Les Grands Arrêts de La Jurisprudence Française Du Droit International Privé - 5e Edition Dalloz

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JURIS FRANC DROIT INTER PRIV 7/09/06 15:47 Page 1

GRANDS
GRANDS ARRÊTS ARRÊTS GRANDS ARRÊTS

B. Ancel
Y. Lequette
Les grands arrêts de la
jurisprudence française B. Ancel / Y. Lequette
de droit international privé
B. Ancel / Y. Lequette

Les grands arrêts

Les grands arrêts de


la jurisprudence française
de droit international privé
Ces grands arrêts offrent une vue vivante et complète du droit international
privé français. Dans cette discipline non codifiée, la discrétion de la loi
face aux relations que nouent et entretiennent au-dessus des frontières
les personnes privées – physiques ou morales – a contraint les tribunaux
à élaborer, au plein sens du terme, un véritable corps de règles. L’ouvrage
est l’expression de ce rôle de création du droit assumé par la jurisprudence.
de la jurisprudence
Plus qu’un complément nécessaire, il constitue l’outil indispensable de tout
étudiant ou praticien qui veut savoir et comprendre les principes et les appli-
cations du droit international privé français d’aujourd’hui.
française de droit
87 arrêts sont présentés dans cette 5e édition. Faits, décision, analyse,
telle est la présentation adoptée par les auteurs. Ainsi le lecteur découvre
la variété des circonstances qui font naître les questions de nationalité
ou de condition des étrangers, et surtout les problèmes réputés plus aigus
international privé
de conflits de lois ou de conflits de juridictions. Il est ainsi en mesure de pénétrer
le sens et de circonscrire la portée de la règle que chaque arrêt consacre,
tandis que le commentaire lui représente la valeur et la place de celle-ci dans
l’ensemble de l’édifice construit par nos tribunaux.

Montrant le droit en train de se faire, la méthode garantit une approche 5e édition


dynamique des problèmes pratiques et de leur solution juridique.

Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé


apportent leur contribution à une meilleure connaissance du commerce
international entre les personnes privées.

ISBN 2 247 06891 X

http://www.dalloz.fr 42 €
Les grands arrêts
de la jurisprudence française
de droit international privé
Les grands arrêts
de la jurisprudence française
de droit international privé

5e édition

2006

Bertrand Ancel Yves Lequette


Professeurs à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

Préface de
Henri Batiffol
Membre de l’institut
Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication. Son objet est d’alerter le lec-
teur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, particulièrement dans le domaine
de l’édition technique et universitaire, le développement massif du photocopillage.
Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la
photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s’est géné-
ralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des
achats de livres et de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des
œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée.
Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation de
l’auteur, de son éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

31-35, rue Froidevaux, 75685 Paris Cedex 14

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2o et 3o a), d’une part, que les « copies
ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre
part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction
intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée
par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

© ÉDITIONS DALLOZ – 2006


PRÉFACE

Ce livre était attendu. Les grands arrêts de la jurisprudence civile parus en


1934 ont non seulement atteint leur 8e édition en 1984, mais ils ont provoqué
la parution de volumes similaires sur le droit administratif, le droit commer-
cial, et même le droit pénal où l’affirmation de l’interprétation stricte des
textes pouvait paraître réduire le rôle de la jurisprudence. Or, s’il est une matière
où ce rôle est au premier plan, c’est bien le droit international privé. Dans le
domaine central des conflits de lois, devant la pauvreté des textes, la jurispru-
dence a réalisé une véritable construction d’ensemble, et il est légitime d’en
dire autant, malgré l’existence de certains textes, pour les conflits de juridic-
tions, dont l’importance n’a cessé de croître.
C’est donc un service précieux que rendent MM. Bertrand Ancel et
Yves Lequette à tous ceux qu’intéresse le droit international privé, soit pour
son étude, soit pour son utilisation. Il est méritoire, car les problèmes ne man-
quaient pas. Si la proportion des décisions concernant ce domaine est fort
réduite, leur nombre n’en est pas moins important, et sa progression est conti-
nue, surtout de nos jours; un choix était donc nécessaire, malgré le caractère
global de la construction : aux obstacles matériels d’un ouvrage trop volumi-
neux s’ajoutait l’obligation de distinguer entre les décisions selon leur portée
dans l’édifice, dont les éléments n’ont pas tous le même intérêt pour son intel-
ligibilité, et selon la mesure de leur positivité respective. Les auteurs donnent
dans leur avant-propos des explications sur les critères qui ont guidé leurs
choix, et le lecteur appréciera la valeur générale de ces pages pour l’étude et la
signification de la jurisprudence.
Ils ont adopté un plan d’ensemble chronologique. Les grands arrêts civils
sont classés par matières : il en est de même pour les arrêts de droit pénal; la
jurisprudence administrative est au contraire présentée chronologiquement.
Cette convergence avec le plan du présent volume paraît exprimer le caractère
primordial des décisions judiciaires dans l’une et l’autre de ces branches du
droit.
Il en résulte la possibilité de dégager des traits d’évolution d’ensemble. Le
contraste n’est sans doute que relatif, en ce sens que les jurisprudences civile
et pénale ont subi des influences générales, ne serait-ce que dans la conception
de l’interprétation, ou les incidences de l’évolution économique et sociale. Il
s’est ici ajouté une continuité dans le développement systématique, qui permet
de saisir l’effort de cohérence à travers les divers chapitres de la matière. Les
auteurs préviennent d’ailleurs que la chronologie a dû être sacrifiée en certains
cas à l’intérêt de suivre une question déterminée à travers les différentes déci-
sions qui en ont traité. On retrouve le procédé connu aux États-Unis qui donne
VI DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

la « postérité » d’une décision, tandis que les commentaires ordinaires relatent


les antécédents.
MM. Ancel et Lequette affirment la continuité et la cohérence de la juris-
prudence française en droit international privé. Elles ont cependant été plus
d’une fois mises en doute, probablement parce que jugées au nom de critères
trop simples, ou sans une analyse suffisante des décisions, de leur portée, et de
leur évolution. À cet égard les deux auteurs ont fait leurs preuves du sens
qu’ils ont acquis d’un tel travail, sans lequel le présent ouvrage n’aurait pas été
possible.
Ils présentent un éloge de la formation du droit par la jurisprudence qui sera
remarqué à une époque où certaines voix s’élèvent contre le rôle, excessif dit-
on, qui lui est reconnu dans le développement du droit positif. La positivité du
droit jurisprudentiel n’est cependant guère niable. En quoi consisterait le droit
français sans la jurisprudence dans la matière de ce volume, ou celles du droit
administratif ou de la responsabilité civile pour ne prendre que ces exemples ?
Les discussions qui persistent sur l’explication du pouvoir des juges et plus
précisément de la Cour de cassation, ne devraient pas permettre de méconnaî-
tre un fait aussi important.
MM. Ancel et Lequette ne méconnaissent d’ailleurs pas les infériorités du
droit jurisprudentiel par rapport au droit législatif. Mais ils les estiment plus
relatives qu’on le dit.
Ce qui ne signifie assurément pas que l’avenir serait dans la réduction du
rôle de la loi, qui se trouverait cantonnée, suivant l’exemple des pays de
common law, à des dispositions réputées particulières, dérogatoires en quelque
sorte aux principes posés par les tribunaux. C’est sans doute l’état actuel du
droit international privé en France. Mais son extension heurte l’idée ancrée
dans la tradition « continentale » que les juges ont pour première mission de
résoudre les questions qui leur sont soumises en respectant l’œuvre législative,
même si cette opération, principalement par la nécessité de l’interprétation
devant la variété des espèces, les conduit à énoncer des formules qui prennent
valeur, sous certaines conditions, de solutions positives. Selon les justes
expressions du regretté Pierre Hébraud, la mission d’appliquer la loi, donc de
l’interpréter, conduit le juge à la « modeler », à la compléter; il ne s’agit donc
pas d’une « autorité extrinsèque au système législatif »* — ce qui paraît la
meilleure réponse aux objections d’usurpation par les tribunaux d’un pouvoir
appartenant au législateur.
Il faut remercier les deux auteurs d’un travail qui paraissait de longue date
nécessaire. Leur connaissance approfondie de la matière, la perspicacité et
l’équilibre de leurs jugements, leur puissance de travail leur ont permis de
répondre pleinement à ce qui était attendu.

Henri Batiffol

* « Le juge et la jurisprudence », Mélanges Couzinet, p. 333.


AVANT-PROPOS

Mieux que toute autre discipline, le droit international privé paraît appeler la
composition d’une anthologie de décisions judiciaires. Plus qu’ailleurs en
effet, le travail des tribunaux s’y est accompli hors de l’égide des lois, la carence
relative des codes français abandonnant par chapitres entiers la matière à la
jurisprudence. Nombreux sont, au demeurant, les arrêts qui, au-delà de quelques
précautions rituelles, n’hésitent pas à poser la règle de droit, en prononçant par
voie d’énonciation générale sur les causes qui leur sont soumises. Pourtant,
aujourd’hui, il se pourrait que l’« âge d’or » de la jurisprudence française soit
révolu. Sans doute, la multiplication des traités internationaux et les témérités
renouvelées du législateur français n’ont pas suffi à remettre en cause la place
essentielle que la jurisprudence française avait su s’adjuger dans la formation
de notre système de droit international privé. La remarquable vitalité de celle-ci
l’atteste : depuis la publication de la première édition de cet ouvrage, en 1987,
la seule actualité judiciaire a contraint les auteurs à ajouter plus de vingt arrêts
à la série des décisions initialement retenues. Mais cette source vive que ni la
conférence de La Haye, ni le législateur français n’avaient réussi à tarir, la
(dé)construction européenne pourrait bien l’assécher. Une lecture offensive de
l’article 65 du Traité d’Amsterdam attire désormais la discipline dans le champ
de la compétence des autorités communautaires pour la mettre à la merci de
Règlements du Conseil élaborés à l’écart des prétoires et des assemblées, dans
le confinement opaque de bureaux bruxellois et, en tout cas, dans des condi-
tions très éloignées de celles qui présidèrent au développement de la tradition
française. Quoique promettant une montée en puissance de la Cour de justice
des Communautés européennes, cette « communautarisation » de la matière
amenuisera le rôle de la jurisprudence; alors qu’au fil des siècles nos juges ont
contribué directement à la construction d’un véritable système de droit interna-
tional privé, il ne s’agira plus désormais que de régler les difficultés d’applica-
tion suscitées par la rédaction défectueuse des textes, comme les Règlements
dits Bruxelles I et Bruxelles II bis en autorisent le présage.
Néanmoins, la connaissance de la jurisprudence française conserve pour
l’heure et conservera longtemps encore tout son prix. La négliger ne serait,
pour l’étudiant ou le praticien, qu’un petit et mauvais calcul; d’abord, parce
que l’œuvre prétorienne de nos tribunaux reste l’expression d’une large part de
notre droit positif et, ensuite, parce que son analyse donne la profondeur histo-
rique sans laquelle il n’est pas de véritable compréhension de celui-ci.
Au sein de cette jurisprudence, le choix des arrêts a été guidé par des consi-
dérations essentiellement pragmatiques. Néanmoins si une directive devait être
énoncée, l’on dirait que les auteurs se seront efforcés de retenir des décisions
VIII DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

qui, d’une part, ont permis de modeler à un certain niveau de généralité le droit
international privé français et qui, d’autre part, conservent, même si leur solu-
tion n’a plus cours, un intérêt pour le droit positif contemporain. Ainsi pour ne
prendre qu’un exemple, l’arrêt Verdier (no 21) a été choisi quoiqu’il ait perdu
toute positivité, car il constitue la décision fondatrice de la méthode des règles
de conflit alternatives.
Les arrêts de la Cour de cassation forment évidemment la part la plus impor-
tante des décisions recueillies dans cet ouvrage; il est, en effet, difficile de parler
de jurisprudence tant que la haute juridiction ne s’est pas prononcée. Aussi
bien, le plus grand nombre des arrêts reproduits présentent tous les attributs de
l’arrêt de principe. Néanmoins à côté de ces décisions dont le choix s’imposait,
les auteurs ont aussi sélectionné quelques arrêts de cours d’appel. Ceux-ci
illustrent ce phénomène propre au droit international privé qui est l’arrêt « à
thèse », c’est-à-dire l’arrêt qui tire sa notoriété non de l’autorité de l’organe
dont il émane et des propositions qu’il énonce, mais de la réflexion doctrinale
dont il est l’occasion et le support. Ainsi en va-t-il, par exemple, des arrêts
Bartholo (no 9) et Machet (no 23) qui ont permis respectivement à Bartin et à
Francescakis de découvrir et d’exposer les difficiles questions du conflit de
qualifications et des conflits de systèmes dans le temps. Enfin, à ces arrêts de
principe et à ces arrêts à thèse s’ajoutent quelques arrêts qu’on pourrait qualifier
de didactiques. Il s’agit de décisions qui ont été choisies afin d’éviter qu’un
courant jurisprudentiel important ne reste sans illustration alors même
qu’aucun arrêt n’apparaît, en la matière, vraiment représentatif. Certes le plan
chronologiquement retenu imposait moins qu’un plan thématique le recours à
ce qui peut apparaître comme un artifice. Mais il a semblé souhaitable
qu’aucune réalité importante des relations privées internationales ne reste dans
l’ombre. De là, par exemple, le choix de l’arrêt Compagnie internationale des
wagons-lits (no 53) pour illustrer la méthode des lois de police.
Si la présence de certaines décisions peut étonner, l’absence d’autres surpren-
dra certainement. Ainsi, pour n’en citer que quelques-uns, ne figurent pas dans
cet ouvrage les arrêts Duc de Richmond, Viditz, Ponnoucannamale, Levinçon
et Ghattas, Patiño du 21 juin 1948, Tarwid,… Les auteurs ont essayé de remé-
dier à ces exclusions dictées par des considérations pratiques, en présentant les
aspects les plus importants de ces décisions et de beaucoup d’autres à l’occasion
du commentaire d’arrêts traitant des mêmes problèmes et qui leur ont paru
plus significatifs, c’est-à-dire pour les arrêts évoqués et dans l’ordre : Banque
africaine de développement (no 81), Charlie Chaplin (no 40), Bendeddouche
(no 61), Caraslanis (no 27), Scheffel (no 37), Rivière (no 26). Les index alpha-
bétique et chronologique des arrêts cités permettront aux lecteurs de découvrir
aisément le lieu où ces décisions non reproduites sont envisagées. Enfin,
l’ouvrage s’attachant à l’étude du seul droit international privé, les décisions
relatives au commerce international n’ont été retenues que dans la mesure où
elles apparaissent indispensables à l’illustration de problèmes méthodologi-
ques généraux (v. par. ex., l’arrêt Galakis, no 44).
Les auteurs ont choisi d’exposer les décisions retenues par ordre chronolo-
gique et non systématique. Il leur a, en effet, semblé que — en une matière où
les directives législatives étaient peu contraignantes — une telle présentation
AVANT-PROPOS IX

permettait de mieux saisir l’élaboration progressive du droit international privé


français. Néanmoins là encore, des considérations pragmatiques les ont parfois
conduits à déroger à cet ordre. Ainsi lorsque plusieurs décisions ont été ren-
dues successivement dans une même affaire, elles ont été reproduites ensem-
ble, la date d’insertion retenue étant celle de la première (v. par ex., arrêts
Forgo, no 7-8, Weiller, no 24-25, Chemouni, no 30-31); de même, bien que ren-
dues dans des affaires différentes, certaines décisions ont été regroupées parce
que, intervenues à un bref intervalle et obéissant à une même inspiration, elles
semblent s’ordonner dans l’esprit des magistrats en une « série ». Tel est le cas
par exemple, des arrêts Bisbal, Compagnie aérienne de crédit et de banque et
Bertoncini (no 32 à 34) ou des arrêts Eurodif et Sonatrach (no 65-66). Parfois, il
est vrai, la cohérence fait défaut et c’est alors une « dent de scie » que met en évi-
dence le rapprochement des arrêts de la haute juridiction. La figure tend à se
multiplier ces dernières années avec les arrêts Rebouh, Schule, Société Coveco,
Mutuelle du Mans et Belaïd A (no 74-78), Nassibian et Société Strojexport (no 59-
60), Rohbi et M.A. (no 63-64) ou encore les arrêts Amerford et Itraco (no 82-83).
Les décisions elles-mêmes ont été présentées en se conformant à la méthode
suivie par Henri Capitant pour Les grands arrêts de la jurisprudence civile
en 1934. Chaque arrêt est précédé de l’exposé des faits et des principales éta-
pes de la procédure, auquel sont parfois intégrés lorsque cela a paru utile, de
larges extraits des décisions des juges du fond ou du pourvoi. Il est suivi d’un
commentaire qui ne se contente pas de replacer l’arrêt dans son contexte mais
s’efforce de dégager sa portée au regard du droit contemporain. Liés aux déci-
sions qu’ils accompagnent, ces commentaires ne se prêtent évidemment que
malaisément à des réflexions plus générales sur la jurisprudence française de
droit international privé. C’est pourquoi, dépassant une analyse espèce par
espèce, esquissera-t-on dans les quelques lignes qui suivent, deux séries de
remarques relatives, la première aux grandes étapes de la construction édifiée
par la jurisprudence, la seconde au pouvoir créateur de celle-ci.
À l’exemple de quelques historiens, certains ont parfois été tentés de repré-
senter l’évolution de la jurisprudence sous la forme de figures mathématiques :
sinusoïde, spirale, etc. Néanmoins, il semble bien que ces constructions géo-
métriques se donnent une élégance qui les éloigne de la réalité observée. Tout
au plus peut-on dégager quelques dates, la conjonction de certaines décisions
marquant parfois la rupture avec une époque et l’avènement d’une autre. Encore
faut-il être conscient de la part d’artifice que renferme une telle entreprise, ces
décisions n’étant elles-mêmes bien souvent, comme on vient de le rappeler,
que l’aboutissement d’une longue évolution. Toutefois si l’on s’essaye à cet
exercice, une date paraît s’imposer : l’année 1948. Deux solutions essentielles
y ont, en effet, été affirmées : l’abandon du principe d’incompétence des tribu-
naux français dans les litiges étrangers (Civ., 21 juin 1948, Patiño, v. obs. no 37),
l’assimilation des étrangers aux Français sur le terrain de la jouissance des
droits privés (Civ., 27 juill. 1948, Lefait, no 20). Certes aucune de ces décisions
ne touche à la matière centrale du droit international privé, les conflits des lois.
Mais mettant l’une comme l’autre, un point final à des évolutions amorcées
dès le lendemain du Code civil, elles font sauter deux des verrous qui avaient
longtemps entravé la participation des étrangers à la vie juridique française.
X DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

L’arrêt Lautour (no 19), rendu la même année montre d’ailleurs que le conflit
de lois n’échappe pas à la volonté de rompre avec le vieux courant protection-
niste et nationaliste; privant la notion d’ordre public de toute fonction de rat-
tachement pour ne lui concéder qu’un rôle d’exception au jeu normal de la règle
de conflit, cette décision favorise le libre échange des lois et affranchit la matière
des entraves qui l’enserraient. La personnalité de Lerebours-Pigeonnière,
rapporteur des arrêts Patiño et Lautour, pour qui la France se devait de pro-
mouvoir les relations internationales, n’est certainement pas étrangère à cette
mutation. Aussi bien constate-t-on dans les années suivantes, notamment avec
l’arrêt Rivière (no 26), l’abandon d’un nationalisme lui-même relié à la tradi-
tion territorialiste héritée de l’ancien droit vers lequel, sous l’impulsion notam-
ment de Niboyet, semblaient incliner certaines décisions antérieures. C’est que
précisément cette nouvelle « donne » jurisprudentielle s’accompagne d’un renou-
veau doctrinal. 1949, sera, en effet, faut-il le rappeler, l’année de parution
du Traité élémentaire de droit international privé de l’auteur de la préface,
lequel avait été précédé, en 1948 précisément, d’un cours remarqué sur « les
tendances doctrinales actuelles en droit international privé » (Rec. cours La Haye,
1948, t. I, 5).
L’importance de cette date ne doit pas cependant occulter l’existence en plu-
sieurs domaines de paliers qui ont été autant de tremplins pour l’évolution
ultérieure. Ainsi les années qui ont précédé immédiatement la Première guerre
mondiale apparaissent-elles avec notamment les arrêts Viditz et American Tra-
ding Co (no 11), décisives pour la formation d’un régime du contrat international
libéré des rigidités du passé. Ainsi encore, l’année 1900, à la charnière de
deux siècles, place l’arrêt de Wrède (no 10) au départ d’une réorientation des
solutions en matière d’effet des jugements étrangers qui se précisera avec les
arrêts Le Goaster et Hainard et finira par déboucher à plusieurs décennies de
distance, sur la jurisprudence Munzer (no 41).
Dans l’avant-propos des deux premières éditions de cet ouvrage, les auteurs
avaient tenu à souligner que les critiques généralement formulées à l’encontre
de la jurisprudence source de droit ne se retrouvaient que très atténuées dans le
domaine du droit international privé, en raison de la remarquable qualité de
l’œuvre normative de la jurisprudence française. Vingt ans après, il est mal-
heureusement difficile de laisser ces lignes en l’état. De fait si, sur plusieurs
points, la haute juridiction prolonge des évolutions amorcées depuis de nom-
breuses années et qui paraissaient inscrites dans la nature des choses, sur d’autres
la volonté de rupture est telle qu’il devient difficile de célébrer l’« extraordi-
naire continuité » d’une jurisprudence qui serait paradoxalement « plus stable
que la loi ». Sans doute ne faut-il pas exagérer cette tendance qui pourrait
s’expliquer par l’effet de grossissement que produit la proximité. Il n’en reste
pas moins qu’il est permis de se demander si cette instabilité n’a pas sa source
dans la révolution culturelle qui affecte, aujourd’hui la magistrature française.
Longtemps servante de la loi, celle-ci n’hésite plus à s’ériger — exception de
conventionnalité aidant — en une sorte de super-législateur. C’est une chose,
en effet, d’interpréter une loi lorsqu’elle est obscure, de la compléter ou de la
suppléer lorsqu’elle est lacunaire, c’en est une autre d’écarter des textes clairs
et précis votés par le Parlement au prétexte qu’ils ne sont pas conformes aux
AVANT-PROPOS XI

« axiomes passe-partout » de la Convention européenne des droits de l’homme


ou d’instruments équivalents (Carbonnier, Introduction, no 116). Certes, le droit
international privé français est bien loin d’être le domaine où ce genre de com-
portement fait sentir ses effets le plus directement. Il n’en reste pas moins que
la corruption des mentalités qu’il engendre s’y fait sentir là comme ailleurs.
S’érigeant en une sorte de super-législateur, le juge prend les défauts de celui-
ci. Percevant de moins en moins qu’« un revirement de jurisprudence est une
chose grave », il fait de plus en plus sien le « paralogisme répandu de nos jours
(qui) prétend que la vie se manifestant par le changement, tout changement est
signe de vie » (Batiffol, Archives de philosophie du droit, 1967, p. 338).
Ouvrages cités
sous le seul nom de leur(s) auteur(s)

Précis, Traités :
B. AUDIT, Droit international privé, 4e éd., 2006, Economica.
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Droit international privé, t. I, 8e éd., 1993, t. II,
7e éd., 1983, LGDJ.
D. H OLLEAUX , J. F OYER et G. D E G EOUFFRE DE L A P RADELLE , Droit
international privé, 1987, Masson.
Y. L OUSSOUARN , P. B OUREL ET P. DE VAREILLES -S OMMIÈRES , Droit
international privé, 8e éd., 2004, coll. Précis Dalloz, Dalloz.
P. MAYER ET V. HEUZÉ, Droit international privé, 8e éd. 2004, coll. Précis
Domat, Montchrestien.
Th. VIGNAL, Droit international privé, 2005, Armand Colin.

Ouvrages d’initiation :
P. COURBE, Droit international privé, 2e éd., 2003, Armand Colin.
J. DERRUPPÉ ET J.-P. LABORDE, Droit international privé, 15e éd., 2005, coll.
Mémento Dalloz, Dalloz.
D. GUTMANN, Droit international privé, 4e éd., 2004, coll. Cours Dalloz,
Dalloz.
F. MONÉGER, Droit international privé, 3e éd., 2005, coll. Objectif droit, Litec.
Liste des abréviations

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privé
1
COUR DE PARIS
13 juin 1814

(S. 1814. 2. 393)


Statut personnel. — Loi nationale.

Réglée par le statut personnel qui affecte la personne et la suit en quel-


que lieu qu’elle aille et se trouve, la capacité d’un étranger relève de sa loi
nationale.

(Busqueta)

Faits. — Moine capucin défroqué et sujet espagnol admis par décret à domicile en
France (anc. art. 13, C. civ.), Bertrand Busqueta a épousé en 1809 Caroline, Elisabeth
Styles, citoyenne américaine. Découvrant après la célébration le passé et la véritable
personnalité de son mari, celle-ci demande l’annulation de l’union. Faisant application
de la loi française en raison de l’établissement en France du domicile de Busqueta, le
Tribunal civil de la Seine rejette la demande au motif, notamment, que « les qualités
de ci-devant moine ne formaient point empêchement ».
Devant la Cour de Paris, la dame Styles soutiendra que la capacité matrimoniale
relève du statut personnel et que l’admission à domicile ne fait pas accéder l’étranger au
rang de Français de sorte que la capacité de Busqueta relève non de la loi française mais
de la loi espagnole.

ARRÊT
La Cour ; — En ce qui touche l’appel interjeté par Caroline-Élisabeth Styles :
— Considérant qu’il ne peut y avoir de mariage qu’entre personnes que la loi en
rend capables; que cette capacité, comme tout ce qui intéresse l’état civil, se
règle par le statut personnel qui affecte la personne et la suit, en quelque lieu
qu’elle aille et se trouve; que Busqueta, capucin et diacre espagnol, était à ce
double titre inhabile au mariage, en vertu des lois de son pays; que son incapa-
cité n’avait point cessé par l’abdication de sa patrie, lors de son union avec
Caroline-Élisabeth Styles; qu’en effet, la fuite d’un apostat sur un sol étranger
pour se soustraire aux peines que lui attiraient ses déportemens, sa résidence
successive en différentes villes, les ressources par lui employées pour pourvoir à
sa subsistance, ne constituent point la preuve de l’abdication d’une patrie à
laquelle on n’est pas présumé renoncer sans esprit de retour; que la pétition de
Busqueta en 1809, pour être admis à établir son domicile en France, pétition
dans laquelle il a dissimulé ses qualités de moine et de diacre, n’a eu d’autre but
que de faciliter le projet de mariage dont il était occupé, et qu’il n’a pas tardé à
réaliser : et lorsqu’on le voit presque immédiatement après ce mariage, selon les
changements politiques survenus dans son pays, solliciter de l’ambassadeur
d’Espagne la permission de demeurer en France, l’obtenir sous la condition de
prêter au gouvernement espagnol serment de fidélité, prêter ce serment, et
2 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 1

enfin demander et obtenir de la légation espagnole un passeport, comme sujet


d’Espagne, pour s’en retourner à Madrid, il est évident qu’il n’a jamais abdiqué
ni voulu abdiquer sa patrie, et qu’il a toujours conservé l’esprit de retour; qu’en
cet état Busqueta, perpétuellement enchaîné par les lois de son pays, est
demeuré constamment inhabile à contracter mariage;
Considérant que Busqueta ne saurait se prévaloir de l’article 13 du Code civil,
ni du décret par lui surpris le 23 janvier 1809, qui l’autorisaient à jouir de tous
les droits civils en France tant qu’il y résiderait; que cet article et ce décret
d’ailleurs purement provisoire, non suivis d’une résidence en France pendant le
temps compétent, ni d’un décret de naturalisation, n’ont pu effacer l’incapacité
inhérente à sa personne, effet inévitable de la loi de son pays; qu’ils n’ont pu,
par la nature des choses, métamorphoser un Espagnol en un Français, et que
tout ce qui en résulte, c’est que Busqueta, résidant en France, était habile à y
faire ceux des actes civils que les lois d’Espagne, qui régissaient sa personne, ne
lui interdisaient pas; qu’enfin admettre le système de Busqueta, ce serait, par un
alliage monstrueux, reconnaître un mariage valable dans un État, et nul dans
l’autre; — A mis et met l’appellation et ce dont est appel au néant; — Emen-
dant, décharge Caroline-Elisabeth Styles des condamnations contre elle pronon-
cées au principal, déclare nul le mariage contracté le 7 mars 1809, entre Bertrand-
Laurent-François-de-Paul Busqueta et dame Caroline-Elisabeth Styles; fait défense
auxdits Busqueta et Styles de se hanter ni fréquenter.
Du 13 juin 1814. — Cour royale de Paris (Aud. solen; 1re et 2e ch. réun.). — M. Séguier, prés. —
MMes Bériger et Parquin, av.

OBSERVATIONS
1 Prononcé par la Cour de Paris, cet arrêt est mémorable à un double titre.
D’abord, il ouvre la chronologie des décisions de justice ayant enregistré,
après la codification de 1804, la substitution de la nationalité au domicile en
tant que facteur de rattachement pour la matière du statut personnel (I).
Ensuite, il généralise le rattachement du statut personnel que le Code civil
n’avait formellement introduit que pour les lois françaises « concernant l’état
et la capacité des personnes »; ce faisant l’arrêt restitue à la règle de conflit de
l’article 3, alinéa 3 sa structure bilatérale (II).

I. La nationalité, facteur de rattachement du statut personnel

2 Si, comme l’enseigne Lainé (« La rédaction du Code civil et le sens de ses


dispositions en droit international privé », Rev. dr. int. 1905. 52, spéc. p. 55),
les rédacteurs du Code civil n’ont pas eu clairement conscience du caractère, à
de multiples égards, révolutionnaire de l’effacement du domicile devant la
nationalité, comme critère de rattachement du statut personnel, la présente
décision établit que la jurisprudence a, pour sa part, très rapidement perçu le
sens et l’ampleur de la transformation accomplie. En matière de conflit de lois,
bien souvent, il se vérifie que la clairvoyance appartient aux juges plus qu’aux
législateurs. Cette clairvoyance était bien nécessaire en l’espèce d’abord pour
sortir le débat du brouillard où l’intimé voulait l’enfoncer, en préparant grâce
à l’article 13 du Code civil un mélange de conflit de lois et de condition de
1 BUSQUETA — PARIS, 13 JUIN 1814 3

l’étranger (A), et ensuite pour se dégager de l’emprise d’habitudes très ancien-


nes non explicitement condamnées par un Code civil resté muet sur le point
de l’application des lois étrangères relatives à l’état et à la capacité des per-
sonnes (B).
3 A. — Busqueta défendait la validité du mariage en prétendant que l’autori-
sation que lui avait donnée le gouvernement français d’établir son domicile en
France l’habilitait à se prévaloir, comme les Français, de l’applicabilité de la
loi française à son statut personnel et, partant, à sa capacité matrimoniale.
La force de cette défense ne résiste pas aux trois observations suivantes.
Il convient de relever en premier lieu que l’article 13 du Code civil avait
pour fonction initiale d’ouvrir aux étrangers que le gouvernement avait admis
à domicile en France, la jouissance des droits qu’en principe leur refusait
l’article 11 du même code (v. infra arrêt Labedan, no 18 § 3). Ces droits étaient,
dans ces deux textes, dénommés « droits civils ». Quelle que soit l’interpréta-
tion donnée à cette dénomination (v. infra, arrêt Lefait, no 20 § 3) elle n’a
jamais recouvert l’ensemble des droits subjectifs que les institutions du droit
privé peuvent conférer et, en tout cas, le droit de se marier ou liberté matrimo-
niale y a toujours échappé. L’article 13 n’ajoutait donc rien à la cause de Bus-
queta et l’invoquer ne lui était théoriquement d’aucune utilité.
Cependant, et c’est ce qu’il faut observer en second lieu, Busqueta n’enten-
dait sans doute pas exploiter cette disposition dans son domaine, la condition
des étrangers, mais dans celui du conflit de lois. Il cultivait la confusion.
Répondant à la question de savoir dans quelle mesure la qualité d’étranger fait
obstacle à la participation au commerce juridique qui a cours dans la vie
sociale française, l’article 13, comme l’article 11 auquel il apporte un tempé-
rament, concerne la condition des étrangers laquelle est en France nécessaire-
ment du ressort de la législation française, seule compétente pour mesurer
l’accueil que consent aux étrangers la collectivité nationale. Il ne répond pas à
la question en cause. En l’absence d’obstacle barrant en France l’accès au
mariage de l’étranger, cette question était de savoir quelle loi définirait les
conditions auxquelles le droit au mariage reconnu à l’étranger serait valable-
ment exercé en France, et spécialement de savoir quelle loi dirait si un moine
capucin a en France la capacité matrimoniale. C’est là une question de conflit
de lois qui apparaît à chaque fois qu’une situation juridique se rattache, par tel
ou tel de ses éléments, au moins, à un ordre juridique distinct de celui du juge
saisi — ou de celui du point de vue duquel l’interprète raisonne. Il faut alors
pour répondre à la question de fond (celle de l’aptitude du clerc au mariage)
déterminer parmi les lois émanées des ordres juridiques concernés, celle qui
de préférence aux autres, fournira la réglementation à appliquer. À cette fin,
sont mises en œuvre, non pas des règles de condition des étrangers, mais des
règles de conflit de lois qui choisissent le droit, national ou étranger, applica-
ble. Or Busqueta, invoquant à son avantage l’article 13, prétend résoudre au
moyen d’une règle de condition des étrangers, le problème de conflit de lois
que sa nationalité espagnole fait apparaître devant le juge français.
Il faut ajouter en dernier lieu que cette absorption du conflit de lois par
la matière de la condition des étrangers, était encouragée par le fait que
4 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 1

l’article 13, pour résoudre la question de jouissance des droits (inexistante en


l’espèce) se servait de l’institution du domicile. Or le domicile constituait dans
l’ancien droit intercoutumier, pour les situations relevant du statut personnel,
l’élément permettant la désignation du droit applicable. La conversion subrep-
tice de la règle de condition des étrangers en règle de conflit aurait pu égarer
la Cour de Paris. L’article 3, alinéa 3 du Code civil ne se préoccupant pas for-
mellement du statut personnel des étrangers, il n’était en effet pas malhabile
de prendre appui sur l’article 13, lequel place, sur le terrain de la jouissance
des droits, l’étranger à égalité avec le Français, pour représenter le domicile
acquis avec l’autorisation du gouvernement comme une sorte de « vice
nationalité » (Niboyet), équivalant à la nationalité française pour ceux qui ne
l’avaient pas. Ainsi le règlement du conflit se serait fait en faveur de la loi
nationale pour ceux qui avaient la nationalité française (art. 3, al. 3) et en
faveur de la loi du domicile pour les étrangers admis à domicile en France
(art. 13 joint à la tradition domiciliaire de l’ancien droit; v. aussi art. 309,
C. civ. et obs. sous arrêt Rivière, infra, no 26 § 4).
4 B. — Abstraction faite de la confusion sur laquelle elle reposait, cette ver-
sion du règlement français de conflit de lois en matière de statut personnel
était difficilement acceptable parce qu’elle portait atteinte à la valeur même du
rattachement par la nationalité, exalté par l’article 3, alinéa 3 du Code civil.
Aussi bien, placée dans la catégorie de l’état et de la capacité des personnes, la
question de la capacité matrimoniale du moine espagnol est soumise par la
Cour de Paris à la loi espagnole. La loi du domicile est écartée. Le rattache-
ment par la nationalité ne comporte pas la restriction que Busqueta souhaitait
imposer en faveur du domicile de l’article 13, ultérieurement appelé domicile
de droit. La nationalité évince le domicile.
Celui-ci offre pourtant des avantages appréciables dont l’Ancien droit n’avait
pas hésité à profiter.
Dans l’écheveau des souverainetés et des sujétions qui constituait alors
l’Europe des monarchies, impériales, royales ou princières parmi lesquelles
fleurissaient quelques républiques et aussi la puissance pontificale, le domi-
cile, référence géographique avait le mérite de fonder un type d’allégeance
correspondant à un état politique que n’avait pas encore entrepris de remode-
ler l’idée de nation, dans l’acception particulière que lui donneront la philoso-
phie des lumières et la révolution française. La commune sujétion à un prince
était un accident de l’histoire dont la portée sur la teneur des rapports d’inté-
rêts privés était d’autant moins perceptible que les règles applicables variaient
souvent à l’intérieur d’un même royaume d’une province à l’autre. Le domi-
cile pour sa part, exprime le lien unissant la personne à une collectivité que
son assise territoriale singularise et identifie. Reposant sur la communauté
d’existence qui s’institue entre personnes vivant en un même lieu, il permettait
de trancher des conflits de lois qui étaient d’abord des conflits intercoutu-
miers ; n’est-il pas au demeurant naturel que les relations des gens qui vivent
ensemble pour former une même société soient régies par une même loi, la loi
du domicile ? Au contraire, l’application trop fréquente de lois différentes
que le rattachement par l’allégeance politique pourrait provoquer, gênerait
1 BUSQUETA — PARIS, 13 JUIN 1814 5

considérablement le développement des rapports individuels, chacun étant


en droit d’opposer à autrui le bénéfice d’une loi personnelle souvent impré-
vue (v. infra, arrêt Lizardi, no 5). On observera d’ailleurs qu’aujourd’hui
encore le domicile est parfois préféré lorsqu’il s’agit d’assurer un traitement
homogène à un rapport juridique personnel dont les sujets sont de nationalité
différente (v. infra, arrêt Rivière, no 26 § 4). À une autre échelle et marquant
bien l’intérêt des États, le fait est que les pays d’immigration, où se rencon-
trent toutes les nationalités, choisissent souvent le domicile comme rattache-
ment pour le statut personnel; l’autorité et l’efficacité de leurs lois n’en sont
que mieux assurées.
5 Mais ces arguments affrontaient ceux, non moins considérables, qui pèsent en
faveur du rattachement par la nationalité (v. Batiffol et Lagarde, t. I, nos 276 et s.,
t. II, nos 380 et s.).
Un des plus célèbres, parce que le prestige de P. S. Mancini en assurera la
diffusion (v. Clunet 1874. 221) est celui de l’adaptation de la loi nationale au
tempérament de ceux pour lesquels elle a été conçue. La présente espèce
montre assez que cette considération n’est valable que relativement à une
population envisagée en son entier; sur le plan individuel, Busqueta est la
preuve d’un désaccord toujours possible entre les inclinations du sujet et les
préceptes de sa loi nationale (v. déjà en ce sens D. Anzilotti, Corso di lezioni
di diritto internazionale, Rome, 1918, p. 44, réimpr. Padoue, 1996, p. 48). Au
demeurant, même rapportée à une collectivité, l’idée d’adaptation n’est pas
vraiment contraignante : il est facile d’y objecter que les citoyens belges n’ont
pas éprouvé de difficulté insurmontable à conformer leur comportement aux
exigences du droit français (v. aussi l’expérience du Code civil turc calqué sur
le droit suisse). La relation entre l’individu et sa loi nationale ne mérite pas
pour autant d’être négligée, et sa force s’accroît lorsqu’elle est saisie à la
manière du tribun Grenier déclarant que « les citoyens ne peuvent être régis
personnellement que par les lois de la société dont ils sont membres… » (ce
qui préfigurait d’ailleurs une autre composante essentielle de la doctrine de
Mancini).
Il paraît cependant plus sûr de déduire la valeur du rattachement par la
nationalité de son adaptation aux exigences propres de la matière du statut
personnel.
Comme le ressent parfaitement la Cour de Paris, il serait malsain qu’un
individu change de statut personnel selon le pays où il se trouve : marié en
France, mais célibataire en Espagne, capable de ce côté-ci de la frontière,
mais incapable de l’autre. La nationalité, parce qu’elle est stable, assure la
continuité du traitement juridique de la personne mieux qu’aucun autre rat-
tachement. D’ailleurs ce besoin de permanence dans l’application de la loi
avait déjà été perçu sous l’Ancien droit où il avait favorisé l’intrusion de la
notion hybride de domicile d’origine, rattachement géographique définitive-
ment noué à la naissance (v. Ph. Francescakis, note sous Civ., 4 nov. 1952,
Rev. crit. 1953. 729 et « Les avatars du concept de domicile dans le droit
international privé actuel », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1962-1964, p. 291 et s.;
sur la continuité historique du domicile à la nationalité, v. A. Lefebvre-Teillard,
6 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 1

« Jus Sanguinis : l’émergence d’un principe », Rev. crit. 1993. 223); il s’était
alors produit une diversification du concept qui ne pouvait que nuire à celui-ci
en raison des incertitudes qui en résultaient lorsqu’il s’agissait de détermi-
ner pratiquement le domicile d’une personne. En revanche, la nationalité,
dont l’attribution, l’acquisition ou la perte font l’objet de règles légales assez
précises, est relativement aisée à déterminer — qualité avantageuse lorsqu’il y
va de l’état d’une personne. Encore qu’il ne faille pas exagérer la portée de
l’argument : la certitude inhérente à la nationalité est, en effet, aujourd’hui
partiellement ruinée par la multiplication des cas de double nationalité (sur ce
point, v. infra, no 46).
6 Enfin et c’est sans doute ce qui dans le choix en faveur de la loi nationale a
été décisif au regard de la Cour de Paris, le maintien du domicile comme ratta-
chement aurait représenté une rupture de la corrélation entre la désignation de
la loi applicable et la catégorie du statut personnel. Il faut noter en effet que le
domicile, indice topographique, convient bien à une catégorie étroite, comme
la concevait l’Ancien droit intercoutumier, c’est-à-dire pratiquement circons-
crite à la capacité d’exercice, concentrée sur la condition juridique de la per-
sonne dans les institutions patrimoniales (Status est conditio personae qua facit
ut hoc vel illo jure utatur circa alienatione, contractus et acquirendi modos),
dont la mise en œuvre intéresse effectivement les tiers, soit, à l’époque, la col-
lectivité des présents, le voisinage (sur cette corrélation à l’époque contempo-
raine, v. Batiffol, « Une évolution possible de la conception du statut personnel
dans l’Europe continentale », Essays in honour of Yntema, p. 295 et s., repro-
duit in Choix d’articles, p. 263 et s.). Or, en 1814, près de deux décennies se
sont déjà écoulées depuis que la catégorie statut personnel s’est augmentée de
l’état familial, déconfessionnalisé par la loi du 20 août 1792. L’Ancien droit
avait dû laisser la famille à l’Église; la révolution la confie à la patrie. La natio-
nalité, comme l’enregistre l’article 3, alinéa 3 remplace la religion — allé-
geances l’une et l’autre essentielles et quasi-perpétuelles. Le domicile, si facile
à déplacer, si soumis à la volonté individuelle, si vulnérable à la fraude n’a pas
la prégnance de la nationalité le plus souvent reçue des parents et assumée par
l’intéressé. Ainsi, ménageant la continuité dans le changement, s’est accom-
plie une transformation analogique : la nationalité était désormais à un statut
personnel élargi ce que le domicile avait été à un statut personnel restreint. Le
choix de la Cour de Paris était donc naturel dès lors qu’elle avait admis que la
question du mariage du capucin « comme tout ce qui intéresse l’état civil, se
règle par le statut personnel qui affecte la personne et la suit en quelque lieu
qu’elle aille et se trouve ».
Ce choix de la nationalité était capital à un second titre; il assurait la bilaté-
ralité de la règle de conflit.

II. La structure bilatérale de la règle de conflit de lois

7 Une règle de conflit est bilatérale lorsque son facteur de rattachement vaut
de manière générale et est donc destiné à désigner aussi bien, selon les cas,
1 BUSQUETA — PARIS, 13 JUIN 1814 7

l’ordre juridique dont elle émane qu’un ordre juridique étranger. La règle de
conflit bilatérale commande l’application de la loi désignée par le facteur de
rattachement, sans se préoccuper de l’origine de celle-ci. L’article 3, alinéa 3
du Code civil retrouve la bilatéralité habituelle des règles de conflit dès que la
Cour de Paris, dans cette affaire Busqueta, utilise le critère de la nationalité
pour déclarer la loi espagnole applicable; ce critère opère donc aussi bien pour
la loi française — comme le prévoit le texte même de l’article 3 — que pour la
loi étrangère — comme l’admet la Cour de Paris.
En revanche, lorsque la règle de conflit est unilatérale — ce qui est excep-
tionnel — le facteur de rattachement ne conditionne que l’application de la
loi de l’ordre juridique dont elle émane. Littéralement, la disposition de l’arti-
cle 3, alinéa 3 du Code civil se donne pour unilatérale : avec cette règle de
conflit française est seule prévue l’application de la loi française à ceux qui
ont la nationalité française; rien n’est dit de l’application de la loi espagnole
aux Espagnols, ni d’une quelconque autre loi aux nationaux de l’État qui
la pose (v. Req. 17 juill. 1833, Bonar c/d’Hervas, D. Jur. gén. v° Lois, no 394,
p. 167, S. 1833. I. 663). Apparemment, le facteur de rattachement n’a pas
valeur générale.
Il est de première importance que l’arrêt soit venu démentir cette apparence.
« Admettre le système de Busqueta ce serait, par un alliage monstrueux,
reconnaître un mariage valable dans un État et nul dans l’autre. » Le danger
que relève la Cour de Paris est celui du « mariage boiteux », lequel est en
germe dans l’application des lois françaises relatives à l’état et à la capacité
des personnes à d’autres qu’aux Français. Ce péril suppose, il est vrai, que
la loi espagnole régisse la capacité matrimoniale de Busqueta que la loi
française de son domicile règlerait aussi ; alors l’union serait nulle en Espa-
gne et valable en France et il en résulterait que notre moine serait simulta-
nément et indivisiblement marié et célibataire — être et ne pas être…,
l’impossible conjonction scandalisait d’autant plus qu’elle concernait l’état
de la personne.
Il se pourrait aussi, il est vrai, que la loi espagnole ne se déclare applicable
qu’aux personnes ayant leur domicile en Espagne. Dans cette éventualité, la
validité du mariage du sujet domicilié ailleurs ne la heurterait pas et pourrait
être acceptée par elle. En revanche, sur la même supposition que la loi espa-
gnole s’en tient au domicile, le mariage d’un ecclésiastique français domicilié
en Espagne serait nul pour ce pays tandis que, de ce côté-ci de la frontière,
l’article 3, alinéa 3 en assurerait la validité.
Cette dislocation de l’état de la personne — ou plus généralement de la
situation juridique considérée — trouve directement son origine dans la diver-
sité des facteurs de rattachement distinctement utilisés pour déterminer
l’application de la loi française et celle de la loi étrangère. Si chaque système
juridique voit ainsi son champ d’action circonscrit au moyen de critères qui
lui sont affectés en propre, il arrivera fatalement que plusieurs d’entre eux
revendiquent le traitement d’une même situation — laquelle souffrira de la
claudication évoquée par l’arrêt — et aussi qu’aucun d’entre eux ne se déclare
applicable — et alors la situation restera sans issue sur le plan juridique, aban-
donnée à la loi du plus fort ou du plus malin…
8 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 1

8 Cette perspective de conflits positifs ou cumuls de lois applicables et de


conflits négatifs ou lacunes de droit applicable est celle qu’ouvre l’unilaté-
ralisme des règles de conflit — qui recommande, on l’a vu, de ne recourir pour
l’application de chaque loi qu’au rattachement que fixe sa propre règle de
conflit. Cette manière de procéder ne peut conduire à une solution unique et
acceptable par les ordres juridiques en présence que si par le hasard des cir-
constances, le rattachement choisi par l’un impose en l’espèce l’abstention de
sa loi alors que celui choisi par l’autre commande l’application de la sienne.
C’est dire que le prétendu règlement de conflit n’est que l’enfant du hasard;
tandis qu’on attendait une solution déterminée, le « système » jette dans l’indé-
terminé.
Sans doute, les auteurs qui défendent l’unilatéralisme affirment qu’il peut
être porté remède aux difficultés qui lui sont inhérentes. Ainsi, suggèrent-ils
dans leur ensemble de donner la priorité à la loi du juge saisi si elle se heurte
à la concurrence d’une loi étrangère; sur cette voie, le « système » de Bus-
queta eût tourné à l’avantage de la loi française, mais le danger perçu par la
Cour de Paris se fût réalisé. Lorsque la loi du juge saisi ne se dit pas applica-
ble, le conflit n’opposant que des lois étrangères, la directive serait de se ren-
dre soit à l’effectivité (la loi la plus effective) soit à l’attente raisonnable des
parties (la loi à l’application de laquelle elles ont dû croire). Malheureuse-
ment, la première notion ne semble pas avoir trouvé une définition suffisam-
ment stable et précise pour la rendre opératoire…; quant à la seconde, elle
s’abandonne à la sagacité du juge dont les conclusions pourraient bien sur-
prendre les intéressés… Au demeurant, une seule critique suffit à ruiner la
thèse : l’unilatéralisme ne vient à bout des conflits qu’il provoque qu’en se
reniant lui-même, puisqu’aussi bien, qu’il s’agisse des critères de l’effectivité
ou de « l’expectative naturelle et raisonnable » (Quadri, Lezioni, p. 151), le
salut dépend toujours de la mise à l’écart des rattachements propres à chaque
loi et de leur remplacement par un élément doué de valeur universelle…
(c’est-à-dire réputé valoir pour n’importe quelle loi en conflit). Le destin de
l’unilatéralisme est ainsi de s’achever dans la bilatéralité.
9 Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la tradition du droit interna-
tional privé soit la bilatéralité; ce qui étonne, en revanche, est qu’au-delà des
besoins propres de tel ou tel procès et en dépit du constant démenti de l’expé-
rience, persiste une tendance doctrinale qui défend la thèse unilatéraliste
(P. Gothot, « Le renouveau de la tendance unilatéraliste », Rev. crit. 1971. 1 et s.).
Il est vrai que cette tendance tient les infirmités de l’unilatéralisme pour
secondaires et se flatte de reposer sur des principes essentiels. Le fait est
qu’elle cultive une certaine conception de la loi.
« Les lois sont des volontés » (Portalis, in Fenet, Recueil, t. VI, p. 43).
L’unilatéralisme s’approprie cette formule et lui donne un contenu variable,
mais qui imposerait en tout cas la conclusion qu’une loi ne peut être appliquée
hors du domaine que lui assigne l’ordre juridique qui l’édicte (v. sur l’unitéra-
lisme des dispositions de la loi d’introduction du Code civil d’Allemagne de
1896 — EGBGB. G.-P. Romano, L’unilateralismo nel diritto internazionale
privato moderno, thèse Padoue – Paris II, 2005, p. 13 à 127).
1 BUSQUETA — PARIS, 13 JUIN 1814 9

Certains en appellent à l’idée de souveraineté. La loi, volonté d’un ordre


juridique, exprime la souveraineté de celui-ci — laquelle veut qu’aucune
règle destinée à limiter son champ d’action dans l’espace n’ait autorité ni ne
soit reconnue si elle n’émane pas de lui-même. Aussi bien, la règle de conflit
de l’ordre juridique saisi est sans titre pour se prononcer sur la portée en droit
international privé des commandements nés de la volonté d’un autre ordre
juridique. D’où qu’elle provienne, une loi ne peut obéir qu’à la souveraineté
qui l’édicte.
On observera simplement à l’encontre de cette conception qui analyse le
conflit de lois en un conflit de souverainetés, qu’elle s’édifie sur une pétition
de principe, supposant que la souveraineté d’un État serait blessée par l’appli-
cation qu’un autre État pourrait faire de ses lois. La chose n’est pas incon-
cevable, mais elle n’est pas non plus démontrée (v. P. Mayer et V. Heuzé,
nos 117 et s.).
C’est pourquoi sans doute la doctrine unilatéraliste depuis quelque temps
explore une autre voie qui lui permettrait d’esquiver la difficulté. Le point de
départ serait la constatation que toute règle de droit répond à un besoin
éprouvé par une collectivité sociale déterminée (R. Quadri, Lezioni, p. 267;
P. Gothot, Rev. crit. 1971, p. 19, G.-P. Romano, op. cit., p. 207 et s.); il s’ensui-
vrait que la règle de droit limiterait son autorité aux membres de la collectivité
considérée; « fruit d’expériences sociales, elle envisage nécessairement une
certaine réalité sociale et s’adresse toujours à des individus déterminés »
(H. Muir Watt, La fonction de la règle de conflit, thèse 1985, no 97, p. 138).
L’identification de ces destinataires de la loi est précisément assurée par les
facteurs de rattachement qui ne seraient en réalité que des critères d’efficacité,
conditions d’application de la norme non moins indispensables que les condi-
tions de fond. Dès lors méconnaître, par exemple, le rattachement par le
domicile que, par pure supposition, la loi espagnole se serait choisi et soumet-
tre l’application de celle-ci au critère de la nationalité comme le fait la Cour de
Paris, ce serait manquer au commandement qu’elle représente aussi gravement
que l’appliquer à une personne domiciliée en Espagne en négligeant l’obsta-
cle des vœux monastiques qu’elle pose à la célébration du mariage. L’utilisa-
tion d’un rattachement général, bilatéral, ne respecterait pas la volonté qu’est
la loi considérée; elle en commanderait la violation substantielle.
10 À cela, on opposera la question que voici : comment expliquer que les
enfants doivent obéir aux lois qui ont été faites pour les parents ? Il n’est pas
niable que de nombreuses lois n’ont eu d’autre dessein que de répondre à un
besoin ressenti par une collectivité sociale en un temps et en un lieu donnés;
cette conjoncture particulière à l’origine de la loi n’impose pourtant pas que la
réponse que celle-ci apporte soit elle-même particulière et elle n’est d’ailleurs
souvent que l’occasion de révéler un problème général appelant l’intervention
de principes généraux. Il s’ensuit que les lois habituellement énoncent les
normes qu’elles consacrent sur le mode universel (v. par ex. et entre mille :
art. 212, art. 371, C. civ., mais aussi art. 1965, art. 2075…) : elles ne font accep-
tion ni de lieu, ni de temps, ni de personne et revêtent un caractère d’abstrac-
tion qui les libère de l’emprise des contingences qui ont pu présider à leur
10 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 1

édiction. Ce n’est que de façon exceptionnelle et par l’effet d’une dégradation


certaine de la fonction législative que la règle de droit est réellement autolimi-
tée, selon la volonté de son auteur (v. par ex. L. du 1er sept. 1948 sur les baux
à usage d’habitation, art. 1er). Il convient donc de considérer que, sauf indica-
tion en sens contraire contenue dans la loi elle-même, toute règle de droit a un
domaine d’application virtuellement universel. Et c’est d’ailleurs de cette
vocation illimitée que naît le conflit de lois.
En effet, les champs d’application dans l’espace des lois n’étant pas limités
a priori, toute situation dont les éléments se dispersent dans plusieurs ordres
juridiques est confrontée à la coexistence des diverses règles au moyen des-
quelles chacun de ceux-ci définit la conduite qu’il convient d’adopter. Dans la
mesure où ces règles prescrivent des conduites différentes, il faut choisir entre
elles. La règle de conflit, pour cela, fixe un facteur de rattachement approprié,
comme on l’a vu plus haut, à la nature des intérêts impliqués par la situation
— telle que l’exprime la catégorie.
La généralisation de ce facteur de rattachement est alors imposée par les
termes mêmes du problème du conflit de lois, c’est-à-dire par cette vocation
égale et concurrente de chaque système juridique en contact avec la situation.
Serait-ce résoudre la concurrence que suivre chacun de ces systèmes dans ses
prétentions ou appétits — comme s’il revenait à chaque héritier de fixer lui-
même le principe et l’étendue de sa vocation et d’imposer ses vues à ses co-
héritiers… ? La seule issue, consiste à subordonner l’application de toutes les
lois en concours à un même principe, de les soumettre à un même rattache-
ment.
La Cour de Paris l’avait compris.
À la Cour de cassation, attentive aux exigences de sa mission et déférant
aux canons de l’exégèse, il faudra un peu plus de temps pour déborder la let-
tre du code et admettre que si « les lois… qui régissent l’état et la capacité des
personnes suivent les Français, même résidant en pays étrangers, [elles] sui-
vent également en France l’étranger qui y réside » (Civ., 28 févr. 1860, Bulkley,
infra, no 4 et Req. 16 janv. 1861, Lizardi, infra, no 5; sur les « destinées de
l’article 3 du Code civil », v. B. Ancel, Mélanges P. Lagarde, 2005, p. 1).
2
COUR DE CASSATION
(Sect. civ.)

19 avril 1819

(S. 1819. I. 129, D. Jur. gén. v° Droit civil, no 442, Journ. Aud., 1819. 257)
Jugement étranger. — Effets en France. —
Procédure d’exequatur. — Pouvoir de révision.

Ne faisant aucune distinction entre les divers jugements rendus en pays


étranger, les articles 2123 et 2128 du Code civil et 546 du Code de procé-
dure permettent aux juges de les déclarer tous exécutoires en France et
n’autorisent pas à en déclarer aucuns exécutoires sans examen et autrement
qu’en connaissance de cause.

(Holker c/Parker)

Faits. — Établi depuis de longues années en France, Daniel Parker, citoyen des
États-Unis, est assigné devant le Tribunal de commerce de la Seine « pour raison de
comptes sociaux » par John Holker, Français installé en Virginie. À Philadelphie, en 1783,
ces deux commerçants s’étaient associés pour obtenir du gouvernement américain un
marché de fournitures militaires. Mais avant de transporter « sa fortune et sa personne
en France, en conservant son domicile dans son pays naturel » (Paris, 27 août 1816, cité
infra), Parker a omis de procéder à la liquidation et au partage de la société. Peu pressé
de voir s’effectuer ces opérations dont il soupçonne qu’elles dégageront une dette à sa
charge, il oppose à l’assignation de Holker un déclinatoire de compétence, se prétendant
justiciable des tribunaux des États-Unis (devant lesquels il défend alors effectivement
dans un procès, à vrai dire distinct, engagé depuis 1785 et où J. Holker est demandeur
avec d’autres et qui donnera lieu à un arrêt de la Cour suprême : Holker and others
v. Parker, 1er mars 1813, 11 US 436, par Marshall, CJ.). Le déclinatoire est jugé bien
fondé en appel par arrêt de la Cour de Paris, le 25 mai 1803. Plus de dix années seront
encore nécessaires à Holker pour obtenir en 1814 de la Cour de circuit siégeant à Boston
la reconnaissance de sa créance, laquelle s’élève à 560 000 dollars des États-Unis (soit
un peu plus de trois millions de francs de l’époque…). Muni de cette décision, Holker
repasse l’Atlantique et regagne la France où le président du Tribunal civil de la Seine lui
délivre l’autorisation de saisir-arrêter diverses créances de Parker.
Assigné devant le tribunal, celui-ci proteste qu’une décision étrangère ne peut pro-
duire effet en France qu’après une nouvelle discussion de l’affaire au fond devant les
juges français. Le Tribunal de la Seine lui répond : « en droit, que les jugements rendus
régulièrement en pays étrangers, par les autorités établies à cet effet, règlent les droits
des parties entre lesquelles ces jugements ont été rendus, et qui se trouvaient soumises à
leur juridiction; que si ces jugements ne peuvent être exécutés de plein droit en France,
c’est par la raison que les juges qui les ont rendus n’avaient pas de caractère pour en
ordonner l’exécution aux officiers ministériels français; — que l’article 121 de l’ordon-
12 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 2

nance de 1629, portant que les jugements étrangers, n’auront point d’exécution en
France, et que les Français, nonobstant ces jugements, pourront débattre leurs droits
comme entiers devant les tribunaux français, n’a rien de contraire à ces principes, et
introduit seulement en faveur des regnicoles une exception qui ne peut être étendue aux
étrangers; — en fait, que Parker est un étranger, et qu’il peut d’autant moins invoquer le
bénéfice de l’article 121 de l’ordonnance de 1629, qu’en cette qualité d’étranger il a,
dans la même cause, décliné la juridiction des tribunaux français, et demandé son renvoi
devant les juges qui ont rendu le jugement qu’il s’agit de déclarer exécutoire; — que ce
jugement est régulier et définitif » (Seine, 19 août 1815, S. 1819. I. 129).
Ainsi, sur simple vérification de la compétence internationale de la Cour de Boston,
le tribunal déclare la condamnation américaine exécutoire en France. Parker fait appel
et persiste à réclamer le réexamen au fond de l’affaire. À sa satisfaction la Cour de
Paris, le 27 août 1816, infirme le jugement aux motifs que « les jugements rendus par
les tribunaux étrangers n’ont point d’effet ni d’autorité en France; que… le principe est
absolu et peut être invoqué par toute personne sans distinction, étant fondé sur l’indé-
pendance des États… et la souveraineté des gouvernements » (S. 1819. I. 129).
Holker se pourvoit en cassation.

ARRÊT
La Cour; — Sur la contravention à l’article 121 de l’ordonnance de 1629; —
Attendu que l’ordonnance de 1629 disposait, en termes absolus et sans excep-
tion, que les jugements étrangers n’auraient pas d’exécution en France, et que
ce n’est que par le Code civil et le Code de procédure que les tribunaux français
ont été autorisés à les déclarer exécutoires; qu’ainsi l’ordonnance de 1629 est ici
sans application; — Sur la contravention aux art. 2123 et 2128 du Code civil, et
546 du Code de procédure; — Attendu que ces articles n’autorisent pas les tri-
bunaux à déclarer les jugements rendus en pays étranger exécutoires en France
sans examen; qu’une semblable autorisation serait aussi contraire à l’institution
des tribunaux, que l’aurait été celle d’en accorder ou d’en refuser l’exécution
arbitrairement et à volonté; que cette autorisation qui, d’ailleurs, porterait
atteinte au droit de souveraineté du gouvernement français, a été si peu dans
l’intention du législateur, que, lorsqu’il a dû permettre l’exécution sur simple
pareatis des jugements rendus par des arbitres revêtus du caractère de juges, il a
eu le soin de ne confier la faculté de délivrer l’ordonnance d’exequatur qu’au
président et non pas au tribunal, parce qu’un tribunal ne peut prononcer
qu’après délibération, et ne doit accorder, même par défaut, les demandes for-
mées devant lui, que si elles se trouvent justes et bien vérifiées (art. 116 et 150
du Code de procédure); — Attendu, enfin, que le Code civil et le Code de procé-
dure ne font aucune distinction entre les divers jugements rendus en pays étran-
gers, et permettent aux juges de les déclarer tous exécutoires; qu’ainsi ces juge-
ments, lorsqu’ils sont rendus contre des Français, étant incontestablement sujets
à examen sous l’empire du Code civil, comme ils l’ont toujours été, on ne pour-
rait pas décider que tous les autres doivent être rendus exécutoires autrement
qu’en connaissance de cause, sans ajouter à la loi et sans y introduire une dis-
tinction arbitraire aussi peu fondée en raison qu’en principe; qu’il suit de là
qu’en rejetant l’exception de chose jugée qu’on prétendrait faire résulter d’un
jugement rendu en pays étranger, et ordonnant que le demandeur déduira les
raisons sur lesquelles son action est fondée pour être débattue par Parker, et
être statué sur le tout en connaissance de cause, la Cour royale a fait une juste
application des articles 2123, 2128 du Code civil, et 546 du Code de procédure;
— Rejette.
Du 19 avril 1819. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Brisson, prés.; Poriquet, rapp.; Cahier, av. gén.
— MMes Loiseau et Darrieux, av.
2 PARKER — CASS., 19 AVRIL 1819 13

OBSERVATIONS

1 En dépit de son ancienneté, cet arrêt continue de marquer de son empreinte


le droit commun de l’efficacité des décisions étrangères en France. Certes,
aujourd’hui avec l’essor de droit conventionnel et surtout du droit communau-
taire, ce droit commun se resserre sur un domaine résiduel, encore important,
mais non plus dominant, et comme la part qu’il faisait dans la définition de ses
solutions à l’idée de souveraineté a longtemps été disproportionnée, ce canton-
nement n’est pas regrettable à tous égards. Au demeurant, en ce qui concerne
l’attribution au juge français du pouvoir de réviser au fond le jugement étran-
ger dont il s’agit de prolonger les effets en France, l’autorité de cet arrêt véné-
rable, d’abord entamée par les arrêts Buckley (infra, no 4) et de Wrède (infra,
no 10) a été finalement détruite en 1964 par l’arrêt Munzer (infra, no 41) et
partant son influence s’est considérablement atténuée de nos jours (II). En
revanche, il est constant que la figure procédurale originale qu’il met en place
en 1819 constitue aujourd’hui encore, pour le droit international privé com-
mun, la voie d’accueil principale des jugements étrangers dans l’ordre juridi-
que français (I).

I. L’invention de l’action en exequatur

2 Plus encore que l’évolution du droit positif sous l’Ancien Régime, à vrai
dire assez mal connue en matière de conflits de juridictions (v. les observations
de H. Gaudemet-Tallon, Recherches sur les origines des articles 14 et 15 du
Code civil, 1964, p. 2; v. cependant, au-delà de Lainé, « Considérations sur
l’exécution forcée des jugements étrangers en France », Rev. crit. lég. jur. 1902,
p. 612, 1903, p. 86, 230 et 533, et spéc. 1904, p. 88 et 147, les pages remar-
quables de D. Holleaux, Compétence du juge étranger et reconnaissance des
jugements, 1970, nos 201 et s. et le commentaire qui en est fait par P. Gothot,
in Rev. crit. 1990. 621; J. Hudault, « Sens et portée de la compétence du juge
naturel dans l’ancien droit français », Rev. crit. 1972. 27 et 249 et « Les
conflits de juridictions dans le droit international privé des trois derniers siè-
cles de l’Ancien régime », Cours d’Histoire du droit privé, Université de Lille,
1970-1971, p. 266 et s.), l’état assez confus des vues de la doctrine à l’avène-
ment du Code civil sur le sujet de l’efficacité internationale des jugements
explique sans doute l’espèce de vide juridique (A) qui a permis à l’exigence
d’un contrôle juridictionnel des décisions étrangères de s’imposer (B).

3 A. — Aussi curieux que cela puisse paraître aujourd’hui, il ne semble pas


qu’il ait existé sous l’Ancien droit une procédure particulière qui permît au
juge français de vérifier qu’une décision étrangère présentait les caractères la
rendant digne de déployer ses effets dans le royaume. Cette impression de
vacuité est encouragée par la référence habituelle des auteurs à la théorie du juge
naturel (sur laquelle v. H. Gaudemet-Tallon, op. cit., p. 53 et s., D. Holleaux,
op. et loc. cit., J. Hudault, art. préc., P. Gothot, Rev. crit. 1990, p. 641; F. Del-
14 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 2

pech, Le rôle de la règle de conflit de lois dans l’efficacité des décisions étran-
geres, thèse Paris 1, 1999, p. 26 et s.), dont ils trouvaient l’expression ou
l’application dans l’article 121 de l’ordonnance de 1629 (1) — texte à l’auto-
rité effective bien incertaine en raison de l’hostilité que, dans nombre de ses
dispositions, il a rencontré auprès des parlements et autres cours souveraines.
Le fait est toutefois qu’au début du dix-neuvième siècle ce texte jouissait au
moins du statut, ambigu, de raison écrite — à la merci de tous les raisonne-
ments de la raison raisonnante (v. Lainé, eod. loc.).
Cet article 121 commence par énoncer que les jugements étrangers n’ont
aucune force exécutoire en France, ce qui est une solution aisément compré-
hensible : le monopole de la contrainte que détient un État souverain dans le
pays où il s’est institué s’oppose à ce qu’un organe d’exécution y assure la
mise en œuvre de cette contrainte sur une injonction qui n’émanerait pas de
cet État ou de l’une de ses autorités, mais proviendrait d’un État étranger, au
nom duquel, par exemple, un juge a pu statuer. Il faut que la condamnation ait
été prononcée au nom du souverain local pour qu’aussitôt ses agents soient
habilités à la ramener à exécution. Conséquence du cloisonnement institution-
nel qui établit une discontinuité entre les ordres juridiques souverains, la solu-
tion ne compromet pas par elle-même les autres effets de la décision étrangère
qui, plus que de l’imperium se déduisent de la jurisdictio : d’une part, l’effica-
cité substantielle, c’est-à-dire la détermination des droits et obligations res-
pectifs des parties ou la modification de l’état de droit qu’accomplit pour elles
le dispositif du jugement et, d’autre part, l’autorité de chose jugée, cette vertu
qui permet au jugement de faire obstacle au renouvellement de la contestation
qu’il tranche (sur ces notions v. Jean Foyer, De l’autorité de chose jugée en
matière civile. Essai d’une définition, thèse Paris, 1954; D. Tomasin, Essai
sur l’autorité de la chose jugée en matière civile, thèse Toulouse, LGDJ 1975;
C. Bléry, L’efficacité substantielle des jugements civils, thèse Caen, LGDJ
2000; H. Péroz, La réception des jugements étrangers dans l’ordre juridique
français, thèse Caen, LGDJ 2005; J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire
privé, 2002).
Cependant l’ordonnance précise ensuite que la condamnation prononcée
contre un Français par un tribunal étranger sera réputée non avenue en France
et que, par conséquent, le procès qu’elle s’efforçait de clôre pourra y être
repris à zéro devant les tribunaux français qui statueront par « jugement
nouveau » (Merlin, Répertoire, vo Jugement, § VIII, concl. sous Req. 7 janv.
1806). Récusant l’efficacité substantielle aussi bien que l’autorité de chose
jugée qui en garantit l’intangibilité, une telle solution coupe court à toute
appréciation de régularité de la décision étrangère et dispense de prévoir une
action en justice à cette fin. Par ailleurs, en n’envisageant que les condamna-
tions prises contre des Français, le texte laisse place à l’argument a contrario :

(1) Ordonnance de 1629, article 121 : « Les jugements rendus, contrats ou obligations reçues ès
royaumes et souverainetés étrangères, pour quelque cause que ce soit, n’auront aucune hypothèque
ni exécution en notre dit royaume, ains tiendront les contrats lieu de simples promesses, et nonobs-
tant les jugements nos sujets contre lesquels ils auront été rendus pourront de nouveau débattre
leurs droits comme entiers par devant nos officiers ».
2 PARKER — CASS., 19 AVRIL 1819 15

le jugement étranger rendu contre un étranger n’est pas réputé non avenu.
Encore faut-il se donner les moyens de surmonter son défaut de force exé-
cutoire en France : l’exécution forcée contre un étranger présuppose que la
condamnation étrangère soit revêtue de la formule exécutoire par une autorité
française.

4 Sans doute aurait-on pu subordonner l’octroi de la force exécutoire en


France à certaines conditions de régularité et ouvrir une action en justice desti-
née à vérifier leur réunion. Mais c’est ce que rend inutile la doctrine du juge
naturel, qui opère comme une espèce de principe de division internationale du
travail judiciaire (et de répartition des profits qui en découlent), d’après lequel
on se refuse à contrôler l’exercice par le souverain étranger de sa juridiction
sur ses sujets comme on lui refuse la juridiction sur les Français. Les justicia-
bles sont ainsi distribués entre les différentes juridictions selon leur sujétion
politique : quiconque a subi la justice d’un autre que son souverain n’a
entendu qu’un avis sur le mérite de sa cause, tandis que celui qui a reçu justice
de son souverain voit ses droits définitivement réglés — lesquels en consé-
quence, « doivent être exécutés sans nouvelle connaissance de cause dans
quelque endroit du monde qu’on en porte l’exécution » (Boullenois, Traité de
la personnalité et de la réalité, Paris, 1766, t. 1, p. 603). On discerne ici le jeu
de la vieille mécanique statutiste qui pense le problème des rapports entre sou-
verainetés en termes de territorialité et de reconnaissance et qui recherche la
clef universelle des conflits du côté de la définition de la compétence norma-
tive indirecte des ordres juridiques (sur cette conception, v. infra, nos 10 § 7
et 58 § 6).
Dans ces conditions, il suffit d’un acte d’administration pour délivrer la
formule exécutoire : muni du jugement étranger et de lettres rogatoires en
garantissant l’authenticité, c’est-à-dire l’origine, le bénéficiaire obtiendra de
la chancellerie du parlement un pareatis, sans autre examen (v. J. Hudault,
art. préc., p. 52). Il n’y a pas de contrôle juridictionnel à exercer sur la déci-
sion étrangère dans l’hypothèse où elle est rendue contre un étranger, pour la
raison qu’émanée du juge naturel, elle est inattaquable. Ayant, selon ce
qu’observe le Tribunal de la Seine (v. supra), réglé les droits des parties, elle
se voit reconnaître tout ensemble l’efficacité substantielle, l’autorité de chose
jugée et l’aptitude à être dotée en France de la force exécutoire (v. Paris,
13 mai 1820, D. Jur. gén. v° Droit civil, no 422, et la position de Dupin Aîné
plaidant en cette affaire, in Lainé, op. cit., 1904, p. 148 et s.). En l’espèce,
Holker, dont les droits avaient été reconnus par les « juges naturels » de Par-
ker devant lesquels l’affaire avait été « renvoyée » à la demande de celui-ci,
ne prétendait à rien d’autre que l’application de ce système. La Cour de cas-
sation la lui refuse.

5 B. — La Cour de cassation rejette le pourvoi pour deux raisons. La pre-


mière qu’elle ne sous-estime pas mais sur laquelle elle ne s’appesantit pas
comme l’avait fait la Cour de Paris dans l’arrêt attaqué, tient à une certaine
idée de la souveraineté — qui ne tolérerait pas qu’une décision étrangère
puisse développer de plein droit ses effets en France. Cette conception particu-
16 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 2

lariste, issue sans doute de l’expérience de la révolution française, est toute de


défiance; elle ne consent d’emblée aucun crédit à ce qui provient d’une auto-
rité étrangère. Exaltant l’exclusivisme de l’ordre juridique, elle oppose en
principe à la pénétration de n’importe quel effet du jugement étranger,
l’absence de qualité de l’organe qui l’a prononcé. En quoi, d’une part, elle
fusionne dans une notion indistincte d’exécution l’ensemble des effets norma-
tifs des jugements étrangers et, d’autre part, elle répudie clairement la concep-
tion plus ouverte de la théorie du juge naturel qui, reposant sur l’idée de parité
et non de priorité, admet en bonne réciprocité que, dans le champ de la juris-
dictio (hors donc celui de l’exécution forcée, v. supra, § 3 et Seine, 19 avr.
1815, p. 11), la souveraineté étrangère sur les étrangers vaut la souveraineté
française sur les Français. La Restauration n’est pas parvenue à réhabiliter
cette formule qui rappelait trop l’assujettissement personnel du plaideur à son
souverain et le droit de celui-ci sur les corps et biens de celui-là.

6 Plus technique, le second versant de sa motivation s’appuie sur les textes et


spécialement les articles 2123 (et 2128) du Code civil et 546 du Code de pro-
cédure civile. Ces dispositions n’envisagent l’exécution en France des juge-
ments étrangers « qu’autant qu’ils ont été déclarés exécutoires par un tribunal
français ». Etendue à l’ensemble des effets normatifs, cette condition ne fait
pas acception de personne; elle ne distingue pas selon que la partie condamnée
à l’étranger est française ou ne l’est pas. En revanche, elle se laisse interpréter
comme requérant une appréciation juridictionnelle de la décision étrangère :
l’affaire, on l’a vu, engage la souveraineté, ce qui justifie qu’on mobilise pour
en traiter une formation de jugement — le tribunal, que mentionnent les textes
— au lieu de se contenter d’une procédure sur requête sollicitant la seule prési-
dence du tribunal hors la présence de l’adversaire et donc exclusive de tout
examen et débat contradictoires au fond. L’appel à l’institution judiciaire com-
mande que celle-ci accomplisse sa mission, qui est de prononcer « après déli-
bération » et de n’adjuger les demandes « que si elles se trouvent justes et bien
vérifiées ». Il ne saurait être question que les jugements étrangers soient
« rendus exécutoires autrement qu’en connaissance de cause ».
Dès lors, il est acquis que tout jugement étranger a vocation à déployer ses
effets en France puisque désormais on se propose de l’accueillir après exa-
men, alors qu’antérieurement la théorie du juge naturel conduisait soit à
repousser, soit à admettre les jugements sans examen. Corrélativement, cette
vocation à la pleine efficacité reconnue à chaque décision ne se réalisera
qu’après que l’ordre juridique français aura exercé, par une vérification juri-
dictionnelle, une espèce de police des jugements étrangers assujettissant de
manière systématique et indifférenciée leur introduction à ses propres vues
(comp. Niboyet, Traité, t. VI-2, no 1935, p. 75). Cette tâche donne naissance à
une figure procédurale nouvelle — à tous égards, puisqu’à l’époque, en droit
comparé, ne se rencontrait que l’actio judicati héritée ou retrouvée du droit
romain, v. A. Miele, La cosa giudicata straniera, Padoue, 1989 et compte
rendu B. Ancel in Rev. crit. 1990. 864) — : l’action en exequatur, qui aujourd’hui
encore est l’instrument essentiel de son exécution.
2 PARKER — CASS., 19 AVRIL 1819 17

Cependant, en créant cette action sur la base de principes et de raison-


nements qui ne sont pas indiscutables, l’arrêt Parker n’a pu en figer les traits.
Depuis 1819 l’action en exequatur a connu une importante évolution qu’a
sans doute encouragée — avec le mouvement des idées et l’intensification des
relations privées internationales — la nature paradoxale de l’objet assigné à la
vérification que le tribunal devait effectuer.

II. L’institution de la révision au fond

7 Saisi d’une demande d’exequatur, le tribunal doit selon l’arrêt Parker, pro-
noncer en connaissance de cause, c’est-à-dire qu’il doit procéder à la révision
au fond du jugement étranger qui lui est présenté. Cette mission devait être
précisée. Il a fallu plus d’un siècle à la jurisprudence pour lever toute ambi-
guité sur la consistance du pouvoir du juge de l’exequatur (A). Elle n’y est
parvenue qu’à une époque où l’évidence de l’impropriété de cette pratique
condamnait celle-ci irrémédiablement (B).

8 A. — La définition la plus classique du pouvoir de révision est due à


Bartin : réviser au fond un jugement, c’est en « examiner la valeur du disposi-
tif sous le double rapport de l’appréciation des faits et de l’application des
règles de droit » (Bartin, sur Aubry et Rau, t. XII, 5e éd., no 769 ter, p. 487).
Cependant, quelle qu’en soit l’autorité, cette définition n’élimine pas toute
ambiguïté. Pour effectuer le travail de révision, deux voies ont été explorées et
on notera au passage que cette dualité illustre une tendance caractéristique de
l’évolution des systèmes juridiques qui est d’amortir les audaces en réinsérant
les ruptures, même les plus radicales, dans le champ de la tradition. Ainsi les
deux modalités sous lesquelles s’est exercé le pouvoir de révision sont venues
ranimer, dans une version affaiblie et différente (qui ne sera d’ailleurs pas la
dernière, v. infra, arrêt Bulkley, no 4), la théorie familière du juge naturel : les
domaines respectifs de ces deux façons de réviser sont en effet délimités
grosso modo par le critère de la compétence des tribunaux français, c’est-à-
dire en principe, à cette époque, par le critère de la nationalité française des
plaideurs (v. D. Alexandre, Les pouvoirs du juge de l’exequatur, p. 18 et s.).

9 Si la décision émanait d’un tribunal auquel les articles 14 et 15 disputaient


la compétence internationale en affirmant celle des tribunaux français sur le
fondement de la nationalité française de l’une des parties, le pouvoir de révi-
sion était un véritable pouvoir de réformation : le procès tranché à l’étranger
était en son entier repris en fait et en droit devant le juge de l’exequatur, lequel
avait la possibilité de modifier l’œuvre juridictionnelle soumise à son appré-
ciation, d’y ajouter ou retrancher, d’examiner des moyens nouveaux de droit
comme de fait, de substituer une décision française plus convenable, d’étendre
l’instance à des demandes nouvelles, comme si la procédure en France n’était
que le prolongement ou le renouvellement de la procédure engagée à l’étran-
ger et avait ainsi pour objet le conflit même des intérêts privés plutôt que le
18 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 2

jugement l’ayant résolu (v. en ce sens Toullier, t. X, no 81, rapporté par Foelix,
t. II, p. 93).
En revanche, si celui-ci émanait d’un tribunal étranger dont la compétence
n’était pas contestée par les privilèges de juridiction des articles 14 et 15, le
pouvoir de révision prenait la forme de ce que Niboyet appellera un contrôle
illimité (Traité, t. VI-2, no 1968, Cours, no 725); il s’agissait de « rechercher
en fait, par un examen attentif de toutes les circonstances de la cause et du
fond même du procès… non si le tribunal a bien jugé le procès, mais si le
jugement dont on demande l’exécution en France présente toutes les garanties
d’une sage et impartiale justice » (T. civ. Le Mans, 6 févr. 1866, Fitzgerald,
DP 1866. 2. 156). Un tel programme débouchait sur la seule alternative du
refus ou de l’accueil du jugement étranger « tel quel » sans possibilité d’alté-
ration aucune et les tribunaux français, à défaut de compétence sur le conflit
d’intérêts privés, n’étaient pas « appelés à juger de nouveau et à se constituer
en juge d’appel des tribunaux étrangers, mais seulement à examiner si le juge-
ment est exécutable en France » (Angers, 4 juill. 1866, Fitzgerald, eod. loc.).
La révision-contrôle illimité ouvrait en France un contentieux de la régularité
de la décision, ou contentieux objectif, alors que la révision-réformation pro-
rogeait en France le contentieux des droits des parties, ou contentieux subjec-
tif (sur cette distinction empruntée au droit de la procédure administrative, son
application à l’exequatur et ses incidences, v. H. Muir Watt, J.-Cl. dr. int.,
fasc. 584-7, nos 4 et s. et B. Ancel, notes in Rev. jud. Ouest, 1981. 2. 67 et Rev.
crit. 1981. 535; pour une analyse approfondie : F.-X. Morisset, Le régime de
l’efficacité en France des décisions étrangères patrimoniales, thèse Paris XI,
2002, nos 269 et s.).

10 La jurisprudence n’a pu maintenir indéfiniment cette dualité. Celle-ci était


condamnée dès le jour où les articles 14 et 15 ont commencé d’être compris
comme conférant aux plaideurs français le privilège supplémentaire, indirect,
de s’opposer à l’exequatur de toute décision étrangère (sur cette solution
aujourd’hui abrogée, v. Prieur, infra, no 87). À elle seule, cette arme de la com-
pétence exclusive des tribunaux français fondée sur la nationalité française suffi-
sait à repousser le jugement étranger et retirait toute utilité à l’exercice d’une
révision-réformation.
Aussi bien est-ce peu de temps après que l’arrêt Banque d’Italie a définiti-
vement consolidé le privilège indirect des articles 14 et 15 (Civ., 2 mai 1928,
DH 1928. 334, DP 1929. 1. 50, S. 1928. 1. 281, JCP 1928. 843, Clunet 1929. 76)
que la Cour de cassation dissipe toute équivoque sur la nature de la révision
en assignant à celle-ci la mission, non « de substituer le juge français à un
autre, mais de vérifier si la décision soumise à l’exequatur n’avait pas violé la
loi » (Req. 24 déc. 1930, DH 1931. 52, Clunet 1931. 680) et en plaçant réso-
lument cette opération dans le cadre du contentieux objectif : « les juges fran-
çais à qui est demandé l’exequatur d’un jugement étranger, n’ont à trancher
aucun litige entre les parties… ils ont seulement à donner au jugement étran-
ger la force exécutoire qui lui manque en France » (Req. 11 avr. 1933, Hertz-
feld, D. 1933. 1. 161, note R. Savatier). Il ne peut plus être question de faire
rebondir en France le procès terminé à l’étranger.
2 PARKER — CASS., 19 AVRIL 1819 19

11 Sans remettre en cause la nécessité de l’intervention d’une autorité judi-


ciaire française pour l’octroi de la force exécutoire, cette affirmation de l’auto-
nomie de l’instance d’exequatur orientait vers la reconnaissance immédiate en
France de l’efficacité substantielle et de l’autorité de la chose jugée de la déci-
sion étrangère. L’arrêt Parker avait en effet spontanément établi une liaison
entre, d’une part, la pratique de la révision, obligeant le demandeur à « déduire
les raisons sur lesquelles son action est fondée pour être débattue par (le défen-
deur) et être statué sur le tout en connaissance de cause » et, d’autre part, le
refus de reconnaître, avant la vérification juridictionnelle, l’autorité de la chose
jugée « qu’on prétendrait faire résulter d’un jugement rendu en pays étranger »
(v. aussi, Paris, 5 mai 1846, in Foelix, t. II, p. 82).
De fait, comment admettre qu’un litige puisse être réexaminé au fond,
c’est-à-dire rejugé, si la décision qui l’a déjà tranché a de plein droit autorité
de chose jugée en France ? (v. déjà Bartole, ad D. 19-42. 1. 15. 1 et depuis les
motifs explicites des arrêts Charr et Lestrade de Kyvon, Paris, 21 oct. 1955,
Rev. crit. 1955. 769, note Batiffol, Clunet 1955. 769, note Sialelli, D. 1956. 61,
note Francescakis, JCP 1956. II. 9047, note Motulsky, et 2 févr. 1961, Rev.
crit. 1961. 566, note Francescakis, Clunet 1961. 1116; D. Alexandre, op. cit.,
p. 51; A. Miele, op. cit., p. 110). Il en va, en revanche, tout autrement si l’on
retient le système de la révision contrôle illimité. « L’objet de l’instance…
(étant) la décision dont l’exécution est demandée et non le litige que celle-ci a
tranché » (Paris, 10 oct. 1966, Rev. crit. 1967. 561, note P. L., Clunet 1968. 90,
note Bredin, JCP 1967. II. 15095, note Fragnaud), l’autorité reconnue de
plano à la chose jugée à l’étranger n’interdit pas la révision en France du
jugement qui l’a produite (v. ainsi, Req. 15 nov. 1827, S. chr.). La voie de la
reconnaissance est, alors, théoriquement ouverte.
Pratiquement, les choses sont autres car si dans le contentieux objectif, la
révision-contrôle illimité doit aboutir à une simple évaluation de régularité, le
critère de cette évaluation — la rectitude des appréciations de fait et de
l’application du droit par le juge étranger — contraint le tribunal de l’exequa-
tur à refaire les opérations juridictionnelles accomplies par celui-ci et en ne
permettant pas de dissocier la chose jugée de la manière dont elle a été jugée,
maintient une étroite affinité entre les deux instances directe et indirecte,
empêchant de tirer toutes les conséquences de leur distinction… Aujourd’hui
encore, même après la disparition du pouvoir de révision, la jurisprudence
toujours aussi peu portée aux ruptures n’ose s’engager franchement sur cette
voie de la reconnaissance de plano, en ce qui concerne du moins le groupe
des décisions étrangères (déclaratives patrimoniales, v. infra, obs. sous de
Wrède, no 10 § 15) pour lesquelles, jusqu’en 1964 (arrêt Munzer, infra, no 41),
l’efficacité était en bloc subordonnée à la procédure de révision et reportée au
prononcé du jugement d’exequatur (v. H. Muir Watt, Mélanges D. Holleaux,
p. 301 et s., F.-X. Morisset, Le régime de l’efficacité…, thèse préc., passim).
Quant aux autres décisions, elles ont progressivement accédé à un régime
d’efficacité moins protectionniste (v. infra, arrêt de Wrède no 10). S’est ainsi
élargi avec le temps le champ des exceptions dont il a fallu assortir le principe
de la révision au fond pour remédier à son inadaptation aux nécessités d’un
20 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 2

commerce juridique international toujours plus intense et toujours plus sou-


cieux d’assurer sa croissance par un juste traitement des relations d’intérêt
privé.
12 B. — L’inadaptation du principe de la révision se manifeste d’abord sur le
plan pratique. Par exemple, si le jugement étranger constatant une incapacité
générale d’exercice n’est susceptible de produire aucun effet avant d’avoir
obtenu l’exequatur, le majeur incapable aura toute latitude pour dilapider ses
biens et compromettre ses intérêts personnels avant de bénéficier du régime de
protection que son état requiert. Le décalage chronologique laisse place à une
situation juridique boiteuse : l’étranger déclaré incapable dans son pays est
néanmoins capable en France (Paris, 18 sept. 1833, Duc de Brunswick, D. Jur.
gén. v° Droit civil, no 465). Semblablement, l’enfant est tout à la fois légitime
et adultérin s’il est né d’un remariage succédant à un divorce prononcé à
l’étranger mais sans effet en France parce que n’ayant pas fait l’objet d’une
procédure d’exequatur. Aussi bien, lorsque du moins ce genre de situation
n’ouvrait aucune perspective d’exécution forcée, la jurisprudence a contourné,
de diverses manières, l’obstacle de la non-reconnaissance de plano de l’effica-
cité substantielle et de l’autorité de la chose jugée (v. G. Holleaux, « Remar-
ques sur l’évolution de la jurisprudence en matière de reconnaissance des déci-
sions étrangères d’état et de capacité », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1948-1952,
p. 179 et obs. sous Bulkley, infra, no 4). En revanche, s’agissant de décisions
susceptibles d’exécution forcée, elle ne s’est guère alarmée de l’iniquité résul-
tant du report de la date d’efficacité qu’imposait l’exercice du pouvoir de révi-
sion. Ainsi, avertie de l’aide que la solution apportait à la stratégie d’atermoie-
ment de Parker, la Cour de Paris se dégageait de toute responsabilité en
énonçant « qu’il peut résulter de là un inconvénient, lorsque le débiteur,
comme on prétend qu’il est arrivé en l’espèce, transporte sa fortune et sa per-
sonne en France… ; que c’est au créancier à veiller, mais qu’aucune considé-
ration ne peut faire fléchir un principe sur lequel repose la souveraineté des
gouvernements… » Summum jus, summa injuria.
Sur le plan théorique, le principe de souveraineté auquel se réfère l’arrêt
Parker ne paraît pas de nature à fonder solidement le pouvoir de révision.
D’une part, comme le montrent ici les thèses antagonistes de la doctrine du
juge naturel et de celle de la révision ou, en d’autres domaines la question
des qualifications (v. arrêt Bartholo, no 9) ou celle du renvoi (v. arrêts Forgo,
no 7-8), ce principe permet de justifier avec une égale autorité une solution et
son contraire. D’autre part, la justification qu’y puise la doctrine de la révi-
sion laisse perplexe : les jugements étrangers sont sans effet en France aussi
longtemps qu’ils n’ont pas triomphé de l’épreuve de la révision alors que les
actes purement privés, même passés en pays étranger, n’ont pas besoin d’être
ainsi vérifiés pour produire leurs effets entre les parties. Les uns jouissent
donc d’une présomption de régularité qui est refusée aux autres et ce refus ne
tient pas au contenu de l’acte — même si la révision s’y attache — car le
même objet peut être arrêté par jugement ou par contrat ou par disposition
unilatérale. La différence de traitement procède de la seule qualité de l’auteur
de l’acte : le jugement émane d’une autorité publique étrangère et c’est cette
2 PARKER — CASS., 19 AVRIL 1819 21

origine qui le disqualifie au regard de l’ordre juridique français (Toullier, op.


cit., eod. loc.). Il s’agit d’un problème d’investiture — laquelle ne vaut que
dans l’ordre juridique qui la confère et n’a point d’effet au-delà. Assurément
il y va de la souveraineté, mais à voir celle-ci mise en cause de cette manière,
on ne comprend pas pourquoi la vérification juridictionnelle porte sur le bien
ou mal jugé de la décision étrangère.
13 À la base de ce système de la révision, il y a en vérité un abus de souverai-
neté, d’ailleurs sanctionné à l’étranger par la condition de réciprocité fréquem-
ment opposée aux jugements français. Cet abus consiste dans l’exportation des
exigences du droit international privé français vers toute juridiction étrangère
appelée à rendre une décision dont il y aurait quelque utilité à tirer des effets
en France. Cette attitude n’est pas sans impliquer une certaine contradiction :
comment concilier d’une part, l’idée que les jugements étrangers méritent
d’être reçus en France et de bénéficier à cette fin d’une procédure spéciale et,
d’autre part, le choix d’un test de régularité exigeant des jugements étrangers
que rien ne les différencie de ceux qu’un tribunal français auraient rendus s’il
avait été directement saisi. Cette condition d’identité qui ne rend acceptable
que ce qui est français ou conforme au droit français exprime à la fois un refus
de l’extranéité laquelle implique la différence et un refus d’ouverture propre à
multiplier et pérenniser les situations juridiques boiteuses.
Qu’un tel système ait pu être adopté et maintenu en principe sur une aussi
longue période surprendrait si, en vérité, les tribunaux qui l’avaient forgé en
avaient fait une application sourcilleuse, mais une enquête historique montre-
rait sans doute que la sévérité affichée habillait une pratique plus souple et
plus accueillante, comme si l’énoncé de règles faisant un hommage excessif à
la souveraineté autorisait qu’on en use avec une modération soucieuse des
intérêts des particuliers.
3
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
14 mars 1837

(S. 1837. 1. 95, DP 1837. 1. 275)


Immeubles. — Successions. — Lex rei sitae.

En soumettant, conformément aux anciens principes, les immeubles situés


en France, même ceux possédés par des étrangers, à la loi française,
l’article 3 du Code civil embrasse dans sa généralité, tous les droits de
propriété et autres droits réels qui sont réclamés sur ces immeubles.
Les successions immobilières sont régies par la loi du lieu de situation
de l’immeuble. La réserve héréditaire se calcule distinctement pour cha-
que masse de biens soumise à une loi différente.

(Stewart c/Marteau)

Faits. — Un Anglais, le sieur Stewart, avait deux filles, Sarah et Juliana. Il fit dona-
tion à la première en 1823, à l’occasion de son mariage avec un Français, le sieur Mar-
teau, d’un domaine situé en France. Après le décès de son père survenu en 1828 à la
Jamaïque où il était domicilié, la seconde des filles intenta devant les juridictions fran-
çaises une action en réduction de cette donation. Le Tribunal civil de Tours le 20 mars
1834, puis la Cour royale d’Orléans le 29 août 1834 (S. 1837. 1. 195) se déclarèrent
incompétents. La réduction ne pouvant avoir lieu que si la donation excédait la quotité
disponible, ce point devait être vérifié, selon ces juridictions, par le tribunal du lieu
d’ouverture de la succession seul compétent pour connaître l’état général et la consis-
tance de la succession.
Un pourvoi fut formé.

ARRÊT
La Cour; — Vu les articles 3 et 822 du Code civil, et 59 du Code de procédure
civile; — Attendu que l’article 3 du Code civil, conforme aux anciens principes,
soumet les immeubles situés en France, même ceux possédés par des étrangers,
à la loi française; que sa disposition embrasse, dans sa généralité, tous les droits
de propriété et autres droits réels qui sont réclamés sur ces immeubles; —
Attendu que la demande formée par la demoiselle Stewart, comme héritière de
son père, à fin de partage ou d’une vente par licitation du domaine des Douets,
qu’elle prétendait avoir été donné par ce dernier à la dame Marteau, devait être
jugée d’après la législation française seule et sans aucune influence des lois
étrangères; — Attendu que l’arrêt dénoncé, sans prononcer sur les droits des
parties, a rejeté cette demande par les motifs qu’elle n’avait pas été précédée
d’une liquidation qui fit connaître si la quotité disponible avait été excédée par
3 STEWART — CASS., 14 MARS 1837 23

la donation consentie au profit de la dame Marteau, et que cette liquidation


devait être poursuivie à la Jamaïque, lieu de l’ouverture de la succession de
Stewart père, et d’après les lois anglaises; — Attendu que l’arrêt a subordonné
le sort de l’immeuble et les droits que la demanderesse prétendait exercer sur ce
domaine, à une législation étrangère, notamment dans la disposition qui déter-
mine la quotité disponible; qu’il résulte de sa décision que la demanderesse ne
pourra réclamer la réduction de la donation, si la quotité déclarée disponible
par les lois anglaises n’a pas été excédée; que l’autorité et la législation françai-
ses cesseraient dès lors de régir l’immeuble situé en France; — Attendu que
cette disposition de l’arrêt n’est point justifiée par les articles 822 du Code civil,
et 59 du Code de procédure civile, qui disposent uniquement pour les succes-
sions ouvertes en France;
Par ces motifs : — Casse.
Du 14 mars 1837. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Portalis, prés.; Tripier, rapp.; Tarbé, av. gén.
— MMes Fichet et Galisset, av.

OBSERVATIONS
1 S’il est un domaine où l’on ne saurait faire abstraction des enseignements de
l’histoire, c’est bien celui du statut réel immobilier. Plongeant leur racine dans
une tradition fort ancienne, les principes de solution y sont réaffirmés, siècle
après siècle, à partir d’interrogations analogues. Ainsi, point de départ des
réflexions de Jacques de Revigny au XIIIe siècle comme de Bertrand d’Argentré
au XVIe siècle (1), la fameuse « question anglaise » (2) (II) est encore au XIXe siè-
cle l’occasion pour la Cour de cassation d’énoncer la portée générale de la lex
rei sitae en matière immobilière (I).

I. La loi applicable au statut réel immobilier

2 Si l’application de la lex rei sitae aux immeubles n’a jamais fait dif-
ficulté (A), la délimitation de son domaine a, en revanche, suscité de multiples
interrogations (B).
3 A. — En soumettant à la loi française les immeubles situés en France même
lorsqu’ils appartiennent à des étrangers, l’article 3, alinéa 2 du Code civil se
« conforme aux anciens principes » ainsi que le rappelle l’arrêt ci-dessus
reproduit. (Sur les raisons qui expliquent cette tendance des juges français de
l’époque à conforter les textes du Code civil par un appel à l’Ancien droit,
v. Carbonnier, « En l’année 1817 », Mélanges Raynaud, p. 81 et s.; sur la valeur
relative de l’argument tiré de la tradition, v. S. Billarant, Le caractère substan-

(1) C’est, en effet, à l’occasion du commentaire de l’article 218 de l’ancienne Coutume de Bre-
tagne qui définissait le montant de la quotité disponible que d’Argentré développa la glose 6 qui
devait asseoir son immense réputation (Bertrandi Argentraei, Redonensis Provinciae Praesidis,
Comentarii in Patriae Britanum Leges, Paris, MDCV; v. aussi Lainé, Introduction au droit interna-
tional privé, t. I, p. 311 et s.).
(2) Encore nommée parfois « question normande ». Voir Meijers, Études d’histoire du droit
international privé, p. 65 et s.
24 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 3

tiel de la réglementation française des successions internationales, thèse


Paris I, éd. 2004, no 127, p. 124). Déjà à l’époque franque, dans le système de
la personnalité des lois, les immeubles étaient dotés d’un régime spécial.
Celui-ci, en favorisant l’élaboration d’une loi particulière du fonds, obligatoire
pour tous les propriétaires successifs, devait progressivement donner naissance
à une coutume de la terre (Meijers, « Histoire des principes fondamentaux du
droit international privé à partir du Moyen Âge », Rec. cours La Haye 1934,
t. III, p. 563 et s.; Timbal, « La contribution des auteurs et de la pratique cou-
tumière au droit international privé du Moyen Âge », Rev. crit. 1955. 23). Aux
XIIIe et XIVe siècles, la soumission du statut réel à la lex rei sitae est clairement
affirmée. Sans doute y eut-il pour les terres féodales une préférence pour la
coutume du fief dominant mais dès 1265 un arrêt du Parlement de Paris dési-
gne en matière féodale, la coutume de la situation (Timbal, « La coutume »,
Les cours de droit, 1958-1959, p. 178-179; Meijers, Études d’histoire du droit
international privé, p. 68-69). Depuis lors, le débat n’a plus porté sur la défini-
tion du rattachement, mais sur le contenu de la catégorie. Aujourd’hui encore,
la soumission du statut réel immobilier à la lex rei sitae est approuvée par tous.
Comment expliquer cette unanimité ?
4 Elle procède sans aucun doute de la constatation qu’il n’est pas de meilleure
localisation d’un rapport juridique que celle qu’indique son objet matériel s’il
en a un (Batiffol et Lagarde, t. I, no 267; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-
Sommières, no 168). Prenant en compte l’élément prépondérant de la relation,
constatable par tous, échappant à toute discussion, le lieu de situation de
l’immeuble satisfait aux multiples intérêts en présence. Favorisant une réparti-
tion objective des compétences entre les États, il évite les lacunes et double
emplois et par voie de conséquence les contradictions dans les solutions don-
nées à une même question. Soumettant à une même loi l’ensemble des immeu-
bles sis sur le territoire d’un État, il assure à celui-ci la maîtrise de la mise en
valeur économique des richesses qui y sont situées et lui permet en même
temps de préserver l’homogénéité de traitement nécessaire à l’usage des droits
qui s’exercent sur ces biens; Huber n’insistait-il pas d’ailleurs déjà sur ce que
« ce ne serait pas sans une très grande confusion, ni sans un très grand préju-
dice pour la République où sont situées les choses immobilières que les lois
établies pour elles puissent être modifiées par des dispositions étrangères »
(De conflictu legum…, no 13; v. aussi, Portalis, in Locré t. XVI, nos 10 et s.,
« Discours au corps législatif » du 4 ventôse an XI). Enfin, centralisant effecti-
vement les intérêts des personnes privées qui gravitent autour du bien, il favo-
rise l’application de la loi qui, ayant avec ceux-ci les liens les plus étroits,
répond le mieux à leur attente et assure ainsi la sécurité des transactions qui
ont l’immeuble pour objet (Bartin, Principes, t. I, § 74-3°, t. III, § 365 et s.;
G. Khairallah, Les sûretés mobilières en droit international privé, thèse
Paris II, éd. 1984, nos 162 et s.). Aussi bien l’application de la lex rei sitae aux
immeubles est-elle universellement reçue en droit international privé comparé
au point que certains auteurs ont pu la regarder comme imposée par le droit
international public (v. Batiffol et Lagarde, t. I, nos 28 et 280; sur la multipli-
cité des titres auxquels la loi du lieu de situation de l’immeuble peut s’appli-
3 STEWART — CASS., 14 MARS 1837 25

quer, v. L. Perreau-Saussine, L’immeuble et les méthodes du droit internatio-


nal privé, thèse Paris II, 2004; sur une réévaluation de ces titres, v. L. d’Avout,
Sur les solutions du conflit de lois en droit des biens, thèse Paris II, éd. 2006).
5 B. — Après avoir rappelé la soumission du statut réel immobilier à la lex rei
sitae, la cour précise que celle-ci « embrasse, dans sa généralité, tous les droits
de propriété et autres droits réels qui sont réclamés sur les immeubles. » Elle
apporte ainsi sa contribution au difficile problème de la délimitation des fron-
tières de la loi réelle.
6 On sait que cette question a été longtemps au centre du débat doctrinal dans
l’ancienne France. D’Argentré ayant posé que toutes coutumes sont réelles ou
personnelles, on s’employa à préciser ce qui relevait de l’une ou l’autre caté-
gorie. À cet effet, d’Argentré — ce « féodal enraciné » selon l’expression de
Niboyet (S. 1940. 1. 49) — proposa un système qui avait le mérite de la sim-
plicité : dès lors qu’on était en présence de matières mixtes qui impliquaient
tout ensemble la personne et l’immeuble, c’était la coutume de l’immeuble qui
devait prévaloir. La solution pouvait se recommander de l’idée si vivace dans
l’Ancien droit que l’organisation foncière est l’assise de la société et qu’elle
doit donc être défendue contre l’intervention perturbatrice de la loi du domi-
cile. Néanmoins les critiques ne lui furent pas ménagées. On lui fit grief
d’avoir admis la catégorie des statuts mixtes sans pour autant lui attribuer un
régime distinctif (Froland, Mémoires concernant la nature et la qualité des
statuts, 1729; Bouhier, Observations sur la coutume du duché de Bourgogne,
1742-1746; Boullenois, Traité de la personnalité et de la réalité des lois, cou-
tumes et statuts, 1766). À cela, il est aisé de répondre que les statuts mixtes ont
été isolés en vue de poser le problème et non de justifier la réponse qui lui était
donnée. Plus profondément, on lui reprocha d’avoir méconnu que la loi per-
sonnelle et la loi réelle n’étaient pas les seuls rattachements (v. Batiffol et
Lagarde, t. I, no 222). Là encore, la critique est sans doute excessive. Si
d’Argentré a mis l’accent sur ces catégories, il n’en a pas moins reconnu celle
de la forme des actes ou de la responsabilité pénale (Commentarii, art. 2,
v° Juges d’église, art. 12) (v. B. Ancel, Les conflits de qualifications à l’épreuve
des donations entre époux, thèse Paris II, éd. 1977, p. 39). Il est vrai cependant
que la spécificité de la matière contractuelle lui échappe. Dans son système,
les contrats n’ont pas accès à l’autonomie. Ils obéissent, au moins lorsqu’ils
sont relatifs à un immeuble, à la coutume de sa situation. C’est là, au demeu-
rant, le cœur du problème : la loi réelle doit-elle être cantonnée à la question
du contenu des droits réels ou doit-elle régir également les modes de création
ou de transmission — notamment le contrat, les successions — qui ne leur
sont pas propres ? La casuistique à laquelle se livra, sur ces questions, la doc-
trine ultérieure montre que le dogmatisme de d’Argentré ne fut pas, tant s’en
faut, universellement reçu. Quant à la jurisprudence, elle fut loin d’adhérer à
son système. Ainsi, il est bien connu qu’elle préféra Dumoulin sur la commu-
nauté des biens entre époux (v. infra, arrêt Zelcer, no 15 § 5).
7 Aussi bien la référence à l’autonomie de la volonté devait-elle s’étendre très
progressivement à l’ensemble de la matière contractuelle (v. infra, arrêt Ameri-
26 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 3

can Trading Co, no 11). Certes, s’agissant des contrats relatifs à un immeuble,
il était fait application de la lex rei sitae, mais était-ce au titre de la loi réelle ou
de la loi du lieu d’exécution ? Quant à la capacité et à la forme, elles échap-
pèrent à celle-ci pour relever respectivement de la loi personnelle (v. infra,
arrêt Château de Chambord, no 14) et de la loi du lieu de conclusion (v. infra,
arrêt Charlie Chaplin, no 40) (S. Gruber-Magitot, Les conflits de coutumes en
matière de contrats dans la jurisprudence des Parlements, de Dumoulin au
Code civil, p. 55 et s.). Seule, en définitive, l’application de la lex rei sitae aux
successions immobilières ainsi qu’aux donations entre époux (v. infra, obs.
sous arrêt Campbell Johnston, no 42 § 7) marquait en droit positif, un certain
débordement du statut réel hors de ses strictes limites.
En décidant, à propos du règlement d’une succession immobilière, que la
lex rei sitae « embrasse tous les droits de propriété et autres droits réels », la
Cour de cassation maintient la tradition. Assimilant au droit de propriété
l’ensemble des droits réels, elle rappelle fort opportunément que le régime de
ces droits est la matière par excellence du statut réel; c’est la lex rei sitae qui
peut seule définir les droits réels dont un immeuble peut être l’objet. Soumet-
tant à cette même loi la dévolution d’immeubles sis en France, elle perpétue
le dernier témoignage de la conception extensive qu’avaient du statut réel cer-
tains de nos anciens auteurs.

II. L’application de la lex rei sitae aux successions immobilières

8 Lorsqu’une personne décède laissant des biens situés dans plusieurs pays,
leur dévolution doit-elle être opérée en raisonnant par rapport à l’ensemble de
la succession selon une loi unique — loi nationale, loi du dernier domicile du
de cujus —, ou faut-il procéder comme s’il y avait autant de successions que
de biens situés dans des pays différents ? À cette question essentielle qui agite
la doctrine depuis près de huit siècles, le droit positif français a toujours
apporté la même réponse : les successions mobilières relèvent de la loi du der-
nier domicile du défunt (v. infra, arrêt Labedan, no 18), les successions immo-
bilières de la lex rei sitae. L’unité l’emporte pour les premières, le morcel-
lement pour les secondes.
Cette solution a été, en règle générale, vivement critiquée par la doctrine
française de la fin du XIXe siècle qui, influencée par les idées de Mancini, lui
préférait l’application de la loi nationale du de cujus à l’ensemble de la suc-
cession. On y a vu l’exemple même d’une règle survivant aux causes qui
l’avaient engendrée. Posée dès le XIIIe siècle, cette solution aurait eu pour
objet d’assurer l’intégrité et la perpétuité des fiefs. Partant, les successions
auraient dû, avec la disparition de la féodalité, recouvrer leur caractère de pur
règlement de famille et obéir à la loi personnelle du défunt (comme admis par
l’exception flamande jusqu’aux XVe-XVIe siècles avec le rattachement coutu-
mier par la « maison mortuaire », v. Meijers, Études préc., p. 82 et s.; Freyria,
« Les conflits de coutumes en matière de successions dans le droit coutumier
des Flandres sous l’ancien régime », Rev. crit. 1947. 249). L’idée de conserva-
tion des biens dans la famille, souvent invoquée pour justifier le maintien des
3 STEWART — CASS., 14 MARS 1837 27

solutions antérieures (v. par ex., Bouhier, Observations sur la Coutume du


duché de Bourgogne, Ch. XXX no 1 et 2), aurait manqué de pertinence car
elle n’exprimait que l’objet immédiat de la loi successorale dont la fin pro-
fonde restait la famille (Lainé, Introduction au droit international privé, t. II,
p. 297 et s., spéc. p. 299). Mais c’était méconnaître que les deux considéra-
tions étaient à l’époque inextricablement liées. Conserver les biens dans la
famille, c’était en effet maintenir la famille dans son rang. L’immeuble est
« la raison d’être de la famille, il lui donne son unité, sa structure et jusqu’à
son nom » (Batiffol, La capacité civile des étrangers en France, 1929, p. 16).
De là, pour nos anciens auteurs, l’idée que les lois successorales occupent
le premier rang au sein du statut réel. L’absence de toute discussion dans les
travaux préparatoires du Code civil laisse à penser qu’en traitant des lois sur
les immeubles ses rédacteurs avaient entendu maintenir les solutions antérieu-
res (Vareilles-Sommières, La synthèse du droit international privé, no 329).
Telle fut au demeurant l’opinion de la jurisprudence puisqu’elle posa très tôt
« que le statut est réel (…) lorsqu’il a principalement et directement les
biens pour objet, et surtout la conservation d’une espèce particulière de biens
dans les familles ». (Ch. réunies, 27 févr. 1817, dame de Crotat, S. chr. concl.
Mourre ; v. déjà Req. 2 juin 1806, S. chr.). Réaffirmée à de nombreuses
reprises, notamment dans l’arrêt ci-dessus reproduit, la soumission des suc-
cessions immobilières à la lex rei sitae n’a depuis jamais été remise en cause.
Une telle constance peut aujourd’hui surprendre : la destinée des immeubles
n’a plus grand rapport avec l’organisation d’une famille dont le rang social ne
préoccupe guère le législateur ! En réalité, elle s’explique sans doute par le
fait que notre système de solution est en harmonie profonde avec la structure
même du droit des successions.
9 Ainsi que l’ont mis en évidence des travaux récents (J. Héron, Le morcel-
lement des successions internationales, thèse Caen, éd. 1986, p. 109 et s.;
Y. Lequette, « Ensembles législatifs et droit international privé des succes-
sions », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1983-1984, p. 163 et s.), il faut pour parvenir à
un règlement cohérent des successions internationales, satisfaire à deux sortes
d’impératifs. Le premier tient à l’existence de liaisons horizontales : la succes-
sion n’a pas pour objet la transmission de biens considérés isolément mais la
transmission d’un patrimoine. À nombre de points de vue — passif, rapport,
réduction… —, le législateur considère l’hérédité comme une universalité. Un
règlement satisfaisant de la succession ne paraissant pouvoir être assuré que
par un principe de solution respectant l’unité de cet ensemble, la prise en
considération de la liaison horizontale débouche sur l’adoption d’une règle de
conflit unitaire soumettant l’ensemble de la succession à une loi unique : loi du
dernier domicile ou loi nationale du de cujus. Le second tient à l’existence de
liaisons verticales. Celles-ci ne tendent pas à assembler les biens entre eux
mais résultent du processus qui de l’ouverture de la succession jusqu’au par-
tage conduit à leur transmission. Les modalités de cette transmission diffèrent,
en effet, profondément selon que l’on retient le système de la succession aux
biens ou celui de la continuation de la personne. Les mêmes questions, telles
l’appréhension du patrimoine du défunt, la gestion de l’actif, la liquidation du
28 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 3

passif, la distribution de la succession, reçoivent des réponses diamétralement


opposées selon que prévaut l’un ou l’autre système (Flour, « Le passif succes-
soral », Les cours de droit 1956-1957; B. Ancel, note Rev. crit. 1978. 339 et s.;
Terré et Lequette, Les successions, les libéralités, nos 670 et 746 et s.; M. Goré,
L’administration des successions en droit international privé, thèse Paris II,
éd. 1994). Dans le premier cas, le soin de gérer et de liquider la succession en
acquittant le passif, puis d’en répartir le solde entre les successeurs est confié à
un « exécuteur » désigné par le testament, ou à un « administrateur » choisi
par la justice. Cette personne n’administrant pas son propre patrimoine, ses
pouvoirs sont limités mais sa responsabilité l’est également, elle ne sera pas
tenue de répondre du passif au-delà de l’actif successoral. De plus, confiée à
un seul, l’administration échappe aux difficultés qui résultent de l’existence
d’une pluralité de successeurs. Dans le système de la continuation de la per-
sonne, le soin d’administrer et de liquider la succession est remis aux héritiers
eux-mêmes; administrant leur patrimoine propre, leurs pouvoirs sont illimités
mais leur responsabilité l’est également. De là, l’obligation ultra vires heredi-
tatis. Quant à la concurrence entre les héritiers au cours de cette période, elle
sera réglée par toute une série de dispositions prévoyant la saisine indivisible,
l’indivision, le gage indivisible, ignorées des législations précédentes. C’est
dire que, de l’appréhension des biens à leur attribution définitive, chaque sys-
tème forme un tout. Or certains des maillons de la chaîne — telle l’indivision,
modalité du droit de propriété — relevant nécessairement de la lex rei sitae,
c’est l’ensemble de la question qui devrait être soumis à cette loi. On constate
ainsi que poussés à l’extrême, ni le système de l’unité, ni celui du morcel-
lement ne sont en mesure de satisfaire complètement les impératifs qui se
dégagent de l’organisation systématique de la matière. Aussi bien le droit fran-
çais réalise-t-il leur conciliation sur le mode suivant : les liaisons horizontales
l’emportent pour les meubles, les liaisons verticales pour les immeubles. Le
réalisme de cette dernière solution est attesté par la constatation que la plupart
des droits qui consacrent de manière générale le système de l’unité de la suc-
cession renoncent à le faire respecter lorsque celle-ci comprend des immeubles
situés à l’étranger (v. Droz, note, Rev. crit. 1973. 321 et s.).
10 Il n’en reste pas moins vrai que le morcellement présente des inconvénients
indéniables. Ceux-ci sont particulièrement sensibles lorsque le de cujus, pro-
priétaire d’immeubles situés dans plusieurs pays, a entendu procéder lui-même
par testament ou donation-partage à un règlement d’ensemble de sa succes-
sion. La multiplicité des lois applicables peut alors, en effet, conduire à ruiner
cette construction. Pour prendre conscience de cette difficulté, on ne peut
mieux faire que de revenir à la célèbre « question anglaise » qui, depuis Jac-
ques de Revigny (Commentaire du code, Ad legem Cunctos Populos, (C. I. 1. 1),
rapporté in Meijers, Études d’histoire du droit international privé, p. 124 et s.,
spéc. p. 126), n’a cessé d’interpeller la sagacité des auteurs. Reprenons les
faits de l’espèce, en les complétant. Supposons qu’outre l’immeuble français
donné à sa fille aînée, le de cujus ait été propriétaire d’un immeuble de même
valeur sis en Grande-Bretagne et qu’il l’ait légué à sa fille puînée. Tout paraît
pour le mieux; chacun des héritiers est alloti au moyen d’un bien de même
3 STEWART — CASS., 14 MARS 1837 29

valeur; l’égalité est respectée. Mais, du fait du morcellement, l’héritière qui a


reçu l’immeuble anglais pourra en outre revendiquer une partie de l’immeuble
français. La réserve se calculant masse par masse, elle a en effet le droit d’exi-
ger sur l’immeuble sis en France le tiers que, par exemple, lui attribuait autre-
fois l’article 218 de l’ancienne coutume de Bretagne ou que lui reconnaît
aujourd’hui l’article 913 du Code civil. Quant à l’héritière allotie au moyen de
l’immeuble français, elle ne saurait prétendre à rien sur l’immeuble sis en
Grande-Bretagne puisque ce droit ne connaît pas la réserve héréditaire. On
constate ainsi que la réserve, instituée pour maintenir une certaine égalité suc-
cessorale, crée l’inégalité. Troublés par cette constatation paradoxale, certains
ont très tôt proposé d’y remédier en unifiant la dévolution successorale des
immeubles, soit au profit du statut personnel du de cujus, soit surtout par le
choix d’une loi opéré au moyen du testament, ce que l’on nomme aujourd’hui
la professio juris (v. auteurs cités par Meijers, Cours préc., Rec. cours La Haye
1934, t. III, p. 612 et Timbal, art. préc., Rev. crit. 1955. 25). Sans doute parce
qu’elles méconnaissaient trop directement les impératifs tenant à l’existence
de la liaison verticale ainsi qu’au caractère très contraignant des dispositions
relatives à la réserve et au droit de prélèvement, ces suggestions réitérées à
intervalles réguliers (v. en dernier lieu pour l’application de la loi d’autonomie
à la donation-partage, M. L. Revillard, Droit international privé et communau-
taire, pratique notariale, 6e éd., 2006, no 662) n’ont jamais trouvé d’écho en
droit positif (pour une critique de la professio juris, v. M. Goré, « De la
mode… dans les successions internationales : contre les prétentions de la pro-
fessio juris », Mélanges Yvon Loussouarn, 1994, p. 193). La haute juridiction
réaffirme, en effet, imperturbablement que dans les successions internationa-
les, la réserve se calcule sur chaque masse de biens (v. en dernier lieu, Civ. 1re,
4 déc. 1990, Pearsh, Rev. crit. 1992. 76, note G. A. L. Droz, Clunet 1991. 398,
note Revillard, Defrénois 1991, p. 1006, même note). Tout au plus admet-
on que soit restaurée l’unité de la loi applicable, en usant du renvoi lorsque
les circonstances s’y prêtent (Civ. 1er, 21 mars 2000, Ballestrero, Rev. crit.
2000. 399, note B. Ancel, D. 2000. 539, note F. Boulanger, JCP 2000. II.
10443, note Th. Vignal, Defrénois 2000. 1157 et Clunet 2001. 505, note
Revillard, Dr. fam. 2000, no 70, note Fongaro) ou encore, à condition qu’il n’y
ait point de fraude (Aix, 9 mars 1982, Rev. crit. 1983. 282, note Droz; Civ. 1re,
20 mars 1985, Caron, Rev. crit. 1986. 66, note Y. Lequette), en jouant sur les
qualifications au moyen de la constitution d’une société civile immobilière
(Pour d’autres aménagements, v. Y. Lequette, comm. préc., Trav. com. fr. dr.
int. pr. 1983-1984, p. 171; Droz, note, Rev. crit. 1992. 84; Recommandation
du 96e Congrés des Notaires de France, Rev. crit. 2000. 578; sur les difficultés
soulevées par la rescision pour lésion du partage, v. infra, arrêt Château de
Chambord, nos 14 § 8).
Ainsi, première règle de conflit posée par la jurisprudence après la promul-
gation du code, l’application de la lex rei sitae aux successions immobilières
est également celle dont les origines sont les plus vénérables. On ne pouvait
indiquer plus clairement qu’en notre domaine comme en beaucoup d’autres, le
Code civil n’a pas réalisé une rupture mais marqué une étape dans une conti-
nuité.
4
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)

28 février 1860

(S. 1860. 1. 210, DP 1860. 1. 57)


Jugement étranger. —
Divorce. — Reconnaissance. — Ordre public.

En conséquence du principe, reconnu par l’article 3 du Code civil, de la


distinction des lois réelles et des lois personnelles, c’est par la loi de son
pays, par les faits accomplis dans ce pays conformément à ses lois, que
doit être appréciée la capacité de l’étranger pour contracter mariage en
France : ainsi l’étranger dont le premier mariage a été légalement dissous
dans son pays par le divorce a acquis définitivement sa liberté et porte
avec lui cette liberté partout où il lui plaira de résider.
Ces principes ne reçoivent aucune atteinte en France de la loi d’abolition
du divorce du 8 mai 1816 qui, si elle est d’ordre public et empêche que des
divorces soient prononcés en France, n’atteint ni les divorces antérieure-
ment prononcés, ni les divorces prononcés régulièrement à l’étranger.

(Bulkley c/Defresne)

Faits. — D’origine anglaise, Marie-Anne Bulkley a épousé en Hollande un citoyen


de ce pays, Anthony Bouwens, et a ainsi acquis la nationalité hollandaise de son mari.
C’est donc deux époux hollandais que vient séparer le divorce prononcé, en 1858 par le
Tribunal de La Haye et transcrit sur les registres de l’état civil de cette ville, conformé-
ment à la loi hollandaise.
Formant le projet de se remarier avec un Français, Marie-Anne Bulkley se présente,
l’année suivante, devant le maire du dixième arrondissement de Paris. Sur défense du
parquet, cet officier de l’état civil refuse de célébrer le mariage : l’abolition du divorce
en France par la loi du 8 mai 1816, laquelle est d’ordre public, s’oppose à ce que la
décision hollandaise produise en France son effet de restitution de la liberté matrimo-
niale et prohibe donc un remariage qui porterait atteinte à l’article 147 du Code civil
proscrivant la bigamie. Reçu par la cour d’appel de Paris (DP 1859. II. 153), l’argument
est soumis par Mme Bulkley à la Cour de cassation.

