Pointurier Sophie 2014
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Membres du Jury
Mots clés : traductologie, interprétation, langue des signes française, tactiques, contraintes,
Modèle d’Efforts, scénarisation, recherche empirique
3
Abstract
Taking as its point of departure the conceptual framework provided by the IDRC models
(Interpreting-Decisions-Resources-Constraints) and Daniel Gile’s Effort model of
simultaneous interpreting between spoken languages, this thesis aims to analyse the process of
sign language interpreting and study the cognitive load inherent in encoding information from
a spoken language (an auditory-vocal modality of language production) into signed language
(a vision and gesture-based modality). The first part of the work analyses the set of constraints
involved in the exercise of sign language interpreting, as distinguished from those generally
observed to apply between spoken languages (including languages syntactically far apart),
such as socio-economic constraints, linguistic constraints and, finally, spatial constraints.
There follows a cognitive analysis of the interpreting process with reference to Gile’s Effort
model of simultaneous interpreting (Listening and Analysis Effort, Memory Effort,
Production Effort, Effort of Coordination of these three simultaneous activities), with an
attempt to envisage transposing its application to sign language. In order to gain better
understanding of the constituent mechanisms of the process, initial analysis of the cognitive
load of the interpreter in action accords particular attention to the concept of scénarisation
(scene-staging) (Séro-Guillaume, 2008). Is this capacity for creating a visual picture from
sequential meaning greater or lesser when factors such as the degree of abstraction of the
speech, the technicality of its content, a lack of lexical correspondence, the interpreting
context (educational setting, conference setting, etc), and the amount of preparation are taken
into account? Analysis of the process is based upon a corpus comprising several empirical
studies of interpreting into sign language: a semi-experimental study, a naturalistic case study,
and an experimental study, as well as on interpreter interviews and a focus group. The
observations drawn from all of these studies have enabled cross-referencing of our data and
the identification of the relevant elements of our research results in order to advance
understanding of the cognitive process of sign language interpreting.
Keywords: translation studies, interpreting, french sign language, tactics, constraints, Effort
Model, scene-staging, empirical studies
4
Remerciements
En premier lieu je tiens à remercier Monsieur Daniel Gile pour la confiance qu’il m’a
accordée en acceptant d’encadrer ce travail de recherche. Sa disponibilité et ses remarques
constructives m’ont permis de ne pas me perdre en route. J’aimerais également lui dire à quel
point ses séminaires et nos nombreux échanges ont été fondamentaux pour l’élaboration de ce
travail et combien j’ai appris de lui durant ces cinq années.
Je voudrais remercier particulièrement Sophie Hirschi pour m’avoir permis d’utiliser une
partie de ses données, ce qui a contribué à mettre ce travail en perspective. Je la remercie
aussi pour les nombreuses heures passées à la révision complète de l’ensemble des corpus en
langue des signes. Grâce à son investissement et son intérêt pour ce travail, j’ai pu
« confronter » mes données, les revérifier et exposer ma pensée lors de nos nombreux
échanges qui ont nourri ma réflexion.
Un grand merci à Danielle Conge, Sandrine Détienne et Anne-Christine Parr pour leur aide
sur la mise en forme, la révision et la traduction de certaines parties du manuscrit. Je tiens à
remercier également les membres de l’équipe pédagogique de la section interprétation
français- LSF de l’ESIT pour leur implication et la richesse de nos échanges tout au long de
ce travail.
Un grand merci aux nombreux interprètes en langue des signes qui ont participé de près ou de
loin à ce travail de recherche et sans qui rien de cela n’aurait pu être possible.
Enfin et surtout à ma famille et mes amis qui m’ont soutenue toutes ces années. Je remercie
ici pour des raisons différentes Marie Pointurier, Laurence Couderc, Marion le Tohic,
Christine Peuch et Eric Pournin.
À mes enfants, Arsène et Eloïse, qui ont grandi avec cette thèse en toile de fond. Ce travail
leur est dédié.
5
6
Sommaire
INTRODUCTION ............................................................................................. 13
7
3.2. La littérature internationale : les sujets de recherche ............................................. 67
3.2.1. Définir une situation interprétée ............................................................................ 67
3.2.2. Le rôle de l’interprète dans l’interaction................................................................ 69
3.2.2.1. La collaboration de l’interprète dans le déroulement de l’évènement : le « trilogue »
de Seleskovitch.............................................................................................................................. 69
3.2.2.2. L’apport des recherches sociolinguistiques appliquées à l’interprétation en langue
des signes ou la confirmation de la notion de trilogue .................................................................. 70
3.2.2.3. La part de l’interprète dans l’interaction : une coopération ?.................................... 71
3.2.3. La neutralité de l’interprète, une question d’éthique ............................................. 73
3.2.4. La problématique de l’accès à la langue B ............................................................ 77
3.2.5. L’interprétation en milieu pédagogique................................................................. 79
9
5.2.2.3. Commentaires.......................................................................................................... 187
5.2.3. Analyse des placements dans l’espace de signation ............................................ 192
5.2.3.1. Commentaires.......................................................................................................... 197
5.2.4. Le cas d’une sémantisation difficile de l’espace.................................................. 201
5.2.5. Commentaires ...................................................................................................... 204
7. BIBLIOGRAPHIE.................................................................................... 321
8. ANNEXES.................................................................................................. 332
8.2. Entretien pendant le visionnage des corpus 1 à 6 avec les interprètes ................. 405
8.2.1. Entretien Corpus 1 avec ILS 1 ............................................................................. 405
8.2.2. Entretien Corpus 2 avec ILS 2 ............................................................................. 407
8.2.3. Entretien Corpus 3 avec ILS 3 ............................................................................. 409
8.2.4. Entretien Corpus 4 avec ILS 4 ............................................................................. 411
8.2.5. Entretien Corpus 5 avec ILS 5 ............................................................................. 413
8.2.6. Entretien Corpus 6 avec ILS 6 ............................................................................. 413
11
8.4. Corpus 8 : étude expérimentale ............................................................................... 420
8.4.1. Discours de Nicolas Sarkozy sur la maladie d’Alzheimer................................... 420
8.4.2. Interview ILS 7 (10 ans d’expérience)................................................................. 424
8.4.3. Interview ILS 8 (20 ans d’expérience)................................................................. 427
8.4.4. Interview ILS 9 (10 ans d’expérience professionnelle) ....................................... 428
8.4.5. Interview ILS 10 (18 ans d’expérience professionnelle) ..................................... 430
8.4.6. Interview ILS 11 (23 ans d’expérience)............................................................... 433
12
Introduction
Notre étude porte sur l’interprétation en langue des signes, sur l’analyse des contraintes et sur
celle des tactiques de l’interprète lorsqu’il doit faire des choix dans le feu de l’action. Notre
expérience en tant qu’interprète en langue des signes depuis la fin des années 90 nous a
permis de mieux comprendre les difficultés techniques et sociales des interprètes sur le
terrain. Notre implication au sein de l’équipe pédagogique de l’ESIT nous a permis ensuite
d’avoir un regard plus précis sur l’approche de l’enseignement de l’interprétation en langue
des signes et sur des éléments de théorie. Ainsi, il nous est apparu pertinent de questionner et
d’analyser certaines postures théoriques généralement enseignées au regard de la réalité
rencontrée par les interprètes sur le terrain. C’est ici que nous pouvons trouver le point de
départ de notre travail de recherche.
En premier lieu, il nous a semblé que l’analyse de la littérature générale sur l’interprétation en
LS tend à se conformer à celle de l’interprétation entre langues vocales dans la mesure où la
dimension propre à la langue des signes est rapidement assimilée aux considérations des
langues vocales syntaxiquement éloignées les unes des autres. Partant de ce postulat, aucune
analyse plus spécifique de l’exercice n’a été envisagée pendant de nombreuses années.
Paradoxalement, et nous le verrons avec l’analyse de la littérature dans le premier chapitre, la
littérature sur la langue des signes est très riche si l’on prend en compte l’approche strictement
linguistique de notre sujet, mais tend à se réduire drastiquement lorsque l’on aborde les études
sur le métier en tant que tel. Pour des raisons que nous analyserons plus en profondeur dans
notre travail, nous remarquerons que très peu d’études empiriques sur la langue des signes de
l’interprète existent, et que beaucoup de conseils et de bonnes pratiques données comme
modèles sont issus soit de la littérature générale sur l’interprétation entre langues vocales, soit
de la littérature linguistique qui traite de la langue des signes des locuteurs sourds en situation
monologique.
C’est ainsi que nous avons choisi comme angle d’attaque de notre travail celui des
« contraintes » et des « tactiques », qui sont des notions présentes dans le travail de D. Gile.
En ce sens que les tactiques1, comme l’explique Gile, sont des indicateurs empiriques des
comportements des interprètes face à des contraintes précises que nous tenterons d’analyser.
Notre cadre théorique principal est celui de la théorie interprétative de Seleskovitch et Lederer
(1984,1989, 2002). Nous verrons au cours de notre travail la manière dont cette théorie a
1
Nous utiliserons le mot « tactique » de préférence à « stratégie », toujours au sens de Gile lorsqu’il précise que
les tactiques recouvrent les décisions à court terme, des actions immédiates prises par les interprètes pendant le
travail d’interprétation. Les stratégies répondent à des décisions planifiées dont les objectifs s’envisagent à plus
long terme et ne sont pas des prises de décisions aussi significatives des difficultés locales rencontrées par les
interprètes dans le feu de l’action.
14
parfois été malmenée et utilisée en contradiction avec ses idées fondatrices lorsqu’il est
question de l’interprétation en langue des signes. Nous tenterons par notre analyse de la
littérature et celle de notre corpus de réajuster les apports majeurs de la TIT pour ce qui
concerne l’interprétation en langue des signes.
Nous analyserons ensuite les tactiques des interprètes en utilisant comme cadre conceptuel
deux modèles d’analyse de Gile. Le premier est le modèle IDRC (Gile 2009-b). Ce modèle
Interprétation-Décision-Ressources-Contraintes permet justement de partir des contraintes des
interprètes en langue des signes, de les analyser et de les comprendre dans un système qui
envisage les tactiques comme des décisions face à des contraintes rencontrées dans l’exercice
de l’interprétation. Nous analyserons ensuite l’effet de ces tactiques sur les ressources
attentionnelles de l’interprète en nous référant au modèle d’Efforts de la simultanée de Gile
entre langues vocales qui a pour prolongement une analyse de ces tactiques sur le plan
cognitif (Gile, 2009-a). Après l’analyse de nos différents corpus et en croisant nos données
avec les interviews d’interprètes sur leur propre production, nous proposerons une adaptation
du modèle d’Efforts à l’interprétation en LS.
Nous tenterons tout au long de notre travail et dans la mesure du possible de nous tenir à
l’écart des considérations militantes et des différents débats idéologiques sur la langue des
signes que nous expliquerons pour les lecteurs non avertis, mais qui selon nous ont longtemps
été un frein à l’analyse objective de l’exercice.
15
Chapitre 1- Le cadre théorique
Quelles sont les différences notables entre l’interprétation entre langues vocales et
l’interprétation en langue des signes ? De quelle façon la logique visuo-spatiale s’intègre-t-
elle au processus cognitif lors de l’interprétation vers la langue des signes française (LSF) ?
Comment les interprètes en langue des signes (ILS) gèrent-ils les contraintes
sociolinguistiques liées à la LSF ? Quelles sont leurs tactiques et sont-elles les mêmes que
celles habituellement observées chez leurs collègues en langues vocales ? Telles sont les
principales questions qui seront traitées dans cette étude qui a pour objectif premier une
progression dans l’exploration du processus de l’interprétation en langue des signes.
Notre analyse aura pour cadre conceptuel principal la théorie interprétative de la traduction de
l’ESIT. Nous nous réfèrerons ensuite au modèle IDRC (Interprétation-Décisions, Ressources-
Contraintes) de Gile (2009-b). Ce modèle permet une schématisation du processus global de
l’interprétation dans lequel les différentes théories traductologiques et modèles existants
peuvent être librement intégrés, permettant ainsi de situer les difficultés et de les expliquer au
regard des apports théoriques de la littérature traductologique. Parallèlement à cela, nous
utiliserons le modèle d’Efforts de la simultanée (Gile, 2009-a) pour une analyse cognitive des
tactiques liées à l’interprétation du français vers la langue des signes. Cette analyse du
processus de l’interprétation en langue des signes se fera donc à deux niveaux : le modèle
IDRC nous permettra en premier lieu de mieux comprendre les contraintes existantes liées à
la situation d’interprétation dans le contexte sociolinguistique actuel, puis le modèle d’Efforts
nous permettra dans un second temps d’analyser les implications cognitives de ces contraintes
sur les tactiques mises en œuvre par les interprètes. À la suite de cette analyse, nous listerons
les éléments observés lors de la transposition du modèle d’Efforts de l’interprétation entre
langues vocales vers une langue signée et qui peuvent se distinguer de ceux habituellement
présents en interprétation entre langues vocales de grande diffusion.
16
1.2 La Théorie Interprétative de la Traduction (TIT)
La TIT est une approche de l’interprétation et de la traduction qui a été très novatrice dans les
années qui ont vu son émergence puisqu’elle a représenté l’appropriation de la réflexion sur
l’interprétation par les interprètes eux-mêmes. En effet, Danica Seleskovitch a marqué avec la
TIT une rupture avec la démarche linguistique de l’interprétation qui était jusqu’alors
enseignée dans la plupart des écoles d’interprétation et de traduction. Seleskovitch (1968) part
de sa propre expérience et de celle de ses collègues interprètes de conférence pour théoriser
des principes fondamentaux sur la compréhension de l’interprétation qui deviendra la TIT.
Comme le souligne F. Herbulot (2009 : 3) dans le guide distribué en début d’année aux
étudiants de M1 à l’ESIT:
2
Florence Herbulot, Apprivoiser la TIT, suivi de Quelques recettes pour ne pas être un traducteur cafouilleux,
2009, Ecole Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs.
17
L’autre fondement de la TIT est celui de la déverbalisation qui vient compléter par une
explication cognitive la démonstration de ces principes fondamentaux. Pour Séleskovitch, la
déverbalisation implique que le processus de l’interprétation se fait en plusieurs phases : une
phase de compréhension, une phase de déverbalisation et une phase de reformulation. Cette
phase serait la clé de l’idée selon laquelle l’interprétation n’est pas une activité linguistique
puisqu’elle implique pour l’interprète une phase déverbalisée (Seleskovitch et Lederer, 1989-
2002, p. 41). Cette étape encouragerait la représentation mentale du message de l’orateur et de
ses intentions pour ensuite le reformuler dans la langue d’arrivée en fonction des besoins de
communication inhérents à la situation. La TIT encourage donc l’analyse du discours pour
une meilleure appropriation du sens par l’interprète tout en étant attentif au contexte
d’énonciation du discours comme autre élément d’analyse.
L’ensemble de la démarche interprétative est selon nous totalement compatible avec la théorie
du Skopos (Vermeer et Reiss, 1984/1991), puisqu’il y est également question de l’influence
de la fonction de la traduction sur les choix du traducteur. La TIT s’étant surtout intéressée à
la situation de conférence (sauf peut être pour ce qui concerne l’interprétation diplomatique
qui présente des similarités selon nous avec certains enjeux de l’interprétation
communautaire), il nous semble que la complémentarité de la théorie du skopos et de la TIT
est particulièrement éclairante pour l’interprétation en LS. Nous sommes convaincus que ces
deux théories peuvent coexister sans se nuire et nous appuierons par conséquent notre
réflexion sur le modèle IDRC de Gile, dans la mesure où ce modèle encourage comme nous
allons le voir la complémentarité de ces écoles de pensées.
18
1.3 Le modèle IDRC : Interprétation-Décisions-Ressources-
Contraintes
Gile (2009-b : 75) présente une schématisation du modèle IDRC de la manière suivante :
Texte de départ
↓
Interprétation avec décisions
Ressources ↓ Contraintes
Reformulation avec décisions
↓
Texte d’arrivée
Pour Gile (2009-b : 74),
« Le modèle schématise le processus de Traduction en une succession de phases de
compréhension et de reformulation. Cette succession s’applique à chaque unité de
Traduction et, de manière moins linéaire, à des agrégats d’unités de traduction (à
propos du choix du concept d’unité de traduction voir Gile 1995, 2005), mais le jeu
des itérations et ses variantes, ainsi que le périmètre des différentes unités de
Traduction en jeu (mots, syntagmes, propositions, phrases, groupes de phrases, textes,
etc.) n’y sont pas précisés. (…) Lors de chaque phase de compréhension, le segment
de Texte de départ concerné est interprété avec les ressources existantes et des
décisions sont prises. Lors de la phase de reformulation, des décisions interviennent
dans le choix des mots et des structures linguistiques à employer, mais aussi dans la
sélection des informations que l’on gardera, que l’on modifiera, que l’on ajoutera par
explicitation, là aussi en fonction des ressources et des contraintes, y compris le
cahier des charges du client, les connaissances qu’il semble raisonnable d’attribuer
aux lecteurs ou auditeurs de la traduction, etc. »3
3
Traducteur avec majuscule signifie « les interprètes et les traducteurs ». Traduction avec majuscule désigne
également l’interprétation et la traduction. Textes signifie les supports écrits ou les discours.
19
L’aspect descriptif de ce modèle en fait un outil particulièrement utile en formation
d’interprètes dans la mesure où il permet aux étudiants d’identifier et d’appréhender leurs
difficultés. Son intention non prescriptive permet également aux théories traductologiques
existantes d’y être intégrées à chaque étape du processus dans leurs particularités respectives
(traduction littéraire, technique, etc.). L’étudiant trouve ainsi des réponses théoriques aux
difficultés techniques concrètes qu’il aura réussi à identifier.
Les décisions du Traducteur y occupent une place centrale au vu des contraintes et des
ressources rencontrées à chaque étape du processus de la Traduction. Gile présente et définit
les ressources comme relevant notamment des connaissances linguistiques existantes et
disponibles du Traducteur, sachant que « aucun traducteur ne dispose de l’ensemble de ces
ressources à un moment donné au cours de l’acte de Traduction » (Gile, 2009-b : 77). S’y
ajoutent les connaissances déclaratives du Traducteur (connaissances thématiques, culturelles
et linguistiques) ; les habiletés sociales, communicatives, linguistiques et cognitives du
Traducteur, c’est-à-dire sa capacité à comprendre rapidement les normes et les contraintes des
parties en présence ; les compétences techniques du Traducteur liées à son expérience et sa
pratique ; et enfin les compétences liées aux ressources externes disponibles, c’est-à-dire tout
ce qui concerne les glossaires, dictionnaires, logiciels et autres ressources techniques ou
financières permettant un travail de qualité. S’y ajoutent aussi les compétences
administratives, organisationnelles et commerciales du Traducteur, nécessaires à sa stabilité
professionnelle.
Les contraintes ont également une place déterminante. Certaines d’entre elles peuvent être
présentées comme les limites des compétences citées ci-dessus. Les normes de la traduction et
20
le manque de temps pour effectuer sa prestation (orale ou écrite) sont également des
contraintes bien connues du Traducteur. Nous nous emploierons à recenser les contraintes
auxquelles sont soumis les interprètes en langue des signes (LS), particulièrement dans le
deuxième chapitre de notre travail, en lien avec le modèle IDRC.
Dans un second temps nous ciblerons plus particulièrement l’exercice de l’interprétation vers
la LS d’un point de vue cognitif au regard des tactiques observées lors de l’interprétation,
grâce à l’analyse de notre corpus et des interviews des interprètes. Pour ce faire, nous
utiliserons le modèle d’Efforts de la simultanée de Gile.
21
de chaque sous-ensemble et dépend de plusieurs facteurs : de l’interprète lui-même, de la
technicité du discours, du débit de l’orateur, etc.
Les Efforts sont au nombre de quatre, dont un Effort de coordination qui peut être
particulièrement important :
- Effort de Réception (ER) : relatif à toutes les activités mentales mobilisées pour la
perception (chaine sonore/visuelle) et la compréhension d’un discours oral ou signé. Ses
besoins dépendent notamment de la complexité du discours, de sa densité, de la qualité de la
chaîne sonore/visuelle, etc. Pour inclure la situation modale de l’interprétation en langue des
signes, Gile a renommé cet Effort, initialement désigné par « Effort d’Ecoute et Analyse »,
Effort de Réception.
- Effort de Mémoire (EM) : effort de mémoire à court terme mobilisé pour retenir puis
récupérer les informations requises en attendant la décision de l’interprète de les traduire ou
non. Le rythme de stockage et de recherche de l’information, et la quantité d’information à
manier ne dépendent pas de l’interprète, mais de l’orateur (Gile 2005 : 98).
22
Le modèle d’Efforts de la simultanée peut se traduire par cette formule : SI = R + P + M + C.
L’interprétation simultanée est la superposition des Efforts de réception, de production, de
mémorisation et récupération d’informations en mémoire à court terme et de coordination.
L’intérêt de cette analyse nous permet de mettre en lumière que la charge cognitive de la
mémoire de travail de l’interprète est plus intense lorsque plusieurs Efforts sont convoqués
simultanément.
À tout moment, la capacité disponible dans chacun des Efforts (Réception, Mémoire,
Production) ne doit pas être dépassée par la capacité requise pour la tâche à effectuer.
L’interprétation se réalise dans la recherche d’un état d’équilibre entre ces trois Efforts (R +
M + P). Si à un moment quelconque, l’un des Efforts a des besoins qui dépassent la capacité
de traitement qui lui est affectée, l’équilibre des Efforts est perturbé, ce qui peut conduire à la
détérioration de la qualité de l’interprétation (perte d’informations, faute de sens, syntaxe
incorrecte, etc.). Pour préserver l’équilibre de l’interprétation, il est également nécessaire qu’à
chaque moment la capacité de traitement disponible chez l’interprète (TD) soit supérieure à la
charge cognitive totale requise pour l’interprétation simultanée (TR) : TD ≥ TR
Gile (2009-a : 211-212) propose dans son analyse des tactiques en interprétation simultanée
entre langues vocales l’existence de « lois » sous-jacentes qui en déterminent la sélection au
regard du modèle d’Efforts:
La première est la maximisation de la récupération d’informations : cette
préférence largement observée implique que l’interprète privilégie naturellement l’ensemble
des procédés qui lui permettront un rendement maximum des informations du discours de
départ (consultation des documents en cabine, coopération avec l’interprète passif, etc.).
La seconde est la minimisation des interférences : dans la mesure du possible, une
tactique ne doit pas, pour transmettre une information, consommer du temps et des ressources
au détriment d’une autre information.
La troisième est la maximisation de l’impact du discours : selon le cadre de
l’interprétation, le ton et la dynamique du discours, l’impact voulu par l’orateur tend à prendre
le pas sur la loi de récupération d’informations (lors de certaines conférences ou lors
d’interviews par exemple). Le principe de loyauté envers l’orateur entraîne parfois l’interprète
à favoriser le « packaging » du discours au détriment du contenu.
La quatrième loi est la loi du moindre effort : considérée comme indésirable au
regard du professionnalisme. De façon non intentionnelle, les interprètes comme tout un
chacun ont tendance à économiser leurs ressources attentionnelles en choisissant les tactiques
les moins consommatrices.
Enfin, la dernière loi est celle de l’autoprotection : cette loi semble aller à l’encontre
des lois une et trois, dans la mesure où l’interprète choisit une posture qui lui permet de taire
ses difficultés face à un segment complexe du discours, ce qui est discutable en termes
d’éthique.
24
Nous nous référerons au modèle d’Efforts en particulier lorsque nous présenterons une
analyse cognitive des tactiques des interprètes en LS de notre corpus. Nous utiliserons ce
modèle comme base de travail pour nous permettre ensuite d’identifier d’autres Efforts
présents en interprétation en langue des signes. Ainsi, nous proposerons une transposition du
modèle d’Efforts de la simultanée à la modalité particulière de la langue des signes.
25
Chapitre 2 – Historique de l’interprétation en LS au regard de
l’histoire des sourds
2.1. Introduction
Il peut arriver au néophyte de s’y perdre un peu lorsqu’il découvre l’ensemble des techniques
de communication mises en place en parallèle à la langue des signes. La communication
gestuelle dans son ensemble comporte de nombreuses variantes qui ne relèvent pas toutes de
la langue des signes à proprement parler, ainsi que plusieurs techniques manuelles qui
permettent un encodage visuel de la langue en vue de sa restitution visuelle totale (forme et
syntaxe). Nous pouvons en compter une dizaine, qui vont de l’encodage strict de la langue
orale à la communication non verbale pure. Nous ne jugerons pas ici de la réussite de ces
techniques ni de leur impact sur la construction linguistique et identitaire des personnes
sourdes. Nous rappelons simplement qu’il est, à l’heure actuelle, communément admis que la
langue des signes est une langue à part entière et, de fait, elle se différencie structurellement
de ces codes.
Une rapide mise au clair de la situation de la langue des signes et de son histoire est
indispensable pour mieux comprendre le rôle de l’interprétation en langue des signes dans un
contexte social que nous pourrions qualifier de sensible, dans le sens où il implique des
questionnements fondamentaux : quelle langue donner à un enfant sourd ? Quelle sera la
meilleure scolarité pour cet enfant ? Ces questionnements soulèvent de façon plus générale
toutes les problématiques faisant référence à la construction identitaire de la personne, à son
appartenance à une communauté linguistique et à la place de cette communauté dans le
schéma social actuel (voir entre autres à ce sujet les travaux de B. Mottez ou de P. Séro-
Guillaume). La double appartenance de cette communauté à une minorité linguistique d’une
part et à une population reconnue par l’état comme handicapée4 d’autre part interroge
4
La surdité est reconnue comme handicap. Selon le degré de surdité, plusieurs aides peuvent être mises à
disposition des personnes sourdes (humaines, techniques et financières). Plus d’informations sont disponibles sur
les sites des MDPH régionales qui ont en charge la gestion des reconnaissances des différents handicaps.
26
également la place du handicap dans la société actuelle. C’est dans ce contexte parfois
passionnel que l’interprète en LS est amené à évoluer professionnellement. Nous reviendrons
sur ce sujet dans la partie 2 de l’introduction.
Nous avons élaboré un schéma (figure 1) qui présente globalement l’éventail des choix
linguistiques proposés aux enfants sourds (de l’oralisme à la communication non verbale),
pour nous permettre de situer l’interprétation en LS telle qu’elle est pratiquée France. Nous
avons choisi de représenter également ce que comprend la pratique de l’interprétation en LS
aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons dans la mesure où une grande partie de la
littérature faisant référence est anglo-saxonne et s’appuie sur l’analyse d’une pratique
beaucoup plus large qui peut inclure la translitération, ce qui n’est pas le cas en France ou en
Allemagne par exemple. Cette légère distinction n’a pas été sans conséquences lors de la mise
en parallèle des résultats de notre recherche avec la littérature existante et sur la transposition
de certaines problématiques dans un contexte français. En effet, comme nous le verrons
ultérieurement, celui-ci pose un cadre plus strict et restreint l’acception de l’interprétation,
excluant la translittération.
Nous faisons référence ici au manque d’homogénéité, par exemple, des niveaux et contenus
des programmes de formation des ILS sur lequel nous reviendrons plus longuement. De
nombreuses recherches mettent en avant des problèmes liés au niveau de culture générale des
ILS lors de l’analyse des corpus, pour le mettre en perspective avec les choix interprétatifs
analysés. Les conclusions de ces expérimentations plaident généralement en faveur d’un
niveau universitaire minimum requis pour l’entrée en formation d’interprète. De plus, il est
également possible dans la majorité des pays européens (tout comme dans certaines
27
formations aux États-Unis) d’entrer en école d’interprétation sans connaissance de la langue
des signes5, l’acquisition de la langue se faisant simultanément à l’apprentissage des
techniques d’interprétation. Toutes les problématiques concernant la littéralité ou non de la
langue des ILS n’ont évidemment pas la même résonance lorsque l’on compare des
échantillons aussi différents d’interprètes : d’un côté, des ILS bilingues à l’entrée en école
d’interprétation et formés à un niveau master et, de l’autre, des interprètes dont la langue de
travail n’est pas encore sue au premier mois de formation à l’interprétation.
Dans la majorité des pays européens, la professionnalisation des ILS est récente et se heurte
encore à de nombreux obstacles tels que l’absence de reconnaissance par l’État des langues
des signes nationales, ou bien encore la réticence de certaines instances face à la présence
d’un ILS dans les différentes sphères de la vie personnelle et socioprofessionnelle des
personnes sourdes. Pris dans cette dynamique, les interprètes ne considèrent pas que la
recherche internationale soit prioritaire dans la mesure où les enjeux politiques monopolisent
encore principalement leur attention. Les communautés nationales d’ILS étant généralement
conscientes des disparités universitaires et sociologiques, il apparait difficile à première vue
d’installer une dynamique de recherche internationale qui puisse trouver sa place dans un
contexte aussi hétérogène. Nous reviendrons plus longuement sur ce problème qui semble être
un premier frein ne favorisant pas la mise en commun de la recherche.
Nous ajouterons ici la question de la barrière de la langue. En effet, les ILS dans leur grande
majorité ne possèdent que les deux langues nationales (vocale et signée) et n’ont pas la
maitrise suffisante d’une troisième langue qui leur permettrait de s’inscrire spontanément dans
une dynamique internationale. Les travaux anglo-saxons ont l’avantage de pouvoir s’exporter
et d’être accessibles dans les pays anglophones (États-Unis, Angleterre, Irlande, Australie,
Écosse, etc.), mais également dans les pays d’Europe du nord plus enclins à pratiquer
l’anglais que les pays méditerranéens. De ce fait, la mutualisation des recherches se faisant
majoritairement en anglais, la littérature anglo-saxonne domine le paysage international de
l’interprétation en langue des signes.
5
Je remercie Lourdes Caille de l’EFSLI de m’avoir permis d’utiliser ses données de l’enquête menée dans le
cadre des rencontres européennes des interprètes en LS à Utrecht, 2011.
28
2.2. L’histoire des sourds et de la langue des signes
Lorsque l’on parle d’histoire des sourds, il faut comprendre histoire des sourds signants et non
pas de la surdité dans son acception générale. L’histoire des sourds fait partie intégrante de ce
qu’on nomme la culture sourde, culture à entendre au sens collectif correspondant à un repère
de valeurs liées à une histoire partagée. Philippe Séro-Guillaume dans ses séminaires et en
référence à B. Mottez, parle de communauté de destin, qui fixerait et forgerait une identité
sourde, elle-même créée en opposition à un acharnement normatif visant à intégrer les sourds
dans un fonctionnement langagier entendant (rééducation auditive, démutisation,
6
apprentissage de la parole et de la lecture labiale , interdiction d’utiliser la LSF), longtemps
ressenti par les sourds comme une oppression. Les sourds utilisent d’ailleurs le signe et le mot
écrit oppression, ce qui laisse entrevoir la violence ressentie et exprimée par la communauté
sourde en écho à son histoire et dans son rapport à la communauté des entendants.
Nous mentionnerons dans ce paragraphe quelques dates qui ont été déterminantes pour la
communauté signante et, par voie de conséquence, pour l’émergence et la professionnalisation
des interprètes en LSF.
L’abbé de l’Épée est une des figures mondialement connues pour son œuvre et son
implication en faveur de la langue des signes, dans un contexte où les sourds n’étaient pas
socialement considérés. Ses écrits7 nous permettent de situer vers la seconde partie du dix-
huitième siècle (vers 1760) le début de son enseignement auprès des jeunes sourds. La langue
des signes connaîtra alors en France un « âge d’or » pendant une centaine d’années, qui
permettra un rayonnement et une diffusion de ces pratiques éducatives très novatrices à
l’étranger, notamment aux États-Unis. C’est en 1880 que se tiendra le célèbre congrès de
Milan, qui avait pour objectif de regrouper l’ensemble des spécialistes européens de
l’éducation des jeunes sourds de l’époque en vue de statuer sur une méthode d’enseignement
unique. Les conséquences de ce congrès furent sans appel pour la LS qui sera par la suite
interdite en raison de son influence supposée néfaste pour l’apprentissage de la langue orale.
6
La lecture labiale est plus communément appelée lecture sur les lèvres. On estime à environ 30 % la
compréhension du message par le récepteur ; le reste relèverait surtout de la suppléance mentale. La grande
difficulté se situe au niveau des sosies labiaux. Ex : « Il mange des frites » et « il marche très vite » sont des
sosies labiaux.
7
Abbé de l’Epée, La véritable manière d’instruire les sourds et muets, confirmée par une longue expérience.
Editions Fayard, Paris, 1984. Première édition parue en 1784.
29
Les méthodes bilingues LS/langue écrite seront progressivement supplantées par la méthode
oraliste8, ce qui a stoppé net l’évolution de la langue des signes dans de nombreux pays
européens, dont la France.
Les États-Unis ont pour leur part continué d’envisager l’éducation des jeunes sourds selon le
« modèle français » datant de l’abbé de l’Épée, tout en le modernisant et en l’adaptant à
l’évolution de leurs pratiques éducatives et sociales. Si la LS n’a pas été interdite outre-
Atlantique, elle a également connu des périodes sombres où l’oralisme bénéficiait du soutien
majoritaire en matière de politique d’éducation des jeunes sourds (voir à ce sujet H. Lane,
1979). Malgré cela, la mise en parallèle de cette présence continue de la langue des signes
dans une société très soucieuse de la défense des « communautés » dans le sens américain du
terme, notamment par les « positive actions », a abouti à un lieu unique en son genre :
l’Université Gallaudet, qui accueille des étudiants sourds du monde entier. Gallaudet enseigne
directement en ASL (American Sign Language). Le cas échéant, elle met à disposition des
interprètes en LS et s’avère être un pôle très actif au niveau de la réflexion et de la promotion
de la recherche autour de la langue des signes, grâce à Gallaudet University Press
notamment.9
La France quant à elle a totalement suivi les prescriptions du congrès de Milan et a mis un
terme à la diffusion de la LSF dans les lieux d’éducation des jeunes sourds dès 1880. Pendant
une centaine d’années, la méthode oraliste a donc largement dominé sur le territoire national,
ce qui a eu des répercussions fort dommageables sur la communauté signante où des
témoignages de violences physiques et psychologiques ont été rapportés10, mais également sur
la langue des signes et son évolution à proprement parler. On sait qu’elle a été tolérée dans
certains instituts, mais de façon officieuse pour tout ce qui pouvait participer aux aspects
récréatifs ou sportifs de la vie sociale des jeunes et qui ne concernait pas les matières
d’enseignement. La langue a ainsi pu se transmettre de façon informelle de génération en
8
Les méthodes oralistes (verbo-tonales, vibro-tactiles, modérées ou non, etc.) ont en commun la volonté de
démutisation des jeunes sourds dans l’intention de les faire s’exprimer à l’oral. De nos jours, elles sont associées
à un appareillage, voire à l’implantation d’appareils stimulant la cochlée des jeunes sourds. Voir à ce sujet
l’ensemble des publications de l’ACFOS, de l’INSHEA, et les différentes associations concernées (ALFPC,
CISIC, etc.).
9
Gallaudet University Press est l’un des premiers éditeurs universitaires dédiés à la recherche croisée sur la
langue des signes : historique, linguistique, sociologique (avec l’apparition des « deaf studies »),
sociolinguistique, etc., et a également publié les premières recherches sur l’interprétation en LS. La publication
de Sign language studies à l’initiative de William C. Stokoe date de 1972.
10
Pelletier, A. & Delaporte, Y., Moi, Armand, né sourd et muet, Terre Humaine, 2002, Plon.
30
génération et il a été relevé plusieurs variantes régionales qui, en réalité, n’avaient de régional
que l’appartenance à un institut particulier : certains signes étaient d’usage à l’institut de Saint
Jacques à Paris, d’autres à Asnières, à Bordeaux, etc. Parler de variantes institutionnelles est
donc plus approprié dans ce contexte. Cette particularité explique également la présence
toujours observable de nos jours en LS de plusieurs signes pour des mots tels que : élève,
maman, travail, etc.
C’est en faisant cette observation que Cosnier conclut à propos de ses recherches sur la
communication non verbale :
« Les sourds élaborent spontanément des dialectes gestuels, qui convergent partiellement
mais dont les différences interrégionales prouvent qu’il faut abandonner l’idée d’une
langue gestuelle « naturelle » et « universelle ». (Cosnier, 1977 : 2046)
Cet extrait est tout à fait intéressant, puisqu’il met en avant plusieurs éléments : le premier est
un constat relatif aux différences régionales de la LS qui s’observent dans la plupart des pays
et qui sont étroitement liées au contexte historique et social de l’éducation des sourds. Cet
aspect particulier aux LS influe directement sur le quotidien des interprètes, puisqu’ils se
confrontent à ces « régionalismes » au gré de leurs interventions. Le second est la mention de
la notion de langue naturelle, qui est souvent utilisée selon ses différents niveaux d’acception
et qui est une source de nombreux malentendus et de conflits idéologiques entre les
communautés signante et entendante.
La fin de la période sombre de la LSF se situe dans les années 1970 où plusieurs voyages
entre les États-Unis et la France ont initié une prise de conscience communautaire et
identitaire très forte de la part des sourds français. Vers 1975, un premier groupe de linguistes
américains du laboratoire de Stockoe de l’Université Gallaudet s’est rendu en France pour y
faire des recherches sur les origines de l’ASL (American Sign Language).
31
« On se plaît à dire en effet que l’ASL vient de la LSF (langue des signes française).
Celle-ci a été importée par Laurent Clerc, un sourd français qui est devenu en 1817 le
premier professeur sourd aux États-Unis. C’est pourquoi d’ailleurs les sourds
américains sont très reconnaissants à la France. » (Markowicz et Mottez, 1999 : 9)
À cette occasion, de premiers contacts s’instaurent entre les chercheurs des deux pays et
seront déterminants pour l’avenir de la langue des signes en France. C’est ainsi que le
sociologue français Bernard Mottez rencontre le linguiste Harry Markowicz pour le début
d’une longue et fructueuse collaboration qui changera le regard porté sur la surdité en France.
Mottez ira par la suite à Gallaudet et prendra la mesure du vide abyssal français sur toutes les
questions relatives à la langue des signes, au bilinguisme et à la liberté des sourds d’utiliser
leur langue. À son retour, il propose de renommer « langue des signes française »11 ce qui
était alors communément appelé « langage des sourds-muets » et entreprend une réforme de
fond des problématiques liées à l’éducation des jeunes sourds et à la langue des signes.
« (…) il fallait absolument en France éviter des bricolages de la langue des signes du
type « systèmes manuels » pour représenter le français comme cela venait de se passer
aux États-Unis, en Suède et au Danemark. » (Markowicz et Mottez, 1999 : 11).
11
Mottez (1976 :51)
12
« Les sourds acculturés dans les écoles de sourds faisaient partie d’un groupe ethnique, au-delà des frontières,
de même que les juifs s’identifient au-delà des frontières en dépit de langues et de cultures différentes. »
Markowicz (1999 : 8)
32
régionales ou nationales : on a parlé des Occitans, des Antillais, et de beaucoup d’autres
communautés en prise avec une norme culturelle et/ou linguistique majoritaire.
Dès lors, la langue des signes sera au centre des revendications des sourds, considérant qu’ils
avaient été privés de leur langue naturelle (à ne pas prendre ici au sens de Cosnier, mais à
comprendre en opposition à l’apprentissage dans la douleur rééducative de l’oralisme). Les
premiers cours de langue des signes verront le jour avec l’apparition de structures associatives
telle que l’IVT (International Visual Theater) ou l’Académie de la langue des signes
française, qui sont encore à l’heure actuelle des figures importantes de la vie culturelle des
sourds signants.
Nous avons vu l’émergence en France dans les années 70 et 80 de ce que l’on a pu nommer
« le réveil sourd », qui entre autres a permis de changer l’approche de la surdité en ne
l’envisageant plus sous l’angle unique du déficit, mais comme un droit à la différence,
engendrant ainsi un militantisme pour la reconnaissance de la LSF et de facto la revendication
au droit à une éducation bilingue13.
Depuis, plusieurs lois ont été fondamentales pour la reconnaissance de la LSF dans le paysage
sociolinguistique français :
- la loi Fabius de 199114, qui permet aux parents d’enfants sourds le choix d’une
éducation bilingue (LSF/français écrit) et non plus exclusivement une éducation en
français oral.
- la loi du 11 février 200515, qui reconnaît la LSF comme « langue à part entière ». Elle
rend notamment obligatoire l’accessibilité en LSF des structures de droit commun.
13
Voir à ce sujet le livre d’André Minguy, Le réveil sourd en France, pour une perspective bilingue, Paris,
L’Harmattan, 2009, 332 pages, ainsi que les archives disponibles et consultables sur place de l’association 2LPE.
14
Loi Fabius, Loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 : Extrait : Dans l'éducation des jeunes sourds, la liberté de choix
entre une communication bilingue - langue des signes et français - et une communication orale est de droit. Un
décret en Conseil d'Etat fixera, d'une part, les conditions d'exercice de ce choix pour les jeunes sourds et leurs
familles, d'autre part, les dispositions à prendre par les établissements et services où est assurée l'éducation des
jeunes sourds pour garantir l'application de ce choix.
Le texte intégral disponible sur : http://www.legifrance.gouv.fr/texteconsolide/SPEBJ.htm
15
Le texte de la Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté
des personnes handicapées et les textes d'applications sont disponibles sur le site www.handicap.gouv.fr.
33
Ces lois ont naturellement eu un impact direct sur les interventions des ILS, qui ont vu leur
champ d’intervention s’élargir au fil de ces avancées législatives. L’éducation nationale a
donc ouvert ses portes aux ILS, ainsi que la justice, la santé (avec la création des pôles surdité
dans les hôpitaux et des conventions entre les CHU et les services d’ILS), la police, les
milieux professionnels, culturels, etc.
Depuis lors, la LSF ne cesse de se diffuser au sein de la société française. L’interprète quant à
lui participe à cette dynamique puisqu’il incarne la réponse immédiate et indispensable de
cette intégration, en amont de la mise en place d’autres dispositifs éventuels, tels que l’accueil
en LS du public sourd par des professionnels sourds.
Très vite, la LSF est devenue l’objet symbolique fort de la communauté sourde, qui dans une
forme de réaction à l’histoire et à l’éducation oraliste se devait de se distancier autant que
possible du français. Si la pratique du français signé était courante, il est apparu que la forme
retenue comme norme linguistique devait privilégier les paramètres spatio-visuels de la
langue, par opposition à une pratique qualifiée de linéaire rappelant la langue vocale
française. C’est en ce sens que, dès les années 80, la langue fut enseignée à un public de plus
en plus nombreux. Contrairement aux langues vocales qui sont indifféremment enseignées par
des professeurs natifs ou non de la langue, la LSF a toujours été principalement enseignée par
des professeurs sourds. Pour préserver la langue, la communauté sourde refuse encore
aujourd’hui aux entendants une légitimité d’intervention directe dans tous les domaines
pouvant influer sur la LSF. Nous pouvons voir dans cette organisation unilatérale de
l’enseignement de la langue une revanche symbolique de la communauté sourde signante, qui
fut à la grande époque de l’oralisme exclue des réseaux d’enseignement et remplacée par des
professeurs entendants pour y promouvoir l’oralisme auprès des jeunes sourds.
Aux États-Unis où l’ASL n’a jamais été interdite (ni privilégiée par rapport à l’oralisme), la
langue des signes n’a jamais connu un rapport aussi conflictuel impliquant la construction
même de l’identité d’un groupe social. Dans ce contexte où la cohabitation était de rigueur
(sans qu’il faille pour autant minimiser l’importante mobilisation nécessaire aux avancées de
l’ASL dans la société américaine) et dans un souci de pragmatisme, l’ASL s’est vue
34
contrainte de prendre une forme parfois très linéaire : présence plus fréquente de la
dactylologie (utilisation de l’alphabet manuel pour épeler les lettres du mot correspondant en
langue vocale), tolérance de l’anglais signé, etc.
Nous comprenons ainsi que les interprètes travaillent dans un environnement où l’histoire de
la communauté sourde est prégnante. En France, celle-ci a conduit les sourds à condamner la
translitération ; en Angleterre, les interprètes se servent beaucoup plus de la dactylologie et en
Australie, on est très partagé entre translitération et interprétation dite « libre » (Napier, 2002-
b), qui correspond en réalité à une interprétation « standard » en France. L’influence de la
communauté sourde signante sur la langue des signes nationale déciderait ainsi de la norme
que les ILS seraient tenus de respecter en interprétation.
Nous l’avons vu, les différences sociologiques et universitaires constituent un premier frein à
la mutualisation de la recherche internationale. L’influence historique des communautés
signantes sur la pratique des interprètes à un niveau national est un second obstacle pouvant
entraver une généralisation des expériences et des connaissances à un niveau international.
Pour autant, il nous a semblé nécessaire d’établir un parallèle entre la pratique de
l’interprétation telle qu’elle est observable sur le terrain dans les pays où la littérature est
abondante (et a commencé à poser les premières pistes de réflexion scientifique) et la pratique
de l’interprétation en LS en France. Pour ce faire, nous avons traité l’ensemble de la littérature
en fonction des paramètres linguistiques et sociolinguistiques qui semblaient transposables au
contexte français pour permettre d’enrichir notre analyse au niveau national.
Nous observons que la réaction de nos confrères français face aux résultats d’une étude
étrangère est généralement dubitative quant à la transposition possible de ses conclusions :
selon la majorité des ILS français, la LS pratiquée dans un pays donné ne correspondrait pas
aux normes des autres, ou encore, quiconque est considéré comme un interprète « ici » ne
répondrait pas aux exigences des interprètes « là-bas »16. Nous observons également une
crainte des chercheurs-interprètes à voir leurs résultats utilisés hors contexte et servir un
16
Propos recueillis lors de groupes de travail de l’EFSLI – European Forum of Sign Language Interpreting, à
Utrecht, Pays-Bas, novembre 2011.
35
discours pouvant porter préjudice à la légitimité de la profession. Les recherches existantes ne
satisfaisant pas le discours majoritaire sont ainsi laissées de côté, même si leurs conclusions
proposent de nouvelles clés qui seraient autant de jalons posés pour la compréhension de
l’exercice et l’amélioration des compétences et des performances des ILS (nous faisons
référence aux travaux anglo-saxons concernant le rôle de l’interprète dans l’interaction et la
communication, ou bien ceux faisant état des dissymétries observées entre les lexiques des
langues signées et des langues vocales). Après réflexion, nous considérons au contraire qu’il
serait plus intéressant de nous confronter à l’ensemble des travaux existants et d’inscrire notre
recherche dans une dynamique globale plutôt que de nous prévaloir d’une sorte d’exception
nationale qui nous permettrait d’éviter les démarches relatives à la recherche telles que les
importations de concepts, les transpositions d’expériences et les comparaisons de résultats.
Nous avons considéré ces dissimilitudes comme une chance de mise en perspective de la
profession et de ses normes qui nous permettraient une analyse et un questionnement plus
poussés des pratiques des ILS français. Pour autant, nous avons constamment gardé en
mémoire dans notre analyse les spécificités de chaque communauté d’ILS, qui ne sont pas
nécessairement transposables à tous les pays puisque les pratiques de l’interprétation sont
intrinsèquement dépendantes des facteurs sociologiques, linguistiques et autres propres à
chaque communauté nationale.
36
Définitions des termes et des sigles présentés :
a. L’oral / oralisme
C’est un terme utilisé pour définir une méthode d’enseignement précoce auprès des jeunes
sourds. Elle consiste à encourager très tôt l’acquisition de la parole par une rééducation
orthophonique continue pour que l’enfant s’intègre dans un système unique de
communication orale avec les personnes entendantes17. Cette méthode d’enseignement est
accompagnée d’une rééducation auditive (appareils auditifs standard ou implants cochléaires).
Elle est également fréquemment associée au LPC (Langage Parlé Complété) ou C.S. (Cued
Speech).
Le code LPC est un codage manuel des sons de la langue française associé à la parole et
permet d’éviter les confusions liées à la lecture labiale seule.
« La main près du visage accompagne syllabe par syllabe tout ce qui est dit. Apprendre le
code LPC consiste à apprendre à combiner huit formes pour la main et ses cinq
emplacements près du visage ».18
« Signing Exact English is a sign language system that represents literal English. To make
visible everything that is not heard, S.E.E. supplements what a child can get from hearing
and speech-reading. Since American Sign Language (ASL) has different vocabulary,
idioms and syntax from English, S.E.E. modifies and supplements the vocabulary of ASL
so children can see clearly what is said in English. This system was first made available
in 1972. »19
17
Lire sur ce sujet B. Virole (2000 : 414-415), Psychologie de la surdité, Éditions De Boeck Université,
Bruxelles, 2ème édition 2004.
18
Extrait de la page d’accueil de l’association ALPC, « parler français avec les sourds » :
http://www.alpc.asso.fr/code01-c.htm
37
d. Français signé
Contrairement à l’ensemble des éléments que nous venons de définir, cette problématique est
majeure pour ce qui concerne l’acception et la définition de l’interprétation en langue des
signes au niveau de la littérature internationale. Il est intéressant de remarquer que
19
Notre traduction : « Le SEE est une méthode signée qui représente l’anglais littéralement. Pour rendre visible
tout ce qui n’est pas entendu, le SEE apporte un supplément à ce qui peut être perçu par l’enfant par récupération
auditive ou par lecture labiale. La langue des signes américaine (ASL) ayant un lexique, des tournures et une
syntaxe différents de ceux de l’anglais, le SEE modifie et complète le vocabulaire de l’ASL de manière à ce que
l’enfant puisse voir clairement ce qui est dit en anglais. Ce système a commencé à être diffusé en 1972. »
20
Cosnier, Communication non verbale et langage, in « Psychologie Médicale », 1977, 9.11
38
l’interprétation dite littérale est totalement acceptée et étudiée dans la littérature anglo-
saxonne, ce qui n’est pas le cas en France. Nous avons observé lors de nos recherches que la
définition même de l’interprétation littérale tend à se confondre avec ce que nous pouvons
considérer comme relevant du français signé (ou anglais signé), du transcodage, voire parfois
même du S.E.E., puisque les auteurs eux-mêmes utilisent indifféremment ces différents
termes pour faire référence à cette forme d’interprétation. Nous avons en conséquence tenté
de définir plus précisément ces deux notions (literal et free) telles qu’elles sont envisagées
dans la littérature internationale pour nous permettre de mieux situer notre pratique dans
l’ensemble de ces considérations.
- Interprétation « littérale » :
Nous nous référerons à la définition que Napier à emprunté à Crystal (1987 : 344) lors de son
étude sur le style linguistique des ILS (litéral ou free) :
« the linguistic structure of the source text is followed, but is normalised according to
the rules of the target language »21 (2002-a : 26).
21
Traduction : La structure linguistique du texte source est préservée tout en étant normalisée en fonction des
règles de la langue d’arrivée.
22
Traduction : (la translittération) est une forme particulière de l’interprétation en langue des signes. Elle
consiste à changer la forme d’un message anglais, qu’il soit parlé ou signé, dans l’autre forme. La translittération
repose sur l’hypothèse que ses deux formes possibles, orale et signée, correspondent à la langue anglaise. La
forme parlée suivra les règles habituelles de la langue anglaise et la forme signée sera un simple encodage de la
langue anglaise par signes.
39
une différence fondamentale concernant l’utilisation de la langue d’arrivée est à souligner. En
effet, si nous reprenons la définition de Marianne Lederer (2006 :183) de la traduction
linguistique, nous remarquons que :
Concernant les langues vocales, le transcodage prend donc en compte les règles
grammaticales de la langue d’arrivée en y intégrant les correspondances lexicales de la langue
de départ. Or, pour ce qui concerne la translittération vers la LS, la structure grammaticale de
la langue des signes sera supplantée par celle de la langue vocale en présence. L’utilisation de
la LS sera conforme à ce qui est décrit par M. Lederer dans la seconde partie de la définition,
c'est-à-dire que ce type de traduction est généralisé car il utilise effectivement la langue des
signes comme un système de codes pouvant se substituer au français.
23
“CT (Certificate of Transliteration):
Holders of this certification are recognized as fully certified in transliteration and have demonstrated the ability
to transliterate between English-based sign language and spoken English for both sign-to-voice and voice-to-sign
tasks. The transliterator’s ability to interpret is not considered in this certification. Holders of the CT are
recommended for a broad range of transliteration assignments. This exam was offered from 1988 to 2008. This
exam is NO LONGER AVAILABLE.”
Source : R.I.D, www.rid.org consulté en octobre 2012
40
Deuxièmement, il semblerait également que, dans de nombreux pays, la formation ne soit pas
à la hauteur des attentes en termes de niveau de qualification des apprenants, d’heures de
cours et d’exigence souhaitée pour l’obtention d’une accréditation (entre autres Roy 2000a,
Seal 2000, Napier 2002b). En dehors des interprètes appelés CODA (Child of Deaf Adult) ou
IDP (Interpreter with Deaf Parents) dont la langue des signes est une langue maternelle,
l’apprentissage de la langue des signes se fait souvent à un âge tardif, sans réelle formation à
l’exercice de l’interprétation ni de contact avec la communauté sourde. La translittération
parait être la forme d’expression la plus simple pour un entendant qui n’a pas appris à intégrer
l’aspect multidimensionnel de la langue des signes, ni compris l’importance de celle-ci. Par
ailleurs, l’utilisation linéaire de la langue des signes semble être communément admise
comme une étape permettant l’acquisition de la spatialisation (que nous pouvons apparenter à
la grammaire) voir Winston (1996), mais en aucun cas la langue ne saurait se limiter à cette
seule étape. Pourtant, il n’est pas rare d’observer que de nombreux cursus accueillent des
étudiants à l’interprétation en LS sans aucune connaissance préalable de la langue signée.
Sans immersion linguistique ni maîtrise de la langue suffisants, ces futurs interprètes se voient
ainsi confrontés à leurs propres limites linguistiques qui les restreignent malgré eux à la seule
translittération.
Enfin, il ne faut pas négliger le contexte diglossique dans lequel les langues des signes
évoluent. Les langues vocales nationales étant les langues de référence pour tous les
domaines, la langue des signes se plie parfois aux contraintes imposées par la présence de
concepts non encore lexicalisés en LS. Nous reviendrons plus longuement sur le sujet de la
diglossie dans la partie concernant les contraintes liées à l’environnement de travail des ILS
(voir le chapitre 4).
- Free interpretation :
Cette forme d’interprétation s’utilise pour nommer une interprétation respectant toutes les
règles inhérentes à la langue des signes nationale. Napier parle également de free
translational style, en opposition à literal translational style.
41
Elle fait de nouveau référence à la définition de Crystal: « the linguistic structure of the
source language is ignored, and an equivalent is found based on the meaning it conveys »24
(Crystal, 1987 : 344).
En suivant ces définitions, il semblerait que cette forme d’interprétation soit celle qui
corresponde le plus aux attentes de la communauté signante dans la mesure où elle respecte la
structure formelle de la langue des signes, telle qu’elle est utilisée par une majorité de
locuteurs sourds signants. La forme signée étant par essence visuelle et non linéaire, il
semblerait que le sens supplante ici la forme du discours de départ (contenu, agencement des
idées, etc.). Ceci étant, nous pouvons observer une certaine tendance à considérer
l’éloignement de la forme de départ par des transformations faisant appel à des procédés
discursifs propres à la LSF comme un indicateur de qualité de l’interprétation.
Nous verrons qu’en France, les ILS ont totalement intégré l’idée du sens de la Théorie
Interprétative de la Traduction (TIT) et l’ont de fait opposée à l’interprétation littérale pour
justifier de la nécessaire compréhension des idées dans le but de trouver dans la langue
d’arrivée une formule équivalente. Cependant, il nous semble qu’un certain glissement s’est
produit dans l’utilisation du terme « free » dans la littérature en LS. Au vu du nombre de
citations de la littérature tant en France qu’à l’étranger, il est d’usage dans le milieu des ILS
de considérer que cette forme d’interprétation relève de la TIT de D. Seleskovitch et M.
Lederer, puisqu’elle met en avant l’importance du sens du message à traduire ainsi que le
vouloir dire de l’orateur. Or, il semblerait que la TIT ne s’accorde pas autant de liberté avec le
discours original que cela, puisque :
« (…) la traduction interprétative n’est pas ce qu’il est convenu d’appeler une
traduction « libre », caractérisée par un grand nombre d’omissions et d’ajouts et par
de nombreux réagencements de l’ordre des idées. » (Lederer, 2006 : 183).
Nous reviendrons plus avant sur cette problématique dans le chapitre concernant les tactiques
des interprètes.
24
Traduction : La structure linguistique de la langue de départ est ignorée et une équivalence est trouvée sur la
base du sens exprimé par celle-ci.
42
2.2.5. Commentaires
Le contexte français est resté très binaire pour ce qui concerne la surdité :
D’un coté les partisans de l’éducation oraliste (qui sont largement majoritaires) défendent un
point de vue strictement rééducatif de la surdité, impliquant généralement un appareillage et
un suivi orthophonique et médical important si l’enfant est implanté. La surdité dans ce
contexte est alors envisagée uniquement dans son aspect déficitaire.
De l’autre, les partisans du bilinguisme et de la LSF représentent un mouvement militant qui
défend une identité et une culture liées à la communauté signante et à la langue des signes.
Ces deux positions s’opposent idéologiquement dans leur approche de la surdité comme nous
le montrent les extraits suivants :
« Peut-on valablement espérer qu’un jeune enfant sourd élevé dans un contexte
gestuel pourra s’approprier une langue orale naturellement plus difficile ? Qui aura
le temps et le talent de le faire vivre dans une situation de vrai bilinguisme ? (…) La
LSF permet d’annuler le handicap dans une zone restreinte, un cocon confortable, une
bulle de savon (…) il n’y a donc plus de handicapés auditifs, il ne reste que des sourds
et tout est changé.» 25
L’auteure du texte dont est tiré cet extrait remet en cause la problématique de la surdité
comme relevant d’une différence exclusivement linguistique en rappelant que les sourds
vivent dans une société entendante dont ils ne devraient pas s’exclure presque eux-mêmes en
25
Annie Boroy, Mes enfants sourds, Langue française et intégration, Le pari du LPC, L’Harmattan, 2004, p.10
43
utilisant la LS. Elle questionne également la réussite de l’apprentissage de la langue française
des méthodes éducatives bilingues.
Nous citerons ensuite A. Meynard (1992), psychanalyste reconnu pour son engagement
auprès de la défense du bilinguisme et de la LSF, dont l’extrait d’une communication lors
d’une conférence met bien en relief cette dichotomie :
« En France, l’engouement pour les implants cochléaires n’est qu’un symptôme de ces
logiques déficitaires oralistes. L’intégration (isolement parmi les entendants) en est
également une version moderne. Ainsi après un débat qui s’est longtemps focalisé
sur : « langues Signées vraies ou fausses langues ? », l’apparente reconnaissance des
langues signées (au niveau du discours) ‘coexiste’ avec des pratiques qui au niveau
implicite persistent à porter atteinte à ces réseaux langagiers, et à exclure des
environnements précoces de tout jeunes enfants sourds. »
Cette citation date de 1992 et, à notre connaissance, la situation actuelle concernant la mise en
place de structures éducatives pouvant ouvrir la voie aux jeunes sourds dans leur construction
identitaire bilingue n’a pas beaucoup évolué depuis.
Le contexte dans lequel évolue la langue des signes s’inscrit dans cette relation duelle
oraliste/signant qui incarne les deux points de vue sur la surdité. Ce contexte se nourrit
d’appartenances idéologiques très opposées qui suscitent de fait des réactions quasi-
viscérales, donc passionnées26.
En France, la profession s’organise vers la fin des années 70 avec la création de la première
association d’interprètes, l’ANFIDA (Association Nationale Française des Interprètes pour
26
La violence des propos des uns et des autres est très facilement observable sur certains forums internet
concernés (oralistes et gestuels) qui incarnent de façon moderne ce qui pouvait se passer lors de grandes réunions
institutionnelles.
44
Déficients Auditifs), qui cherche dès 1980 un partenariat pour répondre au besoin urgent de
créer une première certification professionnelle permettant d’asseoir la profession et de se
démarquer du rôle social qui lui était généralement attribué. Le premier « diplôme », appelé
alors « Capacité communicationnelle du premier degré », se crée en partenariat avec l’INJS
(Institut National des Jeunes Sourds de Paris) et voit le jour en 1980. Une interprète
interviewée nous raconte qu’à l’époque ;
« Ils évaluaient simplement ton niveau de langue des signes, c’est tout. Ils
n’évaluaient absolument pas si tu pouvais traduire d’une langue vers une autre. (…)
Les sourds n’avaient tellement pas l’habitude de pouvoir signer que dès qu’ils
voyaient un entendant signer c’était formidable ! »27
Le lien avec l’INJS est alors très important puisqu’à l’instar de la situation dans de nombreux
pays, en France, la formation ne se crée pas au sein même des institutions académiques, mais
bien dans les réseaux directement liés et concernés par la surdité. Comme nous l’apprenons
dans l’interview également, « le responsable pédagogique était placé sous la responsabilité
du CPSAS28 ».
Dès lors, vers 1981, la possibilité de mettre en place une certification du deuxième degré se
pose, cette fois en partenariat avec le CPSAS (Centre de Promotion Sociale des Adultes
Sourds, alors dénommé CPADS). Cette formation était prévue sous forme de stages de
plusieurs jours et visait à évaluer le niveau de maîtrise de la langue des signes du candidat.
L’ANFIDA entreprend de nouvelles recherches pour une collaboration plus académique et ces
premiers contacts ont permis de lancer en 1983 un projet de formation plus ambitieux, en
collaboration entre le département de LEA de l’Université Paris 8 et le CPSAS : il s’agit du
Diplôme de Premier Cycle Universitaire d’interprètes pour Déficients Auditifs. Cette
formation n’aura lieu qu’une seule fois ; selon une des interprètes que nous avons interviewée,
les étudiants n’étaient pas satisfaits du contenu et mettaient en avant la situation paradoxale
d’un intitulé où il est fait mention d’interprétation pour déficients auditifs dans un contexte où
les sourds et les interprètes militaient ensemble pour la reconnaissance de la communauté et
de la langue des signes.29
27
Voir interview ILS 13 en annexe, pages 444-445
28
CPSAS : Centre de Promotion Sociale des Adultes Sourds.
29
Voir interview ILS 13 en annexe, page 445
45
Parallèlement, vers 1986, plusieurs pistes de projets ont vu le jour au sein de l’ANFIDA,
notamment un DEUG de communication avec une option « interprète pour déficients
auditifs » ou « interprète en LSF ». Une première prise de position sur le point de vue
envisagé par la profession se dessine puisque d’un côté, le sigle DA est gardé (Déficient
Auditif) qui renvoie à ce que Meynard qualifie de point de vue déficitaire, de l’autre la
revendication de la présence du sigle LSF qui met en avant un nouveau regard porté sur la
surdité. À l’instar de ce qui se pratique aux États-Unis, et qui sert de modèle à l’époque, il est
envisagé plusieurs niveaux de formation : interprète « plein temps », interprète
« occasionnel », interprète « social » ou interprète « de conférence ». Nous noterons que de
nombreux pays ont longtemps fonctionné selon ce genre de répartition de l’activité qui devait
renseigner sur le niveau de qualification de l’interprète. Suite à cela, les premiers contacts
entre l’ANFIDA et l’ESIT (École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs) ont lieu vers
1986 pour mettre en place un projet de formation dont le niveau d’entrée serait plus élevé. En
effet, des documents d’archive de l’époque nous informent que se dessinait une formation
scindée en deux :
« (une) formation de haut niveau type universitaire avec des étudiants ayant une bonne
maitrise des langues. Une autre formation de type régional avec une plus grande
souplesse de fonctionnement. Plusieurs contacts ont été pris avec l’ESIT dans la
perspective de la formation de haut niveau citée ci-dessus. L’association ANILS devenant
organisme de formation continue aurait eu pour mission de mettre en œuvre des plans de
formations. Une création d’une commission et beaucoup de contacts ont été pris en ce
sens. Et les pourparlers avec l’ESIT devaient reprendre suite à un accord réciproque. » 30
Nous voyons ici le projet de décentrement de l’activité de l’interprétation qui tend à s’éloigner
de l’ancrage des milieux de la surdité vers une perspective plus professionnelle avec le
rapprochement vers les interprètes en langues vocales. Pour autant, suite à des dissensions
internes, cette formation ne verra pas aussi rapidement le jour que prévu et il faudra attendre
1992 pour que l’interprétation en langue des signes soit sanctionnée par un diplôme
universitaire avec l’ouverture de la section LSF à l’ESIT. En 1988 est créée l’association
SERAC (Sourds Entendants Recherche Action Communication), qui ouvre une formation à
l’interprétation dont le diplôme est reconnu par la communauté sourde. Cette formation sera
ensuite associée à Paris 8 pour la création d’un DFSSU (Diplôme de Formation Supérieure
30
Communiqué de Michel Lamothe, alors président de l’ANFILS, voir en annexe ILS 13 p 446-447
46
Spécialisée d’Université) en 1999, puis du master d’interprétariat en LSF français en 2006.
Trois autres formations31 ont vu le jour depuis, à Lille 3 en 2002, à Toulouse 2 en 2005 et à
l’Université de Rouen à la rentrée 2012. Toutes les formations françaises actuelles proposent
désormais un diplôme de niveau Master 2 et les quelques tentatives de formation à
l’interprétation à un niveau moindre (par des organismes privés ou des associations) se sont
toutes soldées par un échec. La France a réalisé entre les années 1980 et les années 2000 une
avancée remarquable en termes d’offre de formation et de professionnalisation des interprètes
en LSF.
2.3.2.1. En France
L’Association des interprètes a toujours été très impliquée dans les démarches de
professionnalisation et de formation, comme nous l’avons vu dans les années 80 avec l’ESIT
ou bien dans les années 90 avec l’université Paris 8. Elle a suivi en même temps que la
communauté sourde les changements symboliques insufflés par l’évolution du regard porté
sur la surdité et a toujours su coopérer avec la communauté sourde pour maintenir une
confiance qu’elle a estimé nécessaire pour sa pérennité. En effet, si au début de sa création,
l’association se nomme ANFIDA (Association Nationale Française des Interprètes pour
Déficients Auditifs), elle devient en 1988 l’ANILS (Association Nationale des Interprètes en
Langue des Signes), puis, vers 1989, elle devient l’ANPILS (Association Nationale Pour
l’Interprétation en Langue des Signes) jusqu’en 1995, année où elle prendra son nom actuel,
l’AFILS (Association Française des Interprètes en Langue des Signes). Il est intéressant de
remarquer la rapidité avec laquelle les interprètes ont intégré dans leur propre identité, au
regard des dénominations successives de leur association, toutes les considérations portées
sur/par la communauté sourde, et la manière dont ils ont voulu à travers elle les représenter.
L’interview d’une ILS très active au sein de l’association à l’époque relate un fait intéressant
sur la période ANPILS :
31
L’Université de Rouen avait proposé de façon non régulière avant 2012 une formation à l’interprétation.
47
« C’est à ce moment là (…) que les sourds étaient présidents de l’association des
interprètes. (…) Il n’y avait plus que des sourds au CA. L’idée de XX à ce moment là
c’était de redonner confiance. Les sourds n’avaient pas du tout confiance en l’ANILS.
Et il a eu la bonne idée de mettre des sourds militants issus de la communauté pour
que les autres sourds et le public en général aient confiance. Cela a fonctionné, c’était
une très bonne idée à cette époque. (…) L’ANPILS c’était de 89, 90, 91, 92, 93, 94, et
en 95 l’AFILS est née, et à ce moment là il n’y avait plus de sourds (dans le CA). La
philosophie de l’ANPILS c’était que les sourds soient présents. D’où le titre POUR
l’interprétation en LS, (…). C’est toute la nuance. Après, l’AFILS, c’est l’association
française DES interprètes en LS. Il fallait qu’il y ait l’ANPILS, il fallait qu’il y ait ce
déclenchement pour que la fédération des sourds regarde la société des interprètes
d’un autre œil. (…) Une fois que cette confiance a été instaurée dans la communauté
des sourds ils se sont retirés. »32
La période ANPILS est tout à fait intéressante puisqu’elle met bien en relief la difficulté
d’installer une confiance mutuelle entre deux communautés dont l’une a toujours eu un
rapport dominant sur l’autre. Il n’est pas anodin que cette crise de confiance ait eu lieu lors du
changement d’acronyme qui correspondait alors à une revendication de la part de la
communauté signante à envisager la surdité autrement. Nous pouvons imaginer que cette
évolution des sourds vers l’autonomie et la professionnalisation des interprètes ne se soient
pas faites sans heurt non plus du côté des sourds. D’une contrainte liée au manque d’intimité
par la présence de la famille faisant office d’interprète, les sourds se sont retrouvés face à une
nouvelle génération d’ILS qui ne les connaissaient pas et qui entraient de fait dans leur sphère
intime. Il a donc fallu une période d’adaptation, pendant laquelle les interprètes ont eu à
rassurer leur public sur leur intégrité et leur engagement. Ainsi, les ILS ont laissé les sourds
diriger leur propre association pendant quelques années, et il n’est pas inapproprié de parler
d’un basculement de rapport dominé/dominant entre les sourds et les entendants à cette
période avec la notion de confiance en toile de fond. Si, à la période ANFIDA, il pouvait
subsister une considération liée à la déficience, l’ANPILS représente symboliquement un
droit d’ingérence accordé par les interprètes aux sourds sur leur propre pratique, pour revenir
avec la création de l’AFILS à une forme plus équilibrée. Depuis cette période, les ILS ont
intégré les normes et l’ensemble des revendications de la communauté sourde, parfois au
32
Interview ILS 13 en annexe pages 447-448
48
détriment des leurs si celles-ci pouvaient entrer en conflit avec leur pratique professionnelle
ou leur intérêt personnel. Cette forme de contrat moral entre les sourds et les interprètes se
retrouve également dans la littérature, notamment chez Turner (2000-a, b, c), lorsqu’il fait un
point sur la situation des ILS en Grande-Bretagne depuis les années Thatcher, qui ont
libéralisé le marché de l’interprétation en LS. Il met bien évidemment en avant les notions
d’interdépendance entre les deux communautés, mais va un peu plus loin :
« (…) the notions that the fortunes of these groups of people are to an extent
interdependent is not new (Pollitt, 1991). But the idea that it may be constructive for
both sides to see this relationship in terms of rights and corresponding responsibilities
has a particularly contemporary flavor. »33 (Turner, 2000-a: 27)
Turner ne remet pas en question les revendications des droits des sourds, ni la nécessité d’un
radicalisme militant permettant d’encourager une prise de conscience collective des
problèmes rencontrés par les sourds et dont les actions sont largement soutenues par la
communauté des ILS. Pour autant, il met en avant une notion jusque là inédite dans la
littérature, qui est celle de la responsabilité des sourds dans le contexte socioprofessionnel de
l’interprète. Selon lui, les sourds se doivent d’encourager la reconnaissance de la LS en
choisissant eux-mêmes d’avoir systématiquement recours aux ILS diplômés, ce qui n’est pas
toujours le cas. Il soulève la problématique du manque de formation des personnes impliquées
dans la gestion des services d’interprètes, qui s’avèrerait être une entrave au bon déroulement
de l’activité des ILS. Il pointe du doigt les effets des différentes sources de financements et de
subventions qui fluctuent selon les politiques d’allocations (ce qui est alloué d’un côté n’est
plus subventionné de l’autre) et fait référence à la DLA (Disability Living Allowance), perçue
par les sourds pour l’accessibilité et l’accès à des heures d’interprétation (tout comme la PCH
en France)34, dont l’utilisation n’est plus exclusivement consacrée à l’interprétation, ce qui a
un impact certain au niveau de l’organisation économique de la profession. L’article de
Turner est intéressant dans la mesure où il est représentatif des problématiques relevant des
politiques sociales des pays de tradition libérale sur la profession, dont le schéma économique
de prise en charge s’étend à de plus en plus de pays européens, dont la France.
33
Traduction: l’idée que la destinée de ces deux groupes est dans une certaine mesure interdépendante n’est pas
nouvelle (Pollitt, 1991). Mais l’idée qu’il peut être constructif pour les deux parties d’envisager cette relation en
termes de droits et de devoirs qui y correspondent a une résonance particulièrement contemporaine.
34
AAH : Allocation Adulte Handicapé – PCH : Prestation Compensatoire du Handicap
49
Nous avons vu que la conception de la profession a évolué. L’approche sociale de tierce
personne œuvrant pour son prochain déficient auditif s’est professionnalisée et l’activité s’est
très vite organisée autour d’un code de conduite professionnelle, garant symbolique de cette
professionnalisation. Cette évolution a contribué à la dynamique menée en faveur de la
reconnaissance de la langue des signes et à l’émergence d’un nouveau domaine de recherche
avec les Deaf studies, qui ont très vite mis l’accent sur la place que doivent (re)prendre les
sourds au sein de la société. Nous remarquerons que l’interprète, tout en participant à cette
dynamique, a cependant tendance à s’autocensurer sur des sujets qui pourtant le touchent
puisqu’il s’agit simplement de l’une de ses langues de travail. Nous faisons référence ici au
sentiment de propriété des sourds vis-à-vis de la langue des signes, qui n’envisagent aucun
partage légitime avec les locuteurs non sourds de cette langue. Les ILS ont intégré cette
norme et se sont ainsi placés dans une position tout à fait différente de celles des interprètes et
des traducteurs entre langues vocales au fil de l’histoire35. Nous traiterons ces autres aspects
plus particulièrement dans la revue de la littérature dans la partie consacrée aux contraintes
psychologiques (voir paragraphe 4.2.).
En France, à l’heure actuelle, l’AFILS reste la seule association d’interprètes en LS. Elle
compte parmi ses membres 112 interprètes et 17 services d’interprètes36, pour un nombre total
de 412 ILS en activité sur le territoire français37.
La première conférence européenne sur l’interprétation en langue des signes s’est tenue à Albi
en 1987 à l’initiative conjointe de la Fédération Française des Sourds et de la Fédération
Européenne des Sourds. Pour la première fois, la question de l’interprétation en langue des
signes se pose en des termes professionnels. Cette date marque le début d’une prise de
conscience internationale de la nécessité d’une mise en commun des pratiques des uns et des
autres dans l’optique d’une amélioration de la qualité des prestations dans la profession. Un
groupe d’interprètes européens crée de façon informelle ce qui deviendra en 1993 l’EFSLI
35
J. Delisle et J. Woodsworth, Les traducteurs dans l’histoire, Les presses de l’Université d’Ottawa, Éditions
UNESCO, 1995, Ottawa, 348 pages.
36
Recensement en octobre 2012 sur le site de l’AFILS : www.afils.fr.
37
Source : www.annuaire-interpretes-lsf.com.
50
(European Forum of Sign Language Interpreting). L’affiliation est depuis ouverte aux ILS
individuels, mais également aux associations nationales qui relaient les différentes
informations à leurs membres respectifs. Les objectifs de cette association sont la promotion
de la reconnaissance de l’interprétation en langue des signes en Europe, la mise en commun
d’expériences, la formation professionnelle continue, la promotion de la recherche et enfin la
promotion de supports pédagogiques pouvant contribuer à une valorisation de la pratique de
l’interprétation en LS en Europe. Lorsque l’on consulte les documents mis en ligne par
l’EFSLI, il est intéressant de remarquer que tout en étant attentive aux considérations
Européennes, l’EFSLI relaie énormément de documents provenant de la littérature en ASL,
puisqu’elle reste à ce jour la seule aisément disponible sur le sujet. Cette situation tend à
intégrer des concepts et des pratiques américains dans un contexte qui n’a pas les mêmes
structures d’accueil (notamment pour les documents relevant de l’interprétation en milieu
pédagogique ou en milieu médical, juridique, etc.) et où se pose légitimement la question de
l’utilité pragmatique de ce genre de documents qui ne sont pas, dans leur forme, transposables
tels quels aux contextes nationaux. Ces documents sont d’ailleurs peu utilisés par les ILS
européens, qui opposent souvent une barrière socioculturelle forte lors des tentatives de
généralisation d’expériences.
Aux États-Unis, la profession a commencé à se structurer et à établir ses standards dès 1964
avec la création du R.I.D. (Registy of Interpreters for the Deaf).
Sur les 167 centres de formation recensés actuellement, 3 sont de niveau « graduate », 40
« bachelor », 78 « associate »38 et 46 sont des « certificate ». L’Europe, tout comme les États-
Unis, connaît une grande disparité de niveaux d’enseignement pour ce qui concerne
l’interprétation en LS. L’association européenne EFSLI a entrepris une collecte
d’informations intéressante en mars 2012 dans l’intention de tendre à une possible
harmonisation des niveaux proposés en Europe, suite aux journées d’études des 14 et
15 novembre 2011 à Utrecht.
38
Associate correspondrait à un niveau BTS
51
Sur 27 programmes proposés de 15 pays différents, 5 étaient d’un niveau que nous pouvons
assimiler au baccalauréat, 12 d’un niveau « bachelor’s degree » (licence), 5 d’un niveau
master (dont les deux universités françaises présentes) et 5 relevaient de certifications classées
« autres ». Il est à noter que dans un même pays comme l’Espagne ou l’Allemagne par
exemple, les formations proposées peuvent être de niveaux tout à fait différents, ce qui peut
également expliquer une différence de pratiques et d’interventions à un niveau national.
Il nous a semblé intéressant de mettre en perspective les niveaux de formation des ILS en
Europe et aux États-Unis pour avoir une idée de la disparité de l’offre de formation proposée.
Nous attirons l’attention du lecteur sur la difficulté d’établir des équivalences effectives entre
les niveaux des diplômes. Ce schéma ne prétend pas être une photographie exacte de l’état des
lieux, mais permet de donner une idée générale permettant d’apprécier les différences relevées
au niveau international.
Figure 2 : Schéma présentant les niveaux des formations d’ILS en Europe et aux États-
Unis selon les données recueillies par l’EFSLI et le RID.
52
Les pays européens ayant répondu à l’enquête39 sont : l’Autriche (3 programmes de formation
d’ILS), la Belgique (2 programmes), la République tchèque (1), le Danemark (1), l’Estonie
(1), la Finlande (2), la France (2), l’Allemagne (4), l’Irlande (1), la Norvège (3), la Pologne
(1), la Slovénie (1) et l’Espagne (3).
La littérature francophone sur la langue des signes s’est souvent tenue à l’écart des
considérations traductologiques stricto sensu. Essentiellement d’approche linguistique, la
pratique de l’interprétation en LSF fut longtemps revendiquée comme un acte linguistique et
politique militant43 et la littérature s’y référant a naturellement porté l’empreinte de cet
engagement. D. Seleskovitch et M. Lederer44 ont été les premières à intégrer la LSF à leur
réflexion traductologique générale et ont ainsi permis à l’interprétation en LSF de se détacher
des considérations uniquement linguistiques. C’est en 1994 que Philippe Séro-Guillaume
soutiendra sous la direction de Danica Seleskovitch la seule thèse en traductologie recensée à
ce jour portant sur l’interprétation en langue des signes45. Séro-Guillaume est le premier à
aborder l’interprétation en LSF sous l’angle de la théorie interprétative de l’ESIT. En 1997,
D. Seleskovitch dirigera le seul numéro spécial de Meta consacré à l’interprétation en LS,
puis intégrera dans la deuxième édition revue et augmentée de l’ouvrage consacré à la
pédagogie de l’interprétation en collaboration avec M. Lederer (Seleskovitch et Lederer,
2002) un chapitre entier sur l’interprétation en langue des signes. Ces premiers écrits ont
permis d’envisager l’interprétation en LS dans la continuité de l’interprétation en langues
vocales :
« On a vu que les phénomènes qui marquent l’interprétation LS- français sont dans
leur principe identiques à ceux que connait l’interprétation en langues vocales bien
que différents dans leur manifestation. Pour l’exposé des méthodes d’enseignement, le
43
Quipourt et Gache, Interpréter en langue des signes : un acte militant ?, Langue Française, 2003, vol 137, n°1,
p.105-113
44
Pédagogie Raisonnée de l’Interprétation, D. Seleskovitch & M. Lederer, collection traductologie, Didier
Erudition/Klincksieck, deuxième édition, 2002, 388 pages.
45
L’interprétation en Langue des Signes Française (L.S.F.) Thèse de Doctorat présentée par Philippe Séro-
Guillaume sous la direction de Mme le Professeur Danica Seleskovitch, Université de la Sorbonne Nouvelle,
E.S.I.T., 1994.
54
lecteur se rapportera aux chapitres I, II, et III relatifs à l’interprétation en langue
vocale. » (p. 299-280)
L’ESIT, alors l’une des seules écoles d’interprétation à intégrer une section LSF en son sein46,
ne fait aucune distinction de principe entre l’enseignement basé sur la théorie interprétative
qu’elle propose aux étudiants de langues vocales et celui des étudiants en langue des signes.
En 2000, Philippe Séro-Guillaume interviendra lors du colloque en hommage à Marianne
Lederer : Identité, altérité, équivalence ? La traduction comme relation, et sa présentation
sera retranscrite dans les actes du colloque publiés par la suite47. Ce qui est intéressant dans
cet ouvrage, en dehors de la présentation de l’auteur, ce sont les questions posées par les
représentants de la communauté des traductologues de l’époque lors du débat qui a suivi. Le
lecteur averti comprendra vite que l’interprétation en langue des signes est un objet qui reste
encore non identifié par les chercheurs de l’époque, difficilement classable mais non assimilé
à l’interprétation de conférence.
Pour mieux comprendre dans quelle mesure la traductologie n’a pas été un domaine privilégié
par la recherche et pour situer le contexte de la recherche sur la LSF de l’époque, nous ferons
référence à M. Blondel et L. Tuller (2000) pour leur présentation d’un état des lieux général
de la littérature existante sur la LSF depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’aux années 2000. Les
deux auteures mettent en avant que :
46
Le CETIM de l’Université Toulouse 2 a depuis étendu son offre de formation aux interprètes et traducteurs en
langue des signes.
47
Identité, altérité, équivalence ? La traduction comme relation. Actes du colloque international tenu à l’ESIT
les 24, 25 et 26 mai 2000. Textes réunis par Fortunato Israel. Paris – Caen. Lettres modernes Minard. 2002.
55
« En raison de son caractère douloureux, la renaissance de l’intérêt porté à la LSF a
certainement contribué à en faire un terrain linguistique hors du commun (où les
questions sociales et éducatives ont prédominé). »
Il semble intéressant de relever que les articles parus dans Meta en 1997 (volume 42 numéro
3) n’ont pas été pris en compte par ces deux auteures. Si la revue est canadienne francophone,
il s’avère qu’un numéro spécial sous la direction de D. Seleskovitch a été entièrement
consacré aux problématiques traductologiques et sociales de la situation de l’interprétation en
langue des signes en France. De même, l’article de D.C. Bélanger, paru en 1995 dans la revue
canadienne francophone des Interprètes en LSQ (Langue des Signes Québécoise), et qui
pourtant a été très vite assimilé dès sa parution et repris par l’ensemble des interprètes
français, n’a pas été mentionné par Blondel et Tuller. Cet article est le premier à poser les
bases des intuitions des ILS au regard des contraintes liées à l’exercice de l’interprétation en
LS comme présentées par le modèle d’Efforts de la simultanée de D. Gile. Il apparaît suite à
ces observations que la traductologie en tant que telle ne semble pas encore constituer une
discipline de premier plan quant aux recherches autour de la langue des signes de l’époque, et
ce alors que de nombreux interprètes sont très investis dans la communauté, collaborent avec
les chercheurs ou sont eux-mêmes chercheurs.
Faisant suite à cette première analyse, nous avons voulu explorer la période concernant la
littérature sur la LSF allant de 2000 à aujourd’hui.
Pour ce faire, nous avons recensé plus d’une quarantaine de publications que nous avons
classées dans le tableau suivant (figure 3 p.58), en distinguant plusieurs catégories : les thèses
de doctorat, les articles, les revues entièrement dédiées à la problématique de la LSF et enfin
les ouvrages. Ces publications constituent l’ensemble de la littérature issue des réseaux
proches des formations d’interprètes existantes et qui influencent de fait la vision et la
construction intellectuelle de la profession.
57
Figure 3 : Tableau des domaines d’appartenance de la littérature sur la LSF
Notre objectif n’est pas de faire un relevé exhaustif des travaux existants, mais bien de
présenter les domaines majoritaires en France en termes de recherche sur la LSF pour
permettre de comprendre le contexte dans lequel la littérature sur l’interprétation en LS évolue
depuis les années 2000. Nous avons choisi de ne pas prendre en compte la littérature
sociologique, où la communauté des sourds et la langue des signes sont analysées dans leur
rapport à une société majoritaire (avec notamment les travaux de S. Dalle-Nazebi en
sociologie (2008 ; 2009 ; 2010) ou ceux de A. Benvenuto (2010 ; 2011) en philosophie, etc.),
ni les écrits relevant de la psychologie ou de la psychanalyse (avec notamment les travaux de
A. Meynard (2002 ; 2008 ; 2010), B. Virole (2006 ; 2009 ; 2011), etc.) ainsi que ceux qui
traitent de questions médicales ou paramédicales.
48
Voir sur le site http://www.univ-paris8.fr/These-et-HDR-soutenues-a-Paris-8 et http://www.univ-
paris8.fr/UMR-7023-Structure-formelle-du
58
problématiques de recherche sont axées sur les trois thématiques suivantes : la linguistique
théorique (phonologie, syntaxe, sémantique), les langues des signes, l’acquisition et le
développement du langage. Si certains de ces doctorants sont interprètes de formation, le
cadre strictement linguistique de l’approche de l’interprétation de cette université donne à
penser que les problématiques traductologiques n’ont peut-être pas encore réussi à émerger
indépendamment de la langue des signes des locuteurs sourds.
Nous remarquons également que la recherche en TAL (traitement automatique des langues)
sur la LSF connait un véritable essor, puisque plus de six thèses ont été soutenues à notre
connaissance depuis 2000 (Lejeune, 2004 ; Fihol, 2008 ; Chételat, 2010 ; Ségouat, 2010 ;
Delorme, 2011 ; Kervajan, 2011), générant de fait une littérature importante dans les revues
spécialisées sur le sujet.
Nous remarquons que dans ce contexte de prédominance linguistique, l’interprétation ne
suscite toujours pas l’intérêt de la communauté des interprètes en tant qu’objet d’étude
scientifique.
En plus de quinze ans, nous avons recensé moins d’une dizaine d’articles sur l’interprétation
en LSF. Ils ont été publiés pour la majorité dans les revues de linguistique et de
sociolinguistique. Nous avons inclu dans notre liste un seul article proposé par le journal de
l’AFILS dont les articles habituellement publiés par des interprètes en exercice ne répondent
pas aux critères exigés de la recherche et de la littérature scientifique de façon générale.
Deux articles publiés (Quipourt et Gache, p105-113 et Jeggli, p.114-123) sont issus d’un
numéro spécial de la revue linguistique Langue Française (2003, vol 137) consacrée à la LSF
sous le titre « statuts linguistiques et institutionnels » où les problématiques linguistiques sont
exposées au fil des articles. Ils font état d’une pratique et revendiquent le statut de l’interprète
professionnel en mettant en avant sa déontologie, son savoir faire, en opposant aux
potentielles difficultés techniques le manque de professionnalisation des ILS (Quipourt et
Gache, 2003).
Le second article analyse une expérience d’interprétation à l’université suivie d’une
description de création de néologismes, puis d’un exposé des difficultés financières et
logistiques rencontrées par les étudiants sourds (Jeggli, 2003).
59
D’autres articles font également référence à la traduction et l’interprétation en LS (Guitteny,
2007, 2011). Le premier concerne le TAL en LS et le second, publié dans un ouvrage
collectif sur l’adaptation et la traduction des supports audiovisuels de façon générale, se
penche sur la traduction de ces supports en LS.
Les autres articles se démarquent par une approche plus centrée sur des problématiques
traductologiques des sujets abordés : par exemple, celui concernant l’interprétation en langue
des signes dans un cadre scolaire (Paris, 2007), qui fait état des difficultés traductologiques
liées au contexte de la traduction mais qui demeure cependant parfois prescriptif quant à ses
conclusions. Les autres articles sont de Séro-Guillaume (2002, 2003, 2005, 2006, 2012) ;
l’auteur y analyse la création néologique appliquée à la LSF (2003) ainsi qu’une approche de
la langue des signes du point de vue psychomécanique de la théorie linguistique de Gustave
Guillaume (2005). La publication de 2006 est une présentation du concept de scénarisation
que l’auteur présente comme s’inscrivant dans la continuité de la théorie interprétative de
l’ESIT. L’article paru en 2012 interroge la présentation contrastive (langue vocale/langue
signée) de la théorie de l’iconicité et présente les transferts non pas comme un fait de langue,
mais comme un fait de discours avec lequel il fait un lien avec la scénarisation (que nous
analyserons plus avant dans notre travail).
Depuis 2000, mis à part l’article de Pointurier-Pournin et Gile (2012) publié dans Jostrans,
aucune publication d’article ni de revue entièrement consacrée à l’interprétation en LSF n’est
49
Interprète ASL Anglais, reconnu et très apprécié de la communauté sourde parisienne de par le rôle qu’il a
joué dans la création d’IVT (International Visual Theater).
60
recensée dans les réseaux de diffusion habituels de la littérature traductologique francophone
comme ce fut le cas avec Meta en 1997. Cela a eu pour conséquence majeure une
méconnaissance des ILS en traductologie et vice-versa. Les interprètes français, habitués à
l’empreinte linguistique et aux problématiques plus sociologiques de la surdité, ignorent
l’ensemble de la littérature traductologique. Cet état de fait a un impact certain du côté de la
recherche : en France, l’interprétation en LS ne réussit pas à se faire connaitre de l’ensemble
des chercheurs en traductologie au-delà de la mention anecdotique ou exotique lors d’articles
sur l’interprétation communautaire par exemple, ce qui n’est pas le cas dans la littérature
anglo-saxonne.
« En langue des signes comme dans d’autres langues, le discours forme un ensemble
composé d’explicites et d’implicites que les étudiants apprennent à associer pour
trouver le sens et qu’ils réexpriment par d’autres synecdoques. Ils apprennent à
comprendre les implicites que recouvrent les synecdoques des discours. Dans leur
61
langue, ils n’exprimeront plus la totalité d’une pensée mais emploieront les explicites
qui la désignent. » (Seleskovitch et Lederer, 2002 : 275)
Les difficultés pouvant être éventuellement liées à l’expression des « explicites » ne sont pas
identifiées et l’ensemble du chapitre renvoie systématiquement aux problématiques générales
de l’interprétation entre les langues vocales.
En 2007, l’ouvrage de Bernard et al. « L’interprétation en langue des signes » paraît aux
PUF. Cet ouvrage est une introduction à l’interprétation en LS et a le projet de situer la
profession dans un contexte général, historique et théorique. En 2008 paraît l’ouvrage de
Philippe Séro-Guillaume, qui concentre l’ensemble de ses articles et recherches antérieures.
Séro-Guillaume défend la théorie linguistique Guillaumienne pour la LSF, ce qui est inédit en
France. Son ouvrage, « Langue des signes, surdité et accès au langage » est une réflexion
générale sur la place de la LSF dans l’enseignement spécialisé qui questionne les méthodes
d’enseignement des jeunes sourds. Un chapitre (p.165-192) est consacré à l’interprétation
d’un discours pédagogique en LS où sont abordées les notions développées par l’auteur, la
scénarisation et l’amplification scénique, que nous aborderons dans les parties dédiées au
recensement des tactiques en interprétation en LS. Si l’auteur mentionne l’interprétation de
conférence, son exposé s’en tient à la seule situation pédagogique. Enfin, l’ouvrage de Pierre
Guitteny (2009) présente un ensemble de témoignages d’ILS suivi d’une rapide présentation
de la profession et de son histoire.
3.1.4. Commentaires
Le traitement des sujets posés par les articles français publiés dans les revues linguistiques est
anecdotique (au sens de Daniel Gile, voir plus loin) et ne relève pas de la recherche en
traductologie à proprement parler. Il est intéressant de remarquer que l’ensemble de ces
articles gardent une tonalité militante et témoignent en double lecture de la notion persistante
d’interdépendance des deux communautés que la littérature anglo-saxonne a su dissocier, en
analysant d’un côté le point de vue de l’interprète et de l’autre la problématique de la
réparation symbolique des entendants envers les sourds signants. La réparation symbolique
peut se décrire comme la tendance inconsciente de l’interprète à privilégier en situation
d’interprétation les intérêts et les normes socio-communicationnelles de la communauté
62
minoritaire (les sourds) au détriment de celles de la communauté majoritaire (les
entendants)50. L’analyse proposée par les auteurs français tend à laisser régulièrement dans
l’ombre les besoins traductionnels des interprètes pour maintenir une forme de soutien envers
la communauté sourde ; ce faisant ils ne s’autorisent toujours pas à objectiver l’interprétation
en LSF, c'est-à-dire à considérer la LSF en dehors de la communauté sourde comme objet
d’étude indépendant dans différents contextes.
L’interprétation en LS telle qu’elle est décrite par Seleskovitch et Lederer semble également
privilégier la reconnaissance de l’interprétation en LS en ce sens que son approche est
totalement intégrée à l’approche générale de la théorie du sens et qu’aucune particularité ne
permet de la dissocier de l’interprétation entre langues vocales. La LS fait ainsi un saut
qualitatif extrême vers une soudaine et totale normalisation qui passe sous silence les
difficultés techniques engendrées par son histoire et qui sont inhérentes à son caractère visuel.
Les éventuels obstacles techniques sont moins imputés à une particularité structurelle de la LS
qu’à la maladresse supposée de l’étudiant interprète. Dans ce contexte où la LSF a peine à
exister comme une véritable langue, nous pouvons qualifier l’intention des auteures de ne pas
dissocier l’enseignement de l’interprétation en LS des LV de démarche symbolique qui a
largement contribué à la promotion de la reconnaissance de la LSF. Il nous semble important
de reconnaitre ici l’apport unique de Seleskovitch et Lederer dans notre littérature qui, en
offrant un premier cadre pédagogique solide à la formation des ILS, ont contribué à la
promotion et à l’évolution de cette profession.
Les auteurs du second ouvrage mentionné sur l’interprétation (Bernard et al, 2007) proposent
une approche théorique de l’interprétation basée sur certains éléments empruntés à la TIT et
au modèle d’Efforts de Gile qui apparait subdivisé en six étapes. Un chapitre consacré aux
« interprétations spécifiques » témoigne de la tradition de la prescription dans la littérature
française (il faut, l’interprète doit, il conviendra de, etc.). Cet ouvrage, par ailleurs très
documenté sur le contexte historique de la profession d’ILS, fait peu de références aux
publications existantes sur les sujets traductologiques abordés et a par conséquent avancé
certains éléments que l’on savait déjà caducs à la date de sa parution (comme nous le verrons
dans la partie sur la littérature internationale). Pour autant, cet ouvrage a le mérite d’être le
seul exclusivement consacré à l’interprétation en LS dans sa globalité et marque ainsi une
50
Voir entre autres les travaux de Harvey et Turner à ce sujet.
63
volonté de faire avancer la profession vers une réflexion théorique et une recherche plus
poussées sur l’interprétation.
Les interprètes, conscients d’un manque de littérature ont entrepris une mise en commun de
leurs travaux académiques de fin d’études pour en faciliter leur consultation. Certains
mémoires51 sont donc disponibles sur internet et comblent ainsi le vide observé. Cette
littérature semble également très utile aux étudiants qui auront plus de facilités à retrouver des
références ou des pistes de réflexion. Cependant, ces mémoires qui répondent à des
questionnements justifiés dans le cadre de masters professionnels ne peuvent prétendre
constituer une base scientifique valide et validée par la communauté traductologique. Nous
observons, faute d’ouverture sur l’ensemble de la littérature traductologique existante, une
tendance actuelle qui consiste à construire une réflexion générale professionnelle
autoalimentée par ces mémoires universitaires, qui sont comme nous l’avons dit élaborés en
dehors des normes de la littérature scientifique traductologique existante.
51
www.annuaire-interprète-lsf.com. Également sur le site de l’AFILS (réservé aux membres), ou sur certains
sites d’universités proposant un cursus de formation à l’interprétation.
52
Hormis Seleskovitch et Lederer. Séro-Guillaume est également cité par Pöchhacker (2004, 2009)
53
Wadensjö n’est pas un auteur issu de la recherche en LS, mais ses travaux ont eu un impact sur l’ensemble de
la littérature en interprétation communautaire, et par voie de conséquence sur la littérature en LS.
64
compte les contraintes techniques des interprètes in vivo. L’essentiel de la littérature existante
sur l’interprétation en LS peut s’apparenter à une démarche à visée normative d’une
profession jeune qui a vite cherché à s’établir. Nous nous référons à l’analyse de Gile (1995 :
27) concernant les types de textes et de démarches de recherche en interprétation de
conférence dans les années 1980 et au début des années 1990, dont les principaux sont des
textes réflexifs et normatifs. Il note (à propos des textes réflexifs) :
« Nous classons dans cette catégorie, quantitativement très importante parmi les
publications sur l’interprétation, les textes dans lesquels les auteurs développent des
réflexions et des opinions de principe sur l’interprétation, fondées sur leur expérience
personnelle et leurs intuitions plutôt que sur la base de l’étude systématique d’un
corpus ou d’un ensemble de travaux scientifiques, observationnels ou
expérimentaux. ». (Gile, 1995 : 27)
Nous verrons dans la partie suivante que depuis les années 90, la recherche internationale a su
engager une réelle dynamique dans la littérature en LS en mettant en avant la part active de
l’interprète dans l’interaction conversationnelle. Nous savons depuis que l’interprète prend
part au déroulement de la conversation en gérant (malgré lui) les prises de parole, en mettant
en mots des non-dits tout en respectant les normes sociales attendues de lui par les différents
intervenants dans le but de maintenir un niveau de communication permettant
65
l’accomplissement de l’objectif de l’entretien (voir entre autres Wadensjo, 1998 et Metzger,
1999).
