Les Limites À La Croissance
Les Limites À La Croissance
Les Limites À La Croissance
Dennis Meadows
Donella Meadows
Jorgen Randers
Sur le front écologique, 1972 fut une année charnière à
plus d’un titre. Année de la Conférence des Nations Unies
Dennis Meadows
sur l'environnement humain (CNUEH) à Stockholm Donella Meadows
— premier véritable rendez-vous international à caractère
environnemental —, c’est aussi celle de la parution du
Jorgen Randers
premier rapport d’importance sur les dangers d’une crois-
sance économique soutenue dans un monde fini.
Intitulée Halte à la croissance ? Rapport sur les limites à la
Les limites
croissance, cette étude de quatre jeunes scientifiques du MIT
mandatés par le Club de Rome demeure aujourd’hui l’une
des plus puissantes critiques du consensus sur la sacro-
Dennis Meadows
© droits réservés
sainte croissance économique. Sa parution est reconnue
comme l’un des moments clés de l’histoire du mouvement
écologiste.
à la croissance
34 $
LES LIMITES À LA CROISSANCE
(dans un monde fini)
Donella Meadows
Dennis Meadows
Jorgen Randers
Meadows, Donella H.
Les limites à la croissance dans un monde fini
(Collection Retrouvailles)
Traduction de : The limits to growth : the 30-year update.
Comprend des réf. bibliogr.
ISBN 978-2-89719-027-9
1. Développement économique – Aspect de l’environnement. 2. Développement
durable. 3. Population – Aspect économique. 4. Pollution – Aspect économique.
I. Meadows, Dennis L. II. Randers, Jørgen. III. Titre. IV. Collection : Collection
Retrouvailles.
HD75.6.M4214 2012 338.9 C2012-942369-6
Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme
de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par
l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le gouvernement du Québec de son soutien par l’entremise du
Programme de crédits d’impôt pour l’édition de livres (gestion SODEC), et la SODEC
pour son soutien financier.
table des matières
préface
Pour une décroissance soutenable. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
chapitre 1
Le dépassement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
chapitre 2
Le moteur : la croissance exponentielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
chapitre 3
Les limites : sources et exutoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
chapitre 4
World 3 : la dynamique de la croissance
dans un monde fini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
chapitre 5
L’histoire de la couche d’ozone ou la preuve
qu’il est possible de redescendre en deçà des limites . . . . . . . . 267
chapitre 6
La technologie, les marchés et le dépassement . . . . . . . . . . . . . 298
chapitre 7
Transitions vers un système soutenable. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340
chapitre 8
Transition vers la durabilité : les outils. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 376
annexe 1
De World3 à World3-03 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402
annexe 2
Indicateurs de bien-être humain et empreinte écologique . . . 407
mais celui-ci a été achevé après son décès survenu en février 2001.
Nous espérons que cette édition honorera et fera avancer les
démarches que, toute sa vie, elle a entreprises pour informer les
citoyens du monde entier et pour les convertir au développement
durable.
préface
Terrifiante unanimité !
Malheureusement, au regard des conclusions formulées dans les
pages qui suivent, il n’y a pas lieu de se réjouir d’une telle concorde
entre les nations. Quarante ans après leur premier travail sur la
question1, les auteurs du présent ouvrage persistent et signent : en
entretenant les conditions d’une croissance économique continue
Se libérer du travail
Si la recherche d’une croissance économique indéfinie présente
d’aussi graves inconvénients, on peut se demander pourquoi nous
persévérons dans cette voie sans issue et comment il peut se faire
que l’alerte lancée il y a 40 ans par les auteurs de ce livre ne sem-
ble toujours pas avoir été entendue ?
Pas plus que les Troyens sans doute, nous n’aimons les
Cassandre. Par ailleurs, comme diraient les marxistes d’antan, la
« superstructure » de nos sociétés a produit et diffusé de nom-
breux discours tournant en dérision les travaux comme celui des
Meadows et imposé l’idée que la croissance n’est pas le problème,
mais la solution. Les économistes notamment ont joué sur ce plan
un rôle crucial. Mais outre ces professionnels de la justification
du capitalisme, d’autres acteurs plus sensibles à la question éco-
logique ont également contribué à nous persuader qu’il était
possible de continuer à croître sur le plan économique sans
mettre en danger l’espèce humaine. Force est bien de constater
aujourd’hui que l’idéologie du « développement durable », quelle
que soit la pureté des intentions de ses partisans, a retardé ou
même empêché une vraie prise de conscience de la gravité de la
situation.
Cela dit, l’absence de remise en question de la course à la
croissance tient aussi au fait que, pour quiconque vit dans le
monde capitaliste, il est très difficile et coûteux de ne pas courir,
comme le soulignait au début du siècle dernier le sociologue Max
Weber : « Chacun trouve aujourd’hui en naissant l’économie
capitaliste établie comme un immense cosmos, un habitacle dans
lequel il doit vivre et auquel il ne peut rien changer – du moins
en tant qu’individu. Dans la mesure où l’individu est impliqué
La fin de la croissance
Quelle que soit sa forme, la fin de la croissance nous semblait être
une éventualité très lointaine en 1972. Tous les scénarios de
World3 montraient une croissance démographique et économi-
que qui se poursuivait bien après l’an 2000, et, même dans le
scénario le plus pessimiste, le niveau de vie matériel continuait à
augmenter jusqu’en 2015. Voilà pourquoi The Limits to Growth
prévoyait que la fin de la croissance devait survenir 50 ans ou
presque après sa publication. Il semblait donc encore possible de
mener une réflexion, de faire des choix et d’entreprendre des
actions correctives, y compris au niveau mondial.
Lorsque nous avons écrit cet ouvrage, nous espérions que ces
réflexions allaient pousser la communauté internationale à pren-
dre les mesures nécessaires pour réduire les risques d’effondre-
ment. L’effondrement n’est pas une perspective réjouissante. Si la
population et l’activité économique diminuent rapidement pour
atteindre un niveau tolérable par les systèmes naturels de la pla-
nète, cela entraînera à coup sûr des problèmes de santé, des
conflits, des désastres écologiques et creusera les inégalités. En
effet, l’effondrement non contrôlé de l’empreinte écologique des
préface des auteurs 21
1,2
1,0
Capacité de charge de la Terre
0,8
0,6
0,4
0,2
0
1960 1970 1980 1990 2000 2010
Et maintenant ?
Le défi auquel la planète est confrontée peut être formulé de façon
simple : pour atteindre la « durabilité », l’humanité doit augmen-
ter la consommation des populations pauvres tout en réduisant
son empreinte écologique totale. Cela requiert des avancées
technologiques, un changement d’attitude de la part de chacun
et des planifications à plus longue échéance. Le respect, l’atten-
tion et le partage doivent s’intensifier et traverser les frontières. Il
nous faudra des dizaines d’années pour y parvenir, même si les
circonstances sont très favorables. Aucun parti politique moderne
n’a séduit les foules avec un tel programme, et encore moins les
individus qui ont l’argent et le pouvoir, qui sont pourtant ceux-là
mêmes qui pourraient permettre aux pauvres de connaître la
croissance en réduisant leur empreinte écologique. Celle-ci, pen-
dant ce temps, s’accentue de jour en jour.
C’est pourquoi nous sommes beaucoup plus pessimistes qu’en
1972 quant à l’avenir qui nous attend. Il est triste de constater que
l’humanité a pour l’essentiel gâché les 30 dernières années en se
perdant dans de vains débats et en apportant des réponses sin
cères mais timides au défi écologique mondial. Nous n’avons plus
30 ans à perdre : il va falloir procéder à de nombreux change-
ments si nous voulons qu’au dépassement actuel ne succède pas
un effondrement lors du xxie siècle.
Nous avions promis à Dana Meadows avant son décès, début
2001, que nous mènerions à bien la « mise à jour trente ans après »
de l’ouvrage qu’elle aimait tant. Mais en nous y attelant, nous
avons une fois de plus été confrontés aux profondes différences
qui nous séparent, nous autres auteurs, en matière d’espoirs et
d’attentes.
Dana était l’optimiste forcenée du groupe. Elle croyait avec
bienveillance et compassion en l’humanité. Le travail de toute sa
vie reposait sur la conviction que si elle mettait assez d’informa-
tions pertinentes entre les mains des individus, ils choisiraient la
voie de la sagesse, de la clairvoyance et de l’humanisme. Qu’ils
préface des auteurs 27
Scénarios et prévisions
Nous n’avons pas écrit ce livre dans le but de publier des prévi-
sions sur ce qui va réellement se produire au xxie siècle. Nous ne
disons pas qu’un avenir plus qu’un autre nous attend. Nous nous
contentons de présenter une série de scénarios alternatifs, 10
évolutions possibles au xxie siècle. Nous le faisons dans le but de
vous encourager à apprendre, à réfléchir et à définir les choix qui
sont les vôtres.
Nous ne pensons pas que les données et les théories mises à
notre disposition permettront un jour de prévoir avec précision
l’avenir de la planète au cours du siècle. Mais nous estimons que
les connaissances actuelles nous autorisent à éliminer un certain
nombre d’hypothèses par trop irréalistes. Les faits excluent d’ores
et déjà la possibilité d’une croissance soutenue à l’avenir, pourtant
souhaitée de façon implicite par nombre d’individus ; c’est pren-
dre ses rêves pour la réalité, c’est séduisant mais infondé, vendeur
mais impossible. Notre analyse aura été utile si elle incite les
habitants de cette planète à reconsidérer leur position, à s’infor-
mer et à davantage respecter les limites physiques naturelles qui
vont jouer un rôle majeur dans leur existence.
Le dépassement
sur des prix à l’instant T pour prendre des décisions qui ne vont
affecter le marché que deux ou trois ans plus tard ; les propriétai-
res de navires de pêche déterminent leur activité en fonction des
prises récentes et non en fonction d’informations sur le taux de
reproduction à venir des poissons ; il faut des années pour que les
produits chimiques migrent de l’endroit où ils sont utilisés vers
un point de l’écosystème où ils causent de graves dégâts.
Dans la plupart des cas, le dépassement est sans conséquence.
Le franchissement d’un grand nombre de limites est le plus sou-
vent sans risque et se produit suffisamment souvent pour que,
lorsqu’il y a danger potentiel, on ait appris à l’éviter ou à en
réduire les conséquences. On passe ainsi sa main sous l’eau avant
d’entrer dans la douche. Des dégâts peuvent se produire, mais
ceux-ci sont rapidement combattus : la plupart des individus
essaient de dormir tard le lendemain lorsqu’ils sont restés à boire
dans un bar la veille.
Il arrive cependant que les conséquences du dépassement
puissent être catastrophiques. La croissance de la population et
de l’économie matérielle au niveau mondial fait courir ce risque
à l’humanité. C’est le sujet de ce livre.
Tout au long de cet ouvrage, nous allons tenter de comprendre
et de décrire pourquoi, et avec quelles conséquences, une popu-
lation et une économie ont crû jusqu’à désormais dépasser la
biocapacité de notre planète. Il s’agit de problèmes complexes. Les
données pertinentes sont souvent de piètre qualité et incomplètes.
Les conclusions scientifiques ne font pas encore l’objet d’un
consensus au sein des chercheurs et encore moins au sein des
politiques. Nous avons cependant besoin d’un terme pour décrire
la relation entre ce que l’humanité exige de la planète et ce que
cette dernière peut lui fournir. Nous utiliserons à cet effet le terme
d’empreinte écologique.
Ce terme a été popularisé par une étude que Mathis Wacker
nagel et ses collègues ont menée en 1997 pour le compte du
Conseil de la Terre. Wackernagel y calcule la quantité de terres
nécessaires pour fournir les ressources naturelles consommées
le dépassement 39
6,0
Milliards d’habitants
5,0
4,0
3,0
2,0
1,0
0
1650 1700 1750 1800 1850 1900 1950 2000 2050
300
200
100
Production industrielle par habitant
0
1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010
350
300
250
1700 1750 1800 1850 1900 1950 2000 2050
GRAPHIQUE 1
SOURCES EXUTOIRES
Utilisation de
ressources Émissions Déchets dans
Ressources Matières et
naturelles combustibles utilisés l’environnement
Sur ces graphiques, tous les scénarios pertinents proposés par World3
et présentés dans ce livre sont superposés afin d’illustrer la grande
variété de configurations possibles concernant deux variables impor-
tantes : la population et le bien-être humain moyen (mesuré au moyen
d’un indice qui associe le revenu par habitant à d’autres indicateurs du
bien-être). La plupart des scénarios montrent un déclin, mais certains
sont le reflet d’une société qui parvient à stabiliser sa population et à
présenter un bien-être humain élevé et durable.
54 les limites à la croissance
4. U Thant, 1969.
5. « World Scientists’ Warning to Humanity », décembre 1992, disponible
sur <www.ucsusa.org/about/1992-world-scientists.html>.
le dépassement 55
160
Millions de tonnes par an
140
120
100
80
60
40
20
0
1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010
3.5
Projection
3.0
Milliards d’habitants
2.5
2.0
Régions en
développement
1.5
1.0
Régions
0.5
industrialisées
0.0
1950 1970 1990 2010 2030
Croissance exponentielle
(taux d’intérêt de 7 % par an ;
2 000
somme ajoutée la 1re année :
7 dollars)
Croissance
linéaire
1 000 (7 dollars
ajoutés
chaque
année dans
la tirelire)
0
0 10 20 30 40 50
Années
Si on met 100 dollars dans une tirelire et qu’on y ajoute chaque année
7 dollars, la somme épargnée va augmenter de façon linéaire, comme
le montre la courbe en pointillés. Alors que si on dépose 100 dollars
dans une banque à 7 % de taux d’intérêts par an, la somme de départ
va croître de façon exponentielle, doublant tous les 10 ans environ.