ARRÊT
La Cour; — Vu les articles 3, 6, 147, C. Nap., et l’article 1 de la loi du 8 mai
1816; — Attendu que le mariage, en France, est un contrat civil; qu’il ne peut
être interdit qu’à ceux qui ont en eux un motif d’empêchement établi par la loi
4 BULKLEY — CASS., 28 FÉVRIER 1860 31

civile; — Attendu que si l’article 147, C. Nap. défend de contracter un second


mariage avant la dissolution du premier, cette défense n’existe pas toutes les
fois que la preuve de la dissolution du premier mariage est rapportée; — Que
cette preuve est faite, de la part de l’étranger marié à l’étranger, lorsqu’il établit
que son mariage a été dissous dans les formes et selon les lois du pays dont il
était sujet; — Que telle est la conséquence du principe, reconnu par l’article 3,
C. Nap., de la distinction des lois réelles et des lois personnelles; que celles-ci, qui
régissent l’état et la capacité des personnes, suivent les Français, même résidant
en pays étranger, et suivent également en France l’étranger qui y réside; — Que
c’est donc par les lois de son pays, par les faits accomplis dans ce pays conformé-
ment à ses lois, que doit être appréciée la capacité de l’étranger pour contracter
mariage en France; qu’ainsi, l’étranger, dont le premier mariage a été légale-
ment dissous dans son pays, soit par le divorce, soit pour toute autre cause, a
acquis définitivement sa liberté, et porte avec lui cette liberté partout où il lui
plaira de résider; — Attendu que ces principes ne reçoivent aucune atteinte, en
France, de la loi du 8 mai 1816; — Qu’en effet, si cette loi est d’ordre public, et si
en conséquence il n’est pas possible d’y déroger par des conventions particuliè-
res (art. 6, C. Nap.), si, par une autre conséquence, il n’est pas permis aux tribu-
naux d’ordonner ou de sanctionner des divorces que les officiers de l’état civil
ne pourraient prononcer, la loi de 1816 doit être renfermée dans les limites
qu’elle s’est tracées, par respect pour les principes du droit les plus incontestés;
— Que la loi de 1816 n’a pu vouloir et n’a voulu statuer que pour l’avenir et
pour la France; qu’elle n’a atteint, par sa disposition unique, ni les divorces anté-
rieurement prononcés, ni les divorces prononcés régulièrement à l’étranger; que
si, ce qui n’est pas contesté, un divorce prononcé en France avant la loi de 1816,
a rendu aux époux la liberté de contracter un nouveau mariage, il en est de
même de la liberté acquise par l’étranger, dans son pays, au moyen d’un divorce
qui y aura été légalement prononcé ; qu’il n’y a d’atteinte à l’ordre public et
aux bonnes mœurs ni dans un cas, ni dans l’autre; et que la loi française, qui ne
contient aucune disposition prohibant formellement des mariages contractés
dans de pareilles circonstances, n’a fait, par son silence, que confirmer, d’une
part, le principe de non-rétroactivité des lois, et, d’autre part, le respect dû aux
législations étrangères statuant sur l’état et la capacité des personnes soumises
à leur souveraineté; — Attendu, en fait, qu’il était constaté et qu’il n’est pas
contesté par l’arrêt attaqué que Marie-Anne Bulkey, Anglaise d’origine, mariée
en Hollande avec Anthony Bouwens, sujet hollandais, avait été divorcée en 1858
par jugement du tribunal de La Haye, inscrit sur les registres de l’état civil
conformément à la loi du pays; — Que, par conséquent, Marie-Anne Bulkley,
lorsqu’elle se présentait en 1859 devant l’officier de l’état civil du 10e arrondis-
sement de Paris pour contracter mariage, justifiait de la dissolution de son pré-
cédent mariage, et ne se trouvait pas dans le cas de prohibition de l’article 147,
C. Nap.; — D’où il suit qu’en autorisant l’officier de l’état civil à refuser de passer
outre à la célébration demandée, l’arrêt attaqué a violé l’article 3, C. Nap., et
faussement appliqué les articles 6 et 147 du même code, ainsi que l’article 1 de
la loi du 8 mai 1816;
Par ces motifs : — Casse.
Du 28 février 1860. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Troplong, Prem. prés. — Sevin, rapp. —
Dupin, proc. gén. — MMes Dareste et Labordère, av.

OBSERVATIONS
1 À mi-distance entre l’arrêt Parker (supra, no 2) et l’arrêt de Wrède (infra,
no 10), cette décision présente à bien d’autres égards un caractère intermé-
32 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 4

diaire. Elle forme d’abord un étape importante de l’évolution du régime d’effi-


cacité des jugements étrangers en France. Etabli sur des positions trop abrup-
tes, ce régime se caractérisait par le refus de tout effet normatif aux jugements
n’émanant pas de l’ordre juridique français avant qu’ils ne soient soumis avec
succès à l’épreuve du pouvoir de révision exercé dans le cadre de l’action en
exequatur (v. supra, arrêt Parker, no 2 § 3). Abusif en général, ce protection-
nisme radical n’était pas tolérable en certaines matières; l’arrêt Bulkley illustre
la manière dont l’exigence de l’exequatur et de la révision préalables a été
contournée (I).
La notoriété lui est aussi venue d’une autre source. Au sujet de l’interven-
tion de l’exception de l’ordre public à l’encontre des situations constituées à
l’étranger, il ouvre en effet, d’importantes perspectives sans toutefois atteindre
d’emblée les positions que devait consacrer l’arrêt Rivière (infra, no 26 § 10);
il n’énonce pas les éléments fondamentaux de la doctrine de l’effet atténué de
l’ordre public, mais déjà il en représente l’hypothèse et offre une préfiguration
de ses conditions d’application (II).

I. L’efficacité sans exequatur

2 Généralisant le pouvoir de révision du juge français, l’arrêt Parker décidait


qu’une décision étrangère ne peut produire aucun effet en France avant d’avoir
été revêtue de l’exequatur. Partant, la force éxécutoire mais aussi l’efficacité
substantielle et l’autorité de chose jugée étaient déniées aux décisions étrangè-
res qui ne satisfaisaient pas à cette exigence. Très vite, le caractère excessif
d’une telle position devait apparaître lorsqu’étaient en cause des jugements qui
ne renfermaient pas de potentialité d’exécution forcée parce qu’ils n’attribuaient
aucun droit à exercer contre la personne, ni ne prononcaient aucune condam-
nation à une prestation quelconque. Diverses stratégies de contournement furent
alors mises en œuvre pour esquiver la condition d’exequatur préalable posée par
la jurisprudence.
3 C’est un arrêt de la Cour de Douai qui inaugura, dès 1820 cette politique
(v. G. Holleaux, « Remarques sur l’évolution de la jurisprudence en matière de
reconnaissance des décisions étrangères d’état et de capacité », Trav. com. fr.
dr. int. pr. 1952. 179). Il s’agissait de savoir s’il convenait d’admettre le cura-
teur d’un absent, nommé par un tribunal de Belgique, à user de ses pouvoirs en
France et notamment à procéder au recouvrement d’une créance, sans avoir au
préalable obtenu, ni même demandé l’exequatur. En réponse à l’objection du
débiteur poursuivi, la cour relève que le Tribunal de Gand, tribunal du domi-
cile de l’absent, « était seul compétent pour lui nommer un curateur », et
reconnaît la qualité et les pouvoirs de ce dernier, observant que « ce n’est pas
en vertu du jugement rendu par ce tribunal que se poursuit l’exécution dont il
s’agit, mais en vertu d’un acte passé par devant notaires résidant en France »
(Douai, 20 juin 1820, in Merlin, Répertoire, v° Absent, ch. I, art. 112, III,
p. 37). De la sorte, si la contrainte devait être appliquée au débiteur, ce serait
sur la base du mandement délivré par l’officier ministériel français et non sur
4 BULKLEY — CASS., 28 FÉVRIER 1860 33

l’injonction d’une autorité étrangère. Le cloisonnement institutionnel des


ordres juridiques souverains n’était pas méconnu. Le raisonnement utilise le
caractère préalable de la question des pouvoirs pour lui conférer une autono-
mie qui la détache de l’exécution forcée et l’abrite de la jurisprudence Parker.
L’idée s’établit ainsi que les jugements attribuant pouvoirs et qualité et plus
généralement les jugements constitutifs sont reconnus de plano et sont seule-
ment exposés, le cas échéant, à un contrôle incident opéré dans le cadre de
l’instance principale où ils sont invoqués (selon le schéma, semble-t-il, assez
répandu en d’autres pays depuis longtemps de l’efficacité extraterritoriale ou
internationale immédiate des jugements in rem, v. A. Miele, La cosa giudicata
straniera, p. 65 et s., et compte rendu B. Ancel in Rev. crit. 1990. 864 ; sur
les rapports entre la distinction des jugements déclaratifs et constitutifs et
celle des jugements in personam et in rem, v. F.-X. Morisset, Le régime de
l’efficacité en France des décisions étrangères patrimoniales, thèse Paris XI,
2002, nos 2 et s.).
4 Ce contrôle incident est d’ailleurs pratiqué par la Cour de Douai qui le
limite à un seul chef : la compétence du juge étranger. Cette exigence ramène à
la théorie du juge naturel, selon laquelle il n’y a pas à contrôler les mesures
qui sont ordonnées par une autorité étrangère dans les limites de sa juridiction
(v. obs. sous Parker, supra, no 2); on remarquera seulement ici que dans la
fonction essentielle de critère de compétence, la sujétion politique est relayée
par le domicile de l’absent.
Cependant l’étroite parenté avec la théorie du juge naturel risquait de com-
promettre cette première tentative de débordement de la position Parker. Aux
jugements étrangers compètemment rendus, cette théorie accorde de plano en
France l’efficacité substantielle et surtout l’autorité de la chose jugée. Or, en
droit positif, si la désignation d’un administrateur judiciaire se heurte à la
résistance, non pas d’un débiteur de la personne dont les intérêts sont proté-
gés, mais de cette personne même qui entend conserver la maîtrise de ses
biens (ce qui est improbable en cas de déclaration d’absence, mais non pas en
cas, par exemple, de déclaration de faillite ou de jugement d’interdiction), il
faudra, pour réaliser la décision étrangère, en appeler à la contrainte et donc
passer par la voie de l’exequatur prescrite par les articles 2123 du Code civil
et 546 du Code de procédure civile. Alors le danger apparaîtra de ce que
l’autorité de la chose jugée à l’étranger inhibe le pouvoir de révision du tribu-
nal français, lequel, faute de connaissance de la cause, sera empêché de statuer
(v. supra, obs. no 2). Il était donc à craindre que le raisonnement de la Cour de
Douai ne soit, à la première occasion, condamné par la Cour de cassation.
5 Alerté par un arrêt de la Cour supérieure de justice de Bruxelles prononcé le
lendemain de celui de la Cour de Douai et plus engagé encore sur la voie de la
reconnaissance de plano, Merlin esquissa une interprétation différente qui
écartait la théorie du juge naturel et introduisait la notion de force probante
dans le champ du problème des effets internationaux des jugements (Merlin,
Répertoire, v° Faillite et banqueroute, sect. II, § 2, art. 10, p. 412, sur Bruxel-
les, 21 juin 1820). Cette interprétation fut mise en œuvre dès 1824 à propos
34 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 4

d’une faillite hollandaise (Bordeaux, 10 févr. 1824, S. 1824. II. 119 et Foelix,
t. 2, p. 114). La Cour de Bordeaux, attentive à la compétence du juge étranger,
réoriente cette condition en lui assignant une fonction inédite, sans lien avec
l’autorité de chose jugée : « il est vrai qu’un jugement rendu par le Tribunal de
commerce de Rotterdam n’a aucune autorité judiciaire en France; d’où il
résulte que le fait qu’il constate en Hollande peut être débattu et contredit en
France par des preuves contraires; mais… à défaut de preuves certaines un fait
doit être tenu pour constant par les tribunaux français ». La compétence du
« tribunal de commerce du lieu » (du domicile du débiteur), déclaré le mieux
qualifié pour constater la faillite, vient ici garantir le sérieux et la crédibilité de
l’œuvre judiciaire étrangère et prend ainsi place dans un discours sur la preuve
destiné à assurer l’efficacité substantielle en France sans reconnaissance de
l’autorité de la chose jugée. Emanée d’une autorité compétente, la décision fait
preuve non seulement de l’état des affaires du débiteur, mais aussi des mesures
ordonnées pour y faire face. Ainsi au jugement s’attache une présomption qui,
jusqu’à preuve contraire, permet qu’on s’y fie en France (sur ce rôle de « titre
probatoire », v. Foelix, op. cit., eod. loc., ou « effet de titre » et le dévelop-
pement qu’il a connu par la suite, Batiffol et Lagarde, t. 2, no 741; de cette
solution, le droit romain aurait offert une préfiguration avec le praeiudicium,
v. G. Pugliese, Encicl. Dir. XVIII, v° Giudicato civile (Storia), no 7, et Rec.
Soc. J. Bodin, XVI, 1965, p. 340). De cette manière, les pouvoirs du syndic
sont reconnus, mais en cas de conflit avec le débiteur, la preuve contraire est
recevable; c’est dire que la décision étrangère ne lie pas le tribunal français,
qu’elle n’a pas en France l’autorité de la chose jugée qui interdirait à celui-ci
de connaître l’affaire au fond (sur l’articulation de l’autorité de la chose jugée
et de la preuve, v. C. civ., art. 1350 et s.; G. Pugliese, op. cit.). Peut-être plus
métaphorique que scientifique, car elle sollicite bien plus la dialectique de la
preuve que sa fonction, cette interprétation a gouverné le droit des effets en
France des jugements de faillite jusque récemment encore, en dépit des cri-
tiques dont elle a été l’objet (v. G. Holleaux, « Remarques… », Trav. com. fr.
dr. int. pr., préc., spéc. p. 190 et s.; N. Pimblis, La faillite dans les relations
internationales d’ordre privé, thèse Paris XI, 1992, p. 401 et s.; sur les solu-
tions actuelles, J.-P. Rémery, La faillite internationale, PUF, 1996, p. 52 et s.,
H. Synvet, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd., vo Faillite, nos 72 et s., F. Mélin, La fail-
lite internationale, LGDJ 2004, p. 73 et s.).
6 En revanche, le raisonnement en termes de preuve ne répondait pas aux pro-
blèmes que soulevaient les jugements relatifs à l’état et à la capacité des per-
sonnes. La menace d’une révision au fond qu’il laissait planer aurait rendu
trop précaires les situations juridiques qui se seraient constituées sur la base de
la décision étrangère sans exequatur. Pour qui envisage de se remarier, il n’est
pas encourageant de savoir que la liberté matrimoniale est à la merci d’un
réexamen en fait et en droit du jugement étranger de divorce qui l’a restituée.
Second mariage dans un cas, concubinage adultère, voire bigamie, dans l’autre,
la gravité même de l’alternative neutralise l’efficacité substantielle. Aussi bien,
sans se priver du service que peut rendre l’analyse du jugement étranger en un
titre probatoire (v. par ex. Paris, 23 janv. 1990, Caron, Rev. crit. 1991. 92, note
4 BULKLEY — CASS., 28 FÉVRIER 1860 35

Y. Lequette), la jurisprudence chercha-t-elle ailleurs le fondement de la recon-


naissance de plano.
L’arrêt de la Cour de Bruxelles avait trouvé le support de l’efficacité inter-
nationale de la décision étrangère dans « l’application des principes relatifs au
statut personnel », substituant le rattachement par la nationalité à la compé-
tence domiciliaire utilisée par la Cour de Douai. De même, l’arrêt Bulkley se
réfère « au principe, reconnu par l’article 3 du Code Napoléon, de la distinc-
tion des lois réelles et personnelles… [lesquelles] suivent les Français, même
résidant en pays étranger et suivent également en France l’étranger qui y
réside ». Cette utilisation de la règle de conflit bilatérale (v. Busqueta, arrêt
no 1, supra) requérait en pratique que fut établie la position du droit national
de l’intéressé sur la question examinée; cette position étant définie par un
jugement de divorce, il suffisait de produire celui-ci. Cette production n’appor-
tait pas seulement la preuve d’un état de droit, en l’occurrence de la liberté
matrimoniale recouvrée de la dame Bulkley ; placée sous l’autorité de l’arti-
cle 3 du Code civil ou des principes relatifs au statut personnel, elle prévenait
la remise en cause de cet état de droit en prescrivant au juge français de s’en
tenir à la position du droit étranger. Ainsi, par la grâce de la règle de conflit, le
jugement de divorce prononcé à La Haye entre époux hollandais accédait
immédiatement en France à l’autorité de la chose jugée (et à l’efficacité subs-
tantielle comme le représentait l’analyse de Merlin et de Foelix). Par ce che-
minement, l’arrêt Bulkley consomme le rétablissement, dans un nouvel avatar,
de la doctrine du juge naturel : la décision étrangère est reconnue de plano en
France pourvu qu’elle ait été prononcée dans les limites de la juridiction de
l’État dont elle émane, mais ces limites sont désormais tracées par le critère
de l’allégeance juridique, remplaçant le critère de l’allégeance politique.
7 Cette modification n’était pas sans importance. Elle refoulait formellement
la distinction, désormais anachronique en la matière, qui opposait le Français
et l’étranger et, surtout, elle donnait à la solution une vocation à la généralité
qui la réintégrait ouvertement dans la théorie statutiste et qui se réalisera à
diverses reprises par la suite. Certes, après l’arrêt de Wrède (infra, no 10), le
régime des jugements étrangers relatifs à l’état et à la capacité (ramenés en une
seule catégorie) s’éloigne en principe de cette doctrine pour se placer en paral-
lèle de celle de l’exequatur préalable (avec, puis sans révision) qu’il s’offre de
compléter et qu’il va influencer en profondeur. Cependant il se rencontrera
toujours des décisions de la Cour de cassation pour maintenir et cultiver la tra-
dition statutiste qui aujourd’hui peut paraître marginale, mais n’en reste pas
moins vivace (v. F. Delpech, Le rôle de la règle de conflit des lois dans l’effi-
cacité des décisions étrangères, thèse Paris I, 1999, nos 102 et s.). Il suffit de
citer ici les arrêts contemporains de la Chambre sociale en matière d’adoption
(19 avr. 1989, Mitelet, Rev. crit. 1990. 92, note Poisson-Drocourt; 11 juill.
1991, Equille, Bull. civ. V, no 367, p. 277 : « l’adoption d’un enfant de nationa-
lité étrangère par un jugement émanant des autorités judiciaires du pays d’ori-
gine est reconnue de plein droit sans exequatur préalable »; rapp. Paris, 19 sept.
1995, Rev. crit. 1996. 112, note H. Muir Watt; v. cep. E. Pataut, Principe de
souveraineté et conflits de juridictions 1999, no 636, p. 423) et aussi l’arrêt
36 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 4

Burguière de la Première chambre civile, énonçant de manière caractéristique


qu’« en vertu des principes du droit international privé relatifs au statut per-
sonnel, le gardien d’un enfant désigné par l’autorité compétente de l’État dont
le mineur est ressortissant, est investi de plein droit de cette qualité en France »
(Civ. 1re, 25 juin 1991, Clunet 1991. 975, note H. Gaudemet-Tallon, JCP 1992.
II. 21798, note H. Muir Watt, Defrénois 1991. 1255, note Massip, plaçant en
termes exprès, p. 1257, le motif ci-dessus sous l’invocation de la doctrine du
juge naturel; comp. supra, § 6, le motif de l’arrêt de la Cour de Bruxelles).
Au-delà du statut personnel, le même mode de raisonnement est pratiqué sur la
base d’autres règles de conflit, par exemple pour la reconnaissance des pou-
voirs de l’administrateur de succession que le rattachement par la loi du der-
nier domicile du défunt suffit à justifier (v. dans le sillage de l’arrêt Szlapka,
Crim., 4 juin 1941, DC 1942. J. 4, note M. Nast, S. 1944. 1. 133, note H. Batif-
fol, JCP 1942. II. 2017, note J. Maury, les arrêts Schapiro, Civ. 1re, 6 juin 1967,
Rev. crit. 1969. 75, note J. Deprez, Clunet 1967. 890, note J.-D. Bredin, et Soc.
Hermann, Civ., 3 nov. 1983, Rev. crit. 1984. 336, note M. Revillard, Clunet
1985. 115, note B. Ancel; Paris, 28 avr. 1998, Thelonious Monk, Gaz. Pal.
1998 2, Somm. 434, Rev. crit. 1999. 819; M. Goré, L’administration des suc-
cessions en droit international privé, thèse Paris II, éd. 1994, nos 242 et s.), ou
encore, en matière de nationalisations, avec le recours au rattachement par le
lieu de situation (v. Civ. 1re, 20 févr. 1979, SMC, infra, no 58, et on pourrait
évoquer à ce propos la reconnaissance des décisions non judiciaires Total Afri-
que, Civ. 1re, 1er juill. 1981, Rev. crit. 1982. 336, note P. Lagarde, Clunet
1982. 146, note P. Bourel; adde TGI Seine, 12 janv. 1966, Rev. crit. 1967. 120,
note Y. Loussouarn, admettant sans hésiter l’efficacité immédiate des oukases
du Tsar parce qu’émanés des autorités de l’État de la situation des biens que
ceux-ci concernaient; pour une formulation générale de la solution, fondée sur
la fonction de la règle de conflit : Cass. Italie, 15 juill. 1974, no 2126, Malin-
verno, Riv. dir. int. priv. proc. 1975. 113).
8 Cependant, la contribution de l’arrêt Bulkley au droit des effets des juge-
ments étrangers ne se limite pas à la légitimation de l’usage occasionnel de la
règle de conflit de lois aux fins de reconnaissance de plano de jugements dits
pour la plupart constitutifs. Atteinte par des voies aujourd’hui réputées peu
orthodoxes, cette solution de l’admission immédiate en France de l’efficacité
substantielle et de l’autorité de la chose jugée des décisions étrangères s’est
avec le temps et l’évolution de l’action en exequatur détachée de son fonde-
ment initial et jouit désormais auprès des auteurs et en droit positif du crédit le
plus solide, qui lui promet toujours de nouvelles conquêtes (v. infra, obs. sous
arrêt de Wrède, no 10 § 12).

II. L’effet atténué de l’ordre public

9 Quoiqu’il soit peu probable que la Cour de cassation ait eu pleine conscience
de faire jaillir l’étincelle, il est permis de considérer que l’arrêt Bulkley éclaire
les prémisses de la doctrine de l’effet atténué de l’ordre public, laquelle, mûrira
4 BULKLEY — CASS., 28 FÉVRIER 1860 37

longuement encore avant qu’« elle ne trouve son plein épanouissement dans
l’arrêt Rivière » (P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit internatio-
nal privé, no 11, p. 14 et Int. Encycl. Comp. Law, vo Public Policy, nos 46 et s.).
Cette doctrine commande, on le sait, une modération des exigences de
l’ordre public international lorsqu’il s’agit de laisser une situation constituée à
l’étranger produire effet en France (v. obs. sous Rivière, no 26 § 10). Précisons
l’hypothèse : une situation est créée à l’étranger par application d’une loi
étrangère en contravention des exigences de l’ordre public international fran-
çais. Ultérieurement on cherche à faire produire à cette situation, en France,
un effet qui n’est pas de lui-même contraire à ces exigences. En l’occurrence,
la création était le prononcé du divorce en Hollande et l’effet était la restitu-
tion de cette liberté matrimoniale que Mme Bulkley souhaitait exercer en
France. Il n’avait été question devant les juges du fond que de la conformité à
l’ordre public de la faculté de se remarier — étant hors de doute que le
divorce, quant à lui, heurtait l’ordre public depuis la loi d’abolition de 1816
et qu’il n’était plus permis « aux tribunaux d’ordonner ou de sanctionner
des divorces que les officiers ne pourraient plus prononcer ». Suivant ses
propres précédents (Paris, 30 août 1824, Mary Bryan, S. 1822-1824. 2.4,
DP 1825. 2. 67; 20 mai 1843, Jakowski, S. 1843. 2. 566, DP 1844. 2. 89 et
20 nov. 1848, Courvoisier, S. 1849. 2. 11, concl. Flaudin, DP 1848. 2. 259;
sur ces arrêts, F. Delpech, thèse préc., nos 77 et s.), la Cour de Paris avait
estimé que la loi de 1816, en supprimant le divorce supprimait aussi la pos-
sibilité de remariage après divorce; il convenait donc d’opposer cette loi aux
étrangers qui revendiquaient l’application de leur loi nationale contraire. Pour
censurer cette jurisprudence, la Cour de cassation se réfère par comparaison à
la liberté matrimoniale des époux français divorcés en France avant 1816 :
l’abolition ne leur a pas retiré cette liberté reconquise et elle ne peut
« empêcher un Français d’épouser une Française divorcée avant ladite loi »
(Aix, 6 août 1826, cité par Dupin dans ses conclusions devant la chambre des
requêtes, D. 1860. 1, p. 60).
Ainsi par interprétation de la loi d’abolition qui limiterait sa prohibition à
la cause sans atteindre l’effet, la Cour de cassation détermine les exigences de
l’ordre public français.
Ce recours à l’analogie révèle qu’un effet à déduire en France d’une situa-
tion qui n’aurait pu y être créée en raison de l’ordre public, n’est pas fatale-
ment lui-même contraire à cet ordre public. Et la reconnaissance de la liberté
matrimoniale recouvrée selon la loi hollandaise indique qu’il est loisible en
principe d’invoquer à une fin qui, en soi, ne heurte pas l’ordre public, une situa-
tion constituée à l’étranger qui au contraire n’aurait pu s’établir en France.
10 Cette dernière proposition revêt une importance capitale; elle exprime que
la Cour de cassation s’accommode d’une discordance entre la décision effecti-
vement rendue à l’étranger et celle qu’auraient rendue les tribunaux français.
Or cette discordance représente tout ce que rejette la doctrine de la révision au
fond, puisque celle-ci subordonne au contraire l’octroi de l’exequatur et la
reconnaissance de l’efficacité à la vérification de l’exacte concordance entre le
jugement prononcé à l’étranger et celui qu’aurait rendu le tribunal français s’il
38 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 4

avait été directement saisi du procès (v. infra, obs. sous Parker, no 2). Afin de
vérifier qu’il peut admettre en France les effets du divorce hollandais, le tribu-
nal de l’exequatur, réitérant pour son compte les opérations juridictionnelles
effectuées à l’étranger, sera invité par la règle de conflit à faire application de
la loi hollandaise à la demande de divorce; l’ordre public lui défendant de pro-
noncer une telle décision en France, il conclura qu’en l’état de ce désaccord, il
lui est impossible de reconnaître le jugement hollandais. Ayant ainsi ruiné la
cause, il ne peut accueillir l’effet. L’ordre public se manifeste dans toute sa
virulence, sans atténuation possible et, tandis que le Français régulièrement
divorcé sous l’empire de la loi française avant 1816 jouit pleinement de sa
liberté matrimoniale, l’étranger, régulièrement divorcé sous l’empire des lois
de son pays, en est privé. Pour éviter semblable discrimination, il n’était pas
déraisonnable de revenir à la conception statutiste et d’écarter la doctrine de
l’arrêt Parker.
11 En dépit de ses mérites, cette attitude de la Cour de cassation était perçue
comme dérogatoire et ce caractère, sans doute, explique la lenteur du progrès
de la théorie de l’effet atténué de l’ordre public. Consacrée pour le divorce
(v. reproduisant la motivation de l’arrêt Bulkley, Civ., 15 juill. 1878, S. 1878.
1. 320, Clunet 1878. 499, suivi par Amiens, 15 avr. 1880, Clunet 1880. 298,
sur lesquels F. Delpech, thèse préc., nos 93 et s.), elle sera étendue aux juge-
ments concernant la filiation (même avant l’arrêt de Wrède, bien qu’ils ne
fussent pas constitutifs) mais, très logiquement elle rencontre les plus gran-
des difficultés à s’imposer en matière d’effets des jugements subordonnés à
l’exequatur préalable (Chemins de fer portugais, Civ., 22 mars 1944, DC 1944.
145, note P. L.-P., S. 1945. 1. 77, rapp. Lerebours-Pigeonnière, note Niboyet),
c’est-à-dire là où, malgré la disparition du pouvoir de révision, la jurispru-
dence Parker conserve quelque influence.
5
COUR DE CASSATION
(Ch. req.)

16 janvier 1861

(DP 1861. 1. 193, S. 1861. 1. 305, note Massé)


Capacité. — Ignorance excusable de la loi étrangère.

Les engagements contractés par un étranger, mineur selon sa loi natio-


nale mais majeur selon la loi française, envers un marchand français n’en
sont pas moins valables si le Français a agi sans légèreté, sans imprudence
et avec bonne foi.

(Lizardi c/Chaize et autres)

Faits. — En 1853 et 1854, Lizardi, Mexicain âgé de plus de vingt-et-un ans mais
encore mineur d’après la loi mexicaine qui fixe la majorité à vingt-cinq ans, acheta à des
joailliers parisiens des bijoux en paiement desquels il souscrivit des billets et des lettres
de change pour des sommes importantes. En 1857, Lizardi, devenu majeur suivant la loi
de son pays, assigna ses cocontractants français devant le Tribunal de la Seine pour voir
déclarer nulles, en raison de son état de minorité, les obligations qu’il avait contractées
envers eux. Les défendeurs lui opposèrent : que Lizardi était majeur selon la loi fran-
çaise au moment où ils avaient traité avec lui; qu’ils avaient ignoré sa nationalité
étrangère; qu’ils avaient contracté de bonne foi et qu’en conséquence, les obligations
étant valables, Lizardi devait leur régler les sommes dont il restait débiteur.
La demande de Lizardi fut déclarée mal fondée par un jugement du Tribunal civil de
la Seine du 14 mars 1858 (DP 61. 1. 194), confirmé en appel par un arrêt de la Cour de
Paris du 18 juillet 1859 (DP 61. 1. 194). Un pourvoi fut formé.

ARRÊT
La Cour; — Attendu que si le statut personnel dont la loi civile française
assure les effets aux Français résidant en pays étranger, peut, par réciprocité,
être invoqué par les étrangers résidant en France, il convient d’apporter à
l’application du statut étranger des restrictions et des tempéraments sans les-
quels il y aurait danger incessant d’erreur ou de surprise au préjudice des
Français; — Que si, en principe, on doit connaître la capacité de celui avec qui
l’on contracte, cette règle ne peut être aussi strictement et aussi rigoureuse-
ment appliquée à l’égard des étrangers contractant en France ; — Qu’en effet,
la capacité civile peut être facilement vérifiée quand il s’agit de transactions
entre Français, mais qu’il en est autrement quand elles ont lieu en France entre
Français et étrangers ; — Que, dans ce cas, le Français ne peut être tenu de
connaître les lois des diverses nations et leurs dispositions concernant notam-
ment la minorité, la majorité et l’étendue des engagements qui peuvent être
40 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 5

pris par les étrangers dans la mesure de leur capacité civile; qu’il suffit alors,
pour la validité du contrat, que le Français ait traité sans légèreté, sans impru-
dence et avec bonne foi;
Attendu, en fait, qu’il n’est pas établi que les défendeurs éventuels aient
connu la qualité d’étranger du demandeur quand ils ont traité avec lui; qu’il
résulte des déclarations de l’arrêt attaqué qu’en lui faisant diverses ventes
d’objets mobiliers de leur commerce, ils ont agi avec une entière bonne foi; que
le prix de ces ventes, quoique assez élevé, n’était pourtant point hors de propor-
tion avec la fortune de Lizardi; que ces fournitures lui ont été faites en présence
de sa famille et sans aucune opposition de la part de celle-ci; que les objets ven-
dus ont même profité en partie au demandeur, et que rien n’a pu faire pressen-
tir aux défendeurs éventuels que Lizardi, quoique âgé alors de plus de 22 ans,
était cependant encore mineur d’après les lois de son pays; — Que ces faits cons-
tatés par l’arrêt expliquent suffisamment le maintien des engagements pris par
Lizardi vis-à-vis des défendeurs éventuels, et qu’aucune loi n’a été violée en le
décidant ainsi;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 16 janvier 1861. — Cour de cassation (Ch. req.). — MM. Nicias-Gaillard, prés.; Férey, rapp.; de Pey-
ramont, av. gén. — Me Groualle, av.

OBSERVATIONS
1 Il est rare qu’après plus d’un siècle d’analyses et de débats, on s’interroge
encore sur la signification exacte d’une décision. Tel est pourtant le cas de l’arrêt
Lizardi. Si le besoin qu’il veut satisfaire apparaît, en effet, clairement (I), les
moyens qu’il emploie pour y répondre font aujourd’hui encore problème (II).

I. Le besoin

2 Circonscrit à la capacité d’exercice, concentré sur l’accomplissement d’actes


patrimoniaux, le statut personnel relevait dans notre Ancien droit de la loi du
domicile; exprimant la communauté d’existence qui s’institue entre personnes
vivant en un même lieu, ce rattachement était en harmonie avec la nature des
questions que regroupait la catégorie (v. supra, arrêt Busqueta, no 1). L’inclu-
sion de l’état familial dans celle-ci, à la faveur de la laïcisation de notre droit,
s’accompagna d’un changement du rattachement. La nationalité fut substituée
au domicile sans d’ailleurs que les auteurs du Code Napoléon paraissent avoir
eu conscience de l’importance de leur innovation : ayant unifié le droit fran-
çais jadis diversifié d’une province à l’autre, il leur a sans doute paru naturel
d’appliquer celui-ci à tous les Français et à eux seuls (v. Batiffol et Lagarde,
t. II, no 380). Quoi qu’il en soit, parfaitement adapté à l’état familial, ce nou-
veau rattachement l’était moins à la capacité. Le besoin de permanence inhé-
rent au statut personnel ne se heurte pas, en effet, aux mêmes contraintes dans
l’un et l’autre cas.
La rareté et la gravité des actes qui constituent l’état familial (mariage,
divorce, établissement de la filiation…) permettent et justifient que l’on prenne
le temps de s’informer de la nationalité de l’intéressé. Ce ne sont pas là des
actes qui doivent s’effectuer rapidement. À l’inverse la capacité, en ce qu’elle
5 LIZARDI — CASS., 16 JANVIER 1861 41

intéresse les contrats patrimoniaux et spécialement les actes de la vie courante,


n’obéit pas aux mêmes impératifs : le temps y fait souvent défaut pour procé-
der à des investigations; en outre, plus encore que pour les actes précédents,
elle ne concerne pas seulement l’individu dont le statut est en question mais
également les tiers et plus particulièrement ceux avec lesquels il contractera.
Or en créant souvent un « statut d’exception » (Batiffol, « Principes de droit
international privé », Rec. cours La Haye 1959, t. II, p. 507) que les tiers ne
soupçonnent pas, l’application de la loi nationale risque de perturber les nom-
breuses opérations qui se traitent quotidiennement sur la foi d’une capacité
déterminée par le droit local. Se conformer aux prescriptions d’une loi natio-
nale qui peut connaître des cas d’incapacité ignorés de celui-ci c’est donc ris-
quer d’attenter aux intérêts et à la sécurité du commerce.
3 On est ainsi en présence d’une « véritable équation » dont la résolution
nécessite que l’on recherche un « point déquilibre » entre les divers intérêts en
présence (Niboyet, Traité, t. V, no 1531, p. 501-502).
Certains ont entrepris de le découvrir dans une analyse différente de la
capacité elle-même. Procédant de caractères inhérents à la personne, la capa-
cité est en même temps un élément constitutif de l’acte juridique. Dès lors
pourquoi ne pas la soumettre à la loi qui gouverne l’ensemble de celui-ci ? On
sait quelles furent, à cet égard, les hésitations de d’Argentré (v. infra, arrêt
Château de Chambord, no 14 § 3). Pour lui le statut n’est personnel que s’il
règle l’état universel de la personne, abstraction faite de toute question réelle.
De là, l’affirmation que la capacité du mineur d’aliéner ses immeubles se rat-
tachait au statut réel. (Pour une analyse complète de la théorie de d’Argentré
en rapport avec la capacité, v. Batiffol, La capacité civile des étrangers en
France, 1929, p. 27, no 38). C’était déjà, d’une certaine façon, reconnaître
l’attraction de la loi de l’acte juridique même pour les incapacités générales
(v. en ce sens, Capotorti, « La capacité en droit international privé », Rec. cours
La Haye 1963, t. III p. 206). Reçue avec faveur par la doctrine hollandaise, cette
analyse exerça par son entremise une influence certaine sur les pays de com-
mon law. Distinguant état et capacité, nombre de décisions, notamment améri-
caines, soumettent la seconde à la loi de l’acte juridique (Glenn, La capacité de
la personne en droit international privé français et anglais, 1975, p. 145 et s.).
On objecte en général à cette solution qu’elle ne répond que très imparfaite-
ment au problème posé. Elle méconnaît, en effet, « le lien inéluctable de la
capacité et du statut personnel » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 492) sans pour
autant satisfaire les intérêts des tiers puisque l’effet de surprise n’est pas
exclu; la loi applicable au contrat ne sera pas nécessairement la loi du lieu où
il a été conclu.
D’autres, tout en maintenant la capacité dans le statut personnel, tentent de
concilier les intérêts en présence en reconnaissant une compétence concur-
rente à la loi locale. Tel est le cas de nombreuses dispositions étrangères qui
prévoient que doit être réputée capable la personne incapable selon sa loi
nationale mais capable selon la loi du lieu où l’acte a été accompli (v. not.
art. 9, C. civ. grec; art. 8, al. 2 loi turque sur le droit international privé Rev.
crit. 1983. 141, reprenant les solutions de l’article 7b de l’ancienne loi suisse
42 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 5

sur les rapports de droit civil (LRDC); art. 14, al. 2 loi yougoslave sur le droit
international privé, Rev. crit. 1983. 353; art. 2 Convention de Genève des 7 juin
1930 et 19 mars 1931 sur les conflits de lois en matière de lettre de change et
de chèque; v. aussi J. Guinand, Les conflits de lois en matière de capacité, 1970,
p. 55, no 73). Préservant parfaitement les intérêts du commerce local, cette
solution n’est guère favorable à la protection de l’incapable puisque celui-ci
sera tenu par ses engagements dès lors que la loi locale les valide. Le système
assure la permanence de leur statut aux personnes capables mais non à celles
qui ne le sont pas.
Aussi bien n’est-ce pas la voie suivie par la jurisprudence française. Réaf-
firmant très tôt (Cass. réunies, 27 févr. 1817, dame de Crotat, S. chr.; v. infra,
arrêt Patiño, no 38-39 § 12) et avec éclat la compétence de principe de la loi
personnelle puisqu’elle l’étend même aux incapacités naturelles (v. infra, arrêt
Silvia, no 29), elle l’assortit d’exceptions qui, en contraignant le juge à s’inter-
roger sur les circonstances concrètes de la cause, permettent, au prix il est
vrai de quelque incertitude, d’atteindre un meilleur équilibre des intérêts en
présence.

II. Le moyen

4 Quelle est la valeur de l’engagement souscrit en France par un étranger


incapable selon sa loi personnelle mais capable selon la loi française ?
Connue de nos anciens auteurs (v. Delaume, Les conflits de lois à la veille
du Code civil, p. 217), la question avait déjà été abondamment débattue par la
doctrine française lorsque la Cour de cassation eut à y répondre. Pour les uns,
la loi personnelle de l’incapable devait prévaloir sauf manœuvres frauduleuses
de celui-ci (v. par ex. Foelix, Droit international privé, no 88; Demangeat,
Histoire de la condition civile des étrangers, p. 320). Pour les autres, préfé-
rence devait être donnée à la loi locale (v. par ex., Valette, Des personnes, t. I,
p. 85 et s.). Seul Demolombe avait, semble-t-il, tenté de dépasser cette opposi-
tion en élaborant une théorie destinée à concilier « les principes avec tous les
intérêts que, dans ces sortes de question, il est nécessaire de protéger » (Cours
de Code Napoléon, vol. I, no 102). Après avoir réaffirmé « la règle que les lois
personnelles suivent les étrangers dans notre pays », il l’assortissait d’une
exception lorsque son application « devait compromettre un intérêt français
même privé ». À cet effet, il admettait que le contractant français soit « admis
à prouver que sa bonne foi a été trompée (…) qu’il n’a pas agi avec légèreté
et imprudence », l’appréciation en étant selon lui, conduite plus ou moins
sévèrement, selon que le contrat était plus ou moins important.
Sans doute les magistrats de la Cour de cassation avaient-ils lu Demolombe
lorsqu’ils rendirent leur décision dans l’affaire Lizardi. L’influence est, en
effet, manifeste : même rappel du principe et de son tempérament fondé sur le
souci d’éviter un « préjudice » au « Français », mêmes références à la « bonne
foi » de celui-ci, à l’absence de « légèreté » et d’« imprudence ». Néanmoins
concurremment la Cour de cassation relevait toute une série de circonstances
5 LIZARDI — CASS., 16 JANVIER 1861 43

sans préciser celle qui lui apparaissait déterminante : ignorance de la nationa-


lité étrangère du cocontractant, fait que le Français ne peut être tenu de connaî-
tre les lois des diverses nations, profit que l’incapable avait retiré de l’opéra-
tion. De là, la difficulté de définir, aujourd’hui encore, la signification exacte
de la décision. Privilégiant tour à tour tel ou tel de ses aspects, les auteurs en
ont exploré les multiples facettes sans parvenir, semble-t-il, à un véritable
accord. Délaissant volontairement les explications anciennes qui ne rendent que
très imparfaitement compte de la solution (exception d’ordre public, applica-
tion de la loi locale en tant que lex loci delicti ou loi de l’enrichissement; sur
leur réfutation v. M.-N. Jobard-Bachellier, L’apparence en droit international
privé, thése, Paris I, éd. 1984, p. 120 et s.), on mettra ici l’accent exclusive-
ment sur les analyses qui ont les faveurs de la doctrine contemporaine.
5 Insistant sur ce qui fait l’originalité de la jurisprudence française par rapport
aux solutions étrangères précédemment évoquées, la plupart des auteurs
modernes privilégient dans leur analyse, la référence à la bonne foi (sur celle-
ci, v. B. Ancel, « Le principe de bonne foi en droit international privé », Mélan-
ges Gonzalez Campos, 2005, p. 1217). Ainsi MM. Batiffol et Lagarde insistent
sur ce que l’explication véritable de l’arrêt réside dans ce motif : « Le Français
ne peut être tenu de connaître les lois des diverses nations » (comp. Seine,
12 juin 1963, Prince Farouk, Rev. crit. 1964. 689, note H. B., Clunet 1964. 285,
note Ponsard). En d’autres termes, le Français est excusable d’ignorer la loi
étrangère car l’adage « nemo censetur ignorare jus » ne vaudrait sur le terri-
toire national que pour la loi locale (t. II, no 491; v. déjà, Batiffol, La capacité
civile des étrangers en France, p. 233 et s.). La critique est double. En premier
lieu, l’argument prouve trop. Si tel est bien le fondement de la jurisprudence
Lizardi pourquoi la cantonner à la capacité ? Ne devrait-on pas l’admettre tou-
tes les fois qu’une partie invoque son ignorance excusable du droit étranger ?
Le caractère dévastateur d’une telle proposition suffit à faire douter du bien-
fondé de son point de départ. Aussi bien a-t-on pu soutenir qu’il fallait distin-
guer la maxime « jura novit curia » qui, destinée au juge, ne couvre pas le
droit étranger, de la maxime « nemo censetur ignorare jus » qui, destinée aux
parties, engloberait lorsque la relation est internationale, le droit étranger dési-
gné par la règle de conflit du for (C. David, La loi étrangère devant le juge du
fond, 1965, nos 98 et 99). En second lieu, l’argument ne prouve pas assez.
Comme on l’a justement souligné, l’ignorance de l’incapacité du cocontractant
sera parfois le produit d’une erreur qui aura pour objet non le contenu du droit
étranger mais son applicabilité : le commerçant n’a pas cru que le droit étran-
ger retenait un âge de la majorité différent de celui qu’il consacre réellement, il
a cru qu’il pouvait faire référence à la loi locale alors que la règle de conflit
désignait la loi nationale (M.-N. Jobard-Bachellier, op. cit., nos 194 et s.). L’erreur
portant alors sur la règle de conflit française elle-même, on ne saurait justifier
la solution par la mise à l’écart de l’adage « nemo censetur… » non plus
d’ailleurs que par le fait que la jurisprudence Bisbal (infra, no 32) mettait
ces règles, au moins dans une certaine mesure, à la disposition des intéres-
sés, puisque, en l’espèce, ceux-ci s’opposent sur la détermination de la loi
applicable.
44 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 5

6 Mettant précisément l’accent sur ce que l’erreur aurait pour objet la règle de
conflit elle-même, un auteur a récemment proposé une analyse renouvelée
de l’arrêt Lizardi (M.-N. Jobard-Bachellier, op. cit., nos 204 et s.; rappr. C. Gri-
maldi, Quasi-engagement et engagement en droit privé, thèse Paris II, 2005,
p. 196, no 310-2) : la jurisprudence Lizardi serait une application de la théorie
de l’apparence. Une réalité objective, l’incapacité procédant de l’application
de la loi nationale désignée par la règle de conflit du for, se dissimulerait der-
rière l’apparente capacité résultant de l’application de la loi du lieu de conclu-
sion de l’acte. La seconde l’emporterait sur la première lorsque le cocontrac-
tant aurait commis une erreur légitime quant à la loi applicable. Tel serait le
cas lorsque, entre autres conditions, le rattachement employé présenterait un
caractère relatif c’est-à-dire lorsqu’il existerait une « incertitude » sur sa « valeur
pratique ». Ainsi en irait-il notamment de la nationalité en matière de capacité
ou de pouvoirs (sur les droits réels, v. infra, arrêt DIAC, no 48 § 7).
Là encore, l’explication encourt une double critique. D’une part, elle repose
sur une approche trop étroite du phénomène. La méconnaissance de l’incapa-
cité ou du défaut de pouvoir édicté par la loi nationale peut, en effet, avoir de
multiples sources : erreur sur le contenu de la règle de conflit elle-même, mais
aussi, en amont, ignorance du caractère international de la situation, et en
aval, ignorance du contenu du droit étranger. Peu importe au regard de la
jurisprudence, l’origine de l’erreur. Seule compte la bonne foi du cocontrac-
tant. D’autre part, bien qu’elle confère à la règle Lizardi son originalité, la
bonne foi n’est pas, nous semble-t-il, le véritable fondement de celle-ci mais
simplement une condition parmi d’autres à son application.
7 Pourquoi, en effet, ce tempérament ? Par souci de protéger le cocontractant
français ? L’explication est aujourd’hui unanimement rejetée : décréter que
l’intérêt d’un Français est, par principe, préférable à celui d’un étranger c’est
nier la notion-même de droit international privé. Au reste, la jurisprudence n’a
pas hésité à étendre le bénéfice du tempérament à des étrangers (Paris, 15 oct.
1834, S. 34. 2. 657). Par souci de protéger les cocontractants de l’incapable
considérés en eux-mêmes ? Non plus; leur intérêt n’est pas, en soi, plus res-
pectable que celui de l’incapable. En réalité, la solution s’explique par la
volonté de protéger le commerce (en ce sens P. Mayer et V. Heuzé, no 525;
P. Mayer, Rev. crit. 1985. 599) : en évitant les surprises, elle favorise le déve-
loppement des échanges et, comme le notait déjà Demolombe (op. et loc. cit.),
loin d’être nuisible aux étrangers elle leur « donne du crédit pour toutes les
choses nécessaires à leur existence en France ». Simplement, cette protection
ne vaut, à l’image de celle établie par l’article 2279 du Code civil, que pour le
« commerce loyal » (Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens,
no 1631; v. aussi, art. 220, al. 2 et 222, C. civ.). Il ne serait pas admissible que
la protection de l’incapable fût sacrifiée à la sécurité des transactions alors que
le cocontractant connaissait ou aurait dû connaître son incapacité. Protecteur
du bon commerce et exclusivement de celui-ci, le juge ne peut fermer les yeux
sur les circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu. Il recherchera
donc si le cocontractant était ou non de bonne foi en tenant compte de l’impor-
tance de l’opération : plus l’acte est grave, moins la bonne foi est probable; sa
5 LIZARDI — CASS., 16 JANVIER 1861 45

conclusion s’accompagne alors normalement de tractations qui laissent le temps


de conduire les investigations nécessaires. La différence est sensible avec le
système retenu, autrefois par le droit suisse ou le droit italien, aujourd’hui
encore par le droit turc. Tout en donnant compétence à la loi locale, ces droits
excluent l’application de celle-ci aux « actes rentrant dans le droit de la famille
et des successions », ainsi qu’aux « actes de disposition sur un immeuble situé
à l’étranger » (art. 7b, al. 2, LRDC; art. 17, al. 2, anc. Disp. prél. C. civ. italien;
art. 8 loi turque : v. Guinand, op. cit., nos 85 et s.). La « moralisation » du tem-
pérament s’effectue alors au moyen de critères objectifs. Désireux d’atteindre
un point d’équilibre plus juste entre la protection du commerce et celle de
l’incapable, le droit international privé français y introduit des considérations
psychologiques propres à chaque espèce. La parenté avec l’article 2279 du
Code civil est évidente. De même que ce texte, règle de protection du com-
merce mobilier par excellence, ne profite qu’aux personnes de bonne foi, de
même la jurisprudence Lizardi ne bénéficie qu’au cocontractant de bonne foi
(comp. Niboyet, Traité, t. V, no 1538, p. 527).
8 Méthodologiquement les deux situations doivent cependant être distinguées.
Alors que l’article 2279 du Code civil est d’abord une règle de droit interne, la
jurisprudence Lizardi ne vise que les relations internationales. Partant, elle doit
nécessairement revêtir l’aspect d’une règle matérielle de droit international.
Reste à définir l’ampleur des situations qu’elle embrasse. Est-elle destinée à
protéger le seul marché national ou le commerce en général ? La première ana-
lyse a été proposée par M. Francescakis. Selon lui, la jurisprudence Lizardi
« prend l’allure d’une règle de police ou d’application immédiate fondée sur la
défense non de l’intérêt personnel mais de l’organisation du marché français »
(Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Capacité, no 17). Cette proposition a été vive-
ment critiquée au motif qu’il serait contraire à l’idée que l’on se fait des lois de
police d’une part de « subordonner l’application de la règle d’application
immédiate du for au résultat auquel conduit la règle de conflit ordinaire de ce
for », d’autre part « d’introduire la notion de bonne foi dans les conditions de
la règle de police » (M.-N. Jobard-Bachellier, op. cit., no 186). C’est mécon-
naître, d’abord, qu’une règle de police peut parfaitement intégrer dans son pré-
supposé la prise en considération des solutions posées par tel ou tel droit étran-
ger (v. par ex. art. 2 loi du 14 juill. 1819 sur le droit de prélèvement). C’est
oublier, ensuite, qu’il est des règles qui se réfèrent à la bonne foi et dont pour-
tant beaucoup admettent qu’elles peuvent être de police; tel est précisément le
cas de l’article 2279 du Code civil (v. aussi les art. 220, al. 2 et 222, C. civ.;
comp. F. Soirat, Les règles de rattachement à caractère substantiel, thèse
Paris I, 1995, no702, p. 355). Quant au reproche de nationalisme qui est parfois
adressé à cette analyse, il peut être aisément surmonté si l’on veut bien consi-
dérer que rien n’empêche le juge français de tenir compte des lois de police
étrangères analogues (P. Mayer et V. Heuzé, no 525 et infra, arrêt Cie interna-
tionale des wagons-lits, no 53 § 15). Plus profondément, on pourrait objecter à
cette analyse que la méthode des lois de police et celle des règles matérielles
ne sauraient être associées car elles poursuivent des objectifs différents : orga-
nisation de la société étatique pour la première, promotion des relations com-
46 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 5

merciales internationales pour la seconde (v. en ce sens, observations sous l’arrêt


Galakis, infra, no 44 § 11). Mais précisément, comprise comme une disposi-
tion protectrice du marché français, la solution Lizardi, tout en étant propre
aux rapports privés internationaux, ne participe pas de cette réglementation qui
tente de répondre aux besoins d’un commerce extérieur aux milieux nationaux
que les lois étatiques s’efforcent d’organiser (rappr. arrêt Cie internationale des
wagons-lits, infra, no 53 § 11).
L’opinion dominante préfère néanmoins, semble-t-il, voir dans la jurispru-
dence Lizardi une règle dont la portée n’est pas limitée à la seule protection
du commerce local. Cette analyse qui conduit à bilatéraliser l’exception a été
notamment consacrée par l’article 2291 de l’avant-projet de 1967 complétant
le Code civil en matière de droit international privé (Rev. crit. 1970. 842) ainsi
que par l’article 11 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 (Rev. crit. 1980.
879) qui dispose : « Dans un contrat conclu entre personnes se trouvant dans
un même pays, une personne physique qui serait capable selon la loi de ce
pays ne peut invoquer son incapacité résultant d’une autre loi que si, au
moment de la conclusion du contrat, le cocontractant a connu cette incapacité
ou ne l’a ignorée qu’en raison d’une imprudence de sa part. » (v. aussi art. 12
EGBGB, loi allemande du 25 juill. 1986 réformant le droit international
privé, Rev. crit. 1987. 174 ; art. 23-2 loi italienne du 31 mai 1995, réformant
le droit international privé, Rev. crit. 1996. 178).
9 Les décisions faisant application de la jurisprudence Lizardi sont rares. Cela
tient, tout d’abord, à ce que cette jurisprudence a pour domaine naturel les
contrats de la vie courante. Dès lors que l’opération projetée revêt une certaine
importance, ce serait faire preuve de légèreté ou d’imprudence que de négliger
de s’informer sur la capacité d’un cocontractant étranger. Dans la plupart des
espèces où la règle a reçu application, on était en présence de femmes mariées
qui avaient procédé à des achats auprès de couturiers ou de bijoutiers, sans
l’autorisation de leur mari requise par la loi étrangère applicable (Ponsard,
Clunet 1964. 287; Batiffol, Rev. crit.1964. 692). Cela vient, ensuite, de ce que
la règle est écartée lorsque le tiers, qui contracte avec le dirigeant d’une société
étrangère, se prétend surpris par l’application de la lex societatis qui définit
les pouvoirs des dirigeants sociaux (Com., 21 déc. 1987, Soc. Viuda de José
Tolra, Rev. crit. 1989. 349, note M.-N. Jobard-Bachellier, D. 1989. 112, note
Brill, JCP 1988. II. 21113, concl. Montanier, Rev. droit des sociétés 1998. 398,
note H. Synvet, Grands arrêts jurisp. civile, 11e éd., no 278; 8 mai 1988, Rev.
crit. 1988. 371; rappr. Civ. 1re, 8 déc. 1998, Soc. Général accident, Rev. crit.
1999. 284, note M. Menjucq). Selon les tenants de l’analyse économique du
droit, l’excuse d’ignorance légitime n’a plus cours ici car la recherche d’infor-
mation est jugée stimulante pour l’activité économique (H. Muir Watt, « Laws
and Economics : quel apport pour le droit international privé ? », Mélanges
Ghestin, 2001, p. 685 et s., spéc. p. 694, no 8; Menjucq, Rev. crit. 1999. 289).
6
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)

18 mars 1878

(S. 1878. 1. 193, note Labbé,


D. 1878. 1. 201, concl. Charrins, Clunet 1878. 505)
Fraude à la loi.

Il y a fraude à la loi en droit international privé lorsque les parties ont


volontairement modifié le rapport de droit dans le seul but de le soustraire
à la loi normalement compétente.

(Princesse de Bauffremont c/Prince de Bauffremont)

Faits. — Le 1er août 1874, la Cour de Paris prononce la séparation de corps entre le
prince de Bauffremont, citoyen français, et son épouse, belge d’origine, devenue française
par le mariage. À cette époque, la loi française applicable en l’espèce n’admet pas le
divorce; cette prohibition ne convient pas à la princesse. Profitant de ce que la séparation
de corps lui restitue la liberté de choisir seule un domicile séparé, elle se transporte tem-
porairement dans le duché de Saxe-Altenbourg dont elle obtient la nationalité le 3 mai
1875. Désormais sujette de cet État allemand, elle recouvre sa liberté matrimoniale grâce
à sa nouvelle loi nationale qui considère comme divorcés les catholiques séparés de corps.
La princesse peut épouser celui pour lequel elle a entrepris le voyage en Allemagne; le
24 octobre 1875, à Berlin, elle convole avec le prince Bibesco, sujet roumain.
Le procédé déplaît au prince de Bauffremont, quant à lui toujours Français et tou-
jours marié avec celle qui désormais se dit l’épouse d’un autre. Il engage une procédure
pour clarifier sa situation, demandant au Tribunal de la Seine l’annulation, d’une part, de
la naturalisation obtenue sans son autorisation, d’autre part, du second mariage contracté
pendant l’existence du premier au mépris de l’interdiction de la loi française (sur le
développement de cette affaire en Belgique, v. L. Renault, Clunet 1880. 178; F. Laurent,
Droit civil international, t. 2 nos 296 et s., t. 3, no 162, no 164, no 302, t. 5, nos 172 et s.,
nos 176 et s.).
Un jugement du 10 mars 1876 lui donne satisfaction. En un premier motif, il est
déclaré que « la princesse de Bauffremont n’a pu valablement acquérir à défaut de
l’autorisation de son mari, la nationalité de l’État de Saxe Altenbourg et… elle était
encore française lors du mariage contracté par elle, le 24 octobre 1875 ». Un second
motif observe, sur le mode conditionnel, qu’aurait-il reçu l’agrément du mari, le chan-
gement d’état recherché par la femme n’aurait pas résulté de « l’exercice légitime d’une
faculté conférée par la loi… [mais] n’en serait que l’abus… [et] qu’il appartiendrait tou-
jours à la justice de repousser des entreprises également contraires aux bonnes mœurs et
à la loi ».
48 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 6

Sur appel de la princesse, la Cour de Paris constate que le débat a pour objet, non la
validité de la naturalisation étrangère, sur quoi elle se juge sans compétence, mais « les
effets légaux au regard de la loi française » que cette naturalisation pourrait produire.
Par arrêt du 17 juillet 1876, elle juge que, sans autorisation du mari, l’acquisition volon-
taire de la nationalité étrangère était impropre à libérer la princesse de l’allégeance fran-
çaise et donc des contraintes de la loi française; elle ajoute que même si les époux en
avaient été d’accord, ils n’auraient pas eu le pouvoir d’éluder, par un changement de
nationalité, « les dispositions d’ordre public de la loi française qui les régit ». Ainsi, la
Cour d’appel donne-t-elle à son tour deux motifs pour déclarer l’acte de naturalisation
« inopposable au mari » et confirmer le jugement maintenant l’épouse dans les liens de
sa première union (v. D. de Folleville, De la naturalisation en pays étranger des femmes
séparées de corps en France et de l’incompétence des tribunaux en cette matière, 1876).
La princesse se pourvoit en cassation. Elle propose deux moyens. Tel que l’entend la
Cour de cassation, le premier n’intéresse pas le droit international privé. Ce n’est pas le
cas du second qui reproche à la cour d’appel de n’avoir pas su apprécier la régularité ni
l’efficacité du changement de nationalité.
Pourvoi en cassation par la princesse de Bauffremont. — 1er moyen. Violation des
art. 215 et 217, C. civ., en ce que la Cour, dans l’arrêt attaqué, a admis la princesse de
Bauffremont, mariée en Allemagne au prince de Bibesco, à ester en justice en appel
pour soutenir la validité de son second mariage sans autorisation maritale ou de justice.
2e moyen. Violation des art. 3 § 3, 17, 108, C. civ.; fausse application des art. 215
et 217, C. civ.; violation de l’art. 1124 § 3, du même code; violation de l’art. 227, C. civ.,
et de la loi du 8 mai 1816, en ce que la Cour a refusé d’apprécier la naturalisation
d’après la loi du pays où elle a été obtenue, et refusé ensuite d’apprécier la capacité pour
la femme de convoler en secondes noces d’après la loi sous l’empire de laquelle elle
était placée par sa naturalisation.

ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que, si la femme mariée ne
peut ester en jugement, à aucun degré de juridiction, sans l’autorisation de son
mari, il n’est pas exigé par la loi que cette autorisation soit expresse; qu’elle
peut, lorsque le litige est engagé entre deux époux plaidant l’un contre l’autre,
être tacite et résulter notamment de ce que le mari, ayant provoqué le débat, y
a appelé sa femme; qu’en l’actionnant, le mari l’autorise à défendre sa cause
contradictoirement avec lui; que, dans l’espèce, le défendeur (au pourvoi) a
introduit devant le tribunal civil de la Seine, contre la demanderesse, sa femme,
une action en nullité, tant du mariage contracté par celle-ci, le 14 octobre 1875,
à Berlin, avec le prince Bibesco, que de l’acte de naturalisation passé à Alten-
bourg le 3 mai précédent; qu’intimé plus tard sur l’appel interjeté par la deman-
deresse du jugement intervenu, il a accepté le débat, et, loin d’élever aucune
exception, il a, par des conclusions formelles, contesté les prétentions dans les-
quelles la demanderesse avait succombé en première instance, et demandé aux
juges d’appel l’invalidation des actes dont l’annulation avait été l’objet même
de sa demande originaire; qu’il a par là tacitement maintenu et confirmé, au
second degré de juridiction, l’autorisation tacite qui, au premier degré, résultait
de ce qu’il avait actionné sa femme; qu’ainsi, il a été satisfait aux exigences des
articles 215 et 218 du Code civil tant en appel qu’en première instance; — D’où
il suit que le premier moyen manque en fait;
Sur le second moyen, pris dans ses deux branches : — Attendu que la deman-
deresse, Belge d’origine, est devenue française par son mariage avec le prince
de Bauffremont, sujet français; que, séparée de corps et de biens, aux termes
de l’arrêt du 1er août 1874, elle est néanmoins restée l’épouse du prince de Bauf-
fremont et française, la séparation ayant pour effet seulement de relâcher le
6 BAUFFREMONT — CASS.,18 MARS 1878 49

lien conjugal sans le dissoudre; qu’ainsi, elle était française et mariée en France,
lors du mariage par elle contracté à Berlin avec le prince Bibesco, à la suite de la
naturalisation par elle obtenue dans le duché de Saxe-Altenbourg; que l’arrêt
attaqué n’a pas eu à statuer et n’a pas statué sur la régularité et la valeur juridi-
que, en Allemagne et d’après la loi allemande, de ces actes, émanés de la seule
volonté de la demanderesse; que, se plaçant uniquement au point de vue de la
loi française, qui, en effet, domine le débat et s’impose aux parties, il a décidé
que, même eût-elle été autorisée par son mari, la demanderesse ne pouvait être
admise à invoquer la loi de l’État où elle aurait obtenu une nationalité nouvelle,
à la faveur de laquelle, transformant sa condition de femme séparée en celle de
femme divorcée, elle se soustrairait à la loi française, qui, seule, règle les effets
du mariage de ses nationaux, et en déclare le lien indestructible; qu’adoptant
les motifs des premiers juges, il a, en outre, constaté en fait que, d’ailleurs, la
demanderesse avait sollicité et obtenu cette nationalité nouvelle, non pas pour
exercer les droits et accomplir les devoirs qui en découlent, en établissant son
domicile dans l’État de Saxe-Altenbourg, mais dans le seul but d’échapper aux
prohibitions de la loi française en contractant un second mariage, et d’aliéner sa
nouvelle nationalité aussitôt qu’elle l’aurait acquise; qu’en décidant, dans ces
circonstances, que des actes ainsi faits en fraude de la loi française et au mépris
d’engagements antérieurement contractés en France n’étaient pas opposables
au prince de Bauffremont, l’arrêt attaqué a statué conformément au principe
de la loi française sur l’indissolubilité du mariage, et n’a violé aucune des dispo-
sitions de la loi invoquées par le pourvoi;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 18 mars 1878. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Mercier, prem. prés.; Charrins, prem. av. gén.
— MMes Chambareaud et Sabatier, av.

OBSERVATIONS
1 Prononcé la même année que l’arrêt Forgo (v. infra, no 7-8) qui devait intro-
duire la théorie du renvoi dans le droit international privé français, l’arrêt Prin-
cesse de Bauffremont est la décision fondatrice, en ce domaine, de la théorie de
la fraude à la loi. De là, il prend un éclat d’autant plus remarquable qu’à la
vérité le rejet du pourvoi en l’espèce n’en exigeait sans doute pas tant. Dès
lors, en effet, que la Cour de cassation déduisait du droit français de la nationa-
lité que la Princesse de Bauffremont avait conservé la nationalité française,
son maintien sous l’autorité des lois françaises était assuré, et il n’était pas
nécessaire, pour dénoncer l’irrégularité au regard de l’article 147 du Code civil
du mariage célébré à Berlin, de recourir à la théorie de la fraude à la loi (Audit,
La fraude à la loi, nos 199 et s., p. 149).
Bien que l’abondante controverse doctrinale qui accompagna la procédure
ait essentiellement tourné sur la question de la nationalité (v. entre autres au
Clunet, J.-E. Labbé, 1875. 407 et 1877. 5; F. v. Holtzendorff, 1876. 5; A. Stölzer,
1876. 260; E. Lehr, 1877. 14 et J.-K. Bluntschli, Rev. prat. dr. fr. 1876. 305;
L. Reverchon, Rev. crit. lég. jur. 1877. 65; Folleville, op. cit.), on a assez vite
oublié que cet arrêt innovait aussi en ce domaine. La Cour de Paris avait jugé
que si la séparation de corps permet d’après la loi française à chaque époux
de choisir librement un domicile séparé, « là où il lui plaît, même en pays
étranger », elle ne donne pas à la femme licence d’acquérir une nationalité
50 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 6

étrangère sans l’autorisation de son mari (Paris, 17 juill. 1876, préc.; v. sur ce
point Niboyet, Traité t. 1, no 319, p. 402). Entérinée par la Cour de cassation,
devant laquelle elle n’était pas directement critiquée, cette solution fonde en
la cause l’inefficacité en France de l’acte de naturalisation étrangère et cette
inefficacité paralyse le jeu de l’ancien article 17 du Code civil qui enlevait de
plein droit la nationalité française à la femme acquérant volontairement une
nationalité étrangère (1). Comme celui du démariage, le droit de la nationalité
française a connu de profonds bouleversements depuis 1878 (v. sur l’effet au
regard de la nationalité française de l’acquisition volontaire d’une nationalité
étrangère l’article 87, C. nat.; comp. art. 23, C. civ.) et, sur ce point, le rayon-
nement de l’arrêt Princesse de Bauffremont, s’est considérablement affaibli.
En revanche il conserve aujourd’hui tout son prestige et toute son autorité
sur le problème de la fraude à la loi, bien que, comme le révèle la lecture des
décisions des juges du fond, celui-ci n’y fût traité qu’à titre accessoire afin de
conforter des conclusions atteintes par une autre voie, celle de la nationalité.
Avec le temps le subsidiaire a supplanté le principal.
La Cour de cassation assume l’entière responsabilité du phénomène. C’est
de façon délibérée qu’elle emboîte le pas à la cour d’appel et se prononce sur
une question que la résolution du problème du maintien de la nationalité fran-
çaise de la princesse avait vidée de son utilité. Cette manière d’approuver un
motif surabondant tout en lui donnant une formulation plus cohérente, traduit
à l’évidence l’intention de préciser la teneur de la notion de fraude à la loi et
se fût-il exprimé sur ce sujet en des termes généraux et abstraits, l’arrêt de
Bauffremont se serait donné jusqu’à la forme d’un arrêt de règlement. Mais la
Cour de cassation a eu la prudence de sa hardiesse et elle a pris garde de ne
pas détacher la notion qu’elle fixe des circonstances de l’affaire.
Cette adhérence aux faits se remarque aussi en ce qui concerne la sanction
de la fraude : les actes faits en fraude de la loi française sont inopposables au
mari. La formule est trop brève et c’est pourquoi on s’efforcera de présenter
dans toute son ampleur la réaction qu’appelle la fraude à la loi (II) après avoir
étudié la notion elle-même (I).

I. La notion de fraude à la loi

2 Cette notion assemble trois composantes. L’arrêt relève qu’il y eut « obten-
tion d’une nationalité étrangère » — là était le moyen de la fraude, l’élément
matériel; d’une part, ce moyen rendait inapplicables les « prohibitions de la loi
française » — qui était la victime de la fraude et formait son élément légal —
et, d’autre part, il était mis en œuvre « dans le seul but » d’échapper à ces pro-
hibitions — voici l’élément moral, celui qui condamne la manœuvre. À plus
d’un siècle de distance, définissant la fraude à la loi, la Cour de cassation réu-

(1) Abrogé par la loi du 10 août 1927, l’ancien article 17, C. civ. énonçait notamment que « la
qualité de Français se perdra, 1° par la naturalisation acquise en pays étranger… »; depuis la loi du
22 juillet 1995, ce cas de perte de la nationalité française est traité aux articles 23 et s., C. civ., tan-
dis que l’article 17 introduit aux dispositions du droit de la nationalité.
6 BAUFFREMONT — CASS.,18 MARS 1878 51

nira de nouveau ces trois éléments dans une formule plus abstraite : il y a
fraude à la loi en droit international privé notamment lorsque « les parties ont
volontairement modifié un rapport de droit dans le seul but de le soustraire à
la loi normalement compétente » (Civ. 1re, 17 mai 1983, Soc. Lafarge, Rev.
crit. 1985. 346, note B. Ancel).

A. — L’élément matériel de la fraude

3 Il s’accomplit dans le glissement délibéré de la situation du fraudeur de


l’empire d’une loi à celui d’une autre loi. Divers moyens, plus ou moins élabo-
rés, procurent ce résultat, mais ce qui confère sa spécificité à la fraude à la loi
est que ceux qu’elle utilise sont en eux-mêmes tout à fait licites.
Relativement simple est celui employé par la princesse de Bauffremont
(v. aussi, Req. 16 déc. 1845, Desprades, DP 1846. 1. 7, S. 1846. 1. 100; Paris,
30 juin 1877, Vidal, D. 1878. 2.6, Clunet 1878. 268). La substitution d’une loi
à une autre résulte du déplacement de l’élément de la situation que la règle de
conflit érige en facteur de rattachement. Le statut personnel et spécialement
le divorce étant alors soumis à la loi nationale, la princesse change de nationa-
lité : son statut personnel et le problème de son divorce obéissent désormais à
une autre loi nationale.
Cette pratique de la fraude est possible avec toutes les règles de conflit dont
le facteur de rattachement dépend pour partie au moins, de la volonté du sujet.
Relève ainsi de ce type de fraude celle que laissait craindre sous l’Ancien droit,
le changement de domicile — lorsque celui-ci, dans le conflit de coutumes,
déterminait la loi personnelle (v. par ex., pour la fraude au sénatus consulte
vélléien, B. Lemarignier, La conférence des avocats et les conflits de statuts
concernant les effets du mariage au début du XVIIIe siècle, 1961, p. 34) — ou
encore celle qu’aujourd’hui pourrait envisager le créancier-gagiste qui, pres-
sentant l’insolvabilité de son débiteur et désireux de s’approprier le meuble
engagé, transporterait celui-ci dans un pays dont la loi prévoit cette issue. De
manière plus générale, l’action sur le rattachement de la règle de conflit est en
mesure de répandre la fraude dans tout le champ du conflit mobile (v. F. Rigaux,
Droit international privé, t. 1, no 510, p. 375).
4 Mais, là ne se limite pas son empire. Ce serait, en effet, faire injure à l’ingé-
niosité des fraudeurs que de restreindre l’élément matériel à une manipulation
du rattachement. La méthode des règles de conflit utilise pour parvenir à la
désignation du droit applicable bien d’autres facteurs sur lesquels la volonté
individuelle exerce son emprise.
Pour ne retenir qu’un exemple, on évoquera le cas où la modification de la
désignation résulte d’une action sur la qualification. Un père de famille
n’avait-il pas converti son droit de propriété relatif à un immeuble situé en
France en parts de société civile pour en disposer librement sous l’égide d’une
loi qui n’assurait aucune protection à la vocation héréditaire des enfants ?
L’ameublissement du bien commandait l’application à la succession de la
loi du dernier domicile, ignorant la réserve héréditaire, au détriment de la loi
française du lieu de la situation (Aix, 9 mars 1982, Rev. crit. 1983. 282, note
52 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 6

G. Droz, maintenu par Civ. 1re, 20 mars 1985, Caron, Rev. crit. 1986. 66, note
Y. Lequette; pour une autre figure de l’élément matériel v. Paris, 6 juill. 1982,
Rev. crit. 1984. 325, note I. Fadlallah, Paris, 1er déc. 1995, Clunet 1997. 793,
obs. H. J. Lucas, et infra, obs. sous l’arrêt Bisbal, no 32; v. cep. Courbe, note,
Rev. crit. 1991. 599 et s.).

5 À la variété des formes répond l’unité de caractère : pour qu’il y ait fraude,
l’élément matériel doit présenter un caractère constant de régularité objective
(v. J. Maury, L’éviction de la loi normalement compétente. L’ordre public inter-
national et la fraude à la loi, Valladolid, 1952, p. 161). Au cas où il y a simple-
ment création par quelque moyen de fait d’une représentation fallacieuse de la
réalité qui laisse croire à la réunion des conditions d’obtention de l’effet
recherché mais recouvre en réalité une violation directe de la loi applicable, il
s’agit non de fraude mais de simulation. Par exemple, l’individu qui, par des
voies de traverse, réussit à arracher une naturalisation française sans en remplir
les conditions légales ne consomme pas une fraude lorsqu’il prétend jouir de la
condition de Français. À la différence de la simulation, la fraude ne ment pas.
Sans doute agit-elle sur les faits, mais seulement si cela est permis et suscepti-
ble de provoquer le remplacement d’une règle par une autre. La modification
qu’elle apporte à la situation est réelle, juridique et licite. Le fraudeur se
dépense, non pour tromper, mais pour asseoir le changement de la loi applica-
ble sur des éléments objectifs de régularité juridique qui attestent un respect
formel de la règle de droit international privé. Ainsi l’article 544 du Code civil
reconnaît au propriétaire le pouvoir de disposer de son droit, donc de l’échan-
ger contre des parts sociales. La liberté domiciliaire ou le droit de changer de
nationalité ne sont pas contestables. L’exercice de ces prérogatives est donc
irréprochable (v. G. de La Pradelle, « La fraude à la loi », Trav. com. fr. dr.
int. pr. 1971-1973, p. 117).

B. — L’élément légal de la fraude

6 Il est formé par l’impératif auquel le fraudeur se propose d’échapper. Il s’agis-


sait en la cause des « prohibitions de la loi française » qui, depuis 1816, s’oppo-
saient au divorce; la fraude sanctionnée est la « fraude à la loi française ». Ces
formules soulèvent deux questions touchant à la consistance de l’élément
légal : celui-ci peut-il être constitué par des règles non impératives ? peut-il
être constitué par des règles de droit étranger ?
Sur le premier point, il suffit de rappeler que les règles supplétives, dispo-
sitives ou interprétatives ne sont pas moins obligatoires que les autres dès
lors que les conditions de leur application sont réunies, étant évidemment
entendu que parmi ces dernières figure celle du défaut de volonté contraire
(sur la fraude à la loi et la liberté de choisir la loi du contrat, v. P. de Vareilles-
Sommières Rép. Dalloz dr. int., 2é éd., v° Fraude à la loi, nos 25 et s.). Préci-
sément, il ne faut pas négliger le cas où, n’ayant pas exprimé en temps utile
cette volonté contraire, le sujet s’en repentant, modifie ultérieurement le rap-
6 BAUFFREMONT — CASS.,18 MARS 1878 53

port de droit de manière à le soustraire aux dispositions de la loi que sa


carence a rendu applicables. L’atteinte au caractère obligatoire de la règle élu-
dée est, dans cette hypothèse la même que dans celle où les dispositions
bafouées sont impératives et il n’y a donc pas lieu de lui réserver un traite-
ment différent. C’est dire que toute norme est susceptible d’être l’élément
légal de la fraude, dès lors qu’elle est obligatoire pour le sujet (cette proposi-
tion est même susceptible d’être étendue des règles aux décisions, v. Batiffol
et Lagarde, t. I, no 374, p. 432, et Paris, 6 juill. 1982, préc.).

7 Le second point, celui de la fraude à la loi étrangère, a donné lieu à quelques


hésitations (P. Louis-Lucas, « La fraude à la loi étrangère », Rev. crit. 1962,
p. 1). Le fait est que l’arrêt ci-dessus reproduit n’avait en vue que la protection
des dispositions du droit français et l’idée s’est par la suite répandue que la
fraude à la loi étrangère n’était pas sanctionnée par les tribunaux français.
Cette opinion a pu trouver deux appuis, l’un général et l’autre particulier, mais
tous deux également fragiles.
Par un arrêt Mancini, rendu sur une affaire symétrique, la Cour de cassation
approuvait les juges du fond d’avoir refusé de retenir l’allégation de fraude à
la loi italienne qu’une Italienne, séparée de corps, dirigeait contre la conver-
sion en divorce que son mari, italien d’origine, avait obtenue par application
de la loi française, après sa naturalisation (Civ., 5 févr. 1929, S. 1930. 1. 181,
note Audinet). Cette décision a pu encourager l’idée d’une impunité de la
fraude à la loi étrangère et pourtant elle puisait sa motivation dans le principe
de la séparation des autorités qui interdit aux tribunaux judiciaires « d’appré-
cier la régularité et la valeur de l’acte du Gouvernement français qui a pro-
noncé la naturalisation ». Elle ne concernait que le cas particulier de la fraude
par naturalisation française et il convient de souligner que, dans ce cadre pré-
cis, de multiples facteurs s’associent, non pas seulement pour empêcher la
sanction d’une fraude à la loi étrangère, mais pour en prévenir la survenance
(v. infra, II). Dès lors la leçon de l’arrêt Mancini n’est pas l’indifférence à la
fraude à la loi étrangère.
Mais l’arrêt Bisbal est venu auprès des partisans de cette indifférence
relayer une jurisprudence défaillante. Cette décision (v. infra, no 32) a pu être
comprise comme consacrant la variabilité de l’impérativité de la règle de
conflit selon que celle-ci désigne la loi française ou la loi étrangère — le juge
n’étant tenu par la désignation de cette dernière que si les parties s’en préva-
lent. La loi étrangère paraît alors dévêtue en France de son autorité; il n’y
aurait donc pas lieu de la défendre contre les entreprises des particuliers.
Cependant, dès l’arrêt Compagnie Algérienne de Crédit et de Banque, il avait
été admis que si le juge n’est pas obligé d’appliquer d’office la loi étrangère
désignée, du moins lui est-il « loisible » de prendre cette initiative (v. infra,
no 33). Dès lors, rien ne s’opposait à ce qu’il aille jusqu’au terme de sa
démarche en imposant le respect de l’autorité de la loi étrangère en dépit des
manœuvres contraires des parties. L’extranéité d’une loi lui assigne peut-être
une condition procédurale particulière, elle n’interdit pas de réprimer la fraude
ourdie contre elle (v. Maury, op. cit., p. 169, note 259; v. déjà disposé à réagir
à la fraude à la loi étrangère, T. civ. Seine, 5 avr. 1895, Fiocca, Clunet 1895. 602).
54 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 6

Cette analyse ne peut, au demeurant, qu’aller s’accentuant depuis que la


haute juridiction pose que le juge doit appliquer d’office la règle de conflit,
désignerait-elle une loi étrangère, lorsqu’elle porte sur une matière dans
laquelle les parties ne sont pas maîtresses de leurs droits (Civ. 1re, 26 mai
1999, Belaid A., infra, no 78).

8 Aussi bien d’ailleurs la jurisprudence a-t-elle rallié cette opinion. Sans


doute, par arrêt du 12 décembre 1963, la Cour de Paris déclarait que la fraude
éventuelle à « la loi étrangère ne peut être retenue par les tribunaux français »
(Clunet 1965. 122, note J.-D. B.), mais elle prenait soin de donner à cette
conclusion le motif même que, dans l’arrêt Mancini, la Cour de cassation avait
tiré du principe de la séparation des autorités. Six mois plus tard, confrontée
à une fraude à la loi étrangère n’impliquant, cette fois, aucune naturalisation
française, la même Cour de Paris n’hésitait pas à la stigmatiser en des termes
particulièrement énergiques (Paris, 18 juin 1964, de Gunzburg, Clunet 1964.
810, note Bredin, Rev. crit. 1967. 340, note Deprez). Cette attitude ne se démen-
tait pas dans l’affaire Giroux (Paris, 5 mars 1976, Rev. crit. 1978. 149, note
B. Audit, v. aussi Paris, 27 nov. 1981, D. 1983. 143, note Paire) où elle recevait
l’approbation de la Cour de cassation (Civ. 1re, 11 juill. 1977, Rev. crit. 1978,
eod. loc.), laquelle proposait ensuite, dans l’arrêt Société Lafarge (Civ. 1re,
17 mai 1983, préc.) une définition qui assure la protection de « la loi norma-
lement compétente », sans distinction d’origine (v. aussi, Civ. 1re, 2 oct. 1984,
Favreau, Rev. crit. 1986. 91, note M.-N. Jobard-Bachellier, Clunet 1985. 495,
note B. Audit; TGI Paris, 5 janv. 1994, Rev. crit. 1994. 529, note E. Poisson-
Drocourt et J. Rangel; Paris, 19 sept. 1995, Rev. crit. 1996. 112, note H. Muir
Watt).
On en conclura que si l’arrêt de Bauffremont ne comporte aucune condam-
nation de la fraude à la loi étrangère, c’est que simplement il n’était appelé à
connaître que d’une fraude à la loi française.

C. — L’élément moral ou intentionnel

9 Il est le troisième élément constitutif de la fraude. Il est décisif tant sur le


plan théorique que sur le plan pratique.
Il est décisif sur le plan théorique parce que la modification volontairement
apportée par des moyens licites à un rapport de droit pour en changer le régime
juridique n’est pas en elle-même répréhensible. Or telle est bien l’hypothèse
que réalisent les éléments matériel et légal précédemment étudiés. Le change-
ment de nationalité ou de domicile n’est pas interdit, non plus que le voyage
ni en principe le transport de meubles à l’étranger. User de ces permissions est
a priori légitime. Pour qu’il en soit autrement, il faut que la démarche entre-
prise, intrinsèquement régulière, soit inspirée par des fins illégitimes, par un
dessein frauduleux, un animus fraudis. C’est ce qu’enseigne l’arrêt de Bauf-
fremont lorsqu’il relève que la princesse « avait sollicité et obtenu cette natio-
nalité nouvelle non pas pour exercer les droits et accomplir les devoirs qui en
6 BAUFFREMONT — CASS.,18 MARS 1878 55

découlent… mais dans le seul but d’échapper aux prohibitions de la loi fran-
çaise » et cette formule trouvera son écho dans l’arrêt du 17 juin 1983 (Société
Lafarge, préc.), qui dénonce une manœuvre conduite « dans le seul but de [se]
soustraire à la loi normalement compétente ».
C’est la limitation de l’objectif poursuivi qui, traduisant l’insincérité de la
démarche, caractérise le dessein frauduleux. Celui-ci ne réside pas en effet
dans le seul désir d’obtenir le résultat prohibé par la loi éludée mais dans le
fait de modifier le rapport de droit pour obtenir ce résultat sans accepter les
autres conséquences normalement attachées à ce changement (P. Mayer et
V. Heuzé, no 269). Cette disproportion entre la portée du moyen mis en œuvre
et l’utilité qu’on prétend en retirer signe la fraude. En revanche, l’intention
n’est pas critiquable et l’élément moral n’est pas formé si la modification volon-
taire du rapport de droit s’accompagne de l’adhésion sans réserve aux consé-
quences que ce comportement doit normalement produire (Batiffol et Lagarde,
t. I, no 372, p. 429). Bref, la fraude se traduit par l’intention d’asservir le droit
à ses desseins.
Cette analyse a pu favoriser l’idée que l’acte réalisant la fraude reposait sur
une cause illicite, ce qui justifiait sa sanction (Batiffol et Lagarde, t. I, no 375).
L’explication est plus satisfaisante que celle de Bartin qui assimilait la fraude
à une atteinte à l’ordre public et s’interdisait ainsi de considérer la fraude à la
loi étrangère… Elle est pourtant insuffisante car elle laisse échapper tous les
cas où l’instrument de la fraude n’est pas un acte mais un fait juridique tel le
transfert de domicile ou le déplacement d’un meuble. Maury enseignait que le
véritable fondement était dans la notion d’abus de droit (op. cit., p. 163); telle
était aussi l’opinion du Tribunal de la Seine dans la présente affaire (v. supra,
p. 49). L’idée habille assez bien le détournement de prérogative que consomme
la réunion des trois éléments matériel, légal et moral de la fraude à la loi.

10 L’élément moral est également décisif sur le plan pratique. Il s’agit alors de
la preuve. Celle-ci n’offre pas de difficulté particulière à propos des deux autres
composantes : à qui voudra le soumettre aux dispositions éludées, le fraudeur
dira n’avoir rien à se reprocher et reconnaîtra sans peine l’élément matériel qui
à son tour confirmera l’élément légal. Il sera plus délicat d’établir l’élément
moral. Le problème est celui de la recherche et de l’appréciation des inten-
tions. La dénonciation de la fraude se heurterait ici à l’insuffisance des moyens
d’investigation.
Cependant si sérieux que soit l’obstacle, il n’est pas insurmontable. L’insin-
cérité du fraudeur éclatera chaque fois que se prévalant du changement de loi
applicable, il sera dans l’impossibilité d’opposer une justification plausible à
qui aura démontré l’écart entre la portée juridique de l’élément matériel et
l’exploitation trop limitée, sélective, qui en est faite; « il existe manifestement
des cas où l’évidence est acquise » (Batiffol et Lagarde, t. 1, no 372, p. 430;
pour un exemple de justification admise, v. Civ. 1re, 17 févr. 1982, Baaziz, Rev.
crit. 1983. 275, note Y. Lequette).
C’est alors qu’il faut envisager la réaction de l’ordre juridique à ce défi que
représente pour lui la fraude à la loi.
56 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 6

II. La réaction à la fraude à la loi

11 L’arrêt déclare non opposables au prince de Bauffremont « les actes faits en


fraude de la loi française… » Ainsi exprimée, la solution appelle quelques pré-
cisions (B). Au demeurant, cette inopposabilité est une réaction a posteriori,
qui intervient face à une fraude consommée. Mais comme celle-ci n’est que
l’exploitation délibérée d’un manque d’harmonie entre règles d’un même ordre
juridique, ce dernier peut aussi s’efforcer de se corriger lui-même et d’empê-
cher ainsi les entreprises dirigées contre son autorité. Le droit international
privé propose des exemples de cette politique de prévention de la fraude (A).

A. — La prévention

12 L’arrêt attaqué de la Cour de Paris, dans cette affaire de Bauffremont, sug-


gère un moyen de dissuader le fraudeur éventuel d’engager la manœuvre : en
subordonnant à l’autorisation du mari la possibilité pour l’épouse séparée de
corps de changer de statut personnel, cette décision empêchait que ne fût
accompli en l’espèce l’élément matériel de la fraude et retirait tout intérêt à la
villégiature allemande. Certes, la défense n’est pas sans défaut; elle laisse à
découvert le cas de la complicité du mari à la fraude de la femme. Mais ce
qu’il importe de retenir de cette esquisse imparfaite, c’est que des conditions
judicieusement définies pourraient en renforçant les exigences dont dépend le
changement de l’élément matériel éviter que celui-ci ne soit employé pour
tourner l’autorité de la loi.
Au demeurant, il est aussi envisageable à cette fin, de réformer, non pas les
conditions de régularité, mais les effets de l’élément matériel; il suffit pour
prévenir la fraude de lui retirer, relativement à telle ou telle matière sensible,
la vertu d’opérer le changement de statut recherché.

13 La première méthode, celle qui agit sur les conditions de l’élément matériel,
est suivie par le droit de la nationalité française et les avatars de la règle de
l’ancien article 17 du Code civil en offrent l’illustration. Ce texte, on le sait
(v. supra, § 1), sanctionnait l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère
par la perte de la nationalité française. On a craint qu’il ne soit exploité par les
hommes en âge de porter les armes pour se soustraire à la conscription. C’est
ce qui explique qu’à leur égard, la loi du 26 juin 1889, quelques semaines
avant la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement militaire, a suspendu la perte
de la nationalité française en ce cas à une autorisation du gouvernement
(v. P. Lagarde, La nationalité française, Dalloz, 3e éd., 1997, nos 214 et s.).
Aujourd’hui encore, la répudiation de la nationalité française corrélative à
l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère n’est admise pour le Fran-
çais de sexe masculin de moins de trente-cinq ans que s’il a satisfait à ses obli-
gations militaires (art. 23-2, C. civ., comp. art. 23-5, al. 2, C. civ.). La fraude
est ainsi rendue impossible, l’élément matériel dévorant l’élément légal — le
premier ne pouvant advenir que si le second (le manquement aux dispositions
gênantes) est exclu (comp. art. 175-2, C. civ.).
6 BAUFFREMONT — CASS.,18 MARS 1878 57

La démarche s’apparente — sans s’identifier — à celle qu’ébauche le droit


de la naturalisation. Les conditions d’âge, de stage, d’assimilation et de domi-
cile ainsi que l’exigence d’une initiative volontaire et personnelle de l’intéressé
sont propres à empêcher quiconque n’a pas une réelle intention de s’intégrer à
la collectivité nationale, d’accéder à la nationalité française et au bénéfice du
statut personnel français. L’ensemble des conditions de la naturalisation tend
ainsi à garantir la réalité et la sincérité du changement de statut et, par consé-
quent, réduit considérablement les risques de fraude. Devenu Français, le
naturalisé adhérera à l’ensemble des conséquences attachées à son nouveau
statut; il ne pourra se voir reprocher d’avoir modifié sa condition dans le seul
but de se soustraire aux obligations que lui imposait la loi étrangère à laquelle
il était antérieurement soumis (v. B. Audit, thèse préc., nos 339 et s., p. 251
et s.; P. Mayer, 2e éd., no 187, p. 156). Telle est d’ailleurs la justification pro-
fonde de la jurisprudence de l’arrêt Mancini (préc.). La fraude est ici encore
rendue impossible; l’élément matériel dévore l’élément intentionnel, en ce
sens que la régularité du premier suppose que le second, l’animus fraudis, a
disparu (v. aussi l’apposition des conditions de délai et de communauté de vie
à la faculté d’acquisition de la nationalité française que confère le mariage
avec un citoyen français, art. 21-2, C. civ., v. P. Lagarde, op. cit., no 260; sur
les mariages de complaisance contractés en vue de l’obtention d’un titre de
séjour et sur les modes de prévention v. S. Corneloup, « Maîtrise de l’immi-
gration et célébration du mariage », Mélanges P. Lagarde, 2005, p. 207 et s.).
La seconde méthode, celle qui limite l’efficacité de l’élément matériel, est
mise en œuvre par l’article 170 du Code civil, lequel maintient pour les Fran-
çais domiciliés en leur pays, l’exigence d’une publicité en France du mariage
alors même que celui-ci doit être célébré à l’étranger. Le déplacement du lieu
de célébration ne décharge pas de l’obligation de publier quoique celle-ci
constitue une condition de forme normalement régie par la loi du lieu de
confection de l’acte. Il est donc vain d’aller en pays étranger se ménager une
discrétion suspecte qui s’efforcerait d’assurer la validité d’une union contre-
venant au droit français; de fait, la jurisprudence sanctionne par la nullité du
mariage la violation de l’article 170 dès lors qu’il y a eu intention de clandes-
tinité, dès lors que « les parties ont entendu faire fraude à la loi française et
éluder la publicité prescrite par elle… » (Civ. 1re, 13 févr. 1961, D. 1961. 349,
note G. Holleaux). L’équivalence affirmée entre la fraude à la loi et l’infrac-
tion à la règle de la publication montre clairement l’inspiration et l’objectif
de l’article 170 du Code civil (v. Maury, op. cit., p. 155; pour une analyse dif-
férente, S. Corneloup, La publicité des situations juridiques. Une approche
franco-allemande de droit interne et de droit international privé, thèse Paris I,
LGDJ 2003, no 351). Une version plus radicale de ce mode de neutralisa-
tion de l’élément matériel est offerte par la Convention d’UNIDROIT sur les
biens culturels volés ou illicitement exportés (signée à Rome, le 24 juin 1995,
v. texte in Rev. crit. 1997. 282 et commentaire G. A. L. Droz, p. 239; v. aussi
G. Carducci, La restitution internationale des biens culturels, 1997) qui éta-
blit un régime uniforme de revendication des objets soustraits « coupant court
par là-même, dans la mesure de l’unification, à la possibilité de frauder la
loi » par transfert d’un pays protecteur du verus dominus vers un pays protec-
58 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 6

teur du possesseur (v. P. de Vareilles-Sommières, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd.,


v° Fraude à la loi, no 41; pour une illustration du problème, v. H. Muir Watt,
« La revendication internationale des biens culturels : à propos de la décision
américaine Église Autocéphale », Rev. crit. 1992. 1).
La fraude ne se présumant pas, il est exclu que la prévention s’étende au-
delà de quelques éventualités limitées et particulièrement topiques que l’expé-
rience révèle. La protection de la loi applicable et des intérêts qu’elle défend
passe donc aussi et surtout par la définition d’un régime de sanction adéquat.

B. — La sanction

14 La détermination de la sanction de la fraude à la loi donne lieu à des diver-


gences d’opinions. Certains demandent que les actes frauduleux soient frappés
de nullité (v. Batiffol et Lagarde, t. 1, no 375), d’autres qu’ils soient déclarés
inopposables (Niboyet, Traité, t. 3, nos 1090 et s.; Maury, op. cit., p. 161 et s.).
En dépit de l’autorité considérable qui la soutient, la première solution ne sem-
ble pas pouvoir être retenue; quant à la seconde, son accueil ne peut se faire
sans s’accommoder d’une distinction que malmènera d’ailleurs le cas particu-
lier où c’est l’auteur de la fraude lui-même qui, n’y trouvant plus intérêt, en
vient à la dénoncer.
C’est qu’il convient de ne pas confondre dans la fraude le moyen de celle-
ci, c’est-à-dire en l’occurrence le changement de nationalité, et la situation
qu’elle a permis de constituer, c’est-à-dire le second mariage. Lorsque la Cour
de cassation déclare « que n’étaient pas opposables au Prince de Bauffremont
(…) les actes faits en fraude de la loi française », il semble bien que cela ne
doive viser que le premier — l’instrument — et non le second — le produit.
Au cas contraire où l’inopposabilité n’atteindrait que le second mariage, il
faudrait considérer que celui-ci est valable vis-à-vis de tous, sauf du Prince de
Bauffremont, ce qui serait créer une bien étrange situation… Seule l’annula-
tion du mariage en vertu de l’article 147 du Code civil est ici de nature à réta-
blir l’autorité de la loi bafouée (v. depuis, art. 190-1, C. civ., réd. L. 24 août
1993). Mais cela ne signifie pas que la fraude aura toujours sa sanction dans
l’anéantissement de la situation créée. S’agissant de rendre inefficace le sub-
terfuge, la mesure de la sanction sera fournie par ce qu’exige le rétablissement
de l’autorité de la loi tournée. Ainsi lorsque la fraude a été faite pour se débar-
rasser de l’institution de la réserve héréditaire établie par la loi successorale
éludée, les exigences de cette dernière ne réclament pas l’annulation entière
de la libéralité frauduleuse mais sa réduction. Et de fait, lorsque le cas s’est
rencontré, la jurisprudence s’est bornée à faire application des règles de la
réduction auxquelles le disposant avait voulu échapper, maintenant la libéra-
lité pour le surplus (Aix, 9 mars 1982, Civ. 1re, 20 mars 1985, Caron, préc.).
C’est dire que l’ampleur de la sanction dépendra de la loi bafouée : « la fraude
a pour effet sa propre inefficacité » (Vidal, op. cit., p. 372; W. Goldschmidt,
Sistema y filosofia del derecho internacional privado, t. I, p. 171. Sur les
implications de la formule, dans le domaine de la reconnaissance des décisions
étrangères, lorsque c’est le fraudeur lui-même qui dénonce la fraude dans
l’espoir de faire déclarer inopposable le jugement qu’il a obtenu à l’étranger
6 BAUFFREMONT — CASS.,18 MARS 1878 59

et qui ne lui convient plus, v. Civ. 1re, 19 janv. 1983, Conlon, Rev. crit. 1984. 492,
note P. Mayer, Clunet 1984. 898, note G. Wiederkehr; Crim., 11 juin 1996.
D. 1997. 576, note E. Agostini, RTD civ. 1997. 106, obs. J. Hauser, et infra,
no 70 § 16).
Encore faut-il pour cela que soit restituée à la loi tournée sa qualité de loi
applicable. À cet effet, il suffit, comme le relève justement la Cour de cas-
sation, que l’instrument de la fraude, c’est-à-dire son élément matériel soit
déclaré inopposable à la victime de celle-ci. Il s’ensuivra que les intérêts pro-
tégés par les dispositions fraudées seront appréciés entre les parties comme si
le changement de loi applicable ne s’était pas produit. Mais, s’agissant des
intérêts autres que ceux qui sont pris en charge par les dispositions fraudées,
le changement de loi applicable sortira son plein effet.
7-8
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
24 juin 1878

COUR DE CASSATION
(Ch. req.)
22 février 1882
I. — Civ., 24 juin 1878, S. 1878. 1. 429, D. 1879. 1. 56, Clunet 1879. 285.
II. — Req. 22 février 1882, S. 1882. 1. 393, note Labbé, D. 1882. 1. 301.
Renvoi. — Succession.

Une succession mobilière est régie par la loi française lorsque les dispo-
sitions du droit international privé de la loi étrangère désignée par la règle
de conflit française déclinent l’offre de compétence qui leur est faite et ren-
voient au droit interne français.
(Forgo c/Administration des Domaines)

Faits. — Forgo était un enfant naturel bavarois venu en France à l’âge de 5 ans et
qui y était décédé 63 ans plus tard sans y avoir jamais été admis à domicile. Il laissait
une succession mobilière importante et avait pour tous parents, des collatéraux ordinaires
dont les prétentions se heurtèrent à celles de l’Administration des Domaines. La solu-
tion dépendait de la loi successorale applicable : selon la loi bavaroise, les collatéraux
héritaient; selon la loi française, les biens allaient à l’État français (art. 768, C. civ.). Or
si la règle de conflit régissant les successions immobilières fut très tôt clairement fixée
(v. supra, arrêt Stewart, no 3), il n’en alla pas de même de la loi applicable aux succes-
sions mobilières (sur cette question v. infra, arrêt Labedan, no 18). Celles-ci relevaient,
en principe, de la loi du domicile du de cujus. Mais fallait-il entendre par là le domicile
de fait ou le domicile de droit ? La Cour de Pau par un arrêt du 11 mars 1874 retint la
première solution. Sa décision fut censurée par la Cour de cassation le 5 mai 1875
(S. 1875. 1. 409, D. 1875. 1. 343) au motif que seul un domicile de droit autorisé confor-
mément aux prescriptions de l’article 13 du Code civil pouvait fonder la compétence de
la loi française en matière successorale. La Cour de Bordeaux, cour de renvoi, considé-
rant que Forgo avait conservé son domicile d’origine en Bavière, appliqua par un arrêt
du 24 mai 1876 (S. 1877. 2. 109, D. 1878. 2. 79) la loi bavaroise.
Un nouveau pourvoi fut soumis à la Cour de cassation, qui posait expressément la
question du renvoi. L’administration des Domaines soutenait, en effet, que la succession
devait être régie par la loi française au motif que, d’après la loi bavaroise antérieure à
l’introduction du Code civil allemand, le domicile légal en matière de succession était
au lieu de la résidence habituelle du défunt.
7-8 FORGO — CASS., 24 JUIN 1878, 22 FÉVRIER 1882 61

1er ARRÊT
(après délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur le moyen unique du pourvoi; — Vu l’article 768 du Code civil :
— Attendu que Forgo, enfant naturel, né en Bavière de père et mère bavarois,
s’étant fixé en France sans esprit de retour, est décédé à Pau ab intestat, le
6 juillet 1869, laissant dans sa succession des créances et valeurs mobilières qui
se trouvent situées en France; — Attendu que les consorts Ditchl, sujets bava-
rois, et parents collatéraux de la mère naturelle de Forgo, prétendant être appe-
lés à lui succéder d’après les lois bavaroises, revendiquent ces créances et valeurs
mobilières contre l’Administration des Domaines, qui, conformément à l’arti-
cle 768 du Code civil, en a obtenu l’envoi en possession, par jugement du tribu-
nal de Pau, du 16 octobre 1871; — Attendu que, suivant le droit bavarois, les
meubles, corporels ou incorporels, sont régis par la loi de leur situation, combi-
née en matière de successions, avec la loi du domicile de fait ou résidence habi-
tuelle du défunt; — Qu’il suit de là que, même en admettant, ainsi que l’a
décidé l’arrêt attaqué, que Forgo ait conservé la nationalité bavaroise, la dévo-
lution héréditaire des biens meubles qu’il possédait en France, où il s’était fixé,
doit être régie par la loi française; — Attendu que la loi du 14 juillet 1819, qui
admet les étrangers à succéder en France, ne crée pas à leur profit une capacité
spéciale et exceptionnelle; mais qu’elle les admet à succéder de la même
manière que les Français, dans les limites et suivant les conditions déterminées
par la loi française; — Attendu qu’aux termes de l’article 766 du Code civil les
parents collatéraux du père ou de la mère de l’enfant naturel ne sont point
admis à lui succéder; — D’où il suit que les consorts Ditchl sont sans titre et sans
qualité pour réclamer les valeurs mobilières qui font l’objet du litige, et qu’en
décidant le contraire, l’arrêt attaqué a faussement appliqué les lois bavaroises,
et violé l’article 768 du Code civil ci-dessus visé;
Par ces motifs : — Casse.
Du 24 juin 1878. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Mercier, prem. prés.; Aubry, rapp.; Charrins,
prem. av. gén. — MMes Moutard-Martin et Mimerel, av.

La Cour de Toulouse devant qui revint l’affaire se prononça dans le même sens le
22 mai 1880 (S. 1880. 2. 294, D. 1881. 2. 93, Clunet 1881. 61), et le pourvoi formé par les
collatéraux fut rejeté par la Chambre des requêtes le 22 février 1882. (Pour une description
exhaustive de l’affaire, v. Philonenko, « L’affaire Forgo [1874-1882] », Clunet 1932. 281).

2e ARRÊT
La Cour; — Sur l’unique moyen du pourvoi : — Attendu qu’il est constaté en
fait, par l’arrêt attaqué, que Forgo, enfant naturel, né Bavarois, est mort intes-
tat à Pau, où il habitait depuis de longues années; que l’État français s’est fait
envoyer en possession de sa succession, composée exclusivement de biens mobi-
liers qui se trouvent en France; — Attendu que ledit Forgo n’ayant pas été natu-
ralisé Français, n’ayant pas perdu sa nationalité d’origine, et n’ayant pas obtenu
du Gouvernement français l’autorisation de fixer son domicile en France, sa suc-
cession doit être régie par la loi bavaroise; — Mais attendu que, suivant la loi
bavaroise, on doit appliquer, en matière de statut personnel, la loi du domicile
ou de la résidence habituelle, et, en matière de statut réel, la loi de la situation
des biens meubles ou immeubles; qu’ainsi, dans l’espèce, sans qu’il y ait lieu de
rechercher si, d’après la loi bavaroise la matière des successions ab intestat
dépend du statut personnel ou du statut réel, la loi française était seule
62 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 7-8

applicable; — D’où il suit que c’est à bon droit que l’arrêt attaqué a repoussé la
demande en revendication formée contre l’État français par des parents collaté-
raux de la mère naturelle de Forgo;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 22 février 1882. — Cour de cassation (Ch. req.). — MM. Bédarrides, prés.; Demangeat, rapp.; Peti-
ton, av. gén. — Me Mimerel, av.

OBSERVATIONS
1 Voici probablement l’affaire la plus connue du droit international privé fran-
çais. Celle qui, pour des générations de juristes, aura symbolisé toute la subti-
lité des conflits de lois. C’est en effet assez curieusement la jurisprudence
française, et non la doctrine, qui est à l’origine avec ce qu’il est convenu
d’appeler le renvoi, de la plus fameuse des controverses qui ait agité dans le
monde entier la théorie du droit international privé. Certes, ce mode de raison-
nement avait des précédents en Allemagne et en Angleterre (Lewald, « La
théorie du renvoi », Rec. cours La Haye 1929, p. 533) et même dans l’ancien
droit français (Niboyet, « Froland, les conflits de qualifications et la question
du renvoi », Rev. crit. 1926. 1; Traité, t. III, no 998). Mais c’est l’arrêt Forgo
qui, en mettant en évidence l’existence des conflits négatifs (I) et en les résol-
vant par le procédé du renvoi (II), a permis une véritable prise de conscience
du problème.

I. L’origine des conflits négatifs


2 À des questions internationales, les règles de conflit de lois apportent une
réponse nationale. Ce trait serait en lui-même sans inconvénient si ces règles
étaient identiques. Malheureusement, tout en possédant le plus souvent une
structure analogue héritée d’une tradition historique commune, les systèmes
de conflit nationaux connaissent des divergences de deux sortes : le contenu
des catégories, c’est-à-dire la qualification, peut varier d’un pays à l’autre; les
points de rattachement retenus ne sont pas toujours les mêmes. De là, la ques-
tion des relations entre systèmes de solution des conflits, encore dénommée
conflit de systèmes (Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systè-
mes en droit international privé, 1958; E. Agostini, L’application des règles
de conflit étrangères et les conflits de systèmes en dr. int. privé, thèse Bor-
deaux, 1975).
Jurisprudence et doctrine ont tour à tour concouru à la découverte de cha-
cun des aspects du problème : alors que les difficultés nées d’une divergence
des points de rattachement ont été mises en évidence par l’affaire Forgo, cel-
les qui procédaient d’une différence de contenu des catégories furent systéma-
tisées par Bartin à partir de l’hypothèse de l’arrêt Bartholo (infra, no 9), dans
un article demeuré célèbre (« De l’impossibilité d’arriver à la suppression
définitive des conflits de lois », Clunet 1897. 225, 466 et 720, reproduit in
Études de droit international privé, 1899, p. 1 et s.). Selon lui « tous les conflits
que fait naître la coexistence de systèmes différents de solution des conflits de
lois dans les divers États » peuvent « invariablement » se ramener à « deux types
7-8 FORGO — CASS., 24 JUIN 1878, 22 FÉVRIER 1882 63

irréductibles de conflit » : « le conflit de renvoi et le conflit de qualifications »


(« Les conflits entre dispositions législatives de droit international privé »,
Rev. dr. int. et législ. comp. 1898. 129 et 272, reproduit in Études, p. 82 et s.,
spéc. p. 87).
Depuis cette époque, reprenant la présentation de Bartin (Études, p. 86 et s.,
183 et s.; Principes t. 1, § 80 et s., spéc. § 89), mais non ses solutions (v. infra,
§ 3) la doctrine française expose en règle générale les conflits de systèmes sur
le modèle suivant : la différence de contenu des catégories engendre un conflit
de qualifications, celle des points de rattachement un renvoi, du moins si cha-
que système donne compétence à l’autre. Alors que le premier est résolu, en
vertu du principe de la qualification lege fori, principalement par l’application
du droit international privé français (v. infra, arrêt Caraslanis, no 27), il est
dans le second éventuellement tenu compte du droit international privé étran-
ger (v. par ex., Batiffol et Lagarde, t. I, no 289; Lerebours-Pigeonnière, Pré-
cis, 4e éd., nos 257 et s.; Loussouarn et Bourel, 6e éd., nos 183 et s.; P. Mayer,
5e éd. nos 148 et s., 215 et s.; v. cep. Francescakis, op. cit., nos 81 et s.; Holleaux,
Foyer et de La Pradelle, no 510; Audit, no 205). Illustrons le propos. Selon le
droit international privé français, la rupture de promesse de mariage appelle
une qualification délictuelle, alors que le droit allemand soumettant la situation
à une réglementation dépendant du droit de la famille (art. 1297 à 1302, BGB)
la classe dans le statut personnel (BGH, 21 nov. 1958, Rev. crit. 1959. 680,
note Mezger) (sur cette hypothèse v. H. Batiffol, Aspects philosophiques du
dr. int. pr., no 17, p. 39); la qualification lege fori l’emportant, cette question
sera soumise à la lex loci delicti. Selon notre droit international privé, les suc-
cessions mobilières relèvent de la loi du dernier domicile du défunt, alors que
le droit international privé italien les soumet à la loi nationale de celui-ci;
cette divergence entre les points de rattachement peut donner naissance à des
conflits positifs et à des conflits négatifs. Dans le cas d’un Italien décédé
domicilié en France le conflit sera positif, chaque règle de rattachement don-
nant compétence à son propre droit interne. La question sera résolue très sim-
plement par application du droit du for. Dans le cas d’un Français décédé
domicilié en Italie, le conflit sera négatif, chaque système donnant compé-
tence à l’autre; on appliquera alors le droit français malgré la désignation de
la loi italienne par la règle de conflit française car on tiendra compte du renvoi
de cette loi à ce droit.
3 Bien qu’il puisse paraître quelque peu aventureux de remettre en cause
même partiellement la présentation d’une des questions les plus débattues du
droit international privé, il semble que la méthode d’exposition ci-dessus rap-
pelée ne donne qu’une image incomplète des difficultés soulevées par l’exis-
tence de divergences entre systèmes de droit international privé. La doctrine
classique traite en effet du conflit de qualifications comme s’il ne se posait
jamais que préalablement au jeu de la règle de conflit française. C’est oublier
qu’une fois ce conflit tranché, la question peut se réintroduire par le biais de la
prise en compte du droit international privé du pays dont le système a été dési-
gné par notre règle de conflit. Pour en prendre conscience, il suffit de constater
que la divergence des qualifications peut aussi bien que celle des rattache-
64 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 7-8

ments donner naissance à un conflit positif ou à un conflit négatif. Reprenons


l’exemple précédemment évoqué. Soit la rupture en France d’une promesse de
mariage existant entre deux Allemands : la loi française sera compétente selon
le droit international privé français en tant que lex loci delicti, la loi allemande
selon le droit international privé allemand en tant que loi nationale des
intéressés; chacune des règles de conflit attribuant compétence à son propre
droit, il y a conflit positif. Soit, inversement, la rupture en Allemagne d’une
promesse de mariage intervenue entre deux Français : la loi allemande sera
compétente selon le droit international privé français en tant que lex loci
delicti, la loi française selon le droit international privé allemand en tant que
loi nationale des intéressés; chacune des règles de conflit donnant compétence
à l’autre loi en présence, il y a conflit négatif. On constate ainsi que l’opposi-
tion des conflits positifs et des conflits négatifs qui fonde la différence des
solutions quand ceux-ci procèdent d’une divergence des rattachements, a été
longtemps laissée dans l’ombre par la doctrine classique lorsqu’ils ont pour
origine une divergence des qualifications. Il n’existe pourtant aucune raison
décisive de les traiter différemment. Dans les deux hypothèses on est, en cas de
conflit négatif, confronté à la même interrogation : faut-il tenir compte du
refus opposé par le droit international privé du pays dont la loi a été désignée ?
Le principe selon lequel le juge du for ne saurait utiliser pour la mise en œuvre
de ses règles de conflit que ses propres concepts n’est en effet nullement en
cause. La règle de conflit du for a reçu application dans l’un et l’autre cas
sur le fondement des définitions qu’elle comporte, et notamment avec ses pro-
pres qualifications ainsi que le prescrit la jurisprudence Caraslanis (infra, no 27).
Mais au cas où elle désignerait un droit étranger et à supposer qu’on en
consulte les dispositions de droit international privé, celles-ci doivent l’être
non de façon purement formelle mais telles qu’elles sont conçues, interprétées
et appliquées dans leur propre système, c’est-à-dire avec leur rattachement et
leur qualification. En d’autres termes, le rapport litigieux après avoir été envi-
sagé pour le jeu de notre règle de conflit selon la qualification qu’il comporte
dans le droit français, doit l’être conformément aux conceptions qui prévalent
dans le système étranger afin de vérifier si celui-ci s’estime ou non compétent.
Procéder autrement serait méconnaître « la solidarité qui unit catégorie et rat-
tachement dans le droit étranger » (B. Ancel, note, Rev. crit. 1980. 567; sur
cette solidarité v. infra, no 29). Plus profondément, ce serait ruiner l’idée de
coordination qui, on le verra, est à l’origine de l’admission du renvoi (en ce
sens Dayant, note Rev. crit. 1976. 102 et s.). On ajoutera qu’il est parfois dif-
ficile de déterminer si la différence des solutions tient à une divergence des
qualifications ou des rattachements. Il est en effet possible de passer de l’une à
l’autre selon le degré de spécialisation des règles de conflit. Par exemple pour
reprendre l’une des hypothèses de travail de Bartin, la capacité de vendre un
immeuble pourra donner naissance à un conflit de qualifications dans les rap-
ports entre deux systèmes qui se contenteraient, à l’image de l’article 3 du
Code civil, de prévoir que le statut personnel relève de la loi nationale et le
statut réel de la lex rei sitae et classeraient la question dans des catégories dif-
férentes. Inversement, elle s’analyserait en un conflit de rattachements si cha-
cun des systèmes en question a pris le soin d’édicter une règle précisant que le
7-8 FORGO — CASS., 24 JUIN 1878, 22 FÉVRIER 1882 65

problème relève chez l’un de la loi nationale, chez l’autre de la lex rei sitae
(Derruppé et Agostini, J.-Cl. dr. int., fasc. 532-2, nos 78 et s.; J. Donnedieu de
Vabres, L’évolution de la jurisprudence française en matière de conflit de lois,
thèse Paris, 1938, p. 710). Dès lors, on discerne mal pourquoi ce qui tient à un
accident de rédaction serait à l’origine de solutions aussi radicalement dif-
férentes (sur cette question, v. Y. Lequette, « Le renvoi de qualifications »,
Mélanges D. Holleaux, 1990, p. 249 et s; Rép. Dalloz dr. int., 2e éd., v° Ren-
voi, no 53).
En réalité, l’analyse de la doctrine française s’explique par des considéra-
tions historiques. C’est Bartin, on l’a vu, qui a identifié le problème des
qualifications. Or Bartin, hostile au renvoi, résolvait la question par la préva-
lence absolue du système français (art. préc., Clunet 1897. 738, reproduit in
Études, p. 81). Estimant le conflit tranché une fois pour toutes par l’applica-
tion du droit international privé français, il était normal qu’il se préoccupe de
la seule qualification préalable au jeu de la règle de conflit française. Tel n’est
plus le cas de la doctrine moderne. On ne peut à la fois affirmer que le conflit
négatif né d’une divergence des rattachements doit trouver sa solution dans le
renvoi et refuser de prendre en compte le système de droit international privé
étranger lorsqu’en raison d’une qualification différente, il décline l’offre de
compétence que nous lui faisons. Il n’est pas, au reste, indifférent de constater
que le seul auteur qui en France, tout en posant clairement le problème du
renvoi de qualification, se soit explicitement prononcé contre son admission,
professe que le renvoi n’est qu’un expédient d’application exceptionnelle
(Francescakis, op. cit., p. 82 et s., 169 et s.; comp. M.-L. Niboyet, L’action en
justice dans les rapports internationaux de droit privé, nos 161 et s.; Y. Flour,
L’effet des contrats à l’égard des tiers en droit international privé, thèse dactyl.,
Paris II, 1976, nos 274 et s., p. 361 et s.; Loussouarn, Bourel, et de Vareilles-
Sommières, no 198-2).
4 En définitive, on soulignera que le conflit négatif peut provenir aussi bien
d’une divergence des qualifications que des rattachements et que la question
de l’application du droit international privé étranger se pose en termes similai-
res dans les deux hypothèses. En occultant cette donnée, la présentation clas-
sique ne donne qu’une vision tronquée du phénomène du renvoi.
Une lecture attentive des arrêts Forgo aurait pu au demeurant dès le départ
conduire à une meilleure compréhension du problème. Certes le conflit néga-
tif y prend sa source dans une divergence des rattachements : le droit interna-
tional privé français soumet les successions mobilières à la loi du domicile de
droit, le droit international privé bavarois à la loi du domicile de fait. Mais
dans le second arrêt ci-dessus reproduit, la Cour précise que « suivant la loi
bavaroise, on doit appliquer en matière de statut personnel la loi du domicile
ou de la résidence habituelle et, en matière de statut réel, la loi de situation
des biens meubles ou immeubles, qu’ainsi en l’espèce sans qu’il y ait lieu de
rechercher si, d’après la loi bavaroise, la matière des successions ab intestat
dépend du statut personnel ou du statut réel, la loi française était seule
applicable ». C’est dire implicitement qu’au cas où cela aurait été nécessaire
l’on n’aurait pas hésité à rechercher si la matière successorale relevait en droit
66 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 7-8

international privé bavarois d’une qualification différente de celle du droit


français et à en tenir compte. Mais, en l’espèce, les rattachements par le domicile
ou par la situation des biens, associés par le droit international privé bavarois
aux catégories statut personnel et statut réel, se réalisaient l’un et l’autre en
France, de sorte qu’il était inutile de s’arrêter au conflit de catégories bavaroises.
5 La jurisprudence ultérieure est rare. Ce n’est, en effet, que cent sept ans plus
tard que la Cour de cassation eût à connaître explicitement du renvoi de qualifica-
tions (Civ. 1re, 18 oct. 1989, Soc. Alfa Laval Paris, Rev. crit. 1990. 712, note Jac-
ques Foyer). Malgré l’importance du délai de réflexion dont elle a ainsi bénéficié,
sa décision n’est pas d’interprétation aisée. Si, en effet, elle écarte en la circons-
tance le renvoi, c’est après avoir relevé qu’on était dans un domaine où celui-ci
était exclu. N’est-ce pas le signe que le renvoi doit être traité de façon analogue,
qu’il ait sa source dans une divergence des rattachements ou des qualifications ?
La Cour de Paris, seule juridiction du fond qui ait eu à connaître de la question n’a
pas hésité à franchir le pas à deux reprises (Paris, 19 juill. 1952, cité par Frances-
cakis, p. 252, note 1; 23 janv. 1975, motifs, Rev. crit. 1976, p. 97, note Dayant).
Néanmoins plus récemment, elle a paru plus réservée sur l’admission de ce
mécanisme. Dans une affaire qui soulevait la question de la loi applicable à la
prescription d’une obligation soumise à la loi anglaise, elle a en effet écarté le
renvoi de qualifications, non seulement parce que le conflit négatif n’était pas
clairement établi eu égard à l’indétermination des catégories étrangères et parce
que l’on était en matière contractuelle, domaine où le renvoi est exclu, mais aussi
au motif qu’il viendrait contredire « le sens de la règle de conflit en morcelant les
éléments d’une situation qu’elle ne veut pas dissocier » (Paris, 3 mars 1994, Rev.
crit. 1994. 532, note B. Ancel, Clunet 1995. 607, note Légier, D. 1994,
Som. com. p. 355, obs. Audit, JCP 1995. II. 22367, note Muir Watt). En d’autres
termes, le renvoi serait écarté dès lors que l’application du droit international
privé étranger conduirait à soustraire une question particulière à l’empire de la loi
étrangère désignée par la règle de conflit française, les autres points continuant à
relever de celle-ci. Une telle analyse qui est de nature à réduire sensiblement le
jeu du renvoi, n’emporte guère la conviction. « Prix à payer » pour dépasser le
conflit et atteindre la coordination des systèmes (B. Ancel, note préc. p. 544), la
dissociation ne devrait être écartée que lorsque ce prix se révèle trop élevé, c’est-
à-dire lorsqu’elle engage dans des difficultés réelles d’adaptation. Aussi bien,
frappée d’un pourvoi, cette décision a-t-elle été maintenue par la Cour de cassa-
tion au seul motif que « la mise en œuvre de la loi d’autonomie de la volonté est
exclusive du renvoi », ce qui paraît bien indiquer qu’une divergence de qualifica-
tions peut donner naissance à un renvoi lorsqu’elle se rencontre en un domaine
où le jeu de celui-ci n’est pas exclu (Civ. 1re, 11 mars 1997, Mobil North Sea Ltd,
Bull. I, no 84, p. 55, Rev. crit. 1997. 702, note B. Ancel, Clunet 1997. 789, note
M. Santa Croce, D. 1998. 406, note E. Agostini).

