Les Grands Arrêts de La Jurisprudence Française Du Droit International Privé - 5e Edition Dalloz
Les Grands Arrêts de La Jurisprudence Française Du Droit International Privé - 5e Edition Dalloz
Les Grands Arrêts de La Jurisprudence Française Du Droit International Privé - 5e Edition Dalloz
GRANDS
GRANDS ARRÊTS ARRÊTS GRANDS ARRÊTS
B. Ancel
Y. Lequette
Les grands arrêts de la
jurisprudence française B. Ancel / Y. Lequette
de droit international privé
B. Ancel / Y. Lequette
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Les grands arrêts
de la jurisprudence française
de droit international privé
Les grands arrêts
de la jurisprudence française
de droit international privé
5e édition
2006
Préface de
Henri Batiffol
Membre de l’institut
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teur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, particulièrement dans le domaine
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Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée
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Henri Batiffol
Mieux que toute autre discipline, le droit international privé paraît appeler la
composition d’une anthologie de décisions judiciaires. Plus qu’ailleurs en
effet, le travail des tribunaux s’y est accompli hors de l’égide des lois, la carence
relative des codes français abandonnant par chapitres entiers la matière à la
jurisprudence. Nombreux sont, au demeurant, les arrêts qui, au-delà de quelques
précautions rituelles, n’hésitent pas à poser la règle de droit, en prononçant par
voie d’énonciation générale sur les causes qui leur sont soumises. Pourtant,
aujourd’hui, il se pourrait que l’« âge d’or » de la jurisprudence française soit
révolu. Sans doute, la multiplication des traités internationaux et les témérités
renouvelées du législateur français n’ont pas suffi à remettre en cause la place
essentielle que la jurisprudence française avait su s’adjuger dans la formation
de notre système de droit international privé. La remarquable vitalité de celle-ci
l’atteste : depuis la publication de la première édition de cet ouvrage, en 1987,
la seule actualité judiciaire a contraint les auteurs à ajouter plus de vingt arrêts
à la série des décisions initialement retenues. Mais cette source vive que ni la
conférence de La Haye, ni le législateur français n’avaient réussi à tarir, la
(dé)construction européenne pourrait bien l’assécher. Une lecture offensive de
l’article 65 du Traité d’Amsterdam attire désormais la discipline dans le champ
de la compétence des autorités communautaires pour la mettre à la merci de
Règlements du Conseil élaborés à l’écart des prétoires et des assemblées, dans
le confinement opaque de bureaux bruxellois et, en tout cas, dans des condi-
tions très éloignées de celles qui présidèrent au développement de la tradition
française. Quoique promettant une montée en puissance de la Cour de justice
des Communautés européennes, cette « communautarisation » de la matière
amenuisera le rôle de la jurisprudence; alors qu’au fil des siècles nos juges ont
contribué directement à la construction d’un véritable système de droit interna-
tional privé, il ne s’agira plus désormais que de régler les difficultés d’applica-
tion suscitées par la rédaction défectueuse des textes, comme les Règlements
dits Bruxelles I et Bruxelles II bis en autorisent le présage.
Néanmoins, la connaissance de la jurisprudence française conserve pour
l’heure et conservera longtemps encore tout son prix. La négliger ne serait,
pour l’étudiant ou le praticien, qu’un petit et mauvais calcul; d’abord, parce
que l’œuvre prétorienne de nos tribunaux reste l’expression d’une large part de
notre droit positif et, ensuite, parce que son analyse donne la profondeur histo-
rique sans laquelle il n’est pas de véritable compréhension de celui-ci.
Au sein de cette jurisprudence, le choix des arrêts a été guidé par des consi-
dérations essentiellement pragmatiques. Néanmoins si une directive devait être
énoncée, l’on dirait que les auteurs se seront efforcés de retenir des décisions
VIII DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
qui, d’une part, ont permis de modeler à un certain niveau de généralité le droit
international privé français et qui, d’autre part, conservent, même si leur solu-
tion n’a plus cours, un intérêt pour le droit positif contemporain. Ainsi pour ne
prendre qu’un exemple, l’arrêt Verdier (no 21) a été choisi quoiqu’il ait perdu
toute positivité, car il constitue la décision fondatrice de la méthode des règles
de conflit alternatives.
Les arrêts de la Cour de cassation forment évidemment la part la plus impor-
tante des décisions recueillies dans cet ouvrage; il est, en effet, difficile de parler
de jurisprudence tant que la haute juridiction ne s’est pas prononcée. Aussi
bien, le plus grand nombre des arrêts reproduits présentent tous les attributs de
l’arrêt de principe. Néanmoins à côté de ces décisions dont le choix s’imposait,
les auteurs ont aussi sélectionné quelques arrêts de cours d’appel. Ceux-ci
illustrent ce phénomène propre au droit international privé qui est l’arrêt « à
thèse », c’est-à-dire l’arrêt qui tire sa notoriété non de l’autorité de l’organe
dont il émane et des propositions qu’il énonce, mais de la réflexion doctrinale
dont il est l’occasion et le support. Ainsi en va-t-il, par exemple, des arrêts
Bartholo (no 9) et Machet (no 23) qui ont permis respectivement à Bartin et à
Francescakis de découvrir et d’exposer les difficiles questions du conflit de
qualifications et des conflits de systèmes dans le temps. Enfin, à ces arrêts de
principe et à ces arrêts à thèse s’ajoutent quelques arrêts qu’on pourrait qualifier
de didactiques. Il s’agit de décisions qui ont été choisies afin d’éviter qu’un
courant jurisprudentiel important ne reste sans illustration alors même
qu’aucun arrêt n’apparaît, en la matière, vraiment représentatif. Certes le plan
chronologiquement retenu imposait moins qu’un plan thématique le recours à
ce qui peut apparaître comme un artifice. Mais il a semblé souhaitable
qu’aucune réalité importante des relations privées internationales ne reste dans
l’ombre. De là, par exemple, le choix de l’arrêt Compagnie internationale des
wagons-lits (no 53) pour illustrer la méthode des lois de police.
Si la présence de certaines décisions peut étonner, l’absence d’autres surpren-
dra certainement. Ainsi, pour n’en citer que quelques-uns, ne figurent pas dans
cet ouvrage les arrêts Duc de Richmond, Viditz, Ponnoucannamale, Levinçon
et Ghattas, Patiño du 21 juin 1948, Tarwid,… Les auteurs ont essayé de remé-
dier à ces exclusions dictées par des considérations pratiques, en présentant les
aspects les plus importants de ces décisions et de beaucoup d’autres à l’occasion
du commentaire d’arrêts traitant des mêmes problèmes et qui leur ont paru
plus significatifs, c’est-à-dire pour les arrêts évoqués et dans l’ordre : Banque
africaine de développement (no 81), Charlie Chaplin (no 40), Bendeddouche
(no 61), Caraslanis (no 27), Scheffel (no 37), Rivière (no 26). Les index alpha-
bétique et chronologique des arrêts cités permettront aux lecteurs de découvrir
aisément le lieu où ces décisions non reproduites sont envisagées. Enfin,
l’ouvrage s’attachant à l’étude du seul droit international privé, les décisions
relatives au commerce international n’ont été retenues que dans la mesure où
elles apparaissent indispensables à l’illustration de problèmes méthodologi-
ques généraux (v. par. ex., l’arrêt Galakis, no 44).
Les auteurs ont choisi d’exposer les décisions retenues par ordre chronolo-
gique et non systématique. Il leur a, en effet, semblé que — en une matière où
les directives législatives étaient peu contraignantes — une telle présentation
AVANT-PROPOS IX
L’arrêt Lautour (no 19), rendu la même année montre d’ailleurs que le conflit
de lois n’échappe pas à la volonté de rompre avec le vieux courant protection-
niste et nationaliste; privant la notion d’ordre public de toute fonction de rat-
tachement pour ne lui concéder qu’un rôle d’exception au jeu normal de la règle
de conflit, cette décision favorise le libre échange des lois et affranchit la matière
des entraves qui l’enserraient. La personnalité de Lerebours-Pigeonnière,
rapporteur des arrêts Patiño et Lautour, pour qui la France se devait de pro-
mouvoir les relations internationales, n’est certainement pas étrangère à cette
mutation. Aussi bien constate-t-on dans les années suivantes, notamment avec
l’arrêt Rivière (no 26), l’abandon d’un nationalisme lui-même relié à la tradi-
tion territorialiste héritée de l’ancien droit vers lequel, sous l’impulsion notam-
ment de Niboyet, semblaient incliner certaines décisions antérieures. C’est que
précisément cette nouvelle « donne » jurisprudentielle s’accompagne d’un renou-
veau doctrinal. 1949, sera, en effet, faut-il le rappeler, l’année de parution
du Traité élémentaire de droit international privé de l’auteur de la préface,
lequel avait été précédé, en 1948 précisément, d’un cours remarqué sur « les
tendances doctrinales actuelles en droit international privé » (Rec. cours La Haye,
1948, t. I, 5).
L’importance de cette date ne doit pas cependant occulter l’existence en plu-
sieurs domaines de paliers qui ont été autant de tremplins pour l’évolution
ultérieure. Ainsi les années qui ont précédé immédiatement la Première guerre
mondiale apparaissent-elles avec notamment les arrêts Viditz et American Tra-
ding Co (no 11), décisives pour la formation d’un régime du contrat international
libéré des rigidités du passé. Ainsi encore, l’année 1900, à la charnière de
deux siècles, place l’arrêt de Wrède (no 10) au départ d’une réorientation des
solutions en matière d’effet des jugements étrangers qui se précisera avec les
arrêts Le Goaster et Hainard et finira par déboucher à plusieurs décennies de
distance, sur la jurisprudence Munzer (no 41).
Dans l’avant-propos des deux premières éditions de cet ouvrage, les auteurs
avaient tenu à souligner que les critiques généralement formulées à l’encontre
de la jurisprudence source de droit ne se retrouvaient que très atténuées dans le
domaine du droit international privé, en raison de la remarquable qualité de
l’œuvre normative de la jurisprudence française. Vingt ans après, il est mal-
heureusement difficile de laisser ces lignes en l’état. De fait si, sur plusieurs
points, la haute juridiction prolonge des évolutions amorcées depuis de nom-
breuses années et qui paraissaient inscrites dans la nature des choses, sur d’autres
la volonté de rupture est telle qu’il devient difficile de célébrer l’« extraordi-
naire continuité » d’une jurisprudence qui serait paradoxalement « plus stable
que la loi ». Sans doute ne faut-il pas exagérer cette tendance qui pourrait
s’expliquer par l’effet de grossissement que produit la proximité. Il n’en reste
pas moins qu’il est permis de se demander si cette instabilité n’a pas sa source
dans la révolution culturelle qui affecte, aujourd’hui la magistrature française.
Longtemps servante de la loi, celle-ci n’hésite plus à s’ériger — exception de
conventionnalité aidant — en une sorte de super-législateur. C’est une chose,
en effet, d’interpréter une loi lorsqu’elle est obscure, de la compléter ou de la
suppléer lorsqu’elle est lacunaire, c’en est une autre d’écarter des textes clairs
et précis votés par le Parlement au prétexte qu’ils ne sont pas conformes aux
AVANT-PROPOS XI
Précis, Traités :
B. AUDIT, Droit international privé, 4e éd., 2006, Economica.
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Droit international privé, t. I, 8e éd., 1993, t. II,
7e éd., 1983, LGDJ.
D. H OLLEAUX , J. F OYER et G. D E G EOUFFRE DE L A P RADELLE , Droit
international privé, 1987, Masson.
Y. L OUSSOUARN , P. B OUREL ET P. DE VAREILLES -S OMMIÈRES , Droit
international privé, 8e éd., 2004, coll. Précis Dalloz, Dalloz.
P. MAYER ET V. HEUZÉ, Droit international privé, 8e éd. 2004, coll. Précis
Domat, Montchrestien.
Th. VIGNAL, Droit international privé, 2005, Armand Colin.
Ouvrages d’initiation :
P. COURBE, Droit international privé, 2e éd., 2003, Armand Colin.
J. DERRUPPÉ ET J.-P. LABORDE, Droit international privé, 15e éd., 2005, coll.
Mémento Dalloz, Dalloz.
D. GUTMANN, Droit international privé, 4e éd., 2004, coll. Cours Dalloz,
Dalloz.
F. MONÉGER, Droit international privé, 3e éd., 2005, coll. Objectif droit, Litec.
Liste des abréviations
(Busqueta)
Faits. — Moine capucin défroqué et sujet espagnol admis par décret à domicile en
France (anc. art. 13, C. civ.), Bertrand Busqueta a épousé en 1809 Caroline, Elisabeth
Styles, citoyenne américaine. Découvrant après la célébration le passé et la véritable
personnalité de son mari, celle-ci demande l’annulation de l’union. Faisant application
de la loi française en raison de l’établissement en France du domicile de Busqueta, le
Tribunal civil de la Seine rejette la demande au motif, notamment, que « les qualités
de ci-devant moine ne formaient point empêchement ».
Devant la Cour de Paris, la dame Styles soutiendra que la capacité matrimoniale
relève du statut personnel et que l’admission à domicile ne fait pas accéder l’étranger au
rang de Français de sorte que la capacité de Busqueta relève non de la loi française mais
de la loi espagnole.
ARRÊT
La Cour ; — En ce qui touche l’appel interjeté par Caroline-Élisabeth Styles :
— Considérant qu’il ne peut y avoir de mariage qu’entre personnes que la loi en
rend capables; que cette capacité, comme tout ce qui intéresse l’état civil, se
règle par le statut personnel qui affecte la personne et la suit, en quelque lieu
qu’elle aille et se trouve; que Busqueta, capucin et diacre espagnol, était à ce
double titre inhabile au mariage, en vertu des lois de son pays; que son incapa-
cité n’avait point cessé par l’abdication de sa patrie, lors de son union avec
Caroline-Élisabeth Styles; qu’en effet, la fuite d’un apostat sur un sol étranger
pour se soustraire aux peines que lui attiraient ses déportemens, sa résidence
successive en différentes villes, les ressources par lui employées pour pourvoir à
sa subsistance, ne constituent point la preuve de l’abdication d’une patrie à
laquelle on n’est pas présumé renoncer sans esprit de retour; que la pétition de
Busqueta en 1809, pour être admis à établir son domicile en France, pétition
dans laquelle il a dissimulé ses qualités de moine et de diacre, n’a eu d’autre but
que de faciliter le projet de mariage dont il était occupé, et qu’il n’a pas tardé à
réaliser : et lorsqu’on le voit presque immédiatement après ce mariage, selon les
changements politiques survenus dans son pays, solliciter de l’ambassadeur
d’Espagne la permission de demeurer en France, l’obtenir sous la condition de
prêter au gouvernement espagnol serment de fidélité, prêter ce serment, et
2 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 1
OBSERVATIONS
1 Prononcé par la Cour de Paris, cet arrêt est mémorable à un double titre.
D’abord, il ouvre la chronologie des décisions de justice ayant enregistré,
après la codification de 1804, la substitution de la nationalité au domicile en
tant que facteur de rattachement pour la matière du statut personnel (I).
Ensuite, il généralise le rattachement du statut personnel que le Code civil
n’avait formellement introduit que pour les lois françaises « concernant l’état
et la capacité des personnes »; ce faisant l’arrêt restitue à la règle de conflit de
l’article 3, alinéa 3 sa structure bilatérale (II).
« Jus Sanguinis : l’émergence d’un principe », Rev. crit. 1993. 223); il s’était
alors produit une diversification du concept qui ne pouvait que nuire à celui-ci
en raison des incertitudes qui en résultaient lorsqu’il s’agissait de détermi-
ner pratiquement le domicile d’une personne. En revanche, la nationalité,
dont l’attribution, l’acquisition ou la perte font l’objet de règles légales assez
précises, est relativement aisée à déterminer — qualité avantageuse lorsqu’il y
va de l’état d’une personne. Encore qu’il ne faille pas exagérer la portée de
l’argument : la certitude inhérente à la nationalité est, en effet, aujourd’hui
partiellement ruinée par la multiplication des cas de double nationalité (sur ce
point, v. infra, no 46).
6 Enfin et c’est sans doute ce qui dans le choix en faveur de la loi nationale a
été décisif au regard de la Cour de Paris, le maintien du domicile comme ratta-
chement aurait représenté une rupture de la corrélation entre la désignation de
la loi applicable et la catégorie du statut personnel. Il faut noter en effet que le
domicile, indice topographique, convient bien à une catégorie étroite, comme
la concevait l’Ancien droit intercoutumier, c’est-à-dire pratiquement circons-
crite à la capacité d’exercice, concentrée sur la condition juridique de la per-
sonne dans les institutions patrimoniales (Status est conditio personae qua facit
ut hoc vel illo jure utatur circa alienatione, contractus et acquirendi modos),
dont la mise en œuvre intéresse effectivement les tiers, soit, à l’époque, la col-
lectivité des présents, le voisinage (sur cette corrélation à l’époque contempo-
raine, v. Batiffol, « Une évolution possible de la conception du statut personnel
dans l’Europe continentale », Essays in honour of Yntema, p. 295 et s., repro-
duit in Choix d’articles, p. 263 et s.). Or, en 1814, près de deux décennies se
sont déjà écoulées depuis que la catégorie statut personnel s’est augmentée de
l’état familial, déconfessionnalisé par la loi du 20 août 1792. L’Ancien droit
avait dû laisser la famille à l’Église; la révolution la confie à la patrie. La natio-
nalité, comme l’enregistre l’article 3, alinéa 3 remplace la religion — allé-
geances l’une et l’autre essentielles et quasi-perpétuelles. Le domicile, si facile
à déplacer, si soumis à la volonté individuelle, si vulnérable à la fraude n’a pas
la prégnance de la nationalité le plus souvent reçue des parents et assumée par
l’intéressé. Ainsi, ménageant la continuité dans le changement, s’est accom-
plie une transformation analogique : la nationalité était désormais à un statut
personnel élargi ce que le domicile avait été à un statut personnel restreint. Le
choix de la Cour de Paris était donc naturel dès lors qu’elle avait admis que la
question du mariage du capucin « comme tout ce qui intéresse l’état civil, se
règle par le statut personnel qui affecte la personne et la suit en quelque lieu
qu’elle aille et se trouve ».
Ce choix de la nationalité était capital à un second titre; il assurait la bilaté-
ralité de la règle de conflit.
7 Une règle de conflit est bilatérale lorsque son facteur de rattachement vaut
de manière générale et est donc destiné à désigner aussi bien, selon les cas,
1 BUSQUETA — PARIS, 13 JUIN 1814 7
l’ordre juridique dont elle émane qu’un ordre juridique étranger. La règle de
conflit bilatérale commande l’application de la loi désignée par le facteur de
rattachement, sans se préoccuper de l’origine de celle-ci. L’article 3, alinéa 3
du Code civil retrouve la bilatéralité habituelle des règles de conflit dès que la
Cour de Paris, dans cette affaire Busqueta, utilise le critère de la nationalité
pour déclarer la loi espagnole applicable; ce critère opère donc aussi bien pour
la loi française — comme le prévoit le texte même de l’article 3 — que pour la
loi étrangère — comme l’admet la Cour de Paris.
En revanche, lorsque la règle de conflit est unilatérale — ce qui est excep-
tionnel — le facteur de rattachement ne conditionne que l’application de la
loi de l’ordre juridique dont elle émane. Littéralement, la disposition de l’arti-
cle 3, alinéa 3 du Code civil se donne pour unilatérale : avec cette règle de
conflit française est seule prévue l’application de la loi française à ceux qui
ont la nationalité française; rien n’est dit de l’application de la loi espagnole
aux Espagnols, ni d’une quelconque autre loi aux nationaux de l’État qui
la pose (v. Req. 17 juill. 1833, Bonar c/d’Hervas, D. Jur. gén. v° Lois, no 394,
p. 167, S. 1833. I. 663). Apparemment, le facteur de rattachement n’a pas
valeur générale.
Il est de première importance que l’arrêt soit venu démentir cette apparence.
« Admettre le système de Busqueta ce serait, par un alliage monstrueux,
reconnaître un mariage valable dans un État et nul dans l’autre. » Le danger
que relève la Cour de Paris est celui du « mariage boiteux », lequel est en
germe dans l’application des lois françaises relatives à l’état et à la capacité
des personnes à d’autres qu’aux Français. Ce péril suppose, il est vrai, que
la loi espagnole régisse la capacité matrimoniale de Busqueta que la loi
française de son domicile règlerait aussi ; alors l’union serait nulle en Espa-
gne et valable en France et il en résulterait que notre moine serait simulta-
nément et indivisiblement marié et célibataire — être et ne pas être…,
l’impossible conjonction scandalisait d’autant plus qu’elle concernait l’état
de la personne.
Il se pourrait aussi, il est vrai, que la loi espagnole ne se déclare applicable
qu’aux personnes ayant leur domicile en Espagne. Dans cette éventualité, la
validité du mariage du sujet domicilié ailleurs ne la heurterait pas et pourrait
être acceptée par elle. En revanche, sur la même supposition que la loi espa-
gnole s’en tient au domicile, le mariage d’un ecclésiastique français domicilié
en Espagne serait nul pour ce pays tandis que, de ce côté-ci de la frontière,
l’article 3, alinéa 3 en assurerait la validité.
Cette dislocation de l’état de la personne — ou plus généralement de la
situation juridique considérée — trouve directement son origine dans la diver-
sité des facteurs de rattachement distinctement utilisés pour déterminer
l’application de la loi française et celle de la loi étrangère. Si chaque système
juridique voit ainsi son champ d’action circonscrit au moyen de critères qui
lui sont affectés en propre, il arrivera fatalement que plusieurs d’entre eux
revendiquent le traitement d’une même situation — laquelle souffrira de la
claudication évoquée par l’arrêt — et aussi qu’aucun d’entre eux ne se déclare
applicable — et alors la situation restera sans issue sur le plan juridique, aban-
donnée à la loi du plus fort ou du plus malin…
8 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 1
19 avril 1819
(S. 1819. I. 129, D. Jur. gén. v° Droit civil, no 442, Journ. Aud., 1819. 257)
Jugement étranger. — Effets en France. —
Procédure d’exequatur. — Pouvoir de révision.
(Holker c/Parker)
Faits. — Établi depuis de longues années en France, Daniel Parker, citoyen des
États-Unis, est assigné devant le Tribunal de commerce de la Seine « pour raison de
comptes sociaux » par John Holker, Français installé en Virginie. À Philadelphie, en 1783,
ces deux commerçants s’étaient associés pour obtenir du gouvernement américain un
marché de fournitures militaires. Mais avant de transporter « sa fortune et sa personne
en France, en conservant son domicile dans son pays naturel » (Paris, 27 août 1816, cité
infra), Parker a omis de procéder à la liquidation et au partage de la société. Peu pressé
de voir s’effectuer ces opérations dont il soupçonne qu’elles dégageront une dette à sa
charge, il oppose à l’assignation de Holker un déclinatoire de compétence, se prétendant
justiciable des tribunaux des États-Unis (devant lesquels il défend alors effectivement
dans un procès, à vrai dire distinct, engagé depuis 1785 et où J. Holker est demandeur
avec d’autres et qui donnera lieu à un arrêt de la Cour suprême : Holker and others
v. Parker, 1er mars 1813, 11 US 436, par Marshall, CJ.). Le déclinatoire est jugé bien
fondé en appel par arrêt de la Cour de Paris, le 25 mai 1803. Plus de dix années seront
encore nécessaires à Holker pour obtenir en 1814 de la Cour de circuit siégeant à Boston
la reconnaissance de sa créance, laquelle s’élève à 560 000 dollars des États-Unis (soit
un peu plus de trois millions de francs de l’époque…). Muni de cette décision, Holker
repasse l’Atlantique et regagne la France où le président du Tribunal civil de la Seine lui
délivre l’autorisation de saisir-arrêter diverses créances de Parker.
Assigné devant le tribunal, celui-ci proteste qu’une décision étrangère ne peut pro-
duire effet en France qu’après une nouvelle discussion de l’affaire au fond devant les
juges français. Le Tribunal de la Seine lui répond : « en droit, que les jugements rendus
régulièrement en pays étrangers, par les autorités établies à cet effet, règlent les droits
des parties entre lesquelles ces jugements ont été rendus, et qui se trouvaient soumises à
leur juridiction; que si ces jugements ne peuvent être exécutés de plein droit en France,
c’est par la raison que les juges qui les ont rendus n’avaient pas de caractère pour en
ordonner l’exécution aux officiers ministériels français; — que l’article 121 de l’ordon-
12 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 2
nance de 1629, portant que les jugements étrangers, n’auront point d’exécution en
France, et que les Français, nonobstant ces jugements, pourront débattre leurs droits
comme entiers devant les tribunaux français, n’a rien de contraire à ces principes, et
introduit seulement en faveur des regnicoles une exception qui ne peut être étendue aux
étrangers; — en fait, que Parker est un étranger, et qu’il peut d’autant moins invoquer le
bénéfice de l’article 121 de l’ordonnance de 1629, qu’en cette qualité d’étranger il a,
dans la même cause, décliné la juridiction des tribunaux français, et demandé son renvoi
devant les juges qui ont rendu le jugement qu’il s’agit de déclarer exécutoire; — que ce
jugement est régulier et définitif » (Seine, 19 août 1815, S. 1819. I. 129).
Ainsi, sur simple vérification de la compétence internationale de la Cour de Boston,
le tribunal déclare la condamnation américaine exécutoire en France. Parker fait appel
et persiste à réclamer le réexamen au fond de l’affaire. À sa satisfaction la Cour de
Paris, le 27 août 1816, infirme le jugement aux motifs que « les jugements rendus par
les tribunaux étrangers n’ont point d’effet ni d’autorité en France; que… le principe est
absolu et peut être invoqué par toute personne sans distinction, étant fondé sur l’indé-
pendance des États… et la souveraineté des gouvernements » (S. 1819. I. 129).
Holker se pourvoit en cassation.
ARRÊT
La Cour; — Sur la contravention à l’article 121 de l’ordonnance de 1629; —
Attendu que l’ordonnance de 1629 disposait, en termes absolus et sans excep-
tion, que les jugements étrangers n’auraient pas d’exécution en France, et que
ce n’est que par le Code civil et le Code de procédure que les tribunaux français
ont été autorisés à les déclarer exécutoires; qu’ainsi l’ordonnance de 1629 est ici
sans application; — Sur la contravention aux art. 2123 et 2128 du Code civil, et
546 du Code de procédure; — Attendu que ces articles n’autorisent pas les tri-
bunaux à déclarer les jugements rendus en pays étranger exécutoires en France
sans examen; qu’une semblable autorisation serait aussi contraire à l’institution
des tribunaux, que l’aurait été celle d’en accorder ou d’en refuser l’exécution
arbitrairement et à volonté; que cette autorisation qui, d’ailleurs, porterait
atteinte au droit de souveraineté du gouvernement français, a été si peu dans
l’intention du législateur, que, lorsqu’il a dû permettre l’exécution sur simple
pareatis des jugements rendus par des arbitres revêtus du caractère de juges, il a
eu le soin de ne confier la faculté de délivrer l’ordonnance d’exequatur qu’au
président et non pas au tribunal, parce qu’un tribunal ne peut prononcer
qu’après délibération, et ne doit accorder, même par défaut, les demandes for-
mées devant lui, que si elles se trouvent justes et bien vérifiées (art. 116 et 150
du Code de procédure); — Attendu, enfin, que le Code civil et le Code de procé-
dure ne font aucune distinction entre les divers jugements rendus en pays étran-
gers, et permettent aux juges de les déclarer tous exécutoires; qu’ainsi ces juge-
ments, lorsqu’ils sont rendus contre des Français, étant incontestablement sujets
à examen sous l’empire du Code civil, comme ils l’ont toujours été, on ne pour-
rait pas décider que tous les autres doivent être rendus exécutoires autrement
qu’en connaissance de cause, sans ajouter à la loi et sans y introduire une dis-
tinction arbitraire aussi peu fondée en raison qu’en principe; qu’il suit de là
qu’en rejetant l’exception de chose jugée qu’on prétendrait faire résulter d’un
jugement rendu en pays étranger, et ordonnant que le demandeur déduira les
raisons sur lesquelles son action est fondée pour être débattue par Parker, et
être statué sur le tout en connaissance de cause, la Cour royale a fait une juste
application des articles 2123, 2128 du Code civil, et 546 du Code de procédure;
— Rejette.
Du 19 avril 1819. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Brisson, prés.; Poriquet, rapp.; Cahier, av. gén.
— MMes Loiseau et Darrieux, av.
2 PARKER — CASS., 19 AVRIL 1819 13
OBSERVATIONS
2 Plus encore que l’évolution du droit positif sous l’Ancien Régime, à vrai
dire assez mal connue en matière de conflits de juridictions (v. les observations
de H. Gaudemet-Tallon, Recherches sur les origines des articles 14 et 15 du
Code civil, 1964, p. 2; v. cependant, au-delà de Lainé, « Considérations sur
l’exécution forcée des jugements étrangers en France », Rev. crit. lég. jur. 1902,
p. 612, 1903, p. 86, 230 et 533, et spéc. 1904, p. 88 et 147, les pages remar-
quables de D. Holleaux, Compétence du juge étranger et reconnaissance des
jugements, 1970, nos 201 et s. et le commentaire qui en est fait par P. Gothot,
in Rev. crit. 1990. 621; J. Hudault, « Sens et portée de la compétence du juge
naturel dans l’ancien droit français », Rev. crit. 1972. 27 et 249 et « Les
conflits de juridictions dans le droit international privé des trois derniers siè-
cles de l’Ancien régime », Cours d’Histoire du droit privé, Université de Lille,
1970-1971, p. 266 et s.), l’état assez confus des vues de la doctrine à l’avène-
ment du Code civil sur le sujet de l’efficacité internationale des jugements
explique sans doute l’espèce de vide juridique (A) qui a permis à l’exigence
d’un contrôle juridictionnel des décisions étrangères de s’imposer (B).
pech, Le rôle de la règle de conflit de lois dans l’efficacité des décisions étran-
geres, thèse Paris 1, 1999, p. 26 et s.), dont ils trouvaient l’expression ou
l’application dans l’article 121 de l’ordonnance de 1629 (1) — texte à l’auto-
rité effective bien incertaine en raison de l’hostilité que, dans nombre de ses
dispositions, il a rencontré auprès des parlements et autres cours souveraines.
Le fait est toutefois qu’au début du dix-neuvième siècle ce texte jouissait au
moins du statut, ambigu, de raison écrite — à la merci de tous les raisonne-
ments de la raison raisonnante (v. Lainé, eod. loc.).
Cet article 121 commence par énoncer que les jugements étrangers n’ont
aucune force exécutoire en France, ce qui est une solution aisément compré-
hensible : le monopole de la contrainte que détient un État souverain dans le
pays où il s’est institué s’oppose à ce qu’un organe d’exécution y assure la
mise en œuvre de cette contrainte sur une injonction qui n’émanerait pas de
cet État ou de l’une de ses autorités, mais proviendrait d’un État étranger, au
nom duquel, par exemple, un juge a pu statuer. Il faut que la condamnation ait
été prononcée au nom du souverain local pour qu’aussitôt ses agents soient
habilités à la ramener à exécution. Conséquence du cloisonnement institution-
nel qui établit une discontinuité entre les ordres juridiques souverains, la solu-
tion ne compromet pas par elle-même les autres effets de la décision étrangère
qui, plus que de l’imperium se déduisent de la jurisdictio : d’une part, l’effica-
cité substantielle, c’est-à-dire la détermination des droits et obligations res-
pectifs des parties ou la modification de l’état de droit qu’accomplit pour elles
le dispositif du jugement et, d’autre part, l’autorité de chose jugée, cette vertu
qui permet au jugement de faire obstacle au renouvellement de la contestation
qu’il tranche (sur ces notions v. Jean Foyer, De l’autorité de chose jugée en
matière civile. Essai d’une définition, thèse Paris, 1954; D. Tomasin, Essai
sur l’autorité de la chose jugée en matière civile, thèse Toulouse, LGDJ 1975;
C. Bléry, L’efficacité substantielle des jugements civils, thèse Caen, LGDJ
2000; H. Péroz, La réception des jugements étrangers dans l’ordre juridique
français, thèse Caen, LGDJ 2005; J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire
privé, 2002).
Cependant l’ordonnance précise ensuite que la condamnation prononcée
contre un Français par un tribunal étranger sera réputée non avenue en France
et que, par conséquent, le procès qu’elle s’efforçait de clôre pourra y être
repris à zéro devant les tribunaux français qui statueront par « jugement
nouveau » (Merlin, Répertoire, vo Jugement, § VIII, concl. sous Req. 7 janv.
1806). Récusant l’efficacité substantielle aussi bien que l’autorité de chose
jugée qui en garantit l’intangibilité, une telle solution coupe court à toute
appréciation de régularité de la décision étrangère et dispense de prévoir une
action en justice à cette fin. Par ailleurs, en n’envisageant que les condamna-
tions prises contre des Français, le texte laisse place à l’argument a contrario :
(1) Ordonnance de 1629, article 121 : « Les jugements rendus, contrats ou obligations reçues ès
royaumes et souverainetés étrangères, pour quelque cause que ce soit, n’auront aucune hypothèque
ni exécution en notre dit royaume, ains tiendront les contrats lieu de simples promesses, et nonobs-
tant les jugements nos sujets contre lesquels ils auront été rendus pourront de nouveau débattre
leurs droits comme entiers par devant nos officiers ».
2 PARKER — CASS., 19 AVRIL 1819 15
le jugement étranger rendu contre un étranger n’est pas réputé non avenu.
Encore faut-il se donner les moyens de surmonter son défaut de force exé-
cutoire en France : l’exécution forcée contre un étranger présuppose que la
condamnation étrangère soit revêtue de la formule exécutoire par une autorité
française.
7 Saisi d’une demande d’exequatur, le tribunal doit selon l’arrêt Parker, pro-
noncer en connaissance de cause, c’est-à-dire qu’il doit procéder à la révision
au fond du jugement étranger qui lui est présenté. Cette mission devait être
précisée. Il a fallu plus d’un siècle à la jurisprudence pour lever toute ambi-
guité sur la consistance du pouvoir du juge de l’exequatur (A). Elle n’y est
parvenue qu’à une époque où l’évidence de l’impropriété de cette pratique
condamnait celle-ci irrémédiablement (B).
jugement l’ayant résolu (v. en ce sens Toullier, t. X, no 81, rapporté par Foelix,
t. II, p. 93).
En revanche, si celui-ci émanait d’un tribunal étranger dont la compétence
n’était pas contestée par les privilèges de juridiction des articles 14 et 15, le
pouvoir de révision prenait la forme de ce que Niboyet appellera un contrôle
illimité (Traité, t. VI-2, no 1968, Cours, no 725); il s’agissait de « rechercher
en fait, par un examen attentif de toutes les circonstances de la cause et du
fond même du procès… non si le tribunal a bien jugé le procès, mais si le
jugement dont on demande l’exécution en France présente toutes les garanties
d’une sage et impartiale justice » (T. civ. Le Mans, 6 févr. 1866, Fitzgerald,
DP 1866. 2. 156). Un tel programme débouchait sur la seule alternative du
refus ou de l’accueil du jugement étranger « tel quel » sans possibilité d’alté-
ration aucune et les tribunaux français, à défaut de compétence sur le conflit
d’intérêts privés, n’étaient pas « appelés à juger de nouveau et à se constituer
en juge d’appel des tribunaux étrangers, mais seulement à examiner si le juge-
ment est exécutable en France » (Angers, 4 juill. 1866, Fitzgerald, eod. loc.).
La révision-contrôle illimité ouvrait en France un contentieux de la régularité
de la décision, ou contentieux objectif, alors que la révision-réformation pro-
rogeait en France le contentieux des droits des parties, ou contentieux subjec-
tif (sur cette distinction empruntée au droit de la procédure administrative, son
application à l’exequatur et ses incidences, v. H. Muir Watt, J.-Cl. dr. int.,
fasc. 584-7, nos 4 et s. et B. Ancel, notes in Rev. jud. Ouest, 1981. 2. 67 et Rev.
crit. 1981. 535; pour une analyse approfondie : F.-X. Morisset, Le régime de
l’efficacité en France des décisions étrangères patrimoniales, thèse Paris XI,
2002, nos 269 et s.).
(Stewart c/Marteau)
Faits. — Un Anglais, le sieur Stewart, avait deux filles, Sarah et Juliana. Il fit dona-
tion à la première en 1823, à l’occasion de son mariage avec un Français, le sieur Mar-
teau, d’un domaine situé en France. Après le décès de son père survenu en 1828 à la
Jamaïque où il était domicilié, la seconde des filles intenta devant les juridictions fran-
çaises une action en réduction de cette donation. Le Tribunal civil de Tours le 20 mars
1834, puis la Cour royale d’Orléans le 29 août 1834 (S. 1837. 1. 195) se déclarèrent
incompétents. La réduction ne pouvant avoir lieu que si la donation excédait la quotité
disponible, ce point devait être vérifié, selon ces juridictions, par le tribunal du lieu
d’ouverture de la succession seul compétent pour connaître l’état général et la consis-
tance de la succession.
Un pourvoi fut formé.
ARRÊT
La Cour; — Vu les articles 3 et 822 du Code civil, et 59 du Code de procédure
civile; — Attendu que l’article 3 du Code civil, conforme aux anciens principes,
soumet les immeubles situés en France, même ceux possédés par des étrangers,
à la loi française; que sa disposition embrasse, dans sa généralité, tous les droits
de propriété et autres droits réels qui sont réclamés sur ces immeubles; —
Attendu que la demande formée par la demoiselle Stewart, comme héritière de
son père, à fin de partage ou d’une vente par licitation du domaine des Douets,
qu’elle prétendait avoir été donné par ce dernier à la dame Marteau, devait être
jugée d’après la législation française seule et sans aucune influence des lois
étrangères; — Attendu que l’arrêt dénoncé, sans prononcer sur les droits des
parties, a rejeté cette demande par les motifs qu’elle n’avait pas été précédée
d’une liquidation qui fit connaître si la quotité disponible avait été excédée par
3 STEWART — CASS., 14 MARS 1837 23
OBSERVATIONS
1 S’il est un domaine où l’on ne saurait faire abstraction des enseignements de
l’histoire, c’est bien celui du statut réel immobilier. Plongeant leur racine dans
une tradition fort ancienne, les principes de solution y sont réaffirmés, siècle
après siècle, à partir d’interrogations analogues. Ainsi, point de départ des
réflexions de Jacques de Revigny au XIIIe siècle comme de Bertrand d’Argentré
au XVIe siècle (1), la fameuse « question anglaise » (2) (II) est encore au XIXe siè-
cle l’occasion pour la Cour de cassation d’énoncer la portée générale de la lex
rei sitae en matière immobilière (I).
2 Si l’application de la lex rei sitae aux immeubles n’a jamais fait dif-
ficulté (A), la délimitation de son domaine a, en revanche, suscité de multiples
interrogations (B).
3 A. — En soumettant à la loi française les immeubles situés en France même
lorsqu’ils appartiennent à des étrangers, l’article 3, alinéa 2 du Code civil se
« conforme aux anciens principes » ainsi que le rappelle l’arrêt ci-dessus
reproduit. (Sur les raisons qui expliquent cette tendance des juges français de
l’époque à conforter les textes du Code civil par un appel à l’Ancien droit,
v. Carbonnier, « En l’année 1817 », Mélanges Raynaud, p. 81 et s.; sur la valeur
relative de l’argument tiré de la tradition, v. S. Billarant, Le caractère substan-
(1) C’est, en effet, à l’occasion du commentaire de l’article 218 de l’ancienne Coutume de Bre-
tagne qui définissait le montant de la quotité disponible que d’Argentré développa la glose 6 qui
devait asseoir son immense réputation (Bertrandi Argentraei, Redonensis Provinciae Praesidis,
Comentarii in Patriae Britanum Leges, Paris, MDCV; v. aussi Lainé, Introduction au droit interna-
tional privé, t. I, p. 311 et s.).
(2) Encore nommée parfois « question normande ». Voir Meijers, Études d’histoire du droit
international privé, p. 65 et s.
24 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 3
can Trading Co, no 11). Certes, s’agissant des contrats relatifs à un immeuble,
il était fait application de la lex rei sitae, mais était-ce au titre de la loi réelle ou
de la loi du lieu d’exécution ? Quant à la capacité et à la forme, elles échap-
pèrent à celle-ci pour relever respectivement de la loi personnelle (v. infra,
arrêt Château de Chambord, no 14) et de la loi du lieu de conclusion (v. infra,
arrêt Charlie Chaplin, no 40) (S. Gruber-Magitot, Les conflits de coutumes en
matière de contrats dans la jurisprudence des Parlements, de Dumoulin au
Code civil, p. 55 et s.). Seule, en définitive, l’application de la lex rei sitae aux
successions immobilières ainsi qu’aux donations entre époux (v. infra, obs.
sous arrêt Campbell Johnston, no 42 § 7) marquait en droit positif, un certain
débordement du statut réel hors de ses strictes limites.
En décidant, à propos du règlement d’une succession immobilière, que la
lex rei sitae « embrasse tous les droits de propriété et autres droits réels », la
Cour de cassation maintient la tradition. Assimilant au droit de propriété
l’ensemble des droits réels, elle rappelle fort opportunément que le régime de
ces droits est la matière par excellence du statut réel; c’est la lex rei sitae qui
peut seule définir les droits réels dont un immeuble peut être l’objet. Soumet-
tant à cette même loi la dévolution d’immeubles sis en France, elle perpétue
le dernier témoignage de la conception extensive qu’avaient du statut réel cer-
tains de nos anciens auteurs.
8 Lorsqu’une personne décède laissant des biens situés dans plusieurs pays,
leur dévolution doit-elle être opérée en raisonnant par rapport à l’ensemble de
la succession selon une loi unique — loi nationale, loi du dernier domicile du
de cujus —, ou faut-il procéder comme s’il y avait autant de successions que
de biens situés dans des pays différents ? À cette question essentielle qui agite
la doctrine depuis près de huit siècles, le droit positif français a toujours
apporté la même réponse : les successions mobilières relèvent de la loi du der-
nier domicile du défunt (v. infra, arrêt Labedan, no 18), les successions immo-
bilières de la lex rei sitae. L’unité l’emporte pour les premières, le morcel-
lement pour les secondes.
Cette solution a été, en règle générale, vivement critiquée par la doctrine
française de la fin du XIXe siècle qui, influencée par les idées de Mancini, lui
préférait l’application de la loi nationale du de cujus à l’ensemble de la suc-
cession. On y a vu l’exemple même d’une règle survivant aux causes qui
l’avaient engendrée. Posée dès le XIIIe siècle, cette solution aurait eu pour
objet d’assurer l’intégrité et la perpétuité des fiefs. Partant, les successions
auraient dû, avec la disparition de la féodalité, recouvrer leur caractère de pur
règlement de famille et obéir à la loi personnelle du défunt (comme admis par
l’exception flamande jusqu’aux XVe-XVIe siècles avec le rattachement coutu-
mier par la « maison mortuaire », v. Meijers, Études préc., p. 82 et s.; Freyria,
« Les conflits de coutumes en matière de successions dans le droit coutumier
des Flandres sous l’ancien régime », Rev. crit. 1947. 249). L’idée de conserva-
tion des biens dans la famille, souvent invoquée pour justifier le maintien des
3 STEWART — CASS., 14 MARS 1837 27
28 février 1860
(Bulkley c/Defresne)
ARRÊT
La Cour; — Vu les articles 3, 6, 147, C. Nap., et l’article 1 de la loi du 8 mai
1816; — Attendu que le mariage, en France, est un contrat civil; qu’il ne peut
être interdit qu’à ceux qui ont en eux un motif d’empêchement établi par la loi
4 BULKLEY — CASS., 28 FÉVRIER 1860 31
OBSERVATIONS
1 À mi-distance entre l’arrêt Parker (supra, no 2) et l’arrêt de Wrède (infra,
no 10), cette décision présente à bien d’autres égards un caractère intermé-
32 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 4
d’une faillite hollandaise (Bordeaux, 10 févr. 1824, S. 1824. II. 119 et Foelix,
t. 2, p. 114). La Cour de Bordeaux, attentive à la compétence du juge étranger,
réoriente cette condition en lui assignant une fonction inédite, sans lien avec
l’autorité de chose jugée : « il est vrai qu’un jugement rendu par le Tribunal de
commerce de Rotterdam n’a aucune autorité judiciaire en France; d’où il
résulte que le fait qu’il constate en Hollande peut être débattu et contredit en
France par des preuves contraires; mais… à défaut de preuves certaines un fait
doit être tenu pour constant par les tribunaux français ». La compétence du
« tribunal de commerce du lieu » (du domicile du débiteur), déclaré le mieux
qualifié pour constater la faillite, vient ici garantir le sérieux et la crédibilité de
l’œuvre judiciaire étrangère et prend ainsi place dans un discours sur la preuve
destiné à assurer l’efficacité substantielle en France sans reconnaissance de
l’autorité de la chose jugée. Emanée d’une autorité compétente, la décision fait
preuve non seulement de l’état des affaires du débiteur, mais aussi des mesures
ordonnées pour y faire face. Ainsi au jugement s’attache une présomption qui,
jusqu’à preuve contraire, permet qu’on s’y fie en France (sur ce rôle de « titre
probatoire », v. Foelix, op. cit., eod. loc., ou « effet de titre » et le dévelop-
pement qu’il a connu par la suite, Batiffol et Lagarde, t. 2, no 741; de cette
solution, le droit romain aurait offert une préfiguration avec le praeiudicium,
v. G. Pugliese, Encicl. Dir. XVIII, v° Giudicato civile (Storia), no 7, et Rec.
Soc. J. Bodin, XVI, 1965, p. 340). De cette manière, les pouvoirs du syndic
sont reconnus, mais en cas de conflit avec le débiteur, la preuve contraire est
recevable; c’est dire que la décision étrangère ne lie pas le tribunal français,
qu’elle n’a pas en France l’autorité de la chose jugée qui interdirait à celui-ci
de connaître l’affaire au fond (sur l’articulation de l’autorité de la chose jugée
et de la preuve, v. C. civ., art. 1350 et s.; G. Pugliese, op. cit.). Peut-être plus
métaphorique que scientifique, car elle sollicite bien plus la dialectique de la
preuve que sa fonction, cette interprétation a gouverné le droit des effets en
France des jugements de faillite jusque récemment encore, en dépit des cri-
tiques dont elle a été l’objet (v. G. Holleaux, « Remarques… », Trav. com. fr.
dr. int. pr., préc., spéc. p. 190 et s.; N. Pimblis, La faillite dans les relations
internationales d’ordre privé, thèse Paris XI, 1992, p. 401 et s.; sur les solu-
tions actuelles, J.-P. Rémery, La faillite internationale, PUF, 1996, p. 52 et s.,
H. Synvet, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd., vo Faillite, nos 72 et s., F. Mélin, La fail-
lite internationale, LGDJ 2004, p. 73 et s.).
6 En revanche, le raisonnement en termes de preuve ne répondait pas aux pro-
blèmes que soulevaient les jugements relatifs à l’état et à la capacité des per-
sonnes. La menace d’une révision au fond qu’il laissait planer aurait rendu
trop précaires les situations juridiques qui se seraient constituées sur la base de
la décision étrangère sans exequatur. Pour qui envisage de se remarier, il n’est
pas encourageant de savoir que la liberté matrimoniale est à la merci d’un
réexamen en fait et en droit du jugement étranger de divorce qui l’a restituée.
Second mariage dans un cas, concubinage adultère, voire bigamie, dans l’autre,
la gravité même de l’alternative neutralise l’efficacité substantielle. Aussi bien,
sans se priver du service que peut rendre l’analyse du jugement étranger en un
titre probatoire (v. par ex. Paris, 23 janv. 1990, Caron, Rev. crit. 1991. 92, note
4 BULKLEY — CASS., 28 FÉVRIER 1860 35
9 Quoiqu’il soit peu probable que la Cour de cassation ait eu pleine conscience
de faire jaillir l’étincelle, il est permis de considérer que l’arrêt Bulkley éclaire
les prémisses de la doctrine de l’effet atténué de l’ordre public, laquelle, mûrira
4 BULKLEY — CASS., 28 FÉVRIER 1860 37
longuement encore avant qu’« elle ne trouve son plein épanouissement dans
l’arrêt Rivière » (P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit internatio-
nal privé, no 11, p. 14 et Int. Encycl. Comp. Law, vo Public Policy, nos 46 et s.).
Cette doctrine commande, on le sait, une modération des exigences de
l’ordre public international lorsqu’il s’agit de laisser une situation constituée à
l’étranger produire effet en France (v. obs. sous Rivière, no 26 § 10). Précisons
l’hypothèse : une situation est créée à l’étranger par application d’une loi
étrangère en contravention des exigences de l’ordre public international fran-
çais. Ultérieurement on cherche à faire produire à cette situation, en France,
un effet qui n’est pas de lui-même contraire à ces exigences. En l’occurrence,
la création était le prononcé du divorce en Hollande et l’effet était la restitu-
tion de cette liberté matrimoniale que Mme Bulkley souhaitait exercer en
France. Il n’avait été question devant les juges du fond que de la conformité à
l’ordre public de la faculté de se remarier — étant hors de doute que le
divorce, quant à lui, heurtait l’ordre public depuis la loi d’abolition de 1816
et qu’il n’était plus permis « aux tribunaux d’ordonner ou de sanctionner
des divorces que les officiers ne pourraient plus prononcer ». Suivant ses
propres précédents (Paris, 30 août 1824, Mary Bryan, S. 1822-1824. 2.4,
DP 1825. 2. 67; 20 mai 1843, Jakowski, S. 1843. 2. 566, DP 1844. 2. 89 et
20 nov. 1848, Courvoisier, S. 1849. 2. 11, concl. Flaudin, DP 1848. 2. 259;
sur ces arrêts, F. Delpech, thèse préc., nos 77 et s.), la Cour de Paris avait
estimé que la loi de 1816, en supprimant le divorce supprimait aussi la pos-
sibilité de remariage après divorce; il convenait donc d’opposer cette loi aux
étrangers qui revendiquaient l’application de leur loi nationale contraire. Pour
censurer cette jurisprudence, la Cour de cassation se réfère par comparaison à
la liberté matrimoniale des époux français divorcés en France avant 1816 :
l’abolition ne leur a pas retiré cette liberté reconquise et elle ne peut
« empêcher un Français d’épouser une Française divorcée avant ladite loi »
(Aix, 6 août 1826, cité par Dupin dans ses conclusions devant la chambre des
requêtes, D. 1860. 1, p. 60).
Ainsi par interprétation de la loi d’abolition qui limiterait sa prohibition à
la cause sans atteindre l’effet, la Cour de cassation détermine les exigences de
l’ordre public français.
Ce recours à l’analogie révèle qu’un effet à déduire en France d’une situa-
tion qui n’aurait pu y être créée en raison de l’ordre public, n’est pas fatale-
ment lui-même contraire à cet ordre public. Et la reconnaissance de la liberté
matrimoniale recouvrée selon la loi hollandaise indique qu’il est loisible en
principe d’invoquer à une fin qui, en soi, ne heurte pas l’ordre public, une situa-
tion constituée à l’étranger qui au contraire n’aurait pu s’établir en France.
10 Cette dernière proposition revêt une importance capitale; elle exprime que
la Cour de cassation s’accommode d’une discordance entre la décision effecti-
vement rendue à l’étranger et celle qu’auraient rendue les tribunaux français.
Or cette discordance représente tout ce que rejette la doctrine de la révision au
fond, puisque celle-ci subordonne au contraire l’octroi de l’exequatur et la
reconnaissance de l’efficacité à la vérification de l’exacte concordance entre le
jugement prononcé à l’étranger et celui qu’aurait rendu le tribunal français s’il
38 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 4
avait été directement saisi du procès (v. infra, obs. sous Parker, no 2). Afin de
vérifier qu’il peut admettre en France les effets du divorce hollandais, le tribu-
nal de l’exequatur, réitérant pour son compte les opérations juridictionnelles
effectuées à l’étranger, sera invité par la règle de conflit à faire application de
la loi hollandaise à la demande de divorce; l’ordre public lui défendant de pro-
noncer une telle décision en France, il conclura qu’en l’état de ce désaccord, il
lui est impossible de reconnaître le jugement hollandais. Ayant ainsi ruiné la
cause, il ne peut accueillir l’effet. L’ordre public se manifeste dans toute sa
virulence, sans atténuation possible et, tandis que le Français régulièrement
divorcé sous l’empire de la loi française avant 1816 jouit pleinement de sa
liberté matrimoniale, l’étranger, régulièrement divorcé sous l’empire des lois
de son pays, en est privé. Pour éviter semblable discrimination, il n’était pas
déraisonnable de revenir à la conception statutiste et d’écarter la doctrine de
l’arrêt Parker.
11 En dépit de ses mérites, cette attitude de la Cour de cassation était perçue
comme dérogatoire et ce caractère, sans doute, explique la lenteur du progrès
de la théorie de l’effet atténué de l’ordre public. Consacrée pour le divorce
(v. reproduisant la motivation de l’arrêt Bulkley, Civ., 15 juill. 1878, S. 1878.
1. 320, Clunet 1878. 499, suivi par Amiens, 15 avr. 1880, Clunet 1880. 298,
sur lesquels F. Delpech, thèse préc., nos 93 et s.), elle sera étendue aux juge-
ments concernant la filiation (même avant l’arrêt de Wrède, bien qu’ils ne
fussent pas constitutifs) mais, très logiquement elle rencontre les plus gran-
des difficultés à s’imposer en matière d’effets des jugements subordonnés à
l’exequatur préalable (Chemins de fer portugais, Civ., 22 mars 1944, DC 1944.
145, note P. L.-P., S. 1945. 1. 77, rapp. Lerebours-Pigeonnière, note Niboyet),
c’est-à-dire là où, malgré la disparition du pouvoir de révision, la jurispru-
dence Parker conserve quelque influence.
5
COUR DE CASSATION
(Ch. req.)
16 janvier 1861
Faits. — En 1853 et 1854, Lizardi, Mexicain âgé de plus de vingt-et-un ans mais
encore mineur d’après la loi mexicaine qui fixe la majorité à vingt-cinq ans, acheta à des
joailliers parisiens des bijoux en paiement desquels il souscrivit des billets et des lettres
de change pour des sommes importantes. En 1857, Lizardi, devenu majeur suivant la loi
de son pays, assigna ses cocontractants français devant le Tribunal de la Seine pour voir
déclarer nulles, en raison de son état de minorité, les obligations qu’il avait contractées
envers eux. Les défendeurs lui opposèrent : que Lizardi était majeur selon la loi fran-
çaise au moment où ils avaient traité avec lui; qu’ils avaient ignoré sa nationalité
étrangère; qu’ils avaient contracté de bonne foi et qu’en conséquence, les obligations
étant valables, Lizardi devait leur régler les sommes dont il restait débiteur.
La demande de Lizardi fut déclarée mal fondée par un jugement du Tribunal civil de
la Seine du 14 mars 1858 (DP 61. 1. 194), confirmé en appel par un arrêt de la Cour de
Paris du 18 juillet 1859 (DP 61. 1. 194). Un pourvoi fut formé.
ARRÊT
La Cour; — Attendu que si le statut personnel dont la loi civile française
assure les effets aux Français résidant en pays étranger, peut, par réciprocité,
être invoqué par les étrangers résidant en France, il convient d’apporter à
l’application du statut étranger des restrictions et des tempéraments sans les-
quels il y aurait danger incessant d’erreur ou de surprise au préjudice des
Français; — Que si, en principe, on doit connaître la capacité de celui avec qui
l’on contracte, cette règle ne peut être aussi strictement et aussi rigoureuse-
ment appliquée à l’égard des étrangers contractant en France ; — Qu’en effet,
la capacité civile peut être facilement vérifiée quand il s’agit de transactions
entre Français, mais qu’il en est autrement quand elles ont lieu en France entre
Français et étrangers ; — Que, dans ce cas, le Français ne peut être tenu de
connaître les lois des diverses nations et leurs dispositions concernant notam-
ment la minorité, la majorité et l’étendue des engagements qui peuvent être
40 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 5
pris par les étrangers dans la mesure de leur capacité civile; qu’il suffit alors,
pour la validité du contrat, que le Français ait traité sans légèreté, sans impru-
dence et avec bonne foi;
Attendu, en fait, qu’il n’est pas établi que les défendeurs éventuels aient
connu la qualité d’étranger du demandeur quand ils ont traité avec lui; qu’il
résulte des déclarations de l’arrêt attaqué qu’en lui faisant diverses ventes
d’objets mobiliers de leur commerce, ils ont agi avec une entière bonne foi; que
le prix de ces ventes, quoique assez élevé, n’était pourtant point hors de propor-
tion avec la fortune de Lizardi; que ces fournitures lui ont été faites en présence
de sa famille et sans aucune opposition de la part de celle-ci; que les objets ven-
dus ont même profité en partie au demandeur, et que rien n’a pu faire pressen-
tir aux défendeurs éventuels que Lizardi, quoique âgé alors de plus de 22 ans,
était cependant encore mineur d’après les lois de son pays; — Que ces faits cons-
tatés par l’arrêt expliquent suffisamment le maintien des engagements pris par
Lizardi vis-à-vis des défendeurs éventuels, et qu’aucune loi n’a été violée en le
décidant ainsi;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 16 janvier 1861. — Cour de cassation (Ch. req.). — MM. Nicias-Gaillard, prés.; Férey, rapp.; de Pey-
ramont, av. gén. — Me Groualle, av.
OBSERVATIONS
1 Il est rare qu’après plus d’un siècle d’analyses et de débats, on s’interroge
encore sur la signification exacte d’une décision. Tel est pourtant le cas de l’arrêt
Lizardi. Si le besoin qu’il veut satisfaire apparaît, en effet, clairement (I), les
moyens qu’il emploie pour y répondre font aujourd’hui encore problème (II).
I. Le besoin
sur les rapports de droit civil (LRDC); art. 14, al. 2 loi yougoslave sur le droit
international privé, Rev. crit. 1983. 353; art. 2 Convention de Genève des 7 juin
1930 et 19 mars 1931 sur les conflits de lois en matière de lettre de change et
de chèque; v. aussi J. Guinand, Les conflits de lois en matière de capacité, 1970,
p. 55, no 73). Préservant parfaitement les intérêts du commerce local, cette
solution n’est guère favorable à la protection de l’incapable puisque celui-ci
sera tenu par ses engagements dès lors que la loi locale les valide. Le système
assure la permanence de leur statut aux personnes capables mais non à celles
qui ne le sont pas.
Aussi bien n’est-ce pas la voie suivie par la jurisprudence française. Réaf-
firmant très tôt (Cass. réunies, 27 févr. 1817, dame de Crotat, S. chr.; v. infra,
arrêt Patiño, no 38-39 § 12) et avec éclat la compétence de principe de la loi
personnelle puisqu’elle l’étend même aux incapacités naturelles (v. infra, arrêt
Silvia, no 29), elle l’assortit d’exceptions qui, en contraignant le juge à s’inter-
roger sur les circonstances concrètes de la cause, permettent, au prix il est
vrai de quelque incertitude, d’atteindre un meilleur équilibre des intérêts en
présence.
II. Le moyen
6 Mettant précisément l’accent sur ce que l’erreur aurait pour objet la règle de
conflit elle-même, un auteur a récemment proposé une analyse renouvelée
de l’arrêt Lizardi (M.-N. Jobard-Bachellier, op. cit., nos 204 et s.; rappr. C. Gri-
maldi, Quasi-engagement et engagement en droit privé, thèse Paris II, 2005,
p. 196, no 310-2) : la jurisprudence Lizardi serait une application de la théorie
de l’apparence. Une réalité objective, l’incapacité procédant de l’application
de la loi nationale désignée par la règle de conflit du for, se dissimulerait der-
rière l’apparente capacité résultant de l’application de la loi du lieu de conclu-
sion de l’acte. La seconde l’emporterait sur la première lorsque le cocontrac-
tant aurait commis une erreur légitime quant à la loi applicable. Tel serait le
cas lorsque, entre autres conditions, le rattachement employé présenterait un
caractère relatif c’est-à-dire lorsqu’il existerait une « incertitude » sur sa « valeur
pratique ». Ainsi en irait-il notamment de la nationalité en matière de capacité
ou de pouvoirs (sur les droits réels, v. infra, arrêt DIAC, no 48 § 7).
Là encore, l’explication encourt une double critique. D’une part, elle repose
sur une approche trop étroite du phénomène. La méconnaissance de l’incapa-
cité ou du défaut de pouvoir édicté par la loi nationale peut, en effet, avoir de
multiples sources : erreur sur le contenu de la règle de conflit elle-même, mais
aussi, en amont, ignorance du caractère international de la situation, et en
aval, ignorance du contenu du droit étranger. Peu importe au regard de la
jurisprudence, l’origine de l’erreur. Seule compte la bonne foi du cocontrac-
tant. D’autre part, bien qu’elle confère à la règle Lizardi son originalité, la
bonne foi n’est pas, nous semble-t-il, le véritable fondement de celle-ci mais
simplement une condition parmi d’autres à son application.
7 Pourquoi, en effet, ce tempérament ? Par souci de protéger le cocontractant
français ? L’explication est aujourd’hui unanimement rejetée : décréter que
l’intérêt d’un Français est, par principe, préférable à celui d’un étranger c’est
nier la notion-même de droit international privé. Au reste, la jurisprudence n’a
pas hésité à étendre le bénéfice du tempérament à des étrangers (Paris, 15 oct.
1834, S. 34. 2. 657). Par souci de protéger les cocontractants de l’incapable
considérés en eux-mêmes ? Non plus; leur intérêt n’est pas, en soi, plus res-
pectable que celui de l’incapable. En réalité, la solution s’explique par la
volonté de protéger le commerce (en ce sens P. Mayer et V. Heuzé, no 525;
P. Mayer, Rev. crit. 1985. 599) : en évitant les surprises, elle favorise le déve-
loppement des échanges et, comme le notait déjà Demolombe (op. et loc. cit.),
loin d’être nuisible aux étrangers elle leur « donne du crédit pour toutes les
choses nécessaires à leur existence en France ». Simplement, cette protection
ne vaut, à l’image de celle établie par l’article 2279 du Code civil, que pour le
« commerce loyal » (Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens,
no 1631; v. aussi, art. 220, al. 2 et 222, C. civ.). Il ne serait pas admissible que
la protection de l’incapable fût sacrifiée à la sécurité des transactions alors que
le cocontractant connaissait ou aurait dû connaître son incapacité. Protecteur
du bon commerce et exclusivement de celui-ci, le juge ne peut fermer les yeux
sur les circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu. Il recherchera
donc si le cocontractant était ou non de bonne foi en tenant compte de l’impor-
tance de l’opération : plus l’acte est grave, moins la bonne foi est probable; sa
5 LIZARDI — CASS., 16 JANVIER 1861 45
18 mars 1878
Faits. — Le 1er août 1874, la Cour de Paris prononce la séparation de corps entre le
prince de Bauffremont, citoyen français, et son épouse, belge d’origine, devenue française
par le mariage. À cette époque, la loi française applicable en l’espèce n’admet pas le
divorce; cette prohibition ne convient pas à la princesse. Profitant de ce que la séparation
de corps lui restitue la liberté de choisir seule un domicile séparé, elle se transporte tem-
porairement dans le duché de Saxe-Altenbourg dont elle obtient la nationalité le 3 mai
1875. Désormais sujette de cet État allemand, elle recouvre sa liberté matrimoniale grâce
à sa nouvelle loi nationale qui considère comme divorcés les catholiques séparés de corps.
La princesse peut épouser celui pour lequel elle a entrepris le voyage en Allemagne; le
24 octobre 1875, à Berlin, elle convole avec le prince Bibesco, sujet roumain.
Le procédé déplaît au prince de Bauffremont, quant à lui toujours Français et tou-
jours marié avec celle qui désormais se dit l’épouse d’un autre. Il engage une procédure
pour clarifier sa situation, demandant au Tribunal de la Seine l’annulation, d’une part, de
la naturalisation obtenue sans son autorisation, d’autre part, du second mariage contracté
pendant l’existence du premier au mépris de l’interdiction de la loi française (sur le
développement de cette affaire en Belgique, v. L. Renault, Clunet 1880. 178; F. Laurent,
Droit civil international, t. 2 nos 296 et s., t. 3, no 162, no 164, no 302, t. 5, nos 172 et s.,
nos 176 et s.).
Un jugement du 10 mars 1876 lui donne satisfaction. En un premier motif, il est
déclaré que « la princesse de Bauffremont n’a pu valablement acquérir à défaut de
l’autorisation de son mari, la nationalité de l’État de Saxe Altenbourg et… elle était
encore française lors du mariage contracté par elle, le 24 octobre 1875 ». Un second
motif observe, sur le mode conditionnel, qu’aurait-il reçu l’agrément du mari, le chan-
gement d’état recherché par la femme n’aurait pas résulté de « l’exercice légitime d’une
faculté conférée par la loi… [mais] n’en serait que l’abus… [et] qu’il appartiendrait tou-
jours à la justice de repousser des entreprises également contraires aux bonnes mœurs et
à la loi ».
48 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 6
Sur appel de la princesse, la Cour de Paris constate que le débat a pour objet, non la
validité de la naturalisation étrangère, sur quoi elle se juge sans compétence, mais « les
effets légaux au regard de la loi française » que cette naturalisation pourrait produire.
Par arrêt du 17 juillet 1876, elle juge que, sans autorisation du mari, l’acquisition volon-
taire de la nationalité étrangère était impropre à libérer la princesse de l’allégeance fran-
çaise et donc des contraintes de la loi française; elle ajoute que même si les époux en
avaient été d’accord, ils n’auraient pas eu le pouvoir d’éluder, par un changement de
nationalité, « les dispositions d’ordre public de la loi française qui les régit ». Ainsi, la
Cour d’appel donne-t-elle à son tour deux motifs pour déclarer l’acte de naturalisation
« inopposable au mari » et confirmer le jugement maintenant l’épouse dans les liens de
sa première union (v. D. de Folleville, De la naturalisation en pays étranger des femmes
séparées de corps en France et de l’incompétence des tribunaux en cette matière, 1876).
La princesse se pourvoit en cassation. Elle propose deux moyens. Tel que l’entend la
Cour de cassation, le premier n’intéresse pas le droit international privé. Ce n’est pas le
cas du second qui reproche à la cour d’appel de n’avoir pas su apprécier la régularité ni
l’efficacité du changement de nationalité.
Pourvoi en cassation par la princesse de Bauffremont. — 1er moyen. Violation des
art. 215 et 217, C. civ., en ce que la Cour, dans l’arrêt attaqué, a admis la princesse de
Bauffremont, mariée en Allemagne au prince de Bibesco, à ester en justice en appel
pour soutenir la validité de son second mariage sans autorisation maritale ou de justice.
2e moyen. Violation des art. 3 § 3, 17, 108, C. civ.; fausse application des art. 215
et 217, C. civ.; violation de l’art. 1124 § 3, du même code; violation de l’art. 227, C. civ.,
et de la loi du 8 mai 1816, en ce que la Cour a refusé d’apprécier la naturalisation
d’après la loi du pays où elle a été obtenue, et refusé ensuite d’apprécier la capacité pour
la femme de convoler en secondes noces d’après la loi sous l’empire de laquelle elle
était placée par sa naturalisation.
ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que, si la femme mariée ne
peut ester en jugement, à aucun degré de juridiction, sans l’autorisation de son
mari, il n’est pas exigé par la loi que cette autorisation soit expresse; qu’elle
peut, lorsque le litige est engagé entre deux époux plaidant l’un contre l’autre,
être tacite et résulter notamment de ce que le mari, ayant provoqué le débat, y
a appelé sa femme; qu’en l’actionnant, le mari l’autorise à défendre sa cause
contradictoirement avec lui; que, dans l’espèce, le défendeur (au pourvoi) a
introduit devant le tribunal civil de la Seine, contre la demanderesse, sa femme,
une action en nullité, tant du mariage contracté par celle-ci, le 14 octobre 1875,
à Berlin, avec le prince Bibesco, que de l’acte de naturalisation passé à Alten-
bourg le 3 mai précédent; qu’intimé plus tard sur l’appel interjeté par la deman-
deresse du jugement intervenu, il a accepté le débat, et, loin d’élever aucune
exception, il a, par des conclusions formelles, contesté les prétentions dans les-
quelles la demanderesse avait succombé en première instance, et demandé aux
juges d’appel l’invalidation des actes dont l’annulation avait été l’objet même
de sa demande originaire; qu’il a par là tacitement maintenu et confirmé, au
second degré de juridiction, l’autorisation tacite qui, au premier degré, résultait
de ce qu’il avait actionné sa femme; qu’ainsi, il a été satisfait aux exigences des
articles 215 et 218 du Code civil tant en appel qu’en première instance; — D’où
il suit que le premier moyen manque en fait;
Sur le second moyen, pris dans ses deux branches : — Attendu que la deman-
deresse, Belge d’origine, est devenue française par son mariage avec le prince
de Bauffremont, sujet français; que, séparée de corps et de biens, aux termes
de l’arrêt du 1er août 1874, elle est néanmoins restée l’épouse du prince de Bauf-
fremont et française, la séparation ayant pour effet seulement de relâcher le
6 BAUFFREMONT — CASS.,18 MARS 1878 49
lien conjugal sans le dissoudre; qu’ainsi, elle était française et mariée en France,
lors du mariage par elle contracté à Berlin avec le prince Bibesco, à la suite de la
naturalisation par elle obtenue dans le duché de Saxe-Altenbourg; que l’arrêt
attaqué n’a pas eu à statuer et n’a pas statué sur la régularité et la valeur juridi-
que, en Allemagne et d’après la loi allemande, de ces actes, émanés de la seule
volonté de la demanderesse; que, se plaçant uniquement au point de vue de la
loi française, qui, en effet, domine le débat et s’impose aux parties, il a décidé
que, même eût-elle été autorisée par son mari, la demanderesse ne pouvait être
admise à invoquer la loi de l’État où elle aurait obtenu une nationalité nouvelle,
à la faveur de laquelle, transformant sa condition de femme séparée en celle de
femme divorcée, elle se soustrairait à la loi française, qui, seule, règle les effets
du mariage de ses nationaux, et en déclare le lien indestructible; qu’adoptant
les motifs des premiers juges, il a, en outre, constaté en fait que, d’ailleurs, la
demanderesse avait sollicité et obtenu cette nationalité nouvelle, non pas pour
exercer les droits et accomplir les devoirs qui en découlent, en établissant son
domicile dans l’État de Saxe-Altenbourg, mais dans le seul but d’échapper aux
prohibitions de la loi française en contractant un second mariage, et d’aliéner sa
nouvelle nationalité aussitôt qu’elle l’aurait acquise; qu’en décidant, dans ces
circonstances, que des actes ainsi faits en fraude de la loi française et au mépris
d’engagements antérieurement contractés en France n’étaient pas opposables
au prince de Bauffremont, l’arrêt attaqué a statué conformément au principe
de la loi française sur l’indissolubilité du mariage, et n’a violé aucune des dispo-
sitions de la loi invoquées par le pourvoi;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 18 mars 1878. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Mercier, prem. prés.; Charrins, prem. av. gén.
— MMes Chambareaud et Sabatier, av.
OBSERVATIONS
1 Prononcé la même année que l’arrêt Forgo (v. infra, no 7-8) qui devait intro-
duire la théorie du renvoi dans le droit international privé français, l’arrêt Prin-
cesse de Bauffremont est la décision fondatrice, en ce domaine, de la théorie de
la fraude à la loi. De là, il prend un éclat d’autant plus remarquable qu’à la
vérité le rejet du pourvoi en l’espèce n’en exigeait sans doute pas tant. Dès
lors, en effet, que la Cour de cassation déduisait du droit français de la nationa-
lité que la Princesse de Bauffremont avait conservé la nationalité française,
son maintien sous l’autorité des lois françaises était assuré, et il n’était pas
nécessaire, pour dénoncer l’irrégularité au regard de l’article 147 du Code civil
du mariage célébré à Berlin, de recourir à la théorie de la fraude à la loi (Audit,
La fraude à la loi, nos 199 et s., p. 149).
Bien que l’abondante controverse doctrinale qui accompagna la procédure
ait essentiellement tourné sur la question de la nationalité (v. entre autres au
Clunet, J.-E. Labbé, 1875. 407 et 1877. 5; F. v. Holtzendorff, 1876. 5; A. Stölzer,
1876. 260; E. Lehr, 1877. 14 et J.-K. Bluntschli, Rev. prat. dr. fr. 1876. 305;
L. Reverchon, Rev. crit. lég. jur. 1877. 65; Folleville, op. cit.), on a assez vite
oublié que cet arrêt innovait aussi en ce domaine. La Cour de Paris avait jugé
que si la séparation de corps permet d’après la loi française à chaque époux
de choisir librement un domicile séparé, « là où il lui plaît, même en pays
étranger », elle ne donne pas à la femme licence d’acquérir une nationalité
50 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 6
étrangère sans l’autorisation de son mari (Paris, 17 juill. 1876, préc.; v. sur ce
point Niboyet, Traité t. 1, no 319, p. 402). Entérinée par la Cour de cassation,
devant laquelle elle n’était pas directement critiquée, cette solution fonde en
la cause l’inefficacité en France de l’acte de naturalisation étrangère et cette
inefficacité paralyse le jeu de l’ancien article 17 du Code civil qui enlevait de
plein droit la nationalité française à la femme acquérant volontairement une
nationalité étrangère (1). Comme celui du démariage, le droit de la nationalité
française a connu de profonds bouleversements depuis 1878 (v. sur l’effet au
regard de la nationalité française de l’acquisition volontaire d’une nationalité
étrangère l’article 87, C. nat.; comp. art. 23, C. civ.) et, sur ce point, le rayon-
nement de l’arrêt Princesse de Bauffremont, s’est considérablement affaibli.
En revanche il conserve aujourd’hui tout son prestige et toute son autorité
sur le problème de la fraude à la loi, bien que, comme le révèle la lecture des
décisions des juges du fond, celui-ci n’y fût traité qu’à titre accessoire afin de
conforter des conclusions atteintes par une autre voie, celle de la nationalité.
Avec le temps le subsidiaire a supplanté le principal.
La Cour de cassation assume l’entière responsabilité du phénomène. C’est
de façon délibérée qu’elle emboîte le pas à la cour d’appel et se prononce sur
une question que la résolution du problème du maintien de la nationalité fran-
çaise de la princesse avait vidée de son utilité. Cette manière d’approuver un
motif surabondant tout en lui donnant une formulation plus cohérente, traduit
à l’évidence l’intention de préciser la teneur de la notion de fraude à la loi et
se fût-il exprimé sur ce sujet en des termes généraux et abstraits, l’arrêt de
Bauffremont se serait donné jusqu’à la forme d’un arrêt de règlement. Mais la
Cour de cassation a eu la prudence de sa hardiesse et elle a pris garde de ne
pas détacher la notion qu’elle fixe des circonstances de l’affaire.
Cette adhérence aux faits se remarque aussi en ce qui concerne la sanction
de la fraude : les actes faits en fraude de la loi française sont inopposables au
mari. La formule est trop brève et c’est pourquoi on s’efforcera de présenter
dans toute son ampleur la réaction qu’appelle la fraude à la loi (II) après avoir
étudié la notion elle-même (I).
2 Cette notion assemble trois composantes. L’arrêt relève qu’il y eut « obten-
tion d’une nationalité étrangère » — là était le moyen de la fraude, l’élément
matériel; d’une part, ce moyen rendait inapplicables les « prohibitions de la loi
française » — qui était la victime de la fraude et formait son élément légal —
et, d’autre part, il était mis en œuvre « dans le seul but » d’échapper à ces pro-
hibitions — voici l’élément moral, celui qui condamne la manœuvre. À plus
d’un siècle de distance, définissant la fraude à la loi, la Cour de cassation réu-
(1) Abrogé par la loi du 10 août 1927, l’ancien article 17, C. civ. énonçait notamment que « la
qualité de Français se perdra, 1° par la naturalisation acquise en pays étranger… »; depuis la loi du
22 juillet 1995, ce cas de perte de la nationalité française est traité aux articles 23 et s., C. civ., tan-
dis que l’article 17 introduit aux dispositions du droit de la nationalité.
6 BAUFFREMONT — CASS.,18 MARS 1878 51
nira de nouveau ces trois éléments dans une formule plus abstraite : il y a
fraude à la loi en droit international privé notamment lorsque « les parties ont
volontairement modifié un rapport de droit dans le seul but de le soustraire à
la loi normalement compétente » (Civ. 1re, 17 mai 1983, Soc. Lafarge, Rev.
crit. 1985. 346, note B. Ancel).
G. Droz, maintenu par Civ. 1re, 20 mars 1985, Caron, Rev. crit. 1986. 66, note
Y. Lequette; pour une autre figure de l’élément matériel v. Paris, 6 juill. 1982,
Rev. crit. 1984. 325, note I. Fadlallah, Paris, 1er déc. 1995, Clunet 1997. 793,
obs. H. J. Lucas, et infra, obs. sous l’arrêt Bisbal, no 32; v. cep. Courbe, note,
Rev. crit. 1991. 599 et s.).
5 À la variété des formes répond l’unité de caractère : pour qu’il y ait fraude,
l’élément matériel doit présenter un caractère constant de régularité objective
(v. J. Maury, L’éviction de la loi normalement compétente. L’ordre public inter-
national et la fraude à la loi, Valladolid, 1952, p. 161). Au cas où il y a simple-
ment création par quelque moyen de fait d’une représentation fallacieuse de la
réalité qui laisse croire à la réunion des conditions d’obtention de l’effet
recherché mais recouvre en réalité une violation directe de la loi applicable, il
s’agit non de fraude mais de simulation. Par exemple, l’individu qui, par des
voies de traverse, réussit à arracher une naturalisation française sans en remplir
les conditions légales ne consomme pas une fraude lorsqu’il prétend jouir de la
condition de Français. À la différence de la simulation, la fraude ne ment pas.
Sans doute agit-elle sur les faits, mais seulement si cela est permis et suscepti-
ble de provoquer le remplacement d’une règle par une autre. La modification
qu’elle apporte à la situation est réelle, juridique et licite. Le fraudeur se
dépense, non pour tromper, mais pour asseoir le changement de la loi applica-
ble sur des éléments objectifs de régularité juridique qui attestent un respect
formel de la règle de droit international privé. Ainsi l’article 544 du Code civil
reconnaît au propriétaire le pouvoir de disposer de son droit, donc de l’échan-
ger contre des parts sociales. La liberté domiciliaire ou le droit de changer de
nationalité ne sont pas contestables. L’exercice de ces prérogatives est donc
irréprochable (v. G. de La Pradelle, « La fraude à la loi », Trav. com. fr. dr.
int. pr. 1971-1973, p. 117).
découlent… mais dans le seul but d’échapper aux prohibitions de la loi fran-
çaise » et cette formule trouvera son écho dans l’arrêt du 17 juin 1983 (Société
Lafarge, préc.), qui dénonce une manœuvre conduite « dans le seul but de [se]
soustraire à la loi normalement compétente ».
C’est la limitation de l’objectif poursuivi qui, traduisant l’insincérité de la
démarche, caractérise le dessein frauduleux. Celui-ci ne réside pas en effet
dans le seul désir d’obtenir le résultat prohibé par la loi éludée mais dans le
fait de modifier le rapport de droit pour obtenir ce résultat sans accepter les
autres conséquences normalement attachées à ce changement (P. Mayer et
V. Heuzé, no 269). Cette disproportion entre la portée du moyen mis en œuvre
et l’utilité qu’on prétend en retirer signe la fraude. En revanche, l’intention
n’est pas critiquable et l’élément moral n’est pas formé si la modification volon-
taire du rapport de droit s’accompagne de l’adhésion sans réserve aux consé-
quences que ce comportement doit normalement produire (Batiffol et Lagarde,
t. I, no 372, p. 429). Bref, la fraude se traduit par l’intention d’asservir le droit
à ses desseins.
Cette analyse a pu favoriser l’idée que l’acte réalisant la fraude reposait sur
une cause illicite, ce qui justifiait sa sanction (Batiffol et Lagarde, t. I, no 375).
L’explication est plus satisfaisante que celle de Bartin qui assimilait la fraude
à une atteinte à l’ordre public et s’interdisait ainsi de considérer la fraude à la
loi étrangère… Elle est pourtant insuffisante car elle laisse échapper tous les
cas où l’instrument de la fraude n’est pas un acte mais un fait juridique tel le
transfert de domicile ou le déplacement d’un meuble. Maury enseignait que le
véritable fondement était dans la notion d’abus de droit (op. cit., p. 163); telle
était aussi l’opinion du Tribunal de la Seine dans la présente affaire (v. supra,
p. 49). L’idée habille assez bien le détournement de prérogative que consomme
la réunion des trois éléments matériel, légal et moral de la fraude à la loi.
10 L’élément moral est également décisif sur le plan pratique. Il s’agit alors de
la preuve. Celle-ci n’offre pas de difficulté particulière à propos des deux autres
composantes : à qui voudra le soumettre aux dispositions éludées, le fraudeur
dira n’avoir rien à se reprocher et reconnaîtra sans peine l’élément matériel qui
à son tour confirmera l’élément légal. Il sera plus délicat d’établir l’élément
moral. Le problème est celui de la recherche et de l’appréciation des inten-
tions. La dénonciation de la fraude se heurterait ici à l’insuffisance des moyens
d’investigation.
Cependant si sérieux que soit l’obstacle, il n’est pas insurmontable. L’insin-
cérité du fraudeur éclatera chaque fois que se prévalant du changement de loi
applicable, il sera dans l’impossibilité d’opposer une justification plausible à
qui aura démontré l’écart entre la portée juridique de l’élément matériel et
l’exploitation trop limitée, sélective, qui en est faite; « il existe manifestement
des cas où l’évidence est acquise » (Batiffol et Lagarde, t. 1, no 372, p. 430;
pour un exemple de justification admise, v. Civ. 1re, 17 févr. 1982, Baaziz, Rev.
crit. 1983. 275, note Y. Lequette).
C’est alors qu’il faut envisager la réaction de l’ordre juridique à ce défi que
représente pour lui la fraude à la loi.
56 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 6
A. — La prévention
13 La première méthode, celle qui agit sur les conditions de l’élément matériel,
est suivie par le droit de la nationalité française et les avatars de la règle de
l’ancien article 17 du Code civil en offrent l’illustration. Ce texte, on le sait
(v. supra, § 1), sanctionnait l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère
par la perte de la nationalité française. On a craint qu’il ne soit exploité par les
hommes en âge de porter les armes pour se soustraire à la conscription. C’est
ce qui explique qu’à leur égard, la loi du 26 juin 1889, quelques semaines
avant la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement militaire, a suspendu la perte
de la nationalité française en ce cas à une autorisation du gouvernement
(v. P. Lagarde, La nationalité française, Dalloz, 3e éd., 1997, nos 214 et s.).
Aujourd’hui encore, la répudiation de la nationalité française corrélative à
l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère n’est admise pour le Fran-
çais de sexe masculin de moins de trente-cinq ans que s’il a satisfait à ses obli-
gations militaires (art. 23-2, C. civ., comp. art. 23-5, al. 2, C. civ.). La fraude
est ainsi rendue impossible, l’élément matériel dévorant l’élément légal — le
premier ne pouvant advenir que si le second (le manquement aux dispositions
gênantes) est exclu (comp. art. 175-2, C. civ.).
6 BAUFFREMONT — CASS.,18 MARS 1878 57
B. — La sanction
et qui ne lui convient plus, v. Civ. 1re, 19 janv. 1983, Conlon, Rev. crit. 1984. 492,
note P. Mayer, Clunet 1984. 898, note G. Wiederkehr; Crim., 11 juin 1996.
D. 1997. 576, note E. Agostini, RTD civ. 1997. 106, obs. J. Hauser, et infra,
no 70 § 16).
Encore faut-il pour cela que soit restituée à la loi tournée sa qualité de loi
applicable. À cet effet, il suffit, comme le relève justement la Cour de cas-
sation, que l’instrument de la fraude, c’est-à-dire son élément matériel soit
déclaré inopposable à la victime de celle-ci. Il s’ensuivra que les intérêts pro-
tégés par les dispositions fraudées seront appréciés entre les parties comme si
le changement de loi applicable ne s’était pas produit. Mais, s’agissant des
intérêts autres que ceux qui sont pris en charge par les dispositions fraudées,
le changement de loi applicable sortira son plein effet.
7-8
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
24 juin 1878
COUR DE CASSATION
(Ch. req.)
22 février 1882
I. — Civ., 24 juin 1878, S. 1878. 1. 429, D. 1879. 1. 56, Clunet 1879. 285.
II. — Req. 22 février 1882, S. 1882. 1. 393, note Labbé, D. 1882. 1. 301.
Renvoi. — Succession.
Une succession mobilière est régie par la loi française lorsque les dispo-
sitions du droit international privé de la loi étrangère désignée par la règle
de conflit française déclinent l’offre de compétence qui leur est faite et ren-
voient au droit interne français.
(Forgo c/Administration des Domaines)
Faits. — Forgo était un enfant naturel bavarois venu en France à l’âge de 5 ans et
qui y était décédé 63 ans plus tard sans y avoir jamais été admis à domicile. Il laissait
une succession mobilière importante et avait pour tous parents, des collatéraux ordinaires
dont les prétentions se heurtèrent à celles de l’Administration des Domaines. La solu-
tion dépendait de la loi successorale applicable : selon la loi bavaroise, les collatéraux
héritaient; selon la loi française, les biens allaient à l’État français (art. 768, C. civ.). Or
si la règle de conflit régissant les successions immobilières fut très tôt clairement fixée
(v. supra, arrêt Stewart, no 3), il n’en alla pas de même de la loi applicable aux succes-
sions mobilières (sur cette question v. infra, arrêt Labedan, no 18). Celles-ci relevaient,
en principe, de la loi du domicile du de cujus. Mais fallait-il entendre par là le domicile
de fait ou le domicile de droit ? La Cour de Pau par un arrêt du 11 mars 1874 retint la
première solution. Sa décision fut censurée par la Cour de cassation le 5 mai 1875
(S. 1875. 1. 409, D. 1875. 1. 343) au motif que seul un domicile de droit autorisé confor-
mément aux prescriptions de l’article 13 du Code civil pouvait fonder la compétence de
la loi française en matière successorale. La Cour de Bordeaux, cour de renvoi, considé-
rant que Forgo avait conservé son domicile d’origine en Bavière, appliqua par un arrêt
du 24 mai 1876 (S. 1877. 2. 109, D. 1878. 2. 79) la loi bavaroise.
Un nouveau pourvoi fut soumis à la Cour de cassation, qui posait expressément la
question du renvoi. L’administration des Domaines soutenait, en effet, que la succession
devait être régie par la loi française au motif que, d’après la loi bavaroise antérieure à
l’introduction du Code civil allemand, le domicile légal en matière de succession était
au lieu de la résidence habituelle du défunt.
7-8 FORGO — CASS., 24 JUIN 1878, 22 FÉVRIER 1882 61
1er ARRÊT
(après délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur le moyen unique du pourvoi; — Vu l’article 768 du Code civil :
— Attendu que Forgo, enfant naturel, né en Bavière de père et mère bavarois,
s’étant fixé en France sans esprit de retour, est décédé à Pau ab intestat, le
6 juillet 1869, laissant dans sa succession des créances et valeurs mobilières qui
se trouvent situées en France; — Attendu que les consorts Ditchl, sujets bava-
rois, et parents collatéraux de la mère naturelle de Forgo, prétendant être appe-
lés à lui succéder d’après les lois bavaroises, revendiquent ces créances et valeurs
mobilières contre l’Administration des Domaines, qui, conformément à l’arti-
cle 768 du Code civil, en a obtenu l’envoi en possession, par jugement du tribu-
nal de Pau, du 16 octobre 1871; — Attendu que, suivant le droit bavarois, les
meubles, corporels ou incorporels, sont régis par la loi de leur situation, combi-
née en matière de successions, avec la loi du domicile de fait ou résidence habi-
tuelle du défunt; — Qu’il suit de là que, même en admettant, ainsi que l’a
décidé l’arrêt attaqué, que Forgo ait conservé la nationalité bavaroise, la dévo-
lution héréditaire des biens meubles qu’il possédait en France, où il s’était fixé,
doit être régie par la loi française; — Attendu que la loi du 14 juillet 1819, qui
admet les étrangers à succéder en France, ne crée pas à leur profit une capacité
spéciale et exceptionnelle; mais qu’elle les admet à succéder de la même
manière que les Français, dans les limites et suivant les conditions déterminées
par la loi française; — Attendu qu’aux termes de l’article 766 du Code civil les
parents collatéraux du père ou de la mère de l’enfant naturel ne sont point
admis à lui succéder; — D’où il suit que les consorts Ditchl sont sans titre et sans
qualité pour réclamer les valeurs mobilières qui font l’objet du litige, et qu’en
décidant le contraire, l’arrêt attaqué a faussement appliqué les lois bavaroises,
et violé l’article 768 du Code civil ci-dessus visé;
Par ces motifs : — Casse.
Du 24 juin 1878. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Mercier, prem. prés.; Aubry, rapp.; Charrins,
prem. av. gén. — MMes Moutard-Martin et Mimerel, av.
La Cour de Toulouse devant qui revint l’affaire se prononça dans le même sens le
22 mai 1880 (S. 1880. 2. 294, D. 1881. 2. 93, Clunet 1881. 61), et le pourvoi formé par les
collatéraux fut rejeté par la Chambre des requêtes le 22 février 1882. (Pour une description
exhaustive de l’affaire, v. Philonenko, « L’affaire Forgo [1874-1882] », Clunet 1932. 281).
2e ARRÊT
La Cour; — Sur l’unique moyen du pourvoi : — Attendu qu’il est constaté en
fait, par l’arrêt attaqué, que Forgo, enfant naturel, né Bavarois, est mort intes-
tat à Pau, où il habitait depuis de longues années; que l’État français s’est fait
envoyer en possession de sa succession, composée exclusivement de biens mobi-
liers qui se trouvent en France; — Attendu que ledit Forgo n’ayant pas été natu-
ralisé Français, n’ayant pas perdu sa nationalité d’origine, et n’ayant pas obtenu
du Gouvernement français l’autorisation de fixer son domicile en France, sa suc-
cession doit être régie par la loi bavaroise; — Mais attendu que, suivant la loi
bavaroise, on doit appliquer, en matière de statut personnel, la loi du domicile
ou de la résidence habituelle, et, en matière de statut réel, la loi de la situation
des biens meubles ou immeubles; qu’ainsi, dans l’espèce, sans qu’il y ait lieu de
rechercher si, d’après la loi bavaroise la matière des successions ab intestat
dépend du statut personnel ou du statut réel, la loi française était seule
62 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 7-8
applicable; — D’où il suit que c’est à bon droit que l’arrêt attaqué a repoussé la
demande en revendication formée contre l’État français par des parents collaté-
raux de la mère naturelle de Forgo;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 22 février 1882. — Cour de cassation (Ch. req.). — MM. Bédarrides, prés.; Demangeat, rapp.; Peti-
ton, av. gén. — Me Mimerel, av.
OBSERVATIONS
1 Voici probablement l’affaire la plus connue du droit international privé fran-
çais. Celle qui, pour des générations de juristes, aura symbolisé toute la subti-
lité des conflits de lois. C’est en effet assez curieusement la jurisprudence
française, et non la doctrine, qui est à l’origine avec ce qu’il est convenu
d’appeler le renvoi, de la plus fameuse des controverses qui ait agité dans le
monde entier la théorie du droit international privé. Certes, ce mode de raison-
nement avait des précédents en Allemagne et en Angleterre (Lewald, « La
théorie du renvoi », Rec. cours La Haye 1929, p. 533) et même dans l’ancien
droit français (Niboyet, « Froland, les conflits de qualifications et la question
du renvoi », Rev. crit. 1926. 1; Traité, t. III, no 998). Mais c’est l’arrêt Forgo
qui, en mettant en évidence l’existence des conflits négatifs (I) et en les résol-
vant par le procédé du renvoi (II), a permis une véritable prise de conscience
du problème.
problème relève chez l’un de la loi nationale, chez l’autre de la lex rei sitae
(Derruppé et Agostini, J.-Cl. dr. int., fasc. 532-2, nos 78 et s.; J. Donnedieu de
Vabres, L’évolution de la jurisprudence française en matière de conflit de lois,
thèse Paris, 1938, p. 710). Dès lors, on discerne mal pourquoi ce qui tient à un
accident de rédaction serait à l’origine de solutions aussi radicalement dif-
férentes (sur cette question, v. Y. Lequette, « Le renvoi de qualifications »,
Mélanges D. Holleaux, 1990, p. 249 et s; Rép. Dalloz dr. int., 2e éd., v° Ren-
voi, no 53).
En réalité, l’analyse de la doctrine française s’explique par des considéra-
tions historiques. C’est Bartin, on l’a vu, qui a identifié le problème des
qualifications. Or Bartin, hostile au renvoi, résolvait la question par la préva-
lence absolue du système français (art. préc., Clunet 1897. 738, reproduit in
Études, p. 81). Estimant le conflit tranché une fois pour toutes par l’applica-
tion du droit international privé français, il était normal qu’il se préoccupe de
la seule qualification préalable au jeu de la règle de conflit française. Tel n’est
plus le cas de la doctrine moderne. On ne peut à la fois affirmer que le conflit
négatif né d’une divergence des rattachements doit trouver sa solution dans le
renvoi et refuser de prendre en compte le système de droit international privé
étranger lorsqu’en raison d’une qualification différente, il décline l’offre de
compétence que nous lui faisons. Il n’est pas, au reste, indifférent de constater
que le seul auteur qui en France, tout en posant clairement le problème du
renvoi de qualification, se soit explicitement prononcé contre son admission,
professe que le renvoi n’est qu’un expédient d’application exceptionnelle
(Francescakis, op. cit., p. 82 et s., 169 et s.; comp. M.-L. Niboyet, L’action en
justice dans les rapports internationaux de droit privé, nos 161 et s.; Y. Flour,
L’effet des contrats à l’égard des tiers en droit international privé, thèse dactyl.,
Paris II, 1976, nos 274 et s., p. 361 et s.; Loussouarn, Bourel, et de Vareilles-
Sommières, no 198-2).
4 En définitive, on soulignera que le conflit négatif peut provenir aussi bien
d’une divergence des qualifications que des rattachements et que la question
de l’application du droit international privé étranger se pose en termes similai-
res dans les deux hypothèses. En occultant cette donnée, la présentation clas-
sique ne donne qu’une vision tronquée du phénomène du renvoi.
Une lecture attentive des arrêts Forgo aurait pu au demeurant dès le départ
conduire à une meilleure compréhension du problème. Certes le conflit néga-
tif y prend sa source dans une divergence des rattachements : le droit interna-
tional privé français soumet les successions mobilières à la loi du domicile de
droit, le droit international privé bavarois à la loi du domicile de fait. Mais
dans le second arrêt ci-dessus reproduit, la Cour précise que « suivant la loi
bavaroise, on doit appliquer en matière de statut personnel la loi du domicile
ou de la résidence habituelle et, en matière de statut réel, la loi de situation
des biens meubles ou immeubles, qu’ainsi en l’espèce sans qu’il y ait lieu de
rechercher si, d’après la loi bavaroise, la matière des successions ab intestat
dépend du statut personnel ou du statut réel, la loi française était seule
applicable ». C’est dire implicitement qu’au cas où cela aurait été nécessaire
l’on n’aurait pas hésité à rechercher si la matière successorale relevait en droit
66 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 7-8
6 La loi étrangère désignée par la règle de conflit française l’est-elle dans ses
seules règles matérielles ou également dans ses dispositions de droit inter-
7-8 FORGO — CASS., 24 JUIN 1878, 22 FÉVRIER 1882 67
national privé ? La question qui prend évidemment tout son relief en cas de
conflit négatif c’est-à-dire, on l’a vu, lorsque le droit international privé étran-
ger attribue compétence à une autre loi, a été l’occasion d’une subtile dialecti-
que de la jurisprudence et de la doctrine. Critiquée à l’origine par les auteurs,
la solution élaborée par la Cour de cassation a été réaffirmée avec une telle
constance que ceux-ci se sont finalement employés à lui fournir le support
rationnel qui lui faisait initialement défaut.
De fait, ce ne sont pas les propositions théoriques qu’il énonce qui sont à
l’origine du succès de l’arrêt Forgo ! Constatant que les dispositions du
droit bavarois désigné par la règle de conflit française donnaient compé-
tence au droit français, la Cour l’applique sans autre explication. L’on pour-
rait être tenté de découvrir celle-ci dans le fait que la compétence de la loi
française permettait d’attribuer à l’État français une succession opulente.
Mais outre qu’il est tout à fait gratuit de prêter un tel dessein à la haute juri-
diction, l’évolution ultérieure montra que des considérations d’opportunité
immédiate ne suffisaient pas à expliquer la démarche retenue. Plus sérieuse-
ment, von Bar (Theorie und Praxis des internationalen Privatrechts, 2e éd.,
1889, t. I, p. 278 et s.) et Westlake (Traité de droit international privé,
5e éd., trad. Goulé, 1914, p. 38 et s.) devaient, dès cette époque, tenter de
fonder le renvoi en soutenant qu’il est juridiquement impossible de faire
jouer les règles matérielles d’un État étranger contrairement à la volonté de
celui-ci ; il y aurait là une atteinte à sa souveraineté. La doctrine française
répliqua que l’indivisibilité des règles matérielles et des normes de conflit
qui sous-tend la thèse précédente était directement contredite par l’existence
de règles de conflit bilatérales par lesquelles le législateur ne se contente
pas de délimiter le domaine dans l’espace du droit français mais exprime
l’opinion qu’il se fait du meilleur aménagement de ces souverainetés. Bien
qu’élaboré au sein du seul ordre juridique français, notre système de droit
international privé aspire à l’universalité ; abandonner à la règle de conflit
étrangère le soin de déterminer la loi applicable, ce serait donc abdiquer
notre souveraineté. Une fois le conflit tranché par nos dispositions de droit
international privé, il n’y a plus place pour celles du droit étranger (Bartin,
Études, p. 146 et s. ; Pillet, Principes, no 66, p. 165, Traité pratique, t. I,
no 251, p. 526). Ici, comme dans le domaine des conflits de qualifications
(v. infra, arrêt Bartholo, no 9), la controverse montre combien la notion de
souveraineté est inapte à fonder les solutions des conflits de systèmes :
selon qu’on la considère du point de vue du for ou du point de vue étranger,
elle permet de justifier avec une égale autorité une solution et son contraire.
En réalité, dépouillé de son vêtement publiciste, l’argument se réduit à cette
constatation : en édictant des règles de conflit de lois, le législateur a mar-
qué sa volonté que ceux-ci soient tranchés par celles-là ! Il est vrai que les
auteurs hostiles au renvoi ajoutaient à cette argumentation une considération
toute pragmatique : si la règle de conflit française désigne le droit étranger
dans son ensemble, il doit en aller de même de la règle de conflit étrangère
à l’égard du droit français. C’est le fameux argument du cercle vicieux,
illustré par toute une série d’images bien connues (« Cabinet des miroirs »,
Kahn ; « Jeu de tennis international », Buzatti).
68 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 7-8
La répartition des acquêts tire son origine, non de la qualité des époux
au regard l’un de l’autre, mais de ce principe de droit naturel qui veut que
chacun fasse sien, dans la limite de sa coopération et de son effort, le bien
acquis en commun; la prétention qu’elle fonde relève donc du régime
matrimonial et non de la dévolution des successions.
(Bartholo)
Faits. — François Bartholo et Marie Aquilina, tous deux sujets maltais, se sont mariés
en territoire maltais. Par la suite, le mari s’est installé en France, précisément en Algérie,
où il a acquis des immeubles. À son décès, son épouse réclame sa part dans ces immeu-
bles français, contre une dame Vall, héritière du défunt.
Celle-ci conteste d’abord la compétence du Tribunal de Blida et l’existence du mariage
entre le de cujus et la demanderesse. Elle soutient ensuite que la prétention de partager
les immeubles constitue une pétition d’hérédité, exercice d’un droit successoral que
dénierait la loi du 14 juillet 1819. Le Tribunal de Blida n’accueille aucun de ces moyens
et fait droit à la veuve Bartholo; la dame Vall fait appel.
ARRÊT
« La Cour; — Sur le défaut de qualité de la dame Marie Aquilina, veuve Fran-
çois Bartholo : — Attendu que l’appelante prétend, à tort, que la dame Aquilina
ne justifie pas, par des documents suffisamment probants, de sa qualité de
femme légitime du de cujus; que, sur ce point, il convient tout d’abord d’obser-
ver qu’il n’existe à Malte d’autre état civil que celui qui est dressé par l’autorité
ecclésiastique; — Attendu que la dame Aquilina produit, à l’appui de sa
demande, un extrait des actes de mariage de la paroisse de Nadur, île de Guzzo
(Malte), duquel il résulte qu’elle a contracté mariage avec François Bartholo, le
9 mai 1839; — Que les énonciations de cet acte, légalisé par le représentant de
l’autorité locale et le consul de France à Malte, doivent être tenues pour
exactes; qu’il appert, en outre, de la volumineuse correspondance échangée au
cours de longues années entre Marie Aquilina, les membres de sa famille et
François Bartholo, que ce dernier ne lui a jamais contesté sa qualité d’épouse;
que c’est à ce titre qu’il s’adresse à elle, qu’il lui envoie des fonds, qu’il l’engage
à prolonger son séjour à Malte, en lui laissant entendre qu’elle tirera profit de
son éloignement; qu’aucun doute ne saurait donc exister sur la qualité de la
9 BARTHOLO — ALGER, 24 DÉCEMBRE 1889 71
tient, à tort, que cet état de communauté, ainsi défini, ne pourrait exister que
dans le cas où il aurait été expressément convenu ou dans celui de survenance
d’enfant; — Que si, dans ces deux hypothèses, la part du conjoint survivant n’est
plus la même, cette circonstance n’affecte en rien, quant à son essence, la dispo-
sition en vertu de laquelle la répartition des acquêts s’effectue; qu’à ce point de
vue, elle reste invariable; qu’elle tire son origine, non de la qualité des époux au
regard l’un de l’autre, mais de ce principe du droit naturel qui veut que chacun
fasse sien, dans la limite de sa coopération et de son effort, le bien acquis en
commun; — Attendu que s’il ressort des termes de l’article 17 que la confusion
ne s’opère pas entre les biens des époux, dans le cas où le mariage a été consa-
cré sans écrit et celui où il n’a pas été suivi de survenance d’enfant, on ne saurait
en induire que cette disposition est exclusive de toute communauté, qu’elle ne
vise que les biens personnels des conjoints, confondus quand ils en ont convenu
ou que des enfants leur sont nés, restant leur chose propre dans le cas contraire;
qu’en décidant que l’époux survivant pauvre prendra le quart en usufruit de la
fortune personnelle de son conjoint, alors que la confusion des biens ne s’est
pas produite, le législateur indique nettement qu’il attribue à cet état de pau-
vreté l’effet que la confusion eût entraîné; qu’il paraît, dès lors, rationnel de
décider que celle-ci ne s’exerce que sur les biens propres du de cujus; —
Attendu, d’autre part, que les termes de l’article 18, seul applicable à l’espèce,
sont formels; qu’ils portent : « Que la moitié des biens acquis pendant le mariage
appartiendra de plein droit à la femme survivante ou à ses héritiers », que ces
expressions « de plein droit » sont évidemment déterminatives de son droit de
propriété; — Que cet article se trouve, d’ailleurs, placé au titre du Mariage et de
la Société conjugale et non au chapitre des successions; qu’il convient donc de
décider que la veuve Bartholo puise le principe de son action dans ses droits de
femme commune en biens et que la loi du 14 juillet 1819, sur la dévolution des
successions aux étrangers, ne saurait lui être opposée; — Sur le moyen tiré de
l’incompétence des tribunaux français pour connaître d’une action en partage
de communauté d’acquêts en dehors de tout contrat; — Attendu que ce moyen
doit être écarté, que la veuve Bartholo se borne à réclamer le partage judi-
ciaire, dans les formes fixées par la loi française, de la communauté ayant existé
entre elle et son mari; — Que de ce chef la compétence des tribunaux français
n’est pas douteuse ; — (…) Par ces motifs : — Confirme ; — Dit notamment que
la qualité de femme légitime de François Bartholo ne saurait être contestée à
Marie Aquilina, veuve Bartholo; — Rejette, comme non fondée au fond, l’excep-
tion tirée de l’incompétence des tribunaux français; — Dit que l’action de la
veuve Bartholo tire son origine du droit de communauté que lui confère
l’article 18 du Code de Rohan, que la loi du 14 juillet 1819 ne saurait lui être
opposée; — Dit que les tribunaux français sont compétents pour connaître, dans
les conditions imparties par la loi française, de l’action en partage de la commu-
nauté ayant existé entre les époux Bartholo.
Du 24 décembre 1889. — Cour d’appel d’Alger. — MM. Zeys, prés.; Brocard, min. publ. —
MMes Jouyne et Mallarmé, av.
OBSERVATIONS
titre : « La théorie des qualifications en dr. int. privé » p. 1 et s.), Bartin puisa
dans cette décision les éléments d’un des exemples les plus célèbres de la doc-
trine de droit international privé. L’exemple illustre la première présentation
jamais faite en langue française du conflit de qualifications (que Franz Kahn
avait révélé en Allemagne dès 1891, v. Abhandlungen zum internationalen
Privatrecht, t. I, p. 1). Il est bâti sur l’institution, héritée du droit romain, de la
quarte du conjoint pauvre, dont on remarquera pourtant qu’elle n’était pas au
cœur de la cause. C’est Bartin qui l’y mettra (v. Études, p. 68). Néanmoins
parce qu’elle donnait à la difficulté tout son relief, cette version révisée de
l’affaire a très vite supplanté dans les esprits la relation originelle.
Aussi avant de poser avec Bartin la question du conflit de qualifications
(II), il convient, afin de prévenir les équivoques, d’examiner d’abord l’arrêt
lui-même (I).
2 Des trois questions que la cour d’Alger avait à résoudre, les deux premières
n’intéressent pas la qualification; elles ne méritent qu’une brève évocation. En
revanche la troisième pose un problème de qualification — et non un conflit de
qualifications —; elle reçoit une réponse dont l’examen constituera une bonne
propédeutique à l’enseignement de Bartin.
La première question était celle de la qualité d’épouse de Marie Aquilina.
Celle-ci rapporte la preuve de cette qualité par la production d’un extrait
d’acte de mariage, légalisé par l’autorité maltaise compétente et le Consul de
France à Malte. L’article 47 du Code civil n’exige rien de plus (v. Civ., 24 févr.
1959, Isaac, Rev. crit. 1959. 368, note Y. L., D. 1959. 485, note Ph. Malaurie;
Civ., 12 févr. 1963, Ruffini, Rev. crit. 1964. 121, note P. Lagarde, D. 1963.
325, note G. Holleaux; Civ. 1re, 25 nov. 1981, Rezki, Rev. crit. 1982. 701, note
B. Ancel; v. en dernier lieu sur l’art. 47 en sa rédaction actuelle, Ch. Bidaud-
Garon, « La force probante des actes de l’état civil étrangers après la loi du
26 nov. 2003 », Rev. crit. 2006. 49). Cependant la cour croit devoir conforter
sa conviction en s’assurant de la possession d’état d’époux — sans doute par
référence à l’article 196 du Code civil.
La seconde question est celle de la compétence du Tribunal de Blida. Quoi-
que l’exception n’ait pas été soulevée in limine litis, comme elle devrait l’être
aujourd’hui (v. Batiffol et Lagarde, t. II, no 675, p. 464), elle est déclarée rece-
vable. Mais elle est jugée mal fondée. La motivation du rejet est assez caracté-
ristique de la difficulté qu’éprouvaient à une certaine époque les juridictions à
distinguer les questions de compétence internationale des tribunaux et de
détermination de la loi applicable. En l’espèce, l’article 3, alinéa 2 qui énonce
une règle de conflit de lois est utilisé en matière de compétence. La confusion
serait unanimement dénoncée aujourd’hui quoique l’extension à l’ordre inter-
national des règles de compétence territoriale interne eût sans doute conduit à
la même solution (v. infra, arrêt Scheffel, no 37). En définitive sur ces deux
premières questions, l’arrêt n’offre pas un intérêt qui le distingue vraiment.
74 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 9
4 Pour trancher la difficulté, la Cour d’Alger, on l’a vu, attache une grande
importance aux dispositions du droit maltais — ce qui en principe ne va pas
sans risque, mais, sous réserve de certaines précautions, n’est pas interdit s’il
ne s’agit que de discerner la teneur de la question de droit à qualifier lorsque
celle-ci est formulée en référence aux règles internes d’une loi déterminée. Le
problème est celui de l’objet de la qualification, qui aurait dû être affronté si
les règles maltaises et françaises visant la même question de droit avaient eu
des significations différentes justifiant des qualifications divergentes (v. infra,
obs. sous arrêt Caraslanis, no 27, I-B). Tel n’était pas le cas de l’espèce, l’arti-
cle 18 du Code de Rohan instituant une communauté d’acquêts entre époux
qui lui méritait la qualification régime matrimonial qu’appellent aussi pour
leur propre compte les règles françaises de la communauté de biens. (comp.
E. Bartin, Études, p. 5-6).
L’intérêt majeur de l’arrêt tient précisément à la façon dont il parvient à
cette qualification régime matrimonial. En effet, la Cour d’Alger se détermine
essentiellement sur la considération que : « la répartition des acquêts… tire
son origine, non de la qualité des époux au regard l’un de l’autre, mais de ce
principe de droit naturel qui veut que chacun fasse sien, dans les limites de sa
coopération et de son effort, le bien acquis en commun ». Ainsi, pour distin-
guer ce qui est succession et ce qui est régime matrimonial, l’arrêt prend de la
hauteur. Il recherche la nature de la question de droit — enfermée dans la règle
maltaise — d’un point de vue si l’on peut dire universel. À cet égard, l’appel
au droit naturel — par opposition aux droits positifs — est éloquent; mais
n’est pas moins remarquable la manière d’évoquer le lien conjugal, la qualité
des époux… La relation d’alliance est appréhendée comme principe de dévo-
lution ab intestat — que certaines lois réalisent en attribuant une vocation au
conjoint survivant et que d’autres n’accueillent que subsidiairement (v. anc.
art. 767, C. civ.), voire pas du tout. N’entrant pas dans ces particularités de
droit positif, le raisonnement dépasse le plan des lois internes maltaise et fran-
çaise et s’élève au niveau d’un système de catégories universelles.
La Cour d’Alger adopte donc une attitude savignienne, préférant à la diver-
sité des lois positives, l’unité des principes et concepts d’une communauté
juridique universelle (v. C. F. Savigny, Traité de droit romain, (trad. Guénoux),
2e éd. 1860, vol. VIII, § 361; v. Ph. Francescakis, « Droit naturel et dr. int.
pr. », Mélanges Maury, t. I, p. 113, spéc. nos 13 et 14). C’est sur ce point que
Bartin va s’éloigner d’elle pour entreprendre l’élaboration de la théorie des
conflits de qualifications.
çais et le droit maltais. Ces deux modifications vont en favoriser une troisième,
qui serait restée d’ordre anecdotique si sa portée pédagogique ne lui avait
assuré la notoriété. Ce n’est que dans un dernier retour sur l’affaire Bartholo,
vers la fin de son étude et bien après en avoir traité d’abondance dès les pre-
mières pages, que Bartin altère soudain l’objet de la prétention : « il s’agissait,
dit-il, de la question de savoir si la quarte du conjoint pauvre, attribuée à la
femme par la loi maltaise, sous l’empire de laquelle elle était mariée, devait
être considérée comme un droit héréditaire ou comme un droit se rattachant au
régime des biens entre époux » (Études, p. 68); il n’est plus question du droit
au partage des acquêts immobiliers. L’exemple n’en est que plus efficace : le
fait que la quarte du conjoint pauvre soit une institution du Code de Rohan,
mais inconnue du Code civil, suggère avec force la divergence d’attitudes des
lois française et maltaise à l’égard des droits de l’épouse et, en même temps,
paraît bien démentir l’idée d’une communauté juridique universelle. On com-
prend que se soit à la longue accréditée cette version de l’affaire et que celle-ci
l’ait emporté auprès des auteurs se proposant d’illustrer à leur tour le conflit de
qualifications.
8 Mais, entre les deux guerres mondiales, grâce aux travaux de Paul Lerebours-
Pigeonnière et Jacques Maury en France, d’Ernst Rabel, Hans Lewald et
Léo Raape en Allemagne, la doctrine du droit international privé parvient à
purger cette discipline des notions a priori qui, lorsqu’elles n’en faussaient pas
l’exposé, l’encombraient inutilement. S’alimentant à l’observation des données
positives et spécialement jurisprudentielles, ce mouvement fit apparaître que
l’idée de souveraineté ne représente pas pour le conflit de lois un principe
déterminant ses solutions, mais qu’elle caractérise seulement certaines réalités
impossibles à négliger lorsque leur action interfère dans le champ des relations
d’intérêt privé (v. H. Batiffol, « Les tendances doctrinales actuelles du dr. int
privé », Rec. cours La Haye, 1948, t. I, p. 1, spéc. p. 31). Rétablissant la juste
hiérarchie des intérêts impliqués dans le commerce juridique international,
cette attitude réaliste dévoilait cette donnée essentielle du problème du conflit
de lois que constitue l’antériorité de l’ordre interne par rapport à l’ordre inter-
national et que, dans la théorie de Bartin, le dogme de la souveraineté tout à la
fois consacrait et occultait. Corrélativement, les liens rigoureux que ce dogme
déchu avait voulu nouer entre les catégories du conflit de lois et le droit interne
du for se détendaient de sorte que la doctrine pouvait affirmer que si l’analyse
des institutions internes du for constitue le point de départ de la méthode, elle
n’en est pas moins susceptible d’assouplissement ou de déformation répondant
aux exigences d’un règlement satisfaisant des rapports internationaux de droit
privé (v. P. Lerebours-Pigeonnière, Précis, 3e éd., nos 213 et s.; J. Maury, « Règles
générales des conflits de lois », Rec. cours La Haye, 1936, t. III, p. 329,
nos 132 et s. — sur ce cours v. Ph. Francescakis, « Une lecture demeurée fon-
damentale… », Rev. crit. 1982. 3; Batiffol et Lagarde, t. I, no 242, no 297).
Ainsi dépassant l’opposition du particularisme et de l’universalisme, un pro-
gramme se définissait (v. G. Van Hecke, « Universalisme et particularisme des
règles de conflit au XXe siècle », Mélanges Dabin, t. II 939; Ph. Francescakis,
« Droit naturel et droit international privé » art. préc. nos 29-30, p. 145 et s.);
l’arrêt Caraslanis (infra, no 27) et l’arrêt Silvia (infra, no 29) en signalent, dans
le domaine de la qualification, les accomplissements.
10
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
9 mai 1900
ARRÊT
La Cour; — Statuant sur les deux moyens du pourvoi réunis : — Attendu qu’il
est constaté, en fait, par l’arrêt attaqué, que, le 6 avril 1881, Ludmilla Maldaner
a contracté mariage à Vienne avec le docteur Dobrzanski; que peu de temps
après, les époux sont allés se fixer à Saint-Pétersbourg, où le mari s’est fait natu-
raliser Russe, conférant ainsi sa nationalité nouvelle à sa femme; que, le
6 octobre 1889, une décision du tribunal ecclésiastique de Saint-Pétersbourg,
confirmée le 30 mars 1891 par le Saint-Synode, a imparti aux époux un délai de
deux mois pour faire régulariser leur union par des prêtres de l’Église orthodoxe
russe, faute de quoi elle serait tenue pour nulle; que, ledit délai s’étant écoulé
sans qu’il ait été procédé à la célébration ainsi prescrite, les époux se sont consi-
dérés comme redevenus libres; que, tandis que le mari se remariait en Russie, la
femme a contracté mariage, le 30 juin 1892, avec le sieur de Wrède, devant
l’officier de l’état civil du 16e arrondissement de Paris; que, le 12 juillet suivant,
ce mariage a été béni par l’archiprêtre de l’église russe à Paris; que, le 8 juin
1894, de Wrède a intenté, devant les tribunaux de Munich, une action en nullité
de ce mariage, sous le prétexte que sa femme se trouvait encore engagée dans
les liens de la précédente union qu’elle avait contractée avec Dobrzanski, et qui
n’avait pas été valablement rompue par les juridictions ecclésiastiques de Russie;
que cette prétention, repoussée par le tribunal de première instance de Munich,
a été accueillie le 18 avril 1896 par arrêt du tribunal supérieur de la même ville;
que, le 22 août 1896, de Wrède a assigné la dame Maldaner, devant le tribunal
de la Seine, pour voir ordonner l’exécution en France de cet arrêt et sa mention
en marge de l’acte de mariage français; que, le 21 novembre suivant, de Wrède
s’est désisté de cette instance, mais que, par conclusions signifiées le 2 décem-
bre, la dame Maldaner a refusé ce désistement; — Attendu que l’arrêt attaqué a
décidé à bon droit que le désistement ne pourrait être imposé à la défende-
resse, dont le refus d’acceptation était justifié par un intérêt légitime;
Attendu que, lorsqu’une action à fin d’exequatur d’une décision judiciaire
étrangère a été ainsi engagée par les parties intéressées devant la juridiction
française, celle-ci a le droit et le devoir d’examiner si les dispositions de la sen-
tence étrangère ne sont pas contraires à l’ordre public français, alors même
qu’elle n’aurait statué que sur une question d’état ou de capacité débattue
entre deux étrangers; — Attendu, à ce point de vue, que l’annulation d’un
mariage, légalement et définitivement prononcée, doit être à l’abri de toute
attaque, soit de la part des tiers, soit de la part des époux, parce que l’état des
personnes ne peut demeurer incertain, sans qu’il en résulte un trouble profond
dans les familles et une atteinte grave à l’ordre social; qu’il doit en être ainsi, à
plus forte raison, lorsque, sur la foi de cette annulation, les époux ont contracté
de nouvelles unions; — Attendu qu’il n’y a pas lieu de faire exception dans le
cas où il s’agit d’un mariage entre deux étrangers, régulièrement annulé par les
tribunaux de leur pays; — Attendu, en effet, que, la capacité de l’étranger en
pareille matière étant régie par son statut personnel, la liberté qu’il a acquise de
se remarier, par suite de l’annulation de son premier mariage, le suit en France,
et que le fait juridique qui la lui a rendue ne saurait y être méconnu; —
Attendu, il est vrai, qu’il n’en peut être ainsi que si le jugement étranger, qui a
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 81
annulé le mariage, émane d’une juridiction compétente, s’il a été rendu dans les
formes prescrites par les lois du pays, et s’il a acquis l’autorité de la chose jugée;
qu’il appartient à l’officier de l’état civil français de vérifier ces points avant de
procéder à la célébration du nouveau mariage, et aux tribunaux français de les
résoudre, en cas de contestation, sans qu’il y ait lieu, du reste, de réviser, quant
au fond, la sentence étrangère; — Attendu qu’à cet égard, l’arrêt attaqué
déclare que le mariage des époux Dobrzansky a été annulé par les plus hautes
autorités ecclésiastiques russes, statuant en toute compétence, entre deux justi-
ciables devenus sujets russes, l’un par la naturalisation, et l’autre par l’effet de la
loi; — Attendu que l’arrêt constate, d’autre part, qu’après l’annulation du
mariage par l’effet de la décision du Saint-Synode, le sieur Dobrzansky s’est
remarié en Russie, d’où résulte la preuve que ladite décision a été tenue, dans le
pays où elle a été rendue, pour régulière et définitive; — Attendu que, dans ces
circonstances, l’arrêt attaqué a pu, sans violer aucun des textes visés par le pour-
voi, déclarer non exécutoire en France, comme contraire à l’ordre public, l’arrêt
du tribunal supérieur de Munich, qui, sur la demande du sieur de Wrède, avait
déclaré non avenues les sentences des tribunaux russes, et annulé, par suite, le
mariage célébré en France, sur l’autorité de ces sentences qui avaient fixé l’état
de la dame Maldaner;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 9 mai 1900. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Mazeau, prem. prés.; Falcimaigne, rapp.;
Sarrut, av. gén. — MMes Devin et Sabatier, av.
OBSERVATIONS
1 Cet arrêt résout plusieurs questions importantes qui toutes n’ont pas d’égale
manière contribué à sa renommée. C’est pourquoi seront ici renvoyés vers le
commentaire d’autres décisions le problème de la détermination de l’intérêt
légitime du plaideur à faire judiciairement déclarer l’irrégularité d’une déci-
sion étrangère relative à l’état et à la capacité des personnes (v. arrêts Weiller,
infra, nos 24-25) comme celui de la définition de l’office du juge de l’exequa-
tur (v. infra, arrêt Munzer, no 41). De même, il ne sera pas traité à titre prin-
cipal dans les développements ci-après du conflit international de décisions
(v. infra, arrêt Patiño, no 38-39) ni de la détermination des conditions de régu-
larité exigées des jugements étrangers (v. encore arrêt Munzer, préc.). Le com-
mentaire se limitera à la question, assez vaste par elle-même, de l’efficacité de
plano des décisions étrangères relatives au statut personnel.
2 L’arrêt de Wrède, en son temps sur ce terrain, consacre une solution nou-
velle et même révolutionnaire. Il marque en effet une rupture avec une juris-
prudence dont l’itinéraire de l’arrêt Parker (supra, no 2) jusqu’à l’arrêt Bulkley
(supra, no 4) avait été singulièrement hésitant.
Généralisant le pouvoir de révision du juge français, l’arrêt de 1819 en
avait tiré la conséquence que nulle décision étrangère ne pouvait produire
effet en France avant d’avoir été soumise à celui-ci dans le cadre d’une procé-
dure d’exequatur. Ainsi, sous l’invocation de « l’indépendance des États »
(Paris, 27 août 1816, Parker, S. chr., p. 62) et de « la souveraineté des gouver-
nements » (ibidem et Civ., 19 avr. 1819, préc.) s’installait l’idée qu’un tribunal
étranger, organe d’une souveraineté étrangère, est démuni de tout pouvoir
pour émettre une décision de justice s’imposant en France. Une discontinuité
82 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10
radicale se creusait entre les ordres juridiques, qui obligeait le plaideur, sou-
haitant retirer en France le profit des dispositions d’un jugement étranger, à
reprendre le procès tranché ailleurs.
Rapidement, cette position stricte connut quelques assouplissements notam-
ment en faveur des décisions gracieuses puis des jugements constitutifs dont il
fut admis que l’efficacité en France n’était pas assujettie à un exequatur préa-
lable permettant le réexamen au fond (v. G. Holleaux, « Remarques sur l’évo-
lution de la jurisprudence en matière de reconnaissance des décisions étrangè-
res d’état et de capacité » Trav. com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 179). C’est
d’ailleurs sous le couvert de cette exception que fut rendu le célèbre arrêt
Bulkley (préc.), qui admettait le remariage en France d’une étrangère divorcée
en son pays, sans que le jugement ait été soumis à l’examen préalable du juge
français. La justification de cette solution avait d’abord été confiée à une
conception très particulière de la force probante du jugement étranger. En tant
qu’instrumentum établi par une autorité compétente et selon les formes pres-
crites, celui-ci était réputé apte à prouver aussi bien les faits qu’il constatait ou
les accords qu’il enregistrait que la décision qu’il prenait, c’est-à-dire les
effets qu’il attachait à ces faits et accords; par une étrange et très commode
confusion, la preuve du contenu du jugement était censée être ausi preuve de
sa légitimité, ce qui suffisait à assurer son efficacité en France (supra, obs.
arrêt Bulkley, no 4 § 5).
Percevant la faiblesse de ce raisonnement, l’arrêt Bulkley le complétait par
un appel à la règle de conflit de lois et donnait ainsi à sa solution une force
qui devait en favoriser l’expansion. De fait, l’arrêt de Wrède vient étendre le
domaine de ce qui n’était jusqu’alors qu’une dérogation au principe de l’inef-
ficacité des jugements étrangers avant exequatur : pourvu qu’elles intervien-
nent sur des questions de statut personnel, les décisions étrangères tant décla-
ratives que constitutives sont efficaces de plano en France. Cette innovation
appelait un effort de motivation. La Cour de cassation le ressent bien ainsi;
elle s’efforce de replacer à son rang la notion de force probante. À cet égard,
l’arrêt referme la porte sur le XIXe siècle. Mais, véritable arrêt charnière, il
assure la transition vers la jurisprudence contemporaine plus encore qu’il ne
s’y engage lui-même. Car si ces solutions sont actuelles, les motifs qu’il leur a
donnés pour évincer l’ancienne justification ne paraissent pas moins anachro-
niques et insuffisants, même s’ils font état de nombreux éléments aujourd’hui
encore utilisés par le droit positif.
Aussi convient-il d’étudier d’abord, pour en montrer les mérites et les
carences, la motivation que reçurent en leur temps ces solutions nouvelles (I),
et d’essayer ensuite de dégager ce qui a fait leur fortune aujourd’hui (II).
I. La motivation de la solution
3 L’arrêt autorise les personnes dont le mariage a été annulé dans le pays de
leur nationalité à se remarier en France sans devoir pour cela obtenir l’exequa-
tur préalable du jugement étranger. Ainsi, celui-ci, hors de tout réexamen de
l’affaire par le juge français, se voit reconnaître à l’instar du jugement du
divorce une efficacité instantanée en France.
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 83
Cette solution s’explique par un motif que l’arrêt énonce très précisément
avant de développer l’argumentation qui l’habille juridiquement. Ces deux élé-
ments permettront de déterminer le sens et d’apprécier la valeur de la moti-
vation.
A. — Le sens
1°) La raison de la solution ne doit pas être recherchée du côté de la régula-
rité des sentences russes, mais dans la nature du litige tranché par le juge
étranger.
L’arrêt déclare : « l’état des personnes ne peut demeurer incertain ».
Cette proposition est d’abord formulée à l’occasion de l’examen de la régu-
larité de l’arrêt du Tribunal supérieur de Munich afin de justifier la solution
du conflit des décisions étrangères.
La Cour de cassation enferme cette difficulté dans une alternative — soit
les décisions russes, soit la décision allemande — qui lui paraît imposée par la
nécessaire unité de l’état des personnes : il serait insupportable que par l’effet
de jugements concurrents, la dame Maldaner soit en France à la fois libre de
se remarier, comme jugé en Russie, et toujours retenue dans les liens de sa
première union, comme jugé en Allemagne. Cette relativité heurte l’indivisi-
bilité de l’état et frappe celui-ci d’incertitude. À cet égard, l’appel à la notion
d’ordre public est aussi significatif que compréhensible (sur sa pertinence,
v. D. Alexandre, Les pouvoirs du juge de l’exequatur, 1970, no 299; D. Hol-
leaux, op. cit., no 64, p. 73; V. Moissinac-Massenat, Les conflits de procédures
et de décisions en droit international privé, thèse Paris I, 2002, no 58), tant il
est vrai qu’une dualité d’états provoquerait « un trouble profond dans les
familles et une atteinte grave à l’ordre social ». Ainsi l’exigence d’unité de
l’état est d’abord sollicitée pour résoudre un conflit de décisions.
Mais elle est aussitôt après invoquée pour fonder — comme en matière de
divorce — l’efficacité immédiate des sentences russes en France. Il serait
fâcheux que la dame Maldaner et le docteur Dobrzanski soient toujours mariés
l’un à l’autre en France alors qu’ils ne le sont plus en Russie. Dans l’espace
international non moins que dans le périmètre national les mariages boiteux
sont indésirables. La frontière à aucun moment ne doit diviser ce qui est un;
aussi ne faut-il pas attendre un exequatur pour que prenne effet en France
l’annulation du mariage acquise à l’étranger.
5 2°) Il restait à mettre en œuvre cette raison par une argumentation appro-
priée.
Sans négliger le problème de la preuve, cette argumentation — on en a
averti — se gardera d’exploiter abusivement la notion de force probante. Elle
n’utilisera pas non plus celle d’ordre public, auparavant sollicitée pour le
conflit de décisions.
C’est à la règle de conflit de lois que le raisonnement demandera de garan-
tir sur le plan international l’unité et l’indivisibilité de l’état. Cette attitude
n’est-elle pas naturelle dans la jurisprudence française où l’interprétation bila-
térale de l’article 3, alinéa 3 du Code civil, a été fondée sur le refus d’admettre
l’« alliage monstrueux » que serait « un mariage valable dans un État et nul
84 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10
dans l’autre ? » (v. supra, arrêt Busqueta, no 1). Sur cette voie on est conduit à
accepter l’identification de « l’opération créatrice du juge à l’acte de la loi »
(G. Holleaux, « Remarques… », comm. préc. p. 197) et à reconnaître qu’« une
décision étrangère relative à l’état et à la capacité devrait en principe béné-
ficier de la même extraterritorialité que la loi personnelle elle-même qu’elle
applique » (Ph. Francescakis, « Effets en France des jugements étrangers indé-
pendamment de l’exequatur », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1946-1948, p. 141).
De fait, l’arrêt déclare voir dans les sentences russes restituant à la dame
Maldaner sa liberté matrimoniale « un fait juridique qui… ne saurait être
méconnu en France » dans la mesure où il est reconnu par la loi nationale de
l’intéressée, « la capacité de l’étranger en pareille matière étant régie par son
statut personnel ». En somme, rien ne distingue les deux circonstances pour-
tant différentes que sont par exemple l’avènement de l’âge de la puberté —
qui se produit naturellement — et l’annulation ou la dissolution du lien conju-
gal — qui requiert un acte de juridiction; ayant pour effet l’une comme l’autre
de permettre le mariage, elles seraient semblablement prises en charge par
l’article 3, alinéa 3. C’est sur cette assimilation que repose l’aptitude de la
règle de conflit de lois à assurer l’efficacité en France, hors exequatur, des
décisions étrangères relatives à l’état et à la capacité.
La construction de la Cour de cassation s’achève par la formulation des
conditions pratiques, auxquelles le jugement étranger peut s’imposer en France
comme fait juridique.
Il « appartient à l’officier de l’état civil » de s’assurer que la décision invo-
quée émane de la juridiction compétente et qu’elle a été établie selon les for-
mes prescrites; elle constitue alors un instrumentum tout à fait propre à faire
la preuve du fait juridique en quoi elle consiste.
À ces deux éléments de l’authenticité (v. art. 1317, C. civ.) la Cour de cas-
sation ajoute l’acquisition de l’autorité de chose jugée dans le pays où la déci-
sion a été prononcée. Cette exigence, qui n’intéresse plus l’instrumentum, est
nouvelle; jusqu’à l’arrêt de Wrède, les arrêts « ne font jamais mention d’auto-
rité de chose jugée » (G. Holleaux, « Remarques… », comm. préc., p. 195). Il
semble que par cette condition supplémentaire la Cour de cassation s’efforce
de garantir, au-delà de la réalité du fait juridique, son caractère obligatoire,
son autorité effective dans l’ordre juridique russe. Cette interprétation paraît
s’accorder avec la mission que les exigences de l’état des personnes assignent
à la règle de conflit de lois et qui est d’intégrer dans l’ordre juridique français
la situation de droit qui a effectivement cours dans l’ordre juridique désigné.
Voilà donc en ses deux éléments la justification que l’arrêt se donne. Il
convient d’en apprécier la valeur.
B. — La valeur
6 La solution est supérieure à ses motifs. Ce n’est pas que la raison ni le raison-
nement soient entièrement condamnables; mais leurs vertus ne font pas oublier
leurs faiblesses.
7 1°) Cette nouvelle approche a tout d’abord le mérite de ne plus confondre
force probante de l’instrumentum et efficacité du judicatum. Il ne suffit plus
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 85
que le jugement étranger fasse preuve de ce qu’il dit faire pour que cela
s’impose en France. La force probante n’est plus le vecteur supposé de l’extra-
territorialité, ce travail étant demandé à la règle de conflit de lois. Toutefois
cet assainissement qui constitue un élément très positif laisse la place à une
conception réputée peu orthodoxe du rôle de la règle de conflit.
L’article 3, alinéa 3 n’abandonne pas au droit russe qu’il désigne la seule
question de capacité matrimoniale; il lui attribue une compétence globale qui
s’étend à tous les éléments déterminant l’état matrimonial, y compris les sen-
tences. Partant, les décisions russes prennent effet en France non parce que
régulières, mais parce qu’effectives dans ce pays. Au reste, la Cour de cassation
ne s’émeut guère de ce qu’elles prononcent l’annulation du mariage autri-
chien par application de la loi russe que ne désignait pourtant pas sur ce point
le règlement français de conflit de lois; celui-ci ordonnait en effet l’applica-
tion de la loi autrichienne au problème de la validité de cette union, aussi bien
quant à la forme, parce que la célébration avait eu lieu en Autriche, que quant
au fond parce qu’elle s’était produite à une époque où les intéressés étaient
l’un et l’autre de nationalité autrichienne (comp. M.-N. Jobard-Bachellier,
L’apparence en droit international privé, nos 96 et s.). Ces solutions françaises
qui, aujourd’hui, interviendraient dans l’appréciation de la régularité des sen-
tences, sont négligées : elles s’effacent devant le point de vue de l’ordre com-
pétent.
Désignant le droit russe, l’article 3, alinéa 3 n’est plus une règle de détermi-
nation du droit applicable; il est devenu une règle de dévolution des situations
juridiques concrètes entre les ordres intéressés par la question de droit dont le
tribunal est saisi. Tout à fait symptomatique de cette modification de la fonc-
tion de la règle de conflit est aussi la liaison établie par l’arrêt entre compé-
tence judiciaire et loi applicable (v. G. Holleaux, « Remarques… », comm.
préc., p. 195; Ph. Francescakis, « Effets en France des jugements… », comm.
préc., p. 141). Sur l’indication de l’article 3, alinéa 3, la situation est pour le
tout laissée à l’ordre juridique russe lui-même considéré en bloc, sans qu’il y
ait lieu de distinguer le législatif et le juridictionnel. Le caractère indistinct de
la portée de la désignation correspond à l’assimilation déjà remarquée de
« l’opération créatrice du juge à l’acte de la loi » (G. Holleaux, comm. préc.).
Cependant comme l’observera Niboyet, « dans un procès le juge ne se borne
pas à appliquer une loi; il doit constater et interpréter des faits; ensuite, il doit
leur adapter la règle juridique qui leur convient et qui leur sert de vêtement.
Or ceci n’est pas dans cela » (Traité, t. VI, no 1934; v. aussi Bartin, Principes,
t. 1, § 191).
8 Cet alourdissement de la fonction de la règle de conflit relève d’une tradi-
tion dogmatique qu’illustrèrent hier, en cultivant le vieux fonds statutiste
reconstitué par d’Argentré, l’École hollandaise (v. J. Voet, Commentarius ad
Pandectas, L. 1, tit. 4, De Statutis : « cette expression de statuts ne s’applique
pas seulement… à toutes les lois de tous les peuples…; elle s’étend même aux
sentences et aux décrets rendus par des juges et par des magistrats relativement
à des particuliers, telles les déclarations de prodigalité, d’infamie ou l’émanci-
pation des mineurs », trad. A. Lainé, t. II, p. 100) puis la doctrine des droits
86 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10
acquis (dans sa version anglaise des vested rights, sur le destin de laquelle
v. H. Muir Watt, « Quelques remarques sur la théorie anglo-américaine des
droits acquis », Rev. crit. 1986. 425) et aussi les travaux de Vareilles-Sommières
et qu’anime encore aujourd’hui avec talent un courant important de la doctrine
italienne (Morelli, Ziccardi, Gaja, Luzzato, Picone… v. aussi B. Ancel, « Les
règles de droit international privé et la reconnaissance des décisions étrangè-
res, Riv. dir. int. priv. proc. 1992, p. 207 et s.). Affleurant ici ou là dans l’his-
toire jurisprudentielle française cette conception ne semble pas toutefois inspi-
rer de manière générale le droit positif (v. cep. obs. sous Bulkley, no 4 § 7, et
F. Delpech, Le rôle de la règle de conflit de lois dans l’efficacité des décisions
étrangères, thèse Paris I, 1999, nos 83 et s., nos 101 et s.) ni recueillir l’adhé-
sion des auteurs (v. les critiques de Bartin, op. cit., eod. loc.; Pillet, Traité pra-
tique de dr. int. privé, 1924, t. 2, nos 713 et s.; Niboyet, op. et loc. cit.).
C’est qu’on estime aujourd’hui qu’on ne saurait user de manière indifféren-
ciée de la règle de conflit de lois. On enseigne, en effet (P. Mayer, La distinc-
tion entre règles et décisions et le droit international privé, nos 140 et s.; Dr.
int. pr., no 360), que deux méthodes différentes doivent être employées suivant
que la question soumise au juge est régie par une règle qui revêt un caractère
abstrait et hypothétique ou par une décision qui présente un caractère concret
et catégorique. Dans le premier cas, il doit être fait appel à la méthode de
choix de la loi, dans le second cas à celle de l’efficacité des décisions. Ainsi,
demander à la règle de conflit de lois d’ouvrir l’ordre juridique français à
l’efficacité d’une décision étrangère, ce serait commettre un détournement de
fonction — sans même d’ailleurs être assuré d’atteindre le résultat recherché
(l’unité internationale de l’état matrimonial de la dame Maldaner est obtenue
relativement à la seule question de capacité, mais cet état peut conditionner
d’autres problèmes soumis à d’autres lois qui ne partagent pas forcément le
point de vue de l’ordre juridique russe…).
9 2°) Si le raisonnement ne force pas en tout point l’adhésion, le motif qui
l’inspire n’échappe pas non plus à quelques réserves.
Certes, il est bon de refouler le principe subordonnant l’efficacité des déci-
sions étrangères à la procédure d’exequatur, car il est évidemment fâcheux
qu’un individu soit à la fois marié et démarié. Mais il est regrettable qu’en
s’appuyant sur l’indivisibilité de l’état, le refoulement se limite aux jugements
intervenus en ce domaine et s’accommode donc de situations boiteuses dans
l’ordre patrimonial. Il n’est pourtant pas agréable et il peut même se révéler
très préjudiciable d’être envers son créancier à la fois tenu et libéré de sa dette
(par ex., la compensation légale dont se prévaut le débiteur contre son créan-
cier failli ne pouvant jouer parce que la condamnation à l’étranger qu’il invo-
que à son profit n’est pas reconnue…). Or une telle distinction entre juge-
ments patrimoniaux et extra-patrimoniaux ne s’impose guère. En premier lieu,
elle est écartée à propos des jugements constitutifs étrangers. En second lieu,
le seul argument susceptible de la rendre acceptable est que le patrimonial
mériterait un régime propre car il se déploie dans l’ordre du quantitatif — du
monnayable, du comptable, du divisible —, alors que l’extra-patrimonial refu-
serait la divisibilité car il se cantonne dans l’ordre du qualitatif (pour une
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 87
A. — La reconnaissance de plano
la notion de force exécutoire, v. Civ. 1re, 5 oct. 1994, Époux Brenckmann, Clu-
net 1995. 354, note M. Santa-Croce). L’arrêt Hainard déclare que « les juge-
ments rendus par un tribunal étranger relativement à l’état et à la capacité des
personnes, produisent leurs effets en France indépendamment de toute décla-
ration d’exequatur, sauf les cas où les jugements doivent donner lieu à des
actes d’exécution matérielle sur les biens ou de coercition sur les personnes »
(Req. 3 mars 1930, S. 1930. 1. 377, note Niboyet, Rev. dr. int. 1931. 329, note
Niboyet, Clunet 1930. 981); et si l’arrêt Le Goaster s’était permis un emploi
relâché de l’expression d’autorité de la chose jugée (il y allait de la seule effi-
cacité substantielle), l’arrêt Guarte (Civ. 1re, 19 déc. 1972, Rev. crit. 1975. 83,
note D. Holleaux) reprenant la formule de l’arrêt Hainard en tire directe-
ment la conséquence en accueillant l’exception de chose jugée fondée sur un
jugement étranger ayant refusé le divorce (v. aussi, Civ., 5 mai 1962, Zins,
D. 1962. 718, note G. Holleaux).
Cette autorité de chose jugée immédiate s’expliquait aisément dans le sys-
tème de l’arrêt de Wrède, qui, à l’instar de l’arrêt Bulkley, confiait à la règle
de conflit le soin de transporter indistinctement en France les effets du juge-
ment étranger tels qu’ils se développaient dans l’ordre juridique désigné :
l’ordre juridique français s’inclinait devant la compétence globale de l’ordre
désigné. Mais dès lors que cette construction est rejetée, il faut rechercher une
autre explication.
15 La jurisprudence sur ce point est restée très discrète et la doctrine, persuadée
que celle-ci avait évolué « au hasard des espèces » (Ph. Francescakis, comm.
préc., p. 141) enregistre la solution sans prétendre en dégager le fondement
théorique. C’est que sans doute sa justification est essentiellement pratique et
contingente.
Subordonner à l’obtention de l’exequatur l’autorité de chose jugée des
décisions d’état aurait conduit à une incohérence évidente : chaque partie
aurait pu, en l’absence de celui-ci, ranimer le contentieux terminé à l’étranger
par un jugement sur la base duquel chacune d’entre elles avait été autorisée à
constituer des situations juridiques nouvelles, à se remarier par exemple, ren-
dant ainsi singulièrement fragile l’efficacité substantielle immédiate qu’on
entendait lui reconnaître. De là, l’affirmation de l’autorité de plano des déci-
sions d’état étrangères; de là aussi, on le verra, la suppression du pouvoir de
révision.
La situation était différente pour les jugements déclaratifs patrimoniaux.
D’une part, comme on l’a justement relevé (P. Mayer et V. Heuzé, no 400),
ceux-ci posent essentiellement des problèmes d’exécution pour lesquels
l’intervention préalable d’un tribunal français est toujours nécessaire. D’autre
part, dans les rares cas où leur autorité aurait pu être invoquée au soutien
d’une exception de chose jugée, l’existence du pouvoir de révision rendait
sans intérêt une dispense d’exequatur : plutôt que de vérifier si la décision
étrangère était identique à celle qu’il aurait prononcée, il était plus expédient
pour le juge français de statuer directement sur la demande au fond (ibidem).
Aucun besoin immédiat ne contraignant le juge français à combler le fossé
né de la discontinuité des ordres juridiques, la jurisprudence qui veut qu’un
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 91
B. — Le contrôle
16 Étape importante de l’évolution vers une meilleure coopération judiciaire
internationale (Batiffol, Traité, 3e éd., no 780, p. 879), l’arrêt de Wrède soustrait
la décision étrangère à la révision.
Mais, comme on l’a vu, il ne se préoccupe pas pour autant de la régula-
rité internationale des sentences russes : celles-ci, selon sa conception, sont
reconnues de plano en France non parce que règulières (ce qu’elles ne sont
d’ailleurs pas d’après les critères actuels), mais parce qu’effectives dans
l’ordre compétent. En dépit de cette attitude, l’arrêt de Wrède est assez géné-
ralement considéré comme ayant esquissé le catalogue des conditions de la
régularité internationale des jugements étrangers (v. Batiffol et Lagarde, no 750;
Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 495-1, no 512; Batiffol, Rev.
crit. 1964. 344; M. Ancel JCP 1964. II. 13590).
17 1°) Le pouvoir de révision est incompatible avec la reconnaissance de plano
de la décision étrangère.
Relativement au régime d’efficacité substantielle instantanée la révision est
inopportune. Réviser un jugement, enseignaient Aubry et Rau, c’est « exami-
ner la valeur du dispositif sous le double rapport de l’appréciation des faits et
de l’application des règles de droit » (Droit civil français, t. XII, § 769 ter);
bref, c’est s’assurer que le juge étranger a prononcé la décision qu’aurait pro-
noncée le juge de la révision s’il avait été directement saisi. Dans le système
de l’arrêt, la révision aurait été difficilement justifiable : ce n’est pas s’incli-
ner, s’effacer devant le point de vue de l’ordre compétent que de juger la qua-
lité des décisions de ses organes judiciaires.
92 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10
étant écarté, ces éléments subsistent dans leur seconde fonction. En ce sens et
comme malgré lui, l’arrêt de Wrède énonce bien, quoique incomplètement, les
conditions de régularité à vérifier.
Pourrait même être débattue sa responsabilité dans l’apparition de la condi-
tion de conformité au règlement français de conflit de lois : quel est le rôle
de la règle de conflit si elle n’a la charge d’assurer l’efficacité immédiate de
la décision étrangère ? (v. Civ., 11 avr. et 1er mai 1945, Bach et Schabel,
D. 1945. 245, note P. L.-P., S. 1945. I. 121, note Batiffol, JCP 1945. II. 2895,
note Savatier, et les arrêts Rivière et Munzer, infra, nos 26 et 41).
11
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
5 décembre 1910
(Rev. dr. int. 1911. 395, Clunet 1912. 1156, S. 1911. 1. 129)
Contrat. — Loi d’autonomie.
La loi applicable aux contrats est celle que les parties ont adoptée.
ARRÊT
(après délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur les deux moyens du pourvoi : — Attendu que, des constata-
tions de l’arrêt attaqué, il résulte qu’en s’engageant à transporter de New York
à la Pointe-à-Pitre 600 sacs de farine de froment pour le compte de l’« American
Trading Company », la « Québec Steamship Company » avait stipulé, dans le
connaissement qu’elle avait délivré à New York, qu’elle ne répondrait pas des
fautes du capitaine et des marins; que les 600 sacs sont arrivés à la Pointe-à-Pitre
le 23 mai 1905, par le vapeur Korona; que les farines avaient été avariées pen-
dant le voyage par le contact ou le voisinage d’engrais chimiques transportés
sur le même navire, et que les avaries étaient dues à un vice d’arrimage; —
Attendu que, pour écarter la clause d’exonération des fautes du capitaine,
11 AMERICAN TRADING — CASS., 5 DÉCEMBRE 1910 95
OBSERVATIONS
1 L’arrêt American Trading Co, comme les autres décisions relatives aux
contrats internationaux reproduites dans cet ouvrage (arrêt Messageries mari-
times, infra, no 22; arrêt Fourrures Renel, infra, no 35; arrêt Charlie Chaplin,
infra, no 40), n’a plus qu’une valeur résiduelle. Depuis l’entrée en vigueur, le
96 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 11
5 Néanmoins, s’en tenir à une telle présentation serait sans doute se faire une
idée trop monolithique de la réalité de l’époque. Comme le note le doyen Batif-
fol (« L’affirmation de la loi d’autonomie dans la jurisprudence française »,
98 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 11
mieux connaître (B. Audit, no 825). Mais si l’on excepte quelques décisions
anciennes (Civ., 31 mai 1932, État français c/Vve Carathéodory, Rev. crit. 1934.
909, note Niboyet, Clunet 1933. 347; Req. 2 nov. 1937, S. 1938. 1. 30), la
jurisprudence ultérieure n’a retenu ce critère que joint à d’autres qu’il
confirme (Batiffol et Lagarde, t. II, no 583 et décisions citées note 3).
En second lieu, elle perpétue, à défaut de choix et de nationalité commune
des cocontractants, l’application de la loi du lieu de conclusion. Or, comme
on l’a bien souvent relevé depuis, celui-ci « ne caractérise pas suffisam-
ment l’opération contractuelle quant aux intérêts en jeu » (v. par ex., Batiffol
et Lagarde, t. II, no 580; v. en dernier lieu, Civ. 1re, 12 janv. 1994, Soc. Carre-
four, Rev. crit. 1994. 92, note H. Muir Watt). Trop souvent fortuit par rap-
port à l’économie profonde du contrat, il se révèle, de plus, délicat à définir
lorsque celui-ci est conclu par correspondance; la difficulté n’a fait que croître
avec l’expansion du commerce électronique. Aussi bien, le lieu d’exécution
vers lequel est tendue l’attente des parties a-t-il aujourd’hui les préférences
de la doctrine et de la jurisprudence. Certes, plus encore que pour le lieu de
conclusion, sa définition paraît poser problème lorsqu’il est multiple ou indéter-
miné. Mais c’est négliger le fait que la plupart des contrats usuels se définissent
par la prestation d’une partie qui caractérise le but économique de l’opération
tandis que l’autre n’est que sa rémunération. Partant, la difficulté peut être
surmontée grâce à l’emploi de la notion de prestation caractéristique et à la
localisation de celle-ci au lieu où est établi celui qui la fournit (v. Paris, 27 janv.
1955, Soc. Jansen c/Soc. Heurtey, Rev. crit. 1955. 320, note Motulsky). Telle est
au demeurant la solution consacrée par la Convention de Rome dans son arti-
cle 4 (Rev. crit. 1980. 875; v. M.-E. Ancel, La prestation caractéristique du
contrat, thèse Paris 1, éd. 2002).
