Transformation 1700506503

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Éditions Jouvence

Route de Florissant 97 – 1206


Genève — Suisse
Site Internet : www.editions-jouvence.com
E-mail : [email protected]

Catalogue gratuit sur simple demande

© Éditions Jouvence, 2022


© Édition numérique Jouvence, 2022
ISBN : 978-2-88970-059-2

Couverture : François Lamidon


Maquette intérieure et mise en pages : SIR

Tous droits de traduction, reproduction et adaptation réservés pour tous pays.


« Regardez avec lucidité ce qui est, ce que vous êtes, ici et maintenant.
Rien n’est ni bien ni mal. »
Swami Prajnanpad
À mon fils Benjamin, qui m’invite depuis toujours par sa présence et son
amour inconditionnel à cheminer en confiance au cœur de moi-même et
du monde.

À Jean-Louis Servan-Schreiber et Érik Arnoult-Orsenna, qui m’ont


toujours encouragée à poursuivre mon chemin dans le soin.

À Fabrice Midal pour son amitié fidèle.


SOMMAIRE

Préface de Fabrice Midal

Préambule
Ce que le processus de la transformation propose
Un mécanisme de transformation non pris en compte dans nos
sociétés
Les grandes étapes de la transformation
Aller au plus près de ce que nous sommes

Introduction : deviens ce que tu as envie d’être


L’indispensable relation aux autres et à nos environnements pour
se « réparer »
Être thérapeute, être en relation avec soi et l’entièreté de l’autre
L’énergie et les ressources retrouvées

1. S’INSTALLER CONFORTABLEMENT DANS SES POMPES


Ma séance fondatrice avec François Roustang : quand la parole
est au corps
L’implacable mécanisme de l’interdépendance

Exercice de transformation : devenir son arbre de vie

2. QUELQUE CHOSE EN MOI SE GUÉRIT PAR LUI-MÊME


D’INSTANT EN INSTANT
Le terreau de notre jardin intérieur
La guérison ne se pense pas
Le pouvoir de notre énergie
3. ET SI TU LAISSAIS PLEURER TON CORPS
L’exemple de Sébastien : quand la vie n’a plus de sens

4. JE DIALOGUE AVEC LE CORPS !


Être « in love » avec son corps
De l’influence des sagesses traditionnelles
« Ne rien faire et il n’y a rien qui ne se fasse »

5. QUAND LE CORPS PREND LES CHOSES EN MAIN


L’exemple de Louis : quand le corps renonce au tabac

Exercice de transformation : faire un reset de vos conditionnements

6. LE BONHEUR DE TROUVER SA PLACE


Le bonheur de ne plus vouloir occuper une place définitive
L’art des métaphores
Ce que je suis influe sur ce qui m’entoure

7. RIEN N’ARRIVE PAR HASARD !


L’exemple de Simone : être mère

Exercice de transformation : trouver sa place en changeant son


mode de relation au monde

8. COMMENT J’AI APPRIS À FAIRE CONFIANCE À MES


RESSOURCES
De l’influence des habitudes et des rituels
La vie nous enseigne
La confiance ne se programme pas

9. RETROUVER LE CHEMIN DU VIVANT


L’exemple de Clémence : s’aimer et habiter son corps

Exercice de transformation : comment s’établir intérieurement dans


une place secure lors de problèmes relationnels

10. LE GESTE DE TOUS LES POSSIBLES


La puissance du geste symbolique
La puissance cachée de nos gestes quotidiens
Les gestes qui nous ancrent dans le corps

11. QUAND LE CORPS FAIT ET IMAGINE


L’exemple de Victoire : la prison de la boulimie

Exercice de transformation : brouiller le mental sans le maltraiter

12. LA MORT DE MON PÈRE M’A DÉLIVRÉE DU BESOIN DE


CROIRE
Je croyais mon père immortel
Quand les croyances se désagrègent
Je suis mon unique refuge
La mort, l’indispensable compagne du vivant

13. OSER L’HYPNOSE !


L’exemple de Valentin : quand vivre est trop difficile

Exercice de transformation : la gratitude

14. DES « POURQUOI » AUX « COMMENT »


La flèche empoisonnée
Aller des « pourquoi » aux « comment »
15. TRAVAILLER SUR LES BLESSURES
INTERGÉNÉRATIONNELLES
L’exemple de Raphaël : ce qui se joue pour lui dans le couple

Conclusion
Découvrez quel est votre propre chemin vers vous-même

Remerciements

Bibliographie
PRÉFACE DE FABRICE MIDAL

J’ai rencontré Catherine Barry, il y a près de vingt ans, quand elle m’a
interviewée pour l’émission Voix bouddhistes sur France 2. À l’époque,
j’étais très impressionné de devoir passer à la télévision et j’avais un trac
intense, mais grâce aux dons de Catherine, ce fut chaque fois un moment de
joie et surtout de vérité.
Dans nos longues discussions d’alors, en particulier pour préparer
les nombreuses émissions que nous avons faites, j’avais été frappé
par sa manière de questionner cette tradition, invitant à creuser
toujours plus précisément ce qu’elle nous permet de comprendre de
notre esprit.
Ses entretiens mémorables avec Francisco Varela ou le dalaï-lama
témoignent de cette quête. Notre esprit nous est en effet si souvent
étrange, mystérieux. Ne vaudrait-il pas la peine de l’explorer ?
Pourquoi éprouvons-nous telle émotion à tel moment ? Pourquoi
sommes-nous parfois bloqués ?
Dès cette époque, Catherine était convaincue qu’explorer son
esprit était la clé pour découvrir comment surmonter nos difficultés.
Pour se libérer de ce qui nous étreint et nous étouffe.

Elle est ensuite devenue une thérapeute impressionnante et


reconnue, à qui j’ai confié de nombreuses personnes en difficulté. Sa
force vient de sa capacité à explorer l’énigme de toute
transformation.
Devant une difficulté, un blocage, une crise, nous cherchons à
nous débarrasser du problème, afin qu’il n’existe plus, qu’il
disparaisse. Mais cela ne nous procure pas la paix escomptée; au
contraire.
Depuis que j’ai écrit mon livre Foutez-vous la paix !1 en 2017, je
suis convaincu que la plupart des approches aujourd’hui proposées
pour résoudre nos difficultés, loin de nous aider, renforcent notre
problème.
On prétend qu’il faudrait se calmer, se détendre, lâcher prise… et
nous nous retrouvons encore plus mal. Pourquoi ? Parce que ces
propositions nous invitent à nier nos difficultés.
« Je suis épuisé. » « Eh bien, repose-toi ! » « Justement, je n’y
arrive pas ! » Et me voilà encore plus mal.
« Je suis déprimé. » « Eh bien, secoue-toi ! » Ou encore : « Cultive
ton optimisme. » « Soit positif. » Ces injonctions ne font que
renforcer le problème.

En réalité, notre idée du changement est naïve. Personne ne passe


d’un état à un autre par une simple décision volontaire et
consciente.
Si certes, je peux sans difficulté prendre un billet pour aller de
Paris à Lyon, je ne peux pas passer d’un état de panique et de
souffrance à la paix par une décision, l’achat d’un billet, un clic. Or,
nous confondons les deux ordres.
Pour changer quoi que ce soit dans sa vie, il faut entrer au cœur
du mouvement complexe et subtil de la transformation. Faute de ce
savoir si précieux, tant de gens restent coincés dans leur difficulté,
comme enfermés dans une prison. Ils ne voient pas la porte grande
ouverte derrière eux.
Ils sont nombreux même à croire que le changement est
impossible. Qu’ils sont condamnés à être enfermés dans les mêmes
ritournelles, les mêmes pièges !
Mais, le changement est possible, car il est la loi de la vie. La vie
est un perpétuel renouvellement. Il faut, en un sens, cesser de
l’empêcher en répétant les mêmes récits, les mêmes croyances, les
mêmes erreurs.
Vous n’avez pas à faire un effort pour changer. Vous avez à vous
permettre d’entrer dans la transformation, en laissant la vie vous
situer dans votre propre existence tout autrement. Cela semble
étrange, mystérieux et c’est pourtant une vérité humaine profonde.

Catherine Barry a le génie d’en exposer le secret. Ce livre, basé sur


sa longue expérience, vous aidera à comprendre comment vous
pouvez, en vous appuyant sur qui vous êtes, sur votre existence
même, trouver une plus grande liberté intérieure. La solution
n’existe pas hors de vous. Non, elle existe dans l’espace de vos
propres forces et ressources.
Mais malheureusement, nous ne le savons pas. Nous ne le croyons
pas. C’est que notre conscience ordinaire est ici impuissante. Elle ne
voit pas les forces qui existent en nous puisqu’elle ne dépend pas
d’elles. Il faut changer d’approche.
La force de l’ouvrage de Catherine Barry est d’avoir éprouvé cette
autre perspective avec de nombreux patients et de voir encore et
encore la clé de la paix intérieure. À chaque séance, Catherine Barry
entre en résonance avec la singularité d’une personne qu’elle replace
dans un environnement, une situation plus ample et plus vaste. Elle
la met au cœur de la transformation qui se fait alors naturellement.
Cette approche est à la fois plus juste, plus efficace et plus
respectueuse de chacun. Car c’est l’étrange paradoxe : si nous ne
pouvons pas décider volontairement de changer nos émotions, nos
sentiments, nos douleurs, nous pouvons faire beaucoup pour nous
libérer de ce qui nous oppresse. Et c’est souvent bien plus simple
que nous ne le pensions.

Fabrice Midal,
Philosophe, fondateur de l’École occidentale
de méditation et auteur (dernier livre paru :
Les 5 portes, Flammarion, 2022).

1. Fabrice Midal, Foutez-vous la paix !, Flammarion/Versilio, 2017.


PRÉAMBULE

« On ne connaît que les choses qu’on apprivoise. »


Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

Cetransformation.
livre est né d’un constat. Personne
Pourtant, il n’y a pas
ne pense assez la
de vivant sans la
transformation.
On pense ce que doit être le but, fait d’apaisement et du bonheur
d’être plus calme, moins angoissé, motivé, performant, un bon
patron, une merveilleuse personne, mais on ne pense pas la
transformation, ses étapes, son processus, ses leviers, et ses liens
avec le vivant et l’énergie. Son mécanisme n’est ni compris ni pris
en compte dans nos sociétés.
Dans notre monde de croyances, de paraître, de déni, de modes, la
plupart des méthodes préconisées, laïques et religieuses, pensent
l’existence en lien avec un futur idéalisé. Tout est mis en place, à
l’excès, pour permettre aux personnes de se fuir; de spéculer sur
l’obtention d’un état figé, souhaité, hypothétique, souvent irréaliste,
car déconnecté de ce qu’elles sont vraiment et de leur contexte. Tout
est fait également pour leur éviter de se confronter au processus de
la transformation qui libère des peurs et des croyances.
Conséquence, elles se maintiennent dans la survie, sans même en
avoir conscience. La progression des addictions, des dépressions, et
du sentiment de solitude qui terrasse un si grand nombre de nos
contemporains en témoigne. Les choses changent quand l’existence
convoque le bon sens de la transformation, en s’appuyant sur la
souffrance du quotidien. C’est le moment où nous avons le choix de
faire, ou pas, la transformation.
CE QUE LE PROCESSUS DE LA TRANSFORMATION
PROPOSE

Son postulat de départ repose sur un fait avéré : nous sommes des
êtres vivants, donc en relations, c’est-à-dire en liens interactifs,
complémentaires et collaboratifs avec un grand nombre
d’environnements. Cette manière de poser et de considérer chaque
personne, en même temps, en elle-même et en interactions actives et
transformatrices avec tout ce qui vit spécifie et différencie cette
approche de la plupart des méthodes connues, qui situent les
individus bien sûr dans le monde et la nature, mais sans penser ce
processus en termes d’influences réciproques, agissantes, et non
subies, car librement explorées. Ici, tout passe d’abord par le corps,
l’incarnation. Les sens mobilisés explorent les interactions existantes
entre nous et les différents mondes du vivant. Les mutations
s’opèrent à partir de cet ensemble holistique. La transformation
inclut cette dynamique qui est l’essence même de la vie, et qui
concerne la totalité de l’être.
Pour comprendre, imaginez-vous positionné au centre d’un filet
de liens invisibles. Vous êtes connecté à différents milieux qui
agissent sur vous et que vous influencez en retour. C’est le principe
des vases communicants. Vous connaissez par exemple l’impact du
soleil sur l’humeur et la santé. Sa présence, son action vous rendent
vraisemblablement plus joyeux, et mieux dans vos pompes. Vous
savez aussi par expérience que ce qui se passe dans le corps quand
vous êtes malade ou que vous avez trop mangé ou bu induit certains
de vos comportements, en affectant parfois vos proches. Les
éléments intérieurs (émotions, pensées, mauvaise circulation du
sang et du souffle, organes malades, etc.) et extérieurs (climat,
conflits en famille ou au travail, etc.) ont une action sur vous, et se
répercutent sur votre contexte, votre personnalité et votre
organisme. Et il en est de même pour ce que vous générez via votre
souffle, vos émotions, vos déchets, etc. Nous ne le percevons pas
toujours. C’est normal. Tant que cela lui est possible, le corps en lien
avec ses environnements régule ce qui peut l’être, pour notre bien-
être physique et psychique. Notre job à nous quand nous allons mal,
quand nous souffrons, quand nous sommes désaccordés et démunis
pour faire face aux situations est de lui donner l’impulsion qui va lui
permettre de nous raccorder à notre contexte. Ce nouveau
positionnement entraîne une série de transformations en nous, et
autour de nous.
Comment cela fonctionne-t-il ? Dans le cerveau, l’esprit
inconscient, le système nerveux profond, les organes… les choses
sont naturellement en lien. Dès qu’un blocage, une difficulté se
manifeste dans nos vies, elle se répercute de plan en plan. Notre
manière d’être au monde change. Cela fonctionne comme un jeu de
dominos que l’on fait tomber en donnant une légère tape sur le
premier. Le mécanisme de la transformation s’appuie sur ce
dispositif pour changer le mouvement, en passant par le corps et ses
ressentis. On ne rejette rien, on se sert de tout ce qui est là. On
le laisse exister, on l’apprivoise, et cela se transforme. On ne
cherche pas les causes ayant donné naissance aux émotions. On
regarde comment les émotions présentes dans le moment
s’expriment. On entend leurs messages. On accompagne leurs
variations. Ici, ce n’est pas l’intellect qui pense un trauma, au risque
de le réveiller et de le renforcer, pour tenter d’en gommer les traces.
Ce n’est pas non plus le mental et la volonté qui agissent ensemble
pour essayer de réaliser un but idéalisé, qui ne résistera pas aux
réalités du quotidien. C’est l’être tout entier qui réunit ses forces
inconscientes et sa puissance de guérison, en étant en lien avec le
reste du vivant, pour découvrir les ressources dont il a besoin dans
le moment et aller vers ce qui lui est nécessaire.
Ce processus débute quand on prend le risque de se poser
entièrement dans notre existence singulière et que nous cessons de
la regarder de loin, en nous pinçant le nez, comme si elle n’était pas
nôtre, et que nous n’habitions pas ce monde. Cela ne signifie pas
qu’il n’y a plus d’émotions conflictuelles ni de situations pouvant
apparaître douloureuses et complexes, comme ce livre en témoigne
de page en page, mais que nous y sommes de moins en moins
identifiés, et qu’elles nous déstabilisent moins, car nous avançons
sans a priori sur un chemin qui nous correspond. C’est parfois long et
fastidieux en apparence, nous sommes souvent impatients de voir se
réaliser certaines modifications, mais cela n’est jamais vain.

UN MÉCANISME DE TRANSFORMATION NON PRIS EN


COMPTE DANS NOS SOCIÉTÉS

Si j’ai pu percevoir l’absence de ce principe qu’est la


transformation dans nos vies, c’est grâce à mon parcours, mes
expériences dans le bouddhisme, la méditation, les thérapies, le
soin, et maintenant dans ma pratique d’hypnothérapeute. Je me
suis rendu compte que la plupart des personnes passent à côté
d’elles-mêmes, de leurs ressources, et d’une forme de paix
intérieure, alors qu’elles possèdent, en elles, les moyens de leur
transformation. Plusieurs raisons à cela. L’éducation : nous sommes
conditionnés à être un autre individu que ce que nous sommes
foncièrement. La peur ensuite : de tomber les masques, de bousculer
des habitudes, des certitudes et des croyances, de perdre des liens
avec des proches, et ne plus être aimé. La terreur également de
toucher à notre souffrance et de se découvrir vulnérable. Le fait
aussi que ce processus ne soit pas composé de conseils et de règles à
appliquer à l’identique comme si nous étions des duplicata les uns
des autres; ce que proposent de nombreuses méthodes actuelles. Et,
enfin, la découverte d’un sentiment de liberté et d’autonomie qui
affole parfois au début, tant il est puissant, joyeux, déstabilisant, et
innovant.
Cette démarche que j’ai appliquée d’abord à moi-même, je la mets
en forme dans cet ouvrage, à travers des anecdotes personnelles, des
récits de patients (tous les prénoms ont été changés), et des
exercices. Je suis une passeuse depuis plus de trente ans. En tant que
bouddhiste et pratiquante de la méditation : j’ai été une
intermédiaire privilégiée entre notamment les maîtres et le grand
public. En tant que spécialiste de certaines traditions asiatiques : j’ai
commencé à faire dialoguer l’Occident et l’Asie dès le début des
années 1990. En tant que journaliste : c’est l’essence de notre
métier. Et, dans le soin, j’invite les patients à faire passer leurs
ressources et leur puissance de guérison de l’invisible et du non
formulé au visible dans leur existence. Être une passeuse me permet,
grâce à l’expérience que j’ai des sujets que je porte, de construire
des ponts entre les êtres, les traditions, les sociétés; et de partager
avec vous ce que j’ai compris de la transformation, pour vous
accompagner autrement.

LES GRANDES ÉTAPES DE LA TRANSFORMATION

1. La transformation commence le plus souvent par un état critique


dans lequel on n’en peut plus, on en a marre, on se sent coincé et, loin
de refuser ce moment, on s’appuie sur lui, on se met en rapport avec
son cœur et ses tripes à ce qui se passe en soi pour s’y relier et le
transformer.
Pour beaucoup d’entre nous, le point de départ s’ancre dans la
remise en question des suggestions négatives faites par nos proches
pendant l’enfance. « Tu es nul. Tu n’es pas à la hauteur. Tu ne
travailles pas bien à l’école. Tu n’arriveras à rien. Ta sœur, ton frère, X,
ne sont pas décevants eux. Etc. » Ces inductions se transforment en
grandissant : « J’en ai marre, je suis saturé de souffrir et de tout faire
pour être aimé en ressemblant à une personne qui n’est pas moi; je n’en
peux plus de ne pas être moi-même, etc. » Ou bien encore « Je suis
fatigué, épuisé à force de me sentir perdu, écartelé, pas à ma place,
incohérent. Je n’ai plus d’énergie, je déprime, la vie n’a pas de sens, je
n’arriverai jamais à rien, je n’en peux plus de me perdre encore plus en
buvant, en me droguant, etc. »
Le processus de la transformation commence souvent là. Nous
devons apprendre à ne plus subir l’emprise de ces conditionnements
invalidants pour ne plus vivre dissociés : la tête d’un côté et le
corps-cœur de l’autre. Si nous ne le faisons pas, quelles qu’en soient
les raisons, le corps peut en subir les conséquences, dysfonctionner,
tomber malade, et compenser à travers des excès et des
comportements addictifs en tout genre. Le corps sonne faux et de ce
fait nous sonnons creux. Nous coulons. Ce déconditionnement passe
par une remise à plat de ce que nous avons appris. Nous avons
grandi dans des milieux imbibés de traditions, qu’elles soient
religieuses ou républicaines, dont les croyances et rituels nous ont
formatés dès l’enfance pour faire de nous de bons êtres humains,
amis, collègues, citoyens, anarchistes, monarchistes, peu importe.
Cette dynamique est reproduite d’instinct, mécaniquement, par
convention, sans grand changement, de génération en génération. Si
vous êtes parent, vous pouvez sans attendre casser le moule.
Comment ? Très simplement. En vous adaptant à l’énergie singulière
de vos bambins, pour ne pas faire d’eux des individus qu’ils ne sont
pas fondamentalement. Il ne s’agit pas de les transformer en des
êtres odieux, mal élevés, irrespectueux, arrogants, asociaux, à qui
vous passeriez tous les caprices, mais de les considérer comme étant
des personnes à part entière et de vous adapter à eux – oui, vous
adapter et non l’inverse –, pour les guider vers le meilleur d’eux-
mêmes. Si vous procédez ainsi, cela leur fera gagner du temps et à
vous aussi.

2. La transformation est un processus et comme tout processus, on a


l’impression d’être sur un bateau et de tanguer, ce qui n’est pas un
problème. Refuser de tanguer, c’est refuser la transformation.
La transformation est un mouvement qui nous donne le sentiment
d’avancer en tanguant. On est le mouvement. On l’accompagne. On
n’est plus figé dans les peurs et les situations. On sait sans discussion
possible que nous sommes à notre juste place, à la barre. Quand il
en est ainsi, se laisser porter par le mouvement nous propulse au
cœur de nos capacités, de nos ressources, et du mécanisme même de
la transformation. Nous acceptons en confiance de passer les
étapes qui se présentent, de jouer le jeu, et de ne pas connaître
la suite du chemin. Chaque mouvement est le point de départ
d’une création personnelle et inédite que l’on ne peut ni anticiper ni
imaginer, mais qui nous nourrit indiscutablement en nous mettant
en vie de plus en plus sereinement.
3. La transformation, c’est faire du sur-mesure en s’appuyant sur nos
leviers. La transformation d’un problème est pour chacun une
expérience unique qui est liée à sa vie, à un moment donné. Ce n’est
donc pas une technique.
Les leviers sont multiples. Ce sont les émotions, les sensations, les
résistances, les conflits internes, les peurs, la crainte d’échouer, le
contexte familial ou social qui interdit le bonheur, tout ce qui nous
empêche d’être nous-mêmes. On s’appuie sur l’énergie de ces leviers
en inversant leur polarité et en les transformant en antidotes, ce qui
relance notre mouvement intérieur. Il ne s’agit pas de chercher à
être tranquille, mais à faire du sur-mesure pour accéder à nos
ressources. C’est comme extraire un diamant d’une mine, et le
nettoyer étape par étape pour produire un merveilleux joyau. La
transformation invite à aller chercher en nous-mêmes nos propres
solutions pour les appliquer naturellement et en confiance,
puisqu’elles sont nôtres. Chaque étape qui se présente, y compris si
nous sommes tristes, perdus, voire désespérés, devient une
possibilité de transformation. La transformation n’est donc pas une
technique. Il n’y a pas à penser un protocole fixe, codifié, mais à se
mettre en présence de ce que nous sommes et de ce que nous
ressentons dans le moment. Sans rien en nier. On cesse de se taper
la tête contre un mur dès qu’une situation est bloquée ou
problématique. On laisse le corps respirer, sentir, se poser,
abandonner toute exigence de performance, le besoin de contrôle et
de perfection, la volonté de réussir et de réaliser quelque chose. En
procédant ainsi, on est situé au cœur de nos propres forces pour
accompagner ce que nous sommes et laisser être les transformations.
J’ai eu la chance d’apprendre tout cela notamment auprès de mes
maîtres tibétains, et du dalaï-lama. C’est concret, pragmatique, et en
aucun cas exotique. Le vivant ne se construit pas sur les sables
mouvants du rêve et de l’illusion, mais dans le quotidien.

4. La transformation, ce n’est pas un travail de soi, sur soi, par soi,


mais un processus à la portée de tous qui implique nos relations aux
autres et à notre environnement. Ce n’est donc pas une réflexion
intellectuelle.
Certaines étapes de la transformation sont visibles, évidentes,
consolantes, rassurantes, car elles produisent des changements
discernables en nous et à différents plans du quotidien. D’autres,
tout aussi importantes, sont souvent négligées et occultées, car elles
ne se voient pas, mais se « sentent » et « se perçoivent » à des
niveaux plus subtils. Ces étapes d’entre-deux, où rien ne se passe en
apparence, où l’on s’ennuie, on s’impatiente, sont pourtant
essentielles. C’est en elles que naissent les impulsions, les énergies
qui lancent les mouvements qui enclenchent les transformations
visibles. Les paysans connaissent ces rythmes cachés de l’existence
et de la nature. Ils les respectent. En hiver, ils savent que tout
semble dormir alors qu’il n’en est rien et que les énergies du
printemps se préparent pour leur sortie. Ils laissent faire ce qui doit
être pour ne pas interférer avec ce qui se passe et qui leur
bénéficiera in fine. Nous avons oublié ce processus naturel. Nous
n’acceptons plus ces phases nécessaires de maturation. Et cela nous
conduit à vivre une grande partie de notre vie en étant coupés de «
l’invisible », alors que le processus de la transformation engage sans
cesse dans notre quotidien nos énergies inconscientes souterraines,
nos ressources potentielles et notre puissance de guérison.

5. La transformation, c’est prendre appui sur des phénomènes naturels


et biologiques. Cela n’a rien de magique.
Nous sommes des êtres biologiques, mais nous sommes aveugles,
ignorants, inconscients de cette réalité qui nous porte et nous anime
en induisant un processus énergétique dynamique, complexe,
relationnel qui n’existe que parce qu’il est en lien avec ses
environnements.
La biologie agit sur le fonctionnement du corps, des émotions, des
désirs, des actions, via notamment l’influence des hormones, du
système nerveux, de l’inconscient, et de tout ce qui nous constitue et
que nous ignorons encore, bien que la recherche avance à grands
pas. Elle implique l’existence d’une dimension écologique et
holistique naturelle, qui est prise en compte dans tout processus de
transformation.
La biologie fait de nous symboliquement des cellules capables de
recevoir des informations pour s’en nourrir, les transformer, et les
diffuser aux cellules proches. Quand nous nous coupons du
processus énergétique et biologique vital qui nous porte, nous nous
transformons métaphoriquement en cellule cancéreuse. Ce type de
cellule ne reçoit plus les informations données par le reste du corps.
Elle est isolée, dysfonctionnelle, et les ruptures de ses liens la
conduisent à la mort. Nous fonctionnons souvent ainsi quand nous
nous excluons de nos ressentis. Notre rapport aux choses et aux
situations (projections) est faussé. Nous nous isolons, nous nous
débranchons du vivant, nous manquons d’énergie. L’énergie
fonctionne comme un fleuve. Il y a un processus à respecter pour
que sa source parvienne jusqu’à l’océan. Des étapes le jalonnent.
Aucune ne peut être sautée. Les obstacles et barrages doivent être
passés, et les moments heureux où tout s’accomplit facilement,
indifféremment traversés. Il en est de même pour nous. Quand cela «
bloque » en nous, retrouver notre élan vital suppose de se poser
aussi bien dans le symptôme que dans les ressources, pour se laisser
être agi et porté par le mouvement, tel qu’il est, c’est-à-dire composé
de tendances diverses.

ALLER AU PLUS PRÈS DE CE QUE NOUS SOMMES

Pour conclure, la transformation invite à prendre un nouveau


chemin en étant au plus près de ce que nous sommes. Notre
grande alliée dans ce processus est l’intuition.
L’intuition n’est pas le résultat d’une réflexion, d’une prise de tête
sur comment atteindre un but en squeezant les étapes qui y mènent,
en considérant que nous fonctionnons presque en autarcie, mais un
mouvement vital, spontané. Une « révélation ». Une évidence. Elle
est notre étoile du berger. Elle intervient pour nous indiquer la
direction à prendre, en nous dotant d’une vision à 360 degrés
multidirectionnelle reliant les différents niveaux de notre être. Ce
qui provoque un « éveil », un déclic, qui donne l’impulsion juste
pour agir. Les transformations démarrent ensuite, sans intervention
de l’intuition.
Il arrive à chacun de se perdre en route. Quand c’est mon cas, et
que j’oublie mon intuition, certaines choses m’aident à refaire du
lien avec elle. Revenir à la toute petite enfant que j’étais, et à ce qui
me touchait avant que « les chocs » et les jugements posés sur moi
me blessent à l’excès. Je m’en souviens très bien et je peux donc me
relier facilement à l’enfant que j’étais : profondément bonne,
généreuse, empathique, bienveillante et joyeuse. Je n’étais en rien
exceptionnelle. Tous les enfants sont fondamentalement ainsi, avant
que l’éducation et les coups donnés psychiquement par les autres les
coupent d’eux-mêmes. Il m’arrive de donner des suggestions
erronées à mon mental et à mes pensées pour les distraire, les
décontenancer et les orienter dans une fausse direction. Si je suis
très fatiguée et stressée, que je tire sur mes réserves énergétiques, et
que je tarde à faire une pause, je me parle par exemple à voix haute
en me disant : « surtout ne cherche pas à te détendre », «… à te faire
du bien » «… à mobiliser tes énergies pour laisser le corps
transformer ta fatigue ». Ces propositions m’aident à me mettre en
relation avec mon corps, à mobiliser mes ressources et à stopper la
mécanique entretenue par les pensées. En procédant ainsi, je donne
la main au corps, à mon instinct vital, à ma puissance de guérison,
qui, je le sais par expérience, vont faire le contraire de ce qu’ils ont
entendu.
Changer l’expérience, c’est changer le chemin de la mémoire
épisodique, donc nos perceptions; cela induit de nouveaux
comportements, pensées et émotions… Et comme c’est toujours le
dernier souvenir qui est rappelé quand nous nous souvenons de
quelque chose, c’est le souvenir issu de la transformation qui sera
rappelé et sur lequel nous pourrons nous appuyer en cas de besoin.
La transformation est donc un processus pragmatique qui consiste
à accompagner le mouvement d’instant en instant, d’étape en étape,
sans chercher à devenir le héros de son histoire. Il n’y a rien à
prouver, juste à se laisser être soi-même, avec bienveillance et
générosité. Rien n’est jamais joué d’avance dans ce processus,
puisque l’on se pose dans l’incertitude et les infinies ressources du
vivant. L’expérience d’une grande douceur qui en découle est
réjouissante, sécurisante, simple, naturelle, pleine de bon sens, terre
à terre, sans prétention. Elle transforme très naturellement nos
perceptions, nos actions, notre manière de vivre et d’appréhender
notre contexte. Sa douceur, son évidence et sa singularité (chacun
est unique) font la différence entre une transformation incarnée telle
que proposée dans cet ouvrage et une transformation pensée de
manière théorique, qui se réalise dans un rapport à soi volontaire
fait d’exigence, d’effort, de pression, de tension, et qui est d’une
grande violence – il va à l’encontre de ce que l’on est –, pour réaliser
un but formaté. Ici, il y a simplement la douceur d’être un vivant
parmi d’autres vivants, de se laisser porter par ce contexte, ce que
l’on est, et le mouvement pour faire l’expérience incroyable d’être
un élément parmi d’autres, dans un réseau d’interactions qui nous
soutiennent.

Le processus de la transformation, un ensemble d’éléments


à articuler
1. On pense ce que doit être le but, fait d’apaisement et du
bonheur d’être plus calme, moins angoissé, motivé,
performant, un bon patron, une merveilleuse personne, mais
on ne pense pas la transformation, ses étapes, son
processus, ses leviers, et ses liens avec le vivant et
l’énergie. Son mécanisme n’est ni compris ni pris en compte
dans nos sociétés.
2. La transformation commence le plus souvent par un état
critique dans lequel on n’en peut plus, on en a marre, on se
sent coincé et loin de refuser ce moment, on s’appuie sur lui,
on se met en rapport avec son cœur et ses tripes à ce qui se
passe en soi pour s’y relier et le transformer.
3. La transformation est un processus et comme tout
processus, on a l’impression d’être sur un bateau et de
tanguer, ce qui n’est pas un problème. Refuser de tanguer,
c’est refuser la transformation.
4. La transformation, c’est faire du sur-mesure en s’appuyant
sur nos leviers. La transformation d’un problème est pour
chacun une expérience unique qui est liée à sa vie, à un
moment donné. Il ne s’agit pas de chercher à être tranquille,
mais à faire avec ce que l’on est pour accéder à nos
ressources. Ce n’est donc pas une technique.
5. La transformation, ce n’est pas un travail de soi, sur soi, par
soi, mais un processus que l’on peut dire corporel, charnel, à
la portée de tous, qui implique nos relations aux autres et à
notre environnement. Ce n’est pas une réflexion
intellectuelle.
6. La transformation, c’est prendre appui sur des phénomènes
naturels et biologiques. Cela n’a rien de magique.
7. La transformation consiste à donner « le pouvoir » au corps,
et à innover en se laissant guider par l’inattendu pour aller
vers ce qu’il y a de mieux pour soi, de moment en moment.
8. La transformation, c’est articuler l’ensemble de ces facteurs
qui font son processus. La plupart des gens font une seule
chose. Soit ils parient sur la relation, et ils s’opposent à ce
qui est. Soit ils se posent, mais ne parient pas sur la relation.
La nécessité de se connecter à l’énergie et à la puissance
de la transformation implique de respecter toutes ces
étapes.
INTRODUCTION : DEVIENS CE QUE
TU AS ENVIE D’ÊTRE

« Le vrai bonheur ne dépend d’aucun être, d’aucun objet extérieur. Il


ne dépend que de nous. »
Tenzin Gyatso, le quatorzième dalaï-lama

J’aicœurmisunifiés,
longtemps à accepter et à adhérer de toutes mes tripes, corps et
à ces mots prononcés avec le sourire et une infinie douceur
dans les années 1990 par le dalaï-lama, lors de l’un de nos entretiens. Ce
chemin vers la sérénité, tracé à partir de soi et vers soi, me semblait à
l’époque difficile à emprunter tant le bouillonnement de mes émotions, de
mes pensées et la force des comportements réactionnels qui en découlaient
me tenaient sous leur emprise. Sa simplicité disait la cessation d’habitudes,
de peurs, de blessures établissant depuis des années mon identité sociale et
familiale. Je n’y étais pas prête. Je savais pourtant, nous le savons tous, que
le bonheur factice et chimérique promu par nos sociétés de consommation
ne conduit pas à la paix intérieure. Mais l’idée proposée par ce grand sage
d’abandonner mes béquilles matérielles et spirituelles me confrontait à un
vigoureux sentiment d’impuissance. J’espérais sans doute encore que les
maîtres de vie que je côtoyais me délivrent par magie de mes entraves. Leur
capacité à m’accueillir de manière inconditionnelle les parait dans mon
esprit d’aptitudes humaines exceptionnelles. J’attendais presque tout,
forcément trop, d’eux.
Et cela d’autant plus facilement qu’en leur présence bienveillante,
les douleurs de l’enfance s’allégeaient, l’instant se vivait dans
l’immédiateté des expériences et les relations aux autres dans
l’assurance de ne pas sortir meurtrie de ces rencontres. Cela ne
durait pas. Peu m’importait. Je temporisais le moment où la réalité
me rattraperait. Je voulais croire en un « miracle » qui effacerait,
d’un coup, mes casseroles avec la vie. J’aimais imaginer que grâce à
leurs prodigieux pouvoirs, supposés semblables à ceux relatés dans
les récits d’Alexandra David-Néel ou de Lobsang Rampa, ils
provoqueraient une transmutation spontanée de tout ce qui
m’abîmait. Je transposais au pays des gourous l’un de mes mythes
préférés étant enfant, celui de Merlin l’enchanteur. Évidemment, rien
de tel n’arriva. Ils ne pouvaient faire à ma place. Mes attentes
puériles se fracassèrent sur le réel. Ce fut ma chance. Je dus
apprendre à marcher sans tuteur, et à accepter de laisser les choses
se dérouler à leur rythme. Le temps que ce processus commence à
infuser, puis se fasse, me parut flirter avec l’éternité. Le mental
manipule notre perception de la durée et de la souffrance
quand il est aux commandes. C’était le cas. Ce « vaurien » était
omnipotent, rayonnant, expansif, formidablement bavard et
convaincant. « Tout ce qui brille n’est pas d’or », dit le dicton.
J’aurais dû m’en souvenir quand je le voyais avancer dans mon
quotidien, paré des colifichets formés par mes identifications, mes
croyances, mes peurs, mes besoins imaginaires. Mais son clinquant
m’aveuglait. Il me figeait dans la survie. Roué, ce super bonimenteur
avait le champ libre pour me vendre sans scrupule des fioles
contenant des plantes toxiques. Il n’avait qu’à se baisser pour en
remplir son panier. Doute, inconfort, tristesse, sentiment d’injustice,
crainte de recevoir de nouveaux coups de l’existence, manque de
confiance en mes ressources et dans les autres, il avait le choix des
ingrédients, et il savait les emballer pour me conduire à les «
acheter ». C’était facile. Je voulais tout et son contraire. J’étais
parfois tellement perdue que si un numéro de téléphone d’urgence
relié à une plateforme SOS disciple en détresse avait existé, j’y aurais
eu recours frénétiquement et sans états d’âme, tant je confondais
assistanat et accompagnement.

L’INDISPENSABLE RELATION AUX AUTRES ET À NOS


ENVIRONNEMENTS POUR SE « RÉPARER »
Cela dura, dura, dura jusqu’au jour où, grâce à l’influence discrète
et aimante de mes proches, un léger frémissement commença à
ébranler les solides protections psychiques que j’avais érigées au
cours des années. Rien n’était forcé, pensé, délibéré de leur part. Ils
étaient simplement eux-mêmes – naturellement présents et attentifs.
Étant rebelle à toute forme de pression affective, ce contexte
m’autorisait à vivre les moments passés avec eux sans crainte, sans
stress, et à m’accepter. Sans le savoir, ils me permettaient d’exister à
mes propres yeux. Ce processus participa à faire de moi, loin de
l’ambiance exotique dans laquelle je l’avais pensé possible, un être
en relation. Du moins parfois. En ayant de moins en moins peur de
me laisser aimer – chose inacceptable et inenvisageable pour moi
pendant des années tant je ne me pensais pas digne d’affection –, je
m’aimais graduellement à mon tour. Les manques de l’enfance se
réparaient insensiblement. Les chichis du mental diminuaient. Je me
constatais plus apaisée et détendue, moins sur la défensive, plus
autonome, plus libre. Je commençais à faire confiance à la vie. Je
devenais mon propre agent du changement. C’était merveilleux.
Ève fut l’une des personnes qui, par la force de ses mots, de ses
gestes, de sa vérité, contribuèrent à me mettre au monde.
Sa manière dépouillée et profonde de mener son existence, se
faisant aussi simplement et naturellement que l’on respire, m’amena
par un jeu de réciprocité instinctive à mettre mes pas et mon corps
sur une route où j’habitais moi aussi – ma vie. Poétesse en prise sans
aucune concession avec le réel, dense en humanité, solaire, incarnée
par un souffle puissant, Ève est une étoile qui danse la vie qui lui a
été donnée, telle qu’elle est, en s’appuyant, sans jamais le refuser,
sur son contexte. Atteinte de la maladie de Parkinson depuis près de
trente ans, elle a fait le choix de ne jamais s’identifier à cette
pathologie cérébrale invalidante et évolutive, par saccades
définitives, de plus en plus contraignantes. En refusant que la
plainte et ses déclinaisons à travers le verbe avoir prennent
possession de son être, Ève a toujours exprimé une évidence pour
elle, qui ne l’était pas toujours aux yeux des autres : « J’appartiens à
la famille des gens normaux, pas à celle des parkinsoniens. Donc, je
ne vis pas comme une parkinsonienne. » Son frère Matthieu Ricard
dit à propos de son expérience : « Le bonheur ne nous est pas
donné, ni le malheur imposé. Nous sommes à chaque instant à
une croisée de chemins, et il nous appartient de choisir la
direction à prendre. » Ce qu’Ève fait, jour après jour.
Lors de l’un de nos derniers échanges, il y a quelques mois, alors
que la maladie progressait, elle m’a dit avec un grand sourire sur le
visage : « Je suis curieuse de ce que sera demain, cela me donne une
immense envie de continuer et une énergie folle. » Un peu plus tard,
Ève a ajouté : « Je garde le désir de tout ce qui est miraculeusement
à venir et à vivre. Cette vie est miraculeuse. Quelle que soit la forme
qu’elle prend. Elle est à la fois évidence et mystère. Le seul lieu sans
mensonge est celui de l’instant, celui de la confiance. La confiance
est le lieu sans peur. La peur est sans sens. Ce qui œuvre, c’est le
cœur. » Quelles que soient les difficultés rencontrées, Ève avance en
faisant fi des clichés, sans construire de vains projets. Elle se sert de
l’énergie qui lui reste, en se coulant en elle et en s’abandonnant au
flux de l’existence qui la traverse, l’entoure, la nourrit. Courageuse,
intrépide, curieuse, libre, aimante, généreuse, cette femme est un
maître de vie qui s’ignore.
À son contact, tout comme auprès de celles et ceux que vous
découvrirez dans cet ouvrage, je me suis allégée de mon besoin
d’être aimée, acceptée. J’ai cessé de chercher des réponses à des
questions devenues inutiles. Mes forces intérieures de guérison se
sont éveillées. Le mental, ce mélange de concepts et d’émotions fixé
à jamais dans le passé et ses croyances a perdu de sa superbe et de
son pouvoir de domination. J’ai découvert la douceur de laisser les
sens et l’intuition me relier au monde, aux autres et à moi-même,
sans rien faire d’autre que de confier mon être tout entier à la vie.
Quand cela s’accomplit, il n’y a plus rien à consoler ni à rechercher.
Les choses s’organisent, mutent, évoluent, agissent en étant dans un
juste lien les unes avec les autres. Je suis à ma place. Tout est à sa
place. Tout est contenu dans l’instant. Et celui qui lui succède
change en emportant tout, comme cela doit être.
ÊTRE THÉRAPEUTE, ÊTRE EN RELATION AVEC SOI ET
L’ENTIÈRETÉ DE L’AUTRE

Je ressens beaucoup de gratitude pour ma vie et mon parcours, tel


qu’il est. En consultation, il me permet d’accompagner les personnes
pour qu’elles se raccordent, elles aussi, à leur puissance
transformatrice et à leurs ressources, et procèdent aux changements
demandés par leur situation.
Chaque séance est faite sur mesure. Il ne peut en être autrement.
Nous ne sommes pas des robots construits à l’identique. Je m’appuie
sur ce qu’apportent lors de l’entretien ceux qui me sollicitent. Tout
ce qu’ils sont. Sans rien en exclure. C’est leur matériau. Il leur donne
les moyens « de faire le processus » de la transformation. Leur corps,
leurs sensations, leurs émotions sont la terre glaise qu’ils pétrissent «
pour que tout se fasse, sans rien faire », comme l’a enseigné François
Roustang – et avant lui, Lao-tseu et d’autres grands sages asiatiques.
Débarrassé de toute pression, le corps fait entendre sa voix. La
personne s’ajuste à son contexte. Sa chair, son ventre, ses muscles,
ses organes, ses perceptions, ses sensations… chacune de ses cellules
exprime la force créatrice insensée qui est la sienne et la manifeste
dès que ses émotions, ses sensations et son corps sont alignés, en
cohérence dans l’espace du moment. Cette expérience induit
spontanément une nouvelle manière d’être en relation et de
collaborer avec le monde, les autres, et les environnements. C’est
une expérience holistique, elle ne se quantifie pas; elle se
perçoit, se respire, s’habite, anime la personne concernée, en la
propulsant au cœur du vivant. Ceux qui la font « tombent
naturellement en amour » avec ce processus. Il n’y a pas d’échec
dans ce procédé, il est plus ou moins important, mais il se fait
toujours. Chacun avance, à son rythme, en s’appuyant sur ce qu’il
est. Les comparaisons avec les autres tombent d’elles-mêmes. Les
diktats sociaux et familiaux poussant à être fort, plein d’humour, à
être un héros du quotidien tombent également les uns après les
autres. Le duel qui était mené jusque-là entre le mental et le corps
pour essayer de devenir, encore et encore, une « bonne personne », «
quelqu’un de bien », cesse, faute de combattant. Ce qui met fin
naturellement à cette tendance que nous partageons tous, poser des
jugements sur les uns et les autres et d’abord sur nous-mêmes. Ce
repositionnement intérieur fluide, libérateur fait souvent franchir un
cap aux personnes dans leur manière d’être en relation. Elles
conçoivent plus facilement que ceux qui les ont blessées sont comme
elles, des êtres en chemin qui font, eux aussi, ce qu’ils peuvent avec
les moyens dont ils disposent. Et elles cessent de les exclure, ainsi
que tout ce qui leur déplaît, de leur monde autocentré. La vie ne
change pas, ce n’est pas son job, mais elle devient plus joyeuse,
et plus simple.

