la nation (Ibid.). Très ambitieux, ce
décret mettait l’accent sur la qualité et la quantité de l’eau comme éléments de bien-être de la
population, malheureusement il n’a pas pu dépasser le stade de gestation.

Le 15 novembre 1990, le gouvernement provisoire de Trouillot a promulgué un décret qui, dans


ses articles 6b, 12- i, 16, 17 et 18, ouvre une fenêtre sur l’idée de la participation des associations
d’usagers légalement reconnues à la gestion des SI (Binette, 2004). Par la suite, en 1997, le
MARNDR a commandité des études sur la législation du secteur irrigué en Haïti. Les résultats
montraient une législation ancienne, dispersée, incomplète et parfois contradictoire. On y trouve
beaucoup de dispositions non réalistes et des textes légaux imprécis et peu appliqués depuis 1986
(Ibid.). Par suite de leur imprécision, la plupart de ces textes laissent la porte ouverte à toutes les
interprétations et applications abusives.

Depuis 1998, plusieurs projets de loi relatifs au secteur ont été élaborés, mais aucun d'entre eux
n'a été sanctionné par le pouvoir législatif. Il s'agit entre autres de l'avant projet de loi cadre
relatif à l'irrigation et au drainage des terres agricoles, de l'avant-projet de loi fixant le statut
général des Organisations professionnelles agricoles (OPA), de l'avant projet de loi sur les

7
associations d'irrigants et le transfert de gestion des systèmes d'irrigation à ces associations.
Donc, dans l’état actuel des choses, les associations professionnelles agricoles et les associations
d’irrigants existent sans loi-cadre. Leur fonctionnement est basé sur l’article 31 de la constitution
de 1987 garantissant la liberté de réunion et d’association à des fins pacifiques. En se référant à
la jurisprudence du cas d'Avezac, le MARNDR a signé des contrats de transfert de gestion avec
27 associations d'irrigants. Pour certains intervenants, même sur une base jurisprudentielle, ces
transferts, ne bénéficiant d'aucun support légal, seraient contraires à l’esprit des lois sur la
gestion des infrastructures hydro-agricoles construites par l’État (Ibid). Le fait que ces contrats
n’aient pas reçu la sanction de la loi, un point faible apparaît dans cette expérience intéressante.
Il est à craindre que dans le futur, certains dirigeants du MARNDR, dotés d’un esprit trop
conservateur, ne donnent un coup de frein à ce processus, en essayant de revenir à la gestion
autoritaire (Ibid.).

2.2 DES DONNÉES TECHNIQUES PEU DISPONIBLES ET PEU FIABLES

Le secteur irrigué fait face à une carence en données. Les rares données existantes sont mal
conservées et éparpillées (MARNDR, 2000a). Celles qui seraient disponibles, sont conservées au
niveau des organismes qui ont commandité ou financé quelques études. Parmi ces organismes on
peut mentionner le PNUD, la FAO, l’ACDI, la Banque mondiale, la BID et l’Union européenne.
La plupart des études d’ingénierie réalisées ces derniers temps se basent sur des fonds
topographiques assez douteux (Ibid.). Les données pédologiques et surtout hydro-
climatologiques ne permettent pas une prise de décision technique rationnelle. De plus, après
1986, rares sont les périmètres où les données climatiques ont été collectées et enregistrées. La
plupart des stations sont devenues non fonctionnelles ou détruites. Les données conservées sont
souvent incomplètes et datent de deux, voire trois décennies ou plus. Cette situation est souvent à
l'origine de conception d'ouvrages d'irrigation non adaptés aux besoins de la population (Jean
Noël, 2004). Il en résulte une grande difficulté dans la distribution. Certains périmètres font face
à des diminutions de débits sans toutefois actua liser les pratiques. Certaines parcelles qu'on
pouvait irriguer dans le temps, ne pourront plus l'être. Cela ne fait qu'alimenter les conflits entre
les usagers et mettre les gestionnaires des systèmes dans un imbroglio quand au partage de la
ressource. Ainsi, beaucoup d'intervenants se questionnent sur l'équité dans la distribution. Faut- il

8
favoriser les cultures qui rentabilisent mieux l'irrigation? Faut- il fournir aux irrigants le même
nombre d'heure d'eau? Doit-on distribuer l'eau au prorata des superficies irrigable?

Au niveau de la production agricole, peu de données existent que ce soit sur le comportement des
cultures ou sur les résultats des exploitations. Quant à l'évaluation de la superficie irrigable en
Haïti, les données ne concordent pas. Pour le MARNDR, la superficie irrigable est de 150 000
ha, mais seuls 90 000 ha seraient aménagés et 75 000 irrigués (Bérut et Apollin, 2000; MRNDR,
2000a). Selon Jean Noël (2004), ce chiffre serait à la hausse et se situerait autour de 400 000 ha,
soit 2 fois et demi de celui du MARNDR. Les superficies irriguées sont réparties en 249
périmètres irrigués recensés par le MARNDR en 1998. Ces périmètres sont présentés dans le
tableau 1. Leurs tailles varient entre quelques hectares à 32 000 ha. Maintenant, il n'y a pas eu
une typologie en ce sens.

Tableau 1 : Liste des périmètres irrigués inventoriés par le MARNDR

Département Nombre de systèmes irrigués


Artibonite 50
Centre 26
Grand’Anse 16
Nord 15
Nord-Est 10
Nord-Ouest 29
Ouest 33
Sud 46
Sud-Est 24
249
Total
Source : Adapté du MARNDR, 1999

De ces 249 périmètres irrigués, on ne tient pas compte des retenues collinaires, de certains
périmètres gravitaires de faible superficie. Pourtant, ils font parfois l’objet d’importants
investissements de la part des opérateurs.

9
2.3 UN SECTEUR NON MAITRISÉ PAR LES INTERVENANTS

L'État compte beaucoup sur le secteur irrigué pour augmenter la production agricole du pays.
Pourtant, très peu de ressources lui sont allouées. En général, moins de 10% du budget national
sont consacrés au secteur agricole. Au cours de l'exercice 2004-2005, cette allocation était de 3%
(Jean Noël, 2004). Au niveau des systèmes irrigués, la plupart des projets sont financés par prêts
et de plus en plus par des dons externes dans une proportion dépassant généralement 80%
(MARNDR, 2000a). L'État contribue pour les 20% restants, les bénéficiaires n’étant
habituellement pas mis à contribution : seules certaines ONG demandent une participation des
usagers, générale ment sous forme de travail communautaire (Ibid.).

Le secteur de l'irrigation relève essentiellement du MARNDR, mais il ne le maîtrise pas. Dans le


document de politique sur le transfert de gestion on peut lire : «le secteur de l’irrigation, déjà mal
structuré au début des années 1990, est complètement déstructuré depuis plusieurs années : plus
aucune entité ne maîtrise les besoins et les initiatives du secteur (MARNDR, 2000)». En 1998,
on a assisté à la création d'une commission d'irrigation par le président de la République dans le
cadre de programme d'urgence. Paradoxalement, le siège de cette commission a été le «Palais
national» (Ibid.). À plusieurs niveaux de la hiérarchie du MARNDR, des décisions relatives au
secteur sont prises avec une certaine incohérence ou méconnaissance. La plupart des décideurs
affectés à l’irrigation au MARNDR ne savent pas les intervenants sur les périmètres, ni leur
stratégie d’intervention. À titre d'exemple, au niveau central, le MARNDR reconnaît
officiellement le transfert de 27 systèmes irrigués, alors que des contrats de transfert sont signés
entre des associations d’irrigants et des directeurs départementaux. C’est le cas du système de
Grison Garde dans le département du Nord où un accord de transfert de gestion est signé sans
que la Direction des infrastructures agricoles (DIA) ne soit au courant. Notons également que
l’État continue à subventionner certains systèmes par pompage (Paine des Gonaïves) et ne le fait
pas pour d’autres (Plaine de l’Arbre). Il en résulte un écart exorbitant entre les prix de l'eau
d'irrigation pour les deux zones.

Au niveau du secteur privé, chaque bailleur de fonds profite du manque de définition


institutionnelle pour imposer ses stratégies d’intervention et son montage institutionnel
(MARNDR, 2000). Dans la plupart des périmètres irrigués, les interventions se font sous forme

10
de projet visant la réhabilitation physique. Dans certains cas l'aspect production est négligé, dans
d'autres un faible regard est porté sur l'aspect organisationnel. L’aspect à prioriser dépend
largement de la vision du bailleur, sans toutefois rentrer dans un cadre global d'intervention. Les
gestionnaires des projets d'irrigation parlent souvent de prise en charge ou de transfert de gestion.
Cependant, la plupart de ces projets ne durent que quelques mois. Les principales activités
réalisées consistent à construire un barrage ou quelques tronçons de canal, effectuer un curage et
mettre en place des comités de gestion et assurer quelques séances de formation. À la fin de ces
projets, ces comités n’ont pas pu acquérir la capacité de gérer leur périmètre. Certaines notions
relatives à la gestion (planification, budget, comptabilité, établissement d'un horaire de
distribution, gestion de la vie association, élaboration d'un rapport annuel, etc.) n'ont pas eu le
temps d'être bien apprises et appliquées. Il en résulte des comités non fonctionnels, voulant gérer
mais n'y parviennent pas. En conséquence, la collecte des redevances est faible ou nulle, les
administrateurs ne sont pas renouvelés, les règles de distribution ne sont pas élaborées et/ou
appliquées et la légitimité des gestionnaires laisse à désirer.

Le type d'organisation appelé à gérer les systèmes semble être laissé à la discrétion des
intervenants. Par exemple à l'Arcahaie, contrairement à ce qui se fait classiquement, une
association chapeaute une fédération, à Jean David et à Rodaille, on rencontre une fédération
d’usagers sans présence d’association, à Croix Fer, à St Raphaël et à Ti Carénage le thème
comité est utilisée pour désigner l'association. Il en résulte une confusion dans l'utilisation des
thèmes et les usagers s’identifient difficilement à leur organisation.

2.4 LA DÉGRADATION ACCELERÉE DES INFRASTRUCTUTRES

Les infrastructures hydro-agricoles connaissent une dégradation de manière inquiétante. Cette


dégradation s'est accélérée avec la diminution des moyens de l'État (MARNDR, 2000). Elle est
liée tant à la faiblesse des associations d’irrigants, à leur manque de moyens et à l’absence de
politique d’intervention clairement définie de la part de l’État. Il en résulte une destruction des
réseaux, conséquence directe de la dégradation de l’environnement, notamment du déboisement
des zones surplombant les périmètres irrigués (Bérut et Apollin, 2004). De son côté, Nader
(2004) a identifié les causes suivantes :

11
- le caractère partiel et discontinu des aménagements hydro-agricoles (rares sont les
réseaux achevés en Haïti);

- la faiblesse des connaissances en hydraulique par les ingénieurs haïtiens ou leur


incapacité d’appliquer leurs connaissances face aux contraintes
socioéconomiques rencontrées;

- la dichotomie entre la logique de conception des réseaux (basée sur les principes de
l’hydraulique et la topographie) et celle liée aux pratiques paysannes (logique sociale et
rapports de force);

- la pression exercée sur la ressource en eau;

- la logique économique lors de la construction des ouvrages dans les zones de pente (on
veut raccourcir la tête morte afin de diminuer les coûts);

- l’introduction de cultures plus exigeantes en eau sur les périmètres irrigués dont les débits
d’étiage sont faibles et insuffisants pour couvrir les besoins de ces cultures.

2.5 LE MANQUE DE MOYEN HUMAIN POUR LA GESTION DES SYSTÈMES

Comme pour la plupart des pays du Sud, Haïti a connu la politique d'ajusteme nt du FMI. Cette
politique a pour conséquence de provoquer le départ des meilleurs cadres du MARNDR vers des
ONG (MARNDR, 2000a). Les quelques rares cadres qui restent se trouvent dans les directions
départementales agricoles et dans les bureaux agricoles communaux. Dépourvus de moyens et
non motivés, ces cadres sont quasiment absents sur la plupart des périmètres irrigués. C'est dans
ce contexte que l'État s'est engagé dans un processus de transfert de gestion des systèmes irrigués
aux usagers. Le premier acte de divorce avec la gestion étatique allait se concrétiser de manière
formelle avec le projet de l’Arcahaie en 1998 (Jean-Noël, 2002). Par la suite, 26 autres systèmes
ont été transférés et sont gérés officiellement par les usagers (Nader, 2004). La répartition
géographique de ces systèmes est la suivante : six (6) dans le Nord-Ouest, cinq (5) dans la région
goâvienne, un (1) à Laverdure, onze (11) à Saint-Marc et trois (3) sur la Côte Sud d'Haïti.
D’autres périmètres tels que Avezac, Plaine de Torbeck, Croix-Fer, Saint-Raphaël, Grison
Garde, Plaine de l’Arbre, etc. sont autogérés de fait. Actuellement, quelques rares systèmes sont

12
encore sous la férule des syndics dans le Nord’Ouest et dans des zones peu accessibles du pays
où les anciennes pratiques sont encore en cours (Ibid).

La plupart des études réalisées en Haïti sur les associations paysannes (Michaud, 1999 ; Bérut,
Damais et Mathurin, 2003) mettent en évidence leur fragilité sur les plans de fonctionnement,
financier et institutionnel : les règles ne sont pas précises, il y a peu de transparence, le
renouvellement des élus est quasiment absent, seul un quart de membres payent leur cotisation et
les associations ne sont jamais autonomes. Par exemple, deux ans après le transfert de gestion du
système de l’Arcahaie, la participation et la satisfaction par rapport à la structure étatique
augmentent. Néanmoins, la nouvelle structure de gestion n’arrivait pas à harmoniser les tours
d’eau et collecter efficacement les redevances dont les taux de recouvrement n’atteignaient pas
50% dans certains cas (Cadet, 2000). Harrivel et Mac Aleese (2003) montrent qu'à Croix Fer,
périmètre géré par les paysans depuis sa création, les usagers sont satisfaits du comité de gestion
qui a recours aux processus de négociation plutôt qu’à un système de sanction. Cependant, il n’y
a pas renouvellement dudit comité depuis 1986 et le respect des règles, notamment le paiement
de la redevance et l’entretien, ne constitue pas une priorité des usagers.

La prise en charge financière implique le paiement d’une redevance d’irrigation par les irrigants.
Cette politique mise en œuvre à l’Arcahaie prévoit une redevance d’environ 250 HTG/cx/an
(MARNDR, 2000a). Le projet PPI a adopté la même approche pour 26 périmètres totalisant 3800
ha. Par contre, d’autres projets ne se sont pas donnés les moyens de mener à bien ce transfert et
de convaincre les usagers de payer l’eau à un prix qui permette de couvrir au moins les frais de
gestion et d’entretien, à défaut de couvrir ceux d’amortissement (Ibid.). Seuls quelques petits
périmètres par pompage ont réussi à appliquer un prix couvrant les frais courant. Par exemple,
sur certains périmètres de la Plaine de l’Arbre, les redevances atteignent 400 HTG/h d’arrosage
pour un débit de 80 l/s. Néanmoins, pour ceux de la Plaine des Gonaïves, les agriculteurs payent
avec difficulté les taxes de 25 HTG/ha/an.

2.6 UN FAIBLE NIVEAU DE RECHERCHE

Le niveau de recherche en Haïti est généralement faible. La gestion des périmètres irrigués se fait
suivant les expériences des agriculteurs ou des conseils de rares agronomes basés sur des
suppositions. Par exemple, l’introduction de culture économiquement rentable pour une zone

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donne des résultats mitigés dans d’autres zones. Sur certains périmètres des conflits éclatent
entre les gestionnaires et des lessiviers. Selon les planteurs, les bulbes de savon sont nocifs pour
les plantes, pour d’autres il fallait attendre l’avis des agronomes, très partagés sur ce point. Les
statuts et règlements de certaines AI interdisent la lessive dans les canaux, ce qui n’est pas
toujours respecté. Il en résulte une incertitude quant aux prises de décisions techniques ou
socioéconomiques.

3 LA PROBLÉMATIQUE SPÉCIFIQUE

À sa création, un périmètre irrigué est supporté par un maître d’ouvrage qui peut être un
individu, l’État, une collectivité territoriale ou une organisation d’usagers établie selon la
réglementation en vigueur dans le pays. Le maître d’ouvrage a la responsabilité de la mise en
place d’un organisme de gestion selon les objectifs assignés et les motivations qui ont prévalu à
l’origine du projet (Tiercelin, 1998). Dépendamment de cet organisme, Verdier et Millo (1992)
en distinguent quatre modes de gestion 1) le mode privé paysannal dans lequel la gestion est
assurée par l’usager lui- même qui dispose d’un puits individuel ou d’une pompe dans une rivière
garantissant un débit suffisant : l’usager est responsable de son équipement; 2) l’autogestion où
une association paysanne gère le périmètre : ce mode de gestion suppose l’apprentissage
collectif; 3) l’affermage où le maître d’ouvrage octroie la production d’eau à une société
publique ou privée spécialisée : le maître d’ouvrage reste propriétaire du système mais confie
l’exploitation et la maintenance à une société qui a la possibilité de fournir le service directement
aux paysans ou globalement à l’association et 4) le service public dans lequel un organisme
public est propriétaire ou concessionnaire des aménagements et vend l’eau aux usagers. Dans
tous les cas, l’organisme de gestion devra se doter des moyens pour assurer ses missions de base
qui sont l’exploitation et la maintenance des ouvrages, et éventuellement, d’autres missions de
développement et/ou d’assistance technique qui lui seraient confiées. Selon Tiercelin (1998),
l’organisme doit être adapté à l’ensemble de son contexte technique, géographique, économique
et social. Prises dans leur contexte, les associations sous étude font face à un ensemble de
problèmes relatifs à leur fonctionnement et leur mission, la distribution de l’eau, la collecte des
redevances ainsi que la façon dont elles administrent les systèmes. Ces points seront abordés
dans la section suivante.

14
3.1 DES ASSOCIATIONS FONCTIONNANT AVEC UNE SCLÉROSE DÉMOCRATIQUE

Le cadre légal en vigueur confère aux AI un statut proche des coopératives agricoles. Leur
structure devrait constituer d’une assemblée générale (AG) formée par l'ensemble des irrigants et
d'un comité de gestion élu par les membres sur des intervalles ne dépassant pas trois ans. Le
comité de gestion aurait pour fonction de gérer l'organisation en travaillant à l'accomplissement
des missions de l'organisation. Cependant, les nombreux diagnostics réalisés sur les périmètres
irrigués relèvent des dysfonctionnements au niveau des structures mis en place. Ces
dysfonctionnements touchent surtout le renouvellement des membres et une confusion au niveau
des activités entreprises par lesdites associations. Dans les rapports de diagnostic des périmètres
par le CICDA (Bérut, sd), nous avons pu trouver les informations suivantes.

À Jean David, depuis la création de l’association dans les années 1990, on retrouve les
mêmes leaders, le même groupe au niveau des postes clefs. Souvent les gens informés
sont les 50 personnes assistant aux réunions ou aux formations. Le reste de la
population des irrigants ne connaît pas le comité et les nouvelles règles.

À Ti Carénage, on retrouve les mêmes personnes aux postes clefs depuis le début de la
gestion par le comité en 1986.

À Bayonnais, le comité se réunit chaque deux mois mais il n’y a jamais eu


d’assemblées générales avec tous les usagers. Lors de discussions avec certains paysans
sur leur parcelle, ceux ci connaissaient l’existence du comité mais pas clairement son
mandat, ni les fonds qu’il gérait

À Croix Fer, en 1987, le CHADEV a aidé à la mise en place d'un comité de gestion,
appelé Comité des usagers du système d'irrigation de Croix Fer (CUSIC). Depuis, il n'y
a pas renouvellement des leaders. Chaque année, une rencontre, appelée assemblée
générale annuelle, est organisée afin de décider de la date du curage, du montant des
redevances, d’informer des droits et des devoirs et d‘aborder les différents problèmes.
Dans la réalité, cette assemblée ne donne pas un pouvoir de décision aux usagers, il y a
peu de participation et il y a des problèmes de transparence. Le comité a également
besoin de renouvellement de ses membres, car les leaders actuels sont âgés.

À Dory, […], dans la réalité, ces différents organes ne sont pas fonctionnels. Les
membres ne se réunissent pas régulièrement, de même que l’AG n’est pas bien définie.
Il reste beaucoup à faire en termes de sensibilisation, de formation et de
responsabilisation de ces structures organisationnelles (Chéry, 2002, p.20).

Le non renouvellement des comités ne touche pas seulement les associations d'irrigants mais
toutes les formes d'organisations démocratiques (Bridault, 1998). Il vise à concentrer le pouvoir

15
entre les mains d'un petit groupe. Ce phénomène, appelé « sclérose démocratique », s'observe
lorsqu'il se crée au sein des orga nisations une dépendance des membres envers un leader ou un
groupe leaders assumant presque toutes les responsabilités, contrôlant les informations et
imposant peu à peu ses vues sur les objectifs de l'organisation (Ibid). Elle est une forme de
maladie naturelle, très difficilement évitable, contre laquelle ces organisations doivent
constamment se prémunir. Il n'existe pas de remèdes miracles. Toutefois, Bridaut (1998) propose
des mesures palliatives pour les coopératives. Ces mesures pourraient s'appliquer aux AI, étant
donné que la maladie touche toutes les formes d'organisations démocratiques et que les
associations sont sœurs des coopératives. Il s'agit de:

- Veiller à ce que les organes démocratiques reflètent la composition réelle des membres
(femmes, jeunes, catégories sociales);

- Former les membres à la démocratie;

- Mettre sur pied des structures de consultation des membres;

- Revaloriser les assemblées générales en y adjoignant des ateliers de réflexion,


d'information, de formation, etc.

Par le fait que le s membres des organes décisionnels ne sont pas renouvelés, la relève de ces
organisations est compromise puisque les membres vieillissent. Il s’en suit un manque de
transfert de connaissance et d’expérience entre les générations.

3.2 LES MISSIONS DES ASSOCIATIONS D' IRRIGANTS

Les missions d’une AI sont définies dans l'article 4 de l'Avant projet de loi sur le transfert de
gestion des périmètres irrigués et l'article 23 du Projet de loi cadre relatif à l'irrigation et au
drainage des eaux agricoles. Il s'agit:

- d’assurer une distribution équitable de l'eau entre les bénéficiaires;

- d’assurer la gestion, l'entretien et la maintenance des ouvrages mis à sa disposition;

- d'assurer la police des eaux et des ouvrages;

16
- d'équilibrer ses dépenses par des redevances collectées auprès de ses adhérents;

- de remettre les ouvrages en parfait état de fonctionnement à l'issu du contrat, compte tenu
de leur usure normale.

3.2.1 La distribution de l’eau : une mission idéale

Dès qu'on aborde le thème distribution de l'eau en irrigation, on doit nécessairement parler de la
notion d'équité. En Haïti, cette notion est très complexe. Par exemple, au niveau national, 4 % de
la population possèdent 66 % des ressources du pays; 16 % en détiennent 14 % et 70 % en
possèdent à peine 20 % et les 10 % restants étant totalement démunis 1 . Cette problématique ne
laisse pas indifférent le secteur irrigué où la répartition de l'eau se fait souvent selon des règles
arbitraires au détriment des plus vulnérables. Il s'en suit une distribution de l’eau conflictuelle et
rarement effective (Bérut, sd). Elle s'est aggravée avec l'absence de recherche et le manque de
données fiables dans le domaine. Par exemple, à l'exception de l'Arcahaie et quelques périmètres
par pompage, rares sont les périmètres gravitaires qui arrivent à appliquer un horaire de
distribution. On observe une confusion entre la gestion de l'eau et les activités économiques
(Ibid.). Les constats suivants ont été faits sur les systèmes accompagnés par le CICDA.

Le système de Jean David était, à l’origine, géré par l’État et permettait d’irriguer 500
ha, mais il n’existe aucun cadastre ou relevé parcellaire pour confirmer cette donnée
(Ibid).

À Bayonnais, la répartition de l'eau ne répond pas à des règles strictes. Dans la réalité,
des règles de distribution fonctionnent selon des normes locales, quelques fois
indépendantes des celles dictées par les comités (Bérut, sd)

À Croix Fer, il existait un horaire établi par le CHADEV avant son départ mais il n'est
plus respecté depuis 1991. La distribution se fait au tour d'eau sans aucun horaire, chacun
arrose son champ jusqu'à satiété avant de livrer l'eau à son voisin (Prophète, 1998, p.73).

À Dory, il n’existe pas d’horaire d’irrigation, ni droit d’eau établi, ni de règles régulant
les conditions de l’irrigation. Le CRS/DDAS a essayé de regrouper les usagers au niveau
des canaux secondaires. Mais, ces structures n’ont pas continué à fonctionner après le
projet (Chéry, 2002, p.20).

Ces faits témoignent que, non seulement les horaires de distribution ne s'appliquent pas, mais
encore il est difficile de les adopter avec le contexte actuel. Sans même une liste d'usagers ou un

17
relevé parcellaire ainsi que la méconnaissance du débit disponible et des besoins des cultures,
comment arriver à établir un horaire d'irrigation? Aussi, l'établissement d'un horaire bien élaboré
suivant les règles de l'art reste un idéal à atteindre pour la plupart des AI.

3.2.2 L'application des règles : un héritage sociopolitique difficile

Cette tâche consiste à faire respecter les principes établis par l’ensemble des usagers pour la
bonne marche des périmètres. Elle devient de plus en plus difficile en Haïti avec le phénomène
de « chimérisation » où même certains paysans disposent des « armes à feu » et font des
agressions sur les administrateurs en toute impunité. Cette situation peut devenir très difficile
pour ces dirigeants. En effet, les d’organisations démocratiques sont des « organisations
caméléon », elles prennent la couleur idéologique de leur milieu. Elles intègrent, dans leur mode
de fonctionnement, via le comportement de leurs membres, les paradigmes culturels dominants
de la société qui les environne (Bridault, 1998). Déjà, certains usagers s’expriment très
clairement là-dessus. Par exemple :

À Jean David, dans la plupart des rencontres tenues sur le transfert de gestion, les
déclarations suivantes sont très courantes : « Vu l’état chaotique du pays, il est
impossible de faire régner l’ordre sur le périmètre ». Cet état d’esprit montre la difficulté
à établir dans la zone une autorité respectée par la majorité des usagers (Bérut, sd).

À Bayonnais, des règles de distribution fonctionnent selon des normes locales,


quelquefois indépendantes de celles dictées par le comité (Ibid.).

À Croix Fer, le CUSIC possède des statuts et un règlement interne. Mais ces documents
ne sont pas connus par l’ensemble des usagers. Par contre, la communauté fonctionne
selon des règles internes, non écrites (Ibid.).

À Dory, il n’existe pas d’horaire d’irrigation, ni droit d’eau établi, ni de règles régulant
les conditions de l’irrigation (Chéry, 2002).

3.2.3 Des redevances qui ne répondent pas aux budgets.

La problématique des redevances est en lien étroit avec le cadre légal et les mauvaises habitudes
créées sur les périmètres irrigués. En effet, le code rural régissant jusqu'à présent le secteur, fixe
des taxes d’irrigation de 12,50 HTG/carreau/an. La collecte de cette taxe se faisait sans aucun
contrôle et ne profitait pas aux périmètres. De leur côté, l'avant projet de loi sur le transfert de

1
Radio Canada, site Internet: http://radiocanada.ca/nouvelles/dossiers/haiti, saisi le 20 mars 2005.

18
gestion des périmètres irrigués et le Projet de loi cadre relatif à l'irrigation et au drainage des
eaux agricoles respectivement dans leurs articles 15 et 24, fixent des redevances d’irrigation en
précisant que ces dernières doivent couvrir :

- l'ensemble des coûts de fonctio nnement et de gestion du périmètre soit, en particulier, les
frais de gestion, d'entretien, de maintenance et de réparation des équipements et des
infrastructures et les salaires du personnel;

- la constitution d'une provision pour le renouvellement des équipements;

- les taxes d'irrigation prévues par la loi.