II. La solution des conflits négatifs

6 La loi étrangère désignée par la règle de conflit française l’est-elle dans ses
seules règles matérielles ou également dans ses dispositions de droit inter-
7-8 FORGO — CASS., 24 JUIN 1878, 22 FÉVRIER 1882 67

national privé ? La question qui prend évidemment tout son relief en cas de
conflit négatif c’est-à-dire, on l’a vu, lorsque le droit international privé étran-
ger attribue compétence à une autre loi, a été l’occasion d’une subtile dialecti-
que de la jurisprudence et de la doctrine. Critiquée à l’origine par les auteurs,
la solution élaborée par la Cour de cassation a été réaffirmée avec une telle
constance que ceux-ci se sont finalement employés à lui fournir le support
rationnel qui lui faisait initialement défaut.
De fait, ce ne sont pas les propositions théoriques qu’il énonce qui sont à
l’origine du succès de l’arrêt Forgo ! Constatant que les dispositions du
droit bavarois désigné par la règle de conflit française donnaient compé-
tence au droit français, la Cour l’applique sans autre explication. L’on pour-
rait être tenté de découvrir celle-ci dans le fait que la compétence de la loi
française permettait d’attribuer à l’État français une succession opulente.
Mais outre qu’il est tout à fait gratuit de prêter un tel dessein à la haute juri-
diction, l’évolution ultérieure montra que des considérations d’opportunité
immédiate ne suffisaient pas à expliquer la démarche retenue. Plus sérieuse-
ment, von Bar (Theorie und Praxis des internationalen Privatrechts, 2e éd.,
1889, t. I, p. 278 et s.) et Westlake (Traité de droit international privé,
5e éd., trad. Goulé, 1914, p. 38 et s.) devaient, dès cette époque, tenter de
fonder le renvoi en soutenant qu’il est juridiquement impossible de faire
jouer les règles matérielles d’un État étranger contrairement à la volonté de
celui-ci ; il y aurait là une atteinte à sa souveraineté. La doctrine française
répliqua que l’indivisibilité des règles matérielles et des normes de conflit
qui sous-tend la thèse précédente était directement contredite par l’existence
de règles de conflit bilatérales par lesquelles le législateur ne se contente
pas de délimiter le domaine dans l’espace du droit français mais exprime
l’opinion qu’il se fait du meilleur aménagement de ces souverainetés. Bien
qu’élaboré au sein du seul ordre juridique français, notre système de droit
international privé aspire à l’universalité ; abandonner à la règle de conflit
étrangère le soin de déterminer la loi applicable, ce serait donc abdiquer
notre souveraineté. Une fois le conflit tranché par nos dispositions de droit
international privé, il n’y a plus place pour celles du droit étranger (Bartin,
Études, p. 146 et s. ; Pillet, Principes, no 66, p. 165, Traité pratique, t. I,
no 251, p. 526). Ici, comme dans le domaine des conflits de qualifications
(v. infra, arrêt Bartholo, no 9), la controverse montre combien la notion de
souveraineté est inapte à fonder les solutions des conflits de systèmes :
selon qu’on la considère du point de vue du for ou du point de vue étranger,
elle permet de justifier avec une égale autorité une solution et son contraire.
En réalité, dépouillé de son vêtement publiciste, l’argument se réduit à cette
constatation : en édictant des règles de conflit de lois, le législateur a mar-
qué sa volonté que ceux-ci soient tranchés par celles-là ! Il est vrai que les
auteurs hostiles au renvoi ajoutaient à cette argumentation une considération
toute pragmatique : si la règle de conflit française désigne le droit étranger
dans son ensemble, il doit en aller de même de la règle de conflit étrangère
à l’égard du droit français. C’est le fameux argument du cercle vicieux,
illustré par toute une série d’images bien connues (« Cabinet des miroirs »,
Kahn ; « Jeu de tennis international », Buzatti).
68 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 7-8

7 En dépit de ces critiques, la Cour de cassation réaffirma avec une grande


solennité le principe du renvoi. Dans l’arrêt Soulié, à l’occasion d’une espèce
voisine de celle de l’arrêt Forgo, elle décida en effet que « la loi française
de droit international privé ne souffre d’aucune manière du renvoi qui est fait
à la loi interne française par la loi de droit international privé étranger, qu’il
n’y a qu’avantage à ce que tout conflit se trouve ainsi supprimé et à ce que
la loi française régisse d’après ses propres vues des intérêts qui naissent
sur son territoire » (Req. 9 mars 1910, Soulié, DP 1912. 1. 262, rapp. Denis,
S. 1913. 1. 105, note E. A., Clunet 1910. 888, Rev. dr. int. 1910. 870). Le motif
n’emporta pas immédiatement l’adhésion de tous les juges du fond. Il fallut
attendre la réitération de la solution pour que les divergences disparaissent
(Req. 7 nov. 1933, Ben Attar, S. 1934. 1. 321, note E. Audinet, Clunet 1935. 88,
Rev. crit. 1934. 440, note Niboyet; v. le dénombrement des décisions des juges
du fond par Derruppé et Agostini, J-Cl. dr. int., fasc. 532, nos 23 et s.). De fait,
les arguments invoqués étaient d’inégale valeur. En affirmant qu’« il n’y a
qu’avantage à ce que tout conflit se trouve ainsi supprimé », la Cour de cas-
sation entendait sans doute marquer que, grâce au renvoi, la solution serait la
même en France et en Bavière. Mais, ainsi qu’on l’a relevé bien souvent, ce
résultat heureux ne sera atteint que si l’un des deux systèmes admet le renvoi
tandis que l’autre le repousse. Au cas contraire, il y aura simplement chassé-
croisé des solutions (v. par ex., Bartin, Études, p. 98). En revanche, tout en ne
répondant pas aux objections de la doctrine, le dernier argument utilisé par
l’arrêt est empreint d’un réalisme indéniable : le renvoi au 1er degré permet au
juge d’appliquer son propre droit. Or c’est là une réalité à laquelle les magis-
trats ne sont pas insensibles. Comme l’écrivait le conseiller Denis dans son
rapport, « j’aime mieux la loi française que la loi étrangère » (DP 1912. 1.
264); et de fait, il est constant que le juge français applique mieux sa propre loi
que les lois étrangères. Cette considération ne saurait cependant suffire à elle
seule car il en irait alors de l’existence même du conflit de lois. Aussi souli-
gne-t-on que la solution retenue est bénéfique pour l’homogénéité de l’ordre
juridique du for. Certes cette homogénéité ne sera réalisée qu’au prix de
l’introduction de l’élément hétérogène que représente la règle de conflit étran-
gère. Mais en affirmant qu’« il n’y a qu’avantage (…) à ce que la loi française
régisse d’après ses propres vues des intérêts qui naissent sur son territoire », la
Cour de cassation marque clairement que l’homogénéité de la loi interne lui
importe plus que celle des règles de conflit (Batiffol et Lagarde, t. I, no 303).
C’est là une manifestation de l’antériorité de l’ordre interne sur l’ordre inter-
national (sur celle-ci, v. infra, arrêt Bartholo, no 9 § 8 ; arrêt Caraslanis,
no 27 § 7). Néanmoins ces considérations laissent subsister la critique de la
doctrine classique : si le législateur a pris la peine d’édicter des dispositions de
droit international privé, c’est qu’il entendait que les conflits soient tranchés
conformément à celles-ci.
8 Il fallut attendre une nouvelle génération d’auteurs pour que l’objection fût
enfin surmontée. Impressionnés par la permanence de la jurisprudence, plus
intéressés par sa compréhension que par sa condamnation, ils firent porter leur
effort sur l’explication du phénomène. Le tournant fut, à cet égard, marqué par
7-8 FORGO — CASS., 24 JUIN 1878, 22 FÉVRIER 1882 69

le célèbre article de Lerebours-Pigeonnière, « Observations sur la question du


renvoi » (Clunet 1924. 877 et s.). Relevant l’insuffisance des motifs des arrêts
de la Cour de cassation dont il ne se dégageait selon lui aucune « synthèse
complète (et) claire », l’éminent auteur soulignait en même temps que les
adversaires du renvoi ne s’étaient pas assez souciés « des considérations
pratiques immédiatement saisies par la jurisprudence » (préc. p. 877-878;
v. cep. Labbé, note S. 1882. 1. 393). Contrairement aux tenants de la doctrine
nationaliste qui tout à la fois exacerbaient le particularisme des systèmes natio-
naux et proclamaient l’emprise universelle de chacun de ceux-ci, il professe
que la diversité des systèmes de droit international privé est un élément dont le
droit international privé français ne saurait faire abstraction. Pour lui nos
règles ne sont pas fondées exclusivement sur l’analyse du droit français; elles
s’attachent à la solution de conflits d’intérêts internationaux et reposent sur la
présomption d’une communauté de vue entre les règles étrangères et les
nôtres. Au cas où celle-ci serait infirmée, il est légitime que le droit internatio-
nal privé français prenne en compte cette donnée (Précis, 3e éd., nos 260-261).
Mais comment l’intégrer sans que pour autant le juge français puisse être
taxé d’abandonner sa propre règle de conflit ?
C’est là que les propositions doctrinales divergent.
Pour Lerebours-Pigeonnière, le refus qu’oppose à notre offre le droit inter-
national privé étranger nous oblige à modifier notre conception du rattache-
ment et à découvrir dans notre propre droit un règlement subsidiaire (art.
préc. p. 896; Lerebours-Pigeonnière, Précis, 3e éd., no 259; Loussouarn, Bou-
rel et de Vareilles-Sommières, nos 207 et s.). Ce sera donc toujours en vertu
du seul droit international privé français que s’opérera le règlement du conflit.
Pour le doyen Batiffol, le législateur en édictant sa règle de conflit prévoit,
si besoin est, une coordination de celle-ci avec la règle de conflit étrangère.
La loi appliquée sera certes celle désignée par la règle de conflit étrangère
mais celle-ci n’est pas entrée en jeu « par miracle mais par la désignation de
notre règle de conflit » (Batiffol et Lagarde, t. I, no 304; Aspects philosophi-
ques du dr. int. pr., nos 142 et s., p. 314 et s.). Les règles de conflit du for et de
la loi étrangère opérant successivement et se coordonnant, aucune n’élimine
l’autre. Il y a sinon suppression, du moins dépassement du conflit par correc-
tion de la désignation initiale (Batiffol et Lagarde, t. I, no 304).
Le choix entre ces deux conceptions revêt une importance certaine, les
conséquences positives en étant, ainsi qu’on le verra (infra, no 14), sensible-
ment différentes. Sans prendre nommément parti pour l’une d’entre elles, ce
qui au demeurant n’est guère le rôle de la jurisprudence, les décisions ulté-
rieures devaient, par les solutions affirmées, marquer implicitement leur pré-
férence pour le renvoi-coordination (v. infra, arrêt de Marchi, no 16 § 7).
9
COUR D’APPEL D’ALGER
24 décembre 1889

(Clunet 1891. 1171)


Qualification.

La répartition des acquêts tire son origine, non de la qualité des époux
au regard l’un de l’autre, mais de ce principe de droit naturel qui veut que
chacun fasse sien, dans la limite de sa coopération et de son effort, le bien
acquis en commun; la prétention qu’elle fonde relève donc du régime
matrimonial et non de la dévolution des successions.

(Bartholo)

Faits. — François Bartholo et Marie Aquilina, tous deux sujets maltais, se sont mariés
en territoire maltais. Par la suite, le mari s’est installé en France, précisément en Algérie,
où il a acquis des immeubles. À son décès, son épouse réclame sa part dans ces immeu-
bles français, contre une dame Vall, héritière du défunt.
Celle-ci conteste d’abord la compétence du Tribunal de Blida et l’existence du mariage
entre le de cujus et la demanderesse. Elle soutient ensuite que la prétention de partager
les immeubles constitue une pétition d’hérédité, exercice d’un droit successoral que
dénierait la loi du 14 juillet 1819. Le Tribunal de Blida n’accueille aucun de ces moyens
et fait droit à la veuve Bartholo; la dame Vall fait appel.

ARRÊT
« La Cour; — Sur le défaut de qualité de la dame Marie Aquilina, veuve Fran-
çois Bartholo : — Attendu que l’appelante prétend, à tort, que la dame Aquilina
ne justifie pas, par des documents suffisamment probants, de sa qualité de
femme légitime du de cujus; que, sur ce point, il convient tout d’abord d’obser-
ver qu’il n’existe à Malte d’autre état civil que celui qui est dressé par l’autorité
ecclésiastique; — Attendu que la dame Aquilina produit, à l’appui de sa
demande, un extrait des actes de mariage de la paroisse de Nadur, île de Guzzo
(Malte), duquel il résulte qu’elle a contracté mariage avec François Bartholo, le
9 mai 1839; — Que les énonciations de cet acte, légalisé par le représentant de
l’autorité locale et le consul de France à Malte, doivent être tenues pour
exactes; qu’il appert, en outre, de la volumineuse correspondance échangée au
cours de longues années entre Marie Aquilina, les membres de sa famille et
François Bartholo, que ce dernier ne lui a jamais contesté sa qualité d’épouse;
que c’est à ce titre qu’il s’adresse à elle, qu’il lui envoie des fonds, qu’il l’engage
à prolonger son séjour à Malte, en lui laissant entendre qu’elle tirera profit de
son éloignement; qu’aucun doute ne saurait donc exister sur la qualité de la
9 BARTHOLO — ALGER, 24 DÉCEMBRE 1889 71

dame Marie Aquilina, veuve Bartholo, au regard de ce dernier; — Sur l’excep-


tion d’incompétence : — Attendu que l’exception dont s’agit ne soulève pas un
moyen d’ordre public; qu’on ne saurait, en l’espèce, lui attribuer un caractère
aussi rigoureux par suite de cette circonstance qu’elle puise sa raison d’être dans
la qualité des parties, qu’elle leur est personnelle, qu’elle peut, dès lors, être
couverte par leur consentement ou leur acquiescement; — Attendu que si la
femme Vall, dans les conclusions signifiées le 15 novembre 1881, a accepté le
débat au fond sans soulever ce moyen de compétence, il est à observer que lors-
que l’instance a été utilement reprise, après le décès de son défenseur, devant
les juges du premier degré, elle a décliné, dans ces conclusions du 17 mars 1886,
la compétence du Tribunal de Blida, que c’est dans cet état que la cause a reçu
solution; qu’il est donc inexact de prétendre que cette exception doit être écar-
tée en raison de sa tardiveté; — Mais attendu qu’elle ne saurait être accueillie;
que les biens dont le partage est poursuivi par la veuve Bartholo sont situés à
Blida; — Que l’article 3 du Code civil dispose que les immeubles possédés en
France par des étrangers sont régis par la loi française; — Que cette attribution
de compétence est d’ordre public, qu’il n’appartient à personne de l’éluder ou
de la méconnaître; — Que c’est donc à bon droit que l’action de la veuve Bar-
tholo a été portée devant le Tribunal de Blida qui est celui de la situation des
biens; — Sur le moyen tiré de ce que la demande de la veuve Bartholo ne consti-
tuerait, de sa part, que l’exercice d’un droit successoral dont les tribunaux ne
pourraient connaître aux termes de la loi du 14 juillet 1819; — Attendu qu’il est
de principe que les lois concernant l’état et la capacité des étrangers les suivent
en France lorsqu’elles n’ont rien de contraire à une disposition de la loi française
revêtue d’un caractère d’ordre public, et que leur application n’est pas de
nature à léser des intérêts français; — Attendu qu’à l’époque de la célébration
de leur mariage, les époux Bartholo se trouvaient placés sous l’empire de la
législation du Code de Rohan qui est resté en vigueur, à Malte, jusqu’en 1868;
que ce sont, par conséquent, les dispositions de ce code qu’il échet d’appliquer,
qu’elles prévoient, en ce qui concerne la situation de l’époux survivant, lors de la
dissolution du mariage, trois hypothèses bien distinctes : — 1° Celle où des
conventions ont été arrêtées entre époux et établies par contrat; — 2° Celle où,
aucun contrat n’étant intervenu, des enfants sont nés du mariage; — 3° Celle,
enfin, où il n’y a eu ni contrat, ni survenance d’enfant; — Que c’est à cette der-
nière hypothèse prévue et réglementée par les articles 17 et 18 du Code de
Rohan, qu’il convient de se reporter, les époux Bartholo s’étant mariés sans
contrat et aucun enfant n’étant né de leur union; — Que les articles précités
sont ainsi conçus : Île de Malte. Code de Rohan. Livre III, chapitre Ier. — « Arti-
cle 17. Après la dissolution du mariage contracté sans acte écrit et lorsqu’il n’est
pas né d’enfants, de sorte que les biens n’ont pas été confondus et partagés en
trois portions, le conjoint survivant aura en usufruit, s’il est pauvre, le quart des
biens du conjoint prédécédé; il aura en outre la propriété et l’usufruit de la moi-
tié des biens qu’ils auront acquis pendant le mariage par leur travail et leur
industrie, le tout après prélèvement des dettes »; — « Article 18. Dans le cas où
aucun des conjoints n’est pauvre, les biens acquis pendant le mariage par le tra-
vail ou l’industrie des époux appartiendront de plein droit pour moitié à la
femme ou à ses héritiers et, pour l’autre moitié, au mari ou à ses héritiers; on
n’appliquera pas les dispositions du paragraphe précédent relativement à l’usu-
fruit du quart. » — Attendu que l’on ne saurait voir dans cette attribution de
part, à la femme survivante, autre chose que la consécration, par le fait de la loi,
de ses droits de propriété sur les biens acquis pendant le mariage ; que le légis-
lateur reconnaît qu’il s’est créé, au cours de l’association conjugale, en ce qui
concerne les acquêts provenant du travail et de l’industrie des époux, un vérita-
ble état de communauté et qu’il le divise en deux parts, une pour le mari ou ses
héritiers, l’autre pour la femme ou ses héritiers; — Attendu que l’appelante sou-
72 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 9

tient, à tort, que cet état de communauté, ainsi défini, ne pourrait exister que
dans le cas où il aurait été expressément convenu ou dans celui de survenance
d’enfant; — Que si, dans ces deux hypothèses, la part du conjoint survivant n’est
plus la même, cette circonstance n’affecte en rien, quant à son essence, la dispo-
sition en vertu de laquelle la répartition des acquêts s’effectue; qu’à ce point de
vue, elle reste invariable; qu’elle tire son origine, non de la qualité des époux au
regard l’un de l’autre, mais de ce principe du droit naturel qui veut que chacun
fasse sien, dans la limite de sa coopération et de son effort, le bien acquis en
commun; — Attendu que s’il ressort des termes de l’article 17 que la confusion
ne s’opère pas entre les biens des époux, dans le cas où le mariage a été consa-
cré sans écrit et celui où il n’a pas été suivi de survenance d’enfant, on ne saurait
en induire que cette disposition est exclusive de toute communauté, qu’elle ne
vise que les biens personnels des conjoints, confondus quand ils en ont convenu
ou que des enfants leur sont nés, restant leur chose propre dans le cas contraire;
qu’en décidant que l’époux survivant pauvre prendra le quart en usufruit de la
fortune personnelle de son conjoint, alors que la confusion des biens ne s’est
pas produite, le législateur indique nettement qu’il attribue à cet état de pau-
vreté l’effet que la confusion eût entraîné; qu’il paraît, dès lors, rationnel de
décider que celle-ci ne s’exerce que sur les biens propres du de cujus; —
Attendu, d’autre part, que les termes de l’article 18, seul applicable à l’espèce,
sont formels; qu’ils portent : « Que la moitié des biens acquis pendant le mariage
appartiendra de plein droit à la femme survivante ou à ses héritiers », que ces
expressions « de plein droit » sont évidemment déterminatives de son droit de
propriété; — Que cet article se trouve, d’ailleurs, placé au titre du Mariage et de
la Société conjugale et non au chapitre des successions; qu’il convient donc de
décider que la veuve Bartholo puise le principe de son action dans ses droits de
femme commune en biens et que la loi du 14 juillet 1819, sur la dévolution des
successions aux étrangers, ne saurait lui être opposée; — Sur le moyen tiré de
l’incompétence des tribunaux français pour connaître d’une action en partage
de communauté d’acquêts en dehors de tout contrat; — Attendu que ce moyen
doit être écarté, que la veuve Bartholo se borne à réclamer le partage judi-
ciaire, dans les formes fixées par la loi française, de la communauté ayant existé
entre elle et son mari; — Que de ce chef la compétence des tribunaux français
n’est pas douteuse ; — (…) Par ces motifs : — Confirme ; — Dit notamment que
la qualité de femme légitime de François Bartholo ne saurait être contestée à
Marie Aquilina, veuve Bartholo; — Rejette, comme non fondée au fond, l’excep-
tion tirée de l’incompétence des tribunaux français; — Dit que l’action de la
veuve Bartholo tire son origine du droit de communauté que lui confère
l’article 18 du Code de Rohan, que la loi du 14 juillet 1819 ne saurait lui être
opposée; — Dit que les tribunaux français sont compétents pour connaître, dans
les conditions imparties par la loi française, de l’action en partage de la commu-
nauté ayant existé entre les époux Bartholo.
Du 24 décembre 1889. — Cour d’appel d’Alger. — MM. Zeys, prés.; Brocard, min. publ. —
MMes Jouyne et Mallarmé, av.

OBSERVATIONS

1 La renommée persistante de cet arrêt est un hommage au génie d’Étienne


Bartin (1860-1948). Pour les besoins d’une étude intitulée « De l’impossibilité
d’arriver à la suppression définitive des conflits de lois » (Clunet 1897, p. 225,
466 et 720, reproduite in Études de droit international privé, 1899, sous le
9 BARTHOLO — ALGER, 24 DÉCEMBRE 1889 73

titre : « La théorie des qualifications en dr. int. privé » p. 1 et s.), Bartin puisa
dans cette décision les éléments d’un des exemples les plus célèbres de la doc-
trine de droit international privé. L’exemple illustre la première présentation
jamais faite en langue française du conflit de qualifications (que Franz Kahn
avait révélé en Allemagne dès 1891, v. Abhandlungen zum internationalen
Privatrecht, t. I, p. 1). Il est bâti sur l’institution, héritée du droit romain, de la
quarte du conjoint pauvre, dont on remarquera pourtant qu’elle n’était pas au
cœur de la cause. C’est Bartin qui l’y mettra (v. Études, p. 68). Néanmoins
parce qu’elle donnait à la difficulté tout son relief, cette version révisée de
l’affaire a très vite supplanté dans les esprits la relation originelle.
Aussi avant de poser avec Bartin la question du conflit de qualifications
(II), il convient, afin de prévenir les équivoques, d’examiner d’abord l’arrêt
lui-même (I).

I. L’affaire Bartholo devant la cour d’Alger :


un problème de qualification

2 Des trois questions que la cour d’Alger avait à résoudre, les deux premières
n’intéressent pas la qualification; elles ne méritent qu’une brève évocation. En
revanche la troisième pose un problème de qualification — et non un conflit de
qualifications —; elle reçoit une réponse dont l’examen constituera une bonne
propédeutique à l’enseignement de Bartin.
La première question était celle de la qualité d’épouse de Marie Aquilina.
Celle-ci rapporte la preuve de cette qualité par la production d’un extrait
d’acte de mariage, légalisé par l’autorité maltaise compétente et le Consul de
France à Malte. L’article 47 du Code civil n’exige rien de plus (v. Civ., 24 févr.
1959, Isaac, Rev. crit. 1959. 368, note Y. L., D. 1959. 485, note Ph. Malaurie;
Civ., 12 févr. 1963, Ruffini, Rev. crit. 1964. 121, note P. Lagarde, D. 1963.
325, note G. Holleaux; Civ. 1re, 25 nov. 1981, Rezki, Rev. crit. 1982. 701, note
B. Ancel; v. en dernier lieu sur l’art. 47 en sa rédaction actuelle, Ch. Bidaud-
Garon, « La force probante des actes de l’état civil étrangers après la loi du
26 nov. 2003 », Rev. crit. 2006. 49). Cependant la cour croit devoir conforter
sa conviction en s’assurant de la possession d’état d’époux — sans doute par
référence à l’article 196 du Code civil.
La seconde question est celle de la compétence du Tribunal de Blida. Quoi-
que l’exception n’ait pas été soulevée in limine litis, comme elle devrait l’être
aujourd’hui (v. Batiffol et Lagarde, t. II, no 675, p. 464), elle est déclarée rece-
vable. Mais elle est jugée mal fondée. La motivation du rejet est assez caracté-
ristique de la difficulté qu’éprouvaient à une certaine époque les juridictions à
distinguer les questions de compétence internationale des tribunaux et de
détermination de la loi applicable. En l’espèce, l’article 3, alinéa 2 qui énonce
une règle de conflit de lois est utilisé en matière de compétence. La confusion
serait unanimement dénoncée aujourd’hui quoique l’extension à l’ordre inter-
national des règles de compétence territoriale interne eût sans doute conduit à
la même solution (v. infra, arrêt Scheffel, no 37). En définitive sur ces deux
premières questions, l’arrêt n’offre pas un intérêt qui le distingue vraiment.
74 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 9

3 Il est en revanche plus riche d’enseignement sur la troisième question. C’est


en effet à son propos qu’il aborde l’institution de la quarte du conjoint pauvre
(sur le sort de cette institution d’origine romaine dans l’Ancien droit français,
v. J. Turlan, « Recherches sur la quarte du conjoint pauvre », Rev. hist. dr. fr. étr.
1966. 210), bien que celle-ci ne soit pas en jeu dans le procès. Elle figure dans
la disposition précédant immédiatement dans le Code de Rohan, en vigueur à
Malte, celle qui règle les droits de l’épouse sur les biens acquis par le mari
pendant le mariage ; comme la Cour d’Alger pratique une méthode d’inter-
prétation inspirée de l’esprit de l’exégèse, elle met en relation l’article 18 —
dont elle souligne qu’il est « seul applicable en l’espèce » — et l’article 17 —
prévoyant l’attribution de la quarte — de manière à éclairer l’un par l’autre.
La dame Bartholo n’alléguait pas l’état de pauvreté qui selon la loi maltaise
lui aurait permis de recevoir un usufruit sur le quart des biens propres de son
mari. Elle entendait seulement faire reconnaître, en s’appuyant sur l’article 18
du Code de Rohan qui institue une communauté d’acquêts entre époux, ses
droits sur les immeubles acquis par son mari pendant le mariage. À cette pré-
tention, l’héritière opposait la combinaison de deux éléments : d’une part, la
loi interne française qui à l’époque refusait au conjoint survivant toute voca-
tion ab intestat en présence d’héritiers par le sang et, d’autre part, l’article 1er
de la loi du 14 juillet 1819, aux termes duquel « …les étrangers auront le droit
de succéder, de disposer et de recevoir de la même manière que les Français
dans toute l’étendue du Royaume ». L’invocation de ce texte était critiquable
puisqu’elle lui prêtait le rôle d’une règle de conflit, lui demandant de fonder
l’application de la loi interne française, alors qu’il s’agit d’une disposition
relative à la jouissance des droits des étrangers en France (sur la portée de ce
texte en matière de droit applicable, v. S. Billarant, Le caractère substantiel
de la réglementation française des successions internationales, thèse Paris I,
Dalloz, 2004, nos 159 et s.) — abrogeant les articles 726 et 912 du Code civil,
traces ultimes de l’ancien droit d’aubaine. Mais la maladresse n’était pas
rédhibitoire : la dévolution des immeubles sis en France obéit, selon la règle
de conflit en matière de successions, à la loi française (v. supra, arrêt Stewart,
no 3); le moyen était erroné, le résultat aurait pu néanmoins être obtenu. Il fal-
lait tout de même pour cela que fût remplie une condition qui précisément fai-
sait tout l’objet du débat que conclut l’arrêt. Il ne suffit pas que la règle de
conflit assigne à la loi française l’établissement de la dévolution successorale,
il faut aussi que la question de droit débattue forme une question de dévolu-
tion successorale. C’est là le problème de qualification — qui consiste à déter-
miner de quelle règle de conflit de lois relève la question de droit posée. En
l’occurrence, l’argumentation de la dame Vall obligeait à choisir entre la règle
de conflit qui soumettait la succession à la loi française et celle qui soumettait
le régime matrimonial à la loi maltaise. À laquelle de ces deux catégories juri-
diques, succession ou régime matrimonial, appartenait la question de droit ?
L’appartenance à la première, affirmée par l’héritière, conditionnait l’applica-
tion de la loi française qui avant 1891 excluait le conjoint de la dévolution
dans le cas considéré; l’appartenance à la seconde, défendue par la veuve,
conduisait à l’application de la loi maltaise, loi du premier domicile matrimo-
nial, qui attribuait au conjoint la propriété de la moitié des immeubles.
9 BARTHOLO — ALGER, 24 DÉCEMBRE 1889 75

4 Pour trancher la difficulté, la Cour d’Alger, on l’a vu, attache une grande
importance aux dispositions du droit maltais — ce qui en principe ne va pas
sans risque, mais, sous réserve de certaines précautions, n’est pas interdit s’il
ne s’agit que de discerner la teneur de la question de droit à qualifier lorsque
celle-ci est formulée en référence aux règles internes d’une loi déterminée. Le
problème est celui de l’objet de la qualification, qui aurait dû être affronté si
les règles maltaises et françaises visant la même question de droit avaient eu
des significations différentes justifiant des qualifications divergentes (v. infra,
obs. sous arrêt Caraslanis, no 27, I-B). Tel n’était pas le cas de l’espèce, l’arti-
cle 18 du Code de Rohan instituant une communauté d’acquêts entre époux
qui lui méritait la qualification régime matrimonial qu’appellent aussi pour
leur propre compte les règles françaises de la communauté de biens. (comp.
E. Bartin, Études, p. 5-6).
L’intérêt majeur de l’arrêt tient précisément à la façon dont il parvient à
cette qualification régime matrimonial. En effet, la Cour d’Alger se détermine
essentiellement sur la considération que : « la répartition des acquêts… tire
son origine, non de la qualité des époux au regard l’un de l’autre, mais de ce
principe de droit naturel qui veut que chacun fasse sien, dans les limites de sa
coopération et de son effort, le bien acquis en commun ». Ainsi, pour distin-
guer ce qui est succession et ce qui est régime matrimonial, l’arrêt prend de la
hauteur. Il recherche la nature de la question de droit — enfermée dans la règle
maltaise — d’un point de vue si l’on peut dire universel. À cet égard, l’appel
au droit naturel — par opposition aux droits positifs — est éloquent; mais
n’est pas moins remarquable la manière d’évoquer le lien conjugal, la qualité
des époux… La relation d’alliance est appréhendée comme principe de dévo-
lution ab intestat — que certaines lois réalisent en attribuant une vocation au
conjoint survivant et que d’autres n’accueillent que subsidiairement (v. anc.
art. 767, C. civ.), voire pas du tout. N’entrant pas dans ces particularités de
droit positif, le raisonnement dépasse le plan des lois internes maltaise et fran-
çaise et s’élève au niveau d’un système de catégories universelles.
La Cour d’Alger adopte donc une attitude savignienne, préférant à la diver-
sité des lois positives, l’unité des principes et concepts d’une communauté
juridique universelle (v. C. F. Savigny, Traité de droit romain, (trad. Guénoux),
2e éd. 1860, vol. VIII, § 361; v. Ph. Francescakis, « Droit naturel et dr. int.
pr. », Mélanges Maury, t. I, p. 113, spéc. nos 13 et 14). C’est sur ce point que
Bartin va s’éloigner d’elle pour entreprendre l’élaboration de la théorie des
conflits de qualifications.

II. L’affaire Bartholo revue par Bartin : le conflit de qualifications

5 L’exploitation par Bartin de l’affaire Bartholo repose sur l’introduction de


deux variantes. La première est que, contrairement à la conviction de la Cour
d’Alger, il n’y a pas de communauté juridique universelle, il n’y a pas de sys-
tème de référence supérieur aux droits internes. La seconde est que, sur la
nature de la prétention de la veuve, il y a opposition de vues entre le droit fran-
76 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 9

çais et le droit maltais. Ces deux modifications vont en favoriser une troisième,
qui serait restée d’ordre anecdotique si sa portée pédagogique ne lui avait
assuré la notoriété. Ce n’est que dans un dernier retour sur l’affaire Bartholo,
vers la fin de son étude et bien après en avoir traité d’abondance dès les pre-
mières pages, que Bartin altère soudain l’objet de la prétention : « il s’agissait,
dit-il, de la question de savoir si la quarte du conjoint pauvre, attribuée à la
femme par la loi maltaise, sous l’empire de laquelle elle était mariée, devait
être considérée comme un droit héréditaire ou comme un droit se rattachant au
régime des biens entre époux » (Études, p. 68); il n’est plus question du droit
au partage des acquêts immobiliers. L’exemple n’en est que plus efficace : le
fait que la quarte du conjoint pauvre soit une institution du Code de Rohan,
mais inconnue du Code civil, suggère avec force la divergence d’attitudes des
lois française et maltaise à l’égard des droits de l’épouse et, en même temps,
paraît bien démentir l’idée d’une communauté juridique universelle. On com-
prend que se soit à la longue accréditée cette version de l’affaire et que celle-ci
l’ait emporté auprès des auteurs se proposant d’illustrer à leur tour le conflit de
qualifications.

6 Car c’est le conflit de qualifications qui est la conséquence immédiate des


deux modifications fondamentales apportées par Bartin. L’absence d’un sys-
tème de référence universel oblige à se rabattre sur les droits internes; mais les
différences de conception entre ces droits internes sont source de difficultés. Si
la prétention à la quarte est qualifiée selon les vues du droit maltais, elle sera
considérée comme donnant lieu à une question de régime matrimonial qui sera
réglée par la loi interne maltaise donnant satisfaction à la veuve. Si, en revan-
che, la prétention à la quarte est qualifiée selon les vues du droit français, elle
sera considérée, nous dit Bartin, comme une question de nature successorale
qui sera réglée par la loi interne française déniant à la veuve tout droit sur les
biens de son mari. Ces issues contradictoires matérialisent le conflit de qualifi-
cations.
On observera cependant que le problème ne se pose que parce que l’opéra-
tion de qualification est dédoublée : il y est procédé une fois selon la loi mal-
taise et une fois selon la loi française. Bartin en déduit tout naturellement que
pour éviter le conflit, il faut qualifier selon une seule loi. La question est alors
de choisir : « Quelle est, en droit international privé, la loi qui fournit la qualifi-
cation des droits ? » (Études, p. 6), « Quelle est la loi qui fixe la nature [du]
rapport de droit ? » (Études, p. 13).
La réponse est qu’il s’agit de la lex fori, loi du juge saisi (p. 14 et s.). Le
fondement de la solution résiderait dans l’idée de souveraineté. La règle de
conflit désigne tantôt la loi française, tantôt la loi étrangère. Aussi bien dans
la seconde éventualité que dans la première, elle délimite le champ d’applica-
tion de la loi française. Ainsi, l’État édictant une règle de conflit définit
l’étendue de sa souveraineté législative ou « civile ». Or la notion de souverai-
neté exclut toute ingérence étrangère. Aussi, « lorsque l’État [par sa règle de
conflit] s’est reconnu l’obligation d’appliquer à une institution quelconque
une loi étrangère, il est bien évident que cet État n’a pu mesurer l’étendue de
la restriction qu’il apportait à l’empire de ses propres lois civiles que par réfé-
9 BARTHOLO — ALGER, 24 DÉCEMBRE 1889 77

rence à la notion qu’il se faisait lui-même de cette institution » (Études, p. 16).


Ainsi la loi maltaise est récusée; la souveraineté française interdit au juge
français appliquant les règles de conflit françaises de se ranger à la qualifica-
tion maltaise de la quarte du conjoint pauvre. Corrélativement à cette prohibi-
tion, une liaison stricte est établie entre la teneur des institutions du droit
interne du for et la définition des catégories du droit international privé du for.

7 Le destin de la théorie de Bartin mérite d’être signalé. La solution de la qua-


lification selon les catégories de la loi du juge saisi (qualification lege fori)
sera consacrée par le droit positif : l’arrêt Caraslanis en admet le principe
(v. infra, no 27). Cependant il serait excessif de rattacher l’accueil de cette
solution à une acceptation de la justification que Bartin lui donne. L’idée de
souveraineté est trop peu convaincante. Attribuer par l’effet d’une qualification
lege fori, la solution d’une question de droit à une loi étrangère alors que de
son point de vue, d’après ses propres qualifications, elle n’a pas à en connaître,
n’est-ce-pas violer la souveraineté étrangère ? N’est-ce pas lui imposer ce que
la souveraineté française refuse pour elle-même : l’obéissance à des vues qui
ne sont pas les siennes ? C’est en substance l’objection qui très tôt sera dirigée
contre la thèse de Bartin (v. Despagnet, « Des conflits de lois relatifs à la qua-
lification des rapports juridiques », Clunet 1898, p. 253, spéc. p. 258); elle
vaut d’être retenue, non pas parce qu’elle débouche sur le précepte contraire de
la qualification lege causae (qui ne s’est pas implanté en droit positif) mais
parce qu’elle démontre l’inconsistance de la notion de souveraineté, qui au gré
des auteurs fonde avec une égale autorité un principe et son contraire (l’obser-
vation s’étend au renvoi, auquel Bartin s’oppose — « Les conflits de disposi-
tions législatives de dr. int. privé », Rev. dr. int. lég. comp. 1898. 125 et 372,
reproduit in Études, p. 82 — mais que Niboyet défend — note sous Req.
10 mai 1939, Birchall, S. 1942. I. 73 — l’un et l’autre au nom de la souverai-
neté ; v. supra, arrêts Forgo, no 7-8 § 6).
Cependant, malgré le rôle fondamental qu’y joue cette idée inconsistante,
la position théorique de Bartin, et pas seulement le principe de la qualification
lege fori conservent aujourd’hui une actualité indéniable. Certes, dans l’étude
publiée en 1897 comme plus tard, (v. Principes, I, § 85 et s.), la notion de
souveraineté enchaîne trop étroitement les catégories des règles de conflit à la
teneur du droit interne du for. Cet assujettissement rigoureux rompt, dans son
principe, avec l’hypothèse — accueillie par la Cour d’Alger — d’une commu-
nauté juridique universelle qu’après Savigny croient encore pouvoir vérifier,
dans la seconde moitié du XIXe siècle, des auteurs aussi influents que Mancini,
Pillet ou von Bar. Comme déjà F. Kahn en Allemagne, comme Dicey en Angle-
terre ou Anzilotti en Italie, Bartin n’adhère plus au dogme de l’unité foncière
du droit. Avec l’affirmation des identités nationales attestée par l’essor des
codifications internes, la notion de souveraineté dévalue l’idée d’une parenté
des diverses lois étatiques au point qu’il paraît désormais réaliste de la récuser.
Dorénavant les dissemblances l’emportent sur les ressemblances (v. Ph. Fran-
cescakis, Rép. Dalloz dr. int., v° Droit international privé comparé, nos 36 et s.).
C’est ainsi qu’un dogmatisme chasse l’autre, que le particularisme supplante
l’universalisme.
78 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 9

8 Mais, entre les deux guerres mondiales, grâce aux travaux de Paul Lerebours-
Pigeonnière et Jacques Maury en France, d’Ernst Rabel, Hans Lewald et
Léo Raape en Allemagne, la doctrine du droit international privé parvient à
purger cette discipline des notions a priori qui, lorsqu’elles n’en faussaient pas
l’exposé, l’encombraient inutilement. S’alimentant à l’observation des données
positives et spécialement jurisprudentielles, ce mouvement fit apparaître que
l’idée de souveraineté ne représente pas pour le conflit de lois un principe
déterminant ses solutions, mais qu’elle caractérise seulement certaines réalités
impossibles à négliger lorsque leur action interfère dans le champ des relations
d’intérêt privé (v. H. Batiffol, « Les tendances doctrinales actuelles du dr. int
privé », Rec. cours La Haye, 1948, t. I, p. 1, spéc. p. 31). Rétablissant la juste
hiérarchie des intérêts impliqués dans le commerce juridique international,
cette attitude réaliste dévoilait cette donnée essentielle du problème du conflit
de lois que constitue l’antériorité de l’ordre interne par rapport à l’ordre inter-
national et que, dans la théorie de Bartin, le dogme de la souveraineté tout à la
fois consacrait et occultait. Corrélativement, les liens rigoureux que ce dogme
déchu avait voulu nouer entre les catégories du conflit de lois et le droit interne
du for se détendaient de sorte que la doctrine pouvait affirmer que si l’analyse
des institutions internes du for constitue le point de départ de la méthode, elle
n’en est pas moins susceptible d’assouplissement ou de déformation répondant
aux exigences d’un règlement satisfaisant des rapports internationaux de droit
privé (v. P. Lerebours-Pigeonnière, Précis, 3e éd., nos 213 et s.; J. Maury, « Règles
générales des conflits de lois », Rec. cours La Haye, 1936, t. III, p. 329,
nos 132 et s. — sur ce cours v. Ph. Francescakis, « Une lecture demeurée fon-
damentale… », Rev. crit. 1982. 3; Batiffol et Lagarde, t. I, no 242, no 297).
Ainsi dépassant l’opposition du particularisme et de l’universalisme, un pro-
gramme se définissait (v. G. Van Hecke, « Universalisme et particularisme des
règles de conflit au XXe siècle », Mélanges Dabin, t. II 939; Ph. Francescakis,
« Droit naturel et droit international privé » art. préc. nos 29-30, p. 145 et s.);
l’arrêt Caraslanis (infra, no 27) et l’arrêt Silvia (infra, no 29) en signalent, dans
le domaine de la qualification, les accomplissements.
10
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)

9 mai 1900

(S. 1901. 1. 185, Clunet 1900. 613)


Jugement étranger. —
État et capacité des personnes. — Reconnaissance.

La juridiction française a le droit et le devoir d’examiner si les dispositions


de la sentence étrangère proposée à l’exequatur ne sont pas contraires à
l’ordre public français, alors même que celle-ci n’aurait statué que sur
une question d’état ou de capacité débattue entre deux étrangers.
La capacité de l’étranger étant régie par son statut personnel, la liberté
qu’il a acquise de se remarier, par suite de l’annulation de son premier
mariage par les tribunaux de son pays, le suit en France et le fait juridique
qui la lui a rendue ne saurait être méconnu.
Cependant il ne peut en être ainsi que si le jugement étranger émane d’une
juridiction compétente, s’il a été rendu dans les formes prescrites par les
lois du pays, et s’il a acquis l’autorité de la chose jugée.
Il appartient à l’officier de l’état civil français de vérifier ces points avant
de procéder à la célébration du nouveau mariage, et aux tribunaux fran-
çais de les résoudre en cas de contestation, sans qu’il y ait lieu, du reste,
de réviser quant au fond la sentence étrangère.

(Prince de Wrède c/Dame Maldaner)

Faits. — Célébré en Autriche entre sujets autrichiens, le mariage de Ludmilla Mal-


daner et du docteur Dobrzanski est annulé en Russie après que les époux se sont fixés
dans ce pays et en ont acquis la nationalité. L’annulation est fondée sur le défaut de
réitération de l’échange des consentements selon les formes et le rite de la religion ortho-
doxe que les intéressés ont embrassée. Chacun de son côté, ils se remarient, le sieur
Dobrzanski en Russie et la dame Maldaner en France, avec le prince de Wrède, apatride
qui par la suite réintègrera sa nationalité allemande (bavaroise) d’origine. Quatre années
plus tard, cette seconde union de la dame Maldaner est à son tour annulée à la demande
du prince qui fait juger — par arrêt du 18 avril 1896, du Tribunal supérieur de Munich
— que le premier mariage de son épouse n’a pas été valablement anéanti par les tribu-
naux de Russie. De cet arrêt bavarois, le sieur de Wrède est contraint de demander
l’exequatur parce que l’officier de l’état civil français en refuse la mention sur ses regis-
tres. Cette résistance, il est vrai, cèdera dans le cours de la procédure lorsque le prince
aura fait intervenir les agents diplomatiques allemands auprès des autorités françaises.
80 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10

Cependant, la dame Maldaner qui défend à l’exequatur et conteste donc la régularité de


l’arrêt bavarois, refuse le désistement d’instance.
La cour d’appel déclare cet arrêt contraire à l’ordre public français en ce qu’il vient
remettre en cause les effets produits en France par les sentences d’annulation interve-
nues en Russie. Pourtant celles-ci n’ont pas reçu l’exequatur; c’est donc que la Cour de
Paris reconnaît d’emblée, avant tout exequatur, l’autorité de ces décisions en France.
Le prince de Wrède se pourvoit en cassation.

ARRÊT
La Cour; — Statuant sur les deux moyens du pourvoi réunis : — Attendu qu’il
est constaté, en fait, par l’arrêt attaqué, que, le 6 avril 1881, Ludmilla Maldaner
a contracté mariage à Vienne avec le docteur Dobrzanski; que peu de temps
après, les époux sont allés se fixer à Saint-Pétersbourg, où le mari s’est fait natu-
raliser Russe, conférant ainsi sa nationalité nouvelle à sa femme; que, le
6 octobre 1889, une décision du tribunal ecclésiastique de Saint-Pétersbourg,
confirmée le 30 mars 1891 par le Saint-Synode, a imparti aux époux un délai de
deux mois pour faire régulariser leur union par des prêtres de l’Église orthodoxe
russe, faute de quoi elle serait tenue pour nulle; que, ledit délai s’étant écoulé
sans qu’il ait été procédé à la célébration ainsi prescrite, les époux se sont consi-
dérés comme redevenus libres; que, tandis que le mari se remariait en Russie, la
femme a contracté mariage, le 30 juin 1892, avec le sieur de Wrède, devant
l’officier de l’état civil du 16e arrondissement de Paris; que, le 12 juillet suivant,
ce mariage a été béni par l’archiprêtre de l’église russe à Paris; que, le 8 juin
1894, de Wrède a intenté, devant les tribunaux de Munich, une action en nullité
de ce mariage, sous le prétexte que sa femme se trouvait encore engagée dans
les liens de la précédente union qu’elle avait contractée avec Dobrzanski, et qui
n’avait pas été valablement rompue par les juridictions ecclésiastiques de Russie;
que cette prétention, repoussée par le tribunal de première instance de Munich,
a été accueillie le 18 avril 1896 par arrêt du tribunal supérieur de la même ville;
que, le 22 août 1896, de Wrède a assigné la dame Maldaner, devant le tribunal
de la Seine, pour voir ordonner l’exécution en France de cet arrêt et sa mention
en marge de l’acte de mariage français; que, le 21 novembre suivant, de Wrède
s’est désisté de cette instance, mais que, par conclusions signifiées le 2 décem-
bre, la dame Maldaner a refusé ce désistement; — Attendu que l’arrêt attaqué a
décidé à bon droit que le désistement ne pourrait être imposé à la défende-
resse, dont le refus d’acceptation était justifié par un intérêt légitime;
Attendu que, lorsqu’une action à fin d’exequatur d’une décision judiciaire
étrangère a été ainsi engagée par les parties intéressées devant la juridiction
française, celle-ci a le droit et le devoir d’examiner si les dispositions de la sen-
tence étrangère ne sont pas contraires à l’ordre public français, alors même
qu’elle n’aurait statué que sur une question d’état ou de capacité débattue
entre deux étrangers; — Attendu, à ce point de vue, que l’annulation d’un
mariage, légalement et définitivement prononcée, doit être à l’abri de toute
attaque, soit de la part des tiers, soit de la part des époux, parce que l’état des
personnes ne peut demeurer incertain, sans qu’il en résulte un trouble profond
dans les familles et une atteinte grave à l’ordre social; qu’il doit en être ainsi, à
plus forte raison, lorsque, sur la foi de cette annulation, les époux ont contracté
de nouvelles unions; — Attendu qu’il n’y a pas lieu de faire exception dans le
cas où il s’agit d’un mariage entre deux étrangers, régulièrement annulé par les
tribunaux de leur pays; — Attendu, en effet, que, la capacité de l’étranger en
pareille matière étant régie par son statut personnel, la liberté qu’il a acquise de
se remarier, par suite de l’annulation de son premier mariage, le suit en France,
et que le fait juridique qui la lui a rendue ne saurait y être méconnu; —
Attendu, il est vrai, qu’il n’en peut être ainsi que si le jugement étranger, qui a
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 81

annulé le mariage, émane d’une juridiction compétente, s’il a été rendu dans les
formes prescrites par les lois du pays, et s’il a acquis l’autorité de la chose jugée;
qu’il appartient à l’officier de l’état civil français de vérifier ces points avant de
procéder à la célébration du nouveau mariage, et aux tribunaux français de les
résoudre, en cas de contestation, sans qu’il y ait lieu, du reste, de réviser, quant
au fond, la sentence étrangère; — Attendu qu’à cet égard, l’arrêt attaqué
déclare que le mariage des époux Dobrzansky a été annulé par les plus hautes
autorités ecclésiastiques russes, statuant en toute compétence, entre deux justi-
ciables devenus sujets russes, l’un par la naturalisation, et l’autre par l’effet de la
loi; — Attendu que l’arrêt constate, d’autre part, qu’après l’annulation du
mariage par l’effet de la décision du Saint-Synode, le sieur Dobrzansky s’est
remarié en Russie, d’où résulte la preuve que ladite décision a été tenue, dans le
pays où elle a été rendue, pour régulière et définitive; — Attendu que, dans ces
circonstances, l’arrêt attaqué a pu, sans violer aucun des textes visés par le pour-
voi, déclarer non exécutoire en France, comme contraire à l’ordre public, l’arrêt
du tribunal supérieur de Munich, qui, sur la demande du sieur de Wrède, avait
déclaré non avenues les sentences des tribunaux russes, et annulé, par suite, le
mariage célébré en France, sur l’autorité de ces sentences qui avaient fixé l’état
de la dame Maldaner;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 9 mai 1900. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Mazeau, prem. prés.; Falcimaigne, rapp.;
Sarrut, av. gén. — MMes Devin et Sabatier, av.

OBSERVATIONS
1 Cet arrêt résout plusieurs questions importantes qui toutes n’ont pas d’égale
manière contribué à sa renommée. C’est pourquoi seront ici renvoyés vers le
commentaire d’autres décisions le problème de la détermination de l’intérêt
légitime du plaideur à faire judiciairement déclarer l’irrégularité d’une déci-
sion étrangère relative à l’état et à la capacité des personnes (v. arrêts Weiller,
infra, nos 24-25) comme celui de la définition de l’office du juge de l’exequa-
tur (v. infra, arrêt Munzer, no 41). De même, il ne sera pas traité à titre prin-
cipal dans les développements ci-après du conflit international de décisions
(v. infra, arrêt Patiño, no 38-39) ni de la détermination des conditions de régu-
larité exigées des jugements étrangers (v. encore arrêt Munzer, préc.). Le com-
mentaire se limitera à la question, assez vaste par elle-même, de l’efficacité de
plano des décisions étrangères relatives au statut personnel.
2 L’arrêt de Wrède, en son temps sur ce terrain, consacre une solution nou-
velle et même révolutionnaire. Il marque en effet une rupture avec une juris-
prudence dont l’itinéraire de l’arrêt Parker (supra, no 2) jusqu’à l’arrêt Bulkley
(supra, no 4) avait été singulièrement hésitant.
Généralisant le pouvoir de révision du juge français, l’arrêt de 1819 en
avait tiré la conséquence que nulle décision étrangère ne pouvait produire
effet en France avant d’avoir été soumise à celui-ci dans le cadre d’une procé-
dure d’exequatur. Ainsi, sous l’invocation de « l’indépendance des États »
(Paris, 27 août 1816, Parker, S. chr., p. 62) et de « la souveraineté des gouver-
nements » (ibidem et Civ., 19 avr. 1819, préc.) s’installait l’idée qu’un tribunal
étranger, organe d’une souveraineté étrangère, est démuni de tout pouvoir
pour émettre une décision de justice s’imposant en France. Une discontinuité
82 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10

radicale se creusait entre les ordres juridiques, qui obligeait le plaideur, sou-
haitant retirer en France le profit des dispositions d’un jugement étranger, à
reprendre le procès tranché ailleurs.
Rapidement, cette position stricte connut quelques assouplissements notam-
ment en faveur des décisions gracieuses puis des jugements constitutifs dont il
fut admis que l’efficacité en France n’était pas assujettie à un exequatur préa-
lable permettant le réexamen au fond (v. G. Holleaux, « Remarques sur l’évo-
lution de la jurisprudence en matière de reconnaissance des décisions étrangè-
res d’état et de capacité » Trav. com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 179). C’est
d’ailleurs sous le couvert de cette exception que fut rendu le célèbre arrêt
Bulkley (préc.), qui admettait le remariage en France d’une étrangère divorcée
en son pays, sans que le jugement ait été soumis à l’examen préalable du juge
français. La justification de cette solution avait d’abord été confiée à une
conception très particulière de la force probante du jugement étranger. En tant
qu’instrumentum établi par une autorité compétente et selon les formes pres-
crites, celui-ci était réputé apte à prouver aussi bien les faits qu’il constatait ou
les accords qu’il enregistrait que la décision qu’il prenait, c’est-à-dire les
effets qu’il attachait à ces faits et accords; par une étrange et très commode
confusion, la preuve du contenu du jugement était censée être ausi preuve de
sa légitimité, ce qui suffisait à assurer son efficacité en France (supra, obs.
arrêt Bulkley, no 4 § 5).
Percevant la faiblesse de ce raisonnement, l’arrêt Bulkley le complétait par
un appel à la règle de conflit de lois et donnait ainsi à sa solution une force
qui devait en favoriser l’expansion. De fait, l’arrêt de Wrède vient étendre le
domaine de ce qui n’était jusqu’alors qu’une dérogation au principe de l’inef-
ficacité des jugements étrangers avant exequatur : pourvu qu’elles intervien-
nent sur des questions de statut personnel, les décisions étrangères tant décla-
ratives que constitutives sont efficaces de plano en France. Cette innovation
appelait un effort de motivation. La Cour de cassation le ressent bien ainsi;
elle s’efforce de replacer à son rang la notion de force probante. À cet égard,
l’arrêt referme la porte sur le XIXe siècle. Mais, véritable arrêt charnière, il
assure la transition vers la jurisprudence contemporaine plus encore qu’il ne
s’y engage lui-même. Car si ces solutions sont actuelles, les motifs qu’il leur a
donnés pour évincer l’ancienne justification ne paraissent pas moins anachro-
niques et insuffisants, même s’ils font état de nombreux éléments aujourd’hui
encore utilisés par le droit positif.
Aussi convient-il d’étudier d’abord, pour en montrer les mérites et les
carences, la motivation que reçurent en leur temps ces solutions nouvelles (I),
et d’essayer ensuite de dégager ce qui a fait leur fortune aujourd’hui (II).

I. La motivation de la solution
3 L’arrêt autorise les personnes dont le mariage a été annulé dans le pays de
leur nationalité à se remarier en France sans devoir pour cela obtenir l’exequa-
tur préalable du jugement étranger. Ainsi, celui-ci, hors de tout réexamen de
l’affaire par le juge français, se voit reconnaître à l’instar du jugement du
divorce une efficacité instantanée en France.
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 83

Cette solution s’explique par un motif que l’arrêt énonce très précisément
avant de développer l’argumentation qui l’habille juridiquement. Ces deux élé-
ments permettront de déterminer le sens et d’apprécier la valeur de la moti-
vation.

A. — Le sens
1°) La raison de la solution ne doit pas être recherchée du côté de la régula-
rité des sentences russes, mais dans la nature du litige tranché par le juge
étranger.
L’arrêt déclare : « l’état des personnes ne peut demeurer incertain ».
Cette proposition est d’abord formulée à l’occasion de l’examen de la régu-
larité de l’arrêt du Tribunal supérieur de Munich afin de justifier la solution
du conflit des décisions étrangères.
La Cour de cassation enferme cette difficulté dans une alternative — soit
les décisions russes, soit la décision allemande — qui lui paraît imposée par la
nécessaire unité de l’état des personnes : il serait insupportable que par l’effet
de jugements concurrents, la dame Maldaner soit en France à la fois libre de
se remarier, comme jugé en Russie, et toujours retenue dans les liens de sa
première union, comme jugé en Allemagne. Cette relativité heurte l’indivisi-
bilité de l’état et frappe celui-ci d’incertitude. À cet égard, l’appel à la notion
d’ordre public est aussi significatif que compréhensible (sur sa pertinence,
v. D. Alexandre, Les pouvoirs du juge de l’exequatur, 1970, no 299; D. Hol-
leaux, op. cit., no 64, p. 73; V. Moissinac-Massenat, Les conflits de procédures
et de décisions en droit international privé, thèse Paris I, 2002, no 58), tant il
est vrai qu’une dualité d’états provoquerait « un trouble profond dans les
familles et une atteinte grave à l’ordre social ». Ainsi l’exigence d’unité de
l’état est d’abord sollicitée pour résoudre un conflit de décisions.
Mais elle est aussitôt après invoquée pour fonder — comme en matière de
divorce — l’efficacité immédiate des sentences russes en France. Il serait
fâcheux que la dame Maldaner et le docteur Dobrzanski soient toujours mariés
l’un à l’autre en France alors qu’ils ne le sont plus en Russie. Dans l’espace
international non moins que dans le périmètre national les mariages boiteux
sont indésirables. La frontière à aucun moment ne doit diviser ce qui est un;
aussi ne faut-il pas attendre un exequatur pour que prenne effet en France
l’annulation du mariage acquise à l’étranger.
5 2°) Il restait à mettre en œuvre cette raison par une argumentation appro-
priée.
Sans négliger le problème de la preuve, cette argumentation — on en a
averti — se gardera d’exploiter abusivement la notion de force probante. Elle
n’utilisera pas non plus celle d’ordre public, auparavant sollicitée pour le
conflit de décisions.
C’est à la règle de conflit de lois que le raisonnement demandera de garan-
tir sur le plan international l’unité et l’indivisibilité de l’état. Cette attitude
n’est-elle pas naturelle dans la jurisprudence française où l’interprétation bila-
térale de l’article 3, alinéa 3 du Code civil, a été fondée sur le refus d’admettre
l’« alliage monstrueux » que serait « un mariage valable dans un État et nul
84 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10

dans l’autre ? » (v. supra, arrêt Busqueta, no 1). Sur cette voie on est conduit à
accepter l’identification de « l’opération créatrice du juge à l’acte de la loi »
(G. Holleaux, « Remarques… », comm. préc. p. 197) et à reconnaître qu’« une
décision étrangère relative à l’état et à la capacité devrait en principe béné-
ficier de la même extraterritorialité que la loi personnelle elle-même qu’elle
applique » (Ph. Francescakis, « Effets en France des jugements étrangers indé-
pendamment de l’exequatur », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1946-1948, p. 141).
De fait, l’arrêt déclare voir dans les sentences russes restituant à la dame
Maldaner sa liberté matrimoniale « un fait juridique qui… ne saurait être
méconnu en France » dans la mesure où il est reconnu par la loi nationale de
l’intéressée, « la capacité de l’étranger en pareille matière étant régie par son
statut personnel ». En somme, rien ne distingue les deux circonstances pour-
tant différentes que sont par exemple l’avènement de l’âge de la puberté —
qui se produit naturellement — et l’annulation ou la dissolution du lien conju-
gal — qui requiert un acte de juridiction; ayant pour effet l’une comme l’autre
de permettre le mariage, elles seraient semblablement prises en charge par
l’article 3, alinéa 3. C’est sur cette assimilation que repose l’aptitude de la
règle de conflit de lois à assurer l’efficacité en France, hors exequatur, des
décisions étrangères relatives à l’état et à la capacité.
La construction de la Cour de cassation s’achève par la formulation des
conditions pratiques, auxquelles le jugement étranger peut s’imposer en France
comme fait juridique.
Il « appartient à l’officier de l’état civil » de s’assurer que la décision invo-
quée émane de la juridiction compétente et qu’elle a été établie selon les for-
mes prescrites; elle constitue alors un instrumentum tout à fait propre à faire
la preuve du fait juridique en quoi elle consiste.
À ces deux éléments de l’authenticité (v. art. 1317, C. civ.) la Cour de cas-
sation ajoute l’acquisition de l’autorité de chose jugée dans le pays où la déci-
sion a été prononcée. Cette exigence, qui n’intéresse plus l’instrumentum, est
nouvelle; jusqu’à l’arrêt de Wrède, les arrêts « ne font jamais mention d’auto-
rité de chose jugée » (G. Holleaux, « Remarques… », comm. préc., p. 195). Il
semble que par cette condition supplémentaire la Cour de cassation s’efforce
de garantir, au-delà de la réalité du fait juridique, son caractère obligatoire,
son autorité effective dans l’ordre juridique russe. Cette interprétation paraît
s’accorder avec la mission que les exigences de l’état des personnes assignent
à la règle de conflit de lois et qui est d’intégrer dans l’ordre juridique français
la situation de droit qui a effectivement cours dans l’ordre juridique désigné.
Voilà donc en ses deux éléments la justification que l’arrêt se donne. Il
convient d’en apprécier la valeur.

B. — La valeur
6 La solution est supérieure à ses motifs. Ce n’est pas que la raison ni le raison-
nement soient entièrement condamnables; mais leurs vertus ne font pas oublier
leurs faiblesses.
7 1°) Cette nouvelle approche a tout d’abord le mérite de ne plus confondre
force probante de l’instrumentum et efficacité du judicatum. Il ne suffit plus
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 85

que le jugement étranger fasse preuve de ce qu’il dit faire pour que cela
s’impose en France. La force probante n’est plus le vecteur supposé de l’extra-
territorialité, ce travail étant demandé à la règle de conflit de lois. Toutefois
cet assainissement qui constitue un élément très positif laisse la place à une
conception réputée peu orthodoxe du rôle de la règle de conflit.
L’article 3, alinéa 3 n’abandonne pas au droit russe qu’il désigne la seule
question de capacité matrimoniale; il lui attribue une compétence globale qui
s’étend à tous les éléments déterminant l’état matrimonial, y compris les sen-
tences. Partant, les décisions russes prennent effet en France non parce que
régulières, mais parce qu’effectives dans ce pays. Au reste, la Cour de cassation
ne s’émeut guère de ce qu’elles prononcent l’annulation du mariage autri-
chien par application de la loi russe que ne désignait pourtant pas sur ce point
le règlement français de conflit de lois; celui-ci ordonnait en effet l’applica-
tion de la loi autrichienne au problème de la validité de cette union, aussi bien
quant à la forme, parce que la célébration avait eu lieu en Autriche, que quant
au fond parce qu’elle s’était produite à une époque où les intéressés étaient
l’un et l’autre de nationalité autrichienne (comp. M.-N. Jobard-Bachellier,
L’apparence en droit international privé, nos 96 et s.). Ces solutions françaises
qui, aujourd’hui, interviendraient dans l’appréciation de la régularité des sen-
tences, sont négligées : elles s’effacent devant le point de vue de l’ordre com-
pétent.
Désignant le droit russe, l’article 3, alinéa 3 n’est plus une règle de détermi-
nation du droit applicable; il est devenu une règle de dévolution des situations
juridiques concrètes entre les ordres intéressés par la question de droit dont le
tribunal est saisi. Tout à fait symptomatique de cette modification de la fonc-
tion de la règle de conflit est aussi la liaison établie par l’arrêt entre compé-
tence judiciaire et loi applicable (v. G. Holleaux, « Remarques… », comm.
préc., p. 195; Ph. Francescakis, « Effets en France des jugements… », comm.
préc., p. 141). Sur l’indication de l’article 3, alinéa 3, la situation est pour le
tout laissée à l’ordre juridique russe lui-même considéré en bloc, sans qu’il y
ait lieu de distinguer le législatif et le juridictionnel. Le caractère indistinct de
la portée de la désignation correspond à l’assimilation déjà remarquée de
« l’opération créatrice du juge à l’acte de la loi » (G. Holleaux, comm. préc.).
Cependant comme l’observera Niboyet, « dans un procès le juge ne se borne
pas à appliquer une loi; il doit constater et interpréter des faits; ensuite, il doit
leur adapter la règle juridique qui leur convient et qui leur sert de vêtement.
Or ceci n’est pas dans cela » (Traité, t. VI, no 1934; v. aussi Bartin, Principes,
t. 1, § 191).
8 Cet alourdissement de la fonction de la règle de conflit relève d’une tradi-
tion dogmatique qu’illustrèrent hier, en cultivant le vieux fonds statutiste
reconstitué par d’Argentré, l’École hollandaise (v. J. Voet, Commentarius ad
Pandectas, L. 1, tit. 4, De Statutis : « cette expression de statuts ne s’applique
pas seulement… à toutes les lois de tous les peuples…; elle s’étend même aux
sentences et aux décrets rendus par des juges et par des magistrats relativement
à des particuliers, telles les déclarations de prodigalité, d’infamie ou l’émanci-
pation des mineurs », trad. A. Lainé, t. II, p. 100) puis la doctrine des droits
86 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10

acquis (dans sa version anglaise des vested rights, sur le destin de laquelle
v. H. Muir Watt, « Quelques remarques sur la théorie anglo-américaine des
droits acquis », Rev. crit. 1986. 425) et aussi les travaux de Vareilles-Sommières
et qu’anime encore aujourd’hui avec talent un courant important de la doctrine
italienne (Morelli, Ziccardi, Gaja, Luzzato, Picone… v. aussi B. Ancel, « Les
règles de droit international privé et la reconnaissance des décisions étrangè-
res, Riv. dir. int. priv. proc. 1992, p. 207 et s.). Affleurant ici ou là dans l’his-
toire jurisprudentielle française cette conception ne semble pas toutefois inspi-
rer de manière générale le droit positif (v. cep. obs. sous Bulkley, no 4 § 7, et
F. Delpech, Le rôle de la règle de conflit de lois dans l’efficacité des décisions
étrangères, thèse Paris I, 1999, nos 83 et s., nos 101 et s.) ni recueillir l’adhé-
sion des auteurs (v. les critiques de Bartin, op. cit., eod. loc.; Pillet, Traité pra-
tique de dr. int. privé, 1924, t. 2, nos 713 et s.; Niboyet, op. et loc. cit.).
C’est qu’on estime aujourd’hui qu’on ne saurait user de manière indifféren-
ciée de la règle de conflit de lois. On enseigne, en effet (P. Mayer, La distinc-
tion entre règles et décisions et le droit international privé, nos 140 et s.; Dr.
int. pr., no 360), que deux méthodes différentes doivent être employées suivant
que la question soumise au juge est régie par une règle qui revêt un caractère
abstrait et hypothétique ou par une décision qui présente un caractère concret
et catégorique. Dans le premier cas, il doit être fait appel à la méthode de
choix de la loi, dans le second cas à celle de l’efficacité des décisions. Ainsi,
demander à la règle de conflit de lois d’ouvrir l’ordre juridique français à
l’efficacité d’une décision étrangère, ce serait commettre un détournement de
fonction — sans même d’ailleurs être assuré d’atteindre le résultat recherché
(l’unité internationale de l’état matrimonial de la dame Maldaner est obtenue
relativement à la seule question de capacité, mais cet état peut conditionner
d’autres problèmes soumis à d’autres lois qui ne partagent pas forcément le
point de vue de l’ordre juridique russe…).
9 2°) Si le raisonnement ne force pas en tout point l’adhésion, le motif qui
l’inspire n’échappe pas non plus à quelques réserves.
Certes, il est bon de refouler le principe subordonnant l’efficacité des déci-
sions étrangères à la procédure d’exequatur, car il est évidemment fâcheux
qu’un individu soit à la fois marié et démarié. Mais il est regrettable qu’en
s’appuyant sur l’indivisibilité de l’état, le refoulement se limite aux jugements
intervenus en ce domaine et s’accommode donc de situations boiteuses dans
l’ordre patrimonial. Il n’est pourtant pas agréable et il peut même se révéler
très préjudiciable d’être envers son créancier à la fois tenu et libéré de sa dette
(par ex., la compensation légale dont se prévaut le débiteur contre son créan-
cier failli ne pouvant jouer parce que la condamnation à l’étranger qu’il invo-
que à son profit n’est pas reconnue…). Or une telle distinction entre juge-
ments patrimoniaux et extra-patrimoniaux ne s’impose guère. En premier lieu,
elle est écartée à propos des jugements constitutifs étrangers. En second lieu,
le seul argument susceptible de la rendre acceptable est que le patrimonial
mériterait un régime propre car il se déploie dans l’ordre du quantitatif — du
monnayable, du comptable, du divisible —, alors que l’extra-patrimonial refu-
serait la divisibilité car il se cantonne dans l’ordre du qualitatif (pour une
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 87

démonstration complète et concluante de l’inanité de la dualité de traitement,


v. F.-X. Morisset, Le régime de l’efficacité en France des décisions étrangères
patrimoniales, thèse Paris XI, 2002, passim). Mais cet argument cède devant
l’observation que s’il est possible d’être à la fois débiteur et non débiteur,
voire créancier de son créancier — pourvu qu’il y ait plusieurs obligations
distinctes —, il est impossible que relativement à une seule dette — objet du
jugement étranger — un même sujet soit à la fois débiteur et non débiteur. Le
patrimonial se déploie donc aussi dans le champ du qualitatif et reste de ce
fait soumis au principe de non-contradiction.
Dans ces conditions, il est difficile de se satisfaire de la limitation que l’arrêt
donne à sa solution en la reliant à l’exigence d’unité du statut personnel. Sa
raison est trop étroite. Il aurait été préférable de la généraliser au point de lais-
ser l’exception dévorer le principe de l’inefficacité hors exequatur.
Avec ses forces et ses faiblesses, telle est la motivation de l’arrêt de Wrède.
Mais il ne faut pas arrêter l’appréciation à l’instant où la solution fut rendue.
Celle-ci a vécu, vit et rayonne encore. Elle comportait en elle-même une éner-
gie qui, la projetant dans le siècle qui commençait, lui assura la fortune.

II. La fortune de la solution

10 Le droit de se remarier en France sans attendre que la décision étrangère


d’annulation ait été revêtue de l’exequatur traduit d’abord un changement d’opi-
nion sur l’opposition des jugements constitutifs et des jugements déclaratifs.
Avant l’arrêt de Wrède, la jurisprudence a eu quelque peine à se représenter
le jugement déclaratif étranger comme un fait juridique, un événement pro-
duisant des effets de droit. La fonction créatrice n’était reconnue qu’aux juge-
ments constitutifs. Pourtant la distinction sur ce point entre les deux types de
décision, n’est pas aussi tranchée que les mots le disent. Sans être novatoire,
un jugement déclaratif a un effet créateur (élucidateur et consolidateur), en ce
qu’il dissipe le doute que le contentieux jetait sur la répartition des droits et
obligations respectifs des parties : il précise et établit l’état de droit que la loi,
abstraitement, institue. Il n’existe donc pas de différence essentielle avec le
jugement constitutif — lequel n’échappe pas à l’emprise de la loi en vertu de
laquelle il est prononcé, même si son contenu procède davantage de l’action
du juge (v. G. Marty et P. Raynaud, Droit civil, t. I no 194, C. Bléry, L’effi-
cacité substantielle des jugements civils, 2000, no 143, F.-X. Morisset, Le
régime de l’efficacité…, thèse préc., nos 2 et s.).
Il faut donc mettre à l’actif de l’arrêt de Wrède d’avoir perçu cela et d’en
avoir tiré la conséquence ne fût-ce que dans le domaine de l’état et de la capa-
cité des personnes. Il n’est d’ailleurs pas certain que ce cantonnement de la
solution puisse se maintenir longtemps encore.
Car cette solution est à l’origine d’un changement plus profond, qui dépasse
la matière du statut personnel puisqu’il affecte la représentation du phéno-
mène de la discontinuité des ordres juridiques. Ce phénomène qui est à la
source de toutes les difficultés (v. supra, arrêt Bulkley, no 4) semble avoir perdu
sa dimension « politique » et ne plus engager la « souveraineté des gouverne-
88 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10

ments » (arrêts Parker, préc.). Seule subsisterait une réalité de caractère


technique : un organe n’est tenu d’obéir qu’aux injonctions de l’ordre juridi-
que auquel il appartient. Ce renversement de conception ne s’est pas accompli
brutalement et toutes les conséquences n’en sont pas encore tirées. Il reste
cependant qu’il se signale clairement pour la première fois dans l’arrêt de
Wrède par la reconnaissance de plano des décisions étrangères (A) et la sup-
pression du pouvoir de révision en matière d’état et de capacité (B).

A. — La reconnaissance de plano

11 D’usage courant aujourd’hui, le terme reconnaissance recouvre l’admission


de l’efficacité substantielle et de l’autorité de la chose jugée des décisions étran-
gères régulières (v. cep. H. Péroz, La réception des jugements étrangers dans
l’ordre juridique français, thèse Caen, LGDJ 2004, p. 4-5).
À la vérité, l’arrêt ne va pas au-delà de l’admission de l’efficacité substan-
tielle immédiate; mais bientôt dans son sillage, l’autorité de chose jugée suivra.
12 1°) L’efficacité substantielle immédiate est la solution que l’arrêt consacre
sans la nommer ni la discerner clairement.
Dans la présente affaire, comme dans les affaires Bulkley (supra, no 4) ou
Le Goaster (Req. 11 nov. 1908, DP 1914. 1. 118, rapport Denis, S. 1909. I. 572,
Rev. dr. int. 1909. 227, Clunet 1909. 573), l’un des plaideurs entend jouir en
France sans exequatur de l’état matrimonial fixé par la décision étrangère.
Cette prétention ne s’attache qu’à l’un des effets de celle-ci, effet d’ordre
substantiel qui s’oppose aux effets d’ordre normatif ou attributs (v. C. Bléry,
L’efficacité substantielle des jugements civils, thèse Caen, LGDJ 2000, nos 206
et s., H. Péroz, op. cit., p. 11).
Caractéristiques de ce qui est pouvoir, imperium, dans la fonction du juge,
ces attributs sont notamment, d’une part, la force exécutoire, qui adresse com-
mandement aux agents d’éxécution de procéder aux opérations nécessaires
à la réalisation du contenu de la décision et, d’autre part, l’autorité de chose
jugée au sens strict, qui met « obstacle au renouvellement d’une contesta-
tion sur laquelle un juge a prononcé » (Jean Foyer, De l’autorité de la chose
jugée en matière civile. Essai d’une définition, 1954, p. 164; Niboyet, op. cit.,
no 1935, p. 73) et donc paralyse le tribunal devant lequel celle-ci serait de
nouveau portée. Par l’un et l’autre de ces attributs, le jugement rendu impose
un commandement à d’autres organes institués par l’ordre juridique.
Que cet impératif n’ait pas de plein droit effet hors de l’ordre juridique
ayant institué l’organe qui l’a édicté, la discontinuité des ordres juridiques
l’explique suffisamment : un organe quelconque (d’exécution ou de juridiction)
n’est tenu d’obéir qu’aux injonctions adressées ou reconnues par l’ordre juri-
dique auquel il appartient; sauf à méconnaître l’indépendance de l’ordre qu’il
représente, il n’a pas à déférer d’emblée aux décisions étrangères, lesquelles
ne sauraient l’atteindre ni le lier sans qu’au préalable une procédure ad hoc
leur ait fait franchir la frontière.
13 Mais l’effet substantiel, produit de la jurisdictio, ne se heurte pas à ce cloi-
sonnement institutionnel. Recouvrant « toutes les modifications que la déci-
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 89

sion étrangère déclarative… comme constitutive fait subir au rapport juridique


concerné, annulation ou dissolution d’un mariage, annulation, résolution ou
résiliation d’un contrat, fixation de dommages-intérêts dus en réparation d’un
préjudice » (D. Holleaux, J.-Cl. dr. int., fasc. 584-A, no 32; Jean Foyer, op. cit.,
p. 134, C. Bléry. op. cit., no 126; H. Peroz, op. cit., nos 8 et s.), cet effet s’accom-
plit dans la détermination des droits et obligations respectifs des parties au pro-
cès. Reconnaître en France l’efficacité substantielle d’un jugement étranger
même déclaratif, c’est accepter d’intégrer le rapport de droit qu’il fixe, dans le
tissu des relations sociales constitutives de l’ordre juridique français. Cette
intégration ne comporte aucune injonction à quelque organe que ce soit et ne
heurte donc pas l’obstacle de la discontinuité des ordres juridiques (v. en ce
sens, Instr. gén. relative à l’état civil § 584). Sous l’angle de son efficacité
substantielle, le jugement étranger n’apparaît pas dans sa dimension d’acte de
l’autorité judiciaire étrangère mais en sa seule qualité d’acte juridique (Jean
Foyer, op. cit., p. 140) produisant des effets de droit entre les parties —
« dépouillé… de son coefficient judiciaire » (G. Holleaux, « Remarques… »,
comm. préc., p. 190). Aussi bien, certains auteurs font-ils un rapprochement
exprès avec le contrat (D. Alexandre, Les pouvoirs du juge de l’exequatur, no 152,
p. 129, « Les effets des jugements étrangers indépendants de l’exequatur »,
Trav. com. fr. dr. int. pr. 1975-1977, p. 54; D. Holleaux, thèse préc., no 67,
p. 78; Ph. Malaurie, D. 1963, p. 342) à propos duquel il peut être affirmé que
prima facie l’existence de l’acte suffit à son efficacité internationale — la pos-
sibilité étant naturellement réservée de mettre en cause sa régularité.
Ainsi, l’erreur du XIXe siècle a été de croire que la discontinuité des ordres
juridiques jouait de la même manière sur le plan substantiel que sur le plan
organique — alors pourtant que l’existence de rapports privés internationaux
lui apportait le plus sûr et le plus constant démenti. Le recours à la règle de
conflit de lois pour vaincre une difficulté imaginaire n’aura été qu’une com-
plication inutile, dont la jurisprudence ultérieure se débarrassera très rapide-
ment (arrêt Le Goaster, préc.) sans renoncer à l’efficacité substantielle immé-
diate. Dans son dernier état, elle semble même avoir étendu cette solution à
un jugement déclaratif patrimonial (v. arrêt Locautra, Civ. 1re, 9 déc. 1974,
Rev. crit. 1975. 564, note E. Mezger, Clunet 1975. 534, note A. Ponsard).
Mais pour l’heure, cette ultime extension quant aux jugements ne vaut que
relativement à l’efficacité substantielle. Quant aux autres effets, le dévelop-
pement de la solution s’est poursuivi, de façon à vrai dire peu orthodoxe, pour
embrasser au seul avantage des jugements d’état jusqu’à l’autorité de la chose
jugée.
14 2°) Sur l’élan donné par l’arrêt de Wrède, il est en effet admis que les juge-
ments relatifs à l’état et à la capacité des personnes ont en France autorité de
la chose jugée avant et hors de toute procédure d’exequatur.
Cette solution ne laisse pas de surprendre dans la mesure où l’autorité de
la chose jugée au sens strict est l’un de ces attributs du jugement étranger qui
le confronte à la discontinuité des ordres juridiques (v. A. Lainé, Rev. crit. lég.
jur. 1902, p. 619). Or, il est certain aujourd’hui que dans le domaine des juge-
ments d’état seule la force éxécutoire se trouve arrêtée par cet obstacle (sur
90 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10

la notion de force exécutoire, v. Civ. 1re, 5 oct. 1994, Époux Brenckmann, Clu-
net 1995. 354, note M. Santa-Croce). L’arrêt Hainard déclare que « les juge-
ments rendus par un tribunal étranger relativement à l’état et à la capacité des
personnes, produisent leurs effets en France indépendamment de toute décla-
ration d’exequatur, sauf les cas où les jugements doivent donner lieu à des
actes d’exécution matérielle sur les biens ou de coercition sur les personnes »
(Req. 3 mars 1930, S. 1930. 1. 377, note Niboyet, Rev. dr. int. 1931. 329, note
Niboyet, Clunet 1930. 981); et si l’arrêt Le Goaster s’était permis un emploi
relâché de l’expression d’autorité de la chose jugée (il y allait de la seule effi-
cacité substantielle), l’arrêt Guarte (Civ. 1re, 19 déc. 1972, Rev. crit. 1975. 83,
note D. Holleaux) reprenant la formule de l’arrêt Hainard en tire directe-
ment la conséquence en accueillant l’exception de chose jugée fondée sur un
jugement étranger ayant refusé le divorce (v. aussi, Civ., 5 mai 1962, Zins,
D. 1962. 718, note G. Holleaux).
Cette autorité de chose jugée immédiate s’expliquait aisément dans le sys-
tème de l’arrêt de Wrède, qui, à l’instar de l’arrêt Bulkley, confiait à la règle
de conflit le soin de transporter indistinctement en France les effets du juge-
ment étranger tels qu’ils se développaient dans l’ordre juridique désigné :
l’ordre juridique français s’inclinait devant la compétence globale de l’ordre
désigné. Mais dès lors que cette construction est rejetée, il faut rechercher une
autre explication.
15 La jurisprudence sur ce point est restée très discrète et la doctrine, persuadée
que celle-ci avait évolué « au hasard des espèces » (Ph. Francescakis, comm.
préc., p. 141) enregistre la solution sans prétendre en dégager le fondement
théorique. C’est que sans doute sa justification est essentiellement pratique et
contingente.
Subordonner à l’obtention de l’exequatur l’autorité de chose jugée des
décisions d’état aurait conduit à une incohérence évidente : chaque partie
aurait pu, en l’absence de celui-ci, ranimer le contentieux terminé à l’étranger
par un jugement sur la base duquel chacune d’entre elles avait été autorisée à
constituer des situations juridiques nouvelles, à se remarier par exemple, ren-
dant ainsi singulièrement fragile l’efficacité substantielle immédiate qu’on
entendait lui reconnaître. De là, l’affirmation de l’autorité de plano des déci-
sions d’état étrangères; de là aussi, on le verra, la suppression du pouvoir de
révision.
La situation était différente pour les jugements déclaratifs patrimoniaux.
D’une part, comme on l’a justement relevé (P. Mayer et V. Heuzé, no 400),
ceux-ci posent essentiellement des problèmes d’exécution pour lesquels
l’intervention préalable d’un tribunal français est toujours nécessaire. D’autre
part, dans les rares cas où leur autorité aurait pu être invoquée au soutien
d’une exception de chose jugée, l’existence du pouvoir de révision rendait
sans intérêt une dispense d’exequatur : plutôt que de vérifier si la décision
étrangère était identique à celle qu’il aurait prononcée, il était plus expédient
pour le juge français de statuer directement sur la demande au fond (ibidem).
Aucun besoin immédiat ne contraignant le juge français à combler le fossé
né de la discontinuité des ordres juridiques, la jurisprudence qui veut qu’un
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 91

jugement étranger déclaratif patrimonial, non revêtu de l’exequatur, ne peut


être invoqué au soutien d’une exception de chose jugée, devant le tribunal
français saisi par l’une des parties de la contestation déjà tranchée à l’étran-
ger, a pu se maintenir (Civ., 10 mars 1914, Negrotto, Rev. dr. int. 1914. 449,
D. 1917. 1. 137, note Valéry; Civ., 8 oct. 1940, Soc. Wihl-Gammerbasch, Rev.
crit. 1946. 100, note Niboyet, Clunet 1940-1945. 108, note Tenger, Nouv. Rev.
dr. int. pr. 1943. 80, note P. L.-P.). Néanmoins, il est permis de se demander si
la suppression généralisée du pouvoir de révision ainsi que l’efficacité subs-
tantielle désormais reconnue par certaines décisions aux jugements déclaratifs
patrimoniaux (Civ. 1re, 9 déc. 1974, Locautra, préc.) comme l’admission de la
recevabilité de l’exception de litispendance internationale (v. Miniera di Fra-
gne, infra, no 54) ne devraient pas trouver leur aboutissement dans une unifi-
cation des solutions relatives à l’autorité de chose jugée (v. H. Muir Watt,
Mélanges D. Holleaux, p. 301). Et ceci d’autant plus que, déjà consacrée par
le droit conventionnel (v. not. art. 26, Convention de Bruxelles du 27 sept.
1968, devenu art. 33 du Règlement CE no 44/2001, dit Bruxelles 1, v. aussi
art. 21 du Règlement CE no 2201/2003, dit Bruxelles II bis), une telle libérali-
sation, selon ce qu’observe une cour d’appel (Aix-en-Provence, 6 avr. 2000,
Juno, Clunet 2001. 1. 1130, note M. Lelièvre-Boucharat) n’ouvrirait pas les
portes à n’importe quelle décision : la reconnaissance n’est pas à l’abri d’un
contrôle de la régularité de la décision étrangère.

B. — Le contrôle
16 Étape importante de l’évolution vers une meilleure coopération judiciaire
internationale (Batiffol, Traité, 3e éd., no 780, p. 879), l’arrêt de Wrède soustrait
la décision étrangère à la révision.
Mais, comme on l’a vu, il ne se préoccupe pas pour autant de la régula-
rité internationale des sentences russes : celles-ci, selon sa conception, sont
reconnues de plano en France non parce que règulières (ce qu’elles ne sont
d’ailleurs pas d’après les critères actuels), mais parce qu’effectives dans
l’ordre compétent. En dépit de cette attitude, l’arrêt de Wrède est assez géné-
ralement considéré comme ayant esquissé le catalogue des conditions de la
régularité internationale des jugements étrangers (v. Batiffol et Lagarde, no 750;
Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 495-1, no 512; Batiffol, Rev.
crit. 1964. 344; M. Ancel JCP 1964. II. 13590).
17 1°) Le pouvoir de révision est incompatible avec la reconnaissance de plano
de la décision étrangère.
Relativement au régime d’efficacité substantielle instantanée la révision est
inopportune. Réviser un jugement, enseignaient Aubry et Rau, c’est « exami-
ner la valeur du dispositif sous le double rapport de l’appréciation des faits et
de l’application des règles de droit » (Droit civil français, t. XII, § 769 ter);
bref, c’est s’assurer que le juge étranger a prononcé la décision qu’aurait pro-
noncée le juge de la révision s’il avait été directement saisi. Dans le système
de l’arrêt, la révision aurait été difficilement justifiable : ce n’est pas s’incli-
ner, s’effacer devant le point de vue de l’ordre compétent que de juger la qua-
lité des décisions de ses organes judiciaires.
92 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 10

Par rapport à l’évolution qui a suivi, la révision — peut-être logiquement


tolérable — est politiquement indéfendable. En effet, admettre la révision et
l’efficacité substantielle immédiate, c’est, par exemple, d’un côté permettre
aux personnes libérées à l’étranger du lien conjugal de se remarier en France
sans la complication d’une procédure préalable et, d’un autre côté, porter au
degré le plus élevé la vulnérabilité du remariage — puisque la validité de
celui-ci dépendra pratiquement d’une condition sinon inaccessible du moins
restrictive : la concordance des appréciations de fait et de droit respectivement
opérées par le juge étranger et par le juge français… Le mécanisme tend un
véritable traquenard, la révision refermant le piège sur ceux qui se risque-
raient à profiter de la permission qui leur est offerte.
Relativement à la reconnaissance de plano de l’autorité de la chose jugée,
elle est contradictoire. En effet, l’exercice du pouvoir de révision conduirait le
tribunal français à examiner la « matérialité » et « l’existence des faits suscep-
tibles de justifier » la décision étrangère (Paris, 10 nov. 1952, Weiller, Rev.
crit. 1953. 615, note H. Motulsky) et à déterminer et interpréter les règles de
droit applicables au fond du litige. Cet exercice provoque un véritable renou-
vellement du procès déjà tranché à l’étranger. La révision représente donc ce
que précisément empêche l’autorité de la chose jugée (v. sur cet antagonisme,
l’arrêt Parker, supra, no 2). L’observation suffit à condamner la révision.
Toutefois, elle n’interdit pas d’ajouter que la reconnaissance de plano est
subordonnée à la vérification de certaines conditions de régularité.
18 2°) C’est d’ailleurs l’une des plus fécondes intuitions de la doctrine (aussi
bien que de la jurisprudence, dont elle est difficilement dissociable en la
matière) que d’avoir senti que la révision perdait son utilité et devenait abusive
à mesure que se dégageaient et se précisaient les conditions de régularité inter-
nationale (v. G. Holleaux, comm. préc., p. 205 et s., et « La reconnaissance et
l’exécution des jugements étrangers de divorce dans les droits allemand et
français », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1955-1957, p. 119; Batiffol, Rev. crit.
1964. 344; Paris, 21 oct. 1955, Charr, Rev. crit. 1955. 769, note Batiffol, Clunet
1956. 164, note Sialelli, D. 1956. 61, note Francescakis, JCP 1956. II. 9047,
note H. Motulsky). Quoiqu’il se soit désintéressé de la régularité (plus que
douteuse) des sentences russes, l’arrêt de Wrède a sans doute favorisé le jaillis-
sement de cette intuition. Sa motivation mentionne la conformité à l’ordre
public français requise de l’arrêt bavarois qui constitue de manière explicite
une condition d’accueil du jugement étranger; mais elle comprend aussi d’autres
éléments, concernant les décisions russes, qui perçus à l’époque comme des
exigences d’ordre probatoire, deviennent dans une perspective renouvelée des
conditions de régularité.
Ainsi la compétence du tribunal et le respect des formes prescrites assurent,
en leur conférant l’authenticité, la valeur instrumentaire du jugement étranger
révélant la situation de droit ayant cours dans l’ordre juridique désigné, mais,
en même temps ces deux éléments fondent la qualité de l’acte de juridiction
puisqu’ils attestent sa conformité aux exigences d’une bonne administration
de la justice et d’une protection adéquate des intérêts procéduraux des plai-
deurs. Le raisonnement recourant à la règle de conflit de l’article 3, alinéa 3
10 DE WRÈDE — CASS., 9 MAI 1900 93

étant écarté, ces éléments subsistent dans leur seconde fonction. En ce sens et
comme malgré lui, l’arrêt de Wrède énonce bien, quoique incomplètement, les
conditions de régularité à vérifier.
Pourrait même être débattue sa responsabilité dans l’apparition de la condi-
tion de conformité au règlement français de conflit de lois : quel est le rôle
de la règle de conflit si elle n’a la charge d’assurer l’efficacité immédiate de
la décision étrangère ? (v. Civ., 11 avr. et 1er mai 1945, Bach et Schabel,
D. 1945. 245, note P. L.-P., S. 1945. I. 121, note Batiffol, JCP 1945. II. 2895,
note Savatier, et les arrêts Rivière et Munzer, infra, nos 26 et 41).
11
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
5 décembre 1910

(Rev. dr. int. 1911. 395, Clunet 1912. 1156, S. 1911. 1. 129)
Contrat. — Loi d’autonomie.

La loi applicable aux contrats est celle que les parties ont adoptée.

(American Trading Co c/Québec Steamship Co)

Faits. — Le 23 mai 1905, le « Korona », navire appartenant à la Québec Steamship


Company, déchargeait à Pointe-à-Pitre six cents sacs de farine de froment pour le
compte de l’American Trading Company. Ces marchandises étant avariées, l’American
Trading assigna la Québec Steamship ainsi que le capitaine du navire pour les voir
condamner solidairement à lui payer la somme de 23 400 fr. représentant la valeur des
farines perdues. La Québec Steamship s’étant, entre autres, retranchée derrière la clause
d’irresponsabilité insérée dans la charte-partie, l’American Trading lui opposa que le
contrat avait été expressément soumis à la loi de New York et que le Harter Act en
vigueur dans cet État comme d’ailleurs dans tous les autres États de l’Union annulait la
clause litigieuse. Accueillie en première instance, l’argumentation de l’American Tra-
ding fut repoussée en appel. Aussi forma-t-elle un pourvoi en cassation. Pour faire
échec à la clause d’irresponsabilité, elle soutenait d’abord, que pareille clause ne peut
produire effet qu’au cas où l’armateur n’est pas transporteur, ensuite et c’est le seul
point qui retiendra notre attention, qu’il y avait « violation de la règle locus regit
actum » en ce que la décision attaquée avait déclaré la clause d’exonération valable
alors que celle-ci était prohibée par la loi du pays où le contrat avait été passé, loi à
laquelle les parties s’étaient du reste expressément référées.
Voici la réponse de la Cour de cassation.

ARRÊT
(après délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur les deux moyens du pourvoi : — Attendu que, des constata-
tions de l’arrêt attaqué, il résulte qu’en s’engageant à transporter de New York
à la Pointe-à-Pitre 600 sacs de farine de froment pour le compte de l’« American
Trading Company », la « Québec Steamship Company » avait stipulé, dans le
connaissement qu’elle avait délivré à New York, qu’elle ne répondrait pas des
fautes du capitaine et des marins; que les 600 sacs sont arrivés à la Pointe-à-Pitre
le 23 mai 1905, par le vapeur Korona; que les farines avaient été avariées pen-
dant le voyage par le contact ou le voisinage d’engrais chimiques transportés
sur le même navire, et que les avaries étaient dues à un vice d’arrimage; —
Attendu que, pour écarter la clause d’exonération des fautes du capitaine,
11 AMERICAN TRADING — CASS., 5 DÉCEMBRE 1910 95

qu’opposait, dans ces circonstances, la « Québec Steamship Company » à la


demande de l’« American Trading Company » en paiement de la valeur de ses
farines, l’« American » soutenait que cette clause ne saurait avoir effet que lors-
que l’armateur n’est pas en même temps transporteur, qu’elle n’est pas applica-
ble quand le propriétaire du navire se charge du transport des marchandises, et
que, dans l’espèce, c’était la « Québec » qui avait reçu les farines litigieuses et
signé le connaissement; que cette compagnie soutenait encore que, le contrat
de transport ayant été passé à New York, c’était la loi américaine qu’il fallait
appliquer, conformément à la règle : Locus regit actum, et que l’acte du Congrès
des États-Unis du 13 février 1893 prohibe et déclare nulles les clauses exclusives
de la responsabilité des fautes du capitaine; — Mais attendu, d’une part, que la
clause d’exonération de ces fautes suppose, par elle-même, chez l’armateur la
qualité de transporteur; que c’est précisément parce que le capitaine conduit le
navire pour le compte de l’armateur et exécute les transports dont celui-ci se
charge que l’armateur est, d’après l’article 216 du Code de commerce, responsa-
ble des faits et des engagements du capitaine; qu’il importe peu qu’en fait, le
connaissement ait, dans la cause, été signé, et que les marchandises aient été
reçues par la « Québec » avant leur embarquement; que la responsabilité du
capitaine, spécialement au regard de l’arrimage, qui est essentiellement un acte
de sa fonction, n’en a pas moins commencé, lorsque, suivant les constatations
mêmes de l’arrêt attaqué, il a reçu à New York le long du navire les farines liti-
gieuses, et en a alors pris charge; — Attendu, d’autre part, que la loi applicable
aux contrats, soit en ce qui concerne leur formation, soit quant à leurs effets et
conditions, est celle que les parties ont adoptée; que si, entre personnes de
nationalités différentes, la loi du lieu où le contrat est intervenu est en principe
celle à laquelle il faut s’attacher, ce n’est donc qu’autant que les contractants
n’ont pas manifesté une volonté contraire; que non seulement cette manifesta-
tion peut être expresse, mais qu’elle peut s’induire des faits et circonstances de
la cause, ainsi que des termes du contrat; — Et attendu qu’il est déclaré par
l’arrêt attaqué que, lorsque l’« American Trading Company » a donné son adhé-
sion à la clause par laquelle la « Québec Steamship » s’exonérait de la responsa-
bilité des fautes de son capitaine, elle n’ignorait pas que cette clause devait être
exécutée sur le territoire français, où elle est considérée comme licite; que
l’arrêt ajoute que, s’il avait été convenu entre les parties que leurs accords
seraient régis par l’acte du Congrès des États-Unis du 13 février 1893, il résulte
de l’esprit et des termes de leur convention que, dans leur commune intention,
elles n’entendaient se soumettre à la loi américaine que pour tout ce qui
n’aurait pas été expressément prévu par la charte-partie; que ces appréciation
et interprétation sont souveraines; — Attendu, dès lors, qu’en faisant applica-
tion dans la cause de ladite clause d’exonération, et en déboutant, en consé-
quence, l’« American Trading Company » de sa demande en paiement de la
valeur des farines en litige, la Cour d’appel de la Guadeloupe n’a pas violé les
articles invoqués par le pourvoi; — Par ces motifs : — Rejette.
Du 5 décembre 1910. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Ballot-Beaupré, prem. prés.; Durant,
rapp.; Melcot, av. gén. — MMes Brugnon et Labbé, av.

OBSERVATIONS
1 L’arrêt American Trading Co, comme les autres décisions relatives aux
contrats internationaux reproduites dans cet ouvrage (arrêt Messageries mari-
times, infra, no 22; arrêt Fourrures Renel, infra, no 35; arrêt Charlie Chaplin,
infra, no 40), n’a plus qu’une valeur résiduelle. Depuis l’entrée en vigueur, le
96 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 11

1er avril 1991, de la Convention de Rome, laquelle constitue désormais le droit


commun en la matière (sur cette convention, v. not., M. Giuliano et P. Lagarde,
Rapport, JOCE, no C 282, 31 oct. 1980; P. Lagarde, « Le nouveau droit inter-
national privé des contrats après l’entrée en vigueur de la Convention de Rome
du 19 juin 1980 », Rev. crit. 1991. 287; Jacques Foyer, « Entrée en vigueur de
la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations
contractuelles », Clunet 1991. 601; H. Gaudemet-Tallon, « Le nouveau droit
international privé européen des contrats », RTD eur. 1981. 215 et J.-Cl.
Europe, fasc. 3200), les solutions issues de ces décisions ne sont, en effet,
applicables qu’aux contrats conclus avant cette date (v. par ex., Paris, 21 janv.
1994, Rev. crit. 1995. 535, note P. Lagarde) et à ceux, conclus après, qui, peu
nombreux, relèveraient encore de la tradition jurisprudentielle pour être exclus
du domaine de ce traité sans être pris en charge par des solutions de conflit
spéciales. Encore les magistrats leur préfèrent-ils parfois même pour ces
contrats, les dispositions conventionnelles qu’ils appliquent alors à titre de
« raison écrite » (v. par ex., Paris, 27 nov. 1986, Rev. crit. 1988. 314, note
A. Lyon-Caen ; Douai, 13 juill. 1988, Clunet 1990. 403, note J.-M. Jacquet;
Versailles, 6 févr. 1991, Rev. crit. 1991. 745, note P. Lagarde, Clunet 1992. 125,
note Jacques Foyer, JCP 1992. II. 21972, note Osman, D. 1992. 174, note Mon-
doloni).
La Convention de Rome n’a pourtant pas frappé d’obsolescence ces grands
arrêts de la jurisprudence française; en recueillant une large part de leurs
enseignements, elle leur conserve une actualité scientifique et une valeur
pédagogique incontestables. Leur étude permet en effet de mieux comprendre
comment le système actuel s’est progressivement élaboré et à quels impératifs
profonds il entend répondre. C’est ainsi que l’arrêt American Trading Co reste
une décision essentielle en ce qu’elle est la première à avoir affirmé nettement
le principe d’autonomie (I). En revanche son apport est plus modeste dès lors
qu’on s’emploie à préciser la signification de celui-ci. Ses rédacteurs ne
paraissent pas, en effet, avoir eu une conscience claire de l’opposition existant
entre les différentes acceptions que peut revêtir l’expression (II).

I. L’affirmation de la loi d’autonomie

2 Novateur quant au principe qu’il énonce (A), l’arrêt American Trading Co


n’en reste pas moins, à d’autres égards, le reflet fidèle de son époque (B).

3 A. — Affirmer que l’arrêt American Trading est la première décision fran-


çaise à énoncer que les contrats relèvent de la loi expressément ou implicite-
ment choisie par les parties pourra surprendre. N’enseigne-t-on pas que la
solution avait été préconisée par Dumoulin dès le XVIe siècle ? (Caroli Moli-
nae Opera, t. 3, Paris, 1681, Conclusiones de Statutis et Consuetudinibus loca-
libus, p. 554; v. aussi Lainé, Introduction au droit international privé, t. I,
p. 228 et s.). Mais de la proposition à la consécration, la route fut longue. Si le
Parlement de Paris fit parfois référence — et encore de manière indirecte — à
11 AMERICAN TRADING — CASS., 5 DÉCEMBRE 1910 97

l’autonomie de la volonté, ce fut toujours pour expliquer le rattachement des


régimes matrimoniaux à la loi du premier domicile matrimonial (sur cette
question, v. infra, arrêt Zelcer, no 15 § 5). En revanche, en matière de contrats
proprement dits les arrêts, peu explicites, sont rares (G. Delaume, Les conflits
de lois à la veille du Code civil, p. 208, n’en cite aucun; S. Gruber-Magitot,
Les conflits de coutumes en matière de contrats dans la jurisprudence des Par-
lements, de Dumoulin au Code civil, p. 75 et s.). Cette situation s’explique
sans doute par l’absence, en ce domaine, de véritables conflits de lois en raison
de l’application des règles du droit romain (Batiffol, Problèmes des contrats
privés internationaux, cours IHEI, 1961-62, p. 12; rappr. Francescakis, « Droit
naturel et droit international privé », Mélanges Maury, t. I, p. 138), ainsi que
de la similitude des dispositions coutumières (S. Gruber-Magitot, op. cit., p. 54).
4 Ignorée par les rédacteurs du Code civil, cette question fut, tout au long du
XIXe siècle, résolue par la Cour de cassation dans le sens de l’application de la
loi du lieu de conclusion du contrat à l’ensemble de ses conditions de fond
comme de forme. Enoncée en l’an XIII et en 1857 pour le prêt (Req. 14 mes-
sidor an XIII, S. chr.; Req. 10 juin 1857, DP 59. 1. 194, S. 59. 1. 751), en 1862
et 1872 pour l’assurance (Req. 17 févr. 1862, S. 62. 1. 376; Req. 18 déc. 1872,
Clunet 74. 240, S. 73. 1. 35), cette solution fut ultérieurement posée à de nom-
breuses reprises et avec une grande fermeté pour le contrat de transport : « le
contrat de transport formé à l’étranger entre un expéditeur étranger et une
compagnie étrangère, pour l’envoi en France de marchandises à expédier du
pays où le contrat est formé, est soumis aux lois et règlements qui régissent en
ce pays les contrats de cette nature » (Civ., 4 juin 1878, Chemins de fer de
l’Est, S. 80. 1. 428; v. aussi not. Civ., 23 févr. 1864, S. 1864. 1. 385; 31 mars
1874, S. 1874. 1. 385; 25 août 1875, S. 1875. 1. 426; 14 août 1876, S. 1876. 1.
478; 7 août 1878, S. 1878. 1. 471; 26 juin 1886, Gaz. Pal. 1886. 1. 403;
15 déc. 1886, Gaz. Pal. 1887. 1. 126, Clunet 1887. 74). En l’absence de toute
justification explicite, l’affirmation n’allait pas sans une certaine ambiguïté. La
désignation de la loi du lieu de conclusion pouvait, en effet, s’entendre comme
reposant sur la volonté tacite des cocontractants, ce qui laissait la porte ouverte
à l’expression d’une volonté contraire; cette analyse qui n’aurait, au demeu-
rant, rien eu de révolutionnaire puisqu’elle avait été suggérée dès le XVe siècle
par Rochus Curtius (Lainé, op. cit., t. I, p. 205) paraissait néanmoins se heurter
au fait que les arrêts recensés ne comportent aucune réserve. De plus, dans son
arrêt Compagnie Péninsulaire et Orientale de Londres (Civ., 23 févr. 1864,
préc.), la haute juridiction avait nettement posé que l’acte était régi « par la loi
du lieu où il a été passé quant à sa forme, à ses conditions fondamentales et à
son mode de preuve ». Or, on le verra (infra, no 40 § 3), la règle locus regit
actum présentait indiscutablement, à l’époque, en ce qui concerne la forme, un
caractère impératif. Il semblait donc bien que la jurisprudence en fût restée en
matière de contrat, à l’application obligatoire de la loi du lieu de conclusion.

5 Néanmoins, s’en tenir à une telle présentation serait sans doute se faire une
idée trop monolithique de la réalité de l’époque. Comme le note le doyen Batif-
fol (« L’affirmation de la loi d’autonomie dans la jurisprudence française »,
98 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 11

Festschrift Hans Lewald, p. 219 et s. reproduit in Choix d’articles, p. 265),


l’idée de choix de la loi qui, développée par Dumoulin, avait triomphé dans le
domaine voisin des régimes matrimoniaux (v. arrêts cités infra, no 15 § 4), ne
pouvait pas ne pas exercer une influence au moins diffuse sur l’esprit des
magistrats. On trouve, au demeurant, des traces de celle-ci dans la juris-
prudence antérieure à l’arrêt American Trading. Dès la fin du XIXe siècle, la
loi d’autonomie devait faire son apparition à deux reprises sous l’aspect
discret d’une approbation des juges du fond ; ainsi peut-on lire dans un
arrêt de la Chambre des Requêtes du 19 mai 1884 (Vorbe, DP 1884. 1. 286,
S. 1885. 1. 113) « que la cour de Besançon en s’attachant aux circonstances
particulières de la cause, en a conclu que les parties contractantes avaient
voulu se soumettre à la loi française, et que c’est là une appréciation qui
échappe à la censure de la cour de cassation » (v. aussi Req. 17 juill. 1899,
Clunet 1899. 1024). Mais il fallut attendre 1910 pour que la règle soit énoncée
sous une forme qui coupe court à toute équivoque. Si l’on veut bien considérer
qu’un an auparavant, par le célèbre arrêt Viditz, la cour de cassation avait aban-
donné en matière de forme le caractère impératif de la règle locus (v. infra,
arrêt Chaplin, no 40 § 4), on constate que tout était prêt pour que la technique
contractuelle puisse, sans rigidité excessive, satisfaire aux besoins d’un com-
merce international en voie d’expansion.

6 B. — Ce n’est pas à dire pour autant que l’arrêt American Trading Co


échappe complètement aux pesanteurs du passé. Tout en posant le principe de
la loi d’autonomie, il continue d’affirmer la compétence de la loi du lieu de
conclusion dès lors que les contractants, de nationalité différente, « n’ont pas
manifesté une volonté contraire ». La solution est aujourd’hui doublement
désuète.
En premier lieu, elle paraît bien signifier que si les cocontractants sont de
même nationalité, la loi de leur nationalité commune doit prévaloir. La solu-
tion peut s’expliquer par l’idée que, conclu entre compatriotes, un contrat ne
revêt pas un caractère véritablement international (Batiffol et Lagarde, t. II
no 584). L’argument ne convainc pas : que l’on adhère à une conception
juridique ou, à plus forte raison, économique du contrat international (Gold-
man, note JCP 1971. II. 16927 ; Batiffol et Lagarde, t. II, no 575 ; P. Mayer
et V. Heuzé, no 700 ; B. Audit, no 794 ; sur la définition du contrat interna-
tional, v. infra, arrêt Messageries maritimes, no 22), l’existence d’une nationa-
lité commune ne suffit pas à écarter le conflit des lois (v. cep., Civ., 7 oct. 1980,
Tardieu, Rev. crit. 1981. 313, note J. Mestre, JCP 1980. II. 19480, concl. Gul-
phe, rendu il est vrai dans une espèce où les parties avaient fait choix de la loi
française). On peut également y voir, à l’image des Codes civils italiens de
1865 et de 1942, une présomption de référence implicite à la loi nationale
commune conforme à la doctrine de Mancini. Là encore le propos n’est guère
décisif : la nationalité commune n’est, en effet, le plus souvent qu’« un fac-
teur relativement secondaire de rattachement économique comme de localisa-
tion juridique des contrats internationaux » (Goldman, note Clunet 1960. 144).
On peut, en revanche, faire valoir de manière mieux fondée en sa faveur que
la loi commune des parties a le mérite d’être celle qu’elles sont censées le
11 AMERICAN TRADING — CASS., 5 DÉCEMBRE 1910 99

mieux connaître (B. Audit, no 825). Mais si l’on excepte quelques décisions
anciennes (Civ., 31 mai 1932, État français c/Vve Carathéodory, Rev. crit. 1934.
909, note Niboyet, Clunet 1933. 347; Req. 2 nov. 1937, S. 1938. 1. 30), la
jurisprudence ultérieure n’a retenu ce critère que joint à d’autres qu’il
confirme (Batiffol et Lagarde, t. II, no 583 et décisions citées note 3).
En second lieu, elle perpétue, à défaut de choix et de nationalité commune
des cocontractants, l’application de la loi du lieu de conclusion. Or, comme
on l’a bien souvent relevé depuis, celui-ci « ne caractérise pas suffisam-
ment l’opération contractuelle quant aux intérêts en jeu » (v. par ex., Batiffol
et Lagarde, t. II, no 580; v. en dernier lieu, Civ. 1re, 12 janv. 1994, Soc. Carre-
four, Rev. crit. 1994. 92, note H. Muir Watt). Trop souvent fortuit par rap-
port à l’économie profonde du contrat, il se révèle, de plus, délicat à définir
lorsque celui-ci est conclu par correspondance; la difficulté n’a fait que croître
avec l’expansion du commerce électronique. Aussi bien, le lieu d’exécution
vers lequel est tendue l’attente des parties a-t-il aujourd’hui les préférences
de la doctrine et de la jurisprudence. Certes, plus encore que pour le lieu de
conclusion, sa définition paraît poser problème lorsqu’il est multiple ou indéter-
miné. Mais c’est négliger le fait que la plupart des contrats usuels se définissent
par la prestation d’une partie qui caractérise le but économique de l’opération
tandis que l’autre n’est que sa rémunération. Partant, la difficulté peut être
surmontée grâce à l’emploi de la notion de prestation caractéristique et à la
localisation de celle-ci au lieu où est établi celui qui la fournit (v. Paris, 27 janv.
1955, Soc. Jansen c/Soc. Heurtey, Rev. crit. 1955. 320, note Motulsky). Telle est
au demeurant la solution consacrée par la Convention de Rome dans son arti-
cle 4 (Rev. crit. 1980. 875; v. M.-E. Ancel, La prestation caractéristique du
contrat, thèse Paris 1, éd. 2002).
Pour être complet, il convient néanmoins de souligner qu’en affirmant que
la volonté des cocontractants « peut s’induire des faits et circonstances de la
cause », la Cour de cassation introduisait un germe de flexibilité qui annonçait
les évolutions ultérieures. La même ambivalence se retrouve lorsqu’on essaie
de préciser la notion de loi d’autonomie à laquelle se réfère l’arrêt ci-dessus
reproduit.

II. La signification de la loi d’autonomie

7 En posant que « la loi applicable aux contrats (…) est celle que les parties
ont adoptée », la Cour de cassation énonce pour la première fois clairement le
principe de la loi d’autonomie.
La solution présente de multiples avantages. Elle assure une pleine sécurité
juridique aux contractants en faisant coïncider la règle de décision du juge
avec la règle sur laquelle les parties ont modelé leur conduite. Elle donne toute
latitude aux contractants pour choisir une loi appropriée à la teneur de leur
projet et qui en facilite la réalisation (P. Mayer et V. Heuzé, no 695). Plus
généralement, elle prend acte de ce que la concurrence plus vive qui règne
dans les relations internationales appelle pour les contrats qui s’y développent
100 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 11

un régime plus souple (P. Lerebours-Pigeonnière, Précis, 3e éd, no 207), ce que


le droit comparé établit sans équivoque. Mais s’il est certain que la satisfaction
des besoins du commerce international passe nécessairement par la reconnais-
sance d’un certain rôle à la volonté des parties quant au choix de la loi (v. cep.
contra, V. Heuzé, La réglementation française des contrats internationaux,
1989), encore faut-il mesurer l’ampleur de la liberté qui leur est ainsi accor-
dée. À cet égard, plusieurs conceptions s’affrontent (A), entre lesquelles l’arrêt
American Trading n’a pas clairement choisi (B).

8 A. — De fait, si l’on s’accorde généralement sur la soumission des contrats


à la loi d’autonomie, les divergences apparaissent dès lors qu’on s’emploie à
en préciser la signification. Comme on l’a noté bien souvent l’expression revêt
des sens différents selon que ceux qui l’utilisent s’en font une conception sub-
jective ou objective (Batiffol, « Subjectivisme et objectivisme dans le droit
international privé des contrats », Mélanges Maury, t. I, p. 39 et s. reproduit in
Choix d’articles, p. 249 et s.).
Dans un premier sens, la conception subjective de la loi d’autonomie signi-
fie seulement que la désignation du droit applicable dépend exclusivement de
la volonté des contractants; en l’absence de choix exprès ou implicite, on
recherchera donc quelle aurait été leur volonté hypothétique, c’est-à-dire celle
qu’ils auraient eue s’ils s’étaient posé la question. Mais allant plus loin, cer-
tains, désireux d’assurer le plein épanouissement d’une liberté qu’ils jugent
propice au développement du commerce international, suggèrent que le
contrat, produit naturel de la libre volonté des parties, n’a pas à subir les exi-
gences des ordres étatiques dès lors qu’il échappe au réseau des relations
sociales que ceux-ci contrôlent. Pour ces adeptes de la suprématie de la
volonté privée, les parties en choisissant une loi ne se soumettent pas à celle-
ci mais l’incorporent à leur contrat. Il y a, dit-on, « incorporation » de la loi
dans le contrat (Batiffol, « Subjectivisme et objectivisme », art. préc., « Sur la
signification de la loi désignée par les parties », Studi in onore di T. Perassi,
1957, t. 1, p. 183, reproduit in Choix d’articles, p. 271; v. aussi Jacquet, Trav.
com. fr. dr. int. pr. 1993-1995, p. 23 et s.), ou encore « contractualisation » de
la loi (Jacquet, Principe d’autonomie et contrats internationaux, 1983, p. 27
et s.). Mise à la disposition des cocontractants, la loi choisie devient le maté-
riau dont se nourrit leur volonté. Partant, ils pourront, selon cette conception,
choisir une loi à l’exclusion de ses dispositions à venir, ou encore retenir cer-
taines dispositions et en écarter d’autres. Mieux, les dispositions législatives
n’ayant de force obligatoire que dans la mesure où la volonté des parties leur
en a conféré une, ils pourront finalement ne soumettre leur contrat à aucune
loi (sur le contrat sans loi, v. arrêt Messageries maritimes, infra, no 22; Batif-
fol, Aspects philosophiques du dr. int. pr., nos 28 et s.).
Constatant que le contrat, fût-il international, constitue un fait social indis-
sociable d’un milieu auquel il ne saurait échapper et que, même dans les rela-
tions privées internationales, il existe des forts et des faibles ainsi que des
intérêts généraux à ménager, les partisans de la conception objective affirment
qu’une loi ne saurait jamais être l’objet des stipulations des cocontractants. La
prérogative reconnue à ceux-ci ne doit pas être d’adopter une loi mais seule-
11 AMERICAN TRADING — CASS., 5 DÉCEMBRE 1910 101

ment de se soumettre à celle-ci. À cet effet, ils développent l’idée que « la loi
applicable au contrat est déterminée par le juge, mais en raison de la volonté
des parties quant à la localisation du contrat » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 571).
Au lieu d’être directement prise en considération, la volonté des parties n’est
plus envisagée que « médiatement » à travers la physionomie que celles-ci ont
donnée à leur opération (Gothot, note, Rev. crit. 1976. 666). De là, toute une
série de conséquences opposées à celles précédemment relevées : les parties
ne peuvent écarter les dispositions à venir qui seraient applicables aux contrats
en cours ni réaliser un « métissage » (R. Savatier, Cours de droit international
privé, no 414) du contrat en empruntant les règles applicables à des législa-
tions différentes, pas plus qu’elles ne peuvent prétendre élaborer un contrat
échappant à l’emprise de toute loi.

9 B. — Rendu deux ans avant que Gounot ne dénonce la « mystique de


l’autonomie de la volonté », l’arrêt American Trading est généralement pré-
senté comme ayant ouvert la voie à la première conception. De fait, en énon-
çant « que non seulement cette manifestation (de volonté) peut être expresse
mais qu’elle peut s’induire (…) des termes du contrat », la décision semble
bien impliquer que la loi applicable au contrat est toujours celle qu’ont voulue
les parties soit expressément, soit implicitement. De plus, l’arrêt emploie le
verbe « adopter », lequel a parfois été interprété comme exprimant « l’extrême
pointe d’un subjectivisme exacerbé » (Gothot, note préc.). Enfin et surtout,
bien que la loi désignée annulât la clause d’irresponsabilité, la Cour de cas-
sation approuve la cour d’appel de lui avoir donné effet au motif qu’il « résulte
de l’esprit et des termes de (la) convention que, dans leur commune intention,
(les parties) n’entendaient se soumettre à la loi américaine que pour tout ce qui
n’aurait pas été expressément prévu par la charte partie ». En d’autres termes,
la référence même globale à une loi étrangère ne saurait être entendue comme
incluant les dispositions de cette loi dès lors qu’elles annulent le contrat. Or
cette proposition est généralement présentée comme l’une des conséquen-
ces de la conception subjectiviste : les parties pouvant choisir dans une loi cer-
taines dispositions seulement, il est logique de leur imputer l’exclusion de cel-
les qui annulent le contrat (Batiffol et Lagarde, t. II, no 571). La solution est
très certainement excessive; « la nullité n’est pas nécessairement une chicane
contraire à l’équité et au sens des affaires » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 591;
P. Mayer et V. Heuzé, no 709; Deby-Gérard, Le rôle de la règle de conflit dans
le règlement des rapports internationaux, 1973, no 328, p. 261; contra
V. Heuzé, op. cit., nos 275 et s., p. 138 et s. ; v. prononçant la nullité d’un
contrat par application de la loi choisie, Civ., 28 juin 1966, Cametz, Rev. crit.
1967. 334, note Batiffol, Clunet 1967. 376, note Kahn; rappr. Civ. 1re, 25 oct.
1989, Soc. Promocomex, Rev. crit. 1990. 732, note P. Courbe). Elle semble
bien, cependant, signifier ici que les dispositions de la loi choisie ne font
que s’ajouter à des clauses écrites qui se suffisent à elles-mêmes ; s’incorpo-
rant au contrat, elles n’acquièrent sur celui-ci aucune autorité véritable (rappr.
J.-M. Jacquet, Principe d’autonomie et contrats internationaux, 1983, p. 26
et s.; V. Heuzé, op. cit., no 211, p. 116).
102 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 11

10 Néanmoins, il est possible de relever dans cette décision d’autres éléments


qui témoignent d’une hésitation entre les deux conceptions. Avant d’affirmer
que la loi désignée ne joue que sur les matières non réglées expressément
par le contrat, l’arrêt énonce que le chargeur en acceptant la clause d’irrespon-
sabilité « n’ignorait pas que (celle-ci) devait être exécutée sur le territoire fran-
çais où elle est considérée comme licite ». Selon le doyen Batiffol, cette inci-
dente marque bien que « le premier mouvement de la cour » n’a pas été (…)
de « donner effet à la clause pour la seule raison qu’elle a été convenue mais
de relever que le lieu de son exécution était en territoire français : exemple
remarquable de localisation objective du contrat d’où la cour déduit la loi
applicable » (« Sur la signification de la loi désignée par les contractants »,
Studi in onore di Tomaso Perassi, t. I, p. 183 et s., reproduit in Choix d’arti-
cles, p. 271 et s.). En réalité il semble bien, comme le note l’éminent auteur,
que les magistrats n’aient pas eu une perception claire de l’opposition existant
entre les deux conceptions, ce qui retire à la décision une bonne part de sa
signification. La prise de conscience ne se réalisera, sous l’impulsion de la
doctrine, que progressivement. Les travaux du doyen Batiffol et notamment
son ouvrage sur Les conflits de lois en matière de contrats (Sirey, 1938) auront
à cet égard un rôle déterminant. Aussi bien, d’inspiration subjectiviste jusqu’à
la seconde guerre mondiale (v. not. Civ., 15 janv. 1935, Prévost, Rev. crit.
1936. 463; Req. 19 oct. 1938, Rev. crit. 1939. 127 et l’analyse de ces décisions
par H. Batiffol dans son article précité), la jurisprudence française répudiera
ensuite les conséquences les plus extrêmes de ce système en affirmant dans
l’arrêt Messageries maritimes (infra, no 22) que « tout contrat est nécessaire-
ment rattaché à la loi d’un État » avant de se prononcer pour une règle de con-
flit qui marie objectivisme et subjectivisme (v. infra, arrêt Fourrures Renel,
no 35).
11 Dualiste, la Convention de Rome associe également subjectivisme et objec-
tivisme (infra, no 35 § 6). Dans sa composante subjective, elle professe un
« subjectivisme modéré » (P. Mayer et V. Heuzé, no 698). Aux termes de son
article 3.1 « le contrat est régi par la loi choisie par les parties ». Autrement
dit, les parties ont le libre choix de la loi applicable, mais la loi choisie
s’impose ensuite pour l’essentiel à elles. Aussi bien, la Convention envisage-
t-elle expressément l’éventualité d’une annulation du contrat par la loi ainsi
choisie. Son article 8.1. prévoit, en effet, que « l’existence et la validité du
contrat ou d’une disposition de celui-ci sont soumises à la loi qui serait appli-
cable en vertu de la présente convention si le contrat ou la disposition étaient
valables ».
12
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)

6 juillet 1922

(Rev. dr. int. 1922. 444, rapport Colin, note Pillet, Clunet 1922. 714,
DP 1922. 1. 137, S. 1923. 1. 5, note Lyon-Caen)
Divorce. — Loi applicable. —
Conversion d’une séparation de corps en divorce.

La Française, mariée à un Italien, qui demande la conversion en divorce


d’une séparation de corps amiable prononcée en Italie ne peut exercer ce
droit qu’en se conformant aux règles édictées par la loi française.
La conversion suppose nécessairement un jugement de séparation aux
torts soit des deux époux, soit de l’un d’eux et pour une cause déterminée
qui sera celle du divorce substitué à la séparation.

(De Ferrari c/Dame de Ferrari)

Faits. — Une Française épouse en 1893 un Italien, M. Ferrari; elle perd de ce fait la
nationalité française et acquiert la nationalité italienne. Six ans plus tard, une séparation
de corps par consentement mutuel homologuée par le tribunal de Gênes intervient, confor-
mément à la loi italienne (art. 158, C. civ. italien), entre les époux Ferrari. Rentrée en
France, Mme Ferrari obtient un décret du président de la République la réintégrant dans
la nationalité française par application de l’article 18 du Code civil. Invoquant le béné-
fice de l’article 14 du même code, elle assigne alors son mari devant le Tribunal civil de
Lyon afin d’obtenir, en vertu de la loi française, la conversion de la séparation de corps
en divorce. Le succès de sa prétention supposait entre autres choses : 1°) que la loi fran-
çaise soit déclarée applicable puisque la loi italienne prohibait à l’époque le divorce, 2°)
que la séparation de corps italienne par consentement mutuel soit jugée équivalente à
une séparation française afin que sa conversion puisse être prononcée.
Le Tribunal civil de Lyon par jugement du 29 juillet 1916 (Rev. crit. 1922-
1923. 444), puis la cour de Lyon par arrêt confirmatif du 26 juin 1917 ayant donné gain
de cause à Mme Ferrari, un pourvoi fut formé par son mari. Le quatrième moyen en
était ainsi libellé :
« 4° Violation de l’article 310 du Code civil, des articles 2 et 3 du Code civil et des
règles de conflit de lois, excès de pouvoir, défaut et contradiction de motifs et manque
de base légale, en ce que l’arrêt attaqué a déclaré possible, par application de la loi fran-
çaise, la conversion en divorce d’une séparation de corps consensuelle conclue confor-
mément à la loi italienne, alors que les causes qui peuvent faire prononcer soit la
séparation de corps, soit le divorce, étant les mêmes en droit français, la conversion en
divorce ne peut être prononcée que s’il existe un jugement de séparation de corps pour
cause déterminée, ce qui n’était pas le cas dans l’espèce. »
104 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 12

ARRÊT
(après délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que la dame Gensoul ayant, le
16 octobre 1893, contracté mariage avec le sieur de Ferrari, Italien, et perdu
ainsi la nationalité française pour suivre celle de son mari, un procès-verbal de
séparation de corps intervenu par le consentement mutuel des époux a été, en
conformité des dispositions de la loi italienne, homologué par décision de la
chambre du conseil du Tribunal civil de Gênes en date du 6 avril 1899; que la
dame Gensoul, étant rentrée en France, a obtenu, le 3 août 1913, un décret la
réintégrant, par application de l’article 18 du Code civil, dans la qualité de
Française; qu’elle a, le 30 novembre 1915, en invoquant la disposition de
l’article 14 du Code civil, assigné son mari, domicilié à Gênes, devant le Tribunal
de Lyon pour voir prononcer la conversion en divorce de la séparation de corps;
que l’arrêt attaqué a fait droit à cette demande et prononcé la conversion; —
Attendu que, d’après le pourvoi, le tribunal puis la cour d’appel se seraient à
tort déclarés compétents et auraient sans droit fait application au litige de la loi
française, les prétentions de la dame Gensoul à ce double point de vue suppo-
sant qu’elle avait valablement recouvré la nationalité française et le décret de
réintégration par elle obtenu étant sans valeur par ce motif que l’article 19 du
Code civil, seul applicable à son cas, ne permet à la femme devenue étrangère
par son mariage de redevenir Française par simple autorisation du gouverne-
ment que si le mariage a été dissous par le divorce ou par la mort du mari; —
Mais attendu qu’il n’appartenait pas aux tribunaux judiciaires d’apprécier la
légalité du décret qui a réintégré la dame Gensoul dans la nationalité française;
— Déclare le moyen non recevable;
Mais sur le quatrième moyen : — Vu les articles 3, al. 3, et 310, al. 1er du Code
civil; — Attendu que si les lois concernant l’état et la capacité des personnes
régissent le Français qui recouvre cette qualité après l’avoir perdue, d’où il suit
que la dame Gensoul, par l’effet du décret prononçant sa réintégration, devait
être admise à demander la conversion de la séparation de corps en divorce, elle
ne pouvait exercer ce droit qu’en se conformant aux règles édictées par la loi
française, laquelle régissait désormais son statut personnel; — Attendu, d’autre
part, que de l’article 310, al. 1er et 3 du Code civil il résulte que la conversion
suppose nécessairement qu’il a été prononcé un jugement de séparation aux
torts soit des deux époux, soit de l’un deux, et pour une cause déterminée qui
sera celle du divorce substitué à la séparation; — Or attendu que l’arrêt attaqué
constate qu’aucun jugement de caractère contentieux n’avait été prononcé en
Italie entre le sieur de Ferrari et la dame Gensoul, son épouse; que leur sépara-
tion résultait d’un procès-verbal relatant leur consentement mutuel et ayant
fait l’objet d’une homologation purement gracieuse de la chambre du conseil
du Tribunal civil de Gênes; que cette séparation amiable ne pouvait, au regard
de la loi française, seule applicable à la cause, servir de base à un jugement de
conversion; — Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deuxième
et troisième moyens : — Casse.
Du 6 juillet 1922. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Sarrut, prem. prés.; Ambroise Colin, rapp.;
Matter, av. gén. — MMes Morillot et Mornard, av.

