Transformation 1700506503
Transformation 1700506503
Transformation 1700506503
Préambule
Ce que le processus de la transformation propose
Un mécanisme de transformation non pris en compte dans nos
sociétés
Les grandes étapes de la transformation
Aller au plus près de ce que nous sommes
Conclusion
Découvrez quel est votre propre chemin vers vous-même
Remerciements
Bibliographie
PRÉFACE DE FABRICE MIDAL
J’ai rencontré Catherine Barry, il y a près de vingt ans, quand elle m’a
interviewée pour l’émission Voix bouddhistes sur France 2. À l’époque,
j’étais très impressionné de devoir passer à la télévision et j’avais un trac
intense, mais grâce aux dons de Catherine, ce fut chaque fois un moment de
joie et surtout de vérité.
Dans nos longues discussions d’alors, en particulier pour préparer
les nombreuses émissions que nous avons faites, j’avais été frappé
par sa manière de questionner cette tradition, invitant à creuser
toujours plus précisément ce qu’elle nous permet de comprendre de
notre esprit.
Ses entretiens mémorables avec Francisco Varela ou le dalaï-lama
témoignent de cette quête. Notre esprit nous est en effet si souvent
étrange, mystérieux. Ne vaudrait-il pas la peine de l’explorer ?
Pourquoi éprouvons-nous telle émotion à tel moment ? Pourquoi
sommes-nous parfois bloqués ?
Dès cette époque, Catherine était convaincue qu’explorer son
esprit était la clé pour découvrir comment surmonter nos difficultés.
Pour se libérer de ce qui nous étreint et nous étouffe.
Fabrice Midal,
Philosophe, fondateur de l’École occidentale
de méditation et auteur (dernier livre paru :
Les 5 portes, Flammarion, 2022).
Cetransformation.
livre est né d’un constat. Personne
Pourtant, il n’y a pas
ne pense assez la
de vivant sans la
transformation.
On pense ce que doit être le but, fait d’apaisement et du bonheur
d’être plus calme, moins angoissé, motivé, performant, un bon
patron, une merveilleuse personne, mais on ne pense pas la
transformation, ses étapes, son processus, ses leviers, et ses liens
avec le vivant et l’énergie. Son mécanisme n’est ni compris ni pris
en compte dans nos sociétés.
Dans notre monde de croyances, de paraître, de déni, de modes, la
plupart des méthodes préconisées, laïques et religieuses, pensent
l’existence en lien avec un futur idéalisé. Tout est mis en place, à
l’excès, pour permettre aux personnes de se fuir; de spéculer sur
l’obtention d’un état figé, souhaité, hypothétique, souvent irréaliste,
car déconnecté de ce qu’elles sont vraiment et de leur contexte. Tout
est fait également pour leur éviter de se confronter au processus de
la transformation qui libère des peurs et des croyances.
Conséquence, elles se maintiennent dans la survie, sans même en
avoir conscience. La progression des addictions, des dépressions, et
du sentiment de solitude qui terrasse un si grand nombre de nos
contemporains en témoigne. Les choses changent quand l’existence
convoque le bon sens de la transformation, en s’appuyant sur la
souffrance du quotidien. C’est le moment où nous avons le choix de
faire, ou pas, la transformation.
CE QUE LE PROCESSUS DE LA TRANSFORMATION
PROPOSE
Son postulat de départ repose sur un fait avéré : nous sommes des
êtres vivants, donc en relations, c’est-à-dire en liens interactifs,
complémentaires et collaboratifs avec un grand nombre
d’environnements. Cette manière de poser et de considérer chaque
personne, en même temps, en elle-même et en interactions actives et
transformatrices avec tout ce qui vit spécifie et différencie cette
approche de la plupart des méthodes connues, qui situent les
individus bien sûr dans le monde et la nature, mais sans penser ce
processus en termes d’influences réciproques, agissantes, et non
subies, car librement explorées. Ici, tout passe d’abord par le corps,
l’incarnation. Les sens mobilisés explorent les interactions existantes
entre nous et les différents mondes du vivant. Les mutations
s’opèrent à partir de cet ensemble holistique. La transformation
inclut cette dynamique qui est l’essence même de la vie, et qui
concerne la totalité de l’être.
Pour comprendre, imaginez-vous positionné au centre d’un filet
de liens invisibles. Vous êtes connecté à différents milieux qui
agissent sur vous et que vous influencez en retour. C’est le principe
des vases communicants. Vous connaissez par exemple l’impact du
soleil sur l’humeur et la santé. Sa présence, son action vous rendent
vraisemblablement plus joyeux, et mieux dans vos pompes. Vous
savez aussi par expérience que ce qui se passe dans le corps quand
vous êtes malade ou que vous avez trop mangé ou bu induit certains
de vos comportements, en affectant parfois vos proches. Les
éléments intérieurs (émotions, pensées, mauvaise circulation du
sang et du souffle, organes malades, etc.) et extérieurs (climat,
conflits en famille ou au travail, etc.) ont une action sur vous, et se
répercutent sur votre contexte, votre personnalité et votre
organisme. Et il en est de même pour ce que vous générez via votre
souffle, vos émotions, vos déchets, etc. Nous ne le percevons pas
toujours. C’est normal. Tant que cela lui est possible, le corps en lien
avec ses environnements régule ce qui peut l’être, pour notre bien-
être physique et psychique. Notre job à nous quand nous allons mal,
quand nous souffrons, quand nous sommes désaccordés et démunis
pour faire face aux situations est de lui donner l’impulsion qui va lui
permettre de nous raccorder à notre contexte. Ce nouveau
positionnement entraîne une série de transformations en nous, et
autour de nous.
Comment cela fonctionne-t-il ? Dans le cerveau, l’esprit
inconscient, le système nerveux profond, les organes… les choses
sont naturellement en lien. Dès qu’un blocage, une difficulté se
manifeste dans nos vies, elle se répercute de plan en plan. Notre
manière d’être au monde change. Cela fonctionne comme un jeu de
dominos que l’on fait tomber en donnant une légère tape sur le
premier. Le mécanisme de la transformation s’appuie sur ce
dispositif pour changer le mouvement, en passant par le corps et ses
ressentis. On ne rejette rien, on se sert de tout ce qui est là. On
le laisse exister, on l’apprivoise, et cela se transforme. On ne
cherche pas les causes ayant donné naissance aux émotions. On
regarde comment les émotions présentes dans le moment
s’expriment. On entend leurs messages. On accompagne leurs
variations. Ici, ce n’est pas l’intellect qui pense un trauma, au risque
de le réveiller et de le renforcer, pour tenter d’en gommer les traces.
Ce n’est pas non plus le mental et la volonté qui agissent ensemble
pour essayer de réaliser un but idéalisé, qui ne résistera pas aux
réalités du quotidien. C’est l’être tout entier qui réunit ses forces
inconscientes et sa puissance de guérison, en étant en lien avec le
reste du vivant, pour découvrir les ressources dont il a besoin dans
le moment et aller vers ce qui lui est nécessaire.
Ce processus débute quand on prend le risque de se poser
entièrement dans notre existence singulière et que nous cessons de
la regarder de loin, en nous pinçant le nez, comme si elle n’était pas
nôtre, et que nous n’habitions pas ce monde. Cela ne signifie pas
qu’il n’y a plus d’émotions conflictuelles ni de situations pouvant
apparaître douloureuses et complexes, comme ce livre en témoigne
de page en page, mais que nous y sommes de moins en moins
identifiés, et qu’elles nous déstabilisent moins, car nous avançons
sans a priori sur un chemin qui nous correspond. C’est parfois long et
fastidieux en apparence, nous sommes souvent impatients de voir se
réaliser certaines modifications, mais cela n’est jamais vain.
J’aicœurmisunifiés,
longtemps à accepter et à adhérer de toutes mes tripes, corps et
à ces mots prononcés avec le sourire et une infinie douceur
dans les années 1990 par le dalaï-lama, lors de l’un de nos entretiens. Ce
chemin vers la sérénité, tracé à partir de soi et vers soi, me semblait à
l’époque difficile à emprunter tant le bouillonnement de mes émotions, de
mes pensées et la force des comportements réactionnels qui en découlaient
me tenaient sous leur emprise. Sa simplicité disait la cessation d’habitudes,
de peurs, de blessures établissant depuis des années mon identité sociale et
familiale. Je n’y étais pas prête. Je savais pourtant, nous le savons tous, que
le bonheur factice et chimérique promu par nos sociétés de consommation
ne conduit pas à la paix intérieure. Mais l’idée proposée par ce grand sage
d’abandonner mes béquilles matérielles et spirituelles me confrontait à un
vigoureux sentiment d’impuissance. J’espérais sans doute encore que les
maîtres de vie que je côtoyais me délivrent par magie de mes entraves. Leur
capacité à m’accueillir de manière inconditionnelle les parait dans mon
esprit d’aptitudes humaines exceptionnelles. J’attendais presque tout,
forcément trop, d’eux.