En France, nous sommes encore loin de cette approche de l’interprétation en langue des
signes. Les ILS français sont toujours qualifiés de « pont » ou « d’élément »54 reliant deux
communautés, même si les aspects communicationnels et humains de l’interprétation
commencent à être pris en compte. La communauté reste très influencée par de nombreux
principes prescriptifs sans que la recherche ait pu valider l’applicabilité de certaines de ces
normes (neutralité, transparence de l’interprète, non-reconnaissance de l’effet de
l’interprétation dans l’interaction, « contamination » de la LS par l’interprète, etc.). Seul B.
Moody (2008) y fait référence au détour de son article. D’une façon générale, les recherches
françaises tendent toujours à exploiter un certain idéal, quitte à ne pas vouloir observer et
prendre en compte ce qui pourrait ouvrir le débat. Cela pourrait expliquer l’obédience
linguistique et militante de l’approche de l’interprétation en France, où la reconnaissance de la
LSF et des problématiques politiques et identitaires de la communauté sourde relèguent à un
plan largement secondaire le débat traductologique. Cette attitude aboutit à un non-
investissement des ILS dans l’élaboration de la définition de leur propre profession au profit
d’autres communautés scientifiques qui, de pair avec la communauté sourde, en viennent à en
tracer les contours de façon unilatérale sans concertation systématique préalable auprès des
interprètes. Les ILS quant à eux, lorsqu’ils ont la possibilité de s’exprimer lors de
publications, ont tendance à minimiser l’effort que représente leur travail et nient l’importance
de leur présence dans la situation de communication, se conformant ainsi au rôle d’« outil de
communication »55 qu’ils continuent de revendiquer (un outil a-t-il la capacité de prendre la
parole ?). Ce positionnement idéologique a longtemps rendu impossible toute forme d’analyse
de l’interprétation en tant qu’acte de communication et a ainsi contribué à rendre secondaire
la prise en compte de la langue des signes de l’interprète comme objet d’étude dans sa
capacité à prendre en charge un discours. Ce qui parait très paradoxal d’un point de vue
traductologique.
54
Page 68, L’interprétation en Langue des Signes, Bernard, Encrevé, Jeggli, PUF, Paris, 2007, 178 p.
55
Page 49, ibidem.
66
3.2. La littérature internationale : les sujets de recherche
L’Interpreted Event est une situation de communication où l’ensemble des participants ont un
objectif commun à accomplir :
56
Traduction : « l’interprétation forme et est formée intrinsèquement de beaucoup des stratégies discursives et
autres éléments constitutifs que l’on observe dans le processus discursif. De ce fait, l’interprétation doit être
étudiée sous l’angle des procédés discursifs. »
57
Traduction : « L’interaction conversationnelle se produit généralement dans un groupe composé d'un petit
nombre de personnes dans lequel l'interaction est caractérisée par la prise de parole à tour de rôle, des binômes
d’énoncés comme des questions et réponses, des changements de sujet et d’autres procédés discursifs. Dans le
cadre de ces événements conversationnels, les participants se réunissent pour atteindre des objectifs spécifiques
tout en proposant et en négociant constamment des sens et relations à travers l'échange de paroles. Parce que ces
échanges s’articulent en couches de sens linguistiques, sociaux et culturels, les interprètes sont appelés à être
plus actifs dans le processus discursif eux-mêmes pour gérer la communication. (Roy 1989, Wadensjö 1992,
Metzger 1995). »
68
Nous noterons (bien qu’elle n’y fasse pas explicitement référence) un parallèle avec les
enjeux en termes de traduction de la théorie du Skopos (Reiss et Vermeer 1984/1991),
puisque les attentes des parties en présence et les objectifs des évènements interprétés sont
pour ces auteures autant de déterminants qui influenceront le processus interprétatif.
Dès 1968, D. Seleskovitch envisageait déjà l’interprète dans ce qu’elle nomme une situation
de « trilogue » dans un évènement interprété.
« L’interprète est un intermédiaire comme le comédien qui ajoute son jeu au texte de
l’auteur ; comme lui il sait que ce n’est pas en s’effaçant mais en intervenant avec
beaucoup de présence qu’il établira le contact dont il a la responsabilité. Comme le
comédien, il a plus ou moins de talent, et comme lui il est toujours présent. Bien que
son rôle soit différent de celui des interlocuteurs de la réunion, l’interprète y participe
de façon aussi active qu’eux. C’est pourquoi une conférence internationale est un
« trilogue» où l’interprète ne cherche ni à s’imposer ni à faire oublier sa présence,
mais à assumer son rôle. L’interprète conscient de son apport personnel au bon
déroulement de la conférence sait tirer une ligne de démarcation très nette entre
l’intervention qui correspond à l’exécution de sa tâche (faire se comprendre les
69
interlocuteurs), et qui fait de lui un participant au « trilogue » et celle qui le ferait
abusivement intervenir dans le « dialogue » s’il teintait de ses propres convictions les
messages qu’il transmet. (…) Sachant qu’il doit faire comprendre ce qu’il a compris
lui-même, il n’hésite pas à assumer son rôle dans le trilogue. (…) bref, il collabore
avec l’auditeur pour assurer la compréhension de celui-ci. » (1968 :181-182)
Nous pouvons trouver dans ce passage des réflexions sur l’implication de l’interprète, sur le
rôle actif qu’il joue dans la situation à laquelle il participe et sur l’influence qu’il a sur son
bon déroulement. Si D. Seleskovitch tient pour acquis ces notions de trilogue et de
collaboration, elles n’ont jamais été explicitées au-delà de ces quelques pages dans son
ouvrage « L’interprète dans les conférences internationales », et nous pouvons émettre
l’hypothèse que le titre même de l’ouvrage a sans doute freiné la transposition de son contenu
à d’autres vécus d’interprètes tels que les interprètes communautaires et les interprètes en
LS58. Pour autant, cet extrait nous permet de relever des éléments qui ont été par la suite
confirmés, notamment sur les notions de trilogue ou le fait d’assumer pleinement son rôle
dans l’interaction mis en exergue par Wadensjö ou Roy, puis celle de la collaboration entre
l’interprète et les locuteurs que Napier a récemment mis en avant lors de ses recherches.
58
Excepté Ph. Séro-Guillaume, qui a effectué sa thèse sous la direction de D. Seleskovitch
70
majoritaires/minoritaires) pour permettre de comprendre la part réelle de l’implication de
l’interprète dans le déroulement d’une situation de communication entre plusieurs locuteurs
ne parlant pas la même langue. Les premières recherches concernaient surtout l’interprétation
en milieu judiciaire (Berk-Seligson, 1990) où plusieurs études empiriques ont mis en avant la
singularité du travail de l’interprétation en langues vocales dans ce contexte. Il s’avère que
l’interprète assume bien plus qu’un rôle strictement linguistique : les interprètes sont
notamment amenés à demander la permission de s’exprimer, d’éclaircir un point et de
soulever les ambigüités. Ils signalent également le moment requis pour une réponse ou à
l’inverse lorsqu’il n’est pas souhaitable que le locuteur socialement « minoritaire » s’exprime
à un instant t. Ces études ont permis de mettre explicitement en lumière une dissymétrie entre
les attentes de l’ensemble des professionnels du droit (juges, avocats, juristes) et les
considérations éthiques des interprètes dans l’exercice de leur profession (Wadensjö : 1998).
En somme, il a été mis en avant que le statut d’expert de l’interprète lui attribue aux yeux de
ses interlocuteurs la gestion de tout ce qui peut concerner les attentes de chacune des parties,
dont le comportement des interlocuteurs et la gestion des moments de leurs prises de parole :
la résolution des problèmes liés à la personne allant bien au-delà des seules différences
linguistiques est donc implicitement à la charge de l’interprète.
71
Pour Roy (2000-b), la prise de parole en situation interprétée n’est jamais construite sur le
modèle de :
- locuteur A : phrase 1
- interprète : phrase 1A
- locuteur B : phrase 2
- interprète : phrase 2B
- locuteur A : phrase 3
- interprète : phrase 3A
- etc.
Ces normes qui stipulent une prise de parole ainsi ordonnée où l’interprète travaillerait en
écho linguistique des tours de parole de chacun sont largement idéalisées. Selon l’étude de
Roy (2000-b), l’interprète est à l’origine de 3 des 4 types de tours de parole observés (turns
around pauses and lag, overlapping turns, and turns initiated by the interpreter) et doit faire
des choix qui ont un impact certain sur le déroulement du discours. Le quatrième type de tour
de parole Regular turns ne présente pas pour sa part d’initiative particulière de l’interprète.
Dans la suite de sa démonstration, Roy interroge certaines normes éthiques revendiquées par
les codes de conduite en interprétation en LS en soulignant le caractère paradoxal de la notion
de « neutralité » puisque l’interprétation des conversations est une activité complexe où les
prises de parole des interlocuteurs impliquent la collaboration de l’interprète, comme nous
venons de le voir. L’interprète prend part au déroulement de la conversation, gère les prises de
parole, met en mots les non-dits, respecte les normes sociales attendues par les différents
intervenants et cela dans le but de maintenir un niveau de communication permettant aux
deux parties d’accomplir l’objectif de l’entretien. Roy liste l’ensemble des contraintes des
interprètes : contextuelles, culturelles, éthiques, ainsi que celles plus complexes liées à
l’éventail très large de locuteurs potentiels (notamment l’interprétation auprès d’enfants,
mentionnée également par Wadensjö) dans des interactions verbales interprétées.
Pour Roy, la profession d’ILS a calqué ses règles en voulant se hisser au niveau des normes
des interprètes de conférences, où la parole est unilatérale et présuppose un bagage culturel et
social relativement proche entre les participants. Or, l’interprétation dite de liaison (dans son
acception en interprétation en LS qui inclut l’interprétation communautaire) implique souvent
une minorité linguistique et culturelle face à un modèle social qui impose ses normes. Les
participants n’ont pas toujours le même bagage et les interprètes sont généralement les seuls
dans la pièce conscients du fossé culturel qui les sépare. Si l’enjeu de l’interprétation est de
maintenir la communication dans le but de permettre l’accomplissement de l’objectif d’un
72
entretien (l’enjeu d’un rendez-vous médical, juridique, professionnel, etc.), l’auteure nous
montre que l’ILS est bien plus qu’un « passeur », un « conduit » ou un « pont de
communication ». La tâche de l’interprète est bien plus complexe que la seule interprétation
linguistique du message vu/entendu. Il prend part (malgré lui ? et c’est ici qu’est posée la
nuance) à l’interaction conversationnelle, introduit ses propres normes et son propre niveau de
compréhension de la situation, instaure des tours de parole, provoque les réponses et prend de
fait pleinement part à la construction du discours.
Toujours dans une perspective sociolinguistique, Napier (2006) a pour sa part analysé les
interactions entre plusieurs ILS en « Auslan » (langue des signes australienne) et leur
conférencier sourd lors d’une conférence publique interprétée vers l’anglais. En s’appuyant
sur les bases théoriques de Roy (2000-b) et de Wadensjö (1998), elle part de l’hypothèse que
l’ILS interagit et participe à la construction de l’entretien. Ceci ayant été établi dans les
situations d’interprétation de liaison, Napier veut transposer le cadre de sa recherche à une
situation proche de la conférence, où l’interaction entre l’ILS et les conférenciers est moins
évidente. Elle s’appuie sur le modèle de Grice (1975) qui propose un principe de coopération
discursive où les interlocuteurs collaborent entre eux dans l’intention de préciser le sens afin
de réduire les malentendus potentiels permettant ainsi d’atteindre les objectifs implicites
d’une situation de communication. Ces coopérations sont au nombre de quatre: Quantity,
Relevance, Manner et Quality. Napier parle de complex turns pour formaliser le fait que la
parole ne suit pas le simple schéma : conférencier sourd, puis interprète, puis public. En effet,
elle observe que la coopération entre le locuteur et les interprètes est fortement corrélée à la
réussite de l’interprétation. Elle note des signes discrets entre ILS et le conférencier sourd, des
hochements de tête pour inciter le locuteur sourd à poursuivre ou non, des convocations du
regard et enfin des pauses dans le déroulement du discours à l’initiative de l’ILS. Elle pose les
premiers jalons du « cooperative principle of interpretation: Trust, Preparation, Negotiation,
Eye contact, Turn taking, Visual cues. » (Napier, 2006 : 16).
« The lack of a response from an interpreter could seem detrimental and unfriendly to
the interaction rather than competent and professional » 59(p. 75).
Pour Metzger, le « paradoxe de la neutralité » réside dans le fait que c’est en étant conscient
de son impact potentiel sur le discours et en assumant pleinement son rôle dans l’interaction
que l’interprète saura au mieux minimiser son influence sur le discours, et non l’inverse
59
Traduction : « L’absence de réponse d’un interprète peut porter préjudice et nuire à l’interaction plutôt que
d’être une marque de compétence et de professionnalisme. »
75
comme il était d’usage de le penser jusqu’alors. À ce sujet, Roy (2000-b) met en avant que les
normes de fidélité et de neutralité ont été posées avant même que la recherche ait pu analyser
ce qu’était réellement une situation d’interprétation. Les codes éthiques abondent de
directives sur ce que l’interprète ne doit pas faire, mais restent vagues sur ce qu’il peut et doit
faire dans une situation de prise de parole. Pour Roy, les terminologies éthiques ont étés
utilisées pour qualifier le métier de l’interprète avant d’avoir eu la possibilité de mesurer la
manière dont une situation interprétée évolue par la seule présence de l’interprète. Elle pose
ainsi légitimement la question de la pertinence du vocabulaire déontologique, au sens strict,
appliqué à l’interprétation. Dans cette mouvance, Napier (2010) donne l’exemple du code de
conduite des interprètes en BSL (British Sign Language) où une recherche insufflée par Tate
et Turner (2000) a abouti à une proposition de réforme du code en vigueur, permettant aux
interprètes de répondre au mieux aux attentes de chacune des parties tout en étant en accord
avec une éthique un peu moins naïve concernant la réalité de la profession. Elle note
« Authors have begun to question the nature of Codes of Ethics, and the application of codes
to professional practice »60. Cette nouvelle considération de l’éthique a été le résultat d’une
volonté de confrontation entre les connaissances théoriques et pratiques des interprètes et les
apports des chercheurs sur le sujet, en allant au-delà d’une base strictement idéologique. La
dernière communication de Miriam Shlesinger en 2010 à Paris aux Assises de la Traduction et
de l’Interprétation concernant les interprètes communautaires61 ira dans ce sens, en exposant
qu’il n’est pas réaliste de demander aux interprètes de placer la pluralité des normes
communicationnelles relatives à l’ensemble des situations rencontrées dans un seul cadre
éthique valable pour le tout. Elle propose de considérer les normes éthiques non pas comme
un point de vue unique qui serait la posture professionnelle idéale de l’interprète, mais
d’envisager la pluralité des situations comme autant de composantes possibles d’un même
cadre éthique dont les contours s’adapteraient à chaque situation de communication
(juridique/judiciaire, médicale, conférence, pédagogique, etc.), et ce pour que les parties en
présence (dont l’interprète) puissent trouver rapidement leur place. L’objectif défendu par
Shlesinger est d’optimiser la situation de communication en rendant les interactions plus
fluides en minimisant ainsi l’impact de l’interprète.
60
Traduction : Les auteurs ont commencé à remettre en cause la nature même du code d’éthique, ainsi que son
application à la pratique professionnelle.
61
Assises de la traduction et de l’interprétation. Communication scientifique lors de la table ronde n°4 :
« traduction et interprétation, pare-feux contre les discriminations », Paris le 8 octobre 2010.
76
L’évolution du cadre éthique est selon de nombreux auteurs (Wadensjö (1998), Roy (2000-b),
Tate et Turner (2000), Dean et Pollard (2001), Bergson et Sperlinger (2003), Angelelli (2004),
Napier (2010), ou même Shlesinger (2010) une évolution nécessaire en phase avec le recul
que nous commençons à avoir sur la profession et ses contraintes. Il est intéressant de noter
qu’aujourd’hui, le rôle de l’interprète est un sujet tout à fait actuel pour ce qui concerne les
interprètes en langues vocales, et de nombreuses réflexions pourraient être menées
conjointement entre les interprètes en langues vocales et en langues des signes puisque les
professions se rejoignent totalement dans certaines configurations, notamment pour tout ce
qui concerne l’interprétation communautaire, juridique ou médicale.
77
Le manque de diffusion de la LS a des conséquences observables également sur les interprètes
en devenir. Pour une grande partie d’entre eux, l’apprentissage de la langue se fait entre 20 et
30 ans, c’est-à dire à un âge tardif par rapport aux interprètes entre langues vocales. En France
par exemple, et jusqu’à une période récente (moins de 10 ans), la LS n’était pas enseignée à
l’université. Son apprentissage devait se faire dans des réseaux privés ou associatifs parfois
très coûteux. Nous noterons que depuis les mises en place récentes de cursus universitaires, ce
type de profil tend à évoluer.
Cet apprentissage tardif est souvent pointé par la profession comme étant la cause principale
des difficultés rencontrées en interprétation, et la maîtrise de la LS par les ILS reste une
question qui fait débat. La problématique de l’acquisition de la langue B est donc très présente
dans la littérature en interprétation en LS, d’autant plus que les ILS travaillent indifféremment
vers leurs deux langues de travail, contrairement à ce qui est souvent préconisé par les
interprètes entre langues vocales et relayé par les écoles d’interprétation comme l’ESIT. Les
conséquences sont nombreuses et sont largement traitées dans la littérature depuis le début de
la professionnalisation de l’interprétation en LS ; voir entre autres à ce sujet les travaux
d’Isham et Lane (1994) ou ceux de Janzen (2005).
79
scolaire est présente dans certains pays où de nombreuses langues régionales côtoient une
langue académique officielle. C’est également une problématique rencontrée lors de la
scolarisation itinérante des enfants roms. L’interprétation en LS a ceci de particulier qu’elle
entre dans un cadre scolaire où l’enseignement complet passe par la langue de l’interprète et
ce jusqu’à la fin de la scolarité.
Plusieurs travaux de recherche se sont penchés sur l’apprentissage via l’interprétation et sur
son effet sur la construction identitaire et langagière de l’enfant sourd (Monikowski, 2004 ;
Stack, 2004 ; Schick, 2004), et de fait se sont détournées des études traductologiques stricto
sensu. Il devient évident que dans les pays où l’interprète n’a pas reçu de formation
universitaire générale en dehors de celle requise pour sa professionnalisation, ce sujet
engendre une littérature abondante dans laquelle les auteurs exigent un niveau de formation au
moins égal à celui qui sera interprété (Elliott et Powers, 1995 ; Seal, 1998 ; Napier, 2002-b;
Winston, 2004). Plus généralement, la question de l’enseignement de l’interprétation en LS
est un autre domaine de recherche largement abordé (entre autres Seal, 1998 ; Roy, 2000-a ;
Davis, 2000 ; Gomez, Molina Benitez et Torres, 2007 ; Patrie, 2004).
62
J. Napier étudie les tactiques générales des langues des signes qu’elle nomme stratégies.
80
L’importance de cette dichotomie translation/translitération est à l’origine d’autres études sur
l’appréciation de ces deux styles par les apprenants sourds ; voir Winston (1989), Kurz et
Langer (2004). Aux États-Unis et en Australie, la méthode de « translitération » serait la plus
massivement utilisée par les interprètes intervenant en milieu éducatif. À ce propos, Davis
(2005) explique très clairement ce qu’il en est en termes d’interprétation aux États-Unis :
« (…) the pressures in the educational domain for the development and maintenance
of English literacy lead to demands for literal English coding and transliteration. (…)
During a single day, interpreters may be called upon to translate, interpret,
transliterate, or “code” English in various visual-manual forms (i.e.,
transcodification). »63
Nous pouvons nous interroger ici sur une certaine forme de l’interprétation qui a pour unique
but de « donner à voir » la forme syntaxique anglaise en délaissant le sens du discours, tout en
continuant à utiliser certains lexèmes de la langue signée. Poussé à l’extrême, l’interprète
devient ici un « montreur » linéaire de son et de syntaxe.
63
Dans le secteur éducatif, les pressions pour le développement et le maintien de la connaissance de l'anglais
entraînent des demandes en anglais littéral ou en translittération. (...) Au cours d'une même journée, les
interprètes peuvent être appelés à traduire, interpréter, translittérer, voire à «encoder» l’anglais sous diverses
formes visuo-manuelles (c.-à-transcodification)
81
3.3. Le modèle d’Efforts dans la littérature en langue des signes
82
relevées en termes de stratégies de préservation, où la préparation est une des clés de
l’ensemble de ses conclusions.
Leeson (2005-a), en reprenant le modèle d’Efforts de Gile pour l’adapter à la langue des
signes, a procédé à l’introduction de particularités de l’interprétation en LS à chacun des
Efforts. En ce qui concerne l’Effort d’Écoute, elle ajoute la particularité liée à la
compréhension d’un message visuel et l’identification du sens des éléments lexicaux et non
lexicaux dans leur contexte :
En ce qui concerne l’Effort de Production, Leeson met également en avant ce qui semble
relever de la particularité de l’interprétation de/vers la LS :
« as interpreters working into a signed language, we can also take the production
effort to include the planning and performance of an output in the medium of signed
language (…) We might suggest that the fact that signed language interpreters must
additionally deal with a shift in modality (i.e. from spoken discourse to signed
discourse or vice versa) brings with it a special range of production issues relative to
64
Traduction : Nous ajouterons à cette définition l’attention portée à la compréhension d’une langue visuo-
spatiale basée sur l’identification des messages linguistiques reçus par voie visuelle, puis, sur l’identification des
éléments et des expressions lexicales signées co-occurrents aux autres sources d’informations non manuelles et
jusqu’à la prise de décision concernant la signification de ces éléments en contexte.
83
the way in which discourse is structured and maintained in signed language vis a vis
spoken languages. »65 (Leeson, 2005-a: 56).
Leeson inclut dans chacun des Efforts de la simultanée une composante relevant du
changement de modalité : d’une langue orale (linéaire et audio vocale) à une langue signée
(pluridimensionnelle et visuo-gestuelle). Sans aller plus avant, nous avons chez Leeson l’idée
que chacun des Efforts pourrait connaître une charge supplémentaire due au changement de
modalité discursive (orale/signée). Elle se différencie sur ce point de Bélanger qui avance au
contraire que le changement de mode ne gêne pas l’interprétation car le canal de
l’interprétation en langue A n’interfère pas avec la production en langue B.
En résumé, nous avons plusieurs pistes théoriques qui nous paraissaient intéressantes à
vérifier dans notre étude :
65
Traduction : en tant qu’interprète travaillant vers une langue signée, nous pouvons ajouter à l’Effort de
Production le fait de planifier et de produire dans une autre modalité qui est celle de la langue signée. Nous
suggérons que le fait que les interprètes doivent faire face aux changements de modalités (d’un discours oral vers
un discours signé, et vice versa) implique un ensemble de questions liées à la manière dont on produit et
structure un discours selon qu’il soit en langue des signes ou en langues vocales.
84
dans cette situation plus important que lors de l’écoute d’un discours en langue vocale
standardisée.
- L’Effort de Production serait plus soutenu face au vide lexical en LS, mais aussi pour
répondre aux besoins spécifiques de visualisation (mises en avant dans les contraintes
linguistiques) lors de la transposition dans l’espace de signation. Nous analyserons en
ce sens les tactiques principales des interprètes telles que la scénarisation, la
paraphrase et la dactylologie (épellation par l’alphabet manuel du mot en langue
vocale). Nous verrons que la scénarisation, par exemple, requiert parfois un certain
effort cognitif pour son élaboration et que les autres tactiques mentionnées peuvent
s’avérer tout aussi chronophages selon le discours. Nous analyserons les conséquences
de ces tactiques sur les interprètes pour comprendre leurs implications sur le processus
de l’interprétation en LS.
Il apparaît donc que la majorité des auteurs qui se sont intéressés au modèle d’Efforts de Gile
appliqué à la langue des signes tendent à ajouter ou « décupler » un ou plusieurs efforts aux
Efforts initiaux. Selon Belanger et Leeson notamment, l’Effort de Mémoire serait plus
sollicité en interprétation en langue des signes. Selon ces deux auteures, la différence de
syntaxe observée entre les langues vocales et signées et les particularités inhérentes aux
logiques visuelle ou linéaire propres aux locuteurs sourds et entendants imposeraient à l’ILS
une plus grande distance sur le discours original, ce qui accroîtrait ainsi la charge requise par
l’Effort de Mémoire. Or, nous ne nous différencions pas sur ce point des problématiques de
l’interprétation entre langues vocales éloignées l’une de l’autre. Cette problématique
commune aux langues syntaxiquement très différentes les unes des autres n’est donc pas
particulière à la seule interprétation en langue des signes. De ce fait, nous ne l’intégrerons pas
dans notre analyse en tant qu’élément spécifique de l’interprétation en langue des signes.
Nous analyserons dans ce travail de recherche les effets cognitifs des tactiques des interprètes
relevées dans notre corpus et nous tenterons d’apporter un nouvel éclairage sur la
transposition de ce modèle à la LS.
85
3.4. Historique des tactiques en interprétation en LS dans la littérature
Dans un chapitre consacré aux stratégies et tactiques de l’interprète dans son ouvrage « La
traduction, la comprendre, l’apprendre » D. Gile met en lumière les choix des interprètes sous
l’angle des tactiques. « (…) la question de savoir comment il est possible de produire un
discours fidèle en interprétation à la vitesse de l’énonciation spontanée apparait
fondamentale » (Gile, 1995 : 120). Selon lui, puisque les normes d’acceptabilité linguistique
sont moins strictes à l’oral qu’à l’écrit, les interprètes auraient tendance à s’accorder plus de
distance avec la structure linguistique du discours original que ne le font les traducteurs. De
même, les fortes contraintes cognitives liées à la simultanée encourageraient une pratique
privilégiant l’intention du locuteur, son vouloir dire, au-delà de la forme linguistique du
discours de départ. Dans les faits, cela se concrétise par des changements de structures de
phrases et des libertés quant à l’agencement de l’information, des paraphrases, des synthèses
ou bien des explications supplémentaires. Gile décrit les situations où l’interprète est proche
de la saturation cognitive ainsi : « Il s’agit alors d’essayer de ‘sauver’ le maximum de ce qui
peut l’être dans une optique de ‘gestion de crise’. » (p.121)
Gile recense une vingtaine de tactiques qui peuvent être utilisées indépendamment ou
successivement pour répondre à un segment plus ou moins difficile du discours. Ces tactiques
sont appréciées par l’interprète en fonction de leur coût lors de la phase de production : coût
en temps et en capacité de traitement, coût en termes de perte d’information et enfin en termes
d’incidences de la tactique sur l’interprète. Gile considère que l’intérêt des choix des tactiques
des interprètes obéit à cinq lois fondamentales : la loi de maximisation du rendement
informationnel, la loi de l’impact maximum sur le discours, la loi du moindre effort, la loi
d’autoprotection et, enfin, la loi de recherche de la sécurité. Certaines de ces lois sont
inhérentes aux normes attendues de l’exercice et par conséquent doivent être intégrées par
l’interprète. D’autres en revanche correspondent à des comportements contraires à l’éthique et
à l’intérêt des parties en présence.
Nous avons mis en parallèle dans le tableau ci-dessous (figure 4) les tactiques des interprètes
en langues vocales avec leur faisabilité en LS et nous en concluons qu’elles sont, pour la
majorité, identiques dans les faits. Néanmoins, la modalité audio-vocale de l’interprétation en
langues vocales et son exécution en cabine loin des regards laisse une plus grande liberté à
86
l’interprète en langues vocales pour une consultation de glossaires, une prise de notes ou bien
pour échanger des informations avec son partenaire en cabine.
Si les tactiques sont pour la majorité identiques dans leur intention discursive (paraphraser,
emprunter, etc.), leur mise en place fera appel à une modalité différente en langue des signes.
C’est ici que la modalité visuelle entrera en jeu, puisque la langue des signes est par définition
une langue visuo-gestuelle. Nous analyserons plus avant la mise en parallèle des tactiques
entre les ILS et les ILV lorsque nous aborderons l’analyse cognitive des tactiques en
interprétation vers la LS (voir figure 23 page 292).
87
3.4.1. Les tactiques les plus fréquentes en interprétation en LS : la paraphrase,
l’utilisation pertinente de l’espace et la scénarisation
Ce sont des tactiques bien connues en interprétation. Lorsqu’un mot recherché en langue
d’arrivée n’est pas disponible chez l’interprète pour plusieurs raisons (oubli, surcharge
cognitive, manque de connaissances linguistiques spécifiques, vide lexical) ou bien
lorsqu’une phrase entière requiert une recontextualisation particulière dans le discours traduit.
Cette technique discursive au départ s’observe donc naturellement en interprétation. Elle est,
pour ce qui concerne la LSF, largement utilisée lorsque l’interprète doit prendre en charge des
concepts inédits. Le recours à cette technique discursive contribue à l’affirmation qu’il est
possible de tout dire en langue des signes puisqu’en situation dialogique, le temps pour
élaborer des paraphrases et périphrases ne manque pas.
Une étude en cours66 basée sur un corpus de cinq interprètes en LS ayant entre 10 et 20 ans
d’expérience toutes formations confondues, met en relief quelque chose de tout à fait
intéressant : l’habitude du recours systématique à la périphrase est tellement intégrée par les
interprètes qu’ils ne semblent pas conscients de l’approximation conceptuelle relevée par
l’étude lors de la mise en perspective de leurs productions signées avec le discours de départ.
Lors d’un visionnage de leur prestation pour un recueil de commentaires et en réponse aux
questions relatives à certains choix interprétatifs, les ILS mettent très simplement en avant
qu’ils ont fait une proposition67 de sens, un choix particulier68 devant un manque de
correspondance avéré. Ce n’est pas un aveu d’échec de la part des interprètes, mais bien le
résultat de l’intégration totale d’une norme fonctionnelle de la langue qui leur est imposée et
qui a pour conséquence parfois un décalage sémantique entre ce qui est dit par l’orateur et ce
que l’interprète peut dire en situation. L’utilisation du transcodage est également tout à fait
intéressante dans cette étude, puisqu’il est plus simplement utilisé très ponctuellement et pour
des segments très courts (deux à trois mots tout au plus) par les locuteurs natifs de la langue
des signes, ce qui ne semble pas être le cas pour les non-natifs. Il serait intéressant de se
66
S. Hirschi, ESIT, Université Paris 3. Corpus 8 en annexe.
67
En interprétation en LS, le mot « proposition » est employé pour désigner des solutions de traduction.
68
Voir les extraits d’interviews en annexe..
88
pencher sur l’appréciation de la notion de fidélité en interprétation en LS, car il semblerait
qu’il y ait une latitude tout à fait différente entre les langues vocales et les LS.
Depuis 1854 et les premières études de Valade sur la langue des signes (alors « langage
naturel des signes »), on sait que l’espace est une donnée primordiale dans l’organisation de la
langue. Ces travaux allaient à l’encontre d’un courant pédagogique qui préconisait l’approche
de la langue des signes envisagée comme un système d’alignement des signes méthodiques
issus de la méthode de l’abbé de l’Épée. Celle-ci visait à représenter en signes chaque mot de
la langue parlée. Dans son introduction, Valade69 dit du langage naturel des signes :
« il (le langage) a son génie, ses lois, ses formes, ses idiotismes, il vit de sa vie propre.
Dédaigneux de tous artifices, il ne relève que de la nature, ne s’inspire que d’elle et pour
éclairer la pensée n’a recours qu’à une ingénieuse disposition des termes : sa syntaxe est
toute sa grammaire. Il manque de précision et fait deviner plus qu’il ne dit ; mais par là
même, il excite et tient en éveil toutes les formes de l’intelligence ; et, si c’est un défaut, il
le rachète par la variété des formes et des couleurs, l’énergie de l’expression, la grâce et
l’originalité naïve des tours. » (1854 : IX)
S’il est possible de lui reprocher, avec un regard plus contemporain sur son travail, un manque
de précaution dans certaines affirmations et dans son analyse, probablement imputables au
contexte et à son engagement pour la défense du bilinguisme et du « langage naturel des
signes » dans les lieux d’éducation des jeunes sourds, nous ne pouvons que relever le
caractère précurseur des travaux de Valade. En effet, nous pouvons mettre en parallèle ce que
Valade propose déjà comme une « ingénieuse disposition des termes (dans l’espace) » avec
69
Rémi Valade (1854) : Essais sur la grammaire du langage naturel des signes à l’usage des instituteurs de
sourds muets, Paris.
89
les notions développées par Cuxac (2000) dans la théorie de l’iconicité pour « l’utilisation
pertinente de l’espace » notamment. Il pose également les prémices des notions de
« transfert » qui sont ici une « inspiration » de la nature et de la reproduction de celle-ci et des
évènements dans ce qui sera dénommé plus tard « espace de signation ».
Depuis le XIXe siècle, nous savons donc que la langue des signes par sa nature visuo-gestuelle
est une langue qui se créée dans l’espace et qui utilise ce même espace ingénieusement ou
pertinemment selon les époques, pour « donner à voir » ce que le locuteur cherche à
transmettre. Ces éléments peuvent être de différentes natures (signes standard, CNV70,
dactylologie, pointages, transferts, etc.) qui, assemblés les uns aux autres en respectant une
logique visuelle propre à la langue, créeront du sens tout autant qu’une chaîne sonore, si tant
est qu’elle soit logique et crée également du sens pour n’importe quel auditeur de langue
vocale.
« L’utilisation d’un diagramme virtuel permet non seulement au signeur de situer ses
énoncés dans le temps, mais aussi de les référer aux trois actants fondamentaux de la
communication en les déployant, le cas échéant, à l’intérieur d’un diagramme (première
définition : dispositions respectives des parties d’un ensemble) dont le lecteur n’aura
aucune peine à imaginer la distribution même s’il ne connait pas la langue des signes. »
L’utilisation pertinente de l’espace permet de mettre en place des entités dans l’espace de
signation et de créer ensuite des interactions entre ces espaces qui permettront au locuteur de
créer du sens. L’espace représente en LS en quelque sorte ce que la grammaire est au français.
Ce sera dans l’espace de signation que le temps sera introduit, que toutes formes de procédés
70
Communication non verbale
90
discursifs pourront prendre forme et que le discours en lui-même évoluera selon l’agencement
proposé par le locuteur. C’est ce que la littérature anglo-saxonne nomme « spatial mapping » :
« Spatial mapping is usually described as the use of space for locating referents in order
to create a “picture” of some physical, real world event (Baker and Cokely 1980; Klima
and Bellugi 1979). This is one type of spatial mapping and it is a very important feature in
ASL. However, it is only one form of the much larger feature of spatial mapping in ASL.
Spatial mapping includes not only the “drawing” of a picture, it also includes the space to
build relationships between abstract ideas, to compare entities, to add imagery and detail,
to describe both physical attributes such as color, size and shape as well as non-physical
attributes such as emotions, attitudes and beliefs, to show the passage of time, and to
contribute to the prosody of ASL. »71 (Winston, 1996)
Cette définition est intéressante, puisque Winston présente une vision ensembliste (contenant
et contenu) du cadre physique de l’espace de signation avec ce que permet cet espace en
termes de contenu dynamique générateur de sens. Nous rapprocherons cette définition et son
analyse de l’espace avec le courant français qui accorde de l’importance à une « utilisation
pertinente de l’espace », par la tactique de la scénarisation par exemple (concept qui intègre la
spatialisation avec les tactiques de transfert que nous présenterons et analyserons dans les
chapitres suivants), car elle est bien plus que la seule mise en images. L’apport de Winston est
intéressant également du point de vue traductologique, puisqu’il s’empare de la problématique
de la formation à l’interprétation parallèlement à l’analyse linguistique de cette tactique. Nous
reprenons la traduction française du concept de spatial mapping proposée par Courtin (2001)
qui parle de « spatialisation linguistique » en référence à Winston.
71
Notre traduction : « La spatialisation linguistique (cartographie spatiale) est généralement décrite comme
l’utilisation de l’espace pour le placement d’entités afin de créer l’"image" d’un événement physique, réel
(Baker et Cokely 1980; Klima et Bellugi, 1979). Il s’agit d’un type de spatialisation, et elle constitue une
caractéristique très importante de l’ASL. Cependant, il ne s’agit là que d’une forme de la cartographie spatiale en
ASL, qui va bien au-delà. Elle inclut en effet non seulement le «dessin» d'une image, mais également
[l’utilisation de] l’espace pour établir des relations entre des idées abstraites, pour y comparer des entités, ajouter
des images et des détails, pour décrire des attributs physiques comme la couleur, la taille et la forme et des
attributs immatériels tels que des émotions, des attitudes et des croyances, pour indiquer le passage du temps, et
pour contribuer à la prosodie en ASL. »
91
message they see in ASL or fail to produce a coherent message when interpreting into
ASL, our best advice is to “go out and socialize with deaf people.” Given enough time and
socialization this strategy may eventually succeed. However, it is important to remember
that the acquisition of spatial mapping occurs at advanced stages of language learning in
native signers; we cannot expect it to develop early on its own in interpreting students
who are second language learners of ASL. With an understanding of spatial mapping in
ASL, it is possible to encourage the development of both the perceptive and articulatory
skills necessary for spatial mapping while students are in the classroom. »72 (Winston,
1996)
Winston met en avant que la possibilité d’avoir recours à l’utilisation de l’espace de façon
idiomatique relève d’une compréhension et d’une connaissance de la langue qui apparaît chez
les signeurs natifs à un stade avancé de l’acquisition du langage. Elle remet en question les
pratiques pédagogiques qui demandent aux étudiants entendants d’utiliser l’espace de façon
identique aux signeurs natifs alors que, dans la plupart des cas, ces étudiants intègrent leur
programme de formation sans que la langue des signes soit suffisamment maîtrisée. Elle
souligne une confusion des genres entre les cours de perfectionnement linguistique et
l’apprentissage des méthodes de l’interprétation. Winston propose plusieurs exercices pour
intégrer cette problématique à la pédagogie de l’interprétation. Les conseils ensuite donnés
par Winston sont de l’ordre du « selective watching » (observation sélective) et du « selective
shadowing » (répétition décalée sélective) de corpus de locuteurs sourds pour les étudiants qui
ne seraient pas encore totalement familiers avec la spatialisation linguistique. Nous ne
jugerons pas de la pertinence de ces conseils en école d’interprétation, mais nous noterons
qu’il n’est jamais fait mention dans cette analyse de la différence entre exprimer sa pensée
directement en LS et interpréter un discours vers la LS. Cette étape fondamentale est absente
de son article à l’instar de beaucoup de travaux concernant l’interprétation en LS. L’article
72
Notre traduction : « Bien que dans l’enseignement de l’ASL et dans la formation des interprètes on se réfère
beaucoup aux classificateurs et à la prise de rôle (transfert), on sait peu de chose sur la très grande diversité des
fonctions prosodiques et référentielles que remplit la spatialisation linguistique. Lorsque les étudiants ne
maîtrisent pas ces caractéristiques propres à l’ASL, nous sommes désemparés, car nous savons que souvent, ils
ne comprennent pas le sens d’un discours en ASL ou n’arrivent pas à construire un discours cohérent lors de
l'interprétation vers l’ASL. Dans ce cas, nous ne trouvons rien de mieux à leur conseiller que d’aller fréquenter
des sourds. Dans la durée et avec une fréquentation assidue des sourds, cette stratégie est susceptible de réussir.
Pour autant, il n’est pas inutile de garder à l’esprit que l'acquisition de la spatialisation linguistique se produit à
un stade avancé de l'apprentissage de la langue chez les signants ayant la langue des signes pour langue
maternelle ; on ne peut donc pas s'attendre à voir se développer les mêmes compétences à un stade précoce de
l’apprentissage de l’interprétation chez des étudiants dont elle n’est qu’une langue seconde. Une meilleure
compréhension de la spatialisation linguistique permet de stimuler en classe le développement des aptitudes
perceptives et articulatoires nécessaires à sa maîtrise. »
92
n’étant pas une étude empirique, l’auteur n’est pas en mesure de nous donner plus
d’informations sur la pertinence des exercices conseillés. Il est cependant suffisamment rare
pour le souligner ici qu’un auteur tente de comprendre les difficultés des apprenants en LS
d’un point de vue linguistique et fasse le rapprochement avec les difficultés rencontrées dans
les écoles d’interprétation. Il est en effet généralement conseillé aux étudiants de fréquenter
des sourds pour maîtriser la langue, puisque « le pays des sourds » n’existe pas et que peu de
matériel est disponible en LS (pas d’écrit, pas de corpus aussi aisément disponibles que pour
les langues vocales). Si la langue est mieux maîtrisée, certaines difficultés persistent, puisque
les sourds en situation dialogique ne corrigent pas systématiquement les entendants qui
s’adressent à eux, ce qui est parfaitement compréhensible puisque, dans ce genre de contexte,
l’intention de communication prime sur la forme. De plus, les sourds régulièrement
confrontés à ces maladresses sont habitués à suppléer mentalement face à un énoncé
incomplet. Nous verrons dans la partie sur les contraintes d’espace comment la notion
d’espace est transposable à l’interprétation en LS et quelles en sont les modalités.
3.4.1.3. La scénarisation
La scénarisation est une des tactiques principalement observées en interprétation en LS. Elle
permet à l’interprète de représenter dans l’espace de signation une partie du discours qui peut
comporter un seul mot ou plusieurs segments consécutifs, en ne suivant pas les éléments de
l’énoncé mot à mot mais en cherchant à représenter visuellement le contenu du discours. Sa
mise en place requiert une conceptualisation rapide du terme ou du discours par l’interprète
pour mettre en scène dans son espace de signation toutes les interactions possibles aboutissant
93
au sens du discours voulu par l’orateur. Pour Séro-Guillaume, ce procédé doit respecter la
portée générale de l’information. Les saynètes élaborées dans le cadre de la scénarisation sont
selon lui intéressantes pour les « schèmes73 » qu’elles illustrent et non pas pour ce qu’elles
peuvent donner à voir. Il n’oppose pas la langue des signes au français au regard de ses
particularités discursives, mais considère que le rapport implicite-explicite s’inverse lorsqu’on
passe d’une langue à l’autre.
(…) comme l’indique Bernard Pottier : « L’unité minimale de pensée [est] (...)
l’événement (...). »74 Événement qui se décompose en entités (les gendarmes et les
voleurs) et comportements (l’arrestation). Bernard Pottier donne de cet événement deux
représentations. La première appelée schème analytique se présente sous la forme d’un
diagramme qui représente visuellement les traits essentiels du déroulement de
l’événement. La seconde dite schème conceptuel est l’écriture linéaire, en quelque sorte
l’équation, du schème analytique. »
Il met ensuite en relation l’approche de Pottier avec la théorie du sens de l’ESIT en précisant :
Au-delà du détail de l’analyse, il est significatif de noter que Bernard Pottier, lorsqu’il
indique : « Ces schèmes sont déliés d’une langue naturelle particulière. Ils appartiennent
73
Ibid., p. 119. Séro Guillaume cite Jean Burgos en référence : (il) met en relation les schèmes qu’il conçoit
comme des représentations héritées par filiations des schèmes moteurs avec la conceptualisation événementielle
dite théorie des catastrophes proposée par René Thom. Ces catastrophes manifestent les actants par le biais des
relations dynamiques qui les relient. Et nous rejoignons ici B. Pottier.
74
Bernard Pottier, 1987, Théorie et analyse en linguistique, Hachette, p. 163.
94
au niveau conceptuel, celui par exemple où travaille le traducteur »75, se trouve
pleinement en accord avec la théorie du sens développée par Danica Seleskovitch et
Marianne Lederer à propos du processus de l’interprétation (…) »
Ph. Séro-Guillaume est l’un des seuls auteurs à s’inscrire dans le débat traductologique en
faisant état des réalités de l’interprétation et en cherchant à élaborer des tactiques. Ainsi il a
proposé la tactique de la scénarisation en rapport à un fait observé (le vide lexical que l’auteur
nomme dans ses séminaires prise en charge de domaines inédits et dont un aspect est
mentionné ici lorsqu’il fait référence au lexique moins étendu). Sans aucune obligation de
visualisation mentale au sens propre, Séro-Guillaume pose simplement une question : qui fait
quoi (dans le discours) ? Selon l’auteur, cette approche faciliterait la mise en espace,
puisqu’elle permet de poser les entités du discours dans l’espace de signation (lorsqu’elles
sont décelables par l’interprète) et respecte les paramètres de la langue puisque de fait, ces
entités entreront en interaction, évolueront dans l’espace et créeront du sens. Même si nous
émettons quelques désaccords avec certains points dans sa démonstration (il est, selon nous
possible d’exprimer le concept de « recherche » de façon générale sans obligatoirement passer
par des chercheurs, les actants ne sont pas obligatoirement des individus de chair, et « que fait
quoi ? » est également possible), il est le seul auteur à considérer la déverbalisation pour ce
qu’elle est : un phénomène observé par la TIT mais qui n’a de valeur que dans un procédé
global (ici la scénarisation), et non une fin en soi comme nous le verrons par la suite. La
scénarisation est à notre connaissance la seule tactique traductologique référencée permettant
d’expliquer un procédé général.
Nous étudierons plus avant cette tactique et ses limites dans le chapitre sur l’analyse cognitive
des tactiques (chapitre 5).
75
Ibid., p. 107.
95
exposé plus haut les observations faites par Mottez et Markowicz (p. 32) concernant la langue
des signes française qui devait se garder de suivre l’exemple de l’ASL ou d’autres langues
signées trop proches de la structure de la langue vocale majoritaire. Ce faisant, la
communauté signante française a totalement intégré la théorie de l’iconicité largement
défendue par les travaux du linguiste C. Cuxac (2000). Dans cette continuité où une norme
linguistique est instituée, une interprétation considérée comme acceptable devra dans la
mesure du possible éviter toute trace de la langue majoritaire. Contrairement à l’ASL (où nous
avons vu que des certificats de translitération étaient en vigueur jusqu’à une période récente),
ou bien encore à l’Auslan (qui est représentative des problématiques concernant le manque de
formation des ILS en interprétation), les normes en interprétation en LSF considèrent que le
français signé, par exemple, est une forme de translittération outrancière et n’a pas de place de
par sa forme dans la production, puisqu’il ne respecte pas la structure formelle de la langue
des signes. Cette norme est partagée par l’ensemble des formations universitaires françaises
en interprétation en LSF. Nous aborderons ce point plus en détail dans la partie consacrée au
vide lexical.
La déverbalisation et l’image mentale sont deux notions intimement liées dans la littérature de
façon générale et particulièrement en interprétation en langue des signes. Comme noté par
Bernard et al (2007), l’ensemble des interprètes français se revendique de la théorie
interprétative bien plus que d’autres courants traductologiques existants. La TIT a également
trouvé un accueil très favorable en interprétation en ASL suite à la participation de
D. Seleskovitch à la conférence du RID en 1991 (Moody, 2011:41).
96
Il nous semble cependant que seuls deux concepts « pratiques » de la TIT ont été repris et
intégrés dans la littérature générale en LS indépendamment de leur contexte théorique
traductologique. Nous analyserons l’assimilation de ces deux concepts dans la littérature
générale française et internationale, qui est tout à fait intéressante dans la mesure où elle
fournit des éléments permettant de mieux comprendre les tactiques interprétatives préconisées
et l’ancrage théorique dans lequel cette littérature se situe.
La déverbalisation est liée à ce que Seleskovitch et Lederer nomment le « caractère non verbal
du sens » (2002 : 257)
« La chaîne sonore est le seul élément matériel qui passe d’un locuteur à un auditeur.
On en connait la fugacité. La compréhension des idées, unités de sens par unités de
sens, s’accompagne inéluctablement de l’évanescence des formes verbales. La prise
de conscience d’un sens, d’une idée, d’un ensemble cognitif (peu importe le nom
qu’on donne du moment que l’on comprend qu’il s’agit de la pensée au-delà du
sémantisme verbal) fait s’évanouir les mots qui l’ont apporté. Le déclic de la
97
compréhension d’un sens est en même temps le signal de la disparition des formes
verbales. » (2002 : 258-259)
Nous noterons dans leur démonstration qu’il est fait mention « d’exception à la
déverbalisation » pour expliquer le recours aux correspondances lexicales et au transcodage:
La notion de déverbalisation a été très souvent citée en interprétation en langue des signes en
général et a été avancée comme argument par les pionniers, en France et à l’étranger, pour
insister sur l’idée que le processus ne différait pas de l’interprétation entre langues vocales,
puisque l’essentiel de l’attention est portée sur l’image mentale et la restitution du sens. Le
sens du discours est ici valorisé au détriment du lexique puisqu’il est dit que les techniques
d’expression en LSF permettent par des procédés iconiques de ne pas se référer
automatiquement aux signes standard. Cette posture semble satisfaire la TIT lorsqu’elle est
uniquement envisagée en tant que théorie rejetant les correspondances translinguistiques. Or,
il nous semble que la TIT est plus subtile et nuancée sur ce sujet, puisqu’elle indique que le
traducteur « garde toute latitude : correspondances « a posteriori » s’il l’estime possible,
équivalences s’il les juge nécessaires ou s’il les préfère. » (Lederer, 2006 :65).
98
De nombreux poncifs tels que « interpréter mot à mot n’est pas satisfaisant » précèdent le
recours aux citations de Seleskovitch ou Lederer et s’arrêtent souvent là. Dans cette
littérature, toutes les formes de discours (descriptif, narratif, argumentatif, conceptuel, etc.)
sont assimilées sans distinction. La fonction de la traduction y est par ailleurs absente. En
référence à la TIT, le français signé est assimilé au transcodage et sera exclu des bonnes
pratiques à suivre. S’étant rapidement aperçu d’un rapprochement possible entre la
déverbalisation et la modalité visuelle de la langue des signes, les interprètes en LS se sont
très vite approprié la TIT, plus connue dans la littérature en LS comme la théorie du sens.
« Je voudrais émettre l’hypothèse que l’étude de tels exemples pourrait nous renseigner
sur le travail qui s’effectue dans le cerveau et sur la manière dont s’effectue ce que la
Théorie du Sens a toujours appelé de manière un peu abusive « déverbalisation » et ce
que nous considérons comme une étape essentielle de la traduction réussie. Cette
déverbalisation n’est sans doute que partielle, mais suffisante en tous cas pour affirmer
que la traduction n’est pas linguistique. »
Nous noterons ici que la notion de déverbalisation est relativisée dans la mesure où les
ESITiens eux-mêmes considèrent que cet oubli n’est pas total, et qu’il est désormais
concomitant à la compréhension, et non plus postérieur comme il était d’usage de le penser.
Nous considérons par ailleurs que la déverbalisation est un outil conceptuel de choix pour ce
qui concerne la pédagogie de l’interprétation.
76
L’interprète, nocher des temps modernes in Identité, altérité, équivalence ? La traduction comme relation,
Paris, Lettres modernes Minard, 2002.
99
Dans les faits, l’interprétation en LS s’est intégrée à une réflexion et à une analyse des
possibilités qu’offrent les langues de grande diffusion dans leurs rapports les unes aux autres.
De ces expériences ont émergé des pratiques qui ont été les bases de l’élaboration des théories
existantes de la traduction, se nourrissant souvent d’autres domaines de recherche tels que la
philosophie du langage, la psycholinguistique, la sociologie ou les sciences cognitives. En
somme, si de nombreuses études traductologiques relèvent des différences notables entre
certaines paires de langues, il s’avère qu’elles partagent un ancrage commun : elles s’émettent
par le canal audio-vocal, ont un écrit, une littérature, des glossaires, etc. La tentation de la
translittération ou du transcodage pour emprunter le vocabulaire de la TIT est grande pour qui
n’est pas formé à l’exercice de l’interprétation. La notion de déverbalisation apparait alors
prendre tout son sens pour tenter d’expliquer une partie du processus qui est difficilement
analysable mais qui a l’avantage de décrire clairement ce « saut » entre ce qui est compris en
langue de départ et la façon dont l’interprète aura à le faire comprendre par la suite.
Nous faisons référence ici à Jean-René Ladmiral qui se plaît à recourir abondamment à la
citation de Lederer « la rémanence têtue du texte original dont les formes veulent suivre à tout
prix… » pour expliquer le moment d’interphase entre le déjà-plus du texte source et le pas-
encore du texte cible. Ladmiral (2005 : 480) parle du salto mortale de la déverbalisation, du
no man’s langue :
« Pour ceux qui y ont recours, le terme de déverbalisation ne constitue pas un concept
auquel serait attachée la valeur d’une explication scientifique. Il n’est pas question en
l’occurrence de prétendre qu’on aurait ouvert la « boîte noire », dirai-je pour reprendre
un concept de la psychologie béhaviouriste qui, avec Skinner, a été introduit en
linguistique (black box), qu’on aurait « vu ce qu’il y a dedans » ! Qu’on saurait vraiment
ce qui s’y passe et qu’on serait en mesure de l’expliquer. Sur cet aspect de la question, on
ne peut dans l’état actuel de nos connaissances que continuer à faire une impasse
épistémologique dans l’esprit de ce qu’un Werner Heisenberg a appelé la connaissance
incomplète (Ladmiral 1971).» Ladmiral (2005 :480)
Entre langues vocales, l’interprète a le choix de ne pas utiliser telle correspondance lexicale
généralement existante pour lui préférer un autre terme ou une autre expression s’il considère
que ce choix servira mieux le vouloir dire de l’orateur. C’est là un des premiers
enseignements de la TIT.
100
En langue des signes, bien souvent l’interprète n’a pas ce choix. La taille du lexique de la LS
étant plus réduite que celui de la majorité des langues vocales, dès lors que le discours
s’éloigne des considérations générales et se spécialise, l’interprète doit choisir de faire
autrement. Cette considération peut paraître triviale, mais a longtemps été ignorée, et nous
supposons qu’elle pourrait avoir un impact sur la charge cognitive de l’interprète (voir au
chapitre 5 la partie consacrée à l’analyse des tactiques et à la scénarisation). Ainsi, nous allons
voir que dans une grande partie de la littérature française sur la langue des signes (hors TIT),
la déverbalisation s’entend au sens d’injonction de faire autrement (scénarisations,
périphrases, etc.) pour extraire le sens en le reformulant iconiquement (selon la littérature
linguistique) via une image mentale.
Nous observons une tendance d’une partie de la littérature française à utiliser la TIT de façon
partielle, en référence aux premiers écrits de la théorie du sens, ce qui confère de fait un
aspect incomplet, voire décidu, aux éléments généralement avancés. L’article de Guitteny
(2007) a retenu notre attention dans la mesure où il est représentatif des modifications
apportées aux concepts traductologiques lors de leur importation dans la littérature en LS,
lorsqu’ils sont traités hors de leur contexte théorique. Avec ce genre d’élargissements
conceptuels, nous assistons à une diffusion de certaines notions traductologiques sous une
forme altérée qui en viennent à perdre leur sens initial propre. Si l’auteur dans l’extrait suivant
traite du TAL, les références à l’interprétation en LS viennent régulièrement ponctuer son
raisonnement et ajouter de la confusion aux concepts traductologiques utilisés.
Nous remarquons en premier lieu que la déverbalisation est qualifiée de « travail » et a été
investie d’un sens beaucoup plus large que son concept initial. On le voit notamment en
analysant les deux extraits suivants:
101
« Pour faciliter ce travail de déverbalisation, il est possible de s’appuyer sur divers outils,
notamment ceux qui touchent à la représentation des connaissances. De nombreuses
recherches portent sur ce sujet (Engberg-Pedersen, 1993 ; Denis, 1989 ; Fortis, 1995) »
(Guitteny, 2007 : 204)
Le premier extrait suggère, sans entrer dans les détails, que des recherches ont eu lieu sur ce
lien entre cognition, représentation mentale et déverbalisation, alors qu’il s’agit d’une
inférence propre à l’auteur, puisque les travaux dont il est question n’ont pas de lien direct
avec ladite déverbalisation. Il est cependant intuitivement compréhensible de mettre en
relation la représentation des connaissances avec la déverbalisation de par leur proximité
conceptuelle liée à leur essence non verbale. Pour autant, rien dans les articles des auteurs
cités ne permet de faire une inférence sur les modalités particulières liées à l’interprétation ou
à la traduction.
102
préparation, la compréhension du sens lors de la phase d’écoute et d’analyse de l’original et le
phénomène de déverbalisation au sens de la TIT.
Sur la forme, cet exemple d’utilisation du terme de déverbalisation est très représentatif de la
façon dont il est utilisé dans la littérature générale en langue des signes française. Malgré les
références faites à Seleskovitch et Lederer, la déverbalisation prend un sens particulier qui
entre en totale contradiction avec son sens initial propre, puisqu’il est suggéré que
déverbaliser, c’est élaborer des schémas suffisamment signifiants pour être transposés dans un
espace de signation en LSF. Nous sommes loin de la notion d’ « oubli spontané » des formes
linguistiques que postule Seleskovitch. De plus, cette phase de schématisation, puisqu’elle
implique une conceptualisation, ne se conçoit pas sans verbe (c'est-à-dire des unités de sens,
lexicales ou spatiales) et fait déjà partie de la phase de production, puisqu’elle implique des
éléments signifiants. Nous noterons également que l’on sait désormais que les aires cérébrales
impliquées lors de la production et la réception de la langue des signes sont les mêmes que
celles affectées au langage. On sent pointer une confusion entre une visualisation du sens77
qui est souvent empruntée par la TIT lors de la phase de compréhension pour appréhender ce
fameux « décrochement » (que M. Lederer dans ses séminaires nomme aussi le premier pas
vers la conceptualisation) et une perception globale d’une image faisant sens en LS et prête à
être disposée dans l’espace de signation, c'est-à-dire déjà passée au stade du langage, donc
faisant partie de la phase de production.
La préparation est un sujet très vaste en traductologie. De nombreux travaux sont consacrés
aux différentes méthodes de préparation (linguistiques et extralinguistiques) et à leurs
implications quant à la réussite de l’interprétation et/ou de la traduction (voir Gile 2009-a,
chapitre 9 par exemple, concernant le modèle gravitationnel de la disponibilité linguistique
dont la distribution est présentée en un système dynamique). C’est pourquoi les interprètes
mobilisent leurs connaissances et les réactivent par le travail de préparation de façon à
optimiser leur disponibilité en situation d’interprétation. Cette étape préparatoire ne saurait
être considérée comme étant une phase de la déverbalisation.
77
Lederer mentionne une phase de visualisation dans un cadre précis de traduction d’un texte littéraire où elle
mentionne « le traducteur n’a pas traité chaque mot l’un après l’autre ; il n’a pas écrit : « les cravates étaient
tirées vers le bas (…) ». Il a vu l’unité de sens, ici l’image ; il la décrit telle qu’il la voit : les cravates défaites,
les cols ouverts. Son imaginaire s’est ajouté au sémantisme des mots et l’image est exprimée de façon telle que
le lecteur français la voit aussi. » (2006 ; p 45) Nous rappelons que nous avons là un texte extrêmement
descriptif, et que nous sommes dans un contexte de traduction.
103
Pour revenir à ce qui nous motive ici, la déverbalisation étant désormais entendue comme une
sorte de schématisation du sens du discours prête à être transposée dans l’espace de signation,
il n’est pas surprenant de lire dans la littérature linguistique en LS au sujet de l’interprétation :
« Et que fait l'interprète ? Après avoir compris les propos du locuteur, il doit les
transposer dans la langue cible. Dans une langue qui s'appuie sur l'iconicité, certes, mais
l'iconicité c'est le fondement des structures, ce n'est pas un but recherché. Alors, si on
considère que pour interpréter en LS il suffit de reproduire gestuellement les schémas de
déverbalisation, on oublie que la LSF est une langue ! » (Riesler, 2009)78.
Si l’ensemble de la communication est une mise au point de l’auteure sur des notions
linguistiques à l’intention des interprètes en LS, il est de bonne guerre de relever la façon dont
la notion de déverbalisation est utilisée et reprise par les linguistes et une bonne partie des
ILS non initiés à la TIT. La déverbalisation devient quasi-officiellement une phase génératrice
de schémas de déverbalisation et transformée en une sorte de carte conceptuelle prête à
l’emploi. Nous sommes ici très loin de sa définition initiale, qui, rappelons-le, a d’ailleurs
évolué au sein même de l’École de Paris.
78
Riesler, A. Traduction linguistique de l’iconicité en interprétation, Paris, 2009. Disponible sur le site :
http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00742900
104
l’interprétation, ni même perfectible puisque l’auteure propose le concept de « l’écoute
active » lorsque les textes ne s’y prêtent pas.
Dans l’ouvrage à portée didactique de Bernard et coll. (2007 : 86), l’image mentale est la
quatrième des six étapes de leur présentation du mécanisme de l’interprétation librement
adapté du modèle d’Efforts de la simultanée de Gile et ainsi définie : « étape numéro 4 :
visualiser les images mentales, ébaucher une première interprétation mentale ». Ici encore,
un rapprochement trop rapide est fait entre la visualisation d’une image mentale précise avec
la phase de production en LS. Pour autant, nous retiendrons dans cette présentation l’idée de
visualisation que nous retrouvons dans de nombreux travaux à portée didactique sur
l’interprétation en LS. Nous tenterons dans le chapitre consacré à la scénarisation d’analyser
plus avant cette notion de visualisation telle qu’elle se présente en interprétation en LS pour
essayer d’en dégager des premiers éléments qui nous permettraient une meilleure
compréhension du phénomène en interprétation simultanée.
105
locuteurs : « la construction d’espaces représente une manière de parler ou de réfléchir
mais ne dit rien en soi sur les objets de cette réflexion » (1984 :194). La notion
d’ « espace » permet de distinguer les structures linguistiques sur lesquelles reposent ces
espaces – mais à partir desquelles ils sont construits – des représentations proprement
dites. Elle permet également un type de formalisation ensembliste. »
La description des espaces possibles faite par Fauconnier rend difficile toute comparaison
structurelle avec les possibilités que peut offrir la LS, puisque ces espaces entretiennent des
relations complexes, dynamiques et évolutives79. Selon Fauconnier et Turner, ces espaces sont
« vides » et ne contiennent aucune image mentale ou contenu propre. « L’intérêt de cette
approche est justement la construction même de ces espaces, les relations complexes qu’ils
entretiennent, leur structuration, ou bien encore leur fusion. » (Col, 2010 : 16). Le
cheminement propre à chacun, la complexité des constructions neuronales et des références
visuelles ou sensorielles qui viennent en tête à l’écoute d’un discours sont particulièrement
difficiles à analyser et relèveraient de l’expertise des sciences cognitives.
Arnheim, très cité également pour ce qui concerne les LS, se positionne en partisan de
l’existence de langages non verbaux (musique, peinture, etc.) et plaide en faveur de la pensée
visuelle. Ses travaux explorent entre autres la complexité cognitive des liens entre la
perception, la mémoire visuelle, la représentation et l’abstraction (1976, chapitres 2 et 3). Il
met en avant les divergences théoriques pour ce qui concerne l’existence ou non d’une pensée
consciente et visuelle, et rapporte des expériences prouvant l’importance de plusieurs
catégories de visualisation associées au raisonnement. Selon lui, les images mentales se
présentent généralement par « flashs », par bribes, et représenteraient pour la plupart une
partie dissociée d’une image mémorielle d’une expérience vécue. Elles sont généralement
fixes, mais peuvent être vivantes sous certaines stimulations neuronales (activation d’une
partie du cerveau par stimuli rendant possible la re-visualisation totale d’un souvenir enfoui).
Certes, la pluri-dimensionnalité et la liberté totale d’agencement et de superposition entre
certaines images et des sensations associées rend totalement possible une abstraction
conceptuelle visuelle, mais rien ne semble indiquer dans les travaux d’Arnheim un
rapprochement possible entre la pensée visuelle telle qu’il la présente avec une scène
cohérente prête à être disposée dans l’espace de signation. Nous noterons également un
79
La LSF aussi entretient des relations dynamiques et évolutives. Mais autrement dynamiques dans le sens où
elles sont cohérentes dans leurs relations et permettent ainsi de faire sens.
106
facteur important dans ces travaux : celui du temps. Une grande partie des travaux dont il est
fait référence sont issues d’expériences laissant le temps aux interrogés de répondre et de se
concentrer sur la perception de leur visualisation mentale. D’autres travaux sont également
issus de moments propices à la visualisation entre assoupissement et relaxation. Nous sommes
donc encore une fois loin de la situation de l’interprète de simultanée, et notamment de la
pression cognitive qu’il subit.
Fortis (1994 ; 2004) retrace de façon très didactique l’ensemble des principales théories
concernant les représentations mentales, et nous permet de mieux comprendre la complexité
théorique et épistémologique de chacune des postures scientifiques.
Plusieurs écoles de pensées s’affrontent non pas sur l’existence de l’image mentale, qui est un
fait qui a été traité en philosophie depuis l’antiquité et en psychologie aujourd’hui, mais bien
sur l’isomorphisme entre l’image mentale et la réalité et la manière dont les informations
véhiculées par l’image (et dont on suppose qu’elles sont extraites) découlent des propriétés
perceptives de l’image (Fortis, 1994). Kosslyn, un des auteurs majeurs en la matière, parle
effectivement de tampon visuel (visual buffer) qui serait un système qui stimulerait
fonctionnellement un espace visuel dédié. Pour autant, il précise qu’il est impossible de
déduire, de par la nature spatiale des informations, qu’il y a un écran dans le cerveau. C’est
pourtant en référence à Kosslyn que les interprètes en LS en général font souvent le lien entre
écran et espace de signation81. Or, Kosslyn sous-entend que la façon dont l’image représente
l’espace peut être très abstraite et n’a probablement pas de caractère analogique (Fortis
2004).
80
Nous précisons qu’il ne faut pas comprendre ici « interprétable » au sens traductologique.
81
Lien que nous avons remarqué dans la littérature en ASL ou en LSF
107
« De plus, une multitude d'images peuvent être informationnellement équivalentes ou
exploitées de la même manière par l'appareil cognitif. L'information commune doit être
« extraite » de l'image et non lue simplement sur chaque image puisque la multiplicité
indéfinie des images correspondant à une signification particulière et le caractère non
systématique ou productif de cette multiplicité interdisent que chacune soit liée à une
signification particulière. Il s'ensuit, selon Pylyshyn, que l'image est composée de parties
et d'attributs déjà interprétés et que l'image ne peut être le support de la signification. En
effet, le fait que l'image est engendrée ou rappelée par parties signifiantes ou attributs
univoques prouve qu'elle n'est pas un tableau perceptif, dont la dégradation aurait par
exemple pour effet de conserver tous les détails de la scène originale mais avec une
précision moindre. Et la synonymie d'images distinctes montre que l'information exploitée
ne correspond pas forcément à celle qui est présente dans l'image. » (Fortis, 2004 :12)
La pensée visuelle et l’image mentale sont des concepts complexes, et notre étude n’a pas la
prétention d’affirmer ou de revendiquer une appartenance cognitiviste particulière. Nous
attirons seulement l’attention sur l’utilisation de ces concepts dans la littérature en LS,
impliquant de fait un processus pédagogique : visualiser en simultanée des images mentales
véhiculées par le discours n’est pas une entreprise aisée et n’a pas de caractère automatique.
De plus, les images que nous parvenons à visualiser telles que les recherches cognitivistes les
présentent sont-elles réellement une ébauche d’un espace de signation ? Leur nature n’est-elle
pas simplement liée à l’étape du processus de compréhension, qui est lui-même relatif à
chacun d’entre nous ? Rien ne nous permet à l’heure actuelle de pouvoir répondre à
l’ensemble de ces questions. C’est pourtant une notion largement véhiculée lorsqu’il est fait
mention de « schémas de déverbalisation », de « visualisation d’une image mentale du
discours » ou de « représentation mentale » en interprétation en LS.
Nous pondèrerons cependant notre raisonnement en référence à une citation qui a retenu toute
notre attention :
« Il n’est plus possible de conclure à l’inexistence d’un fait mental du simple fait qu’on
l’on n’en trouve pas trace dans la conscience. Indépendamment des mécanismes assez
particuliers de refoulement décrits en psychanalyse, de nombreux processus – la plupart
d’entre eux sans doute – interviennent, on le sait maintenant, en dessous du niveau
conscient. » (Arnheim, 1976 : 109).
108
Dans l’attente de travaux plus poussés sur le lien entre pensée visuelle, représentation mentale
et interprétation simultanée en LS, nous ne saurons que préconiser une certaine prudence
quant à l’emploi de ces concepts.
En France et jusqu’à une période récente, aucune expérience rigoureuse permettant une
analyse de la langue des signes de l’interprète n’a jamais été publiée. Aucune réplication
d’expérience ni d’étude de cas n’ont été menées pour un début d’examen de la situation
d’interprétation en LS. Cette carence scientifique peut s’expliquer par le manque de temps des
interprètes et leur manque de formation dans le domaine de la recherche en traductologie.
Nous supposons aussi qu’une forme de réserve a surement joué un rôle non négligeable dans
cette situation de la part de la communauté des ILS vis-à-vis de tout ce qui pourrait à leurs
yeux fragiliser certaines normes professionnelles récemment établies. À l’heure actuelle, il
apparaîtrait que l’attitude généralement observée n’encourage toujours pas une analyse de la
langue des signes de l’interprète et des difficultés techniques rencontrées. Il semblerait que
cette nouvelle approche qui prendrait en compte la LS de l’interprète déconcerte quelque peu
la communauté signante qui, dans un contexte historiquement conflictuel, redoute que la mise
en exergue des difficultés rencontrées par l’ILS aboutisse indirectement à une remise en cause
de la légitimité de la LSF en tant que langue vernaculaire et de scolarisation. Nous ne
disserterons pas sur l’intérêt d’une démarche de recherche ici, mais nous soulignerons juste
les effets d’une telle attitude qui va jusqu’au déni collectif de ces difficultés, laissant
l’interprète seul face à certains obstacles techniques ou éthiques non encore analysés de façon
objective.
Nous émettons l’hypothèse que la déverbalisation a trouvé un écho pour d’autres raisons que
celles initialement pensées par son auteur lors de son élaboration. Dans les faits, il semblerait
que la déverbalisation ait été comprise surtout pour son rapport à la non-verbalisation, à la
visualisation du sens et de l’image mentale supposées induites par le discours qui ont très vite
été assimilées à la scène qui sera ensuite proposée par l’interprète dans son espace de
signation comme nous venons de le voir. Enfin, la TIT a suscité l’intérêt pour son engagement
à revendiquer la « non-nécessité » de recours aux correspondances lexicales pour signifier le
vouloir dire d’un orateur, ce qui, dans un contexte d’inégalité lexicale contestée, est une
posture théorique particulièrement bienvenue. La déverbalisation a depuis été citée et reprise
hors de son cadre de la TIT pour appuyer certaines considérations linguistiques et s’est vue au
fil du temps revêtir un sens beaucoup plus large que son sens initial en devenant entre autres
une injonction de faire autrement. Cette compréhension de la déverbalisation a été une
branche de l’enseignement général en France. Cela a contraint les ILS à faire face au vide
lexical82 avec pour seul outil la nécessaire aptitude à « savoir déverbaliser », à entamer un
« travail de déverbalisation », sous-entendu à « voir des images ».
Au fil du temps, des normes en interprétation en LSF sont apparues et ont été hissées au rang
de postulats théoriques sans avoir été validées ou invalidées par un processus empirique. Ces
normes s’appliquent au positionnement de l’ILS, au « mécanisme » de l’interprétation en LS
et à la pédagogie de son enseignement. Nous l’avons vu, des notions telles que la
déverbalisation sont apparues et ont été envisagées en dehors de l’ensemble de la littérature
traductologique générale. De ces postulats théoriques ont émergé plusieurs concepts comme
le schéma de déverbalisation et la visualisation d’image mentale qui sont considérés à l’heure
actuelle comme des étapes avérées du processus de l’interprétation et enseignées comme
telles.
82
Nous étudierons plus avant le vide lexical dans la deuxième partie de notre travail. Nous qualifions de vide
lexical une situation (en traduction ou en interprétation) où une unité lexicale en langue de départ n’a pas
d’équivalent usuel ou standard en langue d’arrivée. Des tactiques comme la paraphrase, la périphrase ou la
scénarisation (nous l’expliquerons également plus en détail dans la suite de notre travail) sont habituellement
utilisées pour pallier le manque de correspondance en situation d’interprétation.
110
Enfin, de nombreux raccourcis conceptuels sont courants dans la littérature scientifique sur la
LS où certains auteurs ne font que résumer des notions traductologiques parfois complexes
elles même déjà résumées, sans référence aux auteurs ni aux contextes théoriques, tout en
s’appropriant leurs conclusions. Nombreux également sont les détournements de citations
glanées dans la littérature traductologique et réutilisées sans avoir au préalable pris
connaissance du texte initial, et où les pensées des auteurs originaux sont largement
malmenées. Cette forme de procédé est régulièrement observée et aboutit souvent à une
simplification conceptuelle des problématiques traductologiques.
111
Chapitre 4 – Les contraintes en interprétation en LS
Nous analyserons la façon dont peuvent interagir l’ensemble des éléments qui relèvent du
domaine social ainsi que ceux relevant de la situation économique des ILS pour tenter de
comprendre leurs répercussions sur le quotidien des interprètes.
Les premiers interprètes exerçaient essentiellement au sein d’instituts pour jeunes sourds,
dans le secteur de l’animation ainsi que dans le seul service d’interprètes créé à cette époque
par l’association organisant les formations d’interprètes (SERAC). La profession étant à
l’époque fortement inscrite dans le secteur social (nous avons vu en introduction que l’IRTS,
l’Institut Régional du Travail Social, envisageait de mettre en place une formation à
112
l’interprétation en LS), la plupart des salaires des interprètes étaient indexés sur la grille des
éducateurs spécialisés ou sur celle des enseignants spécialisés. Les premières grilles de
salaires mentionnant spécifiquement la profession d’interprète en langue des signes relèvent
donc naturellement des conventions collectives appliquées dans ces instituts et sont celles
dites CCN66 (établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées) ou la
CCN88 (organismes de formation) voire la CCN51 (établissements privés d’hospitalisation,
de cure et de garde à but non lucratif). Nous précisons ici que ces grilles sont encore en
vigueur à l’heure actuelle83. Sur la CCN66 par exemple, qui est la grille la plus courante chez
les ILS, les interprètes sont indexés sur la même grille indiciaire que les transcripteurs de
braille, les moniteurs de classe ou bien les éducateurs de jeunes enfants spécialisés84. Nous ne
voulons pas méjuger de la qualification requise pour ces emplois, mais voulons simplement
souligner que la particularité liée à l’expertise et à la charge cognitive de l’interprétation est
envisagée de la même façon que celle d’un éducateur de jeunes enfants. Nous noterons que,
pour la majorité des professionnels du secteur social, l’interprétation en langue des signes est
considérée comme n’importe quel autre emploi pouvant se pratiquer 35 heures par semaine.
L’interprète en langue des signes, comme l’éducateur de jeunes enfants, est donc dans ces
structures soumis à une exigence de productivité allant jusqu’au taux maximum autorisé par le
droit du travail. Les temps de préparation ne sont pas fixés par ces conventions et sont
généralement à négocier directement auprès de la structure employeur. Cette notion
de productivité ou de rentabilité horaire est par ailleurs très mal vécue par les interprètes qui
dénoncent une fatigue et un stress dus à des conditions de travail qui ne tiennent pas compte
de la charge cognitive inhérente à l’exercice.
Pour mieux comprendre ce point, il est intéressant de s’arrêter un instant sur un terme
largement utilisé pour désigner une situation d’interprétation dans ces structures : celui de
« face à face » emprunté au « face à face pédagogique », qui est un terme utilisé pour qualifier
le temps de présence des enseignants face à des apprenants. Cette dénomination face à face
comprend, nous l’avons dit, un temps de présence face à un public ainsi qu’un un temps de
préparation, voire de déplacement. Lors de ce temps de face à face, le professionnel prend en
charge le public concerné (cours, activité, soins, etc.) et ce temps est fonction de la charge
physique et cognitive impliquée dans la spécificité de ses interventions. Or, aucune évaluation
83
Il y a plus exactement deux grilles de référence sur la CCN66 : une pour les ILS diplômés et un autre pour les
non diplômés.
84
http://www.legifrance.gouv.fr
113
de la charge cognitive impliquée n’a été prise en compte dans l’élaboration des conditions de
travail pour ce qui concerne l’interprétation en langue des signes. Pour preuve, les ILS sont
considérés comme ayant une charge de travail équivalente à un transcripteur de braille. Or,
l’interprète n’est pas simplement en face à face, il doit permettre à ce « face à face » de
s’établir, de se maintenir et d’aboutir : son attention est mobilisée à chaque seconde, à chaque
instant, tout au long de son intervention. Cette remarque nous parait importante dans la
mesure où elle met en lumière le manque de compréhension de l’activité des ILS par
l’entourage professionnel : son implication et la charge cognitive de ses interventions tendent
à être minimisées et les interprètes se voient soumis à une forme de rentabilité horaire. Nous
risquons une métaphore en grossissant un peu le trait dans l’exemple qui va suivre (nous
traiterons de façon plus approfondie cette question au chapitre 5), mais l’interprète a en réalité
une charge cognitive que nous pourrions représenter comme la somme des charges cognitives
des deux personnes en présence lors de ce fameux face à face (Efforts de Production et de
Réception), en y ajoutant le travail requis pour la mémorisation et la coordination de
l’exercice, en référence au ME de la simultanée de Gile. Nous ajouterons que les directions de
ces établissements qui coordonnent plusieurs corps de métier ne sont généralement pas
sensibilisées à l’interprétation en tant que telle et il n’est pas rare que ces structures requièrent
une productivité qui dépasse largement les capacités physiques des interprètes. Les ILS sont
les seuls interprètes à avoir une charge de travail calculée sur une base hebdomadaire de 35
heures, ce qui n’est pas le cas entre langues vocales. Nous émettons l’hypothèse que nous
avons là une des raisons qui peut expliquer le fort taux de travail à « temps partiel » des
interprètes en LS, qui n’ont souvent que cette solution pour éviter un burn out dû à des
conditions de travail dépassant largement leurs capacités physiques sur le long terme. En
effet, une étude encadrée menée par F. Trichet et J. Bourgeois en 201285 met en avant que
seulement 35 % des ILS interrogés déclarent exercer « à temps complet », c'est-à-dire sur une
moyenne de 35 heures par semaine. Nous sommes donc très loin de la situation des interprètes
entre langues vocales qui sont autrement perçus par leurs donneurs d’ordres ou leurs clients.
85
Pour étayer notre propos, nous nous appuierons sur une enquête menée par des étudiants en master
d’interprétation portant sur l’analyse des profils socio-économiques des interprètes en LS en 2012 (F.Trichet et
J.Bourgeois : 2012). Leur travail nous paraît intéressant dans la mesure où leur enquête présente un échantillon
d’environ 11 % de la population des ILS (sur 30 questionnaires envoyés, le taux de réponse a été de 100 %, ce
qui peut laisser entrevoir l’importance du sujet pour les ILS). Selon leur étude, la population des ILS est à 72 %
féminine, 20 % des ILS diplômés interrogés ont moins de 30 ans, 38 % des ILS interrogés ont entre 30 et 39 ans,
21 % ont entre 40 et 49 ans, et enfin 21 % ont 50 ans et plus.
114
4.1.2. La rémunération
Toujours selon cette enquête, environ 34 % des ILS exercent en indépendant sous le nouveau
régime de l’auto-entrepreneur et la moitié des ILS interrogés ont le statut de salariés, chiffres
corroborant une autre enquête menée par l’AEIFLSF86. En nous intéressant à leur niveau de
salaire, il apparaît que l’académisation de la formation des ILS à un niveau 3 (bac + 4) n’a pas
entraîné de revalorisation salariale et ce point devient un sujet très sensible dans la profession.
L’étude de Trichet et Bourgeois met en avant que 89 % des ILS interrogés déclarent que leurs
revenus ne sont pas en adéquation avec leur niveau d’études. C’est également la réponse la
plus fréquemment donnée à la question « si vous aviez quelque chose à améliorer, qu’est-ce
que cela serait ? »87.
86
Association des Elèves Interprètes Français-Langue des Signes Française (novembre 2012) : enquête auprès
d’une trentaine de services d’interprètes et disponible sur leur site internet.
87
« À la question « si vous aviez quelque chose à améliorer, qu’est ce que cela serait ? », les ILS nous ont
répondu à 34 % le salaire, 26 % les conditions de travail, 23 % les relations entre les ILS et les sourds et enfin
17 % les relations entre les ILS.» (Trichet et Bourgeois, 2012 : 9)
88
Prestation compensatoire du handicap.
115
sourds elle permet de financer directement leurs besoins en communication). Certains services
d’interprètes ont perdu leurs subventions avec l’apparition de cette allocation, d’autres non.
Les « bénéficiaires » sont devenus des « clients » et il est évident que le secteur n’était pas
prêt à un tel changement. Ce choc culturel s’observe aussi du côté des personnes sourdes qui
se voient confrontées au coût effectif du travail de l’interprète. Pour preuve cet article paru
dans Le Parisien du 3 février 2012, où nous pouvons lire89 :
« ils (deux pères de famille sourds) racontent leurs difficultés de trouver un emploi
stable ou de trouver un médecin qui parle la langue des signes. Ils évoquent aussi les
interprètes qu’ils doivent payer des sommes colossales. Un sentiment d’injustice
ressenti d’autant plus fort que la commune refuse de payer les frais de cantine. »
89
« Nous sommes pris en otage », Jila Varoquier, Le Parisien, Édition Seine-et-Marne, le 03/02/2012.
90
Nous noterons que l’article ne fait pas mention de la PCH, qui est perçue par les sourds pour couvrir leurs frais
d’interprétation au quotidien.
116
Sans augmentation de salaire des conventions collectives nationales, et face aux conditions de
travail en vigueur dans les grandes structures, de nombreux interprètes créent donc leurs
propres services d’ILS, se regroupent en SCOP ou en association, et sont auto-entrepreneurs
(beaucoup d’ILS salariés à temps partiel ont une activité d’interprétation en parallèle sous ce
statut). Depuis plusieurs années, ces services fleurissent en province mais également en région
parisienne. Nombreux sont les ILS qui font ce choix, qui n’entraîne pas forcément une
augmentation de leur niveau de vie, mais qui leur permet de bénéficier de conditions de
travail respectueuses de leur réalité professionnelle. Les ILS ont ainsi beaucoup plus de
latitude pour mettre en place des équipes d’interprètes en adéquation avec les besoins en
interprétation. C’est en tous cas une remarque unanime des ILS travaillant dans ces services
interrogés par Trichet et Bourgeois.
En dehors des demandes personnelles qui sont désormais sous le système de la PCH, la
majorité des marchés « importants » d’interprétation suit un réseau complexe de demandes de
financements et de conventionnements entre les structures d’accueil et de financement (ceci
est surtout valable dans le milieu pédagogique et médical qui sont les secteurs les plus
demandeurs). Ces marchés sont de façon générale détenus par les institutions historiquement
présentes sur le territoire, ces mêmes structures que les ILS ont tendance à éviter eu égard à
leurs conditions de travail. Ces structures doivent pourtant maintenir leur activité et ont en
conséquence massivement recours à des interprètes non formés. Cette interchangeabilité entre
un professionnel formé et ou non est très révélatrice d’un manque de connaissance, voire
même de reconnaissance de la profession d’interprète en LS par les institutions.
Les tentatives de positionnement des ILS sur des appels d’offre publics d’heures
d’interprétation se soldent souvent par des échecs et on assiste à une situation paradoxale où
le marché global de l’interprétation est monopolisé par des structures qui ont recours à des
professionnels non formés à l’interprétation. Par un jeu de conventionnements, d’accords et
d’ententes historiques, une grande partie du marché de l’interprétation ne revient donc
quasiment jamais aux interprètes. C’est une des raisons pour laquelle un réseau national
coopératif d’interprètes en langue des signes s’est très récemment mis en place, avec pour
117
objectif de donner la possibilité aux interprètes professionnels de se positionner
collectivement sur ces heures d’interprétation. Ce collectif est sous le parrainage conjoint du
Ministère des Personnes Handicapées et de la Lutte contre l’Exclusion et de la Fédération
Nationale des Sourds de France.
Les ILS sont des interprètes « généralistes », en ce sens que la profession ne répartit pas son
activité par domaines de spécialité. La dénomination conférence versus liaison n’existe que
théoriquement puisque l’ILS est amené à exercer dans les deux situations. Les ILS ne sont pas
non plus répartis selon leurs domaines de compétences, mais ils peuvent s’arranger selon leurs
appétences personnelles. Le champ d’intervention des ILS est en conséquence extrêmement
large et varié : une visite de musée, une garde à vue, un enterrement, un rendez-vous avec des
artisans pour une pose de carrelage, une conférence, un entretien d’embauche, une réunion au
conseil général, la liste pourrait être encore très longue. En somme, chaque lieu susceptible
d’abriter une interaction entre plusieurs personnes est potentiellement un lieu d’intervention et
chaque ILS a généralement en réserve des anecdotes sur les lieux les plus singuliers dans
lesquels il a été amené à interpréter. L’ILS doit donc savoir cerner rapidement l’ensemble des
règles sociales attendues dans chaque situation pour pouvoir au mieux exercer son activité.
Les aptitudes sociales des ILS font ainsi pleinement partie des compétences personnelles
essentielles que les étudiants interprètes travailleront au cours de leur formation.
En somme, l’interprète en langue des signes est « omnipraticien », ce qui implique qu’il doit
être capable de tout faire, mais contrairement au médecin généraliste, il doit être en mesure
d’assurer si besoin est un suivi spécialisé.
4.1.5. Le relationnel
Il semble qu’il y ait une dynamique différente entre la situation des ILS en Île-de-France, qui
compte environ la moitié des ILS en activité, et la situation dans les autres régions de France
où parfois des départements entiers sont dénués d’ILS. Le nombre important d’interprètes et
118
de sourds en Île-de-France engendre des liens plus distants entre les deux communautés. Cette
distance est moindre en province dans la mesure où les ILS sont moins nombreux et
interviennent plus régulièrement au sein d’une plus petite communauté.
L’enquête de Trichet et Bourgeois (2012) met en avant un fait tout à fait intéressant qui est
relatif à la conscience des interprètes de faire partie d’une dynamique commune tout en
déplorant un manque de solidarité entre ILS, voire même entre les ILS et la communauté
sourde. Cette remarque est intéressante puisqu’elle fait écho à ce qui s’observe dans de
nombreux pays et qui a été mis en avant lors de conférences en ligne (Supporting Deaf People
Online Conference 2010) et que Turner souligne régulièrement dans ses travaux concernant la
situation au Royaume-Uni. Trichet et Bourgeois ont cherché à savoir si le militantisme
pouvait être une condition du bien-être des ILS dans l’exercice de leur profession. Il apparaît
que les ILS qui se sentent les plus épanouis dans leur pratique professionnelle sont ceux qui se
revendiquent majoritairement militants de la communauté des sourds. Quant à ceux qui
considèrent qu’être interprète est en soi un acte militant et qui considèrent que le militantisme
de terrain est secondaire, ils sont plus nombreux à ne pas se sentir épanouis
professionnellement. Trichet et Bourgeois ont mis en avant une question pertinente, celle du
degré de corrélation entre le militantisme affiché et le confort de travail en tant qu’interprète
en LS. Nous pouvons nous interroger sur la place du militantisme qui semble être un élément
constitutif de la culture socioprofessionnelle de l’ILS. Qu’implique réellement le
militantisme ? Est-ce une totale considération des revendications des sourds ? Une négation
inconsciente des besoins communicationnels des entendants ? Un parti-pris ? Si tel était le
cas, est-il compatible avec une attitude professionnelle telle que préconisée par l’éthique ?
Il serait intéressant de mener une étude sociologique sur le rôle et la place réelle de l’ILS, qui
ne présenterait plus une image idéalisée comme cela peut être souvent le cas. Quelle place a
vraiment l’ILS dans la communauté signante ? Y a-t-il une communauté des ILS ou bien fait-
elle partie de la communauté des sourds ? Quelle est la nature du lien entre les deux
communautés ? Peut-on instaurer une relation « commerciale » entre ces deux communautés ?
Qu’est-ce que les sourds représentent pour les ILS et qu’est-ce que les ILS représentent pour
les sourds ? Comment cette interdépendance est-elle amenée à évoluer ? Ces questions sont
autant de pistes de recherche qui apporteraient des clés de compréhension sur les réalités des
liens entre les deux communautés. Cela pourrait avoir un impact tout à fait intéressant dans le
119
processus de professionnalisation qu’ont entamé les ILS depuis l’académisation de leur
formation.
Plusieurs recherches étroitement liées aux problématiques déontologiques et éthiques font état
du burn-out prématuré des interprètes en LS (Turner, 2000-a,b ; Dean and Pollard, 2001,
Malcolm, 2010 : Hetherington, 2010 ; Haddon, 2010) qui doivent faire face aux nombreuses
demandes plus ou moins réalistes suivantes : linguistiques, paralinguistiques,
environnementales, personnelles, comportementales, etc. Turner (2000-a) est l’un des
premiers à mentionner le burn-out des ILS :
« one of the many reasons can be the unrealistic expectations that some Deaf people
have of them. (…) Many Deaf people know about their right to access, but do not see
there is a responsibility also to uphold the interpreter’s parallel right to self
expression. I suggest that the example gives, in a microcosm, a sense of a much
broader situation. It is a situation in which interpreters are liable to burn-out at least
partly because the responsibility to acknowledge their rights is not always
accepted.”91 (Turner, 2000-a: 27).
Dean et Pollard suggèrent que la profession bénéficierait d’une reconsidération de son cadre
éthique actuel dont la rigidité ne correspondrait pas aux réalités rencontrées par les ILS
suivant les lieux d’intervention. Ils proposent une réforme du code qui permettrait aux
interprètes une plus grande latitude décisionnelle face aux dilemmes quotidiens en
envisageant l’éthique autrement que comme un cadre rigide. L’EFSLI a également consacré
une journée d’étude en 2009 lors du colloque « Sound in Mind in Sound Hands » à la
préservation de la santé physique et psychique des ILS.
91
Traduction : « une des nombreuses raisons peut se trouver dans les attentes peu réalistes que certaines
personnes sourdes ont envers eux (les ILS). Beaucoup de sourds sont au fait de leur droit à l’accessibilité, mais
ne voient pas qu’ils ont également une responsabilité, celle de reconnaitre aux ILS leur propre droit de
s’exprimer. Il me semble que cet exemple au sein d’un microcosme est révélateur de ce qui se passe à une bien
plus grande échelle. Cette situation expose les interprètes à un burn-out attribuable au moins partiellement du fait
que la responsabilité de reconnaître leurs droits n’est pas toujours acceptée. »
120
Nous remarquerons que la parution en 2003 d’un article du Dr M. Harvey dans un contexte
propice à l’analyse de l’implication de l’interprète dans le procédé discursif a été un
déclencheur « autorisant » la littérature anglo-saxonne à interroger les conséquences
psychologiques liées à la pratique de l’interprétation en LS en situation de liaison. Harvey
(2003) propose une étude concernant une centaine d’ILS (questionnaires et entretiens) sur
« The Effects of Witnessing Oppression on Interpreters ». Il est l’un des premiers à faire état
d’un symptôme propre à l’interprétation : celui du stress lié à l’empathie, à la confrontation
quotidienne d’une forme d’oppression plus ou moins intentionnelle sur une minorité. Il
analyse de fait les différentes façons dont les interprètes interrogés réagissent face à ces
contraintes émotionnelles. L’auteur se réfère à un schéma de l’empathie souvent utilisé en
psychologie et représentant une balance pour expliquer la façon dont l’interprète doit trouver
un « équilibre » entre l’émotion et la cognition. Si la balance penche d’un côté ou de l’autre il
y aura un risque d’impact négatif sur la santé mentale de l’interprète. Harvey donne ensuite
quelques pistes de travail pour protéger les interprètes et améliorer leur capacité à trouver un
état d’équilibre émotionnel. Pour autant, l’auteur note que cette recherche d’équilibre ne
relève pas uniquement de la seule volonté de l’interprète, puisqu’il met en avant un
accroissement des risques psychologiques lorsqu’est associée la projection consciente ou
inconsciente des sourds sur les interprètes :
« Projective identification happens without malice; Mattie did not consciously wish
for the interpreter to feel her own pain, nor did the interpreter consciously agree to
accept it. Shared pain occurs unconsciously for both parties, without informed
consent. In this manner, an interpreter (and any ally or helper) is likely to get “sucked
in” before he or she knows what’s happening. And its effects are profound, particulary
as the pain is intensified by one’s imagination or one’s own personal background or
« bagage » (Harvey, 2003:209)92.
92
Traduction : « L’identification projective intervient sans préméditation. Mattie n’a pas consciemment souhaité
que sa douleur soit ressentie par l’interprète de même que l’interprète n’a pas consciemment consenti à
l’accepter. Ce partage de douleur survient inconsciemment sans le consentement éclairé des deux parties en
présence. Ainsi, un interprète (ou tout autre allié dit aidant) est susceptible de se sentir "aspiré" avant même qu'il
ou elle ne réalise ce qu’il se passe. Les conséquences sont considérables, particulièrement lorsque la douleur
s’intensifie par l’influence de l’imagination, les antécédents ou le bagage personnel de la personne concernée. »
121
pourtant, l’interprète dans cet exemple ressent de l’inconfort sans pouvoir en déterminer les
raisons précises.
En se basant sur les travaux de Harvey, K. Malcolm (2010) observe que le modèle de
l’interprète froid et distant perdure et force les ILS à se comporter comme si le message
traduit à la première personne ne les affectait pas. L’auteure émet l’hypothèse inverse, à
savoir que l’ILS serait atteint par les interactions qu’il interprète (par exemple : on m’a violée,
je n’ai plus d’argent ou, à l’opposé, je me marie). Pour l’auteur, nier les effets probables de
ces interactions sur les interprètes risquerait de nuire à leur santé, à la qualité de leur travail et
par effet de ricochet aux clients eux-mêmes. Le terme de « Vicarious Trauma » emprunté à
C. Figley (1995) est employé pour définir les répercussions non encore reconnues des ces
interactions sur les interprètes : « the natural behaviors and emotions that arise from knowing
about a traumatizing event experienced by a significant other »93.
Les recherches sur le sujet se sont surtout intéressées aux médecins et aux professions dites
« aidantes », mais peu à l’interprète. La première difficulté vient de la corporation même des
interprètes, qui mettent en avant la « neutralité » dans de nombreux codes éthiques des
langues signées ou vocales et contribuent ainsi au malentendu. Ces codes vont évidemment
dans le sens d’une prise en compte du respect des usagers et de l’importance de l’impartialité
dans les situations d’interprétation. Or, il y a une confusion qui consiste à envisager
l’impartialité dite professionnelle comme une absence totale de réaction visible de l’interprète
et la négation de ses sentiments et de sa sensibilité. Un ILS faisant part de ses propres
sentiments face à l’impact émotionnel de son travail encourrait le risque de se faire taxer de
« non professionnel ». Pourtant, des travaux portant sur des interprètes en langues vocales
dans un contexte hospitalier (Angelelli, 2003 et 2004) vont à l’encontre des préjugés sur les
capacités de l’interprète à censurer toutes ses émotions, de « block the self » et démontre que
le désir d’impartialité de l’interprète ne le protège en aucun cas de toutes formes de ressentis.
Bontempo et Malcolm (2012) font référence aux études de Gold Brunson et Lawrence (2002)
sur les interprètes intervenant dans le domaine de la santé mentale qui mettent en avant
l’influence des émotions des interprètes sur l’interaction mais aussi sur le processus
thérapeutique. Deux notions apparaissent fondamentales à prendre en compte. La première est
l’empathie, et fait que l’interprète est capable de s’adapter aux situations, de transmettre
93
Traduction : « les comportements et les émotions qui surviennent naturellement après avoir eu connaissance
d’un évènement traumatisant vécu par une personne dont on est proche. »
122
l’intention du message, le ton de la voix et la portée voulue par les orateurs. La seconde
notion relève des « neurones miroir » dont Malcolm (2010) donne deux définitions :
- celle de Winerman (2005): « Mirror Neurons are a type of brain cell that respond
equally when we perform an action and when we witness someone else perform the
same activity »94.
- et celle de Lacoboni (2008): « when we see someone else suffering or in pain, mirror
neurons help us to read her or his facial expression and actually make us feel the
suffering or the pain of the other person »95.
« I (…) would argue that hearing our own voice saying « I » increases the possibility
of secondary traumatic stress as it personalizes the message even more »96.