Année Population
(millions d’habitants)
2000 125
2029 250
2058 500
2087 1 000
d’environ 0,72 jour (ou 17 heures) si la quantité est augmentée de 4,17 % par
heure. Mais si cette augmentation n’intervient qu’une fois par jour, comme dans
l’exemple des cacahuètes cité ci-dessus, le temps de doublement est d’un jour.
4. Banque mondiale, The Little Data Book 2001, Washington, DC, Banque
mondiale, 2001.
le moteur : la croissance exponentielle 65
(+)
Nombre de cellules de levure
ajoutées par heure
Taux d’accroissement
(en % par heure)
66 les limites à la croissance
Ajout de 8
Population en milliards
30 population
20
Décès
4
10
2
Population
0 0
1750 1800 1850 1900 1950 2000 2050
75
50
Pays en
développement
25
0
1700 1800 1900 2000 2100
Pays industrialisés
-25
Population
(nombre total
d’individus)
Fécondité Mortalité
(probabilité que surviennent (probabilité que surviennent
des naissances sur une année) des décès sur une année)
8. Le revenu national brut (RNB) est égal au produit intérieur brut (PIB)
auquel s’ajoutent les revenus du pays avec le reste du monde. Le PIB mesure la
valeur de la production des biens et des services à l’intérieur des frontières d’un
pays.
76 les limites à la croissance
Naissances
40 8 40
Population en millions
Population en millions
Naissances Population
20
30 6 30
20 Décès 4 20
Décès
10
10 2 10
Population
0 0 0 0
1800 1850 1900 1950 2000 1800 1850 1900 1950 2000
Population en millions
Population 60
40
30 30
40
Décès
20 Décès 20
20
20
10 10
Population
0 0 0 0
1800 1850 1900 1950 2000 1800 1850 1900 1950 2000
Japon Mexique
Naissances et décès pour 1000 par an
50 140 50 100
Naissances
Population 120
40 40 80
Population en millions
Population en millions
Naissances 100
30 30 60
80
60 Décès
20 Décès 20 40
40
10 10 20
20 Population
0 0 0 0
1800 1850 1900 1950 2000 1800 1850 1900 1950 2000
30
Bangladesh
Inde
Indonésie MONDE
20 Brésil
USA
Chine
10 Suisse
Japon
Russie
0
0 10 000 20 000 30 000 40 000
RNB par habitant et par an en dollars
Plus une société s’enrichit, plus son taux de natalité a tendance à baisser.
Les pays les plus pauvres connaissent des taux de natalité compris entre
20 et plus de 50 naissances pour 1000 habitants par an. Aucun des pays
les plus riches n’enregistre en revanche un taux de natalité supérieur à
20 pour 1000 par an. (Sources : PRB ; Banque mondiale)
11. On peut illustrer cette confusion à travers une histoire que nous a
racontée le grand géologue, M. King Hubbert, au début des années 1970.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques, sachant que le Japon
était sur le point d’envahir la péninsule malaise, grosse productrice de caout-
chouc pour l’ensemble de la planète, se lancèrent dans une vaste opération pour
déplacer le plus de caoutchouc possible dans une réserve située en Inde. Ils
arrivèrent tout juste, alors que les Japonais envahissaient la Malaisie, à stocker
ce qu’ils pensaient être une quantité suffisante de caoutchouc pour pouvoir
fabriquer des pneus et d’autres produits dont ils allaient avoir besoin jusqu’à la
fin de la guerre. Mais une nuit, la réserve de caoutchouc prit feu et fut entière-
ment dévastée. « Ce n’est pas grave », répondirent certains économistes britan-
niques en apprenant la nouvelle. « Nous étions assurés ».
80 les limites à la croissance
Biens de
consommation
manufacturés
Capital générateur de
ressources : Production
mines, puits de pétrole de ressources
Capital
industriel :
aciéries, usines de Capital agricole :
fabrication Production systèmes d’irrigation, Production
d’outils, robots industrielle tracteurs
agricole
Capital immatériel :
écoles, hôpitaux Production
de services
Investissement
industriel
(+)
Production
industrielle
Taux d’investissement Durée de vie moyenne
(% par an) du capital
Capital industriel
(+) (-)
Investissement Dépréciation
(capital ajouté par an) (capital mis au rebut par an)
le moteur : la croissance exponentielle 83
6 000
Services
4 000
2 000
Industrie
Agriculture
0
1930 1950 1970 1990 2010
aliments, ils conduisent aussi des voitures, vivent dans des mai-
sons, travaillent dans des bâtiments climatisés ou chauffés et,
même à l’âge de la communication électronique, utilisent et jet-
tent quantité de papier.
Sous l’influence de la boucle positive qui engendre de la crois-
sance au sein du système capitaliste mondial, l’industrie s’est
développée plus vite que la population. Entre 1930 et 2000, la
valeur monétaire de la production industrielle a été multipliée
par 14 (comme le montre la figure 1-2). Si la population était restée
à un niveau constant durant cette période, le niveau de vie maté-
riel aurait lui aussi été multiplié par 14, mais du fait de l’accrois-
sement démographique, la production moyenne par habitant a
été multipliée par 5. Entre 1975 et 2000, la taille de l’économie
industrielle a peu ou prou doublé, tandis que la production par
habitant n’augmentait que de 30 %.
86 les limites à la croissance
FIGURE 2-10 – RNB par habitant des 10 pays les plus peuplés de la
planète et de l’Union monétaire européenne
50 000
Japon
Dollars US par personne et par an
40 000
30 000
Union
monétaire
20 000
européenne
Fédération Chine
de Russie Indonésie
10 000
Inde
États-Unis Pakistan
Brésil Bangladesh
0 Nigeria
1960 1970 1980 1990 2000
80 %
60 %
Part du PNB mondial
40 %
20 %
0%
Les 20 % Les 20 %
les plus riches les plus pauvres
17. Voir, par exemple, Peter Senge, La cinquième discipline, Paris, First
éditions, 1992.
18. Nous modelons de façon implicite des boucles « on ne prête qu’aux
riches » en prenant pour hypothèse les schémas de répartition actuels dans le
monde, à moins que nous n’intervenions pour les changer.
90 les limites à la croissance
Accroissement
démographique
(+) Population
Pauvreté
Afrique Extrême-Orient
400 400
300 300
200 200
100 100
0 0
1950 1970 1990 2010 1950 1970 1990 2010
SYSTÈME PLANÉT
ÉCO AIR
Énergie E
solaire
Sources Énergie de
planétaire haute
s qualité
Matières et
combustible
s fossiles Sous-système
économique Énergie de
basse
qualité
Déchets
et Exutoires
pollution planétaires Perte de
chaleur
durable si une partie des profits qu’il permet de dégager est sys-
tématiquement investie dans des éoliennes, des panneaux photo-
voltaïques ou dans la plantation d’arbres pour que, une fois le
pétrole épuisé, un flux équivalent d’énergie renouvelable soit
disponible.)
Concernant les polluants, le taux d’émission soutenable ne
doit pas dépasser le rythme auquel ces polluants peuvent être
recyclés, absorbés ou rendus inoffensifs dans l’exutoire. (Exemple :
les eaux usées peuvent être déversées dans un courant, un lac ou
un aquifère souterrain à condition de laisser le temps aux bacté-
ries et autres organismes d’absorber leurs nutriments sans être en
surnombre et déstabiliser l’écosystème aquatique.)
N’importe quelle activité provoquant la baisse d’un stock de
ressources renouvelables, le remplissage d’un exutoire à pollution
ou encore la diminution d’un stock de ressources non renouvela-
bles sans que des ressources renouvelables de substitution soient
prévues ne peut être durable. Tôt ou tard, cette activité devra
ralentir. Lors des nombreux débats autour des règles de Daly, en
milieu universitaire, en entreprise, entre des dirigeants politiques
ou au sein de la société civile, nous n’avons jamais entendu qui-
conque les remettre en question. (Cela dit, nous avons rarement
vu des personnes s’en inspirer sérieusement.) S’il existe des lois
fondamentales relatives à la durabilité, ces règles doivent en faire
partie. Et la question n’est pas de savoir si elles sont correctes,
mais si l’économie mondiale les respecte et ce qui peut arriver si
ce n’est pas le cas.
Nous allons nous servir des trois critères de Daly pour passer
rapidement en revue plusieurs sources et exutoires utilisés par
notre économie. Nous commencerons par les ressources renou-
velables et nous nous poserons la question suivante : les utilisons-
nous plus vite qu’elles ne se régénèrent ? Concernant les ressources
non renouvelables, dont les stocks, par définition, sont condam-
nés à baisser, notre interrogation sera : à quelle vitesse les matières
de haute qualité sont-elles utilisées ? Quel coût véritable en énergie
et en capitaux cela représente-t-il de les mettre à disposition de
les limites : sources et exutoires 103
Sources renouvelables
La nourriture, la terre, le sol
La plupart des terres agricoles de haute qualité sont déjà exploitées
et nous connaissons le coût environnemental que représenterait la
conversion en terres agricoles des forêts, des prairies et des zones
humides qui restent…
Une grande partie des sols restants sont moins productifs et plus
fragiles.
… Selon une analyse de l’érosion des sols au niveau mondial, la
couche arable disparaît à l’heure actuelle, selon les régions, entre 16
et 300 fois plus vite qu’elle ne peut être remplacée.
– World Resources Institute, 1998
Production céréalière
totale
300
Indice
population
200
0
1950 1970 1990 2010
Les agriculteurs dans le monde ont produit plus de trois fois plus de
céréales en 2000 qu’en 1950. Du fait de l’accroissement démographique,
cependant, la production par habitant a atteint un pic au milieu des
années 1980 et a légèrement baissé ensuite. La production céréalière
mondiale par habitant reste néanmoins supérieure de 40 % à celle de
1950. (Sources : FAO ; PRB)
Ces hypothèses sont bien sûr loin d’être réalistes. Étant donné
les conditions climatiques et les pratiques agricoles, la nécessité
d’utiliser les terres à d’autres fins que la production de nourriture
(pour les forêts, les pâturages, l’habitat humain, la protection des
bassins versants et de la biodiversité, entre autres), étant donné
également les problèmes liés à l’écoulement des engrais et des
pesticides, les limites à la production de nourriture sont consi
dérablement plus basses en pratique qu’en théorie. Et, de fait,
comme nous l’avons vu, la production céréalière par habitant
baisse depuis 1985.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, nous assistons à une remar-
quable hausse de la production et de la productivité agricoles dans
les pays en développement. Si, dans de nombreuses régions, cette
croissance s’est apparemment faite de façon soutenable, dans d’au
tres, elle a été le fruit de deux processus non durables : le défriche-
ment de nouvelles terres présentant un potentiel productif moindre
ou une plus grande vulnérabilité, et l’intensification de la production
par l’exploitation excessive et la destruction des ressources de base
du sol11.
La limite la plus évidente est la terre12. Les estimations quant
à la surface de terre potentiellement cultivable sur la planète
s’échelonnent entre deux et quatre milliards d’hectares, selon le
60
40
Chine
USA Monde
20
Inde
Iran
0
1950 1960 1970 1980 1990 2000
80
Riz
kg par hectare et par an
60
Japon
Chine Indonésie
40 Monde
Philippines
20 Thaïlande
0
1950 1960 1970 1980 1990 2000
80
Maïs USA Égypte
60
Chine
40 Monde
Brésil
20
Tanzanie
0
1950 1960 1970 1980 1990 2000
Les rendements du blé, du riz et du maïs sont élevés dans les pays
industrialisés. Dans certains pays émergents ou en développement,
comme la Chine, l’Égypte et l’Indonésie, ils augmentent rapidement.
Dans d’autres, ils sont encore très bas, mais possèdent un énorme
potentiel de progression. (Afin de lisser les variations climatiques
annuelles, une moyenne des rendements présentés sur ces graphiques
a été réalisée tous les trois ans.) (Source : FAO)
13. Pour un excellent bilan des études sur la disparition des sols dans le
monde, voir Sara J. Scherr, « Soil Degradation », op. cit.
14. Programme des Nations Unies pour l’environnement, « Farming Systems
Principles for Improved Food Production and the Control of Soil Degradation
in the Arid, Semi-Arid, and Humid Tropics », compte rendu d’une réunion
d’experts cocommanditée par l’International Crops Research Institute for the
Semi-Arid Tropics, Hyderabad, Inde, 1986.
15. B. G. Rosanov, V. Targulian et D. S. Orlov, « Soils », in B. L. Turner et
al., The Earth as Transformed by Human Action : Global and Regional Changes
in the Biosphere Over the Past 30 Years, Cambridge, Cambridge University
Press, 1990. Voir également Lester R. Brown, Éco-économie, op. cit.