Et cela d’autant plus facilement qu’en leur présence bienveillante,
les douleurs de l’enfance s’allégeaient, l’instant se vivait dans
l’immédiateté des expériences et les relations aux autres dans
l’assurance de ne pas sortir meurtrie de ces rencontres. Cela ne
durait pas. Peu m’importait. Je temporisais le moment où la réalité
me rattraperait. Je voulais croire en un « miracle » qui effacerait,
d’un coup, mes casseroles avec la vie. J’aimais imaginer que grâce à
leurs prodigieux pouvoirs, supposés semblables à ceux relatés dans
les récits d’Alexandra David-Néel ou de Lobsang Rampa, ils
provoqueraient une transmutation spontanée de tout ce qui
m’abîmait. Je transposais au pays des gourous l’un de mes mythes
préférés étant enfant, celui de Merlin l’enchanteur. Évidemment, rien
de tel n’arriva. Ils ne pouvaient faire à ma place. Mes attentes
puériles se fracassèrent sur le réel. Ce fut ma chance. Je dus
apprendre à marcher sans tuteur, et à accepter de laisser les choses
se dérouler à leur rythme. Le temps que ce processus commence à
infuser, puis se fasse, me parut flirter avec l’éternité. Le mental
manipule notre perception de la durée et de la souffrance
quand il est aux commandes. C’était le cas. Ce « vaurien » était
omnipotent, rayonnant, expansif, formidablement bavard et
convaincant. « Tout ce qui brille n’est pas d’or », dit le dicton.
J’aurais dû m’en souvenir quand je le voyais avancer dans mon
quotidien, paré des colifichets formés par mes identifications, mes
croyances, mes peurs, mes besoins imaginaires. Mais son clinquant
m’aveuglait. Il me figeait dans la survie. Roué, ce super bonimenteur
avait le champ libre pour me vendre sans scrupule des fioles
contenant des plantes toxiques. Il n’avait qu’à se baisser pour en
remplir son panier. Doute, inconfort, tristesse, sentiment d’injustice,
crainte de recevoir de nouveaux coups de l’existence, manque de
confiance en mes ressources et dans les autres, il avait le choix des
ingrédients, et il savait les emballer pour me conduire à les «
acheter ». C’était facile. Je voulais tout et son contraire. J’étais
parfois tellement perdue que si un numéro de téléphone d’urgence
relié à une plateforme SOS disciple en détresse avait existé, j’y aurais
eu recours frénétiquement et sans états d’âme, tant je confondais
assistanat et accompagnement.
Ilqueesttant
une chose absolument enthousiasmante dans l’existence, c’est
que nous sommes vivants, rien n’est figé. Nous ne sommes
pas suffisamment percutés, bouleversés par cette réalité. C’est pourtant une
chance incroyable de ressentir la vie couler en nous, les poumons respirer
sans notre intervention, le sang circuler dans le cœur et le corps
spontanément, les organes œuvrer ensemble à notre santé affective et
physique.
Je ne sais pas ce qu’est la vie ni comment elle me pénètre avec
tant de fougue et de constance depuis ma fécondation, sans jamais
renoncer, alors que je l’ai tant malmenée. Je n’ai aucune envie de la
décortiquer pour le savoir. Je préfère percevoir ses mouvements en
moi et autour de moi; sa densité; sa force quand elle est fluide; ses
nœuds quand quelque chose la bloque. J’aime entrer ainsi en
résonance, en lien avec ce qu’elle est, avec son énergie d’instant en
instant. Je sais qu’en avançant ainsi, je dispose d’une marge de
manœuvre vis-à-vis d’elle pour accompagner son mouvement, sans
peur, sans rien en saisir ni en attendre non plus; et qu’elle
m’enseigne combien je suis « une enfant arrogante et prétentieuse »
quand j’oublie cette règle et que je tente de la tenir en mon pouvoir
pour éviter ses chaos. Ce processus est curieusement très libératoire.
Il ne s’agit pas pour autant d’être passif, victime, de subir les
événements douloureux, mais de les regarder tels qu’ils sont pour
nous, pour en faire le matériau de notre transformation et redevenir
naturellement des êtres en réseau. Des vivants.
TON CORPS…
Sébastien est un vieil ami de trente ans. Hyperactif, brillant, nous avons
souvent travaillé ensemble par le passé dans l’audiovisuel, avec une
complicité partagée, et un plaisir sans cesse renouvelé pour ma part. À son
contact, j’ai toujours eu le sentiment de pouvoir évoluer, m’améliorer,
innover. Il connaît mon parcours, mon travail en hypnose, il a confiance en
moi, il me téléphone pour caler une consultation.
Notre relation mélange harmonieusement amitié et collaboration
professionnelle depuis si longtemps que je crains que sa démarche
change trop nos liens. J’hésite à y répondre favorablement. Cette
demande me déstabilise et, plus encore, me donne la sensation de
me coincer entre passé et futur. Nous en parlons quelques minutes.
Ayant l’habitude de méditer et d’observer ce que je ressens, je
visualise et scanne rapidement mes craintes et mes émotions : je ne
veux pas le décevoir, je souhaite réussir à l’aider, je redoute qu’il
n’adhère pas au processus thérapeutique ou qu’il le devance au
risque de le démonter et de l’empêcher de fonctionner;
comportement récurrent chez lui. Mon mental s’emballe. Je le
constate. Je reviens à ma respiration. Je laisse le corps inspirer et
expirer à son rythme. Cela enclenche spontanément une expulsion
du souffle plus profonde, et un discret soupir s’en échappe en
libérant des tensions. Un sourire se dessine sur mes lèvres. Tout est
OK dans cet espace-temps qui me relie à Sébastien. Mes propres
envies de sabordage, ma crainte de me montrer fragile, hésitante,
vulnérable et le désir de « réussite » et de performance qui
montaient en moi ont fondu comme neige au soleil avec l’expiration
du souffle. Le processus a été agile. Je n’ai rien saisi, agrippé,
cristallisé de ce qui me traversait. J’ai dit oui à ce qui montait en
moi. Il n’y avait rien à « protéger ». Nos « neurones miroirs »8 ont
fonctionné sans nul doute à distance tout au long de notre échange
téléphonique. J’ai accueilli Sébastien comme un patient.
8. Les neurones miroirs sont des cellules du cerveau qui s’activent quand nous faisons
une action, quand nous imaginons faire une action ou quand nous observons une autre
personne faire une action. L’action se réalise en miroir de celle faite par l’autre. L’exemple
le plus connu est le bâillement : il est fréquent que le fait de voir quelqu’un bailler
déclenche en nous un bâillement. C’est ce même processus qui agit également en partie
dans l’empathie. L’activation de ces cellules neuronales explique comment l’être humain
apprend une nouvelle tâche et comprend les intentions d’autrui.
JE DIALOGUE AVEC LE
CORPS !
CHOSES EN MAIN
Leconditionnements
principe de cet exercice est de remettre à zéro tout ou partie de vos
mentaux, dans l’instant, pour permettre au corps de
reprendre la parole, d’agir, de se sentir et de s’éprouver comme s’il venait
de naître au monde et à lui-même.
Pour cela, je vous propose si vous le pouvez de vous lever et de
marcher en silence quelques minutes, à votre rythme, sans suivre un
plan précis. Vous pouvez soit demeurer dans la pièce où vous vous
trouvez, soit choisir de le faire à l’extérieur, peu importe. Mettez-
vous en position debout. Si vous êtes alité ou que vous devez rester
assis, quelle qu’en soit la raison, vous pouvez faire cet exercice sans
bouger de l’endroit où vous êtes. Le résultat sera identique. Adaptez
à votre situation les suggestions suivantes.
Immobile, les pieds bien ancrés dans le sol, le dos droit autant que
possible, la nuque dans son prolongement, laissez le mouvement
naturel de la respiration se faire et posez votre regard sur un point
fixe devant vous ou, entre les sourcils, si vous préférez laisser les
paupières se fermer. Quand le corps et votre esprit inconscient sont
prêts à approfondir le processus en cours, laissez les paupières
s’ouvrir et commencez à marcher, sans aucun but, en regardant ce
qui vous entoure comme si vous le découvriez pour la première fois
et que vous veniez de naître dans cet espace et cette réalité. Cela va
vous permettre de faire une expérience inédite, neuve, et de
découvrir un monde inconnu.
Ne dirigez rien. Laissez le corps avancer, s’arrêter, bouger à
son rythme, sans rien décider pour lui. Si cela ne vous semble pas
évident, essayez de percevoir en vous la partie qui agit librement,
sans l’aide de l’intellect, en se reliant à l’énergie qui l’environne.
Cette énergie vous « respire », elle permet la circulation du sang
dans vos veines et vos artères, fait bouger vos muscles des yeux, des
lèvres, des doigts, et d’autres parties du corps, selon vos possibilités.