Sur cette base, certaines AI ont bénéficié l'appui d'organismes d'accompagnement pour élaborer
des budgets qui devraient être couverts par les redevances d’irrigation. Comment sont collectées
ces redevances sur les périmètres d'intervention du CICDA?

À Jean David, la déclaration suivante est courante lors des rencontres avec les
intervenants : « Vu l’état du pays, est ce que l’on doit vraiment payer l’eau ?

À Bayonnais, avec l'appui de la PRODEVA, la redevance calculée reviendrait à 529


HTG/ha/an. Les usagers ont participé à ce calcul mais leur revenu ne leur permet pas
d’atteindre ce niveau de paiement. Ils sont par contre conscients que ceci reste un
objectif à atteindre. Il a donc été décidé de se limiter au montant de 100 HTG/ha/an
comme redevance d’irrigation. (Bérut, 2001). Il se pose néanmoins le problème du non
recouvrement et des moyens disponibles au comité pour faire appliquer ce règlement.
En effet, sans aucun statut juridique, le comité n’a auc un pouvoir pour appliquer des
sanctions. Les personnes ne payant pas, peuvent continuer à utiliser l’eau, aucune
amende n’a été instaurée (Bérut, sd).

À Croix Fer, la redevance a été fixée à 250 HTG/ha/an après 1991. Devant le refus
généralisé de la payer, le comité l'a fixé à 150 HTG. Même avec ce montant, les
cotisations rentrent très faiblement. Les rentrées théoriques devraient être de 37 500
HTG alors qu'on parle de collecte de 4000 HTG, soit environ 10% (Prophète, 1998,
p.74)

À Dory, certains usagers payaient une taxe de 12,50 HTG/carreau/an. Depuis le départ
de Jean Claude en 1986, cette taxe, bien que maigre, n’est plus payée (Chéry, 2002,
p.20).

19
3.2.4 Les entretiens : une mission perturbée par des interventions externes

La maintenance des ouvrages consiste en l’entretien de tous les équipements, au sens large du
terme, allant jusqu’à la mise en œuvre d’actions d’amélioration pour assurer la pérennité de
l’aménagement en tenant compte des évolutions de nature technologique, économique et
sociologique. Elle requiert une expérience et une expertise technologique et de gestion
d’entreprise de type travaux publics ou installations industrielles. Sur la plupart des périmètres
irrigués en Haïti, à défaut de disposer d’une telle expertise et compte tenu de la taille de ces
périmètres, les usagers utilisaient des travaux de type communautaire pour les opérations
d’entretien et de maintenance. Ce type d’organisation allait connaître des perturbations par des
organismes externes, surtout après 1994 avec l’exécution de certains projets. En effet, après le
retour au pouvoir du président Jean Bertrand Aristide en 1994, la communauté internationale,
voulant aider la population à faire face à sa situation socioéconomique difficile, finance des
travaux dits « Haute intensité de main d'œuvre (HIMO) ». L'objectif poursuivi était de créer des
emplois temporaires pour apaiser la souffrance de la population. Ces projets touchaient les
infrastructures telles que les routes, les canaux et autres ouvrages hydro-agricoles. La stratégie
consistait à offrir le salaire minimum aux bénéficiaires qui travaillaient comme des journaliers.
Ces projets allaient susciter chez les usagers des intérêts financiers directs à caractère individuel
au détriment des intérêts collectifs. Par exemple,

« à Jean David, depuis le début de la construction du canal, de mauvaises habitudes se


sont créées. Souvent la prise a été endommagée et des appuis extérieurs s’avéraient
nécessaires pour sa réhabilitation. Lors de ces travaux, les canaux secondaires et
primaires étaient, la plupart du temps, curés dans le cadre des travaux à HIMO. C’est
ainsi qu’aujourd’hui les usagers ne souhaitent plus faire ce travail attendant le prochain
projet (Bérut, sd)».

3.2.5 Une administration fonctionnelle quand il y a projet

Comme toute autre organisation, la gestion d'une association d'irrigants ne va pas de soi. Cela
nécessite des compétences appropriées. Certains périmètres de quelques milliers d'hectares
(Arcahaie ayant 6500 ha) peuvent se permettre de recruter du personnel technique et
administratif rémunéré. Cependant, il leur est souvent difficile, voire impossible, de supporter les
charges qui y sont reliées, compte tenu du faible recouvrement des redevances et du faible appui
de l'État. Dans le cas de petits périmètres, la situation est plus difficile et le personnel ne se

20
constitue que de bénévoles. Il en résulte un manque d'intérêt immédiat pour la gestion de l'eau.
Les associations développent d'autres activités (boutiques d'intrants, de moulin) ou fonctionnent
à la merci de projet ponctuel, limité sur quelques mois ne prenant souvent en compte que l’aspect
technique (Bérut, 2004). À la fin des projets, les comités de gestion bénéficient de quelques
séances de formation mais n'ont pas eu la chance de les pratiquer comme l'a fait remarquer Chéry
(2001, p.14) pour le système de Dory.

« Le périmètre a été en outre l'objet de plusieurs travaux de réhabilitation et/ou de curage


qui sont généralement réalisés à la suite du passage des cyclones Georges et Gordon,
respectivement en 1994 et 1998 […]. L'objectif de ces travaux était surtout la création
d'emplois dans le milieu. L'aspect organisationnel a été en quelque sorte pris en compte
par le CRS/DDAS en essayant de regrouper les usagers au niveau des canaux
secondaires. Cependant, ces structures n'ont pas continué à fonctionner après le projet ».

4 LES QUESTIONS ET LES OBJECTIFS DE LA RECHERCHE

La problématique générale de la recherche nous a permis de constater le contexte de


fonctionnement des AI. Ce contexte présente comme caractéristiques principales un vide
juridique et une faible maîtrise du secteur. Dans un tel contexte, nous posons la question
générale suivante : comment les associations d’irrigants arrivent-elles à assurer la prise en charge
effective de leur système irrigué?

La problématique spécifique fait ressortir les principales faiblesses des associations d'irrigants en
ce qui a trait à leur fonctionnement et les activités entreprises. Cela nous amène à poser les
questions suivantes:

- Est ce que les associations d'irrigants sont capables de poursuivre leurs missions?

- Quel type d'accompagnement nécessaire à une prise en charge effective?

À partir des questions précédentes, nous formulons les propositions de recherche suivantes:

- La nature et le niveau d'accompagnement octroyé aux AI sont déterminantes dans la


gestion et la prise en charge des systèmes irrigués;

- L'accompagnement institutionnel des AI est un impératif pour une prise en charge


effective des systèmes irrigués par les AI.

21
De ces propositions, découlent les objectifs suivants.

- Décrire chaque système irrigué selon une approche gestion sociale de l'irrigation;

- Faire une analyse comparative de la gestion de chaque système;

- Élaborer un modèle de gestion d'un système irrigué

22
DEUXIÈME CHAPITRE :
CADRE CONCEPTUEL

Le cadre conceptuel a été élaboré à partir d’ouvrages relatifs à l’irrigation et des réflexions de
spécialistes en irrigation en Haïti. Cette démarche a permis de faire le point sur les différents
concepts pertinents dans le cadre d’une étude sur la gestion de l’irrigation.

Les différents concepts abordés concernent l'irrigation, les associations d'irrigants, la gestion
sociale de l’irrigation, le transfert de gestion, le domaine de la gestion ainsi que les compétences
requises de tout gestionnaire d'une organisation et les missions d'une AI. Un regard a été porté
sur le cadre méthodologique proposé par l'État haïtien pour le transfert de gestion des périmètres
irrigués en Haïti aux associations d’irrigants. Finalement, nous nous attardons sur les variables
d’analyse de la gestion d’une association d’irrigants.

1 L’IRRIGATION ET LE FONCTIONNEMENT D’UN SYSTÈME IRRIGUÉ

L’irrigation pourrait se définir comme une domestication de la ressource eau à des fins de
production agricole pour la sécurité alimentaire et l’exportation (Jean Noël, 2004). C'est le
produit d’un construit, à la fois technique et social (SECK, dans Jean Noël, 2004b). D’où ses
deux composantes fondamentales : l’infrastructure et la gestion sociale de l’irrigation. Par
l'irrigation, on cherche à apporter l'eau aux cultures en quantité voulue et au moment propice. Il
faut donc établir, pour chaque parcelle, le meilleur calendrier des arrosages, tout en respectant le
cadre technique et hydraulique du réseau et les besoins sociaux multiples du moment (Gilot et
Ruf, 1998). La pratique de l'irrigation suppose une mobilisation de l'eau qui, dans le cas de loin
le plus général, implique le regroupement de plusieurs usagers par l'investissement en ouvrages
hydrauliques communs et par la gestion collective de la ressource en eau correspondante (Duc,
1998, dans Tiercelin, 1998). L'ensemble des superficies susceptibles de recevoir l'eau d'irrigation
porte le nom de «périmètre d'irrigation ». L'ensemble d'ouvrages et d'équipements qui assure le
transport et la distribution de l'eau depuis l'ouvrage de tête jusqu'à la parcelle cultivée s'appelle
«réseau d'irrigation». Les parcelles alimentées effectivement par le réseau d'irrigation forment un
«périmètre irrigué ». Si l'on tient à la seule notion de périmètre irrigué, le problème de

23
distribution de l'eau entre parcelles est insuffisamment abordé dans la mesure où le volet
technique est privilégié aux dépens de l'aspect social inhérent à tout partage. Les interactions
entre technique et social sont mieux rendues par la notion de « système d'irrigation ». Il prend en
compte trois éléments: les acteurs, les infrastructures et les règles de distribution de l'eau (Gilot
et Ruf, 1998).

Les infrastructures déterminent la disponibilité en eau, sur plusieurs niveaux. Les périmètres sont
donc divisés en unités plus petites appelées «unités tertiaires» ou «blocs hydrauliques» ou
«secteur d'irrigation». Dans les périmètres constitués ces dernières décennies, le maillage résulte
des estimations faites par les ingénieurs concepteurs. Les utilisateurs de l'eau étant installés dans
les mailles souvent homogènes. Dans les périmètres les plus anciens, le maillage est plus varié et
traduit l'histoire des réseaux, des techniques et des arrangements sociaux pour accéder à l'eau.

Les règles de la distribution ont, elles aussi, plusieurs niveaux qui correspondent à ce maillage
(Ibid.). À chaque niveau, elles précisent qui est usager ou non, de quels droits chaque usager
dispose et dans quelles conditions ces droits peuvent s'exercer. En ce sens, elles contiennent des
éléments nécessaires à la pérennité du système tels définition du groupe d'utilisateurs de l'eau et
de l'autorité hydraulique, charges pour l'accès à l'eau, organisation des travaux de maintenance,
sanction, etc. Elles constituent une sorte de compromis entre différents impératifs et doivent être
appréhendées en fonction de la position des différents acteurs dans le réseau. Les gestionnaires
des canaux – souvent distincts des agriculteurs, imposés à eux ou mandatés par eux selon le cas –
disposent normalement d'un plan d'action lié à leur objectif d'exploitation des ressources et de
maintien de leur organisation. Les agriculteurs disposent également de plans d'action établis à
partir de critères précis. Chacun va employer l'eau pour un système de production particulier qui
implique des besoins en eau spécifiques, parfois complémentaires à ceux des autres, souvent
concurrentiels ou antagonistes. Étant donné que ces objectifs peuvent se contrarier, des objectifs
prioritaires doivent être définis et leur choix est la première décision de gestion (Margat, 1998).
Les règles fixent donc un cadre pour la gestion des infrastructures, des flux hydriques, des
systèmes de production et des risques encourus. À partir de ce cadre, les acteurs prennent des
décisions plus ou moins cohérentes et coordonnées. Mais, l'existence d'un cadre n'exclut pas les
situations conflictuelles, ni les modifications des règles ou des infrastructures par les

24
gestionnaires ou les usagers, à titre individuel, corporatif (en général illégal) si le service est jugé
insuffisant.

2 LA GESTION D ' UNE ORGANISATION

C'est l'intégration efficace de la planification, de l'organisation, de la direction et du contrôle


des ressources (humaines, matérielles et financières) au sein d'une organisation (Bergeron 2201,
p.12). Ces fonctions constituent un processus intégré que Mintzberg (Ibid, p.23) résume en trois
rôles.

- Rôles reliés aux relations interpersonnelles (symbole, leader, agent de liaison);

- Rôles informationnels (observateur actif, diffuseur, porte-parole);

- Rôle décisionnel (entrepreneur, régulateur, répartiteur des ressources et négociateur).

À travers ces rôles ou fonctions, le gestionnaire doit s'assurer que les moyens et les fins sont
efficaces et efficients. Donc le rôle le plus fondamental des gestionnaires consiste à:

- viser d'abord les bonnes fins (efficacité) en répondant aux besoins de la clientèle;

- utiliser les ressources disponibles de la manière la plus judicieuse (économie et


rendement) afin d'obtenir une performance acceptable pour les actionnaires, les clients,
les employés et la société dans son ensemble (Ibid.).

En assurant ces rôles, le gestionnaire remplit les fonctions du tableau suivant.

25
Tableau 2 : Les fonctions de gestion

Ressources Fonctions des gestionnaires Objectifs

Planification Organisation Leadership Contrôle

Établissement Définition: Délégation Comparaison


des:

de l'organisation Mobilisation Évaluation Efficacité


objectifs

Humaines des fonctions Formation Suggestion


CIBLE
politiques

des tâches Respect de la discipline Interprétation


budgets

de la voie hiérarchique Participation Ajustement


échéanciers
Matérielles Évaluation des tâches Rétroaction Correction
normes

Centralisation Attribution des peines Analyse Rendement


prévisions et des récompenses

Recrutement Observation
procédures Coordination

Financières Partage de l'autorité Mesure du


buts Leadership rendement

Partage des
responsabilités Présentation des
plans
rapports

Source: Bergeron (2001, p.12)

Ces fonctions ont leur place dans tout type d'organisation, à but lucratif ou non. En effet, les
gestionnaires de toutes les organisations prennent des décisions, organisent des activités de
groupe, dirigent des gens et s'assurent que tout se déroule bien comme il a été prévu (Ibid). En
agissant, le gestionnaire gérera en fonction des quatre grandes caractéristiques de l'organisation
qui sont: les ressources matérielles et immatérielles, les gestionnaires, la mission et la clientèle
cible (Ibid). Pour les AI, la clientèle cible est remplacée par les usagers ou irrigants qui sont
bénéficiaires du service de l’eau. Dans la plupart des cas, ils sont membres de l’organisation,
mais ne le sont pas toujours.

La planification est le processus par lequel le gestionnaire établit des objectifs et prépare les
plans de travail devant mener à leur réalisation (Ibid, p.12). Donc, il revient aux gestionnaires

26
d’avoir des objectifs, politiques, budgets, échéanciers, normes, prévisions, procédures, buts et
plans. Si ces éléments se rencontrent au niveau de tout type d’organisation, la manière d'y
parvenir est toute différente. En effet, la nature même d’une AI fait que ses membres doivent
participer dans la détermination de l'activité de leur organisation. Ce type d’organisation a pour
base la démocratie parlementaire qui prône l’égalité des personnes et fonctionne selon le principe
démocratique: un membre – un vote;

L'organisation consiste à déterminer la composition des groupes de travail et la manière de


coordonner leurs activités (Ibid). Elle revient à définir qui (personnes) fait quoi (tâches). À
travers cette fonction, on définit l'autorité, le recrutement, les responsabilités. De là, les jeux de
pouvoir se jouent. Si dans l'entreprise capitaliste, les décisions sont influencées par le capital
"nombre d'action – nombre de voix", au sein des associations, c'est le principe démocratique qui
prime "un membre – un vote. En effet, les associations sont sœurs des coopératives (Bridault,
1998), elles partagent la plupart des valeurs fondamentales de la coopération qui sont la prise en
charge et la responsabilité personnelles et mutuelles, la démocratie, l'égalité, l'équité et la
solidarité. Ces règles définissent les relations entre les membres, le mode d'exercice de la liberté
et de l'égalité des membres, organisent le partage de responsabilité et la gestion du pouvoir,
protègent l'équité et assurent la solidarité entre les membres et entre les générations (Ibid.).

Le leadership ou fonction de direction consiste à orienter l'action des memb res du personnel et
à faire progresser les choses en exerçant sur eux une influence positive, c'est-à-dire motiver les
gens sur la tâche à accomplir (Bergeron, 2001). Selon Maslow (op. cit.), cette motivation est
conditionnée par le niveau de satisfaction du besoin de l'individu. Dépendamment de l’individu,
ce besoin est différent. Sur un périmètre irrigué, il revient au gestionnaire de tenir compte des
différentes catégories d’usagers et agir en conséquence.

Les leaders des associations d’irrigants doivent également exercer un style de leadership qui
favorise la participation. Le conseil d'administration est appelé à prendre des décisions devant
orienter l’organisation et qui reflètent celles prises en assemblée générale des membres. C'est
donc une contrainte avec laquelle doit évoluer tout gestionnaire d'une AI.

27
Le contrôle consiste à garder si les objectifs ont été atteints (Bergeron, 2001). Il permet donc de
porter un jugement sur les fonctions des gestionnaires, sur les ressources de l'organisation
(humaines, matérielles et financières) et ses activités (marketing, production, comptabilité,
financière).

Étant donné que l’AI utilise des ressources matérielles et financières, elle doit les administrer
suivant les règles de gestion applicables à son domaine. Pour assurer la survie de son
organisation, le gestionnaire doit néanmoins s'assurer qu'elle est administrée d'une façon efficace
et que ses ressources sont utilisées avec prudence (Ibid.). Compte tenu de la finalité de l’AI, le
gestionnaire contrôlera no n seulement l'utilisation des ressources mais également la mission de
l'organisation. Il lui revient de dégager un «avantage comparatif» qu'on pourrait appeler
«avantage associatif» susceptible de motiver l’usager à devenir membre de son association et à
s’identifier à elle ou s’impliquer dans les activités.

Pour accomplir les fonctions de gestion, quatre niveaux de compétences sont requis pour un
gestionnaire (Bergeron, 2001). Ces compétences sont liées:

- au domaine technique (comptabilité, finance, etc.);

- aux relations interpersonnelles (motivation, former les équipes, participation);

- à la conceptualisation (avoir une vision globale des choses et reconnaître les effets d'une
décision stratégique tant sur l'organisation que sur la société);

- à la communicatio n (étant donné que le gestionnaire passe beaucoup de temps à


communiquer, il lui faut des aptitudes dans ce domaine).

Par rapport à ces compétences, le gestionnaire d'une AI est appelé à agir de manière proactive.
Étant fondée sur un ensemble de principes et de valeurs qui nécessitent des exigences
particulières, l’AI doit donc être bien gérée, seule garant d'une viabilité de la fonction d'usage.
Compte tenu de sa nature, l'AI doit toujours compter sur le bénévolat et des compétences
techniques spécifiques. Ces spécificités touchent la distribution de l'eau, la collecte des
redevances, l’organisation de la police des eaux, etc.

28
3 LA GESTION SOCIALE DE L’ IRRIGATION

Plusieurs acteurs (Aubriot, 2000; Apollin et Bérut, 2004), voient la gestion sociale de
l’irrigation comme une approche qui considère qu’un système d’irrigation est une construction
technique et sociale pour laquelle les irrigants définissent collectivement :

- Les normes d’accès et de distribution de l’eau, ainsi que les droits des irrigants et les
obligations que tous doivent respecter pour conserver l’accès à la ressource en eau (par
exemple : travaux collectifs pour l’entretien, participation aux réunions et assemblées
générales, paiement d’une redevance, etc.);

- Une infrastructure physique qui répond aux normes établies et à la gestion de l’eau
définie de manière collective;

- Un type d’organisation en capacité de veiller au respect des normes établies.

Le concept « gestion collective des périmètres irrigués » est également utilisé pour caractériser la
gestion d’un périmètre irrigué par une AI. Ce concept peut se définir comme «la compréhension,
l’application et l’utilisation par les associations de planteurs de l’ensemble des normes, outils et
moyens disponibles pour favoriser une répartition équitable de l’eau d’irrigation entre les
parcelles irriguées en vue d’une utilisation efficace et efficiente de cette ressource de plus en plus
rare pour l’augmentation sensible de la productivité au niveau de ces parcelles (Jean-Noël,
2004)». La gestion de ressource eau implique un cadre territorial approprié qui doit être le
domaine de compétence de l’autorité de gestion idoine et le champ d’implantation des acteurs
concernés (Margat, 1998).

Ces approches font référence aux capacités de l’organisation à élaborer et à appliquer des règles
pour la pérennité du système. En ce sens, la démarche gestion sociale de l’irrigation implique la
mise à la disposition des usagers de toutes les informations et les formations nécessaires à la
réalisation des choix technico-économiques de production qui répondent le mieux à ces intérêts.

4 LES ASSOCIATIONS D'IRRIGANTS

L’Avant projet de loi sur les associations d’irrigants et le transfert de la gestion des systèmes
irrigués définit une association d’irrigants comme «un groupe d’irrigants organisé, structuré et
reconnu exploitant à des fins agricoles et à leur profit des canaux d’irrigation, provenant d’une

29
source, d’une rivière, d’un canal ou d’une station de pompage». Cette association se distingue
par des caractéristiques propres ainsi que des missions spécifiques.

4.1 LEURS CARACTÉRISTIQUES

La plupart des auteurs qui ont catégorisé les organisations les répartissent en trois grands secteurs
qui sont l'État, le privé et les organisations à but non lucratif (OBNL) ou tiers secteur ou secteur
de l'économie sociale (Bridault, 1998; Doré et Garon, 1999; Gagnon et Girard, 2001). Le dernier
secteur comprend les coopératives et les organisations sans propriétaires ou organisations à buts
sociaux qui rassemblent des organisations telles que les églises, les syndicats, les associations,
etc. Les organisations à buts sociaux présentent les caractéristiques suivantes (Bridault, 1998):

Clientèle. Certaines d'entre elles n'offrent pas de services d'abord à des membres, mais à des
bénéficiaires qui, dans bien des cas ne sont pas membres. Les membres d’une AI sont des
irrigants qui se définissent comme « toute personne physique ou morale exploitant en tant que
propriétaire, usufruitier, fermier ou métayer une parcelle pour laquelle elle utilise les
infrastructures d’irrigation mises en place avec ou sans l’État » (Article 16, Titre III, Projet de loi
cadre sur l’irrigation et le drainage des terres agricoles)

Absence de part de propriété. Les individus participent collectivement au contrôle dès qu'ils
sont acceptés (ou cooptés) comme membres. Ils s'engagent à payer une cotisation annuelle qui
leur confère ce statut. Au niveau des systèmes irrigués, pour bénéficier du service de l’eau et
prélever cette ressource, l’usager paie une redeva nce qui doit supporter en total ou en partie le
budget de fonctionnement de l’organisme de gestion. Les principales rubriques de ce budget sont
les taxes d’irrigation, les frais d’entretien et de maintenance du système, les frais
d’administration ainsi que l’amortissement des ouvrages. Donc, le montant de la redevance
dépend de la nature et de la taille du périmètre. Dans les périmètres par pompage, cette
redevance est plus élevée que dans les systèmes gravitaires compte tenu des dépenses
supplémentaires liées au fonctionnement des pompes (carburant).

Le principe démocratique est en vigueur. Chaque membre détient un vote et est éligible aux
différents comités et conseils de l'organisation. Les décisions sont prises en assemblée générale

30
ou en réunion. Les AI ont une structure constituée d’une AG, d’un comité de gestion et d'autres
comités dont le nombre et la nature varient avec le système. L’AG est formée par l’ensemble des
irrigants pour certains périmètres ou d’un groupe d’irrigants représentatifs pour d’autres. Les
irrigants élisent, sur des périodes de deux à trois ans, le comité de gestion qui a pour tâches
d’assurer la gestion de l’association, d’accomplir les missions d’exploitation et de maintenance
de système.

Le membre n'a pas droit aux résultats économiques. Tout surplus éventuel, quelle qu'en soit
la raison, doit être entièrement versé dans le fonds de roulement de l'association.

4.2 LEURS MISSIONS

La mission d’une organisation peut se définir par le produit ou le service particulier qu’elle offre
en vue de satisfaire un besoin précis (Aktouf, 1989). Comme toute organisation, l’AI se définit
par sa mission qui est sa raison d’être, c'est-à-dire l’ensemble des activités par lesquelles elle
existe. Pour une AI, Tourette (1998) identifie deux missions de base qui sont l’exploitation et la
maintenance des ouvrages. L’organisation des irrigants peut être spécialisée en ne gérant que
l’irrigation ou elle peut être à but multiples en s’occupant aussi d’approvisionnement, de
commercialisation (Tiercelin, 1998). Sa création nécessite un fort engagement de la part du
gouvernement comme de l’administration locale. Le cadre légal haïtien lui attribue les missions
et objectifs suivants 2 :

- D’assumer la gestion, l'entretien et la maintenance des ouvrages mis à leur disposition;

- D'assurer une distribution équitable de l'eau entre les bénéficiaires;

- D'organiser la police des eaux et des ouvrages;

- D'équilibrer leurs dépenses par des redevances collectées auprès de leurs adhérents;

- De remettre les ouvrages en parfait état de marche à l'issu du contrat, compte tenu de leur
usure.

2
Extrait de l'Avant projet de loi sur le transfert de la gestion des périmètres irrigués, version du 23 mai 2002

31
La gestion des ouvrages. Elle vise l’exploitation du système qui consiste à faire fonctionner le
service de l’eau : assurer sa mobilisation, son transport, sa distribution dans un cadre contractuel
défini avec tous les partenaires (Tiercelin, 1998). L'objectif poursuivi est de livrer l'eau jusqu'à
l'usager final. Elle requiert des compétences et une expérience en animation, en organisation de
la gestion et des relations avec les usagers. Cette fonction a une composante technique et une
composante de gestion de relations et de contrats avec l’ensemble des acteurs du projet. La partie
technique est extrêmement variée, car dépendante de la conception de l’aménagement. Dans la
plupart des cas, elle comprend la conduite des infrastructures hydrauliques ponctuelles (barrage,
station de pompage) et linéaire (canaux, adducteurs), l’organisation et l’exécution de la
distribution selon une méthode définie dans le manuel d’exploitation en période no rmale et en
période exceptionnelle et finalement l'acquisition automatique ou manuelle de paramètres
nécessaires à l'exploitation. Pour ce faire, l’organisation définit des relations avec d’autres
organisations ou des groupes situés en amont et en aval de sa gestion.

Avec les groupes d’usagers : les droits et les devoirs de ceux-ci sont généralement régis par des
contrats de type commercial, des textes complémentaires ou des règles de droit coutumier que
l’exploitant a pour mission de faire respecter. En général, l’exploitant a pour obligation de
communiquer les éléments de facturation du service de l’eau aux usagers. L’établissement des
factures et le suivi du recouvrement ne sont pas en général du ressort direct des services
d’exploitation, mais ils y participent notamment par des actions coercitives de suspension du
service de l’eau.