Ce point de vue est également partagé par Hetherington (2010), qui plaide en faveur d’une
supervision accessible par l’ensemble de la communauté des ILS. Ces auteurs revendiquent
une meilleure prise en charge de ces traumatismes par une supervision adaptée des
professionnels. Ils avancent également qu’une réelle attitude professionnelle consisterait à
prendre en compte la réalité de ces traumatismes, et non plus à nier l’impact de ces
interactions sur l’interprète au nom de la neutralité.
Une autre forme de contrainte socio-psychologique relevée dans la littérature est la place de
l’interprète lui-même entre deux groupes culturels dont l’un a historiquement le pouvoir sur
l’autre. Selon les travaux d’Anderson (1976, 1978) cités par Roy (2000-b) et Napier (2002-a)
sur l’interprétation entre langues vocales, l’interprète s’identifie plus facilement au groupe de
sa langue maternelle. Or, il apparait que ce n’est pas le cas pour les ILS, puisque selon
plusieurs études (Metzger, 1999 et Harvey, 2003 pour les principales) l’interprète en langue
des signes s’allie naturellement au groupe dominé, en l’occurrence aux sourds. En effet,
94
Traduction : « les neurones miroir sont une catégorie de cellules cérébrales qui réagissent de la même manière
lorsque nous faisons quelque chose ou lorsque nous regardons quelqu’un faire cette même chose. »
95
Traduction : « lorsque l’on est témoin de la douleur ou de la peine de quelqu’un, les neurones miroir nous
aident à lire l’expression de son visage et nous font réellement ressentir la peine et la douleur de cette autre
personne. »
96
Traduction : « Je dirais que le fait d’entendre notre propre voix dire « je » augmente la possibilité de stress
post-traumatique secondaire parce que cela personnalise le message encore plus. »
123
Metzger a démontré entre autres que l’ILS est loin de l’impartialité tant revendiquée puisqu’il
a tendance à laisser de côté les besoins communicationnels du groupe dominant pour favoriser
ceux des dominés. Harvey (2003) attribue cela à un réflexe psychologique d’empathie de
l’interprète qui se voit comme représentant de la catégorie des oppresseurs face aux opprimés.
Haddon (2010) ajoute que nier cette empathie, nier le pouvoir de l’interprète dans certaines
situations en tant qu’appartenant au groupe oppresseur tout en revendiquant une neutralité
absolue déshumanise l’interprète et maintient l’inégalité dans la situation de communication.
Le paradoxe de l’appartenance de l’interprète en LS au groupe minoritaire prend toute sa
dimension lorsque les sourds choisissent de faire appel régulièrement aux mêmes interprètes.
Selon Haddon, cette pratique pourrait être une manifestation de l’appartenance de l’interprète
au groupe opprimé. La question de savoir quel degré de conscience ont les interprètes de cette
appartenance n’a pas été abordée et nous émettons l’hypothèse que cette piste de recherche
pourrait apporter un éclairage intéressant sur « le paradoxe » de la neutralité tel qu’il est
envisagé par la littérature actuelle.
Une autre source de stress mentionnée dans la littérature est liée à l’évolution technologique
des outils avec lesquels l’interprète peut exercer son activité. Cela concerne notamment la
visio-interprétation où les interprètes travaillant à distance sont confrontés à une grande
variété de contextes et d’expression de la langue. Dans le cadre d’une étude sur la pratique de
la visio-interprétation aux États-Unis, Taylor (2009) relève un certain stress chez les ILS
confrontés en permanence au changement de locuteurs et de situations qui vont des plus
anodines aux plus dramatiques. Le cadre de travail proposé aux ILS ne leur permet pas de se
préparer psychologiquement au contexte de l’interaction qu’ils vont interpréter. Ces
interprétations peuvent être difficiles à divers endroits : par la soudaineté avec laquelle l’ILS
se retrouve projeté dans les situations de communication et la rapidité avec laquelle il doit
s’adapter à la variété de ces interprétations. Pour pallier cela, la supervision est souvent
préconisée, c'est-à-dire des moments où des professionnels pourraient accueillir la parole et le
ressenti des interprètes confrontés à l’ensemble de ces problématiques (Taylor, 2009).
124
4.3. Les contraintes linguistiques : incidences pour l’ILS
Les contraintes linguistiques sont souvent mises en parallèle avec la modalité visuo-gestuelle
de la langue. Bélanger (1995), Napier (2002-a) et Leeson (2005-a) introduisent une notion qui
paraît évidente à tous ceux qui pratiquent l’interprétation en LS, à savoir la visualisation
nécessaire et exacte d’un objet pour sa transposition cohérente dans l’espace de signation.
Selon ces auteures, ce genre d’information manque parfois en langue de départ et peut
s’avérer décisive dans l’organisation de la prise en charge du discours, surtout lors
d’interprétations spécialisées comme les interprétations judiciaires, ou celles de nature plus
technique. Ces « informations induites par les contraintes linguistiques » (et culturelles) font
notamment partie de tout un développement sur la fidélité en traduction et en interprétation
entre les langues vocales dans les travaux de Gile (1995 : chapitre 5) et (2009-a : chapitre 3).
En effet, comment représenter dans l’espace une machine que l’interprète n’a jamais vue et
dont il ne connait pas le fonctionnement ? Lors d’interprétations judiciaires, comment savoir
sur quelle partie du corps un coup à été donné ? Dans le feu de l’action et n’ayant pas ces
informations, l’ILS découvre l’ampleur de son dilemme puisque selon Leeson :
« while signed language interpreters may ideally wish to produce a visual context and
maximize use of classifiers constructions in order to demonstrate how an act was
carried out or how a window was opened, the source language may not encode the
degree of information needed for an interpreter to accurately encode this information
in the target signed language. Creating a visual representation that relates to the
interpreter’s visualization of how events unfolded is not offering “accurate”
information in the target language, even though it may read like a more natural
messager to the target language client. » (Leeson, 2005-a: 52)97
97
Notre traduction : Les interprètes en LS en général cherchent à créer un contexte visuel en ayant recours le
plus possible aux constructions idiomatiques de façon à montrer comment un évènement s’est déroulé ou bien
comment une fenêtre a pu s’ouvrir. Toutefois, il peut arriver que la langue source ne contienne pas ce degré
d’information nécessaire à l’interprète pour représenter l’action aussi précisément vers la langue cible en LS. La
création d’une représentation visuelle basée sur la seule représentation de l’interprète d’un évènement n’offre pas
une transmission « exacte » de l’information, même si elle peut se lire de façon plus naturelle par le client de la
langue cible du client.
125
source de débats sensibles, surtout lorsque l’on mentionne l’idée d’un « vide lexical » en LS.
Nous précisons que nous utiliserons ce terme d’un point de vue strictement traductologique,
sans parti pris idéologique sur le débat linguistique.
En situation de traduction, le vide lexical fait référence aux cas où il n’existe pas de
correspondance d’un mot d’une langue dans une autre langue. Le vide lexical se remarque
particulièrement entre les langues culturellement éloignées, et il est souvent fait référence à
l’exemple de la centaine de mots existants en Inuit pour décrire la neige que nous n’aurions
pas en français ou en anglais pour illustrer cette idée. 98 Le vide lexical se retrouve également
particulièrement dans les lexiques relevant de technologies à évolution rapide où l’anglais
domine les autres langues. Les solutions au vide lexical dans ce cas de figure sont les
suivantes : soit le problème sera résolu par l’importation tel quel du terme technique anglais,
soit le traducteur procédera à une création de néologisme. Or, il apparaît que le néologisme
ainsi créé entre généralement en concurrence directe avec le terme technique anglais déjà
connu des spécialistes de la matière par le biais de leurs lectures et de leur documentation de
travail. Face à l’importation du mot anglais déjà existant, le néologisme ne réussit pas
toujours à s’installer dans la langue de traduction.
Il nous paraît intéressant de souligner ici que le vide lexical entre le français et la langue des
signes n’est qu’un exemple parmi tant d’autres en traduction. Ce qui peut, en revanche,
distinguer la LSF de la plupart des langues vocales dans cette situation relève plus
particulièrement de l’attitude de la communauté des signants (communauté sourde et
interprètes-traducteurs) face au vide lexical, qui les conduit généralement à d’autres choix que
ceux habituellement observés entre langues vocales.
Nous parlerons donc de vide lexical en langue des signes dans son rapport au français.
Évoquer la possibilité d’un vide lexical est souvent considéré comme un jugement de valeur
impliquant l’idée que le lexique de la LSF serait qualitativement inférieur à celui du français.
Il est évidemment possible en LS comme dans toutes les langues d’exprimer une idée ou un
concept lexicalisé dans la langue de départ par d’autres moyens dans langue d’arrivée : les
98
En 1989, Geoffrey Pullum dans son article intitulé « the great Eskimo vocabulary hoax » disponible sur
http://www.lel.ed.ac.uk/~gpullum/EskimoHoax.pdf retrace le parcours de cette légende linguistique très
largement diffusée selon laquelle les Inuits disposeraient de plusieurs centaines de mots pour décrire la neige. En
réalité il n’y en a que deux, qui servent de racine à toutes sortes de mots composés : qanik (neige en l’air) et aput
(neige au sol). Le reste fonctionne par association (ex : neige au sol + matériau de construction = neige de
l’igloo).
126
périphrases, paraphrases et, pour ce qui concerne la LS, la scénarisation (Séro-Guillaume)
sont les plus fréquents d’entre eux. En effet, on recense plusieurs dizaines de milliers de mots
français99 alors que la langue des signes compte entre 4 000 et 6 000 signes standard (les
chiffres varient selon les auteurs et sont en constante augmentation. Yau (1993) mentionne
entre 1 000 et 2 000 signes référencés dans les dictionnaires conventionnels pour les langues
des signes française, chinoise, indienne et suédoise contre 5 000 en ASL, « la mieux
documentée du monde » (Yau, 1993 : 67)). Nous analyserons le vide lexical en langue des
signes par rapport au français et ses incidences au regard des tactiques des interprètes. Plus
récemment, ELIX, un site internet participatif, recensait quelques 8490 signes100 (noms
communs et noms propres confondus). Ce site propose la traduction des définitions du
dictionnaire français en langue des signes où chacun est libre de laisser en ligne une
proposition de correspondance lexicale en LSF pour chaque mot. Nous prendrons cependant
quelques précautions vis-à-vis de ces chiffres dans la mesure où un même signe est parfois
proposé pour plusieurs définitions différentes, et qu’une définition peut comporter plusieurs
propositions de signes régionaux. De plus nous n’avons pas eu la possibilité matérielle de
vérifier l’ensemble de ces données.
Ph. Séro Guillaume décrit l’évolution lexicale de la LS comme un phénomène qui se distingue
de l’évolution linguistique naturelle standard dans la mesure où il s’agirait selon lui d’une
« création constante » (2008 : 117) où la langue se redéfinit selon les modalités référentielles
propres à chaque génération. L’auteur met en avant la problématique de la « rupture
constante » de la transmission de la LSF puisque, dans la majorité des cas, les parents des
enfants sourds sont entendants et ne sont pas en mesure de leur transmettre la LSF en tant que
langue véritablement maternelle. Pour la majorité d’entre eux, les enfants réalisent donc leur
apprentissage linguistique au sein d’instituts, de classes d’inclusion où l’on observe cette
tendance vis-à-vis de la langue qui consiste à se réinventer pratiquement « à chaque
génération ». Parallèlement à cela, l’auteur pose comme donnée la motivation du signe
linguistique comme constitutive de son évolution au fur et à mesure de son utilisation.
« (…) Par exemple le signe [ÉLÈVE] utilisé actuellement à l’Institut national des
jeunes sourds de Paris est différent de celui qu’utilisent les anciens élèves âgés d’une
99
Il y a par exemple 60 000 entrées dans le dictionnaire Le Petit Robert (2011) et plus de 100 000 dans le Grand
Robert. En prenant en compte les dictionnaires et glossaires spécialisés, le chiffre d’entrées atteindrait plus d’un
million.
100
Je remercie Aurélie Brulavoine de Elix pour m’avoir confirmé ces données personnellement. (octobre 2013)
127
quarantaine d’années. Il ne s’agit pas là d’une évolution mais d’une création
constante. Ce mécanisme de création constante suit des modalités déterminées par les
exigences de la fonction référentielle. Par exemple, pour inventer le mot
télécommande, littéralement commande à distance, il faut être ingénieur technicien,
c'est-à-dire connaître le principe, sinon on parlerait d’un boîtier sur lequel se trouve
des touches. C’est cette description fonctionnelle qui va présider à la création d’un
signe manuel. Bien sûr, cette motivation reste prégnante parce que la langue des
signes n’est pas pleinement institutionnalisée, que son histoire est faite de ruptures
(…). » (Séro-Guillaume, 2008:117)
101
ESIT/Paris 3, CETIM/Toulouse 2, SERAC/Paris 8, Lille 3 et depuis peu Rouen.
128
4.3.1. La différence entre le volume des lexiques français et signés, une contrainte
cognitivo-linguistique ?
« Un aspect remarquable dans la structure de toutes les LS réside dans le fait qu’à
défaut de signes lexicalisés lors de l’expression de contenus informationnels difficiles
à transmettre, les locuteurs sourds ont toujours recours à la stratégie productive de
« donner à voir », en réactivant le processus d’iconicisation comme autre branche
sémiologique exploitable. Le passage à la visée illustrative dans le but de construire
un nouveau concept n’ayant pas de signes lexicalisés établit une forte corrélation
102
Exemple : [ça] en pointant un concept + [non]
129
entre les deux branches de visées en ce qui concerne les procédés de création de signe
à valeur généralisante. » (Fusellier-Souza, 2006).
S’il n’y a pas de signes référencés existants, la LS permettra par d’autres procédés iconiques
et de mises en scène imaginatives d’exprimer le sens du discours par d’autres procédés
discursifs : la complexité du contenu est visuellement mise en acte par le principe de « qui fait
quoi »103. Ce procédé discursif appelé scénarisation104, correspond à un mode d’expression
plus concret que ce qui est généralement observé en langues vocales dans l’intention de
transmettre une idée générale. Les procédés de scénarisation et de grande iconicité (Cuxac,
2000) ont en commun la démonstration de la possibilité de prise en charge en LS de concepts
inédits sans avoir besoin d’un lexique standard ad hoc.
Nous avons exposé que les techniques discursives en LS permettent d’évoquer des concepts
en utilisant la langue de façon ingénieuse : par les scénarisations, les périphrases, la
spatialisation voire même en dernier recours la dactylologie. Nous mettons délibérément au
même niveau des éléments que certains qualifient d’iconiques avec le recours à la
dactylologie de par notre volonté de placer notre analyse du point de vue de la
communication, sous un angle traductologique et non linguistique. Ce faisant nous ne jugeons
pas de la catégorie linguistique correspondant à la forme choisie.
Pour faire référence à des concepts techniques ou à des termes de spécialités, le locuteur
signant peut avoir recours à des ajouts ou des paraphrases pour permettre à son interlocuteur
de cerner précisément son propos. Courtin (2001 : 26) fait une description des « ajouts »
éventuels que doit faire un locuteur signant lorsqu’il est question de termes non génériques en
LSF :
« Ainsi, par exemple, pour les catégories de fleurs, il existe un signe générique
FLEUR après lequel il faudra décrire la fleur en question, les noms précis n’existant
pas toujours, dans cette catégorie, en langue des signes française. Alors, pour le mot
« rose », il faudra signer [FLEUR, ROSE (couleur), ÉPINES, etc.], les ajouts se
faisant jusqu’à ce que le receveur du message ait compris ce que le signeur veut
exprimer. »
103
Séro-Guillaume (2005)
104
« Scénariser ne consiste surtout pas à décrire, de façon réaliste, un évènement vécu, mais à imaginer une
scène qui condense le sens » Séro-Guillaume, 2008.
130
Nous comprenons qu’il appartient au signeur de spécifier régulièrement son objet pour le
préciser à son interlocuteur. Ici c’est avec la fleur, la rose. Nous inférons de la lecture de cet
extrait que le locuteur doit connaître l’objet pour pouvoir le préciser (une rose a des épines).
Avec une rose, la tâche ne parait pas complexe, mais il en va tout autrement lors de références
à des lexiques plus spécialisés. Paradoxalement, certains concepts plus courants imposent au
signant un procédé similaire, comme l’a démontré l’étude de S. Hirschi (étude non publiée)
avec des termes comme la médecine, le fléau, l’incarnation, etc., qui ne sont pas pour autant
considérés comme des termes techniques mais qui ont nécessité de la part des ILS les mêmes
procédés de spécification que ceux mentionnés plus haut.
Il est intéressant de transposer cet exemple en LSF pour nous rendre compte du « poids » de
l’ajout, puisque les interprètes en LS sont fréquemment confrontés à cette gymnastique de
périphrase. Il est effectivement possible de scénariser l’action de « sniffer de la drogue », qui
sera en termes de temps très efficace. En revanche, le signe « cocaïne » n’est pas encore
stabilisé ; il n’y a pas de signes standardisés pour la majorité des drogues qu’il est possible
d’inhaler. Il appartiendra donc à l’interprète de spécifier la drogue, puisqu’il est possible de
sniffer de la cocaïne, mais aussi de l’héroïne, du bzp, de l’extasy ou n’importe quelle pilule
pilée. Dans ce cas de figure, si la drogue n’est pas spécifiée, il reviendra à l’interlocuteur
d’émettre une hypothèse sur la nature de la drogue en question. Sans même commencer
l’analyse de notre corpus, en reprenant l’explication du fonctionnement de la LS comme
présentée par Fusellier-Souza et Courtin, tout en présumant de l’effet du poids de la traduction
qu’imposent les périphrases et autres explicitations (comme démontré par Eco), nous
supposons que la contrainte de temps sera un élément majeur en interprétation simultanée. Le
temps (nous l’avons vu en introduction) est une partie constitutive de l’exercice de
l’interprétation simultanée. Contrairement aux situations de locution spontanée, l’interprète
est soumis au rythme du discours et doit ajuster sa production en fonction du débit de
l’orateur. Il est donc contraint par le rythme du discours lors de la phase de production pour
éviter un retard qui risquerait de mettre en péril l’équilibre de ses disponibilités en termes
d’écoute et de mémorisation des segments suivants. En termes de temps, l’effet principal de la
périphrase est inhérent à sa nature propre puisqu’elle consiste à dire en plusieurs mots ce qui,
comme Eco l’a démontré, se dit en un seul (exemple de la cocaïne ou de la rose de Courtin).
Une périphrase est donc généralement plus longue que son référent original.
Du point de vue de l’équivalence, une périphrase peut être envisagée comme ayant une valeur
analogue au mot référent en langue de départ. D’un point de vue traductologique, la tâche
devient chronophage puisque nous supposons que l’interprète a besoin d’un temps de
réflexion et de production lors d’une périphrase.
132
- Temps de réflexion :
En premier nous supposons que l’interprète a besoin d’une certaine disponibilité cognitive
pour élaborer une périphrase de valeur équivalente au mot référent du discours de départ.
C’est-à-dire qu’il a besoin d’un certain laps de temps (même infime) pour choisir des
éléments pertinents de description (une rose a des épines, mais quelle est la caractéristique
pertinente du bégonia, d’une mouette, d’un carburateur ou de l’héroïne…). Nous précisons
que l’interprète, contrairement à n’importe quel orateur direct, élabore cette
description/explication dans une situation cognitive déjà fortement sollicitée par
l’interprétation simultanée (voir Gile, 2009-a, chapitre 7).
- Temps de production :
Deuxièmement, le temps requis pour la production de cette périphrase est généralement plus
long que celui utilisé par l’orateur pour l’émission de cette même idée puisque, pour lui, un
seul mot a suffi. Tout en prenant en compte la pluri-dimensionnalité et la concision de la LS,
une périphrase sera toujours plus longue à produire qu’un mot à prononcer puisqu’elle
implique une scénarisation ou une suite de signes standards. Il y a donc à cet endroit un autre
risque de retard, dont les manifestations principales seront susceptibles de provoquer une
saturation cognitive de l’interprète pouvant entraîner des défaillances sur le segment suivant
la paraphrase que Gile nomme le « spillover effect » ou les « enchaînements déficitaires »
(1995 : 102 - 103).
Nous avons vu en introduction que l’interprétation se réalise dans la recherche d’un état
d’équilibre entre trois efforts : Réception, Production, et Mémoire. Avec les deux contraintes
de temps que nous venons de voir (réflexion et production), nous pouvons avancer que
l’Effort de Production est plus largement sollicité lors de l’élaboration de périphrases. Dans le
cadre d’une occurrence localisée, il peut ne pas y avoir d’effet sur l’interprétation dans sa
globalité. En revanche, dans le cadre d’occurrences répétées lors d’un même discours, il est
probable que la fréquence du phénomène rencontré augmente proportionnellement les risques
de saturation et/ou de défaillances. La seule contrainte de temps qu’implique la production de
périphrase peut donc à elle seule être susceptible d’entraîner une défaillance sur
l’interprétation.
Un interprète chevronné interrogé dans le cadre de notre étude fait part très clairement de cet
aspect chronophage de la paraphrase en simultanée :
133
« (…) « c'est l'humanité de notre société qui est en jeu »... Et moi je suis vraiment
littéral ici. Je colle au français parce que je ne peux pas m'en sortir par une
paraphrase. Il faudrait faire une explication trop longue pour traduire ça, qui risque
de nous faire décrocher sur la suite. Il faudrait prendre beaucoup de décalage pour
traduire et tu n'es pas sûr de ne pas louper la suite. » (Voir interview ILS 10 page
432)
Nous vérifierons cette hypothèse lors de l’analyse cognitive des tactiques de notre corpus.
En interprétation vers la LS, il arrive souvent aux ILS d’éviter une saturation pressentie par la
production d’une paraphrase à venir en se référant au signe générique correspondant (« fleur »
pour parler de la rose, « drogue » pour héroïne, « oiseau » pour mouette, etc.), ce qui en
termes de temps et de cohésion linguistique peut être compréhensible et correspondrait à une
tactique d’abstraction. En revanche, cette posture peut être discutée au regard de la notion de
fidélité et nous rejoignons ici les pistes de travail de S. Hirschi puisqu’elle pointe dans son
étude non encore publiée les manques et les ajustements des ILS par rapport au discours de
départ lors d’occurrences de vides lexicaux. Nous verrons d’ailleurs dans la partie sur la
scénarisation (qui est une des formes que peut prendre une périphrase) que cette contrainte
linguistique particulièrement prégnante en LS n’est pas sans effet sur la production de
l’interprète.
4.3.1.3. Commentaires
Pour illustrer nos propos, nous nous référons aux interviews des interprètes les plus
expérimentés de nos corpus (corpus 8), qui évoquent très simplement le vide lexical en le liant
spontanément aux tactiques interprétatives possibles :
« J’ai fait [médecin] tout simplement. - Il n’y a pas de signe pour médecine ? - Non,
s’il y en avait un je l’aurais pris (…) J’ai eu une impression d’insatisfaction
permanente (…) » 105 (10 ans d’expérience professionnelle)
« J’ai traduit par [médecin] mais ce n’est pas bon, j’aurai dû mettre [domaine]
[médecin] ou [pi] [domaine] [médecin], parce que là, on croit que je parle du
médecin. Je n’ai pas de signe standard pour la médecine, il en faudrait un. »106 (18
ans d’expérience professionnelle).
« J’ai fait [médecin] [recherche] (…) Mais est-ce qu’il y a un signe pour
médecine ? (…) Oui je suis assez d’accord c’est les médecins qui font de la recherche
donc c’est la recherche médicale. Mais il n’y a pas moyen de faire autrement, quand
on entend « médecine » on n’a pas de solutions. Mais « médecine » « médecin »
« médical » c’est le même signe. En mettant en scène, en scénarisant, en faisant des
périphrases sur un terme générique comme ça…»107 (23 ans d’expérience
professionnelle).
Nous remarquons lors de ces interviews que les ILS sont habitués à gérer ces vides lexicaux
dans la mesure où ils font spontanément état des différentes périphrases possibles qu’ils
auraient pu produire. De façon générale nous verrons que le corpus 8 rend compte de façon
105
Interview ILS 7 en annexe page 427
106
Interview ILS 10 en annexe page 432
107
Interview ILS 11 en annexe page 435
135
très claire de la variété des propositions entre chaque interprète face à des concepts ne
possédant pas de correspondances lexicales établies. Cette observation permet de mettre en
avant la grande marge de manœuvre de l’interprète lors d’occurrences de ce phénomène. À la
lecture de ces commentaires, nous noterons également un certain sentiment d’insatisfaction
des ILS face à quelques-unes de leurs propositions. Nous tenterons dans l’analyse de notre
corpus principal de mieux comprendre le comportement de l’ILS face au vide lexical, et
d’analyser les incidences des tactiques sur la production. Dans son étude, S. Hirschi interroge
la conscience des ILS quant à l’approximation de leurs interprétations au regard du texte
original et fait ainsi un lien avec les normes d’acceptabilité en interprétation en LS en termes
de fidélité au discours original. Nous supposons dès à présent que les contraintes cognitives
de Gile pour les langues vocales s’appliquent à l’interprétation en LS dans la mesure où une
charge cognitive certaine pèse sur l’Effort de production lors d’occurrences de vides lexicaux.
Nous chercherons avec l’analyse des tactiques et de leurs effets sur l’interprétation si notre
intuition se vérifie.
L’interprétation n’est pas affaire de linguistique stricto sensu. L’interprète scénarise, c'est-à-
dire qu’il imagine une saynète représentant le sens et dans laquelle on retrouve de manière
plus ou moins lexicalisée le contenu du discours original (Séro-Guillaume, 2008). Cette
procédure d’approche interprétative permet de prendre en charge la quasi-totalité des discours
pour une utilisation quotidienne et non spécialisée. C’est en général suite à un travail de
collaboration entre une personne sourde et un interprète qu’un nouveau champ lexical est
exploré : prenons l’exemple de l’exploration du champ lexical de la psychologie en langue
des signes (Jeggli, 2003) où il n’existait pas, il y a de cela vingt ans, de correspondances
signées pouvant faire référence aux concepts de psychologie (schizophrène par exemple).
L’article de Jeggli est une démonstration du travail de coopération entre les interprètes et les
bénéficiaires sourds pour la construction d’un lexique spécialisé. Cette démarche est
aujourd’hui encore d’actualité si nous prenons en exemple l’interprétation en LS d’un BTS de
développeur multimédia où le vocabulaire technique en LSF est inexistant ou non encore
exploité. Les interprètes en LSF ont devant eux des dizaines de domaines non encore
136
lexicalisés en LSF pour une raison très simple qui est l’absence des professionnels ou
étudiants sourds dans ces domaines.
Notre précédente étude (Pointurier-Pournin et Gile, 2012) visait à comprendre la manière dont
l’interprète en langue des signes travaille quand il n’a à sa disposition aucune correspondance
lexicale. Nous avons en premier posé l’hypothèse selon laquelle les recours de l’interprète
reflétaient les tactiques discursives observées chez les locuteurs sourds. Contrairement à la
majorité des paires de langues vocales de grande diffusion où il existe généralement des
correspondances pour la plupart des termes, il n’existe pas d’équivalent signé pour chaque
mot français en LS. En situation d’interprétation, le vide lexical sera pris en charge par la
capacité de l’interprète à choisir une tactique permettant de transmettre le sens du discours.
Pour que cette tactique soit menée à terme correctement, il appartient à l’interprète de
maîtriser suffisamment le sujet pour représenter dans l’espace un concept précis sans risque
de détourner les propos de l’orateur (une rose a des épines par exemple). Cette forme
d’interprétation semble convenir pour des discours de portée générale aussi abstraits soient-
ils, et pour introduire un concept nouveau qui n’implique pas de connaissances particulières.
108
Nous utilisons « code » au sens de correspondance lexicale temporaire.
137
«(…) comme il n’existe toujours pas à l’heure actuelle d’instance de régulation
linguistique institutionnalisée, et que les référentiels de la Langue des Signes sont
seulement à l’étude, les interprètes ont dû se déterminer entre deux modèles de
référence, à savoir les locuteurs sourds dont les compétences en langue des signes
étaient validées par la communauté sourde ou bien ceux qui étaient reconnus par les
entendants pour leur niveau de français. (…) En l’absence de norme, les interprètes
en langue des signes se réfèrent généralement au vécu des locuteurs. » (Gache et
Quipourt, 2003)
C’est à Guy Bouchauveau que nous devons l’une des toutes premières initiatives de création
de néologisme. Conférencier sourd à La Villette au début des années 90, il s’est employé à
mettre au point un lexique scientifique qui est désormais entré dans le lexique standard de la
langue des signes. Avant son travail de recherche et de création lexicale, il n’existait pas de
signes pour « système solaire », « planète », « saturne », ni pour tout le vocabulaire utile à la
visite et à la compréhension des expositions pédagogiques que nous pouvons trouver à La
Villette110. Nous rappelons que ces concepts pouvaient jusqu’alors être introduits, mais au
109
La langue des signes, tome 2, dictionnaire bilingue élémentaire. International Visual Theater. Éditions IVT,
Paris, 211 pages.
110
Voir à ce sujet le site internet curiosphere.tv et l’interview de G. Bouchauveau.
http://education.francetv.fr/videos/reportage-lsf-la-creation-de-neologismes-en-sciences-v104988
visité en octobre 2012
138
prix de longues périphrases ou de scénarisations. Cette réflexion autour de la création de
néologismes est aujourd’hui poursuivie par l’équipe qui a en charge de rendre accessible en
LSF les contenus scientifiques des évènements proposés111. Des commissions semblables
regroupant interprètes et professionnels sourds et entendants ont abouti à la mise à disposition
des vidéo-guides en LSF dans plusieurs musées nationaux.
« La langue des signes relève de l’approximation dès qu’elle aborde des vocabulaires
spécialisés ; l’invention est quotidienne, par métaphore, périphrases ou code, sans
garantie de permanence. Pour pallier à cet état il convient, très pragmatiquement de
fixer au mieux les signes nécessaires à une bonne gestion de la compréhension,
précise et pointue ; il faut donc atteindre les conditions optimales à un déroulement
normal du cursus des études. » (Projet de recherche, « Dire en signes », ESBA
Marseille, 2005-2007, p.4).
Dans cette même mouvance, les Éditions du patrimoine, le Centre des monuments nationaux
et IVT ont collaboré à la création d’un lexique (Lex’signes) bilingue LSF/français se
rapportant à toute l’époque féodale du Moyen Âge. Allant du signe armure, charrue, château
fort, abbaye, croisade, oubliettes, etc., jusqu’à sceau et université (au sens historique)
quelques 180 signes ont été recensés et « sont destinés à enrichir la langue des signes
111
Ibidem http://education.francetv.fr/videos/ visité en octobre 2012
139
française d’un vocabulaire spécifique à l’histoire de l’art » (Éditions du patrimoine,
Lex’signe, Moyen Âge, Juin 2008).
Enfin, le CNEFEI a édité en 2007 un dictionnaire à l’intention des enseignants, recensant les
2 000 signes plus usités en milieu scolaire112.
Aux États-Unis, le National Technical Institute for the Deaf (NTID) de Rochester, NY, s’est
investi dans l’édition de recueils terminologiques spécialisés113 qui sont le fruit de trente
années de recherches et dont le projet est le suivant :
« In 1975, just seven years after NTID accepted its first student, a project for
developing sign language materials for technical terminology was initiated at NTID.
The goal of this project, the NTID Technical Sign Project (TSP), was to support
effective, efficient and consistent use of sign language terminology in academic and
career environments by documenting and sharing how skilled, knowledgeable signers
communicate in technical fields. The TSP is based on three basic and related
principles: (1) sign languages, similar to spoken languages, follow a natural process
for developing and standardizing vocabulary; (2) within this natural development and
standardization process skilled signers develop and refine sign language vocabulary
that is consistent with effective use of the human gestural-visual systems for
communication; and therefore, (3) in order to support effective, efficient, and
consistent use of sign language vocabulary, sign language materials need to document
sign language as it is used by skilled knowledgeable signers. »114
112
Le Fournier Signé, 2ème édition, Cédérom collection ASH, Adapter les pratiques pour scolariser tous les
élèves, Collection nationale du réseau Scérén, Coédition Scérén/CRDP du Nord Pas de Calais/ INSHEA de
Suresnes, 2007.
113
Nous donnons ici deux références sur une dizaine de matières proposées : (1) Caccamise F., Lang H., 2000,
Signs for Science and Mathematics: A ressource book for teachers and students. Rochester, NY: National
Technical Institute for the Deaf. (2) Caccamise F., Mitchell M., Hearld S., Reeves J., Burch D., 2000, Signs for
legal and social works terminology, Rochester, NY: National Technical Institute for the Deaf.
114
Traduction : « En 1975, sept ans seulement après que le NTID ait accueilli son premier élève, un projet de
création de supports pédagogique en langue des signes concernant la terminologie technique a été lancé.
L'objectif de ce projet, le « NTID Technical Sign Project » (TSP), était de favoriser une utilisation cohérente de
la terminologie en langue des signes dans les milieux universitaires et professionnels en promouvant l’efficacité
et la précision de la communication signée quant aux domaines techniques. Le TSP est fondé sur trois principes
de base : (1) les langues des signes comme les langues vocales suivent un processus naturel de développement et
de standardisation lexicale; (2) ce processus d’évolution et de standardisation permet aux signants compétents de
développer et d’affiner le vocabulaire signé en cohérence avec la communication visuo-gestuelle, et par
conséquent, (3) pour favoriser une utilisation efficace et cohérente du lexique signé il est nécessaire de
documenter la manière dont les signants compétents utilisent la langue des signes. »
140
Enfin, nous mentionnerons ici l’initiative d’un inspecteur de l’éducation nationale sourd
signant115 qui a établi un recensement des signes qu’il avait mis en place pour faire référence
au technolecte de sa profession. L’objectif de ce glossaire était sa diffusion auprès des
interprètes de façon à pouvoir bénéficier plus efficacement des échanges lors de réunions et
groupes de travail auxquels il participe de façon régulière.
4.3.4. Commentaires
Nous pouvons voir avec ces initiatives de création lexicale et de référencement les limites des
scénarisations et périphrases récurrentes lorsqu’il s’agit d’un domaine de spécialité dont la
finalité est l’apprentissage d’un savoir. Dans ce cas de figure, la transmission efficace du sens
induit la nécessité de signes conceptuels plus nombreux. Pourtant, malgré les créations de
plusieurs glossaires spécialisés comme ceux mentionnés plus haut et les facilités de diffusion
que permet Internet, il est rare que ces glossaires réussissent à se diffuser plus largement au
niveau national. Est-ce par méconnaissance de ces domaines nouvellement exploités en LS
par les ILS, par manque de curiosité ? Est-ce par méconnaissance de ces sites par les locuteurs
sourds ? Nous avions émis l’hypothèse lors de notre précédente étude (Pointurier-Pournin et
Gile, 2012) que l’interprétation en LS (notamment en situation pédagogique) mettait l’accent
115
Corpus de S. Hirschi (2010)
141
sur l’importance de la fonction du discours traduit dans les choix du traducteur ou interprète et
venait appuyer la théorie du Skopos (Reiss et Vermeer, 1984/1991) qui, justement, postule
l’importance de la fonction de chaque traduction (son « Skopos ») comme déterminant de la
manière dont le traducteur composera son texte. L’interprète répond donc dans ce cas de
figure à un besoin « ici et maintenant » résultant de contextes sociolinguistiques précis. Cet
aspect de l’interprétation en LS nous semble déterminant et nous pressentons qu’il a une forte
influence sur la langue utilisée par l’interprète, puisqu’un corpus ainsi constitué ne semble pas
pouvoir totalement s’exporter. La langue et les besoins du locuteur sont ainsi respectés à un
niveau local, de même que la langue dans son ensemble à un niveau global, puisque les
correspondances lexicales créées ne sont généralement pas assimilées par la LS. Nous
relèverons à travers ce phénomène une différence supplémentaire par rapport à ce qui est
généralement observé en interprétation entre langues vocales qui nous semble important de
souligner.
Nous émettons l’hypothèse que le modèle de normalisation linguistique tel que nous le
connaissons dans les langues de grande diffusion (avec les instances telles que l’Académie
Française, les dictionnaires et les encyclopédies, etc.) puisse rencontrer certaines limites en
LS, dont les principales sont en lien avec la structure même de la langue et son mode de
diffusion (voir plus haut le phénomène de la rupture constante de la transmission).
On dit régulièrement de la LSF qu’elle est en situation de diglossie particulière dans son
rapport au français (voir entre autres Sabria, 2006 ; Garcia et Derycke, 2010). Sabria se
penche sur la place particulière de la LSF sur le territoire national. Il met en lumière le conflit
linguistique de la LSF dans son rapport au français et analyse la forme de diglossie propre à la
LSF qui diffère de ce qui est généralement observé lors de situations diglossiques dites
classiques des langues régionales :
« La LSF n’a jamais été en concurrence avec la langue française contrairement aux
langues régionales en compétition linguistique avec le français dans la construction
de l’État nation. La LSF n’a jamais occupé, comme les langues régionales, un espace
142
géopolitique et économique sur le territoire national, ses locuteurs sont dispersés sur
l’ensemble du pays. » (Sabria, 2006 : 22)
Pour l’auteur, ce que les langues régionales partagent avec la LSF relève de la politique de
planification linguistique qui encourage leur disparition au profit du français. La LSF se
trouve dans une situation particulière de diglossie sans bilinguisme partagée par les locuteurs
des deux langues (de la part des entendants, mais également de la part d’une grande partie de
la communauté sourde).
Il nous semble intéressant, pour comprendre notre travail de recherche, de préciser que
l’interprète en LS reflète malgré lui cette situation sociologique particulière et inhérente à la
place que peut avoir la LS dans la société. Si les deux sphères communautaires (sourds et
entendants) peuvent coexister sans confronter leurs valeurs et leurs systèmes linguistiques de
façon continue, l’interprète lui, évolue dans un système dissymétrique où les langues sont en
confrontation constante. Nous l’avons vu plus haut en introduction (s’il s’agit de cours, de
prescriptions médicales, d’auditions judiciaires, de démarches administratives, de vie de
l’entreprise, etc.), la LS se retrouve dans la majorité des cas dans un système où les valeurs
dominantes sont celles appartenant à la langue majoritaire. Les lieux où la LS n’est plus
contrainte par le français, et où elle peut donc s’épanouir en dehors des normes majoritaires
(créations artistiques, échanges entre locuteurs signants, conférences et activités culturelles en
LS en direction de la communauté sourde), ne nécessitent pas la présence de l’interprète.
C’est encore une fois une observation qui apparaît fondamentale dans la compréhension des
différences de points de vue sur la LS en termes traductologiques. À la différence du locuteur
signant de façon spontanée ou du linguiste observant la langue dans son milieu écologique,
l’interprète est le témoin/symptôme de cette confrontation continue.
116
Les règles de la culture dominante se répercutent du fait qu’elle a le pouvoir de déterminer la forme de la
langue (des signes).
144
des lois sous-jacentes à la sélection des tactiques qu’énumère Gile (1995, 2009-a), et que son
influence sur le processus de prise de décision est peut-être plus importante que, de manière
générale, dans l’interprétation entre langues vocales. Nous chercherons avec l’analyse de
notre corpus à vérifier cette hypothèse.
Nous cherchons à comprendre la position de l’interprète entre ces deux systèmes de valeurs
qui semblent parfois difficilement conciliables au regard de l’ensemble des paramètres
imposés à l’interprète en LS. Nous ne voulons pas dire que l’un se fait obligatoirement au
détriment de l’autre. En revanche, nous pensons que l’interprétation se joue dans une zone
d’acceptabilité dont le curseur est amené à se déplacer tantôt vers la forme et tantôt vers la
fidélité. La tâche de l’interprète est bien de préserver une forme acceptable selon les normes
linguistiques des clients pour qui il travaille tout en respectant le discours, où les ajouts et les
précisions techniques peuvent relever de tactiques non illustratives (signe standard ou
dactylologie par exemple) qui peuvent être considérées comme satisfaisantes par rapport au
contenu du discours et à la notion de fidélité. C’est ici que nous supposons que les décisions
des ILS entrent en jeu : selon le contexte, l’ILS évalue sa marge de manœuvre au regard de
ces deux paramètres.
4.3.5.2. La standardisation
De la même façon, en Espagne, V. Gras (2008) remarque que les « nouveaux » interprètes ont
une langue trop standardisée, contenant beaucoup de néologismes encore inconnus de
145
l’ensemble de la communauté signante. Ce faisant, elle souligne le manque de compétences
des interprètes quant aux autres tactiques discursives lors de la prise en charge de discours
vers la LS où elle note une tendance des ILS à s’éloigner de la forme structurelle initiale de la
LS. Pour Gras, cette pratique place les ILS en vecteur linguistique de la LS (ce qui n’est pas
contesté) dont la langue est calquée sur un modèle linguistique élitiste qui, ainsi diffusé, finit
par ne s’adresser qu’à cette même élite (« expanding the elites’ standard model » 2008 : 181).
La formation des ILS est pointée du doigt dans cette analyse et l’auteure met en question la
forme trop standardisée de la langue enseignée aux interprètes qui, là aussi, ne répond plus
aux besoins d’une partie de la communauté signante. La même question se pose une fois
encore, à savoir s’il s’agit de l’homogénéité des compétences linguistiques des sourds ou bien
du manque d’adaptabilité des ILS qu’il faut remettre en cause. C’est ici que la planification
linguistique cristallise encore une fois beaucoup de tensions. Dans tous les cas de figure, la
standardisation aura surtout un impact sur la langue de l’interprète, car c’est sa langue et sa
capacité à prendre en charge un discours qui révèleront en premier l’ensemble de ces
disfonctionnements.
La problématique des variétés régionales mentionnée par De Wit est une constante que l’on
retrouve pour la majorité des LS, puisque la langue a perduré dans des sphères isolées les unes
des autres pendant toute la période de l’interdiction. Si la variété implique une différence de
certains items lexicaux selon les régions, elle ne présente pas un frein quant à la
compréhension globale. Sabria (2006 : 26) note à ce sujet :
L’auteur précise qu’à l’époque des premières créations de dictionnaires en LSF s’est posée la
question de l’imposition de la variété linguistique parisienne (la surnorme) au détriment des
autres variétés régionales, ce qui peut faire écho avec la situation observée aux Pays-Bas.
Sabria rappelle également la problématique de la légitimité des personnes en charge de la
normalisation de la LSF et donne en exemple l’ensemble des questionnements posés lors de la
demande de création d’un référentiel en LSF émanant du ministère de l’Éducation nationale :
« Qui est habilité à définir la norme de la Langue des Signes Française ? Quelle
norme pour quelles perspectives scolaires, sociales ? Comment traiter l’existence de
146
la variation régionale ? Quelle norme pour quel statut linguistique de la LSF ? »
(ibidem p. 27)
L’ensemble de ces questions est toujours discuté, argumenté, sans qu’il soit vraiment possible
d’arriver à un consensus satisfaisant pour l’ensemble de la communauté signante. Les très
grandes communautés signantes, toulousaine ou poitevine par exemple, ont en commun un
lexique régional véhiculé par les réseaux tels que Websourd (entreprise à rayonnement
national implantée à Toulouse) ou 2LPE (universités d’été sur l’éducation bilingue) qui
présentent des variations autres que la norme parisienne. Ces communautés linguistiques
régionales ne semblent pas ressentir la norme parisienne comme une surnorme, puisqu’elle ne
s’impose pas dans leur sphère linguistique et qu’elle ne présente pas d’obstacle majeur à la
compréhension lorsqu’elle apparaît. Un autre exemple peut nous permettre d’apporter un
éclairage sur cette situation : nous avons vu que la structure ELIX a pour objectif la traduction
des définitions du dictionnaire en ligne en offrant la possibilité aux internautes signants de
laisser sur le site Internet le signe correspondant au mot français et à sa définition. La richesse
des possibilités est particulièrement observable sur cette plateforme puisque plusieurs
propositions signées sont souvent faites pour un seul et même mot. Nous observons là
premièrement une confirmation d’une tendance à l’institutionnalisation via des modèles
dominants tels que les dictionnaires, mais nous observons également une difficulté de la LS à
se normer rapidement puisque personne ne « tranche » ni ne souhaite se positionner en tant
qu’institution légitime, ne serait-ce que sur ce site face aux nombreuses propositions signées
pour un seul mot (qu’ils soient des signes régionaux ou des néologismes proposés par des
sourds signants).
Nous l’avons vu en introduction, certains auteurs ont fait un parallèle entre les sourds signants
et les mouvements pour la reconnaissance des droits civiques des Noirs aux États-Unis, ou
même avec le peuple Juif. Pour perpétuer cette tradition à vouloir poser en miroir ses propres
considérations sur une communauté minoritaire, nous comparerons la communauté
linguistique des sourds signants à celle du mouvement des femmes des années 70. En ce sens
que personne ne s’arroge le droit de décider et de prendre le pouvoir sur l’évolution de la
langue, ni ne souhaite le faire, tout comme le mouvement féministe des années 70 appartenait
symboliquement à « l’individu(e) - collectivement » et ne voulait être représenté par aucune
figure autre que celle du mouvement des femmes dans son ensemble.
147
4.4. Les contraintes d’espace de l’interprète
En règle générale, durant les quelques minutes qui précèdent le début d’une conférence, l’ILS
attend face au public en balayant du regard la salle pour une rapide analyse du placement et
du nombre de sourds présents (les ILS « repèrent » rapidement les sourds présents car ils
signent entre eux ou se manifestent eux-mêmes par un signe de la main à l’ILS). Tout signe
physique de nervosité sera immédiatement détecté par le public (se frotter les mains,
s’échauffer les poignets, tanguer d’un pied sur l’autre). Il est recommandé à l’ILS d’être d’un
stoïcisme digne de la garde royale anglaise. Dès l’instant où il se présentera face au public,
chaque mouvement devra quasiment être un mouvement « linguistique ».
Cette grande visibilité de l’ILS est pour certains interprètes, quelle que soit leur expérience,
très difficile à gérer nerveusement et psychologiquement. Ce point est régulièrement abordé
lors des formations d’interprètes, à savoir comment se présenter physiquement, comment ne
pas attirer l’attention sur soi au-delà du message que l’on véhicule et, enfin, comment
modérer ce qui est souvent perçu par les auditeurs entendants comme l’attraction du jour.
Paradoxalement, contrairement aux parcours habituels des interprètes en langue vocales qui
ont en général un cursus universitaire bilingue dans leur langue de spécialité, un grand
nombre d’ILS est en réalité issu de milieux artistiques et du théâtre notamment, où le corps du
comédien-interprète fait alors pleinement partie du spectacle. La question de s’effacer pour
signifier autre chose que soi-même prend toute sa complexité si l’on prend en compte le fait
que le corps entier de l’ILS devient le principal vecteur du message.
De par notre expérience en tant que chargée de cours en école d’interprétation, les nombreux
sujets de mémoire des étudiants interprètes portant sur une problématique à laquelle le corps
de l’interprète est associée montre bien que c’est un sujet source de questionnements que la
recherche en traductologie n’a pas encore pleinement exploré et sur lequel il n’existe pas de
réponses précises en dehors de toutes les assertions intuitives propres à chacun.
148
4.4.2. Le corps comme objet du dire : les espaces autoréférencés
Parce que son corps est omniprésent dans l’élaboration visuelle du message, l’ILS fait
attention à plusieurs niveaux : il ne se met pas outrancièrement en valeur et son apparence
doit être en cohérence avec le lieu pour lequel il intervient, en privilégiant les couleurs sobres
et en évitant tout ce qui peut attirer l’œil. Une littérature abondante est disponible sur ce sujet
dans les manuels d’interprétation en LS, avec plus ou moins d’interdits selon les pays (vernis
à ongle, boucles d’oreilles, etc.).
Plus techniquement, il est enseigné dans les cursus universitaires certaines méthodes pour
déjouer les pièges embarrassants dans lesquels l’ILS peut éventuellement mettre son image en
danger : en fonction du public et du contexte, l’ILS fera attention à prendre plus ou moins de
distance avec son propre corps lors de l’utilisation de signes que Cuxac définit comme
relevant des espaces autoréférencés, ou plus prosaïquement les parties du corps du locuteur
(bouche, yeux, mains, etc.) : traduire des informations relevant de l’allaitement ou de la
sexualité par exemple, se fera physiquement de façon beaucoup plus distanciée du propre
corps de l’ILS en situation de conférence qu’en liaison à l’occasion d’un rendez-vous post-
grossesse. Nous renvoyons à l’article « Sexuality, Service Providers and the Deaf
Community » de Christine Gannon et aux discussions qui ont suivi sur le sujet lors de la
conférence « Supporting deaf people online, 2010 »117. La forte mobilisation des ILS
originaires de nombreux pays sur cette problématique lors cette conférence est une preuve que
le corps de l’ILS dans l’exercice de la profession engendre un questionnement allant de la
représentation, du transfert, de la sexualisation, de l’image, du genre, etc., qui ne se limite pas
à un questionnement d’étudiants ou de débutants, bien au contraire. Nous n’avons pas pu
développer cette idée plus avant avec l’analyse de notre corpus puisque ces questionnements
apparaissent généralement lorsque le sujet est sensible, intime ou médical, ce qui n’était pas le
cas de notre corpus. Les conditions dans lesquelles nous avons enregistré notre corpus ne nous
ont pas permis d’avoir accès à ces phénomènes qui sont la particularité de l’interprétation de
liaison de « terrain ».
117
www.online-conference.co.uk/sdp210/ (Lien accessible avec un code d’accès pour les participants de la
conférence en ligne et pour une période d’un mois après le jour de clôture.)
149
4.4.3. L’interprète : incarnation de l’accessibilité
La loi du 11 février 2005, n°2005-102 pour l'égalité des droits et des chances, la participation
et la citoyenneté des personnes handicapées ayant obligé l’ensemble des services publics
français à se rendre accessibles pour tous les handicaps, il est devenu de plus en plus courant
de faire appel aux ILS pour toutes les formes de réunions publiques et de participation à la vie
de la cité. Sans vouloir préjuger du bien-fondé de leurs motivations, les maires des communes
tout comme certains organisateurs d’évènements publics ont un rapport particulier à la
présence de l’ILS. Des remarques mettant en avant l’interprétation en LS en début de
conférence sont fréquentes et sont révélatrices de leur volonté d’afficher une preuve
d’altruisme et d’ouverture qu’ils concrétisent par l’accessibilité de leur évènement en LS.
Pour les sourds également, l’interprète symbolise en quelque sorte une différence culturelle et
linguistique, mais également une revendication publique de la prise en considération de leur
droit à l’accessibilité. L’interprète, par sa propre présence, cristallise donc les volontés
politiques, humanistes et revendicatives des personnes en présence, qui mettent en avant l’ILS
tout en le dépassant totalement en tant que personne. On attend beaucoup de lui.
L’interprète est souvent amené à pointer des éléments présents dans l’espace contextuel qui
peuvent être porteur de sens et essentiels à la compréhension du discours : un PowerPoint, des
participants, etc. L’accessibilité et la bonne visibilité de ces éléments seront déterminantes
pour la bonne continuation de l’exercice. Un élément semble particulièrement important, celui
de la mémorisation des entités spatialisées dans le souci de réactiver un élément du
discours, que ce soit dans l’espace de signation de l’ILS, ou bien dans son espace contextuel.
Ainsi, nous nous approchons de ce que D.C. Bélanger (1995 :4) avait déjà souligné et dont la
majorité des étudiants en interprétation ont empiriquement conscience : « (…) cet élément
(l’espace référentiel) alourdit l’effort de mémoire, car il devient nécessaire de retenir les
éléments désignés ». Si la mémoire de l’espace est également présente en interprétation entre
langues vocales quand le discours décrit une scène ou un événement spatial et quand
l’interprète se sert de la mémoire visuelle pour en représenter le contenu en attendant de le
reformuler, elle semble vers la langue des signes comporter une composante qui n’existe
150
probablement pas en ILV car elle est inhérente aux langues des signes, et que nous
appellerons la mémoire de la spatialisation.
Nous analyserons plus en détail les conséquences sur les ressources attentionnelles de
l’interprète lorsque celui-ci doit placer ou réactiver des éléments spatialisés lors de l’analyse
de notre corpus. Mais il apparaît, d’après la littérature et notre expérience, que l’effort requis
pour la mémorisation de l’espace serait conscient et nous chercherons à confirmer et affiner
cette hypothèse. A ce stade de notre réflexion, la gestion de l’espace physique (que nous
nommerons Effort d’auto-gestion dans l’espace) est une donnée qui mérite d’être ajoutée au
Modèle d’Efforts de la simultanée en LS. Nous analyserons plus avant cette donnée
constitutive de l’interprétation en LS pour tenter de comprendre les implications d’une telle
contrainte.
151
Chapitre 5 - Présentation du corpus et des données recueillies
L’objectif principal de notre corpus est l’observation des comportements des ILS en situation
d’interprétation dans des environnements qui nous ont été accessibles. Nous avons voulu
observer les décisions traductionnelles (scénarisation, dactylologie, emprunt, etc.) des
interprètes pour comprendre dans quelle mesure ces comportements pouvaient être le reflet
de tactiques en interprétation simultanée. Ce sont précisément ces tactiques que nous voulons
étudier afin de mieux comprendre leurs circonstances d’occurrences et leur impact cognitif
sur le processus de l’interprétation.
Nous avons procédé à l’élaboration de notre premier corpus qui comporte une heure et demie
d’interprétation d’un séminaire universitaire par six étudiants en M2 d’interprétation en LSF.
Notre objectif était d’étudier les comportements des ILS, d’analyser les tactiques les plus
récurrentes, leur impact cognitif et de tenter ensuite de comprendre à quelles lois sous-
jacentes elles pouvaient être liées. Pour ce faire, nous avons procédé au recueil de
commentaires des ILS de notre étude lors d’un visionnage de leur prestation. Ainsi, nous
avons voulu croiser nos observations avec leur propre ressenti. Après l’analyse du corpus et
des premières pistes de recherche, nous avons retrouvé certains phénomènes que nous avions
déjà eu l’occasion d’observer lors de notre première recherche sur l’interprétation en langue
des signes pour notre mémoire de master 2 Recherche en traductologie : l’interprétation en
LSF du vide lexical des domaines de spécialité, une étude de cas (Pournin, 2009), qui avait été
enregistrée avec quatre interprètes professionnels. Cette étude portait sur l’analyse des
tactiques des interprètes en LS face au vide lexical d’un domaine de spécialité. Dans la
mesure où notre corpus principal contenait lui aussi un certain nombre de termes spécialisés
face auxquels le comportement des ILS venait confirmer certaines hypothèses que nous
avions émises lors de cette première recherche, il nous a semblé intéressant d’inclure les
données recueillies à l’occasion de cette étude dans ce présent travail. Cela nous a permis
152
également de relativiser le biais potentiellement lié au manque de pratique professionnelle des
ILS de notre corpus.
A cette période, nous avons eu connaissance d’une recherche en cours sur l’interprétation en
LS menée à l’ESIT par Sophie Hirschi sous la direction de D. Gile. Cette étude était la seule
autre recherche en traductologie sur l’interprétation en LS et il nous a semblé qu’un regard
croisé pouvait enrichir nos recherches respectives. Après discussion, nous avons mis en
commun la partie de nos travaux qui portait sur le vide lexical et nous avons obtenu
l’autorisation d’utiliser une partie des données de son étude.
Il nous a semblé pertinent pour notre recherche de créer des ponts entre l’ensemble de ces
données même si elles n’avaient pas été conçues au départ pour vérifier les mêmes
hypothèses. La complémentarité de ces études et les traits communs qui s’en dégageaient
nous sont apparus être en mesure de refléter un aspect intéressant du processus.
Notre corpus se compose donc d’un enregistrement principal (corpus 1 à 6) sur lequel sera
basée la majeure partie de notre travail d’analyse. Les autres sources de données seront mises
en annexe et sont issues des deux études en traductologie que nous venons de citer
(Pointurier-Pournin et Gile, 2012 et Hirschi, en cours). Ce corpus sera complété par des
interviews d’interprètes, des focus groups et une analyse de prestation télévisuelle :
- les corpus 1 à 6 composent le corpus principal de notre étude. Il s’agit d’une étude
semi-expérimentale que nous avons enregistrée en vue de son exploitation pour ce
travail de recherche en 2010. Ce corpus comprend également la participation des
interprètes filmés (ILS 1 à 6) à un visionnage de leurs prestations avec un
enregistrement de leurs commentaires, ce qui nous a permis de croiser ce que nous
avons observé lors de leurs interprétations avec leurs commentaires personnels.
- le corpus 7 est une étude de cas naturaliste que nous avons enregistrée en 2008 et qui a
été une source de données pour l’article de Pointurier-Pournin et Gile (2012) : Les
tactiques de l’interprète en langue des signes face au vide lexical, une étude de cas.
- le corpus 8 provient d’une étude expérimentale réalisée en 2012 par Sophie Hirschi à
l’occasion d’un travail de recherche en traductologie à l’ESIT : « La prise en charge
du vide lexical en interprétation simultanée de conférence du français vers la langue
153
des signes » (non publié). Ce corpus analyse l’interprétation de cinq interprètes
professionnels (ILS 7 à 11) ayant en moyenne 15 ans de pratique professionnelle.
Comme pour les travaux précédents, ce corpus est accompagné d’une interview des
interprètes au sujet de leurs productions.
- Enfin, ce corpus contient une analyse de la prestation de trois interprètes lors des
« Questions au gouvernement » sur France 3, avec l’interview d’une des trois
interprètes (ILS 12) intervenant régulièrement en direct dans ce programme.
Ce corpus a pour objectif principal l’observation d’ILS dans une situation réelle de discours.
Nous avons observé et relevé les tactiques les plus fréquentes des interprètes telles que la
scénarisation, la périphrase, la dactylologie et l’emprunt. Nous avons cherché à comprendre
les impacts de ces tactiques sur le processus de l’interprétation.
La participation des étudiants de deuxième année à ce projet était, à ce moment précis de
notre parcours, une solution permettant d’avoir le plus facilement accès à un maximum de
participants dans une situation réelle d’interprétation. Notre première expérience de collecte et
d’analyse de données lors d’un travail de recherche en master 2 de recherche en traductologie
nous avait permis de nous confronter à une certaine réticence de la part des interprètes, qui ne
nous laissaient voir que ce qu’ils voulaient bien nous montrer. La démarche
« d’introspection » nécessaire à la recherche empirique pour croiser les données n’avait pas
abouti et nous avions remarqué que les ILS ne consentaient pas volontiers à se laisser filmer
pour ensuite rendre compte de leurs tactiques face aux potentielles difficultés techniques en
154
situation professionnelle en dehors de situations « d’entre soi », ce que nous respectons. La
recherche en traductologie étant inexistante à l’époque pour ce qui concerne la LSF, les
interprètes n’avaient pas l’habitude de cette démarche et restaient souvent murés dans un
discours défensif visant à systématiquement justifier ou minimiser leurs difficultés. En
confrontant cette observation lors de séminaires du CETRA en 2009, il nous est apparu que ce
comportement était fréquent et pouvait s’expliquer par la volonté légitime des interprètes de
vouloir préserver leur image professionnelle en toute circonstance. Or, l’objectif de notre
recherche était de croiser les données observées avec les commentaires des interprètes sur
leurs propres prestations. Travailler avec des étudiants dans une dynamique générale de
perfectibilité a donc été beaucoup plus simple dans la mesure où la reconnaissance des
difficultés rencontrées s’est faite de façon très spontanée.
Malgré les précautions prises lors de la sélection des extraits de corpus exploitables en vue de
ce travail de recherche, et pour éviter de généraliser sur un unique panel d’étudiants issus
d’une même école (même si, nous le rappelons, le niveau des prestations a été validé par des
interprètes en exercice comme répondant aux normes des interprétations professionnelles),
nous avons voulu élargir notre panel à d’autres profils d’interprètes. Cette initiative nous est
apparue heureuse puisqu’elle a permis de mettre en parallèle les données observées dans notre
corpus avec d’autres échantillons d’interprètes chevronnés en exercice (échantillon corpus 7
et 8), eux-mêmes issus de plusieurs universités.
Le corpus a été enregistré en mars 2010 à l’ESIT. Les participants sont des élèves interprètes
de la section LSF de l’ESIT en deuxième année de master interprétation LSF/Français, venus
interpréter un cours de méthodologie de recherche en traductologie de Daniel Gile de la
section de recherche. La participation à l’exercice s’est faite sur la base du volontariat et neuf
étudiants sur treize ont répondu favorablement. Ces étudiants avaient déjà eu l’occasion
d’interpréter ce cours un mois avant l’enregistrement en tant qu’exercice à l’interprétation de
type conférence/universitaire. Ils avaient ainsi pu se familiariser avec la configuration de la
salle, le nombre d’étudiants présents, le style de l’orateur et les contenus éventuels. Après un
bilan effectué lors du premier enregistrement les étudiants avaient unanimement demandé la
présence d’un interlocuteur signant dans la salle qui leur permettait de bénéficier d’un
155
feedback, comme il est d’usage de le faire en exercice à l’interprétation en LS. Afin d’évaluer
la compréhension des étudiants-interprètes lors de leurs prestations vers la LSF, nous avons
pris l’habitude en cours de mettre des casques antibruit qui permettent à chaque étudiant en
position de récepteur de mesurer l’intelligibilité des interprétations proposées, sans aucun
accès possible au discours oral de départ. Dans la logique de cette démarche et suite à leur
demande, nous avons équipé deux personnes entendantes de casques anti bruit et bouchons
d’oreilles (un étudiant de la section LSF et un chargé de cours).
Avant l’enregistrement, tous les participants ont reçu collectivement les éléments de
préparation suivants :
- Document écrit sur le contenu du cours (la lecture critique) envoyé par courriel la
semaine précédente.
- Recherche sur le site internet de Daniel Gile (www.cirinandgile.com) où, entre autres,
les contenus des cours sont accessibles.
- Visionnage et correction collective de la vidéo de l’exercice interprété la fois
précédente où des explications ont été données pour l’interprétation du cours suivant.
- Préparation collective des étudiants pendant une heure et demie la veille de
l’intervention : identification du lexique utilisé, par exemple « lecture critique »,
« variabilité » ainsi que des concepts abordés. Entente sur les tactiques d’interprétation
privilégiées de ces concepts, intention collective d’aborder l’interprétation de ces
concepts sans céder au transcodage.
- Entretien collectif avec l’orateur avant l’intervention, éclairages donnés sur les
contenus et le déroulement du cours à suivre.
Les participants sont en deuxième année de Master interprétation LSF/ français. L’un d’entre
eux est EEPS (enfant entendant de parents sourds), les autres ont en moyenne sept ans de
pratique de la LSF dans un cadre professionnel bilingue français/LSF : assistante sociale,
conseillère en économie sociale et familiale, éducateur spécialisé, auxiliaire de vie scolaire,
156
professeur des écoles, professionnel bilingue. Dans le cadre de leurs emplois antérieurs,
chacun d’entre eux avait déjà été sollicité pour assurer des prestations d’interprétation de
liaison.
La moyenne d’âge est de 31 ans et demi (de 27 à 41 ans).
Les étudiants présents avaient l’habitude d’être enregistrés sur support vidéo. Cette méthode
est régulièrement utilisée en cours pour travailler les interprétations en langue des signes,
langue visuelle où la vidéo est le support par excellence. Sans vouloir minimiser le « trac » dû
à la présence de la caméra, nous informons le lecteur que les étudiants se sont confrontés
régulièrement à la caméra depuis le début de leur cursus de formation.
La caméra était placée au fond de la salle pour permettre un angle de vue incluant l’interprète,
le tableau et l’orateur, et ce dans l’intention d’analyser les interactions possibles, les
placements et déplacements de chacun. Nous avions obtenu la permission de filmer le cours
ainsi que l’accord de tous les participants pour l’exploitation du corpus en vue d’un travail de
recherche.
Le cours a duré environ une heure et quarante-cinq minutes et la consigne donnée était la
suivante : il y a un ou plusieurs étudiants sourds qui suivent ce cours régulièrement, projetez-
vous en situation professionnelle. Les participants ont géré eux-mêmes leur préparation, les
contacts avec l’orateur et les participants, leur ordre de passage, leurs temps de relais et
l’interprétation pendant toute la durée de l’exercice.
157
La différence des temps d’interprétation s’explique par le fait que les étudiants s’étaient mis
d’accord pour interpréter 15 minutes chacun. Cependant, suite à la fatigue ressentie, ils se sont
concertés pendant l’exercice pour réduire ce temps à dix minutes.
Après visionnage du corpus, sur les 106 minutes de cours et de corpus enregistrés, nous avons
choisi de ne garder que 76 minutes, car certaines prestations comportaient trop d’erreurs de
méthode qui pouvaient être un biais parasitant l’exploitation des données recueillies. Il s’avère
que les interprétations retenues sont celles proposées par les étudiants qui ont passé avec
succès leur diplôme d’interprète en juin 2010, soit trois mois après l’enregistrement. Nous
avons demandé un avis extérieur d’une collègue interprète, elle-même issue d’une autre école
d’interprétation et formatrice d’interprètes pour apprécier ou non la qualité professionnelle
des interprétations retenues. Après visionnage du corpus elle a validé nos choix.
Nous tenons à souligner que le corpus choisi est une traduction d’un cours universitaire, qui
présente des difficultés terminologiques et conceptuelles non négligeables malgré l’envoi
préalable d’une préparation. Après visionnage du corpus en présence de notre correctrice
interprète, nous voulons préciser que ce corpus présente un degré de conceptualisation
matérialisé par un lexique spécialisé (validité écologique, triangulation, texte de départ et
d’arrivée, protocole, processus, recherche empirique, etc.), mais également par l’utilisation de
termes tels que faisabilité, généraliser, représentativité, etc., qui, n’ayant pas d’équivalent
lexicaux en LSF, ont nécessité de la part de l’ILS des scénarisations parfois longues et
complexes.
Méthode choisie :
Différents systèmes de transcription de la langue des signes existent ainsi que des systèmes
vidéo secondés par des logiciels (type ELAN) pour analyser les gestes, gloses, expressions du
visage et positionnement du corps. Ces outils s’avèrent nécessaires dans l’exploration
linguistique de la langue mais ne permettent pas de mettre en parallèle un discours avec son
158
interprétation de façon satisfaisante. En vue d’un travail de recherche traductologique, la
priorité n’a pas été de présenter la langue des signes par écrit, mais d’analyser les tactiques et
les évènements concourant au travail d’interprétation. Nous nous sommes inspirée de deux
méthodes de présentation de corpus interprétés en langue des signes pour en créer une
troisième pouvant répondre à nos besoins d’analyse : celle enseignée par Philippe Séro-
Guillaume lors d’études de corpus proposés à l’ESIT et la méthode utilisée par Cynthia Roy
(2000-b), qui est largement utilisée dans la littérature traductologique anglo-saxonne. Nous
remarquons que ces deux méthodes sont linéaires et caractérisées par l’aspect pragmatique de
la transcription de corpus signés dans leur rapport au discours original, et non par leur
intention de représenter visuellement et exactement la totalité des paramètres utilisés en
langue des signes.
La transcription du corpus s’est faite de façon « manuelle », en découpant chaque segment
vidéo en partitions pouvant être lues indépendamment les unes des autres. Il est ainsi possible
de remarquer le décalage, les omissions, les tactiques utilisées et les placements dans l’espace
de signation. La transcription du corpus a également été intégralement vérifiée par notre
collègue interprète, chercheuse et enseignante en interprétation Sophie Hirschi.
Nous pouvons reprendre les précautions de lecture avancées par C. Roy (2000-b : 69) et les
transposer à notre transcription puisque nous estimons qu’elles restent valables d’une langue
des signes nationale à une autre :
159
« Because ASL is not a written language and because grammatical relationships can
be marked on by the face, hands, and through movement and space, ASL is
represented by glosses which are literal English representations of some part of the
corresponding ASL lexical item. Therefore the meaning represented here is always
somewhat skewed or simplified. »118
Nous voulons signaler également que les étudiants suivant ce cours de M2 Recherche en
traductologie sont majoritairement étrangers, ce qui peut parfois expliquer certaines fautes de
syntaxe et de français que nous avons choisi de garder telles quelles dans la mesure où elles
ont eu une certaine influence sur l’interprétation.
5.1.1.8. Résultats
118
Traduction : « L’ASL n’ayant pas d’écrit, les formes grammaticales prennent forme par le visage, les mains,
le mouvement ou l’espace, l’ASL est représentée par des gloses qui ne rendent compte que d’une partie
transcodée du référent en LS. C’est la raison pour laquelle ce qui est écrit n’est qu’une vision tronquée ou
simplifiée du sens général en ASL. »
160
Nous avons travaillé la notion d’espace d’énonciation de l’interprète (voir section 5.2.1.1.3.)
qui se compose, en situation d’interprétation, de l’espace de travail et de l’espace
contextuel.
L’espace de travail est un espace qui se compose de l’espace de signation de l’ILS mais aussi
de ce que nous avons nommé « espace de désignation », qui est l’ensemble des éléments
présents dans le lieu où se déroule l’évènement et qui peuvent, à un moment donné de
l’interprétation prendre une valeur sémantique par le déictique (l’interprète pointe un mot, un
schéma ou désigne une personne présente dans la salle). Tout changement de cette zone
ergonomiquement accessible par l’ILS et négociée dans l’espace commun provoque une
perturbation dans le déroulement de l’interprétation comme nous l’avons remarqué dans les
corpus 3 et 4. En effet, l’interprétation se déroulait dans une certaine zone de travail et fût
soudainement modifiée lorsque l’orateur a fait une démonstration sur un paper board. Le
temps que l’ILS ne comprenne l’importance de cette démonstration et prenne en conséquence
la décision de se déplacer a monopolisé toute son attention, ce qui a largement contribué à une
dégradation significative en termes d’informations transmises par l’ILS vis-à-vis du discours.
C’est pourquoi il nous semble pertinent d’intégrer la gestion de l’espace physique comme
une donnée constitutive de ce que nous nommons les contraintes d’espace. Elle est
déterminante et fait entièrement partie des Efforts qui incombent à l’interprète en langue des
signes.
161
Nous avons également observé 27 occurrences d’indication d’évènement dans la salle, 12
précisions quant au caractère humoristique du discours, 7 occurrences d’informations données
sur l’orateur, 7 interactions directes avec l’ILS, et 4 occurrences où l’ILS est en situation
bimodale (signe et parle en même temps).
L’ensemble de ces contraintes nous laissent à penser que l’interprète ne prend pas uniquement
en charge les éléments linguistiques puisqu’il gère effectivement l’ensemble des évènements
qui permettent l’intégration de la personne sourde dans l’évènement. Nous rejoignons ici la
littérature anglo-saxonne qui place l’interprète en vecteur de la communication (Wadensjö,
1998 ; Metzger, 1999 et Roy, 2000-b entre autres) puisque son apport va bien au-delà de la
simple information translinguistique.
La mémoire de la spatialisation :
Nous avons voulu affiner la notion de la mémoire spatiale et l’analyser au regard des
contraintes des ILS. Pour ce faire, nous avons analysé et comptabilisé le nombre d’erreurs de
pointage dans l’espace de signation des productions des interprètes. Nous voulions ainsi
comprendre si leur fréquence d’occurrence était liée au nombre d’entités positionnées dans
l’espace de signation. Nous avons relevé 12 erreurs de pointage sur l’ensemble des six corpus.
La totalité de ces erreurs sont survenues pendant les premières minutes des interprétations et
sur des éléments de discours qui ne présentaient que deux entités à placer. Ce n’est donc pas
la multiplicité des items qui surcharge la mémoire de la spatialisation de l’interprète, mais le
caractère binaire ou opposable de ces items (voir figure 9 dans le paragraphe 5.2.3.1 p. 198).
Nous avons ensuite observé les décisions traductionnelles des ILS en analysant plus
particulièrement leurs tactiques, notamment celle de la scénarisation. Nous avons relevé 82
occurrences de scénarisations. Nous avons ensuite défini deux sortes de scénarisations : une
scénarisation induite par le discours (57 occurrences) et une scénarisation de composition
(25 occurrences), plus particulièrement utile lors d’occurrence de vides lexicaux.
La scénarisation induite répond aux règles discursives de la langue des signes puisqu’elle
s’appuie sur l’utilisation de transferts personnels pour mettre en scène un évènement présent
dans le discours. Dans la majorité des cas, la scénarisation induite apparaît dans la production
162
de l’interprète suite à des éléments déclencheurs que nous avons identifiés : notion relative à
un évènement antérieur, introduite par des pronoms ou des éléments de discours explicatifs
(voir figure 14 p. 245). Nous avons également relevé pour cette tactique un taux d’omission
de détails ne portant pas préjudice à la compréhension de 29 % (voir figure 13 p. 239).
Les scénarisations de composition que nous avons analysées sont dans 56 % des cas plus
longues que le segment original (voir figure 12 p. 238). Lors d’une analyse plus poussée nous
avons observé que dans 52 % des cas elle ne satisfaisait pas au regard du segment original
(voir figures 12 p. 238 et 13 p. 239 où nous avons relevé le nombre d’omissions,
d’approximations et d’erreurs de chaque scénarisation de composition). Nous avons
également relevé que dans 48% des cas, il y avait une omission dans le segment qui suivait les
scénarisations de composition, ce qui donne à penser, dans la logique du Modèle d’Efforts,
que ces scénarisations étaient fort consommatrices en ressources attentionnelles. Nous avons
considéré que la création d’entités de scénarisation ne se faisait pas aussi aisément et
nécessitait une étape supplémentaire lors de la phase de production pour permettre à l’ILS
de définir les entités de scénarisation pertinentes à mettre en scène dans son espace de
signation. Nous avons appelé cette étape création d’entités de scénarisation (voir figure 15
p. 247). Nous analyserons plus en détail dans cette recherche l’impact de la scénarisation sur
le processus cognitif de l’interprétation.
Le recours à la scénarisation est économique et ergonomique lorsqu’elle est correctement
menée à terme. Pourtant, les autres difficultés de la scénarisation que nous avons observées
relèvent de la conscience de l’apport personnel de l’interprète lors de la décision de ce que
qu’il « donnera à voir ». Nous interrogeons ici la notion de fidélité au message telle qu’elle est
communément envisagée et estimons que son acception en interprétation en langue des signes
est beaucoup plus souple qu’en interprétation entre langues vocales.
Nous avons ensuite analysé plus en détail le comportement des ILS face au vide lexical en
analysant leurs tactiques de prise en charge d’éléments du discours n’ayant pas de
correspondances lexicales avérées en LSF. Nous avons relevé que la labialisation était une
tactique présente dans 31,7 % des occurrences et était systématiquement utilisée en ajout
d’une autre tactique, l’emprunt apparaît la seconde tactique à 19% des occurrences, la
scénarisation à 11,5% des occurrences et la dactylologie à 7,6 %.
163
Nous avons décliné et analysé la notion de l’emprunt en interprétation en LS. En premier
vient l’approximation conceptuelle qui se décline en deux tendances : la radicalisation (ex
traductologie qui est traduit par le signe [traduire] et labialisé « LOGIE » (exemple au corpus
5). En second vient l’emprunt à charge sémantique ajoutée que nous expliquerons avec
l’analyse de « validation écologique » (au paragraphe 5.5.1.2.2.2, p. 278).
Nous avons ensuite procédé à une étude comparative des occurrences d’omission avec les
résultats présentés par les travaux de Napier (2000). Selon nos résultats, le taux d’omission
que nous avons observé est de 4 pour 10 minutes de discours, contre 17 omissions pour le
même temps dans l’étude australienne de Napier. Dans notre corpus, l’ensemble des
omissions étaient à 79 % associées à un vide lexical avéré en LSF.
Enfin, et contre toute attente, nous avons relevé que l’utilisation de la dactylologie était à 50%
des occurrences en référence aux noms propres, mais également pour faire état du vocabulaire
français utilisé dans le discours.
Nous avons pu observer que la dactylologie est largement chronophage et consommatrice en
ressources attentionnelles en situation d’interprétation, de surcroit lorsqu’elle est utilisée en
deuxième tactique suite à une scénarisation ou un emprunt. Nous avons relevé un taux
d’omission des segments suivant l’utilisation de la dactylologie qui s’élève à 60%.
Nous avons expliqué plus haut notre choix d’utiliser plusieurs sources de données pour
répondre au mieux à nos besoins de recherche. Les données recueillies avec le corpus
principal nous permettent de dégager les premières tendances lors de notre observation de
l’exercice de l’interprétation. Les corpus 7 (étude de cas naturaliste), et 8 (interprètes
chevronnés) nous aident à mettre en perspective les éléments observés et à comprendre leurs
incidences sur le processus interprétatif en tant qu’éléments pertinents ou constitutifs ou non
de l’exercice.
164
5.1.2. Corpus 7
5.1.2.1. Une étude de cas naturaliste : les tactiques des ILS face au vide lexical
Nous avons également filmé une séance de travail de trois quarts d’heure entre l’étudiant
sourd et un interprète, séance filmée avec l’accord de l’étudiant sourd concerné. L’analyse des
enregistrements vidéo nous a permis de recenser 107 mots et expressions n’ayant pas
d’équivalence propre en LSF : 29 lors de la première interprétation, 38 lors de la deuxième,
22 lors de la troisième, 17 lors de la quatrième (voir Pournin, 2009).
Nous rappelons ici qu’à la date de l’enregistrement de ce corpus il n’existait pas de glossaire
français/LSF dans ce domaine. Les mots et expressions recensés pour ce corpus ont étés
choisis selon les critères suivants :
- les mots recensés ne sont pas référencés dans les dictionnaires Français/LSF existants
(IVT, Fournier Signé, dictionnaires en ligne) ;
- ils n’ont pas d’équivalence lexicale en LSF connue de l’étudiant sourd et des
interprètes. D’après l’étudiant, aucune de ses connaissances exerçant la même
profession et faisant partie de la communauté sourde ne les connaissait ;
- l’utilisation du concept est essentielle à la compréhension de la matière étudiée ;
165
- si le mot est connu de l’ILS et du sourd, son utilisation stricte en gestion appelle la
création d’un nouveau signe.
Le recensement des termes non lexicalisés a été fait conjointement par deux interprètes, avec
l’étudiant sourd. Après visionnage des vidéos, chaque terme inédit en LSF a été relevé et son
interprétation étudiée. Nous avons noté signe par signe la manière dont chaque interprète
introduit les concepts non officiellement lexicalisés en LSF : utilisation de la
dactylologie/français signé/interprétation/labialisation/emprunt/scénarisation/etc.
La séance de travail entre l’étudiant et l’interprète a été filmée en janvier 2009. Ce genre de
pratique n’est pas systématique. Souvent, les interprètes se mettent d’accord sur les signes
avec les étudiants sourds de façon informelle, à la pause ou à la fin des cours. Mais devant
l’étendue du technolecte utilisé pour cette matière et les différentes traductions proposées
selon les interprètes, chacun a jugé utile de se mettre d’accord sur les correspondances
lexicales qui allaient être utilisées par la suite.
5.1.2.2. Résultats
Ainsi, nous avons pu établir un premier recensement des différentes tactiques d’interprétation
du vocabulaire français non lexicalisé en LS. Nous avons analysé et classé les données sous
forme de tableaux en analysant les choix interprétatifs de chacun des interprètes. Nous les
avons ensuite classés dans l’ordre décroissant de leur fréquence d’occurrence. Le tableau de la
figure 5 ci-dessous présente les différentes tactiques que nous avons recensées lors de cette
étude :
166
Figure 5 : Tableau des tactiques de traductions de termes techniques français ne
possédant pas d’équivalence en LSF
Interprétation Interprétation Interprétation Interprétation
n°1 n°2 n°3 n°4
Labialisation 12 18 9 16 55 soit 34 %
Dactylologie 7 2 15 33 soit 20 %
Emprunt à la LSF 9 5 6 1 21 soit 13 %
Scénarisation 4 6 2 2 18 soit 11 %
Français signé 3 6 5 14 soit 9 %
Périphrase 1 6 2 1 10 soit 6 %
Représentation visuelle
1 3 4 soit 2 %
du support de cours
Signe-1e lettre 1 2 3 soit < 2 %
Siglaison 2 1 3 soit < 2 %
Énumération 1 1 soit < 1 %
Sosie labial 1 1 soit < 1 %
- Labialisation sans voix du mot français (55 occurrences soit 34 % des tactiques
choisies)
- Dactylologie : utilisation de l’alphabet manuel (33 occurrences soit 20 % des tactiques
choisies)
- Emprunt de la langue des signes, réinvesti d’un nouveau sens (21 occurrences soit
13 % des tactiques choisies)
- Scénarisation (18 occurrences soit 11 % des tactiques choisies)
- Français signé (ex. : surcoût = [sur] + [coût]) (14 occurrences soit 9 % des tactiques
choisies)
- Périphrase ou explicitation (10 occurrences soit 6 % des tactiques choisies)
- Représentation visuelle du corpus de cours (voir contraintes d’espace) (4 occurrences
soit 2 % des tactiques choisies)
- Siglaison (initiales des mots) : ex. : Unité de Vente Consommateur = UVC
(3 occurrences soit moins de 2 % des tactiques choisies)
- Énumération : pour représenter un concept à travers une liste d’éléments qui le
composent (1 occurrence soit moins de 1 % des tactiques choisies)
- Signe crée par sosie labial : le sens du signe est créé par la similitude de la
prononciation labiale d’un autre mot français connu de la personne. (1 occurrence soit
moins de 1 % des tactiques choisies). Ex. : immobilisation signé comme [immeuble] et
labialisé.
167
Cette étude de cas nous a permis de mettre en avant l’importance de l’enjeu de la traduction
dans les choix de traduction des interprètes en LS de notre corpus et nous a permis de faire le
lien avec la théorie du Skopos. En effet, il a été observé que les ILS favorisaient des tactiques
qualifiées de chronophages qui ont parfois été doublées d’une une autre tactique pour un
même segment référentiel (ex. : une périphrase suivie d’une épellation du mot français) dans
l’intention de transmettre à l’étudiant sourd des informations translinguistiques sur le mot en
langue de départ. Cette étude nous a permis également de mettre en lumière la fréquence
d’occurrences de vides lexicaux que nous supposons plus élevée en interprétation vers la LS
qu’en interprétation entre langues vocales, dans la mesure où les mots de vocabulaires relevés
dans notre étude qui ne possèdent pas encore de correspondance standardisée en LS existent
dans la plupart des langues vocales. Pour pallier ce manque de correspondances relatif au
technolecte de la spécialité étudiée, nous avions observé que de nombreux signes utilisés dans
ce corpus ont été créés, empruntés et sémantisés par les ILS en concertation avec l’étudiant
pour un usage hic et nunc, et n’étaient en conséquence compréhensibles que dans un cadre
restreint de locuteurs signants (voir Pointurier-Pournin et Gile, 2012). Nous n’avions pas
observé dans cette étude les effets des tactiques sur le processus cognitif de l’interprétation.
5.1.3. Corpus 8
Nous ferons plusieurs fois référence à l’étude expérimentale (en cours) de Sophie Hirschi.
L’étude de S. Hirschi porte entre autres sur l’observation des tactiques des ILS de conférences
lors d’occurrences de termes non spécialisés sans correspondances lexicalisées établies en
LSF. Il s’agit d’un corpus constitué de cinq interprétations simultanées par cinq interprètes
différents d’un même discours de Nicolas Sarkozy sur la maladie d’Alzheimer119. Les
interprètes ont en moyenne 16,4 ans d’expérience professionnelle. Dans cette étude, chaque
ILS interprète deux fois de suite les dix premières minutes du discours puis, pour permettre un
119
Discours disponible à l’adresse suivante : http://www.dailymotion.com/video/xk0q5n_conference-
internationale-sur-la-maladie-d-alzheimer-n-sarkozy_news (dernière visite en Novembre 2013) dont la
transcription est en annexe, voir paragraphe 8.4 page 420., les données du corpus 7.
168
croisement de données, les interprètes sont interviewés lors du visionnage des deux séquences
enregistrées.
Les termes qui n’ont pas d’équivalents lexicaux et qui font l’objet d’interprétations
différentes, que ce soit de la part d’un ILS lors de sa première et de sa deuxième interprétation
ou d’un ILS à l’autre, sont discutés lors de ces interviews. Nous avons obtenu l’autorisation
d’utiliser les commentaires des ILS que nous avons mis en annexe.
5.1.3.2. Résultats
Les aspects de cette étude qui nous intéressent ici sont d’une part les tactiques mises en œuvre
pour l’interprétation de certains concepts et, d’autre part la grande liberté prise par rapport au
discours de l’orateur en terme de variétés d’interprétations possibles de ce même discours, et
ce malgré la simplicité des items analysés (la médecine, la représentation, etc.). Ces résultats
amènent un questionnement très intéressant quant aux normes d’acceptabilité d’une
interprétation en LSF par rapport à l’interprétation entre langues vocales au regard de la
notion de fidélité au discours. Cette étude nous apporte également des éclairages intéressants
quant aux tactiques interprétatives des interprètes face à des concepts non spécialisés tels que
« la médecine », « fléau », « illustrer », « la lutte », « spécialiste », « vos travaux » etc.
L’étude étant en cours au moment de la rédaction de notre travail, nous ne sommes pas en
mesure de faire état de l’ensemble des résultats.
169
Nous avons en conséquent analysé une prestation de « Questions au gouvernement » sur
France 3, en observant particulièrement la sémantisation de l’espace de signation des ILS.
Nous avons relevé une tendance quasi systématique des 3 interprètes de l’émission analysée à
ne pas utiliser l’espace de façon diagrammaticale. Plus précisément, la quasi-totalité des
placements de ce corpus ne sont pas spatialisés mais simplement posés dans l’espace dit
« neutre » de l’ILS (le petit carré devant soi) et les ILS n’ont pas la possibilité de sémantiser
leur espace de façon à pouvoir le réactiver par des pointages par exemple. Le discours les
contraint à une forme de production non-ergonomique voire chronophage. Suite à nos
observations nous avons interviewé une des ILS de ce corpus qui s’est très aimablement
prêtée à notre recherche et nous la remercions ici une fois encore. Son interview (voir
interview ILS 12 en annexe au chapitre 8.5 p. 436) est très éclairante puisqu’elle nous permet
de comprendre les choix tactiques des ILS dans ce genre d’exercice où les contraintes sont
telles qu’elles ne peuvent prendre en compte l’ensemble des paramètres de la LS et génèrent
une langue qui n’est pas toujours en conformité avec la « norme » telle qu’elle est
généralement imposée. Ces formes d’interprétations « extrêmes » nous permettent de
considérer le contexte cognitif de l’interprète en action et de l’envisager en relation avec ses
conséquences sur la production.
Nous avons vu précédemment que l’espace est un paramètre constitutif de la langue des
signes et que son rôle sémantique dans la construction d’une phrase n’est plus à démontrer
(emplacement du sujet/objet, directionalité du verbe, pointages, transferts, etc.). En partant du
principe que la gestion de l’espace peut être similaire entre un locuteur sourd signant et un
interprète, nous avons voulu comprendre comment, en situation d’interprétation, l’espace peut
être un élément déterminant dans l’élaboration de l’interprétation. Pour cela, nous avons
cherché à comprendre si la notion d’espace est la même en situation d’interprétation qu’en
situation ordinaire de locution directe en LS.
170
5.2.1.1. L’espace de signation
Lorsqu’on parle d’espace en LS, on pense en tout premier lieu à l’espace de signation qui est
l’espace directement et ergonomiquement accessible par les mains du signant « (…) ‘sign
space’, which is defined as the frame within which a signer’s hands move » (Stewart, Schein
et Cartwright ; 1998 : 66), et qui peut se définir comme l’espace de locution au sens premier.
Un schéma de Klima et Bellugi (1979) le représente comme un demi-ovale en trois
dimensions dont le centre est le plexus solaire du signant, et qui va généralement de la tête de
l’interprète jusqu’aux hanches. Pour autant, cette délimitation n’est pas stricte, car l’interprète
peut à tout moment utiliser une autre partie de son corps (ergonomiquement accessible par ses
mains) pour les besoins d’un signe lors de son élaboration. Dans cet espace de signation, le
locuteur représente le discours en positionnant les sujets de façon à pouvoir créer des
interactions en utilisant l’espace de façon pertinente entre ces entités dans l’intention de créer
du sens. Utiliser l’espace de façon pertinente implique que le locuteur soit en mesure de faire
cohabiter des éléments standards de la LS avec des notions visuelles communément partagées
(Dieu est en haut et les hommes en bas), des éléments relevant de la CNV ainsi que les règles
de temporalité liées à la langue. Nous noterons ici une remarque qui peut paraitre anecdotique
mais qui met bien en lumière l’importance de l’appropriation de l’espace de signation : si la
notion de passé est en général derrière le dos du locuteur et que le futur est devant lui, l’ILS
peut à tout moment décider de placer sa ligne de temps horizontalement face à lui en décidant
que tout ce qui est à gauche d’un certain point est du passé et tout se qui se situera à droite
sera l’avenir (Cuxac, 2000 :164). L’espace de signation est donc un espace en perpétuel
mouvement et le locuteur y détermine au fur et à mesure du discours les emplacements qu’il
estime être les plus justes.
L’espace de signation en tant que tel apparaît peut-être comme une notion relativement
évidente, mais il est à noter que son analyse en situation d’interprétation n’a jamais été
explorée. On trouve ça et là dans la littérature traductologique les mots espace, space, sign
space, espace de signation, etc., sans que jamais cette notion ne soit réellement définie et
approfondie dans sa relation à l’interprète. La totalité des études étant d’approche
linguistique, elles se sont surtout penchées sur des corpus de locuteurs sourds (en situation
171
dialogique ou de narration) et sur l’analyse de la subdivision de l’espace en différents sous-
espaces appelés loci, c'est-à-dire des « portions d’espace auquel il est attaché une valeur
référentielle de façon ponctuelle » (Bras, Millet et Risler ; 2004) dans l’intention d’en
déterminer la valeur linguistique du procédé opératoire.
Millet (2006 : 98) décrit l’espace comme une notion polysémique et polyfonctionnelle. Sans
pour autant vouloir donner une définition générale de l’espace « qui sans doute n’a de réelle
définition qu’en termes mathématiques. À ce niveau très général, on se contentera d’une
approximation intuitive, telle que chacun peut l’appréhender », l’auteure propose
l’énumération suivante :
- Espace réel, espace de signation : espaces fonctionnellement différents même s’ils sont
identiques au plan physique. Le premier est l’espace dans lequel le locuteur se trouve, tandis
que le second est linguistique
- Espace neutre : à une dizaine de centimètres du locuteur à hauteur de taille. Espace qui
permettrait de n’assigner aucune fonction à un élément lexical ainsi posé.
Le locutif : espace sur le buste du signeur, qui permet d’assigner les fonctions d’agent ou
patient/bénéficiaire pour une première personne. (…) Espace dévolu à un animé.
Le délocutif animé : espaces à droite et à gauche du signeur à hauteur de taille, qui permettent
d’assigner des fonctions d’agent ou de patient/bénéficiaire pour une troisième personne et
exclusivement animée.
Le délocutif inanimé : espace devant le signeur, déployé au-delà de l’espace neutre, à une
quarantaine de centimètres de la taille, permettant d’assigner la fonction de but à une
troisième personne inanimée.
172
Le délocutif indéfini : espaces à droite et à gauche du signeur à hauteur de tempes, qui
permettent d’assigner des fonctions d’agent pour une troisième personne indéfinie (on).
Le locatif : espaces situés à gauche et à droite du signeur à hauteur d’épaule (entre les espaces
délocutif animé et indéfini) et destiné à recevoir les termes locatifs du schéma actanciel. (…)
C’est ainsi que s’expliquent les différentes valeurs lexicales assignées à un signe selon son
emplacement. Millet (2006 : 99) ajoute : « le lexique de la LSF est en effet sous-spécifié dans
bien des cas. Les bases verbo-nominales et animo-locatives sont nombreuses. » Pour ce faire
et en expliquer le fonctionnement, l’auteur prend l’exemple du signe [balai] qui, selon son
emplacement et sa forme d’exécution, renvoie soit au verbe « balayer » soit à l’objet tout
simplement.
En 2004, Bras, Millet et Risler avaient également présenté une organisation spatiale des
signants. Les auteurs identifient pour l’espace relationnel ou espace de signation les six
« espaces » suivants :
4. Espace corporel
5. Lignes de temps
Il apparaît logique de partir du principe qu’en tant que signeur, l’interprète utilise un espace
équivalent à celui d’un signeur sourd lambda. Plus précisément, son utilisation de l’espace de
signation et de ses espaces pré-sémantisés, des pointages, du corps, de la ligne du temps
devraient être quasi-identiques à ce qui a pu être observé dans les études précédentes.
Nous avons particulièrement attaché de l’importance à ce que Bras, Millet et Risler (2004 :
62) appellent « espace dialogique, ou espace d’énonciation » qui se définit comme « espace
du réel où se passe l’interlocution ; ici les pointages et l’orientation des verbes pourront
prendre des valeurs exophoriques », c'est-à-dire que tout ce qui sera pointé pourra l’être en
fonction du lieu et des personnes en présence. Si, en tant que locuteur, je parle d’une personne
qui est à ma droite et que cette personne doit rendre un livre par exemple à quelqu’un d’autre
sur ma gauche, l’action de « rendre le livre » se fera de la droite (là où est l’emprunteur) vers
la gauche (là ou est le prêteur). En 2006, dans une probable requalification des espaces, Millet
donne une définition de l’« espace réel, espace de signation » et poursuit :
120
Analyse sémantico-cognitive d’énoncés en LSF pour une génération automatique de séquences gestuelles.
Thèse de Doctorat, 2004.
121
De l’Espace métrique à l’espace de signation, à vos GP(e)S, TALN, 2011, Montpellier, pp 59-72.
174
« Concernant l’espace dans lequel s’exécute une langue gestuelle on distinguera
l’espace réel de l’espace de signation, qui s’ils sont, au plan physique, identiques, sont
fonctionnellement différents puisque le premier est l’espace dans lequel nous sommes
et nous mouvons, tandis que le second est un espace linguistique, c'est-à-dire dont
certaines portions vont être pertinentes dans le cadre de l’élaboration syntaxique et
discursive. Au sein de cet espace linguistique on distinguera les espaces pré-
sémantisés disponibles en instance de dialogue et les espaces construits (ou locus) qui
résultent d’une activité de construction discursive et/ou narrative. » (Millet, 2006 :
98).
Ce qui nous intéresse ici est une prise en compte de la globalité possible de l’espace
linguistique dans un espace réel, où parce que la langue est visuelle, l’espace réel s’intègre
mais s’immisce aussi parfois dans la langue même. Les signants ont pour habitude d’utiliser le
déictique, c'est-à-dire les pointages, soit pour pointer un élément situé dans leur espace de
signation (pour préciser le sujet ou réactiver un élément du discours), soit pour pointer un
élément présent dans la pièce, dans l’espace, pour intégrer l’information désignée dans le flux
du discours. Cette notion nous parait très intéressante à explorer car si elle peut être qualifiée
d’occasionnelle dans un échange ordinaire entre signants, l’espace en tant qu’élément
contextuel d’énonciation devient une partie importante de l’interprétation à gérer par
l’interprète. D’un point de vue traductologique, la situation d’énonciation est une situation qui
s’intègre dans un contexte global où, comme D. Seleskovitch l’a souvent souligné, la situation
de communication est déterminante dans la façon dont l’interprète négocie122 son
interprétation. À la différence d’une situation dialogique entre signants, l’interprète s’inscrit
dans une action de communication également déterminée par le lieu où se passe
l’interprétation : une salle de conférence, une salle de classe, un tribunal, un bureau, etc. En
général, le lieu est lui-même porteur d’informations qui sont souvent utilisées par l’orateur :
un tableau, une projection PowerPoint, des papiers sur un bureau, une affiche. Le lieu où se
trouve l’interprète offre une quantité non négligeable d’informations supplémentaires
également si plusieurs personnes assistent à l’évènement : table ronde où Madame X est à la
droite de M. Y, si des syndicalistes sont au fond de la salle, des cuisiniers en blanc, si
Madame Z porte des lunettes rouges, etc.
122
La négociation au sens de U. Eco place sous la même enseigne l’équivalence, l’adhésion au but, la fidélité et
l’initiative du traducteur.
175
D’après notre observation du terrain et nos échanges avec nos collègues interprètes, nous
n’inventons rien en avançant que l’espace utile à l’interprète ne s’arrête pas au seul espace de
signation. Chaque interprète a déjà utilisé un élément contextuel présent dans son espace réel
pour l’intégrer dans le flux de son interprétation. Bélanger avait également mentionné cette
possibilité en parlant d’utilisation des ressources communicationnelles. Pour autant,
l’exploration et l’analyse de l’espace sont à notre connaissance quasi inexistantes en
traductologie pour ce qui concerne les interprètes en LS.
En analysant les corpus et les interviews, il nous apparaît que l’espace en tant qu’élément
global à gérer par l’ILS serait beaucoup moins restreint que le seul espace de signation et peut
d’ailleurs être un élément supplémentaire à intégrer dans la charge attentionnelle liée à
l’interprétation, comme nous le verrons plus bas avec l’analyse du corpus. Nous prenons la
précaution de souligner que nous ne disons pas ici que les signants, lors de conversations ou
d’exposés, n’utilisent pas l’espace de la même façon ; ils peuvent le faire via le déictique par
exemple, mais leur utilisation de la langue à cet instant exclut les contraintes alors
déterminantes dans les choix linguistiques de l’interprète et qui sont pour les principales celles
de temps, d’intégration de raisonnements logiques et d’indications contextuelles des
participants dans leur interprétation.