L’ÉNERGIE ET LES RESSOURCES RETROUVÉES

Ces transformations libèrent nos énergies, notre force intérieure,


et nous ancrent dans notre puissance de guérison. Cela se fait selon
un rythme qui nous est propre. Accepter ce tempo n’est pas toujours
aisé lorsque nous sommes empêtrés dans des relations familiales ou
professionnelles conflictuelles, aléatoires, inexistantes, destructrices
– l’une des causes majeures des consultations. Dans ces situations
déchirantes du quotidien, colère, tristesse, désespoir, manque de
confiance en soi, peur, stress, anxiété sont souvent omniprésents, et
faussent notre appréhension des situations. En Asie et dans les pays
où subsiste une médecine traditionnelle, les thérapeutes ne les
abordent pas frontalement, pour ne pas réveiller leurs causes, les
traumas originels. Il en est de même pour l’hypnose thérapeutique.
L’approche du symptôme est holistique. Cela évite au patient de
réactualiser pour la énième fois un passé traumatique, de se
focaliser sur la cause apparente de sa souffrance, et de stimuler les
mémoires meurtries de son cœur et de son corps. En se plaçant, de
façon globale, dans les paysages intérieur et extérieur dans lesquels
il évolue, il ancre cette expérience dans son corps, il la mémorise, et
il peut la rappeler ensuite dans le quotidien aussi souvent que cela
lui est nécessaire. Cette pratique s’apprend en hypnose, mais elle est
accessible à chacun d’entre nous. Il n’y a pas d’élite sur cette voie.
Le cœur du réel bat de manière semblable dans chaque être, chaque
brin d’herbe, chaque animal.
C’est à ce voyage vers vous-même, à partir de vous-même, et à la
rencontre des autres et du monde, que vous invite cet ouvrage qui,
vous l’aurez compris, n’est en rien une méthode. Aucune formule
type dans ce monde ne vous conduira en effet jusqu’à cet endroit
sacré entre tous, où vous êtes en prise directe, instinctive, et
personnelle – votre chemin est unique – avec le flot du vivant en
vous et autour de vous. Je vous invite dans cet ouvrage à faire ce
parcours en découvrant des expériences personnelles, les miennes, et
celles de personnes reçues en consultation 2, qui attestent des
changements opérés dès que la relation au vivant et au corps
change; en parsemant le texte de mots clés pour vous aider à
mémoriser les principales étapes; et en vous proposant des exercices
pour vous entraîner, si vous le souhaitez, à induire vos propres
métamorphoses, afin de vous libérer des fantômes du passé et de
l’angoisse du futur. Ce parcours passe par le corps. Il est votre
outil privilégié. Vos transformations se font par son
intermédiaire, dans la banalité du quotidien, en surfant sur
l’impermanence des phénomènes qui vous donne un accès
illimité à d’infinies possibilités.
Comme pour chacun d’entre vous, l’existence m’a proposé des
rencontres étonnantes, des situations inattendues, dont je n’avais
rien anticipé, enfant. En écoutant mon cœur, mon intuition et mes
sensations, j’ai appris à me laisser porter par elles, à me sentir de
mieux en mieux dans mes pompes, et à cesser d’être une
observatrice attentive de ce que je traversais pour le vivre. J’ai cessé
aussi de culpabiliser et de permettre au mental, que je nomme
affectueusement mon yéti, de m’embarquer vers des rives où le passé
me terrasse. C’est ce cheminement que je vous invite à faire. Non en
tant que modèle, exemple à suivre, mais en tant que compagne de
route qui avance, pas à pas, avec vous.
2. Tous les prénoms ont été changés.
S’INSTALLER

CONFORTABLEMENT DANS SES


POMPES

« Lâcher prise, c’est renoncer aux intentions, aux projets, à la


maîtrise de son existence. C’est un abandon de la pensée, de la
volonté, et même du résultat. Quelqu’un qui ne cherche plus rien
n’attend plus rien, devient disponible et s’ouvre à quelque chose
d’autre. C’est cela la magie : laisser venir les forces vives qui sont en
nous. »
François Roustang

L’hypnose thérapeutique est arrivée dans ma vie il y a une dizaine


d’années, lorsque j’ai rencontré le thérapeute-philosophe, François
Roustang. J’étais alors écartelée entre mes racines biologiques européennes
et celles qui m’établissaient intérieurement depuis toujours sur les plans
spirituels, psychologiques, et dans ma manière d’aborder l’humain et la
médecine, en Asie. Mes énergies étaient figées. Je remettais en question
mon droit à exister et mon droit au bonheur. Ce sentiment, qui résultait de
l’abandon symbolique que j’avais vécu étant enfant, me taraudait encore
parfois lors de crises existentielles majeures. Quand c’était le cas, je
ressentais dans chaque cellule un vide-manque immense, oppressant,
dévorant. Il noyautait mon cœur, mes tripes, mes émotions, mes pensées, et
me faisait douter de tout, et d’abord de moi-même. Ma pratique de la
méditation et des lyings 3 m’avaient appris à ne pas le fuir pour ne pas
renoncer à vivre, à l’apprivoiser en l’accueillant sans jugement, à ne pas le
renforcer en le laissant me traverser sans lui faire obstacle, et à accepter ses
creux, ses pleins, sa dynamique, mais cette fois, j’étais désemparée. Sa
puissance me semblait vertigineuse. Elle me paralysait, tentait de me
soumettre à son obscurité. Je me sentais sans ressource pour négocier le
énième tournant professionnel et personnel qui se présentait à moi. C’était
la fameuse goutte de trop.
C’est alors que l’un de mes très chers amis me parla de François
Roustang. Il me raconta avec émotion et enthousiasme cet ancien
jésuite, philosophe et psychanalyste ayant fréquenté la sagesse de
l’Asie et de l’Occident sans jamais s’éprouver en rupture dans son
parcours, mais en continuité. Chacun de ses mots, choisis avec soin,
disait son respect et son admiration pour cet homme non
conformiste, exceptionnel d’humanité, de bienveillance, de
connaissance de l’autre, en lien avec ses environnements et relié au
Tout. Dès ses premières paroles, je sus que je devais m’en
rapprocher. Je rentrai son numéro de téléphone et son adresse sur
mon smartphone pour le contacter dès que je serais prête. Il me faut
parfois un peu de temps pour laisser mûrir certaines décisions. Mon
ami m’avait prévenue : « François Roustang ne prend presque plus
de nouveaux patients. Il ne te rappellera sans doute pas. » Cela ne
m’inquiéta pas. Je ne doutais pas de la possibilité d’un rendez-vous.
Cette forme d’inspiration qui résulte d’une enfance un peu sauvage
dans une ferme au cœur de la nature en Aveyron se manifeste le
plus souvent chez moi, avec justesse, dans des moments importants.
Cela avait été le cas par exemple lors de ma première rencontre avec
le dalaï-lama dans les années 1980. Je côtoyais depuis mon
adolescence les maîtres bouddhistes et je souhaitais tellement le
rencontrer que j’étais intimement persuadée que les choses
s’aligneraient naturellement pour que cela se fasse. Et c’est ce qui se
passa. Des amis, chargés de la sécurité du chef d’État exilé de son
pays par la force, ayant eu connaissance de mon souhait,
m’invitèrent à rejoindre leur groupe. Tout était plus simple à
l’époque. Personne ne s’étonna de voir une jeune femme telle que
moi « protéger » Sa Sainteté. Cela serait impossible aujourd’hui.
Quelques années auparavant, mon intuition s’était également
exprimée avec vigueur lorsque j’avais pris la décision de présenter le
concours de médecine malgré un baccalauréat littéraire et l’avis de
tous. Rien n’aurait pu me dissuader de ne pas m’engager dans ces
études. Quelque chose en moi me disait que je parviendrais à
franchir cette première étape, et c’est ce qui arriva. C’est encore elle
qui me guida, cette fois à l’inverse, quand après cinq années
d’études intenses en médecine générale au CHU Claude-Bernard-
Bichat-Beaujon, une situation familiale compliquée me contraignit à
changer d’orientation et à opter pour le journalisme, et non pour un
autre métier, malgré les avis contraires dont on m’abreuva à
nouveau. Réaliser ces différents choix me demanda beaucoup
d’énergie, mais j’étais forte de leur évidence. Néanmoins, à ce point
de mon parcours, tout me semblait confus. Je ne savais pas quelle
direction prendre. Je venais de quitter dans des conditions difficiles
les émissions Voix bouddhistes dont j’avais la responsabilité
éditoriale et que je présentais depuis presque onze ans sur France 2.
Et j’étais écartelée entre l’envie de poursuivre ce métier qui me
passionnait encore dans les années 2000 et le désir de développer à
plein temps une patientèle, en m’appuyant sur mes différentes
formations. Cependant, ma situation financière ne me permettait pas
de continuer à tergiverser trop longtemps. La réalité me rattrapait.
J’avais besoin d’un soutien, d’un accompagnement extérieur. C’est
dans ce contexte que la vie mit sur ma route François Roustang. Me
laissant guider par les circonstances, je déposai un message sur sa
boîte vocale. L’attente fut de courte durée. Il me rappela moins
d’une semaine après pour fixer un rendez-vous. Cette brève
conversation téléphonique fut pour moi le début de ma première
séance.

MA SÉANCE FONDATRICE AVEC FRANÇOIS


ROUSTANG : QUAND LA PAROLE EST AU CORPS

Le jour venu, le temps gris et plombé, synchronisé à mon humeur,


dévoilait mes sentiments sans retenue, sans pudeur. J’avais le
sentiment d’être un livre ouvert. Sans trop savoir ce qui m’attendait,
je sonnai vers onze heures au cabinet du thérapeute situé près de la
rue de Rome, à Paris. Dès qu’il ouvrit la porte, sa force et sa
présence me saisirent. Émue, je pénétrai dans son antre. Elle reste
dans ma mémoire telle une caverne sombre, un lieu alchimique, un
espace hors du temps où le plomb de la souffrance se transmuait en
or. D’un pas un peu lourd, il avait rejoint un vieux fauteuil de cuir,
et s’y était installé, sans hâte, tout en m’invitant à m’asseoir. J’avais
plongé dans celui qui lui faisait face comme s’il s’agissait d’une
bouée salvatrice. Enfoncée dans le siège qui m’accueillait, j’avais
observé cet homme prudemment, pareille à une enfant, par en
dessous. Ces yeux clairs me fascinaient. Je garde de ce début de
rencontre le souvenir, recréé de toute pièce, d’un second plan flou et
sombre derrière lui et d’un spot de lumière éclairant son regard, son
visage, ses bras et la pointe de ses chaussures.
Économisant les mots, il m’avait questionnée sur les raisons qui
m’avaient conduite jusqu’à lui, tout en posant un regard attentif,
tranquille, bienveillant sur moi. J’étais confuse, empêtrée dans des
émotions contradictoires. Cela se voyait. Il me demanda de laisser le
corps respirer. Le silence s’installa entre nous. J’étais mal à l’aise,
mais curieusement, je me sentais malgré tout en lien avec lui. Au
bout d’un moment qui me sembla durer une éternité, le vide-
manque qui me hantait depuis mon enfance sortit d’un coup de son
terrier. Tel un fauve retenu trop longtemps prisonnier, il attaqua
mon plexus, mon ventre. En un instant, je devins tout entière ce
plexus serré à m’étouffer et ce ventre dense, gris et douloureux. Je
connaissais bien ce processus. Jusqu’à la naissance de mon fils, il
m’avait souvent poussée à avoir des comportements destructeurs, à
accumuler des accidents, à me faire du mal. Quand c’était le cas, il
commandait mon corps, mes réactions, mes pensées et mes
émotions. Il induisait chacun de mes comportements automatiques.
J’étais sous son emprise. Les années passées en thérapie et ma
pratique bouddhiste lui avaient retiré un peu de son pouvoir. Mais il
revenait au galop quand mes doutes et mes souffrances prenaient le
pas sur tout le reste. Le silence avait fait remonter, sans que je
l’anticipe, sa noire présence de l’abîme. Elle m’envahissait, me
surplombait. Je pleurais 4. Je tentais de retenir mes larmes, elles
refusaient de se soumettre. Aucun mot de consolation n’atténuait le
vide en moi. François Roustang ne disait rien. Il m’observait. Cela
dura, dura, dura. J’étais décontenancée, scotchée dans le fauteuil,
incapable de bouger.
Après un long moment, le thérapeute me proposa d’abandonner
davantage le corps au fauteuil sans rien faire de particulier. De le
laisser se placer comme il le voulait. D’écouter sa voix. La sienne,
celle du corps. Je suivais vaguement ses suggestions. J’étais là sans
être là. Je me sentais perdue, décérébrée. Je flottais dans un
paradoxe créé par le sentiment qu’il ne se passait rien de ce que
j’avais espéré – un miracle forcément –, tout en ayant l’impression
que plus le corps devenait sensations, plus il respirait et se plaçait à
sa guise dans l’espace et le fauteuil. J’avais l’habitude du body scan,
de la relaxation, de pratiquer la méditation et les méthodes de la
MBCT 5, mais rien de tout cela ne ressemblait à ce que je vivais.
Cela avait davantage le goût de mon expérience en taï-chi-chuan
avec Gu Meisheng, un maître exceptionnel en bouddhisme, taoïsme,
énergie, et arts martiaux chinois traditionnels. Il m’avait appris à
être tout entière dans l’énergie du corps agissant; à le laisser être le
moyeu de la roue permettant le mouvement, le centre à partir
duquel tout se déroulait, s’organisait, s’agençait. Les années s’étaient
écoulées et j’avais oublié. Dans cet espace de totale sécurité, la
mémoire du corps se réveillait. Il se laissait porter par les mots de
François Roustang : « Ne faites rien, ne faites rien, laissez votre
corps faire, il sait lui… » Le corps avait pris la main. Il pleurait,
sentait, s’exprimait, vibrait, sans retenue. Ses manifestations
m’étouffaient. Je les oubliais. Puis tout recommençait. Quand elles
se firent moins présentes, moins criardes, moins fiévreuses, je
découvris un inconnu très différent de l’amas de chair et de muscles
que j’avais si longtemps maltraité et déserté sous prétexte de suivre
des voies spirituelles que je concevais, à tort, comme désincarnées.
Dans cet espace du temps, le corps semblait exonéré de l’influence
pesante des pensées, des croyances, des émotions. Il était dense et
augmenté par tout ce que les sens inscrivaient et mobilisaient en lui.
Il était l’expérience de l’instant en mouvement. Je n’avais rien eu à
faire. Celle-ci avait débuté dès que le fauteuil avait accueilli le corps
et que le dossier, l’assise et les bras du siège l’avaient reçu, que les
paupières s’étaient fermées quand elles l’avaient décidé, que les
pieds avaient ressenti le sol, que « ça » s’était mis à respirer
spontanément. C’était doux, reposant, vivifiant.
Je ne me souviens pas précisément de la fin de la séance, mais je
me rappelle en être sortie lestée, enracinée, et paradoxalement plus
légère. J’avais le sentiment, comme en qi gong, d’être reliée à la
Terre via ce vieux et banal fauteuil qui m’accueillait tel un nid
sécurisant; que quelque chose s’était déchargé de moi par son
intermédiaire, et s’était répandu dans le sol, en me libérant d’un
poids. Cela me suffisait. Je ne cherchais pas à comprendre. Ne rien
connaître du processus me facilitait la tâche. Je ne voulais pas
analyser cette expérience pour ne pas risquer de la perdre.
Les semaines qui suivirent, j’eus l’impression joyeuse d’être un
terrain prêt à recevoir des semences au printemps. Je n’avais pas la
moindre idée de ce qu’était leur nature. Je n’éprouvais ni le besoin
de savoir ni celui de réaliser quoi que ce soit de particulier. Au fil
des mois, je pris conscience que les insupportables « pourquoi »
existentiels qui me sabordaient depuis mon très jeune âge se
taisaient peu à peu. L’angoisse qui me pressait pour prendre en
urgence une décision professionnelle disparut également. Quelque
chose en moi avait lâché. La transformation qui s’était déclenchée
dans l’espace-temps du cabinet autorisait mon corps à « rentrer dans
la matière » et à occuper sa place dans mon existence. Les choses
s’enchaînaient naturellement.

L’IMPLACABLE MÉCANISME DE L’INTERDÉPENDANCE

Je poursuivis un temps mon métier de journaliste et d’autrice,


tout en consultant de temps en temps comme sophrologue et coach.
Je ne le percevais pas encore, mais la séance avec François Roustang
allait bouleverser considérablement ma vie professionnelle. Le
processus qui me portait depuis que je l’avais rencontré concernait
tous les plans. Je devenais poreuse à la vie. L’hypnose
m’apparaissait comme une manière d’aller à l’essentiel. Elle était la
possibilité de laisser tomber certains éléments culturels ou religieux
et des techniques codifiées destinées à des humains qui auraient été
clonés sur le même modèle, et non à des êtres singuliers. L’idée de
devenir hypnothérapeute naissait peu à peu en moi.
Aujourd’hui, je me sens privilégiée d’avoir pu suivre le cursus
d’hypnose médicale de l’AFEHM, cette formation pensée et proposée
par François Roustang et le Dr Jean-Marc Benhaiem. Les cours m’ont
ramenée joyeusement à mes années d’étudiante en médecine, et
permis de boucler ce parcours de formation dans le soin. Ils sont
dispensés dans l’un des amphithéâtres de l’un des temples de la
médecine et de l’hypnose, la Pitié-Salpêtrière. L’histoire de l’hypnose
a commencé en France en 1882 dans ce lieu qui s’étale telle une
petite ville avec ses propres allées, rues, avenues et impasses, entre
la gare d’Austerlitz et la place d’Italie à Paris. Tous les grands de
l’hypnose y ont exercé et enseigné, dont l’un des premiers d’entre
eux, le neurologue Jean-Martin Charcot6. Dans cet hôpital
universitaire de renommée internationale qui accueille le plus grand
institut du cerveau en Europe, ses successeurs, François Roustang et
le Dr Jean-Marc Benhaiem participent à faire de l’hypnose l’un des
arts thérapeutiques majeurs du XXIe siècle.
Aujourd’hui, l’hypnose thérapeutique et médicale me permet de
réunir, en les adaptant à mon époque, les enseignements et
pratiques engrangés depuis mon adolescence entre Asie et Occident,
et d’aider les personnes à vivre le changement dont elles ont besoin,
en restant au plus près de ce qu’elles sont; d’intégrer les
connaissances et les expériences vécues notamment au travers de la
méditation que me transmirent de très grands maîtres de la tradition
tibétaine; de m’inspirer du savoir ancestral de la médecine chinoise
que j’ai appris en France et en Chine; et d’inclure les apports des
différentes matières étudiées au cours de mes cinq années d’études
de médecine générale et de mes formations de sophrologue et de
coach en entreprise. Les écrits et la pratique de François Roustang
éclairent également les grandes discussions que j’ai eu le privilège
d’avoir avec mon ami le neurophysiologiste Francisco Varela.
Francisco, scientifique visionnaire, grand humaniste, fut l’un des
premiers à démontrer en Occident comment l’esprit, les émotions,
les pensées ont un impact considérable sur le corps et inversement.
Cette réalité, l’hypnose en prend acte pour proposer une approche
adaptée à chacun d’entre nous, et favoriser des expériences faisant
appel à nos ressources. Dans ce processus, le corps et l’esprit
s’appuient ensemble sur un savoir empirique universel très profond
qui repose sur l’existence en chacun de nous de forces de guérison
innées, et sur notre capacité à les mobiliser en vue des
transformations souhaitées.
François Roustang m’inspire chaque jour dans ma pratique.
D’autres l’ont mieux connu et en parlent avec talent; je n’en dirai
donc que quelques mots au fil des pages en citant des extraits de ses
enseignements pour évoquer l’importance dans mon parcours de cet
homme qui ne fut en rien pour moi un gourou, mais un éclaireur sur
un plan personnel et professionnel. Adepte du non-agir, il nous a
montré comment surfer sur le mouvement inhérent à l’existence, et
il participe ainsi à nous rendre plus vivants. « Ne rien faire et il n’y a
rien qui ne se fasse », disait-il. Je retrouve là ce que m’ont enseigné
les maîtres taoïstes et bouddhistes et des amis scientifiques
passionnés notamment par la physique quantique. Cette approche
prend en compte que tout ce qui existe est changeant d’instant en
instant, insaisissable, dynamique, en mutation constante, non
programmable, imprévisible. Elle nous ouvre les portes de notre
autonomie et de notre liberté intérieure. Cette manière d’habiter la
vie dans la fugacité de l’immédiateté, véritable révolution de l’être,
s’expérimente via l’hypnose dans la banalité du quotidien.

Pas à pas sur le chemin de la transformation

Le travail que je vous propose de faire avec les exercices de


ce livre ou en séance s’appuie sur un processus
physiologique commun à tous les êtres humains, notre
capacité naturelle à être hypnotisable. Ce qui change, d’une
personne à l’autre, est notre aptitude à être suggestible et
donc à rentrer plus ou moins dans le processus hypnotique.
Il est recommandé d’enregistrer les exercices que vous
souhaitez faire sur votre smartphone pour être
complètement disponible à la séance que vous ferez. Les
exercices ne sont pas proposés ici avec un QR code, pour
permettre à chacun de les faire librement, à son rythme, et
en les adaptant avec des mots qui vous parlent, qui
résonnent pour vous.
Les mécanismes de l’hypnose reposent sur notre disposition
à faire une expérience en étant situé dans un état dit
dissocié. Ce phénomène, fréquent dans la vie courante,
intervient par exemple quand nous conduisons (toujours en
mode automatique, c’est comme faire du vélo ou marcher,
on ne réfléchit pas à ce que nous devons faire pour y
parvenir) et que nous parlons par exemple en même temps
à notre passager.
Le thérapeute accompagne, mais n’impose rien. Il ne
manipule pas. C’est le patient qui fait. Lui seul a accès à ses
ressources.
L’expérience se fait au présent. Cela aide les émissaires du
passé, le soi, le mental, l’ego, les pensées obsessionnelles
à se mettre en veilleuse. Et à nous libérer des
conditionnements impliqués dans le trouble pris en compte
dans la séance.
Le but est de nous rendre autonomes.
Le corps agit en incorporant les sensations expérimentées
pendant la séance, sans faire intervenir la conscience dite
de pleine conscience.
Chaque séance est du sur-mesure : le thérapeute s’inspire
des éléments et métaphores donnés par le patient. En
hypnose, chaque patient est unique.
Le processus se poursuit naturellement après la séance, les
jours, les semaines, les années qui suivent.
Le nombre de séances pour traiter un trouble est variable. Il
ne peut en aucun cas être déterminé par avance.

Quand utiliser ce processus ?


Ses indications sont multiples :
Ies addictions et dépendances au tabac, à l’alcool, aux
drogues, aux médicaments;
Ies troubles du comportement alimentaire, compulsions
alimentaires, grignotage, prise de poids, etc.;
les douleurs aiguës ou chroniques, acouphènes, migraines,
lombalgies, etc.;
des troubles divers : stress, anxiété, phobies diverses,
paniques, peur de prendre l’avion ou les transports en
général, peur des piqûres, peur des animaux, troubles du
sommeil et de la concentration, toc, timidité, colère,
bégaiement, bruxisme, procrastination, manque de
confiance en soi, difficultés à trouver sa place dans la vie en
général ou dans le travail et à entretenir sa motivation,
allergies, eczéma, etc.;
l’accompagnement des interventions en dentisterie, soin
esthétique, petite chirurgie; la grossesse, l’accouchement, le
suivi postnatal, le baby-blues, etc.;
la préparation à des compétitions sportives, examens,
nouveau job, nouvelles relations, etc.;
l’accompagnement des enfants dans le traitement des
troubles et angoisses, dont se ronger les ongles, difficultés à
l’école, pipi au lit, confiance en soi, optimiser ses
compétences, etc.
3. Le lying, conçu par Swami Prajnanpad, a été importé en France par Arnaud et Denise
Desjardins et Frédérick Leboyer. Quand une émotion surgit, le disciple ou le patient
s’allonge. C’est une invitation à se relâcher dans l’expire, à être présent et à s’abandonner
en se laissant aller à la libre association des idées, des pensées, des sensations et de toute
l’imagerie mentale : souvenirs, fantasmes, etc.; il s’agit de ne rien faire et d’accepter de
rencontrer tout ce qui vient.
4. J’ai beaucoup pleuré au cours des thérapies, j’en fais mention dans certains chapitres.
Les pleurs ont cessé par la suite, au fur et à mesure des réparations faites.
5. MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy) et MBSR (Mindfulness-Based Stress
Reduction) sont deux programmes conçus par Jon Kabat-Zinn à partir de 1979 à l’Université
du Massachusetts. Ils sont basés sur la pleine conscience. Le programme MBSR a été adapté
à la gestion du stress.
6. L’hypnose commence de manière formelle en Europe au XVIIIe siècle avec un médecin
allemand Franz Anton Mesmer (1734-1815). À l’époque, Mesmer parle d’un « magnétisme
animal » qui circulerait entre les êtres. D’une certaine manière, ce magnétisme se
rapproche sans doute du Qi, de l’énergie fondamentale constitutive de toute vie. Toutes les
médecines et sagesses indo-asiatiques prennent en compte la réalité de l’énergie dans les
soins, la vie en famille et en société, la spiritualité. Cette notion est omniprésente par
exemple dans le taoïsme et la médecine chinoise, la manière dont circule le Qi conditionne
la santé des personnes et leurs relations avec leurs environnements. De même, les arts
martiaux sont basés sur la circulation de cette énergie entre les partenaires.
EXERCICE DE TRANSFORMATION :
DEVENIR SON ARBRE DE VIE

« Tout le bonheur du monde est dans l’inattendu. »


Jean d’Ormesson

Àfaire dès que vous vous sentez bloqué, en panne de ressource, en


manque de créativité, fatigué, que vous anticipez une crise addictive :
boulimie, cigarette, alcool, etc., ou que vous avez besoin de prendre du
recul vis-à-vis d’une situation et de faire l’indispensable pas de côté qui
vous évitera de rester fixé sur une souffrance, une pensée, une émotion, une
rumination.
Cet exercice vous aide à vous enraciner dans l’instant et le lieu où
vous vous trouvez, en toute sécurité. Il vous connecte à vos
capacités et à vos forces intérieures de guérison. Ainsi, en lien avec
vous-même, il vous est plus facile d’accepter de vous rencontrer tel
que vous êtes, sans rien rejeter de vous, de vous établir réellement
en vous-même, et d’expérimenter des relations fluides avec vos
environnements.

Les yeux ouverts, commencez par fixer pendant quelques secondes


un point devant vous. Cela peut être un objet, un tableau, une
bougie, peu importe. En vous concentrant ainsi sur un point, cette
première étape initie le processus de transformation que l’on
souhaite mettre en place ici. Elle vous permet de faire
progressivement abstraction de tout ce qui entoure le point sur
lequel vous focalisez votre attention, tout en « lâchant » le
comportement obsessionnel, fixé, rigide, qui découle de la
perception restreinte que vous avez d’un problème, d’une situation,
d’une émotion, d’une peur, d’un comportement. Ainsi, vous passez à
une perception élargie plus souple, créative, spacieuse et vous
découvrez l’incroyable richesse de votre paysage intérieur. Ce
faisant, petit à petit, vous allez accéder à des ressources et solutions
insoupçonnées alors que vous les avez à portée de main.
Si vous préférez fermer d’emblée les yeux, focalisez-vous sur un
point entre les sourcils ou toute autre chose ou fermez simplement
vos paupières.
Puis, laissez le corps s’installer de la manière dont il le souhaite
sur un coussin, une chaise, un fauteuil. Si vous êtes souffrant, restez
allongé. Laissez le corps se positionner comme il en ressent le besoin
dans le moment et respirer profondément, à son rythme.
Le corps se positionne. Il n’y a rien à faire. Simplement le laisser
percevoir, ressentir, éprouver les sensations qui montent en lui, qui
le traversent. Les bras, les mains, le souffle, tous se mettent en place
comme ils le souhaitent dans le moment. Cela se fait tout seul, ça
respire, ça circule dans chaque cellule en vous apportant de plus en
plus de confort, et c’est serein, tranquille. Il n’y a pas à chercher à
obtenir quoi que ce soit, ou à se détendre, c’est un processus naturel.
Le corps est vivant, actif, il peut choisir de faire les choses ou pas.
C’est lui qui sait jusqu’où il a envie d’aller dans cette détente
générale, et dans sa manière de lâcher les tensions que vous
ressentez.
Laissez-le libre de changer de position s’il en ressent le besoin
après quelques instants. Le siège et l’espace l’accueillent dans sa
singularité, sans le penser, sans l’intervention du mental, des
émotions, des croyances. N’étant pas identifié aux énergies qui le
traversent, tous les sens éveillés, il peut ainsi accéder à une
expérience sensitive inédite et amplifiée.
Vous parlez au corps, et ce faisant, vous reconnaissez son
existence, sa légitimité, sa place. Votre voix, qu’elle soit intérieure
ou enregistrée, lui fait des propositions qu’il entend. Vous pouvez lui
proposer par exemple de porter son attention sur ses appuis, de bas
en haut et inversement; de prendre le temps de ressentir les
différentes sensations dans les pieds, les chevilles, les genoux, les
cuisses, et de laisser l’attention remonter jusqu’en haut du crâne.
Puis, vous pouvez inviter l’attention à faire le trajet en sens inverse,
tranquillement, à son rythme. Cela peut être en ressentant de la
pesanteur ou toute autre chose dans les membres, la nuque, le dos,
le visage; l’impression d’un contact plus ou moins important aux
points d’appui; une sensation d’espace ou de blocage ou de douleur
dans les articulations, etc.
Si le corps ressent des tensions, laissez-le faire. Il fait simplement
son job. C’est un guetteur sans affect, il est dépourvu de tout
jugement, il communique par le biais de ce qu’il perçoit avec votre
esprit profond. Il est vivant, autonome.
Vous pouvez aussi percevoir en même temps, sans vous
concentrer dessus, le rythme spontané de la respiration et le souffle
pénétrer par les narines jusqu’à votre abdomen, et inversement. Il
n’y a rien à faire. Tout se fait naturellement.
En procédant ainsi, vous parlez à vos pieds, à vos mains, à vos
épaules. Les sensations à droite et à gauche sont peut-être
différentes. Cela vient comme ça vient. Tout est OK. Cela vous
correspond et raconte qui vous êtes dans l’espace et le temps dans
lesquels vous vous situez. En donnant ainsi la parole au corps,
vous perturbez l’esprit qui lâche ses obsessions et ses peurs.
Prenez quelques minutes pour laisser le corps s’installer dans cette
dimension où il est accueilli, entendu, actif. Prenez le temps
d’écouter ses paroles via les sensations manifestées. Ce processus
dynamique va vous permettre d’accéder ensuite, à votre rythme, à
votre créativité et à vos ressources intérieures.
Quand votre esprit profond et votre corps seront prêts à débuter
une nouvelle étape du processus hypnotique, vous pourrez imaginer
un lieu réel, ou pas, dans lequel vous serez en parfaite sécurité et où
vous pourrez laisser grandir l’arbre de vie qui va vous symboliser
dans cet espace du temps, dans toute votre sagesse, votre intégrité et
votre plénitude.
Dans cet espace intérieur, vous êtes en lien avec tout ce qui vous
entoure, le ciel, la terre, les énergies du monde et peut-être aussi
avec tout ou une partie des énergies de votre lignée. C’est vous qui
choisissez les éléments que vous y introduisez pour faire cette
expérience en étant en parfaite sécurité. Cet espace peut être
verdoyant ou pas, vous entendez peut-être des gazouillis d’oiseaux
ou de la musique ou d’autres sons, peut-être apercevez-vous des
fleurs, des plantes, sentez-vous des odeurs agréables, ou tout autre
chose qui vous ancre en étant en totale confiance au présent, dans
cet espace intérieur.
Le corps est détendu, la température extérieure lui convient, il
peut éprouver par exemple l’envie de parcourir cet endroit en
sautant, en gambadant, en sifflotant, en chantant, en marchant, ou
en ressentant simplement le sol sous ses pas. C’est le corps qui sait.
Laissez-le expérimenter par tous ses sens le bien-être d’être à sa
place dans cet endroit où il est en parfaite sécurité.
Quand il est prêt à approfondir le processus, proposez-lui de
s’associer avec votre être profond pour imaginer qu’il se transforme,
dans cet espace où tout est possible, en un arbre de vie qui vous
donnera un accès libre et inépuisable à toutes vos ressources.
Cet arbre de vie peut être luxuriant, avec des branches pleines de
fruits ou pas, un lieu de repos pour des animaux ou toute autre
chose. Il a la forme, la densité, les aspects que vous souhaitez lui
donner. Vous pouvez peut-être ressentir la puissance et la force de
ses racines énergétiques qui montent très haut dans le cosmos et
s’enfoncent profondément dans la terre. Vous percevez peut-être
votre énergie s’échanger avec vos environnements et participer ainsi
à renouveler celle du monde qui vous entoure. Si c’est le cas, peut-
être remarquez-vous combien il est agréable de vous sentir ainsi
relié, d’échanger sans restriction et de manière libre, fluide, sans
peur avec ce qui vous entoure, dès que vous êtes ancré en vous-
même.
Prenez le temps de ressentir l’expansion du corps déployé
librement dans l’espace, la participation de votre esprit profond, ce
qui se passe en vous et autour de vous, ou toute autre chose qui
vous aide à vous implanter en vous-même, en toute sécurité, dans
l’ici et l’instant.
Quand vous êtes habité par cette nouvelle énergie qui se déploie
en vous et autour de vous, vous pouvez imaginer faire un signe
intérieur, un geste, un code, ou dire intérieurement ou à voix haute
une parole, ou faire toute autre chose que vous pourrez reproduire
facilement pour rappeler cette expérience à votre mémoire dès que
vous en éprouverez le besoin dans votre quotidien.
Prenez quelques instants pour visualiser et faire l’expérience de ce
code.
Quand cela est fait, remarquez à nouveau comment le souffle
continue à aller et venir, comment ça respire. Comment vous êtes «
respiré ». Chaque cellule est respirée, nourrie. Il n’y a rien à
contrôler, à faire, à chercher, à transformer.
Le mouvement de la vie vous traverse naturellement depuis le
premier jour de votre naissance. Le corps respire, le cœur bat, les
organes sont vivifiés, tout fonctionne sans votre intervention.
Dès que vous ressentez la force associée au mouvement spontané
et vivifiant de l’existence que vous venez d’expérimenter en créant
et en devenant votre propre arbre de vie, laissez-vous envahir,
imprégner, immergez-vous dans le profond sentiment de sécurité et
de confiance qui en découle.
Cette sensation est désormais en vous et continuera à l’être dans
les jours, les semaines, les mois et les années à venir. Quand elle
vous semblera moins présente, vous pourrez la rappeler en vous
appuyant sur le signe que vous avez créé précédemment.
Dès que vous êtes prêt à revenir dans l’espace et le présent que
vous occupez, vous pouvez vous étirer, bâiller, respirer
profondément ou toute autre chose qui sera plus adaptée à vous et
ouvrir les yeux, à votre rythme.
QUELQUE CHOSE EN MOI SE

GUÉRIT PAR LUI-MÊME D’INSTANT


EN INSTANT

« Oser, c’est perdre pied momentanément. Ne pas oser, c’est se


perdre soi-même. »
Kierkegaard

Ilqueesttant
une chose absolument enthousiasmante dans l’existence, c’est
que nous sommes vivants, rien n’est figé. Nous ne sommes
pas suffisamment percutés, bouleversés par cette réalité. C’est pourtant une
chance incroyable de ressentir la vie couler en nous, les poumons respirer
sans notre intervention, le sang circuler dans le cœur et le corps
spontanément, les organes œuvrer ensemble à notre santé affective et
physique.
Je ne sais pas ce qu’est la vie ni comment elle me pénètre avec
tant de fougue et de constance depuis ma fécondation, sans jamais
renoncer, alors que je l’ai tant malmenée. Je n’ai aucune envie de la
décortiquer pour le savoir. Je préfère percevoir ses mouvements en
moi et autour de moi; sa densité; sa force quand elle est fluide; ses
nœuds quand quelque chose la bloque. J’aime entrer ainsi en
résonance, en lien avec ce qu’elle est, avec son énergie d’instant en
instant. Je sais qu’en avançant ainsi, je dispose d’une marge de
manœuvre vis-à-vis d’elle pour accompagner son mouvement, sans
peur, sans rien en saisir ni en attendre non plus; et qu’elle
m’enseigne combien je suis « une enfant arrogante et prétentieuse »
quand j’oublie cette règle et que je tente de la tenir en mon pouvoir
pour éviter ses chaos. Ce processus est curieusement très libératoire.
Il ne s’agit pas pour autant d’être passif, victime, de subir les
événements douloureux, mais de les regarder tels qu’ils sont pour
nous, pour en faire le matériau de notre transformation et redevenir
naturellement des êtres en réseau. Des vivants.