Avec le gestionnaire ou les utilisateurs de la ressource en eau pour d’autres usages. Qu’elle que
soit la modalité de partage de la ressource en eau, directives réglementaires ou concertation,
l’exploitant a pour mission de représenter et de défendre les intérêts des usagers agricoles en leur
assurant un approvisionnement régulier et suffisant. En période de pénurie, il participera à
l’élaboration des mesures restrictives, avertira les usagers en début de campagne de culture ou
contrôlera leur mise en application.

La maintenance. Elle se définit comme l’ensemble des activités destinées à maintenir ou à


rétablir un bien dans un état ou des conditions données de sûreté de fonc tionnement, pour
accomplir une fonction requise (Plantey et Blanc, 1998). Sur un périmètre irrigué, la

32
maintenance des ouvrages consiste en l’entretien de tous les équipements, au sens large du terme,
allant jusqu’à la mise en œuvre d’actions d’amélioration pour assurer la pérennité de
l’aménagement en tenant compte des évolutions technologique, économique, sociologique etc.
Ces actions sont une combinaison des activités technique, administrative et de management. Elle
requiert une expérience et une expertise technologiques et de gestion d’entreprise de type travaux
publics ou installations industrielles. Étant donné que les infrastructures déterminent la
disponibilité de la ressource en eau, elles doivent être soumises à des opérations de maintenance
et d’entretien de façon régulière. D’une manière générale, on distingue (Ibid.):

- La maintenance corrective qui est effectuée après défaillance. Défaillance qui est
l’altération ou la cessation de la capacité d’un bien à accomplir une fonction requise.
L’objectif est le maintien en état de fonctionnement et de sécurité sans recherche d’une
amélioration technique mais conservant les performances initiales (recherche de la
continuité des services).

- La maintenance préventive qui est effectuée selon des critères prédéterminés, dans
l’intention de réduire la probabilité de défaillance d’un bien ou la dégradation d’un
service rendu.

- Le renouvellement qui est effectué quand il est justifié économiquement, lorsque les
dépenses de maintenance préventive et corrective sont trop importantes.

La distribution équitable. Le premier aspect du partage de l'eau au sein du groupe d'utilisateurs,


c'est l'attribution à chaque membre de la part de la ressource dont il a le droit de disposer (Gilot
et Ruf, 1998). L'expression de «droit d'eau» est la plus utilisée pour nommer le droit d'un
individu à utiliser l'eau du réseau, en particulier pour l'irrigation traditionnelle. Ce droit a une
valeur légale reconnue par la collectivité d'usagers, avec un volet qua ntitatif et un volet qualitatif.
Il exprime l'appartenance au groupe des ayants droit et précise le volume d'eau utilisable. Il
comporte un aspect social qui se traduit par l'équité dans la distribution et un aspect technique
qui se traduit par les modalités de partage du débit et du temps d'utilisation d'un module (Ibid.).

L'équité est une notion très relative qui implique à la fois l'objet reçu (qualité et quantité) et le
prix payé pour le recevoir (Ibid.). Contrairement à l'hypothèse technique, le partage équitable de
l'eau ne correspond pas nécessairement à des allocations proportionnelles à la superficie de la

33
parcelle concernée. De fait, les critères d'équité sont très variables et le plus souvent implicites.
Dans les systèmes spontanés traditionnels, le partage est fonction de la participation de chacun à
la création des ouvrages communs (Gret, 1991, dans Tiercelin, 1998). Comme le travail fourni
par chaque membre des communautés créatrices des réseaux d'irrigation est variable, la
communauté attribue à chacun un droit d'eau proportionnel au travail fourni (Coward, 1986, dans
Tiercelin, 1998). Dans ce cas, le droit d'eau est souvent accordé sans considérer la superficie sur
laquelle il sera utilisé. Enfin, il est fréquent que l'eau soit attribuée collectivement à un groupe
social défini par une résidence, un bloc foncier ou une histoire commune, qui peut, par exemple,
utiliser le débit pendant une journée complète à l'intérieur de laquelle la répartition se fait selon
des règles propres. Gilot et Thierry (1998) ont identifié quelques modes de partage équitable de
la ressource.

- partage équitable du volume (tous les usagers qui doivent recevoir le même volume,
quelle que soit la superficie de leur champ);

- partage équitable des déficits hydriques des parcelles (à chaque parcelle est envoyé
depuis la tête du réseau un volume d'eau d'autant plus grand qu'elle est située plus en
aval;

- compensation des pertes au transport;

- partage équitable des revenus de l'irrigation, en modulant le prix de l'eau ou la quantité


reçue selon l'intérêt économique de la culture pratiquée ou le nombre de récolte par an.

Dans ce contexte, les écarts de droits d'eau entre propriétaires ou entre parcelles ne sont pas
forcément synonyme d’injustice. Toutefois, pour assurer la cohésion du groupe et la viabilité du
système, cinq grands principes de distribution doivent être respectés (Gilot et Ruf, 1998).

- le groupe d'usager doit être précisément défini, et si possible socialement homogène;

- au sein du groupe, le partage de l'eau doit être équitable;

- il doit être transparent, c'est-à-dire les usagers doivent pouvoir se faire une idée juste du
partage;

- il doit être garanti;

34
- il doit comporter suffisamment d'éléments de souplesse pour être applicable.

Le mode de distribution fixe la manière selon laquelle doivent se décider les arrosages de toutes
les parcelles. Le choix d'un mode de distribution vise à assurer le partage de la ressource.
Toutefois, il ne suffit pas à lui seul. Les règles de distribution sont là pour fixer le cadre y relatif.

La police des eaux. Elle consiste à faire respecter les principes établis par l’ensemble des
usagers pour la bonne marche des périmètres (Tiercelin, 1998). C’est l’organisme de la
prévention ou de la répression de tout acte ou comportement pouvant nuire à la pérennité des
ouvrages, à la qualité du service et aux ressources financières des l’organisation. Elle peut être
exécutée par le service de l’exploitation, par du personnel de terrain assermenté ou bien en
liaison avec les autorités de police locale.

La redevance est le tarif d’irrigation que l’usager doit payer pour bénéficier des services de
l’eau, soit en tête d’un quartier d’irrigation (pour une AI) ou en tête de sa parcelle (usager
individuel) ou à la pompe pour les deux cas (Article 28, Avant projet de loi relatif à l’irrigation).
Dans son article 15, l’avant projet de loi sur les AI et le transfert de gestion précise que les
redevances doivent couvrir :

- L’ensemble des coûts de fonctionnement et de gestion du périmètre soit, en particulier,


les frais de gestion, d’entretien, de maintenance et de réparation des équipements et des
infrastructures et les salaires du personnel;

- La constitution d’une provision pour le renouvellement des équipements;

- Les taxes d’irrigation prévues par la loi.

Le montant des redevances est voté chaque année par l’assemblée générale de l’association et
s’applique à tous les adhérents.

D’autres tâches sont confiées à l’exploitant pour contribuer à la qualité du service, sa sécurité et
son équité Tiercelin (1998). Ce sont :

- Le suivi de la qualité des eaux : l’exploitant du réseau doit prendre toutes les dispositions
en son pouvoir pour éviter qu’une dégradation de qualité, même temporaire, ne nuise aux
équipements et aux cultures ou tout au moins limiter les effets négatifs;

35
- La prévention des risques que peuvent présenter les aménagements et les ouvrages.

5 LE TRANSFERT DE GESTION

Le transfert de gestion peut être défini comme un processus par lequel l’État concède la gestion
du réseau hydraulique aux usagers du périmètre moyennant le respect de certaines normes
définies par l’État (Nader, 2004). Actuellement, l’État est quasiment absent sur la plupart des
périmètres irrigués qui sont, de faite, gérés par des usagers. En ce sens, le transfert de gestion des
périmètres irrigués peut être défini comme «la confirmation» ou «l’officialisation» par l’État de
la gestion desdits périmètres par les irrigants. Cet acte est validé par la signature d’un contrat
entre l’État et l’association d’irrigants. La démarche s'oppose à la gestion traditionnelle
caractérisée par l’autoritarisme, la délinquance dans la perception des frais de gestion, le
clientélisme et le paternalisme (Ibid). Elle fait référence nécessairement aux notions de gestion
participative de l’irrigation, aux redevances face à la viabilité du système, à l’organisation
institutionnelle des agriculteurs, à la démocratie et au service de l’eau lié à la connaissance
technique des réseaux et leur fonctionnement (Ibid.).

Le transfert de gestion se justifie par le fait que les expériences montrent que les petits systèmes
sont plus faciles à gérer par les organisations paysannes (Léopold, 1998). La mise en place des
associations d’irrigants présente des intérêts à plusieurs titres. Ces associations constituent un
interlocuteur entre les agriculteurs et les autres acteurs, ce qui facilite le dialogue (Nicol, 1998).
Ce dialogue permet une prise en compte des préoccupations et des besoins des irrigants dans les
services rendus par l’Organisme de gestion (OG) 3 . Lorsque la technicité existe, certaines travaux
ou certaines responsabilités peuvent être délégués directement aux agriculteurs et effectués avec
une meilleur efficacité, par le fait que :

- Ils sont plus proches du problème à traiter;

- Ils adaptent plus facilement le niveau de qualité de service à leurs besoins réels;

- Ils peuvent travailler en temps marginal, avec souvent des coûts moindres.

3
L’OG est l’organisme responsable du secteur. En Haïti, il s’agit d’un service du MARNDR.

36
La gestion et la maintenance des réseaux étant de plus en plus transférées aux usagers, il importe
de développer des recherches pour fournir aux responsables des éléments d’aide à la décision
basée sur l’évaluation des aptitudes des divers types d’institution à gérer et à exploiter les
réseaux à différents niveaux, suivant leur importance (Léopold, 1998).

6 LA GESTION PARTICIPATIVE

La participation se définit comme la volonté d’une population, y inclut les désavantages (genre,
ethnie ou éducation), d’influencer ou de contrôler les décisions qui les affectent. L’essence de la
participation est exprimée par le choix (Word Bank, 1995, dans Beaulieu, 2004).

La gestion participative est un mode de gestion de projet basé sur la participation directe et
réelle des attributaires (Nader, 2004). Elle suppose l’implication à tous les stades du projet des
individus auxquels il est destiné. En ce sens, la participation favorise un transfert de
connaissance et d’expérience suite aux échanges entre les différents acteurs. Il revient à la
population ciblée la décision d’investir, de maintenir les équipements, d’organiser l’exploitation,
de recouvrir les coûts. Dans la plupart des cas, cette démarche conduit à une appropriation des
résultats des projets par les bénéficiaires. Ce qui leur permet d’en assurer la prise en charge.

Toutefois, il faut bien comprendre que la participation ne doit pas se faire à n’importe quel prix.
Lorsque les gens participent sans avoir les capacités adéquates pour le faire, les résultats sont
souvent mitigés et cet effort ne mène pas toujours au succès, ce qui risque d’entraîner la
démotivation chez les participants. Naman (1999, dans Yorn, 2005) affirme que, pour que la
participation soit un réel moteur de développement, il doit y avoir une forte appropriation du
projet et l’acquisition des compétences adéquates.

7 LE CADRE MÉTHODOLOGIQUE DU MARNDR POUR LE TRANSFERT DE


GESTION

L'État haïtien, à travers le MARNDR, a élaboré une méthodologie pour le transfert des systèmes
irrigués dans une perspective de prise en charge par les usagers. Cette méthodologie a été
développée dans le cadre du projet PPI en quatre phases, quatorze étapes et trois niveaux de
contractualisation. Elle est présentée dans la figure 1.

37
Figure 1 : Méthodologie du MARNDR pour le transfert de gestion des ppi

Étape 1 : Constitution et renforcement d'une équipe technique


Phase 1
Diagnostic et
sensibilisation Étape 3:
Étape 2: Diagnostic du système irrigué
• Reconstitution de la géographie du réseau et d'un SENSIBILISATION DES
parcellaire ; USAGERS
• Influence de l'environnement (et autres acteurs locaux)
(état du bassin-versant, notamment) ; à la démarche mise en
• état du fonctionnement (technique et social) de œuvre
l'infrastructure ; Réunions, échanges et
• fonctionnement de l'organisation d'irrigants ; visites
• identification et évaluation des règles existantes (droits
et obligations, distribution de l'eau, etc .. ;
• évolution historique des systèmes de production, et Étape 4 : MISE EN PLACE OU
évolution probable
RENFORCEMENT D'UNE PRE-
• identification des acteurs locaux et leurs attributions . ASSOCIATION
Formations (gestion des
organisations, politique de
prise en charge, etc.)

Étape 5: RESTITUTION DU DIAGNOSTIC ET FORMULATION D'UN


"PROJET D'APPUI A LA PRISE EN CHARGE"

Restitution du diagnostic (usagers, acteurs locaux)

Formulation d'un pré-projet et CONSENSUS

Réalisation d'études complémentaires


Formulation et rédaction du PROJET FINAL
1. Réhabilitation physique et gestion de l'eau
2. Réhabilitation institutionnelle
3. Appui à l'intensification agricole

Avalisation et recherche de financements

Étape 6: NEGOCIATION FINALE ET LEGALISATION DE LA PRE-ASSOCIATION

1er CONTRAT / ENGAGEMENT RECIPROQUE SUR LE PROGRAMME D'APPUI


Etat / Pré-Association / Intervenant

38
PHASE 2 : Étape 7: Étape 8:
Exécution du REHABILITATION REHABILITATION
programme PHYSIQUE INSTITUTIONNELLE Étape 9
d'appui à la
AMELIORATION DES
prise en Contrats passés avec opérateurs et Pré-
INSTRUMENTS DE
charge GESTION associations
(avec l'appui des DDA et intervenant)
Formation complémentaire et suivi-
monitoring DDA

Réception des Appui à


ouvrages
(définition finale des Structuration et l'intensification
tarifs) légalisation de
l'association d'irrigants agricole

Évaluation intermédiaire

PHASE 3 : 2ème CONTRAT : COGESTION DU SYSTEME IRRIGUE

Cogestion (État / Association / Intervenant)


du système

production, et en amont et aval de


Étape 10 : Intensification des formations (techniques,

Appui à la création d'OPA ou GIE


pour des services d'appui à la
éventuelle d'un service

économiques, institutionnelles, etc.)


Appui à la constitution

interne à l'association
technique d'appui

Étape 11 : Mise au point, expérimentations et ajustements


finaux du système de règles (opération et maintenance) et de

la production
(Etape 14)
distribution de l'eau (tour d'eau)
(Etape 13

Étape 12: Consolidation de la gestion autonome de


l'Association au niveau économique et financier

Évaluation intermédiaire

3ème CONTRAT : PRISE EN CHARGE DU SYSTEME IRRIGUE


(ou éventuelle prise en charge partielle)
(Etat / Association

SUIVI DDA :
PHASE 4 :
§ Suivi de la gestion du système (comité de suivi conjoint avec l'association)
Prise en § Monitoring des effets du transfert de la gestion (selon critères définis)
§ Appuis ponctuels sur des formations demandées par l'association
charge § Faciliter les contacts institutionnels (ONG, projets, secteur privé de services agricoles)
§ Suivi et actualisation permanente de l'inventaire des périmètres irrigués haïtiens

39
La première phase est la réalisation d'un diagnostic participatif du système et la restitution des
résultats aux bénéficiaires qui pourraient choisir les solutions techniques parmi les alternatives
proposées. Ce travail débute par la constitution d'une équipe technique chargée de la mise en
œuvre du processus de transfert. Il se poursuit avec la sensibilisation des usagers, la mise en
place d'une association embryonnaire jusqu'à la signature d'un premier contrat d'engagement
entre les responsables du projet et l'AI.

La deuxième phase est l'exécution du programme d'appui à la prise en charge ou la réhabilitation


proprement dite du système. Elle comprend la mise en place des infrastructures physiques, la
consolidation des groupements d'usagers et un appui à la production agricole. Elle prend fin avec
une évaluation intermédiaire des AI qui peut déboucher sur la signature d'un contrat de gestion
par les usagers appelée «cogestion».

La troisième phase est la cogestion du système implique l'AI, l'opérateur et l'État représenté par
le BAC et les responsables du projet. C'est à ce niveau qu'on intensifie les formations, qu'on
expérimente les outils de gestion tels l'établissement d'un horaire de distribution de l'eau, le
calcul et la collecte des redevances, la gestion financière, le crédit agricole, etc. Après une
évaluation de l'AI, il est maintenant possible de signer un contrat d'autogestion du système.

La dernière phase est la prise en charge. C'est la capacité de l'AI de gérer et d'assurer le
fonctionnement du système irrigué selon les règles établies. Compte tenu du contrat signé entre
les parties, le MARNDR, via la Direction départementale agricole (DDA) ou le Bureau agricole
communal (BAC), a pour responsabilité d'assurer le suivi de la gestion du système. Il a
également pour obligation d'accorder un appui technique et/ou financier à l'AI lui permettant de
faire face aux situations difficiles. Par exemple, l'État doit constituer un fonds d'irrigation lui
permettant de mettre en fonctionnement les systèmes endommagés ou détruits par les
catastrophes naturelles.

Ce cadre méthodologique présente le processus de transfert de gestion dans le cadre d'un projet
de réhabilitation. Cependant, il ne permet pas d'analyser un système irrigué. Pour entreprendre
une telle analyse, les acteurs en GSI en Haïti ont développé une grille qui préconise trois grandes
variables qui sont la représentativité et la légitimité de l'AI, son opérationnalité et sa normativité.

40
Ces variables sont représentées dans la figure 2. L'utilité de cette grille est de permettre
d'analyser la capacité de l'AI à remplir les fonctions ou à réaliser les activités correspondantes à
chaque variable.

Figure 2 : Variables pour analyser le fonctionnement d'un AI.

Représenter et défendre les intérêts des différents groupes d’usagers.


Etre reconnu par tous les usagers comme autorité, et par les organisations et les
institutions comme représentant des usagers.
Faire respecter les règles et décisions.

LA REPRESENTATIVITE ET LEGITIMITE

Organiser la gestion, l’administration et la maintenance du système de


façon efficiente.
Favoriser la négociation lors des conflits.

L'OPERATIONNALITE

Disposer de règles et de normes d’administration et de fonctionnement du


système, clairement établies et socialement reconnues.

LA NORMATIVITE

Source: MARNDR/DFPEA/GSE/CICDA (2002, p.27)

Cette grille comporte un ensemble d'indicateurs qui sont fournis en annexe D. Notre grille
d'analyse a été calquée à partir de ces indicateurs. Nous avons analysé les variables suivantes: la
légitimité des AI, leur représentativité, leur fonctionnement, leur administration, la gestion
financière et la redevance, la distribution de l'eau, la vie associative, les activités connexes
réalisées par l'association et les besoins exprimés par les usagers.

41
TROISIÈME CHAPITRE:
MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
Établir une méthodologie de recherche pour un projet donné implique de nombreuses décisions.
Les plus importantes concernent le choix du type d’investigation, du mode d’échantillonnage,
des mesures appropriées et des instruments de collecte de données (D’Amboise, 1996, p.34). À
travers ce chapitre, nous présentons l'agencement de ces éléments via une démarche schématisée
dans la figure 3.

Figure 3 : Méthodologie de recherche adoptée

A. Mandat et problématique

B. Stratégie de l'étude de cas

C. Revue de D. Collecte et analyse


littérature et des données intra-cas
information d'un et inter-cas pour faire
F. Comparaison colloque sur le émerger les leçons
et validation du transfert de gestion
modèle des SI

E. Conceptualisation du modèle de
transfert de gestion des SI

H. Action pour
initier le changement G. Théorisation avec la littérature utile
sur le transfert de gestion des SI

Ce schéma, inspiré de Yorn (2005), montre les étapes de la méthodologie qui a conduit l'étude. Il
s'agit de la Méthodologie des systèmes souples (MSS). Cette dernière a été développée par
Checkland en sept étapes qui interagissent (Ibid.).

La recherche débute avec la définition de la problématique à partir du mandat (étape A). Des va-
et-vient auprès de notre mandataire et notre directeur de recherche nous ont permis d'identifier

42
les différentes pistes à explorer et du même coup, d'adopter la stratégie de recherche qui est la
stratégie de l'étude de cas (étape B). Afin de mieux étayer la problématique, nous avons procédé
à une revue de littérature permettant d'élaborer la méthodologie de recherche, ainsi que les outils
de collecte des informations (étape C). Parallèlement, nous avons participé à un colloque sur le
transfert de gestion des systèmes irrigués en Haïti. Ce colloque a réuni les différents acteurs de
ce secteur. Il s'agit des responsables de l'État, des représentants d'irrigants, des accompagnateurs
et des bailleurs. Au cours de ce colloque, la problématique du transfert de gestion de l'eau a été
précisée davantage. Les étapes B, D, E, F et G sont détaillées dans les sections suivantes. L'étape
de la case H n'a pas été abordée étant donné que notre étude n'est pas une recherche action.

1 LA STRATÉGIE DE RECHERCHE

Le but d’une recherche est de répondre à la question qui y est posée, de trouver les éléments de
solution au problème soulevé (D’Amboise, 1996). L’approche que privilégiera le chercheur pour
arriver à ces fins dépend du paradigme auquel il adhère. Le paradigme est une conception
générale de la réalité qui détermine les questions à poser, la démarche à adopter, les stratégies
d’analyse et les implications des connaissances produites pour la science et pour l’application
pratique de ces connaissances (Ritzer, 1975, dans Yorn, 2005).

Selon que le chercheur a une vision plutôt positiviste, interprétativiste ou constructiviste de la


réalité, la nature des connaissances qu’il vise à produire sera différente (Thiétart, 1999). Pour le
positiviste, il s’agit d’interroger les faits afin de découvrir la structure sous-jacente. Pour
l’interprétativiste, il s’agit de comprendre un phénomène de l’intérieur pour tenter d’appréhender
les significations que les gens attachent à la réalité, leurs motivation et intentions. Pour le
constructiviste, il s’agit d’élaborer des connaissances que le chercheur s’efforce de satisfaire
(Ibid.). Nous avons adopté le dernier paradigme Selon lequel le chercheur doit percevoir un
phénomène selon le point de vue des sujets observés et d’essayer d’y découvrir des formes
communes de compréhension (D’Amboise, 1996). La gestion sociale de l’eau est d’abord une
construction sociale qui implique l’élaboration et la mise en place d’un ensemble de règles
(Aubriot, 2000; Bérut, 2004; Margat, 1998; Jean Noël, 2004).

Pour découvrir la réalité, en général le chercheur a recours à l’une des quatre logiques de
raisonnement établies par Bergadaa et Nyeck (1992, dans Hlady-Rispal, 2002). La logique

43
quantitative déductive définit un modèle théorique qui doit être soumis aux données pour vérifier
son exactitude. La logique quantitative inductive détermine le modèle à partir d’observations
multiples. La logique qualitative déductive définit un modèle théorique soumis aux données
tirées d’un échantillon choisi par rapport aux variables et lois étudiées. La logique qualitative
inductive a pour objet de construire un modèle théorique à partir du vécu des acteurs. Les
chercheurs ont tendance à classer l’étude de cas au sein de la logique qualitative inductive
(Hlady-Rispal, 2000).

Maxell (1997) soutient que la stratégie de recherche n'est pas indépendante des objectifs, de la
problématique, des questions, du cadre conceptuel, de la validité ou des moyens financiers pour
mener la recherche. Notre recherche ne vise pas à mesurer, mais à comprendre, à découvrir et à
extraire le sens des discours avant de construire une réalité intersubjective appelée l'autogestion
des systèmes irrigués. Pour ces raisons, nous avons opté pour une étude de cas. L’étude de cas
est une stratégie de recherche qui implique une étude empirique, en contexte réel, d’un
phénomène particulier en utilisant de multiples sources d’évidence (Robson, 1993; dans Yorn,
2005). Ce type d’investigation est le plus fréquemment adopté dans le domaine de la gestion
d’entreprise. Cela s’explique par les limites qu’impose la nature de la vaste majorité des
variables étudiées dans ce domaine (D’Amboise, 1996).

La démarche adoptée est une approche qui procède souvent par étude de cas (Yorn, 2005). La
MSS implique de se pencher sur une situation problématique et de penser à un système qui
permet de comprendre la situation réelle examinée et enfin de prendre des actions cohérentes en
fonction de ce qui est appris (Ibid.). Elle procède en sept étapes qui peuvent être résumées en
quatre étapes interactives : 1) décrire la situation problématique perçue afin 2) d’élaborer un
modèle conceptuel à partir d’un point de vue et 3) comparer le modèle avec la réalité perçue afin
de trouver des accommodations et 4) prendre des actions pour initier des changements en vue
d’améliorer la situation problématique initiale. Cette méthodologie colle mieux avec notre
recherche par le fait que la gestion sociale de l’eau en Haïti est relativement récente. Les
interventions devraient conduire à des actions d’amélioration par des programmes adaptés au
besoin des associations.

44
2 LA COLLECTE DES DONNÉES

Dans cette section, nous présentons l'échantillonnage, les outils de collecte avant de passer à la
collecte proprement dite.

2.1 L'ÉCHANTILLONNAGE ET LE SOUS - ÉCHANTILLONNAGE

Un échantillon est l’ensemble des éléments sur lesquels des données seront recueillies (Royer et
Zarlowski, 1999). Les choix effectués pour constituer un échantillon auront un impact
déterminant en termes de validité externe que de validité interne de l’étude et, par conséquent,
auront des implications en termes de biais et de généralisation des résultats (Ibid.).

En recherche qualitative, les modes d’échantillonnage les plus privilégiés sont la méthode par
choix raisonné et l’échantillonnage de convenance (Ibid.). La méthode par choix raisonné repose
fondamentalement sur le jugement. Elle permet de choisir, de manière précise, les éléments de
l’échantillon afin de respecter facilement les critères fixés par le chercheur. Les échantillons de
convenance désignent des échantillons sélectionnés en fonction des seules opportunités qui sont
présentées au chercheur, sans qu’aucun critère de choix n’ait été défini à priori (Ibid.).

Nos cas sont constitués de six systèmes irrigués dont cinq ont été fournis par le CICDA. Il s’agit
d’un échantillonnage non probabiliste qui ne possède pas de validité statistique. Les cas traités
sont répartis dans cinq départements géographiques du pays (Annexes E). Ce Jean David dans le
département du Sud-Est, Ti Carénage et Bayonnais dans l'Artibonite, Croix Fer dans le Centre,
Dory dans le Sud et Fauché dans l'Ouest. Cette répartition géographique fournit une certaine
triangulation au niveau de choix des cas.

En étude de cas, deux principes différents définissent la taille d’un échantillon de plus d’un
élément, qu’il s’agisse de cas ou de répondants : la saturation et la réplication (Ibid, p.215).
Chaque cas est sélectionné soit parce qu’on suppose trouver des résultats similaires, soit parce
que, selon la théorie, il devrait conduire à des résultats différents. Selon Glasser et Strauss (1967,
dans Thiétart, 1999), la taille de l’échantillon est celle qui permet d’atteindre la saturation
théorique. Cette saturation théorique est atteinte lorsqu’on ne trouve plus d’information
supplémentaire capable d’enrichir la théorie. Généralement la collecte des données s’arrête
lorsque les dernières unités d’observation analysées n’ont pas apporté d’éléments nouveaux. Ce

45
principe repose sur le fait que chaque unité d’information supplémentaire apporte un peu moins
d’information nouvelle que la précédente jusqu’à ne plus rien apporter. Nos cas sont des
systèmes sur lesquels le CICDA intervient depuis 2001. Nous avons choisi un sixième cas, le
système de Fauché, qui est l'un des 27 systèmes qui ont été transférés officiellement. Son choix
se justifie par son accessibilité compte tenu de sa position géographique par rapport à Port-au-
Prince et parce qu'il vient d'être transféré aux usagers. Ce cas devrait nous permettre de
trianguler par rapport aux interventions des acteurs.