En nous basant sur les propositions de définition d’espaces listées plus haut, nous proposons
de partir du concept « d’espace d’énonciation » et de l’adapter à la situation d’interprétation.
Il pourrait se définir comme la totalité de l’espace utilisé par l’interprète, dans lequel évolue
l’interprète, et dont chaque élément offre la possibilité de créer du sens lors de
l’interprétation.
176
Figure n°6 : proposition de représentation de l’espace d’énonciation de l’interprète
*Nous qualifions de pointage intramuros ou extramuros les pointages internes ou externes à l’espace de signation respectivement.
177
Figure n°7 : représentation des espaces de l’interprète
Nous aborderons dans ce chapitre toutes les formes de contraintes qui peuvent être en lien
avec l’espace en suivant les items de notre proposition de modélisation. Sur les contraintes
liées à l’espace de travail en premier lieu, l’analyse du corpus nous permettra d’identifier les
éléments pouvant présenter des particularités caractéristiques de l’interprétation vers la langue
des signes qui se différencieraient de l’interprétation entre langues vocales. Ensuite nous
aborderons les contraintes liées à l’espace contextuel, c’est-à-dire l’espace dans lequel se
trouve l’interprète en langue des signes pour que sa prestation soit compréhensible et
cohérente avec l’ensemble des évènements présents dans l’évènement qu’il est en train
d’interpréter. Nous tenterons de proposer une définition de l’espace d’énonciation en
interprétation vers la LS et de comprendre ses contraintes et ses atouts.
5.2.1.1.4. Commentaires
Nous voulons préciser ici que les travaux de linguistique définissant l’espace (nous n’incluons
pas les travaux en TAL) utilisent pour la plupart des corpus de locuteurs sourds en situation
de narration dont le niveau de difficulté est relativement faible et dont le sujet porte
généralement sur des histoires d’animaux ou autres anecdotes dont la portée illustrative parait
178
évidente (le cheval galope, il saute par-dessus la barrière, etc.). Il serait intéressant de
poursuivre ces analyses avec des corpus de registres plus élevés qui pourraient se rapprocher
du niveau d’abstraction auquel les interprètes en LS sont quotidiennement confrontés.
Nous trouvons dans l’approche anglo-saxonne, notamment dans les travaux de Winston
(1996) une première tentative de rapprochement entre l’analyse de l’espace en ASL avec une
transposition possible aux contraintes générales des interprètes en ASL. Paradoxalement, le
corpus analysé reste celui d’un locuteur sourd, mais une partie de son article et de ses
conclusions s’adressent aux enseignants en interprétation en ASL sous forme de remarques
(Consequences for teaching interpreting) que nous avons vues dans la partie présentant les
tactiques habituellement enseignées en LS..
Par la particularité visuelle de la langue, il est évident que l’interprète en LS ne peut pas
travailler en cabine à l’instar de ses collègues en langues vocales en situation dite de
conférence. Les bénéficiaires de l’interprétation étant sourds, il apparait également logique
que la place physique de l’interprétation doit être présentée face au public signant ou, le cas
échéant, que la prestation soit retransmise sur des écrans pouvant être visibles par l’ensemble
du public, comme ce fut le cas récemment lors de grands meetings politiques. Lors d’une
situation de communication revendiquant l’accessibilité, les organisateurs ont souvent
tendance à mettre en avant l’interprétation en LS. L’interprète prend alors une place entière
dans le déroulement visuel de l’évènement et ne peut échapper à celui qui n’aurait pas besoin
de ses services, comme il est possible de le faire en changeant de canal audio si l’on ne
souhaite pas entendre une interprétation en espagnol par exemple.
La visibilité de l’interprète en langue vocale (ILV) par les auditeurs d’une conférence est
surtout symbolisée par les installations techniques qui lui permettent d’exécuter sa tâche : les
micros, les casques distribués au public et les cabines situées à l’opposé de la tribune. Pour
observer les ILV en exercice, il faut faire l’effort de se retourner vers eux pour tenter de les
apercevoir derrière une vitre, bien à l’abri des nuisances de la salle. L’ILV peut d’ailleurs
179
couper son micro à tout moment (autant pour tousser que pour feuilleter des pages de ses
notes personnelles), il est en retrait des regards pour se concentrer et mettre en place une
routine d’installation et d’appropriation des lieux qui pourrait avoir un effet rassurant (la
bouteille d’eau à droite, le glossaire à gauche), la liste est non exhaustive. Le plus important
étant que la cabine présente l’avantage de permettre à l’ILV d’être loin des regards pour
donner à son confrère une aide ponctuelle ou pour regarder ses documents. Les normes
techniques exigées pour l’interprétation de conférence garantissent à l’interprète des
conditions optimales pour son travail d’interprétation123.
L’espace dédié à l’ILS est quelque peu différent (nous mettons de côté pour l’instant le cas de
l’interprétation audiovisuelle et celui des grands meetings politiques dont nous avons parlé
plus haut) puisqu’au quotidien, l’ILS n’a simplement pas d’espace de travail qui lui soit
strictement dédié. C’est à lui de déterminer avec l’organisateur de la conférence124, en général
quelques minutes avant le début de la manifestation, le meilleur endroit où il se placera (à
comprendre malheureusement parfois où il gênera le moins). Pour cela il lui faut prendre en
compte plusieurs paramètres, à savoir son éclairage et sa bonne visibilité par l’ensemble de la
salle (il est arrivé plus d’une fois aux ILS de se retrouver dans la pénombre, l’ensemble de
l’éclairage étant orienté sur les participants). L’ILS n’a donc pas de lieu fixe comme une
cabine et il doit systématiquement négocier son espace de travail avant chaque prestation,
c'est-à-dire s’approprier un morceau de l’espace commun dédié aux intervenants et l’organiser
rapidement en une zone de travail. Cela peut parfois être perçu comme un « empiétement »
sur l’espace consacré à la manifestation (une partie de la scène d’une conférence, d’une salle
de classe ou d’un auditorium). Les ILS ont donc quelques minutes pour observer un lieu et
pour y délimiter l’emplacement qui leur permettra de travailler, de procéder aux relais et de se
concentrer tout en ayant à l’esprit qu’ils sont souvent très observés par l’ensemble de
l’auditoire. Un point très important inhérent à ce placement est que l’ILS n’a pas de « retour
son » où le discours de l’orateur lui parviendrait isolé de l’ensemble des bruits de la salle. Il
travaille en prise directe acoustique et, de l’avis de nombreux ILS, cela s’avère très fatigant
tant cela requiert une attention et une concentration soutenues.
De façon générale l’ILS travaillera dans toutes les situations (conférence ou liaison)
indifféremment dans les deux sens, du français vers la langue des signes et inversement. En
123
Voir le site de l’AIIC à ce sujet http://www.aiic.net
124
Ou du professeur si c’est en amphithéâtre, etc.
180
termes de placement, tout changement de sens de la langue de travail se matérialisera par un
changement de place dans la salle, c'est-à-dire par une modification temporaire de son espace
de travail. Pour ce qui concerne les situations de conférence, l’ILS traduit face au public de
l’oral vers la LS par souci de visibilité par l’ensemble de l’audience, comme nous l’avons
expliqué en introduction. Lorsqu’un locuteur sourd voudra prendre la parole, il est d’usage
que celui-ci se déplace et vienne se positionner face au public, en général non loin de l’espace
de travail de l’ILS pour que son intervention soit également visible pour le public signant.
L’ILS devra donc se déplacer pour suivre le discours signé en vue de son interprétation à
l’oral. Il interprétera vers l’oral dos au public pour être face au locuteur signant, puis se
repositionnera face au public pour interpréter éventuellement les réponses vers la LS. Ces
déplacements sont fréquents en conférence. Ils le sont moins en comité plus réduit où la
disposition de l’audience est en cercle par exemple, ce qui résout la question de la visibilité
des discours signés.
Ces déplacements sont autant de risques de perturbation de l’ILS qui doit rester concentré tout
en s’assurant de la visibilité de sa prestation et de sa bonne perception des discours signés par
les sourds. En plus de la gestion des Efforts relatifs à la simultanée, il doit donc intégrer une
gestion efficace de ses espaces de travail tout en modifiant le sens de son interprétation. Le
déplacement dans l’espace est ainsi très souvent accompagné d’un changement de langue. Il
nous semble que dans cette configuration particulière, les risques de saturation sont très
élevés.
181
5.2.2.2. Un espace en mutation : le cas d’un espace de désignation hors de portée
Notre corpus principal (1 à 6) est l’enregistrement d’un cours, au cours duquel la disposition
des personnes et des objets était la suivante :
___fenêtres_______fenêtres______
X X X : interprètes LS
X
X 0 0 0 : étudiants
X 0 0
0 0 : orateur
0 0
0 O : paper board
O : bénéficiaire
Cabines
___________________________porte_
Comme il s’agissait d’une simulation, les ILS relais se sont naturellement installés sur la
gauche, pour éviter de nuire au déroulement habituel du cours. Comme il est d’usage lors de
toute intervention, les ILS ont indiqué à l’orateur et aux participants l’endroit où ils allaient se
placer pour mener à bien leur intervention. Nous précisons qu’il n’a pas été fait mention à
l’orateur que l’ILS serait éventuellement amené à se déplacer, ce qui fut pour un des ILS une
contrainte majeure qui lui a fortement nui lors de sa prestation. Une zone de travail de l’ILS a
donc été convenue, proche de l’orateur avec une vue sur la salle qui lui offrait ainsi une
certaine ergonomie pour les pointages des participants qui étaient de part et d’autre d’une
immense table rectangulaire.
« Là, je colle au discours de l’oratrice, je crois que c’est son accent, j’ai beaucoup de
mal à la comprendre, à voir où elle veut en venir. Alors je ne la quitte pas d’un
mot. »125
Nous observons effectivement que l’interprète ne la quitte pas d’un mot, mais elle ne la quitte
pas des yeux non plus : elle penche sa tête vers l’étudiante, avance son buste, et ses paumes
sont en position ouverte vers elle, comme si cette posture pouvait l’aider à améliorer sa
compréhension du discours prononcé. Elle la fixe et se concentre sur les mouvements de sa
bouche pour une tentative de suppléance en lecture labiale (ce qu’elle nous confirmera plus
tard lors du visionnage de sa prestation). Cette posture peut avoir une double lecture. La
première est simple et montre que l’ILS est en écoute attentive d’un élément du discours. La
seconde est propre à l’interprétation en LS car elle indique aux bénéficiaires (qui par
définition n’entendent pas le discours) que l’orateur a un débit ou une façon particulière de
parler qui pourrait expliquer le caractère différé de l’interprétation. Contrairement aux ILV
qui auraient à interpréter un orateur ne s’exprimant pas dans sa langue maternelle, les
informations pouvant contrarier la compréhension de tous (comme les accents ou les
tournures de phrases inédites) ne sont pas accessibles aux participants sourds, qui ne peuvent
pas se rendre compte qu’un orateur est plus difficile à comprendre qu’un autre. Cette posture
de l’ILS peut donc en deuxième lecture revêtir une autre signification, à savoir une tentative
d’information sur la forme inhabituelle du message. C’est ce que nous nommerons les
Indications Contextuelles et que nous analyserons plus bas.
125
Voir interview annexe paragraphe 8.2.2 page 407 (entretien Corpus 2 avec ILS 2)
183
Nous avons remarqué une tendance des ILS de notre corpus à s’avancer de quelques
centimètres chaque fois que le discours de l’un des participants était difficilement
compréhensible, en se mettant en posture d’écoute attentive impliquant une très large
mobilisation de leurs capacités attentionnelles sur le discours.
À partir du corpus numéro 4, alors que la dynamique du cours était sous forme d’échanges
autour de la correction d’un document que les étudiants avaient sous les yeux (notons que
l’ILS ne pouvait pas techniquement avoir ce document sous les siens), l’orateur a entamé une
démonstration sous forme de graphique sur le paper board. Nous observons que l’interprète
numéro 4 a mis un certain temps avant de comprendre si l’orateur allait simplement se référer
au tableau de façon ponctuelle ou bien si cela allait devenir un élément intégré à son cours.
« Alors là je suis très embêtée parce que je suis mal placée par rapport au tableau. Il
écrit en même temps qu’il parle et le tableau est derrière moi sur la gauche. En plus
avec l’éclairage je ne voyais pas bien le schéma. Je ne comprends pas vraiment ce
qu’il dit puisque c’est en lien avec ce qu’il écrit, et c’est derrière moi. Au début je
n’ose pas bouger, je ne veux pas déranger le cours. C’est pour ça que je souris.
La « réalité » du coup n’est pas passée, quand je me revois, on ne comprend pas. »126
L’interprète explique très bien les raisons de ses difficultés : elle ne voit pas le tableau ni les
schémas qui sont en train de prendre forme et qui soutiennent le discours de l’orateur. Ne
sachant pas si la démonstration allait durer elle fait en premier le choix de rester où elle est et
de garder la logique spatiale de la démonstration mise en place par les ILS précédents dans
son propre espace de signation.
Elle dit elle-même en revoyant sa prestation qu’une partie de son interprétation n’est pas
compréhensible : « quand je me revois, on ne comprend pas », ce qui peut paraître logique
dans de telles conditions. N’ayant pas visuellement accès à la démonstration, on voit
malheureusement l’interprète piégée non pas par le contenu du discours, mais par son
positionnement trop éloigné du paper board. Son espace de travail qui était parfaitement
cohérent et adapté depuis le début du cours ne convient plus. Durant ces quelques minutes où
l’ILS n’avait que la description sonore de la démonstration graphique, elle a représenté dans
126
Voir interview ILS 4 en annexe (paragraphe 8.2.4.page 411 Entretien Corpus 4 avec ILS 4)
184
son espace de signation sa propre visualisation du graphique qu’elle a reconstruit d’après les
explications. On la voit se retourner à plusieurs reprises pour tenter d’apercevoir le tableau
sans succès, et cet effort lui a coûté plusieurs omissions d’explications qui étaient
déterminantes pour comprendre le sujet.
Elle opte au départ pour le pointage du tableau (Corpus 4. page 378 ligne 35), pointage qui
dans cette situation pourrait signifier au bénéficiaire que l’orateur fait quelque chose qui est
digne d’attention tout en précisant en communication non verbale que le tableau est un peu
loin (C4. p. 379 ligne 4). Puis le discours prend une tournure de plus en plus énigmatique pour
qui ne voit pas le graphique, comme nous le montre l’extrait suivant :
C4. p.378 ligne 33 : « Alors dans le tableau de la planche numéro 6 chaque plus est
converti, chaque plus et chaque moins est converti en unités. Donc pendant la première
période ça va être plus 3. La deuxième période ça va être plus 2. La troisième période ça
va être moins 3. (…) »
127
Voir Interview ILS 4 paragraphe 8.2.4 p. 412
185
l’interprète qui s’inquiète d’être plus visible qu’il ne l’est déjà et qui n’ose pas exister dans le
déroulement de l’évènement. Roy (2000-b), en conclusion de ses travaux, note clairement que
la recherche absolue de l’invisibilité est néfaste au bon déroulement d’une situation
interprétée (interpreted event), du point de vue des deux parties. Nous rejoignons Roy en
remarquant que l’autocensure de cette interprète n’osant pas prendre sa place dans le
déroulement de l’évènement a provoqué l’effet inverse à celui souhaité.
L’autre difficulté plus technique que nous observons dans notre corpus est la mise en espace
de présentations de contenus graphiques qui n’étaient présentés jusqu’ici qu’à l’oral (pour ce
qui concerne notre corpus, il s’agit des résultats de simulations statistiques de l’effet de la
motivation sur la qualité du travail). Les ILS, comme tout auditeur direct du discours, se sont
créés une représentation mentale de ces statistiques pour les placer ensuite dans leur espace de
signation. Dans un tel contexte, la langue des signes oblige l’interprète à intégrer dans son
interprétation le discours de l’orateur bien sûr, mais en y ajoutant la présentation graphique
induite par le discours et le schéma. L’interprète n°4 a choisi, par souci de logique et de
cohérence, de reprendre les éléments positionnés au gré de l’interprétation dans l’espace de
signation de ses collègues pour assurer aux bénéficiaires une cohérence textuelle globale. La
confrontation entre sa représentation graphique et le graphique statistique proposé plus tard
par l’orateur n’a pas été sans conséquences sur sa prestation.
À partir de la phrase suivante : C4. p. 380 ligne 13 « (…) Alors à moins trois qu’est ce qu’il
va se passer ? Eh bien on va se retrouver ici, vous voyez en pointillé (…). »
Nous observons que, n’ayant pas immédiatement compris l’importance qu’allaient prendre
ces quelques minutes de présentation du graphique sur paper board, l’ILS a tenté de rester sur
la logique de son espace de signation, bien qu’elle-même n’en fût pas satisfaite. Par souci de
fidélité au discours et aux personnes en présence, l’ILS aurait pu en dernier recours
interrompre l’orateur pour demander une précision, une reformulation, mais elle ne l’a pas
osé. Après une tentative de mise en espace du graphique dans son espace de signation, il est
évident qu’elle a accumulé trop de retard et beaucoup de stress pour pouvoir continuer
sereinement son interprétation. Elle décide de demander un relais (démarche qui est visible
par l’ensemble de l’audience et qui rend publique une défaillance personnelle fort désagréable
pour l’ILS concernée), pour ainsi conclure :
« Je rage un peu maintenant que je vois son tableau et que je comprends son schéma,
je me dis que j’ai perdu beaucoup de temps à ne pas l’utiliser. »129
5.2.2.3. Commentaires
Nous observons que l’élément déclencheur de cette difficulté a été une modification de
l’espace de travail, provoquée par un glissement de la zone de désignation qui n’était plus
accessible ergonomiquement par l’ILS.
Initialement, l’ILS avait choisi un espace de travail en fonction des interactions entre le
professeur et les étudiants qui lui permettait d’avoir un espace de désignation clair pour ses
pointages et que nous représentons dans le graphique qui suit en zone rouge. Au fur et à
128
Voir Entretien ILS 4 paragraphe 8.2.4 p. 412
129
Ibidem
187
mesure du discours, la zone de travail la plus ergonomique pour l’ILS s’est déplacée et nous
l’avons délimitée par la zone bleue (voir figure 8 p. 189). L’interprète ayant négocié une
certaine zone, il lui a été difficile de s’imposer dans une autre que nous qualifierons de « non
négociée ». Nous noterons au passage qu’en situation de liaison, la négociation de zones de
travail n’est pas toujours une chose simple et requiert un certain tact de la part de l’ILS, au
tribunal par exemple ou chez certains professionnels qui tiennent à matérialiser leur place
dans la hiérarchie socioprofessionnelle par une frontière symbolique comme un bureau, une
estrade. Les ILS sont habitués à ces négociations de placement qui permettent au bénéficiaire
sourd d’avoir en face de lui son interlocuteur et l’interprète. C’est également un
positionnement politique de l’interprète qui ne se met pas en relation physique triangulaire
comme il est plus courant dans les langues vocales, ce positionnement ayant, dans le milieu de
la surdité, une connotation d’aidant dont les ILS ne se réclament pas. En effet, nous l’avons
mentionné en introduction, les sourds jusqu’à une époque récente étaient toujours
accompagnés d’un membre de leur famille ou d’un éducateur pour toutes leurs démarches,
même les plus intimes. Ces personnes de bonne volonté n’étant pas toutes bilingues ni même
sensibilisées à leur fonction d’interprète, elles ont souvent œuvré en ne permettant à la
personne sourde ni de s’impliquer, ni de comprendre les enjeux des évènements qui la
concernaient. La professionnalisation des ILS a donc été fondamentale pour les sourds
signants : elle leur a permis un respect de leur autonomie et une garantie de non-ingérence
dans leurs affaires privées. Malgré l’émergence de cette nouvelle profession et face aux
besoins grandissants, certaines personnes « faisant office de » ont également pris une place
importante dans la sphère associative liée à la surdité et exercent sans qualification,
minimisant leurs maladresses linguistiques en mettant en avant leur rôle d’éducateur social.
Malgré leur manque de formation en interprétation, ces professionnels appelés médiateurs ou
interfaces de communication se positionnent sur des marchés relevant souvent exclusivement
de l’interprétation. Les ILS se démarquent totalement de cette démarche en mettant en avant
une éthique professionnelle garantissant impartialité et non-ingérence dans l’interaction,
matérialisée également par leur positionnement physique dans l’espace où à lieu l’interaction.
Pour ce qui concerne notre corpus, l’interprète a choisi une tactique qui s’est avérée
infructueuse et qui lui a coûté en termes d’énergie et de concentration. Elle a dû gérer un
changement de son espace de travail qu’elle n’a pas su mener à terme. Imaginons la situation
idéale où l’ILS aurait immédiatement compris l’enjeu et se serait déplacée. Elle n’aurait
probablement perdu « que » les cinq secondes de discours le temps de son déplacement.
188
L’interprète, tout en assurant la simultanée, doit donc être également attentif à son espace de
travail et nous supposons qu’il ne perçoit peut-être pas dans l’instant le moment où son espace
de travail est en train de changer. Si nous transposons cet exemple à l’ILV, il nous semble que
les difficultés techniques n’auraient pas été les mêmes. Les bénéficiaires de l’ILV auraient
simplement regardé la démonstration et l’interprète n’aurait eu ni à se déplacer, ni à traduire
le fond et la forme graphique.
L’espace de travail est parfaitement ergonomique pour pointer les L’espace de travail inclut une nouvelle zone de désignation (paper
participants de chaque côté de la table rectangulaire. board), le pointage des participants est encore possible.
L’ILS est symbolisé par le cercle, l’orateur par le triangle. L’ILS est symbolisé par le cercle, l’orateur par le triangle.
Nous observons également qu’elle respecte les emplacements du tableau et les intègre dans
son propre espace de signation. En règle générale, les signants (dont les ILS lors
d’interprétation) ont un espace qui suit leur logique personnelle : le nord en haut, le sud en
bas, l’est à droite, etc. Les signants ont pour habitude de suivre les discours du point de vue du
locuteur. Le receveur du message doit donc effectuer une rotation de l’image pour rétablir
189
naturellement les éléments présentés selon sa propre logique : si les USA sont spatialisés à la
gauche du locuteur (à l’ouest d’une mappemonde imaginaire), ils seront présentés à la droite
du receveur qui rétablira naturellement l’information. En revanche, pour qu’une
démonstration au tableau soit compréhensible, il revient à l’interprète de suivre la logique de
la projection, ce qui implique pour lui de changer ses emplacements spontanés afin d’éviter de
perturber la lisibilité de l’explication. Cette tactique très fréquemment utilisée en situation
pédagogique requiert en réalité de la part de l’ILS un effort de concentration plus soutenu
pour respecter et intégrer une logique inverse à celle qu’il aurait eu tendance à représenter
selon l’organisation de son espace de signation. Nous estimons que, dans cette situation
précise, l’Effort de Production sollicite une attention particulière pour mener à bien cette
tactique.
Seal (1998 : 94), au sujet de la situation d’interprétation en milieu scolaire, présente l’analyse
suivante :
Nous voulons préciser que Seal souligne de façon très pragmatique les « contraintes » de
l’interprétation en milieu scolaire. D’après la revue de la littérature existante sur le sujet, il a
été surprenant de remarquer qu’à partir d’un certain degré de formalisme de la situation, c'est-
à-dire pour tout ce qui ne concerne pas le scolaire, il n’est à notre connaissance jamais fait
mention d’un déplacement éventuel de l’interprète. Il est d’usage de respecter l’emplacement
négocié et de ne pas sortir du cercle virtuel, à fortiori s’il y a un dispositif de captation vidéo
de l’interprétation. Toute sortie de cet espace, (lors de réunions d’entreprise par exemple)
pour pointer un élément d’un PowerPoint, risque de perturber le caractère formel de la
situation et de nuire au bénéficiaire de la traduction (pointer ou montrer un tableau symbolise
une démarche explicative suggérant que la personne a besoin de plus d’explications que les
130
Traduction : « Lorsqu’un enseignant aborde ou décrit le concept de «perspective», il ou elle peut tout à fait
illustrer son propos par une démonstration. À cet instant, l'interprète est confronté à une décision importante :
comment interpréter l'information verbale tout en amenant l’élève à suivre la démonstration en même temps.
L'interprète doit se rapprocher de l'orateur pour que l'étudiant ait un accès visuel aux deux sources
d’information. »
190
autres). Dans ces conditions, tout glissement de l’espace de travail dans une zone non
négociée sera une contrainte supplémentaire à gérer par l’interprète. Or, les ILS peuvent le
constater tous les jours, les PowerPoint et démonstrations à visée pédagogique ne sont pas
l’apanage de l’environnement scolaire puisque nous les retrouvons aussi bien en conférences
qu’en réunions de bilan d’entreprise et dans toutes les situations de communication
impliquant une transmission de savoir ou d’information. Les ILS peuvent se trouver dans une
position très délicate qui peut aboutir à un risque plus ou moins conséquent de perte
d’information et de « communication breakdown » (Seal, 1998) puisque le bénéficiaire ne
peut regarder à deux endroits en même temps. Il arrive donc que l’ILS rencontre quelques
difficultés à avoir accès aux informations projetées, dans le meilleur des cas derrière lui (ce
qui l’oblige à se retourner) et, au plus pénible, hors de son champ de vision. Dans ces
conditions, l’interprète est en saturation liée au manque d’information contextuelle sur le
discours, comme le dit très bien l’interprète n°4 : « Je me plante en fait. Ce que je dis n’est
pas ce qu’il dit. Il parle de la relation de l’influence et moi, comme je ne vois pas son schéma
j’ai fait une hypothèse qui n’est pas bonne. »131
Pour en revenir à l’analyse de notre corpus, une fois la démonstration terminée, l’ILS n°5 est
naturellement retournée à « sa » place, c'est-à-dire vers l’espace de travail initialement
convenu avec l’orateur en zone rouge.
L’espace de désignation est donc un des éléments clé de l’espace de travail de l’ILS. Il se
définit par tous les éléments présents dans la salle qui seront susceptibles de prendre une
valeur sémantique pendant l’intervention par la tactique du déictique. Il doit être
131
Voir Entretien ILS 4 paragraphe 8.2.4 en annexe p.411
191
ergonomiquement accessible par l’interprète qui aura ainsi la possibilité de l’intégrer à son
interprétation. Bélanger (1995), dans son article, présente un exemple tout à fait intéressant
d’une utilisation pertinente des éléments présents dans l’espace de désignation :
« Lors d’un colloque, les interprètes ont utilisé un signe s’apparentant à « liste en
deux colonnes » pour désigner le mot « paradigme ». Ce choix était justifié parce que
le conférencier soutenait tout son exposé des paradigmes avec la projection d’un
transparent qui portait le titre de paradigmes et se trouvait être une liste en deux
colonnes, justement. »
Cet extrait est un bon exemple d’utilisation et d’intégration d’informations liées à l’espace de
travail : sans signe lexicalisé à disposition et tout en sachant qu’un paradigme n’est pas une
liste en deux colonnes, l’interprète a donc utilisé les ressources disponibles de son espace de
désignation pour les inclure dans son interprétation. Ce terme paradigme aura connu ici une
lexicalisation ponctuelle dans un contexte donné qui n’aurait aucun sens si elle était réutilisée
dans une autre situation d’interprétation. Nous faisons donc l’hypothèse que n’ayant pas de
correspondance lexicale pour le terme paradigme, les éléments disponibles dans l’espace de
désignation (en l’occurrence les deux colonnes représentées sur le tableau) sont d’abord
pointées, et ainsi désignées comme significatives par l’interprète, pour être ensuite reprises
dans son espace de signation comme nouvelle unité lexicalisée pour signifier le concept de
paradigme. Cette tactique est souvent utilisée en interprétation dès lors qu’un support visuel
est disponible. L’espace de désignation est donc une donnée importante dans la construction
de l’interprétation et dans les précisions sémantiques attribuées à un signe dans un contexte
particulier.
Nous avons voulu dans ce chapitre dédié à l’espace analyser précisément le comportement
relatif aux placements des items principaux dans l’espace de signation pour tenter de voir s’il
y avait des tendances générales qui pouvaient être susceptibles de se dégager.
192
Interprète numéro 1 :
Pour permettre aux non initiés en LS de comprendre le schéma, l’ovale correspond au visage
de l’ILS vu de face, et ce qui est à notre droite en tant que récepteur est en réalité spatialisé à
la gauche de l’ILS.
Observateur
Mme L. /Künzli
Espace de signation ILS n°1 : Des critiques
Inconvénients Avantages
Réalité Expérimentation
Professionnels Traducteurs étudiants
Jury échantillon traducteurs
Nous remarquons que l’ILS a tenté de respecter un mode binaire simple (les « avantages » à
sa gauche et les « inconvénients » à droite, les « étudiants » à sa gauche et les
« professionnels » à sa droite, etc.). En voulant effectuer un relevé des erreurs de pointage de
l’ILS, il nous est apparu de façon très nette que ces erreurs se manifestent majoritairement
pendant les trois premières minutes du discours et une avant son relais. En effet, c’est lorsque
l’orateur aborde les différences entre les résultats obtenus par les « étudiants » et les
« professionnels » pour la première fois que l’interprète semble chercher ses emplacements.
Elle se trompe d’emplacement les trois premières fois où le discours fait référence aux
« professionnels » et aux «étudiants » et les place à chaque fois à l’opposé du placement
précédent. Elle les fixera une fois pour toutes (comme présenté sur le schéma) à la quatrième
tentative.
193
Interprète numéro 2 :
Son espace de signation change totalement deux fois pendant sa prestation car l’orateur
introduit longuement une anecdote qui mettra de côté l’ensemble des éléments de son premier
espace de signation. Nous avons également effectué le relevé de ses principaux éléments
positionnés et réactivés.
Künzli
Des critiques
Inconvénients Avantages
chercheur
Réalité Expérimentation
Professionnels étudiants
Espace de signation ILS n°2 : Généralité texte parallèle
Faiblesse
Texte de départ texte d’arrivée
Lors de la première minute, elle place les « avantages » sur sa droite avec une certaine
hésitation. Le concept et la phrase n’ayant rien de particulièrement ardu nous pensons qu’elle
tente de se remémorer le placement de l’ILS précédent puisqu’elle corrigera d’elle-même son
placement initial pour le fixer sur sa gauche, là où l’interprète n°1 l’avait positionné. Elle
modifie donc son placement du concept d’« avantages » vs « inconvénients » pour assurer une
cohérence textuelle globale. Elle préserve le même espace sur sa droite que l’ILS n°1 pour y
poser toutes les notions relatives à la réalité, aux généralités, pour les opposer avec
l’expérimentation et les étudiants qu’elle placera sur sa gauche. Nous remarquons une
tendance à poser au départ les entités face à elle, dans un espace neutre, en attendant d’avoir
plus d’information sur ces mêmes éléments pour les intégrer ou non à l’ossature de son espace
de signation.
Interprète numéro 3 :
Interviews La triangulation
Espace de signation ILS n°3 : Traductologie les normes
Données la Méthode
Professionnels Etudiants
Dictionnaires bilingues D.unilingues
Interprète n°4 :
Nous constatons la même volonté de cohérence des espaces de signation précédents, puisque
nous retrouvons les « débutants » à droite et tout ce qui concerne la « réalité » à gauche.
L’interprète a fait une erreur de placement vers la deuxième minute de son intervention, ayant
placé la situation où « la motivation modifie beaucoup la qualité du travail » qu’elle place
132
Voir en annexe le Corpus 9 (transcription du Focus Group) paragraphe 8.3. p.417
195
sur sa gauche, puis la situation où « la motivation modifie (…) nettement moins la qualité
du travail » qu’elle placera sur sa droite puis rectifiera. Elle se trompe d’espace après une
énumération de « périodes » (P1, 2, 3, etc. sur le schéma) en voulant signifier « donc ça c’est
l’hypothèse où l’influence est très forte » qu’elle place là où l’influence est faible.
Interprète n°5 :
L’ILS reprend comme ses confrères avant elle l’espace référentiel commun, où les
« données » sont à sa droite et l’« exploratoire » à sa gauche. En revanche, elle inverse ce que
vient de placer l’interprète n°4, c'est-à-dire qu’elle place le « bruit » à sa gauche et le
« signal » à sa droite. Lors de la deuxième minute, alors que l’orateur fait plusieurs fois
référence au « bruit » et au « signal », elle y fait référence en se trompant de côté, puis à la
troisième occurrence elle parvient à s’y retrouver.
Signal Bruit
1 théorie Autre théorie
Les données
La réalité recherche l’exploratoire
Espace de signation ILS n°5 : Variables parasites empirique
Variabilité naturelle
Variabilité
P5 P4 P3 P2 P1
196
Interprète n°6 :
L’ILS suit également la logique des emplacements proposée par ses collègues pour ce qui
concerne les placements des thèmes généraux du discours. Fort de l’expérience des ILS qui
l’ont précédée, l’ILS fait immédiatement le choix de se rapprocher et de suivre totalement la
logique du tableau et du graphique pour satisfaire un certain confort visuel de la réception du
message par les auditeurs (voir Seal, 1998). Dans cette configuration, l’intégration de la
logique du tableau comme modèle déterminant de son espace de signation contraint
l’interprète à travailler dans une logique inverse à la sienne. Pour comprendre nous utiliserons
l’exemple suivant : ce qui est placé à l’ouest lorsque l’on regarde un tableau est normalement
signé à la gauche de l’ILS (son ouest), qui est en réalité placé à la droite du récepteur qui le
regarde. Dans cet extrait l’ILS signe à l’envers en quelque sorte puisqu’elle maintient la
lecture de la logique du tableau dans son espace de signation aux dépens de la sienne. Cette
pratique non-ergonomique n’est généralement pas appréciée des ILS. Nous remarquons
clairement que l’ILS se concentre beaucoup sur la logique du tableau et suit la démonstration
en ne quittant pas des yeux l’orateur, ce qui semble aller dans le sens de notre hypothèse
lorsque nous supposions que l’Effort de Production et de Réception sont ainsi très sollicités.
Cette stratégie lui semble avoir été bénéfique puisqu’aucune erreur de placement ni hésitation
n’ont été relevées.
5.2.3.1. Commentaires
L’analyse de ce corpus nous a permis d’avoir une première approche du comportement des
ILS face aux erreurs de pointage dans leur espace de signation. Dans un souci de lisibilité des
schémas proposé, nous n’avons pas relevé la totalité des éléments posés dans l’espace de
signation. Nous avons fait le choix de nous en tenir aux éléments qui ont étés placés, puis
197
réactivés. Nous restons prudents sur nos premières conclusions et ne tenterons pas d’en tirer
trop rapidement des généralités a visée prescriptive Il semble cependant se dégager une
difficulté commune aux ILS de notre corpus qui n’est pas liée au nombre d’entités, ni à une
surcharge d’espaces sémantisés dans l’espace de signation. Nous avons représenté dans le
tableau ci-dessous les données recueillies.
Ajoutons à notre analyse un élément qui a été mentionné pendant le focus group mais qui n’a
pas été relevé dans notre corpus, celui de l’interprète gaucher :
198
« Ma difficulté (…) lorsque je travaille en binôme, comme je suis gauchère, quand mes
collègues droitiers passent avant moi je récupère un espace où tout est situé à
l’inverse de ce que moi j’aurais fait naturellement. Ça me parasitait parce que je me
concentrais plus sur leurs emplacements que sur le reste, pour garder une cohérence
globale. Du coup je perdais beaucoup d’éléments du discours parce que je me
demandais « mais où est placé le tribunal ? » (…) ». 133
Nous signalons qu’une interprète gauchère faisait partie de notre corpus, mais nous n’avons
pas relevé d’erreurs de pointage en référence aux difficultés mises en avant ci-dessus. Nous
avons relevé plusieurs omissions, mais n’avons aucun élément permettant de déterminer si
l’origine de ces omissions était liée à la poursuite de l’interprétation dans une configuration
spatiale de droitier ou à la modification de son espace de travail (voir p. 182 paragraphe
5.2.2.2. Un espace en mutation).
133
Voir en annexe la transcription du Focus Group au paragraphe 8.3. (page 414)
199
En analysant le processus de chaque placement, il apparaît qu’il suit toujours la logique de
l’espace de signation mis en place par l’ILS. Prenons l’exemple du corpus n°3 page 365 ligne
31. Les traducteurs consultant des dictionnaires étant sur la droite de l’ILS, il est logique et
cohérent à cet instant précis de l’interprétation d’y placer le caractère unilingue lorsque le
discours le mentionne, pour le mettre ensuite en opposition avec le caractère bilingue sur la
gauche.
Lors du focus group également, les ILS mettent en avant l’importance de la logique des
emplacements et leurs impressions sur ces effets sur la mémoire :
«Moi j’ai des soucis de mémorisation de ce que je produis. Quand je place quelque
chose à ma droite, parce que c’est spontané, j’oublie ensuite où je l’ai placé. Je ne
regarde pas ma production et après je ne sais plus. Quand il est à nouveau question
du même sujet ça me pose des difficultés de mémorisation. »134
Ce que l’ILS ne dit pas et ne peut pas savoir, c’est la nature des éléments qu’elle oublie dans
sa spatialisation. En revanche, nous soulignerons cette forme de paradoxe entre ce qui est
spontané, donc qui ne requiert pas d’attention particulière et qui doit être par la suite
remémoré. La spontanéité du placement semble être révélatrice que le segment ne pose pas de
difficulté particulière et ne paraît pas prioritaire à première vue au niveau de l’attention
accordée à ce même segment. Cet élément nous paraît important à souligner, puisqu’il
implique que l’ILS ne peut simplement pas anticiper tous les éléments susceptibles de prendre
de l’importance au fur et à mesure du discours, même s’il a parfois une certaine capacité à
devancer l’orateur. Il est de surcroît naturellement impossible de demander à l’ILS de se
remémorer tout ce qui est posé dans son espace de signation.
134
Voir focus group en annexe paragraphe 8.3 (p.417)
135
Voir focus group en annexe paragraphe 8.3 (p. 417)
200
est en train d’interpréter, et compte tenu des observations que nous avons faites sur la nature
des erreurs de pointage, il ne paraît pas intéressant de charger davantage la mémoire de l’ILS
en lui demandant à l’avance de se souvenir de la prédisposition probable de son espace de
signation.
Une piste nous semble intéressante à aborder dans ce chapitre, qui pourrait nous donner des
éléments importants sur la gestion de l’espace en situation d’interprétation : celle des
interprètes ayant pour habitude d’intervenir à l’Assemblée Nationale, comme un cas
particulier. Nous avons, conjointement avec une autre interprète, analysé les interprétations de
trois ILS chargés d’interpréter les « Questions au gouvernement » sur France 3. Ces
interprètes, déjà contraints par l’ovale prévu pour l’intégration de leur prestation sur l’écran
de télévision, ont tendance à beaucoup moins utiliser l’espace référentiel que ce qui est
généralement observé lors des autres formes de prestation.
Techniquement, le discours défile très vite, les sujets et les références que nous pouvons
qualifier d’intertextuelles et les implicites sont nombreux136. Face à cette gageure, les ILS sont
naturellement enclins à économiser leurs ressources attentionnelles liées à l’espace et nous
observons qu’ils ont tendance à faire des liens (entité spatialisée/pointage) sur du très court
terme, c'est-à-dire qu’ils ne disposent pas de leur espace de signation comme d’un cadre
conceptuel global dans lequel évoluera leur interprétation et qui permettrait une réactivation
par pointages.
Interrogée à ce sujet, une des ILS intervenant régulièrement à l’Assemblée nous explique la
chose suivante :
« (…) dans chaque phrase tu as au moins deux thèmes différents et dans chaque
réponse aussi. Donc tu ne peux jamais repointer ce que tu as déjà défini et placé
avant. (…) Du coup c’est fatigant car on n’est pas du tout dans l’économie de la
langue des signes, alors qu’on devrait l’être (…) ce serait plus confortable et plus
compréhensible aussi. Mais tu ne peux pas. C’est tellement dense en idées, il y a
136
Voir l’interview ILS 12 en annexe paragraphe 8.5
201
tellement de sujets dans chaque phrase que tu ne peux pas. Pour moi c’est le travail à
la chaîne. »137
« On est dans un espace de signes qui est extrêmement réduit. (…) Tu as vu l’image ?
On est dans une espèce d’œuf (…) c’est immuable, ils ne veulent pas le modifier (…)
c'est-à-dire que tu ne peux pas faire des signes comme ça (elle tend ses bras vers
l’extérieur). C’est toujours le petit carré devant toi. Donc d’un côté c’est bien parce
que tu gagnes en vitesse. Le mauvais côté c’est qu’on a parfois des emplacements qui
sont un peu confus et qu’on met tout au même endroit. » 138
L’interprète met en avant la contrainte liée à son espace de signation dans cette situation qui
ne doit pas dépasser le cadre imposé par l’ovale. Pour autant, elle reconnaît l’avantage lié à
cette contrainte, la vitesse d’exécution en LS, qui semble ici pallier la difficulté liée à la
vitesse du discours imposée par les orateurs.
L’interprète mentionne ensuite la difficulté liée au débit et aux tournures de phrases qui
contiennent souvent des implicites et non-dits extrêmement difficiles à gérer techniquement.
La densité du discours les oblige à réduire le décalage :
137
Voir interview ILS 12 en annexe paragraphe 8.5. (page 439)
138
Ibidem page 438
202
« (de) une à deux secondes je crois (…) c’est le décalage qu’on adopte à la télé, parce
que tu ne peux pas finir après le présentateur, après l’interlocuteur, ce n’est pas
possible. (…) tu réduis le décalage, donc tu vas plus vite, et si tu vas plus vite tu te
rassembles un peu dans ton espace ».139
Notons que la contrainte d’espace semble être dépendante de plusieurs éléments de natures
différentes : la rapidité et la densité du discours, le très court décalage, la contrainte de l’ovale
et la rapidité d’exécution, et tout cela concourt à une production d’une langue plus rassemblée
que nous observons également.
Cette forte sollicitation peut donner lieu à des moments où la capacité en ressources
attentionnelles requises pour scénariser le discours n’est plus disponible. À ce sujet,
l’interprète décrit avec lucidité la situation en ces termes :
« (…) ça va trop vite, et (qu’) on n’a pas le temps de construire la phrase en langue
des signes dans sa tête. Et pourtant je ne suis pas une ramollo de la traduction. Je suis
plutôt quelqu’un d’efficace et rapide. (…) c’est pour ça que parfois on frise le français
signé. (…) C’est toujours la situation d’urgence.»140
Nous ne voulons pas à travers cette étude juger de leur interprétation ni ne voulons suggérer
l’idée que, ce faisant, ils auraient tendance à translittérer ; ce serait une conclusion hâtive et
erronée. Ce qui nous paraît pertinent de relever dans cette analyse, c’est l’utilisation de la
langue dans des situations extrêmes d’interprétation, c'est-à-dire dans les situations où les
ressources cognitives de l’ILS sont très fortement sollicitées pour les différentes raisons que
nous avons citées plus haut. Il apparaît que dans ce cas de figure, il ne s’agit non pas de
translittération au sens strict, mais plutôt d’une langue des signes dont tous les paramètres
sont respectés mais qui s’avère spatialisée à minima (une LS rassemblée, le petit carré devant
soi, tout se place plus au moins au même endroit), voire parfois non spatialisée. Ce qui est
différent. Ces programmes sont largement sollicités de la part de la communauté signante
depuis des années et il semblerait qu’en termes de compréhension de l’interprétation par les
auditeurs, cela fonctionne. L’interprétation régulière en LSF à la télévision étant apparue
quelques années avant l’engagement de France 3 concernant l’accessibilité des débats de
139
Ibidem page 438
140
Ibidem
203
l’Assemblée Nationale141, nous pouvons considérer que l’équipe d’ILS en charge des
traductions a été la première à travailler avec de telles contraintes. Leur réflexion et leur
approche sur la qualité de l’interprétation proposée leur ont permis d’assurer cette tâche
depuis une dizaine d’années. Nous pouvons observer un fait tout à fait intéressant qui serait
celui de l’apparition d’une forme/norme de production de l’interprétation liée à la nature
même des discours, qui est très bien expliquée dans l’entretien que nous avons eu avec
l’interprète et qui n’a jamais été contestée par les téléspectateurs depuis sa mise en place. Il
n’est pas incohérent d’envisager d’assister dans cette situation bien définie aux prémices de
l’apparition d’une norme spécifique en termes d’acceptabilité linguistique.
5.2.5. Commentaires
141
Dans les années 70, la messe du dimanche était signée par un prêtre enfant de parents sourds.
204
Nous voyons là une différence majeure entre la gestion de l’espace en situation de locution
directe et la gestion de l’espace liée aux contraintes imposées par l’interprétation. Cette
donnée nous paraît très intéressante à relever, puisque la langue de l’interprétation dans
certaines situations de saturation cognitive pourrait donc se trouver « amputée » d’une partie
de sa dimension spatiale. Il apparaît donc que la gestion de l’espace est une donnée qui
requiert une grande mobilisation des ressources attentionnelles, puisqu’elle semble être
systématiquement liée aux fluctuations des efforts cognitifs de l’ILS. Il apparaît également
intéressant de noter que les interprètes de deux des corpus utilisés pour notre recherche ayant
la LSF pour langue A sont tout autant confrontés à ces difficultés de spatialisation en situation
d’interprétation que ceux de langue B. Pouvons-nous alors envisager une langue des signes
qui soit propre aux situations d’interprétation et qui prenne en compte la réalité cognitive de la
situation d’interprétation ? En effet et de façon générale, il arrive souvent aux ILS de
travailler à partir de discours inédits en LS, en ce sens qu’ils n’ont pas l’opportunité de se
référer à des corpus existants pouvant leur servir de préparation comme il est possible de le
faire en langue vocale, en consultant des textes parallèles ou d’autres formes de ressources
déjà existantes dans la langue d’arrivée. Exiger dans ces conditions que la langue employée en
situation d’interprétation soit en tous points la même que celle que les sourds ont l’habitude
de voir en situation dialogique ne parait pas réalisable. Gile (1983 : 339) note :
Pour conclure notre analyse sur l’espace de travail, nous noterons en premier lieu
l’importance fondamentale de la négociation des zones de travail dans le bon déroulement de
l’interprétation. Suite à l’observation et à l’analyse de notre corpus, nous avons identifié deux
éléments qui nous semblent importants dans la mesure où ils sont constitutifs du processus de
l’interprétation. En premier, nous proposons un effort lié à l’espace de travail que nous
nommons Effort d’auto-gestion dans l’espace, qui correspondrait aux ressources
attentionnelles nécessaires à la gestion efficace de l’espace de travail, la gestion de l’espace de
désignation et la gestion des déplacements liés au changement de sens en interprétation. Puis,
nous avons identifié un second effort que nous nommons Effort de mémorisation de
l’espace sémantisé, qui fait partie de l’Effort de Production et qui est lié à la gestion de la
sémantisation de l’espace de signation. Ainsi, l’Effort de Mémoire en interprétation
205
simultanée connaîtrait également en LS un élément à notre connaissance inédit des langues
vocales et que nous nommerons la Mémoire de la Spatialisation.
Le corpus nous a permis d’observer que les interprètes, à plusieurs reprises, ont inclus dans
leur interprétation certains éléments relatifs à la situation de communication : si une phrase
relève de la plaisanterie, si une autre personne prend la parole ou si un bruit extérieur gêne le
déroulement de la séance. Le récepteur de l’interprétation ayant son regard focalisé sur l’ILS,
il n’a pas toujours la possibilité d’apprécier tous les éléments d’ambiance ou le déroulement
des interactions physiques et visuelles qui sont hors de son champ de vision.
L’interprétation vers la langue des signes s’adresse par définition à une communauté
linguistique particulière en ce sens qu’elle n’entend pas. Si cette remarque parait triviale, elle
a néanmoins des incidences techniques. Il est souvent mentionné par les ILS qu’il leur arrive
parfois d’ajouter des indications et de faire interagir dans certaines situations les deux modes
de communication (vocale et signée) simultanément afin de donner aux bénéficiaires sourds
toutes les informations liées à la situation de communication et nécessaires à la
compréhension de l’évènement et de ses composantes linguistiques et extralinguistiques.
Nous avons jusqu’à présent exposé les contraintes de l’espace liées au message même de
l’orateur et relatives au contenu du discours, au débit, au vide lexical ainsi qu’aux règles
inhérentes à la langue des signes. Dans cette partie nous tenterons une première analyse de
l’ensemble des autres contraintes extralinguistiques pouvant influer sur le processus de
l’interprétation et nous tenterons de comprendre quels en sont les effets sur l’interprétation.
Nous avons relevé l’ensemble des indications contextuelles que nous présentons ci-dessous
sous forme de tableau. Nous procéderons ensuite à l’analyse de chacune d’entre elles.
206
Figure 10 : Tableau de recensement et classement par occurrences des Indications
Contextuelles
Changement de locuteur 17 29 11 3 10 0 70
Réinitialisation espace de 0 2 2 0 1 1 6
signation, précision des
placements
Nous remarquons en premier lieu une très forte occurrence de signalements de changement de
locuteur. Cela s’explique par le fait que les bénéficiaires sourds de l’interprétation sont privés
de l’ensemble des informations apportées par le contexte sonore de l’évènement et leur
attention visuelle est généralement totalement focalisée sur l’ILS. De ce fait, ils n’ont pas la
possibilité de repérer aussi aisément que l’auditeur lambda les changements de locuteur. Dans
un souci de clarté et si le locuteur n’a pas de nom-signe (c’est-à-dire de prénom en signe),
l’ILS désigne de plusieurs manières chaque nouvel orateur : il peut utiliser le déictique,
avancer son bras la paume tendue vers le locuteur désigné, pencher sa tête et avancer le buste
vers lui, signer « le 2e en partant de la droite », ou le qualifier de « monsieur à lunettes » si
celui-ci en porte ; en somme, les possibilités sont nombreuses.
207
Un des interprètes de notre corpus ajoute à ce sujet : « Quand je pointe, je ne sais jamais dans
quelle mesure le sourd sait qui est vraiment pointé dans l’assemblée »142. Cette remarque est
intéressante, puisqu’elle met l’accent sur le temps requis pour signifier le changement de
locuteur, le préciser le plus justement possible et enfin, sur le temps requis par la personne
sourde qui souhaite ou non se retourner pour identifier visuellement le nouveau locuteur. Si
cette tâche est plus ou moins rapide selon la disposition et la taille de l’assemblée, il faut
garder à l’esprit que le discours défile et que l’ILS doit généralement rattraper ce décalage
subi, puisque cette situation risque de produire une rupture de la communication que Seal
(1998 : 94) nomme « communication breakdown », et qui se caractérise par l’interférence de
l’interprétation avec des éléments visuels inhérents à l’évènement interprété et au discours (il
n’est pas possible de regarder à deux endroits en même temps).
Dans notre corpus, la fréquence de ces occurrences est très élevée, puisqu’elles interviennent
91 fois en 70 minutes environ. Nous avons relevé dans notre corpus une donnée à laquelle
nous ne nous étions pas préparée : celle d’un lien entre les changements de locuteurs et une
légère dégradation de l’interprétation (omission, erreur de placement, hésitation). Pour
analyser plus avant ce phénomène, nous avons procédé à un relevé systématique des
interactions et à l’analyse de leur interprétation. Nous présenterons sous forme de tableau de
synthèse les observations que nous avons tirées de notre corpus.
Pour une lecture plus aisée du tableau, nous précisons que nous avons dû faire un choix dans
la sélection et la présentation des faits observés. Premièrement, il nous a semblé nécessaire
d’établir une distinction entre deux types d’interactions, « courtes » et « longues ». Nous
avons décidé de façon arbitraire de fixer un seuil qui les sépare, à savoir 3,5 secondes : la
« courte » dure de 0 à 3,5 secondes et se caractérise par des phrases courtes de type « oui,
vous avez raison » ou bien « on élargit l’échantillon ». L’interaction que nous qualifierons de
« longue » dure 3,6 secondes minimum et comporte des phrases plus complexes.
142
Voire Interview ILS 1 en annexe, (paragraphe 8.2.1, page 407)
208
Figure 11 : Tableau d’analyse des 91 échanges (oraux) analysés
Corpus 1 : 18 courtes 10 13 4 6 3
23 échanges
5 longues 5 3 1 0 0
Corpus 2 : 18 courtes 7 12 1 6 5
35 échanges
17 longues 12 4 2 0 0
Corpus 3 : 9 courtes 0 3 0 5 5
16 échanges
7 longues 6 3 0 0 0
Corpus 4 : 3 courtes 2 1 0 0 0
3 échanges
0 0 0 0 0 0
Corpus 5 : 6 courtes 2 2 0 3 3
14 échanges
8 longues 6 2 1 1 1
Total : 91 54 courtes 50 61 9 21 17
34 longues
Analyse du tableau :
La lecture du tableau nous permet en tout premier lieu de relever une forte occurrence des
détériorations de l’interprétation, voire d’omissions, lors d’échanges courts entre les orateurs.
En effet, 95 % des omissions d’échanges portent sur des interactions courtes (20 occurrences
sur les 54 échanges courts analysés). Elle n’apparaît qu’une fois lors d’échanges plus longs,
mais nous précisons ici que les difficultés rencontrées par l’interprète peuvent être
directement liées au changement d’espace de désignation que nous avons exposé plus haut,
dans la partie 5.2.2.2 p.184.
Pour ce qui concerne la détérioration de l’interprétation d’échanges plus longs, qui concerne
les interprètes 1 et 2, nous pouvons dire sur la base de leurs propres commentaires143 qu’elle
relève de la difficulté de compréhension de l’accent étranger des orateurs et de leur syntaxe
143
Voir Interview ILS 2 paragraphe 8.2.2 (page 407- 408)
209
parfois surprenante. Au fil du corpus, les ILS s’étant habitués aux accents tous différents des
orateurs, cette difficulté tend à s’estomper.
L’occurrence d’omission d’une, voire parfois plusieurs interactions courtes lors d’échanges
rapides est digne d’attention puisqu’elle se rencontre dans 23 % des cas. Nous n’avons pas
comptabilisé les moments de dialogues parallèles où l’interprète ne peut traduire deux phrases
en même temps. Les échanges rapides que nous avons retenus sont des phrases telles que :
[« les avantages, c’est quoi ? » « comment ça ? » « oui, quels sont les avantages ? »]. Ces
courts échanges sont parfois omis tout en préservant le sens global, comme nous l’avions
précédemment observé lors de notre première étude (Pointurier-Pournin et Gile, 2012). Nous
avions alors relevé une tendance de l’interprète à omettre une interaction tout en incluant le
contenu de celle-ci dans le flux de l’interprétation du segment suivant :
Nous avons voulu aller plus loin dans notre corpus en calculant le pourcentage d’intégration
du sens de ces échanges structurellement omis par l’ILS dans le segment suivant, et nous
avons remarqué que dans 81 % des omissions des échanges, les interprètes avaient recours à
cette pratique.
Par exemple, au corpus numéro 3, l’interprète n’a pas traduit les échanges suivants « on
demande … » « euh oui… » « mais on demande quoi ? » « on demande aux participants ».
Il a, en revanche, traduit le sens global dans le segment suivant sans préciser dans son
interprétation qu’il s’agissait d’une interaction.144
Le premier est la nature chronophage de la mise en espace d’une situation dialogique (par
pointage par exemple) qui indique à la personne sourde qu’une personne prend la parole. Ce
144
Voir en annexe la transcription du Corpus 3, page 367 ligne 3 à 20
210
que nous pouvons vérifier, puisque la tactique qui pourrait en termes de temps paraître plus
rapide (la prise de rôle directe, le transfert) est privilégiée de façon globale par les interprètes,
mais nous observons qu’elle est doublée dans 30 % des occurrences avec celle du pointage.
En effet, la prise de rôle sans pointage du nouveau locuteur ne serait pas compréhensible en
tant que telle par le destinataire de l’interprétation qui ne saurait pas à qui attribuer le
segment : à l’orateur, à une personne déjà placée dans l’espace de signation, à un intervenant.
Par exemple, dans le corpus numéro 1 page 339, nous remarquons que l’ILS a tenté une prise
en charge des interactions par transferts personnels. Malgré l’effort de l’interprète dans la
personnification du discours, l’identification du locuteur initial n’est pas toujours aisée. Ce
qui rejoint la remarque faite plus haut par l’interprète qui interroge la réussite de
l’identification des locuteurs désignés et pointés pendant l’interprétation. La tendance des ILS
de notre corpus à associer les deux tactiques (pointage et TP) lors des échanges peut être
expliquée par un souci de lisibilité dans leur interprétation de l’arrivée d’un nouvel orateur
dans leur espace de signation. Dans nos entretiens, les ILS ont mis en avant leur conscience
de l’incertitude liée au pointage d’une personne dans une assemblée (rapidité d’exécution,
difficulté d’accès visuel, etc.)145. Contrairement aux interprétations entre langues vocales où
les bénéficiaires peuvent regarder une assemblée et écouter simultanément l’interprétation (et
ainsi comprendre à chaque changement de voix ou d’orateur qu’il s’agit d’échanges entre
plusieurs personnes), les ILS sont freinés dans cette situation par le mode uniquement visuel
qui ici les contraint. Mais malgré cette contrainte, les ILS savent bien qu’une partie non
négligeable de l’information est également véhiculée par l’image de la personne qui prononce
une phrase et qu’un même discours peut être perçu différemment selon son émetteur : une
femme, un homme, un DRH, un employé, etc., c’est pourquoi cette indication contextuelle
fait partie en langue des signes du message global à interpréter.
Le second élément sur lequel nous pouvons réfléchir est la notion d’échelle dans l’intégration
d’une ou plusieurs remarques courtes dans l’interprétation. En effet, la construction de
l’espace de signation, nous l’avons vu, est une entreprise dynamique de gestion et de
positionnement des entités dans l’espace en vue d’y créer des liens et des interactions pouvant
faire sens. Nous supposons que, dans cette entreprise, l’interprète envisage son espace et son
interprétation à l’échelle globale du discours et la venue d’interactions courtes dans
l’interprétation peut être perçue comme un changement de rythme, mais également comme un
145
Voir en annexe les entretiens avec les ILS 1 et 2 (ILS 1 page 405, et Interview ILS 2 page 407)
211
changement de perspective dans/sur le discours. En d’autres termes, on passe d’un point de
vue global à un point de vue plus local qui peut demander à l’interprète un réaménagement
temporaire de son espace de signation. Il n’est pas difficile de supposer que l’interprète,
devant cette entreprise, se demande si le jeu en vaut bien la chandelle, c'est-à-dire si les
ressources requises pour procéder à l’intégration de cette courte interaction ne vont pas le
mettre en difficulté pour la suite. Seul un interprète lors du visionnage de la vidéo remarque
une seule de ses omissions, les cinq autres ILS n’ont prêté aucune attention à ce phénomène,
ni même relevé une omission. Il dit à ce sujet :
« L’interaction « font quoi ? » sur les traducteurs, je ne l’ai pas interprétée. J’ai fait
comme si l’orateur continuait de parler, ça m’a empêché de saturer. Je ne crois pas
l’avoir fait consciemment. De toutes façons il va la remettre sur les rails ».146
Il semblerait qu’il procède quasi inconsciemment à une sélection des échanges qu’il mettra en
scène ou non selon sa propre appréciation forcément subjective de la pertinence de
l’interaction. Le cas échéant, le sens de l’échange omis sera entièrement ou partiellement
transmis dans le segment suivant, ce qui pourrait permettre à l’interprète de considérer qu’il
n’a pas desservi la situation de communication. Les comportements des interprètes face aux
interactions plus longues étant totalement différents (puisqu’aucune omission n’est relevée),
nous pouvons émettre l’hypothèse que cette indication contextuelle requiert un temps
supplémentaire pour sa mise en place et sa bonne compréhension.
Ces omissions sont le symptôme d’une difficulté réelle de signaler rapidement et avec
efficacité un changement de locuteur et de perspective sur le discours en plus de
l’interprétation, tout en maintenant une certaine cohérence dans l’espace de signation. Au vu
du nombre de ces omissions et des intégrations de leurs contenus dans des segments plus
longs, il nous semble que nous avons là un comportement peut-être représentatif des ILS face
à cette difficulté pouvant être qualifiée de stratégie qui favoriserait le rendement
informationnel au détriment des informations contextuelles. Cette stratégie d’omission
spécifique n’est pas systématique, mais nous laisse à penser que de telles indications
contextuelles sont une charge supplémentaire réelle dans l’interprétation vers la LS.
146
Voir en annexe l’entretien de l’ILS 2 au paragraphe 8.3.2 (page 409)
212
5.3.1.2. Information sur un évènement dans la salle
La deuxième plus forte occurrence, même si elle est bien moins élevée que la première (nous
l’avons relevée à 27 reprises), est relative aux informations liées aux évènements intervenant
dans la salle. Pour les mêmes raisons que nous avons exposées plus haut, les ILS en plus de
leur interprétation donnent également à voir dans leur production tout ce qui concerne le
contexte sonore général dans lequel le discours se déroule. Si l’assemblée regarde vers le haut
parce qu’il y a du bruit par exemple, les bénéficiaires sourds n’ayant pas cette information
seraient susceptibles de se sentir décalés. L’ILS donne donc ce genre d’information qui a une
visée intégrative à la vie du groupe dans lequel la personne sourde évolue. Dans notre corpus,
sont précisées également les interactions entre les participants, par exemple une personne
sourde voyant en face d’elle deux personnes en train de rire pourrait s’attendre à ce qu’une
remarque humoristique ait été lancée à l’attention de tous. Après un regard interrogateur vers
l’ILS et si ce n’est pas le cas, l’interprète peut simplement signifier « elles discutent juste
entre elles ».
Les ILS dans notre corpus ont aussi notifié chaque fois que l’orateur écrivait au tableau. Cet
élément a pour intention de signifier qu’il se passe quelque chose de digne d’intérêt pour la
personne sourde qui n’a pas la possibilité de balayer du regard comme les entendants la salle
pour bénéficier simultanément des informations sonores et visuelles. Nous relevons également
que les acquiescements de l’assemblée prononcées par onomatopées telles que « hum hum »,
les hésitations par « heu… » et tout qui pouvait faire part d’une ambiance générale de cours
ont toutes été traduites par les ILS. Sauf erreur de notre part, il nous semble que la littérature
existante ne mentionne pas de telles actions en interprétation entre LV. Nous pouvons
supposer que l’ensemble de ces éléments est propre à l’interprétation en langue des signes et
n’existe pas entre langues vocales. La présence de ces éléments nous amène à envisager que
l’interprète dans ce contexte est investi malgré lui de deux rôles : celui d’alter ego
linguistique et celui de rapporteur des évènements qui se produisent simultanément à sa
propre interprétation.
213
5.3.1.3. L’humour
L’humour est une des gageures en interprétation simultanée, quelles que soient les paires de
langues. Tout comme les ILV, les interprètes en LS de notre corpus tentent de reconstituer le
trait d’humour dans la mesure du possible. Mais nous remarquons qu’ils ajoutent une
indication contextuelle en signifiant systématiquement dans leur interprétation « ceci est de
l’humour », ce que ne font peut-être pas les ILV. Nous ne sommes d’ailleurs pas surprise
d’observer ces ajouts contextuels puisque cette pratique est largement répandue sur le terrain.
Des ajouts simples (suite à l’interprétation du trait d’humour) comme le seul signe [humour]
(voir transcription du Corpus 5 page 393 ligne 19), ou [rires] (voir transcription du Corpus 1
page 333 ligne 6, du Corpus 3 page 373 ligne 16 et du corpus 4 page 380 ligne 36), signifient
par leur présence dans le flux de l’interprétation que le « ton » du discours change et qu’un
épisode divertissant arrive dans l’évènement interprété.
147
Voir Corpus 2 page 348 ligne 4. Voir entretien ILS 2 p. 408
148
Voir transcription Corpus 1 p.336 lignes 20, 21, 22 (le signe SILENCE).
Voir p 337. Au vu de leur caractère non verbal et de la difficulté de rendre par écrit une communication phatique
visuelle, ces indications n’apparaissent pas telles quelles dans la transcription du corpus.
214
par les ILS, qui a pour objectif d’informer et de faire bénéficier à la personne sourde de toutes
les informations au même titre que les participants entendants. C’est également une manière
de maintenir la confiance du bénéficiaire en lui expliquant les raisons d’une rupture soudaine
ou d’une restitution hésitante. Ce comportement peut être envisagé comme répondant à la loi
de l’auto-protection et nous renvoyons aux travaux de Gile sur les stratégies et tactiques en
ligne (1995 : 138).
Les ILS ont parfois signifié un changement de sujet, même lorsque l’orateur n’a pas prononcé
mot pour mot son intention de changer de sujet. Un signe existant visant à signifier un espace
vierge, c'est-à-dire une nouvelle discussion, un nouveau sujet, a été utilisé par les ILS. Nous
remarquons que son utilisation est parfaitement subjective à l’ILS qui souhaite à ce moment là
peut-être clarifier son espace pour une meilleure compréhension de la part du récepteur. Nous
remarquons que ce signe est majoritairement associé à un changement de ton de l’orateur,
mais notre corpus ne nous permet pas d’affirmer cette piste puisque nous n’avons pas
interrogé les ILS à ce sujet et que les occurrences s’avèrent relativement rares.
Nous remarquons également que lorsque les ILS se rendent compte d’une erreur ou d’un
risque de mauvaise lecture des sujets pointés, ils ont tendance à se corriger ou à préciser leur
sujet. Par exemple, aux corpus 1, 2, 4 et 5, les interprètes signifient clairement « l’ILS se
trompe d’emplacement, c’est de ça dont on parle ». Nous pensons que cette information
correspond à l’autocorrection des interprètes en langue vocale au fur et à mesure de leur
prestation.
Il n’est pas surprenant que ces deux Indications Contextuelles soient apparues simultanément.
C’est en effet lorsque l’orateur s’adresse à l’interprète et qu’une réponse de sa part est
attendue que l’interprète doit signifier plusieurs choses dans sa production : en premier il
prévient que l’orateur s’adresse à lui, à l’interprète, et ce de façon personnelle. Ensuite il
215
répond à l’orateur en signant en même temps qu’il parle pour que l’auditeur sourd puisse
également en bénéficier. En général, les interactions sont assez mal vécues par les interprètes,
pour plusieurs raisons. En premier lieu, elles déconcentrent l’interprète dans sa traduction,
ceci ayant pu s’observer dans le corpus 1 où l’interprète en train de scénariser une soutenance
de thèse s’est vu questionnée par l’orateur sur la définition d’une soutenance. Alors qu’elle
était en train de « planter le décor » d’une soutenance publique, celle-ci a pourtant répondu
par la négative à une question qui lui était directement destinée : « savez-vous ce que sont des
soutenances, Madame l’interprète ? »149. Elle expliquera dans son interview qu’elle était
gênée et n’osait pas vraiment exister dans cette interaction. On la voit rougir et se déstabiliser,
elle-même mentionne qu’elle fait « n’importe quoi ». Elle mettra plusieurs secondes pour se
recentrer et reprendre le fil de l’interprétation.150 Les moments d’échanges directs entre
l’orateur et l’interprète sont, dans notre corpus, toujours vécus au détriment de ce dernier.
L’interaction directe, lorsqu’elle n’est pas à l’initiative de l’interprète pour une demande de
précision par exemple, semble perturber le fil de l’interprétation. Mais apparemment, au-delà
d’une déconcentration ponctuelle, l’interaction directe adressée à l’ILS provoque chez lui un
embarras qui semble toucher un point sensible : celui des règles de conduite.
La première est une question portant sur des considérations techniques, par exemple sur le
niveau sonore ou sur le débit des orateurs. Ce genre de questions ne semble pas gêner les ILS
qui répondent simplement par un « ça va » (par exemple au corpus 2 p. 351) où l’interprète
continue sereinement son interprétation.
La seconde est une interaction impliquant plus personnellement l’ILS, avec des questions
portant sur un élément du discours ou une remarque plus générale sur sa personne. Ce sont ces
formes d’interactions directes et plus personnelles qui semblent troubler l’ILS. La proximité
physique de l’ILS peut faire de lui un interlocuteur potentiel. Pour se préserver de cela et
d’une éventuelle intrusion de l’ILS dans le discours, une injonction du code d’éthique des ILS
français précise qu’ils ne doivent pas être « pris à partie » pendant les échanges. Nous
précisons ici que les interprètes filmés sont régulièrement en stage auprès d’ILS
professionnels depuis deux ans et qu’ils sont eux même considérés comme semi-
149
Voir en annexe la transcription du Corpus 1 page 341 ligne 22
150
Voir en annexe la transcription du Corpus 1 page 341 et la transcription de l’entretien de l’ILS 1 page 407
216
professionnels151 ; ils sont donc très soucieux des normes et des règles qui régissent les
pratiques de l’ensemble de la profession. En analysant le corpus nous comprenons que les ILS
se sentent pris au dépourvu dès qu’ils sont interpellés par l’orateur. L’interprète explique
d’ailleurs clairement son embarras en ces termes : « je sais (qu’il) attend une réponse, mais je
ne savais pas comment gérer l’interaction. Je n’ose pas exister dans l’interaction »152. En
voulant respecter ces normes qui ont été élaborées avant même que la recherche n’ait pu
vérifier leur faisabilité, et alors que de nombreuses auteures, nous l’avons vu (Wadensjö, Roy,
Metzger qui elles-mêmes citent Seleskovitch), ont démontré l’importance d’asseoir la relation
avec l’interprète dans la situation interprétée, les ILS de notre corpus font ce qui est attendu
d’eux par la norme majoritaire : ils n’osent pas exister. Cette attitude qu’ils ont estimé être la
bonne sur l’instant ne leur rend pas justice. Lors du visionnage de leurs prestations, ces
mêmes interprètes montrent un certain embarras en analysant l’image qu’ils renvoient à ces
instants précis (exemple : l’orateur parle à l’ILS qui évite son regard de peur de prolonger
l’interaction, tout en signant ce qu’il est en train de lui dire)153. Ils se rendent compte du
paradoxe dans lequel ils se retrouvent et qu’ils imposent de fait à l’ensemble des personnes
présentes. Sans remettre fondamentalement en cause ces principes de base qui régissent la
profession depuis sa création, les ILS relèvent d’eux même la situation contradictoire qui
consiste à être visible sans exister et à vouloir se faire transparent alors qu’ils sont justement
un des vecteurs de la communication après l’orateur. Cette observation nous amène à nous
rapprocher pleinement des conclusions des travaux de Metzger (1999 :75) à ce sujet,
lorsqu’elle souligne que ne pas répondre à l’orateur et ignorer ses besoins en termes de
communication et de règles de courtoisie sont des facteurs qui affectent le déroulement de la
situation et qui, in fine, décrédibilisent l’ILS.
151
Dénomination vue lors de l’université d’été du CETRA à Louvain auprès de M. Shlesinger lorsque nous lui
avons présenté notre corpus et notre recherche pendant les séances de tutorats.
152
Voir en annexe l’entretien avec l’ILS 1 page 407
153
Corpus 1 page 341, Corpus 4 pages 380-381
217
qu’il est en train d’interpréter. La particularité de l’interprétation en langue des signes est
qu’elle utilise deux canaux différents (audio-vocal et visuo-gestuel), et que l’interprète, dans
le feu de l’action, peut donner l’impression d’être disponible à la réception d’un message
supplémentaire si un mode n’est pas sollicité. Nous avons peut-être là une des raisons de la
présence d’un phénomène qui est souvent mentionné en interprétation en LS et qui est la
présence d’interactions simultanément à l’interprétation.
« Nous rejoignons ici les idées de C. Wadensjö (1998), M. Metzger (1999) et C. Roy
(2000), qui mettent en avant le rôle actif de l’interprète en situation d’interprétation
de liaison. J. Napier (2006) insiste d’ailleurs elle aussi sur la coopération entre
l’interprète et la personne sourde dans l’interprétation de la langue des signes
australienne vers l’anglais et rapporte des regards, des hochements de tête et de très
courtes interactions qui ne prennent pas de forme linguistique signée à proprement
parler. » (Pointurier-Pournin et Gile, 2012 : 6)
Nous avons également observé dans ce corpus, outre les interventions de la personne sourde
directement adressées à l’orateur, de nombreuses interactions entre les ILS et la personne
sourde, interactions très courtes et immédiatement comprises par les interprètes dans un
contexte où ils connaissaient bien leur bénéficiaire puisqu’ils avaient en charge pendant une
année entière l’interprétation des cours de gestion de celui-ci (voir Pournin 2009). Ces
interactions n’étaient pas destinées à être verbalisées et avaient comme objectif une demande
de précision d’un concept ou d’un signe ou l’assurance d’une bonne compréhension. Ces
interactions furtives passaient principalement par le regard, par un froncement du sourcil ou
un hochement de tête. Nous étions alors dans une configuration d’une interprétation en milieu
pédagogique dont une des particularités porte sur les choix de la forme linguistique privilégiée
par l’interprète qui s’avère parfois être en contradiction avec les contraintes cognitives
induites par ce même choix. Nous n’avions pas comme objectif de comptabiliser le nombre
d’interactions ni d’en analyser leurs effets sur l’interprétation. Cependant, de manière
générale, nos observations tendaient à confirmer la présence d’interactions dites « en ligne »
218
entre l’interprète et la personne sourde, tendance généralement rencontrée par la plupart des
ILS et auxquelles Bélanger (1995, section 1 page 6) avait également fait référence en
nommant « Effort de perception visuelle » ce qu’elle qualifiait d’interférences visuelles,
rétroaction en provenance des consommateurs sourds, conventions de signes, interventions
impromptues des consommateurs sourds.
Les interventions mentionnées par Bélanger sont d’une nature différente de celles analysées
par Napier, puisque ces dernières (observées pendant une interprétation de la LS vers la
langue vocale) avaient pour objectif une assurance de compréhension mutuelle, de
stabilisation du rythme de l’orateur signant, le tout dans l’intention d’effectuer la meilleure
restitution possible vers l’oral. De plus, dans le corpus de Napier, les interprètes et le locuteur
sourd se connaissaient et travaillaient régulièrement ensemble, ce qui pouvait leur permettre
d’agir en confiance en s’autorisant une forme de régulation qui n’est pas aussi aisée à mettre
en place lorsque l’ILS et l’orateur sourd ne se connaissent pas. La donnée intéressante à
relever dans cette étude est la mise en valeur de la notion de coopération entre les deux
parties, qui serait un élément central dans la réussite d’une interprétation.
Les interactions listées par Bélanger n’ont pas cette nature coopérative, si ce n’est lorsqu’elle
mentionne les conventions de signes, qui se font en général en périphérie de l’interprétation,
voire parfois simultanément. Nombreux sont les interprètes qui se sont confrontés à ces
interactions dont l’origine peut se trouver à plusieurs niveaux : en premier lieu, les
participants sourds à des évènements interprétés en LS sont souvent seuls ou en minorité et
l’interprète est pour eux l’unique personne avec qui ils pourront avoir un échange durant le
déroulement entier de l’évènement. Il apparaît plus simple d’interrompre l’interprète qui, par
son placement dans la salle, est plus enclin à être à la portée des sourds que ne l’est l’orateur
entendant. En second lieu, les sourds s’assurent souvent de leur compréhension en faisant
écho à ce qui vient de se dire à l’oral. Selon les situations ils peuvent interagir spontanément
ou non, pour communiquer ou questionner un signe par exemple.
De nombreuses interventions pourraient être ainsi être recensées. Pour autant il ne nous paraît
pas pertinent d’en faire la liste en précisant la nature conforme aux normes ou non de ces
interventions. Considérerait-on comme impromptue – pour reprendre le terme de Bélanger –
une intervention venant de la part d’un patient sourd signifiant à l’interprète par un
froncement de sourcil son incompréhension face à un diagnostic ? Il nous semble possible de
219
lister en interventions possibles certaines formes d’échanges apparaissant à l’initiative des
usagers sourds. Nous signalerons juste que ces interventions peuvent prendre des formes et
des significations très différentes selon le lieu où elles se produisent, mais également selon la
nature du cadre dans lequel se déroule l’interprétation (milieu pédagogique, liaison,
conférence, etc.). Nous resterons donc prudente sur cette tentative de liste généralisée :
échanges de regards, froncement de sourcils, hochement de tête, la main dominante qui se
manifeste, la main levée, l’écholalie, intervention directe dans le discours, interaction directe
vers l’ILS, etc.
De plus, il est intéressant de mentionner ici la complexité de la prise de parole pour une
personne sourde dans un contexte entendant, dont les normes usuelles d’interventions en
public et les conventions sociales ne sont généralement pas maîtrisées. La personne sourde est
également soumise au décalage imposé par l’interprétation et de ce fait, ne peut pas profiter
d’un « blanc » dans le discours pour intervenir spontanément dans la conversation. Un
interprète dit à ce sujet :
« (…) au bout d’un moment, profitant d’un petit silence je lui fais signe : vas-y ! Pour
qu’il s’exprime si ce n’est pas trop tard. Soit : attention on est passé à autre chose.
Avec des expressions je lui signifie : oui j’ai vu que tu voulais prendre la parole. Et je
signe : attends j’arrive. » (Bouchard, 2010 :16)
D’autres ILS ont des tactiques différentes pour appuyer la prise de parole comme « excusez
moi, je souhaiterais prendre la parole » ou « Monsieur voudrait prendre la parole », certains
haussent le ton, d’autres désignent aux orateurs que la personne sourde souhaite s’exprimer en
tendant un bras vers lui, etc. Ce qui est intéressant dans la diversité des tactiques énumérées
n’est pas dans la comparaison de celles-ci quant aux critères d’éthique et de
professionnalisme, mais c’est qu’il est fait clairement mention que l’ILS doit bien souvent
gérer l’entrée en interaction de la personne sourde avec l’assemblée.
220
ses impressions et questionnements personnels qui ont l’avantage de n’être pas encore
censurés par la discrétion des professionnels en exercice face à leurs propres difficultés.
Elle met en avant qu’aucun des interprètes interrogés sur le scénario selon lequel si un sourd
s’adresse à vous directement n’a été surpris de cette question et que plus de la moitié d’entre
eux ont précisé que cela leur arrivait souvent. Nous sommes là face à un phénomène qui
arrive donc fréquemment chez les ILS. Concernant l’intention d’intervenir du locuteur sourd,
elle s’interroge :
On devine une première phase qui est celle de l’accueil visuel de l’interaction. Dans le feu de
l’action, en situation d’interprétation vers la LS, l’interprète peut être déconcentré par ces
interactions et peut naturellement se poser des questions sur le contenu de l’intervention : est-
ce pour moi ? Est-ce une convention de code ? Est-ce une intervention ?
Le corpus de F. Bouchard montre que lorsque les tours de parole ne sont pas ceux
généralement observés dans un groupe social (attendre que quelqu’un finisse sa phrase avant
de parler, lever la main en réunion pour prendre la parole, etc.), les interventions et
manifestations visuelles sont gênantes pour les ILS et ont tendance à les perturber, puisqu’il
est clairement mentionné par un ILS que : « dans un premier temps ça me perturbe et je
continue de signer ». (Ibidem, p. 38)
221
l’événement interprété. Pour autant, en dehors de la situation de conférence standard où la
parole est unilatérale et où la proximité de l’ILS est moins évidente qu’en situation de liaison,
nous pouvons nous interroger sur le qualificatif même d’interactions ou d’interventions dans
un contexte d’interprétation. Nous nous retrouvons là face aux limites qu’offre la recherche en
traductologie telle qu’elle a été élaborée avec les langues vocales puisque, concernant la LS,
les champs d’interventions sont beaucoup plus perméables que ne le sont ceux des langues
vocales dans la mesure où ils couvrent autant la situation de conférence que celle de liaison,
où l’interaction fait partie intégrante du schéma communicationnel interactif entre toutes les
parties présentes. L’interprète aura donc à faire face à des contraintes différentes, directement
liées à la nature même de la prestation.
5.4. La scénarisation
La scénarisation (Séro-Guillaume) s’appuie sur les concepts de Pottier, sur les notions de
transferts (Cuxac, 2000) et sur la notion de déverbalisation de Seleskovitch.
De par sa nature rhétorique qui met en scène les interactions des évènements du discours, la
scénarisation intègre la tactique des opérations de transfert (Cuxac, 2000) qui sont des
concepts linguistiques s’inscrivant dans la lignée de Stokoe et du role shifting.
On compte trois possibilités de transferts : le transfert personnel (le locuteur devient l’entité
dont il parle, personne, chose, animal) ; le transfert de taille ou de forme (le locuteur décrit
une chose par sa forme, hauteur, etc.) et le transfert de situation (la situation est représentée
dans l’espace de signation).
La scénarisation intègre donc une prise de rôle en général en la mettant en perspective dans le
discours. C'est-à-dire qu’elle peut comporter plusieurs transferts dont l’objectif est de
représenter le sens du segment ou du concept à traduire. La finalité de cette prise en charge,
surtout lorsqu’elle est utilisée comme tactique face à un vide lexical relatif, est de rendre le
discours traduit moins linéaire que pourrait être une périphrase, dans l’optique de répondre
ainsi aux critères d’iconicité de la langue attendue par les bénéficiaires de la communauté
sourde française.
223
Une remarque nous vient lorsqu’on analyse simplement les définitions proposées par Séro-
Guillaume et Cuxac : il est fait état d’une description de la langue et de son fonctionnement
sous forme de constat linguistique mais qui, une fois appliquée à l’exercice de l’interprétation,
ne prend pas en compte le temps nécessaire à la reproduction et à l’imagination : « Faire un
transfert c’est dupliquer une expérience, réelle ou imaginaire , et tenter de la reproduire
dans l’espace de signation » (Cuxac, 2000) ; et « Scénariser (…) à imaginer une scène qui
condense le sens » (Séro-Guillaume, 2008).
En effet, il nous semble intéressant de mettre en avant que la notion de temps est mise de coté,
confondant la possibilité que nous ne contestons pas ici de « dire » en langue des signes avec
la possibilité d’interpréter un même « dire » efficacement et en totalité sous la contrainte de
temps. Dans un contexte où le vide lexical relatif à la LS dans son rapport au français à
toujours été un sujet sensible, et sans recherche pouvant appuyer ou non cette prise de
position, ce postulat théorique a contribué à laisser dans l’ombre les besoins fondamentaux de
l’interprète sous la contrainte du temps très limité dont il dispose et obligé de suivre le
discours de l’orateur au rythme de celui-ci, ainsi que l’avantage tactique et technique que
présenterait à cet égard l’existence d’un ensemble lexical riche154 en LS.
5.4.1.1. Classification
Il nous paraît important de préciser que nous distinguons dans notre étude la scénarisation
comme tactique de prise en charge du discours de la spatialisation (placement dans l’espace
de signation des éléments de la phrase dont les interactions prendront valeur de sens. La
cohérence de la spatialisation des éléments du discours pourrait correspondre aux bases
grammaticales de la phrase en français). La proximité conceptuelle de la scénarisation avec
les caractéristiques visuelles de la langue des signes nous amène à vouloir clarifier ce que peut
être la scénarisation en interprétation en langue des signes :
En premier lieu, il nous semble important de ne pas parler de scénarisation lorsque l’interprète
spatialise naturellement tous les éléments du discours dans son espace de signation en suivant
154
Nous rappelons qu’il n’y a pas de connotation péjorative dans l’emploi de ce terme, il est à mettre en relation
avec l’étendue quantitative du lexique français dans son rapport à la LS, et plus généralement, de la différence
entre le volume du lexique des langues vocales et le volume du lexique des langues des signes.
224
simplement les règles discursives liées à la langue des signes, c'est-à-dire en mettant en scène
chaque élément directement proposé par le discours (ex. : Pierre m’a dit ceci et je lui ai
répondu cela), ce qui dans ce cas opposera cette forme d’interprétation avec une interprétation
linéaire, comme une translittération par exemple. En spatialisant, l’interprète ne fait que
suivre les règles inhérentes à la langue des signes dans sa particularité discursive, qui utilise
l’espace de façon pertinente afin de générer des effets de sens (Cuxac, 2000-261). En effet,
dans ce cas, l’interprète n’a pas besoin de créer d’interactions pour servir le discours, ni
d’imaginer des scènes qui ne soient pas directement et explicitement proposées par le
discours.
Nous parlerons de scénarisation lorsque l’interprète crée une scène dynamique entre des
éléments (personne, chose, concept) qui n’existent pas dans le discours original mais dont les
référents sont bien présents dans le discours en LS correspondant, dans l’intention d’en
exprimer le sens et d’en « montrer » les idées.
Plus précisément, et avant même l’analyse du corpus, il nous semblait que la notion générale
de scénarisation pouvait être affinée. En effet, la catégorisation en tant que scénarisation nous
paraissait évidente si les entités à représenter ou à mettre en scène étaient déjà suggérées
d’une manière ou d’une autre dans le discours de départ. L’effort de production serait alors
moins sollicité que si l’interprète devait créer un ensemble d’interactions dans le but de
représenter un concept, par exemple pour scénariser une « variable parasite » ou la «
faisabilité ». Ces termes n’ont pas à notre connaissance de correspondance signée standard et
nécessitent donc de la part de l’interprète une mise en perspective de ces notions dans son
espace de signation.
Nous pensons que les valeurs discursives présentes chez les locuteurs signants s’appliquent
également aux situations d’interprétation, et par voie de conséquence aux scénarisations :
225
- une valeur descriptive (ou illustrative), où le locuteur donne à voir le contenu du
discours.
- une valeur métaphorique, où le locuteur propose un concept en passant par
l’exemple, par la métaphore.
Ces valeurs présentes chez les locuteurs signants se retrouvent donc naturellement dans les
propositions des interprètes en langue des signes. Ce qui diffère cependant, ce sont les
paramètres de temps et de charge cognitive qui ne sont pas les mêmes en situation dialogique
simple et en situation d’interprétation simultanée.
Lors de cette analyse, il s’est avéré que la scénarisation induite pouvait durer aussi longtemps
que le discours s’y prêtait, d’un simple segment de phrase à plusieurs minutes consécutives.
Elle est déterminée par le caractère scénaristique exploitable du discours de départ. L’action à
mettre en scène est directement proposée par le discours et peut comporter un ou plusieurs
acteurs ou entités à mettre en scène. Nous allons étudier plusieurs exemples choisis pour leur
226
représentativité et analyserons les résultats observés de cette tactique sur l’interprétation, puis
nous essaierons de compléter la définition du concept que nous venons de poser.
5.4.1.3.1. Exemple 1
L’interprète a signé cette phrase en prenant le parti de mettre en scène une situation
dialogique entre les deux acteurs du discours : l’étudiant et Madame L. Les interactions sont
réalisées par plusieurs transferts personnels, c'est-à-dire que l’interprète devient Madame L. (à
droite) puis l’étudiant (à gauche). Il s’est ensuite repositionné dans le rôle de l’orateur (au
centre) pour resituer l’action de narration et clore la scénarisation dialogique.
« Mr Z. a demandé à Madame L. :
- Madame, J’ai un empêchement familial, je ne pourrais pas venir, veuillez m’en excuser.
- D’accord, vous êtes excusé. »
227
5.4.1.3.2. Exemple 2 :
Corpus 3 page 374 ligne 2 : « C’est un petit peu comme dans les débats politiques, vous
faites semblant de croire que quelqu’un a dit quelque chose alors qu’il ne l’a jamais dit.
Et vous le combattez pour dire quelque chose avec lequel tout le monde est d’accord. »
L’interprète a toutes les entités à mettre en scène : le contexte (le débat politique) et les
intervenants (vous ; quelqu’un à combattre verbalement ; et tout le monde). Il change le
« vous » en « moi », c'est-à-dire qu’il change le point de vue du discours pour faire interagir
« quelqu’un » qui deviendra « toi » :
MOI COMME UN PEU COMME [agressif] MOI ACCEPTE POURQUOI [agressif] MOI
ACCEPTE PEUT ACCORD MOI COMME DÉBAT POLITIQUE.
« Vous faites semblant de croire » est mis en scène par l’attitude de l’interprète, il n’est pas
lexicalisé à proprement parler.
« Et vous le combattez pour dire quelque chose avec lequel tout le monde est d’accord »
est traduit par : UNE PERSONNE LUI ATTAQUE JE DIS TOI TU M’AS DIS ÇA NON
NON JAMAIS JE DIS ÇA SI SI JE SAIS TU ME DIS ÇA JE SAIS.
L’interprète a choisi de montrer une interaction imaginaire qui n’était pas présente dans le
discours mais qui était suggérée. Cette interaction sera exécutée en prise de rôles, sous forme
dialogique. Malgré la restitution générale du sens de la phrase, le segment « tout le monde est
d’accord » n’est pas transmis, ni par une CNV, ni par quelque élément signé que ce soit.
5.4.1.3.3. Exemple 3
Corpus 6 page 395 ligne 18 jusqu’à la page 396 ligne 29 : « Et cette image là vous dit quoi ?
Elle vous dit qu’en réalité, le meilleur travail, vous allez le trouver par exemple, au bout
de, à peu près douze ans. Jusqu’à douze ans d’expérience, les compétences augmentent,
le travail augmente. La qualité du travail augmente. Mais à partir de douze ans
d’expérience, pfff, c’est la dégringolade.
Autrement dit quoi ? Si les gens croient que le chercheur a bien fait son travail, ils vont
se dire : très bien, dorénavant, je vais recruter des gens entre disons, trente et quarante
ans. Parce que avant trente ans, entre… ils sont en phase d’apprentissage rapide, mais
heu, ils ne savent pas encore suffisamment de choses, et jusqu’à trente cinq ans c’est
228
bon, et à partir de trente cinq ans ça dégringole et à quarante ans ils redescendent et
donc les gens de plus de quarante ans il n’est pas question de leur donner du boulot.
Voilà les résultats auxquels vous pouvez arriver.
Si on prend en compte une étude comme ça, comme si elle reflétait la réalité, vous
saisissez le danger ? »
Dans la première partie, le discours ne se prête pas à une autre mise en scène autre que celle
qui est proposée par le discours lui-même. Donc l’interprète suit l’orateur en spatialisant
simplement les éléments du discours et leurs interactions. Nous rappelons que spatialiser les
éléments ne veut pas dire créer une scène, donc scénariser.
À partir de la ligne 34 « Autrement dit quoi ? Si les gens croient que le chercheur a bien
fait son travail, ils vont se dire (…) » l’interprète va signer C'EST-À-DIRE QUOI ? SI
PERSONNE LUI (…).À ce moment là, du LUI elle fait une prise de rôle en mettant « les
gens » en sujet en commençant une scénarisation du point de vue des « gens », bien avant que
l’orateur n’ait lui-même décidé de le faire en les personnifiant et en les faisant s’exprimer
dans son discours. Au segment « très bien, dorénavant, je vais recruter des gens entre
disons, trente et quarante ans. Parce que, avant trente ans, entre (…) » page 396 ligne 1,
elle continue sa prise de rôle de façon plus assurée suite au « je » de la phrase « je vais
recruter », et présente le restant du discours d’un point de vue quasi monologique, c'est-à-
dire en décentrant le discours d’un point de vue plus neutre à celui très concret d’un
employeur potentiel (d’ailleurs on peut se demander si l’orateur se place en tant
qu’observateur, commentateur, ou employeur potentiel). Alors que l’orateur reprend de façon
descriptive le reste du discours et que le « je » n’est plus présent, l’interprète choisit
d’interpréter en gardant cette forme de discours direct et scénarisé. Les « ils » de la phrase
« ils sont en phase d’apprentissage rapide, mais heu, ils ne savent pas encore
suffisamment de choses, et jusqu’à trente cinq ans c’est bon, et à partir de trente cinq
ans ça dégringole et à quarante ans ils redescendent et donc les gens de plus de quarante
ans il n’est pas question de leur donner du boulot. (…) » page 396 ligne 5, incarnent des
229
interprètes du point de vue de l’employeur, et non du point de vue plus dégagé du discours qui
prend la forme d’un discours explicatif et descriptif. Nous noterons cependant plusieurs
petites omissions (en réalité, l’idée de phase, vous saisissez le danger, par exemple).
L’interprète à ce sujet dit : « C’est plus vivant. Je trouve aussi que cette partie du discours est
beaucoup plus concrète que certains passages qu’ont pu avoir mes collègues.»155 L’idée de
vivant semble intéressante à souligner car, dans cet extrait, l’interprète met en avant
l’importance d’une interaction claire entre les parties qu’elle doit mettre en scène.
5.4.1.3.4. Exemple 4
Cet autre exemple est intéressant puisqu’il comporte de nombreuses entités à placer :
l’orateur, des étudiants en psychologie, on, des cobayes, des chercheurs, des participants, des
professionnels, il (Künzli), des étudiants traducteurs, etc. L’interprète a entièrement scénarisé
ce passage qui s’y prête bien, car il comporte beaucoup d’interactions et d’actions à mettre en
scène.
Corpus 2 page 354 ligne 26 jusqu’à la page 355 ligne 36: « Moi je sais très bien, je vois,
quand j’étais étudiant, euh, j’étais la victime consentante d’étudiants en
psychologie. Vous savez les étudiants en psychologie en première année et en deuxième
année ils ont besoin de faire beaucoup d’expériences pour apprendre à faire des
expériences, donc ils cherchent des étudiants partout qui leur servent de victimes. Et je
sais très bien comment ça se passe. Chaque fois que vous entrez quelque part on vous dit
de faire telle ou telle chose, de vous rappeler des mots, d’identifier quelque chose
etcétéra. Et puis vous vous demandez : mais qu’est-ce qu’il cherche vraiment ? C’est
quoi le but de l’opération ? Et qu’est ce que je vais faire ? Et en plus ils sont très
sympathiques, on leur dit d’être sympathique certainement, et, bon, moi je voudrais
bien rendre service à cette personne, et moi je voudrais bien donner l’image de
quelqu’un d’intelligent etcétéra. Bon avec moi ça marche pas c’est pour ça que j’ai fini
par mettre des lunettes pour me donner l’air plus intelligent. Je ne sais pas si j’ai l’air
plus intelligent mais avec d’autres ça marche… et donc on essaye de faire des choses
qu’on ne ferait peut-être pas dans la vie. Vous avez parfaitement raison. »
155
Voir Entretien ILS 6 en annexe (partie 8.2.6) page 413
230
Analyse de l’extrait :
Page 354 ligne 26 « (…) Moi je sais très bien, je vois, quand j’étais étudiant, euh, j’étais
la victime consentante d’étudiants en psychologie. »
« (…) dans mon esprit j’ai vidé tout mon espace de signation. Je n’étais plus dans les
résultats et autres chercheurs. Mais il y avait d’autres chercheurs ! (en l’occurrence
les étudiants chercheurs en psychologie) (…) Donc c’est vrai qu’on peut confondre
toutes les sortes de chercheurs qu’il peut y avoir dans mon espace. (…) Je vois que je
me décale un peu lorsqu’il reparle de l’expérience, en fait je vois que je n’ai pas
montré que je vidais mon espace précédant, en revanche j’ai fait un petit pas sur le
côté pour montrer que le sujet était à ce moment là du discours une parenthèse. »156
Nous voyons clairement que la difficulté liée à cette forme de scénarisation relève de la
probabilité d’avoir plusieurs espaces à gérer, plusieurs entités à faire interagir, ce qui contraint
fortement l’interprète à se souvenir par souci de cohérence de son discours des placements de
chacune des entités. Nous avons vu que la mémoire de l’espace est un élément supplémentaire
à gérer par l’interprète, et nous analyserons dans la partie consacrée aux limites de la
scénarisation ses implications avec la scénarisation.
Page 354 ligne 30 « (…) Vous savez les étudiants en psychologie en première année et en
deuxième année, ils ont besoin de faire beaucoup d’expériences pour apprendre à faire
des expériences (…) »
L’interprète est toujours dans le rôle de l’orateur. Il organise son espace avec les éléments
donnés par l’orateur, ensuite il pointe sa droite pour indiquer le sujet (les étudiants en
psychologie) et restitue la totalité du segment (PREMIERE ANNEE DEUXIEME ANNEE
156
Voir en annexe partie 8.2.2. Entretien ILS 2 page 408
231
FAUT EXPÉRIENCE EUX APPRENDRE). Il a tous les éléments posés pour utiliser et faire
interagir son espace par le biais de pointages et de transferts.
Page 354 ligne 38 « (…) donc ils cherchent des étudiants partout qui leur servent de
victimes. »
À cet instant la scénarisation commence, l’interprète prend le rôle d’un des étudiants qui
cherche un autre étudiant pour participer à son expérience (JE CHERCHE UN AUTRE
ÉTUDIANT VIENT PARTICIPER MON EXPÉRIENCE)
Page 354 ligne 42 « (…) Et je sais très bien comment ça se passe. Chaque fois que vous
entrez quelque part on vous dit de faire telle ou telle chose, de vous rappeler des mots,
d’identifier quelque chose etcétéra. Et puis vous vous demandez : mais qu’est-ce qu’il
cherche vraiment ? C’est quoi le but de l’opération ? Et qu’est ce que je vais faire ?