LE TERREAU DE NOTRE JARDIN INTÉRIEUR

Tant que l’intellect-mental a la main, nous nous comportons en


général comme des humains soi-disant conscients, responsables,
sociaux, malheureux ou heureux, selon les moments. Nous avons été
éduqués à cela. Remettre en question ce formatage et tout ce qui
nous identifie et auquel nous sommes tant attachés – les certitudes,
les peurs, les dictats imposés par les pensées négatives – demande
du temps. Cette démarche reste un vœu pieux tant qu’elle ne
s’incarne pas, ne s’actualise pas dans la chair, le corps, les tripes, le
cœur, chaque cellule. Tels des cadavres déjà raidis par la mort ayant
perdu toute capacité de mouvement et de transformation, nous
réagissons en mode automatique aux stimulus qui nous
maintiennent focalisés sur ce que nous croyons être la source de
notre bonheur ou de nos tourments. C’est une phase banale. Nous la
partageons tous à un moment ou à un autre de nos vies. Nous
pouvons en sortir. Rien n’est figé. Tout peut se réarticuler à chaque
instant. Nul besoin d’un événement exceptionnel pour cela, d’une
violente rupture amoureuse, d’un changement de vie radical et
douloureux, de devenir moine ou autre, pour relancer le processus.
Quand le temps de la maturation a fait son œuvre, il se déclenche
souvent sans qu’il se passe, en apparence, quoi que ce soit de
notable. Il suffit parfois d’un modeste et banal catalyseur, un micro-
événement, pour déquiller les blocages mis en place jusqu’alors pour
nous maintenir dans la survie. Nous le remarquons rarement. Seules
les « grandes » émotions attirent notre attention. Mais quand cela
arrive, ce mini choc, cette joie insignifiante, cette peine bénigne,
nous sort du ronron de nos habitudes. Notre univers autocentré
bascule dans un vide souvent abyssal dont nous ne soupçonnions ni
l’existence ni le potentiel de transformation. Nous nous ouvrons à
ce qui est. Nous cessons de nous épuiser à lutter contre la
réalité. Nous avons l’intuition, sans en avoir eu conscience,
qu’une graine a été semée en nous et qu’elle commence à
germer et à pousser sur le terreau de nos expériences,
transformé pour l’occasion en un merveilleux humus nourri,
humidifié, enrichi par ce que nous traversons.
Les agriculteurs connaissent ce phénomène naturel. Ils savent que
planter une semence ne suffit pas pour qu’elle prenne; que ce
prodige n’est pas de leur ressort; que si la vie surgit, elle est le
résultat de l’alliance subtile entre la météo, la terre, la qualité de la
graine, le vent, la pluie, le sol, les oiseaux, les lombrics, ainsi que
l’amour et le temps qu’ils auront consacré à leur plantation. Il en est
de même de la singulière alchimie qui opère en nous quand le corps
s’associe à la part de notre esprit qui est sagesse universelle et force
de guérison pour former notre jardin intérieur. Quand c’est le cas, le
mental et la conscience ordinaire cessent d’intervenir. Ils ne peuvent
pénétrer cet espace « sacré », siège de nos transformations
profondes. Les pensées et les émotions ne sont plus habilitées à
réinterpréter, à leur façon, ce qui s’y passe. Les sensations font
vibrer le corps et l’esprit différemment, et témoignent du processus
en cours. Le corps l’exprime. Son énergie libérée le ressource. Et
quand il en est ainsi, nous nous situons spontanément à une place
active de vigie. Nous ne sommes plus de simples spectateurs
subissant les influx du monde, mais les capitaines de notre vaisseau-
vie. Les remous extérieurs continuent à exister bien sûr, c’est le
propre de l’existence, mais les tempêtes ne nous déstabilisent plus.
Et le temps qui passe confirme que nous sommes désormais tout à
fait vivants, modulables, adaptables.
L’hypnose thérapeutique donne accès à ce processus naturel et
physiologique. La pratiquer pour moi et les patients m’a permis de
comprendre pourquoi la plupart des ouvrages de conseils destinés à
accompagner les personnes en développement personnel ne
fonctionnent pas sur le long terme. Ils ne laissent pas assez d’espace
pour se trouver; être avec soi, le monde et les autres dans des
relations fluides, changeantes, holistiques; faire appel à nos
ressources; aller au plus près de soi-même; découvrir en étant
autonomes et sans forcer ce dont nous avons réellement besoin. On
ne devient le créateur de son histoire qu’en cessant tout recours à
des formes d’assistanat, quelles qu’elles soient; en plongeant dans
l’incertitude de l’existence; en ne se planquant plus dans des cases
qui nous rangent dans des identités factices; et en ne se retranchant
pas derrière des méthodes et des concepts dogmatiques qui
enferment dès lors qu’ils proposent de suivre, à l’identique ou
presque, les traces de ceux qui nous ont précédés, maîtres et
enseignants divers. L’expérience n’est ni vraie ni nôtre quand elle
mime, calque, singe celles des autres. J’en ai pris conscience assez
tard. Longtemps, j’ai cru que le fait de proposer de manière
formelle, comme je le faisais dans certains ouvrages, les
connaissances transmises par ceux et celles dont j’avais tant reçu
permettait que leur savoir aide les lecteurs à suivre leurs pas et à se
découvrir plus sereins. Mais, avec le recul, j’ai constaté qu’aucune
méthode – reproduite telle qu’elle – ne peut aider quelqu’un à
s’ouvrir à l’existence pour faire les transformations nécessaires.
C’est à chacun de trouver comment faire le chemin. En ce qui me
concerne, c’est mon refus et mon incapacité à coller aux normes que
mon entourage voulait m’imposer qui ont été la clé pour laisser la
vie me rencontrer, m’habiter; cela m’a libérée du besoin d’atteindre
une impossible et illusoire forme de sécurité permanente. C’est
d’une grande banalité, mais c’est souvent ainsi que, pour moi, de
grandes expériences structurantes se sont mises en place, en
transformant ma manière de me poser dans le monde.

LA GUÉRISON NE SE PENSE PAS

C’était un après-midi d’été. Je travaillais avec un collègue, Adrien,


sur des modules de production télévisuels. La chaleur étouffante
incitait les plus jeunes à fuir les salles de montage mal climatisées,
sous différents prétextes. Adrien attendait avec impatience l’un
d’entre eux en faisant les cent pas dans le couloir. Énervé, il
marmonnait en boucle entre ses dents un dicton populaire que je
reconnus de suite tant il avait rythmé mon enfance. Tout revenait
d’un coup à ma mémoire. Les mimiques faussement désespérées de
ma grand-mère quand elle baragouinait dans son menton, comme
Adrien, « Ah, si l’expérience des uns pouvait servir aux autres, le
monde serait plus facile à vivre ! », en me voyant faire des bêtises.
Le ton qu’elle employait selon ses humeurs pour le répéter à l’envi,
en patois aveyronnais ou en français, pour apaiser son stress. Sa
lassitude de femme régissant d’une main de fer la famille de huit à
douze âmes qui vivaient sous son toit, et notamment les dimanches
où nous rejoignaient les gamins séjournant en pension le reste de la
semaine. Chaque mot disait combien elle craignait sans arrêt pour
nos vies tant l’existence avait été rude avec elle, et qu’elle ne
comprenait pas comment elle avait pu hériter d’une petite-fille
casse-cou qui avait tout du garçon manqué et dont elle ne parvenait
pas à brider les élans. Il est vrai que jusqu’à l’entrée en sixième, ses
cris d’orfraie ne m’empêchaient jamais d’aller batifoler à l’extérieur
de la maison dès que l’envie m’en prenait. Je n’aimais pas jouer à la
poupée. Je fuyais comme la peste la cuisine et tous les endroits
dévolus aux femmes où elles cousaient, faisaient le ménage,
tricotaient, s’occupaient des plus petits, papotaient entre voisines.
J’étais la seule fille à le faire, mais cela ne m’arrêtait pas. Je
préférais retrouver les garçons du village sur la place où nous nous
donnions tacitement rendez-vous. L’hiver, quand il ne neigeait pas,
nous alternions les parties de cache-cache dans la grange entre les
bottes de foin sèches et piquantes, les poursuites où nous endossions
à tour de rôle la fonction de gendarme ou de voleur, les intenses
parties de foot dont je ne connaissais pas vraiment les règles, et les
balades à bicyclette. Cela finissait parfois par des bagarres, mais je
ne me dégonflais jamais. Comme eux, je n’hésitais pas à répliquer
aux télescopages et aux sarcasmes, en donnant des coups de pied ou
en attrapant les tignasses qui passaient à ma portée. Je rentrais
souvent à la maison les nattes défaites, les genoux écorchés, mais
tout était oublié le lendemain, et nos jeux recommençaient sans le
moindre état d’âme. Quand le printemps et l’été pointaient leur nez,
je préférais rejoindre les hommes dans les champs. Au moment des
moissons, la vie y était incroyablement joyeuse. Je grimpais avec
ardeur sur les charrettes tirées par de vieux tracteurs Zetor pour
aligner, seule, les lourdes bottes de paille rectangulaires. Je me
prenais pour « une grande ». J’avais le sentiment d’être
indépendante. C’était un doux bonheur. À la fin de la saison,
récompense suprême, j’aimais tout particulièrement quand je
pouvais accompagner certains hommes pour attraper des truites à la
main dans le Viaur, une petite rivière de la région, dont l’eau
demeurait toujours glacée, même quand le soleil cognait nos peaux
de toutes ses forces. Plus d’une fois, à leur grand dam, je fis les plus
grosses prises. Plus agile, plus téméraire, je ne craignais ni le froid
ni les longs serpents d’eau qui filaient parfois entre les doigts.
C’étaient des moments heureux. Je me sentais à ma place dans cette
nature sauvage. J’y étais en paix. Le reste du temps, je n’étais pas
très sociable. Je ne savais pas dire et mettre des mots sur mes
émotions. Je n’échangeais ni avec ma grand-mère ni avec les autres
membres de la famille. Je refusais, viscéralement, de me laisser
enfermer dans les normes et carcans de ma grand-mère. Habillée de
noir de la tête aux pieds depuis le décès de ses parents, comme
l’usage l’imposait, tout en elle disait son conformisme, sa crainte du
qu’en-dira-t-on, sa manière de figer les choses dans les conventions
sociales et la morale chrétienne. Contrairement à mes très sages et
obéissantes cousines germaines avec qui j’étais élevée, je ne la
craignais pas et ne l’écoutais pas. Mon besoin instinctif de me forger
ma propre expérience pour rêver et construire ma vie, survivre à
cette enfance compliquée, et avancer en créant en partie mes
propres jalons prenait le pas sur toute autre considération. Je n’étais
pas bien dans les bornes des autres. Je me cognais contre elles. Je
sus très jeune que je devais m’en échapper. Tout comme je compris
dès l’âge de sept ou huit ans, en bichonnant avec mon grand-père
ses chevaux de trait souffrants, que je voulais soigner. Cette envie se
renforça quand je découvris vers dix ans le docteur Albert
Schweitzer. Les sœurs de l’école catholique où je suivais ma
scolarité nous faisaient lire de temps en temps des extraits de sa vie.
Le célèbre médecin alsacien était connu du monde entier pour avoir
développé un hôpital dans la forêt équatoriale. Prix Nobel de la
paix, les exploits de cet inlassable militant et acteur des droits de
l’homme mort au Gabon avaient la cote dans les milieux croyants.
Son respect pour les autres, ses initiatives pour tenter d’enrayer les
souffrances de ceux dont il s’occupait et son profond humanisme me
touchaient profondément. C’était le premier récit incarné que l’on
nous donnait à consulter et qui ne rentrait pas dans le cursus des
saints et autres modèles religieux que le catéchisme enseignait. Cet
apprentissage m’ouvrit au pouvoir des biographies. J’en ai lu
énormément étant jeune fille. Elles m’ont insufflé une énergie, un
enthousiasme et d’immenses envies de faire, en m’emmenant dans
un réel et des ailleurs où mon imagination expérimentait la liberté
d’être sans limites. Elles me montraient qu’il n’y avait pas de modèle
à suivre et m’invitaient, en creux, à me libérer des identifications
qui me faisaient souffrir. Enfin, elles me montraient également,
parfois, pourquoi il était impossible de guérir de notre histoire tant
que l’on reste focalisé sur nos déchirures et plombé par nos
émotions passées négatives; et combien tout cela faisait de nous des
automates, des morts-vivants. Mon expérience me l’a ensuite
confirmé, mais pendant longtemps j’ai malgré tout conservé
précieusement tout un lot de douleurs. Elles étaient mon unique
bien. Je les protégeais comme le vieil oncle Picsou veillait sur son
trésor. Adolescente, j’adorais ce vieux canard grincheux habillé
d’une redingote rouge et si politiquement incorrect dont le plus
grand plaisir était de se baigner dans son gigantesque coffre-fort
plein d’or. À son contact, la matière devenait liquide. Le métal, le
dur, l’apparent, tout se laissait traverser. C’était pour moi l’espoir
d’un futur plus léger.
Il se présenta bien sûr, la vie n’est pas rectiligne, mais je dus
passer auparavant par des moments de grande détresse et de
souffrance intime. L’un d’entre eux se situe au cours de ma
quatrième année de médecine. Au cours de l’externat en service de
chirurgie de gastro-entérologie que je faisais, les choses
s’effondrèrent intérieurement pour moi de manière radicale. Après
six mois passés entre le bloc et les urgences, épuisée par les gardes,
la pression, la manière dont les patients étaient à l’époque
considérés comme des symptômes et non des êtres à part entière, je
fis ce que l’on ne nommait pas encore un burn-out, et je craquai. En
tant qu’externe de bloc, j’assistais les médecins en leur présentant
les instruments qu’ils demandaient. J’en avais l’habitude, cela se
passait sans difficulté, j’aimais la possibilité qui m’était ainsi donnée
de me montrer rapide et efficace. Je me souviens très précisément
de ce qui me fit basculer. Ce jour-là, le chirurgien opérait un patient
pour un cancer très avancé de l’œsophage. Pour accéder à la zone
concernée, il avait dû commencer par faire une voie d’abord
thoracique, ce qui l’obligeait à retirer l’une des côtes du patient.
Côte qu’il avait jetée machinalement dans un bac destiné à cet effet.
Je n’avais pas anticipé ce geste. Je n’y étais pas préparée. J’étais
choquée. Malgré le contexte qui ne s’y prêtait pas, je ne pus
m’empêcher de lui demander, avec un léger reproche dans la voix,
comment il pouvait s’en débarrasser ainsi. Ce à quoi il répondit avec
raison : « Mais que veux-tu que j’en fasse ? » C’était évident, mais
trop violent pour moi qui pensais déjà l’humain de manière
holistique. La suite de l’intervention se déroula « normalement ». Les
jours suivants, je restais bloquée sur cette image. Elle me hantait.
Elle passait et repassait en boucle dans ma tête. Plus elle
m’envahissait, plus ma vie et mon envie de soigner me semblaient
absurdes. Tout ce qui me construisait depuis mon enfance passée
dans la nature, et notamment la perception que j’avais des liens
existants entre les systèmes qui me maintenaient en vie, se délitait,
se fracassait. J’avais la sensation d’éclater en morceaux impossibles
à lier à nouveau entre eux. Happée par un abîme de pensées et
d’émotions noires, je pleurais souvent nerveusement de longues
minutes, sans pouvoir m’arrêter. Tout était prétexte à déclencher des
crises de larmes. Quand elles se calmaient, j’embrayais avec des
phases de boulimie et d’anorexie. Je ne me laissais aucun répit. Je
me détruisais. Je coulais. À bout de souffle, poussée par mes
proches, je consentis à consulter un médecin généraliste. Le
diagnostic fut sans appel : dépression. Après un arrêt maladie de
plusieurs semaines, pour avoir le courage de reprendre mes études,
je m’inscrivis en parallèle en médecine chinoise. Grâce à cette
soupape, un long processus de guérison intérieure commença à se
mettre en place. Je passais par des hauts et des bas, des montagnes
russes où j’éprouvais en alternance le sentiment d’être terrassée,
d’errer dans un no man’s land où j’étais abrutie par les médicaments,
et des moments où les émotions s’apaisaient. Sortir de cette
mécanique demanda du temps. J’étais incapable de penser et
d’envisager une guérison 7. Mais, malgré tout ça, ou grâce à cela, un
jour, quelque chose en moi fit le pari de la vie et du mouvement; les
schémas de mort, de survie, de mal-être qui me coagulaient
intérieurement jusqu’alors commencèrent à s’évacuer. Ma soif de
guérir se réveilla, sans que je fasse quoi que ce soit. Elle me «
vidangeait » des croyances, des identifications, des émotions
négatives qui me maintenaient à terre depuis des mois. Je la
ressentais, elle agissait dans chacune de mes cellules. Et plus ma tête
se vidait, plus le corps se reliait à des sensations nouvelles qui
s’inscrivaient autrement dans la chair, le ventre, le cœur. Le corps
allait chercher jusque dans ses tripes ce dont il avait besoin pour se
sentir vivant et me faire renaître. J’en sortis fripée, mais «
respirant » à pleins poumons. À l’époque, ce long processus se fit
d’une certaine manière « tout seul ». Cela prit de nombreux mois.
J’ai appris ensuite en médecine chinoise et en hypnose médicale à
accompagner le mouvement vital pour le remettre en route, et lever
ses blocages, sans forcer. Les métaphores du patient, l’imagination,
le corps, la part de sagesse fondamentale qu’il possède collaborent et
créent une nouvelle expérience qui s’inscrit, selon les personnes,
plus ou moins dans la durée, en impactant la mémoire et la
neuroplasticité cérébrale. Cela se fait délicatement. Au rythme de
chacun. J’ai beaucoup utilisé ce processus pour accompagner les
femmes enceintes et leur bébé. Il fonctionne superbement bien.

LE POUVOIR DE NOTRE ÉNERGIE

Le monde occidental se pense. Celui de la guérison intérieure, du


retour à soi-même en lien avec les événements et les contextes du
moment se ressent et s’envisage en termes d’énergie. Cela peut
sembler intellectuellement curieux, pourtant, nous procédons tous
ainsi de manière instinctive. On dit par exemple spontanément, « je
suis vanné, sans énergie ». Ou bien « mes batteries sont à plat ». Ou
bien encore, « je suis au top de mon énergie et de ma forme ». Ou «
je suis amoureux, je déborde d’énergie ». Ces situations sont d’une
certaine manière subies puisqu’elles se déclenchent sans
l’intervention de la volonté. Avec l’hypnose médicale, nous
apprenons à canaliser et à déployer cette énergie en nous, et ce
faisant, à découvrir nos ressources et nos capacités. La seule chose
qui nous arrête parfois dans ce processus est de ne pas avoir
confiance en nos possibilités. Pourtant, depuis des siècles, dès lors
que le désespoir ou le besoin d’assistance nous mobilisent, nous
nous tournons sans limites vers des dieux, des mythes, la société de
consommation ou selon notre éducation vers toute autre chose, pour
implorer aide et soutien de forces qui nous dépassent. Rien ne nous
stoppe dans ces élans quand le besoin nous pousse à trouver des «
solutions miracles ». Alors, pourquoi ne pas inverser les choses,
croire en soi et en ses potentialités et faire confiance au pouvoir de
notre énergie et à notre capacité de guérison intérieure, au lieu de
tout miser sur des concepts extérieurs ? Grâce à notre
imagination, à notre créativité, aux liens que nous établissons
avec nos environnements, et à notre faculté d’accéder à nos
ressources propres, nous pouvons « guérir », par nous-mêmes,
de nos blocages et peurs. À condition de ne pas s’accrocher aux
expériences menées dans ce cadre, que cela soit en hypnose ou de
manière naturelle dans notre quotidien. Car « guérir », c’est accepter
de n’être en aucun cas positionné dans un état acquis et figé une fois
pour toutes. Le penser est un leurre du mental qui souhaite fixer les
choses. « Guérir » est un processus qui œuvre à nous « réaligner »
intérieurement et extérieurement. C’est la capacité de faire LE pas
de côté, en soi et en dehors de soi, qui redonne spontanément une
place au corps en le réarticulant avec ce qui le compose et l’entoure.
La « guérison » exprime notre capacité à nous adapter au flux
naturel de l’existence. C’est un point important. Le plus souvent, en
tant que patients, nous croyons qu’il est possible de guérir une fois
pour toutes, alors qu’il s’agit d’être un vivant en équilibre, mobile,
adaptable, en relation. Rien n’étant stable ou définitif dans une
existence, tout est remis en jeu, en question, à chaque instant.

Pas à pas sur le chemin de la transformation

Dès qu’on laisse le corps et notre part de sagesse


fondamentale universelle se placer et se situer dans le
contexte du moment, ils entrent en accord avec les
éléments qui les composent et en lien avec ce qui les
entoure. Cette spatialisation se joue et se rejoue
spontanément d’instant en instant.
Accompagner le symptôme et son mal-être associé en
hypnose ou autre n’exclut en rien de recourir à la médecine
occidentale. Les deux sont souvent complémentaires.
L’hypnose, c’est le corps en relation : le processus amène le
patient à se remettre en mouvement, en relation, via ses
ressentis sensoriels, son imagination, etc. Il se connecte au
flux du vivant qui est spontané, fluide, mouvant,
imprévisible. On accompagne, on escorte le patient, mais
c’est lui qui sait et qui fait, au présent.
Le symptôme est pour le corps sa manière de témoigner
d’un dysfonctionnement et de nous alerter. Cela signifie que
dans le moment, les énergies ne sont pas fluides, que la vie
ne nous traverse pas comme elle devrait le faire sans
rupture, sans blocage, sans se cristalliser en un point
particulier.
Le corps dit le problème; le corps dit donc la solution.
Changer la perception d’un symptôme, d’un problème, d’une
douleur en changeant les sensations, c’est changer le
contexte, c’est changer le vécu – l’expérience – et le réel, et
c’est faire un pas de côté : on modifie ainsi à la fois nos
perceptions, nos sensations, et notre vision du symptôme.
Le geste, ou mot, ou autre, qui se forme spontanément et
ancre le patient dans une expérience unifiée dans laquelle
l’esprit s’incorpore au corps, comme dans l’exercice
précédent, est incroyablement puissant. Quand le patient
est de retour « en vrai » dans son quotidien, cela lui donne
la capacité de se raccorder de manière quasi instantanée à
une expérience dans laquelle il se sent bien, à sa place, et
dans laquelle ses ressources et ses solutions peuvent
immerger. Cette expérience qui change sa mémoire
épisodique peut être rappelée aussi souvent que
nécessaire.

7. Quand on parle de guérison, il s’agit ici plus de ce que cela représente


symboliquement, notamment en hypnose médicale, pour un patient. Si vous recevez des
soins pour une pathologie donnée, il ne s’agit pas d’y renoncer, mais de les accompagner
autrement. Ne négligez jamais le système médical occidental qui vous traite.
ET SI TU LAISSAIS PLEURER

TON CORPS…

L’EXEMPLE DE SÉBASTIEN : QUAND LA VIE N’A PLUS


DE SENS

Sébastien est un vieil ami de trente ans. Hyperactif, brillant, nous avons
souvent travaillé ensemble par le passé dans l’audiovisuel, avec une
complicité partagée, et un plaisir sans cesse renouvelé pour ma part. À son
contact, j’ai toujours eu le sentiment de pouvoir évoluer, m’améliorer,
innover. Il connaît mon parcours, mon travail en hypnose, il a confiance en
moi, il me téléphone pour caler une consultation.
Notre relation mélange harmonieusement amitié et collaboration
professionnelle depuis si longtemps que je crains que sa démarche
change trop nos liens. J’hésite à y répondre favorablement. Cette
demande me déstabilise et, plus encore, me donne la sensation de
me coincer entre passé et futur. Nous en parlons quelques minutes.
Ayant l’habitude de méditer et d’observer ce que je ressens, je
visualise et scanne rapidement mes craintes et mes émotions : je ne
veux pas le décevoir, je souhaite réussir à l’aider, je redoute qu’il
n’adhère pas au processus thérapeutique ou qu’il le devance au
risque de le démonter et de l’empêcher de fonctionner;
comportement récurrent chez lui. Mon mental s’emballe. Je le
constate. Je reviens à ma respiration. Je laisse le corps inspirer et
expirer à son rythme. Cela enclenche spontanément une expulsion
du souffle plus profonde, et un discret soupir s’en échappe en
libérant des tensions. Un sourire se dessine sur mes lèvres. Tout est
OK dans cet espace-temps qui me relie à Sébastien. Mes propres
envies de sabordage, ma crainte de me montrer fragile, hésitante,
vulnérable et le désir de « réussite » et de performance qui
montaient en moi ont fondu comme neige au soleil avec l’expiration
du souffle. Le processus a été agile. Je n’ai rien saisi, agrippé,
cristallisé de ce qui me traversait. J’ai dit oui à ce qui montait en
moi. Il n’y avait rien à « protéger ». Nos « neurones miroirs »8 ont
fonctionné sans nul doute à distance tout au long de notre échange
téléphonique. J’ai accueilli Sébastien comme un patient.

Trois jours après, nous nous retrouvons sur mon lieu de


consultation. Je mène l’entretien comme je le ferais pour toute
première rencontre. Ce qu’elle est, dans ce contexte, et parce que je
ne connais pas le Sébastien qui vient consulter.
L’entretien dure un peu plus de trente minutes. Il porte sur le
travail, Sébastien est au chômage depuis un an, et sur tout ce qui «
le plombe » dit-il depuis des mois. Son manque d’énergie et d’envie
de faire; sa sensation de couler, d’être dans une impasse, d’étouffer;
le manque de ses enfants jeunes adolescents qu’il voit rarement du
fait d’un divorce difficile et toujours en cours; sur la figure
totémique que représente son père, mort quand il avait douze ans, et
dont il parle avec beaucoup d’émotion. Il a été et reste son modèle.
Par devoir et amour filial, et pour lui faire « honneur », il a toujours
essayé de « rester dans les clous », de mener une vie de travail et de
famille exigeante, contraignante, précise-t-il, mais le costume de son
père est trop étroit pour lui et il craque désormais de tous les côtés.
D’où ses excès de consommation d’alcool fort et de marijuana et ses
fuites diverses.
J’ai devant moi un homme de cinquante ans, très mince – il
mange peu –, profondément triste, fatigué par la vie et de la vie,
emporté et usé par le trop-plein de tout, le visage un peu bouffi, le
teint gris, en manque de toute envie sur un plan personnel et
professionnel, dépressif selon lui. De fil en aiguille, il se livre et me
raconte que le seul endroit où il se sent bien est un lieu imaginaire.
Il ne s’autorise que rarement à y aller et à l’invoquer. « Il n’est plus
un enfant », me dit-il. Il ajoute : « Le contraste est trop violent entre
ce paradis et mon quotidien. J’ai peur de ne plus pouvoir “assumer”
ma vie si je m’évade davantage encore. »
Je lui demande s’il serait malgré tout partant pour poursuivre la
séance en nous appuyant sur cette métaphore et s’il en est d’accord
de commencer par demander au corps de se laisser déposer et
positionner dans le fauteuil de manière à ce que le processus qu’il va
induire et accompagner se déroule dans les meilleures conditions
thérapeutiques pour le corps et pour lui, Sébastien. Il est OK.
Très vite, sa colonne vertébrale, qui était avachie dans le fauteuil,
se redresse sans forcer. Le souffle gonfle l’abdomen selon un rythme
régulier. Les paupières se ferment sans la moindre sollicitation de
ma part. Sébastien est en confiance, tout s’enchaîne naturellement.
Quand les choses se déroulent ainsi, j’ai toujours la sensation que les
morceaux du puzzle invisible qui singularise la personne assise en
face de moi se remettent seuls en place pour la reconstituer
complètement, et lui donner une forme adaptée au contexte. Dès
que le corps ouvre l’espace en se laissant respirer et positionner, cela
se fait souvent comme une évidence. Comme si quelque chose
aimantait les différentes parties du patient entre elles tout en les
faisant interagir avec leurs environnements.
Je laisse Sébastien et le corps s’immerger dans cet espace et ce
moment.
Quand ils sont prêts à poursuivre, comme convenu en début de
séance, Sébastien fait un signe. Je l’invite alors à rejoindre ce lieu
dans lequel tout est pour lui à sa place, et où il se sent toujours dans
une grande et parfaite sécurité. Je lui suggère des images qui
impliquent des directions et des actions. J’ajoute la possibilité d’un
chemin un peu large où il est possible de circuler sur plusieurs voies.
D’une route facile à parcourir pour rejoindre les très hautes
montagnes derrière lesquelles se trouve cet endroit idéal et
modulable, selon ses souhaits.
Nous avançons tranquillement, puis nous demeurons un long
moment dans ce lieu spacieux, lumineux, paisible, « presque
enchanté », me dit-il.
Mais brusquement, Sébastien se referme et se crispe. Il déclare
être trop triste pour poursuivre; qu’il a envie de pleurer, que ça ne
lui ressemble pas. Je lui propose de laisser le corps respirer, de
ressentir le souffle le parcourir et de lui permettre de se reconnecter
à ses sensations dans cet environnement où il est en parfaite
sécurité, à sa place. Les minutes passent, il se détend un peu. Je lui
demande alors s’il accepterait de « laisser pleurer son corps »dans
cet espace où tout lui semble possible. Cette proposition le
déconcerte. Il hésite et dit oui. Je n’interviens plus. Le corps pleure
et emporte dans ses larmes le chagrin contenu depuis tant d’années.
Soudain, sans que j’intervienne, Sébastien se repositionne et sourit.
Je lui demande alors s’il serait d’accord pour demander aux énergies
de ce lieu où il est en parfaite sécurité de le nourrir intérieurement,
encore quelques instants. Et de faire un signe ou de dire un mot,
qu’il pourra rappeler facilement dès qu’il aura besoin d’accéder
facilement à ses ressources et retrouver ainsi une bonne forme, un
bien-être, une joie de vivre, etc.
Il est OK. Je le laisse faire.
Quand il est prêt à passer à une autre étape, je suggère à
Sébastien, s’il le souhaite, d’inviter des personnes qu’il aime, son
père, ses enfants, qui il veut.
Il sourit à nouveau, le fait, puis inscrit cette expérience en lui par
un geste qui lui permettra de la rappeler, au quotidien, aussi
souvent qu’il le désirera.
Quand il a terminé, je lui propose de revenir dans le temps et le
lieu de la consultation, en empruntant le même chemin qu’à l’aller,
mais en sens inverse, puisque cette route existe désormais dans les
deux sens. Je précise qu’il revient, s’il en est d’accord, en étant «
plein » et nourri de l’expérience qu’il vient de vivre, et en capacité
d’avoir accès à ses ressources aussi souvent qu’il le souhaitera
désormais puisque le processus thérapeutique se poursuivra dans les
jours et les semaines à venir.
Il s’étire. Nous nous retrouvons en face à face.
Je ne parle pas avec Sébastien de ce qui s’est passé dans la séance
pour ne pas faire la moindre brèche intellectuelle dans cette
expérience tout juste mémorisée par le corps.
Il me rappelle six jours plus tard. Il a trouvé du travail dans un
grand groupe audiovisuel privé. Il commence le lendemain. C’est
inattendu. Il a croisé « par hasard » un vieux copain qu’il n’avait pas
vu depuis plus de dix ans et à qui on venait de proposer un projet
qu’il avait refusé par manque de temps. Ce projet est dans les cordes
de Sébastien qui s’est empressé de postuler et ça a marché.
Avant de raccrocher, il me raconte avoir ressenti un immense
soulagement pendant la séance au moment où les larmes l’ont
submergé. Il ne s’était jamais autorisé à pleurer sur ce qu’il nomme «
son sort ». Mais dans cet endroit, son endroit, il a senti que quelque
chose pleurait en lui en le libérant de sa peine, des contraintes qu’il
s’imposait jusqu’alors pour coller à l’image idéale de son père, et
ainsi avoir le droit d’être lui-même. Il ajoute que le fait de revenir
dans son quotidien en prenant en sens inverse le chemin qui l’avait
conduit à son lieu imaginaire a changé quelque chose dans sa
manière d’être dans son monde, et au monde. Il ne peut pas définir
de quoi il s’agit, mais il dit que « depuis qu’il a “fait le retour”,
l’Univers lui semble moins duel », il se sent moins seul, et connecté
à quelque chose « qu’il ne peut ni ne veut nommer ». Il me remercie.
Je précise que ce n’est pas moi qui ai fait, que c’est lui qui s’est
ouvert au processus, qu’il sait désormais comment laisser la vie
couler en lui, et que c’est lui qu’il doit remercier pour ce qui se
passe.

Les patients ressentent souvent que je fais, avec eux, le voyage


proposé pendant la séance. Ils ont raison. Cela se nomme
l’accordage. C’est une étape fondamentale dans l’accompagnement.
C’est pourquoi j’utilise parfois le « nous » pour décrire ce qui se
passe. Mais c’est toujours celui qui consulte qui en fait l’expérience
en étant au plus près de ce qu’il est.
Le cas de Sébastien me confond de gratitude. J’ai beau savoir
que « la chance », les opportunités se manifestent lorsque les
comportements antérieurs qui faisaient souffrir la personne
changent parce qu’elle est soudainement en lien avec elle-même, les
autres, ses environnements, je suis toujours émerveillée par cette
réalité. Comme Sébastien, chacun peut au cours d’une séance
s’ajuster au contexte qui est le sien et se « guérir » du non-accordage
spatial et relationnel qu’il manifestait encore le moment précédent.
Sébastien sait désormais que s’il se sent à nouveau discordant
avec les forces qui l’entourent, il pourra réécrire par lui-même sa
partition musicale, sans se mettre de pression et sans exigence
particulière. C’est un état de grâce énergétique limpide, naturel,
auquel nous pouvons tous accéder. Tout se fait de soi-même et
par soi-même. Rien n’est recherché. En termes d’énergie, la
médecine traditionnelle asiatique et l’hypnose médicale enseignent
que la bonne santé de l’être humain repose sur des relations fluides
entre soi-même et la nature environnante. Dans le cas contraire, nos
blocages provoquent une rupture des mouvements vitaux de
coproduction et de collaboration qui existent normalement entre les
différents systèmes. D’où l’importance de « guérir énergétiquement »
pour que nos comportements s’adaptent naturellement au contexte
de l’existence.
L’hypnose, la médecine chinoise, les sagesses asiatiques nous
invitent à nous expérimenter en lien, en interdépendance, en
coproduction avec tout ce qui nous constitue et nous entoure. Notre
place, bien que modeste et banale, n’est pas anodine dans cet
ensemble. Nous sommes et participons à la vie.

8. Les neurones miroirs sont des cellules du cerveau qui s’activent quand nous faisons
une action, quand nous imaginons faire une action ou quand nous observons une autre
personne faire une action. L’action se réalise en miroir de celle faite par l’autre. L’exemple
le plus connu est le bâillement : il est fréquent que le fait de voir quelqu’un bailler
déclenche en nous un bâillement. C’est ce même processus qui agit également en partie
dans l’empathie. L’activation de ces cellules neuronales explique comment l’être humain
apprend une nouvelle tâche et comprend les intentions d’autrui.
JE DIALOGUE AVEC LE

CORPS !

« Pour retrouver le goût de vivre, il faut donner la parole à son


corps. »
François Roustang

Nous souffrons tous à un moment ou à un autre dans notre corps.


L’éducation et l’influence grandissante de communautarismes judéo-
chrétiens y contribuent, et, sans doute plus que de nombreux autres facteurs,
la mode ou les modes qui poussent à le dénigrer, le rejeter, le transformer, le
modéliser. Sous leurs influences, certaines personnes adhèrent à des normes
où elles acceptent d’être transformées en clone, sans avoir conscience de ce
que cela implique dans la construction politique, sociétale, existentielle de
leur personnalité. Dans nos sociétés égotiques, narcissiques,
exhibitionnistes, le corps idéalisé, jouet des tendances du moment, roi des
annonces de marketing, est devenu malgré les apparences et le culte qui lui
est dédié, un objet de détestation pour une partie de la population. Ce
penchant commence à s’inverser. La révolte des corps « gros » ou un peu
enrobés des femmes s’affiche désormais de temps en temps dans des
campagnes de pub dont les hommes enrobés sont encore trop souvent
absents. Chacune d’entre nous peut se reconnaître dans les rondeurs, plis,
ventres, fesses, rides, mis ainsi en lumière. C’est rassurant et surtout un
énorme pas en avant sur la conquête de notre autonomie. L’égalité homme-
femme passe par l’acceptation pleine et entière de ce que nous sommes, et
par la réconciliation avec ce corps si souvent mal aimé. Ces tentatives
encore timides contrebalancent un peu l’action délétère et insidieuse de
certains médias, groupes de pub et autres lobbies qui tentent à longueur
d’année d’imposer leur vision clanique de la mode pour promouvoir, selon
leurs codes, une image féminine et masculine acceptable pour s’intégrer et
se fondre dans la société. Leur influence et leur pression restent
considérables. Qu’on le veuille ou non, que l’on soit adolescent ou senior,
quelles que soient nos valeurs, il arrive toujours un moment dans nos
existences où l’image de notre corps qui change nous fragilise. Le
matraquage publicitaire vantant le paraître se heurte alors violemment à la
réalité du vivant que nous sommes. Quand nous subissons ces influences,
nous nous dissocions progressivement du corps, nous le malmenons, et
nous en souffrons. C’est le prix à payer pour accéder à un « bonheur
aseptisé et stéréotypé ».

ÊTRE «IN LOVE» AVEC SON CORPS

Je ne suis pas une accro de la mode. Pourtant, adolescente, puis


jeune adulte, j’ai subi et succombé à la tyrannie de la minceur
vantée par les magazines féminins. J’étais persuadée qu’adopter des
régimes drastiques m’aiderait à être mieux acceptée par mes cercles
d’amies sveltes, des beautés idéales selon mes critères. Chaque
printemps, avec une bande de filles proches, le rituel était
immuable, nous nous efforcions de suivre à la lettre les recettes
miracles vantées par les top-modèles de l’époque. Mais
contrairement à ce qui se passait pour mes complices en régime
dont la graisse fondait dès qu’elles s’en occupaient, j’échouais quant
à moi à obtenir le moindre résultat. Certains organismes ne sont pas
faits pour ce type de contrainte. Le mien râlait, tergiversait, et la
valse folle des kilos commençait dès que les calories de mes repas
s’effondraient. Devant tant de symptômes exprimant la contrariété
du corps, le cœur déchiré, je finissais par renoncer aux régimes qui
rudoyaient le malheureux. La mécanique était toujours la même.
J’essayais avec enthousiasme d’arriver à des résultats. J’échouais en
remettant en question le sens même de mon existence sociétale et
intérieure. Mon mental s’emballait. Je me dénigrais avec une
conviction et un savoir-faire rares. Je passais par une phase de
tristesse profonde où je restais cloîtrée chez moi. Je reprenais pied
et j’optais à contrecœur pour une alimentation fade, histoire de me
punir un peu. Je ne perdais pas le moindre kilo, mais mon poids se
stabilisait. Les mois passant, mon envie de maigrir revenait, en
focalisant mes pensées et mon énergie sur le but à atteindre. Le
corps n’étant pas dupe, la danse des yo-yo reprenait. Je n’avais
aucune prise sur lui. Il me faisait me sentir impuissante. Pire encore,
il dominait ma vie. J’avais le sentiment d’être emprisonnée dans une
enveloppe qui n’était pas la mienne, que je ne pouvais ni ne voulais
adopter et je la maltraitais.
Au cours des années, les thérapies, certaines pratiques du
bouddhisme m’aidèrent à repenser et à améliorer cette relation
difficile sans que je parvienne pour autant à me réconcilier vraiment
avec mon corps. Je m’en méfiais, je ne lui faisais pas confiance, je le
maintenais avec précaution à distance. Je craignais qu’il « me tire
vers le bas », m’emprisonne dans la matière, m’éloigne de toute
réalisation ou évolution spirituelle. Le mental, ce magicien du
camouflage, tenait la barre dans ce processus qui dura jusqu’à ce
que je rencontre les lyings et l’hypnose. Rien n’arrive par hasard.
Une cause produit un effet. C’est mathématique. Mais chacun de
nous est le résultat d’une somme d’influences dont nous ne pouvons
pas remonter le fil. Aussi, soyons clairs, s’il est quasiment impossible
de déterminer l’origine d’une cause, nous pouvons cependant agir
sur ses effets, sur son résultat. Ce qui commence, comme
l’enseignent la plupart des grandes sagesses du monde, par regarder
telle qu’elle est la situation qui se présente à nous dans l’instant,
sans chercher à la transformer, à l’expliquer, à la nier. La réalité ne
se négocie pas. « Ce qui est, est, sans un second », dit le grand
maître, Swami Prajnanpad. Mais dire « oui », sans qu’interviennent
les pensées et les émotions, est un long apprentissage.
L’hypnose accéléra pour moi le processus qui mit fin au scénario
catastrophe qui dictait mes relations nocives avec mon corps. Les
impressions qui me restent de la séance où le déclic se fit demeurent
très présentes dans ma mémoire. J’étais arrivée au rendez-vous avec
François Roustang pleine d’une tristesse et d’une souffrance qui me
laissaient vide de tout, y compris du désir de faire. Persuadée que
rien de particulier ne se passerait, j’avais pris position dans le
fauteuil, sans me sentir très concernée par le déroulement de la
séance. Très vite, des larmes étaient montées à mes yeux fermés. Sur
le moment, cela me fâcha et me contraria d’être aussi réactive. Mais,
à ma grande surprise, je perçus très vite qu’elles agissaient en
nettoyant en partie le chaos de mon esprit, de mes cellules. Quelque
chose s’apaisait, se réarrangeait, se replaçait, se remettait droit
en moi. Je le ressentais intensément. À un moment que je situerais
à mi-chemin environ de l’expérience virtuelle que menait mon
imagination, le corps se mit à respirer autrement, à son rythme, en
étant libre de l’influence des larmes. J’éprouvais le sentiment
curieux que les organes se calaient sur lui pour respirer à leur tour à
son rythme. Qu’ils étaient à la fois autonomes et en relations. Ce
processus me propulsait dans l’intimité du corps, sans éprouver de
peur. Je le découvrais agissant, vivant. Je ressentais une forme
d’ivresse intérieure, un vertige. Je me souviens d’être sortie un peu
sonnée du rendez-vous, et d’avoir un peu oscillé en rentrant chez
moi. Je me sentais déconnectée, « à l’ouest », tout en ayant la
certitude d’avoir eu la chance de vivre quelque chose de
fondamental. Les semaines qui suivirent, mon quotidien m’apporta
la réponse. Tout était chamboulé. Des changements s’enclenchaient
dans ma façon de vivre. Mon addiction au pain et au lait
disparaissait. J’étais plus ancrée dans le présent. Certaines
inquiétudes s’effaçaient. Les pensées et les émotions si promptes à
intriguer ensemble habituellement quand il s’agissait de percuter et
de détruire tout équilibre récent me fichaient une paix royale.
J’avais d’évidence franchi une porte qui s’ouvrait sur un espace où
le vivant s’exprimait en transformant mes relations avec ce corps
encore si décrié les jours précédents. J’en ressentis une certaine
euphorie. Elle ne dura pas. Mais pour une fois, cela ne m’alarma
pas. Je savais, et cela s’est vérifié par la suite, que certains retours
en arrière ne seraient plus possibles. Il y a une douceur à cohabiter
avec le rythme naturel de l’existence. Quand c’est le cas, le corps
incorpore les sensations et se vit augmenté par les relations fluides
et interactives qui s’établissent, dans les deux sens, avec ses
environnements. La peau n’est plus la limite, la barrière
infranchissable qui nous sépare des autres et du monde. Les
sensations que nous expérimentons se font légères et délicates.
Quand cela cesse, peu importe, l’essentiel est d’en garder le goût et
de pouvoir rappeler cette expérience aussi souvent que nous le
souhaitons quand nos pensées et nos émotions se bloquent et nous
figent.
L’hypnose favorise cette relation différente au corps. Elle n’est pas
magique pour autant. Aucune thérapie ne l’est. Ce n’est ni un Graal
ni la panacée à tous les problèmes. Certains patients fascinés par la
dextérité, le charme et le magnétisme de leur thérapeute affirment
parfois qu’il les a sauvés. Ce n’est pas ce que j’en dirais. L’hypnose
n’est pas un nouveau culte rendu à des « enchanteurs » dont les
prouesses et rites permettraient à leur patientèle de retrouver le
chemin du paradis perdu. L’hypnose telle que je l’ai apprise ne nous
sauve pas. C’est le patient, emmené par le thérapeute, qui trouve en
lui les ressources qui le conduisent à transformer la pathologie ou le
trouble pour lequel il consulte. Cela passe par la mise en place d’un
accord, d’une alliance, d’une forme d’alchimie relationnelle
confiante. Le soignant rejoint celui qu’il accompagne au cœur de son
humanité, sans éclat, sans chercher à réaliser quoi que ce soit pour
lui. C’est le patient qui bosse. Rien ne se fait sans lui. C’est lui qui
donne le rythme à la séance et au processus « de guérison ». C’est lui
qui sait comment et à quelle vitesse sortir d’une focalisation
négative du corps et installer une relation différente avec lui en cas
d’addiction, de phobie. Chaque corps s’exprime de manière
singulière dans ce processus. L’hypnose aide à l’entendre et à
prendre acte de ses paroles, de ses sensations, de ses actions. Je l’ai
constaté en consultation.