OBSERVATIONS
1 Commentant l’arrêt Ferrari, Pillet écrivait que celui-ci comptait « parmi les
plus importants que la Cour de cassation ait rendus dans le domaine du droit
12 FERRARI — CASS., 6 JUILLET 1922 105

international privé mais non parmi les meilleurs » (note Rev. dr. int. 1922-
1923. 461). De fait, ayant à connaître pour la première fois d’un problème
auquel l’évolution des mœurs et du droit de la nationalité devait donner une
ampleur considérable, celui de la loi applicable au divorce d’époux de nationa-
lité différente, la cour lui apporte une solution qui fut à l’origine d’une contro-
verse presque trentenaire (I). En revanche, la question de la conversion d’une
séparation de corps italienne en divorce français y est traitée avec un instinct
très sûr. La cour retient, en effet, la solution qui s’imposait alors même que les
premiers éléments du problème de l’adaptation n’avaient pas encore été déga-
gés par la doctrine (II).

I. La loi applicable au divorce

2 Selon une solution ancienne et constante qui prenait sa source dans l’arti-
cle 3, alinéa 3 du Code civil, la séparation de corps et le divorce d’époux de
même nationalité étaient, à l’époque, régis par leur loi nationale commune
(Civ., 30 oct. 1905, S. 1911. 1. 581). Mais qu’en était-il lorsque les époux
étaient de nationalité différente ? En l’absence de décision de la Cour de cassa-
tion, plusieurs tendances étaient perceptibles : au cas où la dualité de nationali-
tés remontait au mariage, il était procédé à une application distributive des lois
nationales, que l’un des époux fût français ou qu’ils fussent tous deux étran-
gers (v. par ex., Paris 31 oct. 1910, Clunet 1912. 1193); lorsqu’au contraire
une dualité de nationalités s’était, au cours du mariage, substituée à une natio-
nalité commune initiale, certaines décisions retenaient la solution précédente
(v. par ex., Alger, 2 déc. 1893, DP 1895. 2. 146), alors que d’autres appliquaient
la dernière loi nationale commune au nom de la permanence du statut origi-
naire (v. par ex., Alger, 27 janv. 1892, Clunet 1892. 662; v. aussi en ce sens,
art. 8, Convention de La Haye du 12 juin 1902, en vigueur en France jusqu’au
1er juin 1914). Prenant parti dans cette controverse, la Cour de cassation se
prononce avec l’arrêt Ferrari pour le système de l’application distributive.
C’était là à l’époque, selon la remarque du Conseiller Georges Holleaux (Le
droit international privé de la famille en France et en Allemagne, 1954, p. 131),
une règle « de portée universelle tout à fait conforme à l’esprit personnaliste
du droit international privé au début du XXe siècle ». Néanmoins relevant les
conséquences pratiques auxquelles conduisait cette solution, la doctrine émit
de sévères critiques : soumettre chaque époux à sa loi nationale, c’était consi-
dérer le mari italien comme toujours marié et la femme française comme
divorcée; marié sans l’être, le mari restait soumis aux obligations du mariage
sans en avoir les droits… (v. par ex., Pillet, note préc., p. 463; Audinet, « Rece-
vabilité de la demande en divorce intentée par une femme réintégrée dans la
nationalité française contre son mari resté étranger », Clunet 1923. 15). En
dépit de ces critiques, la Cour de cassation réaffirma la solution à plusieurs
reprises, non sans d’ailleurs en atténuer les conséquences les plus choquantes
(Civ., 7 mai 1928, Giglio, S. 1929. 1. 9, note Niboyet; 5 févr. 1929, Mancini,
S. 1930. 1. 81, note Audinet; Req. 4 févr. 1931, Cottan, DH 1931. 181; sur cet
attentisme, v. Batiffol, Aspects philosophiques du dr. int. pr., no 80, p. 176).
106 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 12

3 La modification du « climat juridique » allait cependant entraîner une trans-


formation progressive du sens et de l’esprit de la jurisprudence Ferrari (G. Hol-
leaux, op. cit., p. 131). Constatant qu’une relation familiale ne pouvait se
réduire à une simple juxtaposition de situations individuelles, la doctrine
imposa l’idée que l’institution matrimoniale devait être régie par un statut uni-
que. Dans ce contexte, l’arrêt Ferrari changeait de signification. Il devenait
l’illustration d’un courant d’idée qui tendait à soumettre à la loi française toute
institution familiale dès que l’une des parties était française. C’était la fameuse
« solution politique » de Niboyet (Traité, t. V, no 1514, p. 438 et s.; Delaume,
« L’influence de la nationalité française sur la solution des conflits de lois en
matière de droit des personnes », Rev. crit. 1949. 5 et s.), figurée en un autre
domaine, celui de la filiation, par l’arrêt Fontaine (infra, no 17; v. aussi infra,
arrêt Verdier, no 21) et consacrée par l’avant-projet de réforme du Code civil
(art. 22, titre préliminaire). Taxée de partiale en ce qu’elle conférait « à la loi
française une prépondérance non justifiée au lieu de considérer les parties sur
un pied d’égalité » (Batiffol, Traité, 2e éd., no 388; Louis-Lucas, « Le dévelop-
pement de la compétence du droit français dans le réglement des conflits de
lois », Études Ripert, t. 1, p. 271), cette solution fut à son tour expressément
condamnée par l’arrêt Rivière (infra, no 26) qui soumit le divorce d’époux de
nationalité différente à la loi du domicile commun.
4 La jurisprudence Ferrari exprimait cependant une « réalité psychologique »
difficile à éluder (Batiffol, note, Rev. crit. 1961. 550; « Réflexions sur une
préface », Mélanges Julliot de La Morandière, 1964, p. 39-40). Elle avait, en
effet, pour point de départ l’idée qu’on ne pouvait priver un Français de la
faculté de divorcer au prétexte que la loi régissant le lien matrimonial en
consacrait l’indissolubilité. Aussi certains estimaient-ils qu’elle devait, en un
tel cas, être maintenue à titre de correctif. Deux situations permirent plus parti-
culièrement la mise à l’épreuve de cette proposition : d’une part, sous l’empire
de la jurisprudence Rivière, l’hypothèse où les époux avaient un domicile com-
mun dans un pays dont la loi prohibait le divorce (Francescakis, « Le divorce
d’époux de nationalité différente. Après l’arrêt Rivière », Rev. crit. 1954. 336);
d’autre part, à propos de l’article 310 du Code civil (réd. loi du 11 juill. 1975,
devenu art. 309, C. civ., ord. 4 juill. 2005), le cas où à défaut de nationalité
commune française et de domicile commun en France, une loi étrangère se
reconnaît compétence qui proclame l’indissolubilité du mariage (Francescakis,
« Le surprenant art. 310 nouveau du Code civil sur le divorce international »,
Rev. crit. 1975. 580 et 588). Dans l’une et l’autre circonstances, la juris-
prudence parvint à tourner la difficulté sans qu’il lui soit besoin de réaffirmer
la solution Ferrari. Le premier problème fut surmonté grâce à l’arrêt Tarwid
(Civ. 1re, 15 mai 1961, D. 1961. 437, 3e esp., note G. Holleaux, Rev. crit. 1961.
547, note Batiffol, Clunet 1961. 734, note Goldman) qui soumit à la loi du for
le divorce d’époux n’ayant ni nationalité commune, ni domicile commun. De
ce fait, les tribunaux français pouvaient accueillir par application de la loi fran-
çaise la demande en divorce d’un Français marié à un étranger dès lors que
leur domicile commun avait disparu, c’est-à-dire qu’ils vivaient séparés dans
des pays différents (sur cette jurisprudence, v. infra, no 26 § 5).
12 FERRARI — CASS., 6 JUILLET 1922 107

Quant à la seconde difficulté, née de la loi du 11 juillet 1975, elle fut réso-
lue par le recours à l’ordre public; la Cour de cassation décida qu’une loi
étrangère prohibant le divorce était contraire à la conception actuelle de
l’ordre public international qui impose la faculté pour un Français domicilié
en France de demander le divorce (Civ. 1er, 1er avr. 1981, de Itturalde de Pedro,
Clunet 1981. 812, note D. Alexandre. Sur cette jurisprudence, v. infra, no 26
§ 12 et no 38-39 § 9).

II. La conversion de la séparation de corps en divorce

5 La séparation de corps amiable intervenue en Italie conformément à la loi


italienne pouvait-elle être convertie en divorce à la demande de la femme rede-
venue française ?
La difficulté provenait de la modification de l’élément de rattachement
entre le moment où la séparation de corps avait été homologuée et celui où
était intervenue la demande de conversion. De fait, lorsque la même loi est
applicable à l’ensemble du problème, il suffit de la consulter afin de savoir
si la séparation est ou non convertible; ainsi en aurait-il été, en l’espèce, si
Mme Ferrari n’avait pas repris la nationalité française. En revanche, lorsqu’à
la suite d’un changement de la règle de conflit du for (v. par ex., TGI Paris,
20 janv. 1977, Rev. crit. 1977. 335, note H. Gaudemet-Tallon, D. 1977, IR p. 352,
obs. Audit) ou encore comme en l’espèce, d’un conflit mobile, la loi applica-
ble à la demande de conversion est différente de celle qui régit la séparation,
un problème supplémentaire se pose, celui de l’articulation des systèmes : à
supposer que la loi régissant la conversion l’admette, peut-on faire produire
cet effet à la séparation prononcée sous l’empire d’une autre loi ? Par exem-
ple, est-il possible d’attacher la conversion automatique du droit français à la
séparation par consentement mutuel prévue par le droit italien ?
6 La question s’insère dans un problème plus général, celui de l’équivalence
des institutions. La séparation prononcée à l’étranger étant reconnue en France,
il faut encore rechercher si elle équivaut à celle envisagée dans son hypothèse
par la règle prévoyant la conversion. En d’autres termes, la séparation étran-
gère peut-elle constituer la prémisse à laquelle la règle française régissant la
conversion fait produire cet effet ? Dans l’affirmative, on dira qu’il y a substi-
tution de l’institution étrangère à l’institution française.
En l’espèce, la Cour de cassation ne l’a pas admis au motif que la sépa-
ration italienne ne présentait pas le caractère contentieux exigé par les termes
de l’article 310 ancien du Code civil. En dépit de l’esprit « ténu et assez arti-
ficiel » de l’argument (Rigaux, La théorie des qualifications en droit interna-
tional privé, no 303, p. 463), la doctrine a généralement approuvé la solution
(Lyon-Caen, note S. 1923. 1. 1; Audinet, art. préc., Clunet 1923. 17; Niboyet,
Traité, t. V, no 1518, p. 457-458; Lerebours-Pigeonnière, Précis, no 339;
v. cep. contra Bartin, Principes, t. I, p. 425-429). De fait, il semble bien qu’en
l’espèce et à l’époque, l’équivalence faisait défaut. Admettre la conversion
de la séparation de corps amiable italienne en divorce, c’était permettre un
108 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 12

divorce par consentement mutuel qui n’était autorisé ni par la loi française, ni
par la loi italienne. On perçoit ainsi ce qui pourrait être l’un des principes de
solution de la difficulté : l’équivalence n’existerait pas et la substitution
devrait être écartée dès lors que chacun des systèmes en présence appliqué
seul n’aurait pas permis d’obtenir le résultat auquel conduit leur combinaison.
Inversement, l’articulation des deux lois serait possible lorsque la séparation
de corps étrangère a été prononcée pour des motifs qui auraient pu autoriser le
divorce selon la loi française (sur cette question, v. Y. Lequette, « Ensembles
législatifs et droit international privé des successions », Trav. com. fr. dr. int.
pr. 1983-1984. 174 et s.). Telle a été, au demeurant, la solution admise à plu-
sieurs reprises par la jurisprudence (v. par ex., Req. 3 nov. 1928, Pastre, Clu-
net 1929. 426). Toujours valables, ces directives conduisent aujourd’hui à une
solution différente : la loi française connaissant désormais le divorce par con-
sentement mutuel, les tribunaux français peuvent sans difficulté convertir en
divorce une séparation de corps amiable intervenue à l’étranger (v. par ex.,
TGI Paris, 20 janv. 1977, préc.).
En refusant, en l’espèce, la conversion en divorce de la séparation italienne
la Cour de cassation semblait consacrer l’échec de Mme Ferrari. Mais celui-ci
n’était qu’apparent. La loi française ayant été déclarée applicable, il lui restait
la ressource d’intenter une action en divorce devant les tribunaux français, ce
qu’elle fit avec succès (Civ., 14 mars 1928, DH 1928. 253, S. 1929. 1. 92).
13
COUR DE CASSATION
(Ch. req.)

5 mars 1928

(Rev. dr. int., 1929. 288, note Niboyet, Clunet 1928. 674,
DP 1928. 1. 81, note R. Savatier)
Nationalisation. — Ordre public.

Le décret soviétique prononçant la nationalisation de la flotte marchande


russe sans prévoir l’attribution d’une juste indemnité aux propriétaires dépos-
sédés est contraire à l’ordre public et ne peut recevoir application en France.

(État Russe c/Cie La Ropit)

Faits. — Importante compagnie de navigation ayant son siège social à Saint-Péters-


bourg, la Ropit était propriétaire d’une flotte qui se trouva, du fait de la première guerre
mondiale, immobilisée dans le port d’Odessa. Elle y était encore lorsque fut publié le
décret du 26 janvier 1918 par lequel le gouvernement soviétique nationalisait la flotte
marchande russe. Mais la reprise du port par les armées blanches permit aux capitaines
de cette compagnie de soustraire leurs navires à la mainmise des agents soviétiques et
de se réfugier à Marseille. Afin de pourvoir aux intérêts en souffrance, les capitaines
ainsi que des actionnaires et des créanciers obtinrent le 10 avril 1923 du Tribunal de
commerce de Marseille la nomination d’un administrateur provisoire. En 1925, le gou-
vernement bolchevique qui avait été reconnu par le gouvernement français le 28 octobre
1924 (sur l’incidence de la non-reconnaissance à l’époque, v. Bartin, Principes, t. I, § 32,
p. 65 pour qui la législation russe « était entachée d’une double tare, celle de son origine
et celle de son objet ») forma tierce opposition au jugement du 10 avril 1923 et, entre
autres choses, revendiqua les navires appartenant à la Compagnie La Ropit, réfugiés à
Marseille. Ses prétentions furent repoussées par un jugement du Tribunal de commerce
de Marseille du 23 août 1925 et, sur appel, par un arrêt de la Cour d’Aix du 23 décem-
bre 1925. Un pourvoi fut formé.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique pris de la violation de l’article 545 du Code
civil et de l’article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut et contradiction de motifs,
manque de base légale, violation des principes admis en droit international
quant aux effets de la reprise des relations diplomatiques entre États et du
décret rendu le 26 janvier 1918 par le gouvernement soviétique : — Attendu
que, par jugement du 10 avril 1923, le Tribunal de commerce de Marseille, sta-
tuant sur la requête des capitaines de divers navires de la Société de navigation
russe dite La Ropit, auxquels s’étaient joints un certain nombre d’actionnaires et
de créanciers, a pourvu à l’administration provisoire de la flotte de ladite société
110 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 13

se trouvant à Marseille, ainsi que des biens ou intérêts lui appartenant en


France; que le gouvernement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques,
représenté par son ambassadeur à Paris, a formé tierce-opposition à ce juge-
ment et en a demandé l’annulation en se prétendant propriétaire des navires
susvisés, en vertu du décret du 26 janvier 1918, par lequel il a prononcé la natio-
nalisation de la flotte marchande russe; que cette prétention a été repoussée
par l’arrêt attaqué, qui a déclaré la tierce-opposition non recevable pour défaut
d’intérêt; — Attendu, d’après le pourvoi, que cette décision aurait à tort dénié
au gouvernement soviétique un droit de propriété qui lui était attribué par une
disposition formelle de sa législation et aurait violé ainsi une règle de droit
international admise par tous les États ayant entre eux des relations diplomati-
ques ; — Mais attendu que si, en principe, les tribunaux d’un État, lorsqu’ils sont
appelés à apprécier une situation juridique née sous l’empire d’une législation
étrangère, doivent le faire en appliquant la loi étrangère, cette règle ne les
oblige que dans la mesure où l’application de la loi étrangère ou le respect des
droits acquis en vertu de cette loi ne porte pas atteinte à des principes ou à des
dispositions de leur loi nationale considérés comme essentiels pour l’ordre
public; — Attendu qu’aux termes de l’article 545 du Code civil, nul en France ne
peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publi-
que et moyennant une juste et préalable indemnité; que cette règle insérée
dans nos codes et affirmée par nos constitutions successives est une des bases
fondamentales de nos institutions sociales; qu’on ne saurait la faire fléchir en
considération des dispositions d’une législation étrangère sans troubler profon-
dément l’ordre établi sur le territoire de la République; et attendu que le décret
soviétique du 26 janvier 1918 prononce la nationalisation de la flotte mar-
chande russe sans prévoir qu’une juste indemnité sera attribuée aux propriétai-
res dépossédés; que ce décret institue ainsi un mode d’acquisition de la pro-
priété que les tribunaux français ne peuvent reconnaître; que, par suite, en
décidant que le gouvernement soviétique ne pouvait invoquer aucun intérêt
légitime qui justifiât sa tierce-opposition, l’arrêt attaqué, abstraction faite de
certaines considérations qui n’ont aucun caractère juridique et doivent être
tenues pour surabondantes, loin de violer les textes et les principes visés au
pourvoi, en a fait une exacte application;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 5 mars 1928. — Cour de cassation (Ch. req.). — MM. Servin, prés.; Célice, rapp.; Mornet, av. gén.
— Me Hersant, av.

OBSERVATIONS

1 Des nationalisations bolcheviques des années vingt aux nationalisations


françaises des années quatre-vingt, le phénomène a connu une véritable « explo-
sion », avant de céder la place aux privatisations. La notion de nationalisation
est, au demeurant, loin d’être homogène : aux nationalisations d’inspiration
révolutionnaire ou réformiste visant avant tout les biens des nationaux se sont
ajoutées depuis les années cinquante, les nationalisations liées à la fin de la
période coloniale qui frappent principalement les biens étrangers. Séquelles
des transferts de souveraineté engendrés par la décolonisation, elles obéissent
alors moins à un souci de restructuration économique qu’à la volonté de se
libérer de toute dépendance extérieure (Carreau, Julliard et Flory, Droit inter-
national économique, 1re éd., p. 538 et s., spéc. p. 552).
13 LA ROPIT — CASS., 5 MARS 1928 111

Parallèlement s’est développé devant les tribunaux judiciaires français un


important contentieux dont l’objet est, il est vrai, assez circonscrit. On ne sau-
rait, en effet, attraire un État étranger ou ses émanations devant nos tribunaux
pour mettre en œuvre leur responsabilité ou en obtenir une indemnisation; de
telles prétentions se heurteraient inéluctablement à leur immunité de juri-
diction (v. par ex., Civ. 1re, 20 oct. 1987, Soc. internationale de plantations
d’hévéas, Rev. crit. 1988. 727, note P. Mayer; sur l’immunité de juridiction
v. infra, no 47). Un juge français ne sera donc habituellement saisi des ques-
tions soulevées par une nationalisation étrangère que de façon indirecte : un
bien, un rapport d’obligation localisé au moins partiellement en France sera
l’enjeu d’un débat dont la solution dépendra de l’accueil qui sera fait à la
mesure de nationalisation qui prétend l’atteindre. Ce contentieux s’inscrit le
plus souvent dans ce qu’on a proposé d’appeler la « stratégie de la confronta-
tion » : les personnes privées lésées par les mesures de nationalisation étran-
gères tentent d’en paralyser les effets en édifiant autour de l’État étranger un
véritable « cordon sanitaire » (Carreau, Julliard et Flory, op. cit., 1re éd., p. 581
et s.). À cet effet, la jurisprudence a longtemps raisonné presqu’exclusivement
en termes d’ordre public : relevant le caractère confiscatoire de certaines
nationalisations étrangères, elle refuse de leur faire produire effet en France.
Cette hypertrophie de l’exception d’ordre public a le plus souvent permis aux
magistrats français d’éviter de s’interroger sur le problème — pourtant préala-
ble — des limites spatiales que rencontre la compétence de l’État étranger
lorsqu’il édicte des normes emportant nationalisation. À la différence de la
plupart des décisions qui l’ont suivi, l’arrêt La Ropit n’encourt cependant pas
pleinement cette critique.
Tout en mettant l’accent sur l’exception d’ordre public qui frappe les natio-
nalisations confiscatoires (I), il n’est en effet pas complètement dépourvu
d’enseignement quant à la façon de traiter celles qui ne le sont pas (II). De là,
même si ses solutions substantielles sont aujourd’hui quelque peu dépassées,
son double intérêt.

I. Nationalisation et ordre public

2 Une nationalisation étrangère ne peut sortir d’effet en France dès lors qu’elle
est contraire à l’ordre public international français; les éléments d’une telle
contrariété sont réunis lorsque cette nationalisation ne s’accompagne pas
d’une juste et préalable indemnité. Si de ces deux propositions, la première
reste aujourd’hui encore très largement admise (B), la seconde appelle, en
revanche, d’importantes précisions. Les exigences de l’ordre public se sont, en
effet, en la matière, sensiblement assouplies (A).

3 A. — Pour approuver les juges du fond d’avoir refusé de donner effet en


France au décret soviétique nationalisant la flotte marchande russe, la cour
reprend les termes de l’article 545 du Code civil et relève l’absence d’une juste
indemnité; selon la doctrine de l’époque il fallait entendre par là, du fait de la
112 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 13

référence à l’expropriation pour cause d’utilité publique, une indemnité juste


et préalablement versée. Réaffirmée à plusieurs reprises (Civ., 14 mars 1939,
Potasas Ibericas, S. 1939. 1. 182, DH 1939. 257, note Sarraute et Tager; Civ.,
2 mars 1955, Clunet 1956. 150, note Ponsard), cette exigence s’est progres-
sivement effacée derrière celle d’une indemnité équitable et préalablement fixée.
Amorcé par certaines décisions des juges du fond (v. par ex., Rouen, 27 juill.
1943, S. 1943, T. v° Étranger, no 6), cet allégement de l’ordre public interna-
tional a été officiellement constaté dans les nombreuses décisions rendues à
l’occasion des nationalisations algériennes (Civ. 1re, 23 avr. 1969, Rev. crit.
1969. 717, note Schaeffer, Clunet 1969. 912, note P. Chardenon, D. 1969. 341,
concl. Blondeau, JCP 1969. II. 15897, concl. Blondeau).
L’évolution a été, en règle générale, approuvée. On a fait valoir qu’il était
devenu difficile de maintenir l’exigence d’un versement préalable dès lors que
la France ne l’avait pas respectée lors des nationalisations de 1945 (Batiffol,
« Problèmes actuels des nationalisations en droit international privé », Trav.
com. fr. dr. int. pr. 1962-1964, p. 177). Requérir un paiement immédiat en
monnaie transférable, ce serait si l’on considère l’ampleur des sommes dues,
remettre en cause par « la voie détournée d’une règle technique » toute pos-
sibilité de procéder à une nationalisation (Kahn, note Clunet 1973. 235). On
a souligné également que la règle de l’indemnité préalable, compréhensible
en matière d’expropriation, s’imposait moins en matière de nationalisation
(Batiffol et Lagarde, t. II, no 523-1, p. 188). S’agissant non plus de biens iso-
lés mais d’entreprises, l’estimation est chose complexe; l’État ne disposera
souvent des documents nécessaires qu’une fois entré en possession (Kahn,
note préc.). Mais si l’on va jusqu’au bout de ce raisonnement, c’est le carac-
tère préalable de la fixation de l’indemnité elle-même qui doit être remis en
cause. Telle a été, au reste, la position du Tribunal de grande instance de Paris
dans l’affaire du cuivre chilien (TGI Paris, 29 nov. 1972, Clunet 1973. 227,
note Ph. Kahn). L’expérience de la loi française de nationalisation du
11 février 1982 montre cependant qu’il est possible, au moins dans certaines
hypothèses (sociétés cotées en bourse), de fixer le montant de l’indemnisation
au moment de la nationalisation. À tout le moins devrait-on exiger, à défaut
d’une liquidation préalable de l’indemnité, la fixation préalable des méthodes
d’évaluation (en ce sens Schaeffer, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., vo Nationalisa-
tion, no 21). Quant au remplacement du qualificatif « juste » par celui
d’« équitable », il paraît impliquer une moindre rigueur dans la fixation de
l’indemnité (rappr. T. app. du canton de Bâle-ville, 27 mars 1992, Rev. crit.
1995. 507, note B. Audit). L’équité suppose qu’on tienne compte du préjudice
subi par la victime de la nationalisation mais aussi des possibilités contributi-
ves de l’État nationalisant (Schaeffer, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., vo Nationa-
lisation, no 23). En définitive, on s’accorde aujourd’hui sur ce que la formule
jurisprudentielle signifie l’exigence d’un engagement sérieux « de verser une
indemnité, sinon strictement adéquate, du moins sérieuse elle aussi » (Batiffol
et Lagarde, t. II, no 523-1, p. 188). Le droit français interprète ainsi avec une
certaine mansuétude les prescriptions traditionnelles du droit international
public (sur lesquelles, v. P. Juillard, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd., v° Nationalisa-
tions, nos 38 et s.).
13 LA ROPIT — CASS., 5 MARS 1928 113

4 Bien que cette analyse ne puisse qu’être confortée par les nationalisations
françaises des années quatre-vingt — lesquelles se sont, grâce à l’intervention
du Conseil constitutionnel, conformées à l’exigence d’une indemnité juste et
préalablement fixée (Goldman, « Les décisions du Conseil constitutionnel
relatives aux nationalisations et le droit international », Clunet 1982, p. 275
et s.) —, on a pu se demander si elle n’avait pas été remise en cause par l’arrêt
rendu par la haute juridiction dans l’affaire Total Afrique (Civ. 1re, 1er juill.
1981, Rev. crit. 1982. 336, note P. Lagarde, Clunet 1982. 148, note P. Bourel,
Rev. Sociétés, 1982. 878, note J.-L. Bismuth); celle-ci a, en effet, approuvé
une cour d’appel d’avoir déclaré efficace en France et non contraire à l’ordre
public une « décision » malgache de nationalisation dès lors qu’était « prévue »
une indemnisation. La portée exacte de cet arrêt reste controversée. Pour cer-
tains, le contexte procédural dans lequel il a été rendu ne permettrait pas d’en
déduire un assouplissement supplémentaire des exigences de l’ordre public
en matière de nationalisation (P. Bourel, J.-L. Bismuth, notes préc.). Pour
d’autres, au contraire, cette décision serait l’expression d’un libéralisme accrû;
il suffirait désormais que la nationalisation s’accompagne d’une promesse
d’indemnité « même s’il est patent qu’elle n’a pas été et ne sera pas suivie
d’effet » (P. Lagarde, note préc.). Cet assouplissement s’expliquerait par le fait
que la régularité de la mesure étrangère ne s’apprécierait plus par rapport aux
exigences de l’ordre public international français mais par référence à celles
moins contraignantes du droit international public en son dernier état. Même
à suivre l’éminent commentateur sur ce terrain, il n’est pas certain que les
conséquences qu’il entend en déduire soient parfaitement fondées. Il est certes
exact que les prescriptions traditionnelles du droit international public exi-
geant une « indemnisation prompte, adéquate et effective » (Carreau, Julliard
et Flory, op. cit., 1re éd., p. 567 et s.), ont pu être, au nom d’un nouvel ordre
économique international, l’objet d’une contestation vigoureuse dont la charte
des droits et devoirs des États, adoptée le 12 décembre 1974 par l’Assemblée
générale des Nations-Unies, constitue l’axe fondamental. Sans supprimer
l’obligation d’indemnisation, ce document en assujettit le régime aux prescrip-
tions de l’ordre juridique interne de l’État nationalisant, laissant ainsi à celui-ci
une très grande latitude (G. Ferrer, « Les Nations-Unies et le nouvel ordre éco-
nomique international », Clunet 1977. 606). Mais pour beaucoup, il n’y a là
qu’un « corps de règles prétendues », destinées principalement à faciliter la
liquidation des suites économiques de la période coloniale en offrant aux États
le moyen de procéder aux nationalisations nécessaires sans hypothéquer leur
avenir (Carreau, Julliard et Flory, op. cit., p. 570). L’erreur serait d’ériger ces
solutions conjoncturelles en solutions permanentes. Une fois résolu le pro-
blème des séquelles de la décolonisation, le retour aux équilibres traditionnels
s’impose, ne serait-ce que pour ne pas tarir le flot des investissements étran-
gers nécessaires au développement des États pauvres. C’est dire qu’il vaut sans
doute mieux voir dans l’arrêt Total Afrique la liquidation d’un contentieux par-
ticulier qu’une nouvelle étape sur la voie d’un plus grand libéralisme (v. la
motivation de Paris, 17 mars 1992, telle que rapportée par Com., 14 nov. 1995,
Cubatabaco, Rev. crit. 1996. 683 et commentée par M. P. Mayer, eod. loc.,
spéc. p. 688-689).
114 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 13

5 B. — Si la notion de nationalisation confiscatoire a évolué, les conséquen-


ces qui en découlent n’ont pas varié : ainsi qualifiée, la nationalisation étran-
gère se heurtera à l’exception d’ordre public international français. Mais quels
effets précis déduire de cette contrariété ? La réponse n’est pas aussi simple
qu’il y paraît au premier abord. On ne saurait, en effet, se contenter de l’affir-
mation que ces nationalisations ne sont pas reconnues par l’ordre juridique
français. Faudra-t-il repousser leurs effets en totalité ou distinguer selon qu’elles
ont pour objet l’acquisition de droits ou le transfert de dettes, selon que les
biens qu’elles prétendent atteindre sont localisés dans tel ou tel pays ? Illus-
trant un cas de figure qui a été à l’origine d’un important contentieux, l’arrêt
La Ropit apporte à cet égard, d’utiles enseignements.
6 La nationalisation peut frapper des biens situés hors du territoire de l’État
nationalisant. En ce cas, il n’est nul besoin pour y faire échec, de recourir à
l’exception d’ordre public. La constatation que l’État étranger n’était pas com-
pétent pour prendre une telle mesure y suffit (v. infra, II, et arrêt SMC, no 58).
Mais qu’en est-il lorsque, comme en l’espèce, le bien nationalisé à l’étranger
dans le pays de sa situation est ultérieurement introduit en France ? L’incom-
pétence de l’État étranger ne pouvant plus être alléguée, il faudra faire appel
à l’ordre public. Telle est bien, au demeurant, ici, l’analyse de la Cour de cas-
sation qui relève que l’application des décrets russes « troublerait profondé-
ment l’ordre établi sur le territoire de la République » et qu’elle instituerait un
« mode d’acquisition de la propriété que les tribunaux français ne peuvent
admettre ». Réaffirmée à plusieurs reprises (Civ., 14 mars 1939, préc.; Civ.,
2 mars 1955, préc.), cette solution a été critiquée au motif qu’elle introduirait
un « facteur d’insécurité dans le commerce international » (Batiffol et Lagarde,
t. II, no 523-1, p. 190). On lui a opposé celle de la jurisprudence américaine
qui, bien que peu suspecte d’hostilité à la propriété privée, a plusieurs fois
décidé en vertu de la théorie de l’Act of State, qu’une expropriation, serait-elle
sans indemnité, effectuée par un État étranger sur des biens situés sur son ter-
ritoire ne pouvait être déclarée contraire à l’ordre public (J. Combacau, « La
doctrine de l’Act of State aux États-Unis », RGDIP 1973, p. 35-91; P. Herzog,
« La théorie de l’Act of State dans le droit des États-Unis », Rev. crit. 1982.
617 et s.). Et de fait, il est vrai que les réclamations de l’ancien propriétaire
constituent une menace permanente pour l’État nationalisant, les organismes
qu’il a substitués à l’entreprise nationalisée ou les sous acquéreurs privés de
biens nationalisés; cette menace est particulièrement perceptible lorsque le
litige a pour objet des produits extraits d’une mine ou d’un gisement nationa-
lisé à l’étranger. Mais en s’inclinant devant les spoliations réalisées par des
États étrangers encourage-t-on vraiment l’essor du commerce international ?
N’est-ce pas plutôt en refusant de reconnaître en France l’effet de ces spolia-
tions qu’on découragera les États d’avoir recours à de telles mesures, ce qui ne
pourra que favoriser le développement des investissements et donc des
échanges ? Certes, on pourrait objecter que l’arrêt La Ropit a été rendu dans un
contexte différent de celui que nous connaissons : l’acte de nationalisation
dont la légitimité était à l’époque discutée est aujourd’hui un droit officiel-
lement constaté. Mais en faisant valoir ses prétentions sur les biens nationali-
13 LA ROPIT — CASS., 5 MARS 1928 115

sés, la victime de ces mesures ne dénie nullement à l’État le droit de prendre


sur son territoire des mesures de nationalisation. Elle lui conteste simplement
le droit de le faire sans une indemnité équitable et tente de faire pression sur
celui-ci afin de l’amener à composition. Est-ce là un dessein si inavouable que
nous ne puissions lui prêter la main ? Faut-il rappeler que dans notre droit
interne, la maxime « en fait de meubles, possession vaut titre », règle de sécu-
rité du commerce par excellence, cède lorsque la dépossession initiale a sa
source dans une perte ou dans un vol ? Ainsi, même si le seuil du déclenche-
ment de l’ordre public a varié, l’arrêt La Ropit nous paraît toujours d’actualité
en ce qu’il prévoit l’intervention de cette exception à l’encontre des nationali-
sations confiscatoires frappant des biens ultérieurement introduits en France
(Nationalisations et constitution, 1982, p. 174).
7 Doit-on étendre cette solution à ces mêmes mesures lorsqu’elles visent des
biens demeurés sur le territoire de l’État nationalisant ? La jurisprudence fran-
çaise n’a pas répondu à cette question de façon aussi homogène. Alors que
certaines décisions s’appuyant sur le principe qu’aucun effet de droit ne peut
être reconnu en France à une nationalisation confiscatoire ont nié le transfert
des biens ainsi réalisé (Com., 19 mars 1979, Rev. crit. 1981. 524, note P. Lagarde,
Rev. Sociétés 1979. 576, note Guyon; Civ. 1re, 23 janv. 1979, JCP 1979. II.
19086, concl. Gulphe), d’autres ont accepté de prendre en compte ces mesures
dans ceux de leurs effets qui s’étaient réalisés sur le territoire de l’État nationa-
lisant. Ainsi, l’indemnité d’occupation versée aux autorités algériennes par les
occupants d’immeubles déclarés biens vacants sis en Algérie a pu être déduite
du montant du loyer dû aux anciens propriétaires (Civ. 3e, 26 févr. 1970,
Bull. III, no 144, p. 107, JCP 1970. IV. 99, D. 1970, Somm. p. 145; Civ. 1re,
8 déc. 1970, Bull. I, no 235, p. 267). La seconde solution paraît préférable.
Opposer l’ordre public lorsque les biens revendiqués sont encore au moment
du litige, et pour certains, ne pourront que demeurer sur le territoire de l’État
nationalisant, serait en effet faire montre d’un manque de réalisme certain
(P. Lagarde, note Rev. crit. 1981. 529). Mais comment justifier cette variation
dans l’intensité de l’ordre public international français ? On ne saurait, à cette
fin, se contenter d’invoquer la règle de l’effet atténué de l’ordre public : dans
les deux cas, il y a droits acquis à l’étranger. En réalité, on retrouve ici la direc-
tive plus générale selon laquelle l’intensité de l’ordre public est proportionnée
à l’étroitesse du lien unissant la situation juridique au for saisi. Retenue à plu-
sieurs reprises à propos du statut personnel (v. supra, no 4 § 9, infra, no 26 § 10
et s., no 63-64 § 14), cette conception trouverait également une application en
matière de nationalisation : en l’absence de toute localisation des biens natio-
nalisés sur le territoire français, l’ordre public n’aurait pas lieu d’intervenir.
Force est, au reste, de constater que les raisons avancées par l’arrêt La Ropit
pour justifier l’intervention de l’ordre public perdent dans cette hypothèse
l’essentiel de leur pouvoir de conviction.
8 Ces distinctions valent également pour la nationalisation des biens incorpo-
rels et notamment des créances, si ce n’est que leur mise en œuvre s’accompa-
gne d’une difficulté supplémentaire, celle de la localisation (sur cette question
v. infra, II, et arrêt SMC, no 58). En revanche, la détermination de la portée
116 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 13

exacte de l’exception d’ordre public a soulevé des interrogations originales


lorsqu’elle a été invoquée à l’encontre de transfert de dettes opéré par des
nationalisations confiscatoires. Le problème s’est posé avec une acuité toute
particulière à l’occasion des nationalisations algériennes. Nombre de rapatriés
avaient, en effet, avant l’indépendance, contracté auprès de banques françaises,
des emprunts pour les besoins de leurs entreprises. Par divers textes et procé-
dés, le gouvernement algérien transféra celles-ci à la nation algérienne sans
que leurs propriétaires reçussent aucune indemnité. Rentrés en France, ces
rapatriés, débiteurs ou cautions, furent assignés par les banques en rembourse-
ment des crédits obtenus. Pour leur défense, ils prétendaient que la nationalisa-
tion de leur entreprise — actif et passif — les avait libérés des dettes contrac-
tées envers des créanciers français pour les besoins de son exploitation. Ainsi
— et c’est là l’une des originalités de la situation —, c’était la victime d’une
spoliation qui demandait à ce que certains de ses effets, le transfert du passif
en l’occurrence, fûssent reconnus en France. Reprenant l’argumentation des
banques, la Cour de cassation devait par une impressionnante série d’arrêts
(Civ. 1re, 23 avr. 1969, préc.) repousser ces prétentions au motif qu’« aucun
effet de droit ne peut être reconnu à une dépossession opérée par un État étran-
ger sans qu’une indemnité équitable soit préalablement fixée ». La solution a
été vivement contestée. Certains ont soutenu qu’on ne pouvait pas « retourner
contre les victimes un argument destiné à leur être favorable » (Derrida, note
D. 1968. 215). De fait, refuser tout effet à la nationalisation étrangère, c’est
appauvrir doublement les rapatriés : dépouillés sans indemnité de leurs inves-
tissements, ils doivent encore rembourser en France les emprunts qu’ils
avaient contractés pour les réaliser. Mais l’ordre public n’a pas pour mission
d’assurer a priori la protection de tel ou tel groupe; il vise à préserver la cohé-
sion de la société étatique (infra, no 19 § 10). Au reste, adopter la solution
contraire, c’eût été spolier des créanciers qui n’avaient nullement démérité.
Plus juridiquement, il est permis de se demander s’il n’aurait pas été ici légi-
time de faire appel à l’idée que l’ordre public peut parfois n’évincer que par-
tiellement la loi étrangère (v. infra, nos 38-39 § 10). Pourquoi en effet écarter
les dispositions du droit algérien prévoyant le transfert du passif ? Reprenant
un des principes fondamentaux de notre droit, elles n’avaient par elles-mêmes
rien qui nous heurte. Ainsi aurait-on pu faire régner plus d’équilibre dans la
répartition du poids de la spoliation et éviter ce résultat étrange : un État qui ne
sera pas tenu du passif des entreprises qu’il a nationalisées parce qu’il n’a pas
indemnisé les anciens propriétaires (en ce sens, Loussouarn, « Le sort du pas-
sif des entreprises françaises victimes des mesures de dépossession algérien-
nes », JCP 1968. I. 2140, nos 40 et s.; Schaeffer, note Rev. crit. 1969. 735;
v. aussi P. Chardenon, « Dettes des rapatriés et nationalisations algériennes »,
Clunet 1967. 90).

II. La compétence de l’État nationalisant

9 S’il est certainement excessif de vouloir abandonner l’arme de l’ordre


public à l’encontre des nationalisations confiscatoires étrangères, il ne faut
13 LA ROPIT — CASS., 5 MARS 1928 117

pas, non plus, à l’inverse, que son intervention occulte les autres dimensions
du problème. Obstacle à la reconnaissance en France des effets de certaines
nationalisations étrangères, l’exception d’ordre public ne devrait normalement
intervenir qu’après qu’ait été constatée la compétence de l’État étranger à
édicter de telles normes; à son défaut, il n’est en effet nul besoin de s’inter-
roger sur la compatibilité des mesures prises avec les exigences de notre ordre
public. Néanmoins, il a été relevé qu’en pratique les juges, au lieu de suivre
cette voie logique, raisonnent volontiers exclusivement en termes d’ordre
public : la norme étrangère étant de toute façon évincée, il devient inutile
d’approfondir sa compétence. Cette question ne peut cependant plus être
éludée lorsque la nationalisation s’accompagne d’une indemnité équitable
préalablement fixée. Il importe alors, en effet, de préciser exactement les limi-
tes territoriales hors desquelles la compétence de l’État étranger ne saurait
légitimement s’exercer.
10 Bien que l’exception d’ordre public suffise, en l’espèce, à résoudre le pro-
blème, l’arrêt La Ropit présente le mérite, à la différence de beaucoup d’autres,
d’apporter un élément de réponse à cette difficile question. Selon les termes
mêmes de l’arrêt, les tribunaux d’un État doivent sous réserve de l’ordre
public, apprécier une situation juridique née sous l’empire d’une législation
étrangère en appliquant cette loi. Est-ce à dire que la régularité d’un droit
acquis à l’étranger se vérifie à la lumière du système de conflit de lois de l’État
dans lequel le droit est né, ou de celui de l’État dans lequel le droit est
invoqué ? En dépit de l’ambiguïté de la formule employée, il semble bien que
ce soit la seconde solution qu’aient eue en vue les rédacteurs de l’arrêt. Il était,
en effet, déjà à cette époque, clairement posé qu’un droit n’était réputé réguliè-
rement acquis que s’il l’avait été en conformité de la loi compétente d’après la
règle de conflit française (Pillet, Traité, no 42, p. 122; Niboyet, Manuel, 2e éd.,
nos 366 et s.). Il faut donc, à propos de chaque bien, déterminer la loi compé-
tente pour régir son transfert. Et la nationalisation n’aura d’effet à son égard,
que si elle émane de l’État dont la loi lui est, selon notre règle de conflit, appli-
cable. Celle-ci dépend, on le sait, de la nature du bien : loi du pavillon pour les
biens immatriculés, lex rei sitae pour les biens corporels (Civ., 14 mars 1939,
préc., sol. impl.), loi de la source pour les créances (Civ. 1er juill. 1981, préc.),
loi de l’État qui les a concédés pour les brevets, loi du pays où ils ont été dépo-
sés pour les marques et modèles (Com., 15 mars 1965, Zeiss, Clunet 1966. 622,
note Le Tarnec), loi qui régit la société pour les parts sociales (Civ., 25 janv.
1966, Royal Dutch, D. 1966. 390, note Loussouarn, Rev. crit. 1966. 238, note
Francescakis). Ainsi, selon cette conception, une mesure de nationalisation ne
peut légitimement atteindre que les biens dont les modes d’acquisition, pro-
pres au droit en question, relèvent de la loi de l’État qui l’édicte soit parce
qu’ils sont effectivement situés sur son territoire, soit parce qu’ils y sont locali-
sés fictivement par la règle de conflit.
Ce mode de raisonnement principalement privatiste a été vivement critiqué
au motif qu’il néglige le fait que la matière intéresse d’abord le droit interna-
tional public : en nationalisant, l’État exerce une prérogative qui lui est propre
et cet exercice bénéficie d’« une large liberté, qui n’est limitée que dans quel-
118 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 13

ques cas par des règles prohibitives; pour les autres cas, chaque État reste
libre d’adopter les principes qu’il juge les meilleurs et les plus convenables »
(CPJI, 7 sept. 1927, affaire du Lotus, Rec. CPJI, série A., no 10); il faudrait
donc ici se libérer de cette territorialité. En partie fondée, cette critique ne
tient sans doute pas, on le verra (infra, arrêt SMC, no 58 § 6), suffisamment
compte de ce que la règle de conflit remplit, dans le cadre de la théorie des
droits acquis, une mission bien particulière.
14
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)

13 avril 1932

(DP 1932. 1. 89, concl. Matter, note Basdevant, S. 1932. 1. 361, note Audinet,
Rev. dr. int. 1932. 549, concl. Matter).
Statut personnel. — Statut réel. — Domaine.

Les héritiers d’un étranger peuvent partager amiablement un immeuble


situé en France dès lors que leur loi nationale leur donne capacité pour ce
faire ou que, en cas d’incapacité de certains d’entre eux, toutes les forma-
lités habilitantes prescrites en pareil cas par leur loi nationale sont exacte-
ment remplies.

(Consorts de Bourbon-Parme c/Elie de Bourbon-Parme)

Faits. — Il est rare que les juristes français désignent une décision de justice par le
nom de l’objet qui était l’enjeu du litige qu’elle résout plutôt que par celui des parties.
Tel est pourtant le cas de l’arrêt ci-dessous reproduit. Il est vrai qu’ici l’objet était
exceptionnel.
Construit par François Ier, le château de Chambord devint sous la Restauration, grâce
à une souscription nationale, la propriété du duc de Bordeaux, « l’enfant du miracle »,
qui prit le titre de Comte de Chambord. À son décès, en 1883, celui-ci légua le domaine
à son neveu Robert de Parme issu du mariage de sa sœur Louise de France avec le duc
Charles III de Parme. Robert de Parme eut neuf enfants de son premier mariage et
douze du second. Il mourut en 1907, domicilié en Autriche, — laissant un testament par
lequel il constituait en majorat la moitié de sa fortune, c’est-à-dire la quotité disponible
selon le droit autrichien, au profit de son fils aîné le Prince Elie, la seconde moitié
devant être répartie par parts égales entre ses autres enfants. Parmi ceux-ci, six étaient
interdits et neuf encore mineurs. La constitution du majorat butant sur des obstacles
politiques insurmontables, les héritiers substituèrent au testament un arrangement de
famille. Ce pacte, passé en 1910, qui attribuait au Prince Elie le domaine de Chambord,
fut approuvé la même année par les représentants légaux des incapables (tuteurs et cura-
teurs ordinaires) ainsi que par le Grand Maréchal de la cour d’Autriche qui exerçait une
sorte de haute tutelle sur les incapables des familles princières. Survint la guerre de 1914;
le château de Chambord, propriété du Prince Elie, officier dans l’armée autrichienne, fut
placé sous séquestre.
Un premier contentieux en résulta : le Prince Elie ayant sollicité la levée du séquestre
en alléguant qu’il n’était pas sujet ou ressortissant autrichien, sa demande fut repoussée
par les juridictions françaises (Req. 14 mai 1923, DP 1923. 1. 105 et chr. Audinet, Clunet
1923, p. 785).
120 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 14

Cette première action devait être suivie d’une seconde exercée non plus par le Prince
Elie mais par ses frères. Ceux-ci l’assignèrent, en effet, ainsi que le séquestre, en nullité
du pacte de famille passé en 1910 et en déclaration de copropriété indivise du domaine
de Chambord. Les demandeurs invoquaient, entre autres, les dispositions du Code civil
français (art. 466, 838 et 919) qui, à l’époque, interdisaient de procéder autrement qu’en
la forme judiciaire au partage des successions dont certains héritiers sont mineurs ou
interdits. Or selon eux, le partage intervenu en 1910 était un partage amiable; et à sup-
poser que l’intervention du Grand Maréchal lui ait conféré un caractère judiciaire, la
nullité aurait été, de toute façon, encourue, les tribunaux français étant exclusivement
compétents pour procéder à une telle opération sur des immeubles sis en France.
Le Prince Elie répliqua que ce partage amiable était valable en France car il avait été
réalisé en conformité des dispositions du droit autrichien applicables en vertu des règles
de conflit françaises. L’intérêt du conflit de lois était donc évident : nul si on appliquait
la loi française, le partage ne l’était plus si on lui préférait la loi autrichienne.
En l’espèce, la difficulté ne provenait pas de l’énoncé des règles destinées à résoudre
ce conflit de lois. Tout le monde s’accorde, en effet, sur ce que les successions immobi-
lières relèvent de la lex rei sitae, c’est-à-dire de la loi française (v. supra, arrêt Stewart,
no 3) et la capacité de la loi personnelle des intéressés (v. supra, arrêt Busqueta, no 1),
laquelle était la loi autrichienne, ceux-ci étant apatrides et domiciliés en Autriche. En
revanche, les analyses divergeaient profondément quant aux champs d’application res-
pectifs de ces deux règles : les formes habilitantes nécessaires à la disposition d’un
immeuble qui pour les premiers relevaient de la catégorie statut réel, étaient pour les
seconds soumises à la loi personnelle.
Par jugement du 30 avril 1925 (S. 1925. 2. 33, note Pillet, DP 1926. 2. 25, note Bas-
devant), le Tribunal civil de Blois, après avoir qualifié l’acte partage amiable, l’annula
aux motifs notamment « qu’aux termes mêmes d’une jurisprudence constante les lois
qui règlent la transmission héréditaire se rattachent indistinctement au statut réel en tou-
tes leurs parties, même en celles qui édictent des incapacités de succéder, que c’est donc
à la loi française qu’il faut se référer pour déterminer si les formes du partage ont été
observées en tant que celui-ci porte sur un immeuble situé en France ».
En appel, la Cour d’Orléans (29 févr. 1928, S. 1929. 2. 33, note Audinet, D. 1932. 1.
89) maintint la qualification mais décida que le pacte était valable, car la loi française
admet le partage amiable lorsque la capacité des parties le permet; or cette capacité était
« en matière de partage (…) comme en toute autre matière » réglée pour chaque héritier
par sa loi personnelle. Elle déclara en outre irrecevable, comme nouvelle, une demande
formulée pour la première fois en appel et qui tendait à obtenir, non plus la nullité du
partage, mais sa rescision pour lésion de plus du 1/4, ou sa réduction pour atteinte à la
réserve.
Un pourvoi fut formé.

ARRÊT
(après délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que, dans ses motifs et son dis-
positif, l’arrêt attaqué reconnaît à l’acte de partage de la succession de Robert
de Bourbon, duc de Parme, les caractères d’un pur contrat, intervenu entre tous
les héritiers, les uns capables qui agissaient par eux-mêmes, les autres mineurs et
interdits qui parlaient par l’organe de leurs représentants désignés et habilités
conformément à la loi nationale de ces incapables; — Attendu que cette partie
de la décision est fondée, tant sur un ensemble de circonstances de fait dont
l’appréciation échappe au contrôle de la Cour de cassation, que sur l’interpréta-
tion donnée souverainement par les juges du fond à la loi de la nation étran-
14 CHÂTEAU DE CHAMBORD — CASS., 13 AVRIL 1932 121

gère à laquelle ressortissaient les héritiers, de l’aveu de toutes parties; qu’elle


n’est d’ailleurs pas en contradiction avec ce fait, également constaté par l’arrêt,
qu’après avoir, le 15 avril 1910, approuvé les bases ou principes directeurs de la
convention de partage que les héritiers ou leurs représentants lui soumettaient
en sa qualité de tuteur ou curateur des incapables de rang princier, le Grand
Maréchal de la cour impériale d’Autriche est intervenu de nouveau, le 10 juillet
1918, pour clôturer définitivement les opérations de règlement de la succession
par un acte qualifié « acte d’adjudication »; qu’en effet, rien n’empêchait
d’admettre qu’en cette seconde circonstance, comme en la première, le Grand
Maréchal se fût enfermé, ainsi que l’a jugé la cour d’appel, dans son rôle d’organe
de tutelle et de curatelle, en se bornant à donner son agrément à certains
détails d’exécution de la convention déjà approuvée dans ses lignes essentielles,
sans effectuer lui-même, par voie d’autorité et en vertu de pouvoirs juridiction-
nels qu’il cumulait avec ses pouvoirs de tutelle, la répartition impérative des
biens successoraux; — Or, attendu que si les tribunaux français ont compétence,
à l’exclusion de toute autorité étrangère, pour imposer aux héritiers non consen-
tants le partage des immeubles héréditaires sis en France et pour déterminer, en
dehors de leur volonté, les parts devant revenir à chacun sur ces immeubles
français, les intéressés gardent la liberté de disposer personnellement des droits
indivis à eux attribués par la loi française et de procéder par convention amiable
à la formation et à la distribution des lots, sous la seule condition que leur loi
nationale leur donne capacité pour ce faire, ou que, en cas d’incapacité de cer-
tains d’entre eux, toutes les formalités habilitantes prescrites pour cas pareil par
leur loi nationale soient exactement remplies; — D’où il suit qu’en écartant les
griefs que les demandeurs fondaient, à l’encontre de l’acte de partage, à la fois
sur l’incompétence du Grand Maréchalat de la cour d’Autriche et sur l’inobser-
vation des formes prescrites par les articles 819 à 838 du Code civil pour la pro-
tection des copartageants français en état d’incapacité, la cour d’appel a tiré les
conséquences légales de ces circonstances souverainement constatées par elle
que ledit partage constituait un partage convenu par les parties et qu’il était
intervenu dans les conditions voulues par la loi autrichienne sur la représenta-
tion des copartageants mineurs et interdits;
Sur le troisième moyen : — Attendu qu’aucun texte de loi ne frappe de nul-
lité le contrat de partage librement conclu par les intéressés et aux termes
duquel l’un des héritiers se trouverait apportionné dans une mesure excédant sa
vocation héréditaire; que la seule voie ouverte aux copartageants contre un
pareil contrat est celle de l’action en rescision, mais à la condition qu’il en soit
résulté pour eux une lésion de plus du quart; — Attendu qu’il est constaté en
fait par l’arrêt attaqué que le partage conventionnel litigieux appointait les
demandeurs en cassation en sommes d’argent et biens divers qui dépendaient
de la succession de Robert de Bourbon, duc de Parme, comme en dépendait le
domaine de Chambord attribué en entier à Elie de Bourbon-Parme; que cette
opération constituait, dès lors, un véritable partage et non une cession ou un
abandon de droits successifs, comme le soutient à tort le pourvoi; que, par suite,
l’attribution y faite du domaine de Chambord à un seul des héritiers n’aurait pu
être attaquée que par la voie et dans les conditions ci-dessus précisées; — Mais
attendu que l’action soumise par les demandeurs au tribunal de première ins-
tance tendait uniquement à la nullité du partage; que c’est à bon droit que la
cour d’appel a déclaré irrecevable, comme nouvelle, l’action différente par sa
cause, son but et ses conditions d’exercice, que les mêmes demandeurs lui pré-
sentaient pour la première fois à fin de rescision du partage pour cause de
lésion de plus du quart ou à fin de rétablissement de leur réserve; qu’en rejetant
l’action en nullité, la seule dont elle fût légalement saisie, contre un partage
librement convenu entre toutes parties et qui n’était argué ni de violence, ni de
dol, la cour d’appel n’a violé aucun des textes de loi visés au moyen;
122 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 14

Sur les deuxième et quatrième moyens : — Attendu que ces moyens sont diri-
gés contre des parties purement subsidiaires de l’arrêt; que le rejet des premier
et troisième moyens en rend l’examen inutile;
Sur les cinquième et sixième moyens réunis : — Attendu que les cohéritiers
intervenants s’étaient joints aux conclusions de Sixte de Bourbon-Parme; que si
l’arrêt attaqué a, à titre subsidiaire, retenu certaines circonstances particulières
audit prince Sixte et qui, en toute hypothèse auraient, selon la cour d’appel, jus-
tifié une décision de débouté tout au moins contre ce dernier, il a, dans ses
motifs principaux critiqués par les premier et troisième moyens, justifié le rejet
de la demande en nullité de partage par des raisons de droit et de fait égale-
ment valables contre tous les héritiers; que lesdits cohéritiers du prince Sixte
sont, en conséquence, sans intérêt pour attaquer la partie de l’arrêt de la cour
d’appel qui a écarté leur intervention comme irrecevable;
Par ces motifs, donne acte à l’Office des biens et intérêts privés et à l’État de
ce qu’ils déclarent s’en rapporter à la sagesse de la cour; rejette le pourvoi.
Du 13 avril 1932. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Péan, prés.; Tournon, rapp.; Matter, proc.
gén. — MMes Hannotin, Labbé, Saint-Marc, Lemanissier et Coche, av.

OBSERVATIONS

1 Célèbre par le contexte dans lequel il a été rendu, l’arrêt du Château de


Chambord l’est également par la solution qu’il pose. Ce n’est pas que ses
motifs soient en tous points, d’une limpidité parfaite. Mais sur un problème
disputé, celui de l’aptitude à partager amiablement un immeuble appartenant à
un incapable, il a su trouver un point d’équilibre, toujours respecté depuis,
entre la loi réelle et la loi personnelle (I). La rareté des décisions ayant trait à la
question de la rescision du partage pour cause de lésion explique qu’il y soit
aussi souvent fait référence à ce propos (II).

I. Statut personnel et statut réel

2 Non contente de rappeler la soumission de la protection des incapables à la


loi personnelle (A), la Cour de cassation saisit l’occasion qui lui était ainsi
offerte pour fixer très exactement le tracé de la frontière qui la sépare de la loi
réelle (B).

3 A. — La question des rapports du statut personnel et du statut réel a tou-


jours été au cœur du droit international privé français. L’histoire l’explique :
d’Argentré ayant posé que les coutumes sont réelles ou personnelles, l’essen-
tiel fut longtemps de déterminer ce qui relevait de l’une ou de l’autre catégorie
(v. supra, arrêt Stewart, no 3 § 6). Rappelons que selon le jurisconsulte breton,
toutes les coutumes sont, en principe, réelles; le statut n’est personnel que s’il
règle l’état universel de la personne. Simple en apparence, son système devait
néanmoins se heurter à des difficultés inextricables de mise en œuvre dans les
matières où les droits sur l’immeuble dépendent du statut personnel de leurs
titulaires. Tel est notamment le cas de la protection des incapables : remède à
14 CHÂTEAU DE CHAMBORD — CASS., 13 AVRIL 1932 123

l’incapacité, elle touche à l’état universel de la personne; permettant l’accom-


plissement d’actes ayant l’immeuble pour objet, elle influe sur la condition de
celui-ci. Certes, pour d’Argentré, ces questions rentrent dans la catégorie des
statuts mixtes laquelle relève de la loi réelle. Mais, comme on l’a bien souvent
souligné depuis, les contradictions mêmes de l’auteur montrent la difficulté de
s’en tenir à ce parti. Ainsi à propos de la capacité du mineur d’aliéner un
immeuble situé hors de la coutume de son domicile, il affirme au no 8 de sa
glose 6 de l’article 218 de la coutume de Bretagne que cette question relève du
statut réel, mais au no 47, s’agissant de déterminer si un gentilhomme de vingt-
cinq ans, domicilié au Mans, a la capacité d’aliéner un immeuble situé en
Bretagne il parvient à la solution inverse. Tout en reflétant partiellement cette
ambiguïté, spécialement à propos des droits de jouissance des parents sur les
biens de leurs enfants (v. décisions citées in Topor, Les conflits de lois en
matière de puissance parentale, 1971, nos 320 et s.), la jurisprudence française
des XVIIe et XVIIIe siècles devait dans l’ensemble montrer une préférence cer-
taine pour la loi personnelle c’est-à-dire la loi du domicile d’origine (v. déci-
sions citées, par Topor, op. cit., no 322 et par S. Gruber-Magitot, Les conflits
de coutumes en matière de contrats dans la jurisprudence des parlements,
1980, p. 55 et s.). Cette tendance ne pouvait évidemment que s’accentuer avec
la réaction personnaliste favorable à l’expansion de la loi nationale que connut,
sous l’impulsion de Mancini, la seconde moitié du XIXe siècle (v. supra, arrêt
Busqueta, no 1 § 5).

4 Le Tribunal civil de Blois avait donc une vision très personnelle de l’histoire
lorsque, dans la présente affaire, se prononçant pour l’application de la loi
réelle, il ajoutait que notre droit positif consacrait « d’une façon formelle la
théorie des statuts telle qu’elle était déjà formulée par d’Argentré à la fin du
XVIe siècle » (en ce sens, J. Basdevant, note, DP 1926. 2. 26). En réalité, cette
décision marquait simplement la persistance dans la jurisprudence française
d’un courant territorialiste que devait illustrer avec éclat, quelques années plus
tard, dans un domaine un peu différent, celui de l’établissement du lien de
parenté nécessaire au jeu de la dévolution successorale, l’arrêt Ponnoucanna-
male (Req. 21 avr. 1931, Rev. crit. 1932. 526, rapport Pilon, note Niboyet; sur
cette décision v. observations sous l’arrêt Bendeddouche, infra, no 61 § 3). Ces
décisions s’expliquent, au moins en partie, par les préoccupations de l’époque.
Au souci de la préservation de l’identité bretonne qui habitait d’Argentré, avait
succédé celui de la défense des intérêts français. Dans un pays qui accueille
une population immigrée importante, il peut en effet paraître souhaitable de
limiter l’application des statuts personnels étrangers, infiniment variés et diffi-
ciles à interpréter, afin de faciliter l’assimilation des étrangers en rompant le
plus qu’il se peut les liens qui les attachent à leur pays d’origine et les invitent
à se solidariser en éléments allogènes (Batiffol, « Statut personnel et statut
réel, deux arrêts récents », JCP 1932, p. 598). Mais en choisissant d’étendre à
l’excès le statut réel au détriment du statut personnel, il n’est pas sûr que ces
décisions aient emprunté la meilleure voie pour répondre à des préoccupations
au demeurant parfaitement légitimes. C’est, en effet, à l’intérieur du statut per-
sonnel par une redéfinition des rôles du domicile et de la nationalité en tant
124 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 14

que facteur de rattachement (v. arrêt Rivière, infra, no 26 § 4), ainsi que dans
une définition adéquate des cas d’attribution de la nationalité française fondés
sur le jus soli que doit être recherchée la solution à ces problèmes.
5 Aussi bien, ces décisions restaient-elles isolées dans la jurisprudence de
l’époque. Si certains avaient pu, en effet, déceler dans celle-ci un « flottement »
(J. Basdevant, note DP 1926. 2. 25 et s., repris par le Proc. gén. Matter, DP 1932.
1. 98), c’est qu’en réalité ils avaient omis dans leur analyse une distinction
pourtant essentielle, celle des incapacités générales et des incapacités spécia-
les (Batiffol, La capacité civile des étrangers en France, 1929, p. 109 et s.;
art. préc., JCP 1932, p. 599 et s.). Alors que les secondes obéissent à la loi de
la matière dont elles relèvent, les premières concernent la personne en tant que
telle et doivent donc être soumises à la loi personnelle des intéressés (sur cette
question, v. arrêt Patiño, infra, no 38-39 § 12). Et de fait, s’agissant d’incapa-
cités générales, plusieurs décisions des juges du fond (v. par ex. Pau, 9 juill.
1907, DP 1908. 2. 68, S. 1909. 2. 117, Clunet 1908. 1. 183) mais aussi de la
Cour de cassation (Civ., 13 juin 1893, Sidi-Belkassem, DP 1894. 1. 169) avaient
déjà fait application dans des espèces proches de celle du Château de Cham-
bord, de la loi personnelle étrangère bien que l’immeuble en cause fût régi par
la loi française. La solution était donc prévisible. Elle marque que « les lois
sur la tutelle n’ont pas le régime foncier pour objet mais la protection des
incapables » (Malaurie, note D. 1960. 598). Plus profondément, elle témoigne
de ce que l’objectif de protection de la personne et du patrimoine de l’incapa-
ble l’emporte au sein du droit des incapacités sur celui de la conservation des
biens dans la famille (Carbonnier, Essais sur les lois, p. 21 et s.; Y. Lequette,
Protection familiale et protection étatique des incapables, thèse Paris II,
éd. 1976, no 32). Ainsi, poursuivant dans la voie qu’elle s’était déjà tracée, la
Cour de cassation décide-t-elle que les incapables étrangers pouvaient être
habilités, selon leur loi personnelle, à partager amiablement un immeuble sis
en France. La loi réelle bute devant ce qui constitue la « forteresse » du statut
personnel, les incapacités générales (Batiffol, art. préc., JCP 1932. 600).
6 B. — Participant à l’organisation de l’incapacité, l’aptitude à partager amia-
blement ressortit au statut personnel, lequel a, aux termes de l’arrêt, également
compétence pour définir les pouvoirs du tuteur ainsi que les formalités habi-
litantes nécessaires à la réalisation de cet acte. Ultérieurement réaffirmée
sous une forme encore plus tranchée (Civ., 19 mai 1958, consorts Wahab, Rev.
crit. 1958. 700, note Batiffol; 13 juin 1960, consorts Liou-Sang, Rev. crit.
1961. 540, note Jambu-Merlin, D. 1960. 597, note Malaurie), cette solution
s’impose avec force. Si le législateur a prescrit des formalités particulières
pour l’accomplissement d’actes relatifs aux biens appartenant à des incapa-
bles, ce n’est pas en raison de considérations puisées dans la nature de ces
biens, celle-ci ne changeant pas suivant que ceux-ci appartiennent ou non à des
incapables mais en raison de l’incapacité de leur propriétaire à laquelle il
entend grâce à elles remédier. Le Procureur général Matter n’exprimait
d’ailleurs pas autre chose dans ses conclusions lorsqu’il affirmait que la prohi-
bition du partage amiable résultant des articles 466 et 838 du Code civil ne
14 CHÂTEAU DE CHAMBORD — CASS., 13 AVRIL 1932 125

protège pas les biens en tant que tels mais en tant qu’ils appartiennent à des
incapables. En l’espèce, l’immeuble situé en France pouvait donc être partagé
amiablement, même en présence d’héritiers incapables, dès lors que leur loi
nationale le permettait et que toutes les formalités habilitantes prescrites par
celle-ci avaient été exactement remplies.
7 Cette solution fut néanmoins critiquée par certains commentateurs (Audi-
net, S. 1929. 2. 35), au motif que l’intervention du Grand Maréchal de la cour
prévue par la loi autrichienne avait conféré à ce partage un caractère judiciaire
qui faisait obstacle à sa reconnaissance en France, les tribunaux français étant
exclusivement compétents pour procéder à un tel acte sur un immeuble qui y
était situé. Mais si l’exactitude de la dernière proposition, réaffirmée d’ailleurs
dans le présent arrêt par la Cour de cassation, apparaît difficilement contesta-
ble, il n’en va pas de même de la qualification sur laquelle elle s’appuie. Le
Grand Maréchal agissait, en effet, ici non en tant qu’organe judiciaire chargé
de trancher ou de prévenir une contestation mais en tant qu’organe de tutelle
ayant la haute main sur la protection de l’incapable (en ce sens, Dennery, Le
partage en droit international privé français, p. 242). Difficile pour les juristes
de l’époque, cette distinction nous est plus aisément accessible depuis que la
loi du 14 décembre 1964 a prévu que l’homologation par le tribunal de l’état
liquidatif du partage ne confère pas à celui-ci un caractère judiciaire. C’est dire
que dans l’hypothèse inverse, lorsque l’immeuble est étranger et l’incapable
français, l’exigence de cette homologation devrait, comme celle de l’autori-
sation du conseil de famille, s’analyser en une formalité habilitante rele-
vant de la loi personnelle (v. cep. contra, TI Montmorency, 9 sept. 1970, JCP
1971. II. 16759, note H. Gaudemet-Tallon, Rev. crit. 1972. 471, 2e esp., note
Patarin. Sur la frontière entre les formalités habilitantes et l’option héréditaire,
v. TI Lille, 28 mars 1980, Rev. crit. 1981. 289, note Y. Lequette). Cette déli-
mitation ne paraît pas remise en cause par la Convention de La Haye du
5 octobre 1961 sur la protection des mineurs (en ce sens, Batiffol et Lagarde,
t. II, no 498), pas plus semble-t-il que par la Convention de La Haye du 19
octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance,
l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et des
mesures de protection des enfants.

II. Rescision pour lésion et pluralité de masses

8 Si les formalités habilitantes du partage relèvent de la loi personnelle des


copartageants incapables, celui-ci reste régi, au fond, par la loi applicable à la
succession, c’est-à-dire par la loi française pour les immeubles situés en
France. Ceux-ci forment, en effet, on le sait (v. supra, arrêt Stewart, no 3), une
masse autonome dès lors qu’ils sont localisés dans un pays autre que celui où
s’est ouverte la succession.
Mettant à profit ce morcellement, les demandeurs avaient développé une
double argumentation devant la cour d’appel.
126 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 14

En premier lieu, les héritiers réservataires avaient, selon eux, droit sur
l’immeuble situé en France à la part de réserve que leur attribue le droit fran-
çais sans qu’il soit tenu compte des allotissements qu’ils avaient reçus au
moyen de biens héréditaires régis par une loi différente. Or, en l’espèce, le
château de Chambord ayant été attribué en entier à un seul des héritiers, la
réserve des autres cohéritiers était manifestement méconnue.
En second lieu, le partage devait être rescindé, certains cohéritiers ayant
subi une lésion de plus du quart. Là encore, l’argumentation n’avait de chan-
ces de succès que si l’on raisonnait par rapport au seul château de Chambord.
La Cour d’Orléans repoussa cette double demande au motif qu’elle était
nouvelle et, à supposer qu’elle ne le fût pas, que l’exécution du partage par
les intéressés devait être considérée comme une ratification de l’acte incri-
miné emportant déchéance des actions en réduction et en rescision. S’appuyant
exclusivement sur le premier motif, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
9 En dépit du caractère purement procédural des raisons qui fondent ce rejet,
l’arrêt présente un intérêt certain en ce qu’il illustre excellemment les difficul-
tés qu’engendre parfois le système du morcellement successoral. En cas de
pluralité de masses, doit-on pour apprécier la lésion ou une éventuelle atteinte
à la réserve, raisonner globalement en tenant compte des attributions opérées
dans un autre pays, ou séparément à l’intérieur de chaque masse ? La seconde
solution qui avait les faveurs des demandeurs peut conduire à des résultats
dont l’absurdité a déjà été signalée, en ce qui concerne l’action en réduction,
à l’occasion du commentaire de l’arrêt Stewart (supra, no 3 § 10; v. aussi
G. Droz, Rev. crit. 1992, p. 79 et s.). De même, il serait tout à fait regrettable
de rescinder un partage en France au prétexte qu’un héritier y subit une lésion
de plus du quart alors qu’il a reçu dans le partage d’une masse étrangère une
compensation qui rétablit l’équilibre. Aussi bien a-t-il été suggéré d’apprécier
la lésion en tenant compte de l’ensemble, l’excédent des attributions opérées
dans un partage pouvant combler la lésion subie dans un autre, car « si la suc-
cession se partage par masses, elle n’en constitue pas moins une unité que la
loi française ne peut méconnaître » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 684; M. Goré,
Rev. crit. 1992. 308. Pour une extension de ce raisonnement à l’action en
réduction, v. Y. Lequette, « Ensembles législatifs et droit international privé
des successions », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1983-1984, p. 170; rappr. recom-
mandations 96e congrés des Notaires de France, Rev. crit. 2000. 578). Bien
qu’il ait été parfois invoqué à l’appui de ce raisonnement, l’arrêt du Château
de Chambord ne paraît contenir aucune indication en ce sens. En revanche, ses
enseignements, quoiqu’implicites, sont beaucoup moins aléatoires s’agissant
de la loi applicable à la rescision pour lésion. En rappelant qu’« aucun texte de
loi ne frappe de nullité le contrat de partage (…) que la seule voie ouverte aux
copartageants contre un pareil contrat est celle de l’action en rescision mais à
condition qu’il en soit résulté pour eux une lésion de plus du quart », la Cour
de cassation paraît bien, en effet, soumettre cette dernière question à la loi
française, loi successorale. La solution s’imposait. Sanctionnant la règle de
l’égalité, la rescision doit être régie par la loi qui détermine la consistance des
parts, loi de la condition violée (Batiffol et Lagarde, t. II, no 664; Dennery, op.
14 CHÂTEAU DE CHAMBORD — CASS., 13 AVRIL 1932 127

cit., p. 42; rappr. infra, no 28 § 4) (sur la loi applicable à la lésion, v. Légier et


Mestre, note, Rev. crit. 1983. 482 et s.).
Ajoutons pour clore ce commentaire que le Prince Elie de Bourbon-Parme
ne put, malgré son succès dans la présente affaire, récupérer le domaine de
Chambord. Dès avril 1930, l’État français usant du droit de préemption dont il
disposait sur les biens séquestrés avait, en effet, acquis Chambord moyennant
onze millions de francs.
15
COUR DE CASSATION
(Ch. req.)

4 juin 1935

(Rev. crit. 1936. 755, note Basdevant, S. 1936. 377, rapport Pilon, note Niboyet,
DP 1936. 1. 7, rapport Pilon, note R. Savatier).
Régime matrimonial. — Changement. — Loi applicable.

Il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement, d’après les


faits et circonstances, et notamment en tenant compte du domicile matri-
monial des époux, le statut matrimonial que des étrangers se mariant en
France sans contrat, ont eu la volonté commune d’adopter pour le règlement
de leurs intérêts pécuniaires.
De ce statut matrimonial relève la défense de modifier le régime par une
convention postérieure à la célébration du mariage.

(Époux Zelcer c/Schwab)

Faits. — Deux polonais se marient en 1911, sans contrat préalable, à Paris où ils
sont domiciliés. En 1925 ils conviennent, par acte notarié dressé en Belgique, d’adopter
un régime de séparation de biens. Cet acte est inscrit en 1928 au registre matrimonial de
Strasbourg, ville en laquelle les époux ont acquis un nouveau domicile.
En 1932, à la demande d’un créancier du mari, une saisie est pratiquée sur un meu-
ble-bibliothèque au domicile conjugal. La femme assigne devant le Tribunal cantonal de
Strasbourg le créancier saisissant aux fins d’annulation de la saisie; étant mariée, prétend-
elle, sous le régime de la séparation de biens et ayant personnellement acquis ce meu-
ble, celui-ci lui appartient et n’entre donc pas dans le gage des créanciers de son mari.
À quoi le créancier réplique que les époux, mariés sans contrat alors qu’ils étaient
domiciliés en France, sont régis quant à leurs rapports patrimoniaux par la loi française
qui les soumet à la communauté légale de meubles et acquêts et qui, comportant le prin-
cipe de l’immutabilité du régime matrimonial, n’attribue aucune valeur à l’acte de 1925
aux termes duquel ils déclaraient se placer sous un régime de séparation.
Le Tribunal cantonal de Strasbourg accueille cette argumentation. La demanderesse
forme un pourvoi en cassation.

ARRÊT
La Cour; — Sur les deux moyens réunis, pris de la violation ou fausse applica-
tion des articles 1134, 1393, 1394, 1395 du Code civil, 7 de la loi du 20 avril 1810,
défaut de motifs et manque de base légale : — Attendu que le tribunal
15 ZELCER — CASS., 4 JUIN 1935 129

(T. cantonal de Strasbourg, 23 mars 1933) ayant décidé que les époux Zelcer, de
nationalité polonaise, mariés sans contrat, en 1911, à Paris, où ils étaient alors
domiciliés, et qui, en 1925, par le ministère d’un notaire belge, avaient adopté
la séparation de biens, étaient soumis uniquement au régime de la commu-
nauté légale du droit français, le pourvoi reproche au jugement d’avoir fondé sa
décision sur le seul fait que les époux avaient leur domicile en France lors de la
célébration du mariage, et refusé à des conjoints dont la loi nationale ignore la
règle de l’immutabilité des conventions matrimoniales le droit de modifier leur
contrat de mariage primitif; — Mais attendu qu’il appartient aux juges du fond
d’apprécier souverainement, d’après les faits et circonstances, et notamment en
tenant compte du domicile matrimonial des époux, le statut matrimonial que
des étrangers, se mariant en France sans contrat, ont eu la volonté commune
d’adopter pour le règlement de leurs intérêts pécuniaires; que, dès lors, en la
cause, le tribunal a pu décider, en se fondant, à défaut d’autres circonstances,
sur le fait que les époux Zelcer, lors de leur mariage à Paris, y étaient domiciliés,
qu’« ils sont réputés s’être reférés au régime matrimonial français qui comporte
pour eux, à défaut de contrat de mariage, la soumission au régime de la com-
munauté légale et la défense de modifier ce régime par une convention
postérieure »; — D’où il suit que le jugement attaqué, qui est motivé, a justifié
légalement sa décision, sans violer ni faussement appliquer les textes de loi visés
par le pourvoi; — Par ces motifs : — Rejette.

Du 4 juin 1935. — Cour de cassation (Ch. req.). — MM. Boulloche, prés.; Pilon, rapp.; Rateau, av.
gén. — Me Feldmann, av.

OBSERVATIONS

1 L’arrêt formule la règle de conflit que la jurisprudence française a patiem-


ment forgée pour le régime matrimonial (I) et en fait aussitôt application au
problème de l’immutabilité qui est maintenant devenu celui du changement de
régime matrimonial (II). Aujourd’hui en sursis du fait de la ratification par la
France de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux
régimes matrimoniaux (1), ces solutions ne sont pas moins appelées à conser-
ver longtemps leur intérêt, puisque cet instrument ne s’applique qu’aux époux
qui se sont mariés ou qui ont désigné la loi applicable à leur régime matrimo-
nial après son entrée en vigueur dans l’État du for (art. 27, al. 1er), c’est-à-dire
pour la France, le 1er septembre 1992.

(1) L’histoire de l’introduction en France de la Convention du 14 mars 1978 mérite d’être contée
brièvement tant elle est exemplaire des conditions dans lesquelles s’élabore le droit international
privé français depuis quelques lustres. On connaît les interventions répétées du législateur en
matière de filiation (art. 311-14 à 311-18, réd. L. 3 janv. 1972) et de divorce (art. 310, réd.
L. 11 juill. 1975). Redoutant que celles-ci ne se renouvellent dans le domaine des régimes matrimo-
niaux à la faveur du toilettage de la matière qui devait aboutir à la loi du 23 déc. 1985, la Chancelle-
rie prit l’initiative de faire signer (26 sept. 1978) et ratifier (26 sept. 1979), avec une célérité
inhabituelle, la Convention de La Haye du 14 mars 1978. Ainsi entendait-elle désamorcer toute vel-
léité de réglementation purement nationale de la matière à l’initiative du président de la Commis-
sion des lois de l’époque. Mais parant ainsi à un danger manifeste, si l’on en juge par les fruits
passés, le ministère se mettait à terme en position d’en affronter un tout aussi redoutable.
130 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 15

I. La loi applicable au régime matrimonial

2 Se référant à la volonté commune des époux d’adopter un statut matrimonial


pour le règlement de leurs intérêts pécuniaires, c’est à la règle de la loi d’autono-
mie que l’arrêt confie la détermination de la loi applicable. Dans le système fran-
çais de solution des conflits, ce parti paraît bien lier le sort du régime matrimo-
nial à celui des contrats en général (sur la loi du contrat, v. arrêts American
Trading Co, no 11 et Fourrures Renel, no 35). En cela, le droit international
privé français, adopte une solution résolument originale puisqu’elle n’est con-
nue d’aucun autre pays (v. H. Gaudemet-Tallon, « Les conflits de lois en
matière de régimes matrimoniaux : tendances actuelles en droit comparé »,
Trav. com. fr. dr. int. pr. 1969-1971, p. 197 et s.; Droz, « Les régimes matrimo-
niaux en droit international privé comparé », Rec. cours La Haye, 1974, t. III,
p. 1). Produit de l’histoire (B), cette originalité s’est, grâce à ses mérites (A),
perpétuée non sans se transformer (C).
3 A. — Précisément la solution de la loi d’autonomie a l’avantage d’assurer
l’unité du règlement des intérêts pécuniaires des époux (v. rapport Pilon,
préc.). Le recours au choix des conjoints, à leur commune intention évite le
morcellement du régime auquel condamnerait par exemple la solution retenue
dans les pays de common law qui, à l’instar de la règle de conflit française en
matière successorale, consiste à appliquer distributivement la loi du lieu de
leur situation aux immeubles (supra, no 3) et la loi du domicile aux meubles
(infra, no 18). Cette conception multiplie les difficultés d’application : com-
portant des règles différentes, les diverses lois désignées se combinent malai-
sément. Et à l’incommodité s’ajoute le cas échéant l’injustice : le mari emploie
ses revenus professionnels à l’achat d’immeubles en pays de séparation de
biens, il accroît son patrimoine personnel; la femme effectue la même opéra-
tion en pays de communauté, elle enrichit son mari. Le régime matrimonial est
une machinerie complexe dont chaque mécanisme s’ajuste aux autres et est
solidaire de l’ensemble; il ne fonctionne convenablement et n’apporte la jus-
tice que s’il est homogène.
Cette homogénéité est à peine mieux garantie par une soumission à la loi
des effets personnels du mariage : loi nationale commune ou loi du domicile
commun des époux (v. infra, arrêts Rivière, no 26 et Campbell-Johnston,
no 42). Celle-ci a en effet beaucoup perdu de son ancienne stabilité; les chan-
gements de nationalité et plus encore de domicile sont aisément admis. Il en
résulterait le cas échéant une succession de lois applicables apportant chacune
un régime différent. Certes, à tout instant, effets personnels et effets pécuniai-
res obéiraient à la même loi (v. Savatier, note préc.; Niboyet, Traité, t. V,
no 1505, p. 399) mais l’ensemble ainsi constitué serait un ensemble mobile
dans la durée. Or, du point de vue de l’efficacité et de la justice du régime,
l’hétérogénéité dans le temps n’est pas moins néfaste que l’hétérogénéité dans
l’espace.
En déterminant la loi sous l’empire de laquelle la relation se développe, dès
sa naissance et où que soient situés les biens qui en seront l’objet, la règle de
la loi d’autonomie combat ces deux formes d’hétérogénéité et répond à la
15 ZELCER — CASS., 4 JUIN 1935 131

double exigence de cohésion — locale et temporelle — que requiert la matière


du régime matrimonial. Résultant d’une adéquation satisfaisante du rattache-
ment à la catégorie, les bienfaits de l’homogénéité ne sont pas les seuls élé-
ments qui ont imposé la solution; il faut aussi prendre en compte l’Histoire.
4 B. — Aux origines de l’application de la loi d’autonomie, il y a une consul-
tation établie par Dumoulin en 1525, à propos du régime matrimonial des
époux de Ganay (Caroli Molinaei Opera, Paris 1681, t. 2, Consilium LIII,
p. 965 et s.) et qui prend appui sur deux considérations dont la première tomba
rapidement dans l’oubli, tandis que la seconde accaparait un peu abusivement
l’attention des auteurs postérieurs.
Le Consilium LIII soutenait d’abord — et c’est l’argument essentiel — que
la communauté coutumière était une société qui s’établissait au domicile des
époux par le fait de la vie commune. L’idée fera son chemin, en droit interne
(J. Carbonnier, Le régime matrimonial, sa nature juridique sous le rapport
des notions de société et d’association, thèse Bordeaux, 1932), mais surtout
pour le cas de concubinage ou de nullité de mariage (v. cep. art. 1387, C. civ.
et Civ. 1re, 1er oct. 1985, Bull. I, no 237, p. 212, « quel que soit le régime
matrimonial, le mariage crée entre les époux une association d’intérêts »). Il
faut ici en souligner deux qualités. D’une part, elle fournit une justification
suffisante du rattachement par le domicile matrimonial : le problème des rap-
ports pécuniaires du ménage n’est pas celui de la condition juridique des
biens, de la définition des droits dont ceux-ci peuvent être l’objet; il est celui
de la collaboration des époux, de la coordination de leurs activités et intérêts
pécuniaires. L’explication libère de l’emprise du statut réel. D’autre part,
l’idée de société de fait se rapporte à la structure du régime et non à sa source;
elle porte à embrasser dans la même catégorie régime légal et régime conven-
tionnel.
5 Dumoulin crut ensuite devoir alourdir sa démonstration en remontant de la
structure vers la source. Il affirma que l’absence de contrat exprès laissait
place à un contrat tacite ou présumé qui assurait semblablement à la commu-
nauté un rayonnement extra-territorial. Ainsi s’ébauche l’analyse contractuelle
et volontariste du régime légal, à laquelle le présent arrêt fait écho. Cette ana-
lyse doit le plus gros de sa notoriété à d’Argentré (Commentarii in patrias bri-
tonum leges seu consuetudines generales antiquissimi ducatus Britanniae,
3e éd. Paris, 1621, art. 218, glose 6, p. 686 et s.) et à ses épigones qui pour
les besoins de leur doctrine la privilégièrent jusqu’au sarcasme tandis qu’ils
conservaient le plus prudent et le plus épais silence sur la conception sociétaire
(v. naguère encore Niboyet, Traité, t. V, no 1390, p. 39 et s., no 1505, p. 397
et s.). En dépit de leurs attaques, la jurisprudence de l’Ancien Régime ne
démentit pas son attachement à la solution de Dumoulin; elle soumettait le
régime à la coutume du premier domicile des époux et n’intégrait l’élément
volontaire dans la désignation du droit applicable que de manière indirecte, en
reconnaissant la liberté de choisir ce domicile. Il faudra attendre le compromis
de 1804 remettant, en droit civil, à la liberté des conventions matrimoniales, le
soin de choisir le régime des biens des conjoints (art. 1387, C. civ.), pour que
l’analyse contractuelle rencontre quelque succès en droit international privé.
132 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 15

Au milieu du XIXe siècle, la Cour de cassation déclare que « le choix du


régime auquel doivent être soumis les intérêts des époux dépend de leur
volonté… » (Civ., 11 juill. 1855, DP 1856. I. 9; S. 1855. I. 699), « qu’il appar-
tient aux juges de reconnaître lorsqu’elle n’a point été exprimée dans un
contrat de mariage » (Fraix, Civ., 4 mars 1857, S. 1857. 1. 247, DP 1857. I.
102); à cette fin, les tribunaux sont invités à examiner « l’ensemble des circons-
tances… et notamment la fixation (du) domicile matrimonial… » (arrêt Fraix,
préc.). Précédemment facteur de rattachement, le domicile matrimonial est
désormais un indice de rattachement, un élément révélateur de l’intention des
époux.
Toutefois, il faut remarquer qu’en matière de contrats, à cette époque, les
parties ne semblent pas disposer de la liberté de choisir le droit applicable : la
loi d’autonomie ne la leur offrira qu’à partir de 1910, avec l’arrêt American
Trading Co (v. supra, no 11). L’arrêt Zelcer apparait dès lors comme celui qui,
un quart de siècle plus tard scelle véritablement la rencontre de l’analyse
contractuelle et du régime légal. Il paraît bien ainsi consacrer un paradoxe :
l’application de la règle de conflit contractuelle à une situation exclusive de
tout contrat… Cependant l’évolution devait se poursuivre et ramener la solu-
tion du côté de la conception sociétaire.
6 C. — C’est que la loi d’autonomie n’est pas une solution dénuée d’ambi-
guïté. Elle supporte deux interprétations opposées, l’une subjectiviste et l’autre
objectiviste (v. arrêts American Trading Co, no 11 et Fourrures Renel, no 35).
Dans le cadre de la première qui assujettit les lois des États à la volonté des
parties — et à ce titre aurait encouru les foudres de d’Argentré —, la solution
contractuelle appliquée au régime légal repose naturellement sur une fiction.
En revanche, dans le cadre de la seconde, où la volonté des parties compte plus
par ce qu’elle accomplit que par ce qu’elle proclame, l’assimilation du régime
matrimonial au contrat est beaucoup moins artificielle. C’est cette interpréta-
tion objectiviste que la jurisprudence illustre depuis l’arrêt Zelcer; celui-ci
offrait d’ailleurs des éléments propres à engager dans cette voie (v. Basdevant,
note préc., Rev. crit. 1936, p. 762).
D’une part, il se garde de remettre la loi applicable directement au choix
des époux et préfère utiliser une formule passablement équivoque : « le statut
matrimonial… que les époux… ont eu la volonté commune d’adopter »; le
statut, ce peut être la loi (statutum, statute), ce peut être aussi un état, une
condition, une organisation juridique (status). Se retrouve ici ouverte l’alter-
native de la source et de la structure.
D’autre part, la volonté considérée par l’arrêt est celle qui s’est inscrite
dans « les faits et circonstances » et parmi ceux-ci il en est un qui doit spécia-
lement retenir l’attention des juges : le domicile matrimonial. La prépondé-
rance de cet indice, qui ne s’observe pas à propos des contrats en général
(v. Batiffol et Lagarde, t. II, nos 579 et s.) est significative; si le régime est un
contrat — au besoin tacite ou présumé — c’est un contrat spécial, typique,
dont l’économie, l’objet et la fonction donnent un relief particulier au domi-
cile. On en revient ainsi au premier élément de la consultation de 1525 : la
structure du régime. Celle-ci organise une « association d’intérêts » relative-
15 ZELCER — CASS., 4 JUIN 1935 133

ment à laquelle le domicile matrimonial prend, dans la perspective du conflit


de lois, une valeur spécifique : il est le siège des intérêts du ménage.

7 Cette valeur s’accroîtra par la suite au point de fonder une présomption de


droit en faveur de la loi du premier domicile matrimonial (Barrau, Civ. 1re,
26 févr. 1963, Clunet 1964. 106, obs. J. B. Sialelli : « il appartient aux juges
du fond d’affirmer souverainement d’après les circonstances de l’espèce et
en tenant spécialement compte de la présomption résultant de la fixation du
domicile matrimonial, le statut que les époux ont eu, en se mariant, la volonté
commune d’adopter »; Civ. 1re, 15 mai 1965, Clunet 1967. 398, obs. Ph. Kahn),
défini comme le lieu où les époux entendent, lors de leur mariage, « fixer et
fixent effectivement leur établissement d’une manière stable » (Batiffol et
Lagarde, t. II, no 620; v. cep. contre cette présomption, Dulles, Civ. 1re, 5 mai
1953, Rev. crit. 1953. 799, note H. Batiffol, Clunet 1953. 658, note Sialelli,
mais très vite l’orientation objectiviste s’accentue : Adao, Civ. 1re, 4 janv.
1956, Rev. crit. 1956. 99, note H. Batiffol; substituant l’adverbe « spéciale-
ment » au « notamment » traditionnel : Melkonian, Civ. 1re, 22 avr. 1958, Rev.
crit. 1958. 348, note H. Batiffol; Ottaviani, Civ. 1re, 30 déc. 1959, Rev. crit.
1961. 326, note M. Simon-Depitre; Degano, Civ. 1re, 31 janv. 1968, Rev. crit.
1968. 680, note A. Ponsard; Boureghda, Civ. 1re, 5 nov. 1996, Rev. crit. 1998.
596, note B. Bourdelois, D. 1998, Som. com. p. 287, obs. B. Audit; Merzouk,
Civ. 1re, 25 mars 1997, inédit; Naitouakla, Crim., 5 sept. 2001, Rev. crit.
2002. 324, note D. Mayer; Chambéry, 25 févr. 2002, JCP 2002. IV. 2641, Rev.
crit. 2003. 734, arrêts consacrant la prépondérance du premier domicile matri-
monial, même à l’encontre de la loi nationale commune qui était également
la loi du lieu de célébration du mariage). L’évolution débouchera sur le
recours à la méthode de la localisation objective dont H. Batiffol fut le promo-
teur (v. Daim, Civ. 1re, 7 nov. 1961, Rev. crit. 1962. 681, note H. Batiffol;
Civ. 1re, 5 avr. 1978, Bull. I, no 146; Civ. 1re, 12 janv. 1982, Bull. I, no 13;
Michelin, Civ. 1re, 12 nov. 1986 et du même jour, Andalaft, Bull. I, no 257;
Mari, Civ. 1re, 24 janv. 1984, Rev. crit. 1984. 631, note B. Ancel, Clunet
1984. 868, note J. Derruppé) et sur la modification conséquente du motif de
l’arrêt Zelcer : « il appartient aux juges du fond de déterminer souverainement,
d’après les circonstances concomitantes ou postérieures au mariage et spécia-
lement en tenant compte du premier domicile des époux après le mariage, le
lieu où les époux ont eu, lors du mariage, la volonté de localiser leurs intérêts
pécuniaires et dont la loi régira les intérêts » (Civ. 1re, 5 avr. 1978, préc.; v. en
dernier lieu, Civ. 1re, 13 déc. 1994, Époux Bezzai-Dalle, Rev. crit. 1995. 319,
note M. Revillard, Civ. 1re, 2 déc. 1997, Donadoni, Bull. I, no 338).
La formule appelle trois remarques.

8 En premier lieu, il est clair que la volonté des époux ne détermine qu’indi-
rectement le régime matrimonial — objet auquel elle ne s’est pas appliquée.
Cette volonté ne choisit pas davantage la loi applicable; elle porte sur la locali-
sation des intérêts du ménage qui constitue le facteur de rattachement, le domi-
cile matrimonial conservant son rôle d’indice prépondérant générateur d’une
présomption de droit.
134 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 15

En second lieu et corrélativement, l’analyse contractuelle n’est plus néces-


saire en droit international privé. Du moins, cela est certain pour le régime
légal et H. Batiffol enseigne d’ailleurs à cet égard que la solution s’articule
sur le fait juridique qu’est le mariage « considéré sous l’angle patrimonial »
(Batiffol et Lagarde, t. II, no 616, no 618 ; v. aussi la thèse de G. Wiederkehr,
Les conflits de lois en matière de régime matrimonial, 1965, nos 131 et s.).
L’explication s’étend-elle au cas de contrat de mariage ? En général, les auteurs
ne le pensent pas et placent les conventions matrimoniales dans le champ de
la loi du contrat (v. Batiffol et Lagarde, t. II, no 622; Loussouarn, Bourel et de
Vareilles-Sommières, no 387; P. Mayer et V. Heuzé, no 771; v. cep. Niboyet
qui qualifiait d’« effet légal du mariage », Traité, t. V, no 1505, le régime matri-
monial, même conventionnel). La haute juridiction semble en dernier lieu
s’être ralliée à cette analyse. Alors que le motif précité de 1978 ne spécifiait
pas, contrairement à l’ancienne habitude (attestée par l’arrêt Zelcer aussi bien
que par les arrêts Adao ou Daim, par exemple), que les époux s’étaient mariés
sans contrat de mariage et laissait ouverte une possibilité de généralisation
permettant à la solution d’embrasser les deux hypothèses, l’arrêt Tangi du
6 juillet 1988 (Rev. crit. 1989. 360, note G. Khairallah, Clunet 1989. 718, note
G. Wiederkehr) adopte résolument une formule distributive. Assimilant la
kétouba à un contrat de mariage (ce qui est discutable, v. G. Khairallah, note
préc., p. 362), cet arrêt énonce, après avoir visé « les principes du droit inter-
national privé français en matière de régimes matrimoniaux, ensemble l’arti-
cle 1134 », que « la volonté présumée des époux ne doit être recherchée,
pour la détermination de leur régime matrimonial, que s’il n’existe pas de
choix exprès fait par les conjoints » (rappr. Paris, 14 juin 1995, Kubicka, Rev.
crit. 1997. 41, note P. Gannagé, D. 1995. 156, note F. Boulanger, Som. com. 174,
obs. B. Audit, confirmé par Civ. 1re, 2 déc. 1997, Rev. crit. 1996. 632, note
P. Gannagé, JCP 1998. I. 135, no 6, obs. G. Wiederkehr, D. 1998. Som. com.
289, obs. B. Audit; Civ. 1re, 7 avr. 1998, Hamidou, Rev. crit. 1998. 644, note
David A., D. 1998. Som. com. p. 287, obs. B. Audit et, après renvoi, Civ. 1re,
22 nov. 2005, Bull. I, no 430, du même jour, Zahzouh, Bull. I, no 431; Civ. 1re,
16 nov. 2004, Amoussou, D. 2005. 1196, obs. H. Chanteloup; Civ. 1re, 31 janv.
2006, Bellatrèche, Bull. I, no 41).
En troisième lieu, enfin, il convient de relever qu’en dépit du rôle prépon-
dérant reconnu au domicile matrimonial, la détermination de la loi applicable
reste incertaine lorsque cette directive se heurte à un faisceau d’indices en sens
contraire (sur lesquels, v. Batiffol et Lagarde, t. II, no 620 et par ex. Civ. 1re,
9 oct. 1991, Diermeier, Bull. I, no 252, Rev. crit. 1992. 479, note G. Khairal-
lah, Defrénois 1992. 35, note M. Revillard, JCP N, 1992. II. 177, note E. Kerc-
khove ; v. au contraire, consolidant le domicile conjugal, les indices tirés de
circonstances postérieures au mariage, telle une prise de qualité, Bezzai-Dalle,
Civ. 1re, 13 déc. 1994, préc.). Pour y remédier, la jurisprudence tend à admet-
tre la recevabilité des actions en déclaration de la loi applicable au régime
matrimonial. Il est alors donné aux époux qui sont dans la nécessité de
connaître leur situation, pourvu que celle-ci ait un lien sérieux avec la France,
d’interroger hors de tout contentieux réel le juge sur leur statut matrimonial
(TGI Paris, 21 juill. 1970, Clunet 1971. 566, obs. Ph. Kahn, Defrénois 1972. 46,
15 ZELCER — CASS., 4 JUIN 1935 135

note Malaurie; TGI Paris, 10 mai et 12 juill. 1972, Rev. crit. 1973. 104, note
H. Gaudemet-Tallon, Clunet 1972. 855, obs. Ph. Kahn; TGI Paris, 25 mars
1981, Rev. crit. 1982. 329, note H. Gaudemet-Tallon) et la déclaration ainsi
obtenue sera en France opposable au tiers dès lors que les exigences de
publicité prévues par le droit français auront été satisfaites — spécialement si
la loi déclarée applicable est une loi étrangère (v., adaptant ces exigences en
recourant à l’art. 1294, NCPC, TGI Paris, 25 mars 1981, préc.; Civ. 1re, 6 janv.
2004, Bull. I, no 5, JCP 2004. IV. 1396, Rev. crit. 2005. 797, v. B. Audit,
no 865 et à propos de l’article 9 de la convention de 1978, S. Corneloup, La
publicité des situations juridiques. Une approche franco-allemande de droit
interne et de droit international, thèse Paris I, LGDJ 2003, nos 352 et s.). On
ne soutient pas ainsi, en remédiant à ses imperfections techniques, une règle
au bien-fondé de laquelle on ne croit pas (sur l’attitude parfois opportuniste
des juges du fond, v. G. Wiederkehr, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1986. 88, p. 229).

9 Retour à Dumoulin et à la tradition française de l’Ancien droit. Ainsi en


irait-il si, là encore, le mouvement conventionnel n’était en passe de reléguer
au muséum des institutions du droit français une des constructions jurispru-
dentielles les mieux éprouvées par le temps et par l’expérience. La Convention
de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux
est, en effet, entrée en vigueur le 1er septembre 1992 (sur cette convention,
v. G. Droz, Rev. crit. 1992. 631; M. Revillard, « Dix ans d’application de la
convention de 1978 », Defrénois 2002. 893).
Cultivant du régime matrimonial une conception éloignée de celle que la
tradition française pratique depuis des siècles, cette convention d’une rare
complexité est le fruit, comme bien souvent, d’un laborieux compromis entre
pays de tradition romano-germanique favorables à la loi personnelle et pays
de common law favorables à la loi réelle dont on a vu qu’elles ne répondent
que très imparfaitement aux exigences de la matière. C’est dire qu’une fois de
plus et quoi que la Cour de cassation veuille faire accroire (Civ. 1re, 3 déc.
1991, JCP 1992. II. 21948, note E. Kerckhove), le droit international privé
français abdique sa propre expérience pour laisser la place à cette sorte de
« volapük » juridique que constitue aujourd’hui trop souvent le droit interna-
tional privé conventionnel. On pourrait, au demeurant, s’y résoudre si tel était
le prix à payer pour une véritable unification des règles de conflit de lois.
Mais, en raison même de ses mérites limités, cette convention n’a séduit,
outre la France, que le Luxembourg et les Pays-Bas (v. Rev. crit. 1997. 183).
C’est dire que l’unification ainsi réalisée reste… confidentielle (Y. Lequette,
« Le dr. int. privé de la famille… » Rec. cours La Haye, 1994. II., nos 152 et s.,
p. 146 et s.).

II. Le changement de régime matrimonial

10 La consécration que la loi d’autonomie reçoit de l’arrêt Zelcer est d’autant


plus éclatante qu’elle intervient sur une question à la résolution de laquelle il
136 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 15

n’est pas immédiatement évident que la volonté des époux doive prendre part.
La possibilité de changer de régime matrimonial pendant le cours du mariage
est traditionnellement l’objet de dispositions impératives — et même en 1935,
prohibitives, pour ce qui était du droit civil français. Or s’il est facile d’admet-
tre, compte tenu du rôle reconnu à l’intention commune dans la désignation de
la loi du régime, que celle-ci « détermine les effets du mariage sur la composi-
tion du patrimoine des époux » (Saggioriato, Civ. 1re, 12 avr. 1967, Bull. civ. I,
no 124) dès lors qu’aujourd’hui prévaut l’idée que la répartition des biens et
des dettes peut être librement organisée par les époux, en revanche on hésitera
davantage à soumettre à un rattachement volontaire les limitations que le droit
interne apporte à cette liberté. L’idée serait que ce qui relève de la liberté des
époux pourrait être laissé à la loi de leur choix tandis que ce qui s’impose à
leur volonté devrait obéir à une loi objectivement désignée. Ainsi on pourrait
opposer, d’une part, l’attribution à la loi d’autonomie de questions de composi-
tion des masses ou d’administration des biens et, d’autre part, la soumission à
la loi des effets personnels du mariage, par exemple, de la question de la licéité
des contrats et donations entre époux (v. infra, arrêt Campbell-Johnston, no 42;
Fadlallah, La famille légitime en droit international privé, nos 199 et s.) ou
encore, des questions qui forment la matière « hétéroclite » (Loussouarn, Bourel
et de Vareilles-Sommières, no 314) de ces règles réunies par la curieuse déno-
mination doctrinale de régime primaire impératif (sauf pour celles-ci à consti-
tuer également des lois d’application immédiate; v. sur ce point, Batiffol et
Lagarde, t. II, no 631-1, p. 380; P. Mayer et V. Heuzé, no 783; B. Audit, no 674;
Fadlallah, op. cit., nos 141 et s.; TGI Paris, 25 juin 1976, Rev. crit. 1977. 708,
note E. Poisson-Drocourt, Clunet 1978. 325, obs. Y. Lequette; Civ. 1re, 20 oct.
1987, Cressot, Rev. crit. 1988. 540, note Y. Lequette, Clunet 1988. 447, note
A. Huet; G. Wiederkehr, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1986. 88, p. 232; contra,
Cass. belge, 25 mai 1992, Banque Sud Belge, Rev. crit. 1993. 615, note
M. Fallon v. aussi infra, arrêt Cie internationale des wagons-lits, no 53 § 12).
11 Au reste, la considération de l’impérativité n’est pas seule à justifier le
cantonnement de la loi d’autonomie. S’agissant du régime primaire ou des
donations entre époux, celui-ci s’explique également par le fait que les règles
qui les gouvernent sont « hétérogènes au régime matrimonial » car « indépen-
dantes » de celui-ci. N’affectant qu’incidemment la structure du régime, elles
ressortissent d’abord à la structure des rapports institués entre les époux par le
mariage. Mais ne devrait-il pas alors en aller de même pour l’immutabilité ou
la mutabilité du régime matrimonial ?
L’arrêt Zelcer oblige alors à admettre que l’immutabilité — en dépit de son
caractère impératif — concerne, quant à elle, directement la structure du
régime matrimonial. Là serait le fondement de la solution (A).
Mais aujourd’hui le débat doit déborder cette solution; l’évolution du droit
civil français et les tendances du droit comparé comme les orientations du
droit conventionnel ouvrent de plus en plus libéralement aux conjoints la
faculté de modifier au cours de leur union l’organisation de leurs rapports
patrimoniaux. La question de la mutabilité du régime se prolonge désormais
par celle de la mutabilité de la loi applicable (B).
15 ZELCER — CASS., 4 JUIN 1935 137

A. — Mutabilité du régime matrimonial

12 L’arrêt Zelcer abandonne la solution parfois retenue au XIXe siècle (Civ.,


11 janv. 1855, DP 1856. I. 99, S. 1855. I. 699; Req. 24 déc. 1867, S. 1868. I. 135;
v. G. Couchez, Essai de délimitation de la loi applicable au régime matrimo-
nial, nos 235 et s.; G. Wiederkehr, op. cit., nos 174 et s.) de l’application de la
loi régissant la forme des actes. Fondé, par une déduction téméraire, sur ce que
l’intangibilité du régime était assurée par l’interdiction de conclure un contrat
de mariage après la célébration de l’union (question de délai, question de
forme, l’équation est douteuse), ce recours trop téméraire à la règle locus regit
actum achoppe de toute manière sur le cas du régime légal où, en l’absence de
contrat, il n’y a point de forme ni donc de lieu de conclusion pour désigner la
loi autorisant de le modifier.
Il n’est pas douteux que la soumission à la loi du régime est moins « singu-
lière » (Bartin, Principes, t. II, § 271). Cependant, elle divisa les commenta-
teurs ; l’un approuve (Niboyet, note préc.) et l’autre critique (Savatier, note
préc.). Le premier s’appuie sur l’exigence d’unité ou de continuité du régime,
caractéristique depuis Dumoulin de la conception française du régime matri-
monial ; le second sur le caractère impératif du principe de l’immutabilité
ayant alors cours en droit civil français.
Sur cette impérativité et son incidence sur le conflit de lois, il y a simple-
ment lieu d’observer que l’opposition dénoncée entre la liberté des époux et
l’autorité de la loi procède d’une confusion des plans sur lesquels opèrent res-
pectivement le droit interne et le droit international privé. Il ne faut pas
oublier en effet que l’impérativité d’une règle, serait-elle absolue dans l’ordre
interne, est toujours relativisée par le conflit de lois : obéissance n’est due à la
loi que si celle-ci est applicable. Le seul fait que le sujet puisse par ses choix
influer sur la détermination de ses cas d’application, n’autorise pas à présu-
mer la fraude de sa part.
La faiblesse de l’argument incitait à chercher d’autres griefs et c’est ainsi
que la Cour de cassation se vit reprocher de n’avoir pas aperçu que la question
de la mutabilité était une question de capacité relevant de la loi nationale
selon l’article 3, alinéa 3. Déjà invoquée devant la Cour de cassation à propos
de l’interdiction que faisait le droit italien (art. 1573, C. albertin) de convenir
une communauté débordant les acquêts, cette qualification avait échoué (Civ.,
4 mars 1857, Fraix, préc.). Elle n’était pas moins aventurée ici car elle repo-
sait sur une autre confusion entre incapacité générale — effectivement liée à
l’état de la personne auquel elle s’associe dans la catégorie du statut personnel
— et incapacité spéciale qui relève de la loi gouvernant l’institution en vue de
laquelle elle a été établie (v. sur ce point, H. Batiffol, La capacité civile des
étrangers en France, thèse 1929; Niboyet, note préc. Sur cette distinction,
v. infra, arrêts Patiño, nos 38-39 § 12). Or, soumise à la loi d’autonomie,
l’immutabilité, s’il faut y voir une incapacité, n’est pas une modalité de pro-
tection dont la loi entourerait les époux, mais un élément de l’organisation
du régime. De fait, la liaison substantielle entre immutabilité et régime est
évidente — la première traduisant l’exigence fondamentale d’unité, de conti-
nuité ou d’indivisibilité (Niboyet) que le second éprouve (v. Req. 5 mai 1938,
138 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 15

Rev. crit. 1938. 659; T. civ. Colmar, 12 juin 1951, Rev. crit. 1952. 130, note
Y. Loussouarn).
13 La défense de changer de régime matrimonial pendant le mariage constitue
un facteur de cohésion utile au fonctionnement satisfaisant et juste de l’institu-
tion. Et si la longévité des unions, à une époque encore peu reculée, a conduit
à une révision du principe d’immutabilité, cela s’est traduit par un assouplis-
sement et non par la péremption de l’exigence de continuité. La mutabilité sur-
veillée — largement diffusée en droit comparé — raccourcit aujourd’hui la
durée d’application du régime mais ne la réduit pas à la précarité de l’instant.
On en revient ainsi, une fois de plus, à la structure du régime matrimonial
(v. Fadlallah, op. cit., no 92), pour souligner l’adéquation du rattachement et
de la qualification. Aussi bien, la solution de la loi du régime s’est-elle main-
tenue sans difficulté après l’abandon en 1965 de l’immutabilité par le Code
civil (v. Seine, 25 janv. 1967, Rev. crit. 1972. 563, note H. Batiffol; TGI Dijon,
18 nov. 1969, Strauss-Etlinger, Rev. crit. 1972. 448, note G. Droz, Defrénois
1971. 1258, note Malaurie; Colmar, 7 mars 1973, Lorenzon, Rev. crit. 1973.
524, note A. P.; Civ. 1re, 4 mars 1969, Patiño, Bull. I, no 95, p. 72, Rev. crit.
1970. 747 (motifs); v. aussi, mais implicite, Paris, 29 juin 1968, époux Fon-
taine, Rev. crit. 1970. 298, note A. Ponsard, Clunet 1970. 69, obs. Ph. Kahn,
JCP 1969. II. 15845, concl. Ph. Souleau et, en dernier lieu, très explicite, Col-
mar, 19 janv. 1995, Metz, Rev. crit. 1993. 281, note P. Lagarde, Defrénois
1993. 573, note M. Revillard).
Le maintien de la solution atteste son bien-fondé, mais celui-ci ne lui
assure pas un monopole sur l’ensemble de la question de la mutabilité du
régime. Certes, si la loi d’autonomie admet la faculté de changer de régime, il
lui reviendra aussi « de fixer les conditions mises à l’exercice de cette faculté
et de dire si la réalisation de ces conditions doit ou non faire l’objet d’un con-
trôle, si le contrat modificatif doit être ou non homologué par une autorité
administrative ou judiciaire ». (A. Ponsard, note préc., Rev. crit. 1970, p. 302,
P. Lagarde, note préc., Rev. crit. 1993, p. 286, critiquant Colmar, 19 janv. 1993).
En revanche les règles françaises de compétence internationale, d’organisa-
tion judiciaire et de procédure civile définiront la régularité de la saisine d’un
tribunal français, et si celui-ci procède à l’homologation, il conviendra
d’effectuer les formalités de publicité imposées par le droit français — sans
préjudice d’ailleurs des exigences de la loi du régime et de la loi du domicile
actuel des époux. (v. Batiffol et Lagarde, t. II, no 630, p. 378).
Enfin, il est permis de se demander s’il appartient à la loi du régime modi-
fié de permettre un changement corrélatif de la loi applicable.

B. — Mutabilité de la loi applicable

14 Une solution paraît incontestée : la loi qui gouverne le régime s’applique


aussi longtemps que celui-ci a cours. Certes, il est admis qu’après sa dissolu-
tion les époux ou leurs ayants droit peuvent soumettre dans leurs rapports réci-
proques la liquidation et le partage à une autre loi (Civ. 1re, 3 janv. 1985, Rev.
crit. 1986. 652, note Batiffol, D. 1986. 57, note J.-P. Rémery, Civ. 1re, 27 oct.
15 ZELCER — CASS., 4 JUIN 1935 139

1992, Bull. I, no 261, sol. implicite; Civ. 1re, 23 mai 2006, Viénot, D. 2006, IR,
p. 1633), mais cette solution se justifie par le fait que les intéressés, étant maî-
tres de leurs droits, peuvent en disposer à leur convenance et soumettre leur
contrat à une loi propre (sur cette question, v. B. Fauvarque-Cosson, Libre dis-
ponibilité des droits et conflits de lois, thèse Paris II, éd. 1996, nos 600 et s.).
Cette faculté ne remet pas en cause l’application de la loi du régime (Civ. 1re,
12 juin 1979, Rev. crit. 1981. 491, note H. Batiffol, D. 1979, IR 460, obs.
Audit, D. 1980. 202, note F. Boulanger; Paris, 2 juin 1982, Clunet 1983. 801,
obs. J.-M. Jacquet); les droits dont il est disposé sont ceux que détermine la loi
du régime et leur consistance donnerait-elle lieu à contestation, c’est à celle-ci
qu’il conviendrait de se reporter, quand bien même la convention de liquida-
tion ou de partage les concernant relèverait d’une autre loi (Civ. 1re, 21 mai
1997, Diarra, Rev. crit. 1998. 87, note B. A., 25 janv. 2005, Van Dongen, Rev.
crit. 2005. 300, note B. Ancel, D. 2005. 1210, note N. Bouche, Defrénois 2005.
1040, note M. Revillard, Dr. fam. 2005, no 231, note M. Farge, Droit et patri-
moine, nov. 2005, no 142, p. 107, obs. M.-E. Ancel).
Dégagée pour la liquidation et le partage, cette solution vaut-elle au-delà,
pour l’établissement d’un nouveau régime lorsque la dissolution du premier
intervient dans le cours du mariage ? La réponse négative, pérennisant le rat-
tachement initial, peut s’appuyer sur plusieurs arguments, mais aucun n’est
vraiment décisif.
En premier lieu, on remarquera peut-être que la succession de deux lois dif-
férentes aggrave les difficultés de coordination et d’adaptation entre les régi-
mes successifs. Le danger est indéniable mais, d’une part, il existe en droit
interne français, les époux pouvant choisir un régime étranger, par appropria-
tion ou incorporation à leur contrat; d’autre part, il faut tenir compte du carac-
tère conventionnel du changement de régime — les époux mettront à profit la
liberté des conventions matrimoniales pour ménager la transition entre la loi
ancienne et la loi nouvelle et, le cas échéant, le juge de l’homologation exi-
gera une harmonisation ne serait-ce que dans l’intérêt des enfants mineurs.
En second lieu, il est tentant de se prévaloir de ce que la Cour de cassation
a affirmé la permanence du rattachement au cours du mariage (Civ., 19 déc.
1973, Rev. crit. 1975. 247, note Wiederkehr). Cependant, cette prise de posi-
tion tendait seulement à condamner une tentative de résurgence de la thèse de
la soumission du régime à la loi des effets du mariage; on avait espéré faire
admettre en l’espèce un changement de loi applicable consécutif à un change-
ment de nationalité. L’arrêt du 19 décembre 1973 rappelle fermement la solu-
tion de la loi d’autonomie et dénie au changement de nationalité toute inci-
dence en la cause…
À l’inverse, on peut faire valoir que si la solution de la permanence du rat-
tachement est rationnellement reliée à celle de la loi d’autonomie (comp.
P. Lagarde, « Le principe de proximité », Rec. cours La Haye, 1986. 1, p. 47),
c’est par l’exigence de continuité du régime (v. supra, no 15 § 3); elle trou-
vera donc sa mesure dans l’intensité de cette exigence. Extrême jusqu’aux
dernières décennies — ce qui justifie l’arrêt de 1973 — celle-ci a depuis
baissé. L’immutabilité du régime commandait l’immutabilité du rattachement;
la mutabilité du régime autorise la mutabilité du rattachement. La proposition
140 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 15

paraît accueillie par les juridictions du fond, au moins quand il n’y a pas eu,
lors du mariage, choix exprès de la loi applicable (v. en ce sens, TGI Dijon,
18 nov. 1969; Colmar, 7 mars 1973 et 19 janv. 1993, préc., acceptant le chan-
gement en faveur de la loi française, loi du domicile conjugal actuel, et subor-
donnant la possibilité qu’ouvre le droit international privé français de changer
de loi à la permission que donne la loi du régime actuel de modifier celui-ci;
Chambéry, 20 juin 1995, Pahud, Clunet 1996. 663, note E. Kerckhove, accep-
tant le changement en faveur d’une loi étrangère; v. aussi la position de la
Cour de Paris selon laquelle le rattachement par le premier domicile matrimo-
nial, « de caractère permanent par nature, en ce qu’il fixe le statut matrimonial
est insusceptible d’être modifié, si ce n’est par application du droit déclaré
compétent ou par l’effet de circonstances exceptionnelles telle l’acquisition
du statut de réfugié », Paris, 31 oct. 1991, Hewett, D. 1991, IR 285, Clunet
1992. 373, note L. Idot ou « la rupture avec le pays d’origine consommée par
l’acquisition de la nationalité du pays d’accueil », Paris, 5 juill. 1990, Dudu-
Lovian, D. 1990, IR 219, Defrénois 1991. 551, note M. Revillard); le change-
ment de loi tantôt obéirait aux conditions fixées par la loi du régime actuel —
comme par un jeu de renvoi —, tantôt serait directement permis par le droit
international privé français.
15 Ces solutions sont aujourd’hui périmées. La Convention de La Haye du
14 mars 1978 (préc.) renferme, en effet, une disposition de droit matériel
(art. 6) qui donne aux époux, quelle que soit la date de leur mariage (art. 21),
la liberté de changer la loi régissant leur régime matrimonial, en choisissant la
loi de la nationalité ou la loi de la résidence de l’un d’entre eux. Mais alors
que, dans la construction jurisprudentielle française, le changement de loi était
conçu comme un prolongement du changement de régime, la Convention de
La Haye envisage le changement de loi en lui-même, sans se préoccuper du
changement de régime. D’où une question : le changement de régime obéit-il
aux seules conditions régissant le changement de loi ou relève-t-il d’une autre
loi et laquelle ?
La réponse est rien moins qu’évidente. D’après une doctrine particulière-
ment autorisée (Droz, « Les nouvelles règles de conflit françaises en matière
de régimes matrimoniaux », Rev. crit. 1992. 657), il faudrait distinguer selon
que les époux ont voulu se soumettre au régime légal de la loi nouvelle ou à
un régime conventionnel. Dans le premier cas, aucune condition ni formalité
autre que celles qui sont posées par les articles 10, 11 et 13 pour le change-
ment de loi ne serait requise. Selon cette analyse, il suffirait donc, dès lors
qu’est remplie la condition de nationalité ou de résidence, d’une déclaration
des époux dans la forme prescrite pour les contrats de mariage par la loi choi-
sie ou par celle du lieu de rédaction, pour passer du régime de communauté
réduite aux acquêts du droit français au régime légal de séparation de biens du
droit anglais ou au régime légal de communauté universelle du droit néerlan-
dais. Dans le second cas, c’est-à-dire lorsque les époux veulent se soumettre à
l’un des régimes conventionnels de la loi nouvelle, le changement s’opérerait
en deux temps. Il faudrait considérer, dans un premier temps, que le change-
ment de loi a entraîné une soumission au régime légal du système choisi, puis,
15 ZELCER — CASS., 4 JUIN 1935 141

dans un deuxième temps, que les époux ont abandonné ce régime légal pour
le régime conventionnel de leur choix. Alors que la première phase obéirait
aux seules conditions posées par les articles 10 et suivants pour le changement
de loi, la seconde se réaliserait sous le contrôle de la loi nouvelle et s’effectue-
rait donc aux conditions posées par celle-ci pour un changement de régime.
Ainsi des époux qui entendent passer du régime légal anglais de séparation de
biens au régime conventionnel français de séparation de biens doivent, selon
cette analyse, choisir la loi française, ce qui les placera sous le régime de
communauté puis entamer en France une procédure de changement de régime
obéissant aux conditions posées par l’article 1397 du Code civil.
Devant l’absurdité du système ainsi mis en place, le législateur français a
introduit dans le Code civil un article 1397-3 qui dispose que « à l’occasion
de la désignation de la loi applicable, avant le mariage ou au cours de celui-ci,
les époux peuvent désigner la nature du régime matrimonial choisi par eux »
(G. Khairallah, « La loi du 28 oct. 1997 : question de méthode », Rev. crit.
1998. 249; M. Revillard, Trav. com. fr. dr. intr. pr. 1995-1998. 267, Defrénois
1997, art. 36700; D. Boulanger, JCP N, 1997, p. 1525; Th. Vignal, JCP 1998,
p. 116). Il en résulte que des époux peuvent, à la faveur d’un changement
de loi, changer de régime, sans se plier aux contraintes de la procédure
d’homologation, alors même que la loi normalement applicable exigeait un tel
contrôle. Symptomatique de la politique de « fuite en avant » qui caractérise
aujourd’hui trop souvent le système juridique français, l’introduction de cette
disposition avait fait naître une délicate question : le droit français pourrait-
il maintenir longtemps la coexistence, au plan interne, de l’article 1397 qui
met en place un système de mutabilité contrôlée, et au plan international, de
l’article 1397-3 qui admet une libre mutabilité des régimes matrimoniaux ?
Étudiant les rapports entre droit interne et droit international, Niboyet formu-
lait sa « loi du maximum de différence » et constatait qu’on ne peut laisser se
former deux droits parallèles entièrement différents l’un de l’autre sans qu’à
terme la force d’attraction de l’un ne s’exerce sur l’autre (Traité, t. III, no 934,
p. 262). Cette loi s’est trouvée ici encore vérifiée, au moins partiellement,
puisque la loi du 23 juin 2006, modifiant l’article 1397, a limité l’exigence de
l’homologation judiciaire à la présence d’enfants mineurs, à l’existence d’une
opposition émanant des personnes intéressées, enfants majeurs, créanciers. On
voit ainsi comment des dispositions de circonstance, adoptées pour remédier
aux imperfections d’une convention internationale, peuvent conduire au refoule-
ment d’une disposition protectrice de l’entité familiale (rappr. H. Lécuyer,
« Les régimes matrimoniaux : le droit international privé modèle du droit
interne ? », LPA 28 mars 2001, no 62, p. 49 et s., spéc. p. 52).
16
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
7 mars 1938

(Rev. crit. 1938. 472, note Batiffol)


Renvoi. — Succession.