Quant aux personnes rencontrées, nous avons utilisé le principe d’informants clés, c’est-à-dire
des personnes qui, par leurs positions stratégiques, peuvent fournir les informations recherchées.
Ces informants sont les membres des AI ainsi que les comités de gestion, les groupes de femmes,
les agriculteurs non membres, les représentants de l’État dont les cadres du MARNDR et les
collectivités.

Quant à la nature des informants, nous avons utilisé le principe de la triangulation des points de
vue. Le principe de triangulation (Van Maanen, 1979, dans Yorn, 2005) prône l’idée qu’il faut
rechercher différents points de vue afin de cerner l’intersubjectivité des informants clés. En ce
sens, nous avons également consulté des cadres des principales institutions membres du GRI.
Les différents d’informants clés rencontrés se trouvent en annexe A.

2.2 LES OUTILS DE COLLECTE D’I NFORMATIONS

Les outils que nous avons utilisés ont été choisis en fonction de leur pertinence dans la mesure
des données. En science sociale, la notion de mesure se définit comme le processus qui permet
de mettre en relation des concepts abstraits et des indicateurs empiriques (Carmine et Zeller,
1990, dans Thiétart, 1999, p.265). Il est indispensable que les données du terrain assimilées à des
mesures du phénomène étudié permettent de donner la meilleure représentation possible du
phénomène (Thiétart, 1999).

Selon Yin (1994), il faut trois éléments pour entreprendre une étude de cas : la capacité de
jongler avec plusieurs sources d’évidence, l’habilité d’articuler les questions de recherche et la
proposition théorique et la production d’un design de recherche. Six sources d’évidence sont
généralement les plus utilisées : la documentation, les interviews, les observations directes, les

46
rapports d’archives, les observations participantes et les artefacts physiques. Notre recherche a
considéré les trois premiers instruments. Comme outils de collecte, nous avons recours à la
recherche documentaire, le cahier de charge et le journal de bord.

2.3 LA RECHERCHE DOCUMENTAIRE

La recherche documentaire concerne les données secondaires, qui sont des données qui existent
déjà (Baumard, Donada, Ibert et Xuereb, 1999). Elles peuvent être internes ou externes. Les
données internes sont les archives, les notes, les rapports, les documents, les règles et procédures
écrites, les modes d’emploi, les revues de presse. Le recours aux données secondaires internes
génère des informations dont les acteurs ne parlent pas spontanément lors des entretiens en face à
face (Ibid.). L’analyse de ces données est souvent nécessaire pour construire une triangulation
des données et valider leur fiabilité. Nos principales sources de données secondaires internes ont
été constituées par les statuts des associations d’irrigants, leurs règlements internes, les procès
verbaux des réunions et assemblées générales, les documents administratifs, les rapports
financiers, les contrats, etc. Les données secondaires externes permettent, au cours de la
recherche, d’entretenir un contrat permanent avec l’évolution du sujet et les autres che rcheurs.
Dans nos cas, il s’agissait d’une documentation des ouvrages au niveau de la gestion des
périmètres irrigués en Haïti. Ces ouvrages sont ceux qui ont été disponibles et qui nous ont été
accessibles. Principalement, ils sont constitués des mémoires académiques, des diagnostics des
systèmes en vue d’élaboration de programme d’appui, des documents de projet d’irrigation, des
synthèses de séminaires de formation tenus au profit des cadres évoluant dans le domaine, le
document de la politique de transfert de gestion du MARNDR et les avant projets de loi relatifs à
l'irrigation.

2.4 LE CAHIER DE CHARGES

Il s’agit d’une liste de thématiques avec un ensemble de questions à traiter. Ce n’est pas un
questionnaire d’enquête, mais un guide pour les interviews. Nous avons conçu un guide que nous
avons adapté à partir d’un autre élaboré par les professionnels du milieu lors des différents
séminaires organisés par le programme GSE. Ces guides se trouvent en annexe A.

47
2.5 LE JOURNAL DE BORD

En plus des autres instruments, nous avons utilisé un journal de bord. Ce dernier est un document
qui permet de présenter les moments principaux des rencontres. Il contient les commentaires
personnels sur chaque rencontre, les impressions, les problèmes rencontrés et les limites de
l’entrevue ou de la discussion de groupe.

2.6 LA COLLECTE PROPREMEN T DITE

En management, « la collecte de données permet au chercheur de rassembler le matériel


empirique sur lequel il va fonder sa recherche (Baumard, Donada, Ibert et Xuereb, 2000)». Avec
un recueil direct des données primaires se pose alors la question des instruments avec lesquels le
chercheur va obtenir les données empiriques de sa recherche. Les principaux modes de collecte
de données primaires en recherche qualitative sont l’entretien individuel, l’entretien de groupe
ainsi que l’observation participante ou non participante (Ibid.).

L’entretien est une technique destinée à collecter, dans une perspective de leur analyse, des
données discursives reflétant notamment l’univers mental conscient ou inconscient des individus
(Ibid). Il existe plusieurs types d’entretien suivant qu’il soit dirigé ou non, individuel ou en
groupe. Notre étude a adopté des entretiens semi-structurés individuels et en groupe. Au cours
des entretiens, notre guide a été complété avec d’autres questions.

Pour rencontrer les informants, une planification a été organisée de concert avec le CICDA. Dans
la plupart des cas, nous avons profité des séminaires organisés par le CICDA au profit des
usagers. Les séjours dans les zones ont duré entre deux et quatre jours. L'annexe A donne cette
planification.

2.7 D’AUTRES SOURCES D’ INFORMATION

Les études de cas doivent jongler plusieurs sources d’évidences (Yin, 1994). Ceci permet de
palier ou de limiter les lacunes de chacune des techniques et fournir une plus grande richesse de
l’information. En ces sens, les autres sources d’information suivantes ont été exploitées.

Les observations de terrain : L’observation est le mode de collecte de données par lequel le
cherche ur observe de lui- même, de visu, des processus ou des comportements se déroulant dans

48
une organisation pendant une période de temps délimitée. Elle constitue un mode de recueil
d’information alternatif de l’entretien dans le sens où le chercheur peut analyser des données
factuelles dont les concurrences sont certaines plutôt que des données verbales dont l’inférence
factuelle est sujette à caution. Notre séjour dans chaque zone nous a permis de mieux observer et
de mieux comprendre les réalités auxquelles font face les AI. Par exemple, nous avons pu
constater l’état des réseaux d’irrigation, le fonctionnement des ouvrages, les systèmes de
cultures, la tenue de quelques réunions par les comités de gestion des AI, etc.

Rencontres d’experts : les principaux organismes intervenants dans la gestion sociale de l’eau en
Haïti se sont regroupés au sein du GRI. Ce dernier regroupe une vingtaine d’organismes autant
publics que privés. Les responsables de 18 de ces institutions ont été rencontrés.

Colloque sur l’irrigation : au cours de l'étude, nous avons participé à un colloque en Haïti
déroulant sous le thème: le transfert de gestion des systèmes irrigués. Ce colloque a réuni les
secteurs de toutes les tendances ayant trait à l'irrigation. Il s'agit du secteur entre autre le ministre
de l’Agriculture, des responsables de l’État, des représentants d’ONG, des bureaux d’études, des
étudiants en GSE, des agriculteurs et des consultants indépendants. Il nous permis d’avoir une
plus grande compréhension de la problématique et des solutions envisagées et de mieux préciser
les éléments à analyser et les données à collecter.

3 LA STRATÉGIE ET PRINCIPES D’ANALYSE

L’analyse en recherche qualitative présente une particularité par le chevauchement entre l’étape
de la cueillette de données et celle de l’analyse (D’Amboise, 1996; Mayer et Oeullet, 2000). Ce
chevauchement sert à préciser graduellement les questions de recherche et aide à diriger la
cueillette des données de manière à ce que tous les faits qui se relèvent importants au cours de la
cueillette soient adéquatement documentés. Il permet d’éviter l’engorgement des données (Yorn,
2005).

Tout chercheur qui désire conduire une recherche qualitative doit se baser sur un certain nombre
de principes. Pour Mbengue et Vandangeon-Derumez (1999), lorsqu’on décide de recourir à une
méthode qualitative inductive, les données du terrain sont utilisées pour faire émerger les
concepts du phénomène étudié. Glaser et Strauss (1967, dans Hlady-Rispal, 2002) proposent une

49
méthode inductive de codage, qu’ils qualifient de «codage ouvert» permettant «de couper,
d’examiner, de comparer, de conceptualiser et de catégoriser les données ».

La plupart des auteurs proposent un ensemble de tactiques d’évaluation des conclusions, allant
du simple contrôle au test du modèle. Selon Mbengue et Vadageon-Derumez (1999), il s’agit de :

- Évaluer la qualité des données : il faut procéder par triangulation des sources de
données en utilisant simultanément des données primaires issues des entretiens et des
données secondaires issues des observations et de la documentation (Miles et Huberman,
1991, dans Hlady-Rispal, 2002). Ces auteurs recommandent également au chercheur de
tenir un journal de bord relatant les problèmes relatifs à la qualité des données.

- Examiner les différences entre les données collectées afin de contrôler les résultats :
établir des contacts et des comparaisons entre sites, vérifier la signification des atypiques;

- Vérifier les explications du chercheur : écarter les relations fallacieuses, sur la


reproduction des résultats aussi bien à travers les données qu’à travers les instruments de
mesure, vérifier les explications rivales, rechercher les preuves contraires, solliciter les
réactions des informants en diffusant quelques résultats partiels de l’étude au sein du site.

Ainsi, nous adoptons les principes qui recommandent de a) mettre de l’ordre dans la masse de
données recueillie, b) faire l’analyse du contenu : réduire le volume d’information disponible
afin de pouvoir travailler aisément avec ces données, c) décortiquer et coder l’information afin
de la classer dans différentes catégories qu’on a créées à priori, d) mettre à jour les récurrences et
régularités (patterns), e) comparer les faits recueillis et la théorie émergente selon un processus
itératif et progressif f) procéder par triangulation (D’Amboise, 1996).

Pour les études de cas, Maxwell (1997) mentionne une stratégie de contextualisation. L’objectif
est de comprendre, de découvrir et de relier les concepts sous-jacents aux données discursives
des informants clés. Il s’agit d’identifier les thèmes, les redondances, les patterns dans leurs
discours. Ainsi nous choisissons d’étudier les AI sur les angles de légitimité, de représentativité,
de leur fonctionnement, de leur capacité à gérer et à administrer les systèmes irrigués en
collectant les redevances, distribuant l’eau avec équité ainsi que la vie associative.

50
4 LA VALIDITÉ DE LA RECHERCHE

En terme de validité, deux préoccupations sont principales pour le chercheur : s’assurer de la


pertinence et de la rigueur des résultats et évaluer le niveau de généralisation de ces résultats
(Druker-Godard, Ehlinger et Grenier, 1999, p.257). Dans le premier cas, il s’agit de la validité du
construit, la validité de l’instrument de mesure et la validité interne des résultats. Dans le second
cas, il s’agira essentiellement de la validité externe des résultats. Le chercheur doit également
rechercher la fiabilité de sa recherche. Cette notion consiste à démontrer que les opérations
pourraient être répétées par un autre chercheur ou à un autre moment avec le (s) même (s)
résultat (s). En recherche quantitative on procède par test, en recherche qualitative ce sont surtout
des précautions qui sont prises (Ibid.).

Pour accroître la validité de la recherche, nous avons formalisé un dispositif de recherche


approuvé par les acteurs de terrain et académiques. Dans notre démarche, nous avons utilisé le
principe de triangulation qui consiste à jongler de multiples sources d’évidences. La triangulation
s’est faite au niveau de la répartition géographique des cas, des outils de collecte des
informations, des approches d'intervention par les projets et des points de vue des acteurs. Pour
les zones, les cas sont répartis dans cinq départements géographique s différents. Pour les outils,
il s’agit de la documentation des différents rapports produits par les projets conduits sur les
périmètres, les focus groupes et des entrevues individuelles. Quant aux points de vue des acteurs,
il s’agit de ceux des agriculteurs, des responsables de l’État, des membres du GRI et d’autres
spécialistes du secteur. À la fin de la collecte des données, une présentation des résultats
préliminaires a été réalisée auprès des membres du GRI. Leurs remarques ont été prises en
considération. Les interviews ont été enregistrées sur cassette, ce qui garantit la crédibilité des
informations collectées. Pour les approches d'interventions, nous avons choisi le système de
Fauché qui a connu récemment un projet de réhabilitation dont la gestion a été transférée
officiellement aux usagers. Ce cas permet de saisir d'autres éléments par rapport à l'intervention
du CICDA.

51
QUATRIÈME CHAPITRE :
PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
1 PRÉSENTATION DES CAS
Ce chapitre est consacré à la présentation et à l’analyse des résultats de l’étude. Il est comprend
deux sections. La première présente les cas sur lesquels l’étude a été réalisée selon une structure
qui fait une brève historique des systèmes et du contexte de leur création, les principaux éléments
du réseau et leur gestion, l’association et les principaux éléments de sa gestion dont al vie
associative, la gestion technique, la distribution de l’eau et la gestion financière. La deuxième
section fait une analyse transversale des principaux éléments issus des cas. Une présentation
détaillée des systèmes irrigués touchés par l'étude se trouve en annexe F.

1.1 LE SYSTÈME IRRIGUÉ DE TI CARÉNAGE

Le système de Ti Carénage est situé dans la commune d’Anse Rouge, département de


l'Artibonite. Il a été créé en 1982 dans le cadre d'un projet financé par la coopération française,
via l’Action contre la fin (ACF). Le périmètre repose sur l’exploitation des nappes par forages
profonds. La station de pompage est équipée d'une pompe immergée alimentée par un groupe
électrogène. Au début, la pompe fournissait un débit de 17 l/s qui irriguait 40 ha, mais la pompe
actuelle fournit 29 l/s. Avec la création du système, les paysans ont abandonné en partie les
cultures de coton et de millet au profit de l’échalote associée au sorgho ou au maïs qui ne
consomment pas beaucoup d'eau et sont très rentables économiquement. Ils ont fait deux
campagnes de culture par an. Le système a été inauguré le 26 octobre 1983 et cogéré par l'équipe
de projet et les usagers représentés par le «Groupement des planteurs du périmètre irrigué PA3 ».
À partir de 1991, les usagers gèrent seuls le système, mais ils bénéficient d'un suivi de l'ACF qui
a remplacé la pompe en 1995 et en 2004. L'association s'était dotée des statuts et des règlements
internes. En 1996, elle a obtenu un certificat de reconnaissance et un certificat de fonctionnement
respectivement auprès du MAS et de la mairie d'Anse Rouge. Lors de la construction des
aménagements, les paysans avaient travaillé au chantier en contrepartie d'un droit d’eau qui est
héréditaire. Il confère à leur détenteur la possibilité d'être membre de l'association. Ainsi, 154
paysans ont été admis au rang des membres. Certains usagers ont hypothéqué leur droit d'eau ou

52
l'ont vendu, mais la vente est défendue par l'association et est très marginale. Ceux qui ont pris
des hypothèques d'eau sont considérés comme des membres temporaires de l'association. Ils
peuvent participer aux assemblées mais ne peuvent pas voter.

La structure comprend une assemblée générale (AG) et un comité directeur de 8 membres. L’AG
qui se réunit à la fin de chaque campagne agricole. Selon les dirigeants, la participation aux
assemblées est acceptable. Le comité directeur comprend trois sous-comités: un comité
d'intrants, un comité de gestion et un comité de contrôle. Leur fonction est bénévole, mais ils
obtiennent une compensation en droit d'eau d'une heure pour le président et de 30 mn pour les
autres. Le groupement possède un personnel constitué d'un mécanicien, d'un opérateur et de deux
directeurs de canaux. Les mandats ont une durée de 2 ans, mais ils n'ont pas été renouvelés. Il n'y
a pas émergence de nouveaux leaders car la plupart des élus l'ont été depuis la création du
périmètre. Leur motivation de rester en poste semble provenir de leur crainte quant à la
possibilité de trouver d'autres leaders capables de bien gérer le système «vu les enjeux qui
entourent le système, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser sa gestion entre les mains de
n'importe qui». Les usagers non plus n'ont pas exprimé une volonté réelle d'avoir de nouveaux
dirigeants. Cela pourrait s'expliquer par le fait que les dirigeants actuels sont en poste depuis la
création du périmètre, bénéficient de la plupart des formations et ont développé une expertise
dans la gestion du système. Cependant, certains d'entre sont âgés, ce qui laisse planer des doutes
quand à la relève de la gestion du système de Ti Carénage.

Le projet a aidé à mettre en place un horaire de distribution avec un tour d’eau de 15 jours. Le
directeur de canal fournit l'eau à un groupe d'usagers qui la répartit entre eux selon le droit de
chacun. Quelques cas de détournement d'eau sont observés. Quand cela arrive, le comité restitue
l'eau à l'usager lésé et sanctionne le fraudeur. L’eau est fournie à crédit aux agriculteurs qui
payent les redevances à la fin de la campagne agricole. Le taux de recouvrement dépasse en
général 95%.

L'association dispose d'un compte d'épargne et d'un compte courant dans les institutions
financières des Gonaïves. Le projet avait établi un budget de fonctionnement permettant de
calculer le coût de l'heure de pompage, qui correspond au montant horaire des redevances. Les
postes de dépenses concernent le carburant, le lubrifiant, les pièces de rechanges,

53
l’amortissement, les entretiens du réseau et les frais d’administration. Ce budget est actualisé
chaque année. Selon les dirigeants, le budget est voté en AG, tandis que les usagers soutiennent
le contraire. À la création du système, le coût d'une heure de pompage était de 35 HTG, les
usagers payaient la moitié et le projet couvrait le solde. À partir de 1991, les usagers supportent
seuls les redevances. Ces dernières ont connu de fortes augmentations à cause des coûts, surtout
celui du carburant, qui ne cessent de grimper. Par exemple, le carburant représente environ 70%
des dépenses de l'association. Au moment de l'enquête, les redevances étaient de 265 HTG par
heure, soit une augmentation de 657% en 20 ans, et les dirigeants ont affirmé qu'elles
augmenteraient d'environ 30% pour le prochain exercice compte tenu que le prix du carburant
venait d'augmenter. Cependant, à partir du budget présenté, théoriquement il serait possible
d'avoir un montant moins élevé. En effet, dans le budget, l'amortissement est perçu comme une
sortie de fonds et quand les matériels sont épuisés, il faut un appui externe pour leur
renouvellement. Les usagers ont accepté de payer les redevances pour assurer leur survie « si le
système n'est pas là, la plupart d'entre seraient morts». Toutefois, ils pensent que certaines fois,
les dirigeants augmentent les redevances pour combler certains montants qu'ils n'arrivent pas à
justifier.

L'association fournit d'autres services. Elle gère une boutique d’intrants agricoles (BIA) pour
alimenter le périmètre et s'occupe du stockage de l'échalote. Comme l'eau d'irrigation, les intrants
sont vendus à crédit. L’association utilise l'énergie du moteur actionnant la pompe pour fournir
l'électricité à certains usagers et pour faire fonctionner un moulin de maïs.

Dans l'ensemble, les usagers sont satisfaits des services offerts. Toutefois, certains se plaignent
du manque d’information et de transparence dans la gestion financière. Les dirigeants de
l'association ont fait preuve d'une certaine maîtrise de la gestion technique, mais présentent
quelques limites quant à la gestion financière et la gestion associative. En effet, les missions
principales d’une association d’irrigants sont de distribuer l’eau aux usagers et exploiter le
système. En dépit de la hausse du coût de carburant entraînant une hausse des redevances, le taux
de recouvrement est très élevé, de même que les gestionnaires arrivent à faire appliquer un
horaire de distribution. En plus, le comité arrive à gérer d’autres activités comme un moulin et
une boutique d’intrants agricoles. Compte tenu des efforts des usagers, des alternatives seraient

54
nécessaires afin de diminuer les redevances et améliorer les productions agricoles ainsi que la
gestion de l'association.

1.2 LE SYSTÈME IRRIGUÉ DE BAYONNAIS

Le système d’irrigation de Bayonnais est situé dans la troisième section communale des
Gona?ves, département de l’Artibonite. Il est constitué d’un ensemble de 14 petits périmètres
alimentés par la rivière Bayonnais et par quelques sources d’eau. Certains des canaux ont été
construits par les paysans à des époques non précises, mais c’était en 1941 que l’État a intervenu
officiellement sur le système en construisant les canaux Clavin et Digotery. Par la suite, les
paysans continuaient à en construire d’autres et ce, jusqu’en 1997 où ils ont commencé le canal
Vieux Chemin qui n'est pas encore achevé à cause de leur faible moyen technique et financier.

Les premiers canaux ont été gérés par les paysans eux-mêmes. Avec son intervention, l'État a
nommé trois syndics d’irrigation qui ont choisi des directeurs de canaux, mais il semble qu'il a
toujours existé deux structures de gestio n : l'une formelle par l'État et l'autre informelle par les
paysans comme l'exprime un groupe d'usagers « nous avons creusé le canal Vieux Chemin et
nous l'avons géré sans l'État ». Deux des syndics ont pris le départ volontaire en 1998 et l'autre
continue à exercer ses fonctions. En 1995, la PRODEVA a exécuté un projet qui a permis entre
autres, la réhabilitation du réseau, l'amélioration des techniques agricoles, l'attelage et la création
d'une coopérative agricole. Il semble que le projet a changé sa stratégie lors de son exécution
puisqu'au début il a créé une coopérative et ce n'est qu'à la fin que des comités d'irrigants ont été
mis en place. La coopérative bénéficiait d’un prêt de la PRODEVA grâce auquel elle
commercialisait les intrants agricoles et octroyait du crédit à ses membres. Au moment de
l'enquête, ce service n'était plus fourni et les usagers exprimaient des difficultés de financement
«le projet nous a donné de nouvelles techniques et nous avons adopté de nouvelles cultures, les
coûts de production augmentent et nous ne trouvons pas de crédit». La coopérative continue le
commerce, mais de manière très réduite car son chiffre d’affaire a considérablement diminué
selon l’un des dirigeants «notre capacité est vraiment limitée et l'État devrait permettre à la
coopérative de trouver des intrants agricoles à un prix raisonnable». Les usagers voudraient
également améliorer l'attelage «l'attelage serait une bonne solution, mais les bœufs vieillissent et
nous n'avons pas les moyens de les renouveler».

55
Chaque périmètre est représenté par un comité de 7 membres. Selon les procès verbaux des
élections, entre 46 et 86% des usagers avaient voté. En 2002, chaque comité élit un membre qu’il
délègue à un comité central appelé « Fédération des irrigants de Bayonnais». En réalité, c'est une
association que l’on appelle fédération. Seulement deux comités ont des femmes et la fédération
en est dépourvue. La fédération organise ses assemblées générales en deux temps : l'une entre les
usagers en amont et l'autre entre ceux en aval. Cela s'explique par le nombre important de
membres qui serait plus de 5000 et les locaux alloués aux AG qui seraient insuffisants pour
contenir tous les membres.

Lors de la mise en place des comités, le nouveau rôle du syndic n’a pas été défini et la
PRODEVA n'avait pas l'autorité nécessaire de le remplacer. Il résulte une lutte entre le syndic et
la fédération qui veulent exercer chacun son pouvoir. La fédération fait part de la panique reçue
du syndic qui essaye de gagner la confiance des usagers en aval. Selon elle, le syndic tient
souvent les propos suivants : « si les usagers en amont détiennent l'eau, ceux en aval auront la
route; ou si vous refusez de m'obéir, j'utiliserai mon arme à feu ». La lecture de cette situation
par la fédération est la suivante : «il y a un grand État qui fait la formation pour nous et un petit
État qui est contre nous ». Néanmoins, elle reconnaît l’expertise du syndic dans la distribution de
l’eau. Pour les autres usagers, certains déclarent que c’est le syndic qui gère le système et
d’autres, la fédération. Donc, il existe une confusion au niveau des rôles sur ce système. On
pourrait améliorer cette situation par une meilleure intégration du syndic au sein de la fédération.

La fédération compte sur les redevances pour son financement. La PRODEVA avait amorti les
ouvrages d’irrigation sur 20 ans et calculé les redevances à 500 HTG/cx/an. Elle estimait que les
paysans ne pourraient pas payer un tel montant, qui a été fixé à 100 HTG. La fédération ne
dispose pas de budget de fonctionnement. Chaque trésorier collecte la redevance sur son canal,
dépense une partie pour l’entretien de son périmètre et verse le solde à la fédération. Selon les
registres de ce dernier, le montant disponible était de 21611 HTG. Toutefois, nous n'avons trouvé
aucun mécanisme de collecte ni de versement à la fédération. Par exemple, dans certains cas,
l'argent collecté ne correspond pas au total du montant dépensé et de celui versé à la fédération et
aucune justification n'a été donnée. La plupart des usagers ignorent le montant des redevances
qui semble être plutôt discrétionnaire et dont l'utilisation n'est pas bien comprise par eux. De plus
ils sont démotivés par le syndic, selon ce que raconte la fédération:

56
« il y a des personnes qui payent jusqu'à 10 HTG. Au début, les usagers pensaient que
les redevances devaient permettre à PRODEVA de continuer le projet […]. Les paysans
ne veulent pas payer parce que les employés de l'État pourraient détourner l'agent. C'est
le syndic même qui demande aux usagers de ne pas payer ».

Pour d'autres usagers «l’eau appartient à Dieu, pourquoi la payer ». Donc, la collecte de
redevance à Bayonnais ne se ferait pas sans beaucoup d'effort. Une crainte semble s'installer chez
certains usagers qui ne connaissent pas encore le rôle des redevances et chez d'autres par les
conflits entre la fédération et le syndic.

Les canaux réhabilités par PRODEVA sont relativement en bon état. Toutefois, certains ne sont
pas encore achevés à cause des faibles moyens techniques et/ou financiers. Les entretiens se font
sous forme de konbit coordonné par les comités de canal. Lors de ces activités, la participation
des usagers est jugée acceptable par la fédération.

À Bayonnais, il n’y a pas un horaire d'irrigation bien établi. La fédération ne dispose même pas
de liste d'usagers, mais un processus est en cours pour son élaboration. En période pluvieuse,
l'eau est abondante et il parait que l'application d'un horaire s'avèrerait très complexe à cause du
système de culture. Certaines cultures, comme le riz, demandent l'eau en permanence, d'autres
comme le maïs ont leur besoin en eau satisfaite par la pluie. Les usagers en amont ne voient pas
l'importance d'un tel horaire contrairement à ceux en aval qui le souhaitent. En période d’étiage,
certains comités appliquent une ébauche d’horaire très flexible, d'autres préconisent des ententes
entre usagers. Quelques comités témoignent des agressions qu'ils ont subies des belligérants qui
auraient préféré une distribution anarchique. La plupart d’entre eux possèdent de l’arme à feu ou
bénéficient de la faveur du juge de paix de la Zone. Ce qui porte la fédération à déclarer «on
aimerait avoir, au sein de la fédération, un comité assermenté pour juger les belligérants et
donner des leçons aux autres». Cela témoigne du désir des usagers de voir fonctionner l'appareil
judiciaire.