Sans rien chercher à obtenir ou à réaliser, laissez le corps uni à votre
inconscient créatif, votre puissance de vie et de guérison se
connecter à cette énergie. Elle est le flux naturel, dynamique,
incessant, du vivant en vous. Elle vous traverse naturellement, elle a
un rythme propre, elle est en relations étroites et constantes avec
vos environnements, et elle collabore et coopère avec eux pour
apporter au corps tout ce dont il a besoin pour assurer ses fonctions.
Laissez-la nourrir, amplifier vos sens, afin que chaque cellule
ressente, écoute, perçoive, sente, touche, goûte, à sa manière,
l’expérience qu’elle rencontre quand vous êtes libéré des pensées et
des émotions conflictuelles qui vous emportent habituellement dans
le quotidien.
Pour faciliter ce processus, vous pouvez vous visualiser sous
l’aspect d’une énergie de la forme, de la couleur et de la consistance
que vous voulez, comme cela vous vient naturellement dans le
moment, et vous relier par ce biais « au ciel, à la Terre et aux
autres ». Cette énergie est la vie, le mouvement. Elle participe à tout
ce qui existe dans le monde visible et invisible. Elle vous constitue
et vous anime.
Observez ce que vos sens perçoivent, sans donner de nom, sans
classifier, sans adjoindre de pensée ni d’émotion à ce qui se
présente. Votre esprit ne définit plus rien, il ne nomme plus, ne
classe pas, ne catégorise pas. Il est simplement vivant.
Prenez votre temps. Que vous marchiez ou pas, c’est le corps qui
sait, qui sent, qui perçoit via l’intuition qui s’éveille ce qu’il doit
faire. Des images apparaissent, des sons semblent peut-être surgir de
nulle part, des odeurs, des saveurs…; laissez faire, tout est OK, tout
n’est que mouvements fluides et changeants de la vie.
Laissez les sensations vous amplifier, vous augmenter, vous
relier à l’Univers. Laissez-vous devenir le monde et le monde
devenir vous. Observez si c’est le cas que le sentiment de
séparation qui existait en début d’exercice entre vous et ce que vous
perceviez s’efface peu à peu.
Si au début de cet exercice, vous vous sentez un peu perdu, vous
ne savez pas trop quoi faire ni penser, c’est parfait. Il n’y a rien
d’autre à faire que de laisser agir le corps, les sens, le souffle, qu’à
vous laisser porter.
Faites confiance à votre corps et à votre esprit. Ils ont eu une
consigne de départ : marcher, avancer, sentir, éprouver sans but et
sans rien nommer. Ils le font. Laissez-les guider naturellement la
marche, vos sens, votre regard. Laissez votre esprit observer le réel
tel qu’il le voit sous forme d’énergie quand il ne qualifie rien.
Si les pensées, les émotions pointent leur nez, ce qui est un
phénomène naturel, et que vos habitudes mentales reprennent
parfois le dessus, ne vous inquiétez pas, laissez-les faire et notez
intérieurement la manière dont elles nomment les éléments qu’elles
perçoivent. Si c’est détaillé et que le mental précise la couleur,
l’épaisseur, le genre, etc., revenez à une approche plus directe et
dites alors à voix haute : fleur, peau, chaussure, sol, femme, homme.
Faites de même si des souvenirs remontent, nommez-les sobrement :
enfant, conjoint, travail, collègue, etc. En procédant ainsi, pensées et
émotions passent sans s’arrêter, vous ne vous identifiez pas à elles et
vous vous en libérez peu à peu.
Poursuivez votre démarche sans nommer ce que vous voyez. Et
savourez cette expérience sans chercher à la saisir, en appréciant
tous ses aspects. Comme si vous dégustiez un fruit dont la saveur, le
goût, la texture nourrissaient chaque organe de votre corps.
Remarquez la sensation de plénitude et la joie qui se répandent en
vous quand vous vivez ainsi l’espace-temps dans lequel vous vous
situez. Et choisissez un code, un geste, ou toute autre chose qui vous
permettra de refaire cette expérience dès que vous le souhaiterez.
Pour terminer cet exercice, respirez profondément, étirez-vous et
ancrez-vous dans cette expérience du moment.
Faites cet exercice dix à quinze minutes au début, pas plus. Puis
adoptez la durée en fonction de ce que vous sentez nécessaire dans
le moment.
PLACE
C’est des années après ma rencontre avec François Roustang que j’ai
découvert cette phrase. Je n’avais pas cherché à l’époque à savoir ce
qui s’était passé en confiant le corps au fauteuil du cabinet, du thérapeute.
J’avais conservé de ce rendez-vous la sensation délicieuse et libératrice
d’avoir vite lâché toute envie, toute velléité de faire, et le soulagement
éprouvé quand une partie de moi avait abandonné jusqu’à l’idée même
d’obtenir un mieux-être. Le corps en épousant l’espace du fauteuil s’était
débarrassé dans les pleurs du chagrin sourd et intense qui accompagnait
mes pas depuis des années et dont je ne supportais plus l’emprise, de mon
obstination à vouloir tout saisir, sans cesse, pour tenter de me rassurer; et
mon quotidien en avait été doucement changé. Depuis, les choses se
faisaient à leur rythme. Je ne cherchais plus, ou de moins en moins, de
réponses aux questions qui me décentraient, me « dé-corporalisaient » dès
qu’elles mettaient en mots mes angoisses. Et moins la tête pensait autour de
son principal sujet de préoccupation – moi, souffrante –, plus je
m’éprouvais joyeusement vivante. Le corps était devenu mon meilleur allié,
ma boussole intérieure. Il m’indiquait désormais sans se tromper ni me
leurrer comment je marchais dans, et avec le monde. J’avais confiance en
lui. C’était déconcertant, mais indiscutable et durable.
Aujourd’hui, quand il arrive que je sois décentrée, fatiguée, que la
mécanique se grippe, je le remarque aussitôt, et je donne rendez-
vous au corps sans attendre, en utilisant certains des exercices
présentés ici. Je l’invite à s’articuler, à son rythme, sans le forcer,
sans rien exiger de lui, avec ce qui l’entoure, dans le moment. À se
poser simplement dans l’espace qu’il occupe, et à reprendre sa place.
Dès qu’il se raccorde, chaque cellule le sent. Les pensées et les
émotions parties en vadrouille dans le passé et le futur cessent leurs
déplacements désordonnés. Ça respire tout seul. Mon plexus et mes
mâchoires se décrispent et se desserrent, et le corps se détend tout
entier. Avec le temps, j’ai appris à accepter et même à apprécier que
les éléments qui le composent et l’animent soient sans cesse en
mouvement et que sa position intérieure change selon les
circonstances au point, parfois, de se désaccorder. Je sais que c’est
toujours ponctuel, et que surfer, adhérer, ne faire qu’un avec le
vivant suppose ces flux en forme de montagnes russes. Chaque
mouvement est cyclique et composé d’un début, d’un apogée,
et d’une fin. Cet enchaînement de naissances et de morts
métaphoriques et sensitives permet une circulation différente
de l’énergie grâce à laquelle les concepts et les croyances peuvent
se dissoudre en partie ou en totalité, et les sensations se transformer,
s’amplifier, s’incarner. Et c’est captivant.
Nous avons tous la capacité de trouver une place qui soit adaptée
à notre contexte. Cet accordage se fait spontanément en laissant la
situation nous ajuster quand nous n’écoutons pas le mental-ego râler
parce qu’elle ne ressemble en rien à ce que ses critères demandent.
Mais ça, c’est une histoire qui ne nous concerne plus, quand nous
sommes alignés en nous-mêmes. Quand c’est le cas, le mental-ego
n’intervient pas, il ne se compare plus à qui que ce soit, et il ne
cherche plus à atteindre un bonheur parfait, définitif et inoxydable
tel que celui vanté par la société actuelle ou de nombreuses
traditions religieuses.
Notre éducation nous conditionne à vouloir de manière presque
obsessionnelle une forme d’excellence dans tous les domaines. Une
belle vie, un conjoint pourvu de nombreuses qualités, une situation
familiale et professionnelle enviable, une bonne santé, des enfants
magnifiques, intelligents et sages. Et plus que toute autre chose, en
creux, à essayer de donner du sens aux événements en saupoudrant
nos expériences de poudre à perlimpinpin intellectuelle pour
justifier nos comportements, et ne pas souffrir. Mais en procédant
ainsi, nous vivons de plus en plus corps et esprit dissociés, ce qui
conduit le corps à se manifester bruyamment pour attirer notre
attention, via notamment les addictions, phobies, angoisses, etc.
Reste qu’il n’est pas facile d’abandonner ces comportements. Le faire
est en général très déstabilisant. Y renoncer oblige à se séparer
d’habitudes profondément ancrées en nous et dans nos familles. Nos
repères et nos réflexes changent. Tout est à réapprendre. Cela crée
en nous un vide immense. Nous sommes désarçonnés. Nous ne
savons plus qu’attendre de la vie, que lui réclamer. Nous avançons à
tâtons sur un chemin dont nous n’avons pas la carte, en apprenant à
nous relier simplement à ce qui est, dans l’instant. Et c’est un sacré
apprentissage.