Le renvoi fait par le droit international privé étranger à la loi d’un autre
État pouvant être le cas échéant la législation française revêt un caractère
en principe obligatoire.
L’interprétation par le juge français des dispositions étrangères de droit
international privé renvoyant à la loi française échappe au contrôle de la
Cour de cassation.

(De Marchi della Costa c/Époux de Bagneux)

Faits. — Carlos Marchi della Costa, sujet argentin, résidait en France sans y avoir
jamais été admis à domicile. Il décéda intestat le 1er septembre 1910 laissant des parents
par le sang ainsi qu’une veuve, remariée ultérieurement à un sieur de Bagneux. Par un
arrêt du 18 mars 1913 passé en force de chose jugée, la Cour de Paris décida que le
Tribunal civil de la Seine dans le ressort duquel s’était ouverte la succession était com-
pétent pour connaître de toutes les difficultés que pouvait comporter sa dévolution;
ainsi, à l’époque, était-il, en la matière, dérogé au principe de l’incompétence des tribu-
naux français dans les litiges entre étrangers (v. infra, no 37 § 3 et s.) lorsque ceux-ci
pouvaient se prévaloir de la situation en France du dernier domicile de fait du de cujus
(v. déjà en ce sens, Req. 7 juill. 1874, Specht, D. 75. 1. 271; rappr. Civ. 1re, 17 nov. 1981,
Dame Fries, Clunet 1982. 926, note G. Wiederkehr; 7 mars 2000, Igoa-Etchebarren,
Rev. crit. 2000. 459, note B. Ancel).
Mais quelle loi appliquer ?
En matière de succession mobilière, la règle de conflit française était incertaine. (Sur
les successions immobilières, v. supra, arrêt Stewart, no 3). Le domicile déterminant la
loi applicable ayant été défini comme le domicile de droit à une époque où son acquisi-
tion était subordonnée à la formalité de l’admission à domicile (art. 13, C. civ.), les tri-
bunaux soumirent la succession mobilière de l’étranger décédé en France non admis à
domicile, à la loi de son pays d’origine (v. supra, arrêt Forgo, no 7-8). Et ce cas étant le
plus fréquent, ils en vinrent peu à peu par ce biais à énoncer que les successions mobi-
lières relevaient de la loi nationale du défunt. Il fallut attendre la suppression de
l’admission à domicile (L. 10 août 1927; sur son application dans le temps, v. Batiffol,
note, Rev. crit. 1975. 79) et l’arrêt Labedan (infra, no 18) pour que l’équivoque fût dis-
sipée et la compétence de la loi du dernier domicile du défunt clairement réaffirmée.
S’appuyant sur la jurisprudence précédemment décrite, la veuve, Mme de Bagneux,
réclamait l’application de la loi argentine, loi nationale du défunt. Les consorts de Mar-
chi objectaient que l’article 3282 du Code civil argentin soumettant les successions à la
16 DE MARCHI — CASS., 7 MARS 1938 143

loi du dernier domicile du défunt, renvoyait à la loi française. À cela, Mme de Bagneux
rétorquait qu’au regard du droit argentin, le seul domicile susceptible d’entraîner une
délégation de compétence à une loi autre que la loi nationale du défunt était celui acquis
par son national dans un pays étranger conformément aux formalités et conditions qui y
étaient requises.
Par arrêt du 12 avril 1929 (S. 1930. 2. 129, note Niboyet), la Cour de Paris retint
l’application de la loi argentine au motif que « le renvoi à la loi du domicile quand il est
en France doit être nécessairement accepté par les tribunaux français » mais à la condi-
tion que le de cujus « ait en France, au moment de sa mort un domicile suffisant »,
c’est-à-dire un domicile autorisé par le go
uvernement français. Or tel n’était pas le cas de M. de Marchi.
Un pourvoi fut formé par les consorts de Marchi. Selon eux, la loi argentine qui seule
devait définir « les conditions dans lesquelles la loi française devenait applicable » sou-
mettait les successions mobilières à la loi du domicile de fait.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que Carlos Alberto de Marchi
della Costa, citoyen argentin, étant mort, au cours de l’année 1910, sur le terri-
toire français où il avait son principal établissement, la Cour d’appel a jugé que
la dévolution de la partie mobilière de sa succession était régie par les disposi-
tions de la loi nationale du de cujus, déterminant l’ordre de préférence entre
successibles; que le pourvoi reproche à l’arrêt attaqué d’avoir, par là, méconnu
la compétence de la loi successorale du domicile du défunt à laquelle se réfé-
rait pourtant l’article 3283 du Code argentin; — Mais attendu qu’après avoir
reconnu le caractère, en principe obligatoire, du renvoi fait par la loi nationale
d’un étranger à la législation successorale d’un autre État, pouvant être, le cas
échéant, la législation française, la Cour d’appel a considéré que, faute par Car-
los Alberto de Marchi della Costa d’avoir acquis en France un domicile régulier,
c’est-à-dire autorisé dans les formes prévues par l’article 13 du Code civil, qui n’a
été abrogé qu’en 1927, la condition exigée pour l’application de l’article 3283
du Code argentin se trouvait manquer; — Attendu qu’en décidant ainsi, les
juges du fond se sont manifestement approprié le système développé dans les
conclusions de la partie aujourd’hui défenderesse à la cassation et selon lequel
le seul domicile susceptible d’entraîner une délégation de compétence à une loi
autre que la loi nationale du défunt était, aux yeux du législateur argentin, le
domicile acquis par son national dans un autre pays, avec les formalités et dans
les conditions requises par les autorités de cet autre pays; — Attendu que
l’interprétation d’une loi étrangère par les juges français échappant au contrôle
de la Cour de cassation, la critique formulée contre l’arrêt attaqué qui repose
exclusivement sur l’interprétation de l’article 3283 du code argentin, ne saurait
être retenue;
Par ces motifs : — Rejette.

Du 7 mars 1938. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Frémicourt, prem. prés.; Tournon, rapp.;
Bloch-Laroque, av. gén. — MMes Célice et de Lavergue, av.

OBSERVATIONS

1 Le principe du renvoi acquis (v. supra, arrêts Forgo, no 7-8), il restait à en


préciser la physionomie exacte. Ce fut l’œuvre de la doctrine. Renonçant à son
144 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 16

attitude négative, celle-ci avança divers systèmes d’explication. L’arrêt de


Marchi par les solutions qu’il pose tant à propos de l’interprétation de la règle
de conflit étrangère (I) qu’en ce qui concerne le principe du renvoi au second
degré (II) fournit de précieuses indications sur celui qui a la faveur de la juris-
prudence française (III).

I. L’interprétation de la règle de conflit étrangère

2 À quelle loi demander l’interprétation de la règle de conflit étrangère prise


en compte à l’occasion du renvoi ? Notamment, comment entendre la notion
de domicile lorsque celle-ci en fait usage ? Déjà présente dans l’arrêt Forgo
(supra, no 7-8), la question y avait été implicitement résolue au profit de la loi
étrangère. Il avait, en effet, été jugé que la loi bavaroise renvoyait à la loi fran-
çaise en ce que, à la différence de celle-ci, elle soumettait les successions
mobilières, non à la loi du domicile de droit mais à celle du domicile de fait. Et
c’est à cette conception qu’adhère l’arrêt de Marchi.
Au premier abord, cette affirmation pourra surprendre : la Cour de cassation
ne se refuse-t-elle pas à censurer la Cour de Paris alors que celle-ci avait
retenu la conception française du domicile ? Mais le refus de la Cour de cas-
sation est affirmé sous le couvert du pouvoir souverain des juges du fond
quant à l’interprétation de la loi étrangère. Elle prend en effet soin de relever
qu’en retenant la notion française du domicile, les juges du fond n’ont fait
qu’adopter l’interprétation du droit argentin donnée par l’une des parties. En
d’autres termes, il n’y avait là qu’une question d’interprétation du droit étran-
ger échappant au contrôle de la haute juridiction.
C’est dire tout d’abord, si l’on dépasse les particularités de l’espèce, que
pour la Cour de cassation la règle de conflit étrangère doit être interprétée
conformément à ses propres concepts. Ainsi ce sera « à la loi qui prononce le
renvoi à la loi du domicile et à elle seule de définir ce qu’elle entend par
domicile » (Levasseur, La détermination du domicile en droit international
privé français, thèse 1931, p. 70 et s., spéc. p. 80; v. en ce sens, Civ. 1re, 21 sept.
2005, Kenny, Rev. crit. 2006. 100, note H. Muir Watt). C’est là une application
de l’adage ejus est interpretari legem cujus est condere (Roland et Boyer,
Adages du droit français, 4e éd., no 108, p. 194). Le sens des termes d’une
règle ne peut être demandé qu’à l’auteur de la règle. C’est dire ensuite que l’inter-
prétation de la loi étrangère renvoyant à la loi française échappe au contrôle
de la Cour de cassation.
3 Bien que manifeste, le lien entre ces deux propositions n’était pas inélucta-
ble. Il a en effet parfois été soutenu que la jurisprudence déclarant irrecevable
le pourvoi fondé sur la fausse interprétation de la loi étrangère devait céder
dans le cas où celle-ci renvoie à la loi française (v. par ex., Lalive, obs., Clunet
1970. 421). Telle est au reste la position de la jurisprudence allemande qui
accepte de contrôler le sens de la loi étrangère renvoyant à la loi allemande mais
non à une loi tierce (BGH, 14 févr. 1958, Rev. crit. 1958. 542, note Mezger;
BGH, 21 nov. 1958, Rev. crit. 1959. 680, note Mezger; Raape et Sturm, Interna-
tionales Privatrecht, I, 1977, p. 313 et décisions plus récentes citées note 104).
16 DE MARCHI — CASS., 7 MARS 1938 145

Néanmoins la jurisprudence française s’est toujours refusée à procéder à une


pareille distinction au sein du droit étranger. Constatant que la règle de conflit
renvoyant à la loi française conservait son caractère étranger et préférant s’en
tenir à son rôle propre, elle a dans le présent arrêt, puis dans les arrêts Sommer
(8 déc. 1953, Rev. crit. 1955. 133, note Motulsky, JCP 1954. II. 8080) et Moatti
(Civ., 15 juin 1982, Rev. crit. 1983. 300, note Bischoff, Clunet 1983. 595, note
Lehmann) refusé expressément d’en contrôler l’interprétation (v. aussi Cour de
Monaco 17 avr. 1972, Rev. crit. 1974. 76, note Loussouarn; rappr. Civ. 1re,
21 sept. 2005, Dr. fam. 2005, no 282, note E. Fongaro; Batiffol et Lagarde, t. I,
no 338; Motulsky, note Rev. crit. 1955. 142; Mezger, note Rev. crit. 1959. 689).
En revanche, la question de savoir si la règle de conflit française désigne
dans la loi étrangère le seul droit substantiel ou la disposition de droit interna-
tional privé renvoyant à la lex fori est à l’évidence un problème d’interpréta-
tion de la loi française soumis au contrôle de la Cour de cassation (F. Rigaux,
La nature du contrôle de la Cour de cassation, no 230, p. 342).

4 Ultérieurement, la haute juridiction a précisé qu’en cas de renvoi, le juge


français fait application des règles étrangères qui désignent la loi applicable,
sauf en ce qui concerne la définition de l’office du juge (Civ. 1re, 11 juin 1996,
Soc. Agora Sopha, Rev. crit. 1997. 65, note P. Lagarde). Elle refuse ainsi un
« renvoi totalitaire » qui aurait conduit à donner compétence au droit étranger,
y compris pour les règles gouvernant l’office du juge (J.-P. Ancel, Rapport
Cour de cassation 1997, p. 34). « Le juge français, même appliquant la règle
de conflit étrangère, reste un juge français dont l’office ne peut être déterminé
que par la loi française » (P. Lagarde, Rev. crit. 1997. 68). Aussi bien la haute
juridiction a-t-elle précisé cet office en posant qu’il appartient au juge français
« dans l’usage de la règle française de conflit de lois d’appliquer, au besoin
d’office, la loi (étrangère) de conflit ainsi désignée et donc la loi à laquelle
celle-ci fai(t) renvoi » (Civ. 1re, 21 mars 2000, Ballestrero, Rev. crit. 2000. 399,
note B. Ancel, D. 2000. 539, note F. Boulanger, JCP 2000. II. 10443, note
Th. Vignal, Defrénois 2000. 1157 et Clunet 2001. 505, note Revillard,
Dr. fam. 2000, no 70, note Fongaro; v. aussi Civ. 1re, 20 juin 2006, Wildenstein,
no B05-14281).

II. Le principe du renvoi au second degré

5 Il arrive que la loi désignée par la règle de conflit du for renvoie non à la loi
de celui-ci mais à une loi tierce. On parle alors de renvoi au second degré.
La doctrine classique s’était emparée de l’hypothèse pour nourrir sa criti-
que. Selon elle le renvoi, lorsqu’il ne conduisait pas à un cercle vicieux
(supra, no 7 et 8 § 5), risquait de déboucher sur une cascade de désignations,
la loi tierce renvoyant à une loi quarte et ainsi de suite (v. par ex., Bartin, Étu-
des, p. 120). À cela il est aisé de répliquer qu’une même question de droit ne
pouvant être l’objet que d’un nombre limité de qualifications et de rattache-
ments, la succession des renvois ne saurait être indéfinie ni même longue : la
146 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 16

règle de conflit de l’ordre juridique désigné en troisième ou quatrième posi-


tion acceptera l’offre de compétence qui lui est faite ou renverra à l’une des
législations précédemment désignées.
L’hypothèse du renvoi au second degré étant restée étrangère aux espèces
qui avaient permis de poser le principe de la prise en compte du droit interna-
tional privé étranger, l’on s’était demandé quelle serait à son propos la posi-
tion de la jurisprudence française. L’arrêt de Marchi apporte, à cet égard, un
précieux élément de réponse. Il affirme, en effet, « le caractère en principe
obligatoire du renvoi fait par la loi nationale d’un étranger à la législation suc-
cessorale d’un autre État pouvant être le cas échéant la législation française ».
Bien que l’espèce n’ait concerné qu’un renvoi au premier degré, la généralité
de la formule paraît suffisamment explicite, et ce d’autant plus que la Cour de
Paris s’était, dans la même affaire, contentée de relever que les tribunaux fran-
çais étaient en principe tenus d’accepter le renvoi de la loi étrangère à la loi
française. Les réaffirmations ultérieures de la solution par la Cour de cas-
sation ont, en règle générale, été entachées d’une certaine équivoque en raison
des particularités propres à chaque espèce. Ainsi dans l’arrêt Patiño du 15 mai
1963 (infra, no 38-39) n’y avait-il pas à proprement parler renvoi au second
degré mais prise en considération des dispositions substantielles d’une loi
tierce par la loi étrangère désignée. De même dans l’affaire Moatti (Civ.,
15 juin 1982, préc.), le renvoi au second degré est certes admis mais assorti
d’une condition de nature substantielle : la validation du mariage par la loi tierce.
C’est dire que l’obiter dictum que renferme l’arrêt de Marchi reste l’un des
meilleurs arguments jurisprudentiels en faveur de l’admission du renvoi au
second degré (en ce sens Motulsky, Rev. crit. 1951. 654). Et ceci d’autant plus
que cet obiter dictum tire une nouvelle jeunesse de sa réitération dans une
affaire Ballestrero (Civ. 1re, 21 mars 2000, préc.). À l’occasion de la détermi-
nation de la loi applicable à une succession non plus mobilière mais immobi-
lière et alors que la loi italienne, loi du lieu de situation de l’immeuble ren-
voyait à la loi française, loi nationale du défunt, la haute juridiction a
réaffirmé l’existence du renvoi par une formule dont la généralité conforte les
enseignements de l’arrêt de Marchi.
Aussi bien considère-t-on aujourd’hui le renvoi au second degré comme
solidement implanté dans le droit positif français. Les juges du fond en ont
fait usage sans équivoque à plusieurs reprises (v. décisions citées par Batiffol
et Lagarde, t. I, no 307, note 6). Quant à la doctrine moderne elle en a approuvé
dans sa quasi-totalité le principe. Mieux, certains auteurs non contents de se
prononcer en sa faveur, lui donnent une place de premier plan dans leur justi-
fication du renvoi (v. par ex., Derruppé, « Plaidoyer pour le renvoi », Trav.
com. fr. dr. int. pr. 1964-1966, p. 181 et s., spéc. p. 192). Et de fait, les mérites
du renvoi au second degré sont évidents. Certes il ne favorise pas comme le
renvoi au premier degré l’homogénéité du droit interne du for. Mais mieux
que celui-ci, il permet de parvenir à l’harmonie internationale des solutions.
Dès lors que la cascade des désignations conduit à une règle qui se reconnaît
compétente, la loi appliquée sera la même, quel que soit parmi ces pays celui
dont le juge est saisi. Par exemple, les lois anglaise et danoise soumettant le
statut personnel à la loi du domicile, le statut personnel d’un anglais domicilié
16 DE MARCHI — CASS., 7 MARS 1938 147

au Danemark sera régi par la loi danoise, que la question soit posée aux juri-
dictions française, anglaise ou danoise. L’argument prend un relief tout parti-
culier lorsqu’une situation juridique dépourvue de tout lien avec le for à l’épo-
que où elle a été créée, est annulée par la loi que celui-ci désigne alors que les
divers ordres juridiques concernés initialement donnent compétence à un droit
qui la valide. À supposer que les conditions en soient réunies, le renvoi au
second degré permettra au juge du for d’appliquer non la loi désignée par sa
règle de conflit mais celle à laquelle s’étaient conformées les parties, respec-
tant ainsi leur légitime prévision. Illustrée jadis par Raape avec son fameux
« rocher de bronze », cette hypothèse se retrouve dans un récent arrêt de la
Cour de cassation (Civ. 1re, 15 juin 1982, Moatti, préc.). Deux sujets syriens
de confession israélite s’étaient mariés en 1924 en Italie devant le grand rab-
bin. Cette union était valable en la forme tant au regard de l’ordre juridique
syrien qui admet le mariage religieux que de l’ordre juridique italien qui ne
l’admettait pas mais dont les dispositions de droit international privé don-
naient compétence au droit syrien. Or ces deux époux ayant été naturalisés
français en 1955, les tribunaux français eurent, environ soixante ans après la
célébration de ce mariage, à connaître de sa validité. Selon le droit internatio-
nal privé français, la loi applicable était la loi du lieu de célébration, loi ita-
lienne qui exigeait à l’époque une cérémonie civile. Le prononcé de la nullité
fut cependant évité grâce au renvoi au second degré, les tribunaux français
appliquant la loi syrienne en raison de la désignation qui en était faite par la
loi italienne. Certes, le renvoi ne permettant de résoudre qu’une partie des dif-
ficultés nées de ce genre d’hypothèse certains préconisent, en ce cas, le
recours à ce que l’on appelle parfois la théorie moderne des droits acquis :
une situation juridique étant née sans rapport avec le for et les règles de
conflit de tous les pays concernés initialement désignant la même loi, on s’en
tiendrait à celle-ci (sur cette conception, v. infra, arrêt Machet, no 23 § 7 et s.).
Mais cette théorie n’ayant jamais été consacrée par le droit positif français,
force est de constater que, dans l’immédiat, le renvoi au second degré reste
l’un des meilleurs instruments au service de l’harmonie internationale des
solutions. Cet avantage sera particulièrement sensible dans un système qui
comme celui du droit international privé français, prescrit au juge de l’exe-
quatur de vérifier que la loi appliquée par la décision étrangère est bien celle
que désigne la règle de conflit française (v. par ex. T. civ. Seine, 22 oct. 1956,
Rev. crit. 1958. 117, note P. Bellet, Clunet 1959. 454, note Bredin; sur cette
condition, v. infra, arrêt Munzer, no 41 § 9). Encore faut-il pour que ce résultat
heureux soit réellement atteint que l’on soit en présence d’un renvoi au
second degré parfait, c’est-à-dire que la loi tierce accepte la désignation dont
elle est l’objet. Au cas contraire, les avis sont, en l’absence de toute directive
jurisprudentielle précise, partagés. Certains préconisent de s’en tenir à la loi
interne du pays désigné par la règle de conflit du for (Loussouarn, Bourel et
de Vareilles-Sommières, no 216; P. Mayer et V. Heuzé, no 222; Audit, no 218);
d’autres de s’en remettre au système de droit international privé désigné par
celle-ci (Batiffol et Lagarde, t. I, no 308 et la note 3; comp. D. Holleaux,
J. Foyer et G. de la Pradelle, no 513). Mais quelle que soit la solution propo-
sée, c’est toujours l’idée de coordination des systèmes qui est sous-jacente.
148 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 16

III. Le fondement du renvoi

6 Le renvoi illustre excellement la complexité des rapports qui peuvent se


nouer entre la doctrine et la jurisprudence. Combattue initialement par les
auteurs, la pratique des tribunaux a finalement, en la matière, emporté leur
adhésion. Abandonnant l’attitude de critique systématique qui avait été celle
de leurs prédécesseurs, Lerebours-Pigeonnière, Niboyet et le doyen Batiffol
ont tour à tour proposé leur système d’explication du phénomène.
Le point de départ des processus décrits par Lerebours-Pigeonnière et
Niboyet est identique : la règle de conflit française ayant désigné un droit
étranger, l’on doit consulter son droit international privé afin de déterminer
s’il accepte ou non l’offre de compétence qui lui est faite. Mais une fois la
réalité du conflit négatif établie, les solutions divergent. Selon Lerebours-
Pigeonnière, le refus qu’oppose à notre offre le droit international privé étran-
ger nous oblige à modifier notre conception du rattachement et à découvrir un
règlement subsidiaire qui traduise la communauté de vue que notre règlement
principal ne reflète pas (Lerebours-Pigeonnière, Précis, 3e éd., no 259; Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 207). Il y aura donc élaboration
d’une règle de conflit française de second rang. Par exemple la loi nationale
se déclarant incompétente, il sera fait application de la loi du domicile. Pour
Niboyet, toutes les fois que la loi étrangère désignée par notre règle de conflit
refuse de s’appliquer au cas envisagé « notre compétence doit s’y étendre en
vertu de l’ordre public parce qu’il n’est pas possible qu’une situation juridi-
que possédant quelque attache avec la France demeure sans réglementation »
(Traité, t. III, no 1016, p. 480 et note, S. 1942. 1. 73). C’est dire que le résultat
sera beaucoup plus brutal. Au lieu d’élaborer dans chaque matière une règle
de conflit adéquate, il sera fait application immédiatement de la lex fori.
La conception de Henri Batiffol procède d’un esprit tout différent. Selon
lui, en édictant son règlement des conflits le législateur français prévoit sa
coordination éventuelle avec les dispositions de droit international privé
étrangères. À cet effet, la règle de conflit française désigne d’abord le droit
interne étranger et ensuite la règle de conflit étrangère en vue de sa possible
articulation avec le système français (Batiffol et Lagarde, t. I, no 304). Celle-ci
se résoudra par une « mise bout à bout » de la règle de conflit française et
de la règle de conflit étrangère qui conserve son caractère étranger (Frances-
cakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en dr. int. privé, 1958,
p. 73, no 69).

7 La diversité de ces conceptions n’est pas sans conséquences sur le régime


positif du renvoi. Ainsi selon que prévaudra l’une ou l’autre de ces analyses, le
rôle de la Cour de cassation ne sera pas le même. Si l’on considère à l’instar du
doyen Batiffol la règle de renvoi comme une règle étrangère, son interprétation
échappera au contrôle de la Cour de cassation. Si au contraire on l’analyse
avec Lerebours-Pigeonnière en une règle subsidiaire française, son application
se fera sous le contrôle de celle-ci (Batiffol et Lagarde, t. I, no 310; Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 210). De même, l’hypothèse du
16 DE MARCHI — CASS., 7 MARS 1938 149

renvoi au second degré ne se posera en tant que telle que dans la conception du
renvoi coordination (Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, loc. cit.).
Or, à ce double égard, l’arrêt de Marchi apporte, ainsi qu’on la vu, d’utiles
précisions. La Cour de cassation y décide en effet que la règle de conflit ren-
voyant au droit français est une règle étrangère dont l’interprétation échappe à
son contrôle; elle y affirme également le principe du renvoi au second degré.
Le test étant sur ces deux points favorable à la conception développée par le
doyen Batiffol, il est possible d’en déduire que celle-ci rend seule compte de
la jurisprudence. Cette conclusion est, au demeurant, confortée par la formule
utilisée par la Cour de cassation un an plus tard dans l’arrêt Birchall (Req.
10 mai 1939, S. 1942. 1. 73, note Niboyet). Il y est en effet précisé à propos
du divorce de deux époux anglais domiciliés en France que « la loi française
de droit international privé relative à l’état et à la capacité des personnes, telle
qu’elle s’exprime dans l’article 3 du Code civil ne subit aucune atteinte par
l’effet du renvoi qui est fait à la loi interne française par la disposition de
droit international privé de la loi étrangère normalement compétente pour
régir le rapport litigieux mais qui décline cette compétence ».
On ne peut au demeurant que se féliciter du choix opéré par la haute juri-
diction. Les inconvénients de la thèse de Niboyet sont, en effet, manifestes;
en préconisant un retour général et systématique à la lex fori, elle risque de
faire régir une relation juridique par la loi d’un pays qui n’a avec celle-ci que
les liens parfois fort ténus qui fondent la compétence juridictionnelle (Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 209). Quant à la conception de
Lerebours-Pigeonnière, elle se heurte à de sérieuses réserves. Certes la propo-
sition de retenir à titre subsidiaire la loi du domicile en laquelle s’incarnerait
« l’intérêt d’une protection individuelle pratique et efficace » lorsque l’État
national aurait marqué son désintérêt ne manque pas de séduction (« Observa-
tions sur la question du renvoi », Clunet 1924, p. 871 et s., spéc. p. 890). Mal-
heureusement la généralisation de cette démarche ne va pas sans difficultés.
S’il est en effet possible, en cas de récusation de la loi nationale, d’imputer au
législateur français un rattachement subsidiaire par le domicile, il est en
revanche artificiel de lui prêter tous les rattachements qui se rencontrent dans
les lois étrangères et auxquels les tribunaux français se conforment (Batiffol
et Lagarde, t. I, no 310; Aspects philosophiques du dr. int. pr., p. 310; v. aussi
Maury, « Règles générales des conflits de lois », Rec. cours La Haye, 1936,
t. III, no 197, p. 546). En définitive, seule la théorie du renvoi-coordination
rend compte du droit positif tout en lui donnant un fondement cohérent.

8 Mais quelle ampleur consentir au phénomène du renvoi ?


Retenir l’idée de coordination, c’est admettre qu’une loi pourra éventuel-
lement être appliquée hors du domaine qu’elle s’assigne : la coordination sera
tentée; mais au cas où elle conduirait à une impasse, on s’en tiendra à la loi
interne étrangère en vertu de l’idée déjà relevée que la désignation des dispo-
sitions internes du droit étranger par notre règle de conflit est première par
rapport à celle de son droit international privé. La loi interne étrangère sera
alors envisagée dans « son existence matérielle » abstraction faite de l’opinion
qu’elle se fait de son éventuelle compétence (Batiffol et Lagarde, t. I, no 312).
150 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 16

C’est dire que dans la conception française, le renvoi n’est pas vécu comme
une nécessité logique mais comme un expédient utile (Maury, cours préc.,
Rec. cours La Haye, 1986, t. III, p. 548; Derruppé, comm. préc., Trav. com. fr.
dr. int. pr. 1964-1966, p. 183 et s.).
De cette analyse doit-on déduire que le renvoi n’est reçu qu’à titre excep-
tionnel, dans des hypothèses limitativement énumérées, ou au contraire qu’il
fait figure de principe sujet à d’éventuelles dérogations ? La première concep-
tion a été développée avec force par M. Francescakis. Constatant que le renvoi
n’avait guère été admis qu’en matière de succession et de statut personnel,
dans le sens nationalité-domicile, il préconise de le cantonner à ces cas (La
théorie du renvoi, nos 249 et 271; Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Renvoi, no 46).
À cela, il a été objecté qu’« il est beaucoup plus difficile de justifier des
exceptions à un principe rejeté comme illogique, que des dérogations dans des
cas particuliers à un principe acceptable, méthode habituelle en droit » (Batif-
fol et Lagarde, t. I, no 311; sur cette méthode : Batiffol, Problèmes de base de
philosophie du droit, 1979, p. 254 et s.). L’homogénéité du droit interne,
l’harmonie internationale des solutions sont des objectifs suffisamment géné-
raux pour que l’expédient soit érigé en principe quitte à faire céder celui-ci
lorsqu’une défaillance est constatée dans un domaine précis (rappr. arrêt Lep-
pert, infra, no 70, pour les conflits transitoires étrangers). Tel est au reste
l’enseignement qui se dégage de la jurisprudence française. La Cour de cas-
sation affirme, en effet, dans l’arrêt de Marchi « le caractère en principe obli-
gatoire du renvoi », (rappr. Civ. 1re, 21 mars 2000, préc.) tout en y dérogeant
lorsqu’elle relève qu’en telle ou telle matière celui-ci ne procure pas les pro-
fits qui en justifient l’accueil par le droit commun. (Sur la question du
domaine du renvoi, v. infra, arrêt Gouthertz, no 51; Y. Lequette, Rép. Dalloz
dr. int., 2e éd., v° Renvoi, nos 34 et s.).
17
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)

8 mars 1938

(Rev. crit. 1938. 653, note Batiffol, DP 1939. 1. 17, note Nast)
Filiation. — Reconnaissance d’enfant naturel.

Une mère française a le droit imprescriptible de reconnaître son enfant


dans les formes et conditions édictées par la loi française.

(Dame Fontaine c/Époux Pulteney)

Faits. — Adrienne Fontaine naît le 2 mars 1895 à Paris; sa filiation n’est établie à
l’égard d’aucun de ses parents. Le 14 juin 1922, elle épouse le Major Pulteney, sujet
britannique, et acquiert la nationalité anglaise. Le 28 octobre 1924, soit 29 ans après sa
naissance, Adrienne est reconnue comme son enfant naturel par Antoinette Fontaine qui
lui demande une pension alimentaire. Pour sa défense, Mme Pulteney répond entre autres
choses, que la reconnaissance est nulle en vertu du droit anglais, seul compétent en
l’espèce. Les juges du premier degré, puis la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (28 oct.
1935, Rev. crit. 1938. 653), repoussent la demande d’aliments au motif suivant :
« Attendu que la loi anglaise n’autorise pas la reconnaissance des enfants naturels et
n’attribue aucun effet légal à une telle reconnaissance; — Attendu que la filiation natu-
relle, faisant partie de l’état des personnes, est régie par la loi nationale des intéressés;
— Attendu que, dans l’espèce, la constatation de cette filiation se trouve impossible,
non par le simple fait du conflit de législations, comme l’ont déclaré les premiers juges,
mais parce que seule est applicable la loi nationale de l’enfant; — Attendu que cette
solution s’impose d’autant plus dans la cause que la reconnaissance litigieuse est inter-
venue dans l’intérêt exclusif de son auteur, qui n’a poursuivi d’autre but que de se consti-
tuer un droit de créance alimentaire; — Attendu qu’ainsi, la reconnaissance du 28 octobre
1924 sur laquelle Dame Fontaine base sa demande est nulle, et de nul effet… ».
Un pourvoi est formé.

ARRÊT
(après délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur le moyen unique : — Vu les articles 3, 8 et 334 du Code civil;
— Attendu qu’une mère française ne saurait être privée du droit de reconnaître
l’enfant issu d’elle, nonobstant toute disposition contraire de la loi étrangère
dont il relève à raison de sa nationalité ; — Attendu que la Dlle Antoinette
Fontaine a, par acte du 28 octobre 1924, reconnu comme sa fille naturelle la
Dlle Adrienne Fontaine, née à Paris le 2 mars 1895 et qui, le 4 juin 1922, avait
épousé à Nice le sieur Richard Pulteney, sujet britannique; que, sur une demande
152 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 17

de pension alimentaire formée par la mère contre les époux Pulteney, demeu-
rant à Nice, l’arrêt attaqué l’en a déboutée pour cet unique motif que la loi
anglaise n’autorise pas la reconnaissance des enfants naturels et que la loi de
l’enfant étant seule applicable, l’acte de reconnaissance, sur lequel la mère fon-
dait son action, n’était pas valable; — En quoi l’arrêt, qui méconnaît le droit
imprescriptible qu’a une mère française de reconnaître son enfant dans les for-
mes et conditions édictées par la loi française, n’a pas donné de base légale à sa
décision;
Par ces motifs : — Casse.
Du 8 mars 1938. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM. Frémicourt, prem. prés.; Jules Laffon,
rapp.; Bloch-Laroque, av. gén. — MMes Texier et Marcilhacy, av.

OBSERVATIONS

1 « Embarrassant » (Batiffol, note, Rev. crit. 1938. 655), l’arrêt Fontaine le fut
incontestablement. Dérangeant les constructions des uns, confortant celles des
autres, l’ambiguïté de sa rédaction était telle que chacun parvint, malgré tout, à
le faire coïncider avec ses propres conceptions. Aussi son étude reste-t-elle
pour l’étudiant une excellente introduction aux grands courants d’idées qui,
dans le champ des conflits de lois, s’affrontaient à la veille de la seconde
guerre mondiale (I). Mais son intérêt n’est pas seulement historique; le débat
qui lui était sous-jacent a, en effet, rebondi avec les dernières réformes du droit
international privé de la famille (II).

I. La diversité des interprétations

2 En décidant qu’« une mère française ne saurait être privée du droit de recon-
naître l’enfant issu d’elle, nonobstant toute disposition contraire de la loi étran-
gère dont il relève à raison de sa nationalité », l’arrêt Fontaine permettait
les interprétations les plus contradictoires. Les magistrats avaient-ils entendu
consacrer la « solution politique » de Niboyet ou se contentaient-ils, tout en se
plaçant dans la perspective traditionnelle du règlement de conflits de lois, de
redéfinir la règle de conflit ou même, simplement, de préciser les contours de
l’ordre public ? La première interprétation était sans doute à l’époque la plus
vraisemblable. Mais, en raison de l’évolution ultérieure des esprits et des
idées, une lecture plus respectueuse des impératifs de la vie internationale devait
finalement l’emporter.
3 A. — Quelle loi appliquer lorsque le statut personnel a pour objet un rap-
port, tel le mariage ou la filiation, qui unit des personnes de nationalité
différente ? L’idée s’est peu à peu fait jour qu’il convenait de dégager une loi
du lien, loi nationale commune des époux ou à défaut loi du domicile commun
pour les effets du mariage (v. infra, arrêt Rivière, no 26), loi nationale de
l’enfant pour la filiation naturelle. Néanmoins, il a été soutenu par Niboyet que
la loi française devrait systématiquement prévaloir lorsque l’une des parties
était française. Il y aurait là « un avantage de caractère politique attaché à la
17 FONTAINE — CASS., 8 MARS 1938 153

qualité de français » qui serait le pendant du « privilège de nationalité » des


articles 14 et 15 en matière de conflit de juridictions. L’ensemble de ces dispo-
sitions découlerait « du même esprit, celui de la protection tutélaire que le
législateur doit aux nationaux » (Traité, t. V, no 1524, p. 480). On aboutirait
certes ainsi à des solutions qui ne s’harmoniseraient pas avec celles suivies
dans les pays étrangers. Mais, selon Niboyet, « à quoi bon sacrifier sans cesse
la compétence d’une loi à quelque vague et utopique mystique de l’univer-
salisme juridique. Contentons-nous de trouver des solutions bonnes pour la
France » (Traité, t. V, no 1523, p. 473).
Déjà invoquée pour expliquer l’arrêt Ferrari (supra, no 12 § 3), cette analyse
reçut un renfort appréciable de l’arrêt Fontaine. Le libellé même de l’attendu
de principe se prêtait, en effet, à une telle interprétation. Il y était rappelé que
la filiation naturelle relevait, en principe, de la loi nationale de l’enfant —
solution juridique —, mais que la mère française ne pouvait être privée de la
possibilité de le reconnaître — solution politique —. Telle fut au demeurant,
— on ne s’en étonnera pas —, l’explication proposée par Niboyet (Traité, t. V,
no 1524, p. 480).
4 À cela, on objectait les nombreux arrêts qui, précisément dans le domaine
de la filiation naturelle, avaient appliqué la loi personnelle de l’enfant étranger
à la recherche judiciaire de paternité lors même que le défendeur était français
(v. décisions citées, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Filiation, no 78). On souli-
gnait que, dans l’arrêt Ferrari comme dans l’arrêt Fontaine, la Cour de cas-
sation n’avait pas décidé que la loi française s’applique de plein droit quand
l’une des parties était française mais simplement laissé entendre qu’un Fran-
çais a toujours le droit d’invoquer la loi française quand elle lui est favorable
(Batiffol, note, Rev. crit. 1938. 656). Ainsi comprise, la jurisprudence était cri-
tiquée au motif qu’offrant à la partie française un choix qu’elle refusait à la
partie étrangère, elle plaçait « les deux plaideurs dans un état d’inégalité
choquante » (Batiffol, note, Rev. crit. 1949. 111). Les conceptions de Niboyet
se heurtaient, au demeurant, à l’hostilité de la majeure partie de la doctrine
française. Tout en considérant comme dépassé l’universalisme d’un Mancini
ou d’un Pillet, celle-ci récusait le « nationalisme politique » de Niboyet dans la
mesure où il lui paraissait entraver son légitime souci de « promouvoir les rela-
tions internationales » (Francescakis, « Perspectives du droit international
privé français actuel », RID comp. 1955. 352). En conférant à la loi française
une prépondérance non justifiée, en éliminant toute possibilité d’harmonie
internationale des solutions, la thèse de Niboyet allait directement à l’encontre
de la recherche d’un nécessaire équilibre entre les intérêts de la société natio-
nale et ceux de l’ordre international (Louis Lucas, « Le développement de la
compétence du droit français dans le règlement des conflits de lois », Études
Ripert, I, p. 271).
5 B. — Retenue par le premier avant-projet de réforme du Code civil, la pré-
dominance systématique de la loi française en cas de conflits entre plusieurs
lois nationales, fut ultérieurement condamnée de manière définitive par l’arrêt
Rivière (infra, no 26). Mais les auteurs s’étaient, sans attendre, employés à
154 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 17

redonner à l’arrêt Fontaine les rassurantes apparences de la normalité conflic-


tuelle.
Pour certains, cet arrêt aurait signifié que l’établissement volontaire de la
filiation relevait de la loi personnelle de l’auteur de la reconnaissance (Nast,
note, DP 1939. 1. 17; R. Savatier, note, DC 1944. 5. 65; « Conflit entre la loi
nationale de l’enfant et la loi nationale du père ou de la mère en matière de
filiation », Clunet 1951. 336). Mais, outre que les termes mêmes de l’arrêt s’y
prêtaient mal, on pouvait reprocher à cette interprétation de soumettre à des
lois différentes une « question substantiellement identique » (Batiffol, Traité,
4e éd., no 461). Pourquoi changer la règle de conflit, selon que la filiation est
établie par tel ou tel mode de preuve ? Seule au reste l’application de la loi
personnelle de l’enfant permettait d’assurer l’unité du statut de la filiation
(Pallard, « La filiation illégitime en droit international privé », Rev. crit. 1952,
p. 633, no 12).
Pour les autres, il y avait là une simple intervention de l’ordre public. Le droit
de la mère de reconnaître son enfant apparaissait comme une règle d’huma-
nité qui devait prévaloir contre toute loi étrangère contraire (Lerebours-
Pigeonnière, « La déclaration universelle des droits de l’homme et le droit
international privé français », Études Ripert, I, p. 264-266; Pallard, art. préc.,
Rev. crit. 1953. 354-358). Et de fait, en décidant que la loi nationale dont
relève l’enfant ne saurait priver la mère française de son droit imprescriptible
de le reconnaître, l’arrêt pouvait être compris en ce sens; il marquait bien que
l’application de la loi de l’enfant est le principe et que celui-ci est exception-
nellement battu en brèche lorsque sa mise en œuvre fait échec à un droit fon-
damental institué par la loi française (Motulsky, note, Rev. crit. 1949. 68)
(rappr. art. 8 Conv. européenne des droits de l’homme; sur les rapports entre
cette convention et l’exception d’ordre public, v. infra, no 67-69 § 11 et s.).
L’incertitude fut entretenue cependant par les décisions ultérieures. La
Cour de cassation retint, notamment dans un second arrêt Fontaine, la loi de
l’auteur (Req. 20 déc. 1943, S. 1944. 1. 60; v. aussi Civ., 17 déc. 1951, Bull.
civ. I, p. 276). Mais elle soumit finalement la reconnaissance dans une espèce
où l’auteur était français et l’enfant étranger, à la loi nationale de l’enfant
(Civ., 22 mai 1957, Henrich, Rev. crit. 1957. 466, note Batiffol, Clunet 1957.
722, note Ponsard; v. aussi Civ., 15 déc. 1964, Saclier, Rev. crit. 1965. 551,
note P. Lagarde). Ainsi, un peu moins de vingt ans après qu’il ait été rendu,
l’arrêt Fontaine semblait enfin prendre sa signification définitive : il se rédui-
sait à une intervention limitée de l’ordre public. Mais c’était compter sans le
législateur.

II. La résurgence des problèmes

6 Prédominance de la loi française, application à la reconnaissance de la loi


de son auteur, prise en compte de la nationalité des intéressés dans le déclen-
chement de l’exception d’ordre public, autant de questions agitées par l’arrêt
Fontaine et que les réformes du droit international privé de la filiation et du
divorce ont replacées au centre du débat.
17 FONTAINE — CASS., 8 MARS 1938 155

Certes, la prépondérance de la loi française a pris un tour différent de celui


que préconisait Niboyet. Avec la loi du 11 juillet 1975 un domaine exorbitant
lui est reconnu non plus par sollicitude pour les Français parties à une relation
familiale internationale mais pour les étrangers domiciliés en France; ce n’est
plus un nationalisme de protection mais d’« émancipation ». La similitude n’en
est pas moins significative, en ce qu’elle montre que le législateur n’échappe
pas à la tentation qu’exprimait la célèbre sortie du Conseiller Denis, « j’aime
mieux la loi française que la loi étrangère… ».
Mais c’est surtout à un autre égard que l’arrêt Fontaine fait figure de
précurseur : l’application de la loi de l’auteur de la reconnaissance que cer-
tains avaient cru y découvrir (v. supra, § 5), et qui avait été condamnée par
l’arrêt Henrich (préc.) est aujourd’hui consacrée par l’article 311-17 du Code
civil. Celle-ci constitue en effet avec la loi de l’enfant l’un des deux termes de
l’option de législation ouverte par ce texte. L’emploi d’une règle de conflit
alternative marque bien l’idée de faveur — et plus précisément l’idée de
faveur à l’établissement de la filiation et non à l’enfant car les deux peuvent
ne pas coïncider comme le montre l’espèce présente — qui anime le législa-
teur (sur ce point, v. arrêt Verdier, infra, no 21). Là encore l’arrêt Fontaine
apparaît prémonitoire. Le doyen Batiffol avait, en effet, proposé de l’expliquer
par une telle idée, tout en reconnaissant que « l’atmosphère » de l’arrêt n’était
guère favorable à cette analyse (note, Rev. crit. 1938. 656).
7 Cette atmosphère se révèle en revanche en parfait accord avec certains cou-
rants récents relatifs à l’exception d’ordre public. Au moins dans le domaine
du statut personnel, il a été suggéré de faire varier l’intensité de l’ordre public
en fonction de la nationalité des intéressés; la contrariété à l’ordre public serait
appréciée plus ou moins sévèrement selon que certaines des personnes parties
au litige auraient ou non la nationalité française. Approuvée par certains
(P. Lagarde, note Rev. crit. 1980. 79; « Le principe de proximité en droit inter-
national privé contemporain », Rec. cours La Haye, 1986, t. I, p. 109 et s.,
no 103), cette démarche a été critiquée par d’autres au motif que l’ordre public
en sortirait entaché d’un « relativisme » et d’un « subjectivisme » excessifs
(H. Gaudemet-Tallon, note Rev. crit. 1980. 97; v. aussi Ponsard, note Rev. crit.
1971. 505). Les juridictions françaises y ont parfois eu recours. C’est ainsi
qu’à l’occasion d’une action en recherche de paternité, introduite par un enfant
français contre un prétendu père français résidant l’un et l’autre en France,
mais soumise à la loi algérienne en raison de la nationalité de la mère
(art. 311-14, C. civ.), le Tribunal de grande instance de Paris a décidé que cette
loi était contraire à l’ordre public français en ce qu’elle interdisait tout mode
d’établissement de la filiation (TGI Paris, 13 févr. 1979, Rev. crit. 1980. 79,
note P. Lagarde; rappr. TGI 23 nov. 1993, Rev. crit. 1995. 703, note Jacques
Foyer). Quant à la haute juridiction, elle a usé à plusieurs reprises de cette
démarche (v. par ex. en matière de divorce, Civ. 1re, avr. 1981, de Itturalde de
Pedro, Clunet 1981. 812, note D. Alexandre; en matière de polygamie, Civ. 1re,
6 juill. 1988, Baaziz, Rev. crit. 1989. 71, note Y. Lequette), mais elle l’avait
d’abord écartée en matière de filiation dans une espèce qui semblait pourtant
particulièrement s’y prêter : à une mère algérienne au jour de la naissance de
156 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 17

l’enfant mais devenue française en cours d’instance et domiciliée en France,


ayant agi en recherche de paternité naturelle, au nom de son enfant lui-même
français d’origine, contre un prétendu père domicilié en France et de nationa-
lité française, il fut opposé que la loi algérienne, compétente en vertu de
l’article 311-14 du Code civil n’est pas contraire à l’ordre public, la seule exi-
gence posée par celui-ci étant « d’assurer à l’enfant les subsides qui lui sont
nécessaires » (Civ. 1re, 3 nov. 1988, Rev. crit. 1989. 495, note Jacques Foyer,
Clunet 1989. 703, note F. Monéger; v. aussi Y. Lequette, note Rev. crit. 1989.
74 et s.). Cependant, revenant ensuite sur sa position, la Première chambre
civile a jugé dans un arrêt du 10 février 1993 que « si les lois étrangères
qui prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont, en principe, pas
contraires à l’ordre public international, il en est autrement lorsque ces lois ont
pour effet de priver un enfant français ou résidant habituellement en France du
droit d’établir sa filiation » (Rev. crit. 1993. 622, note Jacques Foyer, Clunet
1994. 124, note I. Barrière-Brousse, D. 1994. 66, obs. Massip, Som. com. p. 32,
obs. Kerckhove; v. aussi Paris 13 janv. 2000, D. 2000. 898, note S. Aubert;
Civ. 1re, 10 mai 2006, Enfant Léana-Myriam, JCP 2006. IV. 2216, D. 2006, IR,
p. 1481. Sur l’ordre public de proximité, v. R. Libchaber, « L’exception d’ordre
public en droit international privé », in L’ordre public à la fin du XXe siècle,
1996, p. 65 et s., spéc. p. 75 et s.; P. Courbe, « L’ordre public de proximité »,
Mélanges Paul Lagarde, 2005, p. 227).
Quelqu’opinion qu’on puisse en avoir, on constate que cette tendance était
déjà inscrite dans l’arrêt Fontaine. Mais — une fois n’est pas coutume — les
auteurs ne l’y avaient pas décelée.
18
COUR DE CASSATION
(Ch. civ.)
19 juin 1939
(DP 1939. 1. 97, note L. P., S. 1940. 1. 49, note Niboyet,
Rev. crit. 1939. 481, note Niboyet)
Succession mobilière. — Loi applicable. —
Loi du dernier domicile du défunt.

D’après l’ancienne règle, toujours subsistante, les meubles héréditaires


étant réputés exister au lieu d’ouverture de la succession, leur dévolution
est régie par la loi du dernier domicile du défunt.

(Labedan c/Veuve Labedan)

Faits. — Jean Labedan, de nationalité espagnole, avait vécu dès son plus jeune âge
en France. Il y décéda le 21 décembre 1931, laissant son épouse instituée légataire uni-
verselle par un testament authentique reçu par un notaire français, ainsi que sa mère,
héritière réservataire tant au regard du droit français que du droit espagnol. Celle-ci
étant morte avant que la succession ne fût liquidée, Alfred Labedan, le frère du de cujus,
contesta la qualité de légataire universelle de la veuve. À cet effet, il invoquait l’arti-
cle 814 du Code civil espagnol qui disposait qu’une institution de légataire universel est
nulle si le testateur a omis de mentionner ses héritiers réservataires en ligne directe. Or
Jean Labedan avait légué son patrimoine à sa femme, sans même faire allusion à sa
mère. Partant, valable au regard du droit français, le legs était nul selon le droit espa-
gnol. Par un jugement du 16 janvier 1933, le Tribunal civil de Bayonne trancha le
conflit de lois en faveur de la loi espagnole et prononça la nullité du legs universel des
meubles. Son argumentation était double : 1° L’article 814 du Code civil espagnol est
une loi d’état et de capacité qui appartient au statut personnel. 2° Le domicile acquis en
France par Labedan n’étant pas autorisé par décret n’est pas un domicile légal. Sur
appel, la Cour de Pau, par un arrêt du 19 mars 1934, déclara le testament valable au
motif que l’article 814 du Code civil doit être rattaché à la matière successorale qui
obéit à la loi du dernier domicile du défunt et non à sa loi nationale. Or depuis que
l’article 13 du Code civil a été abrogé par la loi du 10 août 1927, il n’est, selon la Cour,
« pas douteux qu’un étranger peut y avoir un domicile au sens juridique attaché à ce
terme par l’article 102 du Code civil ».
Un pourvoi fut formé, fondé non sur l’article 3 du Code civil mais sur l’article 11.
Voici la réponse de la Cour de cassation.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que la Cour de Pau (arrêt du
19 mars 1934) a déclaré valable la disposition du testament de Jean Labedan qui
institue sa femme légataire universelle et omet de mentionner l’héritier réserva-
158 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 18

taire, faisant application à la dévolution de la succession mobilière du défunt de


la loi française, loi de son dernier domicile, sans avoir égard à l’article 814 du
Code civil espagnol; — Attendu que le sieur Alfred Labedan fait grief à l’arrêt
attaqué d’avoir pris en considération, pour déterminer la loi applicable à la pro-
tection de la réserve de la succession mobilière, le domicile de Jean Labedan,
sujet espagnol ne bénéficiant pas d’une réciprocité diplomatique, alors que, les
lois sur les successions faisant partie des droits civils, la dévolution de la succes-
sion mobilière des étrangers doit, en vertu de l’article 11 du Code civil, être
régie par leur loi nationale; — Mais attendu que le droit de succéder n’est pas
en France un droit civil au sens de l’article 11 du Code civil, l’article 1er de la loi
du 14 juillet 1819 ayant abrogé les articles 726 et 912 du Code civil et accordé
aux étrangers le droit de disposer de leur succession de la même manière que les
Français; — Attendu, d’autre part, que l’article 11 ne détermine pas les lois
applicables en droit international privé et a pour objet unique de refuser aux
étrangers la jouissance de certains droits qualifiés droits civils, sous réserve
d’une réciprocité diplomatique; — Attendu que, d’après l’ancienne règle, tou-
jours subsistante, les meubles héréditaires sont réputés exister au lieu d’ouver-
ture de la succession et qu’en conséquence leur dévolution est régie par la loi du
dernier domicile du défunt; — Attendu, dès lors, que la loi nationale (loi du
domicile d’origine) ne pourrait être substituée à la loi du dernier domicile que si
un texte particulier refusait au défunt la jouissance des effets de son établis-
sement en France; — Attendu que l’institution de l’admission des étrangers à
domicile par décret a eu une telle conséquence sous l’empire du droit antérieur,
mais qu’à la date de la transmission de la succession de Jean Labedan, posté-
rieure à l’abrogation de l’article 13 du Code civil par la loi du 10 août 1927, le
domicile du défunt avait cessé d’être privé de l’effet qui lui est contesté par le
pourvoi; — D’où il suit qu’en statuant comme il l’a fait, l’arrêt attaqué n’a pas
violé les textes visés au moyen;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 19 juin 1939. — Cour de cassation (Ch. civ.). — MM.Frémicourt, prem. prés.; Paul Lerebours-
Pigeonnière, rapp.; Chartrou, av. gén. — MMes Labbé et Lemanissier, av.

OBSERVATIONS
1 Bien qu’exprimant une des solutions les plus sûres de notre Ancien droit,
l’application de la maxime Mobilia sequuntur personam aux successions
mobilières reposait sur un fondement incertain. À la faveur des réformes issues
du Code civil, cette incertitude gagna la solution elle-même. C’est le mérite de
l’arrêt Labedan de l’avoir dissipée en renouant fermement avec la tradition (I)
et en essayant d’en préciser l’assise (II).

I. Mobilia sequuntur personam


2 Envisagée par le projet de l’an VIII (1), la question du conflit des lois rela-
tif aux successions mobilières fut, en définitive, délibérément ignorée par les

(1) La commission de rédaction du Code civil, constituée le 24 thermidor an VIII, avait déposé
quatre mois plus tard un projet de livre préliminaire du code comportant un article 5 dont le
2e alinéa était ainsi conçu : « Son mobilier (du Français) est réglé par la loi française comme sa
personne ».
18 LABEDAN — CASS., 19 JUIN 1939 159

rédacteurs du Code civil. Effrayés par la complexité d’un problème dont ils
sentaient qu’ils ne le maîtrisaient pas, ils eurent la sagesse de s’abstenir
(v. Lainé, « La rédaction du Code civil et le sens de ses dispositions en droit
international privé », Rev. dr. int. 1905, p. 21-60, 443-479); bel exemple d’humi-
lité législative dont on regrettera que la période récente n’ait pas donné plus
d’illustration. L’article 7 de la loi du 30 ventôse an XII ne déclarant abrogés
que les lois, ordonnances, coutumes et statuts ayant pour objet des matières
visées par le Code civil, cette carence avait pour conséquence, comme le rap-
pelle d’ailleurs l’arrêt, le maintien de l’état de droit antérieur. Celui-ci était,
dès avant le XVIe siècle, exprimé par l’adage Mobilia sequuntur personam,
dont la signification restait, malgré sa célébrité, controversée. Pour Dumoulin,
la succession tout entière devait rentrer dans le statut réel quelle que soit la
nature des biens qui la composent. Simplement, en raison de l’absence
d’assiette fixe, les meubles étaient réputés localisés fictivement au domicile du
défunt. Pour d’Argentré, les meubles dépourvus de situation, réelle ou fictive,
s’incorporaient à la personne de leur auteur. De là, l’idée que la loi du domicile
qui régissait la personne, embrassait les successions mobilières. Chacune de
ces interprétations recueillit un nombre à peu près égal de suffrages de telle
sorte qu’il était, à la veille de la révolution, difficile de déterminer celle qui
représentait l’opinion dominante. Au demeurant, sans être totalement acadé-
mique — puisqu’en cas de conflit mobile la première interprétation conduisait
à la loi du domicile actuel, la seconde à la loi du domicile d’origine —, cette
discussion ne présentait à l’époque qu’un intérêt restreint. Mais en soumettant
le statut personnel à la loi nationale, l’article 3, alinéa 3 du Code civil devait
renouveler profondément les termes du problème : alors que la qualification
statut réel signifiait le maintien des solutions antérieures, l’analyse en termes
de statut personnel impliquait désormais l’application de la loi nationale du
défunt.
3 Non sans quelques tâtonnements (sur lesquels, v. Freyria, La loi applicable
aux successions mobilières en droit international privé français, thèse Lille,
1946, p. 153 et s.), la jurisprudence de l’époque, marquée par un retour au
vieux dogme de la réalité du droit, se prononça pour l’analyse de Dumoulin.
Les successions immobilières furent soumises à la lex rei sitae (v. supra, arrêt
Stewart, no 3), les successions mobilières à la loi du dernier domicile du
défunt. Du moins, cette dernière solution fut-elle posée clairement lorsque le
de cujus, étranger (Civ., 22 mars 1865, Prince Ghyka, D. 1865. 1. 127) ou fran-
çais (Civ., 27 avr. 1868, Jeannin, S. 1868. 1. 257), était domicilié à l’étranger.
En revanche une incertitude subsistait au cas où, étranger, il résidait en France;
elle provenait de l’article 13 du Code civil qui disposait : « l’étranger qui aura
été admis par le gouvernement à établir son domicile en France y jouira de
tous les droits civils tant qu’il continuera d’y résider ». Suffisait-il pour que
l’étranger soit considéré comme ayant son domicile en France qu’il y ait fixé
son principal établissement ou fallait-il en outre qu’il ait obtenu l’autorisation
du gouvernement ? En d’autres termes, le domicile visé par la règle de conflit
relative aux successions mobilières était-il le domicile de fait ou le domicile de
droit ? La question était importante puisque dans le second cas, en l’absence
160 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 18

d’autorisation, la succession était régie par la loi du pays d’origine du de


cujus; l’expérience montra, en effet, que les étrangers établis pendant de lon-
gues années en France n’avaient pas eu antérieurement d’autre établissement à
l’étranger que leur domicile d’origine situé dans le pays où ils étaient nés et
dont ils étaient les ressortissants. Plusieurs raisons militaient en faveur du
choix du domicile de fait. En premier lieu, l’idée de concentration des meubles
au domicile du défunt qui fondait la règle de conflit perdait toute apparence de
réalisme lorsque le domicile était déterminé en faisant abstraction de l’établis-
sement effectif du de cujus; la solution était particulièrement absurde dans le
cas de la Française, née en France et y ayant toujours vécu, qui épousait un
étranger, continuait d’y résider et y décédait : devenue étrangère en raison de
son mariage, elle se voyait attribuer un domicile de droit dans un pays où elle
n’était jamais allée ! En second lieu, l’article 13 du Code civil était étranger à
la question. Son but n’était pas, en effet, d’indiquer les conditions auxquelles
un étranger pouvait avoir un domicile en France, mais celles auxquelles il pou-
vait y jouir des droits civils qui lui étaient en principe, sauf réciprocité diplo-
matique, refusés (v. infra, no 20). Or en supprimant le droit d’aubaine, la loi du
14 juillet 1819 avait accordé aux étrangers la jouissance du droit de transmet-
tre et de recueillir une succession. En réalité, pour rendre sa cohérence au rai-
sonnement, il fallait qualifier de droit civil la jouissance d’un domicile en
France en tant qu’elle détermine l’application de la loi française à la dévolu-
tion de la succession mobilière d’un étranger (Lerebours-Pigeonnière, note
DP 1939, 1, 99; Freyria, op. cit., p. 228 et s.). Singulière complication ! Mal-
gré cela, la Cour de cassation se prononça dans l’arrêt Melizet (Civ., 12 janv.
1869, S. 1869. 1. 138) puis dans les nombreuses décisions auxquelles donna
lieu l’affaire Forgo (supra, no 7-8) pour l’application de la loi du domicile de
droit. Il est vrai que la rigueur de cette solution était doublement atténuée :
d’une part, la compétence internationale des tribunaux français restait com-
mandée par la présence du domicile de fait du défunt en France (Req. 7 juill.
1874, Specht, S. 1875. 1. 19, DP 75. 1. 271 et infra, no 37 § 3 et s.); d’autre
part, l’admission du renvoi leur permettait d’appliquer la loi française, loi du
domicile de fait, lorsque tel était le rattachement retenu par la loi du pays
d’origine du de cujus (v. supra, nos 7 et 8).
Bien que la Cour de cassation ait encore parfois, à cette époque, fait réfé-
rence à la qualification statut réel (Req. 31 mars 1874, Sebaoum, D. 1874.
1. 299), le progrès de la doctrine de la personnalité des lois qui marqua les
trente dernières années du XIXe siècle (v. H. Donnedieu de Vabres, L’évolution
de la jurisprudence française en matière de conflit de lois, thèse Paris, 1905,
p. 385), contribua à infléchir la jurisprudence ainsi qu’à en renouveler la
signification. Très peu d’étrangers bénéficiant de l’admission à domicile, sur-
tout lorsqu’à partir de la loi du 26 juin 1889 le bénéfice de cette institution fut
réservé aux candidats à la naturalisation, certaines décisions en vinrent à
énoncer que la succession mobilière de l’étranger non admis à domicile était
régie par la loi nationale du défunt (Civ., 8 mars 1909, Grech, DP 1909.
1. 305, note Nast, S. 1909. 1. 65, note Lyon-Caen, Clunet 1909. 780); ainsi
faisait-on l’économie du laborieux raisonnement qui précisait que la loi
personnelle du défunt intervenait à titre de loi du domicile de celui-ci faute
18 LABEDAN — CASS., 19 JUIN 1939 161

d’acquisition d’un domicile de droit en France. Il est vrai que le triomphe de


la loi nationale était loin d’être total puisque dans le même temps la succes-
sion du Français ainsi que celle de l’admis à domicile ou de l’apatride res-
taient régies par la loi de leur domicile (v. décisions citées par Freyria, op. cit.,
p. 192 et s.).

4 En supprimant l’admission à domicile, la loi du 10 août 1927 obligeait à


choisir; l’étranger acquérant un domicile en France dans les mêmes conditions
qu’un Français, la compétence de la loi nationale ne pouvait plus être affirmée
par le détour de l’absence de domicile de droit du de cujus sur notre territoire.
Des flottements certains s’étant fait sentir dans la jurisprudence des cours infé-
rieures, la haute juridiction saisit l’occasion que lui offrait l’affaire Labedan
pour préciser sa position. La loi française ayant été appliquée à la dévolution
de la succession d’un Espagnol établi en France, le pourvoi critiquait cette
solution et demandait que la succession fût soumise à la loi nationale du
défunt. Pour justifier cette prétention, il s’était placé sur un « bien mauvais
terrain » (Niboyet, note, S. 1940. 1. 50), celui de la condition des étrangers. Il
soutenait, en effet, que les étrangers ne jouissent pas en France du droit civil
qui leur est refusé par l’article 11 du Code civil, de voir leur succession liqui-
dée conformément à notre loi successorale. Quoique fréquente (v. supra, arrêt
Busqueta, no 1 § 3), la confusion était manifeste entre la condition des étran-
gers et le conflit de lois. La Cour de cassation la dénonça en termes excellents :
« L’article 11 ne détermine pas les lois applicables en droit international privé
et a pour objet unique de refuser aux étrangers la jouissance de certains droits
civils sous réserve d’une réciprocité diplomatique ».
En dépit de la qualité de cette proposition, l’arrêt n’aurait cependant pas
connu une telle célébrité si, dépassant le cadre étroit du pourvoi, la Cour n’en
avait pas profité pour énoncer la règle de conflit applicable aux successions
mobilières : « Attendu que d’après l’ancienne règle, toujours subsistante, les
meubles héréditaires sont réputés exister au lieu d’ouverture de la succession
et qu’en conséquence leur dévolution est régie par la loi du dernier domicile
du défunt ». Etaient ainsi précisés tout à la fois le rattachement, le dernier
domicile du défunt, ainsi que son fondement, la fiction de concentration des
meubles en ce lieu. C’est dire que dans la tradition coutumière à laquelle il se
réfère d’ailleurs expressément, l’arrêt Labedan choisit la conception de
Dumoulin. Réaffirmée ensuite à de nombreuses reprises (v. par ex., Crim., 4 juin
1941, Szlapka, DC 1942. J. 4, note Nast, S. 1944. 1. 133, note Batiffol, JCP
1942. II. 2017, note J. Maury; Civ., 13 nov. 1951, Rev. crit. 1952. 323, Clunet
1953. 662; 19 juin 1963, Rougeron, Rev. crit. 1965. 366, note Loussouarn,
Clunet 1964. 55, note Sebag; 17 juill. 1963, Bull. civ. I, no 344; 22 déc. 1970,
Dlle Bonnevide, Rev. crit. 1972. 467, note A. P.; 3 mai 1973, Stroganoff-
Scherbatoff, infra, no 52; Civ. 1re, 19 juill. 1976, Mebtouche, Rev. crit. 1978.
338, note B. Ancel; Civ. 1re, 15 févr. 1983, Eckensberger, Rev. crit. 1983. 645,
note B. Ancel; Civ. 1re, 18 mai 2005, Bentchikou, Rev. crit. 2005. 639, note
B. Ancel), cette solution l’a parfois été dans des termes qui ont conduit la
doctrine à s’interroger sur le maintien du fondement traditionnel.
162 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 18

II. Le fondement de la solution

5 Décider que les successions mobilières sont régies par la loi du dernier
domicile du défunt parce que « les meubles héréditaires sont réputés exister au
lieu d’ouverture » de celles-ci a l’avantage d’unifier le système de la loi appli-
cable aux successions : qu’elle ait pour objet des meubles ou des immeubles,
l’hérédité relève du statut réel. Malheureusement cette conception présente
l’inconvénient de reposer sur une fiction : les meubles sont supposés sis au
domicile abstraction faite de leur situation effective. Aussi bien, cette explica-
tion a-t-elle été vigoureusement critiquée par la doctrine moderne. Certes les
fictions ont parfois leur utilité (v. Gény, Science et technique en droit privé
positif, t. II, nos 245 et s; Ripert, Les forces créatrices du droit, no 144, p. 353),
mais en la circonstance les raisons qui peuvent motiver leur emploi ne se
retrouvent guère. La maxime mobilia sequuntur personam étant en tout état de
cause applicable aux successions mobilières, il ne s’agit pas d’étendre les dis-
positions d’une règle de droit préalablement formulée à une situation juridique
nouvelle qui ne rentrerait pas dans son domaine d’application et que l’équité
commanderait d’assimiler aux situations normalement soumises à celle-ci
(Freyria, op. cit., p. 108). La fiction a, ici, pour seule fonction de fournir à la
solution une justification a posteriori. Or, a-t-on souligné, la solution peut
s’expliquer sans qu’il soit besoin de recourir à un tel « travestissement
juridique ». C’est ainsi que le doyen Batiffol a suggéré que la succession obéi-
rait à la loi du dernier domicile du défunt parce qu’elle serait « toute entière la
conséquence du fait juridique que constitue le décès » (Batiffol et Lagarde,
t. II, no 637). Son argumentation se développe ainsi : selon la conception de
Savigny, il convient de rechercher le siège du rapport de droit. Or la succession
résulte du fait juridique qu’est le décès. Il est donc légitime de soumettre les
successions à la loi du lieu de ce fait juridique, c’est-à-dire à la loi du dernier
domicile du défunt puisque c’est là que s’ouvre la succession. Cette proposi-
tion pleine de séduction a rencontré un large écho en doctrine. L’emploi par
certains arrêts de l’expression « loi du lieu d’ouverture de la succession » aux
lieu et place de « loi du dernier domicile » a pu être interprété comme le signe
d’une certaine adhésion de la jurisprudence (Crim., 4 juin 1941, Szlapka, préc.,
et la note de Batiffol au S. 1944. 1. 133). Néanmoins il a été objecté à cette
analyse qu’elle n’appréhendait par le phénomène successoral dans sa pléni-
tude. En effet, si la succession a bien sa source dans le décès, elle n’est pas que
cela; elle est « l’ensemble des opérations juridiques rendues nécessaires » par
celui-ci (J. Héron, Le morcellement des successions internationales, thèse
Caen, éd. 1986, p. 108, no 127).
6 En réalité si dépassant les divers habillages dont on essaie de la revêtir, on
entreprend de remonter à la raison d’être véritable de cette règle, on découvre
une grande concordance des analyses. Ainsi Boullenois, approfondissant la
proposition de Dumoulin, soulignait que les meubles héréditaires forment une
masse, une entité, un tout doté, alors même qu’ils seraient dispersés en plu-
sieurs lieux, d’une assiette fixe au domicile du de cujus parce qu’il faut sauve-
garder l’unité de la loi applicable (De la personnalité et de la réalité des lois,
18 LABEDAN — CASS., 19 JUIN 1939 163

coutumes et statuts, 1766). Quant au doyen Batiffol, il relève que « la succes-


sion, au moins mobilière, doit être dévolue et liquidée comme une unité »
(note préc.). On constate ainsi à nouveau combien la structure-même du droit
des successions commande le règlement du conflit des lois. Ainsi qu’on l’a
déjà relevé (arrêt Stewart, supra, no 3 § 9), celui-ci doit prendre en compte
l’existence d’une liaison horizontale : la succession ayant pour objet la trans-
mission non de biens considérés isolément mais d’une universalité comportant
un actif et un passif, un règlement satisfaisant ne paraît pouvoir être assuré que
par une solution qui en respecte l’unité (v. le motif de l’arrêt Szlapka, préc. :
« Attendu qu’en matière de succession mobilière la dévolution des meubles
héréditaires et les institutions qui se rattachent à la dévolution sont régies par
la loi du lieu d’ouverture de la succession »). Certes, il existe également une
liaison verticale dont on a vu qu’elle conduit au morcellement de la succession
en autant de masses qu’il y a de biens situés dans des pays différents. Mais,
essentielle pour les immeubles, cette considération n’est plus que secondaire
pour les meubles. L’emprise de la loi réelle est, en effet, moins forte sur ceux-
ci : en déplaçant les meubles héréditaires, le successeur peut toujours faire
coïncider lex rei sitae et loi successorale; en outre soumettre les meubles héré-
ditaires à la loi de leur situation effective, ce serait accroître considérablement
les inconvénients inhérents au morcellement. Partant, l’utilité d’une loi unique
pour la liquidation de l’ensemble de la succession devient pour les meubles,
comme le relèvent MM. Batiffol et Lagarde (t. II, no 638), plus pressante que
celle d’une loi unique pour la transmission de chaque bien. Encore faut-il la
déterminer. À cet égard, la loi du dernier domicile du défunt présente des méri-
tes supérieurs à ceux de sa loi nationale. Même si elle n’est pas exempte d’une
part de fiction, elle exprime mieux que ne le ferait la loi nationale, la localisa-
tion effective des intérêts patrimoniaux du de cujus. Dans la plupart des suc-
cessions, les meubles héréditaires sans être en totalité localisés dans le pays du
domicile du défunt y sont du moins situés dans leur plus grand nombre, ce qui
favorise la concordance de la lex rei sitae et de la lex successionis. La loi du
dernier domicile du défunt constitue donc pour les successions mobilières,
selon l’expression de Jacques Héron (op. cit., no 246, p. 197), « le meilleur
compromis possible ».
19
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., sect. civ.)

25 mai 1948

(Rev. crit. 1949. 89, note Batiffol, D. 1948. 357, note P. L.-P.,
S. 1949. 1. 21, note Niboyet, JCP 1948. II. 4532, note Vasseur)
Responsabilité civile délictuelle. — Loi applicable. —
Loi étrangère. — Charge de la preuve. — Ordre public. — Définition.

La loi compétente pour régir la responsabilité civile extra-contractuelle


est la loi du lieu où le délit a été commis.
C’est au demandeur en réparation et non au défendeur qui en invoque
la compétence qu’incombe la charge de la preuve du droit étranger applica-
ble à la réparation d’un accident survenu à l’étranger.
Les dispositions étrangères de responsabilité civile délictuelle ne sont
pas contraires à l’ordre public international français par cela seul qu’elles
diffèrent des dispositions impératives du droit français mais uniquement
en ce qu’elles heurtent des principes de justice universelle considérés dans
l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue.

(Lautour c/Veuve Guiraud)

Faits. — À la suite d’une collision avec un train, survenue en Espagne, un camion


d’essence appartenant à un citoyen français, M. Lautour, que conduisait son préposé, de
même nationalité, explose. M. Guiraud, également français, qui pilotait un second camion
pour le compte d’une autre entreprise française, est tué dans l’accident.
Madame Guiraud obtient de l’employeur de son mari la réparation forfaitaire prévue
par la loi française sur les accidents du travail; estimant que son préjudice n’est pas inté-
gralement réparé, elle assigne Lautour devant le tribunal français de son domicile, sur le
fondement de l’article 15 du Code civil. En première instance, elle invoque les arti-
cles 1382 et 1384 al. 1er du Code civil, en appel l’article 1384 al. 1er seul. Aucune faute
n’est en effet alléguée à l’encontre du préposé conducteur du véhicule, la collision étant
survenue de nuit en un lieu où il n’y avait pas de passage à niveau. La Cour d’appel de
Caen, par arrêt du 15 juin 1943, a condamné le gardien du camion par application de
l’article 1384 al. 1, écartant la thèse de la défense qui soutenait que la loi espagnole du
lieu du délit était compétente.
Un pourvoi est formé par M. Lautour.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Vu l’article 3 du Code civil; — Attendu
qu’en droit international privé la loi territoriale compétente pour régir la res-
19 LAUTOUR — CASS., 25 MAI 1948 165

ponsabilité civile extra-contractuelle de la personne qui a l’usage, le contrôle et


la direction d’une chose, en cas de dommage causé par cette chose à un tiers, est
la loi du lieu où le délit a été commis; — Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué
que le camion d’essence appartenant à l’entrepreneur français Lautour, conduit
par son employé, est entré en collision en Espagne avec un train qui coupait la
route et a explosé, que le chauffeur français d’un second camion, appartenant à
un autre entrepreneur français, se trouvant à proximité, a été atteint et est
décédé à la suite de l’accident; que la veuve de la victime, en son nom et au
nom de son fils mineur, après avoir assigné Lautour devant le tribunal français
de son domicile, conformément à l’article 15 du Code civil, lui a demandé répa-
ration par application des articles 1382 à 1384 du Code civil, puis, n’ayant pu
établir la faute ou l’imprudence du gardien de la voiture, a restreint sa demande
à l’application de l’article 1384 devant les juges du second degré; — Attendu
que Lautour a conclu que la demande, irrecevable en tant qu’elle était fondée
sur la loi française, n’était pas justifiée, alors que la loi espagnole du lieu du
dommage, seule compétente en vertu du règlement français du conflit des lois,
l’affranchissait de toute présomption d’inexécution d’une obligation légale de
garde; — Attendu que l’arrêt attaqué condamne Lautour par application du
Code civil français, alléguant d’abord le lien contractuel créé entre les intéressés
par la loi de 1898, en second lieu le fait que l’exécution de la condamnation
devait intervenir en France, enfin la circonstance que Lautour, invoquant la com-
pétence de la loi espagnole, n’a pas rapporté la preuve des dispositions de ce
droit qui l’affranchissent de responsabilité; — Mais attendu que la responsabi-
lité délictuelle du tiers gardien de la chose est indépendante tant de la répara-
tion forfaitaire qui peut être due à la victime par son propre employeur que de
la nationalité des intéressés et du lieu d’exécution de la décision à intervenir, et
qu’elle relève de l’ordre juridique interne du pays dans lequel le gardien use de
la chose et en exerce la direction; — Attendu que vainement la défense allègue
le caractère impératif de l’article 1384, l’ordre public interne français n’ayant à
intervenir qu’au regard du fait des choses utilisées en France au moment de
l’accident, sous la seule réserve de principes de justice universelle considérés
dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue, princi-
pes non mis en cause dans l’espèce; — Attendu enfin qu’il n’appartenait pas aux
juges du fond de déplacer le fardeau de la preuve et de soustraire au contrôle
de la Cour de cassation leur décision relative au règlement du conflit, en repro-
chant subsidiairement au défendeur à l’instance l’ignorance où il les aurait lais-
sés des dispositions précises du droit espagnol capables de justifier ses alléga-
tions, alors que la victime, demanderesse en réparation, à laquelle incombait la
charge de prouver que la loi applicable lui accordait les dommages-intérêts
réclamés, ne contestait pas l’interprétation du droit espagnol affirmée par son
adversaire et restreignait le débat à la compétence de l’article 1384 du Code
civil français; — D’où il suit qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel a
violé le texte de loi ci-dessus visé;
Par ces motifs : — Casse.

Du 25 mai 1948. — Cour de cassation (Ch. civ., sect. civ.). — MM. Mongibeaux, prem. prés.; Paul Lerebours-
Pigeonnière, rapp.; Rateau, f. f. av. gén. — MMes Labbé et Lemanissier, av.

OBSERVATIONS

1 S’il est une décision qui mérite l’appellation d’arrêt de principe, c’est sans
aucun doute l’arrêt Lautour. Néanmoins plus encore que les solutions énon-
166 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 19

cées, ce qui frappe aujourd’hui dans cette décision c’est son caractère éminem-
ment pédagogique. Tous les aspects du cheminement conflictuel y sont en
effet évoqués : désignation du droit applicable avec l’énoncé de la règle de
conflit relative à la responsabilité civile extra-contractuelle (I), mais aussi appli-
cation du droit désigné avec la preuve de la loi étrangère et l’exception d’ordre
public (II). De plus, l’arrêt d’appel ayant sur certaines de ces questions quel-
que peu malmené les principes, la haute juridiction y rappelle, sous la plume
experte de Lerebours-Pigeonnière, quelques vérités élémentaires.

I. La désignation de la loi applicable : la lex loci delicti

2 De quelle règle de conflit relève la responsabilité délictuelle ? Longtemps


débattue, la question a reçu de l’arrêt ci-dessus reproduit une réponse dépour-
vue d’ambiguïté : la loi applicable est celle du lieu où le délit a été commis. Il
est vrai que l’espèce était particulièrement favorable à l’énoncé d’une solution
claire : l’accident étant survenu à l’étranger, la haute juridiction devait choisir
entre la lex loci delicti dont l’application était recommandée par la doctrine
dominante et la lex fori qui avait les faveurs de MM. Henri et Léon Mazeaud
(Traité de la responsabilité, 3e éd., t. III, nos 2339 et s.; v. aussi « Conflits de
lois et compétence internationale dans le domaine de la responsabilité civile
délictuelle et quasi délictuelle », Rev. crit. 1934. 384 et s.). En dépit de son
ancienneté puisqu’elle prend sa source chez Savigny (Traité de droit romain,
t. VIII, trad. Guénoux, § 374, p. 274-275) et de sa persistance, notamment
dans la doctrine américaine (Ehrenzweig, A treatise on the Conflict of Laws,
p. 307 et s., 347 et s.), cette dernière opinion se heurte à des objections décisi-
ves. Si l’on excepte les arguments de texte peu convaincants et propres au droit
français (sur ceux-ci v. Lerebours-Pigeonnière, note, D. 1948. 358), on peut
lui reprocher de méconnaître les fondements mêmes du droit international
privé moderne. Aligner les conflits de lois sur les conflits de juridictions, c’est
en effet nier la spécificité de leurs fonctions respectives : alors que le litige ne
reçoit, en principe, un traitement de fond adéquat que grâce à l’application
d’une loi unique, celle du pays qui entretient avec la relation les liens les plus
étroits, la désignation du tribunal compétent obéit à des considérations
d’opportunité qui conduisent souvent à l’existence de chefs de compétence
concurrents n’impliquant pas nécessairement des attaches très fortes avec la
cause. Partant, retenir la lex fori, c’est risquer de sacrifier l’objectif de fond à
l’objectif procédural; c’est également en cas de compétence concurrente sup-
primer toute possibilité d’harmonie internationale et encourager le forum
shopping (Evrigenis, « Tendances doctrinales actuelles », Rec. cours La Haye,
1966, t. II, p. 373 et s.; Batiffol, « Le pluralisme des méthodes en droit inter-
national privé », Rec. cours La Haye, 1973, t. II, p. 85 et s.; Lalive, « Tendan-
ces et méthodes en droit international privé », Rec. cours La Haye, 1977, t. II,
p. 134 et s.). Aussi ne peut-on qu’approuver la Cour de lui avoir préféré la lex
loci delicti et ceci d’autant plus que celle-ci se recommande de solides
justifications : c’est en raison de l’impossibilité de localiser le rapport de droit
19 LAUTOUR — CASS., 25 MAI 1948 167

par ses sujets ou son objet le seul rattachement qu’offre objectivement la


matière (Batiffol et Lagarde, t. I, no 285); l’équilibre entre la liberté d’agir et la
sécurité des individus que recherchent les règles de la responsabilité civile ne
peut être atteint que si elles s’appliquent à l’ensemble des accidents survenus
sur le territoire; il faut pour que les comportements de tous s’harmonisent et ne
soient nuisibles à aucun que chacun règle ses actions conformément à la loi du
lieu où il agit (Batiffol et Lagarde, t. II, no 556; Loussouarn, Bourel et de
Vareilles-Sommières, no 179). Enfin la solution est une des plus anciennes du
droit international privé et il est toujours fâcheux, ainsi que le notait Batiffol
sous l’arrêt reproduit (Rev. crit. 1949. 92), « sous prétexte de vie et de mouve-
ment, de renoncer aux quelques solutions qui peuvent se réclamer d’un accord
à peu près unanime ». (Sur cette tradition v. Meijers, Rec. cours La Haye, 1934,
t. III, p. 547).

3 Mais précisément, cet accord existe-t-il encore ? Dès cette époque, les cir-
constances particulières de l’espèce auraient pu conduire à s’interroger sur le
caractère artificiel du rattachement au cas où l’accident s’est produit entre res-
sortissants d’un même pays, spécialement lorsque ceux-ci composent un
groupe homogène : transport bénévole, colonie de vacances, etc… La lex loci
delicti ne désignant plus l’ordre juridique dans le contexte social duquel l’acci-
dent est enraciné, ne vaudrait-il pas mieux retenir la loi de ce groupe ?
Cette interrogation a particulièrement agité la doctrine anglo-saxonne; ser-
vant de banc d’essai aux auteurs, elle a largement contribué au renouvel-
lement de leur pensée (Sur les raisons qui ont placé cette question au cœur du
débat américain, v. B. Audit, « Le caractère fonctionnel de la règle de conflit »,
Rec. cours La Haye, 1984, t. III, p. 300). Encore que toute systématisation
soit arbitraire, on retrouve en la matière l’éternelle querelle des anciens et des
modernes. Pour certains, la méthode conflictuelle doit être affinée et non
répudiée. Le juge localisera l’acte illicite, en tenant compte de l’ensemble des
circonstances de l’espèce, afin de déterminer la loi la plus appropriée c’est-à-
dire la loi de la relation sous-jacente. Il évitera ainsi « la révolte du bon sens »
à laquelle peut parfois conduire l’application de la lex loci delicti (Morris,
« The proper law of a tort », Harvard Law Review 1951. 881; en France,
v. P. Bourel, Les conflits de lois en matière d’obligations extra-contractuelles,
1961, p. 53 et s.). Pour d’autres, le conflit de lois doit être résolu à partir
d’une analyse des politiques poursuivies par les lois en présence, afin d’iden-
tifier celle d’entre elles qui présente le plus d’intérêt à régir la situation,
compte tenu des rattachements de celle-ci (Currie, Selected Essays on the
Conflict of Laws, 1963; pour un panorama des doctrines anglaise et améri-
caine v. Forget, Les conflits de lois en matière d’accidents de la circulation
routière, 1973, p. 37-57; Moreau-Bourlès, Structure du rattachement et conflits
de lois en matière de responsabilité civile délictuelle, thèse multigr., 1985;
v. aussi von Mehren, « Une esquisse de l’évolution du droit international privé
aux États-Unis », Clunet 1973. 116). Sous le couvert des « intérêts gouverne-
mentaux », c’est alors en réalité d’un retour à la démarche statutaire qu’il est
question. Ces analyses ne sont pas restées sans influence sur le droit positif.
Le second Restatement (1964) s’est fait l’écho de la première et certaines
168 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 19

décisions étrangères, spécialement américaines, les ont mises en œuvre par-


fois cumulativement. Tel a été notamment le cas du célèbre arrêt Babcock
v. Jackson rendu le 9 mai 1963 par la Cour d’appel de New York (Rev. crit.
1964. 284, note Castel, 12 N. Y. 2 d, 473, 191 N. F. 2 d, 279) qui a soumis à la
loi new-yorkaise la responsabilité d’un conducteur new-yorkais conduisant
une automobile immatriculée dans l’État de New York, envers un passager
bénévole également new-yorkais, bien que l’accident soit survenu sur le ter-
ritoire de la Province d’Ontario, en mêlant dans ses motifs tout à la fois la
méthode du « groupement des points de contacts » et celle des « intérêts gou-
vernementaux ».

4 En France même, cette préoccupation est perceptible dans certaines déci-


sions des juges du fond. Lorsque tous les protagonistes sont de nationalité
française et que le droit étranger est moins favorable à la victime que la loi
française, cette dernière a été appliquée à plusieurs reprises, même en cas
d’accident survenu à l’étranger, soit qu’on ait admis très libéralement le jeu de
l’exception d’ordre public (Paris, 2 oct. 1963, Kieger c/Amigues, Rev. crit.
1964. 332, note P. L., Clunet 1964. 103, note Goldman) soit qu’on ait qualifié
contractuelle la responsabilité encourue à la suite d’un transport bénévole
(TGI Dinan, 24 sept. 1968, D. 1969. 404, note Prévault, Clunet 1970. 95, obs.
Dayant; Nîmes 19 nov. 1970, cité par Schmelck, note D. 1972. 747). Ces ten-
tatives se sont heurtées à l’opposition vigilante de la Cour de cassation qui a
réaffirmé, alors même que tous les intéressés étaient français, que « la loi com-
pétente pour régir la responsabilité délictuelle est la loi du lieu où le fait dom-
mageable s’est produit » (Civ., 30 mai 1967, Kieger c/Amigues, Rev. crit. 1967.
728, note Bourel, Clunet 1967. 622, note B. G., D. 1967. 629, note Malaurie,
JCP 1968. II. 15456, note Jack-Mayer; 1er juin 1976, Luccantoni, D. 1977. 257,
note F. Monéger, Clunet 1977. 91, note Audit; Civ. 1re, 8 févr. 1983, Banque
veuve Morin Pons, Clunet 1984. 123, note Légier). Au passage, on notera
l’allègement de la formule. La référence que faisait l’arrêt Lautour à « la per-
sonne qui a l’usage, le contrôle et la direction d’une chose » disparaît. Et de
fait, il n’était pas très cohérent de fonder la compétence de la loi étrangère du
lieu du délit en partant d’une définition spécifiquement française du gardien
responsable (Bourel, note Rev. crit. 1963. 554). Au-delà de ces péripéties
rédactionnelles, la constance dont fait preuve la Cour de cassation s’explique
fort bien. La solution traditionnelle a, en effet, reçu un renfort appréciable d’un
phénomène dont l’importance n’a, en la matière, cessé de croître : l’assurance.
Ainsi que cela a été mis en relief à de nombreuses reprises, le droit internatio-
nal privé de la responsabilité civile revêt un tour peu contentieux parce que les
différends nés des accidents internationaux se résolvent le plus souvent par
transaction. Or seule une solution du conflit de lois assurant aux intéressés un
maximum de certitude et de prévisibilité est de nature à favoriser cet épilogue
(Loussouarn, « La Convention de La Haye sur la loi applicable en matière
d’accidents de la circulation routière », Clunet 1969. 5 et s., spéc. p. 7). Tel
n’est pas le cas des propositions ci-dessus évoquées. On notera au demeurant
que la juridiction suprême de l’État de New York est elle-même largement
19 LAUTOUR — CASS., 25 MAI 1948 169

revenue dans son arrêt Neumeier v. Kuehne de 1972 sur la doctrine exprimée
par l’arrêt Babcock (335 N. Y. S. 2 d 64).

5 Afin de concilier principe de proximité et prévisibilité des solutions, plu-


sieurs démarches sont concevables. La première consiste à réaffirmer la com-
pétence de principe de la lex loci delicti, tout en assortissant celle-ci d’excep-
tions soigneusement ciblées. La jurisprudence allemande s’est engagée dans
cette voie : après avoir indiqué que la possibilité d’une dérogation n’était pas
exclue (BGH, 5 oct. 1976, NJW 1977. 496), elle s’est prononcée pour l’appli-
cation de la loi de l’État de la résidence habituelle des parties dès lors que les
deux voitures impliquées étaient immatriculées et assurées dans cet État et que
les intéressés n’avaient pas la nationalité de l’État du lieu de l’accident (BGH,
8 janv. 1985, Clunet 1985. 954, obs. Jayme; comp. art. 133, Loi suisse du
18 déc. 1987, Rev. crit. 1988. 433). Certaines conventions récentes s’y sont
également employées en matière d’accident de la circulation routière (Conv.
de La Haye du 4 mai 1971; v. Civ. 1re, 22 janv. 1991, La Paternelle et autre,
Rev. crit. 1991. 354, 2e esp., note P. Bourel; Civ. 1re, 12 juill. 2001, Domeyne,
Rev. crit. 2002. 541, note Boskovic; Civ. 1re, 30 sept. 2003, de Paepe, Clunet
2005. 124, 1re et 2e esp., note G. Légier) et de responsabilité du fait des pro-
duits (Conv. de La Haye du 20 oct. 1973; v. Civ. 1re, 7 mars 2000, Soc. Torfwe-
rke Neuhaus GmbH, Rev. crit. 2001. 101, note P. Lagarde). La complexité des
résultats, spécialement pour la seconde, laisse à penser qu’il ne sera pas aisé
d’élaborer un système général d’exceptions suffisamment précis (Batiffol et
Lagarde, t. II, no 559; pour une formulation souple, v. l’avant-projet CEE de
1972 sur la loi applicable aux obligations, art. 10, Rev. crit. 1973. 209). Aussi
bien la faculté reconnue aux parties de convenir, pour les droits dont elles ont
la libre disposition, de l’application d’une loi autre que la lex loci delicti
peut-elle se révéler un utile facteur d’assouplissement (v. Civ. 1re, 19 avr.
1988, Roho, Rev. crit. 1989. 68, note Batiffol, D. 1988. Som. com. p. 345, obs.
B. Audit; 6 déc. 1988, Bull. I, no 346; sur cette question, v. infra, no 84 § 7;
B. Fauvarque-Cosson, Libre disponibilité des droits et conflits de lois, thèse
Paris II, éd. 1996, nos 572 et s., p. 335 et s.).
La seconde démarche consiste à assortir le principe de proximité de pré-
somptions qui précisent celui-ci selon les diverses hypothèses du délit. C’est
la voie suivie par le groupe européen de droit international privé (GREDIN)
dans sa proposition pour une Convention européenne sur la loi applicable aux
obligations non contractuelles (Rev. crit. 1998. 802).

6 Si l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi


applicable aux accidents de la circulation routière a entraîné un certain refoule-
ment de la règle jurisprudentielle, celle-ci trouve néanmoins encore fréquem-
ment à s’appliquer, notamment en cas de contrefaçon (v. par ex., Paris, 11 mai
1994, D. 1994, IR p. 162) ou encore d’atteinte à la vie privée par voie de
presse. Mais la mise en œuvre de la lex loci delicti se heurte alors souvent à
une difficulté : fait générateur et dommage ne sont pas localisés sur le même
territoire. Après avoir paru pencher, dans cette hypothèse pour la loi du lieu où
le dommage a été réalisé (Civ. 1re, 8 févr. 1983, Horn y Prado, Clunet 1984.
170 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 19

123, note G. Légier), la Cour de cassation a décidé que la lex loci delicti
« s’entend aussi bien du fait générateur du dommage que de celui de la réalisa-
tion du dommage » (Civ. 1re, 14 janv. 1997, Soc. Gordon and Breach science
publishers, D. 1997. 177, note M. Santa-Croce, JCP 1997. II. 22903, note
H. Muir Watt, Rev. crit. 1997. 504, note J.-M. Bischoff). Les commentateurs
ont souligné qu’une telle directive, empruntée à la jurisprudence de la cour de
Luxembourg tranchant une question de conflit de juridictions (CJCE, 30 nov.
1976, Rev. crit. 1977. 568, note P. Bourel, Clunet 1977. 628, note A. Huet,
D. 1977. 614, note Droz), ne permettait pas de résoudre à elle seule le pro-
blème du conflit de lois (B. Audit no 800; P. Mayer et V. Heuzé, no 685).
Encore faut-il savoir, en effet, comment s’effectuera le choix entre la loi du
lieu de commission du fait générateur et celle du lieu de survenance du dom-
mage. À considérer la jurisprudence ultérieure, il semble que les magistrats
entendent non abandonner ce choix à la victime, comme dans certaines codi-
fications étrangères récentes (art. 62, Loi italienne du 31 mai 1995, Rev.
crit. 1996. 186 ; art. 40, Loi d’introduction du BGB, réd. Loi 21 mai 1999,
Rev. crit. 1999. 870), mais rechercher celui des deux éléments de localisation
précités qui lui apparaît le plus significatif. Et de fait, par un arrêt du 11 mai
1999, la haute jurisprudence a approuvé les juges du fond d’avoir retenu la loi
du lieu où s’était produit le dommage, celui-ci apparaissant mieux caractérisé
en la circonstance (Civ. 1re, 11 mai 1999, Mobil North Sea Ltd., Rev. crit.
2000. 199, note J.-M. Bischoff, Clunet 1999. 1048, note G. Légier, D. 1999,
Som. com. p. 295, obs. Audit, JCP 1999. II. 10183, note H. Muir Watt, 2000.
I. 197, no 1, obs. G. Viney; comp. Civ. 1re, 5 mars 2002, Sisro, Rev.
crit. 2003. 440, note J.-M. Bischoff, JCP 2002. II. 10082, note H. Muir Watt,
D. 2003. 58, note Josselin-Gall). En cas de dommage par ricochet, le lieu du
délit se détermine par rapport à la victime immédiate (Civ. 1re, 28 oct. 2003,
Pays-Fourvel, Rev. crit. 2004. 83, note D. Bureau, Clunet 2004. 499, note
G. Légier, JCP 2004. II. 10006, note G. Lardeux). La solution était déjà impli-
citement posée par l’arrêt Lautour, le dommage dont il était demandé répara-
tion étant, au moins pour une partie, un préjudice par ricochet.
Quoi qu’il en soit, on perçoit mal la ligne directrice qui guide aujourd’hui
la haute juridiction, en matière de conflit de lois relatif à la responsabilité
civile délictuelle. Longtemps, elle a préféré au réalisme du règlement du
conflit la sécurité juridique et la prévisibilité des solutions. Désormais, elle
préfère le réalisme à la sécurité, mais uniquement lorsqu’on est en présence
d’un délit complexe.

II. L’application du droit désigné

7 L’énoncé de la solution de conflit n’épuisait pas toutes les difficultés de


l’affaire ; il s’en rencontrait aussi sur le plan de l’application de la règle de
conflit. Ainsi se posaient notamment le problème de connaissance du droit
étranger applicable (A) et celui de sa conformité à l’ordre public au sens du
droit international privé (B). Soucieux de clarifier la matière, l’arrêt Lautour
s’engage nettement sur ces deux questions.
19 LAUTOUR — CASS., 25 MAI 1948 171

A. — La preuve de la loi étrangère

8 Quoique traité incidemment, sous l’angle de la charge de la preuve, le pro-


blème de la connaissance du droit étranger reçoit de l’arrêt une réponse qui
longtemps parut dominante en jurisprudence, mais que l’évolution qu’a connue
le statut procédural de la loi étrangère et de la règle de conflit a sans doute
périmé (v. arrêts Soc. Amerford et Soc. Itraco, infra, no 82-83). La connais-
sance du système Lautour reste néanmoins indispensable à une bonne compré-
hension de la matière.
Parce qu’elle lui était défavorable, la demanderesse en réparation s’était
gardée d’invoquer la loi espagnole et elle souhaitait voir sa prétention soumise
à la loi française. C’était compter sans le défendeur qui réclama l’application
du droit espagnol, spécialement en ce que celui-ci, ne connaissant pas la pré-
somption de l’article 1384 du Code civil, imposait à la demanderesse d’établir
l’existence d’une faute. Mais cette défense n’ayant été suivie d’aucune offre
de preuve relative au contenu de la loi étrangère, la Cour d’appel avait cru
devoir n’en pas tenir compte; elle s’était ainsi forgé un nouveau motif de ne
pas appliquer le droit espagnol et de lui préférer le droit français : la charge de
la preuve pesait sur le défendeur qui avait invoqué le droit étranger et n’y
ayant pas satisfait, sa défense devait être rejetée.
Cette solution fut censurée en des termes dépourvus d’ambiguïté, mais qui,
resserrés sur le cas d’espèce, durent être généralisés pour exprimer le
principe : il revient à la partie qui émet en justice une prétention d’établir le
contenu de la loi étrangère applicable à celle-ci.
Observons d’emblée que cette solution — en consonance avec la doctrine
consacrée par l’arrêt Bisbal (infra, no 32), aujourd’hui pour partie dépassée et
selon laquelle le juge n’est pas tenu d’appliquer d’office la règle de conflit
lorsque celle-ci désigne la loi étrangère — libère celui-ci du devoir de recher-
cher lui-même la teneur de cette loi. Contrairement à ce qu’ordonne la règle
jura novit curia (traduite par l’art. 12, NCPC), cette recherche incombe aux
parties. Lorsqu’il est étranger, le droit ne devrait donc pas être traité comme
droit par les tribunaux français. Depuis longtemps en effet et récemment
encore — quoi qu’en dise la Cour de cassation (Civ. 1re, 13 janv. 1993, Coucke,
Rev. crit. 1994. 78, note B. Ancel) — la jurisprudence française a fourni
mainte occasion de constater que le droit étranger est justiciable d’un régime
spécial qui le rapproche parfois d’un élément de fait (Batiffol et Lagarde, t. 1,
no 331).
9 L’arrêt Lautour tient cette position pour acquise et, quant au problème de la
connaissance du droit étranger, se contente de préciser la répartition des tâches
entre les parties.
Le critère de répartition consacré n’était pas celui de l’invocation du droit
étranger mais celui de la distinction qui opposait la teneur de la loi étrangère
et sa vocation. Invoquer la loi étrangère ne constituait pas en soi une alléga-
tion relative à sa teneur, mais une réclamation relative à sa vocation. C’était
d’un rappel à la règle de conflit qu’il s’agissait. Lorsque, comme en l’espèce,
l’adversaire objecte à l’auteur de la prétention que celle-ci doit être jugée
172 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 19

selon la loi espagnole, il n’est sans doute pas contestable qu’il doive alléguer
(si le dossier est muet sur ce point) et, au besoin, prouver (s’il y a contesta-
tion) le fait commandant, d’après les règles de conflit du for, l’application de
cette loi; mais afférentes à la vocation de celle-ci, ces charges procédurales ne
s’étendent pas de plano à sa teneur. Une fois l’applicabilité du droit étranger
établie, il reste à réaliser cette vocation, c’est-à-dire à l’appliquer.
Ce programme requiert évidemment la connaissance de la loi étrangère;
c’est à ce stade que son assimilation à un élément de fait a pu produire sa
conséquence. Le principe que formule aujourd’hui l’article 9 du Nouveau
Code de procédure civile exige que l’auteur d’une prétention fasse la preuve
des faits nécessaires au succès de celle-ci. Partant, de même que le défendeur
réclamant l’application de la règle de conflit doit établir au besoin les faits
justifiant la vocation de la loi espagnole, de même la demanderesse doit pour
le succès de sa prétention produire la teneur du droit espagnol. La Cour de
cassation ne dit pas autre chose quand elle déclare qu’incombait à « la vic-
time, demanderesse en réparation… la charge de prouver que la loi applicable
lui accordait les dommages-intérêts réclamés ».
Mais là s’arrêtent les enseignements de l’arrêt. Il faudra attendre d’autres
décisions pour voir se développer les implications de cette solution. C’est à un
arrêt du 24 janvier 1984 (Soc. Thinet, Civ. 1re, 24 janv. 1984, Rev. crit. 1985.
89, note P. Lagarde, Clunet 1984, note J.-M. Bischoff, Grands arrêts, 2e éd.,
1992, no 61, p. 503) qu’il appartiendra d’offrir une présentation complète du
système. Reprenant sur le mode général et abstrait la solution de l’arrêt
Lautour, cette décision énonce d’abord le principe que « la charge de la preuve
de la loi étrangère pèse sur la partie dont la prétention est soumise à cette loi,
et non sur celle qui l’invoque, fût-ce à l’appui d’un moyen de défense » et
définit ensuite les conséquences qu’il y a lieu de tirer lorsque la teneur du
droit étranger n’a pu être établie; sur ce point, l’arrêt distingue : si le défaut de
preuve est imputable à la mauvaise volonté ou à l’incurie de l’auteur de la
prétention, le rejet de cette prétention s’impose tandis que si la défaillance de
la loi étrangère résulte d’une impossibilité ou d’une excessive onérosité il y a
lieu à application de la loi française en raison de sa vocation subsidiaire (sur
cette notion v. infra, obs. sous Bisbal, no 32-34 § 13 et s.).
N’étant pas dénuée de mérite, cette construction se révélera pourtant pré-
caire. Elle distribuait la charge de la preuve au moyen d’un critère d’une par-
faite bilatéralité, chaque plaideur étant obligé d’établir le contenu du droit
étranger applicable aux prétentions qu’il soumettait au juge, et cette obligation
était sanctionnée avec une sévérité graduée. Cependant cette construction
comportait aussi des faiblesses. Ainsi, parmi les moyens de défense opposés à
la prétention du demandeur, elle contraignait à distinguer, d’une part, celui qui
n’était qu’une contestation et dont l’appréciation relevait de la loi applicable à
la prétention qu’il critiquait et, d’autre part, celui qui, élargissant le débat, se
formait en une prétention distincte. Par exemple, l’action en pétition d’héré-
dité d’un enfant naturel peut être combattue, soit en soutenant que l’enfant
naturel n’a pas selon la loi étrangère applicable la vocation héréditaire à
laquelle il prétend, c’est une contestation; soit en soutenant que l’enfant natu-
rel dont la vocation n’est pas contestée est frappé d’indignité successorale,
19 LAUTOUR — CASS., 25 MAI 1948 173

c’est une prétention distincte. Avec la contestation, la charge de la preuve res-


tait en entier pour le demandeur; avec la prétention distincte, le défendeur
devait, le cas échéant, assumer la preuve de la loi étrangère applicable à celle-
ci, comme le demandeur assumait la preuve de celle qui régissait sa préten-
tion. La distinction devenait d’autant plus délicate, voire insaisissable, que la
Cour de cassation elle-même en exploitait la difficulté pour prononcer selon
son cœur plutôt que selon la raison — et souvent le cœur de la Cour de cas-
sation bat pour la loi française (v. par ex., Sfez c/Cohen, Civ. 1re, 21 juill.
1987, Rev. crit. 1988. 329, note B. Ancel; Soc. Balenciaga, Civ. 1re, 21 juin
1988, Rev. crit. 1989. 55, note B. Ancel; UAP c/Mainier, Civ. 1re, 8 janv.
1991. Rev. crit. 1991. 569, note H. Muir Watt; Soc. Alkhalaf, Com., 2 mars
1993, Rev. crit. 1993. 632, note Muir Watt; Ammache, Civ. 1re, 16 févr. 1994,
Rev. crit. 1994. 341, note Muir Watt); cette pratique un peu désordonnée
n’était évidemment pas de nature à soutenir le crédit du système Lautour.
Aussi bien, lorsque la jurisprudence Bisbal fut renversée, les jours parurent
comptés d’un système qui reposait semblablement sur l’hypothèse que la loi
étrangère était l’affaire des parties et devait être traitée comme un fait du
procès (v. Y. Lequette, « L’abandon de la jurisprudence Bisbal », Rev. crit.
1989. 277).
Par ailleurs, en dissociant la charge de la preuve, pesant sur l’auteur de la
prétention, et l’intérêt à la preuve de la loi étrangère, que manifestait le défen-
deur prenant l’initiative d’invoquer celle-ci, le système Lautour laissait crain-
dre des résultats pratiques peu satisfaisants. Sans doute, la perspective du rejet
de la prétention devait-elle stimuler le zèle de l’auteur de celle-ci dans la
recherche du droit étranger applicable, mais cet effort de rétablissement du
lien entre la charge et l’intérêt, favorable à la mise en œuvre effective et donc
à l’autorité de la règle de conflit, pouvait aussi générer quelques effets per-
vers. Ainsi la contrainte que l’invocation de la loi étrangère imposait de la
sorte à l’auteur de la prétention portait, disait-on, son adversaire à considérer
la règle de conflit comme une arme tactique et à demander l’application du
droit étranger « de façon purement dilatoire » (P. Mayer, Droit international
privé, 4e éd., no 189), voire à se ménager ainsi quelques chances d’obtenir un
débouté en cas d’insuccès du demandeur dans ses investigations, l’équiva-
lence entre loi étrangère et loi française fût-elle vraisemblable… Ces inconvé-
nients préjudiciables à l’équité procédurale semblèrent sans doute excessifs
après que l’arrêt Soc. Coveco (infra, no 76) eut réduit l’autorité de la règle de
conflit dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs intérêts,
et, jusqu’en 1999 (arrêt Mutuelle du Mans, infra, no 77), non soumises à une
convention internationale.
La solution de l’arrêt Lautour, quoique consolidée par l’arrêt Société Thinet
(préc.), a été abandonnée. En 1993, la Chambre commerciale consacrait une
doctrine différente, réservée aux litiges portant sur des intérêts disponibles
(v. infra, Soc. Amerford, no 82). Quant à la connaissance du droit étranger dans
le contentieux des intérêts indisponibles, il était, à partir de 1988, devenu de plus
en plus clair qu’elle relevait de la responsabilité du juge. Cette distinction de
la disponibilité et de l’indisponibilité à son tour sera écartée en 2005 (v. infra,
Soc. Itraco, no 83).
174 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 19

B. — L’exception d’ordre public

10 Le droit de la responsabilité est sans doute le domaine dans lequel la notion


d’ordre public international a été l’objet des confusions les plus nombreuses.
Comme dans la thèse du défendeur au pourvoi, il y a souvent été soutenu que
la matière étant impérative en droit interne, devait être d’ordre public au plan
international. Et allant plus loin, on en a parfois déduit l’application de la
loi française sans que soit même envisagée la teneur du droit étranger du lieu
de l’accident. On ne peut trouver meilleur exemple de cette démarche que les
deux décisions rendues par les juges du fond dans l’affaire Kieger c/Amigues
(TGI Seine, 2 nov. 1962, Rev. crit. 1964. 111, note P. Bourel; Paris, 2 oct.
1963, préc.).
Ces confusions prennent sans doute leur source dans l’histoire : le droit de
la responsabilité a longtemps été considéré comme l’exemple type de ces lois
d’ordre public qui, dans la conception de Mancini et surtout de Pillet, s’oppo-
saient aux lois de protection individuelle et étaient d’application territoriale. Il
n’est évidemment pas question d’en refaire ici la critique. Rappelons simple-
ment l’ambiguïté de la notion de loi territoriale : les juges français pouvant
avoir à connaître d’un délit survenu à l’étranger, les lois d’ordre public ne
s’identifient pas nécessairement à la loi française; dès lors, l’ordre public
pourra éventuellement être opposé à une loi délictuelle étrangère… C’est à
Bartin que revient le mérite d’avoir clarifié la notion. Dans ses Études, il
démontra que l’ordre public international n’intervient pas dans l’élaboration
de la règle de conflit mais simplement pour remédier à l’application des lois
étrangères lorsqu’elles sont manifestement injustes ou odieuses. En d’autres
termes, il ne constitue pas une catégorie de rattachement mais une exception
à l’application de la loi étrangère normalement compétente (Études de droit
international privé, 1899, p. 209 et 235; Principes, t. I, § 92 et 93).
11 Encore faut-il préciser les conditions du déclenchement de l’exception. À
cet égard, l’arrêt reproduit apporte une double précision. La première, néga-
tive : une règle étrangère ne sera pas considérée comme contraire à l’ordre
public international du seul fait qu’elle diffère d’une règle d’ordre public en
droit interne français. L’adoption d’une législation spécifique aux accidents de
la circulation (L. 5 juill. 1985) donnera à la haute juridiction l’occasion de
réaffirmer cette solution (Civ. 1re, 6 juin 1990, L’Union et autres, Rev. crit. 1991.
354, 1re esp., note P. Bourel; 4 févr. 1992, D. 1993, p. 13, note G. Légier;
30 sept. 2003, Fanucci, Clunet 2005, 3e esp., p. 124, note G. Légier). Et de
fait, la coïncidence des deux notions réduirait à peu de chose le domaine
d’application effectif des conflits de lois. Certes, ordre public interne et ordre
public international ne sont pas sans parenté; ils visent tous deux à maintenir
« la cohésion et l’efficacité de la société étatique » (Francescakis, Rép. Dalloz
dr. int., 1re éd., v° Ordre public, no 7). Mais leur mission est différente. L’ordre public
interne tend à corriger les effets des volontés privées, l’ordre public internatio-
nal ceux des règles et décisions des autorités étrangères. Grâce à lui, l’adapta-
tion du système interne aux conditions de la vie internationale ne se fera pas au
détriment de la cohésion de la société française (Francescakis, préc., no 9).
19 LAUTOUR — CASS., 25 MAI 1948 175

La seconde, positive : une disposition étrangère doit être évincée dès lors
qu’elle heurte les « principes de justice universelle considérés dans l’opinion
française comme doués de valeur internationale absolue ». Abondamment com-
mentée en raison de la rareté des décisions qui s’y sont essayées, cette défini-
tion apparaît prémonitoire. Le culte que notre époque professe pour les droits
de l’homme, conduit en effet à donner un relief tout particulier aux droits fon-
damentaux parmi les éléments qui permettent de caractériser l’ordre public
international français. Et de fait, la notion de droit fondamental n’est pas, en
la matière, dépourvue d’intérêt. Témoignant de ce qu’il est, dans une société,
des points sur lesquels celle-ci ne saurait transiger sans se perdre, elle est de
nature à rappeler aux juges trop sensibles aux sirènes de la vie internationale
qu’il est des bornes à ne pas franchir. Nombre d’entre eux ne trouvent plus,
d’ailleurs, le courage de défendre les valeurs de la société française qu’à la
condition de les peindre aux couleurs des droits fondamentaux. L’évolution
qu’a connue la jurisprudence française, en ce qui concerne l’accueil en France
des décisions de répudiation étrangères, illustre à merveille cette tendance.
Après avoir fait montre d’un libéralisme débridé (Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi,
infra, no 63), la Cour de cassation est revenue à des positions plus équilibrées
au nom de l’égalité des sexes et du respect des droits de la défense (Civ. 1re,
17 févr. 2004, infra, no 64). Ceci étant, il ne faudrait pas tomber d’un excès
dans un autre et enseigner, comme le font certains, que l’exception d’ordre
public international doit jouer dès lors qu’une loi étrangère méconnaît un droit
dit fondamental. Tout étant en passe de devenir droit de l’homme, y compris
des solutions totalement artificielles dictées par le « prêt à penser » ambiant,
poser un tel principe conduit, en effet, à ériger des cloisons étanches entre les
ordres juridiques et par là-même à ruiner l’objectif de continuité de traitement
des situations juridiques que s’assigne traditionnellement le droit internatio-
nal privé. C’est ainsi que l’éviction de la loi argentine au prétexte qu’elle ne
connaît pas le droit de changer de sexe découvert par la Cour de Strasbourg et
la Cour de cassation derrière le droit au respect de la vie privée débouche sur
une figure juridique inédite : le sexe boiteux. Femme en France, le transsexuel
argentin sera dans les autres pays un homme (Paris, 14 juin 1994, Rev. crit.
1995. 308, note Y. Lequette). En réalité, la contrariété à l’ordre public devrait
toujours être appréciée en fonction du seul résultat concret auquel conduit
l’application de la norme étrangère dans l’hypothèse considérée. La Cour de
cassation ne donnant aucun relief particulier, dans le jeu de l’exception d’ordre
public, au fait que le principe considéré a « valeur constitutionnelle », on voit
mal pourquoi il devrait en aller différemment des droits fondamentaux issus
d’instruments qui, dans la hiérarchie des sources formelles, sont situés à un
niveau inférieur à la Constitution (P. Mayer, « La Convention européenne
des droits de l’homme et l’application des normes étrangères », Rev. crit.
1991. 663; Y. Lequette, « Le droit international privé et les droits fondamen-
taux », in Droits et libertés fondamentaux, 12e éd., 2006, nos 189 et s.).
12 En l’occurrence, s’inspirant de la directive énoncée, l’arrêt refuse d’évincer
la loi espagnole au prétexte qu’elle ne connaîtrait pas de responsabilité de
plein droit (v. aussi, Civ. 1re, 4 mai 1976, Brajeul, JCP 1979. II. 19092, note
176 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 19

Chabas à propos de la loi tchécoslovaque). De même quarante-trois ans plus


tard, la haute juridiction affirmera que la loi yougoslave dont les dispositions,
fondées sur l’idée de responsabilité pour faute, ne connaissent pas un système
d’indemnisation analogue à celui mis en place par la loi du 5 juillet 1985, n’est
pas contraire à l’ordre public international français (Civ. 1re, 4 avr. 1991, GAN,
Clunet 1991. 981, note Légier). Et de fait, la jurisprudence élaborée à partir de
l’article 1384, alinéa 1 ou les solutions issues de la loi du 5 juillet 1985 ont été
l’objet de trop de contestations pour qu’on puisse y découvrir des principes
dont la méconnaissance heurte l’ordre public international français (Batiffol,
note Rev. crit. 1949. 93; Niboyet, note S. 1922. 1. 22). Ultérieurement, il a de
même été jugé que des lois étrangères soumettant l’action de la victime à un
délai plus court que celui du droit français (Civ. 1re, 15 mai 1994, Picinelli,
Clunet 1995. 122, note G. Légier; 5 janv. 1999, Avci, Rev. crit. 1999. 297, note
P. Lagarde) ou ne reconnaissant pas à la victime le droit d’intenter une action
directe contre l’assureur n’étaient pas contraires à l’ordre public international
français (TGI Seine, 5 mars 1960, Rev. crit. 1960. 194, note Bourel; 11 févr.
1962, Clunet 1962. 1010, note B. G.; v. cep. pour la suspension de la prescrip-
tion au profit des mineurs, Civ., 21 mars 1979, D. 1979 IR p. 461, obs. Audit,
JCP 1980. II. 19311, note Monéger, Clunet 1980. 92, note Huet, Rev. crit.
1981. 81, note Dayant. Sur l’action directe, TGI Seine, 29 mars 1962, Gaz.
Pal. 1963. II. 186). Assez curieusement, les principales difficultés sont sur-
venues à propos de dispositions étrangères excluant ou limitant la réparation
du préjudice moral. Certaines décisions les ayant déclarées contraires à l’ordre
public international français (TGI Seine, 2 nov. 1962, Paris, 2 oct. 1963,
Kieger c/Amigues, préc.), on a pu se demander s’il ne fallait pas y voir le signe
de ce que la protection de la victime serait devenue une des préoccupations
essentielles du droit de la responsabilité civile, ce qui conférerait aux disposi-
tions du droit français valeur de seuil en-deçà duquel il y aurait intervention de
l’ordre public (Loussouarn, note Rev. crit. 1956. 345; Bourel, note Rev. crit.
1964. 117). Mais à juste raison, la Cour de cassation a refusé de s’engager
dans cette voie (Civ., 30 mai 1967, préc.; Civ., 15 déc. 1969, Rev. crit. 1971.
512, note Bourel). Au demeurant, il semble bien que ces décisions s’expli-
quent beaucoup plus par la volonté d’appliquer la loi française à des accidents
survenus entre Français que par une aversion particulière à l’encontre des solu-
tions de la loi étrangère (Batiffol et Lagarde, t. I, 7e éd., no 360, note 2).
20
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., sect. civ.)
27 juillet 1948

(Rev. crit. 1949. 75, note Batiffol, D. 1948. 535)


Condition des étrangers. — Jouissance des droits.

Il est de principe que les étrangers jouissent en France des droits qui ne
leur sont pas spécialement refusés.

(Lefait c/Société des Galeries de Saint-Denis)

Faits. — Considérée comme « entreprise juive » en raison de la confession israélite


de ses deux cogérants, les frères Steiner, une SARL. dénommée Galerie de Saint-Denis
exploitant une librairie à Paris, fut, conformément à la législation de l’époque, pourvue
le 17 avril 1941 d’un administrateur provisoire. Celui-ci vendit sur les instructions du
commissariat aux questions juives, le 15 avril 1943, la totalité du fonds de commerce à
un sieur Lefait, libraire. Au lendemain des hostilités, les gérants de la société Galerie de
Saint-Denis saisirent le Tribunal de commerce de la Seine afin d’obtenir leur réinté-
gration dans le fonds de librairie. Ils invoquaient à cet effet la nullité de la vente, celle-ci
constituant un acte de spoliation tombant sous le coup de l’ordonnance du 21 avril 1945.
L’acquéreur s’opposa à cette prétention en soutenant, d’une part, que du fait de leur
nationalité hongroise les deux cogérants devraient être considérés comme sujets enne-
mis et par conséquent exclus du bénéfice de l’ordonnance du 21 avril 1945, d’autre part,
que les dispositions de ce texte n’octroyaient à aucun moment le profit de l’institution
qu’il gouverne à d’autres qu’aux nationaux.
La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 24 juillet 1945 (inédit), infirma la décision
du Tribunal de commerce de la Seine qui avait jugé irrecevable la demande introduite
par les frères Steiner. Elle constata, d’une part, que leur qualité de ressortissants hongrois
n’étant pas établie ceux-ci ne pouvaient être considérés comme sujets ennemis, d’autre
part, que le fait que l’ordonnance du 21 avril 1945 ne faisait pas de la nationalité fran-
çaise une condition de son application ne devait pas être interprété comme emportant au
préjudice de l’étranger une déchéance du droit de se prévaloir de la législation relative
aux spoliations.
Un pourvoi fut formé.

ARRÊT

La Cour; — Sur le moyen unique. — Attendu qu’en application de l’article 1er


de l’ordonnance du 21 avril 1945 l’arrêt attaqué, sur la demande des frères Stei-
ner, qui exploitaient à Paris un fonds de commerce de librairie, a déclaré nulle la
178 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 20

cession de ce fonds, consentie à Lefait, le 15 avril 1943 par un administrateur


provisoire, sur les instructions du Commissariat aux Questions Juives; — Attendu
que le pourvoi reproche à la Cour d’appel (Paris, 24 juill. 1945) d’avoir, d’une
part, laissé sans réponse les conclusions de Lefait qui soutenait que ses adversai-
res, de nationalité hongroise, ne pouvaient, comme ressortissants ennemis, se
prévaloir de ce texte et, d’autre part, d’avoir mis la Cour de cassation dans
l’impossibilité d’exercer son contrôle sur les motifs par lesquels avait été écartée
cette argumentation en déclarant indéterminée la nationalité des frères
Steiner; — Mais attendu qu’après avoir, en ce qui concerne la nationalité de ces
derniers, procédé souverainement à cette constatation de fait, l’arrêt attaqué
relève d’autre part que l’ordonnance du 21 avril 1945 ne fait pas de la nationa-
lité française une condition nécessaire pour être en droit d’en réclamer le béné-
fice alors qu’il est de principe que les étrangers jouissent en France des droits
qui ne leur sont pas spécialement refusés; — Que dès lors la cour d’appel, de
façon implicite mais nécessaire, a répondu aux conclusions de Lefait et justifié sa
décision;
Par ces motifs : — Rejette.

Du 27 juillet 1948. — Cour de cassation (Ch. civ., sect. civ). — MM. Mongibeaux, prem. prés.;
Lemaire, rapp.; Rateau, av. gén. — MMes Labbé et Mayer, av.

OBSERVATIONS

1 Généralement présentée comme le terme d’une longue évolution touchant à


l’interprétation de l’article 11 du Code civil et apportant à la question de la
jouissance des droits son achèvement (I), la solution de l’arrêt ci-dessus repro-
duit a été récemment à l’origine d’une analyse renouvelée de ce problème
puisqu’elle serait, selon certains, de nature à en remettre en cause l’existence
même (II).

I. Question d’interprétation

2 Dans son discours préliminaire au projet de Code civil, Portalis écrivait :


« si, comme citoyen, on ne peut appartenir qu’à une société particulière, on
appartient comme homme à la société générale du genre humain. En consé-
quence, si les institutions politiques continuent d’être propres aux membres de
chaque État, les étrangers sont admis à participer plus ou moins aux institu-
tions civiles qui affectent bien plus les droits privés de l’homme que l’état
public du citoyen ». Encore fallait-il préciser la mesure de cette participation.
Tel fut précisément l’objet de l’article 11 du Code civil qui dispose : « l’étran-
ger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accor-
dés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appar-
tiendra ».
Ce texte énonce au premier abord, une solution d’une extrême sévérité
puisqu’il subordonne à la condition de réciprocité diplomatique, la jouissance
en France des droits civils par l’étranger : celui-ci ne pourra prétendre en
France qu’aux droits civils reconnus aux Français par traité dans son pays. À
20 LEFAIT — CASS., 27 JUILLET 1948 179

défaut de convention avec l’État dont il est ressortissant, l’étranger apparaît


donc privé de la possibilité de participer à la vie civile. Même si l’on tient
compte de l’assouplissement qui résultait à l’époque de l’article 13 du Code
civil assimilant à l’étranger bénéficiant d’un traité celui qui avait été admis à
domicile, l’exigence était évidemment excessive. Aussi la doctrine s’employa-
t-elle à donner de ce texte une interprétation plus conforme aux nécessités du
commerce international. Bien qu’un peu rebattu, l’exposé de ces controverses
n’est pas sans intérêt. Outre qu’elles ont directement inspiré la jurisprudence,
les multiples propositions doctrinales illustrent la diversité des résultats aux-
quels pouvait conduire — appliquée à un même texte mais maniée par des
auteurs différents — la méthode de l’exégèse (sur cette diversité, v. Ph. Rémy,
« Éloge de l’exégèse », Droits, 1985, no 1, p. 115 et s.).