112 les limites à la croissance
3
Milliards d’hectares
0
1900 1950 2000 2050 2100
La surface des terres cultivables au xxie siècle sera sans doute comprise
entre 1,5 et 4 milliards d’hectares, ce qui est représenté par la partie
grisée. Nous partons ici de l’hypothèse que l’accroissement démogra-
phique va suivre les prévisions médianes des Nations Unies. Les diffé-
rents scénarios post-2000 montrent la surface de terres requise pour
produire des aliments selon les rendements actuels à l’hectare, selon
un doublement de ces rendements, selon que l’on maintient les nor-
mes alimentaires actuelles et selon que l’on généralise le régime ali-
mentaire moyen d’un habitant d’un pays d’Europe de l’Ouest en 2000.
(Sources : Nations unies, PRB, FAO, G. M. Higgins et al.)
20. Pour un excellent examen de tous ces facteurs et de leur possible impact
sur l’agriculture de demain, voir Rosamond Naylor, « Energy and Resource
Constraints on Intensive Agricultural Production », Annual Reviews of Energy
and Environment, vol. 21, 1996.
les limites : sources et exutoires 117
21. Janet McConnaughey, « Scientists Seek Ways to Bring Marine Life Back
to World’s ‘Dead Zones’ », Los Angeles Times, 8 août 1999.
22. Voir, par exemple, Michael J. Dover et Lee M. Talbot, To Feed the Earth :
Agro-Ecology for Sustainable Development, Washington, DC, World Resources
Institute, 1987.
118 les limites à la croissance
L’eau
Dans de nombreux pays, industrialisés ou en développement, les
modes actuels d’utilisation de l’eau ne sont pas durables… La planète
est confrontée dans plusieurs régions à des problèmes de disponibilité
et de qualité de l’eau qui s’aggravent… Ces problèmes précarisent
l’une des ressources sur lesquelles la société humaine s’est bâtie.
– UN Comprehensive Assessment
of the Freshwater Resources, 1997
L’eau douce n’est pas présente partout sur la planète. C’est une
ressource avant tout régionale, disponible dans certains bassins
versants seulement, si bien que les limites la concernant prennent
des formes très diverses. Dans certains bassins, ces limites sont
saisonnières et dépendent de la faculté du sol à stocker l’eau
pendant les périodes sèches. Dans d’autres zones, elles sont déter-
minées par la vitesse d’infiltration des eaux souterraines, par la
vitesse de fonte des glaces ou encore par la capacité des sols
forestiers à emmagasiner l’eau. Et comme l’eau est à la fois une
source mais aussi un exutoire, son utilisation peut également être
limitée par son degré de pollution en amont ou lors de son par-
cours souterrain.
Le caractère intrinsèquement régional de l’eau douce n’empê-
che pas de procéder à des évaluations au niveau mondial, évalua-
tions qui sont de plus en plus inquiétantes. L’eau est à la fois la
ressource la moins remplaçable et la plus vitale. Les limites la
concernant ont des répercussions sur d’autres flux nécessaires :
aliments, énergie, ressources halieutiques et vie sauvage. L’extrac
tion d’autres ressources – aliments, minerais et produits fores-
tiers – peut à son tour affecter la disponibilité ou la qualité de
l’eau. Dans un nombre de plus en plus important de bassins à
travers le monde, il ne fait aucun doute que les limites sont d’ores
et déjà dépassées. Dans certains des pays les plus pauvres, mais
les limites : sources et exutoires 121
aussi dans certains des plus riches, les prélèvements d’eau par
habitant sont en baisse du fait de problèmes environnementaux,
d’élévation des coûts ou de la raréfaction de la ressource.
La figure 3-5 a une valeur purement illustrative, car c’est une
synthèse à l’échelle mondiale de nombreux bassins hydrographi-
ques régionaux. On pourrait cependant établir un graphique
similaire par région avec les mêmes caractéristiques : une limite,
un certain nombre de facteurs qui peuvent repousser ou au
contraire abaisser cette limite, et une progression en direction de
cette limite et parfois au-delà.
En haut du graphique figure la limite physique supérieure à
l’utilisation de l’eau par l’homme, c’est-à-dire le flux annuel total
des courants et des fleuves du monde entier (en incluant l’alimen-
tation de tous les aquifères souterrains). C’est la source renouve-
lable dans laquelle est puisée l’intégralité ou presque des intrants
en eau douce dans l’économie humaine. Cela représente une
quantité considérable d’eau : 40 700 km3 par an, soit un volume
suffisant pour remplir les cinq grands lacs d’Amérique du Nord
tous les quatre mois. Cette limite peut sembler très éloignée étant
donné les prélèvements humains actuels qui dépassent à peine
5 % de ce total, soit 2 290 km3 par an27.
Dans la pratique, cependant, cet écoulement d’eau douce ne
peut pas être exploité dans son intégralité. Il est pour une grand
part saisonnier. En effet, 29 000 km3 d’eau se déversent chaque
année dans la mer lors des crues, ce qui ne laisse que 11 000 km3
d’eau disponibles tout au long de l’année, soit la somme des flux
d’alimentation des cours d’eau et des nappes souterraines.
La figure 3-5 montre que les humains repoussent la limite
des écoulements en construisant des barrages pour recueillir les
eaux de crue. À la fin du xxe siècle, les barrages avaient permis
d’augmenter la quantité d’écoulements exploitables d’environ
30 000
Km3 par an
Écoulement
des crues
20 000
3 500 km3 par an28. Les barrages inondent bien entendu les terres
et il s’agit souvent de terres agricoles de très bonne qualité. Et ils
permettent de produire de l’électricité. Ils augmentent également
l’évaporation du bassin fluvial, ce qui réduit les écoulements nets
et modifie les écosystèmes riverains et aquatiques. Les barrages
finissent tôt ou tard par s’envaser, si bien qu’ils ne représentent
pas une source d’approvisionnement durable ; ils induisent en
28. La capacité totale des retenues d’eau conçues par l’homme est d’environ
5 500 km3, mais un peu plus de la moitié seulement est disponible de façon
soutenable.
les limites : sources et exutoires 123
Autres usages
industriels
200
Refroidissement des
centrales électriques
0
1900 1920 1940 1960 1980 2000 2020
33. Ibid.
126 les limites à la croissance
37. On pourra retrouver ces exemples et bien d’autres dans Sandra Postel,
Pillar of Sand : Can the Irrigation Miracle Last ?, New York, W. W. Norton, 1999.
128 les limites à la croissance
40. Ces exemples et ces chiffres sont tirés de Poster, Pillar, et de Paul
Hawken, Amory Lovins et Hunter Lovins, Natural Capitalism : comment
réconcilier économie et environnement, Paris, Scali, 2008, chapitre 11.
130 les limites à la croissance
• Collecter les eaux de pluie dans les zones urbaines. Des citernes
ou des dispositifs de collecte de l’eau installés sur les toits
peuvent recueillir et permettre d’exploiter autant d’eau de
ruissellement qu’un grand barrage pour un coût bien moindre.
L’un des meilleurs moyens de mettre en œuvre ces bonnes
pratiques est de cesser de subventionner l’eau. Si le prix de l’eau
intégrait, ne serait-ce que partiellement, le coût financier, social
et environnemental de la mise à disposition de cette eau, on en
ferait automatiquement une consommation plus raisonnée. Les
villes de Denver et de New York se sont aperçues qu’en mesurant
à l’aide d’un simple compteur la consommation de l’eau de ville
et en appliquant un tarif qui augmente avec le taux d’utilisation,
la consommation des ménages baissait de 30 à 40 %.
Et puis, il y a le changement climatique (dont nous reparlerons
plus longuement). Si les humains ne font rien, il peut modifier
les cycles hydrologiques, les courants océaniques, le régime des
précipitations et des ruissellements, l’efficacité des barrages et
des systèmes d’irrigation, ainsi que d’autres formes de stockage
et d’approvisionnement en eau d’une importance capitale partout
dans le monde. La durabilité de l’eau n’est pas possible sans une
durabilité du climat, qui elle-même implique une durabilité
énergétique. Les humains sont face à un vaste et unique système
où tout est lié.
Les forêts
On note une tendance mondiale très claire à la perte massive de
zones forestières… Actuellement, la perte de zones forestières et de
forêts primaires résiduelles, et la réduction progressive de la qualité
interne des peuplements forestiers résiduels s’accélèrent… Une grande
partie des zones boisées qui restent sont progressivement appauvries,
et c’est tout le système qui est menacé.
– Commission mondiale pour les forêts
et le développement durable, 1999
les limites : sources et exutoires 131
Une forêt est une ressource en soi qui possède des fonctions
vitales inestimables sur le plan économique. Les forêts modèrent
le climat, contrôlent les inondations et emmagasinent de l’eau
pour lutter contre la sécheresse. Elles atténuent l’effet érosif des
pluies, participent à la formation des sols le long des pentes et les
empêchent de s’effondrer, et préservent les cours d’eau, les zones
littorales, les canaux d’irrigation et les réservoirs des barrages de
l’envasement. Elles abritent et entretiennent de nombreuses espè-
ces vivantes. On estime ainsi que les forêts tropicales, qui ne
couvrent pourtant que 7 % du globe, abritent à elles seules au
moins la moitié des espèces. Un grand nombre de ces espèces, des
palmiers aux champignons en passant par les plantes médicina-
les, des espèces utilisées pour des teintures aux espèces comesti-
bles, ont une valeur commerciale et n’existeraient pas sans les
arbres protecteurs qui constituent leur habitat.
Les forêts absorbent et retiennent une grande quantité de
dioxyde de carbone, ce qui contribue à réguler les stocks de CO2
dans l’atmosphère et à lutter contre l’effet de serre et le réchauf-
fement climatique. Enfin, mais c’est loin d’être négligeable, les
forêts en bonne santé sont de beaux endroits, très appréciés pour
se détendre et faire le plein de sérénité.
Avant l’avènement de l’agriculture, on comptait entre 6 et
7 milliards d’hectares de forêts sur la Terre. Il n’y en a plus
aujourd’hui que 3,9 milliards si l’on prend en compte les 0,2 mil-
liard d’hectares de plantations forestières. Plus de la moitié des
pertes de forêts naturelles dans le monde se sont produites depuis
1950. Entre 1990 et 2000, la surface de forêts naturelles a diminué
de 160 millions d’hectares, soit d’environ 4 %41, et les pertes se
41. Les chiffres diffèrent énormément selon les auteurs quant à la surface
de forêts dans le monde. C’est dû à la fois au fait qu’il existe différentes défini-
tions pour le terme « forêt » et au fait que le principal fournisseur de données,
la FAO, a opté pour de nouvelles définitions dans son évaluation de l’an 2000.
Dans cette partie, nous rapportons les nouveaux chiffres de la FAO que nous
avons pris dans Évaluation des ressources forestières mondiales (FRA), Rome,
FAO, 2000, <www.fao.org/forestry/fr/>.
132 les limites à la croissance
42. Dirk Bryant, Daniel Nielsen et Laura Tangley, The Last Frontier Forests :
Ecosystems and Economies on the Edge, Washington, DC, World Resources
Institute, 1997.
les limites : sources et exutoires 133
1,00
0,80
0,60
0,40
0,20
0
le
ue
d
d
ie
pe
ie
e
ra
Su
or
si
an
ss
iq
ro
nt
A
Ru
fr
du
cé
Eu
ce
du
A
O
ue
ue
ue
iq
iq
iq
ér
ér
ér
m
m
A
A
1 500
1 % de surface perdu chaque année
1 000
La surface perdue
chaque année 20 millions
500 augmente de 2 % par an d’hectares
perdus par an
Forêt protégée
0
2000 2020 2040 2060 2080 2100
44. Voir Nels Johnson et Bruce Cabarle, « Surviving the Cut : Natural Forest
Management in the Humid Tropics », Washington, DC, World Resources
Institute, 1993.
138 les limites à la croissance
Grume de sciage et
2 bois de placage
Bois-énergie
1
0
1960 1970 1980 1990 2000 2010
48. Lester R. Brown et al., State of the World 1999, op. cit.
49. Janet N. Abramovitz et Ashley T. Mattoon, « Reorienting the Forest
Products Economy », in ibid.
les limites : sources et exutoires 141
Il va de soi que les sols, l’eau et la terre sont des sources dont
dépend l’humain puisqu’elles lui fournissent les flux nécessaires
à son existence et à son économie. Il existe cependant un autre
type de sources, au moins aussi importantes mais beaucoup
moins visibles, car l’économie humaine ne leur a jamais attribué
de valeur monétaire : il s’agit des espèces naturelles, à la fois non
commerciales et non commercialisables, des écosystèmes qu’elles
forment et des contributions qu’elles apportent en capturant, en
mobilisant et en recyclant l’énergie et la matière indispensables à
toute vie.
On parle de plus en plus de services écosystémiques pour
qualifier l’apport quotidien et inestimable de ces sources bioti-
ques. En voici quelques-uns :
51. Cette liste s’inspire de Gretchen C. Daily (dir.), Nature’s Services : Societal
Dependence on Natural Ecosystems, Washington, DC, Island Press, 1997.
52. Voir Robert Costanza et al., « The Value of the World’s Ecosystem
Services and Natural Capital », Nature, vol. 387, no 6630, 15 mai 1997. Costanza
et ses collègues ont estimé (faisant preuve de prudence) la valeur des services
naturels à 33 000 milliards de dollars par an à une époque où le PNB mondial
s’élevait à 18 000 milliards de dollars par an.
les limites : sources et exutoires 145
53. Robert M. May, « How Many Species Inhabit the Earth ? », Scientific
American, octobre 1992.