(…) »
L’interprète se recentre un peu pour le segment « je sais très bien comment ça se passe », pour
marquer un certain recul entre la scénarisation précédente et le commentaire que l’orateur en
fait. Il prend ensuite le rôle d’un cobaye qui entre dans une pièce (un bureau) et qui se plie à
une expérience (JE RENTRE BUREAU ON ME POSE QUESTION MOT MOT
TROUVER OUI NON). Le segment relatif à « l’identification de quelque chose » peut se
trouver dans la communication non verbale (CNV) que fait l’interprète lorsqu’il scénarise la
participation d’un cobaye à une expérience, elle n’est pas clairement lexicalisée mais l’idée
est présente. Ensuite il restitue le monologue intérieur du cobaye (QUESTION POURQUOI
EXACTEMENT ? OBJECTIF QUOI ? EN MOI ESSAYER ADAPTER .QUOI FAIRE
ÇA).
Page 355 ligne 10 « (…) Et en plus ils sont très sympathiques, (…)»
L’interprète se replace au centre pour signifier qu’il se dégage de sa prise de rôle. Il pointe de
la main gauche l’espace de signation occupée par les étudiants à droite tout en signant de la
main droite (GENTIL) avec une expression du visage sympathique. L’exploitation de tous ses
232
placements par des réactivations courtes lui permet un gain de temps et une économie de
signes qui lui permet d’être pleinement dans l’écoute et de rendre l’interprétation très claire et
vivante.
Page 355 ligne 15 « (…) on leur dit d’être sympathique certainement, (…) »
Pour le « on » l’interprète place une « personne » (PEUT ÊTRE AUTRE PERSONNE), puis
pointe une fois encore sa droite pour ensuite prendre le rôle de « on », c'est-à-dire de
quelqu’un qui donne l’ordre aux étudiants en psychologie d’être sympathique (JE DONNE
UN ORDRE EUX GENTIL. Le signe ORDRE est relativisé par une CNV exprimant un
conseil lorsqu’il est signé.
Page 355 ligne 19 « (…) et moi je voudrais bien rendre service à cette personne, et moi je
voudrais bien donner l’image de quelqu’un d’intelligent etcétéra. Bon avec moi ça
marche pas c’est pour ça que j’ai fini par mettre des lunettes pour me donner l’air plus
intelligent. Je ne sais pas si j’ai l’air plus intelligent mais avec d’autres ça marche… et
donc on essaye de faire des choses qu’on ne ferait peut-être pas dans la vie. Vous avez
parfaitement raison. »
Le premier moi est traduit par une prise de rôle d’un cobaye voulant être conciliant (PEUT
ÊTRE MOI VEUX AIDE VEUX AIDER) le tout en regardant vers la droite, c'est-à-dire vers
l’espace où sont posés les étudiants en psychologie. Puis l’air intelligent (MOI JE PENSE
COMME INTELLIGENT MARQUER FRONT).
Le deuxième moi est celui de l’orateur, l’interprète se replace donc au centre pour signifier
que c’est l’orateur le sujet de sa propre phrase (ÇA MARCHE PAS POUR ÇA J’AI MIS
LUNETTES PLUS FACILE INTELLIGENT)
Page 355 ligne 36 « (…) Donc le fait qu’il ait expliqué les objectifs de l’expérience avant
l’expérience… On se dit que bon… il dit aux participants « nous allons étudier la
manière dont vous faites de la recherche documentaire ». Peut être que tant les étudiants
que les professionnels se sont dit inconsciemment : « eh bien puisque c’est comme ça, je
233
vais montrer combien je suis sérieux, combien je suis professionnel, je vais me servir de
tout ça… » Donc ça peut changer les… ça peut changer un petit peu les
comportements… (…) »
L’orateur reparle de Künzli, de l’auteur, le on, il et les participants ne sont plus les mêmes,
nous passons de l’expérience en psychologie à l’expérience étudiée par l’auteur. Ces pronoms
doivent être topicalisés à nouveau, re-contextualisés dans un espace. On voit que l’interprète a
quelques secondes de flottement, d’ailleurs il ne restitue pas le segment « vous avez
parfaitement raison ». Il enchaîne sur son ancien espace de signation. Contrairement à la
majorité des langues vocales où un « nous » aura presque toujours la même traduction (we,
par exemple très simplifié) la scénarisation en LS requiert à ce moment la une
recontextualisation rapide des sujets, puisque ce sont ces mêmes sujets qui seront acteurs de la
scénarisation future.
Puis il se décale vers le centre en faisant le mouvement inverse de celui utilisé pour ouvrir la
parenthèse anecdotique. Il montre ainsi qu’il va réutiliser l’espace qu’il avait précédemment
posé sur les étudiants en psychologie. Mais il se trompe de côté lorsqu’il commence une prise
de rôle. Il rectifie rapidement et reprend son interprétation. Il commente ainsi :
« Mon espace était clair : mon chercheur à droite, et les autres à gauche. Mais à un
moment on voit bien que je me trompe de côté. » 158
En effet, il lui a fallu un petit laps de temps pour se remémorer quelles entités étaient à droite,
au centre et à gauche. Une fois rétabli, il retrouve le cours de son interprétation. Nous
analyserons plus loin les effets cognitifs de la mémorisation des emplacements lors de
l’interprétation.
157
Voir en annexe Partie 8.2.2. Entretien ILS 2 page 408
158
Voir en annexe Partie 8.2.2. Entretien ILS 2 page 408
234
5.4.1.3.5. Exemple 5
Corpus 3 page 369 ligne 19 « […] que les dictionnaires unilingues sont utilisés que quand
les dictionnaires bilingues n’ont rien donné. Il a l’air de dire ça. Mais, sur quelle base il
dit ça ? Quand vous faites des affirmations, il faut des références. »
DICTIONNAIRE UNE LANGUE LUI JE PRENDS ÇA TOUT DE SUITE NON PREMIER
DICTIONNAIRE 2 LANGUE BILINGUE NON NON NON BLOQUER BLOQUER TANT
PIS CHEMIN CHEMIN DICTIONNAIRE 1
Depuis plusieurs segments, l’interprète avait placé dans son espace les dictionnaires bilingues
à droite et les unilingues à gauche. Dans cet exemple, l’interprète signe la première partie de
la phrase en prenant le rôle d’un traducteur qui consulte un dictionnaire bilingue sans succès
pour ensuite ouvrir un dictionnaire unilingue. Ainsi, il met en scène sa propre représentation
de la phrase alors que le traducteur n’est pas une entité présente dans le discours de l’orateur.
Il se replace ensuite au centre de son espace de signation pour signifier que le discours est à
présent porté par le professeur lui-même en tant qu’orateur : quand vous faites des
références…
5.4.1.3.6. Synthèse
La scénarisation induite est la plus largement observée lors de ce corpus et de façon quasi-
systématique, la tactique du transfert personnel est associée. En effet, c’est par le biais d’un
ou plusieurs intervenants que la scénarisation peut se construire. Nous remarquons deux
catégories importantes dans cette tactique : la première est une création dialogique ou
relationnelle basée sur un élément du discours, la seconde est le décentrement du point de
vue de l’orateur sur une autre entité présente dans le discours qui se concrétise par
l’utilisation des transferts personnels et la visualisation de la scène par un autre actant que
l’orateur. L’exemple numéro 3 (p.228) illustre remarquablement ce décentrement, dans cet
extrait. L’interprète a choisi, malgré un certain recul de l’orateur sur son sujet, de traduire une
grande partie du discours du point de vue d’un employeur potentiel. Nous avons vu lors de
l’analyse des contraintes d’espace (figure 9 page 198) que la mémorisation des entités
spatialisées est une gageure, particulièrement lorsque deux éléments opposables sont
positionnés dans l’espace de signation. Les emplacements étant liés à l’élaboration de la
235
scénarisation, nous pouvons poser comme hypothèse que la scénarisation implique une
mobilisation particulière des ressources attentionnelles liée à ce que nous avons nommé la
mémoire de la spatialisation, et nous verrons dans la partie concernant « Les limites de la
scénarisation », au chapitre suivant, les contraintes d’espace strictement liées à l’espace de
signation.
L’interprète prend le rôle des protagonistes suggérés par le discours pour faire vivre la scène.
Il « n’a qu’à » imaginer le contenu induit par le discours, imaginer une demande d’absence,
une situation de participation à une expérience, un entretien. Contrairement à une forme plus
linéaire d’interprétation, elle permet de rendre le discours plus vivant et correspond ainsi aux
normes d’interprétation attendues par les usagers sourds en France. On note cependant une
tendance de l’interprète à omettre un court segment du discours lorsqu’il a recours à la
scénarisation. Nous verrons également ce point plus en détail dans les sections à suivre.
L’analyse de notre corpus nous permet d’avancer l’hypothèse que cette scénarisation est
souvent utilisée comme tactique face à un vide lexical et qu’elle a donc son référent dans le
discours original sur des segments courts. Dans cette situation, il faut inventer une scène qui
condense le sens d’un segment relativement court dans un contexte où l’orateur aura tendance
à poursuivre son discours, ce qui joue en défaveur de l’interprète en termes de temps.
Contrairement à la scénarisation induite, dans la scénarisation de composition, c’est à
l’interprète de trouver l’interaction, la mettre en scène, placer les entités, trouver les éléments
pertinents de description et faire des choix dans les éléments présentés. En somme, il doit
poser dans le concret de son espace de signation ce qui est exprimé de façon plus abstraite à
l’oral. La fonction de cette tactique peut s’apparenter à une paraphrase utilisant l’espace, qui
permet à l’interprète de surmonter le vide lexical, mais qui par définition doit « condenser le
236
sens » du discours, du segment. Nous remarquons là un certain paradoxe entre ces deux
caractéristiques qui ne sembleraient pas être compatibles au regard de la contrainte de temps
(paraphraser / condenser).
Il semblerait également que cette forme de scénarisation requiert un effort de production plus
soutenu que la scénarisation induite (l’omission d’éléments, de segments suivant les
scénarisations sans même que les interprètes en soient conscients semble symptomatique
d’une saturation cognitive). Nous voulons à travers ce corpus vérifier ces hypothèses.
Nous avons relevé et analysé les segments interprétés par cette tactique dans les deux
tableaux suivants: le premier est une comparaison des scénarisations par rapport aux segments
originaux en termes de temps ; le second est une analyse des erreurs par types de scénarisation
obtenues au premier tableau. Comme pour les précédents, ces relevés ont été analysés
conjointement avec un autre interprète. Nous rappelons que nous n’avons pas retenu les
éléments présentant un désaccord. Cette liste n’est pas exhaustive et peut paraitre arbitraire.
Elle est cependant révélatrice des occurrences les plus évidentes.
237
Figure 12 : Tableau de comparaison entre la durée de la scénarisation et le segment
original :
Nous avons choisi une présentation simplifiée pour dégager les tendances générales de
l’utilisation de cette tactique. C’est la raison pour laquelle seules trois catégories sont
utilisées : plus courte, identique, plus longue. Nous remarquons que sur 25 occurrences, 14
segments sont nettement plus longs, c'est-à-dire sur plus de la moitié des occurrences
observées (56 %). La différence de temps a été relevée avec le time code disponible sur
l’enregistrement, l’approximation de ces relevés ne nous permettant pas d’avoir une précision
au centième de secondes près. Nous avons arrondi à la seconde supérieure lorsque le relevé
décimal était égal ou supérieur à 0,8.
238
La différence va de une à plus de cinq secondes supplémentaires, avec une moyenne de trois.
La scénarisation a été plus courte pour une seule occurrence (numéro 16) malgré le ressenti de
l’interprète qui ne semblait pas satisfait de son choix (une CNV appuyant l’idée de trivialité)
Cette scénarisation ayant été principalement exécutée en communication non verbale par une
expression du visage, il nous a été difficile d’en établir une mesure exacte. Dans ce contexte,
nous n’avons pas pu présenter de résultats plus précis.
Nous avons comptabilisé plusieurs remarques pour un même segment. C’est la raison pour
laquelle il peut y avoir plus de 28 remarques pour les 15 scénarisations plus longues.
L’analyse de ces tableaux nous permet un premier constat : dans cette situation, la
scénarisation observée ne condense pas vraiment le sens du segment, puisque dans plus de
56 % des occurrences, elle est beaucoup plus longue que le segment original. En revanche, la
scénarisation a permis de poser dans le concret les éléments plus abstraits du discours de
départ dans plus de 32 % des cas observés. Elle remplit donc ici son rôle tactique et
rhétorique. On remarque que dans 36 % des cas également, la scénarisation s’avère plus
approximative que de l’original. En additionnant les omissions, les approximations et les
erreurs, nous nous apercevons que dans 52 % des occurrences observées, cette tactique ne
satisfait pas, ou peu, en comparaison à l’original. Nous ne voulons pas incriminer les
compétences des interprètes, mais bien mettre en évidence la saturation cognitive de
l’interprète dans cette situation car il doit trouver l’interaction, l’image qui n’existe pas dans
le discours de départ pour prendre en charge un concept parfois complexe, tout en gérant les
Efforts de la simultanée. Nous n’observons aucun lien évident entre le temps requis pour la
scénarisation et la réussite de l’interprétation du segment scénarisé.
239
En additionnant les résultats positifs observés, nous remarquons qu’elle est satisfaisante (c'est-
à-dire que la scénarisation proposée fait référence au sens général du segment scénarisé).159
dans plus de 48 % des cas, c'est-à-dire qu’en comparaison des résultats trouvés en amont, elle
a statistiquement plus de chances de ne pas remplir les exigences du discours de départ et de
saturer les ressources disponibles de l’interprète.
Nous précisons que les résultats du Corpus 8 viennent corroborer nos hypothèses. Il
semblerait donc que la saturation cognitive liée à la prise en charge du vide lexical par des
scénarisations et transferts est sensiblement la même malgré un profil d’interprètes plus
expérimentés (même fort taux d’omissions et d’approximations, etc.).
5.4.1.4.1. Exemple 6
Corpus 1 page 340 ligne 2 « (…) sur le texte choisi (…) la terminologie utilisée n’était pas
vraiment spécialisée, (…) donc il ne peut pas vraiment généraliser. »
159
Evaluation conjointement menée avec S.Hirschi, collègue interprète, chercheuse et enseignante en
interprétation.
240
5.4.1.4.2. Exemple 7
Corpus 1 page 345 ligne 6 « (…) on peut vraiment avoir beaucoup de doutes sur la
validité écologique de la procédure. »
Il est intéressant de noter que cette scénarisation ne contient pas de transferts. En revanche,
elle dure plus longtemps (environ 5 secondes) que le segment correspondant dans le discours
original. Si nous considérons que nous parlons à environ 120 mots minutes, un retard de
2 secondes correspond à 4 mots qu’il faudra ensuite rattraper. Un retard de cinq secondes
correspond alors à 10 mots à rattraper.
5.4.1.4.3. Exemple 8
Corpus 2 page 358 ligne 18 « (…) ces données existent, on peut les présenter. Mais il faut
les présenter avec un degré de circonspection, c'est-à-dire un degré de prudence, qui est
variable selon les circonstances. »
Depuis le début du corpus, la notion de données semble dérouter les interprètes qui cherchent
un moyen de les « matérialiser » dans leur espace. Ici, l’interprète fait le choix de les qualifier
par « toutes les informations » et nous explique son cheminement :
241
« J’ai toujours du mal à matérialiser ce genre d’expressions. Des données c’est quoi
finalement ? Des informations, des résultats, des résultats d’analyse, résultats
d’expériences… et j’en fais un tas que je mets sur le côté. Je ne suis pas satisfaite de
ce genre de surreprésentation de la réalité en signes. Je sens que je nivelle le discours
vers le bas, car j’ai envie de signer ‘données’, et non ‘infos’ ou ‘résultats’. » 160
Ensuite, l’interprète entreprend un transfert personnel (TP) où il prend le rôle de celui qui va
montrer ses données, et passe ainsi le sens de la phrase. C’est à la deuxième fois, (après c'est-
à-dire ligne 26) que la scénarisation se met en place.
5.4.1.4.4. Exemple 9
Corpus 2 page 356 ligne 35 « Que ce soit pour des raisons de faisabilité, que ce soit pour
d’autres raisons, peut-être parce que vous avez fait une erreur il y a toujours des limites
à une recherche empirique. »
On voit que l’interprète tente une scénarisation, puis ne trouve pas l’issue et abandonne ce
segment. La faisabilité n’a pas été traduite malgré une tentative.
« La faisabilité, ça, je ne l’ai pas traduit. C’est le genre de concepts qui me bloque en
LS. Pourtant c’est très simple, c’est qu’on peut le faire mais j’imagine à ce moment là
une portée plus abstraite que je n’arrive pas à transmettre (dans l’instant). Alors je
suis passé à autre chose. »161
5.4.1.4.5. Exemple 10
Corpus 2 page 358 ligne 10 « (…) la fréquence relative d’utilisation des dictionnaires et
des textes parallèles (…) »
160
Voir en annexe partie 8.2.2. Entretien ILS 2 page 409
161
Ibidem
242
La fréquence de consultation est directement mise en en scène par une prise de rôle d’une
personne (interprète ou étudiant, cela n’est pas précisé) ouvrant à plusieurs reprise un
dictionnaire. Nous remarquons cependant l’omission du segment correspondant aux textes
parallèles.
5.4.1.4.6. Exemple 11
Corpus 2 page 359 ligne 25 « mon hypothèse c’est que c’est peut-être quelque chose de
généralisable »
PEUT ÊTRE ÇA PEUT GROUPE GROUPE AUTRE GENERAL LA PEUT ÊTRE MÊME
5.4.1.4.7. Commentaires
Les interviews des participants vont dans le sens de ces observations. Il en ressort que la
scénarisation de composition mobilise fortement l’attention des interprètes pour trouver un
moyen de mettre en scène un concept, élaborer une définition rapide et visuelle de un à
plusieurs mots de chaque segment, ou pour comprendre et analyser les interactions possibles
dans leur espace tout en continuant le travail d’interprétation. C’est une particularité de
243
l’interprétation en langue des signes que nous retrouvons beaucoup moins entre langues
vocales de grande diffusion, même si le recours à la paraphrase est également considéré
comme une tactique (Gile, 1995 :132).
D’après les résultats observés et présentés ici, il nous a semblé nécessaire de relever
l’importance de ce phénomène en nommant Effort de Composition l’attention particulière de
l’interprète à la création et à la modélisation de scènes et transferts nécessaires pendant la
phase de production. Nous soulignons le caractère hautement consommateur en ressources
attentionnelles de cet effort de composition pendant la phase de production. Les analyses des
corpus d’interprétations extrêmes par des interprètes chevronnés (corpus 8 et corpus ILS 12)
ont mis en avant un recours à des propositions plus linéaires et non spatialisées par manque de
temps et de ressources disponibles, ce qui va dans le sens de notre hypothèse.
Nous avons voulu aller plus avant dans notre corpus à la suite d’une remarque recueillie lors
du focus group (Corpus 9 p. 418) :
« Il y a des déclencheurs quand même pour la scénarisation, dès qu’il y a une adresse
au public, un « je » ou une référence à un cas concret. »
Les interprètes ont naturellement exprimé l’idée que lorsque le discours de l’orateur comporte
(plus ou moins explicitement) plusieurs entités à mettre en scène dans une situation concrète,
ils le font volontiers. En revanche, il est logique que les interprètes interrogés ne fassent pas
de différence entre les deux formes de scénarisation, puisque cette dissociation est une
distinction conceptuelle que nous introduisons dans cette nouvelle recherche.
Pour tenter de comprendre quels pouvaient être les déclencheurs de scénarisations dans notre
corpus, nous avons relevé les segments du discours oral qui ont précédé les 57 segments
traduits par une scénarisation induite :
244
Figure 14 : Les déclencheurs de la scénarisation :
Occurrences Extraits
1 Pardon, je ne comprends pas
1 Vous vous rappelez de ce qu’il avait fait ?
1 À moins qu’il ait voulu également comparer…
1 Dans ce cas là…
5 Par exemple
3 Or… on se dit peut-être/ …du fait que
6 Parce que…
Expliquer pourquoi/ Expliquer que/ Il faut les expliquer
11 Donc…ce sont/c’est/ ça/ce que/ on va/ c’est (donc)/la manière de…/
2 (…) l’idée, c’est que…
7 Le problème est de se dire… / les gens vont dire/ on dira / là on se dit/ on se dit peut-être
/on dit (…) voilà/ ce n’est pas pour ça qu’il faut dire/ C'est-à-dire…
1 C’est quelque chose…
2 Pourquoi ?
1 Pour…donc
1 Que ce soit pour des raisons…
1 Ils ne tiennent plus en place…
1 Évidemment, s’il avait été possible de varier…
1 C’est un peu comme…
1 Je me rappelle (…) on avait l’impression de…
1 Ce que vous pouvez faire…
1 Maintenant on va prendre 2 cas d’espèces…
3 Autrement dit (…) du fait qu’il y a (…)/ autrement dit quoi ?
1 Étant donné que…
1 Est-ce que vous…
2 Et quand vous regardez… /quand vous faites/
1 Allez vérifier chaque fois que…
Nous remarquons que dans la majorité des cas, la scénarisation induite apparaît lorsqu’il y a
dans le discours une notion relative à un élément antérieur, introduite soit par des pronoms
(que/quand/donc/pour/comme/etc.), soit par des éléments de discours clairement explicatifs
(par exemple, expliquer pourquoi, étant donné que, autrement dit, c'est-à-dire, etc.). Elle est
également déclenchée par l’introduction d’éléments narratifs, ou d’adresses à l’auditoire.
Nous pouvons remarquer le caractère subordonné (au sens grammatical) des segments
scénarisés, qui sont en lien direct avec une idée ou un concept présents dans un segment
antérieur du discours. Nous pouvons nous référer ici à l’exemple numéro 3 page 228 sur la
scénarisation induite. La première partie du discours contient les éléments que nous
retrouvons en deuxième partie (celle scénarisée). La première partie de l’exemple est
simplement posée, spatialisée, dans l’attente d’une possibilité de scénarisation qui semble
venir à l’interprète au moment où le discours devient plus concret. Cette tendance semble
s’observer tout au long du corpus et peut être mise en écho avec une des réflexions d’un
interprète lors du focus group :
Cette donnée laisse à penser que son élaboration immédiate est difficilement envisageable dès
l’écoute du premier segment en situation d’interprétation simultanée. Si tel était le cas en
majorité, dans l’hypothèse où l’idée des deux segments est la même et que la seconde ne
précise ou n’exemplifie que la première, pourquoi l’interprète, malgré une probable
déverbalisation et la création d’une représentation mentale ou d’une image mentale ne
scénarise-t-il pas dès le premier segment qui est souvent traduit par une production plus
linéaire ? La visualisation « efficace » d’une représentation mentale laisse supposer que
l’interprète pourrait la modéliser immédiatement dans son espace de signation, dans
l’intention de projeter la réalité qui est proposée dans le discours.
Or, ce n’est pas ce que nous observons dans notre étude pour les deux types de scénarisations.
Nous remarquons que l’interprète a besoin de temps pour élaborer sa scénarisation et qu’il ne
le fait pas systématiquement et simultanément à l’écoute de la première occurrence d’une
idée, d’un segment. C’est la raison pour laquelle nous pensons, au vu de nos données, que la
création de l’interaction nécessaire à la scénarisation n’est pas aussi aisée que la théorie le
laisse supposer et qu’en réalité elle se fait en plusieurs temps, c'est-à-dire qu’elle intervient
dans la partie du discours qui met en perspective la réalité complexe des segments antérieurs,
comme le montre l’analyse des éléments déclencheurs dans le tableau ci-dessus. Cette donnée
nous permet d’aller dans le sens de notre hypothèse selon laquelle le lien trop rapidement
établi par la littérature en interprétation en LS entre la perception de « l’image mentale » et
une modélisation efficace et immédiate de cette représentation mentale dans l’espace de
signation ne semble pas s’effectuer de façon aussi instantanée que ce qui est communément
véhiculé dans les écoles d’interprétation en LS.
Nous pensons qu’il y aurait une étape supplémentaire qui suit la conceptualisation, qui serait
apparentée à une Construction d’Entités de Scénarisation (CES), où l’interprète définit les
entités requises en vue de leurs interactions pour la scénarisation à venir. Nous pensons que
cette étape n’est pas la même et diffère de l’interprétation entre langues vocales. La réussite
de cette étape est étroitement liée à la connaissance des éléments du discours et à la capacité
de l’interprète à en « montrer » une définition scénarisée hic et nunc si besoin.
246
Nous pouvons représenter ces étapes comme suit :
Nous retrouvons lors de l’interview de l’interprète n°14 cette idée de plusieurs étapes liées à
la représentation mentale, lorsqu’il répond à une question sur les difficultés de scénariser en
simultanée :
« (…) oui, en général c’est quand tu dois présenter dans l’espace quelque chose que
tu ne t’es jamais représenté dans la tête, il y a des tas de sujets, et on ne peut pas
connaitre tous les sujets (…) Imaginons par exemple la « collectivité territoriale ». Si
tu ne connais pas les liens qui existent entre la région, le conseil général, la mairie
(…), comment ils se placent dans l’espace, quel lien avec l’État, la décentralisation
etc., si tu n’as pas ça, tu auras les mots mais tu ne sauras pas où les placer dans
l’espace parce que tu ne sauras pas quelle relation ils ont entre eux. (…) les mots ne
suffisent pas. Il faut déjà avoir une représentation mentale des choses pour pouvoir
les présenter. » (Voir interview ILS 12 page 450)
Cet extrait est intéressant puisque l’interprète mentionne en réalité les étapes dont nous
venons de parler : l’importance de la représentation mentale (ici la collectivité territoriale
dans un discours), puis l’importance de la capacité à trouver les entités précises de cette
représentation (la région, le conseil général, la mairie) et enfin la connaissance des liens entre
elles et une autre entité (l’État, pour un concept plus large de décentralisation) pour
représenter le tout dans son espace de signation en interprétation simultanée.
En lisant cet extrait, il n’est pas nécessaire de chronométrer l’interprète en situation pour en
deviner la conséquence chronophage et le risque d’une certaine saturation des ressources de
l’interprète à ce moment de l’interprétation, qui risquerait de nuire à l’écoute du segment
247
suivant du discours. Cet exemple peut paraître rapide, mais nous interrogeons ici la charge
cognitive requise pour l’élaboration d’une définition immédiate de concepts plus ou moins
courants et les répercussions possibles sur la suite de l’interprétation simultanée. Même si cela
est rarissime en interprétation entre langues vocale, il serait intéressant de faire une étude
comparative pour mesurer l’impact de l’épellation d’un mot pendant une interprétation (en
référence à la dactylologie), ou bien de mesurer l’impact de la production d’une définition
d’un concept comme la collectivité territoriale par exemple, toujours en interprétation entre
langues vocales.
Rares sont les scénarisations directes. Les trois tentatives de scénarisation avortées ont été
faites sur des segments qui ne présentaient ni ce caractère subordonné, ni un caractère
explicatif. Il n’est pas surprenant de remarquer que lorsque le discours est plus personnel,
descriptif, ou explicatif, les interprètes ont beaucoup plus de facilité à recourir à une prise de
rôle pour élaborer une scénarisation et placer dans leur espace des entités qui interagissent
entre elles. Nous avons également remarqué que les exemples et les explications de cours
étaient eux aussi scénarisés puisque dans cette situation l’interprète a eu le temps d’envisager
les interactions possibles du discours, et plus que cela, il a eu le temps de les scénariser sans
recourir aux correspondances lexicales signées. Le facteur temps pourrait donc être un autre
facteur important dans la réussite de la scénarisation.
Nous pouvons dire que la scénarisation a des déclencheurs relativement bien identifiés dans le
contexte de notre corpus qui vont dans le sens des intuitions et du ressenti des interprètes
interviewés. Nous nous interrogeons sur la possibilité de scénariser en situation
d’interprétation simultanée sur la totalité des discours.
248
signation par des pointages, des prises de rôles, et de faire interagir les entités posées permet
de profiter de l’espace de façon efficace.
Nous remarquons ici que l’interprète, en n’exécutant qu’un seul signe, a en réalité effectué
deux procédures : d’abord, il a réactivé son ancien espace de signation (celui du segment sur
les nouvelles technologies), il signale ici sa référence à l’ensemble des éléments avancés par
l’orateur lors de la précédente scénarisation et permet ainsi une recontextualisation très rapide.
Ensuite, l’emploi du signe extrait de cette scénarisation lexicalise désormais non pas le seul
segment (sur les capteurs), mais la notion beaucoup plus large qui correspond à l’ensemble
des techniques et explications avancées par l’orateur à ce moment là du discours. Nous notons
là un gain considérable de temps, qui permet à l’interprète de donner pleinement le sens tout
en optimisant ses ressources attentionnelles pour l’écoute et la poursuite de son interprétation.
« (la scénarisation) pour moi, ce sont des moments de respiration » (Corpus 9 p. 417)
Certains ont mis en parallèle l’absence de scénarisation avec un ton monocorde d’un discours
ennuyeux (ibidem). Il est intéressant de souligner que la scénarisation est vue non seulement
comme une tactique, mais également comme une preuve d’une qualité rhétorique pouvant
rapidement satisfaire aux normes d’iconicité et de rythme attendues par la communauté
signante.
L’exemple suivant est représentatif des contraintes linguistiques car il met en avant
l’obligation de montrer un système sans avoir vu au préalable ledit système.
250
Exemple Corpus 3 page 363 ligne 34 :
« Parfois on utilise également des appareils qui regardent, qui analysent le regard. Ça
c’est une très récente évolution technologique, qui permet de mettre de petits émetteurs,
des infrarouges… atour de l’écran de l’ordinateur où figure par exemple… où se trouve
le texte, et qui de manière indolore peut analyser votre regard exactement et voir ce que
vous regardez. Donc, évidemment on voit à quelle vitesse vous avancez, quels sont les
mots dans le texte qui reçoivent le plus d’attention, quand-est-ce que vous faites des
pauses, si vous allez de manière linéaire, si vous revenez en arrière, bref tout un
ensemble de choses comme ça. »
Si à l’oral nous pouvons parler d’un système d’analyse du regard sans en proposer une image
immédiate et sans que cela entrave la compréhension, on voit sur l’enregistrement que l’ILS
attend d’avoir plus d’information pour poser les éléments dans son espace. Il garde en
mémoire les informations jusqu’à ce qu’il soit contraint de faire un choix. D’ailleurs, il place
les capteurs au milieu de son écran (page 363 ligne 39), alors que l’on apprendra (page 363
ligne 42) qu’ils sont en réalité autour de l’écran.
Il a donc proposé dans son interprétation une image qui ne représente pas la réalité du système
mais qu’il a été obligé de décrire pour passer cette information. Nous remarquons également
qu’il ne rectifie pas le tir, voyant que le sens et que de l’idée pouvaient passer malgré le
positionnement erroné des capteurs.
251
constituent une charge supplémentaire pouvant facilement grever l’Effort de Mémoire
et, par conséquence, l’Effort de Production.
Nous l’avons vu lors de la discussion sur les contraintes d’espace, l’espace de signation est
une zone quadridimensionnelle (les trois dimensions spatiales plus le temps) où chaque
élément à une place bien définie qui lui permettra de faire sens d’une façon particulière.
L’interprète organise son espace au fil du discours en faisant des choix qui s’avèrent plus ou
moins efficaces en termes d’ergonomie, de cohérence et de lisibilité. Cuxac (1993 :51) note
au sujet des pointages :
« (…) Les signes ayant obligatoirement une place assignée dans l'espace, celle-ci
peut être réutilisée pertinemment, comme mise en mémoire, sans que le signe soit
répété, par des pointages anaphoriques. Il faut encore mentionner des pointages
cataphoriques, des pointages sur le signe même (activités métalinguistiques), des
pointages locatifs ou actanciels anaphoriques, référence ayant été précédemment
construite par la direction du regard (qui de ce fait a valeur déictique) sur la portion
d'espace pointée ultérieurement. Pour la cohésion discursive, ces pointages, d'une très
grande fréquence (nous en avons recensé environ 1 200 pour un enregistrement d'une
heure), sont d'une importance extrême. Il faut tenir compte en plus de pointages que
nous avons qualifiés de « légers » (non-pertinisation d'une portion d'espace, absence
de tension de l'index), qui apparaissent soit brièvement avant le signe, soit en même
temps que lui pour les signes effectués avec une seule main (la main dominée réalisant
le pointage), et dont la valeur signifiée est fort proche du défini français.».
« Dans le feu de l’action, qu’est ce qui nous fait perdre le plus de temps ? Essayer de
se rappeler où l’entité à été mise ou bien la replacer ? »162
162
Voir en annexe le Corpus 9 page 417
252
Au-delà de la simple mémorisation des emplacements, il y a une contrainte liée à la
topicalisation par le pointage d’une action. En effet, dans le corpus, une confusion s’est
installée suite à l’emploi de « ils » par l’orateur qui a été une source de questionnement de la
part des ILS :
« (…) on ne sait pas si ce sont les professionnels, traducteurs ou les chercheurs, ou les
participants, donc c’est compliqué à signer car on ne sait pas de quel côté piocher. »
163
Piocher veut dire quel côté pointer pour activer le sujet du verbe en action. Si ce sont les
chercheurs par exemple, le pointage sera à un tout autre emplacement que si c’est un étudiant.
L’analyse du deuxième corpus met clairement en relief le retard de l’ILS lié à ce
questionnement.
« (…) cette partie là (de l’interprétation) n’est pas claire finalement, (…) il y a
beaucoup d’entités à placer, et je vois qu’il y a confusion de personnes (…). »164
En effet, l’interprète avait plusieurs éléments qu’il n’a pas réussi à redéfinir clairement lors de
leurs mises en action, ce qui peut à certains moments porter confusion sur les sujets des
segments traduits (on ne voit pas clairement qui fait quoi). En travaillant vers l’anglais par
exemple, l’interprète peut avoir recours à un « they » lorsqu’il doit faire face à plusieurs
« ils » qui ne sont pas toujours clairement identifiés dans le discours (les traducteurs ?
étudiants ? professionnels ? etc.). Dans notre corpus, l’interprète est obligé de faire un choix
puisque le « ils » est obligatoirement spatialisé et prendra la valeur des entités positionnées
dans son espace (à droite, à gauche ou au centre). Cette obligation d’emplacement requise par
la langue constitue ici une contrainte que nous retrouvons naturellement dans la mise en place
de la scénarisation.
163
Voir en annexe le Corpus 2 page 408
164
Voir en annexe le Corpus 3 page 410
253
5.4.1.7.2. La sur-scénarisation
Nous appelons la sur-scénarisation un phénomène qui est parfois observé lorsque la forme
prend le dessus sur le fond. C'est-à-dire lorsque l’essentiel de l’attention est focalisé sur la
production d’une image via des transferts ou des éléments de description non pertinents au
détriment du sens et du contenu informationnel du discours de départ. Ce phénomène crée
souvent un retard et déstabilise l’interprétation des segments suivants, comme nous le
montrent les exemples qui suivent :
L’interprète 3 au début de sa traduction semble être totalement absorbé par l’exemple vous
n’avez pas besoin de dire que l’hiver il fait plus froid que l’été, il dit à ce propos :
Effectivement, l’interprète a choisi de mettre en image celle proposée par l’orateur par une
longue séquence ou il présente un thermomètre où le niveau descend l’hiver et remonte l’été,
puis, il se rend compte de son retard et que l’idée principale n’est pas encore passée. Il
réajuste en signant BIEN SÛR et LOGIQUE PAS LA PEINE M’EXPLIQUE. L’attention
portée sur l’image a provoqué l’omission du segment suivant, c'est-à-dire dès que vous
commencez à faire des affirmations générales, suivie de plusieurs énumérations.
254
« J’étais noyé dans les énumérations. Encore une fois je sens qu’il se veut rassurant et
je me concentre sur les énumérations. Je ne suis pas vraiment rassurant en me
voyant. » (Ibidem)
Ce qu’il ne dit pas mais qui est clairement visible dans le corpus, c’est le retard accumulé et
l’attention mobilisée pour le premier segment. Il n’a probablement pas entendu l’idée
d’affirmations générales et a du mal à faire le lien avec les énumérations. Il concentre son
écoute sur le sens des énumérations et sa production en pâtit. N’ayant pas la logique première,
l’interprète a du mal à clarifier son espace, tâche compliquée par le nombre d’entités
survenant au fur et à mesure du discours.
« (…) toute cette partie est en fait plus complexe, son discours à l’air simple, mais à
interpréter il faut tout reformuler, tout scénariser (…) » (Ibidem)
En effet, les énumérations sont nombreuses et les sujets changent (ce que font les
traductions, sur ce que font les traducteurs, ce que font les interprètes, la manière dont
la qualité est perçue, la manière dont les lecteurs lisent les traductions, la manière dont
les agences de traduction recrutent les traducteurs, la manière dont les traducteurs
littéraires s’attaquent à une traduction). Il rattrape son retard en omettant la première
énumération, en simplifiant les deux suivantes et en simplifiant également la dernière qu’il va
résumer en TRADUIRE COMMENT EUX (les traducteurs placés sur sa droite)
TRAVAILLE.
« Cette partie là (de l’interprétation) n’est pas claire, alors que son discours ne
contient aucune difficulté apparente. Mais il y a beaucoup d’entités à placer, et je vois
qu’il y a confusion de personnes, je trouve. On ne voit pas tout de suite qu’il se met à
la place de l’étudiant en fait, et je vois bien que je ne le fais pas passer dans ma
traduction. » (Ibidem)
Enfin, il fait le choix d’une interprétation beaucoup plus linéaire pour quasiment se coller aux
propos de l’orateur, ce qui semble le rassurer. Le choix d’une certaine forme de
translittération semble ici une tactique employée pour rattraper un retard pour éviter une
surcharge certaine de la mémoire à court terme. Une fois son retard rattrapé, l’interprète
255
reprend une forme d’interprétation plus conforme aux normes d’utilisation de l’espace de
signation.
« Alors qu’il a utilisé un seul texte pour obtenir les résultats, ce qui ne permet pas
vraiment de généraliser »
Nous remarquons effectivement que l’interprète cherche tellement à mettre en scène son
discours et à le faire vivre qu’il va se piéger lui-même en voulant mettre une action là où il
n’y en a pas. C'est-à-dire qu’il veut, en utilisant une prise de rôle, scénariser Künzli obtenant
des résultats sans savoir par quel biais : qu’a-t-il fait de ce texte ? Il l’a lu, donné aux
traducteurs, etc. ? Il le dit lui-même en revoyant sa prestation :
« Là je bloque sur l’action, je ne sais pas ce qu’il fait de son texte. » 165
On voit bien que l’interprète perd du temps sur ce segment qui ne comporte pas de difficultés
particulières. Cette perte de temps entraînera l’omission du segment suivant et l’intervention
de l’interprète à la phrase d’après (page 337 ligne 2) pour une demande de clarification. Il
exprimera plus tard lors du visionnage de sa prestation (en annexe page 406) sa difficulté à
placer dans son espace des éléments de discours de façon linéaire en attendant que cela fasse
sens.
Lorsqu’un concept est redondant et que l’interprète l’a traduit une première fois par une
scénarisation, il ne va pas refaire une scénarisation identique à chaque nouvelle mention du
concept dans le discours. En général, il va pointer ou représenter ce concept en « réactivant »
l’espace de scénarisation dédié et il utilisera un signe issu de cette même scénarisation pour
lexicaliser temporairement ce concept. Cette méthode apporte l’avantage de ne pas recourir
obligatoirement à des signes standard et prend ainsi en charge des concepts inédits. Ces
165
Voir en annexe Entretien ILS 1 page 406
256
réactivations et lexicalisation temporaires offrent également l’avantage d’une rapidité
d’exécution fort appréciable en interprétation simultanée. Cependant, il arrive parfois que les
choix de lexicalisation s’avèrent inefficaces ou caducs, comme nous le montre l’analyse
suivante d’une scénarisation :
257
5.4.1.8. Limites de la scénarisation de composition
Les interprètes interrogés lors du focus group mentionnent eux aussi ce besoin de temps
nécessaire pour face à ce phénomène :
« Pour en revenir au qui fait quoi ? Quel est l’enjeu ? Je trouve que c’est difficile à
voir tout de suite (…) cela demande une analyse, et que sur le coup, être capable
d’entendre un concept et de pouvoir poser d’emblée qui fait quoi ça prend du temps,
on a besoin d’un décalage. » (Focus Group, page 415)
« Quand tu ne trouves pas tout de suite le cas concret c’est difficile (de scénariser).»
(Ibidem)
« La difficulté c’est (…) identifier tout de suite qui fait quoi (…) connaître et trouver
tout de suite les interactions possibles. » (Ibidem, page 414)
« Ma difficulté à moi c’est que(…) j’ai du mal à créer des interactions qui n’existent
pas dans le discours.» (Ibidem, page 417)
« (…) mais tu ne pouvais avoir ces images que lorsque tu avais entendu la fin de la
deuxième phrase ou bien plus loin… alors oui, l’image elle est jolie, mais comment
258
peux tu la faire en simultanée ? Tu as besoin d’un sacré temps de décalage ! »
(Ibidem, pages 415)
Ce dont il est fait mention ici, c’est la capacité en termes de ressources cognitives de
l’interprète en simultanée de réfléchir et de poser dans l’espace de signation tous les éléments
d’un concept pour en donner une sorte de définition visuelle et concrète qui s’intègre au
discours, sans pour autant perdre le fil du segment à venir. C’est ce que nous avons appelé
Effort de Composition, que nous situerons comme une composante de l’Effort de
Production.
Nous pensons que l’Effort de Composition se compose principalement des étapes nécessaires
à la création de la scénarisation, c'est-à-dire :
Visualisation→ CES Construction d’Entités de Scénarisation→ modélisation → scénarisation
Si nous supposons que ceci est plus fréquent en interprétation vers la LS, c’est qu’il nous
semble que pour la traduction de concepts comme faisabilité ou généralisation par exemple,
l’interprète en LV a un équivalent qu’il aura la possibilité de refuser selon ses propres
appréciations. Il n’est pas obligé de passer par la définition de faisabilité. Or, en interprétation
en LS en général, l’interprète n’a pas cette possibilité de choix. En plus de la gestion des
efforts requise par la simultanéité de la tâche, il gère également la définition d’un segment et
son intégration visuelle et scénarisée dans son espace de signation. On voit nettement une
possibilité de surcharge des ressources attentionnelles sur la production au détriment de la
mémoire à court terme, ce qui est très clairement exprimé par une des interprètes interrogées :
Ceci pourrait expliquer le choix d’une certaine linéarité dans la prise en charge du discours
due à une peur du risque d’omission, que nous retrouvons chez une autre interprète qui dit en
ces termes :
« C’est pour ça que j’ai tendance à rester très collée au discours, car je ne veux rien
laisser. » (ibidem)
Pendant le focus group, nous avons questionné les étudiants sur l’importance de la préparation
par rapport à la prise en charge de domaines inédits. En effet, la TIT met en avant que la
connaissance d’éléments tant au niveau terminologique que conceptuelle aide naturellement
259
au bon déroulement de l’interprétation. Nous tenons à rappeler ici que la différence
quantitative entre le lexique de la LSF et celui du français a des conséquences particulières sur
la préparation de l’interprète. En effet, ne pouvant effectuer une préparation terminologique
comme en LV, et avec le peu de corpus techniques disponible, l’interprète ne peut faire
qu’une préparation thématique qui consiste à connaitre la définition de chaque terme
technique utilisé pour élaborer par avance en quelque sorte les périphrases ou scénarisations
qu’il utilisera en contexte. À la différence de nos collègues en LV, ces documents ne seront
pas utilisables directement en situation, puisque l’interprète en LS est debout face à
l’assistance et ne peut donc pas se référer à ses notes et appeler son collègue en même temps
qu’il traduit. Ce n’est que pendant le relais qu’il pourra éventuellement consulter ses fiches.
Les interprètes de notre échantillon ont mis en avant un élément qui va au-delà de la prise en
charge de concepts inédits et qui soulève la difficulté de la création d’entités de scénarisation,
comme nous pouvons le voir dans les extraits suivants :
«(…) quand (…) par exemple, tu dois interpréter une situation que tu ne connais pas,
ou un concept, tu as beau avoir tous les signes, si tu ne sais pas bien ce que cela
implique et que tu n’as jamais touché du doigt cette situation là c’est difficile de
trouver ‘qui fait quoi’. Moins les gens essaient de vulgariser un discours et plus c’est
difficile de trouver les personnes pour les mettre en action dans ton espace » (Voir en
annexe, Focus Group, page 415)
La préparation en effet est indispensable pour toutes les raisons que nous connaissons bien.
Ce qui semble interroger les interprètes de notre corpus va au-delà de la préparation. Ils
mentionnent en réalité la difficulté de trouver de façon systématique et concrète les
interactions d’un discours qui peut être abstrait, même en ayant préparé correctement. Il
semblerait que les scénarisations de composition placent très souvent l’ILS en position
explicative, illustrative, ce qui ne paraît pas être réalisable en simultanée aussi
systématiquement que la théorie le voudrait. Une des interprètes résume bien cette difficulté :
«(…) j’ai l’impression que vers le français, mon cerveau doit faire un effort de
dissertation, de dépersonnalisation, de généralisation. Et du français vers la LS il faut
260
que mon cerveau se mette exactement dans le mode inverse : production d’images,
faire interagir des gens. » (Focus Group, page 419)
Un autre élément digne d’intérêt exprimé lors du focus group quant à la scénarisation est la
conscience aigüe des interprètes de la responsabilité qui leur incombe lors des choix de ce
qu’ils vont « donner à voir ». En effet, certains mettent en avant la part active que comportent
leurs propres représentations quant à la définition ou la mise en image d’une partie du
discours. Une fois la difficulté de trouver l’interaction résolue, donc en phase de production,
certains interprètes soulignent le risque lié à une telle latitude :
« Par rapport aux difficultés liées à la scénarisation, je pensais aux moments qui
risquent d’être compris comme un parti pris (elle mentionne une difficulté concernant
une scénarisation du capitalisme précédemment vue avec ses collègues). On s’est
demandé comment faire passer le concept, signe ou bien scénarisation ?(…) Là
encore, il m’a semblé que le transfert présentait un parti pris, que la scénarisation
apportait une connotation qu’il n’y avait pas dans le discours. » (Focus Group, p. 418)
Ce que l’interprète souligne, c’est la différence qu’engendre une telle subjectivité entre le
concept et la représentation de ce concept.
Int 1 : DATE ENFANT AVANT SOUVENIR RAPPELLE FORT CNV tête penchée triste
Sur trois interprétations différentes nous avons déjà trois sensibilités qui se présentent à nous.
La première est axée sur le souvenir, la seconde sur la peine, la troisième sur le manque.
L’interprète plaque sa propre subjectivité sur un concept qui ne l’est pas et cette conscience
est parfois vécue comme une intrusion par les interprètes, comme nous le montre l’extrait
suivant :
Le relevé des omissions de notre corpus principal (corpus 1 à 6) s’est fait en deux temps. Un
premier relevé a été effectué par nous-mêmes, en repérant les éléments qui nous paraissaient
avoir étés omis par les interprètes dans notre corpus. Un deuxième visionnage du corpus a été
262
fait conjointement avec notre interprète correcteur, avec la consigne de repérer les éléments
du discours paraissant avoir étés omis, tout en ayant la possibilité d’arrêter la vidéo et de
revenir en arrière pour un visionnage plus précis. Nous avons mis en commun nos listes et
visionné à nouveau les éléments qui n’obtenaient pas l’unanimité. Les éléments présentant un
désaccord n’ont pas été retenus. L’analyse de notre corpus nous a surpris par la fréquence des
omissions et ce, pour les deux types de scénarisations. Nous n’avions pas axé notre travail de
recherche sur cette donnée. C’est la raison pour laquelle nous avons peu de témoignages à ce
sujet pouvant mettre en perspective ce que nous avons observé. Notre consigne pendant le
visionnage étant plus axée sur l’explication de leur production et leur ressenti quant à la
difficulté de certaines tactiques, nous n’avons pas encouragé les interprètes interrogés à la
comparaison original/traduction. Par conséquent les ILS ne se sont pas mobilisés sur les
omissions. Nous pouvons à ce stade de notre analyse faire référence aux travaux de Napier
(2004) à ce sujet lors d’une étude proche de la nôtre (analyse d’un échantillon de dix
interprètes dans une interprétation vers l’AUSLAN d’un cours à l’université). Elle a analysé
et classé les omissions relevées en plusieurs catégories que nous notons par ordre décroissant
d’occurrence dans ses résultats : Unconscious, Conscious strategic, conscious intentional,
conscious receptive, conscious unintentional. Nous précisons que les omissions relevées par
Napier ne se limitent pas à celles issues ou impliquant la tactique de la scénarisation, puisque
ce concept ne revêt pas la même réalité en AUSLAN, mais celles présentes sur la totalité du
discours traduit.
Selon Napier (2004:130) « a large proportion of omissions made by interpreters are not
intentional ». Si nous considérons son étude et si nous partons du principe que l’interprétation
vers des langues signées implique le même type d’effort cognitif quelle que soit la langue
signée d’arrivée (LSF ou AUSLAN), ces résultats sont intéressants car ils pourraient en partie
éclairer la propension des interprètes de notre groupe à omettre une partie du discours
lorsqu’ils ont recours à la scénarisation, sans même sembler le remarquer pendant le
visionnage de leur prestation.
Nous avons cependant, et indépendamment des interviews, observé et analysé les omissions
dans notre corpus pendant les deux types de scénarisations. Nous avons classé et représenté
nos données dans le tableau qui suit
263
Figure 16 : Tableau des omissions des scénarisations
57 occurrences 25 occurrences
(courtes/détail)
(segment important)
Nous avons comptabilisé une seule fois la présence d’une ou plusieurs occurrences
d’omissions dans une même scénarisation. Il nous a été plus simple de dégager les premières
tendances par cette méthode de comptabilisation, surtout lors des scénarisations induites, qui
peuvent comporter plusieurs dizaines de segments consécutifs.
Nous remarquons que pour les scénarisations induites par exemple, le taux d’omission de
détails ne portant pas préjudice à la compréhension est de 29 %. La réussite de l’interprétation
d’un segment via la scénarisation a été évaluée conjointement avec S. Hirschi lors de la
révision du corpus. Dans cette situation, les interprètes ont tendance à privilégier le sens dans
sa généralité, aux dépens parfois de certains détails qui risqueraient de nuire à la bonne
compréhension de la production signée. Ces omissions sont conscientes ou inconscientes,
c'est-à-dire qu’elles peuvent être le résultat d’une décision stratégique visant à interpréter le
segment choisi par la scénarisation de façon globale.
Voici un exemple ce que dit un des interprètes lorsqu’il remarque une omission dans son
interprétation : « je n’ai pas passé « victime », je ne savais pas comment le faire passer, le
signe victime ne me convenait pas du tout. Ça ne change rien pour la compréhension »166
Nous pouvons nous interroger sur la tactique de l’interprète dans cette situation, qui connaît le
signe standard de victime mais qui refuse de l’utiliser consciemment, pour au final ne pas
passer cette notion dans son interprétation au risque de nuire à la logique de la mise en scène
présentée dans son espace de signation. Effectivement, nous pouvons considérer que « j’étais
166
Voir en annexe Entretien ILS 2 page 408
264
la victime consentante d’étudiants en psychologie » n’est pas l’idée principale de l’anecdote
à suivre. Cependant, en ne la restituant pas, l’interprète ôte le trait d’humour de l’orateur de
façon radicale.
Les interprètes interrogés pendant le visionnage de leur prestation étaient focalisés sur la
réussite de leurs scénarisations. Ils voulaient surtout savoir si le concept était traduit et
compréhensible au regard de l’interprétation proposée. Le fait même que très peu
d’interprètes aient relevé leurs omissions ne semble pas dire qu’ils voulaient taire ou
minimiser une erreur, car ils se sont montrés très ouverts à l’autocritique ainsi qu’à
l’expression de leur ressenti tout au long de l’étude. Nous penchons pour une réelle surcharge
cognitive qui les a presque autant mobilisés pendant le visionnage que lors de leurs
prestations in situ, au détriment de l’écoute et de l’analyse de l’original.
265
5.4.1.9. Synthèse
La scénarisation induite est un processus en plusieurs étapes dont la réalisation ne se fait pas
de façon aussi spontanée que la théorie le voudrait. Son intérêt réside dans sa capacité
rhétorique de prise en charge du discours de façon globale, et lors de la réactivation d’une
précédente scénarisation (induite ou non) par le biais d’un signe qui condensera à ce moment
là un concept ou une scène précédemment proposée dans l’espace de signation.
En référence au ME, nous pouvons dire que ce qui distingue ici l’interprétation en LS des
langues vocales, c’est cette donnée supplémentaire que nous appellerons Effort de
Composition et qui peut se définir comme la mise en place rapide de la définition précise et
concrète du signifiant en contexte avec une recherche d’interactions visuelles et de mises en
scènes à modéliser dans l’espace de signation. Cet effort de composition est une charge
majeure dans l’Effort de Production, qui aboutit dans notre corpus à une saturation des
ressources cognitives de l’interprète provoquant l’omission du segment suivant dans près de
la moitié des occurrences relevées.
266
5.5. La prise en charge du vide lexical
Nous avons abordé en amont le vide lexical en LS en présentant les différents points de vues
théoriques et idéologiques sur le sujet. Nous avons voulu dans la présente étude porter notre
attention sur les tactiques des interprètes lors d’occurrences de vides lexicaux pour nous
permettre d’analyser leurs effets sur la production.
En 2009, nous nous étions penchée sur les tactiques de l’interprète face au vide lexical et les
avions énumérées et étudiées. En 2012, nous avons poussé plus avant l’analyse des effets
cognitifs de ces mêmes tactiques en nous appuyant sur le cadre conceptuel du modèle
d’Efforts de la simultanée de Gile.
Dans le cadre de ses travaux sur l’interprétation simultanée entre langues vocales, D. Gile
énumère et analyse des tactiques auxquelles ont fréquemment recours les interprètes face à
des « déclencheurs de problèmes » que sont différents phénomènes relevant du discours
original ou des relations entre les deux langues (ou les deux cultures) concernées (voir
notamment Gile, 2009-a, chapitre 8). Dans l’hypothèse d’une sollicitation cognitive souvent
proche de la saturation (hypothèse de la corde raide), l’absence de correspondances lexicales
aisément accessibles entre la langue de départ et la langue d’arrivée constitue un déclencheur
de problèmes potentiel si elle conduit l’interprète à une dépense supplémentaire en capacité de
traitement ou en temps de traitement. À supposer que l’hypothèse de la corde raide s’applique
également à l’interprétation en langue des signes, il apparaît donc intéressant d’examiner les
tactiques auxquelles ont recours effectivement les interprètes de LSF face au vide lexical.
Dans son analyse des tactiques en interprétation simultanée dans les langues vocales, D. Gile
(2009-a : 211-212) postule l’existence de « lois » sous-jacentes qui en déterminent la
sélection, dont la maximisation de la récupération d’informations et la minimisation des
interférences (dans la mesure du possible, une tactique ne doit pas, pour transmettre une
information, consommer du temps et des ressources au détriment d’une autre information). Il
est intéressant d’analyser les tactiques identifiées dans la présente étude de cas au regard de
ces lois.
Les tactiques d’interprétation du vocabulaire français non lexicalisé en LS observées dans
notre corpus sont (voir tableau 1) la labialisation, la dactylologie, l’emprunt adaptatif, la
267
scénarisation, le français signé, la périphrase ou explicitation, la siglaison (initiales des mots,
par exemple UVC pour Unité de Vente Consommateur), l’énumération d’éléments suggérant
un ensemble (par exemple « piano, guitare, violon, etc. » pour exprimer l’idée instrument de
musique), la création d’un signe par sosie labial (le sens du signe est donné par la similitude
d’un autre mot français connu de la personne, tactique plus fréquente de la LSF vers le
français car elle provient généralement de la personne sourde, que dans l’autre sens). Les
tactiques observées dans notre corpus font intervenir des techniques d’expression dont la
plupart existent en LSF indépendamment de l’interprétation. Elles seront qualifiées ici de
« tactiques » ici étant donné le choix de leur emploi spécifique face au vide lexical et
l’appréciation de leur efficacité par l’interprète contraint par le temps.
Remarques :
1. S’il n’y a que 107 mots pour 149 tactiques pour la première expérience et 70 mots
pour 104 tactiques pour la deuxième, c’est que la langue des signes est
pluridimensionnelle et permet la simultanéité de diverses composantes (par exemple
268
labialisation + signe, ajout de la dactylologie) et que les interprètes ont parfois eu
recours à plus d’une tactique pour le même concept.
Les tactiques les plus fréquentes face au vide lexical sont la dactylologie, la périphrase et la
scénarisation.
269
5.5.1.1. Commentaires et présentation des tactiques
À première vue, nous remarquons que les tendances générales mises en avant dans la figure
18 sont les mêmes entre le premier échantillon et le second, lorsqu’il s’agit d’une situation
d’interprétation en milieu pédagogique, excepté pour la dactylologie.
La labialisation est donc toujours la première tactique observée. Elle est systématiquement
utilisée en ajout d’une autre tactique, ce qui montre l’importance accordée par les interprètes
des deux groupes à la transmission d’une information sur certains mots en langue de départ
dans ce contexte précis.
La dactylologie a été plus utilisée lors de la première expérience (22,1 % contre 7,6 % lors de
la seconde). La dactylologie n’étant pas satisfaisante linguistiquement parlant, nous aurions
pu penser que son recours comme tactique face à un vide lexical aurait été plus fréquent chez
les jeunes interprètes, moins habitués à faire appel à leur connaissances extralinguistiques et à
leurs capacité à créer une périphrase ou une scénarisation pouvant surmonter cette difficulté
technique. Or nous observons la tendance inverse.
Plusieurs éléments de réponse peuvent nous aider à analyser ce phénomène : en premier lieu,
nous pouvons mettre en avant la différence du sujet abordé (des cours de contrôle de gestion
pour la première expérience et des cours de traductologie pour la seconde), et l’importance du
vocabulaire technique lié à ces deux matières. Mais nous penchons pour une autre
explication : lors de notre première étude (Pointurier-Pournin et Gile, 2012), nous avions mis
en avant l’importance accordée par l’interprète à une information translinguistique : au-delà
du message sémantique véhiculé par le discours original, la priorité était donnée à la
transmission d’une information sur le terme français en raison des besoins particuliers de
l’étudiant en classe d’entendants. Conformément à la théorie du skopos, l’importance de la
fonction du discours traduit avait été déterminante dans les choix des interprètes enregistrés.
Lors de l’analyse du second corpus, nous observons que le recours à la dactylologie est moins
fréquent. Il semblerait que les étudiants aient accordé moins d’importance à cette nécessité de
transmission translinguistique dans une situation où ils ne pouvaient pas « interagir » avec le
bénéficiaire ni présumer des besoins réels d’un étudiant, contrairement au premier échantillon.
270
Nous relèverons une différence digne d’attention sur le recours à cette tactique en
comparaison à ce qui peut être observé dans les pays anglo-saxons notamment, où l’utilisation
de la dactylologie est beaucoup plus banalisée. En effet, Mulrooney (2002 : 5) note :
« Also important to note that users of ASL use fingerspelling frequently in everyday
conversation. A signer will switch back and forth regularly from sign to fingerspelling.
Padden (1991) reports that fingerspelled words frequently make up to 7-10 percent of
the overall vocabulary in everyday signing. (…) Fingerspelling is not a marked event
in ASL because fingerspelling signs are simply signs like any others. »167
Nous pensons qu’il n’est pas hasardeux de déduire que les éléments dactylologiés en ASL
doivent être pour la plupart relatifs à un vide lexical puisqu’il est très probable qu’un signe
standard aurait été utilisé le cas échéant. Il semble qu’en France, la dactylologie ne soit pas
considérée comme une pratique acceptable linguistiquement parlant, pour prendre en charge
un mot ou un concept non encore lexicalisé en LS, même si elle est parfois observée. De
façon générale, une paraphrase ou une scénarisation sera privilégiée par les locuteurs
signants, comme nous le montre très clairement le tableau des tactiques les plus fréquentes
(figure 18). Les effets de la dactylologie sur la production seront analysés plus avant dans la
partie suivante.
L’emprunt au français : L’interprète a recours à l’emprunt d’un signe existant en LSF pour
le « réinvestir » d’un sens nouveau. C’est l’affectation d’un signifié relevant du domaine de
spécialité (ici le contrôle de gestion) à un signe usuel. Nous avons observé que la labialisation
associée a ce procédé est quasi-systématique.
Exemple d’emprunts utilisés : senior / vieux ; ratio / pourcent ; carence / manque ; quantitatif
/chiffres.
La première remarque que nous pouvons faire est qu’ils renvoient pour la plupart à un signe
non spécialisé relevant du vocabulaire usuel en LS et sont pour la moitié d’entre eux
accompagnés de la labialisation du terme exact français sans être dactylologiés. La
167
Traduction : « Il est important de noter par ailleurs que les locuteurs de l’ASL utilisent la dactylologie de
façon récurrente dans la conversation courante. Un signeur va alterner régulièrement entre les signes et la
dactylologie. Padden (1991) note que les mots dactylologiés représentent généralement de 7 à 10 % du
vocabulaire général utilisé au quotidien. (...) la dactylologie n'est pas un événement hors de l’ordinaire en ASL
car les signes épelés sont tout simplement des signes comme les autres. »
271
labialisation sert d’élément de distinction entre les signes : faute de mieux, [ratio] sera
différencié de [pourcent] par l’information labiale.
L’emprunt est employé plus fréquemment dans le second groupe que dans le premier (19 %
contre 14 %). Cette observation paraît logique suite à l’observation faite d’un recours plus
mesuré à la dactylologie. Dans ce contexte, les membres du deuxième échantillon ont plus
aisément choisi de recourir à un signe proche mais non exact, en lui précisant une valeur
sémantique correspondant au contexte par la labialisation du terme français. Nous analyserons
dans la partie 2 la tactique de l’emprunt en la mettant en perspective avec les résultats trouvés
lors de notre première étude.
D’une façon générale, le statut linguistique de la labialisation est très controversé dans la
littérature linguistique internationale de la langue des signes :
« Within the ASL research and deaf communities, the presence of mouthing has been
considered solely a “contact phenomenon” and discounted as a part of « real » ASL,
where « real » ASL refers to natural conversation where only Deaf participants are
present. » 168
Nadolske and Rosenstock (2007 : 37) sont parties de ce postulat largement véhiculé pour des
raisons sociolinguistiques propres à l’histoire des sourds et ont analysé et recensé la présence
168
Traduction : « Dans les milieux de la recherche et de la communauté sourde, la labialisation est considérée
comme un « phénomène de contact » et de ce fait, n’est pas considérée comme partie intégrante de la
« véritable » ASL, celle qui a cours dans les échanges naturels entre signants sourds exclusivement. »
272
de la labialisation dans les langues des signes de nombreux pays, y compris l’ASL. Si la
labialisation a souvent été considérée comme une marque extralinguistique, voire une
ingérence de la langue vocale majoritaire sur la langue signée, leurs travaux ont démontré que
les occurrences de labialisation étaient beaucoup plus nombreuses dans les productions
signées des sourds que ce qui était pourtant communément admis.
En France, elle est encore à un stade exploratoire et son appartenance stricte à la langue des
signes n’est pas majoritairement acceptée par la communauté sourde elle-même. Nous faisons
référence ici aux tentatives récentes d’une partie de la communauté sourde d’éliminer toute
forme de trace du français dans les productions signées : en ligne de mire, les signes formés
avec la première lettre du mot français (comme le signe hôtel par exemple) ainsi que la
présence d’appui labial qui pourrait faire référence à une forme d’oralisme, dont
l’enseignement nous l’avons vu, a souvent été vécu de façon traumatisante par les sourds.
Internet (YouTube notamment) est un vecteur très utilisé par de nombreux internautes sourds
qui postent des propositions de changement de signes existants mais considérés trop
« proches » du français et sollicitent ainsi les avis de la communauté signante française. Ces
propositions sont ensuite relayées ou non par les réseaux sociaux et nous pouvons constater
une réelle émulation autour de la langue par le biais de ces vecteurs, qui deviennent un
observatoire très intéressant pour suivre l’évolution, les aspirations et les débats sur la langue
des signes.
Dans leur étude, Nadolske and Rosenstock (2007) notent que la labialisation en ASL est
fortement associée aux noms, aux verbes, aux verbes modaux, à la dactylologie, aux
prépositions et aux conjonctions. En BSL (British Sign Language), elle l’est fréquemment aux
noms et pronoms (Sutton-Spence et Day, 2001). En SGSL (Swiss German Sign Language),
elle l’est particulièrement aux noms, adjectifs, adverbes, prépositions (Boyes-Braem, 2001).
Zimmer (1989) démontre que la présence de la labialisation diffère selon trois catégories de
contextes : TV, informal talk, formal lecture (télévision, conversation informelle, conférences
273
officielles) ; elle serait plus présente dans des contextes formels et de niveau de registre plus
élaboré. Or, les conclusions de Nadolske et Rosenstock mettent en avant une présence quasi
similaire sur ces trois formes de registres Story, conversation, lecture (récit, conversation,
conférences). Ce qui diffère, ce sont les éléments syntaxiques avec lesquels la labialisation est
associée dans ces différentes situations.
Nous ne voulons pas débattre dans notre étude du statut linguistique ou palliatif de la
labialisation, mais nous prenons en compte la diversité de ses utilisations présentées plus haut,
ainsi que son rôle en tant que stratégie globale discursive observée en langue des signes pour
l’analyser dans notre corpus en tant que tactique fonctionnelle utilisée par l’interprète en
langue des signes française.
Comme observé dans les études citées plus haut, de manière générale dans notre corpus, la
labialisation ne vient jamais seule ; elle accompagne un signe, une épellation. Son couplage
simultanément compatible avec les deux systèmes en présence (le français et la LSF) nous
donne à penser que son utilisation est pertinente dans le cadre d’une tentative de maximisation
du « rendement informationnel » de la part de l’interprète et n’est pas due à une déficience
linguistique de celui-ci.
En analysant les co-occurrences de la labialisation avec les tactiques utilisées face au vide
lexical, nous remarquons que son recours est associé à plusieurs tactiques que nous avons
regroupées en trois catégories différentes :
B. Labialisation totale d’un mot + emprunt : l’interprète utilise un signe dont le sens est
proche mais non exact dans un contexte particulier. Le recours à la labialisation par
l’interprète corrige et/ou ajoute une valeur sémantique au concept proposé par le signe.
Exemples :
- Le signe utilisé pour [coût/prix/tarif/montant] se corrige par la labialisation totale
TARIF.
274
- La labialisation du mot « variable » ajouté au signe [influence] ajoute une valeur
sémantique dans ce contexte précis.
Les labialisations observées dans les deux corpus sont beaucoup plus fréquentes et plus
appuyées que ce que requiert habituellement une production en LSF. Cette première
observation est conforme aux conclusions des études citées précédemment sur le fait que son
emploi peut différer selon le contexte de l’émission du discours. Ici le contexte est élargi à
celui de l’interprétation. Le simple recours à la labialisation peut indiquer la volonté de
l’interprète de se référer à un mot en langue de départ qu’il juge important de transmettre via
l’interprétation. Une forte occurrence de la labialisation peut s’expliquer par le fait que
l’interprète est conscient de l’utilité du mot en français pour l’étudiant sourd, qui aura à le
reconnaître et à l’utiliser dans des documents et des examens écrits. Nous trouvons là une
situation propre à une interprétation dans un cadre de bilinguisme, qui plus est dans un rapport
diglossique entre les langues en présence : l’une des langues apporte le métalangage de l’autre
169
La radicalisation dans notre étude se définit par l’utilisation du radical du mot correspondant, au risque
d’amputer une partie du sens premier.
275
tout en véhiculant le sens du discours. Elle pourrait également être le symptôme d’une
incapacité ponctuelle de l’interprète à trouver une tactique plus performante pour prendre en
charge le vide lexical à ce moment précis de son interprétation.
Nous pouvons nous interroger sur l’effet de la labialisation dans le processus de la simultanée
en langue des signes dans ce contexte, et plus particulièrement sur l’effet d’une concentration
soutenue sur des items relevant de la grammaire en langue de départ, les suffixes par exemple,
pendant la phase de production. Nous rejoignons l’idée que la déverbalisation n’est pas un
phénomène qui est présent de façon systématique sur tous les segments du discours pendant
l’exercice d’interprétation comme nous l’avons analysé dans la partie 3.4.2, au chapitre 3.
Nous pensons même que dans cette situation précise, l’interprète fait d’incessants allers et
retours entre des segments dont il ne restitue que le sens, avec des éléments eux-mêmes issus
de ces segments en langue de départ et qui sont restitués tel quels. La charge cognitive de
l’interprète à ce moment donné de l’interprétation est alors fortement sollicitée. La
labialisation étant couplée systématiquement avec une autre tactique (souvent l’emprunt ou la
dactylologie par exemple), il est très difficile d’isoler son impact cognitif dans le processus
pour le mesurer. Cependant, nous pensons que l’attention particulière portée à la transmission
de certains mots de la langue source avec lesquels est associée la labialisation ne contribue
pas à alléger la charge cognitive de l’interprète lors de la reformulation.
Il est intéressant d’observer que cette tactique met en relation deux éléments : la première est
la loi de la moindre interférence lors du choix des tactiques pendant l’exercice d’interprétation
et la deuxième, qui nous qualifions de tactique combinatoire, est une tactique discursive
particulièrement prégnante en langues des signes qui joue justement de l’interpénétration des
deux langues en présence.
5.5.1.2.2. Emprunt adaptatif à la LSF : signe existant investi d’un nouveau sens
L’interprète a recours à l’emprunt d’un signe existant en LSF pour l’investir d’un sens
nouveau, généralement spécialisé (le contrôle de gestion pour le premier échantillon, la
traductologie pour le second).
276
L’emprunt et le premier corpus
Dans notre étude de 2009 / 2012, la labialisation est la tactique majoritairement associée à ce
procédé (50 % des cas). En revanche, la dactylologie n’apparaît qu’une seule fois.
Ces emprunts sont en majorité extrêmement simplificateurs ; dans le corpus, la moitié d’entre
eux sont accompagnés de la labialisation du terme exact français sans dactylologie. La
labialisation sert à distinguer les signes : faute de mieux, ratio sera différencié ici de pourcent
par l’information labiale.
Elle peut se décliner en deux tendances dont la première est celle de la radicalisation. Dans
notre étude, la radicalisation se définit par l’utilisation du radical du mot français
correspondant, au risque d’amputer une partie du sens premier :
277
Ex. 2 : « Traductologie » : qui est un terme récurrent dans ce corpus, a été majoritairement
traduit par son signe standard le plus proche : TRADUIRE. Comme au premier exemple, la
tactique de la labialisation a été ajoutée pour indiquer la partie du suffixe manquant, ici
« LOGIE ». Voir au Corpus 3 page 376 ligne 24, Corpus 5 page 390 ligne 42 et Corpus 6
page 400 ligne 6 :
Ex 3 : « Généraliser »
Qui est traduit par le signe standard le plus proche sémantiquement, c'est-à-dire GÉNÉRAL.
Voir au Corpus 1 page 336 ligne 36, page 340 ligne 15, Corpus 2 page 360 ligne 26.
Nous remarquons une tendance qui s’avère être la même que celle observée lors de notre
première étude avec des interprètes professionnels, qui est d’utiliser l’information labiale en
plus d’une tactique ou d’un signe utilisé pour pallier le manque de correspondances lexicales,
dans l’objectif de faire référence à la forme française du mot en langue de départ. Cette
tactique qui pioche dans les deux langues peut être un exemple de la tactique combinatoire
(code combining).
La pertinence de cette tactique est conditionnée par le bilinguisme présumé du destinataire de
la traduction, qui saura ou non reconstituer le concept traduit par cette tactique si elle est
proposée lors de sa première occurrence par l’interprète. Elle peut également l’être dans le cas
d’une seconde tactique, après une paraphrase introductive du concept, dans un souci de
lexicalisation temporaire.
Validité écologique : les quatre occurrences de ce terme dans le discours ont donné lieu à
quatre interprétations différentes ont été relevées :
1- THÉORIE SITUATION VRAI LIEN (C1 page 343 lignes 40 et 44)
2- SITUATION VRAI CORRESPONDRE (C1 page 344 ligne 25)
278
3- VALIDER E.C.O.L.O.G.I.Q.U.E. (C1 page 345 ligne 16)
4- V.A.L.I.D.I.T.E. E.C.O.L.O.G.I.Q.U.E. (C2 page 347 ligne 38)
En analysant les interprétations proposées, nous voyons que pour le premier exemple,
l’interprète fait le lien entre ce qui se passe en « théorie » et ce qui se passe en situation
d’expérimentation. Le deuxième exemple choisit de poser une situation d’expérimentation
devant elle pour ensuite mettre en relation avec ce qui se passe à « l’extérieur ». Le troisième
exemple se distingue, car l’interprète choisit plusieurs tactiques : la radicalisation (VALIDER
pour la validité), puis la dactylologie pour le mot ÉCOLOGIQUE. Le quatrième exemple est
uniquement le terme dactylologié.
L’interprète à ce sujet explique son choix : « pour la validité écologique j’ai placé le concept
avant de le nommer » puis en se ravisant elle ajoute : « la validité écologique au niveau de la
phrase n’est pas passée par contre » (Voir en annexe Entretien ILS 1 p. 407). En effet, elle
explique en premier son choix de double tactique, puis elle se rend compte que la
radicalisation ajoutée à la dactylologie ne produit pas de sens dans ce contexte et reconnaît
que le concept « n’est pas passé ».
279
Pendant notre entretien, l’ILS 2 dit au sujet de l’interprétation de données (p.409) :
« J’ai toujours du mal à matérialiser ce genre d’expressions. »
Cette impression de simplification semble être partagée par les ILS les plus expérimentés de
notre corpus. Ce qui diffère cependant, semble relever du comportement assumé et
revendiqué de cette simplification. En effet, interrogé au sujet de l’interprétation du concept
de « communauté internationale » par « monde », un ILS de plus de 18 ans d’expérience
répond (Interview ILS 10 page 431):
« Si tu (dis) [communauté] [internationale] tu induis en erreur. Il vaut mieux (dire)
[monde]. Et non, ce n’est pas la même chose, tu fais une adaptation qui est moins
précise mais qui en langue des signes suffit et évite d’induire en erreur la personne
qui suit ça. »
280
Les tactiques observées dans ce corpus prennent en charge une partie du sens sans passer par
la représentation du concept à proprement parler. Par exemple, la validité écologique devient
un élément périphérique du discours, présent dans l’interprétation mais qui n’est pas mis en
relief par un signe propre, ce qui peut laisser penser à une forme d’ « omission » de la forme
conceptuelle du discours. On voit bien avec les exemples de validité écologique ou de
données que chaque proposition n’a pas pu être réutilisée dans les contextes de phrases qui
ont suivi. On imagine la charge cognitive de l’interprète in situ qui, dans le feu de l’action, n’a
manifestement ni les ressources nécessaires ni le temps pour s’employer à proposer une
interprétation pouvant prendre en charge le fond et la forme d’une notion pourtant clé du
discours.
Figure 19 : tableau d’exemples d’emprunts
Mot Image proposée
281
Ce tableau présente les choix de traductions dans un contexte de vide lexical, où l’emprunt a
été la tactique utilisée par l’interprète.
Le français signé est une méthode qui consiste à plaquer sur la langue des signes la structure
syntaxique du français. Si certaines langues des signes l’intègrent naturellement (l’AUSLAN,
langue des signes australienne, ou l’ASL, langue des signes américaine, par exemple), il en va
tout autrement de la LSF - Voir à ce sujet la partie sur les Contraintes Linguistiques (partie
4.3.).
Exemple d’une interprétation tirée du Corpus 7 (étude de cas naturaliste, voir 5.1.2.):
« Panier moyen » : [anse de panier] + [moyen]
L’interprète et l’étudiant sourd savent qu’il ne s’agit pas dans ce contexte de l’objet « anse de
panier », mais une périphrase serait longue et l’étudiant connaît déjà le concept. La
translittération présente ici l’avantage de la rapidité et du lien direct au français.
L’étudiant lui-même propose :
« Pour le « coût de revient » on est obligé de faire du français signé, je ne vois pas
d’autres solutions. Idem pour « coût de distribution » et « coût
d’approvisionnement ». (Pournin, 2009 :33)
Le recours au français signé est ici un choix délibéré de l’interprète et de l’étudiant. Ici, pour
tous les deux, le respect de la forme linguistique de la langue des signes est moins important
que le rappel de la forme française. Napier (2002-b) parle aussi des préférences des étudiants
sourds quant à la forme de l’interprétation (littérale où iconique). Suite à une expérience
menée auprès d’étudiants sourds à l’université, elle a proposé le concept de « translational
contact » comme forme de traduction de contenus universitaires idéale mêlant la littéralité et
l’iconicité. Séro-Guillaume (1994 : 57) note également la présence « acceptable » du
transcodage :
282
«(…) si l’expression est utilisée à maintes reprises, à l’occasion d’un cours par
exemple, l’interprète par souci de concision devra opérer des choix. Le transcodage
ne semble pas dans ce cas d’espèce poser de problèmes particuliers à partir du
moment où l’on évacue toute considération de nature idéologique. »
Toujours au Corpus 7, immobilisation par exemple est signé comme [immeuble] et labialisé.
Ce signe, créé par l’étudiant sourd, a été choisi en raison de la similitude de sa prononciation
labiale et de celle d’un autre mot français (immeuble) et parce qu’une immobilisation
comptable peut entre autres porter sur un immeuble. Cette lexicalisation temporaire est
essentiellement subjective et propre à l’étudiant. C’est la raison pour laquelle elle est peu
présente lors de l’interprétation vers la LS alors qu’elle l’est beaucoup plus de la LS vers le
français. Le chemin qui a amené l’étudiant à ce signe précis suit sa logique personnelle de
reconnaissance labiale. Il appartiendra à l’interprète de s’en souvenir et de suivre la même
logique pour restituer correctement ses propos lors des échanges.
Le débat sur la CNV n’étant pas encore clos (voir page 38), nous n’avons pas considéré la
communication non verbale (CNV) comme une tactique de prise en charge du vide lexical.
Cependant, nous remarquons une tendance à son recours en deuxième, voire troisième
occurrence du mot, c'est-à-dire une fois une que le concept a déjà été traduit une première fois
par une autre tactique (périphrase, scénarisation, emprunt, etc.).
La labialisation n’est jamais associée à ce procédé, ce qui paraît logique en ce sens que la
CNV est dans une modalité d’expression visuelle opposée à tout ce qui peut être relatif à la
langue écrite de départ. Il nous semble qu’une fois la tâche de transmission conceptuelle du
discours effectuée, donc une fois les objectifs de l’interprétation atteints (les enjeux d’une
283
interprétation en milieu pédagogique par exemple), l’interprète s’autorise une parenthèse plus
visuelle, pour équilibrer sa prestation.
En effet, dans notre corpus comme dans notre étude précédente, les cas d’omissions se sont
également avérés nombreux et prennent plusieurs forme : l’omission radicale d’un segment du
discours dans le discours traduit, l’omission d’une partie du concept (nous intégrons
également dans cette catégorie ce que nous appellerons l’approximation conceptuelle, c'est-à-
dire une dynamique de simplification qui omet la dimension abstraite proposée par le
discours), et enfin les erreurs de sens face au vide lexical. Nous présentons les résultats
suivants :
Lors de notre précédente étude ayant comme objet les tactiques de l’interprète face au vide
lexical (Pournin, 2009), nous avions identifié, énuméré et analysé les tactiques des interprètes
face à des termes français n’ayant pas de correspondance lexicale en LSF. Les résultats
observés mettaient en exergue l’importance de la fonction de la traduction dans la mesure où
les tactiques observées renvoyaient souvent à des termes en français, c'est-à-dire dans la
langue de départ, ce qui ne semblait pas conforme aux normes sociolinguistiques de la
communauté sourde que nous avons présentées dans la partie consacrée aux contraintes
linguistiques. Les résultats de cette première étude nous ont permis de nous délimiter un axe
de recherche plus précis pour continuer notre analyse.
284
5.5.1.2.5. Omissions
Même si nous n’avons pas réussi à distinguer de façon systématique dans notre corpus les
omissions conscientes et stratégiques des omissions dues à une surcharge cognitive globale ou
locale de l’interprète, nous avons choisi de les représenter dans cette partie sur la prise en
charge du vide lexical. Lors d’une étude sur les omissions, Napier (2002-a, 2004) propose
d’envisager les omissions des interprètes en langue des signes australienne comme de
véritables tactiques, en opposition à la qualification d’ « erreurs » jusqu’ici utilisée. Pour ce
faire, elle s’appuie entre autres sur les travaux de Cokely (1992) pour la langue des signes
américaine et sur ceux de Kopczynski (1980) pour les langues vocales. Elle pose le premier
constat suivant : le niveau de connaissance général des interprètes et leur langue, qu’elle soit
littérale ou plus iconique (nous rappelons que la translittération est considérée comme forme
possible d’interprétation), n’aurait pas d’influence sur le nombre d’omissions lors de
l’interprétation.
Elle propose cinq types d’omissions: conscious strategy, conscious unintentional, conscious
receptive, unconscious et conscious intentional, dont les trois premières sont qualifiées par
l’auteur de tactiques d’interprétation.
Napier a analysé 20 minutes de discours interprété par 10 ILS et relève 341 omissions au
total. Soit 200 minutes pour 341 omissions, ce qui porte à environ 17 occurrences d’omissions
pour 10 minutes d’interprétation.
170 170
Traduction : L’omission involontaire est une question de traitement cognitif de l’information qui n’a pas
forcément vocation à être amélioré grâce à une meilleure formation universitaire ou une plus grande
connaissance du sujet interprété, ni même qui soit dépendant du style de la traduction. Les participants de l’étude
ont tous convenu qu’ils avaient l’intention d’interpréter ce segment particulier de l’information, et qu’ils ont
essayé de prendre une décision stratégique en attendant de plus amples informations contextuelles. Et pourtant
l’information leur a échappé.
285
Nous relevons 39 omissions sur 90 minutes de discours interprété. Soit environ 4 omissions
pour 10 minutes de discours traduit.
Le sujet même du discours n’est pas à première vue plus complexe d’un côté que de l’autre :
le corpus de Napier est un cours universitaire sur l’acquisition de la LS par l’enfant sourd, qui
est pour tout interprète en LS un des thèmes les plus fréquemment abordés dans une vie
professionnelle lorsqu’on s’intéresse à la langue des signes et à la communauté sourde. Celui
de notre étude est un master de recherche en traductologie, qui n’est pas non plus si éloigné
des intérêts et des problématiques générales communes à notre groupe d’étudiants interprètes.
Malgré l’analyse effectuée par Napier plus haut, nous pensons que la différence dans les
résultats obtenus pourrait tout de même s’expliquer par le niveau d’études requis et le contenu
même de la formation d’interprètes qui n’est pas le même en France et en Australie. Une
étude internationale où les conditions de recueil de données seraient équivalentes pourrait
s’avérer intéressante pour confirmer ou infirmer notre première mise en perspective.
Nous présentons ci-dessous les segments du discours original qui ont été omis par les
interprètes de notre corpus. Nous les présentons sous forme de deux tableaux : le tableau 21
recense les omissions des segments du discours qui n’ont pas d’équivalent standardisé en LSF
dans le sens technique du discours original. Le second recense les omissions des segments qui
ont une correspondance lexicale connue.
286
Figure 21 : Omissions et vide lexical
Raisonnable C1
Il n’est pas exclu C2
Faiblesse C2 (lors des 3 occurrences)
Indolore C3
Bon sens : 3 (2 fois omis)
Un degré : C2
Objective : C2
Résultats C3
Total tableau : 8
En analysant les tableaux ci dessus, nous remarquons que sur les 39 omissions recensées par
deux interprètes différents, 31 sont associées à un vide lexical, soit 79 %. Nous prenons la
précaution de préciser que chacun de ces termes n’a pas forcément été omis sur l’intégralité
du discours, mais qu’il l’a bien été à un moment donné de l’interprétation.
Le croisement des données avec les interviews met en avant que, tout comme Napier pour la
plupart des omissions, les interprètes de notre échantillon sont extrêmement conscients de
leurs propres omissions, et ce pendant le processus même de l’interprétation. Nous avons
remarqué que l’hésitation, l’attente de quelques secondes poussant parfois la capacité de
mémoire à court terme à son maximum, étaient très fréquentes lorsque l’ILS se rend compte
287
d’un terme pour lequel il ne connaît pas d’équivalence en LS. Les interviews révèlent bien
l’état d’esprit dans lequel se trouvent les interprètes dans cette situation :
Cet extrait d’interview montre bien le questionnement de l’interprète face à des termes qui le
font hésiter. En premier lieu, nous pouvons nous étonner de l’attitude de l’interprète qui
questionne à ce moment précis la polysémie possible d’un signe qui pourrait être à première
vue la même qu’en français. Nous émettons l’hypothèse que le manque de vocabulaire
spécialisé dans ce cas précis provoque chez l’interprète des questionnements sur l’acception
potentielle en termes scientifiques d’un signe tel que EXPERIENCE pour signifier
« empirique », et sur la possibilité d’une interprétation plus précise par une paraphrase. En
effet, si l’omission qui résulte de cette attitude n’est pas une tactique au sens ou nous
l’entendons, elle semble relativement représentative des difficultés rencontrées par l’ILS dans
ce cas de figure et peut expliquer les raisons de l’omission du degré d’abstraction du segment
initial.
Nous avons un autre extrait où l’interprète admet très simplement la démarche de son
omission, et c’est ce qui rend ce témoignage intéressant :
« Là (…) je cherche. Après je me suis débarrassé de « on ne peut pas tirer des vérités
générales… sur un petit échantillon » et de « échantillon représentatif ». Je fais on ne
peut pas comprendre. Je n’ai pas fait l’idée de général. J’ai abandonné parce que
j’avais peur de ce qui allait venir après, parce qu’il parle plus vite là. »172
171
Voir en annexe Entretien ILS 1 page 405
172
Ibidem, page 406
288
Contrairement à l’exemple précédent, il semble bien ici s’agir d’une tactique. Nous notons
bien ce sentiment d’« avoir peur de ce qui allait venir » et de clairement vouloir « se
débarrasser » ou « d’abandonner » un élément provoquant chez eux une surcharge
attentionnelle qui met à mal leur interprétation. On comprend que l’attention consciente que
requiert l’élaboration d’une périphrase ou d’une scénarisation empêcherait l’interprète de
continuer son travail d’écoute du discours original, qui a un rythme plus soutenu à ce moment
là.
Une autre situation d’omission est intéressante à relever car elle met en avant l’autocensure de
l’interprète qui, malgré un signe standard existant, refuse de l’utiliser :
« Je n’ai pas passé « victime (…) Le signe de victime ne me convenait pas du tout. Ça
ne change rien pour la compréhension. »173
Ici, l’interprète traduit l’essentiel de la phrase sans l’idée de victime, donc sans la connotation
humoristique voulue au départ par l’orateur qui est contenue dans le mot. Nous pensons que
l’interprète considère que le signe de victime (qui se signe comme « blesser ») avait une
connotation trop éloignée de celle que peut représenter le signe standard et ne satisfaisait pas
au sens général du discours en LS. Dans l’étude de S. Hirschi (corpus 8) nous trouvons
également ce type de réaction de la part des interprètes face à un signe existant, en
l’occurrence le défi, qui bien qu’existant n’a pas été utilisé par les interprètes de langue B sous
prétexte que sa portée n’était pas assez conceptuelle et s’apparentait trop à un registre lié au
sport et à la compétition. Seul l’interprète de langue A en LS l’a utilisé sans complexe,
supposant son auditoire suffisamment bilingue pour comprendre toutes les facettes de son
acception en situation.
« La « faisabilité », ça je ne l’ai pas traduit. (…) pourtant c’est simple, c’est ce que
l’on peut faire, mais j’imagine à ce moment une portée plus abstraite que je n’arrive
pas à transmettre. Alors je suis passé à autre chose. » (Voir en annexe Entretien ILS 2
page 409)
173
Voir Entretien ILS 2 en annexe page 408
289
L’interprète met bien en avant le fait que ce concept est parfaitement traduisible. Nous
pouvons seulement relever que l’interprète ne parvient pas à rendre le degré d’abstraction du
discours à ce moment là de son interprétation. L’omission est totalement consciente, et reflète
la volonté de ne pas baisser le registre de son interprétation dans l’intention qu’elle soit en
accord avec l’abstraction proposée par le discours original.
Cette tendance a été plusieurs fois relevée dans ce corpus et elle est également présente dans
les travaux de recherche de S. Hirschi (non publié) malgré un échantillon d’interprètes plus
expérimentés. Nous pouvons émettre l’hypothèse que cette observation ne semble pas
uniquement imputable au manque de pratique de l’interprétation, mais qu’elle pourrait révéler
une réelle difficulté des ILS ayant à disposition des signes parfois trop polysémiques ou
généraux pour transmettre toutes les facettes d’un discours plus abstrait ou scientifique en LS,
tout en prenant en compte les contraintes linguistiques et de temps d’une interprétation
simultanée.
Nous avons pu relever dans notre échantillon une majorité d’omissions liées à un vide lexical
existant en LS en rapport avec la matière abordée par le discours. Nous n’avons pas choisi
comme cadre conceptuel d’analyse de ces omissions celui de Napier (2002). Pour autant,
d’après les éléments relevés et l’analyse des interviews, nous pouvons effectivement rejoindre
son analyse quant à l’idée qu’en dehors des omissions faisant suite à un élément dactylologié,
un nombre important de ces omissions sont conscientes et ne relèveraient pas d’un défaut
d’écoute entraîné par une surcharge cognitive locale ou globale. Ces omissions sont pour la
plupart conscientes et tactiques. La possibilité qu’elles coïncident avec un manque de pratique
de l’interprétation professionnelle n’est pas à écarter. Cependant, leur fréquence n’est pas
particulièrement élevée. Elle est même nettement inférieure à la fréquence recensée par
Napier lors de son travail, ce qui nous amène à penser que nous nous situons dans une
proportion communément acceptable en interprétation en LS et que les observations
effectuées dans notre corpus pourraient être révélatrices d’un comportement plus général des
interprètes confrontés à des situations similaires.
290
5.5.1.3. Les tactiques des interprètes en langues vocales
Dans ses travaux de recherche sur l’interprétation de conférence, Daniel Gile (1995, 2009-a)
recense plusieurs tactiques des interprètes en langues vocales face à des termes techniques
dont la traduction pourrait poser problème à l’interprète. Ces tactiques sont, comme nous
l’avons vu en introduction :
- Aide du collègue passif disponible à l’écoute, suite à une hésitation, un regard.
- Aide du contexte visuel : nommer un élément projeté à l’écran par exemple.
- Recherche d’un terme dans les documents et glossaires dont dispose l’interprète en
cabine.
- Reproduction approximative du son entendu.
- Simplification, abandon d’une partie de l’information.
- Omission : sauvegarde de l’essentiel. Les omissions sont nombreuses même chez les
interprètes les plus aguerris.
- Explication ou paraphrase.
- Naturalisation du mot.
- Reproduction du mot en langue de départ, prononcé avec l’accent de la langue de départ.
- Transcodage, tactique efficace dans le champ des technologies récentes.
- Intervention : indiquer un problème de traduction à l’orateur
- Coupure du micro.
Avant toute mise en parallèle, nous voulons rappeler que l’interprète en langues vocales
travaille généralement en cabine, relativement loin des regards des délégués qui écoutent
alors que l’interprète en LS est souvent placé en face au public, parfois sur scène ou sur une
estrade, mais toujours de façon à ce qu’il soit visuellement accessible pour l’ensemble de
l’audience. Cette extrême visibilité de l’ILS rend impossibles plusieurs des tactiques dont
dispose l’ILV.
291
Figure 23 : Mise en parallèle des tactiques utilisées par les ILV/ILS en situation :
Tactiques ILV Tactiques ILS
A Aide du collègue passif présent en cabine et disponible à l’écoute, suite Aide. Tactique peu usitée.
à une hésitation, un regard. Consultation (à tour de rôle) des notes
laissées par le collègue passif pendant
l’interprétation.
B Aide du contexte visuel : nommer un élément projeté sur un écran. Pointage d’un élément visuel.
C Recherche d’un terme dans les documents et glossaires dont dispose Recherche possible uniquement pendant la
l’interprète en cabine. phase passive de l’interprétation, lorsqu’il
y a un glossaire à disposition.
D Simplification, abandon d’une partie de l’information. Emprunt adaptatif d’un signe conceptuel
proche / radicalisation
E Reproduction approximative du son entendu. Dactylologie
F Explication ou paraphrase. Scénarisation ou paraphrase
G Naturalisation du mot. Emprunt
H Reproduction du mot en langue de départ, prononcé avec l’accent de la Emprunt associé à la labialisation/
langue de départ. Dactylologie + labialisation
I Transcodage, tactique efficace dans le champ des technologies récentes. Transcodage ou français signé
J Omission Omission
K Intervention L’intervention plus aisée du fait de la
proximité ILS/orateur.
L Coupure du micro Arrêt de l’interprétation
En ce qui concerne les tactiques A et C (Aide du collègue passif et aise du contexte visuel) :
L’importance de la préparation n’est plus à démontrer dans la réussite de la prise en charge de
domaines inédits en interprétation. En ce qui concerne le lexique spécialisé, l’interprète en LV
peut se constituer des glossaires et des notes auxquels il pourra se référer pendant
l’interprétation. L’interprète en LS n’a pas de possibilité de constitution d’un tel document.
Son travail de préparation va bien sûr inclure le recensement des signes existants, mais il lui
appartiendra de s’en souvenir, car il n’aura pas la possibilité de consulter ses notes au moment
même où il interprète et où il est debout, face aux bénéficiaires et les mains « occupées » à
traduire. Ses notes ne lui seront d’aucune utilité et il ne devra compter que sur sa mémoire. De
plus, si le signe correspondant n’est pas encore existant, son travail de préparation consistera à
trouver une explication ou définition du terme qui aboutira à la création d’une paraphrase
explicative de ce même concept. Ce cas de figure nous amène à penser que la charge de
mémoire à long terme de l’interprète en LS est déjà grandement sollicitée lorsque sa
prestation commence. Nous ne disons pas ici que celle de l’ILV l’est moins, mais celui-ci a à
292
sa disposition des informations qu’il aura la possibilité de consulter, ce que l’ILS ne peut pas
faire.
Le recours au collègue passif n’a pas le même impact non plus quant aux conséquences sur
l’influence de cette tactique sur l’appréciation de la qualité professionnelle de l’interprète par
l’auditoire. L’intervention du collègue passif est à la vue de tous et elle est vécue comme une
mise en défaut publique, discréditant la prestation de l’interprète en action. Les interprètes
préfèrent que le collègue passif n’intervienne que s’il est expressément sollicité par l’ILS en
action. Il n’est pas rare cependant d’observer de courts échanges de regards entre les ILS,
mais l’usage veut que l’interprète passif note les éléments qu’il a remarqués et où sont
proposées des conventions de signes et autres commentaires sur une feuille de papier qui est
consultée à tour de rôle et qui constitue une trame de travail en construction tout au long de la
prestation.
Nous précisons que depuis peu, lors de très grands meetings par exemple comme pour
certaines prestations audiovisuelles, les interprètes ne sont plus sur scène face au public, mais
dans une cabine où ils sont en retrait, leur prestation est filmée en direct et incrustée en petit, à
droite sur un écran géant où est également filmé l’orateur. L’intervention de l’interprète passif
est quasi invisible pour l’audience et de ce fait elle est vécue beaucoup plus sereinement par
l’interprète en action. De plus, cette mise à l’écart du public enlève une grande source de
stress que devaient gérer jusqu’alors les interprètes présents sur scène, et qui n’avaient pas
forcément l’habitude de se retrouver dans une telle configuration.
5.5.1.4. Synthèse
Un premier phénomène digne d’attention est la fréquence élevée du vide lexical dans le
corpus (107 termes français sans correspondance lexicalisée en LSF sur moins de 5 heures de
discours pour la première étude, et 70 termes pour 1h30 dans la seconde). Ce phénomène
semble distinguer assez nettement l’interprétation en langue des signes de l’interprétation
entre langues vocales.
Figure 24 : Tableau de comparaison des occurrences des tactiques entre les deux corpus
Labialisation Dactylologie Emprunt Scénarisation Français signé
ère ème ème ème
1 2 3 4 5ème 1e
corpus
ère ème ème ème 2e
1 4 2 3
corpus
Les tendances sont similaires pour les cinq premières tactiques les plus souvent utilisées par
nos deux échantillons. Les différences entre le recours à la dactylologie et l’omission peuvent
s’expliquer par l’absence d’un réel bénéficiaire de l’interprétation dans le second échantillon.
Cette absence n’enlève rien à l’intérêt des résultats obtenus, car cette configuration place
l’interprète face à un récepteur lambda, ce qui nous rapproche des conditions d’interprétation
de conférence où l’interprète ne possède aucune information pouvant influer sur sa stratégie
294
interprétative globale. Il est intéressant dans ce cadre de considérer la présence de l’omission
comme une tactique possible même si elle n’a pas pu être comptabilisée.