Pour être complet, il convient néanmoins de souligner qu’en affirmant que
la volonté des cocontractants « peut s’induire des faits et circonstances de la
cause », la Cour de cassation introduisait un germe de flexibilité qui annonçait
les évolutions ultérieures. La même ambivalence se retrouve lorsqu’on essaie
de préciser la notion de loi d’autonomie à laquelle se réfère l’arrêt ci-dessus
reproduit.
7 En posant que « la loi applicable aux contrats (…) est celle que les parties
ont adoptée », la Cour de cassation énonce pour la première fois clairement le
principe de la loi d’autonomie.
La solution présente de multiples avantages. Elle assure une pleine sécurité
juridique aux contractants en faisant coïncider la règle de décision du juge
avec la règle sur laquelle les parties ont modelé leur conduite. Elle donne toute
latitude aux contractants pour choisir une loi appropriée à la teneur de leur
projet et qui en facilite la réalisation (P. Mayer et V. Heuzé, no 695). Plus
généralement, elle prend acte de ce que la concurrence plus vive qui règne
dans les relations internationales appelle pour les contrats qui s’y développent
100 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 11
ment de se soumettre à celle-ci. À cet effet, ils développent l’idée que « la loi
applicable au contrat est déterminée par le juge, mais en raison de la volonté
des parties quant à la localisation du contrat » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 571).
Au lieu d’être directement prise en considération, la volonté des parties n’est
plus envisagée que « médiatement » à travers la physionomie que celles-ci ont
donnée à leur opération (Gothot, note, Rev. crit. 1976. 666). De là, toute une
série de conséquences opposées à celles précédemment relevées : les parties
ne peuvent écarter les dispositions à venir qui seraient applicables aux contrats
en cours ni réaliser un « métissage » (R. Savatier, Cours de droit international
privé, no 414) du contrat en empruntant les règles applicables à des législa-
tions différentes, pas plus qu’elles ne peuvent prétendre élaborer un contrat
échappant à l’emprise de toute loi.
6 juillet 1922
(Rev. dr. int. 1922. 444, rapport Colin, note Pillet, Clunet 1922. 714,
DP 1922. 1. 137, S. 1923. 1. 5, note Lyon-Caen)
Divorce. — Loi applicable. —
Conversion d’une séparation de corps en divorce.
Faits. — Une Française épouse en 1893 un Italien, M. Ferrari; elle perd de ce fait la
nationalité française et acquiert la nationalité italienne. Six ans plus tard, une séparation
de corps par consentement mutuel homologuée par le tribunal de Gênes intervient, confor-
mément à la loi italienne (art. 158, C. civ. italien), entre les époux Ferrari. Rentrée en
France, Mme Ferrari obtient un décret du président de la République la réintégrant dans
la nationalité française par application de l’article 18 du Code civil. Invoquant le béné-
fice de l’article 14 du même code, elle assigne alors son mari devant le Tribunal civil de
Lyon afin d’obtenir, en vertu de la loi française, la conversion de la séparation de corps
en divorce. Le succès de sa prétention supposait entre autres choses : 1°) que la loi fran-
çaise soit déclarée applicable puisque la loi italienne prohibait à l’époque le divorce, 2°)
que la séparation de corps italienne par consentement mutuel soit jugée équivalente à
une séparation française afin que sa conversion puisse être prononcée.
Le Tribunal civil de Lyon par jugement du 29 juillet 1916 (Rev. crit. 1922-
1923. 444), puis la cour de Lyon par arrêt confirmatif du 26 juin 1917 ayant donné gain
de cause à Mme Ferrari, un pourvoi fut formé par son mari. Le quatrième moyen en
était ainsi libellé :
« 4° Violation de l’article 310 du Code civil, des articles 2 et 3 du Code civil et des
règles de conflit de lois, excès de pouvoir, défaut et contradiction de motifs et manque
de base légale, en ce que l’arrêt attaqué a déclaré possible, par application de la loi fran-
çaise, la conversion en divorce d’une séparation de corps consensuelle conclue confor-
mément à la loi italienne, alors que les causes qui peuvent faire prononcer soit la
séparation de corps, soit le divorce, étant les mêmes en droit français, la conversion en
divorce ne peut être prononcée que s’il existe un jugement de séparation de corps pour
cause déterminée, ce qui n’était pas le cas dans l’espèce. »
104 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 12
ARRÊT
(après délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que la dame Gensoul ayant, le
16 octobre 1893, contracté mariage avec le sieur de Ferrari, Italien, et perdu
ainsi la nationalité française pour suivre celle de son mari, un procès-verbal de
séparation de corps intervenu par le consentement mutuel des époux a été, en
conformité des dispositions de la loi italienne, homologué par décision de la
chambre du conseil du Tribunal civil de Gênes en date du 6 avril 1899; que la
dame Gensoul, étant rentrée en France, a obtenu, le 3 août 1913, un décret la
réintégrant, par application de l’article 18 du Code civil, dans la qualité de
Française; qu’elle a, le 30 novembre 1915, en invoquant la disposition de
l’article 14 du Code civil, assigné son mari, domicilié à Gênes, devant le Tribunal
de Lyon pour voir prononcer la conversion en divorce de la séparation de corps;
que l’arrêt attaqué a fait droit à cette demande et prononcé la conversion; —
Attendu que, d’après le pourvoi, le tribunal puis la cour d’appel se seraient à
tort déclarés compétents et auraient sans droit fait application au litige de la loi
française, les prétentions de la dame Gensoul à ce double point de vue suppo-
sant qu’elle avait valablement recouvré la nationalité française et le décret de
réintégration par elle obtenu étant sans valeur par ce motif que l’article 19 du
Code civil, seul applicable à son cas, ne permet à la femme devenue étrangère
par son mariage de redevenir Française par simple autorisation du gouverne-
ment que si le mariage a été dissous par le divorce ou par la mort du mari; —
Mais attendu qu’il n’appartenait pas aux tribunaux judiciaires d’apprécier la
légalité du décret qui a réintégré la dame Gensoul dans la nationalité française;
— Déclare le moyen non recevable;
Mais sur le quatrième moyen : — Vu les articles 3, al. 3, et 310, al. 1er du Code
civil; — Attendu que si les lois concernant l’état et la capacité des personnes
régissent le Français qui recouvre cette qualité après l’avoir perdue, d’où il suit
que la dame Gensoul, par l’effet du décret prononçant sa réintégration, devait
être admise à demander la conversion de la séparation de corps en divorce, elle
ne pouvait exercer ce droit qu’en se conformant aux règles édictées par la loi
française, laquelle régissait désormais son statut personnel; — Attendu, d’autre
part, que de l’article 310, al. 1er et 3 du Code civil il résulte que la conversion
suppose nécessairement qu’il a été prononcé un jugement de séparation aux
torts soit des deux époux, soit de l’un deux, et pour une cause déterminée qui
sera celle du divorce substitué à la séparation; — Or attendu que l’arrêt attaqué
constate qu’aucun jugement de caractère contentieux n’avait été prononcé en
Italie entre le sieur de Ferrari et la dame Gensoul, son épouse; que leur sépara-
tion résultait d’un procès-verbal relatant leur consentement mutuel et ayant
fait l’objet d’une homologation purement gracieuse de la chambre du conseil
du Tribunal civil de Gênes; que cette séparation amiable ne pouvait, au regard
de la loi française, seule applicable à la cause, servir de base à un jugement de
conversion; — Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deuxième
et troisième moyens : — Casse.
Du 6 juillet 1922. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Sarrut, prem. prés.; Ambroise Colin, rapp.;
Matter, av. gén. — MMes Morillot et Mornard, av.
OBSERVATIONS
1 Commentant l’arrêt Ferrari, Pillet écrivait que celui-ci comptait « parmi les
plus importants que la Cour de cassation ait rendus dans le domaine du droit
12 FERRARI — CASS., 6 JUILLET 1922 105
international privé mais non parmi les meilleurs » (note Rev. dr. int. 1922-
1923. 461). De fait, ayant à connaître pour la première fois d’un problème
auquel l’évolution des mœurs et du droit de la nationalité devait donner une
ampleur considérable, celui de la loi applicable au divorce d’époux de nationa-
lité différente, la cour lui apporte une solution qui fut à l’origine d’une contro-
verse presque trentenaire (I). En revanche, la question de la conversion d’une
séparation de corps italienne en divorce français y est traitée avec un instinct
très sûr. La cour retient, en effet, la solution qui s’imposait alors même que les
premiers éléments du problème de l’adaptation n’avaient pas encore été déga-
gés par la doctrine (II).
2 Selon une solution ancienne et constante qui prenait sa source dans l’arti-
cle 3, alinéa 3 du Code civil, la séparation de corps et le divorce d’époux de
même nationalité étaient, à l’époque, régis par leur loi nationale commune
(Civ., 30 oct. 1905, S. 1911. 1. 581). Mais qu’en était-il lorsque les époux
étaient de nationalité différente ? En l’absence de décision de la Cour de cassa-
tion, plusieurs tendances étaient perceptibles : au cas où la dualité de nationali-
tés remontait au mariage, il était procédé à une application distributive des lois
nationales, que l’un des époux fût français ou qu’ils fussent tous deux étran-
gers (v. par ex., Paris 31 oct. 1910, Clunet 1912. 1193); lorsqu’au contraire
une dualité de nationalités s’était, au cours du mariage, substituée à une natio-
nalité commune initiale, certaines décisions retenaient la solution précédente
(v. par ex., Alger, 2 déc. 1893, DP 1895. 2. 146), alors que d’autres appliquaient
la dernière loi nationale commune au nom de la permanence du statut origi-
naire (v. par ex., Alger, 27 janv. 1892, Clunet 1892. 662; v. aussi en ce sens,
art. 8, Convention de La Haye du 12 juin 1902, en vigueur en France jusqu’au
1er juin 1914). Prenant parti dans cette controverse, la Cour de cassation se
prononce avec l’arrêt Ferrari pour le système de l’application distributive.
C’était là à l’époque, selon la remarque du Conseiller Georges Holleaux (Le
droit international privé de la famille en France et en Allemagne, 1954, p. 131),
une règle « de portée universelle tout à fait conforme à l’esprit personnaliste
du droit international privé au début du XXe siècle ». Néanmoins relevant les
conséquences pratiques auxquelles conduisait cette solution, la doctrine émit
de sévères critiques : soumettre chaque époux à sa loi nationale, c’était consi-
dérer le mari italien comme toujours marié et la femme française comme
divorcée; marié sans l’être, le mari restait soumis aux obligations du mariage
sans en avoir les droits… (v. par ex., Pillet, note préc., p. 463; Audinet, « Rece-
vabilité de la demande en divorce intentée par une femme réintégrée dans la
nationalité française contre son mari resté étranger », Clunet 1923. 15). En
dépit de ces critiques, la Cour de cassation réaffirma la solution à plusieurs
reprises, non sans d’ailleurs en atténuer les conséquences les plus choquantes
(Civ., 7 mai 1928, Giglio, S. 1929. 1. 9, note Niboyet; 5 févr. 1929, Mancini,
S. 1930. 1. 81, note Audinet; Req. 4 févr. 1931, Cottan, DH 1931. 181; sur cet
attentisme, v. Batiffol, Aspects philosophiques du dr. int. pr., no 80, p. 176).
106 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 12
Quant à la seconde difficulté, née de la loi du 11 juillet 1975, elle fut réso-
lue par le recours à l’ordre public; la Cour de cassation décida qu’une loi
étrangère prohibant le divorce était contraire à la conception actuelle de
l’ordre public international qui impose la faculté pour un Français domicilié
en France de demander le divorce (Civ. 1er, 1er avr. 1981, de Itturalde de Pedro,
Clunet 1981. 812, note D. Alexandre. Sur cette jurisprudence, v. infra, no 26
§ 12 et no 38-39 § 9).
divorce par consentement mutuel qui n’était autorisé ni par la loi française, ni
par la loi italienne. On perçoit ainsi ce qui pourrait être l’un des principes de
solution de la difficulté : l’équivalence n’existerait pas et la substitution
devrait être écartée dès lors que chacun des systèmes en présence appliqué
seul n’aurait pas permis d’obtenir le résultat auquel conduit leur combinaison.
Inversement, l’articulation des deux lois serait possible lorsque la séparation
de corps étrangère a été prononcée pour des motifs qui auraient pu autoriser le
divorce selon la loi française (sur cette question, v. Y. Lequette, « Ensembles
législatifs et droit international privé des successions », Trav. com. fr. dr. int.
pr. 1983-1984. 174 et s.). Telle a été, au demeurant, la solution admise à plu-
sieurs reprises par la jurisprudence (v. par ex., Req. 3 nov. 1928, Pastre, Clu-
net 1929. 426). Toujours valables, ces directives conduisent aujourd’hui à une
solution différente : la loi française connaissant désormais le divorce par con-
sentement mutuel, les tribunaux français peuvent sans difficulté convertir en
divorce une séparation de corps amiable intervenue à l’étranger (v. par ex.,
TGI Paris, 20 janv. 1977, préc.).
En refusant, en l’espèce, la conversion en divorce de la séparation italienne
la Cour de cassation semblait consacrer l’échec de Mme Ferrari. Mais celui-ci
n’était qu’apparent. La loi française ayant été déclarée applicable, il lui restait
la ressource d’intenter une action en divorce devant les tribunaux français, ce
qu’elle fit avec succès (Civ., 14 mars 1928, DH 1928. 253, S. 1929. 1. 92).
13
COUR DE CASSATION
(Ch. req.)
5 mars 1928
(Rev. dr. int., 1929. 288, note Niboyet, Clunet 1928. 674,
DP 1928. 1. 81, note R. Savatier)
Nationalisation. — Ordre public.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique pris de la violation de l’article 545 du Code
civil et de l’article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut et contradiction de motifs,
manque de base légale, violation des principes admis en droit international
quant aux effets de la reprise des relations diplomatiques entre États et du
décret rendu le 26 janvier 1918 par le gouvernement soviétique : — Attendu
que, par jugement du 10 avril 1923, le Tribunal de commerce de Marseille, sta-
tuant sur la requête des capitaines de divers navires de la Société de navigation
russe dite La Ropit, auxquels s’étaient joints un certain nombre d’actionnaires et
de créanciers, a pourvu à l’administration provisoire de la flotte de ladite société
110 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 13
OBSERVATIONS
2 Une nationalisation étrangère ne peut sortir d’effet en France dès lors qu’elle
est contraire à l’ordre public international français; les éléments d’une telle
contrariété sont réunis lorsque cette nationalisation ne s’accompagne pas
d’une juste et préalable indemnité. Si de ces deux propositions, la première
reste aujourd’hui encore très largement admise (B), la seconde appelle, en
revanche, d’importantes précisions. Les exigences de l’ordre public se sont, en
effet, en la matière, sensiblement assouplies (A).
4 Bien que cette analyse ne puisse qu’être confortée par les nationalisations
françaises des années quatre-vingt — lesquelles se sont, grâce à l’intervention
du Conseil constitutionnel, conformées à l’exigence d’une indemnité juste et
préalablement fixée (Goldman, « Les décisions du Conseil constitutionnel
relatives aux nationalisations et le droit international », Clunet 1982, p. 275
et s.) —, on a pu se demander si elle n’avait pas été remise en cause par l’arrêt
rendu par la haute juridiction dans l’affaire Total Afrique (Civ. 1re, 1er juill.
1981, Rev. crit. 1982. 336, note P. Lagarde, Clunet 1982. 148, note P. Bourel,
Rev. Sociétés, 1982. 878, note J.-L. Bismuth); celle-ci a, en effet, approuvé
une cour d’appel d’avoir déclaré efficace en France et non contraire à l’ordre
public une « décision » malgache de nationalisation dès lors qu’était « prévue »
une indemnisation. La portée exacte de cet arrêt reste controversée. Pour cer-
tains, le contexte procédural dans lequel il a été rendu ne permettrait pas d’en
déduire un assouplissement supplémentaire des exigences de l’ordre public
en matière de nationalisation (P. Bourel, J.-L. Bismuth, notes préc.). Pour
d’autres, au contraire, cette décision serait l’expression d’un libéralisme accrû;
il suffirait désormais que la nationalisation s’accompagne d’une promesse
d’indemnité « même s’il est patent qu’elle n’a pas été et ne sera pas suivie
d’effet » (P. Lagarde, note préc.). Cet assouplissement s’expliquerait par le fait
que la régularité de la mesure étrangère ne s’apprécierait plus par rapport aux
exigences de l’ordre public international français mais par référence à celles
moins contraignantes du droit international public en son dernier état. Même
à suivre l’éminent commentateur sur ce terrain, il n’est pas certain que les
conséquences qu’il entend en déduire soient parfaitement fondées. Il est certes
exact que les prescriptions traditionnelles du droit international public exi-
geant une « indemnisation prompte, adéquate et effective » (Carreau, Julliard
et Flory, op. cit., 1re éd., p. 567 et s.), ont pu être, au nom d’un nouvel ordre
économique international, l’objet d’une contestation vigoureuse dont la charte
des droits et devoirs des États, adoptée le 12 décembre 1974 par l’Assemblée
générale des Nations-Unies, constitue l’axe fondamental. Sans supprimer
l’obligation d’indemnisation, ce document en assujettit le régime aux prescrip-
tions de l’ordre juridique interne de l’État nationalisant, laissant ainsi à celui-ci
une très grande latitude (G. Ferrer, « Les Nations-Unies et le nouvel ordre éco-
nomique international », Clunet 1977. 606). Mais pour beaucoup, il n’y a là
qu’un « corps de règles prétendues », destinées principalement à faciliter la
liquidation des suites économiques de la période coloniale en offrant aux États
le moyen de procéder aux nationalisations nécessaires sans hypothéquer leur
avenir (Carreau, Julliard et Flory, op. cit., p. 570). L’erreur serait d’ériger ces
solutions conjoncturelles en solutions permanentes. Une fois résolu le pro-
blème des séquelles de la décolonisation, le retour aux équilibres traditionnels
s’impose, ne serait-ce que pour ne pas tarir le flot des investissements étran-
gers nécessaires au développement des États pauvres. C’est dire qu’il vaut sans
doute mieux voir dans l’arrêt Total Afrique la liquidation d’un contentieux par-
ticulier qu’une nouvelle étape sur la voie d’un plus grand libéralisme (v. la
motivation de Paris, 17 mars 1992, telle que rapportée par Com., 14 nov. 1995,
Cubatabaco, Rev. crit. 1996. 683 et commentée par M. P. Mayer, eod. loc.,
spéc. p. 688-689).
114 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 13
pas, non plus, à l’inverse, que son intervention occulte les autres dimensions
du problème. Obstacle à la reconnaissance en France des effets de certaines
nationalisations étrangères, l’exception d’ordre public ne devrait normalement
intervenir qu’après qu’ait été constatée la compétence de l’État étranger à
édicter de telles normes; à son défaut, il n’est en effet nul besoin de s’inter-
roger sur la compatibilité des mesures prises avec les exigences de notre ordre
public. Néanmoins, il a été relevé qu’en pratique les juges, au lieu de suivre
cette voie logique, raisonnent volontiers exclusivement en termes d’ordre
public : la norme étrangère étant de toute façon évincée, il devient inutile
d’approfondir sa compétence. Cette question ne peut cependant plus être
éludée lorsque la nationalisation s’accompagne d’une indemnité équitable
préalablement fixée. Il importe alors, en effet, de préciser exactement les limi-
tes territoriales hors desquelles la compétence de l’État étranger ne saurait
légitimement s’exercer.
10 Bien que l’exception d’ordre public suffise, en l’espèce, à résoudre le pro-
blème, l’arrêt La Ropit présente le mérite, à la différence de beaucoup d’autres,
d’apporter un élément de réponse à cette difficile question. Selon les termes
mêmes de l’arrêt, les tribunaux d’un État doivent sous réserve de l’ordre
public, apprécier une situation juridique née sous l’empire d’une législation
étrangère en appliquant cette loi. Est-ce à dire que la régularité d’un droit
acquis à l’étranger se vérifie à la lumière du système de conflit de lois de l’État
dans lequel le droit est né, ou de celui de l’État dans lequel le droit est
invoqué ? En dépit de l’ambiguïté de la formule employée, il semble bien que
ce soit la seconde solution qu’aient eue en vue les rédacteurs de l’arrêt. Il était,
en effet, déjà à cette époque, clairement posé qu’un droit n’était réputé réguliè-
rement acquis que s’il l’avait été en conformité de la loi compétente d’après la
règle de conflit française (Pillet, Traité, no 42, p. 122; Niboyet, Manuel, 2e éd.,
nos 366 et s.). Il faut donc, à propos de chaque bien, déterminer la loi compé-
tente pour régir son transfert. Et la nationalisation n’aura d’effet à son égard,
que si elle émane de l’État dont la loi lui est, selon notre règle de conflit, appli-
cable. Celle-ci dépend, on le sait, de la nature du bien : loi du pavillon pour les
biens immatriculés, lex rei sitae pour les biens corporels (Civ., 14 mars 1939,
préc., sol. impl.), loi de la source pour les créances (Civ. 1er juill. 1981, préc.),
loi de l’État qui les a concédés pour les brevets, loi du pays où ils ont été dépo-
sés pour les marques et modèles (Com., 15 mars 1965, Zeiss, Clunet 1966. 622,
note Le Tarnec), loi qui régit la société pour les parts sociales (Civ., 25 janv.
1966, Royal Dutch, D. 1966. 390, note Loussouarn, Rev. crit. 1966. 238, note
Francescakis). Ainsi, selon cette conception, une mesure de nationalisation ne
peut légitimement atteindre que les biens dont les modes d’acquisition, pro-
pres au droit en question, relèvent de la loi de l’État qui l’édicte soit parce
qu’ils sont effectivement situés sur son territoire, soit parce qu’ils y sont locali-
sés fictivement par la règle de conflit.
Ce mode de raisonnement principalement privatiste a été vivement critiqué
au motif qu’il néglige le fait que la matière intéresse d’abord le droit interna-
tional public : en nationalisant, l’État exerce une prérogative qui lui est propre
et cet exercice bénéficie d’« une large liberté, qui n’est limitée que dans quel-
118 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 13
ques cas par des règles prohibitives; pour les autres cas, chaque État reste
libre d’adopter les principes qu’il juge les meilleurs et les plus convenables »
(CPJI, 7 sept. 1927, affaire du Lotus, Rec. CPJI, série A., no 10); il faudrait
donc ici se libérer de cette territorialité. En partie fondée, cette critique ne
tient sans doute pas, on le verra (infra, arrêt SMC, no 58 § 6), suffisamment
compte de ce que la règle de conflit remplit, dans le cadre de la théorie des
droits acquis, une mission bien particulière.
14
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
13 avril 1932
(DP 1932. 1. 89, concl. Matter, note Basdevant, S. 1932. 1. 361, note Audinet,
Rev. dr. int. 1932. 549, concl. Matter).
Statut personnel. — Statut réel. — Domaine.
Faits. — Il est rare que les juristes français désignent une décision de justice par le
nom de l’objet qui était l’enjeu du litige qu’elle résout plutôt que par celui des parties.
Tel est pourtant le cas de l’arrêt ci-dessous reproduit. Il est vrai qu’ici l’objet était
exceptionnel.
Construit par François Ier, le château de Chambord devint sous la Restauration, grâce
à une souscription nationale, la propriété du duc de Bordeaux, « l’enfant du miracle »,
qui prit le titre de Comte de Chambord. À son décès, en 1883, celui-ci légua le domaine
à son neveu Robert de Parme issu du mariage de sa sœur Louise de France avec le duc
Charles III de Parme. Robert de Parme eut neuf enfants de son premier mariage et
douze du second. Il mourut en 1907, domicilié en Autriche, — laissant un testament par
lequel il constituait en majorat la moitié de sa fortune, c’est-à-dire la quotité disponible
selon le droit autrichien, au profit de son fils aîné le Prince Elie, la seconde moitié
devant être répartie par parts égales entre ses autres enfants. Parmi ceux-ci, six étaient
interdits et neuf encore mineurs. La constitution du majorat butant sur des obstacles
politiques insurmontables, les héritiers substituèrent au testament un arrangement de
famille. Ce pacte, passé en 1910, qui attribuait au Prince Elie le domaine de Chambord,
fut approuvé la même année par les représentants légaux des incapables (tuteurs et cura-
teurs ordinaires) ainsi que par le Grand Maréchal de la cour d’Autriche qui exerçait une
sorte de haute tutelle sur les incapables des familles princières. Survint la guerre de 1914;
le château de Chambord, propriété du Prince Elie, officier dans l’armée autrichienne, fut
placé sous séquestre.
Un premier contentieux en résulta : le Prince Elie ayant sollicité la levée du séquestre
en alléguant qu’il n’était pas sujet ou ressortissant autrichien, sa demande fut repoussée
par les juridictions françaises (Req. 14 mai 1923, DP 1923. 1. 105 et chr. Audinet, Clunet
1923, p. 785).
120 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 14
Cette première action devait être suivie d’une seconde exercée non plus par le Prince
Elie mais par ses frères. Ceux-ci l’assignèrent, en effet, ainsi que le séquestre, en nullité
du pacte de famille passé en 1910 et en déclaration de copropriété indivise du domaine
de Chambord. Les demandeurs invoquaient, entre autres, les dispositions du Code civil
français (art. 466, 838 et 919) qui, à l’époque, interdisaient de procéder autrement qu’en
la forme judiciaire au partage des successions dont certains héritiers sont mineurs ou
interdits. Or selon eux, le partage intervenu en 1910 était un partage amiable; et à sup-
poser que l’intervention du Grand Maréchal lui ait conféré un caractère judiciaire, la
nullité aurait été, de toute façon, encourue, les tribunaux français étant exclusivement
compétents pour procéder à une telle opération sur des immeubles sis en France.
Le Prince Elie répliqua que ce partage amiable était valable en France car il avait été
réalisé en conformité des dispositions du droit autrichien applicables en vertu des règles
de conflit françaises. L’intérêt du conflit de lois était donc évident : nul si on appliquait
la loi française, le partage ne l’était plus si on lui préférait la loi autrichienne.
En l’espèce, la difficulté ne provenait pas de l’énoncé des règles destinées à résoudre
ce conflit de lois. Tout le monde s’accorde, en effet, sur ce que les successions immobi-
lières relèvent de la lex rei sitae, c’est-à-dire de la loi française (v. supra, arrêt Stewart,
no 3) et la capacité de la loi personnelle des intéressés (v. supra, arrêt Busqueta, no 1),
laquelle était la loi autrichienne, ceux-ci étant apatrides et domiciliés en Autriche. En
revanche, les analyses divergeaient profondément quant aux champs d’application res-
pectifs de ces deux règles : les formes habilitantes nécessaires à la disposition d’un
immeuble qui pour les premiers relevaient de la catégorie statut réel, étaient pour les
seconds soumises à la loi personnelle.
Par jugement du 30 avril 1925 (S. 1925. 2. 33, note Pillet, DP 1926. 2. 25, note Bas-
devant), le Tribunal civil de Blois, après avoir qualifié l’acte partage amiable, l’annula
aux motifs notamment « qu’aux termes mêmes d’une jurisprudence constante les lois
qui règlent la transmission héréditaire se rattachent indistinctement au statut réel en tou-
tes leurs parties, même en celles qui édictent des incapacités de succéder, que c’est donc
à la loi française qu’il faut se référer pour déterminer si les formes du partage ont été
observées en tant que celui-ci porte sur un immeuble situé en France ».
En appel, la Cour d’Orléans (29 févr. 1928, S. 1929. 2. 33, note Audinet, D. 1932. 1.
89) maintint la qualification mais décida que le pacte était valable, car la loi française
admet le partage amiable lorsque la capacité des parties le permet; or cette capacité était
« en matière de partage (…) comme en toute autre matière » réglée pour chaque héritier
par sa loi personnelle. Elle déclara en outre irrecevable, comme nouvelle, une demande
formulée pour la première fois en appel et qui tendait à obtenir, non plus la nullité du
partage, mais sa rescision pour lésion de plus du 1/4, ou sa réduction pour atteinte à la
réserve.
Un pourvoi fut formé.
ARRÊT
(après délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que, dans ses motifs et son dis-
positif, l’arrêt attaqué reconnaît à l’acte de partage de la succession de Robert
de Bourbon, duc de Parme, les caractères d’un pur contrat, intervenu entre tous
les héritiers, les uns capables qui agissaient par eux-mêmes, les autres mineurs et
interdits qui parlaient par l’organe de leurs représentants désignés et habilités
conformément à la loi nationale de ces incapables; — Attendu que cette partie
de la décision est fondée, tant sur un ensemble de circonstances de fait dont
l’appréciation échappe au contrôle de la Cour de cassation, que sur l’interpréta-
tion donnée souverainement par les juges du fond à la loi de la nation étran-
14 CHÂTEAU DE CHAMBORD — CASS., 13 AVRIL 1932 121
Sur les deuxième et quatrième moyens : — Attendu que ces moyens sont diri-
gés contre des parties purement subsidiaires de l’arrêt; que le rejet des premier
et troisième moyens en rend l’examen inutile;
Sur les cinquième et sixième moyens réunis : — Attendu que les cohéritiers
intervenants s’étaient joints aux conclusions de Sixte de Bourbon-Parme; que si
l’arrêt attaqué a, à titre subsidiaire, retenu certaines circonstances particulières
audit prince Sixte et qui, en toute hypothèse auraient, selon la cour d’appel, jus-
tifié une décision de débouté tout au moins contre ce dernier, il a, dans ses
motifs principaux critiqués par les premier et troisième moyens, justifié le rejet
de la demande en nullité de partage par des raisons de droit et de fait égale-
ment valables contre tous les héritiers; que lesdits cohéritiers du prince Sixte
sont, en conséquence, sans intérêt pour attaquer la partie de l’arrêt de la cour
d’appel qui a écarté leur intervention comme irrecevable;
Par ces motifs, donne acte à l’Office des biens et intérêts privés et à l’État de
ce qu’ils déclarent s’en rapporter à la sagesse de la cour; rejette le pourvoi.
Du 13 avril 1932. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Péan, prés.; Tournon, rapp.; Matter, proc.
gén. — MMes Hannotin, Labbé, Saint-Marc, Lemanissier et Coche, av.
OBSERVATIONS
4 Le Tribunal civil de Blois avait donc une vision très personnelle de l’histoire
lorsque, dans la présente affaire, se prononçant pour l’application de la loi
réelle, il ajoutait que notre droit positif consacrait « d’une façon formelle la
théorie des statuts telle qu’elle était déjà formulée par d’Argentré à la fin du
XVIe siècle » (en ce sens, J. Basdevant, note, DP 1926. 2. 26). En réalité, cette
décision marquait simplement la persistance dans la jurisprudence française
d’un courant territorialiste que devait illustrer avec éclat, quelques années plus
tard, dans un domaine un peu différent, celui de l’établissement du lien de
parenté nécessaire au jeu de la dévolution successorale, l’arrêt Ponnoucanna-
male (Req. 21 avr. 1931, Rev. crit. 1932. 526, rapport Pilon, note Niboyet; sur
cette décision v. observations sous l’arrêt Bendeddouche, infra, no 61 § 3). Ces
décisions s’expliquent, au moins en partie, par les préoccupations de l’époque.
Au souci de la préservation de l’identité bretonne qui habitait d’Argentré, avait
succédé celui de la défense des intérêts français. Dans un pays qui accueille
une population immigrée importante, il peut en effet paraître souhaitable de
limiter l’application des statuts personnels étrangers, infiniment variés et diffi-
ciles à interpréter, afin de faciliter l’assimilation des étrangers en rompant le
plus qu’il se peut les liens qui les attachent à leur pays d’origine et les invitent
à se solidariser en éléments allogènes (Batiffol, « Statut personnel et statut
réel, deux arrêts récents », JCP 1932, p. 598). Mais en choisissant d’étendre à
l’excès le statut réel au détriment du statut personnel, il n’est pas sûr que ces
décisions aient emprunté la meilleure voie pour répondre à des préoccupations
au demeurant parfaitement légitimes. C’est, en effet, à l’intérieur du statut per-
sonnel par une redéfinition des rôles du domicile et de la nationalité en tant
124 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 14
que facteur de rattachement (v. arrêt Rivière, infra, no 26 § 4), ainsi que dans
une définition adéquate des cas d’attribution de la nationalité française fondés
sur le jus soli que doit être recherchée la solution à ces problèmes.
5 Aussi bien, ces décisions restaient-elles isolées dans la jurisprudence de
l’époque. Si certains avaient pu, en effet, déceler dans celle-ci un « flottement »
(J. Basdevant, note DP 1926. 2. 25 et s., repris par le Proc. gén. Matter, DP 1932.
1. 98), c’est qu’en réalité ils avaient omis dans leur analyse une distinction
pourtant essentielle, celle des incapacités générales et des incapacités spécia-
les (Batiffol, La capacité civile des étrangers en France, 1929, p. 109 et s.;
art. préc., JCP 1932, p. 599 et s.). Alors que les secondes obéissent à la loi de
la matière dont elles relèvent, les premières concernent la personne en tant que
telle et doivent donc être soumises à la loi personnelle des intéressés (sur cette
question, v. arrêt Patiño, infra, no 38-39 § 12). Et de fait, s’agissant d’incapa-
cités générales, plusieurs décisions des juges du fond (v. par ex. Pau, 9 juill.
1907, DP 1908. 2. 68, S. 1909. 2. 117, Clunet 1908. 1. 183) mais aussi de la
Cour de cassation (Civ., 13 juin 1893, Sidi-Belkassem, DP 1894. 1. 169) avaient
déjà fait application dans des espèces proches de celle du Château de Cham-
bord, de la loi personnelle étrangère bien que l’immeuble en cause fût régi par
la loi française. La solution était donc prévisible. Elle marque que « les lois
sur la tutelle n’ont pas le régime foncier pour objet mais la protection des
incapables » (Malaurie, note D. 1960. 598). Plus profondément, elle témoigne
de ce que l’objectif de protection de la personne et du patrimoine de l’incapa-
ble l’emporte au sein du droit des incapacités sur celui de la conservation des
biens dans la famille (Carbonnier, Essais sur les lois, p. 21 et s.; Y. Lequette,
Protection familiale et protection étatique des incapables, thèse Paris II,
éd. 1976, no 32). Ainsi, poursuivant dans la voie qu’elle s’était déjà tracée, la
Cour de cassation décide-t-elle que les incapables étrangers pouvaient être
habilités, selon leur loi personnelle, à partager amiablement un immeuble sis
en France. La loi réelle bute devant ce qui constitue la « forteresse » du statut
personnel, les incapacités générales (Batiffol, art. préc., JCP 1932. 600).
6 B. — Participant à l’organisation de l’incapacité, l’aptitude à partager amia-
blement ressortit au statut personnel, lequel a, aux termes de l’arrêt, également
compétence pour définir les pouvoirs du tuteur ainsi que les formalités habi-
litantes nécessaires à la réalisation de cet acte. Ultérieurement réaffirmée
sous une forme encore plus tranchée (Civ., 19 mai 1958, consorts Wahab, Rev.
crit. 1958. 700, note Batiffol; 13 juin 1960, consorts Liou-Sang, Rev. crit.
1961. 540, note Jambu-Merlin, D. 1960. 597, note Malaurie), cette solution
s’impose avec force. Si le législateur a prescrit des formalités particulières
pour l’accomplissement d’actes relatifs aux biens appartenant à des incapa-
bles, ce n’est pas en raison de considérations puisées dans la nature de ces
biens, celle-ci ne changeant pas suivant que ceux-ci appartiennent ou non à des
incapables mais en raison de l’incapacité de leur propriétaire à laquelle il
entend grâce à elles remédier. Le Procureur général Matter n’exprimait
d’ailleurs pas autre chose dans ses conclusions lorsqu’il affirmait que la prohi-
bition du partage amiable résultant des articles 466 et 838 du Code civil ne
14 CHÂTEAU DE CHAMBORD — CASS., 13 AVRIL 1932 125
protège pas les biens en tant que tels mais en tant qu’ils appartiennent à des
incapables. En l’espèce, l’immeuble situé en France pouvait donc être partagé
amiablement, même en présence d’héritiers incapables, dès lors que leur loi
nationale le permettait et que toutes les formalités habilitantes prescrites par
celle-ci avaient été exactement remplies.
7 Cette solution fut néanmoins critiquée par certains commentateurs (Audi-
net, S. 1929. 2. 35), au motif que l’intervention du Grand Maréchal de la cour
prévue par la loi autrichienne avait conféré à ce partage un caractère judiciaire
qui faisait obstacle à sa reconnaissance en France, les tribunaux français étant
exclusivement compétents pour procéder à un tel acte sur un immeuble qui y
était situé. Mais si l’exactitude de la dernière proposition, réaffirmée d’ailleurs
dans le présent arrêt par la Cour de cassation, apparaît difficilement contesta-
ble, il n’en va pas de même de la qualification sur laquelle elle s’appuie. Le
Grand Maréchal agissait, en effet, ici non en tant qu’organe judiciaire chargé
de trancher ou de prévenir une contestation mais en tant qu’organe de tutelle
ayant la haute main sur la protection de l’incapable (en ce sens, Dennery, Le
partage en droit international privé français, p. 242). Difficile pour les juristes
de l’époque, cette distinction nous est plus aisément accessible depuis que la
loi du 14 décembre 1964 a prévu que l’homologation par le tribunal de l’état
liquidatif du partage ne confère pas à celui-ci un caractère judiciaire. C’est dire
que dans l’hypothèse inverse, lorsque l’immeuble est étranger et l’incapable
français, l’exigence de cette homologation devrait, comme celle de l’autori-
sation du conseil de famille, s’analyser en une formalité habilitante rele-
vant de la loi personnelle (v. cep. contra, TI Montmorency, 9 sept. 1970, JCP
1971. II. 16759, note H. Gaudemet-Tallon, Rev. crit. 1972. 471, 2e esp., note
Patarin. Sur la frontière entre les formalités habilitantes et l’option héréditaire,
v. TI Lille, 28 mars 1980, Rev. crit. 1981. 289, note Y. Lequette). Cette déli-
mitation ne paraît pas remise en cause par la Convention de La Haye du
5 octobre 1961 sur la protection des mineurs (en ce sens, Batiffol et Lagarde,
t. II, no 498), pas plus semble-t-il que par la Convention de La Haye du 19
octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance,
l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et des
mesures de protection des enfants.
En premier lieu, les héritiers réservataires avaient, selon eux, droit sur
l’immeuble situé en France à la part de réserve que leur attribue le droit fran-
çais sans qu’il soit tenu compte des allotissements qu’ils avaient reçus au
moyen de biens héréditaires régis par une loi différente. Or, en l’espèce, le
château de Chambord ayant été attribué en entier à un seul des héritiers, la
réserve des autres cohéritiers était manifestement méconnue.
En second lieu, le partage devait être rescindé, certains cohéritiers ayant
subi une lésion de plus du quart. Là encore, l’argumentation n’avait de chan-
ces de succès que si l’on raisonnait par rapport au seul château de Chambord.
La Cour d’Orléans repoussa cette double demande au motif qu’elle était
nouvelle et, à supposer qu’elle ne le fût pas, que l’exécution du partage par
les intéressés devait être considérée comme une ratification de l’acte incri-
miné emportant déchéance des actions en réduction et en rescision. S’appuyant
exclusivement sur le premier motif, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
9 En dépit du caractère purement procédural des raisons qui fondent ce rejet,
l’arrêt présente un intérêt certain en ce qu’il illustre excellemment les difficul-
tés qu’engendre parfois le système du morcellement successoral. En cas de
pluralité de masses, doit-on pour apprécier la lésion ou une éventuelle atteinte
à la réserve, raisonner globalement en tenant compte des attributions opérées
dans un autre pays, ou séparément à l’intérieur de chaque masse ? La seconde
solution qui avait les faveurs des demandeurs peut conduire à des résultats
dont l’absurdité a déjà été signalée, en ce qui concerne l’action en réduction,
à l’occasion du commentaire de l’arrêt Stewart (supra, no 3 § 10; v. aussi
G. Droz, Rev. crit. 1992, p. 79 et s.). De même, il serait tout à fait regrettable
de rescinder un partage en France au prétexte qu’un héritier y subit une lésion
de plus du quart alors qu’il a reçu dans le partage d’une masse étrangère une
compensation qui rétablit l’équilibre. Aussi bien a-t-il été suggéré d’apprécier
la lésion en tenant compte de l’ensemble, l’excédent des attributions opérées
dans un partage pouvant combler la lésion subie dans un autre, car « si la suc-
cession se partage par masses, elle n’en constitue pas moins une unité que la
loi française ne peut méconnaître » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 684; M. Goré,
Rev. crit. 1992. 308. Pour une extension de ce raisonnement à l’action en
réduction, v. Y. Lequette, « Ensembles législatifs et droit international privé
des successions », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1983-1984, p. 170; rappr. recom-
mandations 96e congrés des Notaires de France, Rev. crit. 2000. 578). Bien
qu’il ait été parfois invoqué à l’appui de ce raisonnement, l’arrêt du Château
de Chambord ne paraît contenir aucune indication en ce sens. En revanche, ses
enseignements, quoiqu’implicites, sont beaucoup moins aléatoires s’agissant
de la loi applicable à la rescision pour lésion. En rappelant qu’« aucun texte de
loi ne frappe de nullité le contrat de partage (…) que la seule voie ouverte aux
copartageants contre un pareil contrat est celle de l’action en rescision mais à
condition qu’il en soit résulté pour eux une lésion de plus du quart », la Cour
de cassation paraît bien, en effet, soumettre cette dernière question à la loi
française, loi successorale. La solution s’imposait. Sanctionnant la règle de
l’égalité, la rescision doit être régie par la loi qui détermine la consistance des
parts, loi de la condition violée (Batiffol et Lagarde, t. II, no 664; Dennery, op.
14 CHÂTEAU DE CHAMBORD — CASS., 13 AVRIL 1932 127
4 juin 1935
(Rev. crit. 1936. 755, note Basdevant, S. 1936. 377, rapport Pilon, note Niboyet,
DP 1936. 1. 7, rapport Pilon, note R. Savatier).
Régime matrimonial. — Changement. — Loi applicable.
Faits. — Deux polonais se marient en 1911, sans contrat préalable, à Paris où ils
sont domiciliés. En 1925 ils conviennent, par acte notarié dressé en Belgique, d’adopter
un régime de séparation de biens. Cet acte est inscrit en 1928 au registre matrimonial de
Strasbourg, ville en laquelle les époux ont acquis un nouveau domicile.
En 1932, à la demande d’un créancier du mari, une saisie est pratiquée sur un meu-
ble-bibliothèque au domicile conjugal. La femme assigne devant le Tribunal cantonal de
Strasbourg le créancier saisissant aux fins d’annulation de la saisie; étant mariée, prétend-
elle, sous le régime de la séparation de biens et ayant personnellement acquis ce meu-
ble, celui-ci lui appartient et n’entre donc pas dans le gage des créanciers de son mari.
À quoi le créancier réplique que les époux, mariés sans contrat alors qu’ils étaient
domiciliés en France, sont régis quant à leurs rapports patrimoniaux par la loi française
qui les soumet à la communauté légale de meubles et acquêts et qui, comportant le prin-
cipe de l’immutabilité du régime matrimonial, n’attribue aucune valeur à l’acte de 1925
aux termes duquel ils déclaraient se placer sous un régime de séparation.
Le Tribunal cantonal de Strasbourg accueille cette argumentation. La demanderesse
forme un pourvoi en cassation.
ARRÊT
La Cour; — Sur les deux moyens réunis, pris de la violation ou fausse applica-
tion des articles 1134, 1393, 1394, 1395 du Code civil, 7 de la loi du 20 avril 1810,
défaut de motifs et manque de base légale : — Attendu que le tribunal
15 ZELCER — CASS., 4 JUIN 1935 129
(T. cantonal de Strasbourg, 23 mars 1933) ayant décidé que les époux Zelcer, de
nationalité polonaise, mariés sans contrat, en 1911, à Paris, où ils étaient alors
domiciliés, et qui, en 1925, par le ministère d’un notaire belge, avaient adopté
la séparation de biens, étaient soumis uniquement au régime de la commu-
nauté légale du droit français, le pourvoi reproche au jugement d’avoir fondé sa
décision sur le seul fait que les époux avaient leur domicile en France lors de la
célébration du mariage, et refusé à des conjoints dont la loi nationale ignore la
règle de l’immutabilité des conventions matrimoniales le droit de modifier leur
contrat de mariage primitif; — Mais attendu qu’il appartient aux juges du fond
d’apprécier souverainement, d’après les faits et circonstances, et notamment en
tenant compte du domicile matrimonial des époux, le statut matrimonial que
des étrangers, se mariant en France sans contrat, ont eu la volonté commune
d’adopter pour le règlement de leurs intérêts pécuniaires; que, dès lors, en la
cause, le tribunal a pu décider, en se fondant, à défaut d’autres circonstances,
sur le fait que les époux Zelcer, lors de leur mariage à Paris, y étaient domiciliés,
qu’« ils sont réputés s’être reférés au régime matrimonial français qui comporte
pour eux, à défaut de contrat de mariage, la soumission au régime de la com-
munauté légale et la défense de modifier ce régime par une convention
postérieure »; — D’où il suit que le jugement attaqué, qui est motivé, a justifié
légalement sa décision, sans violer ni faussement appliquer les textes de loi visés
par le pourvoi; — Par ces motifs : — Rejette.
Du 4 juin 1935. — Cour de cassation (Ch. req.). — MM. Boulloche, prés.; Pilon, rapp.; Rateau, av.
gén. — Me Feldmann, av.
OBSERVATIONS
(1) L’histoire de l’introduction en France de la Convention du 14 mars 1978 mérite d’être contée
brièvement tant elle est exemplaire des conditions dans lesquelles s’élabore le droit international
privé français depuis quelques lustres. On connaît les interventions répétées du législateur en
matière de filiation (art. 311-14 à 311-18, réd. L. 3 janv. 1972) et de divorce (art. 310, réd.
L. 11 juill. 1975). Redoutant que celles-ci ne se renouvellent dans le domaine des régimes matrimo-
niaux à la faveur du toilettage de la matière qui devait aboutir à la loi du 23 déc. 1985, la Chancelle-
rie prit l’initiative de faire signer (26 sept. 1978) et ratifier (26 sept. 1979), avec une célérité
inhabituelle, la Convention de La Haye du 14 mars 1978. Ainsi entendait-elle désamorcer toute vel-
léité de réglementation purement nationale de la matière à l’initiative du président de la Commis-
sion des lois de l’époque. Mais parant ainsi à un danger manifeste, si l’on en juge par les fruits
passés, le ministère se mettait à terme en position d’en affronter un tout aussi redoutable.
130 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 15
8 En premier lieu, il est clair que la volonté des époux ne détermine qu’indi-
rectement le régime matrimonial — objet auquel elle ne s’est pas appliquée.
Cette volonté ne choisit pas davantage la loi applicable; elle porte sur la locali-
sation des intérêts du ménage qui constitue le facteur de rattachement, le domi-
cile matrimonial conservant son rôle d’indice prépondérant générateur d’une
présomption de droit.
134 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 15
note Malaurie; TGI Paris, 10 mai et 12 juill. 1972, Rev. crit. 1973. 104, note
H. Gaudemet-Tallon, Clunet 1972. 855, obs. Ph. Kahn; TGI Paris, 25 mars
1981, Rev. crit. 1982. 329, note H. Gaudemet-Tallon) et la déclaration ainsi
obtenue sera en France opposable au tiers dès lors que les exigences de
publicité prévues par le droit français auront été satisfaites — spécialement si
la loi déclarée applicable est une loi étrangère (v., adaptant ces exigences en
recourant à l’art. 1294, NCPC, TGI Paris, 25 mars 1981, préc.; Civ. 1re, 6 janv.
2004, Bull. I, no 5, JCP 2004. IV. 1396, Rev. crit. 2005. 797, v. B. Audit,
no 865 et à propos de l’article 9 de la convention de 1978, S. Corneloup, La
publicité des situations juridiques. Une approche franco-allemande de droit
interne et de droit international, thèse Paris I, LGDJ 2003, nos 352 et s.). On
ne soutient pas ainsi, en remédiant à ses imperfections techniques, une règle
au bien-fondé de laquelle on ne croit pas (sur l’attitude parfois opportuniste
des juges du fond, v. G. Wiederkehr, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1986. 88, p. 229).
n’est pas immédiatement évident que la volonté des époux doive prendre part.
La possibilité de changer de régime matrimonial pendant le cours du mariage
est traditionnellement l’objet de dispositions impératives — et même en 1935,
prohibitives, pour ce qui était du droit civil français. Or s’il est facile d’admet-
tre, compte tenu du rôle reconnu à l’intention commune dans la désignation de
la loi du régime, que celle-ci « détermine les effets du mariage sur la composi-
tion du patrimoine des époux » (Saggioriato, Civ. 1re, 12 avr. 1967, Bull. civ. I,
no 124) dès lors qu’aujourd’hui prévaut l’idée que la répartition des biens et
des dettes peut être librement organisée par les époux, en revanche on hésitera
davantage à soumettre à un rattachement volontaire les limitations que le droit
interne apporte à cette liberté. L’idée serait que ce qui relève de la liberté des
époux pourrait être laissé à la loi de leur choix tandis que ce qui s’impose à
leur volonté devrait obéir à une loi objectivement désignée. Ainsi on pourrait
opposer, d’une part, l’attribution à la loi d’autonomie de questions de composi-
tion des masses ou d’administration des biens et, d’autre part, la soumission à
la loi des effets personnels du mariage, par exemple, de la question de la licéité
des contrats et donations entre époux (v. infra, arrêt Campbell-Johnston, no 42;
Fadlallah, La famille légitime en droit international privé, nos 199 et s.) ou
encore, des questions qui forment la matière « hétéroclite » (Loussouarn, Bourel
et de Vareilles-Sommières, no 314) de ces règles réunies par la curieuse déno-
mination doctrinale de régime primaire impératif (sauf pour celles-ci à consti-
tuer également des lois d’application immédiate; v. sur ce point, Batiffol et
Lagarde, t. II, no 631-1, p. 380; P. Mayer et V. Heuzé, no 783; B. Audit, no 674;
Fadlallah, op. cit., nos 141 et s.; TGI Paris, 25 juin 1976, Rev. crit. 1977. 708,
note E. Poisson-Drocourt, Clunet 1978. 325, obs. Y. Lequette; Civ. 1re, 20 oct.
1987, Cressot, Rev. crit. 1988. 540, note Y. Lequette, Clunet 1988. 447, note
A. Huet; G. Wiederkehr, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1986. 88, p. 232; contra,
Cass. belge, 25 mai 1992, Banque Sud Belge, Rev. crit. 1993. 615, note
M. Fallon v. aussi infra, arrêt Cie internationale des wagons-lits, no 53 § 12).
11 Au reste, la considération de l’impérativité n’est pas seule à justifier le
cantonnement de la loi d’autonomie. S’agissant du régime primaire ou des
donations entre époux, celui-ci s’explique également par le fait que les règles
qui les gouvernent sont « hétérogènes au régime matrimonial » car « indépen-
dantes » de celui-ci. N’affectant qu’incidemment la structure du régime, elles
ressortissent d’abord à la structure des rapports institués entre les époux par le
mariage. Mais ne devrait-il pas alors en aller de même pour l’immutabilité ou
la mutabilité du régime matrimonial ?
L’arrêt Zelcer oblige alors à admettre que l’immutabilité — en dépit de son
caractère impératif — concerne, quant à elle, directement la structure du
régime matrimonial. Là serait le fondement de la solution (A).
Mais aujourd’hui le débat doit déborder cette solution; l’évolution du droit
civil français et les tendances du droit comparé comme les orientations du
droit conventionnel ouvrent de plus en plus libéralement aux conjoints la
faculté de modifier au cours de leur union l’organisation de leurs rapports
patrimoniaux. La question de la mutabilité du régime se prolonge désormais
par celle de la mutabilité de la loi applicable (B).
15 ZELCER — CASS., 4 JUIN 1935 137
Rev. crit. 1938. 659; T. civ. Colmar, 12 juin 1951, Rev. crit. 1952. 130, note
Y. Loussouarn).
13 La défense de changer de régime matrimonial pendant le mariage constitue
un facteur de cohésion utile au fonctionnement satisfaisant et juste de l’institu-
tion. Et si la longévité des unions, à une époque encore peu reculée, a conduit
à une révision du principe d’immutabilité, cela s’est traduit par un assouplis-
sement et non par la péremption de l’exigence de continuité. La mutabilité sur-
veillée — largement diffusée en droit comparé — raccourcit aujourd’hui la
durée d’application du régime mais ne la réduit pas à la précarité de l’instant.
On en revient ainsi, une fois de plus, à la structure du régime matrimonial
(v. Fadlallah, op. cit., no 92), pour souligner l’adéquation du rattachement et
de la qualification. Aussi bien, la solution de la loi du régime s’est-elle main-
tenue sans difficulté après l’abandon en 1965 de l’immutabilité par le Code
civil (v. Seine, 25 janv. 1967, Rev. crit. 1972. 563, note H. Batiffol; TGI Dijon,
18 nov. 1969, Strauss-Etlinger, Rev. crit. 1972. 448, note G. Droz, Defrénois
1971. 1258, note Malaurie; Colmar, 7 mars 1973, Lorenzon, Rev. crit. 1973.
524, note A. P.; Civ. 1re, 4 mars 1969, Patiño, Bull. I, no 95, p. 72, Rev. crit.
1970. 747 (motifs); v. aussi, mais implicite, Paris, 29 juin 1968, époux Fon-
taine, Rev. crit. 1970. 298, note A. Ponsard, Clunet 1970. 69, obs. Ph. Kahn,
JCP 1969. II. 15845, concl. Ph. Souleau et, en dernier lieu, très explicite, Col-
mar, 19 janv. 1995, Metz, Rev. crit. 1993. 281, note P. Lagarde, Defrénois
1993. 573, note M. Revillard).
Le maintien de la solution atteste son bien-fondé, mais celui-ci ne lui
assure pas un monopole sur l’ensemble de la question de la mutabilité du
régime. Certes, si la loi d’autonomie admet la faculté de changer de régime, il
lui reviendra aussi « de fixer les conditions mises à l’exercice de cette faculté
et de dire si la réalisation de ces conditions doit ou non faire l’objet d’un con-
trôle, si le contrat modificatif doit être ou non homologué par une autorité
administrative ou judiciaire ». (A. Ponsard, note préc., Rev. crit. 1970, p. 302,
P. Lagarde, note préc., Rev. crit. 1993, p. 286, critiquant Colmar, 19 janv. 1993).
En revanche les règles françaises de compétence internationale, d’organisa-
tion judiciaire et de procédure civile définiront la régularité de la saisine d’un
tribunal français, et si celui-ci procède à l’homologation, il conviendra
d’effectuer les formalités de publicité imposées par le droit français — sans
préjudice d’ailleurs des exigences de la loi du régime et de la loi du domicile
actuel des époux. (v. Batiffol et Lagarde, t. II, no 630, p. 378).
Enfin, il est permis de se demander s’il appartient à la loi du régime modi-
fié de permettre un changement corrélatif de la loi applicable.
1992, Bull. I, no 261, sol. implicite; Civ. 1re, 23 mai 2006, Viénot, D. 2006, IR,
p. 1633), mais cette solution se justifie par le fait que les intéressés, étant maî-
tres de leurs droits, peuvent en disposer à leur convenance et soumettre leur
contrat à une loi propre (sur cette question, v. B. Fauvarque-Cosson, Libre dis-
ponibilité des droits et conflits de lois, thèse Paris II, éd. 1996, nos 600 et s.).
Cette faculté ne remet pas en cause l’application de la loi du régime (Civ. 1re,
12 juin 1979, Rev. crit. 1981. 491, note H. Batiffol, D. 1979, IR 460, obs.
Audit, D. 1980. 202, note F. Boulanger; Paris, 2 juin 1982, Clunet 1983. 801,
obs. J.-M. Jacquet); les droits dont il est disposé sont ceux que détermine la loi
du régime et leur consistance donnerait-elle lieu à contestation, c’est à celle-ci
qu’il conviendrait de se reporter, quand bien même la convention de liquida-
tion ou de partage les concernant relèverait d’une autre loi (Civ. 1re, 21 mai
1997, Diarra, Rev. crit. 1998. 87, note B. A., 25 janv. 2005, Van Dongen, Rev.
crit. 2005. 300, note B. Ancel, D. 2005. 1210, note N. Bouche, Defrénois 2005.
1040, note M. Revillard, Dr. fam. 2005, no 231, note M. Farge, Droit et patri-
moine, nov. 2005, no 142, p. 107, obs. M.-E. Ancel).
Dégagée pour la liquidation et le partage, cette solution vaut-elle au-delà,
pour l’établissement d’un nouveau régime lorsque la dissolution du premier
intervient dans le cours du mariage ? La réponse négative, pérennisant le rat-
tachement initial, peut s’appuyer sur plusieurs arguments, mais aucun n’est
vraiment décisif.
En premier lieu, on remarquera peut-être que la succession de deux lois dif-
férentes aggrave les difficultés de coordination et d’adaptation entre les régi-
mes successifs. Le danger est indéniable mais, d’une part, il existe en droit
interne français, les époux pouvant choisir un régime étranger, par appropria-
tion ou incorporation à leur contrat; d’autre part, il faut tenir compte du carac-
tère conventionnel du changement de régime — les époux mettront à profit la
liberté des conventions matrimoniales pour ménager la transition entre la loi
ancienne et la loi nouvelle et, le cas échéant, le juge de l’homologation exi-
gera une harmonisation ne serait-ce que dans l’intérêt des enfants mineurs.
En second lieu, il est tentant de se prévaloir de ce que la Cour de cassation
a affirmé la permanence du rattachement au cours du mariage (Civ., 19 déc.
1973, Rev. crit. 1975. 247, note Wiederkehr). Cependant, cette prise de posi-
tion tendait seulement à condamner une tentative de résurgence de la thèse de
la soumission du régime à la loi des effets du mariage; on avait espéré faire
admettre en l’espèce un changement de loi applicable consécutif à un change-
ment de nationalité. L’arrêt du 19 décembre 1973 rappelle fermement la solu-
tion de la loi d’autonomie et dénie au changement de nationalité toute inci-
dence en la cause…
À l’inverse, on peut faire valoir que si la solution de la permanence du rat-
tachement est rationnellement reliée à celle de la loi d’autonomie (comp.
P. Lagarde, « Le principe de proximité », Rec. cours La Haye, 1986. 1, p. 47),
c’est par l’exigence de continuité du régime (v. supra, no 15 § 3); elle trou-
vera donc sa mesure dans l’intensité de cette exigence. Extrême jusqu’aux
dernières décennies — ce qui justifie l’arrêt de 1973 — celle-ci a depuis
baissé. L’immutabilité du régime commandait l’immutabilité du rattachement;
la mutabilité du régime autorise la mutabilité du rattachement. La proposition
140 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 15
paraît accueillie par les juridictions du fond, au moins quand il n’y a pas eu,
lors du mariage, choix exprès de la loi applicable (v. en ce sens, TGI Dijon,
18 nov. 1969; Colmar, 7 mars 1973 et 19 janv. 1993, préc., acceptant le chan-
gement en faveur de la loi française, loi du domicile conjugal actuel, et subor-
donnant la possibilité qu’ouvre le droit international privé français de changer
de loi à la permission que donne la loi du régime actuel de modifier celui-ci;
Chambéry, 20 juin 1995, Pahud, Clunet 1996. 663, note E. Kerckhove, accep-
tant le changement en faveur d’une loi étrangère; v. aussi la position de la
Cour de Paris selon laquelle le rattachement par le premier domicile matrimo-
nial, « de caractère permanent par nature, en ce qu’il fixe le statut matrimonial
est insusceptible d’être modifié, si ce n’est par application du droit déclaré
compétent ou par l’effet de circonstances exceptionnelles telle l’acquisition
du statut de réfugié », Paris, 31 oct. 1991, Hewett, D. 1991, IR 285, Clunet
1992. 373, note L. Idot ou « la rupture avec le pays d’origine consommée par
l’acquisition de la nationalité du pays d’accueil », Paris, 5 juill. 1990, Dudu-
Lovian, D. 1990, IR 219, Defrénois 1991. 551, note M. Revillard); le change-
ment de loi tantôt obéirait aux conditions fixées par la loi du régime actuel —
comme par un jeu de renvoi —, tantôt serait directement permis par le droit
international privé français.
15 Ces solutions sont aujourd’hui périmées. La Convention de La Haye du
14 mars 1978 (préc.) renferme, en effet, une disposition de droit matériel
(art. 6) qui donne aux époux, quelle que soit la date de leur mariage (art. 21),
la liberté de changer la loi régissant leur régime matrimonial, en choisissant la
loi de la nationalité ou la loi de la résidence de l’un d’entre eux. Mais alors
que, dans la construction jurisprudentielle française, le changement de loi était
conçu comme un prolongement du changement de régime, la Convention de
La Haye envisage le changement de loi en lui-même, sans se préoccuper du
changement de régime. D’où une question : le changement de régime obéit-il
aux seules conditions régissant le changement de loi ou relève-t-il d’une autre
loi et laquelle ?
La réponse est rien moins qu’évidente. D’après une doctrine particulière-
ment autorisée (Droz, « Les nouvelles règles de conflit françaises en matière
de régimes matrimoniaux », Rev. crit. 1992. 657), il faudrait distinguer selon
que les époux ont voulu se soumettre au régime légal de la loi nouvelle ou à
un régime conventionnel. Dans le premier cas, aucune condition ni formalité
autre que celles qui sont posées par les articles 10, 11 et 13 pour le change-
ment de loi ne serait requise. Selon cette analyse, il suffirait donc, dès lors
qu’est remplie la condition de nationalité ou de résidence, d’une déclaration
des époux dans la forme prescrite pour les contrats de mariage par la loi choi-
sie ou par celle du lieu de rédaction, pour passer du régime de communauté
réduite aux acquêts du droit français au régime légal de séparation de biens du
droit anglais ou au régime légal de communauté universelle du droit néerlan-
dais. Dans le second cas, c’est-à-dire lorsque les époux veulent se soumettre à
l’un des régimes conventionnels de la loi nouvelle, le changement s’opérerait
en deux temps. Il faudrait considérer, dans un premier temps, que le change-
ment de loi a entraîné une soumission au régime légal du système choisi, puis,
15 ZELCER — CASS., 4 JUIN 1935 141
dans un deuxième temps, que les époux ont abandonné ce régime légal pour
le régime conventionnel de leur choix. Alors que la première phase obéirait
aux seules conditions posées par les articles 10 et suivants pour le changement
de loi, la seconde se réaliserait sous le contrôle de la loi nouvelle et s’effectue-
rait donc aux conditions posées par celle-ci pour un changement de régime.
Ainsi des époux qui entendent passer du régime légal anglais de séparation de
biens au régime conventionnel français de séparation de biens doivent, selon
cette analyse, choisir la loi française, ce qui les placera sous le régime de
communauté puis entamer en France une procédure de changement de régime
obéissant aux conditions posées par l’article 1397 du Code civil.
Devant l’absurdité du système ainsi mis en place, le législateur français a
introduit dans le Code civil un article 1397-3 qui dispose que « à l’occasion
de la désignation de la loi applicable, avant le mariage ou au cours de celui-ci,
les époux peuvent désigner la nature du régime matrimonial choisi par eux »
(G. Khairallah, « La loi du 28 oct. 1997 : question de méthode », Rev. crit.
1998. 249; M. Revillard, Trav. com. fr. dr. intr. pr. 1995-1998. 267, Defrénois
1997, art. 36700; D. Boulanger, JCP N, 1997, p. 1525; Th. Vignal, JCP 1998,
p. 116). Il en résulte que des époux peuvent, à la faveur d’un changement
de loi, changer de régime, sans se plier aux contraintes de la procédure
d’homologation, alors même que la loi normalement applicable exigeait un tel
contrôle. Symptomatique de la politique de « fuite en avant » qui caractérise
aujourd’hui trop souvent le système juridique français, l’introduction de cette
disposition avait fait naître une délicate question : le droit français pourrait-
il maintenir longtemps la coexistence, au plan interne, de l’article 1397 qui
met en place un système de mutabilité contrôlée, et au plan international, de
l’article 1397-3 qui admet une libre mutabilité des régimes matrimoniaux ?
Étudiant les rapports entre droit interne et droit international, Niboyet formu-
lait sa « loi du maximum de différence » et constatait qu’on ne peut laisser se
former deux droits parallèles entièrement différents l’un de l’autre sans qu’à
terme la force d’attraction de l’un ne s’exerce sur l’autre (Traité, t. III, no 934,
p. 262). Cette loi s’est trouvée ici encore vérifiée, au moins partiellement,
puisque la loi du 23 juin 2006, modifiant l’article 1397, a limité l’exigence de
l’homologation judiciaire à la présence d’enfants mineurs, à l’existence d’une
opposition émanant des personnes intéressées, enfants majeurs, créanciers. On
voit ainsi comment des dispositions de circonstance, adoptées pour remédier
aux imperfections d’une convention internationale, peuvent conduire au refoule-
ment d’une disposition protectrice de l’entité familiale (rappr. H. Lécuyer,
« Les régimes matrimoniaux : le droit international privé modèle du droit
interne ? », LPA 28 mars 2001, no 62, p. 49 et s., spéc. p. 52).
16
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
7 mars 1938
Le renvoi fait par le droit international privé étranger à la loi d’un autre
État pouvant être le cas échéant la législation française revêt un caractère
en principe obligatoire.
L’interprétation par le juge français des dispositions étrangères de droit
international privé renvoyant à la loi française échappe au contrôle de la
Cour de cassation.
Faits. — Carlos Marchi della Costa, sujet argentin, résidait en France sans y avoir
jamais été admis à domicile. Il décéda intestat le 1er septembre 1910 laissant des parents
par le sang ainsi qu’une veuve, remariée ultérieurement à un sieur de Bagneux. Par un
arrêt du 18 mars 1913 passé en force de chose jugée, la Cour de Paris décida que le
Tribunal civil de la Seine dans le ressort duquel s’était ouverte la succession était com-
pétent pour connaître de toutes les difficultés que pouvait comporter sa dévolution;
ainsi, à l’époque, était-il, en la matière, dérogé au principe de l’incompétence des tribu-
naux français dans les litiges entre étrangers (v. infra, no 37 § 3 et s.) lorsque ceux-ci
pouvaient se prévaloir de la situation en France du dernier domicile de fait du de cujus
(v. déjà en ce sens, Req. 7 juill. 1874, Specht, D. 75. 1. 271; rappr. Civ. 1re, 17 nov. 1981,
Dame Fries, Clunet 1982. 926, note G. Wiederkehr; 7 mars 2000, Igoa-Etchebarren,
Rev. crit. 2000. 459, note B. Ancel).
Mais quelle loi appliquer ?
En matière de succession mobilière, la règle de conflit française était incertaine. (Sur
les successions immobilières, v. supra, arrêt Stewart, no 3). Le domicile déterminant la
loi applicable ayant été défini comme le domicile de droit à une époque où son acquisi-
tion était subordonnée à la formalité de l’admission à domicile (art. 13, C. civ.), les tri-
bunaux soumirent la succession mobilière de l’étranger décédé en France non admis à
domicile, à la loi de son pays d’origine (v. supra, arrêt Forgo, no 7-8). Et ce cas étant le
plus fréquent, ils en vinrent peu à peu par ce biais à énoncer que les successions mobi-
lières relevaient de la loi nationale du défunt. Il fallut attendre la suppression de
l’admission à domicile (L. 10 août 1927; sur son application dans le temps, v. Batiffol,
note, Rev. crit. 1975. 79) et l’arrêt Labedan (infra, no 18) pour que l’équivoque fût dis-
sipée et la compétence de la loi du dernier domicile du défunt clairement réaffirmée.
S’appuyant sur la jurisprudence précédemment décrite, la veuve, Mme de Bagneux,
réclamait l’application de la loi argentine, loi nationale du défunt. Les consorts de Mar-
chi objectaient que l’article 3282 du Code civil argentin soumettant les successions à la
16 DE MARCHI — CASS., 7 MARS 1938 143
loi du dernier domicile du défunt, renvoyait à la loi française. À cela, Mme de Bagneux
rétorquait qu’au regard du droit argentin, le seul domicile susceptible d’entraîner une
délégation de compétence à une loi autre que la loi nationale du défunt était celui acquis
par son national dans un pays étranger conformément aux formalités et conditions qui y
étaient requises.
Par arrêt du 12 avril 1929 (S. 1930. 2. 129, note Niboyet), la Cour de Paris retint
l’application de la loi argentine au motif que « le renvoi à la loi du domicile quand il est
en France doit être nécessairement accepté par les tribunaux français » mais à la condi-
tion que le de cujus « ait en France, au moment de sa mort un domicile suffisant »,
c’est-à-dire un domicile autorisé par le go
uvernement français. Or tel n’était pas le cas de M. de Marchi.
Un pourvoi fut formé par les consorts de Marchi. Selon eux, la loi argentine qui seule
devait définir « les conditions dans lesquelles la loi française devenait applicable » sou-
mettait les successions mobilières à la loi du domicile de fait.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que Carlos Alberto de Marchi
della Costa, citoyen argentin, étant mort, au cours de l’année 1910, sur le terri-
toire français où il avait son principal établissement, la Cour d’appel a jugé que
la dévolution de la partie mobilière de sa succession était régie par les disposi-
tions de la loi nationale du de cujus, déterminant l’ordre de préférence entre
successibles; que le pourvoi reproche à l’arrêt attaqué d’avoir, par là, méconnu
la compétence de la loi successorale du domicile du défunt à laquelle se réfé-
rait pourtant l’article 3283 du Code argentin; — Mais attendu qu’après avoir
reconnu le caractère, en principe obligatoire, du renvoi fait par la loi nationale
d’un étranger à la législation successorale d’un autre État, pouvant être, le cas
échéant, la législation française, la Cour d’appel a considéré que, faute par Car-
los Alberto de Marchi della Costa d’avoir acquis en France un domicile régulier,
c’est-à-dire autorisé dans les formes prévues par l’article 13 du Code civil, qui n’a
été abrogé qu’en 1927, la condition exigée pour l’application de l’article 3283
du Code argentin se trouvait manquer; — Attendu qu’en décidant ainsi, les
juges du fond se sont manifestement approprié le système développé dans les
conclusions de la partie aujourd’hui défenderesse à la cassation et selon lequel
le seul domicile susceptible d’entraîner une délégation de compétence à une loi
autre que la loi nationale du défunt était, aux yeux du législateur argentin, le
domicile acquis par son national dans un autre pays, avec les formalités et dans
les conditions requises par les autorités de cet autre pays; — Attendu que
l’interprétation d’une loi étrangère par les juges français échappant au contrôle
de la Cour de cassation, la critique formulée contre l’arrêt attaqué qui repose
exclusivement sur l’interprétation de l’article 3283 du code argentin, ne saurait
être retenue;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 7 mars 1938. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Frémicourt, prem. prés.; Tournon, rapp.;
Bloch-Laroque, av. gén. — MMes Célice et de Lavergue, av.
OBSERVATIONS
5 Il arrive que la loi désignée par la règle de conflit du for renvoie non à la loi
de celui-ci mais à une loi tierce. On parle alors de renvoi au second degré.
La doctrine classique s’était emparée de l’hypothèse pour nourrir sa criti-
que. Selon elle le renvoi, lorsqu’il ne conduisait pas à un cercle vicieux
(supra, no 7 et 8 § 5), risquait de déboucher sur une cascade de désignations,
la loi tierce renvoyant à une loi quarte et ainsi de suite (v. par ex., Bartin, Étu-
des, p. 120). À cela il est aisé de répliquer qu’une même question de droit ne
pouvant être l’objet que d’un nombre limité de qualifications et de rattache-
ments, la succession des renvois ne saurait être indéfinie ni même longue : la
146 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 16
au Danemark sera régi par la loi danoise, que la question soit posée aux juri-
dictions française, anglaise ou danoise. L’argument prend un relief tout parti-
culier lorsqu’une situation juridique dépourvue de tout lien avec le for à l’épo-
que où elle a été créée, est annulée par la loi que celui-ci désigne alors que les
divers ordres juridiques concernés initialement donnent compétence à un droit
qui la valide. À supposer que les conditions en soient réunies, le renvoi au
second degré permettra au juge du for d’appliquer non la loi désignée par sa
règle de conflit mais celle à laquelle s’étaient conformées les parties, respec-
tant ainsi leur légitime prévision. Illustrée jadis par Raape avec son fameux
« rocher de bronze », cette hypothèse se retrouve dans un récent arrêt de la
Cour de cassation (Civ. 1re, 15 juin 1982, Moatti, préc.). Deux sujets syriens
de confession israélite s’étaient mariés en 1924 en Italie devant le grand rab-
bin. Cette union était valable en la forme tant au regard de l’ordre juridique
syrien qui admet le mariage religieux que de l’ordre juridique italien qui ne
l’admettait pas mais dont les dispositions de droit international privé don-
naient compétence au droit syrien. Or ces deux époux ayant été naturalisés
français en 1955, les tribunaux français eurent, environ soixante ans après la
célébration de ce mariage, à connaître de sa validité. Selon le droit internatio-
nal privé français, la loi applicable était la loi du lieu de célébration, loi ita-
lienne qui exigeait à l’époque une cérémonie civile. Le prononcé de la nullité
fut cependant évité grâce au renvoi au second degré, les tribunaux français
appliquant la loi syrienne en raison de la désignation qui en était faite par la
loi italienne. Certes, le renvoi ne permettant de résoudre qu’une partie des dif-
ficultés nées de ce genre d’hypothèse certains préconisent, en ce cas, le
recours à ce que l’on appelle parfois la théorie moderne des droits acquis :
une situation juridique étant née sans rapport avec le for et les règles de
conflit de tous les pays concernés initialement désignant la même loi, on s’en
tiendrait à celle-ci (sur cette conception, v. infra, arrêt Machet, no 23 § 7 et s.).
Mais cette théorie n’ayant jamais été consacrée par le droit positif français,
force est de constater que, dans l’immédiat, le renvoi au second degré reste
l’un des meilleurs instruments au service de l’harmonie internationale des
solutions. Cet avantage sera particulièrement sensible dans un système qui
comme celui du droit international privé français, prescrit au juge de l’exe-
quatur de vérifier que la loi appliquée par la décision étrangère est bien celle
que désigne la règle de conflit française (v. par ex. T. civ. Seine, 22 oct. 1956,
Rev. crit. 1958. 117, note P. Bellet, Clunet 1959. 454, note Bredin; sur cette
condition, v. infra, arrêt Munzer, no 41 § 9). Encore faut-il pour que ce résultat
heureux soit réellement atteint que l’on soit en présence d’un renvoi au
second degré parfait, c’est-à-dire que la loi tierce accepte la désignation dont
elle est l’objet. Au cas contraire, les avis sont, en l’absence de toute directive
jurisprudentielle précise, partagés. Certains préconisent de s’en tenir à la loi
interne du pays désigné par la règle de conflit du for (Loussouarn, Bourel et
de Vareilles-Sommières, no 216; P. Mayer et V. Heuzé, no 222; Audit, no 218);
d’autres de s’en remettre au système de droit international privé désigné par
celle-ci (Batiffol et Lagarde, t. I, no 308 et la note 3; comp. D. Holleaux,
J. Foyer et G. de la Pradelle, no 513). Mais quelle que soit la solution propo-
sée, c’est toujours l’idée de coordination des systèmes qui est sous-jacente.
148 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 16
renvoi au second degré ne se posera en tant que telle que dans la conception du
renvoi coordination (Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, loc. cit.).
Or, à ce double égard, l’arrêt de Marchi apporte, ainsi qu’on la vu, d’utiles
précisions. La Cour de cassation y décide en effet que la règle de conflit ren-
voyant au droit français est une règle étrangère dont l’interprétation échappe à
son contrôle; elle y affirme également le principe du renvoi au second degré.
Le test étant sur ces deux points favorable à la conception développée par le
doyen Batiffol, il est possible d’en déduire que celle-ci rend seule compte de
la jurisprudence. Cette conclusion est, au demeurant, confortée par la formule
utilisée par la Cour de cassation un an plus tard dans l’arrêt Birchall (Req.
10 mai 1939, S. 1942. 1. 73, note Niboyet). Il y est en effet précisé à propos
du divorce de deux époux anglais domiciliés en France que « la loi française
de droit international privé relative à l’état et à la capacité des personnes, telle
qu’elle s’exprime dans l’article 3 du Code civil ne subit aucune atteinte par
l’effet du renvoi qui est fait à la loi interne française par la disposition de
droit international privé de la loi étrangère normalement compétente pour
régir le rapport litigieux mais qui décline cette compétence ».
On ne peut au demeurant que se féliciter du choix opéré par la haute juri-
diction. Les inconvénients de la thèse de Niboyet sont, en effet, manifestes;
en préconisant un retour général et systématique à la lex fori, elle risque de
faire régir une relation juridique par la loi d’un pays qui n’a avec celle-ci que
les liens parfois fort ténus qui fondent la compétence juridictionnelle (Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 209). Quant à la conception de
Lerebours-Pigeonnière, elle se heurte à de sérieuses réserves. Certes la propo-
sition de retenir à titre subsidiaire la loi du domicile en laquelle s’incarnerait
« l’intérêt d’une protection individuelle pratique et efficace » lorsque l’État
national aurait marqué son désintérêt ne manque pas de séduction (« Observa-
tions sur la question du renvoi », Clunet 1924, p. 871 et s., spéc. p. 890). Mal-
heureusement la généralisation de cette démarche ne va pas sans difficultés.
S’il est en effet possible, en cas de récusation de la loi nationale, d’imputer au
législateur français un rattachement subsidiaire par le domicile, il est en
revanche artificiel de lui prêter tous les rattachements qui se rencontrent dans
les lois étrangères et auxquels les tribunaux français se conforment (Batiffol
et Lagarde, t. I, no 310; Aspects philosophiques du dr. int. pr., p. 310; v. aussi
Maury, « Règles générales des conflits de lois », Rec. cours La Haye, 1936,
t. III, no 197, p. 546). En définitive, seule la théorie du renvoi-coordination
rend compte du droit positif tout en lui donnant un fondement cohérent.
C’est dire que dans la conception française, le renvoi n’est pas vécu comme
une nécessité logique mais comme un expédient utile (Maury, cours préc.,
Rec. cours La Haye, 1986, t. III, p. 548; Derruppé, comm. préc., Trav. com. fr.
dr. int. pr. 1964-1966, p. 183 et s.).
De cette analyse doit-on déduire que le renvoi n’est reçu qu’à titre excep-
tionnel, dans des hypothèses limitativement énumérées, ou au contraire qu’il
fait figure de principe sujet à d’éventuelles dérogations ? La première concep-
tion a été développée avec force par M. Francescakis. Constatant que le renvoi
n’avait guère été admis qu’en matière de succession et de statut personnel,
dans le sens nationalité-domicile, il préconise de le cantonner à ces cas (La
théorie du renvoi, nos 249 et 271; Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Renvoi, no 46).
À cela, il a été objecté qu’« il est beaucoup plus difficile de justifier des
exceptions à un principe rejeté comme illogique, que des dérogations dans des
cas particuliers à un principe acceptable, méthode habituelle en droit » (Batif-
fol et Lagarde, t. I, no 311; sur cette méthode : Batiffol, Problèmes de base de
philosophie du droit, 1979, p. 254 et s.). L’homogénéité du droit interne,
l’harmonie internationale des solutions sont des objectifs suffisamment géné-
raux pour que l’expédient soit érigé en principe quitte à faire céder celui-ci
lorsqu’une défaillance est constatée dans un domaine précis (rappr. arrêt Lep-
pert, infra, no 70, pour les conflits transitoires étrangers). Tel est au reste
l’enseignement qui se dégage de la jurisprudence française. La Cour de cas-
sation affirme, en effet, dans l’arrêt de Marchi « le caractère en principe obli-
gatoire du renvoi », (rappr. Civ. 1re, 21 mars 2000, préc.) tout en y dérogeant
lorsqu’elle relève qu’en telle ou telle matière celui-ci ne procure pas les pro-
fits qui en justifient l’accueil par le droit commun. (Sur la question du
domaine du renvoi, v. infra, arrêt Gouthertz, no 51; Y. Lequette, Rép. Dalloz
dr. int., 2e éd., v° Renvoi, nos 34 et s.).
17
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
8 mars 1938
(Rev. crit. 1938. 653, note Batiffol, DP 1939. 1. 17, note Nast)
Filiation. — Reconnaissance d’enfant naturel.
Faits. — Adrienne Fontaine naît le 2 mars 1895 à Paris; sa filiation n’est établie à
l’égard d’aucun de ses parents. Le 14 juin 1922, elle épouse le Major Pulteney, sujet
britannique, et acquiert la nationalité anglaise. Le 28 octobre 1924, soit 29 ans après sa
naissance, Adrienne est reconnue comme son enfant naturel par Antoinette Fontaine qui
lui demande une pension alimentaire. Pour sa défense, Mme Pulteney répond entre autres
choses, que la reconnaissance est nulle en vertu du droit anglais, seul compétent en
l’espèce. Les juges du premier degré, puis la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (28 oct.
1935, Rev. crit. 1938. 653), repoussent la demande d’aliments au motif suivant :
« Attendu que la loi anglaise n’autorise pas la reconnaissance des enfants naturels et
n’attribue aucun effet légal à une telle reconnaissance; — Attendu que la filiation natu-
relle, faisant partie de l’état des personnes, est régie par la loi nationale des intéressés;
— Attendu que, dans l’espèce, la constatation de cette filiation se trouve impossible,
non par le simple fait du conflit de législations, comme l’ont déclaré les premiers juges,
mais parce que seule est applicable la loi nationale de l’enfant; — Attendu que cette
solution s’impose d’autant plus dans la cause que la reconnaissance litigieuse est inter-
venue dans l’intérêt exclusif de son auteur, qui n’a poursuivi d’autre but que de se consti-
tuer un droit de créance alimentaire; — Attendu qu’ainsi, la reconnaissance du 28 octobre
1924 sur laquelle Dame Fontaine base sa demande est nulle, et de nul effet… ».
Un pourvoi est formé.
ARRÊT
(après délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur le moyen unique : — Vu les articles 3, 8 et 334 du Code civil;
— Attendu qu’une mère française ne saurait être privée du droit de reconnaître
l’enfant issu d’elle, nonobstant toute disposition contraire de la loi étrangère
dont il relève à raison de sa nationalité ; — Attendu que la Dlle Antoinette
Fontaine a, par acte du 28 octobre 1924, reconnu comme sa fille naturelle la
Dlle Adrienne Fontaine, née à Paris le 2 mars 1895 et qui, le 4 juin 1922, avait
épousé à Nice le sieur Richard Pulteney, sujet britannique; que, sur une demande
152 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 17
de pension alimentaire formée par la mère contre les époux Pulteney, demeu-
rant à Nice, l’arrêt attaqué l’en a déboutée pour cet unique motif que la loi
anglaise n’autorise pas la reconnaissance des enfants naturels et que la loi de
l’enfant étant seule applicable, l’acte de reconnaissance, sur lequel la mère fon-
dait son action, n’était pas valable; — En quoi l’arrêt, qui méconnaît le droit
imprescriptible qu’a une mère française de reconnaître son enfant dans les for-
mes et conditions édictées par la loi française, n’a pas donné de base légale à sa
décision;
Par ces motifs : — Casse.
Du 8 mars 1938. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Frémicourt, prem. prés.; Jules Laffon,
rapp.; Bloch-Laroque, av. gén. — MMes Texier et Marcilhacy, av.
OBSERVATIONS
1 « Embarrassant » (Batiffol, note, Rev. crit. 1938. 655), l’arrêt Fontaine le fut
incontestablement. Dérangeant les constructions des uns, confortant celles des
autres, l’ambiguïté de sa rédaction était telle que chacun parvint, malgré tout, à
le faire coïncider avec ses propres conceptions. Aussi son étude reste-t-elle
pour l’étudiant une excellente introduction aux grands courants d’idées qui,
dans le champ des conflits de lois, s’affrontaient à la veille de la seconde
guerre mondiale (I). Mais son intérêt n’est pas seulement historique; le débat
qui lui était sous-jacent a, en effet, rebondi avec les dernières réformes du droit
international privé de la famille (II).
2 En décidant qu’« une mère française ne saurait être privée du droit de recon-
naître l’enfant issu d’elle, nonobstant toute disposition contraire de la loi étran-
gère dont il relève à raison de sa nationalité », l’arrêt Fontaine permettait
les interprétations les plus contradictoires. Les magistrats avaient-ils entendu
consacrer la « solution politique » de Niboyet ou se contentaient-ils, tout en se
plaçant dans la perspective traditionnelle du règlement de conflits de lois, de
redéfinir la règle de conflit ou même, simplement, de préciser les contours de
l’ordre public ? La première interprétation était sans doute à l’époque la plus
vraisemblable. Mais, en raison de l’évolution ultérieure des esprits et des
idées, une lecture plus respectueuse des impératifs de la vie internationale devait
finalement l’emporter.
3 A. — Quelle loi appliquer lorsque le statut personnel a pour objet un rap-
port, tel le mariage ou la filiation, qui unit des personnes de nationalité
différente ? L’idée s’est peu à peu fait jour qu’il convenait de dégager une loi
du lien, loi nationale commune des époux ou à défaut loi du domicile commun
pour les effets du mariage (v. infra, arrêt Rivière, no 26), loi nationale de
l’enfant pour la filiation naturelle. Néanmoins, il a été soutenu par Niboyet que
la loi française devrait systématiquement prévaloir lorsque l’une des parties
était française. Il y aurait là « un avantage de caractère politique attaché à la
17 FONTAINE — CASS., 8 MARS 1938 153
Faits. — Jean Labedan, de nationalité espagnole, avait vécu dès son plus jeune âge
en France. Il y décéda le 21 décembre 1931, laissant son épouse instituée légataire uni-
verselle par un testament authentique reçu par un notaire français, ainsi que sa mère,
héritière réservataire tant au regard du droit français que du droit espagnol. Celle-ci
étant morte avant que la succession ne fût liquidée, Alfred Labedan, le frère du de cujus,
contesta la qualité de légataire universelle de la veuve. À cet effet, il invoquait l’arti-
cle 814 du Code civil espagnol qui disposait qu’une institution de légataire universel est
nulle si le testateur a omis de mentionner ses héritiers réservataires en ligne directe. Or
Jean Labedan avait légué son patrimoine à sa femme, sans même faire allusion à sa
mère. Partant, valable au regard du droit français, le legs était nul selon le droit espa-
gnol. Par un jugement du 16 janvier 1933, le Tribunal civil de Bayonne trancha le
conflit de lois en faveur de la loi espagnole et prononça la nullité du legs universel des
meubles. Son argumentation était double : 1° L’article 814 du Code civil espagnol est
une loi d’état et de capacité qui appartient au statut personnel. 2° Le domicile acquis en
France par Labedan n’étant pas autorisé par décret n’est pas un domicile légal. Sur
appel, la Cour de Pau, par un arrêt du 19 mars 1934, déclara le testament valable au
motif que l’article 814 du Code civil doit être rattaché à la matière successorale qui
obéit à la loi du dernier domicile du défunt et non à sa loi nationale. Or depuis que
l’article 13 du Code civil a été abrogé par la loi du 10 août 1927, il n’est, selon la Cour,
« pas douteux qu’un étranger peut y avoir un domicile au sens juridique attaché à ce
terme par l’article 102 du Code civil ».
Un pourvoi fut formé, fondé non sur l’article 3 du Code civil mais sur l’article 11.
Voici la réponse de la Cour de cassation.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que la Cour de Pau (arrêt du
19 mars 1934) a déclaré valable la disposition du testament de Jean Labedan qui
institue sa femme légataire universelle et omet de mentionner l’héritier réserva-
158 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 18
OBSERVATIONS
1 Bien qu’exprimant une des solutions les plus sûres de notre Ancien droit,
l’application de la maxime Mobilia sequuntur personam aux successions
mobilières reposait sur un fondement incertain. À la faveur des réformes issues
du Code civil, cette incertitude gagna la solution elle-même. C’est le mérite de
l’arrêt Labedan de l’avoir dissipée en renouant fermement avec la tradition (I)
et en essayant d’en préciser l’assise (II).
(1) La commission de rédaction du Code civil, constituée le 24 thermidor an VIII, avait déposé
quatre mois plus tard un projet de livre préliminaire du code comportant un article 5 dont le
2e alinéa était ainsi conçu : « Son mobilier (du Français) est réglé par la loi française comme sa
personne ».
18 LABEDAN — CASS., 19 JUIN 1939 159
rédacteurs du Code civil. Effrayés par la complexité d’un problème dont ils
sentaient qu’ils ne le maîtrisaient pas, ils eurent la sagesse de s’abstenir
(v. Lainé, « La rédaction du Code civil et le sens de ses dispositions en droit
international privé », Rev. dr. int. 1905, p. 21-60, 443-479); bel exemple d’humi-
lité législative dont on regrettera que la période récente n’ait pas donné plus
d’illustration. L’article 7 de la loi du 30 ventôse an XII ne déclarant abrogés
que les lois, ordonnances, coutumes et statuts ayant pour objet des matières
visées par le Code civil, cette carence avait pour conséquence, comme le rap-
pelle d’ailleurs l’arrêt, le maintien de l’état de droit antérieur. Celui-ci était,
dès avant le XVIe siècle, exprimé par l’adage Mobilia sequuntur personam,
dont la signification restait, malgré sa célébrité, controversée. Pour Dumoulin,
la succession tout entière devait rentrer dans le statut réel quelle que soit la
nature des biens qui la composent. Simplement, en raison de l’absence
d’assiette fixe, les meubles étaient réputés localisés fictivement au domicile du
défunt. Pour d’Argentré, les meubles dépourvus de situation, réelle ou fictive,
s’incorporaient à la personne de leur auteur. De là, l’idée que la loi du domicile
qui régissait la personne, embrassait les successions mobilières. Chacune de
ces interprétations recueillit un nombre à peu près égal de suffrages de telle
sorte qu’il était, à la veille de la révolution, difficile de déterminer celle qui
représentait l’opinion dominante. Au demeurant, sans être totalement acadé-
mique — puisqu’en cas de conflit mobile la première interprétation conduisait
à la loi du domicile actuel, la seconde à la loi du domicile d’origine —, cette
discussion ne présentait à l’époque qu’un intérêt restreint. Mais en soumettant
le statut personnel à la loi nationale, l’article 3, alinéa 3 du Code civil devait
renouveler profondément les termes du problème : alors que la qualification
statut réel signifiait le maintien des solutions antérieures, l’analyse en termes
de statut personnel impliquait désormais l’application de la loi nationale du
défunt.
3 Non sans quelques tâtonnements (sur lesquels, v. Freyria, La loi applicable
aux successions mobilières en droit international privé français, thèse Lille,
1946, p. 153 et s.), la jurisprudence de l’époque, marquée par un retour au
vieux dogme de la réalité du droit, se prononça pour l’analyse de Dumoulin.
Les successions immobilières furent soumises à la lex rei sitae (v. supra, arrêt
Stewart, no 3), les successions mobilières à la loi du dernier domicile du
défunt. Du moins, cette dernière solution fut-elle posée clairement lorsque le
de cujus, étranger (Civ., 22 mars 1865, Prince Ghyka, D. 1865. 1. 127) ou fran-
çais (Civ., 27 avr. 1868, Jeannin, S. 1868. 1. 257), était domicilié à l’étranger.
En revanche une incertitude subsistait au cas où, étranger, il résidait en France;
elle provenait de l’article 13 du Code civil qui disposait : « l’étranger qui aura
été admis par le gouvernement à établir son domicile en France y jouira de
tous les droits civils tant qu’il continuera d’y résider ». Suffisait-il pour que
l’étranger soit considéré comme ayant son domicile en France qu’il y ait fixé
son principal établissement ou fallait-il en outre qu’il ait obtenu l’autorisation
du gouvernement ? En d’autres termes, le domicile visé par la règle de conflit
relative aux successions mobilières était-il le domicile de fait ou le domicile de
droit ? La question était importante puisque dans le second cas, en l’absence
160 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 18
5 Décider que les successions mobilières sont régies par la loi du dernier
domicile du défunt parce que « les meubles héréditaires sont réputés exister au
lieu d’ouverture » de celles-ci a l’avantage d’unifier le système de la loi appli-
cable aux successions : qu’elle ait pour objet des meubles ou des immeubles,
l’hérédité relève du statut réel. Malheureusement cette conception présente
l’inconvénient de reposer sur une fiction : les meubles sont supposés sis au
domicile abstraction faite de leur situation effective. Aussi bien, cette explica-
tion a-t-elle été vigoureusement critiquée par la doctrine moderne. Certes les
fictions ont parfois leur utilité (v. Gény, Science et technique en droit privé
positif, t. II, nos 245 et s; Ripert, Les forces créatrices du droit, no 144, p. 353),
mais en la circonstance les raisons qui peuvent motiver leur emploi ne se
retrouvent guère. La maxime mobilia sequuntur personam étant en tout état de
cause applicable aux successions mobilières, il ne s’agit pas d’étendre les dis-
positions d’une règle de droit préalablement formulée à une situation juridique
nouvelle qui ne rentrerait pas dans son domaine d’application et que l’équité
commanderait d’assimiler aux situations normalement soumises à celle-ci
(Freyria, op. cit., p. 108). La fiction a, ici, pour seule fonction de fournir à la
solution une justification a posteriori. Or, a-t-on souligné, la solution peut
s’expliquer sans qu’il soit besoin de recourir à un tel « travestissement
juridique ». C’est ainsi que le doyen Batiffol a suggéré que la succession obéi-
rait à la loi du dernier domicile du défunt parce qu’elle serait « toute entière la
conséquence du fait juridique que constitue le décès » (Batiffol et Lagarde,
t. II, no 637). Son argumentation se développe ainsi : selon la conception de
Savigny, il convient de rechercher le siège du rapport de droit. Or la succession
résulte du fait juridique qu’est le décès. Il est donc légitime de soumettre les
successions à la loi du lieu de ce fait juridique, c’est-à-dire à la loi du dernier
domicile du défunt puisque c’est là que s’ouvre la succession. Cette proposi-
tion pleine de séduction a rencontré un large écho en doctrine. L’emploi par
certains arrêts de l’expression « loi du lieu d’ouverture de la succession » aux
lieu et place de « loi du dernier domicile » a pu être interprété comme le signe
d’une certaine adhésion de la jurisprudence (Crim., 4 juin 1941, Szlapka, préc.,
et la note de Batiffol au S. 1944. 1. 133). Néanmoins il a été objecté à cette
analyse qu’elle n’appréhendait par le phénomène successoral dans sa pléni-
tude. En effet, si la succession a bien sa source dans le décès, elle n’est pas que
cela; elle est « l’ensemble des opérations juridiques rendues nécessaires » par
celui-ci (J. Héron, Le morcellement des successions internationales, thèse
Caen, éd. 1986, p. 108, no 127).
6 En réalité si dépassant les divers habillages dont on essaie de la revêtir, on
entreprend de remonter à la raison d’être véritable de cette règle, on découvre
une grande concordance des analyses. Ainsi Boullenois, approfondissant la
proposition de Dumoulin, soulignait que les meubles héréditaires forment une
masse, une entité, un tout doté, alors même qu’ils seraient dispersés en plu-
sieurs lieux, d’une assiette fixe au domicile du de cujus parce qu’il faut sauve-
garder l’unité de la loi applicable (De la personnalité et de la réalité des lois,
18 LABEDAN — CASS., 19 JUIN 1939 163
25 mai 1948
(Rev. crit. 1949. 89, note Batiffol, D. 1948. 357, note P. L.-P.,
S. 1949. 1. 21, note Niboyet, JCP 1948. II. 4532, note Vasseur)
Responsabilité civile délictuelle. — Loi applicable. —
Loi étrangère. — Charge de la preuve. — Ordre public. — Définition.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Vu l’article 3 du Code civil; — Attendu
qu’en droit international privé la loi territoriale compétente pour régir la res-
19 LAUTOUR — CASS., 25 MAI 1948 165
Du 25 mai 1948. — Cour de cassation (Ch. civ., sect. civ.). — MM. Mongibeaux, prem. prés.; Paul Lerebours-
Pigeonnière, rapp.; Rateau, f. f. av. gén. — MMes Labbé et Lemanissier, av.
OBSERVATIONS
1 S’il est une décision qui mérite l’appellation d’arrêt de principe, c’est sans
aucun doute l’arrêt Lautour. Néanmoins plus encore que les solutions énon-
166 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 19
cées, ce qui frappe aujourd’hui dans cette décision c’est son caractère éminem-
ment pédagogique. Tous les aspects du cheminement conflictuel y sont en
effet évoqués : désignation du droit applicable avec l’énoncé de la règle de
conflit relative à la responsabilité civile extra-contractuelle (I), mais aussi appli-
cation du droit désigné avec la preuve de la loi étrangère et l’exception d’ordre
public (II). De plus, l’arrêt d’appel ayant sur certaines de ces questions quel-
que peu malmené les principes, la haute juridiction y rappelle, sous la plume
experte de Lerebours-Pigeonnière, quelques vérités élémentaires.
3 Mais précisément, cet accord existe-t-il encore ? Dès cette époque, les cir-
constances particulières de l’espèce auraient pu conduire à s’interroger sur le
caractère artificiel du rattachement au cas où l’accident s’est produit entre res-
sortissants d’un même pays, spécialement lorsque ceux-ci composent un
groupe homogène : transport bénévole, colonie de vacances, etc… La lex loci
delicti ne désignant plus l’ordre juridique dans le contexte social duquel l’acci-
dent est enraciné, ne vaudrait-il pas mieux retenir la loi de ce groupe ?
Cette interrogation a particulièrement agité la doctrine anglo-saxonne; ser-
vant de banc d’essai aux auteurs, elle a largement contribué au renouvel-
lement de leur pensée (Sur les raisons qui ont placé cette question au cœur du
débat américain, v. B. Audit, « Le caractère fonctionnel de la règle de conflit »,
Rec. cours La Haye, 1984, t. III, p. 300). Encore que toute systématisation
soit arbitraire, on retrouve en la matière l’éternelle querelle des anciens et des
modernes. Pour certains, la méthode conflictuelle doit être affinée et non
répudiée. Le juge localisera l’acte illicite, en tenant compte de l’ensemble des
circonstances de l’espèce, afin de déterminer la loi la plus appropriée c’est-à-
dire la loi de la relation sous-jacente. Il évitera ainsi « la révolte du bon sens »
à laquelle peut parfois conduire l’application de la lex loci delicti (Morris,
« The proper law of a tort », Harvard Law Review 1951. 881; en France,
v. P. Bourel, Les conflits de lois en matière d’obligations extra-contractuelles,
1961, p. 53 et s.). Pour d’autres, le conflit de lois doit être résolu à partir
d’une analyse des politiques poursuivies par les lois en présence, afin d’iden-
tifier celle d’entre elles qui présente le plus d’intérêt à régir la situation,
compte tenu des rattachements de celle-ci (Currie, Selected Essays on the
Conflict of Laws, 1963; pour un panorama des doctrines anglaise et améri-
caine v. Forget, Les conflits de lois en matière d’accidents de la circulation
routière, 1973, p. 37-57; Moreau-Bourlès, Structure du rattachement et conflits
de lois en matière de responsabilité civile délictuelle, thèse multigr., 1985;
v. aussi von Mehren, « Une esquisse de l’évolution du droit international privé
aux États-Unis », Clunet 1973. 116). Sous le couvert des « intérêts gouverne-
mentaux », c’est alors en réalité d’un retour à la démarche statutaire qu’il est
question. Ces analyses ne sont pas restées sans influence sur le droit positif.
Le second Restatement (1964) s’est fait l’écho de la première et certaines
168 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 19
revenue dans son arrêt Neumeier v. Kuehne de 1972 sur la doctrine exprimée
par l’arrêt Babcock (335 N. Y. S. 2 d 64).
123, note G. Légier), la Cour de cassation a décidé que la lex loci delicti
« s’entend aussi bien du fait générateur du dommage que de celui de la réalisa-
tion du dommage » (Civ. 1re, 14 janv. 1997, Soc. Gordon and Breach science
publishers, D. 1997. 177, note M. Santa-Croce, JCP 1997. II. 22903, note
H. Muir Watt, Rev. crit. 1997. 504, note J.-M. Bischoff). Les commentateurs
ont souligné qu’une telle directive, empruntée à la jurisprudence de la cour de
Luxembourg tranchant une question de conflit de juridictions (CJCE, 30 nov.
1976, Rev. crit. 1977. 568, note P. Bourel, Clunet 1977. 628, note A. Huet,
D. 1977. 614, note Droz), ne permettait pas de résoudre à elle seule le pro-
blème du conflit de lois (B. Audit no 800; P. Mayer et V. Heuzé, no 685).
Encore faut-il savoir, en effet, comment s’effectuera le choix entre la loi du
lieu de commission du fait générateur et celle du lieu de survenance du dom-
mage. À considérer la jurisprudence ultérieure, il semble que les magistrats
entendent non abandonner ce choix à la victime, comme dans certaines codi-
fications étrangères récentes (art. 62, Loi italienne du 31 mai 1995, Rev.
crit. 1996. 186 ; art. 40, Loi d’introduction du BGB, réd. Loi 21 mai 1999,
Rev. crit. 1999. 870), mais rechercher celui des deux éléments de localisation
précités qui lui apparaît le plus significatif. Et de fait, par un arrêt du 11 mai
1999, la haute jurisprudence a approuvé les juges du fond d’avoir retenu la loi
du lieu où s’était produit le dommage, celui-ci apparaissant mieux caractérisé
en la circonstance (Civ. 1re, 11 mai 1999, Mobil North Sea Ltd., Rev. crit.
2000. 199, note J.-M. Bischoff, Clunet 1999. 1048, note G. Légier, D. 1999,
Som. com. p. 295, obs. Audit, JCP 1999. II. 10183, note H. Muir Watt, 2000.
I. 197, no 1, obs. G. Viney; comp. Civ. 1re, 5 mars 2002, Sisro, Rev.
crit. 2003. 440, note J.-M. Bischoff, JCP 2002. II. 10082, note H. Muir Watt,
D. 2003. 58, note Josselin-Gall). En cas de dommage par ricochet, le lieu du
délit se détermine par rapport à la victime immédiate (Civ. 1re, 28 oct. 2003,
Pays-Fourvel, Rev. crit. 2004. 83, note D. Bureau, Clunet 2004. 499, note
G. Légier, JCP 2004. II. 10006, note G. Lardeux). La solution était déjà impli-
citement posée par l’arrêt Lautour, le dommage dont il était demandé répara-
tion étant, au moins pour une partie, un préjudice par ricochet.
Quoi qu’il en soit, on perçoit mal la ligne directrice qui guide aujourd’hui
la haute juridiction, en matière de conflit de lois relatif à la responsabilité
civile délictuelle. Longtemps, elle a préféré au réalisme du règlement du
conflit la sécurité juridique et la prévisibilité des solutions. Désormais, elle
préfère le réalisme à la sécurité, mais uniquement lorsqu’on est en présence
d’un délit complexe.
selon la loi espagnole, il n’est sans doute pas contestable qu’il doive alléguer
(si le dossier est muet sur ce point) et, au besoin, prouver (s’il y a contesta-
tion) le fait commandant, d’après les règles de conflit du for, l’application de
cette loi; mais afférentes à la vocation de celle-ci, ces charges procédurales ne
s’étendent pas de plano à sa teneur. Une fois l’applicabilité du droit étranger
établie, il reste à réaliser cette vocation, c’est-à-dire à l’appliquer.
Ce programme requiert évidemment la connaissance de la loi étrangère;
c’est à ce stade que son assimilation à un élément de fait a pu produire sa
conséquence. Le principe que formule aujourd’hui l’article 9 du Nouveau
Code de procédure civile exige que l’auteur d’une prétention fasse la preuve
des faits nécessaires au succès de celle-ci. Partant, de même que le défendeur
réclamant l’application de la règle de conflit doit établir au besoin les faits
justifiant la vocation de la loi espagnole, de même la demanderesse doit pour
le succès de sa prétention produire la teneur du droit espagnol. La Cour de
cassation ne dit pas autre chose quand elle déclare qu’incombait à « la vic-
time, demanderesse en réparation… la charge de prouver que la loi applicable
lui accordait les dommages-intérêts réclamés ».
Mais là s’arrêtent les enseignements de l’arrêt. Il faudra attendre d’autres
décisions pour voir se développer les implications de cette solution. C’est à un
arrêt du 24 janvier 1984 (Soc. Thinet, Civ. 1re, 24 janv. 1984, Rev. crit. 1985.
89, note P. Lagarde, Clunet 1984, note J.-M. Bischoff, Grands arrêts, 2e éd.,
1992, no 61, p. 503) qu’il appartiendra d’offrir une présentation complète du
système. Reprenant sur le mode général et abstrait la solution de l’arrêt
Lautour, cette décision énonce d’abord le principe que « la charge de la preuve
de la loi étrangère pèse sur la partie dont la prétention est soumise à cette loi,
et non sur celle qui l’invoque, fût-ce à l’appui d’un moyen de défense » et
définit ensuite les conséquences qu’il y a lieu de tirer lorsque la teneur du
droit étranger n’a pu être établie; sur ce point, l’arrêt distingue : si le défaut de
preuve est imputable à la mauvaise volonté ou à l’incurie de l’auteur de la
prétention, le rejet de cette prétention s’impose tandis que si la défaillance de
la loi étrangère résulte d’une impossibilité ou d’une excessive onérosité il y a
lieu à application de la loi française en raison de sa vocation subsidiaire (sur
cette notion v. infra, obs. sous Bisbal, no 32-34 § 13 et s.).
N’étant pas dénuée de mérite, cette construction se révélera pourtant pré-
caire. Elle distribuait la charge de la preuve au moyen d’un critère d’une par-
faite bilatéralité, chaque plaideur étant obligé d’établir le contenu du droit
étranger applicable aux prétentions qu’il soumettait au juge, et cette obligation
était sanctionnée avec une sévérité graduée. Cependant cette construction
comportait aussi des faiblesses. Ainsi, parmi les moyens de défense opposés à
la prétention du demandeur, elle contraignait à distinguer, d’une part, celui qui
n’était qu’une contestation et dont l’appréciation relevait de la loi applicable à
la prétention qu’il critiquait et, d’autre part, celui qui, élargissant le débat, se
formait en une prétention distincte. Par exemple, l’action en pétition d’héré-
dité d’un enfant naturel peut être combattue, soit en soutenant que l’enfant
naturel n’a pas selon la loi étrangère applicable la vocation héréditaire à
laquelle il prétend, c’est une contestation; soit en soutenant que l’enfant natu-
rel dont la vocation n’est pas contestée est frappé d’indignité successorale,
19 LAUTOUR — CASS., 25 MAI 1948 173
La seconde, positive : une disposition étrangère doit être évincée dès lors
qu’elle heurte les « principes de justice universelle considérés dans l’opinion
française comme doués de valeur internationale absolue ». Abondamment com-
mentée en raison de la rareté des décisions qui s’y sont essayées, cette défini-
tion apparaît prémonitoire. Le culte que notre époque professe pour les droits
de l’homme, conduit en effet à donner un relief tout particulier aux droits fon-
damentaux parmi les éléments qui permettent de caractériser l’ordre public
international français. Et de fait, la notion de droit fondamental n’est pas, en
la matière, dépourvue d’intérêt. Témoignant de ce qu’il est, dans une société,
des points sur lesquels celle-ci ne saurait transiger sans se perdre, elle est de
nature à rappeler aux juges trop sensibles aux sirènes de la vie internationale
qu’il est des bornes à ne pas franchir. Nombre d’entre eux ne trouvent plus,
d’ailleurs, le courage de défendre les valeurs de la société française qu’à la
condition de les peindre aux couleurs des droits fondamentaux. L’évolution
qu’a connue la jurisprudence française, en ce qui concerne l’accueil en France
des décisions de répudiation étrangères, illustre à merveille cette tendance.
Après avoir fait montre d’un libéralisme débridé (Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi,
infra, no 63), la Cour de cassation est revenue à des positions plus équilibrées
au nom de l’égalité des sexes et du respect des droits de la défense (Civ. 1re,
17 févr. 2004, infra, no 64). Ceci étant, il ne faudrait pas tomber d’un excès
dans un autre et enseigner, comme le font certains, que l’exception d’ordre
public international doit jouer dès lors qu’une loi étrangère méconnaît un droit
dit fondamental. Tout étant en passe de devenir droit de l’homme, y compris
des solutions totalement artificielles dictées par le « prêt à penser » ambiant,
poser un tel principe conduit, en effet, à ériger des cloisons étanches entre les
ordres juridiques et par là-même à ruiner l’objectif de continuité de traitement
des situations juridiques que s’assigne traditionnellement le droit internatio-
nal privé. C’est ainsi que l’éviction de la loi argentine au prétexte qu’elle ne
connaît pas le droit de changer de sexe découvert par la Cour de Strasbourg et
la Cour de cassation derrière le droit au respect de la vie privée débouche sur
une figure juridique inédite : le sexe boiteux. Femme en France, le transsexuel
argentin sera dans les autres pays un homme (Paris, 14 juin 1994, Rev. crit.
1995. 308, note Y. Lequette). En réalité, la contrariété à l’ordre public devrait
toujours être appréciée en fonction du seul résultat concret auquel conduit
l’application de la norme étrangère dans l’hypothèse considérée. La Cour de
cassation ne donnant aucun relief particulier, dans le jeu de l’exception d’ordre
public, au fait que le principe considéré a « valeur constitutionnelle », on voit
mal pourquoi il devrait en aller différemment des droits fondamentaux issus
d’instruments qui, dans la hiérarchie des sources formelles, sont situés à un
niveau inférieur à la Constitution (P. Mayer, « La Convention européenne
des droits de l’homme et l’application des normes étrangères », Rev. crit.
1991. 663; Y. Lequette, « Le droit international privé et les droits fondamen-
taux », in Droits et libertés fondamentaux, 12e éd., 2006, nos 189 et s.).
12 En l’occurrence, s’inspirant de la directive énoncée, l’arrêt refuse d’évincer
la loi espagnole au prétexte qu’elle ne connaîtrait pas de responsabilité de
plein droit (v. aussi, Civ. 1re, 4 mai 1976, Brajeul, JCP 1979. II. 19092, note
176 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 19
Il est de principe que les étrangers jouissent en France des droits qui ne
leur sont pas spécialement refusés.
ARRÊT
Du 27 juillet 1948. — Cour de cassation (Ch. civ., sect. civ). — MM. Mongibeaux, prem. prés.;
Lemaire, rapp.; Rateau, av. gén. — MMes Labbé et Mayer, av.
OBSERVATIONS
I. Question d’interprétation
3 Pour Demolombe (Cours de Code Napoléon, t. I, nos 240 et s., v. aussi Mar-
cadé, Explication du Code Napoléon, t. I, no 127), les « droits civils » doivent
s’entendre par opposition aux « droits politiques » (arg. art. 7, C. civ.). C’est
donc l’ensemble des droits reconnus par les lois civiles qui est refusé à l’étran-
ger ne bénéficiant pas d’un traité. Néanmoins, afin d’assouplir le principe ainsi
posé, le « Prince de l’exégèse » recherche disposition par disposition si le
législateur n’a pas manifesté explicitement ou implicitement sa volonté d’y
déroger. Ainsi les articles 12 et 19 du Code civil qui réglaient à l’époque
l’incidence du mariage entre Français et étranger sur la nationalité des intéres-
sés sont-ils interprétés comme impliquant au profit des étrangers le droit de se
marier. De même l’article 3, alinéa 2 du Code civil soumettant à la loi fran-
çaise les immeubles sis en France « même ceux possédés par des étrangers » a
pour conséquence la jouissance par ceux-ci du droit de propriété.
Le procédé encourt une double critique. D’une part, rien n’indique que les
textes édictant de prétendues exceptions soient autre chose que des disposi-
tions relatives aux droits exercés par les étrangers qui en ont la jouissance au
titre d’un traité (Maury, Encycl. Dalloz dr. civ., 1re éd., v° Étrangers, no 27);
d’autre part, à la supposer fondée, cette interprétation fait dépendre l’accès
des étrangers à tel ou tel droit d’un accident de rédaction. Partant, elle entrave
le développement de la vie internationale et illustre l’une des altérations —
dénoncée en son temps par Bonnecase (La pensée juridique française de 1804
à l’heure présente, t. I, p. 350 et s., nos 175 et s.) — de la méthode de l’exé-
gèse : le culte du texte l’emporte sur la recherche de l’intention du législateur.
C’est précisément cette recherche qui devait animer les commentateurs ulté-
rieurs de l’article 11 : Demangeat puis Valette d’une part, Aubry et Rau d’autre
part.
Afin de concilier l’article 11 du Code civil et les besoins de la vie interna-
tionale, tous vont s’employer à démontrer que l’expression « droit civil » avait
été entendue par les rédacteurs du Code civil dans une acception restrictive. À
cet effet, les uns comme les autres s’appuient sur l’argument du précédent
historique : le législateur est censé avoir voulu maintenir ce qui existait dès
lors qu’il n’en a pas pris clairement le contre-pied. Or, dans l’Ancien droit, les
facultés de droit civil s’opposaient aux facultés de droit des gens, les premiè-
res étant seules refusées aux étrangers. Cette présomption est au demeurant
180 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 20
confortée par l’analyse des travaux préparatoires; les déclarations des rédac-
teurs du Code civil attestent que ceux-ci n’ont nullement entendu mettre en
cause le principe acquis que l’étranger jouit en France des facultés de droit
des gens (déclaration de Portalis, Locré, t. I, p. 330, no 13; rapport de Siméon
au Tribunat, Locré, t. II, p. 246-247).
Mais les auteurs se séparent quant à la définition des deux catégories. Pour
Aubry et Rau, il faut entendre par « droits civils » les institutions qui, artifi-
ciellement créées par telle ou telle législation, ne sont pas communes aux
nations policées; ils s’opposent en cela aux facultés de droit des gens qui,
découlant du droit naturel, sont communément reçues et organisées par
l’ensemble des ordres juridiques (Droit civil français, t. I § 78). Pour Deman-
geat (Histoire de la condition des étrangers, 1844, nos 56 et s.) dont le sys-
tème reçut ultérieurement l’appui de Valette (Explication sommaire du Code
civil, 1859, p. 408 et s.), les rédacteurs du Code civil n’avaient songé dans
l’article 11 qu’aux droits expressément déniés aux étrangers par le code lui-
même; les seuls droits civils seraient donc ceux qu’un texte exprès réserve
aux Français.
6 C’est dire que les suggestions qui ont pour objet de résoudre le « problème
législatif » que soulève la jurisprudence Lefait, à savoir déterminer les droits
qu’il est opportun de refuser aux étrangers (Battiffol, note Rev. crit. 1949. 76),
conservent tout leur intérêt. Ainsi Niboyet partant de l’idée que « la France
doit avoir la politique de sa population » avait posé qu’il devait exister un « jeu
182 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 20
loir, la question de la condition des étrangers ne se révélerait plus que dans les
hypothèses excluant le recours à la méthode des conflits de lois.
Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il n’y a plus aujourd’hui dans le
domaine du droit privé de condition générale des étrangers, mais une succes-
sion de dispositions qui n’envisagent pas le traitement à réserver à l’étranger
en lui-même mais dans la perspective limitée de la délimitation de leur champ
d’application. De leur réunion résulte la somme des différences ponctuelles
qui pèsent sur l’étranger en France.
21
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., sect. civ.)
5 décembre 1949
(Verdier c/Tasoniero)
Faits. — Une italienne met au monde le 9 août 1940 une fille qu’elle reconnaît.
L’enfant, de même nationalité que sa mère, acquiert la qualité de française par déclara-
tion faite au juge de paix de Tarare le 20 mai 1943. Mais, dès le 6 août 1942, une action
en déclaration judiciaire de paternité avait été introduite devant la juridiction française
contre un prétendu père français. Le Tribunal de Villefranche-sur-Saône fit, par juge-
ment du 30 juin 1943, droit à cette demande. En appel, le prétendu père objectait que
l’action en recherche de paternité était soumise à la loi nationale de l’enfant et qu’en cas
de changement de nationalité, l’appréciation de celle-ci devait se faire au jour de l’intro-
duction de l’instance, c’est-à-dire conformément à la loi italienne qui prohibait la recher-
che, sauf aux cas, étrangers à l’espèce, d’enlèvement ou de viol. Repoussée en appel,
son argumentation fut reprise par le pourvoi.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu qu’il résulte des énonciations
de l’arrêt attaqué, que la demoiselle Tasoniero Marcelle, alors de nationalité ita-
lienne, est accouchée le 9 août 1940, d’une fille, Gabrielle, qu’elle a reconnue;
qu’elle a introduit contre Verdier, le 6 août 1942, l’action en déclaration judi-
ciaire de paternité appartenant à l’enfant; que le Tribunal de Villefranche-sur-
Saône, par jugement du 30 juin 1943, a fait droit à cette demande; — Attendu
que Verdier ayant soulevé en appel une exception d’irrecevabilité, tirée de ce
que l’enfant Tasoniero étant de nationalité italienne à la date de l’assignation
introductive d’instance, la demande en recherche de paternité est régie par la
loi nationale de l’enfant à cette date, c’est-à-dire par la loi italienne laquelle
prohibe la recherche, sauf aux cas, étrangers à l’espèce, d’enlèvement ou de
viol, l’arrêt attaqué a rejeté cette exception; que reprenant cette prétention, le
pourvoi soutient que l’appréciation de la nationalité, et par suite, celle de la loi
applicable, doivent être faites au jour de l’introduction de l’instance; — Mais
186 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 21
Du 5 décembre 1949. — Cour de cassation (Ch. civ., sect. civ.). — MM. Lyon-Caen, prés.; Lenoan,
rapp.; Fontaine, av. gén. — MMes Boivin-Champeaux et Rousseau, av.
OBSERVATIONS
1 Bien qu’ayant perdu toute positivité, l’arrêt Verdier mérite de figurer parmi
les grands arrêts du droit international privé. En effet, si elle a périmé la solu-
tion donnée au problème du conflit mobile en matière d’établissement judi-
ciaire de la paternité (I), la loi du 3 janv. 1972 a, en même temps, conféré une
ampleur inattendue à la méthode sur laquelle celle-ci se fonde (II).
I. La solution
II. La méthode
7 La règle de conflit de lois n’a pas pour objet d’édicter une réglementation
substantielle des relations internationales mais de désigner l’ordre juridique
auquel celle-ci sera empruntée. À cet effet, elle indique par l’entremise d’un
rattachement quel est, pour un type donné de question de droit, l’ordre juridi-
que avec lequel celle-ci entretient les liens les plus significatifs. La considéra-
tion de la teneur des règles substantielles en conflit n’intervient donc pas dans
ce processus; peu importe, sous réserve du correctif a posteriori de l’ordre
public, le résultat auquel chacune d’entre elles conduit. Afin d’exprimer ce
trait traditionnel de la règle de conflit, on dit qu’elle est neutre (Y. Loussouarn,
« La règle de conflit est-elle une règle neutre ? » Trav. com. fr. dr. int. pr. 1980-
1981, p. 43 et s.).
Or cette neutralité est aujourd’hui battue en brèche. Ainsi que le notait le
Doyen Ripert pour le déplorer (Le régime démocratique et le droit civil
moderne, nos 81 et s.), le droit interne est de plus en plus souvent animé par le
dessein de défendre les intérêts de telle ou telle catégorie jugée particulière-
ment digne d’attention : l’enfant, le salarié, le consommateur,… Cette évolu-
tion n’est pas sans conséquence sur le droit international privé (v. F. Leclerc,
La protection de la partie faible dans les contrats internationaux, thèse Stras-
bourg, éd. 1995; P. Mayer, « La protection de la partie faible en dr. int. pr. »,
in La protection de la partie faible dans les rapports contractuels, 1996,
p. 513 et s.). Notamment, et parmi d’autres démarches, le souci de faveur se
traduit par l’apparition de « règles de rattachement à caractère substantiel »
(F. Soirat, Les règles de rattachement à caractère substantiel, thèse Paris I,
1995) encore nommées « règles de conflit à finalité matérielle » (Batiffol et
Lagarde, t. I, no 269). Par ce mécanisme, le législateur rompt avec la tradi-
tion de la détermination d’une loi unique, pour ouvrir un éventail. Parmi les
différentes lois ainsi visées, la compétence appartient à celle qui permet de
parvenir à la solution qui a sa faveur. On est alors en présence de règles hybri-
des qui constituent un « procédé intermédiaire entre la règle de conflit classi-
que et la règle purement substantielle » (P. Mayer et V. Heuzé, no 140). On a
pu parler à leur propos d’une « pluralité organisée » de rattachements — par
opposition à la « pluralité subie » résultant d’un « incident » dans l’applica-
tion de la règle de conflit (J.-P. Laborde, La pluralité du point de rattachement
dans l’application de la règle de conflit, thèse multigr., Bordeaux, 1981, no 123).
8 Les règles de rattachement à caractère substantiel revêtent des physiono-
mies variées. La « matérialité » de la règle de conflit qui fait l’unité de la caté-
gorie peut, en effet, être plus ou moins affirmée. À classer ces règles, en allant
de celles dont le caractère substantiel est le moins marqué à celles où il l’est le
plus, on a pu discerner trois catégories qu’on a proposé de dénommer : « option
de législation, directives conflictuelles à caractère matériel, règles ordonnant
la prise en considération d’une règle éventuellement étrangère » (F. Soirat,
op. cit., p. 12 et s., nos 12 et s.).
L’option de législation laisse à ou aux intéressés le soin de choisir la loi
applicable à une question donnée au sein d’une palette de lois qu’elle présé-
21 VERDIER — CASS., 5 DÉCEMBRE 1949 191
lectionne. C’est ainsi que l’ancien article 311-16, alinéa 2 du Code civil (abrogé
par l’ordonnance du 4 juill. 2005) disposait que « la légitimation par autorité
de justice est régie, au choix du requérant, soit par la loi personnelle de celui-ci,
soit par la loi personnelle de l’enfant ». En ouvrant une telle option, le législa-
teur témoignait de sa sollicitude pour le but poursuivi par les intéressés. Mais
il leur abandonnait la responsabilité d’élire, parmi les lois qui constituent les
termes de l’option, celle qui satisfaisait au mieux leur intérêt.
La directive conflictuelle à caractère substantiel confie au juge le soin de
désigner au sein d’un éventail de lois prédéfini, à propos d’une question de
droit déterminée, la loi la plus favorable à l’intérêt d’une personne abstraite-
ment défini. Les lois prédésignées peuvent l’être au moyen de critères objec-
tifs mais aussi parfois de critères subjectifs. Ainsi en va-t-il de la lecture qui
est aujourd’hui majoritairement faite des articles 5 et 6 de la Convention de
Rome relatifs au contrat de consommation et au contrat de travail. Selon ces
textes, ces contrats sont soumis à la loi choisie par les intéressés, mais le
consommateur ou le salarié ne peut être privé de la protection prévue par une
autre loi objectivement définie — loi de la résidence habituelle du consomma-
teur, loi du lieu d’exécution du travail si elles sont confortées par certains
indices — laquelle constitue en quelque sorte un plancher (F. Soirat, op. cit.,
no 554, p. 276; P. Mayer, art. préc., in La protection de la partie faible dans
les rapports contractuels, p. 527).
La règle qui prend en considération d’autres règles pose qu’un certain
résultat est atteint s’il est admis par les lois visées par le texte. Ainsi en va-t-il
de l’article 311-17 du Code civil qui dispose « la reconnaissance volontaire de
paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la
loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l’enfant ». Le résul-
tat matériel poursuivi par la règle — la validité de la reconnaissance — est
atteint, si l’une des lois visées le consacre. Il a été souligné que, dans cette
hypothèse on n’est plus, à proprement parler, en présence d’une règle de
conflit mais d’une « règle substantielle interne qui prend en considération des
règles éventuellement étrangères » (P. Mayer et V. Heuzé, nos 140 et 610). Et
de fait, en énonçant qu’un résultat est atteint s’il est admis par une des lois
visées au texte, ces règles ne font pas de la désignation de la loi étrangère
l’effet juridique de la règle mais une composante de son présupposé. Elles
novent en éléments constitutifs d’une norme française, les éléments de droit
étranger qu’elles prennent en considération (rappr. Ancel et Lequette, note, Rev.
crit. 1987. 390) (1).
9 Sur cette analyse se greffe une autre distinction qui tient à la méthode utili-
sée pour désigner les lois qui doivent être prises en considération. Cette dési-
gnation peut, en effet, être cumulative, alternative ou subsidiaire.
Dans le premier cas, il faut que toutes les lois visées permettent d’atteindre
le résultat poursuivi pour que cette solution soit consacrée. Dans le deuxième
(1) La règle de l’article 311-17 peut s’énoncer : si une reconnaissance a été établie conformé-
ment, soit à la loi personnelle de l’auteur, soit à la loi personnelle de l’enfant, alors la reconnais-
sance est valable (J. Héron, Rev. crit. 1987. 345).
192 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 21
cas, il suffit qu’une des lois visées permette d’atteindre le résultat recherché
pour que celui-ci soit consacré. Ainsi en va-t-il de l’article 311-17 déjà cité ou
encore de l’ancien article 311-16, alinéa 1 du Code civil. Dans le troisième cas,
qui n’est qu’une variante du précédent, les lois visées doivent être prises en
considération dans un certain ordre. Ainsi en matière d’aliments, la Conven-
tion de La Haye du 2 octobre 1973 prévoit que ceux-ci seront dus si la loi de
la résidence habituelle le prévoit; à défaut de pouvoir obtenir des aliments
selon cette loi il conviendra de consulter la loi nationale commune des intéres-
sés, à défaut encore, la loi du for. Pour rendre compte de cette subsidiarité, on
parle de rattachements hiérarchisés ou encore « en cascade » (P. Lagarde, Rev.
crit. 1986. 62).
Il ne faut pas, au reste, exagérer l’importance de la distinction entre règle à
rattachement alternatif et règle à rattachement cumulatif. Toutes deux ne sont,
en effet, que les deux faces d’une même réalité qui peut être formulée soit
sous une forme alternative, soit sous une forme cumulative (Kisch, « La loi la
plus favorable », Mélanges Max Gutzwiller, p. 373, spéc. p. 383). Prenons,
pour illustrer ce propos, l’exemple de l’article 311-17 du Code civil qui énonce
que la reconnaissance est valable si elle est faite en conformité soit de la loi
personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l’enfant. Il y a là une
règle alternative pour celui qui soutient que cette reconnaissance est valide.
En revanche, cette même règle sera cumulative pour celui qui en contestera la
validité : il devra, en effet, pour obtenir gain de cause, démontrer que la
reconnaissance est nulle à la fois selon la loi de son auteur et la loi de l’enfant
(rappr. Jacques Foyer, note, Rev. crit. 1995. 713; Civ. 1re, 6 juill. 1999. Rev.
crit. 2000. 824, D. 1999. 369, concl. Sainte Rose).
Imaginons, à l’opposé, une règle cumulative qui, à l’image de l’arrêt Rossi
de la Cour de cassation belge (16 févr. 1955, Clunet 1955. 930, note Philonenko,
Rev. crit. 1955. 143, concl. Hayoit de Termicourt, note Rigaud; Les grands
arrêts de la jurisprudence belge, préc., p. 245; 14 déc. 1978, Bigwood, RCJB
1979. 111, note F. Rigaux), disposerait, en cas d’époux de nationalité dif-
férente, que le divorce ne pourrait être prononcé que s’il était prévu par leurs
deux lois respectives. La règle est évidemment cumulative pour l’époux qui
demande le divorce. Mais elle est alternative pour celui qui s’oppose à cette
demande; la demande en divorce sera repoussée s’il démontre qu’une des
deux lois ne l’admet pas. Là encore, la règle de rattachement aurait pu être
énoncée sous une forme alternative et non cumulative : le divorce sera refusé
s’il n’est pas admis par l’une des lois personnelles en présence.
On constate ainsi, si l’on veut bien faire abstraction des arrière-pensées de
leur auteur, qu’il n’y a pas des règles alternatives et des règles cumulatives :
toute règle alternative est en même temps cumulative, et réciproquement. Il
est, au demeurant, évident que la faveur pour une solution implique une défa-
veur pour l’autre ! Mais comme il est plus confortable de marquer sa faveur
que sa défaveur, le législateur préfère généralement la formulation en termes
de règle alternative.
10 En conclusion, on soulignera que la technique des règles de rattachement à
caractère substantiel dont l’arrêt Verdier a été l’initiateur ne devrait être admise
21 VERDIER — CASS., 5 DÉCEMBRE 1949 193
en droit international privé qu’à titre tout à fait exceptionnel. Il n’est, en effet,
pas sain que la règle de conflit marque une préférence pour l’une des solutions
en présence. Ainsi qu’on l’a justement mis en relief, « toute règle de droit
privé tend à réaliser un équilibre entre les multiples intérêts qui s’affrontent
dans les relations entre individus. Que cet équilibre puisse être situé en un
point différent par les divers législateurs est le signe qu’aucune solution n’est
évidente, que la pesée est complexe, que peut-être aussi les intérêts en pré-
sence ne sont pas partout les mêmes. Dès lors, il paraît un peu grossier d’affir-
mer que la balance qui penche le plus dans un certain sens est nécessairement
la plus juste » (P. Mayer et V. Heuzé, no 138). En outre, ces règles alternatives
qui ne sont que le reflet des politiques étatiques risquent de cristalliser, sur le
terrain des conflits de lois, les divergences existant entre les droits matériels
des différents États alors que l’expérience de l’œuvre législative et de ses dif-
ficultés devrait plutôt enseigner à ceux-ci « un sain relativisme et une appré-
ciation plus large des choses » (P. Lagarde, « Le principe de proximité dans
le droit international privé contemporain », Rec. cours La Haye, 1986, t. I,
no 45; Lalive, « Tendances et méthodes en droit international privé », Rec.
cours La Haye, 1977, t. II, p. 189; v. cep. les appréciations plus nuancées de
P. M. Patocchi, op. cit., p. 272 et s.). Et ceci d’autant plus que sous le couvert
d’une faveur à un certain type de solution matérielle se dissimule, en réalité,
une faveur à la loi du for. En effet, si le législateur prend, au plan international,
le soin d’énoncer une règle de conflit partiale, une règle de conflit orientée ou
engagée, dit-on encore parfois (D. Mayer, Clunet 1977. 458; J. Foyer, Clunet
1977. 665; B. Ancel, note Rev. crit. 1980, p. 566), c’est le plus souvent parce
qu’au plan interne son droit retient une solution matérielle très favorable au
résultat que poursuit la règle de conflit. Dès lors, la loi française qui figure
habituellement parmi les législations désignées par l’éventail des rattache-
ments a toutes les chances de l’emporter, non certes en tant que loi du for, mais
en raison de son contenu (Y. Lequette, « Aspects récents de l’évolution du droit
international privé de la famille », Trav. Capitant 1988. 468 et s., spéc. p. 476).
Il faut néanmoins constater que ce type de règles jouit aujourd’hui d’une
vogue certaine. Il est, en effet, employé fréquemment non seulement par le
législateur mais aussi par les rédacteurs de conventions (v. par ex., art. 1er, Conv.
de La Haye du 5 oct. 1961 sur la forme des testaments; art. 4, al. 1, Conv. de
La Haye du 2 oct. 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires;
art. 9, Conv. de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’acci-
dents de la circulation routière [v. H. Gaudemet-Tallon, « L’utilisation de règles
de conflit à caractère substantiel dans les conventions internationales (l’exem-
ple des Conventions de La Haye) », Mélanges Yvon Loussouarn, 1994, p. 181]).
22
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., sect. civ.)
21 juin 1950
(Rev. crit. 1950. 609, note Batiffol, D. 1951. 749, note Hamel,
S. 1952. 1. 1, note Niboyet, JCP 1950. II. 5812, note J. Ph. Lévy)
Contrat. — Rattachement nécessaire à la loi d’un État. —
Emprunt international. — Validité des clauses monétaires. —
Règle matérielle de droit international privé. —
Ordre public international.
ARRÊT
(aprés délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches : — Attendu
que l’arrêt attaqué énonce qu’en juin 1927, la Société des Services contractuels
des Messageries maritimes a procédé à un emprunt obligataire de onze millions
de dollars canadiens, dont neuf millions cinq cent mille étaient émis au Canada
et un million cinq cent mille aux Pays-Bas; qu’il était prévu, tant dans les titres
de l’emprunt que dans le prospectus d’émission, que le principal et l’intérêt de
toutes les obligations en circulation seraient payables en monnaie-or du domi-
nion du Canada, égale à l’étalon de poids et de finesse existant au 1er mai 1927;
que le prospectus émis en Hollande offrait, en outre, aux souscripteurs la faculté
de se faire payer, soit au Canada, aux guichets de la Royal Bank, soit aux Pays-
Bas en florins hollandais au cours du jour, promesse étant faite d’une demande
de cotation de la totalité de l’emprunt à la bourse d’Amsterdam;
Attendu que la cour d’appel, à tort selon le pourvoi, condamne la société à
payer aux obligataires sur la place de leur choix, les coupons et les titres amortis,
sur la base de l’or, et non du dollar canadien, tel qu’il a été, postérieurement à
l’emprunt, impérativement défini par la loi canadienne du 10 avril 1937, interdi-
sant la stipulation et l’exécution de toutes clauses-or;
Attendu que, si tout contrat international est nécessairement rattaché à la loi
d’un État, la cour d’appel, interprétant souverainement le contrat litigieux,
relève, tant dans ses motifs propres que dans ceux du jugement qu’elle confirme,
196 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22
OBSERVATIONS
1 Cet arrêt apporte deux enseignements essentiels en matière de loi applicable
aux contrats. Le premier résulte de l’affirmation que tout contrat est nécessai-
rement soumis à une loi déterminée; dans le combat des doctrines autour de la
notion de loi d’autonomie, cette solution ne sert pas la tendance subjectiviste,
mais au contraire encourage le courant objectiviste (v. supra, arrêt American
Trading Co, no 11). Le second se déduit de la démarche suivie pour généraliser
la règle française de la liberté de choix de la monnaie de compte dans les
contrats internationaux.
L’autorité de cette décision, en ces deux éléments, est renforcée par le
fait que la Cour de cassation, maintenant l’arrêt attaqué, en désavoue formel-
lement la motivation. Celle-ci, on l’a vu (v. supra), se résume en l’assertion que
la clause monétaire oblige par le seul fait de sa stipulation sous la double
réserve toutefois que, positivement, le payement concerné présente le carac-
tère d’un règlement international et, négativement, qu’elle ne se heurte à aucune
disposition impérative contraire en vigueur au lieu du payement ou dans le
pays du débiteur. La volonté des parties fonde donc à ces seules conditions le
caractère obligatoire de l’engagement. Contrairement à la Cour de Paris, la
Cour de cassation parvient à valider la clause-or sans se rendre au dogme de
l’autonomie de la volonté. Son arrêt est remarquable par la relativité qu’il
introduit dans le régime de la liberté contractuelle.
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 197
2 Personne ne doute plus en droit interne que le contrat est assujetti à la loi et
que celle-ci ne lui confère efficacité que s’il est conforme à ses prescriptions :
« les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont
faites » (art. 1134, C. civ.). En revanche, en droit international privé, la thèse
du contrat libre de toute obédience légale a su trouver des partisans et a laissé
quelques empreintes dans la jurisprudence (v. les arrêts cités dans la note sous
l’arrêt American Trading Co, supra, no 11 § 10). L’arrêt étudié rejette cette
doctrine : il n’admet pas plus un contrat affranchi de toute loi (A) qu’un espace
international vide de droit où la liberté des individus s’épanouirait souveraine-
ment (B).
3 A. — Comment un contrat pourrait-il exister sans le secours d’un système
juridique qui, d’une part, préside à l’établissement du rapport d’obligation et
qui d’autre part, confère à chaque contractant le pouvoir de contraindre l’autre
à remplir ses engagements ?
4 Si bien accordée soit-elle, la commune intention des parties ne peut se suf-
fire à elle-même. Elle ne propose qu’un programme qui ne lierait pas les pré-
tendus cocontractants s’il n’était fixé dans sa teneur au jour du contrat par
quelque autorité faute de quoi, en effet, chacun des prétendus contractants
continuerait à obéir à son intérêt du moment et à suivre les variations de sa
volonté. La force obligatoire ne vient pas de la promesse, mais de la valeur
attribuée à la promesse (v. la démonstration de V. Heuzé, La réglementation
française des contrats internationaux, Étude critique des méthodes, 1990,
nos 115 et s.). Cette valeur dépend d’une norme extérieure qui seule détient
les moyens propres à en garantir l’exécution.
Car la contrainte dont il s’agit n’est pas « la contrainte privée que le créan-
cier exercerait seul à seul… » (J. Carbonnier, Droit civil, t. IV, no 141) et qui
facilement se ramènerait à la force brute, mais le « pouvoir d’obtenir de l’État
un peu de cette force dont il a le monopole » (Carbonnier, ibid.). N’étant pas
seulement un acte moral — un engagement d’honneur relevant de l’infra-droit
(B. Oppetit « L’engagement d’honneur », D. 1979 chr., p. 109) —, le contrat
n’engage vraiment que pris en charge par un ordre juridique apte à manœu-
vrer l’appareil de contrainte qu’il a institué (Batiffol, Aspects philosophiques
du dr. int. pr., no 31, p. 75; v. aussi l’opinion de Lord Diplock dans l’affaire
Amin Rasheed Corp. v/Kuwait Insurance Co [1984] AC 50). Certes, cette
nécessaire prise en charge semblerait pouvoir s’opérer au moyen d’une règle
unique énonçant, par exemple, que l’ordre juridique veille à la stricte exécu-
tion des conventions telles que les particuliers les ont librement déterminées
(v. P. Mayer et V. Heuzé, no 702). Mais il est difficile de croire qu’un ordre
198 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22
juridique soit prêt à entériner tout accord des parties, quel qu’il soit. L’exer-
cice de la contrainte est une opération grave qui doit être justifiée par de bon-
nes raisons. L’ordre juridique ne prêtera pas la main à l’accomplissement
d’obligations dont il désapprouverait la formation ou la teneur. S’agissant de
contrat, il s’inquiètera de son existence, de sa validité et pour cela le soumet-
tra à un complexe de règles substantielles s’imposant aux contractants : « il
faut des règles de droit pour savoir s’il y a un accord et dans quelle mesure il
oblige » (Batiffol, Rev. crit. 1950. 614). S’agissant de contrat international,
peut-être ne recourra-t-il pas à son propre droit interne, mais du moins il vou-
dra disposer d’un jeu cohérent de critères d’évaluation qui garantisse un mini-
mum de protection aussi bien aux parties elles-mêmes (consentement, cause,
etc…) qu’aux tiers dont les intérêts seraient susceptibles d’être affectés par les
incidences de l’opération — voire aussi à la collectivité, pour autant que dans
l’hypothèse internationale, elle se laisse identifier (v. R. G., 28 mai 1936, Juris-
tische Wochenschrift, 1936. 2058, Clunet 1937. 951; v. aussi H. Batiffol, « Sub-
jectivisme et objectivisme dans le droit international privé des contrats », Mélanges
Maury, t. I, p. 39 et s., reproduit in Choix d’articles, p. 249 et s.; « Sur la
signification de la loi désignée par les parties », Studi in onore di T. Perassi,
t. I, p. 183, reproduit in Choix d’articles, p. 271). Conclure un contrat, ce n’est
pas seulement compter sur le cocontractant, c’est aussi employer un instru-
ment forgé par le droit (v. la sentence Aramco, Rev. crit. 1963. 272, spéc. p. 312
et H. Batiffol, « La sentence Aramco et le dr. int. privé », Rev. crit. 1964. 647
et s.).
5 Aussi bien, un contrat qui prétendrait se libérer des lois quelles qu’elles
soient constituerait un véritable prodige (Zweigert, « Vertrage zwischen staat-
lichen und nichtstaatlichen Partnern », Berichte der deutschen Gesellschaft für
Völkerrecht, Heft 5 (1964) p. 195, spéc. p. 199). À moins que par extraordi-
naire, il n’ait prévu et réglé toutes les éventualités que peut rencontrer son
application, il laissera ses auteurs sans indication sur ce que dans telle ou telle
conjoncture inopinée, ils peuvent attendre l’un de l’autre : l’engagement alors
sera vide. En outre il faut observer que les stipulations expresses d’un contrat
— aussi détaillées qu’on voudra — ne seront jamais claires et explicites que
par référence à un code qui s’impose aux deux parties. S’il était loisible à cha-
cun d’entendre à sa façon ses propres obligations et celles de l’autre, il n’y
aurait le plus souvent aucun accord.
Il est vrai que pour vaincre ces difficultés, les partisans du contrat sans loi
recommandent aux parties de convenir d’une loi à laquelle se reporter en cas
de lacune ou d’obscurité de leurs stipulations. Mais la mise en œuvre de cette
recommandation « subjectiviste » transforme le rapport d’indépendance que
le contrat sans loi prétendait établir entre la volonté des parties et les ordres
juridiques étatiques en une relation de subordination à l’avantage de la pre-
mière, qui rend très suspecte sa légitimité. Celle-ci domine ceux-là, ce
qu’exprime la doctrine en parlant d’incorporation de la loi dans le contrat
(v. H. Batiffol « Subjectivisme et objectivisme… », art. préc., « Sur la signifi-
cation de la loi… », art. préc.; J.-M. Jacquet, « L’incorporation de la loi dans
le contrat », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1993-95, p. 23 et s.), de sa contractuali-
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 199
9 2°) Ceci étant, l’emprise des ordres juridiques étatiques ne saurait être aussi
ferme à l’égard des contrats internationaux qu’à l’égard des opérations inter-
nes. Par définition, ceux-là ne leur appartiennent pas entièrement. Aussi bien,
l’aspiration à se dégager de la férule des États n’est pas absolument illégitime.
Elle s’exprime par l’emploi, à côté de l’outillage d’origine étatique, d’élé-
ments indépendants des États et propres aux relations économiques interna-
tionales.
On constate en effet que, dans des cas de moins en moins rares, l’opération
contractuelle déborde par son ampleur tout système national (que l’on songe
seulement ici aux transports maritimes ou aériens internationaux, v. infra,
arrêt Galakis, no 44) ou encore qu’aucune loi n’est en mesure de l’organiser,
en raison de sa teneur ou de la position respective des parties (v. Batiffol et
Lagarde, t. II, no 578, à titre d’exemples : les concessions d’exploitation de
ressources du sous-sol ou les contrats d’investissement industriel liant un
État-hôte et des entreprises privées, les State contracts). À ces éventualités
répondent notamment des règles de droit matériel d’origine non étatique se
constituant, avec le concours des juridictions arbitrales et aussi des tribunaux
étatiques, sur la base des usages, des contrats-types et des conditions généra-
les de livraison. Cette évolution suggère alors de distinguer « le contrat sans
droit, dépourvu de tout lien avec un système de droit quelconque… et le contrat
sans loi, seulement privé d’un rattachement à une loi étatique, tout en s’insé-
rant dans un autre système juridique de type non étatique, tel qu’un droit
marchand spontané et coutumier… » (B. Oppetit, art. préc., D. 1979, chr.
p. 109). Ainsi le principe que « tout contrat est nécessairement rattaché à la
loi d’un État » supporterait désormais une exception en faveur des contrats
relevant du droit privé commun des rapports commerciaux internationaux.
10 On observera d’abord qu’ainsi gouverné par ce droit privé commun, le
contrat n’est pas abandonné à lui-même, et que la jurisprudence française
paraît encline à s’accommoder de son application pourvu que ses solutions se
fixent en des règles s’articulant en un règlement global, extérieur aux parties
(comme à l’arbitre, le cas échéant) et correspondant rationnellement à leur pro-
jet contractuel (v. Civ. 1re, 22 oct. 1991, Compañia Valenciana, Rev. crit. 1992.
113, note B. Oppetit, Clunet 1992. 177, note B. Goldman, Rev. arb. 1992. 457,
note P. Lagarde, RTD com. 1992. 171, obs. J. C. Dubarry et E. Loquin; rappr.,
Com., 4 févr. 1992, Hilaire Maurel, Rev. crit. 1992. 495, note P. Lagarde,
réputant règles de droit les dispositions non applicables de plein droit
d’une convention internationale ayant fait l’objet d’une clause Paramount;
v. A. Malan, Clunet 2004, p. 443 et s.). Sans doute récemment encore, il fallait
relever que ces règles issues de la pratique du commerce international ne résol-
vaient que les difficultés les plus fréquentes ou les plus spectaculaires et
qu’elles ne constituaient pas un système de droit matériel. Aussi bien, le New
Law Merchant (C. Schmithoff, Current Law and Social Problems, 1961. 2,
p. 129; The Export Trade, 4e éd. 1962) ou la Lex mercatoria (C. Schmithoff,
ibid.; B. Goldman « Frontières du droit et Lex mercatoria », APD 1964,
p. 177, « La Lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux :
réalités et perspectives », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1977-1979, p. 221; D. Bureau.
202 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22
mination du procédé qui permettrait à cette règle, existant dans le droit fran-
çais, de vaincre l’opposition de la loi du contrat. L’arrêt choisit de recourir à
l’exception d’ordre public international. Ce choix prête à contestation (A). La
seconde question est celle de la délimitation du domaine de la règle de liberté :
à quels contrats celle-ci doit-elle bénéficier ? (B).
12 A. — L’exception d’ordre public paraît n’avoir été ici qu’un moyen de for-
tune chargé de masquer la naissance d’une règle matérielle de droit internatio-
nal privé.
Dès avant la loi du 25 juin 1928, il avait été admis que le cours forcé de la
monnaie établi par le droit français ne s’imposait qu’aux règlements internes;
cette restriction, qui assurait la non-caducité des clauses valeur-or souscrites
par les débiteurs étrangers à l’avantage de leurs créanciers français, avait bénéfi-
cié aux emprunts payables en France (Req. 7 juin 1920, DP 1920. I. 237, note
Dupuich, S. 1920. I. 193, note Lyon-Caen, Rev. crit. 1921. 452; Civ., 23 janv.
1924, DP 1924. I. 41; Civ., 17 mai 1927, Pélissier du Besset, DP 1928. I. 25,
concl. Matter, note H. Capitant, Les grands arrêts de la jurisprudence civile.
11e éd., t. 2, no 231; Req. 31 juill. 1928, DH 1928. 461). La compétence du
droit français, validant la clause monétaire, repose, semble-t-il, sur la considé-
ration du lieu de payement plutôt que sur le titre de celui-ci à régir le contrat
au fond. Sous cette attitude, il y avait une intention de protéger les « intérêts
français » ou « l’intérêt national » qui conférait facilement aux solutions du
droit français un caractère territorial. S’agissant de questions monétaires, on
pouvait aussi parler de lois de police (v. Seine, 23 juill. 1936, S. 1938. 2. 28,
note Mestre; Paris, 3 avr. 1936, DP 1936. 2. 78, note L. Mazeaud). Il y avait
assez de voies pour conduire à la validité de la clause à l’avantage des créan-
ciers français sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir l’exception d’ordre
public.
13 Mais dans ces schémas n’entrait pas l’hypothèse contraire du débiteur fran-
çais s’étant engagé à payer hors de France et ayant consenti une clause de
garantie de change. Le lieu de payement était alors situé à l’étranger et
l’emprunt pouvait être soumis à une loi étrangère. C’est pour soustraire la
clause monétaire à la caducité dont la frappait cette loi étrangère que la Cour
de cassation fait appel à l’exception d’ordre public international.
La démarche implique que « la détermination de la monnaie de compte
appartient en principe à la loi gouvernant le contrat » (Batiffol, note préc.,
p. 61). En effet le mécanisme d’éviction que déclenche, de manière très carac-
téristique, l’exception d’ordre public, atteint la loi étrangère normalement
compétente. Il est notable au demeurant que l’arrêt qui entend ainsi imposer la
solution du droit français ne fait, contrairement à la décision attaquée, aucune
référence à la loi du lieu de payement, à la loi « territoriale » (P. Lagarde,
Recherches sur l’ordre public en dr. int. privé, nos 129 et s., p. 150 et s.); hors
la loi française, il ne considère que la loi du contrat. Il faut donc comprendre
que désormais la question de la monnaie de compte est en principe dévolue
à cette loi (v. cep., en matière de responsabilité délictuelle, le choix de la loi
du domicile ou de la résidence habituelle du créancier fait au détriment de
204 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22
la loi du délit par Civ. 1re, 4 déc. 1991. UAP c/Zivkovic, Bull. I, no 280, Rev.
crit. 1992. 292, note E. Putman).