54. Joby Warrick, « Mass Extinction Underway, Majority of Biologists Say »,
Washington Post, 21 avril 1998.
146 les limites à la croissance
conservation de la nature, 2000, telle que citée dans Lester R. Brown, « Water
Deficits », op. cit.
58. Constance Holden, « Red Alert for Plants », Science, vol. 280, no 5362,
17 avril 1998.
59. WWF, Rapport « Planète Vivante » 2002, Gland, Suisse, WWF, 2002.
148 les limites à la croissance
60. Le terme énergie commerciale fait référence à l’énergie vendue sur les
marchés ; il ne prend pas en compte l’énergie consommée par les populations
qui ramassent du bois, du fumier ou d’autres types de biomasse pour leur usage
personnel. Les sources d’énergie non commerciales sont essentiellement renou-
velables, mais cela ne veut pas dire qu’elles sont exploitées de façon durable. On
estime qu’elles représentent environ 7 % de la consommation totale d’énergie.
WRI, World Resources 1998-99, op. cit.
61. U.S. Energy Information Administration, International Energy Outlook
2003, table A1, « World Total Energy Consumption by Region, Reference Case,
1990-2025 (Quadrillion BTU) », <www.eia.gov/oiaf/ieo/>.
62. Agence internationale de l’énergie (AIE), World Energy Outlook 2002,
Vienne, AIE, 2002, <www.worldenergyoutlook.org/media/weowebsite/2008-
1994/weo2002_part1.pdf> et <www.worldenergyoutlook.org/media/weo
website/2008-1994/weo2002_part2.pdf>. On trouvera des scénarios à plus long
terme sur le site du Conseil mondial de l’énergie, « Global Energy Scenarios to
2050 and Beyond », 1999, <www.worldenergy.org>.
150 les limites à la croissance
400
Hydroélectricité
Consommation énergétique totale et nucléaire
dans le monde
300 Gaz naturel
200
Pétrole
100
Charbon
0 Combustibles traditionnels
1950 1970 1990 2010
63. Bent Sørensen, « Long-Term Scenarios for Global Energy Demand and
Supply », Energy & Environment Group, Roskilde University, janvier 1999.
les limites : sources et exutoires 151
64. Le terme production est impropre pour parler de l’opération qui con
siste à extraire des combustibles fossiles du sol, car c’est la nature qui produit
ces derniers sur des millions d’années. Les humains ne « produisent » donc pas
de combustibles fossiles, ils les extraient, les exploitent, les pompent ou les
puisent. Mais le terme production est celui qui est couramment utilisé comme
dans l’expression ratio réserves/production, si bien que nous avons choisi de le
reprendre.
152 les limites à la croissance
Tant que le rythme des découvertes est plus soutenu que celui
de la production, le stock de réserves connues augmente. Mais le
diagramme ci-dessus ne montre qu’une partie du système. Un
diagramme plus complet doit inclure les sources et les exutoires
ultimes des combustibles fossiles :
Réserves non
découvertes Pollution
combustibles
réserves connues
transformés
Découverte Production Combustion
d’énergie de se procurer les combustibles fossiles que ces derniers n’en renfer-
ment. Voir Charles A.S. Hall et Cutler J. Cleveland, « Petroleum Drilling and
Production in the United States : Yield per Effort and Net Energy Analysis »,
Science, vol. 211, no 4482, 6 février 1981.
les limites : sources et exutoires 155
Consommation
Milliards de barils par an
Importations
4
Alaska
États-Unis
continentaux
0
1890 1930 1970 2010
30
20
10
0
1850 1875 1900 1925 1950 1975 2000 2025 2050
300
250
200
150
Production 2000–
antérieure à 2000 2025
2050–2075
2025–2050
déchets n’est pas résolu et parce que les deux autres solutions sont
beaucoup plus facilement réalisables. Elles sont plus rapides,
moins coûteuses, plus sûres et bien plus faciles à mettre en œuvre
dans les pays pauvres.
L’efficacité énergétique permet de fournir les mêmes services
d’énergie finale – lumière, chaleur, refroidissement, transport de
personnes et de marchandises, eau pompée, moteurs qui tour-
nent – mais en utilisant moins d’énergie. Cela se traduit non
seulement par une qualité de vie matérielle égale ou supérieure,
mais aussi et souvent par un moindre coût énergétique direct, par
moins de pollution, un moindre recours aux sources d’énergie
nationales, moins de conflits relatifs à l’emplacement des instal-
lations et, pour de nombreux pays, une dette extérieure moins
élevée et des dépenses militaires moindres pour garantir l’accès
aux ressources étrangères ou pour contrôler ces dernières.
Les technologies d’efficacité énergétique, depuis les systèmes
d’amélioration de l’isolation jusqu’aux moteurs plus intelligents,
progressent à un rythme si soutenu que les estimations quant à
l’énergie nécessaire pour accomplir toutes sortes de tâches doi-
vent chaque année être revues à la baisse. Une ampoule fluocom-
pacte fournit ainsi la même quantité de lumière qu’une ampoule
à incandescence, mais consomme 75 % d’électricité en moins.
Si tous les immeubles étatsuniens étaient équipés de fenêtres
super isolantes, le pays économiserait deux fois l’énergie que lui
fournit aujourd’hui le pétrole venu d’Alaska. Dix constructeurs
automobiles au moins ont conçu des prototypes qui peuvent par-
courir entre 30 et 60 km avec un litre d’essence, et dans les débats
techniques de pointe, on commence désormais à entendre parler
de véhicules pouvant parcourir jusqu’à 70 km. Et contrairement
à ce que l’on croit souvent, ces voitures efficaces réussissent tous
les tests de sécurité habituels et certaines ne coûtent pas plus cher
à la construction que les modèles actuels66.
66. Ces informations ainsi que la plupart des données que nous reprenons
sur ce sujet nous viennent d’Amory Lovins et du Rocky Mountain Institute.
162 les limites à la croissance
Pour de plus amples informations sur les solutions d’efficacité énergétique dans
les transports, l’industrie et le bâtiment, consulter Scientific American, vol. 263,
no 3, septembre 1990.
67. PNUD, Indicateurs du développement humain 2003, <http://hdr.undp.
org>.
68. Actuellement, la consommation totale de combustibles fossiles par les
humains représente un flux d’énergie d’environ 5 térawatts (milliards de
kilowatts). Le flux constant du rayonnement solaire sur la Terre équivaut à
80 000 térawatts.
les limites : sources et exutoires 163
Énergie éolienne
0,40
0,30
0,20
0,10
0
1970 1980 1990 2000 2010
Systèmes photovoltaïques
En dollars courants par watt
30
20
10
0
1970 1980 1990 2000 2010
être sans fin, mais elles fonctionnent avec un débit fixe. Elles ne
peuvent pas alimenter un nombre indéfiniment élevé de person-
nes et un capital industriel qui se développe très rapidement.
Mais elles peuvent fournir la base énergétique de la société dura-
ble du futur. Elles sont abondantes, variées et omniprésentes.
Leurs flux de pollution sont moindres et généralement moins
nocifs que ceux des énergies fossiles et du nucléaire.
Si les sources d’énergie les plus durables et les moins polluan-
tes étaient développées et exploitées avec une grande efficacité,
elles pourraient répondre aux besoins des humains sans dépasser
les limites. Cela nécessite simplement une volonté politique,
quelques avancées technologiques et des changements modestes
au niveau social.
Étant donné que les réserves encore inconnues de gaz naturel
semblent assez vastes, on peut dire, en ce début de xxie siècle, que
les contraintes qui limitent le plus la consommation d’énergie
sont à chercher du côté des exutoires. Le problème posé par le
changement climatique dû aux émissions de dioxyde de carbone
issues de notre consommation énergétique, est abordé plus loin
dans ce chapitre.
Les matières
L’extraction ou l’exploitation de ressources naturelles primaires
nécessitent souvent de déplacer ou de transformer de grandes quan-
tités de matières qui peuvent modifier ou dégrader l’environnement
tout en n’ayant aucune valeur économique. Ainsi, pour accéder à des
gisements de métaux, à des minerais ou à des veines de charbon, il
faut déplacer beaucoup de matière ou de terrain de couverture. Les
minerais bruts doivent souvent être transformés ou concentrés avant
de pouvoir être commercialisés, ce qui entraîne de nombreux déchets
dont il faut se débarrasser… Tous ces flux font partie de l’activité
économique d’un pays, mais ne sont quasiment jamais pris en
compte ni comptabilisés dans l’économie monétaire. C’est pourquoi
les statistiques sous-estiment la dépendance d’une économie indus-
trielle vis-à-vis des ressources naturelles.
– World Resources Institute, 1997
166 les limites à la croissance
Capital de
Recyclage
recyclage
Déchets
solides
Produits en cours
Réserves non d’utilisation
découvertes
Matériaux
Réserves connues transformés
Découverte Production Fabrication
25
Millions de tonnes par an
20
15
10
0
1900 1950 2000
600
400
200
0
1900 1920 1940 1960 1980 2000
• Les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont fait grimper les
prix des métaux à forte intensité énergétique, incitant encore
davantage à économiser l’énergie et la matière dans toutes les
applications.
• Ces mêmes prix élevés, ainsi que les réglementations environ-
nementales et les problèmes de traitement des déchets solides
ont encouragé le recyclage des matériaux.
• Toutes ces pressions ont précipité l’avènement d’une révolution
technique : le plastique, la céramique et d’autres matériaux ont
remplacé les métaux, et les produits métalliques – voitures,
cannettes de soda et bien d’autres – ont été allégés.
• Durant la stagnation de l’économie, dans les années 1980, les
secteurs de l’industrie lourde ont été durement touchés, et
la demande de métaux de base a baissé de façon dispropor-
tionnée73.
Si la baisse de la consommation de matière a peut-être des
raisons économiques passagères, les évolutions techniques vont,
elles, sans doute perdurer, tout comme les pressions environne-
mentales en faveur d’une réduction des flux de matière. Et il est
intéressant de noter que le prix des matériaux a continué à baisser
ces dix dernières années, preuve que l’offre était supérieure à la
demande74.
Le manque de sources a poussé les pays pauvres à toujours
récupérer et recycler les matériaux. C’est le manque d’exutoires
qui, actuellement, pousse les pays riches à réapprendre à le faire.
Dans cette démarche, le recyclage cesse d’être une activité à forte
intensité de main-d’œuvre pour en devenir une à forte intensité
en capital et en énergie. Il nécessite des composteurs rotatifs, des
broyeurs et des systèmes de filtrage cribles, des digesteurs, des
mélangeurs de boue, des déconsigneurs (pour rembourser les
73. Voir John E. Tilton (dir.), World Metal Demand, Washington, D.C.,
Resources for the Future, 1980.
74. Organisation de coopération et de développement économiques, Déve
loppement durable – Les grandes questions, Paris, OCDE, 2001.
170 les limites à la croissance
puces et n’ont plus besoin de passer par des bobines à noyau fer-
romagnétique. Une petite clé USB qui tient dans la poche peut
contenir autant de données qu’un livre de 200 000 pages. Et une
fibre de verre ultrapure, fine comme un cheveu, peut acheminer,
avec un son de meilleure qualité, autant de conversations télépho-
niques que des centaines de fils de cuivre.
Abandonnant les températures élevées, les fortes pressions,
les produits chimiques agressifs et la force brute qui caractérisent
les processus de fabrication depuis la révolution industrielle, les
chercheurs commencent à comprendre comment exploiter l’in-
telligence des machines moléculaires et de la programmation
génétique. Certaines avancées en matière de nano et de biotech-
nologie permettent aujourd’hui à l’industrie d’obtenir des réac-
tions chimiques similaires aux réactions naturelles, grâce à une
association minutieuse des molécules entre elles.
Si les possibilités de recycler, d’obtenir une plus grande effica-
cité, d’allonger la durer de vie des produits et de réduire les flux
de matière à la source sont enthousiasmantes, elles ne se tradui-
sent néanmoins pas, à l’échelle mondiale, par une réduction du
gigantesque flux de matière qui alimente l’économie. Elles ont au
mieux ralenti son rythme de croissance. Et les individus sans
voiture ou réfrigérateur se comptent toujours par milliards. Bien
que la plupart des personnes soient aujourd’hui plus conscientes
des limites des exutoires que de celles des sources, la hausse de la
demande de matériaux va finir par se heurter aussi aux limites
imposées par les sources. Une grande partie des matériaux les
plus utiles aux humains se présentent rarement sous forme con
centrée dans la croûte terrestre. Leur exploitation a un coût de
plus en plus élevé, un coût qui se mesure en énergie, en capital,
en impact environnemental et en instabilité sociale.
Le géologue Earl Cook a montré à quel point la plupart des
minerais exploitables sont étonnamment peu concentrés et rares78.