DE L’INFLUENCE DES SAGESSES TRADITIONNELLES

En ce qui me concerne, les voies des sagesses philosophiques et


médicales indo-asiatiques et bouddhistes que j’ai suivies et
pratiquées pendant les trois quarts de ma vie ont indiscutablement
influencé ce processus. S’il m’a fallu du temps pour ne plus avoir de
relation tronquée avec mon corps, elles n’en sont pas pour autant
responsables. À l’époque, je ne supportais pas l’épreuve de
l’incarnation. Ce corps « parlant » et agissant au présent, je l’ai
approché et côtoyé grâce notamment aux écrits et aux pratiques de
Swami Prajnanpad et de Gu Meisheng. Ils sont deux exemples de la
concordance des sagesses du monde sur ce sujet. Je n’ai pas
rencontré Swami Prajnanpad de son vivant. Je l’ai découvert, jeune
adolescente, grâce à Arnaud Desjardins. Né dans une famille pauvre
de brahmanes, ancien professeur d’université formé à la spiritualité,
à la psychanalyse et à Freud, ce grand maître indien a changé la vie
de milliers de personnes dans le monde. Je suis l’une d’entre elles.
Sa pertinence, sa puissance, sa méthode à la fois thérapeutique et
spirituelle faite de lyings et de sittings, la profondeur de sa pensée
m’inspirent toujours au quotidien. Il est pour moi l’un des grands
sages du XXe siècle. J’ai eu la chance de pratiquer ce qu’il avait
enseigné grâce à l’un de ses disciples, médecin-psychiatre,
Christophe Massin. Il est difficile d’expliquer ce qu’est le lying, il faut
le vivre, le traverser, pour commencer à avoir un aperçu de ce qui se
joue à ce moment-là. Voilà ce qu’en dit, entre autres choses,
Christophe : « La personne, partant de ses attirances et
répulsions, cherche à vivre une expérience de non-dualité, de
totale acceptation, avec ses émotions. » En ce qui me concerne, je
n’ai pas cherché à réaliser consciemment cette union. Au début, ma
douleur de vivre était trop violente pour cela. Ma priorité était de
m’en débarrasser à tout prix. Le rituel immuable qui présidait à
chaque rendez-vous chez Christophe m’aidait à rentrer dans le
processus du lying dès la porte d’entrée passée. Je me déchaussais,
nous le faisions tous, et ce premier geste marquait pour moi une
séparation symbolique essentielle entre l’extérieur et mon espace
intérieur. Puis, j’empruntais un escalier qui me paraissait abrupt,
bien que ne l’étant pas, pour rejoindre le bureau de Christophe et
pénétrer dans la petite pièce adjacente. Au cours des années, le
matelas posé à même le sol a accueilli sans danger toutes les
douleurs du monde, dont les miennes, sous forme de gestes, paroles,
cris, larmes, terreur, désespoir. Tout se jouait là pour chacun d’entre
nous. Je ne préparais rien. Le prévisible n’avait pas de place ici. Je
me laissais emporter par ce qui se passait. À peine assise, le plus
souvent, une souffrance terrible montait en moi en suscitant le
besoin presque animal de m’allonger. La mémoire, les émotions,
l’inconscient, les sens dirigeaient les mouvements. Je ne les pensais
pas. Je ne les anticipais pas. Ils disaient mes refus de la réalité.
Certains, violents, impérieux, tordaient le corps. D’autres semblaient
surfer sur une énergie plus douce dont je ne soupçonnais rien
l’instant précédent. Les impulsions surgissaient selon un rythme
propre à une histoire que je ne connaissais pas quelques minutes
plus tôt ou que j’avais étouffée, refoulée, pour oublier notamment
une enfance et une adolescence meurtries. La respiration m’aidait
parfois à m’abandonner davantage encore, à laisser des associations
se faire, à « revivre » des expériences passées fondatrices, et pour
moi « réelles », puisqu’elles prenaient toute la place dans mon esprit,
y compris quand elles semblaient imaginées. Je pleurais beaucoup.
Puis, sans savoir comment cela se déclenchait, un déclic se faisait.
La tension se relâchait. Le calme arrivait. Quelque chose s’était vidé.
J’en sortais souvent épuisée, parfois sereine et soulagée. Ce qui se
vit en lying, dont Arnaud Desjardins disait qu’il consistait à « sauter
dans les flammes de l’enfer là où elles sont les plus hautes », dépend
de notre histoire personnelle. Chacun y apporte des scénarii
spécifiques et singuliers qui le conduisent à expérimenter un réel,
pour lui indiscutable, et à goûter à l’unité l’espace d’un instant qui
dure, ou pas. Cette pratique du non-faire, du non-agir, pensée par
Swamiji pour nous amener à accepter ce qui est tel que c’est,
conduit le corps à vivre sur les plans organiques, émotionnels,
sensitifs l’histoire que le mental apporte dans le moment. Swamiji
disait à son propos : « Il ne s’agit pas de brimer l’ego, mais de
l’ouvrir pour qu’il devienne un cercle si large qu’il ne puisse plus
rien entourer, un cercle au rayon infini, une ligne droite ! » Le lying
le permet en nous incarnant dans le présent, dans ce temps du corps
libéré du mental. Les dernières années avant le départ à la retraite
de Christophe, les sittings, où nous étions assis presque face à face,
ont naturellement succédé aux lyings.
L’enseignement de Gu Meisheng nous conviait également à faire
cette expérience du corps vivant au présent. J’ai eu la chance de
rencontrer Gu Meisheng en 1984 et de le suivre les quelques années
où il enseigna en France, à la Sorbonne et au Collège de France. Né
en 1926, ce grand érudit et immense pratiquant du bouddhisme, du
taoïsme et du taï-chi-chuan avait étudié les sciences économiques à
Shanghai et à Paris où il avait passé son doctorat. En 1984, lors de
ses premiers séjours en France, nous étions à peine une dizaine
d’acupuncteurs et de passionnés de la Chine et de ses traditions à
avoir le privilège d’être enseignés et formés par lui au taï-chi-chuan,
dans un appartement de Montparnasse. Cet être exceptionnel,
délicat comme il convenait à un remarquable lettré chinois, était
très exigeant dans sa pratique. Aucune concession ne lui semblait
possible si on choisissait de suivre la voie qu’il nous transmettait.
Les deux premières années, je me souviens de ses doutes quant à nos
capacités à nous exercer et à pratiquer. Élevé et formé à l’ancienne,
ayant continué malgré les énormes risques encourus à transmettre
son art pendant l’ère Mao où toutes les sciences traditionnelles
devaient disparaître, il pensait les Occidentaux gâtés plus que
nécessaire, dissociés de leurs corps et situés à l’excès dans « leurs
têtes », et donc pas assez sensibles pour percevoir un peu de la
subtilité et de la puissance du Qi, l’énergie qui régit toute vie. Pour
lui, tout procédait du Qi dans le corps et l’Univers. Il nous montrait
par la pratique comment chacun de nous pouvait avoir accès à cette
réalité. Il n’en parlait pas. La spéculation intellectuelle, la religion et
l’investigation scientifique étaient pour lui inutiles dans ce domaine.
Un « homme vrai était celui qui n’avait pas perdu son cœur de
nouveau-né », rappelait-il très souvent. Son livre de référence, le Tao
Te King de Lao-tseu, était l’un des sésames théoriques qu’il nous
incitait à lire et à méditer pour tenter de décrypter un peu de sa
pratique du non-agir. Comme en hypnose, tous nos repères devaient
s’effacer pour nous permettre d’avancer dans le processus. Auprès de
lui et des enseignants de médecine traditionnelle ou des langues O’9,
j’ai découvert la vie foisonnante du corps en yin et yang, des
énergies partagées avec les cinq éléments de l’Univers. Ces théories,
très éloignées de la pensée occidentale, me passionnaient. J’aimais
particulièrement travailler sur les symboles associés aux organes.
Découvrir la complexité des mouvements énergétiques entre
l’homme et l’Univers. Comment par exemple le foie est associé à
l’élément bois, au printemps, à la couleur verte, au vent, à l’aube, à
la saveur acide, au blé, à la sortie des énergies, à la colère, à la
vision, aux ongles, etc. Comment chaque organe est ainsi relié à
l’ensemble de la nature humaine et cosmique. J’utilise parfois la
richesse et la puissance de ces symboles en hypnose. Quand le corps
s’appuie sur eux, il se reconnaît dans leur énergie, se détend, et se
laisse être sans rien faire ni attendre de particulier, dans le moment.
Comme le disent les Asiatiques : « Ce n’est que quand l’on arrive à
ne plus penser du tout qu’à la longue on prend conscience que
l’on est. »

« NE RIEN FAIRE ET IL N’Y A RIEN QUI NE SE FASSE »

Pour terminer ce chapitre, je voudrais partager avec vous un


moment que j’ai vécu et qui dit la spontanéité et la banalité de
l’action du non-agir dans le quotidien, et combien les choses sont
toujours moins compliquées à vivre que ce que l’on imagine.
Le non-agir se produit quand les pensées cessent de nous envahir,
de nous dominer, de devenir obsessionnelles, de nous couper de la
réalité et de la vie du corps, pour lui permettre de s’adapter et de
s’ancrer dans le contexte. C’est ce qui s’est passé pour moi lors d’un
voyage en Crète. Jeune étudiante en médecine, loin de mes repères
habituels, une angoisse terrible m’avait submergée. J’étais épuisée.
Je venais de traverser une rupture amoureuse difficile et je remettais
en question mes capacités à soigner lorsque je serais diplômée. Je ne
savais pas comment gérer cette détresse. Je ne me sentais pas à la
hauteur de mes désirs et ambitions. Incapable de partager avec mes
amis le tsunami qui me brisait intérieurement, je m’étais « enfuie »
littéralement de la petite maison où nous résidions. J’avais laissé un
mot sur la table pour que personne ne s’inquiète si je rentrais tard.
J’espérais que me promener seule sur les petites routes mal
goudronnées de l’île me viderait la tête. Mais ni la marche ni la
beauté des paysages ne parvinrent à desserrer mon plexus et les
nœuds dans mon ventre. Cela avait duré des heures. Je m’étais
perdue dans des chemins de traverse. Quand j’avais eu faim et soif,
j’avais cueilli ici et là des figues juteuses, sucrées et gorgées de soleil
qui avaient stimulé mon palais et mes sens. Fatiguée d’avoir trop
marché, épuisée par mon angoisse, assommée par mes émotions, je
m’étais résolue à m’asseoir sur une petite colline face à la mer. Très
vite, des larmes avaient coulé sans retenue. Le soir tombant, le soleil
avait enlacé les flots dans une danse d’amour et de couleur
éblouissante et bouleversante. Face à tant de beauté, tous mes sens
avaient participé à cet enchantement. Sans que je fasse ou pense
quoi que ce soit, je m’étais sentie vivante, en lien avec la nature qui
m’entourait et acceptée par elle telle que j’étais. Elle m’incluait dans
son énergie, j’en faisais partie. L’angoisse, le stress, la peur, la
tristesse avaient disparu. La vie me traversait en m’éveillant à une
dimension de moi-même qui m’était inconnue : j’étais à ma place.
De nombreuses années se sont écoulées depuis. Mais quand je
doute, que je me sens désorientée, que je manque de recul, que cette
dissonance me broie, je me reconnecte à ce souvenir et à cette
puissance de la vie en moi. La sensation a évolué bien sûr depuis la
Crète. Chaque rappel de ma mémoire la transforme. Mais quand la
tempête traverse notre quotidien, nous avons tous la possibilité de
nous reconnecter à une expérience de ce type pour redonner la
parole et l’action au corps et accueillir sans crainte l’énergie qui se
présente.

Pas à pas sur le chemin de la transformation

Nous arrivons à une séance avec un thérapeute en étant le


plus souvent tiraillés entre le passé et le futur et avec un sac
à dos plein d’émotions et de pensées automatiques qui
nous font vivre en étant dissociés du corps. Nous ne savons
plus nous adapter au contexte. Avec l’accord du patient, le
thérapeute ne rejette pas, n’occulte pas le mental. Il prend
en compte ses expressions sous forme d’angoisse, de
stress, de phobie ou autre pour lui permettre d’en faire,
pendant la séance, le terreau actif de la transformation.
L’expérience qui se déroule pendant le processus
hypnotique s’appuie sur ces données pour donner une place
active au corps qui devient sentant, parlant, vivant. Ce qui
participe à lever naturellement les blocages apportés par le
patient en début de séance. Le corps se vit alors «
augmenté », car en lien sensitif avec ses environnements. Il
participe avec l’esprit, ensemble, à cette dynamique. Ils
forment symboliquement une molécule d’ADN dont chaque
brin est en interaction et qui n’est faite que d’énergie.
À la fin de la séance, le processus thérapeutique se poursuit
à son rythme. Souvent, le patient se sent plus en forme,
mieux dans ses pompes. Et si le corps rencontre de
nouveaux blocages, il les exprime. Les exercices proposés
dans cet ouvrage aident à les lever.
« Ne rien faire et il n’y a rien qui ne se fasse » : cette
phrase fondamentale reste souvent difficile à mettre en
œuvre. Quoi qu’il en soit, cette invitation me semble
répondre tout particulièrement aux besoins et aux
nécessités de notre époque, et de chacun d’entre nous.
Cette proposition considère chaque personne de manière
globale et non segmentaire, en étant libre de toute velléité
de pouvoir, de réussir et de volonté de faire, tel un
intermédiaire neutre entre l’Univers – nos environnements –
et les autres ou l’autre. L’importance est aussi de laisser le
corps se placer comme il le veut dans l’espace de l’instant
pour qu’il soit disponible, de manière totalement inclusive, à
ce qu’est la réalité tout entière. Processus qui désamorce
toute velléité du mental de concevoir, fantasmer ou vouloir
accomplir « la réalité » selon ses normes. Enfin, cette
phrase est aussi un merveilleux écho au non-agir et au non-
savoir, cette posture intérieure et extérieure si chère à la
sagesse asiatique et au bouddhisme. Quand l’assise, la
posture, se fait ainsi, il n’y a alors plus rien à éviter ou à
rechercher de soi. Aucune pensée, aucune émotion et
aucune sensation à écarter. Tout est accueilli sans poser de
jugement, y compris la souffrance qui dit l’effort de la
pensée pour nous situer hors de nous et du corps. Chaque
chose est à sa place, sans que nous sachions même qu’elle
a une place à occuper. Toute référence identitaire s’efface. Il
n’est plus question d’être humble, adroit, performant, etc.;
toute chose qui créerait de nouvelles identités qu’il faudrait
déconstruire. Et l’espace intérieur ainsi libéré permet à
l’énergie d’agir – via le corps – telle qu’elle est.

9. L’Institut national des langues et civilisations orientales, dit Langues O.


QUAND LE CORPS PREND LES

CHOSES EN MAIN

L’EXEMPLE DE LOUIS : QUAND LE CORPS RENONCE


AU TABAC

Louis, quarante-cinq ans, réalisateur, en couple, sans enfant, aime


voyager, la fiction, les rencontres. Curieux du monde et des autres, il
aime partager ses découvertes et ses coups de cœur dans des documentaires
qu’il réalise.
Ancien dépendant aux drogues « dures », habitué à
se «déraciner », et aux ruptures de cadre de travail et affectives,
Louis consulte pour diminuer sa consommation de cigarettes. Il
fume plus de trois paquets par jour et dit que son corps n’en peut
plus. Il est asthmatique, a pris du poids, a un foie énorme, sa
circulation sanguine n’est pas bonne, ses jambes enflent
régulièrement quand il fait chaud, il a des difficultés à bouger, etc.
Il précise avoir une relation maniaque, mais non obsessionnelle à
la cigarette, pouvoir s’en passer sans aucune difficulté en avion ou
en tournage, et mettre la même énergie à fumer et y penser qu’il le
faisait auparavant avec la drogue.
Dès qu’il s’ennuie, il le ressent dans son corps et il éprouve le
besoin de fumer.
La cigarette lui permet de s’évader. Elle est une diversion, mais il
ne supporte plus cette relation de dépendance, plus perverse, dit-il,
que la drogue, car contrairement aux drogues dont on perçoit les
effets plus ou moins rapidement, on ne la voit pas agir et elle est de
plus en vente libre, ce qui la rend anodine et encore plus
dangereuse.
L’ennui domine ses pulsions. Il se rend compte que cette
dépendance lui nuit en tournage; que son corps commence à caler,
et qu’il est temps de moins fumer.

Je l’invite à prendre le temps de laisser le corps s’installer à sa


guise, comme il le souhaite sur le divan, de manière à ce qu’il soit le
plus confortable possible, et de ressentir en allant de bas en haut,
tranquillement, à son rythme, les appuis des pieds, des membres, du
dos, des épaules, de la nuque, contre le sol, les coussins… Et au fur
et à mesure que le corps fait ce voyage, de ressentir peut-être une
pesanteur, ou au contraire, une légèreté; une sensation de fraîcheur
ou bien une douce chaleur; des différences de sensations entre le
côté droit et le côté gauche, ou pas. Puis, d’ajouter peut-être des
couleurs, des sons, et tout ce que le corps raconte de ses envies sur
ce chemin. C’est lui qui sait comment il souhaite faire ce voyage
intérieur et physique pour se sentir de plus en plus détendu, de
mieux en mieux, à sa place, en harmonie, en paix.
Je lui suggère ensuite de laisser le souffle respirer le corps en
prolongeant les expirations et les inspirations, en lien avec ses
difficultés asthmatiques.
Ses paupières se ferment et il entre très vite dans le processus
hypnotique. Son corps est détendu, sa respiration abdominale, son
visage relaxé, ses mains posées sur le ventre.
Je lui propose de faire appel dès qu’il le souhaitera aux
ressources, aux capacités qui sont en lui, pour changer sa relation à
la cigarette.
Louis est réalisateur, il aime la fiction, être ailleurs, imaginer,
voyager, créer, sentir par tous les pores de sa peau et éprouver avec
tous ses sens les lieux et situations dans lesquelles il se trouve.
Quand il filme, il « capte » les ambiances, les sons, les odeurs, les
personnes, les matières, les situations, de manière presque animale.
Ce n’est pas la raison qui le dirige, mais son instinct, ses tripes, c’est
pour cela qu’au moment du tournage son corps a besoin d’être
stable, ancré, enraciné dans le sol et le moment. Position qu’il
adopte d’instinct.
Je poursuis la séance en lui proposant comme convenu en début
de rendez-vous de se projeter dans un lieu réel passé ou présent ou
dans un endroit imaginaire de son choix dans lequel il se sentira
parfaitement bien. Je lui indique qu’il peut ajouter les ambiances,
les sons, les couleurs, les personnes, les musiques, les sensations, qui
en feront un endroit de parfaite sécurité pour lui. Je ne l’inonde pas
de propositions, et je me contente de suggérer par petites touches
pour le laisser libre de créer cet endroit qui lui ressemblera et
l’apaisera. Je l’invite à faire l’expérience de se sentir vivre à
l’intérieur de cet espace où personne ne peut entrer sans son accord;
à savourer ou tout simplement apprécier ce qu’il ressent, et la
détente que procure peut-être le fait de se sentir tout simplement à
sa place, entier, enraciné, d’instant en instant.
Dans ce lieu, je lui propose ensuite de réaliser s’il en a envie et s’il
ressent que c’est juste pour lui dans le moment un documentaire ou
un court-métrage, ou bien encore un long métrage ou une animation
en 3D, ou ce qu’il souhaite, pour être au plus près de ce qu’il veut
montrer de la relation du corps et de la cigarette, de leurs
dépendances, et comment il est possible de transformer tout cela
pour en devenir libre, comme le corps le souhaite.
Je lui rappelle qu’il est à la fois le maître d’œuvre, le scénariste, le
décorateur, le réalisateur, le monteur, et le premier téléspectateur
de cette histoire de réalité scénarisée qui met en scène le corps et la
cigarette. Et que tout est possible ici, y compris de s’ennuyer
énormément, sans que le corps ait envie ou besoin de prendre une
cigarette. Je propose à son corps de ressentir de l’ennui et de le
savourer. Et de voir s’il peut dans le moment se passer de cigarette.
Après quelques instants, Louis m’indique que nous pouvons
poursuivre. Je l’invite à écrire la suite du scénario et à me faire
signe dès qu’il a envie de commencer ce tournage.
D’un signe de la tête, il dit qu’il est prêt à tourner.
Je lui suggère de commencer par montrer la manière dont le
tabac agit sur lui, les poumons noirs, encrassés et asphyxiés par le
goudron et la nicotine; la bouche pâteuse; l’haleine chargée; la
respiration difficile; la fatigue du cœur; la lourdeur du sang dans les
artères, les veines; la peau qui se grise; les organes qui « toussent »
peut-être aussi à leur façon. De monter en images tout ce qu’il
ressent par rapport à la cigarette, de parler de cette relation
passionnelle qu’il entretient avec elle. De le faire librement. Il n’y a
pas de tabou, pas de jugement, tout est possible. Tout peut être dit
et montré.
Quand cette partie est terminée, je lui propose d’expliquer au
corps, toujours en images, pourquoi il est temps pour lui de
transformer sa relation à la cigarette. Je lui rappelle que laisser la
cigarette est possible pour son corps puisqu’il sait déjà le faire en
voyage et en tournage, sans même y penser, sans s’ennuyer, qu’il
aime peut-être même l’absence de la cigarette, et le fait de se sentir
libre. Il connaît cette expérience. Il peut donc la refaire autant qu’il
le souhaite, à son rythme, et la reproduire dans la vie quotidienne.
Je lui propose ensuite d’écouter les paroles que dit le corps dans
ce nouveau contexte et de les mettre en images. Il acquiesce.
Avec les précautions d’usage, je lui demande s’il serait d’accord,
pour conclure ce tournage, d’imaginer un happy end au cours duquel
le corps pourra se lever, bondir de joie, respirer à pleins poumons
ou toute autre chose qui exprimera qu’il est en pleine forme, vivant.
Je lui précise qu’il pourra ensuite, dans son quotidien, visionner
ce documentaire ou le court-métrage ou toute autre chose qu’il
réalise autant de fois qu’il le voudra et que chaque fois il pourra
ajouter des éléments si son corps le souhaite, pour renforcer le
sentiment de liberté et d’autonomie qu’il vient d’expérimenter. Et
qu’il pourra ainsi se retrouver au présent dans ce lieu qui est réel,
qu’il a construit, qui est son domaine, dans lequel tout est possible
pour lui, y compris respirer à pleins poumons, aussi souvent qu’il le
souhaitera, simplement en mettant en place un signal qui le
ramènera facilement à cette expérience.
Je termine en l’invitant à ouvrir les yeux pour revenir dans ce lieu
et maintenant.

Fin de séance : Louis souhaite la débriefer, je temporise; le


processus se poursuivant, nous en parlerons une autre fois. Il veut
prendre un second rendez-vous de manière à organiser son
planning. Je lui demande à nouveau d’attendre. Il me rappelle
quinze jours après, et me dit qu’il n’a pratiquement pas fumé depuis
la première consultation et que lui proposer ce processus de tourner
un documentaire a rendu les choses plus concrètes et faciles pour
lui. Il ajoute : « J’ai l’impression que cela s’est inscrit dans mon
corps et que j’écoute ses signaux plus facilement maintenant. »
J’ai revu Louis une fois en consultation. Il fume aujourd’hui moins
d’un paquet par jour. Il dit avoir besoin de conserver ce lien à la
cigarette encore un moment.
EXERCICE DE TRANSFORMATION : FAIRE
UN RESET DE VOS CONDITIONNEMENTS

« Vous êtes ce que vous êtes, ici et maintenant, dans la situation


présente. C’est le seul moi que vous connaissez. Partez de là, car
c’est la seule réalité dont vous avez conscience. Et continuez à aller
de l’avant, parce que vous êtes un processus dynamique.
Soyez fidèle à vous-même, intellectuellement, émotionnellement, et
en action ! Ne vous divisez pas entre ce que vous êtes ici et
maintenant relativement et ce que vous devriez être. »
Swami Prajnanpad

Leconditionnements
principe de cet exercice est de remettre à zéro tout ou partie de vos
mentaux, dans l’instant, pour permettre au corps de
reprendre la parole, d’agir, de se sentir et de s’éprouver comme s’il venait
de naître au monde et à lui-même.
Pour cela, je vous propose si vous le pouvez de vous lever et de
marcher en silence quelques minutes, à votre rythme, sans suivre un
plan précis. Vous pouvez soit demeurer dans la pièce où vous vous
trouvez, soit choisir de le faire à l’extérieur, peu importe. Mettez-
vous en position debout. Si vous êtes alité ou que vous devez rester
assis, quelle qu’en soit la raison, vous pouvez faire cet exercice sans
bouger de l’endroit où vous êtes. Le résultat sera identique. Adaptez
à votre situation les suggestions suivantes.

Immobile, les pieds bien ancrés dans le sol, le dos droit autant que
possible, la nuque dans son prolongement, laissez le mouvement
naturel de la respiration se faire et posez votre regard sur un point
fixe devant vous ou, entre les sourcils, si vous préférez laisser les
paupières se fermer. Quand le corps et votre esprit inconscient sont
prêts à approfondir le processus en cours, laissez les paupières
s’ouvrir et commencez à marcher, sans aucun but, en regardant ce
qui vous entoure comme si vous le découvriez pour la première fois
et que vous veniez de naître dans cet espace et cette réalité. Cela va
vous permettre de faire une expérience inédite, neuve, et de
découvrir un monde inconnu.
Ne dirigez rien. Laissez le corps avancer, s’arrêter, bouger à
son rythme, sans rien décider pour lui. Si cela ne vous semble pas
évident, essayez de percevoir en vous la partie qui agit librement,
sans l’aide de l’intellect, en se reliant à l’énergie qui l’environne.
Cette énergie vous « respire », elle permet la circulation du sang
dans vos veines et vos artères, fait bouger vos muscles des yeux, des
lèvres, des doigts, et d’autres parties du corps, selon vos possibilités.
Sans rien chercher à obtenir ou à réaliser, laissez le corps uni à votre
inconscient créatif, votre puissance de vie et de guérison se
connecter à cette énergie. Elle est le flux naturel, dynamique,
incessant, du vivant en vous. Elle vous traverse naturellement, elle a
un rythme propre, elle est en relations étroites et constantes avec
vos environnements, et elle collabore et coopère avec eux pour
apporter au corps tout ce dont il a besoin pour assurer ses fonctions.
Laissez-la nourrir, amplifier vos sens, afin que chaque cellule
ressente, écoute, perçoive, sente, touche, goûte, à sa manière,
l’expérience qu’elle rencontre quand vous êtes libéré des pensées et
des émotions conflictuelles qui vous emportent habituellement dans
le quotidien.
Pour faciliter ce processus, vous pouvez vous visualiser sous
l’aspect d’une énergie de la forme, de la couleur et de la consistance
que vous voulez, comme cela vous vient naturellement dans le
moment, et vous relier par ce biais « au ciel, à la Terre et aux
autres ». Cette énergie est la vie, le mouvement. Elle participe à tout
ce qui existe dans le monde visible et invisible. Elle vous constitue
et vous anime.
Observez ce que vos sens perçoivent, sans donner de nom, sans
classifier, sans adjoindre de pensée ni d’émotion à ce qui se
présente. Votre esprit ne définit plus rien, il ne nomme plus, ne
classe pas, ne catégorise pas. Il est simplement vivant.
Prenez votre temps. Que vous marchiez ou pas, c’est le corps qui
sait, qui sent, qui perçoit via l’intuition qui s’éveille ce qu’il doit
faire. Des images apparaissent, des sons semblent peut-être surgir de
nulle part, des odeurs, des saveurs…; laissez faire, tout est OK, tout
n’est que mouvements fluides et changeants de la vie.
Laissez les sensations vous amplifier, vous augmenter, vous
relier à l’Univers. Laissez-vous devenir le monde et le monde
devenir vous. Observez si c’est le cas que le sentiment de
séparation qui existait en début d’exercice entre vous et ce que vous
perceviez s’efface peu à peu.
Si au début de cet exercice, vous vous sentez un peu perdu, vous
ne savez pas trop quoi faire ni penser, c’est parfait. Il n’y a rien
d’autre à faire que de laisser agir le corps, les sens, le souffle, qu’à
vous laisser porter.
Faites confiance à votre corps et à votre esprit. Ils ont eu une
consigne de départ : marcher, avancer, sentir, éprouver sans but et
sans rien nommer. Ils le font. Laissez-les guider naturellement la
marche, vos sens, votre regard. Laissez votre esprit observer le réel
tel qu’il le voit sous forme d’énergie quand il ne qualifie rien.
Si les pensées, les émotions pointent leur nez, ce qui est un
phénomène naturel, et que vos habitudes mentales reprennent
parfois le dessus, ne vous inquiétez pas, laissez-les faire et notez
intérieurement la manière dont elles nomment les éléments qu’elles
perçoivent. Si c’est détaillé et que le mental précise la couleur,
l’épaisseur, le genre, etc., revenez à une approche plus directe et
dites alors à voix haute : fleur, peau, chaussure, sol, femme, homme.
Faites de même si des souvenirs remontent, nommez-les sobrement :
enfant, conjoint, travail, collègue, etc. En procédant ainsi, pensées et
émotions passent sans s’arrêter, vous ne vous identifiez pas à elles et
vous vous en libérez peu à peu.
Poursuivez votre démarche sans nommer ce que vous voyez. Et
savourez cette expérience sans chercher à la saisir, en appréciant
tous ses aspects. Comme si vous dégustiez un fruit dont la saveur, le
goût, la texture nourrissaient chaque organe de votre corps.
Remarquez la sensation de plénitude et la joie qui se répandent en
vous quand vous vivez ainsi l’espace-temps dans lequel vous vous
situez. Et choisissez un code, un geste, ou toute autre chose qui vous
permettra de refaire cette expérience dès que vous le souhaiterez.
Pour terminer cet exercice, respirez profondément, étirez-vous et
ancrez-vous dans cette expérience du moment.

Faites cet exercice dix à quinze minutes au début, pas plus. Puis
adoptez la durée en fonction de ce que vous sentez nécessaire dans
le moment.

Le simple fait de percevoir les allers-retours du mental et la


manière dont il revient à toute vitesse bardé d’émotions et de
pensées, pour s’agripper à des concepts, à des croyances, à des
habitudes qui vous enferment, vous montre comment il influe sur
votre perception des obstacles que vous rencontrez dans votre
quotidien.
Ici, le mental est déstabilisé et apprend à se taire quand vous
faites cet exercice où rien n’existe par avance. Le passé n’intervient
plus, les craintes de l’avenir non plus. Le monde qui se dessine grâce
aux sensations éprouvées par le corps uni à l’esprit inconscient en
devient forcément inédit, fluide, créatif; et c’est libérateur, joyeux,
réjouissant. Le mental occupe une juste place, et tout change
naturellement. Les choses et nous-mêmes, tout est comme cela doit
être, et se fait au moment opportun. Et nous nous éveillons à la
réalité.
LE BONHEUR DE TROUVER SA

PLACE

« Il suffit de s’asseoir convenablement pour être guéri. S’asseoir de


façon à être en accord avec son propre espace et son propre
espace existentiel et pouvoir tenir compte de tout ce qui fait votre
existence. »
François Roustang

C’est des années après ma rencontre avec François Roustang que j’ai
découvert cette phrase. Je n’avais pas cherché à l’époque à savoir ce
qui s’était passé en confiant le corps au fauteuil du cabinet, du thérapeute.
J’avais conservé de ce rendez-vous la sensation délicieuse et libératrice
d’avoir vite lâché toute envie, toute velléité de faire, et le soulagement
éprouvé quand une partie de moi avait abandonné jusqu’à l’idée même
d’obtenir un mieux-être. Le corps en épousant l’espace du fauteuil s’était
débarrassé dans les pleurs du chagrin sourd et intense qui accompagnait
mes pas depuis des années et dont je ne supportais plus l’emprise, de mon
obstination à vouloir tout saisir, sans cesse, pour tenter de me rassurer; et
mon quotidien en avait été doucement changé. Depuis, les choses se
faisaient à leur rythme. Je ne cherchais plus, ou de moins en moins, de
réponses aux questions qui me décentraient, me « dé-corporalisaient » dès
qu’elles mettaient en mots mes angoisses. Et moins la tête pensait autour de
son principal sujet de préoccupation – moi, souffrante –, plus je
m’éprouvais joyeusement vivante. Le corps était devenu mon meilleur allié,
ma boussole intérieure. Il m’indiquait désormais sans se tromper ni me
leurrer comment je marchais dans, et avec le monde. J’avais confiance en
lui. C’était déconcertant, mais indiscutable et durable.
Aujourd’hui, quand il arrive que je sois décentrée, fatiguée, que la
mécanique se grippe, je le remarque aussitôt, et je donne rendez-
vous au corps sans attendre, en utilisant certains des exercices
présentés ici. Je l’invite à s’articuler, à son rythme, sans le forcer,
sans rien exiger de lui, avec ce qui l’entoure, dans le moment. À se
poser simplement dans l’espace qu’il occupe, et à reprendre sa place.
Dès qu’il se raccorde, chaque cellule le sent. Les pensées et les
émotions parties en vadrouille dans le passé et le futur cessent leurs
déplacements désordonnés. Ça respire tout seul. Mon plexus et mes
mâchoires se décrispent et se desserrent, et le corps se détend tout
entier. Avec le temps, j’ai appris à accepter et même à apprécier que
les éléments qui le composent et l’animent soient sans cesse en
mouvement et que sa position intérieure change selon les
circonstances au point, parfois, de se désaccorder. Je sais que c’est
toujours ponctuel, et que surfer, adhérer, ne faire qu’un avec le
vivant suppose ces flux en forme de montagnes russes. Chaque
mouvement est cyclique et composé d’un début, d’un apogée,
et d’une fin. Cet enchaînement de naissances et de morts
métaphoriques et sensitives permet une circulation différente
de l’énergie grâce à laquelle les concepts et les croyances peuvent
se dissoudre en partie ou en totalité, et les sensations se transformer,
s’amplifier, s’incarner. Et c’est captivant.

LE BONHEUR DE NE PLUS VOULOIR OCCUPER UNE


PLACE DÉFINITIVE

Nous avons tous la capacité de trouver une place qui soit adaptée
à notre contexte. Cet accordage se fait spontanément en laissant la
situation nous ajuster quand nous n’écoutons pas le mental-ego râler
parce qu’elle ne ressemble en rien à ce que ses critères demandent.
Mais ça, c’est une histoire qui ne nous concerne plus, quand nous
sommes alignés en nous-mêmes. Quand c’est le cas, le mental-ego
n’intervient pas, il ne se compare plus à qui que ce soit, et il ne
cherche plus à atteindre un bonheur parfait, définitif et inoxydable
tel que celui vanté par la société actuelle ou de nombreuses
traditions religieuses.
Notre éducation nous conditionne à vouloir de manière presque
obsessionnelle une forme d’excellence dans tous les domaines. Une
belle vie, un conjoint pourvu de nombreuses qualités, une situation
familiale et professionnelle enviable, une bonne santé, des enfants
magnifiques, intelligents et sages. Et plus que toute autre chose, en
creux, à essayer de donner du sens aux événements en saupoudrant
nos expériences de poudre à perlimpinpin intellectuelle pour
justifier nos comportements, et ne pas souffrir. Mais en procédant
ainsi, nous vivons de plus en plus corps et esprit dissociés, ce qui
conduit le corps à se manifester bruyamment pour attirer notre
attention, via notamment les addictions, phobies, angoisses, etc.
Reste qu’il n’est pas facile d’abandonner ces comportements. Le faire
est en général très déstabilisant. Y renoncer oblige à se séparer
d’habitudes profondément ancrées en nous et dans nos familles. Nos
repères et nos réflexes changent. Tout est à réapprendre. Cela crée
en nous un vide immense. Nous sommes désarçonnés. Nous ne
savons plus qu’attendre de la vie, que lui réclamer. Nous avançons à
tâtons sur un chemin dont nous n’avons pas la carte, en apprenant à
nous relier simplement à ce qui est, dans l’instant. Et c’est un sacré
apprentissage.
Différentes méthodes, dont l’hypnose, accompagnent ces
processus. C’est souvent déconcertant et plein de surprises. Quand
j’ai rencontré François Roustang, j’avais déjà beaucoup travaillé à
tenter de me libérer de mes croyances, de mes peurs, de mes envies
de perfection, et de mon besoin d’être LA bonne élève de la vie. Je
n’y étais pas parvenue. J’avais beau m’en défendre, le nier, je restais
imbibée par certains principes religieux inculqués pendant mon
enfance par ma famille catholique, très pratiquante. Chez nous, le
corps était un ennemi. Il représentait un obstacle majeur sur une
voie spirituelle. Il n’avait aucune légitimité à occuper une vraie
place. Bien que je me sois échappée avant mon bac de ce milieu «
sclérosant », le corps me faisait mal, je le délaissais ou le maltraitais
selon les moments; je le blessais, le reniais. Je ne pouvais ni ne
désirais m’incarner en lui. Je voulais de manière obsessionnelle être
parfaite sans lui, n’être qu’un pur esprit. Et cela dura jusqu’à ce que
François Roustang provoque le déclic qui autorisa le corps, pour la
première fois depuis le ventre de ma mère, à occuper pleinement sa
place. Posé dans le fauteuil, je le sentais vibrer de plus en plus fort
au fur et à mesure que le déconditionnement des pensées et des
émotions opérait. La volonté, les mots, la peur ne le bloquant plus,
l’énergie circulait différemment. L’incertain et la banalité
réjouissante du quotidien reprenaient leurs droits. Cela me
soulageait. Cela me convenait. Je pouvais me « foutre la paix ».