De fait, la jurisprudence ultérieure consacrera l’application de la loi du
contrat à la détermination de la monnaie de compte lorsque les parties n’ont
pas clairement ou utilement exprimé leur choix à cet égard (Civ., 18 déc. 1951,
D. 1952. 357, note Lerebours-Pigeonnière — hésitation entre franc suisse et
franc français —; Civ., 24 avr. 1952, Compagnie française de l’Afrique Occi-
dentale, Rev. crit. 1952. 502, note H. Motulsky, S. 1952. I. 185, note H. Batiffol
— dédoublement monétaire —; Civ., 15 févr. 1972, Rev. crit. 1973. 77, note
H. Batiffol — succession du dinar au franc « algérien »). La justification de
cette solution est très solide : instrument d’évaluation destiné à établir le mon-
tant de l’obligation contractuelle, la monnaie de compte concerne « la subs-
tance même du contrat; s’il y a une loi qui régit la substance du contrat, par
opposition à sa forme ou à certains actes d’exécution, elle doit régir la mon-
naie de compte » (H. Batiffol, note préc., p. 61). Cependant l’arrêt qui affirme
la compétence de cette loi en limite aussitôt la portée, puisque tirant argument
de l’ordre public, il l’écarte à l’avantage de la loi française.
14 Ce recours à la notion d’ordre public a aussitôt prêté à controverse et risque
en définitive de provoquer la confusion.
H. Batiffol doute qu’il soit « indispensable d’imposer au nom de l’ordre
public la règle française sur la liberté du choix de la monnaie à l’encontre des
lois étrangères » (note préc., p. 612) qui, pour la défense des intérêts monétai-
res des pays qui les édictent, condamnent « une clause que le droit français
déclare nulle pour les règlements internes soumis à son empire » (Batiffol,
Traité, 3e éd. 1955, no 628 et déjà in Les conflits de lois en matière de con-
trats, 1938, no 559, p. 447; la formule est à mettre aujourd’hui à l’imparfait;
v. par ex., Civ. 1re, 12 janv. 1988, Defrénois 1989. 69, note Malaurie, RTD civ.
1988. 740, obs. J. Mestre, Grands arrêts de la jurisprudence civile, 11e éd., t. 2,
no 232). Assurément, il n’y a pas de divergences de politiques législatives et il
serait très audacieux d’interpréter l’interdiction des clauses-or en une atteinte
à la communauté juridique universelle (Batiffol et Lagarde, t. I, no 358), en
une méconnaissance du « droit naturel (lato sensu) », en une violation du
« droit commun du monde civilisé » (P. Lerebours-Pigeonnière, Précis, 3e éd.,
no 270).
Pourtant, Lerebours-Pigeonnière (« À propos du contrat international »,
Clunet 1951. 1 et s.) approuve pleinement l’emploi de la notion d’ordre public
(v. aussi J. Maury, L’éviction de la loi normalement compétente, Valladolid,
1952, p. 63 et s.). Observant que le droit français, avec la jurisprudence Mat-
ter (v. concl. sous l’affaire Pélissier du Besset, préc.) a institué une dualité de
régimes, l’un pour la circulation monétaire interne et l’autre pour le com-
merce international, il lui semble opportun que l’ordre public censure les lois
étrangères qui négligeraient « une nécessité de la vie internationale » en omet-
tant de créer « deux ordres juridiques » (art. préc., p. 8). Ainsi la notion se
mettrait au service des « nécessités du commerce international » (art. préc.,
p. 12-18; sur le développement de cette idée vers l’élaboration d’un concept
d’ordre public universel ou véritablement international, v. P. Louis-Lucas,
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 205
sous Paris 9 févr. 1966, Rev. crit. 1966. 264; B. Goldman, Clunet 1966. 117;
P. Lagarde, Rev. crit. 1967. 95, sous Paris 19 mars 1965, Banque Ottomane;
H. Synvet, sous Paris 3 oct. 1984, Banque Ottomane, Rev. crit. 1985. 526;
B. Goldman, sous le même arrêt, Clunet 1986. 156, spéc. p. 169 et note sous
Paris, 12 juill. 1984, Clunet 1985. 129; H. Rolin, « Vers un ordre public réel-
lement international », Mél. Basdevant, 1960. 441; P. Lalive, « Ordre public
transnational (ou réellement international) et arbitrage international, Rev. arb.
1986. 329; J. B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public,
thèse Nice, éd. 1999, p. 353 et s.).
15 Et, de fait, il est sûr que, frappant de précarité l’équilibre de toutes les opé-
rations commerciales à l’exportation, les variations inopinées « entre le mon-
tant nominal de la monnaie-papier et son pouvoir d’achat que consacrent les
lois monétaires sont préjudiciables » au développement des échanges écono-
miques internationaux. P. Lerebours-Pigeonnière (art. préc., p. 10) indique
d’ailleurs très clairement l’intention qui anime cette manifestation, à tout le
moins non classique, de l’ordre public. La cible n’est pas la teneur des lois
monétaires des divers États (et, à cet égard, les doutes de H. Batiffol sont par-
faitement fondés), c’est leur existence même — en ce qu’elle révèle l’incoor-
dination des politiques monétaires souverainement définies et mises en œuvre
par ceux-ci, laquelle engendrerait des aléas insupportables pour les opérateurs
du commerce international, si devait leur être déniée la liberté de s’en prému-
nir par une stipulation appropriée. Ainsi compris, l’ordre public réagit directe-
ment à l’état de la société internationale et le service qui lui est demandé n’est
pas d’écarter telle ou telle loi; il est d’assurer aux contractants la possibilité de
soustraire leurs rapports aux effets perturbateurs des variations de changes. À
cette fin, il impose, quelle que soit la loi du contrat, la validité des clauses
monétaires.
Dans ces conditions, l’usage même de la dénomination d’ordre public
international qui reçoit du droit international privé une acception spécifique,
pourrait sembler malencontreux. Pour la clarté des idées et le crédit des
méthodes, ne serait-il pas préférable d’attribuer à la liberté du choix de la
monnaie de compte valeur de principe matériel applicable directement au
contrat international — indépendamment de la loi étatique désignée pour le
régir ? La Cour de cassation ne l’a pas osé (comp., arrêt Galakis, infra, no 44).
Sans doute, les moyens du pourvoi autant que sa prudence coutumière l’ont-
elles incitée à suivre la démarche conflictuelle et à jouer ainsi du principe —
désignation de la loi applicable — et de l’exception — substitution de la loi
française au nom de l’ordre public. Mais, à la vérité, en généralisant la règle
française, la Cour de cassation répondait à une exigence propre du commerce
international. Elle posait une règle française de droit international privé maté-
riel, laquelle commandait au juge de valider toute clause monétaire figurant
dans un contrat international. Aussi bien, délaissant le détour de l’ordre public,
énoncera-t-elle celle-ci ultérieurement en toute clarté (v. par ex., Civ. 1re,
25 mars 1981, Bull. civ. I, no 104, p. 88; 15 juin 1983, Bull. civ. I, no 175,
p. 153, JCP 1984. II. 20123, note J. Ph. Lévy, Rev. trim. dr. civ. 1984. 721,
obs. Mestre; 13 mai 1985, Bull. civ. I, no 146, p. 133; rapp. Ferry, La validité
206 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22
des contrats en droit international privé, France-USA, 1989, nos 136 et s.,
p. 108 et s.; v. cep. plus réservé, V. Heuzé, La réglementation française des
contrats internationaux, 1990, no 587, p. 260; sur ce mode d’application
v. infra, arrêt Galakis, no 44). Cependant, il se pourrait que, chassé d’un coté,
l’ordre public réapparaisse de l’autre. En effet, avec la Convention de Rome
de 1980, la question de la monnaie du contrat réintègre le conflit de lois et par
conséquent la solution française de la licéité de la clause ne rencontrera désor-
mais que deux éventualités d’application : soit que la loi française est dési-
gnée pour régir le contrat international, soit que sur cette question la loi étran-
gère manque de libéralisme au point de heurter notre ordre public du contrat
international (v. H. Synvet, Dr. soc. 1991. 386; Ph. Coursier, JCP E 1993. II.
563; M.-A. Moreau, Rev. crit. 1994. 323; M.-L Niboyet. J.-Cl. dr. int., fasc. 552-
4, nos 33 et s.) Mais le retour de l’ordre public (qui a décidément partie liée
avec la règle de conflit, v. P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit
international privé, 1959) ne dispensera pas davantage de préciser ce qu’est
un contrat international.
16 B. — Parce qu’il prétend ne rien faire d’autre qu’appliquer, sous le couvert
de l’ordre public, la loi du 25 juin 1928, l’arrêt utilise notamment à cette fin la
formule élaborée par la jurisprudence Matter : « l’opération… constitue un
emprunt international, la société française débitrice ayant son siège en France,
empruntant à l’étranger des fonds pour les besoins de son exploitation et
devant rembourser les prêteurs sur des places étrangères, ce qui implique un
double mouvement de fonds de pays à pays ».
Cette définition, spécifique au problème à résoudre, pose la question,
importante pour l’avenir des règles matérielles de droit international privé, de
l’existence d’une véritable catégorie des contrats internationaux justiciable
d’un régime juridique propre.
17 La définition est étroite; elle ajuste rigoureusement la notion d’emprunt
international au cas qui donne lieu à la difficulté considérée, suggérant ainsi
que l’opération qui échapperait par son économie à l’éventuelle combinaison
du double transfert de capitaux et d’une variation de change, serait exclue du
champ d’application de la règle matérielle. Seuls parmi tous les emprunts rele-
vant du droit international privé, ceux qui sont source de circulation internatio-
nale de capitaux bénéficieront de la liberté des clauses monétaires car seuls ils
sont exposés au péril de l’incoordination des lois monétaires.
Cette position appelle une première remarque. Elle a le mérite de réduire
l’antagonisme doctrinal qui, sur le point de la qualification du contrat interna-
tional, met aux prises partisans d’un critère juridique et partisans d’un critère
économique. En effet, si ce dernier est ici utilisé pour l’application de la règle
matérielle de la licéité des clauses de garantie de change, le premier paraît
bien consacré pour ce qui est de la détermination de la loi applicable. Il y
aurait une internationalité conflictuelle qui caractériserait le contrat « se rat-
tachant à des normes émanant de plusieurs États » (Paris, 19 juin 1970, Hecht,
Clunet 1971. 833, note B. Oppetit, JCP 1971. II. 16927, note B. Goldman,
Rev. crit. 1971. 692, note P. Level, Rev. arb. 1972. 67, note Ph. Fouchard; Lyon,
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 207
19 avr. 1977, Rev. crit. 1979. 788, note B. Ancel; Civ. 1re, 7 oct. 1980, Tar-
dieu, Rev. crit. 1981. 313, note J. Mestre, JCP 1980. II. 19480, concl. Gulphe)
— entre lesquelles force est de choisir; et il y aurait une internationalité
matérielle se déduisant du critère économique (v. P. Lerebours-Pigeonnière,
art. préc. et Précis 3e éd., no 359, p. 442 et s., note sous Civ., 18 nov. 1951,
D. 1952. 357, préc.; D. Bureau, op. cit., p. 679 et s., nos 1032 et s.).
Une seconde observation se rapporte à la définition même de l’internatio-
nalité matérielle. À cet égard l’apport de l’arrêt est modeste puisqu’il ne fait
que réitérer la jurisprudence Matter. Cette retenue suscitera l’interrogation :
avec les autres règles de droit matériel international qui concernent la matière
des contrats, est-on en présence d’un catalogue de solutions ponctuelles et
indépendantes les unes des autres, apparues au hasard des espèces ou a-t-on
affaire réellement à un ensemble cohérent de solutions formant un régime
homogène institué pour et en considération de certains contrats internationaux ?
La première branche de l’alternative admettra que l’internationalité d’un
contrat ne se détermine qu’au regard de la règle dont l’application ou la non
application dépend du point de savoir s’il est ou non international (comp. le
motif de l’arrêt Mayol Arbona, T. confl., 23 nov. 1959, Rev. crit. 1960. 130,
note Loussouarn, Clunet 1961. 442, note Goldman, D. 1960. 223, note Sava-
tier, à propos de la nationalité des sociétés). La seconde branche exigera une
définition générale de l’internationalité matérielle, permettant de constituer la
catégorie des contrats internationaux soumis à un régime général de droit
matériel international approprié. D’une certaine manière, c’est encore le droit
privé commun des rapports commerciaux internationaux qui est ici en jeu : en
tant que système, celui-ci, même dans sa version codifié (v. supra, § 10) ne
peut s’affirmer que si son objet est défini de manière stable et homogène —
de sorte que se dégage le type de contrat dont les difficultés (quelles qu’elles
soient) puissent être par lui résolues; toutes les solutions particulières que les
codifications assemblent et coordonnent doivent appréhender le même ordre
d’activité, s’adresser à la même réalité. Or, aucune de ces codifications ne
donne de définition générale de l’internationalité du contrat.
18 À cet égard, il faut constater que la jurisprudence française a pratiqué
d’autres définitions de l’internationalité que celle que propose la jurisprudence
Matter. Ainsi l’arrêt Galakis (v. infra, no 44) reconnait l’aptitude de l’État à
compromettre lorsque celui-ci s’engage dans un « contrat international passé
pour les besoins et dans des conditions conformes aux usages du commerce
maritime ». La complexité de cette définition s’explique sans doute par le
souci de distinguer en l’espèce l’opération de droit privé en cause et le contrat
administratif international — non bénéficiaire de la solution (v. A. Toubiana,
Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Contrat administratif, nos 7 et s.) — mais ladite com-
plexité n’a pas empêché l’extension de cette dernière à d’autres opérations très
différentes de celle qui en fut l’occasion (v. infra, eod. loc.). Moins riche, mais
non moins intéressante, est la formule utilisée à propos de l’autonomie de la
clause compromissoire (Civ., 7 mai 1963, Gosset, D. 1963. 545, note J. Robert,
JCP 1963. II. 13405, note B. Goldman, Rev. crit. 1963. 615, note Motulsky,
Clunet 1966, note J. D. Bredin) : cette autonomie est reconnue à l’égard des
208 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22
accessoire d’un arbitrage qui est lui-même international en ce qu’il met en jeu
les intérêts du commerce international — dans le second cas ? Il n’est nul-
lement exclu que sous la variété des formules, la jurisprudence capte une même
réalité (A. Ponsard, « La jurisprudence de la Cour de cassation et le com-
merce international », Études Goldman, p. 241 et s.).
Si cette conjecture se vérifie, la constitution en système d’un droit privé
commun des rapports commerciaux internationaux aura accompli un progrès
significatif. L’arrêt des Messageries Maritimes, quant à lui, avec sa définition
étroite et finalisée, aura sur ce point illustré la prudence de la Cour de cas-
sation n’avançant qu’à pas comptés, comme il est légitime lorsqu’il s’agit
d’instituer un régime dérogatoire de cette importance.
23
COUR D’APPEL DE RABAT
24 octobre 1950
(Rev. crit. 1952. 89, note Francescakis, Clunet 1951. 898, note Goldman)
Conflit de systèmes dans le temps
(Machet c/Revelu)
ARRÊT
La Cour; — Sur le régime matrimonial — Attendu que Jules Machet, de natio-
nalité italienne, et Marie Revelu, Française, tous deux nés en 1893 se sont mariés
le 31 août 1918 à Lyon, sans contrat; — Que dame Revelu a acquis la nationalité
italienne de son mari par l’effet des dispositions de la loi du 23 juin 1889; — Que
les époux, domiciliés à Lyon, ont continué à exercer leurs métiers respectifs de
garçon de café et de femme de chambre; — Qu’en décembre 1920, ils sont
venus se fixer en zone française de l’empire chérifien, et y ont exploité une mai-
son de tolérance; — Attendu que Machet fait grief au jugement entrepris
d’avoir appliqué la jurisprudence française basée sur la volonté présumée des
époux, qu’il soutient que cette jurisprudence est d’autant plus inapplicable en
l’espèce, qu’elle est née du fait qu’aucun texte n’existe en droit français sur la
question, alors qu’au Maroc les règles de droit international privé du dahir sur la
condition civile des Français et des étrangers doivent s’imposer au juge, notam-
ment l’article 15 de ce texte, aux termes duquel, en l’absence de contrat, les
effets du mariage sur les biens des époux, tant immeubles que meubles, sont
régis par la loi nationale du mari au moment de la célébration du mariage; que
Machet en déduit que le régime matrimonial applicable est celui de la loi ita-
lienne, c’est-à-dire le régime de séparation de biens; — Attendu qu’il n’est pas
douteux que l’article 15 susvisé doive être appliqué aux situations juridiques
nées dans le protectorat, mais que ce texte ne peut régir des situations déjà
nées et acquises dans un autre pays ayant un régime légal différent; — Que les
effets du mariage des époux Machet, à l’égard de leurs biens, doivent être
déterminés à l’époque même de la célébration de ce mariage; — Que le régime
23 MACHET — RABAT, 24 OCTOBRE 1950 211
matrimonial sous lequel ils se sont placés était déjà fixé et acquis avant leur arri-
vée au Maroc ; — Qu’il est avéré notamment que Jules Machet est originaire
de la vallée d’Aoste dont une partie a été rattachée à la France et qu’il est de
culture française; — Qu’il a fixé très jeune son domicile en France et qu’il n’est
plus retourné en Italie; — Qu’il a épousé une Française sans observer les pres-
criptions du Code civil italien qui impose au sujet italien, se mariant à l’étranger,
de faire publier en Italie son projet de mariage; — Que le domicile matrimonial
a été fixé en France pendant plus de deux années; — Que les époux ont ensuite
quitté la France, mais pour se fixer dans un protectorat français; — Qu’en raison
de ces circonstances et de celles retenues par les premiers juges, il convient de
décider, conformément aux conclusions du ministère public, que les époux
Machet ont entendu se placer sous le régime légal français, c’est-à-dire sous
celui de la communauté et, en conséquence, de confirmer de ce chef le juge-
ment entrepris…
Par ces motifs; — Confirme le jugement entrepris, Rabat, 17 janv. 1949.
Du 24 octobre 1950. — Cour d’appel de Rabat. — MM. Hauw, prés.; Voelckel et Chabert, conseil.;
Foissin, subst. — MMes Faure et Bayssière, av.
OBSERVATIONS
1 La reproduction de l’arrêt Machet parmi les grands arrêts du droit interna-
tional privé pourra surprendre. Et de fait, ni la juridiction dont il émane, ni les
motifs qu’il énonce ne sont de nature à lui conférer une autorité particulière.
Mais s’en tenir à cette constatation serait méconnaître qu’il est, en droit inter-
national privé, des arrêts qui ne sont pas grands en eux-mêmes mais par la
prise de conscience qu’ils provoquent.
« Science du raisonnement », le droit international privé suppose l’élabora-
tion de méthodes originales (P. Mayer, « Les réactions de la doctrine à la créa-
tion du droit par les juges en droit international privé », Trav. Capitant 1980,
p. 385 et s., spéc. p. 391; H. Batiffol, « La responsabilité de la doctrine dans
la création du droit, » Rev. rech. jur. 1981. 75). Or légitimement plus soucieux
d’apporter une réponse réaliste aux problèmes dont ils ont à connaître que
d’énoncer des propositions générales dont ils craignent de ne pas apercevoir
toutes les conséquences, les tribunaux et spécialement la Cour de cassation
répugnent à une systématisation trop rapide. Lorsqu’ils s’y risquent, c’est tou-
jours après qu’un long débat les ait éclairés sur les multiples facettes du pro-
blème. Mais, nourri de la pratique judiciaire, ce débat prend lui-même sou-
vent sa source dans une décision qui joue le rôle de révélateur. Il n’en est pas
de meilleur exemple que le problème des qualifications : découvert par Bartin
raisonnant à partir de l’arrêt Bartholo (supra, no 9), celui-ci n’a reçu une
réponse formalisée de la Cour de cassation que plus d’un demi-siècle plus
tard (v. arrêt Caraslanis, infra, no 27). Ainsi, tant que l’arrêt de principe
attendu n’est pas intervenu, la décision initiale sert bien souvent de référence.
Curieusement c’est le décalage existant entre l’arrêt rendu et l’arrêt interprété
qui fait alors sa notoriété.
Tel est précisément le cas ici. Aberrante si on la considère dans une pers-
pective classique, la décision reproduite ne vaut que par le commentaire qu’elle
a inspiré à Ph. Francescakis (Rev. crit. 1952. 90). Celui-ci y a, en effet, posé
212 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 23
pour la première fois le problème, difficile entre tous, des conflits de systèmes
dans le temps (I). Si l’on excepte une décision de la Cour de Paris, cette ques-
tion n’a pour l’instant inspiré à la jurisprudence française qu’une réserve pru-
dente qui se comprend fort bien si l’on considère la diversité des propositions
doctrinales (II).
(v. not. P. Lagarde, note Rev. crit. 1967. 107), c’est-à-dire formuler une sorte
de super-règle de conflit dont on a vu les réserves qu’elle appelait. La contesta-
tion procédant de la diversité des règles de conflit étrangères, n’est-il pas plus
réaliste de l’arbitrer au moyen du système de conflit du for ?
On constate ainsi que la suggestion initiale débouche sur un résultat assez
éloigné de son point de départ puisqu’elle conduit à proposer de supprimer le
contrôle de la loi appliquée au moins pour les décisions étrangères traitant de
relations sans contact initial avec la France (sur ce problème, v. arrêt Munzer,
infra, no 41 § 10).
Aussi bien, désireux d’apporter une réponse sur mesure à la difficulté décrite
précédemment, certains ont-ils proposé l’adoption d’une règle matérielle de
droit international privé qui permettrait d’approcher au plus près le résultat
souhaité.
9 C. — Dans leur tentative de résoudre les conflits de systèmes dans le temps,
les auteurs s’étaient, on l’a vu, jusqu’alors heurtés à la difficulté de déterminer
le système qui devait être substitué à celui du for au cas où son effacement
serait admis. Afin d’éviter cet écueil, il a été proposé récemment de valider
certains droits subjectifs, cependant acquis en contradiction de la loi désignée
par la règle de conflit du for, en s’appuyant sur une règle matérielle de droit
international privé (M.-N. Jobard-Bachellier, L’apparence en droit internatio-
nal privé, thèse Paris I, éd. 1984, p. 45 et s.). Fondée sur la notion d’appa-
rence, celle-ci répond à l’idée qu’il conviendrait lorsqu’une situation est née
sans rapport avec le for de ne pas perturber par l’application intempestive de sa
règle de conflit, les croyances qui ont pu légitimement se former sur la base
des règles de conflit du ou des pays, à l’époque, concernés. Plus précisément,
il y aurait comme toujours en matière d’apparence un décalage entre la réalité
objective (l’irrégularité d’une solution au regard du droit international privé du
for) et la situation extérieure (l’apparente régularité que lui confère un système
de droit international privé étranger). La seconde pourrait l’emporter sur la
première si les intéressés avaient légitimement cru en l’application d’une règle
de conflit autre que celle du for. Tel pourrait être le cas lorsque la situation
litigieuse n’intéressait pas, dans les moments essentiels de sa constitution, le
système du for. Selon son promoteur, la règle substantielle de droit internatio-
nal permettant de sauvegarder la validité d’une situation pourrait être ainsi
exprimée : « Doivent être considérés comme régulièrement acquis les droits
nés dans le cadre de situations qui se sont constituées à l’étranger et y ont pro-
duit des effets, malgré la solution contraire à laquelle conduirait l’application
de la règle de conflit du for, dès lors que sur la base de l’apparence, créée par
l’applicabilité d’un droit étranger qui se révèle par la suite incompétent, les
parties ont cependant pu croire légitimement à la réalité juridique des droits
dont elles étaient en apparence titulaires, à la régularité juridique d’une situa-
tion qui paraissait s’être régulièrement constituée » (op. cit., p. 95, no 131).
Ainsi les droits validés le seraient par application de la règle matérielle du for
et non par celle de la règle substantielle que l’intéressé avait cru applicable;
celle-ci constituerait simplement une condition parmi d’autres de la validation.
Contrairement à ce que prévoit la doctrine d’inspiration unilatéraliste, le droit
23 MACHET — RABAT, 24 OCTOBRE 1950 219
22 janvier 1951
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
2 avril 1957
(Époux Weiller)
Faits. — En 1943, alors qu’après bien des péripéties et des désagréments il attei-
gnait enfin le Canada où il avait espéré retrouver son épouse dont la guerre l’avait
séparé, M. Weiller fut accueilli par une demande de divorce. Aliki Diplarakos, sa femme,
grecque d’origine devenue française à la suite de son mariage avec un Français en 1932
et installée à New York depuis 1940, l’assignait à comparaître, trois jours plus tard, devant
le Tribunal de Reno (Nevada, États-Unis).
Le choix de cette juridiction répondait sans doute aux commodités qu’elle est répu-
tée offrir au demandeur impatient. Peu sourcilleuse sur la réalité du domicile de celui-ci,
qui d’après les règles de procédure du Nevada forme un chef de compétence suffisant,
elle a coutume de prononcer le divorce d’après sa propre loi et sur les preuves les moins
sûres, pour ne pas dire les plus inconsistantes. En l’espèce, cette complaisance ne se
24-25 WEILLER — CASS., 22 JANVIER 1951, 2 AVRIL 1957 221
démentit pas et, en dépit du défaut de M. Weiller, la dame Diplarakos obtint, sans retard
et sur son propre serment, la décision qu’elle réclamait, le 14 mai 1943.
Quelque temps après, ayant signifié la décision à son mari et mis au net ses rapports
pécuniaires avec lui, elle épousait à Londres un sujet britannique, le sieur Russel.
M. Weiller, de retour en Europe, demande en 1946 au Tribunal civil de la Seine de
déclarer la nullité de ce mariage et, préalablement, l’inopposabilité du jugement de
divorce qui l’avait rendu possible.
Le tribunal refuse de connaître de l’affaire au motif qu’à défaut d’exequatur, M. Weiller
« n’avait rien à craindre » de la décision américaine et que par conséquent sa demande
d’inopposabilité et de nullité était irrecevable faute d’être soutenue par un intérêt né et
actuel (Seine, 2 juill. 1947, Rev. crit. 1947. 461).
En raison d’un vice de la procédure (les débats devant le tribunal avaient eu lieu en
chambre du conseil comme si l’instance avait eu pour objet le divorce lui-même et non
la régularité de la décision américaine), ce jugement fut annulé par la Cour de Paris.
Evoquant l’affaire, celle-ci déclara recevable la demande en inopposabilité, en constata
le bien-fondé et en tira la conséquence quant au mariage de la dame Diplarakos, (Paris,
15 déc. 1948, Rev. crit. 1949. 113, concl. Dupin, note Ph. Francescakis, D. 1949. J. 461,
note R. Savatier, S. 1949. 2. 69, note G. Delaume, JCP 1949. II. 4950, note Sarraute et
Tager, Gaz. Pal. 1949. I. 17, RTD civ. 1949. 113, obs. P. Hébraud). Celle-ci se pourvut
en cassation ; elle critiquait d’abord la cour d’appel sur le point de l’annulation du juge-
ment pour atteinte au principe de la publicité des débats; puis elle lui reprochait, de
manière générale, son incapacité à apprécier les singularités de l’espèce et à discerner
les conséquences légales qu’il convenait d’en tirer pour parvenir à une application éclai-
rée des critères de la régularité internationale des jugements étrangers. Aucun grief, il
faut le souligner, n’était dirigé contre la recevabilité de la demande en inopposabilité;
c’est ce qui explique que dans le premier arrêt ci-dessous, la Cour de cassation n’aborde
pas de front cette question nouvelle, quoiqu’elle apporte sa caution à la réponse donnée
par la Cour de Paris.
Le rejet du pourvoi ne désarme pas Mme Diplarakos. Entamant une nouvelle procé-
dure, elle demande au Tribunal de la Seine l’exequatur du jugement américain dont
l’inopposabilité à M. Weiller est désormais établie. La contestation s’engage d’abord
sur la question de la publicité des débats. Il faut encore un arrêt de la Cour de Paris pour
que soit affirmée l’autonomie de l’instance d’exequatur, nettement distincte par son
objet de l’instance en divorce, puisque toute révision au fond en est exclue (Paris,
10 nov. 1952, Rev. crit. 1953. 615, note Motulsky). Cet incident vidé, l’affaire revient
pour être tranchée au fond, devant le Tribunal de la Seine. Celui-ci constate l’irrégularité
du jugement de Reno et refuse l’exequatur (Seine, 26 juin 1953, Rev. crit. 1954. 193, note
Ph. Francescakis), tandis que la Cour de Paris, sur appel de dame Diplarakos, ne se met
pas en peine d’examiner la décision étrangère; la demande d’exequatur est irrecevable :
« la décision du Tribunal de Reno étant inopposable en France à l’égard de Weiller, ne
saurait acquérir à son encontre l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire;… en
conséquence… la demande d’exequatur du même jugement formée par dame Dipla-
rakos contre la même partie doit être écartée comme se heurtant à la présomption légale
tirée de l’autorité de la chose jugée… » (Paris, 28 févr. 1955, Rev. crit. 1955. 345, note
Ph. Francescakis). Ces motifs formèrent la cible du pourvoi que rejette le second arrêt
ci-dessous.
Un troisième arrêt de la Cour de cassation sera prononcé en 1959 et permettra
d’envisager l’épuisement des démélés judiciaires des époux Weiller (Civ. 1re, 23 août
1959, Rev. crit. 1959. 495, note Ph. Francescakis, D. 1959. 380, note G. Holleaux). Cette
décision ne concerne ni la recevabilité des demandes tendant à la vérification judiciaire
de la régularité des jugements étrangers, ni d’ailleurs les effets des jugements. Néan-
moins, elle intéresse les conflits de juridictions : toujours marié par le fait de l’ineffica-
222 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 24-25
1er ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen pris en ses deux branches : — Attendu qu’il
résulte des qualités et des motifs de l’arrêt attaqué que Paul-Louis Weiller, de
nationalité française, marié en France le 22 octobre 1932, avec Aliki Diplarakos,
d’origine grecque, mais ayant opté pour la nationalité française, dût fuir l’occu-
pation allemande et se rendre au Canada; qu’arrivé à Montréal le 3 avril 1943, il
reçut, le 6 avril, de la part de sa femme, réfugiée aux États-Unis depuis 1940,
assignation à comparaître devant le Tribunal de Reno (Nevada) aux fins de
divorce; que celui-ci fut prononcé par défaut contre lui le 14 mai 1943; que le
15 novembre 1945, Aliki Diplarakos se remariait à Londres, avec John Russel,
ressortissant britannique; — Attendu que Weiller ayant formé devant le Tribu-
nal de la Seine une demande en inopposabilité du jugement de Reno, et en nul-
lité consécutive du second mariage au regard de la loi française, ce tribunal, par
jugement du 2 juillet 1947, l’a déclarée irrecevable; — Attendu que l’arrêt atta-
qué relève d’office la nullité d’ordre public de la décision des premiers juges, au
motif que les débats avaient eu lieu en chambre du conseil, alors que selon le
pourvoi, telle serait pourtant la procédure impérativement prescrite par la loi
pour les instances dans lesquelles doivent être, même accessoirement, évoqués
les griefs invoqués comme causes de divorce; — Attendu que la cour était saisie
non d’une instance en divorce ou d’une demande connexe, soumises à la procé-
dure exceptionnelle de la chambre du conseil, mais d’un procès relatif à la vali-
dité et à l’efficacité d’un jugement étranger de divorce, que c’est à bon droit
que la cour d’appel décide que le contrôle, même exercé sur une décision de
divorce et tendant à vérifier non l’existence même ou la preuve de faits suscep-
tibles d’être causes de divorce, mais si se trouvent remplies les conditions requi-
ses pour que la décision puisse être reconnue par la loi française, « relève du
droit international privé et n’échappe pas à la règle impérative de la publicité
des débats » laquelle est le droit commun des instances; qu’il en résulte que le
moyen n’est pas fondé;
Sur le second moyen pris dans sa première branche : — Attendu qu’il est sou-
tenu par le pourvoi que les actes des 5 et 6 octobre 1943, qu’on doit rapprocher
tant de la signification régulièrement faite du jugement de Reno à Weiller que
des trois années que ce dernier a laissé passer avant d’agir, impliquent par eux-
mêmes l’exécution de la décision de divorce, en aménageant dans ce but la
situation matérielle des anciens époux; — Mais attendu que la cour d’appel,
déclarant que les accords précités « ne présentent pas ce caractère » relève, à
l’appui de son affirmation, qu’il n’est question que « de la restitution des
deniers, valeurs et objets, sans aucune référence au jugement de divorce, sans
même imputation des frais d’entretien de l’enfant commun »; et que la femme
y « est appelée plusieurs fois, Mme Weiller… »; — Attendu que de leurs consta-
tations fondées sur l’interprétation de la volonté des parties, les juges du fait
ont pu déduire que le mari n’avait nullement entendu, en la circonstance, exé-
cuter le jugement de divorce;
Et sur la deuxième branche du moyen : — Attendu que si l’arrêt attaqué
énonce incidemment que Weiller « s’est tout au plus, résigné provisoirement à
la séparation de fait voulue par sa femme », il n’en résulte pas que, par ce motif,
qu’on peut tenir pour surabondant, il entende valider un arrangement pécu-
24-25 WEILLER — CASS., 22 JANVIER 1951, 2 AVRIL 1957 223
2e ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que le pourvoi reproche à la
cour d’appel d’avoir rendu l’arrêt attaqué alors que le magistrat, qui avait
donné lecture du rapport prévu par l’article 82 du Code de procédure civile,
n’avait pas participé à la décision; — Mais attendu qu’il résulte tant de l’expédi-
tion de l’arrêt figurant au dossier que d’un certificat du greffier en chef de la
cour d’appel que la mention portée sur la grosse résultait d’une erreur maté-
rielle de copie; que la minute de l’arrêt établit bien que le magistrat chargé de
suivre la procédure, après avoir présenté à l’audience son rapport écrit, a bien
participé à tous les débats et au prononcé de la décision; — D’où il suit que le
premier moyen manque en fait;
Sur le deuxième moyen pris en ses deux branches : — Attendu que la dame
Aliki Diplarakos ayant demandé l’exequatur d’un jugement du Tribunal de Reno
(État de Nevada), qui avait prononcé le divorce entre elle et Paul-Louis Weiller,
la cour d’appel a déclaré cette demande irrecevable comme se heurtant à un
précédent arrêt de la même cour qui décidait que ce jugement était inopposa-
ble à Weiller; qu’il est fait grief à cette décision, d’une part, d’avoir statué en
dehors des prétentions dont elle était saisie, Weiller ne s’étant pas prévalu
devant elle de l’autorité de la chose jugée; d’autre part, d’avoir méconnu le
principe posé par l’article 1351 du Code civil, les deux instances n’ayant pas le
même objet; — Mais attendu que, contrairement aux affirmations du pourvoi,
l’arrêt attaqué, en relevant que Weiller avait bien invoqué, en appel comme en
première instance, l’autorité de la chose jugée, n’a ni dénaturé les actes de la
procédure, ni jugé hors des limites de sa saisine; qu’en effet, il résulte des quali-
224 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 24-25
tés mêmes de cet arrêt que, dans ses conclusions devant la cour, Weiller faisait
expressément état de ce que les deux instances, en non opposabilité du juge-
ment de Reno et en exequatur de cette décision, « étaient de même nature et
statuaient sur les mêmes faits pour des causes identiques et entre les mêmes
parties »; qu’ainsi les conclusions de l’intimé posaient le problème dans le cadre
et dans les termes mêmes de l’article 1351 du Code civil; — Attendu d’autre
part, qu’en décidant qu’un jugement étranger, qui a fait l’objet d’une décision
d’inopposabilité en France, n’est plus susceptible ensuite de recevoir l’exequatur
dans une instance dirigée contre celui auquel il a été déclaré inopposable, la
cour d’appel, loin de violer la règle de l’autorité de la chose jugée, en a fait au
contraire une exacte application; qu’ainsi le second moyen ne saurait pas
davantage être accueilli;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 2 avril 1957. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect. civ). — MM. Battestini, prem. prés.; Ancel,
rapp.; Gavalda, av. gén. — MMes Célice et Morillot, av.
OBSERVATIONS
1 Assurément « d’essence mondaine et cosmopolite » (Ph. Francescakis, note
préc.), l’affaire Weiller force l’attention avant tout par la richesse de ses ensei-
gnements en matière de contrôle de la régularité des décisions étrangères. Pour
s’en tenir à ceux qui forment l’apport propre des arrêts ci-dessus reproduits, on
laissera de côté l’exigence de la conformité du jugement étranger aux règles
françaises de conflit de lois; celle-ci se trouve déjà formulée dans la jurispru-
dence antérieure (v. notamment, Civ., 22 mars 1944, Chemins de fer portugais,
DC 1944. J. 145, note P. L-P, S. 1945. 1. 77, rapport Lerebours-Pigeonnière,
note Niboyet et surtout, Civ., 11 avr., Bach et 1er mai 1945, Schabel,
D. 1945. 245, note P. L-P, S. 1945. 1. 121, note H. Batiffol, JCP 1945. II. 2895,
note R. Savatier; v. aussi arrêt de Wrède, supra, no 10) et elle est maintenue
par nombre d’arrêts postérieurs et spécialement l’arrêt Munzer (v. infra, no 41;
v. aussi les arrêts Giroux, Civ. 1re, 11 juill. 1977, Rev. crit. 1978. 149, note
B. Audit; Favreau, Civ. 1re, 2 oct. 1984, Rev. crit. 1986. 91, note M.-N. Jobard-
Bachellier, Clunet 1985. 495, note B. Audit; Lemaire, Civ. 1re, 22 avr. 1986
et 6 juill. 1988, Rev. crit. 1989. 89, note H. Gaudemet-Tallon qui l’associent
également et sans doute à meilleur escient à la condition d’absence de fraude;
Époux L.-G., Civ. 1re, 23 janv. 2003, Rev. crit. 2004. 398, note H. Muir Watt,
Clunet 2003. 468, note J.-M. Jacquet ; Enfant Viola, Civ. 1re, 4 juill. 2006,
no C04-17590).
Les innovations concernent ici les figures procédurales qui permettent la
vérification de la régularité internationale des décisions étrangères. La Cour
suprême précise d’abord que celles-ci n’échappent pas à la règle de la publi-
cité des débats, lors même que la décision étrangère à examiner prononce un
divorce et, plus généralement, est intervenue dans une matière relevant de la
procédure en chambre du conseil. Indication précieuse, mais pour ainsi dire
accessoire par rapport aux solutions qu’ensuite la Cour de cassation consacre.
En 1951 elle donne son parrainage à l’accueil dans l’arsenal des procédures
concernant l’efficacité des jugements, d’une action dénégatoire, l’action en
inopposabilité (I), dont elle fait, en 1957, l’opposé de l’action en exequatur (II).
24-25 WEILLER — CASS., 22 JANVIER 1951, 2 AVRIL 1957 225
d’agir en recherche de paternité à seule fin de faire constater son état, sans for-
muler la moindre réclamation particulière, concrète, telle une demande d’ali-
ments par exemple. La solution procède de la permanence des intérêts que
l’organisation de l’état des personnes prend en charge; ceux-ci, pour s’actuali-
ser, n’ont pas besoin de se concrétiser aussitôt dans une prétention à un droit
subjectif. Le phénomène tient à la nature de l’état; attribué à l’individu pour
qu’il en exploite les virtualités et en observe les contraintes selon les circons-
tances, il est essentiellement un programme regroupant et définissant les
conduites possibles ou obligatoires pour son titulaire dans la vie sociale. Cette
fonction de référence ne s’accomplit utilement qu’autant que le programme est
certain. Le doute, l’hésitation n’introduisent pas seulement une gêne ou un ris-
que, ils introduisent la contradiction et rendent par eux-mêmes actuel l’intérêt
d’une demande en justice. Le simple fait d’interroger le juge réalise la fusion
de l’intérêt générique et de l’intérêt spécifique (comp. B. Ancel, note sous
Civ. 1re, 17 mai 1983, Rev. crit. 1985, p. 353; v. TGI Paris, 29 juin 1988, Rev.
crit. 1990. 339, note B. Ancel).
Dans la présente affaire, la demande en inopposabilité ne trouvait pas sa fin
en elle-même; elle était formulée dans le but de faire déclarer la nullité du
second mariage de la dame Diplarakos. Mais comme cet objectif n’était lui-
même relayé par aucune réclamation concrète, il était difficile (et d’ailleurs
juridiquement superflu) de découvrir, comme l’exigeait le tribunal, un intérêt
casuel distinct. Aussi bien la Cour de Paris s’était-elle contentée d’observer
que « la qualité d’époux ne peut être laissée en suspens et dépendre de l’arbi-
traire de la femme qui après avoir obtenu à l’étranger un jugement de divorce
s’abstiendrait d’en demander en France l’exequatur » (Paris, 15 déc. 1948,
préc., v. aussi Perugia, Seine, 16 déc. 1963, Clunet 1964. 322, obs. J. B. Sialelli).
Entérinée en 1951, cette motivation se concilie sans difficulté avec le motif de
l’arrêt Bielsky par lequel la Cour de cassation déclarait vingt ans après que
constituait un intérêt suffisant à la recevabilité, celui que le demandeur « pour-
rait avoir… à se prémunir contre les effets que le jugement étranger de
divorce pouvait avoir, sans être déclaré exécutoire » (Civ. 1re, 10 févr. 1971,
Rev. crit. 1972. 123; v. aussi TGI Paris, 17 févr. 1971, Rev. crit. 1972. 297,
note Ph. Francescakis; 25 mai 1989. D. 1990, Somm. 268).
6 On observera enfin que jusqu’à présent le motif n’a été donné qu’à propos
de l’action en inopposabilité dirigée contre un divorce étranger et il semble
bien en effet que lorsqu’il s’agit de prononcer sur la régularité de jugements
étrangers intervenus en matière patrimoniale et dotés — par le droit commun
ou conventionnel — de l’autorité de plano, la jurisprudence subordonne la
recevabilité de la demande à la règle habituelle de l’existence d’un intérêt
casuel (v. par ex., pour une action en exequatur, Soc. Lafarge, Civ. 1re, 17 mai
1983, préc.; pour une action en inopposabilité, TGI Paris, 7 févr. 1986,
Air Afrique, Rev. crit. 1986. 547, note H. Gaudemet-Tallon, Clunet 1986. 976,
note P. Mayer; 10 févr. 1993, Parretti, Rev. crit. 1993. 664, note H. Gaudemet-
Tallon, Clunet 1993. 599, note C. Kessedjian; mais v. aussi en sens opposé
Garino, Civ. 1re, 3 janv. 1980, Rev. crit. 1980. 587, note D. Holleaux, Clunet
1980. 341, note A. Huet).
228 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 24-25
tité d’objet entre les deux instances contraires. C’est sur ce point que se noue
la controverse — laquelle ne met pas en cause la solution, ni même l’anta-
gonisme des deux actions, mais concerne seulement leurs domaines respec-
tifs. L’une aurait une portée plus étendue que l’autre; l’action en exequatur
« n’aurait strictement pour objet que les mesures d’exécution [que lui réserve
la jurisprudence Hainard] alors que l’action en inopposabilité viserait quant à
elle à écarter tous les effets du jugement étranger, y compris les mesures
d’exécution » (Francescakis, note préc.).
9 Or cette thèse qui fut celle notamment de G. Holleaux (v. « La reconnais-
sance et l’exécution des jugements étrangers de divorce dans les droits alle-
mand et français », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1955-1957, p. 120 et s.) et de
H. Motulsky (v. note sous Seine, 3 janv. 1958, Rev. crit. 1958. 574, reproduite
in Écrits, vol. 3, p. 358) oblige à instituer une nouvelle action pour couvrir la
surface restée hors d’atteinte de l’action d’exequatur. En effet réduite à l’étroite
fonction de conférer la force exécutoire, l’action d’exequatur est impropre à
satisfaire le besoin que l’autorité de plano fait naître chez le bénéficiaire du
jugement d’état étranger, de connaître sa véritable situation dans l’ordre juridi-
que français. Est-il divorcé ou adultère ? La réponse donnée par le jugement
étranger est aussi fragile à son égard qu’à l’égard de l’autre conjoint. Le même
besoin de certitude, le même intérêt justifie l’accueil d’une action en opposabi-
lité (symétrique inverse de l’action en inopposabilité) ouverte, bien sûr, au
bénéficiaire de la décision étrangère, mais également à toute personne y ayant
intérêt — c’est-à-dire dont la situation juridique est affectée par le jeu de l’effi-
cacité substantielle immédiate, comme le prévoit désormais le Règlement
(CE) du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la recon-
naissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière
de responsabilité parentale (abrogeant le Règlement (CE) no 1347/2000), dit
« Bruxelles II bis », article 21 § 3 — et pouvant être exercée contre toute per-
sonne qui prétendrait ne pas tenir compte de ce qui a été jugé à l’étranger. Il en
résulte une nette différenciation avec l’action en exequatur que seul le bénéfi-
ciaire de la condamnation étrangère exerce contre la partie condamnée; celle-
ci est, en effet, la seule personne vis-à-vis de laquelle un titre exécutoire peut
être utile.
Cette doctrine que résume l’équation suivante; « action en inopposabilité =
action en opposabilité + action en exequatur » (Ph. Francescakis, note préc.,
on affectera, bien sûr, le second terme de l’équation d’un signe négatif) a aus-
sitôt rencontré la critique. Il lui a été objecté, notamment par Francescakis
(note préc., v. aussi note, Rev. crit. 1954. 200 et « Du contrôle préventif de la
validité du divorce étranger » Zeitschrift für ausländisches und internationa-
les Privatrecht, 1954, p. 58 et s., spéc., no 12, p. 66, « Remarques sur la recon-
naissance et l’exécution des jugements étrangers », JCP 1964. I. 1813, spéc.
no 19) que si la décision d’exequatur a bien cet effet constitutif de conférer la
force exécutoire, elle repose néanmoins sur la constatation de la régularité
internationale du jugement étranger et comporte ainsi nécessairement une
déclaration d’efficacité — bénéficiant automatiquement à l’ensemble des
effets substantiels comme à l’autorité de la chose jugée acquis à l’étranger. La
230 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 24-25
1980, Clunet 1980. 341, spéc. p. 347), place sous l’enseigne de l’exequatur
des hypothèses où la demande ne tend à aucune mesure d’exécution maté-
rielle sur les biens ni de coercition sur les personnes (v. notamment Garino,
Civ. 1re, 3 janv. 1980, Clunet, loc. cit., Rev. crit. 1980. 597, note D. Holleaux :
« si l’objet principal de l’instance en exequatur est de permettre l’exécution
forcée en France du jugement étranger, il n’est pas interdit de recourir à cette
procédure en vue de faire établir, même préalablement à une autre instance, la
régularité du jugement étranger dès lors que le demandeur en exequatur y a
intérêt et quelle qu’ait été la position procédurale de ce demandeur dans l’ins-
tance devant la juridiction étrangère », et BCCI-Paris c/Prabhu, Civ. 1re,
19 déc. 1995, Rev. crit. 1996. 714, note H. Gaudemet-Tallon : « l’action en
exequatur à la seule fin de déclarer régulier le jugement étranger, qui n’est
autre, selon la conception actuelle, que l’action en opposabilité ou déclara-
toire, ne saurait être assimilée à l’action en inopposabilité ou dénégatoire qui
lui est antithétique », laquelle, en l’espèce était exclue par l’échange de lettre
du 11 avr. 1986 interprétatif de la Convention franco-ivoirienne de 24 avr. 1961).
On remarquera enfin que la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968
et, à sa suite, le Règlement (CE) du Conseil du 22 décembre 2000 (Bruxel-
les I), qui la communautarise, fusionnent également dans la même action les
demandes tendant à la reconnaissance (art. 33 § 2) et à la constatation de la
force exécutoire de la décision étrangère (art. 38 et s.) — sauf à en dissocier,
au rebours de ce que fait le Règlement Bruxelles II bis (v. supra), la demande
de non-reconnaissance, à laquelle le favor iudicati europaei commande
en effet de refuser le bénéfice de la procédure simplifiée de l’article 41 (sur
le régime de la demande en inopposabilité visant un jugement européen,
v. H. Gaudemet-Tallon, Les Conventions de Bruxelles et de Lugano, op. cit.,
no 385; P. Lagarde, note sous Civ. 1re, 18 oct. 1988, Rev. crit. 1989. 527; TGI
Paris, 10 févr. 1993, Parretti, Rev. crit. 1993. 664, note H. Gaudemet-Tallon,
Clunet 1993. 599, note C. Kessedjian).
26
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
17 avril 1953
(Rev. crit. 1953. 412, note Batiffol, Clunet 1953. 860, note Plaisant,
JCP 1953. II. 7863, note Buchet, Rabels Zeitschrift 1955. 520, note Francescakis)
Divorce. — Époux de nationalité différente. — Loi applicable. —
Ordre public. — Droits acquis à l’étranger. — Effet atténué.
(Rivière c/Roumiantzeff)
ARRÊT
La Cour, après en avoir délibéré en la chambre du conseil; — Sur le moyen
unique pris en ses deux branches : — Attendu qu’il résulte des énonciations de
l’arrêt infirmatif attaqué que la dame Lydia Roumiantzeff, d’origine russe, natu-
ralisée française, s’est mariée le 9 février 1934, devant l’officier de l’état civil
français, avec le sieur Dimitri Petrov, de nationalité russe, sans que le mariage lui
ait fait perdre la nationalité française; que les époux Petrov-Roumiantzeff ont
quitté la France et ont transporté leur domicile à Quito (Equateur) où, le
27 août 1936, la dissolution, par consentement mutuel, du lien conjugal, a
été prononcée par les autorités équatoriennes, en conformité de la loi équa-
torienne ; que cette rupture a été suivie, le 19 mai 1939, du remariage de
Lydia Roumiantzeff avec le sieur Robert Rivière, de nationalité française, devant
l’officier de l’état civil de Casablanca; que, postérieurement, la dame Rivière-
Roumiantzeff ayant manifesté la volonté de divorcer, Rivière l’a actionnée en
déclaration de nullité du second mariage, soutenant que le divorce par consen-
tement mutuel des époux Petrov-Roumiantzeff, bien qu’intervenu en dehors de
toute fraude, était sans effet en France, et ne pouvait, en conséquence, avoir
permis un mariage ultérieur de la dame Roumiantzeff; — Attendu que c’est à
tort, selon le pourvoi, que la Cour d’appel a débouté Rivière de sa demande,
sanctionnant ainsi une décision étrangère dépourvue de l’exequatur et en
opposition avec l’ordre public français; — Mais attendu que les décisions étran-
gères rendues en matière d’état ou de capacité, soit entre étrangers, soit entre
Français et étranger, produisent en France, sans exequatur, tous les effets autres
que ceux qui comportent coercition sur les personnes ou exécution sur les biens
sous réserve, toutefois, de l’appréciation par la juridiction française saisie de
leur conformité avec les règles françaises de solution des conflits de lois; qu’il
serait vainement objecté que le second mariage de la dame Roumiantzeff a été
célébré nonobstant l’absence de transcription, en France, du divorce ayant dis-
sous la première union, le non-accomplissement de cette formalité, requise en
principe, n’ayant pu, de toute façon, constituer, en l’espèce, qu’un empêche-
ment prohibitif et non dirimant; — Attendu que l’objection soulevée par le
pourvoi, d’atteinte à l’ordre public français, doit être appréciée de façon dif-
férente suivant que le divorce litigieux a été ou non acquis à l’étranger par
application de la loi compétente en vertu du règlement français des conflits;
qu’en effet, la réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public
n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en
France ou suivant qu’il s’agit de laisser se produire en France les effets d’un droit
acquis, sans fraude, à l’étranger et en conformité de la loi ayant compétence en
vertu du droit international privé français; — Attendu que le seul fait de la
nationalité française de la femme ne suffit pas à rendre, dans tous les cas où
l’état de cette dernière est en cause, la loi française obligatoirement compé-
tente ; — Attendu, en l’espèce, que les époux Petrov-Roumiantzeff, ayant une
nationalité différente, mais étant domiciliés l’un et l’autre en Equateur, c’est à
bon droit que la Cour d’appel a décidé que leur divorce était régi par la loi du
domicile qui se trouvait, au surplus, être identique à la loi personnelle du mari
234 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 26
et à la loi du for; — Attendu que, dès lors, le divorce a été régulièrement acquis
à la suite d’une décision étrangère faisant application de la loi normalement
compétente; qu’il s’ensuit que la dissolution du mariage doit produire ses effets
en France bien qu’elle n’aurait pu être prononcée, pour la même cause, par une
juridiction française, notre ordre public s’opposant, en ce cas, au divorce par
consentement mutuel; D’où il résulte que l’arrêt attaqué a légalement justifié
sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 17 avril 1953. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Picard, prem. prés.; Lenoan. rapp.;
Gavalda. av. gén. — MMes Chareyre et David, av.
OBSERVATIONS
1 Cet arrêt dont le doyen Batiffol a pu dire à l’époque où il fut rendu qu’il
était d’une « exceptionnelle importance », reste l’un des monuments de notre
droit international privé. Certes, du fait des réformes législatives de 1972 et de
1975, sa positivité est en recul. Mais au-delà même de ces péripéties, il marque
une étape capitale dans l’œuvre constructive de la jurisprudence française. Le
premier, il affirme clairement que le lien matrimonial doit relever d’une loi
unique et qu’à défaut de nationalité commune des époux, le domicile peut,
malgré le silence des textes, servir de rattachement. Le premier encore, il
énonce dans toute sa généralité la règle de l’effet atténué de l’ordre public.
Simplement, alors que la première solution prend la forme d’une mutation
brutale (I), la seconde se présente comme l’aboutissement d’une longue évolu-
tion (II).
seule nationalité d’un des époux, elle étendait à l’excès au nom d’un « nationa-
lisme mal compris » la loi française et favorisait la multiplication des « biga-
mies migratoires » (Batiffol, note, Rev. crit. 1953. 418). Le premier mérite de
l’arrêt Rivière est d’avoir su sortir de cette impasse. Ecartant formellement la
compétence de la loi française fondée sur la seule nationalité française d’un
des époux et implicitement l’application distributive des lois nationales des
deux époux, il emprunte « la seule voie praticable », celle de la détermination
d’une loi du lien, d’une loi du groupe familial (Batiffol, note préc., p. 149;
Loussouarn, note, D. 1952. 657).
Rev. crit. 1993. 29, note H. Muir Watt pour l’application de l’art. 310 du Code
civil, déplacé à l’art. 309 par l’ord. du 4 juill. 2005). Bien qu’il devînt alors
difficile de parler de rattachement de la cellule conjugale, cette intégration fut
entendue fort souplement puisque l’établissement de deux époux séparés dans
un même pays y suffisait. Mais que décider lorsque le domicile ainsi défini
faisait défaut, c’est-à-dire lorsque les époux habitaient « séparément en des
pays différents » ? Fallait-il alors s’en tenir à la loi du dernier domicile com-
mun ou faire prévaloir celle du for ? Bien que la première solution ait été
depuis retenue par plusieurs conventions (art. 8-2, Conv. franco-polonaise du
5 avr. 1967, Rev. crit. 1969. 329; art. 8, Conv. franco-yougoslave du 18 mai
1971, Rev. crit. 1973. 570; art. 9 al. 2, Conv. franco-marocaine du 10 août 1981,
Rev. crit. 1983. 534) ainsi que par de nombreux textes étrangers, la seconde
l’emporta. La Cour de cassation décida, en effet, qu’à défaut de domicile com-
mun le divorce d’époux de nationalité différente était « régi par la seule loi
du for régulièrement saisi du divorce » (Civ. 1re, 15 mai 1961, Tarwid, préc.;
Civ. 1re, 30 oct. 1967, Yechilzuke, Rev. crit. 1969. 479, note Jacques Foyer).
Toute intégration à un milieu défini ayant disparu, la loi du for s’applique en
vertu de sa vocation subsidiaire générale (v. infra, arrêt Bisbal, no 32-34 § 13
et s.). La solution présentait au demeurant le mérite de permettre de résoudre
la délicate question du divorce du Français, marié à un conjoint étranger et
domicilié dans un pays dont la législation prohibait le divorce : il suffisait à
l’époux français de quitter ce pays pour restituer à la loi française son applica-
bilité. Etait ainsi construit un règlement du conflit assurant au Français le
bénéfice d’un divorce « à la française » sans que pour autant — suprême élé-
gance — la loi du for parût jouir d’un domaine exorbitant. Ce fragile équilibre
devait être rompu par la loi du 11 juillet 1975. Mais c’est alors le devenir de la
jurisprudence Rivière qui est en question.
6 B. — Par statut personnel, on entend non seulement le statut de l’individu
mais aussi celui des relations de famille. Longtemps de peu d’importance,
cette distinction prit tout son relief lorsque la conquête d’une nationalité indé-
pendante par la femme ainsi que l’accroissement du rôle du jus soli augmentè-
rent le nombre des familles dont les membres étaient de nationalité différente.
Force fut alors, dans cette hypothèse de découvrir ailleurs que dans la nationa-
lité, le rattachement permettant de soumettre à une loi unique les relations
entre les membres d’une même famille. C’est précisément à cet égard, que
l’apport de l’arrêt Rivière se révéla irremplaçable. En décidant qu’à défaut de
nationalité commune des époux, le divorce était régi par la loi du domicile
commun, il élaborait un corps de solutions favorisant un règlement homogène
des aspects relationnels du statut personnel. Encore fallait-il en préciser exac-
tement le domaine d’application. De ce point de vue, l’évolution ultérieure fut
marquée par deux phases, l’une de flux, l’autre de reflux.
7 Le divorce ne constituant, selon l’expression du doyen Batiffol, que le
« terme des effets du mariage », il était logique d’étendre la solution Rivière à
l’ensemble de cette catégorie. Mais il en résultait en même temps une adéqua-
tion accrue du rattachement à la matière régie qui, par une sorte d’interaction
238 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 26
Bulkley du 28 février 1860 (v. supra, no 4). Il a été suggéré que cet arrêt
n’avait sans doute pas à l’époque où il fut rendu la portée qu’on lui a ultérieu-
rement attribuée (P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit interna-
tional privé, nos 11 et s., p. 13 et s.; Batiffol, « L’œuvre constructive récente
de la jurisprudence française en droit international privé », Mélanges Savatier,
p. 78). Quoi qu’il en soit, la doctrine de la fin du XIXe siècle, spécialement
Bartin, se montrait très réservée pour distinguer, en matière d’ordre public, la
création et l’efficacité des droits (Études de droit international privé, p. 255
et s., spéc. p. 261). Et en 1930, celui-ci écrivait toujours à ce propos : « Pour
des raisons que nous ignorons encore (…), on donne ainsi, alternativement,
deux solutions contradictoires de la même question » (Principes, t. I, § 98,
p. 262). C’est, semble-t-il, Pillet (« De l’ordre public en droit international privé »,
Mélanges Pillet, t. I, p. 463) et Niboyet qui érigèrent en directive générale l’oppo-
sition entre droits acquis et droits à acquérir (v. Francescakis, Rép. Dalloz dr.
int., 1re éd., v° Ordre public, no 66; Graulich, note, Rev. crit. 1975. 58). Dans
le même temps, les arrêts se multiplièrent qui, en matière de divorce ou de
recherche de paternité, pratiquèrent la distinction sans l’énoncer. La première
systématisation fut, à la fin de la seconde guerre mondiale, l’œuvre des arrêts
Bach et Schabel (Civ., 11 avr. et 1er mai 1945, D. 1945. 245, note P. L-P.,
S. 1945. 1. 121, JCP 1945. II. 2895, note R. Savatier) qui décidèrent que « si
l’ordre public ne permet pas d’intenter devant les tribunaux français l’action
en recherche d’une filiation naturelle en dehors des cas et des conditions limi-
tatives prévus par l’article 340 du Code civil, alors même que l’action en
recherche est régie par la loi nationale étrangère de l’enfant demandeur, ledit
ordre public ne met pas obstacle à ce qu’une déclaration judiciaire de pater-
nité naturelle simple résultant régulièrement d’une décision étrangère qui
condamne le père de l’enfant en cette qualité à lui servir une pension alimen-
taire jouisse en France de l’autorité de la chose jugée, et obtienne l’exequa-
tur ». Exprimée de manière formelle, la distinction ne l’était toutefois que
pour la recherche de paternité. C’est à l’arrêt Rivière qu’il revînt de l’énoncer
en une formule générale qui fut ultérieurement reprise tant par la Cour de cas-
sation (v. par ex. pour la reconnaissance à l’étranger d’un enfant adultérin,
Civ., 22 mai 1957, Henrich, Rev. crit. 1957. 466, note Batiffol, Clunet 1957.
722, note Plaisant; pour la polygamie, v. infra, arrêts Chemouni, no 30-31 et
Dame Bendeddouche, no 61; pour la répudiation, v. infra, arrêt Rohbi, no 63 § 6)
que par les juges du fond (v. par ex., Paris, 30 oct. 1954, Rev. crit. 1954. 125,
note Mezger; Nancy, 13 janv. 1955, Rev. crit. 1955. 525, note Loussouarn).
Postérieurement, l’appellation d’« effet atténué » de l’ordre public qui résume
cette conception fut à son tour, consacrée par l’arrêt Munzer (v. infra, no 41).
12 L’expression d’effet atténué de l’ordre public veut marquer que l’intensité
de l’ordre public international diffère selon qu’on est en présence d’une situa-
tion déjà créée à l’étranger ou d’une situation à créer en France. Imagée et sug-
gestive, ce qui explique sans doute son succès, elle est techniquement inexacte,
« car il ne s’agit pas de faire jouer faiblement l’exception d’ordre public
mais de la paralyser totalement » (P. Mayer et V. Heuzé, no 207 ; P. Lagarde,
op. cit., no 8, p. 12). Et de fait, au moins d’un point de vue négatif, l’exception
242 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 26
la loi tunisienne qui y faisait obstacle était contraire à l’ordre public international
français lorsque son application a pour effet de priver un enfant français ou rési-
dant actuellement en France du droit d’établir sa filiation (Civ. 1re, 10 févr. 1993,
Rev. crit. 1993. 620, note J. Foyer, Clunet 1994. 124, note I. Barrière-Brousse,
D. 1994-66, note J. Massip, Som. com. p. 32, obs. Audit; sur l’évolution ulté-
rieure du droit tunisien v. S. Ben Halima, « La filiation naturelle en droit
tunisien », Mélanges Mohamed Charfi, p. 459). La prise en compte de cette varia-
ble supplémentaire montre que l’intensité de l’ordre public dépend de l’étroitesse
du lien unissant la situation juridique au for. La conception allemande de
l’Inlandsbeziehung décidant que l’ordre public ne peut écarter la loi étrangère
applicable que s’il existe un lien suffisamment étroit entre la situation liti-
gieuse et le territoire du for l’illustre à sa manière (sur cette conception,
v. P. Lagarde, op. cit., p. 55 et s. et les références doctrinales et jurispruden-
tielles citées par cet auteur; Wengler, « Les principes généraux du droit inter-
national privé et leurs conflits », Rev. crit. 1952. 600, no 7; N. Joubert, La
notion de lien suffisant avec l’ordre juridique (Inlandsbeziehung) en dr. int.
pr., thèse Paris I, 2002).
13 Aussi bien est-il permis de se demander s’il ne serait pas préférable aujourd’hui
de raisonner, comme en droit allemand, en termes d’Inlandsbeziehung et
d’admettre « le même jeu de l’ordre public que la situation soit constituée dans
ou hors du territoire du for, dès lors que cette situation présente des liens étroits
avec la France ». (H. Gaudemet-Tallon, « La désunion du couple en droit inter-
national privé », Rec. cours La Haye, 1991, t. I, no 122, p. 271; v. déjà du
même auteur, Clunet 1990. 982; J.-M. Jacquet, note Clunet 1992. 953; R. Lib-
chaber, « L’exception d’ordre public en dr. int. pr., » in L’ordre public à la fin
du XXe siècle, 1996, p. 72 et s., nos 9 et s.; P. Courbe, Mélanges Paul Lagarde,
2005, p. 227). La corrélation espace-temps sur laquelle repose la théorie de
l’effet atténué de l’ordre a, en effet, perdu une bonne part de sa pertinence en
raison de la facilité actuelle des déplacements et de la quasi-ubiquité qu’elle
confère aux individus. Le seul fait qu’une situation est née à l’étranger ne per-
met plus de présumer qu’elle n’avait à l’époque de sa création que peu de liens
avec la société française. C’est ainsi que nombre de maghrébins résidant en
France, retournent séjourner brièvement dans leur pays d’origine afin d’y créer
des situations — répudiation, mariage polygamique — qu’ils n’auraient pu
constituer directement dans leur pays de résidence, et s’y prévalent ensuite de
celle-ci sous le couvert de ce véritable détournement d’institution qu’est alors
l’effet atténué de l’ordre public (sur cette difficulté, v. par ex., P. Mayer et
V. Heuzé, no 588; B. Audit, nos 687 et 689; H. Gaudemet-Tallon, note Clunet
1990. 992; sur son aggravation en cas de double nationalité, v. infra, no 46).
On a pu parler à ce propos de « fraude à l’intensité de l’exception d’ordre
public » (Fadlallah, note Rev. crit. 1984. 325) sans que cette notion puissse pour
autant apporter une réponse appropriée à cette difficulté (v. en matière de répu-
diation, P. Courbe, note sous Civ. 1re, 6 et 26 juin 1990, Rev. crit. 1991. 593;
J. Déprez, note sous Civ. 1re, 4 mai 1994, Rev. crit. 1995. 110; en matière de
polygamie, J. Déprez, note Rev. crit. 1991. 705). Aussi certains recomman-
dent-ils pour répondre à ce problème de recourir à des clauses spéciales
244 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 26
(Rev. crit. 1955. 723, note Batiffol, D. 1956. 73, note Chavrier,
Journal des juristes hellènes 1956. 217, note Francescakis)
Conflit de qualifications.
Faits. — À l’assignation en divorce devant le Tribunal de Paris que lui adresse son
épouse de nationalité française, Caraslanis, citoyen grec, réplique par une demande recon-
ventionnelle en nullité de mariage. Cette prétention est fondée sur le fait que l’union a
été contractée en France en la seule forme civile, conformément au droit français, mais
en contravention des prescriptions de la loi grecque, lesquelles exigent la célébration
par un ministre du culte. Caraslanis est ainsi amené à soutenir d’abord que l’exigence
d’une cérémonie religieuse posée par le droit grec est une condition de fond de la for-
mation du mariage, pour relever ensuite qu’en tant qu’élément du statut personnel, cette
condition de fond est régie par la loi nationale du futur conjoint auquel elle se rapporte;
et de conclure enfin que l’inobservation de cette règle du droit grec impose de constater
l’inexistence du mariage.
Pas plus que les premiers juges, la Cour de Paris n’accueille cette prétention. Elle
admet la validité du mariage qui a été célébré en France selon les formes de la loi fran-
çaise, voyant ainsi un problème de forme des actes là où Caraslanis prétend découvrir
une question de statut personnel relevant de la loi nationale.
C’est dans ces conditions que, sur pourvoi de Caraslanis, la Cour de cassation est
appelée à résoudre un conflit de qualifications à propos de la forme du mariage.
Voici sa réponse :
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique pris en ses deux branches; — Attendu que
l’arrêt attaqué, confirmatif, a prononcé le divorce entre Dimitri Caraslanis, sujet
hellène, et Maria-Richarde Dumoulin, de nationalité française, dont le mariage,
uniquement civil, avait été célébré le 12 septembre 1931, devant l’officier de
l’état civil du 10e arrondissement de Paris; qu’il est fait grief à la Cour d’appel
d’avoir rejeté les conclusions du mari dans lesquelles il soutenait que le mariage
était inexistant, l’Église orthodoxe, à laquelle appartenait Caraslanis, imposant
246 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 27
OBSERVATIONS
1 L’arrêt proclame le principe de la qualification lege fori et même, plus géné-
ralement, il définit les solutions qui s’imposent aux conflits de qualifica-
tions (I). Voilà qui lui vaut son renom. Mais celui-ci a été acquis à propos de la
question particulière que crée l’exigence, posée par certaines lois étrangères,
d’une célébration religieuse du mariage; or il est permis de se demander si
cette question offrait bien l’occasion de formuler ainsi un principe de la théorie
générale des règles de conflit de lois et ne méritait pas plutôt d’être traitée
selon une autre méthode de solution (II).
I. Le conflit de qualifications
2 La difficulté est connue en France depuis les travaux de Bartin sur l’affaire
Bartholo (v. supra, no 9). Une conscience aiguë de la diversité irréductible des
droits internes et de l’étroite liaison existant entre institutions du droit civil et
principes du droit international privé désespérait cet auteur que soit jamais
atteinte l’unification des solutions des conflits de lois : même si les États
s’entendaient sur l’édiction de règles de conflit communes, ils ne parviendraient
pas à leur conserver une unité d’interprétation. Reliée à des droits internes dif-
férents évoluant chacun selon sa propre pente, toute règle de conflit commune
se différencierait elle-même à plus ou moins brève échéance et se présenterait
dans plusieurs versions distinctes. Ainsi, à Paris comme à Athènes, les condi-
tions de fond du mariage sont régies par la loi nationale tandis que les conditions
de forme relèvent de la loi du lieu de la célébration. Mais les contenus des
catégories « conditions de fond » et « conditions de forme » n’y sont pas iden-
tiques et c’est de cette divergence que Caraslanis prétendait se servir de la
manière qu’on a vue. La Cour de cassation a refusé d’entrer dans ce jeu dont il
apparaîtra qu’ainsi mené il est sans issue.
On s’étonnerait qu’il ait fallu attendre près de soixante années, depuis
l’identification du problème, pour obtenir une solution. Mais c’est peut-être
27 CARASLANIS — CASS., 22 JUIN 1955 247
que les racines de la difficulté sont plus profondes que ce que Bartin en avait
perçu. Elles ne se limitent pas en effet au choix de la loi de la qualification, au
dilemme entre qualification lege fori (loi française) et qualification lege cau-
sae (loi grecque); elles descendent jusqu’à toucher aussi l’objet même de
l’opération de qualification. Il ne suffit pas en effet de choisir convenablement
la loi de la qualification : une mauvaise définition de l’objet de la qualification
risque également de provoquer des conflits de qualifications. L’arrêt Carasla-
nis apporte aussi des éclaircissements sur ce point.
A. — La loi de la qualification
(1) Sur la résolution des conflits négatifs qui peuvent malgré tout subsister, v. supra, arrêt
Forgo, no 7-8.
250 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 27
com. fr. dr. int. pr. 1995. 1998, p. 321, et B. Ancel, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd.,
v° Qualification, nos 54 et s., OGH, 27 avr. 1987, Clunet 1991. 421).
B. — L’objet de la qualification
pratique. Elle ne convainc pas non plus en théorie; elle établit, en effet, entre
la détermination de la loi applicable et la désignation de l’autorité compétente
une liaison discutable : la compétence du juge ou de l’officier public ne doit
pas être subordonnée à l’applicabilité de sa propre loi au fond de la cause afin
que soit ouvert à toutes les personnes présentes sur le territoire un accès égal
aux organes d’application du droit (v. Y. Lequette, Protection familiale et pro-
tection étatique des incapables, nos 170 et s., p. 135 et s.).
v. dans le même sens Dijon, 30 oct. 2001, JCP 2002. IV. 1355; mais pour
l’art. 147, C. civ., v. Civ. 1re, 3 févr. 2004, Rev. crit. 2004. 395, note B. A.).
15 B. — En admettant la validité en France de mariages civils considérés comme
nuls dans d’autres pays, la jurisprudence Caraslanis est à l’origine d’unions
dites « boiteuses ». Certes, « mieux vaut un mariage boiteux que pas de mariage
du tout » (Fadlallah, La famille légitime en droit international privé, no 27,
p. 28; T. const. féd. d’All., 4 mai 1971, Rev. crit. 1974. 57 et s., spéc. p. 71,
note C. Labrusse; v. aussi, Versailles, 30 mai 1995, Rev. crit. 1996. 639, note
B. Bourdelois). Néanmoins une telle situation engendre, tant en droit qu’en
pratique, pour ceux qui en sont victimes, de multiples difficultés. Parmi celles-
ci, la détermination de la loi appelée à en régir les effets a particulièrement
préoccupé la jurisprudence française. Peut-on, en effet, soumettre les consé-
quences d’une telle union à la loi nationale des époux dès lors que celle-ci n’en
reconnaît pas la validité ? Les juridictions françaises eurent à connaître de
cette question à l’occasion d’une affaire Ghattas (Civ., 25 févr. 1947, Rev. crit.
1947. 446, note Niboyet, D. 1947. 161, note P. L-P.; et après diverses péripé-
ties, Starck, « Rebondissement de l’affaire Ghattas ou le rocher de Sisyphe »,
Rev. crit. 1955. 669). Un Libanais de rite melchite, c’est-à-dire grec-catholique,
avait épousé une Française en la forme civile en France, alors que la loi liba-
naise exigeait une célébration religieuse. La femme ayant introduit devant les
juridictions françaises une action en divorce, le mari fit valoir que la loi liba-
naise le prohibait. Mais pouvait-on constater l’indissolubilité du lien en vertu
d’une loi au regard de laquelle il n’existait pas ? La Cour de cassation ne le
pensa pas et se prononça pour l’application de la loi française au motif que
celle-ci « est nécessairement compétente lorsque le mariage n’est valable qu’au
regard du droit français » (v. aussi TGI Paris, 28 avr. 1967, Rev. crit. 1970.
435, note D. Alexandre). La doctrine se montra généralement favorable à cette
solution. Elle considéra que la loi étrangère tenant pour nul le mariage ne peut
en définir les effets ni le mode de relâchement; en décider autrement serait
dénaturer le droit étranger (v. notes Niboyet et P. L-P., préc.; J.-M. Bischoff,
Rép. Dalloz dr. int. vo Mariage, nos 198 et s.; P. Lagarde, « La règle de conflit
applicable aux questions préalables », Rev. crit. 1960, p. 459 et s., spéc. 479
à 481 ; D. Cocteau-Senn, Dépecage et coordination dans le règlement des
conflits de lois, thèse Paris I, 2001, nos 522 et s.).
Ainsi entendue, la jurisprudence Ghattas porte en elle un « risque d’exten-
sion considérable » (Fadlallah, op. cit., no 38, p. 41). Elle signifie, en effet,
qu’on ne saurait emprunter à une loi étrangère la définition des effets d’une
quelconque situation dès lors qu’elle n’en admet pas la validité. Autrement
dit, la distinction qu’opère notre système de droit international privé entre la
formation et les effets d’une situation pourrait constamment être remise en
cause au nom de la cohérence logique du droit étranger qui régit les seconds
(F. Rigaux, op. cit., no 275, p. 413; rapp. P. Mayer, La distinction entre règles
et décisions, no 61, p. 45). Par l’ampleur des perturbations qu’il engendre, un
tel tempérament paraît difficilement acceptable. On remarquera, au reste, que
nos tribunaux n’ont jamais entrepris de vérifier systématiquement, avant
d’appliquer une loi étrangère aux effets d’une situation juridique considérée
256 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 27
(Rev. crit. 1956. 305, note Francescakis, D. 1958. 709, note Batiffol,
JCP 1956. II. 9549, note A. Weill)
Mariage putatif. — Loi applicable.
Faits. — Dissimulant son précédent mariage célébré en France avec une Française,
en 1908, un officier français épouse en 1942 à Damas, devant le rabbin, une jeune
Syrienne de confession israélite. Après son décès en 1945, l’épouse syrienne se préva-
lant de sa qualité de veuve d’un officier français mort pour la France, réclame une pension
à l’autorité militaire. Celle-ci objecte la nullité de son mariage pour bigamie. La seconde
épouse demande alors aux juridictions françaises de lui accorder le bénéfice du mariage
putatif. Successivement, le Tribunal de la Seine (22 déc. 1948, Rev. crit. 1949. 100, note
G. H.) et la Cour de Paris (15 févr. 1950, Rev. crit. 1950. 420, note Loussouarn, Clunet
1951. 190, note Goldman, JCP 1950. II. 5578, note Savatier) firent droit à la demande
formée contre la première épouse en se fondant sur la loi française, compétente en tant
que loi des effets du mariage parce que loi du mari, chef de famille.
Le pourvoi critiquait l’arrêt en lui faisant essentiellement grief d’avoir fait applica-
tion de la loi française du mari, époux de mauvaise foi, à la femme étrangère dont le sta-
tut personnel ignorait le mariage putatif.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique pris en ses deux branches : — Attendu qu’il
résulte des énonciations de l’arrêt attaqué, confirmatif, que le commandant
André Moreau, déjà marié en France à Odette Ouvrard, le 15 avril 1908, a
épousé, le 4 septembre 1942, à Damas, en la forme religieuse de la communauté
israélite, Lucie Bazbaz, Syrienne de confession israélite; que de cette dernière
union est née une fille; que le commandant Moreau ayant été tué à l’ennemi, le
8 juin 1945, la dame Bazbaz a assigné la dame Ouvrard pour voir dire que le
mariage second en date, nul pour bigamie, mais contracté de bonne foi par la
femme, devait être considéré comme mariage putatif; — Attendu qu’il est vai-
nement objecté par le pourvoi que l’arrêt attaqué, accueillant la prétention de
la dame Bazbaz, se serait contredit en appliquant, d’une part, la loi française
pour apprécier les conséquences de la bonne foi et en rejetant, d’autre part,
cette même loi pour administrer la preuve de l’existence du mariage et de sa
célébration; qu’en effet, la réalité de la célébration, suivant les formes locales
258 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 28
OBSERVATIONS
1 La question des conflits de lois relatifs au mariage putatif a suscité, en droit
international privé, un important contentieux (v. décisions citées par Lous-
souarn, note Rev. crit. 1950. 423). De fait, c’est dans les espèces revêtant un
caractère international que les conditions en sont le plus souvent réalisées : les
époux peuvent plus aisément y commettre une erreur sur les conditions de
validité de leur union (Savatier, note JCP 1950. II. 5578; Loussouarn, note
préc.). Au surplus, la diversité des droits positifs confère, en la matière, toute
son importance au choix de la loi : d’origine canonique, l’institution est restée
étrangère aux systèmes demeurés, tels les droits islamiques, ou devenus, tels les
droits de common law, extérieurs à l’influence de l’église catholique; en outre,
même parmi les pays qui la connaissent, sa réglementation varie de façon nota-
ble (sur le droit comparé, v. Francescakis, note Rev. crit. 1956. 309; Weill,
note JCP 1956. II. 5549). En dépit de ces données, la position de la jurispru-
dence française est restée longtemps incertaine. Tout au plus pouvait-on cons-
tater une tendance à accorder le bénéfice du mariage putatif dès que la bonne
foi était établie (sur la notion de bonne foi, v. G. Holleaux, note, Rev. crit.
1963. 122) mais sans que soit précisée la loi appliquée. Le mariage putatif était
ainsi traité comme une institution répondant à un sentiment d’équité si naturel
qu’il se justifiait par lui-même, ce que dément manifestement le droit comparé
(Batiffol, note D. 1958. 709; v. cep. en faveur de la qualification droit naturel,
Francescakis, note, Rev. crit. 1956. 313 et « Droit naturel et droit international
privé », Mélanges Maury, t. I, p. 151, no 33). Il est vrai que l’étude de la doc-
trine n’était guère de nature à fournir aux magistrats un principe de solution
incontesté : pas moins de quatre systèmes avaient été proposés par les auteurs
(sur lesquels, v. Weill, note préc.). L’arrêt Moreau met fin à cette incertitude.
En se prononçant pour la loi de la condition violée (I), il pose une solution
qui s’inscrit tout naturellement dans un courant plus général du droit interna-
tional privé français (II).
28 VEUVE MOREAU — CASS., 6 MARS 1956 259
s’expliquerait par le fait qu’à l’époque les rattachements afférents à la loi des
effets du mariage étaient encore en pleine gestation (v. supra, no 26 § 3).
Cette analyse paraît néanmoins difficile à soutenir si l’on veut bien consi-
dérer les nombreuses décisions qui, postérieurement à l’arrêt Moreau, ont repris
sa solution en la formulant souvent dans des termes identiques (v. par ex.,
Civ., 14 juin 1957, Ettouhami, D. 1957. 557; 20 nov. 1958, Hassain, Clunet
1959. 11146; Paris, 2 déc. 1966, Rev. crit. 1967. 530, note Malaurie, et depuis
la loi du 3 janv. 1972 : TGI Paris, 30 juin 1977, Clunet 1978. 609, note
D. Mayer, Rev. crit. 1978. 522, note Y. Lequette; Versailles, 3 juill. 1978 main-
tenu par Civ., 15 janv. 1980, Kaspar, Clunet 1980. 316, note Kahn; Paris,
27 nov. 1981, D. 1983. 142, note G. Paire; 14 janv. 1994, D. 1994, Som. com.
p. 357, obs. B. Audit; Civ. 1re, 16 juill. 1998, Zvoristeanu, Rev. crit. 1999.
509, note Y. Lequette, Clunet 1999. 125, note P. Courbe, D. 1995. 5. 1, note
B. Cosson, Som. com. 294, obs. B. Audit, JCP 1999. II. 1003, note H. Muir
Watt, Dr. fam. 1999, no 10, 2e esp., note H. Fulchiron, Dr. Patrimoine 1998,
no 64, p. 98, note F. Monéger). Ces décisions méritent d’être approuvées.
L’application de la loi des effets au principe même de la putativité semble, en
effet, difficilement concevable. Celle-ci n’est pas, contrairement à ce qu’allè-
guent ses partisans, unique mais plurale : loi des effets du mariage au sens
strict pour les rapports entre époux, loi nationale de la mère pour les rapports
parents-enfant, loi du régime matrimonial pour les rapports pécuniaires. Dès
lors retenir cette solution, ce serait risquer de soumettre le principe même de
la putativité aux réponses les plus contradictoires : putatif pour les rapports
personnels entre époux, le mariage ne le serait plus pour leurs rapports pécu-
niaires ou inversement.
épouse puisque le Conseil d’État lui refusa tout droit à pension au motif que
l’État ne peut devoir du fait du décès de ses agents qu’une seule pension de
veuve (CE, 27 juin 1956, dame Bazbaz, Rec. Lebon 1956. 271). Rapprochée
de l’article 42 du Code de la nationalité dans sa rédaction de 1945 qui dispo-
sait que la nullité du mariage entraînait celle de l’acquisition par l’étrangère
de la nationalité française de son mari, même en cas de mariage putatif, cette
décision aurait pu laisser croire que le droit public était réfractaire à l’institu-
tion. Il n’en est rien : ce qui fait obstacle à l’octroi de la pension, c’est en
effet la bigamie et non le refus de prendre en compte la putativité du mariage
(CE, 27 mai 1955, Marchesi, D. 1955. 77, concl. Guionin qui réserve d’ailleurs
expressément le cas des musulmans polygames); quant au nouvel article 42
du Code de la nationalité (réd. L. 9 janv. 1973; devenu art. 21-5, C. civ.), il est
revenu à la solution traditionnelle de la jurisprudence (Crim., 18 févr. 1819,
S. chr.) en précisant que l’annulation du mariage ne rend pas caduque la
déclaration prévue à l’article 37-1 du même code (devenu art. 21-2, C. civ.) au
profit du conjoint qui a contracté mariage de bonne foi. Néanmoins ces hésita-
tions montrent que le caractère universel de l’institution sur lequel certains
voulaient asseoir les solutions de droit international privé n’est pas aussi évi-
dent qu’on veut bien le dire.
II. 10181, note B. Fillion-Dufouleur) puis à la loi qui annule le mariage (Civ. 1re,
16 juill. 1998, Zvoristeanu, préc.).
5 En affirmant que la loi de la condition violée régit tant la sanction que les
tempéraments qui peuvent y être apportés, la Cour de cassation ne fait que rap-
peler une « donnée acquise » du règlement des conflits de lois (Motulsky, note
JCP 1963. II. 13366). Il était, en effet, déjà enseigné à l’époque que c’est à la
loi régissant la condition dont la violation est établie de définir le principe de
la sanction ainsi que les conditions de sa mise en œuvre : détermination des
titulaires de l’action, disponibilité du droit de critique sous forme de confirma-
tion, fin de non recevoir, prescription (Batiffol, Traité, 2e éd., 1955, no 436;
v. aujourd’hui : Batiffol et Lagarde, t. II, nos 428 et 601; P. Mayer et V. Heuzé,
nos 567 et 739). Ils constituent, en effet, ainsi que l’affirmera ultérieurement la
Cour de cassation un « ensemble indissociable soumis à une loi unique » (Civ.,
15 mai 1963, Patiño, 2e esp., infra, no 39; v. déjà Civ., 11 juill. 1928, S. 1930.
1. 217, note Niboyet; Civ., 25 juin 1957, Silvia, infra, no 29; Civ., 8 janv. 1963,
Hohenzollern, Rev. crit. 1963. 109, note G. H.). Principe de la nullité et causes
d’extinction de celle-ci relevant de la même loi, on comprendrait mal que les
tempéraments lui échappent. Ainsi qu’on l’a souligné (Weill, note préc.),
l’unité de législation est nécessaire si l’on veut éviter de « fausser » l’écono-
mie du système de sanction, une loi pouvant admettre un grand nombre de cas
de nullité tout en modérant sa rigueur par la large place consentie au mariage
putatif.
Néanmoins lorsque, comme en matière de mariage, formation et effets relè-
vent de lois différentes, il convient, ainsi qu’on l’a vu, de réserver une certaine
place à la loi des effets. La loi de la condition transgressée ayant indiqué si le
mariage conserve ou non ses effets, c’est à la loi qui les a façonnés que sera
empruntée leur définition.
On notera pour terminer que la jurisprudence ne se conforme pas toujours
à ces directives. Ainsi, en matière de mariage, a-t-il été décidé que l’arti-
cle 196 du Code civil qui, en cas de vice de forme, s’oppose à ce que la nul-
lité soit demandée par les époux lorsqu’ils en ont la possession d’état (Terré et
Fenouillet, Droit civil, Les personnes, la famille, les incapacités, no 415) était
applicable au mariage de Français célébré à l’étranger, alors que le principe
précédemment dégagé aurait dû conduire à ne le faire jouer que dans le cas
où la loi française de forme est compétente (v. les décisions citées par Batiffol
et Lagarde, t. II, no 428, note 4). On a tenté d’expliquer cette jurisprudence
par l’idée d’une prééminence de la loi du fond sur celle de la forme (Batiffol
et Lagarde, t. II, no 428; G. de la Pradelle, op. cit., no 378; v. les critiques
d’A. Huet, Les conflits de lois en matière de preuve, 1965, no 188).
29
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
25 juin 1957
ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen pris en ses diverses branches : — Attendu
qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la dame Joséphine Silvia,
épouse Ahmed Ben Hassen, de nationalité italienne et résidant en Tunisie, a fait
donation, le 6 février 1942, en Tunisie, à Innocent Silvia, son frère, de sa part
indivise dans des biens situés en Tunisie, mais sous réserve d’usufruit à son pro-
fit, que, par acte du 24 décembre 1947, elle a mis cet usufruit en métayage avec
Innocent, pour le prix de 15 % de la récolte brute et l’accomplissement de cer-
taines charges; que, par acte ultérieur, elle a assigné son frère en nullité de la
donation et de la convention de métayage; — Qu’il est fait grief à l’arrêt atta-
qué, lequel la déboute de ses prétentions déclarées trop tardives, de se fonder
sur les dispositions de la loi italienne, loi nationale de la dame Silvia, au lieu de
264 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 29
OBSERVATIONS
1 En résolvant comme il le fait la question de la loi applicable à la demande
d’annulation d’un acte juridique pour cause de démence de fait, l’arrêt Silvia
apporte une précieuse contribution à la doctrine de la qualification lege fori. Il
est admis depuis l’arrêt Caraslanis (v. supra, no 27) que le juge saisi doit
entendre dans le sens qu’elles reçoivent du droit de son pays les catégories que
ses règles de conflit utilisent pour circonscrire l’action de leurs rattachements.
La formule paraît bien signifier que les concepts tels que l’état des personnes,
le délit, la forme des actes, le régime matrimonial, etc… doivent en droit inter-
national privé être ceux qui ont cours dans le droit interne du for. Certes, la
vocation des règles de conflit à embrasser des situations qui se sont constituées
sur des modèles juridiques étrangers, différents et parfois même inconnus
du droit français, impose d’accroître sensiblement l’envergure des concepts
employés (v. par ex. pour la polygamie, les arrêts Chemouni, infra, no 30-31 et
pour les formes de conjugalité unisexe, suscitant le désaccord des auteurs
v. A. Devers, Le concubinage en droit international privé, thèse Lyon III,
éd. 2004, nos 83 et s., G. Kessler, Les partenaires enregistrés en droit interna-
tional privé, thèse Paris I, éd. 2004, nos 82 et s., pour le trust, v. la proposition
d’une catégorie autonome de S. Godechot, L’articulation du trust et du droit
des successions, thèse Paris II, 2004, nos 125 et s.). Néanmoins, il reste qu’en
principe ce sont les composantes de la notion française qui servent de réfé-
rence.
Toutefois il est admis de manière assez générale qu’il peut être expédient
d’altérer cette notion en considération de certaines données comparatives,
notamment pour favoriser l’établissement d’une communauté juridique qui pré-
vienne les conflits de qualifications (v. Batiffol et Lagarde, t. I, no 297; B. Ancel,
« L’objet de la qualification », Clunet 1980. 264, nos 60 et s.). L’arrêt Silvia,
on le verra, ne concerne pas ce premier aménagement de la doctrine de la qua-
lification lege fori. Son enseignement se rapporte à un autre cas de différen-
ciation entre catégorie internationale et notion interne du for.
29 SILVIA — CASS., 25 JUIN 1957 265
requêtes rendue le 26 décembre 1934 (Bettahar, Clunet 1936. 166) dans une
affaire où le statut personnel relevait non pas de la loi italienne mais du droit
musulman.
termes (comp. P. Mayer et V. Heuzé, nos 165 et s.; V. Heuzé, « La loi applica-
ble aux actions directes dans les groupes de contrats », Rev. crit. 1996. 243).
À quoi on ajoutera que s’il en allait autrement, les règles de conflit risque-
raient de désigner par exemple la loi de la forme pour régir une question de
fond, ou comme le danger s’en profilait en l’espèce, la loi d’autonomie pour
traiter une question d’incapacité.
Or un tel résultat serait particulièrement fâcheux. Ainsi que le soulignait
H. Batiffol (note préc., p. 682), « la loi personnelle doit régir les matières qui
touchent l’état permanent de la personne, telles les incapacités parce que la
permanence de l’application de la loi est la condition nécessaire pour que la
règle ne soit pas tournée ». Et de fait, soumettre une telle question à la loi
d’autonomie serait ouvrir la porte à toutes les manipulations. L’étranger souf-
frant d’une incapacité naturelle et bénéficiant de plein droit selon sa loi nationale
d’un régime de protection approprié en serait privé du seul fait que son cocon-
tractant l’aurait amené au choix d’une loi n’offrant pas les mêmes garanties !
quoi enlever le soin des intérêts de l’incapable à la loi à qui la charge en a été
confiée ?
7 On constate ainsi que l’influence du rattachement sur la qualification entraîne
une certaine autonomie des catégories du droit international privé par rapport
aux classifications internes du for.
Une telle pratique n’est-elle pas de nature à remettre en cause le principe de
la qualification lege fori ? On sait, en effet, que les classifications du droit
interne du for sont préférées à celles du droit étranger et même à celles qu’une
enquête comparative permettrait de construire parce que seules elles expri-
ment l’organisation de la vie sociale de l’ordre du for à laquelle les règles de
conflit doivent intégrer les relations d’intérêt privé à caractère international
(v. supra, no 27 § 7). Dès lors toute différenciation trop poussée entre les
deux séries de catégories, interne et internationale, ne risque-t-elle pas de
compromettre cette fonction de la règle de conflit ? La réponse est, au moins
en l’espèce, négative. Il n’y a pas, en effet, défiguration, mais simple défor-
mation du droit civil interne, due à l’éclairage particulier du conflit de lois
sous lequel il est contemplé dans le respect de sa contexture et de ses articula-
tions. La preuve en est d’ailleurs qu’à la faveur de la réforme issue de la loi du
3 janvier 1968 la démence de fait n’a plus été envisagée, en droit interne,
comme une circonstance propre au contrat, mais comme un caractère attaché
à l’individu (art. 489, C. civ). Jouant par le biais des qualifications un rôle de
précurseur, le droit international privé avait, avant même le droit interne,
pénétré la véritable logique du système.
30-31
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
(Chemouni c/Chemouni)
d’un an. Cette demande ne souleva aucune question de principe, le mari discutant le
montant des aliments sans contester la régularité de son second mariage tunisien, ni le
principe de sa dette. Aussi des aliments furent-ils accordés pour un an par le juge de
paix et, sur appel, par le Tribunal civil de la Seine (13 févr. 1953). Les difficultés appa-
rurent lorsque la seconde épouse introduisit une nouvelle procédure en allocation d’ali-
ments sans limitation de durée. Le 7 janvier 1954, le juge de paix accueillit sa demande.
Mais saisi sur appel principal de la femme à propos du montant de la pension, ainsi que
sur appel incident du mari, et bien que la validité du mariage célébré en Tunisie selon la
loi mosaïque ne fût pas contestée par celui-ci, le Tribunal de la Seine débouta, le
30 mars 1955 (Rev. tunisienne de droit 1956. 77, note Jambu-Merlin), Mme Chemouni
au double motif que Chemouni, tunisien protégé français, avait perdu son statut person-
nel en fixant son domicile en France et que la loi française ne pouvait, pour des motifs
tirés de l’ordre public, donner effet à une union polygamique.
Un pourvoi ayant été formé, la Chambre civile de la Cour de cassation censura ce
jugement par un arrêt du 28 janvier 1958.
1er ARRÊT
La Cour; — Vu l’article 3, al. 3 du Code civil; — Attendu que la réaction à
l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant
qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou suivant qu’il s’agit de
laisser se produire en France les effets d’un droit acquis sans fraude à l’étranger
et en conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international
privé français; qu’une telle règle doit recevoir application s’agissant d’un Israé-
lite de nationalité tunisienne invoquant en France métropolitaine un droit
acquis, dans de telles conditions, en Tunisie; — Attendu qu’il n’est pas contesté
que Chemouni, Israélite tunisien, alors qu’il était déjà marié, depuis 1940, avec
Esther Valensi, a pris en Tunisie, le 7 mai 1945, pour deuxième épouse selon la
loi mosaïque, Henriette Krieff; que deux enfants sont nés de cette union; que
Chemouni et ses deux femmes étant venus se fixer en France, le mari a bientôt
quitté la seconde femme pour vivre uniquement avec la première; que la dame
Chemouni-Krieff a assigné Chemouni devant la juridiction française aux fins de
versement d’une pension alimentaire; — Attendu qu’il est fait grief au juge-
ment attaqué de débouter la dame Chemouni-Krieff au motif que même si
ladite dame pouvait être, au regard de son statut personnel, reconnue comme
épouse légitime de Chemouni, la loi mosaïque tunisienne, qui accorde des ali-
ments à la deuxième femme, se heurtant à l’ordre public français, n’est pas
applicable en France; — Attendu que la demande de la dame Chemouni-Krieff
tendait uniquement à se voir reconnaître en France une créance alimentaire
découlant de sa qualité d’épouse légitime, qualité acquise sans fraude, en Tuni-
sie, en conformité avec sa loi nationale compétente; — Que cette prétention ne
saurait être infirmée par l’allégation du jugement attaqué aux termes de
laquelle un Tunisien perdrait son statut personnel en fixant son domicile en
France métropolitaine; qu’en effet, aucune renonciation expresse ou tacite n’est
relevée en ce sens de la part des époux Chemouni-Krieff;
D’où il suit qu’en statuant comme il l’a fait, le jugement attaqué a violé le
texte susvisé;
Par ces motifs : — Casse.
Du 28 janvier 1958. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Lenoan,
rapp.; Ithier, av. — MMes Sourdillat et Compain, av.
Ainsi s’appuyant sur la doctrine de l’effet atténué de l’ordre public, la Cour de cassa-
tion affirmait qu’un mariage polygamique célébré à l’étranger pouvait produire en
France des effets alimentaires.
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 271
2e ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que Félix Chemouni, Tunisien de
confession israélite, qui a, en Tunisie, épousé en la forme religieuse mosaïque,
d’abord en 1940 la Française Esther Valensi, puis, le 7 mai 1945, Henriette Krieff,
de nationalité tunisienne, étant venu se fixer en France avec ses deux épouses et
les enfants qu’il en avait, a bientôt quitté sa seconde femme pour vivre unique-
ment avec la première; que dame Krieff a alors formé devant la juridiction fran-
çaise une demande en contribution alimentaire aux charges du mariage; que
l’action accueillie en première instance ayant été rejetée en appel, cette déci-
sion a été cassée au motif que n’était nullement contraire à l’ordre public inter-
national français l’action de dame Krieff tendant à voir reconnaître en France
une créance alimentaire découlant de sa qualité d’épouse légitime acquise en
Tunisie en vertu de la loi nationale étrangère des deux époux, compétente au
regard de la règle française de conflit; que le jugement confirmatif attaqué, sta-
tuant sur renvoi, ayant fait droit à la demande, il lui est d’abord fait grief, par le
pourvoi, d’avoir statué après débats en chambre du conseil, alors que semblable
action devait être débattue à peine de nullité en audience publique; — Mais
attendu qu’un jugement rectificatif, rendu sur assignation de dame Krieff, a
constaté que contrairement à l’énonciation, due à une erreur de plume, figu-
rant à l’intitulé de la décision attaquée, celle-ci a bien été prononcée après
débats en audience publique, ainsi qu’au surplus cela résulte de ses qualités
mêmes; que le premier moyen manque en fait;
272 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31
Sur le quatrième moyen en ses diverses branches : — Attendu qu’il est repro-
ché aux juges du fond d’avoir fait droit à la demande de contribution aux char-
ges du mariage alors, selon le pourvoi, que le mariage contracté par Chemouni
avec dame Krieff en la forme religieuse israélite n’était pas valable, comme con-
traire à la législation tunisienne sur la forme des mariages, ainsi qu’en raison de
l’acquisition par Chemouni de la nationalité française, et alors enfin que le juge-
ment attaqué n’a pas répondu aux conclusions faisant état d’un avis donné rela-
tivement à la validité du mariage, par le Parquet du Tribunal de la Seine; — Mais
attendu que c’est par une interprétation souveraine de la loi tunisienne que le
tribunal énonce que conformément aux dispositions du décret beylical du
6 décembre 1929 et sans qu’il y eût à tenir compte de celui du 3 juillet 1941, sans
application dans la cause comme n’ayant trait qu’aux mariages des non-Tuni-
siens, est pleinement valable l’union religieuse mosaïque contractée en 1945 par
Chemouni et dame Krieff, tous deux à l’époque de nationalité tunisienne,
puisqu’aussi bien, ainsi que le jugement le constate, ce n’est qu’en août 1956
que Chemouni a été naturalisé français; que d’autre part le tribunal auquel il
n’incombait pas de suivre Chemouni dans le détail de ses arguments, n’avait pas
à répondre à celui qu’il prétendait tirer d’un avis officieux du Parquet de la
Seine, d’ailleurs relatif à son premier et non à son second mariage; que le qua-
trième moyen n’est fondé dans aucune de ses branches;
Sur le cinquième moyen : — Attendu que non moins vainement il est fait
grief à la décision attaquée de n’avoir pas répondu aux conclusions faisant
valoir que le mariage litigieux avait été dissous par répudiation opérée par le
mari en vertu de la loi mosaïque; — Attendu en effet qu’en énonçant, par appli-
cation et interprétation d’un droit étranger dont le contrôle échappe à la Cour
de cassation, que Chemouni n’a pas établi la réalisation de la répudiation par lui
alléguée, le jugement a répondu aux conclusions invoquées, dont au surplus la
teneur n’est pas produite; que le moyen est donc sans fondement;
Sur les sixième et septième moyens, en leurs diverses branches : — Attendu
qu’il est encore reproché aux juges du fond d’avoir refusé de tenir compte de
ce que les obligations alimentaires envers dame Krieff et ses enfants étaient
incompatibles avec les conséquences résultant, quant aux effets du second
mariage, de l’acquisition par Chemouni du statut personnel français, sans
d’autre part répondre à ses conclusions prétendant qu’avant même sa naturali-
sation, il avait perdu son statut personnel tunisien mosaïque, tant par sa pre-
mière union avec une Française, que du seul fait de son établissement en France,
et enfin de n’avoir pas non plus répondu aux conclusions faisant valoir que
dame Krieff ne pouvait se prévaloir des dispositions des articles 864 du Code de
procédure civile et 214 du Code civil; — Mais attendu que la décision attaquée,
en décidant à bon droit que l’établissement de Chemouni en France n’avait eu
aucun effet sur son statut personnel tunisien, et qu’il n’avait perdu ce statut
pour acquérir le statut français qu’uniquement par l’effet de sa naturalisation
en août 1956, a par là-même nécessairement répondu pour les rejeter aux con-
clusions antérieures; que d’autre part c’est très justement que les juges du fond
ont décidé que nonobstant la naturalisation française de Chemouni, la créance
alimentaire de dame Krieff qui, tant au regard de la loi commune des époux
avant août 1956, que de la loi française régissant depuis cette date les effets du
mariage d’époux de nationalité différente domiciliés tous deux en France,
découlait directement pour elle de sa qualité d’épouse légitime définitivement
acquise par un mariage valablement contracté à l’étranger conformément à la
loi compétente au fond comme en la forme suivant le droit international privé
français, devait être reconnue en France, et devait y être exécutée par applica-
tion des lois françaises tant de procédure, dès avant 1956, qu’également de
fond depuis cette date; qu’en statuant de la sorte, la décision attaquée a impli-
citement mais nécessairement répondu, pour les repousser, aux conclusions ten-
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 273
dant à refuser à dame Krieff le bénéfice des textes de droit français susénoncés;
d’où il suit que les sixième et septième moyens ne sont fondés en aucune de
leurs branches;
Sur les deuxième, troisième et huitième moyens, en leurs diverses branches :
— (sans intérêt);
— Que les deuxième, troisième et huitième moyens ne sont pas mieux fondés
que les précédents; d’où il suit que l’arrêt attaqué, qui est motivé, a légalement
justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 19 février 1963. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Holleaux,
rapp.; Lindon, av. gén. — MMes Compain et Le Sueur, av.
OBSERVATIONS
1 « Crime social » pour les rédacteurs du Code civil, la polygamie semble
devoir être frappée d’ostracisme par l’ordre juridique français. Ne rend-elle pas
l’Islam, ainsi que le souligne le doyen Carbonnier, « plus étranger à notre âme
que n’importe quel autre système de droit » (« Terre et Ciel dans le droit du
mariage », Études Ripert, t. I, p. 341; v. aussi Mercier, Conflits de civilisation
et droit international privé, Polygamie et répudiation, Genève, 1972). Néan-
moins, dès le XIXe siècle, l’expansion coloniale en multipliant les contacts
entre pays occidentaux et pays de tradition polygamique a conduit à une cer-
taine prise en considération du phénomène par le biais du principe de la
personnalité des lois (Lampué, « Les conflits de lois interrégionaux et inter-
personnels dans le système juridique français », Rev. crit. 1954. 249). Ulté-
rieurement, l’afflux en Europe de travailleurs immigrés a clairement posé la
question de la reconnaissance de ces unions (Le statut personnel des musul-
mans, Travaux de la Faculté de droit de l’Université de Louvain, 1992). Les
arrêts Chemouni permettent de préciser les conditions auxquelles une telle
union est, en France, valable (I) et les effets qu’elle peut y sortir (II).
A. — La loi applicable
Mais les parties ayant, à ce stade du procès, paru admettre la validité du second
mariage, le problème de la loi applicable n’avait pas été autrement envisagé.
Quant à la seconde décision, elle rappelle que le mariage a été valablement
contracté à l’étranger « conformément à la loi compétente au fond comme en
la forme suivant le droit international privé français », sans autre précision;
seule, au reste, la validité en la forme était discutée.
Il faut déplorer que la question de la définition de la règle de conflit relative
à la polygamie n’ait pas été, en l’espèce, plus clairement posée aux magistrats.
Si la difficulté tenant à la qualification d’une institution inconnue de notre
droit semblait, en effet, en voie d’être surmontée (1°), tous les ingrédients
étaient en revanche réunis pour conférer au problème de la définition de la
règle de conflit sa pleine originalité (2°).
4 1°) Et de fait, l’hétérogénéité de l’union polygamique par rapport à nos pro-
pres concepts a été à l’origine de deux interrogations. La première, radicale :
l’absence de communauté de civilisation entre les systèmes juridiques qui
connaissent la polygamie et ceux qui l’ignorent serait, selon certains, si pro-
fonde que les questions de droit suscitées par cette institution ne sauraient
trouver dans les pays du second groupe, de catégories juridiques susceptibles
de les accueillir. L’« internationalisation » qu’implique l’accès aux catégories
du for lui étant ainsi refusée, le mariage polygamique serait, dans ces pays,
exclu du domaine du droit (v. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits
de systèmes, 1958, no 21, p. 17 ; H. Muir Watt, La fonction de la règle de
conflit, thèse Paris II, 1985, no 198).
Telle fut, au demeurant, l’attitude initiale des juridictions britanniques (Hyde
v/Hyde and Woodmansee [1866] L. R. 51 P. and D. 130). Quant aux tribunaux
français, la solution qu’ils adoptèrent dans l’arrêt Cousin de Lavallière (Req.
14 mars 1933, S. 1934. 1. 161, rapport Pilon, note Solus) n’est pas sans rappe-
ler cette démarche. Un administrateur colonial français ayant épousé en Gui-
née deux sœurs originaires de ce pays, ils décidèrent que les enfants issus de
ces unions avaient la qualité d’enfant naturel — et non d’enfant légitime par
le biais du mariage putatif — car les intéressés n’avaient pas entendu se marier
réellement. Or les mariages indigènes ne se singularisaient que par leur dis-
solubilité et la bigamie (Fadlallah, La famille légitime en droit international
privé, 1977, no 21).
Mais il apparut rapidement qu’une telle position ne saurait être maintenue,
ne serait-ce qu’en raison de l’importance de la population musulmane immi-
grée. Elle reposait, au demeurant, sur une analyse trop étroite des catégories
du for : l’ensemble des règles de conflit françaises doit pouvoir couvrir l’ensem-
ble des questions de droit qui peuvent se poser en relation avec n’importe
lequel des ordres juridiques qui coexistent dans le monde. À cet effet, l’on
s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’il convient de partir des concepts de
notre droit interne, quitte à les élargir de façon à leur permettre d’englober des
notions étrangères suffisamment proches (Batiffol et Lagarde, t. I, no 296;
P. Mayer et V. Heuzé, no 162). Pour procéder à cette extension des concepts
du for, il a été proposé de s’attacher moins à la structure des institutions étran-
gères qu’à leurs fonctions, c’est-à-dire à la considération des buts qu’elles
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 275
Rec. Gén. Lois 1969. 80), tel n’est pas le dessein de celle qui convole avec un
étranger célibataire, lors même que son statut autoriserait la polygamie. Afin
d’éviter ces difficultés, la jurisprudence anglaise a longtemps refusé de recon-
naître les mariages potentiellement polygamiques (v. Dicey et Morris, The
conflict of laws, 1980, t. I, p. 239 sous la règle 39). La solution serait certaine-
ment excessive dans la mesure où, entravant le mariage entre les Françaises et
quelques centaines de millions d’individus adeptes de religions déterminées,
elle serait à l’origine d’une véritable discrimination (Droz, note préc., p. 79).
Une solution moyenne pourrait être trouvée dans un aménagement de la règle
de conflit. Ainsi qu’on l’a justement noté, l’exigence de la monogamie est
« surtout l’un des caractères du premier mariage », destiné à protéger la pre-
mière épouse (P. Mayer et V. Heuzé, no 550; Fadlallah, op. cit., no 198; Bis-
choff, « Le mariage polygamique en droit international privé », Trav. com. fr.
dr. int. pr. 1980-1981, vol. 2, p. 91 et s.). Partant, il serait légitime de puiser dans
le caractère monogamique du premier mariage un empêchement au second.
Encore faudrait-il déterminer la loi dont se déduit ce caractère. À cet égard,
les positions divergent. Certains se prononcent pour la loi du lieu de célébra-
tion (Bischoff, comm. préc., p. 96), d’autres pour la loi des effets du mariage
(P. Mayer et V. Heuzé, op. et loc. cit.; Fadlallah, op. et loc. cit.), d’autres encore
pour la loi que désignerait une localisation objective du premier mariage au
moyen d’un faisceau d’indices (B. Bourdelois, Mariage polygamique et droit
positif, thèse Paris II, éd. 1993, nos 131 et s., p. 82 et s.). Afin de modifier
moins profondément le système existant, on pourrait également soutenir que
l’empêchement devrait être, non bilatéral, mais trilatéral : l’union polygami-
que étant une relation à trois (ou plus), sa validité serait subordonnée à son
admission par la loi personnelle de tous les intéressés, mari, deuxième épouse,
mais aussi première épouse (en ce sens Y. Lequette, notes, Rev. crit. 1983. 277
et 1989. 78; v. aussi H. Gaudemet-Tallon, « La désunion du couple en dr. int.
pr. », Rec. cours La Haye, 1991, t. I, no 72, p. 234; G. Droz, « Regards sur le
droit international privé comparé », Rec. cours La Haye, 1991, t. IV, no 148,
p. 152; F. Monéger, Islam et/en laïcité, 1992, no 54, p. 62; B. Ancel, art. préc.,
p. 122 ; M.-C. Najm, Principes directeurs du droit international privé et
conflits de civilisations, thèse Paris II, éd. 2004, no 425, p. 401). En l’espèce,
le choix n’aurait pas été indifférent : valable dans le premier cas, le mariage
aurait été nul dans le second et le dernier.
Cette difficulté n’était pas passée inaperçue des commentateurs de l’arrêt
Chemouni. André Ponsard s’était, en effet, demandé si la possibilité de la poly-
gamie devait être « envisagée de manière autonome comme une condition du
second mariage ou (…) rattachée aux effets du premier » (note, Clunet 1963.
934). Néanmoins, bien que la première épouse fût en l’espèce française, la
Cour de cassation avait pu éviter de trancher cette question tous les éléments
de fait dont elle dépendait n’ayant pas été soumis au juge. Elle a dans des
décisions ultérieures persisté à raisonner exclusivement en termes de forma-
tion du second mariage, lors même que la première épouse était française
(Civ. 1re, 17 févr. 1982, Baaziz, Rev. crit. 1983. 275, note Y. Lequette, Clunet
1983. 606, obs. Kahn), ce qui l’a ultérieurement obligée à déclarer un tel
mariage inopposable à celle-ci afin de sauvegarder ses intérêts (Civ. 1re, 6 juill.
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 277
1988, Baaziz, Rev. crit. 1989. 71, note critique Y. Lequette; v. aussi Paris,
8 nov. 1983, Rev. crit. 1984. 476, note Y. Lequette, Clunet 1984. 881, note
M. Simon Depitre, Defrénois 1984. 571, note M. L. Revillard). Il est vrai que
là encore, le problème n’était pas clairement posé, les parties ayant mis
l’accent sur les exceptions de fraude à la loi et d’ordre public.
B. — L’ordre public
6 Alors même qu’elle est admise par la loi personnelle des intéressés, la poly-
gamie doit encore pour être reçue dans l’ordre juridique français, surmonter
l’obstacle de l’ordre public.
La jurisprudence française repose à ce dernier égard sur une distinction
régulièrement réaffirmée : l’ordre public s’oppose à la célébration en France
d’un mariage polygamique même si la loi personnelle des intéressés l’autorise
(v. aussi Instruction générale sur l’état civil, no 548; Paris, 7 juin 1994, D. 1994,
IR p. 177, y compris lorsque le mariage est célébré par les autorités consu-
laires, v. TGI Paris, 8 avr. 1987, Rev. crit. 1988. 73, note Y. L.; v. cep. Paris,
5 avr. 1990, D. 1990. 424, note F. Boulanger); il ne fait pas obstacle à la
reconnaissance en France d’un mariage polygamique valablement célébré à
l’étranger (v. déjà, Alger, 9 févr. 1910, Rev. dr. int. 1913. 103 et en doctrine,
L. von Bar, Clunet 1888, p. 9, ainsi que la remarque du traducteur A. Weiss,
ad notam 1; v. aussi Elgeddawy, Relations entre systèmes confessionnel et laï-
que en droit international privé, 1971, no 188; J. Déprez, « Droit international
privé et conflit de civilisations », Rec. cours La Haye, 1988, t. IV, p. 160; sur
l’effet réflexe de l’ordre public dans le cas où le mariage a été célébré à
l’étranger mais dans un pays qui n’admet pas la polygamie, v. Fadlallah in Le
statut personnel des musulmans, 1992, p. 351). On peut néanmoins s’interro-
ger aujourd’hui sur le bien-fondé d’une telle distinction. La facilité actuelle
des déplacements confère, en effet, aux individus une quasi-ubiquité qui prive
la notion d’effet atténué de l’ordre public d’une partie de sa raison d’être
(v. supra, no 26 § 13). À notre sens, le recul de cette notion devrait se traduire,
non par la permission de célébrer en France des mariages polygamiques entre
des personnes dont la loi personnelle l’admet, comme le recommandent quel-
ques auteurs (Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 305; P. Mercier,
op. cit., p. 92; Boulanger, Droit civil de la famille, t. I, no 190, p. 232;
H. Gaudemet-Tallon, cours préc., no 79, p. 239; Bourdelois, thèse préc.,
nos 366 et s.), mais par le refus de reconnaître de telles unions, même célé-
brées à l’étranger, dès lors que certaines des personnes qui y sont impliquées
avaient, à l’époque où elles ont été contractées, des liens étroits avec la
France. Certes un tel refus donnera naissance à des situations boiteuses. Mais
faut-il sacrifier au légitime souci d’assurer la continuité de traitement des
situations juridiques, les fondements de notre société, au titre desquels figure
certainement l’égalité des hommes et des femmes ? Rien n’est moins certain.
Dans une conception traditionnelle, le préjugé favorable que nourrit le droit
international privé français à l’égard du développement des relations privées
internationales rencontre une limite dans la nécessité qu’éprouve chaque État
d’assurer la défense de la société qu’il administre. Or, « épée de Damoclès
278 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31
A. — L’obligation alimentaire
(1) Celui-ci n’aurait, au demeurant, que peu d’intérêt. La bigamie étant un délit instantané, les
tribunaux répressifs français ne sont jamais compétents pour connaître d’infraction résultant de
mariage célébré à l’étranger entre des étrangers. (Sur le délit de bigamie en droit pénal internatio-
nal, v. N. Watté, Les droits et devoirs respectifs des époux en dr. int. pr., 1987, nos 320 et s., p. 218
et s.; TGI Paris, 8 avr. 1987, Rev. crit. 1988. 73, note Y. L.).
280 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31
à la loi régissant le lien de famille qui est à leur source. Les difficultés qui
résultent de son abandon par la Convention de La Haye du 2 octobre 1973
(Rev. crit. 1973. 398, entrée en vigueur en France le 1er oct. 1977), laquelle
portant loi uniforme de droit international privé édicte comme l’avait fait aupa-
ravant la Convention de La Haye du 24 octobre 1956, une règle propre aux
aliments (art. 2) et inspirée de l’idée de faveur (art. 4 et s.), montrent la per-
tinence de l’argument (sur son application à l’action en contribution aux char-
ges du mariage, v. Civ. 1re, 6 nov. 1990, Paul Monthe, Rev. crit. 1991. 348,
note M. Simon-Depitre; 9 juill. 2003, Clunet 2004. 182, note F. Monéger). Il
suffit pour s’en convaincre de considérer les résultats auxquels conduit l’appli-
cation de la règle nouvelle à l’espèce. La convention soumet, en principe,
l’octroi des aliments à la loi de la résidence habituelle du créancier d’aliments
(art. 4). Selon l’opinion dominante, celle-ci s’applique non seulement aux ali-
ments proprement dits mais aussi aux questions préalables qui en commandent
l’octroi, c’est-à-dire notamment à l’établissement de la filiation ou à la vali-
dité du mariage (v. par ex., Batiffol et Lagarde, t. II, no 435-1; Fadlallah, La
famille légitime en droit international privé, no 194). La résidence habituelle
du créancier d’aliments étant généralement située en France, la seconde
épouse d’un polygame ne pourra donc plus prétendre obtenir des aliments
puisqu’au regard de la loi interne française désormais applicable, le mariage
polygamique est nul (v. Herzfelder, Les obligations alimentaires en droit inter-
national privé conventionnel, no 234 a, p. 161). Et l’emploi du rattachement
subsidiaire à la loi nationale commune des intéressés (art. 5) ne saurait résou-
dre le problème lorsque, comme en l’espèce, le mari a pris la nationalité fran-
çaise. Ainsi, énoncée pour favoriser l’octroi des aliments, la règle de conflit
conventionnelle aboutit au résultat contraire parce que, étendant au mariage le
rattachement forgé pour les aliments, elle ne désigne pas la loi qui entretient
avec l’institution matrimoniale les liens les plus étroits (Sur cette question,
v. Y. Lequette, « De l’utilitarisme dans le dr. int. pr. conventionnel de la
famille », Mélanges Loussouarn, 1994, p. 245 et s.). Quoi qu’il en soit, les ali-
ments relevaient à l’époque de la loi des effets du mariage.
10 L’analyse des effets personnels d’un mariage polygamique à travers la notion
de loi des effets du mariage ne va pas, au demeurant, sans soulever quelques
difficultés. La jurisprudence raisonne, en effet, comme s’il existait deux unions
indépendantes l’une de l’autre. Or une telle démarche assure certes l’unité de
loi applicable dans les rapports des conjoints pris deux à deux, mais non en ce
qui concerne la situation polygamique considérée dans son ensemble; elle
méconnaît qu’il y a dans un mariage polygamique une interdépendance évi-
dente des droits et des obligations de l’ensemble des parties entre elles. Afin
de prendre en compte la spécificité de cette situation, il a été proposé de sou-
mettre les effets du mariage polygamique à la loi nationale du conjoint com-
mun car il constitue le « pivot » de la relation (Bischoff, comm. préc., p. 102).
L’une comme l’autre de ces analyses conduisaient cependant, en l’espèce,
au même résultat. En raison du conflit mobile provoqué par le changement de
nationalité du mari, les effets du mariage relevaient successivement de la loi
tunisienne en tant que loi nationale commune des époux, puis de la loi fran-
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 281
çaise en tant que loi du domicile commun. Les avatars de M. Chemouni four-
nissaient ainsi un excellent aliment à la réflexion juridique; la doctrine n’aurait
pu forger de meilleur exemple pour illustrer les problèmes de méthode que
suscite la définition des effets de la polygamie.
11 2°) La question des effets que peut produire en France un mariage polyga-
mique valablement célébré à l’étranger est traditionnellement résolue par un
appel à l’ordre public, celui-ci s’opposant éventuellement à certains de ses
effets mais non à tous.
Cette méthode convient parfaitement lorsque les effets du mariage polyga-
mique sont régis et donc définis par la loi qui l’autorise. Ainsi, en l’espèce,
s’agissait-il uniquement de savoir, tant que les deux époux étaient tous deux
tunisiens, si la disposition tunisienne compétente allouant des aliments était,
ou non, compatible avec les principes de l’ordre juridique français. La Cour
répond par l’affirmative en s’appuyant sur la théorie de l’effet atténué de
l’ordre public. Les conditions en étaient-elles réunies ? On en a douté en sou-
lignant qu’il ne s’agissait pas ici, à proprement parler, d’admettre en France
une situation juridique créée à l’étranger mais d’y créer de nouveaux droits à
partir de cette situation (Jambu-Merlin, note, Rev. crit. 1958. 115; sur cette
difficulté, v. Francescakis, La théorie du renvoi, p. 40). Il n’était, au reste, nul-
lement besoin d’un tel détour : en quoi le fait d’accorder une pension à la
seconde épouse de l’étranger bigame choquerait-il l’ordre juridique français
alors qu’il en alloue « tous les jours à la première, à la seconde ou à la troi-
sième (épouse) dans cette forme particulière de la polygamie qui est réalisée
par le divorce » (Jambu-Merlin, note, Rev. crit. 1958. 114). Le meilleur moyen
de lutter contre la polygamie n’est-il pas d’ailleurs d’en faire supporter toutes
les charges à ceux qui la pratiquent ? (Droz, note, Rec. Gén. Lois 1969. 316).
En revanche, les interrogations apparaissent lorsque les effets du mariage
polygamique sont gouvernés par une loi qui l’ignore. Tel était le cas en l’espèce
postérieurement à la naturalisation du mari : son épouse étant restée tuni-
sienne, la définition des effets de l’union polygamique échappait à la loi tuni-
sienne, loi de l’ancienne nationalité commune des époux, pour relever de la
loi française, désormais loi du domicile commun de ceux-ci. Ainsi le voulait
la solution du conflit mobile empruntée aux principes du droit transitoire
interne (v. infra, arrêt Société DIAC, no 48 § 9 et s.). Mais, alors que le législa-
teur interne évite d’attacher aux actes antérieurement conclus des effets incon-
ciliables avec leur condition de validité ou s’il ne peut l’éviter prévoit des
mesures transitoires, la combinaison de la loi régissant la création de la situa-
tion et de celle applicable à la définition de ses effets peut, en droit internatio-
nal, se faire sans respecter le « lien inéluctable » qui unit les conditions de
validité et les conséquences d’un acte (Batiffol, « Conflits mobiles et droit
transitoire » Mélanges Roubier, t. I, p. 39, reproduit in Choix d’articles, p. 191).
Ainsi en va-t-il lorsqu’on tente d’emprunter au droit français la définition
des effets de l’union polygamique qu’il prohibe. Afin de résoudre cette dif-
ficulté, il a été préconisé de raisonner en termes d’ordre public (Batiffol,
art. préc., p. 196 et s.). À cela on objecte qu’il ne s’agit plus seulement de
savoir si telle disposition étrangère peut être accueillie en France, mais si des
282 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31
social serait de nature à générer une charge excessive. Les caisses ne prennent
en compte qu’une seule femme : la première qui demande des droits (Soc.
1er mars 1973, Rev. crit. 1975. 54, note Graulich, Clunet 1974. 834, note de La
Pradelle), ou encore celle qui est en France lorsque l’autre est à l’étranger
(Soc. 8 mars 1990, Rev. crit. 1991. 694, note J. Déprez) (sur ces questions,
v. F. Monéger, « L’immigré et sa famille : l’incidence du statut personnel sur
la protection sociale de l’immigré », Rev. dr. sanit. et soc. 1987. 246; I. Sayn,
« Protection sociale et familles étrangères musulmanes », Rev. europ. des
migrations internationales, 1er sem. 1988, p. 129; sur les solutions de droit
anglais, v. Dicey et Morris, op. cit., p. 326-327).
La prohibition se maintient également à l’encontre d’un droit étranger qui
permet au mari polygame d’imposer à sa première femme non consentante la
venue d’une seconde épouse au domicile conjugal en France (en ce sens, TGI
Versailles, 31 mars 1965, Clunet 1966. 97, note Ponsard; rappr. Paris, 23 févr.
1987, D. 1987, Som. com. p. 349, obs. Audit). On voit mal, au demeurant, les
tribunaux français prêtant la main à une polygamie forcée. Néanmoins, selon un
auteur, ces décisions reposeraient sur un contresens quant à l’interprétation du
droit étranger, les systèmes qui connaissent la polygamie imposant à l’homme
de constituer pour chacune de ses épouses un foyer distinct (B. Bourdelois,
thèse préc., no 511, p. 247).
Il a été jugé qu’un étranger de statut musulman qui, après avoir épousé une
Française, a contracté un second mariage avec une étrangère musulmane, ne
peut réclamer la nationalité française au titre de son premier mariage (Paris,
24 mars 1998, D. 1998. 517, note P. Guiho; comp. dans l’hypothèse inverse,
Civ. 1re, 19 oct. 2004, Dr. fam. 2005, no 281, note M. Farge, cassant Bordeaux
9 mai 2001, JCP 2001. IV. 3099).
13 La question des effets en France des mariages polygamiques devrait, dans
l’avenir, se poser moins fréquemment. En effet, prenant le contrepied du
Conseil d’État qui avait jugé que la venue en France de la deuxième épouse
d’un étranger polygame n’était pas contraire, du seul fait de cette polygamie,
à l’ordre public (CE, 11 juill. 1980, Montcho, Rev. crit. 1981. 658, note J.-
M. Bischoff, JCP 1981. II 19629, concl. Rougevin-Baville), la loi du 24 août
1993 (art. 30) refuse à l’étranger polygame, résidant en France avec une pre-
mière épouse, le bénéfice du regroupement familial pour un autre conjoint et
les enfants de celui-ci, disposition approuvée par le Conseil constitutionnel
aux motifs que « les conditions d’une vie familiale normale sont celles qui pré-
valent en France, pays d’accueil, lesquelles excluent la polygamie (Cons.
const. 13 août 1993, Rev. crit. 1993. 597). Cette disposition apparaît particuliè-
rement opportune dans la mesure où il a été constaté que les étrangers polyga-
mes sont ceux dont la présence en France soulève les difficultés les plus gran-
des (supra, § 6; v. aussi E. Todd, Le destin des immigrés, Seuil, 1994, p. 430
et s.). Par une loi du 21 juillet 2003, le législateur français a supprimé la poly-
gamie à Mayotte (JCP 2003, no 37, act. no 417).
32-34
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
I. — Civ. 1re, 12 mai 1959, Rev. crit. 1960. 62, note Batiffol,
Clunet 1960. 810, note Sialelli, D. 1960. 610, note Malaurie,
JCP 1960. II. 11733, note Motulsky.
II. — Civ. 1re, 2 mars 1960, Rev. crit. 1960. 97, note Batiffol,
Clunet 1961. 408, note Goldman, JCP 1960. II. 11734, note Motulsky.
III. — Civ. 1re, 11 juillet 1961, Rev. crit. 1962. 124, note Batiffol,
Clunet 1963. 132, note Goldman.
Applicabilité d’office de la règle de conflit. —
Force obligatoire de la désignation. —
Vocation générale subsidiaire de la loi du juge saisi.
Faits. — Une certaine parenté rapproche les situations de fait qui furent à l’origine
de la première décision — arrêt Bisbal — et de la troisième — arrêt Bertoncini — ci-
dessous reproduites. Ici et là, il s’agissait d’un divorce qui avait été prononcé par les
tribunaux français entre des époux de nationalité commune étrangère, bien que leur loi
personnelle, compétente au regard des règles de conflit françaises, imposât l’indissolu-
bilité du mariage.
Dans le premier cas, ceci avait été rendu possible par le fait que, saisis d’une demande
de conversion d’une séparation de corps en divorce, les juges du fond n’avaient pas
relevé, de leur propre initiative, le conflit de lois que les parties, de nationalité espa-
gnole, n’avaient pas elles-mêmes soulevé devant eux.
Dans le deuxième cas, ni l’une ni l’autre des parties n’avaient « à aucun moment,
devant les juges du fond, fait valoir leur commune nationalité, ni demandé l’application
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 285
de la loi italienne » de sorte que l’extranéité de la situation n’était pas apparue et n’avait
donc pu porter à conséquence quant au droit applicable.
Il en était résulté qu’ici comme là le mari avait obtenu par application de la loi fran-
çaise le divorce que la loi nationale commune lui refusait et la femme, comprenant après
coup l’exacte nature de la nouvelle condition juridique qui s’ensuivait pour elle, avait
formé un pourvoi en cassation, protestant qu’il y avait eu méconnaissance de la règle de
conflit.
Bien différente est la situation de fait qui a conduit à la deuxième décision. Ayant
obtenu du Tribunal de Beyrouth (République Libanaise) une condamnation pécuniaire
contre Chemouny, la Compagnie Algérienne de Crédit et de Banque en sollicite l’exe-
quatur en France. La demande est, en appel, déclarée irrecevable au motif que le juge-
ment serait atteint de péremption d’après la loi libanaise et serait donc dépourvu du
caractère exécutoire dans le pays où il a été rendu. La banque forme un pourvoi repro-
chant à la cour d’appel, d’une part, de s’être méprise sur la teneur de la loi libanaise,
d’autre part, d’avoir appliqué cette loi étrangère alors qu’aucune des parties n’en avait
fait état.
La Cour de cassation repousse les deux griefs, même le second qui pourtant s’oriente
dans la direction contraire de celle que, dans les deux autres affaires, suivaient les pour-
vois eux ausi rejetés.
1er ARRÊT
(Bisbal)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt atta-
qué confirmatif, de prononcer la conversion de la séparation de corps en
divorce entre les époux Bisbal, de nationalité espagnole, alors que leur loi natio-
nale, en vigueur au jour de la demande et devant régir le conflit de lois, prohi-
bait le divorce ; qu’il importerait peu que les parties n’aient pas soulevé ce
conflit devant les juges, ceux-ci, qui avaient tous les éléments utiles pour consta-
ter la nationalité des époux, ayant l’obligation, selon le pourvoi, de suppléer
d’office un tel moyen touchant à l’ordre public; — Mais attendu que les règles
françaises de conflit de lois, en tant du moins qu’elles prescrivent l’application
d’une loi étrangère, n’ont pas un caractère d’ordre public, en ce sens qu’il
appartient aux parties d’en réclamer l’application, et qu’on ne peut reprocher
aux juges du fond de ne pas appliquer d’office la loi étrangère et de faire, en ce
cas, appel à la loi interne française laquelle a vocation à régir tous les rapports
de droit privé;
Sur le deuxième moyen : — (sans intérêt);
Par ces motifs : — Rejette.
Du 12 mai 1959. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Lenoan,
rapp.; Blanchet, av. gén. — MMes Ravel et Boulloche, av.
2e ARRÊT
(Compagnie algérienne de Crédit et de Banque c/Chemouny)
La Cour; — Sur le moyen unique, pris dans sa première branche : — Attendu
que l’arrêt attaqué, infirmatif, déclare irrecevable la demande d’exequatur du
jugement rendu le 20 novembre 1946 par le Tribunal de première instance de
Beyrouth condamnant Chemouny au remboursement d’une somme et à des
dommages-intérêts envers la Compagnie algérienne de Crédit et de Banque, au
motif que ledit jugement, par application des articles 502 et 503 du Code de pro-
286 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 32-34
cédure du Liban était périmé, au regard de la loi libanaise, faute de ne pas avoir
été exécuté dans les trois mois; — Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué
d’avoir ainsi fait application des textes abrogés, au Liban, par la loi du 8 juin
1945, laquelle aurait substitué à la nécessité d’un acte d’exécution dans le délai
prévu celle d’une signification suivie du paiement des frais, formalités qui avaient
été accomplies en l’espèce; — Mais attendu que sur tous ces points touchant au
contenu comme à l’interprétation de la loi étrangère compétente, l’arrêt atta-
qué échappe au contrôle de la Cour de cassation; qu’il en résulte que la pre-
mière branche du moyen ne peut être accueillie; déclare le moyen irrecevable
dans sa première branche;
Sur la seconde branche : — Attendu qu’il est vainement reproché aux juges
français, saisis d’une demande d’exequatur, de faire application d’office d’une
loi étrangère dont les parties n’avaient pas fait état devant eux et qui n’intéres-
sait pas l’ordre public; — Qu’en effet, il était loisible à la Cour d’appel de procé-
der elle-même à la recherche et de préciser les dispositions du droit libanais
compétent en ce qui concerne la décision judiciaire litigieuse rendue par défaut
avant de se prononcer sur la demande d’exequatur, dont elle était saisie; —
D’où il suit que la seconde branche du moyen n’étant pas fondée, l’arrêt atta-
qué n’a violé aucun des textes visés par le pourvoi;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 2 mars 1960. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prés.; Lenoan, rapp.;
Blanchet, av. gén. — MMes Célice et Le Cesne, av.
3e ARRÊT
(Dame Bertoncini c/Bertoncini)
La Cour ; — Sur le premier moyen : — Attendu qu’il est reproché à l’arrêt
confirmatif attaqué d’avoir prononcé par application de la loi française, le
divorce entre les époux Bertoncini, de nationalité italienne, alors que leur loi
nationale commune, qui était compétente, n’admet pas ce mode de dissolution
du mariage; — Mais attendu qu’il appert des énonciations de l’arrêt et des piè-
ces de la procédure que ni l’une ni l’autre des parties n’ont à aucun moment,
devant les juges du fond, fait valoir leur commune nationalité, ni demandé
l’application de la loi italienne; que le moyen pris de la compétence de cette loi
pour régir le litige comme de son contenu différent de celui de la loi française,
présenté pour la première fois devant la Cour de cassation, est mélangé de fait
et de droit et partant irrecevable;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 11 juillet 1961. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prés.; Holleaux, rapp.;
Jodelet, av. gén. — MMes Nicolas et Vidart, av.
OBSERVATIONS
1 Si la positivité de la dernière des trois décisions ci-dessus reproduites reste
aujourd’hui hors de contestation, celle des deux premières suscite en revanche
la discussion. Des arrêts ultérieurs ont, en effet, pris un parti contraire aux
solutions que consacrent les décisions ci-dessus reproduites (Civ. 1re, 11 et
18 oct. 1988, infra, nos 74-75) avant que la haute juridiction n’en revienne à
des analyses voisines de celles-ci (Civ. 1re, 4 déc. 1990, infra, no 76 et plus
encore Civ. 1re, 26 mai 1999, infra, no 77). On rappellera ici la position tra-
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 287
4 L’arrêt Bisbal distingue selon que la règle de conflit française désigne la loi
étrangère ou la loi française.
1°) Bien que la compétence de la loi étrangère fût le facteur commun des
trois affaires, les juges du fond avaient appliqué la loi française dans certains
cas, la loi étrangère dans d’autres. Pourtant, on l’a vu, la Cour de cassation se
refuse à les censurer. Les raisons varient selon les espèces.
Dans l’affaire Bertoncini, l’approbation de la Cour de cassation se fonde
sur la considération que les éléments de fait qui confèrent à la relation liti-
gieuse son caractère international et qui conditionnent la mise en œuvre de la
règle de conflit n’avaient pas été révélés aux juges du fond. Dans la configu-
ration qu’elle recevait au plan contentieux, l’affaire était alors de droit interne.
Il en résultait que le grief de non application de la loi étrangère désignée par
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 289
qu’il a invoqué d’office qu’après avoir invité les parties à s’expliquer contra-
dictoirement sur son application et son interprétation » (Civ. 1re, 4 avr. 1978,
Attouchi, Rev. crit. 1979. 88, note P. Hébraud, Civ. 1re, 6 déc. 1977, eod. loc.,
préc. et Civ. 1re, 2 déc. 1997, Socma, Bull. I, no 336; v. cep. Civ. 1re, 11 juin 1996,
Imhoos, Rev. crit. 1997. 291, note Y. Lequette, D. 1997. 3, note F. Monéger,
Som. com. 156, obs. Granet, Defrénois 1997. obs. J. Massip; comp. Cass. belge,
22 oct. 1982, Pas. 1983, I, 254; 18 févr. 1985, Pas. 1985, I, 741).
Cette soumision de la règle de conflit aux principes de droit commun a été,
en règle générale, critiquée par la doctrine. Afin de permettre l’application
d’office de la règle de conflit, désignerait-elle une loi étrangère, malgré l’arti-
cle 7, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile, diverses analyses ont été
avancées. Pour certains, ce texte conférerait au juge « un pouvoir qui est ici
« puissance » plus que faculté » (D. Bureau, « L’application d’office de la loi
étrangère, Essai de synthèse », Clunet 1990. 317 et s., spéc. p. 354). Le juge,
ayant ainsi les moyens de sa fonction, serait donc obligé de relever le fait
pertinent (M. A. Frison-Roche, note, D. 1989. 612 et comp. J. Normand, RTD
civ. 1991. 157). Outre qu’il s’appuie sur une lecture de l’article 7, peu respec-
tueuse semble-t-il de l’intention de ses auteurs (rappr. G. Cornu, « Les princi-
pes directeurs du procès civil par eux-mêmes », Études P. Bellet, p. 81 et s.,
spéc. p. 90), un tel argument, débordant le droit international privé, va très
(trop ?) loin. Méconnaissant que « la mission spécifique du juge n’est pas de
rechercher les faits », il risque d’engager les juges dans un engrenage qui con-
duirait à « un infléchissement de la procédure vers un modèle plus inquisi-
toire » et à « la création d’un contentieux artificiel devant la Cour de cassa-
tion ». (J. Héron, note, JCP 1988. II. 21030). On pourrait alors, en effet,
toujours leur reprocher « de n’avoir pas exploré toutes les potentialités d’un
système juridique dont la complexité, les incertitudes et la relativité ne sont
pas niables » (G. Cornu, art. préc., Études P. Bellet p. 90).
Aussi bien est-ce dans une argumentation spécifique au droit international
privé que d’autres auteurs ont entrepris de découvrir la réponse à cette dif-
ficulté. C’est ainsi qu’il a été souligné qu’en relevant d’office l’élément
d’extranéité, le juge remplirait « sa fonction de serviteur de la loi, sans modi-
fier la nature et sans élargir l’objet du différend qui lui est soumis » et donc
sans porter atteinte au principe dispositif qui réserve aux parties la détermina-
tion des faits du litige (P. Mayer et V. Heuzé, p. 113, note 18; comp. 3e éd.,
no 149). Mais l’argument ne serait pleinement convaincant que si, dans la
limite des prétentions des parties, le juge était obligé de relever d’office tous les
faits pertinents et pas seulement l’élément d’extranéité. Dans toutes ces hypo-
thèses, en effet, le juge est le « serviteur de la loi » sans pour autant remettre
en cause le principe dispositif. Or tel n’est pas le cas. C’est donc dans la spé-
cificité de l’élément d’extranéité lui-même qu’il conviendrait de rechercher la
justification du statut procédural particulier qu’implique l’obligation d’appli-
quer d’office la règle de conflit de lois. À cet effet, on pourrait songer à mettre
l’accent sur l’idée que seule la prise en compte d’office de l’élément interna-
tional qui commande l’application du droit étranger est de nature à engendrer
une véritable égalité de traitement entre la loi étrangère et la loi française,
égalité que postule la structure bilatérale de la règle de conflit (v. Y. Lequette,
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 291
rait pas pour cela aux plaideurs la possibilité de déroger aux règles supplétives
édictées pour leur cause et elle devrait donc résoudre le problème de la forme
de la dérogation.
Déplaçant l’exercice de la liberté des parties du plan de l’application des
règles de conflit à celui de l’application du droit interne, elle confierait d’abord
la détermination du caractère supplétif des règles dont la mise à l’écart est
envisagée, non plus à la lex fori comme l’enseignent les auteurs (Weill et
Alexandre, J.-Cl. dr. int., fasc. 539, no 64, et réf. citées), mais à la loi désignée
en tant que telle. La règle de conflit serait toujours appliquée et le juge, une
fois la désignation effectuée, serait tenu d’admettre les dérogations conven-
tionnelles à la loi désignée dans la mesure où celle-ci les tolère. Ne revient-il
pas en effet à l’ordre juridique qui édicte une norme d’en fixer le caractère
impératif ou simplement dispositif ? Au demeurant et réserve faite de toute
considération d’ordre dogmatique, il faut observer que déduire le caractère sup-
plétif de la règle étrangère du caractère supplétif de la règle française, c’est
accepter encore la possibilité d’obtenir en certains cas du juge français ce que
le droit étranger refuse et que, parallèlement, déduire le caractère impératif de
la règle étrangère du caractère impératif de la règle française, c’est être prêt à
retirer en France aux parties une liberté qui leur est reconnue par la loi appli-
cable. Cette altération du droit étranger est pour le moins malaisée à justifier
et il serait donc préférable de l’éviter.
La suggestion de prendre en compte la lex causae s’est néanmoins heurtée
à certaines objections. Si les critiques théoriques qui lui ont été faites appa-
raissent peu convaincantes (sur cette discussion, v. infra, no 74-78 § 11),
l’obstacle pratique semble en revanche beaucoup plus fort : obliger le juge à
interroger la loi étrangère pour savoir si les parties peuvent le dispenser de
l’appliquer, c’est créer une sorte de cercle vicieux qui éloignera de la sim-
plification recherchée (P. Mayer et V. Heuzé, no 147-1). Or l’on sait que le
droit positif ne se forge pas seulement à coup de doctrine, il se façonne aussi à
l’enclume de la réalité (sur cette question, v. B. Fauvarque-Cosson, op. cit.,
nos 70 et s.).
12 On ajoutera enfin qu’il serait opportun d’exiger, à l’instar de Motulsky (v. aussi
G. Bolard, « Les tribulations de la loi étrangère devant le juge français »,
Mélanges Ponsard 2003, p. 106), que la commune volonté de déroger aux
règles supplétives de la loi applicable se soit exprimée de manière sinon expresse
du moins certaine afin de ne consentir aucune prime à la lex fori (Civ. 1re,
6 mai 1997, Hannover international, infra, no 85 § 9).
13 L’arrêt Bisbal affirme la vocation de la loi interne française « à régir tous les
rapports de droit privé ». Cette formule est, elle aussi, empruntée au Traité de
H. Batiffol (1re éd. 1949, no 336) dans lequel, jusqu’à sa consécration jurispru-
dentielle, elle venait constituer la notion — déduite d’arrêts antérieurs — de
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 295
plénitude de compétence de la loi française (v. 3e éd. 1959, nos 336 et 348
et s.). Pourtant cette dernière expression a été par la suite abandonnée au profit
de celle de vocation générale subsidiaire (H. Batiffol, op. cit., 4e éd., 1967,
nos 346 et s.; comp. P. Lerebours-Pigeonnière, Précis 3e éd., 1937, no 226 :
« compétence générale subsidiaire de la loi du juge saisi »). Le choix des mots
n’était pas indifférent; il recouvrait le choix entre deux notions distinctes
(v. M. Céalis-Santa Croce, La vocation générale subsidiaire de la loi du juge
saisi dans le règlement des conflits de lois, thèse multigr., 1975; v. aussi Louis-
Lucas, « Existe-t-il une compétence générale du droit français pour le règle-
ment des conflits de lois », Rev. crit. 1959. 405; Bischoff, La compétence du
droit français dans le règlement des conflits de lois, 1959; Francescakis, La
pensée des autres en dr. int. pr., p. 238).
La notion de plénitude de compétence de la loi française — en tant que loi
du juge saisi — repousse en seconde ligne le règlement du conflit de lois.
À l’égard des relations internationales, comme à l’égard des relations inter-
nes, la loi française représente la solution de principe, laquelle peut toutefois
être exceptionnellement écartée au profit d’une loi étrangère. Dans cette
conception, solidaire des thèses unilatéralistes de Niboyet (Traité, t. III, nos 932-
933 et 1016) ou positivistes de R. Ago (« Règles générales des conflits de
lois », Rec. cours La Haye, 1936. IV., p. 280 et s.; M. Céalis-Santa Croce,
op. cit., nos 17 et s.), la loi française n’est jamais en relation d’égalité avec la
loi étrangère, mais occupe toujours une position prééminente. L’arrêt Bisbal
propose une bonne illustration de cette doctrine en tant qu’il paraît bien
subordonner l’application de la loi étrangère à la réclamation des parties.
Cette doctrine est évidemment incompatible avec la bilatéralité habituelle des
règles de conflit de lois, laquelle suppose une concurrence a priori égalitaire
entre les lois concernées par la relation considérée. Aussi bien le changement
terminologique observé plus haut, implique une critique de l’arrêt Bisbal qui,
en attribuant d’emblée le divorce de deux Espagnols à la lex fori, ne tient pas
la balance égale entre celle-ci et la loi étrangère. En affirmant la vocation de
la lex fori à régir tous les rapports de droit privé pour ce seul motif que
l’application de la loi étrangère n’a pas été demandée, la Cour de cassation
méconnaît la structure bilatérale de la règle de conflit.
14 En revanche, la notion de vocation générale subsidiaire s’accorde mieux à la
bilatéralité. Une brève analyse et le relevé de ses applications non contestées
suffisent pour en convaincre.
Le terme vocation dénote une aptitude, une « aptitude éventuelle » précisait
Lerebours-Pigeonnière (op. cit., eod. loc.; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-
Sommières, no 234); il y a en effet entre une vocation à réaliser et une compé-
tence à écarter (Niboyet, R. Ago) toute la distance qui sépare le potentiel de
l’actuel. Aussi bien, se référer à la vocation de la loi interne française ce n’est
pas postuler comme le fait l’arrêt une applicabilité a priori, non tributaire de
la règle de conflit — qui manifesterait une supériorité essentielle de la lex fori
sur la loi étrangère — c’est seulement évoquer la disponibilité de la loi fran-
çaise comme recours offert au juge français pour apporter une solution de
fond au litige dont il est saisi.
296 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 32-34
tourner vers la loi française tandis que, de l’autre coté, le défaut de preuve
résultant d’un manquement de ce plaideur à son devoir commandait de rejeter
sa prétention (v. supra, obs. sous Lautour, no 19 § 8). Ainsi ce n’était que dans
l’hypothèse où un obstacle objectif, indépendant de la volonté, empêchait
d’appliquer le droit étranger désigné que se réalisait la vocation subsidiaire de
la lex fori et la force obligatoire de la règle de conflit n’était pas abandonnée à
la discrétion de celle des parties qui était tenue de la preuve. Cette solution ne
put se maintenir après la consécration, temporaire, de la doctrine Amerford
(v. infra, Civ. 1re, 16 nov. 1993, no 82) qui, lorsque le litige portait sur des inté-
rêts disponibles, abandonnait le critère de la prétention pour celui de l’invoca-
tion ou de l’intérêt, lequel n’obligeait le juge à mettre en œuvre la loi étrangère
désignée que si la partie qui se prévalait de ses dispositions faisait la preuve de
ce que leur application conduirait à un résultat différent de celui à attendre de
l’application du droit français. Mais si cette preuve n’était pas rapportée et
sans qu’il y ait lieu, semble-t-il, de distinguer selon la raison de cette carence,
la loi française du for était appliquée et la Cour de cassation, par un abus de
concept manifeste, présentait cette conséquence comme une réalisation de la
« vocation subsidiaire » de la loi du for. Or, dans ce cas de figure que l’on sol-
dait par « l’application de la loi française sans la constatation des condi-
tions d’impossibilité matérielle ou morale d’une preuve de la loi étrangère »
(H. Batiffol, note sous Soc. MAN, Com., 14 juin 1984, Rev. crit. 1985. 119,
spéc. p. 125), il était patent qu’il ne s’agissait que de plénitude de compétence,
à la façon de Niboyet : la loi française ne s’effaçait que si le plaideur qui y
avait intérêt parvenait à assurer à son encontre l’autorité de la loi étrangère et,
partant, celle de la règle de conflit. Il n’y avait plus, dès lors, parité entre loi
française et loi étrangère, puisque l’une et l’autre ne s’appliquaient pas pour
les mêmes raisons. Ce n’était que dans le cas où les intérêts litigieux n’étaient
pas disponibles que cette parité était maintenue et que la vocation subsidiaire
pouvait se réaliser. En effet, il incombait alors au juge non seulement d’appli-
quer, au besoin d’office, la règle de conflit (v. supra, Rebouh et Belaïd A.,
nos 74 et 78), mais, encore « de rechercher la solution donnée à la question
litigieuse par le droit positif en vigueur dans l’État concerné » (Civ. 1re,
24 nov. 1998, Soc. Lavazza, Rev. crit. 1999. 88, note B. A., D. 1999. 337, note
M. Menjucq, Grands arrêts, 4e éd., no 83); ce n’est que s’il échouait dans cette
entreprise, dont il pouvait confier l’exécution à l’une ou à l’autre des parties ou
aux deux, qu’il devait mettre en œuvre la loi française à titre subsidiaire (tout
au plus, dans l’éventualité où le juge se serait heurté à la mauvaise volonté
d’un plaideur et où lui-même se serait trouvé dans l’impossibilité d’accéder au
droit étranger, il était envisagé de l’habiliter à tirer toute conséquence de pareil
refus de coopération, dont celle consistant, le cas échéant, à débouter le deman-
deur, v. P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., no 185).
17 Aujourd’hui, après l’arrêt Itraco (Civ. 1re, 28 juin 2005, v. infra, no 83), la
distinction de la disponibilité et de l’indisponibilité des intérêts est abolie sur
le terrain de la connaissance du droit étranger et la solution Lavazza s’impose
de manière générale. La notion de vocation générale subsidiaire est ainsi res-
taurée dans son intégrité et dans sa fonction qui est, selon ses promoteurs,
298 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 32-34
6 juillet 1959
Faits. — La Société des Fourrures Renel avait conclu, à Paris, un contrat avec une
personne domiciliée à Casablanca. Un différend les ayant opposées, la Cour de Rabat le
trancha par application de la loi marocaine, sans s’expliquer autrement sur la compé-
tence de celle-ci. Un pourvoi fut formé. Directement inspiré de l’arrêt American Tra-
ding Co (supra, no 11), ce pourvoi prétendait que l’arrêt attaqué n’avait donné aucune
raison d’écarter la loi du lieu de conclusion alors que celle-ci bénéficiait d’une compé-
tence de principe.
Voici la réponse de la Cour de cassation.
ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen : — Vu l’article 1134 du Code civil; —
Attendu que la loi applicable aux contrats, en ce qui concerne leur formation,
leurs conditions ou leurs effets, est celle que les parties ont adoptée; qu’à
défaut de déclaration expresse de leur part, il appartient aux juges du fond de
rechercher, d’après l’économie de la convention et les circonstances de la cause,
quelle est la loi qui doit régir les rapports des contractants; — Attendu qu’un
litige s’étant élevé entre la Société des Fourrures Renel et la dame Allouche rela-
tivement à un achat de deux manteaux contracté lors du passage à Paris de la
dame Allouche, dont le domicile indiqué sur le bon de commande était à Casa-
blanca, l’arrêt attaqué a appliqué au contrat les dispositions du Dahir marocain
des obligations et contrats sans s’expliquer sur les raisons pour lesquelles il y
avait lieu de soumettre en l’espèce la convention litigieuse à la loi marocaine; —
Attendu qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel n’a pas donné une base légale à sa
décision;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen : — Casse.
Du 6 juillet 1959. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prés.; Ancel, rapp.; Ithier,
av. gén. — MMes Hennuyer et Talamon, av.
300 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 35
OBSERVATIONS
1 Tout en censurant la Cour de Rabat, la Cour de cassation se refuse à
emprunter la voie tracée par le pourvoi. Bien loin de réaffirmer la compétence
de principe de la loi du lieu de conclusion du contrat, elle énonce les directives
qui doivent désormais, selon elle, gouverner la détermination de la loi applica-
ble à celui-ci. Combinant volonté des parties et localisation objective, ces prin-
cipes établissent un système dualiste (I), lequel paraît viable s’il se développe
dans certaines limites (II). Cette conception dualiste a, au reste, directement
inspiré la plupart des conventions internationales qui ont été adoptées en ce
domaine (III).
I. Un système dualiste
dépend de la volonté des parties, c’est au juge qu’il appartient, après avoir
interprété souverainement leur commune intention quant à cette localisation de
déduire de celle-ci la loi applicable », ces décisions rappellent uniquement la
doctrine de la localisation objective, mais elles le font dans des hypothèses où
les parties s’étaient abstenues de toute manifestation de volonté quant à la
détermination de la loi applicable (v. en ce sens, F. Deby-Gérard, Le rôle de la
règle de conflit dans le règlement des rapports internationaux, 1973, no 309,
p. 248; Loussouarn, « Cours général de droit international privé », Rec. cours
La Haye, 1973, t. II, p. 353 à 356; Jacquet, Principe d’autonomie et contrats
internationaux, 1973, p. 213).
Ce qu’il veut simplement, c’est disposer d’un ensemble cohérent de règles qui
garantissent un minimum de protection aussi bien aux parties qu’aux tiers
dont les intérêts pourraient être affectés par l’opération (v. supra, observations
sous l’arrêt Messageries Maritimes, no 22 § 4). Certes, cette indifférence ces-
sera lorsque les intérêts essentiels de la société qu’il a en charge seront affec-
tés par un contrat. Mais il ne sera alors nullement besoin pour les défendre de
peser sur le choix des cocontractants. S’analysant en lois de police, les dispo-
sitions qui prennent en charge ces intérêts essentiels, s’appliqueront directe-
ment dans toute la mesure où cela sera nécessaire à leur satisfaction (v. infra,
arrêt Cie internationale des wagons-lits, no 53).
Ainsi, expression d’un subjectivisme modéré (P. Mayer et V. Heuzé, nos 698
et s.), cette approche a le mérite de permettre la coexistence des deux modes
de désignation, tout en assurant l’unité du régime juridique de la loi désignée.
Choisie par les parties ou procédant de la localisation du contrat, la loi reste la
loi.
Partant, les contractants ne sauraient prétendre écarter les dispositions à venir
qui seraient applicables aux contrats en cours ni procéder à un « panachage »,
en choisissant une règle dans une législation, une autre dans une seconde.
Telle paraît être, au demeurant, la position retenue par l’arrêt. En effet, si
l’emploi des verbes « adopter » et « régir » pourrait incliner vers la première
interprétation, l’affirmation que la loi choisie s’applique à « leur formation,
leurs conditions ou leurs effets » ramène à la seconde. Par cette formule, la Cour
marque, en effet, clairement que le contrat obéit quant au fond à une loi uni-
que, excluant par là-même toute possibilité de « métissage » (Savatier, Cours,
no 414) et donc toute incorporation.
6 Cette voie moyenne est, au demeurant, celle dans laquelle s’est clairement
engagé le mouvement conventionnel. Retenue, avant même que l’arrêt Four-
rures Renel ne soit rendu, par la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la
loi applicable aux ventes à caractère international d’objets mobiliers corporels
en vigueur en France depuis le 1er septembre 1964, cette solution de compro-
mis a été ultérieurement reprise par les Conventions de La Haye du 14 mars
1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation
(entrée en vigueur le 1er mai 1992), et du 22 décembre 1986 sur la loi applica-
ble à la vente internationale de marchandises ainsi que par la Convention de
Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles
laquelle constitue désormais le droit commun français pour tous les contrats
conclus après le 1er avril 1992, date de son entrée en vigueur (sur cette conven-
tion, v. notamment les études de P. Lagarde, Rev. crit. 1991. 287; Jacques Foyer,
Clunet 1991. 601; H. Gaudemet-Tallon, RTD eur. 1981. 215, J.-Cl. Europe,
fasc. 3200).
7 Trois grandes différences doivent néanmoins être soulignées. En premier
lieu, la plupart de ces conventions introduisent entre les deux modes de dési-
304 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 35
gnation de la loi du contrat une césure différente de celle retenue par l’arrêt
ci-dessus reproduit. Au lieu de se référer comme celui-ci au seul « défaut de
déclaration expresse », elles affirment en substance que le choix doit être
exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circons-
tances de la cause. La solution paraît préférable puisqu’il n’est pas exclu que
les parties opèrent un véritable choix de la loi sans pour autant l’indiquer
expressément dans leur contrat. Ainsi en va-t-il par exemple de l’adoption
d’un contrat-type manifestement construit en contemplation d’un système juri-
dique particulier.
En deuxième lieu, ces conventions adoptent, à défaut de choix de la loi, le
système de la localisation objective. Mais, soucieuses de sécurité juridique,
elles posent des présomptions qui permettent de déterminer aisément la loi
du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits. C’est ainsi
qu’à s’en tenir à l’essentiel, les Conventions de La Haye du 15 juin 1955 et du
22 décembre 1986 donnent respectivement compétence, en ce cas, à la loi du
pays où le vendeur a, pour la première, sa résidence habituelle au moment où
il reçoit la commande (art. 3), pour la seconde son établissement au moment
de la conclusion du contrat (art. 8). Quant à la Convention de Rome, elle dési-
gne la loi du pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique
a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle (art. 4.2;
M.-E. Ancel, La prestation caractéristique du contrat, thèse Paris I, éd. 2002,
nos 416 et s., p. 321 et s.). Si cette directive s’applique sans difficulté dans
les contrats-échange opérant permutation de biens ou de services contre de
l’argent, il n’en va pas de même dans les contrats d’intérêt commun, tels les
contrats de distribution, au sein desquels coexistent une prestation instrumen-
tale et une prestation finale. Se conformant à une doctrine qui n’a manifeste-
ment qu’imparfaitement pris conscience de la spécificité de ce type de contrat,
la haute juridiction les localise au moyen de la résidence habituelle du fournis-
seur (Civ. 1re, 15 mai 2001, Optelec, Rev. crit. 2002. 86, note P. Lagarde, Clunet
2001. 1121, note A. Huet, D. 2002. 198, note Diloy, Som. com. p. 1397, obs.
B. Audit, JCP 2001. II. 10634, note J. Raynard; 25 nov. 2003, Soc. Ammann-
Yanmar, Rev. crit. 2004. 102, note P. Lagarde, Clunet 2004. 1179, note M.-
E. Ancel, D. 2004. 494, note Kenfack, JCP 2004. II. 10046, note J. Raynard).
Fort opportunément, la proposition de règlement Rome I localise ce type de
contrat au lieu de la résidence habituelle du distributeur (v. art. 5.1, g et h)
(Sur cette question, v. M.-E. Ancel, thèse préc., nos 175 et s., p. 123 et s.).
Ce souci de prévisibilité des solutions risque au demeurant d’être altéré par
l’introduction dans les deux derniers instruments d’une clause d’exception,
encore nommée clause échappatoire, qui permet au juge d’appliquer une autre
loi que celle désignée par la présomption « lorsqu’il résulte de l’ensemble des
circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays »
(art. 4 § 5, Conv. de Rome; art. 8-3, Conv. du 22 déc. 1986). Il est, en effet, à
craindre que sous couvert de désigner la loi qui a les liens les plus étroits, les
juges ne choisissent par une pente naturelle celle dont les dispositions subs-
tantielles ont leur préférence ou encore celle à laquelle conduisait leur ancien
système de solution. Les premières applications jurisprudentielles montrent,
s’il en était besoin, que ce danger n’a rien d’imaginaire (Versailles, 6 févr. 1991,
35 FOURRURES RENEL — CASS., 6 JUILLET 1959 305
Rev. crit. 1991. 745, note P. Lagarde, Clunet 1992. 125, note Jacques Foyer,
D. 1992. 174, note Mondoloni. Sur cette question, v. G. Cuniberti, « L’inci-
dence du lieu d’exécution sur la loi applicable au contrat, la difficile cohabita-
tion des art. 4.2 et 4.5. de la Convention de Rome du 19 juin 1980 », JCP 2003.
I. 153; P. Rémy-Cerlay, Études critiques de la clause d’exception dans les
conflits de lois, thèse Poitiers, 1997, nos 686 et s., p. 491 et s.). La proposition
de Règlement Rome I supprime purement et simplement ces mécanismes.
En troisième lieu, certaines conventions internationales, notamment les
deux dernières citées, admettent le dépeçage du contrat. Destiné à permettre
un meilleur accomplissement des volontés des parties, cet accroissement de
liberté n’en surprend pas moins à une époque où le législateur accumule les
règles d’organisation et de canalisation du jeu contractuel. Cela s’explique
cependant, au moins pour la Convention de Rome, si l’on veut bien considérer
qu’embrassant les obligations contractuelles dans leur généralité, celle-ci doit
notamment résoudre les problèmes de conflits de lois soulevés par l’existence
d’opérations complexes.
8 Au surplus, certains contrepoids destinés à préserver la nécessaire autorité
des lois viennent y équilibrer la plus grande liberté reconnue aux parties.
D’une part, plusieurs de ces conventions reconnaissent aux tribunaux la pos-
sibilité d’appliquer leurs lois de police (sur cette notion, v. infra, no 53) mais
aussi de prendre en considération les lois de police de tout État signataire ou
non qui visent impérativement la situation, quelle que soit la loi régissant le
contrat (art. 7, Conv. de Rome, art. 16, Conv. de La Haye du 14 mars 1978; sur
cet équilibre, v. J.-M. Jacquet, Principe d’autonomie et contrats internatio-
naux, nos 402 et s., p. 267 et s.; Y. Lequette, « L’évolution des sources nationa-
les et conventionnelles du droit des contrats internationaux » in L’évolution
contemporaine du droit des contrats, Journées René Savatier, 1985, p. 185 et s.,
spéc. p. 195; Ferry, La validité des contrats en dr. int. pr., 1989, nos 315 et s.,
p. 241 et s.; contra V. Heuzé, La réglementation française des contrats inter-
nationaux, 1990, nos 373 et s., p. 179 et s.). Il s’agit là de « dispositions
progressistes marquant une tentative de solidarité entre les États pour épauler
mutuellement leur politique législative et déjouer les manœuvres de ceux
qui cherchent en utilisant au maximum les possibilités de la théorie des
conflits de lois et de l’autonomie de la volonté à se jouer des ordres juridiques
nationaux » (P. Lagarde, art. préc., Annuaire suisse de droit international
1979, p. 88).
D’autre part, lorsqu’il existe une cause structurelle d’inégalité, l’opposition
loi d’autonomie-loi de police est souvent dépassée au moyen de l’élaboration
d’une règle synthétique (Jacquet, op. cit., no 452, p. 294; F. Leclerc, La pro-
tection de la partie faible dans les contrats internationaux, thèse Strasbourg,
éd. 1995, nos 528 et s., p. 481 et s.). Ainsi dans le domaine des contrats conclus
par les consommateurs comme en matière de contrat de travail, la Convention
de Rome laisse aux parties la possibilité de choisir la loi applicable mais pré-
voit, afin de garantir la partie défavorisée, que celle-ci ne peut être privée de
la protection des dispositions impératives de la loi sur laquelle elle peut habi-
tuellement compter parce qu’elle entretient avec elle les liens les plus étroits
306 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 35
21 novembre 1961
(Rev. crit. 1962. 329, note P. Lagarde, Clunet 1962. 686, note Goldman,
JCP 1962. II. 12521, note Louis-Lucas,
D. 1963, p. 37, note Ph. F. et chr. Francescakis, p. 7).
Loi étrangère. — Dénaturation.
Doit être cassé l’arrêt qui méconnaît et dénature le sens clair et précis
d’un document législatif étranger, belge en l’occurrence, versé aux débats.
Faits. — Une bonne compréhension des problèmes soulevés par l’arrêt Montefiore
nécessite que soit, au préalable, rappelée brièvement la série d’événements singuliers
qui aboutit à la naissance de la colonie du Congo belge.
Roi de Belgique, Léopold II fonda en 1876 une Association internationale du Congo
qui chargea l’explorateur Stanley de prendre en son nom possession du bassin du fleuve
du même nom. Après que la Conférence internationale de Berlin (1884-1885) lui eut
reconnu la maîtrise de ces territoires, l’association disparut, laissant place à un État indé-
pendant doté de la personnalité internationale, dont le souverain fut, à titre personnel,
Léopold II. En 1907, celui-ci céda par traité cet État à la Belgique qui en fit la colonie
du Congo belge. L’État indépendant du Congo ayant émis en 1901 un emprunt, des por-
teurs français se fondant sur l’article 14 du Code civil assignèrent en 1952 la Colonie du
Congo belge devant les tribunaux français afin d’en obtenir le remboursement. La Colo-
nie, soutenue par l’État belge partie intervenante, ayant excipé de l’immunité de juridic-
tion des États étrangers, le problème se posait de savoir qui de l’État belge ou de la
Colonie du Congo était débiteur de l’emprunt. Faisant échec à la compétence des tribu-
naux français dans le premier cas, l’immunité ne s’y opposait pas dans le second, la
colonie belge du Congo constituant un démembrement territorial d’un État étranger (sur
cette question, v. infra, arrêt Société Levant Express Transport, no 47, II). Or il existait
dans le droit belge, seul compétent pour apporter une réponse à cette question, deux textes
apparemment contradictoires. Le traité de cession du 20 novembre 1907, tout d’abord,
dont l’article 3 stipule : « La cession comprend tout le passif et tous les engagements
financiers de l’État indépendant » tels qu’ils sont détaillés dans une annexe où l’emprunt
en cause est expressément désigné. Une loi belge du 18 octobre 1908, dite Charte colo-
niale, ensuite, dont l’article 1er dispose : « Le Congo belge a une personnalité distincte
de celle de la métropole. Il est régi par des lois particulières. L’actif et le passif de la
Belgique et de la colonie demeurent séparés. En conséquence le service de la rente
congolaise [l’emprunt en question] demeure exclusivement à la charge de la colonie ».
308 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 36
Par un arrêt infirmatif du 31 octobre 1956 (JCP 1956. II. 9605, concl. Lindon, Rev.
jur. et pol. de l’Union française 1957. 356, note S. Bastid), la Cour de Paris fit prévaloir
le traité sur la loi et se déclara incompétente.
Un pourvoi fut formé.
Il soutenait, d’une part, que le traité devait être mis hors de cause parce qu’il réglait
exclusivement sur le plan du droit international public, un problème de succession
d’États; d’autre part, que la loi du 18 octobre 1908 qui déterminait quel était le patri-
moine public tenu de supporter la charge de l’emprunt, avait été dénaturée par les juges
du fond français.
La Cour de cassation ayant accueilli implicitement l’argumentation développée sur
le premier point, l’arrêt statue en toute clarté sur le problème de la recevabilité du grief
de dénaturation de la loi étrangère.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique en ses deux premières branches : — Vu
l’article 1134 du Code civil; — Attendu que Montefiore ayant formé contre la
Colonie belge du Congo une action en paiement de coupons des obligations
(dites « rente congolaise ») émises en 1901 par l’État du Congo, et en rembour-
sement du capital de titres amortis, l’arrêt infirmatif attaqué a admis que depuis
le traité du 20 novembre 1907, réalisant la cession par le roi Léopold II du Congo
à la Belgique, la Colonie du Congo se confondait avec la Belgique et qu’en
conséquence l’action dirigée contre la Colonie visait et atteignait directement
l’État belge lui-même, immédiatement tenu des dettes de la Colonie, devenues
son propre passif, de sorte que la Colonie défenderesse, bien qu’ayant cessé
d’être un État, devait néanmoins en l’occurrence profiter de l’immunité de juri-
diction bénéficiant, en sa qualité d’État indépendant et souverain, à la Belgique,
de la personnalité de laquelle elle ne se distinguait pas; — Attendu toutefois
que la loi belge du 18 octobre 1908 « sur le gouvernement du Congo Belge »,
document versé aux débats et sur lequel s’appuyait Montefiore, dispose en son
article 1er : « Le Congo Belge a une personnalité distincte de celle de la Métro-
pole. Il est régi par des lois particulières. L’actif et le passif de la Belgique et de
la Colonie demeurent séparés. En conséquence le service de la rente congolaise
demeure exclusivement à la charge de la Colonie »; d’où il suit qu’en statuant
comme il l’a fait, l’arrêt attaqué a méconnu et dénaturé le sens clair et précis
d’un document législatif consacrant la distinction de l’État belge et de sa Colo-
nie, comme de leurs passifs, et définissant la Colonie comme seule débitrice
de l’emprunt envers les porteurs de titres, et a, en conséquence, violé le texte
susvisé;
Par ces motifs et sans qu’il soit besoin de statuer sur la troisième branche du
moyen : — Casse.
Du 21 novembre 1961. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Hol-
leaux, rapp.; Jodelet, av. gén. — MMes Célice, Martin-Martinière et Coutard, av.
OBSERVATIONS
(1) Par application de l’article 4, alinéa 2 de la Convention parallèle du 7 juin 1930 sur les
conflits de lois en matière de lettre de change et de billet à ordre qui prévoit que les effets produits
par la signature apposée sur une lettre de change par un obligé autre que l’accepteur « sont détermi-
nés par la loi du pays sur le territoire duquel les signatures ont été données ».
36 MONTEFIORE — CASS., 21 NOVEMBRE 1961 317
(Clunet 1969. 96, note Kahn); elle y énonce, en effet, que « la traduction d’un
contrat rédigé en langue étrangère comporte de la part de la Cour d’appel une
interprétation qui relève de son pouvoir souverain ». Mais l’affirmation n’est-
elle pas trop tranchée ? Si la traduction d’un texte étranger obscur ou ambigu
peut nécessiter une interprétation de celui-ci, il n’en va pas de même de celle
d’un texte étranger clair, au moins pour toute personne qui maîtrise la langue
dans laquelle il est rédigé. La traduction en français de son sens incontestable
n’implique aucune interprétation. Dès lors au cas où le juge se conformerait
à une traduction qui méconnaîtrait ce sens évident, ne pourrait-on pas parler
de dénaturation (en ce sens Marraud, op. cit., p. 179 et s.; Kahn, note Clunet
1969. 102) ?
Telle a été la position de la Chambre civile dans l’arrêt Olivier (Civ. 1re,
2 févr. 1982, préc.). Une Cour d’appel ayant déclaré une action éteinte sur la
foi d’une traduction erronée qui faisait dire à l’article 196 du Code civil alle-
mand que la prescription de deux ans qu’il édicte joue « à condition que la
prestation soit faite pour l’activité commerciale du débiteur », alors que cet
article dispose en réalité que cette prescription intervient « à moins que la
prestation n’ait lieu pour les besoins de l’activité commerciale du débiteur »,
la Cour de cassation a censuré cette erreur grossière de traduction. Dans le
commentaire très approfondi qu’il a consacré à cette décision, M. P. Mayer a
mis l’accent sur les raisons qui pouvaient faire douter de son bien-fondé.
D’une part, selon lui, un texte en langue étrangère ne pourrait jamais être
réputé clair pour le juge français car on ne peut pas exiger de lui qu’il connaisse
celle-ci; partant, sa mise en œuvre relèverait nécessairement de son pouvoir
souverain. D’autre part, on l’a vu, ce n’est pas la loi étrangère elle-même qui
est l’objet du contrôle mais le document soumis au juge; or celui-ci n’a pas
été dénaturé (note préc., Rev. crit. 1982. 713). Et de fait, si l’on fait abstrac-
tion de la dernière décision citée, il est troublant de constater que les rares
décisions favorables au contrôle de dénaturation ont été rendues dans des
hypothèses où le texte était rédigé en langue française et même bien souvent
calqué sur le modèle d’un texte français (Civ., 4 nov. 1958, art. 313, al. 2,
C. civ. belge; Soc. 10 mai 1972, Bastia, Rev. crit. 1974. 324, note Marraud,
dahir marocain du 25 juin 1927 calqué dans sa structure sur la législation
française des accidents du travail; v. aussi Civ. 1re, 6 déc. 2005, préc., art. 35
et 97, C. proc. algérien; Civ. 1re, 14 févr. 2006, préc., art. 410-19, C. civ. moné-
gasque). Inversement, la dénaturation a été écartée dans certaines espèces qui
paraissaient se prêter à un tel contrôle mais dans lesquelles le texte discuté
était rédigé dans une langue autre que la langue française (Civ., 2 févr. 1966,
Dlle Troeger, Rev. crit. 1968. 289, note P. L., art. 1717, BGB; v. cep. Buzyn,
Civ. 1re, 19 mars 1991, préc., sanctionnant la dénaturation de l’art. 20 de la loi
israélienne sur les successions).
11 Plus généralement, il semble que la rareté des cas effectifs de censure pour
dénaturation (un tous les dix ans entre 1961 et 1991, un peu plus dans la
période récente) s’explique par la sévérité des conditions ainsi que par l’inadé-
quation de la sanction. Pour qu’il y ait dénaturation, il faut que les juges fran-
çais aient méconnu le sens clair et précis d’un droit étranger. Or lorsqu’on est
318 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 36
(Rev. crit. 1963. 387, note Francescakis, D. 1963. 109, note G. Holleaux)
Compétence internationale. — Divorce.
L’extranéité des parties n’est pas une cause d’incompétence des juridic-
tions françaises dont la compétence internationale se détermine par exten-
sion des règles de compétence territoriale interne.
Faits. — Après quelques années de vie commune dans leur pays d’origine, deux époux
allemands se séparent. Le mari s’installe en France, la femme continue de résider en
Allemagne fédérale. En 1957, le mari cite sa femme en conciliation à fin de divorce.
Appelée à comparaître devant le président du Tribunal de Sedan, celle-ci soulève in
limine litis une exception d’incompétence ratione loci qui est rejetée; en l’absence d’appel,
l’ordonnance passe en force de chose jugée. Le mari ayant introduit sa demande en
divorce devant le Tribunal de Mézières, son épouse excipe à nouveau de l’incompétence
des tribunaux français. Cette exception est rejetée en première instance puis en appel au
motif que l’ordonnance passée en force de chose jugée fixe irrévocablement, en vertu de
l’article 238 du Code civil, la compétence des tribunaux français.
Dans son pourvoi, la demanderesse soutenait que l’incompétence dont elle se préva-
lait n’avait pas sa source dans l’article 238 du Code civil et revêtait un caractère absolu
permettant de la soulever en tout état de cause. À l’appui de cette assertion, elle invo-
quait deux arguments : la nationalité allemande des deux époux et la situation en Alle-
magne du dernier domicile commun.
Voici la réponse de la Cour de cassation :
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que Scheffel, de nationalité
allemande, a formé en France, devant le tribunal de son domicile, à la suite
d’une ordonnance du juge conciliateur rendue contradictoirement sur sa com-
pétence en vertu de l’article 238, al. 1er du Code civil, une action en divorce
contre dame Scheffel, de même nationalité que lui, laquelle réside en Allema-
gne (Basse-Saxe); — Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué
d’avoir rejeté l’exception d’incompétence ultérieurement soulevée par dame
Scheffel devant le tribunal, alors que son déclinatoire se fondait, selon le pour-
voi, en dehors du domaine de l’article 238, sur une incompétence absolue des
juridictions françaises pour connaître d’un divorce entre époux allemands ayant
en Allemagne leur dernier domicile commun; — Mais attendu que l’extranéité
des parties n’est pas une cause d’incompétence des juridictions françaises, dont,
320 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 37
OBSERVATIONS
1 Le seul fait que l’ordonnance du juge conciliateur fût passée en force de
chose jugée suffisait en l’espèce et en l’état du droit positif à justifier la com-
pétence des tribunaux français. Mais profitant de l’occasion qui lui était offerte
par le libellé du pourvoi, la Cour de cassation répondant à la lettre aux asser-
tions de son auteur énonce, en une formule lapidaire et avec un grand bonheur
de plume, les deux principes qui fondent ce qu’il est convenu d’appeler la
compétence « ordinaire » des tribunaux français (I). La rigidité qui marque
l’application du second de ces principes à l’espèce appelle néanmoins quel-
ques réserves (II). Si les principes posés par cet arrêt conservent leur valeur,
leur domaine d’application tend à se restreindre comme une peau de chagrin
sous l’effet de la communautarisation du droit international privé (III).
prudence dont l’abondance et la diversité étaient telles qu’il est difficile d’en
rendre compte autrement que par l’énoncé de quelques « lignes de force »
(Francescakis, note, Rev. crit. 1949. 559); si l’on s’accorde en effet sur l’exis-
tence d’un principe d’incompétence des juridictions françaises dans les litiges
entre étrangers tout au long du XIXe siècle, son fondement et sa portée restent
incertains (Pillet, Traité, t. I, no 109, p. 395).
4 Ce que l’on désignera désormais, brevitatis causa, sous l’appellation de
« principe d’incompétence » relevait-il de la condition des étrangers ou de la
catégorie des règles de compétence ? Selon la première conception, l’accès à
la justice constituait un « droit civil », au sens de l’article 11 du Code civil,
refusé aux étrangers (v. supra, no 20). Un tel fondement qui pouvait s’autoriser
de l’arrêt de la Chambre des requêtes du 11 juillet 1892 décidant qu’il « est de
principe en France, conformément à l’article 11 du Code civil, que les étran-
gers ne sont pas justiciables des tribunaux français en matière de contestation
intéressant leur statut personnel et soulevant des questions d’état » (Suissa,
S. 1892. 1. 407, D. 1892. 1. 489) n’emportait guère la conviction. De fait, pour-
quoi reconnaître aux étrangers la jouissance des droits dits naturels en France
(v. supra, no 20) si on leur en refuse la sanction dans ce même pays ? (Batiffol
et Lagarde, t. II, no 671). Au surplus, on perçoit mal ce qui dans l’article 11
justifierait la limitation du principe aux seules actions d’état, ce à quoi le can-
tonnait pourtant le droit positif (v. infra, Francescakis, note préc.). Enfin l’ana-
lyse minutieuse de la jurisprudence montrait qu’il n’y avait là qu’une justifica-
tion isolée : la plupart des décisions de la Cour de cassation ne faisait pas, en la
matière, référence à l’article 11 du Code civil. Ainsi apparaissait-il que bien
loin de procéder de la condition des étrangers, le principe d’incompétence res-
sortissait à la catégorie des règles de compétence (Niboyet, Traité, t. VI,
nos 1793 et s.; Francescakis, note préc.; D. Holleaux, Compétence du juge étran-
ger et reconnaissance des jugements, 1970, nos 290 et s.). Malheureusement,
au-delà de cette qualification, la jurisprudence ne se prêtait guère, du fait de sa
diversité, à une représentation univoque. À l’instar d’un arrêt de la Cour de
Colmar (30 déc. 1815, S. 1815-1818. II. 87) énonçant que « si le droit de ren-
dre la justice est un des apanages de la souveraineté, celui de la réclamer et de
l’obtenir est un avantage que le sujet est fondé à exiger de son souverain, que
sous ce double rapport, chaque monarque ne doit la justice qu’à ses sujets et
doit la refuser aux étrangers », nombre des décisions des juges du fond fai-
saient référence à un principe de droit public attribuant au souverain la préro-
gative exclusive de juger ses nationaux (v. décisions citées par Ph. Théry, Pou-
voir juridictionnel et compétence, thèse multigr., Paris II, 1981, p. 365 et s.).
L’analyse trouvait, aux dires de ses partisans, une confirmation dans une inter-
prétation a contrario des articles 14 et 15 du Code civil (D. Jur. gén. 1850,
v° Droit civil, no 313). Néanmoins là encore le fondement proposé n’était
guère décisif : en mettant l’accent sur la souveraineté de l’État on sacrifiait les
intérêts des particuliers et négligeait le fait que l’institution des tribunaux
repose sur des considérations de tranquillité publique étrangères à la nationa-
lité des plaideurs (Batiffol et Lagarde, t. II, no 671). Quant à l’exégèse des
articles 14 et 15, elle se révélait bien peu respectueuse de l’intention de leurs
322 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 37
auteurs. Il avait en effet été précisé, notamment par Tronchet, qu’on ne pouvait
préjuger à partir de ces textes de la solution que la question débattue devait
recevoir car ils « ne statuent que sur la manière de décider des contestations
entre Français et étrangers et ne s’occupent pas des procès entre étrangers »
(Locré, Législation civile, t. II, p. 44).
Ces considérations étaient au demeurant absentes des décisions de la Cour
de cassation dont les premiers arrêts faisaient beaucoup plus simplement réfé-
rence à la maxime actor sequitur forum rei et à l’absence de domicile du défen-
deur en France (Req. 22 janv. 1806, Mount Florence c/Skilpewitch, S. chr.;
Req. 14 avr. 1818, Vanherke, S. chr.). Est-ce à dire qu’il n’y aurait eu là qu’une
application du droit commun tel que nous le connaissons aujourd’hui ? En
réalité, de savantes études ont montré que la règle ne devait pas être comprise
comme un simple rappel de l’article 59 de l’ancien Code de procédure civile
mais comme l’expression d’une maxime de droit des gens; si le domicile fai-
sait défaut, c’est parce que la tradition héritée de l’Ancien droit lui donnait, au
moins en matière de statut personnel, une signification très particulière. Par
domicile, il fallait entendre non le domicile interne, « institution de police
civile issue de l’ordre napoléonien », mais une notion proche du domicile
d’origine et directement liée à « l’idée de patrie » (Francescakis, note préc.).
Les concepts de domicile et de nationalité étant ainsi quasiment identifiés, la
jurisprudence en vint dans de nombreuses décisions à faire l’économie de la
référence au domicile et à relever la seule extranéité des parties. C’est donc
la maxime actor sequitur forum rei qui aurait « sécrété » le principe d’incom-
pétence (en ce sens D. Holleaux, op. cit., nos 296 et s. et décisions citées;
v. aussi Niboyet, Traité, t. VI, no 1793, p. 403).
5 Mais ainsi fondé, ce principe portait en lui-même ses propres limites. Il ne
devait en effet, en bonne logique, jouer que dans les domaines où la maxime
actor sequitur… s’appliquait exclusivement et où il était légitime de donner au
domicile l’acception précédemment relevée, c’est-à-dire essentiellement le
statut personnel. De fait, en matière commerciale, les tribunaux français admi-
rent très tôt qu’ils pouvaient connaître de contestations entre étrangers dès lors
que, conformément à l’article 420 de l’ancien Code de procédure civile, la pro-
messe avait été conclue en France (Civ., 26 nov. 1828, Harris, S. chr. 1828-
1830. 1. 192) ou que le défendeur y avait un domicile de fait (Civ., 26 avr. 1832,
Hugde, S. 1832. 1. 455). De même, la compétence des tribunaux français fut
admise en matière successorale lorsque le dernier domicile de fait du de cujus
était situé en France (Req. 7 juill. 1874, Specht, D. 1875. 1. 271) (1). En d’autres
(1) Les deux dernières décisions citées montrent qu’on ne saurait expliquer l’enchaînement
historique décrit ci-dessus par l’existence de l’article 13 du Code civil et l’exigence de l’admission
à domicile (v. par ex. en ce sens, H. Bauer, Compétence judiciaire internationale des tribunaux
français et allemands, 1965, nos 37 et s.). Bien que certaines décisions fassent référence à ce texte,
la suggestion achoppe sur la double constatation que le principe d’incompétence s’est prolongé au-
delà de la suppression de l’admission à domicile et que dans les domaines autres que l’état des per-
sonnes, la notion de domicile de fait a été jugée suffisante, ainsi que l’attestent les deux décisions
citées, pour fonder la compétence des tribunaux français (en ce sens D. Holleaux, op. cit., no 293;
Francescakis, note préc.; Ph. Théry, op. cit., no 399; v. cep. Batiffol et Lagarde, t. II, no 671).
37 SCHEFFEL — CASS., 30 OCTOBRE 1962 323
domaines, les tribunaux français fondaient leur compétence dans les litiges
entre étrangers, non sur la constatation que l’élément de localisation retenu par
les règles de compétence territoriale interne était situé en France, mais sur le
fait que la loi française régissait ce type de litige. Par une sorte d’a fortiori, ils
estimaient qu’il serait singulier qu’ils se refusent à connaître de relations inté-
ressant suffisamment la société française pour que sa loi les régisse. Ainsi en
allait-il notamment pour les contestations ayant pour objet des immeubles sis
en France (Req. 10 nov. 1847, François, S. 1848. 1. 52; Civ., 22 mars 1865,
Prince Ghyka, S. 1865. 1. 175; v. aussi supra, arrêt Bartholo, no 9) ou la répa-
ration de délit survenu en France (Civ., 17 nov. 1834, Dehaut, S. 1841. 1. 544).
Inversement d’ailleurs, la constatation que les litiges entre étrangers ayant trait
au statut personnel relevaient nécessairement d’une loi étrangère, les conforta
dans leur attitude d’abstention (v. les décisions citées par Ph. Théry, op. cit.,
p. 385 et s.).
Quoi qu’il en soit de leur justification, ces nombreuses dérogations en évin-
çant le principe d’incompétence là où son application eût été proprement into-
lérable lui permirent de subsister. Néanmoins, même résiduelle, la solution
se heurtait à la considération déjà rappelée que pour assurer la paix publique,
la justice civile doit régner sur tous ceux qui se trouvent matériellement
sur le territoire. Aussi fut-elle écartée, même en matière d’état des personnes,
lorsqu’elle risquait de conduire à un véritable déni de justice : sous-jacente
dans l’arrêt du 8 avril 1851 (S. 1851. 1. 355), la considération passe au premier
plan dans des décisions ultérieures (Req. 7 mars 1870, Kœhler, S. 1872. 1. 361;
Req. 22 juill. 1886, S. 1887. 1. 69). Enfin, avec l’arrêt Patiño (21 juin 1948,
préc.) la Cour de cassation, sans plus se préoccuper de la qualité de français
ou d’étranger des parties, admit la compétence des tribunaux français dès lors
que le litige s’insère suffisamment dans l’ordre juridique français (v. déjà Civ.,
4 déc. 1935, Kirke Paulding, Rev. crit. 1937. 189, Clunet 1936. 862, note J. P.,
S. 1936. 1. 95). On constate ainsi qu’à un mois d’intervalle la haute juridiction
fit sauter deux des verrous qui avaient longtemps entravé la participation des
étrangers à la vie juridique française : assimilés aux nationaux sur le terrain de
la jouissance des droits privés par l’arrêt Lefait (27 juill. 1948, supra, no 20),
les étrangers peuvent désormais grâce à l’arrêt Patiño (préc.) obtenir des tribu-
naux français la sanction de ces mêmes droits. Bien que les deux questions
soient, comme on l’a vu, techniquement distinctes, cette convergence témoi-
gne de leur dépendance à l’égard des mêmes forces créatrices du droit. Le
« nationalisme politique » cède devant le souci de promouvoir des relations
privées internationales plus humaines et plus praticables. La personnalité de
Lerebours-Pigeonnière, rapporteur de l’arrêt Patiño, n’est sans doute pas
étrangère à cette évolution (Francescakis, « Perspectives du droit international
privé français actuel », RID comp. 1955. 352, reproduit in La pensée des autres
en dr. int. privé, p. 126 et s.).
6 B. — L’abandon du principe d’incompétence mettait en pleine lumière l’insuf-
fisance des articles 14 et 15 du Code civil : sur quelles directives s’appuyer
pour fonder la compétence internationale de nos tribunaux lorsqu’aucun Fran-
çais n’est partie au litige ? Longtemps résolue sans formule générale, la ques-
324 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 37
tion trouve une réponse de principe dans l’arrêt ci-dessus reproduit : « La com-
pétence internationale se détermine par extension des règles de compétence
territoriale interne ». (v. déjà en ce sens Civ., 19 oct. 1959, Pelassa, D. 1960. 37,
note G. Holleaux, Rev. crit. 1960. 215, note Y. L.; sur les rapports de ce prin-
cipe et des articles 14 et 15, C. civ., v. infra, no 71 § 2). Il suffit donc que l’élé-
ment de rattachement utilisé par les règles de compétence, par exemple le
domicile du défendeur, soit situé en France pour que le tribunal français ainsi
désigné puisse être valablement saisi. Par cette formule, la haute juridiction
aurait, aux dires de son rapporteur, entendu marquer que « la question de com-
pétence internationale est purement et simplement assimilée à un problème de
compétence territoriale interne (…). Le litige entre deux étrangers porté devant
un tribunal français y est traité en ce qui concerne les questions de compétence
internationale exactement comme le serait, dans les mêmes circonstances, un
litige français interne » (G. Holleaux, note, D. 1963, p. 110, col. 1). Et de fait,
les règles de compétence territoriale interne ayant pour objet de « localiser les
relations juridiques quant à la juridiction compétente » (Batiffol et Lagarde,
t. II, no 669), pourquoi ne pas leur emprunter la solution de notre problème ?
Ne s’agit-il pas dans les deux cas de rechercher avec quel tribunal le litige
entretient les liens qui permettront de lui donner une solution prompte et sûre ?
Néanmoins, ainsi qu’on l’a très tôt relevé, cette assimilation n’est pas aussi
évidente qu’il y paraît au premier abord. D’une part, on ne retrouve pas, en
matière internationale, « l’équivalence fonctionnelle » qui existe entre les
juridictions françaises (Batiffol et Lagarde, t. II, no 673); l’« universalisme
juridictionnel » sous-jacent au jeu des règles de compétence territoriale interne
y est absent (Hébraud, note, Rev. crit. 1956. 544; Francescakis, note, Rev. crit.
1952. 353).
D’autre part, plus radicalement, on souligne que la détermination du juge
internationalement compétent n’est pas une simple question de répartition des
litiges dans l’espace entre des tribunaux ayant tous la même compétence
d’attribution. Il s’agit plus exactement de savoir au nom de quelle souverai-
neté la justice sera rendue. En d’autres termes, il y aurait à opérer un « choix
préalable entre l’ordre juridictionnel français et l’ordre juridictionnel étranger »
(Solus et Perrot, Droit judiciaire privé, t. II, La compétence, nos 386 et s. et
675; comp. P. Mayer et V. Heuzé, no 277; A. Huet, « Le Nouveau Code de
procédure civile du 5 déc. 1975 et la compétence internationale des tribunaux
français », Clunet 1976, p. 342 et s.). Partant, la compétence internationale
s’apparenterait beaucoup plus à la compétence d’attribution qu’à la compé-
tence territoriale. Telle fut au demeurant la thèse développée par Bartin (Prin-
cipes, t. I, § 124 et s.). Malheureusement cette voie s’avère singulièrement
étroite. Vouloir édifier un corps de solution original en s’appuyant sur les
caractères de fond du litige, c’est probablement, selon l’aveu même de cet
auteur, poursuivre d’« irréalisables chimères » (Principes, t. I, § 124). Et il n’a
jamais été possible de construire un système de compétence internationale à
partir des règles régissant la compétence d’attribution. La raison en est simple :
la répartition entre les différentes catégories de juridictions (administrative,
répressive, civile,…) s’opère en fonction de la nature du litige. Or celle-ci n’est
en rien altérée par l’élément international. Ainsi qu’on l’a justement relevé, ce
37 SCHEFFEL — CASS., 30 OCTOBRE 1962 325
qui différencie les litiges internationaux des litiges internes, ce n’est pas la
matière mais « les éléments touchant aux personnes et aux lieux » (Lerebours-
Pigeonnière, Précis, 5e éd., no 283 ; Batiffol et Lagarde, t. II, no 669). Et s’il
est légitime de distinguer le rattachement à un ordre juridictionnel de la situa-
tion géographique d’un litige, il n’en reste pas moins que la solution du pro-
blème passe par la localisation de celui-ci (Loussouarn, Bourel et de Vareilles-
Sommières, no 441).
7 Aussi une bonne partie de la doctrine s’engage-t-elle aujourd’hui dans une
voie médiane : irréductible à la compétence d’attribution comme à la compé-
tence territoriale, la compétence internationale s’analyserait en une compétence
sui generis (Francescakis, note, Rev. crit. 1963. 394 et s.; Hébraud, note, Rev.
crit. 1963. 806; H. Gaudemet-Tallon, « La compétence internationale à l’épreuve
du Nouveau Code de procédure civile : aménagement ou bouleversement ? »,
Rev. crit. 1977, p. 1 et s., spéc. p. 44 et 45; Couchez, « Les nouveaux textes de
la procédure civile et la compétence internationale », Trav. com. fr. dr. int. pr.
1977-1979, p. 122; comp. Niboyet, Traité, t. VI, no 1724, p. 281; Batiffol et
Lagarde, t. II, no 673; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 441;
P. Mayer et V. Heuzé, no 277; B. Audit, no 329). En l’absence d’un corps de
solutions complet élaboré par le législateur, la détermination des règles de
compétence internationale aurait pour point de départ les seules dispositions
dont, ainsi que l’atteste la pratique spontanée des tribunaux, la transposition au
plan international est praticable, c’est-à-dire les règles de compétence territo-
riale. Il est, en effet, naturel de puiser dans l’ordre interne, du fait de son anté-
riorité, les principes de solution qui gouvernent l’ordre international. Or pré-
cisément, le triple souci du bon ordre sur le territoire, de la commodité des
parties et d’une bonne administration de la justice qui anime les règles de com-
pétence territoriale « subsiste en son principe malgré les liens de la situation
avec d’autres États » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 673; pour une pratique iden-
tique en Allemagne, v. H. Bauer, Compétence judiciaire internationale des tri-
bunaux civils français et allemands, 1965, nos 35 et s., p. 37 et s.). Néanmoins
cet emprunt ne devrait pas se résoudre en une extension pure et simple de ces
règles, ainsi que le préconise l’éminent rapporteur de l’arrêt Scheffel, mais en
une transposition s’accompagnant éventuellement d’une adaptation aux besoins
des relations internationales. Celle-ci se révélerait particulièrement nécessaire
lorsque le litige se développe en un domaine où la souveraineté d’un État est
directement impliquée; il en irait de même lorsque le phénomène de la fron-
tière réintroduit des impératifs d’effectivité absents du droit interne (Niboyet,
Traité, t. VI, no 1719).
8 En outre, comme il est plus grave de choisir entre deux ordres juridiction-
nels qu’entre deux tribunaux français, le régime juridique de la compétence
internationale ne saurait être celui de la compétence territoriale. C’est au demeu-
rant, essentiellement à ce propos, qu’avec et depuis Bartin les auteurs relèvent
la nécessité de rapprocher la compétence internationale de la compétence
d’attribution. Et si, en l’espèce, l’alignement sur le régime de la compétence
territoriale est complet puisque les parties ne peuvent soulever l’exception
326 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 37
tence délicat à établir et qui avait sombré dans l’oubli depuis l’abandon du
principe d’incompétence, ne serait-il pas préférable de procéder à l’adaptation
préconisée ? (en ce sens, H. Gaudemet-Tallon, note Rev. crit. 1981. 333 et s.).
En sens inverse, on peut faire valoir que le tribunal de la résidence du parent
avec lequel habitent les enfants, est mieux armé pour connaître du divorce
compte tenu du centre de gravité de la famille (A. Huet, note Clunet 1981. 362
et s.). Cet argument prend un relief particulier depuis que la France a retiré,
avec effet au 28 avril 1984, la réserve de l’article 15 de la Convention de La Haye
du 5 octobre 1961 qui soustrayait à l’emprise de celle-ci les mesures de protec-
tion des mineurs rendues nécessaires par le divorce de leurs parents. Doréna-
vant, cette question est soumise quant à la compétence des autorités et à la loi
applicable, au régime prévu par la Convention dès lors que l’enfant réside
habituellement dans un État contractant (art. 13). Il en résulte que le juge du
divorce ne sera, internationalement, compétent pour connaître du problème
de la garde des enfants que s’il est le juge de la résidence habituelle de l’enfant
ou celui de sa nationalité. De ce point de vue, le maintien, au plan internatio-
nal, de la hiérarchie prévue par l’article 1070 du Nouveau Code de procédure
civile apparaît préférable (sur cette question, v. Y. Lequette, note, Rev. crit.
1988. 342 et s.).
(Rev. crit. 1964. 532, note P. Lagarde, Clunet 1963. 1016, note Malaurie,
JCP 1963. II. 13365, note Motulsky, 1er arrêt;
Rev. crit. 1964. 506, note P. Lagarde, Clunet 1963. 996, note Malaurie,
JCP 1963. II. 13366, note Motulsky, 2e arrêt)
Ordre public. — Divorce. — Conflit de décisions. —
Contrat de mariage. — Incapacité du mineur. —
Nullité. — Prescription.
L’existence d’un jugement français portant sur le même objet entre les
mêmes parties fait obstacle à toute reconnaissance en France de l’autorité
d’une décision étrangère incompatible avec lui (1er arrêt).
Lorsque l’application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit
française a pour résultat l’impossibilité simultanée du divorce et de la sépa-
ration de corps, une telle situation est à bon droit considérée comme contraire
à l’ordre public international français, et la séparation de corps peut être
prononcée par substitution de la loi du for aux droits étrangers normalement
compétents avec pour corollaire nécessaire le règlement des intérêts patrimo-
niaux des époux suivant les formes prévues par la loi française (1er arrêt).
Les règles habilitant un mineur à la conclusion d’un contrat de mariage
sont une simple modalité de son incapacité générale de contracter édictée,
comme celle-ci, dans son seul intérêt et ressortissant à sa loi personnelle à
la date du contrat (2e arrêt).
La sanction de l’inobservation des conditions de capacité nécessaires à
la validité du contrat de mariage demeure à tous égards soumise à la loi
sous l’empire de laquelle il a été conclu (2e arrêt).
Faits. — « Roman politico-juridique » (P. Lagarde, Rev. crit. 1964. 535), « imbroglio
juridique extraordinaire » (Ph. Malaurie, Clunet 1963. 1020), les expressions n’ont pas
manqué pour tenter le caractériser l’étonnante affaire Patiño. Plus de vingt ans de procé-
dure pour près de vingt décisions, tel en est le bilan français. Mais plus encore que
l’abondance du contentieux, c’est l’extrême diversité des questions posées ainsi que la
qualité des réponses qui leur ont été apportées qui en ont fait la célébrité. Non seule-
ment la plupart des grands problèmes du droit international privé y ont été évoqués,
mais encore elle a été, pour certains, l’occasion d’un pas décisif.
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 331
Comme il ne saurait être question dans les limites nécessairement restreintes d’un tel
ouvrage de reproduire la totalité des décisions, ne serait-ce que de la Cour de cassation,
auxquelles elle a donné lieu, notre choix s’est porté sur les deux arrêts rendus par celle-
ci le 15 mai 1963; bien que ne constituant que l’antépénultième intervention de la haute
juridiction dans cette affaire, ces décisions lui ont, en effet, permis de répondre à la plu-
part des questions soulevées. Toutefois, afin de permettre au lecteur de prendre une vue
d’ensemble de l’affaire et de saisir combien le caractère international d’une situation est
de nature à en accroître la complexité et à encourager les plaideurs pugnaces à renouve-
ler inlassablement leur prétention, on retracera ici les principales étapes de la procédure
qui les a précédés, en renvoyant, pour les aspects non traités au texte, aux différents
commentaires dans lesquels ceux-ci sont évoqués.
Maria Cristina de Bourbon, de nationalité espagnole, a épousé à Madrid, le 8 avril
1931, Antenor Patiño, de nationalité bolivienne. La veille, les futurs époux avaient, par
contrat de mariage, adopté le régime de la séparation de biens du droit bolivien; mineure,
la future Mme Patiño avait obtenu de son père adoptif l’autorisation de conclure cette
convention matrimoniale. Devenue bolivienne par son mariage, Mme Patiño s’établit
avec son époux à Paris. Puis, en raison de la guerre, elle se fixa à New York avec ses
enfants, son mari demeurant à Londres où il exerçait des fonctions diplomatiques. En
1944, après de premiers différends conjugaux qui donnèrent lieu, à l’initiative de l’épouse,
à une action en divorce devant les juridictions américaines, les époux Patiño tentèrent de
reprendre la vie commune; ils signèrent à cet effet à New York le 10 juillet 1944 une
convention par laquelle le mari promettait à son épouse de lui verser une importante
somme d’argent, celle-ci se désistant de sa demande en divorce et renonçant à toute
créance dans l’hypothèse où le divorce ou la séparation de corps serait prononcé. Cette
tentative fut malheureusement sans lendemain. Le 16 avril 1946, M. Patiño engagea une
action en divorce devant le Tribunal civil de la Seine. Celui-ci s’étant déclaré incompétent
(13 déc. 1946) au motif que les tribunaux français ne peuvent connaître d’un divorce entre
étrangers, sa décision fut infirmée en appel (Paris 12 mai 1947, JCP 1947. II. 3773,
note Lisbonne). Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation en profita pour proclamer par
un arrêt célèbre, le 21 juin 1948 (JCP 1948. II. 4422, obs. P. L. P., S. 1949. 1. 121, note
J. P. Niboyet, Rev. crit. 1949. 557, note Francescakis), l’abandon du principe d’incom-
pétence des tribunaux français dans les litiges entre étrangers. Cet apport essentiel de
l’affaire Patiño est traité dans le commentaire de l’arrêt Scheffel (supra, no 37 § 3).
L’obstacle de l’incompétence levé, le Tribunal de la Seine (28 juin 1950, Rev. crit. 1951.
648, note Motulsky, D. 1953. 175) déclara irrecevable la demande en divorce parce
qu’elle était prohibée par la loi espagnole à laquelle renvoyait partiellement la loi boli-
vienne, loi nationale des époux. C’est pourquoi, en appel, M. Patiño transforma sa
demande de divorce en demande de séparation de corps; celle-ci fut accueillie par la
Cour de Paris (12 mai 1951) mais son arrêt fut cassé pour violation de la règle du dou-
ble degré de juridiction (Civ., 21 oct. 1952, Bull. I, p. 222, no 272; et sur renvoi, Orléans
11 mai 1955, Gaz. Pal. 1955. 2. 53, RTD civ., 1955. 713, obs. Raynaud).
Là aurait pu s’arrêter le contentieux, au moins au regard de la France : M. Patiño se
désista en effet de son action devant les juridictions françaises et obtint des juridictions
mexicaines (Mexico, 14 nov. 1958) le prononcé du divorce à son profit exclusif. Mais
c’était compter sans son épouse, laquelle n’était pas restée inactive.
En premier lieu, désireuse de se prémunir contre les conséquences financières d’une
éventuelle dissolution du mariage, elle avait saisi le 1er août 1949 les juridictions espa-
gnoles afin que celles-ci annulent le contrat de mariage et déclarent les époux mariés
sous le régime de communauté. Après avoir obtenu satisfaction grâce à un arrêt infirmatif
de la Cour de Madrid du 23 mai 1954 maintenu par une décision du Tribunal suprême
du 1er juill. 1955, elle avait, plutôt que de demander l’exequatur de ces décisions, intro-
duit à titre principal une nouvelle action ayant le même objet devant les juridictions
332 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39
françaises. Fondée sur ce que la loi espagnole, compétente en tant que loi personnelle de
l’épouse au jour de la conclusion du contrat de mariage, exigeait non l’autorisation du
parent adoptif mais l’assistance du mineur par celui-ci, sa prétention fut accueillie en
première instance (T. civ. Seine, 17 oct. 1956, JCP 1956. II. 9688, obs. Bellet, Gaz. Pal.
1957. 1. 42, concl. Mazet), puis en appel (Paris 1er juill. 1959, JCP 1959. II. 11214,
concl. Combaldieu, Clunet 1960. 428, note Ponsard, D. 1959. 455, note Malaurie). C’est
au pourvoi formé contre cette décision que répond le second arrêt ci-dessous reproduit.
En second lieu, reprenant l’action dont son mari s’était désisté, Mme Patiño
demanda le prononcé de la séparation de corps. Là encore, elle obtint satisfaction tant
devant le Tribunal civil de la Seine (2 juill. 1958) que devant la Cour de Paris (1er juill.
1959, Clunet 1960. 412, note Ponsard, D. 1959. 431, note Malaurie) par application de
la loi française compétente en vertu de l’ordre public international français, la combi-
naison des lois bolivienne et espagnole empêchant tout relâchement du lien conjugal.
C’est au pourvoi formé contre cette décision que répond le premier arrêt ci-dessous
reproduit.
Ajoutons pour être complet qu’en marge du débat sur le relâchement du lien conjugal
et du contentieux relatif au régime matrimonial, lequel donnera lieu à un nouvel arrêt de
la Cour de cassation (Civ. 1re, 4 mars 1969, Bull. I, no 95, p. 72, Rev. crit. 1970. 747),
M. Patiño introduisit deux actions devant les juridictions françaises.
L’une ne retint guère l’attention des commentateurs; elle lui permit d’obtenir répara-
tion d’un abus de droit dans l’emploi des voies d’exécution dont son épouse s’était
rendu coupable à son encontre en le faisant arrêter aux États-Unis dans des circonstances
très particulières (Paris, 1er juill. 1959, JCP 1959. II. 11215). L’autre visait à obtenir de
son épouse la restitution des fonds qu’il lui avait remis en conformité de la convention
du 10 juillet 1944, convention dont l’exécution avait été ordonnée par des arrêts de la
Cour suprême de New York des 12 juillet 1945, 15 juillet 1949 et 14 juillet 1951 mais
dont la validité était contestée par lui devant les juridictions françaises. Accueillie en
première instance (T. civ. Seine, 5 févr. 1953, Rev. crit. 1954. 553), sa prétention fut
repoussée en appel (Paris, 7 juill. 1954, Rev. crit. 1954. 553, note Francescakis). L’inté-
rêt de ces décisions tient moins à leur libellé qu’au commentaire qu’elles inspirèrent à
Francescakis. Celui-ci saisit, en effet, cette occasion pour développer sa réflexion sur
les conflits de systèmes dans le temps. Ce dernier aspect de l’affaire Patiño a été évoqué
dans les observations relatives à l’arrêt Machet (supra, no 23 § 3). Mme Patiño ayant
demandé l’exequatur des décisions de la Cour suprême de l’État de New York ci-dessus
visées, l’affaire connut un dernier rebondissement avec un arrêt de la Cour de cassation
du 5 mars 1969 (Rev. crit. 1969. 546, note H. Gaudemet-Tallon).
1er ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen pris en ses diverses branches : — Attendu
que l’arrêt attaqué a prononcé entre les époux Anténor Patiño y Rodriguez et
Maria-Cristina de Borbon, mariés à Madrid le 8 mars 1931, et tous deux de
nationalité bolivienne, la séparation de corps à la demande de la femme; qu’il
lui est en premier lieu fait grief d’avoir déclaré inopposable et sans effet en
France un arrêt contradictoirement rendu à Mexico le 14 novembre 1958, pro-
nonçant à la demande du mari, le divorce entre les époux, cette inopposabilité
étant fondée sur le motif que la décision mexicaine est contraire aux règles fran-
çaises tant de conflits de juridictions, en ce que les tribunaux du Mexique
étaient territorialement incompétents, que de conflits de lois, en ce qu’il a été,
dans l’arrêt en question, fait application de la législation du District fédéral
mexicain, bien que la loi bolivienne, compétente à titre de statut national com-
mun des époux, renvoyât à la loi espagnole du lieu de célébration, laquelle ne
connaît pas le divorce, alors, selon le pourvoi, que d’une part, la fixation effec-
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 333
par le mari, renonçait pour l’avenir à toute pension alimentaire dans l’éventua-
lité d’un divorce ou d’une séparation de corps; que néanmoins l’arrêt attaqué a,
nonobstant l’exception de chose jugée invoquée par Patiño, accordé à sa
femme, à l’occasion de la séparation de corps qu’il prononce, une pension ali-
mentaire, au motif erroné et inopérant que la convention litigieuse, valable
« sur le plan international », était en revanche nulle au regard du droit français,
alors que la solution antérieurement donnée sur ce point par une juridiction
française, en vertu de la loi étrangère jugée par elle compétente pour régir le
litige ainsi définitivement tranché, faisait obstacle à ce qu’on pût entre les
mêmes parties résoudre à nouveau le même litige en sens inverse par applica-
tion cette fois de la loi française; d’où il suit que l’arrêt attaqué a violé le texte
susvisé;
Par ces motifs : — Casse et annule dans les limites du quatrième moyen, l’arrêt…
Du 15 mai 1963. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Holleaux,
rapp.; Gavalda, prem. av. gén. — MMes Hersant, Célice, Mayer et Le Prado, av.
2e ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen en ses deux branches : — Attendu que
Antenor Patiño y Rodriguez, bolivien, et dame Maria-Cristina de Borbon,
mineure de 18 ans, alors de nationalité espagnole, ont conclu à Madrid, le
7 avril 1931, veille de leur mariage, un contrat de mariage soumettant leur
union conjugale aux lois boliviennes et établissant entre eux la séparation de
biens telle que définie par le droit bolivien; que dame Patiño ayant par la suite,
en 1955, introduit en France une action en nullité du contrat de 1931, fondée
sur son incapacité, il est fait grief à l’arrêt attaqué d’y avoir fait droit, par appli-
cation du droit espagnol, statut personnel de la future épouse à la date de l’acte
et régissant, à ce titre, les conditions de son habilitation à conclure un contrat
de mariage, alors que, selon les termes du pourvoi, d’une part, les règles parti-
culières relatives à semblable habilitation relèveraient d’une capacité spéciale,
soumise non au statut personnel de la partie mineure, mais à la loi bolivienne
en l’occurrence, régissant le contrat, et que d’autre part, et subsidiairement, à
supposer l’incapacité de la mineure régie par la loi espagnole, en revanche la
mise en œuvre de la nullité en découlant, et spécialement la prescription de
cette action en nullité, est soumise au droit bolivien, statut personnel commun
des époux à compter du mariage, et gouvernant de surcroît l’ensemble de leurs
rapports matrimoniaux; — Mais attendu que c’est par une exacte qualification
que les juges du fond ont vu dans les règles habilitant un mineur à la conclusion
d’un contrat de mariage une simple modalité de son incapacité générale de
contracter, édictée comme celle-ci dans son seul intérêt et ressortissant à sa loi
personnelle (en l’espèce espagnole) à la date du contrat, et qu’en admettant
donc, par application de l’article 1318 du Code civil espagnol, l’incapacité de la
future épouse et la nullité qui la sanctionne, ils n’ont fait qu’user de leur pou-
voir souverain pour interpréter la loi étrangère reconnue compétente, dont la
dénaturation n’est pas alléguée; que d’autre part, c’est également à bon droit
qu’ils ont décidé que la sanction de l’inobservation des conditions de capacité
nécessaires à la validité d’un contrat de mariage demeure à tous égards soumise
à la loi sous l’empire de laquelle il a été conclu; que le changement ultérieur du
statut personnel de la partie incapable, non plus qu’aucune considération tirée
de la loi régissant pendant le mariage l’union conjugale, ne peuvent avoir pour
effet de modifier les conditions de fond de la mise en œuvre de la nullité encou-
rue, cette mise en œuvre, et notamment la prescription de l’action destinée à la
faire valoir, formant avec l’incapacité originaire et sa sanction un ensemble
indissociable, soumis à une unique loi; d’où il suit que le moyen est mal fondé
en ses deux branches;
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 335
OBSERVATIONS
1 Relâchement du lien conjugal, remplacement du régime séparatiste par un
régime communautaire, tels étaient, on l’a vu, les deux axes de la stratégie de
Mme Patiño. Mais, étroitement imbriquées en ce qu’elles répondent à des
demandes concourant à la réalisation d’un même dessein, les deux décisions
ci-dessus reproduites n’en soulèvent pas moins des problèmes juridiques pro-
fondément différents. Aussi bien seront-elles étudiées successivement.
portée devant le juge français dont la décision est incompatible avec la décision
étrangère. Ainsi écarté l’obstacle de la chose précédemment jugée en France, la
demande d’exequatur est recevable et la décision étrangère recevra la force exé-
cutoire dès lors qu’elle satisfera aux conditions de l’efficacité pourvu que parmi
celles-ci ne figure pas l’absence d’incompatibilité avec une décision française. Il
en résultera que si l’exequatur est accordé après que la décision française a été
rendue, la règle chronologique désignera la décision étrangère, peut-être plus
ancienne mais ayant acquis en France plus récemment l’autorité de la chose
jugée, et que si l’exequatur est accordé tandis que l’instance directe en France se
poursuit, l’autorité reconnue à la chose jugée à l’étranger provoquera l’irreceva-
bilité. C’est pour empêcher ce résultat que l’arrêt Negrotto a refusé « de rendre
exécutoire en France un jugement italien qui pourrait être contraire à celui que
devait prononcer l’un de nos tribunaux déjà saisi de la même contestation »
(Civ., 10 mars 1914, Rev. crit. 1914. 449, D. 1917. 1. 137, note J. Valéry; Lyon,
15 oct. 1920, Franzy, Clunet 1922. 683; rappr. Civ. 1re, 10 juin 1997, Hilmarton,
Clunet 1997. 1033, note E. Gaillard, Rev. crit. 1997. 376, note Ph. Fouchard,
RTD com. 1998. 329, obs. E. Loquin et J. C. Dubarry). L’exigence de compatibi-
lité a donc été intégrée parmi les éléments de la régularité internationale des
jugements étrangers pour éviter que ne se crée un déséquilibre à l’avantage de
ceux-ci. Cette intégration renversait l’ordre de préférence, les décisions étrangè-
res cédant devant les décisions françaises (Civ. 1re, 27 avr. 2004, Rev. crit. 2004.
610, note H. M. W.) et même devant les procédures françaises en cours.
Au moins, en ce qui concerne ce dernier aspect, ce nouveau déséquilibre,
inverse et réflexe, s’est atténué au fur et à mesure que s’installait l’idée que
les jugements étrangers non sujets à révision, en vertu du droit commun ou du
droit conventionnel, avaient dès leur prononcé autorité en France, avant même
que leur régularité ne fût vérifiée (sur ce point, v. supra, arrêt de Wrède,
no 10). Ainsi — sans insister sur la recevabilité de l’exception de litispen-
dance (v. infra, arrêt Miniera di Fragne, no 54) — faut-il constater qu’il a été
décidé, au rebours de l’arrêt Negrotto, que l’existence d’une instance pendante
en France n’interdisait pas de statuer sur la demande d’exequatur d’une décision
étrangère prononçant le divorce (Civ. 1re, 6 mars 1979, Bull. I, no 80, p. 65).
En revanche, l’on enseigne généralement que l’existence d’une décision
française, inconciliable avec la décision étrangère fait obstacle à la recon-
naissance de celle-ci (Batiffol et Lagarde, t. II, no 727; P. Mayer et V. Heuzé,
no 450). La solution a d’ailleurs été consacrée par le droit conventionnel notam-
ment par le Règlement (CE) du 22 décembre 2000 (art. 34.3) à la suite de l’arti-
cle 27-3 de la Convention de Bruxelles (v. cep. Gothot et Holleaux, La Conven-
tion de Bruxelles du 27 sept. 1968, nos 276 et s., qui considèrent qu’au cas où la
décision de l’État requis est postérieure à celle dont la reconnaissance est en ques-
tion, le conflit devrait être tranché par le recours à la procédure spéciale pré-
vue par l’article 618 du Nouveau Code de procédure civile; pour le divorce et,
plus généralement, le contentieux conjugal, v. Règlement du 27 nov. 2003, dit
Bruxelles II bis, art. 22c).
6 2°) S’appuyant sur la jurisprudence et notamment sur l’arrêt de Wrède
(supra, no 10), la doctrine analyse généralement cette exigence comme l’une
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 339
ment prononcés. Or la Cour de Paris avait rendu l’arrêt attaqué du 1er juillet
1959 dans l’instance ouverte par l’assignation de 1946 et dans laquelle avait été
prononcé le jugement, indûment négligé, du 28 juin 1950… (comp. Ph. Théry,
Pouvoir juridictionnel et compétence, thèse multigr., no 333; v. aussi G. Pugliese,
Encicl. del Dir., vo Guidicato Civile [dir. vig.], no 6, distinguant à la manière
des Allemands chose jugée matérielle [materielle Rechtskraft] et chose jugée
formelle [formelle Rechtskraft], laquelle caractérise la décision antérieure-
ment prononcée dans le même procès et qui n’est plus susceptible de recours).
Il ne serait plus, au demeurant, nécessaire aujourd’hui d’établir que le
moyen était d’ordre public. Les moyens de pur droit peuvent, en effet, doréna-
vant être relevés d’office par la Cour de cassation alors même qu’ils sont
d’intérêt privé. C’est là une des innovations du Nouveau Code de procédure
civile (art. 620, al. 2, dont l’utilisation n’est peut-être pas toujours opportune,
v. la note de Mme H. Gaudemet-Tallon sous les arrêts Lemaire, Civ. 1re, 22 avr.
1986 et 6 juill. 1988, Rev. crit. 1989. 89, spéc. p. 96 et s.).
8 1°) La difficulté avait sa source dans une singularité du droit bolivien. Tout
en connaissant le divorce, celui-ci subordonnait son prononcé en cas de mariage
célébré à l’étranger, à la condition que la loi du lieu de célébration l’admît éga-
lement (art. 24, L. 15 avr. 1932). Or les époux Patiño s’étaient mariés en Espa-
gne, pays qui à l’époque ne retenait que la séparation de corps comme mode de
relâchement du lien conjugal.
Quel sens exact donner à cette référence de la loi bolivienne à la loi
espagnole ? Le Tribunal civil de la Seine dans son jugement du 28 juin 1950
(préc.) y vit un « renvoi partiel à la législation d’un État tiers », c’est-à-dire un
renvoi au second degré (sur cette notion, v. supra, no 16 § 4). Plus précisé-
ment, alors que les causes et les effets du divorce restaient régis par la loi
bolivienne, loi personnelle des époux, la dissolubilité du mariage relevait
selon le droit international privé bolivien de la lex loci celebrationis qui ren-
voyait ainsi à la loi espagnole. Reprise par la Cour de cassation à laquelle la
question n’était d’ailleurs pas directement posée, cette analyse a été approu-
vée par la majorité des auteurs. Ainsi Motulsky estimait-il qu’on était en pré-
sence d’une véritable hypothèse de renvoi car la loi bolivienne opérait au pro-
fit de la loi espagnole une véritable « transmission de compétence » (note,
Rev. crit. 1951. 652; v. aussi Batiffol et Lagarde, t. I, no 307; Malaurie, note,
Clunet 1963. 1022 et s.). Il est cependant permis de se demander s’il ne
s’agissait pas ici, plutôt que d’un renvoi de la loi bolivienne à la loi espagnole,
d’une hypothèse de prise en considération de certaines dispositions substan-
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 341
Rappelant l’arrêt Ferrari (supra, no 12), cette décision ne semble pas permettre
à l’époux étranger d’invoquer l’exception d’ordre public contre son conjoint
français. Critiquée parce qu’elle engendre des discriminations entre époux
français et étranger, cette solution paraît pourtant bien imposée par la lettre
de l’arrêt. Celle-ci commande également, semble-t-il, l’application des lois
étrangères prohibitives dans les rapports entre époux étrangers (sur ce que la
Convention européenne des droits de l’homme ne consacre pas un droit au
divorce, v. CEDH, 18 déc. 1986, Johnston, Clunet 1987. 812).
règlement des intérêts patrimoniaux des époux selon les formes prévues par la
loi française. La portée de l’affirmation doit être précisée. Ce qui est commandé
en l’espèce par l’ordre public français, c’est le « principe même » d’un règle-
ment des intérêts pécuniaires des époux car on ne conçoit pas en droit français
de séparation de corps sans conséquence patrimoniale (P. Lagarde, note Rev.
crit. 1964. 542; D. Cocteau-Senn, Dépeçage et coordination dans le règle-
ment des conflits de lois, thèse Paris I, 2001, no 688, p. 530). En revanche, les
autres aspects de la liquidation obéissent aux lois normalement compétentes :
lex fori pour les règles de forme comme le rappelle l’arrêt, loi applicable au
régime pour le surplus (Versailles, 13 janv. 1994, D. 1994, IR p. 101). C’est
précisément à la résolution des difficultés soulevées par la détermination de
celui-ci que s’emploie le second arrêt ci-dessus reproduit.
contrat de mariage des incapables », RTD civ. 1971, p. 27, nos 65 et s.). De fait,
la soumission de l’incapacité du mineur à un régime particulier en matière de
contrat de mariage n’altère en rien sa nature d’incapacité générale. Ces dernières
sont, en effet, rarement l’objet d’un régime absolument uniforme; ainsi la pro-
tection que le législateur donne au mineur doit-elle s’adapter aux divers actes
que celui-ci est susceptible de passer (v. Cornu, « L’âge civil », Mélanges Rou-
bier, 1961, t. I, p. 9 et s.). Les soustraire à l’emprise de la loi personnelle de
l’incapable, ce serait méconnaître que tout régime d’incapacité « organise
l’ensemble des conséquences d’une infirmité donnée » et, partant, risquer
d’aboutir à des solutions incohérentes (P. Mayer et V. Heuzé, no 522). Ainsi
soumettre la capacité de conclure un contrat de mariage à la loi du régime,
c’eût été la disjoindre de la capacité de se marier alors que la règle habilis ad
nuptias, habilis ad pacta nuptialia marque la volonté du législateur français de
ne pas dissocier, en ce domaine, l’engagement personnel de l’engagement pécu-
niaire (Niboyet, Traité, t. V, no 1505, p. 401). Quant à l’argument déduit du
caractère absolu de la nullité, déjà contestable à l’époque dans la mesure où la
large diffusion de l’action en nullité n’empêchait pas que l’incapacité ait,
comme le note la Cour, pour fonction principale la protection du mineur, il a
perdu toute pertinence depuis que les lois du 13 juillet 1965 et du 3 janvier
1968 lui ont substitué une nullité relative. La solution n’est pas remise en
cause par la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux
régimes matrimoniaux, celle-ci excluant de son domaine d’application la ques-
tion de la capacité des époux (art. 1er, al. 2).
ger le forum shopping. On retrouve ici l’idée que le contenu d’une catégorie
doit être défini en contemplation de son rattachement (v. supra, arrêt Silvia,
no 29 § 6).
La soumission à un principe de solution unique du conflit de lois relatif à la
prescription marque bien, au demeurant, qu’au-delà de la diversité de l’insti-
tution en droit interne, fort estompée d’ailleurs lorsqu’on analyse l’action en
nullité en un droit de critique, celle-ci puise son unité profonde dans le fait
qu’elle constitue « un élément de l’organisation du droit dont elle détermine le
contenu et contribue à modeler la contexture » (Dayant, « Les problèmes actuels
de conflit de lois en matière de prescription », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1969-
1971, p. 176; v. aussi M. L. Niboyet-Hoegy, L’action en justice dans les rap-
ports internationaux de droit privé, 1986, nos 380 et s., p. 196 et s.). Ainsi, en
notre domaine : facteur essentiel du régime de l’action, la durée du délai de
prescription est « liée à l’aménagement du conflit des intérêts opposés de la
nullité et de la validité ». Il en va de même, ainsi que le rappelle l’arrêt, de la
détermination des titulaires de l’action ou de la possibilité de confirmation.
Un rapport étroit existe, en effet, en droit interne entre la gravité de l’irrégula-
rité et l’étendue du cercle des titulaires de l’action; quant à la mesure dans
laquelle il est possible de renoncer à l’exercice du droit de critique, elle est un
facteur important de l’aménagement de ce droit (G. de La Pradelle, Les conflits
de lois en matière de nullités, 1967, p. 180, nos 273 et s.; G. Couturier, La
confirmation des actes nuls, 1972).
17 2°) En raison des particularités de l’espèce, la solution donnée au problème
du conflit de lois en matière de prescription conduisait à une nouvelle inter-
rogation. Capacité, nullité, prescription relevaient de la loi personnelle de
Mme Patiño; or celle-ci avait changé de nationalité; fallait-il dès lors appli-
quer la loi nationale ancienne ou la loi nationale nouvelle ? On reconnaît ici la
question classique du conflit mobile (sur cette question, v. infra, no 48 § 9); et
de fait c’est en ces termes que les juges du fond avaient envisagé la difficulté.
Approuvés en cela par la Cour d’appel, les premiers juges avaient décidé que
« le principe de la non rétroactivité s’opposait à ce que la nullité absolue du
contrat puisse être indirectement remise en cause par l’effet du changement de
nationalité de l’un des contractants ». L’interprétation de cette proposition
n’allait pas sans ambiguïté. Devait-on y voir une transposition pure et simple
des règles du droit transitoire interne ? Certes, à cela on pouvait objecter que
selon l’enseignement dominant, la loi nouvelle est, en droit transitoire, immé-
diatement applicable aux prescriptions en cours (Roubier, Droit transitoire,
2e éd., p. 297 et s., spéc. p. 300). Mais à l’époque, cette solution ne paraissait
nullement évidente aux magistrats comme le révèlent le libellé du jugement
ainsi que la note du Président Bellet (JCP 1956. II. 9688). Fallait-il au contraire
y déceler un cas d’adaptation du droit transitoire interne provoqué par la spéci-
ficité des relations internationales ? La Cour de cassation refuse de s’engager
dans ce difficile débat. Coupant court à la discussion, elle affirme que « la
sanction de l’inobservation des conditions de capacité nécessaires à la validité
d’un contrat de mariage demeure à tous égards soumise à la loi sous l’empire
de laquelle il a été conclu ». Alors que certains (Motulsky, note JCP 1963. II.
348 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39
13366) ont expliqué cette décision par l’idée d’inapplicabilité au conflit mobile
des règles du droit transitoire interne, d’autres y ont vu (P. Lagarde, note
Rev. crit. 1964. 512; Hage Chahine, op. cit., p. 320, no 475) un cas de refoule-
ment de celui-ci. Selon eux, souder la prescription au fond, c’était en l’assimi-
lant à la capacité, la soumettre à un rattachement déjà affecté d’une précision
temporelle; retenir la solution contraire, c’eût été en effet faire régir capacité et
conditions de la nullité par des lois différentes, c’est-à-dire ruiner l’« ensemble
indissociable » pour lequel la Cour de cassation venait de se prononcer.
L’observation est exacte. Mais il faut bien constater que la précision tempo-
relle dont il est ainsi fait état procède directement de la solution, évidente au
demeurant et conforme aux règles de droit transitoire interne, qui avait été
antérieurement donnée au problème du conflit mobile relatif à la capacité.
40
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
28 mai 1963
(Rev. crit. 1964. 513, note Loussouarn, Clunet 1963. 1004, note Goldman,
JCP 1963. II. 13347, note Malaurie,
D. 1963. 677, Rec. Gén. Lois 1963. 633, note Droz)
Forme des actes. — Règle locus regit actum. —
Caractère facultatif.
La règle locus regit actum ne s’oppose pas à ce que les contrats interna-
tionaux soient passés en France en une forme prévue par la loi étrangère
qui les régit au fond.
à tort à la règle locus regit actum un caractère impératif; que sans doute cette règle
assure la sauvegarde des intérêts des parties en leur garantissant que leur contrat sera
valable en la forme, si elles ont suivi la loi du lieu de sa conclusion, mais qu’on doit
admettre, en vertu du principe de l’autonomie de la volonté, que rien n’empêche les
contractants de se référer à une autre loi qu’elles connaissent mieux et qu’elles ont choi-
sie, que cette loi soit ou non la loi nationale des parties »; d’autre part, « que les lois de
protection ne peuvent être tenues comme lois de police et de sûreté à portée territoriale
que dans la mesure où elles comportent des sanctions pénales ou d’ordre administratif »,
lesquelles faisaient en l’espèce défaut.
Un pourvoi fut formé.
ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen en ses deux branches : — Attendu que
l’arrêt attaqué a, sur l’action tant de la Société Roy Export, ayant son siège social
à Vaduz (Liechtenstein), que de Chaplin, exerçant son droit moral d’auteur,
déclaré la susdite société seule titulaire, pour les avoir acquis de Chaplin, de tous
les droits d’exploitation et de représentation du film « Le Kid », créé par Chaplin
aux États-Unis d’Amérique, dit que l’exploitation en France, par la Société des
Films Richebé, d’une copie de ce film qu’elle tenait d’un tiers, constituait une
contrefaçon, et condamné cette dernière société à des dommages-intérêts
envers la Société Roy Export et envers Chaplin; qu’il est d’abord reproché à la
cour d’appel de n’avoir pas répondu à des conclusions qui posaient la question
de savoir si la Société Roy Export était au regard de la loi du Liechtenstein, une
personne morale pouvant ester en justice, et si, d’autre part, elle possédait en
France la personnalité juridique en vertu de la loi du 30 mai 1857; — Mais
attendu, d’une part, que la question de l’application de la loi de 1857 n’a jamais
été soulevée devant les juges du fond et constitue, en cause de cassation, un
moyen nouveau, mélangé de fait et de droit, et partant irrecevable; que,
d’autre part, en déclarant recevable à agir en justice la Société Roy Export, aussi-
tôt après avoir expressément constaté l’existence de son siège social au Liech-
tenstein, la cour d’appel a implicitement mais nécessairement admis que le sta-
tut découlant pour cette société de la situation de son siège la rendait habile à
plaider; qu’en conséquence, le premier moyen ne saurait être accueilli;
Sur le 2e moyen en ses diverses branches : — Attendu qu’il est encore fait
grief à la cour d’appel d’avoir admis la validité en la forme, d’une part, de l’acte
par lequel Chaplin avait, à Paris, en décembre 1955, cédé à une Société Roy
Export de Tanger, par une déclaration écrite unilatérale dite assignment of
copyright, régie en la forme comme au fond par la législation fédérale des
États-Unis, les droits d’auteur dont il était le titulaire incontesté, ainsi que,
d’autre part, de l’acte ultérieur par lequel cette société avait, au même lieu et
en la même forme, à son tour transmis en décembre 1956 tous ces droits à la
Société Roy Export de Vaduz, alors, selon le pourvoi, qu’en premier lieu, d’après
le droit international privé français, la règle locus regit actum imposerait pour
les conventions conclues en France entre parties de nationalité différente,
comme en l’espèce, l’observation des seules formes définies par la loi française
interne, et alors, d’autre part, que les décrets des 13 janvier et 19 juillet 1791
et 19 juillet 1793 exigeaient impérativement, à titre de lois de police, que toutes
cessions de droits d’auteur fussent, pour leur validité, passées en une forme
écrite qui devait être celle définie par les articles 1317 à 1325 du Code civil; —
Mais attendu que la règle locus regit actum ne s’opposant pas à ce que les
contrats internationaux soient passés en France en une forme prévue par la loi
étrangère qui les régit au fond, la cour d’appel a pu décider qu’il avait été loisi-
ble aux parties de donner aux cessions de droits d’auteur litigieuses, soumises
par elles quant au fond à la législation fédérale des États-Unis, la forme de l’assi-
40 CHARLIE CHAPLIN — CASS., 28 MAI 1963 351
gnment of copyright admise par cette législation; que, d’autre part, c’est égale-
ment à bon droit que l’arrêt attaqué décide que les décrets précités de 1791
et 1793, applicables au litige, n’avaient point fait échec au principe du consen-
sualisme et que la mention y figurant d’un consentement écrit de l’auteur ne
subordonnait pas la validité d’une cession de droits à l’emploi d’une forme
écrite et encore moins à l’emploi de celle que le Code civil devait, plus tard, envi-
sager pour la preuve des conventions synallagmatiques, mais n’avait trait qu’à
une simple condition de preuve, d’ailleurs réalisée en l’occurrence par la forme
étrangère adoptée; — D’où il suit que le moyen est, en toutes ses branches,
dénué de fondement;
Sur le troisième moyen en ses deux branches : (sans intérêt);
Sur le quatrième moyen : (sans intérêt);
Par ces motifs : — Rejette.
Du 28 mai 1963. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prés.; Holleaux, rapp.;
Lindon, av. gén. — MMes Ravel, Célice et Ryziger, av.
OBSERVATIONS
1 Venue du fond des âges, universellement reçue, la maxime locus regit actum
n’échappe pourtant pas à la controverse. Longtemps applicable au fond comme à
la forme des actes juridiques, elle ne régit plus depuis l’arrêt American trading
(supra, no 11) que la seconde. D’où une interrogation sur sa portée : répondant
au souci de faciliter la conclusion des actes juridiques ne doit-elle pas revêtir, à
la différence des règles de conflit traditionnelles, un caractère facultatif ? (I)
En ce cas, quelle est l’ampleur de la liberté reconnue aux intéressés ? (II)
Autant de questions auxquelles l’arrêt reproduit apporte d’intéressants élé-
ments de réponse qui ont directement inspiré les conventions internationales,
et notamment la Convention de Rome d’où est issu, en la matière, l’essentiel
du droit international privé positif (infra, § 7 et 8). Aussi bien, les principes de
solution posés par cet arrêt continuent-ils de régir directement les contrats
conclus avant le 1er avril 1991, date d’entrée en vigueur de la Convention de
Rome (v. par ex., Civ. 1re, 23 janv. 2001, le Meilleur, Bull. I, no 8, Rev. crit.
2002. 80, note B. Ancel, Clunet 2001. 1113, note Th. Vignal, JCP 2001. II.
10628, note G. Légier, Dr. fam. 2002, no 27, note E. Fongaro, Defrénois
2001. 626, note R. Crône).
2 Les solutions que cette question a reçues au cours des siècles lui ont imprimé
un mouvement de balancier : facultative à l’origine, la règle l’est redevenue
(B) après une longue interruption (A).
3 A. — « La forme des actes est réglée par la loi du lieu dans lequel ils sont
faits ou passés ». C’est en ces termes que l’article 4 du projet de Code civil
énonçait la maxime locus regit actum. Mais critiqué en raison notamment de la
difficulté de définir les formes d’un acte (c’est la raison que suggère Lainé,
Introduction au droit international privé, t. I, p. 456 et s.; « La rédaction du
352 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 40
Code civil et le sens de ses dispositions en droit international privé », Rev. dr.
int. 1905. 24, 462 et s.), ce texte fut retiré par le gouvernement; subsistèrent
uniquement quelques applications limitées : articles 47, 170 et 999 du Code
civil. Malgré cela, la Cour de cassation ne tarda pas à proclamer que « d’après
la législation universellement observée en France et qui dans aucun temps n’a
été méconnue, les actes de toute nature passés en pays étranger entre des Fran-
çais et des étrangers doivent être faits suivant la loi du pays où ces actes ont
lieu ; que ce principe, loin d’être modifié, a reçu une force nouvelle des arti-
cles 47 et 170 du Code civil qui le rappellent de la manière la plus expresse »
(Civ., 10 août 1819, Gaudin, S. chr.). La haute juridiction renouait ainsi avec la
tradition de l’Ancien droit. C’est ainsi que Dumoulin posait comme première
conclusion : « le statut dispose-t-il de ce qui concerne la forme ou solennité de
l’acte et alors la loi (coutume ou statut) à suivre est toujours la loi du lieu où
l’acte s’accomplit, qu’il s’agisse de contrats, jugements, testaments, actes ins-
trumentaires ou actes quelconques… » (Conclusiones, p. 554). Quant au Par-
lement de Paris il avait, tout au long du XVIIIe siècle, affirmé le caractère obli-
gatoire de la règle locus regit actum (arrêts des 15 janv. 1721, de Pommereuil,
14 juill. 1722, 15 juill. 1777, cités par Merlin, Répertoire, 5e éd., t. XVII,
v° Testament, Sect. II, § IV, art. 1 et 2; v. aussi les décisions citées par S. Gruber-
Magitot, Les conflits de coutumes en matière de contrats dans la jurisprudence
des Parlements, p. 72). Certes les motifs de la décision visaient seulement les
actes passés à l’étranger entre Français et étranger, mais par un arrêt Browning
du 9 mars 1853 (D. 1853. 1. 217, S. 1853. 1. 274) la Cour consacra ce caractère
de manière générale; elle annula, en effet, un testament olographe rédigé en
France par un Anglais conformément aux formes prescrites par la loi anglaise
mais en violation de celles édictées par la loi française.
4 B. — En dépit de son ancienneté, cette solution fut à la fin du XIXe siècle
l’objet d’une vigoureuse offensive doctrinale conduite par Lainé (op. cit., t. I,
p. 395-410; « La forme du testament privé en droit international privé », Rev.
dr. int. 1907. 832 et s.; Surville, « La règle locus regit actum et le testament »,
Clunet 1906. 961 ; Naquet, « La règle locus regit actum est-elle impérative
ou facultative ? », Clunet 1904. 39 et s.; Colin, Clunet 1897. 78, 508 et 929).
Selon cet auteur, un véritable contre-sens historique aurait fait perdre à la
maxime le caractère facultatif qu’elle revêtait à l’origine : la règle étant bien
établie à la fin du XVe siècle, on se serait borné à la rappeler sans prendre le
soin de la justifier; ainsi aurait-on fini par en oublier la raison d’être puis par
en dénaturer le sens en lui conférant un caractère obligatoire. Mais celui-ci ne
pouvait se maintenir que si la confusion subsistait : la règle ayant été conçue
pour faciliter la conclusion des actes, en raison de l’impossibilité ou de l’incom-
modité qu’il y a souvent à observer une loi autre que la loi locale, la considérer
comme obligatoire, c’était aller à l’encontre de l’idée de faveur qui l’anime et
donc en méconnaître la signification véritable.
La réalité historique était sans doute plus complexe. Ainsi que l’indiquent les
travaux de Meijers, (« L’histoire des principes fondamentaux du droit interna-
tional privé à partir du Moyen-Âge », Rec. cours La Haye, 1934, t. III, p. 556
et s. spéc. p. 582-588), il semble bien qu’en plusieurs lieux, la loi locale qui
40 CHARLIE CHAPLIN — CASS., 28 MAI 1963 353
régissait le fond comme la forme des actes ait été appliquée non en tant que
loi du lieu de conclusion mais en tant que loi du for : le principe du consen-
sualisme n’étant pas admis, les contrats devaient être passés devant un officier
public; or les litiges relatifs au contrat relevaient de la seule compétence du
tribunal auquel cet officier était rattaché et qui les tranchait par application de
sa propre loi. D’où une compétence impérative.
Peu importe, au demeurant, aujourd’hui que l’analyse de Lainé ait été ou non
historiquement fondée. Venue à point nommé, elle permit à la Cour de cas-
sation, renversant sa jurisprudence, de donner à la maxime un sens conforme
aux exigences des relations internationales. Par le célèbre arrêt Viditz, elle
décida, en effet, que la règle locus « est simplement facultative en ce qui
concerne les testaments privés, qu’elle a été admise pour faciliter les actes
accomplis soit par les Français à l’étranger, soit par les étrangers en France et
qu’elle n’a d’autre effet que d’accorder au testateur un droit d’option entre les
formes admises par sa loi nationale et celles qui sont exigées par la loi du lieu
où il se trouve » (Civ., 20 juill. 1909, Revue 1909. 900, concl. Baudouin, Clu-
net 1909. 1097, avec les mêmes conclusions, DP 1911. 1. 185, note Politis).
Visant exclusivement les testaments, l’arrêt Viditz laissait planer un doute sur
sa portée (v. également en matière de testament, Civ. 1re, 17 avr. 1953, Rev.
crit. 1953. 796, note Loussouarn); l’arrêt ci-dessus reproduit le dissipe : le
caractère facultatif de la règle locus vaut aussi bien pour les conventions que
pour les actes juridiques unilatéraux. Mais c’est surtout par les précisions
qu’il apporte quant aux limites dans lesquelles s’exerce la liberté ainsi recon-
nue aux intéressés que son apport se révèle précieux.
5 Posée pour la commodité des parties, la règle locus ne doit pas se retourner
contre celles-ci. De là son caractère facultatif. Encore faut-il en mesurer exac-
tement l’ampleur. À cet égard, il a parfois été proposé d’ouvrir très largement
l’option car les règles de forme importeraient peu par elles-mêmes. Le seul
intérêt des parties serait, en la matière, de conclure un contrat valable. Or
quelle formule permettrait d’y parvenir mieux que l’application de la loi
qu’elles ont librement choisie ? Aussi bien a-t-on soutenu que la matière trou-
verait son achèvement dans la soumission des règles de forme comme des
règles de fond à l’autonomie de la volonté, la règle locus se réduisant à la pré-
somption que les parties se sont référées à la loi locale (Malaurie, J.-Cl. dr. int.,
fasc. 551-B, « Forme des actes, la règle locus regit actum », no 162).
Ces considérations n’ont cependant pas emporté l’adhésion de la doctrine
dominante. Tout d’abord, il n’est pas sûr que la liberté favorise véritablement
la validité : laisser aux parties la possibilité de choisir n’importe quelle loi
peut leur nuire lorsqu’elles en apprécient mal les exigences (Loussouarn, note
Rev. crit. 1959. 493). Mais surtout, c’est se faire une représentation très inexacte
des règles de forme que de voir dans celles-ci des entraves arbitraires aux
relations juridiques. Bien souvent elles protègent des intérêts fort respectables
en permettant notamment d’assurer l’effectivité de règles de fond qui sinon
354 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 40
resteraient lettre morte (V. Delaporte, Recherches sur la forme des actes juri-
diques en droit international privé, thèse multigr., 1974, p. 11 et s.). De là, en
droit international privé, une double directive : la forme des actes devrait être
régie par une loi présentant des liens réels et sérieux avec les intérêts en cause
(V. Delaporte, op. cit., p. 170) (A); parfois même l’importance des intérêts
qu’elle assume obligerait à lui reconnaître le caractère de loi de police (B).
6 A. — La première considération conduit à ouvrir modérément l’éventail des
lois applicables à la forme : à la loi du lieu de conclusion qui a le mérite de
donner aux intéressés « les directives précises et immédiatement utilisables »
dont ils ont besoin (P. Louis-Lucas, « La distinction du fond et de la forme
dans le règlement des conflits de lois », Mélanges Maury, 1960, t. I, no 16,
p. 193) pourrait s’ajouter la loi régissant l’acte au fond. Habituellement
connue des parties ou de leurs conseils, elle offre des avantages de commodité
évidents, tout en supprimant de difficiles problèmes de qualification et d’adap-
tation. Tel est, au demeurant, le système consacré par l’arrêt ci-dessus repro-
duit. Alors que la Cour de Paris semblait laisser aux parties une autonomie illi-
mitée, la Cour de cassation décide : « la règle locus regit actum ne s’oppose
pas à ce que les contrats internationaux soient passés en France en une forme
prévue par la loi étrangère qui les régit au fond ». Faut-il aller plus loin ? Le
rapprochement des arrêts Viditz et Chaplin pose, à cet égard, un délicat pro-
blème d’interprétation : peut-on ajouter aux rattachements visés par le second,
la loi personnelle retenue par le premier ? L’hésitation est permise. La réfé-
rence de l’arrêt Viditz à la loi nationale du testateur peut, en effet, être com-
prise soit comme un simple rappel de la loi applicable au fond, les successions
mobilières des étrangers non admis à domicile étant à l’époque soumises à la
loi nationale du de cujus (v. arrêt Labedan, supra, no 18 § 3), soit comme une
désignation de sa loi personnelle. À l’appui de cette seconde interprétation, on
peut faire valoir qu’elle concorde avec la doctrine de Mancini qui considérait
la règle locus comme une dérogation à la compétence de principe de la loi
nationale, ainsi qu’avec le système de Bartin qui, regardant les règles de forme
comme essentiellement protectrices du consentement, les soumettait par prin-
cipe à la loi personnelle, tout en admettant pour des raisons pratiques l’appli-
cation de la loi du lieu de l’acte (Principes, t. II, § 260 et s.). Mais ces considé-
rations — à supposer même qu’elles aient à l’époque au moins pour la
première, emporté la conviction de la Cour de cassation — apparaissent
aujourd’hui bien vieillies. La nationalité commune des parties n’est souvent
qu’« un facteur relativement secondaire de rattachement économique comme
de localisation juridique des contrats internationaux » (Goldman, note, Clunet
1960. 144). Son emploi ne s’explique plus guère que par l’idée, bien incer-
taine, que les cocontractants sont présumés la connaître. Ne serait-il pas dès
lors préférable de l’écarter ? Telle n’a pas été l’opinion de la haute juridiction.
Par un arrêt Pierucci du 10 décembre 1974 (Rev. crit. 1975. 475, note A. P.,
Clunet 1975. 542, note Kahn, Defrénois 1975. 1081, note Malaurie et Morin),
elle vise, en effet, de manière autonome la loi nationale des cocontractants. On
est donc en présence d’une option à trois branches : loi locale, loi applicable
au fond de l’acte, loi nationale commune des parties.
40 CHARLIE CHAPLIN — CASS., 28 MAI 1963 355
7 janvier 1964
(Rev. crit. 1964. 344, note Batiffol, Clunet 1964. 302, note Goldman,
JCP 1964. II. 13590, note M. Ancel)
Jugement étranger. — Exequatur. — Conditions de régularité
internationale. — Suppression de la révision au fond. —
Office du juge de l’exequatur.
Pour accorder l’exequatur, le juge français doit s’assurer que cinq condi-
tions se trouvent remplies, à savoir la compétence du tribunal étranger qui
a rendu la décision, la régularité de la procédure suivie devant cette juri-
diction, l’application de la loi compétente d’après les règles françaises de
conflit, la conformité à l’ordre public international et l’absence de toute
fraude à la loi.
Cette vérification, qui suffit à assurer la protection de l’ordre juridique
et des intérêts français, objet même de l’institution de l’exequatur, constitue
en toute matière à la fois l’expression et la limite du pouvoir de contrôle du
juge chargé de rendre exécutoire en France une décision étrangère, sans
que ce juge doive procéder à une révision au fond de la décision.
ARRÊT
La Cour; — Sur le troisième moyen : (sans intérêt);
Sur le premier moyen : — Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’un juge-
ment rendu le 29 juin 1926 dans l’État de New York a prononcé la séparation de
corps entre les époux Munzer-Jacoby et alloué à la femme une pension alimen-
taire de 35 dollars par semaine, qu’un autre jugement, prononcé par la même
juridiction le 10 avril 1958, a condamné Munzer à payer à la dame Jacoby-
Munzer la somme de 76.987 dollars représentant l’arriéré de la pension du
10 novembre 1930 au 19 janvier 1958; que, Munzer étant venu se fixer à Nice, la
dame Jacoby a demandé l’exequatur de ces deux décisions; — Attendu qu’il est
fait grief à l’arrêt partiellement infirmatif attaqué d’avoir accueilli cette
demande, alors, soutient le pourvoi, que, par la règle d’ordre public que les det-
tes alimentaires ne s’arréragent pas et par l’établissement de la prescription
extinctive de l’article 2277 du Code civil, la loi française a entendu protéger le
débiteur d’une telle dette contre des réclamations tardives et empêcher des pro-
cès difficiles à juger ou devenus inopportuns par suite du temps écoulé; — Mais
attendu que l’arrêt attaqué rappelle avec raison qu’en l’espèce il s’agissait seule-
ment de « donner effet en France à des droits régulièrement acquis à l’étranger »
et qu’ainsi l’ordre public, qui n’intervenait que par son effet atténué, se trouvait
moins exigeant que s’il se fût agi de l’acquisition des mêmes droits en France;
que, de ce point de vue, la cour d’appel considère que le principe que les dettes
alimentaires ne s’arréragent pas, simple présomption appelée à s’effacer devant
la preuve contraire, peut être considéré comme d’intérêt privé, et que la règle
de l’article 2277, si elle constitue bien un mode de libération du débiteur en
dehors de tout paiement, ne joue pas néanmoins de plein droit, est susceptible
de renonciation et ne peut être suppléée d’office par le juge; que, de cette ana-
lyse, l’arrêt attaqué conclut à bon droit que la décision étrangère dont la dame
Jacoby-Munzer demandait en France l’exécution ne se trouvait pas à cet égard
en contradiction avec l’ordre public international français; qu’ainsi les griefs du
premier moyen ne sauraient être retenus;
Sur le second moyen : — Attendu que le pourvoi critique encore l’arrêt atta-
qué pour avoir décidé que la cour d’appel ne pouvait procéder à la révision de la
décision américaine soumise à l’exequatur, au motif qu’un jugement de sépara-
tion de corps, avec tous les effets qu’il comporte, échappe à ce pouvoir de
révision; que le pourvoi prétend que, à supposer qu’un tel pouvoir soit exclu en
matière d’état des personnes, cette exception, qui est nécessairement de droit
étroit, ne saurait être étendue au chef de la décision fixant le montant de la
dette alimentaire mise à la charge de Munzer; — Mais attendu que l’arrêt atta-
qué énonce justement que, pour accorder l’exequatur, le juge français doit
s’assurer que cinq conditions se trouvent remplies, à savoir la compétence du
tribunal étranger qui a rendu la décision, la régularité de la procédure suivie
devant cette juridiction, l’application de la loi compétente d’après les règles
françaises de conflit, la conformité à l’ordre public international et l’absence de
toute fraude à la loi; que cette vérification, qui suffit à assurer la protection de
l’ordre juridique et des intérêts français, objet même de l’institution de l’exe-
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 359
OBSERVATIONS
1 Cet arrêt rompt avec près de cent cinquante ans de tradition jurisprudentielle
(v. supra, arrêt Parker, no 2). Sans doute, depuis quelque temps déjà, cette rup-
ture s’annonçait par des présages sûrs. La Cour de Paris s’était prononcée
clairement pour la suppression du pouvoir de révision (21 oct. 1955, Charr,
Rev. crit. 1955. 769, note H. Batiffol, Clunet 1956. 164, note J. B. Sialelli,
D. 1956. 164, note Ph. Francescakis, JCP 1956. II. 9047, note H. Motulsky);
quant à la Cour de cassation, un an à peine avant l’arrêt Munzer, elle avait
affirmé que le juge de l’exequatur doit exercer son contrôle sur la décision
étrangère « en dehors de toute révision au fond, toujours exclue » (Civ. 1re,
8 janv. 1963, Hohenzollern, Rev. crit. 1963. 109, note G. H., JCP 1964. II.
13470, note Ph. F.). Si claire que fût cette affirmation, elle n’apportait cepen-
dant aucune réponse positive pour la raison qu’elle avait été formulée alors
même que la question du maintien du pouvoir de révision ne se posait pas;
l’arrêt Hohenzollern prononçait en effet sur la reconnaissance d’un jugement
d’état exclu comme tel du champ du pouvoir de révision depuis l’arrêt de
Wrède (v. supra, no 10). Cependant la généralité du motif précité, de l’obiter
dictum, promettait sans équivoque la prochaine disparition de la révision en
toute matière (sur cette pratique, v. arrêt Ortiz-Estacio, infra, no 62 § 2). C’est
cette promesse que l’arrêt Munzer accomplit.
Au sein du régime général de l’exequatur la révision revêtait un caractère
ambigu. En tant que pouvoir, elle concourait à définir l’office du juge mais en
tant que son résultat commandait l’octroi ou le refus de la force exécutoire en
France, elle établissait une condition d’accueil de la décision étrangère. Sa
disparition devait donc produire son effet sur ces deux plans. De fait, si l’arrêt
a justement gagné sa réputation sur le terrain de l’établissement des condi-
tions de régularité internationale des jugements étrangers (I), son importance
à l’égard de la délimitation corrélative de l’office du juge de l’exequatur ne
doit pas être sous-estimée (II).
notion d’effet atténué de l’ordre public qu’il est ici question. Introduite par
l’arrêt Bulkley du 28 février 1860 (v. supra, no 4), explicitée par l’arrêt Rivière
(v. supra, no 26), elle est régulièrement rappelée par la Cour de cassation en
matière d’effets des jugements (v. par ex., Civ., 28 janv. 1958, supra, no 30,
Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi, infra, no 63). Prenant en compte le fait accompli
et son extranéité, l’ordre public module son intensité selon qu’on est en pré-
sence d’une situation déjà créée à l’étranger ou d’une situation à créer en
France. S’il est une hypothèse où cette distinction peut opérer sans se heurter à
la difficulté de déterminer ce qu’est une situation déjà créée ou un droit acquis
à l’étranger, c’est bien celle où cette acquisition ou création procède de l’acte
d’un tribunal étranger (v. supra, arrêt Machet, no 23 § 7). L’exequatur offre
donc son domaine naturel à cette notion d’effet atténué de l’ordre public ce qui
reste vrai même lorsque l’atténuation est de surcroît subordonnée à l’absence
de lien significatif entre la situation tranchée à l’étranger et l’ordre juridique
français (v. supra, no 26 § 13); le paramètre ainsi introduit contraint seulement
à plus de circonspection face au jugement qui en toute hypothèse n’est pas pro-
tégé par son extranéité d’une éventuelle réaction de l’ordre public (v. infra,
Civ. 1re, 17 févr. 2004, no 63). Il faut en effet se garder de conclure que l’ordre
public ne commande jamais de repousser une décision étrangère; l’effet atté-
nué n’est pas l’effet nul (v. par ex., Civ. 1re, 30 janv. 1979, Bayar, Rev. crit.
1979. 629, note Y. Lequette, Clunet 1979. 393, note D. Mayer).
9 Quoique formulée avec une grande netteté, la condition de conformité au
règlement français de conflit de lois n’est pas la mieux assurée. Sa teneur reste
indécise et son bien-fondé prête à controverse. Elle a d’ailleurs été éliminée
par l’article 34 du Règlement Bruxelles I comme par les articles 22 et 23 du
Règlement Bruxelles II bis, alors que l’article 27-4 de la Convention de
Bruxelles du 27 septembre 1968 lui conservait, formellement un petit domaine
d’intervention. De fait, la teneur de cette condition est indécise. Exiger du
jugement soumis à exequatur qu’il ait été prononcé en application de la loi
que désigne la règle de conflit française, c’est en somme poser un principe
très restrictif, celui de la nécessaire identité entre la décision étrangère et la
décision qu’aurait rendue le juge français s’il avait été directement saisi du
litige. Mais l’identité requise peut s’entendre de deux manières. La jurispru-
dence Loesch (Civ. 1re, 24 nov. 1965, Rev. crit. 1966. 289, note P. Lagarde,
Clunet 1966. 369, note Ph. Kahn, et sur renvoi, Poitiers, 13 déc. 1967, Rev.
crit. 1969. 94, note P. L.) a opté pour une identité formelle ou « conflictuelle »,
qui est acquise dès lors que le juge étranger a mis en œuvre un rattachement
coïncidant avec celui de la règle de conflit française; dans cette perspective, il
est indifférent qu’il ait ensuite fait une fausse application de la loi ainsi dési-
gnée — celle-ci serait-elle même la loi française. L’objet du contrôle serait
donc la simple concordance des désignations, réserve faite naturellement du
pouvoir du tribunal de l’exequatur de réagir à la dénaturation de la loi compé-
tente par le juge étranger (v. H. Batiffol, note préc.).
Cette solution n’est pas en harmonie avec une autre attitude de la jurispru-
dence qui consiste à réputer régulières des décisions étrangères qui, tout en
n’ayant pas appliqué la loi compétente, sont néanmoins parvenues à un résul-
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 363
tat au fond équivalent de celui sur lequel aurait débouché le système français
de conflit. L’équivalence des résultats, volontiers présentée comme un simple
tempérament adoucissant la sévérité du principe, dévoile la nature de celui-
ci : l’identité des désignations ne serait pas requise pour elle-même, mais seu-
lement en tant qu’elle annonce normalement l’identité des solutions au fond
— laquelle formerait la véritable condition. S’autorisant de l’arrêt Drichemont
(Civ., 29 juill. 1929, Rev. dr. int. 1931. 334, Clunet 1930. 377, DH 1929. 458,
S. 1930. 1. 20) ou, plus récemment, de l’arrêt Baumann (Civ. 1re, 16 mars 1982,
Bull. I, no 110, p. 96; v. aussi Paris, 4 févr. 1958, Lundwall, Rev. crit. 1958. 389,
note H. Batiffol, Clunet 1958. 1016, note A. Ponsard, JCP 1958. II. 10612, note
Ph. Francescakis; Civ. 1re, 22 avr. 1986 et 6 juill. 1988. Lemaire. Rev. crit.
1989. 89, note H. Gaudemet-Tallon; Civ. 1re, 20 nov. 1990, Bull. I, no 249,
D. 1990. 354, note J. Massip; TGI Paris, 17 oct. 1991, Rev. crit. 1992. 508,
note H. Muir Watt; Paris, 27 mars 1997, Rev. crit. 1997. 732, note H. Muir
Watt), cette interprétation ne le cède en rien sur le plan de la positivité à la
jurisprudence Loesch, qui pourtant lui est contraire. Ainsi, la définition de
l’objet même du contrôle paraît mal fixée, voire entachée de contradiction, ce
qui fait douter de la solidité de la condition posée (v. cep., A. Ponsard, Clunet
1989. 230). Le doute s’accroît d’ailleurs lorsqu’on constate que l’exigence
d’identité, quelle qu’en soit la teneur, se heurte toujours à d’autres solutions
non moins positives.
Ainsi, par exemple, l’identité conflictuelle étonne par sa rigueur en ce
qu’elle oblige à vérifier que la décision étrangère a été rendue « en application
de la loi compétente d’après les règles françaises de conflit », alors que s’il
avait été directement saisi du litige, le juge français, dans le silence des parties,
n’aurait pas été tenu d’appliquer d’office la règle de conflit française, sauf si celle-
ci est relative à une matière dans laquelle les parties n’ont pas la libre disposi-
tion de leurs intérêts (v. arrêts reproduits, infra, no 74-78). Le droit internatio-
nal privé français exigerait donc plus du juge étranger que du juge français !
(v., sensible à cet argument, Paris, 25 mars 1994, Rev. crit. 1996. 119, note
H.M.W.). Quant à l’identité substantielle, sa conciliation avec l’accueil de la
notion d’effet atténué de l’ordre public est malaisée. Grâce à cette notion, il
est admis que le juge étranger peut, dans une large mesure, rester insensible à
l’ordre public français sans compromettre pour cela la régularité de sa déci-
sion, laquelle cependant s’écartera quant au fond de celle que le juge français
aurait rendue. Par son effet atténué, l’ordre public s’accommode d’une solu-
tion différant substantiellement de celle qu’il eût attendu d’un juge français
(Civ., 11 avr. 1945, Bach, et 1er mai 1945, Schabel, D. 1945. 245, note P. L-P.,
S. 1945. I. 121, JCP 1945. II. 2895, note Savatier). Théoriquement la condi-
tion de conformité aux règles françaises de conflit n’a pas ce libéralisme.
10 Ces frictions et ces incertitudes rendent imprécise cette condition, ce qui ne
facilite pas la recherche de sa justification. Or celle-ci devrait s’imposer avec
une grande force, car le principe d’identité attire a priori la contestation. Il est
en effet paradoxal de proposer d’accueillir dans l’ordre juridique français,
grâce à l’exequatur ou à la reconnaissance, des décisions étrangères et dans le
même temps d’exiger que celles-ci soient semblables à celles qui auraient pu
364 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41
être prononcées en France. N’est-ce pas refuser ce qui est étranger et donc dif-
férent — étant constant que chaque juge applique ses propres règles de conflit
pour déterminer la loi compétente (v. l’argument chez Loussouarn, Bourel et
de Vareilles-Sommières, no 496 et s.) ?
Mais, objecte-t-on, il s’agit d’imposer le respect du système français de
conflit, non pas au juge étranger, mais seulement aux justiciables qui pour-
raient en effet être tentés d’aller chercher auprès de celui-ci la solution que la
règle de conflit française empêche d’obtenir ici en rendant applicable une loi
qui la leur refuse (v. Batiffol et Lagarde, t. II, no 726; V. Delaporte, note sous
TGI Paris, 19 janv. 1978, Rev. crit. 1978, p. 548). De fait, choisir son juge,
c’est indirectement choisir son droit. Indéniablement, l’argument mérite consi-
dération. Il est d’ailleurs volontiers invoqué, sous une forme ou sous une autre
en droit international privé comparé, pour justifier le contrôle de la loi appli-
quée lorsque celui-ci est prévu (v. très explicites, pour l’Italie d’avant la loi du
31 mai 1995, C. cass. ital., 22 déc. 1978 et 6 mars 1979, Riv. dir. int. priv.
proc. 1980, p. 215 et p. 222 ; au sujet de l’anc. § 328, no 3 du ZPO, en Alle-
magne, G. Holleaux, « La reconnaissance et l’exécution des jugements étran-
gers de divorce dans les droits allemand et français », Trav. com. fr. dr. int. pr.
1955-1957, p. 115, spéc. p. 135 et s., J. Basedow, Rev. crit. 1978. 461, spéc.
p. 479, sur sa disparition en 1986, J. Basedow, Rev. crit. 1987. 77, spéc. p. 90
et sur sa résurgence, à l’ombre du contrôle de l’ordre public, M. Becker,
RabelZ, 1996. 691; sur l’attitude des tribunaux américains, A. T. von Mehren
et D. T. Trautman « Recognition of foreign adjudications : a survey and a sug-
gested approach », Harvard L. Rev., 1968. 1601, spéc. p. 1638 et s.). Cepen-
dant il ne faut pas en exagérer la portée. On observera d’abord que dans les
domaines où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il ne peut leur
être reproché d’avoir, entre plusieurs tribunaux, retenu celui dont les règles de
conflit conduisent à la loi interne qu’elles estiment appropriée au règlement
de leur différend. Ensuite, de manière générale, l’argument du forum shop-
ping ne suppose-t-il pas qu’il serait loisible aux parties de s’adresser aux
juges de leur convenance ? Or, cette latitude est doublement limitée. Elle l’est
au moment de l’instance directe conduite à l’étranger où le tribunal est nor-
malement tenu de respecter ses propres règles de compétence; elle l’est aussi
à celui de l’instance d’exequatur où le juge français s’assure de la compétence
indirecte du tribunal étranger et exige qu’entre celui-ci et le litige ait existé un
lien suffisamment caractérisé. Bien sûr, il reste les cas où ce lien suffisant
étant avéré à l’égard de plusieurs ordres juridictionnels prêts à connaître de la
cause, le demandeur se détermine en considération du droit qui sera appliqué.
Mais y a-t-il à reprendre là dessus ? Reprocher au demandeur d’avoir porté
son procès devant un juge étranger qui ne pratique pas le système français de
solution de conflit de lois, n’est-ce pas remettre en cause la compétence de celui-
ci, laquelle pourtant était acquise en raison du lien suffisant (v. J.-D. Bredin,
Trav. com. fr. dr. int. pr. 1964-1966, p. 28; P. Lagarde, « Le principe de proxi-
mité dans le droit international privé contemporain », Rec. cours La Haye,
1986, I, no 196, Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, eod. loc.) ?
Justifier le contrôle de la loi appliquée par l’argument du forum shopping
équivaut à dénoncer l’insuffisance du contrôle de la compétence indirecte.
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 365
Cette dénonciation ne paraît légitime que dans les cas où, d’une part, l’ordre
juridique français estime son intérêt si immédiatement engagé dans le conflit
de lois qu’il ne peut tolérer une solution différente de celle que lui-même pré-
voit et où, d’autre part, il n’a pas pris la précaution d’assurer une compétence
exclusive à ses propres tribunaux (B. Ancel, « Loi appliquée et effets en
France des décisions étrangères », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1986-1988, p. 25
et s.; comp. P. Lagarde, op. cit., no 200, et E. Pataut, Principe de souveraineté
et conflits de juridictions, thèse Paris I, éd. 1999, nos 627 et s.; pour une justi-
fication plus privatiste, F. Delpech, Le rôle de la règle de conflit de lois dans
l’efficacité des décisions étrangères, thèse Paris I, 1999, nos 384 et s.). Cette
éventualité — qui peut se réaliser, par exemple en matière de divorce (quoi-
que l’unilatéralité du règlement de l’article 309, C. civ. ait fait douter de la
légitimité du contrôle en cette matière, v. H. Gaudemet-Tallon, J.-Cl. dr. int.,
v° Divorce, nos 52 et s.; P. Courbe « Le divorce international : premier bilan
d’application de l’article 310 du Code civil », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1988-
1990, p. 133 et s.; Civ. 1re, 25 févr. 1986, Rev. crit. 1987. 103, note Monéger;
contra : TGI Paris, 17 oct. 1991, préc.; Paris, 15 nov. 1991, D. 1992, IR 62,
Rev. crit. 1993. 785; Metz, 19 janv. 1999, Clunet 2003. 115, note A. Bigot;
Civ. 2e, 14 mars 2002, Clunet 2002. 1062, note Ph. Kahn, JCP 2002. II. 10095,
note H. Fulchiron; Civ. 1re, 28 janv. 2003, époux L.-G., Rev. crit. 2004. 398,
note H. Muir Watt, Clunet 2003. 468, note J.-M. Jacquet, Defrénois 2003. 1086,
note J. Massip et Civ. 1re, 28 nov. 2000, en application de l’art. 47 de la conven-
tion franco-sénégalaise du 29 mars 1974, cité par M.-L. Niboyet, L. Sinopoli
et F. de Bérard, Gaz. Pal. 2004, nos 168 à 169, p. 18) — reste trop circonscrite
pour permettre que le contrôle de la loi appliquée soit hissé au même niveau
de généralité que les autres conditions de régularité internationale. Cepen-
dant la Cour de cassation n’a pas hésité à lui reconnaître la parité dans l’arrêt
ci-dessus reproduit. Peut-être cette généralité, excessive en théorie, s’expli-
que-t-elle en pratique, comme le suggérait un éminent magistrat, par le fait
qu’elle donne au juge français un motif de refuser l’exequatur à une décision
étrangère sans froisser la susceptibilité du tribunal qui l’a rendue. Cette pru-
dence courtoise, qui tend à prévenir la rétorsion dont pourraient pâtir les juge-
ments français à l’étranger, peut être opportune en toute matière et elle rend
un compte suffisant des diverses imperfections de la condition (v. S. Gressot-
Léger, « Faut-il supprimer le contrôle de la loi appliquée… ? », Clunet 2003. 767
et s., et, en réponse, Civ. 1re, 4 juillet 2006, Enfant Viola, no C04-17590).
11 3°) La fraude à la loi fait échec à l’efficacité en France des décisions dont
elle a permis l’obtention ou l’élaboration à l’étranger. Sa définition en matière
d’effets des jugements est celle-là même qui a cours en matière de conflit de
lois; il faut y voir l’emploi délibéré de moyens objectivement licites propres à
modifier la situation de l’intéressé dans le seul but de soustraire celle-ci à
l’application d’une norme à laquelle elle était soumise.
C’est la démarche entreprise par la Princesse de Bauffremont, s’efforçant
de perdre la nationalité française pour se placer sous l’empire d’une loi étran-
gère lui accordant le divorce (v. supra, no 6). C’est aussi la démarche du sieur
Giroux transportant son domicile hors de la Province de Québec pour échapper
366 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41
12 Quoi qu’il en soit, une fois encore, il apparaît que la condition d’efficacité
retenue n’était pas parfaitement stabilisée au moment même où l’arrêt Munzer
la consacrait. Généralisable aux autres éléments de régularité internationale,
sauf la conformité à l’ordre public de fond, la remarque signifie-t-elle que
l’arrêt Munzer serait aujourd’hui périmé ? Rien n’est moins assuré. La seconde
observation qu’appelle en effet le catalogue qu’il présente est que la relative
incertitude affectant la teneur des diverses conditions constituait en elle-même
une promesse d’évolution. L’arrêt Munzer clôt une époque pour en ouvrir une
autre, dont il prétend seulement orienter le cours et non arrêter la marche.
Cette souplesse se remarque aussi dans la manière dont sont évoquées les fina-
lités que poursuivent les cinq critères de régularité internationale des juge-
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 367
ments. Ici encore la Cour de cassation se garde d’une trop grande précision
qui, certes, aurait fixé le sens et la teneur de ces critères mais aurait aussi para-
lysé le mouvement de libéralisation à peine relancé.
intérêt par lui estimé fondamental. La formule conduit d’une part vers les cas
de compétence exclusive des tribunaux français et d’autre part vers les cas
d’application nécessaire de la loi française — qu’il conviendrait d’identifier
plus précisément, soit en consultant les règles de conflit françaises, soit en
s’en tenant aux lois de police ou d’application immédiate (comp. D. Holleaux,
op. cit., no 382).
Ce nouvel inventaire des conditions de régularité internationale n’est pas
encore le droit positif. Cependant, d’un côté, le décalage entre l’énumération
de l’arrêt Munzer et les objectifs assignés à l’exequatur et, de l’autre côté, les
avancées accomplies par la jurisprudence ultérieure laissent espérer un sem-
blable aboutissement fondant un meilleur équilibre entre les exigences de
l’intérêt général pris en charge par l’ordre juridique français et la considération
due aux intérêts privés affrontés à la pluralité des ordres juridiques (comp. note
H. M. W., Rev. crit. 1996, p. 124, sous Paris, 25 mars 1994).
B. — Le devoir du juge
21 L’arrêt déclare que « pour accorder l’exequatur, le juge français doit s’assu-
rer que… se trouvent remplies » les cinq conditions de la régularité internatio-
nale (v. déjà l’arrêt de Wrède, no 10; Civ. 1re, 8 janv. 1963, préc.; Civ. 1re,
9 nov. 1971, Camus, Rev. crit. 1972. 314, note D. Holleaux, adde, dans le
cadre de l’application de la convention franco-camerounaise du 21 févr. 1974,
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 371
Civ. 1re, 9 juill. 1991, JCP 1992. II. 21818, note H. Muir Watt, Defrénois
1992, no 35212, et D. 1992. 334, note J. Massip). L’affirmation doit-elle être
comprise comme faisant au juge de l’exequatur le devoir de procéder, au
besoin d’office, à la vérification de chacune des conditions ?
En dépit de son caractère un peu abrupt, la formule de la Cour de cassation
ne doit pas inciter à des conclusions extrêmes. Elle ne constitue en effet que le
rappel d’un principe de procédure civile qui ne suffit pas à définir exactement
l’office du juge en matière d’exequatur. « Le juge tranche le litige conformé-
ment aux règles de droit qui lui sont applicables »; l’article 12, alinéa 1er, du
Nouveau Code de procédure civile exprime un principe directeur du procès
qui régissait l’office du juge avant même que soit prononcé l’arrêt Munzer. Il
ne faut pas être surpris que celui-ci l’ait évoqué au moment où il énonçait la
règle de conflit de juridictions applicable à l’efficacité internationale des juge-
ments. Le tribunal de l’exequatur a donc le devoir de vérifier que la décision
étrangère répond aux conditions de droit fixées par cette règle (Comp. Civ. 1re,
25 janv. 2000, Droit de la famille, 2000, no 123, note H. Fulchiron, par appli-
cation de l’art. 4 de la convention franco-algérienne du 27 août 1964; Civ. 1re,
30 mars 2004, Rev. crit. 2005. 89, note L. Sinopoli, JCP 2004. II. 10097, note
V. Egea, Gaz. Pal. 2004, nos 247 à 248, obs. M.-L. Niboyet).
Mais ce devoir, pour être accompli, requiert la coopération des parties et
son ampleur varie en fonction de celle-ci. Le demandeur a la charge de l’allé-
gation : il lui incombe donc de fournir au juge tous les éléments de fait pro-
pres à établir la régularité. S’il manque à cette charge relativement à l’une
ou l’autre des conditions, il sera normalement débouté. S’il y satisfait, le juge,
en cas de contestation de la demande, devra trancher et pour cela conduire
un débat entre les parties sur les points controversés, tandis qu’en l’absence
de contestation, il s’en tiendra aux allégations du demandeur et accordera
l’exequatur si celles-ci sont pertinentes et suffisantes (v. Civ. 1re, 3 juin 1969,
Vve Kolin, Rev. crit. 1971. 743, note D. Holleaux). Ainsi les règles du droit
commun de la procédure civile déterminent le travail du juge, sans laisser à
celui-ci la possibilité, même en l’absence de contestation, d’escamoter tel ou
tel élément de régularité.
22 Cependant ces solutions laissent entière la question de savoir s’il est permis
aux parties qui y trouveraient leur avantage de limiter le contrôle à certaines
conditions seulement. À cet égard, il faut noter que ne faisait aucun doute en
son principe la faculté pour le bénéficiaire de renoncer à l’exercice des privilè-
ges résultant des articles 14 et 15 du Code civil (v. infra, arrêt Prieur, no 87).
Mais au-delà de ce cas particulier, il faut revenir au Nouveau Code de procé-
dure civile : aux termes de l’article 12, alinéa 3, l’élimination par les parties
des exigences légales est licite pourvu qu’elle soit l’objet d’une convention
expresse et qu’elle concerne des droits dont leurs titulaires ont la libre disposi-
tion (v. Civ. 1re, 9 nov. 1971, préc.); le problème devient alors celui de l’exer-
cice de cette permission dans le procès d’exequatur. De quelles conditions de
régularité les parties ont-elles la libre disposition ?
Si aujourd’hui, le droit positif n’est pas encore parfaitement assuré de la
solution à adopter (v. M.-L. Niboyet, L. Sinopoli et F. de Bérard, « L’exequatur
372 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41
note P. Bellet, Clunet 1956. 1022, note B. Goldman, JCP 1956. II. 9223, note
P. Louis-Lucas et les décisions citées par H. Muir Watt, J.-Cl. préc., no 99;
rappr. Paris, 25 mars 1994, préc., où le devoir de contrôler la conformité au
règlement français de conflit de lois naît de la contestation « étoffée » du
défendeur, v. la note H. M. W., Rev. crit. 1996, p. 125; v. aussi Paris, 10 févr.
1993, Parretti, Rev. crit. 1993. 664, note H. Gaudemet-Tallon, Clunet 1993. 599,
note C. Kessedjian).
Elle peut aussi s’autoriser de l’harmonie qu’elle entretient avec la tendance
qui semble dominer actuellement l’évolution du droit de l’efficacité interna-
tionale des jugements et qui est moins désireuse de multiplier les défenses
destinées à abriter l’ordre juridique français des atteintes que lui porteraient
les juges étrangers, que de ménager en France, autant que possible, aux justi-
ciables dont le contentieux s’est réglé à l’étranger, l’avantage de l’unité de
solution (lequel, dans le cadre de la Convention de Bruxelles de 1968, deman-
derait la suppression de tout contrôle d’office, Civ. 1re, 17 nov. 1999, Rev. crit.
2000. 52, note B. Ancel). Dans cette perspective, en effet, la justice de l’exe-
quatur s’affirme d’abord justice de droit privé, justice des intérêts privés.
Ceux-ci par conséquent ne sauraient être sacrifiés — pas plus aux aléas inhé-
rents à la diversité des ordres juridiques et de leurs machineries judiciaires
qu’aux craintes irraisonnées que l’ordre juridique français éprouverait pour
lui-même.
42
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
15 février 1966
(Rev. crit. 1966. 273, note Batiffol, Clunet 1967. 95, note Goldman, D. 1966. 370,
note Malaurie, Rec. Gén. Lois 1966. 637, obs. Droz)
Donations entre époux. — Loi applicable.
Les donations mobilières entre époux sont soumises à la loi régissant les
effets personnels du mariage.
ARRÊT
La Cour; — Sur les deux premiers moyens réunis pris en leurs diverses
branches : — Attendu qu’il résulte des énonciations des juges du fond que Diar-
mid Campbell-Johnston, de nationalité britannique, a, suivant acte du 16 août
1940, passé à New York devant un notaire de cette ville, fait donation à Marie-
Germaine Chataur, son épouse, de nationalité française, notamment de la tota-
lité des meubles, tapisseries, tableaux et d’une façon générale de tous objets
sans exception garnissant un appartement sis avenue Foch à Paris, où était éta-
bli le domicile conjugal; que suivant acte du 8 décembre 1950, dame Campbell-
Johnston a acquis la propriété d’un immeuble sis rue Montpensier, sur le Palais-
Royal, où les époux transférèrent leur domicile; que, sur une instance en sépara-
tion de corps introduite par la femme, le magistrat conciliateur a décidé que
celle-ci résiderait au premier étage et le mari au deuxième étage de l’immeuble;
que par acte notarié du 22 juin 1962, Campbell-Johnston, ayant révoqué la
donation du 16 août 1940, a revendiqué la propriété des meubles garnissant
l’appartement occupé par son épouse, ainsi que de quatre tapis donnés en
garde par celle-ci; qu’il a également revendiqué la propriété de l’immeuble du
Palais-Royal acquis par elle, en soutenant que cette acquisition avait été réalisée
à l’aide de deniers qu’il avait remis au notaire, en sorte que s’agissant d’une
donation déguisée, celle-ci serait nulle par application de l’article 1099 alinéa 2
du Code civil; — Attendu qu’il est d’abord fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué
d’avoir fait droit à la demande du mari, en considérant que la loi française
devait s’appliquer à la donation des objets mobiliers, alors d’une part que,
s’agissant de déterminer la loi régissant un contrat, la cour d’appel a, sans justi-
fication, écarté l’application de la loi d’autonomie, et alors, d’autre part, que,
de toutes façons, la loi nationale du donateur, laquelle excluait la révocabilité
des donations entre époux, pouvait seule régir les conditions de fond de l’acte
litigieux, ainsi que dame Campbell-Johnston l’avait soutenu dans des conclu-
sions qui seraient demeurées sans réponse.
Mais attendu que l’arrêt attaqué, après avoir justement énoncé que la loi
d’autonomie ne saurait s’appliquer aux donations entre époux, eu égard aux
règles particulières auxquelles elles obéissent, et relevé que le litige porte uni-
quement sur une donation d’objets mobiliers, entre époux de nationalité dif-
férente dont le domicile commun se trouvait en France au moment où la libéra-
lité a été consentie, décide à bon droit que semblable libéralité est soumise à la loi
française, loi du domicile commun, régissant les effets personnels du mariage, et
est en conséquence révocable en vertu de l’article 1096 du Code civil, qu’en sta-
tuant ainsi la cour d’appel a nécessairement écarté les conclusions de dame
Campbell-Johnston tendant à l’application dans la cause de la loi nationale du
donateur et sur ce point légalement justifié sa décision, que les deux premiers
moyens doivent être écartés;
Sur le troisième moyen pris en sa première branche : — Attendu qu’il est
encore reproché à l’arrêt attaqué, également confirmatif à cet égard, d’avoir
déclaré recevable l’action de Campbell-Johnston tendant à faire déclarer nulle
parce qu’étant déguisée, par application de l’article 1099, alinéa 2 du Code civil,
la donation qu’il aurait consentie à son épouse en payant de ses deniers le prix
de l’immeuble acquis par celle-ci le 18 décembre 1950 et ordonné une mesure
d’instruction à effet de déterminer si les fonds versés pour cette acquisition pro-
venaient du patrimoine du mari ou de celui de la femme, alors que, selon le
pourvoi, l’article susvisé ne trouverait application que dans le cas d’existence
d’héritiers réservataires du donateur;
Mais attendu que l’article 1099 alinéa 2 du Code civil n’interdit pas à l’époux
donateur, même en l’absence d’héritiers réservataires, de faire déclarer, en
même temps que le déguisement, la nullité de la donation; d’où il suit que la
première branche du troisième moyen ne saurait être accueillie;
376 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 42
Et sur les deux autres branches du même moyen : — Attendu que non moins
vainement le pourvoi reproche à la cour d’appel, d’une part, de s’être contre-
dite en se prononçant sur la cause de la prétendue fourniture de deniers par le
mari tout en ordonnant une mesure d’instruction pour rechercher l’origine de
ceux-ci, ainsi que d’avoir omis de procéder à une recherche subjective de l’inten-
tion effective du donateur pour ne retenir que le fait matériel d’une remise de
deniers, et, d’autre part, d’avoir décidé « par avance et a priori » que la dona-
tion déguisée, en la supposant établie, portait sur l’immeuble acheté plutôt que
sur les deniers fournis pour le paiement du prix, sans faire état d’aucune circons-
tance lui permettant de statuer ainsi; — Attendu en effet, que la cour d’appel
ne s’est prononcée définitivement que sur la recevabilité de l’action en nullité
en soulignant l’intérêt que Campbell-Johnston avait à établir la simulation de
l’acte litigieux; que c’est pour caractériser cet intérêt qu’elle a énoncé, avant de
confirmer la mesure d’instruction ordonnée par les premiers juges, « qu’une telle
simulation consistant en une opération, commandée par la commune intention
des parties, pour faire passer un bien du patrimoine du mari dans celui de la
femme, suffit à démontrer l’intention de celui-ci, qui a remis les fonds pour
l’accomplir, à la seule condition que les fonds proviennent bien de son patri-
moine, ce qui est formellement contesté »; — Qu’en décidant ainsi, la Cour
d’appel ne s’est nullement contredite et l’appréciation de la commune intention
des parties étant de la sorte expressément réservée, n’a pas tranché la question
de savoir si la libéralité dont l’existence reste à démontrer portait sur l’immeu-
ble lui-même ou sur le numéraire qui a servi à son acquisition; — D’où il suit que
les deux derniers griefs du pourvoi ne sont pas mieux fondés que les précédents
et que l’arrêt motivé a légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 15 février 1966. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prem., prés.; Thirion,
rapp.; Lindon, av. gén. — MMes Lemanissier, Vidart et Roques, av.
OBSERVATIONS
1 La Cour de cassation n’a pas donné à l’arrêt Campbell-Johnston les appa-
rences d’une décision de principe. À la différence de la Cour de Paris qui, dans
l’arrêt attaqué, avait pris le soin de synthétiser en une formule brève mais soli-
dement argumentée, les raisons de préférer sa solution à toutes celles qui ont
été proposées en la matière, elle s’en tient strictement au pourvoi et se contente
de le rejeter en s’appuyant sur des motifs « ou bien allusifs, ou bien exclusive-
ment liés à la technique du contrôle des décisions des juges du fond » (Gold-
man, note Clunet 1967. 98). On y verra une manifestation de cette « économie
de moyens » si chère à la haute juridiction (Malaurie, note D. 1966. 370) ainsi
qu’une illustration de la tradition qui veut que « nos juges fassent des arrêts et
non des articles de revue » (Goldman, note préc.). Il est néanmoins permis de
se demander si, en une matière aussi disputée, la Cour de cassation n’aurait
pas dû, sans pour autant renoncer au génie propre de sa motivation, justifier
plus explicitement son choix.
Il n’en reste pas moins que, même si des doutes subsistent sur sa portée (II),
l’arrêt Campbell-Johnston a eu le mérite de fixer la jurisprudence française
sur la loi applicable aux donations mobilières de biens présents entre époux (I).
De là, sa reproduction dans le présent ouvrage.
42 CAMPBELL-JOHNSTON — CASS., 15 FÉVRIER 1966 377
c’est-à-dire loi nationale commune des époux ou à défaut loi du domicile com-
mun. Bien qu’en l’espèce, la Cour de cassation ait limité le débat à certains de
ces rattachements, on reprendra ici le problème en son entier.
Comme tout contrat, la donation entre époux ne doit-elle pas relever de la
loi d’autonomie ? C’est semble-t-il à cette conception, consacrée à deux repri-
ses par les juges du fond (Paris 29 juin 1888, Clunet 1890. 323; T. civ. Lyon,
26 déc. 1950, Rev. crit. 1951. 511, note Loussouarn) qu’entendait se référer
l’auteur du pourvoi lorsqu’il revendiquait l’application de la loi américaine,
parce qu’elle était celle du lieu où la donation avait été réalisée. En décidant
que « la loi d’autonomie ne saurait s’appliquer aux donations entre époux, eu
égard aux règles particulières auxquelles elles obéissent », la Cour de cas-
sation la condamne sans équivoque. Et de fait si les donations relèvent en
principe de la loi d’autonomie — sans que celle-ci puisse d’ailleurs prétendre
à un empire exclusif (v. Paris, 23 janv. 1990, Caron, Rev. crit. 1991. 92, note
Y. Lequette, Clunet 1990. 994, note M.-L. Niboyet-Hoegy, JCP 1991. II. 21637,
note Behar-Touchais) —, la spécification « entre époux » y introduit un élé-
ment dont l’importance est telle que la qualification de contrat ne peut suffire
à fonder le rattachement (Batiffol, note S. 1934. 1. 394). Il existe, au demeurant,
une discordance certaine entre une question qui, comme celle des donations
entre époux, obéit dans un grand nombre de législations à une réglementation
impérative et la loi d’autonomie. Certes, l’impérativité des règles dans l’ordre
interne est toujours relativisée par le conflit de lois : la loi ne doit être obéie
que si elle est applicable. Néanmoins, témoignant d’une certaine préoccupa-
tion du législateur, cette impérativité constitue un indice sérieux pour écarter
la loi d’autonomie. Aussi bien, même dans le domaine de la vie des affaires,
la référence à la volonté des parties a tendance à s’effacer derrière des ratta-
chements plus contraignants pour les contrats qui, tel le contrat de travail, sont
très strictement réglementés (v. arrêt Fourrures Renel, supra, no 35 § 7).
Postulant également l’application de la loi d’autonomie, le rattachement au
régime matrimonial peut sembler plus satisfaisant car les donations entre époux
affectent le régime des biens de ceux-ci. Les avantages matrimoniaux dont
elles semblent au premier abord fort proches ne relèvent-ils pas d’ailleurs de
la loi du régime ? Mais là encore, on a craint à tort ou à raison que la sou-
plesse inhérente à la loi d’autonomie, même si celle-ci se concrétise le plus
souvent par l’application de la loi du premier domicile matrimonial (v. supra,
arrêt Zelcer, no 15), ne convienne pas à une question dont la réglementation
est le plus souvent impérative. En outre et surtout, bien loin d’être, comme les
avantages matrimoniaux, un élément d’organisation du régime matrimonial,
les donations entre époux en sont, en France et à l’étranger, très largement
indépendantes (B. Ancel, op. cit., nos 390 et s., p. 375; v. cep., dans le cadre
du droit conventionnel, Civ. 1re, 14 mai 1992, Woll, Rev. crit. 1992. 696, note
B. Ancel).
Pas plus ne paraît convenir la loi nationale du donateur, à laquelle le pour-
voi faisait également référence. À supposer que l’on raisonne en termes de
capacité, on est en effet en présence d’une question non de capacité générale
mais de « capacité spéciale statutaire » (Fadlallah, La famille légitime en droit
international privé, no 228, p. 211). Le disposant n’est pas protégé en raison
42 CAMPBELL-JOHNSTON — CASS., 15 FÉVRIER 1966 379
(1) La loi du 26 mai 2004 a modifié l’article 1096 du Code civil. Alors qu’auparavant les dona-
tions faites entre époux pendant le mariage « étaient toujours révocables », les donations des biens
présents ne le sont plus « que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958 ».
380 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 42
6 Tout en mettant fin à une longue controverse, l’arrêt rapporté n’épuise pas
tous les problèmes. Posé à l’occasion de la révocation d’une donation mobi-
42 CAMPBELL-JOHNSTON — CASS., 15 FÉVRIER 1966 381
lière de biens présents, le rattachement qu’il énonce ne vaut-il que dans cette
hypothèse ou peut-il être étendu, d’une part à d’autres libéralités — donations
immobilières, donations de biens à venir — (A), d’autre part à d’autres ques-
tions — réduction, déguisement,… — (B) ?
7 A. — Pour rejeter le pourvoi formé contre l’arrêt attaqué, la Cour de cas-
sation note expressément que celui-ci relève « que le litige porte uniquement
sur une donation d’objets mobiliers ». Par cette précision, la Cour de cassation
entendait-elle indiquer que les donations immobilières entre époux étaient
régies par une autre loi ? Une telle interprétation pouvait se recommander de
l’histoire. Si des hésitations s’étaient fait jour quant à la loi applicable aux
donations mobilières, les donations immobilières avaient, en revanche, toujours
été soumises à la loi du lieu de situation des biens (v. not. Req. 8 mai 1894,
Zammaretti, préc.). Cette solution avait d’ailleurs été réaffirmée postérieure-
ment à l’arrêt Prince Ibrahim Hilmy (Req. 15 mars 1933, préc.), par un arrêt
du 11 mai 1954 (Civ., 11 mai 1954, Try, Rev. jur. et polit. de l’Union fr. 1954.
419, rappr Attuly, note Caratini; sur cet arrêt, v. B. Ancel, op. cit., nos 109 et s.;
Fadlallah, op. cit., no 234). Elle témoignait du pouvoir d’attraction de la loi
réelle; l’impraticabilité du rattachement ne venait pas en matière immobilière
ruiner les raisons qui militaient pour la qualification successorale. Néanmoins
nombre d’auteurs considéraient cette distinction comme dépassée. Ils souli-
gnaient que la raison d’être du particularisme des donations entre époux ne
tient pas au caractère mobilier ou immobilier du bien qui en est l’objet mais à
la nature du lien qui unit disposant et gratifié (H. Batiffol, Aspect philosophi-
ques du droit international privé, no 114, p. 253). Ils insistaient également sur
ce que la distinction était difficile à mettre en œuvre dans l’hypothèse fré-
quente d’une donation de fonds en vue de l’acquisition d’un immeuble (v. par
ex., Ponsard, note Clunet 1964. 75; Malaurie, note D. 1966. 371; Fadlallah,
op. cit., nos 235 et s.). La jurisprudence ne resta pas insensible à ces arguments.
Après avoir amorcé, par un arrêt Dartois du 2 décembre 1969 (Rev. crit.
1971. 507, note G. de la Pradelle), une évolution vers l’application de la loi
des effets du mariage aux donations immobilières de biens présents entre
époux, elle consacra cette solution dans un arrêt Dame Frost du 12 juin 1979
(Rev. crit. 1980. 322, note G. Légier, Clunet 1980. 644, note Wiederkehr, D. 1979;
IR 459, obs. Audit, maintenant Aix, 17 mai 1976, Rev. crit. 1977. 508, note
Légier; v. aussi Civ. 1re, 3 avr. 1990, préc. qui, quoique rendu à propos d’une
donation mobilière, vise « les donations entre époux » dans leur généralité).
8 À l’inverse, en ne spécifiant pas dans son motif que la donation portait sur
des biens présents, la Cour n’avait-elle pas entendu étendre la règle de conflit
qu’elle énonce aux donations de biens à venir ? Certains l’ont pensé (Gold-
man, note Clunet 1967. 100). La déduction apparaît cependant bien aléatoire.
Les donations de biens à venir ou institutions contractuelles, exceptionnel-
lement permises entre époux ou aux époux, présentent en effet une physiono-
mie éminemment originale. Actes hybrides, elles empruntent leurs traits distinc-
tifs à la donation et au testament : comme les donations, ce sont des contrats
qui requièrent le consentement du disposant et du gratifié; comme le testa-
382 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 42
ment, ce sont des actes par lesquels l’instituant dispose pour un temps où il ne
sera plus. Aussi a-t-on pu parler pour les désigner de « testament contractuel »
(Voirin, JCP 1944. II. 2732). Prenant appui sur cette donnée, nombre d’auteurs
considèrent que les donations de biens à venir, mode contractuel de dévolution
de la succession, doivent au même titre que le testament être régies par la loi
de la succession, sans qu’il soit besoin de distinguer selon que leur objet est
mobilier ou immobilier (Droz et Revillard, J.-Cl. dr. int., fasc. 557 B, nos 63
et s.; Fadlallah, op. cit., nos 285 et s.; Ponsard, Clunet 1964. 75 et Rép. Dalloz
dr. int., 1re éd., v° Donations entre époux, no 17; P. Mayer et V. Heuzé, no 834).
Certes dans le premier cas, on retrouve la pierre d’achoppement que constitue
l’indétermination de la loi successorale (Batiffol, note Rev. crit. 1966. 277).
Mais les donations de biens à venir n’impliquant pas un dépouillement immé-
diat, la question de leur validité ne se pose pas avec plus d’urgence que celle
du testament; or celle-ci relève de la loi successorale. Force est au demeurant
de constater que dans tous les cas relevés en jurisprudence, le litige était né
après la mort de l’instituant (Fadlallah, op. cit., no 288). Il paraît donc quelque
peu aventureux, même si en la matière aucune décision n’a, depuis 1966, réaf-
firmé la compétence de la loi successorale, de déduire son abandon du seul
silence observé à cet égard par la Cour de cassation dans l’arrêt rapporté (v. en
dernier lieu, Paris, 24 févr. 1964, Rev. crit. 1965. 334, note Le Bris, D. 1965.
25, note de la Marnierre, GP 1964. 1. 321, concl. Mailhol; Aix, 17 mai 1976,
motifs, Rev. crit. 1977. 508, note Légier).
9 B. — La question centrale posée par les donations entre époux semble bien
être celle de leur validité de principe ainsi que de leur révocabilité; c’est alors,
en effet, la possibilité-même de l’acte juridique qui est en cause. Aussi bien la
haute juridiction a-t-elle récemment rappelé que la loi des effets du mariage
s’applique « s’agissant (…) de déterminer l’existence d’une donation entre
époux, d’apprécier sa validité et de statuer sur sa révocation » (Civ. 1re, 3 avr.
1990, préc.). Mais il est en la matière, d’autres questions soit de fond, soit de
forme, pour lesquelles d’autres rattachements paraissent concevables.
Ainsi en va-t-il des montants de la réserve et de la quotité disponible spé-
ciale entre époux, lesquels relèvent très certainement de la loi successorale
(Ponsard, note Clunet 1964. 75; Batiffol, note Rev. crit. 1966. 277; Lous-
souarn et Bourel, no 317). Quant à la question de la loi applicable à la nullité
des donations déguisées intervenues entre époux, elle a perdu une bonne part
de son intérêt depuis que la loi du 26 mai 2004 a abrogé l’alinéa 2 de l’arti-
cle 1099 du Code civil. Rappelons néanmoins qu’entre la qualification forme
et la qualification fond, la haute juridiction s’est prononcée pour la seconde
estimant sans doute que la prohibition de l’article 1099 était indispensable à
la sauvegarde du fond. Dans un arrêt Dartois du 2 décembre 1969 (préc.;
v. aussi Civ., 10 mars 1970, D. 1970. 661, note Breton), elle a en effet décidé
que l’action en nullité d’une donation déguisée entre époux exercée par le
conjoint donateur relevait de la loi des effets du mariage (cpr., Civ., 12 juin
1979, préc.), puis dans un arrêt Veuve Beauchamp du 3 mars 1971 (Rev. crit.
1972. 291, note Batiffol) que la même action exercée par un héritier réserva-
taire était soumise à la loi successorale. Comme l’ont souligné les commen-
42 CAMPBELL-JOHNSTON — CASS., 15 FÉVRIER 1966 383
tateurs (Batiffol, note préc.), il n’y a pas de contradiction entre les deux
solutions : exercée par l’époux donateur, l’action a pour but de défendre la
révocabilité des donations entre époux; exercée par l’héritier réservataire, elle
tend à la protection de sa réserve; il est donc naturel, se conformant à l’idée
que les conséquences de la violation d’une règle sont régies par la loi qui
l’édicte (v. supra, arrêt Vve Moreau, no 28 § 5), de faire dépendre la première
de la loi des effets du mariage, la seconde de la loi successorale.
43
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
21 mars 1966
(Rev. crit. 1966. 670, note Ponsard, D. 1966. 429, note Malaurie,
Clunet 1967. 380, note Bredin,
Rec. Gén. Lois 1966. 441, obs. Droz, et p. 493, obs. Boyer)
Compétence. — Article 14 du Code civil. — Bénéficiaires.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique pris en sa première branche : — Vu
l’article 14 du Code civil; — Attendu que ce texte permet au plaideur français de
citer un étranger devant les juridictions françaises; — Attendu que, pour faire
droit au contredit formé par la Société britannique W. N. Muller de Londres,
contre un jugement qui a déclaré les tribunaux français compétents pour
connaître de l’action de la Compagnie française d’assurance La Métropole,
conventionnellement subrogée aux droits de son assurée, la Société britannique
Davidson Ltd, tendant au recouvrement de la somme qu’elle avait payée à cette
dernière à l’occasion d’avaries subies par des marchandises chargées sur un
navire appartenant à la Société W. N Muller et vendues CAF au départ de France
à la Société Davidson Ltd, l’arrêt infirmatif attaqué a considéré que l’assureur
français, ne possédant aucun droit propre distinct de celui de son assuré étran-
ger, ne pouvait invoquer le bénéfice de l’article 14 du Code civil; — Attendu
qu’en statuant ainsi, alors que la compétence internationale des tribunaux fran-
43 CIE LA MÉTROPOLE — CASS., 21 MARS 1966 385
çais est fondée non sur les droits nés des faits litigieux, mais sur la nationalité
des parties, l’arrêt a, par refus d’application, violé le texte susvisé;
Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres branches du
moyen : — Casse.
Du 21 mars 1966. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Blin, prés.; Thirion, rapp.; Lebègue,
av. gén. — MMe Roques et Lemaître, av.
OBSERVATIONS
1 La compétence internationale des tribunaux français est fondée, en vertu de
l’article 14 du Code civil, « non sur les droits nés des faits litigieux, mais sur la
nationalité des parties ». Reprise à un qualificatif près, du Traité de H. Batiffol
(1re éd., no 686), la formule permet de déterminer en la personne de qui (I) et à
quel moment (II) la nationalité française doit s’apprécier.
16 janv. 1973, Rev. crit. 1975. 92, Clunet 1975. 336, note Kahn, Rec. Gén. Lois
1975. 616, note Droz). Elle s’accorde en cela avec une partie de la doctrine
pour qui « ce risque étant inhérent à tout mode volontaire de cession, mieux
vaut réserver au débiteur la possibilité d’établir une fraude organisée contre lui
que de présumer l’abus ». (Batiffol et Lagarde, t. II, no 679; Loussouarn, Bourel
et de Vareilles-Sommières, no 463; Holleaux, Foyer et de la Pradelle, no 734).
Aussi bien les juges du fond n’ont-ils pas hésité à sanctionner cette fraude et à
se déclarer incompétents malgré la nationalité française de l’ayant cause, lorsque
les éléments en étaient réunis (Montpellier, 2 mai 1985, Rev. crit. 1987. 108,
note Droz, maintenu par Civ. 1re, 24 nov. 1987, Soc. Europe Aéro Service, Rev.
crit. 1988. 364, note Droz, Clunet 1988. 793, note Loquin, JCP 1989. II. 21201,
note Blondel et Cadiet, RTD civ. 1988. 544, obs. Mestre). Quant à la haute
juridiction, elle a affirmé, de manière fort claire, que la compétence des tribu-
naux fondée sur l’article 14 cède devant « la preuve d’une fraude destinée à
donner artificiellement compétence à la juridiction française pour soustraire le
débiteur à ses juges naturels », tout en considérant en la circonstance que la
preuve de la fraude n’était pas rapportée (Civ. 1re, 14 déc. 2004, Assinco, D. 2005,
Panorama, p. 1264, obs. H. Chanteloup).
5 B. — Ne pouvant jouer que dans des cas de figure relativement rares,
l’exception de fraude ne permet pas de remédier à tous les inconvénients que
génère le principe de solution précédemment exposé. Aussi la Cour de cassation
a-t-elle assorti celui-ci d’un double tempérament afin d’éviter que ne soient
par trop déjouées les prévisions de la partie adverse.
6 En premier lieu, le plaideur français ne peut se prévaloir de l’article 14
lorsqu’il tient ses droits d’un auteur qui, dans le contrat litigieux, a souscrit
une clause attributive de juridiction ou une clause compromissoire (Civ. 1re,
25 nov. 1986, Siaci, Rev. crit. 1987. 396, note H. Gaudemet-Tallon, RTD civ.
1987. 547, obs. Mestre; Paris, 27 janv. 1988, D. 1988, Som. com. p. 342, obs.
Audit. Sur cette jurisprudence, v. P. Courbe, « Privilège de juridiction et trans-
mission de la clause de compétence », Mélanges Colomer, 1993, p. 143 et s.).