3 Pour Demolombe (Cours de Code Napoléon, t. I, nos 240 et s., v. aussi Mar-
cadé, Explication du Code Napoléon, t. I, no 127), les « droits civils » doivent
s’entendre par opposition aux « droits politiques » (arg. art. 7, C. civ.). C’est
donc l’ensemble des droits reconnus par les lois civiles qui est refusé à l’étran-
ger ne bénéficiant pas d’un traité. Néanmoins, afin d’assouplir le principe ainsi
posé, le « Prince de l’exégèse » recherche disposition par disposition si le
législateur n’a pas manifesté explicitement ou implicitement sa volonté d’y
déroger. Ainsi les articles 12 et 19 du Code civil qui réglaient à l’époque
l’incidence du mariage entre Français et étranger sur la nationalité des intéres-
sés sont-ils interprétés comme impliquant au profit des étrangers le droit de se
marier. De même l’article 3, alinéa 2 du Code civil soumettant à la loi fran-
çaise les immeubles sis en France « même ceux possédés par des étrangers » a
pour conséquence la jouissance par ceux-ci du droit de propriété.
Le procédé encourt une double critique. D’une part, rien n’indique que les
textes édictant de prétendues exceptions soient autre chose que des disposi-
tions relatives aux droits exercés par les étrangers qui en ont la jouissance au
titre d’un traité (Maury, Encycl. Dalloz dr. civ., 1re éd., v° Étrangers, no 27);
d’autre part, à la supposer fondée, cette interprétation fait dépendre l’accès
des étrangers à tel ou tel droit d’un accident de rédaction. Partant, elle entrave
le développement de la vie internationale et illustre l’une des altérations —
dénoncée en son temps par Bonnecase (La pensée juridique française de 1804
à l’heure présente, t. I, p. 350 et s., nos 175 et s.) — de la méthode de l’exé-
gèse : le culte du texte l’emporte sur la recherche de l’intention du législateur.
C’est précisément cette recherche qui devait animer les commentateurs ulté-
rieurs de l’article 11 : Demangeat puis Valette d’une part, Aubry et Rau d’autre
part.
Afin de concilier l’article 11 du Code civil et les besoins de la vie interna-
tionale, tous vont s’employer à démontrer que l’expression « droit civil » avait
été entendue par les rédacteurs du Code civil dans une acception restrictive. À
cet effet, les uns comme les autres s’appuient sur l’argument du précédent
historique : le législateur est censé avoir voulu maintenir ce qui existait dès
lors qu’il n’en a pas pris clairement le contre-pied. Or, dans l’Ancien droit, les
facultés de droit civil s’opposaient aux facultés de droit des gens, les premiè-
res étant seules refusées aux étrangers. Cette présomption est au demeurant
180 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 20

confortée par l’analyse des travaux préparatoires; les déclarations des rédac-
teurs du Code civil attestent que ceux-ci n’ont nullement entendu mettre en
cause le principe acquis que l’étranger jouit en France des facultés de droit
des gens (déclaration de Portalis, Locré, t. I, p. 330, no 13; rapport de Siméon
au Tribunat, Locré, t. II, p. 246-247).
Mais les auteurs se séparent quant à la définition des deux catégories. Pour
Aubry et Rau, il faut entendre par « droits civils » les institutions qui, artifi-
ciellement créées par telle ou telle législation, ne sont pas communes aux
nations policées; ils s’opposent en cela aux facultés de droit des gens qui,
découlant du droit naturel, sont communément reçues et organisées par
l’ensemble des ordres juridiques (Droit civil français, t. I § 78). Pour Deman-
geat (Histoire de la condition des étrangers, 1844, nos 56 et s.) dont le sys-
tème reçut ultérieurement l’appui de Valette (Explication sommaire du Code
civil, 1859, p. 408 et s.), les rédacteurs du Code civil n’avaient songé dans
l’article 11 qu’aux droits expressément déniés aux étrangers par le code lui-
même; les seuls droits civils seraient donc ceux qu’un texte exprès réserve
aux Français.

4 En l’occurrence, c’est à la conception de Demolombe que faisait référence


l’auteur du pourvoi : le bénéfice de l’ordonnance du 21 avril 1945 devait, selon
lui, être refusé aux étrangers dès lors qu’un texte ne le leur accordait pas. Ainsi
formulée, la proposition n’avait que peu de chance de succès. Consacrée à
plusieurs reprises dans la première moitié du XIXe siècle (Civ., 5 août 1823,
Dugied, S. chr.; Ch. réunies, 12 juil. 1848, Guesnot, DP 1848. 1. 140), l’ana-
lyse de Demolombe fut en effet ultérieurement délaissée au profit de la distinc-
tion entre les facultés de droit des gens et les facultés de droit civil. Ainsi par
deux arrêts des 3 et 5 juillet 1865 (DP 1865. 1. 347 et 348) la Cour de cas-
sation reconnut-elle aux étrangers le droit d’accomplir de manière générale des
actes de commerce en France, en vertu du droit des gens dont il dérive. Inver-
sement, le bénéfice de l’hypothèque légale de la femme mariée fut dénié aux
étrangers au motif qu’elle « ne relève pas du droit des gens, qu’elle est une
création de la loi positive » (Req. 27 janv. 1903, Monnet, DP 1903. 1. 249).
Cependant, dès la fin du XIXe siècle, certaines décisions préfiguraient déjà
l’étape ultérieure. Ainsi la Cour de cassation avait-elle décidé par un arrêt du
18 juillet 1895 (Burnett, S. 1895. 1. 305, note Lyon-Caen) qu’en matière com-
merciale les étrangers ont, de manière générale, la jouissance des droits parce
qu’il faut un texte exprès pour la leur refuser. Ce courant devait trouver son
épanouissement avec l’arrêt ci-dessus reproduit. Pour reconnaître aux étran-
gers le droit de se prévaloir de l’ordonnance du 21 avril 1945 en matière de
spoliations, la Cour de cassation relève que ce texte « ne fait pas de la nationa-
lité française une condition nécessaire pour être en droit d’en réclamer le béné-
fice alors qu’il est de principe que les étrangers jouissent en France des droits
qui ne leur sont pas spécialement refusés ». La formule sera ultérieurement
complétée par l’arrêt Le Chant du Monde (Civ., 22 déc. 1959, D. 1960. 93,
note G. Holleaux, Rev. crit. 1960. 361, note Terré, Clunet 1961. 420, note Gold-
man) : par « droits spécialement refusés » il faut entendre facultés exclues par
une « disposition expresse », et non pas seulement implicite, de la loi (v. depuis,
20 LEFAIT — CASS., 27 JUILLET 1948 181

la réaffirmation de la solution : Civ. 1re, 25 févr. 1981, Bull. I, no 72, p. 59; et à


propos de l’hypothèque légale de la femme mariée, Civ., 31 janv. 1984, Ali Abed,
Rev. crit. 1984. 638, note Y. Lequette, Clunet 1985. 444, note G. Légier).

5 La décision reproduite marque ainsi tout à la fois « l’abandon des systèmes


proposés dans le passé et le succès d’une conception des relations privées
internationales plus praticable et plus humaine » (Rev. crit. 1949. 76, note
signée H. B.). Cette évolution avait été favorisée par le fait que le législateur
avait pris la « louable habitude » de préciser parmi les droits privés nouvel-
lement introduits dans l’ordre juridique français ceux qui étaient refusés aux
étrangers, soin qui ne se serait au demeurant guère expliqué si le principe
n’avait pas été celui de la jouissance des droits par l’étranger (Maury, Encycl.
préc. v° Étrangers, no 40; « Observations sur la jurisprudence en tant que
source du droit », Études Ripert, t. I, p. 28 et s., spéc. p. 44). Elle était d’ailleurs
appelée de ses vœux par la quasi-totalité de la doctrine de l’époque qui insis-
tait sur l’inconsistance de la distinction d’Aubry et Rau. Comme le soulignait
Lerebours-Pigeonnière, toutes les institutions de droit privé sont naturelles
dans leur principe parce qu’elles pourvoient à la satisfaction des besoins de
l’homme vivant en société, mais particulières dans leur agencement concret
parce qu’elles reçoivent de chaque ordre juridique une configuration originale
(Précis, 4e éd., no 167; Niboyet, Traité, t. II, no 716; Batiffol, Traité, 2e éd.,
no 177; Aspects philosophiques du dr. int. pr., p. 147; v. cep. les réserves de
Maury, Encycl. préc. v° Étrangers, no 30; Francescakis, compte rendu Rev.
crit. 1953. 647 reproduit in La pensée des autres en dr. int. pr., p. 111 et s.). Il
est vrai que l’ambiguïté même de la distinction avait pu expliquer l’attache-
ment que lui portaient les magistrats dans la mesure où elle leur laissait toute
latitude pour restreindre la liste des droits civils et l’adapter à l’évolution des
besoins. Néanmoins l’incertitude qui en résultait n’était guère favorable au
développement de la vie internationale. Aussi ne peut-on qu’approuver l’éga-
lité de traitement qui procède de l’actuelle interprétation de l’article 11. (Pour
d’autres raisons de l’abandon de la distinction d’Aubry et Rau, v. Carmet,
Étude critique de la distinction entre la condition des étrangers et les conflits
de lois, thèse multigr., 1977, p. 329 et s.). Cette égalité ne fait pas obstacle à
ce que certains droits soient refusés aux étrangers. Le principe d’égalité ne
s’oppose pas, en effet, à ce que le législateur règle de façon différente des
situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt
général pourvu que les différences de traitement soient en rapport avec l’objet
de la loi qui les établit (sur la question des droits sociaux, v. Cons. const.
22 juin 1990, Rev. crit. 1990. 497, note M. Simon-Depitre; 13 août 1993, Rev.
crit. 1993. 597).

6 C’est dire que les suggestions qui ont pour objet de résoudre le « problème
législatif » que soulève la jurisprudence Lefait, à savoir déterminer les droits
qu’il est opportun de refuser aux étrangers (Battiffol, note Rev. crit. 1949. 76),
conservent tout leur intérêt. Ainsi Niboyet partant de l’idée que « la France
doit avoir la politique de sa population » avait posé qu’il devait exister un « jeu
182 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 20

de bascule » entre la nationalité et la condition des étrangers : une législation


libérale sur le premier point devait être équilibrée par des dispositions plus
sévères sur le second afin de ne pas détourner les étrangers de l’acquisition de
notre nationalité (Traité, t. II, no 721). Comme le notait Ph. Francescakis,
« une politique de discrimination est légitime dans la mesure où elle crée des
conditions favorables à une assimilation progressive de l’élément étranger,
individu ou famille » (…) Le même auteur soulignait cependant que « la dif-
férence de niveau entre Français et étrangers ne peut être poussée trop loin
sans devenir un danger » (note, Rev. crit. 1948. 501 et 502). Ainsi a-t-on relevé
les effets pervers, « cause de friction sociale, motif de xénophobie », auxquels
conduisait le refus à l’étranger du bénéfice de certaines dispositions des légis-
lations spéciales sur les baux. L’étranger sera finalement privilégié parce que,
moins protégé, il trouvera plus facilement en période de pénurie un logement,
un local commercial ou une ferme (Francescakis, compte rendu préc.). Mais si
l’excès de protection entretient la pénurie, ne faudrait-il pas supprimer les
textes qui en sont la cause plutôt que de les étendre aux étrangers ?
De manière plus synthétique, le doyen Maury avait proposé de résoudre
cette difficulté en réactivant la vieille distinction des droits naturels et des
droits civils. Pour déceler l’existence d’un droit civil que le législateur devrait
refuser aux étrangers, il proposait de mettre en œuvre successivement deux
méthodes : s’attacher d’abord à la fonction du droit en cause : « s’il a pour but
la satisfaction d’un besoin, la protection d’un intérêt général, c’est un droit
naturel; s’il a pour objet un intérêt particulier, un besoin local, c’est un droit
civil ». Examiner ensuite l’état des législations des pays civilisés au moment
où la question se pose : « si le droit en question se retrouve dans tous ou pres-
que tous les pays, il s’agit probablement d’un droit naturel, si, dans un assez
grand nombre d’États, ce droit n’est pas consacré, il y a beaucoup de chances
pour qu’il s’agisse d’un droit civil » (Encycl. Dalloz préc., v° Étrangers, no 30;
et compte rendu Francescakis Rev. crit. 1953. 646, reproduit in La pensée des
autres en droit international privé, p. 111).
Assez curieusement, cette veine doctrinale s’est peu à peu étiolée, les
auteurs se contentant le plus souvent de déplorer les discriminations, quelles
qu’elles soient, dont seraient victimes les étrangers (v. par ex., A. Lyon-Caen,
« Quelques progrès dans la condition des étrangers », Trav. com. fr. dr. int.
pr. 1977-1979, p. 153 et s.) alors qu’il n’y a là bien souvent que différencia-
tions parfaitement justifiées. (Sur ces notions, v. Batiffol, Problèmes de base
de philosophie du droit, p. 170 et s. ; pour une critique de cette évolution,
v. Y. Lequette « La nationalité française dévaluée », Mélanges Terré, 1999,
p. 349 et s., spéc. p. 369). Outre un certain climat idéologique qui va jusqu’à
conduire certains à revendiquer au bénéfice des étrangers et au préjudice des
français des « discriminations positives » (A. Lyon-Caen, comm. préc., p. 175),
cela s’explique sans doute par le fait que le centre de gravité de la matière
s’est sensiblement déplacé. Le développement considérable de l’immigration
a en effet donné naissance à une réglementation administrative très mou-
vante dont l’objet est de déterminer les étrangers qui sont autorisés à pénétrer
en France et de subordonner à une autorisation administrative individuelle
l’exercice par ceux-ci des droits dont la législation générale leur « accorde » en
20 LEFAIT — CASS., 27 JUILLET 1948 183

principe la jouissance. Ce phénomène nouveau a été heureusement dénommé


par le Doyen René Savatier « l’individualisation de la condition de l’étran-
ger » (« À propos des cartes de commerçant », D. 1953, chr. p. 21).

II. Question de méthode

7 Il est traditionnellement enseigné que la question de la condition des étran-


gers est préalable à celle du conflit de lois. On recherche d’abord si l’étranger
est apte à être titulaire d’un droit déterminé avant de définir la loi sous l’empire
de laquelle ce droit pourra être éventuellement exercé (Batiffol et Lagarde, t. I,
no 5). Et de fait, cette présentation rendit indubitablement compte du droit
positif tant que l’interprétation de l’article 11 resta fondée sur la distinction
droits civils-droits des gens. La règle conservait une « vocation générale d’inter-
vention » (Carmet, thèse préc., p. 437). Elle avait pour unique objet de définir
les droits précis dont les étrangers pouvaient ou non jouir en France. La priva-
tion éventuelle des droits qui en résultait était extérieure à leur réglementation
substantielle. Dès lors que la jouissance d’une catégorie de droits était déniée à
l’étranger, peu importait que ceux-ci fussent, en l’espèce, régis par la loi fran-
çaise ou par la loi étrangère. En théorie du moins car en pratique une confusion
s’instaurait parfois, notamment en présence d’institutions étrangères incon-
nues du droit français (V. Francescakis, « Droit naturel et droit international
privé », Mélanges Maury, t. I, p. 113 et s., spéc. p. 137).
Avec l’interprétation moderne de l’article 11, cette analyse semble devoir
être remise en cause (v. en ce sens Carmet, thèse préc., p. 351 et s.; P. Mayer
et V. Heuzé, nos 996 et s.). Sous l’empire du système actuel, il n’existe plus
de règle générale ayant pour objet principal de définir la condition à réser-
ver à la personne de l’étranger en France dans le domaine du droit privé.
Interprété comme s’il posait un principe d’assimilation de l’étranger au natio-
nal, l’article 11 a perdu l’essentiel de sa substance. La question de la condi-
tion des étrangers se borne désormais à rechercher les dispositions législatives
ou réglementaires qui dénient expressément à l’étranger le bénéfice de cer-
tains droits. Or ces textes n’envisagent le sort de l’étranger que de façon inci-
dente et dans la perspective exclusive de la délimitation de leur propre champ
d’application. La nationalité n’est plus qu’une condition parmi d’autres mise à
l’ouverture du droit. Elle devient un des éléments du présupposé de la règle de
droit. Dès lors les rapports entre condition des étrangers et conflits de lois se
posent en termes différents de ce qu’ils étaient. Le problème est d’abord de
savoir si la loi française est ou non applicable et, dans l’affirmative seulement,
de rechercher si les conditions requises par la loi sont en l’espèce réunies.
C’est dire que l’ordre logique de présentation de ces questions doit être
inversé. Le problème de condition des étrangers ne commande plus le conflit
de lois mais lui est subordonné. Certains allant plus loin, se sont demandé
si le fait qu’une norme française soit assortie de dispositions visant les non
nationaux ne serait pas le signe qu’elle revêtirait le caractère d’une loi de
police (Carmet, thèse préc., p. 402 et s.). Si cette interprétation devait préva-
184 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 20

loir, la question de la condition des étrangers ne se révélerait plus que dans les
hypothèses excluant le recours à la méthode des conflits de lois.
Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il n’y a plus aujourd’hui dans le
domaine du droit privé de condition générale des étrangers, mais une succes-
sion de dispositions qui n’envisagent pas le traitement à réserver à l’étranger
en lui-même mais dans la perspective limitée de la délimitation de leur champ
d’application. De leur réunion résulte la somme des différences ponctuelles
qui pèsent sur l’étranger en France.
21
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., sect. civ.)

5 décembre 1949

(Rev. crit. 1950. 65, note Motulsky, Clunet 1950. 180,


JCP 1950. II. 5285, note Delaume)
Filiation. — Loi la plus favorable.

Dans la poursuite de l’établissement de sa filiation, l’enfant peut se pré-


valoir des dispositions qui lui sont les plus favorables, et notamment de la
nationalité française acquise même pendant l’instance, pour continuer la
procédure en cette qualité.

(Verdier c/Tasoniero)

Faits. — Une italienne met au monde le 9 août 1940 une fille qu’elle reconnaît.
L’enfant, de même nationalité que sa mère, acquiert la qualité de française par déclara-
tion faite au juge de paix de Tarare le 20 mai 1943. Mais, dès le 6 août 1942, une action
en déclaration judiciaire de paternité avait été introduite devant la juridiction française
contre un prétendu père français. Le Tribunal de Villefranche-sur-Saône fit, par juge-
ment du 30 juin 1943, droit à cette demande. En appel, le prétendu père objectait que
l’action en recherche de paternité était soumise à la loi nationale de l’enfant et qu’en cas
de changement de nationalité, l’appréciation de celle-ci devait se faire au jour de l’intro-
duction de l’instance, c’est-à-dire conformément à la loi italienne qui prohibait la recher-
che, sauf aux cas, étrangers à l’espèce, d’enlèvement ou de viol. Repoussée en appel,
son argumentation fut reprise par le pourvoi.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu qu’il résulte des énonciations
de l’arrêt attaqué, que la demoiselle Tasoniero Marcelle, alors de nationalité ita-
lienne, est accouchée le 9 août 1940, d’une fille, Gabrielle, qu’elle a reconnue;
qu’elle a introduit contre Verdier, le 6 août 1942, l’action en déclaration judi-
ciaire de paternité appartenant à l’enfant; que le Tribunal de Villefranche-sur-
Saône, par jugement du 30 juin 1943, a fait droit à cette demande; — Attendu
que Verdier ayant soulevé en appel une exception d’irrecevabilité, tirée de ce
que l’enfant Tasoniero étant de nationalité italienne à la date de l’assignation
introductive d’instance, la demande en recherche de paternité est régie par la
loi nationale de l’enfant à cette date, c’est-à-dire par la loi italienne laquelle
prohibe la recherche, sauf aux cas, étrangers à l’espèce, d’enlèvement ou de
viol, l’arrêt attaqué a rejeté cette exception; que reprenant cette prétention, le
pourvoi soutient que l’appréciation de la nationalité, et par suite, celle de la loi
applicable, doivent être faites au jour de l’introduction de l’instance; — Mais
186 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 21

attendu que dans la poursuite de l’établissement de sa filiation, l’enfant peut se


prévaloir des dispositions qui lui sont les plus favorables, et notamment de la
nationalité française acquise même pendant l’instance, pour continuer la procé-
dure en cette qualité; que ce changement de nationalité n’étant qu’un moyen
nouveau, produit à l’appui de la demande initiale, celle-ci ne s’en trouve modi-
fiée ni dans sa cause, ni dans son objet; — Attendu qu’à l’appui de sa décision la
Cour d’appel relève que l’enfant Tasoniero « avait acquis la qualité de Française
par la déclaration faite au juge de paix de Tarare le 20 mai 1943 », antérieure-
ment au jugement de première instance, et que « Verdier n’établit pas qu’il
avait cessé de verser des subsides en qualité de père, plus de deux ans avant
cette date »; — D’où il suit qu’en se fondant sur ces constatations pour rejeter
l’exception d’irrecevabilité l’arrêt attaqué n’a violé aucun des textes visés au
moyen;
Par ces motifs : — Rejette.

Du 5 décembre 1949. — Cour de cassation (Ch. civ., sect. civ.). — MM. Lyon-Caen, prés.; Lenoan,
rapp.; Fontaine, av. gén. — MMes Boivin-Champeaux et Rousseau, av.

OBSERVATIONS

1 Bien qu’ayant perdu toute positivité, l’arrêt Verdier mérite de figurer parmi
les grands arrêts du droit international privé. En effet, si elle a périmé la solu-
tion donnée au problème du conflit mobile en matière d’établissement judi-
ciaire de la paternité (I), la loi du 3 janv. 1972 a, en même temps, conféré une
ampleur inattendue à la méthode sur laquelle celle-ci se fonde (II).

I. La solution

2 En dépit des controverses passées (sur celles-ci v. Batiffol, Rép. Lapradelle-


Niboyet v° Filiation; J. Y. Chevallier, Filiation naturelle simple et filiation ali-
mentaire en droit international privé français, 1967, p. 19 et s.), l’application
de la loi personnelle de l’enfant à la recherche de paternité était à l’époque de
l’arrêt Verdier, posée par la Cour de cassation avec une telle netteté (v. not.
Civ., 20 janv. 1925, Tomatis, DP 1925. 1. 177, note Rouast, S. 1925. 1. 49,
note Pillet, Clunet 1925. 709, Rev. crit. 1925. 531, note Niboyet) qu’on y avait
vu l’expression d’une « véritable règle jurisprudentielle au caractère a peu près
incontesté, quasiment intangible et de portée générale » (Jacques Foyer, Rép.
Dalloz dr. int., 1re éd., v° Filiation, no 80). Seule faisait encore problème, en
raison de l’ambiguïté de l’arrêt Fontaine (supra, no 17), la détermination de la
loi applicable à la reconnaissance d’enfant naturel. Mais l’arrêt Henrich (Civ.,
22 mai 1957, Rev. crit. 1957. 466, note Batiffol, Clunet 1957. 722, note Pon-
sard) devait ultérieurement réaliser l’unité au profit de la loi nationale de
l’enfant. Celle-ci se recommandait au demeurant de justifications solides : le
rapport juridique de la filiation naturelle intéressant au premier chef l’enfant,
celui-ci constitue « le centre de gravité de la matière », ce qui selon la méthode
classique héritée de Savigny justifiait le choix de sa loi. En outre, cette solu-
21 VERDIER — CASS., 5 DÉCEMBRE 1949 187

tion permettait d’assurer l’unité de statut de l’enfant au regard de son père


et de sa mère lorsque ceux-ci n’avaient pas la même nationalité (Batiffol et
Lagarde, t. I, 5e éd., no 461).

3 Mais qu’en était-il en cas de conflit mobile, c’est-à-dire lorsque l’enfant


avait changé de nationalité entre le jour de sa naissance et celui où le juge rend
sa dernière décision définitive ? Fallait-il alors appliquer la loi de l’ancien rat-
tachement ou celle du nouveau ?
Jurisprudence et doctrine se divisaient.
La Cour de cassation avait d’abord jugé que l’enfant étranger devenu fran-
çais en cause d’appel pouvait se prévaloir de la loi française; elle se référait
ainsi à la nationalité de l’enfant au jour du prononcé de la dernière décision
définitive (Req. 8 juin 1921, Mihaesco, Clunet 1922. 141, Rev. crit. 1924. 73;
Civ., 28 juill. 1925 (sol. implicite), Orsini, Rev. crit. 1925. 418, S. 1925. 1. 305,
note Niboyet, DH 1925. 606; Civ., 27 mai 1937, Roure, Rev. crit. 1938. 82,
Clunet 1938. 59, S. 1937. 1. 246, DH 1937. 406). Il n’y avait là, au demeu-
rant, pour la Cour de cassation, selon la formule du conseiller Tessier (rap-
port, Clunet 1922. 141) qu’« une modeste question de procédure » dont la
solution devait se déduire de l’affirmation — discutable (Motulsky, note préc.)
— que le changement de nationalité de l’enfant n’était pas une demande nou-
velle mais un moyen nouveau. Ce choix fut au reste conforté par des argu-
ments de fond : la constatation de la paternité est l’œuvre du juge qui doit se
fonder sur les lois en vigueur au moment du procès (Roubier, Droit transi-
toire, no 54, p. 233 et s.); retenir la date la plus tardive, c’est permettre de sou-
mettre à une même loi l’établissement et les effets de la filiation (Pallard, « La
filiation illégitime en droit international privé français », Rev. crit. 1952. 633,
no 12, 1953. 61 et s., nos 36 et s.).
Néanmoins ces arguments n’emportaient pas l’adhésion de la totalité de la
doctrine. On fit remarquer que le fait générateur de la filiation étant la nais-
sance, « la date de celle-ci devrait déterminer la législation applicable à son
établissement » (Batiffol, Traité, 3e éd., no 478). Vouloir soumettre la filiation
à un régime uniforme dans ses effets comme dans son établissement en confé-
rant une compétence de principe à la loi actuelle de l’enfant, c’était nier « les
effets de la loi ancienne sur les faits intervenus à l’époque où elle était en
vigueur » (Batiffol, note Rev. crit. 1955. 121). Aussi certains auteurs préco-
nisaient-ils de s’en tenir à la nationalité de l’enfant au jour de la naissance
(Batiffol, Traité, 3e éd., no 478, p. 532; Graulich, Principes, p. 128). Cette
opinion n’était pas non plus sans appui jurisprudentiel. Par l’arrêt Summers
(Civ., 28 juin 1932, Rev. crit. 1932. 687, Clunet 1933. 368, note Perroud, DP
1932. 1. 57, note Savatier, S. 1933. 1. 241, note Audinet), la Chambre civile
de la Cour de cassation avait en effet décidé que l’enfant français devenu
étranger pouvait se prévaloir de la loi française.

4 La contradiction était manifeste. Comment la résoudre ?


Niboyet entreprit de découvrir un principe d’explication dans la constata-
tion que, dans tous les cas, compétence était donnée à la loi française. C’était là,
188 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 21

selon lui, une illustration de la « solution politique », aux termes de laquelle le


Français avait droit en toutes circonstances au bénéfice de la loi française
nonobstant les dispositions des règles de conflit dans le temps; la loi française
était applicable dès lors que l’enfant avait eu, à un moment donné de son exis-
tence, la nationalité française (Niboyet, Traité, t. V, nos 1520 et s., p. 460 et s.,
spéc. p. 465). Mais nombre d’auteurs récusèrent l’explication fondée sur
l’idée de faveur pour les nationaux aux motifs, d’une part, que la raison se
refusait à admettre qu’il y ait « deux poids, deux mesures (…) pour deux caté-
gories d’enfants » (J. Foyer, Filiation illégitime et changement de la loi appli-
cable, 1964, no 106, p. 72), et d’autre part, que rien ne permettait d’affirmer
que les lois d’un État protégeraient mieux les intérêts de ses nationaux que les
lois d’un autre État (Pallard, art. préc., Rev. crit. 1952. 632). S’il était fait
place à l’idée de faveur dans notre domaine, ce ne devait pas être au profit des
seuls enfants français mais de tous les enfants.
Là résidait au demeurant une autre possibilité d’explication des arrêts pré-
cités. Celle-ci fut systématisée par le doyen Batiffol qui souligna que les
diverses décisions de la Cour de cassation revenaient à affirmer que l’enfant
pouvait se placer au moment qui lui est le plus favorable pour déterminer la
loi applicable (Batiffol, « Chronique de jurisprudence internationale », Rev.
crit. 1934. 622). En décidant par l’arrêt ci-dessus reproduit que « dans la
poursuite de l’établissement de sa filiation, l’enfant peut se prévaloir des dis-
positions qui lui sont les plus favorables », la Cour de cassation consacra cette
analyse, même si elle fit encore référence à titre subsidiaire à la vieille expli-
cation procédurale (sur sa critique v. Motulsky, note, Rev. crit. 1950. 70). De
sous-jacente qu’elle était, la faveur devenait la solution de principe du conflit
mobile.

5 La proposition était hardie. Exclusive de l’idée de justice (Roubier, Les


conflits dans le temps, t. I, p. 447 et s., t. 2, p. 342; Droit transitoire, p. 232
et s., p. 283 et s.), la notion de faveur est, en outre, singulièrement fuyante.
Quel est au juste l’objet de la faveur ? S’agit-il de l’intérêt concret que l’enfant
poursuit dans le procès ou de l’intérêt d’avoir un père légal ? (Francescakis,
« Une extension discutable de la jurisprudence Rivière : l’application de la loi
du domicile commun et la filiation légitime », Clunet 1956, no 14, p. 280). En
d’autres termes, est-ce une faveur pour l’enfant ou une faveur à l’établissement
de la filiation ? Certes les deux coïncident lorsque, comme en l’espèce, l’enfant
a pris l’initiative d’une action destinée à établir le lien de filiation. Mais il n’en
va plus de même en cas de reconnaissance; l’arrêt Fontaine (supra, no 17) est
là pour l’attester. A supposer cette question résolue, comment déterminer la
loi la plus favorable ? Faudra-t-il rechercher in abstracto quelle est la loi
préférable ou choisir in concreto la loi qui assure la meilleure protection
dans une hypothèse déterminée ? Tout en s’imposant certainement, la seconde
solution laisse place à beaucoup d’incertitude (sur toutes ces questions, v. Jac-
ques Foyer, thèse préc., nos 150 et s.; Kisch, « La loi la plus favorable », Jus et
lex, Mélanges Max Gutzwiller 1959, p. 373 et s.; P.M. Patocchi, Règles de rat-
tachement localisatrices et règles de rattachement à caractère substantiel,
1985, nos 611 et s., p. 303 et s.).
21 VERDIER — CASS., 5 DÉCEMBRE 1949 189

Aussi, constatant les difficultés inhérentes à l’idée de faveur, la plupart des


auteurs préconisaient-ils d’en faire non la solution de principe, mais un simple
correctif d’équité. Compétence aurait été donnée à la loi nationale de l’enfant
— au jour de la naissance pour les uns (Batiffol, Traité, 3e éd., no 478), au jour
de la dernière décision définitive pour les autres (Pallard, art. préc., Rev. crit.
1952. 633; 1953. 61 et s.; J. Foyer, thèse préc., nos 137 et s., p. 97 et s.) — le
second rattachement revêtant un caractère non plus alternatif mais subsidiaire.
Cette suggestion fut entendue par la Cour de Paris qui, dans l’arrêt Hasenpouth
(Paris, 18 mars 1954, Rev. crit. 1955. 116, note Batiffol), décida que « l’action
en recherche de paternité naturelle est régie par la loi nationale de l’enfant lors
de sa naissance, la faculté étant d’ailleurs accordée à un enfant étranger devenu
français par la suite de se prévaloir de la loi française, si elle lui est plus
favorable ». Quelques années plus tard, le principe du choix de la loi la plus
favorable fut, au reste, condamné de manière très nette par la Cour de cassation
de Belgique. (Cass. belge 24 mars 1960, Pas. 1960. 860, Rev. crit. 1961. 367,
note Graulich, Les grands arrêts de la jurisprudence belge, Droit international
privé par F. Rigaux et G. Zorbas 1981, p. 270). Néanmoins l’idée de faveur con-
nut un retour éclatant avec l’arrêt Witschy (Paris, 29 juin 1963, Rev. crit.
1964. 300, concl. Souleau, note Graulich). Celui-ci décida en effet, à l’occasion
d’une action en recherche de maternité naturelle intentée par un enfant français
contre une Suissesse, « que dans le cas où la même loi ne régit par le statut per-
sonnel d’une mère naturelle et celui de son enfant, la loi personnelle qui doit
recevoir application est celle dont la mise en œuvre s’avère la plus favorable à
l’établissement du lien de filiation ». C’est dire qu’à travers cette décision
l’autonomie de la volonté pénétrait en force dans le droit international privé de
la filiation. Il ne s’agissait plus, en effet, comme dans l’arrêt Verdier, d’un choix
à l’intérieur du rattachement mais d’un choix du rattachement (J. Foyer, thèse
préc., no 158, p. 111). Isolée en son temps, cette décision n’en témoignait pas
moins des progrès marqués par la notion de la loi la plus favorable.

6 Ce courant devait ultérieurement trouver son plein épanouissement avec la loi


du 3 janvier 1972. Tout en soumettant l’établissement de la filiation à la loi
nationale de la mère, celle-ci ménage en effet, une large place à l’idée de faveur.
Mais comme si le législateur s’était plu à désorienter les commentateurs, cette
consécration revêt, sur ce point comme sur d’autres, un tour inattendu. Les nou-
velles dispositions suppriment en effet toute référence à la faveur là où elle était
reçue, pour l’introduire là où elle était exclue ! Plus précisément, l’article 311-14
prévoit qu’en cas de conflit mobile l’établissement du lien de filiation relève de
la loi de la mère au jour de la naissance; l’option ouverte par l’arrêt Verdier dis-
paraît. En revanche, dans le souci de favoriser aussi bien la reconnaissance et
l’action à fin de subsides que, à cette époque, la légitimation, l’article 311-16
(abrogé par l’ordonnance du 4 juillet 2005) comme les articles 311-17 et 311-18
multiplie les rattachements (A. Boiché, La notion de faveur dans les règles de
conflit de lois relatives à la filiation, thèse Toulouse, 2001). Ainsi l’apport
méthodologique de l’arrêt Verdier prospérait-il au moment même où sa solution
positive se périmait (v. en ce sens, Jacques Foyer, « Problèmes de conflits de lois
en matière de filiation », Rec. cours La Haye, 1985, t. IV, p. 39).
190 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 21

II. La méthode

7 La règle de conflit de lois n’a pas pour objet d’édicter une réglementation
substantielle des relations internationales mais de désigner l’ordre juridique
auquel celle-ci sera empruntée. À cet effet, elle indique par l’entremise d’un
rattachement quel est, pour un type donné de question de droit, l’ordre juridi-
que avec lequel celle-ci entretient les liens les plus significatifs. La considéra-
tion de la teneur des règles substantielles en conflit n’intervient donc pas dans
ce processus; peu importe, sous réserve du correctif a posteriori de l’ordre
public, le résultat auquel chacune d’entre elles conduit. Afin d’exprimer ce
trait traditionnel de la règle de conflit, on dit qu’elle est neutre (Y. Loussouarn,
« La règle de conflit est-elle une règle neutre ? » Trav. com. fr. dr. int. pr. 1980-
1981, p. 43 et s.).
Or cette neutralité est aujourd’hui battue en brèche. Ainsi que le notait le
Doyen Ripert pour le déplorer (Le régime démocratique et le droit civil
moderne, nos 81 et s.), le droit interne est de plus en plus souvent animé par le
dessein de défendre les intérêts de telle ou telle catégorie jugée particulière-
ment digne d’attention : l’enfant, le salarié, le consommateur,… Cette évolu-
tion n’est pas sans conséquence sur le droit international privé (v. F. Leclerc,
La protection de la partie faible dans les contrats internationaux, thèse Stras-
bourg, éd. 1995; P. Mayer, « La protection de la partie faible en dr. int. pr. »,
in La protection de la partie faible dans les rapports contractuels, 1996,
p. 513 et s.). Notamment, et parmi d’autres démarches, le souci de faveur se
traduit par l’apparition de « règles de rattachement à caractère substantiel »
(F. Soirat, Les règles de rattachement à caractère substantiel, thèse Paris I,
1995) encore nommées « règles de conflit à finalité matérielle » (Batiffol et
Lagarde, t. I, no 269). Par ce mécanisme, le législateur rompt avec la tradi-
tion de la détermination d’une loi unique, pour ouvrir un éventail. Parmi les
différentes lois ainsi visées, la compétence appartient à celle qui permet de
parvenir à la solution qui a sa faveur. On est alors en présence de règles hybri-
des qui constituent un « procédé intermédiaire entre la règle de conflit classi-
que et la règle purement substantielle » (P. Mayer et V. Heuzé, no 140). On a
pu parler à leur propos d’une « pluralité organisée » de rattachements — par
opposition à la « pluralité subie » résultant d’un « incident » dans l’applica-
tion de la règle de conflit (J.-P. Laborde, La pluralité du point de rattachement
dans l’application de la règle de conflit, thèse multigr., Bordeaux, 1981, no 123).
8 Les règles de rattachement à caractère substantiel revêtent des physiono-
mies variées. La « matérialité » de la règle de conflit qui fait l’unité de la caté-
gorie peut, en effet, être plus ou moins affirmée. À classer ces règles, en allant
de celles dont le caractère substantiel est le moins marqué à celles où il l’est le
plus, on a pu discerner trois catégories qu’on a proposé de dénommer : « option
de législation, directives conflictuelles à caractère matériel, règles ordonnant
la prise en considération d’une règle éventuellement étrangère » (F. Soirat,
op. cit., p. 12 et s., nos 12 et s.).
L’option de législation laisse à ou aux intéressés le soin de choisir la loi
applicable à une question donnée au sein d’une palette de lois qu’elle présé-
21 VERDIER — CASS., 5 DÉCEMBRE 1949 191

lectionne. C’est ainsi que l’ancien article 311-16, alinéa 2 du Code civil (abrogé
par l’ordonnance du 4 juill. 2005) disposait que « la légitimation par autorité
de justice est régie, au choix du requérant, soit par la loi personnelle de celui-ci,
soit par la loi personnelle de l’enfant ». En ouvrant une telle option, le législa-
teur témoignait de sa sollicitude pour le but poursuivi par les intéressés. Mais
il leur abandonnait la responsabilité d’élire, parmi les lois qui constituent les
termes de l’option, celle qui satisfaisait au mieux leur intérêt.
La directive conflictuelle à caractère substantiel confie au juge le soin de
désigner au sein d’un éventail de lois prédéfini, à propos d’une question de
droit déterminée, la loi la plus favorable à l’intérêt d’une personne abstraite-
ment défini. Les lois prédésignées peuvent l’être au moyen de critères objec-
tifs mais aussi parfois de critères subjectifs. Ainsi en va-t-il de la lecture qui
est aujourd’hui majoritairement faite des articles 5 et 6 de la Convention de
Rome relatifs au contrat de consommation et au contrat de travail. Selon ces
textes, ces contrats sont soumis à la loi choisie par les intéressés, mais le
consommateur ou le salarié ne peut être privé de la protection prévue par une
autre loi objectivement définie — loi de la résidence habituelle du consomma-
teur, loi du lieu d’exécution du travail si elles sont confortées par certains
indices — laquelle constitue en quelque sorte un plancher (F. Soirat, op. cit.,
no 554, p. 276; P. Mayer, art. préc., in La protection de la partie faible dans
les rapports contractuels, p. 527).
La règle qui prend en considération d’autres règles pose qu’un certain
résultat est atteint s’il est admis par les lois visées par le texte. Ainsi en va-t-il
de l’article 311-17 du Code civil qui dispose « la reconnaissance volontaire de
paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la
loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l’enfant ». Le résul-
tat matériel poursuivi par la règle — la validité de la reconnaissance — est
atteint, si l’une des lois visées le consacre. Il a été souligné que, dans cette
hypothèse on n’est plus, à proprement parler, en présence d’une règle de
conflit mais d’une « règle substantielle interne qui prend en considération des
règles éventuellement étrangères » (P. Mayer et V. Heuzé, nos 140 et 610). Et
de fait, en énonçant qu’un résultat est atteint s’il est admis par une des lois
visées au texte, ces règles ne font pas de la désignation de la loi étrangère
l’effet juridique de la règle mais une composante de son présupposé. Elles
novent en éléments constitutifs d’une norme française, les éléments de droit
étranger qu’elles prennent en considération (rappr. Ancel et Lequette, note, Rev.
crit. 1987. 390) (1).
9 Sur cette analyse se greffe une autre distinction qui tient à la méthode utili-
sée pour désigner les lois qui doivent être prises en considération. Cette dési-
gnation peut, en effet, être cumulative, alternative ou subsidiaire.
Dans le premier cas, il faut que toutes les lois visées permettent d’atteindre
le résultat poursuivi pour que cette solution soit consacrée. Dans le deuxième

(1) La règle de l’article 311-17 peut s’énoncer : si une reconnaissance a été établie conformé-
ment, soit à la loi personnelle de l’auteur, soit à la loi personnelle de l’enfant, alors la reconnais-
sance est valable (J. Héron, Rev. crit. 1987. 345).
192 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 21

cas, il suffit qu’une des lois visées permette d’atteindre le résultat recherché
pour que celui-ci soit consacré. Ainsi en va-t-il de l’article 311-17 déjà cité ou
encore de l’ancien article 311-16, alinéa 1 du Code civil. Dans le troisième cas,
qui n’est qu’une variante du précédent, les lois visées doivent être prises en
considération dans un certain ordre. Ainsi en matière d’aliments, la Conven-
tion de La Haye du 2 octobre 1973 prévoit que ceux-ci seront dus si la loi de
la résidence habituelle le prévoit; à défaut de pouvoir obtenir des aliments
selon cette loi il conviendra de consulter la loi nationale commune des intéres-
sés, à défaut encore, la loi du for. Pour rendre compte de cette subsidiarité, on
parle de rattachements hiérarchisés ou encore « en cascade » (P. Lagarde, Rev.
crit. 1986. 62).
Il ne faut pas, au reste, exagérer l’importance de la distinction entre règle à
rattachement alternatif et règle à rattachement cumulatif. Toutes deux ne sont,
en effet, que les deux faces d’une même réalité qui peut être formulée soit
sous une forme alternative, soit sous une forme cumulative (Kisch, « La loi la
plus favorable », Mélanges Max Gutzwiller, p. 373, spéc. p. 383). Prenons,
pour illustrer ce propos, l’exemple de l’article 311-17 du Code civil qui énonce
que la reconnaissance est valable si elle est faite en conformité soit de la loi
personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l’enfant. Il y a là une
règle alternative pour celui qui soutient que cette reconnaissance est valide.
En revanche, cette même règle sera cumulative pour celui qui en contestera la
validité : il devra, en effet, pour obtenir gain de cause, démontrer que la
reconnaissance est nulle à la fois selon la loi de son auteur et la loi de l’enfant
(rappr. Jacques Foyer, note, Rev. crit. 1995. 713; Civ. 1re, 6 juill. 1999. Rev.
crit. 2000. 824, D. 1999. 369, concl. Sainte Rose).
Imaginons, à l’opposé, une règle cumulative qui, à l’image de l’arrêt Rossi
de la Cour de cassation belge (16 févr. 1955, Clunet 1955. 930, note Philonenko,
Rev. crit. 1955. 143, concl. Hayoit de Termicourt, note Rigaud; Les grands
arrêts de la jurisprudence belge, préc., p. 245; 14 déc. 1978, Bigwood, RCJB
1979. 111, note F. Rigaux), disposerait, en cas d’époux de nationalité dif-
férente, que le divorce ne pourrait être prononcé que s’il était prévu par leurs
deux lois respectives. La règle est évidemment cumulative pour l’époux qui
demande le divorce. Mais elle est alternative pour celui qui s’oppose à cette
demande; la demande en divorce sera repoussée s’il démontre qu’une des
deux lois ne l’admet pas. Là encore, la règle de rattachement aurait pu être
énoncée sous une forme alternative et non cumulative : le divorce sera refusé
s’il n’est pas admis par l’une des lois personnelles en présence.
On constate ainsi, si l’on veut bien faire abstraction des arrière-pensées de
leur auteur, qu’il n’y a pas des règles alternatives et des règles cumulatives :
toute règle alternative est en même temps cumulative, et réciproquement. Il
est, au demeurant, évident que la faveur pour une solution implique une défa-
veur pour l’autre ! Mais comme il est plus confortable de marquer sa faveur
que sa défaveur, le législateur préfère généralement la formulation en termes
de règle alternative.
10 En conclusion, on soulignera que la technique des règles de rattachement à
caractère substantiel dont l’arrêt Verdier a été l’initiateur ne devrait être admise
21 VERDIER — CASS., 5 DÉCEMBRE 1949 193

en droit international privé qu’à titre tout à fait exceptionnel. Il n’est, en effet,
pas sain que la règle de conflit marque une préférence pour l’une des solutions
en présence. Ainsi qu’on l’a justement mis en relief, « toute règle de droit
privé tend à réaliser un équilibre entre les multiples intérêts qui s’affrontent
dans les relations entre individus. Que cet équilibre puisse être situé en un
point différent par les divers législateurs est le signe qu’aucune solution n’est
évidente, que la pesée est complexe, que peut-être aussi les intérêts en pré-
sence ne sont pas partout les mêmes. Dès lors, il paraît un peu grossier d’affir-
mer que la balance qui penche le plus dans un certain sens est nécessairement
la plus juste » (P. Mayer et V. Heuzé, no 138). En outre, ces règles alternatives
qui ne sont que le reflet des politiques étatiques risquent de cristalliser, sur le
terrain des conflits de lois, les divergences existant entre les droits matériels
des différents États alors que l’expérience de l’œuvre législative et de ses dif-
ficultés devrait plutôt enseigner à ceux-ci « un sain relativisme et une appré-
ciation plus large des choses » (P. Lagarde, « Le principe de proximité dans
le droit international privé contemporain », Rec. cours La Haye, 1986, t. I,
no 45; Lalive, « Tendances et méthodes en droit international privé », Rec.
cours La Haye, 1977, t. II, p. 189; v. cep. les appréciations plus nuancées de
P. M. Patocchi, op. cit., p. 272 et s.). Et ceci d’autant plus que sous le couvert
d’une faveur à un certain type de solution matérielle se dissimule, en réalité,
une faveur à la loi du for. En effet, si le législateur prend, au plan international,
le soin d’énoncer une règle de conflit partiale, une règle de conflit orientée ou
engagée, dit-on encore parfois (D. Mayer, Clunet 1977. 458; J. Foyer, Clunet
1977. 665; B. Ancel, note Rev. crit. 1980, p. 566), c’est le plus souvent parce
qu’au plan interne son droit retient une solution matérielle très favorable au
résultat que poursuit la règle de conflit. Dès lors, la loi française qui figure
habituellement parmi les législations désignées par l’éventail des rattache-
ments a toutes les chances de l’emporter, non certes en tant que loi du for, mais
en raison de son contenu (Y. Lequette, « Aspects récents de l’évolution du droit
international privé de la famille », Trav. Capitant 1988. 468 et s., spéc. p. 476).
Il faut néanmoins constater que ce type de règles jouit aujourd’hui d’une
vogue certaine. Il est, en effet, employé fréquemment non seulement par le
législateur mais aussi par les rédacteurs de conventions (v. par ex., art. 1er, Conv.
de La Haye du 5 oct. 1961 sur la forme des testaments; art. 4, al. 1, Conv. de
La Haye du 2 oct. 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires;
art. 9, Conv. de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’acci-
dents de la circulation routière [v. H. Gaudemet-Tallon, « L’utilisation de règles
de conflit à caractère substantiel dans les conventions internationales (l’exem-
ple des Conventions de La Haye) », Mélanges Yvon Loussouarn, 1994, p. 181]).
22
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., sect. civ.)
21 juin 1950

(Rev. crit. 1950. 609, note Batiffol, D. 1951. 749, note Hamel,
S. 1952. 1. 1, note Niboyet, JCP 1950. II. 5812, note J. Ph. Lévy)
Contrat. — Rattachement nécessaire à la loi d’un État. —
Emprunt international. — Validité des clauses monétaires. —
Règle matérielle de droit international privé. —
Ordre public international.

Tout contrat est nécessairement rattaché à la loi d’un État.


Constitue un emprunt international l’opération qui implique un double
mouvement de fonds de pays à pays, la société débitrice ayant son siège en
France empruntant à l’étranger des fonds pour les besoins de son exploi-
tation et devant rembourser les prêteurs sur des places étrangères.
Il appartient aux parties à un tel contrat de convenir, même contrairement
aux règles impératives de la loi interne appelée à régir leur convention, une
clause valeur-or, dont la loi française du 25 juin 1928 reconnaît la validité
en conformité avec la notion de l’ordre public international.

(État français c/Comité de la Bourse d’Amsterdam et Mouren)

Faits. — En juin 1927, la Société des Messageries Maritimes émet au Canada un


emprunt obligataire. Les titres de cet emprunt mentionnent l’engagement de l’emprun-
teur d’assumer le payement du principal et de l’intérêt « aux guichets des agents fis-
caux, la Royal Bank of Canada à Montréal et à Toronto, en monnaie-or du Dominion du
Canada égale à l’étalon de poids et de finesse existant au 1er jour de mai 1927 ».
La totalité de l’emprunt est levée par la banque Wood Gundy de Toronto qui en place
9,5 millions de dollars au Canada et 1,5 million aux Pays-Bas. Le prospectus publié dis-
tinctement en ce pays rappelle l’engagement de payer en monnaie-or du Canada et offre
en plus d’en assurer l’exécution, au choix du porteur, soit au Canada soit en Hollande,
en florins au cours du jour.
C’est de ce placement en Hollande que vont venir les difficultés à la suite de la loi
canadienne du 10 avril 1937, prohibant les clauses valeur-or. S’appuyant sur le fait que
l’emprunt a été émis et est payable au Canada, la société débitrice prétend que la clause
monétaire qu’il comporte est devenue caduque par l’effet du Gold Clause Act de 1937
et que désormais le service de l’emprunt ne peut être assuré qu’en dollars-papier. Cette
prétention ferait supporter aux prêteurs le poids de la dépréciation qui de plus en plus
frappe la monnaie-papier par rapport à la monnaie-or de 1927.
Mais certains porteurs qui avaient souscrit en Hollande et parmi eux, le Comité de la
Bourse d’Amsterdam — à la cotation de laquelle l’emprunt en sa totalité avait été admis
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 195

— demandèrent l’exécution en Hollande de l’engagement de verser les intérêts et de


rembourser le capital amorti en monnaie-or, ou plus précisément de payer en florins une
somme correspondant, pour chaque titre d’emprunt, à la quantité d’or de poids et de
finesse définis par la loi canadienne le 1er mars 1927. Ils soutenaient ainsi que le Gold
Clause Act de 1937 n’avait pas affecté l’étendue de leur droit de créance laquelle était
déterminée par les seuls engagements de la société émettrice, consignés tant sur les
titres émis au Canada que sur le prospectus publié en Hollande.
Le Tribunal de la Seine accueillit la demande des porteurs par jugement du 16 novem-
bre 1938 (reproduit sous Paris, 24 avr. 1940, S. 1942. 2. 29, note Niboyet), aux motifs
que lors de la conclusion du contrat — qui constituait une opération internationale,
comportant un double mouvement de fonds de pays à pays — les parties n’avaient eu
l’intention de faire régir le paiement « ni par la loi canadienne, ni par la loi néerlandaise,
mais par la loi qui résultait de leur convention » — laquelle n’avait pas à souffrir de la
prohibition ultérieure de la clause-or « disposition restreinte au territoire du pays qui
l’édicte », puisque le paiement n’était pas demandé au Canada où s’appliquait le Gold
Clause Act, mais aux Pays-Bas où la nullité des clauses-or imposée par une loi du
24 mai 1937 épargnait « les emprunts cotés à la Bourse d’Amsterdam ».
Par arrêt du 24 avril 1940 (S. 1942. 2. 29, préc.), la Cour de Paris confirmait. Rele-
vant dans les mêmes termes le caractère international de l’opération, elle déclare que
« la Société des services contractuels des Messageries maritimes est mal fondée à pré-
tendre que le contrat devait être nécessairement rattaché à la législation d’un pays
déterminé » et « qu’en matière de règlement international, la convention d’où résulte
stipulation d’un payement en or, fait la loi des parties » — étant observé que « ni la loi
hollandaise qui est celle du lieu où le payement est demandé, ni la loi française qui est
celle de la défenderesse, ne mettent obstacle au payement tel que les parties l’ont
prévu ».
La Société des services contractuels des Messageries Maritimes se pourvoit en cas-
sation.

ARRÊT
(aprés délib. en la ch. du cons.)
La Cour; — Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches : — Attendu
que l’arrêt attaqué énonce qu’en juin 1927, la Société des Services contractuels
des Messageries maritimes a procédé à un emprunt obligataire de onze millions
de dollars canadiens, dont neuf millions cinq cent mille étaient émis au Canada
et un million cinq cent mille aux Pays-Bas; qu’il était prévu, tant dans les titres
de l’emprunt que dans le prospectus d’émission, que le principal et l’intérêt de
toutes les obligations en circulation seraient payables en monnaie-or du domi-
nion du Canada, égale à l’étalon de poids et de finesse existant au 1er mai 1927;
que le prospectus émis en Hollande offrait, en outre, aux souscripteurs la faculté
de se faire payer, soit au Canada, aux guichets de la Royal Bank, soit aux Pays-
Bas en florins hollandais au cours du jour, promesse étant faite d’une demande
de cotation de la totalité de l’emprunt à la bourse d’Amsterdam;
Attendu que la cour d’appel, à tort selon le pourvoi, condamne la société à
payer aux obligataires sur la place de leur choix, les coupons et les titres amortis,
sur la base de l’or, et non du dollar canadien, tel qu’il a été, postérieurement à
l’emprunt, impérativement défini par la loi canadienne du 10 avril 1937, interdi-
sant la stipulation et l’exécution de toutes clauses-or;
Attendu que, si tout contrat international est nécessairement rattaché à la loi
d’un État, la cour d’appel, interprétant souverainement le contrat litigieux,
relève, tant dans ses motifs propres que dans ceux du jugement qu’elle confirme,
196 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22

qu’il résulte de l’analyse des documents de la cause que l’opération, dont le


règlement est prévu, « en une monnaie stable, de poids et de finesse définis »,
constitue un emprunt international, la société française débitrice, ayant son
siège en France, empruntant à l’étranger des fonds pour les besoins de son
exploitation et devant rembourser les prêteurs sur des places étrangères, ce qui
implique un double mouvement de fonds de pays à pays;
Attendu qu’il appartient aux parties, en un tel contrat, de convenir, même
contrairement aux règles impératives de la loi interne appelée à régir leur con-
vention, une clause valeur-or, dont la loi française du 25 juin 1928 reconnaît la
validité, en conformité avec la notion française de l’ordre public international;
Attendu qu’il résulte des constatations des juges du fond que les contractants
s’étaient référés à la valeur-or du dollar canadien d’après la loi canadienne en
vigueur lors de la formation du contrat et qu’« en spécifiant que la société
emprunteuse serait débitrice d’une quantité d’or déterminée », ils avaient, par
avance, entendu soustraire leurs conventions à toutes mesures législatives, sus-
ceptibles de diminuer le montant de la dette en modifiant le poids et le titre du
dollar-or;
Attendu que cette interprétation, qui se fonde sur celle même que les parties
ont donnée de leurs conventions, expliquées et complétées dans la publicité
faite en Hollande, échappe au contrôle de la Cour de cassation;
D’où il suit qu’en statuant comme il l’a fait, l’arrêt attaqué, qui ne contient
pas de contradictions, et répond aux chefs des conclusions, n’a violé aucun des
textes visés au moyen;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 21 juin 1950. — Cour de cassation (Ch. civ., sect. civ.). — MM. Lyon-Caen, prés.; Lenoan, rapp.;
Fontaine, av. gén. — MMes Célice, Hersant et Chareyre, av.

OBSERVATIONS
1 Cet arrêt apporte deux enseignements essentiels en matière de loi applicable
aux contrats. Le premier résulte de l’affirmation que tout contrat est nécessai-
rement soumis à une loi déterminée; dans le combat des doctrines autour de la
notion de loi d’autonomie, cette solution ne sert pas la tendance subjectiviste,
mais au contraire encourage le courant objectiviste (v. supra, arrêt American
Trading Co, no 11). Le second se déduit de la démarche suivie pour généraliser
la règle française de la liberté de choix de la monnaie de compte dans les
contrats internationaux.
L’autorité de cette décision, en ces deux éléments, est renforcée par le
fait que la Cour de cassation, maintenant l’arrêt attaqué, en désavoue formel-
lement la motivation. Celle-ci, on l’a vu (v. supra), se résume en l’assertion que
la clause monétaire oblige par le seul fait de sa stipulation sous la double
réserve toutefois que, positivement, le payement concerné présente le carac-
tère d’un règlement international et, négativement, qu’elle ne se heurte à aucune
disposition impérative contraire en vigueur au lieu du payement ou dans le
pays du débiteur. La volonté des parties fonde donc à ces seules conditions le
caractère obligatoire de l’engagement. Contrairement à la Cour de Paris, la
Cour de cassation parvient à valider la clause-or sans se rendre au dogme de
l’autonomie de la volonté. Son arrêt est remarquable par la relativité qu’il
introduit dans le régime de la liberté contractuelle.
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 197

La liberté du choix de la monnaie est imposée, même à l’encontre de la loi


du contrat (II). La loi du contrat est imposée au besoin contre la volonté des
parties (I).

I. La nécessaire soumission du contrat international


à la loi d’un État

2 Personne ne doute plus en droit interne que le contrat est assujetti à la loi et
que celle-ci ne lui confère efficacité que s’il est conforme à ses prescriptions :
« les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont
faites » (art. 1134, C. civ.). En revanche, en droit international privé, la thèse
du contrat libre de toute obédience légale a su trouver des partisans et a laissé
quelques empreintes dans la jurisprudence (v. les arrêts cités dans la note sous
l’arrêt American Trading Co, supra, no 11 § 10). L’arrêt étudié rejette cette
doctrine : il n’admet pas plus un contrat affranchi de toute loi (A) qu’un espace
international vide de droit où la liberté des individus s’épanouirait souveraine-
ment (B).
3 A. — Comment un contrat pourrait-il exister sans le secours d’un système
juridique qui, d’une part, préside à l’établissement du rapport d’obligation et
qui d’autre part, confère à chaque contractant le pouvoir de contraindre l’autre
à remplir ses engagements ?
4 Si bien accordée soit-elle, la commune intention des parties ne peut se suf-
fire à elle-même. Elle ne propose qu’un programme qui ne lierait pas les pré-
tendus cocontractants s’il n’était fixé dans sa teneur au jour du contrat par
quelque autorité faute de quoi, en effet, chacun des prétendus contractants
continuerait à obéir à son intérêt du moment et à suivre les variations de sa
volonté. La force obligatoire ne vient pas de la promesse, mais de la valeur
attribuée à la promesse (v. la démonstration de V. Heuzé, La réglementation
française des contrats internationaux, Étude critique des méthodes, 1990,
nos 115 et s.). Cette valeur dépend d’une norme extérieure qui seule détient
les moyens propres à en garantir l’exécution.
Car la contrainte dont il s’agit n’est pas « la contrainte privée que le créan-
cier exercerait seul à seul… » (J. Carbonnier, Droit civil, t. IV, no 141) et qui
facilement se ramènerait à la force brute, mais le « pouvoir d’obtenir de l’État
un peu de cette force dont il a le monopole » (Carbonnier, ibid.). N’étant pas
seulement un acte moral — un engagement d’honneur relevant de l’infra-droit
(B. Oppetit « L’engagement d’honneur », D. 1979 chr., p. 109) —, le contrat
n’engage vraiment que pris en charge par un ordre juridique apte à manœu-
vrer l’appareil de contrainte qu’il a institué (Batiffol, Aspects philosophiques
du dr. int. pr., no 31, p. 75; v. aussi l’opinion de Lord Diplock dans l’affaire
Amin Rasheed Corp. v/Kuwait Insurance Co [1984] AC 50). Certes, cette
nécessaire prise en charge semblerait pouvoir s’opérer au moyen d’une règle
unique énonçant, par exemple, que l’ordre juridique veille à la stricte exécu-
tion des conventions telles que les particuliers les ont librement déterminées
(v. P. Mayer et V. Heuzé, no 702). Mais il est difficile de croire qu’un ordre
198 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22

juridique soit prêt à entériner tout accord des parties, quel qu’il soit. L’exer-
cice de la contrainte est une opération grave qui doit être justifiée par de bon-
nes raisons. L’ordre juridique ne prêtera pas la main à l’accomplissement
d’obligations dont il désapprouverait la formation ou la teneur. S’agissant de
contrat, il s’inquiètera de son existence, de sa validité et pour cela le soumet-
tra à un complexe de règles substantielles s’imposant aux contractants : « il
faut des règles de droit pour savoir s’il y a un accord et dans quelle mesure il
oblige » (Batiffol, Rev. crit. 1950. 614). S’agissant de contrat international,
peut-être ne recourra-t-il pas à son propre droit interne, mais du moins il vou-
dra disposer d’un jeu cohérent de critères d’évaluation qui garantisse un mini-
mum de protection aussi bien aux parties elles-mêmes (consentement, cause,
etc…) qu’aux tiers dont les intérêts seraient susceptibles d’être affectés par les
incidences de l’opération — voire aussi à la collectivité, pour autant que dans
l’hypothèse internationale, elle se laisse identifier (v. R. G., 28 mai 1936, Juris-
tische Wochenschrift, 1936. 2058, Clunet 1937. 951; v. aussi H. Batiffol, « Sub-
jectivisme et objectivisme dans le droit international privé des contrats », Mélanges
Maury, t. I, p. 39 et s., reproduit in Choix d’articles, p. 249 et s.; « Sur la
signification de la loi désignée par les parties », Studi in onore di T. Perassi,
t. I, p. 183, reproduit in Choix d’articles, p. 271). Conclure un contrat, ce n’est
pas seulement compter sur le cocontractant, c’est aussi employer un instru-
ment forgé par le droit (v. la sentence Aramco, Rev. crit. 1963. 272, spéc. p. 312
et H. Batiffol, « La sentence Aramco et le dr. int. privé », Rev. crit. 1964. 647
et s.).
5 Aussi bien, un contrat qui prétendrait se libérer des lois quelles qu’elles
soient constituerait un véritable prodige (Zweigert, « Vertrage zwischen staat-
lichen und nichtstaatlichen Partnern », Berichte der deutschen Gesellschaft für
Völkerrecht, Heft 5 (1964) p. 195, spéc. p. 199). À moins que par extraordi-
naire, il n’ait prévu et réglé toutes les éventualités que peut rencontrer son
application, il laissera ses auteurs sans indication sur ce que dans telle ou telle
conjoncture inopinée, ils peuvent attendre l’un de l’autre : l’engagement alors
sera vide. En outre il faut observer que les stipulations expresses d’un contrat
— aussi détaillées qu’on voudra — ne seront jamais claires et explicites que
par référence à un code qui s’impose aux deux parties. S’il était loisible à cha-
cun d’entendre à sa façon ses propres obligations et celles de l’autre, il n’y
aurait le plus souvent aucun accord.
Il est vrai que pour vaincre ces difficultés, les partisans du contrat sans loi
recommandent aux parties de convenir d’une loi à laquelle se reporter en cas
de lacune ou d’obscurité de leurs stipulations. Mais la mise en œuvre de cette
recommandation « subjectiviste » transforme le rapport d’indépendance que
le contrat sans loi prétendait établir entre la volonté des parties et les ordres
juridiques étatiques en une relation de subordination à l’avantage de la pre-
mière, qui rend très suspecte sa légitimité. Celle-ci domine ceux-là, ce
qu’exprime la doctrine en parlant d’incorporation de la loi dans le contrat
(v. H. Batiffol « Subjectivisme et objectivisme… », art. préc., « Sur la signifi-
cation de la loi… », art. préc.; J.-M. Jacquet, « L’incorporation de la loi dans
le contrat », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1993-95, p. 23 et s.), de sa contractuali-
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 199

sation (J.-M. Jacquet, Principe d’autonomie et droit applicable aux contrats


internationaux, 1981, p. 27 et s.), voire de son appropriation (v. H. Batiffol,
« La loi appropriée au contrat », Études Goldman, p. 1, spéc. p. 5). Alors
qu’en droit interne, le contrat est l’outil que la loi offre à la liberté, en droit
international privé, la loi serait l’outil que la liberté offrirait au contrat (sur les
rapports entre l’impératif et le rationnel dans les contrats internes et interna-
tionaux, D. Bureau, « L’extension conventionnelle d’un statut impératif », Liber
amicorum Ph. Malaurie, Défrénois 2005, p. 125 et s.). Les éléments sont cons-
tants, mais les fonctions s’inverseraient. Le contrat international serait un autre
contrat.
Selon les partisans de la conception subjectiviste, cette liberté propice au
développement des échanges internationaux mériterait une considération toute
spéciale parce qu’elle se déploie dans un milieu distinct de ceux que gèrent
les ordres juridiques étatiques (comp. L. Peyrefitte « Le problème du contrat
dit sans loi », D. 1965, chr. 113). Mais confiant de la sorte aux contractants
la tâche de construire eux-mêmes, par et pour leur contrat, un ordre juridique
ad hoc (v. Verdross, « Die Sicherung von ausländischen Privatrechten aus
Abkommen zur wirtschaftlichen Entwicklung mit Schiedsklauseln », Zeits-
chrift für ausländisches öffentliches und Völkerrecht, vol. 18 (1957-1958)
p. 135 et s.), cette conception, qui confine à la pétition de principe, suppose en
outre que le terrain est libre pour recevoir cette architecture… Elle cultive le
mythe de l’espace international vide de droit — et qu’il appartiendrait à la
volonté privée de remplir.
6 B. — L’espace international dans lequel se développent les relations contrac-
tuelles serait vide de droit. L’hypothèse très aventurée a été clairement condam-
née par la juridiction internationale, quelque vingt années avant la Cour de
cassation : « tout contrat qui n’est pas un contrat entre États en tant que sujets
du droit international a son fondement dans une loi nationale… » (CPJI,
12 juill. 1929, Emprunts serbes et brésiliens, Clunet 1929. 1002 ; rappr.
Com., 4 févr. 1992, Rev. crit. 1992. 495, note P. Lagarde).
Le fait est qu’il est aisé de se convaincre qu’il n’y a entre les ordres juridi-
ques étatiques aucune aire libre de droit : ceux-ci ont en effet une aptitude
naturelle à s’emparer de tous les rapports internationaux, soit grâce à la voca-
tion illimitée de leurs lois (1°), soit par l’effet de la réception d’un droit privé
commun international (2°).
7 1°) En principe, les lois des États ne bornent pas leur domaine d’activité aux
frontières de l’ordre juridique qui les édicte. Certes, il arrive que des règles
soient cantonnées dans un périmètre préétabli, mais loin de remettre en cause
le principe, ces exceptions apportent un démenti supplémentaire à la thèse de
l’impuissance des lois étatiques à régir l’espace international.
De ces exceptions, la présente affaire propose une première illustration : la
loi française du 25 juin 1928, prohibant les clauses monétaires limite elle-
même son autorité aux opérations internes. La jurisprudence Galakis (v. infra,
no 44) fera de même à propos des textes (art. 83 et 1004, anc. C. pr. civ.)
édictant que l’État ne peut compromettre (v. aussi le cantonnement de l’arti-
cle 48, NCPC, arrêt Cie de Signaux et d’Entreprises électriques, no 69). Ces
200 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22

solutions ne soustraient pas pour autant les contrats internationaux à l’emprise


des règles françaises; elles les assujettissent seulement à d’autres règles fran-
çaises de teneur contraire…
La seconde illustration du phénomène exceptionnel d’autolimitation est
offerte par le groupe des lois de police. À l’évidence, cette illustration balaye
l’opinion que les lois des États n’ont pas de vocation naturelle à régir les
contrats internationaux. Les règles de ce genre ne sont-elles pas en effet, par
définition, des règles étatiques de droit interne qui se soumettent les situations
internationales aussi loin qu’il est nécessaire à la réalisation des objectifs que
leur assigne le pouvoir qui les édicte (v. infra, arrêt Cie internationale des
Wagons-lits, no 53) ? Et ce besoin d’application internationale est si intense, si
pressant qu’il est généralement considéré (même par les partisans du contrat
sans loi) comme s’imposant aux contractants (v. K. Neumayer, « Autonomie
de la volonté et dispositions impératives en dr. int. privé des obligations » Rev.
crit. 1957. 579 et 1958. 53). Ainsi, les limitations qu’un ordre juridique étati-
que fixe à l’application de ses propres solutions n’expriment aucunement cette
espèce de repli sur soi-même que la doctrine de l’incorporation suppose.

8 D’ailleurs ce prétendu repli est en contradiction totale avec la nature des


règles ordinaires de droit privé. Propositions normatives universelles énoncées
sur le mode abstrait, celles-ci ne sont emprisonnées ni dans un moment, ni
dans un milieu. Déjà formulée de manière générale (v. supra, arrêt Busqueta,
no 1), l’observation s’applique à la matière des contrats. Ainsi l’erreur sur la
substance qu’envisage l’article 1110 du Code civil n’est pas moins susceptible
de provoquer l’annulation du contrat lorsque celui-ci, par certains de ses élé-
ments, se développe hors de l’ordre juridique français.
La seule difficulté, à ce stade, est qu’en raison de son applicabilité illimitée,
la règle étatique ordinaire de droit privé rencontrera, avec l’existence des lois
des autres États — dotées d’une vocation égale et concurrente — le phéno-
mène du conflit de lois aussitôt que l’opération contractuelle présentera un
caractère international (v. P. Mayer, La distinction… op. cit., nos 110 et s.;
P. Mayer et V. Heuzé, no 80 et s.). Dans cette hypothèse ce n’est pas le défaut,
mais au contraire l’excès des lois étatiques qui appelle une réaction. Le postu-
lat de la thèse subjectiviste est ainsi renversé; il ne s’agit pas d’étendre à un
espace international réputé vacant les effets et les bienfaits d’une loi étatique
impuissante à les y apporter d’elle-même; il s’agit de réaliser sur un contrat
déterminé la vocation naturelle d’une loi étatique.
On en retiendra que la représentation géométrique du problème, qui
découpe sur la surface du globe un secteur international extra-étatique, est
trompeuse. Entre les ordres juridiques — qui en principe ne se réduisent pas à
un territoire, mais embrassent aussi et d’abord une population et avec elle
toute une vie sociale — il ne s’étend pas « cet heureux Nirvana des contrats »,
dont parle Niboyet (S. 1936. I. 377). Il n’y a aucune aire vierge, aucun espace
de non-droit. Il y a simplement des rapports contractuels qui se développent
simultanément dans plusieurs ordres juridiques et qui, de la sorte, joignent
ceux-ci entre eux sans laisser de faille que la volonté privée des contractants
pourrait à sa guise combler.
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 201

9 2°) Ceci étant, l’emprise des ordres juridiques étatiques ne saurait être aussi
ferme à l’égard des contrats internationaux qu’à l’égard des opérations inter-
nes. Par définition, ceux-là ne leur appartiennent pas entièrement. Aussi bien,
l’aspiration à se dégager de la férule des États n’est pas absolument illégitime.
Elle s’exprime par l’emploi, à côté de l’outillage d’origine étatique, d’élé-
ments indépendants des États et propres aux relations économiques interna-
tionales.
On constate en effet que, dans des cas de moins en moins rares, l’opération
contractuelle déborde par son ampleur tout système national (que l’on songe
seulement ici aux transports maritimes ou aériens internationaux, v. infra,
arrêt Galakis, no 44) ou encore qu’aucune loi n’est en mesure de l’organiser,
en raison de sa teneur ou de la position respective des parties (v. Batiffol et
Lagarde, t. II, no 578, à titre d’exemples : les concessions d’exploitation de
ressources du sous-sol ou les contrats d’investissement industriel liant un
État-hôte et des entreprises privées, les State contracts). À ces éventualités
répondent notamment des règles de droit matériel d’origine non étatique se
constituant, avec le concours des juridictions arbitrales et aussi des tribunaux
étatiques, sur la base des usages, des contrats-types et des conditions généra-
les de livraison. Cette évolution suggère alors de distinguer « le contrat sans
droit, dépourvu de tout lien avec un système de droit quelconque… et le contrat
sans loi, seulement privé d’un rattachement à une loi étatique, tout en s’insé-
rant dans un autre système juridique de type non étatique, tel qu’un droit
marchand spontané et coutumier… » (B. Oppetit, art. préc., D. 1979, chr.
p. 109). Ainsi le principe que « tout contrat est nécessairement rattaché à la
loi d’un État » supporterait désormais une exception en faveur des contrats
relevant du droit privé commun des rapports commerciaux internationaux.
10 On observera d’abord qu’ainsi gouverné par ce droit privé commun, le
contrat n’est pas abandonné à lui-même, et que la jurisprudence française
paraît encline à s’accommoder de son application pourvu que ses solutions se
fixent en des règles s’articulant en un règlement global, extérieur aux parties
(comme à l’arbitre, le cas échéant) et correspondant rationnellement à leur pro-
jet contractuel (v. Civ. 1re, 22 oct. 1991, Compañia Valenciana, Rev. crit. 1992.
113, note B. Oppetit, Clunet 1992. 177, note B. Goldman, Rev. arb. 1992. 457,
note P. Lagarde, RTD com. 1992. 171, obs. J. C. Dubarry et E. Loquin; rappr.,
Com., 4 févr. 1992, Hilaire Maurel, Rev. crit. 1992. 495, note P. Lagarde,
réputant règles de droit les dispositions non applicables de plein droit
d’une convention internationale ayant fait l’objet d’une clause Paramount;
v. A. Malan, Clunet 2004, p. 443 et s.). Sans doute récemment encore, il fallait
relever que ces règles issues de la pratique du commerce international ne résol-
vaient que les difficultés les plus fréquentes ou les plus spectaculaires et
qu’elles ne constituaient pas un système de droit matériel. Aussi bien, le New
Law Merchant (C. Schmithoff, Current Law and Social Problems, 1961. 2,
p. 129; The Export Trade, 4e éd. 1962) ou la Lex mercatoria (C. Schmithoff,
ibid.; B. Goldman « Frontières du droit et Lex mercatoria », APD 1964,
p. 177, « La Lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux :
réalités et perspectives », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1977-1979, p. 221; D. Bureau.
202 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22

Les sources informelles du droit dant les relations privées internationales,


thèse Paris II, 1992) ou encore l’ordre mercatique (Ph. Kahn, in Études Gold-
man, Paris, 1982, p. 95) que d’aucuns déjà discernaient, ne proposaient encore
qu’une échantillonnage de solutions ponctuelles qui en raison de son mode
d’élaboration n’offrait pas le caractère systématique qui lui aurait donné la
possibilité de combler par lui-même ses propres lacunes à partir des éléments
constitués (v. P. Lagarde, « Approche critique de la Lex mercatoria », Études
Goldman, p. 125; Mustill, L.J., « The new Lex Mercatoria. The first twenty-
five year, » Liber amicorum for Lord Wilberforce, p. 149). Cette absence de
caractère systématique obligeait à solliciter les droits étatiques, soit qu’on leur
abandonnât les questions non traitées, soit qu’on s’en remît — avec une sin-
cérité qui pouvait être questionnée — aux principes généraux qui les inspi-
rent (TGI Paris, 4 mars 1981, Clunet 1981. 836, note Ph. Kahn; Paris, 12 juin
1980 et Civ. 1re, 9 déc. 1981, Clunet 1982. 931, note B. Oppetit; E. Gaillard,
« Trente ans de Lex Mercatoria. Pour une application sélective de la méthode
des principes généraux du droit », Clunet 1995. 5; F. Osman, Les principes
généraux de la Lex Mercatoria, thèse Dijon, éd. 1992). Mais aujourd’hui de
véritables codifications privées, telles celles élaborées sous l’égide d’Unidroit
(Principes relatifs aux contrats du commerce international) ou par la Commis-
sion pour le droit européen du contrat (Principes du droit européen du contrat)
offrent utilement leur secours et sont en mesure en tant qu’expressions systé-
matisées du droit privé commun de supplanter les lois des États dans le choix
des parties (quoi qu’on veuille faire dire à l’article 3 de la Convention de
Rome) comme dans celui des arbitres (sinon dans celui du juge français tenu
par les termes de l’article 4 de la Convention de Rome). Mais on relèvera
aussitôt que selon les prescriptions mêmes de ces codifications privées, ce
remplacement ne saurait préjudicier à l’application des règles impératives
(art. 1. 4 Principes Unidroit; art 1 : 103, Principes eur.). On se gardera d’oublier
en effet que même mis en œuvre par la voie de l’arbitrage international, ce
droit privé commun n’échappe pas au contrôle des ordres juridiques étatiques
qui seuls disposent d’un appareil de contrainte organisée propre à garantir le
caractère obligatoire de la règle de droit et dont le concours est parfois néces-
saire aussi en matière de contrats du commerce international. Ainsi, matériel-
lement distinct des systèmes étatiques, ce corps de règles se prêterait au moins
à une réception formelle de la part des ordres juridiques étatiques (v. B. Gold-
man, Rev. arb. 1983, p. 408) et une dispositon comme celle de l’article 1496
du Nouveau Code de procédure civile peut s’interpréter autant en une recon-
naissance de ce droit privé commun qu’en sa récupération par le droit français
(v. Civ. 1re, 22 oct. 1991, Valenciana, préc.; B. Ancel, Auctoritate rationis, in
Clés pour le siècle, p. 265 et s., spéc. p. 284).

II. L’application de la règle de la licéité des clauses monétaires


dans les contrats internationaux

11 Pour assurer le triomphe du principe de la liberté de la clause-or, la Cour de


cassation avait à surmonter deux difficultés. La première était celle de la déter-
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 203

mination du procédé qui permettrait à cette règle, existant dans le droit fran-
çais, de vaincre l’opposition de la loi du contrat. L’arrêt choisit de recourir à
l’exception d’ordre public international. Ce choix prête à contestation (A). La
seconde question est celle de la délimitation du domaine de la règle de liberté :
à quels contrats celle-ci doit-elle bénéficier ? (B).
12 A. — L’exception d’ordre public paraît n’avoir été ici qu’un moyen de for-
tune chargé de masquer la naissance d’une règle matérielle de droit internatio-
nal privé.
Dès avant la loi du 25 juin 1928, il avait été admis que le cours forcé de la
monnaie établi par le droit français ne s’imposait qu’aux règlements internes;
cette restriction, qui assurait la non-caducité des clauses valeur-or souscrites
par les débiteurs étrangers à l’avantage de leurs créanciers français, avait bénéfi-
cié aux emprunts payables en France (Req. 7 juin 1920, DP 1920. I. 237, note
Dupuich, S. 1920. I. 193, note Lyon-Caen, Rev. crit. 1921. 452; Civ., 23 janv.
1924, DP 1924. I. 41; Civ., 17 mai 1927, Pélissier du Besset, DP 1928. I. 25,
concl. Matter, note H. Capitant, Les grands arrêts de la jurisprudence civile.
11e éd., t. 2, no 231; Req. 31 juill. 1928, DH 1928. 461). La compétence du
droit français, validant la clause monétaire, repose, semble-t-il, sur la considé-
ration du lieu de payement plutôt que sur le titre de celui-ci à régir le contrat
au fond. Sous cette attitude, il y avait une intention de protéger les « intérêts
français » ou « l’intérêt national » qui conférait facilement aux solutions du
droit français un caractère territorial. S’agissant de questions monétaires, on
pouvait aussi parler de lois de police (v. Seine, 23 juill. 1936, S. 1938. 2. 28,
note Mestre; Paris, 3 avr. 1936, DP 1936. 2. 78, note L. Mazeaud). Il y avait
assez de voies pour conduire à la validité de la clause à l’avantage des créan-
ciers français sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir l’exception d’ordre
public.
13 Mais dans ces schémas n’entrait pas l’hypothèse contraire du débiteur fran-
çais s’étant engagé à payer hors de France et ayant consenti une clause de
garantie de change. Le lieu de payement était alors situé à l’étranger et
l’emprunt pouvait être soumis à une loi étrangère. C’est pour soustraire la
clause monétaire à la caducité dont la frappait cette loi étrangère que la Cour
de cassation fait appel à l’exception d’ordre public international.
La démarche implique que « la détermination de la monnaie de compte
appartient en principe à la loi gouvernant le contrat » (Batiffol, note préc.,
p. 61). En effet le mécanisme d’éviction que déclenche, de manière très carac-
téristique, l’exception d’ordre public, atteint la loi étrangère normalement
compétente. Il est notable au demeurant que l’arrêt qui entend ainsi imposer la
solution du droit français ne fait, contrairement à la décision attaquée, aucune
référence à la loi du lieu de payement, à la loi « territoriale » (P. Lagarde,
Recherches sur l’ordre public en dr. int. privé, nos 129 et s., p. 150 et s.); hors
la loi française, il ne considère que la loi du contrat. Il faut donc comprendre
que désormais la question de la monnaie de compte est en principe dévolue
à cette loi (v. cep., en matière de responsabilité délictuelle, le choix de la loi
du domicile ou de la résidence habituelle du créancier fait au détriment de
204 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22

la loi du délit par Civ. 1re, 4 déc. 1991. UAP c/Zivkovic, Bull. I, no 280, Rev.
crit. 1992. 292, note E. Putman).
De fait, la jurisprudence ultérieure consacrera l’application de la loi du
contrat à la détermination de la monnaie de compte lorsque les parties n’ont
pas clairement ou utilement exprimé leur choix à cet égard (Civ., 18 déc. 1951,
D. 1952. 357, note Lerebours-Pigeonnière — hésitation entre franc suisse et
franc français —; Civ., 24 avr. 1952, Compagnie française de l’Afrique Occi-
dentale, Rev. crit. 1952. 502, note H. Motulsky, S. 1952. I. 185, note H. Batiffol
— dédoublement monétaire —; Civ., 15 févr. 1972, Rev. crit. 1973. 77, note
H. Batiffol — succession du dinar au franc « algérien »). La justification de
cette solution est très solide : instrument d’évaluation destiné à établir le mon-
tant de l’obligation contractuelle, la monnaie de compte concerne « la subs-
tance même du contrat; s’il y a une loi qui régit la substance du contrat, par
opposition à sa forme ou à certains actes d’exécution, elle doit régir la mon-
naie de compte » (H. Batiffol, note préc., p. 61). Cependant l’arrêt qui affirme
la compétence de cette loi en limite aussitôt la portée, puisque tirant argument
de l’ordre public, il l’écarte à l’avantage de la loi française.
14 Ce recours à la notion d’ordre public a aussitôt prêté à controverse et risque
en définitive de provoquer la confusion.
H. Batiffol doute qu’il soit « indispensable d’imposer au nom de l’ordre
public la règle française sur la liberté du choix de la monnaie à l’encontre des
lois étrangères » (note préc., p. 612) qui, pour la défense des intérêts monétai-
res des pays qui les édictent, condamnent « une clause que le droit français
déclare nulle pour les règlements internes soumis à son empire » (Batiffol,
Traité, 3e éd. 1955, no 628 et déjà in Les conflits de lois en matière de con-
trats, 1938, no 559, p. 447; la formule est à mettre aujourd’hui à l’imparfait;
v. par ex., Civ. 1re, 12 janv. 1988, Defrénois 1989. 69, note Malaurie, RTD civ.
1988. 740, obs. J. Mestre, Grands arrêts de la jurisprudence civile, 11e éd., t. 2,
no 232). Assurément, il n’y a pas de divergences de politiques législatives et il
serait très audacieux d’interpréter l’interdiction des clauses-or en une atteinte
à la communauté juridique universelle (Batiffol et Lagarde, t. I, no 358), en
une méconnaissance du « droit naturel (lato sensu) », en une violation du
« droit commun du monde civilisé » (P. Lerebours-Pigeonnière, Précis, 3e éd.,
no 270).
Pourtant, Lerebours-Pigeonnière (« À propos du contrat international »,
Clunet 1951. 1 et s.) approuve pleinement l’emploi de la notion d’ordre public
(v. aussi J. Maury, L’éviction de la loi normalement compétente, Valladolid,
1952, p. 63 et s.). Observant que le droit français, avec la jurisprudence Mat-
ter (v. concl. sous l’affaire Pélissier du Besset, préc.) a institué une dualité de
régimes, l’un pour la circulation monétaire interne et l’autre pour le com-
merce international, il lui semble opportun que l’ordre public censure les lois
étrangères qui négligeraient « une nécessité de la vie internationale » en omet-
tant de créer « deux ordres juridiques » (art. préc., p. 8). Ainsi la notion se
mettrait au service des « nécessités du commerce international » (art. préc.,
p. 12-18; sur le développement de cette idée vers l’élaboration d’un concept
d’ordre public universel ou véritablement international, v. P. Louis-Lucas,
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 205

sous Paris 9 févr. 1966, Rev. crit. 1966. 264; B. Goldman, Clunet 1966. 117;
P. Lagarde, Rev. crit. 1967. 95, sous Paris 19 mars 1965, Banque Ottomane;
H. Synvet, sous Paris 3 oct. 1984, Banque Ottomane, Rev. crit. 1985. 526;
B. Goldman, sous le même arrêt, Clunet 1986. 156, spéc. p. 169 et note sous
Paris, 12 juill. 1984, Clunet 1985. 129; H. Rolin, « Vers un ordre public réel-
lement international », Mél. Basdevant, 1960. 441; P. Lalive, « Ordre public
transnational (ou réellement international) et arbitrage international, Rev. arb.
1986. 329; J. B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public,
thèse Nice, éd. 1999, p. 353 et s.).
15 Et, de fait, il est sûr que, frappant de précarité l’équilibre de toutes les opé-
rations commerciales à l’exportation, les variations inopinées « entre le mon-
tant nominal de la monnaie-papier et son pouvoir d’achat que consacrent les
lois monétaires sont préjudiciables » au développement des échanges écono-
miques internationaux. P. Lerebours-Pigeonnière (art. préc., p. 10) indique
d’ailleurs très clairement l’intention qui anime cette manifestation, à tout le
moins non classique, de l’ordre public. La cible n’est pas la teneur des lois
monétaires des divers États (et, à cet égard, les doutes de H. Batiffol sont par-
faitement fondés), c’est leur existence même — en ce qu’elle révèle l’incoor-
dination des politiques monétaires souverainement définies et mises en œuvre
par ceux-ci, laquelle engendrerait des aléas insupportables pour les opérateurs
du commerce international, si devait leur être déniée la liberté de s’en prému-
nir par une stipulation appropriée. Ainsi compris, l’ordre public réagit directe-
ment à l’état de la société internationale et le service qui lui est demandé n’est
pas d’écarter telle ou telle loi; il est d’assurer aux contractants la possibilité de
soustraire leurs rapports aux effets perturbateurs des variations de changes. À
cette fin, il impose, quelle que soit la loi du contrat, la validité des clauses
monétaires.
Dans ces conditions, l’usage même de la dénomination d’ordre public
international qui reçoit du droit international privé une acception spécifique,
pourrait sembler malencontreux. Pour la clarté des idées et le crédit des
méthodes, ne serait-il pas préférable d’attribuer à la liberté du choix de la
monnaie de compte valeur de principe matériel applicable directement au
contrat international — indépendamment de la loi étatique désignée pour le
régir ? La Cour de cassation ne l’a pas osé (comp., arrêt Galakis, infra, no 44).
Sans doute, les moyens du pourvoi autant que sa prudence coutumière l’ont-
elles incitée à suivre la démarche conflictuelle et à jouer ainsi du principe —
désignation de la loi applicable — et de l’exception — substitution de la loi
française au nom de l’ordre public. Mais, à la vérité, en généralisant la règle
française, la Cour de cassation répondait à une exigence propre du commerce
international. Elle posait une règle française de droit international privé maté-
riel, laquelle commandait au juge de valider toute clause monétaire figurant
dans un contrat international. Aussi bien, délaissant le détour de l’ordre public,
énoncera-t-elle celle-ci ultérieurement en toute clarté (v. par ex., Civ. 1re,
25 mars 1981, Bull. civ. I, no 104, p. 88; 15 juin 1983, Bull. civ. I, no 175,
p. 153, JCP 1984. II. 20123, note J. Ph. Lévy, Rev. trim. dr. civ. 1984. 721,
obs. Mestre; 13 mai 1985, Bull. civ. I, no 146, p. 133; rapp. Ferry, La validité
206 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22

des contrats en droit international privé, France-USA, 1989, nos 136 et s.,
p. 108 et s.; v. cep. plus réservé, V. Heuzé, La réglementation française des
contrats internationaux, 1990, no 587, p. 260; sur ce mode d’application
v. infra, arrêt Galakis, no 44). Cependant, il se pourrait que, chassé d’un coté,
l’ordre public réapparaisse de l’autre. En effet, avec la Convention de Rome
de 1980, la question de la monnaie du contrat réintègre le conflit de lois et par
conséquent la solution française de la licéité de la clause ne rencontrera désor-
mais que deux éventualités d’application : soit que la loi française est dési-
gnée pour régir le contrat international, soit que sur cette question la loi étran-
gère manque de libéralisme au point de heurter notre ordre public du contrat
international (v. H. Synvet, Dr. soc. 1991. 386; Ph. Coursier, JCP E 1993. II.
563; M.-A. Moreau, Rev. crit. 1994. 323; M.-L Niboyet. J.-Cl. dr. int., fasc. 552-
4, nos 33 et s.) Mais le retour de l’ordre public (qui a décidément partie liée
avec la règle de conflit, v. P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit
international privé, 1959) ne dispensera pas davantage de préciser ce qu’est
un contrat international.
16 B. — Parce qu’il prétend ne rien faire d’autre qu’appliquer, sous le couvert
de l’ordre public, la loi du 25 juin 1928, l’arrêt utilise notamment à cette fin la
formule élaborée par la jurisprudence Matter : « l’opération… constitue un
emprunt international, la société française débitrice ayant son siège en France,
empruntant à l’étranger des fonds pour les besoins de son exploitation et
devant rembourser les prêteurs sur des places étrangères, ce qui implique un
double mouvement de fonds de pays à pays ».
Cette définition, spécifique au problème à résoudre, pose la question,
importante pour l’avenir des règles matérielles de droit international privé, de
l’existence d’une véritable catégorie des contrats internationaux justiciable
d’un régime juridique propre.
17 La définition est étroite; elle ajuste rigoureusement la notion d’emprunt
international au cas qui donne lieu à la difficulté considérée, suggérant ainsi
que l’opération qui échapperait par son économie à l’éventuelle combinaison
du double transfert de capitaux et d’une variation de change, serait exclue du
champ d’application de la règle matérielle. Seuls parmi tous les emprunts rele-
vant du droit international privé, ceux qui sont source de circulation internatio-
nale de capitaux bénéficieront de la liberté des clauses monétaires car seuls ils
sont exposés au péril de l’incoordination des lois monétaires.
Cette position appelle une première remarque. Elle a le mérite de réduire
l’antagonisme doctrinal qui, sur le point de la qualification du contrat interna-
tional, met aux prises partisans d’un critère juridique et partisans d’un critère
économique. En effet, si ce dernier est ici utilisé pour l’application de la règle
matérielle de la licéité des clauses de garantie de change, le premier paraît
bien consacré pour ce qui est de la détermination de la loi applicable. Il y
aurait une internationalité conflictuelle qui caractériserait le contrat « se rat-
tachant à des normes émanant de plusieurs États » (Paris, 19 juin 1970, Hecht,
Clunet 1971. 833, note B. Oppetit, JCP 1971. II. 16927, note B. Goldman,
Rev. crit. 1971. 692, note P. Level, Rev. arb. 1972. 67, note Ph. Fouchard; Lyon,
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 207

19 avr. 1977, Rev. crit. 1979. 788, note B. Ancel; Civ. 1re, 7 oct. 1980, Tar-
dieu, Rev. crit. 1981. 313, note J. Mestre, JCP 1980. II. 19480, concl. Gulphe)
— entre lesquelles force est de choisir; et il y aurait une internationalité
matérielle se déduisant du critère économique (v. P. Lerebours-Pigeonnière,
art. préc. et Précis 3e éd., no 359, p. 442 et s., note sous Civ., 18 nov. 1951,
D. 1952. 357, préc.; D. Bureau, op. cit., p. 679 et s., nos 1032 et s.).
Une seconde observation se rapporte à la définition même de l’internatio-
nalité matérielle. À cet égard l’apport de l’arrêt est modeste puisqu’il ne fait
que réitérer la jurisprudence Matter. Cette retenue suscitera l’interrogation :
avec les autres règles de droit matériel international qui concernent la matière
des contrats, est-on en présence d’un catalogue de solutions ponctuelles et
indépendantes les unes des autres, apparues au hasard des espèces ou a-t-on
affaire réellement à un ensemble cohérent de solutions formant un régime
homogène institué pour et en considération de certains contrats internationaux ?
La première branche de l’alternative admettra que l’internationalité d’un
contrat ne se détermine qu’au regard de la règle dont l’application ou la non
application dépend du point de savoir s’il est ou non international (comp. le
motif de l’arrêt Mayol Arbona, T. confl., 23 nov. 1959, Rev. crit. 1960. 130,
note Loussouarn, Clunet 1961. 442, note Goldman, D. 1960. 223, note Sava-
tier, à propos de la nationalité des sociétés). La seconde branche exigera une
définition générale de l’internationalité matérielle, permettant de constituer la
catégorie des contrats internationaux soumis à un régime général de droit
matériel international approprié. D’une certaine manière, c’est encore le droit
privé commun des rapports commerciaux internationaux qui est ici en jeu : en
tant que système, celui-ci, même dans sa version codifié (v. supra, § 10) ne
peut s’affirmer que si son objet est défini de manière stable et homogène —
de sorte que se dégage le type de contrat dont les difficultés (quelles qu’elles
soient) puissent être par lui résolues; toutes les solutions particulières que les
codifications assemblent et coordonnent doivent appréhender le même ordre
d’activité, s’adresser à la même réalité. Or, aucune de ces codifications ne
donne de définition générale de l’internationalité du contrat.
18 À cet égard, il faut constater que la jurisprudence française a pratiqué
d’autres définitions de l’internationalité que celle que propose la jurisprudence
Matter. Ainsi l’arrêt Galakis (v. infra, no 44) reconnait l’aptitude de l’État à
compromettre lorsque celui-ci s’engage dans un « contrat international passé
pour les besoins et dans des conditions conformes aux usages du commerce
maritime ». La complexité de cette définition s’explique sans doute par le
souci de distinguer en l’espèce l’opération de droit privé en cause et le contrat
administratif international — non bénéficiaire de la solution (v. A. Toubiana,
Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Contrat administratif, nos 7 et s.) — mais ladite com-
plexité n’a pas empêché l’extension de cette dernière à d’autres opérations très
différentes de celle qui en fut l’occasion (v. infra, eod. loc.). Moins riche, mais
non moins intéressante, est la formule utilisée à propos de l’autonomie de la
clause compromissoire (Civ., 7 mai 1963, Gosset, D. 1963. 545, note J. Robert,
JCP 1963. II. 13405, note B. Goldman, Rev. crit. 1963. 615, note Motulsky,
Clunet 1966, note J. D. Bredin) : cette autonomie est reconnue à l’égard des
208 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 22

contrats qui « mettent en jeu les intérêts du commerce international » (Civ.,


19 févr. 1930 et 27 janv. 1931, Mardelé et Dambricourt, Rev. crit. 1934. 514,
S. 1933. I. 41, note Niboyet; Civ. 1re, 18 mars 1971 (1re esp.), Clunet 1972. 62,
note B. Oppetit, Rev. arb. 1972. 2, note Ph. Kahn, Rev. crit. 1972. 126, note
Mezger, D. 1972. 37, note D. Alexandre; Paris, 13 déc. 1975, Rev. crit. 1976.
07, note B. Oppetit, Clunet 1977. 106, note E. Loquin; comp. Paris, 13 juin
1996, Clunet 1997. 151, note E. Loquin, Rev. arb. 1997. 251, note Gaillard).
Sans doute le critère est peu précis et il permet d’appréhender une ample caté-
gorie de contrats internationaux, néanmoins il n’a pas effrayé le codificateur
qui l’a retenu à l’article 1492 du Nouveau Code de procédure civile pour iden-
tifier l’arbitrage international; mais ce qu’il convient de relever surtout, c’est
que ce critère relâche considérablement la liaison très étroite que l’arrêt des
Messageries Maritimes maintient entre la caractérisation de l’opération maté-
riellement internationale et les termes de la difficulté particulière à résoudre
(v. encore associant les formules Matter et Mardelé et Dambricourt : Civ. 1re,
21 mai 1997, 2e esp., Rev. crit. 1998. 87, note V. Heuzé, Clunet 1998. 969,
note Poillot-Peruzzetto et revenant à la seule formule Matter en l’amputant
même de la réciprocité des transferts, Civ. 1re, 30 mars 2004, Gros, D. 2004.
2458, note I. Najjar, RTD com. 2004. 447, obs. E. Loquin).
19 Le phénomène est à rapprocher de l’évolution qu’a connue la notion même
de payement international. Ce n’est pas que la réciprocité des transferts entre
deux marchés intérieurs ait été victime de l’usure des temps; elle est encore
aujourd’hui mise en œuvre par la Cour de cassation (Civ. 1re, 15 juin 1983;
Civ. 1re, 13 mai 1985, préc.). Mais dès l’origine, la définition a été entendue
sans excessive rigueur (v. concl. P. Matter, D. 1928. I. 25, préc.; Eck, Rép.
Dalloz dr. int., v° Payement, no 12). Ensuite, la jurisprudence accepta assez
rapidement de considérer « comme internationaux des payements internes
connexes à des opérations internationales » (Eck, op. cit., nos 14 et s.; comm.
préc., p. 83; Civ., 14 févr. 1934, DP 1934. I. 73). Cette position suggère pour
l’opération de financement une qualification d’internationalité par accessoire
comme il est question d’actes de commerce par accessoire. Il suffirait en
somme que l’opération principale soit extérieure au « cadre de l’économie
interne » (Civ., 14 févr. 1934, préc.) pour que l’emprunt qui en permet l’accom-
plissement revête le caractère d’internationalité matérielle (P. Lerebours-
Pigeonnière, Précis 3e éd., no 359, p. 444). La même démarche a été utilisée
par le Tribunal de Paris pour reconnaître le caractère international d’un pacte
de quota litis : « Est internationale la convention d’honoraires qui se rattache
directement et expressément à un arbitrage international dont le siège est à
Paris et qui a pour objet de faire trancher un contentieux né entre un État
étranger et une société étrangère retenue pour réaliser un marché de travaux
publics à la suite d’un appel d’offres international » (TGI Paris, 19 sept. 1991,
D. 1992. 43, note Ch. Jarosson).
Ne rejoint-on pas dès lors par ce canal la définition utilisée à propos de
l’autonomie de la clause compromissoire (v. obs. Goldman, Trav. com. fr. dr.
int. pr. 1975-1977, p. 45-46), directement dans le premier cas, par un raison-
nement à double degré — la convention est internationale parce qu’elle est
22 MESSAGERIES MARITIMES — CASS., 21 JUIN 1950 209

accessoire d’un arbitrage qui est lui-même international en ce qu’il met en jeu
les intérêts du commerce international — dans le second cas ? Il n’est nul-
lement exclu que sous la variété des formules, la jurisprudence capte une même
réalité (A. Ponsard, « La jurisprudence de la Cour de cassation et le com-
merce international », Études Goldman, p. 241 et s.).
Si cette conjecture se vérifie, la constitution en système d’un droit privé
commun des rapports commerciaux internationaux aura accompli un progrès
significatif. L’arrêt des Messageries Maritimes, quant à lui, avec sa définition
étroite et finalisée, aura sur ce point illustré la prudence de la Cour de cas-
sation n’avançant qu’à pas comptés, comme il est légitime lorsqu’il s’agit
d’instituer un régime dérogatoire de cette importance.
23
COUR D’APPEL DE RABAT
24 octobre 1950

(Rev. crit. 1952. 89, note Francescakis, Clunet 1951. 898, note Goldman)
Conflit de systèmes dans le temps

Applicable aux seules situations juridiques nées sur son territoire, la


règle de conflit du for ne peut régir des situations déjà nées et acquises
dans un autre pays.

(Machet c/Revelu)

Faits. — Une Française et un Italien se marient en 1918, en France, sans contrat. La


femme acquiert par son mariage la nationalité italienne. Après avoir vécu deux ans en
France, les époux s’installent au Maroc, alors protectorat français, et y exploitent un
commerce douteux mais prospère. À la suite du prononcé de leur séparation de corps,
ils plaident sur leur régime matrimonial. La femme prétend être mariée sous le régime
légal français de la communauté; le mari sous celui, italien, de la séparation de biens.
Les premiers juges ayant donné gain de cause à son épouse, M. Machet interjette appel.

ARRÊT
La Cour; — Sur le régime matrimonial — Attendu que Jules Machet, de natio-
nalité italienne, et Marie Revelu, Française, tous deux nés en 1893 se sont mariés
le 31 août 1918 à Lyon, sans contrat; — Que dame Revelu a acquis la nationalité
italienne de son mari par l’effet des dispositions de la loi du 23 juin 1889; — Que
les époux, domiciliés à Lyon, ont continué à exercer leurs métiers respectifs de
garçon de café et de femme de chambre; — Qu’en décembre 1920, ils sont
venus se fixer en zone française de l’empire chérifien, et y ont exploité une mai-
son de tolérance; — Attendu que Machet fait grief au jugement entrepris
d’avoir appliqué la jurisprudence française basée sur la volonté présumée des
époux, qu’il soutient que cette jurisprudence est d’autant plus inapplicable en
l’espèce, qu’elle est née du fait qu’aucun texte n’existe en droit français sur la
question, alors qu’au Maroc les règles de droit international privé du dahir sur la
condition civile des Français et des étrangers doivent s’imposer au juge, notam-
ment l’article 15 de ce texte, aux termes duquel, en l’absence de contrat, les
effets du mariage sur les biens des époux, tant immeubles que meubles, sont
régis par la loi nationale du mari au moment de la célébration du mariage; que
Machet en déduit que le régime matrimonial applicable est celui de la loi ita-
lienne, c’est-à-dire le régime de séparation de biens; — Attendu qu’il n’est pas
douteux que l’article 15 susvisé doive être appliqué aux situations juridiques
nées dans le protectorat, mais que ce texte ne peut régir des situations déjà
nées et acquises dans un autre pays ayant un régime légal différent; — Que les
effets du mariage des époux Machet, à l’égard de leurs biens, doivent être
déterminés à l’époque même de la célébration de ce mariage; — Que le régime
23 MACHET — RABAT, 24 OCTOBRE 1950 211

matrimonial sous lequel ils se sont placés était déjà fixé et acquis avant leur arri-
vée au Maroc ; — Qu’il est avéré notamment que Jules Machet est originaire
de la vallée d’Aoste dont une partie a été rattachée à la France et qu’il est de
culture française; — Qu’il a fixé très jeune son domicile en France et qu’il n’est
plus retourné en Italie; — Qu’il a épousé une Française sans observer les pres-
criptions du Code civil italien qui impose au sujet italien, se mariant à l’étranger,
de faire publier en Italie son projet de mariage; — Que le domicile matrimonial
a été fixé en France pendant plus de deux années; — Que les époux ont ensuite
quitté la France, mais pour se fixer dans un protectorat français; — Qu’en raison
de ces circonstances et de celles retenues par les premiers juges, il convient de
décider, conformément aux conclusions du ministère public, que les époux
Machet ont entendu se placer sous le régime légal français, c’est-à-dire sous
celui de la communauté et, en conséquence, de confirmer de ce chef le juge-
ment entrepris…
Par ces motifs; — Confirme le jugement entrepris, Rabat, 17 janv. 1949.
Du 24 octobre 1950. — Cour d’appel de Rabat. — MM. Hauw, prés.; Voelckel et Chabert, conseil.;
Foissin, subst. — MMes Faure et Bayssière, av.

OBSERVATIONS
1 La reproduction de l’arrêt Machet parmi les grands arrêts du droit interna-
tional privé pourra surprendre. Et de fait, ni la juridiction dont il émane, ni les
motifs qu’il énonce ne sont de nature à lui conférer une autorité particulière.
Mais s’en tenir à cette constatation serait méconnaître qu’il est, en droit inter-
national privé, des arrêts qui ne sont pas grands en eux-mêmes mais par la
prise de conscience qu’ils provoquent.
« Science du raisonnement », le droit international privé suppose l’élabora-
tion de méthodes originales (P. Mayer, « Les réactions de la doctrine à la créa-
tion du droit par les juges en droit international privé », Trav. Capitant 1980,
p. 385 et s., spéc. p. 391; H. Batiffol, « La responsabilité de la doctrine dans
la création du droit, » Rev. rech. jur. 1981. 75). Or légitimement plus soucieux
d’apporter une réponse réaliste aux problèmes dont ils ont à connaître que
d’énoncer des propositions générales dont ils craignent de ne pas apercevoir
toutes les conséquences, les tribunaux et spécialement la Cour de cassation
répugnent à une systématisation trop rapide. Lorsqu’ils s’y risquent, c’est tou-
jours après qu’un long débat les ait éclairés sur les multiples facettes du pro-
blème. Mais, nourri de la pratique judiciaire, ce débat prend lui-même sou-
vent sa source dans une décision qui joue le rôle de révélateur. Il n’en est pas
de meilleur exemple que le problème des qualifications : découvert par Bartin
raisonnant à partir de l’arrêt Bartholo (supra, no 9), celui-ci n’a reçu une
réponse formalisée de la Cour de cassation que plus d’un demi-siècle plus
tard (v. arrêt Caraslanis, infra, no 27). Ainsi, tant que l’arrêt de principe
attendu n’est pas intervenu, la décision initiale sert bien souvent de référence.
Curieusement c’est le décalage existant entre l’arrêt rendu et l’arrêt interprété
qui fait alors sa notoriété.
Tel est précisément le cas ici. Aberrante si on la considère dans une pers-
pective classique, la décision reproduite ne vaut que par le commentaire qu’elle
a inspiré à Ph. Francescakis (Rev. crit. 1952. 90). Celui-ci y a, en effet, posé
212 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 23

pour la première fois le problème, difficile entre tous, des conflits de systèmes
dans le temps (I). Si l’on excepte une décision de la Cour de Paris, cette ques-
tion n’a pour l’instant inspiré à la jurisprudence française qu’une réserve pru-
dente qui se comprend fort bien si l’on considère la diversité des propositions
doctrinales (II).

I. La prise de conscience du problème

2 Au premier abord, rien de plus simple que la solution du problème posé à la


Cour de Rabat par les époux Machet. La compétence des tribunaux marocains
était, en effet, acquise. Quant à la question du conflit des lois, elle était expres-
sément réglée par l’une des dispositions du dahir de 1913 « sur la condition
civile des Français et des étrangers » (Rev. dr. int. 1914. 106 et s.). Calqué sur
la Convention de La Haye du 17 juill. 1905, l’article 15 de ce texte disposait,
en effet : « En l’absence de contrat, les effets du mariage sur les biens des
époux, tant immeubles que meubles, sont régis par la loi nationale du mari au
moment de la célébration du mariage. Le changement de nationalité des époux
ou de l’un d’eux n’aura pas d’influence sur le régime des biens ». Cette règle
désignait donc la loi italienne, laquelle connaissant une règle de conflit simi-
laire, acceptait l’offre de compétence qui lui était ainsi faite. Or bien loin de se
conformer à cette désignation, la Cour de Rabat, approuvant les premiers
juges, retient la compétence de la loi française, loi du premier domicile matri-
monial. Ce faisant, elle accomplit « une démarche d’une extrême gravité »
(Batiffol, « Le respect international des droits acquis », Cours IHEI, 1968-
1969, p. 22). Elle statue, en effet, par application non de la règle de conflit du
for mais d’une règle de conflit étrangère; telle était, en effet, au regard du
Maroc même à cette époque, la condition de la règle de conflit de lois fran-
çaise. Et ceci, sans que puisse intervenir le correctif du renvoi : la règle de
conflit marocaine, en effet, ne conduit pas en l’espèce, comme cela vient
d’être rappelé, à la loi française mais à la loi italienne qui se reconnaît applica-
ble. Elle méconnaît ainsi l’un des principes les mieux établis du droit interna-
tional privé : chaque juge doit trancher les conflits de lois dont il a à connaître
par application de ses propres règles de conflit; si un État prend le soin d’édic-
ter des dispositions de droit international privé c’est qu’il entend que les
conflits soient résolus par ses juges conformément à celles-ci.
3 Comment dès lors justifier une telle atteinte à l’orthodoxie ?
Une explication vient immédiatement à l’esprit : siégaient à l’époque à
Rabat des juges français formés à la forte discipline de la loi française et sans
doute intimement convaincus de la supériorité de celle-ci. Mais même si le
contexte quasi-colonial dans lequel elle a été rendue explique au moins en
partie la décision, il faut cependant noter que ses auteurs ont entrepris de lui
apporter une ébauche de justification proprement juridique. Ils insistent, en
effet, sur ce que l’article 15 du dahir s’il doit « être appliqué aux situations
juridiques nées dans le protectorat », « ne peut régir des situations déjà nées et
acquises dans un autre pays ayant un régime légal différent ». En réalité, les
23 MACHET — RABAT, 24 OCTOBRE 1950 213

magistrats semblent avoir obéi, comme le relève de manière pénétrante


Ph. Francescakis, à l’intuition suivante : lorsque la situation est née, elle
n’avait de liens qu’avec la France et l’Italie, les époux franco-italiens étant
domiciliés en France. Partant, les parties n’avaient aucun soupçon qu’un jour
leur situation serait soumise au juge d’un pays tiers, en l’espèce le Maroc, et
que la détermination de la loi la régissant serait effectuée par application de la
règle de conflit de celui-ci. Employer le système de conflit du for c’était donc,
en l’espèce, user de règles auxquelles les parties n’avaient pu se fier. D’où une
limite à la prévalence du système du for : celui-ci ne s’appliquerait pas à des
situations qui lors de leur création n’avaient aucun rapport avec lui. La com-
plication temps ne se produisant pas, en ce cas, à l’intérieur d’un seul et même
système de droit international privé mais entre systèmes de droit international
privé, on serait en présence d’un conflit de systèmes dans le temps.
Quelques années plus tard, l’une des nombreuses décisions rendues dans
l’affaire Patiño (infra, no 38-39) devait permettre à l’éminent auteur de préci-
ser son analyse. En marge du contentieux relatif à la dissolution ou au relâ-
chement du lien unissant les époux Patiño, le Tribunal civil de la Seine puis la
Cour de Paris eurent à connaître d’un problème assez singulier. Tous deux de
nationalité bolivienne, les époux Patiño avaient en 1944 conclu à New York
où ils étaient domiciliés, une convention à la texture originale : Mme Patiño,
entre autres obligations, acceptait de reprendre la vie commune, se désistait
d’une demande en divorce pendante devant les juridictions new-yorkaises, et
renonçait à toute créance dans l’hypothèse où le divorce ou la séparation de
corps serait ultérieurement prononcé; son mari s’engageait à lui verser la
somme de onze cents mille dollars. M. Patiño ne s’étant exécuté spontané-
ment que pour une partie de cette somme, son épouse saisit les juridictions
new-yorkaises et obtint gain de cause en application du droit new-yorkais; le
paiement du solde intervint effectivement en 1948. Quatre ans plus tard, les
époux étant désormais domiciliés à Paris, M. Patiño demanda aux tribunaux
français de condamner son épouse à lui restituer la totalité de la somme versée
au motif que les effets du mariage sont soumis par la règle de conflit française
à la loi nationale des époux, loi bolivienne en l’espèce, laquelle prohibait cette
sorte de convention. Le Tribunal de la Seine ayant fait droit à cette demande
(5 févr. 1953, Rev. crit. 1954. 552), Mme Patiño interjeta appel. La Cour de
Paris (7 juill. 1954, Rev. crit. 1954. 552, note Francescakis) analysa différem-
ment la convention. Selon elle, la promesse du mari dépourvue de « lien avec
les autres dispositions de l’accord » apparaissait comme « une transaction
(…) sur le montant d’une créance indemnitaire née du préjudice éprouvé par
la dame Patiño à la suite de l’infidélité de son mari »; celle-ci relevait donc,
selon cette analyse, de la loi du lieu où le dommage avait été causé c’est-à-
dire de la loi américaine qui la validait. Commentant cette décision, Ph. Fran-
cescakis soulignait le caractère tendancieux de la qualification retenue; celle-
ci ignorait, en effet, superbement que la convention, intervenue entre époux,
rachetait une infidélité conjugale. Plus généralement, il notait les grincements
que provoquait dans l’appareil traditionnel du droit international privé son
application à l’espèce. En réalité, les magistrats avaient, semble-t-il, été ani-
més par le sentiment qu’au fond l’affaire était exclusivement new-yorkaise : le
214 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 23

contrat y avait été conclu conformément à la loi locale qui en admettait la


validité; les fonds avaient été versés sur l’injonction des juges new-yorkais.
Les époux n’étant venus s’établir en France qu’ultérieurement, était-il raison-
nable de remettre en cause cette opération au nom du droit international privé
français ? Et ceci d’autant plus qu’on voit mal au cas où la Cour de Paris aurait
confirmé la décision des premiers juges, ce qui aurait empêché Mme Patiño
de demander à son tour aux tribunaux new-yorkais le rétablissement du statu
quo ante et ainsi de suite.
4 Mais alors puisque le problème provenait de la « division (…) du monde en
systèmes de droit international privé à la fois librement élaborés dans chaque
ordre juridique et prétendant chacun à l’universalité », ne convenait-il pas
d’essayer de maîtriser « cet irritant phénomène (…) par des moyens véritable-
ment juridiques » plutôt que de manipuler les qualifications ? Telle fut l’opinion
que développa Ph. Francescakis (note préc.). Approfondissant sa réflexion ini-
tiale, il soutint que le système de conflit de lois du for n’avait « pas à intervenir
à l’égard des situations juridiques qui se sont entièrement réalisées à l’étranger
alors qu’elles n’ont présenté tout au long de leur développement aucune atta-
che avec l’ordre du for », ce défaut d’attache étant démontré par « l’absence de
compétence judiciaire des tribunaux du for lors de l’avènement de la situation
juridique en cause ». Le droit international privé du for ne se reconnaît, selon
lui, « le pouvoir de se prononcer que sur les situations juridiques qui ont
affecté sa sphère d’intérêts » (note préc.; v. aussi La théorie du renvoi et les
conflits de systèmes en droit international privé, 1958, nos 199 et s.).
Ces propositions ne furent pas sans exercer une certaine séduction sur les
magistrats parisiens. À l’occasion d’une affaire Banque ottomane, la Cour de
Paris fit, en effet, siennes les suggestions de Ph. Francescakis (19 mars 1965,
Rev. crit. 1967. 85, note approbative P. Lagarde, Clunet 1966. 118, note criti-
que Goldman). Deux actionnaires de cette société turque demandaient l’annu-
lation de résolutions votées de 1953 à 1960 par l’Assemblée générale, allé-
guant qu’elles avaient été prises en violation de la loi française, compétente
selon eux en vertu du droit international privé français. Bien qu’elle eût pu se
contenter de relever que la loi applicable était en réalité la loi turque, la Cour
préféra pour valider les résolutions affirmer que « le droit international privé
de chaque pays n’a pouvoir de se prononcer que sur les situations juridiques
qui ont affecté sa sphère d’intérêts; il s’ensuit que le système de conflit du for
n’a pas à intervenir à l’égard de situations qui se sont établies à l’étranger, s’y
sont développées et y ont épuisé leurs effets alors qu’elles ne présentaient
aucune attache avec le for ».
Directement inspirée des propositions de Ph. Francescakis, la décision en dif-
fère cependant en ce que plus restrictive, elle exige que la situation n’ait pré-
senté aucun contact avec le for lors de sa création et durant son développement,
mais aussi jusqu’à épuisement de ses effets. Comme le souligne M. Paul
Lagarde (note préc., p. 104), cette formule tend à réduire l’exclusion du système
du for au seul cas où l’action a pour objet de revenir sur une situation déjà
réglée; elle ne jouerait donc pas lorsqu’elle vise à la reconnaissance en France
d’une situation créée à l’étranger afin de lui faire sortir de nouveaux effets.
23 MACHET — RABAT, 24 OCTOBRE 1950 215

En dépit de ces débuts prometteurs, la théorie des conflits de systèmes dans


le temps n’a pas depuis été reprise par la jurisprudence. La Cour de cassation
a notamment toujours conservé à son égard une réserve prudente lors même
que l’espèce se prêtait à ce mode de raisonnement (v. par ex., Civ. 1re, 11 juill.
1977, Giroux, Rev. crit. 1978. 149, note B. Audit; Civ. 1re, 15 juin 1982, Moatti,
Rev. crit. 1983. 300, note Bischoff, Clunet 1983. 595, note Lehmann; Civ. 1re,
2 oct. 1984, Favreau, Rev. crit. 1986. 91, spéc. p. 105 et s., note M.-N. Jobard-
Bachellier, Clunet 1985. 495, note B. Audit; v. aussi Paris, 3 oct. 1984, Ban-
que ottomane, Rev. crit. 1985. 526, note Synvet, Clunet 1986. 156, note Gold-
man). Celle-ci s’explique, au demeurant, fort bien si l’on considère la dif-
ficulté du problème qu’atteste la diversité des propositions doctrinales.