Il ressort qu’il reste beaucoup à faire dans le processus de transfert de gestion du système de
Bayonnais. Nous avons vu que la PRODEVA a réhabilité le périmètre en initiant certaines
activités, mais il semble que le projet a terminé prématurément et qu’un suivi formel n’a pas été
fait. Le défi s'installe auprès de la fédération qui doit gérer le système dans un environnement
difficile. En ce sens, la priorité se fonde sur deux besoins 1) la justice et la sécurité pour faire
appliquer les règlements et 2) la reconnaissance légale de la fédération par les autorités. Ces

57
actions devraient être renforcées par la formation, la présence de techniciens, l'octroi du crédit et
la subvention de la coopérative et de l'attelage.

1.3 LE SYSTÈME IRRIGUÉ DE J EAN DAVID

Le système d'irrigation de Jean David est situé dans la commune de Cayes-Jacmel, département
du Sud-Est. Il a été construit en 1941 par la compagnie Standard dans le but de produire de la
banane pour l’exportation. Au début, la superficie irriguée était de 500 ha, mais actue llement il
n'y pas de cadastre qui pourrait confirmer cette information. Ce système a connu plusieurs
formes de gestion : la gestion étatique, la gestion privée où il a été affermé par 'lInstitut de
développement agricole et industriel (IDAI) pour 20 ans, et la gestion actuelle que nous
considérons comme une gestion mixte entre l'État et les usagers. Plusieurs organismes y ont fait
des interventions notamment l'IDAI entre 1972 et 1989, le CODAH en 1990, la PADF en 1994,
l'ASSODLO en 1996, le CECI en 1997, la FERMAO en 2000 et le CICDA en 2001. À coté de
ces organismes, le MARNDR a fait des interventions ponctuelles. Ces nombreux projets seraient
expliqués par le fait que le système est souvent endommagé par des cyclones et que les projets
sont en général de courte durée. Le réseau comprend un canal principal de 4 000 m dont 1 000 m
sont en maçonnerie, 24 canaux secondaires et des canaux tertiaires en terre battue, deux
aqueducs, quelques ponceaux et des ouvrages connexes. Selon les usagers, les canaux sont mal
construits et inadaptés. Cela est attribué aux interventions où chaque projet réalise un tronçon de
canal qui ne suit pas nécessairement le profil des autres. Le canal primaire manque d’ouvrage de
traversée et de vannettes.

L’IDAI a la issé le système en 1989 et l’État en a repris la gestion. En 1994, le MARNDR a mis
en place la Fédération des usagers du canal Jean David (FEUCAJ) avec un comité élu pour deux
ans. Ce comité n’a été renouvelé qu’en 1999. Chaque canal secondaire contient un comité de 3
membres. L’ensemble des membres de ces comités, au nombre de 51, vont élire un comité
directeur de 7 membres. Le processus n’est pas trop clair car certains représentants déclarent
qu’ils ont été élus tandis que d’autres disent qu’ils ont été nommés par le comité directeur. La
FEUCAJ possède des statuts, mais un processus de modification est en cours afin de les adapter
au besoin du périmètre. Selon les dirigeants, les grandes décisions sont prises en AG. Cependant,
personne n’était capable de se rappeler de la date de la dernière AG, ni du nombre de participants

58
ou des grandes décisions prises. D’après toute vraisemblance, l’AG se confond avec les réunions
ordinaires. Les tâches du comité ne sont pas bien définies. Ils ne disposent pas de liste d’usagers
mais ils estiment que le nombre serait de 1500. Le comité directeur est dépourvu de femmes et
elles sont rares dans les autres comités. Certains jeunes se montrent très intéressés par la gestion
du système. Ils offrent des services au niveau de l’élevage, grâce à une formation reçue de
VETERIMED, une ONG spécialisée dans ce domaine en Haïti.

La fédération ne dispose pas de plan de maintenance. Elle fait un grand curage annuel et souhaite
en faire trois afin de tenir le réseau en bon état. Les entretiens sont réalisés sous forme de konbit.
Ils s’intensifient en début de campagne et après les fortes sédimentations du système. La
participation est discrétionnaire mais, la FEUCAJ juge qu’elle est acceptable.

Dans le temps, un horaire de distribution était établi au niveau du canal primaire. Le système
disposait d’un syndic à cet effet. Ce dernier a intégré le comité actuel, mais n’arrive pas à
appliquer l’horaire. En ce sens, les usagers demandent l’intervention en déclarant : «si l’État ne
vient pas mettre l’ordre dans le système, l’horaire ne s’appliquera jamais». En saison pluvieuse,
l’eau d’irrigation est faiblement sollicitée. Dans ce cas, elle suit son parcours naturel jusqu'à la
mer. De plus, on note l’existence d’une source d’eau en amont du système qui dispose d’un débit
dont certains tronçons du canal principal ne peuvent même pas transiter en saison pluvieuse. En
période d’étiage, qui correspond à celle de la culture du haricot, l’eau est très sollicitée. Selon les
usagers, le débit disponible serait suffisant pour arroser tout le système. Cependant, l'absence
d'horaire formel empêcherait aux parcelles en aval d’être irriguées en bonne et due forme.

Les fonds de la fédération proviennent essentiellement des dons. Par exemple, en 2000, elle a
bénéficié d’un don de 202 000 HTG de la part du MARNDR. Cet argent a été déposé dans une
institution bancaire. Tout décaissement requiert les signatures conjointes du président de la
fédération et d’un représentant de la DDA. Au moment de l’enquête, le solde était de 151 000
HTG. Cet argent devrait être alimenté par les redevances. En 2001, le CICDA a aidé les usagers
à élaborer un budget de fonctionnement. Ce budget a permis de fixer les redevances à 7 HTG par
centième de carreau par an, soit 700 HTG/cx/an. Sur la base de 500 ha, les redevances seraient
de 270 000 HTG. Le budget n’a pas été mis en œuvre et les redevances collectées pour
l’ensemble du périmètre ne dépassaient pas 500 HTG (0,18%). De plus, non seulement les

59
usagers ne payent pas, mais encore ils contestent les modalités de calcul «je n'achète pas de
terre, comment voulez- vous que je paye par centième?».

La fédération fait face à des défis provoqués par la lessive et l’abreuvage des animaux dans les
canaux, et la destruction des vannettes. Certains agriculteurs sont convaincus que «le bulbe de
savon est un poison pour les plantes, surtout le haricot ». Pour d'autres, cette affirmation n'est pas
plausible. Cela provoque parfois des conflits. Les règlements internes établissent des balises
visant à limiter les conflits. Par exemple, les actions précitées sont interdites. Les contrevenants
devraient être sanctionnés par des amandes de 51 HTG et l’emprisonnement en cas de récidives.
On ressent la crainte des dirigeants à appliquer les sanctions. Ils s’en remettraient davantage à la
présence de l’État.

Les agriculteurs sont très sceptiques quant à la volonté réelle de l’État de transférer la gestion des
systèmes. Quelques uns d’entre eux qui ont été en République Dominicaine, ont tenu le discours
suivant «ce sont les dominicaines qui font de l’agriculture. Ils ont des agronomes, du crédit et des
intrants agricoles». D’autres font éloge de l'IDAI et remettent en question le travail des employés
de l’État.

«Seul IDAI travaillait avec nous et nous encadrait, les autres techniciens ne font rien.
À l’époque de l’IDAI, nous trouvions des semences […] et il y avait des agronomes.
Chaque premier mai, les agriculteurs participaient à des activités spéciales comme la
distribution des matériels agricoles, des expositions, etc. La fête de l’agriculture
devrait être celle des agronomes. Aujourd’hui, l’État est démissionnaire et les
agronomes ne font pas leur travail»

Ils font part de la répartition inéquitable des cadres de l’État «les agriculteurs de l’Arcahaie ont
des agronomes qui leur enseignent les techniques de production» Ils reconnaissent également que
la dégradation du bassin versant ainsi que le déboisement des zones en amont du périmètre
constituent un danger potentiel pour leur système et pour leur vie en général. Ils réclament la
réhabilitation totale du périmètre en favorisant une participation réelle de la population.

La gestion du système de Jean David par les usagers s’avère difficile. L’état du réseau ne
s’apprête pas à un horaire d’irrigation. Les usagers et les dirigeants présentent beaucoup de
limites pour une autogestion efficace. Les mauvaises habitudes laissées par les projets et les
différentes formes de gestion ne favorisent pas une prise en charge du système. En ce sens, un
réel projet de réhabilitation devrait favoriser une autogestion plus responsable.

60
1.4 LE SYSTÈME IRRIGUÉ DE CROIX FER

Le système d'irrigation de Croix Fer est situé dans la commune de Belladère, département du
Centre. Il est alimenté par la rivière Onde verte ayant un débit variant de 420 à 969 l/s. Le réseau
comprend un canal principal de 4 500 m, 18 canaux secondaires issus des bassins et d'autres
ouvrages comme des chutes, des traversées, etc. Il n'y a pas de drains, ce qui pose des difficultés
à certaines zones. Le réseau a été construit en 1983 par le CHADEV qui, dès l'exécution du
projet, a mis en place le Comité des usagers du système d’irrigation de Croix Fer (CUSIC) avec
un comité d'usagers sur chaque bassin. Des statuts et des règlements internes ont été élaborés
mais ces outils ne répondent plus à la réalité et ne sont pas appliqués. Un processus est en cours
en vue d'élaborer de nouveaux outils. Le CUSIC possède une AG, un comité élargi formé des
représentants des bassins, au nombre de 54 et un comité de gestion de 9 membres dont 3
femmes. On rencontre des femmes dans plusieurs autres comités. Elles forment une mutuelle
dénommée «groupe femmes vaillantes» qui bénéficie de l'appui d'organismes comme «Kole
Zepòl» pour octroyer du micro-crédit à ses membres.

Au départ, le nombre d'irrigants était de 261. Actuellement, le CUSIC l'estime à 500, mais ne
dispose pas de liste d'usagers. L'AG se réunit une ou deux fois par an. En réalité, ce sont des
réunions ponctuelles qui ont lieu parfois sous l’impuls ion des intervenants externes. Les comités
de bassins ne sont pas fonctionnels, mais peuvent mobiliser les gens lors des travaux d'entretien
du réseau. Le CUSIC a un personnel constitué d'un vannier. Il fait appel à des contractants au
moment des travaux d'entretien.

Les comités sont élus pour 2 ans, mais ils ne sont pas renouvelés, puisque la quasi- totalité des
élus actuels y sont depuis la mise en place du système. Il n'y a pas admission de nouveaux
membres au sein du comité de gestion et les membres actuels sont âgés. Certains usagers, surtout
des jeunes, contestent le non renouvellement des mandats et promettent de tout faire pour forcer
le déclenchement des élections.

Lors de la construction du réseau, les usagers avaient largement participé, selon leur témoignage
«certains ouvrages, nécessitant de matériel mécanique, ont été exécutés à bras d’homme». C’est
également l’avis de l’un des responsables du projet d'alors «nous avions utilisé la main d'œuvre
locale à la place de machines». Cette participation a permis aux usagers de faire l'extension du

61
réseau même après le projet «après le projet, nous construisons d'autres canaux secondaires et
tertiaires et nous avons aidé à la mise en place de deux autres systèmes Kalaroch et Pernale». Il
semble que ce projet répondait à un besoin. Il a provoqué des changements socioéconomiques
importants dans la communauté qui se l'a approprié, comme l'a expliqué le CUSIC :

Le canal est une fortune pour nous. Avant le projet, les maisons étaient en chaume […],
aujourd'hui la plupart d'entre elles sont en maçonnerie, nous avons l'électricité et
pouvons répondre à plusieurs besoins. Les agriculteurs des zones non irriguées perdent
souvent leurs récoltes, tel n'est pas notre cas.

Depuis la construction du système, il n’y a pas eu d’intervention directe de l’État au niveau de la


gestion. Toutefois, certains appuis ont été apportés pour permettre à d'autres organismes d'y
intervenir. C'est le cas pour la PADF, le CICDA et le PICV. Les travaux d'entretien se font sous
forme de konbit et la participation des usagers est jugée acceptable par les dirigeants.

Les fonds de l'association proviennent des redevances, des dons et des contributions volontaires.
Les redevances sont de 500 HGT/cx/an. En réalité, elles sont payées au prorata de la quantité de
haricot plantée. Le CUSIC possède un compte d'épargne et une petite caisse. En 2001, le CICDA
a aidé le comité à calculer un budget de 74 000 HTG, mais les rentrées étaient de 15 000 HTG.
Le CUSIC avait la promesse du CICDA et du PICV pour combler le solde, mais ces organismes
n'ont pas tenu leur promesse. L'association distribue de bordereaux que les usagers recouvrent au
moment de la récolte. Les dirigeants estiment un taux de recouvrement d'environ 60%, mais les
rentrées montrent qu'il serait de 20%. Ils pensent que les redevances ont baissé ces dernières
années en déclarant «après 1986, les usagers deviennent rebelles, étant donné que le comité est
dynamique et ne commet pas d'abus, il y des gens qui payent encore». Pour faire face à certaines
grandes dépenses, le CUSIC fait des levées de fonds au cours desquelles un seul agriculteur peut
verser jusqu'à 5 000 HTG.

Le projet avait établi un horaire de distributio n, mais après les évènements politiques de 1986,
cet horaire a été saboté. Toutefois, des ententes ont permis aux usagers d'irriguer leurs parcelles.
À Croix Fer, l'eau n'est pas vraiment limitante. L'extension du réseau a été faite par les usagers
sans l'appui des ingénieurs et l'eau atteint difficilement certains endroits. Ils demandent sans
cesse l'intervention de l'État pour y apporter des corrections selon le CUSIC: «il nous manque de
techniciens, des agronomes pour traiter les problèmes de sol et de haricot: si on avait de

62
techniciens on ferait mieux». Par contre, ils reconnaissent l'apport du MARNDR dans
l'organisation des visites d'échange qu'ils considèrent comme un bon moyen d'apprentissage.

À Croix Fer, il n'est pas nécessaire de parler de transfert de gestion puisque les usagers gèrent le
système depuis 1986. Les usagers optent pour un accompagnement qui facilite l'amélioration du
réseau, de leur gestion et de la production agricole.

« Avec le CICDA, on comprend mieux la gestion de l'association, mais ce n'est pas


suffisant. Ce qui est prioritaire pour nous c'est l'amélioration du réseau, la BIA, la
formation et les techniciens. Si l'on donne de l'argent à quelqu'un qui ne sait pas
comment l'utiliser, c'est du gaspillage. C'est le plus grand péché du MARNDR
lorsqu'il ne dispose pas de cadre sur les périmètres, car les agronomes sont considérés
comme les médecins des agriculteurs. A l'époque de l'IDAI, on avait des techniciens,
actuellement on ne les voit plus »

En somme, le système de Croix Fer est géré par les usagers depuis sa création. Il serait préférable
de parler d'officialisation de la gestion. Les usagers aimeraient faire mieux, mais n'y parviennent
pas à cause de leur limitation technique et financière. En ce sens, un renforcement serait
nécessaire pour une prise en charge effective.

1.5 LE SYSTÈME IRRIGUÉ DE DORY

Le système d’irrigation de Dory est situé dans la commune de Cavaillon, département du Sud. Il
est alimenté par un barrage déversoir de 40 m de long au niveau de la rivière Cavaillon
fournissant un débit d’environ 2000 l/s. Le réseau comprend un canal primaire de 19 km, 19
bassins alimentant 24 canaux secondaires en terre battue, un siphon de 120 m permettant au
canal primaire de traverser la rivière et d’autres ouvrages connexes. Les 800 premiers mètres du
canal primaire sont en charge. Le réseau est en très mauvais état, par manque d'entretien. De plus
les gestionnaires déclarent « dans la politique de transfert de gestion, l’État doit intervenir sur les
grands coussins […]. Notre travail se limite aux canaux secondaires et tertiaires ». Donc, une
confusion règne autour de l'entité qui doit entretenir le canal primaire. Le réseau a été construit
en 1976. Cette même année, le barrage a été détruit et l’Expérimentation démonstration agricole
de la péninsule du Sud (EDAPS) a construit de nouveaux ouvrages. Parallèlement, une usine de
transformation de la tomate, la FACOLEF, a été construite. Cela a contribué, de 1982 à 1984, à
l’intensification de la culture irriguée de quelque 600 ha de tomate. En 1984, l’usine a été
incendiée et la culture de la tomate a régressé au profit d’autres cultures notamment du maïs, du

63
haricot, de la banane, du riz et des légumes. Le système était géré par l’État qui était représenté
par un syndic d’irrigation et un vannier. En 1998, le syndic a pris son départ volontaire mais le
vannier est resté à son poste.

Le périmètre a connu plusieurs interventions notamment le CRS/DDAS en 1994, la PADF/JOB


en 1995, la CRS/USAID en 2000, le CICDA en 2001 et le protos en 2003. La Caritas a servi
comme partenaire pour la plupart de ces projets. Elle dispose d'un animateur qui organise des
rencontres d'information et de sensibilisation avec les usagers. Les projets visaient surtout le
réseau souvent dégradé et dans une moindre mesure, la production agricole. En 1994, le CRS a
formé des groupements d’usagers mais ils n’étaient plus fonctionnels après le projet. Le projet
de 2000 impliquait 4 partenaires: la Caritas paroisse Cavaillon, la Caritas Paroisse Dory,
l’Association coopérative des jeunes de Bercy (ACOJEB) et l’Association des jeunes pour le
développement de Clona (AJEDEC). Ils avaient opté pour une formule favorisant la
participation des usagers. Selon cette formule, sur 6 journées de travail, 3 étaient payées
directement, deux destinées à un fonds communautaire et 1 consacrée au développement local.
L’enquête n’a pas révélé le devenu de ces fonds. Au moment de l’exécution, des conflits
s’éclataient entre la Caritas et l’ACOJEB, le projet a fini prématurément. Cela alimente une
tension entre la Caritas et l’ACOJEB qui s'accusent mutuellement.

Le projet de 2000 avait mis en place l’Association du système irrigué de Dory-Cavailo n


(ASIDC). Sur chaque canal, on avait élu un comité. À l’intérieur des localités Dory, Clona,
Bercy et Cavaillon, les comités de canal élisent 4 comités de zone de 3 membres chacun.
L’ensemble des membres des comités de zone forme le comité central. Cependant, nous avons
remarqué que ce dernier est formé de 11 membres et non de 12. Cela indique un écart entre ce
qui est écrit et ce qui se pratique réellement. Les comités souhaitent tenir régulièrement des
réunions mensuelles et une assemblée générale annuelle. En réalité, ces réunions sont
organisées ponctuellement et sont plus intenses au moment des projets.

La plupart des membres de l'AJEDEC et de l'ACOJEB sont également membres de l'ASIDC. Il


en est de même pour les dirigeants. Les opposants de Caritas, même lorsqu'ils font partie du
comité directeur de l'ASIDC, remettent en cause sa légitimité en déclarant «ce comité est le
comité de la Caritas parce que tous ses membres n'ont pas été élus par les usagers». Selon la

64
Caritas, ce sont des personnes qui vivent à Port-au-Prince et surveillent les opportunités sur le
périmètre. La durée des mandats des comités est également imprécise. Certains membres
déclarent que le mandat est de trois ans, alors que d’autres soutiennent que ce comité est
provisoire et la fin de son mandat n’a pas été prévue. Il en résulte une confusion au niveau du
mandat du comité central. Toutefois, la majorité des membres souhaitent des élections l’année
2005. Le CICDA a donné un appui pour doter l’association des outils légaux notamment, les
statuts et règlements internes. Ces documents sont en cours d’élaboration.

Chaque année, le MARNDR octroie de l’argent pour curer quelques tronçons de canal ou réparer
quelques ouvrages. Le comité directeur critique l'utilisation de cet argent. Certains comités de
bassin arrivent à faire des entretiens sur leur canal, mais ces actions ne sont pas coordonnées pas
l'association. Le reste du réseau n'est entretenu que dans le cadre de projet comme l'a déclaré le
comité directeur « certains usagers nous demandent quand y aura-t- il un projet». Sous
l’initiative du CICDA, le protos a octroyé quelques vannes pour faciliter la distribution. Ces
vannes ne pourront pas être installées du fait que le vannier ne coopère pas avec le comité. Il ne
reçoit d’ordre même des autorités du BAC. Les usagers le considèrent comme un handicap pour
la bonne marche du système.

Dans le temps, il y avait un horaire de distribution. À partir de 1986, cet horaire ne s'applique
plus. Selon les usagers, le débit disponible serait suffisant pour irriguer tout le périmètre, mais il
est mobilisé par les usagers en amont. L'eau atteint difficilement les zones en aval. Certains
agriculteurs ont recours à la culture pluviale et d'autres courent quand même le risque comme l'a
déclaré l'un d'entre eux.

«dans le temps, je pouvais arroser normalement, mais depuis plusieurs années je


n'arrive plus à le faire. J’ai planté pendant deux ans, espérant que je pourrais faire
au moins trois arrosages. Malheureusement, j’ai perdu 20 marmites de haricot que
j'avais plantée la saison dernière»

L’association ne dispose pas de budget de fonctionnement. Son argent provient surtout des
excédents dans la gestion de petits projets. L’argent est gardé en liquidité par la trésorière qui,
selon certains membres, ne justifie pas toujours les dépenses et ne produit jamais de rapport
financier. Cela alimente davantage des conflits entre le comité qui ne fonctionne jamais à sa
pleine capacité. Au moment de l’enquête, l’association possédait 37 496 HTG et a déjà engagé
des discussions afin d’ouvrir une compte bancaire en son nom. Il n’y a pas eu de redevances

65
collectées. Cela est lié à l’histoire du périmètre. Selon les usagers, depuis la création du
périmètre, il n’était jamais question de payer pour l’eau. En 1982, les usagers avaient payé une
taxe d’irrigation de 12,50 HTG/ha et depuis, aucune taxe n’est collectée.

Les usagers se plaignent du manque de circulation des informations. Ils ne sont pas informés des
grandes décisions prises par le comité directeur. Toutefois, ils renouvellent leur confiance en
certains dirigeants et réclament un projet complet de réhabilitation du système selon la nouvelle
approche (GSI) qui leur permette de mieux le gérer.

1.6 LE S YSTÈME IRRIGUÉ DE FAUCHÉ

Le système d'irrigation de Fauché est situé dans la commune de Grand Goâve à 48 km de Port-
au-Prince, département de l'Ouest. Il est alimenté à partir d’un barrage érigé dans la rivière. Le
réseau d’irrigation est en grande partie enterré avec des tuyaux en PVC. Il comprend un canal
principal en maçonnerie d’environ 1000 m de long. Ce canal est divisé en deux branches : l'une
traverse la rivière pour irriguer la rive gauche, tandis que l'autre longe le canal principal vers la
rive droite du système. La superficie irriguée est de 200 ha et le débit de 120 l/s. La banane et le
haricot en sont les cultures principales, mais on y rencontre le maïs et des légumes ainsi que la
culture de piment qui est en expansion depuis 2001. Fauché fait partie des 27 périmètres irrigués
dont la gestion a été officiellement transférée aux usagers. Il est géré par l'Association des
irrigants de Fauché (AIFA) qui possède 392 membres. L’association s’organise en 11
groupements de 20 à 40 irrigants exploitant des parcelles dans une même zone
appelés Groupement d’usagers (GDU). Chaque GDU est géré par un comité de 3 membres.
L’ensemble des GDU d’un même canal élit un comité de canal composé de 3 ou 4 membres.
Certains membres des comités de canal seront sanctionnés par une élection qui désignera un
comité de gestion. Dans la réalité, seul le comité de gestion est fonctionnel. L’association
dispose également d'un comité de surveillance et de contrôle et d'un personnel salarié constitué
d’un vannier et de 2 policiers des eaux.

Le début de l'irrigation dans la zone n'est pas précisé. Les gens les plus âgés rapportent que
depuis leur enfance, leurs parents faisaient cette activité. En 1941, l’État a construit le réseau et a
géré le système. Le réseau a été endommagé par les cyclones Hazel en 1954, Ines en 1966 et
Georges en 1999, mais des interventions ont permis de le remettre en état de fonctionnement. Au

66
moment de l'enquête, le système venait tout juste d'être endommagé par des crues du 24 mai. Les
usagers ont dévié l'eau dans le s anciens canaux pour faire fonctionner le périmètre en attendant
l'intervention du MARNDR pour le remettre à son état normal comme le précise le contrat de
transfert de gestion « l'État intervient pour les grosses réparations». Jusqu'à date, les usagers se
disent satisfaits de la collaboration avec le MARNDR, car après les crues une délégation
ministérielle avait visité le système afin d'évaluer les dégâts. Les démarches pour une
intervention du MARNDR étaient en cours.

Trois projets ont marqué le périmètre: l'IDAI vers 1970, la PADF en 1995 et le PPI en 1996. Le
projet IDAI avait mis l'accent sur la production agricole et le réseau d'irrigation. Néanmoins,
l'approche top down a été utilisée et la plupart des techniques vulgarisées ont été abandonnées
après le départ de l’IDAI, mais les usagers le considèrent comme un bon projet en déclarant « à
l'époque de l' IDAI, il y avait de bonnes semences, des engrais et du crédit». Le projet PADF
réhabilitait le réseau mais l'objectif était de créer de l’emploi. De plus, certains canaux construits
n’ont pas été inaugurés ou n’ont jamais été utilisés. Le projet PPI visait trois aspects : les
infrastructures physiques, la production agricole et l'organisation des agriculteurs. Il a fait de la
participation des usagers son cheval de bataille et a mis en place l'AIFA qui allait signer un
contrat de transfert de gestion avec le MARNDR en janvier 2002, pour une durée de 10 ans. Le
projet a travaillé avec un groupe de femmes qui ont suivi des séminaires de formation sur la
transformation et la commercialisation des produits agricoles. Certaines d’entre elles essayent de
valoriser leur formation après le projet, mais le manque de moyens financiers leur empêche.
Quant au groupe, il n'est plus fonctionnel. L'AIFA accuse le projet de n'avoir pas tenu compte de
toutes les catégories de femmes d'une part, et leur donner un accompagnement inadéquat d'autre
part. Les femmes se rencontrent au sein de plusieurs comités notamment le comité de gestion.

L'association organise un curage annuel et des entretiens ponctuels. Les travaux sont organisés
sous forme de konbit par les leaders de canaux. La participation est jugée acceptable par le
comité de gestion. L'AIFA s'occupe également des ouvrages en PVC et d'un dessableur qu'elle
doit curer fréquemment. Elle fait part de la forte sédimentation de certains ouvrages causée par la
dégradation des bassins versants surplombant le périmètre. Pour pallier à cette situation, elle
compte établir un partenariat avec les usagers en amont afin de planter des arbres sur leur
territoire. L'AIFA réalise des pépinières, ce qui lui permet de distribuer des plantules aux

67
agriculteurs afin de les inciter à planter des arbres. En 2002, l'association a exécuté un projet de
production de piment en partenariat avec le projet HAP de la PADF. Ce fut un succès pour les
deux parties. Certains jeunes associent les formations reçues du PPI aux expériences de ce projet
pour se convertir en de conseillers agricoles auprès de plusieurs agriculteurs.