Dans cette affaire, un assureur français ayant remboursé des marchandises ava-
riées au cours d’un transport maritime s’était ensuite prévalu de la subrogation
dans les droits de l’assuré prévue par l’article L. 172-29 du Code des assuran-
ces pour assigner la compagnie de navigation devant les tribunaux français. La
compétence de ceux-ci ayant été déclinée par le transporteur qui se prévalait
de la clause attributive de juridiction incluse dans le connaissement, la haute
juridiction rejette le pourvoi formé contre la décision des juges du fond qui
avaient refusé de connaître du litige, aux motifs que « l’insertion d’une clause
attributive de compétence dans un contrat international fait partie de l’écono-
mie de la convention et emporte renonciation à tout privilège de juridiction;
que cette clause s’impose aussi bien à l’égard de l’ancien titulaire du droit qu’à
l’assureur français subrogé et doit produire ses effets ». On pourrait penser que
la haute juridiction entend ainsi renouer avec son ancienne jurisprudence qui
distinguait entre les ayants cause qui tiennent leur droit de la loi et ceux qui le
tiennent d’une convention. En effet, contrairement à celui qui tient son droit de
388 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 43
la loi, celui qui accepte de succéder à un droit issu d’un contrat contenant une
clause d’élection de for, marque son adhésion à cette clause et par là même son
intention de renoncer au bénéfice des articles 14 et 15 du Code civil (en ce
sens, Com., 12 juill. 1950, Rev. crit. 1952. 509, note Francescakis, Clunet
1950. 1206, note Goldman; Paris 19 oct. 1959, préc.).
Mais une telle lecture achoppe sur la constatation que la subrogation était,
en l’occurrence, d’origine légale. Aussi bien, la solution paraît-elle reposer,
non sur la volonté du subrogé censé accepter la clause attributive de juridic-
tion et par là même renoncer aux articles 14 et 15 du Code civil, mais sur
l’idée que le subrogé pénétrant dans un contrat recueille une créance assortie
de ses charges et obligations accessoires et ne saurait donc avoir plus de droits
que celui dont il prend la place (Mestre, La subrogation personnelle, 1979,
no 405, p. 417; v. déjà en ce sens Ponsard, note préc., p. 677; rappr. Civ. 1re,
12 juill. 2001, D. 2001, Som. com. p. 3246, obs. Ph. Delebecque).
7 En second lieu, le cessionnaire français d’une créance ne peut se prévaloir
de l’article 14 lorsque cette créance fait l’objet d’un litige devant un tribunal
étranger saisi par le cédant ou dont le cédant a accepté la compétence (Civ. 1re,
24 nov. 1987, préc.). En l’occurrence, une société suisse avait assigné des
sociétés américaines devant la juridiction du Minnesota, en réparation du pré-
judice qu’elle prétendait avoir subi du fait de la violation par celles-ci d’un
contrat d’exclusivité. Alors que l’instance était encore pendante devant le juge
américain et que les chances de succès de cette action paraissaient compromi-
ses, le demandeur cède ses droits litigieux à une société française qui assigne
les sociétés américaines devant le Tribunal de commerce de Perpignan. Celui-
ci se reconnaît compétent et condamne les défenderesses à indemniser le ces-
sionnaire des droits litigieux. Cette décision est réformée par la Cour de Mont-
pellier le 2 mai 1986 (préc.) aux motifs que cette cession « n’avait d’autre but
que de créer un élément de rattachement artificiel destiné à soustraire le recou-
vrement de la créance à ses juges naturels, en l’espèce la juridiction améri-
caine que le cédant avait pourtant initialement saisie ». Tout en reprenant ce
motif à titre surabondant et en admettant donc que l’arrêt de la Cour de Mont-
pellier était parfaitement justifié, la Cour de cassation lui préfère un motif de
pur droit : « le cessionnaire français d’une créance n’est pas en droit de se pré-
valoir des dispositions de l’article 14 du Code civil lorsque cette créance fait
l’objet d’un litige devant un tribunal étranger saisi par le cédant ou dont le
cédant a accepté la compétence ». Exceptionnelle car l’emploi du moyen de
rejet de pur droit est, en règle générale, utilisé par la haute juridiction pour
éviter la censure d’un arrêt fondé dans sa solution mais non dans ses motifs,
cette démarche est de nature à conférer à la solution ci-dessus rappelée une auto-
rité toute particulière (v. Blondel et Cadiet, note JCP 1989. II. 21202, no 29).
On ne peut que s’en féliciter dans la mesure où elle remédie à l’un des
défauts les plus criants du système. Elle permet, en effet, d’éviter qu’au cas où
une action aurait été antérieurement introduite devant un juge étranger par le
subrogeant ou le cédant étranger, celle-ci puisse être renouvelée devant le juge
français grâce à l’intrusion d’un subrogé ou d’un cessionnaire français alors
que ceux-ci se seraient vu opposer leur renonciation tacite au bénéfice de l’arti-
43 CIE LA MÉTROPOLE — CASS., 21 MARS 1966 389
cle 14 du Code civil s’ils avaient eux-mêmes pris l’initiative de l’action étran-
gère (v. Req. 11 déc. 1860, S. 1860. 1. 371; Civ. 1re, 6 mars 1979 Dame S.,
Bull. I, no 80; 15 nov. 1983, Soc. Schenk Algérie, Rev. crit. 1985. 100, note
H. Batiffol, Clunet 1984. 887, note P. Courbe).
Encore faut-il la justifier juridiquement. L’hypothèse ne saurait évidem-
ment se ramener à celle de l’exception de litispendance puisque le procès ne
se déroule plus entre les mêmes parties (sur cette exception, v. infra, arrêt Soc.
Miniera di Fragne, no 54). On pourrait songer à fonder cette solution en ayant
recours à une analyse de la volonté implicite du cessionnaire. Plus précisé-
ment, la saisine du juge étranger par le cédant et l’acceptation de cette compé-
tence par le défendeur vaudrait élection de for (en ce sens, Droz, note Rev.
crit. 1987. 119). En faisant l’acquisition de droits litigieux, le cessionnaire
serait alors censé accepter cette élection de for et par là même renoncer impli-
citement au bénéfice de l’article 14 du Code civil. Mais, sollicitant à l’extrême
la volonté implicite, l’explication n’est pas sans artifice (Loquin, note Clunet
1988. 799). Aussi bien a-t-il été suggéré que le fondement de cette solution
devrait être découvert dans le régime de l’action en justice et du lien d’ins-
tance. En nouant un véritable lien juridique entre les parties au procès — ce
dont témoigne le fait que le désistement doit être accepté par l’adversaire de
celui qui le propose —, l’instance rendrait indisponible le droit d’action de
celui qui a pris l’initiative de saisir le juge ou qui a accepté la compétence de
celui-ci. Partant, le cédant étranger ne pourrait que transmettre au cession-
naire français sa « position processuelle » de telle sorte que celui-ci n’aurait
d’autre ressource que de se substituer au cédant dans l’instance pendante à
l’étranger (Blondel et Cadiet, note préc., nos 14 et s.; Loquin, note préc., p. 799).
Ainsi, comme dans l’hypothèse précédente, la solution se relierait à l’idée que
l’ayant cause ne peut recevoir plus de droit que son auteur. Mais elle ne
remettrait pas en cause le fondement même de la jurisprudence Cie la Métro-
pole, car c’est au seul droit d’action stricto sensu, et non au droit né du contrat
cédé, qu’elle aurait égard. C’est dire qu’à défaut d’une clause attributive de
juridiction insérée dans le contrat initial ou d’un lien d’instance noué à
l’étranger, l’ayant cause français pourra toujours assigner son adversaire
devant les juridictions françaises. Seule l’exception de fraude pourra alors être
invoquée pour faire échec à la compétence de celles-ci.
Ajoutons pour terminer qu’en cas de représentation, la nationalité prise en
considération est celle du représenté qui, en droit, est seul partie au procès. En
conséquence, la nationalité française des représentants d’un étranger ne sau-
rait fonder la compétence des tribunaux français (Civ. 1re, 7 avr. 1998, Rev.
crit. 1998. 459, note H. Muir Watt) pas plus d’ailleurs que la nationalité étran-
gère du représentant d’un Français ne saurait faire obstacle à la compétence
de ceux-ci.
blème autre que celui qui lui était directement posé. L’affirmation que la com-
pétence internationale des tribunaux français est fondée « non sur les droits
nés des faits litigieux mais sur la nationalité des parties » permet, en effet, de
déterminer indirectement la date à laquelle doit exister la qualité de français
lorsqu’un des plaideurs a acquis ou perdu celle-ci : la nationalité prise en consi-
dération est celle des parties au jour où se noue le lien juridique d’instance et
non au jour où est né le droit substantiel mis en œuvre. En conséquence, le
Français devenu étranger au jour de l’introduction de l’instance ne peut invo-
quer l’article 14 du Code civil (Civ., 19 juill. 1875, S. 1876. 1. 289). Inverse-
ment la personne, étrangère au jour de la naissance de l’obligation mais deve-
nue française au jour de l’introduction de l’instance, peut se prévaloir de ce
texte (v. par ex., Civ., 9 mars 1863, S. 1863. 1. 225). Peu importe, en revanche,
qu’elle perde cette qualité en cours d’instance (Civ., 4 févr. 1891, S. 1891. 1. 449,
Clunet 1891. 171).
Là encore, la solution est en harmonie avec les principes qui gouvernent la
délimitation du domaine matériel des articles 14 et 15 du Code civil. En déci-
dant que ceux-ci s’appliquent en toutes matières (v. infra, arrêt Weiss, no 49),
la Cour les traite, en effet, non comme des règles de fond mais comme des
règles procédurales dont les conditions d’application doivent s’apprécier au
jour de la demande (Ponsard, note Rev. crit. 1966. 672).
44
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
2 mai 1966
(Rev. crit. 1967. 553, note Goldman, Clunet 1966. 648, note Level,
D. 1966. 575, note J. Robert)
Règle matérielle. — Aptitude de l’État à compromettre.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches : — Attendu
qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la Mission des Transports
Maritimes, dépendant du ministère de la Marine marchande, a, le 20 avril 1940,
392 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 44
OBSERVATIONS
2 Les règles matérielles existent banalement dans toutes les branches du droit.
Il s’agit, comme chacun sait, de ces normes courantes qui se caractérisent par
l’imputation à la situation de fait (ou hypothèse) qu’elles prétendent régir
d’une conséquence juridique (ou sanction) établissant les droits et obligations
respectifs des sujets impliqués.
Ainsi, énonçant qu’« on ne peut compromettre… sur aucune des contesta-
tions qui seraient sujettes à communication au ministère public », l’article 1004
de l’ancien Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 83 du même
code qui compte au nombre de ces causes celles qui « concernent l’ordre
public, l’État… et les établissements publics », formait une règle matérielle
frappant de nullité la stipulation par les entités publiques d’une clause d’arbi-
trage. Mais il ne s’agit encore que d’une règle matérielle interne — dont la
substance est aujourd’hui recueillie par l’article 2060 du Code civil.
La règle de droit international privé matériel ou règle matérielle internatio-
nale se constitue sur le même modèle mais se caractérise par deux singulari-
tés. La première est que la situation qu’elle envisage présente un caractère
international; la seconde est que la conséquence prescrite n’est pas identique
à celle attribuée par le droit interne. Ainsi la Cour de cassation affirme qu’en
dépit de la prohibition dérivant des articles 1004 et 83, la nullité de la clause
compromissoire n’est pas applicable lorsque celle-ci est contenue dans un
« contrat international… ». L’écart avec la règle matérielle interne est patent.
3 Cet écart doit être justifié. L’entreprise n’est pas trop malaisée car, en géné-
ral, il faut à la jurisprudence de très puissantes raisons pour oser doubler la
règle matérielle interne d’une règle matérielle internationale. De fait, chaque fois
que les tribunaux instaurent le dualisme des solutions, c’est sous la contrainte
de l’évidence (v. par ex. l’arrêt Messageries maritimes, supra, no 22; également
sur l’autonomie de la clause compromissoire, Civ. 1re, 7 mai 1963, Gosset,
D. 1963. 545, note J. Robert, Rev. crit. 1963. 615, note Motulsky, JCP 1963. II.
13405, note Goldman, Clunet 1964. 83, note Bredin, Rev. arb. 1963. 60, note
Francescakis; Civ., 4 juill. 1972, Hecht, Rev. crit. 1974. 82, note Level, Clunet
1972. 843, note Oppetit et chr. Francescakis, Rev. arb. 1974. 67 et s.; Paris,
13 déc. 1975, Menicucci, Rev. crit. 1976. 507, note B. Oppetit; Civ. 1re, 20 déc.
1993, Dalico, Rev. crit. 1994. 663, note P. Mayer, Clunet 1994. 432, note
E. Gaillard et 690, note E. Loquin, Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-
Tallon, Rev. trim. dr. com. 1994. 254, obs Dubarry et Loquin; Civ. 1re, 21 mai
1997, Meglio, Rev. crit. 1998. 87, note V. Heuzé, Clunet 1998. 969, note S. Poil-
lot ; Perruzetto, Contrats, conc. consom., 1997, no 149, obs. Leveneur; Civ. 1re,
28 mai 2002, Cimat, Rev. crit. 2002. 758, note N. Coipel-Cordonnier, Rev. arb.
2003. 397, note D. Cohen; D. 2003. 2471, obs. T. Clay, JCP 2003. I. 105, obs.
C. Seraglini; Civ. 1re, 30 mars 2004, Soc. Uni Kod, JCP 2004. II. 10132, note
G. Chabot, RTD com. 2004. 443, obs. E. Loquin; sur l’originalité des règles
matérielles de l’arbitrage international, v. N. Coipel-Cordonnier, Les conven-
tions d’arbitrage et d’élection de for en. dr. int. pr., thèse Louvain, éd. 1999,
394 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 44
nos 163, 345 et 355). Cette évidence était ici d’autant plus pressante que sa
méconnaissance aurait impliqué pour l’État le privilège dévastateur de se
délier à son gré des clauses d’arbitrage qu’il avait pourtant acceptées. Mais cet
aspect du problème qui a pu inspirer et stimuler la réflexion des juges du fond
(v. Paris, 10 avr. 1957, Myrtoon Steamship, JCP 1957. II. 10078, note Mol-
tusky) est par lui-même trop contingent pour appeler autre chose que la mise
en œuvre d’un correctif exceptionnel (v. l’évocation par Motulsky, note préc.,
de la jurisprudence Lizardi et aussi sa référence à l’apparence; on peut aussi
songer à l’institution de l’estoppel sur laquelle, v. Civ. 1re, 6 juill. 2005, Gols-
hani, Bull. I, no 302, Rev. crit. 2006, note H. Muir Watt; P. Mayer, note, Rev. crit.
1984. 499; O. Moréteau, L’estoppel et la protection de la confiance légitime,
thèse multigr., Lyon-III, 1990; H. Muir Watt, in Mélanges Loussouarn, p. 303;
B. Fauvarque-Cosson, in L’interdiction de se contredire en détriment d’autrui,
p. 3; voire à l’ordre public international : sentence CCI, affaire 1939/71, citée
par Y. Derains, Rev. arb. 1973. 145); or il s’agit ici de fonder l’édiction d’une
règle nouvelle. D’autres éléments, plus généraux, ont pesé. Certains sont négatifs,
ils s’opposent à l’application de la prohibition de la clause compromissoire;
d’autres sont positifs, ils soutiennent l’instauration d’un régime de liberté.
4 A. — L’agent judiciaire du Trésor demandait l’application de textes prohi-
bitifs dont la raison d’être ne se vérifiait pas en la cause.
Cette raison d’être procède d’abord du souci de l’intérêt public — censé
animer l’activité de toute personne morale de droit public. Par nature, cet intérêt
appellerait une protection spéciale, laquelle, en procédure civile, serait assurée
par le devoir de communiquer au ministère public les causes le concernant.
Or, il est clair que l’arbitrage, juridiction privée instituée pour éviter toute
officialisation, toute « socialisation » du contentieux est incompatible avec
cette exigence.
À cela s’ajoute ensuite le souci de préserver le crédit de l’institution judi-
ciaire française. Cette préoccupation impose aux organismes publics comme à
l’État dont ils sont l’émanation, de prêcher d’exemple et de ne pas marchander
leur confiance aux tribunaux mis en place par celui-ci.
Mais, en sens contraire, il faut relever, d’une part, que si l’activité d’une
entité publique est en principe guidée par la seule considération de l’intérêt
public, elle peut néanmoins prospérer dans les voies et les formes du droit
commun (c’est-à-dire du droit privé); c’est ce que vient attester la circons-
tance, dûment signalée par l’arrêt, que l’affrètement résultait d’« un contrat
international passé pour les besoins et dans des conditions conformes aux usa-
ges du commerce maritime ». Ce genre d’opération ne met en cause aucune
prérogative de puissance publique ni ne comporte aucune clause exorbitante
du droit commun; l’intérêt public n’y est qu’indirectement concerné et seuls
des intérêts privés y sont immédiatement engagés. Dans ces conditions, la
protection spéciale assurée par le caractère communicable n’est plus indis-
pensable (sur la nullité de l’arbitrage en droit public, CE, 3 mars 1989, Rev.
arb. 1989. 215, chr. D. Foussard, p. 167, RFDA 1989. 616, note B. Pacteau,
JCP 1989. II. 21323, note P. Level, D. 1990, Somm. p. 67; v. chr. Y. Gaudemet,
Rev. arb. 1992. 241).
44 GALAKIS — CASS., 2 MAI 1966 395
Il faut observer, d’autre part, que l’hypothèse est ici celle d’un contrat
international; elle se développe simultanément face à plusieurs ordres juridi-
ques et, en cas de contentieux, relève de la connaissance possible des juridic-
tions étrangères. Il n’est d’ailleurs pas exclu que celles-ci semblent en certains
cas mieux convenir au traitement de l’affaire, notamment lorsque la condam-
nation que l’État recherche devra s’exécuter à l’étranger; d’où en de tels cas,
la possibilité pour ces entités publiques de saisir éventuellement une juridic-
tion que l’État français n’a pas lui-même créée — ce que confirme la faculté
qui lui est reconnue de renoncer à son immunité devant un tribunal étranger.
Ne pas se soumettre à ses propres tribunaux n’exprime alors aucun désaveu à
leur endroit et ne peut donc ruiner leur autorité. Cessante ratione legis, cessat
ejus dispositio.
5 B. — Il convient maintenant, pour déterminer jusqu’où avancer sur cette voie,
de dégager une justification positive de la liberté de compromettre.
Celle-ci se trouve dans la considération que développait, dans l’affaire Myr-
toon Steamship, la Cour de Paris (10 avr. 1957, préc.) : « il serait contraire aux
intérêts de l’État de défendre à ses représentants d’accepter un mode de règle-
ment de ses différends conforme aux usages du commerce international alors
que son refus entraînerait souvent la rupture des pourparlers engagés » (v. aussi
l’arrêt attaqué, Paris, 21 févr. 1961 préc., et Aix, 5 mai 1959, Clunet 1960. 1076,
obs. Sialelli, Rev. arb. 1960. 28). En d’autres termes, empêcher les organismes
publics français qui aspirent au rôle d’opérateurs du commerce international
de déférer aux usages qui y ont cours, c’est dissuader quiconque de traiter
avec eux et les condamner à l’inaction faute de partenaires. Si la mission
d’intérêt public requiert de l’organisme à qui elle est confiée qu’il entre dans
le jeu du commerce international pour atteindre les objectifs assignés, elle
nécessite alors que lui soit laissée la possibilité d’adhérer aux règles du jeu —
dont l’une, solidement établie dans la pratique, commande de respecter l’accord
d’arbitrage auquel on a souscrit.
Ainsi l’interdiction dérivant des articles 83 et 1004 de l’ancien Code de
procédure civile — aujourd’hui relayés par l’article 2060 du Code civil — se
révèle aussi nocive qu’inutile lorsque l’entité publique à laquelle on songe à
l’appliquer entretient dans le champ du commerce international des rapports
contractuels d’intérêts privés (et même, a-t-il semblé au législateur, lorsqu’il
s’agit de contracter « avec des sociétés étrangères pour la réalisation d’opéra-
tions d’intérêt national », L. no 86-972 du 19 août 1986, art. 9, dite loi Mickey).
La Cour de cassation était dès lors assurément fondée à reconnaître à l’État
et aux établissements qui en dépendent la liberté de compromettre en consa-
crant de la sorte l’arbitrabilité des litiges susceptibles de naître dans ce genre
d’hypothèse.
6 Cette justification fixe elle-même les limites de sa validité et, partant, le
domaine de la règle de la libre arbitrabilité.
La triple référence de l’arrêt au caractère international, à l’objet économi-
que et à la conformation juridique du contrat montre l’intention de la Cour de
cassation de ne considérer que le cas qui lui était soumis. Néanmoins le raison-
396 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 44
convenu » (Paris, 17 déc. 1991, Gatoil, Rev. arb. 1993. 281, note H. Synvet;
24 févr. 1994, Bec Frères, Rev. arb. 1995. 275, note Y. Gaudemet, RTD com.
1994. 255, obs. Dubarry et Loquin; 13 juin 1996, KFTCIC, Clunet 1997. 151,
note E. Loquin; v. Fouchard, Gaillard et Goldman, Traité de l’arbitrage com-
mercial international, nos 534 et s.; N. Coipel-Cordonmier, op. cit., nos 249
et s.). C’est bien sûr aller au-delà de l’affirmation de la liberté de l’État fran-
çais et des entités qui en dépendent, de souscrire, en dépit de l’article 2060 du
Code civil, une clause compromissoire dans les contrats internationaux qu’ils
concluent. Cependant, la règle que dégageait la Cour de cassation en 1966 posait
déjà, peut-être avec moins d’éclat mais tout aussi nettement, le problème de
son mode d’application.
vente internationale — LUVI —, Civ. 1re, 6 févr. 1996, Rev. crit. 1996. 460,
2e esp., note D. Bureau : pour l’application de la Convention de Vienne sur
la vente internationale de marchandises — CVIM —, Com., 17 déc. 1996, Céra-
mique culinaire de France, Rev. crit. 1997. 72, note J.-P. Rémery, D. 1997. 337,
note C. Witz). D’ailleurs, même émanant de l’ordre du for, la règle matérielle
internationale n’est pas, par nature, réfractaire au jeu de la règle de conflit. On
ne doute pas que les articles 647-1, 683 et suivants du Nouveau Code de pro-
cédure civile, relatifs aux notifications internationales (D. 2005-1678 du 28 déc.
2005), ne s’appliquent que si la loi française est désignée pour régir la pro-
cédure dans laquelle interviennent les actes à notifier (v. aussi l’article 3 du
Code du commerce international de Tchécoslovaquie — Loi du 4 déc. 1963,
entrée en vigueur le 1er avr. 1964 — et F. Deby-Gérard, Le rôle de la règle de
conflit dans le règlement des rapports internationaux, 1973, no 158). La
démarche consiste à déterminer d’abord, grâce à la règle de conflit, l’ordre
juridique compétent pour ensuite, mettre en œuvre la règle matérielle interna-
tionale que celui-ci édicte. En l’espèce, la Cour de cassation aurait pu s’y plier
sans compromettre le résultat qu’elle a atteint — pourvu qu’elle délaissât,
d’une part, la qualification tendancieuse qu’elle avait dans l’arrêt San Carlo
reprise de la Cour de Paris et qu’elle consentît, d’autre part, à discerner dans
l’arbitrabilité une question de statut et de pouvoirs dépendant de la loi de
l’État ayant constitué l’entité publique concernée. Applicable alors, en vertu
de la règle de conflit, la loi française se serait appliquée en sa disposition de
droit international privé matériel consacrant la liberté de compromettre.
L’abandon de la règle de conflit par l’arrêt Galakis n’en est que plus lourd
de sens. Il exprime le rejet du libre échange des lois étatiques dont la méthode
conflictuelle est l’instrument. Il impose aussi de préciser le procédé selon
lequel est traitée la question de l’aptitude de l’État à compromettre.
11 B. — L’arsenal du droit international privé n’est pas démuni de moyens pro-
pres à empêcher le libre échange des lois étatiques; il suffit d’évoquer l’excep-
tion d’ordre public et le procédé des lois de police, intervenant l’un a poste-
riori et l’autre a priori par rapport à l’opération de la règle de conflit, mais
tous deux récusant l’équivalence qui permet d’ordinaire de substituer le droit
étranger au droit du for (v. obs. sous Cie internationale de wagons-lits, infra,
no 53). Cependant aucun de ces deux procédés ne semble correspondre à la
démarche suivie en l’espèce, laquelle présente donc une relative originalité.
En dépit du précédent de l’arrêt des Messageries maritimes (v. supra, arrêt
no 22) et de l’autorité considérable qui le soutient, le recours à la notion d’ordre
public est inapproprié. L’exception d’ordre public est destinée, on le sait, à
repousser l’application de lois étrangères qui produirait un résultat incompati-
ble avec les exigences fondamentales de l’ordre juridique du for. Cette pers-
pective n’est pas ouverte en l’espèce où l’ordre public n’aurait pu trouver pour
adversaire que la loi anglaise; précisément, cette loi comme la règle française
de droit international privé matériel, validait l’accord compromissoire. Cette
concordance des solutions décourage toute intervention de l’ordre public.
L’appel à la notion de loi de police ou loi d’application immédiate ne serait
pas moins contestable. Certes, viennent se ranger dans cette catégorie des nor-
400 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 44
tionales, thèse Paris II, 1992, nos 1022 et s., p. 675 et s.; comp. la détermination
du droit applicable au contrat par l’arbitre, dans l’affaire Valenciana, Paris,
13 juill. 1989, Rev. crit. 1990. 305, note B. Oppetit, Clunet 1990. 430, note
B. Goldman, Rev. arb. 1990. 663, note P. Lagarde, maintenu par Civ. 1re,
22 oct, 1991, Rev. crit. 1992. 113, note B. Oppetit, Clunet 1992. 177, note
B. Goldman, Rev. arb. 1992. 459, note P. Lagarde; B. Goldman, « Nouvelles
réflexions… » in Mélanges P. Lalive, p. 241).
Ainsi, à côté de celles qui, comme les articles 647-1, 683 et suivants du
Nouveau Code de procédure civile, restent subordonnées à la méthode con-
flictuelle, apparaît une autre catégorie de règles matérielles internationales qui
échappent à l’autorité de cette méthode. Ce second type, mis en évidence par
l’arrêt Galakis et encore peu représenté dans la panoplie du droit international
privé français, soulève de très épineuses questions. Ainsi celle du degré
d’originalité que doivent revêtir les besoins du commerce international pour
provoquer l’accueil par le système juridique français d’une solution spécifi-
que, écartant celle du droit interne, et aussi celle, consécutive, de l’articulation
de ces règles matérielles avec les règles de conflit conventionnelles ou com-
munautaires (v. notamment, H. Synvet, « Les lois de police applicables aux
opérations bancaires », Droit et banque, no hors série, juin 1993. 15 et « La
situation née du départ du salarié. Aspects de dr. int. pr. », Droit social, 1991.
836; L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit interna-
tional privé, thèse Paris II, éd. 2001, et Rev. crit. 2001, p. 25) ou encore celle,
ultérieure et non moins redoutable, de la constitution autonome — pas seule-
ment sur le plan substantiel, mais bien aussi sur le plan organique — d’un
droit commun des relations commerciales internationales, d’une lex mercato-
ria (v. Civ. 1re, 22 oct. 1991, Valenciana, préc.; pour une présentation
d’ensemble des thèses en présence v. F. Osman, Les principes généraux de la
Lex Mercatoria, thèse Dijon, éd. 1992, p. 257 et s.) (sur la lex mercatoria,
v. note B. Goldman, « Frontières du droit et lex mercatoria », APD 1965, p. 177;
P. Lagarde, « Approche critique de la lex mercatoria », Mélanges B. Goldman,
1982, p. 125; J.-M. Mousseron, « Lex mercatoria, bonne mauvaise idée ou
mauvaise bonne idée », Mélanges Boyer, 1996, p. 469).
45
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
4 octobre 1967
(Rev. crit. 1968. 98, note P. Lagarde, Clunet 1969. 102, note Goldman,
D. 1968. 95, note Mezger, JCP 1968. II. 15634, note Sialelli)
Exequatur. — 1° Conformité de la procédure étrangère
à l’ordre public et au respect des droits de la défense. —
2° Compétence indirecte. —
Article 15 du Code civil. — Renonciation.
ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen pris en ses deux branches : — Attendu qu’il
est fait grief à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence saisie par dame Samat, épouse
divorcée d’Albert Bachir, d’une action tendant à rendre exécutoire en France un
arrêt de la Cour d’appel de Dakar, qui, faisant droit à la demande en divorce de
la femme, lui a confié la garde de l’enfant né du mariage et alloué une pension
alimentaire, d’avoir décidé que Bachir ne pouvait prétendre que cette juridic-
tion étrangère était internationalement incompétente parce qu’il avait renoncé
au bénéfice des dispositions de l’article 15 du Code civil, alors, d’une part,
qu’une telle renonciation ne se présume pas et que le fait d’accepter de défen-
45 BACHIR — CASS., 4 OCTOBRE 196 403
OBSERVATIONS
1 Parmi les cinq conditions auxquelles depuis l’arrêt Munzer (v. supra, no 41)
est subordonnée l’efficacité en France des décisions étrangères, deux sont
404 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 45
son mariage a été dissous dans les formes et selon les lois du pays dont il était
sujet ». Ainsi au contrôle de la loi appliquée au fond par le juge étranger
s’associait le contrôle de la régularité de la procédure d’après la loi du tribunal
étranger. L’arrêt de Wrède (v. supra, no 10) subordonne l’exequatur à la condi-
tion que le jugement étranger ait été « rendu dans les formes prescrites par la
loi du pays »; ainsi s’implante la pratique de la référence à la loi de procédure
du for étranger.
Mais si celle-ci pouvait s’expliquer dans le cadre de la conception mise en
œuvre par ces arrêts anciens (v. obs. sous arrêt de Wrède, supra, no 10), l’évo-
lution des idées et des solutions en matière d’effets des jugements rendait son
maintien incertain. Elle se heurtait à deux séries d’objections. Les unes prove-
naient de l’ampleur et de la gravité des obstacles que rencontre fatalement
l’exercice d’un tel contrôle (A); les autres, plus décisives encore, se fondent
sur son absence de justification en tant que condition de l’exequatur (B).
4 A. — Les obstacles sont de deux ordres : le premier est pratique et le second
est juridique.
Le juge français, observera-t-on d’abord, n’est ni armé ni qualifié pour
contrôler l’application que le tribunal étranger a faite de ses propres règles de
procédure. Le juge de l’exequatur se heurte aux difficultés de la connaissance
du droit étranger qui sont plus embarrassantes encore ici, dans l’instance indi-
recte, qu’elles ne le sont dans l’instance directe — où il est possible en cas
d’incertitude sur la teneur du droit étranger de se rabattre sur la loi française
au titre de la vocation générale subsidiaire (v. supra, arrêt Bisbal, no 32).
Aussi bien a-t-on justement dénoncé « l’indécence d’une leçon donnée par le
juge français à son collègue étranger sur la saine application de sa propre loi »
(H. Batiffol, Rev. crit. 1960. 594) de même que l’inconfort dans lequel le pré-
tendu maître, trop inexpert, était précipité face à un élève rompu à toutes les
finesses de la matière (v. P. Bellet, « La jurisprudence du Tribunal de la Seine
en matière d’exequatur des jugements étrangers », Trav. com. fr. dr. int. pr.
1962-1964, p. 271; B. Goldman, note, Clunet 1964, p. 307). En réalité, ces
considérations avaient, dès avant la suppression du pouvoir de révision, fait
tomber dans un état de quasi désuétude le contrôle par le juge de l’exequatur
de la régularité de la procédure suivie à l’étranger (v. P. Lagarde, note préc.,
Rev. crit. 1968, p. 102). Cette tendance ne pouvait évidemment que s’accen-
tuer après l’arrêt Munzer. Avant même que ne fût rendue cette décision, la
Cour de Paris avait relevé qu’en dénonçant la violation par le juge étranger de
sa propre loi de procédure, l’appelant, « pour obtenir le rejet de l’exequatur,
demande en réalité au juge français non plus de contrôler si les conditions de
régularité de cet exequatur sont remplies, mais de réviser au fond les déci-
sions rendues à l’étranger » (Paris, 2 févr. 1961, Lestrade de Kyvon, Rev. crit.
1961. 566, note Francescakis). Etant désormais acquis en toute matière que la
régularité internationale ne peut dépendre « d’une nouvelle appréciation aussi
bien des faits que de l’application à ces faits des règles de droit » (Ph. Fran-
cescakis, note préc., p. 569), il ne reste plus de place pour le contrôle de la
conformité du jugement étranger à la loi de procédure étrangère (Ph. Frances-
cakis, eod. loc.; B. Goldman, notes au Clunet 1964, p. 307 et 1969, p. 105;
406 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 45
17 juin 1968
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que selon les énonciations des
juges du fond, Kasapyan, de nationalité turque, a épousé à Paris, en 1939, Mar-
guerite Duval, de nationalité française; que l’arrêt confirmatif attaqué a décidé
que les époux étant de nationalité différente et ayant leur domicile en France,
la loi française était applicable au divorce qui était demandé de part et d’autre;
— Attendu que le pourvoi soutient que la femme ayant, tout en conservant
sa nationalité d’origine, acquis, au regard de la loi turque, la nationalité turque
du mari, cette nationalité se trouvait être commune aux deux époux, ce qui
avait pour conséquence de rendre la loi turque applicable au divorce; — Mais
attendu que la cour constate que dame Kasapyan est demeurée française; que
cette nationalité seule pouvant être prise en considération par les tribunaux
français, c’est à bon droit que la cour d’appel, pour appliquer la règle française
de conflit qu’elle n’a nullement méconnue, a décidé que les époux Kasapyan
étaient de nationalité différente; que le moyen ne saurait être accueilli et que
l’arrêt, motivé, a légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 17 juin 1968. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Blin, prés.; Thirion, rapp.; Blondeau, av.
gén. — Me Talamon, av.
46 KASAPYAN — CASS., 17 JUIN 1968 413
OBSERVATIONS
1 L’arrêt Kasapyan est le « premier à avoir énoncé (…) dans des conditions
qui ne prêtent à aucune équivoque » (Batiffol, note Rev. crit. 1969. 60), la règle
qui veut que lorsqu’un individu a plusieurs nationalités dont la nationalité
française, cette dernière soit seule prise en considération par les juridictions
françaises. D’un parfait classicisme (I), la solution n’en présente pas moins
certains inconvénients qui expliquent les tempéraments dont elle est parfois
assortie (II).
I. Le principe
Rev. jur. et pol. de l’Union fr. 1952. 308, note Jean Foyer), cette solution a été
affirmée dans la présente affaire avec d’autant plus de force qu’elle est répétée
dans un arrêt du même jour rendu entre les mêmes parties sur la question du
régime matrimonial (Bull. I, no 713, p. 545; v. depuis, Civ. 1re, 7 nov. 1972, Lou-
nis, Rev. crit. 1973. 301, note P. Lagarde).
La primauté ainsi reconnue à la nationalité du for a parfois été critiquée au
motif qu’identique dans l’une et l’autre hypothèses, le problème devait être
résolu conformément à la même directive, celle de la nationalité effective
(Kahn, Frankenstein, Isay, cités par Maury, « Du conflit de nationalités… »,
Mélanges G. Scelle, p. 370; J.-P. Laborde, La pluralité du point de rattache-
ment dans l’application de la règle de conflit, thèse multigr., Bordeaux, 1981,
no 845, p. 594). Et de fait, exprimant une allégeance politique, la nationalité
repose sur une présomption d’appartenance à la collectivité étatique. Au cas où
plusieurs présomptions se contrediraient pourquoi ne pas rechercher celle qui
correspond le mieux à la réalité ? Mais se prononcer en ce sens, serait oublier
que « le juge ne peut se mettre en opposition avec le pouvoir dont il tient sa
mission et sans lequel il n’a aucune qualité » (Batiffol et Lagarde, t. I, no 78).
Or, on l’a vu, en matière de nationalité, chaque législateur a seul compétence
pour déterminer ses nationaux. Permettre au juge d’écarter la nationalité fran-
çaise au prétexte qu’elle n’est pas la nationalité effective, ce serait d’une cer-
taine façon introduire un cas de perte de la nationalité française non prévu par
le législateur (Derruppé, « La nationalité étrangère devant le juge français »,
Rev. crit. 1959. 231). Celui-ci a accompli un effort méritoire pour faire préva-
loir la réalité en ouvrant des options aux bi-nationaux (v. par ex., art. 19 et 24,
87 et 94, C. nat., devenus art. 18-1, 19-4, 23 et 23-5, C. civ.) et en leur permet-
tant, grâce à l’article 91 du Code de la nationalité (devenu l’art. 23-4, C. civ.),
de solliciter la libération de l’allégeance française; le juge ne saurait aller au-
delà. Il est, au demeurant, des raisons plus politiques à cette solution. Poser le
principe de la primauté de la nationalité du for, c’est se donner les moyens
« dans les pays à forte immigration d’éviter en matière de statut personnel les
dangers d’une société pluri-culturelle ». Comme le souligne M. Paul Lagarde,
« un pays comme la France est fondé à refuser qu’un Français possédant aussi
la nationalité d’un État musulman se prévale en France, au stade de la création
d’un droit, de son statut musulman étranger au motif que son autre nationalité
serait plus effective que sa nationalité française ». (« Vers une approche fonc-
tionnelle du conflit positif de nationalités », Rev. crit. 1988. 29 et s., spéc.
p. 38). Aussi bien la règle de la primauté de la nationalité du for est-elle connue
de la quasi-totalité des droits positifs.
Ils s’y marient et se font naturaliser français. Deux ans après, au cours d’un
séjour au Maroc, le mari répudie son épouse puis demande en France la
reconnaissance de cette décision sur le fondement de la Convention franco-
marocaine du 10 août 1981 (Rev. crit. 1981. 531). Le Tribunal de Paris prati-
quant l’approche fonctionnelle considère les époux comme marocains, en
dépit de leur naturalisation, et accorde l’exequatur. En la circonstance, cette
solution a pu être retenue car la femme ne s’était pas opposée à la répudiation.
Assimilée à un divorce par consentement mutuel, celle-ci ne heurtait pas
l’ordre public. Mais, au cas où un tel consentement aurait fait défaut, quelle
solution retenir ? À supposer réunies les garanties pécuniaires et procédurales
minimales exigées à l’époque par la Cour de cassation pour réputer la répu-
diation non contraire à l’ordre public au moins lorsqu’aucun époux n’est fran-
çais (Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi, infra, no 63; 6 et 26 juin 1990, Rev. crit.
1991. 593, note P. Courbe), la solution aurait entièrement dépendu de la natio-
nalité de ceux-ci : Français, la décision étrangère heurtait l’ordre public;
Marocains, elle ne le heurtait pas. En réalité, un « fonctionnalisme » consé-
quent imposerait de distinguer au sein même des conditions de l’exequatur.
S’agissant d’apprécier la compétence de l’autorité étrangère, « l’esprit » de la
Convention franco-marocaine voudrait que la nationalité du juge qui a rendu
la décision, c’est-à-dire la nationalité marocaine l’emporte. S’agissant, en
revanche, d’apprécier la conformité de cette dernière à l’ordre public, c’est la
cohésion de la société française qui est en jeu et on comprendrait mal que ne
soit pas retenue la nationalité du juge de l’exequatur dès lors que l’intensité
de l’ordre public varie en fonction d’un critère personnel. On perçoit ainsi
l’extraordinaire enchevêtrement de nationalités auquel peut conduire cette
démarche : dans un même procès et pour résoudre la même question, celle de
l’exequatur d’une décision étrangère, la même personne va être, à quelques
instants d’intervalle, réputée par la même autorité, française puis étrangère !
Plus grave encore, la question se réglant au coup par coup, toute prévisibilité
disparaît. La matière devient casuistique pure. Or, comme y a souvent insisté
le doyen Batiffol, il n’est pas de bonne justice sans prévisibilité des solutions.
Aussi bien cet auteur avait-il souligné dans le domaine voisin de la nationa-
lité des sociétés, la nécessité d’y conserver la dialectique du principe et de
l’exception. Face à la décision rendue par le Tribunal des conflits dans la
fameuse affaire Mayol Arbona, qui consacrait avant la lettre l’approche fonc-
tionnelle en posant que « la nationalité des sociétés ne peut être déterminée
qu’au regard des dispositions législatives ou réglementaires dont l’application
ou la non application à la société intéressée dépend de savoir si celle-ci est ou
non française » (T. confl., 23 nov. 1959, Rev. crit. 1960. 180, note Loussouarn,
Clunet 1961. 442, note Goldman, D. 1960. 223, note Savatier; v. infra, no 50
§ 9), il écrivait : « il est à souhaiter (…) que la jurisprudence ne s’attache pas
à la lettre de cette formule (…). Autrement, on provoquera un procès sur
chaque texte muet, et dont la solution sera divinatoire du fait même de ce
mutisme en l’absence de toute directive de principe ». (Batiffol et Lagarde, t. I,
no 197, p. 345).
Donnée pour la nationalité des personnes morales, la leçon s’étend dans
toute sa limpidité à la nationalité des personnes physiques et avertit alors qu’il
418 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 46
y aurait une singulière régression à abandonner les cadres solides qui résulte
de l’affirmation de la primauté de la nationalité du for. Aussi bien, s’il faut
répondre aux besoins mis en évidence par l’arrêt Dujaque, cela ne doit se faire
qu’à travers une règle revêtant la forme d’une exception au principe de la pri-
mauté de la nationalité du for, comme en témoigne la consécration de celui-ci
par toutes les codifications récentes (v. not. § 9 [1] Loi autrichienne du 15 juin
1978, Rev. crit. 1979. 171; § 11 [2] Décret-loi hongrois du 31 mai 1979, Rev.
crit. 1981. 163; art. 27 Loi portugaise du 3 oct. 1981, Rev. crit. 1982. 796;
Loi turque du 20 mai 1982, Rev. crit. 1983. 141; Loi yougoslave du 15 juill.
1982, Rev. crit. 1983. 353; art. 5, Loi allemande du 25 juill. 1985, Rev. crit.
1987. 172; art. 19, Loi italienne du 31 mai 1995, Rev. crit. 1996. 177; art. 3,
Loi belge du 16 juill. 2004, Rev. crit. 2005. 154), à l’exception de la législa-
tion suisse (art. 23, loi du 18 déc. 1987, Rev. crit. 1988. 409).
8 Encore faudrait-il pour que la sécurité juridique soit sauvegardée, que les
contours de cette exception soient suffisamment définis.
À cet effet, deux voies s’offrent. Une voie libérale : lorsque l’instance a pour
objet la reconnaissance d’une décision obtenue à l’étranger par des personnes
possédant à la fois la nationalité de l’État d’origine du jugement et celle de
l’État de reconnaissance, la nationalité de l’État d’origine prévaudrait systé-
matiquement par une sorte d’« effet réflexe du principe dominant en matière
de conflit de nationalités » (B. Audit, note D. 1985, IR p. 499). Une voie res-
trictive : la reconnaissance du jugement serait subordonnée à la constatation
que la nationalité de l’État d’origine du jugement possédée par les intéressés
est la plus effective.
De la première, on a pu observer qu’elle offre « l’avantage de garantir beau-
coup plus sûrement la reconnaissance de la décision étrangère » (P. Lagarde,
Cours préc., Rec. cours La Haye, 1986, t. I, p. 85). Des exemples précédents,
il résulte néanmoins qu’il serait préférable de l’écarter car, suivie à la lettre,
elle pourrait conduire à la reconnaissance en France de la répudiation pronon-
cée contre la volonté de l’épouse ou de la seconde union contractée par un
Français dans un pays musulman dont il a aussi la nationalité, avec une femme
dont le statut admet la polygamie. En l’état du droit positif, l’ordre public
international français ne fait pas, en effet, obstacle à l’accueil de la deuxième
de ces situations si les époux sont considérés comme ayant la nationalité du
pays où elles ont été constituées. Quant aux répudiations, la haute juridiction
a un temps admis qu’il ne faisait pas obstacle à leur reconnaissance, avant de
se réorienter vers des solutions plus sévères (infra, no 63-64).
Consacrée à plusieurs reprises à l’étranger (v. décisions préc.), la seconde
aurait le mérite de répondre à une partie des difficultés évoquées. Elle permet-
trait d’éviter qu’un Français, résidant en France, ne s’y prévale d’une autre
nationalité pour obtenir la reconnaissance d’une décision qu’il n’aurait pu y
faire prononcer.
Encore cette restriction ne nous paraît-elle pas suffisante. En effet, à suppo-
ser même que les intéressés aient pour nationalité effective celle d’un pays
étranger, la décision qu’ils y auraient obtenue ne saurait recevoir effet en
46 KASAPYAN — CASS., 17 JUIN 1968 419
France, s’ils sont également français et que cette décision heurte l’ordre public
renforcé que la jurisprudence attache parfois à la qualité de français.
Enfin, la compétence exclusive qui se déduisait de l’article 15 du Code civil
(v. sur cette question, infra no 87) ne paraissait pas devoir être tenue en échec
par ce tempérament. La Cour de cassation l’avait d’ailleurs rappelé à plusieurs
reprises (Civ. 1re, 23 juin 1982, Nolan, Rev. crit. 1983. 314, note E. Poisson-
Drocourt; 27 janv. 1987, Alamir, Rev. crit. 1987. 605, note P. Lagarde; rappr. à
propos de l’art. 14, Civ. 1re, 2 oct. 2001, D. 2001. IR, p. 3089, JCP
2001. IV. 2819). Mais, en supprimant le privilège indirect de l’article 15 par
un arrêt Prieur du 23 mai 2006 (v. infra, no 87, § 10), la haute juridiction a,
par là-même, privé les double nationaux comme tout autre ressortissant fran-
çais du bénéfice de cette règle.
25 février 1969
Les États étrangers et les organismes agissant par leur ordre ou pour leur
compte ne bénéficient de l’immunité de juridiction qu’autant que l’acte qui
donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été accom-
pli dans l’intérêt d’un service public.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique pris en ses diverses branches : — Attendu
que, selon les énonciations de l’arrêt attaqué, la Compagnie Générale d’Entre-
prises Electriques ayant expédié, à destination de l’Iran, des marchandises par
l’entremise d’un commissionnaire, la Société Méditerranéenne de portefaitage
et de transit (SOMEPORT), a assigné celle-ci en réparation de diverses avaries;
que ladite société a appelé en garantie notamment la Société Iranienne
« Levant Express Transport », plus spécialement chargée du transport terrestre
entre Khorramshar et Téhéran, laquelle a appelé en intervention forcée et
garantie l’Administration des chemins de fer du gouvernement iranien; que
l’arrêt infirmatif attaqué l’ayant déboutée de son exception d’incompétence
fondée sur l’immunité de juridiction dont elle se prévalait, cette administration
soutient qu’en tant qu’organe du pouvoir central et expression de son activité
elle bénéficiait de l’immunité et fait grief à la cour d’appel d’avoir « insuffisam-
ment répondu » aux conclusions par lesquelles elle faisait valoir que les chemins
47 SOC. LEVANT EXPRESS TRANSPORT — CASS., 25 FÉVRIER 1969 423
OBSERVATIONS
2 Le défaut de pouvoir des tribunaux français pour connaître des litiges dans
lesquels un État étranger est impliqué comme défendeur a été affirmé pour la
424 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 47
première fois par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 janvier 1849 (Gou-
vernement espagnol c/Casaux, D. 1849. 1. 9, S. 1849. 1. 81) :
« Attendu que l’indépendance réciproque des États est l’un des principes
les plus universellement reconnus du droit des gens; que, de ce principe, il
résulte qu’un gouvernement ne peut être soumis, pour les engagements qu’il
contracte, à la juridiction d’un État étranger; qu’en effet le droit de juridic-
tion, qui appartient à chaque gouvernement pour juger les différends nés à
l’occasion des actes émanés de lui, est un droit inhérent à son autorité souve-
raine, qu’un autre gouvernement ne saurait s’attribuer sans s’exposer à altérer
leurs rapports respectifs ».
Fondée sur l’idée d’indépendance réciproque des États, l’immunité bénéfi-
ciait à ceux-ci en raison de leur seule qualité; elle était absolue. Mais cette
conception n’était viable qu’autant que les actes accomplis par l’État l’étaient
dans l’exercice de sa souveraineté. L’autoriser à se prévaloir de ce privilège
alors qu’il se comportait comme une personne privée — commerçant, entre-
preneur —, c’était lui permettre de « jouer sur les deux tableaux » (Lous-
souarn, note, Rev. crit. 1962. 352); c’était paralyser la fonction juridiction-
nelle et sacrifier les intérêts des justiciables, sans que rien ne le justifiât. Aussi
bien, les tribunaux français ne purent-ils maintenir leur position traditionnelle
dès lors que l’ingérence de l’État dans la vie économique s’accrut. Confrontée
au monopole du commerce extérieur qu’entendaient s’arroger certains États, la
Chambre des requêtes refusa, par un arrêt célèbre du 19 février 1929 (DP 1929.
1. 73, note Savatier, S. 1930. 1. 49, note Niboyet; v. aussi Req. 15 déc. 1936,
S. 1937. 1. 104, Rev. crit. 1937. 710), le bénéfice de l’immunité de juridiction
à la Représentation commerciale des soviets au motif que celle-ci « manifeste
son activité commerciale dans tous les domaines; que ces manifestations ne
peuvent apparaître que comme des actes de commerce auxquels le principe de
souveraineté des États demeure complètement étranger ».
3 Ainsi d’absolue, l’immunité de juridiction des États étrangers devenait-elle
relative. Encore fallait-il définir la portée exacte de cette limitation. À cet effet,
la jurisprudence distingua les actes d’autorité des actes de gestion, les premiers
étant seuls couverts par l’immunité (v. par ex., Req. 5 févr. 1946, S. 1947. 1.
137, rapp. Castets). Directement inspirée des principes qu’avait initialement
employés la juridiction administrative pour déterminer sa propre compétence
par rapport à celle des tribunaux judiciaires, cette directive se heurta aux mêmes
difficultés de mise en œuvre. Aussi bien, poursuivant dans cette voie et faisant
sienne l’expérience des juges administratifs, la Cour de cassation devait-elle
ultérieurement s’inspirer des nouveaux critères élaborés par ceux-ci à cette
même fin. Après bien des tâtonnements cette tendance trouve enfin une formu-
lation claire dans l’arrêt ci-dessus reproduit :
« Attendu que les États étrangers et les organismes agissant par leur ordre
ou pour leur compte ne bénéficient de l’immunité de juridiction qu’autant que
l’acte qui donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été
accompli dans l’intérêt d’un service public ».
Ainsi est-il tenu compte soit de la nature intrinsèque de l’acte litigieux, soit
de la finalité poursuivie. Le premier critère tend à écarter l’immunité chaque
47 SOC. LEVANT EXPRESS TRANSPORT — CASS., 25 FÉVRIER 1969 425
fois que l’État agit dans les formes du droit privé, c’est-à-dire notamment
lorsque le contrat qu’il conclut ne comporte pas de clause exorbitante du droit
commun. Quant au second critère, il permet d’accorder l’immunité dès lors
que l’acte, même dépourvu de clause exorbitante, a été réalisé dans un but de
service public. La disjonctive « ou » employée par l’arrêt et reprise ultérieure-
ment par d’autres décisions (v. par ex., Civ. 1re, 19 mai 1976, Banque du Japon,
Rev. crit. 1977. 359, note Batiffol, Clunet 1976. 687, note Kahn; rappr. Civ. 1re,
2 mai 1990, Soc. nationale iranienne de gaz, Rev. crit. 1991. 140, note
P. Bourel; 27 avr. 2004, Cotigny, Rev. crit. 2005. 75, (1re esp.), note H. Muir
Watt), marque bien, en effet, qu’il suffit qu’une des deux conditions soit
réalisée pour que l’immunité existe (1). En revanche, lorsqu’elle font toutes
deux défaut, l’immunité du juridiction ne saurait jouer. C’est ainsi que la
jurisprudence a, à plusieurs reprises, décrété que le licenciement d’une per-
sonne employée dans une ambassade étrangère en France mais n’y exerçant
aucune responsabilité particulière est un acte de gestion qui n’est pas couvert
par l’immunité de juridiction de l’État étranger (Civ. 1re, 11 févr. 1997, Rev.
crit. 1997. 332, note H. Muir Watt, pour un concierge; Soc. 10 nov. 1998,
D. 1999. 157, note M. Menjucq, pour une infirmière). Elle a, au contraire,
admis l’existence d’une immunité dans le cas d’un ancien diplomate employé
comme traducteur à l’ambassade d’Arabie saoudite ou dans celui d’un traduc-
teur du service des passeports du consulat d’Égypte (Soc. 18 juill. 2000 et 9 oct.
2001, cités par R. de Gouttes, chron. D. 2006, p. 606, spéc. p. 609, no 5).
4 Cette référence aux critères élaborés par la jurisprudence administrative a sus-
cité un débat plus général : Faut-il l’entendre à la lettre et décider que l’immu-
nité est écartée ou retenue selon que la compétence interne est administrative
ou judiciaire ? Doit-on, au contraire, y voir une simple directive qui, tout en
s’inspirant du droit interne, conserverait son autonomie ? La réponse dépend
du fondement que l’on assigne à l’immunité de juridiction de l’État étranger.
Il a été soutenu que ce qu’on dénomme habituellement immunité ne serait
que le produit de l’incompétence d’attribution de nos tribunaux. Incompétents
ratione materiae pour connaître de certains actes (actes administratifs, actes
de fonction), accomplis par l’État français, nos tribunaux judiciaires le seraient
également, de ce seul fait, à l’égard de ceux de même nature émanant des
États étrangers; quant aux tribunaux administratifs, ils ne pourraient résoudre
que des litiges dans lesquels l’État français est impliqué. Ainsi l’immunité
coïncidant avec l’incompétence d’attribution des juridictions judiciaires fran-
çaises, son domaine résulterait de l’application pure et simple des critères
élaborés par le droit interne pour délimiter les compétences respectives des
juridictions administratives et judiciaires. Ebauchée par Niboyet (« Immunité
de juridiction et incompétence d’attribution », Rev. crit. 1950. 139 et s.), cette
analyse a été poussée jusqu’au bout de sa logique par M. Freyria (« Les limi-
tes de l’immunité de juridiction et d’exécution des États étrangers », Rev. crit.
1951. 207 et s., 449 et s.; et obs. Rev. crit. 1953. 425). Quoique séduisante, elle
(1) Suggéré par certains afin de limiter plus strictement le domaine de l’immunité (Di Qual,
note, JCP 1966. II. 14571), l’emploi cumulatif de ces critères n’a pas, pour l’instant, été retenu.
426 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 47
achoppe, nous semble-t-il, sur une double constatation. En premier lieu, affir-
mer que l’immunité de juridiction procède de l’incompétence ratione materiae
des tribunaux judiciaires suppose une coïncidence parfaite des deux notions.
Or précisément, on constate que le domaine de l’immunité ne concorde pas
avec celui de l’incompétence d’attribution des tribunaux judiciaires. Il est, à
certains égards, plus vaste : les tribunaux judiciaires ne peuvent, par exemple,
connaître directement de mesures d’expropriation prévues par un État étranger
alors que celles-ci rentrent dans leur compétence d’attribution (rappr. Civ. 1re,
20 oct. 1987, Soc. int. de plantations d’hévéas, Rev. crit. 1988. 727, note
P. Mayer). Il est, à d’autres égards, moins étendu : les conseils de prud’hom-
mes peuvent connaître des litiges relatifs aux contrats conclus entre une entre-
prise publique étrangère et son personnel de direction, alors que ces mêmes
litiges sont, en droit interne, de la compétence du tribunal administratif (Soc.
26 janv. 1989, Cie Air Algérie, Rev. crit. 1989. 754, note H. Gaudemet-Tallon).
En second lieu, fonder l’immunité sur la compétence d’attribution des tribu-
naux français, c’est lui conférer un caractère d’ordre public rendant inopé-
rante toute renonciation de l’État étranger. Or cette faculté lui est aujourd’hui
unanimement reconnue. En réalité, si la transposition peut s’expliquer par
l’idée que dans l’un et l’autre cas il s’agit de déterminer dans quelle mesure
les tribunaux doivent s’abstenir de s’immiscer dans l’Administration de l’État,
le décalage des solutions montre bien, en même temps, que l’immunité est
irréductible à la mise en œuvre des règles de compétence dans l’ordre interne
et qu’elle obéit à des impératifs propres. La doctrine contemporaine a entre-
pris de les découvrir dans deux directions différentes.
5 Pour certains, l’immunité s’expliquerait par le souci de respecter les souve-
rainetés étrangères ; plus précisément, elle représenterait un « point d’équili-
bre » entre deux manifestations de souveraineté, celle du for dans son expres-
sion juridictionnelle et celle de l’État étranger (Ph. Théry, Pouvoir juridictionnel
et compétence, thèse multigr. 1981, no 215, p. 197; v. aussi G. Holleaux, Trav.
com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 175). Dans cette conception, « un État ne peut
s’ériger en juge d’un autre État à l’égard d’un acte que celui-ci a accompli dans
l’exercice de sa souveraineté, sauf s’il accepte de se laisser juger » (P. Mayer
et V. Heuzé, no 324).
Pour d’autres, l’immunité de juridiction aurait pour but d’éviter que « les
appréciations portées par les tribunaux, même dans les limites de leur compé-
tence, sur les actes d’un État étranger, puissent être de nature à troubler les
relations de la France avec cet État ». Avancée par MM. Batiffol et Lagarde
qui la relient à l’idée de courtoisie (t. II, no 693), cette analyse a été dévelop-
pée et infléchie par M. Michel Bauer (Le droit public étranger devant le juge
du for, thèse multigr., Paris II, 1977, p. 268 et s.). Observant que la décision
rendue au mépris de l’immunité de juridiction peut être critiquée au moyen du
pourvoi pour excès de pouvoir sur l’ordre du garde des sceaux, instrument par
excellence de protection de l’ordonnancement constitutionnel contre les empié-
tements du pouvoir judiciaire, l’auteur voit dans l’immunité une « application
de la règle matériellement constitutionnelle qui interdit à l’autorité judiciaire
d’intervenir dans les relations internationales de la France » (op. cit., no 316,
47 SOC. LEVANT EXPRESS TRANSPORT — CASS., 25 FÉVRIER 1969 427
nités, nos 40 et s.). Vivement critiquée par la doctrine au motif que l’existence
ou l’absence de personnalisation d’un organisme d’État ne constitue qu’un
procédé de gestion plus ou moins commode dépourvu de signification pro-
fonde (Bourel, Rép. préc., no 44; Kahn, note, Clunet 1966. 852), cette concep-
tion paraît aujourd’hui définitivement abandonnée. L’immunité a, en effet, été
octroyée à des organismes dotés d’une personnalité indépendante, notamment
à des organismes bancaires (Civ. 1re, 3 nov. 1952, Rev. crit. 1953. 423, note Frey-
ria, Clunet 1953. 654, note J. B. S.; Civ., 19 mai 1976, préc.), alors qu’elle
était, comme en l’espèce, déniée à des services publics qui étaient des émana-
tions du pouvoir central. La jurisprudence s’attache désormais à la nature de
l’activité réalisée : acte de puissance publique ou accompli dans un but de ser-
vice public.
9 Est-ce à dire que la considération de la qualité de celui qui exerce cette acti-
vité soit devenue indifférente ? La lecture de l’arrêt ci-dessus reproduit
apporte, à cet égard, des éléments de réponse ambigus. En effet, après avoir
affirmé que « les États étrangers et les organismes agissant par leur ordre ou
pour leur compte ne bénéficient de l’immunité qu’autant que l’acte qui donne
lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans
l’intérêt d’un service public », il ajoute que l’« immunité est fondée sur la
nature de l’activité et non sur la qualité de celui qui l’exerce ». Pourquoi rap-
peler que le privilège ne bénéficie qu’aux États et aux organismes qui les
représentent si son attribution s’effectue en raison de la seule nature de l’acti-
vité exercée ? Certes une conciliation est possible : le fait qu’un organisme qui
ne s’identifie pas avec l’État agit par représentation de celui-ci se reconnaîtrait
à ce qu’il accomplit des actes de nature publique (P. Mayer et V. Heuzé,
no 325). Mais cette analyse n’est pas totalement satisfaisante : en identifiant
qualité personnelle et nature de l’activité, elle fait perdre à la première toute
originalité. Or il est, semble-t-il, des hypothèses où il est satisfait au critère
objectif sans que pour autant l’immunité puisse être valablement invoquée.
Ainsi en va-t-il lorsque l’acte, quoique présentant la nature requise, émane d’un
démembrement territorial de l’État (sur cette jurisprudence, v. Rép. Dalloz dr.
int., v° Immunités, nos 36 et s., et en dernier lieu, TGI Paris, 15 janv. 1969, Rev.
crit. 1970. 98, note Bourel). Dépourvues d’existence au plan international, ces
collectivités agissent pour leur propre compte et non celui de l’État. De même
a-t-on proposé qu’il en aille ainsi lorsqu’un organisme agissant par délégation
de l’État accomplit des actes de puissance publique non pour répondre à la
mission qui lui a été confiée mais pour rendre service à un particulier. Il agit
alors, en effet, en représentation d’intérêts privés (Batiffol et Lagarde, t. II,
no 693-1; sur cette hypothèse v. Batiffol, note Rev. crit. 1977. 365).
On perçoit ainsi que tout en mettant l’accent sur la nature des actes accom-
plis, la jurisprudence n’exclut pas toute recherche quant à la personne de celui
qui invoque le privilège (comp. B. Audit, no 410). Certes, cette dernière consi-
dération sera le plus souvent implicite lorsque c’est l’État lui-même ou,
comme en l’espèce, l’une de ses émanations directes qui est défendeur au pro-
cès (Sur la notion d’émanation, v. Civ. 1re, 4 janv. 1995, Clunet 1995. 649,
note Mahiou); son existence est indiscutable. Mais cette coïncidence ne doit
47 SOC. LEVANT EXPRESS TRANSPORT — CASS., 25 FÉVRIER 1969 431
8 juillet 1969
(Rev. crit. 1971. 75, note Fouchard, Clunet 1970. 916, note Derruppé,
JCP 1970. II. 16182, note H. Gaudemet-Tallon)
Statut réel mobilier. — Loi applicable. — Conflit mobile.
La loi française est seule applicable aux droits réels dont sont l’objet les
biens mobiliers situés en France.
Faits. — La Société allemande D.I.A.C. avait ouvert au profit d’une autre société
allemande, la Société Eugen Schluter, un crédit destiné à financer l’acquisition d’une
automobile. Selon l’analyse que les juges du fond français avaient donnée de la conven-
tion, régulièrement conclue au regard de la loi allemande, le véhicule était grevé d’un
gage assorti d’une réserve de propriété au profit du créancier. Immatriculé en Allema-
gne, le véhicule fut ultérieurement introduit en France. Ne parvenant pas à se faire
payer, un garagiste français, M. Oswald, devenu créancier de la Société Eugen Schluter
pour diverses fournitures qu’il lui avait procurées, fit pratiquer une saisie conservatoire du
véhicule. La société DIAC estimant ses droits compromis par cette saisie en demanda la
mainlevée. À cet effet, elle invoquait non sa qualité de créancier gagiste qui ne lui était
pas contestée et qui lui aurait sans doute permis d’obtenir gain de cause (sur cette ques-
tion, v. Fouchard, note Rev. crit. 1971. 82) mais son droit de propriété sur le véhicule.
Cette demande fut rejetée par la Cour de Colmar le 3 mars 1967 au motif, semble-t-il
d’après le pourvoi, que même valablement stipulée au regard de la loi étrangère applica-
ble au contrat, la clause de réserve de propriété s’analysait en un pacte commissoire
contraire à l’ordre public international français.
Un pourvoi fut formé.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que selon les énonciations des
juges du fond, la Société Saarfinanz, présentement désignée sous le sigle DIAC,
dont le siège est en Allemagne, a, conformément à la loi allemande, ouvert à la
Société allemande Eugen Schluter un crédit pour l’achat d’une voiture automo-
bile, qui fut immatriculée en Allemagne; qu’aux termes de la convention alors
intervenue, ce véhicule a été frappé d’un gage assorti d’une réserve de pro-
priété au profit du créancier; que le véhicule ayant été introduit en France, le
garagiste Oswald, se prévalant d’une créance contre la Société Eugen Schluter
pour des fournitures qu’il lui avait procurées, a fait pratiquer une saisie conser-
vatoire sur le véhicule qu’il détient; qu’il est reproché à l’arrêt confirmatif atta-
48 SOC. DIAC — CASS., 8 JUILLET 1969 433
OBSERVATIONS
1 Quelle est, au regard de l’ordre juridique français, la valeur d’une clause de
réserve de propriété consentie en Allemagne, à un établissement financier alle-
mand par un emprunteur de même nationalité sur un véhicule immatriculé
dans ce pays mais ultérieurement introduit en France ?
Afin de répondre à cette question dont l’importance pratique est évidente,
la Cour de cassation développe un raisonnement en trois temps :
1) les droits réels mobiliers et, parmi eux, les sûretés réelles mobilières sont
régis par la lex rei sitae;
2) en cas de déplacement de la chose, la lex rei sitae est celle de la situation
actuelle, c’est-à-dire en l’espèce la loi française;
3) la clause allemande de réserve de propriété équivaut à un pacte commis-
soire prohibé par la loi française.
On reprendra ici chacune des étapes de ce raisonnement.
2 En énonçant que les droits réels mobiliers relèvent de la lex rei sitae, la Cour
fait référence à une règle qui paraît parmi les mieux établies du droit interna-
tional privé. Il s’agit là pourtant d’un principe qui ne s’est imposé que très pro-
gressivement (A) et dont l’application aux sûretés mobilières d’origine conven-
tionnelle laisse encore place à la discussion (B).
3 A. — Le Code civil était resté muet sur la loi applicable aux meubles (1).
S’ajoutant à l’ambiguïté de notre Ancien droit ce silence laissait la voie libre
aux interprétations les plus diverses.
(1) En cas de conflit mobile, le domicile pris en compte était dans le premier cas le domicile
d’origine, dans le second le domicile actuel.
48 SOC. DIAC — CASS., 8 JUILLET 1969 435
dr. int. pr., p. 79, 150, 155). D’où, l’ampleur des exceptions qui les auraient
affectées. Ainsi selon Vareilles-Sommières, « au principe d’abord posé, on
soustrayait tout, excepté deux choses : la distribution de la succession mobi-
lière et l’attribution des droits de préférence » (La synthèse du droit interna-
tional privé, p. 52, no 79). Mais — convergence inattendue —, la conception
extensive jadis soutenue par d’Argentré devait recevoir un renfort de l’école
de Mancini ainsi que de Story. Ceux-ci préconisèrent, en effet, la soumission
des meubles à la loi personnelle de leur propriétaire. Bien que cette sugges-
tion ait obtenu quelques succès — éphémères au demeurant — en droit
positif (1), la jurisprudence française lui resta, semble-t-il fermée.
4 Dès 1872, la Cour de cassation affirma la compétence de la lex rei sitae
(Req. 19 mars 1872, Craven, DP 74. 1. 465, S. 72. 1. 238) :
« En ce qui concerne l’article 3 : — attendu que si cet article, en disant
expressément que les immeubles possédés par les étrangers sont régis par la
loi française garde le silence sur les meubles, rien n’autorise à en conclure
que ces derniers, dans la pensée du législateur, doivent être toujours et néces-
sairement soumis à la loi étrangère; qu’il ne saurait en être ainsi, tout au
moins, dans les questions de possession, de privilège et de voies d’exécution ».
La proposition restait néanmoins timide. Il fallut attendre l’arrêt Kantoor de
Mas (Req. 24 mai 1933, S. 1935. 1. 253, note Batiffol, Rev. crit. 1934. 142,
note J. P. N.) pour que soit enfin énoncé fermement que la loi française est
« seule applicable aux droits réels dont sont l’objet les biens mobiliers situés
en France ». C’est cette affirmation que reprend, mot pour mot, l’arrêt ci-dessus
reproduit.
Et de fait, sans aller jusqu’à dire que « fondre le mobilier dans la per-
sonne », c’est « créer un être monstrueux » (Vareilles-Sommières, op. cit., no 78,
p. 51), il faut reconnaître que le régime des biens est totalement indépendant
de celui des personnes. De plus, aucune vie juridique ne serait possible si, lors
de chaque opération afférente à un meuble, l’on était obligé de tenir compte
de la loi personnelle du propriétaire souvent incertaine (Niboyet, Traité, t. IV,
no 1191). Enfin, comment se référer à cette loi, lorsque plusieurs revendi-
quants, de statut personnel différent, se contestent la propriété d’un même
bien ? (Batiffol et Lagarde, t. I, no 280). Le recours à un rattachement objectif
est alors, à l’évidence, indispensable. Et quelle directive est mieux à même de
le fournir, si ce n’est l’idée qu’un rapport de droit est naturellement localisé
par son objet quand celui-ci est un bien corporel ? (Batiffol et Lagarde, t. I,
no 283). Elle permet, en effet, de satisfaire, ainsi qu’on l’a vu (v. supra, arrêt
Stewart, no 3 § 4), les divers intérêts en présence : intérêts particuliers, intérêt
général, intérêt de l’ordre international. Néanmoins la remarque perd en partie
sa force lorsqu’elle est appliquée aux meubles. Les avantages de la lex rei
(1) Voir par ex. : art. 7 des dispositions préliminaires du Code civil italien de 1865 : « les biens
meubles sont soumis à la loi de la nation de leur propriétaire, sauf le cas de disposition contraire de
la loi du pays où ils se trouvent », remplacé par l’art. 22 du Code civil du 16 mars 1942; art. 10 du
Code civil espagnol de 1889 : « les meubles sont soumis à la loi de la nation à laquelle appartient le
propriétaire » remplacé par le nouvel art. 10, al. 1, rédaction D. 31 mai 1974.
436 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 48
sitae se retrouvent en effet pour ceux-ci, mais associés à des inconvénients qui
ne se rencontrent pas pour les immeubles (Loussouarn, Bourel et de Vareilles-
Sommières, no 169). La qualité du rattachement y est notamment affaiblie,
ainsi que le relevaient déjà nos anciens auteurs, par la possibilité d’un conflit
mobile : en cas de déplacement du meuble, les divers intérêts en présence
s’affrontent fréquemment de manière inconciliable (infra, II). Aussi, afin de
dépasser cette difficulté, certains ont-ils proposé de recourir à la loi d’autono-
mie lorsque les droits réels, et notamment les sûretés mobilières, prennent leur
source dans un contrat (pour une critique de la solution traditionnelle et une
proposition tendant à lui substituer pour les meubles situés à l’étranger, la
méthode de l’ordre juridique de référence, v. L. d’Avout, Sur les solutions du
conflit de lois en droit de biens, thèse Paris II, 2005).
5 B. — Les droits réels ont leur source soit dans un mode d’acquisition spéci-
fique (ex., possession, occupation) soumis à la lex rei sitae, soit dans un fait
(ex., succession ab intestat) ou un acte juridique (ex., vente) qui obéit à une loi
propre. Le problème se pose alors de la délimitation de leur frontière. À cet
effet, on enseigne habituellement, à propos des contrats translatifs ou constitu-
tifs de droit réel, que relèvent de la loi du contrat ses conditions de formation
ainsi que ses effets créateurs d’obligations, de la lex rei sitae le contenu des
droits réels mais aussi les conditions de leur création ou de leur transfert entre
les parties comme à l’égard des tiers (Batiffol et Lagarde, t. II, no 524; Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 419; Fouchard, Rép. Dalloz dr.
int., 1re éd., v° Biens, nos 82 et s.). C’est à cette présentation traditionnelle
qu’adhère implicitement l’arrêt ci-dessus reproduit.
6 La matière serait donc totalement paisible si un courant doctrinal persistant
n’avait proposé d’évincer la loi réelle au profit de la loi d’autonomie. Émise ini-
tialement par Mme Gaudemet-Tallon (note, JCP 1970. II. 16182), cette sug-
gestion a été reprise et approfondie par MM. Mayer et Heuzé (nos 646 et s.) ainsi
que par M. Khairallah (Les sûretés mobilières en droit international privé, 1984).
Leur constatation de départ est simple : l’application de la lex rei sitae pré-
sente en notre domaine des insuffisances manifestes. Incertaine et changeante,
la situation du meuble peut engendrer un conflit mobile qu’il est impossible de
résoudre en assurant de façon adéquate la sécurité des tiers et celle des contrac-
tants (infra, II). Au surplus, cette application requerrait une « scission impra-
ticable » entre les effets réels et les effets personnels de l’acte juridique
(P. Mayer et V. Heuzé, no 654; Khairallah, op. cit., nos 49 et s.). Sous les appa-
rences d’une application distributive des lois contractuelle et réelle se dissimule-
rait en réalité, notamment pour les sûretés, l’exigence d’un cumul (Khairallah,
op. cit., nos 33 et s.). Or précisément, en supprimant la difficulté sur ces deux
points, la loi d’autonomie marquerait sa supériorité. Et il ne saurait être ques-
tion de lui objecter son imprécision : les progrès réalisés grâce à la théorie de
la localisation permettraient de la déterminer avec une facilité et une objecti-
vité lui conférant une stabilité et une certitude dont ne peut pas toujours se
targuer la loi réelle mobilière (H. Gaudemet-Tallon, note préc.; Khairallah,
op. cit., nos 245 et s.).
48 SOC. DIAC — CASS., 8 JUILLET 1969 437
À cela, il avait été répondu par avance (Batiffol, note S. 1935, p. 258) que
les litiges mobiliers se posant fréquemment en dehors de tout contrat une
pareille solution briserait la « nécessaire unité » du statut réel. Ce n’est pas en
effet, ainsi que l’ont relevé différents protagonistes de ce débat (Batiffol, note
préc.; Fouchard, note, Rev. crit. 1971, p. 78), les seuls modes d’acquisition de
droits réels qui échapperaient à la lex rei sitae mais le contenu même de ces
droits. Tel était, d’ailleurs, en l’espèce comme dans l’arrêt Kantoor de Mas,
l’enjeu du litige puisque sa solution nécessitait que l’on déterminât l’étendue
des prérogatives qui étaient conférées au titulaire de la sûreté. Or une telle
scission du régime des biens engendrerait une profonde insécurité qui risque-
rait de perturber gravement la circulation des meubles en France ainsi que le
crédit qu’ils représentent. Le commerce et le crédit mobiliers reposent en effet
dans notre pays sur l’idée que l’on peut traiter en toute sécurité avec le posses-
seur d’un meuble car il en est présumé propriétaire; les tiers n’ont pas à
redouter les droits réels qui peuvent grever les meubles dès lors qu’ils n’ont
pas été portés à leur connaissance par un mécanisme plus ou moins parfait
d’information (dépossession, publicité). Partant, permettre au titulaire d’une
sûreté quelconque d’invoquer une loi étrangère pour faire valoir un droit de
suite ou de préférence ignoré de la lex rei sitae, ce serait déjouer leurs prévi-
sions les plus légitimes. Ne pouvant se fier au seul élément objectif qui leur
est connu, le lieu de situation, les tiers devraient se préoccuper d’événements
qu’ils ignorent et qu’ils ne sont guère armés pour découvrir afin de s’assurer
que le bien n’est pas grevé d’un droit réel comportant le droit de suite ou le
droit de préférence. Comme le notait Lerebours-Pigeonnière, en soustrayant
une partie des meubles présents dans le pays à l’empire de la lex rei sitae, on
retire à celle-ci son crédit (Lerebours-Pigeonnière, Précis, 4e éd., no 355).
7 C’est là évidemment l’objection décisive, mais c’est aussi sur ce point que
les auteurs favorables à la loi d’autonomie ont le plus approfondi leur réflexion.
D’une part, ils relèvent que du fait de l’évolution du droit interne français, et
notamment de la loi du 12 mai 1980 rendant opposable, même sans publicité,
les clauses de réserve de propriété aux créanciers de celui qui a la chose entre
les mains, la possession mobilière n’a plus le rôle absolu qu’on lui prêtait
(Khairallah, op. cit., nos 222 et s.; P. Mayer, « Les conflits de lois en matière de
réserve de propriété après la loi du 12 mai 1980 », JCP 1981. I. 3019, no 15).
Dès lors, pourquoi ne pas traduire en droit international privé, ce recul du rôle
de l’apparence par un désengagement de la loi réelle ? L’argument de la néces-
saire unité du statut réel est, en effet, ainsi qu’on l’a relevé, dans la dépendance
directe de celui déduit de la protection des tiers. D’autre part, ils insistent sur
ce que — et c’est là la principale différence avec la thèse soutenue initialement
par Mme Gaudemet-Tallon — le recours à la loi d’autonomie serait compa-
tible avec la sécurité des tiers s’il s’accompagnait de divers correctifs. Ainsi
M. Khairallah s’inspirant de la jurisprudence Lizardi (supra, no 5), suggère que
la loi d’autonomie devrait s’effacer s’il résulte des circonstances de l’espèce
que le tiers est excusable d’avoir ignoré la loi étrangère (op. cit., nos 336 et s.;
comp. M.-N. Jobard-Bachellier, L’apparence en dr. int. pr., nos 282 et s., p. 202
et s.). Quant à MM. Mayer et Heuzé, ils préconisent à cet effet, la réintroduc-
438 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 48
tion de la lex rei sitae mais sous le couvert de la notion de loi de police et dans
la seule mesure où son intervention serait indispensable à la protection des
tiers (Précis, no 655; rappr. M. Souleau-Bertrand, Le conflit mobile, thèse
Paris I, éd. 2005, nos 594 et s., p. 299 et s.).
8 En conclusion, on relèvera d’abord que la Cour de cassation a postérieure-
ment à l’arrêt ci-dessus reproduit, nettement réaffirmé la distinction tradition-
nelle en décidant dans une espèce similaire (Civ., 3 mai 1973, Nederlansche
Middenstands Financierings Bank N. V., Rev. crit. 1974. 100, note Mezger,
Clunet 1975. 74, note Fouchard, Rec. Gén. Lois 1974. 453, obs. Droz) :
« Attendu qu’indépendamment de la loi régissant le contrat conclu entre les
Sociétés N. et F., la loi française est seule applicable aux droits réels dont sont
l’objet des biens mobiliers situés en France ». (v. cep. Com., 11 mai 1982, Soc.
Localease, Rev. crit. 1983. 450, note Khairallah, D. 1983. 271, note Witz, qui
semble implicitement se prononcer à propos d’un crédit-bail pour la loi du
contrats).
On relèvera ensuite que cette domination de la loi réelle se renforce encore
avec l’entrée en vigueur, le 31 mai 2002, du Règlement (CE) du Conseil du
29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité. En effet, alors que la juris-
prudence française traditionnelle, en cas de faillite du débiteur, décide que la
lex concursus vient « coiffer » la loi propre du droit du créancier garanti
(B. Ancel, « Le droit français et les situations d’insolvabilité internationales »,
Gaz. Pal., 1999, no 265-266, p. 46, spéc., nos 17 et s.) et que « les conditions
auxquelles peuvent être revendiquées les marchandises vendues avec réserve
de propriété sont, en cas de règlement judiciaire, déterminées par la loi de la
procédure collective, quelle que soit la loi régissant la validité et l’opposabilité,
en général, de la réserve de propriété » (Civ. 1re, 8 janv. 1991, Soc. Heinrich
Otto, Clunet 1991. 913, note Jacquement, D. 1991. 276, note J.-P. Rémery;
v. Y. Loussouarn, « Les conflits de lois en matière de réserve de propriété »,
Trav. com. fr. dr. pr. 1982-1983, p. 91; P. Mayer, art. préc., JCP 1981. I. 3019;
N. Pimblis, La faillite dans les relations internationales d’ordre privé, thèse
Paris XI, 1992, p. 265 et s.; J.-P. Rémery, La faillite internationale, p. 83;
H. Synvet, Rép. Dalloz dr. int., v° Faillite, nos 61 et s.), les articles 5 (Droits
réels des tiers) et 7 (Réserve de propriété) du Règlement soustraient à la loi de
la faillite les droits de garantie grevant le bien affecté lorsqu’au moment de
l’ouverture de la procédure celui-ci se trouve sur le territoire d’un État membre
autre que l’État d’ouverture. C’est dire que, dans l’espace européen, la dis-
sociation de la lex concursus et de la lex rei sitæ tourne alors au profit de cette
dernière.
Il n’en est que plus nécessaire de préciser ce qu’on doit entendre, en cas de
conflit mobile, par lex rei sitæ.
sion et d’en avoir déduit que, par application de l’article 2076 du Code civil, ce
droit n’était pas « opposable aux tiers sur un matériel qui se trouvait sur le ter-
ritoire français ».
Est-ce à dire que les sûretés allemandes grevant des biens ultérieurement
introduits en France ne pourront jamais y produire effet ? La réponse est cer-
tainement négative pour les clauses de réserve de propriété stricto sensu. Lici-
tes en droit interne, ces clauses ont vu leur portée renforcée par la loi du
12 mai 1980 (v. depuis art. 121, Loi du 25 janv. 1985, mod. L. 10 juin 1994,
relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, devenu
l’art. L. 621-122, C. com.). La solution reste en revanche incertaine pour les
clauses emportant transfert de propriété à fin de garantie. Il a été suggéré que
les tribunaux français pourraient se montrer plus libéraux dès lors que la ban-
que reçoit en garantie le bien dont elle a financé l’acquisition (P. Mayer,
art. préc., JCP 1981. I. 3019, no 37). La situation est en effet la même pour les
tiers que le revendiquant soit un banquier ou le vendeur. De plus, elle n’est
pas sans parenté avec, selon les hypothèses, le crédit-bail ou la cession-bail
(lease back) (Khairallah, op. cit., nos 134 et s.). Tel n’est plus le cas lorsque le
crédit est gagé sur des biens qu’il n’a pas permis d’acquérir. La prohibition du
gage sans dépossession serait alors en effet très directement tournée puisque
tout l’actif pourrait sans publicité être affecté à la garantie du prêt. Ces sug-
gestions seraient cependant, ainsi que la note leur auteur, plus aisément reçues
si la question relevait de la loi d’autonomie, la lex rei sitae n’intervenant rési-
duellement qu’à titre de loi de police. L’exigence d’une stricte équivalence
des institutions n’y ferait plus alors en effet obstacle.
16 En guise de conclusion, il est permis de se demander si cette solution est ou
non remise en cause par l’entrée en vigueur de la Convention de Rome. La réponse
est rien moins qu’évidente. En effet, si cet instrument traite à plusieurs reprises
de l’incidence de la situation de l’immeuble sur la désignation de la loi appli-
cable aux contrats ayant pour objet un droit réel immobilier ou un droit d’utili-
sation d’un immeuble (art. 4-3 et 9-6), il n’envisage en revanche à aucun
moment le cas des contrats translatifs ou constitutifs de droits réels mobiliers.
L’effet translatif ou constitutif de ces contrats n’est ni exclu du champ d’appli-
cation de la Convention (art. 1) ni visé explicitement dans le domaine de la loi
du contrat (art. 10). Est-ce à dire que les rédacteurs de la Convention de Rome
ont entendu consacrer le système préconisé par M. Pierre Mayer : application
de la loi d’autonomie tempérée par le recours à la lex rei sitae prise en compte
en tant que loi de police ? L’hypothèse est séduisante. Mais notons qu’au cas
où le juge saisi ne serait pas celui du lieu de situation du bien, la loi de police
applicable serait une loi étrangère avec toutes les incertitudes qui s’attachent
au jeu de l’article 7-1. Faut-il au contraire utiliser ici les ressources de l’arti-
cle 4-1 et considérer que la loi réelle s’applique au transfert ou à la constitution
de droit réel parce que cette « partie du contrat est séparable du reste du contrat
et présente un lien plus étroit » avec le pays du lieu de situation du bien ? Mais
un tel aménagement ne pourra pas jouer en cas de choix exprès. Faut-il encore
et beaucoup plus simplement considérer que les frontières de la loi d’autono-
mie subsistent inchangées ? (V. en ce sens, V. Heuzé, « La notion de contrat en
444 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 48
droit international privé », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1995-1998, p. 319 et s.,
spéc. p. 328 et s.) C’était le parti initialement adopté par l’avant-projet dans
son article 9 (v. Clunet 1976. 654). Mais pourquoi alors n’avoir pas persé-
véré ? On peut regretter qu’une convention internationale qui se propose d’éle-
ver « le niveau de la sécurité juridique » (Rapport Giuliano et Lagarde JOCE,
no C. 282, p. 4) laisse subsister de pareilles incertitudes.
49
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
27 mai 1970
Faits. — Se disant victime d’une révocation abusive, le sieur Weiss réclame des
dommages-intérêts à la société française dont il était le gérant ainsi qu’aux deux socié-
tés étrangères qui contrôlaient celle-ci. La Cour de Paris s’étant, dans l’arrêt attaqué,
déclaré incompétente à l’égard des deux sociétés étrangères au seul motif « qu’aucune
convention n’est intervenue entre Weiss, d’une part, et les dites sociétés, d’autre part »,
un pourvoi fut formé, fondé sur la violation, par refus d’application, de l’article 14 du
Code civil.
ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen : — Vu l’article 14 du Code civil; — Attendu
que ce texte, qui permet au plaideur français d’attraire un étranger devant les
juridictions françaises, a une portée générale s’étendant à toutes matières, à
l’exclusion des actions réelles immobilières et demandes en partage, portant sur
des immeubles situés à l’étranger, ainsi que des demandes relatives à des voies
d’exécution pratiquées hors de France, et s’applique notamment à tous litiges
ayant pour fondement la responsabilité extracontractuelle; — Attendu que
Weiss ayant assigné, d’une part, la Société Française Amaco, et, d’autre part, les
deux sociétés qui l’ont constituée, savoir : la Société Italienne Atlantic Electric, et
la Société Panaméenne, Campana International de Asuntos Industriales, en
paiement notamment de dommages-intérêts à la suite de la révocation de son
mandat de gérant et de la rupture de son contrat de directeur commercial de la
Société Amaco, ces deux sociétés étrangères ont décliné la compétence des juri-
dictions françaises; — Attendu que pour décider que l’article 14 du Code civil
était inapplicable à la demande par laquelle Weiss faisait valoir que les deux
sociétés étrangères lui devaient réparation, en vertu des articles 1382 et 1383 du
446 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 49
OBSERVATIONS
1 Texte célèbre, l’article 14 du Code civil a une origine obscure. Si l’on
s’accorde, en effet, à voir dans l’article 15 une consécration de la doctrine du
juge naturel, l’article 14 n’a semble-t-il aucun précédent direct dans notre
ancien droit (J. Hudault, « Sens et portée de la compétence du juge naturel
dans l’ancien droit français », Rev. crit. 1972. 27 et 249, spéc. p. 266). Il serait
dû à un « accident de rédaction » dont sa formulation embarrassée porterait
aujourd’hui encore témoignage (H. Gaudemet-Tallon, Recherches sur les origi-
nes de l’article 14 du Code civil, p. 161 et s.; Bartin, Principes, t. I, § 132;
Niboyet, Traité, t. VI, no 1737). Celle-ci a été, au demeurant, très tôt à l’ori-
gine d’un délicat problème d’interprétation. En visant, comme d’ailleurs l’arti-
cle 15, les « obligations contractées » ce texte entendait-il cantonner la com-
pétence du juge français aux seuls litiges nés à l’occasion d’obligations
contractuelles ? Une réponse négative devait progressivement prévaloir. Véri-
table « arrêt de consolidation » de la jurisprudence antérieure (Francescakis,
La pensée des autres en dr. int. pr., p. 474), la décision reproduite présente le
double mérite d’affirmer la portée générale de ce texte (I) et de rassembler en
une formule synthétique les exceptions qui l’affectent (II).
2 Selon l’article 14 du Code civil, l’étranger peut être attrait devant les tribu-
naux français pour l’exécution des obligations contractées en France ou à
l’étranger avec un Français. Fallait-il attacher à cette précision une significa-
tion particulière ? Telle fut l’opinion des premiers commentateurs et spéciale-
ment de Locré (Esprit du Code Napoléon, t. I, p. 322). Selon lui, la compé-
tence des tribunaux français procéderait, en ce cas, d’une convention implicite;
en contractant, en France ou à l’étranger, avec un Français, l’étranger accep-
terait de se soumettre à la juridiction des tribunaux français. « Juridiction de
consentement » reposant sur une présomption légale d’acceptation de la com-
pétence des tribunaux français, l’article 14 ne pourrait fonctionner qu’en matière
contractuelle.
L’analyse apparaît pourtant singulièrement artificielle. Si la référence à
l’obligation contractée avait probablement une signification précise dans l’avant-
projet qui distinguait entre les obligations contractées en France, et celles qui
49 WEISS — CASS., 27 MAI 1970 447
l’avaient été à l’étranger, exigeant dans ce second cas que l’étranger soit
« trouvé » en France (1), elle l’a perdue avec la suppression de cette dernière
condition. Ainsi que le relevait Bartin, en écartant cette exigence, les rédac-
teurs de l’article 14 ont, qu’« ils l’aient voulu ou non (…) qu’ils l’aient com-
pris ou non », changé profondément « l’esprit du système » (Principes, t. I,
§ 132). Désormais l’article 14 se présente comme la « rançon » de l’article 15
du Code civil. Il a pour objet de contrebalancer l’avantage substantiel que ce
texte consent au demandeur étranger. Justifié par une idée de réciprocité, il
constitue un « privilège compensatoire de juridiction au profit des Français »
(Bartin, Principes, t. I, § 133). Il en résulte que l’article 14 devrait se voir
reconnaître un champ d’application matériel identique à celui de l’article 15.
Or ce dernier texte apparaissant, à l’époque, comme la consécration de la doc-
trine du juge naturel, c’est-à-dire d’une sorte de juridiction immédiate du juge
français à l’égard des Français (v. supra, obs. sous Parker, no 2 § 3), la men-
tion des « obligations contractées » qui y figurait semblait bien devoir y être
entendue de manière énonciative et non limitative (op. cit., § 136).
3 C’est, au demeurant, en ce sens que la jurisprudence s’est orientée. Dès
1808 la Cour de Poitiers appliqua l’article 14 en matière délictuelle (8 Prairial
an XIII, Devilleneuve, 2e vol., an XIII, 1808, IIe partie, p. 56). Cette solution
fut à son tour affirmée par la Cour de cassation le 13 décembre 1842 (Req.
13 déc. 1842, Cie du Britannia, DP 1843. 1. 15, S. 1843. 1. 14; v. aussi Civ.,
12 août 1872, DP 1872. 1. 293, S. 1872. 1. 323, Clunet 1874. 24) au motif « que
le mot obligation n’étant ni limité, ni modifié par aucune expression doit
nécessairement être entendu dans le sens générique et absolu qui lui appartient
en droit; qu’il s’applique dès lors à toutes les obligations, quelles qu’en soient
la nature et la cause, et à celles qui sont contractées par une convention volon-
taire et à celles qui sont contractées par le fait de celui qui, ayant commis un
quasi-délit est obligé, suivant l’expression de l’article 1382, à réparer le dom-
mage qu’il a causé ». On constate que, sensible à la doctrine exégétique, la
haute juridiction mettait l’accent sur l’équivalence entre obligation contractée
et obligation créée. Mais là ne devait pas s’arrêter le mouvement d’expansion
des articles 14 et 15. Leur compétence fut en effet étendue aux différents
aspects de l’état des personnes : recherche de maternité (Civ., 19 juill. 1848,
DP 1848. 1. 129, S. 1848. 1. 529), destitution d’un tuteur (Req. 22 déc. 1874,
S. 1875. 1. 423), désaveu de paternité (Req. 6 mars 1877, S. 1877. 1. 305),
etc… Néanmoins une certaine ambiguïté subsistait dans la mesure où, selon la
remarque de H. Batiffol, l’admission reposait sur « des motifs plus ou moins
explicites mais propres au type d’action considéré ». Ainsi dans l’arrêt du
19 juillet 1848 (préc.), la Cour de cassation relevait « qu’il n’est pas de plus
sainte obligation pour une mère que celle de reconnaître son enfant, d’assurer
(1) Dans sa rédaction antérieure, l’article 14 du Code civil était ainsi conçu : « L’étranger, même
non résidant en France, peut être cité devant les tribunaux français pour l’exécution des obligations
par lui contractées en France avec un Français; et s’il est trouvé en France, il peut être traduit devant
les tribunaux de France, même pour des obligations contractées par lui en pays étranger envers des
Français ».
448 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 49
son état, de lui fournir des aliments et de pourvoir à ses besoins » (comp. arrêt
Fontaine, supra, no 17). L’incertitude fut complètement dissipée par l’arrêt du
15 févr. 1955 (Consorts Bonnet, Rev. crit. 1955. 327, note H. Batiffol); la Pre-
mière chambre civile y affirmait la « portée générale » de l’article 15. Cette for-
mule fut reprise par la même chambre pour l’article 14 à propos d’une succes-
sion mobilière le 16 juin 1959 (Rougeron, Rev. crit. 1959. 501, D. 1959. 377,
note Holleaux; v. aussi en matière de faillite Civ. 2e, 7 juill. 1962, Clunet
1963. 106, note Ponsard; 12 juill. 1962, Clunet 1963. 1056, note B. G.; Com.,
19 mars 1979, Rev. crit. 1981. 524, note P. Lagarde, Rev. Soc., 1979. 567, note
Y. Guyon, Dr. prat. com. int. 1979. 537, note B. Mercadal).
4 Ainsi les articles 14 et 15 attribuent-ils compétence aux tribunaux français
en raison de la seule qualité de Français du demandeur ou du défendeur et sans
que soit prise en compte la matière en jeu. De fait, il aurait été paradoxal de les
exclure dans le domaine du statut personnel. La loi française étant le plus sou-
vent applicable, on y retrouve le même raisonnement a fortiori qui a entraîné
en d’autres domaines, l’abandon du principe d’incompétence des tribunaux
français dans les litiges entre étrangers (v. supra, no 37 § 5; v. aussi Droz,
« Réflexions pour une réforme des articles 14 et 15 du Code civil français »,
Rev. crit. 1975. 5). Le droit comparé nous enseigne d’ailleurs que c’est en ce
domaine que la référence à la nationalité est la plus fréquente pour fonder la
compétence internationale des juridictions. (Pour l’exemple allemand, v. Bauer,
Compétence judiciaire internationale des tribunaux civils français et allemands,
1965, nos 62 et s.).
C’est, au demeurant, dans le domaine qui est le sien depuis l’origine, celui
des obligations, que certains ont mis en doute la légitimité de l’article 14 en
relevant qu’il était exorbitant de permettre à un demandeur français d’assigner
en France un défendeur étranger domicilié aux antipodes. À cela on peut
répondre, comme le faisait d’ailleurs déjà Locré, que cette disposition n’aura
le plus souvent « d’effet réel que lorsque le débiteur possédera des biens en
France » (Esprit du Code Napoléon, t. I, p. 323). Au moins en matière patri-
moniale, le Français ne saisira, en effet, la juridiction française sur le fonde-
ment de l’article 14 du Code civil que s’il pense pouvoir exécuter la décision
sur place. Or le forum arresti et le forum patrimonii qui assoient la compé-
tence internationale des juridictions d’un pays sur l’existence de biens saisis-
sables sur le territoire de celui-ci, le premier en la limitant à la valeur de ceux-
ci, le second en ne prévoyant pas cette limite, sont assez largement reçus en
droit comparé (Batiffol et Lagarde, t. II, no 667, note 2). Il est vrai cependant
que depuis l’entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles (en son art. 4
devenu l’art. 4 du Règlement Bruxelles I) et dans la seule mesure évidemment
où celle-ci permet d’invoquer l’article 14 du Code civil (c’est-à-dire lorsque le
litige n’est pas intégré à la Communauté; v. Droz, « Entrée en vigueur de la
Convention de Bruxelles… », Rev. crit. 1973. 21, spéc. p. 26), les décisions
ainsi obtenues sur le fondement de ce texte pourront aisément être exécutées
dans tous les États de la Communauté adhérant à la Convention. En consé-
quence, grâce à l’article 14, on s’adressera aux tribunaux français alors même
que l’adversaire n’a pas de biens en France et on fera ensuite exécuter la déci-
49 WEISS — CASS., 27 MAI 1970 449
l’immeuble pour les actions réelles immobilières ou les actions en partage, lieu
où la saisie a été pratiquée pour les demandes en mainlevée ou en validité de
celle-ci. Il devient alors légitime de se préoccuper de l’accueil que l’étranger
pourra faire à notre décision. Pourquoi, en effet, se reconnaître compétent, s’il
est certain que la décision rendue ne pourra jamais recevoir exécution ? (Bartin,
Principes, t. I, § 137; Niboyet, Traité, t. VI, no 1744; Batiffol et Lagarde, t. II,
no 681). On perçoit ainsi ce que pourrait être la seconde exigence : l’exception
jouerait dans les domaines où les États reconnaissent en règle générale une
compétence exclusive à leurs propres tribunaux. La décision devant nécessaire-
ment s’exécuter en un pays dont les juges dénient efficacité aux décisions
étrangères, toute compétence autre que la leur est vouée à l’échec, et l’État du
lieu d’exécution jouit de ce fait d’une sorte de monopole. Or tel serait précisé-
ment le cas dans les matières qui nous occupent. On ne saurait, en effet, y lais-
ser les plaideurs porter leur litige devant un tribunal étranger sans risquer la
méconnaissance des intérêts substantiels que le droit international privé local
entend garantir (v. infra, arrêt Simitch, no 70, II-A; comp. art. 16, 1° et 5° de la
Conv. de Bruxelles du 27 sept. 1968, devenus art. 22-1 et 5 du Règlement
Bruxelles I). La conduite des voies d’exécution, la protection et la répartition
de la propriété immobilière sont ainsi l’objet d’une espèce de juridiction
immédiate de l’État de localisation. C’est donc la conjonction de l’inéluctable
localisation à l’étranger de l’exécution de la décision à intervenir et d’une
compétence exclusive largement répandue qui fonderait les exceptions au jeu
des articles 14 et 15 du Code civil (rappr. A. Miaja de la Muela, « Les princi-
pes directeurs des règles de compétence territoriale des tribunaux internes en
matière de litiges comportant un élément international », Rec. cours La Haye,
1972, t. I, p. 1 et s., spéc. p. 88).
Cette analyse trouve, au demeurant, une confirmation dans la solution rete-
nue à propos des actions mixtes. Bien que les décisions issues de certaines de
ces actions, telle la demande en nullité ou en résolution d’une vente, ne soient
effectives qu’au lieu de situation de l’immeuble, la jurisprudence leur appli-
que le privilège de juridiction des articles 14 et 15 du Code civil (Req. 19 avr.
1852, S. 1852. 1. 801; Req. 9 nov. 1868, S. 1869. 1. 122; Lyon, 19 avr. 1977,
Rev. crit. 1979. 788, note B. Ancel). C’est sans doute que la compétence n’y
revêt pas un caractère exclusif : embrassant l’aspect réel et l’aspect obliga-
toire de la relation juridique, la contestation est l’occasion d’une concurrence
que l’article 46 du Nouveau Code de procédure civile résout par une option de
compétence (v. cep. art. 16-1°, Conv. de Bruxelles du 27 sept. 1968, devenu
art. 22-1 du Règlement Bruxelles I). Il convient toutefois de relever que l’assi-
milation récente de l’action en pétition d’hérédité à l’action en partage pour-
rait ouvrir la voie à une compréhension sensiblement plus étendue des excep-
tions qui affectent les articles 14 et 15 du Code civil (Civ. 1re, 4 déc. 1979,
Rev. crit. 1980. 758, note B. Ancel). Ajoutons qu’en marge des exceptions
réaffirmées par l’arrêt ci-dessus reproduit, la portée des articles 14 et 15 reste
à l’heure actuelle quelque peu incertaine tant en ce qui concerne la juridiction
gracieuse (comp. Ponsard, note sous Paris, 29 juin 1968, Rev. crit. 1970. 310;
Souleau, concl., JCP 1969. II. 15845; P. Callé, L’acte public en dr. int. pr.,
thèse Caen, éd. 2004, nos 46 et s., p. 28 et s.) qu’à propos des hypothèses où un
452 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 49
30 mars 1971
(Rev. crit. 1971. 451, note P. Lagarde, Clunet 1972. 834, note Loussouarn,
JCP 1972. II. 17101, note Oppetit)
Société. — Nationalité. — Siège social. —
Changement de souveraineté territoriale.
Faits. — Par trois arrêtés des 17 octobre, 13 novembre 1963 et 28 janvier 1964, le
gouvernement algérien destitue et remplace les membres du conseil d’administration de
la Caisse centrale de Réassurance des Mutuelles agricoles (CCRMA). Le siège social de
cette société est établi à Alger où il fonctionne effectivement depuis la fondation en
1907. La Caisse développe son activité tant en Algérie que dans divers pays d’Afrique.
Les mesures prises par le gouvernement algérien participent du mouvement d’« algéria-
nisation » des agents économiques opérant sur ou à partir du territoire algérien. Mais, en
l’occurrence, elles seront annulées pour excès de pouvoir par un arrêt de la Cour suprême
d’Algérie, du 20 janvier 1967.
Les administrateurs français évincés n’ont pas attendu cette décision pour réagir.
Très vite après le premier arrêté, le conseil d’administration dissous se réunit à Paris et
décide de transférer le siège social dans cette ville. Le Ministère français des Finances
(Direction des assurances) prend acte de ce transfert, lequel est approuvé par une assem-
blée générale réunie à Paris le 9 juin 1964. Puis la société met ses statuts en conformité
de la nouvelle réglementation française et prend le nom de Mutuelle centrale d’Assu-
rance et de Réassurance des Mutuelles agricoles. C’est sous cette nouvelle dénomina-
tion qu’elle engage une action contre la Société Générale en vue de se faire reconnaître
la propriété des avoirs détenus, pour le compte de la Caisse originaire, par cette banque
sous le dossier de son agence d’Alger. La banque assigne alors en intervention forcée
454 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 50
l’organisme algérien édifié sur les trois arrêtés de 1963 et 1964 et qui conserve le nom
de Caisse centrale de Réassurance des Mutuelles agricoles : il s’agit de savoir qui, de la
Caisse algérienne ou de la Caisse de Paris, a le droit de se faire restituer les valeurs
déposées.
Le Tribunal de grande instance de Paris, puis la Cour de Paris ont alors à décider si,
du fait du changement de souveraineté intéressant le territoire algérien où se situait le
siège social, la société est ou n’est pas devenue algérienne. La CCRMA-Alger soutient
l’affirmative et en déduit que, depuis le jour de l’indépendance, les autorités algériennes
avaient toute compétence pour dissoudre le conseil d’administration et en nommer un
autre, lequel a désormais seul qualité pour agir au nom de la Caisse originaire. À quoi la
CCRMA-Paris oppose notamment que la société est restée française en dépit du chan-
gement de souveraineté territoriale et que dès lors les organes sociaux en fonction au
moment de l’indépendance ont pu valablement transférer le siège social en France.
Les juridictions du fond donnent raison à la CCRMA-Paris. Spécialement la cour
d’appel, pour justifier le maintien du fonctionnement de la société sous l’empire de la
loi française — et le maintien en fonction corrélatif des administrateurs français — juge
que « en l’absence de critère légal de la nationalité des personnes morales, le rattache-
ment d’une société à un État se détermine d’après l’ensemble des éléments particuliers à
chaque espèce ». (Paris, 17 mai 1967, Clunet 1967. 874, note Y. Loussouarn, JCP 1968.
II. 15427, note B. Oppetit).
La CCRMA-Alger forme un pourvoi.
ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : — Attendu que
selon les énonciations des juges du fond, la Caisse centrale de Réassurance des
Mutuelles agricoles a été constituée en 1907 conformément à la loi du 4 juillet
1901 et son siège social fixé statutairement à Alger; que par divers arrêtés des
17 octobre 1963, 13 novembre 1963 et 28 janvier 1964 — lesquels ont été annu-
lés pour excès de pouvoir par arrêt du 20 janvier 1967 des Chambres administra-
tives et de droit privé réunies de la Cour suprême d’Algérie — le ministre algé-
rien de l’Agriculture et de la réforme agraire a prononcé la dissolution du
conseil d’administration de la Caisse, nommé trois administrateurs provisoires
algériens et investi un nouveau conseil d’administration désigné par une assem-
blée générale réunie en Algérie le 20 janvier 1964; que dès le 12 novembre
1963, le conseil d’administration dissous par l’autorité algérienne s’était réuni à
Paris et après délibération sur les résolutions à prendre à la suite des mesures
arrêtées par le gouvernement algérien, a décidé « pour conserver sa liberté
d’action gravement atteinte et poursuivre son unique objet qui est la sauve-
garde des mutualistes agricoles des différents pays où s’exerce son activité » de
transférer le siège social à Paris; que la Direction des assurances au ministère
français des Finances a pris acte de ce transfert qui fut approuvé et en tant que
de besoin décidé par une assemblée générale tenue à Paris le 9 juin 1964; que
conformément aux dispositions d’un décret français du 23 mai 1964, la Caisse se
transforma en société d’assurance à forme mutuelle à cotisations fixes sous la
nouvelle dénomination de Mutuelle centrale d’Assurance et de Réassurance des
Mutuelles agricoles; qu’un litige s’étant élevé entre l’établissement public algé-
rien ayant conservé la dénomination de Caisse centrale de Réassurance des
Mutuelles agricoles et son siège à Alger et la Mutuelle centrale ayant son siège
à Paris au sujet de la propriété des valeurs mobilières détenues par la Société
Générale de Paris sous le dossier de son agence d’Alger, l’arrêt confirmatif atta-
qué, déclaré commun à l’organisme algérien assigné en intervention forcée, a
condamné cet établissement bancaire à transférer au compte ouvert au nom de
la Mutuelle centrale à la Banque de France les valeurs par lui détenues pour le
50 CCRMA — CASS., 30 MARS 1971 455
compte de la Caisse centrale ayant eu son siège à Alger; qu’il est fait grief à la
cour d’appel d’avoir ainsi statué, alors, d’une part, que la règle de conflit de lois
française qui aurait valeur législative rattache les sociétés et les personnes mora-
les en général à l’État dans lequel elles ont leur siège social; alors, d’autre part,
que l’accession de l’Algérie à l’indépendance aurait eu pour effet de rattacher à
la loi algérienne les sociétés qui avaient, avant l’indépendance, leur siège social
sur le territoire algérien et que l’article 17 de la déclaration de principes des
accords d’Évian relative à la coopération économique et financière aurait seule-
ment établi une différence entre les sociétés françaises ayant sur le territoire
algérien un établissement ou une succursale et les sociétés devenues algérien-
nes et dont le capital est en majorité détenu par des personnes physiques ou
morales françaises, tout en garantissant aux deux types de sociétés l’exercice
normal de leur activité dans des conditions excluant toute discrimination à leur
préjudice; alors enfin, que le décret algérien du 1er octobre 1963, qui déclare
biens de l’État « les exploitations agricoles appartenant aux personnes physi-
ques ou morales qui à ladite date ne jouissaient pas de la nationalité algérienne
ou ne justifiaient pas avoir accompli les formalités légales en vue de l’acquisition
de cette nationalité », n’aurait nullement entendu, par cette formule, décider
que les personnes morales étaient soumises à d’autres formalités que celles
d’avoir leur siège social en Algérie pour jouir de la nationalité algérienne; —
Mais attendu que si, en principe, la nationalité d’une société se détermine par la
situation de son siège social, pareil critère cesse d’avoir application lorsque le
territoire sur lequel est établi ce siège social, étant passé sous une souveraineté
étrangère, les personnes qui ont le contrôle de la société et les organes sociaux
investis conformément au pacte social ont décidé de transférer dans le pays
auquel elle se rattachait le siège de la société afin qu’elle conserve sa nationalité
et continue d’être soumise à la loi qui la régissait; — Attendu qu’en l’espèce,
l’arrêt attaqué retient que les Français qui ont fondé la Caisse centrale de Réas-
surances des Mutuelles agricoles ont entendu placer cet organisme sous le
régime de la loi française qui a été suivie pour sa constitution et son fonctionne-
ment et lui donner pour siège social une ville du territoire français; que lors de
l’accession de l’Algérie à l’indépendance, ce sont des Français qui exerçaient un
pouvoir prépondérant dans la direction et la gestion de la Caisse centrale,
laquelle n’a cessé d’être soumise au contrôle du gouvernement français et que
ceux-ci ayant décidé, avec l’agrément de l’autorité française de tutelle, de trans-
férer le siège social de celle-ci dans ses bureaux administratifs de Paris, une réso-
lution de l’assemblée générale extraordinaire a approuvé cette décision et en
tant que de besoin décidé ce transfert; que de ces circonstances, la cour d’appel
a pu déduire que la Caisse centrale avait conservé sa nationalité française et par
ces seuls motifs légalement justifié sa décision, abstraction faite des autres
motifs critiqués par le moyen qui sont surabondants;
Et sur le second moyen, pris en ses diverses branches : — Attendu qu’il est
encore reproché à la cour d’appel d’avoir décidé que le conseil d’administration
dissous par l’autorité algérienne avait valablement convoqué l’assemblée géné-
rale extraordinaire du 3 juin 1964, au motif que l’arrêt de la Cour suprême
d’Algérie du 20 janvier 1967 avait annulé les différentes mesures prises pour
substituer aux administrateurs en exercice d’autres organes sociaux et que
l’assemblée générale convoquée à Paris était régulière, alors, d’une part, que
nul ne peut se faire justice à soi-même et que, tant que lesdites mesures n’avaient
pas été annulées, les anciens administrateurs français ne pouvaient exercer les
pouvoirs dont ils avaient été dessaisis et que l’annulation dont s’agit ne pouvait
rétroactivement valider leurs actes; alors, d’autre part, que l’assemblée extraor-
dinaire n’aurait pas été régulière, les caisses d’Algérie n’ayant pas été convo-
quées au mépris des statuts; alors enfin qu’à supposer que la règle de l’unani-
mité ne dût pas être respectée pour réaliser le transfert du siège social, la cour
456 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 50
aurait omis de rechercher si la majorité qualifiée par l’article 45 des statuts avait
été réunie en l’espèce et qu’en considérant comme régulière une modification
des statuts intervenue à la majorité simple des membres présents, la cour
d’appel aurait dénaturé lesdits statuts; — Mais attendu, d’une part, que la cour
d’appel retient justement qu’en raison de l’annulation par la Cour suprême
d’Alger, pour excès de pouvoir, des mesures qui les avaient destitués, les organes
statutaires doivent être considérés comme étant restés seuls qualifiés pour
administrer la Caisse centrale jusqu’à la réunion de l’assemblée générale du
3 juin 1964 et pour convoquer celle-ci; que, d’autre part, eu égard aux circons-
tances particulières qu’elle relève et qu’elle a souverainement appréciées, la
cour d’appel a pu tenir pour régulière cette assemblée, nonobstant la non-
convocation des caisses régionales d’Algérie; — Et attendu que la demanderesse
au pourvoi n’a point soutenu, devant les juges du fond, que la résolution prise
par l’assemblée générale extraordinaire pour transférer le siège social dût être
acquise à une majorité qualifiée; que le moyen sur ce point est donc nouveau
et, mélangé de fait et de droit, irrecevable;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 30 mars 1971. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Ancel, prés.; Thirion, rapp.; Blondeau,
av. gén. — MMes Ryziger et Le Prado, av.
OBSERVATIONS
5 Un degré de plus dans l’ordre de la fiction est atteint avec le cas des sociétés
qui, dépourvues de toute autonomie, ne sont en vérité que des façades couvrant
les activités directement conduites en France par des entreprises étrangères.
L’illustration en a été offerte par l’affaire de la société Remington Typewriter ;
américaine par son siège, cette entreprise avait installé en France un réseau com-
mercial pour distribuer ses produits. Elle avait revêtu ce réseau de la forme sociale
en constituant une société dont le siège était fixé à Paris et elle prétendait de ce
fait bénéficier des dispositions relatives aux baux commerciaux dont la jouissance
était réservée aux citoyens français par la loi du 30 juin 1926 (puis art. 38,
D. 30 sept. 1953, devenu art. L. 145-13, C. com). La Cour de cassation s’opposa
à cette prétention, relevant avec soin les divers indices (origine des capitaux, com-
position du conseil d’administration, lieu d’emploi des capitaux, subordination
économique) dénonçant l’absence d’indépendance de la société constituée en
France. Pas plus que cette société de façade, le siège social n’avait de consistance;
il ne pouvait fonder une présomption d’intégration à l’économie française ni donc
une attribution de nationalité française (Req. 12 mai 1931, DP 1933. I. 60, note
Silz, S. 1932. I. 57, note Niboyet; v. aussi Req. 27 mai 1921, Clunet 1923. 322).
En revanche, quelque quarante ans plus tard, la Cour de cassation, toujours
aussi attentive aux éléments de fait attestant l’autonomie de l’activité sociale
déterminée depuis le siège français, admettait la nationalité française de la
50 CCRMA — CASS., 30 MARS 1971 461
société Shell Berre (Civ. 3e, 8 févr. 1972, Rev. crit. 1973. 299, note P. Lagarde,
Clunet 1973. 218, note Oppetit), puis de la Société Shell française (Civ. 3e,
10 mars 1976, Rev. crit. 1976. 658, Rev. Soc. 1977. 305, note J.-L. Bismuth),
filiales l’une et l’autre de la société Royal Dutch. Ainsi le critère du siège
social n’est inopérant que dans le cas où la société constituée en France n’est
qu’un établissement, une branche ou une succursale appartenant à une société
étrangère. L’ineffectivité du siège social le stérilise (sur la nationalité des
sociétés intégrées dans un groupe multinational, v. Goldman, Trav. com. fr. dr.
int. pr. 1966-1969, p. 232, Cours de droit du commerce international, 1972-
1973, p. 100-101; H. Synvet, v° Société, préc. no 196; B. Oppetit, note préc.,
Clunet 1973. 218). La constatation ne doit pas s’entendre comme contredisant
le principe que consacre le présent arrêt, mais comme un élément de spécifi-
cation du critère retenu. Il s’agit, comme l’énonce un arrêt de 1972 du « siège
statutaire et effectif » (Civ. 1re, 18 avr. 1972, Société Overseas Apeco Limited,
Clunet 1973. 218, note B. Oppetit).
6 « Pareil principe cesse d’avoir application lorsque le territoire sur lequel est
établi ce siège social, est passé sous une souveraineté étrangère… » L’arrêt
n’avait donc rappelé le principe que pour mieux s’accorder la liberté d’y déro-
ger et ce que la Cour de cassation a fait en la cause (A), il arrive aussi à la loi
de le faire (B).
de pur droit privé que Niboyet a forgé ses idées. Celles-ci étaient tributaires
de la conjoncture qui, pour lors, appelait les mesures de guerre et incitait à
gonfler le contenu politique de la notion de nationalité en surestimant les
coefficients moral et sentimental — lesquels font en effet référence à des qua-
lités (loyalisme, patriotisme, solidarité…) plus aisément perceptibles chez les
personnes physiques, mais non point pour cela étrangères aux êtres moraux
(v. sur ce point, l’expérience anglaise au témoignage de B. Goldman, Cours
préc., p. 41-42). Mais même sous cet éclairage très particulier, la position de
Niboyet n’est pas convaincante. La politique exige une adaptation aux cir-
constances et autorise le recours à des moyens variables face à des données
évolutives. Défendre la notion de contrôle comme critère d’une allégeance
couvrant un ensemble, une catégorie de questions étendue comme celle de la
condition des étrangers est le péché d’un « faiseur de système » (J. Rivero,
D. 1952, chr. 99); la position agnostique du Tribunal des conflits, récusant la
notion générale de nationalité des sociétés est, de ce point de vue, beaucoup
mieux fondée. L’application de textes de circonstances peut appeler des critè-
res de circonstances.
Aussi bien, pas plus qu’elle ne s’est rendue au relativisme absolu de l’arrêt
Mayol Arbona, la jurisprudence civile n’a consacré la distinction de Niboyet
— à laquelle elle préfère l’opposition du principe et des exceptions légale-
ment déterminées (v. supra, II, préférence que manifeste aussi le Conseil d’État,
spécialement dans l’affaire Mayol Arbona en suite de la décision du Tribunal
des conflits : CE, 22 févr. 1960, Rev. crit. 1960. 335). Néanmoins cette dis-
tinction réapparaît chez certains auteurs contemporains. Ainsi MM. Mayer et
Heuzé détachent, pour la régler de manière indépendante et préalable, la ques-
tion de la loi applicable à la société de celle de la condition des étrangers
(nos 1030 et s.; v. aussi L. Levy, La nationalité des sociétés, Paris, 1984,
nos 44 et s., M. Menjucq, op. cit., nos 53 et s., note Rev. crit. 1999. 284 préc. et
également en faveur d’une distinction mais d’un ordre différent, P. Louis-Lucas
« Remarques relatives à la détermination de la nationalité des sociétés »,
JCP 1953. II. 1104). Selon ces auteurs, il conviendrait de distinguer les condi-
tions de création et les règles de fonctionnement des sociétés, d’une part,
l’exercice par les sociétés étrangères d’une activité en France, d’autre part. La
première question serait réglée par l’application de la loi du siège social,
c’est-à-dire par l’emploi d’une règle de conflit bilatérale, dont le rattachement
coïncide avec le critère de la nationalité sans s’identifier à celle-ci. La seconde
nécessiterait, au contraire, la détermination de la nationalité de la société,
laquelle devrait être opérée par application du droit du pays auquel la société
prétend ressortir, c’est-à-dire au moyen d’une règle unilatérale.
13 Cette différence quant à la méthode de détermination (bilatéralité ou unila-
téralité) avait déjà été relevée par Niboyet : alors qu’à l’égard des personnes
physiques chaque État détermine souverainement ses nationaux (supra, arrêt
Kasapyan, no 46), à l’égard des sociétés la jurisprudence utilise le siège social
de manière bilatérale lui confiant le soin d’établir la nationalité étrangère aussi
bien que la nationalité française, ce qui peut avoir pour effet d’attribuer à une
personne morale la nationalité d’un État qui ne la lui confère pas. Il y avait là,
466 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 50
selon lui, une divergence notable qui reflétait une différence de nature entre la
nationalité des personnes physiques et celle des personnes morales.
MM. Mayer et Heuzé ne vont pas jusque-là : sans nier l’importance de la
divergence, ils maintiennent l’unité du concept de nationalité. Mais par souci
de cohérence, ils considèrent que là où elle joue, la nationalité des sociétés
obéit à un mode de détermination unilatéral.
Qu’en penser ? On observera à cet égard que l’unilatéralité qui caractérise
la détermination de la nationalité des personnes physiques tient à la fonction
que remplit la notion de population dans la constitution de l’État, au sens du
droit international public. L’État souverain organise dans les limites d’un ter-
ritoire un pouvoir politique qui s’exerce sur une population. La souveraineté
qui le caractérise assure à l’État ainsi défini la liberté de déterminer sa popula-
tion. Dès lors l’unilatéralité des règles de détermination de la nationalité des
sociétés doit, ou non, prévaloir selon qu’on estime, ou non, qu’un même ensem-
ble doit accueillir les personnes physiques et les personnes morales pour subir
uniformément le régime publiciste de la souveraineté des États. En faveur d’une
réponse positive, on relèvera le courant, variable selon les époques, qui tend à
alourdir l’emprise de l’État sur les agents économiques. Mais il faut bien
constater que telle n’est pas la position de la jurisprudence française (Ass.
plén., 21 déc. 1990, préc.; Com., 9 avr. 1991, Interpart, Rev. soc. 1991. 746,
note R. Libchaber; 19 mai 1992, Clunet 1992. 954, note Ph. Kahn; 9 mars
1993, Soc. Ejendomusselskabet, Bull. IV, no 94, Rev. soc. 1993. 584, JCP 1993.
I. 3682, obs. Viandier et Caussain) laquelle n’est d’ailleurs pas en retard sur la
jurisprudence internationale qui ne rejette pas la méthode bilatérale (v. arrêt
Barcelona Traction, préc., se ralliant à « la règle traditionnelle » désignant
« l’État sous les lois duquel elle s’est constituée et sur le territoire duquel elle
a son siège », Rec. p. 42).
Certes, la solution de la bilatéralité peut conduire à un désaccord entre
l’État qui l’applique et l’État dont la nationalité est en jeu. Mais avec un cri-
tère comme celui du siège social, tel que le conçoit le droit international privé
français, il en résultera simplement que, par exemple, la compétence en
matière de protection diplomatique sera déniée à un État auquel la société à
défendre n’est reliée que par de trop faibles attaches ou encore que cette com-
pétence sera reconnue à un État qui ne consent pas à l’exercer. Ni l’une, ni
l’autre éventualité ne choquent ou ne mettent en péril la souveraineté des
États. Elles autorisent seulement cette conclusion que la nationalité des socié-
tés, analogue de la nationalité des personnes physiques, est une autre espèce
du même genre, moins sujette à la domination de l’idée de souveraineté.
51
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
(Rev. crit. 1972. 644, note Wiederkehr, Clunet 1972. 594, note Ph. Kahn,
JCP 1972. II. 17096, concl. Gégout, Rép. Defrénois 1972. 1033, note Malaurie)
Renvoi. — Régime matrimonial.
kehr, Rev. crit. 1972. 644; arrêt Zelcer, supra, no 15). Avec l’auteur du pourvoi, on
négligera aussi la question de la survivance à l’« Empire des Tsars » (G. Wiederkehr,
ibid.) de la loi russe en vigueur lors du mariage, malgré les modifications importantes
qu’a connues en Russie, depuis 1917, le droit des régimes matrimoniaux et spécialement
du régime légal (sur la question de savoir si cette modification en général rétroactive
dans le pays dont la loi est déclarée applicable et duquel se sont définitivement éloi-
gnés les époux, affecte leur régime établi antérieurement à leur exil, v. Civ. 1re, 1er déc. 1969,
Païtchadzé, Rev. crit. 1970. 95, note P. Lagarde, Clunet 1970. 306, note A. Ponsard, Journ.
not., note G. Droz, et la jurisprudence citée par B. Ancel, Rép. Dalloz dr. int., vo Conflits de
lois dans le temps, nos 48 et s.; adde, quoique peu convaincants : Civ. 1re, 18 sept. 2002,
Vve Nachim, Rev. crit. 2003. 91, note G. Droz, D. 2003. 1251, note G. Khairallah, Defré-
nois 2003. 24, note M. Revillard, JCP 20093. I. 111, obs. G. Wiederkeher, LPA; 7 juin
2004, no 133, note P. Courbe et, sur renvoi, Paris, 22 sept. 2004, D. 2005. 1195, obs.
P. Courbe); la Cour de cassation ne pouvait connaître ce problème du changement légis-
latif intervenu dans l’ordre désigné dans la mesure où il intéressait le contenu de la loi
applicable et où les parties n’en avaient pas saisi les juges du fond. On ne retiendra donc
que le reproche qui a mené l’arrêt ci-dessous à la notoriété et qui posait le problème du
renvoi en matière de régime matrimonial. Il remontrait en effet que « d’après la loi russe
déclarée applicable, le régime matrimonial d’époux étrangers serait déterminé par la loi
nationale du mari, en conséquence de quoi, les époux seraient soumis au régime légal
français de la communauté ».
Voici la réponse de la Cour de cassation :
ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : — Attendu que,
selon les énonciations des juges du fond, Casimir Gouthertz, de nationalité fran-
çaise, a, le 25 octobre 1915, à Odessa (Russie), où il était né et avait son domicile,
épousé, sans contrat préalable, Nathalie Riabimine, Russe devenue française par
ce mariage; que Gouthertz, pour satisfaire à ses obligations militaires, a quitté
la Russie en 1916 et ne l’a regagnée qu’en 1919 pour rejoindre sa femme; qu’en
1921 les époux sont venus s’installer en France; — Attendu que dame Gouthertz,
en instance de séparation de corps depuis le 15 octobre 1954 et prétendant être
mariée sous le régime français de la communauté légale, a, en 1967, intenté une
action tendant à faire prononcer sur le fondement de l’article 243 du Code civil
la nullité de la vente, consentie le 20 juillet 1959 par Gouthertz à demoiselle L…,
d’un appartement qu’il avait acquis le 15 juillet 1955; — Attendu qu’il est fait
grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté dame Gouthertz de sa demande au motif
que, suivant la règle française des conflits de lois, les époux se trouvaient soumis
au régime matrimonial légal en vigueur dans l’ancien Empire russe, exclusif de
communauté, pour avoir établi leur domicile en Russie, alors que, selon le pour-
voi, d’une part, d’après la loi russe déclarée applicable, le régime matrimonial
d’époux étrangers serait déterminé par la loi nationale du mari, en conséquence
de quoi les époux seraient soumis au régime légal français de la communauté,
et alors, d’autre part, que si l’on considère que la loi russe interne est applicable
à des ressortissants français, « l’intention des époux d’établir leur domicile à
l’étranger doit être établie de façon certaine et non d’après des déductions
hypothétiques fondées sur des motifs contradictoires; que s’il appartient aux
juges du fait de tenir compte de la fixation du domicile commun, ils peuvent
prendre en considération des éléments d’appréciation postérieurs à la célébra-
tion du mariage; que, notamment, il ne (serait) pas possible de dire que le pre-
mier domicile était fixe et durable pour un garçon de 19 ans attendant d’un
moment à l’autre son ordre de mobilisation et qui n’avait pas de situation; que
51 GOUTHERTZ — CASS., 1 FÉVRIER 1972 469
loin de rester 6 ans en Russie comme l’indique l’arrêt attaqué (Gouthertz) est
parti en France (sic) trois mois après son mariage; que dès son retour en Russie,
à sa démobilisation, fin 1918, il aurait fait des démarches pour obtenir l’autori-
sation d’être rapatrié, accompagné de sa femme; qu’il (n’aurait) pu réaliser son
projet malgré l’autorisation obtenue pour le mois d’avril 1919 en raison, d’une
part, de l’état de grossesse avancé de sa femme, et de la situation créée par la
révolution qui empêchait tous départs »; — Mais attendu que la cour d’appel
relève, par une appréciation souveraine et non dénaturante des éléments de la
cause et dans des motifs qui ne sont ni hypothétiques ni contradictoires, que les
époux Gouthertz ont, de façon fixe et durable, au moment de leur mariage, éta-
bli leur domicile en Russie, qu’ils n’ont quitté qu’à la suite de circonstances con-
traignantes, et qu’ils se sont, de la sorte, placés sous le régime légal de la sépara-
tion de biens alors en vigueur dans ce pays; Qu’elle déduit justement de cette
analyse que le choix du régime dépendant de la volonté expresse ou implicite
des époux, ceux-ci n’ont pu se référer qu’à la loi interne à l’exclusion des règles
russes de conflit de lois « dont elle déclare qu’il n’est pas raisonnable de penser
qu’ils aient soupçonné l’existence »; Que le moyen ne saurait être accueilli; — Et
sur le second moyen : — Attendu que non moins vainement il est soutenu que la
cour d’appel aurait omis de répondre aux conclusions d’appel de dame
Gouthertz qui, pour demander la nullité de la vente, se fondait aussi sur la cause
illicite de celle-ci en application des articles 1131 et 1133 du Code civil, alors
qu’elle aurait été tenue de s’expliquer sur ce point quelle que soit sa décision en
ce qui concerne le régime matrimonial, dame Gouthertz n’en ayant pas moins
intérêt à obtenir l’annulation d’une vente qui, en dépouillant son mari, aurait
porté atteinte à ses droits éventuels dans la succession de celui-ci, et dans le
présent aurait privé le ménage d’une partie de ses ressources; — Attendu en
effet, d’une part, qu’en énonçant que la question qui se pose et dont dépend la
solution du litige est celle de savoir à quel régime matrimonial se trouvaient
soumis les époux, puis en décidant que ceux-ci sont séparés de biens, et en
confirmant, d’autre part, le jugement à elle déféré, la cour d’appel a implicite-
ment mais nécessairement rejeté les conclusions délaissées, et légalement justi-
fié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 1er février 1972. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Aydalot, prem. prés.; Ancel, prés.;
Thirion, rapp.; Gégout, av. gén. — MMes Lemanissier et Waquet, av.
OBSERVATIONS
1 Le renvoi n’intervient pas dans la résolution des conflits de lois relatifs au
régime matrimonial, telle est la leçon essentielle que cet arrêt vient inscrire
dans la tradition jurisprudentielle française. Prévisible et attendue, cette évic-
tion du renvoi est commandée par la teneur même de la règle de conflit qui est,
depuis Dumoulin, celle de la loi d’autonomie (v. supra, arrêt Zelcer, no 15).
Quoiqu’assurée de conserver longtemps encore son autorité à l’égard des cou-
ples mariés avant 1992, cette règle est désormais vouée à la disparition par
l’effet de l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye de 1978 sur la loi
applicable en matière de régime matrimonial. Si formellement ce traité évolue
à proximité de la position française en prévoyant l’application de la loi de la
première résidence habituelle commune des époux après le mariage (art. 4,
al. 1er) à défaut de choix par ceux-ci avant le mariage de l’une des lois énumé-
rées en son article 3, il propose au fond, avec ses exceptions en faveur de la loi
470 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 51
rêts matériels du ménage réalise l’intention que les époux ont de vivre leurs
relations pécuniaires comme il est d’usage de les vivre dans le milieu qu’ils
choisissent — et non dans un autre milieu ainsi que le voudrait le renvoi (comp.
Jacques Foyer, note préc.). Celui-ci, selon cette interprétation de la règle de la
loi d’autonomie, est donc inacceptable.
(1) Attestant le rejet de la conception française de la loi d’autonomie en matière de régime matri-
monial, l’article 4, al. 2, b de la Convention de La Haye de 1978 admet le renvoi au second degré.
Ainsi dans le cas, par exemple, d’un ménage allemand ayant établi sa première résidence habituelle
commune en Italie, le juge français appliquera la loi allemande de la nationalité commune, loi d’un
État non partie à la convention dont la règle de conflit s’accorde sur cette désignation avec celle du
pays de la résidence, également État tiers. La solution offre l’avantage indéniable de l’uniformité
internationale de traitement que met en relief le Rocher de bronze. Mais, en contrepartie, elle exige le
sacrifice unilatéral de la conception française, aux mérites pourtant avérés par une expérience plurisé-
culaire, et consolide une solution de conflit en vigueur dans des États non liés par le traité (et qui
n’auront aucun intérêt à l’être jamais) et dont la qualité est à bien des égards discutable (v. supra, arrêt
Zelcer, no 15). Jointe au caractère accidentel de la ratification française (ibidem), au faible nombre
d’États ayant adhéré (Luxembourg, Pays-Bas et France), l’observation ne peut qu’inspirer le regret
que l’autorité de cette Convention de 1978 perdure plus que celle de la Convention de La Haye du
17 juillet 1905 (promulguée le 23 août 1912 et dénoncée le 15 déc. 1916 avec effet au 24 juin 1917).
474 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 51
est-il inacceptable selon cette analyse (v. Batiffol et Lagarde, ibid.; Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 221; P. Mayer et V. Heuzé,
no 758; B. Audit, no 229; v. aussi, en contre-épreuve, déniant le caractère facul-
tatif et appliquant le renvoi en matière de forme du mariage, l’arrêt Moatti,
Civ. 1re, 15 juin 1982, Rev. crit. 1983. 300, note J.-M. Bischoff, Clunet 1983.
595, note Lehmann). Il ne l’est pas moins dans l’autre interprétation de la
règle de conflit relative à la forme des actes qui, en quelque sorte, remet au
juge l’exercice de l’option. Dans la mesure où le nombre des lois entre les-
quelles choisir n’est pas indéfini, on est en présence d’une règle de conflit à
rattachement alternatif. Or l’économie de ce type de règle paralyse le renvoi
au sens traditionnel du terme : permettre au juge qui a découvert un ordre juri-
dique dont les dispositions matérielles consacrent la solution recherchée par
l’auteur de la règle alternative, de n’en retenir que les dispositions du droit
international privé alors que celles-ci risquent de conduire à une loi qui ne la
consacre pas, serait à l’évidence absurde. Et, comme le montre M. F. Soirat
(op. cit., nos 66 et s.), il serait inconséquent, lorsqu’au contraire aucune des lois
indiquées n’admet la solution recherchée, de suivre leurs règles de conflit :
sans « envoi », point de renvoi. Seul un renvoi d’un modèle particulier, le ren-
voi in favorem serait éventuellement concevable : au cas où aucune des lois
désignées par les différents termes de l’option ne permettrait d’atteindre le
résultat qu’elle poursuit, on pourrait faire jouer le renvoi s’il conduit à une loi
de validité, c’est-à-dire s’il sert l’objectif de la règle de conflit alternative. Le
renvoi se résume alors en une « amplification du rattachement alternatif »
(Patocchi, Règles de rattachement localisatrices et règles de rattachement à
caractère substantiel, 1985, no 575, p. 286, v. aussi Batiffol et Lagarde, t. 1, 8e éd.,
no 311). Une telle pratique ne paraît toutefois pas souhaitable (v. TGI Paris,
29 nov. 1994, Rev. crit. 1995. 703, note Jacques Foyer). Ajouter d’autres ratta-
chements à ceux déjà prévus par le législateur, c’est en effet accroître au-delà
de ce qu’il a voulu la faveur qu’il témoigne à l’une des parties et corrélative-
ment la défaveur qu’il marque à l’autre (v. arrêt Verdier, supra, no 21 § 10; rappr.
art. 13 [3], Loi italienne du 31 mai 1995). Antinomique de l’idée même de
droit, la faveur doit être strictement cantonnée (comp. P. Mayer et V. Heuzé,
no 616; Holleaux, Foyer et de Geouffre de la Pradelle, no 1233).
Elle peut aussi incomber au juge qui devra, d’après les éléments de la cause
que retient la règle de conflit et les directives qu’elle lui donne, déterminer la
loi appropriée, quand ce ne sera pas même la solution substantielle appropriée;
illustrent ce phénomène les règles de conflit à rattachements pluraux (cumula-
tifs, alternatifs, hiérarchisés ou non) et à rattachement flexible (comp. Inst. dr.
int., rés. préc., I, 4, litt. a et b).
Sous une forme ou sous une autre, la règle de conflit ne définit alors qu’une
orientation générale, un rattachement-cadre qu’il appartient à son destinataire
de réaliser. Le système de droit international privé qui utilise ce procédé des
normes inachevées manifeste que le jeu d’un rattachement abstrait, rigide, ne
permet pas d’approcher suffisamment les objectifs imposés par les particulari-
tés de la matière considérée et qu’il est donc préférable à cet égard de confier
au juge ou aux parties, qui sont en position d’apprécier les données concrètes
du cas, la mission de résoudre le conflit de lois (Y. Lequette, Rép. Dalloz dr.
int., 2e éd., v° Renvoi, no 48).
Maintenir le principe du renvoi dans ces conditions, ce serait accepter que
le travail « sur mesure » accompli par le destinataire de la règle du for puisse
être ruiné par le droit international privé de l’ordre juridique désigné, soit qu’il
adopte, mais à d’autres fins, ce même procédé, soit qu’au contraire il édicte un
rattachement abstraitement défini. (Sur les rapports entre clause d’exception
et renvoi, v. Dubler, Les clauses d’exception en droit international privé, nos 139
et s. ; rappr. P. Lagarde, « Le principe de proximité en dr. int. pr. contempo-
rain », Rec. cours La Haye, 1986. I, no 17, p. 40; F. Soirat, op. cit., nos 595 et s.).
nation des systèmes n’est pas un objectif (rappr. TGI Paris, 29 nov. 1994,
préc., excluant le renvoi à propos de l’art. 311. 117, mais en reprenant à la
lettre la motivation de la Cour de Paris relative à l’art. 311. 14, C. civ.; v. aussi
art. 4, 1 EGBGB).
La généralité de cette conclusion expliquerait même, au besoin, pourquoi
l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi
applicable aux régimes matrimoniaux (v. le texte in Rev. crit. 1976. 821), qui
comporte de semblables normes inachevées, n’aurait d’aucune façon —
même si elle n’avait directement exclu le renvoi quant à celles-ci — modifié
sur ce point le droit positif tel que l’a fixé en 1972 l’arrêt Gouthertz.
52
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
3 mai 1973
(Rev. crit. 1975. 426, note Y. L., Clunet 1974. 859, obs. Goldman)
Loi étrangère. — Gouvernement étranger non reconnu. —
Loi applicable.
défunt (Civ., 19 juin 1939, supra, no 18), loi française qui, en présence de collatéraux
privilégiés, permettait au de cujus de laisser par des dispositions à cause de mort la tota-
lité de son patrimoine à son conjoint; immeubles, elle relevait de la lex rei sitae (Civ.,
14 mars 1837, supra, no 3), loi russe dont les dispositions, à les supposer toujours en
vigueur en 1923, attribuaient les biens inclus dans le majorat, en l’absence d’héritier mâle,
à un héritier de sexe féminin, en l’occurrence la sœur du de cujus, mère du demandeur.
Afin d’obtenir gain de cause, celui-ci prétendait que le statut particulier qui avait été
conféré à ces biens par les oukases du Tsar permettait de les assimiler à des immeubles.
On le voit, la législation tsariste était invoquée à deux étapes du raisonnement : au départ,
en ce qu’elle aurait conféré aux biens qui étaient l’enjeu du litige la nature d’immeuble;
à l’arrivée, en ce qu’elle organisait pour ces biens une dévolution spécifique.
Saisi du litige, le Tribunal de grande instance de la Seine ne se déroba pas devant les
questions hautement théoriques — loi applicable à la qualification des biens comme
meuble ou immeuble, condition de la loi émanant d’un État étranger non reconnu —
que celui-ci soulevait. Par un jugement très remarqué en date du 12 janvier 1966 rendu
sous la présidence de M. Bellet (Rev. crit. 1967. 120, note Loussouarn, JCP 1967. II.
15266, note Bischoff), il affirma que « c’est à la loi française qu’il y a lieu de recourir
pour déterminer si les objets sont des immeubles ou des meubles et en déduire la loi qui
régit leur dévolution (car) il n’est pas possible de qualifier les biens successoraux selon
la loi de leur situation sous peine de donner compétence à cette loi alors qu’il s’agit
précisément de dire laquelle est compétente (mais que) la qualification lege fori n’inter-
dit pas de prendre en considération le statut et le caractère particulier donnés aux objets,
situés en territoires étrangers, pour déterminer s’ils rentrent, compte tenu de ces particula-
rités, dans la catégorie des meubles ou dans celle des immeubles, telle que la loi française
définit celles-ci », d’autre part « que le défaut de reconnaissance d’un gouvernement
étranger ne peut entraîner la méconnaissance par les tribunaux français des lois de droit
privé, édictées par ce gouvernement antérieurement à sa reconnaissance, pour le ter-
ritoire sur lequel il exerçait en fait incontestablement sa souveraineté ».
Il en résultait que la loi russe affectant les objets d’art garnissant le Palais Stroganoff
à un majorat perpétuel pouvait certes être prise en compte lors de la phase d’analyse
précédant le classement dans les catégories du for mais qu’à supposer même que les
caractères de cette affectation permettent d’assimiler les objets litigieux à des immeubles,
cette qualification ne pouvait être retenue en l’espèce car, abrogée en 1918, la législa-
tion tsariste n’était plus en vigueur lors de l’ouverture de la succession. Certes, la France
n’avait pas encore à l’époque reconnu le régime soviétique. Mais, à suivre le Tribunal
de la Seine, le défaut de reconnaissance d’un gouvernement étranger ne permet pas au
juge français de méconnaître les dispositions qui émanent de celui-ci dès lors qu’il
exerce un pouvoir effectif sur son territoire.
Ce jugement ayant été confirmé par la Cour de Paris dans un arrêt du 8 juillet 1970,
un pourvoi fut formé. Il soutenait que le régime soviétique n’ayant été reconnu par le
gouvernement français que le 28 octobre 1924, la législation tsariste était encore en
vigueur, au regard du juge français, au moment de l’ouverture de la succession de Serge
Stroganoff.
ARRÊT
La Cour; — Sur les trois moyens réunis : — Attendu que, selon les énonciations
des juges du fond, Serge Stroganoff, de nationalité russe, a épousé, le 25 mars
1918, en France, où il avait son domicile, Rose, Angeline Lavieuze, de nationalité
française; que, par acte du 8 janvier 1919, il fit donation à celle-ci, pour le cas où
elle lui survivrait, de la toute propriété de l’universalité des biens de toute
nature qui, au jour de son décès, « composeraient sa succession sans aucune
exception, ni réserve et en quelque lieux et endroits qu’ils soient dus ou situés
52 STROGANOFF — CASS., 3 MAI 1973 481
sauf toutes restrictions résultant de la loi russe qui serait en vigueur au moment
du décès du donateur, à l’égard des biens soumis à cette législation »; que Serge
Stroganoff est décédé à son domicile en France le 1er mai 1923 à la survivance de
son épouse; qu’il laissait deux sœurs, dont l’une, Olga, épouse Scherbatoff, eut
plusieurs enfants parmi lesquels Georges Stroganoff-Scherbatoff; que Serge
Stroganoff, propriétaire à son décès de divers biens situés en France, avait, en
Russie, hérité d’un majorat constitué et complété par deux ukases tsaristes des
11 août 1817 et 3 avril 1847 et comprenant divers biens meubles et immeubles
situés en Russie déclarés « intangibles » et « indivisibles » et devant passer par
ordre de primogéniture d’héritier mâle en héritier mâle ou à défaut à un héri-
tier du sexe féminin; que Serge Stroganoff était encore, en 1918, titulaire de ce
majorat mais que par un décret du Gouvernement des Soviets du 13 septembre
de ladite année les ukases l’instituant furent abrogés et les biens en dépendant
nationalisés; que des œuvres d’art qui en faisaient partie furent vendues, aux
enchères, à Berlin, les 12 et 13 mai 1931, à la requête de ce Gouvernement, et
que les frères Gaston et Maurice Bensimon se portèrent acquéreurs de certaines
d’entre elles pour le compte de la société qu’ils avaient créée pour l’exploitation
de leur commerce d’antiquités; que Georges Stroganoff-Scherbatoff, préten-
dant être seul héritier du majorat dont son oncle Serge était titulaire, a, par
exploit du 6 mai 1961, assigné la Société Bensimon et les consorts Bensimon en
restitution des objets d’art dont ceux-ci s’étaient portés adjudicataires; —
Attendu que, l’arrêt confirmatif attaqué ayant rejeté cette demande, il lui est
d’abord fait grief d’avoir décidé que, les ukases de 1817 et 1847 ayant été abro-
gés en 1918, cette abrogation avait eu pour effet de faire disparaître le statut
particulier des biens constituant le majorat Stroganoff de sorte que Georges
Stroganoff-Scherbatoff ne pouvait se prévaloir d’aucun droit héréditaire sur les
biens laissés par son oncle, en l’état de la donation faite à dame Lavieuze le
8 janvier 1919, alors, selon le pourvoi, que seules les lois émanant d’un gouver-
nement étranger reconnu par le gouvernement français peuvent être appli-
quées par les juges français; qu’en l’espèce, aucun acte du gouvernement fran-
çais et de portée internationale n’avait, avant le 28 octobre 1924, reconnu le
régime soviétique et que la reconnaissance décidée à cette date sans rétroacti-
vité n’aurait pu avoir pour conséquence de porter atteinte aux effets régulière-
ment produits par la législation tsariste antérieurement en vigueur, de sorte que
la dévolution de la succession de Serge Stroganoff, ouverte en 1923, se trouve-
rait régie par les lois tsaristes — en ce qui concerne les biens immobiliers —
caractère qu’auraient eu par destination les œuvres d’art attachées aux immeu-
bles compris dans le majorat —; qu’il est soutenu, aussi, que la Cour d’appel
aurait dénaturé l’acte de donation du 8 janvier 1919 en ce qu’elle a estimé que,
par une clause de cet acte, Serge Stroganoff avait réservé à sa veuve tous ses
droits sur les biens situés en Russie dont il aurait pu disposer selon la législation
russe effectivement en vigueur à cette date, alors que celui-ci aurait expres-
sément exclu de la donation les biens antérieurement constitués en majorat et
les aurait soumis « sous l’angle de leur dévolution successorale » à l’application
du statut résultant des ukases; qu’il est enfin reproché à la Cour d’appel d’avoir,
par confirmation du jugement à elle déféré, décidé que l’action de Georges
Stroganoff-Scherbatoff se trouvait atteinte par la prescription trentenaire de
l’article 2262 du Code civil sans répondre aux conclusions du demandeur au
pourvoi faisant valoir que, pendant toute la période où les biens litigieux
avaient été détenus en Russie par le gouvernement soviétique, ses auteurs
n’avaient pu agir en revendication de ces biens par suite d’un empêchement
résultant d’un cas de force majeure; que, dès lors, la prescription n’avait com-
mencé à courir qu’à compter du 12 mai 1931, date de la mise en vente des biens
à Berlin par le gouvernement soviétique; — Mais attendu que, tant par motifs
propres que par motifs adoptés, la Cour d’appel énonce, à bon droit, que le
482 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 52
OBSERVATIONS
1 Se refusant à ressusciter une deuxième fois « l’Empire des Tsars » (v. supra,
no 51, Faits), la haute juridiction affirme, avec réalisme, que le juge français ne
peut méconnaître les règles émanant d’un État étranger non reconnu dès lors
qu’il constate qu’elles sont, en fait, en vigueur sur le territoire de celui-ci (I).
Mais en visant les seules « lois de droit privé », la Cour de cassation invite à
s’interroger sur la portée du principe qu’elle émet (II).
I. Le principe
2 Lorsque la règle de conflit française désigne une loi émanant d’un État ou
d’un gouvernement étranger non reconnu, deux solutions sont concevables :
s’en tenir à la reconnaissance et refuser l’application du droit étranger dès lors
que celle-ci fait défaut; s’attacher à l’effectivité et appliquer ces normes dès
lors qu’elles sont, en fait, en vigueur sur le territoire étranger.
52 STROGANOFF — CASS., 3 MAI 1973 483
gnation du droit qui gouverne le milieu social dans lequel la relation s’inscrit
naturellement vise seulement à donner à celle-ci le traitement le plus appro-
prié. Par ce détour, on cherche notamment à assurer aux acteurs de la vie inter-
nationale un minimum de sécurité juridique en prévoyant que le juge retiendra
pour majeure de son syllogisme le droit sur lequel ils ont dû modeler leur
conduite parce que celui-ci entretenait avec la relation en cause les liens les
plus étroits. Or il est évident qu’un tel objectif n’a quelque chance d’être
atteint que si on prend en compte la loi qui s’applique effectivement dans ce
ressort. Quelle sécurité les individus retireraient-ils de l’application d’une règle
qui n’était déjà plus à l’époque où la relation s’est nouée qu’un « cadavre
législatif » ? C’est dire que l’intérêt des justiciables exige que l’on tienne
compte « de l’ordre juridique tel qu’il existe à l’étranger et non tel qu’on vou-
drait qu’il fût » (Bischoff, note, JCP 1967. II. 15266). Obéissant à des consi-
dérations qui lui sont propres, le juge n’a pas à calquer systématiquement son
attitude sur celle de son gouvernement. Alors que celui-ci, inspiré par des
motifs politiques, peut différer la reconnaissance d’une situation dont l’effec-
tivité n’est pourtant guère douteuse, celui-là doit s’attacher à déterminer le
système qui est, en fait, en vigueur à l’étranger, abstraction faite du statut de
l’autorité légiférante.
Aussi bien, en consacrant cette solution, la haute juridiction n’a-t-elle fait
que se rallier à une analyse dominante à l’étranger (v. Joe Verhoeven, « Rela-
tions internationales de droit privé en l’absence de reconnaissance d’un État,
d’un gouvernement ou d’une situation », Rec. cours La Haye, 1985, t. III, p. 9
et s., spéc. p. 108 et s., nos 78 et s.; H. Muir Watt, thèse préc., p. 318, note 1).
4 B. — Cette thèse suppose toutefois que l’on dispose d’une définition ferme
du concept d’ordre juridique. On comprend dès lors que, sans doute peu
encline à théoriser sur ce thème, la Cour de cassation n’ait pu éviter toute réfé-
rence à la reconnaissance ultérieure de l’État des Soviets : l’histoire enseigne
que s’il se rencontre, selon la juste observation de Santi Romano (L’ordre juri-
dique, 1975, p. 177 et s.), des ordres juridiques non constitués en État, il n’est
pas d’État reconnu qui ne repose sur un ordre juridique. Aussi bien, la recon-
naissance, qui n’est pas la condition de l’effectivité est un indice a posteriori
dont la prise en compte est essentielle dans l’appréciation de celle-ci, car il
atteste (si l’on ne craint le jeu de mot) une véritable possession d’état (comp.
Batiffol et Lagarde, no 256, p. 304).
(Rev. crit. 1974. 344, concl. Questiaux, Clunet 1975. 538, note M. Simon-Depitre,
Dr. soc. 1976. 50, obs. J. Savatier,
Rev. soc. 1976. 663, note Bismuth; chr. Ph. Francescakis,
Rev. crit. 1974. 273.)