Différentes méthodes, dont l’hypnose, accompagnent ces
processus. C’est souvent déconcertant et plein de surprises. Quand
j’ai rencontré François Roustang, j’avais déjà beaucoup travaillé à
tenter de me libérer de mes croyances, de mes peurs, de mes envies
de perfection, et de mon besoin d’être LA bonne élève de la vie. Je
n’y étais pas parvenue. J’avais beau m’en défendre, le nier, je restais
imbibée par certains principes religieux inculqués pendant mon
enfance par ma famille catholique, très pratiquante. Chez nous, le
corps était un ennemi. Il représentait un obstacle majeur sur une
voie spirituelle. Il n’avait aucune légitimité à occuper une vraie
place. Bien que je me sois échappée avant mon bac de ce milieu «
sclérosant », le corps me faisait mal, je le délaissais ou le maltraitais
selon les moments; je le blessais, le reniais. Je ne pouvais ni ne
désirais m’incarner en lui. Je voulais de manière obsessionnelle être
parfaite sans lui, n’être qu’un pur esprit. Et cela dura jusqu’à ce que
François Roustang provoque le déclic qui autorisa le corps, pour la
première fois depuis le ventre de ma mère, à occuper pleinement sa
place. Posé dans le fauteuil, je le sentais vibrer de plus en plus fort
au fur et à mesure que le déconditionnement des pensées et des
émotions opérait. La volonté, les mots, la peur ne le bloquant plus,
l’énergie circulait différemment. L’incertain et la banalité
réjouissante du quotidien reprenaient leurs droits. Cela me
soulageait. Cela me convenait. Je pouvais me « foutre la paix ».
Rien n’arrive par hasard. Le cas de Simone est typique d’un problème de
place.
Lorsqu’elle vient consulter, la jeune femme de trente-huit ans
tente, depuis plusieurs années, d’avoir un enfant avec son
compagnon. Elle a rencontré Jean-Louis juste après le décès de sa
mère avec qui elle avait une relation fusionnelle. Il n’y a pas de
conflit dans le couple, elle s’y sent bien et se dit prête à accueillir un
enfant. Cadre supérieur, elle travaille beaucoup, fait de nombreuses
présentations qui se terminent tard le soir, prend beaucoup de notes
à la main : elle aime la sensualité de l’écriture, cela l’aide à
mémoriser quand elle monte ses dossiers. Elle s’organise toujours
pour passer des week-ends avec Jean-Louis, leurs amis, leurs
familles. N’étant stériles ni l’un ni l’autre, ils ne comprennent pas
pourquoi « ça bloque ». L’une des proches de Simone lui ayant
recommandé l’hypnose pour se détendre et se reconnecter à son
corps pour favoriser, selon elle, une grossesse, elle vient consulter.
Lors de l’entretien, qui prend une tout autre tournure que le motif
de consultation annoncé, elle parle à plusieurs reprises du décès de
sa mère, il y a cinq ans. Elle dit être depuis percluse de douleurs
chroniques, en grande partie les mêmes que celles de sa mère avant
son décès. Sa mère dont elle était très proche était hospitalisée en
province. Son état s’étant dégradé très vite, Simone n’a pas pu la
rejoindre dans les temps pour lui dire au revoir. Elle en ressent
depuis de la culpabilité et un grand chagrin. Les douleurs sont
apparues progressivement après les obsèques. Elle a consulté divers
spécialistes qui n’ont pas trouvé de causes organiques et qui lui ont
donné des traitements à prendre lors des crises douloureuses.
Ce qui émerge d’emblée de cet entretien : le sentiment de Simone
d’être enfermée, limitée dans sa vie par les troubles et les douleurs
apparus à la suite du choc affectif provoqué par la mort de sa mère.
Sa culpabilité née du fait de ne pas lui avoir dit au revoir, de penser
ne pas avoir été là pour elle, d’avoir été dans une forme de déni par
rapport à la maladie.
Je lui demande si elle serait d’accord pour « travailler » d’abord
sur les douleurs – elle accepte –, et si elle a remarqué que son corps
manifestait des symptômes en miroir avec ceux qu’avait sa mère.
Elle l’a déjà un peu évoqué dans l’interrogatoire, elle acquiesce.
Je termine cette approche en lui demandant si elle serait d’accord
pour déplacer, transformer, renégocier la relation qu’elle entretient
avec sa mère via son corps, et pour construire un nouveau lien avec
elle. Elle est OK.
Le déroulé de la séance est ici très résumé : chaque étape a en
effet été réalisée en proposant diverses options à Simone.
Simone est assise dans un fauteuil aux couleurs claires en face de
moi. Nous entrons dans le processus hypnotique en nous focalisant
sur la respiration, puis sur un point devant elle, et en laissant le
corps s’installer dans le fauteuil.
Dès que son esprit et son corps sont prêts à passer à une autre
phase, elle fait un signe qui signifie que, comme nous en avions
convenu, le processus thérapeutique a débuté pour elle.
La séance se déroule pas à pas jusqu’au moment où Simone rejoint
un lieu où elle se sent bien, en sécurité, ouverte, à sa place, en lien
et en parfaite harmonie avec elle-même et ses environnements.
Je lui suggère alors d’écrire dans cet endroit où rien n’est encore
écrit la relation qu’elle voudrait avoir désormais avec sa mère. Puis,
quand elle a terminé de rédiger, de mettre ce récit en scène pour en
faire l’expérience dans cet espace de totale sécurité, le sien, où tout
est à sa juste place. Je l’invite ensuite à y convier sa mère si elle le
souhaite. Ce qu’elle fait. Je lui suggère alors, lorsque la partie
inconsciente de son être et son esprit seront prêts, de lui parler, de
lui dire qu’elle l’aime ou peut-être pas, et tout ce qu’elle ne lui a pas
encore dit, et qu’elle souhaite lui dire… d’échanger avec elle… de
lui expliquer qu’elle lui manque au point de reproduire ses réactions
et ses symptômes, jusque dans son corps, ou de faire toute autre
chose comme la prendre dans ses bras, se blottir contre elle, ou
encore la regarder si elle préfère dans les yeux, sans parler, avec
amour, tendresse… Je précise aussi qu’elle peut la laisser dans un
coin si telle est son envie, et que c’est elle qui sait comment elle veut
qu’elles se positionnent toutes les deux pour qu’elles aient une
relation d’adulte à adulte, de cœur à cœur, de mère à fille.
Simone, émue, a les larmes aux yeux. Elle ne les ouvre pas; nous
poursuivons l’expérience.
Je lui propose de terminer en disant à sa mère que maintenant
que ce lien est créé, que la parole est établie et qu’elles occupent
chacune une juste place, le corps de Simone va naturellement
trouver son espace, sa place, être complètement présent à lui-même,
et « se guérir » si tel est son souhait.
Je l’invite à observer que le corps est sans doute de plus en plus
confortable, à sa place, accordé avec sa réalité, qu’il n’a plus besoin
d’avoir mal pour conserver un lien avec sa mère. Et je lui propose de
laisser le passé derrière elle, de saluer sa mère et de la remercier de
l’avoir accompagnée jusque dans ce lieu de parfaite sécurité.
J’ajoute que si Simone le souhaite, elle peut aussi remercier son
corps de faire cette route avec elle, avec tant de bienveillance.
Pour conclure, je lui propose de choisir un code qui lui permettra
de revenir dans cet endroit aussi souvent qu’elle le souhaitera quand
elle ressentira de l’inconfort dans son corps, dans sa vie, ou pour
dialoguer au présent avec sa mère ou avec toute autre personne.
Cette première séance a duré une heure environ. J’ai revu Simone
un mois plus tard : plus de 50 % des douleurs avaient disparu. Puis
encore à distance d’un mois. Elle se sentait beaucoup mieux et
pouvait, disait-elle, « inviter maintenant un enfant à venir la
rejoindre ».
Nous avons fait une séance « d’invitation et d’accueil » du bébé.
Je ne l’ai pas revu depuis.
Jetrouver
vous propose de lâcher les identifications qui vous empêchent de
votre place au présent, et de vous mettre à l’écoute de votre
manière de percevoir votre quotidien, en commençant par inverser la
manière de penser et de nommer les choses. Faites-le intérieurement, pour
vous-même, ou à voix basse.
Exemple : ne dites pas, je vais mettre du poisson au four, mais le
poisson est mis dans le four; je conduis, mais la voiture est conduite; j’ai
un enfant, mais cet enfant a X pour mère; je bois du thé, mais le thé est
bu; je me lave, mais l’eau lave le corps; le matin : j’ouvre les yeux, mais
les yeux s’ouvrent et ce corps et cet être prennent leur place dans le
monde; je me lave les dents, mais les dents sont lavées, etc.