Pour faire appliquer certaines sanctions, notamment le sabotage des ouvrages, l'AIFA fait appel
aux autorités policières et judiciaires. Les policiers posent les problèmes de moyen de
déplacement ou du carburant pour leurs véhicules tandis que le juge réclame des frais de constat.
Il a fallu l'utilisation des relations personnelles d'un membre du comité avec ces autorités, pour
les porter à procéder à une arrestation. L'inculpé a été jugé et purgé sa peine qui était un
emprisonnement. Cet acte a servi d’exemple pour certains usagers et fait baisser les sabotages.
Cela témoigne de l'importance du bon fonctionnement de l'appareil judiciaire afin de permettre
aux associations de bien remplir leurs fonctions.

L'AIFA avait bien débuté sa gestion. Le premier comité de gestion a terminé son mandat et a
organisé, en 2003, des élections pour élire un nouveau comité. Cependant, quelques mois après,
des conflits se sont éclatés entre les nouveaux élus les portant à démissionner. Ils ont été
remplacés par une commission au cours d'une AG. Certains répondants nous indiquent
l'existence d'un groupe d'usagers qui veut l'indépendance de l'un des canaux. Cela crée un clan au
sein du comité de gestion et affecte la bonne marche du système. En dépit de tout, on sent une
dynamique de quelques usagers, notamment des jeunes qui veulent s'impliquer dans la gestion de
l'AIFA. La commission tient une réunion hebdomadaire. Plusieurs usagers, non membres de la
commission, ont participé régulièrement à ces réunions. Cela est dû au dysfonctionnement des
autres comités, mais témoigne également de la volonté des usagers de participer dans la gestion
de leur système.

Dans le temps, le périmètre avait un horaire de distribution. À partir de 1986, cet horaire ne
s'appliquait plus. Le PPI a donné son appui en vue d'élaborer un nouvel horaire qui est en
expérimentation. Les premiers moments de l'application de cet horaire étaient très prometteurs.
L'endommagement du réseau par les dernières crues n'a pas permis à l'AIFA de poursuivre
l'expérience. Elle attend le fonctionnement normal du système pour renouer avec cette
expérience. Notons que les responsables de distribution ne maîtrisaient pas bien l’horaire. Ils ne

68
pouvaient pas expliquer comment attribuer l'eau à certains usagers. Il parait qu'il leur faut encore
du temps et de l'accompagnement afin de répartir l'eau de manière équitable.

En 2002, le PPI a aidé l'AIFA à calculer un budget de fonctionnement afin de faciliter la gestion
financière et de déterminer le montant des redevances. Ce budget était de 57 275 HTG et les
redevances de 375 HTG/cx/an. Le budget serait couvert par un taux de recouvrement des
redevances de 70%. Malheureusement, ce budget n'a pas été exécuté. Selon les estimations de
l'AIFA, les taux de recouvrement étaient respectivement de 10 et de 18% durant les deux
premiers exercices. Après les élections de 2003, un membre du comité de gestion avait proposé
de consentir un prêt auprès d'un usurier à un taux de 20% le mois afin de trouver de l'argent pour
réaliser les curages. Après de vifs débats, la proposition a été votée mais certains membres
refusaient de l'accepter. Cela a empiré des conflits entre les membres du comité de gestion et a
conduit à sa démission. Cette situa tion affaiblit beaucoup l'association.

Les redevances sont collectées par les trésoriers des comités de canal qui les versent à la
trésorière du comité de gestion. Ce dernier doit les déposer sur le compte bancaire de
l'association. Au moment de l'enquête, tous les trésoriers avaient gardé l'argent qu'ils ont collecté
sur leur canal. Ils accusent la trésorière générale de ne pas soucier à les recevoir. Elle ne donne
jamais de rapport financier et ne se présente aux réunions que très rarement. Selon la plupart des
répondants, elle n'a pas la capacité nécessaire pour remplir cette fonction. Cette question reste
tout un défi pour l'association, puisque la trésorière est élue et qu'il est difficile de la défaire de
ses fonctions.

La gestion du système irrigué de Fauché ne va pas de soi. En effet, les usagers affichent une
volonté de s'impliquer dans le processus et veulent appliquer leurs statuts et règlements. Ils
veulent participer aux différentes activités lorsque ces dernières sont bien coordonnées. Le
phénomène de clan ainsi que le manque de capacité ou l'indisponibilité de certains leaders sont
des défis à relever par l'AIFA.

1.7 POINT DE VUE DES INTERVENANTS

Les acteurs peuvent être classés en trois catégories: les anciens employés de l'État, ses employés
actuels et ceux qui ne l'ont jamais été. Leurs discours convergent tous vers une non prise en

69
charge du secteur par l'État. La plupart des anciens employés figurent parmi les pionniers de la
gestion sociale de l’irrigation en Haïti. Ils ont acquis une expérience au sein de l’État et, suite au
départ volontaire, ils se sont retrouvés dans des firmes privées ou dans des ONG. Les discours
des non employés de l’État peuvent se résumer comme suit :

«Il y absence de loi cadre sur l’irrigation en Haïti, le climat politique n'est pas
favorable et la volonté politique et l’appui des collectivités sont quasiment absents. Il
n'y a pas un service qui s'occupe de l'irrigation, tout le monde fait ce qu'il veut. Il y a
incohérence dans le secteur entre l'État et les ONG, c'est sauve qui peut, tout le
monde n'est pas prêt à faire un sacrifice. De plus, il existe une structure
administrative autoritaire qui ne veut pas le transfert. La plupart des cadres de l'État
sont réticents et méfiants par crainte de perdre leur pouvoir et leur emploi. Enfin, la
plupart des projets ne tiennent pas compte du volet agricole, il n'y a pas eu de suivi
des actions entreprises. Si rien de concret n’est fait, les périmètres irrigués risquent
de connaître la privatisation comme c’est le cas pour certaines entreprises
publiques».

Les cadres de l'État parlent de manque de moyens financiers qui serait responsable de sa faible
maîtrise du secteur :

«Les ONG ne travaillent pas avec les structures étatiques. Elles créent du désordre
avec leur argent. Il n’y a pas un service d'appui à la gestion des périmètres irrigués.
L'État élabore une politique, mais ne dispose pas de moyens et nous ne pouvons pas
contrôler tout ce qui se fait. Un système irrigué est une entreprise et l’eau
d’irrigation est un intrant. Si une association d’irrigants ne peut par le rendre
rentable, elle doit laisser la gestion à celles qui peuvent le faire»

Selon ces discours on peut dégager deux tendances principales. La première voit les périmètres
irrigués comme un secteur spécial qui ne peut pas être traité comme n’importe quel secteur de la
vie économique. La seconde voit les périmètres irrigués comme n’importe quelle entreprise
capitaliste dont la rentabilité économique serait sa raison d’être.

Paradoxalement la vision capitaliste est surtout partagée par certains responsables de l'État. Selon
cette approche, les associations d'irrigants doivent assurer leur autonomie financière grâce aux
redevances collectées, si non elles devraient faire place à une autre forme de gestion susceptible
de rentabiliser le système. On se demande comment une agriculture de subsistance puisse se
permettre une autonomie financière sans un appui technico- financier? Quand on sait que, dans la
plupart des pays, le secteur agricole est pris en charge par l'État, comment demander à un

70
agriculteur d'être compétitif quand il est laissé pour contre? Dans un pays comme Haïti où
l'agriculture occupe environ 30%, le secteur de l'irrigation devrait être vital.

Selon l'autre approche, les associations d'usagers doivent être accompagnées pour un transfert de
gestion effective. Le deuxième point de vue semble se coller mieux à la réalité. Avec les résultats
obtenus sur la gestion paysanne des systèmes irrigués, l'accompagnement semble plus que
nécessaire.

71
Tableau 3 : Éléments de synthèse des cas
Ti Carénage Bayonnais Jean David Croix Fer Dory Fauché
Légitimité - Statuts et - Statuts et règlements Statuts et règlements Statuts et - Statuts et - Statuts et règlements
règlements internes internes en cours internes élaborés en règlements règlements internes nouvellement
élaborés depuis 1983, d'élaboration 1994 et en cours internes élaborés internes en cours élaborés, mais
en cours Non reconnue d’actualisation en 1983 et en d’élaboration moyennement
d'actualisation légalement Non reconnue cours - Non reconnue appliqués
- Reconnue légalement d’actualisation légalement Reconnue légalement
- Faible
légalement reconnaissance par Faible reconnaissance Non reconnue - Faible - Forte reconnaissance
- Reconnue par les les usagers par les usagers légalement reconnaissance par les usagers
usagers - Forte par les usagers
reconnaissance
par les usagers
Représentativité Absence d'élection - Participation Méconnaissance du Pas d’élection Revendication des - Élection chaque 2 ans
Membres non élevée aux élections taux participation aux - Présence de pouvoirs par avec quorum de plus
renouvelés (plus de 50% élections femmes dans les certains groupes de 50%

- Faible présence de - Faible présence de Faible présence de comités, mais Élection depuis 3 - Démission du comité
femmes et de jeunes femmes au sein de femmes au sein des faible présence de ans élu et remplacé par une
dans les comités comités comités jeunes commission
Non approuvé par - Géré par une
certains groupes commission
d’usagers -
Fonctionnement - Groupement géré Fédération formée Fédération formée par Comité géré par Association gérée - Association gérée par
par un comité de 14 comités de 23 comités de canal un comité de par un comité de un comité de gestion
directeur canal Absence de calendrier gestion gestion - Tâches définies mais
- Rencontre régulière Absence de de rencontre Absence de Absence de moyennement
Des comités calendrier de Tâches définies mais calendrier de calendrier de exécutées
fonctionnels avec des rencontre méconnues et rencontre rencontre - Des comités de canal
tâches bien définies Des comités de canal faiblement exécutées. Des comités de Des comités de non fonctionnels
et exécutées faiblement canal non canal non - Calendrier de
fonctionnels fonctionnels fonctionnels rencontre appliqué

72
Tâches définies, Tâches définies et Tâches définies
mais méconnues et moyennement mais méconnues
faiblement exécutées. exécutées. et très faiblement
exécutées.
Redevance - 265 gds/h 100 HTG/cx/an - 542 4 HTG/ha/an - 100 HTG/ha/an N’existe pas 387 HTG/ha/an
Augmentation de Payée à la discrétion - Taux de collecte - Payée sur la Taux de collecte
757% en 20 ans des usagers négligeable quantité de haricot inférieur à 20%
Taux de collecte Non estimation du semée Contribution
supérieur à 90% taux de collecte mais - Payable après la volontaire non
- Payée après la pourrait être inférieur récolte négligeable
récolte à 5% Taux de collecte Pas collecte
autour de 60% systématisée des
Contribution redevances
volontaire non
négligeable
Gestion - Existence d’un Pas de budget de Existence d’un budget Existence de Absence de Présence de budget de
financière budget fonctionnement de fonctionnement mais budget de budget de fonctionnement mais
- Existence de compte Dépôt d’une partie non appliqué fonctionnement fonctionnement non exécuté
bancaire des redevances dans Un compte bancaire Existence d’un Absence de Pas d’états financiers
- Comptabilité rentrée un compte bancaire géré conjointement compte bancaire compte bancaire Existence de compte
et sortie de fonds Pas d’états financiers avec la DDASE et d’une petite Pas d’états bancaire
Pas d’états financiers caisse financiers
- Bilan pas toujours L’argent est source
équilibré Pas d’états L’argent est principale de conflit
financiers source principale dans le comité de
- Manque de
transparence de conflit dans le gestion
comité de gestion
Maintenance - Existence d’un Un curage par an Un curage par an mais Curage Appui - Un curage annuel
personnel de Participation non coordonnée par la circonstanciel d’organismes - Participation
maintenance volontaire de la fédération Participation externes pour volontaire de la
- Entretien régulier population Faible participation volontaire de la certains curages population satisfaisante
mais non

4
7 gds par centième de carreau ou 700 gds par carreau divisés par 1,29 (1cx = 1,29 ha)

73
- Réseau en bon état satisfaisante volontaire de la population coordonnés pas - Réseau en bon état
Réseau en population. satisfaisante l’association
relativement bon état Mauvais état du Réseau en Faible
réseau relativement bon participation
état volontaire de la
population
Réseau en très
mauvais état
Administration - Administrateurs Bénévolat de tous Bénévolat de tous les Bénévolat des Bénévolat des - Bénévolat des
bénévoles avec une les administrateurs administrateurs, mais administrateurs administrateurs administrateurs avec
compensation en La fédération siège personnel syndic et avec un vannier avec un vannier des polices des eaux et
droit d’eau au BAC vannier salarié salarié payé par l’État des chargés de
- Un personnel salarié Présence d’un La fédération n’a pas Le comité a son L’association n’a distribution salariés
- Le groupement syndic payé par son siège propre à elle. siège propre pas de siège - L’association a son
dispose d’un local l’État propre à elle . siège propre

Vie associative - AG semestrielle Liste des membres Absence d’AG Absence de Absence de - Absence de
- Liste d’usagers non non actualisée Absence de programme de programme de programme de
actualisée Deux grandes programme de formation des formation des formation des
rencontres annuelles formation des membres membres membres membres
- Absence de
programme de se confondent avec Absence de liste des Absence de liste Absence de liste - Liste des membres
formation des AG membres des membres des membres actualisée
membres Absence de Absence de calendrier Absence de Absence de - AG chaque un an et
- Absence de programme de d’élection calendrier calendrier des élection chaque deux
calendrier d’élection formation des d’élection élections ans
membres
Existence d’un
calendrier d’élection
Distribution Existence et - Horaires provisoires Absence d’horaire de Existe d’un Absence - Horaire d’irrigation
application non systématisés distribution horaire entre les d’horaire de nouvellement élaboré
rigoureuse d’un Implication du Présence du syndic bassins et non au distribution et début de mise en
horaire de syndic dans la dans le comité et effort niveau des Mobilisation de œuvre

74
distribution distribution de mise en place d’un usagers l’eau en amont - Manque d’habilité
Planification de la Difficulté horaire avec usagers aval pour une distribution
distribution en début d’application de Faible recours à l’eau défavorisés équitable
de campagne agricole l’horaire en saison d’irrigation en saison Abandon d’un - Existence de rôle
Existence de pluvieuse pluvieuse ancien horaire d’irrigation
responsable de État du réseau non
distribution favorable à un horaire
de distribution
Autres services - Crédit en eau Labourage à Pas d’autres services Appui à d’autres Vente de - Conseils aux
offerts d’irrigation traction animale périmètres pour semences à crédit agriculteurs en
Moulin de maïs Vente d’intrants à leur réhabilitation à échelle très production agricole
travers une Appui à une réduite - Exécution de projet
Électricité
coopérative mutuelle de agricole avec d’autres
Crédit en intrants d’intrants agricole femmes partenaires
agricoles
Besoins - Technicien Technicien Appui de la justice Technicien Réhabilitation du - Intervention sur le
exprimés Augmenter la Appui de la justice pour appliquer les Formation sur la réseau bassin versant
quantité d’eau pour l’application sanctions gestion Intrants agricoles - Appui des autorités
disponible des règles Intrants agricoles Intrants agricoles Technicien pour appliquer les
Subvention pour Crédit Réhabilitation et sanctions
Crédit Loi pour faire
faire baisser les coûts Rendre disponible intervention sur le - Crédit
d’intrants et les bassin versant Amélioration du appliquer les
les intrants agricoles réseau règles - Intrants agricoles
redevances Technicien
Formation et Crédit - Technicien
Formation renforcement de la Crédit
Transparence fédération

75
2 ANALYSE TRANSVERSALE DES CAS

La présentation des systèmes montre qu’ils ont été mis en place dans des contextes différents par
quatre catégories d’acteurs qui sont l’État, les ONG, les entreprises privées et les paysans. Ces
périmètres ont été l’objet de plusieurs formes d’intervention soit par l’État, soit par d’ONG.
Hormis le périmètre de Ti Carénage qui est partenaire privilégié de l'ACF, les autres périmètres
ont été marqués par deux séries de projets particuliers : ceux de l’IDAI vers les années 1970 et de
la PADF vers les années 1994.

Le contexte de création des systèmes, le type d’accompagnement octroyé ainsi que les
interventions subséquentes jouent un rôle déterminant sur el ur gestion. Pour comprendre ces
aspects, nous dressons un tableau de comparaison des périmètres étudiés. Ainsi, notre analyse se
portera sur la légitimité, la représentativité et le fonctionnement des AI. Nous verrons également
comment s’organisent l’administration des systèmes, l’entretien et la maintenance, la collecte des
redevances et la distribution de l’eau. La prise en compte de la vie associative, des services
offerts ainsi que les besoins exprimés par les usagers sont autant de points qui nous paraissaient
pertinents pour la compréhension du travail.

2.1 LA LÉGITIMITÉ DES ASSOCIATIONS

Cinq des six associations sont dotées de statuts et de règlements internes. Pour Ti Carénage et
Croix Fer, périmètres mis en œuvre par des projets, ces documents ont été élaborés dès la
création de l’association. Pour les autres périmètres, ils ont été élaborés dans la décennie de 1994,
après que l’État ait publié la politique de transfert de gestion. Même lorsque les associations
possèdent les documents légaux, seuls Fauché et Ti Carénage ont une reconnaissance légale.
L’organisation est reconnue légalement lorsqu’elle obtient du ministère des Affaires sociales
(MAS) un permis d’enregistrement. La mairie de sa commune doit lui délivrer également une
autorisation de fonctionnement. Bien qu’elles n’aient pas ces documents, les associations
continuent de fonctionner. Celles qui n’ont pas cette reconnaissance, n’ont pas mentionné que la
reconnaissance leur était refusée. Donc, elles ne l’ont pas soit parce qu’elles n’en ont pas fait la
demande, soit par méconnaissance soit parce qu’elles n’ont pas été obligées de le faire. Toutefois,
leurs actions sont validées de faite par les autorités de MARNDR.

76
L’absence de reconnaissance légale peut être très dangereuse pour les périmètres et peut
constituer un handicap pour la gestion de ces derniers. En effet, les associations sont appelées à
utiliser des bie ns publics, à prendre des décisions à portée légale, elles devraient en premier faire
preuve du respect de la loi. Si elles donnent de mauvais exemples, les usagers risquent d’avoir de
prétexte pour de ne pas se plier à leurs décisions.

Sur les systèmes où la population avait participé dans la construction, la reconnaissance de


l’association par les usagers est plus forte. Il s’agit de Ti Carénage et de Croix Fer. Ces
associations ont été créées dès la mise en place de ces périmètres, qu’elles assurent la gestion.
Elles se sont ancrées dans leur milieu et constituent de véritables représentants des usagers. Cette
reconnaissance semble être renforcée par l’importance que la population a accordée à ces
systèmes : «la création des périmètres a grandement amélioré la situation socioéconomique des
résidents, c’est une nécessité de s’unir pour conserver ces acquis». Toutes les interventions
passent par ces associations. Par exemple, à Croix Fer il existe des liens entre les églises et
l’association d’autant plus que la plupart des administrateurs sont des leaders religieux. Dans le
cas de Fauché, la reconnaissance est en construction. En effet, le périmètre vient d’être réhabilité
par un projet qui a passé plus de six ans dans la zone et qui a utilisé la participation comme son
fer de lance. Étant donné que les résultats de la participation requièrent du temps, on doit attendre
encore pour des impacts plus concrets. Pour les autres associations, leur reconnaissance par les
usagers est faible.

Tous les périmètres sur lesquels intervient le CICDA ont leur document en cours d’actualisation
ou d’élaboration. Étant donné que le transfert de gestion implique que les AI disposent des outils
légaux adaptés au contexte actuel, c’est dans cette optique que le CICDA essaye de rendre ces
outils plus adaptés et accessibles à tous les usagers.

En résumé, les associations d’irrigants sont formées avec l’appui de l’État ou des ONG. Elles ont
élaboré quelques documents légaux, mais leurs actions sont légitimées par les autorités qui ne les
incitent pas à se conformer à la loi. Avec la dynamique du transfert de gestion, les intervenants
semblent accorder plus d’importance à cette question, quitte aux associations d’appliquer ces
règlements.

77
2.2 LA REPRÉSENTATIVITÉ

En considérant les modalités d’accès aux différents comités de gestion, on peut dire que les
associations d’irrigants sont en général faiblement représentatives. En effet, à Ti Carénage et à
Croix Fer, les administrateurs ont été nommés depuis la création des périmètres et le processus
d’élection n’est pas défini. À Jean David et à Dory, le processus n’est pas structuré. La plupart
des élus ne pouvaient pas indiquer avec précision la durée de leurs mandats. De plus, certains
usagers ou groupes d’usagers contestent les processus électoraux en place. En aucun cas, il n’y a
pas eu non plus de procès verbal d’élection. Pour les deux autres périmètres ayant été réhabilités
récemment, à savoir Fauché et Bayonnais, le processus est plutôt formel. Les procès verbaux des
élections sont archivé s, même si les conditions d’archivage laissent à désirer. De plus, pour
Fauché, les règlements stipulent que les élections sont valides lorsqu’au moins 50% des usagers y
participent, ce qui a été suivi lors des dernières élections. Toutefois, il faut mentionner que les
vainqueurs des dernières élections ont lâché prise face aux menaces de certains usagers
réfractaires. Actuellement, le périmètre est géré par une commission choisie en consensus.

Si on aborde la représentativité dans le sens de présence des différentes catégories sociales au


sein des conseils d’administration, les résultats sont partagés. Pour les comités qui n’ont pas été
renouvelés, il est évident que les jeunes y soient absents. Les administrateurs vieillissent et
certains jeunes y revendiquent des places au niveau des CA. Ces administrateurs déclarent qu’ils
sont conscients du problème, mais émettent des réserves sur la crédibilité et la capacité de gestion
des futurs dirigeants. Quant aux femmes, elles sont très actives à Croix Fer. En plus d’occuper les
deux tiers des postes au sein du CA, elles cultivent des parcelles, participent aux travaux
d’entretien et se sont réunies en une mutuelle dont la présidence est assurée par la trésorière du
CUSIC.

Les femmes sont absentes dans les CA de Jean David et de Bayonnais. Pour les CA de Dory et de
Fauché, respectivement une et 2 femmes y font partie où elles occupent les postes de trésorière.
C’est le principal point de litige qui fractionne les CA en deux groupes dont l’un exige de
rapports financ iers et l’autre supporte les trésorières.

À Fauché, on rencontre surtout des jeunes au niveau des CA, certains d’entre eux ont fait des
études universitaires. Dans l’ensemble, ils sont appuyés par la population et comptent s’impliquer

78
dans toutes les activités susceptibles de favoriser le développement socioéconomique de leur
zone.

2.3 LE FONCTIONNEMENT DES ASSOCIATIONS D’ IRRIGANTS

Le périmètre de Ti Carénage adopte une structure fonctionnelle avec un comité directeur formé
d’un sous-comité de gestion, d’un sous-comité d’intrants et d‘un sous-comité de distribution.
Leurs tâches sont bien définies et ils arrivent à les exécuter. Les structures des autres périmètres
sont calquées sur les réseaux d’irrigation avec des comités de canal ou de bassin ou de porte qui
élisent un comité directeur. Dans l’ensemble, seuls les comités directeurs sont fonctionnels, les
autres ne sont que de nom. Il s’en suit une faible circulation des informations qui réduit la
participation des usagers.

Trois termes sont utilisés pour nommer les associations. Le premier est le « comité » dans le cas
du Comité d’irrigation du système irrigué de Croix Fer (CUSIC), le second est l’« association »
dans les cas de l’Association des irrigants de Fauché (AIFA) ou l’Association du système irrigué
de Dory-Cavaillon (ASIDC) et le dernier est la Fédération utilisée à Bayonnais et à Jean David
(FEUCAJ). Il semblerait que les accompagnateurs ne se donnaient pas la priorité de bien préciser
les niveaux d’organisation lors de la création des AI. Ces appellations différentes pour un même
niveau d’organisation se portent souvent à confusion surtout du côté des usagers. Par exemple,
dans les cas de fédération et de comité, les usagers déclarent qu’ils n’en sont pas membres étant
donné qu’ils n’en font pas partie. Notons qu’à l’Arcahaie, à l’inverse du schéma classique, des
fédérations sont regroupées au sein d’une association. À long terme, cette situation peut
provoquer des ambiguïtés lorsqu’il s’agira de favoriser la coopération entre ces organisations au
niveau national.

2.4 LA VIE ASSOCIATIVE

La gestion de la vie associative s’avère difficile au sein des organisations d’irrigants qui ne
disposent pas toujours de liste d’usagers actualisée. À Ti Carénage et à Croix Fer, les listes datent
de la création des périmètres en 1983. À Dory et à Jean David, cette liste n’existe pas. À
Bayonnais et à Jean David, des efforts sont en cours pour élaborer ou actualiser la liste des

79
membres. Fauché est le seul périmètre à pouvoir disposer une liste d’usagers actualisée au cours
des deux dernières années.

Dans la plupart des cas, la tenue des assemblées générales laisse à désirer. Par exemple, à Ti
Carénage, les administrateurs témoignent qu'ils organisent une chaque six mois où le budget est
voté par les usagers. Ces derniers indiquent qu’il n’y a pas eu vraiment de vote du budget mais se
sont informés sur le montant des redevances. Pour les autres périmètres, il y eu de grandes
réunions et non de véritables AG. La plupart des dirigeants déclarent qu’il y a eu d’AG annuelle
mais sont incapables d’indiquer la date de sa tenue, le nombre de participants, les grandes
décisions prises et la date de la prochaine. De plus, nous n’avons pas trouvé les procès verbaux de
ces assemblées. Toutefois, l'AIFA organise une assemblée générale annuelle et élit ses dirigeants
chaque deux ans conformément à ses statuts et règlements internes.

Au niveau du renouvellement des membres, on ne trouve pas de calendrier électoral défini. À Ti


Carénage et à Croix Fer, les membres sont en poste depuis plus de 20 ans. À Jean David, il a fallu
l’intervention de la DDA pour porter le comité à se renouveler. Les comités de Bayonnais et de
Dory accomplissent leur premier mandat, rien n'est dit qu'ils vont se renouveler, car nous n'avons
remarqué aucun processus électoral en cours.

Pour tous les périmètres, il y a eu absence de programme de formation pour les membres.
Toutefois, ils bénéficient des formations lors de l’intervention d’organismes externes dans le
cadre de projet. C’est ce qui se passe actuellement avec le CICDA.

En résumé, la sclérose démocratique touche la plupart des associations d'irrigants. Pour pallier cet
inconvénient les acteurs actuels sont favorables à l’actualisation ou à la mise en place des outils
légaux. Ces accompagnements ne produiront des impacts que s’il y a un système de suivi qui
s’applique.

2.5 LES REDEVANCES

Les redevances varient de 100 à 500 HTG/ha/an pour les périmètres gravitaires et de 265 HTG
par heure à Ti Carénage. En ramenant ce dernier chiffre à l’ha/an, il dépasserait 40 000 HTG. Il
est évident que cette redevance soit plus élevée, puisque Ti Carénage est un système par
pompage. Cependant, ce qui est inquiétant c’est son augmentation qui représente 657 % en 20

80
ans. En effet, lors de la construction du périmètre en 1983, la redevance était de 35 HTG dont la
moitié était couverte par le projet. Aujourd’hui, ce sont les usagers qui supportent tout le montant
et le comité directeur annonce déjà une hausse pour la prochaine campagne de culture. Certains
usagers déclarent vouloir abandonner l’agriculture, mais ils n’ont pas d’autres moyens pour vivre.