L’ART DES MÉTAPHORES

Suite à cette expérience, je constatais, surprise, que la mémoire


des expériences passées me revenait. Saturée, fatiguée par ce que
j’avais traversé ces dernières années, je l’avais enclavée, emmurée
profondément. Je pensais ne jamais pouvoir la retrouver. Mes
proches, agacés de me voir oublier une grande partie de ce que je
leur disais, me le faisaient souvent remarquer. Mais cela ne
changeait rien. Une part de moi refusait de retenir quoi que ce soit
de plus. Je ne voulais plus de cette masse de souvenirs qui me
tiraient vers le passé, récent ou lointain, trop souvent,
douloureusement. Je les occultais donc en vrac, les bons et les
mauvais, avec une facilité déconcertante. Mais depuis la séance avec
François Roustang, certains refaisaient surface. Ni nostalgiques ni
difficiles, ils se contentaient de me reconnecter à des rencontres
importantes que j’avais oubliées alors qu’elles m’avaient nourrie,
appris et qu’elles avaient été une chance pour moi. Celle avec le
mime Marceau dans les années 1990 avait été de celles-là. J’avais eu
la chance de le rencontrer à l’occasion d’une interview pour le
magazine Nouvelles Clés. Magnifique et étrange Pierrot lunaire, il
définissait son art théâtral comme un art des métamorphoses dont il
disait : « Si je mime le vent, je deviens le vent, dans son volume,
dans son poids. Par la marche, je donne l’impression de lutter contre
lui. Je rends concret l’imaginaire en manifestant l’impalpable,
l’indicible. En sculptant l’espace à partir du vide et en effaçant
l’instant que je viens de créer, je fais apparaître des objets et des
situations. » J’avais assisté, fascinée, à son spectacle. Chaque geste
faisait éclore un mouvement qui posait un acte dont la vie jaillissait.
Il dansait le vide, l’humain, la nature, en nous faisant participer au
premier jour de la création du monde. Chaque forme épurée allait à
l’essentiel et témoignait d’une transcendance indicible. Tout était
dit, sans mot, des liens et des gestes qui nous unissaient entre nous
et avec l’Univers.
Je compris bien plus tard que nous étions là au cœur du processus
hypnotique. Je retrouvais dans les propos du mime Marceau ce que
disaient les docteurs Jean-Marc Benhaiem et Patrick Richard lors
des premiers cours donnés à la Pitié-Salpêtrière quand ils
enseignaient : « Imaginer faire en hypnose, c’est faire. » Au cours
d’une séance, le patient crée une expérience inédite grâce à laquelle
il découvre ses propres ressources et les solutions qui lui
permettront de résoudre le problème auquel il est confronté. De
retour dans son quotidien, le « virtuel devient réel pour lui, et son
expérience s’inscrit dans sa mémoire », comme le prouvent les
neurosciences. Cela explique que cette expérience soit reproductible,
durable, et agissante tant qu’elle demeure adaptée au contexte du
patient. Quand ce n’est plus le cas, la personne le ressent. Une
angoisse, une tristesse, ou toute autre chose monte en elle, pour lui
signifier qu’elle est désaccordée avec elle-même et ses
environnements. À ce moment-là, si elle le souhaite, elle peut, sans
l’aide du thérapeute, rappeler dans sa mémoire le signe encodé
pendant la séance et retrouver ainsi le chemin vers ses ressources.
C’est toujours la dernière expérience qui est remémorée, le patient y
a donc un accès direct.
Le thérapeute participe à ce processus. Comme le fait le patient, le
soignant laisse son corps prendre sa place et inscrire sur une page
vierge les mouvements qui se jouent en lui et entre lui et la personne
venue le consulter. Il entre en résonance avec elle. Une coproduction,
une collaboration se joue entre eux. D’une certaine manière, ils font
œuvre commune.
Cette manière d’aborder la thérapie montre que l’hypnose
s’adresse toujours au « malade » et non au symptôme. Cette
démarche me touche. Elle rejoint celle de la médecine traditionnelle
chinoise pour qui l’être humain n’est pas définissable en fonction de
ses pathologies, mais en prenant en compte ses relations avec lui-
même, ses environnements et les autres. Dans cette tradition,
comme en hypnose, un dérèglement, une maladie, une souffrance,
un mal-être expriment toujours un problème de place de la personne
avec elle-même et avec ce qui l’entoure. Pour le percevoir, le
médecin chinois se devait d’être, autrefois, un canal neutre. En
Chine, la légende fait remonter cette recommandation à 5 000 ans
av. J.-C., à l’époque où régnait le fameux « empereur jaune ». Huang
Di demandait alors aux thérapeutes qui l’accompagnaient de savoir
décrypter les mouvements et les énergies qui façonnaient,
spécifiaient, influençaient les individus en lien avec les énergies du
Ciel et de la Terre. Tout étant lié et en résonance, procéder ainsi
permettait d’anticiper les maladies et les troubles chez les humains,
la société, l’Univers, et de faire de la prévention. On retrouve ce
principe dans le bouddhisme, la science quantique, et la systémique
de Bateson et Watzlawick de l’école de Palo Alto pour qui, tout étant
en interaction, le changement de position ou la modification aussi
minime soit-elle d’un seul élément dans un système se répercute sur
le monde entier. C’est aussi ce qu’exprime l’effet papillon quand il
est dit que le simple battement d’ailes d’un papillon à Paris est
susceptible de provoquer un tsunami au Japon. C’est pourquoi, en
médecine traditionnelle chinoise comme en hypnose, il est si
important que le thérapeute soit un intermédiaire neutre entre le
patient et ses forces de guérison. Et que passeur d’influences, il
agisse, comme au cours d’une prise d’arts martiaux, en renvoyant
l’énergie qu’il reçoit du patient au patient afin qu’il la transforme.

CE QUE JE SUIS INFLUE SUR CE QUI M’ENTOURE


Les problèmes de place dans un système concernent donc
l’ensemble de la société. Cette donnée n’est pas assez prise en
compte en Occident, ce qui conduit à de nombreux excès et dérives.
Dans nos sociétés, vieillir n’est plus accepté par exemple comme
étant une étape naturelle. Ce qui désorganise nos structures
psychiques et sociétales. La mort et la maladie sont cachées. On
parle de « longue maladie » pour ne pas citer le cancer comme s’il
s’agissait d’une chose honteuse. Et le mental, conditionné par la
mode et différents critères marketing pour se fixer à un âge idoine et
une forme physique jugée idéale, le fait en bloquant
psychologiquement les corps dans des états soumis par les
apparences, et les personnes en souffrent. Quand ce n’est pas le cas,
non seulement les êtres peuvent s’inscrire et se visualiser dans un
cycle de vie « normal », et somme toute terriblement naturel et
rassurant, et leur vitalité s’en trouve évidemment changée. Ayant eu
le privilège de côtoyer depuis plus de trente ans le dalaï-lama et un
grand nombre de vieux maîtres tibétains de soixante-dix, quatre-
vingts ans ou plus, j’ai souvent constaté combien leur dynamisme et
leur énergie étonnante témoignaient d’un mental « à sa place » et
d’un corps aligné sur son contexte. Malgré des emplois du temps
surchargés, contrairement à nous qui les suivions, ils ne
manifestaient ni stress ni épuisement. Le temps de leur vie est le
présent. Le changement est la règle. Quelque chose en eux sait
s’adapter. À l’inverse, quand le mental tient la barre en se fixant sur
des critères non réels, nous refusons ce que nous sommes dans
l’instant, nous nous jugeons, nous ne nous acceptons pas, nous nous
désaccordons et nous sommes épuisés. Les obstacles qui se
manifestent alors sont des signes que le corps nous adresse pour
indiquer que nous sommes dissociés de la réalité.
En hypnose, le soignant prend tout cela en compte, sa position,
celle du patient, les interactions avec la société et l’Univers. En cas
de maladie, de dépression, d’addiction, et chaque fois que le
mouvement de la vie se bloque en nous, l’une des actions majeures
de l’hypnose est de nous réassocier au corps en lui permettant
d’occuper une juste place pour accéder à ses ressources et à sa
créativité, d’instant en instant. Les événements et les rencontres se
synchronisent alors sans effort pour répondre à nos besoins.

Pas à pas sur le chemin de la transformation


Ce processus :

s’adresse au malade et non à la maladie;


donne la parole au corps;
l’invite en plusieurs étapes à trouver sa place dans l’ici et
l’instant;
est un processus de réconciliation avec soi-même;
modifie la relation aux croyances, aux pensées
obsessionnelles et aux automatismes de comportements
concernant des addictions, des souffrances, des traumas;
met en perspective les troubles en les faisant passer d’une
position centrale à une situation plus extérieure;
change la situation du symptôme en le désenclavant et en
l’ouvrant à l’ensemble des éléments qui participent à la vie
de la personne;
permet de retrouver, de créer un lien différent entre le corps
et notre esprit de sagesse universelle pour s’appuyer sur
ses propres forces de guérison et s’ouvrir au monde
autrement.
L’expérience virtuelle, réelle, utilise les mêmes circuits
neuronaux qu’une expérience faite dans le quotidien. Elle
est modifiable, durable et reproductible.
Cette approche énergétique et holistique parfois complexe
pour nous, Occidentaux, atteste que rien n’existe
séparément, mais que tout se coproduit, se complète et
mute en permanence dans le monde visible et invisible. Elle
conduit à observer et à donner la parole au symptôme sans
le séparer de ses interactions et de son contexte, et à ne
pas le saisir comme étant une identité à prendre en compte
de manière exclusive. Les transformations opèrent dès que
le corps et l’esprit unis commencent à faire sereinement et
en confiance un voyage aux repères inconnus – le
changement de contexte et la réassociation. Comme le dit
François Roustang : « L’esprit devient corps et inversement
et tout pense de concert grâce à i’hypnose. Cela en ne
faisant rien, sans renoncer à ses pensées, sans jamais ne
vouloir penser à rien… » Dans ce contexte, la fin de la
séance ne clôt pas le processus, mais ouvre sur sa mise en
action dans le réel.
RIEN N’ARRIVE PAR HASARD !

L’EXEMPLE DE SIMONE : ÊTRE MÈRE

Rien n’arrive par hasard. Le cas de Simone est typique d’un problème de
place.
Lorsqu’elle vient consulter, la jeune femme de trente-huit ans
tente, depuis plusieurs années, d’avoir un enfant avec son
compagnon. Elle a rencontré Jean-Louis juste après le décès de sa
mère avec qui elle avait une relation fusionnelle. Il n’y a pas de
conflit dans le couple, elle s’y sent bien et se dit prête à accueillir un
enfant. Cadre supérieur, elle travaille beaucoup, fait de nombreuses
présentations qui se terminent tard le soir, prend beaucoup de notes
à la main : elle aime la sensualité de l’écriture, cela l’aide à
mémoriser quand elle monte ses dossiers. Elle s’organise toujours
pour passer des week-ends avec Jean-Louis, leurs amis, leurs
familles. N’étant stériles ni l’un ni l’autre, ils ne comprennent pas
pourquoi « ça bloque ». L’une des proches de Simone lui ayant
recommandé l’hypnose pour se détendre et se reconnecter à son
corps pour favoriser, selon elle, une grossesse, elle vient consulter.
Lors de l’entretien, qui prend une tout autre tournure que le motif
de consultation annoncé, elle parle à plusieurs reprises du décès de
sa mère, il y a cinq ans. Elle dit être depuis percluse de douleurs
chroniques, en grande partie les mêmes que celles de sa mère avant
son décès. Sa mère dont elle était très proche était hospitalisée en
province. Son état s’étant dégradé très vite, Simone n’a pas pu la
rejoindre dans les temps pour lui dire au revoir. Elle en ressent
depuis de la culpabilité et un grand chagrin. Les douleurs sont
apparues progressivement après les obsèques. Elle a consulté divers
spécialistes qui n’ont pas trouvé de causes organiques et qui lui ont
donné des traitements à prendre lors des crises douloureuses.
Ce qui émerge d’emblée de cet entretien : le sentiment de Simone
d’être enfermée, limitée dans sa vie par les troubles et les douleurs
apparus à la suite du choc affectif provoqué par la mort de sa mère.
Sa culpabilité née du fait de ne pas lui avoir dit au revoir, de penser
ne pas avoir été là pour elle, d’avoir été dans une forme de déni par
rapport à la maladie.
Je lui demande si elle serait d’accord pour « travailler » d’abord
sur les douleurs – elle accepte –, et si elle a remarqué que son corps
manifestait des symptômes en miroir avec ceux qu’avait sa mère.
Elle l’a déjà un peu évoqué dans l’interrogatoire, elle acquiesce.
Je termine cette approche en lui demandant si elle serait d’accord
pour déplacer, transformer, renégocier la relation qu’elle entretient
avec sa mère via son corps, et pour construire un nouveau lien avec
elle. Elle est OK.
Le déroulé de la séance est ici très résumé : chaque étape a en
effet été réalisée en proposant diverses options à Simone.
Simone est assise dans un fauteuil aux couleurs claires en face de
moi. Nous entrons dans le processus hypnotique en nous focalisant
sur la respiration, puis sur un point devant elle, et en laissant le
corps s’installer dans le fauteuil.
Dès que son esprit et son corps sont prêts à passer à une autre
phase, elle fait un signe qui signifie que, comme nous en avions
convenu, le processus thérapeutique a débuté pour elle.
La séance se déroule pas à pas jusqu’au moment où Simone rejoint
un lieu où elle se sent bien, en sécurité, ouverte, à sa place, en lien
et en parfaite harmonie avec elle-même et ses environnements.
Je lui suggère alors d’écrire dans cet endroit où rien n’est encore
écrit la relation qu’elle voudrait avoir désormais avec sa mère. Puis,
quand elle a terminé de rédiger, de mettre ce récit en scène pour en
faire l’expérience dans cet espace de totale sécurité, le sien, où tout
est à sa juste place. Je l’invite ensuite à y convier sa mère si elle le
souhaite. Ce qu’elle fait. Je lui suggère alors, lorsque la partie
inconsciente de son être et son esprit seront prêts, de lui parler, de
lui dire qu’elle l’aime ou peut-être pas, et tout ce qu’elle ne lui a pas
encore dit, et qu’elle souhaite lui dire… d’échanger avec elle… de
lui expliquer qu’elle lui manque au point de reproduire ses réactions
et ses symptômes, jusque dans son corps, ou de faire toute autre
chose comme la prendre dans ses bras, se blottir contre elle, ou
encore la regarder si elle préfère dans les yeux, sans parler, avec
amour, tendresse… Je précise aussi qu’elle peut la laisser dans un
coin si telle est son envie, et que c’est elle qui sait comment elle veut
qu’elles se positionnent toutes les deux pour qu’elles aient une
relation d’adulte à adulte, de cœur à cœur, de mère à fille.
Simone, émue, a les larmes aux yeux. Elle ne les ouvre pas; nous
poursuivons l’expérience.
Je lui propose de terminer en disant à sa mère que maintenant
que ce lien est créé, que la parole est établie et qu’elles occupent
chacune une juste place, le corps de Simone va naturellement
trouver son espace, sa place, être complètement présent à lui-même,
et « se guérir » si tel est son souhait.
Je l’invite à observer que le corps est sans doute de plus en plus
confortable, à sa place, accordé avec sa réalité, qu’il n’a plus besoin
d’avoir mal pour conserver un lien avec sa mère. Et je lui propose de
laisser le passé derrière elle, de saluer sa mère et de la remercier de
l’avoir accompagnée jusque dans ce lieu de parfaite sécurité.
J’ajoute que si Simone le souhaite, elle peut aussi remercier son
corps de faire cette route avec elle, avec tant de bienveillance.
Pour conclure, je lui propose de choisir un code qui lui permettra
de revenir dans cet endroit aussi souvent qu’elle le souhaitera quand
elle ressentira de l’inconfort dans son corps, dans sa vie, ou pour
dialoguer au présent avec sa mère ou avec toute autre personne.

Cette première séance a duré une heure environ. J’ai revu Simone
un mois plus tard : plus de 50 % des douleurs avaient disparu. Puis
encore à distance d’un mois. Elle se sentait beaucoup mieux et
pouvait, disait-elle, « inviter maintenant un enfant à venir la
rejoindre ».
Nous avons fait une séance « d’invitation et d’accueil » du bébé.
Je ne l’ai pas revu depuis.

Simone a su aller chercher en elle les ressources pour résoudre le


problème de relation qu’elle avait avec sa mère depuis son décès, et
pour mettre fin à la culpabilité qu’elle en éprouvait et qui
l’empêchait d’une certaine manière de poursuivre sa lignée. Elle m’a
dit par la suite que son absence au chevet de sa mère lui avait retiré
symboliquement toute légitimité à procréer. C’est son interprétation.
Elle est donc juste pour elle.
Le processus que nous avons mis en place a aidé Simone à se
réajuster en disant au revoir à sa mère et en l’incluant autrement
dans sa vie. Le corps réagissait à une cause précise. La séance ayant
pris en compte la cause, le corps a ensuite peu à peu éliminé les
douleurs qui ne lui appartenaient pas, et a trouvé sa place dans ce
nouveau contexte.
EXERCICE DE TRANSFORMATION :
TROUVER SA PLACE EN CHANGEANT SON
MODE DE RELATION AU MONDE

« Tout ce que vous sentez comme existant à l’extérieur, absorbez-le


en vous… Pour casser l’ego, vous devez vous déployer… Jusqu’à
présent, d’une certaine façon, vous n’avez fait que vous projeter à
l’extérieur ou plutôt, vous faisiez quoi ? Vous vous mettiez à
l’extérieur. Maintenant, mettez les autres choses en vous. »
Swami Prajnanpad

Jetrouver
vous propose de lâcher les identifications qui vous empêchent de
votre place au présent, et de vous mettre à l’écoute de votre
manière de percevoir votre quotidien, en commençant par inverser la
manière de penser et de nommer les choses. Faites-le intérieurement, pour
vous-même, ou à voix basse.
Exemple : ne dites pas, je vais mettre du poisson au four, mais le
poisson est mis dans le four; je conduis, mais la voiture est conduite; j’ai
un enfant, mais cet enfant a X pour mère; je bois du thé, mais le thé est
bu; je me lave, mais l’eau lave le corps; le matin : j’ouvre les yeux, mais
les yeux s’ouvrent et ce corps et cet être prennent leur place dans le
monde; je me lave les dents, mais les dents sont lavées, etc.
C’est un peu déstabilisant au début, mais en procédant ainsi, vous
ne vous positionnez plus comme si vous étiez le centre de votre
monde et cela agit spontanément, sans rien faire d’autre, sur vos
ruminations et vos émotions négatives qui diminuent. En procédant
ainsi, vous faites cet indispensable pas de côté que l’hypnose
propose. Petit à petit, vous observez que « ça respire plus
profondément et tranquillement », et que tout est facilité. Le corps
se détend, le sang circule mieux, les organes fonctionnent sans subir
le stress du mental et des pensées, les douleurs chroniques se font
moins présentes, l’esprit est plus serein, l’emprise des addictions et
des phobies se desserre, les émotions se canalisent d’elles-mêmes.
Essayez et vous constaterez assez vite combien cette manière
d’être en relation avec les objets, les animaux, les humains, tout ce
qui vous entoure, génère une réelle quiétude. Vous n’êtes plus le
centre du monde, le monde s’invite autrement dans votre perception
et cela change tout.
Cet exercice permet au corps de s’accorder à ses environnements
et d’occuper une juste place dans l’instant. C’est une expérience
fugace du présent. Il est donc recommandé de la faire aussi souvent
que possible dans la journée. C’est un apprentissage de ce qu’est
l’action spontanée quand n’interviennent ni la personnalité, ni la
pensée, ni l’émotion.
Ici, vous n’êtes pas mis en avant et vous n’êtes pas omniprésent
dans la relation avec l’objet ou l’élément concerné. Ce sont eux qui
font et agissent en quelque sorte pour vous. Le mouvement est
inversé. C’est amusant, libérateur et réjouissant à faire.
Prenez cet entraînement comme un jeu qui vous permet de vous
mettre en vacances de votre personnalité, tout en vous détendant et
en vous faisant du bien.
Ne vous inquiétez pas si les pensées se mobilisent beaucoup au
début pour essayer de vous éloigner de cette manière de vous situer
dans le monde. C’est normal. Remarquez-le aussi simplement que
vous le feriez si vous constatiez que le temps extérieur est beau ou
gris ou pluvieux, ce qui ne nécessiterait aucun commentaire
supplémentaire. Laissez-les vivre leur vie, sans les interpréter, ni les
retenir, ni les chasser, elles partiront d’elles-mêmes.
COMMENT J’AI APPRIS À

FAIRE CONFIANCE À MES


RESSOURCES

« Pour être heureux, pour être bien portant, pour être en mouvement
dans la direction de la vie qui est nôtre, il ne faut ni chercher son
sens ni encore moins vouloir lui donner un sens. Il faut s’y laisser
tomber, un point c’est tout. »
François Roustang

J’aipratiquants.
grandi à la campagne dans une famille de paysans catholiques, très
C’était l’usage dans ce coin d’Aveyron dépourvu de tout
confort où seul Dieu, la Vierge, et les saints étaient à même de recevoir et
de comprendre les prières de ceux qui se tournaient vers eux pour implorer
un peu de clémence et de douceur dans leur quotidien si ardu. L’existence
dans les fermes obéissait aux aléas du climat. Dans mon village, « le
Bourg », composé de six familles, adultes et enfants se soumettaient aux
flux des saisons, en sachant que personne ne pouvait aller contre. Le
matériel agricole, trop onéreux, ne permettait pas de dominer la nature. Elle
commandait aux hommes. Il aurait été sacrilège de penser le contraire. Son
rythme impulsait à nos vies des cadences éphémères et une attente
tranquille, inconnues aujourd’hui. L’été, un soleil éclatant brûlait sans
retenue nos peaux et nos champs. L’hiver, un vent mordant nous saisissait
fréquemment jusqu’à l’os et la neige rendait les routes et les chemins
impraticables. Parfois, pendant ces grands froids, nous n’étions pas
scolarisés et les travaux des champs s’arrêtaient. À la maison, les jours
s’égrenaient lentement autour de la cour fermée par un lourd portail en bois
gris. Les femmes transformaient les filles de la maison en Bibendum en
multipliant les couches de vêtements. Sous la robe, le pantalon, et au
minimum deux pulls patiemment tricotés au coin du feu au moment des
veillées. Nous devancions la mode actuelle qui autorise ce genre
d’associations. Ainsi accoutrées, nos mouvements n’étant pas facilités, nous
étions presque sages. La cuisine étant le seul endroit chauffé de la maison,
nous y mangions et nous nous y calfeutrions près du poêle à bois. Les fins
d’après-midi, avant que la nuit tombe, si mon oncle et mon grand-père
l’autorisaient, nous sortions avec eux nous occuper des bêtes. Dans ces
périodes sans fin où l’ennui dominait, les heures gonflaient d’un coup,
comme nous. Nous étions trois cousines. Deux années me séparaient de
Rosy et neuf mois de Clairette. Elles étaient sœurs. J’étais une pièce
rapportée. Nos relations étaient compliquées. De caractère très différent, les
bagarres alternaient avec les moments où, accroupies, serrées les unes
contre les autres dans un coin de la pièce « à vivre », nous chuchotions pour
nous raconter des histoires auxquelles les grands n’étaient jamais conviés.
Ces moments m’ont appris, en creux, la difficulté pour les enfants de vivre
en famille recomposée 10. La fonte des hautes congères signait la fin de nos
huis clos. Les enfants retrouvaient leurs camarades de classe et les hommes,
les autres villageois, pour procéder aux premiers travaux extérieurs de
l’année. Nous aimions ce train-train dans lequel nous nous sentions libres,
comblées, à notre place, en confiance, ainsi posées dans le rythme naturel et
simple de la vie. Nous manquions de tout ce superflu qui encombre nos vies
maintenant. Nous ne le savions pas. Nous ne nous comparions pas encore
au reste du pays. L’arrivée de la première télévision du village en noir et
blanc dans ma famille au cœur des années 1960 ne changea pas nos
habitudes. Jusqu’à mon départ à Paris, à quinze ans, nous continuâmes à
procéder à de rapides toilettes à l’eau froide et glacée dans l’évier de la
souillarde, le matin, avant de partir à l’école. L’hygiène était sommaire. Pas
de salle de bains ni de W.-C. Le brossage succinct des dents, deux à trois
fois par semaine, s’achevait en passant et repassant avec entrain un torchon
propre sur les plus apparentes, pour lustrer un sourire que nous espérions
ainsi plus éclatant. Mon grand-père, prudent, nous surveillait du coin de
l’œil. Ce rituel lui paraissait étrange et surtout inutile. Il craignait un
incident, que nos précieuses quenottes se déchaussent. Mais pour nous, tout
cela paraissait normal. Tout comme de voir nos vieux consacrer aussi
souvent que possible leurs temps de pause de la journée et du soir à prier.
Ils y retrouvaient un peu d’espoir et, avec lui, la confiance en leurs destins
si rugueux. Leur foi était grande. Elle leur donnait le courage d’exister. Pas
un après-midi ne s’achevait sans qu’avant de dîner, nous ne rendions grâce
pour la journée écoulée, et ne demandions aide et protection pour nous
permettre de devenir de bonnes personnes. Si les hommes n’étaient pas
rentrés des étables, le repas étant prêt, une soupe épaisse mijotant
immanquablement sur la cuisinière en fonte, ma tante et ma grand-mère
profitaient du temps qui leur restait pour réciter des rosaires. Nous les
écoutions en nous ennuyant répéter à haute voix des suites interminables de
Je vous salue Marie et de Notre Père. Le fou rire nous guettait souvent. Si
elles étaient de bonne humeur, nous évitions un sermon moralisateur, et
elles nous racontaient des épisodes de la vie de Jésus et des saints pour faire
patienter nos estomacs affamés. Cela nous distrayait un peu. À l’époque,
Tintin n’était pas rentré dans la maison. Les BD étaient un luxe. Seuls la
Bible, le missel et le journal local du jour relataient pour nous les
soubresauts du monde. Aussi nous écoutions avec attention ces récits
épiques semés d’embûches et d’obstacles à dépasser. Ils nous faisaient rêver
tout en nous inquiétant. Tous se concluaient par la mort de ces bienheureux
dans des conditions horribles. Nous étions des pioupious, le sens de ces
tortures nous échappait. Nous ne comprenions pas non plus les raisons de
ces pieuses activités qui se concluaient inévitablement par un rappel ému
des noms des derniers décédés. Leur évocation semblait calmer les
souffrances des femmes, dont beaucoup avaient perdu des bébés ou des
petits en bas âge. Elles avaient confiance en Dieu. Leur espoir dans la vie se
jouait chaque soir dans le dialogue qu’elles instauraient avec lui.

DE L’INFLUENCE DES HABITUDES ET DES RITUELS

Marquée par ces moments particuliers, c’est donc naturellement


qu’en me tournant vers le bouddhisme l’année de mon baccalauréat,
j’ai adopté la pratique de la récitation des mantras sans me poser de
question. Ces formules codifiées, supports de prières et de
méditations, transmises de génération en génération de maîtres et
de disciples s’égrènent chez les Tibétains à l’aide d’un chapelet, un
mala, et se psalmodient à l’infini dans un grand nombre de
pratiques. Sans le remarquer, je reproduisais les gestes mêmes qui
me hérissaient quand mes proches les accomplissaient. Les sons
sortant de ma bouche étaient certes plus exotiques, mais les
déplacements des doigts faisant passer un à un les grains de bois ou
de pierres semi-précieuses entre le pouce et l’index étaient en tous
points comparables. Ces mouvements universels, répétés à
l’identique dans toutes les religions, rassemblent depuis des siècles
des milliers d’hommes et de femmes de tout âge dans la prière. Au-
delà des dogmes qui les séparent parfois, tous implorent ainsi de
l’aide de puissances « supérieures » pour se libérer de leurs
souffrances, et la consolation de leurs tourments et de ceux de leurs
proches. Cet acte de pure dévotion témoigne de la confiance
inébranlable du pratiquant dans sa religion. Mon atavisme
m’appelant naturellement à m’y plier, je me soumis donc moi aussi,
un temps, à ce rituel rassurant et apaisant recommandé par les
maîtres. Lorsque je pris conscience des automatismes qui me
dirigeaient, je dus admettre, consternée, que je ressemblais malgré
moi aux croyants de ma famille. Je désirais tant m’en émanciper, «
penser et croire » autrement, m’imaginer être une femme libre dans
ma manière d’avoir la foi en une transcendance, que cela m’agaça et
me contraria beaucoup. Mais l’évidence ne se refuse pas. Pour
compenser un peu ces habitudes et ne pas rester enfermée dans mon
histoire familiale, je décidais de renoncer un temps à ce rite et de
me consacrer davantage à l’étude des textes fondateurs du
bouddhisme. J’espérais que leur connaissance m’élèverait,
m’inspirerait, me guiderait en confiance vers plus de cohérence
intérieure. Les résultats ne furent pas au rendez-vous. Je manquais
de rigueur, de constance. Suivre ce chemin était moins aisé
qu’escompté. Étant très assidue dans mes pratiques et mes lectures,
j’attendais sans me l’avouer bien sûr un petit coup de main des
déités et dieux du bouddhisme de l’Himalaya. Je les priais et les
invoquais avec une telle ardeur que j’espérais qu’ils me
débarrasseraient, sans trop d’efforts, des aspects de mon caractère
qui m’empêchaient d’accéder à la fameuse paix de l’esprit louée par
tant de nonnes et de moines. Aucun miracle ne se produisit.
Certaines pensées, émotions, et peurs omniprésentes et « omni-
agissantes » façonnaient mon existence en induisant des réactions,
sources d’obstacles, de souffrance, d’échec, dans le travail et dans
mes relations. Je les subissais. Je ne comprenais pas que ces
difficultés me bousculaient pour me faire bouger intérieurement;
que leur boulot consistait à saper mon refus de la réalité; qu’elles
étaient des « éveilleuses » qui me poussaient à découvrir et à
explorer mes ressources et à remettre en perspective les « histoires »
que je me racontais à mon propos – nous le faisons tous – pour
justifier mes comportements à mes propres yeux. La vie et la survie
s’affrontaient en moi en essayant de prendre le dessus à tour de rôle.
Il me fallut du temps pour que mes résistances s’amoindrissent et
que la partie de mon esprit qui me reliait à la sagesse innée que
nous possédons tous commence à s’activer un petit peu. Mais dès
lors, il fut clair que deux options, pas une de plus, se présentaient à
moi. Soit continuer à me maltraiter, à me dénigrer, à aller de plus
en plus mal et à « me perdre » en essayant de fuir ce que j’étais, en
me dissociant de moi-même de plus en plus. Soit accepter de me
poser et de m’établir en moi-même pour cesser de séparer le bon
grain, mes qualités, de l’ivraie, mes défauts, et me rencontrer enfin
en totalité, telle que j’étais, à mon rythme, et avec bienveillance. Je
savais intuitivement et viscéralement que je ne pouvais pas
continuer à me fuir comme je l’avais fait jusqu’à présent; qu’il
était temps pour moi de m’accepter telle que j’étais, pour «
travailler » avec le matériau brut qui me constituait. Face au
vide d’un précipice, il est prudent et raisonnable d’aller vers ce qui
nous en sauve. J’entérinais donc ce dernier choix.
Je n’étais qu’au début d’un chemin qui se poursuit encore. Les
épreuves ne disparurent pas d’un coup. Cela me convenait. Je
préférais éviter « les miracles » pour ne pas risquer de m’illusionner
sur moi-même. Je savais la tentation grande et possible. Au cours
des années, l’impact des difficultés se réduisit cependant petit à petit
de lui-même, au fur et à mesure que je me raccordais à moi-même.
Au début, ce fut déstabilisant. Mes projections habituelles
s’évaporant peu à peu, j’avais le sentiment de marcher sans filet sur
un étroit fil d’acier tendu entre deux immenses montagnes. Je
n’avais pas peur. La vie pulsait en moi. C’était frais, inédit,
revigorant, joyeux. Il y avait des hauts et des bas, et il y en a
toujours, mais j’apprenais à découvrir et à adhérer aux moments tels
qu’ils se présentaient, sans chercher à les fixer ou à obtenir quoi que
ce soit d’autre. L’un des effets de ce retournement vers moi-même
fut d’installer, d’insuffler progressivement une grande douceur en
moi. Je me souviens avoir pensé alors que le nettoyage des concepts
et des comportements qui en découlaient se mariait bizarrement
avec cette délicatesse intérieure. Mais c’est souvent du paradoxe que
jaillit la vérité d’un être. J’étais à un point de mon parcours où,
saturée de me tourmenter pour tenter d’accéder à cette fichue
sérénité que seule l’expérience au cœur de la confiance procure,
j’avais cessé de m’en préoccuper. C’est sans doute ce que l’on
nomme le fameux lâcher-prise. Contrairement à ce qui est professé
par tant d’experts en développement personnel, il se fait sans que
l’on intervienne. Certaines habitudes et protections mentales
disparaissent d’elles-mêmes, sans rien faire de particulier, quand
nous sommes alignés en nous et dans notre contexte. Aujourd’hui,
quand l’existence reprend sa routine entre creux et bosses, et que
des bas succèdent aux hauts, leurs impacts se font en général moins
intenses. J’expérimente la confiance, à l’endroit même où elle se
déploie naturellement, la banalité du quotidien. Pendant des années,
je n’avais ni vu ni compris que ce trésor était à ma portée. C’est
réjouissant et enthousiasmant. Le chemin ne commence qu’à s’ouvrir
et à se dessiner.

LA VIE NOUS ENSEIGNE

Les épreuves nous apprennent la confiance, mais aussi à lâcher


nos peurs. L’une d’entre elles me marqua particulièrement, une
fausse couche douloureuse et traumatisante à la fin du premier
trimestre. Je perdis un bébé et fus terrassée intérieurement de longs
mois. Lorsque je fus à nouveau enceinte, je sus aussitôt, quarante-
huit heures après la relation sexuelle 11, que j’attendais un garçon,
et que tout se passerait bien. Les enseignements des Tibétains se
confirmaient dans ce que je vivais. Il est question pour eux d’un
bardo, d’un espace d’entre-deux situé entre la mort et la renaissance
où, avant la fécondation, « la conscience » du garçon choisit pour
s’incarner l’énergie de la mère; et la fille, celle du père. Bien qu’ils
ignorent tout de Freud, dont les théories s’inscrivirent bien plus tard
dans l’histoire du monde, ce phénomène s’explique selon eux par
des raisons karmiques, qui agissent de vie en vie. Dans le moment,
peu m’importait en réalité de comprendre le pourquoi du comment
de ce qui se passait. L’essentiel était ailleurs. Dans les échanges, dès
le ventre, avec le fœtus qui se présentait à moi. « Complices », nous
partagions le plaisir de sentir la vie grandir et passer en nous. Je
découvris ainsi le sens d’être au monde en toute liberté dans une
relation. Ce lien, loin d’être pathologiquement fusionnel comme me
le dirent par la suite certains, m’a toujours invité à ne jamais
demeurer dans un positionnement mère-enfant factice et statique et
à laisser la vie me traverser en confiance.
L’hypnose m’a permis également d’approfondir ce processus, en
me connectant à des moments que j’avais oubliés une fois adulte,
quand vers sept à huit ans, je faisais l’expérience dans la nature de
la confiance. À l’époque, je me promenais souvent seule dans les
bois et les champs, en parlant aux arbres, aux fleurs, aux animaux,
aux elfes et aux lutins. Lors de ces grandes discussions enthousiastes
avec les esprits de la nature, nos différents mondes se rejoignaient,
se mêlaient, s’ouvraient les uns aux autres, et des liens joyeux et
fluides se créaient entre nous. J’éprouvais dans mon corps et mon
cœur la sensation de communiquer sans difficulté avec leur énergie
vibrante et pétillante; d’être l’une d’entre eux. Ils étaient mon foyer,
participaient à me construire. Je n’en parlais pas chez moi. Certains
interdits n’ont pas besoin de mots pour être pressentis. Mon
imaginaire avait trouvé spontanément comment compenser
l’affection dont j’étais privée dans la famille qui m’élevait, et cela
me comblait. En dehors de l’école, les hommes et les femmes étant
occupés à différents travaux, j’étais comme tous les gamins du
village fréquemment livrée à moi-même. Le contexte s’y prêtait. La
peur des violences et des agressions sexuelles sur des enfants nous
était étrangère. En grandissant, mon éducation m’apprit à craindre
l’avenir, que la confiance dans l’existence se conquérait en
traversant comme les saints de grandes épreuves, le feu de la
souffrance, d’immenses tentations; et les récits de ces êtres hors
norme me tinrent de plus en plus fortement en leur pouvoir.
Adolescente, refusant de subir l’emprise qu’ils exerçaient sur moi, je
tentais de m’en exonérer. Mais je ne fis que déplacer mes centres
d’intérêt en projetant ailleurs les mêmes fascinations. Le
bouddhisme tibétain dans lequel je m’enracinais désormais avec une
si grande facilité, et dont tant d’aspects me semblaient familiers
abondait également en exploits intérieurs réalisés par des yogis et
des maîtres d’exception. La grande aventurière française Alexandra
David-Néel ne dérogeait pas à la règle. Pas plus que le dalaï-lama,
que j’ai eu le privilège de rencontrer de très nombreuses fois et
d’interviewer à plusieurs reprises. Quelles que soient les époques et
les traditions, mes modèles étaient encore et toujours des héros de
l’éveil. Les qualités d’humains pleinement incarnés des grands
maîtres tibétains que je rencontrais les rendaient à mes yeux
également rares et remarquables. Ma confiance en eux résultait de
leur capacité à vivre, agir, penser en cohérence. Je courais à l’échec
à vouloir leur ressembler. Mais qu’il était douloureux pour moi de
l’accepter.
Le bonheur de la grossesse menée à terme jusqu’à la naissance de
mon fils m’aida à ne plus courir après une perfection illusoire.
Essayer d’approcher le ciel en tentant tel un ange léger, filiforme et
gracieux, d’être parfaite, en oubliant les limites du corps et de la
pesanteur est sacrément difficile quand on est enceinte. On a plutôt
tendance à souhaiter être très ancrée dans le sol rocailleux de la
réalité. Surtout les trois premiers mois quand les nausées, les
ballonnements, les céphalées, la fatigue, les aigreurs d’estomac, les
mamelons et les seins qui grossissent et font mal déplacent notre
centre de gravité. En dehors de toute situation particulière et
dramatique, l’attente qui commence à ce moment-là pour les mères
les relie alors, sans filtre, à l’être qui grandit en elles et au monde du
vivant. Rien n’existe de plus absolu. Que l’on soit homme ou femme,
la construction de ce lien dépend de notre histoire personnelle. S’il
est difficile, douloureux, l’hypnose, la méditation, l’haptonomie
peuvent accompagner cette relation. Certaines lectures également.
Je ne saurais trop recommander ici, comme je le fais en
consultation, les ouvrages de Frédérick Leboyer. Ils aident les
parents à établir en confiance un lien de personne à personne avec
l’être humain qui grandit dans le ventre de la mère.

LA CONFIANCE NE SE PROGRAMME PAS

Il m’arrive parfois encore de me laisser happer par le doute et mes


envies d’absolu, mais cela ne dure pas. Le corps m’envoie des
signaux. Je les entends, les sens, les hume, les reconnais. Si je
suis triste et que je me sens « plombée », sans ressource, confuse,
duelle, déchirée, je sais que mes cellules me préviennent ainsi que
mon énergie s’est bloquée quelque part en moi. J’invite alors mes
ressources, comme dans une séance d’hypnose, à reprendre la main
et à trouver la solution appropriée à la situation du moment. Il
arrive que le mental-intellect se mêle de la partie, et qu’il se
manifeste en tentant de prendre le pouvoir sur le corps pour le
détourner des sensations qui montent en lui. C’est naturel. C’est son
job. Cela ne dure pas. Il est facile de le repérer. Dès que nous
commençons à penser en termes de « capital confiance », de gain, de
perte, d’intérêts, d’injustice, de passé, de futur, c’est qu’il a pris la
main et qu’il est aux manettes. Nous sommes duels, désaccordés. Il
suffit de revenir aux faits, à nos grincements intérieurs, pour le
positionner autrement. Les faits sont des fées têtues et protectrices.
Elles indiquent sans relâche comment nous nous situons dans notre
vie et dans le monde. Nous pouvons nous appuyer dessus. C’est
rassurant. En procédant ainsi, nous découvrons que la confiance est
d’une certaine manière constitutive de notre matériel génétique. Un
élément inné de notre brin d’ADN. Elle se révèle et s’inscrit dans
l’instant et dans notre quotidien dès que nous expérimentons le
vivant en nous. L’instant de la confiance ne se décline pas en demain
ou en après-demain.