Lois de police.
ARRÊT
Le Conseil d’État; — Sur l’intervention de la Compagnie internationale des
wagons-lits et du tourisme : — Considérant que ladite compagnie a intérêt au
maintien des décisions attaquées; que, dès lors, son intervention est recevable;
Sur la requête du Syndicat général du personnel de la Compagnie des
wagons-lits : — Considérant qu’aux termes des deux premiers alinéas de l’arti-
cle 21 de l’ordonnance du 22 février 1945 instituant des comités d’entreprise,
488 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 53
« dans les entreprises comportant des établissements distincts, il sera créé des
comités d’établissements dont la composition et le fonctionnement seront iden-
tiques à ceux des comités d’entreprise…, qui auront les mêmes attributions que
les comités d’entreprise dans la limite des pouvoirs confiés aux chefs de ces éta-
blissements… Le comité central d’entreprise sera composé de délégués élus des
comités d’établissements… »; que le troisième alinéa du même article, modifié
par l’article 12 de la loi du 18 juin 1966, dispose : « dans chaque entreprise le
nombre d’établissements distincts et la répartition des sièges entre les différents
établissements et les différentes catégories font l’objet d’un accord entre le chef
d’entreprise et les organisations syndicales reconnues comme représentatives
dans l’entreprise; dans le cas où cet accord ne peut être obtenu, le directeur
départemental du travail et de la main-d’œuvre dans le ressort duquel se trouve
le siège de l’entreprise décide de ce nombre et de cette répartition »; qu’en
vertu de l’article 96 du livre II du Code du travail lesdites attributions sont
confiées, dans les établissements soumis au contrôle technique du ministère des
Transports, à des fonctionnaires relevant de ce département, notamment en ce
qui concerne les entreprises de chemins de fer d’intérêt général; que la Compa-
gnie internationale des wagons-lits et du tourisme est au nombre de ces entre-
prises ; — Considérant qu’en application de ces dispositions le syndicat requé-
rant, faisant état d’un désaccord entre lui et la direction de la Compagnie, a saisi
l’inspecteur principal du travail et de la main-d’œuvre des transports d’une
demande qui tendait, d’une part, à ce qu’au sein de la direction française de
l’exploitation ferroviaire et hôtelière le nombre des comités d’établissements
soit porté de un à neuf et, d’autre part, à ce que soit mis en place en sus desdits
comités et des quatre comités existant déjà dans les autres services de la Compa-
gnie un comité central d’entreprise à ladite Compagnie; qu’il se pourvoit contre
le refus opposé à cette double demande par l’inspecteur régional du travail et
de la main-d’œuvre des transports le 28 décembre 1968, et, sur recours hiérar-
chique, par le ministre des Transports les 2 janvier et 25 mars 1969;
Sur les conclusions relatives à la création d’un comité central d’entreprise à la
Compagnie internationale des wagons-lits et du tourisme : — Considérant qu’en
vertu de l’article 1er de l’ordonnance précitée du 22 février 1945 il doit être
constitué dans toute entreprise industrielle et commerciale employant au moins
cinquante salariés un comité d’entreprise et qu’en vertu de l’article 21 de ladite
ordonnance, lorsque dans une entreprise comportant des établissements dis-
tincts il est créé des comités d’établissements, ceux-ci doivent élire des délégués
à un comité central d’entreprise; que le législateur a ainsi entendu assurer à
tout travailleur employé dans les conditions ci-dessus indiquées l’exercice des
droits reconnus par ladite ordonnance dont les dispositions doivent être appli-
quées par toute personne physique ou morale exerçant en France les responsa-
bilités de l’employeur; qu’il suit de là que la circonstance qu’une entreprise
employant en France plus de cinquante salariés a son siège social à l’étranger ne
saurait la faire échapper à l’application de la législation sur les comités d’entre-
prises ; qu’il lui appartient, au contraire, d’instituer la participation d’un tel
comité à ses activités d’employeur en France dans toute la mesure du possible;
que les dispositions de l’article 21 de l’ordonnance selon lesquelles le comité
central se réunit au siège de l’entreprise doivent s’entendre, lorsque cette der-
nière a son siège social à l’étranger, comme visant le lieu d’exercice principal de
ses activités d’employeur en France et qu’un tel comité central doit être mis à
même d’exercer l’ensemble des attributions définies par l’ordonnance à la seule
exception de celles qui seraient incompatibles avec la présence à l’étranger du
siège social; que, par suite, le syndicat requérant est fondé à soutenir qu’en tant
qu’elles ont rejeté sa demande de création d’un comité central des établis-
sements français de la Compagnie internationale des wagons-lits et du tou-
risme, les décisions attaquées sont entachées d’excès de pouvoir;
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 489
OBSERVATIONS
ces dernières formules étant aussi retenues par la Loi fédérale de droit interna-
tional privé suisse, art. 18 et 19, sans rejoindre tout à fait K. H. Neumayer qui
a introduit l’expression dispositions internationalement impératives, « Auto-
nomie de la volonté et dispositions impératives », Rev. crit. 1957. 579, spéc.
1958, p. 53).
Cette hésitation de vocabulaire n’est peut-être pas accidentelle. Chacune
des appellations capte un aspect de la méthode et leur pluralité invite dès lors
à en esquisser la théorie (I) tandis que l’impression d’inachèvement qui s’en
ressent oblige à indiquer les difficultés que sa pratique rencontre (II).
à la propriété littéraire et artistique (Rev. crit. 1964. 792) qui pose, dans son
article 1er, le principe de réciprocité au titre de la protection, en France, des
œuvres étrangères, mais ajoute dans son article 2 : « toutefois, aucune atteinte
ne pourra être portée à l’intégrité et à la paternité de ces œuvres ». Aussi bien,
la Cour de cassation a-t-elle, dans la célèbre affaire Huston, déduit de cette
disposition l’existence d’une loi d’application impérative protégeant le droit
moral de l’auteur de toute atteinte en France quel que soit l’État sur le ter-
ritoire duquel l’œuvre a été divulguée pour la première fois (Civ. 1re, 28 mai
1991, préc.). La loi impose le respect de l’intégrité de toutes les œuvres sus-
ceptibles d’être malmenées en France, abstraction faite du statut que leur
confère la loi de leur origine. Il n’y a aucune place pour la méthode conflic-
tuelle ; le respect du droit moral est assuré en France sans référence à la loi de
première publication. Il faut également citer la loi du 21 décembre 1975
(« relative à l’emploi de la langue française », v. chr. V. Delaporte, Rev. crit.
1976. 447) qui a introduit dans le Code du travail un article L. 121-1, alinéa 2
énonçant que « le contrat de travail constaté par écrit et à exécuter sur le ter-
ritoire français est rédigé en français », disposition que la Première chambre
civile a reconnue « d’application immédiate » (Civ. 1re, 19 mars 1986, Soc.
Geoservices international, Rev. crit. 1987. 554, note Y. Lequette, D. 1987. 359,
note G. Légier, RTD civ., 1988. 330, obs. J. Mestre; v. aussi Com., 11 mars
1997. SEIA, Rev. crit. 1997. 535, rapp. Rémery, note H. G.-T., Defrénois
1997. 1348, obs. Ph. Delebecque, qualifiant loi de police, l’art. L. 112-3,
al. 1er, C. ass., imposant l’emploi du français pour la rédaction des contrats
d’assurances des risques français, et la « salve » perçue par M.-E. Ancel,
chron. « Droit int. pr. patrimonial », Droit et Patrimoine, nov. 2005, p. 109,
distinguant Civ. 2e, 3 févr. 2005, Bull. II, no 24, Clunet 2006. 152, note
G. Légier, imposant l’application territoriale de l’art. 3122-1, C. sant. pub.,
sur l’indemnisation des transfusés victimes du VIH; Civ. 2e, 3 juin 2004, Rev.
crit. 2004. 750, note D. Bureau, déclarant « loi d’application nécessaire »
l’art. 706-3 C. pr. pén. concernant l’indemnisation de certaines victimes
d’infraction; Civ. 1re, 19 oct. 2004, D. 2005. 878, note C. Montfort, pour
lequel constitue une « loi de police et d’application immédiate » l’art. 63 de la
loi du 29 juill. 1881, prévoyant une prescription de trois mois pour l’action
civile en diffamation, auxquels P. Courbe et H. Chanteloup dans leur Pano-
rama, D. 2005. 1193, joignent Com., 14 janv. 2004, Rev. crit. 2005. 55, note
P. Lagarde, D. 2005. 1193, obs. Courbe, qualifiant « loi de police » l’art. 10,
L. 3 janv. 1967, qui pour les actes relatifs à la propriété des navires francisés
prescrit la rédaction d’un écrit permettant l’identification des parties et du
navire, et Civ. 1re, 3 févr. 2004, Rev. crit. 2004. 395, note B. Ancel, RTD civ.
2004. 267, obs. J. Hauser, A J famille, 2004. 144, obs. F. Bicheron, Dr. fam.
2004, no 47, obs. V.L.-T., concernant l’art. 147, C. civ.).
dans l’histoire, déclarait sans ambage qu’elles « ont toutes ce caractère com-
mun d’anomalie [en ce] que… elles échappent à cette communauté de droit,
en général si désirable » (op. cit., § 349, p. 40).
Lorsqu’un débat s’élève à cette altitude théorique, la prudence commande
de lui chercher une issue du côté de la pratique.
crit. 1993. 615, note M. Fallon, déniant la qualité de loi de police à l’art. 224,
§ 1er, al. 4 du Code civil belge, relatif à l’annulation du cautionnement contracté
par un époux et mettant en péril les intérêts de la famille; v. aussi, pour la
législation protectrice du représentant de commerce, Soc. 5 mars 1969, Zana-
relli, Rev. crit. 1970. 279, note Batiffol, Clunet 1969. 670, obs. Ribettes-Tilhet,
JCP 1970. II. 16481, note P. L., RTD com. 1969. 1172, obs. Loussouarn; pour
le statut de l’agent commercial, Civ. 1re, 24 janv. 1978, Staudenmayer. Rev.
crit. 1978. 689, note V. Delaporte; Com., 25 mars 1980, Mercator Press, Rev.
crit. 1980. 576, note H. Batiffol; Com., 9 oct. 1990, Soc. De Dietrich, Rev.
crit. 1991. 545, note P. Lagarde; Com., 28 nov. 2000, Soc. Allium, Bull. IV,
no 183, D. 2001. 305, note E. Chevrier, Clunet 2001. 511, note J.-M. Jacquet;
v. cep. CJCE, 9 nov. 2000, Ingmar GB Ltd, Rev. crit. 2001. 107, note L. Idot,
Clunet 2001. 511, note J.-M. Jacquet, JCP 2001. I. 328, chron. L. Bernardeau)
et elle accuse le caractère spécial ou exceptionnel que revêt le procédé de
l’application immédiate par rapport à la méthode conflictuelle qui seule
embrasse la généralité des cas. Ces difficultés s’aggravent encore au sein de
l’Union européenne avec le développement du droit communautaire substi-
tuant aux normes impératives des droits nationaux divers régimes de protection
de « la partie faible » harmonisés ou uniformes. Entre États membres, il n’y a
plus en ces domaines de divergences sur le plan des politiques juridiques, de
sorte que dépassant l’hypothèse de la communauté savignienne, ces réglemen-
tations parallèles peuvent dans leurs différences d’ordre « technique » être pri-
ses en charge par le règlement de conflit sans risquer pour cela de manquer
leurs objectifs (rappr. Paris, 26 avr. 2000, Clunet 2001. 523, note S. Dion). En
revanche, si le règlement de conflit doit déboucher sur la loi d’un État tiers,
alors que la situation couverte par le régime protecteur se réalise dans le
champ d’efficacité de celui-ci, la qualification loi de police ou règle internatio-
nalement impérative pourrait s’imposer (CJCE, 9 nov. 2000, Ingmar GB Ltd,
préc.), au moins pour les hypothèses que la Convention de Rome n’assigne pas
à des règles de rattachement à caractère matériel (art 5 et 6 de la convention;
v., sur cette question, les notes de P. Lagarde, in Rev. crit. 1998, p. 610, sous
BGH, 19 mars 1997, et 2000, p. 29, sous Civ. 1re, 19 oct. 1999, Moquin). Mais
la qualification de loi de police est ici discutée et il faut reconnaître que son
extension aux normes assurant la défense des intérêts de certaines catégories
de contractants, que l’ordre juridique entend abriter en fixant des minima de
protection impérative, perturbe la représentation du mécanisme de l’applica-
tion immédiate ou prioritaire et suggère de nouvelles analyses qui doivent per-
mettre au juge de comparer la loi désignée par la règle de conflit et la loi inter-
nationalement impérative de protection minimale (v. A. Bonomi, Le norme
imperative nel diritto internazionale privato, Zurich, 1998, spéc. p. 146 et s. et
c.r. in Rev. crit. 1998. 809; E. Pataut, note sous CJCE, 15 mars 2001, Maz-
zoleni, Rev. crit. 2001. 495). La nature variable ou l’allure shizophrénique attri-
buée à ces règles — tantôt internationalement impératives, tantôt simplement
impératives — requiert de savantes analyses et de subtiles distinctions qui ren-
dent leur praticabilité aléatoire. Le dessein de garantir leur pleine efficacité se
paie du prix de la sécurité juridique. C’est vers une semblable conclusion que
dirigera l’examen du problème des lois de police étrangères.
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 501
Desangles, note Ph. Francescakis, D. 1966. 390, note Loussouarn, Clunet 1966.
631, note Bredin; Civ. 1re, 17 oct. 1972, Époux Audouze, Rev. crit. 1973. 520,
note H. Batiffol; Civ. 1re, 17 oct. 1972, Cassan, Clunet 1973. 716, note Oppetit).
Certes la solution est limitée à l’hypothèse considérée et sans utilité directe
pour résoudre le cas tout différent où la loi de police qui revendique le règle-
ment de la situation émane d’un ordre tiers. Mais elle témoigne cependant d’une
inclination à respecter autant que possible les critères d’efficacité internatio-
nale de la loi de police étrangère. La démarche suivie évoque celle qu’impose
le renvoi et cette affinité a sans doute exercé quelque influence sur le résultat.
17 Quoi qu’il en soit à cet égard, les auteurs manifestent une plus grande har-
diesse. Ils soulignent combien serait contraire à l’idéal d’harmonie internatio-
nale des solutions une décision judiciaire qui ferait abstraction d’une loi de
police au prétexte qu’elle n’est édictée ni par l’ordre du for ni par l’ordre dési-
gné, alors que selon toute vraisemblance, l’ordre tiers qui l’a posée s’emploiera à
la faire observer, parce qu’il en a la volonté et que la situation visée est à sa
portée. Par souci de réalisme (Batiffol et Lagarde, eod. loc.), ils recommandent
en conséquence de déborder le choix fait par la règle de conflit et d’envisager
directement l’application des lois de police étrangères indépendamment de la
méthode conflictuelle (rappr. Soc., 27 avr. 2000, B. Smith, Clunet 2001. 523,
note S. Dion). Le procédé de l’application immédiate s’imposerait aussi pour
les lois de police étrangères.
Cette orientation s’exprime dans l’article 7.1 de la Convention de Rome sur
la loi applicable aux obligations contractuelles du 19 juin 1980, qui prévoit
que « lors de l’application, en vertu de la présente convention, de la loi d’un
pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la
loi d’un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la
mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables
quelle que soit la loi régissant le contrat… » (Comp. art. 83 de la proposition
de Règlement Rome I, du 15 déc. 2005, et art. 13.2 de la proposition modifiée
de Règlement Rome II, du 21 févr. 2006). On remarquera aussitôt que cette
clause ne réalise pas strictement le modèle unilatéraliste; elle ne prescrit pas
de mettre en œuvre la loi de police d’après et seulement d’après ses propres
critères d’efficacité. Il faut en effet que soit remplie une condition très raison-
nable, qui est celle du lien étroit entre la situation et l’ordre tiers et qui répond
au souci de réalisme (comp. Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la
loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation, art. 16). De
plus, même cette exigence satisfaite, l’application n’est pas obligatoire : « il
pourra être donné effet… »
18 Observons à cet égard que d’autres paramètres doivent être alors considérés,
puisque le texte poursuit : « Pour décider si effet doit être donné à ces disposi-
tions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que
des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-
application » (comp. art. 19, loi fédérale sur le droit international privé). On ne
saurait trop souligner l’exacte adéquation de cette attitude au phénomène de la
loi de police étrangère. Par sa teneur et par le domaine qu’elle revendique,
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 503
26 novembre 1974
(Rev. crit. 1975. 491, note D. Holleaux, Clunet 1975. 108, note A. Ponsard)
Litispendance internationale. —
Recevabilité de l’exception. — Conditions.
ARRÊT
Du 26 novembre 1974. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Bellet, prés.; Ponsard, rapp.;
Gégout, prem. av. gén. — MMes Calon et Labbé, av.
OBSERVATIONS
1969 (Civ. 1re, 1er déc. 1969, Soc. Anciens établissements Valla et Richard,
Rev. crit. 1972. 84, note H. J. Lucas, Clunet 1970. 707, note A. Huet). Ce retour
vers l’ordre ancien appela plus de réserve que d’approbation (v. les notes préc.
de H. J. Lucas et de A. Huet; v. aussi D. Holleaux « La litispendance interna-
tionale » Trav. com. fr. dr. int. pr. 1971-1973, p. 205). Il n’était qu’une ultime
résistance. Par un arrêt du 25 juin 1974 (Huret, Clunet 1975. 102, note A. Huet)
la Cour de cassation retrouvait sa disposition d’esprit de 1962. Six mois après,
elle la concrétisait dans le présent arrêt. La matière illustre ainsi la réflexion de
Paul Lerebours-Pigeonnière, selon qui la jurisprudence avançait « en dents de
scie » (Trav. com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 135).
Avant d’exposer les raisons qui ont pu conduire la Cour de cassation à sur-
monter une hostilité traditionnelle (B) il convient de préciser les éléments de
la situation de litispendance internationale (A).
4 A. — L’article 100 du Nouveau Code de procédure civile fournit les élé-
ments définissant la litispendance dans le cadre interne : « si le même litige est
pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour
en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir… » (v. A. Huet,
J.-Cl. dr. int., fasc. 581-43, nos 3 et s.). L’hypothèse est celle d’une concurrence
parfaite de procédures : identité de litige, dualité d’instances, égalité des juri-
dictions saisies tant sur le plan de la compétence que sur celui de la hiérarchie
judiciaire (sur l’hypothèse de la connexité, reliant deux « affaires » distinctes
v. Civ. 1re, 22 juin 1999, Rev. crit. 2000. 42, note G. Cuniberti, D. Aff. 2000. 211,
note D. Ammar).
La litispendance internationale réunit certainement les deux premiers élé-
ments. L’identité de litige s’y définit comme dans la litispendance interne, selon
les termes de l’article 1351 du Code civil « … Il faut que la chose demandée
soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande
soit entre les mêmes parties… » (sur la difficulté d’apprécier l’identité de
cause en matière de divorce, v. TGI Paris, 7 juill. 1976, Hernod-Johnson, Rev.
crit. 1977. 725, note I. Fadlallah, et Paris, 24 nov. 1977. Rev. crit. 1978. 527,
note I. F. Clunet 1978. 306, note A. Huet, Gaz. Pal., 1978. 1. 201, note Sar-
raute ; Civ. 1re, 17 nov. 1993, JCP 1994. III. 22346, note H. Muir Watt;
Civ. 1re, 15 juin 1994, Rev. crit. 1996. 127, note B. Ancel, D. 1994, Som.
com. 352, obs. B. Audit, Rép. Defrénois 1995. 312, obs. J. Massip; v. aussi
H. Gaudemet-Tallon, J.-Cl. dr. int., fasc. 547-10, nos 109 et s.; sur le traitement
de cette difficulté par le Règlement Bruxelles II bis, en matière matrimoniale :
art. 19 § 1).
La dualité d’instances est évidemment requise puisque c’est elle qui est à
l’origine du problème. Cette condition de la litispendance peut cependant sur
le plan international susciter quelques difficultés car elle introduit la considé-
ration du droit étranger. La règle de conflit relative à la procédure impose en effet
de se référer à la loi du for étranger pour déterminer si celui-ci est effectivement
saisi (Civ. 1re, 6 déc. 2005, Soc. Nestlé, Bull. I, no 467, Rev. crit. 2006. 428,
note E. Pataut, visant expressément les articles 35 et 97 du Code de procédure
algérien à propos d’un désistement d’instance) et le moment auquel il l’a été
(TGI Dunkerque, 18 avr. 1984, Clunet 1986. 966, obs. A. Huet); cette vérifi-
508 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 54
net 1980. 653, note A. Huet) et d’autre part, dans la ligne de la jurisprudence
Bachir (v. supra, arrêt no 45), dispense le juge français de se livrer à une sem-
blable appréciation (v. D. Holleaux, comm. préc., p. 211; P. Mayer et V. Heuzé,
no 444-1; G. Droz, Compétence judiciaire et effets des jugements dans le Marché
commun, no 98; H. J. Lucas, note préc., Rev. crit. 1972. 86; A. Huet, note préc.,
Clunet 1980. 653; H. Gaudemet-Tallon, « La litispendance internationale dans
la jurisprudence française après la communication de D. Holleaux au com. fr. dr.
int. pr. », Mélanges D. Holleaux, p. 121, spéc. p. 125-126; J. Pellerin, « L’excep-
tion de litispendance internationale », Bull. Ch. avoués Paris, 1991. 125 et s.).
Il suffit donc pour qu’il y ait litispendance internationale que la compétence
avérée du tribunal français à l’égard du litige s’accompagne de la saisine anté-
rieure effective du tribunal étranger. C’est alors que le refus du tribunal fran-
çais de considérer la litispendance développe le conflit des procédures et avec
lui de graves inconvénients.
6 B. — C’est la nocivité particulière de ce conflit de procédures qui naturel-
lement justifie la recevabilité de l’exception de litispendance internationale. Il
a semblé pendant longtemps que des raisons supérieures interdisaient d’admet-
tre en principe cette solution. Mais elles ont certainement aujourd’hui perdu la
force qu’on leur reconnaissait autrefois et qui était d’ailleurs largement suresti-
mée eu égard à la qualité des intérêts que compromet le refus de considérer la
litispendance.
Certes il ne s’agit pas directement des intérêts de l’ordre juridique français —
lequel peut toujours résister au conflit de décisions qui prolongera un conflit de pro-
cédures non résolu, en faisant prévaloir le jugement français comme tel (v. supra,
obs. sous arrêts Patiño, no 38-39). Une litispendance internationale négligée
ne bouleversera pas l’ordre juridique français, dont elle ne révélera aucun dys-
fonctionnement (Batiffol, Francescakis et Le Galcher-Baron, Rép. Dalloz dr.
int. v° Compétence civile et commerciale, no 23; D. Holleaux, Compétence du
juge étranger… op. cit., no 155); mais elle n’est pas pour autant inoffensive.
Elle porte d’abord atteinte à l’ordre international en ce que celui-ci va se
trouver occupé de deux procès et à terme encombré de deux jugements pour
une seule cause. Cette redondance est facteur de désordre. Ensuite ce désordre
nuit aux rapports des parties entre elles qui auront à obéir à deux jugements
dont rien n’indique qu’ils s’accorderont. Enfin, sans même attendre que ce
risque s’accomplisse, il faut relever que l’indifférence à la litispendance inter-
nationale, en raison de la diversité des organisations judiciaires et de la dimen-
sion du facteur géographique, favorise, au détriment du plaideur le moins for-
tuné, le plaideur le plus puissant et le plus chicanier; elle autorise le « forum
shopping à retardement » (P. Mayer et V. Heuzé, no 443), encourageant les
manœuvres déloyales et repoussant abusivement l’apurement définitif du
contentieux ; en somme, elle est à la source de tous les dommages que peut
causer l’incoordination de l’action juridictionnelle des États et, spécialement,
d’« un gaspillage préjudiciable à l’intérêt d’économie procédurale » (D. Holleaux;
adde, M.-L. Niboyet-Hoegy, « Les conflits de procédures », Trav. com. fr. dr.
int. pr. 1995-1998, p. 71, s’efforçant de fusionner ces arguments sous la règle
prior tempore, qu’imposerait l’extinction du droit d’action résultant de son
510 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 54
fins (v. H. Batiffol, note préc., p. 102; Batiffol et Lagarde, t. II, no 676, p. 468;
P. Mayer et V. Heuzé, no 446). Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que la
Cour de cassation partage ce point de vue lorsqu’elle déclare que « l’exception
de litispendance peut être reçue… »; il s’agirait d’une faculté, non d’un devoir
(v. cep., Civ. 1re, 17 juin 1997, Rev. crit. 1998. 452, note B. Ancel, Defrénois
1998. 305, note J. Massip).
En second lieu, ce contrôle de régularité est-il possible ? La difficulté tient
au caractère prospectif que lui confère la chronologie des opérations : pour
accueillir l’exception, le juge français doit apprécier une décision étrangère
qui n’est pas encore prononcée. D’où un risque d’erreur, mais il faut se garder
de l’exagérer. D. Holleaux remarquait très justement que, depuis la suppres-
sion de la révision au fond, « la régularité internationale du jugement étranger
tient au moins autant aux caractéristiques abstraites du système qui le produit
(les règles de conflit de lois, de droit matériel et de procédure de ce système)
qu’à la décision concrète du juge » (note, Rev. crit. 1975, p. 501); or les caracté-
ristiques abstraites ont l’avantage d’être permanentes, donc d’ores et déjà
accessibles au juge français. D’ailleurs certaines d’entre elles et spécialement
celles qui concernent l’introduction de l’instance à l’étranger sont par hypo-
thèse déjà actualisées : le juge français peut apprécier la loyauté de l’assigna-
tion. Il peut aussi apprécier la compétence indirecte — ce que successivement
la cour d’appel et la Cour de cassation ont fait dans la présente affaire
(v. aussi Civ. 1re, 15 juin 1994, préc.; Civ. 1re, 8 juin 1999, Rev. crit. 2000. 35,
note P. Rémy-Corlay, Defrénois 2000. 105, note J. Massip; 14 déc. 2004, préc.)
— et cette possibilité est, au besoin, amplement démontrée par l’ancienne pra-
tique liant la recevabilité de l’exception à l’intervention du privilège, aujourd’hui
disparu (v. infra, no 87), des articles 14 et 15 du Code civil (sur ce que le contrôle
de la compétence indirecte peut être inhibé « au nom de la bonne foi », lors-
que la juridiction étrangère constitue le « for de l’initiative » dont la partie qui
l’a saisi prétend, au soutien de son exception de litispendance, contester la com-
pétence devant le juge français, v. Civ. 1re, 7 mai 1996, Filippi, préc., et spéc. la
note de G. Droz, Rev. crit. 1997, p. 82 et s.).
Bien sûr, il ne faut pas non plus à l’inverse minimiser l’incompressible aléa.
Il pourra toujours advenir que les prévisions du juge français soient démenties.
Cette considération incitera à la circonspection; elle justifie « la discrétion qui
[doit] être accordée au juge français dans l’accueil ou le rejet de l’exception »
(H. Batiffol, note Rev. crit. 1963, p. 102) et, sans doute, doit-elle aussi peser
sur la détermination des effets de celle-ci.
24 mai 1975
CONSEIL D’ÉTAT
(Ass.)
20 octobre 1989
I. — Ch. mixte 24 mai 1975, Rev. crit. 1976. 347, note Jacques Foyer
et D. Holleaux, Clunet 1975. 801, note D. Ruzié,
D. 1975. 497, concl. Touffait, JCP 1975. II. 18180 bis, concl. Touffait,
Gaz. Pal. 1975. 2. 470, concl. Touffait.
II. — CE, Ass., 20 octobre 1989,
Rev. crit. 1990. 125, concl. Frydman, note P. Lagarde,
Clunet 1990. 5, chron. Dehaussy, D. 1990. 135, note Sabourin,
JCP 1989. II. 21371, concl. Frydman,
RGDIP 1989. 1041, concl. Frydman, 1990. 91, note Boulouis,
RFDA 1989. 812, concl. Frydman, note Genevois.
1er ARRÊT
(Administration des Douanes
c/Soc. des cafés Jacques Vabre et Soc. Weigel)
Faits. — La société des Cafés Jacques Vabre avait, depuis 1964, importé des Pays-
Bas du café soluble, dédouané par la société Weigel. A l’occasion de chaque importa-
tion, l’Administration des Douanes perçut la taxe intérieure de consommation prévue
par l’article 265 du Code des douanes. En 1968, ces deux sociétés assignèrent l’Admi-
nistration des Douanes en restitution des sommes versées par la société Weigel et en
réparation du préjudice subi du fait de la privation des fonds correspondants. Elles fai-
saient valoir que cette taxe était contraire à l’article 95 du Traité de Rome du 25 mars
1957, aux termes duquel « aucun État membre ne frappe directement ou indirectement
les produits des autres États membres d’impositions intérieures, de quelque nature qu’elles
soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits natio-
naux similaires. En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États
membres d’impositions intérieures de nature à protéger indirectement d’autres produc-
tions ». La taxe frappant les cafés solubles hollandais était, selon les sociétés demande-
resses, supérieure à celle due pour les cafés verts importés, servant à la production de
café soluble en France. Partant, l’article 265 du Code des douanes tel que formulé par
une loi du 14 décembre 1966 constituait une disposition législative contraire à un traité
antérieurement ratifié et publié.
Le tribunal d’instance du 1er arrondissement de Paris, dans un jugement en date du
8 janvier 1971, donna gain de cause aux sociétés demanderesses. Ce jugement fut confirmé
en appel par la Cour de Paris (Paris, 7 juill. 1973, D. 1974. 159, note J. Rideau, Gaz.
Pal. 1973. 2. 661, concl. J. Cabannes, Clunet 1974. 820, note Ruzié). Un pourvoi fut
formé par l’Administration des Douanes.
La Cour; — Sur le premier moyen pris en ses deux branches : — Attendu qu’il
résulte des énonciations de l’arrêt déféré que, du 5 janvier 1967 au 5 juillet
1971, la Soc. « Cafés Jacques Vabre » (Soc. Vabre) a importé des Pays-Bas, État
membre de la Communauté économique européenne, certaines quantités de
café soluble en vue de leur mise à la consommation en France; que le dédoua-
nement de ces marchandises a été opéré par la Soc. J. Weigel et Cie (Soc. Wei-
gel), commissionnaire en douane; qu’à l’occasion de chacune de ces importa-
tions, la Soc. Weigel a payé à l’Administration des Douanes la taxe intérieure de
consommation prévue, pour ces marchandises, par la position Ex. 2102 du
tableau A de l’article 265, C. des douanes; que, prétendant qu’en violation de
l’article 95 du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique
européenne, lesdites marchandises avaient ainsi subi une imposition supérieure
à celle qui était appliquée aux cafés solubles fabriqués en France à partir du café
vert en vue de leur consommation dans ce pays, les deux sociétés ont assigné
l’Administration en vue d’obtenir, pour la Soc. Weigel, la restitution du montant
des taxes perçues et, pour la Soc. Vabre, l’indemnisation du préjudice qu’elle
prétendait avoir subi du fait de la privation des fonds versés au titre de ladite
taxe; — Attendu qu’il est reproché à la Cour d’appel d’avoir accueilli ces deman-
des en leur principe (…).
Sur le deuxième moyen : — Attendu qu’il est de plus fait grief à l’arrêt d’avoir
déclaré illégale la taxe intérieure de consommation prévue par l’article 265,
C. des douanes par suite de son incompatibilité avec les dispositions de l’arti-
cle 95 du Traité du 25 mars 1957, au motif que celui-ci, en vertu de l’article 55 de
la Constitution, a une autorité supérieure à celle de la loi interne, même posté-
rieure, alors, selon le pourvoi, que s’il appartient au juge fiscal d’apprécier la
518 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56
2e ARRÊT
(Nicolo)
Faits. — Le Conseil d’État est compétent pour connaître du contentieux des élec-
tions européennes en vertu de la loi du 7 juillet 1977. Agissant en qualité d’électeur,
M. Nicolo a contesté la régularité du scrutin du 18 juin 1989 en raison de la participa-
tion à celui-ci des citoyens français des départements et territoires d’outre-mer. Comme
le souligne le commissaire du gouvernement dans ses conclusions, une telle argumenta-
tion ne pouvait être retenue. Elle heurtait, en effet, directement aussi bien la loi du
7 juillet 1977 qui dispose que le « territoire de la République française forme une cir-
conscription unique » que le traité de Rome dont l’article 227 § 1 prévoit qu’il s’appli-
que à la « République française ». Mais le Conseil d’État devait-il écarter le moyen dont
il était saisi en se fondant sur la seule loi du 7 juillet 1977 ou lui fallait-il vérifier la
compatibilité de celle-ci avec le Traité de Rome ? La question était d’importance car de
la réponse qui lui était apportée dépendait la place que le Conseil d’État entend accorder
à la loi et au traité dans la hiérarchie des normes. En suivant les recommandations de
son commissaire du gouvernement et en vérifiant la compatibilité de la loi avec le traité,
le Conseil d’État a, de façon discrète mais certaine, rompu avec sa jurisprudence anté-
rieure. Désormais le traité l’emporte sur la loi lui serait-elle postérieure.
OBSERVATIONS
1 Le juge peut-il refuser d’appliquer une loi au motif qu’elle est contraire à un
traité ou à un accord international ? En donnant, à quinze ans d’intervalle, une
réponse positive à cette interrogation, la Cour de cassation (II) puis le Conseil
d’État (III) ont profondément modifié la physionomie de notre système juridi-
que (IV). Afin d’en prendre pleinement conscience, il n’est pas inutile de rap-
peler l’état du droit antérieur (I).
520 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56
2 Ayant des origines différentes, traités et lois peuvent se trouver, plus encore
que deux lois successives, en contradiction. Comment se résout alors le conflit
entre la loi et le traité ?
La question s’est toujours réglée sans difficulté lorsque le traité est posté-
rieur à la loi qu’il contredit. Pour affirmer la supériorité du traité postérieur
sur la loi antérieure, il n’est, en effet, nul besoin de se référer à une quelcon-
que primauté du traité sur la loi; il suffit de faire application des règles qui
gouvernent la succession des normes dans le temps : lex posterior derogat
priori (la loi postérieure déroge à la loi antérieure) (Roland et Boyer, Adages
du droit français, no 190). La maxime reçoit d’autant plus aisément applica-
tion que les Constitutions de 1946 et de 1958 prescrivent la ratification en
vertu d’une loi de tout traité modifiant une loi interne française. Le traité ne va
donc pas à l’encontre de la volonté du Parlement (Batiffol, Droit international
privé, 4e éd., 1967, no 39).
3 Plus délicat est, en revanche, le conflit entre une loi et un traité qui lui est
antérieur. Les règles qui gouvernent la succession des normes dans le temps
donnant l’avantage à la loi, la question est alors clairement posée de savoir si
le traité ne doit pas, malgré tout, lui être préféré parce qu’il occuperait dans la
hiérarchie des normes une place supérieure à celle-ci.
Longtemps les tribunaux ont éludé la difficulté en considérant, conformé-
ment à ce qu’on a appelé la « doctrine Matter », que toute loi contraire à un
traité antérieur devait s’entendre comme réservant le jeu du traité (Civ., 4 févr.
1936, S. 1936. 1. 257, note Raynaud; CE Ass. 2 mai 1975, Mathis, Rec. Lebon
279). Le problème se règle alors très simplement par la coordination des nor-
mes en présence. Aussi bien aurait-il suffi, dans l’affaire Jacques Vabre, de faire
appel à cette règle jurisprudentielle d’interprétation pour résoudre la question
posée. L’article 265 du Code des douanes ayant une portée générale et frap-
pant les produits importés de toute origine pouvait, en effet, être compris
comme réservant nécessairement l’application du Traité de Rome (en ce sens,
Rideau, note D. 1974. 163; Foyer et Holleaux, note Rev. crit. 1976, p. 357).
Mais ni la Cour d’appel, ni la Cour de cassation n’ont voulu emprunter cette
voie. Suivant en cela les conclusions de l’avocat général Cabanne (Gaz. Pal.
1971. 2. 661), puis celles du procureur général Touffait (D. 1975. 500, 1er col.),
elles ont entendu poser la question en termes de conflit ouvert entre le traité et
la loi qui lui est postérieure. Il est, au reste, des cas où l’on ne saurait faire
l’économie d’un tel conflit. Ainsi en va-t-il lorsque le législateur modifie un
texte introduit en vertu d’un traité d’unification.
4 Le juge doit-il s’incliner devant l’ordre du législateur alors même que celui-
ci contredirait les obligations internationales de la France ? Aux termes de l’arti-
cle 55 de la Constitution, le traité a, dès sa publication, une autorité supérieure
à celle des lois. La précision temporelle que renferme le texte montre que les
lois qui sont, au premier chef, envisagées par celui-ci sont celles qui sont en
vigueur au moment où le traité entre dans l’ordre juridique français, du fait de
sa publication. Faut-il aller plus loin et déduire de cette disposition que le traité
55-56 J. VABRE, CASS., 24 MAI 1975 — NICOLO, CE, 20 OCTOBRE 1989 521
contraire à la mission qui définit ses pouvoirs et dont l’objet propre est la mise
en œuvre de l’ordre interne : user de ses pouvoirs contre l’autorité qui les lui a
conférés lui enlève toute qualité » (Droit international privé, 4e éd., no 39, p. 42).
tice administrative (1), tout conflit potentiel entre le Conseil d’État et le pou-
voir législatif (…) nous paraît (…) moins pressante que par le passé. Nous ne
sommes plus, en effet, à l’époque où le commissaire du gouvernement
Latournerie pouvait évoquer, dans ses conclusions sur l’arrêt Arrighi de 1936,
qu’un contrôle de la loi risquerait de compromettre l’acquis de la jurispru-
dence en remettant en cause la place même du Conseil d’État dans les institu-
tions. L’autonomie, l’indépendance et les compétences propres de la juridic-
tion administrative ont, en effet, été depuis lors solennellement reconnues,
notamment en vertu d’une jurisprudence très constructive du Conseil constitu-
tionnel inaugurée par ses importantes décisions du 22 juillet 1980 et du 23 jan-
vier 1987, et à nouveau confirmée tout récemment encore par une décision du
28 juillet 1989 ». Autrement dit, tant qu’une épreuve de force survenant entre
le Conseil d’État et le pouvoir législatif fut susceptible de se résoudre au
détriment du premier, la haute juridiction administrative jugea préférable de
s’abstenir. Le souvenir de l’arrêt Canal (CE, 19 oct. 1962, JCP 1963. II. 13068,
note Debbasch, Gr. arrêts jurispr. adm., 15e éd., no 83) et des réactions qu’il
avait entraînées était là pour la rappeler à la prudence. Mais le Conseil consti-
tutionnel ayant limé les griffes du pouvoir législatif de telle sorte qu’il n’était
plus en position de rappeler aux magistrats qu’« user de ses pouvoirs contre
l’autorité qui les (leur) a conférés (leur) enlève toute qualité » (Batiffol, op.
cit., no 39, p. 42), la voie était libre pour le gouvernement des juges. Belle
leçon de science politique plus que de droit !
12 Les arrêts Jacques Vabre et plus encore Nicolo ont généralement été l’objet
de la part de la communauté des juristes, d’appréciations dithyrambiques. On
se permettra ici de faire entendre un point de vue quelque peu hétérodoxe. Et
de fait, procédant de choix idéologiques favorables à l’internationalisation et à
l’européanisation de notre droit (A) ainsi qu’à l’émergence d’un gouverne-
ment des juges (B), la solution retenue par ces arrêts pourrait à terme se révéler
lourde de déconvenues pour la société française.
13 A. — Rappelons, tout d’abord, qu’elle procède à l’intégration au sein de
l’ordre juridique français non d’un corps de règles figées, comme il en va habi-
tuellement lorsqu’on parle d’intégration, mais d’une « autorité étrangère légi-
férante » (Carbonnier, Droit civil, Introduction, no 116). Il en résulte que
l’énorme masse sécrétée, au jour le jour, par la bureaucratie bruxelloise est
désormais applicable en France sans que le peuple français puisse, par l’inter-
médiaire de ses représentants, la contrôler, l’infléchir, l’amender, (B. Oppetit,
« L’Eurocratie ou le mythe du législateur suprême », D. 1990. 73). Tout au
plus, dans le contexte de la ratification du Traité de Maastrich, une orientation
dans le sens d’une réduction du déficit démocratique s’est-elle manifestée à
l’occasion de la réforme constitutionnelle opérée par la loi du 25 juin 1992. Il
mentaux ne peuvent être invoquées par les particuliers devant les tribunaux que
si elles présentent un caractère auto-exécutoire (self-executing). Il faut pour cela
que la convention ne se contente pas de mettre des obligations à la charge des
États mais qu’elle accorde directement des droits subjectifs aux individus et
que les droits ainsi reconnus soient suffisamment précis pour pouvoir se suffire
à eux-mêmes. La Première chambre civile a dans un premier temps décidé, à
plusieurs reprises, que la Convention de New York sur les droits de l’enfant du
26 janvier 1990 « ne crée des obligations qu’à la charge des États parties » et
« n’est pas directement applicable en droit interne » (Civ. 1re, 10 mars 1993,
Lejeune, Bull. I, no 103, D. 1993. 361, note Massip, Rev. crit. 1993. 449, note
P. Lagarde; 24 janv. 1995, D. 1995, IR 53). Prenant appui sur cette analyse,
elle a heureusement censuré la Cour de Paris qui avait fait prévaloir l’article 26
de cette convention qui pose que « les États parties reconnaissent à tout enfant
le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales »
sur l’article R. 313-12 du Code de la sécurité sociale, qui fixe de façon précise
l’âge limite du droit des enfants aux prestations de l’assurance maladie en
qualité d’ayants droit de leurs parents (Soc. 13 juill. 1994, Bull. V, no 236,
JCP 1995. II. 22363, note Benhamou). Mais ultérieurement, s’alignant sur la
position du Conseil d’État (CE, 22 sept. 1997, JCP 1998. II. 10052, note
Gouttenoire; 30 juin 1999, D. 2001. 1, note F. Boulanger), elle a abandonné,
en la matière toute solution a priori et a choisi de rechercher au cas par cas si
les disposition de la Convention de New York sont d’une précision suffisante
pour justifier leur application directe (Civ. 1re, 18 mai 2005 et 14 juin 2005,
Rev. crit. 2005. 679, note D. Bureau, Clunet 2005. 1132, note C. Chalas, JCP
2005. II. 10081, note Granet-Lambrechts et Stryckler et 10115, note C. Petit,
Defrénois 2005. 1418, obs. Massip, D. 2005. 1909, note Egéa, Dr. fam. 2005,
no 156, obs. Gouttenoire, RTD civ. 2005. 556, obs. Encinas de Munagorri, 583,
obs. J. Hauser, 750, obs. Rémy-Corlay). Dans cette nouvelle approche, elle a
considéré que l’article 3.1, de la Convention de New York prévoyant que
l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes
les décisions qui concernent l’enfant, était d’application directe. La précision
de la directive ainsi posée n’apparaît pourtant pas évidente, tant sont multiples
les lectures auxquelles peut donner lieu cette « notion magique » (J. Carbon-
nier, D. 1960. 673).
20 Il est vrai que la notion d’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas plus vague
que la plupart des droits consacrés par la Convention européenne des droits de
l’homme. Or ceux-ci sont généralement regardés, en raison de l’article 1er de
cet instrument, comme directement invocables par les individus. Au prétexte
de leur contrariété avec des concepts flous, pour ne pas dire mous, les règles
précises élaborées par le législateur pour répondre aux intérêts collectifs de la
société peuvent ainsi être balayées par le juge. Mieux, la compétence accordée
à la Cour européenne des droits de l’homme pour connaître des recours des
particuliers qui se plaignent d’une violation de leurs droits fondamentaux
permet à cet organisme d’imposer aux juridictions françaises son interpréta-
tion des droits fondamentaux (v. infra, no 80-81 § 14). Ainsi non contente
de sombrer dans le gouvernement des juges, la France confie celui-ci à un
532 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56
Faits. — Bien que marié, un Français est déclaré père d’un enfant naturel allemand
puis condamné au versement d’une pension alimentaire par des décisions de la Cour de
Munich du 5 juillet 1971 et du Tribunal cantonal de Starnberg du 7 avril 1972. Probable-
ment contraires aux principes fondamentaux de l’ordre juridique français à l’époque de leur
prononcé, ces décisions ne l’étaient certainement plus lorsque l’exequatur en fut demandé
quelque temps plus tard. Fallait-il dès lors pour apprécier leur conformité au regard de
l’ordre public international se référer à la conception ancienne ou nouvelle de celui-ci ?
Voici la réponse de la Cour de cassation.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique, pris en ses divers griefs : — Attendu que,
selon les énonciations de l’arrêt confirmatif attaqué, l’Office de la Jeunesse du
Cercle de Starnberg (République fédérale allemande), représentant légal du
mineur Dietrich Rapsilber, a demandé l’exequatur du jugement du Tribunal can-
tonal de Starnberg du 7 avril 1972 condamnant Marret à verser diverses sommes
à titre de pension alimentaire pour l’entretien de cet enfant, dont il avait été
antérieurement décidé qu’il était né de ses œuvres; — Attendu qu’il est fait
grief à la cour d’appel d’avoir fait droit à la demande alors que la parenté adul-
térine de Marret qui servait de fondement à l’arrêt attaqué avait été judiciaire-
ment constatée par deux décisions allemandes des 25 août 1970 et 5 juillet 1971
à une époque à laquelle l’ordre public français s’opposait à toute recherche de
paternité adultérine et que la cour d’appel, même si elle devait se placer à la
date de sa décision pour apprécier la compatibilité de l’ordre public avec une
décision étrangère, n’aurait pu valider une décision nulle dès son origine; —
Mais attendu que c’est à bon droit que les juges du fond ont décidé que la com-
patibilité d’une constatation de paternité adultérine avec l’ordre public interna-
tional tel qu’il est conçu en France devait être appréciée au jour où statue le
juge français de l’exequatur, et non au jour de la décision étrangère, ce qui
exclut la nullité alléguée par le moyen; — Que le moyen n’est pas fondé;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 23 novembre 1976. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Bellet, prés.; Pauthe, rapp.; Granjon,
av. gén. — MMes Pradon et Vincent, av.
534 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 57
OBSERVATIONS
1 La Cour de cassation énonce dans le présent arrêt avec beaucoup de force ce
qu’il est, depuis Pillet (Principes de dr. int. pr., p. 398, no 201), convenu
d’appeler le principe de l’actualité de l’ordre public international (II). Le droit
international privé de la filiation se prêtait tout particulièrement à cette affir-
mation car c’est sans doute en ce domaine, que la variabilité dans le temps de
l’ordre public à laquelle répond la règle de l’actualité, s’est manifestée avec le
plus d’ampleur (I).
naturelle selon une loi étrangère compétente qui ne prévoit pas les cas d’ouver-
ture énumérés par l’article 340 du Code civil français dès lors que cette loi pré-
sente de sérieuses garanties en ce qui concerne le respect de la vérité biologi-
que et permet au père d’assurer efficacement sa défense » (Civ. 1re, 9 oct.
1984, Hublin, Rev. crit. 1985. 643, note Jacques Foyer, Clunet 1985. 906, note
M. Simon-Depitre; et sur l’effet en France de décisions étrangères, v. Civ. 1re,
6 mars 1984, Kryla, Rev. crit. 1985. 108, note Droz, Clunet 1984. 859, note
Chappez). La solution ne peut que trouver un renfort dans la suppression des
cas d’ouverture de l’action en recherche de paternité par la loi du 3 janvier
1993, solution reprise par l’ordonnance du 4 juillet 2005 (v. art. 327, C. civ.).
S’agissant des lois plus restrictives, la haute juridiction eut plus de mal à défi-
nir sa position. Après avoir posé que les lois étrangères qui, tel le droit musul-
man, prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont pas contraires à
la conception française de l’ordre public international dont la seule exigence
est que soient assurés à l’enfant les subsides qui lui sont nécessaires (Civ. 1re,
3 nov. 1988, Rev. crit. 1989. 495, note Jacques Foyer, Clunet 1989. 703, note
F. Monèger; v. aussi, P. Guiho, « La conception française de l’ordre public
international en matière de filiation », Mélanges Breton et Derrida, 1991,
p. 145 et s.), elle décida ensuite que si ces lois ne sont pas contraires à
l’ordre public, il en va autrement si elles ont pour effet de priver un enfant
français ou résidant actuellement en France du droit d’établir sa filiation.
Posée initialement à l’occasion d’une action en recherche de paternité naturelle
(Civ. 1re, 10 févr. 1993, Rev. crit. 1993. 620, note J. Foyer, Clunet 1994. 124,
note I. Barrière-Brousse, D. 1994. 66, note J. Massip, Som. com. p. 32, obs.
B. Audit; v. depuis Lyon, 2 déc. 2000, Clunet 2002. 475, note F. Monéger;
Civ. 1re, 10 mai 2006, Enfant Léana Myriam, JCP 2006. IV. 2216, D. 2006,
IR. 1481), la solution a ensuite été réaffirmée à propos d’une action contestant la
validité d’une reconnaissance (Paris 13 janv. 2000, D. 2000. 898, note S. Aubert).
La variabilité dans le temps se conjugue alors avec la relativité inhérente à l’ordre
public de proximité (sur l’ordre public de proximité, v. supra, no 26 § 12).
1957, Rev. crit. 1957. 84, note Y. Loussouarn; et depuis : Civ. 1re, 12 juill. 1977,
D. 1978, IR p. 100, obs. B. Audit; Civ. 1re, 13 nov. 1979, Rev. crit. 1979. 753,
note M. Simon-Depitre). La haute juridiction a même dans une affaire Henrich
(Civ., 22 mai 1957, Rev. crit. 1957. 466, note Batiffol, Clunet 1957. 722),
approuvé la Cour de Paris d’avoir, avant la promulgation de la loi du 15 juillet
1955, donné effet en France à une reconnaissance d’enfant adultérin allemand, à
l’occasion d’une demande d’aliments présentée contre un père français, en se
référant non à l’ordre public actuel mais à l’ordre public futur, s’agissant il est
vrai, d’un futur immédiat et bien défini (Jacques Foyer, note Rev. crit. 1977. 748).
La règle de l’actualité est généralement approuvée par la doctrine (Batiffol
et Lagarde, t. 1, no 364; B. Audit, no 317; P. Mayer et V. Heuzé, no 204; Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 254-2; N. Nord, Ordre public et
lois de police en dr. int. pr., thèse multigr., Strasbourg, 2003, nos 134 et s.,
p. 73 et s.). Et de fait, on comprendrait mal que le juge perturbe le jeu normal
de la règle de conflit au moyen du correctif exceptionnel de l’ordre public
pour défendre des conceptions déjà abandonnées par son propre droit (Maury,
L’éviction de la loi normalement compétente : l’ordre public international et
la fraude à la loi, p. 122). On a également invoqué en ce sens le caractère
jurisprudentiel de l’ordre public : à la différence de la règle légale, la règle
jurisprudentielle nouvelle est applicable à toutes les situations qui se présen-
tent au juge postérieurement à sa consécration (v. arrêt Ortiz-Estacio, infra,
no 62 § 2 et s.; P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit internatio-
nal privé, p. 189, no 164).
6 L’application de ce principe ne soulève, au demeurant, aucune difficulté
lorsque la variabilité de l’ordre public se traduit par un assouplissement de celui-
ci. Affirmer que le juge statue conformément à l’ordre public du moment, c’est
en effet dans une telle hypothèse refouler l’exception d’ordre public et se
conformer au règlement normal du conflit de lois. Ainsi, bien que contraires à
l’ordre public à l’époque de leur prononcé, des décisions étrangères ont, comme
en l’espèce, obtenu l’exequatur en France, parce que le contenu de celui-ci
s’était entre-temps libéralisé. De même, des actes accomplis ou des situations
créées en France ou à l’étranger conformément à une loi étrangère compétente
mais dont les prescriptions violaient notre ordre public international ont été
validés par nos tribunaux qui ont tenu compte des modifications postérieures
de la loi française et corrélativement de notre ordre public. Par exemple, une
reconnaissance d’enfant adultérin souscrite en conformité d’un droit étranger
avant 1972, ne pourra plus être annulée de ce chef postérieurement à l’entrée
en vigueur de la loi nouvelle.
En revanche, certaines hésitations sont permises dans le cas contraire, c’est-
à-dire lorsque les exigences de l’ordre public international français se sont
accrues. Valable au regard du règlement français de conflit de lois, une situa-
tion perd brutalement cette qualité en raison d’une modification du contenu de
notre ordre public. La règle de l’actualité conduit alors à privilégier l’excep-
tion d’ordre public au détriment du règlement normal du conflit des lois. Il est
vrai que si l’opinion courante veut que l’exception soit entendue strictement,
les raisons qui fondent celle-ci peuvent néanmoins le cas échéant justifier une
538 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 57
(1) Une autre limitation a été proposée par M. Lagarde (Trav. com. fr. dr. int. pr. 1977-1979,
p. 111) : pour les jugements ayant autorité de plein droit en France, c’est-à-dire les jugements cons-
titutifs et les jugements relatifs à l’état et à la capacité des personnes (v. supra, no 10), la vérification
pourrait se faire conformément à la conception de l’ordre public qui avait cours au jour de leur pro-
noncé. Cette suggestion ne convainc guère : précaire, l’autorité de chose jugée dont sont revêtues
ces décisions n’acquerra un caractère définitif qu’après qu’elles aient satisfait à un contrôle, lequel
doit être, au moins au regard de l’ordre public, conduit conformément aux exigences du moment
(v. Niboyet, note S. 1945. 1. 78).
58
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
20 février 1979
(Rev. crit. 1979. 803, note Batiffol, JCP 1979. II. 19147, concl. Gulphe)
Nationalisation. — Compétence.
ARRÊT
La Cour; — Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : — Vu le prin-
cipe de la souveraineté des États; — Attendu qu’une mesure de nationalisation
ne peut avoir effet que sur le territoire de l’État qui la prend; — Attendu que
selon les énonciations de l’arrêt attaqué, une ordonnance algérienne a, le
13 mai 1968, nationalisé, en ce qui concerne son activité relative aux hydrocar-
bures, les biens de la succursale à Alger de la Société française « Méditer-
ranéenne de Combustibles » (SMC) dont le siège social est situé à Paris et les a
transférés à la Société nationale algérienne pour la recherche, la production, le
transport et la commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach); que, par un
540 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 58
OBSERVATIONS
1 S’opposant à la reconnaissance en France des effets des nationalisations
étrangères non accompagnées d’une indemnisation sérieuse, l’exception d’ordre
public ne doit normalement intervenir, comme on l’a déjà relevé (v. supra,
arrêt La Ropit, no 13), qu’après qu’a été constatée la compétence de l’État
étranger à édicter de telles normes. Néanmoins en pratique, cette première
étape est souvent éludée : la norme étrangère étant vouée au rejet en raison de
son contenu, il devient inutile de s’interroger sur la compétence de l’autorité
qui l’a édictée. Cette question ne peut cependant plus être passée sous silence
lorsque le caractère spoliateur de la mesure de nationalisation n’est pas dénoncé;
il importe alors de déterminer si l’État étranger avait ou non le pouvoir
d’atteindre les biens qu’il prétend nationaliser.
C’est à cette question que se consacre l’arrêt SMC : l’État algérien pouvait-
il transférer à la Sonatrach la créance dont celle-ci demandait l’exécution ? Le
problème avait été également abordé, on l’a vu (supra, no 13), par l’arrêt La
Ropit : quoique la nature confiscatoire de la nationalisation soviétique justifiât
l’intervention de l’ordre public, cet arrêt s’était refusé à enjamber purement et
simplement la question de la compétence. Au premier abord, ces décisions
paraissent s’être placées sur des terrains différents : droit international privé
pour l’arrêt La Ropit, droit international public pour l’arrêt SMC En réalité,
par delà ces différences la Cour de cassation y marque son adhésion à une
même conception qu’elle ne paraît pas disposée à répudier (II), en dépit des
contestations doctrinales (I).
58 SMC — CASS., 20 FÉVRIER 1979 541
I. La contestation doctrinale
4 Face à ces deux conceptions, la jurisprudence campe sur une positon inter-
médiaire que n’a pas modifiée l’extraordinaire diversification du phénomène
de la nationalisation. De prime abord, l’arrêt La Ropit apparaît, on l’a vu,
comme une illustration de la première méthode. Il juge en effet qu’« en principe,
les tribunaux d’un État, lorsqu’ils sont appelés à apprécier une situation juridi-
que née sous l’empire d’une législation étrangère, doivent le faire en appli-
quant la loi étrangère ». Caractéristique du discours de la théorie des droits
acquis, la formule ne prend son véritable sens qu’assortie du rappel que dans
le cadre de cette théorie, la constitution d’une situation à l’étranger n’est régu-
lière au regard de l’ordre du for et ne mérite d’y être reconnue que si elle est
réputée acquise dans l’ordre juridique désigné par sa règle de conflit de lois
(supra, no 13). C’est dire que, réserve faite de la conformité à l’ordre public,
il dépend de cette dernière qu’une nationalisation prononcée à l’étranger soit
ou non reconnue en France. Le problème serait donc traité en termes de conflit
de lois.
Il ne faut pourtant pas s’y tromper. La théorie des droits acquis emploie la
règle de conflit, mais en lui confiant une mission bien particulière. La règle de
conflit doit permettre la reconnaissance de l’état de droit créé à l’étranger en
recherchant s’il est effectivement pris en charge par l’ordre juridique désigné
par elle — et considéré globalement, c’est-à-dire aussi bien dans la perspec-
tive de l’application de ses règles de droit que du point de vue des autorités
habilitées à y prendre des décisions. Au fond, il importe peu que le transfert
des biens à l’État se soit réalisé par voie de décret ou par l’effet d’une disposi-
tion générale et abstraite, relative par exemple aux biens vacants ou sans
58 SMC — CASS., 20 FÉVRIER 1979 543
maître; l’essentiel est que le transfert soit accompli au regard de l’ordre juridi-
que désigné et de lui seul. La règle de conflit est alors une règle de compétence
dont l’objet est l’activité, quelles qu’en soient la forme et la nature, de l’État
relativement à la matière qu’elle contemple; elle délimite ainsi l’espace à l’inté-
rieur duquel l’État peut agir; elle répartit les souverainetés.
5 C’est précisément cette répartition qui est au cœur de l’arrêt SMC. Cette
décision se place, en effet, d’emblée sous l’autorité du « principe de la souve-
raineté des États » et casse un arrêt de la Cour de Paris qui, en accordant l’exe-
quatur, avait prorogé en France l’efficacité d’un acte du gouvernement algérien
et violé ainsi le système de répartition des compétences étatiques d’après
lequel « une mesure de nationalisation ne peut avoir d’effet que sur le territoire
de l’État qui la prend ». Mais une fois le principe affirmé, encore faut-il
l’appliquer, c’est-à-dire localiser les biens qui sont l’enjeu du débat. S’agissant
de mettre ouvertement en œuvre le principe de territorialité des nationalisa-
tions, on s’est demandé si une méthode de localisation spécifique, plus réa-
liste, ne serait pas souhaitable, l’important étant alors moins de déterminer la
loi qui régit le bien que de savoir où celui-ci peut être appréhendé (P. Lagarde,
note Rev. crit. 1982. 345). Ainsi en matière de créance, on s’attacherait non
à la loi qui la régit mais au domicile du débiteur ainsi qu’aux différents pays
où celui-ci a des biens saisissables. À la supposer fondée, une telle analyse
n’est cependant envisageable qu’au cas où la créance est considérée en tant
qu’« élément du patrimoine du créancier objet de convoitise tant par les créan-
ciers de celui-ci que par l’État qui nationalise ». Lorsqu’au contraire la créance
est envisagée comme « lien de droit entre le créancier et le débiteur et dans
leurs rapports mutuels » seule la loi de la source semble convenir (P. Lagarde,
note préc.). Aussi bien se conformant à la démarche traditionnelle de la juris-
prudence, l’arrêt SMC utilise, comme le relève H. Batiffol dans son commen-
taire, le système des règles de conflit de lois afin de localiser la créance que
l’État algérien prétendait s’approprier. Régie, au temps où elle aurait dû naître,
par la loi française applicable en tant que lex societatis gouvernant les relations
entre la société et sa succursale d’Alger, la créance litigieuse échappait à la
compétence de l’État algérien. Admettre l’existence de cette créance, alors que
le droit français refuse d’attribuer à la succursale « une personnalité morale
propre distincte de celle de la société elle-même », c’eût été renoncer à la com-
pétence française; de même que permettre l’exécution en France du jugement
contraire prononcé en Algérie, c’eût été s’incliner devant un acte pris hors de
sa compétence par un gouvernement étranger. La souveraineté française, telle
que la délimite la règle de conflit de lois, en aurait été atteinte.
6 Ainsi se retrouvent, dans cette décision, les ingrédients essentiels de la théo-
rie des droits acquis : l’identification du conflit de lois et du conflit de souve-
rainetés avec ses corollaires de l’ajustement du champ d’action de l’État sou-
verain au domaine d’application de ses lois, de l’assimilation des règles et
des décisions et enfin de l’assignation à la règle de conflit de lois d’une fonc-
tion de reconnaissance (v. Civ., 14 mars 1939, Potasas Ibericas, S. 1939. I. 182,
DH 1939. 257, note Sarraute et Tager; Com., 15 mars 1965, Zeiss, Clunet 1966.
544 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 58
622, note Le Tarnec; Civ. 1re, 25 janv. 1966, Royal Dutch, D. 1966. 390, note
Y. Loussouarn, Rev. crit. 1966. 238, note Ph. Francescakis; Civ. 1re, 17 oct.
1972, Ep. Audouze, Rev. crit. 1973. 520, note H. Batiffol; Civ. 1re, 1er juill.
1981, Total Afrique, Rev. crit. 1982. 336, note P. Lagarde, Clunet 1982. 148,
note P. Bourel, Rev. sociétés 1982. 878, note J.-L. Bismuth).
Assurément la méthode prête le flanc à la critique (v. supra, obs. sous arrêt
de Wrède, no 10 § 7 et s.) : la désignation effectuée par la règle de conflit de
lois répond au souci premier d’assurer le règlement le plus satisfaisant aux
intérêts privés que la relation considérée met en cause, alors que la décision
de nationaliser, comme tout exercice des prérogatives de la puissance publique,
ne s’inscrit certainement pas dans le cadre d’une telle préoccupation. Ainsi,
par exemple, on a pu reprocher à cette méthode qui dans le cas de nationalisa-
tion visant une entreprise ne reconnaît compétence qu’à l’État de la situation
des biens, de ne considérer ceux-ci qu’isolément (ut singuli) et non pas en tant
qu’élément du patrimoine de la personne nationalisée; cette attitude néglige-
rait « l’essence même de la nationalisation qui est de viser l’unité économique
constituée par l’entreprise » (P. Mayer et V. Heuzé, no 672 et P. Mayer, note
Rev. crit. 1996, p. 687). À cela, on peut répondre que le raisonnement suivi
par la Cour de cassation permet de respecter cette unité lorsque la nationalisa-
tion a été opérée au moyen d’une mainmise de l’État sur les actions d’une
société ayant son siège sur son territoire et des activités dans plusieurs pays.
Les biens visés par la nationalisation, c’est-à-dire les actions, sont alors en
effet valablement transférés puisque soumis à la lex societatis. Partant, la
société ainsi nationalisée conserve sa personnalité et demeure propriétaire
de ses avoirs situés à l’étranger. Telle est au reste la solution qu’a consacrée
le Conseil constitutionnel dans ses décisions des 16 janvier et 11 février 1982
(Rev. crit. 1982. 349, note Bischoff, Clunet 1982. 330 et article B. Goldman,
p. 275; v. aussi L. Favoreu, Rev. dr. pub. 1982. 377; Gr. déc. Cons. const.,
5e éd., no 33, p. 462 et s.; rappr. T. app. Bâle-ville, 27 mars 1992, Rev.
crit. 1995. 507, note B. Audit; v. aussi Com., 14 nov. 1995, Cubatabaco, Rev.
crit. 1996. 683, note P. Mayer).
Mais surtout la théorie des droits acquis qui utilise la règle de conflit de
lois pour résoudre un problème de compétence étatique et n’est qu’un alliage
des deux conceptions opposées, présente le mérite de fournir un instrument
objectif de solution qui, à défaut de règles précises et sûres provenant du droit
international public en la matière, dispense le juge judiciaire de l’obligation
redoutable de définir lui-même ce qui est permis et ce qui ne l’est pas aux
États étrangers (fardeau dont le chargerait aussi l’analyse en termes de lois de
police étrangères recommandée par L. d’Avout, op. cit., eod. loc.). Enfin, elle
offre l’avantage de sa faiblesse qui est de mettre en œuvre des critères de dési-
gnation sur le choix desquels a pesé la considération des intérêts privés —
qui, en effet, ne sont pas méprisables.
59-60
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
1er ARRÊT
Faits. — Séparés de fait depuis de nombreuses années, deux époux libanais avaient
vécu successivement en Egypte, en France et en Suisse, pays dans lequel l’un et l’autre
avaient, semble-t-il, en définitive fixé leurs domiciles respectifs.
La confiance réciproque s’affaiblissant à la suite de certaines opérations du mari, la
femme révoqua la procuration qu’elle lui avait consentie pour l’administration de son
compte en banque. Puis, dans le cadre de ce différend, elle obtint du président du Tribu-
nal de grande instance de Nice deux ordonnances qui l’autorisaient à prendre des inscrip-
tions provisoires d’hypothèque sur des immeubles situés à Nice et appartenant à son
546 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 59-60
mari, ainsi qu’à pratiquer une saisie-arrêt sur un compte de celui-ci auprès d’une banque
de la même ville.
L’épouse assigna ensuite son mari pour le voir condamner à lui payer une certaine
somme d’argent afin de faire valider la saisie-arrêt et de prendre inscription définitive
d’hypothèque judiciaire. Celui-ci ayant soulevé l’incompétence du Tribunal de Nice au
motif qu’il était domicilié à Lausanne, sa défense fut accueillie en première instance
puis en appel. Un pourvoi fut formé qui critiquait les motifs par lesquels la cour d’appel
affirmait la réalité du domicile de l’époux en Suisse.
2e ARRÊT
(Société Strojexport et autre c/Banque centrale de Syrie)
La Cour; — Sur le moyen unique. pris en ses deux branches : — Attendu que
la société tchèque Strojexport et la société américaine New York Forfaiting Inc.
font grief à l’arrêt attaqué (Paris, 2 nov. 1994) d’avoir écarté la compétence
internationale de la juridiction française pour statuer sur l’instance engagée au
fond à la suite d’une saisie conservatoire pratiquée en France à l’encontre de la
Banque centrale de Syrie, afin d’obtenir paiement d’une garantie souscrite par
cette banque à l’occasion de l’exécution de travaux de génie civil en Syrie par la
société Strojexport; qu’il est reproché à la cour d’appel de s’être fondée sur les
nouvelles dispositions internes de procédure restreignant la compétence du
juge de l’exécution, règles qui sont dépourvues de portée internationale, et
d’avoir méconnu le principe de compétence internationale incidente de la juri-
diction française pour statuer sur le fond de la créance à l’occasion d’une saisie
pratiquée en France; — Mais attendu que si les juridictions françaises sont seules
compétentes pour statuer sur la validité d’une saisie pratiquée en France et
apprécier, à cette occasion, le principe de la créance, elles ne peuvent se pronon-
cer sur le fond de cette créance que si leur compétence est fondée sur une autre
règle; que la cour d’appel, qui a retenu que, le litige au fond ne présentant
aucun lien de rattachement avec la France, le juge compétent était le juge de
Damas, a justement décidé que le lieu de la saisie en France ne pouvait pas fon-
der la compétence internationale de la juridiction française pour connaître du
fond du litige; qu’elle a ainsi, abstraction faite des motifs surabondants criti-
qués par le pourvoi, légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 11 février 1997. — Cour de cassation (1re ch. civ.). — MM. Lemontey, prés.; Ancel, rapp.; Gau-
net, av. gén. — SCP Defrénois et Levis, SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, av.
OBSERVATIONS
1 On entend par forum arresti un chef de compétence exorbitant qui donne
aux juridictions ayant autorisé une mesure conservatoire sur un bien situé sur
leur territoire, la faculté de connaître du contentieux qui commande au fond le
59-60 NASSIBIAN, CASS., 6 NOV. 1979 — STROJEXPORT, 11 FÉVR. 1997 549
I. Une volte-face
1931. 94; Paris 21 mai 1957, Rev. crit. 1958. 128, note Francescakis; TGI
Paris, 14 janv. 1970, Rev. crit. 1970. 714, note P. L.) et en doctrine (Batiffol et
Lagarde, 6e ed., t. II, no 676 in fine; Bauer, Compétence judiciaire internatio-
nale des tribunaux civils français et allemands, 1965, no 56; Patarin, Rép. Dalloz
dr. int., 1re éd., v° Saisies, no 8, v° Saisie-arrêt, no 60). On enseignait, en effet,
généralement que le tribunal saisi de l’action en validité devait en ce cas sur-
seoir à statuer et impartir un délai au créancier afin qu’il porte sa demande
devant la juridiction étrangère compétente et obtienne de celle-ci un jugement
destiné à servir ultérieurement de titre en France. Ainsi parvenait-on à main-
tenir « dans un intérêt général de paix publique et de justice » des mesures
conservatoires sans pour autant « atteindre ni compromettre le fond du droit »
(Req. 23 mars 1868, préc.), puisque le créancier ne pouvait distraire le débiteur
de son juge naturel.
6 Par son arrêt Nassibian, la haute juridiction a rompu avec cette solution.
Elle a, en effet, décidé que les tribunaux français pouvaient, à l’occasion de
l’instance en validité, statuer sur l’existence de la créance invoquée par le saisis-
sant (v. aussi Civ. 1re, 18 nov. 1986, Banque camerounaise de développement,
Rev. crit. 1987. 773, note H. Muir Watt, Clunet 1987. 632, note Ph. Kahn,
JCP 1987. II. 20909, note Nicod). Posée à propos d’une saisie-arrêt, procédure
qui présentait la particularité d’associer une phase conservatoire permettant de
bloquer les sommes dues au débiteur saisi par le tiers saisi et une phase d’exé-
cution, cette solution fut également appliquée par l’arrêt Nassibian à d’autres
mesures conservatoires, qualifiées de « sûretés judiciaires ». La Cour de cas-
sation décida, en effet, que « lorsque le président du Tribunal de grande ins-
tance a autorisé un créancier à prendre une inscription provisoire d’hypothè-
que judiciaire sur un immeuble situé en France, les tribunaux français sont
nécessairement compétents pour statuer sur l’instance au fond engagée confor-
mément à l’ordonnance du président » (v. aussi Paris, 22 sept. 1982, D. 1982,
Som. com. p. 148, obs. B. Audit; Civ. 1re, 6 déc. l989, Fahim, Rev. crit. 1990.
545, note Couchez).
7 B. — Le droit français des voies d’exécution a été profondément renouvelé
par la loi du 9 juillet 1991 et le décret du 31 juillet 1992. Parmi de nombreuses
modifications, il en est une dont on s’est demandé si elle n’était pas de nature à
remettre en cause la jurisprudence Nassibian.
La saisie-arrêt qui associait, au sein d’une même procédure, phase conser-
vatoire et phase d’exécution a été remplacée par la saisie-attribution qui n’est
plus qu’une mesure d’exécution. Corrélativement, l’instance en validité a été
supprimée. Seule demeure l’obligation pour le créancier, dont la mesure conser-
vatoire n’est pas fondée sur un titre exécutoire, d’introduire dans le mois qui
suit l’exécution de cette mesure, à peine de caducité, une procédure en vue
d’obtenir un tel titre. Ratione materiae, cette procédure est de la compétence
non du juge de l’exécution mais du juge de droit commun. La Cour de Paris
saisie du litige qui a conduit au deuxième arrêt ci-dessus reproduit en a déduit
que les tribunaux français avaient perdu le pouvoir de connaître des litiges
relatifs à l’existence de la créance invoquée par le saisissant (Paris, 2 nov.
59-60 NASSIBIAN, CASS., 6 NOV. 1979 — STROJEXPORT, 11 FÉVR. 1997 551
1994; v. aussi en ce sens, A. Huet, J.-Cl. dr. int., fasc. 581-40, v° Compétence
des tribunaux à l’égard des litiges internationaux, no 43).
8 L’argument n’emporte pas la conviction.
En premier lieu, la compétence internationale dérivée des tribunaux français
pour statuer au fond sur la créance du saisissant n’est pas aussi dépendante
que semble le croire la Cour de Paris de la « configuration particulière » que
revêtait en droit interne le contentieux de la saisie-arrêt. On a vu, en effet,
que la compétence des tribunaux français pour connaître de l’existence de la
créance invoquée avait été admise par l’arrêt Nassibian, non seulement afin de
valider une saisie-arrêt mais aussi afin de justifier une inscription d’hypothè-
que sur un immeuble dont le défendeur était propriétaire en France (v. supra,
§ 6; v. aussi TGI Paris, 11 juill. 1990, Clunet 1991. 722, note M. Revillard).
Or, dans ce dernier cas, il n’y a aucune « instance en validité comparable à
celle qui, en matière de saisie-arrêt, créait un lien procédural particulier entre
la mesure d’exécution et sa cause; la contestation au fond relevait, en effet, en
toute hypothèse d’une instance distincte » (H. Muir Watt, JCP 1995. II. 22430,
no 6). Mieux, la dissociation réalisée par la loi du 9 juillet 1991 entre l’autorisa-
tion de saisie conservatoire faite sans titre exécutoire et l’instance au fond ten-
dant à l’obtention de ce dernier correspond à la situation qui existait en 1979
et qui existe encore aujourd’hui en matière d’inscription d’hypothèque judi-
ciaire. On perçoit mal, dès lors, ce qui justifierait une différence de solution.
En second lieu, vouloir déduire de la restriction affectant désormais les
pouvoirs du juge de l’exécution en droit interne, une incompétence des tribu-
naux français pour connaître au plan international de l’instance au fond serait
commettre un véritable contresens au regard des directives traditionnelles qui
régissent les conflits de juridictions. Ce serait, en effet, « conférer une portée
internationale aux règles internes de compétence d’attribution ». Or, selon la
jurisprudence Scheffel (supra, no 37) « seules les règles de compétence territo-
riale interne sont de nature à concerner l’ordre international » (H. Muir Watt,
note préc., no 7). Certes, le juge de l’exécution ne peut pas plus connaître de la
créance invoquée au plan international qu’il ne le peut au plan interne, mais il
n’y a pas là matière à fonder une limitation à la compétence internationale de
l’ordre juridictionnel français. Les règles de compétence d’attribution ne doi-
vent, en effet, être prises en compte que dans un deuxième temps, une fois
réglée la compétence de l’ordre juridictionnel français, afin de déterminer
la juridiction plus particulièrement compétente pour connaître de la cause
(H. Muir Watt, note préc., no 7). Allant plus loin, certains auteurs ont souligné
que l’économie de la loi nouvelle et notamment l’obligation d’introduire dans
le délai d’un mois, à peine de caducité, une instance au fond en vue d’obtenir
un titre exécutoire, portaient plus au maintien de la jurisprudence Nassibian
qu’à sa condamnation (G. Couchez, « Les incidences de la réforme des voies
d’exécution sur le droit international privé », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1995-
1998, p. 123).
9 Les termes du problème étant ainsi parfaitement identifiés, la Cour de cas-
sation devait rendre une première décision le 17 janvier 1995, dans une affaire
552 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 59-60
Méridien Breckwoldt et cie (Civ. 1re, 17 janv. 1995, Rev. crit. 1996. 133, note
Y. Lequette, JCP 1995. II. 22340, note H. Muir Watt). Tout en semblant incli-
ner vers l’abandon du forum arresti, cette décision n’était pas sans laisser pla-
ner un certain doute quant à sa portée, en raison de l’ambiguïté de sa rédaction
et des circonstances très particulières de l’espèce, au point qu’on a pu parler à
son propos d’« arrêt à énigme » (Y. Lequette, Rev. crit. 1996. 134). Elle était,
en effet, intervenue à propos d’une saisie conservatoire de navire, question qui
demeure réglementée par les dispositions spécifiques d’un décret du 27 octo-
bre 1967. De plus, si la saisie conservatoire du navire avait bien été autorisée,
mainlevée en avait été ordonnée au moment de l’assignation au fond de telle
sorte que le litige n’avait plus de lien avec la France.
10 Le pourvoi formé contre l’arrêt déjà évoqué (supra, § 7) de la Cour de Paris
devait donner à la haute juridiction l’occasion de se prononcer en toute clarté.
Tout en écartant la motivation de la Cour de Paris, fondée sur la nouvelle éco-
nomie du droit interne français, qu’elle qualifie de surabondante, la Cour de
cassation condamne le forum arresti. Elle pose, en effet, que « si les juridic-
tions françaises sont seules compétentes pour statuer sur la validité d’une sai-
sie pratiquée en France et apprécier à cette occasion, le principe de la créance,
elles ne peuvent se prononcer sur le fond de cette créance que si leur compé-
tence est fondée sur une autre règle ». En d’autres termes, la seule présence du
lieu de la saisie en France ne suffit plus à fonder la compétence internationale
des tribunaux français pour connaître du litige. Ceux-ci ne pourront en connaî-
tre que s’ils sont compétents en vertu des règles de compétence judiciaire
internationale. Ainsi, renonçant à chercher dans le droit interne la solution du
problème, la haute juridiction lui apporte une réponse spécifiquement interna-
tionale. Reste à savoir si cette solution est adaptée aux données de la vie inter-
nationale.
devenir la providence des créanciers du monde entier » alors que l’État natio-
nal de ces créanciers se garde d’offrir les mêmes facilités, ce qui conduit la
France à assumer sans aucun profit les inconvénients diplomatiques liés au
fait de laisser se dérouler sur son territoire des voies d’exécution contre un
État étranger ou ses émanations (B. Audit, Rev. crit. 1986. 536), d’autre part,
de voir se raréfier les dépôts de capitaux publics étrangers (Synvet, « Quelques
réflexions sur l’immunité d’exécution de l’État étranger », Clunet 1985. 865 et s.,
spéc. p. 886). Sur cette question, v. infra, obs. no 65-66 § 5.
13 Est-ce à dire que la jurisprudence Nassibian laissait les magistrats français
désarmés face à de telles difficultés ? La réponse est très certainement néga-
tive. Il convient, en effet, de rappeler que la compétence du juge français
lorsqu’elle repose sur le forum arresti est toujours facultative (v. sur ce point,
Ponsard, Clunet 1989. 231). Il lui appartient donc, en fonction des divers inté-
rêts en présence, privés mais aussi publics, d’accepter ou non de connaître de
la contestation au fond.
Parmi les éléments qui guident le choix du juge figurent les liens que
l’affaire peut entretenir avec le for, ce qui a conduit M. Paul Lagarde à consi-
dérer que le forum arresti devait se comprendre par rapport au principe de
proximité (« Le principe de proximité », Rec. cours La Haye, 1986, t. I, no 132,
p. 137). Mais raisonner en termes de proximité géographique ne rend pas suf-
fisamment compte de la richesse des possibilités offertes par ce chef de com-
pétence. Le caractère facultatif du forum arresti permet, en effet, d’intégrer
d’autres éléments : existence d’une procédure à l’étranger, accessibilité et cré-
dibilité du juge étranger, personnalité du défendeur. C’est dire que le forum
arresti ainsi compris était un instrument idéal entre les mains des magistrats
pour que la France ne devienne ni « la providence des créanciers du monde
entier » (B. Audit, note préc.), ni « le paradis des débiteurs étrangers mauvais
payeurs » (H. Muir Watt, préc.). Aussi bien son abandon par la haute juridic-
tion risque-t-il de conduire à des résultats choquants comme le montre le
deuxième arrêt ci-dessus reproduit.
14 Et de fait, il aurait été difficile à un auteur d’imaginer un cas d’école plus
révélateur des dangers de la nouvelle solution consacrée par la Cour de cas-
sation que l’espèce dont elle a eu à connaître dans son arrêt du 11 février 1997.
La société Strojexport avait exécuté son contrat dans des conditions qui ne sou-
levaient aucune discussion. Une sentence arbitrale avait d’ailleurs condamné
l’établissement public d’électricité syrien le 30 juillet 1992. Mais pas plus
celui-ci que la Banque centrale de Syrie, qui était pourtant tenue au titre d’une
garantie à première demande, engagement contraignant s’il en est, n’enten-
daient exécuter leurs obligations. En présence d’une telle situation, les juridic-
tions françaises se déclarent incompétentes et invitent le demandeur à mieux
se pourvoir, c’est-à-dire à porter son action devant le juge naturellement com-
pétent pour en connaître qui est, aux dires du défendeur, le juge de première
instance de Damas.
Raisonner ainsi, c’est considérer que toutes les juridictions sont fongibles
et aptes à rendre une justice de même qualité. Malheureusement, un tel uni-
59-60 NASSIBIAN, CASS., 6 NOV. 1979 — STROJEXPORT, 11 FÉVR. 1997 555
3 janvier 1980
(Rev. crit. 1980. 331, note Batiffol, Clunet 1980. 327, note Simon-Depitre,
D. 1980. 549, note Poisson-Drocourt)
Polygamie. — Succession.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : — Attendu,
selon les énonciations de l’arrêt confirmatif attaqué, que Larbi Boumaza s’est
marié en Algérie, en 1936, avec Zohra Bendeddouche, et en a eu sept enfants;
qu’après s’être installé en France avec sa famille et y avoir acquis des immeubles,
il est retourné en Algérie et y a épousé, en 1969, conformément à son statut
personnel, Fatima Boumaza dont il a eu deux enfants; que Larbi Boumaza étant
décédé en 1974, la cour d’appel a décidé que dame Boumaza et ses deux enfants,
de nationalité algérienne comme le défunt lui-même, étaient en droit de venir à
la succession des immeubles situés en France, en qualité d’épouse et d’enfants
légitimes du défunt, au même titre que dame Bendeddouche et ses sept
enfants, également de nationalité algérienne, et en concours avec eux; —
Attendu qu’il est fait grief à la cour d’appel d’avoir ainsi statué, alors que, d’une
part, la loi française, applicable à la dévolution successorale des immeubles
situés en France, ne reconnaît qu’une épouse légitime et n’admet parmi les
ayants droit du défunt que cette épouse, de sorte que, selon le moyen, la
deuxième épouse ne pouvait prétendre à aucune vocation successorale, quels
que fussent son statut personnel et la régularité de son statut matrimonial, et
alors que, d’autre part, lorsque, comme en l’espèce, la règle de conflit du for
désigne, pour résoudre la question d’état des personnes, préalable à celle de
dévolution successorale, une loi étrangère, en l’occurrence la loi algérienne,
cette loi devrait être écartée, au nom de la conception française de l’ordre
public international, en tant qu’elle valide un mariage polygamique et recon-
naît au second conjoint et à ses enfants les qualités d’époux et d’enfants
légitimes; — Mais attendu que, d’une part, si la loi française régit la dévolution
successorale des immeubles sis en France, la qualité de conjoint et l’établis-
sement de la parenté nécessaire pour le jeu de la dévolution successorale relè-
vent de la loi personnelle, ainsi que l’a énoncé à bon droit la cour d’appel; — Et
attendu que, d’autre part, la réaction à l’encontre d’une disposition de loi
étrangère contraire à la conception française de l’ordre public n’est pas la même
suivant qu’elle met obstacle à la création en France d’une situation juridique
prévue par cette loi ou qu’il s’agit seulement de laisser acquérir des droits en
France, sur le fondement d’une situation créée sans fraude à l’étranger en
conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international privé
558 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 61
OBSERVATIONS
1 La seconde épouse d’un étranger polygame peut-elle exercer concurrem-
ment avec la première épouse les droits que la loi successorale française reconnaît
au conjoint survivant ? Importante en pratique eu égard au nombre d’étrangers
polygames établis en France, la réponse à cette question passe par la résolution
de délicats problèmes de théorie générale du droit international privé.
Qualification : L’établissement du lien de famille indispensable au jeu de la
dévolution héréditaire relève-t-il de la loi successorale ou de la loi person-
nelle ? Adaptation : à supposer établie la validité du mariage polygamique,
celui-ci peut-il s’articuler avec le droit successoral français ? L’arrêt reproduit
apporte à ce double égard, d’utiles précisions.
2 Bien que la doctrine française enseignât depuis fort longtemps que « l’éta-
blissement de la parenté nécessaire à la dévolution successorale relève de la loi
personnelle » (Batiffol, Traité, 1re éd., 1949, no 658), l’affirmation n’allait pas
sans quelques incertitudes. D’une part, en effet, la Cour de cassation avait jugé
en 1931 (Req. 21 avr. 1931, Rev. crit. 1932. 526, rapport Pilon, note Niboyet;
Bartin, « Adoption et transmission héréditaire », Clunet 1932. 5; Batiffol,
« Statut personnel et statut réel, deux arrêts », JCP 1932, p. 597), dans l’arrêt
Ponnoucannamale, que l’établissement du lien de parenté était soumis à la loi
successorale. D’autre part, l’utilisation d’un raisonnement original, connu sous
le nom de théorie des questions préalables et repris par le pourvoi, était préco-
nisée en la matière par un important courant doctrinal étranger, allemand
notamment. En reprenant fidèlement la proposition à l’instant rappelée, l’arrêt
reproduit lève à ce double égard toute hésitation.
3 A. — Peu de décisions ont été l’objet de lectures aussi diverses que l’arrêt
Ponnoucannamale. Il est vrai que l’exubérance de la doctrine trouvait un ali-
ment dans l’ambiguïté de sa rédaction. Le litige mettait aux prises relativement
à la dévolution d’immeubles sis en Cochinchine mais soumis à la loi française,
un enfant adoptif et un enfant légitime déjà né au moment où l’adoption avait
été réalisée; tous deux étaient de nationalité indienne. La loi française applica-
ble à la dévolution de la succession prévoyait que les enfants adoptifs venaient
61 BENDEDDOUCHE — CASS., 3 JANVIER 1980 559
quelle loi doit être appréciée cette qualité ». Il faut l’en approuver. Non seule-
ment en effet, les arguments invoqués en faveur de cette théorie n’emportent
guère la conviction mais ils se heurtent à des critiques troublantes.
À l’appui de ce raisonnement on a fait valoir que déterminer le droit appli-
cable à la question préalable au moyen de la règle de conflit du for, c’était
risquer de « dénaturer le droit étranger applicable à la question principale ».
(P. Lagarde, art. préc., Rev. crit. 1960. 470). Par exemple, pour reprendre
l’hypothèse de l’arrêt Ponnoucannamale et à supposer que le droit interna-
tional privé du for désigne un droit qui annule l’adoption, comment pourrait-
on prétendre qu’on a véritablement appliqué une loi étrangère à la succession
alors que le juge de ce pays aurait soumis en vertu de son propre droit interna-
tional privé cette adoption à une loi autre qui la valide ? Mais raisonner ainsi,
c’est oublier « qu’en désignant la loi applicable à la question principale, la
règle de conflit du for ne l’interroge que sur la teneur de sa règle, non sur la
position de ses tribunaux » (P. Mayer et V. Heuzé, no 263, note 146).
En revanche, les inconvénients sont évidents : la complexité tout d’abord,
l’absence d’harmonie interne des solutions ensuite. La réponse donnée à la
question préalable variera selon le contexte dans lequel elle se pose. Par exem-
ple, la question de la validité d’une adoption pourra être appréciée différem-
ment selon qu’elle se pose à titre principal ou en tant que question préalable
d’un problème successoral ou d’un problème d’aliments. Or il n’est pas satis-
faisant que le statut d’une personne varie d’une espèce à l’autre (Francescakis,
La pensée des autres en dr. int. pr., p. 216). À cela, on peut répondre certes
que l’autorité relative de la chose jugée limite l’inconvénient et que le danger
de contrariété de décisions existe même en droit interne (P. Lagarde, art. préc.,
Rev. crit. 1960. 476). Mais c’est prendre son parti d’un risque qu’il convient
de combattre au lieu d’en faciliter la réalisation (Fadlallah, op. cit., no 31,
p. 33). Aussi bien l’étude de la jurisprudence allemande montre-t-elle que la
théorie des questions préalables n’a jamais été accueillie par les tribunaux de
ce pays dès lors que son application aurait entraîné l’invalidation d’un rapport
incident, régulier au regard de la règle du for. Loin de confirmer le caractère
logiquement nécessaire de cette démarche, la constatation permet, au mieux,
de voir dans cette théorie une exception au principe de l’application de la règle
de conflit du for fondée sur le respect des situations acquises (v. en ce sens,
Francescakis, La théorie du renvoi, nos 199 et s.; I. Fadlalldah, op. cit., nos 29
et s.; Gothot, « Le renouveau de la tendance unilatéraliste », Rev. crit. 1971.
434; H. Muir Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, thèse multigr.,
Paris II, 1984, p. 538 et s., nos 467 et s.).
rations les plus délicates du droit international privé. Il faut, en effet, au cas par
cas porter un jugement de valeur afin de déterminer si l’institution étrangère
peut être ajustée à la règle successorale française sans provoquer d’altération
grave. (Sur la directive générale qui pourrait résulter du fait que la combinai-
son des deux systèmes conduit à un résultat que n’aurait pas permis d’atteindre
leur application in extenso, v. Y. Lequette « Ensembles législatifs et droit inter-
national privé des successions », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1983-1984, p. 174 et
supra, no 12 § 6). Les enseignements déduits du droit interne peuvent à cet
effet se révéler un guide très précieux. Il est, en effet, évident que la jurispru-
dence admettra d’autant plus facilement l’articulation des deux systèmes que,
confrontée à une situation analogue en droit interne, elle lui aura donné une
réponse favorable.
La polygamie l’illustre excellemment. L’hypothèse de deux conjoints survi-
vants venant tous deux à la succession n’est pas inconnue du droit français. Il
en va ainsi lorsqu’un mariage est annulé pour bigamie postérieurement au
décès de l’époux bigame et que ce mariage est déclaré putatif à l’égard du
second conjoint. L’annulation n’opérant pas rétroactivement, l’état des voca-
tions est irrémédiablement fixé au jour du décès, et la part attribuée au conjoint
survivant répartie entre la première et la seconde épouse. Une telle solution
permet tout à la fois d’affirmer que la discordance entre les deux législations
n’est pas telle qu’elle fasse obstacle à un ajustement et que celui-ci revêtira la
forme d’une répartition et non d’un cumul. Dans l’espèce présente, les deux
épouses devaient donc se partager le quart alloué en usufruit au conjoint sur-
vivant, soit 1/8 chacune. On remarquera néanmoins que la Cour de cassation
s’est abstenue d’apporter cette précision qui ne lui était pas demandée, se gar-
dant ainsi de donner à sa décision l’allure d’un arrêt de règlement. (Pour la
liquidation du régime matrimonial, v. Toulouse 22 mars 1982, JCP 1984. II.
20185, note F. Boulanger, RTD civ. 1983. 333, obs. Nerson et Rubellin-Devi-
chi et la suggestion de L. Leveneur, Situations de fait et droit privé, 1990,
nos 179 et s., p. 206 et s.). Depuis la réforme opérée par la loi du 3 décembre
2001, la question de l’articulation de la polygamie avec le droit français des
successions se pose en termes plus complexes en raison, notamment, de l’exis-
tence d’une option offerte au conjoint survivant par l’article 757 du Code civil
(sur ces difficultés, v. F. Sauvage, « Brèves remarques sur la vocation succes-
sorale des épouses d’un mari polygame depuis la loi du 3 déc. 2001 », Defré-
nois 2003. 1470).
Inversement, il est des hypothèses dans lesquelles cette équivalence a été
jugée faire défaut. Telle est probablement l’explication profonde de l’arrêt
Ponnoucannamale. Au-delà, en effet, des motifs exprimés, la décision s’expli-
que sans doute par le fait que reconnaître une vocation successorale à l’enfant
adoptif, c’était méconnaître la corrélation posée avant 1966 par le droit français
entre la prohibition de l’adoption en présence d’enfants légitimes et la recon-
naissance d’effets successoraux étendus aux adoptions régulières (P. Mayer et
V. Heuzé, no 263). Ainsi en a-t-il encore été décidé, en matière successorale, à
propos des legs adressés à une fondation à créer (Paris 26 juin 1981, Ecken-
berger, Rev. crit. 1982. 537, note B. Ancel; Civ., 15 févr. 1983, Rev. crit. 1983.
645, note B. Ancel).
62
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
13 janvier 1982
ARRÊT
Du 13 janvier 1982. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Charliac, prés.; Fabre, rapp.; Gulphe,
av. gén. — Me. Labbé, av.
62 ORTIZ-ESTACIO — CASS., 13 JANVIER 1982 567
OBSERVATIONS
1 Comment résoudre le conflit dans le temps de règles de conflit de lois dans
l’espace ? Au seul énoncé de la question, beaucoup estimeront sans doute
qu’on est ici en présence d’un « droit à la seconde puissance » (P. Lagarde,
« Le droit transitoire des règles de conflit après les réformes récentes du droit
de la famille », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1977-1979, p. 89), que son abstraction
et sa rareté d’application réservent aux seuls initiés. Ce serait méconnaître
l’actualité que les transformations récentes du droit international privé ont
conférée à cette question. Et de fait, si le problème du droit transitoire des
règles de conflit est, au moins en droit français, resté longtemps théorique (I),
il a, avec les lois de 1972 et de 1975 ainsi qu’avec l’essor du mouvement
conventionnel, acquis une positivité qui oblige à des réponses claires (II).
peut parfois être énoncée à l’occasion d’un litige dont la solution eût été iden-
tique par application de la règle ancienne. L’arrêt Rivière offre là encore une
bonne illustration, le domicile commun des époux désignant comme la natio-
nalité du mari, le droit équatorien (pour d’autres exemples dans la jurispru-
dence administrative, v. Rivero, art. préc., p. 16). En troisième lieu, le revire-
ment peut parfois être annoncé (et même réalisé car on peut soutenir que
l’attendu a d’autant plus de force qu’il est gratuit) par un obiter dictum inséré
dans une décision qui n’avait pas à trancher directement cette question. Le
droit international privé en offre de multiples exemples. Ainsi l’arrêt Hohen-
zollern (Civ. 1re, 8 janv. 1963, Rev. crit. 1963. 109, note G. H.) annonçant la
suppression du pouvoir de révision était-il intervenu en un domaine où celui-
ci était exclu depuis longtemps (v. supra, arrêt Munzer, no 41 § 1). De même
la consécration du contrôle de la dénaturation de la loi étrangère par l’arrêt
Montefiore (supra, no 36 § 4) avait-elle été précédée de plusieurs décisions la
laissant présager (Civ., 4 nov. 1958, Mœns, Rev. crit. 1959. 303, note Frances-
cakis ; Civ., 13 juin 1960, Consorts Liou-Sang, Rev. crit. 1961. 540, note Jambu-
Merlin). L’incidente relative au renvoi au second degré relevée dans l’arrêt de
Marchi (supra, no 16) pourrait également, en notre matière, donner lieu à une
telle lecture. En droit civil, le meilleur exemple en est certainement l’arrêt du
20 mars 1969 (D. 1969. 429, concl. Lindon, note Colombet, Grands arrêts de
la jurisprudence civile, 11e éd., t. 1, no 47) par lequel la Cour de cassation a
accordé à l’enfant naturel le bénéfice de l’action alimentaire de l’article 342
du Code civil alors que le problème ne se posait pas en l’espèce, l’intéressé
ayant la qualité d’enfant légitime.
Mais ce ne sont là malgré tout que quelques aménagements destinés à faci-
liter les transitions. Le principe reste bien établi que la dernière jurisprudence
est censée énoncer ce qui a toujours été le droit en vigueur. Ici se trouve,
comme le notait le doyen Batiffol (note, Rev. crit. 1975. 79), « la curieuse
revanche de la subordination du pouvoir judiciaire au pouvoir législatif : en
interprétant la loi, il dit (…) un droit qui vaut pour le passé comme pour l’ave-
nir » (v. aussi J. Maury, « Observations sur la jurisprudence en tant que source
du droit », Études Ripert, t. I, p. 28 et s., spéc. p. 50).
(1) L’affirmation partout reproduite selon laquelle la loi nouvelle s’applique aux enfants nés
avant son entrée en vigueur (art. 12), parce qu’elle leur serait plus favorable, est, en effet, inexacte.
On s’en convaincra si l’on veut bien considérer la situation de l’enfant légitime né avant 1972 plus
de 300 jours après l’ordonnance autorisant les époux à résider séparément. Légitime, au moins en
l’absence de désaveu, sous l’empire de l’ancienne législation (art. 313, al. 2 anc.), il devient en
vertu des textes nouveaux, adultérin a matre, et perd avec le lien de filiation qui l’unissait au mari
de sa mère, ses expectatives successorales (Massip, Morin et Aubert, La réforme de la filiation,
no 215). Comme l’a souligné la Cour de cassation, la loi de 1972 n’est pas animée par une faveur
systématique à l’enfant mais par le souci « d’attribuer à chacun son vrai rapport de filiation » (Civ.
1re, 27 févr. 1985 [deux arrêts], D. 1985. 265, concl. Sadon, note Cornu, Defrénois 1985, p. 1283,
note Grimaldi, Grands arrêts de la jurisprudence civile, 11e éd., t. 1, no 40-41).
62 ORTIZ-ESTACIO — CASS., 13 JANVIER 1982 573
Ainsi justifiée, la solution posée devrait, à notre avis, être limitée aux règles
de conflit qui revêtent effectivement un caractère neutre et indirect. Il n’est, en
effet, aucune raison de soustraire aux mesures transitoires spéciales, les règles
de conflit qui, telles les règles alternatives, présentent un aspect substantiel
marqué (v. supra, no 21); poursuivant des objectifs analogues à ceux des règles
internes, elles doivent recevoir le même domaine d’application dans le temps
(P. Mayer et V. Heuzé, no 246; B. Audit, no 245; B. Ancel, Rép. Dalloz dr.
int., 2e éd., v° Conflits de lois dans le temps, no 31). Et ce d’autant plus que les
rattachements nouveaux englobant les rattachements anciens, on ne court pas
alors le risque de rendre applicable une loi moins conforme aux objectifs
poursuivis par le législateur (en ce sens, P. Mayer et V. Heuzé, no 245).
Dans cette perspective, il est permis de se demander si la question posée
n’aurait pas dû être résolue par application des dispositions transitoires spé-
ciales. La signification de l’article 310 du Code civil (devenu l’art. 309, ord.
4 juill. 2005) est, en effet, ambiguë. Sous couvert d’unilatéralisme il s’agit
moins de respecter la souveraineté étrangère ou d’assurer l’homogénéité et la
continuité de la vie juridique des sujets que de permettre aux époux étrangers
domiciliés en France d’y divorcer. En posant la règle de l’article 310 le légis-
lateur a montré qu’entre deux conceptions de l’égalité de traitement — les
Espagnols vivant en France doivent obtenir le divorce dans les mêmes condi-
tions que les Français ou les Espagnols doivent comme les Français être sou-
mis à leur loi nationale, il préférait la première. La considération du résultat à
atteindre vient donc ici, comme en d’autres domaines, corrompre le règlement
du conflit de lois. En dépit de l’emploi d’une technique différente de celle des
règles de conflit à coloration matérielle, la philosophie sous-jacente est très
proche : dans une matière intéressant au premier chef les particuliers, le légis-
lateur se comporte comme s’il était intéressé à ce que la justice soit rendue
dans un sens plutôt que l’autre.
À cela, on objectera sans doute qu’en l’espèce l’application des règles tran-
sitoires spéciales conduisait au refus du divorce. Mais précisément, faut-il
reconnaître à la loi du 11 juillet 1975 un domaine d’application dans le temps
supérieur à celui que législateur a lui-même jugé suffisant pour qu’elle attei-
gne ses objectifs ?
63-64
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
I. — Civ. 1re, 3 novembre 1983, Rev. crit. 1984. 325, 1re esp., note I. Fadlallah,
Clunet 1984. 329, note Ph. Kahn, JCP 1984. II. 20131, concl. Gulphe.
II. — Civ. 1re, 17 février 2004, Rev. crit. 2004. 423, 1re esp., note P. Hammje,
Clunet 2004. 1200, 1re esp., note L. Gannagé,
D. 2004. 824, 1re esp., concl. Cavarroc et chron. P. Courbe, p. 815,
JCP 2004. II. 10128, 1re esp., note H. Fulchiron,
Defrénois 2004. 812, obs. J. Massip.
Répudiation. — Ordre public. — Droits de l’homme.
1er ARRÊT
(Rohbi c/Mme Kharkouch)
ont ensuite vécu en France où une fille est née en 1974. Mais la dissension s’étant ins-
tallée au sein du ménage, l’épouse est retournée vivre en juillet 1976 chez ses parents.
M. Rohbi s’est alors rendu au Maroc pour procéder le 7 décembre 1976 à la répudiation
simple et révocable de son épouse devant le cadi d’El Jadida en présence de deux adouls
instrumentaires. Le 15 juin 1977, M. Rohbi a pris l’initiative d’une instance en divorce
devant le Tribunal de grande instance de Nanterre et a sollicité la garde de sa fille,
demeurée auprès de sa mère. Cette dernière s’est portée reconventionnellement deman-
deresse aux mêmes fins. Par jugement du 16 novembre 1978, le tribunal a débouté le
demandeur, au motif qu’il n’avait pas démontré les griefs invoqués à l’encontre de son
épouse et, faisant droit à la demande reconventionnelle de celle-ci, a prononcé le divorce
aux torts du mari. Après avoir interjeté appel, celui-ci s’est désisté de sa demande et a
produit l’acte de répudiation marocain qui rendait, selon lui, la demande reconvention-
nelle de sa femme irrecevable car il lui était antérieur. Par un arrêt du 30 juin 1981, la
Cour de Paris a jugé que cet acte de répudiation n’était pas opposable à l’épouse car il
heurtait l’ordre public international français et notamment les droits de la défense. Pre-
nant acte de la renonciation du mari à sa demande, la cour a rejeté l’exception d’irrece-
vabilité opposée à la demande reconventionnelle de la femme et confirmé le jugement
rendu au profit de celle-ci. Un pourvoi a été formé.
Attendu qu’en refusant, pour les motifs susénoncés, de reconnaître les effets de
la répudiation intervenue le 27 novembre 1976 et constatée par l’acte du
11 février 1977, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du
premier moyen ni sur le second moyen : — Casse.
Du 3 novembre 1983. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Fabre, rapp.; Gul-
phe, av. gén. — Me Choucroy et SCP Chareyre et Vier, av.
2e ARRÊT
(M. A. c/Mme G.)
LA COUR ; — Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : — Attendu que
M. A et Mme G., tous deux de nationalité algérienne, se sont mariés en Algérie
en 1985; qu’en janvier 1998, Mme G. a présenté une requête en divorce au juge
aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris; qu’à l’audience
du 7 avril 1998, M. A a soulevé l’exception de litispendance internationale, en
raison de l’instance en divorce pendante devant le tribunal de Sidi M’hamed
(Algérie) depuis le 23 novembre 1997; — Attendu que M. A. fait grief à l’arrêt
attaqué (Paris, 22 mars 2001) d’avoir dit que le jugement du tribunal de Sidi
M’hamed du 29 mars 1998 ayant prononcé le divorce ne pouvait être reconnu
en France et d’avoir rejeté l’exception de chose jugée, alors, selon le moyen,
que, dès lors qu’il résulte des propres constatations des juges du fond : 1o que le
litige entre les époux, tous deux de nationalité algérienne et mariés en Algérie,
se rattachait de manière caractérisée aux juridictions algériennes; 2o que la pro-
cédure devant la juridiction algérienne avait été loyale et contradictoire,
l’épouse obtenant des dommages-intérêts; 3o que le choix du juge algérien n’avait
pas été frauduleux, dans la mesure où la saisine de la juridiction algérienne
ne visait pas à faire obstacle à la saisine préalable du juge français et où, au
contraire, l’épouse n’avait saisi la juridiction française qu’après mise en œuvre
de la procédure en Algérie, la cour d’appel ne pouvait refuser l’exequatur du
jugement algérien du 23 mars 1998 sans violer l’article 1er d) de la Convention
franco-algérienne du 27 août 1964 et les principes régissant l’ordre public inter-
national français;
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 577
Mais attendu que l’arrêt retient que le divorce des époux A a été prononcé
par les juges algériens, malgré l’opposition de la femme, au seul motif, admis
par la loi algérienne, que le pouvoir conjugal reste entre les mains de l’époux et
que le divorce doit être prononcé sur la seule volonté de celui-ci; que la cour
d’appel en a exactement déduit que, même si elle résultait d’une procédure
loyale et contradictoire, cette décision constatant une répudiation unilatérale
du mari sans donner d’effet juridique à l’opposition éventuelle de la femme et
en privant l’autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d’aménager
les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial, était contraire
au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage reconnu par
l’article 5 du protocole du 22 novembre 1984, no 7, additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme, que la France s’est engagée à garantir à
toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l’ordre public international
réservé par l’article 1er d) de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964,
dès lors que, comme en l’espèce, les deux époux étaient domiciliés sur le ter-
ritoire français; d’où il suit que la deuxième branche du moyen n’est pas fondée
tandis que les deux autres sont inopérantes dès lors qu’elles s’attachent à la
compétence du juge algérien que la cour d’appel n’a pas déniée;
Par ces motifs : — Rejette le pourvoi.
Du 17 février 2004. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Lemontey, prés.; Pluyette, rapp.;
Cavarroc, av. gén. — MMes Choucroy et Cossa, av.
OBSERVATIONS
1 Avec le mariage polygamique (supra, no 30-31 et 61), la répudiation unila-
térale est probablement l’institution du droit musulman dont l’articulation avec
le système juridique français se révèle la plus délicate. Encore faut-il, pour
mesurer précisément l’ampleur de cette difficulté, savoir ce que recouvre exac-
tement cette institution. Sous la dénomination de répudiation se dissimule, en
effet, une réalité assez diverse : répudiation unilatérale et discrétionnaire par le
mari de son épouse (talâk), répudiation obtenue par la femme moyennant com-
pensation versée au mari (khol’), répudiation prononcée par le juge, au lieu et
place du mari, à la demande de la femme, en cas de défaut d’entretien, de sévi-
ces… (tatlîk). De ces trois modalités de répudiation, seule la première, le talâk,
parfois encore nommée répudiation more islamico, fait véritablement pro-
blème au regard de l’ordre juridique français. La troisième (tatlîk) correspond,
en effet, à une sorte de divorce pour faute. Quant à la deuxième, (Khol’), elle
peut se ramener à un divorce par consentement mutuel. En revanche, en raison
de son caractère unilatéral, discrétionnaire et exclusivement marital, le talâk ne
saurait être assimilé à l’une des causes de divorce prévues par le droit français.
Aussi bien enseigne-t-on traditionnellement et à peu près unanimement qu’une
telle répudiation ne peut être prononcée en France, alors même que la loi com-
pétente la prévoirait, (hypothèse au demeurant fort rare depuis l’introduction
dans le Code civil, par la loi du 11 juillet 1975, de l’article 310 qui confère un
domaine exorbitant au droit français). L’ordre public opérant avec son effet
plein s’y oppose. Reste à savoir ce qu’il advient lorsqu’une telle répudiation a
été prononcée à l’étranger et qu’elle est invoquée en France. La consultation
des deux décisions ci-dessus reproduites montre que, à vingt-et-un ans de dis-
tance, la haute juridiction a apporté à cette question des réponses très contras-
578 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64
tées. Alors que l’arrêt Rohbi est inspiré par un esprit d’ouverture de l’ordre
juridique français aux décisions de répudiation islamiques (I), l’arrêt rendu par
la Première chambre civile, le 17 février 2004, premier d’une série de cinq
(Bull. I, no 256-260), témoigne d’une volonté de fermeture à ces mêmes déci-
sions (II).
I. De l’ouverture…
2 D’entrée de jeu, il convient de mettre à part une hypothèse celle d’une répu-
diation prononcée par le mari et acceptée par l’épouse, soit que celle-ci y ait
acquiescé (cet acquiescement ne peut se déduire du fait pour l’épouse d’avoir
accepté les pensions accordées par le juge étranger, Civ. 1re, 11 mars 1997,
D. 1997. 400, note M.-L. Niboyet, ou d’avoir sollicité leur majoration, Civ. 1re,
17 févr. 2004, Clunet 2004. 1200, 2e esp., note L. Gannagé), soit qu’elle se
prévale en France de la décision de répudiation. À raisonner in concreto,
comme le veut la théorie moderne de l’ordre public international, on est alors
en présence non à proprement parler d’une répudiation unilatérale mais d’un
divorce par consentement mutuel. Or, on sait que les décisions étrangères
prononçant le divorce sur ce fondement ont été accueillies en France, sous
couvert de l’effet atténué de l’ordre public, alors même qu’une telle cause de
divorce n’existait pas dans la législation française (v. arrêt Rivière, supra, no 26;
v. d’ailleurs T. civ. Seine, 26 oct. 1959, Spira, Rev. crit. 1960. 354, 1re esp., note
Loussouarn, à propos d’une répudiation mosaïque; v. depuis la loi du 11 juill.
1975, TGI Paris, 5 déc. 1979, 3e et 4e esp., Mme Bonnereau et Mme Vanqua-
them, Rev. crit. 1981. 88).
Fait donc uniquement problème la répudiation prononcée unilatéralement
et discrétionnairement par le mari, sans acquiescement de la femme, et à la
reconnaissance de laquelle celle-ci s’oppose. Si à l’époque coloniale on a fait
montre, sous couvert du principe de la personnalité des lois, d’une certaine
tolérance à l’égard de ces répudiations, on s’est ensuite orienté, la décolonisa-
tion venue, vers une attitude beaucoup plus stricte. Et de fait, la conception
institutionnelle de la famille, traditionnellement retenue par le droit français,
ne se prêtait guère à un traitement libéral de la question de la répudiation.
Mais le glissement ultérieur du droit français vers une conception contrac-
tuelle du mariage a paru créer un environnement plus favorable à l’accueil des
répudiations more islamico (A). Aussi bien, la Cour de cassation n’a-t-elle pas
hésité à sauter le pas dans son arrêt Rohbi (B).
3 Dans une vision classique, le mariage est l’acte par lequel un homme et une
femme qui se sont mutuellement choisis, s’engagent à vivre ensemble à
l’exclusion de tout autre et en principe jusqu’à la mort (Carbonnier, Droit civil,
la famille, no 12, p. 36). Reposant sur un accord de volontés, il est un contrat
mais aussi et surtout une institution qui constitue l’un des piliers de la société.
Il en résulte qu’il est, à la différence des contrats de droit commun, soustrait au
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 579
pouvoir de la volonté des époux; notamment, la possibilité d’y mettre fin uni-
latéralement, admise par le code pour les contrats à durée indéterminée, ne
s’y rencontre pas. Comme l’écrivait Portalis, « nous avons regardé comme
contraire à l’essence même des choses qu’un contrat aussi sacré que le mariage
pût arbitrairement être rompu sur la demande et simple allégation d’une des
parties, c’est-à-dire par la volonté et pour l’avantage d’un seul époux » (Locré,
La législation civile, commerciale et criminelle de la France, commentaire des
codes français, 1825, t. 5, p. 333).
Retenant au contraire une conception contractuelle du mariage, le droit
musulman pousse celle-ci jusqu’à ses extrêmes limites, en admettant la répudia-
tion unilatérale. C’est dire que, dans une vision classique des choses, une telle
institution ne pouvait que difficilement trouver grâce aux yeux des juristes
français. En effet, conférant au mari une sorte de droit de résiliation unilaté-
rale voisin de celui que connaissent les contrats à durée indéterminée, il porte
atteinte à « l’essence » d’une institution perçue comme l’un des fondements
essentiels de la société (rappr. Civ., 22 janv. 1951, Weiller, supra, no 24, décla-
rant inopposable en France un divorce prononcé en vertu d’une loi incompé-
tente permettant à l’épouse de « répudier son mari sans débats sérieux »).
4 Mais on sait que le mariage a ultérieurement connu une profonde transfor-
mation, sa connotation contractuelle allant s’accentuant au détriment de sa
dimension institutionnelle (M.-T. Meulders, « L’évolution du mariage et le
sens de l’histoire : de l’institution au contrat et au-delà », in Le droit de la
famille en Europe, 1992, p. 215). Le couple marié est perçu non plus comme
une entité indépendante ordonnée à la satisfaction de fins qui lui sont supérieu-
res mais comme l’association de deux individus, laquelle n’a vocation à perdu-
rer qu’autant qu’elle apparaît à chacun d’entre eux comme l’instrument de son
bonheur individuel (sur cette question, v. Y. Lequette, « Quelques remarques à
propos des libéralités entre concubins », Mélanges Ghestin, 2001, p. 547, spéc.
p. 557). Dans cette perspective, beaucoup tendent à considérer qu’il n’est plus
légitime pour un conjoint de refuser de divorcer lorsque l’autre ne supporte
plus la vie commune ; il y aurait là une atteinte intolérable à la liberté
individuelle (F. Dekeuwer-Défossez, Rénover le droit de la famille, 1999, p. 114).
Amorcée en droit français par la loi du 11 juillet 1975, la contractualisation du
mariage a été portée à son point d’achèvement par la loi du 24 mai 2004. Alors
que la première a introduit dans le droit français, avec le divorce pour rupture
de la vie commune, une ébauche de répudiation unilatérale, la seconde consa-
cre ouvertement celle-ci sous couvert d’altération définitive du lien conjugal.
Désormais, le divorce peut être prononcé à la demande de l’un quelconque des
époux dès lors que la vie commune a cessé durant deux ans. Le fait que l’époux
demandeur ait pris l’initiative de la rupture importe peu et ne saurait, notam-
ment, entraîner à son égard des conséquences pécuniaires particulières. C’est
dire que le droit français du mariage s’est considérablement rapproché du droit
musulman (rappr. M. Charfi, « L’influence de la religion dans le droit interna-
tional privé des pays musulmans », Rec. cours La Haye 1987, t. III, p. 332).
À se placer au début des années quatre-vingts, la différence entre divorce
pour rupture de la vie commune et répudiation more islamico restait impor-
580 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64
tante. Pouvant être invoqué par l’un ou l’autre des époux, le divorce pour rup-
ture de la vie commune était assorti de garanties pécuniaires importantes et
subordonné à un contrôle du juge qui pouvait y faire obstacle en prenant
appui sur la clause de dureté. En revanche, selon le droit musulman tradition-
nel, le prononcé de la répudiation appartient au seul mari et revêt donc un
caractère profondément inégalitaire; la femme ne bénéficie ni d’un délai de
préavis, puisqu’elle peut être répudiée à son insu, ni de la possibilité de
dénoncer un abus de droit de la part de son conjoint puisque le caractère dis-
crétionnaire de la répudiation est absolu. Enfin, le droit musulman n’accorde à
l’épouse qu’une pension alimentaire pour la période correspondant au délai de
viduité, ainsi qu’un don de consolation modique si la rupture du lien conjugal
est demandée, sans raisons sérieuses, par son conjoint.
Malgré ces différences considérables, il n’en reste pas moins que le divorce
pour rupture de la vie commune entrouvrait la porte à une dissolution par mani-
festation unilatérale de volonté d’un des époux, sans que celui-ci ait aucun
grief à faire valoir contre son conjoint. Aussi bien s’engouffrant dans l’inters-
tice ainsi ouvert, un auteur suggéra-t-il que l’ordre public international fran-
çais pourrait tolérer l’accueil des répudiations prononcées à l’étranger dès lors
qu’elles seraient assorties de certaines des garanties, essentiellement pécuniai-
res, conférées par le droit français à l’époux défendeur dans un divorce pour
rupture de la vie commune (I. Fadlallah, « Vers la reconnaissance de la répu-
diation musulmane par le juge français ? », Rev. crit. 1981. 17, spéc. p. 26).
Cette suggestion ayant trouvé un écho favorable auprès de certains magistrats
(Gulphe, concl., JCP 1981. II. 20131), la Cour de cassation opéra en la matière
avec son arrêt Rohbi un revirement de jurisprudence remarqué.
tre d’une disposition contraire à l’ordre public » de l’arrêt Rivière s’est contrac-
tée en « la réaction à l’encontre de l’ordre public », ce qui n’est pas nécessai-
rement un progrès puisque, littéralement entendue, la formule ne veut plus
rien dire ! En second lieu, il est curieux de rappeler l’exigence d’un droit
acquis en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit internatio-
nal privé français puisque, la convention franco-marocaine n’étant pas appli-
cable en la circonstance, l’article 310-2 du Code civil désignait, dans le cas
présent, la loi française. En relevant qu’on était en présence de deux époux
marocains mariés au Maroc, conformément à leur statut personnel commun,
la Cour veut sans doute marquer que les titres d’application du droit marocain
sont forts et que l’article 310-2 n’a pas vocation à être utilisé pour vérifier si
un droit acquis à l’étranger l’a été régulièrement. Cantonné dans une
« unilatéralité directe », l’article 310-2 n’écarte la loi nationale commune des
époux au profit de la loi française de leur domicile commun que lorsque le
juge français est directement saisi (I. Fadlallah, note, Rev. crit. 1984. 334;
Gulphe, concl. préc).
Ce préalable posé, les hauts magistrats envisagent les caractères de la répu-
diation qu’ils avaient mis en avant dans le passé pour refuser d’accueillir
celle-ci dans l’ordre juridique français. Mieux éclairés sur la véritable signifi-
cation du caractère révocable de la répudiation, ils soulignent que ce caractère
« n’accroît en rien les prérogatives du mari puisqu’il ménage une période de
transition qui peut favoriser le rapprochement des deux époux ». Délaissant
les garanties procédurales, ils constatent que le caractère discrétionnaire de la
répudiation par le mari est tempéré par les garanties pécuniaires qu’il assure à
la femme. Et de fait, la femme répudiée sur l’initiative du mari a droit à un
don de consolation (Mout’a) qui peut prendre la forme d’une pension. Simple
recommandation pour le droit coranique, ce don de consolation est obligatoire
pour le Code du statut personnel marocain. La haute juridiction brosse ainsi
un tableau réaliste de la répudiation puisqu’elle la décrit telle qu’elle existe
et fonctionne effectivement (I. Fadlallah, Rev. crit. 1984. 332). Bien que ce
tableau soit assez éloigné de l’hypothèse du divorce pour rupture de la vie
commune, la haute juridiction considère que la répudiation satisfait aux exigen-
ces de l’ordre public entendu dans son effet atténué car il existerait entre les
deux situations une parenté suffisante : l’abandon peut être cause de divorce,
sur la seule initiative de celui qui est parti, s’il est accompagné de garanties
suffisantes pour le conjoint délaissé.
7 C’est dire que la haute juridiction choisit la voie du libéralisme. Ainsi que
nombre de commentateurs l’ont relevé à l’époque, ce choix s’explique proba-
blement, au moins partiellement, par le contexte très favorable à l’accueil des
répudiations étrangères créé par la Convention franco-marocaine du 10 août
1981 relative au statut des personnes et de la famille, dont on rappellera ici les
quelques éléments nécessaires à la compréhension du problème (Rev. crit. 1983.
534; sur cette convention, v. F. Monéger, Rev. crit. 1984. 2 et 267).
Les objectifs qui ont conduit le Maroc et la France à négocier cette conven-
tion sont très différents. Du côté marocain, il s’agissait de « conserver aux
personnes les principes fondamentaux de leur identité nationale » en ramenant
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 583
II. …à la fermeture
9 Tout en ayant joué un rôle décisif dans le processus qui conduisit au revire-
ment de jurisprudence réalisé par l’arrêt Rohbi, M. Ibrahim Fadlallah ne fut
pas, une fois ce revirement acquis, sans laisser percer certains doutes quant à la
pertinence de la solution adoptée. La jurisprudence Rohbi ne jouait-elle pas,
s’interrogeait-il, « l’intégrité du statut personnel contre l’intégration de la
communauté nord-africaine dans la société française ? » (Rev. crit. 1984. 333).
Et de fait, bien loin d’accélérer l’évolution en cours, la jurisprudence Rohbi
tendait à figer les femmes de statut personnel musulman dans une situation
d’inégalité à l’égard des hommes. Aussi bien ceux-ci étaient-ils encouragés
par cette jurisprudence à « faire le voyage de la répudiation », celui-ci leur per-
mettant de tenir en échec l’action en contribution aux charges du mariage ou
l’action en divorce intentées en France par l’épouse. Les conséquences d’une
telle situation furent dénoncées de plus en plus fermement par la doctrine.
C’est ainsi que Mme Françoise Monéger constatait que « le mari se débarras-
sait ainsi à bon compte de son épouse qui avait de bonnes chances de rester à la
charge de la collectivité française. La tolérance devait-elle aller jusque-là ? »
(« Vers la fin de la reconnaissance des répudiations musulmanes par le juge
français ? », Clunet 1992. 348). Quant à M. Déprez, il soulignait que « cette
ouverture au statut de l’autre, louable sur le plan de l’idéal, profite surtout aux
hommes et se retourne contre les femmes », lesquelles pouvaient espérer plus
de considération de la société française dans laquelle elles étaient venues s’ins-
taller (« Droit international privé et conflits de civilisations », Rec. cours
La Haye, 1988 t. IV, p. 211). La configuration procédurale du divorce français,
d’une part, de la répudiation more islamico, d’autre part, rendait au reste la
solution particulièrement choquante. La répudiation s’effectuant sans délai,
par simple acte notarié et étant très rapidement homologuée, le mari était,
grâce à celle-ci, en position de gagner de vitesse son épouse alors même
qu’elle aurait pris l’initiative du divorce devant les juridictions françaises. En
effet, ouverte en France par une requête, l’instance n’y commence véritable-
ment qu’au jour de l’assignation, après la procédure de conciliation. Partant,
intervenue entre la date de la requête en divorce et celle de l’assignation, la
répudiation ne pouvait donner lieu à un conflit de procédures susceptible
d’être résolu au profit de l’ordre juridictionnel français, saisi en premier par
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 585
thèse préc., no 315, p. 222). Privilège masculin, la répudiation est par cela
même contraire à un principe jugé fondamental par l’ordre juridique français,
le principe d’égalité des époux.
Explicitant plus complètement sa démarche, la haute juridiction devait pré-
ciser dans un arrêt du 11 mars 1997 (Clunet 1998. 110, note Ph. Khan,
D. 1997. 400, note M.-L. Niboyet, JCP 1998. I. 101, no 3, obs. Fulchiron),
que si, aux termes de l’article 13 « les actes constatant la dissolution du lien
conjugal entre époux marocains, homologués dans les formes prévues par la
loi marocaine, produisent effet en France dans les mêmes conditions que les
jugements de divorce prononcés à l’étranger », il résulte de l’article 16 b) de
la Convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 « que ces conditions exi-
gent notamment que la décision étrangère ait respecté les droits de la défense
et que sa reconnaissance ne soit pas contraire à l’ordre public international,
qu’au titre de cette dernière exigence figure l’égalité des droits et responsabi-
lité des époux lors de la dissolution du mariage, droit reconnu par l’article 5
du protocole du 22 novembre 1984, no 7 à la Convention européenne de sau-
vegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et que la France
s’est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction ». En d’autres
termes, le principe d’égalité des époux est pris en compte comme une compo-
sante de l’ordre public international français, lequel intervient lui-même par le
biais de la Convention franco-marocaine de 1957 qui y fait expressément réfé-
rence et dont le jeu est réservé par celle de 1981 (C. Brière, Les conflits de
conventions internationales en droit privé, thèse Rouen, éd. 2001, nos 405 et s.,
p. 295 et s.).
Si la solution fut, en général, approuvée, la méthode sur laquelle elle se
fondait n’alla pas sans susciter certaines réserves. C’est ainsi qu’il fut notam-
ment souligné que plutôt que d’emprunter le détour de l’ordre public, il aurait
été préférable de traiter directement le conflit de conventions sous-jacent à
cette situation. Mais si le conflit entre la Convention européenne des droits
de l’homme et la Convention franco-marocaine est, en la circonstance, mani-
feste, sa solution ne va pas sans difficultés. À considérer les directives qui
gouvernent les conflits de conventions, c’est plutôt la convention franco-
marocaine qui paraîtrait devoir l’emporter. L’article 30-4-b de la Convention
de Vienne sur le droit des traités prévoit que lorsque « dans les relations entre
un État-partie à deux traités (successifs et portant sur la même matière) et un
État-partie à l’un de ces traités seulement, le traité auquel les deux États sont
parties régit leurs droits et obligations réciproques ». Transposé au conflit qui
oppose la Convention européenne des droits de l’homme à la Convention
franco-marocaine, cette directive aurait pour effet de donner priorité à la
seconde. Mais on objecte parfois à l’application de cette disposition qu’elle
vise des « traités successifs et portant sur la même matière ». Or tel ne paraît
pas être le cas des deux conventions susnommées qui ont des objets distincts.
La tentation est alors grande de revenir à l’adage specialia generalibus dero-
gant en vertu duquel la norme spéciale déroge à la norme générale. Mais là
encore, ce serait la Convention franco-marocaine qui devrait prévaloir. D’où,
pour justifier la prévalence de la Convention européenne des droits de l’homme,
l’idée de faire appel au jus cogens, norme à laquelle aucune dérogation ne
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 589
peut être apportée parce qu’elle est acceptée et reconnue par la communauté
internationale des États. Mais, ainsi qu’on l’a justement souligné, « il est pour
le moins surréaliste d’évoquer le caractère universel de règles de droit qui ne
sont pas partagées par un milliard d’individus dans le monde », ce qui est le
cas du principe d’égalité des époux (L. Gannagé, thèse préc., p. 260, no 355).
D’où l’idée de faire appel aux principes généraux du droit pour résoudre cette
difficulté, le principe d’ordre public l’emportant alors sur celui de l’harmonie
internationale des solutions (L. Gannagé, thèse préc., p. 308, no 362; W. Wen-
gler, « Les principes généraux du droit et leurs conflits », Rev. crit. 1953, p. 47).
14 Deuxième scène : la haute juridiction renoue avec sa jurisprudence libérale.
Alors que la cause paraissait entendue, la Première chambre civile, par un arrêt
Douibi du 3 juillet 2001, passant par pertes et profits le principe de l’égalité des
époux pourtant expressément invoqué, rejeta le pourvoi formé contre un arrêt
ayant accueilli une répudiation unilatérale (Civ. 1re, 3 juill. 2001, Rev. crit.
2001. 704, note L. Gannagé, Clunet 2002, 181, note Ph. Kahn, D. 2001. 3378,
note M.-L. Niboyet, JCP 2002. II. 10039, note Th. Vignal, Droit et patri-
moine, 2001, no 97, p. 116, obs. F. Monéger, LPA 2002, no 108, p. 11, note
P. Courbe). L’hypothèse était pourtant on ne peut plus classique : alors qu’il
résidait en France avec son épouse de même nationalité que lui, un Algérien
s’était rendu en Algérie pour procéder à la répudiation de celle-ci puis y contrac-
ter un second mariage, suivi d’un retour en France. Ayant tenté de s’opposer à
l’exequatur de la répudiation algérienne en invoquant le comportement fraudu-
leux du mari ainsi que la contrariété de la décision ainsi obtenue au principe de
l’égalité des époux, la femme ne put obtenir gain de cause devant les juges du
fond. Son pourvoi est rejeté aux motifs que la conception française de l’ordre
public international ne s’oppose pas à la reconnaissance en France d’un
divorce étranger par répudiation unilatérale dès lors que le choix d’un tribunal
par celui-ci n’a pas été frauduleux, que la répudiation a ouvert une procédure à
la faveur de laquelle chaque partie a pu faire valoir ses prétentions et ses défen-
ses et que le jugement algérien, passé en force de chose jugée et susceptible
d’exécution, avait garanti des avantages financiers en condamnant le mari à lui
payer des dommages-intérêts pour divorce abusif, une pension de retraite
légale et une pension alimentaire d’abandon.
Critiquée par ses premiers commentateurs en ce qu’elle reposait sur une
« lecture au rabais » du principe de l’égalité des époux (L. Gannagé, Rev. crit.
2001. 709; M.-L. Niboyet, D. 2001. 3378), cette décision fut approuvée par
d’autres au nom de la méthode (« le raisonnement de la Première chambre
civile est empreint d’une grande rigueur juridique. Il est certes bien vrai que la
loi étrangère est in abstracto contraire à l’ordre public pour atteinte à l’égalité
des sexes. Mais il n’en est pas moins vrai que l’atteinte à l’ordre public, dans
une espèce particulière, doit se faire in concreto », P. Lagarde, Rép. Dalloz dr.
int., Cahiers de l’actualité 2002-1, p. 6), et du réalisme (il convient de respec-
ter la diversité culturelle, car c’est le seul moyen d’éviter les situations boiteu-
ses, H. Fulchiron, JCP 2002. II. 10095, note sous Civ. 2e, 4 mars 2002;
P. Courbe, note préc.; M. Farge, Dr. fam. 2002, chr. no 17). Pour les auteurs
favorables à la solution, il n’y a atteinte effective à l’égalité des époux que
590 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64
lorsque la femme est entièrement à la merci de son mari; tel n’est pas le cas quand
elle a pu être entendue et a perçu un certain nombre d’avantages financiers.
Cette nouvelle solution se heurta à une certaine résistance de la Cour de Paris
(13 déc. 2001, Rev. crit. 2002. 730, note L. Gannagé) et ne fut pas suivie telle
quelle par les autres chambres de la Cour de cassation (Civ. 2e, 14 mars 2002,
JCP 2002. II. 10095, note Fulchiron, I. 107, no 3, obs. Peruzzetto; Farge, Dr. fam.
2002, chr. no 17).
15 Troisième scène : par cinq arrêts du 17 février 2004, dont seul le premier est
ici reproduit, la haute juridiction réaffirme, avec toute la solennité qu’implique
un tel effet de répétition, que les répudiations more islamico sont contraires
au principe de l’égalité des époux, énoncé par l’article 5 du Protocole no 7,
additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et donc à
l’ordre public international, dès lors que la femme répudiée était domiciliée
sur le territoire français. Autrement dit, la haute juridiction procède à un « dur-
cissement de l’ordre public international », tout en subordonnant le déclenche-
ment de celui-ci à une nouvelle condition de proximité (P. Hammje, Rev. crit.
2004. 426). Le respect des exigences procédurale et alimentaire ne suffit plus à
mettre la répudiation à l’abri de l’ordre public, car les garanties qui en résul-
tent sont très largement illusoires (supra, § 11). Le principe d’égalité des
époux, composante de l’ordre public international, est méconnu du seul fait
que le pouvoir conjugal reste entre les mains de l’époux et que le divorce doit
être prononcé sur la seule volonté de celui-ci, du moins si la femme répudiée
est domiciliée en France, ou encore si domiciliés à l’étranger les époux sont de
nationalité française (Civ. 1re, 10 mai 2006, JCP 2006. IV. 2248).
Il est à souhaiter que ces décisions constituent l’épilogue du feuilleton des
répudiations musulmanes (v. depuis dans le même sens, Civ. 1re, 25 oct. 2005,
El W., Dr. fam. 2006, no 103, obs. Farge; 3 janv. 2006, JCP 2006. IV. 1199,
Rev. crit. 2006. 627, note M.-C. Najm; 10 mai 2006, JCP 2006. IV. 2238). La
solution qu’elles posent réalise, en effet la moins mauvaise conciliation possi-
ble entre les multiples intérêts qui s’affrontent et s’entremêlent, en la matière.
de la vie courante, prévoit qu’il peut y être mis fin par chaque partenaire unila-
téralement et discrétionnairement, sans autre formalité qu’une signification
dont copie est adressée au greffe du tribunal d’instance et sans garantie pécu-
niaire (art. 515-7, C. civ.). Autrement dit, chaque partenaire peut congédier
l’autre dès qu’il a cessé de plaire, le ravalant ainsi au rang de simple « outil
masturbatoire » (J.-C. Guillebaud, La tyrannie du plaisir, p. 473). Seul donc le
principe d’égalité différencie clairement le droit français du droit musulman et
est donc de nature à faire échec à l’accueil des répudiations more islamico.
Encore faut-il savoir comment il doit être entendu pour concilier les différents
intérêts en présence : intérêts de la société internationale, intérêts des sociétés
internes, intérêts des personnes concernées.
17 À se placer du point de vue de la société internationale, le premier objectif
qui s’impose est celui de l’harmonie internationale des solutions. En vertu de
ce principe, il importe que la même question reçoive la même réponse dans les
différents ordres concernés. Dans cette perspective, il convient de reconnaître
en France les répudiations prononcées à l’étranger. À l’appui d’une telle solu-
tion, une voix particulièrement autorisée à fait valoir qu’il convient de ne
pas céder à la « tentation universaliste des droits de l’homme (…) Imposer à
l’encontre de jugements venus d’ailleurs des valeurs perçues comme impérati-
ves suppose en effet qu’elles aient une égale vocation à s’appliquer dans toutes
les traditions juridiques. La légitimité d’une position aussi absolutiste est dis-
cutable. Elle revient à postuler l’universalité des droits de l’homme, à s’oppo-
ser au relativisme culturel, à refuser toute concession à la diversité (…). Les
droits de l’homme ne sont que l’expression d’une certaine culture juridique
régionale et n’ont pas vocation à faire systématiquement obstacle à toute recon-
naissance de situations acquises sous l’empire d’une loi ou par le truchement
d’un jugement provenant d’une culture profondément différente » (G. Canivet,
« La convergence des systèmes juridiques du point de vue du droit privé fran-
çais », RID comp. 2003, p. 7 et s., spéc. p. 20; rappr. H. Fulchiron, JCP 2004.
II. 10128, in fine; du même auteur, « “Ne répudiez point…” : pour une inter-
prétation raisonnée des arrêts du 17 février 2004 », RID comp. 2006. 7 et s.).
Aussi bien est-il prôné dans cette conception de procéder à une lecture aussi
concrète que possible de l’exception d’ordre public international. En arrière-
plan se dessine l’idée qu’il existe au profit des étrangers une sorte de droit légi-
time à la différence et qu’il convient de favoriser sur notre sol l’émergence
d’une société multiculturelle (A. Touraine, « Faux et vrais problèmes », in Une
société fragmentée ? Le multiculturalisme en débat, p. 295).
18 Pleinement satisfaisante pour les intérêts de la société internationale, une
telle approche est-elle tolérable pour les ordres juridiques internes concernés ?
Dans la conception traditionnelle du droit international privé, l’insertion des
relations internationales dans le contexte des ordres juridiques nationaux doit,
en effet, s’opérer de telle façon que leur cohésion ne soit pas altérée et que leur
existence ne puisse être remise en cause. À considérer les intérêts de l’ordre
juridique français, il importe de rappeler que, à la différence d’autres nations,
la nation française est une nation ouverte dont l’héritage fondateur n’est pas
592 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64
réservé aux héritiers biologiques, mais bénéficie à tous ceux qui en prennent
connaissance et l’intériorisent par le processus de socialisation (D. Schnapper,
La France de l’intégration, 1991, p. 348), lequel suppose le respect d’un cadre
global de référence, d’un « corpus républicain minimum » sur lequel la France
ne saurait transiger sans risquer de disparaître (J.-P. Chevènement, Le vert et
le noir, 1995, p. 204). Or, parmi ce corpus, figure certainement l’égalité de
l’homme et de la femme. Prôner le respect de la diversité culturelle, c’est en
réalité s’engager résolument sur la voie du communautarisme, voire même de
l’apartheid. C’est en effet, considérer qu’il y a en France deux catégories de
femmes, celles qui ont le droit à l’égalité et à la protection de l’ordre juridique
français et les autres qui peuvent être confinées dans une sorte de « ghetto
coupé des valeurs » de la société où elles vivent. La répudiation apparaît, en
effet, comme le « symbole d’une conception patriarcale et inégalitaire des rap-
ports conjugaux, contraire à l’intégration non seulement des femmes musul-
manes maintenues dans une condition mineure » mais aussi des hommes
« confirmés dans leurs privilèges masculins et confortés dans la conviction de
leur supériorité » (J. Déprez, « La réception du statut personnel musulman en
France », Cahiers des droits maghrébins, 1995, p. 20 et s., spéc. no 33). Le
droit à la différence devient ainsi un « droit à l’indifférence » et à « l’enferme-
ment » (S. Abou, Cultures et droits de l’homme, 1992, p. 13 et s., spéc. p. 32
et 37), voire à la « condescendance » (A. Mezghani, « Quelle tolérance pour
les répudiations ? », RID comp. 2006. 61 et s., spéc. p. 65). En outre, comme
on a pu le souligner, « l’institution est (…) de plus en plus contestée au sein
du monde musulman, et on ne peut oublier que ce sont les femmes musulma-
nes elles-mêmes qui s’insurgent contre cette pratique, de sorte qu’il serait
presque surréaliste de la leur imposer au nom du respect de leur identité cultu-
relle » (M.-C. Najm, Principes directeurs du droit international privé et conflit
de civilisations, thèse Paris II, éd. 2004, no 500, p. 478). Dans cette perspec-
tive, seul le constat que la femme a pris l’initiative de la répudiation ou y a
acquiescé est de nature à restituer à celle-ci sa dignité en lui permettant de
rompre avec l’univers patriarcal dans lequel on cherche à l’enfermer. En outre,
une telle exigence permet de vider de sa portée l’objection selon laquelle le refus
de reconnaître les répudiations risque de se retourner contre l’intérêt de l’épouse
en créant une rupture dans son statut, puisque démariée dans son pays d’origine,
elle serait toujours mariée en France. La répudiation sera, en effet, accueillie en
France, si elle y consent. Ainsi concilie-t-on les intérêts de l’ordre juridique fran-
çais et de l’épouse répudiée avec ceux de la société internationale.
Il apparaît donc clairement que l’ordre public international français doit
faire obstacle à l’accueil en France d’une répudiation more islamico, pronon-
cée à l’étranger, lorsqu’elle concerne une femme domiciliée en France ou à
plus forte raison de nationalité française : l’ordre public de proximité
l’emporte alors sur l’effet atténué (M.-C. Najm, thèse préc., no 500, p. 479;
rappr. M.-L. Niboyet « Regard français sur la reconnaissance en France des
répudiations musulmanes », RID comp. 2006. 27 et s., spéc. p. 45).
19 Favorable à la cohésion de la société française, la décision retenue l’est
aussi à la modernisation du statut personnel des sociétés musulmanes. Le droit
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 593
des pays musulmans ne peut plus, en effet, être perçu comme un ensemble
immuable et monolithique. L’urbanisation, l’industrialisation, le développement
des services, le travail des femmes conduisent à faire évoluer un droit conçu
pour une société essentiellement pastorale et agricole. C’est ainsi que l’ordre
juridique tunisien a connu une mutation profonde marquée notamment par la
promotion du statut de la femme et de celui de l’enfant naturel, (Y. Lequette,
« Le conflit de civilisations à la lumière de l’expérience franco-tunisienne »,
Mélanges Sassi Ben Halima, 2005, p. 175). Sans aller aussi loin, le Maroc n’en
a pas moins réformé son droit de la famille en 2004 (F. Sarehane, « Le nou-
veau Code marocain de la famille », Gaz. Pal. 3-4 sept. 2004). Aussi bien a-t-il
été souligné que les tergiversations de la jurisprudence française ne peuvent
qu’affaiblir les arguments de ceux qui œuvrent dans des conditions difficiles à
la réforme du statut personnel (L. Gannagé, note Rev. crit. 2001. 716; du même
auteur « Le relativisme des droits de l’homme dans l’espace méditerranéen »,
RID comp. 2006. 101 et s., spéc. p. 112; M.-L. Niboyet, note D. 2001. 3379).
« Poussant trop loin le prétendu respect des civilisations étrangères (…), la
position (libérale) de la jurisprudence européenne occulte la fonction pédago-
gique du droit (…). Les législateurs musulmans n’ont certes pas de leçon à
recevoir des législateurs européens ni de la jurisprudence occidentale, mais le
rejet systématique au nom de l’ordre public de certaines solutions ne peut
qu’interpeller, inciter à une remise en cause, à une interrogation sur le contenu
des droits concernés » (K. Meziou et A. Mezghani, « Les musulmans en Europe,
L’application de la loi nationale au statut personnel essai de clarification »,
Cahiers des droits maghrébins 1995, p. 7; A. Mezghani, « Le juge français et
les institutions de droit musulman », Clunet 2003, p. 721 et s.).
20 Il a été suggéré qu’il conviendrait de distinguer le prononcé de la répudia-
tion du règlement de ses conséquences patrimoniales et sur les enfants. Acte
public à caractère constitutif, la répudiation stricto sensu échapperait à l’exi-
gence du respect du contradictoire et devrait être accueillie très libéralement
en France. Revêtant un caractère juridictionnel, l’acte qui renferme le règle-
ment des effets de la répudiation devrait répondre aux conditions d’accueil des
décisions étrangères en France. Il en résulterait une dichotomie : la répudiation
bénéficierait d’un exequatur partiel qui aurait le mérite d’éviter une rupture
dans le statut des intéressés, tandis que les conséquences pécuniaires ou sur la
personne des enfants pourraient donner lieu à une nouvelle instance en France
(R. El Husseini, Le droit international privé français et la répudiation islami-
que, thèse Paris II, 1999; v. aussi Rev. crit. 1999. 427).
65-66
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
I. — Civ. 1re, 14 mars 1984, Rev. crit. 1984. 644, note Bischoff,
Clunet 1984. 598, note Oppetit, D. 1984. 629, rapport Fabre, note J. Robert,
JCP 1984. II. 20205, concl. Gulphe, note Synvet,
Rev. arb. 1985. 69, note Couchez.
II. — Civ. 1re, 1er octobre 1985, Rev. crit. 1986. 527, note B. Audit,
Clunet 1986. 170, note Oppetit,
JCP 1986. II. 20566, concl. Gulphe, note Synvet.
Immunité d’exécution. — États étrangers.
sie, celle-ci lui fut refusée par une ordonnance du président du Tribunal de commerce en
date du 21 décembre 1979. Mais, sur appel, la Cour de Paris, par un arrêt du 21 avril
1982 (Rev. crit. 1983. 101, note P. Mayer, Clunet 1983. 145, note Oppetit, Rev. arb.
1982. 209) rétracta l’ordonnance autorisant la saisie conservatoire au motif que l’État ira-
nien était couvert par son immunité d’exécution. C’est au pourvoi formé contre cette
décision que répond le premier arrêt ci-dessous reproduit.
Bien différentes sont les circonstances qui ont donné naissance à la seconde affaire :
M. Migeon, ingénieur de nationalité française, avait conclu un contrat de travail pour
une durée de deux ans avec la Société nationale (algérienne) de transport et de commer-
cialisation des hydrocarbures (Sonatrach). Celle-ci ayant mis fin au contrat avant le
terme convenu, M. Migeon saisit les juridictions françaises. Estimant la résiliation fau-
tive, la juridiction prud’homale puis la Cour de Paris condamnèrent la Sonatrach à verser
une indemnité de 56 000 fr. à son ancien salarié. Devant le refus de l’entreprise algé-
rienne d’exécuter spontanément cette décision, M. Migeon pratiqua une saisie-arrêt
entre les mains de Gaz de France, débiteur de la Sonatrach au titre d’un contrat d’appro-
visionnement de gaz liquéfié, et de la Banque française du commerce extérieur par
laquelle transitaient les fonds versés en exécution de cette convention. Bien que la
Sonatrach ait revendiqué le bénéfice de l’immunité d’exécution, la Cour de Paris par
décision du 10 février 1984 valida cette saisie-arrêt, au motif qu’il n’était pas démontré
que « les fonds saisis avaient, par leur origine ou leur destination, une affectation publi-
que les assimilant aux fonds publics de l’État algérien ». C’est au pourvoi formé contre
cette décision que répond le second arrêt ci-dessous reproduit.
1er ARRÊT
(Soc. Eurodif c/République islamique d’Iran)
La Cour; — Sur le premier moyen, pris en sa première branche : — Vu les prin-
cipes de droit international privé régissant les immunités des États étrangers; —
Attendu que l’immunité d’exécution dont jouit l’État étranger est de principe;
que, toutefois, elle peut être exceptionnellement écartée; qu’il en est ainsi lors-
que le bien saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant
du droit privé qui donne lieu à la demande en justice; — Attendu qu’en exécu-
tion d’accords internationaux intervenus le 27 juin 1974 et le 23 décembre de la
même année entre le gouvernement impérial de l’Iran et le gouvernement fran-
çais en vue d’une large coopération « scientifique, technique et industrielle »
entre les deux pays, l’État iranien a consenti, par un contrat du 23 février 1975,
un prêt d’un milliard de dollars au Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA),
prêt dont le remboursement était garanti par l’État français, tandis que, par une
convention du même jour, le CEA et l’Organisation de l’Énergie Atomique de
l’Iran (OEAI), établissement public iranien (auquel a été substituée par la suite
l’Organisation pour les Investissements et les Aides Economiques et Techniques
de l’Iran (OIAETI), simple département de l’État iranien), ont signé un « accord
de participation » en matière de production d’uranium enrichi à des fins pacifi-
ques qui précisait les modalités de constitution d’une nouvelle société de droit
français dénommée Société franco-iranienne d’enrichissement d’uranium par
diffusion gazeuse (SOFIDIF) à laquelle devait être transférée une partie des
actions de la société EURODIF (société de droit français constituée par des orga-
nismes de plusieurs pays européens en vue de la construction et de l’exploita-
tion de l’usine d’enrichissement d’uranium de Tricastin), ce qui devait assurer à
l’OEAI le contrôle de 10 % du capital de cette dernière société et lui conférer
dans la même proportion un droit d’enlèvement d’uranium enrichi produit par
l’usine de Tricastin; que les deux contrats du 23 février 1975 contenaient une
clause d’arbitrage faisant référence au règlement de la cour d’arbitrage de la
596 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66
2e ARRÊT
(Soc. Sonatrach c/Migeon)
La Cour; — Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : — Attendu,
selon les énonciations des juges du fond, qu’un arrêt du 16 février 1971, devenu
irrévocable, de la Cour d’appel de Paris a condamné la Société nationale (algé-
rienne) de transport et de commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach) à
payer une indemnité à M. Migeon pour résiliation fautive de son contrat de
travail; que, pour avoir paiement de cette indemnité, M. Migeon a fait prati-
quer entre les mains de Gaz de France et de la Banque française du commerce
extérieur (dans les comptes de laquelle transitaient les fonds) la saisie-arrêt de
sommes dues par Gaz de France à la Sonatrach, en exécution d’un contrat de
fourniture de gaz liquéfié du 3 février 1982; que l’arrêt attaqué a validé la saisie-
arrêt après avoir écarté l’immunité d’exécution invoquée par la Sonatrach, au
65-66 EURODIFF, CASS., 14 MARS 1984 — SONATRACH, 1 OCTOBRE 1985 597
motif qu’elle n’établissait pas que les fonds saisis avaient, par leur origine ou
leur destination, une affectation publique les assimilant aux fonds publics de
l’État algérien; — Attendu que la Sonatrach reproche à la cour d’appel d’avoir
ainsi statué, alors, selon le moyen, d’une part, que l’immunité d’exécution dont
jouit l’État étranger ou l’organisme public agissant pour son compte ne peut
être exceptionnellement écartée que lorsque la créance saisie a été affectée à
une activité privée qui est celle-là même qui sert de base à la demande; qu’en
l’espèce, en validant une saisie-arrêt pratiquée sur une créance que détenait
Sonatrach à l’encontre de Gaz de France et qui était totalement étrangère au
litige opposant le saisissant à la Sonatrach à la suite de la rupture d’un contrat
de travail, l’arrêt attaqué a violé les principes de droit international privé régle-
mentant les immunités des États étrangers; et alors, d’autre part, que, l’immu-
nité d’exécution étant de principe, c’est à celui qui prétend faire pratiquer une
mesure d’exécution sur les biens d’un organisme public étranger d’établir que
ces biens ont une affectation privée; qu’en écartant l’immunité d’exécution au
seul motif que la Sonatrach n’établit pas que les fonds saisis ont une affectation
publique les juges d’appel ont violé l’article 1315 du Code civil; — Mais attendu
qu’à la différence des biens de l’État étranger, qui sont en principe insaisissables,
sauf exceptions, notamment quand ils ont été affectés à l’activité économique
ou commerciale de droit privé qui est à l’origine du titre du créancier saisissant,
les biens des organismes publics, personnalisés ou non, distincts de l’État étran-
ger, lorsqu’ils font partie d’un patrimoine que celui-ci a affecté à une activité
principale relevant du droit privé, peuvent être saisis par tous les créanciers,
quels qu’ils soient, de cet organisme; — Attendu qu’en l’espèce, la Sonatrach
ayant pour objet principal le transport et la commercialisation des hydrocarbu-
res, activités relevant par sa nature du droit privé, sa créance sur Gaz de France,
qui avait pour origine la fourniture de gaz, était saisissable par M. Migeon, sauf
si elle démontrait qu’il n’en était pas ainsi, ce qu’elle n’a pas fait selon l’appré-
ciation souveraine des juges du fond; qu’en aucune de ses deux branches le
moyen n’est donc fondé;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 1er octobre 1985. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Fabre, rapp.; Gulphe,
av. gén. — SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde, Me Le Bret, av.