Paradoxalement c'est à Ti Carénage que le taux de recouvrement est le plus élevé où il dépasse
souvent 95%. Pour les autres périmètres, à défaut de pouvoir calculer un taux de collecte, les
comités de gestion l’estiment à environ 60 % à Croix Fer environ, moins de 20 % à Fauché, 5%
à Bayonnais, négligeable à Jean David et n’existe pas à Dory. Notons qu’à côté de la redevance,
certains usagers contribuent volontairement lors des grands travaux d’entretien ou lorsqu’il s’agit
de faire face à des situations d’urgence visant à remettre le système en fonctionnement après
avoir été endommagé par des crues ou des inondations. Cette pratique est très courante à Croix
Fer et à Fauché mais cet agent n’est pas toujours comptabilisé dans les registres de l’association.

Dans l’ensemble, les usagers ont évoqué que les facteurs les plus susceptibles d’influencer le taux
de recouvrement sont l'état physique du périmètre, la gestion financière, la transparence des
administrateurs, l'application d'un horaire de distribution, l’existence d'autres services tels les
accompagnements techniques et la vente d'intrants agricoles aux usagers et finalement
l’importance que les usagers accordent au système ou à l’eau d’irrigation. Par exemple, les
usagers de Ti Carénage et de Croix Fer déclarent que le système leur appartient et que la
construction de ce dernier a grandement amélioré la situation socioéconomique des gens de la
zone. À l’inverse, un groupe d’agriculteurs de Bayonnais a déclaré que « l’eau appartient à Dieu,
ils ne voient pas la nécessité de la payer »

Les périodes de collecte des redevances varient avec le périmètre, à Ti Carénage et à Croix Fer,
elles sont collectées après la récolte. Pour les autres périmètres, la collecte peut se faire en tout
temps, mais le moment le plus favorable se situerait à la période d’étiage durant la campane de
haricot. Pour le calcul du montant, il semble qu’il n’est pas bien maîtrisé sur aucun des systèmes.
D’autant plus que les périmètres ne disposent pas de rôle d’irrigation. Il est très difficile de
connaître les superficies des parcelles. Pour pallier à ce problème, certains comités tendent à fixer
le taux au prorata du nombre de marmites de haricot semé. Plusieur s usagers se montraient
sceptiques sur le montant exact de la redevance.

81
2.6 LA G ESTION FINANCIÈRE

La gestion financière est tout à fait particulière au niveau des associations d’irrigants. Si une
bonne gestion financière suppose l’application des outils appropriés tels le budget, et les états
financiers, ce n’est pas le cas de ces organisations. En effet, hormis Dory, toutes les autres
associations disposent d’un budget de fonctionnement élaboré avec l’appui des accompagnateurs.
Cependant, Ti Carénage est le seul à pouvoir le mettre en œuvre, et cela avec beaucoup de
difficultés. Il semble que la gestion financière représente un véritable défi à toutes les AI. À Ti
Carénage, c’est le principal point de mécontentement de certains usagers qui font état de manque
de transparence. En effet, dans le calcul du budget, un fond est dédié l’amortissement des
matériels de pompage. Cependant, à chaque fois qu’il faut renouveler ces matériels, un
financement externe est indispensable. Pour les autres périmètres, lorsque les budgets sont
élaborés, ils ne le sont que pour la forme. Dans certains cas, aucun membre, ni même le président
ou le trésorier n’est en mesure d’indiquer le montant du budget. À ce sujet, il nous parait
intéressant de relater le fait suivant survenu à Fauché, un périmètre dont le transfert de la gestion
a eu lieu. « Lors de la campagne de nettoyage des canaux en 2003, la trésorière, soutenue par un
groupe d’usagers, avait proposé au comité de consentir un prêt auprès d’un usurier portant intérêt
de 20% le mois (240% l’an). Malgré la farouche opposition du président, le comité avait voté la
décision. Une partie de l’argent a même été décaissée, mais on a dû le rembourser tout de suite
avant même qu’il n’ait été utilisé. Cette situation est à l’origine de la démission du président
d’alors et le remplacement du comité par une commission. Cela se produit alors que l’association
avait un budget annuel de fonctionnement.

Les administrateurs ont tendance à minimiser leurs dépenses et à garder les excédents dans un
compte bancaire ou sous forme de liquidité. Pour les transactions qui se font au moyen d’une
facture, ces dernières sont gardées jusqu'à la fin de l’exercice. Notons que Dory et Bayonnais
n’ont pas encore leur compte bancaire, mais les administrateurs comp tent le faire bientôt. À Jean
David, on note une dépendance vis-à-vis de l’État dans la gestion financière. En effet,
l’association avait bénéficié d’un don en argent de l’État. Cet argent est déposé dans un compte
bancaire. Tout décaissement doit porter signature conjointe du président de l’association et d’un
responsable de la DDA. Cette mesure conservatoire semble survenir pour pallier à la faible
capacité de gestion financière de l’association.

82
Au niveau de la comptabilité, le système utilisé consiste à présenter un bilan annuel qui montre
les rentrées et les sorties de fonds. Ce système est appliqué à Ti Carénage et à Croix Fer. Dans les
deux cas, il nous a été impossible de vérifier ces états financiers. Dans les autres cas, il n’a pas
d’états financiers. Rappelons que l’absence de rapports financiers est source de tension au niveau
des associations de Dory et de Fauché.

En résumé, le problème de gestion financière affecte toutes les associations d’irrigants. Même
avec un budget bien élaboré, il est difficile de l’exécuter avec la plus grande transparence. Cette
situation est source de mécontentement et d’insatisfaction des usagers qui versent la redevance
quand ils n’ont pas d’autres choix.

2.7 L'ENTRETIEN ET LA MAINTENANCE

L’AI de Ti Carénage assure les entretiens et la maintenance de son système régulièrement. À cet
effet, elle dispose d’un personnel salarié constitué d’un mécanicien et d’un opérateur. Le salaire
est plutôt perçu comme une prime. Cette dernière augmente lorsque les récoltes sont bonnes et
diminue dans le cas contraire. L’association dispose d’un budget de maintenance déterminé de
concert avec le mécanicien, qui est également membre du comité de gestion. Le mécanicien,
formé sur place par le projet, se montre très habile dans ses fonctions. En cas de grosses pannes
dépassant les compétences du mécanicien, l’association fait appel à l’expertise d’une entreprise
basée à Port-au-Prince. Il faut dire que le système n’est pas trop sécuritaire, puis que le
mécanicien est le seul à pouvoir remplir cette fonction dans la zone et que les matériels de
secours sont absents. Quelques fois, le dysfonctionnement du système entraîne la perte totale ou
partielle des récoltes. L’association doit toujours garder son réseau en bon état afin minimiser les
pertes d’eau étant donné le faible débit disponible et le coût élevé de l’heure d’eau.

Pour les périmètres gravitaires les opérations comprennent, en général, un grand curage annuel
réalisé en prélude à la plantation de haricot. Des actions ponctuelles comme le remplacement des
clés, la réparation des vannes ou leur sécurisation, la construction de nouveaux canaux et la
réparation des brèches ont lieu. Pour réaliser ces activités, les associations utilisent les services
des artisans locaux ou font appel au volontariat des usagers en leur fournissant la nourriture.
Cette participation est jugée acceptable par toutes les AI. Nous avons constaté une faible
coordination des ces activités par les comités de gestion. Il n’y pas vraiment de plan d’entretien

83
mis en œuvre. Des efforts sont réalisés à Fauché, mais ils ont été absorbés par la démission du
comité de gestion. Sur tous les périmètres, les usagers réclament un appui pour l’élaboration et
surtout la mise en œuvre d’un plan d’entretien et de maintenance. Dans certains cas, les curages
sont réalisés sous l’impulsion d’organismes externes. Par exemple, le comité de Dory déplore le
fait que le MARNDR octroie chaque année, de l’argent pour certains travaux d’entretien à son
insu. Lorsque les organismes externes financent directement ces activités, les usagers ont
tendance à ne pas participer aux initiatives des comités de gestion, mais attendent l’arrivée de
nouveaux projets de curage. En l’absence de ces projets, la dégradation des réseaux s’accentue
davantage. Ceci dit, il serait préférable de financer les projets présentés par les AI dans le plan de
développement de leur système que de leur octroyer de l’argent pour des activités sporadiques.

2.8 L'ADMINISTRATION

L’administration des systèmes est assurée par des bénévoles avec un personnel très réduit. À Ti
Carénage, les administrateurs bénéficient d’une compensation de droit d’eau. Le personnel
comprend un mécanicien, deux directeurs de canaux, d’un opérateur et de deux collecteurs de
redevances. Dans le but de réduire ses dépenses et mieux contrôler les recettes, l’association
compte substituer les postes de collecteur à du bénévolat. Dans la période de collecte de
redevance, les usagers viennent payer au bureau de comité à un administrateur. Cette tâche
s’organise par rotation. Ce changement a déjà été expérimenté pendant la campagne 2003 et
semble très prometteur. Le périmètre dispose d’un bureau d’administration où sont organisées
d’autres activités relatives au développement de la communauté.

Pour les autres périmètres, seul Croix Fer possède son propre bureau, à Bayonnais l’association
siège dans les locaux de la coopérative SOKOBAY qui bénéficie d’un espace du BAC, à Fauché
l’association dispose de son terrain et compte construire son bureau très bientôt, les associatio ns
de Dory et de Jean David n’ont pas de local propre, mais ont accès à des locaux communautaires
comme les églises, les gaguères, les écoles, etc. pour réaliser leurs activités. Contrairement à Ti
Carénage, ces administrateurs ne bénéficient pas de compensation en eau. Cela s’explique par le
fait que le droit d’usage de l’eau n’a pas la même valeur sur ces périmètres qu’à Ti Carénage.
Selon les administrateurs, le bénévolat ne leur constitue pas un handicap réel. Leur préoccupation
est de trouver un appui technique et financier pour améliorer la production agricole, leur gestion
et la distribution de l’eau. À Fauché, on note une distinction nette entre les administrateurs élus et

84
le personnel salarié. Tel n’est pas le cas pour Croix Fer et Jean David où le comité de gestion
contient les administrateurs aussi bien que le personnel. Bayonnais et Dory disposent
respectivement d’un syndic et d’un vannier qui sont payés par le MARNDR. Ce personnel,
n’étant pas sous l’autorité de l’association, la rend la vie difficile.

Dans les différents documents, il est prévu des réunions régulières des comités de gestion sur une
fréquence mensuelle. En réalité, les réunions sont ponctuelles et dépendent de la présence d’un
organisme externe sur le périmètre. Dans certains cas, les rencontres sont hebdomadaires, dans
d’autres elles sont trimestrielles. Notons que Fauché fait exception. Le comité de gestion se réunit
chaque jeudi. D’autres usagers y prennent part régulièrement. La présence des usagers non
membres du comité de gestion à ces rencontres témoigne d’un besoin accru d’information et de
participation des usagers dans la gestion du système. Rappelons que les GDU sont
dysfonctionnels et ne servent plus d’organe d’information et de participation des usagers.

2.9 LA DISTRIBUTION DE L’ EAU

Au niveau de la distribution, seul Ti Carénage a un horaire réel. L’association nomme un comité


de distribution qui bénéficie de l’appui du comité de gestion dans l’élaboration de cet horaire. Ce
dernier est appliqué avec rigueur et de façon non partisane. Toutefois, même rares, certains cas de
détournement de l’eau sont rencontrés. Dans ce cas, l’usager qui se sent lésé porte sa cause au
comité de gestion qui identifie le fraudeur et lui restitue son eau. Étant donné que le débit est très
faible, il est impératif de bien le gérer. Les usagers rencontrés déclarent qu’ils sont satisfaits de la
distribution parce qu’ils puissent jouir pleinement de leur droit d’eau. Par contre, ils réclament un
appui de l’État pour augmenter le débit pompé.

Dans le temps, les périmètres gravitaires possédaient des horaires de distribution. Hormis Croix
Fer, ces horaires ont été exécutés par des syndics assistés de directeurs de canaux de façon
autoritaire. En 1986, des troubles sociopolitiques ont fait évoluer la situation. Les syndics perdent
de plus en plus de pouvoir, et les usagers respectent de moins en moins les règles. Parallèlement,
les réseaux se dégradent et les horaires d’irrigation deviennent inapplicables ou inappliqués.

À Jean David et à Dory, même avec la présence de l’ancien syndic au sein du comité, il n’y a pas
eu d’horaire de distribution. De plus, ces réseaux ne se prêtent pas à l’application d’un horaire.

85
Toutefois, durant la campagne de haricot, des ententes se sont trouvées entre les usagers pour
répartir l’eau entre amont et aval du périmètre. En dépit de ces ententes, l’eau est souvent
mobilisée par les usagers en amont. Ceux en aval adoptent plusieurs comportements : certains
courent le risque à tout prix, d’autres plantent des variétés résis tantes, d’autres se montrent
agressifs et sont toujours prêts à se battre pour avoir l’eau, et finalement certains abandonnent la
campagne quand ils estiment que le risque de perdre leur récolte par manque d’eau est trop élevé.

À Croix Fer, le canal primaire est relativement en bon état mais les canaux secondaires et
tertiaires ne sont pas sécurisés. Néanmoins, il y une répartition de l’eau dans des zones selon un
calendrier. Toutefois, les usagers en aval estiment qu’ils sont lésés par rapport à ceux en amont.
Le comité partage cette position et rend responsable l’état du réseau.

À Fauché, les responsables du PPI avaient aidé à l’élaboration d’un horaire tout juste à la fin du
projet. Les usagers essayent tant bien que mal à l’appliquer. Il y a une certaine satisfaction mais
un accompagnement serait encore nécessaire. Au moment de l’étude l’horaire a été perturbé suite
à l’endommagement du système par les crues.

Sur tous les périmètres gravitaires, les répondants ont indiqué qu’il est possible d’améliorer leur
production par l’élaboration d’un horaire de distribution. La grande question est comment
l’appliquer, compte tenu de l’état des réseaux et du climat sociopolitique. Il faut noter que pour la
campagne de haricot, tous les comités font des efforts pour apaiser les tensions ou favoriser des
ententes entre usagers. Mais partout, on trouve des belligérants qui font des agressions verbales.
Tous les comités de gestion sont favorables à une association forte reconnue et appuyée par l’État
via le MARNDR, la jus tice et la police. Pour la plupart des usagers de Jean David, la gestion
étatique serait plus convenable. Ceux de Bayonnais prônent l’instauration d’un tribunal populaire
pour le secteur irrigué.

2.10 LES ACTIVITÉS CONNEXES

En plus de s’occuper de l’irrigation, certaines associations offrent d’autres services connexes à


leurs membres ou à la population en général. Parmi ces services, mentionnons le crédit agricole,
la commercialisation des intrants agricoles, les conseils aux producteurs, etc. Ce que nous avons
constaté, ces services sont une source de reconnaissance pour les associations. Par exemple, à

86
Jean David où aucun autre service n’est offert, certains usagers déclarent ne pas comprendre la
pertinence d’une association lorsqu’elle ne peut pas fournir les services de base comme la
commercialisation des intrants agricoles.

87
Tableau 4 : Synthèse des principaux éléments de l'analyse des cas

Variables Explications
Légitimité Existence de documents légaux mais méconnus par les usagers et
prédominance des règles non écrites
Élaboration de documents légaux sur tous les périmètres où intervient le
CICDA
Forte reconnaissance de l'autorité de l'AI sur les ppi qui ont connu de
projet participatif
Représentativité Processus électoral peu clair et peu formel
Fonctionnement Seuls les comités de gestion sont fonctionnels
Gestion Non mis en œuvre de budget de fonctionnement
financière Pas de rapports financiers
Redevances Faible taux de collecte sur les périmètres gravitaires
Maintenance Participation acceptable des usagers
Administration Bénévolat
Les AI ne disposent pas de bureau administratif
Vie associative Non renouvellement des élus
Ponctualité des AG et des réunions
Distribution Sabotage des horaires à partir de 1986
Favoritisme des usagers en amont et des bandits
Difficilement applicable sur les systèmes gravitaires et les appuis des
techniciens sont nécessaires
Autres services Commerce d'intrants agricoles
Conseils agricoles
Besoins Technicien, formation, crédit, intrants, justice et sécurité et réhabilitation
exprimés physique des systèmes.
Autres résultats Éloge du projet IDAI et les usagers sont favorables à ce type de projet
Exécution de projets ponctuels de courte durée

88
CINQUIÈME CHAPITRE :
DISCUSSION DES RÉSULTATS

1 INTERPRÉTATION
Les différentes analyses des résultats résumés dans le tableau 4 peuvent être interprétées en
regardant la structure du texte suivant.

La gestion étatique des systèmes irrigués était caractérisée par l'autoritarisme, le favoritisme et la
faible participation des usagers. Néanmoins, il y avait application des horaires d’irrigation ou
respect des règles établies. À partir de 1986, le pays a connu des changements socioéconomiques
profonds. Une nouvelle constitution a vu le jour en 1987. Elle a prôné la participation de la
population dans les grandes décisions qui la concernent. Certaines lois relatives à l’irrigation, y
compris les statuts des AI, ne sont plus applicables. Parallèlement, l’État s’affaiblit graduellement
et de nouvelles règles s’appliquent sur les systèmes. La mise en place d'un horaire de distribution
devient un véritable défi pour les usagers qui réclament l'appui de spécialistes en irrigation. De
plus, son application s'avère plus difficile sans l'appui des autorités judiciaires et policières. Les
usagers ne respectent plus les horaires établis ou payent faiblement les taxes. Ainsi, les usagers en
amont des systèmes ou ceux qui peuvent exercer la violence mobilisent parfois toute l’eau dans
leurs parcelles au détriment des usagers en aval ou ceux qui sont paisibles. Il s’ensuit un
déplacement de l’iniquité et du favoritisme des protégés de l’État vers d’autres usagers. Donc,
l'absence de l'État n'améliorera pas l'équité dans la distribution si une nouvelle structure n'est pas
bien définie et appuyée par les autorités.

Certaines interventions ont fait baisser la participation des usagers dans les activités d'entretien et
de maintenance. Toutefois, cette participation est jugée acceptable dans presque tous les cas. Par
exemple, à Dory, en dehors des projets, certains leaders de canal mobilisent les usagers pour
entretenir ce dernier. Le mauvais état du réseau semble provenir d'un manque de compréhension
des responsabilités des usagers. Pour les autres systèmes, tous les comités savent que ce sont eux
qui doivent entretenir les canaux. Lorsqu'ils convoquent les usagers à cette activité, la réponse est
satisfaisante. Donc, il est encore possible de mobiliser la communauté sous forme de travaux
communautaires dans les entretiens de canaux, moyennant une bonne coordination.

89
L'IDAI semblait avoir une approche intégrée qui tenait compte des infrastructures, d'un
accompagnement technique et financier où les usagers pouvaient avoir accès au crédit, aux
intrants et aux conseils prodigués par des techniciens sur place. Par contre, la participation des
usagers n'a pas été une priorité. Il semble que ce projet cadrait avec son époque où l'approche top
down était préconisée par les intervenants. En dépit de tout, il a eu des impacts sur les usage rs qui
l'ont connu. On pourrait tirer des leçons de l'IDAI et les intégrer dans les projets de réhabilitation
des systèmes irrigués.

Les intervenants semblent vouloir appliquer l'approche de l'IDAI sur les systèmes de Bayonnais,
Fauché, Ti Carénage et Croix Fer en y ajoutant le volet participation des usagers. Par exemple, à
Ti Carénage, il y avait un suivi qui a permis à l'association de s'habituer à travailler avec un
budget de fonctionnement et aux entretiens des matériels et des ouvrages. Ce suivi a créé des
habitudes de paiement des redevances chez les usagers. Par contre, il semble que ce suivi n'a pas
été très rigoureux puisqu'il ne favorise pas l'application des règlements de l'association en matière
de fonctionnement démocratique. Ce qui limite la participation des usagers dans la vie associative
de leur système. En bout de compte, les postes ne sont pas renouvelés, le transfert de
connaissance est très limité. Cela menace même la relève au sein de l'association et, par
conséquent, la pérennité du système.

Pour les autres systèmes, tous les aspects sont mitigés. Au niveau technique, la participation des
usagers aux travaux d’entretien est acceptable mais les horaires ne sont pas appliqués. Au niveau
financier, la collecte des redevances est faible ou négligeable, les rapports financiers sont absents.
Au niveau associatif, hormis Fauché, ce sont les mêmes limites qu’à Ti Carénage. Donc, les
projets qui font participer la population peuvent aboutir à une meilleure autogestion, moyennant
un suivi des structures.

La faible capacité de gestion financière est commune à tous les systèmes mais est plus prononcée
à Dory et à Fauché. Certains efforts sont faits à Croix Fer et Ti Carénage, mais il reste le défi de
la transparence à relever. On observe l'existence de budget de fonctionnement dans certains cas,
cependant ils ne sont là que pour la forme. Ti Carénage en fait exception, néanmoins il y a des
points noirs sur le fonds alloué au renouvellement de la pompe.

90
Sur tous les périmètres, les actions prioritaires pour les usagers tournent autour de six sortes de
besoins 1) la présence d’un technicien (particulièrement un agronome) sur le périmètre, 2) l’accès
au crédit, 3) la disponibilité des intrants agricoles, 4) la formation pour renforcer la gestion des
associations, 5) la justice pour renforcer l’autorité des AI et 6) la réhabilitation physique des
périmètres. Les fréquences5 sont de six pour le technicien, cinq pour le crédit et les intrants,
quatre pour la justice et la formation et de trois pour la réhabilitation. D’autres besoins comme
l’amélioration des bassins versants, la transparence des comités de gestion, l’augmentation du
débit du périmètre, la subvention pour faire baisser la redevance répétaient une seule fois. La
grande sollicitation des techniciens supposerait que les structures déconcentrées du MARNDR
(DDA, BAC) n’offrent pas l’accompagnement nécessaire aux AI. D’ailleurs, certains hauts
responsables avaient fait part du manque de moyens du MARNDR, limitant l'efficacité de ses
cadres. En résumé, on peut dire que le processus de transfert de gestion se fait dans un
environnement difficile. L'État doit travailler à l'amélioration de ce dernier. Sinon, les impacts de
la dynamique actuelle risquent d'être très mitigés.

2 MODÉLISATION
Les résultats de l'analyse des cas montrent que la gestion sociale de l'irrigation implique de
considérer le système d'irrigation à gérer et son environnement. Ce système peut se décomposer
en deux composantes : son histoire et sa gestion actuelle. La deuxième composante met en
évidence le processus de gestion par l'association d'irrigants et les actions d'accompagnement
nécessaires à ce processus. Ces éléments ont permis d'élaborer un modèle d'autogestion des
systèmes irrigués en Haïti que nous présentons dans la figure 4.

5
Nombre de périmètres sur lesquels le besoin est exprimé

91
Figure 4 : Modèle de transfert de la gestion des SI en Haïti

Environnement politicosocial

Ministère des Affaires Ministère de l'intérieur et des Ministère de la Justice et de


sociales collectivités territoriales la Sécurité publique

Règles de gestion
Organisme Construction
de gestion historique,

de fonds
Bailleurs
Environnement local

technique et
sociale

Type d'infrastructure
Autres systèmes d'irrigation

physique
Végétation

d'exécution
Organisme
Système d'irrigation
Sol

Actions d'accompagnement
Eau

Formation
Information
Végétation

Climat

Participation
Environnement biophysique

Pôles de gestion
et équité

Technique
Sol

Associatif Prise en
Financier AI charge
Eau

Économique
évaluation
Climat

Suivi et

Pérennité

Incitation et
coercition

Environnement économique

Ministère de Ministère de Ministère du Commerce Ministère de la Ministère de l'Économie Marchés local


l'Environnement l'Agriculture et de l'Industrie planification et des Finances et international

92
Le modèle présente l'autogestion d'un système irrigué comme un ensemble d'activités réalisées
par les usagers autour de quatre axes qui sont les pôles technique, financier, économique et
associatif. Le pôle technique vise à distribuer l'eau à l'usager de manière équitable. Le pôle
économique vise à lui fournir les services connexes favorisant la rentabilité de son exploitation.
Le pôle financier vise à autofinancer le fonctionnement du système. Le pôle associatif vise la
participation des usagers dans la gestion du système. Une gestion efficace repose sur un équilibre
entre ces quatre pôles. Cet équilibre peut se rompre à tout moment. Son maintien suppose un
environnement favorable et des actions d'accompagnement qui doivent être évaluées
régulièrement afin de permettre au système de s'adapter à son contexte.

2.1 L'ENVIRONNEMENT

Tout système d’irrigation évolue dans un environnement contenant des éléments susceptibles de
l’influencer. Les différents débats sur la gestion de l’irrigation en Haïti soutiennent que, pour bien
comprendre la gestion d’un système irrigué, il faut le placer dans son environnement général. Le
système évolue pour s’adapter à son contexte. Lors du colloque sur le transfert de gestion des
systèmes irrigués, Bernard Éthéard, un spécialiste dans la GSI, a présenté une réflexion sur
l'agencement des éléments entourant la distribution de l'eau sur un système irrigué (voir fig. 5.).
Cette réflexion a permis de construire l'environnement du système.

93
Figure 5 : Environnement d'un système d'irrigation

Environnement biophysique
1. Terre
2. Climat
3. Eau
4. Végétation

Bailleurs de fonds, opérateurs,

Infrastructure

Distribution

Organisation
Système de des usagers
production

Association
Planteurs des usagers

Environnement économique Environnement social


1. Ministères Agriculture, Ministère Intérieur et
Commerce, Finances, Collectivités territoriales,
Planification Justice, Affaires sociales
2. Microcrédit (financement
solidaire

Source : Éthéard (2004). Colloque sur le transfert de gestion des systèmes


irrigués en Haïti

Cet environnement comprend une composante biophysique, une composante économique et une
composante politico-sociale.

L’environnement biophysique détermine la disponibilité en eau d’irrigation du système et agit sur


le réseau. Cet environnement comprend l'eau, le sol, la végétation et le climat. Par exemple,

94
l'absence de rivière permanente à Ti Carénage conditionne l’irrigation par épandage de crues et
l'irrigation par pompage à partir de la nappe phréatique. Le faible débit disponible limite la
superficie irriguée et favorise une gestion parcimonieuse de la ressource en eau. Par contre, son
réseau n'est pas beaucoup affecté par les crues. Pour les systèmes gravitaires, la dégradation des
bassins versants provoque souvent des dégâts sur les réseaux, ce qui augmente les interventions et
les coûts d’entretien. La gestion du réseau devient plus difficile. Par exemple, à Fauché, le projet
PPI a dû enterrer le réseau pour diminuer la sédimentation et la destruction des ouvrages. À Croix
Fer, les usagers s'inquiètent pour le canal principal dont un tronçon est menacé par la rivière. À
Jean David, il y a eu beaucoup d'interventions au point qu'il a été difficile aux usagers de bien
identifier les intervenants et l'origine des financements. Les résultats obtenus sont plutôt mitigés.
Étant donné que l'État reste propriétaire des systèmes, sans constituer un frein aux projets, il lui
revient de bien coordonner les actions afin d'obtenir des actions plus durables.