2,50
2,00
1,50
1,00
0,50
0
1910 1930 1950 1970 1990 2010
1 000
800
600
400
200
0
0 2 4 6 8 10 12
Teneur en minerai (%)
12
(par kg de lait)
0
1960 1970 1980 1990 2000
16
par décilitre de sang
12
0
1960 1970 1980 1990 2000
Présence de DDT dans les muscles de harengs de la mer Baltique âgés de 2 ans
par kg de masse graisseuse
Milligrammes de DDT
12
0
1960 1970 1980 1990 2000
et dans l’eau, mais pas de toutes. La figure 3-21 montre que dans
les pays du G780, les émissions de dioxyde de soufre ont été rédui-
tes de près de 40 % grâce à des épurateurs installés sur les chemi-
nées et grâce au passage au fioul pauvre en soufre. Les polluants
que sont le dioxyde de carbone et l’oxyde d’azote sont difficiles à
225
PIB en dollars constants
200
Indexé sur 1970 = 100
175
Consommation
150 d’énergie
125 CO2
NOx
100
75
SOx
50
25
0
1970 1980 1990 2000 2010
La Tamise Le Rhin
6 60 %
4 40 %
2 20 %
0 0%
83. Ibid.
182 les limites à la croissance
84. Ibid.
les limites : sources et exutoires 183
1 500
350
1 200
300
900
250 600
1800 1900 2000 1800 1900 2000
CFC-12
300 400
280 200
CFC-11
260 0
1800 1900 2000 1800 1900 2000
0,8
0,6
Changements de température (°C)
0,4
0,2
- 0,2
- 0,4
- 0,6
1850 1870 1890 1910 1930 1950 1970 1990 2010
88. WWF, Rapport « Planète Vivante » 1999, Gland, Suisse, WWF, 1999.
89. R. T. Watson et al., Bilan 2001 des changements climatiques : rapport de
synthèse, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat,
Genève, Suisse, GIEC, 2001. Également disponible, agrémenté de nombreuses
illustrations, sur <www.ipcc.ch>.
90. Pour une présentation haute en couleur de l’opinion des sceptiques sur
le climat et sur toutes les autres questions environnementales, voir Bjørn
Lomborg, op cit.
188 les limites à la croissance
80
60
Non assurées
40
20
Assurées
0
1980 1990 2000 2010
Les vingt dernières années du xxe siècle ont été marquées par une
augmentation des pertes économiques dues à des catastrophes clima-
tiques. (Source : Worldwatch Institute)
93. R. T. Watson et al., Bilan 2001 des changements climatiques, op. cit..
94. Ces données proviennent de carottages très profonds effectués dans la
calotte glacière antarctique. En effet, la glace polaire s’y accumule depuis des
milliers d’années, couche après couche, et chacune de ces couches a pris au
piège de minuscules bulles d’air qui peuvent dater de l’époque préhistorique.
L’analyse isotopique permet de dater les couches et nous renseigne sur les
températures qu’il y a eu par le passé ; une analyse directe des bulles d’air révèle
la concentration en dioxyde de carbone et en méthane.
192 les limites à la croissance
380 En 2000 :
360 369 ppm
(parties par million)
340
320
300
280
260
240
220
200
180
160 120 80 40 0
2,0
En 2000 :
1,8
1,84 ppm
Concentration en méthane
1,6
(parties par million)
1,4
1,2
1,0
0,8
0,6
0,4
0,2
160 120 80 40 0
5
la température moyenne
Écart en °C par rapport à
-5
- 10
160 140 120 100 80 60 40 20 0
Milliers d’années jusqu’à aujourd’hui
Exemple
Population eau + liquide gigajoules ou CO2, NOx
tasses vaisselle kilowattheures et utilisation de la terre
x x x x
personne stock de capital kilogramme gigajoules
d’eau + liquide ou kilowattheures
vaisselle
Outils applicables
Planning familial Valeurs Longévité Efficience de Sources non nocives
de la production l’utilisation finale
Alphabétisation Prix Choix de la matière Efficience Choix de l’échelle
des femmes de conversion
Bien-être Établissement Conception à partir Efficience Choix du site
collectif du prix de revient d’un minimum de la répartition
Rôle des femmes Que voulons- Recycler, Intégration Atténuation technique
nous ? réutiliser des systèmes
Régime foncier Qu’est-ce qui Récupération Reconceptualisation Compensations
est suffisant des déchets des processus
efficiente. Tous les pays doivent faire face à une pénurie de capi-
taux, car il faut investir pour trouver plus de ressources, produire
plus d’énergie, remédier à la pollution et améliorer les écoles, les
soins de santé et autres services proposés à la société. Mais ces
investissements entrent en concurrence avec une demande de
biens de consommation en constante augmentation.
Comment toutes ces tendances vont-elles interagir et évoluer
au cours des décennies à venir ? Pour comprendre le rôle qu’elles
jouent, nous avons besoin d’un modèle bien plus complexe que
celui de notre cerveau. Voilà pourquoi ce chapitre traite de
World3, le modèle informatique que nous avons conçu et utilisé.
Nous allons résumer les principales caractéristiques de la struc-
ture de ce modèle et livrer plusieurs aperçus importants qu’il
nous donne du xxie siècle.
80
60
Moyenne mondiale
40
20
0
0 2 000 4 000 6 000 8 000 10 000 12 000 14 000
Calories équivalent végétal par personne et par jour
L’espérance de vie d’une population est une fonction non linéaire des
calories qu’elle reçoit. Chaque point sur ce graphique représente l’espé-
rance de vie et le niveau nutritionnel moyens d’un pays en 1999. Le
niveau nutritionnel est exprimé en calories équivalent végétal par
personne et par jour ; les calories obtenues de sources animales sont
multipliées par 7 (puisqu’il faut environ 7 calories de nourriture végétale
pour produire une calorie d’origine animale). (Sources : FAO ; UN)
20 000
10 000
0
0% 25 % 50 % 75 % 100 %
Terres potentiellement arables restant inexploitées
L’objectif de World3
Les modélisateurs doivent se discipliner s’ils ne veulent pas créer
d’impénétrables entrelacs d’hypothèses. Ils ne peuvent pas met-
tre tout ce qu’ils savent dans leurs modèles et doivent s’en tenir à
ce qui se justifie en fonction de l’objectif du modèle. L’art de la
modélisation, comme celui de la poésie, de l’architecture, de
l’ingénierie ou de la cartographie, est de n’intégrer que ce qui est
nécessaire pour atteindre l’objectif voulu. Pas davantage. C’est
facile à dire, mais difficile à faire.
Voilà pourquoi, pour comprendre un modèle et pouvoir
juger de son utilité, il est important de comprendre son objectif.
Nous avons développé World3 pour comprendre l’avenir dans
ses grandes lignes, c’est-à-dire les différents modes ou schémas
comportementaux qui vont présider à l’interaction entre l’éco-
nomie humaine et la capacité de charge de la planète durant le
siècle à venir4. Nous aurions pu poser bien d’autres questions qui
tion n’est universellement admise. Les individus puisent toutes sortes de res-
sources dans l’environnement, ils produisent toutes sortes de déchets et leur
impact sur l’environnement est lié à une grande variété de technologies, d’ins-
titutions et de styles de vie. Il n’y a pas d’accord sur la durée minimale durant
laquelle un système doit persister pour être qualifié de durable. De même qu’il
n’y en a pas non plus sur la façon dont on peut tenir compte des exigences des
autres espèces. En tout état de cause, la capacité de charge est un concept dyna-
mique. Nous utilisons le terme dans son acception la plus générale afin de
désigner le nombre d’individus qui, dans des circonstances données, peuvent
vivre sur la planète pendant une longue période – au moins plusieurs décennies
– sans détériorer la productivité globale de cette planète. Voir Joel E. Cohen,
How Many People Can the Earth Support ?, New York, W. W. Norton, 1995.
214 les limites à la croissance
Capacité
de charge
population
Temps
a) Croissance continue b) Approche sigmoïde jusqu’à l’équilibre
La structure de World3
Quelles sont ces interconnections fondamentales ? Ce sont tout
d’abord les boucles de rétroaction impliquant la population et le
capital, que nous avons décrites dans le chapitre 2. Elles sont
reproduites par la figure 4-4. Elles donnent à la population et au
capital le potentiel de croître de façon exponentielle dans le cas
où les boucles positives des naissances et de l’investissement
l’emportent, le potentiel de baisser si ce sont les boucles négatives
des décès et de la dépréciation qui dominent, et le potentiel de
rester constants si les boucles s’équilibrent.
Dans tous les schémas représentant des boucles, comme celui
de la figure 4-4, les flèches indiquent simplement qu’une variable
en influence une autre via des flux physiques ou informationnels.
Vous pouvez reproduire nos hypothèses en énonçant les étapes
de chaque boucle. Ainsi : « À mesure que le capital industriel
220 les limites à la croissance
Population
(nombre total
d’individus)
Population
(nombre total
d’individus)
Nourriture
Fécondité par Mortalité (espérance
personne de vie)
(–) Nourriture
Intrants Terres cultivées
agricoles
Quantité de Pollution
nourriture Production
souhaitée par industrielle
personne
Dépréciation (capital
(–) devenant obsolète ou
Investissement inutilisable par an)
(capital nouveau ajouté par an)
Population
(nombre total
(+) d’individus)
(+)
Éducation,
Fécondité Services par Mortalité
planning (espérance de vie)
habitant
familial (–)
Production industrielle
par habitant Services
Capital tertiaire de santé
Ressources non
renouvelables
Production industrielle
(–)
Efficience du
capital Capital industriel (usines
et machines)
(+)
Dépréciation (capital
(–) devenant obsolète ou
Investissement inutilisable par an)
(capital nouveau
ajouté par an)
40
0
0 20 40 60 80
Teneur en minerai (%)
À mesure que leur teneur en métal baisse, il faut de plus en plus d’éner-
gie pour purifier les minerais. (Sources : N. J. Page et S. C. Creasey)
7. Il n’y a que pour les scénarios 0 et 1 que nous partons de l’hypothèse que
la quantité initiale de ressources non renouvelables est inférieure de moitié à
celle mentionnée ci-dessus.
la croissance dans un monde fini 229
Population
Nourriture
Production industrielle
Pollution
Espérance de vie
Biens de consommation/habitant
Nourriture/habitant
Services/habitant
Empreinte écologique
des humains
population
Temps
PCB dans les sédiments des fleuves, des lacs et des océans… Une
étude de l’ensemble de l’écosystème des Grands Lacs indique claire-
ment une bioconcentration particulièrement élevée des PCB dans la
chaîne alimentaire.
– Environnement Canada, 1991
Le DDT et les PCB sont les seuls organochlorés dont un suivi systé-
matique a été assuré chez les mammifères marins arctiques… Les
taux de PCB relevés dans le lait des femmes inuits sont parmi les plus
élevés qu’on ait jamais vus… L’importante consommation de pois-
son et de mammifères marins est sans doute la principale voie
d’ingestion des PCB… Les résultats indiquent que des composés
toxiques comme les PCB pourraient jouer un rôle dans la baisse de
l’immunité et la fréquence des infections chez les enfants inuits.
– E. Dewailly, 1989
10. Pour un exposé facile d’accès et exhaustif sur les perturbateurs endo-
criniens, voir Theo Colborn, Dianne Dumanoski et John P. Myers, L’homme
en voie de disparition ?, Mens, Terre Vivante, 1998, qui contient plusieurs
centaines de références sur la littérature scientifique en plein essor traitant de
ce thème.
11. L’Union soviétique n’a arrêté d’en fabriquer qu’en 1990.
la croissance dans un monde fini 243
15
0
1960 1980 2000 2020 2040 2060 2080
Le dépassement et l’oscillation
Si le signal d’alarme émis par les limites en direction de l’entité en
expansion arrive avec retard, ou si la réaction à ce signal arrive avec
retard, et si l’environnement ne s’érode pas lorsqu’il est soumis à un
stress excessif, alors l’entité en expansion va dépasser sa limite quel-
que temps, se corriger, redescendre en dessous de sa limite, puis la
dépasser à nouveau dans une série d’oscillations qui, généralement,
aboutissent à un certain équilibre en deçà de la limite (figure 4-9c).
246 les limites à la croissance
Le dépassement et l’effondrement
Si le signal émis par la limite ou si la réaction arrivent avec retard,
et si l’environnement est érodé de façon irréversible suite à un excès
de stress, alors l’économie en expansion va dépasser sa capacité de
charge, dégrader son stock de ressources et s’effondrer (figure 4-9d).
La conséquence du dépassement et de l’effondrement est un
environnement en permanence appauvri et un niveau de vie
248 les limites à la croissance
14. Voir « New Cause of Concern on Global Warming », New York Times,
12 février 1991.