Quant aux tactiques les plus fréquentes, on note que si la labialisation est rapide, la deuxième
tactique la plus fréquente, à savoir la dactylologie, est chronophage et d’une efficacité
incertaine. Nous verrons dans le chapitre suivant que non seulement dans près de la moitié des
cas dans le premier corpus, elle a été répétée parce que orthographiquement incorrecte,
maladroite ou trop rapide pour l’étudiant, mais dans 45 % des cas pour l’expérience numéro 1
et 60 % pour la seconde, elle est associée à une omission du segment de discours suivant,
peut-être en raison du retard pris et d’un déficit attentionnel lié à la saturation de la mémoire
de travail de l’interprète (Gile 2009-a, chapitres 7 et 8). Et pourtant, elle est souvent utilisée.
Est-ce à dire que la loi de la minimisation des interférences ne s’applique pas en interprétation
en langue des signes française ? Nous penchons plutôt pour une autre explication, celle de
l’importance accordée par l’interprète à une information translinguistique : au-delà du
message sémantique que véhicule le discours original, il donne la priorité à la transmission
d’une information sur le terme français en raison des besoins particuliers de l’étudiant en
classe d’entendants. Il arrive que des informations sur le mot en langue de départ soient
également transmises dans l’interprétation entre langues vocales, mais la chose est
relativement rare.
Enfin, le corpus met en relief l’existence d’une tension entre l’aspiration de la communauté
sourde française à préserver la LSF d’une interférence du français et l’intérêt de la
communication dans certaines situations concrètes. Une tension analogue se retrouve
d’ailleurs dans la résistance du français à l’influence de l’anglais dans des domaines de
spécialité.
Les études de cas présentées ici ne sauraient être que le début d’une exploration systématique
du comportement des ILS face au vide lexical, exploration qui, si elle est conduite dans
différents cadres et situations de communication, devrait apporter des éléments précieux
d’appréciation des différentes tactiques et de leurs effets.
295
5.6. La dactylologie
Nous avons analysé chacune des 30 occurrences de la dactylologie de notre corpus principal
et pour une meilleure lisibilité les avons classé dans le tableau ci-dessous :
174
Nous avons évalué, conjointement avec notre interprète-correcteur, la lisibilité de la dactylologie en « lisant »
chaque segment dactylologié du corpus et en notant ce que nous en avions compris. Le manque de lisibilité peut
être mis en parallèle avec les défauts de prononciation à l’oral (un mot peut être mangé, transformé, prononcé
indistinctement, etc.) Il en est de même pour la dactylologie : elle peut être incomplète, fausse, être exécutée trop
rapidement, etc.
296
Analyse du tableau :
Lorsque l’on pose la question aux interprètes en LS quant aux situations où ils auraient
spontanément recours à la dactylologie, la majorité des réponses se rapprocheraient de celle
qui nous a été donnée lors d’une interview d’un collègue exerçant le métier depuis plus de
onze ans :
« Pour les noms propres, pour tout ce qui est tour de table, les présentations, (…) les
sigles, toutes les choses comme ça.»175
En analysant précisément les segments dactylologiés par les interprètes, nous remarquons que
la dactylologie n’est pas seulement utilisée pour épeler et signifier les noms propres ou les
sigles, comme il est communément établi, mais elle est également utilisée pour introduire un
mot de vocabulaire inédit en LSF. En effet, les résultats présentés montrent que les interprètes
de notre corpus l’ont utilisée à 50 % des occurrences relevées en référence à un nom propre,
et 50 % en référence à d’autres mots du vocabulaire.
Z. Variabilité
Künzli (2 fois) Soutenance
Liu Écologique (2 fois)
T.A.P (3fois) Validité écologique
Julia Parallèle (textes parallèles)
Genève (2 fois) Triangulation
Iran (2 fois) Citation
Corfou Corrélation
ESIT Dicton
PowerPoint Annexe
Variable parasite
Réplication
Empirique
Volume
175
Interview de l’interprète 15, en annexe page 454.
297
Nous n’avons pas comptabilisé « Madame L. » dont le nom a fait l’objet de 2 tactiques,
(dactylologie et méthode combinatoire).
En analysant les mots de vocabulaire dactylologiés, nous remarquons qu’ils font en majeure
partie référence au lexique technique utilisé dans le cours. Une remarque nous semble
cependant intéressante : en ne comptabilisant pas les occurrences récurrentes (ex TAP ou
Künzli qui sont revenus plusieurs fois lors du discours), nous notons que le pourcentage de
recours à cette tactique s’élève à 58,4% en faveur de la dactylologie des mots de vocabulaire
pour 41,6% de noms propres ou de sigles.
Pour mieux comprendre la raison de ce recours à cette tactique par les interprètes, et dans
quelle mesure ces termes relèvent du vide lexical en interprétation vers la langue des signes, il
nous semble intéressant de rechercher les signes existants qui pourraient être utilisés pour leur
interprétation et de les comparer avec les tactiques associées ou les signes utilisés par les
interprètes en amont du segment dactylologié.
Signe général existant recouvrant plusieurs sens possibles en LS mais Vide lexical en
non exacts en fonction du contexte
interprétation lors de ce
(vérifié avec un autre ILS)
corpus
Mot dactylologié : Signe existant :
Variabilité VARIABLE
Citation PHRASE GUILLEMETS Soutenance
Dicton GUILLEMETS
Triangulation
Réplication Empirique RÉPÉTER TOUCHER
Corrélation LIEN Variable parasite
Écologique ÉCOLOGIE
Validité écologique
Annexe DOCUMENTS ajouté en fin d’ouvrage
(textes) parallèles Signe existant mais différent selon ce qui
doit être parallèle (une droite, une
situation, etc.)
Nous remarquons plusieurs choses : les interprètes de ce corpus ont tous, sauf une exception,
utilisé les signes existants présentés dans ce tableau en amont de la dactylologie. Seul le signe
« ÉCOLOGIE » n’a pas été emprunté. Ce signe est pour l’instant très lié à au sens politique
ou idéologique (il se signe d’ailleurs VERT, en référence au parti Les Verts).
298
Pour ce qui relève du vide lexical (la partie droite du tableau), les quatre exemples ont tous été
précédés d’une périphrase ou d’une scénarisation expliquant le concept pour ensuite le
nommer. L’exemple d’un extrait d’interview nous montre bien l’enchaînement logique de ce
processus.
« Pour la validité écologique j’ai placé le concept avant de le nommer. Dans cette
situation je trouvais cela plus cohérent. »176
Pour le reste du tableau, nous pouvons observer l’émergence d’une autre tactique qui consiste
à utiliser la dactylologie après un emprunt : les interprètes ont ainsi signalé que le signe
existant utilisé était un emprunt dont le sens était proche mais qui ne couvrait pas le concept
abordé en contexte. L’ajout de la dactylologie permet d’introduire le terme français dans
l’interprétation et, de façon sous-jacente, le concept.
Nous observons que les interprètes de notre corpus ont souvent recours à cette pratique, et
nous avançons l’hypothèse qu’elle pourrait correspondre à une tactique d’interprétation que
l’on pourrait qualifier d’emprunt à charge sémantique ajoutée. La tactique d’emprunt utilisée
seule n’apparaissant pas satisfaisante pour l’interprète pour différentes raisons dans ce
contexte (approximation conceptuelle, souci de précision terminologique, occurrence
fréquente dans le cours), il va donc en deuxième tactique utiliser la dactylologie pour en fixer
le temps du discours la correspondance lexicale et la précision conceptuelle ou technique du
terme français.
176
Voir Entretien ILS 1 en annexe page 407
299
Les interviews des interprètes nous montent très bien ce choix de double tactique :
« Pour les textes parallèles, j’ai épelé, après j’ai pensé que ça pouvait se signer
comme ça (texte / même / à coté). »177
Cet extrait montre bien le choix conscient de la double tactique face au vide lexical en
situation pédagogique. Ce choix semblerait efficace dans cette situation si on prend en compte
ce que dit l’une des interprètes qui n’a pas utilisé cette tactique :
« (..) je suis piégée car j’ai scénarisé la variable parasite sans la nommer, sans
nommer ce concept (c’est-à-dire sans le dactylologier), et je me rends compte qu’il
faut le nommer bruit. Du coup je perds du temps à épeler variable parasite pour
ensuite faire le lien avec le bruit. » 178
Un autre extrait d’interview d’un interprète (qui ne fait pas partie de notre corpus principal)
exerçant depuis une vingtaine d’année nous indique sensiblement la même démarche :
Pourtant, après avoir précisé que cette pratique se faisait uniquement en situation
pédagogique, l’interprète ajoute quelques phrases plus loin:
177
Voir Entretien ILS 2 en annexe page 407
178
Voir Entretien ILS 4 en annexe page 412
179
Voir Entretien ILS 14 en annexe page 449
180
Ibidem page 453
300
Nous ne pouvons pas vérifier la fréquence d’occurrence de la dactylologie en conférence.
Cependant, il est intéressant de remarquer que le cumul de tactiques est envisageable pour
cette interprète en situation de conférence également.
Le corpus nous montre un taux très élevé de 60 % d’omissions sur le segment suivant la
dactylologie. Nous voulions vérifier quel rapport pourrait avoir le temps d’exécution avec les
omissions ; il apparaîtrait en effet logique que le risque d’omission s’accroisse avec le nombre
de secondes mobilisées pour cette tactique.
301
Figure 28 : Tableau mesurant les omissions en lien avec les secondes mobilisées
1 sec 2 sec 3 sec 4 sec 5 sec 6 sec et +
Occurrences 3 10 8 4 2 3
Omissions 1 4 6 3 2 3
Pas d’omission 2 6 2 1 0 0
Pourcentage 33,3 % 40 % 75 % 75 % 100 % 100 %
d’omission
Si ce tableau confirme nos intuitions, il nous paraît toutefois important de souligner le taux
relativement élevé de risque d’omission même lorsque le temps requis pour la dactylologie
n’est que d’une seconde.
Nous avons ensuite voulu vérifier si les omissions étaient dues au fait que la dactylologie
arrivait quasi systématiquement en deuxième tactique lorsqu’il était important de lexicaliser
provisoirement un concept. Si tel était le cas, la dactylologie des noms propres étant la seule
tactique employée sans autre tactique associée, il apparaîtrait logique qu’il n’y ait pas ou peu
d’omissions dans ce cas de figure. Nous avons donc calculé pour chaque catégorie (noms
propres et mots de vocabulaire) le rapport entre dactylologie et omissions du segment
suivant :
302
Les résultats nous montrent un accroissement des omissions lorsque la dactylologie est
employée comme seconde tactique d’interprétation. Si nous observons une différence entre
les deux résultats (46,6 % d’omissions pour la figure 29 et 73 % pour la figure 30), il n’en
reste pas moins que les omissions sont nombreuses, même dans le cas de noms propres
dactylologiés puisque le pourcentage est tout de même de 46 % lorsqu’elle est utilisée en tant
que tactique principale.
5.6.3. L’orthographe
Elle est correcte dans 86,7 % des cas. Nous remarquons une corrélation entre l’orthographe et
la répétition de la dactylologie. En effet, deux fois sur les trois où l’exécution s’est avérée
présenter une faute, l’interprète a recommencé la dactylologie pour, au second essai,
l’exécuter correctement.
On note cependant qu’il appartiendra à l’interprète de trouver l’orthographe exacte par
déduction phonétique des noms de famille qui ne sont pas connus de lui.
Il est communément admis par tous les locuteurs de la langue des signes que le déchiffrage de
la dactylologie nécessite une attention particulière lorsque cette tactique intervient au beau
milieu d’un segment signé. Le débit doit être relativement rapide pour que la lecture soit
agréable et que l’enchaînement des lettres se fasse de façon liée. Notre expérience en tant
qu’interprète et celle des collègues que nous avons interrogés nous permettent d’établir une
sorte de règle commune d’exécution de la dactylologie, pour qu’elle soit lisible par le
destinataire : la main d’exécution est placée légèrement sur le coté, les configurations de la
main sont propres et exécutées sans va-et-vient entre chaque lettre, à un rythme posé.
Nous rappelons que les sourds ne sont pas tous à l’aise avec le français écrit et l’orthographe.
Indépendamment de ce fait, un mot technique nouveau requiert une attention particulière pour
permettre son assimilation et sa compréhension. Cette attention requise sera sans doute
différente si le mot dactylologié est déjà connu du destinataire ou bien issu d’un registre de
langue plus commun.
Dans notre corpus, la lisibilité du mot dactylologié est à 43,3 % aisée, c'est-à-dire que le mot
se déchiffre sans effort pour le destinataire de l’interprétation (pour les lecteurs non habitués
nous pouvons faire un parallèle avec le confort d’écoute des mots). En revanche il nous
semble intéressant de noter que 56,7 % des mots dactylologiés sont difficilement déchiffrables
à cause de la rapidité de leur exécution (en langue vocale, les syllabes seraient « avalées »).
Nous avons remarqué que dans 23 % des cas, la suppléance était possible pour comprendre le
mot dactylologié (l’habitude des signants entre en jeu : exemple le début d’un mot signé plus
clairement et une fois le radical compris il est possible d’en deviner la fin : une terminaison en
–Q a généralement UE ; idem avec –TION ou –ITE).
Pour les 26 % restants, nous avons pu les déchiffrer en utilisant la fonction « ralenti » de notre
lecteur, avec la possibilité de se référer au discours original de l’orateur. Dans ce contexte, il
apparaît surprenant que ces mots n’aient pas été dactylologiés à nouveau par les interprètes.
Contrairement à nos collègues en langues vocales qui ont la possibilité d’entendre leur propre
production et donc de se reprendre lorsqu’ils « avalent » un mot, il semblerait que les
interprètes en langue des signes de notre corpus n’aient pas eu conscience de la lisibilité de
304
leur production en dactylologie puisque leurs commentaires n’y ont pas fait référence lors du
visionnage de leurs prestations.
Il apparaît que le seuil critique où le risque d’illisibilité est fort se situe vers 3 lettres
dactylologiées par seconde. La moyenne du rapport lettres/secondes pour une bonne
compréhension est de 2,8. Inversement, la moyenne où le risque d’illisibilité est susceptible se
produire est de 3,5 lettres par secondes.
Nous émettons ici une certaine réserve, car il nous semble important de rappeler que chacun
réagit différemment à la lecture d’un terme dactylologié. La compréhension d’un terme
dactylologié va au delà de la lisibilité de l’enchaînement des lettres effectué dans l’espace de
signation. Il y a plusieurs autres facteurs à prendre en compte, entre autres :
- la complexité du mot dactylologié,
305
- sa connaissance ou non par le destinataire de ce mot,
- sa fréquence d’occurrence dans le discours.
Ces chiffres n’ont pas valeur de seuil obligatoire. Nous posons ici les premières tendances
observées et analysées d’un phénomène qui ne demande qu’à être plus largement exploré.
Une idée communément admise sur la dactylologie est que celle-ci est employée par défaut,
c’est-à-dire lorsque l’interprète n’a pas réussi à trouver l’image conceptuelle à représenter
dans sa traduction. Or, lorsqu’il s’agit de dactylologie de concepts inédits n’ayant pas de
correspondances lexicales disponibles en LS, l’analyse du corpus nous montre qu’elle
intervient quasi systématiquement en seconde tactique suite à une scénarisation ou un
emprunt, c'est-à-dire une fois que le sens du concept est transmis et que l’ajout de la
dactylologie correspond à une précision, une indication de vocabulaire, une tactique de
lexicalisation provisoire du signe précédent. Ce qui est frappant en analysant le corpus et les
entretiens avec les interprètes, c’est de mesurer à quel point l’emploi de cette tactique est
considéré à juste titre comme risqué et chronophage. Malgré la conscience de cet état de fait,
le recours à la dactylologie en tant que seconde tactique est un choix délibéré de l’interprète et
non un aveu d’échec face à un défaut de paraphrase ou de scénarisation.
En explorant les interviews, on se rend compte en premier lieu que les interprètes évitent
autant que possible de dactylologier :
«(…) pourtant dès que je peux enlever la dactylo je le fais.» (Voir ILS 1 page 407)
«(…) J’aurais dû le dactylologier. Mais c’était long.» (Voir ILS 2 page 409)
306
Deuxièmement, les autres interprètes expriment surtout l’idée que la longueur de sa
réalisation a perturbé le reste de leur interprétation :
«(…) du coup je perds du temps à épeler variable parasite pour ensuite faire le lien
avec le bruit. (…) Là vous m’avez perdue, je suis restée bloquée sur la variable
parasite et je n’ai pas entendu le reste. J’ai capitulé avec le sourire. Je n’ai pas
compris son histoire de radio, qui est pourtant simple. D’ailleurs je demande un
relais. » (Voir ILS 4 page 412)
Ce dernier extrait d’interview met clairement en avant le fait que la dactylologie a empêché
l’interprète d’entendre le segment prononcé par l’orateur simultanément à l’exécution de la
dactylologie. Le fait qu’il n’ait pas pu raccrocher les wagons malgré la simplicité du discours
(une anecdote sur les systèmes d’antennes radio en Afrique) montre très clairement de très
faibles ressources attentionnelles affectées à l’Écoute pendant sa production dactylologiée.
Les propos récoltés lors du focus group vont également souligner une conscience de l’effet
perturbateur de la dactylologie. Une des personnes interrogées dit à ce sujet :
« (…) d’un coup plus d’image, il faut décoder des lettres… » (Ibidem)
Les interrogés situent spontanément l’irruption de la dactylologie dans le discours comme une
rupture brutale dans la logique du travail cognitif que requiert l’exercice de production ou de
307
réception d’un discours signé. Pourtant, ces mêmes interprètes n’ont paradoxalement pris
aucune précaution particulière lors de l’épellation puisque nous avons relevé une certaine
tendance à une dactylologie favorisant la vitesse de production au détriment de la
compréhension. Nous remarquons une tension de la part des interprètes entre la difficulté
consciente de la réception de la dactylologie avec l’intuition d’une perturbation qui
menacerait la qualité de leur interprétation, sans pour autant identifier concrètement les
conséquences ni même les relever lors du visionnage de leur travail. Ils mettent en avant la
contrainte du français dans certaines situations et nous remarquons la même démarche dans le
choix des tactiques d’interprétation et l’importance de la fonction de la traduction que celle
observée lors de notre étude de 2009 filmée au CNAM de Poitiers.
5.6.6. Synthèse
Au regard du taux très élevé d’omissions des segments suivant la dactylologie, nous pouvons
dire que la dactylologie n’est pas une opération automatique et mobilise fortement les
ressources attentionnelles même si elle est courte. Nous émettons également l’hypothèse que
son recours, même en première tactique pour une dactylologie « simple » de noms propres,
mobilise fortement l’Effort de Production et nuit considérablement à l’Effort d’Écoute et
d’Analyse de l’original ainsi qu’à l’Effort de Mémoire.
De plus, si nous avons vu que les interprètes ont recours a cette tactique qu’ils savent pourtant
chronophage dans l’objectif de transmettre la totalité des informations (sens et indications
linguistiques de la langue de départ pour son utilisation ultérieure), le stress provoqué par la
conscience de ce manque de temps influerait sur la rapidité d’exécution, ce qui nous interroge
sur le succès relatif de cette tactique au regard de la lisibilité variable des mots dactylologiés.
308
En conclusion, nous pouvons nous interroger sur la nature même de cette tactique qui consiste
à sortir de la logique du travail d’interprétation pour introduire dans un espace de signation où
chaque chose à sa place un élément linéaire « verbalisé » de la langue de départ.
Une deuxième question se pose à nous : est-il possible de continuer le travail cognitif que
requiert l’exercice d’interprétation en épelant un mot en langue de départ ? Il serait intéressant
de transposer une expérience de même nature avec des interprètes en langues vocales pour
comprendre si la difficulté vient de la gestion des canaux différents ou bien de l’exercice seul
d’épellation pendant la phase d’écoute du segment à venir.
309
6. Discussion et conclusion générale
De façon générale, le modèle IDRC nous a permis une analyse et une nouvelle évaluation
des ressources et des contraintes de l’interprétation en LS pour une meilleure compréhension
des incidences des caractéristiques spatio-visuelles de la langue sur la production de
l’interprète.
Nous avons noté dans notre étude plusieurs différences entre les interprètes en LV et en LS
dont les plus significatives relèvent des contraintes sociales et des contraintes d’espace.
Les contraintes que nous pouvons relever dans la littérature et dont nous supposons
qu’elles sont représentatives de la réalité observée sont d’ordre sociolinguistique et socio-
psychologique. De façon générale, la littérature anglo-saxonne a analysé le rôle de
l’interprète et sa place dans l’interaction en parallèle avec les autres problématiques liées à
l’interprétation à proprement parler. En effet, les études en sociolinguistique ont été
déterminantes pour reconnaître l’implication de l’interprète dans l’évènement et ont largement
contribué à analyser l’impact psychologique probable des interactions sur la personne de
l’interprète. Tout en maintenant la confiance des bénéficiaires, les Anglo-Saxons ont réussi à
apporter un éclairage nouveau sur ces problématiques de base de la profession sans pour
autant modifier fondamentalement la pratique sur le terrain. Cette analyse des besoins de
l’interprète a pu se faire parce que la recherche a su séparer l’intérêt des interprètes de ceux
des sourds pour, in fine, apporter à l’ensemble de ces deux communautés un confort de travail
et d’écoute professionnelle respectueux de leur réalités propres. Cette capacité d’une
profession entière à pouvoir se remettre en cause est-elle culturelle ? Sommes-nous en France
capables d’une telle démarche ? À la lecture d’un ouvrage récent sur l’interprétation en langue
des signes181 en France dans lequel de nombreuses situations d’interprétation sont montrées
en exemple, il nous semble que la communauté des ILS telle que représentée dans l’ouvrage
reste ancrée dans une logique affective de parti-pris pour la communauté sourde. Parti-pris
181
Entre sourds et entendants, Éditions Monica Companys, 2009
310
conscient ou non, qui se manifeste par un manque de considération des besoins de
l’interlocuteur incarnant le groupe historiquement oppresseur, puisque les ILS montrés en
exemple ont tendance à ne pas prendre en compte les normes communicationnelles des
entendants, tout comme l’a décrit et analysé précédemment la littérature anglo-saxonne.
Le code de déontologie est un sujet qui est ouvertement discuté dans la
recherche internationale, ce qui n’est pas encore le cas en France. Le code de l’AIIC ayant
longtemps servi de référence pour la majorité des interprètes communautaires, la plupart des
situations rencontrées n’étaient absolument pas envisagées dans le code de conduite
simplement parce que les interprètes en langues vocales se sont naturellement focalisés sur
leurs propres considérations : la conférence, voire l’interprétation diplomatique. En voulant se
hisser au niveau des normes des interprètes en langues vocales, les ILS ont longtemps
revendiqué une même démarche, un même métier et de facto un même code éthique. La
situation particulière de l’interprétation en LS – et ceci n’est pas nouveau – est qu’elle est
constituée de l’ensemble des domaines qui sont par tradition traités individuellement dans la
littérature traductologique (conférence, judiciaire, liaison, social, éducation, etc.). Un seul et
même code appliqué à une seule facette du métier est donc naturellement voué à évoluer pour
intégrer l’ensemble des champs possibles de l’interprète. C’est en l’occurrence ce qui
s’observe dans de nombreux pays à l’heure actuelle.
En France, il est considéré qu’une prestation qui ne se plie pas strictement au cadre du
code de déontologie tel qu’il a été élaboré il y a plus d’une vingtaine d’années relèverait du
domaine de compétence d’un professionnel du secteur social bilingue en LS. Il est vrai que
certains domaines ne peuvent se prêter aisément à l’exercice de l’interprétation lorsqu’est
imposé à l’interprète un cadre déontologique relevant de la conférence (dans un système
unilatéral et distancié) alors qu’il intervient dans des situations où les règles
communicationnelles sont à l’opposé (interaction et proximité). Il n’est pas rare d’observer
que certaines structures doivent prendre des mesures supplémentaires pour faciliter la
communication ou la compréhension du message interprété (intermédiateurs, reformulateurs,
professionnels bilingues par exemple)182. De ce fait, certaines sphères d’intervention ont été
délaissées par les interprètes eux-mêmes, laissant le champ à une multiplication
d’intervenants sans qualification pour l’exercice de l’interprétation, mais qui couvrent de fait
182
La présence d’un intermédiateur répond à un besoin particulier dont les raisons sont complexes et variées.
Nous ne remettons pas en cause la présence des intermédiateurs ou des médiateurs. Nous ne faisons que relever
une pratique existante observée.
311
certains besoins (ceci est courant en milieu pédagogique et social notamment). Ces
professionnels en viennent parfois à revendiquer une légitimité à étendre leur champ de
compétences à la situation de conférence, puisqu’ils font déjà office d’interprète dans d’autres
lieux. Cette situation peut être comparée au « marché gris » en langues vocales qui nuit au
maintien de certaines normes professionnelles pour ce qui concerne la traduction ou
l’interprétation de conférence. À ceci près qu’en interprétation en LS, cette activité parallèle a
toujours coexisté et entre perpétuellement en contradiction avec la volonté des ILS d’établir
des conditions de travail nécessaires au bon déroulement d’une prestation ; de surcroît, elle
dessert l’établissement d’une reconnaissance tarifaire liée à leur expertise.
Les contraintes linguistiques que nous avons soulevées et dont les enjeux sont
fondamentaux provoquent des réactions très affectives de la part des locuteurs et ont une
conséquence sur la pratique de l’interprétation. Contrairement à ce qui est souvent décrit, la
standardisation naturelle de la LS ne s’établit pas en miroir avec l’intégration des sourds dans
l’ensemble de la société. Si un champ lexical se définit, il n’est pas pour autant fixé et
diffusable en l’état à l’ensemble de la communauté signante. Les corpus ainsi élaborés
répondent, nous l’avons vu, à des besoins spécifiques précis (profil d’étudiant, contexte
sociolinguistique). C’est pourquoi il nous semble pertinent d’insister sur la reconnaissance du
vide lexical, que nous pouvons appeler, pour ce qui concerne la LS, « prise en charge de
domaines inédits » en tant que considération traductologique à part entière en
interprétation en langue des signes, d’une part parce que c’est une donnée constitutive de
l’exercice et d’autre part parce que sa résolution via une normalisation planifiée apparaît
comme une solution portant préjudice à la langue et à ses locuteurs. Ce point de vue peut nous
permettre de ne plus nier collectivement un fait observé en interprétation en LS, mais de le
reconnaître et de l’envisager en termes de stratégies et de tactiques à mettre en œuvre pour
son traitement en interprétation.
Nous proposons un nouvel angle qui ferait de ce déni majoritaire (qui n’a rien pu
engendrer en termes de solutions traductologiques) un défi face auquel les ILS élaborent
différentes stratégies (que nous avons répertoriées en 2009). Une des conséquences que nous
avons pu observer et qui nous paraît intéressante dans notre étude est une tendance des ILS à
prendre certaines libertés par rapport au discours original, dans la mesure où les scènes
paraphrastiques représentées sont parfois éloignées des propos de l’orateur. Cette tendance
vient corroborer les études en cours de S. Hirschi et vient questionner la notion de fidélité en
interprétation en LS dont les critères d’acceptabilité apparaissent plus souples qu’entre
312
langues vocales. Séro-Guillaume explique cette différence entre le discours original et
l’interprétation en LS en soulignant l’approche différente que chaque langue entretient avec la
réalité. Ce faisant, il s’appuie sur la synecdoque telle qu’elle est envisagée par Lederer dans le
cadre de la TIT. Lederer emprunte ce terme à la rhétorique pour expliquer le phénomène
consistant à faire référence à une partie valant pour le tout. Pour cette auteure, cette opération
permet de désigner une partie explicite du sens et renvoie ainsi à des concepts « plus vastes
qu’eux-mêmes » (2006 : 46). Pour Lederer, la synecdoque permet de :
« (d’) échapper aux correspondances et créer des équivalences, pour trouver les mots
qui, dans la langue d’arrivée désigneront pareillement l’idée, le fait, les émotions
désignées dans la langue originale (…) »
Ce phénomène, mis en avant par l’auteure comme pouvant apporter une valeur ajoutée
« culturelle » en interprétation, reste généralement isolé dans un segment de la production.
Selon Lederer, il permet de respecter la façon dont chaque langue formule une chose, une idée
(l’exemple du robinet qui fuit en français, qui perd en italien ou qui court en allemand).
Pourtant, il nous semble qu’il y a une différence quant aux manifestations de ce phénomène
entre deux langues dissymétriques où, encore une fois, l’interprète n’a pas toujours le choix
entre correspondance ou équivalence et doit recourir très souvent à une périphrase, comme
l’ont montré les exemples que nous avons vus au cours de notre étude. En analysant les
données de nos corpus, nous observons une tendance commune aux interprètes à représenter
une partie parfois simplifiée ou amputée du discours, ce qui nous permet d’avancer
l’hypothèse qu’il ne s’agit pas exactement du phénomène de synecdoque tel qu’il est envisagé
par Lederer. Les commentaires suivants peuvent nous apporter un éclairage intéressant pour
cette hypothèse :
« Mais c’est vrai que c’est une partie du sens. Est-ce gênant pour toi de ne donner
qu’une partie du sens ? Oui bien sûr, toujours, mais est-ce qu’on a le choix ? »184
Nous avons vu avec l’analyse du corpus principal que nous retrouvons ce même phénomène
chez les ILS débutants. Il nous semble intéressant de souligner ici que les deux corpus
183
Voir en annexe Interview ILS 7 page 426
184
Voir en annexe Interview ILS 8 page 428
313
d’interprètes (débutants et confirmés) rencontrent des difficultés et des questionnements
identiques pour ce qui concerne cette problématique, ce qui nous amène à penser que cette
particularité n’est pas uniquement imputable au manque de pratique ou d’expérience, mais fait
bien partie intégrante des difficultés intrinsèque de l’interprétation en LS.
Nous ajoutons à cette remarque que l’histoire de l’évolution de la langue des signes n’a pas pu
entrainer de normalisation académique comme celle de la plupart des langues vocales. La
conséquence majeure est une absence de l’ensemble des ressources matérielles généralement
disponibles entre langues vocales pour ce qui concerne les LS (nous faisons référence ici aux
aides techniques simples telles que les glossaires et autres lexiques consultables par tout
interprète ou traducteur). Cela engendre d’une part que l’ILS ne peut pas aborder la
préparation linguistique de la même façon que ses collègues entre LV, et d’autre part que
l’interprète doit créer et élaborer des paraphrases de substitution au lexique inédit en LS. Cette
situation sous-entend dès la phase de préparation une charge cognitive supplémentaire dans la
mesure où il revient à l’interprète de se souvenir de ces éléments « prélexicalisés » avant
même de commencer son interprétation. Dès la phase de préparation, la mémoire de l’ILS est
donc déjà fortement sollicitée.
Nous avons soulevé un premier paradoxe qu’il nous paraissait intéressant d’analyser d’un
point de vue traductologique pour ce qui concerne l’interprète, puisqu’il incarne cette
confrontation constante des normes et des systèmes dans lesquels la langue vocale majoritaire
impose une forte contrainte sur la forme de la LS (nous l’avons vu lors des contraintes
d’espace notamment). Cette contrainte de la culture majoritaire entre en tension, nous l’avons
vu, avec celles imposées par les normes linguistiques préétablies dans des systèmes où la
langue des signes n’est pas contrainte.
Il serait intéressant de poser quelques pistes de réflexion pour des recherches à venir : puisque
les discours signés étudiés par les linguistes et proposés comme norme aux ILS sont
généralement de nature spontanée et directe et puisque les sourds ont généralement accès aux
314
contenus informels denses via l’interprétation, dans quelle mesure serait-il possible
d’envisager les normes de la LS de l’interprète (scénarisation, spatialisation) en prenant en
compte l’ensemble des contraintes auxquelles sont soumis ces derniers ? Cette question est
une proposition de piste de recherche sur la langue de travail de l’interprète qui, par définition
n’utilise pas la langue avec les mêmes disponibilités cognitives que les locuteurs directs.
Les contraintes psychoaffectives ont des répercussions qui s’observent sur plusieurs
niveaux et qui ont traits aux rapports historiques de domination entre les deux communautés.
Elles ont également des conséquences lorsqu’il est question des transferts et des projections
inconscientes entre les ILS et des personnes sourdes et qui ont un impact réel sur la santé
psychique des ILS. L’imbroglio technico-affectif de l’ensemble de ces contraintes est flagrant
lorsque l’on fait référence aux contraintes linguistiques en mentionnant la prise en charge du
vide lexical, qui est une question traductologique majeure en interprétation en LS, puisque
315
cette simple évocation entraine des réactions affectives très fortes de la part d’une partie de la
communauté signante. Or, nous avons vu que cette notion était fondamentale en traductologie
et que les tactiques de prise en charge de domaines inédits en LS varient selon le contexte et
la finalité de la traduction.
L’interprète en langue des signes est dans une situation singulière, différente de
l’interprétation entre langues vocales par l’ensemble des aspects de son cadre de travail qui
font de lui une personne pleinement impliquée dans l’évènement. Ce qui est d’autant plus
intéressant à analyser, c’est le déni avec lequel les ILS dans leur ensemble envisagent ces
questions en y opposant une forme de neutralité protectrice, qui, selon Harvey (2003) ou
Malcolm (2010), ainsi considérée nuit généralement à l’interaction et à la santé psychique des
interprètes, puisque les ILS ne s’en protègent pas. C’est le deuxième paradoxe de l’interprète
en langue des signes.
Analyse cognitive :
À partir de l’ensemble des éléments que nous avons analysé dans cette recherche, et
dans la continuité des observations de Bélanger, nous proposons de nommer « Effort de
gestion des interactions » l’ensemble des charges supplémentaires que l’interprète gère en
plus de l’interprétation et qui est liée à la gestion des interactions que nous retrouvons
également dans l’interprétation communautaire entre langues vocales (interactions provenant
des interlocuteurs, gestion de l’entrée de l’interlocuteur dans le processus discursif, maintien
des normes culturelles et sociales liées à la situation de communication, etc.). La différence se
316
situe dans le fait que les interprètes en LS ont à gérer cet effort en interprétation simultanée
alors que les ILV communautaires travaillent en général en consécutive.
Le reste des Indications Contextuelles est un effort à part entière à intégrer dans
l’Effort de Production de l’ILS. Cet effort est à mettre directement en lien avec le rôle de
l’interprète qui, nous l’avons vu, gère l’entrée des interactions dans le flux de l’interprétation
et informe des évènements extralinguistiques pendant son interprétation. En prenant en
compte l’analyse des Indications Contextuelles, il semblerait que de telles indications ne
soient pas à la charge des interprètes en langues vocales en interprétation de conférence.
L’ensemble des données extralinguistiques sont partie intégrante de l’interprétation en LS
puisqu’elles contribuent à la précision du message traduit et à la compréhension du message
dans un système global. Nous avons vu également qu’elles ont une fonction intégrative au
contexte social dans lequel se déroule l’évènement. Nous touchons du doigt ici combien
l’interprétation est un acte allant bien au-delà de la considération linguistique puisque nous
analysons ici sa dimension médiatrice. Ce rôle de médiateur ne doit pas être compris comme
relevant de l’aide ou du soutien, mais bien d’une médiation-régulation entre deux cultures
appelant deux modes d’appréhension de la communication différentes, l’une visuo-gestuelle
et l’autre audio-vocale. Notre analyse permet de mettre en parallèle nos conclusions avec les
recherches menées en sociolinguistique pour ce qui concerne l’interprétation communautaire
et en LS. Ces approches sociolinguistiques sont particulièrement intéressantes puisqu’elles ont
apporté une première analyse du rôle essentiel de l’interprète dans l’interaction, plus
particulièrement en ce qui concerne le maintien des normes de communication attendues par
les parties en présence (sourdes et entendantes). Il nous semble que nos conclusions tendent à
nous rapprocher et à corroborer les conclusions de Roy (2000-b) notamment, puisque nous
avons procédé à l’analyse des formes très concrètes de cette implication dans le déroulement
de la communication en termes traductologiques ainsi que de leurs effets sur l’interprétation.
Nous avons vu dans cette étude que les contraintes d’espace sont une charge supplémentaire
certaine pour l’ILS en ce qui concerne la nature même de son interprétation. Nous avons
observé que la capacité de gestion de l’espace de travail de l’interprète était liée à la
disponibilité cognitive de ce dernier. Nous avons identifié ainsi un Effort d’auto-gestion
dans l’espace, qui correspond à l’ensemble des ressources attentionnelles requises pour la
gestion de l’espace physique, de l’espace de désignation et des déplacements. Nous avons
proposé un Effort de mémorisation de l’espace sémantisé qui représenterait l’ensemble des
317
ressources attentionnelles requises pour respecter la dimension visuo-spatiale de la langue des
signes. Cet Effort ferait partie intégrante de l’Effort de Production en interprétation vers la
LS. Nous avons également mis en avant que la sémantisation de l’espace influait sur l’Effort
de Mémoire et sur l’Effort de Production. L’Effort de Mémoire comporterait un élément
spatial important sans équivalent dans l’interprétation entre langues vocales.
Plus techniquement, les autres contraintes observées relèvent de contraintes d’espace qui
caractérisent la langue des signes. Nous avons émis l’hypothèse que la charge cognitive de
l’ILS s’en trouve alourdie et parlons d’Effort de mémorisation de l’espace sémantisé.
Nous partons du principe que le travail simultané en double modalité des interprètes en langue
des signes (canal vocal et visuo-gestuel) donne à l’ILS une plus grande disponibilité cognitive
qu’aux interprètes entre langues vocales dans la mesure où la production signée n’interfère
pas avec l’écoute du discours original (et vice versa). Nous considérons que cette « marge de
disponibilité » est très rapidement réaffectée par la gestion relative à d’autres tâches qui ne
sont pas présentes en interprétation entre langues vocales comme celles liées à la gestion de
l’espace, ou bien celles concernant l’attention et la transmission de l’ensemble des Indications
Contextuelles, qui font partie de l’Effort de Production.
Nous observons que l’Effort de Mémoire et l’Effort de Production ont une composante
spatiale forte, due à la nature même de la langue des signes, et qui se manifeste en
interprétation vers la LS dans l’Effort de mémorisation et de gestion de l’espace sémantisé.
318
appelle une mise en espace plus créative : nous avons nommé Effort de Composition la
Construction d’Entités de Scénarisation et leur modélisation dans l’espace de signation. Cet
Effort de composition est une partie constituante de l’Effort de Production et le placement des
entités dans l’espace et leur mémorisation sont également constitutifs de la mémoire de
l’espace sémantisé. Cet Effort, qui est absent de l’interprétation entre langues vocales engage
une forte charge attentionnelle pendant l’Effort de Production. La contrainte de temps est
majeure dans sa réussite et nous observons que les chances pour que cette tactique soit
satisfaisante au regard de l’ensemble des paramètres de l’interprétation sont plutôt faibles.
Nous soulignons ici que la norme linguistique de la langue des signes telle qu’elle est
généralement envisagée en France par exemple se voit confrontée à la charge cognitive
requise pour la mise en place de cette tactique. Nous avons vu que dans près de cinquante
pourcent des occurrences de scénarisation de composition, la structure de la langue des
interprètes ne correspond pas à la langue telle qu’elle doit être, non pas par manque de
pratique des ILS, mais bien par une surcharge cognitive impliquant une dégradation de
l’interprétation (omission, structure plus linéaire, erreur de placement). Et pourtant cette
tactique est largement privilégiée. Nous pensons qu’il serait pertinent d’encourager la
recherche sur les normes régissant le langage de l’interprétation, dans la mesure où nous
avons mis en avant que la norme de la langue des signes dans sa forme dite strictement
iconique n’est pas toujours pertinente en situation d’interprétation.
Il nous semble également qu’en interprétation en langue des signes, une plus grande latitude
par rapport au discours original est tolérée qu’en interprétation entre langues vocales. En effet,
le recours aux nombreuses paraphrases engendrées par les tactiques discursives en LS
entraîne une implication très intéressante de l’interprète dans le discours dans la mesure où
nous avons mis en avant la grande part de la subjectivité de la compréhension de l’interprète
dans le discours produit. Le recours fréquent aux formes paraphrastiques de la scénarisation
ou aux explications qui permettent de « donner à voir » contribuent elles aussi à une plus
grande latitude de l’ILS envers le discours original.
Pour résumer notre transposition du modèle d’Efforts de la simultanée vers la langue des
signes nous pourrions dire que :
Effort de Réception : Nous ne notons pas de particularités vers l’interprétation en langue des
signes qui pourrait différencier l’ILS de l’ILV. Nous émettons toutefois l’hypothèse que dans
319
l’interprétation de la LS vers le français, la charge cognitive sur l’Effort de Réception est plus
grande que dans l’autre sens.
Effort d’auto-gestion dans l’espace : Nous ajoutons ici tout ce qui est relatif à l’espace de
travail de l’interprète et à la coordination et la gestion de son espace contextuel.
Le Modèle d’Efforts connait donc plusieurs éléments constituants liés au caractère visuel de la
langue des signes, au statut de la LS et des différentes contraintes qui lui sont propres.
L’approche empirique de notre travail nous a permis d’observer l’exercice dénué de ses
différentes considérations idéologiques. Nous pensons que le Modèle d’Efforts de
l’interprétation en langue des signes présente effectivement plusieurs composantes absentes
de l’interprétation entre langues vocales et qui sont celles que nous avons listées ci-dessus.
Nous espérons que cette analyse contribuera à une meilleure compréhension du processus de
l’interprétation en langue des signes et de son enseignement qui, nous le pensons, restent les
mêmes vers toutes les langues des signes.
La mise en perspective des recherches empiriques internationales nous a permis de nous situer
pleinement dans les problématiques actuelles et de nous y confronter. Nous pensons que les
différences de statuts de la LS et des interprètes ne nous ont pas empêchée de noter des
similitudes et des tendances communes entre la plupart des résultats publiés jusqu’ici et ce
que nous observons dans notre étude. Pour une connaissance plus complète de l’exercice, il
serait intéressant d’entreprendre des recherches empiriques sur l’exercice de l’interprétation
de la LS vers une langue vocale. Y aurait-il un travail de déconstruction d’entités de
scénarisation, de dépersonnalisation du discours ? Nous envisageons dans nos recherches
futures de poursuivre cette piste de travail qui nous permettrait d’avoir une vue d’ensemble de
l’exercice.
320
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330
331
8. Annexes
332
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1 Bon, on a encore une fois des espions ici, on est très content d’avoir des espions ici...
2 ESPIONS RANGÉE CONTENT
3 Transfert Personnel (TP)
4 Début Scénarisation
5 on va les faire souffrir...
6 TITILLER RIRE
7
8 Fin scénarisation Indication Contextuelle (IC)
9 Il manque des gens à l’appel ? Il y a quelqu’un qui est en train de draguer dans le métro ?
10 ABSENT PERSONNE QUI ? METRO
11 Directionnel
12
13 Monsieur Zinedine, non ?
14 DRAGUER MONSIEUR Z.I.N.E.D.I.N.E C’EST SUR
15
16 TP
17 Pardon ? Je ne comprends pas.....
18 METRO ….
19
20 Scénarisation / expression faciale
21 - Oui c’est vu avec Madame L., il a un empêchement personnel, il a du rester chez lui.
22 Mr Z LUI L PLACE DEMANDER S’IL
23 TP
24 Début Scénarisation Dialogique
25 - OK
26 VOUS PLAIT MAISON OBLIGATIONS D’ACCORD OK LUI
27 TP M.Z TP Mme L. TP Orateur
28 Fin Scénarisation
29 - Bon, écoutez, on va, on va commencer par... on va commencer par finir l’exercice qu’on
30 COMMENCER QUOI PROGRAMME EXERCICE
31
32
33 avait commencé de lecture critique sur l’article de Kunzli. Et puis ensuite on va continuer à
34 RAPPELER EXERCICE AVANT THÈME LECTURE CRITIQUE K.U. N.Z.L.I RAPPELLE
35
36
37 travailler sur les données. D’accord ? Puisqu’on avait, on avait commencé ce deuxième
38 DEUXIÈMEMENT INFORMATIONS TAS THÈME
39 Lab : données
40
41 semestre, en parlant des données, de l’importance des données. Je compte vous parler un petit
42 SEMESTRE COMMENCE DERRIÈRE DONNÉE INFORMATION ÇA
43 Pointage
44
45
333
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1 peu d’un problème, celui de la variabilité, qui est un problème très important dans les
2 IMPORTANT OBJECTIF VOUS ENVIE MOI THÈME
3
4
5 procédures de recherche empirique. Mais d’abord, euh, à propos de Kunzli. Donc vous vous
6 V. A. R. I. A. B. I. L. I. T. E LIEN PROCÉDURE RECHERCHE TOUCHE TOUCHE TOUCHE
7
8
9 rappelez de ce qu’il avait fait ? .... de son, son étude ?... c’était soit disant de voir quelle
10 THÈME PERSONNE K. U. N. Z. L. I RAPPELLE THÈME SON QUOI ? RECHERCHE SON QUOI ?
11
12
13 était... euh... quelles étaient les procédures d’acquisition d’informations chez les traducteurs...
14 LISTE PROCÉDURE INFORMATION VA CHERCHER COMMENT VOUS GROUPE PERSONNES
15 TP traducteurs
16 Scénarisation
17 et on avait vu un certain nombre de problèmes, vous vous rappelez un petit peu des problèmes
18 TRADUCTEUR MÉTIER VOUS PROBLÈMES NOTE RAPPELLE
19 TP
20 Fin scénarisation
21 qu’on avait vu ? Qui est-ce qui peut me rappeler les problèmes que l’on a déjà évoqués ?
22 SOUVENIR QUI ? LEVER LA MAIN QUI
23 TP élèves
24
25 - il a mélangé étudiants et professionnels…
26
27 POINTAGE
28
29 - Oui, alors ce que je vais vous demander de faire, comme nous avons parmi nous une
30 MÉLANGE PERSONNE PROFESSIONNEL ÉTUDIANT PROFESSIONNEL
31 Nouveau placement
32
33 personne sourde et on veut qu’elle puisse participer, bon et que l’interprète puisse bien
34 SOURD INTERPRÈTE ICI
35 TP TP
36 Scénarisation
37 travailler... que vous parliez un peu fort. D’accord ? Ok.
38 FAUT ENTENDRE VOIX FORT SVP MERCI
39
40
41 - Donc, il a fait une expérience, et malheureusement on a vu qu’il a mélangé deux catégories
42 OK MERCI K LUI TOUCHE QUOI RECHERCHE RÉSULTAT ÇA PROBLÈME
43 Pointage lab KUNZLI
44
45
334
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1 de sujets participants. Donc il y avait d’un côté les professionnels de la traduction et de l’autre
2 ORIGINE PERSONNE PERSONNE PENSE NIVEAU MÊME MÉLANGE PERSONNE
3 droite gauche
4
5 côté les étudiants... Donc ça c’était une faiblesse de...
6 PROFESSIONNEL PERSONNE ÉTUDIANT TRADUCTEUR MÉLANGE GROUPE MÊME ÇA
7 Droite gauche pointage
8
9 - Oui, donc quelle est... Pourquoi est ce que c’est un problème ? Pourquoi est-ce que mélanger
10 PROBLÈME POURQUOI ? PROBLÈME EXPRIME TOI ? ÇA VEUT DIRE PERSONNE
11
12
13 les professionnels et les étudiants c’est un problème quand on veut tirer des conclusions sur la
14 PROFESSIONNEL.. ÉTUDIANT PROFESSIONNEL JE MÉLANGE ÇA PROBLÈME POURQUOI,
15 TOI,
16 gauche droite
17
18 traduction professionnelle.
19
20
21
22 - Parce que la démarche ne semble pas forcément la même... donc on a conclu que ce n’était
23 GROUPE DÉMARCHE EUX ÇA MARCHE EUX PEUT ÊTRE
24 Gauche/ lab : démarche/ droite
25
26
27 pas... ce n’était pas... il fallait faire... peut-être il aurait mieux valu faire six professionnels...
28 MÊME NON POUR ÇA ELLE PEUT ÊTRE MIEUX SIX PARDON SIX
29 pointage gauche
30 IC : hésitation
31 - oui, c’est à dire que le principe c’est que de toutes façons l’échantillon était très petit, donc il
32 PERSONNE PROFESSIONNEL OUI LUI GROUPE TRÈS PETIT
33 Droite Pointage ORATEUR Droite
34
35 est difficile d’obtenir un échantillon représentatif, c’est à dire qui représente vraiment la
36 GROS NON GROS NON PETIT PETIT ALORS DIFFICILE
37 Gauche Droite Gauche
38
39 population. Et donc c’est encore, cela parait pas très raisonnable, de prendre… de... d’utiliser
40 ÇA ÉVIDENT NON COUVRIR ESPACE C’EST A DIRE
41
42 CNV : raisonnable
43
44 la taille de l’échantillon en deux... en prenant la moitié de l’échantillon qui ne représente pas
45 PETIT ÉCHANTILLON UN TOUT PETIT PLUS PETIT JE DIVISE ENCORE PLUS PETIT
335
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1
2 ILS : excusez moi pour l’interprète je n’ai pas vraiment compris les caractéristiques...
3
4
5 - Oui... d’accord... alors l’interprète me demande des renseignements pour bien transmettre le
6 TEXTE INTERPRÈTE ME DEMANDE INFORMATION, LSF COINCER
7 TP ORATEUR TP ILS
8
9 message à notre participant sourd. On essaye de... quand on essaye d’étudier un phénomène
10 POUR VOUS SOURD CLAIR
11 POINTAGE
12
13 par exemple quand on essaye d’étudier comment en l’occurrence... comment les traducteurs
14 JE PENSE PERSONNE RECHERCHE THÈME… PAR EXEMPLE
15
16 Tentative de scénarisation
17 recherchent les informations pour traduire des textes. Ce qui nous intéresse c’est la manière
18 PERSONNES RECHERCHE TRADUCTION PREPARATION
19
20
21 dont ils cherchent les informations de manière générale. Or quand vous prenez un texte
22 AVANT TEXTE TEXTE INFORMATION OU ? ENCHAINEMENT DANS LE TEMPS AVANT ÇA TRADUCTION ÇA INTÉRESSER
23 Pointage
24
25 seulement, précis, on se dit que peut-être que ce que l’on va trouver c’est quelque chose qui
26 RECHERCHE ÇA. GENERAL. TEXTE UNIQUE SPÉCIALISATION RÉSULTAT ÇA
27
28 Pointage
29
30 correspond à ce texte là, et pas nécessairement à d’autres types de textes. Parce que les autres
31 VARIABLE POUR TEXTE OUVERTURE NONRÉSULTAT ÇA
32 Pointage gauche élargissement main droite
33 pointage texte
34 Scénarisation
35 textes présentent peut-être d’autres problèmes. C’est bien ce que vous avez dit ? Oui ?
36 PAS ADAPTE PEUT ÊTRE AUTRE TEXTE PROBLÈME DIFFÈRENT.
37 Reprise mouvement élargissement main droite
38 scénarisation
39 Alors effectivement ce n’est pas un problème que l’on peut résoudre, parce qu’on pourrait
40 C’EST ÇA ? OUI
41 TP ORATEUR TP étudiante
42
43 dire la même chose... la même chose pourrait être dite à propos de deux textes, ou trois textes,
44 PROBLÈME ÇA IMPOSSIBLE DISPARAITRE EXEMPLE
45 MONTRE TEXTE TEXTE
337
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
338
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1
2 expliquer que dans ma combinaison linguistique je n’ai accès qu’à un petit échantillon, ou
3 BON BON MAIS EXPLIQUER ARGUMENT EXEMPLE MOI
4 TP
5 Début SCÉNARISATION
6 parce que je n’ai pas suffisamment de temps pour terminer la recherche en faisant quelque
7 SITUATION LINGUISTIQUE JE PEUX UNE PERSONNE
8
9
10 chose de plus important...ou parce que la recherche demande beaucoup trop d’argent et
11 OU UN TEXTE IMPOSSIBLE PLUSIEURS
12
13
14 l’argent disponible ne me permet pas de faire plus que ceci ou cela. Il faut donner une
15 EXPLIQUE EXPLIQUE OU CHER MOI FAUCHE
16 Fin TP
17 Fin scénarisation
18 explication. A partir de là on se dit, bon, vous avez fait ce que vous avez pu !
19 J’EXPLIQUE ÇA IMPORTANT. PROFESSEUR JE REGARDE JE SENS EFFORTS LA BON
20 Pointage TP professeur
21 Fin Scénarisation
22 Mais il y avait un autre problème avec ce texte.
23
24
25
26 - Oui il a voulu que les candidats travaillent dans une condition de /inaudible/ alors que en fait
27 AUTRE TEXTE PROBLÈME TEXTE
28
29
30 c’est plutôt une condition de travail qui est artificielle, c’est à dire...
31
32 pointage étudiante
33
34 - Oui, vous avez raison. Excusez-moi mais je posais d’abord une question sur le texte, a
35 PERSONNE TRAVAIL SITUATION RÉEL NON
36
37
38 propos du texte qui a été choisi. Là vous avez mentionné une autre difficulté.
39 LUI THÈME TEXTE ÇA LA AUTRE PROBLÈME ALORS
40 Pointage ORATEUR pointage texte
41
42
43 - Bien euh, sur le texte choisi, euh il est... en fait les... /inaudible/ terminologiques si on peut
44
45 Pointage locutrice TP
339
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1
2 dire, euh... la terminologie utilisée n’était pas vraiment spécialisée...
3 CHOIX TEXTE ÇA MOTS MOT MOT LECTURE
4 TP
5
6 - Oui, parce que le texte était trop général.
7 CIBLER NON
8
9 scénarisation
10 - Oui, donc il peut pas vraiment généraliser en ce qui concerne les textes spécialisés à la base
11 SPÉCIALISER NON TEXTE LA GENERAL
12
13
14 de ses données.
15 TEXTE GENERAL
16
17
18 - Oui, très bien, c’est très bien. Là aussi ça aurait pu se justifier. Il aurait pu dire dans
19 TEXTE JE CIBLE MOT GENERAL PAS ADAPTE SITUATION. QUAND MÊME
20 Pointage ORATEUR
21
22 l’exemple : c’est une étude de pionnier, c’est une des premières études en la matière, pour
23 PEUT K EXPLIQUER QUOI VOILA TEXTE PREMIER RECHERCHE POUR ÇA
24 TP KUNZLI
25
26 l’instant on ne sait rien, donc je préfère commencer par voir ce qui se passe pour un texte
27 VIDE AUTOUR MOI VOLONTAIRE PREMIER JE TOUCHE UN TEXTE
28
29
30 général avant de passer à quelque chose de plus spécialisé. Parce que je crains que si je
31 APRÈS OUVERTURE AUTRE TEXTE BON APRÈS PEUT ÊTRE SPÉCIALISER
32 PETIT A PETIT
33 Reprise du mouvement d’ouverture
34 commence par quelque chose de trop spécialisé, une fois de plus on risque de perdre de vue
35 DÉBUT SPÉCIALISER EFFORT ÉLARGIR
36 Reprise mouvement ouverture / inversé
37
38 les questions générales. Mais il ne l’a pas dit. Et du coup, puisqu’il ne l’a pas dit, et bien il est
39 APRÈS QUESTIONS GENERAL ÇA EXPRIME PAS DOMMAGE
40
41
42
43 critiquable. Donc pour vous c’est pareil, hein, les choix que vous faites, quand vous faites des
44 PEUT CRITIQUE K VOUS PAREIL
45 Directionnel KUNZLI
340
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1
2 choix il faut les expliquer. Si vous ne les expliquez pas, euh les critiques qui sont critiques par
3 MÉTHODE CHOIX PEUT APRÈS J’EXPLIQUE ARGUMENT.
4 TP vous
5 scénarisation
6 définition, vous savez ça fait partie un petit peu de l’attitude des chercheurs. Par définition les
7 SI CHOIX MÉTHODE J’EXPLIQUE PAS ATTITUDE CHERCHEUR MÉTIER
8 SON
9
10 gens dire : ah... les gens vont dire : Ah, attention, pourquoi ci, pourquoi ça, euh... c’est pas
11 ATTENTION
12 TP chercheur
13 scénarisation
14 expliqué... donc c’est pas bon ! Alors que si vous expliquez, ils peuvent dire : oui on est
15 ET POURQUOI AH BON PAS EXPLICATION POURQUOI LIER CRITIQUE PAS EXPLICATION
16 TP chercheur centre
17
18 d’accord ou pas d’accord, mais au moins vous aurez fait le premier pas. Tout ça ce sont des
19 SI VOUS J’EXPLIQUE JE DIS D’ACCORD OU PAS D’ACCORD PEUT EXPLIQUE FINI
20 TP étudiant TP chercheur
21 FIN scénarisation
22 petites choses qui sont assez importantes. Si jamais vous avez l’occasion d’assister à des
23 APRÈS FINI IMPORTANT IMPORTANT
24
25
26 soutenances... Donc des soutenances, vous savez ce que c’est que la soutenance Madame
27 PAR EXEMPLE VOUS PARTICIPE REGARDE PERSONNE PUBLIC S.U...N.A.N.C.E
28 TP
29
30 l’interprète ? Vous savez ce que sont des soutenances ?
31 INTERPRÈTE SAIT S. O. U. T. E. N. A. N. C. E. QUOI ?
32 TP ORATEUR
33
34 ILS non
35
36
37 D’accord. Donc les soutenances sont des examens euh... qui sont prévus pour les gens qui ont fait un
38 INTERPRÈTE SAIT PAS J’EXPLIQUE
39
40 ILS GÊNÉE
41
42
43 mémoire ou une thèse. Donc ce sont des examens en public, par un juré de plusieurs
44 ÇA EXAMEN PERSONNE PREPARATION MÉMOIRE MÉMOIRE THESE PUBLIC DEVANT
45 TP situationnel
341
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1
2 personnes, un jury de plusieurs personnes excusez-moi. Et les soutenances, les soutenances de
3 BEAUCOUP JURY POUR ÉVALUATION
4 TP thésard
5
6 thèse de doctorat sont des examens publics. Et donc c’est assez intéressant pour les gens qui
7 THESE DOCTORAT PUBLIC PUBLIC ASSISTE PERSONNE MÉMOIRE PRÉSENTE
8
9
10 sont dans la recherche, qui font de la recherche, parce que, ils peuvent voir quelle est le genre
11 PUBLIC INTÉRESSANT VOUS SITUATION RECHERCHE
12 Lab : soutenance
13 Scénarisation Conceptuelle « soutenance »
14 de questions que l’on pose à ceux qui viennent soutenir leur thèse. Et vous verrez que très
15 VOUS COMPARER PUBLIC OU CHERCHEUR VOIR QUESTION PEUT
16 Reprise espace signation précédent
17
18 souvent, on pose des questions, euh... auxquelles le candidat a des réponses. Et on lui
19 MÊME. RECHERCHE QUESTIONS ANALYSE VOUS INTÉRESSANT
20
21
22 reprochera non pas d’avoir fait ce qu’il a fait, mais on lui proposera, on lui reprochera de
23 PERSONNE SITUATION EXAMEN SON QUESTIONS PRÊT RÉPONDRE
24 TP thésard
25 Scénarisation Induite
26 n’avoir pas expliqué pourquoi il l’a fait. Donc ça revient à la même chose. Donc essayez de
27 PROBLÈME LA LUI THÈME EXPLIQUE AH BON PAS LA
28 TP thésard TP jury
29 SCÉNARISATION
30 penser à ça. Normalement votre directeur de recherche devrait vous orienter là-dessus, vous
31 PEINE QUESTIONS CRITIQUE LA. NORMALEMENT
32
33 Fin scénarisation
34 dire : attention, là vous n’expliquez pas pourquoi ceci cela. Si jamais il ne le fait pas, euh, on
35 DIRECTEUR RECHERCHE GUIDE PEUT ÊTRE SI
36
37
38 risque de vous poser la même question après. Mais essayez d’y penser vous même. Ok, quoi
39 FAIT PAS S’IL VOUS PLAIT ARGUMENT VOUS-MÊME MIEUX PENSER SEUL IL FAUT QUE
40 TP ÉTUDIANTS
41
42
43 d’autre...
44 J’EXPLIQUE
45
342
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1
2 Alors mademoiselle LIU, vous aviez parlé d’autre chose, de d’autres types de problèmes.
3 AUTRE ? MADEMOISELLE V.U PARDON V.I.U
4
5
6 - Oui mais c’est pas sur le texte, c’est sur…
7 AUTRES PROBLÈMES TOUT A L’HEURE ÇA
8
9
10 - Oui ça y est…Allez-y…
11 ALLEZ Y MERCI
12 Pointage ORATEUR Pointage LOCUTRICE
13
14 - En fait l’auteur a voulu que les candidats travaillent dans une condition normale, c'est-à-dire
15 …
16
17
18 les conditions euh… avec les méthodes, avec les sources, avec les dictionnaires qu’ils ont
19 …
20
21
22 coutume d’utiliser. Mais en fait pendant le texte, vous dire, pendant la traduction, pendant le
23 ÉCRIRE TEXTE K PARDON K LIRE TEXTE VA CHERCHER
24 DICTIONNAIRE
25 TP traducteur
26 scénarisation
27 processus de traduction, les traducteurs travaillaient, ne travaillaient pas dans la condition
28 ANALYSE MÉTHODE TRADITIONNELLE MÊME
29
30
31 qu’ils ont, qu’ils avaient l’habitude de faire.
32 PERSONNE LUI TRADUCTEUR PI LA MÉTHODE DIFFÉRENTE
33 Droite
34 Fin scénarisation
35 - C’est ça. Euh… et ça c’est pour assurer une bonne validité écologique. Vous vous rappelez ?
36 LA HABITUDE MÉTHODE DIFFÉRENTE LA
37 Pointage gauche pointage droite
38
39 L’idée c’est que pour pouvoir tirer des conclusions valables sur ce qui se passe dans la réalité,
40 RAPPELER … ÇA VEUT DIRE MÉTHODE ÇA QUOI… RECHERCHE THÉORIE SITUATION VRAI
41 Pointage méthode gauche droite
42 Scénarisation Conceptuelle / Périphrase
43 il faut que les conditions en laboratoire, c'est-à-dire pendant l’expérience, puissent être
44 LIEN ÇA MOT E.C.O.L.O.G.I.Q.U.E VA VEUT DIRE QUOI LABORATOIRE DEDANS TOUCHE
45 TOUCHE
343
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1 centre
2 Scénarisation Induite
3 également extrapolées, ou puissent être considérées comme représentatives des conditions
4 TOUCHE SENS FINI PEUT DIFFUSER MÊME EXTÉRIEUR LABORATOIRE MARCHE MARCHE
5 Circulaire extérieur
6
7 dans la réalité, ou au moins qu’il n’y ait pas de contradictions. Et là, euh, effectivement, il a
8 MARCHE PROCHE COMME SITUATION VRAI ? NON, PAS ADAPTE NON, ÉCART SITUATION NON
9
10 Fin scénarisation
11 mis des gens, il a mis un observateur à coté d’eux… Donc vous voyez, vous êtes en train de
12 CONTRAIRE OUI ADAPTE BIEN ÇA VEUT DIRE PERSONNE LECTURE
13 TP
14 Scénarisation Induite
15 traduire et puis il y a quelqu’un qui est là derrière et qui vous espionne sans arrêt. Peut être
16 LECTURE QUELQU’UN DERRIÈRE MOI LUI QUI
17
18
19 que vous ne travaillez pas tout à fait de la même manière, donc on se dit qu’il y a un problème
20 JE REGARDE JE TRAVAILLE TRADUIRE TRADUIRE J’OBSERVE COMME ESPION PEUT-ÊTRE
21 TP observateur TP traducteur TP observateur Centre
22
23 Fin Scénarisation
24 éventuel de validité écologique.
25 TRAVAIL MÉTHODE DIFFÉRENTE. ÇA VEUT DIRE SITUATION VRAI CORRESPOND OUI NON SAIT PAS.
26
27 Scénarisation Conceptuelle antérieure réutilisée et réduite
28 En plus il a mis en œuvre une technique de TAP. Vous vous rappelez ?
29 PEUT-ÊTRE PROBLÈME MARCHE PAS
30
31 Scénarisation / CNV : conditionnel
32 Verbalisation à voix haute. Donc… qu’il n’explique pas très bien d’ailleurs. Parce
33 RAPPELER TECHNIQUE T.A.P JE LIS INTÉGRER TEXTE MUET NON PARLER APRÈS VOIX
34 TP traducteur
35 Scénarisation Induite
36 qu’on ne sait pas où elle intervient, et comment…euh…il l’exploite. Mais ça veut dire que
37 VOIX VOIX AUTRE DERRIÈRE J’ENTENDS ÇA S’APPELER T.A.P
38 TP observateur Pose sur la droite
39 Fin Sc.
40
41
42
43 non seulement vous avez besoin de traduire, et il y a un observateur derrière vous qui n’arrête
44 ÇA VEUT DIRE
45
344
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1
2 pas de vous espionner, et de plus, vous êtes obligé de parler pendant que vous traduisez. Et du
3 VOUS IL FAUT TRADUIRE EN PLUS LUI REGARDE PROCHE ESPION. EN PLUS TRADUIRE VOIX LUI
4 TP observateur
5 Scénarisation
6 coup, on a, on peut vraiment avoir beaucoup de doutes sur la validité écologique de la
7 OBSERVE ENTEND MA VOIX
8 TP observateur
9 Fin scénarisation.
10
11 procédure. Alors quand vous employez une méthode comme ça, et qu’il y a des
12 DOUTE LABORATOIRE RECHERCHE FINI MARCHE EXTÉRIEUR SITUATION VRAI MARCHE MÊME ?
13 TP : nous
14 Scénarisation
15 doutes sur la validité écologique, ça ne veut pas dire que vous n’avez pas le droit de l’utiliser.
16 DOUTE VALIDER E. C. O. L. O. G. I. Q. U. E. NE SAIT PAS
17
18
19 D’accord ? Ça veut dire simplement que si vous choisissez de l’utiliser parce qu’elle présente des
20 …
21
22
23 avantages, vous expliquez pourquoi. Par exemple, il y a eu des critiques contre la méthode du
24 … EXEMPLE
25
26
27 TAP pour telle et telle et telle raison, mais d’après untel, untel, untel, untel, euh… on estime
28 MÉTHODE VOTRE T. L. PARDON T. A. P MÉTHODE LA SENTIR MARCHE ÇA MOYEN PEUT PEUT
29 Pointage droite + gauche
30
31 maintenant que les avantages sont telle et telle et telle chose, et c’est pour cela que j’ai choisi
32 PRENDRE MAIS EXPLIQUER ARGUMENTS LUI DIT ÇA LUI DIT ÇA LUI DIT ÇA
33 AVANTAGE LA
34 Pointage+TP pointage+TP Pointage+TP
35
36 de l’utiliser, euh d’employer cette méthode moi aussi. Donc moi que vous fassiez hein,
37 INCONVÉNIENTS ÇA POUR ÇA CHOIX MÉTHODE CHOIX LA T.A.P POUR ÇA.
38 TP chercheur
39
40 quelque soit la méthode que vous allez choisir, cette méthode aura nécessairement des limites,
41 MÉTHODE PI PI PI VEUT DIRE TOUTES MÉTHODE
42 DIRECTIONNEL élèves
43
44 il y aura certainement des inconvénients. Donc le problème c’est pas de trouver la méthode
45 LIMITE ÇA VEUT DIRE INCONVÉNIENT IL Y A TOUJOURS
345
Corpus numéro 1 durée 13 mn 46 s
1
2
3 parfaite, ça n’existe pas.
4 MÉTHODE PARFAIT IL Y A ? NON
5
6
7
8 Relais
9
10
11
346
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
347
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1 comment dire les résultats sont, comment dire, il est vrai que c’est un peu évasif de les faire…
2 DIFFICILE EXPLIQUER
3
4 Indication Contextuelle (l’orateur cherche ses mots)
5 - D’accord. Vous pouvez nous expliquer ce que sont les textes parallèles ?
6 PEUT EXPLIQUER
7 Pointage
8
9 - Les textes parallèles ? Euh… je dirais qu’il sont des textes du même domaine, que le
10 TEXTES PARALLÈLES P. A. R. A. L. L. E. L. E. S. QUOI MOT VEUT DIRE ?
11 Pointage étudiante
12
13 domaine auquel appartient le texte traduit, et qui…
14 ÇA EXEMPLE TEXTE TEXTE ÇA TRADUIRE AUTRE TEXTE
15 Droite gauche
16
17 - En quelle langue ?
18 TEXTE AUTRE MÊME THÈME
19
20
21 - Pardon ?
22
23
24 - Dans quelle langue ?
25 LES DEUX
26
27
28 - La même je dirais...
29 LANGUE QUOI
30 Placement Orateur
31
32 - Laquelle, du texte de départ ou du texte d’arrivée ?
33 MÊME LANGUE TEXTE LA…. TEXTE DÉPART OU TEXTE LA TRADUIT
34 Placement orateur étudiante Placement Orateur gauche droite gauche
35 IC l’interprète replace dans l’espace « texte départ » et « texte d’arrivée »
36 - Euh, je sais pas. Les deux ? peut-être ça dépend de ce qu’on cherche aussi.
37 SAIS PAS LES DEUX PEUT ÊTRE
38 Lab : ça dépend
39 IC l’interprète signale l’hésitation/ perdue dans ses emplacement
40 - D’accord.
41 D’ACCORD
42 Placement Orateur
43
44
45 - Autre étudiante : ça peut être dans les deux langues.
348
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1
2 Donc on essaye de voir quels sont les autres textes dans le même domaine pour savoir
3 PEUT DEUX LANGUE ESSAYER VOIR TEXTE
4 Pointage intervenante Pointage Orateur, nouveau placement
5
6 comment les gens écrivent, quels sont les termes qui sont employés, etc. D’accord ? Donc
7 TEXTE COMPARER VOIR TEXTE MOT MOT MOT
8 droite
9 IC sourire
10 c’est pour ça qu’on appelle ça les textes parallèles. Ce sont des textes qui ressemblent un
11 MOT MÊME OUI NON ?
12
13
14 petit peu au texte à traduire. Oui. Et l’avantage c’est quoi ?
15 COMME MOT PARALLÈLE MÊME A PEU PRÈS MÊME.
16
17
18 - Des textes parallèles ?
19 AVANTAGE QUOI ?
20
21 - Oui.
22
23
24 - Je pense que c’est plus facile…. de saisir et d’utiliser la technolecte et le langage que
25 SENS FACILE
26
27 Pointage étudiante IC (cherche ses mots) IC idem
28 toutes les personnes de ce domaine utilisent...
29 EXEMPLE LANGUE PI
30 IC l’interprète ne comprend pas l’accent
31 - tout a fait, on voit comment les gens écrivent et on voit comment on peut s’adapter à ce
32
33
34 style.
35 FAUT VOIR LANGUE PI ELLE FAUT ESSAYER ADAPTER
36 Pointage Orateur droite
37
38 - Et vous alors, votre reproche, c’est quoi ?
39 STYLE PI MÊME COPIER ÉCRIRE ESSAYER
40 Droite
41
42 - une fois qu’il est mis à la disposition de traducteurs qui participent à cette expérience,
43 SI
44
45
349
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1
2 c’est comme si on dit que…bon moi je pense que c’est vraiment important donc… ça va
3 TEXTE TRADUIT, TRAVAIL TRADUIRE PERSONNE TRADUIRE OUI TRAVAIL TRADUIRE
4 Gauche labialisé PROPOSER
5
6 bien si vous voulez les utiliser. Et je pense que le fait que tous les traducteurs
7 SENTIR IMPORTANT FAUT ESSAYER COPIER IMPORTANT. MON AVIS SI
8 PERSONNE
9 De droite à gauche gauche
10
11 professionnels l’ont fait, c’est parce que…
12 PERSONNE
13 Droite
14 IC ébauche placement « professionnels» et réutilisation de l’emplacement de l’interprète précédant.
15 - fait quoi ?
16 TRADUIRE PROFESSIONNEL TOUCHE DÉJÀ
17
18
19 - Eux ils ont utilisé tous les textes parallèles c’est parce qu’ils se sont sentis obligés de le
20 MÉTHODE TEXTE PARALLÈLE MÉTHODE BON
21
22
23 faire.
24 SENTIR
25
26
27 - Est- ce que vous en êtes sûr de ça?
28 OBLIGER
29 Lab : forcer
30
31 - non, je dis que c’est ce qu’il me parait possible.
32 SENTIR SUR ? NON MOI SENTIMENT POSSIBLE
33 Positionnement Orateur pas de changement d’orateur signalé
34
35 - D’accord, OK, donc c’est une possibilité.
36 OK POSSIBLE
37 Décalage gauche
38
39 - Oui.
40
41 IC hochement de tête / pointage
42 Autre étudiante :
43 - Pour les textes parallèles si j’ai bien compris, il y en avait un seul texte parallèle qui
44 SI COMPRIS
45 Pointage locuteur
350
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1
2 était en allemand. Déjà.
3 TEXTE PARALLÈLE UN TEXTE ALLEMAND LANGUE
4 Droite
5
6 - Donc, l’Allemand c’était la langue de départ ou en langue d’arrivée ?
7 ALLEMAND
8
9
10 - En langue d’arrivée.
11 DÉPART ? ARRIVÉE ?
12 Droite gauche
13 IC affirmation sur « arrivée »
14 - langue d’arrivée.
15 OUI TEXTE TRADUIRE ALLEMAND LANGUE
16 Pointage gauche
17
18 - Et c’était une association similaire qui était mise en place, je ne me souviens plus très
19
20
21
22 bien…mais dans une ville germanophone, et si je me souviens bien pas tous les
23
24
25
26 traducteurs l’ont consulté.
27 OUBLIER PRÉCIS VILLE PI VILLE LANGUE ALLEMAND SAIS PAS PERSONNES TRADUIRE TOUS
28
29
30 Tout le monde parle en même temps.
31 JE VOIS
32 Pointage et regard droite
33
34 - Excusez-moi je pose juste une question à l’interprète : Vous arrivez à entendre tout le
35 PARDON QUESTION
36
37 IC : grand décalage gauche directionnel sur interprète
38 monde ou est-ce que vous voulez que l’on parle un peu plus fort ?
39 ENTENDRE BIEN CHACUN VOIX ?
40 M.droite M.gauche
41
42 - ça va.
43 ÇA VA
44
45 IC signe et parle simultanément, regard Orateur
351
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1
2 - Merci.
3 MERCI
4 IC l’interprète se replace au centre
5
6 - sur ce qu’on a dit, je pense que ce sont seulement les traducteurs professionnels qui ont
7 J. U. L. I. A. INTERVENTION EXPLIQUE MON AVIS
8 Pointage locutrice
9 IC désignation locuteur
10 utilisé les textes parallèles. C’est pour cela que je dis que je pense que probablement
11 PERSONNES TRADUIRE PROFESSIONNEL PI MÉTHODE TEXTE PARALLÈLE MON AVIS
12 Pointage droite
13
14 c’est un peu… comment dire… parce que eux ils risquent de … leur…
15 POUR ÇA
16 pointage locutrice
17
18 - leur réputation ?
19 EUX COMME TRAVAIL CONNU
20 Pointage droite
21
22 - la réputation oui, si ça ne marche pas. Si le, si le, comment dire… si ils n’utilisent pas
23 COMME BON TRAVAIL PI SI SENTIR
24
25
26 les textes parallèles qui sont considérés comme ressource…
27 MÉTHODE PAS ADAPTÉE COMME SE RETIRER
28
29
30 - D’accord. Il y a autre chose aussi, c’est que le texte parallèle en question a été fourni.
31 OUI AUSSI
32 Pointage Orateur
33
34 Est-ce que les traducteurs seraient tombés sur ce texte parallèle là, s’ils avaient une
35 TEXTE PARALLÈLE ÇA DÉJÀ PROPOSER EUX COMME PERSONNE
36 Placement droite directionnel droite
37 Scénarisation Induite
38 démarche tout à fait naturelle et spontanée comme dans la vie ? Je ne suis pas sûr. Il
39 TRADUIRE MOI TEXTE PI TROUVE MOI-MÊME SEUL COMME VIE. PEUT
40 Droite
41 Fin scénarisation
42 leur fourni des outils particuliers. C’est quelque chose qu’on peut faire dans
43 ÊTRE TROUVE NON. PERSONNE PROFESSIONNEL PROPOSER
44 Droite directionnel gauche
45
352
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1
2 l’expérimentation à un stade ultérieur. Là on se dit : tiens est-ce qu’il va utiliser tel texte
3 MOI AIDE ÇA NORMALEMENT EXPÉRIENCE TOUCHE TOUCHE PEUT
4 TP
5 Scénarisation Induite
6 ou plutôt tel autre texte ? au départ on pose des questions très générales sur les
7 ÊTRE PLUS TARD TEXTE PI OU TEXTE PI PI SAIS PAS DÉPART PENSE COMME GENERAL
8 Gauche droite droite TP
9
10 méthodes d’acquisition des connaissances et on ne sait pas très bien comment ça va se
11 COMMENT INFORMATION VENIR COMMENT ?
12 Multidirectionnel
13
14 passer.
15
16
17 Fin scénarisation
18 - Mais en rejoignant ce point là, c’est justement en parler de l’explication de l’expérience
19 ON NE SAIT PAS COMME
20 TP : on Pointage locutrice
21
22 aux participants. Et en parler justement, c’est un petit peu ça. Et aussi de trop leur
23 PERSONNE EXPÉRIENCE PARTICIPER MOI J’EXPLIQUE ÇA PEUT-ÊTRE EXPLIQUER INFORMER
24 droite TP
25
26 expliquer…
27 TROP
28
29 Fin scénarisation dialogique Induite.
30 - Vous voulez bien préciser ?
31
32
33
34 - Oui, donc on se demandait aussi si une faiblesse de l’expérience n’est pas, justement…
35 PRÉCISER ? MOI ME DEMANDE SI EXPÉRIENCE
36 Pointage Orateur TP locutrice
37
38 non c’est une faiblesse quand on explique trop aux participants de quoi il s’agit
39 LIMITE [MUR] PROBLÈME SI AVANT EXPLIQUE
40 Placement gauche
41 Référence précédente scénarisation
42 l’expérience.
43 PROFONDEUR ÇA VEUT QUOI
44
45
353
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1
2 - Oui, si on explique, si on explique aux participants les objectifs de l’expérience.
3 EXPÉRIENCE PROFONDEUR OUI SI EXEMPLE
4 Placement Orateur
5
6 - Exactement.
7 EXPÉRIENCE
8
9
10 - Pourquoi ?
11 OBJECTIF EXPLIQUE PROFONDEUR
12
13 Reprise placement scénarisation précédente
14 - Parce qu’ils vont changer leur comportement.
15 M’EXPLIQUER
16 TP traducteur
17 Scénarisation Dialogique Induite
18 - Parce qu’ils risquent, ils risquent de changer de comportement en fonction des
19 COMME ENSUITE J’INTÈGRE ET ADAPTE
20 TP
21
22 objectifs ! Alors que s’ils ne savent pas, euh, ils vont peut-être changer de comportement
23 OBJECTIFS LUI. SI JE NE SAIS PAS PEUT
24 Droite TP participants
25
26 de toutes manières. Moi je sais très bien, je vois, quand j’étais étudiant, euh, j’étais la
27 ÉVOLUER COMPORTEMENT NATUREL. EXEMPLE MOI AVANT
28 TP Orateur
29 Fin Scénarisation Dialogique Induite
30 victime consentante d’étudiants en psychologie. Vous savez les étudiants en psychologie
31 ÉTUDIANT JUSTE PERSONNE ÉTUDIANT
32 Droite
33
34 en première année et en deuxième année ils ont besoin de faire beaucoup d’expériences
35 PSYCHOLOGIE PREMIERE ANNEE DEUXIEME ANNEE
36
37
38 pour apprendre à faire des expériences donc ils cherchent des étudiants partout qui
39 FAUT EXPÉRIENCE EUX APPRENDRE JE CHERCHE UN AUTRE ÉTUDIANT VIENT
40 Pointage droite TP étudiant
41 Scénarisation simple
42 leur servent de victimes. Et je sais très bien comment ça se passe. Chaque fois que vous
43 PARTICIPER MON EXPÉRIENCE A MON TOUR
44
45
354
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1
2 entrez quelque part on vous dit de faire telle ou telle chose, de vous rappeler des mots,
3 MOI JE SAIS POURQUOI ? SOUVENT
4
5
6 d’identifier quelque chose etcétéra. Et puis vous vous demandez : mais qu’est-ce qu’il
7 JE RENTRE BUREAU ON ME POSE QUESTION MOT MOT TROUVER OUI NON QUESTION
8 TP Orateur scénarisé
9
10 cherche vraiment ? C’est quoi le but de l’opération ? Et qu’est ce que je vais faire ? Et
11 POURQUOI EXACTEMENT ? OBJECTIF QUOI ? EN MOI ESSAYER
12 ADAPTER
13
14
15 en plus ils sont très sympathiques, on leur dit d’être sympathique certainement, et, bon,
16 QUOI FAIRE ÇA. GENTIL PEUT ÊTRE AUTRE PERSONNE
17 Pointage droite étudiants psycho
18
19 moi je voudrais bien rendre service à cette personne, et moi je voudrais bien donner
20 ORDONNER EUX GENTILS PEUT ÊTRE MOI VEUX AIDER VEUX
21 AIDER
22 Pointage droite directionnel droite droite
23 début
24 l’image de quelqu’un d’intelligent etcétéra. Bon avec moi ça marche pas c’est pour ça
25 MOI JE PENSE COMME INTELLIGENT MARQUER FRONT
26 Regard droite (sur placement étudiants)
27 scénarisation
28 que j’ai fini par mettre des lunettes pour me donner l’air plus intelligent. Je sais pas si
29 ÇA MARCHE PAS POUR ÇA J’AI MIS LUNETTES
30 TP Orateur
31 Scénarisation Courte Induite dans scénarisation plus globale
32 j’ai l’air plus intelligent mais avec d’autres ça marche… et donc on essaye de faire des
33 PLUS FACILE INTELLIGENT C’EST ÇA INTÉRIEUREMENT
34
35
36 choses qu’on ne ferait peut-être pas dans la vie. Vous avez parfaitement raison. Donc le
37 COMME PRÊT VEUT ADAPTATION SI
38 Directionnel droite étudiants
39
40 fait qu’il ait expliqué les objectifs de l’expérience avant l’expérience… On se dit que
41 AVANT EXPLICATION IL N’Y A PAS EXPRESSION NATUREL . SI ÇA SITUATION MÊME
42 TP
43
44 bon… il dit aux participants « nous allons étudier la manière dont vous faites de la
45 AVANT EXPLIQUER SUR EXPÉRIENCE ÇA.
355
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1 TP Chercheur
2 recherche documentaire ». Peut être que tant les étudiants que les professionnels se sont
3 AVANT MOI JE REMARQUE VOIR OBJECTIF VEUT DIRE COMME
4 TP chercheur
5 scénarisation
6 dit inconsciemment : « eh bien puisque c’est comme ça, je vais montrer combien je suis
7 ÉVALUATION COMMENT RECHERCHE DOCUMENT TEXTES MOI DEDANS VEUT MONTRER
8 TP cobaye
9
10 sérieux, combien je suis professionnel, je vais me servir de tout ça… » Donc ça peut
11 SÉRIEUX PROFESSIONNEL JE VEUX MONTRER
12 Directionnel Chercheur
13 Fin scénarisation
14 changer les… ça peut changer un petit peu les comportements… Je pose une question
15 ÇA PEUT DEDANS ÉVOLUER/CHANGER ADAPTER
16 Directionnel chercheur
17 Fin scénarisation
18 très générale : Mais est-ce que du fait que ça change les comportements, est-ce que ça
19 QUESTION GÉNÉRALE
20
21
22 veut dire que toutes les informations qu’on a glanées durant l’expérience sont à mettre à
23 COMPORTEMENT CHANGE SI EXPÉRIENCE INFORMATION INFORMATION
24
25
26 la poubelle ? Ou est-ce qu’on peut en garder quelques unes quand même ?
27 JETER PAS LA PEINE OU NON
28 CNV / TP Chercheur
29 Scénarisation courte
30 - Si on peut, mais on ne sait pas lesquelles et à quel degré elles sont objectives.
31 IMPORTANT GARDER PEUT MAIS SAIS PAS INFORMATION PI ÇA OUI ÇA
32 NON
33 Pointage oratrice TP chercheur
34
35 - Oui, ça c’est assez important. Que ce soit pour des raisons de faisabilité, que ce soit
36 ON NE SAIT PAS ÇA IMPORTANT OUI MOI INFORMATION PAS BESOIN
37 Placement Orateur TP
38 Scénarisation
39 pour d’autres raisons, peut être parce que vous avez fait une erreur, il y a toujours des
40 J’AI OU PEUT ÊTRE MOI TROMPE
41 pointage expérience droite
42 CNV
43 limites à une recherche empirique en fait. Mais, de ce fait là se dire que de toute façon
44 OU TOUJOURS PAR EXEMPLE TOUCHE RECHERCHE J’AI LIMITE POSITIF NÉGATIF OUI NON
45
356
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1
2 les données que j’ai recueillies ne valent rien, c’est pas une bonne méthode. On
3 MAIS INFORMATIONS ÇA PAS LA PEINE METTRE
4
5 CNV
6 dit simplement: voilà les données que j’ai recueillies, et je ne peux en faire que telle et
7 COTE NON MÉTHODE dangereuse MAUVAISE INFORMATION JE REGARDE
8 LIRE
9 Erreur de signe, autocorrection TP
10 Scénarisation Induite
11 telle chose. Par exemple il y a peut être certaines, certains comportements dont on n’a
12 OUI PEUT INTÉRESSANT OUI. PAR EXEMPLE
13
14
15 pas de raison de penser…bon c’est un petit peu compliqué comme structure de phrase
16 COMPLIQUER PHRASE
17
18
19 mais, on n’a pas de raison de penser qu’elle serait différente dans d’autres
20
21
22
23 circonstances. C'est-à-dire on pense que les gens se comporteraient de la même manière
24 COMPORTEMENT ÇA PERSONNE COMPORTEMENT
25 gauche
26 CNV
27 même s’il n’y avait pas les faiblesses qu’il y a ici. Certaines choses. Par exemple si on
28 AUTRE SITUATION MÊME PEUT QUESTION NE PAS SAVOIR LA
29 Droite gauche
30
31 constate que tous les traducteurs au bout de cinq minutes eh bien, ils ne tiennent plus en
32 PAS ADAPTER LA NON MÊME PEUT ÊTRE NON EXEMPLE
33 Droite regard centre
34
35 place, et ils ont besoin d’aller boire une bière ou bien, de regarder la télévision ou bien
36 PERSONNE TRADUCTEUR IL TRAVAILLER CONCENTRER BESOIN D’AIR SORTIR
37 TP
38 Scénarisation Induite
39 d’aller sur internet ou je ne sais quoi. On se dit : tiens, ça c’est intéressant. A priori je ne
40 ALLER INTERNET TÉLÉVISION PAR EXEMPLE ÇA COMPORTEMENT
41 TP chercheur pointage scénarisation droite
42
43 vois pas pourquoi ce serait lié au fait que j’ai choisi tel texte, et au fait qu’ils sont obligés
44 INTÉRESSANT MOI TEXTE ÇA ME DONNE FATIGUE
45
357
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1
2 de parler à voix haute etcétéra. Donc je me dis, tiens, voila une information intéressante,
3 QUESTION OU MÉTHODE
4
5
6 une donnée intéressante que j’ai recueillie et c’est peut-être quelque chose de général. Et
7 T. A. P NE SAIS PAS ÇA INFORMATION ÇA PEUT ÊTRE PI ICI
8 Gauche
9
10 il y a d’autres questions, par exemple la fréquence relative d’utilisation des dictionnaires
11 METTRE SUR LA DROITE GENERAL MÊME PEUT ÊTRE AUSSI PAR EXEMPLE
12 Droite est l’expérience
13
14 et des textes parallèles, etcétéra. On se dit là, on ne sait pas. On ne sait pas si on peut
15 DICTIONNAIRE SOUVENT SOUVENT BESOIN MÉLANGE
16
17 CNV
18 vraiment considérer que ces données là soient représentatives de la réalité. Donc, ces
19 PI ICI MÊME VRAI SITUATION
20 Gauche déplacement droite
21
22 données existent, on peut les présenter. Mais il faut les présenter avec un degré de
23 MÊME JE NE SAIS PAS ÇA INFORMATION
24 Regard centre pointage gauche/informations
25
26 circonspection, c’est-à-dire un degré de prudence qui est variable selon les
27 LA LA LA MAIS FAUT REGARD RECUL ATTENTION JE VOIS MES DONNÉES
28 TP
29 Scénarisation
30 circonstances. Par exemple Mademoiselle M..., si vous avez un petit échantillon de
31 SUIVANT SITUATION SITUATION PEUT VARIABLE EXEMPLE VOUS SI EXEMPLE
32 Droite gauche pointage Mlle M…
33
34 traducteurs Iraniens du Petit Prince et que vous trouvez certaines caractéristiques,
35 PERSONNE TRADUIRE GROUPE GROUPE EUX ORIGINE I. R. A. N SENTIR PI
36 gauche Large petit
37
38 euh… peut-être que les caractéristiques sont dues à quelque chose de particulier à ces
39 PEUT ÊTRE
40
41
42 traducteurs là et cela ne s’applique pas de manière générale à l’ensemble des
43 PI PI PI PERSONNE TRADUIRE PI
44 Placé sur les traducteurs gauche gauche
45
358
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1 quelle mesure vous êtes conscient ou consciente des problèmes et limites de ce que vous
2 MOI JE PENSE SENS PROBLÈMES PI IL FAUT
3
4
5 faites. Bon, quoi d’autres ?
6 ENQUÊTE ÇA VA ? AUTRE ?
7
8
9 - Aussi question de validité. C’est que tout le monde, tous les participants vient d’un
10 QUESTION VALIDER PERSONNES
11 Pointage oratrice
12
13 seule école de traduction. Qui est l’école de Genève, l’ETI, et donc ça ne permet non plus
14 PARTICIPER PERSONNES TRADUIRE ORIGINE MÊME G. E. N. E. V. E. ÉCOLE UNE
15 Reprise placement début gauche
16
17 de généraliser pour tous les traducteurs parce que par exemple… les traducteurs à
18 IMPOSSIBLE PAR EXEMPLE
19
20
21 l’ESIT, ils font autre chose et je sais pas.
22 ICI ESIT PEUT ÊTRE TRAVAIL MÉTHODE DIFFÉRENTE
23 droite
24
25 - tout à fait. Quand vous avez un échantillon de traducteurs qui viennent tous de la
26 IMPOSSIBLE GÉNÉRAL MÊME NON JUSTE SI ÉCOLE VENIR PERSONNE
27 Circulaire Placement Orateur droite
28
29 même école de traduction, soit ils y sont encore étudiants, soit ils sont diplômés de cette
30 TRADUIRE VENIR MÊME LA ÉTUDIANT CONTINUER OU DIPLÔME FINI
31 Droite
32
33 école. Il n’est pas exclu, mais cela on ne peut pas l’affirmer, il n’est pas exclu que leur
34 IMPOSSIBLE DÉCIDER NON
35 Pointage droite
36
37 manière de travailler, notamment en ce qui concerne la recherche d’information, soit
38 PEUT ÊTRE TRAVAIL MÉTHODE PAR EXEMPLE
39
40
41 liée à une formation spécifique qu’ils ont eu dans cette école qui n’est pas
42 RECHERCHE INFORMATION COMME TYPIQUE FORMATION COURS
43 Droite
44
45
360
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
1 nécessairement la même qu’ailleurs. Parce que comme vous nous l’avez expliqué, par
2 AUTRE ÉCOLE PEUT DIFFÈRENT
3 Gauche
4
5 exemple à Corfou, la méthode de travail, la méthode de formation n’est pas tout à fait la
6 ÇA JE NE SAIS PAS VOUS EXPLIQUER AVANT C.O.R.F.O.U LA MÉTHODE FORMATION
7 Droite pointage / regard sur étudiante
8
9 même qu’à l’ESIT, elle n’est probablement pas tout à fait la même qu’à Genève, et qui
10 COURS ESIT DIFFÈRENT
11 Droite
12
13 n’est pas tout à fait la même qu’ailleurs, mais il est possible qu’il y ait des
14 G E N E V E
15
16
17 comportements typiques de l’école. Donc là aussi on ne va pas dire : « étant donné que
18 PEUT ÊTRE ÉCOLE DIFFÉRENT DIFFÉRENT DIFFÉRENT FORMATION COURS. PEUT ÊTRE
19 Gauche milieu droite
20
21 l’échantillon n’est pas représentatif on va jeter tout ça à la poubelle ». On va dire : «bon,
22 ÉCOLE LA LA LA COMME GROUPE
23 Circulaire gauche
24
25 maintenant qu’on a réussi à avoir que des étudiants et des anciens étudiants de l’ESIT,
26 GROUPE PI GROUPE PI IMPOSSIBLE COMPARER TANT PIS PAS LA PEINE MIEUX JETER
27 Milieu droite CNV TP
28 scénarisation
29 non de l’ETI pardon, ça pourrait être de l’ESIT, on doit faire attention en généralisant.
30 METTRE DE COTE NON PEUT ANCIEN ÉTUDIANT TRAVAILLER ESIT
31 Pointage droite ESIT
32
33 On dira : voila pour ce qui est des étudiants de l’ETI, ou des anciens étudiants de l’ETI.
34 PAR EXEMPLE RÉSULTATS ÇA LISTE
35
36
37 On ne sait pas dans quelle mesure cela s’applique aux autres écoles. Évidemment, s’il
38 TYPIQUE LA AUTRE ÉCOLE
39 Pointage droite pointage centre puis gauche
40
41 avait été possible de varier, on aurait choisi six personnes venant d’écoles différentes.
42 NE SAIS PAS PEUT ESSAYER
43
44
45
361
Corpus numéro 2 durée 15 mn 10 s
31
32 Relais.
362
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1 ÉCRAN IL Y A DES YEUX QUI REGARDENT TEXTE PERSONNE LIRE RAYON ANALYSE LES YEUX LIRE
2 reprise configuration main regard TP
3 TP ordinateur dans l’espace scénarisation je lis en étant analysé
4 ce que vous regardez. Donc, évidemment, on voit à quelle vitesse vous avancez, quels
5 LUI SAVOIR ENREGISTRER OU LA LA LA OU ÉCRAN ENREGISTRE OU JE REGARDE PEUT
6 pointage ordinateur TP TP pointage
7 ordinateur
8 sont les mots dans le texte qui reçoivent le plus d’attention, quand est-ce que vous faites
9 SAVOIR APRÈS OUVRIR DEDANS SAVOIR QUOI JE LIS ÉCRAN VITE /OU NON/ LIGNE APRÈS LIGNE LENTEMENT
10 TP TP
11
12 des pauses, si vous allez de manière linéaire, si vous revenez en arrière, bref tout un
13 OU LIRE PARAGRAPHE EFFORT CONCENTRER OU DETACHE
14 TP TP
15 scénarisation
16 ensemble de choses comme ça. La triangulation est un avantage. Très bien. Quoi
17 MON REGARD REVIENT HAUT ET BAS ENREGISTRER TOUT ÇA TRIANGLE
18 TP TP
19 Fin scénarisation
20 d’autre ?
21 ÇA MÉTHODE J’UTILISE PLUSIEURS ALORS AUTRE QUOI ?
22
23
24
25 Alors on a vu qu’on ne sait pas très bien comment les données qui ont été recueillies lors
26 VOIR
27
28
29 des interviews ont été exploitées. Parce qu’il part d’une interview, il a posé des questions
30 INTERVIEW ÇA INFORMATION ÇA
31 droite (réactivation espace précédant)
32 scénarisation
33 aux participants mais on ne voit pas très bien comment il a exploité ses données. On ne
34 APRÈS SUITE QUOI FAIRE JE NE SAIS PAS FLOU POURQUOI INTERVIEW OK
35 TP droite
36
37 voit pas quelles questions exactement il a posées, et quelles réponses il a obtenues. Donc,
38 MAIS APRÈS PERSONNE J’UTILISE QUI ? JE NE SAIS PAS RÉPONSE
39 TP lecteur de l’article
40 chaque fois que vous employez une méthode, si la méthode a donné des résultats
41 QUESTION NE SAIS PAS PROBLÈME LA TOUJOURS QUAND/SI/PAR EXEMPLE
42
43
44
45 intéressants, soyez sûr d’au moins résumer les données et de donner quelques exemples.