OBSERVATIONS
1 L’immunité d’exécution des États étrangers est longtemps restée le « parent
pauvre » de la matière. « Arme de dernier recours » pour les États étrangers
(Synvet, note JCP 1984. II. 20205), il n’était le plus souvent nul besoin de
l’invoquer puisque ceux-ci étaient couverts en amont par leur immunité de
juridiction. Mais le recul de celle-ci (v. arrêt Soc. Levant Express Transport,
supra, no 47) ainsi que l’essor de l’arbitrage commercial international devaient
progressivement entraîner une modification des données du problème : attraits
devant les juridictions étatiques ou arbitrales, parfois condamnés, les États se
retranchèrent tout naturellement derrière leur immunité d’exécution. Néan-
moins, les années passant, les raisons qui avaient conduit les tribunaux à res-
treindre la portée de l’immunité de juridiction firent sentir leur poids dans le
domaine voisin de l’immunité d’exécution. Devant la multiplication des inter-
ventions directes ou indirectes des États dans le commerce international et leur
propension à se soustraire aux conséquences de leurs engagements, la jurispru-
598 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66
dence entreprit de forger un régime des immunités qui concilie le respect des
souverainetés et l’intérêt des cocontractants. En affirmant, pour la première
fois clairement, dans son arrêt Eurodif, que l’immunité d’exécution des États
étrangers ne revêt pas un caractère absolu, la Cour de cassation pose les bases
indispensables à la définition de ce nouvel équilibre (I). Mais la construction
est loin d’être achevée puisqu’il lui faut encore préciser l’étendue exacte de
l’immunité dont bénéficient tant les États étrangers que leurs émanations. C’est
précisément ce à quoi s’emploient, chacun dans son domaine, les arrêts Euro-
dif et Sonatrach (II).
c’est risquer de ravaler cette décision au rang d’un simple « avis juridique »
(Synvet, art. préc., Clunet 1985. 884).
5 Ce n’est pas à dire pour autant que le domaine de l’immunité d’exécution
doive être réduit à l’excès. Il faut, en effet, éviter que la France ne devienne la
« providence » de créanciers, originaires d’États n’offrant pas sur le terrain des
immunités les mêmes facilités, ce qui l’obligerait à supporter sans aucun béné-
fice les inconvénients diplomatiques, ou autres…, inhérents à ces exécutions.
(Sur cette question, v. B. Audit, note Rev. crit. 1986. 535; Synvet, art. préc., Clu-
net 1985. 885 et s.). En restreignant les immunités, on veut simplement éviter
que « l’État étranger se comporte en commerçant dans les relations intéressant
l’État du for sans acquitter les obligations correspondantes » (Audit, note préc.).
L’on ne saurait au demeurant adopter en la matière, à l’encontre des États
étrangers une attitude sensiblement plus restrictive que celle des autres grands
pays, sous peine de voir se raréfier les dépôts de capitaux publics étrangers
(Synvet, art. préc., Clunet 1985. 868; rappr. obs. supra, no 59-60 § 12). Aussi
bien, la Cour de cassation s’est-elle, on le verra, très directement inspirée
des enseignements du droit comparé pour redéfinir le domaine de l’immunité
d’exécution.
6 Consciente de ces impératifs, la Cour de cassation a amorcé, il y a un peu
plus d’une trentaine d’années, une évolution dont l’arrêt Eurodif constitue le point
d’aboutissement. Dans un arrêt Englander du 11 février 1969 (Rev. crit. 1970.
98, note Bourel, Clunet 1969. 923, note Kahn), elle a censuré une cour d’appel
qui, pour permettre à la Banque d’État tchécoslovaque de se retrancher der-
rière l’immunité d’exécution, avait invoqué l’impossibilité de distinguer les
fonds publics des fonds privés. Puis dans un arrêt Clerget du 2 novembre 1971
(Rev. crit. 1972. 310, note Bourel, JCP 1972. II. 16969, note Ruzié), elle a pris
soin de souligner que « les fonds ne pouvaient — leur origine et leur destina-
tion n’étant pas déterminées — faire l’objet d’une saisie ». Enfin dans un arrêt
CAVNOS du 7 décembre 1977 (Rev. crit. 1978. 532, note Bourel), elle a approuvé
une cour d’appel d’avoir refusé l’immunité d’exécution à un organisme algé-
rien sur le seul constat de son autonomie financière. Implicitement ces arrêts
semblaient signifier que l’immunité d’exécution ne protégeait plus les biens de
l’État étranger en leur totalité. Or « une règle qui tolère des exceptions n’a plus
que valeur de principe sans pouvoir prétendre à l’absolutisme » (B. Oppetit,
note Clunet 1983. 151). Néanmoins leur portée restait incertaine, la Cour de
cassation ayant dans chacune de ces affaires pris le soin de limiter sa décision
au seul examen du problème qui lui était soumis.
Tel n’est précisément plus le cas avec l’arrêt Eurodif. En visant expres-
sément « les principes de droit international privé régissant les immunités des
États étrangers » (sur les utilisations de la notion de principe, v. B. Oppetit,
note Clunet 1982. 937) et en posant que l’immunité dont jouit l’État étranger
est de principe « mais qu’elle peut être exceptionnellement écartée », l’arrêt
Eurodif consacre sans aucune ambiguïté le caractère relatif de l’immunité
d’exécution. Corrélativement la question essentielle devient celle de la délimi-
tation de son domaine.
65-66 EURODIFF, CASS., 14 MARS 1984 — SONATRACH, 1 OCTOBRE 1985 601
7 Leur seule qualité ne suffisant plus à abriter les États étrangers des voies
d’exécution pratiquées contre leurs biens situés en France, il devient nécessaire
de définir les critères permettant de tracer les contours de l’immunité d’exécu-
tion. Celle-ci ayant, on l’a vu, pour objet de protéger les biens de l’État étran-
ger dont la saisie par ses créanciers pourrait porter atteinte à son indépendance
et entraver l’exercice de sa souveraineté, il est généralement suggéré de faire
référence à la seule nature de ceux-ci : les biens affectés à l’exécution d’une
mission de puissance publique ou de service public seront couverts par l’immu-
nité ; les biens affectés à une activité purement commerciale ou privée ne le
seront pas (Batiffol et Lagarde, t. II, no 693-2). Peu importe donc la nature de
l’activité qui est à l’origine du titre de créance; seul compte le caractère public
ou privé du bien saisi.
La mise en œuvre d’une telle directive ne soulève que peu de difficultés
lorsque le bien convoité a une nature ou une destination qui permettent de
déterminer aisément qu’il participe à l’exercice de la souveraineté; ainsi en
va-t-il, par exemple, de navires de guerre, d’aéronefs militaires ou d’immeubles
affectés à l’exercice d’activités diplomatiques, tous biens au demeurant cou-
verts par des conventions internationales. En revanche, celle-ci devient beau-
coup plus épineuse lorsque, comme c’est souvent le cas, le bien saisi est une
créance de somme d’argent que l’État détient sur des personnes domiciliées
en France. L’argent étant chose fongible par excellence, on ne saurait déduire
de sa seule nature s’il est public ou privé. Dès lors à supposer qu’on ne veuille
pas s’en tenir à la qualité du propriétaire, seule une plongée dans le passé ou
une prospection de l’avenir, c’est-à-dire la prise en considération de l’origine
des fonds ou de leur destination, peut permettre de le caractériser. Aussi bien
la Cour de cassation avait-elle mêlé, de façon assez peu claire, ces deux critè-
res dans l’arrêt Clerget. Délaissant le premier, la Cour de Paris s’en est tenue
au contraire, dans l’affaire Eurodif à la seule affectation des fonds. La solution
n’allait pas sans entraîner certains inconvénients immédiatement relevés par
la doctrine (P. Mayer, B. Oppetit, notes préc.). En effet, à la différence de
l’origine des fonds qui peut toujours être recherchée, l’affectation de ceux-ci
dépend du bon vouloir de l’État lequel, sauf quelques rares exceptions (sur
lesquelles v. P. Mayer, note Rev. crit. 1983. 107), se garde de la préciser. Dès
lors comment qualifier les fonds si ce n’est par leur appartenance : fonds de
l’État, personne de droit public par excellence, ils sont sauf décision d’affecta-
tion spéciale, présumés publics. Telle fut, au demeurant, la solution adoptée
par la Cour de Paris dans l’affaire Eurodif : constatant que les fonds remis à
l’État iranien en remboursement du prêt consenti au CEA lui reviendraient
libres de toute affectation, elle en avait conclu que la créance portait sur des
fonds purement publics. Mais n’est-ce pas là en revenir, sous couleur d’immu-
nité restreinte, à une immunité quasi-absolue puisqu’hormis les cas spéciaux
d’affectation, l’immunité résultera de la seule qualité du propriétaire du bien ?
(en ce sens, P. Mayer, note Rev. crit. 1983. 108; Oppetit, note Clunet 1984. 602).
Aussi la doctrine a-t-elle suggéré de tempérer la rigueur de la solution par
l’énoncé d’une double présomption : détenus par l’État, les fonds seraient pré-
602 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66
manifeste avec le droit américain. Aux termes de l’article 1610 a-2 du Code
des États-Unis dans la rédaction que lui a donnée le Foreign Sovereign Immu-
nity Act de 1976 (préc.), l’immunité d’exécution est écartée lorsque les biens
saisis « ont été utilisés pour l’activité commerciale sur laquelle la demande est
fondée ». Il a déjà été fait état des raisons qui motivent cette convergence.
9 La nouvelle exception ne profitant, malgré tout, aux créanciers que dans des
hypothèses, somme toute assez rares, l’on s’est demandé tout à la fois si elle
laissait intactes les dérogations antérieures et si elle ouvrait la voie à de nou-
velles. Le caractère énonciatif de l’adverbe « ainsi » qui précède la nouvelle
exception a incliné les commentateurs vers l’affirmative; cette interprétation
est confirmée par les termes employés par l’arrêt Sonatrach : en visant au plu-
riel les exceptions au principe et en reprenant celle de l’arrêt Eurodif précédée
de l’adverbe « notamment », cette décision lève tout doute à cet égard, sans
qu’il soit pour autant aisé de discerner très exactement leur ampleur. En exi-
geant que le titre saisi et le titre exécutoire aient une origine commune, la Cour
de cassation entend-elle faire sienne l’idée qu’« il n’y aurait pas, dans l’ensem-
ble des biens d’un État, un patrimoine général, insaisissable, et un patrimoine
privé général, saisissable par tous les créanciers privés à l’étranger, mais plutôt
un patrimoine public général et éventuellement une série de patrimoines privés
d’affectation, ne répondant comme tout patrimoine d’affectation que des dettes
liées à l’utilisation des biens qui le composent » (Bischoff, note Rev. crit.
1984. 654) ? En ce cas, un bien privé — quelle que soit la façon dont ce carac-
tère est établi — ne serait jamais saisissable que s’il était démontré que ce bien
était affecté à la réalisation de l’opération dont le créancier tire son droit. Faut-
il y voir au contraire une condition qui ne vaudrait que lorsque le caractère
privé de la créance a été déduit de l’affectation des sommes d’argent d’où elle
tire son origine, la jurisprudence Englander-Clerget subsistant pour le sur-
plus : les biens privés d’un État étranger pourraient alors être l’objet d’une sai-
sie sans qu’il soit besoin de distinguer selon la créance qui en est la cause. (Sur
les moyens permettant d’identifier les fonds privés de l’État, v. la proposition
de H. Synvet, art. préc., Clunet 1985. 883).
La seconde interprétation s’harmonise mieux avec le fondement de l’immu-
nité d’exécution. Dès lors, en effet, que celle-ci a pour objet de préserver la
souveraineté de l’État étranger, on voit mal pourquoi les biens qui ne sont pas
nécessaires à son exercice échapperaient aux mesures d’exécution au prétexte
qu’ils ne sont pas affectés à l’activité qui est à l’origine de la demande. Néan-
moins la première interprétation n’est pas, non plus, dépourvue de mérites. En
exigeant que le titre saisi et le titre exécutoire aient une origine commune, elle
empêche de poursuivre dans notre pays l’exécution de créances sans lien avec
lui (supra, § 5). En décidant qu’un bien, se rattachant non à l’exercice d’une
activité de souveraineté mais à une opération habituelle de gestion (logement
du personnel diplomatique), n’était pas couvert par l’immunité d’exécution en
ce qui concerne une créance de charges de copropriété liée à cette opération,
la haute juridiction semble incliner vers cette dernière analyse (Civ. 1re, 25 janv.
2005, République démocratique du Congo, Rev. crit. 2006. 123, note H.M.W,
D. 2005. 620 et concl. Sainte-Rose, p. 616).
604 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66
nion du Tribunal de grande instance de la Seine (15 mars 1967, Gaz. Pal.
1967. 2. 63) et de la Cour de Paris (7 juin 1969, Rev. crit. 1970. 483, note
Bourel, JCP 1969. II. 15954, concl. Fortier, note Ruzié) dans l’affaire Clerget.
La solution est, au demeurant, conforme à celle qui en droit interne veut que,
sauf circonstances particulières, la filiale ne réponde pas des dettes de la
société-mère (Ripert et Roblot, Traité élémentaire de droit commercial, TI,
no 713). Et il a fallu précisément les conditions très particulières du commerce
maritime pour que la Cour de Rouen fasse céder cette limitation (Rouen
23 déc. 1985, Droit maritime français, 1986. 349 et commentaire M. Rémond-
Gouilloud, p. 333). Les créanciers de l’État étranger ou ceux d’une émanation
de l’État distincte de l’organisme public concerné ne sauraient donc en prin-
cipe saisir les biens de cet organisme aux motifs qu’ils appartiennent aussi à
l’État en question. Aussi bien la haute juridiction a-t-elle ultérieurement posé
qu’« il ne peut être admis que le contrôle exercé par un État suffit à faire consi-
dérer les organismes qui en dépendent comme des émanations de cet État »
devant répondre de ses dettes (Civ. 1re, 21 juill. 1987, Soc. Benvenutti et Bonfant,
Clunet 1988. 108, note Kahn, RTD civ. 1988. 744, obs. J. Mestre; 6 juill. 1988,
Soc. Navrom Romania maritime navigation, Clunet 1989. 376, note Kahn;
4 janv. 1995, Office des céréales de Tunisie, Clunet 1995. 645, note Mahiou;
Com., 1re oct. 1995, Soc. Secil Maritima, Rev. crit. 1997. 751, rapp. Rémery;
Civ. 1re, 19 juill. 1999, Dumez GTM, Clunet 2000. 45, note M. Cosnard).
Faut-il, en outre, que la créance servant de cause à la saisie présente certains
liens avec le pays du lieu d’exécution, c’est-à-dire en l’occurrence avec la
France ? (v. supra, II. A). Une réponse positive ouvrirait au juge une certaine
marge d’appréciation. Mais en précisant que les biens de ces organismes peu-
vent être saisis par tous les créanciers « quels qu’ils soient » la Cour ne sem-
ble pas s’engager dans cette voie.
12 Quoi qu’il en soit, pas plus que le principe de l’immunité d’exécution des
États étrangers, le principe de l’absence d’immunité des organismes publics
n’est absolu. L’organisme propriétaire du bien saisi peut toujours démontrer
soit que son activité principale n’est pas privée mais publique, soit encore que
la créance saisie a pour origine non son activité principale mais une activité
dans laquelle il agit « sur ordre et pour le compte » de l’État étranger. Affecté à
une mission qui intéresse la souveraineté de l’État dont cet organisme est
l’émanation, le bien convoité sera alors couvert par l’immunité d’exécution.
Appliquant ces directives à l’espèce, la Première chambre civile relève,
d’une part, que la Sonatrach a pour mission le transport et la commercialisa-
tion des hydrocarbures, activités qui ressortissent par nature au droit privé,
d’autre part, que la créance saisie a sa source dans la fourniture de gaz. En
raisonnant ainsi, la haute juridiction marque clairement que la nature de l’acti-
vité doit s’apprécier objectivement et non en considération de la place qu’elle
occupe dans la politique économique de l’État en question.
En conclusion, on notera que la matière des immunités va, au regard des
sources du droit, au rebours des pratiques habituelles. Alors que les pays
d’Europe continentale (France, Allemagne fédérale, Suisse) où la tradition
codificatrice est forte, abandonnent la question à la jurisprudence, les pays de
606 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66
I. — Civ. 1re, 7 novembre 1984, Rev. crit. 1985. 533, note Simon-Depitre,
Clunet 1985. 434, note H. Gaudemet-Tallon,
D. 1985. 459, note Poisson-Drocourt, Defrénois 1985, p. 1006, obs. Massip.
II. — Civ. 1re, 31 janvier 1990, Rev. crit. 1990. 519, note Poisson-Drocourt,
JCP 1991. II. 21635, note H. Muir Watt, D. 1991. 105, note F. Boulanger,
Gaz. Pal. 1990. 2. 481, note B. Sturlèse, Defrénois 1990, p. 961, obs. Massip.
III. — Civ. 1re, 10 mai 1995, Bull. civ. I, no309, p. 261,
Rev. crit. 1995. 548, note H. Muir Watt, Clunet 1995. 625, note F. Monéger,
D. 1995. 544, note V. Larribau-Terneyre, Defrénois 1991. 331, obs. Massip.
Les conditions comme les effets de l’adoption sont régis par la loi natio-
nale de l’adoptant, la loi de l’enfant devant seulement déterminer les condi-
tions du consentement ou de la représentation de l’adopté (1er arrêt).
Lorsque le consentement donné par un parent étranger à l’adoption de
son enfant par un Français ne précise pas en considération de quel type
d’adoption il a été donné, ce consentement vaut pour l’une ou l’autre des
formes d’adoption que connaît le droit français (1er arrêt).
Le contenu même du consentement à l’adoption — savoir s’il a été donné
en vue d’une adoption simple ou d’une adoption plénière — doit être appré-
cié indépendamment des dispositions de la loi nationale de l’adopté, le juge
français devant s’attacher à la volonté, expresse ou présumée, de la personne
qui a consenti (2e arrêt).
Ne sont pas contraires à la conception française de l’ordre public inter-
national, ni aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou à celles du pacte
international des Nations-Unies relatif aux droits civils et politiques, les
dispositions de la loi brésilienne qui prohibent l’adoption d’un enfant en
sa forme plénière par un étranger ne résidant pas au Brésil (2e arrêt).
Au regard de l’article 3 du Code civil ainsi que des principes généraux
régissant l’adoption en droit international, deux époux français peuvent
procéder à l’adoption d’un enfant dont la loi personnelle ne connaît pas
ou prohibe cette institution, à la condition qu’indépendamment des dispo-
608 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69
ayant saisi le tribunal de grande instance de leur domicile d’une requête en adoption
plénière de cet enfant brésilien, celui-ci puis la Cour d’appel de Toulouse refusèrent le
prononcé de celle-ci aux motifs que c’est à une demande d’adoption simple qu’avait
consenti le juge des enfants brésilien. Là encore un pourvoi fut formé.
Dans la troisième affaire enfin, la difficulté était maximale, la loi personnelle de
l’enfant, la loi marocaine, prohibant l’adoption, comme la plupart des législations d’ins-
piration coranique. Deux Français convertis à l’Islam s’étaient vu confier par un centre
marocain un enfant marocain né de parents inconnus dans le but de l’adopter, d’assurer
sa subsistance et de veiller à son instruction et à son éducation. Le président du Tribunal
de 1re instance de Rabat avait autorisé le mari à adopter l’enfant et à le prendre avec lui
en France, tout en précisant que les autorités diplomatiques marocaines étaient chargés
de veiller sur ses conditions de vie. Les intéressés ayant présenté une requête en adop-
tion plénière devant les juridictions françaises, leur demande fut accueillie par le tribu-
nal de grande instance. Mais, sur appel du ministère public, cette décision fut réformée
par la cour, le magistrat marocain n’ayant selon celle-ci pu donner son consentement
qu’en application de la loi marocaine, laquelle dénie à l’adoption toute valeur juridique.
Un pourvoi fut formé.
Il convient de souligner que, dans l’avenir, la procédure suivie pourrait être dif-
férente. Plutôt que d’introduire une demande principale en France, afin d’obtenir le pro-
noncé d’une adoption plénière, les adoptants pourraient être tentés, usant de la possibilité
offerte par le nouvel article 370-5 du Code civil ou encore par l’article 27 de la Conven-
tion de La Haye du 29 mai 1993, de demander aux tribunaux français de convertir en
adoption plénière la décision d’adoption intervenue à l’étranger, même si elle ne rompt
pas de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant, dès lors que les
consentements requis ont été donnés expressément et en connaissance de cause.
1er ARRÊT
(Mme Torlet c/Procureur général près la Cour d’appel de Versailles)
La Cour; — Sur le moyen unique : — Vu l’article 3 du Code civil, ensemble les
articles 343 et suivants du même code; — Attendu que, par jugement du
16 novembre 1979, le Tribunal de première instance du Pirée (Grèce) a prononcé
l’adoption de Karine, Ionna Kotsoronis, née le 27 mai 1979, par Mme Jacqueline
Torlet, de nationalité française, après avoir recueilli, à l’audience des débats, le
consentement de la mère naturelle de l’enfant; que Mme Torlet a saisi le tribu-
nal de grande instance de son domicile en France, d’une requête aux fins
d’adoption plénière; que l’arrêt confirmatif attaqué a estimé que le juge fran-
çais, requis de prononcer une adoption irrévocable et entraînant la rupture de
tous liens avec les parents par le sang, devait vérifier si le consentement avait
bien été donné pour une adoption ayant les mêmes effets; que la législation
grecque ne connaissant point d’adoption comportant des effets identiques, il
ne pouvait résulter du jugement rendu par le Tribunal du Pirée que la mère de
Karine avait consenti à une adoption rompant totalement ses liens avec son
enfant, que la cour d’appel a, en conséquence, rejeté la demande en adoption
plénière qui lui avait été présentée; — Attendu, cependant, que les conditions
comme les effets de l’adoption sont régis lorsque l’adoption est demandée par
une seule personne, par la loi nationale de celle-ci, la loi de l’enfant devant
seulement déterminer les conditions du consentement ou de la représentation
de l’adopté; que lorsque le consentement à l’adoption par un Français d’un
enfant étranger ne précise pas en considération de quel type d’adoption il a été
donné, ce consentement vaut pour l’une ou l’autre des formes d’adoption que
connaît le droit français; que dès lors en statuant comme elle l’a fait, au motif
610 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69
que, compte tenu des effets de l’adoption tels que prévus par la loi grecque, le
consentement de la mère n’avait pu être donné à une adoption plénière, la juri-
diction du second degré a violé les textes susvisés;
Par ces motifs : — Casse.
Du 7 novembre 1984. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Massip, rapp.;
Sadon, prem. av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, av.
2e ARRÊT
(Pistre c/Procureur général près la Cour d’appel de Toulouse)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que M. et Mme Pistre font
grief à l’arrêt attaqué (Toulouse, 7 sept. 1987), qui les a déboutés de leur
requête en adoption plénière, d’avoir violé l’article 431 du Nouveau Code de
procédure civile, le ministère public n’ayant pas assisté à l’audience alors que,
ayant transmis la requête en adoption au tribunal, en application de l’arti-
cle 1168 du même code, il était partie principale à l’instance; — Mais attendu
que l’article 1168 précité se borne à imposer au procureur de la République saisi
d’une requête en adoption de la transmettre au tribunal; que la procédure ainsi
suivie n’a pas pour effet de modifier le rôle du ministère public qui est de don-
ner son avis sur l’application de la loi, spécialement sur la conformité de l’adop-
tion à l’intérêt de l’enfant; qu’elle ne confère au parquet ni la qualité de repré-
sentant des adoptants ni celle de partie principale à l’instance; que le moyen
n’est donc pas fondé.
Et, sur le second moyen, pris en ses quatre branches : — Attendu que l’arrêt
confirmatif attaqué a rejeté la demande d’adoption plénière présentée par
M. et Mme Pistre aux motifs que si les conditions et les effets de l’adoption sont
régis par la loi nationale des adoptants, c’est la loi de l’adopté qui détermine les
conditions du consentement de celui-ci ou de sa représentation; que c’est à une
demande d’adoption simple qu’a consenti le juge des enfants brésilien qui a, le
3 mars 1986, prononcé la déchéance de l’autorité parentale de l’enfant Emma-
nuel Pierre Dos Santos en vue d’autoriser une telle adoption; — Attendu que
M. et Mme Pistre reprochent à la Cour d’appel d’avoir ainsi statué alors que, de
première part, la loi de l’adopté, si elle détermine les conditions du consente-
ment ou de la représentation de l’adopté ne peut limiter l’objet de ce consente-
ment de sorte que la Cour d’appel qui, selon le moyen, n’a pas recherché quel
était l’objet effectif du consentement à l’adoption donné en l’espèce par le juge
brésilien a privé sa décision de base légale; et alors, de deuxième, troisième et
quatrième part, que la loi française doit être substituée à la loi brésilienne dès
lors que celle-ci, qui prohibe l’adoption plénière lorsqu’elle est demandée par
un adoptant étranger ne résidant pas au Brésil, est contraire à l’ordre public
français; qu’il s’ensuit que l’arrêt attaqué ne pouvait faire application de cette
loi sans méconnaître la conception française de l’ordre public international ni
violer les dispositions des articles 8-1, 12 et 14 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et celles des
articles 23, 24-1 et 26 du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits
civils et politiques; — Mais attendu, d’abord, que si le contenu même du consen-
tement — savoir s’il a été donné en vue d’une adoption simple ou d’une adop-
tion plénière — doit être apprécié indépendamment des dispositions de la loi
nationale de l’adopté, le juge français devant s’attacher à la volonté, expresse
ou présumée, de la personne qui a consenti, il reste qu’en l’espèce les juges du
fond relèvent que le consentement a été spécialement donné par l’autorité bré-
silienne compétente en vue d’une adoption simple; — Et attendu, ensuite, que
les dispositions de la loi brésilienne qui prohibent l’adoption d’un enfant, en
forme plénière, par un étranger lorsque cet étranger ne réside pas au Brésil et
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 611
qui repose sur le souci de ne pas couper complètement l’enfant de ses racines,
ne sont contraires ni à la conception française de l’ordre public international, ni
aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, ni à celles du Pacte international des
Nations Unies relatif aux droits civils et politiques; — D’où il suit que l’arrêt atta-
qué est légalement justifié et que le moyen, en aucune de ses branches, ne peut
être accueilli.
Par ces motifs : — Rejette.
Du 31 janvier 1990. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Jouhaud, prés.; Massip, rapp.; Don-
tenwille, av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, av.
3e ARRÊT
(Époux Fanthou)
La cour; — Sur le moyen unique, pris en sa première branche : — Vu l’article 3
du Code civil et les principes généraux qui régissent l’adoption en droit
international; — Attendu que deux époux français peuvent procéder à l’adop-
tion d’un enfant dont la loi personnelle ne connaît pas, ou prohibe, cette insti-
tution, à la condition qu’indépendamment des dispositions de cette loi, le repré-
sentant du mineur ait donné son consentement en pleine connaissance des
effets attachés par la loi française à l’adoption et, en particulier, dans le cas
d’adoption en forme plénière, du caractère complet et irrévocable de la rupture
des liens entre le mineur et sa famille par le sang ou les autorités de tutelle de
son pays d’origine;
Attendu qu’il a été constaté, par un acte du Tribunal de Rabat chargé du
notariat, que les époux Jean-Luc et Eliane Fanthou, tous deux convertis à l’Islam,
ont, le 22 mai 1992, avec l’autorisation du Wali de Rabat-Salé, reçu du centre
d’éducation Lalla Mariam un enfant né de parents inconnus le 26 mars 1989 et
prénommé Salim Salah, « dans le but d’adopter, d’assurer son cautionnement
(sic) et sa subsistance et de veiller sur son instruction et son éducation », étant
précisé que « les intéressés l’instituent comme leur propre enfant, du fait qu’il
aura droit à une part héréditaire de leur succession »; que, par ordonnance du
27 mai 1992, le président du Tribunal de première instance de Rabat a autorisé
M. Fanthou à adopter le jeune Salim Salah et à le prendre avec lui en France,
après avoir toutefois indiqué que les autorités diplomatiques marocaines
étaient chargées de veiller sur les conditions de vie de l’enfant et de les contrô-
ler ; que les époux Fanthou ont présenté devant le tribunal de grande instance
une requête en adoption plénière qui a été accueillie; que, saisie d’un appel du
ministère public, la Cour d’appel a infirmé cette décision;
Attendu que, pour rejeter la requête des époux Fanthou, l’arrêt attaqué
énonce que le consentement à l’adoption n’a pu être donné par le président du
Tribunal de Rabat qu’en application de la loi marocaine selon laquelle l’adop-
tion n’a pas de valeur juridique et n’entraîne aucun des effets de la filiation;
qu’il ajoute que les restrictions mentionnées dans l’ordonnance du 27 mai 1992
sont incompatibles avec les effets normaux de l’adoption plénière;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, au vu de ce seul document, sans recher-
cher quel était le représentant légal de l’enfant, et en quels termes il avait
consenti à la remise du jeune Salim Salah aux époux Fanthou, la Cour d’appel
n’a pas donné de base légale à sa décision;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres branches du
moyen : — Casse
Du 10 mai 1995. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Grégoire, f. f. près.; Gélineau-Larrivet,
rapp.; Mme Le Foyer de Costil, av. gén. — Me Thomas-Raquin, av.
612 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69
OBSERVATIONS
2 C’est dire que l’étude de cette jurisprudence est loin d’avoir perdu tout inté-
rêt. Son analyse permet, en effet, de mieux comprendre la genèse de la loi et
par là-même son économie profonde. Afin de mettre celle-ci en évidence, on
partira de l’étude des principes de solution posés par la jurisprudence et on
recherchera dans quelle mesure ceux-ci ont été consacrés ou remis en cause
par les dispositions issues de la loi du 6 février 2001.
Aux termes de la jurisprudence Torlet l’adoption relève de la loi de l’adop-
tant (I), à l’exception des conditions relatives au consentement de l’adopté ou
de son représentant légal qui obéissent à la loi de l’adopté. La coexistence de
ces deux règles n’allant pas sans difficultés, lorsque les adoptants de nationalité
française demandent le prononcé d’une adoption plénière alors que l’enfant
est originaire d’un pays qui soit ignore cette institution (cas de la Grèce dans
l’arrêt Torlet), soit en refuse l’accès à certains étrangers (cas du Brésil dans
l’affaire Pistre avant que la loi brésilienne du 13 juill. 1990 ne lève l’interdic-
tion), soit l’interdit expressément (cas des pays musulmans dans l’affaire Fan-
thou), la haute juridiction double la référence à la loi de l’adopté d’une règle
matérielle qu’elle précise et affine au fil de sa jurisprudence (II). Une autre
voie s’offrait, au demeurant, pour permettre le prononcé d’une telle adoption
malgré les prohibitions étrangères : déclarer celles-ci contraires à l’ordre
public international français. Dans le deuxième arrêt ci-dessus reproduit, la
haute juridiction refuse clairement de s’y engager en des termes dont l’intérêt
dépasse la question immédiatement posée pour atteindre à la théorie générale
de l’ordre public. Bien loin de remettre en cause cette solution les dispositions
de la loi du 6 février 2001 lui apportent une confirmation indirecte (III).
I. La loi de l’adoptant
française sera applicable aussi bien aux conditions de l’adoption, en tant que
loi nationale commune ou en tant que loi du domicile commun des adoptants,
qu’aux effets de celle-ci. Pour que la distorsion s’introduise, il faut une adop-
tion demandée en France par des adoptants ayant tous deux la même nationa-
lité étrangère : les conditions de l’adoption sont alors soumises à leur loi
nationale commune, loi étrangère, et les effets à la loi française.
Sans doute peu fréquente en pratique, cette distorsion n’en présentera pas
moins lorsqu’elle se rencontrera des inconvénients certains. Et de fait, si la
jurisprudence avait choisi, d’une part, de soumettre conditions et effets de
l’adoption à la même loi, d’autre part, de retenir la loi des adoptants de préfé-
rence à celle de l’adopté ou encore à l’application distributive de la loi de
l’adoptant et de la loi de l’adopté, c’était qu’elle en attendait d’évidents avan-
tages aussi bien sur le terrain méthodologique que sur celui de la politique
juridique.
4 Se donnant pour but de nouer les fils de destinées individuelles que la nature
n’avait pas encore associées, l’adoption est une pure création de la loi. Pour
reprendre la terminologie d’Aubry et Rau, c’est une institution de « droit
civil » et non de « droit naturel » (supra, no 20 § 3). Partant, elle revêt selon les
législations des aspects différents : on constate d’un système à l’autre de pro-
fondes divergences et, bien souvent, à l’intérieur d’un même système une plu-
ralité de modèles; à des conditions strictes correspondent des liens renforcés, à
des conditions moins rigoureuses des liens plus lâches (Weill et Terré, Droit
civil, les personnes, la famille, les incapacités, no 727). Dès lors, emprunter la
définition des conditions de l’adoption ou en soumettre les conditions et les
effets à des lois différentes risque, en rompant ces corrélations, de conduire à
de difficiles problèmes d’adaptation. La situation est, à cet égard, différente de
celle du mariage à laquelle se réfèrent pourtant souvent les partisans d’une
application distributive de la loi de l’adoptant et de la loi de l’adopté (Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 359-1). En effet, si « mariage vaut
mariage », adoption ne vaut pas nécessairement adoption. La dichotomie entre la
loi applicable aux conditions et aux effets du mariage procède d’un « postulat
d’équivalence » entre les divers modes de création de ce lien (Fadlallah, La
famille légitime en droit international privé, no 2) qui ne se retrouve pas en
matière d’adoption (Y. Lequette, Rev. crit. 1976. 72; contra P. Lagarde, Rev.
crit. 2001. 291). De ce point de vue, la compétence donnée par l’arrêt Torlet à
la loi de l’adoptant présentait l’avantage évident de permettre de soumettre à
une loi unique les conditions et les effets de l’adoption. Manifeste au regard du
système qui préconise l’application distributive ou cumulative des lois de
l’adoptant et de l’adopté, selon que les conditions de l’adoption sont unilatéra-
les (ex : âge de l’adopté) ou bilatérales (ex : différence d’âge entre l’adopté et
l’adoptant), sa supériorité était également certaine au regard de celui qui recom-
mande l’application de la seule loi de l’adopté. Celui-ci se voyant attribuer
d’office en cas d’adoption plénière (art. 26, C. nat. devenu art. 20, C. civ.) ou
acquérant aisément en cas d’adoption simple la nationalité française (art. 55, al. 1er,
C. nat. devenu art. 21-12, C. civ.), appliquer la loi de l’adopté aux conditions et aux
effets de l’adoption, ce serait en réalité soumettre les effets à la loi de l’adoptant.
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 615
Comment dès lors expliquer que le législateur ait choisi, dans les arti-
cles 370-3 et 370-4, de soumettre les conditions et les effets de l’adoption à
des lois différentes ? La réponse semble devoir être recherchée dans les rebon-
dissements et les aléas propres au travail parlementaire. La proposition de loi
votée en première lecture à l’assemblée nationale étant loin de donner toute
satisfaction, en ce qu’elle se contentait de délimiter de manière exorbitante le
domaine international de la loi française (M. Josselin-Gall, « Adoption inter-
nationale : la difficile élaboration législative d’une règle de conflit de lois »
JCP N, 2000, p. 1319, spéc. p. 1321; A. Bottiau, « Autour de l’adoption inter-
nationale », D. 2000. 510), le texte fut remis sur le métier par le Sénat. La
technicité des questions posées conduisit les hôtes du Palais du Luxembourg
à s’aider de deux documents préparatoires établis pour le Cridon Paris par
certains spécialistes de la discipline : l’un, dû à la plume de M. Paul Lagarde,
prévoyait que « les conditions de l’adoption sont régies par la loi de l’État de
la résidence habituelle de l’adoptant ou des adoptants » et ajoutait « les effets
de l’adoption prononcée en France sont ceux de la loi française »; l’autre
rédigé par M. Georges Khairallah posait que « les conditions et les effets de
l’adoption sont soumis à la loi nationale de l’adoptant. Les conditions et les
effets de l’adoption demandée par deux personnes sont soumis à la loi des
effets de leur union » (v. ces textes, in JCP N, 2000, p. 1325). L’un comme
l’autre satisfaisaient à l’impératif méthodologique puisque, par des voies dif-
férentes, ils soumettaient conditions et effets de l’adoption à la même loi.
Fruit d’un compromis qui emprunte la définition de la loi applicable aux condi-
tions de l’adoption au texte de M. Khairallah et celle de ses effets à celui de
M. Paul Lagarde, le libellé final de la loi introduit une rupture au sein du sta-
tut législatif de l’adoption. On a tenté de la justifier en faisant valoir que la
soumission des effets de l’adoption à la loi française permet d’éviter l’insécu-
rité juridique et les inégalités qui résultent de la coexistence de statuts dif-
férents d’enfants adoptifs sur le territoire français (P. Lagarde, art. préc., Rev.
crit. 2001. 294). Mais cette unité du statut législatif de l’adoption sur le terri-
toire français a un prix. Comme par un effet quasi-mécanique, elle a pour
conséquence la multiplication des adoptions boiteuses (v. les exemples don-
nés par P. Lagarde, Rev. crit. 2001. 294). Or, non sans paradoxe, c’est contre
ces mêmes adoptions boiteuses que se proposent de lutter les nouvelles dispo-
sitions donnant plein effet aux lois prohibitives !
5 Brisant avec les solutions antérieures sur le terrain méthodologique, les arti-
cles 370-3 et suivants rompent également avec celles-ci au regard de la politi-
que législative. En pratique, les situations dont nos tribunaux ont à connaître
présentent une très grande uniformité : un couple de Français désireux d’adopter
un enfant se tourne vers l’étranger afin de pallier une offre locale défaillante.
Ces candidats à l’adoption restent attirés par le modèle traditionnel : ouvrir
leur foyer à un enfant, le plus petit possible, dont les liens sont rompus avec la
famille d’origine. En d’autres termes, ils aspirent à une adoption plénière. Or,
à ce double égard, l’application des lois étrangères ne permet pas toujours de
répondre à leur attente. Certaines législations, telles celles des pays islamiques
(v. par ex., art. 83-3° du Code du statut personnel marocain), prohibent l’adop-
616 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69
déclaré que le texte finalement voté ne remet pas en cause le principe consistant
à reconnaître une compétence à la loi nationale de l’adopté pour la détermina-
tion du représentant légal et la forme du recueil du consentement. Quant à la
règle matérielle qu’il énonce, relativement au consentement du représentant de
l’adopté, elle présente une profonde similitude avec celle énoncée par l’arrêt
Fanthou. Reprenant l’exigence dégagée par la jurisprudence, selon laquelle le
consentement donné par le représentant de l’adopté doit l’avoir été en pleine
connaissance des effets attachés par la loi française à cette institution et, en
particulier, dans le cas de l’adoption plénière, du caractère complet et irrévocable
de la rupture des liens qui unissent l’enfant avec sa famille par le sang, l’arti-
cle 370-3, alinéa 3 précise en sus, s’inspirant très directement de l’article 4 de
la Convention de La Haye du 29 mai 1993, que « le consentement doit être
libre, obtenu sans aucune contrepartie » et « après la naissance de l’enfant ».
Mais si de la jurisprudence à la législation, la filiation est manifeste, il n’en
reste pas moins que le contexte profondément différent dans lequel évoluent
ces deux dispositions, apparemment similaires, conduit à leur accorder une
portée très différente.
8 À l’origine, celle-ci fut énoncée dans l’arrêt Torlet pour répondre à une dif-
ficulté bien particulière, celle d’une loi de l’adopté, la loi grecque en la cir-
constance, qui tout en connaissant le principe de l’adoption ignorait l’adoption
plénière puisqu’elle ne prévoyait pas la rupture des liens unissant l’enfant
adoptif à sa famille d’origine. Obtenu dans un tel contexte, le consentement
valait-il pour le prononcé d’une adoption plénière en France ? La Cour de cas-
sation l’a admis au motif que « lorsque le consentement à l’adoption par un
Français d’un enfant étranger ne précise pas en considération de quel type
d’adoption il a été donné, ce consentement vaut pour l’une ou l’autre des formes
d’adoption que connaît le droit français ». Posant une véritable règle maté-
rielle, la haute juridiction limite de manière drastique la compétence de la loi
de l’adopté puisqu’elle considère implicitement que si celle-ci détermine la
forme du consentement et les personnes habilitées à le donner, elle ne peut en
limiter l’objet ou le contenu. Réaffirmée explicitement par l’arrêt Pistre (en ce
sens Massip, obs. Defrénois 1990. 962), cette solution est en harmonie avec
l’existence d’une véritable loi de la création du lien. Mais elle va beaucoup
plus loin, car, non contente de considérer que le fait de savoir si l’enfant est ou
non susceptible d’être adopté plénièrement échappe entièrement à la loi de
l’adopté pour dépendre de la loi de l’adoptant et de l’analyse du consentement
émanant de l’autorité compétente (rappr. Holleaux, Foyer et de La Pradelle,
no 1274), elle décide qu’à défaut de volonté exprimée en sens contraire, le
consentement donné à une adoption simple vaut pour une adoption plénière.
Les avantages du système sont évidents : simple à utiliser, il évite des recher-
ches complexes et facilite grandement le prononcé des adoptions plénières. Il
paraît cependant tout à fait excessif. Il est, en effet, bien différent de consentir
à la création d’un lien supplémentaire dont on espère qu’il apportera à l’enfant
ce qui lui fait défaut, et de renoncer aux liens qui vous unissent à ce même
enfant. Notons d’ailleurs qu’en droit français le consentement donné « en
blanc » laisse le loisir de choisir l’adoptant mais non le type d’adoption. Quant
à la délégation de l’autorité parentale, elle ne peut jamais porter sur le droit de
consentir à l’adoption (Weill et Terré, op. cit, no 799). Peut-on dès lors admet-
tre qu’une règle matérielle soit spécialement posée pour soustraire les adop-
tions d’enfants étrangers aux prescriptions qui, en droit français, garantissent
les droits des parents par le sang ? En l’espèce, il aurait été naturel d’exiger
que la mère consentît expressément à une adoption rompant entièrement ses
liens avec l’enfant.
tes de l’État d’origine (…) ont établi que l’enfant est adoptable », cet instru-
ment prend le contre-pied de la jurisprudence. Il prévoit, en effet, que « la
règle de solution du conflit de lois qui renvoie à la loi personnelle de l’adopté
en matière de consentement conduit à considérer que l’adoption n’est pas pos-
sible lorsque cette loi interdit l’adoption. Compte tenu de la prohibition qu’elle
pose, la loi étrangère ne comporte en effet aucune désignation des personnes
habilitées à consentir, ni des formes selon lesquelles le consentement doit être
recueilli. (…) Ainsi un consentement donné en violation de la loi étrangère
apparaît sans valeur, quelles que soient les conditions dans lesquelles il a été
donné » (Rev. crit. 1999. 593). Nullement impressionnée par cette mise en
garde, la haute juridiction a réaffirmé sa position traditionnelle dans un arrêt
du 3 octobre 2000 (Bull. I, no 229, p. 151, JCP éd. N, p. 1593, Defrénois 2001.
96, obs. Massip, Dr. fam. 2001 no 38, obs. P. Murat). Usant d’une formulation
plus proche de l’arrêt Pistre que de l’arrêt Fanthou, la Première chambre civile
rappelle que « le contenu du consentement doit être apprécié indépendamment
des dispositions de la loi nationale de l’enfant à adopter et uniquement au
regard de la volonté expresse ou présumée de la personne qui a consenti ». Et
même si l’adoption plénière est ici écartée, elle l’est en fonction du consente-
ment concrètement donné et non parce que la loi personnelle de l’adopté ne
connaît pas cette forme d’adoption. Aussi bien a-t-il été relevé que les quel-
ques décisions des juges du fond qui ont eu à se prononcer sur l’adoption
d’enfants dont le statut prohibe l’adoption et qui se sont conformées aux direc-
tives de la circulaire, ont encouru la censure, sauf lorsque le consentement
n’avait pas été donné en pleine connaissance des effets de la loi française
(v. J. Rubellin-Devichi, « L’adoption à la fin du XXe siècle », Études Pierre Catala,
2001, p. 348).
Rapport du Conseil d’État, 1990, p. 193, spéc. p. 199; note JCP 1991. II.
21635, no 7; rappr. J. Rubellin-Devichi, art. préc., Études Pierre Catala, 2001,
p. 348).
12 À l’encontre des lois qui ignorent l’adoption ou qui multiplient les entraves
à celle-ci, on pourrait penser à invoquer l’exception d’ordre public. Tel fut
précisément le cas dans l’affaire Pistre. Le pourvoi soutenait, en effet, que la
loi brésilienne, en refusant l’adoption plénière d’un enfant lorsque l’adoptant
est étranger, heurtait le principe d’égalité ainsi que le droit de constituer une
famille, fondements de la société française également consacrés par la Conven-
tion européenne des droits de l’homme (art. 8-1, 12 et 114) ainsi que par le
Pacte international des Nations-Unies relatif aux droits civils et politiques
(art. 23, 24-1 et 26).
Très sobrement, la haute juridiction répond que les dispositions de la loi
brésilienne qui « repose(nt) sur le souci de ne pas couper complètement l’enfant
de ses racines, ne sont contraires ni à la conception française de l’ordre public
international, ni aux dispositions » conventionnelles précédemment citées.
Jusqu’alors les juridictions françaises avaient surtout eu à se préoccuper de la
compatibilité avec notre ordre public de lois qui permettaient l’adoption en
présence d’enfants du sang à une époque où la loi française la prohibait ou qui
retenaient des conditions d’âge différentes de celles du droit français. Jugées
en leur temps contraires à notre ordre public dans le premier cas (Req. 21 avr.
1931, Ponnoucannamalle, S. 1931. 1. 377, note Niboyet, Rev. crit. 1932. 526),
les lois étrangères furent au contraire déclarées conformes à celui-ci dans
le second cas (Paris, 10 juill. 1946, de Loriol, Rev. crit. 1947. 142, JCP 1947.
II. 3391, note Savatier; TGI Paris, 15 déc. 1975, Rev. crit. 1976. 728, note
Y. Lequette). C’est la même tendance libérale qui anime la haute juridiction
dans l’affaire Pistre. Inspirées par le souci de ne pas couper complètement
l’enfant de ses racines, les restrictions à l’adoption édictées par le droit brési-
lien à l’encontre des étrangers ne sont pas jugées contraires à l’ordre public
international français. Et de fait, la justification avancée semble suffisamment
objective et raisonnable pour que la distinction qu’elle fonde n’apparaisse pas
discriminatoire. (Sur l’impérativité inférieure dont jouit de ce fait la filiation
adoptive par rapport à la filiation biologique — Civ. 1re, 10 févr. 1993, Rev.
crit. 1993. 620, note J. Foyer –, v. H. Muir Watt, Rev. crit. 1996. 84).
Pas plus pertinente n’était l’invocation des deux traités mentionnés. Certes
ceux-ci consacrent le principe de non-discrimination, le droit à fonder une
famille et le droit pour les mineurs d’être l’objet de mesures de protection
appropriées. Mais, ainsi qu’on l’a justement noté, ils le font « en termes beau-
coup trop vagues pour qu’on puisse en déduire le droit pour tout enfant de
faire l’objet d’une adoption, et qui plus est d’un type déterminé » (Poisson-
Drocourt, note Rev. crit. 1990. 524). Entrée en vigueur en France depuis le
prononcé de cette décision, la Convention des Nations-Unies sur les droits de
l’enfant (texte, Rev. crit. 1991. 176) ne modifie pas cette appréciation. Elle
622 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69
présente, en effet, l’adoption, non comme un droit, mais comme une simple
possibilité (art. 21 b).
13 Ultérieurement, la haute juridiction s’est prononcée dans le même sens à
propos d’une loi étrangère prohibant l’adoption. Le demandeur ayant soutenu
que l’article 83 du Code du statut personnel marocain qui prohibe l’adoption
heurtait l’ordre public international français et par là-même violait les arti-
cles 6 du Code civil, 8-1 de la Convention européenne des droits de l’homme
et 21 de la Convention de New York sur les droits de l’enfant, la Cour de cas-
sation répond très sobrement que la cour d’appel « a exactement décidé, sans
violer les textes susvisés au moyen, que ce texte n’était pas contraire à la
conception française de l’ordre public international » (Civ. 1re, 19 oct. 1999,
Bull. civ. I, no 282, p. 183, Clunet 2000. 737, note F. Monéger, Defrénois 2000.
660, obs. Massip et 699, note Revillard, Dr. fam. 2000, no 85, obs. P. Murat).
Cette solution trouve, au reste, aujourd’hui tout à la fois un appui et une déro-
gation dans les alinéas 1 et 2 de l’article 370-3 du Code civil. Un appui : on
comprendrait mal, en effet, qu’un juge déclare une loi prohibitive contraire à
l’ordre public international alors que ce texte prévoit que la prohibition de
l’adoption par la loi personnelle de l’enfant ou par les lois nationales respecti-
ves des candidats à l’adoption fait obstacle au prononcé de celle-ci. Une
dérogation : en prévoyant que la loi personnelle de l’enfant prohibant l’adop-
tion s’oppose au prononcé de celle-ci, sauf lorsque l’enfant est né et réside en
France, elle ouvre la voie au jeu de l’ordre public de proximité (supra, § 11).
14 Le fait que, dans l’arrêt Pistre, la haute juridiction ait accepté de vérifier la
conformité de la loi brésilienne par rapport à certaines dispositions de la
Convention européenne des droits de l’homme, et cela alors même que le
Brésil n’a pas signé celle-ci, soulève en outre un intéressant problème de
méthode. On a pu, en effet, se demander si une telle solution ne revenait pas à
mettre à la charge d’un État étranger une obligation internationale qu’il n’a pas
volontairement assumée. Et la haute juridiction a paru elle-même encourager
cette analyse lorsque, interrogée à propos d’une demande d’exequatur d’un
jugement gabonais prétendûment rendu à la suite d’un procès inéquitable, elle
a écarté l’application de l’article 6 de cette même convention au motif que
celle-ci « ne crée d’obligations qu’à l’égard des États qui y sont parties, ce qui
n’est pas le cas de la République du Gabon » (Civ. 1re, 10 juill. 1990, Rev. crit.
1991. 757). Néanmoins la solution retenue par l’arrêt Pistre apparaît préféra-
ble (v. depuis Civ. 1re, 1er juin 1994, Rev. crit. 1995. 103, note Déprez, Defré-
nois 1995. 310, obs. Massip). En effet, comme on l’a justement souligné, le
fait que l’État auteur de la norme soit ou non partie à la Convention est indif-
férent. A transposer à notre problème la solution dégagée par la Cour de Stras-
bourg dans une affaire Soering (7 juill. 1989, Recueil, Série A, no 161, Juris-
prudence de la Cour européenne des droits de l’homme, 7e éd., p. 4-1 et s.), il
semble qu’on doive s’attacher uniquement au point de savoir si le jugement
français rendu en application de la loi étrangère réalise ou non, en lui-même, la
violation d’un droit de l’homme. Dans l’affirmative, la loi étrangère devra être
évincée même si aucune violation de la Convention ne peut être reprochée à
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 623
l’État dont elle émane puisqu’il n’est pas lié par celle-ci. C’est, en effet, de la
décision rendue par le juge français que procède concrètement la violation
d’un droit de l’homme. Or cette décision est imputable à l’État au nom duquel
ce juge statue (P. Mayer, « La Convention européenne des droits de l’homme
et l’application des normes étrangères », Rev. crit. 1991. 651 et s., spéc. p. 654;
Y. Lequette, « Droit international privé et droits fondamentaux » in Droits et
libertés fondamentaux, 2006, 12e éd., no 190).
15 Reste une dernière interrogation : le mécanisme d’application de la Conven-
tion européenne est-il distinct de celui de l’exception d’ordre public ou les
droits fondamentaux qu’elle édicte sont-ils simplement inclus dans les princi-
pes essentiels dont l’exception doit assurer le respect ?
L’enjeu de la question est important puisque, dans le premier cas, ces droits
fondamentaux devraient être considérés comme des lois de police dont il y
aurait lieu de déterminer le domaine dans l’espace et dont l’intervention
pourrait éventuellement faire échec aussi bien à l’application en France des
lois étrangères qu’à l’accueil de situations constituées à l’étranger. Source
d’incertitude importante, une telle démarche en érigeant des barrières beaucoup
plus sévères à l’encontre des règles et des décisions émanant de certains
ordres juridiques étrangers est de nature à creuser entre ceux-ci et l’ordre juridi-
que français une discontinuité radicale (v. à propos du transsexualisme, Paris,
14 juin 1994, Rev. crit. 1995. 308, note Y. Lequette). Aussi bien, le raison-
nement en termes d’exception d’ordre public apparaît-il préférable. Tel qu’il
est conçu par le droit international privé français, ce mécanisme a, en effet,
vocation à assurer le respect de toute norme en vigueur en France, quelle que
soit sa place dans la hiérarchie. Pas plus qu’il n’a été, jusqu’à présent, réservé
un traitement spécial aux normes à valeur constitutionnelle (v. par ex. supra,
no 13, à propos des nationalisations), pas plus ne devrait-il en être pour celles
qui ont une source internationale (P. Mayer, art. préc.; Lerebours-Pigeonnière,
« La déclaration universelle des droits de l’homme et le droit international
privé français », Études Ripert, 1950, I, p. 261).
70
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
6 février 1985
Faits. — Le mariage entre Alexander Simitch, citoyen américain et Mme Maria Fai-
rhurst, de nationalité britannique, avait été célébré en Angleterre, pays avec lequel le
mari avait déjà des attaches, y possédant certains biens, et où les époux établirent leur
premier domicile.
Le ménage n’eut pas d’enfants. Appelé par sa profession à résider en France,
M. Simitch devait former en 1979 devant le Tribunal de Paris une demande en divorce
contre son épouse restée en Angleterre. La procédure se heurta à l’incompétence du Tri-
bunal de Paris. Mais, de son côté, Mme Fairhurst avait saisi la Haute Cour de justice de
Londres d’une demande en divorce. En cours de procédure, elle obtint au titre des
mesures provisoires l’allocation d’une pension alimentaire, par décision du 2 mai 1980.
C’est de cette décision qu’elle sollicite l’exequatur en France. Le Tribunal de Paris le lui
accorde. Cependant, le jugement est infirmé par un arrêt du 5 novembre 1982 (Rev. crit.
1985, p. 370), qui estime que « la décision dont l’exequatur est demandé a été rendue
par un juge incompétent au sens du droit international privé »; la Cour de Paris observe
en effet que l’époux défendeur devant la juridiction anglaise avait sa résidence en
France; or, déclare-t-elle, « il est de principe que la compétence juridictionnelle interna-
tionale est déterminée par l’extension des règles de compétence territoriale interne, sous
réserve d’adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations internatio-
nales »; dès lors en saisissant la juridiction londonienne, la dame Fairhurst a elle aussi
contrevenu à l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile, applicable au plan
international et qui rend compétent si les conjoints, sans enfants, ont des résidences dis-
tinctes, « le tribunal du lieu où réside l’époux qui n’a pas pris l’initiative de la demande ».
Mme Fairhurst forme un pourvoi en cassation; elle y dénonce de prétendues caren-
ces qui auraient affecté la mise en œuvre des principes définis et appliqués par la Cour
70 SIMITCH — CASS., 6 FÉVRIER 1985 625
de Paris pour déterminer la compétence du juge étranger. Mais ces principes eux-mêmes
sont épargnés par le pourvoi. Indûment selon la Cour de cassation qui relève d’office le
moyen de cassation suivant : « Violation de l’article 1070 du Nouveau Code de procé-
dure civile et des principes qui régissent la compétence juridictionnelle internationale,
en ce que l’arrêt attaqué a débouté Mme Fairhurst de sa demande tendant à voir déclarer
exécutoire en France une décision rendue le 2 mai 1980 par une juridiction britannique
lui allouant une pension alimentaire au titre des mesures provisoires pendant l’instance
en divorce l’opposant à son mari M. Simitch, au motif qu’il est de principe que la com-
pétence juridictionnelle internationale est déterminée par l’extension des règles de com-
pétence territoriale interne, sous réserve d’adaptations justifiées par les nécessités
particulières des relations internationales, alors que, toutes les fois que la règle française
de solution de conflits de juridictions n’attribue pas compétence exclusive aux tribu-
naux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent dès lors que le litige se
rattache d’une manière suffisante au pays dont le juge a été saisi, c’est-à-dire lorsque le
choix de la juridiction n’a été ni arbitraire, ni artificiel, ni frauduleux ».
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen relevé dans les conditions prévues à l’article 1015 du
Nouveau Code de procédure civile : — Vu les principes qui régissent la compé-
tence juridictionnelle internationale, ensemble l’article 1070 du Nouveau Code
de procédure civile; — Attendu que, toutes les fois que la règle française de
solution des conflits de juridictions n’attribue pas compétence exclusive aux tri-
bunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent, si le litige se
rattache d’une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix
de la juridiction n’a pas été frauduleux; — Attendu que Mme Maria Fairhurst,
de nationalité britannique, a formé une action en divorce contre son mari,
M. Alexandre Simitch, citoyen américain, devant les juridictions anglaises ;
que, par décision du 2 mai 1980 une pension alimentaire lui a été accordée au
titre des mesures provisoires pendant l’instance; que l’arrêt attaqué a débouté
Mme Fairhurst de sa demande tendant à ce que cette décision soit déclarée exé-
cutoire en France au motif qu’il est de principe que la compétence juridiction-
nelle internationale est déterminée par l’extension des règles de compétence
territoriale interne, sous réserve d’adaptations justifiées par les nécessités parti-
culières des relations internationales; qu’il résultait de l’article 1070 du Nouveau
Code de procédure civile qui régit la compétence en matière de divorce que la
juridiction anglaise était incompétente pour connaître de l’action, le défendeur
ayant sa résidence en France; — Attendu cependant que la cour d’appel a cons-
taté que Mme Fairhurst était de nationalité britannique, avait son domicile en
Angleterre où les époux s’étaient mariés, où ils avaient fixé le domicile conjugal
et où le mari possédait certains biens, de sorte qu’il résultait de l’ensemble de
ces éléments un lien caractérisé avec le pays dont le juge a été saisi; — Attendu,
dès lors, qu’en se déterminant comme elle l’a fait, alors que l’article 1070 du
Nouveau Code de procédure civile ne donne pas une compétence exclusive
aux juridictions françaises pour connaître du divorce dans les cas auxquels il se
réfère, la juridiction du second degré a violé les principes susvisés et faussement
appliqué cet article;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi : —
Casse.
Du 6 février 1985. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Massip, rapp.; Sadon,
prem. av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, et SCP Calon, Guiguet et Bachellier, av.
626 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 70
OBSERVATIONS
1 L’arrêt du 6 février 1985 met un terme à une longue incertitude. Dès avant
l’arrêt Munzer de 1964 (v. supra, arrêt no 41), il était admis que la reconnais-
sance en France d’un jugement étranger est subordonnée notamment à « la
compétence du tribunal étranger » qui l’a prononcé, mais le contenu de cette
exigence restait indéterminé. Les juridictions du fond avaient expérimenté plu-
sieurs méthodes d’appréciation de la compétence indirecte; sans doute faute
d’une conception précise et homogène de l’intérêt auquel répondait cette condi-
tion, aucune de ces tentatives n’emportait la conviction. La jurisprudence
paraissait fluctuante. L’arrêt Simitch fixe désormais l’orientation du droit posi-
tif (1) et représente ainsi un progrès décisif dans l’élaboration de la règle de
principe en matière de compétence indirecte (I) en même temps qu’il apporte
de précieuses indications sur son application (II).
(1) Certes, il le fait à propos d’une décision d’octroi d’aliments émanée d’un juge anglais au
cours d’une procédure de divorce et la Convention du 27 septembre 1968 — remplacée dès le
1er mars 2002 par le Règlement Bruxelles I — régit dans l’espace judiciaire européen la reconnais-
sance et l’exécution « de la mesure provisoire ordonnée… dans une procédure de divorce par
laquelle l’une des parties à l’instance obtient une pension alimentaire mensuelle… » (CJCE, 6 mars
1980, de Cavel, Rev. crit. 1980. 614, note G. Droz, Clunet 1980. 442, obs. A. Huet); cependant, cet
instrument n’est entré en vigueur dans les rapports avec le Royaume-Uni que le 1er janvier 1987 et il
ne pouvait être appliqué en l’espèce, ni donc dispenser du contrôle de la compétence du juge étran-
ger. En revanche, la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 concernant la reconnaissance et
l’exécution des décisions relatives aux obligations alimentaires « découlant de relations de famille,
de parenté, de mariage… » (art. 1er) prévoit un tel contrôle et avait certainement vocation à interve-
nir dans une affaire franco-anglaise (puisqu’entrée en vigueur en 1977 pour la France et le 1er mars
1980 pour le Royaume-Uni) ; mais n’interdisant pas que « le droit non-conventionnel de l’État
requis [soit invoqué] » (art. 23), elle ne pouvait écarter ici le droit commun jurisprudentiel auquel se
référaient les parties qui centraient ainsi le débat sur la compétence indirecte du juge étranger dans
le domaine du divorce (y inclus la question de l’octroi d’aliments en cours d’instance). Aussi bien
les principes mis en œuvre par l’arrêt Simitch forment-ils l’expression de ce droit commun jurispru-
dentiel et ils conservent, dans leur généralité et leurs aménagements, toute leur valeur pour les déci-
sions étrangères échappant aux règlements communautaires et au droit conventionnel.
70 SIMITCH — CASS., 6 FÉVRIER 1985 627
soit reconnu en France un jugement rendu par une juridiction étrangère ayant
empiété sur la compétence des tribunaux français. Souveraineté et compétence
sont identifiées l’une à l’autre (Bartin, Principes, t. I, § 211, p. 573-574). Mais
n’est-ce pas oublier que si la compétence des tribunaux français est une
expression formelle de la souveraineté française — chaque État étant effective-
ment maître de fixer lui-même la compétence de ses organes —, elle n’en est
pas l’expression matérielle — la maîtrise de l’État en matière de compétence
internationale ne s’exerçant pas pour affirmer un pouvoir, mais pour établir les
chefs les plus propres à assurer un fonctionnement satisfaisant des organes
judiciaires face aux litiges privés internationaux; ce qui domine c’est le souci
de la justice à apporter aux plaideurs et non la considération de la puissance
ou de l’indépendance de l’État (comp. J. Héron, Droit judiciaire privé, no 209).
Or précisément, il se peut qu’un droit étranger connaisse un chef de compé-
tence ignoré du droit français mais qui permette, procéduralement, l’adminis-
tration d’une bonne justice.
Enfin, la bilatéralisation est une solution excessive. Faisant, « par un jeu de
bascule » (Niboyet, Traité, t. VI, vol. 2, no 1951, p. 101) dépendre la compé-
tence étrangère de l’incompétence française (Bartin, op. cit., p. 551), elle pro-
tège trop attentivement et trop aveuglément la compétence des tribunaux fran-
çais ; celle-ci est en effet appelée à s’opposer à la reconnaissance des décisions
étrangères alors même qu’elle ne se fonderait sur aucun titre qui la rende néces-
saire. La bilatéralisation impose et généralise abusivement l’exclusivité de la com-
pétence française — n’admettant la concurrence étrangère que dans les cas mar-
ginaux où la règle française comporte plusieurs chefs alternatifs dont certains se
réalisent en France et d’autres à l’étranger. Trop restrictive dans ses effets, trop
fragile dans ses fondements, cette doctrine qui fait de la compétence indirecte
l’« épreuve renversée » (Bartin, op. cit., p. 563) de la compétence directe fran-
çaise manifeste un esprit d’impérialisme peu adapté aux réalités du contentieux
international. Pourtant, longtemps elle connut la faveur de la jurisprudence.
5 Protectionnisme ou laxisme ? Entre la bilatéralité et l’unilatéralité simple, il
était évidemment tentant de rechercher une voie moyenne. Ce fut sans doute
l’inspiration de la doctrine de la double unilatéralité qu’illustre l’arrêt Lund-
wall, de la Cour de Paris, du 4 février 1958 (Rev. crit. 1958. 398, note H. B.,
Clunet 1958. 1016, note A. Ponsard, JCP 1958. II. 10612, note Ph. Francesca-
kis ; v. aussi, par ex., Seine, 11 janv. 1956, Prince Ali Khan, Rev. crit. 1956. 128,
note P. Bellet, Clunet 1956. 1022, note B. Goldman, JCP 1956. II. 9223, note
P. Louis-Lucas). Cette doctrine emprunte aux deux précédentes; elle prévoit
un contrôle prioritaire selon les règles françaises de compétence directe mais à
seule fin de vérifier que l’exequatur ne viendra pas consacrer une atteinte à la
compétence exclusive des tribunaux français; puis si ce contrôle négatif a été
affronté avec succès, elle procède à un contrôle positif d’après les règles de
compétence directe du juge étranger. La double unilatéralité est donc une
« unilatéralité résiduelle » (Francescakis, compte rendu, Rev. crit. 1972. 529 et s.,
reproduit in La pensée des autres en droit international privé, p. 303).
Cette démarche en deux temps a le mérite de tempérer la nocivité de cha-
cun des deux systèmes qu’elle combine. Mais chacun, à son heure, reste aussi
70 SIMITCH — CASS., 6 FÉVRIER 1985 629
critiquable. Considérant que toute règle de compétence directe fonde une com-
pétence exclusive dès lors qu’elle désigne uniquement les tribunaux français
(v. infra, II-A), la bilatéralité protège des compétences françaises qui toutes ne
demandent pas à l’être. Quant à l’unilatéralité, elle débouche toujours en fait,
dans le champ qui lui est laissé, sur un simple contrôle de conformité à l’ordre
public. Moins radicale que les deux doctrines qu’elle exploite successivement,
la double unilatéralité n’est pas mieux fondée.
La brève présentation de ce triptyque n’appelle pas de remarque supplé-
mentaire : aucune des trois tentatives n’est convaincante.
6 B. — De ce triple échec, il fut plus facile de prendre conscience à la suite de
l’ouvrage de Dominique Holleaux : Compétence du juge étranger et reconnais-
sance des jugements (op. cit., Dalloz, 1970). Y est établie l’impossibilité de
déduire la solution du problème de la compétence indirecte des règles de com-
pétence directe. Les secondes déterminent la régularité de la saisine du juge,
question qui intéresse l’ordre juridique de l’instance directe, alors que la com-
pétence indirecte ne représente pas un élément de cette régularité de la saisine,
mais une condition de l’efficacité internationale du jugement et répond à une
préoccupation de l’ordre juridique d’accueil (v. aussi P. Mayer, La distinction
entre règles et décisions et le droit international privé, Dalloz, 1973, no 233,
p. 176). Aussi bien rien n’impose logiquement d’utiliser les règles de compé-
tence directe pour trancher la question de la compétence indirecte.
Cette thèse de l’indépendance des deux problèmes (déjà consacrée en
Angleterre par la Chambre des Lords dans l’arrêt Indyka v. Indyka, du 23 mai
1967, Clunet 1969. 132, note Lipstein; v. aussi Ph. Francescakis, « Un bond
de la jurisprudence anglaise en matière de reconnaissance des décisions étran-
gères », Rev. crit. 1969. 601) fut accueillie par l’arrêt Mack Trucks de la Cour
de Paris, le 10 novembre 1971 (Clunet 1973. 239, note A. Huet, RTD com. 1972.
239, obs. Y. Loussouarn). Après avoir rappelé que la compétence directe du juge
français se détermine par extension des règles internes de compétence territo-
riale (v. supra, arrêt Scheffel, no 37), la Cour déclare : « il convient, en revan-
che, pour le juge chargé de se prononcer sur une demande d’exequatur, de
contrôler la compétence internationale en se référant aux principes plus libé-
raux du droit international privé français en ce domaine, lesquels résultent
aussi bien de la coutume que des textes… ». Il y a donc deux séries de princi-
pes, voués à deux questions distinctes.
7 Il a fallu près de quinze années à la Cour de cassation pour reprendre à son
compte cette position. Un tel délai s’explique sans doute moins par une quel-
conque réserve à l’égard de la dissociation des deux compétences que par le
refus de la règle de compétence indirecte que la Cour de Paris prétend extraire
« de la coutume et des textes » (non autrement précisés parce qu’il se pourrait
bien que la référence ne soit qu’un hommage rituel à l’article 5 du Code civil)
et qui devait remplacer désormais, à son avis, les règles de compétence directe
que la jurisprudence antérieure avait détournées de leurs fins.
Sur ce point, D. Holleaux avait recommandé l’adoption d’une directive
limitant le contrôle, sous le couvert de la notion d’ordre public, à la vérifica-
tion du respect « des exigences fondamentales des droits de la défense et de la
630 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 70
crit. 1997. 732, note H. Muir Watt). Admettant ainsi que la compétence fran-
çaise, en matière de divorce et même en général, n’est qu’une compétence
concurrente, la Cour de cassation considère que l’exclusivité ne peut être que
spécifique. Il reste à déterminer dans quels cas ce caractère est reconnu à une
compétence française.
12 L’histoire désignait ici aussitôt les articles 14 et 15 du Code civil, mais
aujourd’hui l’arrêt Prieur (v. infra, no 87) a fait justice d’une exclusivité forte-
ment critiquée par la doctrine (v. D. Holleaux, op. cit., no 376; G. Droz, «
Réflexions pour une réforme des articles 14 et 15 du Code civil français », Rev.
crit. 1975. 1, spéc. p. 18 et s.; P. Mayer et V. Heuzé, no 376). Il était difficile en
effet de rendre compte de cette solution dès lors qu’était délaissée la doctrine
de la bilatéralité et, avec elle, abandonnée la notion de souveraineté sur
laquelle Bartin l’avait fondée. L’exclusivité aurait sans doute été moins atta-
quée si le privilège avait été restreint — non pas aux seules obligations men-
tionnées par les textes — mais au statut personnel ou à certaines question
d’état (v. supra, arrêt Weiss, no 49); il n’aurait pas semblé abusif que soit
accordé au plaideur français, dont l’état était en cause, « le droit de n’être jugé
que devant les tribunaux français » dans la mesure où ce droit lui garantissait
celui d’être jugé d’après les règles françaises ou d’après les règles que désigne
le droit international privé français. La corrélation entre la question du droit
applicable et le problème de compétence judiciaire aurait pu favoriser le main-
tien du privilège indirect, dans une matière où l’unité et la continuité de la
règlementation sont tout à fait désirables. Mais le caractère indifférencié du
privilège quant aux litiges non moins que la dispersion des questions d’état
vers d’autres lois que celle de la nationalité (E. Pataut, Principe de souverai-
neté et conflits de juridictions, thèse Paris I, éd. 1999, nos 432 et s.) démon-
traient que cette corrélation n’est pas déterminante et donc que l’exclusivité ne
reposait sur aucun support rationnel (v. obs. infra sous no 87).
13 C’est qu’en effet la seule idée qui ait une envergure suffisante pour rassem-
bler les divers cas de compétence exclusive française est celle d’une solidarité
nécessaire des solutions du conflit de lois et de la question de compétence
(v. D. Holleaux, J.-Cl. dr. int., 1977, fasc. 584 A, p. 101 et s. et spéc. no 116;
H. Muir Watt, J.-Cl. dr. int., fasc. 584-3, no 48). Il est des cas où, par excep-
tion, il n’est pas possible de laisser les plaideurs porter leur litige devant un
juge étranger parce que ceci créerait le risque de méconnaissance d’intérêts
d’ordre substantiel que le droit international privé français entend garantir.
Il en est ainsi des cinq compétences répertoriées par l’article 16 de la
Convention de Bruxelles. Certes, à leur propos, la très complaisante notion de
souveraineté a pu être évoquée (P. Lagarde, « Le principe de proximité, Rec.
cours La Haye, 1986. I, no 179; E. Pataut, op. cit., nos 363 et s.). Et de fait,
tant à l’égard des actions relatives aux voies d’exécution que des actions réel-
les immobilières, on retrouve, plus ou moins sous-jacente, l’idée de souverai-
neté telle que l’utilisait la doctrine publiciste du juge naturel laquelle perçoit
la juridiction « comme un aspect de l’autorité du souverain sur le sujet »
(D. Holleaux, op. cit., nos 201 et s.). De même que le national français relevait
aux termes des articles 14 et 15 du Code civil de la juridiction française, de
634 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 70
(Rev. crit. 1986. 712, note Y. Lequette, Clunet 1986. 719, note A. Huet,
D. 1986. 362, note Prévault, et Som. com. p. 268, obs. B. Audit,
JCP 1987. II. 20810, note P. Courbe)
Compétence. — Article 14 du Code civil. —
Règles ordinaires de compétence.
Faits. — La société Orliac dont le siège est dans le Tarn-et-Garonne entend prati-
quer à l’encontre de la Société Cognacs and Brandies from France dont le siège est dans
l’État du Connecticut (États-Unis), une saisie conservatoire portant sur des fonds déposés
dans l’agence du Crédit agricole de Lons-le-Saunier (Jura). À cet effet, elle s’adresse au
juge de son domicile, le président du Tribunal de grande instance de Montauban. Une
ordonnance de saisie ayant été rendue, la société américaine demande au même magis-
trat de la rétracter, en soulevant son incompétence au regard de l’article 48 de l’ancien
Code de procédure civile lequel prévoit l’intervention, soit du magistrat du domicile du
débiteur, soit de celui dans le ressort duquel sont situés les biens à saisir. Cette demande
ayant été repoussée en première instance, puis en appel par un arrêt de la Cour de Tou-
louse en date du 15 février 1984, aux motifs que l’article 14 du Code civil instaure, au
profit du demandeur français, un privilège de juridiction qui l’autorise à saisir tout tribunal
de son choix et qu’il est de jurisprudence constante que « la règle de compétence de l’arti-
cle 14 ayant pour seul fondement la nationalité française du demandeur, les règles de
compétence interne ne peuvent faire obstacle à son application », un pourvoi est formé.
Voici la réponse de la Cour de cassation.
ARRÊT
La Cour ; — Sur le deuxième moyen : — Vu l’article 14 du Code civil et l’arti-
cle 48 du Code de procédure civile; — Attendu que le premier de ces textes, qui
donne compétence à la juridiction française en raison de la nationalité française
du demandeur, n’a lieu de s’appliquer que lorsqu’aucun critère ordinaire de
compétence territoriale n’est réalisé en France; que, selon le second, le magis-
trat, compétent pour autoriser sur requête le créancier justifiant d’une créance
fondée en son principe à saisir conservatoirement les meubles appartenant à
640 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 71
son débiteur, est celui du domicile du débiteur ou dans le ressort duquel sont
situés les biens à saisir; — Attendu que par ordonnance du 4 octobre 1983 le pré-
sident du Tribunal de grande instance de Montauban a autorisé la Société Orliac,
qui a son siège à Lamagistère (Tarn-et-Garonne), à saisir conservatoirement les
fonds appartenant à la Société Cognacs and Brandies from France Inc (CBFF)
société de droit américain ayant son siège à Old Greenwich, État du Connecticut
(États-Unis d’Amérique), qui seraient déposés au compte ouvert par elle à
l’agence du Crédit Agricole à Lons-le-Saunier (Jura); que la CBFF a demandé au
même magistrat de rétracter son ordonnance en soulevant son incompétence
notamment au regard des dispositions de l’article 48 du Code de procédure
civile; — Attendu que pour rejeter cette demande, l’arrêt attaqué (Toulouse,
2e ch., 15 févr. 1984) retient que l’article 14 du Code civil énonce une disposition
spéciale qui, dérogeant au droit commun, instaure au profit de tout Français un
privilège de juridiction qui l’autorise à saisir tout tribunal de son choix; qu’en se
déterminant ainsi la cour d’appel a, par fausse application du premier et par
refus d’application du second, violé les textes susvisés;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier et le troisième
moyens : — Casse.
Du 19 novembre 1985. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Fabre, rapp.; Gul-
phe, av. gén. — SCP Boré et Xavier, av.
OBSERVATIONS
1 La cassation était prévisible. La solution retenue par les juges du fond était,
en effet, rien moins qu’orthodoxe : en décidant que le privilège de juridiction
de l’article 14 du Code civil permettait au demandeur de faire abstraction des
règles de compétence territoriale interne pour résoudre le problème de compé-
tence spéciale, la Cour de Toulouse prenait directement le contre-pied de la
jurisprudence de la Cour de cassation (Civ., 11 oct. 1967, Stanton, Rev. crit. 1968.
105, note Jean Foyer, D. 1968. 302, note Claeys, Rec. Gén. Lois 1968. 139,
note Droz). Mais le rappel de cette solution n’aurait évidemment pas suffi à
asseoir la notoriété de l’arrêt si la haute juridiction n’en avait profité pour redé-
finir avec une grande netteté les rapports des privilèges de juridiction des
articles 14 et 15 du Code civil et des règles ordinaires de compétence interna-
tionale. Parachevant une évolution amorcée dès les lendemains du Code civil
(I), la solution avancée n’en suscite pas moins quelques interrogations si on la
rapproche de certains développements récents de notre droit positif (II).
Mais « purement académique » (B. Audit, obs. préc.) quant à ses conséquen-
ces immédiates, la référence aux articles 14 et 15 n’était pas dépourvue d’effets
à long terme : lorsque le bénéficiaire de la décision ainsi obtenue l’invoquait à
l’étranger, il risquait fort de se heurter à un refus d’exequatur. Contrairement
aux règles de compétence ordinaire que leur fondement objectif rend malaisé-
ment critiquables, les articles 14 et 15 du Code civil y sont, en effet, souvent
dénoncés en raison de leur caractère exorbitant. L’argument a certes perdu une
partie de sa portée depuis l’entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles : en
supprimant le contrôle de la compétence du juge, son article 28 (devenu art. 35
du Règlement Bruxelles I) rend, en effet, efficace dans les autres États ayant
adopté le système de cette convention un jugement français rendu sur le fonde-
ment de l’article 14 du Code civil contre un défendeur domicilié dans un État
non contractant alors qu’auparavant un tel jugement n’aurait été reconnu et exé-
cuté par aucun État européen (Gothot et Holleaux, La Convention de Bruxelles
du 27 sept. 1968, no 302; sur la critique de cette solution, v. K. Juenger, « La
Convention de Bruxelles du 27 sept. 1968 et la courtoisie internationale.
Réflexions d’un Américain », Rev. crit. 1983. 42). Il n’en reste pas moins qu’il
est, en règle générale, préférable lorsque les tribunaux français sont compétents
à la fois sur le fondement de la nationalité française d’une des parties et sur
celui d’une règle de compétence territoriale étendue à l’ordre international,
d’invoquer pour l’efficacité des décisions françaises les seules règles de compé-
tence ordinaire (en se sens, J. Foyer et B. Audit, obs. préc.).
Ce ne fut pourtant pas la voie suivie par la Cour de cassation avec l’affaire
Stanton. Tout en y réaffirmant l’applicabilité des règles de compétence territo-
riale interne, la haute juridiction les subordonnait hiérarchiquement aux règles
de compétence fondées sur la nationalité. Il est vrai qu’elle pouvait, à cet effet,
se recommander d’une doctrine considérable, puisque dans la quatrième édition
de son traité (1967), le doyen Batiffol continuait d’enseigner que les règles de
compétence ordinaire ne jouaient qu’à défaut des articles 14 et 15 du Code civil.
Mais cet appui devait à son tour se dérober; maintenue dans la cinquième édi-
tion (1971), cette présentation fut abandonnée dans la sixième (1976). Prenant
acte de ces évolutions, la Cour de cassation affirme dans le présent arrêt le
caractère, en quelque sorte résiduel, de l’article 14 du Code civil (v. d’ailleurs
déjà semble-t-il en ce sens, Civ. 2e, 1er juill. 1965, Bull. II, no 594 et dans le
contexte très particulier des rapports franco-andorrans, Civ. 1re, 6 janv. 1971,
Bull. civ. I, no 2, p. 1). Elle étendra cette solution à l’article 15 par un arrêt
Duclairoire (Civ. 1re, 18 avril 2000, Bull. I, no 110, D. 2000. IR. 140). C’est dire
que les articles 14 et 15 n’ont plus lieu de jouer que lorsque l’élément de locali-
sation prévu par les règles de compétence ordinaire est situé hors de France.
certains cas, le tribunal compétent. Ainsi l’article 42, alinéa 3 qui pose la com-
pétence du forum actoris lorsque « le défendeur n’a ni domicile ni résidence
connus » prévoit-il subsidiairement que le demandeur peut saisir la juridiction
de son choix s’il demeure à l’étranger. Ainsi encore le troisième cas visé par
l’article 1166, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile énonce-t-il que
le tribunal compétent en matière d’adoption est le tribunal choisi en France
par le requérant « lorsque celui-ci et la personne dont l’adoption est demandée
demeurent à l’étranger ».
5 L’attendu de principe posé par l’arrêt ci-dessus reproduit embrasse-t-il ces
dispositions ? En d’autres termes, la compétence internationale des tribunaux
français peut-elle être fondée sur la seule manifestation de volonté du deman-
deur lorsque les conditions posées par ces textes sont réunies (absence de domi-
cile et de résidence connus du défendeur, ainsi que domicile du demandeur à
l’étranger dans le premier cas, établissement à l’étranger de l’adoptant et de
l’éventuel adopté dans le second cas) ?
En l’absence de toute indication sur les intentions des auteurs de ces textes,
il est permis de s’interroger. Néanmoins il semble bien qu’une réponse posi-
tive présenterait des inconvénients majeurs. Outre les risques accrus de forum
shopping qu’elle engendrerait, elle concourrait à faire de la juridiction fran-
çaise une sorte de champ clos où des étrangers s’affronteraient pour des affai-
res totalement extérieures à la sphère juridique nationale. Certes, on pourra
objecter qu’il en est déjà ainsi depuis que la jurisprudence a admis que deux
étrangers peuvent, au moyen d’une clause d’élection de for, décider de porter
un éventuel litige devant les juridictions françaises, en raison notamment de la
neutralité de celles-ci par rapport aux données de l’affaire (v. infra, arrêt Cie
de signaux et d’entreprises électriques, no 72). Mais le contexte est profondé-
ment différent. Il n’y a pas en effet, dans notre hypothèse accord des intéres-
sés mais liberté de choix laissée au seul demandeur; la solution serait d’autant
plus de nature à accroître les risques de forum shopping qu’il n’existe dans
notre pays aucun tempérament analogue à la doctrine du forum non conveniens
pour modérer la compétence internationale des tribunaux français. Au surplus,
peu heureuse en règle générale, la solution serait particulièrement mal venue
en matière d’adoption, certains États marquant en ce domaine une suscepti-
bilité sourcilleuse (v. Rép. min., Rev. crit. 1986. 795). Nombre de législations
prennent d’ailleurs en ce cas la précaution de ne retenir la compétence de
leurs tribunaux que sous réserve de la reconnaissance de leur décision par un
ou plusieurs ordres de référence (v. not. art. 8, LRDC suisse, Rev. crit. 1974.
173, § 30 Loi norvégienne du 13 juin 1980 cité par P. Lagarde, « Le principe
de proximité en dr. int. privé contemporain », Rec. cours La Haye, 1986, no 171).
N’y aurait-il pas au demeurant quelque paradoxe à remettre à l’entière dispo-
sition des intéressés la compétence de nos tribunaux en un domaine où le Nou-
veau Code de procédure a réservé aux magistrats la possibilité de soulever
d’office leur incompétence aussi bien au plan interne (art. 93, NCPC) qu’inter-
national (art. 92, NCPC) ?
Il semble donc préférable de considérer que ces textes ne s’appliquent que
pour régler le problème de compétence interne, après que la question de com-
644 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 71
17 décembre 1985
de soumettre aux juridictions libyennes toute demande même celle relevant des attribu-
tions du juge des référés et relative à l’exécution aussi bien du contrat de sous-traitance
que du contrat de base, et que déjà le juge libyen avait désigné son expert ». La décision
n’a sur ce point que la portée limitée qui s’attache à un arrêt de rejet fondé sur l’inter-
prétation par les juges du fond de la volonté des parties (B. Audit, obs. D. 1986, IR p. 265).
En revanche, la réponse aux autres branches du moyen qui posaient en toute clarté la
question de la validité des clauses attributives de juridiction dans l’ordre international,
présente un vif intérêt.
ARRÊT
La Cour (…) Sur la deuxième et la troisième branches du moyen : — Attendu
qu’il est aussi soutenu qu’une clause attributive de juridiction est nulle et de nul
effet lorsqu’elle déroge aux règles de compétence internationale ordinaires
résultant de l’extension à l’ordre international des règles internes de compé-
tence territoriale; qu’en l’espèce, la cour d’appel aurait violé les articles 42, 43
et 46 du Nouveau Code de procédure civile qui désignaient comme compéten-
tes les juridictions parisiennes et qu’à tout le moins, en ne vérifiant pas si la
clause litigieuse ne dérogeait pas à ces règles, elle n’aurait pas légalement justi-
fié sa décision; — Mais attendu d’abord, que les clauses prorogeant la compé-
tence internationale sont en principe licites, lorsqu’il s’agit d’un litige interna-
tional, comme c’était le cas en l’espèce, et lorsque la clause ne fait pas échec à la
compétence territoriale impérative d’une juridiction française, hypothèse qui est
exclue en l’occurrence; — Attendu, ensuite, que l’article 48 du Nouveau Code
de procédure civile doit s’interpréter en ce sens que doivent être exclues de la
prohibition qu’il édicte les clauses qui ne modifient la compétence territoriale
interne qu’en conséquence d’une modification de la compétence internationale;
qu’ainsi, en aucune de ses deuxième et troisième branches le moyen n’est
fondé;
Sur les quatrième, cinquième et sixième branches : — Attendu qu’il est encore
allégué, dans la quatrième branche, qu’en décidant que le renvoi opéré par
l’article 7 de la convention dite de groupement d’entreprises aux stipulations du
contrat de base manifestait la volonté non équivoque de CSEE d’accepter la
compétence des tribunaux libyens pour connaître des contestations nées de ses
rapports contractuels avec Sorelec, bien que la combinaison de ces textes, dans
leur ensemble, ne fût ni claire ni précise, la juridiction du second degré aurait
violé les articles 14 et 1134 du Code civil ainsi que l’article 48 du Nouveau Code
de procédure civile; que la cinquième branche fait valoir que la prorogation de
compétence au profit des juridictions étrangères n’est valable que si la clause
qui la prévoit désigne de façon claire et précise le tribunal qui, parmi les juridic-
tions de l’État étranger, devra être spécialement saisi; que sur ce point, l’arrêt
attaqué, qui n’a pas fait cette recherche, manquerait de base légale; qu’enfin, il
est invoqué, en la sixième branche, que la clause attributive de compétence au
profit d’une juridiction étrangère n’est valable qu’autant qu’elle est reconnue
comme telle par la loi de l’État étranger dont les tribunaux ont été désignés
comme compétents; que la juridiction du second degré, qui ne constate pas la
validité au regard de la loi libyenne de la clause litigieuse, n’aurait pas donné de
base légale à sa décision; — Mais attendu, en premier lieu, que pour déterminer
la portée exacte de la clause attributive de compétence, la juridiction d’appel a
recherché, par une analyse de l’ensemble des conventions, quelle avait été la
commune intention des parties à cet égard; que si, comme le soutient le moyen
en sa quatrième branche, le rapprochement de la convention, dite de groupe-
ment d’entreprises, du contrat de base et du contrat de sous-traitance faisait
apparaître un ensemble complexe, l’interprétation nécessaire qu’en a ordonnée
la cour d’appel ne saurait être remise en question devant la Cour de cassation;
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 647
qu’il s’ensuit que, retenue comme une clause attributive de compétence géné-
rale aux juridictions d’un État étranger, il en résultait une renonciation des par-
ties françaises au bénéfice des articles 14 et 15 du Code civil; — Attendu, en
deuxième lieu, que contrairement à l’affirmation du moyen en sa cinquième
branche, la désignation globale des juridictions d’un État dans une clause de
prorogation de compétence est licite, du moins si le droit interne de cet État
permet de déterminer le tribunal spécialement compétent; qu’à cet égard, la
constatation de la juridiction du second degré, qu’à la demande d’une des par-
ties en cause une juridiction libyenne avait déjà désigné un expert, enlève toute
portée à la critique contenue dans cette branche; — Attendu, enfin, que pour la
même raison il en est de même de celle énoncée en la sixième branche; —
Qu’ainsi, les quatrième, cinquième et sixième branches du moyen sont sans
fondement;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 17 décembre 1985. — MM. Joubrel, prés.; Fabre, rapp.; Rocca, av. gén. — SCP Lyon-Caen,
Fabiani et Liard, av.
OBSERVATIONS
1 L’arrêt ci-dessus reproduit dissipe les incertitudes qu’avaient suscitées, dix ans
plus tôt, relativement à la licéité des clauses attributives de juridiction en
matière internationale, certaines dispositions du décret du 5 décembre 1975
instituant un Nouveau Code de procédure civile. Il décide, en effet, que
l’article 48 de ce code qui répute non écrite « toute clause qui directement ou
indirectement déroge aux règles de compétence territoriale » ne fait pas obsta-
cle à la licéité de principe des accords d’élection de for dans l’ordre internatio-
nal (I) et précise les limites dans lesquelles peut s’exercer cette liberté (II).
Raisonnant par rapport au droit français sans pour autant en définir les titres
d’application, l’arrêt est, en revanche, moins riche d’enseignements quant à la
détermination de la loi applicable (III).
2 On s’accorde, en général, sur la très grande utilité pratique des clauses attri-
butives de juridiction dans l’ordre international. Grâce à elles il est, en effet,
possible de diminuer sensiblement l’insécurité inhérente à l’absence d’organi-
sation de la société internationale.
On sait qu’il existe souvent pour un même litige une multiplicité d’ordres
juridictionnels compétents dont les systèmes de conflit de lois sont eux-
mêmes parfois différents. L’incertitude sur le juge compétent se double alors
d’une incertitude sur le droit applicable. Or en permettant aux intéressés de
choisir, par avance, le juge appelé à connaître des litiges qui pourraient résul-
ter de leurs relations, les clauses attributives de juridiction évitent que la
détermination de l’ordre juridictionnel, et donc souvent du droit applicable, ne
soit laissée à l’initiative unilatérale de l’un d’entre eux au moment du procès;
648 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 72
les parties sauront par quel juge et selon quel droit leur affaire sera tranchée.
Cet avantage prend évidemment tout son relief lorsque la compétence qui en
résulte revêt un caractère exclusif obligeant les plaideurs à n’agir que devant
la juridiction élue sous peine de ne pas obtenir une décision efficace en France
(sur cette question, v. observations sous l’arrêt Simitch, supra, no 70 § 14). En
outre, en offrant aux parties la possibilité de choisir un tribunal auquel sont
familiers les problèmes soulevés par les contrats qui les contiennent, les clauses
attributives de juridiction réalisent une sorte de compromis, « intermédiaire »
entre la compétence ordinaire des tribunaux et le recours à l’arbitrage lequel
ne va pas parfois sans de réels inconvénients (G. Holleaux, Trav. com. fr. dr.
int. pr. 1964-1966, p. 170). Alliant souplesse et prévisibilité, elles répondent
indiscutablement aux besoins de la vie internationale.
3 Il n’est donc pas surprenant que la jurisprudence française ait consacré
assez tôt leur validité de principe (v. par ex., Civ., 19 févr. 1930, 27 janv. 1931,
Mardelé et Dambricourt, Rev. crit. 1931. 514, S. 1933. 1. 41, note Niboyet) et
que l’arrêt ci-dessus reproduit la réaffirme avec beaucoup de fermeté.
Il ne faudrait pas croire pour autant que cette solution se soit imposée sans
hésitation ni débat. Si la majorité des auteurs était, en effet, favorable à la licéité
des clauses modifiant la compétence internationale (Pillet, Traité, t. I, no 193;
Lerebours-Pigeonnière, Précis, 4e éd., no 287; Batiffol, Traité, 4e éd., no 686),
certains et notamment Bartin, soutenaient que la nature intrinsèque de la com-
pétence internationale française s’opposait à ce que la volonté des personnes
privées puisse jouer, en la matière, un rôle quelconque; concourant comme la
règle de conflit de lois, à définir l’empire de la souveraineté française, les
règles de conflit de juridictions étaient, selon lui, par essence impératives
(Études sur les effets internationaux des jugements, 1907, p. 57 et s.). C’était
oublier que si la compétence des tribunaux français est une expression for-
melle de la souveraineté française, elle n’en est pas l’expression matérielle
(v. supra, observations sous l’arrêt Simitch, no 70 § 4). Le service public de la
justice est d’abord institué dans l’intérêt des justiciables; s’il tend à maintenir
la paix publique, c’est en reconnaissant et sanctionnant des droits privés
(H. Gaudemet-Tallon, La prorogation volontaire de juridiction en droit inter-
national privé, 1965, nos 212 et s., p. 240 et s.). Aussi bien les règles de com-
pétence judiciaire internationale n’ont-elles pas pour objet d’assurer l’autorité
du souverain sur le sujet mais de garantir, sous l’angle de la compétence, la
« justice procédurale de droit privé » (D. Holleaux, Compétence du juge étran-
ger et reconnaissance des jugements, 1970, no 401, p. 379). Dès lors s’il est vrai
que la définition de la compétence des organes d’un État relève de ce seul État,
cela n’empêche pas celui-ci de laisser aux intéressés la possibilité de modifier
conventionnellement la compétence de ses organes, lorsqu’il l’estime utile.
4 La discussion devait néanmoins rebondir avec le Nouveau Code de procé-
dure civile dont les dispositions paraissaient se conjuguer pour prohiber, en
matière internationale, les clauses attributives de juridiction. Et de fait, certains
ont déduit de son article 92 une telle interdiction, soit directement en considérant
que le pouvoir qu’il reconnaît au juge de relever d’office son incompétence
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 649
duire non par une prohibition générale des clauses d’élection de for, mais par
l’énoncé de certaines limites à leur validité de principe. Telle est précisément
la voie suivie par l’arrêt ci-dessus reproduit.
Ajoutons que toute autre solution aurait mis à rude épreuve la cohérence du
droit international privé français. La Convention de Bruxelles (art. 17, devenu
art. 23 du Règlement Bruxelles I) validant déjà les clauses d’élection du for
dès lors que l’une des parties est domiciliée dans l’un des États de la Commu-
nauté (Gothot et Holleaux, La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968,
nos 159 et s., p. 91 et s.; H. Gaudemet-Tallon, Les Conventions de Bruxelles et
de Lugano, 2e éd., 1996, nos 104 et s.; B. Ancel, « La clause attributive de
juridiction selon l’article 17 de la Convention de Bruxelles », Riv. dir. int. priv.
proc. 1991, p. 263 et s.), la prohibition résultant de l’extension au plan inter-
national de l’article 48 du Nouveau Code de procédure civile n’aurait d’effet
que dans les autres cas. Comment justifier une telle disparité de régime dans le
traitement de situations aussi proches ? (en ce sens, A. Sinay-Cytermann, op. cit.,
p. 95; sur l’attraction exercée par les traités sur le droit interne, v. Niboyet,
Traité, t. III, nos 934 et s.). Enfin, on sait que la jurisprudence a posé le principe
de la validité des clauses compromissoires dans l’ordre international (Civ. 1er,
4 juill. 1972, Hecht, Clunet 1972. 843, note Oppetit, Rev. crit. 1974. 82, note
Level, RTD com. 1973. 419, obs. Loussouarn, Rec. Gén. Lois 1974. 409, obs.
Droz, chron. Francescakis Rev. arb. 1974. 67); on comprendrait mal que les
clauses attributives de juridiction soient l’objet d’une solution plus sévère
alors que, bien loin de faire échec à toute juridiction étatique, elles ne dérogent
qu’à la juridiction française. Aussi ne peut-on qu’approuver la Cour de cassa-
tion d’avoir décidé que « les clauses prorogeant la compétence internationale
sont en principe licites » (v. depuis, Civ. 1re, 25 nov. 1986, Siaci, Rev. crit. 1987.
396, note H. Gaudemet-Tallon).
for dans l’ordre international et c’est bien ainsi que l’entend le présent arrêt
lorsque, empruntant à M. P. Mayer (Précis, 3e éd., no 300), il énonce que
« doivent être exclues de la prohibition les clauses qui ne modifient la compé-
tence territoriale interne qu’en conséquence d’une modification de la compé-
tence internationale ». Ainsi l’interdiction ne frappe plus que les conventions
dérogeant à la compétence territoriale interne française sans affecter la com-
pétence internationale des tribunaux français.
Cette exigence appelle une précision utile pour fixer le sort de la deuxième
catégorie de clauses énumérée ci-dessus, celle qui rassemble les élections de
for confirmant la compétence internationale des juridictions françaises mais
se portant vers un tribunal ne répondant à aucun chef de compétence territo-
riale française. La formule de l’arrêt requiert « une modification de la compé-
tence internationale »; on pourrait douter qu’elle soit alors satisfaite. En réalité,
le terme « modification » ne recouvre pas seulement le « déplacement » de la
compétence; il vise aussi bien une altération des caractères de la compétence.
Ainsi est modifiée la compétence internationale des juridictions françaises
lorsque, de concurrente elle devient, par l’effet du choix des parties, exclusive.
La même idée pourrait s’exprimer en disant que la prorogation de for ne peut
pas s’abriter de la prohibition de l’article 48 derrière un prétendu choix de
compétence internationale dès lors que le caractère purement interne du conten-
tieux rend celui-ci en principe superfétatoire. En revanche, est licite la clause
qui, aux tribunaux de Boston et de Saint Pétersbourg — domiciles respectifs
des contractants — et à celui de Cherbourg — lieu de livraison de la marchan-
dise — préfère le Tribunal de commerce de Paris, juridiction importante et
aisément accessible, mais que par hypothèse ne désigne pas le Nouveau Code
de procédure civile.
Quant à la dernière catégorie qui réunit les clauses se limitant à une dési-
gnation générale d’un ordre juridictionnel, sans individualisation du tribunal
auquel s’adresser, leur validité ne paraît pas mettre en cause particulièrement
l’article 48 et, au demeurant, elle n’est pas sérieusement discutée dès lors que
le droit interne de l’État choisi « permet de déterminer le tribunal spécialement
compétent » (v. aussi Com., 19 mars 1991, Empresa Lineas Maritimas Argen-
tina, Bull. IV, no 113, D. 1999, IR p. 113; 25 mars 1997, Insurance Company
of North America, Rev. crit. 1998. 98, rapp. J.-P. Rémery; Civ. 1re, 13 avr. 1999,
Soc. Sullivan Polynésie, Bull. I, no 127; 13 avr. 1999, Grands Comptoirs français
de Djibouti, Rev. crit. 2000. 219, note B. A.). L’affirmation a le mérite de dis-
siper les incertitudes suscitées par certaines décisions antérieures qui avaient
réputé non écrites de telles clauses en raison de leur imprécision (Aix-en-
Provence, 15 juin 1972, Rev. crit. 1973. 350, note H. Gaudemet-Tallon, D. 1972.
757, note Rodière; Soc. 23 mai 1973, Rev. crit. 1974. 354, 2e esp., note
P. Lagarde; v. depuis Rouen, 28 janv. 1993, Rev. crit. 1993. 307, note H. G-T.).
La solution — outre qu’elle n’était guère conforme à notre droit des obliga-
tions lequel n’annule pas les clauses obscures ou ambiguës — heurtait de
front les principes consacrés par le droit conventionnel. La Convention de
Bruxelles du 27 septembre 1968 et la Convention de La Haye du 25 novembre
1965 sur les accords d’élection de for (non entrée en vigueur) admettent, en
effet, toutes deux la validité des clauses attribuant compétence générale aux
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 653
tribunaux d’un État. Ajoutons que l’exigence posée par l’arrêt ne devrait pas,
au moins au regard du droit français, soulever de réelles difficultés : au cas où
ne serait situé en France aucun des éléments de localisation objectifs retenus
par les règles de compétence territoriale interne, le tribunal français spéciale-
ment compétent pourrait toujours être déterminé par application de l’alinéa 3
de l’article 42 du Nouveau Code de procédure civile qui dispose : « Si le défen-
deur n’a ni domicile ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juri-
diction du lieu où il demeure ou celle de son choix s’il demeure à l’étranger »
(v. cep. Civ. 1re, 13 avr. 1999, Gr. Comptoirs français de Djibouti, préc.).
9 Il ne saurait être question dans les limites restreintes d’un tel commentaire de
recenser l’ensemble des cas de compétence impérative (pour une telle entreprise, v.
A. Sinay-Cytermann, op. cit., p. 126 et s.). On se contentera donc après avoir rap-
pelé quelques chefs de compétence internationale dont l’impérativité est bien éta-
blie, d’envisager certaines des hypothèses dont la solution est encore imprécise.
On s’accorde généralement sur ce que la compétence revêt un caractère
impératif dans le domaine du statut personnel, matière traditionnellement indis-
ponible (H. Gaudemet-Tallon, art. préc., Mélanges Marty, p. 551; P. Mayer et
V. Heuzé, no 304). La Cour de cassation l’a d’ailleurs affirmé avec beaucoup
de netteté à propos du divorce (Civ. 1re, 1er avr. 1981, de Itturalde de Pedro, Clu-
net 1981. 812, note D. Alexandre, D. 1982, IR p. 69, obs. Audit, Gaz. Pal. 1981.
2. 228, note Lisbonne), tout en précisant ultérieurement dans son arrêt Simitch
(supra, no 70) que l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile n’attri-
bue pas une compétence exclusive aux juridictions françaises. Inversement
d’ailleurs, et de manière beaucoup plus curieuse, les privilèges de juridiction
des articles 14 et 15 du Code civil qui jouent un rôle important en matière de
statut personnel ont longtemps été jugés non impératifs sur le terrain de la
compétence directe mais exclusifs sur celui de la compétence indirecte
(v. supra, observations sous l’arrêt Simitch, no 70 § 12). En mettant fin au pri-
vilège indirect attaché à l’article 15 du Code civil (v. infra, no 87), la haute
juridiction a supprimé cette anomalie.
De même, on considère que la compétence des juridictions françaises en
matière d’action réelle immobilière portant sur un immeuble sis en France ne
saurait faire l’objet de modification conventionnelle, bien qu’en la matière les
656 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 72
II. 15293, note P. Lagarde), la Cour de cassation avait décidé qu’une telle clause
était valable lorsqu’elle dérogeait au privilège de juridiction des articles 14
et 15 du Code civil mais non lorsqu’elle tenait en échec les fors objectifs de
compétence posés par le Code du travail (lieu d’exécution du travail, lieu
de conclusion du contrat, domicile du salarié, établissement de l’employeur)
(Ch. mixte 28 juin 1974, Rev. crit. 1975. 110, note P. L., Clunet 1975. 82, 1re esp.,
note D. Holleaux, JCP 1974. II. 17881, note G. Lyon-Caen, Droit social 1975.
458, note H. J. Lucas, Rec. Gén. Lois 1975. 413, obs. Droz).
Le décret du 12 septembre 1974 ayant accru le nombre des chefs de com-
pétence territoriale, les possibilités de validité des clauses attributives de juri-
diction s’en trouvent restreintes d’autant. Aussi bien, la chambre sociale a-
t-elle assoupli sa position en énonçant que « dès lors que le contrat de travail
revêtait le caractère d’un contrat international, il s’ensuivait que les parties
avaient pu valablement déroger aux règles de l’article R 517-1 du Code du
travail » (Soc. 8 juil. 1985, Allard, Rev. crit. 1986. 113, note H. Gaudemet-
Tallon; Civ. 1re, 16 juin 1987, Air Afrique, Rev. crit. 1988. 78, 2e esp., note
H. Gaudemet-Tallon, D. 1988, Som. com. p. 341, 2e esp., obs. Audit; 8 mars
1988, Air Zaïre, Clunet 1988. 1041, 2e esp., note A. Lyon-Caen; Soc. 30 janv.
1991, Bull. V, no 41, p. 26; mais v. la réaffirmation de la solution stricte par
Soc. 7 mai 1987, Soc. des travaux d’outre-mer, Rev. crit. 1988. 78, 1re esp., note
H. Gaudemet-Tallon, D. 1988, Som. com. p. 341, obs. Audit). Il a été suggéré
que l’arrêt Allard signifierait qu’il serait désormais possible de déroger à la
compétence des tribunaux français lorsqu’elle repose sur les articles 14 et 15
du Code civil ou sur des chefs de compétence objectifs de faible intensité, tel
le lieu de conclusion du contrat, mais non lorsqu’elle se fonde sur la présence
en France du lieu d’exécution (H. Gaudemet-Tallon, note préc.; comp.
P. Mayer « Les clauses relatives à la compétence insérées dans les contrats de
travail », Mélanges D. Holleaux, 1990, p. 263 et s. qui considère qu’il faut pren-
dre en compte « toute la configuration spatiale de la situation »). Il n’est pas
indifférent de constater, si l’on suit cette interprétation, que le rattachement
fondant la compétence impérative est, en même temps, celui qui est générale-
ment retenu pour délimiter le domaine d’application dans l’espace de la légis-
lation du travail que beaucoup considèrent comme de police.
Assez curieusement, la Convention de Bruxelles ne prévoyait aucune dis-
position prohibant ou limitant les prorogations de compétence relatives à une
relation de travail (Gothot et Holleaux, op. cit., no 180, p. 107). En revanche,
elle comportait dès l’origine et plus encore dans sa version révisée en 1978,
des chefs de compétence particuliers au bénéfice des consommateurs (art. 13
et s., devenus art. 15 et s. du Règlement Bruxelles I) revêtant un caractère
d’ordre public, alors qu’en droit commun la mise à l’écart de l’article 48 du
Nouveau Code de procédure civile ne s’était, semble-t-il, accompagnée d’aucune
réserve au profit de cette catégorie. Cette discordance certaine entre le droit
commun et le droit conventionnel a disparu dès l’entrée en vigueur des Conven-
tions de Lugano (art. 17-5, Conv. de Lugano du 16 sept. 1988, Rev. crit.
1989. 157 et G. Droz, chron., Rev. crit. 1989, p. 25, no 36) et de San Sebastian
(art. 17, al. 6, Conv. de San Sebastian du 26 mai 1989, Rev. crit. 1990, p. 174
et G. Droz, chron., Rev. crit. 1990, p. 11; H. Gaudemet-Tallon, Les Conventions
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 659
autre, les parties n’entendent pas, en effet, renoncer à tout recours à la justice.
« Reflet fidèle de la dualité inhérente à l’attribution de juridiction », cette dis-
tinction permet de sauvegarder une certaine sécurité juridique en évitant que
la validité de la manifestation de volonté que constitue la convention d’élec-
tion de for ne soit appréciée selon une loi qui varierait avec le tribunal devant
lequel est portée l’action (Kaufmann-Kohler, op. cit., p. 44-45 et 61).
L’arrêt ci-dessus reproduit peut parfaitement se concilier avec cette analyse.
Certes, le contrat était soumis à la loi libyenne et non à la loi française. Mais
précisément, c’était la licéité de l’accord d’élection de for en tant qu’il déro-
geait à la compétence des juridictions françaises, et non sa validité en tant
qu’acte juridique, qui était en question. Il était dès lors naturel que la cour rai-
sonne par application du droit français. Le fait que la juridiction libyenne
avait déjà accepté de connaître de l’affaire lui a évité de préciser les consé-
quences sur la compétence internationale des juridictions françaises, d’un éven-
tuel refus du tribunal étranger élu (rappr. Paris, 14 juin 1995, D. 1996, Som.
com. p. 170, obs. Audit).
Certains commentateurs ont cependant suggéré que cette décision pourrait
constituer le premier pas sur la voie de la consécration d’une nouvelle règle
matérielle de droit international privé, indépendante de la règle de conflit de
lois, à l’image de celle qui existe déjà à propos des accords compromissoires
(Civ. 1re, 4 juill. 1972, Hecht, préc.; sur les règles matérielles, v. supra, arrêt
Galakis, no 44; rappr. H. Gaudemet-Tallon, notes, Rev. crit. 1991. 138 et 605;
C. Blanchin, L’autonomie de la clause compromisoire : un modèle pour la clause
attributive de juridiction ? Trav. et recherches de Paris II, préf. H. Gaudemet-
Tallon, 1995; Ph. Guez, op. cit., nos 275 et s., p. 232 et s.). Cependant la Cour
de cassation ne paraît pas prête à entrer dans ces vues et préfère aujourd’hui
maintenir, avec la démarche conflictuelle, la distinction de l’admissibilité et
de la formation (selon les termes de N. Coipel-Cordonnier, op. cit.) ou de la
licéité et de la validité de la clause (selon ses propres mots, v. Civ. 1re, 3 déc.
1991, Cie Alliance, Rev. crit. 1992. 340, note H. Gaudemet-Tallon; rappr. TGI
Paris, 10 juill. 1991, Rev. crit. 1993. 54, note H. Gaudemet-Tallon, qui nie
l’autonomie de la clause attributive de juridiction).
12 En guise de conclusion, il convient de souligner que le droit commun des
clauses attributives de juridiction ne joue plus qu’un rôle résiduel, la plupart
des clauses dont les tribunaux français ont à connaître, relevant du droit com-
munautaire (art. 22, Règlement de Bruxelles I). Dès lors que le rapport de droit
à l’occasion duquel la clause a été conclue rentre dans le champ d’application
matériel du droit communautaire de la compétence (art. 1, Règlement de Bruxel-
les I), le droit commun ne trouve plus à s’appliquer que dans le cas où ni le
demandeur ni le défendeur n’ont leur domicile dans un État membre de l’Union
européenne.
73
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
3 mars 1987
Faits. — En 1944, une Allemande donne naissance à un enfant naturel. Trente années
plus tard, celui-ci s’avise du changement législatif intervenu en Allemagne fédérale
avec l’entrée en vigueur le 1er juillet 1970 de la loi du 16 août 1969, laquelle abolissant
l’ancienne recherche judiciaire de paternité à portée simplement alimentaire permet
désormais l’établissement d’un véritable lien d’état avec effets successoraux. Cette impor-
tante modification l’amène en 1974 à intenter une action en recherche de paternité contre
les ayants cause du prétendu père, entre-temps décédé.
Mais ce qui, en la circonstance, donnait un intérêt concret à l’action, en faisait en
même temps toute la difficulté juridique. La règle de conflit de lois française désignant
la loi allemande, fallait-il appliquer celle-ci dans sa version ancienne ou nouvelle ? Les
juges du fond puisèrent leur réponse dans la lettre même de l’article 311-14 du Code
civil. Ce texte soumettant l’établissement de la filiation à la loi nationale de la mère au
jour de la naissance de l’enfant, ils retinrent la loi allemande en vigueur à cette date.
Un pourvoi fut formé.
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Vu l’article 311-14 du Code civil; —
Attendu que Mme Leppert, de nationalité allemande, a mis au monde, le
26 août 1944, un enfant prénommé Manfred, Charles, Ernest; que Manfred Lep-
pert a, le 18 juin 1974, assigné Mme Tautenhahn, prise en sa qualité d’héritière
d’Alfred Tautenhahn, en recherche de paternité naturelle; que Mme Tauten-
hahn étant elle-même décédée le 30 juillet 1977, l’instance a été ultérieurement
reprise contre les consorts Grauschopf, Naett, Lindoerfer, ses légataires univer-
662 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 73
sels ; — Attendu que l’arrêt attaqué a déclaré la demande irrecevable aux motifs
qu’aux termes de l’article 311-14 du Code civil, la filiation est régie par la loi per-
sonnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant, c’est-à-dire la loi natio-
nale de la mère en vigueur au jour de la naissance de l’enfant; qu’il est constant
que la mère de Manfred Leppert est de nationalité allemande et que le Code
civil allemand en vigueur à la date du 26 août 1944 n’autorisait pas la recherche
judiciaire de la filiation naturelle mais uniquement la condamnation du père
présumé en qualité de débiteur d’aliments; que les dispositions actuelles du para-
graphe 1600 n du BGB, résultant de la loi du 19 août 1969 ne sont pas applica-
bles en la cause comme étant postérieures à la naissance; — Attendu, cepen-
dant, que l’article 311-14 du Code civil, en disposant que l’établissement de la
filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de
l’enfant, a entendu déterminer le droit applicable en considération de la natio-
nalité de la mère; qu’en cas de modification ultérieure de la loi étrangère dési-
gnée, c’est à cette loi qu’il appartient de résoudre les conflits dans le temps; —
Attendu qu’en statuant comme elle a fait, sans rechercher le contenu des dispo-
sitions transitoires de la loi allemande du 19 août 1969, la cour d’appel n’a pas
donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé :
Par ces motifs : — Casse.
Du 3 mars 1987. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Fabre, prés.; Camille Bernard, rapp.;
Charbonnier, av. gén. — SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, SCP de Chaisemartin, av.
OBSERVATIONS
1 Apportant pour la première fois une réponse dépourvue d’ambiguïté à la
question du conflit transitoire de droit étranger (I), cette décision donne, en même
temps, de précieuses indications sur la compréhension que la haute juridiction
se fait de la règle de conflit énoncée par l’article 311-14 du Code civil (II).
(1) Art. 311-16, al. 1 : « Le mariage emporte légitimation lorsqu’au jour où l’union a été célé-
brée, cette conséquence est admise, soit par la loi régissant les effets du mariage, soit par la loi per-
sonnelle de l’un des époux, soit par la loi personnelle de l’enfant ». Ce texte a été abrogé par
l’ordonnance du 4 juillet 2005 sur la filiation.
73 LEPPERT — CASS., 3 MARS 1987 665
Très vite le débat prit un tour passionnel. Pour les rares partisans de la
réforme, le renvoi devait être exclu. Au cas contraire, en effet, l’innovation
qu’ils approuvaient aurait été tenue en échec toutes les fois qu’elle conduisait
à une solution différente de celle habituellement reçue (Massip, Morin et Aubert,
La réforme de la filiation, no 206, note 106; M. Simon-Depitre et J. Foyer, Le
nouveau droit international privé de la filiation, no 25). Pour les adversaires
de la réforme, le renvoi devait être admis. Ainsi reviendrait-on à des « solutions
plus réalistes » présentant de meilleures « chances d’être reconnues à l’étran-
ger » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 461; v. aussi « L’improvisation de nouvelles
règles de conflits en matière de filiation », Rev. crit. 1972. 1 et s., spéc. p. 7;
Ponsard, « La loi française du 3 janvier 1972 et les conflits de lois en matière de
filiation », Clunet 1972. 765; P. Mayer et V. Heuzé, no 615; Fadlallah, La famille
légitime en droit international privé, nos 306 et s.; B. Audit, no 728; B. Ancel,
note Rev. crit. 1980. 564; Derruppé, note Clunet 1983. 591; Gutmann, no 188).
Enfin, cultivant l’originalité, un auteur se prononça pour la réforme et pour le
renvoi (Malaurie, « La législation de droit international privé en matière de sta-
tut personnel », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1975-1977, p. 177 et s., spéc. p. 187).
7 Si dépassant ces a priori, on considère les arguments échangés, on constate
que ceux-ci sont d’inégale valeur. À s’en tenir à ceux qui sont spécifiques à
la question étudiée, on fait valoir à l’encontre du renvoi que « si le législa-
teur avait songé (à celui-ci), ç’aurait été pour l’écarter » (M. Simon-Depitre et
J. Foyer, op. cit., no 25). Outre qu’il laisse perplexe sur le sérieux du travail
législatif accompli et la compétence de ceux qui s’y adonnèrent, un tel argu-
ment n’emporte guère la conviction. Doit-on faire prévaloir une hypothétique
volonté du législateur alors que celui-ci disposait d’un moyen simple d’éviter
le renvoi puisqu’il lui suffisait de viser la loi « interne » et qu’il n’en a pas
usé ? Mais précisément, toujours selon les adversaires du renvoi, il existerait
dans le texte même de l’article 311-14 « un indice important de la volonté du
législateur de voir appliquer une loi interne et non une règle de conflit »; celui-
ci résulterait du commandement d’appliquer la loi personnelle de la mère « au
jour de la naissance de l’enfant » (J. Foyer, note Clunet 1977. 665). Là encore,
l’argumentation est singulièrement faible. N’est-ce pas à propos de la règle de
conflit qui soumet les successions mobilières à la loi du dernier domicile du
défunt que le principe même du renvoi fut posé (arrêt Forgo, supra, no 7-8) et
son fondement précisé (v. not. Req. 9 mars 1910, Soulié, DP 1912. 1. 262,
rapp. Denis; Civ., 7 mars 1938, supra, no 16) ? En dépit de la faiblesse des
arguments qui la sous-tendent, la thèse de l’exclusion du renvoi fut consacrée
par la Cour de Paris au motif que l’article 311-14 procède à une « désignation
directe et impérative de la loi étrangère » (Paris, 11 mai 1976, D. 1976. 633,
note Massip, Rev. crit. 1977. 109, note Fadlallah, Clunet 1977. 656, note
J. Foyer; 20 janv. 1986, Rev. crit. 1988. Somm. p. 828; comp. Paris 15 mars
1994, D. 1994, IR p. 122; v. aussi Lyon 31 oct. 1979, Clunet 1981. 54, note
J. Foyer, Rev. crit. 1980. 558, note B. Ancel; rappr. TGI Paris, 29 nov. 1994,
Rev. crit. 1997. 403, 3e esp., note Jacques Foyer qui écarte le renvoi en repre-
nant la même motivation mais à propos de l’art. 311-17, ce qui témoigne d’une
singulière confusion des méthodes; contra TGI Paris, 20 avr. 1982, Clunet
73 LEPPERT — CASS., 3 MARS 1987 667
1983. 583, note Derruppé, Rev. crit. 1984. 290, note Jacques Foyer). On ne
s’étonnera pas dès lors de la position retenue par la Cour de Colmar dans la
présente affaire. Celle-ci est, en effet en parfaite harmonie avec celle de la juri-
diction parisienne. L’article 311-14 du Code civil donne compétence au seul
droit interne étranger à l’exclusion de ses règles de conflit, qu’elles en délimi-
tent le domaine dans l’espace ou dans le temps. Mais la logique qui animait les
juges du fond conduit à se demander si, en censurant la seconde solution, la
haute juridiction n’a pas implicitement remis en cause la première. D’une part,
en effet, l’arrêt Leppert fait définitivement justice de l’argument qu’on préten-
dait déduire de la précision temporelle figurant dans l’article 311-14; celle-ci a
pour seul objet de résoudre un éventuel conflit mobile. D’autre part et surtout,
il permet de dissiper les doutes que certains entretenaient sur la nature de la
règle de conflit qu’il énonce. Usant d’un rattachement abstraitement défini,
elle désigne la loi applicable en raison non de sa « teneur » mais de sa « voca-
tion » (Louis-Lucas, « Vue simplifiée du renvoi, Rev. crit. 1964. 1). C’est dire
qu’on ne saurait prétendre écarter le renvoi au prétexte qu’il risquerait de
remettre en cause la désignation d’une loi dont les dispositions matérielles
consacrent la solution recherchée par l’auteur de la règle. Valable pour la règle
de conflit figurant à l’article 311-17 du Code civil laquelle présente un carac-
tère substantiel marqué, l’argument ne l’est pas pour une règle de conflit de
facture classique comme celle qu’énonce l’article 311-14. Pas plus pertinente
ne serait l’argumentation qui développerait l’idée que la règle de l’article 311-14
repose plus sur la notion de proximité que sur celle d’allégeance et que le rat-
tachement choisi est le meilleur parce que la mère est au centre de la relation
(P. Lagarde, Rev. crit. 1988. 53). Un tel argument prouverait trop « car le choix
d’un rattachement quelconque est toujours fondé sur ce que l’auteur de la
règle, qu’il s’agisse des tribunaux ou du législateur, l’estime le meilleur »
(P. Mayer et V. Heuzé, no 615).
Ensuite et surtout, si l’idée de proximité peut justifier la mise à l’écart du
renvoi lorsqu’elle s’incarne dans une règle qui requiert pour se réaliser l’inter-
vention de son destinataire (loi qui présente les liens les plus étroits, clause
d’exception,…), car on ne saurait admettre que soit ruiné le travail sur mesure
accompli par celui-ci, il n’en va pas de même lorsqu’elle s’exprime à travers
un rattachement abstraitement défini, sauf à remettre en cause le principe
même du renvoi (supra, no 52 § 12). Or consacré, en ce domaine, par l’arrêt
Sommer (Civ., 8 déc. 1953, Rev. crit. 1955. 133, note Motulsky, JCP 1954.
II. 8080), celui-ci s’y révèle aujourd’hui plus utile encore que par le passé.
Il permet, en effet, de corriger la localisation quelque peu irréaliste à laquelle
conduit parfois le rattachement retenu par le législateur (pour un exemple
v. Y. Lequette, note, Rev. crit. 1989. 74 et s.).
8 En parfaite harmonie avec la structure de la règle de conflit énoncée par
l’article 311-14 du Code civil, l’admission du renvoi l’est également avec
l’esprit même de la loi du 3 janvier 1972. On sait, en effet, que celle-ci est,
pour l’essentiel, formée de dispositions qui, tels l’article 311-15 ou la règle à
coloration substantielle de l’article 311-17, assurent une prépondérance mar-
quée à la loi française et par là même transforment le droit international privé
668 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 73
I. — Civ. 1re, 11 octobre 1988, Rev. crit. 1989. 368 et chr. Y. Lequette, p. 277,
Clunet 1989. 349, note D. Alexandre et chr. D. Bureau, 1990, p. 317,
Rép. Defrénois 1989. 310, obs. Massip.
II. — Civ. 1re, 18 octobre 1988, Rev. crit. 1989. 368 et chr. Y. Lequette, p. 277,
Clunet 1989. 349, note D. Alexandre, et chr. D. Bureau, 1990, p. 317,
JCP 1989. II. 21259, note Prévault.
III. — Civ. 1re, 4 décembre 1990, Rev. crit. 1991. 558, note M.-L. Niboyet-Hoegy,
Clunet 1991. 371, note D. Bureau.
IV. — Civ. 1re, 26 mai 1999, Rev. crit. 1999. 707, 1re esp., note H. Muir Watt,
Gaz. Pal. 2000, nos 61 et 62, p. 39, obs. M.-L. Niboyet.
V. — Civ. 1re, 26 mai l999, Rev. crit. 1999. 707, 2e esp., note H. Muir Watt,
JCP 1999. II. 10192, note F. Mélin, Defrénois 1999. 1261, obs. Massip.
ment aux règles de droit qui lui sont applicables, une cour d’appel a violé
les textes et principes susvisés (2e arrêt).
Lorsque les parties n’ont pas invoqué d’autres lois que celles spécialement
tirées du droit français en une matière qui n’est soumise à aucune conven-
tion internationale et où elles ont la libre disposition de leurs droits, il ne
saurait être reproché aux juges du fond de ne pas avoir procédé d’office à
la recherche de la loi applicable au fond (3e arrêt).
S’agissant des droits dont les parties ont la libre disposition, une cour
d’appel a légalement justifié sa décision sur le fondement de la loi française,
dès qu’aucune des parties n’avait invoqué la Convention de La Haye du
15 juin 1955 pour revendiquer l’application d’un droit étranger (4e arrêt).
En accueillant une action en recherche de paternité sur le fondement de
l’article 340 du Code civil français, sans rechercher, d’office, quelle suite
devait être donnée à l’application de la loi personnelle de la mère, qui,
selon les éléments de la procédure, était titulaire d’une carte de résident,
la cour d’appel a méconnu les exigences des articles 311-14 et 3 du Code
civil (5e arrêt).
Comme le note M. Massip dans ses observations, une telle solution apparaît quelque
peu « stupéfiante » (Defrénois 1989. 311). Mais sur le terrain du droit interne français
l’arrêt échappait à la censure de la Cour de cassation, l’appréciation de la valeur des
preuves produites relevant du pouvoir souverain des juges du fond. Restaient alors les
possibilités offertes par le droit international privé français puisque l’article 311-14 du
Code civil soumet l’action en recherche de paternité à la loi nationale de la mère, loi
algérienne en l’occurrence. Mais le pourvoi n’invoquant pas l’application de cette loi, la
seule voie ouverte à la haute juridiction pour censurer cette décision était de découvrir
dans la non-application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit française un
moyen de pur droit que l’article 1015 du Nouveau Code de procédure civile lui permet
de relever d’office. Ce qu’elle fit.
Les données de la deuxième affaire étaient plus techniques. Un Suisse domicilié en
Suisse avait consenti à sa maîtresse une donation déguisée. Après le décès du donateur,
sa fille avait demandé la nullité de la libéralité. Les juges du fond la lui avaient accordée
par application du droit français. Un pourvoi avait été formé qui soutenait que la loi
suisse était applicable en tant que loi du dernier domicile du défunt régissant la succes-
sion mobilière de celui-ci (Civ., 19 juin 1939, Labedan, supra, no 18) et plus particuliè-
rement les règles de la réserve héréditaire.
Sensiblement différente était la troisième affaire. Si l’élément d’extranéité y était
également manifeste, il n’était, en revanche, pas aussi évident qu’elle dût obéir à une loi
étrangère. En l’espèce, la Société française Vesoul Transports avait été choisie par la
Société Transports affréteurs de la Sienne, également française, pour transporter des
Pays-Bas en Espagne un chargement de viande de porc vendu par la société Coveco
dont le siège social est aux Pays-Bas, aux Etablissements Jamones Sala domiciliés en
Espagne. Estimant la viande avariée, les autorités vétérinaires espagnoles refusèrent
l’entrée du chargement en Espagne. Une expertise ayant révélé que le dommage était dû
au mauvais fonctionnement du camion et à la négligence du chauffeur, les Sociétés
Coveco, Jamones Sala, et Transports affréteurs de la Sienne agirent en responsabilité
contre la Société Vesoul Transports. Le Tribunal de grande instance de Vesoul leur donna
gain de cause. Mais en appel la société Coveco se vit dénier par la Cour de Besançon son
droit à agir en réparation. Selon le droit français des assurances, la demanderesse ne
pouvait plus agir en son nom propre dès lors qu’elle avait été totalement indemnisée par
son assureur. Afin d’échapper à cette règle, la société Coveco prétendait que son intérêt
à agir et par suite l’existence de son droit d’action devait s’apprécier au regard du droit
néerlandais qui régissait le contrat conclu avec son assureur. Le pourvoi soulevait donc
une question particulièrement délicate, celle de la loi applicable aux conditions du droit
d’agir en justice et spécialement à l’appréciation de l’existence de l’intérêt à agir (sur
ces problèmes, v. F. Terré, « Les conflits de lois en matière d’action en justice », Trav.
com. fr. dr. int. pr. 1964-1966, p. 111; M. L. Niboyet-Hoegy, L’action en justice dans les
rapports internationaux de droit privé, 1986). Répondant à la question qui lui était
posée, la haute juridiction saisit en même temps l’opportunité que lui offrait cette affaire
pour infléchir sa position sur la question de l’autorité de la règle de conflit. Aussi bien,
figurant dans ce recueil pour cette seule raison, cette décision y sera-t-elle analysée de
ce seul point de vue.
Quant aux deux dernières affaires, elles constituent un tout, en raison de leur complé-
mentarité. La haute juridiction a, en effet, choisi de traiter le même jour deux pourvois
ayant trait à des espèces, certes fort différentes mais dont le rapprochement lui permet-
tait de préciser aussi exactement et complètement que possible les contours de la doc-
trine qu’elle entend désormais faire prévaloir en matière d’autorité de la règle de conflit
de lois. Les hauts magistrats ayant clairement laissé entendre que le « fil conducteur »
de leur nouvelle jurisprudence résidait dans la nature des droits litigieux (Lemontey et
672 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78
1er ARRÊT
(Rebouh c/Bennour)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que Melle Rebouh reproche à
l’arrêt attaqué, statuant sur une action en recherche de paternité, d’avoir été
prononcé en chambre du conseil alors qu’en application des dispositions combi-
nées des articles 450 et 1149 du Nouveau Code de procédure civile, il aurait dû
l’être en audience publique; — Mais attendu que, selon l’article 458 du même
code, aucune nullité ne peut être ultérieurement soulevée pour l’inobservation
des formes prescrites relativement à la publicité du prononcé des jugements si
elle n’a pas été invoquée au moment de ce prononcé par simples observations
dont il est fait mention au registre d’audience, ce qui n’est pas allégué en
l’espèce; que la mention de l’arrêt selon laquelle l’affaire a été mise en délibéré
pour l’arrêt rendu le 14 avril 1986 établit que, contrairement aux allégations du
moyen, les parties avaient été averties de la date du prononcé de la décision;
que le moyen est donc sans fondement; — Le rejette;
Mais sur le moyen relevé dans les conditions prévues par l’article 1015 du
Nouveau Code de procédure civile : — Vu l’article 311-14 du Code civil, ensemble
l’article 12, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile; — Attendu qu’aux
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 673
termes du premier de ces textes, la filiation est régie par la loi personnelle de la
mère au jour de la naissance de l’enfant; qu’en vertu du second, le juge doit
trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables; —
Attendu que Melle Nadia Rebouh, de nationalité algérienne, a donné nais-
sance à un enfant de sexe féminin le 3 juillet 1977, qu’elle a formé une action
en recherche de paternité contre M. Laïb Bennour; que l’arrêt attaqué l’a
déboutée de sa demande au motif que la preuve d’un concubinage notoire ou
d’une séduction à l’aide d’une promesse de mariage, cas d’ouverture à l’action
prévus par les 2° et 4° de l’article 340 du Code civil français, invoqués par la
mère, n’était pas rapportée; — Attendu qu’en se déterminant ainsi sans recher-
cher, d’office, quelle suite devait être donnée à l’action en application de la loi
algérienne, loi personnelle de la mère, la cour d’appel a violé les textes susvisés;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen du
pourvoi; — Casse.
Du 11 octobre 1988. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Ponsard, prés.; Massip, rapp.; Char-
bonnier, av. gén. — SCP Riché, Blondel et Thomas-Raquin, av.
2e ARRÊT
(Schule c/Philippe)
La Cour; — Attendu que le 5 août 1977, Max Brunner, président-directeur
général de la société anonyme dénommée « Société alsacienne d’importation
de café », dite SATI, avait cédé 92 actions de cette société à sa maîtresse,
Mme Schule, moyennant le prix de 699 200 F, stipulé payable comptant à
concurrence de 460 000 F et le solde en deux fractions, l’une de 100 000 F, le
1er août 1981, et l’autre de 139 200 F, le 1er août 1982; que, le 19 août 1977,
Mme Schule avait donné à sa banque, le Crédit industriel d’Alsace et de Lor-
raine, l’ordre de virer au compte de Max Brunner à l’agence de Schaffhouse
(Suisse) de l’Union des banques suisses, la somme de 460 000 F français, repré-
sentant la première fraction du prix de cession des actions; que trois jours plus
tard, Max Brunner faisait ouvrir à la Banque cantonale de Schaffhouse un
compte personnel au nom de Mme Schule sur lequel il faisait virer, le 24 août
1977, une somme de 224 940 F suisses, représentant la contre-valeur, à cette
date, des 460 000 F français qu’il avait reçus de Mme Schule, le 19 août précé-
dent ; qu’il est décédé le 20 avril 1978, laissant pour seule héritière sa fille,
Marie-Thérèse, épouse Philippe; que cette dernière, ne retrouvant aucune trace
dans la succession de son père de la somme de 460 000 F, représentant la pre-
mière fraction du prix de cession des actions de la société Sati, a fait assigner
Mme Schule pour faire juger que la cession de ces actions dissimulait, sous la
forme d’une vente, une donation consentie par son père à sa maîtresse et faire
déclarer nulle cette donation déguisée; que l’arrêt infirmatif attaqué, retenant
que les diverses opérations du mois d’août 1977 traduisaient clairement l’inten-
tion de Max Brunner d’avantager sa maîtresse au préjudice de sa fille légitime,
sous l’apparence d’une vente fictive, et en infraction à la législation sur les chan-
ges, a condamné Mme Schule à restituer à la succession de Max Brunner les
92 actions au porteur de la société Sati ayant fait l’objet de la cession du 5 août
1977, ainsi que les dividendes produits par ces actions depuis le 25 août 1977 et
les intérêts légaux de ces dividendes à compter de leur distribution;
Sur le premier moyen : — Attendu que Mme Schule reproche à l’arrêt attaqué
d’avoir ainsi statué, alors que la qualification de donation déguisée ne pouvant
être retenue qu’en présence d’une dissimulation cherchant à créer une appa-
rence trompeuse, la cour d’appel, qui avait constaté que la somme de 460 000 F,
représentant la première fraction du prix de cession des actions, avait été osten-
siblement versée à Max Brunner et que celui-ci avait tout aussi ostensiblement
674 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78
versé une somme équivalente à Mme Schule quelques jours plus tard, ne pou-
vait, sans violer les articles 1582 et 1099, alinéa 2, du Code civil, décider qu’il
s’agissait d’une donation déguisée; — Mais attendu que les juges du second
degré ont estimé, par une appréciation souveraine, que les opérations du mois
d’août 1977 présentaient un caractère unique d’où il résultait que la même
somme de 460 000 F, entrée dans le compte de Max Brunner en était immédiate-
ment ressortie pour créer un compte du même montant, exprimé en francs suis-
ses, à la Banque cantonale de Schaffhouse au profit de Mme Schule; qu’ils ont
pu voir dans le rapprochement de ces opérations simultanées, dont le but était
de créer une apparence trompeuse, la dissimulation constitutive de la donation
déguisée, d’où il suit que le moyen n’est pas fondé; — Le rejette;
Mais sur le deuxième moyen : — Vu l’article 3 du Code civil et les principes du
droit international privé qui gouvernent le droit des successions et des libérali-
tés, ensemble l’article 12 du Nouveau Code de procédure civile; — Attendu que
les libéralités entre vifs sont soumises à la loi successorale pour tout ce qui
concerne les règles protectrices des droits des héritiers, spécialement celles rela-
tives à la réserve héréditaire, et que les successions mobilières sont régies par la
loi du dernier domicile du défunt; — Et attendu que le juge doit trancher le
litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables; — Attendu que,
pour annuler la donation déguisée consentie par Max Brunner à Mme Schule,
l’arrêt retient que la dissimulation opérée avait eu pour objet de priver l’enfant
légitime d’une partie de la succession de son père; — Attendu qu’en statuant
ainsi, alors que Max Brunner avait son dernier domicile en Suisse, sans recher-
cher, au besoin d’office, quelle suite devait être donnée à l’action de Mme Phi-
lippe en application de la loi helvétique, la cour d’appel a violé les textes et les
principes susvisés;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen : —
Casse.
Du 18 octobre 1988. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Ponsard, prés.; Barat, rapp.;
Mme Flipo, av. gén. — SCP Boré et Xavier, SCP de Chaisemartin, av.
3e ARRÊT
(Soc. Coveco et autres c/Soc. Vesoul transports et autre)
La Cour; — Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la société
Vesoul transports a été choisie par la société Transports affréteurs de la Sienne
pour transporter, par route, des Pays-Bas en Espagne un chargement de viande
vendu CAF par la société néerlandaise Coveco à la société Jamones Sala; que la
marchandise a été refusée pour l’entrée en Espagne lors du contrôle sanitaire;
que l’arrêt attaqué (Besançon, 15 févr. 1989) a déclaré la société Coveco irrece-
vable à agir en réparation de son préjudice, aux motifs qu’elle avait été indem-
nisée par son assureur;
Sur le premier moyen : — Attendu qu’il est reproché à cet arrêt d’avoir ainsi
statué alors, selon le moyen, que l’intérêt à agir s’apprécie au regard de la loi
applicable au fond que le juge doit rechercher d’office; qu’en faisant applica-
tion de la loi française et en énonçant que la société Coveco n’invoque l’applica-
bilité d’aucune autre règle de droit pour en déduire qu’elle n’est pas autorisée à
agir au nom de l’assureur qui l’a indemnisée, sans rechercher si la loi néerlan-
daise régissant le contrat de la société Coveco avec son assureur était applicable,
la cour d’appel a violé l’article 12 du Nouveau Code de procédure civile, l’arti-
cle 3 du Code civil ainsi que les principes de droit international privé gouvernant
la procédure; — Mais attendu que l’exigence d’un intérêt né et actuel est com-
mandée, en raison de son caractère procédural, par la loi du for, la loi applicable
au fond n’étant à prendre en considération que si elle n’accorde pas de droits à
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 675
celui qui agit en justice; — Et attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt
attaqué que les parties, et particulièrement la société Coveco, n’ont pas invoqué
sur ce point d’autres lois que celles spécialement tirées du droit français en une
matière qui n’était soumise à aucune convention internationale et où la société
Coveco avait la libre disposition de ses droits; — D’où il suit que le moyen ne
peut être accueilli;
Sur le second moyen : — Attendu qu’il est fait grief à la cour d’appel d’avoir
statué comme elle a fait alors, selon le moyen, qu’en relevant que le libellé des
conclusions de la société Coveco démontre que les assureurs ont indemnisé
celle-ci et en énonçant que, contrairement à ce que soutient cette société, la
jurisprudence par elle citée décide que l’assuré, dans la mesure où il a été désin-
téressé par l’assureur, ne peut plus exercer contre le responsable les droits dans
lesquels ce dernier a été subrogé, elle a divisé l’aveu et violé l’article 1356 du
Code civil; — Mais attendu que, dans ses conclusions, la société Coveco exposait
que « le fait que les assureurs l’aient indemnisée n’implique pas qu’elle n’ait
plus le droit d’agir à son nom mais pour le compte des assureurs »; qu’en rete-
nant, à la fois, le fait de l’indemnisation et qu’aucune disposition légale ou
conventionnelle n’autorise la société Coveco à agir au nom de l’assureur qui l’a
indemnisée, la cour d’appel n’a aucunement divisé l’aveu comme le prétend le
moyen qui, dès lors, est sans fondement;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 4 décembre 1990. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. C. Bernard, f. f. prés.; Lemontey,
rapp., Mme Flipo, av. gén. — Me Ryziger et SCP Le Bret et Laugier, av.
4e ARRÊT
(Soc. Mutuelle du Mans IARD c/M. Boedec et autres)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que la société Mutuelle du
Mans IARD, condamnée en qualité d’assureur de la société Armoricaine de
modernisation (ARMO) à indemniser M. Boedec des conséquences de l’effondre-
ment d’un silo à grains fourni par la société ARMO, fait grief à l’arrêt attaqué
(Rennes, 6 mars 1996) de l’avoir déboutée de ses recours en garantie dirigés
contre la société suisse Gutzwiller, importateur du silo, et la société allemande
Selz, fabricant, en application du droit français, sans se prononcer, au besoin
d’office, sur la loi compétente pour régir le recours en garantie par application
de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à
caractère international d’objets mobiliers corporels; — Mais attendu que s’agis-
sant de droits dont les parties ont la libre disposition, la cour d’appel a légale-
ment justifié sa décision sur le fondement de la loi française, dès lors qu’aucune
des parties n’avait invoqué la Convention de La Haye du 15 juin 1955 pour
revendiquer l’application d’un droit étranger.
Sur le second moyen : (sans intérêt).
Par ces motifs : — Rejette.
Du 26 mai 1999. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Lemontey, prés., Ancel, rapp., Gaunet,
av. gén. — SCP Boré et Xavier, SCP Célice, Blancpain et Soltner, Me Spinosi, SCP Vincent et Ohl,
Me Vuilton, av.
5e ARRÊT
(M. Belaid A. c/Mme E)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Vu l’article 311-14 du Code civil, ensem-
ble l’article 3 du Code civil; — Attendu qu’aux termes du premier de ces textes,
676 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78
OBSERVATIONS
1 Selon Paul Lerebours-Pigeonnière, la jurisprudence avance en « dents de
scie ». Enoncée devant le Comité français de droit international privé à la suite
de la communication présentée par le Doyen Maury sur « La condition de la
loi étrangère en droit français » (Trav. com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 135),
cette remarque reçoit, près de cinquante ans plus tard, à propos de cette même
question, une illustration éclatante. En effet, après avoir longtemps posé que la
règle de conflit de lois présentait pour le juge français un caractère facultatif
lorsqu’elle désignait une loi étrangère (arrêts Bisbal et Compagnie algérienne
de crédit, supra, nos 32 et 33), la haute juridiction consacre, par deux arrêts
des 11 et 18 octobre 1988, la solution contraire pour revenir ensuite, mais en
deux temps à une solution proche de sa position initiale. On décrira ici le phé-
nomène (I), avant de tenter d’apprécier la valeur des solutions qui en sont
issues (II).
A. — De la faculté à l’obligation
2 On sait que la Cour de cassation a, dans son arrêt Bisbal (supra, no 32),
décidé que « les règles françaises de conflits de lois en tant du moins qu’elles
prescrivent l’application d’une loi étrangère, n’ont pas un caractère d’ordre
public, en ce sens qu’il appartient aux parties d’en réclamer l’application et
qu’on ne peut reprocher aux juges du fond de ne pas appliquer d’office la loi
étrangère et de faire, en ce cas, appel à la loi interne française laquelle a voca-
tion à régir tous les rapports de droit privé ». Elle a ainsi jeté les bases d’une
théorie de l’autorité de la règle de conflit laquelle varierait selon qu’est dési-
gnée la loi française ou la loi étrangère : la règle de conflit a dans le premier
cas un caractère d’ordre public qu’elle perd dans le second. Il en résulte que le
juge n’est tenu d’appliquer la règle de conflit désignant une loi étrangère que
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 677
si l’un des plaideurs le lui demande, faute de quoi il lui est cependant loisible
de le faire. En d’autres termes, le juge a la faculté, mais non l’obligation, en
l’absence d’allégation de l’une ou l’autre des parties relative au droit compé-
tent, d’appliquer d’office la règle de conflit lorsqu’elle désigne une loi étran-
gère. En dépit des nombreuses critiques que cette solution suscita, la haute
juridiction la maintint pendant près de trente ans. Tout au plus laissa-t-elle par-
fois entendre que l’application de la loi étrangère cesse d’être facultative pour
devenir obligatoire lorsque la matière faisant l’objet du litige est d’ordre public
(v. not. Soc. Thinet, Civ. 1re, 24 janv. 1984, Rev. crit. 1985. 89, note P. Lagarde,
Clunet 1984. 874, note J.-M. Bischoff, Grands arrêts dr. int. pr., 2e éd., no 61).
3 Néanmoins par deux arrêts des 11 et 18 octobre 1988, les arrêts Rebouh et
Schule, il sembla que la haute juridiction s’était enfin persuadée que la règle de
conflit de lois était une règle comme les autres. Elle y affirme, en effet, que le
juge est tenu d’appliquer d’office la règle de conflit française alors même
qu’elle désigne une loi étrangère. La faculté se transforme en obligation, le
pouvoir en devoir. Le message paraît clair. D’une part, ces décisions sont
dépourvues de toute ambiguïté : elles prononcent la cassation pour violation
de la loi et non pour manque de base légale, elles sont revêtues de tous les
attributs de l’arrêt de principe et, au moins pour la première, le moyen tiré de
la non-application de la règle de conflit de lois y est relevé d’office. D’autre
part, la haute juridiction use de l’ensemble des ressources qui s’offrent à
elle pour préparer et accompagner un tel changement. Effet d’annonce tout
d’abord : à plusieurs reprises la haute juridiction avait indiqué que la question
était au cœur de ses préoccupations et qu’elle entendait à plus ou moins brève
échéance revenir sur sa jurisprudence. Visant l’article 12, alinéa 1 du Nouveau
Code de procédure civile, elle avait déjà par deux fois affirmé l’obligation pour
le juge d’appliquer d’office la loi étrangère. Il est vrai que ces décisions
n’étaient pas sans laisser subsister certaines interrogations, dans la mesure où
elles avaient été rendues à propos de règles de conflit à la physionomie parti-
culière : règles à finalité matérielle pour la première (Civ. 1re, 25 nov. 1986,
Ameur, Rev. crit. 1987. 383, note B. Ancel et Y. Lequette, JCP 1988. II. 20967,
note P. Courbe, Defrénois 1987. 772, obs. Massip, D. 1987, Som. com. p. 351,
obs. Audit), règles unilatérales pour la seconde (Civ. 1re, 25 mai 1987, Clunet
1987. 927, note H. Gaudemet-Tallon, Rev. crit. 1988. 60, note Y. Lequette,
JCP 1988. II. 20976, note P. Courbe). Mais précisément les arrêts des 11 et
18 octobre 1988 paraissaient bien rétrospectivement dissiper toute incertitude.
Effet de répétition ensuite : désireuse de marquer le prix qu’elle attache à la
solution qu’elle pose, la Cour de cassation use d’un procédé plus spectaculaire
qu’à l’accoutumée et, semble-t-il, encore inédit en matière de conflit de lois;
rassemblant quelques pourvois appelant une réponse analogue, elle rend une
série d’arrêts qui énoncent tous la même solution de principe. Ainsi le modèle
proposé à l’imitation des juges du fond l’est-il avec plus de solennité. Effet de
promotion enfin : soucieux de focaliser l’attention de la communauté des juris-
tes sur l’importance du revirement ainsi réalisé, André Ponsard, Président de la
Première chambre civile, lui consacre une étude publiée en tête du Rapport
annuel de la Cour de cassation pour 1989 dans laquelle il met en relief ses
678 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78
B. — De l’obligation à la faculté
pour essayer de préciser le régime juridique de la loi étrangère après les arrêts
Rebouh et Schule (séance du 23 nov. 1990) une voix particulièrement autorisée
suggéra que la jurisprudence Bisbal demeurait, sauf lorsque la règle de conflit
avait son origine dans une convention internationale ou lorsque les parties
n’avaient pas la libre disposition de leurs droits (Lemontey, intervention, Trav.
com. fr. dr. int. pr. 1990-1991, p. 32). Aussi bien, la Cour de cassation devait-elle
faire sienne cette doctrine quelques jours plus tard. Elle affirma, en effet, dans
un arrêt Société Coveco du 4 décembre 1990 que « les juges du fond ne sont
pas obligés d’appliquer d’office la loi étrangère dès lors que les parties, et
particulièrement (le demandeur) n’ont pas invoqué sur ce point d’autres lois
que celles spécialement tirées du droit français en une matière qui n’était
soumise à aucune convention internationale et où (le demandeur) avait la
libre disposition de ses droits ». En d’autres termes, la règle de conflit revêt
un caractère facultatif sauf lorsqu’elle a sa source dans une convention
internationale ou qu’elle porte sur une matière impérative. Survenu dans un
laps de temps anormalement bref, ce nouveau revirement de jurisprudence
témoigne de l’inconvénient qu’il peut y avoir à ce qu’une solution soit le
produit, plus de l’empire qu’une forte personnalité exerce sur une formation
juridictionnelle que d’une délibération et d’une décision véritablement col-
légiales. Cette personnalité disparue, la juridiction renoue avec ses pratiques
antérieures.
6 S’efforçant de préserver l’acquis des arrêts des 11 et 18 octobre 1988, cer-
tains auteurs ont néanmoins tenté de minimiser la portée de l’arrêt Société
Coveco en soulignant que les circonstances de l’espèce étaient particulières, la
loi étrangère y étant prise en considération et non à proprement parler appli-
quée (P. Mayer, 4e éd., no 146). La réitération de cette solution (v. not. Civ.1re,
10 déc. 1991, Sarkis, Rev. crit. 1992. 313, note H. Muir Watt; 18 déc. 1990,
Soc. Menegatti, JCP 1992. II. 21824, note D. Ammar) devait montrer qu’il
s’agissait non d’un arrêt d’espèce mais d’un « arrêt de consolidation » : réaf-
firmant la solution Bisbal, il l’assortissait des tempéraments qui étaient censés
la rendre tolérable.
Mais, à l’usage, il apparut assez rapidement que la jurisprudence Société
Coveco était loin d’atteindre les objectifs que le pragmatisme de ses promo-
teurs lui avait fixés. Alors que la Cour de cassation était animée par le souci
d’alléger la charge incombant aux juges du fond, le système retenu par l’arrêt
Société Coveco conduisait à un curieux résultat : la réaffirmation du caractère
facultatif de la règle de conflit dans les matières où les parties sont maîtresses
de leurs droits, qui était l’instrument de cet allégement, était vidée de l’essen-
tiel de sa portée par le caractère obligatoire reconnu par le même arrêt aux
règles de conflit d’origine conventionnelle. Et de fait, les matières où les parties
ont le plus souvent la libre disposition de leurs droits (contrats, responsabilité
civile, régimes matrimoniaux) sont en même temps celles où s’appliquent des
règles de conflit d’origine conventionnelle à caractère universel (Conv. de
Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux contrats; Conv. de La Haye du
4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation routière; Conv.
de La Haye du 2 oct. 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des
680 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78
produits; Conv. de La Haye du 14 mai 1978 sur la loi applicable aux régimes
matrimoniaux). Le principe était ainsi paralysé par une exception dont on
verra dans la deuxième partie de ce commentaire que son fondement théori-
que était lui-même fort peu assuré (infra, § 10). Aussi le régime dérogatoire
dont bénéficiaient les règles de conflit d’origine conventionnelle était-il l’objet
de critiques doctrinales convergentes (B. Fauvarque-Cosson, Libre disponibi-
lité des droits et conflits de lois, thèse Paris II, éd. 1996, nos 207 et s., p. 130 et s.,
et réf. citées).