Pas à pas sur le chemin de la transformation


Être en lien avec la confiance grâce à la « safe place » active
Ce processus intervient dès le début d’une séance en cabinet,
ou de l’un des exercices proposés ici, et nous permet de
traverser le gué qui doit être franchi dans le moment en étant en
parfaite sécurité, condition indispensable pour pouvoir
transformer une situation douloureuse en toute autonomie. Le
principe consiste à rappeler à la mémoire les souvenirs d’un lieu
présent ou passé, réel ou imaginaire, ou encore une relation,
une compétence professionnelle, un savoir-faire qui nous
sécurise, nous réconforte et participe à nous détendre. Quand il
s’agit d’un lieu, en réveillant des sensations, des odeurs, des
sons, des couleurs, des saveurs et en ajoutant, ou pas, une ou
des actions positives, rassurantes et constructives, comme
marcher, chanter, danser, nager, faire de l’équitation, le patient
est impliqué via le corps. Dans cet endroit où il est en pleine
possession de ses moyens et de ses aptitudes, il peut inviter s’il
le souhaite une ou des personnes avec qui il est dans une
relation de confiance. Ce procédé lui offre la possibilité de vivre
une expérience inédite, structurante, cohérente, de sécurité, sur
laquelle il pourra s’appuyer pendant la séance, et par la suite
dans le quotidien, pour mobiliser ses ressources, en confiance,
en vue de résoudre le problème rencontré.
Dans tous les cas, cette position, en unissant de manière active
les sensations du corps à la partie de la sagesse universelle qui
intervient dans le processus de guérison, agit sur ceux qui la font
en les reliant, en confiance, à leur contexte du moment. Ce qui a
pour effet également de faire cesser les jugements qu’ils ont sur
eux-mêmes, les autres, le monde; de leur permettre de se
détacher de leur histoire; d’explorer savoureusement le présent;
d’écouter et de prendre en compte les messages envoyés par le
corps; d’accéder à leurs ressources; et de faire l’expérience de
l’autonomie et de la liberté intérieure.
Cet exercice de création pure nous reconnecte au flux du vivant
en nous. Lors d’une séance d’hypnose, cette thérapie se danse
à deux : la personne qui consulte et le thérapeute. Nos neurones
miroirs se répondent, et nos énergies s’échangent et s’adaptent.
Nous devenons alors deux vivants qui créent ensemble une
symphonie singulière, relationnelle, magnifiée par l’union de
leurs forces. Grâce à cette alliance thérapeutique, les images,
les paroles, les pensées, les métaphores employées créent dans
l’espace du cabinet un univers commun, partagé le temps de la
séance.

10. Pièce rapportée et familles recomposées. Quand nous sommes confrontés à ce type de
situation, n’oublions pas que ce sont toujours les couples qui se reforment qui se choisissent
avec bonheur et conviction, du moins au début, mais jamais les enfants. Famille
recomposée, ce terme ne dit pas assez la difficulté pour eux de leurs quotidiens
bouleversés; la perte régulière, le deuil, qu’ils doivent affronter de l’un des deux parents, en
respectant les modalités fixées par la justice; le regard de leurs camarades d’école; les
émotions et questions qui se posent pour eux quand ils découvrent et s’immergent dans le
nouvel amour en construction du père ou de la mère. Beaucoup se sentent amputés du
droit inaliénable d’être élevés, en même temps, par leur père et leur mère biologiques.
Former une famille recomposée comporte de nombreux défis pour les nouveaux partenaires
et leurs enfants. La recomposition d’une famille demande beaucoup d’adaptation de la part
de tous.
11. Le Dr Christophe Massin, médecin psychiatre, parle de ce phénomène dans Le Bébé et
l’Amour, Éditions Aubier, 1998.
RETROUVER LE CHEMIN DU

VIVANT

L’EXEMPLE DE CLÉMENCE : S’AIMER ET HABITER SON


CORPS

Clémence a trente-huit ans. Au cours du premier rendez-vous, elle raconte


son trop-plein de tout avec une forme de fièvre dans la voix. Elle dit sa
vie en suspens, et combien cette consultation est déterminante. Les mots se
bousculent, se chevauchent, s’arrêtent au milieu d’une phrase, hésitant entre
la poursuivre ou achever là leur récit spasmodique dans la survie. Le souffle
lui manque parfois. Son visage émacié et marqué par son passé d’anorexie
qui dure depuis qu’elle a quinze ans se ferme par moment. Son corps se
voûte. Happée par la détresse et l’angoisse qui la vrille, elle hésite puis
raconte son besoin de tout contrôler. Sa nourriture, ses relations aux autres,
sa constipation, sa sexualité. Son enfermement aussi. Elle refuse toutes les
invitations à déjeuner ou à dîner, prend beaucoup de laxatifs et de plantes
pour drainer son organisme et se débarrasser de toute matière dans son
corps. Elle regrette les années d’adolescence, aux États-Unis. Là-bas, « tout
allait bien », elle savait comment se procurer des diurétiques et des
amphétamines. Elle en abusait, mais elle continuait à maigrir à son rythme
et cela la rassurait. Elle se sentait surpuissante, elle faisait beaucoup de
sport, mais ne s’aimait pas pour autant. Personne autour d’elle ne voyait ce
qui se passait. Ce n’est qu’à son retour en France, vers vingt-quatre ans, que
ses proches perçurent et prirent la dimension du problème. Sans accès à
tous les médicaments qu’elle utilisait auparavant, elle commença à grossir,
à se faire vomir, à se calfeutrer dans sa chambre, et « à avoir des formes »,
dit-elle. Depuis, c’est l’escalade. Elle ne travaille pas, elle vit dans un petit
studio, ses parents la soutiennent financièrement. Elle est suivie par « des
médecins formidables », précise-t-elle. Elle n’a jamais été hospitalisée, elle
sait arrêter d’elle-même avant d’en arriver là. Elle l’admet avec force
comme si elle récitait un mantra pour se persuader de la justesse de sa
démarche aujourd’hui. Elle ajoute « venir en consultation parce qu’elle se
rend compte qu’elle est à un croisement dans sa vie; qu’elle n’en peut plus
de se sentir acculée et étouffée par les systèmes de contrôle qu’elle a mis en
place au fil des années pour survivre à ses peurs et à ses manques et dont
elle est seule responsable. De plus en plus souvent, elle ressent une étincelle
de vie qui la traverse et qui lui fait prendre conscience que si elle continue
dans ce processus, cela sera de pis en pis, de plus en plus douloureux ».
À ce moment-là, elle évoque un voyage en Afrique du Sud avec
ses parents, et combien la visite du parc aux lions d’Ukutula près de
Johannesburg l’avait marquée. Dans cette réserve, tout est « à sa
place », dit-elle. Les lions et les lionceaux sont protégés, ils ne
manquent de rien. Cette image lui rappelle « qu’il y a autre chose de
possible que la peur, la détresse dans une vie ». Elle ne sait pas quoi
pour elle, mais elle veut aller dans ce « je ne sais pas quoi ». Je ne le
sais pas non plus. On convient simplement d’utiliser cette image
pendant la séance.
Au cours de la séance, je propose à Clémence de devenir, si elle
est d’accord et que cela lui parle dans le moment, un animal qui
l’inspire. Un animal domestique, sauvage, familier, peu importe. Elle
hésite. L’image d’une lionne souffrante se présente à elle. Sans
ouvrir les yeux, elle me donne quelques indications pour que je
puisse l’accompagner dans le processus hypnotique. Elle précise
qu’elle est dans un monde sans odeur, sans sensation particulière si
ce n’est celle que lui procure la chaleur puissante, étouffante de
l’endroit qui lui donne la sensation « d’être clouée » au sol. Au fur et
à mesure de la séance, j’introduis par petites touches la possibilité
de couleurs, d’odeurs, de sons, etc. J’observe Clémence pour doser
mes interventions. Au bout de trente minutes, sa tête bouge
légèrement, elle semble « habiter » de plus en plus son expérience. «
De retour » dans la pièce, elle dit ne pas savoir quoi penser de ce
qu’elle vient de vivre, ce qui est parfait et cohérent pour moi, et
reprend rendez-vous un mois plus tard.
Lors de ce rendez-vous, Clémence éprouve le besoin de mettre en
mots ce qu’elle a ressenti avant de commencer une nouvelle séance.
Pour cela, elle n’emploie pas le « je », mais se raconte via l’animal
choisi : « La lionne épuisée se couche sur le sol. Sa tête retombe
lourdement entre ses pattes. Ses yeux sont clos. Pendant un moment
qui lui semble très long, elle oublie tout. Elle ne pense pas. Son
corps est vide. Puis, la lionne sent la chaleur du sol pénétrer dans
son ventre et se diffuser jusque dans ses pattes antérieures et sa tête
toujours allongée sur le sol. Après encore un très long moment, la
chaleur se répand de son ventre (tout part de là pour Clémence) à
ses organes, les poils et ses pattes postérieures. Ce n’est qu’ensuite et
bien plus tard que la chaleur du soleil pénètre la colonne vertébrale
puis chaque poil en entourant l’animal d’une barrière protectrice
bienfaisante. La lionne se sent nourrie par cette énergie. Elle ne fait
rien. » Clémence ajoute :« C’était vivant, agréable, une sensation
qu’elle ne connaissait pas. » Depuis, elle a le sentiment que quelque
chose en elle sait comment « réparer » et a commencé à le faire.
Au cours de la deuxième séance, elle me dit se mettre d’emblée
virtuellement dans la position d’une lionne guérie allongée sur le
sol, la tête redressée, le museau humant les odeurs de l’air; et se
sentir en osmose avec les énergies de la nature. Elle parle souvent
pour décrire les mouvements de l’animal et me permettre de
l’accompagner : « La lionne se relève, observe. Tout doucement,
d’autres lions et des lionceaux arrivent et l’entourent comme pour la
fêter, l’accueillir. Elle joue avec les petits dans un paysage d’oasis
magnifique, très coloré, vibrant. » Elle se voit avancer avec eux vers
un lieu qu’elle ne connaît pas, mais dont elle sent l’existence et
qu’elle veut découvrir.
Clémence a gardé l’appui de la lionne pour faire ses expériences
en autohypnose. D’elle-même, elle a diminué les laxatifs. Elle a
commencé à accepter, au début timidement puis de plus en plus
souvent, des invitations à déjeuner ou à dîner. Rencontrer les autres
ne l’angoisse plus comme auparavant. Elle a repris quelques kilos
sans que cela la dérange. Son corps se répare à son rythme.
EXERCICE DE TRANSFORMATION :
COMMENT S’ÉTABLIR INTÉRIEUREMENT
DANS UNE PLACE SECURE LORS DE
PROBLÈMES RELATIONNELS

« Tout est neutre, tout est absolu, chaque chose est comme elle est.
C’est vous qui la faites apparaître bonne ou mauvaise, agréable ou
pénible. »
Swami Prajnanpad

Cetuneexercice vous invite pour commencer à vous placer dans un lieu et


expérience relationnelle où vous êtes d’emblée et naturellement
confortable, serein, unifié avec vous-même, le corps, le monde, un autre.
Puis à introduire dans cet espace et cette expérience de totale sécurité au
présent une personne avec qui vous avez des relations de travail ou
personnelles compliquées ou insatisfaisantes.
Pour que cela « fonctionne », il est préférable de respecter les
étapes proposées dans le processus. Il est parfois difficile de le
mener à bien lors de certaines problématiques d’abandon, de
maltraitance, de phobies, d’addictions. Si c’est votre cas, n’hésitez
pas à suivre une thérapie différente.

Asseyez-vous confortablement, fixez un point devant vous ou


concentrez-vous sur un son, une couleur, une image dans un
tableau, une statue, peu importe.
À leur rythme, sans les forcer, laissez le souffle vous « respirer »,
vos paupières se fermer, le corps s’installer dans le fauteuil, sur le
canapé, sur une chaise ou un coussin.
Accueillez sans rien faire d’autre les ressentis corporels qui
montent et se présentent en vous dans le moment.
Dans cet espace intérieur de totale liberté et d’autonomie, le corps
se repositionne si besoin, il respire plus profondément et s’ouvre
sans restriction à ce qui est. Il recueille et expérimente des
sensations, des perceptions, des informations en lien avec votre
contexte.
Lorsque le corps et votre esprit profond s’éprouvent à leur place et
en parfaite sécurité, laissez des images, des sons, des couleurs, des
odeurs, des sensations, des actions, des paysages, des personnes en
lien avec cette expérience totalement confortable se présenter à vos
sens et à votre imaginaire spontanément. Ces ressentis sensoriels
peuvent évoquer aussi bien une situation banale du quotidien qu’un
moment plus instable et délicat, à l’équilibre précaire, tel qu’une
plongée sous-marine, une escalade en haute montagne. Dans les
deux cas, l’essentiel est de vous y sentir à votre place, à l’aise, libre,
autonome, sans crainte, joyeux, vivant, en capacité d’utiliser vos
ressources. Appuyez-vous pour cela sur toute image ou situation qui
facilitera ce processus. Le corps est un artiste, il a besoin de laisser
l’intuition, les mains, le souffle, l’imagination le guider dans le choix
des couleurs, des textures, etc., pour créer une expérience qui sera
une œuvre singulière et vivante. Laissez vos sens et votre imaginaire
se déployer et animer, selon leurs particularités et envies du
moment, les contours, les couleurs, les odeurs, les sons qui
définissent le contexte de cette action et de cette relation. Ce sont
eux et non l’intellect ou le mental qui s’associent pour créer les
harmoniques, les musiques, les chansons, les mots, le scénario, les
tableaux, le cadre de cette nouvelle expérience. Cela se fait sans
aucune intervention consciente ou volontaire. Il arrive que des
aspects inconnus de votre personnalité émergent. S’ils sont
exubérants, laissez-les vous convier sans complexe à l’explosion des
sens qu’ils suscitent. Devenez à votre tour comme dans un classique
de Walt Disney un personnage, une plante, un animal animés. Dans
cet espace protégé, où vous êtes pleinement vous-même, tout
vit en vous de la tête aux pieds et au-delà des frontières visibles
qui vous limitent habituellement. C’est reposant, souvent
réjouissant, et cela vous amène toujours sur des sentiers de vie
inattendus.
Quand vous êtes prêt à passer à une autre étape, dès que le
moment vous semble favorable, invitez avec bienveillance,
courtoisie, respect, confiance, bonne intelligence une personne avec
qui vous êtes en relation à partager sur un plan affectif et pratique
une activité, une compétence, un hobby que vous avez déjà fait avec
elle.
Prenez le temps de vivre cette expérience d’amitié ou d’amour
inconditionnel en parfaite sécurité. Ressentez les sensations et les
énergies qui montent dans le corps quand vous êtes en lien avec
quelqu’un qui ne vous juge pas et dont les intentions envers vous
sont toujours positives.
Éprouvez pleinement ce lien fluide, naturel, cette formidable
possibilité de partager gratuitement, sans calcul, sans revendication,
une relation dynamique, chaleureuse et aimante dans ce moment et
ce nouvel espace.
Laissez le corps sauter, marcher, converser, chanter, nager,
cuisiner, jardiner, rire, tressauter de joie ou bien danser avec cette
personne. Laissez-le savourer, déguster, ressentir au plus profond de
lui ces interactions bienveillantes et nourricières, cette complicité
joyeuse et confiante. C’est une expérience active de totale sécurité,
de liberté, d’autonomie et de partage. Vous pouvez alors l’accueillir
sans dualité, en totalité, sans crainte et la concrétiser, l’incorporer
par un geste, un son, un mot, une couleur ou toute autre chose en
rapport avec elle de manière à pouvoir la rappeler par la suite aussi
souvent que vous le souhaiterez ou en aurez besoin. Elle s’inscrira
ainsi, comme toute expérience habituelle, dans les circuits cérébraux
dédiés et la mémoire.
Quand vous sentez que votre esprit et votre corps sont bien
connectés à cette expérience active, vous la reliez à un geste, ou
toute autre chose, que vous avez choisi pour pouvoir la convoquer
facilement dans votre quotidien, puis vous pouvez passer à l’étape
suivante.
Proposez maintenant à votre corps et à votre esprit inconscient
d’explorer les effets de la relation désagréable à laquelle vous
souhaitez apporter une solution, en invitant dans ce lieu où vous
êtes confortable, détendu, en sécurité, la personne avec qui vous
êtes désaccordé et qui provoque en vous un malaise émotionnel.
Placez-la en face de vous, sur un siège en tout point identique au
vôtre, pour dialoguer avec elle, avec bonté et respect. Revivez et
ressentez dans chaque cellule de votre corps et de votre esprit
comment vous étiez au début de votre relation, quand tout se
passait bien entre vous.
Représentez-vous en train de la regarder avec affection, de
l’écouter avec intérêt, d’échanger avec elle avec la même
bienveillance et la même tolérance que vous le faisiez quelques
minutes avant avec la personne avec qui vous étiez. Agissez avec
elle comme vous le feriez si vous la rencontriez pour la première
fois. Parlez-lui sans tabou, amicalement. Rien ne vous oblige à être
d’accord avec elle sur des points qui vous séparent et créent des
tensions, mais vous pouvez vous entendre l’une et l’autre, sans vous
juger et avec affection, et collaborer ainsi à faire évoluer la relation.
Utilisez le « je » et des verbes d’action au présent pour inscrire ce
que vous souhaitez voir se réaliser avec elle dans l’avenir. Entendez-
la, elle aussi, utiliser le « je » et des verbes d’action pour signifier la
même chose.
Laissez votre esprit se placer naturellement dans les solutions
présentes et futures qu’il perçoit pour créer avec elle un lien
chaleureux et différent de celui que vous aviez jusqu’alors. Ce qui
compte ici est de laisser venir en vous les solutions qui pourront être
effectives les jours et semaines à venir. De prendre le temps de
partager sans récrimination ni jugement ce vers quoi vous souhaitez
aller. D’intégrer dans votre corps et votre esprit la possibilité de
reproduire cette nouvelle expérience relationnelle, où vous êtes tous
deux en sécurité et autonomes, quand vous vous rencontrerez dans
le travail ou ailleurs.
Quand vous avez la sensation que votre esprit est connecté à
différentes solutions, si vous sentez pouvoir le faire dans le contexte
qui vous relie, prenez-la dans vos bras et serrez-la tendrement
contre vous. Et, dans tous les cas, quittez-la en souriant. Puis, laissez
à nouveau vos sens, votre esprit et votre corps expérimenter
quelques minutes, seuls, la liberté d’être simplement posés de
manière juste dans le moment, en étant en parfaite sécurité.
Cette séance est intense. Inutile de la prolonger. Pour la conclure,
laissez votre corps respirer profondément et s’étirer.

Je vous invite à faire cette expérience relationnelle génératrice de


confiance, de paix, de sérénité, de joie, de fluidité, aussi souvent que
possible pour en inscrire les traces dans votre mémoire.
Si vous rencontrez des difficultés pour la mener à bien,
recommencez au début, installez-vous dans un lieu secure, puis
poursuivez tranquillement les étapes une à une. Ce processus est
incarné, créateur de réalité. Contrairement à ce qui se passe lors de
certains fantasmes qui projettent les personnes dans des paradis
factices, illusoires, au service d’esprits délivrés du corps, il y a ici
des étapes à respecter.
Cet exercice vous ouvre à la réalité de votre être et de celle de
l’autre. Il implique et incorpore les cinq sens et l’imaginaire dans un
espace spatio-temporel différent, mais réel. C’est une expérience du
corps, du cœur et de l’esprit unis en vue d’une transformation qui se
poursuit dans le quotidien. Cette action se manifeste chaque fois que
vous écoutez votre intuition, que vous prenez le chemin vers lequel
elle vous guide, et que vous vous sentez en accord avec vous-même,
les autres, le monde.
Autorisez-vous ces moments de rencontre avec vous-même où le
corps se met en place dans un lieu en étant confortable, vivant,
autonome et en sécurité. Ce sont des récréations au cours desquelles
vous pouvez rire, inventer, ne rien faire. N’essayez pas d’être
heureux non-stop. Soyez simplement vous-même. La vie, ne
l’oubliez pas, est faite de creux et de bosses, de mouvements,
de traversées. Il est doux de la laisser agir, sans se barricader
derrière des préjugés et des peurs. C’est la beauté de
l’apprentissage.
LE GESTE DE TOUS LES

POSSIBLES

« La vie est toujours une invention, mais pour inventer, il faut se


laisser inspirer. Inventer demande d’accepter l’aventure et l’inconnu.
On ne peut pas savoir à l’avance ce qui va se passer. »
François Roustang

Laactif-magique
plupart d’entre nous ont été « biberonnés » à la puissance du « geste-
» via des dessins animés ou des films de science-fiction
tels que Merlin l’enchanteur, Mary Poppins, Star Trek, Matrix, ou autres
super-héros. Nous les avons tant aimés enfants, que nous avons reproduit à
l’infini certains de leurs gestes dans notre imaginaire, nos rêves éveillés,
nos jeux, et ces personnages hors norme, hors conventions ont rejoint
quelque part en nous les possibles de notre réalité. Parents, grands-parents,
quelle que soit notre place dans la famille ou nos cercles amicaux, nous
sommes nombreux à adorer nous laisser encore emporter délicieusement
dans ces mondes enchantés, en lisant des contes, ou en regardant des
dessins animés avec nos pioupious. Nous ne l’avouerons jamais et nous le
contesterons toujours intellectuellement et socialement, mais dans les faits,
ces gestes magiques nous collent en sourdine à la peau et au cœur, en
orientant parfois, aujourd’hui encore, nos rêves et notre manière
d’envisager le quotidien. Dans le secret de notre intimité, nous conservons
la trace de la ressource fabuleuse qu’ils représentent et qui ne demande qu’à
être réactivée dès qu’un drame, une épreuve pointent leur nez. C’est
pourquoi nous sommes si nombreux à être friands de récits mythiques,
bibliques ou modernes comme Dune, L’Alchimiste, Harry Potter, Le
Seigneur des anneaux, etc. Merveilleuses échappatoires, ils nous permettent
de retrouver notre âme d’enfant, de sortir avec célérité de nos habitudes et
de nos enfermements, et d’oublier la banalité du quotidien tout en mettant à
distance notre condition de mortel. Les vies transcendées de leurs héros
deviennent nôtres. Les lire, les écouter nous raccorde en un clin d’œil à la
puissance des actions prodigieuses, mais possibles dans notre imaginaire de
ces aventures fantastiques. L’espace d’un instant, elles deviennent nôtres; et
l’Univers se pare d’étoiles souriantes.

LA PUISSANCE DU GESTE SYMBOLIQUE

Quel que soit le lieu, le continent où nous avons grandi, outre les
comics et autres super-héros – ils sont innombrables par exemple en
Asie où on ne compte plus les exploits insensés relatés dans des BD
et réalisés par des maîtres en arts martiaux –, de la naissance à la
mort, notre existence est parcourue de symboles mystérieux et
magiques. Dans nos pays de tradition judéo-chrétienne, la Bible
regorge notamment de modèles, de guides, de héros aux pouvoirs
singuliers. Le geste insensé, inspiré, désespéré, hors norme, fait par
exemple par Moïse pour ouvrir un passage dans la mer Rouge, et
sauver son peuple d’une mort certaine, est pour moi l’un d’entre
eux. Il incarne sur un plan métaphorique et thérapeutique la
puissance de tous les possibles qui sont en nous. Dans la contraction
du temps et de l’espace du récit, tout se joue pour Moïse et son
peuple en un éclair. Le prophète se positionne d’instinct au-delà de
la raison, de la pensée, de la volonté et de l’émotion, et se laisse
emporter par la force du vivant en lui. Il oublie sa personnalité,
renonce à ses peurs, fait fi des conventions et de ses croyances pour
se poser naturellement au cœur de son humanité. Ses sens
synchronisés avec les éléments qui l’entourent induisent «
mécaniquement » le geste qui ouvre le chenal dans la mer. Les
obstacles se lèvent. D’infranchissable, la mer Rouge devient la
possibilité pour Moïse et les siens d’accéder au changement, de
passer de la captivité, de la prison, des tortures, des privations, des
humiliations, de l’exil, de l’esclavage, à la liberté d’être ce qu’ils
sont, tels qu’ils le sont. Moïse est un passeur de vie. Nous le sommes
tous, mais nous l’ignorons tant que nous demeurons claquemurés
entre passé et futur, dans nos peurs, nos émotions, nos pensées, nos
envies, nos espoirs.
L’hypnose médicale et thérapeutique s’appuie sur cette réalité. À
un moment de la consultation, quand la personne raccorde
ensemble, sans forcer, et souvent pour la première fois de son
existence le corps, l’esprit, et le cœur, le geste que nous lui
proposons de faire alors pour ancrer cette expérience unifiée dans le
présent la connecte au flux du vivant en elle, à ses ressources, et
engage la suite de son histoire. Le corps fait son job. Il agit
comme un transformateur. L’énergie qui le traverse mute et se
transforme pour s’adapter aux contextes remontrés. Ce qui
explique en partie comment obsessions, addictions, peurs, phobies
se délitent, au rythme du patient. Chaque mouvement débute par
une ouverture, se prolonge par un milieu et un apogée, et se termine
par une forme d’accomplissement, une fermeture d’étape qui permet
à une autre dynamique de s’amorcer. Le récit mettant en scène
Moïse illustre, pour moi, ce processus. Quand tous sont en sécurité
sur l’autre rive, Moïse « referme la mer Rouge », et l’expérience se
poursuit autrement. Il en est de même lors d’une consultation.
Entrée, passage, clôture cohabitent dans l’espace-temps d’une
séance. Le thérapeute favorise l’accès du patient à ses possibilités, à
sa créativité, en induisant une forme de confusion qui le ferme aux
anciennes influences du mental, de l’intellect, et à celles des facteurs
qui le coupent habituellement de ses sensations. La traversée
commence dès qu’il adhère sans jugement à ce qu’il est; et
l’expérience le conduit au cœur de ses ressources.
Le mental n’intervient pas dans cette dynamique. Le thérapeute le
prend en compte en le posant gentiment, dès la phase d’induction,
en dehors de l’action. S’il ne procédait pas ainsi, cela ne
fonctionnerait pas. Dans le quotidien, la survie du mental passe par
la catégorisation de tout ce qu’il nous donne à ressentir et à
expérimenter en « bon, correct, juste, acceptable, mauvais, injuste,
amoral, etc. ». L’éducation l’a conditionné à nommer ainsi les êtres
et les choses en les dissociant, en les sortant du corps. La plupart de
nos souffrances découlent de cette séparation douloureuse entre le
corps et le mental-ego. Certaines méthodes de développement
parlent de le maîtriser ou de le réduire à néant en y mettant toutes
nos forces. Mais le mental ne se dompte pas. Il est comme un enfant
qui demande et a besoin d’être câliné, aimé, respecté. Il « existe ». Il
est une partie de nous. Nous n’avons pas à le maltraiter pour qu’il
nous fiche la paix. Cela serait comme vouloir exclure un organe qui
nous dérange sous prétexte qu’ensuite tout irait peut-être beaucoup
mieux. Ce système de fuite, de déni de ce qu’est sa réalité ne
fonctionne jamais et ne fait que le renforcer. Si on examine les
choses telles qu’elles sont, on constate que le mental ne fait que ce
pour quoi il est formé. Il nous invite à regarder les pensées sans
nous focaliser dessus et à voir que les « bombes conceptuelles »
qu’elles forment n’explosent que si nous, et personne d’autre,
allumons leur mèche en les sortant de leur contexte. Si nous
n’intervenons pas, il les laisse de côté, il ne leur donne pas une
importance démesurée, et elles s’éliminent d’elles-mêmes. Elles ne
dégénèrent que quand notre esprit de sagesse universelle et notre
corps ne bossent plus ensemble. L’une des dimensions d’une thérapie
corporelle comme l’hypnose thérapeutique est donc de reconnecter
le corps à sa puissance de guérison. Cette alliance donne
viscéralement et énergétiquement naissance au geste juste; et
l’expérience se fait au présent, loin des influences du mental. Dans
ce processus, le thérapeute est un passeur. Mais c’est toujours le
patient qui fait. Ce processus est son œuvre.

LA PUISSANCE CACHÉE DE NOS GESTES QUOTIDIENS

J’ai appris très tôt, enfant, à être vigilante au langage des gestes
esquissés pour soi-même ou extériorisés dans nos rapports aux
autres. Le corps est geste de la tête aux pieds. Ses mouvements, ses
formes, son énergie, ses mimiques, ses positions, tout en lui raconte
les joies, les souffrances qui le parcourent. Les gestes sont les
messagers de nos états d’âme. Ils expriment la manière dont nous
ressentons, percevons, résistons ou acceptons nos relations avec les
autres, avec nos environnements. Quand nous sommes désaccordés,
ils disent nos appréhensions, nos replis, notre méfiance, notre
angoisse, notre stress. Y être attentif permet d’instaurer un dialogue
fructueux, sensible, avec le corps, et de s’appuyer sur eux pour
travailler sur les métaphores qui représentent leurs maladresses,
leurs fonctionnements gauches et décalés, les peurs associées.
Dans les addictions par exemple, ils sont nos alliés. Répétés et
réitérés à l’infini du manque, ils surgissent du tréfonds de nos tripes
pour nous alerter sur une souffrance le plus souvent camouflée par
des quotidiens lissés et policés afin de demeurer aussi longtemps que
possible dans une normalité apparente. Chez les personnes
addictives, les gestes sont des appels au secours maladroits.
Rarement entendus ou perçus par les proches, ils disent pourtant
l’urgence de les prendre en compte avant que les conséquences de la
dépendance à un produit, à un comportement, à une obsession ne
dégradent de manière irréversible le corps ignoré et maltraité, au
point parfois d’en mourir. La tête d’un côté, le corps de l’autre, les
addictions conduisent les personnes à se vivre de plus en plus
dissociées. C’est douloureux et souvent mortifère. Dans ces
situations, si les conditions le permettent, accompagner le patient
peut se faire notamment en s’appuyant sur ce que représente le
soulagement que procure le geste addictif ou phobique. Le geste
transformé au cours du processus hypnotique devient alors
pour le sujet une formidable voie d’accès à sa capacité à aller
mieux. Le corps dit le symptôme. La solution passe souvent par le
corps.
Avant d’en arriver à des situations aussi douloureuses, apprendre
à être attentif aux gestes en apparence banals du quotidien suffit
parfois à désamorcer des mécanismes qui, laissés en l’état,
s’avéreraient préjudiciables sur le long terme. Il s’agit pour cela
d’observer, sans que cela devienne obsessionnel pour autant, les
gestes répétitifs induits par exemple par nos peurs de l’avenir. Le
recours frénétique aux médiums peut être l’un d’entre eux. Depuis le
début de la pandémie de Covid, de nombreuses personnes se sont
essayées à faire des tirages de cartes de tarot ou de jeux d’oracles à
valeur prédictive pour se rassurer au début, dans l’intimité de leur
foyer, et sont devenues accros à de possibles prédictions.
Aujourd’hui, beaucoup parmi elles ont recours à des médiums ou
voyants « certifiés » pour « en savoir plus » sur ce qui les attend.
Cela symbolise pour moi l’une des manières dont s’opère le passage
du geste privé, anodin, destiné à s’apaiser, à des gestes qui
entraînent des actions, qui les exposent intérieurement et
financièrement à de possibles dangers.
Nous sommes nombreux à avoir déjà tenté de nous réconforter ou
de sortir d’une impasse en tirant dans notre intimité une carte d’un
jeu divinatoire ou en ouvrant au hasard le livre des mutations, le Yi
King, ou tout autre ouvrage dit « sacré », transformé dans le moment
en guide de vie. Étudiante, je me pliais parfois à ce rituel dans ma
chambre de bonne pour m’amuser – une excuse indubitablement
bidon –, mais surtout pour tenter de calmer mes angoisses du
moment. À l’époque, comme beaucoup de jeunes, j’étais très
influencée par Le Troisième Œil, le best-seller mondial du romancier,
faux moine tibétain, Lobsang Rampa; le « paranormal » me
passionnait. Dans ce contexte, l’une de mes proches fascinée par la
personnalité charismatique de l’un des plus grands médiums du
moment sur la place de Paris – elle l’avait rencontré en soirée –
m’avait recommandé de prendre rendez-vous avec lui. Ce que j’avais
fait avec enthousiasme. Après plus de trois mois d’attente, « cuite à
point » intérieurement, j’avais rejoint un quartier huppé de la
capitale et pénétré dans un sublime appartement haussmannien.
Mobilier blanc, objets et peintures de la même couleur, le décor
hyper lumineux suggérait qu’il en serait de même pour la voyance à
venir. À la fin d’une consultation hors de prix pour mes maigres
économies, « le grand sage », dont les groupies laissaient entendre
qu’il côtoyait les puissances célestes, m’avait invitée à prendre un
thé dans un petit salon annexe, très chaleureux. Mal à l’aise, mais
flattée, j’avais accepté. Nos boissons avalées, arrogant et sûr de lui,
le soi-disant fin psychologue au sourire « Ultra Brite » m’avait
proposé sans détour une solution clé en main pour m’en sortir, et me
séduire : participer en tant que « professionnelle de la voyance » à
un salon commercial qui se tenait huit jours plus tard. Choquée par
sa grossière manœuvre de manipulation, sa malhonnêteté, sa
morgue, et par ce qu’il tentait de faire de moi en usant de son
influence malsaine de « devin », je refusai et le quittai si vite qu’on
aurait pu penser que le diable me poursuivait.
De plus en plus de personnes désespérées par leur situation
cherchent de manière irrationnelle à trouver, notamment via les
réseaux sociaux, des solutions proposées par des grossistes en
miracle. L’idée n’est pas ici de mettre tous les médiums dans le
même panier, j’en ai rencontré d’exceptionnels, mais de montrer
l’importance de faire preuve de discrimination; et d’observer que
nos gestes sont rarement anodins.

LES GESTES QUI NOUS ANCRENT DANS LE CORPS

Lorsque j’avais huit ans, une troupe de comédiens était venue à


Pâques présenter la passion du Christ dans mon école religieuse. Cet
épisode essentiel de l’agonie de Jésus se déroule la nuit sur le mont
des Oliviers, et précède son arrestation et sa crucifixion à la suite de
sa dénonciation par Judas. Trois de ses disciples sont endormis non
loin de Jésus en prière. Des anges se présentent à lui. L’un d’eux lui
offre un calice. Jésus le prend et ingère son contenu, signifiant ainsi
qu’il accepte sa destinée. Cette coupe représente la douleur qu’il doit
boire « jusqu’à la lie ». Le jour de la représentation, l’écolière qui
devait apporter le calice au Christ, trop émotive, refuse de monter
sur scène. Dans cette école de campagne où nous étions deux en âge
de pouvoir faire cette modeste prestation, j’étais donc par défaut la
seule possibilité qui restait pour que la pièce soit jouée.
L’enseignante, une religieuse, me trouvant insupportable et bien
trop dissipée de manière générale, renâcla un moment à l’idée de
me voir « faire l’ange ». Mais il n’y avait pas d’autres recours
possibles, et je fis l’ange pour mon plus grand bonheur.
Je me souviens encore de ce moment avec des frissons dans le
dos. Revêtue d’une longue robe blanche, le cœur battant, j’avais
avancé sur la scène, en tremblant un peu, à la rencontre du Christ. À
cet instant, je n’étais plus le vilain petit canard de l’école et de la
famille. Je me sentais investie d’une mission. J’étais UN ANGE.
C’était pour moi le summum de ce que je pouvais faire à l’époque
pour me transformer. Quelque chose me portait intérieurement.
Pour la première fois, je croyais en mes capacités. Ce geste-là a
conditionné par la suite, un long moment, tout ce que je fis. Ce que
des punitions répétées n’étaient jamais arrivées à faire, ce geste le
permettait. J’étais plus calme, plus concentrée. Il m’avait reliée au
monde et aux autres, et apaisée. Ma capacité fictionnelle à être un
ange m’avait octroyé une vraie place. Une place qu’aucun adulte,
aucun enseignant, ne m’avait autorisée à prendre jusqu’alors. Mes
proches ne comprirent pas à l’époque la portée de ce geste qui
m’avait autorisée, ponctuellement, à accéder à une partie de moi
dont j’ignorais jusqu’alors totalement l’existence.
Cet épisode dit l’importance du geste juste, qui ancre avec
douceur dans le corps en agissant sur le quotidien et en le
transformant de fait. C’est une expérience d’unité incroyable. Les
enfants sont très sensibles à ce type d’induction qui ne passe pas par
des blablas qu’ils ne comprennent pas vraiment, mais par des actes
symboliques qui les ouvrent à leur créativité et à leur imaginaire. Le
geste juste se cale sur le mouvement vital et brut de l’enfant. Et tout
devient alors plus facile.
Si vous revisitez avec bienveillance votre histoire, vous
retrouverez facilement, sans nul doute, comment certains gestes ont
impacté durablement votre mémoire et vos actions. Laissez-vous
habiter, mouvoir, par leur énergie et leur puissance créatrice pour
redynamiser votre quotidien. Soyez attentif à vos gestes, aussi
banals qu’ils soient. Ils sont vos porte-parole. Écoutez-les et
agissez de manière à être de plus en plus confortable dans votre
vie.
Pas à pas avec le processus hypnotique
Le geste est énergie; le monde est énergie; l’énergie nous
relie aux autres et au vivant
Ressentir et expérimenter le monde et soi-même en termes
d’énergie n’empêche en rien de se montrer pragmatique, lucide,
de faire preuve de bon sens, et de confronter les connaissances
modernes à la sagesse des anciens. Les traditions asiatiques
taoïste et bouddhiste évoquent l’existence d’un vide-plein qui
induit les actions et les transformations énergétiques de tout ce
qui existe. Le souffle vital et le geste en découlent. Pour les
anciens Chinois, c’est grâce à l’existence de ce vide-plein, la
fameuse vacuité, que le souffle vital, le Qi, crée tout ce qui existe
dans l’univers visible et invisible. Rien ne peut donc se faire, ou
être, sans la vacuité. Elle est LA condition qui préside au
vivant, « la porte de tous les phénomènes ». Tout en naît. Tout y
retourne. Elle conditionne toutes les formes et énergies
s’exprimant aussi bien dans le corps-esprit que dans la
médecine, la calligraphie, les arts martiaux, la musique, la
cuisine ou la cérémonie du thé. Notre santé en dépend.
Toutes les transformations du vivant se faisant selon la même
dynamique, on peut donc postuler qu’au cours d’une séance, il
en est de même pour le processus hypnotique.

À travers la phase initiale de confusion tout d’abord. Du vide


ainsi créé, tout peut surgir. Une perception large, un accès
facilité aux suggestions, aux sensations, aux ressources et
aux solutions; des expériences virtuelles, mais réelles de
créativité, de mutation, de changement, d’adaptation, etc.
Par le biais de la position ensuite. Proposer au corps de
s’asseoir, comme il le ressent, pour faire le travail
thérapeutique suppose qu’il expérimente un vide du mental,
qui autorise les mouvements en lien avec ses
environnements à le traverser.
Par le biais de la respiration enfin quand le corps se laisse
respirer et habiter par le souffle. Chaque aller-retour de
l‘inspire et de l‘expire s’achève, naît et se manifeste grâce
au vide qui se forme spontanément à la fin de chaque
mouvement.

La méditation, les arts martiaux s’appuient pareillement sur ces


variations du souffle pour accompagner les transformations de
l’énergie dans l’insaisissable présent.
QUAND LE CORPS FAIT ET

IMAGINE

L’EXEMPLE DE VICTOIRE : LA PRISON DE LA BOULIMIE

Quand Victoire consulte, la jeune femme de vingt-deux ans a déjà un


important passé de boulimie aux produits salés derrière elle. J’ai à peine
le temps de commencer l’entretien qu’elle me coupe en s’excusant. Elle
semble si désemparée que je la laisse prendre l’initiative de ce début de
rendez-vous. D’emblée, les mots, sans doute trop longtemps retenus, fusent.
Ils sont presque vomis. Peu de gestes les accompagnent. Victoire ressemble
à une statue posée en déséquilibre au bord du fauteuil. Elle n’a pas pris le
temps de s’installer. À moins que cela soit pour elle une manière de se
réserver la possibilité de fuir. Elle est vêtue d’une grande robe bleu-vert qui
cache ses courbes et accentue la pâleur de son visage. Ses yeux perdus dans
le vague, elle fixe un point de la bibliothèque derrière moi pendant qu’elle
décrit « ses vides », comme s’il s’agissait d’entités. « Ils aspirent tout ce
que je trouve de salé dans le réfrigérateur de mes parents. Mais il n’y en a
jamais assez. J’ai peur qu’un jour ma mère se rende compte de ce qui se
passe en moi en voyant qu’il manque de la nourriture. Je ne veux pas les
inquiéter et cela ne les regarde pas. C’est mon histoire. Je crains que papa
s’en mêle, de le décevoir. Je ne supporte plus de vivre avec eux. Je dois me
cacher. Je ne me sens pas libre de faire ce que je veux. Quand j’ai une crise
chez moi, je suis obligée de sortir et de filer dans une épicerie ou chez un
traiteur pour acheter de quoi “me remplir”. Je suis obsédée par le besoin de
me remplir. Je ne pense qu’à ça. J’ai l’impression d’être pensée par mon
ventre. Je me sens dominée par lui, sous son emprise. J’ai envie de pleurer
et de manger en même temps. J’ai le sentiment que le vide de mon ventre,
de ma tête, va m’absorber, me faire disparaître, m’engloutir, et que si cela
arrive, je ne pourrai jamais en revenir. Mes vides sont des trous noirs
absorbant MON énergie. Leur puissance et leur force d’attraction sont telles
que je me vois glisser, glisser et glisser encore jusqu’à leur bord, sans
pouvoir réagir. Me remplir est le seul moyen à ma portée pour ne pas me
laisser aspirer. Mais rien ne parvient à me combler. Une fois, j’ai essayé
d’acheter des gâteaux secs pour les ramener en quantité dans ma chambre,
car ils sont plus faciles à camoufler et à conserver, mais c’était pire qu’avec
le salé. Cela n’a pas eu d’effet et j’ai dû me faire vomir avant de courir
acheter des plats et des charcuteries avant le retour de mes parents. Les
crises sont plus fréquentes quand je suis seule l’après-midi à la maison ou la
nuit. La nuit, c’est compliqué. Je dois “faire le mur”, emprunter l’escalier
de service pour ne pas réveiller mes parents qui se couchent tôt. Et ensuite,
je “zone” à la recherche d’une pizzeria ou d’un fast-food ouvert. C’est un
calvaire. Je suis à bout. »
Elle s’interrompt comme elle a commencé, d’un coup, et elle me
regarde. On dirait un lapin arrêté au milieu d’une route de
campagne, piégé, tétanisé, fasciné mortellement par les phares d’une
voiture.