C’est un peu déstabilisant au début, mais en procédant ainsi, vous
ne vous positionnez plus comme si vous étiez le centre de votre
monde et cela agit spontanément, sans rien faire d’autre, sur vos
ruminations et vos émotions négatives qui diminuent. En procédant
ainsi, vous faites cet indispensable pas de côté que l’hypnose
propose. Petit à petit, vous observez que « ça respire plus
profondément et tranquillement », et que tout est facilité. Le corps
se détend, le sang circule mieux, les organes fonctionnent sans subir
le stress du mental et des pensées, les douleurs chroniques se font
moins présentes, l’esprit est plus serein, l’emprise des addictions et
des phobies se desserre, les émotions se canalisent d’elles-mêmes.
Essayez et vous constaterez assez vite combien cette manière
d’être en relation avec les objets, les animaux, les humains, tout ce
qui vous entoure, génère une réelle quiétude. Vous n’êtes plus le
centre du monde, le monde s’invite autrement dans votre perception
et cela change tout.
Cet exercice permet au corps de s’accorder à ses environnements
et d’occuper une juste place dans l’instant. C’est une expérience
fugace du présent. Il est donc recommandé de la faire aussi souvent
que possible dans la journée. C’est un apprentissage de ce qu’est
l’action spontanée quand n’interviennent ni la personnalité, ni la
pensée, ni l’émotion.
Ici, vous n’êtes pas mis en avant et vous n’êtes pas omniprésent
dans la relation avec l’objet ou l’élément concerné. Ce sont eux qui
font et agissent en quelque sorte pour vous. Le mouvement est
inversé. C’est amusant, libérateur et réjouissant à faire.
Prenez cet entraînement comme un jeu qui vous permet de vous
mettre en vacances de votre personnalité, tout en vous détendant et
en vous faisant du bien.
Ne vous inquiétez pas si les pensées se mobilisent beaucoup au
début pour essayer de vous éloigner de cette manière de vous situer
dans le monde. C’est normal. Remarquez-le aussi simplement que
vous le feriez si vous constatiez que le temps extérieur est beau ou
gris ou pluvieux, ce qui ne nécessiterait aucun commentaire
supplémentaire. Laissez-les vivre leur vie, sans les interpréter, ni les
retenir, ni les chasser, elles partiront d’elles-mêmes.
COMMENT J’AI APPRIS À
« Pour être heureux, pour être bien portant, pour être en mouvement
dans la direction de la vie qui est nôtre, il ne faut ni chercher son
sens ni encore moins vouloir lui donner un sens. Il faut s’y laisser
tomber, un point c’est tout. »
François Roustang
J’aipratiquants.
grandi à la campagne dans une famille de paysans catholiques, très
C’était l’usage dans ce coin d’Aveyron dépourvu de tout
confort où seul Dieu, la Vierge, et les saints étaient à même de recevoir et
de comprendre les prières de ceux qui se tournaient vers eux pour implorer
un peu de clémence et de douceur dans leur quotidien si ardu. L’existence
dans les fermes obéissait aux aléas du climat. Dans mon village, « le
Bourg », composé de six familles, adultes et enfants se soumettaient aux
flux des saisons, en sachant que personne ne pouvait aller contre. Le
matériel agricole, trop onéreux, ne permettait pas de dominer la nature. Elle
commandait aux hommes. Il aurait été sacrilège de penser le contraire. Son
rythme impulsait à nos vies des cadences éphémères et une attente
tranquille, inconnues aujourd’hui. L’été, un soleil éclatant brûlait sans
retenue nos peaux et nos champs. L’hiver, un vent mordant nous saisissait
fréquemment jusqu’à l’os et la neige rendait les routes et les chemins
impraticables. Parfois, pendant ces grands froids, nous n’étions pas
scolarisés et les travaux des champs s’arrêtaient. À la maison, les jours
s’égrenaient lentement autour de la cour fermée par un lourd portail en bois
gris. Les femmes transformaient les filles de la maison en Bibendum en
multipliant les couches de vêtements. Sous la robe, le pantalon, et au
minimum deux pulls patiemment tricotés au coin du feu au moment des
veillées. Nous devancions la mode actuelle qui autorise ce genre
d’associations. Ainsi accoutrées, nos mouvements n’étant pas facilités, nous
étions presque sages. La cuisine étant le seul endroit chauffé de la maison,
nous y mangions et nous nous y calfeutrions près du poêle à bois. Les fins
d’après-midi, avant que la nuit tombe, si mon oncle et mon grand-père
l’autorisaient, nous sortions avec eux nous occuper des bêtes. Dans ces
périodes sans fin où l’ennui dominait, les heures gonflaient d’un coup,
comme nous. Nous étions trois cousines. Deux années me séparaient de
Rosy et neuf mois de Clairette. Elles étaient sœurs. J’étais une pièce
rapportée. Nos relations étaient compliquées. De caractère très différent, les
bagarres alternaient avec les moments où, accroupies, serrées les unes
contre les autres dans un coin de la pièce « à vivre », nous chuchotions pour
nous raconter des histoires auxquelles les grands n’étaient jamais conviés.
Ces moments m’ont appris, en creux, la difficulté pour les enfants de vivre
en famille recomposée 10. La fonte des hautes congères signait la fin de nos
huis clos. Les enfants retrouvaient leurs camarades de classe et les hommes,
les autres villageois, pour procéder aux premiers travaux extérieurs de
l’année. Nous aimions ce train-train dans lequel nous nous sentions libres,
comblées, à notre place, en confiance, ainsi posées dans le rythme naturel et
simple de la vie. Nous manquions de tout ce superflu qui encombre nos vies
maintenant. Nous ne le savions pas. Nous ne nous comparions pas encore
au reste du pays. L’arrivée de la première télévision du village en noir et
blanc dans ma famille au cœur des années 1960 ne changea pas nos
habitudes. Jusqu’à mon départ à Paris, à quinze ans, nous continuâmes à
procéder à de rapides toilettes à l’eau froide et glacée dans l’évier de la
souillarde, le matin, avant de partir à l’école. L’hygiène était sommaire. Pas
de salle de bains ni de W.-C. Le brossage succinct des dents, deux à trois
fois par semaine, s’achevait en passant et repassant avec entrain un torchon
propre sur les plus apparentes, pour lustrer un sourire que nous espérions
ainsi plus éclatant. Mon grand-père, prudent, nous surveillait du coin de
l’œil. Ce rituel lui paraissait étrange et surtout inutile. Il craignait un
incident, que nos précieuses quenottes se déchaussent. Mais pour nous, tout
cela paraissait normal. Tout comme de voir nos vieux consacrer aussi
souvent que possible leurs temps de pause de la journée et du soir à prier.
Ils y retrouvaient un peu d’espoir et, avec lui, la confiance en leurs destins
si rugueux. Leur foi était grande. Elle leur donnait le courage d’exister. Pas
un après-midi ne s’achevait sans qu’avant de dîner, nous ne rendions grâce
pour la journée écoulée, et ne demandions aide et protection pour nous
permettre de devenir de bonnes personnes. Si les hommes n’étaient pas
rentrés des étables, le repas étant prêt, une soupe épaisse mijotant
immanquablement sur la cuisinière en fonte, ma tante et ma grand-mère
profitaient du temps qui leur restait pour réciter des rosaires. Nous les
écoutions en nous ennuyant répéter à haute voix des suites interminables de
Je vous salue Marie et de Notre Père. Le fou rire nous guettait souvent. Si
elles étaient de bonne humeur, nous évitions un sermon moralisateur, et
elles nous racontaient des épisodes de la vie de Jésus et des saints pour faire
patienter nos estomacs affamés. Cela nous distrayait un peu. À l’époque,
Tintin n’était pas rentré dans la maison. Les BD étaient un luxe. Seuls la
Bible, le missel et le journal local du jour relataient pour nous les
soubresauts du monde. Aussi nous écoutions avec attention ces récits
épiques semés d’embûches et d’obstacles à dépasser. Ils nous faisaient rêver
tout en nous inquiétant. Tous se concluaient par la mort de ces bienheureux
dans des conditions horribles. Nous étions des pioupious, le sens de ces
tortures nous échappait. Nous ne comprenions pas non plus les raisons de
ces pieuses activités qui se concluaient inévitablement par un rappel ému
des noms des derniers décédés. Leur évocation semblait calmer les
souffrances des femmes, dont beaucoup avaient perdu des bébés ou des
petits en bas âge. Elles avaient confiance en Dieu. Leur espoir dans la vie se
jouait chaque soir dans le dialogue qu’elles instauraient avec lui.
10. Pièce rapportée et familles recomposées. Quand nous sommes confrontés à ce type de
situation, n’oublions pas que ce sont toujours les couples qui se reforment qui se choisissent
avec bonheur et conviction, du moins au début, mais jamais les enfants. Famille
recomposée, ce terme ne dit pas assez la difficulté pour eux de leurs quotidiens
bouleversés; la perte régulière, le deuil, qu’ils doivent affronter de l’un des deux parents, en
respectant les modalités fixées par la justice; le regard de leurs camarades d’école; les
émotions et questions qui se posent pour eux quand ils découvrent et s’immergent dans le
nouvel amour en construction du père ou de la mère. Beaucoup se sentent amputés du
droit inaliénable d’être élevés, en même temps, par leur père et leur mère biologiques.