7 C’est dire qu’en décidant que les règles de conflit d’origine conventionnelle
ne présentent plus un caractère obligatoire dès lors qu’elles interviennent dans
un domaine où les droits sont disponibles, l’arrêt Mutuelle du Mans opère un
revirement de jurisprudence qui était souhaité. Or curieusement, ce revirement
de jurisprudence, bien qu’il ait pu apparaître rétrospectivement comme annoncé
par certains « soubresauts » jurisprudentiels (H. Muir Watt, Rev. crit. 1999. 707;
v. notamment Civ. 1re, 5 déc. 1995, La Préservatrice foncière, Rev. crit. 1996.
100, note B. Fauvarque-Cosson; 1er juill. 1997, Driss Abdou, Rev. crit. 1998.
60, 1re esp., note P. Mayer, D. 1999. 275, note Massip, qui ne tirent pas les
conséquences du statut privilégié d’une règle de conflit d’origine convention-
nelle quant aux obligations des juges du fond en ce qui concerne la recherche
de la teneur de la loi étrangère; v. aussi Civ. 1re, 5 janv. 1999, Rev. crit. 1999.
297, note P. Lagarde, qui s’abstient de relever d’office la Convention de
La Haye du 4 mai 1971), n’avait pas été pressenti par la doctrine (P. Lagarde,
Rev. crit. 1999. 297), au point qu’on a pu parler à son propos de « coup de
théâtre » (B. Fauvarque-Cosson, « Le juge français et le droit étranger »,
D. 2000. 125). Une telle situation s’explique sans doute par la fermeté affichée
des hauts magistrats en faveur de l’application d’office des règles de conflit
d’origine conventionnelle (Lemontey et Rémery, Rapport préc., p. 81).
Désireuse de réduire au maximum les supputations et les interrogations qui
accompagnent tout revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a choisi
de répondre le même jour aux pourvois formés contre deux décisions interve-
nues dans des domaines très différents, contrat pour la première, état des
personnes pour la deuxième. On est alors en présence d’arrêts de concert pro-
duisant non plus à proprement parler un effet de répétition mais un effet de
complémentarité. Grâce à l’association de ces deux affaires, la haute juridic-
tion est, en effet, en mesure de présenter aussi complètement que possible sa
nouvelle doctrine : privant par son premier arrêt les règles de conflit d’origine
conventionnelle de l’autorité privilégiée dont elles bénéficiaient, elle confirme
par son deuxième arrêt la vitalité de l’exception tirée de la nature indisponible
des droits litigieux. En d’autres termes, la nature disponible ou indisponible
des droits litigieux devient le « paramètre exclusif » qui commande l’office du
juge en matière internationale : facultative lorsque les droits litigieux sont dis-
ponibles, la règle de conflit de lois est obligatoire lorsqu’ils ne le sont pas
(H. Muir Watt, Rev. crit. 1999. 709).
8 La mise en parallèle des deux premières et des deux dernières décisions ci-
dessus reproduites est, au reste, riche d’enseignements. Reproduction presque
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 681
10 Tout en posant que la règle de conflit est facultative ou obligatoire selon que
les parties sont ou non maîtresses de leurs droits, la haute juridiction avait,
dans l’arrêt Société Coveco, précisé que la règle de conflit avait un caractère
toujours obligatoire lorsqu’elle avait sa source dans une convention internatio-
nale. Autrement dit, peu importait alors la nature disponible ou non des droits
litigieux; l’origine internationale de la règle de conflit suffisait à lui conférer
un caractère obligatoire. La haute juridiction cristallisait ainsi en une formule
tranchée une solution qui avait déjà connu, à l’état diffus, de multiples appli-
cations, soit que la Cour de cassation censure les décisions n’ayant pas fait
application d’office des règles contenues dans un traité (Civ., 15 juill. 1811,
S. chr. 1811. 1. 317; Crim., 18 févr. 1971, Rev. crit. 1973. 671, note Gothot et
Holleaux; Civ. 1re, 6 juin 1990, Bull. civ. I, no 137; v. depuis Civ. 1re, 18 déc.
1990, préc.), soit qu’elle souligne l’origine nationale de la règle de conflit pour
rejeter les pourvois dirigés contre les arrêts qui ne l’ont pas appliquée (Civ. 1re,
9 mars 1983, JCP 1984. II. 20295, note P. Courbe; 4 mars 1986, D. 1987,
682 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78
Som. com. p. 345, obs. Audit; 10 mai 1988, Clunet 1988. 1007, note Kahn).
Le fondement théorique de cette solution était pourtant loin d’être assuré, qu’on
le recherche du côté de la procédure civile ou du droit international public.
11 À se placer sur le seul terrain de la procédure civile, rien ne paraît, en effet,
devoir justifier la position éminente qui est ainsi reconnue aux conventions
internationales. Comme le soulignent les auteurs, « une fois en vigueur, les
normes conventionnelles doivent être appliquées à l’instar des autres normes
qui constituent le droit français » (P. Mayer, 4e éd., no 36), leur « inobservation
étant sanctionnée de la même manière que celle de la loi » (Dehaussy, J.-Cl. dr.
int., fasc. 12 A, nos 85 et s.). Sans doute la supériorité du traité sur la loi est-elle
aujourd’hui affirmée par les juridictions judiciaires (v. arrêt Jacques Vabre,
supra, no 55) et administratives (v. arrêt Nicolo, supra, no 56) qui se considè-
rent comme les destinataires directs de l’article 55 de la Constitution. Mais
cette disposition n’a d’intérêt qu’en cas de conflit avec un texte interne. S’agis-
sant de l’application même des conventions, celle-ci « s’intègre normalement
dans la mission générale de dire le droit car une fois introduit dans l’ordre
interne, le traité comme la constitution, les lois, les règlements, les actes contrac-
tuels ou unilatéraux, pénètre dans l’ordonnancement juridique que le juge a le
devoir naturel de garantir et de mettre en œuvre » (Nguyen Quoc Dinh,
Daillier et Pellet, Droit international public, 3e éd., no 154, p. 216; rappr.
M. L. Niboyet-Hoegy, « La mise en œuvre du dr. int. pr. conventionnel », Mélan-
ges Perrot, 1996, p. 313 et s., spéc. p. 316). Cette analogie paraît d’autant plus
s’imposer que, comme on l’a justement souligné, les conventions internationa-
les ne traitent pas, sauf disposition expresse assez rare, du problème de l’office
du juge face aux règles du traité (M. L. Niboyet-Hoegy, note Rev. crit. 1991.
566). Laissée à l’appréciation de chaque État, la question doit être résolue par
application de son droit commun, c’est-à-dire pour la France, de l’article 12,
alinéa 1 du Nouveau Code de procédure civile (en ce sens, Gothot et Holleaux,
note Rev. crit. 1973. 674). Il n’est donc de ce point de vue aucune raison de
conférer un statut privilégié aux conventions diplomatiques. Aussi bien, a-t-on
entrepris d’expliquer la différence de traitement dont elles bénéficient par des
considérations propres à ces dernières. Ainsi Niboyet avait cru pouvoir décou-
vrir celles-ci dans l’idée que les dispositions issues des conventions internatio-
nales sont « par hypothèse (…) préférables au droit commun » car les États ont
voulu améliorer celui-ci par celles-là (Traité, t. III, no 1064). Mais à supposer
même que le droit conventionnel soit de meilleure qualité que le droit interne,
ce qui reste à démontrer, il n’y a pas là matière à fonder une véritable obliga-
tion juridique.
12 Aussi, est-ce plutôt en prenant appui directement sur le droit international
public que certains ont entrepris de découvrir le fondement de cette obligation
du juge : le défaut d’application d’un traité étant de nature à engager la respon-
sabilité internationale de l’État, le juge serait obligé d’en faire application,
quelle que soit par ailleurs la teneur de son office à l’égard des règles d’origine
nationale (Lemontey, intervention, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1990-1991, p. 32).
S’il n’est pas exclu que la méconnaissance d’une convention internationale par
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 683
le juge suscite une certaine effervescence diplomatique, il n’en reste pas moins
que l’hypothèse reste fort théorique. En dépit du très grand nombre de déci-
sions ayant omis d’appliquer d’office, en matière de conflit de lois, des règles
d’origine conventionnelle, on ne peut citer aucune affaire ayant donné lieu à la
mise en cause de la responsabilité internationale de l’État. Même l’affaire Boll
souvent invoquée, y compris par nous même (Grands arrêts, 3e éd., p. 578),
pour illustrer une telle éventualité n’est pas significative; le débat y portait, en
effet, non sur l’absence d’application d’office de la Convention de La Haye de
1902, mais sur le fait qu’invoquée par la partie néerlandaise, elle avait été écar-
tée par le juge suédois (sur cette affaire, v. Batiffol et Francescakis, « L’arrêt
Boll de la Cour internationale de justice et sa contribution à la théorie du droit
international privé », Rev. crit. 1959. 259). Cette situation n’est pas fortuite.
Elle s’explique par le fait que l’omission d’une convention internationale rela-
tive aux conflits de lois ne saurait suffire à engager la responsabilité internatio-
nale de l’État. Il y faut en sus la démonstration que ce défaut d’application a
conduit à causer au ressortissant d’un État contractant un préjudice (privation
d’un droit subjectif, déni de justice) pour lequel cet État accepte de faire jouer
sa protection diplomatique et pour lequel la France accepte la juridiction de la
Cour. À supposer cette double acceptation acquise, il faudrait démontrer pour
obtenir gain de cause que l’application de la loi désignée par la règle de conflit
conventionnelle aurait permis d’accueillir la prétention de celui qui s’estime
victime de ce préjudice. Or il est rare, si vraiment la loi normalement compé-
tente permet d’obtenir satisfaction, qu’un plaideur fasse l’impasse sur celle-ci.
Et s’il l’a faite, c’est-à-dire s’il ne s’est pas prévalu devant les juges du fond de
la loi applicable en vertu d’une convention internationale, il ne devrait pouvoir
s’en prendre qu’à lui-même et ne saurait donc engager la responsabilité inter-
nationale de l’État (H. Muir Watt, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd., v° Loi étrangère,
nos 48 et s.). C’est dire que le problème se pose en termes très différents selon
qu’on est en présence d’un refus d’application par le juge français d’une
convention internationale invoquée par l’une des parties ou d’une absence
d’application d’office de cette même convention.
Le droit français n’est, au reste, pas resté indifférent à la première éventua-
lité. Il prévoit, en effet, qu’au cas où les tribunaux français auraient un compor-
tement qui risque de gêner le pouvoir exécutif dans la conduite des relations
extérieures de la France, notamment en écartant une convention internationale
qui engage « l’honneur de la nation qui (l’)a signé(e) » (P. G. Matter, Gaz.
Pal. 1936. 1, p. 572, 1re col.), les décisions qui en seraient le fruit seraient pas-
sibles d’un recours en cassation pour excès de pouvoir (v. M. Bauer, Le droit
public étranger devant le juge du for, thèse multigr., Paris II, 1979, nos 396
et s., p. 348 et s.). Réservé au Procureur Général près la Cour de cassation qui
l’exerce sur ordre du Garde des sceaux, ce recours a pour but de sanctionner
l’atteinte au principe de la séparation des pouvoirs qui résulterait d’une telle
attitude (Boré, La cassation en matière civile, no 3709, p. 1100). Il traduit « le
souci de préserver l’organisation constitutionnelle en maintenant les juges
dans les limites de leurs attributions et non pas celui de faire appliquer d’office
le droit conventionnel » (B. Fauvarque-Cosson, Libre disponibilité des droits
et conflits de lois, thèse Paris II, éd. 1996, no 220, p. 137); il est, au reste, très
684 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78
rarement utilisé (Req. 5 févr. 1936, S. 1936. 1. 151; Civ. 1re, 6 juill. 1954, Rev.
crit. 1954. 612, note Lenoan; 4 juin 1955, Rev. crit. 1956. 66, note Batiffol,
JCP 1955. II. 8777).
Ainsi conduisant à des résultats pratiques absurdes (supra, § 6, et plus
encore Grands arrêts, 3e éd., 1998, p. 578 et s.), l’application d’office des règles
de conflit d’origine conventionnelle était, en outre, dépourvue de tout fonde-
ment théorique solide. Il faut donc se féliciter de ce que, par son arrêt Mutuelle
du Mans du 26 mai 1999, la haute juridiction ait mis fin à une solution qui
contribuait à obscurcir une question déjà délicate. Il a récemment été soutenu
(A. Verdot, « L’applicabilité de la règle de conflit de lois d’origine conven-
tionnelle en question », D. 2006, p. 260) que la Première chambre civile aurait
renoué avec la jurisprudence Soc. Coveco par deux arrêts des 9 décembre 2003
(Bull. civ. I, no 251) et 31 mai 2005 (Rev. crit. 2005. 465, note P. Lagarde). C’est
là, semble-t-il, commettre une confusion : la haute juridiction se contente de
rappeler que lorsque les juges du fond exercent la faculté que leur reconnaît la
jurisprudence Mutuelle du Mans, dans les matières où les droits sont disponi-
bles, il leur faut user de la bonne règle de conflit.
sition des droits litigieux. L’office du juge est donc commandé par la nature
des droits litigieux.
14 Au regard de la stricte orthodoxie juridique, le système apparaît discutable.
La nature disponible ou non des droits litigieux est, en droit interne, sans inci-
dence sur l’office du juge. Pourquoi devrait-il en aller différemment en droit
international privé ? Comme le soulignait Henri Motulsky, la règle de conflit
doit être appliquée d’office, non parce qu’elle est d’ordre public mais parce
qu’elle est du droit. Le concept d’ordre public ne présente d’intérêt que
lorsqu’on se demande si le juge doit, ou non, s’incliner devant l’accord des
plaideurs qui ont convenu de l’application d’une loi autre que celle désignée
par la règle de conflit (Motulsky, « L’office du juge et la loi étrangère », Mélan-
ges Maury, t. I, p. 337 et s., reproduit in Écrits, t. III, p. 37 et s.; note, JCP 1960.
II. 11733, reproduite in Écrits, t. III, p. 168 et s., spéc. p. 172). C’est alors non
l’autorité de la règle de conflit de lois qui est en question mais sa force obliga-
toire (v. arrêt Soc. Hannover international, infra, no 84). Ceci étant, si la haute
juridiction, parfaitement informée des possibilités qui s’offraient à elle, a choisi
cette voie, c’est qu’elle en attendait des retombés positives. Après avoir envi-
sagé celles-ci, on constatera que ces considérations n’ont pas suffi à emporter
la conviction de la doctrine.
15 1°) En affirmant le caractère facultatif de la règle de conflit tout en l’assor-
tissant d’un tempérament lorsque les parties n’ont pas la libre disposition des
droits litigieux, la haute juridiction entend tout à la fois conserver les mérites
les plus concrets du système Bisbal et le purger de ses défauts les plus criants.
16 On débutera par les seconds qui sont connus : bien loin d’assurer à la rela-
tion internationale le règlement que sa localisation impose, la règle de conflit
devient, lorsqu’elle présente un caractère facultatif, source d’incohérence. Le juge
peut au gré de sa fantaisie ou de ses convictions, de son tempérament « volon-
taire » ou « asthénique » (P. Bellet, note, Rev. crit. 1965. 133), appliquer une
loi ou une autre. Quant aux parties, elles puisent dans le caractère facultatif de
la désignation et la carence du juge, le moyen d’obtenir de la lex fori, ce que la
loi en principe applicable leur refuse. La juridiction française est ainsi trans-
formée en un très attractif centre de forum shopping ! Les inconvénients du
système sont, au demeurant, particulièrement sensibles dans les matières
impératives : laisser aux parties la possibilité de rendre la loi du for applicable
en s’abstenant d’invoquer le droit compétent, c’est leur permettre de disposer
indirectement de droits… pourtant indisponibles. Aussi bien, soucieux de
remédier aux défauts les plus criants du système, Henri Batiffol avait-il pro-
posé dans sa note sous l’arrêt Bisbal que le juge soit obligé d’appliquer
d’office la loi étrangère désignée par la règle de conflit dans « les matières sur
lesquelles les parties ne peuvent, dans la conception française, déroger à la
loi » (Rev. crit. 1960. 66). C’est cette suggestion que la Cour de cassation
consacre avec éclat dans son arrêt Société Coveco et maintient dans l’arrêt
Belaid A. du 26 mai 1999 (v. depuis Civ. 1re, 14 juin 2005, Defrénois 2005.
1851, obs. Massip; 22 nov. 2005, Zédoufane, Bull. I, no 432, JCP 2005. IV.
3710; 7 juin 2006, JCP 2006. IV. 2427).
686 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78
blir que les droits litigieux sont disponibles. Mais dans ce système, le problème
de la définition de ces droits ne se pose qu’exceptionnellement et est d’abord
l’affaire des parties.
20 Prolongeant la réflexion, nombre d’auteurs soulignent que des voies autres
que celle de l’affirmation du caractère partiellement facultatif des règles de
conflit permettraient d’alléger plus efficacement la charge des juges. À consi-
dérer notamment la lutte menée par la haute juridiction contre les pourvois
dilatoires qui paraît bien constituer le motif essentiel du retour au principe de
l’application facultative des règles de conflit lorsque les droits litigieux sont
disponibles (Lemontey et Rémery, Rapport préc., p. 81), on s’est demandé si
elle ne pourrait pas être conduite en usant de moyens plus efficaces.
À cet égard, il a été souligné que le recours plus fréquent à la technique de
la substitution de motifs serait de nature à éviter le prononcé de cassations
purement formelles (J.-M. Bischoff, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1990-1991, p. 19
et s.; Y. Lequette, Clunet 1993. 310 et s.). Apparue dans la jurisprudence du
siècle dernier, cette technique a été consacrée par l’article 620 du Nouveau
Code de procédure civile qui dispose : « la Cour de cassation peut rejeter le
pourvoi en substituant un motif de pur droit à un motif erroné; elle le peut
également en faisant abstraction d’un motif de droit erroné mais surabondant ».
Se plaçant dans la perspective alors ouverte par les arrêts Rebouh et Schule,
Bischoff constatait que l’obligation d’appliquer d’office la règle de conflit
française risquait de conduire à des « cassations purement formelles lorsque la
loi étrangère comporte des dispositions substantielles sensiblement identiques
à celles de la loi française appliquée à tort » ou, ajoutera-t-on, manifestement
contraires à notre ordre public international. Afin d’éviter de telles cassations
tout en sauvegardant le respect dû au droit, il convenait, selon lui, de recourir
à la « substitution de motifs ». Il est vrai que pour pouvoir y procéder, le texte
exige que le motif substitué soit de pur droit, condition qui empêchait souvent
le procédé de jouer en matière internationale car la Cour de cassation n’était
pas en mesure de déterminer elle-même le contenu de la loi étrangère non
appliquée déférée à sa censure. Mais l’obstacle est aujourd’hui levé, la haute
juridiction estimant désormais que la loi étrangère est du droit (Civ. 1re,
13 janv. 1993, Coucke, Rev. crit. 1994. 78, note B. Ancel). La perspective est,
au reste, bien particulière puisque la recherche du droit étranger a alors pour
objet de rendre opératoire non un moyen de cassation mais un moyen de rejet
d’un pourvoi purement dilatoire (supra, no 36). Aussi bien, l’emploi d’une
telle technique devrait-elle permettre de lutter contre les contentieux artificiels
de manière beaucoup plus efficace que ne le fait l’actuelle limitation à certai-
nes matières de l’obligation d’appliquer d’office les règles de conflit de lois.
Les cassations formelles sont, en effet, susceptibles de se rencontrer non seu-
lement dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits
mais aussi dans celles où elles ne les ont pas, comme l’attestent les arrêts
Rebouh et Belaïd A.
Cette dernière décision permet, au demeurant, de prendre pleinement cons-
cience du caractère peu satisfaisant du système actuel. Alors que les juges du
fond avaient accueilli l’action en recherche de paternité naturelle par applica-
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 689
tion du droit français, leur décision est censurée parce qu’ils n’ont pas fait
application de la loi marocaine. Mais celle-ci étant, s’agissant d’un enfant
résidant habituellement en France, contraire à l’ordre public international fran-
çais (Civ. 1re, 10 févr. 1993, Rev. crit. 1993. 620, note J. Foyer, Clunet 1994. 124,
note I. Barrière-Brousse, Defrénois 1994. 994, obs. Massip), il appartiendra à
la juridiction de renvoi de constater cette contrariété et de donner au litige la
même solution que celle posée par les premiers juges. L’espèce permet, en
même temps, de prendre conscience des limites de la technique de la substitu-
tion de motifs. Celle-ci requiert que les faits sur lesquels la Cour de cassation
prend appui « soient exclusivement ceux qui résultent des constatations et
appréciations des juges du fond, tels que la décision attaquée les a énoncés »
(A. Perdriau, La pratique des arrêts civils de la Cour de cassation, 1993, nos 998
et s., p. 340). Or, en la circonstance, les juges du fond n’avaient malheureuse-
ment pas constaté dans leur décision la résidence en France de l’enfant. Tech-
nique utile, la substitution de motifs n’est cependant pas la panacée.
21 Récemment, la haute juridiction a paru prête à ouvrir, en la matière, de nou-
velles perspectives en usant de la théorie de l’équivalence. Une automobile
immatriculée en France étant entrée en collision avec un cheval qui divaguait
sur une route belge, le passager demanda réparation au conducteur des graves
blessures qu’il avait subies. Saisie d’un recours en garantie du conducteur et de
son assureur, la Cour de Reims condamna le propriétaire de l’animal ainsi que
son assureur à garantir l’intégralité des sommes mises à la charge des pre-
miers. Un pourvoi ayant reproché à la cour d’appel de s’être fondée sur « les
Codes civils français et belge (…) et de ne pas avoir exercé son office quant à
la détermination de la loi applicable », la Première chambre civile le rejette au
motif que « l’équivalence entre la loi appliquée et celle désignée par la règle de
conflit — en ce sens que la situation de fait constatée par le juge aurait les
mêmes conséquences juridiques en vertu de ces deux lois — justifie la déci-
sion qui fait application d’une loi autre que la loi compétente » (Civ. 1re,
13 avr. 1999, Cie royale belge, Bull. I, no 130, p. 85, Rev. crit. 1999. 698, note
B. Ancel et H. Muir Watt, Clunet 2000. 315, note B. Fauvarque-Cosson,
D. 2000. 268, note E. Agostini, JCP 2000. II. 10261, note G. Légier, Gaz. Pal.
2000, no 61-62, p. 42, obs. M.-L. Niboyet; v. déjà Civ. 1re, 11 juill. 1988, Bao-
Daï, Rev. crit. 1989. 81, note P.-Y. Gautier; 16 févr. 1994, Ammache, Rev. crit.
1994. 341, note H. Muir Watt). On a souligné qu’il y aurait là un moyen
d’écarter les pourvois dilatoires lorsque les deux lois en conflit (loi désignée et
loi appliquée) sont équivalentes, le manquement à l’obligation d’appliquer
d’office la règle de conflit ne changeant rien à l’issue du procès (B. Fauvarque-
Cosson, Clunet 2000. 322; G. Légier, JCP 2000. II. 10261, nos 13 et 17).
Mais ce moyen risque d’être de « faible portée » (H. Gaudemet-Tallon, « De
nouvelles fonctions pour l’équivalence en dr. int. pr. », Mélanges P. Lagarde,
2005, p. 303 et s., spéc. p. 309). N’ayant pas compétence pour apprécier la
teneur de la loi étrangère, la Cour de cassation ne peut rejeter un pourvoi utili-
sant la théorie de l’équivalence que si celle-ci a été constatée par les juges
du fond (B. Ancel et H. Muir Watt, note, Rev. crit. 1999. 705). Or il s’agit
là, semble-t-il, d’une éventualité assez rarement réalisée, les juges du fond
690 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78
ne s’embarrassant pas d’un tel détour qui complique singulièrement leur tâche,
puisqu’il les oblige à prendre connaissance du droit étranger. En outre, elle
nécessite de s’accorder sur l’équivalence alors requise (équivalence des droits
objectifs, équivalence des résultats,…) (v. infra no 82-83 § 13). Enfin, on a pu
s’interroger sur l’adéquation de cette théorie au regard de la logique d’ensem-
ble de notre droit international privé (H. Gaudemet-Tallon, art. préc., Mélan-
ges P. Lagarde, p. 309 et s.), particulièrement telle qu’elle résulte des arrêts du
28 juin 2005 (infra, no 83; M.-L. Niboyet, note, Gaz. Pal. 24-25 févr. 2006,
p. 23). Ces interrogations n’ont cependant pas empêché la haute juridiction
d’avoir recours à l’équivalence lorsque les circonstances s’y prêtaient (Civ. 1re,
3 avr. 2001, White, Rev. crit. 2001. 513, note H. Muir Watt, Gaz. Pal. 12-13 déc.
2001, p. 34 et chron. T. Habu-Groud, p. 22; Civ. 1re, 11 janv. 2005, Barbus-
chke, Rev. crit. 2006. 85, note M. Scherer, Clunet 2006. 955, note S. Godechot,
D. 2005. 2925, note J.-G. Mahinga, JCP 2005. I. 169, no 8, obs. C. Delpy,
Defrénois 2005. 1064, obs. Massip, Dr. fam. 2005, no 197, obs. M. Farge, Gaz.
Pal. 24-26 févr. 2006, p. 21, note M.-L. Niboyet) et de rappeler qu’il y a équiva-
lence lorsque « la situation de fait constatée par le juge (a) les mêmes consé-
quences juridiques en vertu (de la loi appliquée et de celle désignée par la règle
de conflit) » (Civ. 1re, 11 janv. 2005, préc.).
En définitive, le dilemme qui se pose aujourd’hui à la haute juridiction a pu
être ainsi résumé : « afin d’éviter les pourvois dilatoires, vaut-il mieux laisser
les juges du fond libres d’appliquer d’office la règle de conflit de lois, au gré
de leur humeur et de leur connaissances personnelles du droit étranger, ou
bien faut-il s’en tenir à une conception plus exigeante de l’office du juge
quitte à concevoir des tempéraments étroitement encadrés ? » (B. Fauvargue-
Cosson, Clunet 2000. 322).
79
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
2 mai 1990
(Rev. crit. 1991. 378, note B. Audit, Clunet 1991. 137 et chr. Dehaussy, p. 109)
État étranger. — Demande fondée sur son droit public. —
Juridictions françaises. — Défaut de pouvoir.
(République du Guatemala
c/Soc. internationale de négoce de café et de cacao)
ARRÊT
La Cour; — Attendu qu’il résulte des énonciations des juges du second degré
que la République du Guatemala a assigné la Société internationale de négoce
du café et du cacao (SINCAFC) devant le Tribunal de commerce de Paris dans le
ressort duquel celle-ci a son siège, ainsi que la Société arabe de torréfaction
(SATC), M. Chemali, dirigeant de cette dernière, la société Cotterelle, transitaire,
la société de droit hondurien Beneficio Merendon et M. Esquivel Lopez, 1° en
annulation pour cause illicite ou en inopposabilité sur le fondement de
l’article 1167 du Code civil de la vente, à Paris, le 17 juin 1986, d’un lot de café
692 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 79
OBSERVATIONS
I. Le fondement du principe
2 Si la possibilité d’appliquer incidemment, à l’occasion d’un litige entre parti-
culiers, les règles de droit public est aujourd’hui admise par tous, celle de les
appliquer, à titre principal et direct, à la demande et au bénéfice de l’État qui les
édicte fait encore difficulté. Elle se heurte, en effet, selon les uns, à l’incompé-
tence, selon les autres, au défaut de pouvoir des juridictions françaises. Le
contraste entre ces deux situations est, au reste, parfaitement illustré par les réso-
lutions successivement adoptées par l’Institut de droit international dans ses ses-
sions de Wiesbaden (1975) et d’Oslo (1977). Après avoir affirmé dans la première
que « le caractère public attribué à une disposition de droit public étranger dési-
gnée par la règle de conflit de lois ne fait pas obstacle à l’application de cette dis-
position, sous la réserve fondamentale de l’ordre public » (Rev. crit. 1976. 423),
l’Institut ajoute dans la seconde que « dans la mesure où du point de vue du for,
leur objet est lié à l’exercice de la puissance publique, les demandes en justice
d’une autorité étrangère ou d’un organisme public étranger fondées sur les dispo-
sitions de droit public, devraient en principe être considérées comme irrece-
vables » (Rev. crit. 1978. 224). Aussi bien, la haute juridiction s’est-elle, dans
l’arrêt reproduit, très directement inspirée des recommandations de l’illustre com-
pagnie, puisque, si ce n’était le passage du mode conditionnel au mode indicatif,
le motif essentiel reprendrait, mot pour mot, la résolution précitée.
Mais si l’on s’accorde généralement sur ce que les juridictions d’un État ne
sauraient se faire « les auxiliaires » d’un autre État, les divergences apparais-
sent dès lors qu’on s’efforce de mettre en évidence le fondement de cette
solution. Pour certains, celui-ci devrait être recherché à un niveau de généra-
lité plus élevé qu’ils situent soit dans le droit international public avec le prin-
cipe de l’indépendance et de la souveraineté des États, soit dans le droit cons-
titutionnel avec le principe de la séparation des pouvoirs (A). Pour d’autres,
rien dans le droit des gens ni dans le droit constitutionnel n’empêcherait les
tribunaux d’un État de s’ouvrir à de telles prétentions. S’ils s’y refusent, ce
serait pour des considérations pragmatiques, faute d’intérêt (B).
3 A. — Au premier abord, la notion de souveraineté paraît fournir une explica-
tion séduisante à l’attitude de refus des juridictions françaises. La situation de
l’État étranger demandeur n’est-elle pas symétrique de celle de l’État étranger
défendeur ! Or on sait qu’il est, au nom du respect des souverainetés, interdit à
un État de s’immiscer juridictionnellement dans les affaires d’un autre État dès
lors que « l’acte qui donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique
ou a été accompli dans l’intérêt d’un service public » (supra, no 47). Mais, à bien
y réfléchir, la similitude entre les deux situations n’est qu’apparente. Lorsque
l’État étranger occupe la position de défendeur, c’est en règle générale, contre
son gré qu’il est attrait devant les juridictions françaises. On comprend dès lors
que le fait de s’ériger en juge d’actes qu’il a accomplis dans l’exercice de sa
puissance publique porte atteinte à sa souveraineté. Lorsque l’État étranger a la
position de demandeur, c’est, au contraire, à sa requête expresse que les juges
français seront amenés à connaître d’actes qui relèvent de sa souveraineté. Com-
ment pourrait-il se plaindre ensuite d’un empiètement sur celle-ci ? Sa situation
s’apparente alors à celle de l’État étranger qui a renoncé au bénéfice de son
79 RÉPUBLIQUE DU GUATEMALA — CASS., 2 MAI 1990 695
puissance publique car ils risqueraient d’aller à l’encontre des intérêts de leur
propre État. C’est ainsi qu’en matière fiscale, la capacité contributive des assu-
jettis n’étant pas illimitée, faire droit à une demande étrangère ce serait pren-
dre le risque que les impôts dus à l’État du for ne soient pas acquittés. C’est
ainsi encore qu’en matière douanière, la réglementation des exportations par
l’État d’origine vise, comme dans la présente espèce, à maintenir les cours
à un niveau suffisant alors même que l’intérêt de l’État de destination est de
laisser jouer la loi du marché (B. Audit, note Rev. crit. 1991. 303; Van Hecke,
Comm. préc., Trav. com. fr. dr. int. pr. 1982-1984, p. 234).
À supposer même qu’un tel conflit d’intérêts soit absent, l’attitude de refus
des juridictions françaises s’expliquerait fort bien par les difficultés que pour-
rait susciter la position contraire. Accepter de statuer sur une demande émanant
des autorités étrangères n’implique pas, en effet, que celle-ci soit satisfaite. Or
le rejet circonstancié de cette demande pourrait être plus « offensant » pour
l’État étranger et donc plus embarrassant pour l’État du for que ne l’est « une
irrecevabilité fondée sur un principe indifférencié » (B. Audit, note Rev. crit.
1991. 382). Simplement, à raisonner exclusivement en termes d’intérêt, ces
auteurs admettent que, en dehors de toute convention ou disposition législative,
le juge puisse, s’il l’estime opportun, accepter de connaître d’une demande d’un
État étranger dont les intérêts convergeraient avec ceux du for, et ce, alors même
que cette demande serait fondée sur le droit public de cet État et que son objet
serait lié à l’exercice de la puissance publique. En guise d’exemple, on peut
songer à l’action en revendication qu’un État intenterait pour récupérer des
biens culturels volés ou exportés illégalement en se prévalant de son droit
éminent sur ceux-ci (G. Carducci, La restitution internationale des biens cul-
turels et des objets d’art, 1997).
On le voit, si le principe posé par la haute juridiction n’est pas près d’être
remis en cause, l’étendue des exceptions qui lui sont apportées dépend du fon-
dement qu’on lui assigne. Aussi bien convient-il maintenant de rechercher
celui qui a les faveurs de la haute juridiction afin de préciser l’exacte portée
du principe et de l’exception.
plus tard dans l’affaire Duvalier (Civ. 1re, 20 mai 1990, Rev. crit. 1991. 386,
note J.-M. Bischoff), la haute juridiction a réitéré le principe de l’irrecevabilité
mais non l’exception. Or celle-ci constitue certainement, dans l’acception que
lui a donnée l’arrêt reproduit, l’élément le plus solide en faveur d’un raison-
nement en termes d’intérêt.
En revanche, on ne saurait, à notre sens, déduire aucun argument en faveur
de l’une ou l’autre thèse de ce que la qualification doit s’opérer lege fori.
Qu’on raisonne en termes de pouvoir ou d’intérêt, la solution s’impose : il est
naturel que la définition des concepts auxquels se réfère une règle délimitant
les pouvoirs des juridictions françaises soit opérée selon nos propres concep-
tions. Quant à la convergence des intérêts, elle s’évalue évidemment à travers
le prisme du for.
En réalité, il n’y aurait guère pour départager les deux thèses en présence
que l’épreuve des faits, à savoir l’accueil, au nom de la convergence des inté-
rêts, d’une demande d’un État étranger fondée sur les dispositions de son droit
public et dont l’objet est lié à l’exercice de la puissance publique. Or la prati-
que française n’en offre pour l’instant pas d’exemple. Une telle constatation
n’est, au demeurant, guère surprenante car le tempérament énoncé par l’Insti-
tut de droit international, bien que formellement repris par la Cour de cassation,
paraît mieux adapté à la pratique judiciaire d’autres États, notamment celle des
États-Unis, qu’à celle de la France. Ainsi, il est fréquent Outre-Atlantique que
le juge exerce un pouvoir d’appréciation en opportunité contrastant avec l’appli-
cation de règles rigides; la doctrine du forum non conveniens en offre une
bonne illustration. En outre, il y est admis, lorsque sont présentes des consi-
dérations de politique étrangère, que l’exécutif fasse connaître aux juges
ses préférences et que ceux-ci en tiennent compte. Rien de tout cela ne se
retrouve en France.
Aussi bien, est-il permis de se demander si une solution équilibrée du pro-
blème qui nous occupe ne devrait pas être recherchée dans la prise en compte
d’un principe concurrent de celui énoncé par l’arrêt reproduit, à savoir la pos-
sibilité pour le juge français d’accueillir les demandes d’un État étranger
fondées sur des dispositions de son droit public, lorsqu’elles sont consécutives
ou accessoires à des prétentions de droit privé, plutôt que dans une exception
reposant sur la convergence des intérêts.
10 B. — Traitant de l’accueil par nos tribunaux de demandes des États étran-
gers fondées sur leur droit public, Henri Batiffol récusait, comme à son habi-
tude, les positions extrêmes. « La vérité, écrivait-il, se trouve naturellement
dans une position moyenne, et qui est réaliste, non une demi-mesure mal
justifiée » (note, Rev. crit. 1985. 107). Cette vérité jaillissait, selon lui, du rap-
prochement des deux principes posés par l’Institut dans sa session d’Oslo. Le
premier, on l’a vu avec la motivation de l’arrêt reproduit, affirme le principe de
l’irrecevabilité des demandes des États étrangers fondées sur des dispositions
de leur droit public lorsque leur objet est lié à l’exercice de la puissance publi-
que. Le second, simplement évoqué jusqu’à présent pose, au contraire, que
« devraient être considérées comme recevables les demandes en justice d’une
autorité étrangère ou d’un organisme public étranger, autres que celles visées
79 RÉPUBLIQUE DU GUATEMALA — CASS., 2 MAI 1990 701
dans l’article précédent et fondées sur les dispositions de son droit public, tel-
les notamment les demandes qui, du point de vue de l’État du for, sont consé-
cutives ou accessoires à des prétentions de droit privé » (Rev. crit. 1978. 224).
11 Autant l’existence d’une exception fondée sur la constatation d’une hypo-
thétique communauté d’intérêts qui ne se serait pas matérialisée dans une
convention, paraît, en l’état de la société internationale, audacieuse, autant
l’affirmation d’un principe concurrent déclarant recevables les demandes des
États étrangers dont l’objet n’est pas lié à l’exercice de la puissance publique
semble raisonnable. Les objections traditionnellement adressées à la recevabi-
lité des demandes des États étrangers tombent, en effet, dès lors que ceux-ci
n’agissent plus en tant que souverains.
Reste évidemment à tracer la ligne de partage entre ces deux principes jux-
taposés. Celle-ci procède moins de la définition de la notion de droit public
puisqu’elle est présente dans les deux hypothèses, que du fait que l’objet de la
demande est, ou non, lié à l’exercice de la puissance publique (rappr. CJCE,
14 oct. 1976, Eurocontrol, Rev. crit. 1977. 772, note G. A. L. Droz, Clunet 1977.
707, note A. Huet). Le caractère vague de la notion laisse une marge de manœu-
vre importante au juge. Et ceci d’autant plus que, comme dans le domaine
voisin des immunités (supra, no 47 § 5), ce sont les concepts de l’État du for
qui doivent être utilisés. Aussi bien, les remarques qu’a suscitées l’emploi en
matière d’immunité des formules par lesquelles la jurisprudence délimite la
compétence des juridictions judiciaires et administratives valent-elles ici aussi
(supra, no 47 § 3) : s’il ne saurait être question d’appliquer purement et sim-
plement ces critères aux demandes formulées par les États étrangers, du moins
peut-on s’en inspirer pour en déduire, non plus la compétence ratione materiae
des juridictions administratives ou judiciaires, mais le pouvoir ou le défaut de
pouvoir de l’ensemble des tribunaux français.
12 En la circonstance, ce défaut de pouvoir ne faisait guère de doute. De fait, la
revendication par l’État étranger d’une marchandise exportée illicitement ne
saurait être assimilée à celle qu’exerce le propriétaire dépossédé; elle implique
une « confiscation traduisant l’exercice d’une prérogative de puissance publi-
que ». Quant au contrat, il n’était pas à proprement parler l’enjeu du litige,
mais constituait « l’assiette d’une contribution dont l’État poursuivait le recou-
vrement » (Audit, note, Rev. crit. 1981. 383).
Tel était aussi le cas dans la célèbre affaire Duvalier. L’État haïtien deman-
dait aux tribunaux français de condamner M. Jean-Claude Duvalier, président
à vie d’Haïti réfugié en France, à restituer d’importantes sommes d’argent qu’il
aurait détournées. La Cour d’Aix-en-Provence ayant admis la compétence
des tribunaux français (Aix-en-Provence, 25 avr. 1988, Clunet 1988. 779, note
A. Huet), la Cour de cassation la censure en se fondant sur le principe de
l’irrecevabilité déjà posé dans l’arrêt reproduit ci-dessus. La solution paraît
fondée. En affirmant que « les rapports entre une collectivité publique et celui
de ses agents qui, par sa faute, lui cause un préjudice, sont des rapports
d’ordre privé », la Cour d’appel avait, en effet, pris de grandes libertés avec
les critères utilisés en droit interne français pour délimiter la compétence des
702 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 79
Rev. crit. 1970. 70, note Jambu-Merlin; Civ. 1re, 17 mars 1970, Rev. crit. 1970.
688, 1re esp., note P. Lagarde, Clunet 1970. 923, 1re esp., note G. de la Pradelle;
rappr. Cour de cassation de Belgique, 23 oct. 1969, Rev. crit. 1970. 688, 2e esp.,
note P. Lagarde; BGH, 26 avr. 1966, N. J. W. 1966. 120, Gaz. Pal. 1967. 1. 35).
Comme le souligne M. Rigaux, la demande de l’État étranger ne tend pas, dans
ce cas, à poursuivre « l’exécution d’un acte de souveraineté mais à obtenir la
mise en œuvre d’un droit civil à la protection duquel les organismes adminis-
tratifs ont été associés » (Rigaux et Zorbas, Les grands arrêts de la jurispru-
dence belge, Droit international privé, p. 385).
Ajoutons pour clore ce commentaire que, de manière plus générale, les tri-
bunaux français n’hésitent pas à appliquer des règles de droit public étrangè-
res à l’occasion de litiges qui relèvent fondamentalement du droit privé. En
effet, un tribunal internationalement compétent pour statuer sur un rapport
entre deux personnes privées ne peut refuser de résoudre une question de droit
public qui se pose à lui de façon incidente et conditionne l’issue du procès. La
jurisprudence française en offre de multiples exemples (Civ. 1re, 25 janv. 1966,
Royal Dutch, Rev. crit. 1966. 238, concl. Desangles, note Francescakis, donnant
effet aux arrêtés néerlandais rétablissant dans leurs droits les porteurs d’actions
Royal Dutch spoliés pendant la guerre; Civ. 1re, 13 déc. 1972, Bull. I, no 287,
admettant la validité du cautionnement d’une dette fiscale étrangère; Civ. 1re,
21 janv. 1975, Rev. crit. 1977. 120, note Couchez, déclarant recevable l’action
d’une personne en remboursement d’une dette fiscale payée pour autrui à
l’étranger; Civ. 1re, 15 nov. 1983, Rev. crit. 1985. 100, note Batiffol, Clunet
1984. 887, note P. Courbe; v. aussi P. Mayer, « Le rôle du droit public en droit
international privé français », Colloque de Bâle sur le rôle du droit public en
droit international privé, mars 1986, 1991, p. 63 et s.).
80-81
CONSEIL D’ÉTAT
(Ass.)
29 juin 1990
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
19 décembre 1995
1er ARRÊT
(GISTI)
2e ARRÊT
(Banque africaine de développement c/BCCI et autres)
Sur le second moyen, pris en ses deux branches : — Attendu que la BAD fait
grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré irrecevable sa demande en paiement du
solde créditeur de ses comptes ouverts à la BCCI, alors, selon le moyen, d’une
part, qu’en décidant que l’arrêt des poursuites individuelles prescrit par l’arti-
cle 47 de la loi du 25 janvier 1985 ne soumet pas, par lui-même, les avoirs de la
BAD aux « restrictions, réglementations, contrôles ou moratoires de toute
nature », la cour d’appel, par une interprétation restrictive de l’article 54 de
l’Accord, a violé ce dernier; alors, d’autre part, que l’exemption des avoirs de la
BAD par l’effet de ce texte est de droit, de sorte qu’en imposant à la BAD de
prouver que sa mission a été entravée, la cour d’appel a ajouté une condition à
l’article 54 précité; — Mais attendu, d’une part, que l’obligation faite à la BAD
de se soumettre, en qualité de créancière de la BCCI, aux règles d’ordre public
international de la procédure collective ouverte à l’encontre de son débiteur,
n’entre pas dans les prévisions de l’article 54 de l’Accord, l’indisponibilité provi-
soire des fonds en découlant n’étant que la conséquence de la situation juridi-
que de ce débiteur, ainsi que l’a exactement énoncé dans son principe la cour
d’appel; — Attendu, d’autre part, que le grief exposé dans la seconde branche
du moyen ne s’attaque qu’à des motifs, dès lors, surabondants; — D’où il résulte
que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 19 décembre 1995. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Lemontey, prés. et rapp.; Gaunet,
av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Célice et Blancpain, av.
OBSERVATIONS
plus souvent consultés par le ministère des Affaires étrangères, l’interprète sera,
lorsque l’Administration est impliquée dans le litige, juge et partie.
À l’inverse, confier exclusivement aux tribunaux le soin d’interpréter les
conventions diplomatiques, c’est permettre éventuellement à ceux-ci de contre-
carrer la politique menée par le gouvernement. « En fixant lui-même le sens et
la portée d’un engagement international, le juge peut dans certains cas entraver
les initiatives diplomatiques du gouvernement, par exemple si une renégocia-
tion est en cours, ou si, à la suite d’un contentieux international, le gouverne-
ment trouve intérêt à défendre à l’égard de ses partenaires, une interprétation
différente de celle à laquelle parvient le juge » (Abraham, Rev. crit. 1991. 69).
Et la responsabilité internationale de la France est toujours susceptible d’être
engagée par une interprétation intempestive.
Aussi bien, conscientes des enjeux, les plus hautes juridictions de l’ordre judi-
ciaire et de l’ordre administratif se sont-elles efforcées de prendre en compte
ces impératifs contradictoires. Mais elles l’ont fait sur des modes différents,
conformes à leur génie propre.
4 Dans un arrêt Duc de Richmond rendu par la Chambre civile le 24 juin 1839
(S. 1839. 1. 577, DP 1839. 1. 257), la haute juridiction a affirmé, à l’occasion
de l’interprétation des Conventions de 1814, que « les traités passés entre les
nations ne sont pas de simples actes administratifs et d’exécution, qu’ils ont le
caractère de lois et ne peuvent être appliqués et interprétés que dans les formes
et par les autorités chargées d’appliquer toutes les lois dans l’ordre de leurs
attributions, toutes les fois que les contestations qui donnent lieu à cette inter-
prétation ont pour objet des intérêts privés qui étaient attribués par la loi au
pouvoir judiciaire ». Reprise par la Chambre des requêtes (Req. 11 août 1841,
S. 1841. 1. 848; 30 juin 1884, S. 1886. 1. 174), cette solution fut formulée en
termes plus synthétiques par la Chambre civile dans un arrêt Rawane-Boye du
7 mars 1910 : « il appartient aux tribunaux de l’ordre judiciaire d’interpréter
les traités internationaux en tant qu’ils peuvent servir à résoudre un litige
d’intérêt privé » (S. 1915. 1. 101; v. aussi Civ., 22 déc. 1931, S. 1932. 1. 257).
A contrario, l’interprétation des conventions diplomatiques soulevant des ques-
tions d’intérêt public relevait de la seule compétence du gouvernement.
Ultérieurement, la haute juridiction substitua à l’opposition intérêts privés-
intérêts publics, un raisonnement en termes de principe et d’exception, sans
que la substance même des solutions s’en trouvât modifiée. Il appartient aux
tribunaux judiciaires d’interpréter les conventions diplomatiques, sauf en pré-
sence de questions touchant à l’« ordre international public » (Cass. ch. réu-
nies, 27 avr. 1950, Friedmann, Rev. crit. 1951. 98, concl. Rey, note Monneray,
S. 1950. 1. 65, note Niboyet, JCP 1950. II. 5650, note Lerebours-Pigeonnière,
710 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 80-81
Grands arrêts dr. int. privé, 2e éd., 1992, no 22, p. 171 et s.), à « l’ordre public
international » (Civ. 1re, 7 juin 1989, Soc. Cartours, JCP 1990. II. 21448, note
Rémery) ou encore de « questions de droit public international » pour employer
la motivation d’arrêts intermédiaires (Civ. 1re, 19 mars 1963, Chassagne, Rev.
crit. 1964. 93, Clunet 1963. 1044, note B. G., JCP 1963. II. 13270, note M. Ancel,
D. 1963. 529, note Malaurie; v. aussi Civ. 3e, 9 juin 1966, Consorts Caldum-
bide, Rev. crit. 1968. 471, note Batiffol, JCP 1966. II. 4814, note Tricaud; Civ. 1re,
18 nov. 1986, Soc. Atlantic Triton, Rev. crit. 1987. 760, note Audit, Clunet
1987. 125, note Gaillard).
blement (…) par un tribunal indépendant et impartial (…) dans un délai rai-
sonnable ».
En dernier lieu, on notait que les raisons traditionnellement invoquées en
faveur de l’interprétation ministérielle avaient perdu beaucoup de leur force.
L’argument selon lequel le juge n’a pas accès aux travaux préparatoires, fondé
pour les conventions bilatérales, ne valait pas pour la plupart des conventions
multilatérales. Les débats qui entourent leur négociation sont, en effet, souvent
l’objet d’une large publicité de la part des organisations internationales sous
l’égide desquelles elles sont élaborées. Il n’est pour illustrer ce propos, en
droit international privé, que de citer les actes et documents publiés par la
Conférence de La Haye à la suite de chacune de ses sessions.
12 B. — Décider que les juges ne sont plus liés par l’interprétation gouverne-
mentale ne signifie pas que leur pouvoir ne rencontre pas, parfois, certaines
bornes.
En premier lieu, si l’interprétation unilatérale donnée par le gouvernement
ne s’impose plus ni au juge judiciaire ni au juge administratif, ceux-ci sont en
revanche liés par une interprétation authentique qui prend la forme d’un nou-
veau traité faisant lui-même l’objet d’une ratification ou d’une approbation et
d’une publication par décret du président de la République. Au reste, il n’y a
pas alors, à proprement parler, interprétation mais nouvelle règle, laquelle est
elle-même susceptible de nouvelles interprétations (D. Alland, art. préc.,
RGDIP 1996, p. 629 et s., nos 39 et s.). Cette nouvelle règle ne sera pas applica-
ble aux affaires en cours, sauf à ses auteurs à lui conférer un caractère expres-
sément interprétatif (P. Lagarde, note, Rev. crit. 1989. 533). Ainsi en a-t-il été
dans l’affaire Air Afrique. Par deux fois en effet, la Cour de cassation a dû s’y
incliner devant l’interprétation gouvernementale qui avait pris la forme d’un
échange de lettres entre les gouvernements français et ivoiriens (Civ. 1re, 18 oct.
1988, Rev. crit. 1989. 527, note P. Lagarde; 6 nov. 1990, Rev. crit. 1991. 147,
note P. L. et échanges de lettres franco-ivoiriens des 11 avr. 1986 et 13 juill.
1989, Rev. crit. 1986. 575 et 1989. 806).
obs. Audit), la Cour de cassation refuse aux juges judiciaires la faculté d’inter-
roger le gouvernement et à plus forte raison d’apprécier eux-mêmes le respect
de la condition de réciprocité. En l’absence d’une initiative prise par le gou-
vernement pour dénoncer une convention ou suspendre son application, celle-
ci doit être appliquée par le juge (Civ. 1re, 16 févr. 1994, Ait Kaci, Rev. crit.
1995. 51, note P. Lagarde). À l’inverse, en présence d’une telle dénonciation,
cette décision s’impose aux juges sans qu’ils puissent en contrôler la régula-
rité (Civ. 1re, 23 mars 1994, N’Guyen, Rev. crit. 1995. 51, note P. Lagarde, Clu-
net 1995. 119, note Chappez).
À supposer qu’elle suive les recommandations du commissaire du gouver-
nement, la juridiction administrative devrait adopter en la matière une position
qui se situe aux antipodes de celle de la juridiction judiciaire (Abraham, Rev.
crit. 1991. 73; v. aussi Lachaume, note RFDA 1990. 938). Le juge administratif
devrait, en effet, comme par le passé (CE Ass., 29 mai 1981, Rekhou, D. 1982.
137, note Calonnec, Rev. crit. 1982. 65, concl. Théry, note P. Lagarde, Clunet
1982. 437, note Chappez), interroger le gouvernement sur le caractère effectif
de la réciprocité (pour la critique de cette solution, v. P. Lagarde, Rev. crit.
1991. 84). Et de fait le Conseil d’État a ultérieurement réaffirmé sa position
traditionnelle par un arrêt du 9 avril 1999 (CE, 9 avr. 1999, D. 1999, IR p. 174).
La condamnation de celle-ci par la Cour de Strasbourg au motif qu’elle viole-
rait l’article 6-1 de la CEDH (CEDH, 13 févr. 2003, D. 2003. 931, note Mou-
touh) devrait avoir pour conséquence soit l’abandon de cette jurisprudence,
soit au moins, au cas où l’opinion gouvernementale continuerait à être sollici-
tée, la discussion contradictoire de celle-ci par les parties.
82-83
COUR DE CASSATION
(Ch. com.)
Dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il
incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit étranger
désigné par la règle de conflit, conduirait à un résultat différent de celui
obtenu par l’application du droit français, de démontrer l’existence de cette
différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu’elle invoque à
défaut de quoi le droit français s’applique en raison de sa vocation subsi-
diaire (1er arrêt).
Il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger
d’en rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque,
la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de
donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étran-
ger (2e arrêt).
Faits. — Moins que toute autre, la question de la connaissance par le tribunal fran-
çais de la teneur de la loi étrangère que la règle de conflit commande d’appliquer peut
prétendre être définitivement résolue. Aussi bien, le titre à figurer conjointement dans
ce recueil des deux arrêts aux doctrines opposées ci-dessous présentés procède du des-
sein de rendre compte des deux solutions entre lesquelles la jurisprudence depuis plu-
sieurs lustres oscille selon des amplitudes variables. Sans doute le fait que le second de
ces arrêts émané de la Chambre commerciale se fonde sur une motivation de principe en
tout point identique à celle d’une décision de la Première chambre civile, prononcée le
même jour (Aubin, Rev. crit. 2005. 645, note B. Ancel et H. Muir Watt), atteste la forte
détermination de la Cour de cassation à fixer sa religion sur le point de l’office de juge
et du rôle des parties dans la recherche du droit étranger applicable. Cependant l’expé-
rience montre que la multiplicité des paramètres qu’il s’agit de combiner pour dégager
82-83 AMERFORD, CASS., 16 NOV. 1993 — ITRACO, 28 JUIN 2005 719
1er ARRÊT
Amerford, les marchandises ont été livrées à Roissy à la société Bull, « destina-
taire réel »; que c’est à leur arrivée à Angers, où cette dernière les avait fait
transporter par route, que des dommages aux marchandises, reconnus causés
par des chocs lors des opérations de manutention ou de transport, ont été cons-
tatés sans que l’expert désigné ait pu préciser à quel moment les avaries avaient
eu lieu; que les six compagnies d’assurance de la société Bull, subrogées dans ses
droits pour l’avoir indemnisée, ont assigné la société Amerford en dommages-
intérêts;
Sur le premier moyen : — Attendu que les sociétés Amerford et Amerford
France ainsi que la compagnie Air France et les assureurs de celle-ci font grief à
l’arrêt d’avoir accueilli la demande des assureurs de la société Bull sur le fonde-
ment du droit français alors, selon le pourvoi, que la charge de la preuve de la
loi étrangère pèse sur la partie dont la prétention est soumise à cette loi; que
saisie d’une action en responsabilité engagée par la société Bull à l’encontre de
la société Amerford, société de droit américain, en sa qualité de commission-
naire de transport et fondée sur la mauvaise exécution de la convention conclue
le 24 mai 1986 pour un transport de marchandises de l’Illinois à l’aéroport de
Roissy-en-France, la cour d’appel ne pouvait, sans renverser la charge de la
preuve, refuser d’appliquer la loi de l’État d’Illinois, normalement compétente
en vertu de la règle de conflit française, au seul motif que le défendeur à l’action
n’en rapportait pas la teneur; qu’ainsi, la cour d’appel a violé les articles 3 et 1315
du Code civil; — Mais attendu que, dans les matières où les parties ont la libre
disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend que la mise en
œuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de lois, conduirait à un
résultat différent de celui obtenu par l’application du droit français, de démon-
trer l’existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère
qu’elle invoque, à défaut de quoi le droit français s’applique en raison de sa
vocation subsidiaire; qu’ayant retenu que la société Amerford se bornait à reven-
diquer la compétence du droit de l’État de l’Illinois, sans établir que l’apprécia-
tion de sa responsabilité au regard des règles de ce droit en serait modifiée,
c’est sans inverser la charge de la preuve que la cour d’appel a statué sur le fon-
dement du droit français; que le moyen n’est pas fondé;
Mais sur le deuxième moyen : — Vu l’article 98 du Code de commerce; —
Attendu que pour décider que la société Amerford, en sa qualité de commis-
sionnaire de transport, était responsable des avaries constatées à l’arrivée de la
marchandise à Angers, l’arrêt retient que les circonstances exactes dans lesquel-
les les marchandises ont été dégradées sont inconnues et que, tenu d’une obli-
gation de résultat, le commissionnaire de transport ne peut échapper à sa
responsabilité; — Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses cons-
tatations que la marchandise litigieuse, après avoir été réceptionnée, à l’issue
du transport aérien, par la société Amerford France, avait été livrée, à Roissy, à
la société Bull, son « destinataire réel », et qu’il n’était pas possible d’établir
que les dommages avaient eu lieu pendant le transport effectué par la compa-
gnie Air France ou pendant les opérations de manutention précédant la livrai-
son à Roissy, c’est-à-dire pendant la seule partie des opérations concernées par
le contrat de commission, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales
de ses constatations;
Par ces motifs; et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen : —
Casse et annule, sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action directe exercée par
les compagnies d’assurance de la société CII Honeywell Bull contre la compagnie
Air France, l’arrêt rendu le 28 mars 1991, entre les parties, par la cour d’appel de
Versailles.
Du 16 novembre 1993. — Cour de cassation (Ch. com.) — MM. Bézard, prés., Rémery, rapp., Mme Piniot,
av. gén. — SCP Delaporte et Briard, MMes Cossa, Le Prado, av.
82-83 AMERFORD, CASS., 16 NOV. 1993 — ITRACO, 28 JUIN 2005 721
2e ARRÊT
(Soc. Itraco c/Fenwick Shipping Services Ltd et autre)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Vu l’article 3 du Code civil; — Attendu
qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en
rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur,
avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la
question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger; — Attendu,
selon l’arrêt déféré, que la société International Trading Company (société
Itraco) ayant conclu avec la General Service Organization (GSO) une vente CIF de
fèves australiennes, la marchandise a été acheminée en vrac à bord du navire
MV Chang-Er sous couvert de connaissements nets de réserve depuis les ports
australiens de Wallaroo et d’Adelaïde au port d’Adabya en Égypte et que des
manquants ont été constatés au cours des opérations de déchargement;
qu’ultérieurement, la société Itraco, subrogée dans les droits de GSO, a assigné
la société Fenwick Shipping Services Ltd, armateur du navire ainsi que son capi-
taine, en indemnisation du préjudice ; — Attendu que pour écarter l’applica-
tion de l’« Australian Carriage of Goods by Sea Act 1991 » et rejeter la demande
de la société Itraco, l’arrêt retient que les fèves ont été transportées sous cou-
vert de trois connaissements « Austwheat » prévoyant l’application des règles
de l’« Australian Carriage of Goods by Sea Act 1991 » et non celle des règles de
Hambourg de 1978, comme l’a retenu à tort le tribunal, que la société Itraco n’a
pas justifié du contenu de ces règles, ni versé les connaissements complets recto
verso, ne permettant pas d’examiner les clauses figurant au verso et qu’en l’état
des pièces produites, la société Itraco n’établit ni les modalités prévues pour la
livraison ni celles afférentes aux pesées de la cargaison délivrée au réception-
naire ; — Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que la loi aus-
tralienne était applicable au litige, la cour d’appel a méconnu son office et violé
le texte susvisé;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : — Casse.
Du 28 juin 2005. — Cour de cassation (Ch. com.). — MM. Tricot, prés., de Monteynard, rapp., Jobard,
av. gén. — SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Delaporte, Briard et Trichet, av.
OBSERVATIONS
toute prévisibilité. Selon ce que de son côté depuis un certain temps jugeait la
Première chambre civile, l’argument vaut tout autant à l’encontre de la solution
Amerford qui impose la loi du for (Civ. 1re, 5 oct. 1994, Soc. Demart, Rev.
crit. 1995. 60, note D. Bureau; 27 janv. 1998, Abadou, JCP 1998. II. 10098,
note H. Muir Watt; 8 déc. 1998, Calberson, Rev. crit. 1999. 88, note B. A.;
18 juin 2002, Mesquita, et 18 sept. 2002, D. & J. Sporting, Rev. crit. 2003. 86,
note H. Muir Watt ; mais jusqu’à la fin du XXe siècle, certains arrêts se veu-
lent fidèles au système Amerford : Civ. 1re, 10 mai 1995, Rev. crit. 1996. 330,
note B. A., 5 déc. 1995, La Préservatrice Foncière, Rev. crit. 1996. 100, note
B. Fauvarque-Cosson; 11 juin 1996, Agora Sopha, Rev. crit. 1997. 65, note
P. Lagarde, Clunet 1996. 941, note D. Bureau; 3 mars 1998, BICIC, inédit;
12 janv. 1999, L’Alliance africaine, inédit; Com., 2 mars 1999, Soc. Sea Land
Services, Rev. crit. 1999. 305, rapp. J.-P. Rémery). Toutefois, parce qu’elle
s’accommode d’une certaine discrétion judiciaire (v. supra, Cie Algérienne de
Crédit et de Banque, no 33 § 5), cette approbation de l’initiative du juge ne
rejoint pas exactement l’impératif de l’article 12 NCPC, qui place au cœur de
la mission de celui-ci le devoir de trancher « le litige conformément aux règles
de droit qui lui sont applicables »; cette discrétion, désormais sous l’égide de
l’article 3 du Code civil, est liée à l’internationalité qui rend le contentieux
plus complexe et justifie certaines adaptations — comme celle qui exonère le
juge du devoir d’appliquer la règle de conflit lorsque la loi étrangère que celle-
ci désigne et la loi du for sont équivalentes (Civ. 1re, 11 juill. 1988, Bao Daï,
Rev. crit. 1989. 81, note P.-Y. Gautier; 13 avril 1999, Compagnie royale belge,
Rev. crit. 1999. 698, note B. Ancel et H. Muir Watt, Clunet 2000. 315, note
B. Fauvarque-Cosson, D. 2000. 268, note E. Agostini, JCP 2000. II. 10261,
note G. Légier, Gaz. Pal. 2000 no 61-62, p. 24, obs. M.-L. Niboyet; 3 avr.
2001, White, Rev. crit. 2001. 513, note H. Muir Watt, Gaz. Pal. 2001, nos 346-
347, p. 22, chron. T. Habu Groud; 11 janv. 2005, Barluschke, Rev. crit.
2006. 85, note M. Scherer, Clunet 2006. 955, note S. Godechot, D. 2006.
2924, note Mahinga; v. supra no 74-78 § 21).
6 En deuxième lieu et sur la même ligne, le jeu des intérêts privés ne peut être
toujours souverain même dans le périmètre des droits disponibles et il se ren-
contre des circonstances dans lesquelles il est peu satisfaisant de confiner le
juge dans un rôle passif. Il y a des plaideurs ignorants et l’ignorance ne doit
pas forcément être sanctionnée par la privation des droits que la loi a consacrés
— serait-ce en les conformant à des règles étrangères. Il serait difficile d’ima-
giner une règle, même de conflit, dont la raison d’être importerait si peu que
son application pourrait sans dommage être refusée à qui elle est destinée au
prétexte que ses bienfaits sont ignorés de l’intéressé. Aussi bien la Cour de
cassation dans ce domaine des droits disponibles a-t-elle une raison supplé-
mentaire de ne point censurer l’immixtion du juge lorsque, de son propre mou-
vement — et en l’absence d’accord procédural (v. infra, Hannover Internatio-
nal, no 84) —, celui-ci a pris l’initiative de soulever le moyen tiré de la règle de
conflit, pourvu qu’il ait conduit sa démarche à son terme dans le respect du
principe du contradictoire (Civ. 1re, 6 déc. 1977, de Villalonga, Rev. crit. 1979. 88,
726 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 82-83
note P. Hébraud; 16 juin 1992, Silva Fernandez, Rev. crit. 1993. 34, note F. Ameli;
2 déc. 1997, Soc. Socma, Bull. I, no 336; 6 déc. 2005, Comptoir Commercial
d’Orient, Bull. I, no 469). Ainsi la recevabilité du moyen tiré de la règle de
conflit n’est pas nécessairement subordonnée à la preuve de la loi étrangère
par la partie qui y a intérêt et le juge est replacé au centre du dispositif. Même
dans un conflit d’intérêts privés, il y a de l’intérêt général à défendre.
particulière (v. les exemples offerts par l’arrêt Hocke, com., 4 mars 1963, Rev.
crit. 1964. 264, Clunet 1964. 806, note Goldman, JCP 1963. II. 13376, note Les-
cot, et l’arrêt Coucke, préc. où on a pu constater que l’identité des libellés n’était
pas exclusive d’une disparité des solutions). L’hésitation est donc permise :
preuve de la loi étrangère considérée in abstracto ou preuve de la solution
déduite de la loi étrangère in concreto ? D’un côté, il suffit de produire les tex-
tes et leur mode d’emploi, de l’autre il faut y ajouter la réponse que leur mise
en œuvre sur la question litigieuse détermine dans le système étranger; la
tâche est alors plus lourde et plus complexe et en somme d’une autre nature.
C’est pourtant vers ce second parti que paraissait incliner la Cour de cassa-
tion lorsque dans l’arrêt Lavazza (préc.) et par une formule préfigurant celle
de l’arrêt Itraco, elle reprochait au juge du fond de n’avoir pas recherché « la
solution donnée à la question litigieuse par le droit positif en vigueur » dans
l’ordre juridique étranger. Cependant, cette orientation ne semblait pas être
toujours suivie puisqu’à quelques jours de là, l’arrêt Calberson (Civ. 1re,
8 déc. 1998, préc.) — à la suite des arrêts Demart (civ. 1re, 5 oct. 1994, préc.)
et Abadou (Civ. 1re, 27 janv. 1998, préc.) — se replace dans la ligne de l’arrêt
Driss Abdou (Civ. 1re, 1er juill. 1997) en déclarant que la mise en œuvre de la
loi étrangère implique qu’on en recherche le contenu.
13 L’ambiguïté ne sera pas vraiment levée par l’arrêt Compagnie Royale belge
(Civ. 1re, 13 avr. 1999, préc.) qui ne traitait pas directement de la question de la
connaissance de la loi étrangère, mais avait à décider si le juge était absous de ses
fautes lorsqu’à tort il avait prononcé en application d’une loi étrangère non dési-
gnée mais équivalente de la loi (française) désignée. La réponse exigeait que fût
tranchée la question de savoir si les lois à comparer devaient être considérées
abstraitement dans leurs dispositions respectives ou bien in concreto dans les
résultats à attendre de leur application respective. D’après la cour, l’absolution
procède de « l’équivalence entre la loi appliquée et celle désignée par la règle de
conflit — en ce sens que la situation de fait constatée par le juge aurait les mêmes
conséquences en vertu de ces deux lois ». Transposant la directive, il faudrait
admettre que la recherche de la loi étrangère n’est pas limitée aux règles abstrai-
tes et générales, mais qu’elle porte sur l’ensemble des facteurs qui concourent à
la résolution concrète du litige « dans le droit positif de l’État concerné ». Pour-
tant cette interprétation paraît peu compatible avec l’indulgence que dans cette
affaire Compagnie Royale belge, la Cour de cassation montre à l’endroit de
l’arrêt attaqué qui avait justifié son non-choix par cette circonstance que « les dis-
positions des articles 1385 des Codes civils français et belge étaient identiques »
(comp. Civ. 1re, 3 avr. 2001, White, préc., 11 janv. 2005, Barluschke, préc.);
c’était ramener l’équivalence au niveau plus général et abstrait des règles législa-
tives, l’éloignant par là même du niveau particulier et concret de l’espèce.
14 Comme souvent lorsque la contradiction menace, le juriste distingue et sans
doute sera-t-il ici porté à distinguer et séparer au moins conceptuellement deux
opérations, l’une que le juge confiera aux plaideurs avant de s’y exercer lui-
même si nécessaire, l’autre qu’il est tenu de se réserver en toute hypothèse. La
première porte sur le « contenu de la loi étrangère » et consiste à collecter et
730 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 82-83
introduire dans le débat les éléments pertinents qui abstraitement dans le sys-
tème étranger permettent de résoudre la question litigieuse; la seconde est la
« mise en œuvre de la loi étrangère », par laquelle se construit à partir des maté-
riaux ainsi réunis la solution concrète de la cause. Cependant, il n’est pas sûr que
la pratique quotidienne des tribunaux s’ajuste aisément à cette distinction.
15 Renvoyant d’abord la recherche du « contenu de la loi étrangère » à l’ordre
des questions de fait — de l’existence de règles étrangères déterminées
(v. P. Mayer et V. Heuzé, no 179) —, la distinction donne accès aux modes de
preuve et mesures d’instruction admis en procédure civile pour la vérification
des allégations de fait. Telle est bien au demeurant la pratique traditionnelle.
De leur propre chef ou à la demande du juge (v. Grenoble, 11 janv. et 27 nov.
1996, Rev. crit. 1997. 483, note S. Poillot-Peruzzetto, Clunet 1997. 123, 1er arrêt,
note R. de Quénaudon), les plaideurs produisent des certificats de coutume,
documents établis par la personne de leur choix et rapportant les éléments
constitutifs du système étranger susceptibles d’apporter une réponse à la ques-
tion litigieuse. Sans doute très souvent ces documents excèdent les limites du
droit objectif et esquissent ou même réalisent eux-mêmes la mise en œuvre de
la loi étrangère, mais le juge n’est nullement lié par la solution suggérée et il
n’en retire que des informations sujettes à sa propre évaluation (v. H. Muir Watt,
op. cit., nos 120 et s.). Aussi bien les parties peuvent à leur gré faire l’économie
des certificats et représenter directement les divers éléments de nature norma-
tive, jurisprudentielle et doctrinale formant les « sources » du droit positif
étranger — dont il appartiendra au juge de combiner l’action sur le cas à tran-
cher en observant en principe les hiérarchies et méthodes ayant cours à l’étran-
ger (v. par exemple, exigeant la prise en considération d’un jugement étranger
pour apprécier selon le droit étranger applicable la capacité d’agir en justice
d’un majeur protégé, Civ. 1re, 14 févr. 2006, Brianti, Bull. I, à paraître). Et si le
juge s’estime insuffisamment éclairé ou s’il assume la preuve du contenu de la
loi étrangère, il peut recourir aux mesures d’instruction prévues par le Code de
procédure civile; il ordonnera une expertise ou une consultation (v. Civ., 17 juin
1958, Peugeot, Rev. crit. 1958. 704, note Ph. Francescakis; Civ. 1re, 19 oct. 1971,
Darmouni, Rev. crit. 1973. 70, note M. Simon-Depitre, Clunet 1972. 828, note
M. Nisard, D. 1972. 633, note Ph. Malaurie; Paris, 25 nov. 1976, Massine, Rev.
crit. 1978. 76, note G. Wiederkher, Clunet 1979. 100, note C. Labrusse; Civ. 1re,
21 juill. 1987, Sfez, Rev. crit. 1988. 329, note B. Ancel) ; enfin et surtout, il
songera (en fait très rarement v. F. Mélin, LPA, 27 sept. 1999, no 192), dans
le contentieux civil et commercial, à adresser une demande de renseignement à
l’État désigné par la règle de conflit, si celui-ci est comme la France lié par la
Convention européenne dans le domaine de l’information sur le droit étranger,
signée à Londres le 7 juin 1968 (Rev. crit. 1972, p. 758), ce qui lui permettra
d’obtenir rapidement et sans frais une information « objective et impartiale sur
le droit de l’État requis » (art. 7) sans pour cela aliéner son pouvoir d’apprécia-
tion (art. 8). Comme l’observe Mme Muir Watt, la réponse donnée « ne vise
pas à résoudre directement la question de droit dont est saisi le tribunal
requérant » (op. cit., no 132). La preuve du contenu n’est pas la mise en œuvre
de la loi étrangère.
82-83 AMERFORD, CASS., 16 NOV. 1993 — ITRACO, 28 JUIN 2005 731
Pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent
s’accorder sur l’application de la loi du for malgré l’existence d’une
convention internationale ou d’une clause contractuelle désignant la loi
compétente. Un tel accord peut résulter des conclusions des parties invo-
quant une loi autre que celle qui est désignée par un traité ou par un
contrat.
Faits. — Une société de droit belge, l’Anglo Belgian Corporation (ABC), avait
fourni à un armateur résidant en France un ensemble mécanique de propulsion destiné à
l’équipement d’un chalutier. Cet ensemble s’étant révélé défectueux, la société ABC fut
condamnée, sur le fondement de l’article 1641 du Code civil relatif à la garantie des
vices cachés, à indemniser l’armateur des conséquences des avaries dues à un défaut du
matériel vendu. Les parties ayant soumis leur contrat à la loi belge, comme l’article 2
de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable à la vente internatio-
nale d’objets mobiliers corporels leur en donnait la liberté, la société ABC fit grief aux
juges du fond d’avoir méconnu cette règle de conflit d’origine conventionnelle que la
jurisprudence Société Coveco leur faisait pourtant à l’époque l’obligation d’appliquer
(supra, no 76).
ARRÊT
La Cour; — Sur les deux premiers moyens réunis, les quatrième et cinquième
moyens pris en leur première branche : — Attendu que la société de droit belge
Anglo Belgian Corp. NV (ABC), qui avait fourni à M. Baranger un ensemble
mécanique de propulsion, destiné à l’équipement d’un chalutier fait grief, avec
son assureur la société Hannover International, à l’arrêt attaqué, (Poitiers,
18 janv. 1995), de les avoir condamnés à indemniser M. Baranger des consé-
quences des avaries dues à un défaut du matériel vendu, en se fondant sur la
garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil, au mépris, à
la fois, de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux
ventes à caractère international d’objets mobiliers corporels, qui lui imposait de
rechercher la loi applicable, s’agissant de la garantie due par un vendeur belge à
734 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 84
OBSERVATIONS
1 Lorsque les parties à un litige conviennent d’appliquer une loi autre que
celle désignée par la règle de conflit, le juge doit-il s’incliner devant leur
accord ? En répondant par l’affirmative à cette interrogation, le présent
arrêt consacre le principe de l’accord procédural (I) et précise son régime
juridique (II).
5 Ainsi consacré dans son principe et dessiné dans ses contours, l’accord pro-
cédural paraissait promis à un avenir assuré. Mais les déclarations d’un très haut
magistrat dont l’opinion passait, à l’époque, pour faire autorité au sein de la
formation en charge des questions de droit international privé vinrent semer le
doute. À l’occasion d’une table ronde organisée par le Comité français de droit
international privé en novembre 1990 sur « le régime de la loi étrangère en
France », celui-ci indiqua son intention, d’une part, de revenir à la jurispru-
dence Bisbal, sauf dans les matières où les parties n’ont pas la libre disposition
de leurs droits ainsi que pour les règles de conflit d’origine conventionnelle,
d’autre part, de tenir en échec l’accord procédural dès lors que la désignation
de la loi applicable procède d’une règle conventionnelle alors même que les
droits litigieux sont disponibles (J. Lemontey, intervention, Trav. com. fr. dr. int.
pr. 1990-1991, p. 32). La première partie de ce programme ayant été immédiate-
ment traduite en acte (v. arrêt soc. Coveco, supra, no 76 § 5), la seconde parais-
sait mériter considération. Or sa mise en œuvre était de nature à priver l’accord
procédural de l’essentiel de son intérêt, puisqu’elle l’enserrait dans un cadre
encore moins favorable à son épanouissement que celui que lui avait jadis
offert, la jurisprudence Bisbal-Cie algérienne de Crédit et de Banque. Cette
suggestion n’emporta pas l’adhésion d’auteurs (Ancel et Lequette, Grands
arrêts dr. int. pr., 2e éd., p. 591 et s.), dont les critiques trouvèrent un écho au
sein même de la haute juridiction (J.-P. Rémery, note, Rev. crit. 1993. 470
et s.; rappr. J. Lemontey et J.-P. Rémery, « La loi étrangère dans la jurispru-
dence actuelle de la Cour de cassation », in Rapport de la Cour de cassation
1993, 1994, p. 81 et s., spéc. p. 84). Aussi bien l’arrêt ci-dessus reproduit a-t-il
le mérite de dissiper les doutes qu’avait fait naître cette déclaration intempes-
tive. La Première chambre civile y pose, en effet, que « pour les droits dont
elles ont la libre disposition, les parties peuvent s’accorder sur l’application de
la loi française du for malgré l’existence d’une convention internationale ou
d’une clause contractuelle désignant la loi applicable » (v. depuis, Civ. 1re,
1er juill. 1997, Karl Ibold GmbH, Bull. I, no 222, p. 148, Rev. crit. 1998. 6,
note P. Mayer, D. 1999. 274, note Massip, Defrénois 1998. 711, obs. Massip).
Encore faut-il qu’elles s’accordent (Civ. 1re, 22 févr. 2005, MAIF, D. 2005,
IR p. 794, Rev. crit. 2005. 304, note P. Lagarde).
L’évolution ultérieure de la jurisprudence française relative à l’autorité de
la règle de conflit a privé l’accord procédural de la majeure partie de son inté-
rêt. On sait que, depuis les arrêts du 26 mai 1999 (supra, no 77-78), la règle de
84 SOC. HANNOVER INTERNATIONAL — CASS., 6 MAI 1997 737
conflit revêt pour le juge un caractère facultatif lorsque les droits litigieux
sont disponibles et un caractère obligatoire lorsqu’ils ne le sont pas. Dès lors,
de deux choses l’une : ou bien l’on est en présence de droits litigieux indispo-
nibles, et il ne saurait être question d’avoir recours à un accord procédural, ou
bien l’on est en présence de droits disponibles et le caractère facultatif de la
règle de conflit prive la notion d’accord procédural d’une bonne partie de son
intérêt.
6 B. — Selon l’arrêt Roho, la faculté qu’ont les parties de lier le juge quant
à la loi applicable, a son fondement dans l’article 12, alinéa 3 du Nouveau
Code de procédure civile (v. aussi, Civ. 1re, 6 déc. 1988, préc.). Les auteurs
en ont généralement déduit que l’accord procédural aurait sa source dans le
principe dispositif qui veut que le juge statue dans les limites fixées par les
conclusions des parties (F. Rigaux, « Examen de quelques difficultés lais-
sées ouvertes par la Convention de Rome », Cah. dr. eur. 1988. 306 et s.,
spéc. p. 315 ; P. Lagarde, note, Rev. crit. 1990. 320). Cette analyse a suscité
de multiples critiques.
On a souligné tout d’abord que le principe dispositif a son siège, non à
l’article 12, alinéa 3 du Nouveau Code de procédure civile, mais aux articles 4
et 5 de celui-ci et que ses effets précisément entendus ne vont pas jusqu’à
donner aux plaideurs la faculté de lier le juge sur les points de droit aux-
quels ils entendent limiter le débat. Aussi bien semble-t-il plus exact dans
cette analyse de relier l’accord procédural à la libre disponibilité des droits
(B. Fauvarque-Cosson, Libre disponibilité des droits et conflits de lois,
no 411, p. 250). Plus radicalement, certains auteurs s’interrogent sur le pou-
voir qui est ainsi reconnu aux parties de désigner la loi applicable. Ils souli-
gnent, en effet, que l’article 12, alinéa 3 du Nouveau Code de procédure
civile, s’il autorise les parties à empêcher le juge de faire application d’une
règle normalement applicable, ne lui permet pas de lui imposer de statuer
conformément à une disposition dont les conditions d’application ne sont pas
réunies. (D. Bureau, « L’accord procédural à l’épreuve », Rev. crit. 1996. 595).
À cela, on peut répondre que la transposition d’une disposition au plan interna-
tional peut s’accompagner d’une adaptation. Or, il ne s’agit pas, en la cir-
constance, de contraindre le juge à appliquer une règle de droit erronée au
sein d’un ordre juridique donné (mais) de lui demander de choisir la bonne
règle de droit (…) dans un autre système de droit » (B. Fauvarque-Cosson, note,
Rev. crit. 1997. 514, spéc. p. 520, no 7). N’est-ce pas, au demeurant, sur le fon-
dement de ce texte qu’on a pu envisager que les parties puissent en s’enga-
geant sur l’honneur se placer « dans une sphère d’autorégulation qui obéit à ses
propres lois » (B. Oppetit, « L’engagement d’honneur », D. 1979. 107; v. aussi
B. Fauvarque-Cosson, thèse préc., no 107).
Passant sous silence l’article 12, alinéa 3 du Nouveau Code de procé-
dure civile, la Cour de cassation réaffirme très nettement dans le présent
arrêt, la licéité de principe de l’accord procédural. Est-ce à dire que les
critiques précédemment rappelées ont été entendues et qu’elle formule
désormais une règle jurisprudentielle détachée de tout support textuel ? Il
est difficile de le dire s’agissant d’un arrêt de rejet.
738 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 84
8 Forme, domaine et portée de l’accord procédural ont très vite suscité les
réflexions de la doctrine. L’arrêt reproduit apporte fort opportunément des élé-
ments de clarification sur chacun de ces points.
9 A. — Selon quel mode d’extériorisation l’accord procédural doit-il s’expri-
mer ? Le consentement des parties doit-il être exprès ou peut-on se contenter
d’un accord certain résultant, par exemple, de la seule concordance des conclu-
sions des parties ? Un temps, le texte même de l’article 12, alinéa 3 du Nou-
veau Code de procédure civile ainsi que la lecture littérale dont il a été l’objet
au plan interne (Civ. 3e, 10 oct. 1979, Bull. III, no 175, p. 136) ont plutôt porté
les auteurs à retenir la solution la plus rigoureuse : « l’accord procédural (…)
doit (…) être un accord exprès » (P. Lagarde, note, Rev. crit. 1990. 322; P. Mayer
et V. Heuzé, no 147; G. Bolard, « Les tribulations de la loi étrangère devant le
juge français », Études A. Ponsard, 2003, p. 106). Il avait néanmoins été sug-
géré qu’en la matière l’important n’était pas tant la forme utilisée que la qua-
lité de la volonté qui s’y exprime. La référence commune des parties, pendant
le procès, à une loi déterminée devrait valoir choix de la loi dès lors qu’elles
sont conscientes de l’internationalité du litige et veulent l’application de cette
loi non parce qu’elles la croient objectivement compétente mais parce qu’elles
la désirent subjectivement applicable (Y. Lequette, « L’abandon de la juris-
prudence Bisbal », Rev. crit. 1989. 309, no 27; rappr. B. Fauvargue-Cosson, note
Rev. crit. 1997. 519, no 6). Aussi bien après avoir posé à plusieurs reprises
l’exigence d’un accord exprès (Civ. 1re, 6 déc. 1988, préc.; 27 oct. 1992, Bull. I,
no 261, p. 171), la Cour de cassation se montre, dans la présente affaire, favora-
ble à une analyse plus souple des exigences formelles. Elle décide, en effet,
qu’« un tel accord peut résulter des conclusions des parties invoquant une loi
autre que celle qui est désignée par la règle de conflit » (v. aussi Com., 12 juin
2001, Soc. Maglificio Pratesi, indédit). La coïncidence des conclusions des par-
ties semble donc suffire à former l’accord procédural dès lors que, conscientes
de la dimension internationale du litige et informées des problèmes de conflit
de lois qu’elle soulève, elles font explicitement référence à la loi qu’elles
entendent voir appliquer. Néanmoins, l’évolution ultérieure qui a marqué
l’office du juge sur le terrain de la preuve du droit étranger (v. Com., 28 juin
2005, supra, no 83) pourrait porter à douter que la seule absence de contesta-
tion des parties relativement à la loi applicable puisse encore valoir quasi-
accord procédural (B. Ancel et H. Muir Watt, Rev. crit. 2005. 657). En tout état
de cause, il est certain que le silence ne saurait valoir accord. Ainsi en va-t-il,
notamment, en cas de défaut du défendeur. Usant de ses pouvoirs, le juge peut
alors toujours appliquer d’office la loi compétente d’après la règle de conflit.
10 B. — « Pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent
s’accorder sur l’application de la loi française du for malgré l’existence d’une
convention internationale. » La proposition est riche d’enseignements quant au
domaine de l’accord procédural. Il en résulte que le fait que la règle de conflit
soit d’origine conventionnelle ne fait plus, par lui-même, obstacle au jeu de
740 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 84
l’accord procédural (v. déjà implicitement, Civ. 1re, 10 mai 1995, Rev. crit.
1996. 330, note B. A.). Dissipant les interrogations qu’avaient pu susciter les
déclarations dont la teneur a été ci-dessus rappelée (supra, § 5), la solution doit
être approuvée. Et de fait, privilégiant à l’excès la source au détriment de l’objet,
l’éviction de l’accord procédural du domaine des règles de conflit d’origine
conventionnelle aurait conduit à une singulière régression. Méconnaissant que
les conflits de lois intéressent d’abord les « relations entre particuliers »
(Batiffol et Lagarde, t I, no 264), elle rappellerait l’époque où l’on raisonnait
en termes de souveraineté, non plus certes parce que les règles de conflit
auraient pour objet de délimiter le domaine des lois en présence, mais en raison
de leur origine formelle. Il semblait donc légitime de faire céder l’obligation du
juge d’appliquer d’office la règle de conflit conventionnelle devant le libre
accord des parties pour les droits dont elles ont la libre disposition car les intérêts
en cause sont d’abord privés (comp. M.-L. Niboyet-Hoegy, « La mise en œuvre
du droit international privé conventionnel », Mélanges R. Perrot., 1996, p. 313
et s., spéc. p. 316). Mais une fois cette solution acquise, il devenait difficile
de maintenir la jurisprudence Coveco (supra, no 76) affirmant le caractère obli-
gatoire pour le juge de la règle de conflit d’origine conventionnelle. Comme on
l’avait justement souligné, « si le respect des règles de conflit conventionnel-
les s’impose au juge, sous peine de mettre en jeu la responsabilité internatio-
nale de l’État français, comment les parties pourraient-elles délier le juge et
par suite l’État français du respect des engagements internationaux souscrits
par la France, sauf lorsque le traité remet lui-même une telle liberté aux
parties ? » (M.-L. Niboyet, Gaz. Pal. 2000, no 61-62, p. 40). Aussi bien la haute
juridiction a-t-elle fort logiquement décidé ultérieurement d’abandonner le cri-
tère déduit de l’origine internationale de la règle de conflit et de retenir comme
seul critère de l’impérativité de la règle de conflit, celui du caractère indisponible
des droits en cause (supra, no 77-78).
11 Reste à savoir ce qu’il faut entendre par « droits dont les parties ont la libre
disposition ». La réponse est rien moins qu’évidente. Elle passe, en effet, par
la solution de délicats problèmes de méthode. Le pouvoir des parties étant dif-
férent selon qu’elles ont ou non la libre disposition de leurs droits, la question
se pose de savoir selon quelle loi doit s’apprécier cette disponibilité : la loi du
for ou la lex causae c’est-à-dire la loi étrangère désignée par la règle de
conflit ? À l’appui de la seconde solution, on a pu faire valoir que la question
de la libre disposition touche à la « substance des droits », de telle sorte qu’il
conviendrait de se tourner vers la lex causae (Y. Lequette, art. préc., Rev. crit.
1989. 314, no 31; P. Mayer, 4e éd., no 189; supra, no 32-34 § 11). En faveur de
la première solution, c’est-à-dire de la lex fori, on réplique que l’accord procédu-
ral faisant échec à l’application de la règle de conflit, c’est à la loi française
qu’il doit être demandé si celle-ci présente ou non un caractère supplétif
(B. Fauvarque-Cosson, thèse préc., no 85, p. 53). On relève également qu’on
serait ici en présence d’une question de procédure dont la solution ne sau-
rait dépendre d’une loi autre que celle du for (P. Lagarde, note, Rev. crit.
1990. 320; contra Y. Lequette, note, Rev. crit. 1991. 102; M.-L. Niboyet-Hoegy,
note, Rev. crit. 1991. 568). En réalité, plus que des considérations théoriques, ce
84 SOC. HANNOVER INTERNATIONAL — CASS., 6 MAI 1997 741
sont les résultats pratiques de l’application de la lex causae qui conduisent à lui
préférer la lex fori. Retenir la lex causae, c’est en effet créer une sorte de cercle
vicieux, en obligeant le juge à interroger celle-ci pour savoir s’il peut se dispen-
ser de l’appliquer (P. Mayer et V. Heuzé, no 147-1).
12 Même à s’en tenir à la loi du for, la mise en œuvre de la notion de libre
disponibilité des droits ne va pas sans difficultés. L’indisponibilité d’un droit
résulte-t-elle de la seule impérativité de la règle qui le régit ? La négative a été
soutenue au motif que la jurisprudence admet l’arbitrabilité des litiges dans
des matières régies par de nombreuses règles d’ordre public alors même qu’il
faut avoir la libre disposition de ses droits pour compromettre (B. Fauvarque-
Cosson, thèse préc., nos 153 et s., p. 93 et s.). Aussi bien une démarche calquée
sur celle qui permet de déterminer si un droit est ou non susceptible de renon-
ciation devrait-elle conduire à considérer que l’indisponibilité du droit doit se
déduire du caractère public ou privé des intérêts en jeu ainsi que, dans la deuxième
hypothèse de la situation de dépendance du titulaire du droit (B. Fauvarque-
Cosson, thèse préc., nos 192 et s., p. 116 et s.). Autre interrogation : au cas où cer-
tains droits seraient disponibles et d’autres indisponibles, l’accord procédural
pourrait-il donner naissance à une nouvelle forme de dépeçage ? Les notions
d’indivisibilité et de connexité pourraient ici fournir la clef de la solution
(rappr. supra, no 74-78 § 19; pour les autres difficultés de mise en œuvre sou-
levées par l’arrêt, v. B. Fauvarque-Cosson, note, Rev. crit. 1997. 514)
13 C. — L’accord procédural laisse-t-il aux parties toute liberté pour choisir
une loi autre que celle désignée par la règle de conflit du for ou peuvent-elles
uniquement faire abstraction du caractère international de la situation et s’en
tenir à l’application de la loi française alors même que la règle de conflit
désigne une loi étrangère ? La réponse n’est pas évidente. Les deux termes
de l’option ont trouvé des défenseurs en doctrine. Mettant l’accent sur la
libre disponibilité des droits ainsi que sur l’égalité de traitement des lois
françaises et étrangères, certains soutiennent que les parties devraient pou-
voir, sauf collusion frauduleuse, choisir une loi autre que celle du for dès lors
qu’elles apportent la preuve de son contenu (B. Fauvarque-Cosson, thèse
préc., nos 480 et s., p. 288 et s.; P. Lagarde, intervention, Trav. com. fr. dr. int. pr.
1990-1991, p. 36). C’est souvent, au demeurant, uniquement à ce prix que
les parties pourront, au moyen de l’accord procédural, corriger un règle-
ment du conflit de lois inadapté au cas d’espèce (supra, § 7). Soulignant
la spécificité de l’office du juge, d’autres insistent sur ce qu’une telle solu-
tion « se heurte à un obstacle tiré de la fonction même du juge : celui-ci
n’est pas un gymnaste intellectuel auquel les parties peuvent demander,
simplement parce qu’elles en sont d’accord, de procéder à n’importe quel
raisonnement dont elles lui fournissent les données » (P. Mayer, art. préc.,
Revue suisse de droit international et européen 1991 p. 489). Aussi bien,
l’accord procédural a-t-il, selon eux, pour principal mérite de permettre au
juge en appliquant, conformément au vœu des parties, la loi du for de ren-
dre « une justice de meilleure qualité puisqu’il connaît mieux sa propre
loi » (P. Mayer, art. préc., p. 488).
742 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 84
30 octobre 1998
COUR DE CASSATION
(Ass. plén.)
2 juin 2000
9 novembre 1988 d’où il résultait que seules les personnes établies en Nouvelle-Calédonie
avant le 6 novembre 1988 pourraient y prendre part, le vote devant être organisé par un
décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres précisant notamment les
conditions dans lesquelles seraient établies la liste des électeurs autorisés à y participer.
C’est donc en vertu de cette habilitation directe du constituant que le pouvoir réglemen-
taire a pris, le 20 août 1998, le décret dont l’annulation était demandée. Les requérants
soutenaient, parmi d’autres moyens, que la condition de domiciliation posée par
l’article 76 de la Constitution et reprise par les articles 3 et 8 du décret attaqué était
incompatible avec les stipulations des articles 2, 25 et 26 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, de l’article 14 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi
que de l’article 3 du Premier protocole additionnel à cette convention. La contradiction
alléguée n’allait pas de soi (sur cette question, v. E. Aubin, note D. 2000. 153). Mais,
répondre sur ce terrain, c’était admettre de contrôler la Constitution au regard des traités,
c’est-à-dire la subordonner à ceux-ci. La question posée obligeait donc le Conseil d’État à
se prononcer sur la place de la Constitution et des traités dans la hiérarchie des normes.
Toujours dans la perspective de l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie
fut adoptée, conformément au titre XIII de la Constitution, une loi organique du
19 mars 1999 fixant le statut transitoire de celle-ci, qui définissait notamment le collège
restreint admis à participer à l’élection du congrès et des assemblées de province. La
commission administrative et le tribunal de première instance de Nouméa ayant refusé,
la première, d’inscrire la Dlle Fraisse sur la liste prévue par l’article 188 de cette loi
organique, le second, d’annuler cette décision, un pourvoi en cassation fut formé. Le
demandeur arguait, à l’appui de son pourvoi, que les premiers juges avaient refusé
d’exercer un contrôle de conventionnalité de l’article 188 de la loi organique du 19 mars
1999 relative à la Nouvelle-Calédonie au regard des articles 2 et 25 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, 3 du premier protocole addi-
tionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et F (devenu 6) du traité de l’Union européenne du 7 février 1992. Là
encore, la question des places respectives des textes à valeur constitutionnelle et des
traités dans la hiérarchie des normes était posée.
1er ARRÊT
(Sarran c/Levacher et autres)
Le Conseil d’État; — Vu la Constitution modifiée notamment par la loi consti-
tutionnelle du 20 juillet 1998; l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958
portant loi organique sur le Conseil constitutionnel; le Pacte international rela-
tif aux droits civils et politiques; la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le protocole addi-
tionnel no 1 à cette convention; le Code civil; le Code électoral; le Nouveau Code
de procédure civile; la loi no 88-1028 du 9 novembre 1988; la loi no 80-539 du
16 juillet 1980 modifiée notamment par la loi no 95-125 du 8 février 1995;
l’ordonnance no 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret no 53-934 du 30 septembre
1953 et la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987; …
Sur les conclusions à fin d’annulation du décret attaqué :
Considérant que l’article 76 de la Constitution, dans la rédaction qui lui a été
donnée par l’article 2 de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 énonce, dans
son premier alinéa, que : « Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appe-
lées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l’accord
signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la
République française »; qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article 76 : « Sont
85-86 SARRAN, CE, 30 OCT. 1998 — FRAISSE, CASS., 2 JUIN 2000 745
2e ARRÊT
(Dlle Fraisse)
Sur les deuxième et troisième moyens réunis : — Attendu que Mlle Fraisse fait
grief au jugement attaqué (tribunal de première instance de Nouméa, 3 mai
1999) d’avoir rejeté sa requête tendant à l’annulation de la décision de la commis-
sion administrative de Nouméa ayant refusé son inscription sur la liste prévue à
l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie
des électeurs admis à participer à l’élection du congrès et des assemblées de
province et d’avoir refusé son inscription sur ladite liste, alors, selon le moyen :
1° que le jugement refuse d’exercer un contrôle de conventionnalité de
l’article 188 de la loi organique no 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-
Calédonie au regard des articles 2 et 25 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques du 16 décembre 1966, 3 du premier protocole additionnel à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et F (devenu 6) du traité de l’Union européenne du 7 février 1992,
l’article 188 étant contraire à ces normes internationales en tant qu’il exige d’un
citoyen de la République française un domicile de dix ans pour participer à
l’élection des membres d’une assemblée d’une collectivité de la République
française; 2° qu’il appartenait subsidiairement au tribunal de demander à la
Cour de justice des Communautés européennes de se prononcer à titre préjudi-
ciel sur la compatibilité de l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 avec
l’article 6 du traité de l’Union européenne; — Mais attendu, d’abord, que le
droit de Mlle Fraisse à être inscrite sur les listes électorales pour les élections en
cause n’entre pas dans le champ d’application du droit communautaire; —
Attendu, ensuite, que l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 a valeur
constitutionnelle en ce que, déterminant les conditions de participation à l’élec-
tion du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et pré-
voyant la nécessité de justifier d’un domicile dans ce territoire depuis dix ans à
la date du scrutin, il reprend les termes du paragraphe 2.2.1 des orientations
de l’accord de Nouméa, qui a lui-même valeur constitutionnelle en vertu de l’arti-
cle 77 de la Constitution; que la suprématie conférée aux engagements interna-
tionaux ne s’appliquant pas dans l’ordre interne aux dispositions de valeur cons-
titutionnelle, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 188 de la loi
organique seraient, contraires au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales doit être écarté;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier moyen auquel
Mlle Fraisse a déclaré renoncer : — rejette.
Du 2 juin 2000. — Cour de cassation (Ass. plén.). — MM. Canivet, Prem. prés.; Chagny, rapp.,
assisté de Mme Curiel-Malville, auditeur; M. Joinet, Prem. av. gén.
85-86 SARRAN, CE, 30 OCT. 1998 — FRAISSE, CASS., 2 JUIN 2000 747
OBSERVATIONS
I. Appréciation en droit
2 Tout en affirmant le principe de supériorité des traités sur la loi, les arrêts
Jacques Vabre et Nicolo (supra, no 55-56) avaient laissé en suspens la question
des rapports des traités et de la Constitution. Les premiers l’emportaient-ils sur
la seconde au nom de la primauté de l’ordre international ou la seconde sur les
premiers en ce qu’elle est la norme fondatrice de l’ordre juridique français ?
En demandant aux juridictions administratives, puis judiciaires de contrôler la
conformité des dispositions constitutionnelles avec les stipulations du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention euro-
péenne des droits de l’homme, les requérants obligeaient les magistrats à pren-
dre position sur la place respective de la Constitution et des traités dans la hié-
rarchie des normes. Conseil d’État et Cour de cassation ne se sont pas dérobés.
Refusant tous deux de procéder à un tel contrôle, ils affirment que « la supré-
matie conférée aux engagements internationaux sur les lois ne s’applique pas,
dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ». Posée dans
l’hypothèse d’un texte constitutionnel postérieur au traité, la solution paraît
devoir également trouver application, du fait même de la généralité de la for-
mule utilisée, dans l’hypothèse inverse d’un traité postérieur à la norme consti-
tutionnelle. Il semble donc bien résulter des deux décisions ci-dessus reproduites
que les traités ont une valeur supralégislative et infraconstitutionnelle.
3 Au premier abord, la solution peut surprendre. N’enseigne-t-on pas habi-
tuellement que l’ordre international prime l’ordre interne ? Comme l’écrivait
Michel Virally, « le droit international est inconcevable autrement que supé-
rieur aux États, ses sujets. Nier sa supériorité revient à nier son existence »
(« Sur un pont aux ânes : les rapports entre droit international et droit interne »,
Mélanges Rolin, 1964, reproduit in Le droit international en devenir, 1990,
p. 103, spéc. p. 110). Aussi bien la Cour permanente de justice internationale
a-t-elle rappelé qu’un « État ne saurait invoquer sa propre constitution pour se
748 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 85-86
soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités
en vigueur » (CPJI, avis du 3 févr. 1932, Traitement des prisonniers de guerre
polonais à Dantzig, Sér. A/B, no 44). Et la Cour de justice des Communautés
européennes a affirmé, dans son célèbre arrêt Costa, la primauté du droit commu-
nautaire sur toute norme de droit interne, même constitutionnelle (CJCE, 15 juill.
1964, Rec. p. 1141; v. aussi CJCE, 17 déc. 1970, Internationale Handelgesells-
chaft, Rec. p. 1125). N’y aurait-il pas, dès lors, quelque « paradoxe » à affirmer la
primauté de la Constitution sur le droit international ?
5 Et ceci d’autant plus qu’il est dans la Constitution des dispositions qui lais-
sent à penser qu’elle se considère, dans l’ordre juridique interne, comme supé-
rieure aux traités. Certes, tel n’est pas le cas de son article 54, pourtant souvent
invoqué en ce sens, qui prévoit que lorsqu’un engagement comporte une clause
contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après la révi-
sion de celle-ci. Cherchant seulement à empêcher le conflit de normes qui
résulterait de ce que la France s’engage internationalement à respecter un traité
qu’elle ne pourrait appliquer qu’au mépris de sa Constitution, il n’établit pas
une relation hiérarchique entre les deux (J. Combacau, Le droit des traités,
1991, p. 50; D. Alland, art. préc., RFDA 1998. 1098). En revanche, le nouvel
article 53-1 de la Constitution issu de la loi constitutionnelle du 25 novembre
1993 est plus significatif sur la valeur respective de la Constitution et des trai-
tés. Tout en habilitant le gouvernement à conclure avec les États européens des
accords délimitant leur compétence respective pour l’examen des demandes
d’asile qui leur sont présentées, cette disposition ouvre à la France la possibi-
lité d’exercer sa prérogative d’asile, nonobstant tout engagement international
en la matière. En d’autres termes, le droit constitutionnel y est perçu comme
un « rempart efficace » contre le droit international, ce qui implique qu’il ne
saurait lui être subordonné (D. Alland, art. préc., RFDA 1998. 1096).
On voit mal, au reste, comment il pourrait en aller autrement. À raisonner
en termes de logique formelle, on ne saurait affirmer dans la Constitution la
primauté de l’ordre international sur les dispositions constitutionnelles
sans commettre un « paralogisme ». Comment, en effet, « le principe de supé-
riorité d’une norme » pourrait-il « dépendre de l’énoncé d’une norme de rang
inférieure » ? Il y faudrait un exercice de « lévitation » juridique qui paraît
hors de portée (D. Alland, art. préc., RFDA 1998. 1102 ; rappr. R. Libcha-
ber, RTD civ. 2000. 674; B. Beigner et s. Mouton, D. 2001, chron. p. 1636).
Plus généralement, comme le relève fort justement M. Rémy Libchaber
« quelque effort que fasse la France pour favoriser une hiérarchie des normes
fidèle à la primauté des règles internationales, elle ne pourra consacrer la
suprématie de l’ordre international qu’à la condition de cesser d’être un
État souverain » (RTD civ. 2000. 674; rappr. L. Lemasson, « La constitution
française face au droit international : pour une défense du principe de sou-
veraineté », RRJ, 2003, no 2, p. 1165 et s.).
Aussi bien, l’affirmation de la primauté de la Constitution sur les traités
était-elle déjà en germe dans le célèbre arrêt Koné rendu par le Conseil d’État
le 3 juillet 1996 (RFDA 1996. 870, concl. Delarue, 882, notes Favoreu,
Gala, Labayle, P. Delvolvé, AJDA 1996. 722, chron. Chauvaux et Girau-
dot, D. 1996. 509, note Julien-Laferrière, JCP 1996. II. 22720, note Prê-
tot, RGDIP 1997. 237, note D. Alland). La haute juridiction administrative
y avait, en effet, utilisé un principe à valeur constitutionnelle pour faire
échec à l’application d’un traité d’extradition ratifié et publié depuis plus
de trente ans.
750 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 85-86
de tout son poids dans la vie juridique, au point qu’on a pu qualifier de « malen-
contreuse » les deux décisions ci-dessus reproduites car elles priveraient les
justiciables du bénéfice des normes internationales (Rép. Dalloz dr. int., Syn-
thèse annuelle 2000-1 et 2001-1). Le propos apparaît pour le moins excessif.
Tout d’abord, il convient de noter que les hypothèses de contrariété entre
l’ordre international et la Constitution sont, semble-t-il, assez rares. Comme le
relève M. Jean Combacau « les traités ont rarement pour objet la réglementation
de questions qui ressortissent à l’organisation des pouvoirs publics » (Le droit
des traités, p. 50). Et lorsqu’il y a superposition, c’est-à-dire essentiellement
en matière de droits fondamentaux, « la plupart des instruments internatio-
naux protecteurs des droits de l’homme (…) adoptés ces dernières années,
non seulement ne révolutionnent pas le droit français, mais encore offrent à
l’individu un standard de protection moins élevé » (D. Gutmann, « Les droits
de l’homme sont-ils l’avenir du droit ? », Mélanges F. Terré, 1999, p. 338).
Ensuite, il y a lieu de relever que, lorsque contrariété il y a, l’intérêt des justi-
ciables est bien loin de concorder avec la primauté des textes internationaux
ou communautaires. C’est ainsi qu’uniquement occupée à asseoir l’impéria-
lisme du marché, la technocratie européenne n’hésite pas à piétiner les droits
des citoyens ordinaires. Par exemple, prenant appui sur les textes européens,
elle a décidé que les dispositions françaises qui imposent l’utilisation de la
langue française pour l’étiquetage des denrées alimentaires, « sans retenir la
possibilité qu’une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit uti-
lisée ou que l’information de l’acheteur soit assurée par d’autres mesures »
constituent une restriction à l’importation et ne sauraient donc recevoir appli-
cation (CJCE, 12 sept. 2000, aff. C.366/98, D. Aff, 2001. 1458 RTD civ.
2001. 235, obs. N. Molfessis; rappr. H. Claret, « La loi Toubon du 4 août
1994 est-elle conforme au droit communautaire ? », Contrats, conc., consom.
2001, chron. no 5). En clair, pour la Cour de Luxembourg, sur le territoire de
la République française, nul n’est censé ignorer l’anglais. C’est oublier qu’au
sein même de la société française, il est une partie importante de la popula-
tion, en règle générale la moins favorisée, qui ne pratique pas la vie internatio-
nale et pour laquelle le français est la seule langue vernaculaire. Aussi bien
reste-t-il pour protéger cette catégorie la plus fragile de la population, la res-
source de faire appel à la Constitution qui pose dans son article 2 que « la lan-
gue de la République est le français ». Ainsi, instrument par excellence de la
cohésion de la société interne, la Constitution permet-elle de faire échec à la
seule logique du marché véhiculée par les textes européens. Encore faudrait-il
pour cela que le Conseil d’État et la Cour de cassation aillent jusqu’au bout de
l’affirmation de la primauté de la Constitution et découvrent les moyens de
procéder à un contrôle de la conformité des textes internationaux ou de droit
communautaire à la Constitution (v. déjà pour un contrôle de régularité formelle
opéré au regard de l’art. 53 de la Constitution, Civ. 1re, 29 mai 2001, Bull. I,
no 149, D. 2001, IR, 2001, Gaz. Pal. 12-13 déc. 2001, p. 31, note M.-L. Niboyet,
RTD civ. 2001. 706, obs. R. Libchaber, Rev. arb. 2001. 614), du moins
lorsqu’une telle vérification n’a pas été effectuée par le Conseil constitution-
nel. Il y aurait là une initiative heureuse, spécialement pour les seconds, puis-
que établis de manière purement technocratique, ils sont introduits dans
754 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 85-86
l’ordre juridique français sans que la souveraineté populaire ait à dire son mot
et sans que le Conseil constitutionnel ait pu exercer un quelconque contrôle.
Serait ainsi restaurée la cohérence de la pyramide des normes mise à mal par
le système actuel puisque, comme on l’a justement noté, « une norme censée
inférieure à la Constitution, la norme européenne, vient paralyser l’application
de la loi, alors même que (…) celle-ci a pu être jugée conforme à la
Constitution » (RTD civ. 1999. 240). Ces suggestions encourront fort proba-
blement la réprobation de certains qui témoigneront ainsi du réel souci qu’ils
ont de la protection des justiciables lorsque leurs intérêts ne concordent pas
avec ceux des « élites mondialisées ».
L’importance de la Constitution dans la défense de la cohésion de la
société française contre les atteintes que peuvent lui porter les textes interna-
tionaux a été, au reste, parfaitement mise en évidence par l’actualité récente.
Avec la condamnation par le Conseil constitutionnel de la Charte des lan-
gues régionales et minoritaires, celle-ci est en effet apparue comme le der-
nier rempart contre les entreprises de ceux qui, avec la bénédiction des
eurocrates et sous la pression de certains de nos puissants voisins, cherchent
à démanteler la société française pour mieux la dissoudre dans une Europe
fédérale à caractère ethnique (Y. Bollmann, La tentation allemande, 1998 ;
La bataille des langues en Europe, 2001 ; P. Hillard, Minorités et régionalis-
mes dans l’Europe fédérale des régions, 2001).
11 En définitive, ces arrêts sont au cœur des interrogations qui agitent le monde
contemporain. Certains y verront un simple combat d’arrière garde mené par
des « cours suprêmes trop constitutives de l’ordre juridique national qui les a
instituées » pour prendre conscience de ce que « l’immense plaque du droit
supranational est en train de disloquer la frêle croûte du droit national
souverain » (R. Libchaber, RTD civ. 2000. 676). À prolonger la métaphore tec-
tonique, d’autres rappelleront que l’homme vit sur cette mince croûte du droit
national et que les secousses que lui imprime la montée des magmas mondia-
liste et européen risquent de provoquer des éruptions et des fractures lourdes
de déconvenues qui pourraient bien conduire les peuples à se redécouvrir.
Comme le constatait Jean-Baptiste Duroselle, à la lumière de l’expérience his-
torique, tout empire périra (Armand Colin, 2e éd., 1992). « Masquées par les
superstructures impériales, les nations ne se laissent pas supprimer, et réap-
paraissent tôt ou tard, décomposant les empires qui n’en tenaient pas compte »
(P. Béhar, Vestiges d’empires, 1999, p. 17). En cherchant à maintenir la cohé-
sion des sociétés internes, nos hautes juridictions, non seulement sont parfai-
tement dans leur rôle, mais encore pourraient bien être en avance sur leur
époque.
87
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
23 mai 2006
ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que Mme de Montenach a solli-
cité l’exequatur en Fance d’un jugement rendu le 16 avril 1996 par le tribunal de
première instance de la République et Canton de Genève, qui a annulé, pour
vice du consentement, le mariage qu’elle avait contracté le 15 octobre 1993
avec M. Prieur; — Attendu que M. Prieur fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué
(Poitiers, 10 décembre 2002) d’avoir déclaré ce jugement exécutoire en France,
756 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 87
alors, selon le moyen, qu’en refusant de retenir la compétence exclusive des tri-
bunaux français, bien que le défendeur français n’eût pas renoncé à son privi-
lège de juridiction et qu’aucun traité international, de nature à y faire échec, ne
fût applicable à la cause, la cour d’appel a violé l’article 15 du Code civil;
Mais attendu que l’article 15 du Code civil ne consacre qu’une compétence
facultative de la juridiction française, impropre à exclure la compétence indi-
recte d’un tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière carac-
térisée à l’État dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n’est
pas frauduleux; qu’ayant retenu que les parties, toutes deux nées en Suisse,
s’étaient mariées dans ce pays en convenant d’un contrat de mariage régi par le
droit suisse et y avaient établi leur résidence, la cour d’appel a exactement
décidé qu’en l’absence de fraude dans la saisine du tribunal étranger, celui-ci
était compétent; — D’où il suit que le moyen n’est pas fondé;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 23 mai 2006. — Cour de cassation (1re ch. civ.) — MM. Ancel, prés., Gueudet, rapp., Cavarroc,
av. gén. — SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, av.
OBSERVATIONS
1 L’article 15 du Code civil se porte mieux : il cesse de « faire ses ravages
dans les relations internationales » (A. Huet, note sous Paris, 15 janv. 1973,
Missouni, Rev. crit., 1973. 721, p. 725). Certes, prévoyant toujours qu’« un
Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations
par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger », il persiste sur le
terrain de la compétence directe et pour les litiges que le droit conventionnel et
les règlements communautaires laissent au droit commun, à offrir un for fran-
çais que ne justifient pas les principes généraux de la compétence internatio-
nale. Mais ce for exorbitant perd avec l’arrêt Prieur le caractère d’exclusivité
qui portait la compétence française issue de cette disposition à disqualifier
telle ou telle compétence d’un juge étranger qu’un plaideur avait pu préférer
dans un litige l’opposant à un défendeur français. Autrement dit, le revirement
de jurisprudence n’abroge pas l’article 15 du Code civil et lui conserve donc
une fonction de compétence directe; il ne concerne que la régularité au regard
de l’ordre juridique français des décisions émanées de juridictions étrangères.
Auparavant, grâce à l’article 15, le défendeur français qui avait succombé à
l’étranger détenait le pouvoir de priver d’effet en France la décision le
condamnant; il lui suffisait d’invoquer dans l’instance d’exequatur ou de
reconnaissance sa nationalité française pour remontrer que la demande aurait
dû être portée devant un tribunal français et que, d’avoir été soumise à un juge
étranger, elle avait méconnu l’exclusivité de la compétence française et partant
contrevenait à la condition de compétence indirecte.
2 Peu de regrets, sans doute, accompagneront cette disparition. Par nature, les
fors exorbitants tels le forum arresti ou le forum patrimonii n’attirent pas les
sympathies de la doctrine qui mesure son indulgence à la hauteur des services
que marginalement ils peuvent rendre (v. Droz, « Réflexions pour une réforme
des articles 14 et 15 du Code civil français », Rev. crit., 1975. 1, spéc. p. 3-4)
— en des occasions qui, en vérité, se placent le plus souvent sous le signe de la
87 J.-M. PRIEUR — CASS., 23 MAI 2006 757
1806. — Cass., Req., 7 janv. 2 § 3 1829. — Cass., Ch. des vacat., 25 sept.
— Cass., Req., 22 janv. 37 § 4 36 § 2
— Cass., Req. 2 juin 3 § 8 1830. — Cass., Req., 17 mars 87 § 4
1808. — Cass., Req., 7 sept. 54 § 7 1832. — Cass., Civ., 26 avr. 37 § 5
1811. — Cass., Civ., 15 juill. 74-78 § 10 1833. — Cass., Req., 26 janv. 43 § 4
1813. — Cass., Crim., 1er févr. 36 § 2 — Cass., Req., 17 juill. 1 § 7
— Cour supr. (EU), 1er mars 2 F — Paris, 18 sept. 2 § 12
1814. — Paris, 13 juin* 1*; 5 § 2; 1834. — Cass., Civ., 17 nov. 37 § 5
10 § 2; 14 F; 14 § 3; 18 § 4; 1837. — Cass., Civ., 14 mars* 3*; 7-
27 § 5; 53 § 18 8 F; 9 § 3; 14 F; 14 § 3;
1815. — Seine, 19 août 2 F; 11 § 4 15 § 3; 16 F; 18 § 3 et § 6;
— Colmar, 30 déc. 37 § 4 27 § 5; 48 § 4; 61 F
1839. — Cass., Civ., 24 juin 80-81 § 4
1816. — Paris, 27 août 2 F; 10 § 2
1841. — Cass., Req., 6 janv. 49 § 6
1817. — Cass., Ch. réun., 27 févr. 3 § 8;
5 § 3; 38-39 § 12 — Cass., Req., 11 août 80-81 § 4
1842. — Cass., Req., 13 déc. 49 § 3
1818. — Cass., Req., 14 avr. 37 § 4
1843. — Paris, 20 mai 4 § 9
1819. — Cass., Crim., 18 févr. 28 § 3
1845. — Cass., Req., 10 nov. 6 § 3
— Cass., Civ., 19 avr. 2*; 4 § 1; 1846. — Paris, 5 mai 2 § 11
3 § 4; 4 § 10; 10 § 2; 1847. — Cass., Req., 10 nov. 37 § 5
10 § 10; 10 § 17; 41 § 1 1848. — Cass., Ch. Réun., 12 juill.
— Cass., Civ., 10 août 40 § 3 20 § 4
1820. — Paris, 13 mai 2 § 4 — Cass., Civ., 19 juill. 49 § 3
— Douai, 20 juin 4 § 3 — Paris, 20 nov. 4 § 9
— Bruxelles, 21 juin 4 § 5 1849. — Cass., Civ., 22 janv. 47 § 2
1823. — Cass., Civ., 5 août 20 § 4 — Cass. belge, 8 févr. 50 § 2
— CE, 3 sept. 80-81 § 7 1851. — Cass., Civ., 8 avr. 37 § 5
1824. — Bordeaux, 10 févr. 4 § 5 1852. — Cass., Req., 19 avr. 49 § 7
— Paris, 3 août 4 § 9 1853. — Cass., Req., 9 mars 40 § 3
1826. — Aix, 6 août 4 § 9 1855. — Cass., Civ., 11 janv. 15 § 12
1827. — Cass., Req., 15 nov. 2 § 11 — Cass., Civ., 11 juill. 15 § 5
1828. — Cass., Civ., 26 nov. 37 § 5 1856. — Paris, 1er mars 43 § 4
766 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS
— Cass., Civ. 1re, 20 oct. (Soc. Int. — Cass., Civ. 1re, 18 oct.*
Plantations d’Hévéas) (Schule) 32-34 § 1; 75*; 82-
13 § 1; 47 § 4 et § 6; 54 § 14 83 § 3 et § 13; 84 § 4
— Cass., Civ. 1re, 24 nov. 43 § 4 — Cons. const., 21 oct. 55-56 § 9
— Cass., Civ. 1re, 8 déc. 63-64 § 8 — Cass., Civ. 1re, 3 nov. 17 § 7;
— Cass., Com., 21 déc. 5 § 9; 54 § 4
50 § 9 — Cass., Com. 8 nov. 50 § 9
1988. — Cass., Civ. 1re, 1er mars 70 § 17 — Paris, 15 nov. 70 § 16
— Cass., Civ. 1re, 8 mars 72 § 11 — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (MACIF)
— Cass., Civ. 1re, 15 mars 74-78 F 19 § 5; 32-34 § 12; 84 § 4
— Cass., Civ. 1re, 19 avr. et § 5
32-34 § 12; 74-78 § 13; — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (Mme X.)
84 § 4, § 5, § 7 et § 13 71 § 2
— Aix, 25 avr. 79 § 12 — Versailles, 20 déc. 54 § 7
— Cass., Soc., 3 mai 53 § 12 1989. — Paris, 11 janv. 49 § 5; 87 § 13
— Cass., Com., 8 mai 5 § 9 — Cass., Soc., 26 janv 47 § 3
— Cass., Civ. 1re, 10 mai — Cass., Civ. 1re, 20 mars
74-78 § 10 65-66 § 8
— Cass., Civ. 1re, 29 mars
— Cass., Crim., 10 mai
24-25 § 10
80-81 § 11
— Cass., Soc., 19 avr. 4 § 7
— Cass., Civ. 1re, 21 juin (Panayo-
— Cass., Crim., 17 mai 36 § 2
takis) 49 § 5
— TGI, Paris, 25 mai
— Cass., Civ. 1re, 21 juin (Soc.
24-25 § 5
Balenciaga) 19 § 8;
— Cass., Civ. 1re, 7 juin 80-81 § 4
82-83 § 6
— C. eur. Dr. Homme, 7 juill.
— Versailles, 27 juin 42 § 4 67-69 § 14
— TGI Paris, 29 juin 49 § 6 — Paris, 13 juill. 44 § 12
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. (Baaziz) — Cons. const., 28 juill. 55-56
17 § 7; 30-31 § 5 et § 12 § 11
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. (Bou- — Cass., Civ. 1re, 4 oct. 84 § 4
jlifa) 63-64 § 8 — CE, 20 oct.* 56*; 74-78 § 11;
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. 85-86 § 2, § 4 et § 6
(Lemaire) 24-25 § 1; 38-39 — Cass., Civ. 1re, 25 oct. 11 § 9
§ 6; 41 § 8 et § 10; 70 § 17 — Paris, 16 nov. 54 § 7; 87 § 5
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. (Soc. — Cass., Civ. 1re, 6 déc. 59-60 § 6
Navrom Roumanian naviga- 1990. — Cass., Civ. 1re, 10 janv. (Soc.
tion) 65-66 § 11 HDW) 82-83 § 4
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. (Tangi) — C. const., 22 janv. 20 § 5
15 § 8; 51 § 3 — Paris, 23 janv. (Caron) 4 § 6;
— Cass., Civ. 1re, 11 juill. 42 § 3; 84 § 4 et § 13
74-78 § 21 — Cass., Civ. 1re, 31 janv.* (Pis-
— Cass., Crim., 14 juill. 55-56 § 8 tre) 68*
— Cass., Civ. 1re, 11 oct.* 32-34 — Cass., Soc., 8 mars 30-31 § 12
§ 1 et § 16; 74*; 82-83 § 3 et — Paris, 15 mars 70 § 16
§ 13; 84 § 4 — Cass., Civ. 1re, 3 avr. 42 § 4;
— Cass., Civ. 1re, 18 oct. (Air 42 § 9
Afrique) 24-25 § 4 et § 10; — Cass., Civ. 1re, 2 mai* (Rép. du
80-81 § 12 Gautemala) 79*
778 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS
— Cass., Civ. 1re, 11 juin — Cass., Civ. 1re, 1er juill. (Soc.
(Imhoos) 32-34 § 5; 46 § 2; Africatours) 36 § 6, § 8
62 § 5; 82-83 § 3 et § 9; 82-83 § 19
— Cass., Crim., 11 juin 6 § 14 — Cass., Civ. 1re, 1er juill. (Karl
— Paris, 13 juin 23 § 18; 44 § 7 Ibold GmbH) 84 § 5
— CE, 3 juill. 85-86 § 5 — Cass., Civ. 1re, 1er juill.
— Cass., Civ. 1re, 10 juill. 45 § 7 (Époux L.) 67-69 § 8
— Cass., Civ. 1re, 5 nov. 15 § 7 — Cass., Civ. 1re, 1er juill. (Driss
— Grenoble, 27 nov. 82-83 § 15 Abdou) 49 § 5; 74-78 § 7;
— Cass., Civ. 1re, 3 déc. 45 § 7 82-83 § 3
— Cass., Com., 17 déc. 44 § 10 — Cass., Civ. 1re, 16 juill. 19 § 6
1997. — Cass., Civ. 1re, 14 janv. 19 § 6 — CE, 22 sept. 55-56 § 19
— Cass., Civ. 1re, 11 févr. (Soc. — Cass., Civ. 1re, 7 oct. 26 § 8
Strojexport*) 60* — Cass., Civ. 1re, 19 oct. 53 § 14
— Cass., Civ. 1re, 11 févr. (Sai- — Cass., Civ. 1re, 19 oct. 53 § 14
gnie) 47 § 3 — Cass., Civ. 1re, 21 oct. 45 § 7
— Cass., Com. 11 mars (SEIA) — Cass., Crim., 12 nov. 36 § 2
53 § 4 — Cass., Civ. 1re, 2 déc.
— Cass., Civ. 1re, 11 mars (Soc. (Soc. Socma) 32-34 § 5;
Mobil NSL) 7-8 § 5; 16 § 2; 82-83 § 10
38-39 § 16; 51 § 10 — Cass., Civ. 1re, 2 déc.
— Cass., Civ. 1re, 11 mars (Mme Kubicka c/M. Thomé)
63-64 § 2 et § 12 15 § 8; 28 § 3
— BGH, 19 mars 53 § 14 — Cass., Civ. 1re, 2 déc. (Dona-
— Cass., Civ. 1re, 25 mars doni) 15 § 7
(Merzouk) 15 § 7 — Cass., Civ. 1re, 8 déc. 50 § 9
— Cass., Com. 25 mars (Insu- — Cass., Civ. 1re, 16 déc.
rance Company of North 67-69 § 8
America) 72 § 5 1998. — Grenoble, 20 janv. 46 § 9
— Paris, 27 mars 41 § 9; 70 § 11 — Cass., Civ. 1re, 27 janv.
— Cass., Civ. 1re, 6 mai 32-34 (Sefiani) 45 § 9
§ 8; 32-34 § 12; 82-83 § 10; — Cass., Civ. 1re, 27 janv. (Aba-
84* dou) 82-83 § 5 et § 13
— Cass., Civ. 1re, 21 mai 15 § 14 — Cass., Civ. 1re, 24 févr. 72 § 6
— Cass., Civ. 1re, 21 mai (2 esp. : — Cass., Civ. 1re, 3 mars
Meglio, Renault) 22 § 18; 82-83 § 5
44 § 3 — Paris, 24 mars 30-31 § 12
— Cass., Civ. 1re, 3 juin 54 § 7; — Cass., Civ. 1re, 7 avr.
87 § 12 (Hamidou) 15 § 8
— CE, 6 juin 55-56 § 10 — Cass., Civ. 1re, 7 avr. (M. G. c/
— Paris, 10 juin 67-69 § 8 Commune de Ferney-Voltaire)
— Cass., Civ. 1re, 10 juin (Soc. 24-25 § 10
Hilmarton) 38-39 § 5 — Cass., Civ. 1re, 7 avr. (SAMIB)
— Cass., Civ. 1re, 17 juin (Equita- 43 § 3
nia) 54 § 7 — Paris, 28 avr. 4 § 7
— Cass., Civ. 1re, 17 juin (Ben- — Cass., Civ. 1re, 5 mai (Mailian)
dabdesslam) 10 § 14 70 § 16
— Cass., Civ. 1re, 17 juin (Époux — Aix, 10 mai 63-64 § 12
X.) 54 § 13 — Cass., Civ. 1re, 3 juin 28 § 4
782 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. 65-66 § 11 — Cass., Civ. 1re, 26 mai (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 16 juill. 28 § 2 Delta Draht) 84 § 13
et § 4 — Cass., Civ. 1re, 8 juin (Mme T.
— CE, 30 oct. 85* C/M. W.) 54 § 13; 70 § 11
— Cass., Civ. 1re, 10 nov. 47 § 3 — Cass., Civ. 1re, 22 juin (Mauri-
— Cass., Civ. 1re, 24 nov. 19 § 8; garment Trading and Marke-
32-34 § 1 et 16; 36 § 6 et § 8; ting Ltd) 54 § 4, § 9 et § 14
83* — CE, 30 juin 55-56 § 19
— Cass., Civ. 1re, 8 déc. (Calber- — Cass., Civ. 1re, 6 juill. 21 § 9
son) 82-83 § 5 et § 13 — Cass., Civ. 1re, 15 juill. 46 § 9;
— Cass., Civ. 1re, 8 déc. 65-66 § 11
(Soc. General Accident) — Cass., Civ. 1re, 19 juill. 65-66
5 § 9; 50 § 9 § 11
1999. — Cass., Civ. 1re, 5 janv. (Avci) — Cass., Civ. 1re, 12 oct. 47 § 6
19 § 11; 74-78 § 7 — Cass., Civ. 1re, 19 oct. (El Kha-
— Cass., Civ. 1re, 12 janv. roumi) 67-69 § 12
(L’Alliance africaine) 82- — Cass., Civ. 1re, 19 oct.
83 § 5 (Moquin) 53 § 14
— Metz, 19 janv. 41 § 10 — Cass., Civ. 1re, 17 nov. 41 § 24
— Cass., Civ. 1re, 9 févr. 36 § 5 — CJCE, 23 nov (Arblade) 53 § 8
— Cass., Civ. 1re, 2 mars (Soc. — CE, 3 déc. 85-86 § 6
Sea Land Service) 82-83 § 5 2000. — Paris, 13 janv. 17 § 7; 57 § 4
— CJCE, 9 mars (Centros) 50 § 2 — Cass., Com., 18 janv. 70 § 17
— Cass., Civ. 1re, 12 mars 49 § 5 — Cass., Civ. 1re, 25 janv. 41 § 21
— Cass., Civ. 1re, 16 mars — Cass., Civ. 1re, 22 févr. 82-83
(Maillez) 45 § 7 et § 9 § 18
— Cass., Civ. 1re, 16 mars (Soc. — Cass., Civ. 2e, 4 mars 63-64
Moureau c/Soc. Lanvin) § 13
36 § 9; 82-83 § 18 — Cass., Civ. 1re, 7 mars (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 16 mars Torkwerke Neuhaus Gmbh)
(Pordea) 45 § 9 19 § 5
— CE, 9 avr. 80-81 § 17 — Cass., Civ. 1re, 7 mars (Igoa-
— Cass., Civ. 1re, 13 avr. Etchebarren) 16 F
(Cie Royale Belge) 74-78 — Cass., Civ. 2e, 14 mars 63-64
§ 21; 82-83 § 14 § 13
— Cass., Civ. 1re, 13 avr. — Cass., Civ. 1re, 21 mars 3 § 10;
(Gr. Comptoirs français 16 § 4, § 5 et § 8
de Djibouti) 72 § 5 — Aix-en-Pr., 6 avr. 10 § 15, 54
— Cass., Civ. 1re, 13 avr. (Soc. § 10
Sullivan Polynésie) 72 § 5 — Cass., Civ. 1re, 18 avr. 71 § 3,
— Cass., Civ. 1re, 11 mai 19 § 6 87 § 8
— Cass., Civ. 1re, 26 mai (Belaïd — Paris, 26 avr. 53 § 14
A*) 6 § 7; 32-34 § 10 et § 16; — Cass., Soc. 27 avr. 53 § 17
78*; 82-83 § 3 et § 13; 84 § 5 — Cass. Ass. plén., 2 juin 86*
— Cass., Civ. 1re, 26 mai (Mutuel- — Cass., Soc. 18 juill. 47 § 3
les du Mans*) 32-34 § 1 et — CJCE, 12 sept. 85-86 § 10
§ 10; 77*; 82-83 § 3; 84 § 5 — Cass., Civ. 1re, 3 oct. 67-69
et § 13 § 10
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 783
— Cass., Civ. 1re, 3 févr. 26 § 14, — Cass., Civ. 1re, 18 mai 55-56
53 § 4 § 19
— Cass., Civ. 1re, 17 févr.* 19 § 11, — T. com. Nanterre, 19 mai 50
26 § 12, 41 § 8, 64* §4
— Cass., Civ. 1re, 17 févr. 45 § 7 — Cass., Civ. 1re, 31 mai 74-78
— Cass., Civ. 1re, 30 mars 41 § 21 § 12
— Cass., Civ. 1re, 30 mars 22 § 18 — Cass., Civ. 1re, 14 juin 55-56
— Cass., Civ. 1re, 30 mars (Soc. § 19; 74-78 § 16
Uni Kod) 44 § 3 — Cass., Civ. 1re, 28 juin (Aubin)
— Cass., Civ. 1re, 27 avr. (dame El 74-78 § 21, 82-83 F, § 2, § 7
B.) 38-39 § 5 — Cass., Com., 28 juin (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 27 avr. (Coti- Itraco) 19 § 8 et § 9; 32-34
gny) 47 § 3 § 17; 74-78 § 21; 83*; 84 § 9
— Amiens, 5 mai 67-69 § 11 — Cass., Civ. 1re, 6 juill. (Golds-
— Cass., Civ. 1re, 12 mai 70 § 16 hani) 44 § 3
— Cass., Civ. 2e, 3 juin 53 § 4 — Cass., Civ. 1re, 4 oct. 72 § 7
— Cons. Const., 10 juin 85-86 § 6 — Cass., Civ. 1re, 21 sept. 16 § 2
— Cons. Const., 1er juill. 85-86 — Cass., Civ. 1re, 25 oct. (Boua-
§6 lem) 45 § 7
— Paris, 22 sept. 51 F — Cass., Civ. 1re, 25 oct. (El W.)
— Cass., Civ. 1re, 19 oct. 30-31 45 § 9, 63-64 § 15
§ 12 — Cass., Civ. 1re, 22 nov. (Cor-
— Cass., Civ. 1re, 19 oct. 53 § 4 bier) 45 § 7
— Cass., Civ. 1re, 16 nov. 15 § 8 — Cass., Civ. 1re, 22 nov. (de
— Cons. const., 19 nov. 85-86 § 6 Ganay) 82-83 § 18
— Cass., Crim. 23 nov. 47 § 9 — Cass., Civ. 1re, 22 nov. (Hami-
— Cass., Civ. 1re, 14 déc. dou) 15 § 8
(Assinco) 43 § 4, — Cass., Civ. 1re, 22 nov.
— Cass., Civ. 1re, 14 déc. 54 § 7 (Zahzouh) 15 § 8
2005. — Cass., Civ. 1re, 11 janv. (Bar- — Cass., Civ. 1re, 22 nov. (Zedou-
luschke) 74-78 § 21; 82-83 fane) 74-78 § 16
§5 — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (Comp-
— Cass., Civ. 1re, 25 janv. (Van toir Commercial d’Orient)
Dongen) 15 § 14; 82-83 § 8 82-83 § 6
— Cass., Civ. 1re, 25 janv. (Rép. — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (Dynar-
démocratique du Congo) 65- gie France) 82-83 § 18
66 § 9 — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 25 janv. 67-69 Nestlé France) 36 § 6 et § 10,
§9 54 § 4
— Cass., Civ. 1re, 22 févr. 37 § 12 — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (Ep.
— Cass., C iv. 1re, 22 févr. (Soc. Zajdner), 87 § 6 et § 12
ABCI) 43 § 3 2006. — Cass., Civ. 1re, 3 janv. 45 § 9;
— Cass., C iv. 1re, 22 févr. (MAIF) 63-64 § 15
84 § 5 — Cass., Civ. 1re, 17 janv. 70 § 16
— Cass., Civ. 1re, 8 mars 67-69 — Cass., Civ. 1re, 31 janv. 15 § 8
§9 — Cass., Civ. 1re, 14 févr. (Brianti)
— Cass., Civ. 1re, 18 mai (Bent- 36 § 6 et § 10; 82-83 § 15
chikou) 18 § 4 et § 18
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 785
— Cass., Civ. 1re, 14 févr. (D. & — Cass., Civ. 1re, 23 mai (Viénot)
J. Sporting) 82-83 § 18 15 § 14
— Cass., Civ. 1re, 28 mars 49 § 5; — Cass., Civ. 1re, 7 juin 74-78
70 § 16 et § 17 § 16
— CJCE, 2 mai 50 § 4 — Cass., Civ. 1re, 20 juin
— Cass., Civ. 1re, 10 mai (Enfant (Boudaih) 63-64 § 15
Léana-Myriam) 17 § 7 — Cass., Civ. 1re, 20 juin
— Cass., Civ. 1re, 10 mai (Itchir) (Bouhdayd) 63-64 § 15
63-64 § 15; 70 § 16 — Cass., Civ. 1re, 20 juin
— Cass., Civ. 1re, 23 mai (Prieur)* (Wildenstein) 16 § 4
45 § 1; 46 § 8; 49 § 4; 54 § 7; — Cass., Civ. 1re, 4 juill. 41 § 10;
70 § 12; 87* 87 § 14
INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS
A B
Barrau : 15 § 7 Bourbon-Parme :
Bartholo* : 7-8 § 2, § 5 et § 6 ; 9* ; 23 v. Chateau de Chambord
§ 1; 27 § 2 et § 7; 37 § 5 Boureghda : 15 § 7
Bastia : 36 § 10 Brajeul : 19 § 12
Bauffremont (Princesse de)* : 6* ; 41 Brianti : 82-83 § 15 et § 18
§9 Brunswick (Duc de –) : 2 § 12
Baumann : 41 § 8; 45 § 7 Bulkley* : 2 § 1 et § 8; 4*; 10 § 2; 26 F;
Bayar : 41 § 7 et § 17 26 § 11; 41 § 7; 45 § 3
Bazbaz* : 28 § 3; v. aussi Moreau (veuve) Burguière : 4 § 7
BCCI c. Prabhu : 24-25 § 10 Burnett : 20 § 4
Beauchamp (veuve) : 42 § 9 Busqueta* : 1* ; 5 § 2 ; 10 § 2 ; 14 F ;
Beaumartin : 80-81 § 14 14 § 3; 18 § 4; 27 § 5; 53 § 18
Butez : 46 § 5
Bec Frères : 44 § 7
Buzyn : 36 § 10
Belaïd A. : 6 § 7 ; 32-34 § 10 et § 16 ;
78*; 82-83 § 12; 84 § 5 et § 10
Bellatrèche : 15 § 8 C
Benabdesslam : 10 § 14 Cader : 41 § 10
Ben Attar : 7-8 § 6 Cafés Jacques Vabre :
Bendeddouche (dame)* : 14 § 4 ; 26 v. Jacques Vabre
§ 11; 27 § 16; 30-31 § 12; 61* Caiato : 35 § 7; 84 § 4
Bendern (de) (dame) : 37 § 8 et § 11 Calberson : 82-83 § 5 et § 12
Bentchikou : 18 § 4 Caldumbide : 80-81 § 4
Benvenuti et Bonfant : 65-66 § 3 et § 11 Camara : 46 § 10
Bertoncini* : 34* ; 74-78 § 13 ; 82-83 Cametz : 11 § 9
§ 18 Campbell Johnston* : 3 § 7; 15 § 3
Besnard : 82-83 § 8 et § 10; 26 § 7; 29 § 6; 42*
Bettahar : 29 § 3 Camus : 41 § 20; 45 § 11
Bezzaï-Dalle : 15 § 7 et § 8 Canal : 55-56 § 11
BICIC : 82-83 § 6 Canovas Gutierrez : 26 § 8
Bielsky : 24-25 § 5 Caraslanis* : 7-8 § 2 ; 7-8 § 3 ; 9 § 4 ;
Birchall : 7 § 16; 9 § 7 9 § 7; 9 § 8; 23 § 1; 27*; 29 § 1, § 3
Bisbal* : 5 § 5; 6 § 4 et § 7; 19 § 8; 26 et § 5; 42 § 2; 53 § 5
§ 5 ; 32* ; 42 § 9 ; 45 § 4 ; 74-78 § 2, Carathéodory (veuve) : 11 § 6
§ 5, § 6, § 13, § 15 et § 18; 82-83 § 18; Caratier Terrasson (veuve) : 65-66 § 4
84 § 3 et § 5 Caron (Civ. 1re, 20 mars 1985) : 4 § 6;
6 § 4 et § 14
Boisdet : 55-56 § 10
Caron (Paris, 23 janv. 1990) : 84 § 4
Boll : 53 § 8; 74-78 § 12
et § 13
Bonar /d’Hervas : 1 § 7 Cassan : 53 § 16
Bonnereau : 63-64 § 2 CAVNOS : 65-66 § 6
Bonnet (consorts) : 49 § 3 CCRMA* : 50*; 53 § 5
Bonnevide (Delle) : 18 § 4 Centros : 50 § 2
Bonomo (Civ. 3 mars 1970) : 18 § 4 Chant du Monde (Le) : 20 § 4
Bonomo (Civ. 19 mars 1973) : 62 § 3 Charlie Chaplin* : 3 § 7 ; 11 § 5; 40*;
Boualem : 45 § 7 51 § 11
Boudaih : 63-64 § 14 Charr : 2 § 11; 10 § 18; 41 § 1 et 2
Bouhdayd : 63-64 § 14 Chassagne : 80-81 § 4
Boumaza : Château de Chambord* : 3 § 7; 3 § 10;
v. Bendeddouche 5 § 3; 14*
INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS 789
A – succession : 61 § 2
Aliments :
Abordage : 32-34 § 15
v. Obligations alimentaires
Accession de territoire à l’indépen-
Antériorité de l’ordre interne par rap-
dance : 50 § 7
port à l’ordre international : 9 § 8;
Accident de la circulation routière :
27 § 7; 53 § 9; 85-86 § 8
19 § 5; 84 § 7
Anzilotti : 9 § 8
Accord procédural : 84 § 1 et s.
Apatride : 32-34 § 16; 46 § 2 et s.
Act of state : 13 § 6
Apparence :
Acte de l’état civil :
– conflit de systèmes dans le temps :
v. État civil
23 § 9
Acte juridique :
v. Contrat, Testament – ignorance excusable de la loi
étrangère : 5 § 6
Action déclaratoire :
– en inopposabilité : 24-25 § 1 et s. Arbitrage :
– régime matrimonial : 15 § 8 – capacité de l’État : 44 § 9
Action en inopposabilité : 24-25 § 1 – clause compromissoire : 22 § 18; 43
et s. § 6; 44 § 3; 72 § 4 et § 10
Action en opposabilité : 24-25 § 9 Articles 14 et 15 du Code civil :
Adaptation : – action en partage : 49 § 6
– conflit de lois : 12 § 5; 27 § 16; – action mixte : 49 § 6
30-31 § 11; 48 § 13; 61 § 6; 67-69 § 3 – action réelle immobilière : 49 § 6
– conflit de juridictions : 37 § 7; 47 § 5; – application d’office : 45 § 14
72 § 4; 84 § 6 – bénéficiaires : 43 § 2
Admission à domicile : 1 § 3 ; 5 § 6 ; – cession de créance : 43 § 4
18 § 3; 20 § 2; 37 § 5 note 1; 42 § 4 – clause attributive de juridiction : 43
Adoption : 67-69 § 1 et s. § 6; 69 § 9
– compétence judiciaire : 71 § 4 – compétence exclusive : 45 § 1; 46 § 8;
– consentement à l’adoption : 67-69 § 6 70 § 22; 87 § 1 et s.
et s. – compétence facultative : 72 § 8; 87 § 4
– jugement étranger : 4 § 7 – compétence interne : 71 § 2
– loi applicable : 26 § 8; 67-69 § 2 et s. – contrats : 49 § 2; 49 § 4
798 INDEX THÉMATIQUE
Consommateurs : – renvoi : 51 § 10
v. Clause attributive de juridiction, - sans loi : 11 § 8; 22 § 2
Contrat, Forme – statut réel : 3 § 6; 48 § 5
Contrat : Contrat de mariage :
– autonomie de la volonté : 11 § 1 et s.; – capacité : 38-39 § 12
22 § 2 et s.; 35 § 1 et s. – loi applicable : 15 § 8
– autorité de la règle de conflit de lois : Convention de Bruxelles :
74-78 § 6 – article 14 du Code civil : 49 § 4; 71 § 3
– caractère international : 11 § 6; 22 – autorité de la chose jugée : 10 § 15
§ 16 et s.; 44 § 12 – clause attributive de juridiction : 72 § 4
– clause monétaire : 22 § 11 et s. et § 7
– consommateurs : 35 § 7
– compétence exclusive : 70 § 13
– contrat de distribution : 35 § 7
– conflit de décisions : 38-39 § 5
– contrat de travail : 35 § 7
– litispendance : 54 § 2
– Convention de La Haye du 15 juin
Convention de Rome :
1955 : 35 § 6
v. Contrat, Forme, Lois de police
– Convention de La Haye du 14 mars
Convention européenne
1978 : 35 § 6
des droits de l’homme : 55-56 § 17;
– Convention de La Haye du 30 octobre
63-64 § 12; 67-69 § 12
1985 : 35 § 6
– Convention de Rome du 19 juin 1980 : Convention franco-marocaine
5 § 8; 11 § 1; 35 § 6; 40 § 7; 48 § 16; du 10 août 1981 : 26 § 5; 63-64 § 1
53 § 18 Convention internationale :
– dépeçage : 11 § 8 et s.; 35 § 5 – application : 74-78 § 5 à 7, § 10 à 12
- d’États : 22 § 9; 44 § 6 – hiérarchie des normes : 55-56 § 1 et s.;
- entre époux : 23 § 3; 26 § 8; 42 § 3 85-86 § 1 et s.
– forme : 40 § 1 et s. Coutume de Bretagne : 3 § 1, note 1
– histoire : 3 § 6; 11 § 3
– incorporation de la loi choisie : 11 § 8 D
– indices de localisation : 11 § 6; 35 § 3
D’Argentré : 3 § 6; 5 § 3; 10 § 8;
– lex mercatoria : 22 § 10; 44 § 7 et § 12
14 § 3; 15 § 5; 18 § 2; 48 § 3
– lieu de conclusion : 11 § 4
– lieu d’exécution : 11 § 6 Demangeat : 5 § 4; 20 § 3
– localisation : 11 § 6; 35 § 3 Demolombe :
– loi choisie annulant le contrat : 11 § 9 – condition des étrangers : 20 § 3
– loi de police : 22 § 7; 35 § 5; 53 § 18 – ignorance excusable de la loi
– loi d’un pays neutre : 35 § 3 étrangère : 5 § 4
– monnaie : 22 § 11 Dénaturation :
– nationalité des parties : 11 § 6 – contrat : 36 § 4
– ordre public : 22 § 12 – document versé aux débats : 36 § 7
– pouvoir rectificateur du juge : 35 § 2 – jurisprudence étrangère : 36 § 8
– prestation caractéristique : 11 § 6; 35 – loi étrangère : 36 § 1 et s.; 41 § 8
§7 – traduction : 36 § 9
– règles matérielles : 22 § 10; 22 § 17; Déni de justice :
35 § 7; 44 § 12 v. Compétence
INDEX THÉMATIQUE 801
- étrangères : 53 § 15 et s. – célébration : 27 § 8 et s.
– forme des actes : 40 § 8 – effets : 26 § 7
– mariage : 27 § 14 – empêchement bilatéral : 30-31 § 5
– ordre public : 53 § 15 – indigène : 30-31 § 4
– règles de conflit : 53 § 5 – lois de police; 27 § 14
– règles matérielles : 5 § 8; 44 § 11 – nationalité : 6 § 1; 28 § 3
– statut réel : 48 § 7 – nullité : 28 § 4
– théorie des – : 53 § 1 et s. – obligation alimentaire : 26 § 7; 30-31
Lois d’ordre public : 19 § 9; 53 § 2 § 8 et s.
Loi des effets du mariage : 12 § 3; – ordre public : 25 § 14; 55 § 7
15 § 3; 26 § 6 et s.; 28 § 2; 30-31 § 5 – possession d’état : 9 § 2; 28 § 4
et 10; 42 § 4; 67-69 § 4 et § 5 – preuve : 9 § 2
Loi étrangère : – publicité : 6 § 13
– application d’office : 32-34 § 1 et s.;
- putatif : 28 § 1 et s.; 61 § 9
74-78 § 1 et s.
– qualification : 27 § 1 et s.
– charge de la preuve : 19 § 7; 82-83 § 1
- religieux : 27 § 11 et s.
et s.
v. aussi Contrat entre époux,
– contrôle de la Cour de cassation : 16
Divorce, Donations entre époux,
§ 2; 16 § 6; 32-34 § 4; 36 § 1 et s.
Hypothèque, Polygamie,
– contrôle des motifs : 36 § 10
Régime matrimonial,
– défaut de preuve : 32-34 § 15; 82-83
Séparation de corps
§ 1 et s.
Marques : 70 § 13
– dénaturation : 36 § 1 et s.; 41 § 8
v. aussi Nationalisation
– État non reconnu : 52 § 1
Meijers : 23 § 7
– interprétation : 16 § 2; 19 § 7; 36 § 2
Merlin : 48 § 3
– invocation en cours d’instance : 32-34
Meuble :
§4
v. Statut réel
– preuve : 32-34 § 15; 82-83 § 1 et s.
Mobilia sequuntur personam : 18 § 2;
– traduction : 36 § 9
48 § 3
Loi personnelle :
– conflit de nationalités : 46 § 1 et s. Monnaie de compte : 22 § 13
– loi du domicile : 1 § 4; 14 § 3
– loi nationale : 1 § 2; 5 § 2; 14 § 3 N
– pluralité de nationalités : 12 § 2; 17
Nationalisation : 13 § 1 et s.; 58 § 1 et s.
§ 3; 26 § 3
– actions de société : 13 § 10
– solution politique : 12.3; 17 § 2; 21
- algérienne; 13 § 3
§ 4; 26 § 3
– biens incorporels : 13 § 8
– brevets d’invention : 13 § 10
M
– compétence de l’État : 13 § 6; 13 § 9
Mancini :1 § 5 ; 9 § 8 ; 14 § 3 ; 19 § 9 ; et s.; 58 § 1 et s.
40 § 6; 48 § 3 – conflit mobile : 13 § 6
Mariage : – créance : 13 § 8; 13 § 10; 58 § 5
– boîteux : 26 § 3; 27 § 15 – défaut d’indemnisation : 13 § 3 et s.
– capacité : 1 § 3 et s. – dette : 13 § 8
806 INDEX THÉMATIQUE
47 Cass., Civ. 1re, 25 février 1969, Soc. Levant Express Transport ..... 422
48 Cass., Civ. 1re, 8 juill. 1969, Soc. DIAC .............................................. 432
49 Cass., Civ. 1re, 27 mai 1970, Weiss...................................................... 445
TABLE DES MATIÈRES 813
GRANDS
GRANDS ARRÊTS ARRÊTS GRANDS ARRÊTS
B. Ancel
Y. Lequette
Les grands arrêts de la
jurisprudence française B. Ancel / Y. Lequette
de droit international privé
B. Ancel / Y. Lequette
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