15. W. M. Stigliani, « Chemical Time Bombs », Options, Laxenburg, Autriche,
Institut international pour l’analyse de systèmes appliqués, septembre 1991.
la croissance dans un monde fini 251
Production industrielle
Population
Ressources
Nourriture
Pollution
Biens de consommation/habitant
Espérance de vie
Nourriture/habitant
Services/habitant
Production
industrielle
Population
Pollution Nourriture
Espérance de vie
Biens de consommation/habitant
Nourriture/habitant
Services/habitant
de l’hydrogène et du chlore. Ce sont les CFC qui font l’objet du plus grand
nombre de recherches et ils sont au centre de la majorité des démarches inter-
nationales de contrôle. C’est donc sur eux que nous allons nous attarder.
l’histoire de la couche d’ozone 269
L’essor
Inventés en 1928, les chlorofluorocarbones (CFC) comptent parmi
les composés les plus utiles jamais synthétisés par l’humain. Ils
ne semblent pas nocifs aux êtres vivants, sans doute parce qu’ils
sont chimiquement très stables. Ils ne brûlent pas, ne réagissent
pas au contact d’autres substances et ne corrodent pas les maté-
riaux. Leur conductivité thermique est basse, ce qui en fait d’excel-
lents isolants en tant qu’agents d’expansion dans les mousses de
matière plastique utilisées pour les gobelets pour boissons chau-
des, les boîtes pour hamburgers ou l’isolation murale. Certains
CFC s’évaporent et se recondensent à température ambiante, une
propriété qui en fait de parfaits agents de refroidissement pour
les réfrigérateurs et les climatiseurs. (On utilise souvent leur nom
commercial, fréon, pour parler d’eux dans ce secteur). Les CFC
sont de bons solvants qui servent à nettoyer les métaux, qu’il
s’agisse des micro-espaces d’un circuit imprimé ou des rivets
servant à l’assemblage d’un avion. Leur fabrication ne coûte pas
cher et on peut s’en débarrasser en toute sécurité – c’est du moins
ce que tout le monde pensait – soit en les rejetant dans l’atmos-
phère sous forme gazeuse, soit en enfouissant les produits qui en
contiennent dans des décharges.
Comme le montre la figure 5-1, la production mondiale de
CFC a progressé de plus de 11 % entre 1950 et 1975, doublant tous
les six ans ou presque. Au milieu des années 1980, l’industrie en
fabriquait un million de tonnes par an et rien qu’aux États-Unis,
les CFC agissaient en tant que réfrigérants dans 100 millions de
270 les limites à la croissance
1 200
Milliers de tonnes par an
1 000
800
HCFC
600
400
200
CFC
0
1930 1950 1970 1990 2010
La limite
Le héros de notre histoire est un gaz invisible appelé ozone et
constitué de trois atomes d’oxygène (O3), par opposition à
l’oxygène classique qui se compose de seulement deux atomes
d’oxygène (O2). L’ozone est si réactif qu’il attaque et oxyde presque
tout ce avec quoi il entre en contact. La basse atmosphère lui offre
une importante quantité de particules et de surfaces avec lesquelles
il peut entrer en réaction. Les tissus végétaux et les poumons
humains l’intéressent tout particulièrement. À proximité de la
surface terrestre, l’ozone est un polluant atmosphérique destruc-
teur mais à vie courte. Plus haut dans l’atmosphère, en revanche,
les molécules d’ozone sont relativement seules si bien qu’elles ont
une durée de vie assez longue : de 50 à 100 ans. De l’ozone se forme
en permanence dans la stratosphère grâce à l’action des rayons
solaires avec l’oxygène. C’est ainsi qu’une « couche d’ozone » s’est
formée à une distance comprise entre 9 et 30 km au-dessus de la
surface de la Terre.
La couche d’ozone n’est riche de ce gaz que par comparaison
avec sa rareté partout ailleurs dans l’atmosphère : seule une molé-
cule sur 100 000 y est faite d’ozone. Mais cette concentration est
suffisante pour absorber la majorité du spectre ultraviolet parti-
culièrement dangereux appelé UVB et envoyé par le rayonnement
solaire (voir figure 5-2). Ce rayonnement est constitué d’une pluie
de petites bulles d’énergie à qui leur fréquence permet d’attaquer
les molécules organiques, c’est-à-dire celles dont toute vie est faite
3. Ibid.
272 les limites à la croissance
Rayonnement solaire au
sommet de
l’atmosphère Rayonnement
1000
solaire au
niveau du sol
UVB
absorbés
par UVB
l’ozone parvenant à la
surface de la Terre
Cl + O3 ClO + O2
Répété
plusieurs fois
UV
ClO + O Cl + O2
O
F
O
O
C
Cl Cl
O
Cl
O
Cl
F
C Cl O
Cl Cl
O
O
UV
O
Les molécules de CFC qui s’élèvent haut dans la stratosphère sont bri-
sées par la lumière ultraviolette et libèrent des atomes de chlore (Cl).
Ces atomes réagissent avec l’ozone (O3) pour produire du monoxyde de
chlore (ClO). Celui-ci réagit alors avec un atome d’oxygène et libère à
nouveau du Cl, qui peut à son tour réagir avec une autre molécule
d’ozone, et ainsi de suite. Ce cycle se répète de nombreuses fois, ce qui
réduit considérablement la concentration d’ozone dans l’atmosphère.
C’est ici que les ennuis commencent. Les atomes de chlore (Cl)
réagissent en effet avec l’ozone pour donner de l’oxygène et de
l’oxyde de chlore (ClO). Puis, le ClO réagit avec l’oxygène (O)
pour donner du dioxygène (O2) et à nouveau du Cl. L’atome de
chlore peut ensuite transformer une nouvelle molécule d’ozone
en oxygène et en oxyde de chlore, et ainsi de suite (figure 5-3).
Un atome de Cl peut reproduire cette réaction de nombreuses
fois, détruisant à chaque fois une molécule d’ozone. Il en détruit
en moyenne 100 000 avant de disparaître (suite à une réaction
avec du méthane ou du dioxyde d’azote qui l’immobilisent et
provoquent sa redescente sur terre).
l’histoire de la couche d’ozone 277
450
400
350
300
250 Relevés
d’autres
200 mois
150 Relevés d’octobre
100
50
0
1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010
12. La période durant laquelle les chercheurs ont eu sous les yeux des
relevés d’ozone peu élevés mais ne les ont pas « vus » est bien décrite par Paul
Brodeur dans Annals of Chemistry, 71.
l’histoire de la couche d’ozone 281
3,0
1,0
Ozone
Monoxyde de chlore (ppM)
0,8
2,0
0,6
0,4
1,0
14. Mario J. Molina, « The Antarctic Ozone Hole », Oceanus, vol. 31, no 2,
été 1988.
284 les limites à la croissance
15. DuPont arrêta ses recherches sur des substituts aux CFC au moment de
l’élection de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis en 1980.
l’histoire de la couche d’ozone 285
Projection
Aucun contrôle
30
Montréal
20
1987
Londres
1990
10
Copenhague 1992
17. Ibid.
18. PNUE, « Synthesis of the reports of the Scientific Assessment and
Technology and Economic Assessment Panels on the Impact of HCFC and
Methyl Bromide Emissions », Nairobi, mars 1995, section 4.
19. Organisation météorologique mondiale, « Scientific Assessment of
Ozone Depletion : 2002 », rapport 47 du Projet mondial de surveillance et de
recherche concernant l’ozone, disponible sur <www.unep.org/ozone>.
290 les limites à la croissance
22. Richard A. Kerr, « Deep Chill Triggers Record Ozone Hole », Science,
vol. 282, no 5388, 16 octobre 1998.
23. OMM, « Scientific Assessment », xiv et xv.
292 les limites à la croissance
États-Unis, une taxe très élevée sur les nouveaux CFC, destinée à
encourager le recyclage, a fait grimper les prix encore davantage.
Et les pays autorisés par le protocole à continuer à fabriquer des
CFC jusqu’en 2010 (essentiellement la Russie, la Chine et l’Inde)
ont eu du mal à résister à un marché si lucratif. Les contreban-
diers ont recours à des subterfuges consistant par exemple à
présenter les CFC qu’ils fabriquent comme étant recyclés. D’après
le Département américain de la Justice, les profits réalisés grâce
aux CFC importés illégalement sont plus élevés que ceux liés à
la cocaïne. Il est impossible d’obtenir des chiffres précis concer-
nant ce marché – les estimations vont de 20 000 à 30 000 tonnes
par an24 – mais il n’est pas encore suffisamment développé pour
empêcher la baisse de la production totale de CFC.
Cela dit, et malgré d’autres problèmes mineurs, la commu-
nauté internationale est dans l’ensemble parvenue à un consensus
sur cette question et a énormément progressé dans la mise en
œuvre de solutions. Il aura certes fallu plus de 25 ans, mais on a
là la preuve que l’on peut réagir avec succès à un phénomène de
dépassement.
24. World Resources Institute, World Resources 1998-99, op. cit. Voir éga-
lement Tim Beardsley, « Hot Coolants », Scientific American, juillet 1998.
l’histoire de la couche d’ozone 293
La morale de l’histoire
Dans un rapport rédigé par 350 chercheurs de 35 pays différents
et coordonné par l’Organisation météorologique mondiale en
1999, l’avenir de la couche d’ozone semble faire l’unanimité :
26. Industrial Coalition for Ozone Layer Protection, 1440 New York Avenue
NW, Suite 300, Washington, DC 20005, États-Unis.
l’histoire de la couche d’ozone 295
Tout laisse penser que nous avons toujours fait la part trop
belle à la contribution du génie technologique et sous-
estimé celle des ressources naturelles… Nous avons besoin
de quelque chose que nous avons perdu dans notre empres-
sement à refaire le monde : un sens des limites, une prise de
conscience de l’importance des ressources terrestres.
– Stewart Udall, 1980
1. Mais il reste vrai que si l’on prend pour hypothèse un progrès technolo-
gique suffisamment rapide et une mise en œuvre instantanée des nouvelles
technologies, on peut résoudre tous les problèmes liés à une empreinte écolo-
gique qui ne fait que s’étendre. Nous avons décrit les changements nécessaires
pour accomplir de telles avancées dans le Scénario 0 « Infinité en entrée, infinité
en sortie », dans le chapitre 4.
300 les limites à la croissance
4. Cette hypothèse date de 1970 et, à l’époque, nous intégrions ces techno-
logies en discontinu dans l’année de simulation 1975. Lorsque nous sommes
arrivés à la vraie année 1990, certaines de ces technologies avaient commencé
à être intégrées de façon structurelle dans l’économie mondiale. Nous avons
donc procédé à des ajustements permanents des chiffres de World3 ; nous avons
ainsi considérablement réduit l’utilisation de ressources par unité de produc-
tion industrielle. Ces ajustements sont expliqués en détail dans l’annexe du
livre de Donella H. Meadows, Dennis L. Meadows et Jorgen Randers, Beyond
the Limits, op. cit.
5. Nous avions déjà utilisé ce terme « technologies adaptatives » au début
des années 1970 dans le rapport technique sur Limits to Growth. Voir Dennis
L. Meadows et al., Dynamics of Growth in a Finite World, op. cit.
308 les limites à la croissance
Population
Nourriture
Pollution
Nourriture/habitant
Population
Nourriture
Pollution
Nourriture/habitant
Services/habitant
Population
Nourriture
Pollution
Biens de consommation/habitant
Nourriture/habitant
Services/habitant
Population
Nourriture
Pollution
Espérance de vie
Biens de consommation/habitant
Nourriture/habitant
Services/habitant
Quelques bémols
Après avoir travaillé pendant un certain temps avec un modèle,
qu’il soit informatique ou mental, il peut être utile de prendre du
recul et de se souvenir que ce n’est pas à partir du « monde réel »
que les différentes expériences ont été menées, mais à partir d’une
représentation qui est « réaliste » par certains côtés et « irréaliste »
par d’autres. Il s’agit alors de tirer des enseignements à partir des
aspects des scénarios qui semblent « réalistes ». Il est également
important de jauger dans quelle mesure les incertitudes ou les
simplifications délibérées du modèle apportent un bémol à ses
enseignements. À l’issue de cette première série de scénarios, nous
devons donc faire une pause et mettre les choses en perspective.
Il faut se souvenir que World3 ne fait pas la distinction entre
les zones riches et les zones pauvres de la planète. Tous les signaux
d’une pénurie alimentaire, d’une pénurie de ressources et d’une
la technologie, les marchés et le dépassement 321
25 000
20 000
15 000
Ex-URSS
10 000
5 000
OCDE Europe
0
0% 20 % 40 % 60 % 80 % 100 %
Réduction par rapport au point zéro (%)
Utilisation
80 de la capacité
de production
(échelle de gauche)
60
40
20
Cours mondiaux
20
du pétrole brut (échelle de droite)
0 0
1960 1970 1980 1990 2000 2010
mondial du pétrole, il aura fallu près de 10 ans pour que les diver-
ses réactions aboutissent finalement à un rééquilibrage de l’offre
et de la demande au niveau de consommation le plus faible en
raison du prix très élevé du pétrole. En 1983, la consommation
mondiale de pétrole avait chuté de 12 % par rapport au pic qu’elle
avait connu en 19796. Mais le capital de production restait trop
élevé et l’OPEP a dû à nouveau abaisser sa capacité de pompage
à 50 % ou presque de ce qu’elle était. Les cours mondiaux ont
lentement baissé, puis ils se sont effondrés en 1985 et ont continué
à descendre (en dollars réels) jusqu’à la fin des années 1990.
De la même façon que les prix étaient montés trop haut, ils se
sont alors trop effondrés. Et tandis que les raffineries fermaient
et que les régions productrices de pétrole étaient frappées par la
dépression, on a abandonné peu à peu les économies d’énergies.
Les conceptions de véhicules efficients ont été mises aux oubliet-
tes et les investissements dans les sources alternatives se sont
taris. Pour finir, ces mécanismes d’ajustement se sont renforcés,
réunissant les conditions d’un nouveau déséquilibre et d’une
nouvelle hausse des prix ; c’est ce qui s’est traduit par des prix
relativement élevés durant les premières années du xxie siècle.