L’environnement économique comprend le marché et les organismes étatiques tels le ministère


de l'Environnement, le ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI), le ministère de
l’Économie et des Finances (MEF) et le MARNDR. À travers ces ministères, l’État établit des
politiques économiques et dispose des moyens en vue de permettre aux agriculteurs de faire face
aux lois du marché et de lutter contre les effets pervers de la mondialisation. En effet, les pays
développés, voire certains pays en développement, accordent beaucoup de subventions à leur
secteur agricole, une façon de protéger leurs producteurs. Par exemple, les agriculteurs de riz
haïtiens sont en compétition directe avec le fameux «riz Miami» subventionné par le
gouvernement américain et dont l'importation se fait souvent en contrebande sans aucun contrôle.
Les usagers de Bayonnais font part de leurs difficultés face aux denrées en provenance de la
République dominicaine. Quant au marché local, un exemple concret est la difficulté des usagers
de Ti Carénage dont les redevances représentent environ 10% de leur coût de production, de faire
face aux usagers de la plaine de l'Artibonite dont les redevances sont négligeables. On peut
prendre d'autres exemples des effets de l'environnement économique sur les systèmes irrigués. À
Fauché et à Bayonnais, les projets de réhabilitation favorisent l'adoption de nouvelles cultures et
de nouvelles techniques de production. Cela entraîne de nouveaux besoins tels le financement, les
semences de qualité et le labourage mécanique ou l’attelage. Ces services sont insuffisants dans
ces zones et les agriculteurs pourraient recourir à leurs anciennes techniques afin de minimiser le
risque. On ne peut pas passer sous silence le manque d'informations sur les effets des bulbes de

95
savon sur les cultures. Cela implique que des décisions soient prises par supposition. Enfin, les
répondants de tous les systèmes ont demandé la présence de techniciens. Cela supposerait que le
MARNDR ne fournit pas tous les appuis techniques nécessaires à ces agriculteurs afin de leur
permettre de faire face à leur environnement économique.

L’environnement politico-social légitime les AI et leur confère l’autorité nécessaire en vue


d'exercer leur pouvoir. Cette composante regroupe le ministère des Affaires sociales (MAS)
responsable de délivrer un certificat de fonctionnement aux AI, le ministère de la Justice et de la
Sécurité publique responsable de garantir la justice afin de permettre aux AI d’appliquer les
normes et de faire respecter leurs décis ions et le ministère de l'Intérieur des Collectivités
territoriales (MICT) qui permettrait de réprimander les actions qui pourraient nuire au
fonctionnement des systèmes. Le MAS ne constitue pas vraiment un handicap au processus de
transfert. En général, lorsque les AI produisent des demandes de reconnaissance, elles les
obtiennent.

Dans l'environnement se trouvent également d'autres acteurs comme les opérateurs qui sont les
organismes d'accompagnement qui exécutent les projets, les bailleurs de fonds qui financent les
projets et les associations d'irrigants des autres systèmes. Avec ces dernières, l'AI peut
intercoopérer en fédération. Il est également souhaitable de favoriser des confédérations des AI
afin de permettre aux usagers de mieux défendre leurs droits et mieux se protéger.

L’environnement local englobe le processus de gouvernance locale par les acteurs locaux. Il s'agit
du BAC, de la mairie, des ASEC, des CASEC et des leaders locaux. Le rôle des responsables du
BAC est déterminant. D'ailleurs, ils étaient très sollicités par les agriculteurs. Étant donné que le
BAC est une structure permanente, il peut bien assurer le suivi, identifié au niveau des actions
d'accompagnement. La participation des élus locaux est partagée. Sur quelques systèmes, ils ont
pris part à des rencontres, même s'ils ne fournissent pas d'appui technico- financier. Toutefois,
cette présence est importante, car elle renforce la légitimité des AI. Pour améliorer leur
participation, il serait indispensable de les considérer comme de partenaires à part entières lors de
la mise en place des projets.

96
2.2 LE SYSTÈME ET SA GESTION

Avant de parler de la gestion d'un système irrigué, il faut tout d'abord le comprendre. Cette
compréhension amène à considérer que le système a une histoire qui entraîne une forme de
gestion.

2.2.1 Les éléments historiques

La plupart des acteurs admettent que la gestion sociale de l’irrigation est une approche qui
considère qu’un système d’irrigation est une construction historique, technique et sociale. Pour
répondre à des besoins, un ou plusieurs agriculteurs, l’État ou une ONG ont créé un système
irrigué. Dépendamment de la nature du réseau à mettre en place, le travail commence par la
mobilisation des parties concernées, puis la création d’un canal ou d’un puits ou l’installation de
matériels connexes. Parallèlement, des règles de gestion et de distribution se sont élaborées. Ces
règles évoluent avec le temps pour tenir compte du contexte dans lequel évolue le système. Par
exemple, certaines AI ont adopté des statuts vers les années 80 qui ne sont plus adaptés à la
réalité actuelle. On remarque qu’en Haïti, des règles non écrites prédominent sur celles écrites.
Cela semble être un élément culturel comme l'exprime le proverbe haïtien «la constitution est du
papier, la baïonnette est du fer» pour signifier la prédominance de la force sur la loi. Par exemple,
à Ti Carénage, le contexte de création du périmètre a déterminé des modalités de droit d’eau et
leur transmission héréditaire. Des habitudes se sont créées au niveau du paiement des redevances
et de la distribution. La création de périmètre irrigué répondait à un grand besoin à Croix Fer et à
Ti Carénage. Il s'en suit une appropriation des systèmes par les usagers qui les voient comme une
fortune ou leur source de vie.

2.2.2 Les quatre pôles de gestion d’un système d’irrigation

Gérer un système d’irrigation revient à fournir aux usagers tout un ensemble de services leur
permettant de rentabiliser les moyens et les facteurs de production mis en œuvre dans le
processus de production. Donc, une AI ne peut pas avoir la seule mission de distribution de l’eau,
mais d’autres missions qui contribuent à augmenter la productivité des exploitations agricoles. En
effet, la distribution n’est pas une fin en soi, mais un moyen qui doit permettre à l’irrigants de
satisfaire les besoins en eau de sa parcelle en vue de garantir sa production. Ainsi, le modèle

97
identifie quatre pôles de gestion qui sont le pôle technique, le pôle financier, le pôle économique
et le pôle associatif. Une gestion efficace est celle qui maintient un équilibre entre ces pôles. Cet
équilibre va favoriser la participation des usagers qui assureront la prise en charge du système, ce
qui va garantir sa pérennité. La rupture de cet équilibre peut perturber le fonctionnement du
système. Chaque pôle peut être décomposé en des actions concrètes qui font partie intégrante des
activités de l'association.

Le pôle technique vise à rendre disponible l'eau d'irrigation aux usagers en fonction des normes
établies, du débit disponible et de la capacité du réseau. Il comprend la gestion des infrastructures
physiques, la distribution équitable de l'eau, les activités d'entretien et de maintenance du réseau
et la police des eaux.

Le pôle associatif vise le fonctionnement démocratique de l'association, c'est-à-dire la


participation des usagers dans la vie de leur association. Il comprend par exemple, la tenue
régulière des assemblées générales, la tenue des listes actualisées des usagers, l'élection et le
renouvellement des me mbres au niveau des comités selon un processus formel et légal, eu égard
aux statuts et règlements internes de l'association, et la formation des usagers.

Le pôle financier vise l’autofinancement des services de l'association. Il comprend l’élaboration


et la mise en œuvre d’un budget qui tient compte des besoins réels du système, eu égard aux
possibilités pour le système de financer ce budget; la collecte des redevances selon un mécanisme
formel et régulier; la production des états financiers sur une fréquence régulière, la
communication des informations aux usagers et aux organismes d’accompagnement, la gestion
d’autres activités ou projets économiquement rentables de manière à financer l’association,
compte tenu de sa capacité. Cela nécessite des compétences spécifiques, car la volonté ne suffit
pas aux usagers de faire une bonne gestion financière.

Le pôle économique vise à permettre aux usagers de disposer des ressources financières
nécessaires afin de pouvoir payer les redevances et améliorer leur situa tion socioéconomique. Il
comprend un accompagnement au processus de production agricole. Les actions cibles seraient
des informations pour le choix des cultures économiquement rentables, la fourniture des services
d'intrants agricoles, le crédit agricole, la préparation des sols et les conseils pratiques spécifiques

98
à la production jusqu'à la transformation, la conservation et la commercialisation des produits
agricoles.

2.2.3 Les actions d'accompagnement

Le système d’irrigation est très dynamique. Donc, l’équilibre des pôles de gestion peut être
rompu à tout moment. Pour le maintenir, il faut des actions d’accompagnement dont
l’information, la formation, l’incitation et la coercition. Ces actions visent à permettre aux
intervenants, aux usagers et aux AI de disposer des renseignements relatifs à la gestion d’un
système d’irrigation et au transfert de gestion. Les informations concernant tous les systèmes
devraient être disponibles et accessibles à tous. Il s’agit par exemple de la politique du MARNDR
en matière d’irrigation, des informations socioéconomiques de chaque système et des organismes
accompagnateurs, des projets en cours, des résultats de recherche sur les cultures et la
technologie.

Le transfert de gestion implique un transfert de connaissance et de savoir. Ce transfert ne va pas


de soi. Étant donné que les usagers sont appelés à exercer de nouvelles responsabilités, il leur est
indispensable de se former afin de remplir leur fonction. Ils ne pourront accomplir leurs tâches
que par une formation adaptée à leur contexte et leurs besoins. Pour favoriser le partage de
connaissance entre agriculteurs, les visites d’échanges seraient un bon moyen. Quant au partage
entre spécialistes et usagers, certains spécialistes pourraient siéger, à titre de bénévoles, au sein
des conseils d’administration des associations d’irrigants.

L'incitation devrait permettre aux AI d'améliorer leur gestion. L’État pourrait financer certains
projets ou une partie du budget des AI qui ont accompli des actions particulières comme par
exemple les taux élevés de recouvrement des redevances, la production de rapports financiers, la
participation des usagers dans les assemblées générales, dans les entretiens et les maintenances
des systèmes, etc. À cet effet, des critères clairs devraient être préétablis afin de réduire la
subjectivité dans les choix.

Hormis Ti Carénage, des cas de rébellion ou de banditisme sont rencontrés sur tous les systèmes
où l’on enregistre parfois des sabotages des ouvrages. La coercition devrait permettre de réduire
ces nuisances. En collaboration avec les autorités policières et judiciaires, ces actions devraient

99
être punies selon les règles y relatives. On pourrait également contraindre les AI à produire des
rapports annuels et à les soumettre à un comité ou une commission qui se chargerait de cette
tâche. Cela aurait pour conséquence de permettre aux AI de profiter des incitatives économiques
et aux autorités d’identifier les pistes d’accompagnement.

Étant donné la dynamique d’un système d’irrigation, sa gestion devrait être évaluée
régulièrement. Deux niveaux d’évaluation seraient nécessaires 1) l’évaluation des actions
d’accompagnement afin de tenir compte du contexte et de les ajuster au besoin 2) l’évaluation de
la gestion des AI afin de déterminer les nouveaux besoins. L’évaluation interne et externe serait
souhaitée. L’évaluation externe se ferait par un comité indépendant qui recommanderait aux
organismes de tutelle les pistes d’intervention.

100
Tableau 5 : Synthèse des éléments structurants du modèle
Concepts Composantes Variables Actions Résultats
Environnement Garantir la disponibilité de
Biophysique Sol Élaborer et appliquer une politique en
l'eau d'irrigation et ne pas trop
Eau matière de protection de l'environnement
dégrader le réseau d'irrigation
Végétation
Climat

Créer un environnement
Économique MARNDR, MCI, Élaborer des politiques économiques
économique favorable afin de
MEF, MPCE,
Subventionner le secteur agricole permettre aux producteurs
MEN Microcrédit,
d'être compétitifs
Marché
Social MJSP Appuyer les AI dans la mise en Créer un environnement
MICT application des normes social qui assurer la légitimité
MAS et la reconnaissance des
Voter les lois sur l'irrigation et sur le
associations afin de leur
transfert de gestion
permettant d'appliquer et de
Impliquer les juges, la police et les faire respecter les normes
collectivités dans le processus
Autogestion du Définir les règles de
Histoire Construction Réaliser un diagnostic participatif du
système distribution, le type
historique, système
d'infrastructure physique et
technique et
Restituer les résultats aux usagers des pratiques spécifiques
sociale
telles le paiement des
Élaborer un projet participatif
redevances, la participation
aux entretiens et le
renouvellement des élus
Garantir la distribution de
Gestion actuelle Pôle technique Horaire de distribution disponible et
l'eau
appliqué
Favoriser l’équité entre les
Entretien et maintenance réguliers
usagers
Police des eaux fonctionnelle
Renouvellement des ouvrages
Sécuriser les ouvrages
Élaborer le rôle d’irrigation

101
Améliorer la vie démocratique
Pôle associatif Tenue des réunions et des assemblées
de l'association
générales régulièrement et leurs procès
verbaux
Promouvoir la participation
Élaborer la liste des usagers
des usagers
Renouveler les élus aux dates prévues
Permettre aux femmes et aux jeunes de Transférer les connaissances
participer et expériences
Participation des cadres à titres de
bénévoles dans les comités de gestion
Améliorer la gestion
Pôle financier Élaborer un budget de fonctionnement
financière de l'association
réel
Appliquer le budget de fonctionnement
Favoriser la transparence
Collecter les redevances
Préparer les états financiers en fin
d'exercice et les rendre disponibles
Entreprendre des activités rentables
économiquement
Permettre aux agriculteurs de
Pôle économique Services conseils
produire mieux et de payer
Services de labourage mécanique ou l'eau
traction animale
Mise en place et gestion de boutique
d'intrants agricoles
Crédit agricole
Recherche de marchés
Stockage et transformation
Permettre aux AI d'améliorer
Actions Formation, coercition, incitation,
leur gestion
d'accompagnement information et évaluation
Améliorer la transparence
Pouvoir intervenir à temps en
cas de dysfonctionnement

102
3 LIMITES DU TRAVAIL
La recherche présente des limites d'ordre méthodologique et théorique et des limites d'ordre
logistique. Les premières limites font référence à la validité interne et externe de la recherche.
Premièrement, l'étude s'est portée sur six cas, ce qui est relativement élevé pour un jeune
chercheur. Nous avons dû travailler avec une masse d'informations, ce qui a pour conséquence de
limiter l’approfondissement de certaines analyses, comme pour toute étude de cas.

Deuxièmement, l'échantillonnage est de convenance. Sur les six cas, cinq ont été fournis par le
CICDA. Pour trouver un cas contrasté, permettant de trianguler le choix des cas, nous avons
considéré le système de Fauché, un périmètre dont la gestion a été transférée officiellement aux
AI. Encore, notre critère principal était l'accessibilité du système qui se déterminait par sa
position géographique par rapport à Port-au-Prince et l'état des routes qui y conduisent.

Troisièmement au niveau de la collecte des données, en Haïti, l'enquêteur doit dépasser le biais
d'influence des personnes sur d'autres (Yorn, 2005). En ce sens, nous avons réalisé des groupes
de discussion. Là encore, il n'était pas toujours possible de départager certains leaders des autres,
étant donné que ce sont ces leaders qui devraient identifier, mobiliser et réunir nos répondants
afin de faciliter les réunions.

Quatrièmement, notre formation d'agronome n'était pas passée inaperçue par les usagers lors de la
collecte des données. En effet, certains répondants pensaient que nous allions collecter des
données afin d'élaborer des projets. En conséquence, ils pourraient fournir des informations dans
le sens d'élaboration d'un projet. D'autres nous assimilaient à un cadre du ministère de
l'Agriculture au point qu'ils nous présentaient parfois leurs doléances ou nous posaient des
questions techniques comme par exemple, quel montant de redevances devraient- ils
effectivement payer? Quels sont les effets des bulbes de savon sur les cultures? Il était souvent
nécessaire de faire un rappel des objectifs de la recherche et du but de la collecte des données.

En Haïti, il y a très peu de recherche sur le thème gestion sociale de l'irrigation. Les rares
documents trouvés étaient pour la plupart des rapports de projets d'étude ou des documents de
formation. Ainsi, il n'a pas été possible d'élaborer un cadre théorique appuyé sur des recherches
déjà effectuées dans le domaine. Pour atténuer ces limites, nous avons participé à un colloque sur
le transfert de gestion des systèmes irrigués en Haïti organisé par le GRI. Nous en avions profité

103
pour rencontrer la plupart des acteurs et obtenir leur point de vue, eu égard à leurs expériences
dans le domaine. Au moment de l'enquête, le pays faisait face à une crise politique. En effet, le
cadre méthodologique de départ avait prévu de rencontrer les autorités étatiques notamment les
maires, les ASEC, les CASEC, les juges de paix et les responsables de BAC. Les mandats des
élus venaient d'arriver à leurs termes. Ils n'ont été ni renouvelés, ni remplacés. En un mot, les
postes de ces élus étaient quasiment vides. Il n'a pas été possible de rencontrer les responsables
du BAC dans leur zone de travail.

Le modèle s'est développé sur les petits systèmes irrigués sur lesquels opérait un
accompagnateur. Il n'inclut pas les grands systèmes et les retenues collinaires. Pour donner une
robustesse au modèle, il serait intéressant de le mettre en pratique sur les systèmes afin de voir s'il
donne réellement des résultats concrets. Il pourrait également servir comme grille pour analyser
d'autres systèmes afin de voir s'il donne des résultats dans d'autres cas.

Enfin, les résultats devraient être présentés aux associations d’irrigants touchées par l’étude.
Compte tenu du temps consacré à l’étude, cette phase n’a pas pu être effectuée. Toutefois, les
résultats provisoires ont été présentés à la rencontre mensuelle du GRI tenue le 26 août 2004.

Au niveau de la logistique nous considérons les facteurs temps, moyens et contexte dans lequel
l'étude a été réalisée. En effet, nous avons disposé de trois mois pour planifier et organiser les
différentes rencontres permettant la collecte des informations. Il était parfois difficile de trouver
certains répondants. Nous avons passé 3 à 5 jours sur chaque système alors que deux semaines
seraient nécessaires. La recherche s'est déroulée sur six systèmes situés dans cinq départements
géographiques différents. L’accès à ces systèmes a été parfois très difficile. De plus, l’étude a été
réalisée en saison pluvieuse et certaines rencontres se déroulaient au moment des pluies. Nous
n'avions pas un budget de recherche, ce qui n'a pas permis d'engager certaines dépenses ou a
limité certains déplacements. Faute de moyen de déplacement autonome, nous étions obligé
d'accompagner les techniciens du CICDA lors des séminaires de formation réalisés à l'endroit des
usagers. Notre séjour sur les systèmes était conditionné par la durée de ces séminaires.

En dépit tout, le chercheur a pu s'adapter afin de trouver les informations recherchées. Certaines
rencontres ont été réalisées, sous les arbres, dans les jardins, au bord des rivières ou sur les berges

104
des canaux, dans des églises, dans des gaguères et parfois même la lune ou les lampes de poche
assuraient l’éclairage.

4 CONCLUSION
Cette section vise à parcourir le travail afin d’en dégager les éléments les plus importants.

Le premier chapitre commence par montrer que la gestion de l’irrigation en Haïti est liée à son
histoire. Après les colons français, les systèmes irrigués étaient gérés pat l’État. Cette gestion
était caractérisée par l’autoritarisme, le favoritisme et l’exclusion des usagers dans les grandes
décisions. Vers les années 1980, quelques initiatives ont permis de créer des systèmes et confier
leur gestion aux usagers. En 1986, le pays a connu des évènements sociopolitiques qui allaient
apporter des changements structurels majeurs. Ces évènements sont à l'origine d'une nouvelle
constitution en 1987 qui a prôné la participation de la population dans toutes les décisions qui la
concernent. Avec cette nouvelle constitution, la plupart des lois relatives à l'irrigation n'étaient
plus applicables. Vers les années 1990, le MARNDR a adopté une nouvelle politique sur
l'irrigation et le transfert de gestion. Cette politique prévoit la réhabilitation des périmètres
irrigués et leur transfert à des associations d'irrigants qui en assureront la prise en charge. Pour
mettre en œuvre sa politique, l'État réalise des expériences pilotes, vulgarise la politique auprès
des intervenants, les informe et les forme sur le processus. En ce sens, un projet de formation a
été élaboré par le consortium GSE et mis en œuvre par le CICDA. Dans le but de lui permettre
de disposer des informations en vue d'élaborer des projets d'accompagnements sur les sys tèmes
irrigués, le CICDA a rendu possible la réalisation de cette étude.

Au niveau de la problématique générale, l’étude montre que le processus de transfert de gestion


est en cours dans un contexte où le cadre légal actuel ne lui est pas favorable. Les bassins
versants connaissent des dégradations de manière accélérée avec pour conséquence de dégrader
les infrastructures physiques sur les périmètres et de réduire les débits disponibles. Il y a peu de
recherche dans le domaine. Le secteur est faiblement coordonné par l'État où les acteurs
imposent leur vision. Les données techniques sont rares et l'État ne dispose pas à cet effet
suffisamment de ressources financières et humaines nécessaires. Cela entraîne, sur les systèmes
irrigués, la création de mauvaises habitudes par les acteurs suite aux projets à HIMO et un
manque de suivi. Il s'en suit des associations d'irrigants qui ne poursuivent pas pleinement leurs

105
missions. La sclérose démocratique s'installe, les mandats ne sont pas renouvelés, les statuts ne
sont plus adaptés à la réalité actuelle et les usagers ne les connaissent pas, les assemblées
générales ne s'organisent pas normalement. Ces éléments ont conduit à formuler la question
générale de recherche : comment les associations d’irrigants arrivent-elles à assurer la prise en
charge effective de leur système irrigué? Pour répondre à cette question, 2 questions spécifiques
ont été posées 1) Est-ce que les associations d'irrigants sont capables de poursuivre leurs
missions? 2) Quel type d'accompagnement nécessaire à une prise en charge effective? La
conduite de la recherche a été réalisée à partir de deux propositions 1) La nature et le niveau
d'accompagnement octroyé aux AI sont déterminants dans la gestion et la prise en charge des
systèmes irrigués 2) L'accompagnement institutionnel des AI est un impératif pour une prise en
charge effective des systèmes irrigués par les AI.

Le deuxième chapitre montre que la littérature entourant la GSI en Haïti n’est pas riche. Il y a
peu de recherche et les documents trouvés sont pour la plupart des rapports de projets ou de
documents de formation. Il n’a pas été possible de bâtir un cadre théorique sur la GSI. Devant
cette situation, l’étude se penchait beaucoup sur les acteurs de terrain afin d’avoir une image
riche de la réalité. Il a été possible d’obtenir les points de vue des acteurs grâce à un colloque
organisé par le GRI sur le transfert de gestion de systèmes irrigués en Haïti.

Le troisième chapitre montre que la stratégie de l’étude de cas a été utilisée. La recherche a
beaucoup puisé dans la Méthodologie des systèmes souples. Cette méthodologie implique de se
pencher sur une situation problématique et de penser à un système qui permet de comprendre la
situation réelle examinée et enfin de prendre des actions cohérentes en fonction de ce qui est
appris. Les données ont été collectées auprès des usagers de six systèmes d’irrigation choisis par
convenance et auprès des acteurs des organismes d’accompagnement. Des répondants clés ont
été choisis en vue de fournir des informations collectées à travers d'entrevues semi- structurées
individuelles ou en groupes. Les données ont été analysées selon une approche qualitative.

Six niveaux de résultats ont été obtenus. Le premier résultat montre que le transfert de gestion est
en cours dans un environnement difficile. L'État s'embarque dans le processus, mais ne dispose
pas des ressources nécessaires à rendre cet environnement favorable. Le deuxième résultat
montre que sur les anciens systèmes gérés par l’État, en absence d’une nouvelle structure
légitimée par les autorités, la distribution de l’eau n’est pas plus équitable. Il y a eu un

106
déplacement de l'autoritarisme et du favoritisme des protégés de l'État vers des usagers en amont
des systèmes et des bandits au détriment des usagers en aval et des citoyens paisibles. Le
troisième résultat montre qu’après les bons projets de réhabilitation, le manque de suivi nuit au
fonctionnement des structures mises en place. La relève de l’association est menacée et la
pérennité du système n’est pas garantie. Selon le quatrième résultat, la participation des usagers
dans les entretiens des systèmes est acceptable. Moyennant une bonne coordination, on peut
toujours les mobiliser sous forme de konbit. Cinquièmement, le projet IDAI laisse des impacts
auprès des usagers qui en bénéficiaient. On pourrait retenir les éléments positifs de ce projet et
les intégrer dans les nouvelles interventions. Le sixième résultat montre que les demandes
d'accompagnement des usagers convergent autour de six sortes de besoins: la formation et
l'information, la justice et la sécurité, l'accès aux intrants agricoles, le crédit, la présence de
techniciens sur les systèmes et la réhabilitation physique de ces systèmes.

Le chapitre de discussion présente un modèle de transfert de gestion des systèmes irrigués. La


forme de gestion qui garantit la pérennité des systèmes irrigués implique un environnement
favorable, une gestion efficace par l'association et des actions d'accompagnement.
L'environnement comprend une composante biophysique qui détermine la disponibilité en eau
des périmètres et peut affecter le réseau, une composante politico-sociale qui vise à permettre
aux usagers de se grouper en association, d'exploiter les ressources et de prendre des décisions
qui affectent la communauté et une composante économique visant à rendre les producteurs
compétitifs sur les marchés local et international.

La gestion efficace des systèmes irrigués repose sur un équilibre entre quatre pôles: un pôle
technique, un pôle associatif, un pôle financier et un pôle économique. Le pôle économique
concerne la production agricole. Les agriculteurs devraient pouvoir se munir des intrants et
bénéficier des services et de la technologie nécessaire à garantir la viabilité de leur exploitatio n
afin de pouvoir contribuer financièrement à la bonne marche du système. Le pôle technique vise
à livrer l'eau aux usagers dans le respect des normes d'équité admises sur le système. Il concerne
la réhabilitation physique des réseaux, leur entretien et le ur maintenance régulière, l'élaboration et
la mise en œuvre d'un horaire de distribution. Le pôle associatif favorise la participation de la
communauté dans les décisions qui la concerne selon les vœux de la constitution et l'esprit du
transfert de gestion. Il comprend la tenue régulière des assemblées générales, le renouvellement

107
des membres de l'association et l'accès aux différents postes de différentes catégories de
membres. Le pôle financier vise à financer les services de l’association. Il concerne l' élaboration
et la mise en œuvre de budget de fonctionnement, la collecte des redevances, la production de
rapport financier, etc. Pour maintenir cet équilibre, des actions d’information, de formation,
d’incitation et de coercition sont nécessaires. Un système de suivi devrait permettre d’évaluer
régulièrement les actions d’accompagnement ainsi que la gestion du système.

L'étude a mis en évidence les pôles de gestion, mais ne les a pas étudiés en profondeur. Il serait
intéressant d'étudier chacun de ces éléments au sein des associations d'irrigants. Des études plus
spécifiques pourraient permettre de répondre à des questions telles comment se déroule une AG
au sein d'un AI? Quels sont les effets des bulbes de savon sur les plantes? La recherche n'est pas
terminée puisque la dernière phase qui consiste à appliquer le modèle, comme le prône la MSS,
n'a pas été effective. En ce sens, le modèle pourrait être testé sur les périmètres étudiés ou servir
de grille d’évaluation de la gestion d’autres associations d’irrigants.

108
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111
ANNEXES

ANNEXE A : CATÉGORIE DES PERSONNES RENCONTRÉES

112
ANNEXE B: LES GRILLES DE COLLECTE DES INFORMATIONS

113
ANNEXE C: GRILLE D'ANALYSE DES INFORMATIONS

117
ANNEXE D : GRILLE DE RÉFÉRENCE DES VARIABLES POUR L'ANALYSE DE LA GESTION D ' UNE
AI EN HAÏTI

118
ANNEXE E: LOCALISATION DES SYSTÈMES

121
ANNEXE F : PRESENTATION DES SYSTEMES

122

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