Former une famille recomposée comporte de nombreux défis pour les nouveaux partenaires
et leurs enfants. La recomposition d’une famille demande beaucoup d’adaptation de la part
de tous.
11. Le Dr Christophe Massin, médecin psychiatre, parle de ce phénomène dans Le Bébé et
l’Amour, Éditions Aubier, 1998.
RETROUVER LE CHEMIN DU
VIVANT
« Tout est neutre, tout est absolu, chaque chose est comme elle est.
C’est vous qui la faites apparaître bonne ou mauvaise, agréable ou
pénible. »
Swami Prajnanpad
POSSIBLES
Laactif-magique
plupart d’entre nous ont été « biberonnés » à la puissance du « geste-
» via des dessins animés ou des films de science-fiction
tels que Merlin l’enchanteur, Mary Poppins, Star Trek, Matrix, ou autres
super-héros. Nous les avons tant aimés enfants, que nous avons reproduit à
l’infini certains de leurs gestes dans notre imaginaire, nos rêves éveillés,
nos jeux, et ces personnages hors norme, hors conventions ont rejoint
quelque part en nous les possibles de notre réalité. Parents, grands-parents,
quelle que soit notre place dans la famille ou nos cercles amicaux, nous
sommes nombreux à adorer nous laisser encore emporter délicieusement
dans ces mondes enchantés, en lisant des contes, ou en regardant des
dessins animés avec nos pioupious. Nous ne l’avouerons jamais et nous le
contesterons toujours intellectuellement et socialement, mais dans les faits,
ces gestes magiques nous collent en sourdine à la peau et au cœur, en
orientant parfois, aujourd’hui encore, nos rêves et notre manière
d’envisager le quotidien. Dans le secret de notre intimité, nous conservons
la trace de la ressource fabuleuse qu’ils représentent et qui ne demande qu’à
être réactivée dès qu’un drame, une épreuve pointent leur nez. C’est
pourquoi nous sommes si nombreux à être friands de récits mythiques,
bibliques ou modernes comme Dune, L’Alchimiste, Harry Potter, Le
Seigneur des anneaux, etc. Merveilleuses échappatoires, ils nous permettent
de retrouver notre âme d’enfant, de sortir avec célérité de nos habitudes et
de nos enfermements, et d’oublier la banalité du quotidien tout en mettant à
distance notre condition de mortel. Les vies transcendées de leurs héros
deviennent nôtres. Les lire, les écouter nous raccorde en un clin d’œil à la
puissance des actions prodigieuses, mais possibles dans notre imaginaire de
ces aventures fantastiques. L’espace d’un instant, elles deviennent nôtres; et
l’Univers se pare d’étoiles souriantes.
Quel que soit le lieu, le continent où nous avons grandi, outre les
comics et autres super-héros – ils sont innombrables par exemple en
Asie où on ne compte plus les exploits insensés relatés dans des BD
et réalisés par des maîtres en arts martiaux –, de la naissance à la
mort, notre existence est parcourue de symboles mystérieux et
magiques. Dans nos pays de tradition judéo-chrétienne, la Bible
regorge notamment de modèles, de guides, de héros aux pouvoirs
singuliers. Le geste insensé, inspiré, désespéré, hors norme, fait par
exemple par Moïse pour ouvrir un passage dans la mer Rouge, et
sauver son peuple d’une mort certaine, est pour moi l’un d’entre
eux. Il incarne sur un plan métaphorique et thérapeutique la
puissance de tous les possibles qui sont en nous. Dans la contraction
du temps et de l’espace du récit, tout se joue pour Moïse et son
peuple en un éclair. Le prophète se positionne d’instinct au-delà de
la raison, de la pensée, de la volonté et de l’émotion, et se laisse
emporter par la force du vivant en lui. Il oublie sa personnalité,
renonce à ses peurs, fait fi des conventions et de ses croyances pour
se poser naturellement au cœur de son humanité. Ses sens
synchronisés avec les éléments qui l’entourent induisent «
mécaniquement » le geste qui ouvre le chenal dans la mer. Les
obstacles se lèvent. D’infranchissable, la mer Rouge devient la
possibilité pour Moïse et les siens d’accéder au changement, de
passer de la captivité, de la prison, des tortures, des privations, des
humiliations, de l’exil, de l’esclavage, à la liberté d’être ce qu’ils
sont, tels qu’ils le sont. Moïse est un passeur de vie. Nous le sommes
tous, mais nous l’ignorons tant que nous demeurons claquemurés
entre passé et futur, dans nos peurs, nos émotions, nos pensées, nos
envies, nos espoirs.
L’hypnose médicale et thérapeutique s’appuie sur cette réalité. À
un moment de la consultation, quand la personne raccorde
ensemble, sans forcer, et souvent pour la première fois de son
existence le corps, l’esprit, et le cœur, le geste que nous lui
proposons de faire alors pour ancrer cette expérience unifiée dans le
présent la connecte au flux du vivant en elle, à ses ressources, et
engage la suite de son histoire. Le corps fait son job. Il agit
comme un transformateur. L’énergie qui le traverse mute et se
transforme pour s’adapter aux contextes remontrés. Ce qui
explique en partie comment obsessions, addictions, peurs, phobies
se délitent, au rythme du patient. Chaque mouvement débute par
une ouverture, se prolonge par un milieu et un apogée, et se termine
par une forme d’accomplissement, une fermeture d’étape qui permet
à une autre dynamique de s’amorcer. Le récit mettant en scène
Moïse illustre, pour moi, ce processus. Quand tous sont en sécurité
sur l’autre rive, Moïse « referme la mer Rouge », et l’expérience se
poursuit autrement. Il en est de même lors d’une consultation.
Entrée, passage, clôture cohabitent dans l’espace-temps d’une
séance. Le thérapeute favorise l’accès du patient à ses possibilités, à
sa créativité, en induisant une forme de confusion qui le ferme aux
anciennes influences du mental, de l’intellect, et à celles des facteurs
qui le coupent habituellement de ses sensations. La traversée
commence dès qu’il adhère sans jugement à ce qu’il est; et
l’expérience le conduit au cœur de ses ressources.
Le mental n’intervient pas dans cette dynamique. Le thérapeute le
prend en compte en le posant gentiment, dès la phase d’induction,
en dehors de l’action. S’il ne procédait pas ainsi, cela ne
fonctionnerait pas. Dans le quotidien, la survie du mental passe par
la catégorisation de tout ce qu’il nous donne à ressentir et à
expérimenter en « bon, correct, juste, acceptable, mauvais, injuste,
amoral, etc. ». L’éducation l’a conditionné à nommer ainsi les êtres
et les choses en les dissociant, en les sortant du corps. La plupart de
nos souffrances découlent de cette séparation douloureuse entre le
corps et le mental-ego. Certaines méthodes de développement
parlent de le maîtriser ou de le réduire à néant en y mettant toutes
nos forces. Mais le mental ne se dompte pas. Il est comme un enfant
qui demande et a besoin d’être câliné, aimé, respecté. Il « existe ». Il
est une partie de nous. Nous n’avons pas à le maltraiter pour qu’il
nous fiche la paix. Cela serait comme vouloir exclure un organe qui
nous dérange sous prétexte qu’ensuite tout irait peut-être beaucoup
mieux. Ce système de fuite, de déni de ce qu’est sa réalité ne
fonctionne jamais et ne fait que le renforcer. Si on examine les
choses telles qu’elles sont, on constate que le mental ne fait que ce
pour quoi il est formé. Il nous invite à regarder les pensées sans
nous focaliser dessus et à voir que les « bombes conceptuelles »
qu’elles forment n’explosent que si nous, et personne d’autre,
allumons leur mèche en les sortant de leur contexte. Si nous
n’intervenons pas, il les laisse de côté, il ne leur donne pas une
importance démesurée, et elles s’éliminent d’elles-mêmes. Elles ne
dégénèrent que quand notre esprit de sagesse universelle et notre
corps ne bossent plus ensemble. L’une des dimensions d’une thérapie
corporelle comme l’hypnose thérapeutique est donc de reconnecter
le corps à sa puissance de guérison. Cette alliance donne
viscéralement et énergétiquement naissance au geste juste; et
l’expérience se fait au présent, loin des influences du mental. Dans
ce processus, le thérapeute est un passeur. Mais c’est toujours le
patient qui fait. Ce processus est son œuvre.
J’ai appris très tôt, enfant, à être vigilante au langage des gestes
esquissés pour soi-même ou extériorisés dans nos rapports aux
autres. Le corps est geste de la tête aux pieds. Ses mouvements, ses
formes, son énergie, ses mimiques, ses positions, tout en lui raconte
les joies, les souffrances qui le parcourent. Les gestes sont les
messagers de nos états d’âme. Ils expriment la manière dont nous
ressentons, percevons, résistons ou acceptons nos relations avec les
autres, avec nos environnements. Quand nous sommes désaccordés,
ils disent nos appréhensions, nos replis, notre méfiance, notre
angoisse, notre stress. Y être attentif permet d’instaurer un dialogue
fructueux, sensible, avec le corps, et de s’appuyer sur eux pour
travailler sur les métaphores qui représentent leurs maladresses,
leurs fonctionnements gauches et décalés, les peurs associées.