Ces montagnes russes ont été la conséquence du temps de
réaction incompressible du marché pétrolier. Elles ont entraîné à
l’échelle internationale de très importants changements dans la
répartition de la richesse, créant des dettes et des excédents
considérables, des hausses et des baisses extrêmes et des défaillan-
ces bancaires, résultats de tentatives d’ajustement entre le capital
de production et le capital de consommation du pétrole. Aucune
de ces oscillations n’était liée à la quantité de pétrole présent sous
terre (qui diminuait de façon régulière) ni aux répercussions sur
l’environnement des forages, du transport, du raffinage et de la
combustion du pétrole. Le signal émis à travers les cours du
marché a essentiellement fourni des informations sur la pénurie
ou le surplus relatifs de pétrole disponible.
7. Ibid.
la technologie, les marchés et le dépassement 333
70
Millions de tonnes par an
60
50
40
30
20
10
0
1960 1970 1980 1990 2000 2010
100 000
0
1970 1980 1990 2000
En résumé
La croissance exponentielle de la population, du capital, de la
consommation de ressources et de la pollution est à l’œuvre sur
notre planète. Elle est propulsée par les tentatives des humains
pour résoudre les problèmes qui les assaillent, depuis le chômage
et la pauvreté jusqu’au besoin de statut social, de pouvoir et
d’estime de soi.
La croissance exponentielle peut très vite dépasser n’importe
quelle limite. Ce faisant, elle se heurte très rapidement à une autre
limite.
Étant donné le temps que les limites mettent pour envoyer des
signaux, le système économique mondial est susceptible de
dépasser son niveau soutenable. De fait : le dépassement est déjà
de mise pour un grand nombre de sources et d’exutoires impor-
tants de l’économie mondiale.
La technologie et les marchés ne fonctionnent qu’à partir
d’informations imparfaites et mettent du temps à réagir. Ils
peuvent en cela renforcer la tendance de l’économie à dépasser
les limites.
La technologie et les marchés sont le plus souvent au service
des segments les plus puissants de la société. Si l’objectif premier
est la croissance, ils produiront de la croissance aussi longtemps
qu’ils le pourront. Si les objectifs premiers étaient l’équité et la
durabilité, ils agiraient dans ce sens.
Une fois que la population et l’économie ont dépassé les limi-
tes physiques de la planète, il n’y a que deux moyens de faire
marche arrière : par un effondrement involontaire dû à l’escalade
la technologie, les marchés et le dépassement 339
Population
Nourriture
Pollution
Nourriture/habitant
Services/habitant
Production
industrielle Pollution
Population
Nourriture
Espérance de vie
Biens de consommation/habitant
Nourriture/habitant
Services/habitant
Production industrielle
Population
Nourriture Pollution
Biens de consommation/habitant
Nourriture/habitant
Services/habitant
Production industrielle
Population
Nourriture
Pollution
Services/habitant
Nourriture/
habitant
La société durable
Il existe bien des façons de définir la durabilité. La plus simple
consiste à dire qu’une société durable est une société qui perdure
sur des générations et des générations et qui est suffisamment
prévoyante, flexible et réfléchie pour ne pas fragiliser les systèmes
physiques ou sociaux qui la sous-tendent.
En 1987, la Commission mondiale de l’environnement et du
développement a donné de la durabilité une définition qui est
restée célèbre :
Une société durable est une société « qui répond aux besoins du
présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir
de satisfaire les leurs »2 .
Vue sous l’angle de l’analyse des systèmes, une société durable
est une société qui a mis en place des mécanismes information-
nels, sociaux et institutionnels qui lui permettent de garder le
contrôle des boucles de rétroaction positives responsables de la
croissance exponentielle de la population et du capital. Cela signi-
fie que le taux de natalité est à peu près égal au taux de mortalité
et que le taux d’investissement est, lui aussi, à peu près égal au taux
de dépréciation, sauf si ou jusqu’à ce que certaines évolutions
techniques et décisions d’ordre social justifient une modification
3. Herman Daly est l’une des rares personnes à avoir entrepris de réfléchir
aux types d’institutions économiques qui pourraient, par leur fonctionnement,
permettre l’existence d’un état durable. Il suggère pour cela un mélange inté-
ressant d’économie de marché et de dispositifs de régulation. Voir, par exem-
ple, Herman Daly, « Institutions for a Steady-State Economy », in Steady State
Economics, op. cit.
transitions vers un système soutenable 365
6. Un bon exemple à cet égard est le Rapport « Planète Vivante » publié tous
les deux ans par le WWF à Gland, en Suisse, qui fournit des données sur l’état
de la biodiversité mondiale et sur l’empreinte écologique des pays.
transitions vers un système soutenable 371
C ela fait à présent plus de trente ans que nous écrivons sur
la durabilité, que nous en parlons et que nous y travaillons.
Nous avons eu la chance de rencontrer à travers le monde des
collègues par milliers qui, à leur façon, avec les talents et l’envi-
ronnement qui sont les leurs, œuvrent pour une société durable.
Lorsque nous agissons de manière officielle à l’échelle institution-
transition vers la durabilité : les outils 377
Toutes ces actions seront utiles. Mais, bien sûr, elles ne suffi-
sent pas. La durabilité, la sobriété et l’équité réclament des chan-
gements structurels ; ils nécessitent une révolution, non pas au
sens politique du terme comme la Révolution française, mais
dans le sens d’un changement bien plus en profondeur, à l’instar
des révolutions agricole et industrielle. Il est certes important de
recycler, mais le recyclage à lui tout seul ne déclenchera pas une
révolution.
Qu’est-ce donc qui en déclenchera une ? Dans notre quête de
réponse, il nous a semblé utile de tenter de comprendre les deux
premières grandes révolutions de la société humaine à travers ce
que les historiens peuvent nous en dire.
plus que d’autres. C’est à cette époque que naissent les notions de
richesse, de statut, d’héritage, de commerce, d’argent et de pou-
voir. Certains peuvent vivre grâce à l’excédent de nourriture
produit par les autres. Ils peuvent alors devenir artisans à temps
plein, musiciens, scribes, prêtres, soldats, athlètes ou rois. C’est
ainsi qu’apparaissent, pour le meilleur et pour le pire, les guildes,
orchestres, bibliothèques, temples, armées, compétitions sporti-
ves, dynasties et autres villes.
En tant qu’héritiers de cette révolution agricole, nous avons
tendance à la considérer comme un gigantesque pas en avant. Le
bilan est sans doute plus mitigé. Pour de nombreux anthropolo-
gues, en effet, l’agriculture n’a pas amélioré le mode de vie, elle a
davantage été un passage obligé permettant de nourrir des popu-
lations en constante augmentation. Les paysans sédentarisés
obtiennent certes plus de denrées alimentaires à l’hectare que les
chasseurs-cueilleurs, mais celles-ci ont une valeur nutritionnelle
moindre, sont moins variées et nécessitent bien plus de travail. Les
paysans deviennent beaucoup plus vulnérables que les nomades
au climat, aux maladies, aux nuisibles, aux invasions étrangères
et à l’oppression des classes dirigeantes naissantes. Et ceux qui ne
s’éloignent pas des déchets qu’ils génèrent sont victimes des
premières pollutions chroniques de l’humanité.
L’agriculture a néanmoins représenté une réponse adaptée à
la raréfaction de la faune et de la flore sauvages. Elle a permis à la
population de continuer à augmenter, ce qui, au fil des siècles,
s’est traduit par un accroissement démographique considérable :
l’humanité est passée de 10 millions à 800 millions d’individus
en 1750. Mais cette augmentation de la population a entraîné
d’autres pénuries, tout particulièrement en matière de terres et
d’énergie. Une autre révolution est alors devenue nécessaire.
La révolution industrielle démarre en Angleterre avec le rem-
placement des arbres, dont la quantité baisse, par du charbon, pré-
sent en abondance. L’exploitation de ce combustible soulève des
problèmes pratiques : il faut effectuer des travaux de terrassement,
construire des mines, pomper de l’eau, transporter le charbon
380 les limites à la croissance
L’inspiration
Avoir de l’inspiration, c’est imaginer, sur un plan général dans un
premier temps puis avec de plus en plus de précision, ce que l’on
veut réellement. Ce que l’on veut réellement et non ce qu’on nous
a appris à vouloir ou ce dont on nous a appris à nous contenter.
Avoir de l’inspiration, c’est se libérer du carcan de la « faisabilité »,
de l’incrédulité et des déceptions, et laisser son esprit s’attarder
386 les limites à la croissance
sur ses rêves les plus nobles et les plus envoûtants, sur ceux qu’on
chérit le plus.
Certains individus, surtout chez les jeunes, laissent parler
leur inspiration avec aisance et enthousiasme. D’autres trouvent
l’exercice effrayant ou pénible, car l’image séduisante de ce qui
pourrait être rend ce qui est d’autant plus intolérable. D’autres
encore n’acceptent pas ce que leur inspiration leur livre par peur
d’être qualifiés d’irréalistes ou d’utopistes. Ils trouveraient ces
lignes difficiles à lire, s’ils acceptaient même de les lire. D’autres,
enfin, ont été tellement traumatisés par leurs expériences que la
seule chose qu’ils peuvent dire est pourquoi toute inspiration est
impossible. Soit. Nous avons aussi besoin de personnes scepti-
ques. Elles sont là pour cadrer notre inspiration.
Commençons par dire, ce qui plaira à ces dernières, que
l’inspiration ne suffit pas, selon nous. L’inspiration sans l’action
ne sert à rien. Mais l’action sans l’inspiration est désorientée et
hésitante. Non seulement l’inspiration est absolument indispen-
sable pour nous guider et nous motiver, mais lorsqu’elle est lar-
gement partagée et résolument suivie, elle donne naissance à de
nouveaux systèmes.
Cette dernière phrase est à prendre au pied de la lettre. Au sein
de nos limites spatiales, temporelles, matérielles et énergétiques,
les intentions que les humains puisent dans leur imagination
peuvent non seulement engendrer de nouvelles informations, de
nouvelles boucles de rétroaction, de nouveaux comportements,
de nouvelles connaissances et de nouvelles technologies, mais
aussi de nouvelles institutions, de nouvelles structures physiques
et de nouveaux pouvoirs dans l’environnement humain. Ralph
Waldo Emerson reconnaissait cette vérité profonde il y a 150 ans
déjà :
Toute nation et tout homme s’entourent instantanément d’un arsenal
matériel qui reflète à la perfection leur état moral ou leurs pensées.
Voyez comme chaque vérité et chaque erreur, toutes deux nées dans
l’esprit d’un être humain, s’expriment à travers les sociétés, les habi-
tations, les villes, le langage, les cérémonies, les journaux. Voyez les
transition vers la durabilité : les outils 387
leur poste, par le fait de servir la société que par la victoire aux
élections.
• L’économie comme moyen et non comme fin, au service de la
bonne santé de l’environnement et non l’inverse.
• Des systèmes efficients s’appuyant sur des énergies renouve-
lables.
• Des systèmes matériels efficients en boucle fermée.
• Une conception technique qui réduit au maximum les émis-
sions et les déchets, et des accords sociétaux prévoyant de ne
pas produire d’émissions ni de déchets que la technologie et
la nature ne peuvent absorber.
• Une agriculture régénératrice qui façonne les sols, se sert des
mécanismes naturels pour restaurer les nutriments et contrô-
ler les nuisibles et produit en abondance des denrées alimen-
taires non contaminées.
• La préservation des écosystèmes dans leur diversité et des
humains vivant en harmonie avec cet environnement. Néces
sité en conséquence d’une grande diversité naturelle et cultu-
relle et de la sensibilisation des humains à cette diversité.
• Flexibilité, innovation (sociale aussi bien que technique) et
remise en cause intellectuelle. Des sciences en effervescence,
un enrichissement continu des connaissances des humains.
• La meilleure compréhension de systèmes entiers comme
aspect essentiel de l’éducation de chacun.
• La décentralisation du pouvoir économique, de l’influence
politique et de l’expertise scientifique.
• Des structures politiques permettant d’équilibrer les considé-
rations à court et à long terme ; le moyen d’exercer aujourd’hui
des pressions politiques au nom de nos petits-enfants.
• Des citoyens et des gouvernements ayant des compétences
avancées en matière de résolution pacifique des conflits.
• Des médias qui reflètent la diversité du monde et qui, dans le
même temps, unissent les cultures grâce à des informations
pertinentes, ciblées, opportunes, objectives et intéressantes
replacées dans leur contexte historique et systémique.
transition vers la durabilité : les outils 389
Le travail en réseau
Nous ne pourrions pas faire notre travail sans les réseaux. La
plupart de ceux auxquels nous appartenons sont informels, ils
disposent de petits budgets (quand ils ont un budget) et très peu
figurent dans les listes d’organisations internationales3. Ils sont
quasi invisibles, mais leur action est loin d’être négligeable. Les
réseaux informels véhiculent l’information de la même façon que
le font les institutions formelles, mais souvent de manière plus
efficace. Ils sont le point d’arrivée naturel des nouvelles informa-
tions, et de nouvelles structures systémiques peuvent en sortir4.