46 MÉTHODE UTILISE ME DONNE RÉSULTATS RÉSULTATS PLUSIEURS INTÉRESSANTS
364
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1 TP
2
3 Plutôt que de dire quelles sont les conclusions sans que les gens puissent voir ce que vous
4 IL FAUT J’EXPLIQUE JE DONNE EXEMPLE DIRE DIRE
5
6
7 avez trouvé exactement. Et si vous considérez que la méthode n’a rien donné, par
8 MÉTHODE J’UTILISE ÇA APRÈS RÉSULTAT ÇA C’EST TOUT VITE
9 regard gauche reprise TP
10 Scénarisation
11 exemple lors des interviews les gens n’ont rien dit d’intéressant, alors dans ce cas vous
12 NON IL FAUT EXPLIQUER SI BON OU MAUVAIS PAR EXEMPLE INTERVIEW FINI DISCUTER SUJET
13 TP chercheur
14 scénarisation
15 dites quelque part que ça n’a pas donné de résultats intéressants et donc vous n’en
16 PAS INTÉRESSANT MOYEN IL FAUT EXPLIQUER RÉSULTATS BIEN ?
17 Fin TP reprise TP
18
19 parlez pas. Mais il faudrait que le lecteur sache exactement ce qui à été fait à chaque
20 INTÉRESSANT ? NON JE METS DE COTE ? NON IL FAUT J’EXPLIQUE APRÈS PERSONNES LIRE LIRE
21 Fin TP droite
22
23 moment, et quels sont les résultats. Tout ça c’est toujours dans le cadre des normes que
24 ÇA BESOIN SE REPRÉSENTER SAVOIR MÉTHODE A MOI QUOI
25 TP chercheur /gauche
26 Fin scénarisation
27 nous avons définies, le cadre des normes de la recherche qui doivent être assez
28 TOUT CA DÉJÀ DISCUTE AFFAIRE NORME
29
30
31 rigoureuses, systématiques, explicites, etcétéra. Bon, alors l’auteur dit quelque part
32 RECHERCHE PI LA RECHERCHE PI IL FAUT EXPLIQUER ÉTAPE PRÉCIS
33
34 CNV « voila »
35 qu’il est surprenant que les étudiants consultent des dictionnaires unilingues plus
36 PERSONNE AUTEUR DIT DANS PARAGRAPHE LA BIZARRE ÉTUDIANT DICTIONNAIRE
37 TP auteur droite Lab dictionnaire
38 scénarisation
39
40 souvent que les professionnels. Il trouve ça surprenant. Si vous avez trouvé quelque
41 OUVRIR UNE LANGUE SOUVENT COMPARE AUTRE PROFESSIONNEL LA MOINS.AUTEUR DIT PLUSIEURS
42 retour droite pointage
43 Fin scénarisation
44 chose comme ça de surprenant, qu’est-ce que vous auriez fait ?
45 BIZARRE SURPRISE SI TOI REMPLACE LIRE BIZARRE VOUS QUOI FAIRE
46 pointage TP auteur
365
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1
2 - Est-ce vraiment surprenant ? enfin je sais pas si c’est le cas pour tout le monde mais à
3 SENS VRAI BIZARRE ÉTONNÉ NON ? JE NE SAIS PAS
4 TP oratrice
5
6 l’université de … c’est ce qu’ils nous conseillent. Donc, c’est pas vraiment un choix des
7 ICI JE SAIS PAS MAIS UNIVERSITÉ MOI ME CONSEILLER TOUJOURS OUVRIR
8
9
10 étudiants et, qui pourrait être surprenant.
11 DICTIONNAIRE MOI SURPRIS ÉTONNÉ NON
12
13
14 - Supposons… supposons que cela soit surprenant, pour une raison que, en tous cas c’est
15 SI
16 Pointage Orateur
17 CNV conditionnel
18 ce que le… l’expérimentateur trouve que c’est surprenant.
19 LUI
20 Pointage milieu
21
22 - On élargit l’échantillon.
23
24
25
26 - Pardon ?
27 JE SENS JE TROUVE BIZARRE DICTIONNAIRE
28 (D avec feuilleter livre)
29
30 - On élargit l’échantillon du…
31
32 Pointage élève
33
34 …….
35
36
37
38 - Alors on élargit l’échantillon éventuellement, si on peut. Mais est-ce qu’il n’y a pas une
39 SI JE SENS BIZARRE IL FAUT PETIT GROUPE PEU DE PERSONNES
40
41 CNV retour Orateur
42
43
44 chose immédiate qu’on peut faire ?
45 MIEUX GROUPE AGRANDIR
366
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
367
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1
2
3 plus simples, les plus naturelles telles que poser des questions après coup peuvent
4 PENSER HAUT NIVEAU NON NIVEAU BASE SIMPLE SOLUTION
5 reprise scénarisation ligne 10
6
7 donner de très bons résultats. Ça n’est pas nécessairement fiable, vous demandez à
8 PEUT RÉSULTAT QUALITÉ
9
10
11 quelqu’un pourquoi il a fait une faute, peut-être qu’il vous dire « non c’est pas une faute
12 BIEN SUR QUESTION SUR RÉPONSE CLAIRE NON
13
14 CNV accusateur
15 du tout, c’est une stratégie, je me suis dit que ceci cela » et vous vous dites non, il ne veut
16 PEUT RÉPONDRE STRATÉGIE MAUVAISE
17
18
19 pas reconnaitre qu’il s’est planté. Mais, d’un autre côté, s’il vous dit j’ai fait telle faute
20 PEUT ÊTRE PERSONNE ELLE [dissimuler] DIRE NON FAUTE AUCUNE ÇA DÉPEND
21 pointage / TP « la personne »
22
23 parce que ceci cela. Là vous vous dites : ah tiens, ça c’est intéressant, là ça m’a l’air plus
24 MAIS QUESTION POURQUOI ERREUR RÉPONSE JE ME TROMPE PAR… EXPLICATION
25 M’EXPLIQUE
26 TP interviewé TP chercheur
27
28 fiable et vous l’intégrez dans votre compte rendu. Vous comprenez le principe ? Donc
29 LA NOTE VOUS
30 COMPRENDRE
31
32 CNV « approbation »
33 c’est vraiment le bon sens. C’est vraiment des questions de bon sens, de créativité. En
34 MÉTHODE ? IL FAUT JE RÉFLÉCHIS RECHERCHER
35
36
37
38
39 fait la recherche c’est un petit peu ça. On ne peut pas, on ne doit pas ramener la
40 QUESTION INTÉRESSANT VRAI [étiquette] CHERCHEUR PI CELA
41
42
43
44 recherche, à des technologies, à des mathématiques, à des statistiques, à des choses très
45 [focaliser] STATISTIQUE
368
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1
2
3 compliquées. C’est plutôt une utilisation très rigoureuse du bon sens, de la créativité. On
4 TECHNOLOGIE [élevé] NON Recherche C’EST QUOI IL FAUT PENSER
5 reprise config.p.6 pointage
6
7 essaye de garder l’esprit ouvert et c’est comme ça qu’on arrive à des choses très
8 RÉFLÉCHIR ESSAYER OUVRIR FERMER NON OUVRIR LARGE
9 signé emplacement tête
10
11 intéressantes avec une assez grande fiabilité, avec une assez grande validité. Alors, par
12 ESSAYER [chemin] LARGE PAS UN SEUL NON
13 de gauche à droite
14
15 ailleurs, l’auteur semble affirmer que d’autres études affirment que les dictionnaires
16 [chemin] PLUSIEURS. AUTRE AUTEUR DIT
17 Répétition du signe réinitialisation de l’espace de signation
18 CNV circonspection
19 bilingues sont utilisés uniquement dans le cas… Pardon que les dictionnaires unilingues
20 DICTIONNAIRE 2 LANGUES BILINGUE PARDON JE ME TROMPE
21
22
23 sont utilisés que quand les dictionnaires bilingues n’ont rien donné. Il a l’air de dire ça.
24 DICTIONNAIRE UNE LANGUE LUI JE PRENDS ÇA TOUT DE SUITE
25 Configuration prendre un livre
26 scénarisation
27 Mais, sur quelle base il dit ça ? Quand vous faites des affirmations, il faut des références.
28 NON PREMIER DICTIONNAIRE 2 LANGUE BILINGUE NON NON NON BLOQUER BLOQUER TANT PIS CHEMIN CHEMIN
29 Reprise placement p.6 / droite TP étudiant /gauche
30 Fin scénarisation
31 N’allez pas dire par exemple quelque chose de très général comme je le vois parfois à
32 DICTIONNAIRE 1LANGUE MAIS JE LIS AUTEUR ME DIT CELA IL FAUT REFERENCE MANQUE
33
34
35 l’ESIT… euh, tous les traducteurs, tous les interprètes considèrent qu’il faut travailler à
36 MOI JE REMARQUE ICI ESIT PARTOUT TRADUCTION INTERPRETER MÊME GENERAL
37 labialisé : EUR PRÊTE
38
39 partir du sens. C’est pas vrai. C’est pas vrai. C’est une affirmation qui doit être
40 DIRE IMPORTANT LE SENS LA [focaliser] SENS MOI JE DIS
41 pointage signe sens
42
43
44 documentée. Donc soit, vous dites, vous donnez des citations, et, le lecteur va dire «je
45 PAS VRAI IL FAUT DOCUMENTS POUR EXPLIQUER IL FAUT VOUS ME DONNER
46
369
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1
2 suis d’accord ou pas d’accord, cette citation effectivement semble dire ce que vous
3 GUILLEMET C. I. ILLISIBLE . I. O. N.
4
5
6 dites ». Ou alors il dira « non je ne suis pas d’accord ». Mais affirmer comme cela, sans
7 APRÈS AUTEUR PAS D’ACCORD OU MOI D’ACCORD MAIS
8 TP auteur TP ?
9
10 donner de citations, sans expliquer, ça va pas du tout. Donc quand vous faites des
11 VOUS GUILLEMETS SANS EXPLICATION SANS MARCHE PAS
12
13
14 affirmations qui semblent sûres, normales, vous n’avez pas besoin de dire que l’hiver il
15 QUAND VOUS ME DITES PHRASE ELLE MOI SUR
16 pointage TP « vous »
17
18 fait plus froid que l’été. Là on ne va pas vous demander des citations. J’exagère un tout
19 PAR EXEMPLE PAS BESOIN DIRE EXEMPLE GUILLEMETS HIVER
20 TEMPÉRATURE BAS
21
22
23 petit peu. Mais dès que vous commencez à faire des affirmations générales, sur ce que
24 FROID ÉTÉ PLUS BIEN SUR LOGIQUE BIEN SUR PAS LA PEINE M’EXPLIQUE [profond]
25
26 CNV « évident »
27 font les traductions, sur ce que font les traducteurs, ce que font les interprètes, la
28 NON MAIS LAISSONS DE CÔTE AUTRE PHRASE... …..
29
30 nouvel espace signation
31 manière dont la qualité est perçue, la manière dont les lecteurs lisent les traductions, la
32 AFFAIRE JE TRADUIS J’INTERPRÈTE 1 QUALITE
33 droite gauche
34
35 manière dont les agences de traduction recrutent les traducteurs, la manière dont les
36 2 LIRE FEUILLE INTERPRÈTE TRADUIRE JE TRADUIS PERSONNE ENTREPRISE EMBAUCHE
37 Droite vers gauche
38
39 traducteurs littéraires s’attaquent à une traduction… Même si vous le savez vous-
40 COMMENT 3 4 5 etc…. TRADUIRE
41 Pointage
42
43 même, vous ne pouvez pas juste affirmer. Vous pouvez dire par exemple comme vous
44 EUX COMMENT JE TRAVAILLE VOUS JE SAIS DÉJÀ MAIS QUAND MÊME PEUT DIRE
45 pointage droite
370
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1
2 « depuis quarante ans je suis traductrice littéraire en Iran, je connais des tas de
3 PAR EXEMPLE MOI EXPÉRIENCE TRAVAIL J’INTERPRÈTE JE TRADUIS DEPUIS 40
4 TP
5 CNV je sais pas scénarisation
6 traducteurs et je sais très bien comment ça se passe… donc c’est sur cette base là que je
7 ANS JE CONNAIS COLLÈGUES EUX CONNAIS PROCHE BON ÉCHANGE
8 droite
9
10 dis telle ou telle chose. » ou alors « d’après untel untel untel » et vous donnez des
11 ÉCHANGE ÉCHANGE ILS M’EXPLIQUENT JE PRENDS DES NOTES
12 droite
13
14 citations précises, « les traducteurs font plutôt ceci cela ». Mais vous ne pouvez pas dire
15 IL Y A … J’AI…. ILS ME DISENT
16
17
18 de but en blanc « voilà, les traducteurs font ceci, les interprètes font cela et les clients
19 IL Y A IMPORTANT EXPLIQUE POURQUOI PHRASE C’EST TOUT
20
21
22 font ceci cela! ». Donc faites bien attention à toutes ces affirmations, ça c’est le propre de
23 ORIGINE RIEN SILENCE NON IL FAUT EXPLIQUE
24
25
26 la recherche empirique que de faire attention à toutes ces données et d’essayer quand
27 PHRASE NOTER IL FAUT EN DESSOUS EXPLIQUER RECHERCHE PI C’EST COMME ÇA
28
29 scénarisation
30 même de les… d’apporter en appui soit des citations, soit des faits. Alors il y a une autre
31 TOUJOURS INFORMATION NOTER IL FAUT PREUVE EXPLIQUER POURQUOI PEUT CHOISIR GUILLEMETS OU
32 INFORMATION NOTER
33 lab. Citation droite
34 gauche
35
36 chose, il dit, il dit notamment à la fin de son résumé : « il convient de rappeler » donc
37 NON IL FAUT ORIGINE VIENT D’OU LUI AUTEUR DIT JE REMARQUE PAGE TEXTE FIN
38 pointage pointage
39 droite
40 c’est presque à la fin, « il convient de rappeler que les résultats corrélationnels ne
41 PHRASE DIT IL FAUT RÉSULTATS CE
42 pointage
43
44 permettent pas d’établir des liens de causes à effets». Il nous dit que quand on trouve une
45 REMARQUE MÊME VEUT DIRE SUR CA NON
46 pointage
371
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1 CNV évident
2 corrélation, vous vous souvenez ce que c’est qu’une corrélation ? Une corrélation c’est
3 AUTEUR DIT SAIT
4
5
6 simplement le fait qu’il semble y avoir un lien entre deux variables. C’est juste ça, c’est
7 C. O. R. E. L. A. I. O. N. VEUT DIRE QUOI MOT
8
9
10 rien d’autre que ça. Il dit qu’une corrélation n’est pas une causalité. Bien oui, mais on
11 RÉSULTAT RÉSULTAT JE REGARDE MÊME MOT LUI VEUT DIRE SENS
12 gauche droite TP chercheur pointage
13 scénarisation
14 n’a pas besoin de lui pour savoir ça. On le sait depuis longtemps, donc ça fait un peu
15 RÉSULTAT RÉSULTAT MÊME MÊME C’EST TOUT C’EST ÇA
16 gauche droite droite gauche
17 fin scénarisation
18 ridicule ! ça fait vraiment un peu ridicule. Donc essayez de ne pas écrire des choses
19 NOUS SAIT IL FAUT EN PROFONDEUR
20
21
22 ridicules, des choses banales. Et je trouve chez des étudiants tout à fait intelligents donc
23 MOI CONSEIL ÉCRIRE PHRASE UN PEU BÊTE NON MIEUX ÉVITE
24 vers classe pointage vous
25
26 ce n’est pas une question de manque d’intelligence mais je trouve chez des étudiants,
27 JE REMARQUE DIS EUX BÊTE NON
28 Pointage eux
29
30 très souvent, des affirmations qui sont tout à fait banales, qui sont triviales. Qui
31 EUX INTELLIGENT MAIS REMARQUE ÉTUDIANT SOUVENT ÉCRIRE
32 TP étudiants
33 scénarisation
34 n’apportent rien. Et il faut essayer de les éviter parce que ça fait mauvais effet et cela
35 MOI JE LIS FEUILLE JE SAIS JE SAIS PAS LA PEINE DIRE
36 TP Orateur pointage
37 feuille
38 CNV circonspection Fin Scénarisation
39 n’apporte rien. Vous êtes censés surtout apporter des choses. Donc vous pouvez
40 DONNE VOUS IMAGE ÉTUDIANT UN PEU DOMMAGE
41
42
43 expliciter des choses simples, pour qu’on sache que c’est la base de quelque chose que
44 VOUS PEUT COMME PHRASE SIMPLE NOTE PAPIER PEUT
45
372
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1
2 vous faites, mais ne faites pas d’affirmations triviales, banales. Vous savez, genre le
3 POUR BASE DÉPART [ÉTAPE] CONTINUER MAIS PHRASE UN PEU BÊTE
4
5 CNV évident
6 fameux dicton, bien connu au Mexique : « neige en novembre, noël en Décembre ».
7 NON ÉVITE DONNE EXEMPLE MEXIQUE GUILLEMET D.I. C. T. O. N DIT
8
9
10 ……………………………………………………………………………
11 NOVEMBRE MOIS NEIGE
12
13
14 - l’interprète : pardon et soleil en décembre ?
15
16 I.C. rires
17 - Neige en Novembre et Noël en Décembre… J’ai entendu ça un jour dans un café
18 NEIGE NOVEMBRE NOEL DÉCEMBRE
19
20
21 théâtre…
22 MOI UNE FOIS CAFÉ THEATRE SALLE JE RENTRE VU PHRASE TÊTE PHRASE JE CLOUE JE GARDE
23
24 scénarisation
25 Bon … Quatrièmement, l’auteur dit qu’il est possible de faire une traduction
26 ENSUITE 4 AUTEUR DIT
27 Pointage Orateur
28
29 acceptable en utilisant presque exclusivement des dictionnaires bilingues. Il dit ça. Mais
30 PEUT TRADUCTION PAS MAL MÉTHODE COMMENT ? DICTIONNAIRE BILINGUE C’EST TOUT
31 Lab : dictionnaire
32 Droite + pointage
33 personne ne dit le contraire ! Personne ne dit le contraire. La question est de savoir, est-
34 [CIBLER] AUTEUR ME DIT MOI DIS PAS D’ ACCORD QUI ? DIS PAS QUESTION
35 Gauche pointage Pointage
36
37 ce que les dictionnaires bilingues ont une certaine, euh, ont un certain manque, une
38 QUOI DICTIONNAIRE J’OUVRE BILINGUE PARMI BILINGUE ÇA
39 pointage Lab : dictionnaire Droite + pointage
40 CNV
41
42
43 certaine faiblesse dans la fiabilité et dans d’autres caractéristiques. Mais il sous-entend
44 ERREURS ERREURS J’AI AFFAIRE MÉTHODE
45
373
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1 CNV CNV
2 un certain nombre de choses qui ne sont absolument pas remises en cause. C’est un petit
3 AUTEUR ME DIT JE SENS MOI COMME
4 Droite TP ?
5 CNV (sous-entendu)
6 peu comme dans les débats politiques, vous faites semblant de croire que quelqu’un a dit
7 UN PEU COMME [agressif] MOI ACCEPTE POURQUOI [agressif] MOI ACCEPTE PEUT ACCORD MOI
8
9 CNV impression négative
10 quelque chose alors qu’il ne l’a jamais dit. Et vous le combattez pour dire quelque chose
11 COMME DÉBAT POLITIQUE UNE PERSONNE LUI ATTAQUE JE DIS
12 Pointage TP
13 Scénarisation
14 avec lequel tout le monde est d’accord. Donc c’est vraiment… ça va pas. Bon alors,
15 TOI TU M’AS DIS ÇA NON NON JAMAIS JE DIS ÇA SI SI JE SAIS TU ME DIS ÇA JE SAIS
16 JE
17 TP TP
18
19 problème de forme, on va aller un petit peu vite là. Alors qu’est-ce que vous avez noté
20 VOIS EN TOI TU DIS ÇA NON OK
21 TP Orateur
22 Fin scénarisation
23 comme problème dans la forme, c'est-à-dire dans la manière dont l’article est présenté.
24 PROBLÈME FORME VOUS JE REMARQUE AFFAIRE FORME
25
26 Réinitialisation espace signation
27 // je cherche ma bouteille de vodka…quelqu’un a du me la voler…//
28 C'EST-A-DIRE DIRE TEXTE PRÉSENTATION ÇA IL Y A CRITIQUE REMARQUE AUTRE
29 Lab :article
30
31 …………………………………………………………………………………………………………
32 MOI J’OUVRE MON SAC BOUTEILLE VODKA DISPARUE…
33 TP Orateur
34 Indication Contextuelle
35 - Je me demande s’ils ont des contraintes d’espace, dans ces publications… s’il y a des
36 QUELQU’UN ME L’A PRISE
37
38 IS : Orateur donne la parole à l’étudiante
39 contraintes de place aussi…parce que parfois, c’est vraiment dense certains passages.
40 JE VOIS LE TEXTE IL Y A JE SENS PROBLÈME AFFAIRE ESPACE JE CONDENSE LA
41
42 pointage
43 Scénarisation
44 On se demande si il a voulu mettre le plus possible dans cet article.
45 BOUT DE TEXTE COMPLET JE SENS AUTEUR TEXTE JE METS JE METS
374
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
375
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1
2 nuit je lis une thèse. Enfin je lis les premières pages après je m’endors… si c’est mes
3 SOUVENT JE LIS THESE ON ME DONNE JE TOURNE LES PAGES
4
5
6 propres textes je lis les deux premières lignes et après je m’endors. Mais, je vois qu’il y a
7 SOUVENT JE LIS JE M’ENDORS SOUVENT LE SOIR JE LIS
8 Thèses de droite à gauche
9
10 beaucoup de thèses qui font moins de 200 pages, dans d’autres pays. Sans parler
11 JE REMARQUE BEAUCOUP MÉMOIRE LUI 200 PAGES MOINS
12
13
14 évidemment des thèses de mathématiques ou de physique qui peuvent faire nettement
15
16
17 CNV :attention
18 moins de 100 pages. Enfin ça c’est autre chose. Même dans le domaine de la
19 MATHÉMATIQUES SCIENCES
20 labialisé : physique
21
22 traductologie. Alors parfois on a l’impression que les gens diluent, diluent, diluent, pour
23 NORMAL MAIS TRADUIRE TRADUIRE Y COMPRIS
24 labialisé : tra-tologie
25 C NV il y a peu
26 arriver à 350-400-500 pages. Et parfois on a l’impression qu’on se… les membres du
27 JE REMARQUE IL Y A PERSONNES JE FAIS MÉMOIRE JE LIS THÈME IL FAUT
28 LONG LONG
29 labialisé : thèse
30
31 jury ont l’impression qu’on se paye notre tête. Je me rappelle avoir été membre d’un
32 350 400 500 PAGES ON ME DONNE BLOC FEUILLE A LIRE EXAGÉRER ÉVIDENT LUI
33 TP
34
35 jury de thèse où on avait l’impression que les pages avaient à peu près 15 à 20 lignes,
36 IL A J’ÉCRIS JE RAJOUTE
37
38
39
40
41
42 non pas avec double interligne mais quadruple interligne…les marges absolument
43 AUSSI JE REMARQUE JE TOURNE LES PAGES 20 LIGNES LIGNE EN HAUT ESPACE LIGNE EN BAS
44
45 Début scénarisation
376
Corpus numéro 3 durée 17 mn 08 s
1 énormes, c’est tout juste si quelques mots rentraient dans la ligne. On avait l’impression
2 VRAIMENT
3
4
5 qu’il n’y avait rien dedans. Donc faites un petit peu attention à ça. Ce que vous pouvez
6 J’ OUVRE C’EST VIDE PEU
7
8
9 faire éventuellement, si vous avez bien travaillé votre directeur de recherche vous dit :
10 ÉPAIS MAIS RIEN ATTENTION TOI FAIS PAS ÇA
11
12 Fin scénarisation
13 y’a tout ce qu’il faut mais c’est un petit peu léger côté volume. Vous pouvez ajouter en
14 SI DIRECTEUR RECHERCHE DIT JE LIS C’EST BIEN
15 Droite TP D.R.
16 scénarisation
17 annexe les informations. Et donc là, les gens lieront la partie de base. Ils se diront : elle
18 COMPLET MAIS LA PAS ASSEZ PAGES TU PEUX
19 pointage
20
21 est bien écrite. Et là, juste, le niveau de densité voulu : c’est pas trop et pas trop dilué
22 A. N. N. E. X. E. AJOUT MÉMOIRE LA TU PEUX
23 pointage
24
25 non plus.
26 RATTRAPER ÉPAIS PLUS
27
28
29
30 Relais
31
32
33
34
35
36
377
Corpus numéro 4 durée 8mn 40s
1 Je vais vous montrer ce que je vais mesurer. Est-ce que ça vous semble plausible comme
2
3
4
5 scénario ? Je ne dis pas que c’est comme ça que ça se passe, mais est-ce que c’est
6 PENSE MARCHE PEUT JE LUI PREUVE PREUVE
7 Pointage Orateur lab : preuve
8
9 quelque chose qui vous paraît plausible ? C’est pas le seul, il y a d’autres…bon. Alors
10 CONCRET JE PENSE BON PEUT AUTRE
11
12
13 maintenant on va se dire, on va prendre deux cas d’espèces. Le premier cas d’espèce,
14 MÉTHODE PEUT JE CHOISIS DEUX
15 droite
16 CNV « je me concentre »
17 tout ça c’est fictif encore, le premier cas d’espèce c’est que la motivation compte pour
18 SITUATION SITUATION SITUATION VRAI NON FAUX
19 Gauche droite gauche
20 scénarisation
21 beaucoup, qu’elle modifie beaucoup la qualité du travail. Et l’autre c’est que la
22 MOTIVATION TRAVAIL JE TRADUIS
23 gauche
24 CNV je me concentre
25 motivation modifie, mais un peu moins. Enfin bon parait-il modifie nettement moins. Là
26 RÉSULTAT ÇA MOTIVATION LIEN OUI NON JE VOIS OUI OU MOTIVATION PAS
27 Pointage centre lab : va voir droite
28
29 aussi c’est juste une, c’est juste une hypothèse fictive. Alors quand il s’agit d’influence
30 LA PEINE IMPORTANT NON MONTRE LES 2 SITUATION ÇA VRAI NON
31
32 CNV : expectative / fin scénarisation
33 très forte. Alors dans le tableau de la planche numéro six, chaque plus est converti,
34 FAUX HYPOTHÈSE MON AVIS JE VOIS TABLEAU NUMÉRO 6 JE REMARQUE
35 Pointage tableau
36
378
Corpus numéro 4 durée 8mn 40s
1 chaque plus et chaque moins est converti en une unité. Donc pendant la première
2 AVANT NOTE PLUS PLUS PLUS JE CHANGE 1 « U » UNIQUE
3
4 CNV tableau loin
5 période ça va être plus trois. La deuxième période ça va être plus deux. La troisième
6 JE VOIS PLUS 3 PÉRIODE PLUS DEUX
7 Gauche gauche
8 CNV regard tableau derrière gauche
9 période ça va être moins trois. La quatrième période ça va être moins un. Et la
10 PÉRIODE MOINS TROIS PÉRIODE MOINS UN
11 Milieu droite
12 CNV : regard tableau
13 cinquième période ça va être plus un. Vous me suivez ? Donc ça c’est l’hypothèse où
14 PÉRIODE PLUS UN ÇA VA VOUS ? OUI
15 Droite droite TP étudiants suivent
16 CNV : regard tableau CNV : ça va
17 l’influence est très forte. Qu’est-ce qu’on va avoir comme résultat ? On va avoir le
18 PI MOTIVATION TRAVAIL M’INFLUENCE INFLUENCE
19
20
21 résultat suivant : Ici, donc ça c’est ce qu’on va mesurer, pour la première période on va
22 RÉSULTAT QUOI VOUS REGARDEZ MAINTENANT ÉVALUER ÉVALUER
23
24 CNV : regard tableau regard tableau
25 avoir quelque chose d’assez fort. On ajoute plus trois, par rapport à la compétence.
26 PREMIERE PÉRIODE REGARD LIGNE MONTE JE NOTE PLUS 3 COMPARE
27 Gauche lab : compare
28 regard tableau
29 Parce que les gens sont pas encore très compétents et ils font vraiment de leur mieux
30 COMPÉTENCE POURQUOI PERSONNE MOTIVATION LA MAIS COMPÉTENCE
31 Lab : compétence gauche
32
33 donc ça ajoute plus trois. Évidemment c’est une simplification, une très grossière
34 PARFAIT PAS ENCORE TRAVAIL FAUT MAIS MONTRE TRAVAIL
35 (Directionnel futur) reprise placement
36
379
Corpus numéro 4 durée 8mn 40s
1 simplification de la réalité, mais juste pour que vous puissiez juger de ce qu’il va se
2 CONCRET SIMPLE COMME SYMBOLE
3
4
5 passer. La deuxième c’est plus deux, donc ça reste positif, mais, tout à coup on descend,
6 J’ÉVALUE ENCHAINEMENT TEMPOREL PÉRIODE PLUS 2
7 TP ?
8 Regard tableau CNV
9 c’est plus deux seulement. D’accord ? Donc ça augmente encore mais ça n’augmente pas
10 C’EST A DIRE
11
12
13 tellement. La troisième période on est à moins trois. Alors à moins trois qu’est-ce qu’il
14 DROITE MONTE ENCORE MONTE HAUT RAPIDE NON MONTER DOUCEMENT MOINS HAUT PÉRIODE MOINS 3
15 Reprise placements différentes périodes reprise placement
16
17 va se passer ? Et bien on va se retrouver ici. Vous voyez en pointillés. La quatrième
18 PASSE QUOI DESCENDRE REGARD
19
20 Regard tableau
21 période on va se retrouver à moins un, et la cinquième à moins un. Voilà ce qu’on a
22 QUATRIÈME PÉRIODE ÇA MOINS 1
23 droite
24 Tentative de déplacement de l’interprète vers le
25 mesuré, par opposition à la réalité. Quand on interprète ce qu’on a mesuré on va se
26 RÉSULTAT JE MESURE MOI COMMENT
27 TP chercheur
28 tableau / sourires / retour place initiale
29 dire, on va se dire : bon, les débutants, les débutants finalement sont assez bons. Mais
30 ANALYSER MOI QUOI
31
32 Déplacement « assumé » de l’interprète pour se rapprocher du tableau
33 qu’est ce que c’est que ce parasite là, qui bouge ? (rires). Ça me rappelle un jour il y
34 PERSONNE A DROITE QUI ELLE ?
35 TP Orateur
36 IC rires
380
Corpus numéro 4 durée 8mn 40s
1 avait une réunion avec un maire qui faisait une cérémonie avec un interprète qui faisait
2 JE ME SOUVIENS RÉUNION CERCLE PERSONNE PERSONNE MAIRE ASSEMBLÉE ASSEMBLÉE
3
4
5 de la chuchotée pour un invité étranger. Et le Maire qui n’avait pas beaucoup
6 PERSONNE INTERPRÈTE LA JE CHUCHOTE PERSONNE INVITE ORIGINE ÉTRANGER
7 TP interprète
8
9 d’expérience, il regardait cette personne qui parlait en même temps que lui et il lui dit :
10 JE CHUCHOTE LE MAIRE JE REGARDE POURQUOI
11 TP Maire
12 CNV chuchoter CNV interloqué/énervé
13 mais taisez-vous pendant que je parle ! Alors on lui a dit mais Monsieur le Maire c’est
14 PARLE EN MÊME TEMPS PARALLÈLE CHUT CHUT C’EST MOI QUI PARLE
15 TP Maire TP Maire
16 CNV : regard interrogatif droite/gauche
17 l’interprète. Ah bon ! Excusez-moi. L’impression qu’on va avoir c’est que les débutants
18 NON INTERPRÈTE AH BON EXCUSEZ-MOI ÇA
19 TP « on » TP Maire pointage tableau
20 CNV retour au cours
21 jusqu’à par exemple dix ans d’expérience, ils sont assez bons. On va surévaluer leurs
22 JE SENS PERSONNE PROFESSIONNEL DÉPART EXEMPLE TRAVAIL JUSQU'A DIX ANS BON
23 gauche
24
25 compétences. Alors que les gens qui sont plus, qui sont plus expérimentés, étant donné
26 COMPÉTENCE ÉLEVÉE MAIS PERSONNE ELLE EXPÉRIENCE
27 centre
28
29 que la motivation a baissée, on va dire, dans toute cette période là ils sont moins
30 LA PLUS J’AI MAIS PROBLÈME MOTIVATION DIMINUE LA
31 pointage
32 scénarisation induite
33 compétents. Et donc on va se dire : tiens c’est intéressant, c’est bizarre, euh, on a fait des
34 JE SENS EUX COMPÉTENCE MOINS INTÉRESSANT BIZARRE
35 TP « on » TP « on »
36 CNV : jugement de valeur négatif
381
Corpus numéro 4 durée 8mn 40s
382
Corpus numéro 4 durée 8mn 40s
1 la qualité du travail rendu, elles seront tout à fait vraies, mais elles ne correspondront
2 QUALITÉ TRAVAIL QUALITÉ OUI JUSTE MAIS LA ATTENTION
3 pointage gauche pointage droite
4
5 pas aux compétences réelles du traducteur. Est-ce que vous avez compris ou est-ce que
6 NE CORRESPOND PAS POURQUOI VOIR LA COMPÉTENCE JUSTE OUI NON
7 Pointage tableau
8 CNV « c’est difficile/subtile »
9 c’est trop abstrait là ? Mademoiselle Liu ?
10 COMPRIS TOUT LE MONDE ? OU
11
12 CNV : difficile/dur
13 - Je réfléchis…
14 JE RÉFLÉCHIS
15 Pointage locutrice
16
17 - Très bien. Ce que j’essaye de dire c’est que étant donné que, il y a une variable, un
18 JUSTE J’EXPLIQUE QUOI
19
20
21 facteur qui influence sur ce que l’on mesure, ce que l’on mesure ne correspond pas à la
22 JE TRAVAILLE FOCALISATION LA
23 pointage droite gauche pointage droite
24 début scénarisation
25 réalité sous-jacente, qui est la compétence que l’on cherche à mesurer. L’indicateur
26 M’INFLUENCE J’ÉVALUE JE REPOUSSE JE METS DE COTE FOCALISE VEUT DIRE RÉSULTA
27 Directionnel gauche directionnel gauche vers droite
28 Fin scénarisation
29 n’est pas très fiable. Ce n’est pas assez sélectif. On pourrait même dire qu’il n’est pas
30 JUSTE NON PAS ADAPTE POURQUOI IL FAUT INFLUENCE C'EST-A-DIRE ÇA JUSTE NON
31 Pointage résultats
32 Reprise scénarisation précédente
33 assez valide. C’est clair ? Donc ça c’est un vrai vrai vrai problème. Évidemment si on
34 CLAIR ? LA PROBLÈME
35
36 CNV
383
Corpus numéro 4 durée 8mn 40s
1 considère dans un autre scénario que l’influence de cette variable parasite est faible,
2 PI AUTRE SITUATION INFLUENCE
3 Droite droite vers gauche
4 reprise scénarisation « variable »
5 donc plutôt que de compter un point pour chaque plus on prend zéro virgule un point,
6 PAS IMPORTANT VA VOIR
7 Pointage Orateur qui pointe schéma sur tableau
8
9 donc un dixième. Qu’est-ce que ça va faire ? Eh bien on va mesurer ça, et ensuite ça, et
10 ZÉRO VIRGULE UN POINT UN SUR DIX VOIR PÉRIODE MONTE DOUCEMENT
11 Pointage Orateur + tableau
12 Regard tableau
13 ensuite ça, autrement dit les choses que l’on va mesurer vont être très proches de la
14 PÉRIODE DROITE MONTE JE MESURE
15 Gauche TP « on » // gauche
16 regard tableau regard tableau
17 réalité. En dépit de cette variable parasite. Donc, ces variables parasites on va les
18 CONCRET PROCHE LIEN M’INFLUENCE MISE DE COTE M’INFLUENCE S’APPELLE
19 Droite centre gauche vers droite
20 Reprise scénarisation précédente
21 appeler du bruit. Et ce qui nous intéresse c’est de savoir quel est le rapport entre le
22 V. A. R. I. A. B. L. E P. A. R. A. S. I. T. E. JE NOMME BRUIT
23
24
25 signal, c’est-à-dire ce qu’on cherche à mesurer, et le bruit, c'est-à-dire ce qui nous
26 GUILLEMET C’EST A DIRE JE COMPARE
27 Droite et gauche
28
29 empêche de mesurer la réalité. Quand le rapport entre le signal et le bruit est un rapport
30
31
32
33 très grand, c'est-à-dire que le signal compte beaucoup beaucoup beaucoup plus que le
34
35
36
384
Corpus numéro 4 durée 8mn 40s
1 bruit. Le bruit ne nous perturbe pas trop. Mais quand le bruit est relativement
2 COMPARER LA DEVIENT PLUS HAUT HAUT DEVIENT BAS
3 Pointage droite droite gauche
4
5 important, alors là ça nous empêche véritablement de mesurer. Vous pouvez prendre la
6 PARDON
7
8
9 métaphore des radios. Vous vous rappelez les vielles radios ondes courtes, petites ondes,
10
11
12
13 en Afrique on en utilise encore je pense pas mal. Alors il y a le bruit, littéralement le
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15
16
17 bruit. Quand la station de radio est à proximité et très forte, vous entendez les paroles,
18 PAR EXEMPLE RADIO BRUIT ANTENNE LA RADIO
19 Gauche droite
20
21 vous entendez la musique assez fort. Et en dépit du bruit le bruit ne vous gêne pas trop.
22 PROCHE RELAIS
23 ILS DEMANDE RELAIS
24
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26
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28 Demande relais
29
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31
32
33
385
Corpus numéro 5 durée 10 mn 40s
1 Mais quand la station est un petit peu éloignée et qu’il y a des conditions d’orage, là le
2
3
4
5 rapport de signal à bruit est tel que le bruit est trop important, même si le signal est
6
7
8
9 aussi fort, le bruit est trop fort par rapport au signal, et on… on n’arrive pas à mesurer.
10
11
12 CNV regard orateur/sourire
13 Ça c’est un problème fondamental de la recherche empirique. Trouver des moyens de
14 PROBLÈME MAJEUR PI RECHERCHE JE TOUCHE EXPÉRIENCE
15
16
17 mesurer le signal qui nous intéresse de manière à ce qu’il ne soit pas trop perturbé par
18 E. M. P. I. R. I. Q. U. E. MÉTHODE COMMENT J’ÉVALUE
19
20
21 le bruit. Alors qu’est ce qu’il y a comme source de bruit dans la recherche empirique?
22 SIGNAL BRUIT JE COMPARE SIGNAL BRUIT JE COMPARE MÉTHODE COMMENT
23 Droite gauche droite gauche
24
25 Qu’est-ce qui est source de bruit et de perturbation ?
26 VOILA BRUIT PARDON BRUIT INFLUENCE
27 Droite gauche
28 IC : ILS s’excuse auprès des auditeurs
29 - Dans l’état de nos recherches sur la traduction par exemple, ce qu’on a vu, comme le
30 GENE VIENT D’OU ? TRAVAIL THÈME
31 Droite gauche pointage locutrice
32 IC : désignation nouveau locuteur
33 type de texte, les conditions de travail, euh, le temps, si on a donné un temps donné pour
34 JE TRADUIS TEXTE ÇA MÉTHODE TRAVAIL SITUATION TRAVAIL 2è PUIS 3è
35
36
37 faire telle ou telle chose…
38 PÉRIODE
39
40
41 - Oui, et vous-même aussi, en temps que chercheuse.
42 LONG OU COURT TOI LUI TOI
43 Pointage Orateur
44
45
386
Corpus numéro 5 durée 10 mn 40s
1 - Oui, oui…
2
3
4
5 - Et en quoi ?
6
7
8
9 - Parce que peut être je vais donner, privilégier une piste par rapport à une autre.
10 RÔLE VOTRE JE CHERCHE OUI OUI ELLE MOI JE SENS
11 TP oratrice pointage
12 Déplacement ILS laisse place A
13 l’orateur
14 - Peut être que vous aimez une théorie plutôt qu’une autre…
15 JE SENS MÉTHODE PLUS ELLE OU MÉTHODE ELLE
16 Gauche droite
17
18 - Voilà…
19
20
21
22 - Et donc vous allez interpréter les choses conformément à une idée et pas à une autre et
23 PEUT ÊTRE JE RAJOUTE THÉORIE ELLE THÉORIE ELLE
24 Pointage Orateur droite gauche
25 Déplacement orateur / ILS vers tableau
26 ça va biaiser, donc ça va donner une distorsion, une déformation dans un sens
27 JE CHOISIS ELLE INFLUENCE TRAVAIL
28 Droite + pointage
29
30 particulier aux données que vous avez recueillies. Tout le monde a compris ? Donc l’une
31 C’EST A DIRE INFORMATION CHOISIR SUR
32 Directionnel droite vers ILS
33
34 des choses que l’on va voir, que l’on va essayer de voir dans la recherche empirique c’est
35
36
37
38 quelles sont les données que vous avez choisies ? Puisqu’on part toujours de données.
39 RECHERCHE EXPÉRIENCE VOUS
40 Lab :empirique
41
42 C’est donc essayer de voir dans quelle mesure on peut considérer que ces données sont
43 MÉTHODE VOTRE VEUT DIRE INFORMATION OU
44 Lab : données/ droite TPchercheur
45
387
Corpus numéro 5 durée 10 mn 40s
1 susceptibles d’être perturbées, d’être influencées par des variables parasites. Donc par
2 COMMENT JE CHOISIS ÇA RECHERCHE ÇA
3 Pointage TP précédent
4
5 des éléments autres que les éléments que vous essayez de mesurer. D’accord ?
6 JE CHOISIS JE SENS EXEMPLE AUTRE EXTÉRIEUR M’INFLUENCE JE REGARDE ÇA
7 TP TP chercheur
8
9 Mademoiselle … qu’est-ce que vous en pensez ?
10 D’ACCORD ?
11 Pointage étudiante
12 IS : tout le monde dit oui
13 - On décide dans l’hypothèse, on veut prouver ou seulement…
14
15
16 l’interprète se rapproche pour entendre
17 - Oui, on veut tester l’hypothèse, la mettre à l’épreuve.
18 HYPOTHÈSE SENTIR IMPORTANT
19
20
21 - Est-ce que le chercheur doit avoir une hypothèse ou bien seulement…
22 JE CHERCHE BON CONCRET JE
23
24
25 - Mais vous n’avez pas besoin d’avoir une hypothèse à vérifier, enfin ça dépend.
26 LIEN OU HYPOTHÈSE SEULEMENT VOUS BESOIN
27 TP Orateur + pointage étudiante
28
29 Choisissez soit une méthode expérimentale ou naturaliste qui est une recherche d’étude
30 HYPOTHÈSE HYPOTHÈSE RECHERCHE DISCUSSION
31
32
33 et de vérification d’hypothèse. Soit vous choisissez quelque chose d’exploratoire. Dans
34
35
36
37 votre cas, dans votre mémoire de recherche il n’y a pas d’hypothèse, c’est exploratoire.
38 MÉMOIRE VOTRE VOUS
39 pointage
40
41 Vous essayez quand même de mesurer la réalité. Et a priori il ne va pas y avoir
42 MÉMOIRE RECHERCHE J’INCLUE HYPOTHÈSE NON TOUCHE TOUCHE TOUCHE SITUATION
43 gauche
44
45
388
Corpus numéro 5 durée 10 mn 40s
1 d’éléments perturbateurs très forts parce que vous prenez directement ce que disent les
2 VRAI TOUCHE TOUCHE JE COMPARE LIEN OU NON LIEN NORMALEMENT INFLUENCE MÉTHODE
3 Droite
4
5 auteurs et traducteurs lorsqu’ils parlent de terminologie. Il peut y avoir une petite
6 TRAVAIL VOTRE NON POURQUOI PERSONNES TRAVAIL ME DONNENT PAPIER JE REGARDE THÈME
7 Droite TP
8
9 influence du fait que vous vous comprenez les choses d’une certaine manière, mais à
10 MOTS MOTS NORMALEMENT INFLUENCE IL N’Y A PAS. PEU PETITE INFLUENCE JE LIS
11 Lab : terminologie TP
12 CNV : hésitation
13 priori ce n’est pas très très très important. Si vous étudiez par exemple la qualité du
14 INFLUENCE GROS NON INFLUENCE THÈME REGARD ÇA VOTRE
15 pointage
16 CNV grande
17 travail que font sur le plan terminologique vos traducteurs grecs, et si vous étiez seul
18 PEUT ÊTRE INFLUENCE EUX PERSONNES JE TRADUIS
19 droite
20
21 juge et bien on pourrait se dire que non, qu’il y a des éléments perturbateurs. Parce que
22 GRÈCE EUX TOI JE COMPARE
23 Pointage droite lab :vous
24
25 vous avez votre opinion à vous, sur ce qui est du bon grec et ce qui n’est pas du bon grec,
26
27
28
29 euh, cela relève de peut-être de votre histoire personnelle, de ce que vous ont dit vos
30
31
32
33 professeurs, mais cela ne relève pas du tout de la réalité générale en Grèce. D’accord ?
34
35
36
37 Donc selon les types de questions de recherche, selon les méthodes disponibles, selon les
38
39
40
41 données disponibles vous risquez d’avoir une influence plus ou moins grande de
42 MÉTHODE PLUSIEURS INFORMATION PLUSIEURS VOUS INFLUENCE JE SENS GENE
43 Lab : données
44
45 L’interprète se…/…
46 variables parasites. Alors, les variables parasites sont un facteur seulement de, euh,
389
Corpus numéro 5 durée 10 mn 40s
1 PLUSIEURS EN LISTE
2
3 … déplace vers le tableau L’interprète regarde l’orateur en train d’écrire au tableau
4 perturbation. Mais il y a ce qu’on appelle également la variabilité naturelle. Variabilité
5 INFLUENCE
6
7 L’interprète regarde l’orateur en train d’écrire au tableau
8 naturelle. Est-ce que vous vous comportez dans la vie de manière toujours constante ?
9 NATURELLE AUTRE INFLUENCE MONTRE VOUS COMPORTEMENT VIE
10
11 scénarisation
12 Ou est-ce que dans la manière dont vous vous exprimez, la manière dont vous réagissez
13 QUOTIDIENNE COMPORTEMENT MÊME MÊME STABLE OU CHANGE PAR EXEMPLE
14 ARRIVE
15 TP
16 scénarisation
17 à certains phénomènes, il y a une variabilité ? A votre avis ? Bon… il y a une certaine
18 ÉVÈNEMENT COMPORTEMENT CHANGE JE SENS STABLE OU HAUT BAS HAUT BAS
19 Reprise scénarisation précédente
20 Fin scénarisation
21 variabilité qu’on trouve très souvent. Et quand vous regardez les travaux de
22 COMPORTEMENT VOUS QUESTION VOTRE AVIS. HAUT BAS HAUT BAS VOUS ?
23
24 CNV : évident
25 traductologie, les recherches empiriques où on vous présente les données… vous voulez
26 PERSONNES TRADUCTION LEUR EUX ME PAPIER JE PRENDS
27 TP
28 scénarisation
29 un peu d’eau ? (à l’interprète), on voit qu’il y a une très grande variabilité. Alors je
30 REGARDE DE L’EAU PROPOSE NON PRENDRE ÇA
31 TP Orateur
32
33 voudrais encore une fois vous présenter un phénomène fictif, donc des chiffres fictifs.
34 LA HAUT BAS LA. PREUVE JE MONTRE SITUATION ARTIFICIEL
35
36 Fin scénarisation
37 Quand vous allez, quand vous allez regarder, je vous invite à lire mes travaux de
38 CHIFFRES CHIFFRES ARTIFICIEL
39 Lab : faux
40 CNV : attention !
41 recherche empirique en traductologie, et que vous comparez les résultats vous allez voir
42 J’INVITE TRAVAIL THÈME JE TRADUIS EXPÉRIENCE JE TRADUIS S’IL VOUS PLAIT VOUS
43 Lab : logie
44
45 qu’il y a parfois des variations très grande entre les résultats. Qui vont du simple au
390
Corpus numéro 5 durée 10 mn 40s
391
Corpus numéro 5 durée 10 mn 40s
1 PEU 30 POURCENT
2
3 CNV : pas grand chose
4 a un problème ?
5
6
7
8 - Non non mais comment ce n’est pas important ?
9 PROBLÈME ?
10 Pointage étudiante
11
12 - Mais regardez un petit peu les données. Je vais vous donner tout à l’heure, je vais vous
13 30 POURCENT A MON AVIS GRAND LA JE REGARDE FEUILLE LA
14 TP étudiante Reprise Orateur lab : regarde
15
16 montrer les données qu’on a obtenues pour la sensibilité linguistique. Quand je dis du
17 APRÈS JE DONNE FEUILLE MONTRE THÈME SENSIBLE
18
19
20 simple au quintuple par exemple c’est de un à cinq. C’est pas une variation de trente
21 LINGUISTIQUE C’EST A DIRE FOIS UN JUSQU'A CINQ FOIS
22 Lab :
23
24 pourcent, c’est une variation de cinq cent pourcents ou de six cent pourcents.
25 JE VEUX DIRE 500 POURCENT 600 POURCENT
26 Multiplier reprise mouvement variabilité
27
28 - D’accord !
29
30
31
32 - Donc trente pourcent c’est vraiment pas grand-chose. Et ne me croyez pas sur parole,
33 D’ACCORD OUI 30 POURCENT PEU
34 TP étudiante reprise Orateur
35
36 allez vérifier chaque fois que vous voyez des travaux de recherche empirique avec des
37 MIEUX ALLER CONTRÔLER EXEMPLE JE LIS
38 TP
39 scénarisation
40 chiffres, regardez un petit peu ce qu’ils ont trouvé et comparez les chiffres, vous allez
41 FEUILLE TRAVAIL RECHERCHE EXPÉRIENCE CHIFFRES CHIFFRES JE COMPARE AUTRE FEUILLE
42
43
44
45 voir ça. Alors, supposons, donc moi je dis c’est complètement aléatoire, on ne peut pas
392
Corpus numéro 5 durée 10 mn 40s
393
Corpus numéro 5 durée 10 mn 40s
394
Corpus numéro 6 durée 10 mn 08 s
1 Si vous mesurez la qualité du travail fourni par les traducteurs et les interprètes au bout
2
3
4
5 d’un certain nombre d’années et qu’il se trouve, pour des raisons mystérieuses, que la
6 SI PERSONNE PERSONNE J’INTERPRÈTE OU JE TRADUIS DEPUIS LONGTEMPS
7 droite lab : traduis
8
9 CNV longtemps
10 variabilité par rapport à la réalité est de plus ou moins trente pourcent, ou vingt
11 TRAVAIL JE MONTRE SI LIGNE VARIATION PLUS
12 Pointage « montre » lab : variabilité
13
14 pourcent, ce qui n’est pas beaucoup, et je vous montrerai après, vous risquez d’aboutir à
15 30 POURCENT MOINS 20 POURCENT PEU ÇA PREUVE JE MONTRE APRÈS ÇA
16 Droite milieu pointage tableau
17
18 cette image là. L’orateur écrit au tableau. Et cette image là vous dit quoi ? Elle vous dit
19 PEUT RISQUE LA DESSIN IMAGE CELLE LA ÇA VEUT DIRE QUOI ?
20 Pointage tableau
21 L’interprète se tourne vers le tableau
22 que en réalité, le meilleur travail vous allez le trouver par exemple au bout de, à peu
23 TRAVAIL MEILLEUR JE PEUX
24 pointage tableau
25 regard tableau CNV écoute
26 près, douze ans. Jusqu’à douze ans d’expérience, les compétences augmentent, le travail
27 ENVIRON DEPUIS JE TRAVAILLE 12 ANS. APRÈS EXPÉRIENCE MONTE OUI
28
29
30 augmente. La qualité du travail augmente. Mais à partir de douze ans d’expérience,
31 QUALITÉ TRAVAIL AUGMENTE OUI MAIS 12 ANS
32
33
34 pfittt, c’est la dégringolade. Autrement dit, quoi ? Si les gens croient que le chercheur a
35 EXPÉRIENCE DEPUIS JE TRAVAILLE APRÈS CHUTE. C'EST-À-DIRE QUOI ?
36
395
Corpus numéro 6 durée 10 mn 08 s
1 bien fait son travail, ils vont se dire : très bien, dorénavant, je vais recruter des gens
2 SI PERSONNE LUI CHERCHE TRAVAIL BIEN BIEN MOI MAINTENANT
3 Droite TP les gens pointage gauche
4 scénarisation
5 entre disons, trente ans et quarante ans. Parce que avant trente ans, entre… ils sont en
6 JE VEUX LUI J’EMBAUCHE SI TRAVAIL VEUT J’EMBAUCHE LUI ENVIRON AGE 30 JUSQU'A 40 ANS
7 Pointage gauche pointage gauche
8
9 phase d’apprentissage rapide, mais heu, ils ne savent pas encore suffisamment de choses,
10 J’EMBAUCHE OUI JE VEUX POURQUOI ? AVANT LUI APPREND OUI PENTE MONTE OUI MAIS
11 Placement devant les 30 ans + pointage
12
13 et jusqu’à trente cinq ans c’est bon, et à partir de trente cinq ans ça dégringole et à
14 EXPÉRIENCE PAS ASSEZ JUSQU'A 35 ANS BON APRÈS
15 Pointage tableau reprise pointage tableau
16 Regard tableau
17 quarante ans ils redescendent et donc les gens de plus de quarante ans il n’est pas
18 PENTE DESCENDANTE 40 ANS PENTE DESCENDANTE 40 ANS CHUTE
19 reprise signe ligne 35 p.1
20 CNV descente rapide
21 question de leur donner du boulot. Voilà les résultats auxquels vous pouvez arriver. Si
22 MOI AGE PLUS 40 ANS PAS LA PEINE NON J’EMBAUCHE NON VEUX PAS ÇA RÉSULTAT ÇA
23 Pointage tableau
24 CNV retrait fin scénarisation.
25 on prend en compte une étude comme ça comme si elle reflétait la réalité. Vous saisissez
26 SI JE SUIS ÉTUDE ÇA ÉTUDE PI JE CROIS MÊME VRAI SITUATION VRAI
27 Pointage tableau directionnel tableau
28
29 le danger ? Donc ça c’est vraiment très très important. Alors quelle est le, quelle est la
30 LA JE SENS RISQUE VOUS ÇA IMPORTANT
31 Pointage tableau + Lab : elle
32 CNV attention
33 mesure que la science peut prendre pour contrer l’effet de cette variabilité ? C’est pas
34 SCIENCE ÇA RISQUE LA
35 Gauche+ pointage pointage tableau+ reprise placement
36 CNV : alors
396
Corpus numéro 6 durée 10 mn 08 s
1 compliqué. Cette variabilité incontrôlée par définition elle est aléatoire. Elle n’ira pas
2 SCIENCE DÉCIDE QUOI SIMPLE FACILE DROITE HAUT BAS CONTRÔLE COMME
3 Lab : variabilité+ pointage tableau
4 CNV impossible
5 toujours dans le même sens. Si elle allait dans le même sens ce ne serait pas de la
6 SENS JE SENS SENS SURE TOUJOURS MÊME MÊME LA
7 Pointage tableau
8
9 variabilité incontrôlée, ce serait un facteur parasite particulier, par exemple la
10 NON ÇA VARIATION ÇA COMME SITUATION ÉLÉMENT IMPRÉVU
11 Pointage tableau gauche + lab : variabilité droite directionnel gauche
12
13 motivation. Ou alors je ne sais pas, le vieillissement du cerveau, la maturation ou alors je
14 LA EXEMPLE MOTIVATION OU CERVEAU DEVIENT VIEUX
15 Pointage gauche
16
17 ne sais quoi. Mais dans la mesure où c’est une variable aléatoire, si on fait des
18 EX JE NE SAIS PAS
19 Pointage gauche
20
21 réplications des expériences, c'est-à-dire qu’on ne mesure pas la chose sur un seul texte
22 SI STATISTIQUE VARIER EXEMPLE EXPÉRIENCE JE RÉPÈTE JE RÉPÈTE JE RÉPÈTE
23 Lab : variable pointage gauche
24
25 avec un échantillon, mais on va mesurer beaucoup de fois, des dizaines de fois, peut être
26 EXEMPLE UN TEXTE GROUPE PERSONNE PERSONNE MÊME MÊME LA NON. IL FAUT EXEMPLE TEXTE
27 Gauche
28 pointage gauche gauche
29 CNV éventuel
30 qu’un jour la déformation sera celle-ci (l’orateur écrit au tableau ) une autre fois la
31 GROUPE PERSONNE PEUT JE RÉPÈTE JE RÉPÈTE DIX FOIS PEUT ÊTRE UNE FOIS COMME LA
32 Pointage tableau
33 L’interprète se tourne vers le tableau
34 déformation sera celle là, encore une fois la déformation sera comme ça, mais au bout
35 JE SUIS ÇA PI VARIABLE PEUX CHANGE ÇA EXEMPLE MAIS
36 Pointage tableau
37 Regard tableau
397
Corpus numéro 6 durée 10 mn 08 s
1 dire des éléments physiques ou les choses sont très nettes. Par exemple, le rapport entre
2 SI IL N’Y A PAS NON EXEMPLE EXEMPLE
3 Reprise placement scénarisation précédente milieu
4 Fin scénarisation CNV
5 la température, le volume du gaz et la pression qu’exerce le gaz sur une boite dans
6 EXEMPLE EXPÉRIENCE GAZ V. O. L. U. M.
7
8
9 laquelle il est enfermé. Là c’est un système fermé, c’est un système très constant, et on
10 E. ÇA EXPÉRIENCE
11 Pointage gauche
12 CNV l’interprète voit son retard sur l’orateur
13 trouve des valeurs toujours très proches. Il y a très très peu de variabilité. Mais dans
14 TOUJOURS RÉSULTAT MÊME MÊME MÊME MÊME LA VARIATION JAMAIS
15 Pointage gauche Lab : variabilité
16 CNV léger
17 tout ce qui est humain, on ne peut pas. Donc, vous voyez bien quand on fait de la
18 PEU RARE EXEMPLE CHIMIE BIOLOGIE ETC SI HUMAIN TOUJOURS VARIABLE LA LA TOUJOURS
19 Pointage centre lab : différent
20
21 recherche empirique c’est l’un des inconvénients de la recherche empirique. C’est que,
22 LA. JE CHERCHE EXPÉRIENCE JE TOUCHE
23 Pointage droite lab : recherche
24
25 en général, on n’a pas les moyens, nous on n’a pas les effectifs, on n’a pas l’habitude, on
26 ÇA NÉGATIF NÉGATIF LA JE PEUX PROBLÈME POURQUOI ?
27 Pointage gauche pointage « recherche »
28
29 n’a pas de culture des réplications des travaux empiriques. Il faudrait qu’on le fasse,
30 GENERAL CULTURE HABITUDE JE RÉPÈTE JE RÉPÈTE IL N’Y A PAS PAS ENCORE DEPUIS
31 Lab : réplication
32
33 c’est faisable, il faudrait qu’on change les cultures de recherche. Parce que si par
34 IL FAUT CULTURE JE CHERCHE MÉTHODE JE CHANGE
35 Lab : recherche
36
399
Corpus numéro 6 durée 10 mn 08 s
400
Corpus numéro 6 durée 10 mn 08 s
1 ne peut pas grand-chose. Vraiment, vous avez par exemple chacun un rythme
2 VARIATION DEDANS
3 Lab :variabilité
4
5 biologique, on ne va pas essayer de réduire les variations de température de votre corps
6 EXEMPLE PERSONNE PERSONNE CHACUN DEDANS RYTHME
7
8
9 ou du métabolisme à l’intérieur de votre corps par des moyens artificiels pour arriver à
10 TEMPÉRATURE BIOLOGIE MON CORPS DEDANS IMPOSSIBLE EXEMPLE signe non compris
11
12 Tentative de scénarisation
13 réduire la variabilité. Ça c’est… ni pour des raisons éthiques, ni pour des raisons de
14 [QUELQUE] CHOSE ME DONNE BAISSE DE TEMPÉRATURE
15
16
17 faisabilité c’est quelque chose qui est possible. Mais une partie liée à la variabilité est
18 TEMPÉRATURE IMPOSSIBLE
19
20
21 due à des procédures, c'est-à-dire à des méthodes de recherche, qui ne sont pas très très
22 MAIS VARIATION
23 Lab : variabilité
24
25 strictes. Une observation qui n’est pas rigoureuse. Ou, quand vous faite une expérience il
26 MÉTHODE JE CHERCHE STRICTE CARRE RÈGLES NON SI J’OBSERVE
27 Lab : recherche TP lab : observation
28 scénarisation
29 n’y a pas ce que l’on appelle un protocole, c'est-à-dire qu’il n’y a pas tout un ensemble
30 LA SÉRIEUX NON EXEMPLE EXPÉRIENCE MOI AVANT
31 gauche
32
33 de règles à suivre de manière très rigoureuses qui nous assurent que les conditions sont
34 RÈGLES SÉRIEUX STRICTES MOI JE SENS PRÊT
35 droite
36
401
Corpus numéro 6 durée 10 mn 08 s
1 les mêmes, que les instructions sont données aux mêmes personnes, que l’échantillon est
2 SITUATION CONDITION MÊME MÊME MÊME JE DIS PERSONNE PERSONNE
3 Gauche milieu
4
5 un échantillon de gens qui se ressemblent etcétéra. Donc l’une des manières de réduire
6 J’EXPLIQUE J’EXPLIQUE MÊME MÊME MÊME PERSONNE PERSONNE GROUPE GROUPE
7 Gauche milieu gauche milieu gauche milieu
8
9 la variabilité c’est d’être très très rigoureux dans la manière de faire les expériences.
10 MÊME IMPOSSIBLE COMMENT VARIATION DIMINUER COMMENT IL FAUT MOI
11 Lab : variabilité TP chercheur
12 Fin scénarisation scénarisation
13 C’est tout, vous avez compris le raisonnement ? Et même ça, ça ne permet pas de
14 JE ME REGARDE MOI-MÊME TRAVAIL EXPÉRIENCE IL FAUT SÉRIEUX ÇA JE VEUX DIRE RÈGLES MÊME
15
16 Fin scénarisation
17 réduire entièrement la variabilité. Et donc ce qu’on va faire c’est que on va procéder là,
18 COMPRIS ÇA VARIATION VRAI MOINS IMPOSSIBLE
19
20 CNV non
21 à des réplications. En psycholinguistique il y a beaucoup de réplications. Et si vous
22 QUOI FAIRE IL FAUT JE RÉPÈTE JE RÉPÈTE JE RÉPÈTE EXEMPLE LINGUISTIQUE PSYCHOLOGIE
23
24
25 voulez, l’avantage que je trouve moi à utiliser, par exemple, les résultats de la
26 J’AI JE RÉPÈTE JE RÉPÈTE JE RÉPÈTE IL Y A MÉTHODE DEDANS AVANTAGE
27 Droite + Lab : répète répète droite
28
29 psycholinguistique plutôt que les résultats de traductologie pour analyser un petit peu ce
30 A MON AVIS EUX THÈME PSYCHOLINGUISTIQUE OU
31 Pointage droite (linguistique/psychologie) lab : psycholinguistique
32 Interaction avec le groupe
33 qui se passe chez les traducteurs et chez les interprètes, c’est que je sais que chez les
34 JE TRADUIS JE CHERCHE RÉSULTAT J’INTERPRÈTE AUSSI
35 Lab : recherche Lab : interprète
36 Gauche gauche gauche
402
Corpus numéro 6 durée 10 mn 08 s
403
Corpus numéro 6 durée 10 mn 08 s
1 passer à quelque chose d’un tout petit peu différent. Je veux vous parler de, d’une étude
2 MAINTENANT DE COTE THÈME DIFFÉRENT
3 Réinitialisation de l’espace de signation
4 déplacement orateur et interprète
5 que j’ai faite… en matière d’évaluation, est-ce qu’on en a déjà parlé, d’évaluation de la
6 ETUDE JE TOUCHE FINI JE PRÉSENTE J’EXPLIQUE
7
8 l’interprète attend la fin de la distribution de polycopiés
9 qualité du français d’une l’interprétation par différents évaluateurs ? Non ? Comme je
10 THÈME QUOI ÉVALUATION PEUT ÊTRE DÉJÀ J’EXPLIQUE FINI AFFAIRE FRANÇAIS J’INTERPRÈTE
11 Pointage gauche
12
13 suis bourreau de plusieurs cours je ne sais jamais lesquels on fait quoi…. Parce que je
14 QUALITÉ PERSONNE J’ÉVALUE DIFFÉRENT DIFFÉRENT ÇA NON PAS ENCORE MOI COURS
15 Gauche gauche vers milieu
16
17 suis mal organisé ! Alors pour vous punir, Madame l’interprète ! qu’est ce que vous
18 PLUSIEURS JE SAIS PAS J’OUBLIE LA J’EXPLIQUE FINI ET LA J’ORGANISE MAL POUR ÇA
19 TP pointage gauche pointage droite
20
21 faites si je vous donne quelque chose pendant que vous signez ?
22 JE PUNIS MADAME J’INTERPRÈTE
23
24
25 - (l’interprète) Je le donne ! (Rires)
26
27
28 L’interprète donne le polycopié à son collègue assis à côté d’elle.
29 Relais
404
8.2. Entretien pendant le visionnage des corpus 1 à 6 avec les interprètes
Page 333 :
Là on ne sait pas qui dit quoi, on a mélangé les entités. J’ai pointé la fille mais après j’ai
oublié de re-pointer l’orateur. On ne sait pas qu’il a repris la parole. Vu de l’extérieur, tu te dis
que c’est toujours le même orateur.
Je repense à mon état… et là quand il commence à parler d’étudiants et de professionnels, je
suis très ennuyée. Je me dis que les étudiants et professionnels sont séparés… là je commence
à ne plus savoir… il y a une entité claire, c’est Kunzli, l’auteur, ça d’accord. Mais après il dit
beaucoup « IL » et je pense qu’à un moment donné j’ai complètement décroché et on va le
voir parce que le « IL » c’était qui ? Le « IL » c’est l’auteur ? Les professionnels, les
autres ?….
Après entre les professionnels et les étudiants… ce sont ceux qui écrivent ? Pour moi, c’est
important pour la mise en place. Aussi, est-ce qu’ils sont mélangés dans la même catégorie.
Pour moi, les professionnels et les étudiants, ce n’était pas clarifié. C'est-à-dire, est-ce que
c’était eux qui étaient « écrivains » ? Est-ce que c’était eux qui étaient observés ? A un
moment donné, j’ai paniqué et j’ai fait « six six » (placement des deux groupes de six à droite
et à gauche dans l’espace de signation), en fait je crois que c’était « six trois trois ». Six d’un
côté, six de l’autre… de même pour « l’échantillon n’était pas assez représentatif » … Et pour
moi là, je manquais d’informations pour spatialiser mes entités…
Mais bon, c’est une réalité quotidienne. Mais à partir de là… je ne les place pas dans l’espace
et c’est tout, c’est ça ce que j’aurais dû faire. J’aurais dû faire « étudiants/professionnels »
sans savoir où ils sont. Les poser devant moi dans l’espace sans savoir où ils sont. Parce que
je me suis piégée toute seule. Ne sachant pas si c’est 3 3 ou 6 6. Là j’ai senti que c’était dur
parce que c’était le résumé du cours de la semaine dernière. J’ai conscience que je n’avais pas
d’informations mais par contre comment gérer la situation ? Je pense que dans cette situation
j’aurais dû les placer devant moi dans l’espace, simplement parce que je ne peux pas les
placer autrement.
Ce qui me perturbait vrament c’était « qui fait quoi ? ». Sont-ils ensemble ? Observés ? Je me
suis posé la question tout au long de la séquence. En fait, il fait d’incessants allers/retours
entre l’expérience qui a été faite et ses questions aux étudiants sur les résultats.
Après juste pour le mot « expérience » dans cette situation, j’avais vu un nouveau signe pour
« expérimentation » qui est comme ça (elle signe), ou bien « expérience » on signe la situation
ou bien on emploie directement le signe standard ? Après lorsqu’il dit empirique, c’est signé
comme expérience du terrain, concret, c’est ça.
405
Page 335 :
Ensuite, j’ai été embêtée par la « démarche » je ne savais pas trop comment la signer. Peut-
être que j’aurais dû faire « réflexion, puis choix… » ou « décision prise après avoir bien
réfléchi », ou « choix chemin départ ». Mais le signe « démarche » ici ça ne va pas, et
pourtant beaucoup de sourds le font.
Page 335-336 :
Là, je suis vraiment dans son discours et je cherche. Après je me suis débarrassée de « on ne
peut pas tirer des vérités générales… sur un petit échantillon… l’échantillon représentatif ».
Je fais « on ne peut pas comprendre ». Je n’ai pas fait l’idée de général. J’ai abandonné parce
que j’avais peur de ce qui allait venir après, parce qu’il parle plus vite là. Là, j’attendais de
comprendre, donc je double. Mais la phrase n’est pas très claire. Je pense qu’il faut que
j’apprenne à balancer les infos peut-être de manière un peu linéaires avant d’avoir du sens.
Parce que là je sais je veux tout placer dans l’espace tout de suite, comprendre si c’est SIX et
SIX ou TROIX et SIX (elle le place dans l’espace de différentes façons), SIX une fois ou
plusieurs, il faut que j’apprenne à gérer ce temps de non-compréhension sans vouloir être trop
précise dans mes placements tout de suite. Parce que là, visiblement, je me trompe. Si j’avais
eu la prépa avant je l’aurais peut-être anticipé, quoi que c’était en anglais… si je n’ai pas
assez d’infos pour le placer, il vaut mieux maintenir une relative linéarité. Parce que là, les
entités dont je dispose c’est quoi ? Il parlait de deux groupes, qui n’étaient pas assez
représentatifs. Il n’a pas parlé de deux groupes, si ? Ou à la limite je peux faire au début
« groupe/étudiants/professionnels », mais je ne les place pas dans l’espace pour l’instant,
parce que c’est après qu’il dit, qu’il développe. Je vois bien là que j’ai tendance à anticiper
trop, et je me trompe.
Page 336, ligne 27 :
Là on ne sait pas si le texte il le lit ou il l’écrit. En fait, il y a un texte, c’est tout. J’essaye de
mettre en scène alors que je n’ai aucun élément pour. Comment signer « peut-on généraliser
avec un texte » ? Peut-être avec la même configuration qu’on a vue avec les « résultats ». Moi
je bloque toujours avec la notion de généraliser. Je ne peux pas utiliser le signe « général » ce
n’est pas possible. Mais je sais que là, je bloque sur l’action, je ne sais pas ce qu’il fait de son
texte, je prends l’option de la lecture.
Page 338 :
Tu vois il vient de parler des professionnels, et je ne sais pas de qui il parle. Je ne sais pas.
Des chercheurs ? Des traducteurs ? Je n’ai pas arrêté de me dire : est-ce que c’est celui qui
observe ou celui qui produit ? Il y a les chercheurs, Kunzli, ceux qui observent les traducteurs,
les évaluateurs, donc les professionnels…
J’insiste lourdement mais je ne savais pas qui faisait quoi ? Qui étaient qui ? Si les
professionnels et les étudiants faisaient partie de la même catégorie ? C'est-à-dire de gens
observés mais aussi de deux entités séparées, dans mon espace. Mais si je déshabille le
discours, en fait il est assez simple.
406
Page 339-340 :
Quand je pointe, je ne sais jamais dans quelle mesure le sourd sait qui est vraiment pointé
dans l’assemblée. Là c’est vrai que lorsque l’élève parle je la regarde beaucoup, mais j’avais
du mal à la comprendre avec son accent à couper au couteau, j’essayais de la comprendre en
lisant sur ses lèvres ce qu’elle disait.
Page 341 :
Là je sais que l’orateur attendait une réponse, mais je ne savais pas comment gérer
l’interaction. Je n’ose pas exister dans l’interaction. En plus comme je suis gênée, je fais
n’importe quoi. Le « public », au lieu de le représenter dans l’espace, je le signe par
« public »… Ce n’est pas très joli.
Page 343 :
Là je tente de dactylologier le prénom de la fille, mais j’ai vu plusieurs fois que certains ne
choisissent pas cette option-là. Pourtant dès que je peux enlever la dactylo je le fais. Je le fais
à l’aveugle, je n’ai pas compris son nom en fait.
Pour la « validité écologique » j’ai placé le concept avant de le nommer. Dans cette situation,
je trouvais ça plus cohérent.
La « validité écologique » au niveau de la phrase n’est pas passée par contre.
Pour T.A.P c’est pareil, je ne sais pas s’il faut que je l’explique ou non. Là je me dis que
normalement l’étudiant, s’il suit ce cours-là, doit savoir ce que c’est. Alors je me retrouve à
donner une information que je ne maîtrise absolument pas, du moins pas à ce moment, je la
comprends après. C’est un risque en fait, je croise les doigts pour qu’il développe son histoire
de T.A.P
407
Page 349 :
L’interaction « font quoi ? » sur les traducteurs, je ne l’ai pas interprétée. J’ai fait comme si
l’orateur continuait de parler, ça m’a empêché de saturer. Je ne crois pas l’avoir fait
consciemment. De toute façon, il vient la remettre sur les rails.
Je donne ce qu’on me dit mais je n’ai pas l’impression de passer du sens. Ça se voit un peu
dans mon comportement, non ? Tu vois je ne fais aucun transfert depuis le début, je suis
stressée.
Page 353-354 :
Là, je colle au discours de l’oratrice. Je crois que c’est son accent. J’ai beaucoup de mal à la
comprendre, à voir où elle veut en venir. Alors je ne la quitte pas d’un mot ! Je vois pourtant
qu’il reformule. J’ai compris ensuite qu’il reformulait toujours ce que les étudiants disaient, ça
m’a aidé par la suite.
Page 354, ligne 30 :
Je n’ai pas passé « victime », je ne savais pas comment le faire passer. Ça ne change rien pour
la compréhension. Le signe victime ne me convenait pas du tout.
Mais son discours me parle plus et je vois que je scénarise plus volontiers. Là ça va mieux.
Page 355, ligne24 :
« Montrer que je suis quelqu’un d’intelligent ». Ce n’est pas facile à le mettre en scène
dedans.
Je sautille moins, on voit bien que je suis plus à l’aise dans le discours.
Page 356-357 :
Le problème là c’est qu’on ne distingue pas bien le cobaye de l’expérimentateur. Tout est sur
le même plan.
Mais c’est vrai que l’orateur qualifie de professionnels un peu tout le monde, c'est-à-dire que
parfois on ne sait pas si ce sont les professionnels traducteurs ou les chercheurs, ou les
participants, donc c’est compliqué à signer car on ne sait pas de quel côté piocher.
Mon espace était clair : mon chercheur à droite, et les autres à gauche. A un moment, on voit
bien que je me trompe de côté.
Ce qui n’est pas clair à ce moment du discours, c’est que Gile nous dit : je vais vous parler
d’autre chose, du temps où on faisait des expériences à la fac. Donc moi, dans mon esprit j’ai
vidé tout mon espace de signation. Je n’étais plus dans les résultats et autres chercheurs. Mais
il y avait d’autres chercheurs, mais je pensais avoir fait table rase de mon espace, mais ce
n’est apparemment pas si clair que ça en voyant la vidéo. Donc c’est vrai qu’on peut
confondre toutes les sortes de chercheurs qu’il peut y avoir dans mon espace.
Je vois que je me décale un peu lorsqu’il reparle de l’expérience, en fait je vois que je n’ai pas
montré que je vidais mon espace, en revanche j’ai fait un petit pas sur le côté pour montrer
que le sujet était à ce moment-là du discours une parenthèse, une illustration. C’est comme ça
408
en tout cas que je l’ai compris. La parenthèse était représentée par ce que j’ai signé en me
décalant un peu sur le côté.
Page 356, ligne 35 :
« La faisabilité » : ça je ne l’ai pas traduit. C’est le genre de concepts qui me bloque en LS,
pourtant c’est très simple, c’est qu’on peut le faire mais j’imagine une portée plus abstraite
que je n’arrive pas à transmettre. Alors je suis passée à autre chose.
Page 357, ligne 2 :
« Les données que j’ai recueillies » je ne l’ai pas non plus franchement passé… j’ai toujours
du mal à matérialiser ce genre d’expressions. Des données c’est quoi finalement ? Des
informations, des résultats, des résultats d’analyses, résultats d’expériences… et j’en fais un
tas que je mets sur le côté… je ne suis pas satisfaite de ce genre de surreprésentation de la
réalité en signes. Mais comment signer « données » autrement ? Je sens que je nivelle le
discours vers le bas car j’ai envie de signer « données » et non infos ou résultats.
Page 362, ligne 21 :
Là je signe « TAP » pour tout ce qui concerne les données à voix haute, etc. C’est plus rapide
de signer 3 lettres et j’avais un peu de retard.
Je n’ai pas signé « le petit prince », au départ j’ai compris « le petit prince iranien » et ça m’a
fait rire, je n’étais pas du tout dans le petit prince de St Exupery. Je ne me suis pas autorisée à
le faire, parce que je ne savais pas si c’était un livre ou quoi, c’est bête. J’aurais dû le
dactylologier. Mais c’était long.
Mais si on utilise le pointage pour signaler le changement d’interlocuteur, là on voit que
j’utilise le même pour dire « et vous Mlle M… », lorsque l’orateur s’adresse à l’étudiante. Ce
qui fait qu’en suivant la logique de départ, on pourrait croire que c’est elle qui s’exprime,
alors que Gile s’adresse seulement à elle. On ne peut pas utiliser le même signe pour signifier
un changement de locuteur et pour pointer la personne à qui le discours s’adresse. Peut-être
serait-il plus clair de rajouter « dit ».
410
Page 372, ligne 22 :
Ensuite avec « des choses ridicules, des choses banales » lorsqu’il dit que ce que l’auteur
apporte n’est pas nouveau, la causalité etc. j’aurais pu le scénariser par un lecteur qui lit un
texte et mettre en images ses réflexions, du style « on sait, y’a rien de nouveau… »
Page 373, ligne 6 :
« neige en novembre Noël en décembre » : pourquoi ai-je entendu soleil ? En fait ça m’a fait
penser à Diabologum, la neige en été ou soleil en hiver je sais plus. Et ça m’a embrouillé. Et
c’est marrant parce que là, je fais mon « novembre » et tout à coup je me dis mince et
décembre ? Alors je cherche je cherche, et je me dis que ça doit être le soleil. Le pire c’est que
j’ai entendu le dicton au départ mais en le formulant j’en ai oublié la moitié. Je l’ai laissé
prendre de l’avance sur le dicton et puis je me suis fait piéger.
Page 374, ligne 39 :
Je me trompe en faisant « dense » en étirant le texte, c’est pour ça qu’ensuite je le resserre.
Dans ce passage, je ne fais pas passer le côté « tout le monde dit ceci cela et ce n’est pas
vrai… » Le côté rassurant. Pareil, je remarque qu’il sort de son rôle pour bien sensibiliser les
élèves, et ce sous-entendu ne passe pas. Je crois que je ne suis pas assez à l’aise dans le
discours pour comprendre et faire passer ce côté rassurant qui n’est pas affiché. Quand je suis
à l’aise j’arrive à me dégager du discours pour faire passer ces choses-là, et puis être plus
proche de l’orateur mais là je n’ai pas la maîtrise du discours alors je n’arrive pas à mettre
cette distance. Pourtant ce qu’il dit n’est pas compliqué, et j’aime bien me mettre en scène,
pourquoi je n’y arrive pas ici ?
Le fond et la forme : alors j’ai fait « forme » et ensuite la « présentation ».
« Dense » ce n’est pas lourd, ni long, ce n’est pas facile a représenter.
Page 379 :
Alors là je suis très embêtée parce que je suis mal placée par rapport au tableau. Il écrit en
même temps qu’il parle et le tableau est derrière moi sur la gauche. En plus avec l’éclairage je
ne voyais pas bien le schéma. Je ne comprends pas vraiment ce qu’il dit, puisque c’est en lien
avec ce qu’il écrit, et c’est derrière moi. Au début je n’ose pas bouger, je ne veux pas déranger
le cours. C’est pour ça que je souris.
Je me plante en fait, ce que je dis n’est pas ce qu’il dit. Il parle de la relation de l’influence, et
moi comme je ne vois pas son schéma j’ai fait une hypothèse qui n’est pas bonne.
Et puis cette situation m’a bloquée, parce qu’il n’y a pas longtemps j’ai fait une prestation sur
laquelle je n’étais pas du tout à l’aise, j’avais tendance à regarder le conférencier parce que
son discours était un peu mou, flou. Et ma collègue me disait que trop regarder le conférencier
coupait le regard avec le public sourd, et là j’ai cru que c’était la même chose. Mais pour
411
autant ce n’était pas Gile que je cherchais du regard, c’était son tableau que j’essayais de
regarder.
Page 380, ligne 1 :
La « réalité » du coup n’est pas passée, quand je me revois, on ne comprend pas.
C’est drôle, je n’ose pas me déplacer vers le tableau, en vrai je ne veux pas gêner, en fait je
me rends compte que ma posture est gênante pour le coup.
Page 381 :
Là c’est mieux, c’est plus clair et concret que les courbes pour moi ! Du coup je scénarise,
tout est dit, même si finalement c’est un peu une boutade sur moi.
(L’interprète s’est rapprochée du tableau). Là pourtant je suis proche du tableau mais je ne
l’exploite pas. C’est dommage, en fait c’est parce que dès le départ je ne l’ai pas pris, du coup
je continue sur la logique de mon espace précédant, sans m’appuyer sur le tableau. Je ne
pointe rien, ni ses droites ni les pointillés, je n’ai même pas repris son schéma dans mon
espace.
Je remarque aussi que mes collègues précédents qui ont interprété avant mon relais ne l’ont
pas utilisé, donc personne n’avait situé dans son propre espace la ligne de la compétence.
Bêtement j’ai suivi. C’est dommage.
Page 383 :
Là je tente une mise en espace de son tableau, mais comme je suis gauchère je le fais à
l’inverse.
Page 384, ligne 1 :
Là je me demande comment représenter une « variable parasite », la pointer aurait
grandement simplifié ma traduction. Je suis partie dans une scénarisation.
Je rage un peu maintenant que je vois son tableau et que je comprends son schéma, je me dis
que j’ai perdu beaucoup de temps à ne pas l’utiliser.
Page 385 :
Encore une fois je suis piégée car j’ai scénarisé la variable parasite sans la nommer, sans
nommer ce concept, et je me rends compte qu’il faut la nommer « bruit ». Du coup, je perds
du temps à épeler « variable parasite » pour ensuite faire le lien avec le « bruit ».
Après vous m’avez perdue, je suis restée bloquée sur la variable parasite et je n’ai pas entendu
le reste. J’ai capitulé avec le sourire. Je n’ai pas compris son histoire de radio, qui est pourtant
simple. D’ailleurs, je demande un relais.
412
8.2.5. Entretien Corpus 5 avec ILS 5
Page 386 :
J’arrive en retard sur son discours à cause du relais un peu brutal, du coup je mets un peu de
temps à rentrer dedans, et en plus je dactylologie « empirique » donc ça n’arrange rien…
Page 388, ligne 37 :
Là je n’ai pas passé la recherche « exploratoire », je me souviens que je réfléchissais à la
façon de distinguer les signes de recherche empirique, avec l’expérience mais je ne l’ai pas
trouvé dans l’instant. Maintenant je vois que la distinction des deux concepts n’est pas très
claire.
Page 389, ligne 25 :
Pourquoi je mets autant de temps à commencer là ? C’est fou ! Je ne pensais pas avoir raté un
passage aussi long. Ah mais je me rattrape, je résume là tout ce que j’ai laissé passer, tout le
passage sur les différentes méthodes de recherche.
Page 390, ligne 4 :
Honnêtement à partir de ce moment je me sens bien. J’ai décidé de signer la variabilité
comme ça, je sais que ce n’est pas le même que ma collègue de tout à l’heure, mais dans ce
contexte, je trouvais que c’était plus cohérent par rapport à ma scénarisation précédente.
En me voyant comme ça je remarque que je n’ai pas le même rythme que l’orateur. J’ai
l’impression d’être un diesel, je mets du temps, je rattrape, je ralentis, et j’accélère.
Page 393, ligne 29 :
Qu’est-ce qui m’a pris de dactylologier Power Point ? Peut être parce que j’ai vu au moins
5 signes différents selon les régions et du coup je fais mon choix un peu tardivement.
Page 395 :
Comme ça fait un moment que le discours est commencé je me sens assez vite à l’aise. C’est
plus vivant. Je trouve aussi que cette partie du discours est beaucoup plus concrète que
certains passages qu’ont pu avoir mes collègues.
Page 396, ligne 33 :
J’ai quand même du mal avec la « variabilité ». J’essaie de distinguer tant bien que mal la
variabilité de la variation mais je pense que très honnêtement ça ne passe pas vraiment. Idem
pour la « variable aléatoire », je ne réussis pas à passer ce concept, je me focalise un peu trop
sur ses exemples en fait.
413
Page 397, lignes 13, 17 et 21 :
J’ai été frustrée avec « variabilité » et « variable aléatoire », du coup je mets le paquet sur la
« réplication », je propose un signe que j’épelle pour être sûre, j’en fais un peu beaucoup
quand je me vois.
Page 398 :
Ah les « tendances » ! Après coup, c’est facile de le signer, il y a une idée généralisante, mais
sur l’instant je ne trouve pas et puis je vois que ça défile. Je me souviens bien de l’impression
de m’en sortir de façon globale, avec quelques frustrations très localisées.
Page 399, ligne 5 :
Honnêtement je trouve que je m’en sors mieux que ce que je pensais en le faisant ! C’est
pareil avec cette histoire de volume de gaz, je ne me voyais pas du tout faire le signe standard
volume, je le trouve trop vague surtout parce qu’il parle de système de pression. C’est pour ça
que je l’ai dactylologié. Ce n’est pas très pertinent en fait.
Page 402 :
C’est mieux pour moi parce qu’il donne des exemples, il développe. D’ailleurs je rattrape
mon retard. J’ai toujours un peu peur quand je sens que le discours m’échappe, ce n’est pas
que je n’arrive pas à comprendre, je comprends, mais je me demande quoi mettre dans mon
espace et quoi montrer.
414
B : La liaison est plus facile. Moi j’ai plus de mal avec tout ce qui peut être théorique. C’est
plus facile d’avoir des images et de les représenter dans ton espace quand les choses sont
concrètes. Alors que tout ce qui peut être théorique, c’est pour moi plus difficile de
déverbaliser et de placer les éléments dans mon espace.
C : Pour en revenir au « qui fait quoi ? Quel est l’enjeu ? », je trouve que c’est difficile à voir
tout de suite. Je trouve que cela demande une analyse et que sur le coup, être capable
d’entendre un concept et de pouvoir poser d’emblée qui fait quoi, ça prend du temps, on a
besoin d’un décalage.
B : Oui, quand toi par exemple tu dois interpréter une situation que tu ne connais pas, ou un
concept, tu as beau avoir tous les signes, si tu ne sais pas bien ce que cela implique et que tu
n’as jamais touché du doigt cette situation là, c’est difficile de trouver qui fait quoi.
Moins les gens essaient de vulgariser un discours, et plus c’est difficile de trouver les
personnes pour les mettre en action dans ton espace. Quand tu ne trouves pas tout de suite le
cas concret pour le représenter, c’est difficile.
A : Même avec la préparation, quand tu abordes la préparation d’un point de vue seulement
linguistique tu ne sais pas quelles entités interagissent. Et ça, j’ai l’impression qu’on le
néglige souvent, on n’a pas de hauteur sur le discours. On manque d’horizon.
E : On ne néglige pas, c’est simplement qu’on ne peut pas. Tu as beau avoir les mots, tu as
beau avoir fait la préparation, par exemple hier avec XX on s’est rendu compte que ce n’était
pas un problème de vocabulaire mais bien un problème de scénarisation. On n’arrivait pas à le
poser dans l’espace.
B : Attention, hier il a scénarisé après coup, pas en simultanée. Ça n’a rien à voir. C’est plus
facile de faire de beaux dessins une fois que t’as vu le film…
F : Oui, mais même avec la prépa on ne savait pas comment le placer, à savoir qui fait quoi et
comment le scénariser. Même en prenant le temps et en connaissant le texte.
A : Cela me fait du bien d’entendre dire tout ça parce que moi j’avoue que depuis qu’on est
passé à la simultanée les propositions de séquences en LS en correction sont faites avec un
temps de décalage de consécutive. Du coup ça m’inhibe encore plus. Parce que c’est plus dur
pour moi de travailler vers la langue des signes, et le fait de devoir passer par des transferts
personnels et scénarisations je m’aperçois que parfois ce n’est pas possible en simultanée. Et
ce qui nous est dispensé est teinté du fait que si… c’est toujours possible. Alors qu’on fait
avec ce qu’on a.
B : On voit souvent d’ailleurs l’interprète réajuster. Il colle au discours, et à la fin de son
idée, là il remet tout en place dans son espace, parce qu’il vient de comprendre. Il y a
beaucoup de redondances. On se corrige inévitablement. Par exemple sur les discours du
maire qu’on a travaillé. Les images qu’on nous a proposées marchaient bien, mais tu ne
pouvais avoir ces images que lorsque tu avais entendu la fin de la deuxième phrase. Bien plus
loin… alors oui l’image elle est jolie, mais comment peux-tu la faire en simultanée ? Tu as
besoin d’un sacré temps de décalage !
G : Pour moi vers la LSF c’est beaucoup plus facile que vers le français. Car la langue qui se
parle et que j’entends c’est la mienne, donc je ne me pose pas de questions sur la construction.
415
Mon erreur est de trop coller, car après le discours va toujours là où je ne pensais pas. Alors il
faut que je me corrige. Ça me prend beaucoup plus de temps de comprendre la LSF pour
organiser ma phrase. Après les difficultés sont aussi liées aux types de discours différents.
C : Comprendre la langue c’est une chose, la déverbaliser en est une autre.
A : En langues orales, ils travaillent plus souvent vers leur langue maternelle, c’est bien ça ?
Ça veut dire que ce devrait être plus simple, d’interpréter vers le français. Parce que c’est
plutôt l’inverse pour nous, non ?
B : Pour en revenir à une de mes difficultés par rapport à ça, c'est-à-dire de ne pas coller au
discours et d’écouter toute l’idée pour ensuite la produire avec plus de recul, ça je peux le
faire mais du coup, ce qui va suivre derrière j’aurai du mal à l’intégrer.
C : On attend on attend pour scénariser, on le fait et du coup on perd l’information qui vient.
E : C’est pour ça que j’ai tendance à rester très collé au discours, car je ne veux rien laisser.
Du coup je manque de décalage. Mon problème principal c’est l’intention, et la prise en
charge du discours, inconsciemment j’accorde plus d’importance au contenu, et j’en oublie la
prise en charge. C’est dommage.
H : Moi je rejoins aussi X, je me sens plus à l’aise vers la LS que vers le français. Peut-être
parce que je me fais rapidement des images, quand bien sûr j’en ai la possibilité. Ce qui me
pose plus de difficulté c’est quand il y a plusieurs intervenants. Soit j’interromps, soit je fais
des choix. Et le « connu partagé » auquel je n’ai pas accès est une catastrophe pour moi.
L’implicite, pour moi c’est une très grande difficulté qui me pose vraiment souci.
A quel moment la mise en scène d’un discours vous paraît-elle personnellement difficile ?
H : Quand le discours est abstrait, impersonnel, quand c’est « organisme » etc.
Tout le monde approuve cette idée.
I : Une fois que tu as vu, c’est plus facile d’interpréter. Par exemple, j’étais dans un CFA et je
n’ai pu vraiment interpréter un « moteur à injection » qu’une fois que je l’ai vu de mes yeux.
Jusque-là je faisais le signe moteur avec INJECTION en dactylo.
B : Mais tu fais comme dans les dessins animés, tu vois ta tasse qui parle.
K : Oui mais, ce genre de choses, ça fait rire le sourd qui est en face de toi. Moi ça m’est déjà
arrivé et ce n’est pas très agréable car ce n’est pas drôle. Parce que mon interlocutrice n’était
pas du tout là dedans.
H : Oui, si tu as devant toi des personnes sourdes qui ne sont pas du tout dans la scénarisation.
Tu deviens le comique de service.
A : A chaque fois que je passe par un transfert personnel, j’ai l’impression que je nivelle par
le bas le discours. C'est-à-dire que je rends anecdotique un discours qui ne l’est pas, que je
parodie, que je caricature.
H : Je ne suis pas d’accord sur ta remarque de niveler vers le bas. Pas du tout.
416
D : Ma difficulté à moi c’est que j’ai du mal à agencer mon espace, j’ai du mal à créer les
interactions qui n’existent pas dans le discours. Aussi je ne sais pas effacer pour reposer de
nouvelles entités, faire de la place. Je pense que cela évoluera.
C : Moi j’ai des soucis de mémorisation de ce que je produis. Quand je place quelque chose à
droite, parce que c’est spontané, j’oublie ensuite où je l’ai placé. Je ne regarde pas ma
production et après je ne sais plus. Quand il est à nouveau question du même sujet, cela me
pose des difficultés de mémorisation.
K : Oui, c’est agaçant de devoir reposer les entités parce qu’on a oublié l’endroit où on les
avait placées, alors que le premier emplacement était judicieux.
H : Dans le feu de l’action, qu’est-ce qui nous fait perdre le plus de temps ? Essayer de se
rappeler où l’entité a été mise ou bien de la replacer ?
D : Est-ce qu’on ne peut pas se faire des automatismes, par exemple placer toujours une
personne à droite, et l’entreprise toujours à gauche. Vous faites ça aussi ?
H : Justement, ma difficulté première à moi c’est lorsque je travaille en binôme. Comme je
suis gauchère, quand mes collègues droitiers passent avant moi je récupère un espace où tout
est situé à l’inverse de ce que j’aurais fait naturellement. Ça me parasitait parce que je me
concentrais plus sur leur emplacement que sur le reste, pour garder une cohérence globale. Du
coup je perdais beaucoup d’éléments du discours parce que je me demandais « mais où est
placé le tribunal, etc. ». Et puis au fur et à mesure, j’ai déplacé les entités suivant ma logique
tout en les renommant. J’ai ensuite demandé aux sourds si cela les avait dérangés et ils m’ont
assuré qu’il n’y avait aucun souci, à partir du moment où j’avais pris le temps de renommer
mes emplacements.
B : Tu perds moins de temps et d’énergie à les replacer qu’à tenter de te souvenir où ils
étaient.
H : Reprendre l’espace d’un droitier, c’est comme écrire à l’envers… et oui, pour d’autres
raisons je trouve que replacer les entités en les renommant c’est perdre un peu de temps, mais
finalement c’est moins contraignant que d’essayer de se souvenir où ils étaient dans l’espace
initial, parce que pendant ce temps-là le discours défile et il faut suivre…
La scénarisation vous perturbe-t-elle ou vous aide-t-elle ?
H : Pour moi ce sont des moments de respiration.
A : Moi je n’ai pas les images tout de suite. Mais quand je vois des collègues interpréter et
utiliser les TP et la scénarisation, il est vrai que tout de suite je comprends mieux le discours
signé.
H : Pour moi c’est un peu comme si un conférencier ne donnait jamais d’exemples. Tu
t’ennuies ferme et ce n’est pas très vivant. Mais quand il va donner un exemple, il va tout de
suite t’accrocher.
B : Je vois ça plutôt comme un ton monocorde, sans jamais d’émotion dans la voix…
A : Je crois que cela relève d’un blocage éducatif… le fait de bouger, de montrer du doigt, de
prendre le regard, moi on m’a toujours dit que ce n’était pas poli.
417
K : Il y a des déclencheurs quand même pour la scénarisation, dès qu’il y a une adresse au
public, un « je » ou une référence à un cas concret.
A : Oui, il y a des cadeaux. Mais une fois pour les dix où il n’y en n’a pas et où tu pourrais
quand même le faire. J’ai aussi un témoignage d’une collègue interprète chevronnée qui m’a
dit : moi je ne prends jamais le rôle si ça n’est pas « je »… ça m’a encore plus perturbée.
I : Comment ça ?
A : Par exemple si ce n’est pas « j’étais hier à Intermarché… » mais en regardant son
interprétation je me suis rendue compte qu’elle fait l’inverse de ce qu’elle dit…. Et c’est là
que ça en devient déroutant parce que je me demande si elle en a conscience.
C : Par rapport aux difficultés sur la scénarisation, je pensais aussi aux moments qui risquent
d’être compris comme un parti pris. Par exemple le signe « capitaliste » dont on a parlé hier.
On s’est demandé comment faire passer le concept : un signe ou bien une scénarisation ? Cela
ne nous est pas paru donné d’avance. Parce que qu’est-ce que le capitalisme au fond ? Il y a
une idée de bénéfice, d’argent, de profit etc. Il y a bien un signe (le cigare), mais il me semble
connoté, et il ne représente qu’une image personnifiée du capitalisme. Ensuite il y avait l’idée
de « bobo » bourgeois bohème, et XX nous a dit qu’il fallait scénariser et passer par un TP.
Mais là encore il m’a semblé que le transfert présentait un parti pris, que la scénarisation
apportait une connotation qu’il n’y avait pas dans le discours.
B : Mais l’appellation « bobo » c’est un jugement en soi.
E : Pour bobo d’accord, mais pour d’autres concepts pas forcément.
C : Oui mais le discours d’hier c’était une personne du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste),
et il me semblait que son discours portait sur une autre image que le signe standard [cigare].
Ce n’est pas évident car dans ta scénarisation tu prends parfois le parti de montrer quelque
chose selon ta représentation qui ne sera pas celle de l’orateur. C’est pour moi une difficulté
de la scénarisation car on se dit : je vais choisir cet exemple particulier pour le représenter…
parfois il n’y aura aucun souci, parfois oui.
H : J’ai un exemple d’une traduction d’histoire pour enfants. On s’est rendu compte avec ma
collègue que les sourds avaient en fait l’image de l’histoire qu’on leur donnait. Les éléments
de l’histoire avaient l’image de nos représentations, et non les leurs. Ça m’a terrorisé. Je me
suis demandé qui j’étais pour imposer mes représentations.