Dans les addictions par exemple, ils sont nos alliés. Répétés et
réitérés à l’infini du manque, ils surgissent du tréfonds de nos tripes
pour nous alerter sur une souffrance le plus souvent camouflée par
des quotidiens lissés et policés afin de demeurer aussi longtemps que
possible dans une normalité apparente. Chez les personnes
addictives, les gestes sont des appels au secours maladroits.
Rarement entendus ou perçus par les proches, ils disent pourtant
l’urgence de les prendre en compte avant que les conséquences de la
dépendance à un produit, à un comportement, à une obsession ne
dégradent de manière irréversible le corps ignoré et maltraité, au
point parfois d’en mourir. La tête d’un côté, le corps de l’autre, les
addictions conduisent les personnes à se vivre de plus en plus
dissociées. C’est douloureux et souvent mortifère. Dans ces
situations, si les conditions le permettent, accompagner le patient
peut se faire notamment en s’appuyant sur ce que représente le
soulagement que procure le geste addictif ou phobique. Le geste
transformé au cours du processus hypnotique devient alors
pour le sujet une formidable voie d’accès à sa capacité à aller
mieux. Le corps dit le symptôme. La solution passe souvent par le
corps.
Avant d’en arriver à des situations aussi douloureuses, apprendre
à être attentif aux gestes en apparence banals du quotidien suffit
parfois à désamorcer des mécanismes qui, laissés en l’état,
s’avéreraient préjudiciables sur le long terme. Il s’agit pour cela
d’observer, sans que cela devienne obsessionnel pour autant, les
gestes répétitifs induits par exemple par nos peurs de l’avenir. Le
recours frénétique aux médiums peut être l’un d’entre eux. Depuis le
début de la pandémie de Covid, de nombreuses personnes se sont
essayées à faire des tirages de cartes de tarot ou de jeux d’oracles à
valeur prédictive pour se rassurer au début, dans l’intimité de leur
foyer, et sont devenues accros à de possibles prédictions.
Aujourd’hui, beaucoup parmi elles ont recours à des médiums ou
voyants « certifiés » pour « en savoir plus » sur ce qui les attend.
Cela symbolise pour moi l’une des manières dont s’opère le passage
du geste privé, anodin, destiné à s’apaiser, à des gestes qui
entraînent des actions, qui les exposent intérieurement et
financièrement à de possibles dangers.
Nous sommes nombreux à avoir déjà tenté de nous réconforter ou
de sortir d’une impasse en tirant dans notre intimité une carte d’un
jeu divinatoire ou en ouvrant au hasard le livre des mutations, le Yi
King, ou tout autre ouvrage dit « sacré », transformé dans le moment
en guide de vie. Étudiante, je me pliais parfois à ce rituel dans ma
chambre de bonne pour m’amuser – une excuse indubitablement
bidon –, mais surtout pour tenter de calmer mes angoisses du
moment. À l’époque, comme beaucoup de jeunes, j’étais très
influencée par Le Troisième Œil, le best-seller mondial du romancier,
faux moine tibétain, Lobsang Rampa; le « paranormal » me
passionnait. Dans ce contexte, l’une de mes proches fascinée par la
personnalité charismatique de l’un des plus grands médiums du
moment sur la place de Paris – elle l’avait rencontré en soirée –
m’avait recommandé de prendre rendez-vous avec lui. Ce que j’avais
fait avec enthousiasme. Après plus de trois mois d’attente, « cuite à
point » intérieurement, j’avais rejoint un quartier huppé de la
capitale et pénétré dans un sublime appartement haussmannien.
Mobilier blanc, objets et peintures de la même couleur, le décor
hyper lumineux suggérait qu’il en serait de même pour la voyance à
venir. À la fin d’une consultation hors de prix pour mes maigres
économies, « le grand sage », dont les groupies laissaient entendre
qu’il côtoyait les puissances célestes, m’avait invitée à prendre un
thé dans un petit salon annexe, très chaleureux. Mal à l’aise, mais
flattée, j’avais accepté. Nos boissons avalées, arrogant et sûr de lui,
le soi-disant fin psychologue au sourire « Ultra Brite » m’avait
proposé sans détour une solution clé en main pour m’en sortir, et me
séduire : participer en tant que « professionnelle de la voyance » à
un salon commercial qui se tenait huit jours plus tard. Choquée par
sa grossière manœuvre de manipulation, sa malhonnêteté, sa
morgue, et par ce qu’il tentait de faire de moi en usant de son
influence malsaine de « devin », je refusai et le quittai si vite qu’on
aurait pu penser que le diable me poursuivait.
De plus en plus de personnes désespérées par leur situation
cherchent de manière irrationnelle à trouver, notamment via les
réseaux sociaux, des solutions proposées par des grossistes en
miracle. L’idée n’est pas ici de mettre tous les médiums dans le
même panier, j’en ai rencontré d’exceptionnels, mais de montrer
l’importance de faire preuve de discrimination; et d’observer que
nos gestes sont rarement anodins.
IMAGINE
Cetet àexercice
:
apprend à porter notre attention de l’extérieur vers l’intérieur,
« Après tout, la mort n’est pas si sinistre, mais il se trouve qu’on est
gêné d’en parler. Aujourd’hui, les gens ne se gênent pas pour parler
de sexe ou pour voir des films pornos, mais ils ont du mal à parler de
la mort.
Là, ils sont vraiment gênés. Ils en font tout un plat, et en même
temps ils refusent d’y réfléchir réellement. Ils ont décidé de ne pas
s’en occuper; ils préfèrent célébrer la vie au lieu de se préparer à la
mort, ou même de la célébrer. »
Chögyam Trungpa
Lapas.mortNous
de mon père provoqua en moi un cataclysme. Je ne m’y attendais
n’étions pas proches. Il ne m’avait pas élevée. Enfant, je le
voyais, avec ma mère, pendant les vacances d’été et parfois à Noël.
Adolescente, nos relations avaient été difficiles, conflictuelles, quelquefois
violentes. Adulte, longtemps, je n’avais conservé de lui que les moments de
rejets que j’avais éprouvés avec ce totem de la famille qui
m’impressionnait, me terrorisait, et me fascinait tout autant. En dépit des
thérapies et des enseignements spirituels pratiqués, les souvenirs qui le
concernaient débordaient malgré moi de souffrance, d’incompréhension et
d’attentes déçues. Il était mon père et, comme la plupart des petites filles, je
rêvais de pouvoir l’idéaliser et de trouver auprès de lui cette sécurité
inébranlable qui, semblait-il, était le lot des enfants et des adultes heureux.
Cela n’avait pas été le cas. Pourtant, les trois derniers jours passés auprès de
lui, mourant, à l’hôpital, effacèrent d’un seul coup ce passé douloureux. Des
époques heureuses revinrent à ma mémoire, ramenant à la vie, avec force et
tendresse, des moments occultés. Et cette douceur me réveilla à moi-même.
Le premier jour, habituée à analyser, à essayer de trouver une
explication là où il y avait juste à vivre, je commençai par essayer
maladroitement de donner du sens à nos échanges, et à chercher
quelle était la meilleure attitude à adopter pour l’accompagner. Je
compris très vite que je me trompais sur l’essentiel : là où il en était,
il n’espérait pas la même chose que moi, et il ne souhaitait rien de
moi en particulier, si ce n’est d’être pleinement présente. Il était déjà
dans l’énergie du passage. Il était le passage. Il savait que je n’avais
pas le mode d’emploi pour l’aider à faire cette transition. Comme en
toute chose, seule l’expérience le confère. Libre de toute attente à
mon égard, par son attitude bienveillante, ses mots comptés et
percutants, ses regards doux et appuyés, ce fut lui qui me fit faire le
passage, le seul qui m’incombait : aller à la rencontre de moi-même
et ce faisant, à sa rencontre. Ce fut mon premier incroyable cadeau.
Le deuxième jour, tout s’accélérant, nous avions déjà presque
acquis des réflexes de « vieux camarades ». L’image du père idéalisé
n’ayant plus lieu d’être en pareille circonstance s’était naturellement
effacée pour laisser la place à une relation de personne à personne, à
Aimé et Catherine, dans laquelle, il n’y avait plus de ressentiment,
rien à pardonner. Seul l’amour qui n’attend rien nous unissait
désormais, et je découvrais émue, qu’en réalité, cela avait toujours
été le cas. Quand il en trouvait la force, Aimé exprimait sans tabou,
à mots comptés, dans un mélange de douceur et de vérité crue, un
peu de l’expérience qu’il traversait; les ressorts d’une intimité à
laquelle il accédait, en s’abandonnant totalement, à ce qui était dans
le moment. Il n’était plus le taiseux, l’homme enfermé dans ses
peurs que j’avais connu. Face à cet inconnu, les jugements et les
certitudes que j’avais eus jusqu’alors le concernant s’évaporaient
comme neige au soleil. Je le sentais dans chaque cellule de mon
être. Cela se faisait tout seul. Pendant des années je l’avais approché
les mâchoires serrées à en avoir mal, le corps tendu comme une
arbalète, les épaules voûtées, le ventre et le plexus noués. Il le
savait. Il en avait souffert. Sachant ses heures comptées, accueillant
cette réalité sans rien en rejeter, il me montrait qu’il était possible
pour chaque être, quel que soit son passé, d’avoir un accès direct à
la vérité nue et abrupte de l’existence, et qu’il était possible de
trouver la paix du cœur tant que la vie n’était pas achevée. J’étais
ébranlée, bouleversée, impressionnée par ce retournement.