Certains de nos réseaux sont très locaux, d’autres sont inter-
nationaux. Certains sont électroniques, d’autres impliquent des
personnes qui se côtoient tous les jours. Quelle que soit la forme
qu’ils prennent, ils sont constitués d’individus qui partagent le
même intérêt pour certains aspects de la vie, qui sont en contact
et transmettent des données, des outils, des idées et des encoura-
gements, qui s’apprécient, se respectent et se soutiennent. L’une
des fonctions les plus importantes d’un réseau est de simplement
rappeler à ses membres qu’ils ne sont pas seuls.
Un réseau est non hiérarchique. Il établit des connexions
entre des personnes égales entre elles et tient non par la force, par
obligation, par des incitations matérielles ou par un contrat
L’honnêteté
Nous ne sommes pas plus sûrs de la vérité que quiconque, mais
nous reconnaissons souvent un mensonge lorsque nous en enten-
dons un. De nombreux mensonges sont délibérés et perçus comme
tels à la fois par leur auteur et leurs destinataires. Ils servent à
manipuler, à rassurer, à séduire, à remettre toute action à plus
tard, à justifier un comportement intéressé, à acquérir ou à
conserver le pouvoir ou à nier une réalité déplaisante.
Les mensonges faussent le flux d’informations. Un système
ne peut pas fonctionner correctement si ses flux d’informations
sont corrompus par des mensonges. L’un des principes les plus
importants de la théorie des systèmes, pour des raisons que nous
espérons avoir expliquées clairement dans cet ouvrage, est que
l’information ne doit pas être déformée, retardée ni tenue secrète.
392 les limites à la croissance
Non pas : une mise en garde concernant l’avenir est une pré-
vision funeste.
Mais : une mise en garde concernant l’avenir est une invita-
tion à suivre une voie différente.
Non pas : l’environnement est un luxe, une exigence ou un
produit que les individus s’autorisent lorsqu’ils en ont les moyens.
Mais : l’environnement est à la base de toute vie et de toute
économie. Les sondages d’opinion montrent le plus souvent que
les populations sont prêtes à payer davantage pour avoir un
environnement sain.
Non pas : tout changement est un sacrifice à éviter.
Mais : tout changement est un défi nécessaire.
5. R. Buckminster Fuller, Critical Path, New York, St. Martin’s Press, 1981.
transition vers la durabilité : les outils 393
L’apprentissage
L’inspiration, le travail en réseau et l’honnêteté ne sont d’aucune
utilité s’ils ne se traduisent pas par des actes. Il existe un grand
nombre de choses à faire pour atteindre la durabilité. Il faut
mettre au point de nouvelles techniques agricoles, lancer de
nouvelles entreprises et repenser les anciennes pour réduire leur
empreinte écologique. Il faut restaurer la terre, protéger les parcs,
transformer les systèmes énergétiques et parvenir à des accords
sur le plan international. Il faut voter certaines lois et en abroger
d’autres, enrichir les connaissances des enfants comme des
adultes, tourner des films, jouer de la musique, publier des livres,
créer des sites web, conseiller les individus, diriger des groupes,
supprimer des subventions et en créer d’autres, développer les
indicateurs de durabilité et ajuster les prix pour qu’ils reflètent les
coûts réels.
Chacun trouvera l’action qui lui convient le mieux dans tout
cela. Nous n’avons pas la prétention de prescrire un rôle spécifi-
que à d’autres personnes qu’à nous-mêmes. Mais nous aimerions
vous faire une suggestion : quoi que vous fassiez, faites-le en toute
humilité. Ne considérez pas votre action comme incontournable,
mais comme expérimentale. Servez-vous-en, quelle qu’elle soit,
pour apprendre.
Le gouffre de l’ignorance humaine est beaucoup plus profond
que beaucoup d’entre nous ne veulent bien l’admettre. C’est
particulièrement vrai à une époque où l’économie mondiale n’a
jamais autant constitué un tout, où cette économie se heurte aux
limites d’une planète extraordinairement complexe et où des
modes de pensée entièrement nouveaux s’imposent. En pareille
396 les limites à la croissance
L’amour
Notre culture industrielle ne nous autorise pas à parler d’amour,
sauf au sens le plus romantique et le plus classique du terme.
Quiconque en appelle à la faculté des individus à éprouver de
l’amour fraternel, à aimer l’humanité tout entière, la nature et
notre planète nourricière a plus de chances d’être tourné en
ridicule que d’être pris au sérieux. La principale différence qui
sépare les optimistes des pessimistes porte sur la capacité des
humains à fonctionner collectivement sur la base de l’amour. Or
dans une société qui met systématiquement en avant l’individua-
lisme, l’esprit de compétition et les préoccupations à court terme,
les pessimistes sont largement majoritaires.
L’individualisme et le manque de prévoyance sont selon nous
les deux principaux maux du système social actuel et les deux
principaux responsables de notre non-durabilité. Il faut donc
institutionnaliser l’amour et la compassion dans les solutions
collectives. Une culture qui ne croit pas dans ces qualités humai-
nes supérieures, qui ne les évoque ni ne les développe restreint
tragiquement les options qui s’offrent à elle. « Quelle qualité de
société la nature humaine autorise-t-elle ? », a un jour demandé
le psychologue Abraham Maslow. « Quelle qualité de nature
humaine la société autorise-t-elle ?6 »
La révolution de la durabilité devra avant tout prendre la
forme d’une transformation collective permettant au meilleur de
la nature humaine, et non au pire, de s’exprimer et de s’épanouir.
De World3 à World3-03
Indice
d’espérance Indice de PIB
L’organigramme STELLA de
de vie
l’indice de bien-être humain
~
PIB par
est présenté ci-contre. Sa logi-
~
Indice de niveau
d’instruction
habitant
que sous-jacente est décrite
~ dans l’annexe 2.
Terres urbano-industrielles
Le contexte
Lorsqu’on aborde le thème de l’avenir de l’humanité sur la planète
Terre, il faut définir deux concepts : le « bien-être humain » et
l’« empreinte écologique des humains ». Le premier sert à décrire
la qualité de vie, au sens le plus large, du citoyen mondial moyen,
en prenant en compte les composantes à la fois matérielles et
immatérielles, et le second exprime l’impact environnemental
total de l’humanité sur l’ensemble des ressources et des écosystè-
mes mondiaux.
Ces deux concepts sont faciles à appréhender en théorie, mais
difficiles à définir avec précision, et le manque de données chro-
nologiques nous oblige à d’importantes approximations lorsque
nous développons des équations mathématiques à leur sujet.
Mais, d’une façon générale, on peut dire que le bien-être humain
augmente lorsque quiconque voit sa satisfaction personnelle croî-
tre sans que cela se fasse au détriment de celle des autres. Quant
à l’empreinte écologique des humains, elle augmente lorsqu’on
extrait davantage de ressources, qu’on émet plus de pollution,
que l’érosion des terres ou que la destruction de la biodiversité
s’accroissent, le tout sans réduction simultanée d’autres impacts
humains sur la nature.
408 les limites à la croissance
3. Ibid.
4. Les détails du mode de calcul de l’IDH sont présentés dans ibid., p. 239-
240.
410 les limites à la croissance
chapitre 1
Le dépassement
FIGURE 1-1 – La population mondiale
World Population Data Sheet, Washington, DC, Population Reference
Bureau, <www.prb.org> (visité pour différentes années).
World Population Prospects as Assessed in 1994, New York, Nations
Unies, 1994.
Donald J. Bogue, Principles of Demography, New York, John Wiley and
Sons, 1969.
FIGURE 1-2 – La production industrielle mondiale
Annuaire statistique, New York, Nations Unies (différentes années).
Annuaire démographique, New York, Nations Unies (différentes années).
World Population Data Sheet, Washington, DC, Population Reference
Bureau, <www.prb.org> (visité pour différentes années).
Industrial Statistical Yearbook, New York, Nations Unies (différentes
années).
Monthly Bulletin of Statistics, New York, Nations Unies (différentes
dates).
414 les limites à la croissance
chapitre 2
Le moteur : la croissance exponentielle
FIGURE 2-1 – Production mondiale de soja
Lester R. Brown et al., Vital Signs 2000 : the Environmental Trends That
are Shaping Our Future, New York, W. W. Norton, 2000.
Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO), base de données FAOSTAT en ligne, <http://faostat.fao.
org/?lang=fr>.
FIGURE 2-2 – Population urbaine mondiale
World Urbanization Prospects : The 1999 Revision, New York, Nations
Unies, 2001.
FIGURE 2-3 – Croissance linéaire contre croissance exponentielle de
l’épargne
chapitre 3
Les limites : sources et exutoires
FIGURE 3-1 – Population et capital dans l’écosystème planétaire
R. Goodland, H. Daly et S. El Serafy, « Environmentally Sustainable
Economic Development Building on Bruntland », Environment
Working Paper of The World Bank, no 46, juillet 1991.
FIGURE 3-2 – Production céréalière mondiale
Annuaire de la production, Rome, Organisation des Nations unies pour
l’alimentation et l’agriculture (différentes années).
Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO), base de données FAOSTAT en ligne, <http://faostat.fao.
org/?lang=fr>.
World Population Data Sheet 2001, Washington, DC, Population
Reference Bureau, <www.prb.org> (visité pour différentes années).
FIGURE 3-3 – Rendements céréaliers
Annuaire de la production, Rome, Organisation des Nations Unies pour
l’alimentation et l’agriculture (différentes années).
Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO), base de données en ligne, <http://faostat.fao.org/?lang=fr>.
FIGURE 3-4 – Scénarios possibles pour l’avenir de l’agriculture
World Population Prospects as Assessed in 1990, New York, Nations
Unies, 1990.
World Population Data Sheet 2001, Washington, DC, Population
Reference Bureau, 1991, <www.prb.org>.
World Population Projections to 2150, New York, Nations Unies, 1998.
Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO), base de données FAOSTAT en ligne, <http://faostat.fao.
org/?lang=fr>.
FIGURE 3-5 – Ressources d’eau douce
Peter Gleick, The World’s Water 2000-2001 : the Biennal Report on
Freshwater Resources, Washington, DC, Island Press, 2000.
Sandra Postel, Gretchen C. Daily et Paul R. Ehrlich, « Human Appropria-
tion of Renewable Fresh Water », Science, vol. 271, no 5250, 9 février
1996.
Donald J. Bogue, Principles of Demography, New York, John Wiley and
Sons, 1969.
World Population Prospects as Assessed in 1994, New York, Nations
Unies, 1994.
418 les limites à la croissance
chapitre 4
World3 : la dynamique de la croissance
dans un monde fini
FIGURE 4-1 – Nutrition et espérance de vie
Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO), base de données FAOSTAT en ligne, —<http://faostat.fao.
org/?lang=fr>.
World Population Prospects : the 2000 Revision, New York, Nations
Unies, 2001, <www.un.org/popin/>.
FIGURE 4-2 – Coûts d’exploitation de nouvelles terres agricoles
Dennis L. Meadows et al., Dynamics of Growth in a Finite World,
Cambridge, MA, Wright-Allen Press, 1974.
FIGURE 4-3 – Possibles modes d’approche d’une population vis-à-vis de
sa capacité de charge
FIGURE 4-7 – Énergie nécessaire pour produire du métal pur à partir d’un
minerai
N. J. Page et S. C. Creasey, « Ore Grade, Metal Production, and Energy »,
Journal of Research, U.S. Geological Survey, vol. 3, no 1, janvier/
février 1975.
FIGURE 4-8 – Scénario 0 : infinité en entrée, infinité en sortie
chapitre 5
L’histoire de la couche d’ozone ou la preuve qu’il est possible
de redescendre en deçà des limites
FIGURE 5-1 – Production mondiale de chlorofluorocarbones
Production mondiale annuelle de fluorocarbones, « Production and Sales
of Fluorocarbons », Alternative Fluorocarbons Environmental
Acceptability Study (AFEAS), 2002, <www.afeas.org/production_
and_sales.html>.
FIGURE 5-2 – L’absorption de la lumière par l’atmosphère
The Ozone Layer, Nairobi, Kenya, Programme des Nations Unies pour
l’environnement, 1987.
FIGURE 5-3 – La destruction de l’ozone stratosphérique par les CFC
chapitre 6
La technologie, les marchés et le dépassement
FIGURE 6-1 – Scénario 3 : des ressources non renouvelables plus
accessibles et des techniques de contrôle de la pollution
chapitre 7
Transitions vers un système soutenable
FIGURE 7-1 – Scénario 7 : la planète cherche à partir de 2002 à stabiliser
sa population
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couv Limites a? la croissace.qxd:bookchin 12/12/12 16:59 Page 1
Jorgen Randers
Donella Meadows
Dennis Meadows
Sur le front écologique, 1972 fut une année charnière à
plus d’un titre. Année de la Conférence des Nations Unies
Dennis Meadows
sur l'environnement humain (CNUEH) à Stockholm Donella Meadows
— premier véritable rendez-vous international à caractère
environnemental —, c’est aussi celle de la parution du
Jorgen Randers
premier rapport d’importance sur les dangers d’une crois-
sance économique soutenue dans un monde fini.
Intitulée Halte à la croissance ? Rapport sur les limites à la
Les limites
croissance, cette étude de quatre jeunes scientifiques du MIT
mandatés par le Club de Rome demeure aujourd’hui l’une
des plus puissantes critiques du consensus sur la sacro-
Dennis Meadows
© droits réservés
sainte croissance économique. Sa parution est reconnue
comme l’un des moments clés de l’histoire du mouvement
écologiste.
à la croissance
34 $