II. Les solutions proposées

5 S’il est, au premier abord, d’une « aveuglante évidence » (Batiffol, Cours


IHEI préc., p. 40) qu’une situation sans aucune attache avec le for ne devrait
pas être appréciée conformément à la règle de conflit de celui-ci, les difficultés
apparaissent dès lors qu’on s’emploie à préciser l’idée.
Lorsque la situation litigieuse ne présentait à son origine de liens qu’avec
un seul système, il est évident qu’elle doit lui être soumise. Mais il n’est nul-
lement besoin pour cela du détour par les conflits de systèmes dans le temps.
Tous les contacts conduisant à la même loi, on voit mal comment la règle de
conflit du for pourrait en désigner une autre (Francescakis, La théorie du ren-
voi, no 201, p. 192; Fadlallah, La famille légitime en droit international privé,
1977, no 36, p. 39).
Lorsque la situation, sans lien avec le for, était internationale dès l’origine,
c’est-à-dire présentait, comme dans les espèces précédentes, des attaches avec
plus d’un système, la difficulté se précise. En effet, à supposer un désengage-
ment de la règle de conflit du for, quel système de conflit appliquer puisque
par définition la relation entretient des contacts avec plusieurs ?
Des éléments de réponse ont été recherchés dans des directions très dif-
férentes.
Certains ont tenté d’élaborer des règles à la seconde puissance qui permet-
traient de résoudre le conflit qui oppose le système du for aux systèmes étran-
gers (A).
D’autres, plus pragmatiques, renonçant à découvrir une règle qui répartirait
harmonieusement la compétence des différents systèmes en conflit, s’emploient
simplement à définir les dérogations dont devrait être assorti le principe de la
compétence générale de la règle de conflit du for. À cet effet, ils s’attachent
soit à déterminer dans quels cas la notion de droit acquis justifierait l’efface-
ment exceptionnel de la règle de conflit du for derrière celle d’un système
étranger (B), soit, renversant la perspective, à énoncer une règle matérielle de
droit international privé qui, fondée sur l’apparence, permettrait de valider
une situation internationale dès lors que les intéressés pouvaient légitimement
croire à celle-ci (C).
216 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 23

6 A. — Selon la première conception, il serait possible de découvrir des prin-


cipes qui permettraient au juge de déterminer s’il doit appliquer la règle de
conflit de son propre droit ou celle d’un droit étranger. On saurait ainsi, grâce à
ces règles à la seconde puissance, quand la règle de conflit du for doit s’effacer
devant la règle de conflit étrangère.
Séduisante, cette proposition n’est évidemment viable qu’à la condition que
ces « super-règles » soient communes à tous les États. Au cas contraire, en
effet, le conflit entre les règles de conflit à la première puissance qu’elles ont
pour objet de régler dégénérerait en un conflit entre règles à la seconde puis-
sance, et ainsi de suite… Or, il faut bien le constater, la « règle d’or » (Gothot,
« Le renouveau de la tendance unilatéraliste », Rev. crit. 1971. 437) accepta-
ble par tous les ordres étatiques reste encore à découvrir. Certes, il est toujours
possible d’affirmer qu’on doit donner la préférence à la règle de conflit de
l’État entretenant avec la situation en cause les rapports les plus étroits. Mais
on sait de combien de manières différentes, une telle directive peut être
comprise ! Ainsi, le lieu de constitution de la situation proposé par certains
comme élément de rattachement à la seconde puissance (Graulich, Principes
de droit international privé, 1961, no 233) et auquel se réfère d’ailleurs impli-
citement l’arrêt Machet, est-il considéré par d’autres comme « un des rat-
tachements les plus fugitifs, les plus superficiels et les plus fortuits » (Batiffol,
Cours IHEI préc., p. 34). Aussi bien, aucune issue logique ne paraissant
s’offrir au problème du domaine spatial des règles de conflit de lois posé dans
sa généralité, les auteurs se sont employés plus modestement à définir des
tempéraments à la prévalence absolue du système du for en s’appuyant sur la
notion de droit acquis.
7 B. — Dans cette vue, on a suggéré que le droit international privé du for
pourrait légitimement être écarté quand la situation ne présentait à sa nais-
sance, de liens qu’avec des systèmes dont les règles de conflit concordaient.
La situation étant née sans rapport avec le for et les règles de conflit de tous les
pays concernés désignant la même loi, on appliquerait celle-ci. Emise initiale-
ment par Meijers (« La question du renvoi », Bull. instit. jurid. internat., 1938,
p. 191-231), cette proposition a reçu un accueil souvent favorable en doctrine
(Batiffol et Lagarde, t. I, no 322; P. Mayer et V. Heuzé, no 235; Ferrer-Correia,
« La doctrine des droits acquis dans un système de règles de conflit
bilatérales », Mélanges Wengler, p. 285 et s., spéc. p. 303) et a été reprise par
plusieurs projets de droit international privé (v. not. art. 21 du projet Bénélux
de loi uniforme relative au droit international privé). Et de fait, elle permet de
respecter les légitimes prévisions des parties. Elle évite, en effet, que ne soit
remise en cause par la saisine ultérieure et inopinée des juridictions françaises,
la validité d’une situation dont les intéressés ne pouvaient douter puisqu’elle
était acquise selon tous les ordres juridiques avec lesquels elle entretenait des
liens à l’époque de sa création. En outre, il n’y a pas en ce cas de difficultés
pratiques à abandonner le système de conflit du juge saisi puisqu’on dispose
d’une solution de remplacement solide. Certes le renvoi au second degré per-
met, comme on l’a souvent relevé, d’atteindre le même résultat (v. supra, arrêt
de Marchi, no 16 § 5). Mais outre qu’il peut exister certaines différences entre
23 MACHET — RABAT, 24 OCTOBRE 1950 217

les deux approches (sur lesquelles v. P. Mayer et V. Heuzé, no 235; P. Mayer,


La distinction entre règles et décisions et le droit international privé, 1973
no 213), le raisonnement proposé offrirait une solution de remplacement dans
les domaines où le renvoi est exclu, c’est-à-dire notamment en matière de régi-
mes matrimoniaux (v. infra, arrêt Gouthertz, no 51). Encore faut-il pour cela
que les deux systèmes étrangers coïncident, ce qui précisément n’était pas le
cas dans l’affaire Machet, chacune des règles de conflit donnant compétence à
son propre droit. Aussi bien, Ph. Francescakis qui avait dans sa note sous cette
décision marqué son adhésion aux propositions de Meijers critiquait-il vigou-
reusement l’éviction de la règle de conflit du for opérée par la Cour de Rabat.
Mais quelques années plus tard, poursuivant dans cette voie, Ph. Francesca-
kis abandonna l’exigence de l’accord unanime de tous les systèmes initiale-
ment intéressés. L’extranéité de la situation par rapport au for justifiant en tout
état de cause, selon lui, le retrait de sa règle de conflit, il soutint qu’il conve-
nait de se référer au système qui s’était effectivement appliqué. Il existerait
donc deux formes de réglementation différente, l’une bilatéraliste qui régirait
les relations que l’ordre du for entend surveiller malgré leur extranéité par-
tielle, l’autre d’inspiration unilatéraliste qui jouerait en l’absence de lien initial
entre une situation et l’ordre du for. Dans la première, aucun droit ne serait
acquis si ce n’est en conformité avec la règle de conflit du for, dans la seconde
un droit acquis devrait être respecté dès lors qu’il l’aurait été conformément à
la loi qui s’est effectivement appliquée; l’ordre du for entérinerait alors le fait
accompli (v. P. Gothot, art. préc., Rev. crit. 1971. 415 et s., spéc. p. 447).
8 Cette analyse ne soulève pas de difficulté pratique insurmontable lorsque les
parties ont recouru à une certaine procédure de réalisation du droit : interven-
tion d’une autorité judiciaire ou administrative. Celle-ci atteste, en effet, qu’un
système s’est effectivement appliqué. Mais il en va tout autrement à défaut
d’une telle intervention — par exemple lorsque la situation envisagée se cons-
titue de plein droit, ex lege; dans ce cas la directive unilatéraliste reste inopé-
rante : aucun élément ne rend perceptible l’application effective d’une loi quel-
conque et dès lors on est malheureusement aussi fondé à croire qu’aucune loi
n’a réellement déterminé l’acquisition d’un droit ou, au contraire, que toutes,
quoique chacune selon ses vues et pour son propre compte, ont présidé à cette
acquisition. Une situation juridique n’étant pas, en effet, autre chose que
l’application d’une règle à un fait, il existe autant de situations juridiques que
de règles envisageant le même comportement (P. Mayer, La distinction entre
règles et décisions, no 211). Rien n’est alors résolu. Ainsi, dans l’affaire
Machet, aucune autorité n’ayant en France ni en Italie prêté son ministère à
l’établissement du régime matrimonial, il est aussi légitime d’affirmer avec le
mari que le régime est la séparation de biens de la loi italienne que de préten-
dre avec la femme qu’il est la communauté de biens de la loi française. Dès
lors pourquoi donner la préférence à l’un plutôt qu’à l’autre ?… Aussi bien
privilégier l’ordre juridique français comme le fait la décision, c’est-à-dire
considérer les époux comme mariés sous le régime de la communauté au pré-
texte qu’ils le sont selon la loi du lieu de célébration du mariage, c’est en réa-
lité attribuer un rôle de règlement subsidiaire à la maxime locus regit actum
218 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 23

(v. not. P. Lagarde, note Rev. crit. 1967. 107), c’est-à-dire formuler une sorte
de super-règle de conflit dont on a vu les réserves qu’elle appelait. La contesta-
tion procédant de la diversité des règles de conflit étrangères, n’est-il pas plus
réaliste de l’arbitrer au moyen du système de conflit du for ?
On constate ainsi que la suggestion initiale débouche sur un résultat assez
éloigné de son point de départ puisqu’elle conduit à proposer de supprimer le
contrôle de la loi appliquée au moins pour les décisions étrangères traitant de
relations sans contact initial avec la France (sur ce problème, v. arrêt Munzer,
infra, no 41 § 10).
Aussi bien, désireux d’apporter une réponse sur mesure à la difficulté décrite
précédemment, certains ont-ils proposé l’adoption d’une règle matérielle de
droit international privé qui permettrait d’approcher au plus près le résultat
souhaité.
9 C. — Dans leur tentative de résoudre les conflits de systèmes dans le temps,
les auteurs s’étaient, on l’a vu, jusqu’alors heurtés à la difficulté de déterminer
le système qui devait être substitué à celui du for au cas où son effacement
serait admis. Afin d’éviter cet écueil, il a été proposé récemment de valider
certains droits subjectifs, cependant acquis en contradiction de la loi désignée
par la règle de conflit du for, en s’appuyant sur une règle matérielle de droit
international privé (M.-N. Jobard-Bachellier, L’apparence en droit internatio-
nal privé, thèse Paris I, éd. 1984, p. 45 et s.). Fondée sur la notion d’appa-
rence, celle-ci répond à l’idée qu’il conviendrait lorsqu’une situation est née
sans rapport avec le for de ne pas perturber par l’application intempestive de sa
règle de conflit, les croyances qui ont pu légitimement se former sur la base
des règles de conflit du ou des pays, à l’époque, concernés. Plus précisément,
il y aurait comme toujours en matière d’apparence un décalage entre la réalité
objective (l’irrégularité d’une solution au regard du droit international privé du
for) et la situation extérieure (l’apparente régularité que lui confère un système
de droit international privé étranger). La seconde pourrait l’emporter sur la
première si les intéressés avaient légitimement cru en l’application d’une règle
de conflit autre que celle du for. Tel pourrait être le cas lorsque la situation
litigieuse n’intéressait pas, dans les moments essentiels de sa constitution, le
système du for. Selon son promoteur, la règle substantielle de droit internatio-
nal permettant de sauvegarder la validité d’une situation pourrait être ainsi
exprimée : « Doivent être considérés comme régulièrement acquis les droits
nés dans le cadre de situations qui se sont constituées à l’étranger et y ont pro-
duit des effets, malgré la solution contraire à laquelle conduirait l’application
de la règle de conflit du for, dès lors que sur la base de l’apparence, créée par
l’applicabilité d’un droit étranger qui se révèle par la suite incompétent, les
parties ont cependant pu croire légitimement à la réalité juridique des droits
dont elles étaient en apparence titulaires, à la régularité juridique d’une situa-
tion qui paraissait s’être régulièrement constituée » (op. cit., p. 95, no 131).
Ainsi les droits validés le seraient par application de la règle matérielle du for
et non par celle de la règle substantielle que l’intéressé avait cru applicable;
celle-ci constituerait simplement une condition parmi d’autres de la validation.
Contrairement à ce que prévoit la doctrine d’inspiration unilatéraliste, le droit
23 MACHET — RABAT, 24 OCTOBRE 1950 219

étranger ainsi pris en considération ne serait pas nécessairement celui qui


aurait opéré le premier mais éventuellement celui au regard duquel le droit a
pu être considéré comme légitimement acquis par les parties. L’arrêt Schwebel
c/Ungar (CA de l’Ontario, 4 nov. 1963, Rev. crit. 1965. 321, note Wengler) qui
a finalement reconnu la validité au Canada, par application de l’ordre juridique
israélien, d’un divorce prononcé sous forme de gueth en Italie, contrairement à
l’ordre juridique de ce pays, entre deux époux juifs hongrois qui se rendaient
en Israël permet d’illustrer l’hypothèse.
10 En tentant de remédier aux conséquences néfastes de l’application mécani-
que de la règle de conflit du for, non par l’introduction d’une nouvelle règle de
conflit abstraite mais par celle d’une règle matérielle qui intègre les considéra-
tions concrètes et psychologiques rendant nécessaires ces ajustements,
l’approche choisie par Mme Bachellier paraît bien réaliser « une adéquation
étroite entre les fins poursuivies et les moyens utilisés ». En contrepartie, les
risques nés de l’incertitude tenant aux « difficultés d’une appréciation psycho-
logique » et à « l’imprécision des contours » sont manifestes (P. Mayer, Rev.
crit. 1985. 595).
Ainsi, en l’espèce, comment apprécier l’existence de la croyance erronée
mais légitime, qui est la condition nécessaire du jeu de la théorie de l’appa-
rence ? Qu’est-ce en effet que l’apparence au regard d’un couple dont les
membres s’affrontent et découvrent peut-être à cette occasion pour la pre-
mière fois la réalité du problème du régime matrimonial ? La perplexité est
d’autant plus grande que le régime de la loi italienne désignée par la règle de
conflit marocaine comme par la règle de conflit italienne au titre de loi natio-
nale du mari, devenue de surcroît loi nationale commune par suite du mariage,
pouvait aussi bien entrer dans les légitimes prévisions des époux que la com-
munauté de biens de la loi française, loi du premier domicile du ménage. Le
rattachement par la nationalité est d’un point de vue général aussi raisonnable
que le rattachement par le domicile… Enfin se demandera-t-on, n’y a-t-il pas
quelque artifice à postuler que l’apparence trompeuse est constituée par
l’applicabilité de la loi effectivement observée et la réalité objective par
l’applicabilité imprévue de celle que désigne la règle de conflit de l’ordre du
for, initialement étranger à la situation débattue ?
On le voit, l’arrêt Machet contribuait davantage à la révélation des problè-
mes qu’à leur résolution.
24-25
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., sect. civ.)

22 janvier 1951

COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

2 avril 1957

I. — Civ., 22 janvier 1951, Rev. crit. 1951. 167, note Francescakis,


JCP 1951. II. 6151, note S. et T., D. 1952. J. 35, S. 1951. 1. 187,
Gaz. Pal. 1951. 1. 210.
II. — Civ., 2 avril 1957, Rev. crit. 1957. 491, note Francescakis.
Jugement étranger. — Action en inopposabilité.

Si les jugements étrangers rendus en matière d’état ou de capacité pro-


duisent en France, sans exequatur, tous les effets autres que ceux qui com-
portent coercition sur les personnes ou exécution sur les biens, c’est sous
réserve de l’appréciation par la juridiction française saisie d’une demande
en inopposabilité de pareil jugement, de sa conformité aux règles françai-
ses de solution des conflits de lois (1re espèce).
La règle de l’autorité de la chose jugée s’oppose à ce qu’un jugement
étranger qui a fait l’objet d’une décision d’inopposabilité en France reçoive
ensuite l’exequatur dans une nouvelle instance dirigée contre celui auquel
il a été déclaré inopposable (2e espèce).

(Époux Weiller)

Faits. — En 1943, alors qu’après bien des péripéties et des désagréments il attei-
gnait enfin le Canada où il avait espéré retrouver son épouse dont la guerre l’avait
séparé, M. Weiller fut accueilli par une demande de divorce. Aliki Diplarakos, sa femme,
grecque d’origine devenue française à la suite de son mariage avec un Français en 1932
et installée à New York depuis 1940, l’assignait à comparaître, trois jours plus tard, devant
le Tribunal de Reno (Nevada, États-Unis).
Le choix de cette juridiction répondait sans doute aux commodités qu’elle est répu-
tée offrir au demandeur impatient. Peu sourcilleuse sur la réalité du domicile de celui-ci,
qui d’après les règles de procédure du Nevada forme un chef de compétence suffisant,
elle a coutume de prononcer le divorce d’après sa propre loi et sur les preuves les moins
sûres, pour ne pas dire les plus inconsistantes. En l’espèce, cette complaisance ne se
24-25 WEILLER — CASS., 22 JANVIER 1951, 2 AVRIL 1957 221

démentit pas et, en dépit du défaut de M. Weiller, la dame Diplarakos obtint, sans retard
et sur son propre serment, la décision qu’elle réclamait, le 14 mai 1943.
Quelque temps après, ayant signifié la décision à son mari et mis au net ses rapports
pécuniaires avec lui, elle épousait à Londres un sujet britannique, le sieur Russel.
M. Weiller, de retour en Europe, demande en 1946 au Tribunal civil de la Seine de
déclarer la nullité de ce mariage et, préalablement, l’inopposabilité du jugement de
divorce qui l’avait rendu possible.
Le tribunal refuse de connaître de l’affaire au motif qu’à défaut d’exequatur, M. Weiller
« n’avait rien à craindre » de la décision américaine et que par conséquent sa demande
d’inopposabilité et de nullité était irrecevable faute d’être soutenue par un intérêt né et
actuel (Seine, 2 juill. 1947, Rev. crit. 1947. 461).
En raison d’un vice de la procédure (les débats devant le tribunal avaient eu lieu en
chambre du conseil comme si l’instance avait eu pour objet le divorce lui-même et non
la régularité de la décision américaine), ce jugement fut annulé par la Cour de Paris.
Evoquant l’affaire, celle-ci déclara recevable la demande en inopposabilité, en constata
le bien-fondé et en tira la conséquence quant au mariage de la dame Diplarakos, (Paris,
15 déc. 1948, Rev. crit. 1949. 113, concl. Dupin, note Ph. Francescakis, D. 1949. J. 461,
note R. Savatier, S. 1949. 2. 69, note G. Delaume, JCP 1949. II. 4950, note Sarraute et
Tager, Gaz. Pal. 1949. I. 17, RTD civ. 1949. 113, obs. P. Hébraud). Celle-ci se pourvut
en cassation ; elle critiquait d’abord la cour d’appel sur le point de l’annulation du juge-
ment pour atteinte au principe de la publicité des débats; puis elle lui reprochait, de
manière générale, son incapacité à apprécier les singularités de l’espèce et à discerner
les conséquences légales qu’il convenait d’en tirer pour parvenir à une application éclai-
rée des critères de la régularité internationale des jugements étrangers. Aucun grief, il
faut le souligner, n’était dirigé contre la recevabilité de la demande en inopposabilité;
c’est ce qui explique que dans le premier arrêt ci-dessous, la Cour de cassation n’aborde
pas de front cette question nouvelle, quoiqu’elle apporte sa caution à la réponse donnée
par la Cour de Paris.
Le rejet du pourvoi ne désarme pas Mme Diplarakos. Entamant une nouvelle procé-
dure, elle demande au Tribunal de la Seine l’exequatur du jugement américain dont
l’inopposabilité à M. Weiller est désormais établie. La contestation s’engage d’abord
sur la question de la publicité des débats. Il faut encore un arrêt de la Cour de Paris pour
que soit affirmée l’autonomie de l’instance d’exequatur, nettement distincte par son
objet de l’instance en divorce, puisque toute révision au fond en est exclue (Paris,
10 nov. 1952, Rev. crit. 1953. 615, note Motulsky). Cet incident vidé, l’affaire revient
pour être tranchée au fond, devant le Tribunal de la Seine. Celui-ci constate l’irrégularité
du jugement de Reno et refuse l’exequatur (Seine, 26 juin 1953, Rev. crit. 1954. 193, note
Ph. Francescakis), tandis que la Cour de Paris, sur appel de dame Diplarakos, ne se met
pas en peine d’examiner la décision étrangère; la demande d’exequatur est irrecevable :
« la décision du Tribunal de Reno étant inopposable en France à l’égard de Weiller, ne
saurait acquérir à son encontre l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire;… en
conséquence… la demande d’exequatur du même jugement formée par dame Dipla-
rakos contre la même partie doit être écartée comme se heurtant à la présomption légale
tirée de l’autorité de la chose jugée… » (Paris, 28 févr. 1955, Rev. crit. 1955. 345, note
Ph. Francescakis). Ces motifs formèrent la cible du pourvoi que rejette le second arrêt
ci-dessous.
Un troisième arrêt de la Cour de cassation sera prononcé en 1959 et permettra
d’envisager l’épuisement des démélés judiciaires des époux Weiller (Civ. 1re, 23 août
1959, Rev. crit. 1959. 495, note Ph. Francescakis, D. 1959. 380, note G. Holleaux). Cette
décision ne concerne ni la recevabilité des demandes tendant à la vérification judiciaire
de la régularité des jugements étrangers, ni d’ailleurs les effets des jugements. Néan-
moins, elle intéresse les conflits de juridictions : toujours marié par le fait de l’ineffica-
222 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 24-25

cité du jugement de Reno, M. Weiller s’était résolu à demander le divorce au Tribunal


de la Seine dont la dame Diplarakos contesta la compétence tant générale que spéciale.
À tort, estimèrent successivement le président du Tribunal (Seine, ord. 30 nov. 1956,
Rev. crit. 1957. 484, note Ph. Francescakis), la Cour de Paris (arrêt inédit) et la Cour de
cassation. Intéressantes, ces décisions n’ont pas atteint la notoriété des deux arrêts repro-
duits ci-après.

1er ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen pris en ses deux branches : — Attendu qu’il
résulte des qualités et des motifs de l’arrêt attaqué que Paul-Louis Weiller, de
nationalité française, marié en France le 22 octobre 1932, avec Aliki Diplarakos,
d’origine grecque, mais ayant opté pour la nationalité française, dût fuir l’occu-
pation allemande et se rendre au Canada; qu’arrivé à Montréal le 3 avril 1943, il
reçut, le 6 avril, de la part de sa femme, réfugiée aux États-Unis depuis 1940,
assignation à comparaître devant le Tribunal de Reno (Nevada) aux fins de
divorce; que celui-ci fut prononcé par défaut contre lui le 14 mai 1943; que le
15 novembre 1945, Aliki Diplarakos se remariait à Londres, avec John Russel,
ressortissant britannique; — Attendu que Weiller ayant formé devant le Tribu-
nal de la Seine une demande en inopposabilité du jugement de Reno, et en nul-
lité consécutive du second mariage au regard de la loi française, ce tribunal, par
jugement du 2 juillet 1947, l’a déclarée irrecevable; — Attendu que l’arrêt atta-
qué relève d’office la nullité d’ordre public de la décision des premiers juges, au
motif que les débats avaient eu lieu en chambre du conseil, alors que selon le
pourvoi, telle serait pourtant la procédure impérativement prescrite par la loi
pour les instances dans lesquelles doivent être, même accessoirement, évoqués
les griefs invoqués comme causes de divorce; — Attendu que la cour était saisie
non d’une instance en divorce ou d’une demande connexe, soumises à la procé-
dure exceptionnelle de la chambre du conseil, mais d’un procès relatif à la vali-
dité et à l’efficacité d’un jugement étranger de divorce, que c’est à bon droit
que la cour d’appel décide que le contrôle, même exercé sur une décision de
divorce et tendant à vérifier non l’existence même ou la preuve de faits suscep-
tibles d’être causes de divorce, mais si se trouvent remplies les conditions requi-
ses pour que la décision puisse être reconnue par la loi française, « relève du
droit international privé et n’échappe pas à la règle impérative de la publicité
des débats » laquelle est le droit commun des instances; qu’il en résulte que le
moyen n’est pas fondé;
Sur le second moyen pris dans sa première branche : — Attendu qu’il est sou-
tenu par le pourvoi que les actes des 5 et 6 octobre 1943, qu’on doit rapprocher
tant de la signification régulièrement faite du jugement de Reno à Weiller que
des trois années que ce dernier a laissé passer avant d’agir, impliquent par eux-
mêmes l’exécution de la décision de divorce, en aménageant dans ce but la
situation matérielle des anciens époux; — Mais attendu que la cour d’appel,
déclarant que les accords précités « ne présentent pas ce caractère » relève, à
l’appui de son affirmation, qu’il n’est question que « de la restitution des
deniers, valeurs et objets, sans aucune référence au jugement de divorce, sans
même imputation des frais d’entretien de l’enfant commun »; et que la femme
y « est appelée plusieurs fois, Mme Weiller… »; — Attendu que de leurs consta-
tations fondées sur l’interprétation de la volonté des parties, les juges du fait
ont pu déduire que le mari n’avait nullement entendu, en la circonstance, exé-
cuter le jugement de divorce;
Et sur la deuxième branche du moyen : — Attendu que si l’arrêt attaqué
énonce incidemment que Weiller « s’est tout au plus, résigné provisoirement à
la séparation de fait voulue par sa femme », il n’en résulte pas que, par ce motif,
qu’on peut tenir pour surabondant, il entende valider un arrangement pécu-
24-25 WEILLER — CASS., 22 JANVIER 1951, 2 AVRIL 1957 223

niaire régissant la séparation de fait; — Que le deuxième moyen ne peut donc


être accueilli ni dans l’une ni dans l’autre de ses deux branches;
Sur le troisième moyen pris dans ses diverses branches : — Attendu que si les
jugements étrangers, rendus en matière d’état ou de capacité, produisent en
France, sans exequatur, tous les effets autres que ceux qui comportent coercition
sur les personnes ou exécution sur les biens, c’est sous réserve de l’appréciation
par la juridiction française, saisie d’une demande en inopposabilité de pareil juge-
ment, de sa conformité aux règles françaises de solution des conflits de lois; —
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la dame Weiller,
dans l’intention de se soustraire à sa loi nationale normalement compétente, en
saisissant arbitrairement de sa demande en divorce un tribunal étranger appliquant
la loi locale, a manifestement procédé à un simulacre d’établissement de domicile
dans l’État de Nevada, qu’elle a d’ailleurs abandonné dès l’obtention du divorce;
que le juge de Reno a statué sans la moindre précision, sur la simple affirmation
par la dame Weiller de « faits de cruauté » et sans autre preuve que le serment de
la demanderesse; — Attendu que la cour d’appel a pu retenir et sanctionner la
fraude à la loi française, dans les conditions ainsi artificiellement créées par la
dame Weiller en vue de substituer aux lois françaises sur le mariage, l’application
par un tribunal incompétent, d’une loi étrangère incompétente lui permettant de
répudier son mari sans débats sérieux; que c’est à bon droit qu’elle déclare inop-
posable en France le jugement de divorce ainsi prononcé à Reno dans des circons-
tances contraires à la conception française de l’ordre public, et, par voie de consé-
quence, nul au regard de la loi française, le second mariage contracté à Londres,
avant la dissolution du premier; — D’où il suit, que le troisième moyen n’est pas
plus fondé, que les deux premiers et qu’en statuant comme il l’a fait, l’arrêt atta-
qué n’a violé aucun des textes visés par le pourvoi;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 22 janvier 1951. — Cour de cassation (Ch. civ., sect. civ.). — MM. Lyon-Caen, prés.; Lenoan, rapp.;
Fontaine, av. gén. — MMes Célice et Morillot, av.

2e ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que le pourvoi reproche à la
cour d’appel d’avoir rendu l’arrêt attaqué alors que le magistrat, qui avait
donné lecture du rapport prévu par l’article 82 du Code de procédure civile,
n’avait pas participé à la décision; — Mais attendu qu’il résulte tant de l’expédi-
tion de l’arrêt figurant au dossier que d’un certificat du greffier en chef de la
cour d’appel que la mention portée sur la grosse résultait d’une erreur maté-
rielle de copie; que la minute de l’arrêt établit bien que le magistrat chargé de
suivre la procédure, après avoir présenté à l’audience son rapport écrit, a bien
participé à tous les débats et au prononcé de la décision; — D’où il suit que le
premier moyen manque en fait;
Sur le deuxième moyen pris en ses deux branches : — Attendu que la dame
Aliki Diplarakos ayant demandé l’exequatur d’un jugement du Tribunal de Reno
(État de Nevada), qui avait prononcé le divorce entre elle et Paul-Louis Weiller,
la cour d’appel a déclaré cette demande irrecevable comme se heurtant à un
précédent arrêt de la même cour qui décidait que ce jugement était inopposa-
ble à Weiller; qu’il est fait grief à cette décision, d’une part, d’avoir statué en
dehors des prétentions dont elle était saisie, Weiller ne s’étant pas prévalu
devant elle de l’autorité de la chose jugée; d’autre part, d’avoir méconnu le
principe posé par l’article 1351 du Code civil, les deux instances n’ayant pas le
même objet; — Mais attendu que, contrairement aux affirmations du pourvoi,
l’arrêt attaqué, en relevant que Weiller avait bien invoqué, en appel comme en
première instance, l’autorité de la chose jugée, n’a ni dénaturé les actes de la
procédure, ni jugé hors des limites de sa saisine; qu’en effet, il résulte des quali-
224 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 24-25

tés mêmes de cet arrêt que, dans ses conclusions devant la cour, Weiller faisait
expressément état de ce que les deux instances, en non opposabilité du juge-
ment de Reno et en exequatur de cette décision, « étaient de même nature et
statuaient sur les mêmes faits pour des causes identiques et entre les mêmes
parties »; qu’ainsi les conclusions de l’intimé posaient le problème dans le cadre
et dans les termes mêmes de l’article 1351 du Code civil; — Attendu d’autre
part, qu’en décidant qu’un jugement étranger, qui a fait l’objet d’une décision
d’inopposabilité en France, n’est plus susceptible ensuite de recevoir l’exequatur
dans une instance dirigée contre celui auquel il a été déclaré inopposable, la
cour d’appel, loin de violer la règle de l’autorité de la chose jugée, en a fait au
contraire une exacte application; qu’ainsi le second moyen ne saurait pas
davantage être accueilli;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 2 avril 1957. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect. civ). — MM. Battestini, prem. prés.; Ancel,
rapp.; Gavalda, av. gén. — MMes Célice et Morillot, av.

OBSERVATIONS
1 Assurément « d’essence mondaine et cosmopolite » (Ph. Francescakis, note
préc.), l’affaire Weiller force l’attention avant tout par la richesse de ses ensei-
gnements en matière de contrôle de la régularité des décisions étrangères. Pour
s’en tenir à ceux qui forment l’apport propre des arrêts ci-dessus reproduits, on
laissera de côté l’exigence de la conformité du jugement étranger aux règles
françaises de conflit de lois; celle-ci se trouve déjà formulée dans la jurispru-
dence antérieure (v. notamment, Civ., 22 mars 1944, Chemins de fer portugais,
DC 1944. J. 145, note P. L-P, S. 1945. 1. 77, rapport Lerebours-Pigeonnière,
note Niboyet et surtout, Civ., 11 avr., Bach et 1er mai 1945, Schabel,
D. 1945. 245, note P. L-P, S. 1945. 1. 121, note H. Batiffol, JCP 1945. II. 2895,
note R. Savatier; v. aussi arrêt de Wrède, supra, no 10) et elle est maintenue
par nombre d’arrêts postérieurs et spécialement l’arrêt Munzer (v. infra, no 41;
v. aussi les arrêts Giroux, Civ. 1re, 11 juill. 1977, Rev. crit. 1978. 149, note
B. Audit; Favreau, Civ. 1re, 2 oct. 1984, Rev. crit. 1986. 91, note M.-N. Jobard-
Bachellier, Clunet 1985. 495, note B. Audit; Lemaire, Civ. 1re, 22 avr. 1986
et 6 juill. 1988, Rev. crit. 1989. 89, note H. Gaudemet-Tallon qui l’associent
également et sans doute à meilleur escient à la condition d’absence de fraude;
Époux L.-G., Civ. 1re, 23 janv. 2003, Rev. crit. 2004. 398, note H. Muir Watt,
Clunet 2003. 468, note J.-M. Jacquet ; Enfant Viola, Civ. 1re, 4 juill. 2006,
no C04-17590).
Les innovations concernent ici les figures procédurales qui permettent la
vérification de la régularité internationale des décisions étrangères. La Cour
suprême précise d’abord que celles-ci n’échappent pas à la règle de la publi-
cité des débats, lors même que la décision étrangère à examiner prononce un
divorce et, plus généralement, est intervenue dans une matière relevant de la
procédure en chambre du conseil. Indication précieuse, mais pour ainsi dire
accessoire par rapport aux solutions qu’ensuite la Cour de cassation consacre.
En 1951 elle donne son parrainage à l’accueil dans l’arsenal des procédures
concernant l’efficacité des jugements, d’une action dénégatoire, l’action en
inopposabilité (I), dont elle fait, en 1957, l’opposé de l’action en exequatur (II).
24-25 WEILLER — CASS., 22 JANVIER 1951, 2 AVRIL 1957 225

I. La recevabilité de l’action en inopposabilité

2 La difficulté était d’harmoniser les données du droit international privé avec


les principes de la procédure civile. D’après les règles de conflit de juridic-
tions, le jugement de Reno qui prononçait le divorce et intéressait donc l’état
des personnes, déployait immédiatement en France son efficacité substantielle
et y jouissait d’une autorité de la chose jugée immédiate — mais provisoire,
sous réserve de la vérification de sa régularité internationale. Ainsi, jusqu’à ce
que le contraire soit établi, les époux étaient en France réputés divorcés.
Cependant cette situation résultant d’une décision obtenue dans des condi-
tions très discutables et qui n’avait pas été vérifiée en France, la position de
M. Weiller était inconfortable : était-il ou non réellement divorcé ? La réponse
à cette question pouvait être sollicitée de l’autorité judiciaire française de
deux manières différentes, correspondant à deux voies procédurales distinctes :
en premier lieu, une action en exequatur était à la disposition de la partie qui
entendait tirer en France tous les profits de la décision étrangère; en second
lieu, si celle-ci était invoquée dans une instance en France, un contrôle inci-
dent de régularité serait opéré (v. par ex., arrêts Bulkley, supra, no 4, Le Goaster,
Req. 11 nov. 1908, Rev. crit. 1909. 227, Clunet 1909. 753, DP 1914. I. 118,
rapp. Denis; Renoir, Civ., 19 févr. 1952, Rev. crit. 1953. 806, note H. B.,
S. 1952. 1.201, note D. Tallon, JCP 1952. II. 7009, note Chauveau). Aucune
de ces deux possibilités ne répondait aux besoins de M. Weiller : il n’enten-
dait évidemment pas déduire en France quelque effet que ce soit d’une déci-
sion étrangère qu’il réprouvait. Ce qu’il recherchait était tout le contraire
d’une proclamation de la régularité et de l’efficacité du jugement américain.
Mais pour parvenir à ce résultat aucune voie n’avait jusqu’alors été dégagée.
Tout au plus est-il ici permis d’évoquer un aspect secondaire de l’affaire de
Wrède (v. supra, no 10) : l’exequatur avait d’abord été demandé par le Prince
de Wrède, qui s’était ensuite désisté, mais ce désistement n’avait pas été
accepté par la dame Maldaner; ce refus permettait à celle-ci de contraindre les
juridictions françaises à se prononcer sur la régularité par elle déniée à la
décision étrangère. Mais cette procédure à fin dénégatoire résultait de la
demande d’exequatur. Or, en la présente affaire, en 1946, M. Weiller n’était
pas encore parvenu à persuader son épouse de solliciter l’exequatur.
3 Néanmoins, il prit l’initiative de demander directement au tribunal de décla-
rer le jugement de Reno inopposable en France en raison de ses irrégularités.
Le Tribunal de la Seine estima qu’aucune incertitude n’entachait l’état matri-
monial de M. Weiller dès lors que nul ne se prévalait positivement en France
de cette décision de divorce. Cette façon de voir — ou de ne pas voir — négli-
geait sans doute l’efficacité immédiate de la décision (puisqu’elle réputait le
mariage non dissous en France) et surtout elle manifestait l’hostilité tradition-
nelle du droit judiciaire privé français envers les actions préventives ou pure-
ment déclaratoires : le motif d’irrecevabilité était que la demande tendait à
« paralyser éventuellement une action en exequatur qui n’est pas née et est par
suite incertaine ». L’obstacle résultait donc de l’argument classique selon
lequel les tribunaux ne sont pas institués pour délivrer des consultations juridi-
226 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 24-25

ques ni pour prévenir les oppositions d’intérêts simplement possibles ou hypo-


thétiques mais pour résoudre des conflits d’intérêts qui rendent douteuse la
répartition des droits et obligations entre les parties et en compromettent ainsi
actuellement le libre et paisible exercice. Il faut, dit-on, un intérêt né et actuel
pour que la demande soit recevable en justice.

4 À la vérité, la formule ne va pas sans quelque ambiguïté et en l’occurrence


on lui demandait plus qu’elle ne peut fournir. Bien souvent en effet l’action
existe, alors que l’intérêt né et actuel, c’est-à-dire l’opposition patente des pré-
tentions, fait défaut dans le cas particulier. Il conviendrait donc de distinguer
l’intérêt spécifique, propre à la cause, et l’intérêt générique en vue duquel
l’action figure dans la panoplie judiciaire offerte aux particuliers. L’intérêt spé-
cifique (ou encore casuel) commande, parmi d’autres conditions, la recevabi-
lité de la demande; l’intérêt générique (ou encore catégorique, pour reprendre
une terminologie expérimentée par la doctrine de droit civil, v. L. Boyer, La
notion de transaction, p. 103 et s.) détermine l’existence de l’action et les élé-
ments essentiels de son régime.
Dans la présente affaire, en dépit de l’erreur du tribunal, cet intérêt généri-
que n’aurait dû susciter aucune hésitation. Il résultait de la précarité qui carac-
térise l’efficacité substantielle immédiate et l’autorité de plano, aussi long-
temps qu’une vérification juridictionnelle n’a pas été effectuée : tant que le
juge ne s’est prononcé sur la valeur de la décision étrangère l’état de droit qui
en ressort est instable et cette instabilité empêche chacune des parties concer-
nées de faire des prévisions sérieuses et de déterminer son comportement à
venir avec un minimum de sécurité. L’utilité d’une intervention de justice est,
dès lors, incontestable et justifie, dans un système procédural qui ne s’enferme
pas dans un catalogue d’actions de la loi, l’admission de l’action en inopposa-
bilité (pour la contre épreuve v. l’affaire Air Afrique, Paris, 9 juill. 1986, Clu-
net 1986. 976, 2e esp., note P. Mayer, réformant TGI Paris, 7 févr. 1986, ibi-
dem. 1re esp. et Rev. crit. 1986. 547, note H. Gaudemet-Tallon, et maintenu
par Civ. 1re, 18 oct. 1988, Rev. crit. 1989. 527, note P. Lagarde, où une inter-
prétation authentique de l’accord franco-ivoirien du 24 avr. 1961 limitant les
formes d’action fut nécessaire pour imposer l’irrecevabilité de la demande en
inopposabilité; v. aussi à propos de l’action en inopposabilité d’une sentence
arbitrale internationale, TGI Paris, 22 nov. 1989, Rev. crit. 1991. 107, note
M.-N. Jobard-Bachellier). Mais la contrepartie de cette liberté de l’action est
normalement l’exigence, pour son exercice, d’un intérêt spécifique ou casuel.
La demande n’est recevable que si l’intérêt que protège l’action est effective-
ment mis en danger par les ambitions, les appétits ou les négligences d’autrui.
La règle est certaine mais, contrairement à ce que croyait le Tribunal de la
Seine, elle n’est pas absolue.

5 Précisément la distinction de l’intérêt catégorique et de l’intérêt casuel


qu’elle met en œuvre est quelque peu malmenée par les actions relatives à
l’état des personnes. C’est que l’exercice de celles-ci ne requiert pas toujours
un intérêt casuel. Il est loisible à l’enfant naturel, préoccupé de son identité,
24-25 WEILLER — CASS., 22 JANVIER 1951, 2 AVRIL 1957 227

d’agir en recherche de paternité à seule fin de faire constater son état, sans for-
muler la moindre réclamation particulière, concrète, telle une demande d’ali-
ments par exemple. La solution procède de la permanence des intérêts que
l’organisation de l’état des personnes prend en charge; ceux-ci, pour s’actuali-
ser, n’ont pas besoin de se concrétiser aussitôt dans une prétention à un droit
subjectif. Le phénomène tient à la nature de l’état; attribué à l’individu pour
qu’il en exploite les virtualités et en observe les contraintes selon les circons-
tances, il est essentiellement un programme regroupant et définissant les
conduites possibles ou obligatoires pour son titulaire dans la vie sociale. Cette
fonction de référence ne s’accomplit utilement qu’autant que le programme est
certain. Le doute, l’hésitation n’introduisent pas seulement une gêne ou un ris-
que, ils introduisent la contradiction et rendent par eux-mêmes actuel l’intérêt
d’une demande en justice. Le simple fait d’interroger le juge réalise la fusion
de l’intérêt générique et de l’intérêt spécifique (comp. B. Ancel, note sous
Civ. 1re, 17 mai 1983, Rev. crit. 1985, p. 353; v. TGI Paris, 29 juin 1988, Rev.
crit. 1990. 339, note B. Ancel).
Dans la présente affaire, la demande en inopposabilité ne trouvait pas sa fin
en elle-même; elle était formulée dans le but de faire déclarer la nullité du
second mariage de la dame Diplarakos. Mais comme cet objectif n’était lui-
même relayé par aucune réclamation concrète, il était difficile (et d’ailleurs
juridiquement superflu) de découvrir, comme l’exigeait le tribunal, un intérêt
casuel distinct. Aussi bien la Cour de Paris s’était-elle contentée d’observer
que « la qualité d’époux ne peut être laissée en suspens et dépendre de l’arbi-
traire de la femme qui après avoir obtenu à l’étranger un jugement de divorce
s’abstiendrait d’en demander en France l’exequatur » (Paris, 15 déc. 1948,
préc., v. aussi Perugia, Seine, 16 déc. 1963, Clunet 1964. 322, obs. J. B. Sialelli).
Entérinée en 1951, cette motivation se concilie sans difficulté avec le motif de
l’arrêt Bielsky par lequel la Cour de cassation déclarait vingt ans après que
constituait un intérêt suffisant à la recevabilité, celui que le demandeur « pour-
rait avoir… à se prémunir contre les effets que le jugement étranger de
divorce pouvait avoir, sans être déclaré exécutoire » (Civ. 1re, 10 févr. 1971,
Rev. crit. 1972. 123; v. aussi TGI Paris, 17 févr. 1971, Rev. crit. 1972. 297,
note Ph. Francescakis; 25 mai 1989. D. 1990, Somm. 268).

6 On observera enfin que jusqu’à présent le motif n’a été donné qu’à propos
de l’action en inopposabilité dirigée contre un divorce étranger et il semble
bien en effet que lorsqu’il s’agit de prononcer sur la régularité de jugements
étrangers intervenus en matière patrimoniale et dotés — par le droit commun
ou conventionnel — de l’autorité de plano, la jurisprudence subordonne la
recevabilité de la demande à la règle habituelle de l’existence d’un intérêt
casuel (v. par ex., pour une action en exequatur, Soc. Lafarge, Civ. 1re, 17 mai
1983, préc.; pour une action en inopposabilité, TGI Paris, 7 févr. 1986,
Air Afrique, Rev. crit. 1986. 547, note H. Gaudemet-Tallon, Clunet 1986. 976,
note P. Mayer; 10 févr. 1993, Parretti, Rev. crit. 1993. 664, note H. Gaudemet-
Tallon, Clunet 1993. 599, note C. Kessedjian; mais v. aussi en sens opposé
Garino, Civ. 1re, 3 janv. 1980, Rev. crit. 1980. 587, note D. Holleaux, Clunet
1980. 341, note A. Huet).
228 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 24-25

II. Les rapports entre action en inopposabilité


et action en exequatur
7 En ajoutant une troisième voie à celles de l’action d’exequatur — la plus
ancienne, imposée par les articles 2123 du Code civil et 546, anc. C. pr. civ.
(v. arrêt Parker, supra, no 2) — et du contrôle incident — conséquence de la
jurisprudence Bulkley-Hainard — l’arrêt du 27 janv. 1951 posait, au plan théo-
rique, le problème des rapports entre ces différentes procédures de vérification
de la régularité internationale des jugements étrangers. Du contrôle incident à
l’action en inopposabilité, la parenté se définit aisément; le premier tend, à
l’occasion d’un litige en France où la décision étrangère est invoquée dans l’un
de ses effets juridictionnels (efficacité substantielle ou autorité de la chose
jugée), à en faire constater la régularité tandis que le second est une voie prin-
cipale conduisant à une déclaration d’irrégularité. Orientées en sens contraire,
les deux procédures se relient néanmoins en ce que l’action principale est des-
tinée à empêcher ce que le contrôle incident veut permettre : l’exploitation
effective en France de l’autorité immédiate reconnue de plano aux décisions
relatives à l’état et à la capacité des personnes. En revanche les rapports entre
les deux actions principales, en exequatur et en inopposabilité, bien qu’égale-
ment placés sous le signe de la contrariété, sont plus difficiles à dégager. S’il
fallait, sur ce point, célébrer un mérite de l’arrêt de 1957, par ailleurs digne
d’approbation, ce ne serait pas celui d’avoir dissipé les incertitudes, mais plu-
tôt celui d’avoir offert à son commentateur (Ph. Francescakis, note préc.)
l’occasion de quelques éclaircissements supplémentaires dont la jurisprudence
ultérieure semble avoir tiré profit.
Cet arrêt, rappelons-le, a été rendu sur la question de la recevabilité de la
demande d’exequatur que la dame Weiller avait formée en réaction au succès
de l’action en inopposabilité exercée par son mari. La Cour de cassation
approuve la juridiction d’appel d’avoir accueilli la fin de non-recevoir de
l’article 1351 du Code civil, tirée de l’autorité de la chose jugée (« l’exception
de chose jugée »). La solution était inévitable mais sa portée pouvait prêter et
a effectivement prêté à controverse.
8 Dès lors qu’il était admis — depuis 1951 — que le succès de l’action en
inopposabilité dépendait de la défaillance de l’une ou l’autre des conditions
que doivent réunir les jugements étrangers pour obtenir l’exequatur (abstrac-
tion faite ici de toute question de révision, exclue de longue date en matière
d’état et de capacité), il devenait évident qu’une décision constatant l’irrégula-
rité vidait en quelque sorte le débat et barrait la route à toute demande ulté-
rieure d’exequatur. Celui-ci est l’aboutissement contraire de l’inopposabilité,
mais procédant d’une même opération juridictionnelle, la vérification de la
régularité de jugement étranger (v. TGI Paris, 7 févr. 1986, 10 févr. 1993, préc.).
Cette identité d’origine ou de conditions, associée à l’opposition des orienta-
tions, établit une relation alternative : s’il y a inopposabilité, il n’y a pas exe-
quatur ; l’irrégularité exclut la régularité du jugement étranger. Dès lors, il n’y
a plus rien à juger.
Cependant, Ph. Francescakis relève que l’arrêt de 1957 admettant la fin de
non-recevoir déduite de l’article 1351 du Code civil se garde d’évoquer l’iden-
24-25 WEILLER — CASS., 22 JANVIER 1951, 2 AVRIL 1957 229

tité d’objet entre les deux instances contraires. C’est sur ce point que se noue
la controverse — laquelle ne met pas en cause la solution, ni même l’anta-
gonisme des deux actions, mais concerne seulement leurs domaines respec-
tifs. L’une aurait une portée plus étendue que l’autre; l’action en exequatur
« n’aurait strictement pour objet que les mesures d’exécution [que lui réserve
la jurisprudence Hainard] alors que l’action en inopposabilité viserait quant à
elle à écarter tous les effets du jugement étranger, y compris les mesures
d’exécution » (Francescakis, note préc.).
9 Or cette thèse qui fut celle notamment de G. Holleaux (v. « La reconnais-
sance et l’exécution des jugements étrangers de divorce dans les droits alle-
mand et français », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1955-1957, p. 120 et s.) et de
H. Motulsky (v. note sous Seine, 3 janv. 1958, Rev. crit. 1958. 574, reproduite
in Écrits, vol. 3, p. 358) oblige à instituer une nouvelle action pour couvrir la
surface restée hors d’atteinte de l’action d’exequatur. En effet réduite à l’étroite
fonction de conférer la force exécutoire, l’action d’exequatur est impropre à
satisfaire le besoin que l’autorité de plano fait naître chez le bénéficiaire du
jugement d’état étranger, de connaître sa véritable situation dans l’ordre juridi-
que français. Est-il divorcé ou adultère ? La réponse donnée par le jugement
étranger est aussi fragile à son égard qu’à l’égard de l’autre conjoint. Le même
besoin de certitude, le même intérêt justifie l’accueil d’une action en opposabi-
lité (symétrique inverse de l’action en inopposabilité) ouverte, bien sûr, au
bénéficiaire de la décision étrangère, mais également à toute personne y ayant
intérêt — c’est-à-dire dont la situation juridique est affectée par le jeu de l’effi-
cacité substantielle immédiate, comme le prévoit désormais le Règlement
(CE) du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la recon-
naissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière
de responsabilité parentale (abrogeant le Règlement (CE) no 1347/2000), dit
« Bruxelles II bis », article 21 § 3 — et pouvant être exercée contre toute per-
sonne qui prétendrait ne pas tenir compte de ce qui a été jugé à l’étranger. Il en
résulte une nette différenciation avec l’action en exequatur que seul le bénéfi-
ciaire de la condamnation étrangère exerce contre la partie condamnée; celle-
ci est, en effet, la seule personne vis-à-vis de laquelle un titre exécutoire peut
être utile.
Cette doctrine que résume l’équation suivante; « action en inopposabilité =
action en opposabilité + action en exequatur » (Ph. Francescakis, note préc.,
on affectera, bien sûr, le second terme de l’équation d’un signe négatif) a aus-
sitôt rencontré la critique. Il lui a été objecté, notamment par Francescakis
(note préc., v. aussi note, Rev. crit. 1954. 200 et « Du contrôle préventif de la
validité du divorce étranger » Zeitschrift für ausländisches und internationa-
les Privatrecht, 1954, p. 58 et s., spéc., no 12, p. 66, « Remarques sur la recon-
naissance et l’exécution des jugements étrangers », JCP 1964. I. 1813, spéc.
no 19) que si la décision d’exequatur a bien cet effet constitutif de conférer la
force exécutoire, elle repose néanmoins sur la constatation de la régularité
internationale du jugement étranger et comporte ainsi nécessairement une
déclaration d’efficacité — bénéficiant automatiquement à l’ensemble des
effets substantiels comme à l’autorité de la chose jugée acquis à l’étranger. La
230 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 24-25

décision d’exequatur opère « la légalisation du jugement étranger à toutes


fins utiles » (Francescakis et Lucas, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Jugement
étranger, matière civile et commerciale, no 10). Dès lors, il est inutile de dis-
tinguer à côté de l’action d’exequatur pourvoyant à toutes utilités, une action
spécifique qui se limiterait à la reconnaissance ou opposabilité. Si le bénéfi-
ciaire d’un jugement étranger est anxieux de connaître sa valeur en France, il
lui suffit de demander l’exequatur (v. Seine, 8 nov. 1961, Rev. crit. 1963. 601,
note Y. Loussouarn; Seine, 21 mai 1963, Clunet 1964. 118, obs. J. B. Sialelli :
« La procédure d’exequatur a pour objet et pour utilité d’introduire sur le ter-
ritoire national les décisions étrangères en les rendant opposables non seule-
ment au défendeur à l’exequatur, mais à toutes les autorités françaises et…
elle constitue le moyen le plus normal et le plus pratique de faire juger une
fois pour toute de la validité des décisions »).
10 À la vérité, cette controverse est aujourd’hui un peu surprenante et entre dif-
ficilement dans le cadre d’un système procédural libéré de la méthode des
actions de la loi. Aussi bien paraît-il plus rationnel de considérer (comme le
fait le Règlement Bruxelles II bis, article 21 § 3, étendant, en son domaine,
l’action en déclaration de force exécutoire [art. 2] aux demandes de reconnais-
sance et de non-reconnaissance et, en toute matière, l’article 67 de la loi ita-
lienne no 218 du 31 mai 1995) qu’il existe une seule action dont l’objet pri-
mordial serait toujours la vérification de la régularité internationale — quoique
son exercice puisse être déterminé par une relative diversité d’intérêts selon les
espèces. La force exécutoire, l’opposabilité à un tiers (Paris, 5 janv. 1938,
Rev. crit. 1938. 112, note J. P. N.), l’injonction à l’officier d’état civil de procé-
der à la transcription sur ses registres (Seine, 3 janv. 1958, Rev. crit. 1958. 574,
note H. Motulsky; Seine, 24 nov. 1965, Clunet 1966. 366, obs. Ph. Kahn; Paris,
10 mars 1967, Rev. crit. 1968. 367, note Y. Loussouarn, Clunet 1967. 643,
note Ph. Kahn; Civ. 1re, 29 mars 1989, Rev. crit. 1990. 352, note P. Mayer,
Clunet 1989. 1015, note C. Kessedjian), la confirmation d’un état sont des fins
irrémédiablement liées à la régularité. Faut-il alors réserver la dénomination
d’action en exequatur à celle qui tend à l’obtention de la force exécutoire ? La
querelle paraît d’ordre terminologique (v. Civ. 1re, 7 avr. 1998, Rev. crit. 1998.
659, note B. Ancel). Certes, les conditions de recevabilité et certains éléments
du régime procédural sont susceptibles de varier en fonction des fins de la
demande; ainsi on ne peut solliciter la force exécutoire si l’on n’est pas le
bénéficiaire de la décision étrangère ou si l’on agit contre une autre personne
que son destinataire. Mais il s’agit là d’exigences ordinaires du droit commun
de la procédure.
En fait, la logique des classifications commanderait de présenter l’action
d’exequatur comme une simple variété de l’action générale en reconnais-
sance. Mais sans doute parce que l’action d’exequatur fut longtemps la seule à
être nommée et exercée devant les tribunaux français, sa dénomination par un
effet de métonymie s’est en quelque sorte emparée des diverses formes de
l’action générale au fur et à mesure de leur apparition. Ainsi, avec un sens
aigu de la continuité historique, la Cour de cassation, sans excès de précaution
(malheureusement peut-être, v. A. Huet, note sous Garino, Civ. 1re, 3 janv.
24-25 WEILLER — CASS., 22 JANVIER 1951, 2 AVRIL 1957 231

1980, Clunet 1980. 341, spéc. p. 347), place sous l’enseigne de l’exequatur
des hypothèses où la demande ne tend à aucune mesure d’exécution maté-
rielle sur les biens ni de coercition sur les personnes (v. notamment Garino,
Civ. 1re, 3 janv. 1980, Clunet, loc. cit., Rev. crit. 1980. 597, note D. Holleaux :
« si l’objet principal de l’instance en exequatur est de permettre l’exécution
forcée en France du jugement étranger, il n’est pas interdit de recourir à cette
procédure en vue de faire établir, même préalablement à une autre instance, la
régularité du jugement étranger dès lors que le demandeur en exequatur y a
intérêt et quelle qu’ait été la position procédurale de ce demandeur dans l’ins-
tance devant la juridiction étrangère », et BCCI-Paris c/Prabhu, Civ. 1re,
19 déc. 1995, Rev. crit. 1996. 714, note H. Gaudemet-Tallon : « l’action en
exequatur à la seule fin de déclarer régulier le jugement étranger, qui n’est
autre, selon la conception actuelle, que l’action en opposabilité ou déclara-
toire, ne saurait être assimilée à l’action en inopposabilité ou dénégatoire qui
lui est antithétique », laquelle, en l’espèce était exclue par l’échange de lettre
du 11 avr. 1986 interprétatif de la Convention franco-ivoirienne de 24 avr. 1961).
On remarquera enfin que la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968
et, à sa suite, le Règlement (CE) du Conseil du 22 décembre 2000 (Bruxel-
les I), qui la communautarise, fusionnent également dans la même action les
demandes tendant à la reconnaissance (art. 33 § 2) et à la constatation de la
force exécutoire de la décision étrangère (art. 38 et s.) — sauf à en dissocier,
au rebours de ce que fait le Règlement Bruxelles II bis (v. supra), la demande
de non-reconnaissance, à laquelle le favor iudicati europaei commande
en effet de refuser le bénéfice de la procédure simplifiée de l’article 41 (sur
le régime de la demande en inopposabilité visant un jugement européen,
v. H. Gaudemet-Tallon, Les Conventions de Bruxelles et de Lugano, op. cit.,
no 385; P. Lagarde, note sous Civ. 1re, 18 oct. 1988, Rev. crit. 1989. 527; TGI
Paris, 10 févr. 1993, Parretti, Rev. crit. 1993. 664, note H. Gaudemet-Tallon,
Clunet 1993. 599, note C. Kessedjian).
26
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

17 avril 1953

(Rev. crit. 1953. 412, note Batiffol, Clunet 1953. 860, note Plaisant,
JCP 1953. II. 7863, note Buchet, Rabels Zeitschrift 1955. 520, note Francescakis)
Divorce. — Époux de nationalité différente. — Loi applicable. —
Ordre public. — Droits acquis à l’étranger. — Effet atténué.

S’agissant d’époux de nationalité différente, c’est à bon droit que la Cour


d’appel a décidé que leur divorce était régi par la loi du domicile qui se
trouvait, au surplus, être identique à la loi personnelle du mari et à la loi
du for.
La réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public
n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit
en France ou suivant qu’il s’agit de laisser se produire en France les effets
d’un droit acquis, sans fraude, à l’étranger et en conformité de la loi ayant
compétence en vertu du droit international privé français.

(Rivière c/Roumiantzeff)

Faits. — Une émigrée russe naturalisée française, Lydia Roumiantzeff, épouse en


1934 en France, un émigré russe non naturalisé, Dimitri Petrov. Peu après, les époux
transfèrent leur domicile en Equateur où, dès 1936, ils obtiennent la dissolution de leur
union par consentement mutuel, en application de la loi équatorienne. Cette première
expérience n’empêcha pas chacun d’entre eux de contracter une seconde union. Lydia
Roumiantzeff, notamment, se remarie au Maroc, en 1939, avec un Français, le sieur Rivière.
Mais en 1945, désireuse de recouvrer sa liberté, elle saisit d’une demande de divorce le
Tribunal de Casablanca, à l’époque juridiction française. Soucieux d’échapper au paiement
d’une pension alimentaire, son second mari réplique que leur union est nulle au motif
que le premier mariage n’avait pas été valablement dissous, le divorce par consentement
mutuel prononcé en Equateur ne pouvant être reconnu en France.
Le problème posé au Tribunal de Casablanca était donc celui de l’effet en France de
la décision équatorienne. Or si, depuis l’arrêt de Wrède (v. supra, no 10) généralisant la
solution de l’arrêt Bulkley (v. supra, no 4), les décisions relatives à l’état et à la capacité
des personnes ont de plein droit autorité provisoire de chose jugée, leur reconnaissance
définitive est, entre autres, subordonnée au fait que la juridiction étrangère ait appliqué
la loi désignée par le système français de conflit et que sa décision ne heurte pas l’ordre
public international français. Se conformant aux enseignements de la jurisprudence Fer-
rari (v. supra, no 12), le Tribunal de Casablanca estima que la loi française était applica-
ble et donc que le jugement équatorien ne pouvait recevoir effet en France. Sa décision
fut infirmée en appel par la Cour de Rabat (30 nov. 1948, Rev. crit. 1949. 306, note
26 RIVIÈRE — CASS., 17 AVRIL 1953 233

Batiffol). Celle-ci condamna explicitement le système issu de l’application distributive


des lois nationales et affirma la nécessité de dégager une loi unique régissant le lien
conjugal. À cet effet, elle énuméra trois rattachements — la loi nationale du mari, la loi
du domicile commun, la loi du for — entre lesquels elle ne se prononça pas, chacun
d’entre eux conduisant en l’espèce à la loi équatorienne.
Un pourvoi ayant été formé, la question de la loi applicable au divorce et subsidiaire-
ment celle de la conformité à l’ordre public international français d’un divorce par consen-
tement mutuel prononcé à l’étranger étaient clairement posées à la Cour de cassation.

ARRÊT
La Cour, après en avoir délibéré en la chambre du conseil; — Sur le moyen
unique pris en ses deux branches : — Attendu qu’il résulte des énonciations de
l’arrêt infirmatif attaqué que la dame Lydia Roumiantzeff, d’origine russe, natu-
ralisée française, s’est mariée le 9 février 1934, devant l’officier de l’état civil
français, avec le sieur Dimitri Petrov, de nationalité russe, sans que le mariage lui
ait fait perdre la nationalité française; que les époux Petrov-Roumiantzeff ont
quitté la France et ont transporté leur domicile à Quito (Equateur) où, le
27 août 1936, la dissolution, par consentement mutuel, du lien conjugal, a
été prononcée par les autorités équatoriennes, en conformité de la loi équa-
torienne ; que cette rupture a été suivie, le 19 mai 1939, du remariage de
Lydia Roumiantzeff avec le sieur Robert Rivière, de nationalité française, devant
l’officier de l’état civil de Casablanca; que, postérieurement, la dame Rivière-
Roumiantzeff ayant manifesté la volonté de divorcer, Rivière l’a actionnée en
déclaration de nullité du second mariage, soutenant que le divorce par consen-
tement mutuel des époux Petrov-Roumiantzeff, bien qu’intervenu en dehors de
toute fraude, était sans effet en France, et ne pouvait, en conséquence, avoir
permis un mariage ultérieur de la dame Roumiantzeff; — Attendu que c’est à
tort, selon le pourvoi, que la Cour d’appel a débouté Rivière de sa demande,
sanctionnant ainsi une décision étrangère dépourvue de l’exequatur et en
opposition avec l’ordre public français; — Mais attendu que les décisions étran-
gères rendues en matière d’état ou de capacité, soit entre étrangers, soit entre
Français et étranger, produisent en France, sans exequatur, tous les effets autres
que ceux qui comportent coercition sur les personnes ou exécution sur les biens
sous réserve, toutefois, de l’appréciation par la juridiction française saisie de
leur conformité avec les règles françaises de solution des conflits de lois; qu’il
serait vainement objecté que le second mariage de la dame Roumiantzeff a été
célébré nonobstant l’absence de transcription, en France, du divorce ayant dis-
sous la première union, le non-accomplissement de cette formalité, requise en
principe, n’ayant pu, de toute façon, constituer, en l’espèce, qu’un empêche-
ment prohibitif et non dirimant; — Attendu que l’objection soulevée par le
pourvoi, d’atteinte à l’ordre public français, doit être appréciée de façon dif-
férente suivant que le divorce litigieux a été ou non acquis à l’étranger par
application de la loi compétente en vertu du règlement français des conflits;
qu’en effet, la réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public
n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en
France ou suivant qu’il s’agit de laisser se produire en France les effets d’un droit
acquis, sans fraude, à l’étranger et en conformité de la loi ayant compétence en
vertu du droit international privé français; — Attendu que le seul fait de la
nationalité française de la femme ne suffit pas à rendre, dans tous les cas où
l’état de cette dernière est en cause, la loi française obligatoirement compé-
tente ; — Attendu, en l’espèce, que les époux Petrov-Roumiantzeff, ayant une
nationalité différente, mais étant domiciliés l’un et l’autre en Equateur, c’est à
bon droit que la Cour d’appel a décidé que leur divorce était régi par la loi du
domicile qui se trouvait, au surplus, être identique à la loi personnelle du mari
234 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 26

et à la loi du for; — Attendu que, dès lors, le divorce a été régulièrement acquis
à la suite d’une décision étrangère faisant application de la loi normalement
compétente; qu’il s’ensuit que la dissolution du mariage doit produire ses effets
en France bien qu’elle n’aurait pu être prononcée, pour la même cause, par une
juridiction française, notre ordre public s’opposant, en ce cas, au divorce par
consentement mutuel; D’où il résulte que l’arrêt attaqué a légalement justifié
sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 17 avril 1953. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Picard, prem. prés.; Lenoan. rapp.;
Gavalda. av. gén. — MMes Chareyre et David, av.

OBSERVATIONS
1 Cet arrêt dont le doyen Batiffol a pu dire à l’époque où il fut rendu qu’il
était d’une « exceptionnelle importance », reste l’un des monuments de notre
droit international privé. Certes, du fait des réformes législatives de 1972 et de
1975, sa positivité est en recul. Mais au-delà même de ces péripéties, il marque
une étape capitale dans l’œuvre constructive de la jurisprudence française. Le
premier, il affirme clairement que le lien matrimonial doit relever d’une loi
unique et qu’à défaut de nationalité commune des époux, le domicile peut,
malgré le silence des textes, servir de rattachement. Le premier encore, il
énonce dans toute sa généralité la règle de l’effet atténué de l’ordre public.
Simplement, alors que la première solution prend la forme d’une mutation
brutale (I), la seconde se présente comme l’aboutissement d’une longue évolu-
tion (II).

I. La loi du domicile commun des époux

2 La règle jurisprudentielle qui prend sa source dans l’arrêt Rivière devait


connaître une fortune certaine avant d’être l’objet, du moins en France, d’une
relative désaffection. Aussi, après avoir décrit les principaux composants de ce
qu’il est convenu d’appeler la jurisprudence Rivière (A), s’interrogera-t-on sur
sa destinée (B).
3 A. — À quelle loi soumettre le divorce d’époux de nationalité différente ?
On sait l’imbroglio créé à cet égard, par l’arrêt Ferrari (v. supra, no 12). En
décidant que Mme Ferrari, de nationalité française, pouvait divorcer de son
mari, de nationalité italienne, la Chambre civile avait-elle entendu dire que la
loi française était compétente parce que l’une des parties était française ou
parce que chacun des époux était soumis distributivement à sa propre loi
personnelle ? Trente ans après, la question restait posée. C’était sans doute
qu’aucun des termes de l’alternative n’emportait la conviction. L’application
distributive des lois nationales débouchait sur une situation absurde, digne de
la comédie : au cas où le Français était marié avec le ressortissant d’un pays
dont la loi prohibait le divorce, il pouvait seul demander un divorce qui n’exis-
tait qu’à son égard; partant, le conjoint étranger ne pouvait, parce que toujours
marié, se remarier. Quant à l’application de la loi française en raison de la
26 RIVIÈRE — CASS., 17 AVRIL 1953 235

seule nationalité d’un des époux, elle étendait à l’excès au nom d’un « nationa-
lisme mal compris » la loi française et favorisait la multiplication des « biga-
mies migratoires » (Batiffol, note, Rev. crit. 1953. 418). Le premier mérite de
l’arrêt Rivière est d’avoir su sortir de cette impasse. Ecartant formellement la
compétence de la loi française fondée sur la seule nationalité française d’un
des époux et implicitement l’application distributive des lois nationales des
deux époux, il emprunte « la seule voie praticable », celle de la détermination
d’une loi du lien, d’une loi du groupe familial (Batiffol, note préc., p. 149;
Loussouarn, note, D. 1952. 657).

4 Encore fallait-il la définir. À cet effet, deux possibilités s’offraient : la sou-


mission du divorce d’époux de nationalité différente à la loi nationale du mari
ou à celle de leur domicile commun. La première solution avait pour elle d’être
plus aisément conciliable avec la lettre de l’article 3 du Code civil. Mais rete-
nir la compétence de la loi nationale du mari pris en tant que chef de famille,
c’était mettre la règle de conflit dans la dépendance d’une image bientôt péri-
mée de la famille. Quelques décennies plus tard, les décisions de certaines cours
suprêmes étrangères déclarant inconstitutionnels comme contraires à l’égalité
des sexes des rattachements de cette sorte devaient en marquer clairement
l’insuffisance; il est vrai que, dans le même temps, la soumission de l’établis-
sement de la filiation à la loi nationale de la mère par la loi du 3 janvier 1972
montrait que le droit international privé français ne s’embarrassait guère de ce
type de considérations… Mais l’égalité des sexes n’était pas le seul argument
dont pouvait se recommander la compétence de la loi du domicile commun. Le
nombre des « ménages mixtes » établis en France s’était considérablement
accrû du fait de la loi du 10 août 1927 décidant que la Française épousant un
étranger restait française. Ce texte avait voulu traduire sur le terrain de la
nationalité que les foyers fondés en France par des étrangers épousant des
Françaises étaient en fait français tant par l’origine de l’épouse que par la lan-
gue et l’influence du milieu. Or seule l’application de la loi du domicile com-
mun permettait, du point de vue du conflit de lois, de prendre en compte cette
réalité, sans pour autant encourir le reproche d’un nationalisme intempérant.
Ces éléments devaient emporter l’adhésion de la Cour de cassation. Plus
audacieuse que la Cour de Rabat qui plaçait encore au premier rang de son
énumération, la loi nationale du mari, elle décide que le divorce d’époux de
nationalité différente est régi par « la loi du domicile, qui se trouvait, au sur-
plus, être identique à la loi personnelle du mari et à la loi du for ».
L’affirmation n’allait pas sans quelques ambiguïtés. Celles-ci furent rele-
vées par les commentateurs. En premier lieu, posées à l’occasion de l’effet en
France d’un divorce prononcé à l’étranger, les règles nouvelles ne devaient-elles
pas être cantonnées à cette hypothèse ? (Francescakis, « Le divorce d’époux
de nationalité différente. Après l’arrêt Rivière », Rev. crit. 1954. 335). En second
lieu, la coïncidence relevée par la Chambre civile entre la loi du domicile
commun et la loi nationale du mari ainsi que la loi du for était-elle surabon-
dante et destinée à ménager la transition ou l’existence de ce complexe de cir-
constances était-il nécessaire à la détermination de la loi applicable ? (Batif-
fol, note préc., p. 420).
236 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 26

L’idée de sauver à tout prix un jugement de divorce dont la non-reconnaissance


aurait eu pour effet de réputer bigames deux époux qui se croyaient régulière-
ment mariés n’était sans doute pas étrangère à la démarche de la Cour de cas-
sation. Elle expliquerait qu’en l’espèce, celle-ci ait substitué à la règle de
conflit classique à rattachement unique, la méthode du groupement de points
de contact afin d’établir que le centre de gravité de la situation n’était pas en
France mais en Equateur. Cet aspect de l’arrêt fut, au demeurant, ultérieure-
ment systématisé par M. Paul Lagarde qui opposa au rattachement Rivière,
c’est-à-dire la loi du domicile commun, la méthode Rivière (« Les destinées
de l’arrêt Rivière », Clunet 1971. 241, spéc. p. 253). Mais deux années plus
tard, la Cour de cassation devait, avec l’arrêt Lewandowski (Civ., 15 mars
1955, Rev. crit. 1955. 320, note Batiffol, Clunet 1956. 146, note Goldman,
D. 1955. 540, note Chavrier, JCP 1955. II. 8771, note Ponsard) dissiper toute
incertitude. Les tribunaux français ayant à connaître du divorce d’un Polonais
et d’une Française, l’arrêt pose clairement que « le divorce de deux époux de
nationalités différentes est régi par la loi du domicile commun ». C’est dire
que, malgré le défaut de texte, le domicile était, en l’absence de nationalité
commune des époux, substitué à la nationalité comme facteur de rattache-
ment. On ne peut illustrer plus clairement le rôle créateur de la jurisprudence.
Afin de faire de cette construction un « tout sans fissure » (G. Holleaux,
note, D. 1961. 440), la jurisprudence décida que le divorce d’époux de natio-
nalité différente pouvait être prononcé conformément aux prescriptions de
la loi du domicile commun, lors même que la loi personnelle de l’un d’entre
eux (Civ., 17 nov. 1958, Del Torchio, Rev. crit. 1959. 482, note Francescakis,
D. 1959. 80, note Malaurie) ou que leurs lois personnelles respectives le pro-
hibaient (Civ., 22 févr. 1961, Corcos, D. 1961. 437, 1re esp., note G. Holleaux,
Rev. crit. 1961. 382, note Batiffol, Clunet 1961. 734, note Goldman). De fait,
adopter la solution contraire eût été réintroduire le système de l’application
distributive avec tous ses inconvénients (Holleaux, note préc., p. 440). Néan-
moins le dynamisme du rattachement Rivière apparaissait tel que certains
auteurs émirent la crainte que la loi du domicile n’en vînt à supplanter la loi
nationale (Goldman, note préc., p. 744). Ces alertes devaient se révéler vaines,
la jurisprudence maintenant fermement au rattachement Rivière son caractère
subsidiaire.
5 Restait cependant à parachever l’édifice en précisant la notion de domicile
commun. Celle-ci était implicitement commandée par le fondement même de
la jurisprudence Rivière : reposant sur la volonté de soumettre les ménages
mixtes au droit du milieu social dans lequel ils vivaient, elle impliquait que
l’on retînt une conception concrète du domicile ; utiliser en la matière l’arti-
cle 108 du Code civil prévoyant que la femme était réputée domiciliée de plein
droit chez son mari, en eût dénaturé complètement l’esprit. Et de fait, l’arrêt
Tarwid décida que le divorce d’époux de nationalité différente était soumis à la
loi de leur domicile commun s’ils étaient « tous deux intégrés au milieu local
par un établissement effectif dans le même pays » (Civ. 1re, 15 mai 1961,
D. 1961. 437, 3e esp., note G. Holleaux, Rev. crit. 1961. 547, note Batiffol,
Clunet 1961. 734, note Goldman, solution reprise par Metz 28 janv. 1992,
26 RIVIÈRE — CASS., 17 AVRIL 1953 237

Rev. crit. 1993. 29, note H. Muir Watt pour l’application de l’art. 310 du Code
civil, déplacé à l’art. 309 par l’ord. du 4 juill. 2005). Bien qu’il devînt alors
difficile de parler de rattachement de la cellule conjugale, cette intégration fut
entendue fort souplement puisque l’établissement de deux époux séparés dans
un même pays y suffisait. Mais que décider lorsque le domicile ainsi défini
faisait défaut, c’est-à-dire lorsque les époux habitaient « séparément en des
pays différents » ? Fallait-il alors s’en tenir à la loi du dernier domicile com-
mun ou faire prévaloir celle du for ? Bien que la première solution ait été
depuis retenue par plusieurs conventions (art. 8-2, Conv. franco-polonaise du
5 avr. 1967, Rev. crit. 1969. 329; art. 8, Conv. franco-yougoslave du 18 mai
1971, Rev. crit. 1973. 570; art. 9 al. 2, Conv. franco-marocaine du 10 août 1981,
Rev. crit. 1983. 534) ainsi que par de nombreux textes étrangers, la seconde
l’emporta. La Cour de cassation décida, en effet, qu’à défaut de domicile com-
mun le divorce d’époux de nationalité différente était « régi par la seule loi
du for régulièrement saisi du divorce » (Civ. 1re, 15 mai 1961, Tarwid, préc.;
Civ. 1re, 30 oct. 1967, Yechilzuke, Rev. crit. 1969. 479, note Jacques Foyer).
Toute intégration à un milieu défini ayant disparu, la loi du for s’applique en
vertu de sa vocation subsidiaire générale (v. infra, arrêt Bisbal, no 32-34 § 13
et s.). La solution présentait au demeurant le mérite de permettre de résoudre
la délicate question du divorce du Français, marié à un conjoint étranger et
domicilié dans un pays dont la législation prohibait le divorce : il suffisait à
l’époux français de quitter ce pays pour restituer à la loi française son applica-
bilité. Etait ainsi construit un règlement du conflit assurant au Français le
bénéfice d’un divorce « à la française » sans que pour autant — suprême élé-
gance — la loi du for parût jouir d’un domaine exorbitant. Ce fragile équilibre
devait être rompu par la loi du 11 juillet 1975. Mais c’est alors le devenir de la
jurisprudence Rivière qui est en question.
6 B. — Par statut personnel, on entend non seulement le statut de l’individu
mais aussi celui des relations de famille. Longtemps de peu d’importance,
cette distinction prit tout son relief lorsque la conquête d’une nationalité indé-
pendante par la femme ainsi que l’accroissement du rôle du jus soli augmentè-
rent le nombre des familles dont les membres étaient de nationalité différente.
Force fut alors, dans cette hypothèse de découvrir ailleurs que dans la nationa-
lité, le rattachement permettant de soumettre à une loi unique les relations
entre les membres d’une même famille. C’est précisément à cet égard, que
l’apport de l’arrêt Rivière se révéla irremplaçable. En décidant qu’à défaut de
nationalité commune des époux, le divorce était régi par la loi du domicile
commun, il élaborait un corps de solutions favorisant un règlement homogène
des aspects relationnels du statut personnel. Encore fallait-il en préciser exac-
tement le domaine d’application. De ce point de vue, l’évolution ultérieure fut
marquée par deux phases, l’une de flux, l’autre de reflux.
7 Le divorce ne constituant, selon l’expression du doyen Batiffol, que le
« terme des effets du mariage », il était logique d’étendre la solution Rivière à
l’ensemble de cette catégorie. Mais il en résultait en même temps une adéqua-
tion accrue du rattachement à la matière régie qui, par une sorte d’interaction
238 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 26

illustrant les liens étroits unissant la question du rattachement à celle de la qua-


lification (sur ce point, v. infra, arrêt Silvia, no 29 § 6), devait à son tour entraî-
ner un essor considérable de la catégorie « effets du mariage ». La jurispru-
dence soumit, en effet, à la loi des effets du mariage non seulement l’obligation
alimentaire entre époux (v. infra, arrêt Chemouni, no 31) mais aussi les dona-
tions entre époux dont on avait longtemps enseigné qu’elles relevaient de la loi
successorale (v. infra, arrêt Campbell-Johnston, no 42). Débordant les relations
entre époux, la solution fut également étendue à la filiation légitime (Paris,
21 juin 1955, Rev. crit. 1955. 529; Civ. 1re, 4 nov. 1958, Moens, Rev. crit. 1959.
309, note Francescakis) et à la légitimation (Civ. 1re, 8 juill. 1969, Weyrich-
Laroche, Rev. crit. 1971. 255, note A. Weill, Clunet 1970. 303, note B. G.,
D. 1970. 1, note Malaurie; Civ. 1re, 3 mars 1970, Bonomo, Clunet 1970. 911,
note Goldman, JCP 1971. II. 16650, note H. Gaudemet-Tallon, Gaz. Pal. 1970.
1. 308); étaient ainsi soumis à une loi unique les rapports des époux entre eux
et avec tous leurs enfants. Ces dernières extensions provoquèrent cependant les
réactions hostiles d’une partie de la doctrine. Arguant du fait que le centre de
gravité s’était au sein de la famille, déplacé des parents vers l’enfant, et que
l’application de la loi du domicile commun manquait de réalisme lorsque l’un
des parents et l’enfant étaient français et résidaient à l’étranger, plusieurs
auteurs préconisèrent l’application de la loi nationale de l’enfant (v. par ex.,
Francescakis, « Une extension discutable de la jurisprudence Rivière, l’appli-
cation de la loi du domicile commun à la filiation légitime », Clunet 1956.
254; Jacques Foyer, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Filiation, nos 10 et s.).
8 C’est précisément, en ce domaine que s’amorça le reflux. Mais il revêtit
avec la loi du 3 janvier 1972, un tour imprévu. En vertu de l’article 311-14 du
Code civil, la filiation, qu’elle soit légitime ou naturelle, relève de la loi natio-
nale de la mère. Quant à la légitimation, elle fut dans un souci de faveur à
l’institution, l’objet d’une règle de conflit à option dont l’une des branches
visait expressément la loi des effets du mariage (art. 311-16); c’est dire que
l’abandon partiel de l’ancienne solution s’accompagnait d’une consécration
législative de la catégorie effet du mariage. Aujourd’hui disparue avec
l’article 311-16, puisque les textes relatifs à la légitimation ont été abrogés par
l’ordonnance du 4 juillet 2005, cette consécration subsiste à l’article 370-3 du
Code civil (L. 6 févr. 2001) à propos de la détermination de la loi applicable
aux conditions de l’adoption. Mais c’est surtout avec la loi du 11 juillet 1975
relative au divorce que le mouvement devait s’accentuer. L’article 310 du Code
civil (devenu l’art. 309, ord. 4 juill. 2005) qui en est issu procède à un réamé-
nagement des rapports de la nationalité et du domicile; celui-ci n’est plus
conçu comme un rattachement subsidiaire ne jouant qu’à défaut de nationalité
commune mais comme un rattachement concurrent permettant de conférer à la
loi française un domaine exorbitant. Dorénavant, celle-ci est applicable lors-
que les deux époux sont de nationalité française ou lorsqu’ils sont tous deux
domiciliés en France, peu important alors qu’ils aient ou non une nationalité
commune étrangère. Le but n’est plus de soumettre à la loi française des
familles en fait françaises mais de permettre à des couples étrangers vivant en
France d’y divorcer « à la française ». Cet élargissement de la compétence de
26 RIVIÈRE — CASS., 17 AVRIL 1953 239

la loi française a été vivement critiqué en doctrine. On a souligné qu’en organi-


sant le conflit des décisions, elle risquait d’accroître le nombre des divorces
boiteux (Batiffol et Lagarde, t. II, no 443-1); le contrôle de la loi appliquée
reste, en effet, souvent, en matière de divorce, une condition d’accueil des
décisions étrangères (du moins dans les rapports ne revêtant pas un caractère
intra-communautaire, sur lesquels v. art. 21 et s. du Règlement no 2201/2003
de Bruxelles II bis, du 27 nov. 2003 sur la compétence, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale et de responsabilité paren-
tale). Or cela est d’autant plus grave que l’esprit de retour des travailleurs
migrants reste vif et se marque fréquemment, notamment après divorce, par le
départ d’un des conjoints vers son pays d’origine. Il a été également relevé que
certains pays seraient sans doute conduits à se préoccuper de l’application de
la loi française à leurs ressortissants (Francescakis, « Le surprenant article 310
nouveau du Code civil sur le divorce international », Rev. crit. 1975. 553, spéc.
p. 582). Cette réflexion devait se révéler prémonitoire.
La France a, en effet, été obligée de négocier avec le Maroc une Conven-
tion qui, à l’exemple des Conventions franco-polonaise du 5 avril 1967 (art. 8-2,
Rev. crit. 1969. 329) et franco-yougoslave du 18 mai 1971 (art. 8, Rev. crit.
1973. 570), retient les solutions jurisprudentielles antérieures (Convention
France-Maroc du 10 août 1981, art. 9, Rev. crit. 1983. 534; sur cette conven-
tion v. F. Monéger, Rev. crit. 1984. 29 et 267). On ne pouvait démontrer plus
clairement que la jurisprudence Rivière était mieux adaptée à une certaine
harmonie des relations internationales.
Cette constatation ne saurait cependant cacher qu’abstraction faite des con-
ventions antérieures ou postérieures à 1975, le divorce est désormais régi par
l’article 309 du Code civil (ancien art. 310). Qu’en déduire sur le terrain de la
loi des effets du mariage ? Plus précisément, en élaborant une règle de conflit
propre au divorce, le législateur a-t-il ou non entendu lui assujettir l’ensemble
de la catégorie ? La réponse semble devoir être négative. D’une part, en effet,
le divorce n’apparaît plus comme la sanction des obligations nées du mariage;
le divorce par consentement mutuel, le divorce pour altération définitive du
lien conjugal, ont conféré à la rupture une certaine autonomie. D’autre part, et
surtout, l’adoption d’une méthode unilatéraliste dans un système qui reste
bilatéral implique, sous peine de désorganisation, que les nouvelles disposi-
tions soient cantonnées à la matière considérée (Fadlallah, La famille légitime
en droit international privé, 1977, no 5, p. 5, no 381, p. 341). Ainsi filiation et
divorce échapperaient à la loi des effets du mariage, mais celle-ci continuerait
à régir les relations entre époux.
Cette dernière proposition doit elle-même être nuancée. Aux bouleverse-
ments législatifs s’ajoutent, en effet, ceux qui ont leur origine dans les conven-
tions internationales. Or la France a ratifié en matière d’aliments la Conven-
tion du 2 octobre 1973 qui porte loi uniforme de droit international privé et
soumet l’obligation alimentaire entre époux à une règle de conflit spécifique,
à rattachements hiérarchisés. On assiste ainsi à un effritement de la catégorie
effet du mariage, sous la double pression du législateur français et du mouve-
ment conventionnel, tous deux plus préoccupés d’une efficacité immédiate et
ponctuelle que de l’homogénéité des ensembles. Désormais ne relèvent plus
240 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 26

de la loi des effets du mariage que les « rapports exclusivement personnels


entre époux », certains « rapports personnels à aspects patrimoniaux » (régime
primaire) (Civ. 1re, 22 oct. 1985, Bologna, Clunet 1986. 1005, note Wiederkehr,
Defrénois 1986, p. 859, note Breton; v. cep. Civ. 1re, 20 oct. 1987, Cressot,
Rev. crit. 1988. 540, note Y. Lequette, Clunet 1988. 447, note A. Huet; 6 nov.
1990, Gaz. Pal. 1991. 2.647, note J.-P. Rémery), et les « rapports patrimo-
niaux à aspect personnel » (contrat entre époux; infra, no 42) (Fadlallah,
op. cit., no 379, p. 341). Hors de ce cercle subsistent comme autant de témoins
de son ancienne splendeur, quelques îlots : adoption (art. 370-3, C. civ., réd.
L. 6 févr. 2001, v. infra, arrêt Torlet, no 65), transmission du nom aux enfants
légitimes (Civ. 1re, 7 oct. 1997, Canovas Gutteriez, Rev. crit. 1998. 72, note
critique P. Hammje)). Est-ce là une matière suffisante pour maintenir une loi
des effets du mariage ? La question est d’autant plus délicate qu’elle s’inscrit
dans un débat plus général, celui du rôle du groupe familial dans la société
civile. De notre point de vue, il serait fâcheux qu’une réponse négative
l’emportât (Y. Lequette, « Aspects de l’évolution récente du droit de la
famille », Trav. Capitant 1988, p. 469 et s.).

9 Quoi qu’il en soit de son avenir en France, la solution Rivière semble à


l’échelle planétaire, devoir connaître une belle fortune. On ne peut, en effet,
énumérer ici tant elles sont nombreuses, les dispositions législatives étrangères
qui s’en sont directement ou indirectement inspirées (v. Batiffol et Lagarde,
t. II, no 443, note 9). La matière illustre ainsi l’un des traits du caractère
national : repousser par un goût immodéré et désordonné du changement les
innovations heureuses que nous avions su dégager et qui font désormais le pro-
fit de nos voisins, au point que la jurisprudence Rivière passera sans doute à la
postérité sous l’appellation d’« échelle de Kegel » ! (v. G. Droz, « Regards sur
le droit international privé comparé », Rec. cours La Haye, 1991, t. IV, p. 37).

II. L’effet atténué de l’ordre public

10 En affirmant qu’un divorce par consentement mutuel étranger peut produire


effet en France alors qu’il n’aurait pu y être prononcé, notre ordre public s’y
opposant, la Cour de cassation formule une solution qui ne rend plus compte
de notre droit positif (B). Mais la proposition sur laquelle elle se fonde conserve
tout son intérêt (A).

11 A. — Selon les termes mêmes de l’arrêt, « la réaction à l’encontre d’une


disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant qu’elle met
obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou suivant qu’il s’agit de laisser se
produire en France les effets d’un droit acquis, sans fraude, à l’étranger et en
conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé
français ».
La Cour de cassation énonce ainsi de manière quasi-doctrinale, un principe
dont les auteurs relèvent en général la première manifestation dans l’arrêt
26 RIVIÈRE — CASS., 17 AVRIL 1953 241

Bulkley du 28 février 1860 (v. supra, no 4). Il a été suggéré que cet arrêt
n’avait sans doute pas à l’époque où il fut rendu la portée qu’on lui a ultérieu-
rement attribuée (P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit interna-
tional privé, nos 11 et s., p. 13 et s.; Batiffol, « L’œuvre constructive récente
de la jurisprudence française en droit international privé », Mélanges Savatier,
p. 78). Quoi qu’il en soit, la doctrine de la fin du XIXe siècle, spécialement
Bartin, se montrait très réservée pour distinguer, en matière d’ordre public, la
création et l’efficacité des droits (Études de droit international privé, p. 255
et s., spéc. p. 261). Et en 1930, celui-ci écrivait toujours à ce propos : « Pour
des raisons que nous ignorons encore (…), on donne ainsi, alternativement,
deux solutions contradictoires de la même question » (Principes, t. I, § 98,
p. 262). C’est, semble-t-il, Pillet (« De l’ordre public en droit international privé »,
Mélanges Pillet, t. I, p. 463) et Niboyet qui érigèrent en directive générale l’oppo-
sition entre droits acquis et droits à acquérir (v. Francescakis, Rép. Dalloz dr.
int., 1re éd., v° Ordre public, no 66; Graulich, note, Rev. crit. 1975. 58). Dans
le même temps, les arrêts se multiplièrent qui, en matière de divorce ou de
recherche de paternité, pratiquèrent la distinction sans l’énoncer. La première
systématisation fut, à la fin de la seconde guerre mondiale, l’œuvre des arrêts
Bach et Schabel (Civ., 11 avr. et 1er mai 1945, D. 1945. 245, note P. L-P.,
S. 1945. 1. 121, JCP 1945. II. 2895, note R. Savatier) qui décidèrent que « si
l’ordre public ne permet pas d’intenter devant les tribunaux français l’action
en recherche d’une filiation naturelle en dehors des cas et des conditions limi-
tatives prévus par l’article 340 du Code civil, alors même que l’action en
recherche est régie par la loi nationale étrangère de l’enfant demandeur, ledit
ordre public ne met pas obstacle à ce qu’une déclaration judiciaire de pater-
nité naturelle simple résultant régulièrement d’une décision étrangère qui
condamne le père de l’enfant en cette qualité à lui servir une pension alimen-
taire jouisse en France de l’autorité de la chose jugée, et obtienne l’exequa-
tur ». Exprimée de manière formelle, la distinction ne l’était toutefois que
pour la recherche de paternité. C’est à l’arrêt Rivière qu’il revînt de l’énoncer
en une formule générale qui fut ultérieurement reprise tant par la Cour de cas-
sation (v. par ex. pour la reconnaissance à l’étranger d’un enfant adultérin,
Civ., 22 mai 1957, Henrich, Rev. crit. 1957. 466, note Batiffol, Clunet 1957.
722, note Plaisant; pour la polygamie, v. infra, arrêts Chemouni, no 30-31 et
Dame Bendeddouche, no 61; pour la répudiation, v. infra, arrêt Rohbi, no 63 § 6)
que par les juges du fond (v. par ex., Paris, 30 oct. 1954, Rev. crit. 1954. 125,
note Mezger; Nancy, 13 janv. 1955, Rev. crit. 1955. 525, note Loussouarn).
Postérieurement, l’appellation d’« effet atténué » de l’ordre public qui résume
cette conception fut à son tour, consacrée par l’arrêt Munzer (v. infra, no 41).
12 L’expression d’effet atténué de l’ordre public veut marquer que l’intensité
de l’ordre public international diffère selon qu’on est en présence d’une situa-
tion déjà créée à l’étranger ou d’une situation à créer en France. Imagée et sug-
gestive, ce qui explique sans doute son succès, elle est techniquement inexacte,
« car il ne s’agit pas de faire jouer faiblement l’exception d’ordre public
mais de la paralyser totalement » (P. Mayer et V. Heuzé, no 207 ; P. Lagarde,
op. cit., no 8, p. 12). Et de fait, au moins d’un point de vue négatif, l’exception
242 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 26

d’ordre public a toujours le même effet : le refus d’accueillir en France une


norme étrangère, règle ou décision. La différence provient simplement de ce
que la contrariété du droit étranger à l’ordre public international français qui
conditionne le déclenchement de cette exception est appréciée de manière plus
ou moins rigoureuse en fonction d’un certain nombre de facteurs. En opposant
l’acquisition des droits en France et l’effet en France des droits acquis à l’étran-
ger, l’arrêt Rivière met clairement en évidence deux d’entre eux, l’un temporel,
l’autre spatial.
Facteur temporel tout d’abord : dans le premier cas, la situation est encore
à créer, dans le second elle existe déjà. Or il est beaucoup plus difficile de
nier une réalité existante que de refuser de lui donner naissance. Ainsi que le
soulignent MM. Batiffol et Lagarde (t. I, 7e éd., no 367, p. 425), dès lors que
la situation née à l’étranger a déjà entraîné des conséquences dans les faits,
comme en l’espèce deux nouveaux mariages après un divorce, son « refus
approche la négation d’un fait, et il faut des raisons particulièrement graves
pour y conduire, au mépris d’ailleurs des prévisions des parties ».
Facteur spatial ensuite : dans le premier cas, le rapport doit naître en France,
dans le second il est déjà né à l’étranger. C’est dire que les circonstances de
sa création ne concernent pas matériellement la vie juridique française. Ainsi
que l’ont mis en relief MM. Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières,
(no 259-1), « l’opinion publique est moins sensibilisée à l’efficacité d’un acte
réalisé à l’étranger qu’elle ne le serait à la reconnaissance de la liberté
d’accomplir en France dans la vie internationale ce qui est prohibé dans la vie
interne ». Ajoutons qu’il est d’autant plus difficile de refuser d’accueillir en
France les effets d’une situation créée à l’étranger que le degré d’expansion
de l’institution qu’elle met en œuvre est plus important (v. infra, arrêts Che-
mouni, no 30-31).
À ces deux facteurs visés expressément par l’arrêt Rivière, certaines déci-
sions récentes semblent vouloir en adjoindre un troisième, d’ordre non plus
temporel ou spatial, mais personnel. Au moins dans le domaine du statut per-
sonnel, la contrariété à l’ordre public serait appréciée avec d’autant plus de
souplesse qu’aucune des personnes parties à la relation n’aurait la nationalité
française ou ne serait domiciliée en France. Ce facteur pourrait se conjuguer
avec les précédents, les court-circuiter, ou jouer isolément. Ainsi, après avoir
rappelé l’attendu de principe de l’arrêt Rivière, la Cour de cassation a décidé
dans un arrêt Rohbi du 3 nov. 1983 (infra, no 63) qu’une répudiation unilaté-
rale intervenue au Maroc entre deux époux marocains n’était pas contraire
à l’ordre public international français. Mais, ultérieurement, par une série
d’arrêts du 17 février 2004, elle a refusé d’accueillir des répudiations interve-
nues au Maroc ou en Algérie entre des époux marocains ou algériens, dès lors
que « les deux époux étaient domiciliés sur le territoire français » (infra, no 64).
Inversement, s’agissant de prononcer un divorce en France, la Cour de cas-
sation a jugé que la loi espagnole prohibant le divorce « était contraire à la
conception française actuelle de l’ordre public international qui impose la
faculté, pour un Français domicilié en France, de demander le divorce » (Civ. 1re,
1er avr. 1981, de Itturalde de Pedro, Clunet 1981. 812, note D. Alexandre). De
même, s’agissant d’établir une filiation naturelle paternelle, elle a décidé que
26 RIVIÈRE — CASS., 17 AVRIL 1953 243

la loi tunisienne qui y faisait obstacle était contraire à l’ordre public international
français lorsque son application a pour effet de priver un enfant français ou rési-
dant actuellement en France du droit d’établir sa filiation (Civ. 1re, 10 févr. 1993,
Rev. crit. 1993. 620, note J. Foyer, Clunet 1994. 124, note I. Barrière-Brousse,
D. 1994-66, note J. Massip, Som. com. p. 32, obs. Audit; sur l’évolution ulté-
rieure du droit tunisien v. S. Ben Halima, « La filiation naturelle en droit
tunisien », Mélanges Mohamed Charfi, p. 459). La prise en compte de cette varia-
ble supplémentaire montre que l’intensité de l’ordre public dépend de l’étroitesse
du lien unissant la situation juridique au for. La conception allemande de
l’Inlandsbeziehung décidant que l’ordre public ne peut écarter la loi étrangère
applicable que s’il existe un lien suffisamment étroit entre la situation liti-
gieuse et le territoire du for l’illustre à sa manière (sur cette conception,
v. P. Lagarde, op. cit., p. 55 et s. et les références doctrinales et jurispruden-
tielles citées par cet auteur; Wengler, « Les principes généraux du droit inter-
national privé et leurs conflits », Rev. crit. 1952. 600, no 7; N. Joubert, La
notion de lien suffisant avec l’ordre juridique (Inlandsbeziehung) en dr. int.
pr., thèse Paris I, 2002).
13 Aussi bien est-il permis de se demander s’il ne serait pas préférable aujourd’hui
de raisonner, comme en droit allemand, en termes d’Inlandsbeziehung et
d’admettre « le même jeu de l’ordre public que la situation soit constituée dans
ou hors du territoire du for, dès lors que cette situation présente des liens étroits
avec la France ». (H. Gaudemet-Tallon, « La désunion du couple en droit inter-
national privé », Rec. cours La Haye, 1991, t. I, no 122, p. 271; v. déjà du
même auteur, Clunet 1990. 982; J.-M. Jacquet, note Clunet 1992. 953; R. Lib-
chaber, « L’exception d’ordre public en dr. int. pr., » in L’ordre public à la fin
du XXe siècle, 1996, p. 72 et s., nos 9 et s.; P. Courbe, Mélanges Paul Lagarde,
2005, p. 227). La corrélation espace-temps sur laquelle repose la théorie de
l’effet atténué de l’ordre a, en effet, perdu une bonne part de sa pertinence en
raison de la facilité actuelle des déplacements et de la quasi-ubiquité qu’elle
confère aux individus. Le seul fait qu’une situation est née à l’étranger ne per-
met plus de présumer qu’elle n’avait à l’époque de sa création que peu de liens
avec la société française. C’est ainsi que nombre de maghrébins résidant en
France, retournent séjourner brièvement dans leur pays d’origine afin d’y créer
des situations — répudiation, mariage polygamique — qu’ils n’auraient pu
constituer directement dans leur pays de résidence, et s’y prévalent ensuite de
celle-ci sous le couvert de ce véritable détournement d’institution qu’est alors
l’effet atténué de l’ordre public (sur cette difficulté, v. par ex., P. Mayer et
V. Heuzé, no 588; B. Audit, nos 687 et 689; H. Gaudemet-Tallon, note Clunet
1990. 992; sur son aggravation en cas de double nationalité, v. infra, no 46).
On a pu parler à ce propos de « fraude à l’intensité de l’exception d’ordre
public » (Fadlallah, note Rev. crit. 1984. 325) sans que cette notion puissse pour
autant apporter une réponse appropriée à cette difficulté (v. en matière de répu-
diation, P. Courbe, note sous Civ. 1re, 6 et 26 juin 1990, Rev. crit. 1991. 593;
J. Déprez, note sous Civ. 1re, 4 mai 1994, Rev. crit. 1995. 110; en matière de
polygamie, J. Déprez, note Rev. crit. 1991. 705). Aussi certains recomman-
dent-ils pour répondre à ce problème de recourir à des clauses spéciales
244 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 26

d’ordre public qui définissent face à un problème donné les exigences de


l’ordre public du for ainsi que le lien requis avec celui-ci pour provoquer
l’éviction de la loi étrangère (v. P. Lagarde, « La théorie de l’ordre public
international face à la polygamie et à la répudiation, l’expérience française »,
Mélanges F. Rigaux, p. 263 et s., spéc. p. 278).
14 B. — Pédagogiquement, il était avant 1975 difficile de trouver un meilleur
exemple que le divorce pour illustrer la gradation de l’ordre public. Selon la
terminologie descriptive généralement employée, l’ordre public s’opposait, en
vertu de son effet « plein » ou « général » au prononcé en France d’un divorce
en application d’une loi étrangère plus libérale que la loi française. En revanche,
les divorces prononcés à l’étranger conformément à une telle loi pouvaient
recevoir effet en France du fait de son effet « atténué ». Néanmoins celui-ci
n’étant pas un effet « nul », l’ordre public faisait échec à l’effet en France de
répudiations unilatérales intervenues à l’étranger. En réformant profondément
notre droit interne, la loi du 11 juillet 1975 a mis fin à ces solutions. Aussi bien
la définition des nouveaux contours de l’exception d’ordre public international
en matière de divorce ne s’est-elle pas opérée sans difficultés, spécialement en
ce qui concerne la répudiation (infra, no 63-64).
27
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
22 juin 1955

(Rev. crit. 1955. 723, note Batiffol, D. 1956. 73, note Chavrier,
Journal des juristes hellènes 1956. 217, note Francescakis)
Conflit de qualifications.

La question de savoir si un élément de la célébration du mariage appar-


tient à la catégorie des règles de forme ou à celle des règles de fond doit
être tranchée par les juges français suivant les conceptions du droit français,
selon lesquelles le caractère religieux ou laïc du mariage est une question
de forme.

(Caraslanis c/Dame Caraslanis)

Faits. — À l’assignation en divorce devant le Tribunal de Paris que lui adresse son
épouse de nationalité française, Caraslanis, citoyen grec, réplique par une demande recon-
ventionnelle en nullité de mariage. Cette prétention est fondée sur le fait que l’union a
été contractée en France en la seule forme civile, conformément au droit français, mais
en contravention des prescriptions de la loi grecque, lesquelles exigent la célébration
par un ministre du culte. Caraslanis est ainsi amené à soutenir d’abord que l’exigence
d’une cérémonie religieuse posée par le droit grec est une condition de fond de la for-
mation du mariage, pour relever ensuite qu’en tant qu’élément du statut personnel, cette
condition de fond est régie par la loi nationale du futur conjoint auquel elle se rapporte;
et de conclure enfin que l’inobservation de cette règle du droit grec impose de constater
l’inexistence du mariage.
Pas plus que les premiers juges, la Cour de Paris n’accueille cette prétention. Elle
admet la validité du mariage qui a été célébré en France selon les formes de la loi fran-
çaise, voyant ainsi un problème de forme des actes là où Caraslanis prétend découvrir
une question de statut personnel relevant de la loi nationale.
C’est dans ces conditions que, sur pourvoi de Caraslanis, la Cour de cassation est
appelée à résoudre un conflit de qualifications à propos de la forme du mariage.
Voici sa réponse :

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique pris en ses deux branches; — Attendu que
l’arrêt attaqué, confirmatif, a prononcé le divorce entre Dimitri Caraslanis, sujet
hellène, et Maria-Richarde Dumoulin, de nationalité française, dont le mariage,
uniquement civil, avait été célébré le 12 septembre 1931, devant l’officier de
l’état civil du 10e arrondissement de Paris; qu’il est fait grief à la Cour d’appel
d’avoir rejeté les conclusions du mari dans lesquelles il soutenait que le mariage
était inexistant, l’Église orthodoxe, à laquelle appartenait Caraslanis, imposant
246 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 27

comme condition indispensable à la constitution légale du mariage, la célébra-


tion par un prêtre orthodoxe, exigence de fond n’ayant pas été respectée en
l’espèce; — Mais attendu que la question de savoir si un élément de la célébra-
tion du mariage appartient à la catégorie des règles de forme ou à celle des
règles de fond devait être tranchée par les juges français suivant les conceptions
du droit français, selon lesquelles le caractère religieux ou laïc du mariage est
une question de forme; — Qu’en conséquence, le mariage civil contracté en
France par les époux Caraslanis-Dumoulin était valable conformément à la règle
locus regit actum; d’où il suit qu’abstraction faite du motif critiqué par le pour-
voi, tiré de ce que le mari, en introduisant sa demande reconventionnelle en
divorce, aurait reconnu la validité du mariage, et qu’on peut tenir pour sura-
bondant, la cour d’appel a justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 22 juin 1955. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Lemaire, prés.; Lenoan, rapp.;
Gavalda, av. gén. — MMes Durnerin et de Ségogne, av.

OBSERVATIONS
1 L’arrêt proclame le principe de la qualification lege fori et même, plus géné-
ralement, il définit les solutions qui s’imposent aux conflits de qualifica-
tions (I). Voilà qui lui vaut son renom. Mais celui-ci a été acquis à propos de la
question particulière que crée l’exigence, posée par certaines lois étrangères,
d’une célébration religieuse du mariage; or il est permis de se demander si
cette question offrait bien l’occasion de formuler ainsi un principe de la théorie
générale des règles de conflit de lois et ne méritait pas plutôt d’être traitée
selon une autre méthode de solution (II).

I. Le conflit de qualifications
2 La difficulté est connue en France depuis les travaux de Bartin sur l’affaire
Bartholo (v. supra, no 9). Une conscience aiguë de la diversité irréductible des
droits internes et de l’étroite liaison existant entre institutions du droit civil et
principes du droit international privé désespérait cet auteur que soit jamais
atteinte l’unification des solutions des conflits de lois : même si les États
s’entendaient sur l’édiction de règles de conflit communes, ils ne parviendraient
pas à leur conserver une unité d’interprétation. Reliée à des droits internes dif-
férents évoluant chacun selon sa propre pente, toute règle de conflit commune
se différencierait elle-même à plus ou moins brève échéance et se présenterait
dans plusieurs versions distinctes. Ainsi, à Paris comme à Athènes, les condi-
tions de fond du mariage sont régies par la loi nationale tandis que les conditions
de forme relèvent de la loi du lieu de la célébration. Mais les contenus des
catégories « conditions de fond » et « conditions de forme » n’y sont pas iden-
tiques et c’est de cette divergence que Caraslanis prétendait se servir de la
manière qu’on a vue. La Cour de cassation a refusé d’entrer dans ce jeu dont il
apparaîtra qu’ainsi mené il est sans issue.
On s’étonnerait qu’il ait fallu attendre près de soixante années, depuis
l’identification du problème, pour obtenir une solution. Mais c’est peut-être
27 CARASLANIS — CASS., 22 JUIN 1955 247

que les racines de la difficulté sont plus profondes que ce que Bartin en avait
perçu. Elles ne se limitent pas en effet au choix de la loi de la qualification, au
dilemme entre qualification lege fori (loi française) et qualification lege cau-
sae (loi grecque); elles descendent jusqu’à toucher aussi l’objet même de
l’opération de qualification. Il ne suffit pas en effet de choisir convenablement
la loi de la qualification : une mauvaise définition de l’objet de la qualification
risque également de provoquer des conflits de qualifications. L’arrêt Carasla-
nis apporte aussi des éclaircissements sur ce point.

A. — La loi de la qualification

3 L’arrêt consacre la qualification lege fori, il condamne la qualification lege


causae. Il convient d’examiner les mérites de la méthode qu’il exclut et ceux
de la méthode qu’il impose.
L’argument essentiel en faveur du recours à la lex causae est que cette
démarche seule garantit l’exacte application de cette loi (Despagnet, « Des
conflits de lois relatifs à la qualification des rapports juridiques », Clunet
1898. 253 ; Wolff, Private international Law, 1950, p. 151 et s. ; v. aussi J.-
L. Elhoueiss, « Retour sur la qualification lege causae en dr. int. pr. », Clunet
2005. 281.). Si la loi grecque considère que l’exigence d’une cérémonie reli-
gieuse constitue une condition de fond du mariage relevant de l’état des per-
sonnes, il convient de lui abandonner le problème du caractère séculier ou
confessionnel du lien conjugal lorsqu’il s’agit de l’union de citoyens grecs.
Désignée en qualité de loi du statut personnel, elle ne serait pas correctement
appliquée si, à l’encontre de ses vues, il était admis pour complaire à
quelqu’autre loi, que Caraslanis, quoique ne s’étant prêté qu’à une cérémonie
civile, est régulièrement marié — alors, qu’à ses yeux, il ne l’est pas. Il serait
incohérent de prétendre soumettre le statut personnel à la loi nationale et en
même temps de faire produire à cette loi, en se référant à certaines de ses dis-
positions, une validité que, par le jeu d’autres règles qu’elle juge indissocia-
bles des premières, elle refuse en l’espèce. La pratique qui négligerait ce refus
réaliserait une véritable amputation de la lex causae, dont en effet les disposi-
tions relatives à la forme du mariage seraient purement et simplement mécon-
nues en la cause. L’idée maîtresse qui inspire cette doctrine est que ce n’est
pas appliquer la loi désignée que de l’appliquer autrement qu’elle entend
l’être (v. Batiffol, note préc.). Elle se verra objecter que si appliquer une loi
étrangère selon ses propres catégories paraît être un « programme séduisant »,
c’est aussi un programme impossible et inacceptable dans un système de règles
de conflit bilatérales (Batiffol et Lagarde, t. I, no 295).
On n’insistera pas sur l’argument dit du « cercle vicieux » qui s’indigne de
ce qu’il est demandé à la loi applicable de déterminer la qualification alors
que c’est de cette qualification que la règle de conflit fait dépendre la détermi-
nation de la loi applicable. L’objection n’a en effet qu’une valeur relative qui
tient à la manière de représenter le fonctionnement de la règle de conflit. On
peut la surmonter en proposant de mener l’opération de qualification en deux
temps. Dans une première phase, une qualification dite de « compétence »
conduite selon la lex fori permettrait de découvrir la ou les règles de conflit
248 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 27

concernées, par exemple en l’espèce, les catégories fond et forme du mariage.


Puis dans un deuxième stade du raisonnement dit « qualification de fond », on
rechercherait quelle est l’étendue d’application que chacune des lois dési-
gnées se reconnaît. Par exemple, si le choix s’est porté sur la catégorie condi-
tion de fond du mariage, il faudrait retenir dans la loi grecque compétente
pour régir cette question toutes les règles substantielles qui, selon elle, sont
des règles de fond du mariage. La lex causae serait ainsi, sans cercle vicieux,
appelée à formuler elle-même la qualification (v. J. Maury, « Règles générales
des conflits de lois », Rec. cours La Haye, 1936, t. III, p. 325, no 142).
4 En réalité, ce qui, fondamentalement, rend impraticable la méthode de la
qualification lege causae est que si elle est apte à poser le problème du conflit
de qualifications, elle est incapable de lui fournir une solution.
Dans l’affaire Caraslanis, la question de la célébration religieuse donne
lieu à un conflit de qualifications parce qu’elle relève du statut personnel
d’après la loi nationale régissant le statut personnel et de la forme des actes
d’après la loi du lieu de conclusion gouvernant la forme des actes. Confiant à
chaque droit le travail de qualification, c’est-à-dire le soin de dénombrer les
matières qu’à son avis embrasse la catégorie juridique qu’il est appelé à régir,
la méthode expose inéluctablement à ce genre de rivalités où sur une même
question s’affrontent des appétits contraires. Il apparaît alors qu’ainsi conduite
la qualification engendre un cumul ou conflit positif de désignation qui interdit
toute solution si l’on n’est prêt à sacrifier une loi à l’autre. Ainsi en l’espèce, la
loi française, loi du lieu de célébration, se reconnaît compétente et valide un
mariage purement civil, alors que la loi grecque, loi nationale qui se reconnaît
tout aussi compétente, l’annule… Dans le cas symétriquement inverse Caras-
lanis étant supposé Français et le mariage célébré en Grèce, aucune loi ne fait
figurer la question parmi les matières qu’elle comprend dans la catégorie pour
laquelle le rattachement la désigne et c’est une lacune ou conflit négatif de
désignation qui apparaît. La méthode engendre le conflit, elle ne le résout pas.
5 Au demeurant, l’idée de demander à chaque ordre juridique de fixer à sa
guise la mesure de son application est théoriquement inadmissible. On sait en
effet qu’aux questions internationales, les règles de conflit apportent des
réponses nationales (v. supra, arrêts Forgo, no 7-8). Chaque ordre juridique
regroupe à cette fin les rapports sociaux dans des catégories auxquelles il
affecte un rattachement approprié. Le choix du rattachement est effectué en
contemplation du contenu de la catégorie (et réciproquement le contenu de la
catégorie est délimité en considération du rattachement, v. infra, arrêt Silvia,
no 29). La nationalité répond au besoin d’homogénéité temporelle du statut
personnel (v. supra, arrêt Busqueta, no 1) et le lieu de situation de la chose au
besoin d’homogénéité locale du statut réel (v. supra, arrêt Stewart, no 3). Le
juge qui retiendra la loi nationale étrangère parce que le rapport à traiter entre
dans la catégorie statut personnel de cette loi, violera néanmoins sa propre
règle de conflit chaque fois que ce rapport appartiendra selon la loi du for, à
une autre catégorie, par exemple au statut réel, car c’est bien violer la règle de
conflit que de satisfaire l’homogénéité dans l’ordre du temps là où elle veut
27 CARASLANIS — CASS., 22 JUIN 1955 249

servir l’homogénéité dans l’ordre du lieu. Abandonnant ses catégories, le juge


dévaluerait ses rattachements. Or, il n’est pas dans la mission du juge d’entre-
prendre ainsi la déstabilisation du système des règles de conflit du for. Il lui
faut donc se garder de dissocier ce qu’elles ont lié, le rattachement et la caté-
gorie. La directive s’exprime en latin : ejus est interpretari cujus est condere, il
revient à celui qui édicte la règle de l’interpréter.
À cette maxime obéit la méthode de la qualification lege fori; réservant à
l’ordre du for, qui a édicté la règle, le soin de définir la catégorie qu’elle asso-
cie au rattachement, cette démarche assure naturellement dans le système du
for, l’unité d’interprétation — laquelle réduit le danger des conflits positifs ou
négatifs (1) de désignation pourvu que les catégories de la lex fori soient elles-
mêmes découpées de manière cohérente.
6 Ces catégories sont empruntées au droit interne du for. L’observation est à
l’origine de la controverse. Parce qu’elles se constituent en rassemblant autour
de quelques notions génériques les diverses institutions du droit privé compte
tenu des relations d’interdépendance que le système du for établit entre elles,
ces catégories ne sauraient être utilisées sans grief à l’endroit des lois étrangè-
res, lesquelles n’ayant pas le même droit interne n’autorisent pas les mêmes
regroupements. Ainsi, en introduisant l’exigence de participation d’un minis-
tre du culte à la création du lien conjugal dans la catégorie de la forme des
actes, le droit international privé français brise la liaison unissant selon le droit
grec cette exigence (remise à la lex loci celebrationis) au fond de l’institution
du mariage — relevant de la loi personnelle (sur l’existence de cette liaison,
v. Maridakis, Rev. crit. 1952. 661; sur les solutions actuelles depuis la réforme
de 1983, v. Rev. crit. 1984. 171, note Vassilakakis). En d’autres termes : ou l’on
manque à la règle de conflit de for (c’est la qualification lege causae), ou l’on
manque à la loi désignée (c’est la qualification lege fori). À supposer l’argu-
ment fondé, il ne suffit pas à condamner le choix de la loi du juge saisi comme
loi de la qualification.
Sans doute peut-on imaginer atteindre l’unité d’interprétation et échapper
en même temps au reproche de méconnaître la loi désignée. C’est ainsi que la
proposition a été faite de recourir à un système international de règles de
conflit utilisant des catégories élaborées sur la base des résultats d’une analyse
comparative générale; ces catégories exprimeraient la structure d’une espèce
de droit commun de l’humanité (rappr. Ph. Francescakis, « Droit naturel et droit
international privé », Mélanges J. Maury, t. I, no 13, p. 123) et dissoudraient
l’alternative de la lex fori et de la lex causae. Ce programme défini et ébauché
par E. Rabel (« Le problème de la qualification », Rev. crit. 1933. 1; Conflicts
of laws. A comparative study) n’est pas sans intérêt; son exécution offrirait
l’avantage de garantir à chaque loi le respect de son intégrité dans la mesure
au moins de la conformité de ses propres catégories à la structure universelle
de ce droit commun. Cette perspective paraît plus satisfaisante que celle de la
mise au gabarit national que la qualification lege fori impose aux institutions

(1) Sur la résolution des conflits négatifs qui peuvent malgré tout subsister, v. supra, arrêt
Forgo, no 7-8.
250 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 27

étrangères. Cependant, quelles que soient les promesses, l’élaboration d’un


jeu universel de catégories est aujourd’hui, bien sûr une gageure titanesque,
mais aussi et surtout une entreprise intempestive.

7 En l’état présent de la société internationale — à la vérité toujours en puis-


sance et non encore en acte, les États nationaux continuant de différencier les
espaces sociaux du commerce international — la règle de conflit remplit une
fonction médiatrice : elle relie à la vie sociale interne, que contrôle et constitue
l’ordre du for, les rapports de droit privé qui, par quelque côté, y échappent
pour se développer aussi dans d’autres ordres juridiques. Cette fonction lui est
assignée par l’ordre du for dont la tâche première et la raison d’être ne sont pas
d’assurer le gouvernement de la société internationale aux lieu et place d’insti-
tutions défaillantes, mais d’organiser la vie sociale interne. À cette fin, il met
en œuvre un système complexe de régulation des comportements, qui com-
prend notamment un appareil de règles matérielles — le droit interne — et
dont les articulations, l’ossature dessinent les catégories juridiques — lesquel-
les expriment ainsi de manière très synthétique l’organisation du milieu
interne (Ray, Essai sur la structure logique du Code civil français, p. 40). Il est
normal et expédient d’imposer aux règles de conflit le respect de cette organi-
sation, quand bien même elles sont appelées à emprunter aux lois étrangères
les éléments d’une réglementation appropriée de chaque situation internatio-
nale (Comp. Niboyet, Traité, t. III, no 965, p. 387). L’ordre du for ne peut sans
se renier prescrire contre lui-même. C’est pourquoi, chargée de l’intégration
dans l’ordre du for d’une relation internationale, telle qu’éventuellement la
réglemente une loi étrangère, la règle de conflit use des catégories issues du
droit interne du for. Elle établit de la sorte entre l’ordre du for et les ordres
juridiques étrangers une interconnexion réalisant la conciliation des exigences
de cohésion de l’ordre qui accueille la relation et des aspirations à la différence
de traitement que fonde le caractère international de celle-ci.
Ce n’est donc pas seulement sur les vices de la qualification lege causae
que repose la légitimité de la qualification lege fori; cette démarche se recom-
mande aussi par son adéquation à la nature-même du problème que la relation
internationale pose à l’ordre du for dans la mesure où elle préserve la cohé-
sion de celui-ci en garantissant l’intégrité de ses institutions. En quoi elle
répond de manière appropriée aux exigences de cette donnée essentielle des
conflits de lois contemporains dont Bartin avait eu l’intuition mais qu’il
n’avait pas su identifier : l’antériorité de l’ordre interne par rapport à l’ordre
international (il apparaît ainsi que c’est moins une nécessité logique qu’une
exigence fonctionnelle qui impose la qualification lege fori; aussi bien, si par
exemple l’Union européenne venait à s’accomplir jusque sur le terrain juridi-
que et à constituer en véritable jus commune se subordonnant les droits natio-
naux des États membres, il conviendrait sans doute, selon le même raison-
nement, de recourir aux catégories communautaires pour la mise en œuvre
des règles de conflit de lois; v. observations sous l’arrêt Bartholo, supra, no 9
et v. M. Audit, « L’interprétation autonome du droit international privé com-
munautaire », Clunet 2004. 789; également les remarques de V. Heuzé, Trav.
27 CARASLANIS — CASS., 22 JUIN 1955 251

com. fr. dr. int. pr. 1995. 1998, p. 321, et B. Ancel, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd.,
v° Qualification, nos 54 et s., OGH, 27 avr. 1987, Clunet 1991. 421).
B. — L’objet de la qualification

8 L’opération de qualification porte, s’il faut en croire l’arrêt, sur « un élément


de la célébration du mariage ». La formule se signale par l’absence de référence
tant à la règle grecque imposant la cérémonie religieuse qu’à la règle française
prescrivant la forme civile. L’objet de la qualification consiste ici dans la ques-
tion que, chacune dans son sens, résolvent les règles internes des lois en conflit;
il n’est pas dans les solutions, divergentes, qu’elles apportent à cette question.
Ce ne sont pas les règles elles-mêmes dont l’application est en jeu, qui sont
qualifiées; c’est la situation de fait (Batiffol et Lagarde, t. 1, no 291-1) ou la ques-
tion de droit (P. Mayer et V. Heuzé, no 144) ou encore le projet (B. Ancel, Les con-
flits de qualifications à l’épreuve des donations entre époux, nos 219 et s., « L’objet
de la qualification », Clunet 1980, p. 234 et s.). Quelle que soit la dénomination,
il s’agira toujours du rapport que le plaideur établit entre ce qu’il demande,
c’est-à-dire la prétention, ici la nullité du mariage, et ce qu’il invoque au soutien
de cette demande, c’est-à-dire l’allégation, ici le défaut de participation d’un
ministre du culte. Tel est, au demeurant, ce qui ressort de la décision étudiée.
Cette exégèse de l’arrêt n’est pas gratuite. Jusqu’alors, en effet, la jurispru-
dence avait éprouvé les plus grandes difficultés à arrêter sa position sur ce
problème de la célébration religieuse (v. not., J. Mestre, « Le mariage en France
des étrangers de statut confessionnel », Rev. crit. 1977. 659). Cette indécision
résidait sans doute dans la contrariété de législations que la révolution fran-
çaise a provoquée en laïcisant le mariage. Si ce mouvement de sécularisation
s’est largement propagé à l’étranger, il reste néanmoins que certains ordres
juridiques conservent à l’institution sa dimension religieuse. En cet état de
choses, une qualification, même conduite lege fori, expose au risque de cumul
et de lacune de désignation, si elle s’applique aux règles internes.
9 Toute règle interne, en effet, reçoit son sens du contenu que lui donne l’ordre
qui l’édicte, mais ce contenu est lui-même déterminé par l’appartenance à un
système, à un ensemble de règles liées entre elles par des relations de cohérence
substantielle ou rationnelle (sur ces liaisons systématiques, v. H. Batiffol, Aspects
philosophiques du droit international privé, 1956, p. 48). Dans ces conditions,
la qualification appliquée à la règle requiert une analyse de celle-ci « dans son
contexte » (Falconbridge, Conflicts of laws, 1954, p. 89) qui permette d’en
dégager le sens, d’en préciser la teneur et d’en fixer les caractères — tous élé-
ments qu’il faudra ensuite rapprocher des catégories du for. Ainsi, la règle
imposant la célébration religieuse sera d’abord perçue dans le cadre du droit
grec où elle apparaîtra comme la conséquence immédiate d’une conception de
l’union conjugale qui s’est construite autour du sacrement du mariage et que
mettent également en œuvre d’autres dispositions du système auquel elle
appartient. Il est difficile, même en usant des catégories du droit français, de ne
pas voir que cette particularité du droit grec reflète une exigence de fond pro-
cédant directement de la consistance de l’institution. Par conséquent, il faut
accepter ici de faire entrer l’obligation de la célébration in facie ecclesiae,
252 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 27

parmi les conditions de fond de la formation du mariage, au sein du statut


personnel. En revanche, la déconfessionnalisation des institutions familiales
en France portera peut-être à voir dans la célébration civile une simple solen-
nisation, un mode particulier d’officialisation de l’union de l’homme et de la
femme… S’il doit en être ainsi, la qualification règle de forme s’imposera
aisément. Mais de cette divergence des qualifications, portant respectivement
sur les règles internes en conflit, résultera ce que produirait aussi la qualifica-
tion lege causae, c’est-à-dire en l’espèce un cumul de désignation, le droit grec
autant que le droit français devant être déclaré applicable à cet « élément de la
célébration ». On comprend dès lors pourquoi la Cour de cassation ne pouvait
se contenter de rejeter la méthode de la qualification lege causae : appliquée
aux règles internes des lois en conflit, la qualification lege fori conduit aux
mêmes impasses.
10 En revanche la question de droit ou le projet devenant l’objet de l’opération de
qualification, l’éventualité d’un conflit de qualifications disparaît : il faut être au
moins deux pour se disputer; or la pluralité n’est pas du côté de la question
telle que la pose Caraslanis, mais seulement du côté des réponses, c’est-à-dire des
règles internes telles que les édictent les ordres juridiques grec et français. Le
projet ne se dédoublant pas, l’objet de la qualification est unique et le résultat
le sera également; la perspective des cumul et lacune de désignation s’évanouit.
La proclamation du seul principe de la qualification « suivant les concep-
tions du droit français » aurait été vaine, si elle n’avait permis de débarras-
ser le système français de règles de conflit de ces incohérences. À cette fin, il
était nécessaire de déterminer en même temps la loi et l’objet de la qualifica-
tion. Ce fut l’œuvre de l’arrêt Caraslanis.
Cet aboutissement garantit la valeur et le prestige de cette décision.

II. Les mariages confessionnels


11 Décider, comme le fait l’arrêt Caraslanis, que la question de la célébration
religieuse ou laïque du mariage ressortit à la catégorie forme, c’est prendre son
parti de la formation de mariage boiteux, valables du point de vue d’un ordre
juridique, nuls du point de vue d’un autre. Le risque ne concerne pas l’hypo-
thèse de l’union contractée en la forme religieuse selon la loi locale par
deux personnes ressortissant à un ordre juridique qui, comme la France, fait de
cet élément de la célébration une question de forme : le mariage contracté par
deux Français au Nevada devant « l’officiant de l’Église Church of the Har-
vest » est régulier dès lors que ce mode de célébration est admis par la loi de
cet État (Civ. 1re, 29 sept. 2005, 2 arrêts inédits, pourvois nos 03-10178 et
02-17096 et la jurisprudence citée sur l’article 170, C. civ., par J.-M. Bischoff,
Rép. Dalloz dr. int., vo Mariage, nos 100 et s.). Le matrimonium claudicans
apparaît en revanche dans les rapports avec les pays qui conservent au mariage
son caractère confessionnel si la célébration se fait en France entre ressortis-
sants de ces pays devant l’officier de l’état civil français comme l’exige l’arrêt
Caraslanis : tenue pour valablement formée dans l’ordre juridique français,
l’union sera réputée nulle ou inexistante dans le pays d’origine des intéressés.
27 CARASLANIS — CASS., 22 JUIN 1955 253

Aussi bien les aménagements qu’apportait déjà la jurisprudence française aux


conséquences de ces mariages boiteux (B) n’ont-ils pas empêché la doctrine
de s’interroger sur la légitimité de la qualification retenue (A).
12 A. — Reposant sur des principes dont l’orthodoxie est incontestable, l’opé-
ration de qualification devait-elle, en l’espèce, conduire à la catégorie forme ?
Certains en ont douté au motif que « le mariage religieux pour ceux qui
y recourent sérieusement n’est pas une question de forme mais tient à la
conception que se font les époux de la substance même du mariage : il y a une
différence de fond entre la notion de lien religieux et celle d’un lien exclusive-
ment civil » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 422, p. 541; Loussouarn, Bourel et
de Vareilles-Sommières, no 292; Delaporte, Recherches sur la forme des actes
juridiques en droit international privé, thèse multigr., 1974, no 282, p. 487;
Louis-Lucas, « La distinction du fond et de la forme dans le règlement fran-
çais des conflits de lois, Mélanges Maury, t. I, p. 186, no 10).
Aussi bien, la qualification fond avait-elle été, au début du siècle, retenue
par plusieurs décisions des juges du fond (v. décisions citées par J. Mestre,
art. préc., Rev. crit. 1977. 667), avant que la Cour de cassation ne la consacre
à son tour dans le domaine voisin des « divorces religieux » par le célèbre arrêt
Levinçon (Civ., 29 mai 1905, Rev. crit. 1905. 518, Clunet 1905. 1006, DP 1905.
1. 353, S. 1906. 1. 161, note Pillet). Elle s’expliquait à l’époque par le succès
des idées personnalistes de Mancini. Mais rapidement les juridictions françai-
ses devaient, tout en maintenant la compétence de principe de la loi person-
nelle, opposer aux lois confessionnelles, l’exception d’ordre public international
(v. décisions citées par J. Mestre, art. préc., Rev. crit. 1977. 669, et approuvant
cette solution P. Lerebours-Pigeonnière, Précis, 3e éd., no 326; Niboyet, Traité,
t. V, no 1485, p. 309 et s.).