F : Oui, on participe aussi, nous interprète à la construction des représentations de ceux qui
reçoivent notre interprétation.
C : Oui, mais la scénarisation, le TP et autres tactiques sont à mon avis parfois réducteurs,
parfois faux et propres à nos représentations. Je fais référence ici au discours sur le
capitalisme.
Est-ce que je pense que cette difficulté va s’améliorer ? Oui, j’espère parce que j’en ai pris
conscience.
Ressentez vous le changement de modalité lors de votre interprétation (canal audio-
vocal/canal visuo-gestuel) ? En avez-vous conscience ?
418
K : Oui, quand il y a un échange. Quand on interprète un échange, en liaison.
C : Oui, voila.
K : Quand pendant trois quart d’heure on travaille vers la LS sans aucune intervention vers le
français et qu’il faut d’un coup passer vers le français, mes yeux ne fonctionnent pas tout de
suite si je peux dire… mon cerveau ne fonctionne pas tout de suite !
E : Moi ça m’est souvent arrivé de signer vers les entendants et de parler aux sourds !
C : Oui, quand ça a trop changé il m’est arrivé aussi de re-signer sur un discours signé.
H : Pareil, ça m’est arrivé aussi. Je sens que ça prend de l’énergie de changer souvent.
I : Toi en tant que CODA (adressé à B), as-tu une difficulté particulière vers un sens ou vers
l’autre, ou non ?
B : Je fais vraiment une différence entre deux situations : quand je m’exprime tous les jours,
vers une langue ou vers l’autre pour moi je ne ressens aucune différence. En revanche en
interprétation, oui. Je sens bien une différence. Ensuite en interprétation vers la LS j’ai plein
d’images, le discours de l’orateur c’est comme un livre en fait, on a le droit de se faire ses
propres images. Mais vers le français les images ne sont plus les miennes, là je regarde et ce
n’est pas la même chose quand même, il me semble, que d’écouter ou de regarder. Pour moi
c’est vraiment différent. Vers le français je me fie bien plus à l’expression du visage du sourd,
j’essaie de voir ce qui émane de lui, et je trouve que dans ce sens il y a moins de liberté. Et
mettre en mots une image, c’est moins évident. Moi je suis plus à l’aise du français vers la LS
que l’inverse.
Et vous, dans quel sens êtes-vous le plus à l’aise ?
2 vers le français et 6 vers la LS
K : Oui, mais il y a une différence entre réception et production. Je préfère produire vers le
français en général, mais la réception de la LS pose tellement de difficultés que je préfère
travailler vers la LS.
C’est la compréhension de la LS qui vous pose problème ?
Oui général.
H : C’est la confiance dans ce que je comprends qui me fait défaut.
C : J’ai l’impression que la manière dont s’expriment les sourds est tellement différente selon
la personne : certains vont scénariser, d’autres non, certains utilisent beaucoup de français
signé, d’autres sont très iconiques… ça c’est vraiment difficile.
H : C’est sur qu’il y a une grande différence si on interprète un sourd régulièrement ou non.
A : Cette question appelle deux étapes : la réception et la production. Pour nous la difficulté
vient de la grande variété des gens pour qui on intervient. Et puis j’ai l’impression que vers le
français, mon cerveau doit faire un effort de dissertation, de dépersonnalisation, de
généralisation. Et du français vers la LS il faut que mon cerveau se mette exactement dans le
mode inverse : production d’images, faire interagir des gens.
419
I : Et plus c’est imagé et plus c’est dur. Parce qu’il faut trouver l’entité à dépersonnaliser.
C : Pour moi ce « saut de cerveau » je le perçois plus en dactylo. J’ai l’impression d’utiliser
une autre partie de mon cerveau, en réception ou en production d’ailleurs.
Acquiescement général.
C : La dactylo en réception c’est l’horreur, ça nous coupe de toute la logique du discours.
B : Oui, quand tu regardes un sourd signer ça va, et puis d’un coup plus d’images il faut
décoder des lettres.
A : Ce qui serait bien c’est que l’équipe pédagogique réfléchisse à ces aspects très précis sur
lesquels tu nous as posé des questions pour éventuellement proposer des travaux très concrets
pour les étudiants.
Merci beaucoup à vous d’avoir participé.
Après avoir interprété deux fois de suite un même discours de Nicolas Sarkozy sur la maladie
d’Alzheimer, les participants de l’étude sont interrogés sur des points particuliers de leur
interprétation. Les questions se focalisent sur la traduction de notions qui font l’objet de
propositions différentes : la lutte, spécialistes, les travaux, illustrer, etc.
Je suis très heureux que la France accueille pour la première fois la Conférence internationale
sur la maladie d'Alzheimer. Vous le savez, j'ai fait de la lutte contre la maladie d'Alzheimer
une priorité de mon action depuis 2007.
La présence en France des meilleurs spécialistes mondiaux de cette maladie est un honneur
pour notre pays, une reconnaissance pour nos chercheurs et un encouragement pour le
Gouvernement français à poursuivre son engagement en ce domaine.
Vos travaux et vos échanges illustrent l'immense effort de recherche que la communauté
internationale a lancé pour vaincre la maladie d'Alzheimer. Vous incarnez l'excellence de la
420
science mondiale, vous incarnez l'espoir pour les millions de patients qui souffrent et pour
leurs proches qui les accompagnent dans cette épreuve.
La maladie d'Alzheimer est un mal terrible, qui attaque l'identité même du sujet : sa mémoire
et son rapport au temps, sa capacité à réfléchir, sa capacité à interagir avec sa famille et ses
amis, et même sa capacité à se repérer dans l'espace. La souffrance du malade est aussi celle
de son entourage, qui doit progressivement prendre le relai de tout ce que le patient ne peut
plus faire seul.
Quelle solidarité savons-nous mettre en place pour entourer les malades d'Alzheimer ? Quel
soutien apportons-nous aux familles ? Quelle place les familles et la société font-elles à leurs
aînés ? Toutes ces interrogations dépassent la question de la prise en charge ou du traitement.
Toutes ces interrogations, nous devons les garder à l'esprit quand nous abordons la maladie
d'Alzheimer ou le grand âge, que nous soyons responsables politiques, médecins ou
chercheurs.
Ces interrogations ont une résonnance quotidienne pour nos concitoyens, ceux qui souffrent
de la maladie, ceux qui accompagnent un proche et sont présents à ses côtés, ceux qui leur
apportent soin et assistance.
La lutte contre la maladie d'Alzheimer est une priorité sanitaire et éthique. C'est aussi un défi
social et économique majeur pour tous les pays du monde.
En France, 850 000 personnes sont déjà touchées par la maladie d'Alzheimer et les maladies
apparentées. Dès 2007, j'ai souhaité que nous établissions un diagnostic complet des besoins
pour la prise en charge des patients et le soutien de leur entourage.
A la suite de cette étude, nous avons lancé le plan Alzheimer pour la période 2008-2012 qui
couvre les trois volets de la maladie : le soin, l'accompagnement et la recherche. Nous
voulons doter la France d'un système complet, sur l'ensemble de son territoire, pour qu'aucun
malade d'Alzheimer ne soit ignoré, pour qu'aucune famille ne soit laissée sans assistance, et
pour qu'aucune piste de recherche ne soit négligée.
Pour chacun de ces trois domaines, nous avons établi des objectifs clairs, identifié des
financements et des pilotes. Deux fois par an, je réunis personnellement tous les acteurs du
421
plan pour suivre son déroulement. Chaque Français, et chacun d'entre vous, peut suivre
l'avancée du plan en consultant le retour d'expérience disponible sur internet.
Nous avons dégagé un budget considérable : 1,6 milliard d'euros dont 200 millions sont
dévolus à la recherche.
J'ai parlé d'objectifs concrets: pour les patients, nous avons renforcé le réseau des
consultations accessibles sur l'ensemble du territoire. Nous avons également créé les MAIA,
Maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades d'Alzheimer, qui permettent d'orienter
les malades et de leur offrir la solution la plus adaptée à leur situation. Chaque région dispose
déjà d'une ou de plusieurs MAIA, il y en aura plus d'une centaine d'ici la fin 2012.
Ce plan Alzheimer, c'est en effet un soutien à la recherche sans précédent. Depuis 2008, plus
de 600 médecins ont été formés à la recherche clinique sur la maladie d'Alzheimer. Dans les
laboratoires de recherche, une centaine d'étudiants ont reçu une bourse pour y consacrer leur
thèse, et près de 40 post-doctorants ont reçu des financements pour leur recherche. Dans les
hôpitaux, 50 postes de chefs de cliniques et d'assistant hospitalo-universitaire seront créés
d'ici 2012, et des bourses d'installation ont été mises en place afin d'attirer vers la France
encore plus de compétences et plus d'équipes.
Nous avons choisi de mobiliser les chercheurs dans tous les domaines, en recherche
fondamentale, en recherche clinique, dans le champ des sciences sociales, parce que nous
devons progresser à la fois dans la compréhension de la maladie, dans sa prise en charge, dans
sa détection et aussi dans l'amélioration de la qualité de vie des patients.
Aujourd'hui, le plan Alzheimer finance plus de 100 projets de recherche. Sur les 200 millions
d'euros prévus pour 5 ans, 70 ont d'ores et déjà été attribués.
Grâce à son action rapide et efficace, le Plan Alzheimer a permis d'accélérer les recherches, et
les premières études ont déjà été publiées. Nos connaissances ont progressé de façon
remarquable : de nouveaux facteurs de prédisposition à la maladie d'Alzheimer ont ainsi été
mis en évidence. Certes, on connaît encore mal les causes de l'apparition et de l'accumulation
des plaques responsables de la maladie, mais les protéines impliquées dans ces mécanismes
font l'objet de nombreux projets de recherche, qui ne tarderont pas, espérons-le, à porter leurs
fruits. Je sais qu'une session de votre congrès a été consacrée aux études génomiques utilisant
des outils de haute technologie.
422
En ce domaine aussi, le Plan français a joué un rôle clé : la France a piloté un programme
européen qui a permis de comparer l'ADN de milliers de malades à celui de sujets témoins.
On a ainsi pu repérer de nouvelles mutations génétiques qui prédisposent à l'apparition de la
maladie. Au-delà de la mesure du risque, cette découverte ouvre de nouvelles pistes de
recherche, et, potentiellement, de nouvelles voies thérapeutiques.
Nous avons également renforcé les infrastructures à la disposition des chercheurs. Vingt-sept
Centres Mémoire de Ressources et de Recherche proposent une recherche clinique de haut
niveau.
Ils vont notamment permettre de réunir les 2 500 patients de la cohorte « Mémento » qui
fournira aux chercheurs les informations nécessaires à l'étude de l'histoire naturelle de la
maladie à un stade très précoce.
Tous ces progrès nés du Plan Alzheimer viennent s'ajouter à l'immense effort que notre pays a
déployé en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche depuis 2007. Nous avons
donné à nos universités l'autonomie et les moyens de se développer dans un environnement
international. Elles peuvent désormais nouer des partenariats, attirer les meilleurs chercheurs
et les meilleurs enseignants. Depuis 2007, l'investissement de l'État dans l'enseignement
supérieur et la recherche augmente d'un milliard d'euros chaque année.
Ces réformes sont soutenues par les crédits des Investissements d'avenir, qui permettent à
notre pays de préparer dès à présent l'après-crise, en encourageant l'emploi, la compétitivité,
et la recherche de demain. Dans le cadre de ce programme d'investissement, 20 milliards
d'euros sont ainsi destinés à l'enseignement supérieur et à la recherche, dont 2,5 milliards
seront consacrés au domaine de la Santé et des Biotechnologies. J'ai tenu à ce que les projets
soient sélectionnés selon des critères d'excellence et par des jurys regroupant les meilleurs
spécialistes au monde.
De nombreux projets retenus par le jury concernent les neurosciences, et les affections
neurologiques. Je pense ainsi à l'Institut hospitalo-universitaire des neurosciences de Paris qui
réunit l'INSERM, le CHU Pitié-Salpêtrière et l'Université Pierre et Marie Curie. Il sera doté
de 55 millions d'euros. Plusieurs laboratoires s'intéressant à la neurologie ont également reçu
le label « Laboratoire d'excellence », notamment les projets NUMEV à Montpellier et BRAIN
à Bordeaux.
423
Cette ouverture aux collaborations internationales, la France l'a défendue pendant sa
Présidence de l'Union européenne, en 2008. Désormais ce sont 23 pays européens qui
unissent leurs forces dans des programmes communs de recherche, notamment de lutte contre
la maladie d'Alzheimer, en réservant dans leur budget des fonds qui y sont destinés.
Nous devons faire se rencontrer les intelligences et les talents scientifiques, et mettre à leur
disposition les outils les plus performants. Car la cause qui nous réunit aujourd'hui, alléger la
souffrance des malades et de leurs familles, est trop importante pour que perdurent les
particularismes nationaux, les conflits d'égo et les lenteurs administratives.
A voir votre dynamisme et votre créativité, je sais que la recherche internationale est entrée
dans une nouvelle phase. Je veux vous assurer que la détermination des pouvoirs publics et
celle des dirigeants politiques est totale. Comme vous, ils veulent abandonner les vieux
schémas du repli national et les intérêts partisans, pour privilégier la protection de chacun et
l'intérêt de tous. Vous pouvez compter sur la France pour y contribuer.
Je vous remercie.
« La lutte » :
Le premier [lutte] il vient un peu en retard ... le deuxième vient plus rapidement. Je me suis
posé la question, la lutte et la priorité comment je vais les mettre en scène...et n'ayant pas
trouvé j'ai pris le signe [lutte] et le signe [priorité] standard parce que j'aurais voulu faire
quelque chose de plus imagé mais je n'ai pas trouvé.
Pourquoi le signe [lutte] ne te convient-il pas ?
Parce que je n'étais pas satisfaite du signe [lutte], c'est un signe qui existe mais dans ce
contexte je trouve qu'il ne donne pas tout le concept, je l'ai pris par défaut.
« Spécialiste » :
Le premier j'ai fait « vous êtes célèbres, on est fier on est content » et le deuxième j'ai moins
été dans l'explication. Comment faire passer « spécialiste » en gros je suis passée par des
médecins célèbres dans leur catégorie et … après j'ai fait spécial ...et je me suis dit avec
[célèbres] [catégorie] à force on finira peut-être par comprendre qu'on parle de
« spécialistes »... Il faudrait trouver un moyen de créer des suffixes en langue des signes, iste.
Et [personne] [spécial] ?
C'est ce que j'ai fait, mais je trouvais que ça pouvait être quelqu'un de différent..., il manque
une dimension, c'est pour ça que j'en ai rajouté mais ça fait un peu long. [Médecin] [personne]
[spéciale] [reconnu], ça fait beaucoup.
424
« Vos Travaux » :
J'ai fait votre travail en général. Moi ce qui m'a posé le plus de problème... j'ai fait [vous]
[travaille] en espérant qu'avec un certain recul, je ne sais pas si c'est visible. Je me suis un peu
dégagée de la scène, j’ai pris une posture de recul.
« Illustrent » :
Tu vois pour « le fléau » il me semblait qu'il fallait recontextualiser, remettre maladie
d'Alzheimer sinon on pouvait effacer les travaux. Je l’ai rajouté et ça m'a rassurée. « Vos
travaux illustrent » : j'ai dit [image], vos travaux sont une image, ça ne me semble pas
incohérent même si je me souviens sur le moment que j'ai peiné. [Symbole] [science]
[mondial], l’orateur le dit lui-même que c'est un symbole.
« Vous incarnez » :
Vous « illustrez » vous « incarnez » j'ai eu le même problème pour les deux. Comment on
peut en deux secondes imager ? bien oui [image] et [image].
« Fléau » :
Oui j'ai fait maladie qui se répand qui se répand, il n'y a pas de signe pour « fléau », j'aurais
pu faire une idée de contamination un peu comme la lèpre et je me souviens d'avoir pensé :
« mais la maladie d'Alzheimer ne se transmet pas comme la grippe », ça le fléau c'est une idée
de répandre, quelque chose qu'on ne peut pas arrêter. Si j'avais eu le signe fléau je l'aurais
pris, ce signe [propage] on l'utilise à toutes les sauces.
« Attaque l'identité » :
Tu as vu je le fais beaucoup plus tard, je ne sais pas comment le faire, je suis sûre qu'après il
va y avoir une omission. Non pas parce qu'il va doucement. « Qui attaque l'identité » je pense
qu'on ne peut pas le faire littéralement.
Tu mettrais le signe [lutte] et [attaque] tu penses que c'est la même chose ?
Non il doit y avoir quelque chose dans ce signe [lutte] qui finalement me convient plus. J'ai
fait plus en fonction de mes connaissances de la maladie, c'est l'identité de la personne qui
petit à petit s’efface.
425
« Dépasse la question de la prise en charge » :
Il n’y a pas d'idée de « soutien » là tu vois. [Prise en charge] je le vois partout alors je l'ai fait.
Oui mais « dépasse » ?
Alors j'étais déjà grandement en difficulté, sur ce segment parce que tu vois. « Quelle place »
j'ai tardé, j'ai dit ça n'est pas un problème de prise en charge. Tu vois, ce que je fais est mal
fichu parce que je suis déjà en retard sur le segment précédent et là, j'ai juste dit : [problème
de prise en charge].
Le deuxième je m'y attendais alors j'ai mis la gomme sur le segment. J’ai préféré le signe
[relais] c'est mieux. Je l'ai introduit différemment. C'est plus réussi parce que moins
superficiel. Mais c'est le genre de concept très pénible à traduire en LSF ça.
« Résonance » :
C'est l'idée [d'avoir en tête], avec une expression du visage grave et soutenue. Dans le
premier, elle n'y est pas. Je suis en retard là. Tu vois ça m'a gênée. Je fais une mini pause pour
y réfléchir, je suis déjà en surcharge, regarde.
Quand tu fais [réflexion] tu donnes le sens de résonance?
Honnêtement non, en simultanée...c'est compliqué à mettre en scène, là il y avait plusieurs
concepts importants alors j'ai essayé plutôt que d'être moyenne partout de laisser tomber
« résonance » et de faire mieux ailleurs. J'ai déshabillé Paul pour habiller Pierre mais au
moins un des deux a un beau manteau.
« L’humanité en jeu » :
Je l'ai conceptualisé, l'humanité au premier plan, il y a [ça] et [ça] et c'est « l'humanité », c'est
pareil c'est raide comme concept. Il m'a semblé que je pouvais la placer sur un plan plus haut
que les autres. C'est comme ça que j'ai essayé de placer le rapport entre les choses dans mon
espace de signation. En me disant qu'en haut c'était important.
Le deuxième là c'est mieux. Le premier j'ai fait une mise en espace mais c'est long. Là je
m'embête moins j'ai pointé et c'est mieux. Le deuxième c'est plus simple et plus agréable
même s’il est moins scénarisé, je topicalise mais en même temps je place. Le premier, j'ai un
trop grand décalage.
« Défi » :
J'ai fait comme [objectif]. Je cherchais le signe défi c'est un peu comme [concours], [course]
et je me souviens que j'ai pensé que sa proximité conceptuelle avec d'autres signes était trop
risquée alors je me suis dit que je n’allais pas le prendre. Comme il y a l'idée « d'objectif de
quelque chose à atteindre » je trouvais que l'idée passait mieux là, d'ailleurs ça se voit que j'y
pense.
426
Tu vois je trouve 7 secondes après – mais c'est le deuxième là - oui j'étais déjà fatiguée alors.
(rire)
« La médecine » :
J'ai fait [médecin] tout simplement.
Il n’y a pas de signe pour « médecine » ?
Non. S’il y en avait un je l'aurais pris, en même temps je n'y ai même pas pensé. J'ai eu une
impression d'insatisfaction permanente, ton corpus il nous retranche un peu dans les limites, il
n'y a pas un moment où on peut rentrer dans le discours, scénariser. Je me demande dans une
situation de conférence comme ça s'il ne faut pas être plus linéaire. Jamais je n'ai trouvé de
respiration, de bonheur comme on en a quelques fois.
« L’espérance de vie » :
Il n'y a pas. [Vie plus long]. J'aurais pu faire [espérance] [vie] parce que c'est un concept
connu, les sourds connaissent. A force de vouloir mettre en scène, on ne perd pas forcément
du sens, bizarrement, mais de la conceptualisation.
Cette interview est plus courte que les autres car la suite de la transcription n’était pas
disponible.
« La lutte » :
J'ai attendu un peu et j'ai vite choisi de ne pas faire le signe [lutte] parce qu'il ne me semblait
pas adapté ici. J'ai choisi le côté… comment on appelle ce signe ? C'est un signe qui restreint
l'espace pour arriver à un sujet sur lequel on porte un intérêt particulier, en l'occurrence la
maladie d'Alzheimer. C'est vrai qu'il n'y a pas l'idée de bataille mais c'est dans l'intensité du
mouvement qu'on peut la sentir. Peut-être. D'ailleurs je l'ai utilisé les deux fois. Mais pourquoi
je n'ai pas fait le signe standard, j'ai l'impression que ce n’est pas le sens. Le signe [lutte]
matérialise un adversaire, la maladie ne se matérialise pas comme ça, pour moi.
427
« Spécialistes » :
Je ne connais pas de signe standard pour « spécialiste ». Je n'ai pas choisi le signe [spécial]
parce que pour moi, même avec le signe [personne] devant, il ne rendrait pas le sens. J'ai
choisi ce signe, on peut dire idiomatique, qui pour moi rend le sens de « professionnel,
compétent dans son domaine de spécialité ». J'aurais pu faire [expert], je n'y ai pas pensé.
Mais c'est vrai, c'est une partie du sens.
Est-ce que c'est gênant pour toi de ne donner qu'une partie du sens ?
Oui, bien sûr, toujours mais, est-ce qu'on a le choix ? Et puis interpréter c'est plus ou moins ne
donner qu'une partie du sens, non ? Peut-être plus particulièrement en langue des signes
d'ailleurs.
« Illustrer » :
Pour moi « illustrer » c'est « montrer ». Je pense à illustration, dessin etc. J'ai pourtant choisi
[preuve], c'est étonnant. Sarkozy ne parle pas de preuve, l'idée sous jacente, l'intention est un
peu différente, non ?
« La communauté internationale » :
Il n'y a pas de signe dédié et c'est un concept vaste. C'est politique, c'est une entité
représentative d'états mais lesquels ? Ici je suppose qu'il veut parler des chercheurs qui
travaillent ensemble et qui sont de nationalités différentes. Ça fait long... Le signe
[communauté] ne va pas, il est trop connoté, et le signe [international] ça ne représente rien
c'est comme [symbole] c'est difficile à utiliser, tu vois, dans « un lien symbolique », c'est
comment dire, des signes plats qui n’utilisent pas l’espace dont on a besoin en langue des
signes et qui du coup, ne permettent pas grand chose en interprétation.
« Le fléau » :
Ce signe [propage] est bien utile. Le sens de fléau est donné dans ce signe, il faut vaincre la
maladie d'Alzheimer qui se propage de plus en plus. Mais l’idée de « fléau » c’est vrai, n’est
pas présente dans cette séquence.
« Lutte » :
La première fois, ce n'est pas tant l'idée de « lutte » mais plus l'idée de « priorité », d'avoir
« pris conscience », d'avoir « pris acte » de ce problème et d'essayer de le résoudre
concrètement. C'est pour cela que je n'ai pas utilisé le signe [lutte].
428
Pour le 2ème ?
Je l'ai mis de manière standard, un peu par défaut, pas tout à fait convaincue. Parce qu’on lutte
pour une cause, mais lutter contre une maladie ce n'est pas ce qui me semblait le plus
pertinent.
Tu emploies le signe [lutte] pour quoi ?
Je l’emploie pour « militer » pour quelque chose et non pas « se battre » contre quelque chose.
« Spécialiste » :
Tu as fait deux propositions différentes.
Oui, deux essais. Je savais qu'il y avait deux pistes. Le signe [spécial] que je n'ai pas utilisé est
standard mais je l'emploie plus dans le sens de [spécial], pas tant pour des personnes que pour
une situation particulière.
Et si tu mets le signe [personne] avant, est-ce que ça peut signifier « spécialiste » pour toi ?
Non, pour moi non. J'emploierais comme j'ai fait [reconnu] ou [expert] ou bien [compétent]
avec le signe [personne] devant.
Donc une « personne spécialiste » et une « personne compétente » c'est la même chose ?
Non. Mais dans ce cas là j'appuie mes expressions du visage pour dire des « personnes très
reconnues, très compétentes ». J’appuie le signe mais je n'emploie pas [spécial] pour signifier
« spécialiste » parce que j'ai plus l'habitude d'employer le signe [spécial] dans le sens de
« particulier », mais quelque chose ou quelqu'un « d'un peu bizarre, d’un peu étrange ».
« Vos travaux » :
Travaux j'ai fait le [travail] au sens large. Je ne savais pas s'il parlait de recherche ou d'autre
chose en particulier alors j'ai préféré rester aussi large que le discours original même si c'était
un peu trop français signé à mon goût.
« Illustrent » :
J'ai eu quelques difficultés parce que le signe n'existe pas. Dans la première, j'ai utilisé [sont
la preuve de] et dans la 2ème [sont justement comme]. J’ai mis en lien, c'est ce que j'ai choisi
comme voie.
« Communauté Internationale » :
La « communauté internationale » j'ai fait [pays] et [international]. Je n'ai pas fait [monde]
parce que dans [monde] il me semblait qu'il manquait une dimension politique.
429
« Le fléau » :
Le fléau je n'ai pas trouvé. Je n'ai pas appuyé du tout. J'ai laissé ça de côté, j'ai axé le sens sur
la lutte contre la maladie. J'ai essayé de mettre dans l’expression de mon visage une valeur un
peu négative, appuyée. Je n'ai pas réussi.
« Incarnez » :
Je n'ai pas réussi les deux interprétations de « incarnez » dans le discours. Dans le premier
« vous incarnez l'excellence » je n'ai pas du tout réussi et pour le deuxième, j'ai axé mon
interprétation sur l'idée qu’il donnait de « l'espoir » de « l'espérance » à ces familles.
« Attaque l'identité » :
La première on ne la voit pas vraiment. Je suis allée directement à ce qu’il se passait
concrètement. J'ai omis l'idée d' « identité » alors que pour la 2ème je n’'ai fait référence qu’à
la « maladie ».
« Spécialistes » :
C'est effectivement le même signe que [important] qui est le même que celui de [spécial]
d’ailleurs. C'est assez proche du français. Je l'utilise souvent.
« Vos travaux » :
J’ai littéralement traduit [travail de recherche], j'ai ajouté la notion de « recherche » qu'il n'y a
pas dans le discours, pour justifier mon utilisation du signe [travaux]. On aurait pu faire
[réflexion] [recherche].
« Illustrent » :
J’ai traduit carrément [donne] [image]. J'aurais pu faire [montre] [image], c'est ce qui me vient
d'emblée, c'est une paraphrase.
430
« Communauté internationale » :
J'ai fait [monde] [global]. Le sens c'est « le monde », on pourrait faire le signe [monde] ça
suffit. Si tu signes [communauté] [internationale] tu colles au français. Moi j'ai fait [monde],
et pour avoir une dimension plus iconique j'ai fait [global].
En français, quand tu dis « communauté internationale » c’est la même chose que lorsque tu
dis « monde »?
Si tu signes [communauté] [internationale] tu induis en erreur, il vaut mieux signer [monde].
Et non, ce n'est pas la même chose ! Tu fais une adaptation qui est moins précise mais qui en
langue des signes suffit et évite d'induire en erreur la personne qui suit ça.
« Fléau » :
Je n’ai pas mis le « fléau » j'ai remplacé ça par la « maladie ». Je dis [but] [maladie]
[disparaître]. Ça sous-tend pour moi que c'est un fléau mais je ne l'ai pas dit. Si on avait le
signe standard de « fléau » on le ferait. En tout cas moi je le ferais. En un quart de seconde je
savais que je ne l'avais pas, alors je ne l’ai pas traduit.
« Incarnez » :
Je pense que je m'en suis pas mal sortie. En gros j'ai joué le superlatif. J'ai gardé le superlatif,
[image], [qualité] au sens de « on lui jette des fleurs », en gros « vous êtes les meilleurs ».
Pour la deuxième, j'ai rajouté [vous représentez]. Si je le refaisais je ne ferais pas mieux que
ça. En tout cas, je ne me pose pas la question de savoir si je peux faire autrement. Je garde
comme ça.
« Attaque l’identité » :
J’ai signé [donne] [personne] [identité] [casse]. J'aurais pu signer [provoque] à la place de
[donne] dans la périphrase. Moi ça me va, une perte d'identité ou l’idée d’une identité
dévaluée. Je ne peux pas mieux.
« Dépasse » :
Pas de problème non, « toutes ces questions dépassent ». Ce que je fais n'est pas mal. En gros
j'ai essayé d'imager parce que c'est relativement théorique ce passage là. J'ai essayé de
l'imager, j'ai fait un parallèle où j'ai créé une situation concrète pour faire comprendre ce que
ça voulait dire en théorie. J'essaie de rendre concret ce qui ne l'est pas, je donne une image.
431
« Résonance » :
Ces « interrogations » pour les malades. Ils le savent. J'ai traduit la « résonance » par le signe
[savoir] : ils savent. Je ne vois pas comment j'aurais pu faire autrement. En fait, je n’ai pas
souvent cette stratégie où je garde quelque chose et je le remets derrière. Ça, je pense que c'est
dû à la deuxième écoute parce qu'au premier je n’ai pas fait ça, la première fois j'ai été embêté
à ce moment là.
« En jeu » :
Ça c'est quelque chose que tu as du mal à comprendre à la première écoute « c'est l'humanité
de notre société qui est en jeu »... Et moi je suis vraiment littéral ici. Je colle au français parce
que je ne peux pas m'en sortir par une périphrase. Il faudrait faire une explication trop longue
pour traduire ça qui risque de nous faire décrocher sur la suite. Il faudrait prendre beaucoup de
décalage pour traduire et tu n'es pas sûr de ne pas louper la suite. Moi je ne me risque pas. Ce
n’est pas très heureux comme traduction, en le travaillant tu peux trouver quelque chose de
mieux, parce que « humanité » avec le signe [humain] ça ne marche pas. Le signe [humain]
dans la [société] on ne comprend pas le sens de l’humanité qui est en jeu.
« Défi » :
Le signe standard [défi] il existe et il est pas mal utilisé. Je ne me suis pas posé la question de
savoir si je pouvais faire autrement. Par contre si tu n'as pas le signe standard je ne sais pas
comment tu fais, parce que c'est aussi compliqué à dire sans le signe, heureusement qu'on l'a.
« Médecine » :
J'ai traduit par [médecin] mais ce n’est pas bon. J'aurai dû mettre [domaine] [médecin] ou [pi]
[domaine] [médecin], parce que là on croit que je parle du médecin en tant que personne. Je
n’ai pas de signe standard pour la médecine, il en faudrait un.
« Espérance de vie » :
Je l'ai loupé, dans le premier j'ai traduit [espoir] [vie] [plus long] et le deuxième je me suis
planté.
« Diagnostic » :
Moi je fais littéralement [analyse] [résultat] ça c'est un signe que j'ai vu plein de fois et que
j'utilise sans me demander s’il y en a un autre, parce que je l'ai et j'en profite. Si je ne l'avais
pas je serai bien embêté.
432
8.4.6. Interview ILS 11 (23 ans d’expérience)
« Lutte » :
Du fait qu'il n'y ait pas de préparation, on ne peut pas être influencé par un choix ou un autre,
moi je suis dans l'immédiat et dans l'intuitif. Pourquoi j'ai fait [réfléchir], je n'en sais rien. Je
n'ai pas d'analyse là dessus. Pour moi le signe [lutte] dans ce que j'ai fait c'est à prendre dans
le sens de « contre la maladie d'Alzheimer ».
« Spécialiste » :
Alors encore une fois sans préparation… Je ne savais pas de quoi il allait parler et qui était
dans la salle. Je n’avais pas identifié. Alors, ce signe [spécial] me convient. Oui c'est aussi
dans le sens des « éminences » pour moi, j'ai dû faire ça au niveau du visage aussi (expression
« important »).
Tu as répété ce signe deux fois. Pourquoi ? Dans le sens de notoriété ?
Exactement.
« Travaux » :
Travaux j'ai collé au français. Si j'avais préparé je n'aurais pas fait ça. Là j'ai fait le signe
[travail] pour « travaux ». J'ai collé. Travail, travaux… quoi qu'après j'ai fait [recherche].
C'est-à-dire que quand j'entends le mot « travaux », je signe [travail], et j'associe tout de suite
parce que je vois bien que ce n’est pas le travail des maçons par exemple. J'associe les signes
[réflexion] et [recherche] et avec ça, ça me va.
« Illustrent » :
J'ai utilisé le signe [preuve]. Votre réflexion, votre recherche c'est la preuve de… oui ça me
va.
« Communauté internationale » :
Dans quel sens il le disait, ça ne veut rien dire ? C'est tout le monde, la communauté
scientifique ? Le signe [monde] ça aurait suffit. J'ai fait [monde] [international] ce n’est
absolument pas nécessaire, c'est le monde, c’est les gens. D'abord, une communauté c'est un
petit truc dans un tout.
C'est peut-être une acception différente du terme communauté, non ?
Le sens de « international » c'est un tout, alors comment tu fais une communauté ? J'ai fait
[monde] [international] ce n’est pas bon du tout. Je n'aurais dû utiliser que le signe [monde].
433
A mon avis si on fait [international] c'est parce qu'on a le signe donc on l'utilise avec plaisir et
c'est justement celui-là qu'il ne fallait pas utiliser. Je suis sûre que même en ayant fait une
prépa on garde le signe [international].
« Fléau » :
Le signe [fléau] n’existe pas. J'ai dû le chercher dans ma tête je n’ai pas trouvé.
« Attaque » :
Avant le « ohlala », je vais appeler ce signe [ohlala] j'ai fait le signe [donne] et je trouve que
tout est dans le visage, la sévérité du visage.
Le fait d'avoir fait ce signe [ohlala] avant, tu penses avoir déjà donné le sens de « attaque » ?
Oui c'est ça.
« Dépasser » :
J'ai positivé [oui il faut soigner], [oui il faut s'occuper des malades]. J’invente deux scènes à la
forme affirmative : il faut faire ci, il faut faire ça, mais [ça] il ne faut pas l'oublier.
Alors tu penses avoir transmis le concept de [dépasser] ?
Oui, parce que mes deux saynètes ont du sens pour moi. J'utilise souvent cette technique, ça
me va bien.
« Résonance » :
Le problème c'est que je ne savais pas qui, alors j'étais dans la peau du politicien et de ce fait
lorsqu’il dit : « ces choses ont une résonance quotidienne pour les malades » et quand « les
malades » arrivent je me fais piéger parce que je suis encore dans le rôle du politicien, du
médecin et je pense qu'il va y avoir une résonance pour eux (à droite, c'est-à-dire les
médecins) et bim c'est les autres (à gauche). D’ailleurs regarde, je change très vite de
personnages, je me sauve !
« En jeu » :
Il y a de l'argent, il y a des soucis d'argent etc. et en fait le plus important, je fais le plus
[important] [humain] [garde] –
Tu as l'habitude de faire comme ça ?
Non, là je l'ai fait comme ça. Je ne sais pas, demain je le fais autrement, j'en suis sûre.
434
« Défi » :
J'ai collé au mot défi.
Mais pourquoi, s'il y a un signe standard ? Il ne va pas ?
Parce que ce signe [défi] c'est la « compétition » pour moi. Et là, dans le discours il n'y a pas
un sens de compétition. C'est le sens de « il faut le faire rapidement ». Ce signe [défi] c'est
deux bonhommes qui courent et [défi] c'est devenu le même. Ce n’est pas une compétition ici,
enfin quelque part oui, il faut être les premiers à essayer d'éradiquer la maladie mais...
Avec le recul tu aurais fait quoi ?
Le premier « défi », mais il est pas mal, tu vois aussi que je ne suis pas sûre de moi. Il passe
carrément inaperçu. Tu vois j'ai un doute à ce moment-là, je le fais timidement, je le vois. Il
part en vrille là, je l'ai fait parce que je l'ai entendu, pour moi c'est du collé ça.
En fait, on est toujours en train de chercher vraiment le sens d'un mot, et nos mots en français
peuvent avoir plusieurs sens et on est toujours en train de chercher au plus précis. Les sourds,
je pense qu'ils ne se font pas suer : un signe c'est un sens point barre. Un sourd aurait fait le
signe [défi] sans se dire ceci ou cela, et nous on discute pour savoir si en français c'est une
compétition, ou si c'est le fait d'être premier, alors que si ça se trouve pour le sourd c’est bon.
Et après je me vois en train de le signer timidement parce que je ne suis pas sûre du sens de
« défi », mais en français, pas en langue des signes ! Ah c'est intéressant !
« La médecine » :
Je me raccroche aux branches. Je souffre là, ça se voit. Je ne sais pas où il va, j'ai fait
[médecin] [recherche]
Est ce qu'il y a un signe pour « la médecine » ?
Mais on en revient à ce qu'on disait tout à l'heure, il y a UN signe, nous on est toujours en
train de chercher le sens eux (les locuteurs signants) ne se font pas suer.
La « recherche médicale » ça serait la « médecine » ? C'est ce que tu fais.
Oui je suis assez d'accord puisque ce sont les médecins qui font de la recherche donc c'est de
la recherche médicale.
Mais y a-t-il un moyen de faire autrement, quand on entend « médecine » quelle est la
solution ?
Mais [médecine] [médecin] [médical] c'est le même signe. En mettant en scène, en
scénarisant en faisant des périphrases avec un terme générique comme ça, franchement je
cale.
435
« Espérance de vie » :
Je le fais à chaque fois, je l'ai traduit plein de fois, je n’utilise pas le signe [espérance] ça ne
veut rien dire dans ce contexte.
« Spécialiste » :
Le signe [Retrousser les manches], oui ça me va plus que le signe standard [spécialistes].
C'est effectivement le même signe que « important » « spécial ». Voilà c'est assez proche du
français, je l'utilise souvent.
436
puisque c’est le système RISP de vélotypie, fait à distance et donc cela supposait des moyens
techniques encore assez médiocres à ce moment-là.
Q : Te souviens-tu des difficultés techniques des premiers temps, à cette époque ?
R : Les difficultés principales étaient qu’on n’était pas dans une salle dédiée à notre travail
puisque c’était la salle de photocopie d’un bureau quelconque et qu’on avait les fesses sur la
photocopieuse, le genou sur l’imprimante, une verrière au dessus avec le soleil qui nous tapait
dessus et des gens qui passaient sans arrêt pour aller chercher leurs photocopies, donc les
conditions étaient quand même extrêmement difficiles… côté difficultés techniques, on
manquait quand même de vocabulaire politique et on n’avait pas forcément encore toutes les
astuces pour traduire la langue de bois. C'est-à-dire que nous on traduit du sens, et que le
problème des politiques notamment à l’Assemblée c’est, d’une part, qu’il y a beaucoup de
non-dits et donc là il faut être très au courant de l’actualité pour savoir de quoi ils sont en train
de parler. Et d’autre part il y a des phrases qui n’ont absolument aucun sens et qui ne sont là
que pour meubler, parce qu’ils ont le droit à 2 minutes 30 chacun et notre difficulté était de
traduire quand il n’y avait pas de sens.
Q : Par rapport au manque de vocabulaire politique, comment vous avez fait ?
R : Sur le plan de la compréhension en français on s’est vraiment appliqué à avoir une
habitude d’écoute des émissions politiques, de regarder le sénat, lire plus les pages politiques
des journaux que je laissais peut-être un peu de côté jusqu’alors. Pour le vocabulaire on en a
parlé beaucoup entre nous, on a aussi essayé de travailler avec les sourds qui nous entouraient,
en donnant à chaque fois la définition pour qu’ils nous donnent le signe.
Q : Et ils l’avaient ?
R : Ça c’est fait assez vite oui. Quand ils ne l’avaient pas ils étaient capables de le créer. Mais
le vocabulaire n’était pas la plus grosse difficulté. La grosse difficulté était de traduire quand
il n’y a pas de sens. Pour nous c’était vraiment ça. Il y avait aussi une autre difficulté qui n’est
pas forcément technique : le rythme, le débit, l’impossibilité d’interrompre le locuteur bien
évidemment, compris ou pas compris. En fait on n’est pas dans l’hémicycle, bien évidemment
parce que c’est interdit de faire des signes dans l’hémicycle, donc on est dans une petite pièce
à côté, on a un retour vidéo et un retour son.
Q : Ça c’est maintenant ?
R : Oui, et au début aussi. On n’a jamais pu traduire dans l’hémicycle. Une fois on a essayé
mais on s’est fait viré. On n’a pas le droit de faire des gestes dans l’hémicycle. Et la difficulté
c’est qu’on ait compris ou pas, il faut bouger les mains. On ne peut pas interrompre, on ne
peut pas reprendre, t’as à peine le temps de souffler185. Le seul truc que t’arrive à souffler
c’est le numéro de département. Mais il faut être très rapide.
Q : Est-ce qu’avec ton expérience tu sens que tu as mis en place, ou pas, une sorte
d’automatisme ?
R : Oui, complètement. Depuis le temps que je fais ça maintenant, on peut dire que je suis en
pilote automatique à l’assemblée, je ne réfléchis même pas à ce que j’entends.
185
Souffler dans le sens d’une entraide entre l’interprète actif et l’interprète passif.
437
Q : Comment tu pourrais décrire cet automatisme ?
R : Ce sont des formulations en fait, qui sont vraiment spécifiques à l’A.N. et aux questions
au gouvernement, et des tournures de phrases qui sont très spécifiques dans le sens où ils ne
mettent jamais le thème au début de la phrase mais toujours à la fin. Ils te l’embrouillent
toujours dans une jolie phrase mais maintenant on sait, on attaque. On a aussi beaucoup réduit
le décalage. Ça c’est une tactique importante qu’on a adoptée. On a énormément réduit le
décalage parce que ça va tellement vite que si tu décales, à un moment donné tu es larguée.
Même si tu es très bon tu es largué. Et donc notre décalage à nous, je crois qu’on l’a mesuré,
est de une à deux secondes je crois. Ce qui est vraiment très très peu. De façon générale c’est
le décalage qu’on adopte à la télé, parce que tu ne peux pas finir après le présentateur, après
l’interlocuteur, ce n’est pas possible.
Q : Quand tu dis que tu réduis le décalage, as-tu l’impression que ta langue d’interprétation
à l’assemblée est différente de celle des autres interventions ?
R : Oui, quelque fois on doit frôler le français signé. C’est évident.
Q : Ce serait comme une tactique de survie ?
R : Oui, c’est pour ne pas être largué. Et puis on est dans un espace de signe qui est
extrêmement réduit, puisque l’A.N. tu as vu l’image ? On est dans une espèce d’œuf et moi,
en quinze ans j’ai un peu grossi et je commence à avoir du mal à rentrer dans l’œuf
maintenant. Et l’œuf ne bouge pas, c’est immuable, ils ne veulent pas le modifier, le mettre en
carré, l’agrandir. Donc on a un espace de langue des signes qui est extrêmement réduit, c'est-
à-dire que tu ne peux pas faire des signes comme ça (elle tend ses bras vers l’extérieur), c’est
toujours le petit carré devant toi. Donc d’un côté c’est bien parce que tu gagnes en vitesse,
bien évidemment. Le mauvais côté c’est qu’on a parfois des emplacements qui sont un peu
confus et qu’on met un peu tout au même endroit. Ça va tellement vite qu’on n’a pas
forcément le temps de bien différencier les choses.
Q : Alors effectivement j’ai remarqué en regardant l’A.N. que vous avez une tendance, ce
n’est pas un jugement, à placer toujours devant soi, est-ce une tactique délibérée ?
R : Parce que si tu places là (elle place sa main à distance de son buste) tu sors de l’œuf, tout
simplement.
Q : Est-ce que pour toi c’est une contrainte ou non ? Comment le ressens-tu ?
R : ….
Q : Qu’est-ce qui gêne ton interprétation dans cette situation? Et qu’est-ce qui te permet de
soulager cette gêne ?
R : Ce qui gêne, c’est que ça va trop vite et qu’on n’a pas le temps de construire la phrase en
langue des signes dans sa tête. Et pourtant je ne suis pas une ramollo de la traduction. Je suis
plutôt quelqu’un d’efficace et rapide. Mais là, tu n’as pas le temps de construire ta langue des
signes et c’est pour ça que parfois on frise le français signé. Et parfois on n’est pas sûr d’avoir
bien compris aussi… c’est toujours la situation d’urgence.
Q : Est-ce que dernièrement tu as eu une difficulté particulière avec un terme, un mot, un
signe ?
438
R : La difficulté qu’on a c’est les noms propres quand ils en utilisent. Je n’ai pas encore testé
le nouveau gouvernement, on attaque mardi justement. Quelquefois ils parlent de personnes
en les nommant et ces personnes n’ont pas encore de signes, et on est obligé d’épeler le nom,
et on sait très bien que même si tu as une télé très grande chez toi, tu ne peux pas lire la
dactylologie dans un si petit médaillon. C’est impossible. Donc pour la dactylo j’avoue, je me
contente de la première et de la dernière lettre avec une petite vague entre les deux. Mais c’est
totalement délibéré. Je ne vais pas m’ennuyer à faire de la dactylo puisque je sais très bien
que cela ne sera pas lisible.
Q : Jamais ?
R : On essaie d’en faire le moins possible. Enfin c’est ma pratique ! Les autres en ont
certainement une autre. La dactylologie je trouve que ça ne devrait pas exister. Mais c’est
autre chose. Y’a pas qu’à l’Assemblée…
Q : Pour rejoindre ce que tu disais, j’ai aussi remarqué que contrairement aux autres
situations d’interprétation où tu as le temps de construire ton espace etcétéra, et où les
pointages sont réalisés 20 secondes à plusieurs minutes après le placement d’un item…
R : … Non tu ne peux pas car ils ne reparlent jamais de la même chose, dans chaque phrase tu
as au moins deux thèmes différents et dans chaque réponse aussi. Donc tu ne peux jamais
repointer ce que tu as déjà défini et placé avant.
Q : Ce que j’ai remarqué en revanche, c’est que lorsque vous le faites, c’est à trois secondes,
et qu’après deux ou trois secondes vous réinitialisez votre espace, tu confirmes ou non cette
remarque ?
R : Oui. Et du coup c’est fatiguant car on n’est pas du tout dans l’économie de la langue des
signes, alors qu’on devrait l’être. Et du coup ce serait plus confortable et plus compréhensible
aussi. Mais on ne peut pas. C’est tellement dense en idées, il y a tellement de sujets dans
chaque phrase que tu ne peux pas. Pour moi c’est le travail à la chaîine.
Q : Pour toi, est ce que l’interprétation à l’Assemblée Nationale se rapproche de
l’interprétation de conférence ?
R : Ah pas du tout ! Cela n’a rien à voir. Il y a une chose qu’il ne faut pas oublier c’est qu’à
l’Assemblée on n’a aucune préparation. Niet ! Enfin, si : on a la liste des députés qui sont
sensés poser des questions et qui est relativement fiable et en face, on a la liste des ministres
qui sont censés y répondre mais elle ne l’est pas du tout : fiable. Donc si on a bien suivi
l’actualité et en fonction de la liste des députés, on sait à peu près quel thème il va aborder. Il
fut une époque d’ailleurs où l’on avait les thèmes abordés, mais c’était uniquement les
députés de droite qui nous les donnaient. Tout ça a été rapidement abandonné, c’est le service
com qui ne fait pas son boulot je pense. Et donc on y va à l’arrache comme on dit !
Évidemment on sait que cela va parler d’actualité mais l’actualité c’est tellement vaste et
tellement nourri aussi que… et puis ce n’est pas que de l’actualité… Parfois il y a des choses
comme le prix du régime de bananes en Guyane par exemple, on l’a assez
régulièrement…voilà.
Q : D’accord. Dans la disposition de ton espace de signation, est-ce que tu as remarqué ou
non une sorte de rituel de disposition des emplacements.
439
R : Quand je suis à l’Assemblée ?
Q : Oui
R : Déjà on se sert du visuel de l’hémicycle. La gauche, ils sont à gauche, la droite ils sont à
droite, les ministres devant et le président au perchoir. Donc déjà au niveau spatial on sait à
peu près, par exemple quand il est dit que « tous les députés de gauches sortent parce qu’ils ne
sont pas contents, donc ils sont là (elle montre l’emplacement dans son espace de signation) et
hop ils partent par là. On ne va pas les faire sortir là (elle montre un autre espace à droite dans
son espace de signation). Ça c’est plus de la logique qu’un rituel. Après le rituel oui, parce
que chaque début de question démarre de la même façon.
Q : D’accord. Et tout le vocabulaire politique qui est actuellement utilisé, donc vous l’avez
mis en place conjointement avec des sourds. Mais est-ce qu’il y a des créations lexicales qui
viennent uniquement des interprètes, créées par synthétisme des habitudes ? Ou pas ?
R : Peut-être mais assez peu je pense. Faudrait que je trouve un exemple.
Q : Est-ce que tout est toujours validé par des sourds ou n’y a-t-il pas des choses que vous
avez créées par synthétisme, puis reprises et finalement ça s’est stabilisé comme ça ?
R : Je pense que oui mais je n’ai pas d’exemple à te donner, faudrait que j’y réfléchisse plus
longuement. Oui, mais ça dépend du temps qu’on a, du rythme de la personne qui parle… je
n’ai pas d’exemple.
Q : Les « collectivités territoriales » par exemple.
R : Ah oui, alors on fait chacun sa sauce en fait. Oui. Quand tu as le temps tu fais collectivité
avec un générique « mairie, département, etc. » et quand tu n’as pas le temps tu fais
[collectivité] [territoriale], qui est plus proche du français signé mais qui est aussi plus rapide,
plus économique. Donc après ça dépend vraiment du temps qu’on a.
Q : Vous avez beaucoup de différences de signes comme ça entre ILS de l’Assemblée ?
R : Oui, bien sûur. Mais ça n’est pas grave. On a chacun sa langue. On a aussi des différences
en français oral.
Q : Pour désigner un même concept ?
R : Le gros problème qu’on a eu dernièrement ce n’est pas à l’Assemblée, mais pour les clips
de campagne que nous avons faits pour les présidentielles et les législatives, sur le signe de
M. Hollande. Donc grande discussion avec les collègues : comment tu fais Hollande ? Parce
que Websourd nous avait donné un signe sur la joue pour ses deux grains de beauté, mais je
suis peut-être plus rétrograde mais j’ai gardé le signe de Hollande, le pays. En en discutant
avec une collègue XX elle me dit qu’en signant Hollande comme ça les sourds pensent que
cela fait référence au pays. Bien oui mais quand tu entends Hollande en français c’est comme
le pays aussi. En plus ça s’écrit de la même façon.
Q : Ça arrive souvent ce genre de discussion ?
R : En général quand on est à l’A.N on se remplace toute les 12 ou 13 minutes, c’est assez
rapide et celui qui ne traduit pas sort rarement de la pièce, d’abord parce que la pièce ne s’y
440
prête pas et en général on reste à côté au cas où le collègue a besoin d’un coup de main ou s’il
a un malaise ou quoi que ce soit, comme c’est sur une heure, voire une heure et quart on peut
tenir. Et à la fin des séances on discute, pourquoi t’as fait ça comme ça, moi j’aurais fait
comme ça, donc on arrive quand même à échanger à la fin. Ce n’est pas toujours nécessaire
mais ça arrive très régulièrement.
Q : Est-ce qu’en 15 ans tu as remarqué une différence dans l’approche de ce travail là ?
R : Oui, l’investissement n’est pas du tout le même aujourd’hui tel qu’il a pu l’être au début.
Moi qui ne suis pas très traqueuse sur des situations professionnelles je dois dire que la
première fois que j’ai fait l’A.N. j’avais le trac. Parce que c’est du direct et je n’en avais
jamais fait. Moi je travaillais à L’œil et la main et ce sont des émissions enregistrées. J’avais
fait deux ou trois émissions en direct mais c’était des émissions assez confortables, des
émissions style parlotte, débats et témoignages où on était une armée d’interprètes et on avait
toute la prépa : les thèmes et les intervenants. Mais l’A.N., la première fois que je l’ai fait
j’avais un peu le trac quand même, surtout par rapport au débit, au rythme qui est absolument
hallucinant. Aujourd’hui je n’ai plus du tout le trac, je suis comme je te l’ai dit en pilotage
automatique. Pour l’anecdote et te montrer à quel point je suis distanciée maintenant, il y a
2 ans mon père est mort, c’était un mardi et j’étais à l’Assemblée. Mon père est mort à 15h30
en pleine séance, et pendant que mon collègue traduisait je regarde mon téléphone et je vois
que j’ai un appel de l’hôpital, je remonte dans la cour, j’écoute le message qui me disait :
votre père est mort. Je redescends, c’était le moment de reprendre mon relais et j’ai traduis
alors que je venais juste de m’écrouler dehors. J’ai fait mon quart d’heure, à la fin je vois XX
et je fonds en larmes. Comme je devais faire sur LCI le journal de 20h le soir je lui ai
demandé s’il pouvait le faire car je ne m’en sentais pas du tout capable. Je lui ai expliqué que
mon père venait de mourir et il m’a dit : mais je n’ai pas vu ! Je suis tellement distanciée
maintenant, c’est comme si ce n’était pas moi qui étais là. C’est dommage, comme je suis
moins investie, peut-être que je fais moins d’efforts pour, on va dire « bien traduire ». Après il
y a certaines questions qui nous intéressent, qui nous parlent plus, et du coup on est plus en
écoute et on se défonce un peu plus. Ça dépend aussi des gens qui interviennent. Il y en a
qu’on aime bien traduire et d’autres … oh non pas moi, oh non pas lui et pourquoi ça tombe
sur moi…
Q : Les conditions que tu décris de l’Assemblée, est-ce que tu les as rencontrées ailleurs, ou
alors est-ce spécifique à l’Assemblée ?
R : Oui il m’est arrivé de rencontrer les mêmes problématiques quand on a démarré le journal
de 20h sur LCI, parce qu’au départ on avait une journaliste qui faisait du 150 à l’heure, mais
la différence là c’est qu’on est totalement préparé. On a tous les textes, tous les lancements
des journalistes avant, on peut regarder tous les sujets avant. Il arrive qu’un sujet d’actualité
tombe et qu’on ne soit pas forcément préparé, mais c’est rare. On a surtout expliqué à la
journaliste qu’il fallait qu’elle fasse un petit effort pour nous et elle l’a fait. Après ça peut
arriver aussi en conférence de tomber sur un type qui dégaine à 150 à l’heure et qui du coup
est absolument imbitable même en français oral.
Q : Et le vide lexical dans cette situation, sur LCI ?
R : La différence c’est qu’on a le reportage en appui ! On a l’image. Ça nous est arrivé sur
LCI d’avoir par exemple les chiffres du chômage, ce genre de chose, je ne vais pas m’embêter
à donner tous les chiffres. A ce moment-là, il y a un carton avec tous les chiffres en incruste
441
sur l’écran. C’est mieux que le sourd regarde les chiffres plutôt que de suivre les chiffres sur
moi qui risque de me tromper.
Q : Utilises-tu beaucoup de périphrases, paraphrases à l’A.N ?
R : Oui, enfin moi je l’utilise. Parce qu’il y a parfois des concepts que je ne sais pas traduire
autrement qu’en périphrases.
Q : D’accord. Et es-tu sûre de la définition que tu proposes à chaque fois ou pas ? Ou bien il
y a des moments où tu te dis que ce n’est pas forcément exactement ça ?
R : Non, je crois que je ne suis pas toujours sûre. Je crois qu’il y a des jours où j’ai eu de gros
doutes.
Q : Après comment fais-tu ?
R : Je vérifie en me disant que si ça retombe la prochaine fois je saurais. Mais c’est du direct,
c’est fait c’est fait !
Q : As-tu un exemple de périphrases où tu n’étais pas très sûre de toi ?
R : Faudrait que je visionne des cassettes pour te trouver un exemple. Là, comme ça je ne l’ai
pas en tête. Juste deux exemple d’accidents de traduction du fait qu’on a très peu de décalage
et que tout va très vite: le début de la phrase c’était « la Cogéma retraite » et ma collègue a
signé retraite, dans le sens de prendre sa retraite, alors que c’était le recyclage des déchets
nucléaires. Mais elle est tellement partie vite, tu vois, c’est lié au réflexe dû au manque de
décalage, on fait avec ce que l’on a et voilà.
Q : Par exemple « le gouvernement doit prendre des mesures » les mesures par exemple,
comment signerais-tu cela ?
R : C’est simple : « des règles qu’il faut décider ». Pareil, pour « parlement » : en France le
parlement c’est les députés et les sénateurs, l’Assemblée Nationale et le Sénat. Alors, a priori,
il y a certains collègues qui font [parlement] (elle signe), moi je fais plutôt [parlement]
[député] [sénateur] si j’ai le temps. Parce que je trouve que ce signe de parlement ça peut être
plein de choses, ça peut être le congrès, le machin, une assemblée, des gradins, etc., mais
parfois tu n’as pas le temps et tu fais juste ce signe [parlement].
Q : As-tu parfois l’impression que l’interprétation, avec toutes les contraintes dont tu viens de
parler, est plus simplifiée compte tenu du contexte alambiqué de l’original.
R : A mon avis il y a quasiment tout le temps beaucoup plus de sens en LS qu’à l’écoute. On
donne vraiment du sens, je pense. Je pense que les questions au gouvernement de l’Assemblée
Nationale telles qu’elles sont retransmises aujourd’hui sont plus accessibles pour les sourds
que pour les entendants. Malgré toutes les contraintes de temps et de débit.
Q : Quand tu parles de français signé, c’est un choix délibéré ?
R : C’est un choix inconscient. Délibérément inconscient ! Bon, ce n’est pas forcément un
choix, c’est plus une contrainte. Le problème c’est qu’on a des automatismes sur certains
mots. Tu entends le mot, hop le signe vient. Ce sont des automatismes de contexte. Du coup
dans un autre contexte tu t’aperçois que le signe n’est plus du tout adapté.
442
Q : Peut-on dire qu’il y aurait une langue des signes qui serait celle de l’Assemblée ?
R : Oh non quand même pas.
Q : Et une forme d’interprétation propre à l’Assemblée ?
R : Je ne pense pas non.
Intervention d’une autre ILS :
R2 : Pour l’avoir fait deux ou trois fois je sors du cadre de l’œuf moi par exemple. Je n’ai pas
cette langue aussi rapide. Mes automatismes de placements ne sont pas encore transformés.
R : Oui mais moi je suis transformée d’une part par l’A.N. bien évidemment, mais aussi parce
que je fais de la télé en général depuis quand même pas mal d’années où de toutes façons, tu
réduis toujours le décalage quoi qu’il arrive, donc tu vas plus vite, et si tu vas plus vite tu te
rassembles un peu dans ton espace. Par exemple pour les clips qu’on a faits pour les
présidentielles et les législatives, moi j’ai pas mal bossé avec XX et c’est quelqu’un de grand,
un ancien danseur en plus, et quand il signe il est étalé dans l’espace et je lui disais mais
« rassemble-toi, serre les doigts, colle tes coudes ! Tu vas voir que ce sera plus confort pour
toi à traduire ». Parce que du coup il ramait, il n’avait pas le temps, dans les clips qui avaient
des débits assez important il ne rentrait pas dans le temps imparti pour les clips, parce qu’il
agrandissait trop ses gestes. Ça pour nous c’est une contrainte directement liée à la télé oui.
Q : As-tu déjà regardé et analysé tes prestations à la télé ?
R : Oui, plus souvent à l’époque mais même encore maintenant quand je fais les vœux du
président. J’aime bien les regarder, les décortiquer en me disant pourquoi j’ai fait ça… oh
j’aurais dû faire ça… pareil sur le journal de LCI au début, il y a 2 ans, je m’enregistrais et je
me regardais. Parfois je me trouve super bien et c’est généralement quand je l’ai bien préparé,
ça se voit ! Et parfois c’est moins bien !
Q : Et ta façon d’interpréter est la même à LCI, par exemple ?
R : Non, parce que à LCI on est moins serré dans le cadre et surtout, on a la préparation avant,
ça change tout. C’est pareil, les phrases journalistiques sont écrites de telle façon que tu n’as
jamais le thème en début de phrase mais toujours à la fin. Par exemple ils vont te parler d’un
footballer comme ça « oui, il a été magnifique, il a fait ci, il a fait ça, blabla et c’est
M. untel ». Mais tu ne peux pas le dire avant que c’est lui, ce serait tellement plus simple pour
moi ! Alors quelquefois, quand vraiment la phrase est trop alambiquée et que ça me prend la
tête et que c’est un vrai effort de mémoire que je trouve inutile, je vais voir la journaliste et je
lui demande de la réécrire différemment. Et les journalistes le font toujours très gentiment
d’ailleurs. Pareil pour les résultats sportifs avec toute l’équipe de France de tennis et tous les
noms et toi tu n’as que 3 signes pour 10 bonhommes : je lui demande de garder les 3. Pareil
pour les résultats de foot il y a cette possibilité de les mettre à l’image et je n’ai plus besoin de
les traduire. C’est de la coopération, un vrai travail de coopération qui nous permet d’avoir un
vrai confort donc de faire un vrai travail de qualité. Parfois je suis contente de moi, je me dis
que j’ai bien bossé, avec une vraie fierté. Et parfois je trouve que je fais de la m… alors après
on a tous ses raisons personnelles : tu as mal dormi, tous ces problèmes personnels qui
peuvent influer sur la qualité de ta concentration, sur la qualité de ton travail.
Q : Ta langue est-elle la même pour une interprétation d’un rendez-vous par exemple ?
443
R : L’exemple du rendez-vous est intéressant parce que pour moi c’est là où l’enjeu est le plus
important. Parce que tu es dans un échange, dans une communication à deux sens. Toute la
télé c’est bien joli mais ce n’est que vers la LSF. Si tu te plantes avec un sourd lambda qui a
rendez-vous avec un service social lambda, si tu te plantes ça peut-être très grave pour lui.
Donc pour moi c’est beaucoup plus important. Mais par contre, le travail de l’interprète, est
pour moi plus intéressant, parce que c’est là où il faudra que tu adaptes ton registre de langue
et ton niveau de langue à la personne que tu as en face, et que tu ne peux plus être en pilote
automatique, tu n’es plus dans l’automatisme du tout. Tu es dans l’humain, moi c’est ce que je
préfère faire. Là c’est un vrai travail d’interprète avec toutes ses composantes.
Q : Dernière question : quelle est pour toi la difficulté technique majeure du français vers la
LSF ?
R : La dactylologie. Les noms propres. Je n’aime pas la dactylologie. Je n’aime pas la faire, je
n’aime pas la lire. Et à l’inverse j’ai le même problème. Dès que je vois le sourd qui
commence à épeler je me bloque, je me dis que je ne vais pas le comprendre, alors forcément
je ne le comprends pas !
Q : Tu penses, qu’en l’état actuel de la LSF (histoire, interdiction, vide lexical) on peut tout
traduire ?
R : Je ne peux pas te répondre oui ou non. Théoriquement on peut tout traduire. Mais
pratiquement, dans les conditions dans lesquelles on exerce le métier dans les situations
d’interprétation lambda, on ne peut pas tout traduire, enfin tout interpréter. Maintenant si on
parle de traduction, on peut. Parce qu’on a des périphrases et qu’au pire si on n’a pas de sens,
on a toujours la dactylologie. A priori on peut tout traduire, mais pas en situation d’interprète.
Après, moi je ne connais pas du tout la situation pédagogique, donc je ne peux pas parler de
ça.
Q : Merci beaucoup, voudrais-tu ajouter quelque chose ?
R : Non
445
programme, que les contenus de formation n’étaient pas adaptés, que les niveaux de LSF
étaient trop différents entre les étudiants ce qui était un frein. Voilà. Sur une quinzaine
d’élèves inscrits en première année six sont restés en deuxième année. Et je crois que seuls
deux ont été diplômés. Dans la formation, il y avait une étudiante auditive légère. Et s’est
posée la question de la place d’une étudiante malentendante en formation d’interprète.
Q : Et l’ANFIDA dans tout ça ?
R : En 1981 ils ont organisé un stage d’une semaine pour préparer le deuxième degré. Puis il y
a eu l’idée de lancer une formation d’ILS. Dans les courriers, il était question de
l’apprentissage de la LSF avant l’entrée en formation. Puis il a été question de faire cette
formation dans un DEUG de communication avec option soit pour déficients auditifs soit
option LSF. On voit bien le parallèle. Il y en a qui défendaient haut et fort l’option pour DA
(Déficients Auditifs) et l’autre LSF. Surtout que l’ANFIDA c’était Déficients Auditifs à la fin.
On pensait faire un diplôme à plusieurs niveaux : le premier niveau : « interprète à plein
temps », tu te rends compte ! Interprète à plein temps, ou alors interprète occasionnel, ou
interprète sociaux ou interprète de conférence. Avec deux niveaux de formation : haut niveau
de LSF acquis avant la formation d’interprète et c’est vers cette période qu’on voit apparaître
le nom de l’ESIT. Donc il y avait deux propositions de formation : d’un côté avec un haut
niveau de LSF acquis avant la formation d’interprète qui devait se faire à l’Université avec
l’ESIT dans le cadre d’un Deug de préparation LSF avec ensuite préparation au diplôme
d’interprète. C’était en 86. Et de l’autre côté c’était niveau bac, il devait se faire une formation
professionnelle d’interprète. En gros c’était ça. Mais en 88 s’est créé SERAC. Vers 1987,
l’ANFIDA enfin j’ai encore quelques papiers, en 87 ce n’était plus l’ANFIDA mais l’ANILS.
Entre 86 et 87, ça a changé. De nouveaux statuts ont étés votés et adressés à tous les membres.
Déplacement général des revendications du type « assistant » « déficient » du point de vue
paramédical à l’égard de la surdité » qui était l’ancien intitulé de l’ANFIDA, et avec l’ANILS,
ils disent « reconnaissance, droit à la différence et droits du point de vue sociolinguistique à
l’égard de la surdité », qui est un énorme changement symbolique qui s’opère. Moi j’y étais à
cette époque-là.
Q : Combien d’interprètes y avait-il ?
R : Cela dépend de ce que tu appelles interprète ! Il n’y avait pas véritablement d’interprètes,
personne n’était vraiment formé. Une vague capacité communicationnelle par ci. Ils
évaluaient simplement ton niveau de langue des signes, c’est tout. Ils n’évaluaient absolument
pas si tu pouvais traduire d’une langue vers une autre. Houlà non ! Ce qui pourrait ressembler
au premier diplôme c’est celui qu’ont passé XX et XX, le DPCU, et encore… avec tous les
déboires que je t’ai racontés tout à l’heure.
« En 86 toujours et après le Symposium d’Albi nous faisions promettre de tout faire pour
mettre en place une formation suite au changement de nom qui nous portait à cœur. De
février 87 à octobre 87, nous avons avancé sur le sujet, de nombreuses demandes nous
parvenaient de la part des membres province/Paris. Deux axes de formation semblaient
nécessaires : formation de haut niveau type universitaire avec des étudiants ayant une bonne
maitrise des langues. Autre formation de type régionale avec une plus grande souplesse de
fonctionnement. Plusieurs contacts ont été pris avec l’ESIT dans la perspective de la
formation de haut niveau citée ci-dessus. L’association ANILS devenant organisme de
formation continue aurait eu pour mission de mettre en œuvre des plans de formations. Une
création d’une commission et beaucoup de contacts ont été pris en ce sens. Et les pourparlers
446
avec l’ESIT devaient reprendre suite à un accord réciproque. » Nous étions toujours en 87.
« L’acte de naissance de SERAC a profondément interrogé notre association et l’interroge
toujours. » Tu sais ce qui s’est passé à cette époque, je m’en souviens. L’ANILS avait les
manches retroussées, tu comprends, ça bougeait dans tous les sens et il fallait coûte que coûte
ouvrir une vraie formation. Et XX faisait partie du bureau de l’ANILS, et elle était dans ce
mouvement-là de création d’une formation. Parce que là, l’ANILS veut collaborer avec
l’ESIT, tous les courriers de l’époque le montrent. Et XX s’est tirée avec le dossier, et c’est
vrai j’ai des courriers et des preuves, elle a quitté l’ANILS avec le dossier formation et toutes
les demandes de subventions et elle l’a donné à SERAC. Et c’est à partir de là qu’il y a eu un
bug.
Q : Et on peut en parler de tout ça ? C’est secret ?
R : Tout le monde était au courant à l’époque. Les courriers sont adressés à plein de gens.
Tiens, c’est marqué « l’acte de naissance de SERAC a profondément interrogé notre
association et l’interroge toujours. Cette création d’association entreprise par quelques
entendants dont la vice-présidente de l’ANILS a été une surprise pour notre conseil. Aucune
information sur la perspective de création d’une association de ce type ne nous a jamais été
communiquée. Qui plus est, un certain nombre de démarches étaient menées conjointement
par moi-même et XX devenue co-fondatrice de SERAC», de ce fait l’ANILS s’est retrouvée
dépouillée de son dossier et le partenariat ANILS-ESIT a cessé à ce moment-là. Elle était
responsable des demandes de subventions au sein de l’ANILS. En fait c’est aussi simple que
ça. Tout a été suspendu, la demande de création de formation, le partenariat avec l’ESIT, tout.
On est fin 87, « la période 87/88 est une période d’attente, contrairement à ce qui était prévu,
si l’énergie promise par chaque membre était allée vers l’association dans laquelle ils avaient
placé leur engagement. Voici résumé la situation actuelle, je souhaitais être bref sur ce dernier
point. (…) Un certain nombre d’opportunités créées précisément dans les relations ANFIDA-
ESIT ouvrent les portes de l’université à quelques parisiens de façon informelle mais réelle. »
Et c’est signé le président de l’époque, Lamothe. C’est une mine ça, non ? Et SERAC ouvre
juste derrière ça en septembre 88, ce qui était dommage parce qu’alors ce n’était pas une
formation universitaire, il a fallu attendre 94. Je crois que s’ils avaient pu se tuer à cette
époque ils l’auraient fait !
Q : Et l’ANILS dans tout ça ?
R : L’ANILS, ensuite est passée ANPILS vers 89/90. C’est horrible comme sigle. La
différence c’est que c’est Association Nationale Pour l’Interprétation en Langue des Signes.
C’est à ce moment-là que les sourds sont devenus membres du CA et que les sourds étaient
présidents de l’association des interprètes. Le président et la vice-présidente sont sourds en
90. Il n’y avait que des sourds au CA. L’idée de XX à ce moment-là c’était de redonner
confiance. Les sourds n’avaient pas du tout confiance en l’ANILS. Et donc il a eu la bonne
idée de mettre des sourds militants issus de la communauté pour que les autres sourds, le
public en général aient confiance. Ça a fonctionné, c’était une très bonne idée, à cette époque.
Q : Ils sont restés jusqu’à ?
R : L’ANPILS c’était de 89, 90, 91, 92, 93, 94 et en 95 l’AFILS est née. A ce moment-là, il
n’y avait plus de sourds. La philosophie de l’ANPILS c’était que les sourds soient là. D’où le
titre POUR l’interprétation en LS, ce qui permettait d’avoir des sourds au CA. C’est toute la
nuance. J’y étais encore. Après l’AFILS c’est l’association française DES interprètes en LS. Il
447
fallait qu’il y ait l’ANPILS, il fallait qu’il y ait ce déclanchement-là pour que la fédération des
sourds regarde la société des interprètes d’un autre œil. Et le fait que les sourds soient au CA a
donné confiance aux sourds envers les interprètes. Une fois que cette confiance a été instaurée
dans la communauté des sourds ils se sont retirés. Tu vois ? Mais tout ce dont on a parlé plus
haut, il n’y a pas grand monde qui le sait ! Cette petite histoire-là pour moi est vraiment
importante dans la construction du métier, et dans les bugs entre associations etc. Et on accuse
l’un ou l’autre alors qu’en fait au départ c’est une histoire de subventions...
Merci beaucoup
Réponse : 20 ans.
R : 20 ans
Q : Et tu avais un corpus ?
R : Je n’avais pas inventé, j’avais vu. Et j’avais plus ou moins analysé comment c’était venu,
pourquoi, et en fonction de quels critères. J’avais tenté d’énumérer les critères, les paramètres
qui font qu’un signe peut être ou non considéré comme un signe de la langue des signes.
448
R : En situation pédagogique.
R : C’est vrai que je traduis beaucoup en situation pédagogique… mais j’utilise ce recours
quand je n’ai pas de signe on va dire !
R : En situation pédagogique, quand il me semble que le terme doit faire partie du vocabulaire
de l’étudiant, je vais le mettre en dactylo. Sinon, non.
Q : Donc c’est toi, qui décide à un moment donné de ton interprétation : tiens ça je vais lui
donner de deux façons (dactylo+paraphrase) ?
R : Oui, c’est ça. Par exemple ce matin, le cours parlait de « réfugiés » et j’ai mis en parallèle
le mot dactylologié avec un signe en face. Pour lui signifier que le cours parlait bien de
« réfugiés », il n’y a pas de signes connus pour « réfugiés ». Je fais en sorte que l’expression,
que le sujet dont le prof parle soit aussi compris en français. Seulement en situation
pédagogique, attention !
R : Pareil, quand je n’ai pas de mot. Enumération dans le sens « instruments de musique :
guitare/piano/violon/etc.»186 ?
Q : Oui.
R : Oui, s’il n’y a pas de signe générique je vais faire une énumération qui se trouve être le
signe. Si on fait [guitare] [machin] etc. on sait que c’est de « instruments de musique » dont
on parle. Enfin, heureusement pour moi je ne traduis pas beaucoup d’instruments de
musique ! Mais une énumération …c’est quand il n’y a pas de termes génériques, oui ? Non ?
Q : Je ne sais pas…
As-tu déjà créé un code lexical entre un sourd et toi ?
R : Oui.
Q : Peux-tu en décrire un ?
R : Voilà, donc j’ai décris ça. Elle fait le signe 1 accompagné de la lettre N, des deux mains.
La « cardinalité ». C’est le signe que j’ai créé pour « cardinalité ». C’était pour un cours
d’informatique, ça décrit le lien existant entre 2 entités de dépendance, dans un MCD.
186
Référence à Cuxac, sur les tactiques discursives des locuteurs sourds.
449
R : rires. Oui, c'est-à-dire que « dispositif » c’est quelque chose qui… je n’avais pas de signe
pour dispositif. Je n’avais pas réfléchi, et c’est vrai que je pourrais me pencher un peu plus sur
ce qu’est un dispositif et trouver un truc d’un petit peu plus adapté... en plus ce que j’ai fait
est complètement faux : c’est le signe [créer] avec un [D], D comme dispositif. Il y en a plein
des signes comme ça… et par manque de professionnalisme, je n’ai pas réfléchi. Je n’ai pas
fait la démarche qui aboutirait à un signe un peu plus « correct ». Ce signe qui est faux d’une
part parce qu’un dispositif n’est pas forcément quelque chose que l’on crée. Et en plus ce
signe est très moche car c’est un D qui est posé dessus (elle montre le poing gauche du signe
[créer] sur lequel repose non pas l’autre partie du signe [créer] mais un D), mais c’était
aussi pour rire en fait. Parce que j’avais en face de moi une étudiante très « langue des
signes », du coup lui faire ça c’était vraiment la provoquer… et après on avait bien rigolé.
Mais du coup je l’ai gardé, parce que ça m’arrangeait.
R : A mon avis elle ne l’utilisera pas. Il faudrait lui poser la question. Peut-être… si elle en a
besoin, dans le milieu du travail social il y a beaucoup de dispositifs. Mais elle ne le proposera
jamais à un autre interprète je pense, parce que c’est d’une part très dévalorisant pour la
langue, pour elle, pour l’image qu’elle a d’elle, pour sa compréhension.
Q : Mais c’est quand même un signe qui a fonctionné pendant plusieurs années entre vous ?
R : Oui oui.
R : Oui, en général c’est quand tu dois présenter dans l’espace quelque chose que tu ne t’es
jamais représenté dans la tête. Il y a des tas de sujets, et on ne peut pas connaître tous les
sujets. Par exemple si tu ne sais pas … imaginons par exemple la « collectivité territoriale ».
Si tu ne connais pas les liens qui existent entre la région, le conseil général, la mairie… enfin
tu vois les rôles qu’ont chacun, comment ils se placent dans l’espace, quel lien avec l’État, la
décentralisation etc., si tu n’as pas ça, tu auras les mots mais tu ne sauras pas où les placer
dans l’espace parce que tu ne sauras pas quelle relation ils ont entre eux.
Par exemple, en informatique c’est encore pire. Quand tu ne connais rien à rien les mots ne
suffisent pas. Il faut déjà avoir une représentation mentale des choses pour pouvoir les
présenter.
Q : Quand tu signes très visuellement « collectivité territoriale », du coup ton signe explique
à l’élève ce qu’est une collectivité territoriale, non ?
R : Moi j’ai un signe pour « collectivité territoriale » ! Je fais ça. (Elle signe)
450
Q : Tu l’as inventé ?
Q : Tu peux le décrire ?
Q : En simultanée quand tu as quelque chose comme ça que tu n’arrives pas à visualiser, est-
ce qu’à ton avis tu perds du temps, ou pas, dans ton interprétation ?
Q : Tu demandes ?
R : En situation pédagogique, toujours, oui. Enfin toujours… Si l’élève me répond, oui. Si j’ai
quelqu’un d’impassible, sans expression, je ne vais pas demander. Je sollicite rapidement et
j’attends une réponse rapide. Si c’est quelqu’un qui ne réagit pas… je demande une fois, deux
fois, puis après je ne demande plus.
Q : Quelle est pour toi la difficulté majeure en interprétation vers la langue des signes ?
R : Oui, c’est ça. Avec tout ce que j’ai déjà dit juste avant. Ce sont deux questions proches
non ? Enfin je crois.
451
plusieurs années que je ne traduis plus vers le français187, j’ai beaucoup moins traduit vers le
français que vers la langue des signes. Et ça m’est déjà arrivé de me retrouver en face de gens
dont je ne comprenais rien…. Parce qu’ils ne montrent que la partie visible de l’iceberg et
quand tu ne connais pas tout ce qui est immergé, tu ne comprends rien. Il y a beaucoup de
problèmes avec les marqueurs temporels : avant/maintenant/après/c’est fait/ce n’est pas fait/
c’est moi/c’est lui….c’est le problème de…. De….
Q : Manque de contextualisation ?
R : Voilà. Si c’est quelqu’un qui s’exprime vraiment en langue des signes… mais c’est vrai
qu’on a souvent affaire à des gens qui signent mal.
R : Qui ne s’imaginent pas… qui n’ont pas de recul par rapport à leur langue, donc qui ne
peuvent pas appréhender ce que c’est que de traduire. Je ne sais pas si tu as déjà eu des
contacts avec des sourds qui sont interprètes relais lors des conférences, qui traduisent vers ou
à partir de la langue des signes internationale. Ce sont des gens qui vont te dire : Mais c’est ça
traduire ??? C’est un truc qu’ils n’avaient pas imaginé avant de faire. Ils prennent conscience
de ce qu’est l’exercice et ils se rendent compte à quel point ce qu’ils proposaient jusqu’alors
était incomplet. Que la rapidité et bien il faut la diminuer, des tas de choses dont ils ne se
rendaient pas compte du tout parce qu’ils n’avaient jamais été en position de traduire.
D’ailleurs il faudrait mettre au programme des sourds dans les institutions des cours de
traduction pour qu’ils comprennent qu’est- ce que c’est que traduire et surtout, qu’est-ce que
c’est qu’être traduit ! On ne parle jamais de ça… je me souviens il y a quelques temps au
CILS188 il y avait eu une idée comme ça, où on a posé la question aux sourds : qu’est-ce que
c’est pour eux d’être traduit ? Est-ce que quand ils sont traduits ils signent différemment ? Et
en fait la majorité a dit NON. « Non moi je ne signe pas différemment, l’interprète se
débrouille. »
C’est un fait. C’est dommage, mais c’est un fait. C'est-à-dire qu’ils ne prennent pas
conscience du fait que s’ils ne sont pas clairs, s’ils en oublient la moitié, s’ils ne prennent pas
en compte la personne qui ne connaît pas leur vécu - c’est juste se décentrer - et bien ils seront
traduits à la hauteur de ce qu’ils proposent. Mais ça sort un peu du sujet ?
187
En situation de conférence. En liaison ou pédagogique elle continue toujours de travailler vers le
français.
188
Service d’interprète en LSF poitevin.
452
R : Tu veux dire par là est-ce que je cautionnerais ?... Quoi qu’on en dise, je pense qu’on
adapte toujours. En théorie je dirais non, mais en pratique je le fais, mais avec certaines
limites. Admettons, je traduis pour une éducatrice qui a en face d’elle quelqu’un qui ne
comprend rien. L’éducatrice va dire « on va mettre en place une mesure d’A.E.M.O… » Donc
je vais traduire « on va mettre en place une mesure d’A.E.M.O… ». Puis en face tu vois bien
que la personne ne capte rien du tout, parce qu’en plus « A.E.M.O » qu’est-ce que c’est ?
Donc je vais intervenir auprès de la personne en disant « je pense que ce que vous dites n’est
pas compris par la personne en face de vous » ou un truc dans le genre. Et si la personne
continue à dire « en ce qui concerne la mesure d’A.E.M.O… je vais faire ça…»
Je laisse faire, mais je ne vais pas signer « A.E.M.O c’est Mesure Accompagnement je ne
sais quoi en Milieu Ouvert… » Je ne vais pas faire ça. Même si ça me fait mal au cœur, parce
que c’est un rendez-vous pour rien.
Q : Et dernière question : A qui l’ILS doit-il être fidèle ? A l’orateur, au sourd, au client
payeur ou au discours ?
R : A lui-même ! Rires
C'est-à-dire à sa conscience, à sa déontologie, aux valeurs qu’il s’est construites de son
métier. Quelles valeurs a-t-il vis-à-vis de son métier ?
R : Eh bien j’épellerais et ensuite je fais ça (elle signe cf. page 451). En fait j’épelle, ensuite je
fais une énumération, par exemple région/département/ puis je propose le signe créé avec mon
étudiante (configuration C, 2 mains, en trois temps du plus grand vers le plus petit).
Q : Donc tu épelles, ensuite tu énumères et enfin tu replaces le signe créé avec ton étudiante ?
R : Oui, si je le sens. Par exemple je ne replacerais pas « dispositif ». Mais le signe pour
« collectivité territoriale » ne me semble pas être une aberration. Mais en conférence, sachant
que j’aurais à l’interpréter j’aurais demandé à mes collègues si elles n’avaient pas un signe
mieux à me proposer. Si elles ne l’avaient pas, j’aurais proposé le mien, et elles le
reprendraient, éventuellement.
Mais si « collectivité territoriale » sort de but en blanc, sans que cela fasse parti d’une prépa
ou quoi : Soit je l’épelle, soit je fais Région/Département/etc., je donnerais un peu la logique
de la création, enfin si j’ai le temps !
453
Q : As-tu quelque chose que tu aimerais ajouter ?
R : You’re welcome!
R : J’avais fait deux sujets. Le premier c’était sur la création d’un lexique en carrosserie et le
deuxième c’était sur la situation d’interprétation téléphonique.
C’est un peu loin…Oui, j’avais travaillé sur la création lexicale, sur tout le vocabulaire
professionnel pour lequel il n’y avait pas de correspondance en signe, et où on est obligé de
créer des codes.
R : Voilà, des codes qui ont fonctionné pendant toute la durée de la formation, neuf mois. Et
que j’ai repris parce que j’ai fait deux fois l’interprétation de cette formation. J’ai repris les
signes avec d’autres sourds presque naturellement, et ça passait relativement bien. Puisqu’en
fait les codes étaient pour partie soit en fonction de la forme des outils, soit représentaient une
action professionnelle, un geste professionnel. Et le signe illustrait et reprenait le plus parlant
dans l’action… pour illustrer l’expression s’y rapportant.
R : Pour les noms propres, pour tout ce qui est tour de table, les présentations… et après les
sigles… toutes les choses comme ça.
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R : Surtout pour des concepts pour lesquels il n’y a pas d’équivalence en langue des signes. Je
vais essayer par une mise en scène du concept de tirer le plus vite possible ce qui peut être
représentatif pour tout le monde, dans l’imagination collective. Pour mettre en scène et qu’on
sache tout de suite à quoi cela se rapporte. Oui, surtout pour des concepts pour
lesquels…euh…oui, pour des notions abstraites essentiellement.
R : Oui, le plus souvent. Je ne dis pas que je l’utilise que pour ça, mais ce qui me vient à
l’esprit là, maintenant c’est pour des notions abstraites qui n’ont pas forcément
d’équivalences. Quand il n’y a pas un signe pour la notion et qu’il faut faire comprendre cette
notion.
Q : Par exemple en situation de simultanée : le discours défile, tu as cette notion abstraite qui
arrive, comment cela se passe pour l’interprétation ?
R : Non non, c’est plus ou moins long. Parfois on est face à une vraie difficulté où on est
obligé de laisser filer un peu le discours le temps de savoir comment on va pouvoir le mettre
en signes. Mais non les mains ne fonctionnent pas toutes seules ! Il y a parfois un
ralentissement de la production en langue des signes et une concentration sur la pensée, sur la
réflexion : comment je vais le mettre en signes ?
Q : Dans quelle situation as-tu le plus recours aux énumérations ? Énumération genre
piano/basse/guitare…pour instrument de musique par exemple. As-tu souvent recours à cette
tactique ?
R : Oui le « nature morte » par [pomme] [poire] etc. Je ne sais pas si c’est souvent ou pas…
je…ça m’arrive quand on parle d’une famille de quelque chose oui, j’aurais tendance à avoir
recours à ça.
R : Par exemple on parlait des instruments de musique, le « matériel de dessin », encore que
pour matériel de dessin il y a un signe générique. Mais pour quelque chose de très très
générique sans équivalence en LSF je vais effectivement énumérer pour dire : on parle de tout
ça.
Q : As-tu déjà créé un code lexical entre un sourd et toi, donc oui car tu as fais ton mémoire
là-dessus. Peux-tu en décrire un, un qui te vient en tête ?
R : Je n’ai pas créé tout un lexique en carrosserie… et je ne le referai peu-être pas maintenant
comme ça, c’était avant ma formation. Dans la mesure où je n’étais pas conscient des attentes
de la personne sourde. Par exemple, récemment lors d’une formation d’un niveau plus élevé
que la formation en carrosserie, niveau master je crois, j’ai vu que les attentes de cette
personne étaient différentes de celles en carrosserie. Car il y avait tout un rendu à faire à
l’écrit, donc le sourd demandait parfois à ce que l’on signe des choses qui en langue des
signes n’ont pas de sens car elles sont trop proches du français. Mais lui, il voulait le signe qui
se rapproche du français, parce qu’il savait très bien de quoi on parlait, ça ne le gênait pas que
le sens ne soit pas dans le signe, ce qu’il voulait c’est que ça lui rappelle le mot en français
455
pour savoir comment ça s’écrivait. Pour le sourd en carrosserie c’était vraiment très imagé, il
y avait par exemple sur la tôle que l’on redresse par rapport au creux, on ne frappe pas la
bosse en dessous du creux pour la remonter, mais on frappe tout autour du creux pour que le
métal se redresse et que petit à petit ça s’aplatisse. Je ne sais plus comment s’appelait cette
opération bien spécifique, le redressement je crois… on le faisait comme ça : (il signe l’action
désignée : main gauche le creux, main droite l’action de taper avec un marteau) lui, le
français il s’en fichait, il voulait les gestes de son métier.
Q : Pour faire suite à ce que tu me dis, entre le sourd en carrosserie et le sourd en master,
est-ce que tu crois à la notion d’adaptation de l’ILS à la personne sourde ?
R : Euh…
Q : Le fait d’avoir une demande d’un sourd qui te dit « signez-moi tel mot comme ça », sans
sens pour toi mais pour répondre à sa demande, ça t’a posé des soucis techniques concrets
dans ton interprétation ?
R : Je ne sais pas si ça m’a posé des soucis, je sais que parfois ça me met mal à l’aise
d’utiliser ce genre de signes, sans sens pour moi. Ça me met mal à l’aise parce que j’ai
l’impression de plaquer quelque chose d’artificiel. Euh… mais après ça convient à la
personne et je sais qu’elle va l’utiliser pour le rendu écrit, c’est aussi l’exigence d’une
formation d’être capable de rendre compte par écrit, en français écrit. Donc je comprends tout
à fait la stratégie de la personne sourde et j’y adhère. Sur le moment, plus que ça me gêne
dans mon interprétation je dirais que ça me met mal à l’aise, je ne suis pas à l’aise avec
quelque chose qui ne fait pas sens pour moi, qui n’est pas propre à la LSF. Un code pur vidé
de sens, mais qui pour l’étudiant est… une béquille, une aide pour le français.
Q : En simultanée, as-tu déjà eu des difficultés à mettre en scène un discours ? Et si oui, à ton
avis à quoi était-ce dû ?
R : Alors oui ça a dû m’arriver… Je crois que le plus difficile pour mettre en scène ou
interpréter tout court un discours, puisque pour moi interpréter c’est mettre en scène…
Voyons, moi je crois beaucoup au rapprochement interpréter/jeu de l’acteur. (…) Il y a
certaines similitudes, on a quelque chose de départ, un texte, une chanson et…bien interpréter
n’est pas forcément le respecter brut, à la lettre, ni de faire du copier/coller. C’est d’y mettre
quelque chose en plus. Ce quelque chose qui va complètement porter les intentions de
l’auteur.
Je perds un peu le fil de ce que je disais…
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Q : As-tu déjà eu des difficultés à mettre en scène un discours, ou à visualiser la manière dont
tu allais mettre en scène un discours ?
R : Oui, alors il y a deux exemples que j’ai en tête. Je me souviens d’une intervention par
exemple à EDF avec une équipe de techniciens qui parlaient de Lapins et Pigeons, et j’étais
très gêné parce que je faisais les signes « lapin » et « pigeon » sachant pertinemment qu’il ne
s’agissait pas de ça. Le sourd me dit : si si, vas-y continue, moi je comprends. Je n’ai compris
qu’à la fin que les « lapins » étaient les lignes enterrées et les « pigeons » les lignes aériennes.
Mais j’ai été un long moment à utiliser ces signes plus d’autres qui étaient plus un code
professionnel et moi… j’étais mal à l’aise et maladroit, alors qu’en face le professionnel
comprenait très bien.
Le deuxième, c’est quand il y a énormément d’implicite ou de connu partagé que nous, on n’a
pas. Le cas typique c’est lors des réunions institutionnelles où ils vont parler d’individus en
faisant référence sans les nommer, à l’histoire, à des évènements qui se sont passés… voire
même où l’équipe va se balancer des pics en faisant implicitement référence à ce qui s’est
passé entre eux…bref en faisant référence à des choses que tout le monde connaît autour de la
table sauf nous. Là… j’ai du mal à placer.
Q : Es-tu en train de dire que tu vas être plus linéaire dans ces cas là ?
R : Oui, on est obligé d’être plus linéaires, moins visuels. Et j’ai même remarqué parfois qu’à
ce moment-là, mon débit se ralentit énormément et je suis concentré sur la personne à qui est
adressé le discours pour voir si elle comprend. J’essaie de déceler des mimiques pour voir si
je ne suis pas complètement à côté de la plaque. Et en général, la réaction est toujours la
même, c'est-à-dire que la personne me dit « continue » et on voit qu’elle comprend de quoi on
parle, même si je sais pertinemment que mon interprétation n’est pas bonne car trop linéaire
ou parfois à la limite du transcodage…
Q : Quelle est pour toi la difficulté majeure en interprétation vers la langue des signes ?
R : Et bien c’est ce que je viens de dire… c’est placer dans l’espace un discours qu’on ne
maîtrise pas. C’est quand il y a énormément d’éléments contextuels qui nous échappent.
Mais purement… vers la langue des signes… les jeux de mots français.
Q : Et quelle est pour toi la difficulté technique majeure en interprétation vers le français ?
Q : Qu’importe… quand tu réfléchis à ce qui est pour toi difficile dans ton métier lorsque tu
travailles vers le français, qu’est-ce qui te vient à l’esprit ?
R : Pareil que tout à l’heure. Mais la souffrance. Quand il y a de la souffrance qui s’exprime,
le discours devient beaucoup moins clair. Et il est plus difficile à rendre en français peut-être
parce que la LSF n’est pas notre langue maternelle et là… je ne sais pas. Mais quand une
personne exprime sa souffrance en langue des signes…. Elle est tellement concentrée sur sa
souffrance et beaucoup moins sur la clarté de son propos. Ça devient difficile de savoir de qui
elle parle, ça part un peu dans tous les sens.
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Q : A ton avis, à qui l’ILS doit-il être fidèle ? À l’orateur, au sourd, au client payeur, au
discours ? Ou…
Q : Oui oui…
As-tu quelque chose que tu aimerais faire partager ?
R : Rien… sauf qu’on a un métier à faire travailler, mais ce n’est pas toujours facile de le faire
dans le calme parce qu’on est pris dans des enjeux militants et des choses comme ça qui
parasitent beaucoup la réflexion professionnelle ou intellectuelle sur le métier.
R : De rien…
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Titre : L’interprétation en langue des signes française : contraintes, tactiques, efforts
Résumé : En partant du cadre conceptuel des modèles IDRC (Interprétation-Décisions-
Ressources- Contraintes) et du modèle d'Efforts de l'interprétation simultanée de Daniel Gile
entre langues vocales, nous tenterons d'analyser le processus de l'interprétation en langue des
signes et étudierons la charge cognitive inhérente au passage d'une langue vocale (canal
audio-vocal), à une langue signée (canal visuo-gestuel). Nous analyserons en premier lieu
l’ensemble des contraintes concourant à l’exercice de l’interprétation en langue des signes
pouvant se distinguer de celles généralement observées en interprétation entre langues vocales
(nous incluons les langues vocales syntaxiquement très éloignées) telles que les contraintes
socio-économiques, les contraintes linguistiques et enfin les contraintes d’espace. Nous
procéderons ensuite à une analyse cognitive du processus de l’interprétation en nous référant
au modèle d'Efforts de l’interprétation simultanée de Gile (Effort d'Écoute et d'Analyse, Effort
de Mémorisation à court terme, Effort de Production, Effort de Coordination de ces trois
activités simultanées), et nous chercherons à envisager sa transposition aux langues des
signes. Pour mieux comprendre les mécanismes constitutifs du processus, nous observerons
particulièrement le concept de scénarisation (Séro-Guillaume, 2008) pour une première
analyse de la charge cognitive de l’interprète en action. Cette capacité de représentation
synthétique visuelle est-elle plus ou moins grande si on prend en compte le degré d'abstraction
du discours, la technicité de l'énoncé, le manque de correspondances lexicales, le contexte de
l'interprétation (pédagogique, conférence, etc.), la préparation ? Notre analyse du processus se
base sur un corpus constitué de plusieurs études empiriques d’interprétations vers la langue
des signes : une étude semi-expérimentale, une étude de cas naturaliste et une étude
expérimentale, ainsi que sur des interviews d’interprètes et un focus group. Les observations
faites sur l’ensemble de ces études nous ont permis de croiser nos données et de dégager les
éléments pertinents de nos résultats pour une avancée dans la compréhension du processus
cognitif de l’interprétation en langue des signes.
Mots clés : interprétation, langue des signes française, tactiques, contraintes, Modèle
d’Efforts, scénarisation
Abstract: Taking as its point of departure the conceptual framework provided by the IDRC
models (Interpreting-Decisions-Resources-Constraints) and Daniel Gile’s Effort model of
simultaneous interpreting between spoken languages, this thesis aims to analyse the process of
sign language interpreting and study the cognitive load inherent in encoding information from
a spoken language (an auditory-vocal modality of language production) into signed language
(a vision and gesture-based modality). The first part of the work analyses the set of constraints
involved in the exercise of sign language interpreting, as distinguished from those generally
observed to apply between spoken languages (including languages syntactically far apart),
such as socio-economic constraints, linguistic constraints and, finally, spatial constraints.
There follows a cognitive analysis of the interpreting process with reference to Gile’s Effort
model of simultaneous interpreting (Listening and Analysis Effort, Memory Effort,
Production Effort, Effort of Coordination of these three simultaneous activities), with an
attempt to envisage transposing its application to sign language. In order to gain better
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understanding of the constituent mechanisms of the process, initial analysis of the cognitive
load of the interpreter in action accords particular attention to the concept of scénarisation
(mental scene-staging) (Séro-Guillaume, 2008). Is this capacity for creating a visual picture
from sequential meaning greater or lesser when factors such as the degree of abstraction of the
speech, the technicality of its content, a lack of lexical correspondence, the interpreting
context (educational setting, conference setting, etc), and the amount of preparation are taken
into account? Analysis of the process is based upon a corpus comprising several empirical
studies of interpreting into sign language: a semi-experimental study, a naturalistic case study,
and an experimental study, as well as on interpreter interviews and a focus group. The
observations drawn from all of these studies have enabled cross-referencing of our data and
the identification of the relevant elements of our research results in order to advance
understanding of the cognitive process of sign language interpreting.