Victoire a jeté d’un coup cette partie de sa vie dans l’espace de la


consultation. Pour elle, le problème est posé. Par son silence, elle
me dit que la balle est désormais dans mon camp. Je complète
l’entretien rapidement pour lui laisser le temps de reprendre son
souffle et, peut-être, si elle le veut bien, celui de s’installer dans le
fauteuil.
Elle a déjà été prise en charge sur un plan médical à différents
niveaux. Ses parents l’ignorent. Elle est majeure, elle ne veut pas
partager avec eux cette histoire.
Victoire est fille unique. Son père a soixante-quatorze ans, sa mère
cinquante-cinq ans. Elle les décrit comme bien installés dans la vie,
brillants, bienveillants, curieux des autres, très cultivés, mais «
décalés » par rapport aux parents de ses copines. Tous les trois sont
rentrés en France il y a sept ans, après avoir vécu longtemps en Asie.
Elle avait quinze ans. Elle a très mal vécu ce retour. « Pendant près
de quatorze heures de vol, j’ai pleuré presque non-stop dans l’avion.
Je laissais derrière moi mes amies d’enfance et tout ce que j’aimais
et cela m’était insupportable », précise-t-elle.
En France, elle ne se sent plus en sécurité nulle part. Elle se sent
déracinée, jamais à sa place, fragmentée, enfermée, en prison. Elle
est addict aux produits salés, a pris du poids, et déteste son corps.
Depuis dix jours, ses crises sont de plus en plus fortes et fréquentes.
Un proche lui a donné mon contact.
Pour répondre aux questions, Victoire s’est blottie spontanément
au fond du siège. Je l’invite à laisser le corps prendre la position la
plus confortable pour lui dans le fauteuil afin qu’il puisse
entreprendre ce travail thérapeutique; et si elle en est d’accord, de le
laisser s’installer dans le moment, le lieu et l’espace, comme s’il était
dans un nid naturellement accueillant, rassurant et enveloppant, et
sans rien faire de particulier. Sans lui imposer la moindre contrainte,
sans forcer, sans lui demander non plus de se détendre. Puis, j’invite
le corps à se laisser traverser, sans rien faire d’autre, par les sons
qu’il perçoit dans la pièce, à l’extérieur, en elle, ma voix. Je lui
propose de faire la même chose avec les couleurs, s’il y en a qui
viennent, et avec tout ce qu’elle perçoit, ressent, sans vouloir en
faire quoi que ce soit. Quand ses paupières se ferment d’elles-
mêmes, je perçois que le corps est prêt à « aller plus loin » dans
l’exercice. Comme convenu en début de séance, Victoire le confirme
en faisant un signe de la main droite.
Contrairement à d’autres patients adultes qui ne parlent pas
pendant la séance, en même temps qu’elle distingue certaines
images, Victoire se raconte. Dès qu’elle ferme les yeux, des images la
percutent avec violence. D’une voix basse et sourde, elle me dit que
son corps est en colère. Très en colère. Et précise : « Je suis un
volcan en éruption. Tout en moi bouillonne. Je ressens une chaleur
étouffante, je brûle, mais je n’ai pas mal. La lave se répand en moi
avec violence. Tout est sombre, enfumé. L’air est irrespirable, mais
j’ai presque le sentiment d’être soulagée. » Elle ajoute : « Les
couleurs explosent : le noir se mélange au rouge, au jaune, à
l’orangé. » Les images semblent saisissantes, mais Victoire n’étant
pas tendue, je ne fais rien de particulier. Je la conforte par moments
en lui disant que tout va bien, qu’à sa demande, le corps lui raconte
quelque chose d’intime, de singulier, qu’il s’exprime, qu’il entre en
contact avec elle, que c’est formidable, car ils communiquent enfin.
Elle reprend la parole pour parler de ses jambes et les décrit du
haut des cuisses jusqu’au bout des orteils comme étant les racines
profondes d’un arbre asséché par la chaleur du volcan. Elle précise
que ses bras restent encore un peu verts, mais de moins en moins au
fur et à mesure que la chaleur remonte jusqu’au cou. Un grand
silence s’installe. Après quelques minutes, je demande au corps s’il
serait prêt à laisser se transformer tout ça, et à se projeter dans une
période, après l’éruption, où la lave a eu le temps de nourrir le sol.
À un moment où la richesse de la terre est telle désormais que tout
ce que va souhaiter planter Victoire va prendre aussitôt racine; que
cela participera à la reconnecter à sa vitalité. Quelques secondes
passent. La main droite de Victoire fait un signe. C’est OK. Nous
poursuivons en nous positionnant dans un espace et dans un temps
où tout est apaisé, calme, sécurisant et où tout est confortable pour
elle. Je lui propose alors de choisir les plants qu’elle va repiquer, les
graines qu’elle va ensemencer, et d’en prendre soin, de les arroser,
et de les protéger du soleil et des insectes nuisibles. J’ajoute que
tout prendra racine, grandira, s’épanouira selon le rythme qu’elle
souhaitera donner aux jeunes pousses. Je la laisse faire.
Quand elle me fait à nouveau signe, je lui suggère de laisser le
corps faire encore évoluer un peu l’expérience de manière à ce
qu’elle soit stable. Quand elle reprend la parole, elle me dit être
maintenant tel un lever de soleil. Elle ressent de la tendresse, une
grande paix, de la sérénité. Elle visualise d’elle-même, sans que je
lui donne la moindre indication, un lever de soleil au-dessus de sa
tête. Je l’invite alors à laisser son énergie se diffuser jusqu’à elle
sous la forme qu’elle veut, pour qu’elle se répande dans l’ensemble
de son corps. Ancrage. Nous restons en silence. Elle joint ses deux
mains devant elle, face à son plexus. Je lui dis que lorsqu’elle sera
prête à revenir dans cet espace et dans ce moment, elle pourra le
faire en sachant que cette expérience qu’elle a commencé à vivre
avec son corps va se prolonger, devenir de plus en plus profonde
dans son quotidien. Avant qu’elle ouvre les yeux, je lui propose de
se donner des rendez-vous réguliers chaque jour pour retrouver le
sentiment de sécurité et de plénitude qu’elle vient d’éprouver, et les
enraciner en elle. J’ajoute que cela l’aidera quand une crise de
boulimie reviendra, s’il y en a une.
Au cours de cette séance, Victoire n’a rien cherché à faire, elle est
demeurée dans la simplicité de l’expérience, et la métaphore a agi.
Elle est venue en consultation à un moment de sa vie où elle était
arrivée au bout de ce qu’elle était en état de supporter, de sa
souffrance. Elle n’en pouvait plus. Deux options se présentaient à
elle. Rester bloquée là où elle se trouvait, et survivre tant qu’il lui
restait symboliquement encore « un peu d’oxygène » dans les
poumons. Ou s’appuyer sur la force du mouvement qui l’avait
conduite à se laisser couler pour revenir naturellement à la surface
et « respirer ». Ce qu’elle avait choisi de faire. Elle avait certes déjà
un passé de boulimie derrière elle, mais ses habitudes étaient encore
malléables sur ce plan.
Chaque cas est très particulier. Un autre facteur a joué dans ce
processus. D’elle-même, elle s’est ensuite tournée vers ses parents et
a parlé avec eux de ce qui se passait. Victoire dit à ce propos : « Ils
ne m’ont rien reproché. Ils n’ont pas commenté non plus ce que je
leur disais avec une forme d’empathie et de bienveillance déplacée.
Ils m’ont pris simplement, ensemble, dans leurs bras, en me disant
qu’ils étaient là pour moi, et ont formé autour de moi un nid
protecteur, non envahissant, dans lequel je pouvais prendre une
place. Quelque chose d’indéfinissable s’est diffusé entre nous et nous
a rassemblés autrement. » En trouvant spontanément le chemin de
l’action simple et non pensée, les parents de Victoire ont rejoint
Victoire là où elle se situait, dans le moment. Les corps se sont
sentis, rapprochés, liés, compris, rassemblés dans un espace-
temps où il n’y avait plus d’attente, juste le silence et la
puissance de leur présence aimante. Et ce fut très réparateur.
EXERCICE DE TRANSFORMATION :
BROUILLER LE MENTAL SANS LE
MALTRAITER

« Les émotions mal digérées du passé, voilà le mental. »


Swami Prajnanpad

Cetet àexercice
:
apprend à porter notre attention de l’extérieur vers l’intérieur,

– nous libérer des blocages liés à la peur de perdre ce que l’on a et


ce que l’on est;
– moins dépendre des addictions;
– aller à la rencontre de la personne que nous sommes quand
nous devenons plus autonomes;
– nous relier à nos environnements, nos sensations, aux
mouvements de la vie.

COMMENT INVERSER LES AUTOMATISMES DU


MENTAL EN BROUILLANT SES REPÈRES HABITUELS ?

– Commencez par faire une première liste en indiquant avec le


verbe avoir tout ce que vous pensez posséder sur différents
plans. Exemple : j’ai un enfant, j’ai une voiture, j’ai mal aux
pieds, etc. Dressez une liste la plus détaillée possible.
– Faites ensuite une seconde liste avec le verbe être pour exprimer
tout ce que vous pensez être. Exemple : je suis une femme; je
suis une (profession); je suis écologiste, etc.
– Observez ces listes. Que remarquez-vous ? Que dans les deux
cas, vous êtes identifié, et donc prisonnier d’une image, d’une
pensée, d’un objet, d’un état d’être…
– Étape suivante : définissez le temps dans lequel vous situez ces
actions.
– Elles sont toutes associées à un élément de votre passé. «
J’ai », « je suis » semblent exister dans le présent, mais vos
affirmations résultent d’actions et de relations établies dans le
passé. Vous êtes allé chercher dans votre tête des images, des
émotions, des pensées exprimant des choses importantes pour
vous, et vous les avez ramenées dans le présent. Mais dans le
présent, vous n’avez aucune preuve de leur réalité. Ce sont des
croyances.
– Demandez-vous maintenant : qui êtes-vous si vous n’êtes
identifié à aucune de vos croyances ni aux histoires qui leur
sont associées ?
– Expérimentez-vous « être simplement positionné dans cet espace
et cette place intérieurs sans être identifié à quoi que ce soit ». Il
n’y a rien à faire de particulier. Quelque chose en vous perçoit,
sans mettre de mots dessus, la place que votre corps occupe
grâce aux sens. Elle est illimitée, car sans intervention de la
personnalité. C’est une sensation indéfinissable, mouvante,
libre. Vous n’êtes plus figé dans l’espace-temps du passé en
étant identifié à un objet ou une relation. Vous dépendez de
moins en moins de l’influence du mental.

Le mental projette habituellement des éléments de nos histoires


personnelles pour rejouer nos peurs, nos traumatismes, nos
manques, etc., et nous maintenir dans la dualité, le passé et la
survie. Cet exercice libère progressivement de ce processus en
induisant une expérience qui nous dissocie des identifications, et
qui, via les sensations, certifie à notre corps et à notre esprit profond
leur existence dans le moment. Un sentiment de liberté et
d’autonomie en découle et le corps se détend. Nous sommes en lien,
et sous influence comme le dirait François Roustang, avec tous les
univers visibles et invisibles. L’être n’est plus alors une individualité
enfermée dans un espace-temps réduit, mais un être-énergie
multidimensionnel, changeant, expérimentant la fluidité et
l’ouverture proposées par l’expérience d’instant en instant.
LA MORT DE MON PÈRE M’A

DÉLIVRÉE DU BESOIN DE CROIRE

« Après tout, la mort n’est pas si sinistre, mais il se trouve qu’on est
gêné d’en parler. Aujourd’hui, les gens ne se gênent pas pour parler
de sexe ou pour voir des films pornos, mais ils ont du mal à parler de
la mort.
Là, ils sont vraiment gênés. Ils en font tout un plat, et en même
temps ils refusent d’y réfléchir réellement. Ils ont décidé de ne pas
s’en occuper; ils préfèrent célébrer la vie au lieu de se préparer à la
mort, ou même de la célébrer. »
Chögyam Trungpa

JE CROYAIS MON PÈRE IMMORTEL

Lapas.mortNous
de mon père provoqua en moi un cataclysme. Je ne m’y attendais
n’étions pas proches. Il ne m’avait pas élevée. Enfant, je le
voyais, avec ma mère, pendant les vacances d’été et parfois à Noël.
Adolescente, nos relations avaient été difficiles, conflictuelles, quelquefois
violentes. Adulte, longtemps, je n’avais conservé de lui que les moments de
rejets que j’avais éprouvés avec ce totem de la famille qui
m’impressionnait, me terrorisait, et me fascinait tout autant. En dépit des
thérapies et des enseignements spirituels pratiqués, les souvenirs qui le
concernaient débordaient malgré moi de souffrance, d’incompréhension et
d’attentes déçues. Il était mon père et, comme la plupart des petites filles, je
rêvais de pouvoir l’idéaliser et de trouver auprès de lui cette sécurité
inébranlable qui, semblait-il, était le lot des enfants et des adultes heureux.
Cela n’avait pas été le cas. Pourtant, les trois derniers jours passés auprès de
lui, mourant, à l’hôpital, effacèrent d’un seul coup ce passé douloureux. Des
époques heureuses revinrent à ma mémoire, ramenant à la vie, avec force et
tendresse, des moments occultés. Et cette douceur me réveilla à moi-même.
Le premier jour, habituée à analyser, à essayer de trouver une
explication là où il y avait juste à vivre, je commençai par essayer
maladroitement de donner du sens à nos échanges, et à chercher
quelle était la meilleure attitude à adopter pour l’accompagner. Je
compris très vite que je me trompais sur l’essentiel : là où il en était,
il n’espérait pas la même chose que moi, et il ne souhaitait rien de
moi en particulier, si ce n’est d’être pleinement présente. Il était déjà
dans l’énergie du passage. Il était le passage. Il savait que je n’avais
pas le mode d’emploi pour l’aider à faire cette transition. Comme en
toute chose, seule l’expérience le confère. Libre de toute attente à
mon égard, par son attitude bienveillante, ses mots comptés et
percutants, ses regards doux et appuyés, ce fut lui qui me fit faire le
passage, le seul qui m’incombait : aller à la rencontre de moi-même
et ce faisant, à sa rencontre. Ce fut mon premier incroyable cadeau.
Le deuxième jour, tout s’accélérant, nous avions déjà presque
acquis des réflexes de « vieux camarades ». L’image du père idéalisé
n’ayant plus lieu d’être en pareille circonstance s’était naturellement
effacée pour laisser la place à une relation de personne à personne, à
Aimé et Catherine, dans laquelle, il n’y avait plus de ressentiment,
rien à pardonner. Seul l’amour qui n’attend rien nous unissait
désormais, et je découvrais émue, qu’en réalité, cela avait toujours
été le cas. Quand il en trouvait la force, Aimé exprimait sans tabou,
à mots comptés, dans un mélange de douceur et de vérité crue, un
peu de l’expérience qu’il traversait; les ressorts d’une intimité à
laquelle il accédait, en s’abandonnant totalement, à ce qui était dans
le moment. Il n’était plus le taiseux, l’homme enfermé dans ses
peurs que j’avais connu. Face à cet inconnu, les jugements et les
certitudes que j’avais eus jusqu’alors le concernant s’évaporaient
comme neige au soleil. Je le sentais dans chaque cellule de mon
être. Cela se faisait tout seul. Pendant des années je l’avais approché
les mâchoires serrées à en avoir mal, le corps tendu comme une
arbalète, les épaules voûtées, le ventre et le plexus noués. Il le
savait. Il en avait souffert. Sachant ses heures comptées, accueillant
cette réalité sans rien en rejeter, il me montrait qu’il était possible
pour chaque être, quel que soit son passé, d’avoir un accès direct à
la vérité nue et abrupte de l’existence, et qu’il était possible de
trouver la paix du cœur tant que la vie n’était pas achevée. J’étais
ébranlée, bouleversée, impressionnée par ce retournement.
Comment cet homme, qui m’avait toujours semblé vivre dans la
peur des jugements des autres, de ne pas être à la hauteur, de se
confronter à ses désirs les plus profonds, de montrer son affection
pour moi, avait-il pu opérer une telle transformation ? La seule
réponse possible était qu’en communion avec ce qui se passait, il
accompagnait sans panique, sans préjugé, ce qui se jouait en lui, en
disant un OUI absolu, entier, intègre au processus qui emportait son
esprit. Libéré de ses appréhensions et de ses craintes, il s’autorisait à
être la personne qu’il voulait sans doute être depuis toujours et il
m’offrait ainsi une relation de cœur à cœur unique qui réparait
nombre de mes blessures d’enfant. Ce fut mon deuxième immense
cadeau.
Le troisième jour, quand il surmontait sa fatigue et que nous
étions seuls, Aimé prenait le temps de me raconter comment ses
énergies s’échappaient de lui, ce qu’il percevait du processus de
dissolution des « éléments » constitutifs de son corps. Certaines de
ses descriptions proches de celles du Bardo Thödol, le livre des morts
tibétains, me laissaient sans voix. Comment était-ce possible ? Il ne
connaissait rien de ces concepts complexes. Dire un OUI sans
ambiguïté à ce qui se passait instant après instant lui donnait-il un
accès direct à une connaissance que je qualifiais de « tibétaine »
encore une semaine auparavant, mais qui, je le comprenais
maintenant, témoignait d’un processus universel naturel ? Rien
n’était ici pensé, intellectualisé. Il le vivait dans sa chair et son
esprit. Et les mots se faisaient l’expression de cette connaissance
ancestrale. Décontenancée, un peu sonnée même, j’éprouvais une
immense gratitude pour cet homme, mon père, dont je découvrais
également la profondeur de sa bonté. Contrairement aux prévisions
pessimistes du personnel soignant, il nous avait « attendus » avec
mon fils pour nous dire au revoir. C’était un acte d’une grande
générosité. Et depuis que nous étions là, il m’offrait par ses actes et
ses paroles, de manière totalement laïque, cet enseignement
fondamental dont je tentais depuis des années de faire l’expérience :
c’est en disant un OUI inconditionnel à ce qui est que nous nous
libérons de la souffrance et de son cortège de peurs et que nous
pouvons nous abandonner à la puissance de la vie en nous. Il n’y
avait donc pas à agir de manière particulière pour découvrir en soi
cette forme de paix intérieure, mais à se laisser traverser sans
restriction par le vivant. Grâce à lui, j’expérimentais dans son « ici et
maintenant » cette vérité que je cherchais depuis si longtemps. Mon
cœur était apaisé. Ce fut mon troisième magnifique cadeau. Ce soir-
là, avant de le quitter, je le remerciais d’être le père et l’homme qu’il
était. Nous prîmes le temps de nous dire au revoir. Ce furent nos
derniers instants.
Ces trois jours changèrent profondément ma manière d’être au
monde. Mon père m’avait montré que les réponses à mes questions
étaient en moi, et qu’il en était de même pour chacun d’entre nous.
C’était à la fois réjouissant, enthousiasmant et terriblement
déstabilisant. Je n’avais plus besoin de courir pour fuir ma vie en
accumulant comme je l’avais fait pendant si longtemps
enseignements, méthodes, exercices divers dans différents domaines.
Je pouvais libérer mon horizon des nuages de mots que mon mental
avait construits pour faire barrage à la réalité des situations – les « il
faudrait », « cela devrait », « je veux », « je ne veux pas », « c’est
inacceptable », « je souhaite », « je préfère », « je conteste », « c’est
honteux », « il ou elle se prend pour qui », « j’ai besoin qu’il »… Et
les regarder sereinement quand ils revenaient encore parfois par
automatisme. Je ne craignais plus leur diktat. Le passage que j’avais
fait avec mon père m’avait appris la nécessité d’expérimenter les
choses en laissant se déployer tous mes sens. Nous détenons tous
cette capacité. C’est la voie de la VIE. Elle est en chacun de nous.

QUAND LES CROYANCES SE DÉSAGRÈGENT


La manière dont mon père est mort, ce « qu’il voyait et disait» de
son passage comme s’il avait toujours côtoyé intimement la sagesse
des Tibétains a levé d’un coup, en moi, certains barrages mentaux
que j’avais patiemment édifiés pour m’exclure de la réalité du
monde et m’en protéger. Je vivais, pensais, pratiquais «
bouddhisme » et « tibétain » depuis qu’à peine pubère, j’avais
accepté que les images des yeux de Bouddha en méditation, de
biches, et de divers symboles qui habitaient mon esprit depuis mon
enfance aient un sens (épisode évoqué dans l’émission For intérieur
d’Olivier Germain-Thomas sur France Culture). Élevée à la ferme,
dans un milieu catholique pratiquant où rien n’évoquait le
bouddhisme et le Tibet, je les avais rejetés jusqu’à ce que je
découvre les premiers livres et maîtres tibétains. J’avais alors
compris que chacun de nous, dans des moments privilégiés, peut
accéder à une forme de sagesse universelle. Mais je pensais encore
que tout cela était réservé à des personnes appartenant à des
milieux « branchés » et formés à « ça ». Les perceptions qu’avait eues
mon père pendant ces trois jours me montraient mon manque de
discernement. Elles témoignaient de l’existence d’une forme de
sagesse innée que nous possédons tous en germe. Et je comprenais
mieux pourquoi les maîtres tibétains enseignent qu’il est possible à
tout être humain, y compris au criminel le plus endurci, de changer
jusqu’à son dernier souffle. Le bouddhisme, tradition de compassion
et de bienveillance, donne à chacun la chance de faire ce passage
dans les meilleures conditions qui soient. Rien n’est jamais définitif
dans le bouddhisme, puisque rien n’existe en soi ni par soi, et que
rien ne dure. L’hypnose thérapeutique s’appuie de même sur cette
réalité. Lorsque la personne accepte pleinement les circonstances
qu’elle rencontre, elle chemine ainsi au cœur de son être,
simplement, sans rien attendre de particulier, sans peur, et découvre
des ressources et des capacités inconnues d’elle jusqu’alors.
Cette expérience marqua un tournant important dans ma manière
de me positionner vis-à-vis de ce que je revendiquais jusqu’alors
comme étant mes certitudes et mes croyances. Le processus fut
progressif. Je passais d’abord par un temps de « flottement »
intérieur, nécessaire, presque physiologique, avant d’observer
autrement certaines des jolies histoires que je m’étais racontées pour
fuir la réalité crue de la souffrance. Elles n’occupaient pas 100 % de
mon temps de cerveau disponible, mais c’était encore trop. La
liberté d’être – hors convention et hors conviction – que j’avais
expérimentée par le passé, par courtes phases, toujours inattendues,
supposait de cesser vouloir maîtriser, d’une manière ou d’une autre,
et notamment via les pensées-croyances, le processus du vivant. Je
comprenais qu’elle se découvre quand nous nous affranchissons des
poncifs et des préjugés, et que nous laissons le flux naturel de
l’existence nous parcourir sans crainte.
On ne se positionne pas dans le vivant. On croit pouvoir le faire,
mais c’est faux. Soit on le refuse, on lutte contre et on le subit, c’est
la manière la plus courante de procéder pour chacun d’entre nous.
Soit on change notre rapport au monde et on se laisse inclure
naturellement dans le vivant, ce qui suppose de passer par cette
étape essentielle : dire oui à ce que nous sommes dans l’instant et à
notre contexte. La transformation opère ensuite. Peu importe que
cela dure ou pas. Quoi qu’il arrive, le goût de cette expérience que
nous faisons en étant parfois pour la première fois pleinement et
simplement vivant s’inscrit dans notre ADN énergétique comme un
nouveau potentiel de l’être. Et cette capacité se réactive dès que
nous revenons dans cette dimension du « OUI » en accueillant ce
que nous sommes. Cet apprentissage du vivant demande que l’on
soit patients et bienveillants avec nous-mêmes.

JE SUIS MON UNIQUE REFUGE

Les dogmes, les croyances des philosophies et des religions et la


plupart des méthodes de développement personnel font partie de la
boîte à outils à notre disposition pour nous aider à traverser
ponctuellement les épreuves. Mais la souffrance fondamentale que
nous éprouvons tous en nous, vivants comme mortels, demeure tant
que nous cherchons des solutions à l’extérieur de nous-mêmes.
L’espace du vivant en nous se découvre en lâchant toute
identification à nos souffrances, en sortant de notre zone de confort,
et en accueillant, sans filtre, la totalité de ce que nous sommes
instant après instant. Cela passe par un rapport radicalement
différent avec ce que nous nommons ego ou mental ou
personnalité ! Cette mosaïque de couches mal emboîtées,
dissonantes, constituées par nos pensées, nos émotions, nos
réactions ressemble à la grenouille de la fable qui gonfle jusqu’à
éclater à force de vouloir être ce qu’elle n’est pas. La seule manière
d’en finir avec les effets de l’ego dans nos quotidiens n’est donc pas
de le maîtriser, comme souligné précédemment, car procéder ainsi
amplifie ses réactions, exacerbe ce qu’il est, et nous fait souffrir de
plus en plus. La réalité est que Mister Ego n’est pas responsable de
tous les maux qui nous frappent. Et s’il se comporte comme un
enfant rebelle et malheureux, c’est parce que nous le maltraitons,
alors qu’il est – et il le sait – une partie de nous. Nous devons donc
l’éduquer sans violence. Lui sourire, l’accueillir, le reconnaître, jouer
avec lui, et l’accompagner en lui manifestant respect, tendresse et
confiance. Cette collaboration sereine nous délivre de tout
attachement compulsif l’un à l’autre. Il est toujours là bien sûr, mais
il demeure à sa juste place, nous pouvons prendre la nôtre, à notre
rythme, et il nous laisse parcourir plus facilement le trajet qui nous
mène vers une meilleure connaissance de nous-mêmes. Nous
devenons notre propre « maître ». Un maître encore en format
miniature, mais en constante évolution. Cette démarche laïque,
intemporelle, nous pouvons tous la faire et déprogrammer ainsi le
statut de victime que nous avons appris à reproduire, enfants, sous
l’influence d’un mental non éduqué.

LA MORT, L’INDISPENSABLE COMPAGNE DU VIVANT

La confrontation avec la mort apprend à vivre autrement. Je me


suis mise en danger, souvent. Beaucoup de mes proches sont
décédés. Mais, comme beaucoup d’entre vous, je balayais tout ça
d’un revers de la main. Je le gommais de mon histoire. Désormais,
je sais dans mes tripes, là où il est impossible de tricher avec soi-
même, que ce n’est qu’en acceptant qu’elle soit partie intégrante et
indissociable de moi que je suis pleinement vivante.
Peu de personnes en ont conscience, mais le vivant n’existe et
n’a de réalité qu’en regard de la mort. Comment éprouverions-
nous sinon le fait d’être vivant ? Et qu’il s’agit d’une aventure
incroyable, mystérieuse, impensable, insensée, fabuleuse, bien que
faite de « hauts » et de « bas », dont on ne maîtrise pas grandchose,
ce que l’on accepte qu’en se souvenant que nous sommes mortels.
Pour évoquer ce phénomène, cette nécessaire coexistence des
contraires, les Chinois disent que tout ce qui existe fonctionne en
paire, comme le yin-yang dont chaque partie contient, en germe,
l’impulsion opposée. Les mutations des partenaires ainsi formés se
complètent et se répondent jusqu’à la mort ou la dissolution de l’un
d’entre eux. Naissance et décomposition se succèdent, sans
interruption. L’énergie ainsi créée induit les mouvements du vivant.
Ceux du souffle et du sang qui circulent en nous; les changements de
saison; les âges que nous traversons, etc.; et cela dure jusqu’à ce que
la mort prenne la main. Cette dynamique inquiète et pousse parfois
certains à fuir cette réalité dans des systèmes addictifs divers. Ce
n’est pourtant qu’en éprouvant notre vulnérabilité et notre finitude
que nous sommes pleinement humains, et que nous pouvons
découvrir émerveillés l’amplitude et la puissance des ressources du
vivant en nous; et mettre nos vies en perspective.
Les bouddhistes disent que la vie entière est préparation au seul
moment de la mort. Nous ne savons pas quand nous allons mourir et
c’est justement pour cela que nous devrions, chaque jour, agir
comme si c’était imminent, oublier nos certitudes et nos peurs et
vivre, accepter de perdre le contrôle sur les choses et les êtres, en
étant simplement ce que l’on est, de moment en moment.

Pas à pas avec le processus hypnotique


Dire oui à ce qui est
Lors d’une séance d’hypnose, on propose au patient de laisser
ses envies de maîtriser, de contrôler, de changer, de s’améliorer
de côté. Il n’a rien à faire, juste à laisser faire ce qui est. Cela
suppose qu’il aille vers lui-même en oubliant les identités
factices prises jusque-là pour essayer d’exister envers et contre
tous ses besoins fondamentaux. Il s’agit d’une expérience
corporelle et non intellectuelle. C’est un voyage inconnu au cœur
de la vie, du mouvement, de l’insaisissable, et de
l’inconnaissable. Les sensations et perceptions corporelles du
patient nourrissent ses propositions en séance. Cela lui confère
un incroyable sentiment d’espace, de liberté, d’autonomie. La
pensée laisse la place aux sensations et à la vie. Car, comme le
dit Dōgen, « s’oublier soi-même, c’est être certifié par toutes les
existences ». L’hypnose permet très souvent aux patients de
faire une expérience directe qui les réaligne dans leur contexte,
tels qu’ils sont, sans se penser, ni vouloir augurer, projeter, ou
rejeter quoi que ce soit. Ils ne cherchent plus à être autre chose
que ce qu’ils sont. Ils n’ont pas à faire preuve de capacités «
particulières ». Le vivant est le vivant tel qu’il est en lui-même :
soit il est, soit il n’est pas. Cela enlève une énorme pression, de
nombreuses exigences, cela retire toute aspiration à imiter,
assèche le besoin d’être autre chose que ce que l’on est et
apporte une douceur et une confiance qui se savourent chaque
fois qu’elles se manifestent.
Quand on n’a rien à rejeter ou à revendiquer de soi, rien à
réussir, « juste » à être « vivant » et présent à ce qui se passe
dans l’espace-temps du cabinet, les histoires que l’on se
racontait auparavant sur nous-mêmes, sur ce que nous devions
faire ou pas, n’ont plus d’importance. Nos défenses tombent.
Tout est facilité. L’expérience s’accueille telle qu’elle est. Et
l’énergie du moment et ses expressions corporelles nous
guident.
OSER L’HYPNOSE !

L’EXEMPLE DE VALENTIN : QUAND VIVRE EST TROP


DIFFICILE

Valentin a quarante ans. Il consulte, dit-il, pour répondre aux fréquentes


demandes de son compagnon, Julien, âgé de cinquante-deux ans, qui ne
supporte plus de subir ses plaintes répétitives. Son ennui, sa tristesse, son
manque d’envie de faire en général, et de travailler en particulier. Tous deux
sont artistes. Ils vivent sous le même toit à Saint-Germain-des-Prés depuis
presque dix ans, et ils sont mariés depuis huit ans.
Valentin et Julien se présentent ensemble à la consultation. Ce
n’était pas prévu. Julien prend la parole sans y être convié. Il dit son
besoin de donner son point de vue. Valentin acquiesce. Nous
convenons qu’il peut le faire brièvement, et qu’il partira ensuite.
Julien est musicien. Il suit une thérapie depuis six ans. Le dos droit
et raide, les fesses posées en avant sur le bord du siège, il est déjà
sur le départ. Son émotion est palpable. Il exprime sa plainte en
quelques phrases courtes. « Je ne supporte plus les lamentations
pour tout et n’importe quoi de Valentin. La situation s’est aggravée
ces derniers temps. Nous avons tous les deux remarqué un crescendo
dans notre violence verbale et psychique de part et d’autre et nous
voulons y mettre fin pour éviter un divorce. » Il se tait.
C’est au tour de Valentin. Assis au fond du fauteuil dans une
position de retrait, le dos un peu courbé, la tête dans le cou, le
comédien s’éclaircit la voix, et commence par mettre en avant leur
relation, avant de dire sa souffrance. « Nous sommes proches et très
complices sur de nombreux plans, mais à force de me rebattre les
oreilles avec ses demandes, pour m’inciter à changer selon ses
critères, je ne me sens plus écouté, entendu, accepté, aimé par
Julien. Je n’ai plus de place dans notre foyer. La vie me pèse. Je
voudrais retrouver notre entente d’autrefois. Mais tout ce que fait
Julien m’agresse. Je suis saturé, à bout. C’est trop violent pour
moi. » Et il ajoute : « J’ai choisi l’hypnose, car les autres méthodes
ne m’attirent pas et surtout parce que Julien ne connaît pas cette
discipline. Il ne pourra pas argumenter pour tenter de m’influencer
comme il le fait généralement pour d’autres sujets. Mais j’ai eu de
mauvaises expériences avec des hypnothérapeutes, des hommes, et
j’ai peur d’un nouvel échec. Ils n’ont pas tenu compte de ce que je
leur avais dit, que certaines méthodes d’induction ne fonctionnaient
pas sur moi, et ils me les ont proposées quand même. Je me suis
senti trahi. Ils ont tenté de me manipuler, de m’imposer une chose à
laquelle j’étais réfractaire. Peut-être que cela sera différent avec
vous. Vous êtes une femme. C’est une amie qui m’a convaincu de
vous rencontrer et qui a suggéré que je vienne avec Julien. Mais je
le sais, je suis résistant. »
Cela étant posé et genré, il évoque ensuite dans un souffle
l’abandon symbolique de sa mère quand il était enfant. Dépressive,
elle s’est occupée de lui au minimum. Il en a beaucoup souffert, se
sent toujours nié par elle et craint aujourd’hui encore ses réactions.
Il ajoute que la moindre discorde avec Julien lui procure un grand
sentiment d’insécurité. Lorsque cela arrive, il se sent submergé par
ce qui se passe et cela lui fait anticiper une foule de problèmes à
traverser. Quand il en est ainsi, il ne peut plus incarner avec justesse
les rôles qu’on lui confie, notamment au théâtre.
Valentin retient sa respiration. Le silence s’installe un court
moment entre nous trois. La première phase de l’entretien s’arrête
là. Les choses étant posées et partagées courtoisement, je leur
demande que Valentin poursuive seul. Avant que Julien quitte le
cabinet, la conversation ayant montré la forte influence de Julien,
nous nous accordons tous les trois sur plusieurs points. Je
recommande à Julien de ne pas attendre Valentin dans un café à
côté du cabinet, et de le retrouver de préférence chez eux. Et je lui
suggère de ne pas questionner son conjoint avec insistance sur son
expérience, comme il le fait habituellement quand il est inquiet,
pour que Valentin puisse la vivre et la prolonger, sans interférence.
Ils sont d’accord. Julien s’en va. Beaucoup de choses se sont dites,
en creux.

À ce point de notre rendez-vous, tout semble concourir à ce que le


couple soit le motif principal de la consultation de Valentin. Mais je
sais par expérience que le sujet qui forme la partie immergée de
l’iceberg est rarement celui que le patient «travaille » en premier
lors d’une séance. Ce fonctionnement répond à un mécanisme
simple. Une personne est un ensemble holistique. Tout est relié
en elle. La plus petite transformation de l’une de ses parties
change, influence et agit sur l’ensemble des éléments qui la
structure. C’est ce qu’illustre sans équivoque l’effet domino. La
légère pression exercée sur la première pièce rectangulaire
déclenche un changement similaire, de proche en proche. Nous en
avons tous fait l’expérience. Quand nous sommes amoureux par
exemple, nous avons l’impression que chaque pan de notre existence
s’éclaire et est facilité. Cela semble à la fois naturel et magique. Tout
bouge dans notre psychisme et notre corps, sans que nous
intervenions de façon consciente. C’est fluide, léger, et cela bouscule
l’entièreté de notre identité. La mise en place de notre personnalité,
de notre individualité, de la forme et des fonctions de notre
psychisme et de notre corps commence dès le ventre de la mère et se
construit d’année en année. Mais cette structure qui apparaît fixée,
indéboulonnable, acquise, constitutive de notre existence même
possède malgré cela en elle, en même temps, le pouvoir, la capacité
d’être mise en mouvement d’une simple pichenette. Cette secousse
généralement anodine en apparence est souvent induite par le
processus hypnotique. Aussi, lorsque je demande à Valentin ce qu’il
souhaite aborder aujourd’hui et qu’il ne me parle pas du couple,
mais qu’il répète à l’envi d’une petite voix que, quoi qu’il arrive, il
ne parviendra pas à rentrer en hypnose, que cela ne marchera pas
sur lui, j’entends qu’autre chose se joue derrière les apparences. Sa
résistance à l’hypnose informe, en creux, sur d’autres résistances :
ses difficultés à s’adapter à ce que lui propose l’existence.
J’emprunte donc avec lui le chemin qu’il me montre. S’il a fait la
démarche de venir en consultation à un cabinet situé à plus d’une
heure trente en transport de chez lui, cela signifie qu’il est dans
l’expectative de quelque chose qu’il ne sait pas définir. C’est flou,
vague, mais il perçoit intuitivement que c’est à sa portée. Sinon, il
ne serait pas là. Ce fait est un formidable point d’appui.