Comment cet homme, qui m’avait toujours semblé vivre dans la
peur des jugements des autres, de ne pas être à la hauteur, de se
confronter à ses désirs les plus profonds, de montrer son affection
pour moi, avait-il pu opérer une telle transformation ? La seule
réponse possible était qu’en communion avec ce qui se passait, il
accompagnait sans panique, sans préjugé, ce qui se jouait en lui, en
disant un OUI absolu, entier, intègre au processus qui emportait son
esprit. Libéré de ses appréhensions et de ses craintes, il s’autorisait à
être la personne qu’il voulait sans doute être depuis toujours et il
m’offrait ainsi une relation de cœur à cœur unique qui réparait
nombre de mes blessures d’enfant. Ce fut mon deuxième immense
cadeau.
Le troisième jour, quand il surmontait sa fatigue et que nous
étions seuls, Aimé prenait le temps de me raconter comment ses
énergies s’échappaient de lui, ce qu’il percevait du processus de
dissolution des « éléments » constitutifs de son corps. Certaines de
ses descriptions proches de celles du Bardo Thödol, le livre des morts
tibétains, me laissaient sans voix. Comment était-ce possible ? Il ne
connaissait rien de ces concepts complexes. Dire un OUI sans
ambiguïté à ce qui se passait instant après instant lui donnait-il un
accès direct à une connaissance que je qualifiais de « tibétaine »
encore une semaine auparavant, mais qui, je le comprenais
maintenant, témoignait d’un processus universel naturel ? Rien
n’était ici pensé, intellectualisé. Il le vivait dans sa chair et son
esprit. Et les mots se faisaient l’expression de cette connaissance
ancestrale. Décontenancée, un peu sonnée même, j’éprouvais une
immense gratitude pour cet homme, mon père, dont je découvrais
également la profondeur de sa bonté. Contrairement aux prévisions
pessimistes du personnel soignant, il nous avait « attendus » avec
mon fils pour nous dire au revoir. C’était un acte d’une grande
générosité. Et depuis que nous étions là, il m’offrait par ses actes et
ses paroles, de manière totalement laïque, cet enseignement
fondamental dont je tentais depuis des années de faire l’expérience :
c’est en disant un OUI inconditionnel à ce qui est que nous nous
libérons de la souffrance et de son cortège de peurs et que nous
pouvons nous abandonner à la puissance de la vie en nous. Il n’y
avait donc pas à agir de manière particulière pour découvrir en soi
cette forme de paix intérieure, mais à se laisser traverser sans
restriction par le vivant. Grâce à lui, j’expérimentais dans son « ici et
maintenant » cette vérité que je cherchais depuis si longtemps. Mon
cœur était apaisé. Ce fut mon troisième magnifique cadeau. Ce soir-
là, avant de le quitter, je le remerciais d’être le père et l’homme qu’il
était. Nous prîmes le temps de nous dire au revoir. Ce furent nos
derniers instants.
Ces trois jours changèrent profondément ma manière d’être au
monde. Mon père m’avait montré que les réponses à mes questions
étaient en moi, et qu’il en était de même pour chacun d’entre nous.
C’était à la fois réjouissant, enthousiasmant et terriblement
déstabilisant. Je n’avais plus besoin de courir pour fuir ma vie en
accumulant comme je l’avais fait pendant si longtemps
enseignements, méthodes, exercices divers dans différents domaines.
Je pouvais libérer mon horizon des nuages de mots que mon mental
avait construits pour faire barrage à la réalité des situations – les « il
faudrait », « cela devrait », « je veux », « je ne veux pas », « c’est
inacceptable », « je souhaite », « je préfère », « je conteste », « c’est
honteux », « il ou elle se prend pour qui », « j’ai besoin qu’il »… Et
les regarder sereinement quand ils revenaient encore parfois par
automatisme. Je ne craignais plus leur diktat. Le passage que j’avais
fait avec mon père m’avait appris la nécessité d’expérimenter les
choses en laissant se déployer tous mes sens. Nous détenons tous
cette capacité. C’est la voie de la VIE. Elle est en chacun de nous.
COMMENT »
LA FLÈCHE EMPOISONNÉE
Que nous dit cette parabole ? Que nous nous comportons très
souvent comme cet homme blessé, et que nous nous posons des
questions inutiles pour mener à bien notre quotidien. Nous sommes
tous concernés par cette manière de faire.
Pendant des années, la danse absurde des « pourquoi » a vrillé
mon esprit, dilapidé mon énergie et m’a conduite au bord d’une
forme d’aliénation de ma pensée et de mes émotions. Dans le
domaine affectif, les « pourquoi » sont le plus souvent associés à un
sentiment d’injustice, à la plainte, et aux croyances que nous
sommes maltraités par l’existence et les autres. On se sent brutalisé,
négligé, discriminé par la vie. Victime. Comme si nous étions la
cible unique et privilégiée de sa fureur. Quel ego, quel narcissisme,
quel nombrilisme, quelle importance nous nous donnons, quand
nous soupçonnons l’Univers de réunir toutes ses forces négatives
pour agir contre nous, nous soumettre, et nous mettre à terre ! Cette
attitude renforce nos tendances conflictuelles et névrotiques, et nous
ne percevons que le verre à moitié vide. Un verre qui se vide de plus
en plus tant que nous demeurons dans ce positionnement. Nous
nous asséchons intérieurement. L’aigreur, la jalousie, la colère, la
haine, la violence naissent de cet état d’esprit. À nous de déblayer le
chemin qui conduit à nos ressources, pour nous revivifier et nous
réhydrater. Nous pouvons tous le faire. Nos ressources sont en nous,
à disposition, comme nous le révèle notamment l’hypnose
thérapeutique.
BLESSURES
INTERGÉNÉRATIONNELLES
Jemystérieuse
suis intimement persuadé que nos patients viennent de façon assez
rencontrer un thérapeute qui leur correspond, tout comme ils
nous correspondent. D’une certaine façon, nous avons besoin l’un de
l’autre, nous travaillons ensemble, nous formons une équipe soudée.
ÀÀmesChristophe
parents, si essentiels dans ce parcours de vie.
Massin, Francisco Varela, François Roustang, le
dalaï-lama, mes maîtres tibétains, Arnaud Desjardins, et à mes
proches qui m’ont montré par leur exemple que faire corps et
alliance avec la réalité et les mouvements de la vie, tels qu’ils sont,
sans les interpréter, conduit à se vivre en étant autonome, serein et
libre intérieurement.
Autour du bouddhisme
RINPOCHÉ Dagpo, Le Calme mental, Éditions Vajra Yogini, 1999.
RINPOCHÉ Dagpo, Le Lama venu du Tibet. Autobiographie, Éditions
Grasset, 1998.
RINPOCHÉ Dagpo, L’Esprit et ses fonctions, Éditions Vajra Yogini, 1986.
RINPOCHÉ Dzongsar Jamyang Khyentsé, N’est pas bouddhiste qui veut,
NiL éditions, 2008.
RINPOCHÉ Yongey Myngyour, Pour l’amour du monde, Éditions
Fayard, 2019.
Les incontournables et essentiels livres de Dōgen et de Ryōkan.
Les ouvrages publiés par les éditions Padmakara.
Et une infinité de livres que je ne citerai pas en détail ici : plus de
1 200 références dans ma bibliothèque.
Autour de la Chine
LAO-TSEU, Tao Te King, Éditions Albin Michel, 1984.
LAO-TSEU, Tao Te King, commentaires et traduction du père Claude
LARRE, Éditions Desclée de Brouwer, 1977.
LARRE Claude, SCHATZ Jean, ROCHAT DE LA VALLÉE Élisabeth, Structures
de l’acupuncture traditionnelle, École européenne d’acupuncture.
WOU TCH’ENG-EN, Le Singe pèlerin ou le Pèlerinage d’Occident,
traduction George Deniker, Éditions Payot, 2018.
WU CHENG’EN, La Pérégrination vers l’Ouest (Xiyou ji), traduction
d’André Lévy, Éditions Gallimard, La Pléiade, 1991.
ZHUANGZI, Œuvre complète, Gallimard, coll. Unesco, traduction de
Liou Kia-hway, 2011.
Le Huang Di nei jing su wen et autres livres de médecine
traditionnelle chinois.
Le Yi King.
www.editions-jouvence.com