Valentin dispose de trente minutes. Je lui dis que j’ai entendu sa


résistance, que c’est OK, qu’il n’aura rien à faire, juste à laisser le
corps et son esprit de guérison se poser et trouver leur place dans
cet ici et ce temps, s’il en est d’accord. Il l’est. J’avance avec une
économie de mots pour qu’il ne se ferme pas et qu’il ne se pense pas
manipulé, dépossédé de lui-même. Je lui propose de laisser les
paupières s’ouvrir en inspirant, et se clore en expirant. Il le fait.
Assez vite, elles restent baissées.
En début de séance, Valentin m’a dit « vivre surtout dans sa tête,
ne pas aimer son corps, ne pas avoir de lien avec lui»; je l’invite
donc à imaginer le corps sous la forme d’une personne, un homme,
une femme, une personne non genrée, autonome, éclairée, sage,
bienveillante. De visualiser cet humain, présent avec lui dans
l’espace et le temps, dans une pièce de théâtre qu’ils jouent
ensemble. Ce partenaire l’accompagne et le soutient dans la quête
qui le conduira à découvrir le trésor qui lui sera octroyé lors du
dénouement de cette histoire. Je le laisse choisir à son rythme les
vêtements qui le parent, sa taille, la couleur de ses cheveux, les
caractéristiques qu’il lui attribue. Il exprime son besoin de le
nommer pour pouvoir l’appeler, lui parler. Je lui propose
d’organiser un baptême laïc pour lui donner un prénom et créer
entre eux un lien inaliénable, et de me faire signe dès qu’il sera prêt
à poursuivre. Il hoche la tête et nomme à voix haute son compagnon
de voyage, Arsène. « Arsène Lupin, LE détective », ajoute-t-il avec un
grand sourire sur le visage. La cérémonie terminée, je l’invite à
laisser le corps-Arsène rejoindre le fauteuil dans lequel Valentin se
trouve et à le positionner entre le fauteuil et son dos, comme s’il
s’agissait d’une enveloppe protectrice. Je l’incite à s’emmitoufler
dedans. À sentir que c’est chaleureux, rassurant.
Dans ce contexte, le corps-Arsène est au service de l’incarnation
de Valentin. Il lui est totalement dédié. Il le seconde, le soutient,
agit pour lui, lui permet d’être au contact de ses ressources, de ses
forces de transformation et de guérison, et de trouver les solutions
qui sont en lui et dont il a besoin pour découvrir « son trésor » à la
fin de la pièce.
Je le conforte dans le fait que tout se passe bien, que tout s’inscrit
comme cela doit l’être dans le corps et cet espace, que la circulation
du sang et du souffle se fait toute seule, sans son intervention, dans
les veines, les artères, le cœur, les poumons, chaque organe,
jusqu’au bout des orteils, des doigts et des cheveux. Il est chauve. Il
sourit.
Je l’invite à laisser la vie circuler en lui, en eux, de façon fluide,
légère, sans la moindre exigence ou obligation de réussite; de
permettre aux sensations et aux perceptions qui montent en lui de
s’exprimer. Après un grand moment de silence, Valentin se dit
touché, « habité », à l’abri, grâce à Arsène. Cela provoque en lui des
envies de rire, une impression de bulles de champagne, d’être
traversé par des mouvements sous forme de vagues joyeuses. Il
décrit à haute voix ce qu’il éprouve.
Je lui propose de continuer le voyage avec ou sans Arsène, comme
il le souhaite et je précise que quoi qu’il décide, la force, l’énergie
protectrice d’Arsène sont désormais en lui, et qu’il pourra s’appuyer
dessus en toute circonstance. Puis, en lui donnant les
recommandations d’usage, je l’invite à se projeter dans un lieu, une
activité, une relation où il se sent en parfaite sécurité. Un long
moment s’écoule. Il demande si cela pourrait être une relation avec
quelqu’un du passé. Je lui confirme cette possibilité et l’incite à faire
cette expérience en prenant le temps de la déguster – il est très
gourmand, c’est un amateur de grands plats – et de se connecter par
tous ses sens à des odeurs, des sons, de la musique, des couleurs, des
saveurs, des mouvements, ou toute autre chose qui renforcent le
sentiment de bien-être, de confort qu’il éprouve dans l’instant dans
son corps et son esprit, et l’immense sentiment de sécurité qui est
inclus dans cette relation qu’il pensait oubliée.
Je lui indique qu’elle est présente dans cet espace et ce moment,
et qu’il possède en lui naturellement les ressources nécessaires pour
vivre un lien de confiance, en se sentant en totale sécurité avec une
personne, quelle qu’elle soit. Il évoque alors des carillons qui
sonnent gaiement pendant qu’il se promène main dans la main avec
son ami. Je lui propose, s’il en est d’accord, de permettre à ce son
d’être le sésame qui évoquera l’expérience qu’il est en train de vivre,
et de l’engranger en lui afin de la rappeler aussi souvent qu’il le
souhaitera. Valentin hoche la tête.
Je lui demande s’il est prêt à aller chercher maintenant, seul ou
accompagné, le trésor promis en début de pièce. Il est OK. Je lui
propose de laisser ses pas, son corps, son esprit, le guider jusqu’à
l’espace où il pourra accéder, en confiance, à la grotte magnifique
qui contient ce trésor. C’est lui qui a les manettes, il peut introduire
ou pas quelqu’un dans son univers pour partager avec lui sa
découverte, et organiser les choses à sa manière.
Un grand moment se passe avant qu’il ne fasse signe de
poursuivre. Je lui propose alors de laisser tomber le rideau sur cette
première partie de la pièce et je lui rappelle que cette expérience
étant désormais engrangée en lui, il va pouvoir devenir l’auteur du
scénario de son existence et poursuivre son œuvre, dans son
quotidien, à tout moment, dans les jours, les semaines, les années à
venir. Et cela aussi longtemps qu’il en aura besoin. À nouveau, un
léger sourire se dessine sur son visage.
Il revient détendu, dans cet ici et dans ce temps. Étonné, il me dit
que ça a fonctionné. Il ne comprend pas comment. Je lui
recommande de ne surtout pas chercher à l’expliquer. Cela fait des
années qu’il ne s’est pas senti aussi confortable.
Valentin est revenu par la suite consulter, sans jamais aborder la
question du couple en frontal. Il semble qu’il ait peu à peu trouvé
une place qui lui correspond mieux.
Les raisons pour lesquelles ça marche avec un thérapeute plutôt
qu’un autre sont mystérieuses. Au cours d’une séance, je m’accorde
autant que faire se peut avec le patient pour collaborer avec lui et
l’accompagner sur ce chemin qu’il découvre, sans le précéder, en le
suivant pas à pas. Il peut ainsi dire plus facilement oui à sa détresse,
à sa souffrance, et le thérapeute apprend également à dire oui à ce
qui se passe dans l’espace de la consultation. Ce double « oui » est
créatif et fécond. Il exprime que la vie passe telle qu’elle doit le faire
dans le moment, ni plus ni moins, entre eux et en partage avec ce
qui les entoure.
EXERCICE DE TRANSFORMATION : LA
GRATITUDE

« Se dés-éduquer : abandonner les Idées, opinions, préjugés,


attirances et répulsions, ouï-dire, superstitions, traditions,
croyances… Puis, se rééduquer : calmement examiner ce qui est
[…].
Et construire une structure solide, juste et ouverte à la connaissance
directe. Garder le vrai, éloigner le faux. Vous verrez alors que peu
d’informations sont vraies. De première main. »
Swami Prajnanpad

Positionnez-vous dans l’espace dans lequel vous vous trouvez de manière


à laisser le corps s’adapter aux énergies du moment, en ressentant les
points d’appui, et comment « ça » circule en lui et autour de lui.
Quand vous êtes ancré dans l’instant et dans l’espace où vous vous
trouvez, laissez alors venir la question pour laquelle vous ne trouvez
pas de solution, le symptôme qui vous bloque, le problème qui se
pose pour vous dans le moment.
N’ayez aucune exigence envers vous-même, ne faites pas le
moindre effort de volonté, laissez le corps prendre la main. Il sait ce
qui vous est nécessaire dans le moment, et il sait aussi comment
trouver les solutions à votre situation. Faites-lui confiance, il va
vous conduire là où vous avez besoin d’aller pour faire les
transformations nécessaires à votre contexte.
Inspirez en laissant les paupières s’ouvrir, sans forcer; expirez en
laissant les paupières se fermer. Poursuivez jusqu’à ce que les
paupières restent fermées naturellement.
« Ça » respire tout seul. Le souffle pénètre en vous, en vous
procurant un sentiment de confiance et de sécurité, une grande
détente.
Ne cherchez pas à vous détendre, cela ne serait pas naturel; faites
confiance à votre organisme. Tout comme le souffle et le sang
circulent naturellement en vous sans forcer, sans y réfléchir, la
détente du corps se fait de la même façon, spontanément, sans que
vous ayez à intervenir avec votre mental, votre intellect; et un
chemin s’ouvre vers vos ressources. Tout se fait en respectant votre
rythme, comme cela doit l’être.
Je vous invite maintenant à proposer à votre attention de se
promener de bas en haut et inversement, de manière à ce qu’elle soit
exclusivement dans les appuis, de la plante des pieds au bout des
ongles, jusqu’en haut du crâne… Puis de la laisser se poser un peu
plus longtemps au niveau des épaules. Là, elle perçoit les tensions
qui se concentrent traditionnellement à cet endroit du corps, et qui
vous font penser que vous portez le poids du monde sur vos épaules.
Et pour compléter ce tableau, ajoutez à ce fardeau la question pour
laquelle vous ne trouvez pas de solution, le symptôme qui vous
bloque, le problème qui se pose pour vous dans le moment.
Quand vous êtes prêt à lâcher tout ça, visualisez les différents
ressentis pesants, pénibles, contraignants qui y sont associés sous
forme de ballons de baudruche si cela vous parle, sinon, prenez
l’image qui vous vient dans le moment. Le corps va exprimer ce que
vous ressentez sous la forme de perceptions, d’images, d’odeurs, de
sons, de couleurs qui vous sont propres et qui correspondent au
problème que vous souhaitez résoudre; laissez-le faire. Si vous optez
pour des ballons de baudruche, regardez-les s’envoler dans l’espace
qui vous entoure. Plus ils montent dans le ciel, plus les tensions s’en
vont, et des solutions apparaissent. Quelle que soit la forme qu’elles
prennent, y compris si tout ça n’est pas très précis, soyez assuré
qu’elles vous conduisent au cœur de vos ressources, de vos
possibilités, de votre puissance de guérison. Laissez les choses se
faire. Vos épaules se détendent et s’enfoncent agréablement dans le
fauteuil, en renforçant le sentiment de confort, de détente, de
tranquillité qu’éprouve votre être tout entier.
Le corps se positionne peut-être à nouveau. Il sait ce qui lui convient, ce
dont il a besoin pour régénérer son énergie, son bien-être, se recentrer,
s’ancrer et vous permettre ainsi d’être à votre place et de vous sentir en
lien avec la puissance de guérison, de sagesse universelle qui est en
vous, comme dans chacun de nous.
Tout ce que vous sentez et percevez vous enrichit, vous amplifie,
vous permet d’occuper une place stable, en vous et dans le monde,
tout en surfant sur les mouvements du vivant en vous et autour de
vous. C’est votre expérience dans le moment et elle est d’une grande
richesse, pleine de potentiels qui vont pouvoir se manifester dans
votre quotidien dès que cet exercice sera terminé. Tout est à votre
portée. Un chemin vers vos ressources s’est ouvert et dessiné en
vous.
Prenez le temps de ressentir ce que vous expérimentez, et
combien cela vous procure un grand sentiment de liberté,
d’autonomie, de détente. C’est confortable. Vous souriez légèrement
tant c’est agréable. Tout est fluide, spacieux, il y a des couleurs, de
la musique, peut-être des gens qui ne sont pas loin de vous. Vous
vous sentez reconnu – par vous-même –, serein, en paix et vous
pouvez désormais être tendre et bienveillant avec vous-même.
Le corps intègre ces sensations. Vous l’habitez pleinement. C’est
comme si tous les morceaux du puzzle qui vous constituaient et qui
étaient éclatés jusqu’alors retrouvaient spontanément leur place.
Vous vous sentez entier, en relation avec vous-même, avec vos
ressources, avec les autres et avec tout ce qui vous entoure. Ancrez
cette expérience de liberté, de bien-être dans le corps à l’aide d’un
geste avec vos doigts, en sachant que vous pourrez la reproduire
aussi souvent que nécessaire dans le quotidien pour retrouver
facilement, immédiatement, ce sentiment d’être à votre place, en
lien avec vous-même.
Ne vous inquiétez pas si des pensées, des émotions arrivent à
nouveau, en nombre, dans votre esprit. C’est leur job. Vous savez
maintenant les accueillir tendrement, et votre expérience vous
permet désormais de sourire en les voyant si exubérantes.
L’expérience et le geste d’ancrage, de tendresse et d’amour envers
vous-même que vous venez de faire vous autorisent désormais à
vous ouvrir sans jugement aux situations que vous allez rencontrer.
En chemin, vous avez semé des cailloux de couleur qui vous
indiquent dorénavant comment accéder quasi instantanément à vos
ressources, et à votre énergie positive, constructive. Vous êtes relié
au flux de la vie en mouvement.
Pour terminer, je vous propose d’éprouver de la gratitude pour ce
merveilleux travail que vient de faire votre corps en union avec
votre esprit de sagesse universel. Cette gratitude n’est ni puérile ni
superficielle. Elle vous rappelle que vous êtes vivant et en lien avec
vous-même et tout ce qui vous entoure.
Posez vos mains, paumes ouvertes, sur les genoux. Inspirez et
expirez profondément.
Ancrez-vous dans ce moment que vous venez de vivre et dans
lequel vous vous êtes senti à votre place, heureux, épanoui. Percevez
les odeurs, les sons, les couleurs, les ambiances, tout ce que vous
avez éprouvé. Puis posez vos mains sur votre cœur, et « respirez »
avec votre cœur. Ressentez la puissance du vivant qui vous anime.
Quand vous êtes prêt, revenez dans cet instant et ce lieu.
DES « POURQUOI » AUX «

COMMENT »

« L’homme qui observe évolue jusqu’à ne faire qu’un avec le courant


des choses. »
Krishnamurti

LA FLÈCHE EMPOISONNÉE

Dans le Canon pāli, différentes anecdotes mettent en scène les


enseignements du Bouddha historique. Celle de la flèche empoisonnée
me parle depuis toujours. Elle est simple, concrète, lumineuse. C’est le
moyen qu’utilisa le Sage pour répondre aux questions métaphysiques de
l’un de ses élèves sur le sens de l’existence.
« Suppose, cher disciple, qu’un homme soit blessé par une flèche
empoisonnée. Quand ses proches amènent le chirurgien, si l’homme
refuse de se laisser soigner sous prétexte qu’il veut savoir qui l’a
blessé et pourquoi, alors, Mâlunkyâputta, il mourra.
Prenons l’exemple d’une autre personne qui dit refuser d’adopter
la conduite et les enseignements que je prône tant que je ne lui ai
pas expliqué ce qu’est l’Univers, s’il est ou non éternel, s’il a ou non
une limite ou bien encore quel est son sens. Alors lui aussi mourra
sans avoir de réponse.
Conduire et mener sa vie ne dépend ni d’opinions ni de concepts,
mais du fait que nous naissons, vieillissons, tombons malades et
mourons. J’enseigne comment faire cesser toute forme de souffrance
et les causes de la souffrance. J’ai expliqué la souffrance et ses
causes. J’ai expliqué la cessation de la souffrance et le chemin qui y
mène, parce que c’est utile. Tout cela n’est-il pas plus important
pour vivre que de connaître les origines de l’Univers ?
Ainsi, cher disciple, si tu veux préserver ton existence, est-il plus
utile de retirer la flèche empoisonnée ou de chercher avant même de
te soigner qui est l’auteur du crime ? »

Que nous dit cette parabole ? Que nous nous comportons très
souvent comme cet homme blessé, et que nous nous posons des
questions inutiles pour mener à bien notre quotidien. Nous sommes
tous concernés par cette manière de faire.
Pendant des années, la danse absurde des « pourquoi » a vrillé
mon esprit, dilapidé mon énergie et m’a conduite au bord d’une
forme d’aliénation de ma pensée et de mes émotions. Dans le
domaine affectif, les « pourquoi » sont le plus souvent associés à un
sentiment d’injustice, à la plainte, et aux croyances que nous
sommes maltraités par l’existence et les autres. On se sent brutalisé,
négligé, discriminé par la vie. Victime. Comme si nous étions la
cible unique et privilégiée de sa fureur. Quel ego, quel narcissisme,
quel nombrilisme, quelle importance nous nous donnons, quand
nous soupçonnons l’Univers de réunir toutes ses forces négatives
pour agir contre nous, nous soumettre, et nous mettre à terre ! Cette
attitude renforce nos tendances conflictuelles et névrotiques, et nous
ne percevons que le verre à moitié vide. Un verre qui se vide de plus
en plus tant que nous demeurons dans ce positionnement. Nous
nous asséchons intérieurement. L’aigreur, la jalousie, la colère, la
haine, la violence naissent de cet état d’esprit. À nous de déblayer le
chemin qui conduit à nos ressources, pour nous revivifier et nous
réhydrater. Nous pouvons tous le faire. Nos ressources sont en nous,
à disposition, comme nous le révèle notamment l’hypnose
thérapeutique.

ALLER DES « POURQUOI » AUX « COMMENT »


Les « pourquoi » maintiennent et accroissent la souffrance. C’est le
procédé le plus direct sur un plan émotionnel pour « monter dans les
tours », et nous garder à distance de toute solution possible. Le
processus est simple : le mental fait une image arrêtée et donc
forcément factice et tronquée du moment qui nous fait souffrir.
Nous nous identifions à lui. Nous l’interprétons sans prendre en
compte les faits, rien que les faits; nous nous coinçons et nous nous
gélifions dans cet espace-temps du passé. Et nous devenons notre
pire et unique ennemi.
Les « comment » en revanche identifient les moyens et la
démarche pragmatique à mettre en place pour transformer les
obstacles, les pensées et les émotions qui les entretiennent, et
avancer pas à pas, à notre rythme, sans forcer vers la réalité de
notre être, en surfant naturellement d’instant en instant sur les
mouvements du vivant. C’est créatif, enthousiasmant, serein, et
toujours inattendu. Cette expérience s’amorce dès que nous
renonçons à notre statut de victime pour prendre le risque de notre
autonomie. Cette réalisation ne dépend que de nous-mêmes comme
le rappelle Farîd al-Dîn Attâr dans La Conférence des oiseaux : « Qui
éprouve de la peine sur le chemin de l’élévation doit se rappeler
qu’elle renferme un trésor pour lui. Quand on marche d’un pied
ferme sur ce chemin, les dons du ciel ne sont pas sans nous
demander quelques sacrifices. » C’est donc en parcourant ce chemin
intérieur que nous découvrons que tout ce dont nous avons besoin
pour l’accomplir est à notre portée, là où nous sommes, dans notre
contexte quotidien. À nous d’en mélanger les ingrédients, selon la
nécessité du moment.
Dans ce domaine, comme en cuisine, il existe une panacée de
recettes universelles. Elles sont sans intérêt si nous ne les adaptons
pas à ce que nous ressentons. Nul besoin d’être un grand chef pour
savoir que les ingrédients qui comblent nos sens, nos goûts
dépendent souvent de notre mémoire, laquelle donne une saveur
unique aux plats de notre enfance. Je me souviendrai toujours par
exemple avec un sourire aux lèvres de certains plats préparés par
une amie paysanne de la famille qui ne faisait pas preuve d’un grand
talent dans ce domaine. Nous appréhendions tous ses invitations, car
nous le savions, c’étaient des moments où elle excellait à exercer
sans retenue son talent créatif. Son manque de conformisme,
déroutant pour l’époque, suscitait toujours de vives et joyeuses
réactions autour de la table. Je n’ai jamais su ce qui guidait ses
mélanges détonants et inattendus de sucré-salé dans une région où
la potée auvergnate et les cochonnailles avaient la préférence des
invités. Épanouie, heureuse de partager ses inventions, ne craignant
jamais le jugement d’autrui, très gaie, elle s’épanouissait en parfaite
cohérence avec ce qu’elle était, et cela procurait beaucoup de joie
autour d’elle.
Cet abandon à une forme d’intuition confère une cohérence
intérieure qui n’est pas pensée mais incarnée, et elle concerne
également notre manière de procéder pour atteindre une plus
grande paix intérieure. La simplicité n’est pas mère de la facilité.
Pour la plupart d’entre nous, elle est rarement évidente. D’âge en
âge, nous restons habités par une forme de confusion psychique et
physique, et nous subissons de « pourquoi en pourquoi » la dualité
de nos désirs contradictoires. Conséquences, nos envies, nos besoins,
nos souhaits d’idéaux, d’unité sont fantasmés, enjolivés, magnifiés et
ressemblent à des absolus paradisiaques éthérés, irréalistes,
clinquants et faux. Mais alors, comment faire pour accéder à une
simplicité libératrice du « pourquoi » et pour vivre le « comment » ?
Cette phrase d’Herrigel, extraite de son livre Le Zen dans l’art
chevaleresque du tir à l’arc, que j’ai lu et relu passionnément
adolescente, tant il me fascinait, donne un début de réponse : «
D’une voix forte, le maître cria : “Le noble art est sans intention, sans
but ! Le plus obstinément tu essaieras d’apprendre à tirer ta flèche pour
atteindre la cible, et le moins tu y parviendras. Ce qui te bloque le
passage, c’est ta volonté qui est bien trop présente. Tu penses que ce que
tu ne fais pas toi-même ne se manifeste pas. ” » Atteindre le but, les
yeux symboliquement fermés en abandonnant toute exigence ne
peut se faire que si toute volonté de réussir a disparu en nous. Ce
qui passe également par renoncer aux « pourquoi », donc aux
projections et aux stagnations qui bloquent en général dans le passé
et le futur. N’étant pas une experte en tir à l’arc, je vais vous
raconter une anecdote pouvant symboliser cette attitude intérieure
qui autorise à s’ancrer sans effort dans l’instant et le lieu où nous
nous situons. Cet épisode se déroule pendant des congés, lors d’une
soirée de fête foraine, avec des amis et nos enfants. Devant un stand
de tir, les petits nous demandent de gagner peluches et autres jouets
en tirant sur des ballons de baudruche mouvants. Les adultes «
compétents » s’y étant essayés sans succès, les gamins, déçus, se
tournent vers moi, les yeux pleins d’espoir. Laissant de côté mon peu
d’enthousiasme pour les armes, y compris factices, je m’y colle à
mon tour. Première série, tous les ballons sont éclatés, je gagne la
première peluche. « Chance du débutant », s’esclaffent mes proches.
Les passages suivants sont pareillement un franc succès. Je n’ai pas
d’explication. Mon unique mérite a été de me souvenir de
l’enseignement d’Herrigel, et d’avoir adopté sans doute la bonne
position pour regarder le centre du ballon, sans chercher à le viser.
Le mouvement s’est fait naturellement. J’ai laissé circuler le souffle
et les énergies en moi, sans chercher à obtenir quoi que ce soit. Ma
pratique de la méditation, du taï-chi-chuan et d’autres méthodes
d’attention et de lâcher-prise ont sans nul doute joué un rôle, mais
ce processus n’était ni pensé ni voulu. J’étais simplement posée en
confiance dans l’instant, et les choses se sont faites. J’ai aimé ce
moment, mais plus encore, les yeux émerveillés et incrédules des
enfants sur moi. Je n’ai jamais réessayé depuis.
La fin des refus et de la peur de vivre cessent peu à peu de se
manifester quand on se laisse traverser de plus en plus souvent par
les mouvements du vivant, sans chercher à les tordre avec des «
pourquoi » pour les retenir ou les maîtriser. Le flux de l’existence
nous porte. Et on « atteint alors la cible », le cœur de nos
ressources et de notre humanité, sans chercher à le faire. C’est
un fait. Et un fait ne se conteste pas, il s’expérimente dès que l’on ne
se situe plus en tant que victime de la vie et des autres; que l’on
accepte que ni l’Univers ni quiconque n’est en dette vis-à-vis de
nous; et que l’on cesse de se comporter envers eux comme si nous
étions leur créancier.
TRAVAILLER SUR LES

BLESSURES
INTERGÉNÉRATIONNELLES

L’EXEMPLE DE RAPHAËL : CE QUI SE JOUE POUR LUI


DANS LE COUPLE

Jemystérieuse
suis intimement persuadé que nos patients viennent de façon assez
rencontrer un thérapeute qui leur correspond, tout comme ils
nous correspondent. D’une certaine façon, nous avons besoin l’un de
l’autre, nous travaillons ensemble, nous formons une équipe soudée.

Raphaël, trente-deux ans, développeur, a un passé important de


thérapies derrière lui et « veut essayer l’hypnose », car il rencontre
des difficultés récurrentes pour construire un couple malgré son
envie de le faire. C’est le motif apparent de la consultation. Il se vit
abandonné depuis l’enfance. Il se sent mal dans ses pompes et dans
sa vie. Ses parents, grands capitaines d’industrie, ont toujours été
très pris par leur travail, leurs activités sociales, sportives et
culturelles. Ils se sont peu occupés de leurs enfants. Des employés
l’ont fait pour eux. Raphaël pense être « résistant » à ce processus,
mais veut malgré tout essayer.
Première séance : après l’induction habituelle, je lui propose de
laisser simplement le souffle pénétrer chaque cellule, jusqu’au bout
de ses orteils, jusqu’à la racine de ses cheveux, dans le moindre de
ses organes, et d’imaginer que cette circulation forme, s’il en est
d’accord, une spirale énergétique qui se balade à l’intérieur du
corps, ressort, se connecte et s’échange avec les personnes, et tout ce
qui l’entoure dans sa vie quotidienne, tout en suivant des parcours
précis. Les développeurs doivent et aiment en général suivre des
processus très codifiés pour construire les sites numériques. Je
l’invite donc à donner à cette circulation énergétique du souffle la
couleur et la forme qu’il veut, pour qu’elle le mette en relation avec
ses ressources. Je le laisse faire cet exercice. J’observe le corps se
détendre, un léger sourire se dessiner sur ses lèvres. Je lui propose
d’associer ce sourire à cette pratique. Il le fait. À ce stade de la
séance, il me semble que cette expérience se suffit en elle-même. Je
fais les suggestions posthypnotiques. Retour.
Raphaël reprend rendez-vous un mois et demi plus tard. Il me dit
qu’au début de la séance, la spirale d’énergie l’a situé sans trop qu’il
comprenne comment cela s’est fait dans un espace où il était relié,
en lui et autour de lui, avec un nombre invraisemblable d’éléments
qui participaient à le rendre vivant. Il était eux. Ils étaient lui. Cette
sensation lui a procuré du bien-être, et son visage a souri
légèrement. En rappelant depuis, de temps en temps, cette
expérience, l’image de sa mère et de sa grand-mère maternelle s’est
imposée à lui. Il dit sentir, sans l’avoir vérifié, qu’elles ont toutes
deux vécu un syndrome d’abandon. Il n’en connaît pas les détails. Il
ne veut pas savoir. L’important pour lui est de s’être senti relié à une
histoire transgénérationnelle. Je n’épilogue pas. Je lui propose de
me dire comment et où dans son corps se situe cette image
d’abandon qui le relie à ces deux femmes, et de la transformer, s’il
en est d’accord, en un lien bienveillant, amical, solitaire, affectueux,
compatissant avec elles.
Dès que l’induction est faite, je l’invite à se positionner dans cette
énergie qui circule de génération en génération, en véhiculant des
actions et des comportements d’abandon. Il pose ses deux mains au
centre de son ventre. Je lui propose de laisser faire son corps.
Ses mains se rapprochent, les doigts se touchent, appuient sur
l’abdomen, puis s’écartent comme s’ils voulaient l’ouvrir en écartant
ses parois. Raphaël est crispé. Sa respiration n’est pas fluide. Son dos
se courbe légèrement en avant. Cela semble douloureux.
Je lui propose de laisser le corps respirer. Il continue. Ses mains
descendent jusqu’à son sexe. Il inspire profondément, puis souffle,
souffle et souffle encore. Les mains reviennent doucement à leur
place initiale, sur l’abdomen. Nous terminons la séance. Après un
long moment, il s’étire, respire à nouveau profondément, et il ouvre
les yeux.
Raphaël me dit que ses mains ont « nettoyé quelque chose » en
lui. Et que lorsqu’elles étaient descendues jusqu’à son sexe, il avait
imaginé qu’une énergie soignait en lui le processus d’abandon.
Je ne l’ai pas revu depuis.
CONCLUSION

DÉCOUVREZ QUEL EST VOTRE PROPRE CHEMIN VERS


VOUS-MÊME

« Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la


petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je
lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle
sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où
elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi. »
Franck Herbet, Dune

Cette phrase de Franck Herbert m’accompagne tel un mantra depuis des


années. Adolescente, puis jeune adulte, ma peur de vivre était
omniprésente. Je manquais de confiance en moi et dans l’existence. Je me
sentais maladroite, inadaptée, en colère, indigne de recevoir de l’amour. Je
me jugeais et me condamnais en permanence. J’étais une victime, une
perdante. C’était violent, radical, extrême. Il me fallut du temps, beaucoup
de temps, et passer notamment par les apprentissages décrits dans les
chapitres précédents pour cesser de me laisser maltraiter par la peur. Pour y
parvenir, je dus faire preuve d’une grande persévérance et d’une infinie
bienveillance, et commencer par ne plus refuser d’être la petite fille fragile
et effrayée que j’étais toujours quelque part en moi. Je savais la chose
possible grâce à mon maître tibétain. Amusé et le regard plein de malice, il
m’avait dit un jour que je trépignais d’impatience, au début de ma vie
d’adulte : « Catherine, ne t’inquiète pas, les grandes colères disent que l’on
a en soi un grand potentiel de transformation. Observe-le. » Cela m’avait un
peu vexée sur le moment, tout en me rassurant – tout n’était pas fichu pour
moi –, mais je trouvais, en examinant mes réactions face à la peur, que les
transformations dont il me parlait étaient longues à se mettre en place. Je
continuais, les années qui suivirent, à observer comment l’énergie de la
peur qui sous-tendait chaque mouvement, chaque émotion, chaque pensée
s’inversait quand elle arrivait au bout de la pulsion qui l’avait induite. Mais
ce n’est qu’en articulant les différents mécanismes de la transformation que
je pus découvrir, petit à petit, le pouvoir délicieux de ne plus avoir peur – ou
moins – et d’avoir confiance en moi.
La peur n’a que le pouvoir qu’on lui donne. Ne perdez pas courage
devant les obstacles. Suivez votre chemin en sachant que vous
détenez d’immenses possibilités de guérison, de mieux-être, de
transformation, et qu’elles ne demandent qu’à s’accomplir. Si vous
en doutez, lisez les cas cliniques présentés ici, ils vous
encourageront à vous rencontrer. Ils parlent d’aptitudes que vous
détenez vous aussi. Découvrez comment, quel que soit le sujet pour
lequel les patients consultent, leur capacité à mobiliser leurs
ressources en laissant agir les processus avec constance et en
confiance, entre deux rendez-vous, opère. Nous possédons tous cette
capacité. Quand nous sommes prêts, quelque chose d’assez
indéfinissable, « le vivant » en nous, notre élan vital, peu importe le
nom qu’on lui donne, nous pousse à parcourir sans attendre le
chemin de la transformation. Ce qui change d’une personne à l’autre
est l’urgence dans laquelle elle se trouve d’oser regarder en face
l’immense lassitude et le ras-le-bol qu’elle éprouve à ne pas être elle-
même. La plupart de ceux qui embarquent pour cette aventure le
font, car ils sont épuisés d’avoir cherché pendant des années à être
une autre personne que celle qu’ils pressentent être. Ils ont compris
qu’ils vivent comme des imposteurs, et ils ne supportent plus de tout
faire pour donner l’illusion aux autres vingt-quatre heures sur vingt-
quatre qu’ils sont une bonne personne, un magnifique compagnon,
un parent exceptionnel; et pour essayer de produire des intentions
positives comme si, en raison du principe des vases communicants,
ils allaient troquer par magie leurs pensées et émotions négatives en
leurs contraires. L’hypnose thérapeutique aide les patients à se
réassocier en toute sécurité à leur corps en souffrance. Certains,
qu’ils pleurent, rient ou s’endorment, découvrent qu’ils sont vivants
en expérimentant des sensations, des impressions, des images, des
expériences inattendues qui les bousculent. Et se faisant, ils
expérimentent paradoxalement un sentiment de sécurité qui les rend
libres d’être enfin eux-mêmes.
Ces compagnonnages m’enseignent, m’accouchent. Chacun
m’invite à sa façon, en séance et dans mon quotidien, à « laisser
faire et laisser être » et à « dire oui à ce qui est ». La plupart des
patients, très suggestibles et créatifs, comme les chapitres qui leur
sont consacrés en témoignent, parviennent assez vite à oser la
transformation en plongeant sans restriction dans l’énergie du vivant
en eux. Les suggestions faites à partir de ce qu’ils apportent lors de
l’entretien sont de formidables leviers pour éclairer, déconstruire et
remettre en question leurs croyances, leurs émotions négatives, leurs
appréhensions, leurs certitudes. Elles leur ouvrent les portes de leurs
ressources et de leur créativité en les autorisant à laisser tomber les
exigences qui les condamnaient jusqu’alors à demeurer dans la
survie. Ils font cet indispensable pas de côté qui leur permet d’avoir
une relation différente à leur souffrance. Dans ce contexte, la
confiance et l’évidence de l’expérience ne s’interrogent plus. Elles
s’éprouvent.
Mon parcours m’a permis d’approcher pas à pas, de plus près, ce
qu’est le vivant, et de comprendre viscéralement que le vivant est le
vivant tel qu’il est en lui-même; qu’il ne se cherche ni en soi ni à
l’extérieur de soi-même; que soit il est, soit il n’est pas; que dans
toutes les situations, ce sont ses effets et ses blocages qui se
perçoivent; aucun mot ne peut décrire sa puissance. Cette
expérience m’a désencombrée de mon aspiration à imiter « des
modèles » et à vouloir être autre chose que ce que je suis, tout en
m’apportant une douceur et une confiance que je savoure chaque
fois qu’elles se manifestent. Quand on n’a rien à rejeter ou à
revendiquer de soi, rien à réussir, « juste » à laisser le « vivant » être
présent à ce qui se passe dans l’espace-temps du moment, les
histoires que l’on se racontait auparavant sur nous-mêmes et les
autres et sur ce que nous devons faire ou pas n’ont plus
d’importance. Nos défenses tombent. On se sent libres. Tout est
facilité. Nous sommes accordés avec gratitude à la puissance de
l’existence. Nous sommes situés au cœur de notre énergie.
Le chemin de chacun est singulier, il n’y a pas à le calquer sur celui
d’un autre. Chaque parcours recèle un monde de merveilles,
d’enchantement, de découvertes, de possibles. Ne doutez pas de votre
capacité à découvrir vos ressources, et à les employer pour aller de
mieux en mieux dans votre quotidien. N’ayez plus peur d’être ce que
vous êtes. Posez des actes en cohérence avec ce que vous ressentez.
Soyez simplement, mais entièrement ce que vous êtes.

Belle route à chacun d’entre vous !

Pour me suivre et m’écrire : www.catherine-barry.fr.


REMERCIEMENTS

ÀÀmesChristophe
parents, si essentiels dans ce parcours de vie.
Massin, Francisco Varela, François Roustang, le
dalaï-lama, mes maîtres tibétains, Arnaud Desjardins, et à mes
proches qui m’ont montré par leur exemple que faire corps et
alliance avec la réalité et les mouvements de la vie, tels qu’ils sont,
sans les interpréter, conduit à se vivre en étant autonome, serein et
libre intérieurement.

À toutes celles et tous ceux qui ont tenté de me transmettre un


peu de leur savoir dont M. Gu Meisheng et le docteur Jean-Marc
Benhaïem.

Et à mon éditrice, Charlène Guinoiseau-Ferré, pour son soutien et


sa profonde compréhension de ce sujet qu’elle a accueilli et soutenu
avec un grand enthousiasme qui m’a portée.
BIBLIOGRAPHIE

Cette bibliographie n’est pas exhaustive, car ce travail s’étend sur


des années. Vous pouvez vous procurer, en confiance, tous les livres
de ces auteurs. Je vous signale ici plus particulièrement les derniers
ouvrages relus.

BENHAIEM Jean-Marc (Dr), Hypnose-toi toi-même ! Tabac, perte de


poids, migraine, sommeil…, Éditions Flammarion, 2019.
BENHAIEM Jean-Marc (Dr), Le Guide de l’hypnose, Éditions In Press,
2015.

CARRIÈRE Jean-Claude, DALAÏ-LAMA, La Force du bouddhisme, Éditions


retrouvées, 2019.
CARRIÈRE Jean-Claude, La Conférence des oiseaux, Éditions Albin
Michel, 2016.
CARRIÈRE Jean-Claude, Croyance, Éditions Odile Jacob, 2015.
CARRIÈRE Jean-Claude, Le Mahabharata, Pocket éditions, 2010.
CARRIÈRE Jean-Claude, Le Vin bourru, Éditions Plon, 2000.

MASSIN Christophe, Une vie en confiance. Dialogues sur la peur et


autres folies, Éditions Odile Jacob, 2016.
MASSIN Christophe, Souffrir ou aimer. Transformer l’émotion, Éditions
Odile Jacob, 2013.

MIDAL Fabrice, Méditer pour les Nuls. Ni technique ni injonction : la


vraie méditation, c’est simple, First éditions, 2021.
MIDAL Fabrice, Suis-je hypersensible ?, Éditions Flammarion/Versilio,
2021.
MIDAL Fabrice, Foutez-vous la paix ! Et commencez à vivre, Éditions
Flammarion/Versilio, 2017.
PATCHÈN Ani, DONNELLEY Adelaide, Et que rien ne te fasse peur. Le
combat d’une princesse tibétaine, Pocket éditions, 2003.

PRAJNANPAD Swami, L’Expérience de l’unité, Éditions Accarias, 2013.


PRAJNANPAD Swami, ABC d’une sagesse. Paroles choisies, Éditions
Albin Michel, 2009.
PRAJNANPAD Swami, Vers la réalisation de soi, Éditions Accarias, 2009.
PRAJNANPAD Swami, Ceci, ici, à présent. Seule et unique réalité, Éditions
Accarias, 2006.
PRAJNANPAD Swami, Le But de la vie. Un été plein de sagesse, Éditions
Accarias, 2005.
PRAJNANPAD Swami, L’Eternel Présent. Questions et réponses, Éditions
Accarias, 2002.

RICARD Ève, Éclats de vie en 60 poèmes, Éditions Jouvence, 2021.


RICARD Ève, Une étoile qui danse sur le chaos, Éditions Albin Michel,
2015.
RICARD Ève, La Dame des mots, NiL Éditions, 2012.

RICARD Matthieu, Carnets d’un moine errant, Allary éditions, 2021.


RICARD Matthieu, Émerveillement, Éditions de la Martinière, 2019.
RICARD Matthieu, REVEL Jean-François, Le Moine et le Philosophe, NiL
Éditions, 1997.

ROUSTANG François, Jamais contre, d’abord. La présence d’un corps,


Éditions Odile Jacob, 2015.
ROUSTANG François, Le Secret de Socrate pour changer la vie, Éditions
Odile Jacob, 2009.
ROUSTANG François, Le Thérapeute et son patient. Entretiens avec Pierre
Babin, Éditions de l’Aube, 2006.
ROUSTANG François, Savoir attendre. Pour que la vie change, Éditions
Odile Jacob, 2006.
ROUSTANG François, Il suffit d’un geste, Éditions Odile Jacob, 2003.
ROUSTANG François, La Fin de la plainte, Éditions Odile Jacob, 2000.
ROUSTANG François, Qu’est-ce que l’hypnose ?, Éditions de Minuit,
1994.
ROUSTANG François, Influence, Éditions de Minuit, 1991.

VARELA Francisco, COLEMAN Daniel, Quand l’esprit dialogue avec le


corps, Éditions Guy Trédaniel, 2018.
VARELA Francisco, ROSCH Eleanor, THOMPSON Evan, L’Inscription
corporelle de l’esprit. Sciences cognitives et expérience humaine,
Éditions du Seuil, 2017.
VARELA Francisco, DALAÏ-LAMA, HAYWARD Jeremy, Passerelles.
Entretiens avec des scientifiques sur la nature de l’esprit, traduit par
LEVENSON Claude B., Éditions Albin Michel, 2000.
VARELA Francisco, Dormir, rêver, mourir. Explorer la conscience avec le
dalaï-lama, NiL éditions, 1998.
VARELA Francisco, Invitation aux sciences cognitives, Éditions du Seuil,
1996.
VARELA Francisco, Autonomie et Connaissance. Essai sur le vivant,
Éditions du Seuil, 1989.
VARELA Francisco, entretiens personnels et émissions de télévision.

XUAN THUAN Trinh, La Plénitude du vide, Éditions Albin Michel, 2016.


XUAN THUAN Trinh, Le Cosmos et le Lotus, Éditions Albin Michel,
2011 (Prix Louis-Pauwels 2012).
XUAN THUAN Trinh, RICARD Matthieu, L’Infini dans la paume de la
main. Du Big Bang à l’Éveil, NiL éditions, 2000.
XUAN THUAN Trinh, Le Chaos et l’Harmonie, Éditions Fayard, 1998.
XUAN THUAN Trinh, La Mélodie secrète, Éditions Fayard, 1988.
XUAN THUAN Trinh, divers entretiens privés.

WATZLAWICK Paul, Le Langage du changement. Éléments de


communication thérapeutique, Éditions du Seuil, 2014.
WATZLAWICK Paul, FISCH Richard, WEAKLAND John H., Changements.
Paradoxes et psychothérapie, Éditions du Seuil, 2014.

Autour du bouddhisme
RINPOCHÉ Dagpo, Le Calme mental, Éditions Vajra Yogini, 1999.
RINPOCHÉ Dagpo, Le Lama venu du Tibet. Autobiographie, Éditions
Grasset, 1998.
RINPOCHÉ Dagpo, L’Esprit et ses fonctions, Éditions Vajra Yogini, 1986.
RINPOCHÉ Dzongsar Jamyang Khyentsé, N’est pas bouddhiste qui veut,
NiL éditions, 2008.
RINPOCHÉ Yongey Myngyour, Pour l’amour du monde, Éditions
Fayard, 2019.
Les incontournables et essentiels livres de Dōgen et de Ryōkan.
Les ouvrages publiés par les éditions Padmakara.
Et une infinité de livres que je ne citerai pas en détail ici : plus de
1 200 références dans ma bibliothèque.

Autour de la Chine
LAO-TSEU, Tao Te King, Éditions Albin Michel, 1984.
LAO-TSEU, Tao Te King, commentaires et traduction du père Claude
LARRE, Éditions Desclée de Brouwer, 1977.
LARRE Claude, SCHATZ Jean, ROCHAT DE LA VALLÉE Élisabeth, Structures
de l’acupuncture traditionnelle, École européenne d’acupuncture.
WOU TCH’ENG-EN, Le Singe pèlerin ou le Pèlerinage d’Occident,
traduction George Deniker, Éditions Payot, 2018.
WU CHENG’EN, La Pérégrination vers l’Ouest (Xiyou ji), traduction
d’André Lévy, Éditions Gallimard, La Pléiade, 1991.
ZHUANGZI, Œuvre complète, Gallimard, coll. Unesco, traduction de
Liou Kia-hway, 2011.
Le Huang Di nei jing su wen et autres livres de médecine
traditionnelle chinois.
Le Yi King.
www.editions-jouvence.com