13 C’est qu’appliquer à l’exigence de l’intervention d’une autorité religieuse


pour célébrer le mariage ou le dissoudre, la qualification statut personnel
enferme dans un dilemme insoutenable. Lorsqu’au rebours de la loi française,
une loi étrangère formule une telle règle, il faut en effet soit admettre qu’une
autorité religieuse peut en France intervenir à la place d’une juridiction ou d’un
officier de l’état civil français, soit renvoyer les étrangers devant les autorités
ecclésiastiques de leur pays.
La première branche de l’alternative paraît difficilement concevable car
elle heurte de front certaines structures fondamentales du régime républicain.
Elle suppose, en effet, tout à la fois que le droit français restitue à l’église
catholique et concède aux ministres des autres confessions une autorité sur la
vie civile qu’il réserve depuis l’époque révolutionnaire aux seuls organes
d’État.
Quant à la seconde branche — inviter les étrangers à regagner leur pays
pour y trouver une autorité habilitée à les marier ou à les séparer selon leur loi
nationale —, elle permettrait certes de respecter la véritable nature de la
solennisation du mariage sans compromettre les fondements de l’ordre juridi-
que français. Mais cette issue, par la disponibilité des moyens matériels
qu’elle suppose chez ceux qui devraient l’emprunter, n’est pas satisfaisante en
254 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 27

pratique. Elle ne convainc pas non plus en théorie; elle établit, en effet, entre
la détermination de la loi applicable et la désignation de l’autorité compétente
une liaison discutable : la compétence du juge ou de l’officier public ne doit
pas être subordonnée à l’applicabilité de sa propre loi au fond de la cause afin
que soit ouvert à toutes les personnes présentes sur le territoire un accès égal
aux organes d’application du droit (v. Y. Lequette, Protection familiale et pro-
tection étatique des incapables, nos 170 et s., p. 135 et s.).

14 Expliquant l’intervention de l’ordre public international à l’encontre des


textes étrangers prescrivant le recours à une autorité confessionnelle, ces
considérations fondent également le passage de la qualification statut person-
nel à la qualification forme. Comme l’exception d’ordre public, celle-ci per-
met en effet de desserrer les branches du dilemme évoqué plus haut en assu-
rant à quiconque en France la liberté du mariage. L’équivalence fonctionnelle
entre la qualification forme des actes et l’exception d’ordre public est, au reste,
dans notre hypothèse clairement illustrée par l’arrêt Garcia-Fuentès qui cons-
titue en quelque sorte la transition entre les solutions ci-dessus rappelées et
l’arrêt Caraslanis (Paris 9 janv. 1943, Garcia-Fuentès DC 1944. J. 56, note
Basdevant, S. 1943. 202, note Niboyet, JCP 1943. II. 2176, note Bartin. Sur les
relations entre qualification et ordre public, v. Bartin, Études, p. 35; Ph. Fran-
cescakis, La théorie du renvoi, nos 15 et s.; « Droit naturel et droit international
privé », Mélanges Maury, t. I, p. 113, no 11). Appelés à connaître d’une sépa-
ration de corps entre époux catholiques espagnols que leur loi nationale réser-
vait à l’autorité religieuse, les tribunaux français acceptent d’en traiter en invo-
quant tout à la fois la qualification procédure et le caractère d’ordre public de
la règle réservant en France à la juridiction civile la connaissance des causes
matrimoniales.
On constate ainsi que c’est moins la nature de la question — comme le
voudrait une pratique rigoureuse de la méthode conflictuelle — que les consé-
quences redoutées de l’application de la loi étrangère qui ont conduit à retran-
cher du domaine de la loi personnelle la question du caractère séculier ou reli-
gieux du mariage.
Il est dès lors permis de se demander s’il n’eût pas mieux valu attribuer
d’emblée à la solution le statut méthodologique que sa justification commande
et faire ainsi l’économie de ce gauchissement qui tôt ou tard devait être dénoncé
comme un subterfuge (v. F. Rigaux, op. cit., no 265; J.-M. Bischoff, Rép. Dalloz
dr. int., v° Mariage, no 120; P. Mayer et V. Heuzé, no 163; B. Audit, no 206;
v. cep. réaffirmant la solution, Paris, 23 févr. 1996, D. 1997, Som. com. p. 278,
obs. A. Bottiau). De fait, s’il s’agit de faire respecter en France le monopole
des officiers de l’état civil en matière de mariage parce qu’il exprime un prin-
cipe fondamental de l’ordre juridique français, il faut constater que la règle qui
l’institue, l’article 165 du Code civil, est une loi de police (sur cette notion,
v. infra, arrêt Cie internationale des wagons-lits, no 53) faisant barrage à toute
pénétration d’une loi étrangère quelle qu’elle soit (rappr. en ce qui concerne
l’art. 146-1, C. civ., L. Gannagé, note Rev. crit. 2000. 216 sous Civ. 1re, 15 juill.
1999, qui à l’instar de l’arrêt Caraslanis opte pour la méthode conflictuelle
en réputant l’exigence de comparution personnelle condition de fond du mariage,
27 CARASLANIS — CASS., 22 JUIN 1955 255

v. dans le même sens Dijon, 30 oct. 2001, JCP 2002. IV. 1355; mais pour
l’art. 147, C. civ., v. Civ. 1re, 3 févr. 2004, Rev. crit. 2004. 395, note B. A.).
15 B. — En admettant la validité en France de mariages civils considérés comme
nuls dans d’autres pays, la jurisprudence Caraslanis est à l’origine d’unions
dites « boiteuses ». Certes, « mieux vaut un mariage boiteux que pas de mariage
du tout » (Fadlallah, La famille légitime en droit international privé, no 27,
p. 28; T. const. féd. d’All., 4 mai 1971, Rev. crit. 1974. 57 et s., spéc. p. 71,
note C. Labrusse; v. aussi, Versailles, 30 mai 1995, Rev. crit. 1996. 639, note
B. Bourdelois). Néanmoins une telle situation engendre, tant en droit qu’en
pratique, pour ceux qui en sont victimes, de multiples difficultés. Parmi celles-
ci, la détermination de la loi appelée à en régir les effets a particulièrement
préoccupé la jurisprudence française. Peut-on, en effet, soumettre les consé-
quences d’une telle union à la loi nationale des époux dès lors que celle-ci n’en
reconnaît pas la validité ? Les juridictions françaises eurent à connaître de
cette question à l’occasion d’une affaire Ghattas (Civ., 25 févr. 1947, Rev. crit.
1947. 446, note Niboyet, D. 1947. 161, note P. L-P.; et après diverses péripé-
ties, Starck, « Rebondissement de l’affaire Ghattas ou le rocher de Sisyphe »,
Rev. crit. 1955. 669). Un Libanais de rite melchite, c’est-à-dire grec-catholique,
avait épousé une Française en la forme civile en France, alors que la loi liba-
naise exigeait une célébration religieuse. La femme ayant introduit devant les
juridictions françaises une action en divorce, le mari fit valoir que la loi liba-
naise le prohibait. Mais pouvait-on constater l’indissolubilité du lien en vertu
d’une loi au regard de laquelle il n’existait pas ? La Cour de cassation ne le
pensa pas et se prononça pour l’application de la loi française au motif que
celle-ci « est nécessairement compétente lorsque le mariage n’est valable qu’au
regard du droit français » (v. aussi TGI Paris, 28 avr. 1967, Rev. crit. 1970.
435, note D. Alexandre). La doctrine se montra généralement favorable à cette
solution. Elle considéra que la loi étrangère tenant pour nul le mariage ne peut
en définir les effets ni le mode de relâchement; en décider autrement serait
dénaturer le droit étranger (v. notes Niboyet et P. L-P., préc.; J.-M. Bischoff,
Rép. Dalloz dr. int. vo Mariage, nos 198 et s.; P. Lagarde, « La règle de conflit
applicable aux questions préalables », Rev. crit. 1960, p. 459 et s., spéc. 479
à 481 ; D. Cocteau-Senn, Dépecage et coordination dans le règlement des
conflits de lois, thèse Paris I, 2001, nos 522 et s.).
Ainsi entendue, la jurisprudence Ghattas porte en elle un « risque d’exten-
sion considérable » (Fadlallah, op. cit., no 38, p. 41). Elle signifie, en effet,
qu’on ne saurait emprunter à une loi étrangère la définition des effets d’une
quelconque situation dès lors qu’elle n’en admet pas la validité. Autrement
dit, la distinction qu’opère notre système de droit international privé entre la
formation et les effets d’une situation pourrait constamment être remise en
cause au nom de la cohérence logique du droit étranger qui régit les seconds
(F. Rigaux, op. cit., no 275, p. 413; rapp. P. Mayer, La distinction entre règles
et décisions, no 61, p. 45). Par l’ampleur des perturbations qu’il engendre, un
tel tempérament paraît difficilement acceptable. On remarquera, au reste, que
nos tribunaux n’ont jamais entrepris de vérifier systématiquement, avant
d’appliquer une loi étrangère aux effets d’une situation juridique considérée
256 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 27

comme valable en France, si cette loi en admet la validité. Et inversement,


ils n’ont pas hésité à soumettre les effets d’une union à la loi substantielle
française alors que celle-ci n’aurait pas permis sa célébration (Civ. 1re, 22 avr.
1986, Mme Riahi, Rev. crit. 1987. 374, note P. Courbe, D. 1986, IR 270, obs.
Audit.; v. aussi infra, arrêts Chemouni, no 30-31).
16 C’est qu’il existe une autre explication plus respectueuse des règles de
conflit du for. Comme on l’a justement mis en relief (Fadlallah, op. cit., nos 38
et s.; Batiffol et Lagarde, t. II, no 442, no 58-3), la jurisprudence Ghattas relève
de la théorie de l’adaptation. Malgré la difficulté d’en systématiser les multi-
ples facettes, on peut ainsi en résumer l’une des manifestations principales : il
y a lieu à adaptation dès lors que l’application intégrale de chacun des systè-
mes juridiques en présence permet d’atteindre un résultat que leur combinai-
son interdit, sans que pour autant l’absence de ce résultat puisse être considé-
rée comme contraire à l’ordre public international français (sur cette théorie,
v. supra, no 12 § 6 et infra, nos 31 § 11 et 61 § 8). Le « dépeçage » aboutissant
à une impasse, le droit corrige sa propre systématique.
C’est le cas lorsqu’un mariage a été célébré en France uniquement en la
forme civile entre un Libanais de rite melchite et une Française : au regard de
la loi française le mariage est valable mais peut être dissous par divorce; au
regard de la loi libanaise il est nul. Alors que le divorce dans un cas, la nullité
dans l’autre permettent de libérer les époux du lien matrimonial, la combinai-
son des deux systèmes conduit à un mariage indissoluble : interrogée sur
l’existence du mariage, la loi française répond par l’affirmative; interpellée
sur la possibilité du divorce, la loi libanaise se prononce par la négative. La
jurisprudence Ghattas est ainsi une « simple béquille que le système du for
prête à un mariage boiteux qu’il a contribué à créer » (Fadlallah, op. cit., no 38).
28
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
6 mars 1956

(Rev. crit. 1956. 305, note Francescakis, D. 1958. 709, note Batiffol,
JCP 1956. II. 9549, note A. Weill)
Mariage putatif. — Loi applicable.

Le bénéfice du mariage putatif dépend de la loi qui annule le mariage et


qui, de ce chef, a compétence pour régler les conséquences de la nullité et
notamment le tempérament qu’il y a lieu de lui apporter.

(Veuve Moreau c/Dame Bazbaz)

Faits. — Dissimulant son précédent mariage célébré en France avec une Française,
en 1908, un officier français épouse en 1942 à Damas, devant le rabbin, une jeune
Syrienne de confession israélite. Après son décès en 1945, l’épouse syrienne se préva-
lant de sa qualité de veuve d’un officier français mort pour la France, réclame une pension
à l’autorité militaire. Celle-ci objecte la nullité de son mariage pour bigamie. La seconde
épouse demande alors aux juridictions françaises de lui accorder le bénéfice du mariage
putatif. Successivement, le Tribunal de la Seine (22 déc. 1948, Rev. crit. 1949. 100, note
G. H.) et la Cour de Paris (15 févr. 1950, Rev. crit. 1950. 420, note Loussouarn, Clunet
1951. 190, note Goldman, JCP 1950. II. 5578, note Savatier) firent droit à la demande
formée contre la première épouse en se fondant sur la loi française, compétente en tant
que loi des effets du mariage parce que loi du mari, chef de famille.
Le pourvoi critiquait l’arrêt en lui faisant essentiellement grief d’avoir fait applica-
tion de la loi française du mari, époux de mauvaise foi, à la femme étrangère dont le sta-
tut personnel ignorait le mariage putatif.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique pris en ses deux branches : — Attendu qu’il
résulte des énonciations de l’arrêt attaqué, confirmatif, que le commandant
André Moreau, déjà marié en France à Odette Ouvrard, le 15 avril 1908, a
épousé, le 4 septembre 1942, à Damas, en la forme religieuse de la communauté
israélite, Lucie Bazbaz, Syrienne de confession israélite; que de cette dernière
union est née une fille; que le commandant Moreau ayant été tué à l’ennemi, le
8 juin 1945, la dame Bazbaz a assigné la dame Ouvrard pour voir dire que le
mariage second en date, nul pour bigamie, mais contracté de bonne foi par la
femme, devait être considéré comme mariage putatif; — Attendu qu’il est vai-
nement objecté par le pourvoi que l’arrêt attaqué, accueillant la prétention de
la dame Bazbaz, se serait contredit en appliquant, d’une part, la loi française
pour apprécier les conséquences de la bonne foi et en rejetant, d’autre part,
cette même loi pour administrer la preuve de l’existence du mariage et de sa
célébration; qu’en effet, la réalité de la célébration, suivant les formes locales
258 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 28

non contraires à l’ordre public français, nécessaire et suffisante à ce point de


vue, était un fait susceptible d’être établi par tous modes de preuve; — Attendu
qu’il est, en outre, fait grief à la cour d’appel de faire application à la femme,
dont le statut personnel ignore le mariage putatif, des dispositions favorables
de la loi du mari, époux de mauvaise foi; — Mais attendu que si aux termes de
l’article 170 du Code civil, la validité du mariage d’un Français à l’étranger, en la
forme locale, est soumise aux conditions de fond de la loi française, laquelle
frappe de nullité le mariage entaché de bigamie, il résulte des articles 201
et 202 du Code civil que le mariage déclaré nul produit néanmoins « les effets
civils » au regard des époux de bonne foi et des enfants; que, dès lors, ces effets
sont ceux de la loi française d’où résulte la nullité du mariage et qui en régit les
conséquences comme les tempéraments qu’elle y apporte; — D’où il suit que
par ce motif de pur droit, substitué en tant que de besoin à celui critiqué par le
pourvoi et se référant à la loi du mari chef de la famille, la décision de l’arrêt
attaqué se trouve justifiée;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 6 mars 1956. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM Battestini, prem. prés.; Lenoan,
rapp.; Gavalda, av. gén. — MMes Chevrier et Talamon, av.

OBSERVATIONS
1 La question des conflits de lois relatifs au mariage putatif a suscité, en droit
international privé, un important contentieux (v. décisions citées par Lous-
souarn, note Rev. crit. 1950. 423). De fait, c’est dans les espèces revêtant un
caractère international que les conditions en sont le plus souvent réalisées : les
époux peuvent plus aisément y commettre une erreur sur les conditions de
validité de leur union (Savatier, note JCP 1950. II. 5578; Loussouarn, note
préc.). Au surplus, la diversité des droits positifs confère, en la matière, toute
son importance au choix de la loi : d’origine canonique, l’institution est restée
étrangère aux systèmes demeurés, tels les droits islamiques, ou devenus, tels les
droits de common law, extérieurs à l’influence de l’église catholique; en outre,
même parmi les pays qui la connaissent, sa réglementation varie de façon nota-
ble (sur le droit comparé, v. Francescakis, note Rev. crit. 1956. 309; Weill,
note JCP 1956. II. 5549). En dépit de ces données, la position de la jurispru-
dence française est restée longtemps incertaine. Tout au plus pouvait-on cons-
tater une tendance à accorder le bénéfice du mariage putatif dès que la bonne
foi était établie (sur la notion de bonne foi, v. G. Holleaux, note, Rev. crit.
1963. 122) mais sans que soit précisée la loi appliquée. Le mariage putatif était
ainsi traité comme une institution répondant à un sentiment d’équité si naturel
qu’il se justifiait par lui-même, ce que dément manifestement le droit comparé
(Batiffol, note D. 1958. 709; v. cep. en faveur de la qualification droit naturel,
Francescakis, note, Rev. crit. 1956. 313 et « Droit naturel et droit international
privé », Mélanges Maury, t. I, p. 151, no 33). Il est vrai que l’étude de la doc-
trine n’était guère de nature à fournir aux magistrats un principe de solution
incontesté : pas moins de quatre systèmes avaient été proposés par les auteurs
(sur lesquels, v. Weill, note préc.). L’arrêt Moreau met fin à cette incertitude.
En se prononçant pour la loi de la condition violée (I), il pose une solution
qui s’inscrit tout naturellement dans un courant plus général du droit interna-
tional privé français (II).
28 VEUVE MOREAU — CASS., 6 MARS 1956 259

I. Le bénéfice du mariage putatif

2 La difficulté de définir la règle de conflit relative au mariage putatif tient à


l’ambiguïté de l’institution. Tempérant les nullités du mariage, il relève de sa
formation; se traduisant concrètement par le maintien de ses conséquences, il
en intéresse les effets. De là, la controverse : doit-on recourir à la loi applicable
à la formation du mariage ou à celle régissant ses effets ? Tout en s’accordant
pour condamner la thèse de la compétence de la loi personnelle de l’époux de
bonne foi, juges du fond et Cour suprême s’étaient en l’espèce séparés; alors
que le Tribunal de la Seine et la Cour de Paris s’étaient prononcés clairement
pour le second parti, la Cour de cassation retient le premier. Reprenant une
suggestion de Berthold Goldman (note, Clunet 1951. 198), elle affirme, en effet,
que le mariage putatif est soumis à la loi « d’où résulte la nullité du mariage »
laquelle « en régit les conséquences comme les tempéraments qu’elle y apporte ».
Cette proposition n’a pas convaincu la totalité de la doctrine. On lui a
objecté ses difficultés de mise en œuvre : si la nullité est édictée par plusieurs
lois dont certaines ignorent le mariage putatif alors que d’autres l’admettent,
comment procèdera-t-on ? Devra-t-on appliquer cumulativement les lois en pré-
sence ou suffira-t-il que l’une d’entre elles connaisse l’institution ? La faveur
traditionnellement témoignée au mariage putatif par la jurisprudence française
devrait la conduire à se prononcer pour la seconde solution (en ce sens, Batif-
fol et Lagarde, t. II, no 429, note 3; Fadlallah, La famille légitime en droit
international privé, 1977, no 47, p. 49; v. cep. contra Ponsard, J.-Cl. dr. int.,
fasc. 546 C, no 70; Bischoff, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Mariage, no 175).
On lui a surtout reproché de ne pas rendre compte de la nature exacte de
l’institution. Et de fait, indépendant de la cause de la nullité, le tempérament
de la putativité est lié à la nature particulière du mariage. Si certaines législa-
tions admettent la putativité, ce n’est pas en raison de la cause de la nullité,
laquelle est indifférente, mais en raison de la nature des effets du mariage
dont il est désirable qu’ils ne soient pas rétroactivement anéantis. Dès lors —
que l’on y voie le « mariage même maintenu dans certains de ses effets (…)
en vertu d’une fiction de validité » (G. H., note Rev. crit. 1949. 104; Niboyet,
Traité, t. V, no 1490) ou que l’on préfère insister, de manière sans doute mieux
fondée, sur la réalité de ce mariage irrégulier, la fiction résidant dans la
rétroactivité de l’annulation (G. de la Pradelle, Les conflits de lois en matière
de nullité, 1967, nos 143 et s.), — c’est la loi des effets du mariage qui devrait
convenir. Seule elle permettrait d’éviter qu’on méconnaisse la réalité matri-
moniale et rendrait parfaitement compte de son caractère institutionnel (Fran-
cescakis, note préc., p. 309; G. de la Pradelle, op. cit., nos 374 et s.). L’analyse
trouverait un renfort dans la loi du 3 janvier 1972 qui, en supprimant l’exi-
gence de la condition de bonne foi à l’égard des enfants, aurait encore accen-
tué ce trait (M. Simon-Depitre et J. Foyer, Le nouveau droit international
privé de la filiation, p. 95, no 177). Aussi nombre d’auteurs ont-ils tenté de
ravaler l’arrêt Moreau au rang de décision d’espèce (Francescakis, note préc.,
p. 305; G. de la Pradelle, op. cit., nos 366 et s.). À cet effet, ils se sont appuyés
sur la prudence de sa rédaction, le motif précédemment cité étant substitué
« en tant que de besoin »; selon eux, le recours à la loi de la condition violée
260 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 28

s’expliquerait par le fait qu’à l’époque les rattachements afférents à la loi des
effets du mariage étaient encore en pleine gestation (v. supra, no 26 § 3).
Cette analyse paraît néanmoins difficile à soutenir si l’on veut bien consi-
dérer les nombreuses décisions qui, postérieurement à l’arrêt Moreau, ont repris
sa solution en la formulant souvent dans des termes identiques (v. par ex.,
Civ., 14 juin 1957, Ettouhami, D. 1957. 557; 20 nov. 1958, Hassain, Clunet
1959. 11146; Paris, 2 déc. 1966, Rev. crit. 1967. 530, note Malaurie, et depuis
la loi du 3 janv. 1972 : TGI Paris, 30 juin 1977, Clunet 1978. 609, note
D. Mayer, Rev. crit. 1978. 522, note Y. Lequette; Versailles, 3 juill. 1978 main-
tenu par Civ., 15 janv. 1980, Kaspar, Clunet 1980. 316, note Kahn; Paris,
27 nov. 1981, D. 1983. 142, note G. Paire; 14 janv. 1994, D. 1994, Som. com.
p. 357, obs. B. Audit; Civ. 1re, 16 juill. 1998, Zvoristeanu, Rev. crit. 1999.
509, note Y. Lequette, Clunet 1999. 125, note P. Courbe, D. 1995. 5. 1, note
B. Cosson, Som. com. 294, obs. B. Audit, JCP 1999. II. 1003, note H. Muir
Watt, Dr. fam. 1999, no 10, 2e esp., note H. Fulchiron, Dr. Patrimoine 1998,
no 64, p. 98, note F. Monéger). Ces décisions méritent d’être approuvées.
L’application de la loi des effets au principe même de la putativité semble, en
effet, difficilement concevable. Celle-ci n’est pas, contrairement à ce qu’allè-
guent ses partisans, unique mais plurale : loi des effets du mariage au sens
strict pour les rapports entre époux, loi nationale de la mère pour les rapports
parents-enfant, loi du régime matrimonial pour les rapports pécuniaires. Dès
lors retenir cette solution, ce serait risquer de soumettre le principe même de
la putativité aux réponses les plus contradictoires : putatif pour les rapports
personnels entre époux, le mariage ne le serait plus pour leurs rapports pécu-
niaires ou inversement.

3 En réalité, une solution adéquate du problème passe par une délimitation


exacte des domaines d’application respectifs de la loi de la condition violée et
de celles qui régissent les effets du mariage. C’est précisément ce qu’a entre-
pris la jurisprudence ultérieure ruinant ainsi la portée des critiques précéden-
tes. Dans les arrêts Hassain du 20 novembre 1958 (préc.) et Kaspar du 15 jan-
vier 1980 (préc.), elle a en effet énoncé que la loi de la nullité ne s’applique
qu’au principe même du maintien du mariage, les conséquences concrètes de
ce maintien étant définies par la loi qui les régit normalement. Ainsi, dans
l’arrêt Hassain, la putativité du mariage ayant été admise selon la loi de la
condition violée, le régime matrimonial a été liquidé conformément à la loi du
premier domicile matrimonial (comp. Paris, 14 juin 1995, Rev. crit. 1997. 41,
note P. Gannagé, D. 1996. 156, note F. Boulanger, Som. com. p. 174, obs.
B. Audit). C’est dire que l’emprise de la loi de la formation n’est pas plus
grande en cas de mariage putatif que si le mariage avait été valide (en ce sens,
Fadlallah, op. cit., nos 50 et s., p. 52 et s.; Batiffol et Lagarde, t. II, no 429;
B. Audit, no 669; P. Mayer et V. Heuzé, no 568).
Cette distinction était, au demeurant, déjà en filigrane dans l’arrêt
Veuve Moreau. La putativité du mariage ayant été accordée en application de
la loi violée, son incidence sur le droit à pension de la veuve fut appréciée
conformément aux textes législatifs spéciaux régissant celui-ci, c’est-à-dire en
l’occurrence la loi du 14 avril 1924. Celle-ci ne fut guère favorable à la seconde
28 VEUVE MOREAU — CASS., 6 MARS 1956 261

épouse puisque le Conseil d’État lui refusa tout droit à pension au motif que
l’État ne peut devoir du fait du décès de ses agents qu’une seule pension de
veuve (CE, 27 juin 1956, dame Bazbaz, Rec. Lebon 1956. 271). Rapprochée
de l’article 42 du Code de la nationalité dans sa rédaction de 1945 qui dispo-
sait que la nullité du mariage entraînait celle de l’acquisition par l’étrangère
de la nationalité française de son mari, même en cas de mariage putatif, cette
décision aurait pu laisser croire que le droit public était réfractaire à l’institu-
tion. Il n’en est rien : ce qui fait obstacle à l’octroi de la pension, c’est en
effet la bigamie et non le refus de prendre en compte la putativité du mariage
(CE, 27 mai 1955, Marchesi, D. 1955. 77, concl. Guionin qui réserve d’ailleurs
expressément le cas des musulmans polygames); quant au nouvel article 42
du Code de la nationalité (réd. L. 9 janv. 1973; devenu art. 21-5, C. civ.), il est
revenu à la solution traditionnelle de la jurisprudence (Crim., 18 févr. 1819,
S. chr.) en précisant que l’annulation du mariage ne rend pas caduque la
déclaration prévue à l’article 37-1 du même code (devenu art. 21-2, C. civ.) au
profit du conjoint qui a contracté mariage de bonne foi. Néanmoins ces hésita-
tions montrent que le caractère universel de l’institution sur lequel certains
voulaient asseoir les solutions de droit international privé n’est pas aussi évi-
dent qu’on veut bien le dire.

4 Il convient toutefois de noter que cette application distributive de la loi de la


condition violée et de la loi régissant l’effet demandé devrait être remise en
cause en ce qui concerne la question de la légitimité de la filiation. Certes,
longtemps la légitimité de la filiation est restée indissolublement liée à la vali-
dité du mariage des parents. Il en résultait que la légitimité ne subsistait, en cas
de nullité, que si elle était tempérée par la putativité. Mais la nouvelle rédac-
tion donnée à l’article 202 du Code civil, à la faveur de la réforme opérée par
la loi du 3 janvier 1972, rompt avec cette logique. Désormais, comme le souli-
gnent les auteurs, « la légitimité des enfants est entièrement disjointe de la
validité du mariage de leurs parents. La légitimité de la filiation fleurit sur
l’annulation du mariage : légitimité sans mariage, détachée du mariage, la légiti-
mité puise sa source dans la seule volonté du législateur » (G. Cornu Droit
civil, la famille, no 191). L’enfant étant légitime que le mariage soit valide ou
nul, que les parents soient ou non de bonne foi, la jurisprudence Veuve Moreau
ne devrait plus recevoir application pour déterminer la qualité des enfants issus
d’un mariage nul. La solution substantielle étant dictée par « la conception que
l’on se fait de la filiation et non du mariage » (P. Mayer et V. Heuzé, no 568,
note 24), la question de la légitimité devrait être tranchée par la loi qui régit
l’établissement de la filiation (contra Jacques Foyer, « Réflexions sur l’arti-
cle 202 du Code civil », Mélanges F. Terré, 1999, p. 469). La haute juridiction
paraît pour l’instant, un peu désemparée quant aux conséquences qu’il convient
de déduire des transformations de notre droit interne en ce qui concerne la
définition de la règle de conflit. Elle a, à quelques semaines d’intervalle, sou-
mis cette question à la loi qui régit l’établissement de la filiation (Civ. 1re,
3 juin 1998, Makhlouf, Rev. crit. 1998. 652, note B. Ancel, D. 1998. 578,
note H. Fulchiron, Dr. fam. 1999, no 10, 1er arrêt, note H. Fulchiron, JCP 1998.
262 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 28

II. 10181, note B. Fillion-Dufouleur) puis à la loi qui annule le mariage (Civ. 1re,
16 juill. 1998, Zvoristeanu, préc.).

II. La loi de la condition violée

5 En affirmant que la loi de la condition violée régit tant la sanction que les
tempéraments qui peuvent y être apportés, la Cour de cassation ne fait que rap-
peler une « donnée acquise » du règlement des conflits de lois (Motulsky, note
JCP 1963. II. 13366). Il était, en effet, déjà enseigné à l’époque que c’est à la
loi régissant la condition dont la violation est établie de définir le principe de
la sanction ainsi que les conditions de sa mise en œuvre : détermination des
titulaires de l’action, disponibilité du droit de critique sous forme de confirma-
tion, fin de non recevoir, prescription (Batiffol, Traité, 2e éd., 1955, no 436;
v. aujourd’hui : Batiffol et Lagarde, t. II, nos 428 et 601; P. Mayer et V. Heuzé,
nos 567 et 739). Ils constituent, en effet, ainsi que l’affirmera ultérieurement la
Cour de cassation un « ensemble indissociable soumis à une loi unique » (Civ.,
15 mai 1963, Patiño, 2e esp., infra, no 39; v. déjà Civ., 11 juill. 1928, S. 1930.
1. 217, note Niboyet; Civ., 25 juin 1957, Silvia, infra, no 29; Civ., 8 janv. 1963,
Hohenzollern, Rev. crit. 1963. 109, note G. H.). Principe de la nullité et causes
d’extinction de celle-ci relevant de la même loi, on comprendrait mal que les
tempéraments lui échappent. Ainsi qu’on l’a souligné (Weill, note préc.),
l’unité de législation est nécessaire si l’on veut éviter de « fausser » l’écono-
mie du système de sanction, une loi pouvant admettre un grand nombre de cas
de nullité tout en modérant sa rigueur par la large place consentie au mariage
putatif.
Néanmoins lorsque, comme en matière de mariage, formation et effets relè-
vent de lois différentes, il convient, ainsi qu’on l’a vu, de réserver une certaine
place à la loi des effets. La loi de la condition transgressée ayant indiqué si le
mariage conserve ou non ses effets, c’est à la loi qui les a façonnés que sera
empruntée leur définition.
On notera pour terminer que la jurisprudence ne se conforme pas toujours
à ces directives. Ainsi, en matière de mariage, a-t-il été décidé que l’arti-
cle 196 du Code civil qui, en cas de vice de forme, s’oppose à ce que la nul-
lité soit demandée par les époux lorsqu’ils en ont la possession d’état (Terré et
Fenouillet, Droit civil, Les personnes, la famille, les incapacités, no 415) était
applicable au mariage de Français célébré à l’étranger, alors que le principe
précédemment dégagé aurait dû conduire à ne le faire jouer que dans le cas
où la loi française de forme est compétente (v. les décisions citées par Batiffol
et Lagarde, t. II, no 428, note 4). On a tenté d’expliquer cette jurisprudence
par l’idée d’une prééminence de la loi du fond sur celle de la forme (Batiffol
et Lagarde, t. II, no 428; G. de la Pradelle, op. cit., no 378; v. les critiques
d’A. Huet, Les conflits de lois en matière de preuve, 1965, no 188).
29
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

25 juin 1957

(Rev. crit. 1957. 680, note Batiffol)


Qualification. — Incapacité naturelle.

L’insanité d’esprit et la démence constituent en réalité des cas d’incapacité


naturelle soumis à la loi personnelle et non à la loi régissant les actes juri-
diques incriminés comme les vices du consentement.
Par suite la sanction de cette incapacité, notamment le délai d’exercice
de l’action en nullité, sont soumis à la loi personnelle.

(Époux Ahmed Ben Hassen Ben El Hadj Ahmed El Maghrebi


c/Époux Silvia)

Faits. — Une femme de nationalité italienne demande l’annulation de deux actes —


une donation et un bail — conclus avec son frère concernant des biens indivis situés en
Tunisie. À l’appui de sa demande, elle allègue une grave dépression nerveuse qui aurait
vicié son consentement lors de la conclusion de ces actes. Mais la cour d’appel faisant
application du droit italien, loi nationale de la demanderesse régissant son état et sa
capacité, déclare la demande tardive et refuse d’en apprécier le bien-fondé.
Un pourvoi est formé, remontrant que l’incidence sur la formation d’un acte juridi-
que d’une altération des facultés mentales qui n’a donné lieu à aucune mesure de protec-
tion organisée, doit être appréciée en termes de consentement à l’acte et non d’incapacité
de la personne — avec cette conséquence que la demande d’annulation doit être sou-
mise à la loi de l’acte, en l’espèce loi française pour laquelle le délai de l’exercice de
l’action n’était pas expiré.
Voici la réponse de la Cour de cassation.

ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen pris en ses diverses branches : — Attendu
qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la dame Joséphine Silvia,
épouse Ahmed Ben Hassen, de nationalité italienne et résidant en Tunisie, a fait
donation, le 6 février 1942, en Tunisie, à Innocent Silvia, son frère, de sa part
indivise dans des biens situés en Tunisie, mais sous réserve d’usufruit à son pro-
fit, que, par acte du 24 décembre 1947, elle a mis cet usufruit en métayage avec
Innocent, pour le prix de 15 % de la récolte brute et l’accomplissement de cer-
taines charges; que, par acte ultérieur, elle a assigné son frère en nullité de la
donation et de la convention de métayage; — Qu’il est fait grief à l’arrêt atta-
qué, lequel la déboute de ses prétentions déclarées trop tardives, de se fonder
sur les dispositions de la loi italienne, loi nationale de la dame Silvia, au lieu de
264 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 29

rechercher si la « grave dépression nerveuse » de ladite dame n’avait pas vicié


son consentement lors de la passation d’actes dont le caractère inexplicable
avait été relevé dans des conclusions demeurées sans réponse; — Mais attendu
que l’insanité d’esprit et la démence constituent en réalité des cas d’incapacité
naturelle soumis à la loi personnelle et non à la loi régissant les actes juridiques
incriminés comme les vices du consentement; que, par suite, la sanction de cette
incapacité notamment le délai d’exercice de l’action en nullité, sont soumis à la
loi personnelle; qu’en conséquence, c’est à bon droit qu’en l’espèce, l’arrêt atta-
qué donne compétence sur ce point à la loi nationale de l’intéressée, la loi ita-
lienne, qu’il appartenait aux juges d’interpréter souverainement; — Qu’il en
résulte que le premier moyen ne saurait être accueilli;
Sur le second moyen : (sans intérêt).
Par ces motifs : — Rejette.
Du 25 juin 1957. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Lemaire, prés.; Lenoan, rapp.;
Jodelet, av. gén. — MMes Morillot, Galland et Mayer, av.

OBSERVATIONS
1 En résolvant comme il le fait la question de la loi applicable à la demande
d’annulation d’un acte juridique pour cause de démence de fait, l’arrêt Silvia
apporte une précieuse contribution à la doctrine de la qualification lege fori. Il
est admis depuis l’arrêt Caraslanis (v. supra, no 27) que le juge saisi doit
entendre dans le sens qu’elles reçoivent du droit de son pays les catégories que
ses règles de conflit utilisent pour circonscrire l’action de leurs rattachements.
La formule paraît bien signifier que les concepts tels que l’état des personnes,
le délit, la forme des actes, le régime matrimonial, etc… doivent en droit inter-
national privé être ceux qui ont cours dans le droit interne du for. Certes, la
vocation des règles de conflit à embrasser des situations qui se sont constituées
sur des modèles juridiques étrangers, différents et parfois même inconnus
du droit français, impose d’accroître sensiblement l’envergure des concepts
employés (v. par ex. pour la polygamie, les arrêts Chemouni, infra, no 30-31 et
pour les formes de conjugalité unisexe, suscitant le désaccord des auteurs
v. A. Devers, Le concubinage en droit international privé, thèse Lyon III,
éd. 2004, nos 83 et s., G. Kessler, Les partenaires enregistrés en droit interna-
tional privé, thèse Paris I, éd. 2004, nos 82 et s., pour le trust, v. la proposition
d’une catégorie autonome de S. Godechot, L’articulation du trust et du droit
des successions, thèse Paris II, 2004, nos 125 et s.). Néanmoins, il reste qu’en
principe ce sont les composantes de la notion française qui servent de réfé-
rence.
Toutefois il est admis de manière assez générale qu’il peut être expédient
d’altérer cette notion en considération de certaines données comparatives,
notamment pour favoriser l’établissement d’une communauté juridique qui pré-
vienne les conflits de qualifications (v. Batiffol et Lagarde, t. I, no 297; B. Ancel,
« L’objet de la qualification », Clunet 1980. 264, nos 60 et s.). L’arrêt Silvia,
on le verra, ne concerne pas ce premier aménagement de la doctrine de la qua-
lification lege fori. Son enseignement se rapporte à un autre cas de différen-
ciation entre catégorie internationale et notion interne du for.
29 SILVIA — CASS., 25 JUIN 1957 265

Il montre en effet qu’en dehors même de toute considération relative au droit


étranger, il est parfois préférable de s’écarter des concepts du droit interne (I)
pour respecter la signification de la règle de conflit (II).

I. L’assouplissement des concepts du droit interne

2 L’arrêt Silvia classe dans le statut personnel, par le canal de la notion de


capacité ou plutôt d’incapacité, le problème de l’annulation de l’acte passé par
un dément non interdit ni interné. Cette solution est sans doute celle qu’impose
aujourd’hui le droit civil français (v. art. 488, al. 2 et art. 489, C. civ.; Carbon-
nier, Droit civil, Les incapacités no 178; Terré et Fenouillet, Droit civil, Les
personnes, la famille, les incapacités, no 1202). Mais avant la loi du 3 janvier
1968 qui a réformé le droit des incapables majeurs, on discutait en doctrine
s’il fallait rattacher la démence de fait à la théorie de la volonté (Beudant et
Lerebours-Pigeonnière, t. III bis par A. Breton, no 1783; Planiol et Ripert, t. VI,
par P. Esmein, nos 76 et 172) ou à celle de l’incapacité (Planiol et Ripert, t. I,
par R. Savatier, no 724; Saleilles, Bulletin de la Société d’études législatives,
1904, p. 277 et s.). Ainsi les deux thèses qui s’affrontaient en l’espèce avaient
l’une et l’autre leurs partisans (v. Y. Lequette, Protection familiale et protec-
tion étatique des incapables, nos 73 et s.). Cependant le droit positif interne
était orienté vers la notion de consentement : l’insanité d’esprit excluait que
l’acte ait été réellement voulu, justifiant ainsi la nullité pour défaut de consen-
tement. Dans sa note sous le présent arrêt, le doyen Batiffol enregistrait cet état
du droit positif et pouvait observer à propos de l’incapacité naturelle :
« l’expression n’a pas droit de cité en droit civil où les seules incapacités sont
celles que la loi établit » (Rev. crit. 1957. 680). D’aucuns allaient même jusqu’à
dénoncer l’expression : « En réalité, le mot incapacité n’est pas pris dans son
sens juridique : il s’agit d’une question de consentement et non de capacité »
(Ripert et Boulanger, Droit civil, t. I, 1956, no 2252).
Voici donc une notion, celle d’incapacité naturelle, que la Cour de cas-
sation accueille en droit international privé malgré son rejet par le droit civil.
3 Il ne faudrait pas croire pour autant que ce désaccord s’explique par l’accueil
de la thèse de la qualification lege causae, condamnée par l’arrêt Caraslanis.
D’une part, en effet, il n’apparaît pas que quiconque ait soutenu en la cause
que, selon le droit civil italien formant statut personnel de la demanderesse,
l’annulation d’un acte pour trouble mental constituait un problème de capacité.
D’autre part, une semblable allégation n’aurait pu être établie, car le droit ita-
lien se trouvait, tant sur le plan doctrinal que sur le plan positif, dans la même
situation que le droit civil français (v. l’écho des controverses développées
en Italie chez T. Ballarino, Diritto internazionale privato, 1996, p. 326 et s.;
v. aussi G. Rossolillo, « Qualche riflessione in tema di incapacita naturale »
Riv. dir. int. priv. proc. 1994. 67, sur Cass. it, 28 avr. 1992, ibid., p. 90). Au
demeurant, la Cour de cassation ne se préoccupe pas de fixer la qualification
en fonction du contenu de la loi nationale de l’intéressé : le motif essentiel de
son arrêt est fidèlement repris d’une décision antérieure de la Chambre des
266 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 29

requêtes rendue le 26 décembre 1934 (Bettahar, Clunet 1936. 166) dans une
affaire où le statut personnel relevait non pas de la loi italienne mais du droit
musulman.

4 En réalité, le choix de la qualification statut personnel n’atteste nullement le


rejet des bases que fournit le droit interne du for; il résulte simplement d’une
manière propre de les considérer.
Avant la réforme de 1968, la condamnation de l’analyse en termes d’inca-
pacité reposait, en droit interne, sur la règle incontestée, corollaire du principe
de l’égalité civile : « pas d’incapacité sans texte »; en d’autres termes, chaque
individu majeur est réputé capable aussi longtemps que son incapacité n’a pas
été reconnue dans les conditions fixées par la loi. Cette exigence d’une recon-
naissance par une autorité publique — judiciaire ou même souvent seulement
administrative — constituait une garantie pour l’intéressé lui-même, que son
entourage aurait pu parfois être tenté de représenter abusivement comme inca-
pable. Toutefois, en dépit de son opportunité, cette prudence avait l’inconvé-
nient de rendre la protection facultative et de laisser à découvert les intérêts du
malade mental pour lequel aucune mesure de sauvegarde n’avait été deman-
dée. Or il n’a jamais été souhaitable de priver celui-ci de tout recours contre
ses propres écarts et de l’abandonner à la cupidité des tiers. Comme, à la vérité,
son état n’entrait par ailleurs dans aucun des cas de vice de consentement, il a
fallu se rabattre sur l’absence de volonté. Ainsi le droit positif dérivait-il de
l’incapacité au défaut de consentement.
Au demeurant, cette référence au consentement était toute relative : le
défaut de volonté qui aurait dû conduire au regard de la théorie classique des
nullités, à l’inexistence de l’acte ou du moins à sa nullité absolue pour défail-
lance d’un élément essentiel, était en réalité sanctionné comme une incapacité
de protection, par une nullité relative — au secours exclusif des intérêts de
l’incapable — ce qui dénonçait le caractère artificiel de l’emprunt à la théorie
de l’acte juridique (comp. H. Batiffol, note préc.).
Dans ces conditions, force est de reconnaître que si incontestable qu’il ait
été, cet emprunt ne pouvait dissimuler que la question à régler était bien une
question d’incapacité.

II. Les raisons de l’assouplissement

5 La constatation soulève le problème de savoir pourquoi la Cour de cassation


a cru pouvoir se libérer de la classification interne.
La réponse s’amorcera à l’observation que les catégories du droit interna-
tional privé ne sont pas destinées à réunir des règles de droit, des solutions
matérielles, mais à regrouper des projets ou questions de droit (v. obs. sous
l’arrêt Caraslanis, supra, no 27 § 8 et s.); il est donc normal qu’elles détermi-
nent leurs extensions respectives en considérant la nature des questions plutôt
que celle des solutions, lorsqu’il arrive que, par exception, le droit interne du
for établisse, pour des motifs qui lui sont propres, une disparité entre ces deux
29 SILVIA — CASS., 25 JUIN 1957 267

termes (comp. P. Mayer et V. Heuzé, nos 165 et s.; V. Heuzé, « La loi applica-
ble aux actions directes dans les groupes de contrats », Rev. crit. 1996. 243).
À quoi on ajoutera que s’il en allait autrement, les règles de conflit risque-
raient de désigner par exemple la loi de la forme pour régir une question de
fond, ou comme le danger s’en profilait en l’espèce, la loi d’autonomie pour
traiter une question d’incapacité.
Or un tel résultat serait particulièrement fâcheux. Ainsi que le soulignait
H. Batiffol (note préc., p. 682), « la loi personnelle doit régir les matières qui
touchent l’état permanent de la personne, telles les incapacités parce que la
permanence de l’application de la loi est la condition nécessaire pour que la
règle ne soit pas tournée ». Et de fait, soumettre une telle question à la loi
d’autonomie serait ouvrir la porte à toutes les manipulations. L’étranger souf-
frant d’une incapacité naturelle et bénéficiant de plein droit selon sa loi nationale
d’un régime de protection approprié en serait privé du seul fait que son cocon-
tractant l’aurait amené au choix d’une loi n’offrant pas les mêmes garanties !

6 On perçoit ainsi l’interaction existant entre la catégorie et le rattachement.


Le second est conçu en fonction de la première, mais réciproquement la ques-
tion de droit doit entrer « dans la catégorie à laquelle est affecté le rattachement
qui lui convient le mieux » (P. Mayer et V. Heuzé, no 164; Maury « Règles
générales des conflits de lois », Rec. cours La Haye, 1936, t. III, no 153). Rat-
tachement et catégories se conditionnent mutuellement au sein de la règle de
conflit (B. Ancel, Les conflits de qualifications à l’épreuve de la donation
entre époux, p. 496, no 533; sur cette interaction, v. aussi les observations sous
l’arrêt Campbell-Johnston, infra, no 42; comp. Ph. Fancescakis, « Droit natu-
rel et dr. int. privé », Mélanges Maury, vol. 1, p. 113 et s., spéc. nos 29 et s.,
p. 145 et s.; A. Henry, Qualifications et conflits de juridictions, thèse Reims
2005, défendant une « méthode pragmatique » de qualification, nos 293 et s.).
L’espèce en offre, au reste, une autre illustration. La Cour de cassation y
décide, en effet, que la loi personnelle déterminant les incapacités s’applique
également à leur sanction et notamment au « délai d’exercice de l’action en
nullité ». (v. sur cette solution supra, no 28 et infra, no 39). La prescription
extinctive relève donc de la loi régissant l’institution au fond. Or une telle
analyse n’est nullement évidente en droit interne. Selon qu’on insiste sur le
fait qu’elle répond à des exigences de bonne administration de la justice ou,
au contraire, qu’elle contribue à modeler les droits auxquels elle se rapporte,
la prescription extinctive sera classée dans la catégorie procédure ou la caté-
gorie fond. Mais précisément, insoluble en droit interne, le dilemme se tranche
aisément sur le plan du conflit de lois où intervient le paramètre du rattache-
ment. L’application de la loi du for, corrélative à la qualification procédure,
aurait en effet pour conséquence de mettre la prescription dans la dépendance
directe du conflit de juridictions. C’est dire qu’elle favoriserait le forum shop-
ping. Une action apparemment prescrite pourrait revivre dès lors qu’on
découvrirait un juge compréhensif dont la loi connaîtrait des délais sensi-
blement plus longs. À l’opposé, l’application de la loi qui régit l’institution
au fond permet d’approcher l’harmonie internationale des solutions. Le délai
de la prescription sera en effet indépendant du tribunal saisi. Au surplus, pour-
268 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 29

quoi enlever le soin des intérêts de l’incapable à la loi à qui la charge en a été
confiée ?
7 On constate ainsi que l’influence du rattachement sur la qualification entraîne
une certaine autonomie des catégories du droit international privé par rapport
aux classifications internes du for.
Une telle pratique n’est-elle pas de nature à remettre en cause le principe de
la qualification lege fori ? On sait, en effet, que les classifications du droit
interne du for sont préférées à celles du droit étranger et même à celles qu’une
enquête comparative permettrait de construire parce que seules elles expri-
ment l’organisation de la vie sociale de l’ordre du for à laquelle les règles de
conflit doivent intégrer les relations d’intérêt privé à caractère international
(v. supra, no 27 § 7). Dès lors toute différenciation trop poussée entre les
deux séries de catégories, interne et internationale, ne risque-t-elle pas de
compromettre cette fonction de la règle de conflit ? La réponse est, au moins
en l’espèce, négative. Il n’y a pas, en effet, défiguration, mais simple défor-
mation du droit civil interne, due à l’éclairage particulier du conflit de lois
sous lequel il est contemplé dans le respect de sa contexture et de ses articula-
tions. La preuve en est d’ailleurs qu’à la faveur de la réforme issue de la loi du
3 janvier 1968 la démence de fait n’a plus été envisagée, en droit interne,
comme une circonstance propre au contrat, mais comme un caractère attaché
à l’individu (art. 489, C. civ). Jouant par le biais des qualifications un rôle de
précurseur, le droit international privé avait, avant même le droit interne,
pénétré la véritable logique du système.
30-31
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

28 janvier 1958 et 19 février 1963

I. — Civ., 28 janvier 1958, Rev. crit. 1958. 110, note Jambu-Merlin,


D. 1958. 265, note Lenoan, JCP 1958. II. 10488, note Louis-Lucas,
Clunet 1958. 776, note Ponsard.
II. — Civ., 19 février 1963, Rev. crit. 1963. 559, note G. H.,
Clunet 1963. 986, note Ponsard, Rec. Gén. Lois 1963. 315, note Droz.
Polygamie. — Loi applicable. — Ordre public.

La demande de pension alimentaire introduite en France par la seconde


épouse d’un israélite tunisien ne heurte pas l’ordre public international
français dès lors que sa qualité d’épouse légitime a été acquise, sans fraude,
en Tunisie, en conformité avec sa loi nationale compétente (1er arrêt).
La créance alimentaire de la seconde femme qui, tant au regard de la loi
commune des époux avant la naturalisation française du mari, que de la loi
française régissant depuis lors les effets du mariage d’époux de nationa-
lité différente tous deux domiciliés en France, découlait directement pour
elle de la qualité d’épouse légitime définitivement acquise par un mariage
valablement contracté à l’étranger conformément à la loi compétente sui-
vant le droit international privé français, devait être reconnue en France et
exécutée par application des lois françaises tant de procédure, dès avant
la naturalisation, que de fond, depuis celle-ci (2e arrêt).

(Chemouni c/Chemouni)

Faits. — Chemouni, israélite de nationalité tunisienne, épouse en Tunisie en la forme


religieuse mosaïque, successivement deux femmes, la première Esther Valensi de natio-
nalité française, le 30 juillet 1940, la seconde Henriette Krieff de nationalité tunisienne,
le 7 mai 1945. La célébration d’un second mariage sans que le précédent ait été dissous,
était possible car, jusqu’à la loi du 27 septembre 1957 étendant aux musulmans et aux
juifs tunisiens le code du 13 août 1956 imposant le mariage monogamique, la Tunisie
était l’un des rares pays du monde où la polygamie des israélites fut juridiquement
admise (v. sur ce point, Jambu-Merlin, note, Rev. crit. 1958. 111).
Chemouni, ses deux épouses ainsi que les enfants qu’il avait eus de l’une et de l’autre,
vinrent ultérieurement s’établir en France. En 1950, Chemouni abandonna sa seconde
épouse ainsi que les deux enfants nés de celle-ci pour vivre uniquement avec sa première
femme.
Mme Chemouni-Krieff demanda alors au juge de paix du XVIIIe arrondissement
de Paris de condamner son mari à contribuer aux charges du mariage pour une durée
270 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31

d’un an. Cette demande ne souleva aucune question de principe, le mari discutant le
montant des aliments sans contester la régularité de son second mariage tunisien, ni le
principe de sa dette. Aussi des aliments furent-ils accordés pour un an par le juge de
paix et, sur appel, par le Tribunal civil de la Seine (13 févr. 1953). Les difficultés appa-
rurent lorsque la seconde épouse introduisit une nouvelle procédure en allocation d’ali-
ments sans limitation de durée. Le 7 janvier 1954, le juge de paix accueillit sa demande.
Mais saisi sur appel principal de la femme à propos du montant de la pension, ainsi que
sur appel incident du mari, et bien que la validité du mariage célébré en Tunisie selon la
loi mosaïque ne fût pas contestée par celui-ci, le Tribunal de la Seine débouta, le
30 mars 1955 (Rev. tunisienne de droit 1956. 77, note Jambu-Merlin), Mme Chemouni
au double motif que Chemouni, tunisien protégé français, avait perdu son statut person-
nel en fixant son domicile en France et que la loi française ne pouvait, pour des motifs
tirés de l’ordre public, donner effet à une union polygamique.
Un pourvoi ayant été formé, la Chambre civile de la Cour de cassation censura ce
jugement par un arrêt du 28 janvier 1958.

1er ARRÊT
La Cour; — Vu l’article 3, al. 3 du Code civil; — Attendu que la réaction à
l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant
qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou suivant qu’il s’agit de
laisser se produire en France les effets d’un droit acquis sans fraude à l’étranger
et en conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international
privé français; qu’une telle règle doit recevoir application s’agissant d’un Israé-
lite de nationalité tunisienne invoquant en France métropolitaine un droit
acquis, dans de telles conditions, en Tunisie; — Attendu qu’il n’est pas contesté
que Chemouni, Israélite tunisien, alors qu’il était déjà marié, depuis 1940, avec
Esther Valensi, a pris en Tunisie, le 7 mai 1945, pour deuxième épouse selon la
loi mosaïque, Henriette Krieff; que deux enfants sont nés de cette union; que
Chemouni et ses deux femmes étant venus se fixer en France, le mari a bientôt
quitté la seconde femme pour vivre uniquement avec la première; que la dame
Chemouni-Krieff a assigné Chemouni devant la juridiction française aux fins de
versement d’une pension alimentaire; — Attendu qu’il est fait grief au juge-
ment attaqué de débouter la dame Chemouni-Krieff au motif que même si
ladite dame pouvait être, au regard de son statut personnel, reconnue comme
épouse légitime de Chemouni, la loi mosaïque tunisienne, qui accorde des ali-
ments à la deuxième femme, se heurtant à l’ordre public français, n’est pas
applicable en France; — Attendu que la demande de la dame Chemouni-Krieff
tendait uniquement à se voir reconnaître en France une créance alimentaire
découlant de sa qualité d’épouse légitime, qualité acquise sans fraude, en Tuni-
sie, en conformité avec sa loi nationale compétente; — Que cette prétention ne
saurait être infirmée par l’allégation du jugement attaqué aux termes de
laquelle un Tunisien perdrait son statut personnel en fixant son domicile en
France métropolitaine; qu’en effet, aucune renonciation expresse ou tacite n’est
relevée en ce sens de la part des époux Chemouni-Krieff;
D’où il suit qu’en statuant comme il l’a fait, le jugement attaqué a violé le
texte susvisé;
Par ces motifs : — Casse.
Du 28 janvier 1958. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Lenoan,
rapp.; Ithier, av. — MMes Sourdillat et Compain, av.

Ainsi s’appuyant sur la doctrine de l’effet atténué de l’ordre public, la Cour de cassa-
tion affirmait qu’un mariage polygamique célébré à l’étranger pouvait produire en
France des effets alimentaires.
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 271

Devant la juridiction de renvoi, le procès prit un tour nouveau. Le mari changea, en


effet, son argumentation.
En premier lieu, il contesta pour la première fois, la validité au regard du droit tuni-
sien, de son second mariage. L’arrêt du 28 janvier 1958 n’avait pas eu, en effet, à se pro-
noncer sur ce point, les parties ayant paru admettre cette validité devant les juges du
fond sans s’en expliquer autrement. Or la reconnaissance du mariage en France suppo-
sait qu’il ait été au préalable valablement contracté à l’étranger.
En second lieu, s’appuyant sur le fait que le 10 août 1956, c’est-à-dire postérieure-
ment au jugement cassé, il avait acquis par naturalisation la nationalité française,
M. Chemouni se prétendit dégagé à l’endroit de sa seconde femme et de leurs enfants de
toute contribution alimentaire, le droit français qui régissait désormais les effets de leur
union ne connaissant pas la polygamie.
Le Tribunal de grande instance de Versailles, juridiction de renvoi, repoussa le
2 février 1960 (Rev. crit. 1960. 370, concl. Lemant, note Francescakis, JCP 1960. II.
11625, concl. Lemant, note Louis-Lucas) l’argumentation de Chemouni au motif
suivant :
« Attendu que la notion d’ordre public n’a pas la même extension suivant qu’il s’agit
de l’acquisition de droits en France ou de l’effet en France de droits acquis sans fraude à
l’étranger;
Attendu qu’en l’espèce il ne saurait être contraire à l’ordre public français d’imposer
en France l’exécution d’une obligation aussi naturelle et élémentaire, aussi conforme au
droit des gens et aux notions de morale communément admises par toutes les nations
civilisées, que celle pour un mari de contribuer à l’entretien du ménage régulièrement et
légalement créé par lui suivant sa loi nationale;
Attendu que dès lors doit être accueillie dans son principe la demande de dame Che-
mouni-Krieff de se voir reconnaître en France une créance alimentaire découlant de sa
qualité d’épouse légitime, qualité acquise sans fraude en Tunisie. »
Un pourvoi fut formé.

2e ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que Félix Chemouni, Tunisien de
confession israélite, qui a, en Tunisie, épousé en la forme religieuse mosaïque,
d’abord en 1940 la Française Esther Valensi, puis, le 7 mai 1945, Henriette Krieff,
de nationalité tunisienne, étant venu se fixer en France avec ses deux épouses et
les enfants qu’il en avait, a bientôt quitté sa seconde femme pour vivre unique-
ment avec la première; que dame Krieff a alors formé devant la juridiction fran-
çaise une demande en contribution alimentaire aux charges du mariage; que
l’action accueillie en première instance ayant été rejetée en appel, cette déci-
sion a été cassée au motif que n’était nullement contraire à l’ordre public inter-
national français l’action de dame Krieff tendant à voir reconnaître en France
une créance alimentaire découlant de sa qualité d’épouse légitime acquise en
Tunisie en vertu de la loi nationale étrangère des deux époux, compétente au
regard de la règle française de conflit; que le jugement confirmatif attaqué, sta-
tuant sur renvoi, ayant fait droit à la demande, il lui est d’abord fait grief, par le
pourvoi, d’avoir statué après débats en chambre du conseil, alors que semblable
action devait être débattue à peine de nullité en audience publique; — Mais
attendu qu’un jugement rectificatif, rendu sur assignation de dame Krieff, a
constaté que contrairement à l’énonciation, due à une erreur de plume, figu-
rant à l’intitulé de la décision attaquée, celle-ci a bien été prononcée après
débats en audience publique, ainsi qu’au surplus cela résulte de ses qualités
mêmes; que le premier moyen manque en fait;
272 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31

Sur le quatrième moyen en ses diverses branches : — Attendu qu’il est repro-
ché aux juges du fond d’avoir fait droit à la demande de contribution aux char-
ges du mariage alors, selon le pourvoi, que le mariage contracté par Chemouni
avec dame Krieff en la forme religieuse israélite n’était pas valable, comme con-
traire à la législation tunisienne sur la forme des mariages, ainsi qu’en raison de
l’acquisition par Chemouni de la nationalité française, et alors enfin que le juge-
ment attaqué n’a pas répondu aux conclusions faisant état d’un avis donné rela-
tivement à la validité du mariage, par le Parquet du Tribunal de la Seine; — Mais
attendu que c’est par une interprétation souveraine de la loi tunisienne que le
tribunal énonce que conformément aux dispositions du décret beylical du
6 décembre 1929 et sans qu’il y eût à tenir compte de celui du 3 juillet 1941, sans
application dans la cause comme n’ayant trait qu’aux mariages des non-Tuni-
siens, est pleinement valable l’union religieuse mosaïque contractée en 1945 par
Chemouni et dame Krieff, tous deux à l’époque de nationalité tunisienne,
puisqu’aussi bien, ainsi que le jugement le constate, ce n’est qu’en août 1956
que Chemouni a été naturalisé français; que d’autre part le tribunal auquel il
n’incombait pas de suivre Chemouni dans le détail de ses arguments, n’avait pas
à répondre à celui qu’il prétendait tirer d’un avis officieux du Parquet de la
Seine, d’ailleurs relatif à son premier et non à son second mariage; que le qua-
trième moyen n’est fondé dans aucune de ses branches;
Sur le cinquième moyen : — Attendu que non moins vainement il est fait
grief à la décision attaquée de n’avoir pas répondu aux conclusions faisant
valoir que le mariage litigieux avait été dissous par répudiation opérée par le
mari en vertu de la loi mosaïque; — Attendu en effet qu’en énonçant, par appli-
cation et interprétation d’un droit étranger dont le contrôle échappe à la Cour
de cassation, que Chemouni n’a pas établi la réalisation de la répudiation par lui
alléguée, le jugement a répondu aux conclusions invoquées, dont au surplus la
teneur n’est pas produite; que le moyen est donc sans fondement;
Sur les sixième et septième moyens, en leurs diverses branches : — Attendu
qu’il est encore reproché aux juges du fond d’avoir refusé de tenir compte de
ce que les obligations alimentaires envers dame Krieff et ses enfants étaient
incompatibles avec les conséquences résultant, quant aux effets du second
mariage, de l’acquisition par Chemouni du statut personnel français, sans
d’autre part répondre à ses conclusions prétendant qu’avant même sa naturali-
sation, il avait perdu son statut personnel tunisien mosaïque, tant par sa pre-
mière union avec une Française, que du seul fait de son établissement en France,
et enfin de n’avoir pas non plus répondu aux conclusions faisant valoir que
dame Krieff ne pouvait se prévaloir des dispositions des articles 864 du Code de
procédure civile et 214 du Code civil; — Mais attendu que la décision attaquée,
en décidant à bon droit que l’établissement de Chemouni en France n’avait eu
aucun effet sur son statut personnel tunisien, et qu’il n’avait perdu ce statut
pour acquérir le statut français qu’uniquement par l’effet de sa naturalisation
en août 1956, a par là-même nécessairement répondu pour les rejeter aux con-
clusions antérieures; que d’autre part c’est très justement que les juges du fond
ont décidé que nonobstant la naturalisation française de Chemouni, la créance
alimentaire de dame Krieff qui, tant au regard de la loi commune des époux
avant août 1956, que de la loi française régissant depuis cette date les effets du
mariage d’époux de nationalité différente domiciliés tous deux en France,
découlait directement pour elle de sa qualité d’épouse légitime définitivement
acquise par un mariage valablement contracté à l’étranger conformément à la
loi compétente au fond comme en la forme suivant le droit international privé
français, devait être reconnue en France, et devait y être exécutée par applica-
tion des lois françaises tant de procédure, dès avant 1956, qu’également de
fond depuis cette date; qu’en statuant de la sorte, la décision attaquée a impli-
citement mais nécessairement répondu, pour les repousser, aux conclusions ten-
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 273

dant à refuser à dame Krieff le bénéfice des textes de droit français susénoncés;
d’où il suit que les sixième et septième moyens ne sont fondés en aucune de
leurs branches;
Sur les deuxième, troisième et huitième moyens, en leurs diverses branches :
— (sans intérêt);
— Que les deuxième, troisième et huitième moyens ne sont pas mieux fondés
que les précédents; d’où il suit que l’arrêt attaqué, qui est motivé, a légalement
justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 19 février 1963. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Holleaux,
rapp.; Lindon, av. gén. — MMes Compain et Le Sueur, av.

OBSERVATIONS
1 « Crime social » pour les rédacteurs du Code civil, la polygamie semble
devoir être frappée d’ostracisme par l’ordre juridique français. Ne rend-elle pas
l’Islam, ainsi que le souligne le doyen Carbonnier, « plus étranger à notre âme
que n’importe quel autre système de droit » (« Terre et Ciel dans le droit du
mariage », Études Ripert, t. I, p. 341; v. aussi Mercier, Conflits de civilisation
et droit international privé, Polygamie et répudiation, Genève, 1972). Néan-
moins, dès le XIXe siècle, l’expansion coloniale en multipliant les contacts
entre pays occidentaux et pays de tradition polygamique a conduit à une cer-
taine prise en considération du phénomène par le biais du principe de la
personnalité des lois (Lampué, « Les conflits de lois interrégionaux et inter-
personnels dans le système juridique français », Rev. crit. 1954. 249). Ulté-
rieurement, l’afflux en Europe de travailleurs immigrés a clairement posé la
question de la reconnaissance de ces unions (Le statut personnel des musul-
mans, Travaux de la Faculté de droit de l’Université de Louvain, 1992). Les
arrêts Chemouni permettent de préciser les conditions auxquelles une telle
union est, en France, valable (I) et les effets qu’elle peut y sortir (II).

I. La validité du mariage polygamique

2 Heurtant une conception fondamentale de la civilisation chrétienne, la poly-


gamie a, en général, été appréhendée à travers l’exception d’ordre public (B).
Mais une telle approche ne doit pas occulter le problème du conflit de lois (A).

A. — La loi applicable

3 La validité d’une union polygamique suppose d’abord que la ou les lois


compétentes au regard du droit international privé français connaissent l’insti-
tution ; au cas où elles la prohiberaient, le mariage serait évidemment nul quel
que soit le lieu où il a été célébré. Cette exigence est implicitement rappelée
par la première décision reproduite dans la mesure où elle précise qu’un droit
acquis à l’étranger ne peut recevoir effet en France que s’il l’a été « en confor-
mité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ».
274 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31

Mais les parties ayant, à ce stade du procès, paru admettre la validité du second
mariage, le problème de la loi applicable n’avait pas été autrement envisagé.
Quant à la seconde décision, elle rappelle que le mariage a été valablement
contracté à l’étranger « conformément à la loi compétente au fond comme en
la forme suivant le droit international privé français », sans autre précision;
seule, au reste, la validité en la forme était discutée.
Il faut déplorer que la question de la définition de la règle de conflit relative
à la polygamie n’ait pas été, en l’espèce, plus clairement posée aux magistrats.
Si la difficulté tenant à la qualification d’une institution inconnue de notre
droit semblait, en effet, en voie d’être surmontée (1°), tous les ingrédients
étaient en revanche réunis pour conférer au problème de la définition de la
règle de conflit sa pleine originalité (2°).
4 1°) Et de fait, l’hétérogénéité de l’union polygamique par rapport à nos pro-
pres concepts a été à l’origine de deux interrogations. La première, radicale :
l’absence de communauté de civilisation entre les systèmes juridiques qui
connaissent la polygamie et ceux qui l’ignorent serait, selon certains, si pro-
fonde que les questions de droit suscitées par cette institution ne sauraient
trouver dans les pays du second groupe, de catégories juridiques susceptibles
de les accueillir. L’« internationalisation » qu’implique l’accès aux catégories
du for lui étant ainsi refusée, le mariage polygamique serait, dans ces pays,
exclu du domaine du droit (v. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits
de systèmes, 1958, no 21, p. 17 ; H. Muir Watt, La fonction de la règle de
conflit, thèse Paris II, 1985, no 198).
Telle fut, au demeurant, l’attitude initiale des juridictions britanniques (Hyde
v/Hyde and Woodmansee [1866] L. R. 51 P. and D. 130). Quant aux tribunaux
français, la solution qu’ils adoptèrent dans l’arrêt Cousin de Lavallière (Req.
14 mars 1933, S. 1934. 1. 161, rapport Pilon, note Solus) n’est pas sans rappe-
ler cette démarche. Un administrateur colonial français ayant épousé en Gui-
née deux sœurs originaires de ce pays, ils décidèrent que les enfants issus de
ces unions avaient la qualité d’enfant naturel — et non d’enfant légitime par
le biais du mariage putatif — car les intéressés n’avaient pas entendu se marier
réellement. Or les mariages indigènes ne se singularisaient que par leur dis-
solubilité et la bigamie (Fadlallah, La famille légitime en droit international
privé, 1977, no 21).
Mais il apparut rapidement qu’une telle position ne saurait être maintenue,
ne serait-ce qu’en raison de l’importance de la population musulmane immi-
grée. Elle reposait, au demeurant, sur une analyse trop étroite des catégories
du for : l’ensemble des règles de conflit françaises doit pouvoir couvrir l’ensem-
ble des questions de droit qui peuvent se poser en relation avec n’importe
lequel des ordres juridiques qui coexistent dans le monde. À cet effet, l’on
s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’il convient de partir des concepts de
notre droit interne, quitte à les élargir de façon à leur permettre d’englober des
notions étrangères suffisamment proches (Batiffol et Lagarde, t. I, no 296;
P. Mayer et V. Heuzé, no 162). Pour procéder à cette extension des concepts
du for, il a été proposé de s’attacher moins à la structure des institutions étran-
gères qu’à leurs fonctions, c’est-à-dire à la considération des buts qu’elles
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 275

poursuivent (Batiffol, Aspects philosophiques du droit international privé,


no 19, p. 43) ; ainsi qu’on l’a souligné (Batiffol et Lagarde, t. I, no 297),
« tout système juridique pour autant qu’il soit suffisamment développé n’est
jamais qu’une solution déterminée de problèmes qui dans leurs tréfonds
sont universels ». Cette directive n’est cependant pas toujours suffisante, la
même fin pouvant être atteinte par des instruments différents. Par exemple,
assurer à l’époux survivant des moyens de subsistance intéresse en droit
français, notamment les successions, les régimes matrimoniaux et les ali-
ments. Aussi nombre d’auteurs la complètent-ils en insistant sur le fait que
le contenu de la catégorie ne doit pas être défini à partir des seuls termes du
présupposé de la règle de conflit. Catégorie et critère de rattachement étant
posés en contemplation l’un de l’autre, les raisons qui ont conduit à l’adop-
tion de tel rattachement doivent concourir à la définition de l’étendue de la
catégorie (B. Ancel, Les conflits de qualifications à l’épreuve de la donation
entre époux, nos 533 et s. ; Fadlallah, op. cit., p. 97, no 94, et observations
sous l’arrêt Silvia, supra, no 29 § 6). La polygamie n’est pas, au demeurant,
le lieu où ces conceptions s’affrontent ; que l’on retienne l’une ou l’autre,
elle s’inscrit dans la qualification internationale du mariage (Sur la forma-
tion de cette catégorie en dr. int. pr. français, v. B. Ancel, « Le statut de la
femme du polygame », in Le droit de la famille à l’épreuve des migrations
transnationales, 1993, p. 105 et s.).
Encore faut-il rechercher, — c’est la seconde interrogation —, si l’applica-
tion des règles de conflit relatives à la formation du mariage ne doit pas
s’accompagner, du fait des particularités de l’institution, de certains aména-
gements.
5 2°) Il est traditionnellement enseigné que l’interdiction de contracter un
mariage polygamique constitue un empêchement bilatéral susceptible de résulter
de la loi personnelle de chacun des futurs époux (Batiffol et Lagarde, t. II,
no 414; TGI Paris, 21 juin 1967, Rev. crit. 1968. 294, note Batiffol; Lyon,
21 mai 1974, D. 1975. 9, note Guiho; Reims, 19 janv. 1976, Clunet 1976. 916,
note I. Fadlallah; Paris, 14 juin 1995, D. 1995. 156, note F. Boulanger, Rev.
crit. 1997. 41, note P. Gannagé; Civ. 1re, 24 sept. 2002, Rev. crit. 2003. 271,
note B. Bourdelois, JCP 2003. II 10007, concl. Sainte-Rose, note A. Devers,
Defrénois 2002. 1467, obs. Massip, D. 2005, Som. com. p. 1935, obs. Lemou-
land, RTD civ. 2003. 62, obs. J. Hauser). En conséquence, la seconde union est
valide dès lors que le statut personnel de ceux-ci admet, au jour de la célébra-
tion du mariage, la polygamie. C’est dire que la jurisprudence raisonne exclu-
sivement en termes de formation du second mariage.
Cette analyse a été critiquée. On a souligné que si elle permettait d’éviter le
mariage d’une Française célibataire et d’un étranger de statut polygamique
déjà marié, elle n’était, en revanche, d’aucun secours lorsque, comme en
l’espèce, la Française est la première femme d’un étranger de statut polygami-
que désireux d’épouser à l’étranger une compatriote. Or cette situation est
sans doute plus choquante que la précédente. Si l’on a pu dire, en effet, de la
Française qui épouse un musulman déjà marié qu’elle accepte « en pleine
connaissance de cause les risques ou les délices du harem » (Droz, note,
276 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31

Rec. Gén. Lois 1969. 80), tel n’est pas le dessein de celle qui convole avec un
étranger célibataire, lors même que son statut autoriserait la polygamie. Afin
d’éviter ces difficultés, la jurisprudence anglaise a longtemps refusé de recon-
naître les mariages potentiellement polygamiques (v. Dicey et Morris, The
conflict of laws, 1980, t. I, p. 239 sous la règle 39). La solution serait certaine-
ment excessive dans la mesure où, entravant le mariage entre les Françaises et
quelques centaines de millions d’individus adeptes de religions déterminées,
elle serait à l’origine d’une véritable discrimination (Droz, note préc., p. 79).
Une solution moyenne pourrait être trouvée dans un aménagement de la règle
de conflit. Ainsi qu’on l’a justement noté, l’exigence de la monogamie est
« surtout l’un des caractères du premier mariage », destiné à protéger la pre-
mière épouse (P. Mayer et V. Heuzé, no 550; Fadlallah, op. cit., no 198; Bis-
choff, « Le mariage polygamique en droit international privé », Trav. com. fr.
dr. int. pr. 1980-1981, vol. 2, p. 91 et s.). Partant, il serait légitime de puiser dans
le caractère monogamique du premier mariage un empêchement au second.
Encore faudrait-il déterminer la loi dont se déduit ce caractère. À cet égard,
les positions divergent. Certains se prononcent pour la loi du lieu de célébra-
tion (Bischoff, comm. préc., p. 96), d’autres pour la loi des effets du mariage
(P. Mayer et V. Heuzé, op. et loc. cit.; Fadlallah, op. et loc. cit.), d’autres encore
pour la loi que désignerait une localisation objective du premier mariage au
moyen d’un faisceau d’indices (B. Bourdelois, Mariage polygamique et droit
positif, thèse Paris II, éd. 1993, nos 131 et s., p. 82 et s.). Afin de modifier
moins profondément le système existant, on pourrait également soutenir que
l’empêchement devrait être, non bilatéral, mais trilatéral : l’union polygami-
que étant une relation à trois (ou plus), sa validité serait subordonnée à son
admission par la loi personnelle de tous les intéressés, mari, deuxième épouse,
mais aussi première épouse (en ce sens Y. Lequette, notes, Rev. crit. 1983. 277
et 1989. 78; v. aussi H. Gaudemet-Tallon, « La désunion du couple en dr. int.
pr. », Rec. cours La Haye, 1991, t. I, no 72, p. 234; G. Droz, « Regards sur le
droit international privé comparé », Rec. cours La Haye, 1991, t. IV, no 148,
p. 152; F. Monéger, Islam et/en laïcité, 1992, no 54, p. 62; B. Ancel, art. préc.,
p. 122 ; M.-C. Najm, Principes directeurs du droit international privé et
conflits de civilisations, thèse Paris II, éd. 2004, no 425, p. 401). En l’espèce,
le choix n’aurait pas été indifférent : valable dans le premier cas, le mariage
aurait été nul dans le second et le dernier.
Cette difficulté n’était pas passée inaperçue des commentateurs de l’arrêt
Chemouni. André Ponsard s’était, en effet, demandé si la possibilité de la poly-
gamie devait être « envisagée de manière autonome comme une condition du
second mariage ou (…) rattachée aux effets du premier » (note, Clunet 1963.
934). Néanmoins, bien que la première épouse fût en l’espèce française, la
Cour de cassation avait pu éviter de trancher cette question tous les éléments
de fait dont elle dépendait n’ayant pas été soumis au juge. Elle a dans des
décisions ultérieures persisté à raisonner exclusivement en termes de forma-
tion du second mariage, lors même que la première épouse était française
(Civ. 1re, 17 févr. 1982, Baaziz, Rev. crit. 1983. 275, note Y. Lequette, Clunet
1983. 606, obs. Kahn), ce qui l’a ultérieurement obligée à déclarer un tel
mariage inopposable à celle-ci afin de sauvegarder ses intérêts (Civ. 1re, 6 juill.
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 277

1988, Baaziz, Rev. crit. 1989. 71, note critique Y. Lequette; v. aussi Paris,
8 nov. 1983, Rev. crit. 1984. 476, note Y. Lequette, Clunet 1984. 881, note
M. Simon Depitre, Defrénois 1984. 571, note M. L. Revillard). Il est vrai que
là encore, le problème n’était pas clairement posé, les parties ayant mis
l’accent sur les exceptions de fraude à la loi et d’ordre public.

B. — L’ordre public

6 Alors même qu’elle est admise par la loi personnelle des intéressés, la poly-
gamie doit encore pour être reçue dans l’ordre juridique français, surmonter
l’obstacle de l’ordre public.
La jurisprudence française repose à ce dernier égard sur une distinction
régulièrement réaffirmée : l’ordre public s’oppose à la célébration en France
d’un mariage polygamique même si la loi personnelle des intéressés l’autorise
(v. aussi Instruction générale sur l’état civil, no 548; Paris, 7 juin 1994, D. 1994,
IR p. 177, y compris lorsque le mariage est célébré par les autorités consu-
laires, v. TGI Paris, 8 avr. 1987, Rev. crit. 1988. 73, note Y. L.; v. cep. Paris,
5 avr. 1990, D. 1990. 424, note F. Boulanger); il ne fait pas obstacle à la
reconnaissance en France d’un mariage polygamique valablement célébré à
l’étranger (v. déjà, Alger, 9 févr. 1910, Rev. dr. int. 1913. 103 et en doctrine,
L. von Bar, Clunet 1888, p. 9, ainsi que la remarque du traducteur A. Weiss,
ad notam 1; v. aussi Elgeddawy, Relations entre systèmes confessionnel et laï-
que en droit international privé, 1971, no 188; J. Déprez, « Droit international
privé et conflit de civilisations », Rec. cours La Haye, 1988, t. IV, p. 160; sur
l’effet réflexe de l’ordre public dans le cas où le mariage a été célébré à
l’étranger mais dans un pays qui n’admet pas la polygamie, v. Fadlallah in Le
statut personnel des musulmans, 1992, p. 351). On peut néanmoins s’interro-
ger aujourd’hui sur le bien-fondé d’une telle distinction. La facilité actuelle
des déplacements confère, en effet, aux individus une quasi-ubiquité qui prive
la notion d’effet atténué de l’ordre public d’une partie de sa raison d’être
(v. supra, no 26 § 13). À notre sens, le recul de cette notion devrait se traduire,
non par la permission de célébrer en France des mariages polygamiques entre
des personnes dont la loi personnelle l’admet, comme le recommandent quel-
ques auteurs (Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 305; P. Mercier,
op. cit., p. 92; Boulanger, Droit civil de la famille, t. I, no 190, p. 232;
H. Gaudemet-Tallon, cours préc., no 79, p. 239; Bourdelois, thèse préc.,
nos 366 et s.), mais par le refus de reconnaître de telles unions, même célé-
brées à l’étranger, dès lors que certaines des personnes qui y sont impliquées
avaient, à l’époque où elles ont été contractées, des liens étroits avec la
France. Certes un tel refus donnera naissance à des situations boiteuses. Mais
faut-il sacrifier au légitime souci d’assurer la continuité de traitement des
situations juridiques, les fondements de notre société, au titre desquels figure
certainement l’égalité des hommes et des femmes ? Rien n’est moins certain.
Dans une conception traditionnelle, le préjugé favorable que nourrit le droit
international privé français à l’égard du développement des relations privées
internationales rencontre une limite dans la nécessité qu’éprouve chaque État
d’assurer la défense de la société qu’il administre. Or, « épée de Damoclès
278 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31

suspendue sur la tête de la femme », en ce qu’elle permet à tout moment au


mari d’imposer une rivale à son épouse et place ainsi celle-ci dans une situa-
tion de « dépendance et d’infériorité intolérable » (M. Charfi, « Le droit tuni-
sien de la famille entre l’Islam et la modernité », Rev. tunisienne de droit
1973. 16), la polygamie est « de nature à causer des troubles immenses dans
les familles en raison des jalousies entre co-épouses, du dissentiment entre
enfants de lits différents, de l’éparpillement des ressources du mari » (S. Ben
Halima, « Religion et statut personnel en Tunisie », Rev. tunisienne de droit
2000. 119). Aussi bien les études conduites en France ont-elles montré que la
difficulté de s’intégrer à la société française était considérablement accrue
lorsque les intéressés y vivaient en situation polygamique. Comme le souligne
un rapport du Haut Conseil à l’intégration de juin 1992, la femme est alors
réduite à l’alternative suivante : vouloir s’intégrer et refuser la polygamie ou
se résigner à la polygamie et ne pas s’intégrer. Être en France l’une des multi-
ples épouses d’un étranger polygame, c’est se couper du milieu français et
vivre, de façon considérablement amplifiée, les difficultés qu’affrontent le plus
souvent les premières générations d’immigrés. Parmi celles-ci, il convient de
souligner les difficultés de logement, l’habitat social français n’étant pas
conçu pour ce type de situation. Le problème se trouve encore accru du fait
que, bien loin de décroître comme pour les autres femmes étrangères établies
en France, le taux de fécondité des femmes appartenant à ces familles a tendance
à augmenter, chaque épouse n’existant pleinement qu’à travers ses enfants
(E. Todd, Le destin des immigrés, p. 438).
Tout en reconnaissant que la polygamie rend « plus difficile l’intégration
sociale des femmes (…) et renforce ainsi l’exclusion qui les menace en facili-
tant l’enfermement dans la vie domestique et l’analphabétisme », certains
auteurs persistent à ne pas voir « au nom de quel principe, la polygamie
devrait être interdite ». (A. Touraine, « Faux et vrais problèmes », in Michel
Wieviorka, Une société fragmentée ? Le multiculturalisme en débat, p. 295).
Le respect des identités leur apparaît un objectif plus digne de considération
que l’intégration dans la société française. Mais ce respect conduit ici à une
sorte de ségrégation. Il implique, en effet, l’existence en France de deux caté-
gories de femmes, les Françaises ou plus généralement les femmes de statut
monogamique qui ont droit à l’égalité et à la protection de l’ordre juridique
français et les autres qui peuvent être confinées dans une sorte de « ghetto
coupé des valeurs » de la société où elles vivent (J. Déprez, « La réception du
statut personnel musulman en France », Cahiers des droits maghrébins, 1995,
p. 20, no 38). Bien loin de s’offusquer de cette situation, certains sont portés à
l’encourager aux motifs « qu’interdire toute célébration du mariage polygami-
que en France, c’est accorder un avantage (sic) aux étrangers qui ont les moyens
financiers nécessaires pour aller célébrer cette union à l’étranger et pénaliser
(resic) les autres ainsi que les inciter au concubinage » (H. Gaudemet-Tallon,
cours préc., Rec. cours La Haye 1991, t. 1, p. 239). On ne saurait faire abs-
traction plus totalement de la première épouse, laquelle est pourtant suscepti-
ble d’avoir une perception différente des notions d’avantage et de pénalité.
Comme on l’a justement relevé, on est ici en présence d’un « certain obscu-
rantisme moderne » paré aux couleurs « d’une pseudo-sociologie et nourri de
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 279

bons sentiments » (J.-P. Chevènement, Le vert et le noir, p. 144). Si vraiment


la polygamie constitue un « avantage » et sa privation une « pénalité », il faut
en accorder le « bénéfice » à tous et dénoncer sans tarder les instruments
internationaux qui consacrent le principe de l’égalité des sexes.

II. Les effets du mariage polygamique

7 Affirmer qu’une union polygamique est valable au regard de l’ordre juridi-


que français n’implique pas qu’on doive en tirer, en France, toutes les consé-
quences. On pourrait, en effet, en limiter la reconnaissance à une sorte d’état
passif excluant les poursuites pénales (1), tout en se refusant à admettre aucune
conséquence active (Jambu-Merlin, note Rev. crit. 1958. 114). Telle n’est pas
la voie suivie par la jurisprudence française. La liste des effets que peut vala-
blement produire en France l’union polygamique s’est, en effet, progressive-
ment allongée (B. Ancel, art. préc., p. 105). À l’obligation alimentaire visée
par les arrêts Chemouni (A), se sont ajoutées les conséquences les plus diver-
ses (B).

A. — L’obligation alimentaire

8 Là encore, la question de la définition de la règle de conflit (1°) se doublait


de problèmes de méthode plus généraux (2°).
9 1°) Il avait été jugé à plusieurs reprises que les dispositions relatives à l’obli-
gation alimentaire constituaient des « lois de police et de sûreté » applicables
en France aux étrangers comme aux Français (Req. 22 juill. 1903, DP 1904.
1. 197; Req. 27 mars 1922, DP 1923. 1. 11, Rev. dr. int. 1924. 401); mais cette
qualification s’expliquait par la volonté de déroger au principe, aujourd’hui
disparu (infra, no 37 § 3 et s.), de l’incompétence des tribunaux français dans
les litiges entre étrangers. Des arrêts plus récents de la Cour de cassation
avaient au demeurant décidé à propos de la dette alimentaire du père naturel
que la matière relevait en principe du statut personnel (Civ., 20 juill. 1936,
DH 1936. 474, Rev. crit. 1937. 694; Civ., 8 nov. 1943, DC 1944. 65, note
Savatier, JCP 1944. II. 2522, note P. L.-P., S. 1944. 155, Rev. crit. 1946. 273).
Les deux arrêts Chemouni confortent cette analyse. Ils affirment, en effet, —
non sans ambiguïté pour le premier, avec une grande netteté pour le second —
la soumission de l’obligation alimentaire à la loi des effets du mariage (v. aussi
Civ., 17 déc. 1958, Valentinis, Rev. crit. 1959. 691, note Déprez, Clunet
1959. 824, obs. Sialelli). À l’appui de cette règle, on a relevé qu’elle permettait
d’assurer la cohérence des solutions en soumettant les obligations alimentaires

(1) Celui-ci n’aurait, au demeurant, que peu d’intérêt. La bigamie étant un délit instantané, les
tribunaux répressifs français ne sont jamais compétents pour connaître d’infraction résultant de
mariage célébré à l’étranger entre des étrangers. (Sur le délit de bigamie en droit pénal internatio-
nal, v. N. Watté, Les droits et devoirs respectifs des époux en dr. int. pr., 1987, nos 320 et s., p. 218
et s.; TGI Paris, 8 avr. 1987, Rev. crit. 1988. 73, note Y. L.).
280 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31

à la loi régissant le lien de famille qui est à leur source. Les difficultés qui
résultent de son abandon par la Convention de La Haye du 2 octobre 1973
(Rev. crit. 1973. 398, entrée en vigueur en France le 1er oct. 1977), laquelle
portant loi uniforme de droit international privé édicte comme l’avait fait aupa-
ravant la Convention de La Haye du 24 octobre 1956, une règle propre aux
aliments (art. 2) et inspirée de l’idée de faveur (art. 4 et s.), montrent la per-
tinence de l’argument (sur son application à l’action en contribution aux char-
ges du mariage, v. Civ. 1re, 6 nov. 1990, Paul Monthe, Rev. crit. 1991. 348,
note M. Simon-Depitre; 9 juill. 2003, Clunet 2004. 182, note F. Monéger). Il
suffit pour s’en convaincre de considérer les résultats auxquels conduit l’appli-
cation de la règle nouvelle à l’espèce. La convention soumet, en principe,
l’octroi des aliments à la loi de la résidence habituelle du créancier d’aliments
(art. 4). Selon l’opinion dominante, celle-ci s’applique non seulement aux ali-
ments proprement dits mais aussi aux questions préalables qui en commandent
l’octroi, c’est-à-dire notamment à l’établissement de la filiation ou à la vali-
dité du mariage (v. par ex., Batiffol et Lagarde, t. II, no 435-1; Fadlallah, La
famille légitime en droit international privé, no 194). La résidence habituelle
du créancier d’aliments étant généralement située en France, la seconde
épouse d’un polygame ne pourra donc plus prétendre obtenir des aliments
puisqu’au regard de la loi interne française désormais applicable, le mariage
polygamique est nul (v. Herzfelder, Les obligations alimentaires en droit inter-
national privé conventionnel, no 234 a, p. 161). Et l’emploi du rattachement
subsidiaire à la loi nationale commune des intéressés (art. 5) ne saurait résou-
dre le problème lorsque, comme en l’espèce, le mari a pris la nationalité fran-
çaise. Ainsi, énoncée pour favoriser l’octroi des aliments, la règle de conflit
conventionnelle aboutit au résultat contraire parce que, étendant au mariage le
rattachement forgé pour les aliments, elle ne désigne pas la loi qui entretient
avec l’institution matrimoniale les liens les plus étroits (Sur cette question,
v. Y. Lequette, « De l’utilitarisme dans le dr. int. pr. conventionnel de la
famille », Mélanges Loussouarn, 1994, p. 245 et s.). Quoi qu’il en soit, les ali-
ments relevaient à l’époque de la loi des effets du mariage.
10 L’analyse des effets personnels d’un mariage polygamique à travers la notion
de loi des effets du mariage ne va pas, au demeurant, sans soulever quelques
difficultés. La jurisprudence raisonne, en effet, comme s’il existait deux unions
indépendantes l’une de l’autre. Or une telle démarche assure certes l’unité de
loi applicable dans les rapports des conjoints pris deux à deux, mais non en ce
qui concerne la situation polygamique considérée dans son ensemble; elle
méconnaît qu’il y a dans un mariage polygamique une interdépendance évi-
dente des droits et des obligations de l’ensemble des parties entre elles. Afin
de prendre en compte la spécificité de cette situation, il a été proposé de sou-
mettre les effets du mariage polygamique à la loi nationale du conjoint com-
mun car il constitue le « pivot » de la relation (Bischoff, comm. préc., p. 102).
L’une comme l’autre de ces analyses conduisaient cependant, en l’espèce,
au même résultat. En raison du conflit mobile provoqué par le changement de
nationalité du mari, les effets du mariage relevaient successivement de la loi
tunisienne en tant que loi nationale commune des époux, puis de la loi fran-
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 281

çaise en tant que loi du domicile commun. Les avatars de M. Chemouni four-
nissaient ainsi un excellent aliment à la réflexion juridique; la doctrine n’aurait
pu forger de meilleur exemple pour illustrer les problèmes de méthode que
suscite la définition des effets de la polygamie.
11 2°) La question des effets que peut produire en France un mariage polyga-
mique valablement célébré à l’étranger est traditionnellement résolue par un
appel à l’ordre public, celui-ci s’opposant éventuellement à certains de ses
effets mais non à tous.
Cette méthode convient parfaitement lorsque les effets du mariage polyga-
mique sont régis et donc définis par la loi qui l’autorise. Ainsi, en l’espèce,
s’agissait-il uniquement de savoir, tant que les deux époux étaient tous deux
tunisiens, si la disposition tunisienne compétente allouant des aliments était,
ou non, compatible avec les principes de l’ordre juridique français. La Cour
répond par l’affirmative en s’appuyant sur la théorie de l’effet atténué de
l’ordre public. Les conditions en étaient-elles réunies ? On en a douté en sou-
lignant qu’il ne s’agissait pas ici, à proprement parler, d’admettre en France
une situation juridique créée à l’étranger mais d’y créer de nouveaux droits à
partir de cette situation (Jambu-Merlin, note, Rev. crit. 1958. 115; sur cette
difficulté, v. Francescakis, La théorie du renvoi, p. 40). Il n’était, au reste, nul-
lement besoin d’un tel détour : en quoi le fait d’accorder une pension à la
seconde épouse de l’étranger bigame choquerait-il l’ordre juridique français
alors qu’il en alloue « tous les jours à la première, à la seconde ou à la troi-
sième (épouse) dans cette forme particulière de la polygamie qui est réalisée
par le divorce » (Jambu-Merlin, note, Rev. crit. 1958. 114). Le meilleur moyen
de lutter contre la polygamie n’est-il pas d’ailleurs d’en faire supporter toutes
les charges à ceux qui la pratiquent ? (Droz, note, Rec. Gén. Lois 1969. 316).
En revanche, les interrogations apparaissent lorsque les effets du mariage
polygamique sont gouvernés par une loi qui l’ignore. Tel était le cas en l’espèce
postérieurement à la naturalisation du mari : son épouse étant restée tuni-
sienne, la définition des effets de l’union polygamique échappait à la loi tuni-
sienne, loi de l’ancienne nationalité commune des époux, pour relever de la
loi française, désormais loi du domicile commun de ceux-ci. Ainsi le voulait
la solution du conflit mobile empruntée aux principes du droit transitoire
interne (v. infra, arrêt Société DIAC, no 48 § 9 et s.). Mais, alors que le législa-
teur interne évite d’attacher aux actes antérieurement conclus des effets incon-
ciliables avec leur condition de validité ou s’il ne peut l’éviter prévoit des
mesures transitoires, la combinaison de la loi régissant la création de la situa-
tion et de celle applicable à la définition de ses effets peut, en droit internatio-
nal, se faire sans respecter le « lien inéluctable » qui unit les conditions de
validité et les conséquences d’un acte (Batiffol, « Conflits mobiles et droit
transitoire » Mélanges Roubier, t. I, p. 39, reproduit in Choix d’articles, p. 191).
Ainsi en va-t-il lorsqu’on tente d’emprunter au droit français la définition
des effets de l’union polygamique qu’il prohibe. Afin de résoudre cette dif-
ficulté, il a été préconisé de raisonner en termes d’ordre public (Batiffol,
art. préc., p. 196 et s.). À cela on objecte qu’il ne s’agit plus seulement de
savoir si telle disposition étrangère peut être accueillie en France, mais si des
282 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 30-31

règles partiellement extraites de contextes profondément différents peuvent


coexister. La question ne se pose plus en termes d’ordre public mais d’adapta-
tion (sur cette discussion, v. infra, no 61 § 7; v. aussi Bischoff, comm. préc.,
p. 100; B. Audit, no 312; P. Mayer et V. Heuzé, no 575; M.-C. Najm, thèse
préc., no 439, p. 417).
Telle a été, au demeurant, l’attitude de la Cour de cassation dans le second
arrêt Chemouni. Elle y relève que la créance alimentaire qui, au regard de la
loi française applicable en tant que loi du domicile commun, découlait direc-
tement pour elle de sa qualité d’épouse légitime définitivement acquise par
un mariage valablement contracté à l’étranger, devait être reconnue en France,
et ne fait, contrairement au Tribunal civil de Versailles, aucune mention de
l’ordre public. Il s’agit là d’un choix délibéré. Dans sa note-rapport particuliè-
rement autorisée, le Conseiller Holleaux souligne, en effet, qu’aucune ques-
tion d’ordre public ne se posait plus et ne pouvait plus se poser. La validité
de l’union polygamique, d’une part, les conséquences alimentaires de cette
même union, d’autre part, ayant été jugées par l’arrêt de 1958 conformes à
l’ordre public, cette question était « dépassée » (Rev. crit. 1963. 571). Il ne
s’agissait plus que de savoir si les dispositions alimentaires du droit français
pouvaient s’articuler avec l’institution polygamique. La réponse ne pouvait
être que positive si l’on considère les nombreuses polygamies successives que
connaît le droit français.

B. — Les autres effets

12 S’engouffrant dans la brèche ouverte par les arrêts Chemouni, la jurispru-


dence a progressivement étendu les effets que peut produire en France un
mariage polygamique valablement célébré à l’étranger. Ainsi a-t-il été décidé
que la seconde épouse d’un étranger polygame pouvait prétendre aux droits
reconnus au conjoint survivant par la loi successorale (v. infra, arrêt Bended-
douche, no 61) ou à sa part dans la communauté (Toulouse, 22 mars 1982, JCP
1984. II. 20185, note Boulanger, RTD civ. 1983. 330, obs. Nerson et Rubellin-
Devichi). Afin de déterminer celle-ci au mieux des intérêts des deux épouses,
il a été proposé de répartir entre le mari et sa première épouse les acquêts faits
avant la période de bigamie et de partager en trois ceux réalisés au cours de
cette période (L. Leveneur, Situations de fait et droit privé, 1990, no 180, p. 207).
De même, admet-on que le droit à pension se partage entre les deux épouses
(Civ. 1re, 22 avr. 1986, Rev. crit. 1987. 374, note P. Courbe; v. cep. contra
Civ. 1re, 6 juill. 1988, Rev. crit. 1989. 71, note Y. Lequette, dans le cas où la
première épouse était française, mais c’est alors la validité même de la seconde
union qui aurait dû être remise en cause). Bien que la jurisprudence française
ne se soit pas clairement prononcée sur ce point, on enseigne également que la
seconde épouse peut demander réparation du préjudice qu’elle subit du fait du
décès accidentel de son époux (en Belgique v. en ce sens Cour de Liège,
23 avr. 1970, Rev. crit. 1975. 54, note Graulich). Parmi les conséquences pécu-
niaires du mariage seuls certains des droits prévus au titre de la sécurité sociale
sont déniés. Ainsi s’agissant de l’assurance maladie, la polygamie a toujours
été écartée car la prise en compte de plusieurs épouses pour un même assuré
30-31 CHEMOUNI — CASS., 28 JANVIER 1958, 19 FÉVRIER 1963 283

social serait de nature à générer une charge excessive. Les caisses ne prennent
en compte qu’une seule femme : la première qui demande des droits (Soc.
1er mars 1973, Rev. crit. 1975. 54, note Graulich, Clunet 1974. 834, note de La
Pradelle), ou encore celle qui est en France lorsque l’autre est à l’étranger
(Soc. 8 mars 1990, Rev. crit. 1991. 694, note J. Déprez) (sur ces questions,
v. F. Monéger, « L’immigré et sa famille : l’incidence du statut personnel sur
la protection sociale de l’immigré », Rev. dr. sanit. et soc. 1987. 246; I. Sayn,
« Protection sociale et familles étrangères musulmanes », Rev. europ. des
migrations internationales, 1er sem. 1988, p. 129; sur les solutions de droit
anglais, v. Dicey et Morris, op. cit., p. 326-327).
La prohibition se maintient également à l’encontre d’un droit étranger qui
permet au mari polygame d’imposer à sa première femme non consentante la
venue d’une seconde épouse au domicile conjugal en France (en ce sens, TGI
Versailles, 31 mars 1965, Clunet 1966. 97, note Ponsard; rappr. Paris, 23 févr.
1987, D. 1987, Som. com. p. 349, obs. Audit). On voit mal, au demeurant, les
tribunaux français prêtant la main à une polygamie forcée. Néanmoins, selon un
auteur, ces décisions reposeraient sur un contresens quant à l’interprétation du
droit étranger, les systèmes qui connaissent la polygamie imposant à l’homme
de constituer pour chacune de ses épouses un foyer distinct (B. Bourdelois,
thèse préc., no 511, p. 247).
Il a été jugé qu’un étranger de statut musulman qui, après avoir épousé une
Française, a contracté un second mariage avec une étrangère musulmane, ne
peut réclamer la nationalité française au titre de son premier mariage (Paris,
24 mars 1998, D. 1998. 517, note P. Guiho; comp. dans l’hypothèse inverse,
Civ. 1re, 19 oct. 2004, Dr. fam. 2005, no 281, note M. Farge, cassant Bordeaux
9 mai 2001, JCP 2001. IV. 3099).
13 La question des effets en France des mariages polygamiques devrait, dans
l’avenir, se poser moins fréquemment. En effet, prenant le contrepied du
Conseil d’État qui avait jugé que la venue en France de la deuxième épouse
d’un étranger polygame n’était pas contraire, du seul fait de cette polygamie,
à l’ordre public (CE, 11 juill. 1980, Montcho, Rev. crit. 1981. 658, note J.-
M. Bischoff, JCP 1981. II 19629, concl. Rougevin-Baville), la loi du 24 août
1993 (art. 30) refuse à l’étranger polygame, résidant en France avec une pre-
mière épouse, le bénéfice du regroupement familial pour un autre conjoint et
les enfants de celui-ci, disposition approuvée par le Conseil constitutionnel
aux motifs que « les conditions d’une vie familiale normale sont celles qui pré-
valent en France, pays d’accueil, lesquelles excluent la polygamie (Cons.
const. 13 août 1993, Rev. crit. 1993. 597). Cette disposition apparaît particuliè-
rement opportune dans la mesure où il a été constaté que les étrangers polyga-
mes sont ceux dont la présence en France soulève les difficultés les plus gran-
des (supra, § 6; v. aussi E. Todd, Le destin des immigrés, Seuil, 1994, p. 430
et s.). Par une loi du 21 juillet 2003, le législateur français a supprimé la poly-
gamie à Mayotte (JCP 2003, no 37, act. no 417).
32-34
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

12 mai 1959, 2 mars 1960 et 11 juillet 1961

I. — Civ. 1re, 12 mai 1959, Rev. crit. 1960. 62, note Batiffol,
Clunet 1960. 810, note Sialelli, D. 1960. 610, note Malaurie,
JCP 1960. II. 11733, note Motulsky.
II. — Civ. 1re, 2 mars 1960, Rev. crit. 1960. 97, note Batiffol,
Clunet 1961. 408, note Goldman, JCP 1960. II. 11734, note Motulsky.
III. — Civ. 1re, 11 juillet 1961, Rev. crit. 1962. 124, note Batiffol,
Clunet 1963. 132, note Goldman.
Applicabilité d’office de la règle de conflit. —
Force obligatoire de la désignation. —
Vocation générale subsidiaire de la loi du juge saisi.

Les règles françaises de conflit de lois, en tant du moins qu’elles pres-


crivent l’application d’une loi étrangère, n’ont pas un caractère d’ordre
public, en ce sens qu’il appartient aux parties d’en réclamer l’application et
qu’on ne peut reprocher aux juges du fond de ne pas appliquer d’office la
loi étrangère et de faire, en ce cas, appel à la loi interne française laquelle
a vocation à régir tous les rapports de droit privé (1er arrêt).
Il est loisible aux juges du fond de procéder eux-mêmes à la recherche et
de préciser les dispositions du droit étranger compétent (2e arrêt).
Le moyen pris de la compétence de la loi étrangère comme de son contenu
différent de celui de la loi française, présenté pour la première fois devant
la Cour de cassation, est mélangé de fait et de droit et partant irrecevable
(3e arrêt).

Faits. — Une certaine parenté rapproche les situations de fait qui furent à l’origine
de la première décision — arrêt Bisbal — et de la troisième — arrêt Bertoncini — ci-
dessous reproduites. Ici et là, il s’agissait d’un divorce qui avait été prononcé par les
tribunaux français entre des époux de nationalité commune étrangère, bien que leur loi
personnelle, compétente au regard des règles de conflit françaises, imposât l’indissolu-
bilité du mariage.
Dans le premier cas, ceci avait été rendu possible par le fait que, saisis d’une demande
de conversion d’une séparation de corps en divorce, les juges du fond n’avaient pas
relevé, de leur propre initiative, le conflit de lois que les parties, de nationalité espa-
gnole, n’avaient pas elles-mêmes soulevé devant eux.
Dans le deuxième cas, ni l’une ni l’autre des parties n’avaient « à aucun moment,
devant les juges du fond, fait valoir leur commune nationalité, ni demandé l’application
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 285

de la loi italienne » de sorte que l’extranéité de la situation n’était pas apparue et n’avait
donc pu porter à conséquence quant au droit applicable.
Il en était résulté qu’ici comme là le mari avait obtenu par application de la loi fran-
çaise le divorce que la loi nationale commune lui refusait et la femme, comprenant après
coup l’exacte nature de la nouvelle condition juridique qui s’ensuivait pour elle, avait
formé un pourvoi en cassation, protestant qu’il y avait eu méconnaissance de la règle de
conflit.
Bien différente est la situation de fait qui a conduit à la deuxième décision. Ayant
obtenu du Tribunal de Beyrouth (République Libanaise) une condamnation pécuniaire
contre Chemouny, la Compagnie Algérienne de Crédit et de Banque en sollicite l’exe-
quatur en France. La demande est, en appel, déclarée irrecevable au motif que le juge-
ment serait atteint de péremption d’après la loi libanaise et serait donc dépourvu du
caractère exécutoire dans le pays où il a été rendu. La banque forme un pourvoi repro-
chant à la cour d’appel, d’une part, de s’être méprise sur la teneur de la loi libanaise,
d’autre part, d’avoir appliqué cette loi étrangère alors qu’aucune des parties n’en avait
fait état.
La Cour de cassation repousse les deux griefs, même le second qui pourtant s’oriente
dans la direction contraire de celle que, dans les deux autres affaires, suivaient les pour-
vois eux ausi rejetés.

1er ARRÊT
(Bisbal)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt atta-
qué confirmatif, de prononcer la conversion de la séparation de corps en
divorce entre les époux Bisbal, de nationalité espagnole, alors que leur loi natio-
nale, en vigueur au jour de la demande et devant régir le conflit de lois, prohi-
bait le divorce ; qu’il importerait peu que les parties n’aient pas soulevé ce
conflit devant les juges, ceux-ci, qui avaient tous les éléments utiles pour consta-
ter la nationalité des époux, ayant l’obligation, selon le pourvoi, de suppléer
d’office un tel moyen touchant à l’ordre public; — Mais attendu que les règles
françaises de conflit de lois, en tant du moins qu’elles prescrivent l’application
d’une loi étrangère, n’ont pas un caractère d’ordre public, en ce sens qu’il
appartient aux parties d’en réclamer l’application, et qu’on ne peut reprocher
aux juges du fond de ne pas appliquer d’office la loi étrangère et de faire, en ce
cas, appel à la loi interne française laquelle a vocation à régir tous les rapports
de droit privé;
Sur le deuxième moyen : — (sans intérêt);
Par ces motifs : — Rejette.
Du 12 mai 1959. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Lenoan,
rapp.; Blanchet, av. gén. — MMes Ravel et Boulloche, av.

2e ARRÊT
(Compagnie algérienne de Crédit et de Banque c/Chemouny)
La Cour; — Sur le moyen unique, pris dans sa première branche : — Attendu
que l’arrêt attaqué, infirmatif, déclare irrecevable la demande d’exequatur du
jugement rendu le 20 novembre 1946 par le Tribunal de première instance de
Beyrouth condamnant Chemouny au remboursement d’une somme et à des
dommages-intérêts envers la Compagnie algérienne de Crédit et de Banque, au
motif que ledit jugement, par application des articles 502 et 503 du Code de pro-
286 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 32-34

cédure du Liban était périmé, au regard de la loi libanaise, faute de ne pas avoir
été exécuté dans les trois mois; — Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué
d’avoir ainsi fait application des textes abrogés, au Liban, par la loi du 8 juin
1945, laquelle aurait substitué à la nécessité d’un acte d’exécution dans le délai
prévu celle d’une signification suivie du paiement des frais, formalités qui avaient
été accomplies en l’espèce; — Mais attendu que sur tous ces points touchant au
contenu comme à l’interprétation de la loi étrangère compétente, l’arrêt atta-
qué échappe au contrôle de la Cour de cassation; qu’il en résulte que la pre-
mière branche du moyen ne peut être accueillie; déclare le moyen irrecevable
dans sa première branche;
Sur la seconde branche : — Attendu qu’il est vainement reproché aux juges
français, saisis d’une demande d’exequatur, de faire application d’office d’une
loi étrangère dont les parties n’avaient pas fait état devant eux et qui n’intéres-
sait pas l’ordre public; — Qu’en effet, il était loisible à la Cour d’appel de procé-
der elle-même à la recherche et de préciser les dispositions du droit libanais
compétent en ce qui concerne la décision judiciaire litigieuse rendue par défaut
avant de se prononcer sur la demande d’exequatur, dont elle était saisie; —
D’où il suit que la seconde branche du moyen n’étant pas fondée, l’arrêt atta-
qué n’a violé aucun des textes visés par le pourvoi;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 2 mars 1960. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prés.; Lenoan, rapp.;
Blanchet, av. gén. — MMes Célice et Le Cesne, av.

3e ARRÊT
(Dame Bertoncini c/Bertoncini)
La Cour ; — Sur le premier moyen : — Attendu qu’il est reproché à l’arrêt
confirmatif attaqué d’avoir prononcé par application de la loi française, le
divorce entre les époux Bertoncini, de nationalité italienne, alors que leur loi
nationale commune, qui était compétente, n’admet pas ce mode de dissolution
du mariage; — Mais attendu qu’il appert des énonciations de l’arrêt et des piè-
ces de la procédure que ni l’une ni l’autre des parties n’ont à aucun moment,
devant les juges du fond, fait valoir leur commune nationalité, ni demandé
l’application de la loi italienne; que le moyen pris de la compétence de cette loi
pour régir le litige comme de son contenu différent de celui de la loi française,
présenté pour la première fois devant la Cour de cassation, est mélangé de fait
et de droit et partant irrecevable;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 11 juillet 1961. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prés.; Holleaux, rapp.;
Jodelet, av. gén. — MMes Nicolas et Vidart, av.

OBSERVATIONS
1 Si la positivité de la dernière des trois décisions ci-dessus reproduites reste
aujourd’hui hors de contestation, celle des deux premières suscite en revanche
la discussion. Des arrêts ultérieurs ont, en effet, pris un parti contraire aux
solutions que consacrent les décisions ci-dessus reproduites (Civ. 1re, 11 et
18 oct. 1988, infra, nos 74-75) avant que la haute juridiction n’en revienne à
des analyses voisines de celles-ci (Civ. 1re, 4 déc. 1990, infra, no 76 et plus
encore Civ. 1re, 26 mai 1999, infra, no 77). On rappellera ici la position tra-
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 287

ditionnelle de la jurisprudence ainsi que le débat qu’elle a suscité. Néces-


saire à la compréhension des ressorts profonds de la matière, la lecture de ces
développements ne saurait cependant fournir une image exhaustive du droit
positif. Aussi les lecteurs sont-ils invités à compléter leur information en lisant
les observations qui accompagnent les décisions précédemment citées (infra,
no 74-78).
Les trois décisions ci-dessus reproduites jettent les bases d’une théorie de
l’autorité de la règle de conflit de lois. Elles s’associent et se combinent en
effet pour répondre à la question de savoir dans quelle mesure le juge, saisi
d’un litige international, doit, pour le trancher, obéir à la désignation du droit
applicable effectuée par la règle de conflit (I).
Le premier arrêt se préoccupe aussi de déterminer selon quelle loi il convient
de statuer dans les cas où précisément, n’étant pas astreint à l’obéissance
envers la règle de conflit, le juge n’applique pas le droit étranger qu’elle
désigne; la solution est alors de faire « appel à la loi interne française laquelle
a vocation à régir tous les rapports de droit privé » (II).
Les deux autres décisions abordent pour leur part un troisième problème
qui intéresse la connaissance de la loi étrangère applicable; elles précisent en
effet les rôles dévolus sur le terrain de la preuve et de l’interprétation du droit
étranger, respectivement aux juges du fond et à la Cour de cassation. Ces ques-
tions sont étudiées à l’occasion des commentaires des arrêts Lautour (supra,
no 19 § 7), Soc. Amerford et Soc. Itraco (infra, no 82-83) ainsi que Montefiore
(infra, no 36).

I. L’autorité de la règle de conflit de lois

2 L’arrêt Bisbal illustre excellement la subtilité des interactions que doctrine


et jurisprudence exercent parfois l’une sur l’autre. La question que cette déci-
sion eut à résoudre avait déjà été formulée en termes remarqués par le Doyen
Maury dans une retentissante communication au Comité français de droit
international privé (« La condition de la loi étrangère en droit français »,
Trav. com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 97 et s., spéc. p. 116) : « Croit-on qu’il
serait bon de permettre à des magistrats français — systématiquement s’ils le
veulent — de prononcer par application de la loi française, le divorce d’époux
italiens ? » La réponse négative que le conférencier appelait de ses vœux ne fut
pas celle de l’arrêt Bisbal. Celui-ci emprunta sa motivation à une formule du
Traité élémentaire de H. Batiffol (1re éd., 1949, no 336, p. 357) qui ne se vou-
lait elle-même qu’une synthèse de la jurisprudence antérieure. Mais déjà
ébranlé par la remarque de Maury (v. intervention, Trav. com. fr. dr. int. pr.
1948-1952, p. 128; Traité, 3e éd., no 336), l’éminent auteur devait, on le verra,
à la lumière de la présente espèce, critiquer la solution ainsi consacrée.
Comme il en fit lui-même la réflexion, « l’exemple est assez remarquable de la
nécessité d’un cas concret et d’une décision de justice pour rendre palpables
aux commentateurs les conséquences de positions déterminées » (note,
Rev. crit. 1960, p. 66; v. aussi Nationalisme et internationalisme en dr. int. pr.,
Cours IHEI 1963-1964, spéc. p. 113).
288 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 32-34

Ces hésitations illustrent elles-mêmes, au demeurant, la difficulté d’une


question à laquelle les différents droits positifs apportent des réponses très
variées. En effet, alors que les droits allemand, italien, espagnol et autrichien
obligent le juge du fond à appliquer d’office la règle de conflit (sur les deux
premiers, v. not. Les problèmes actuels posés par l’application des lois étran-
gères, Travaux de l’Institut de droit comparé de Strasbourg, 1988, p. 62 et s.,
121 et s.), la jurisprudence française exprimée par l’arrêt Bisbal décidait que
l’autorité de la règle de conflit varie selon que celle-ci désigne la loi française
ou la loi étrangère. Dans le premier cas, il importerait peu que les parties aient
ou non réclamé l’application de la loi française, le juge ne pourrait se dérober
à sa désignation, la règle de conflit aurait un caractère d’ordre public. Dans le
second cas, il ne serait tenu de mettre en œuvre la règle de conflit que si l’un
ou l’autre des plaideurs le lui a demandé — faute de quoi il lui serait cepen-
dant « loisible » de le faire, précise l’arrêt Compagnie Algérienne de Crédit et
de Banque; la règle de conflit ne serait donc pas alors d’ordre public.
3 Encore faut-il préciser la portée exacte de cette affirmation. Il faut noter en
effet que l’évocation, toute négative, du caractère d’ordre public de la règle de
conflit n’a d’autre fonction dans le cadre du motif où elle figure que de subor-
donner à l’initiative des parties l’obligation pour le juge d’appliquer celle-ci
(sur cette solution, v. Civ., 17 janv. 1899, D. 1899. I. 277, note E. Bartin et
arrêt Lautour, supra, no 19 § 7). Elle n’est pas utilisée dans l’arrêt Bisbal pour
résoudre la question, différente, de savoir si le juge est ou non lié par le choix
que les plaideurs auraient fait de la loi à appliquer au litige, s’il doit se plier à
leur commune volonté ou, au contraire, n’obéir qu’à la règle de conflit.
Deux problèmes doivent donc être ici envisagés. Le premier est celui de
l’applicabilité d’office de la règle de conflit alors que les parties n’ont pas
réclamé sa mise en œuvre ; le second est celui de la possibilité de déroger
conventionnellement à la désignation opérée par la règle de conflit. Certes,
aucun des arrêts n’a dû affronter le second problème, mais la réaction de la
doctrine à cette jurisprudence (v. not. Motulsky, note, JCP 1960. II. 11733)
commande de s’en préoccuper.

A. — L’applicabilité d’office de la règle de conflit

4 L’arrêt Bisbal distingue selon que la règle de conflit française désigne la loi
étrangère ou la loi française.
1°) Bien que la compétence de la loi étrangère fût le facteur commun des
trois affaires, les juges du fond avaient appliqué la loi française dans certains
cas, la loi étrangère dans d’autres. Pourtant, on l’a vu, la Cour de cassation se
refuse à les censurer. Les raisons varient selon les espèces.
Dans l’affaire Bertoncini, l’approbation de la Cour de cassation se fonde
sur la considération que les éléments de fait qui confèrent à la relation liti-
gieuse son caractère international et qui conditionnent la mise en œuvre de la
règle de conflit n’avaient pas été révélés aux juges du fond. Dans la configu-
ration qu’elle recevait au plan contentieux, l’affaire était alors de droit interne.
Il en résultait que le grief de non application de la loi étrangère désignée par
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 289

la règle de conflit française n’était pas recevable devant la Cour de cassation.


Le plaideur qui, pour la première fois devant la haute juridiction, fait état de la
nationalité étrangère (ou de tout autre élément d’extranéité) voit, en effet, son
moyen se heurter à une fin de non recevoir comme mélangé de fait — la
nationalité étrangère — et de droit — la règle de conflit désignant la loi étran-
gère. Sans doute, le juge doit-il trancher le litige « conformément aux règles
de droit qui lui sont applicables » (art. 12, al. 1er, NCPC), mais il ne doit pas
excéder les termes du litige et pour cela « ne peut fonder sa décision sur des
faits qui ne sont pas dans le débat » (art. 7, al. 1er, NCPC). L’arrêt Bertoncini
applique les principes directeurs du procès que le Nouveau Code de procédure
civile recueillera en 1975. Ajoutons pour être complet que l’article 8 de ce
code pourrait être interprété comme autorisant dorénavant les juges du fond,
sans pour autant leur en faire l’obligation, à inviter les parties à fournir les
« explications de fait » qu’ils estiment nécessaires à la solution du litige.
Dans les arrêts Bisbal et Compagnie Algérienne de Crédit et de Banque les
éléments d’extranéité apparaissaient, au contraire, dans le débat. L’arrêt de 1959
précise en effet que si les parties n’avaient pas soulevé le conflit de lois devant
les juges du fond, du moins ceux-ci avaient-ils en main « tous les éléments uti-
les pour constater la nationalité des époux » — certainement mentionnée dans
les pièces du dossier et sans doute même dans le jugement de séparation de
corps dont la conversion en divorce était demandée. Semblablement, le carac-
tère international du litige ne pouvait échapper et, d’ailleurs, n’échappa point à
l’attention des juges dans l’affaire de 1960, puisqu’il s’agissait d’une demande
d’exequatur d’un jugement, laquelle ne se conçoit que pour une décision étran-
gère. Dans l’un et l’autre cas, bien qu’aucune partie n’ait réclamé l’application
de la loi étrangère désignée, le juge disposait des éléments nécessaires à la mise
en mouvement de la règle de conflit. Or, il ne s’y résolut que dans la seconde de
ces affaires. Mais l’article 7, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile,
n’énonce-t-il pas que « parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en
considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invo-
qués au soutien de leur prétention » ? Pouvoir n’est pas devoir et la Cour de cas-
sation affirme qu’il était « loisible » à la cour d’appel de procéder d’office à
l’application de la loi étrangère compétente.
5 Comme on le constate, la règle de conflit désignant une loi étrangère est alors
soumise, quant à l’applicabilité d’office, au même régime que les autres normes
juridiques. Elle n’échappe pas aux principes de droit commun. Elle y paraît si
naturellement assujettie que la Cour de cassation, à plusieurs reprises, confir-
mera ce régime facultatif, c’est-à-dire sans obligation (Civ. 1re, 25 janv. 1967,
Alary, Rev. crit. 1968. 74, note H. Batiffol; Civ. 1re, 9 mars 1983, JCP 1984.
II. 20295, note P. Courbe; Civ. 1re, 24 janv. 1984, Soc. Thinet, Rev. crit. 1985. 89,
note P. Lagarde, Clunet 1984. 874, note J.-M. Bischoff, Grands arrêts dr. int. pr.
2e éd., no 61) ni interdiction (Com., 28 mai 1971, Rev. crit. 1973. 64, note
R. Jambu-Merlin; Civ. 1re, 6 déc. 1977, de Villalonga, Rev. crit. 1979. 88, note
P. Hébraud) d’appliquer d’office la règle de conflit désignant une loi étrangère.
Et cette confirmation s’explicitera davantage encore avec les arrêts qui rappel-
leront que « le juge français ne peut faire application d’un texte de loi étranger
290 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 32-34

qu’il a invoqué d’office qu’après avoir invité les parties à s’expliquer contra-
dictoirement sur son application et son interprétation » (Civ. 1re, 4 avr. 1978,
Attouchi, Rev. crit. 1979. 88, note P. Hébraud, Civ. 1re, 6 déc. 1977, eod. loc.,
préc. et Civ. 1re, 2 déc. 1997, Socma, Bull. I, no 336; v. cep. Civ. 1re, 11 juin 1996,
Imhoos, Rev. crit. 1997. 291, note Y. Lequette, D. 1997. 3, note F. Monéger,
Som. com. 156, obs. Granet, Defrénois 1997. obs. J. Massip; comp. Cass. belge,
22 oct. 1982, Pas. 1983, I, 254; 18 févr. 1985, Pas. 1985, I, 741).
Cette soumision de la règle de conflit aux principes de droit commun a été,
en règle générale, critiquée par la doctrine. Afin de permettre l’application
d’office de la règle de conflit, désignerait-elle une loi étrangère, malgré l’arti-
cle 7, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile, diverses analyses ont été
avancées. Pour certains, ce texte conférerait au juge « un pouvoir qui est ici
« puissance » plus que faculté » (D. Bureau, « L’application d’office de la loi
étrangère, Essai de synthèse », Clunet 1990. 317 et s., spéc. p. 354). Le juge,
ayant ainsi les moyens de sa fonction, serait donc obligé de relever le fait
pertinent (M. A. Frison-Roche, note, D. 1989. 612 et comp. J. Normand, RTD
civ. 1991. 157). Outre qu’il s’appuie sur une lecture de l’article 7, peu respec-
tueuse semble-t-il de l’intention de ses auteurs (rappr. G. Cornu, « Les princi-
pes directeurs du procès civil par eux-mêmes », Études P. Bellet, p. 81 et s.,
spéc. p. 90), un tel argument, débordant le droit international privé, va très
(trop ?) loin. Méconnaissant que « la mission spécifique du juge n’est pas de
rechercher les faits », il risque d’engager les juges dans un engrenage qui con-
duirait à « un infléchissement de la procédure vers un modèle plus inquisi-
toire » et à « la création d’un contentieux artificiel devant la Cour de cassa-
tion ». (J. Héron, note, JCP 1988. II. 21030). On pourrait alors, en effet,
toujours leur reprocher « de n’avoir pas exploré toutes les potentialités d’un
système juridique dont la complexité, les incertitudes et la relativité ne sont
pas niables » (G. Cornu, art. préc., Études P. Bellet p. 90).
Aussi bien est-ce dans une argumentation spécifique au droit international
privé que d’autres auteurs ont entrepris de découvrir la réponse à cette dif-
ficulté. C’est ainsi qu’il a été souligné qu’en relevant d’office l’élément
d’extranéité, le juge remplirait « sa fonction de serviteur de la loi, sans modi-
fier la nature et sans élargir l’objet du différend qui lui est soumis » et donc
sans porter atteinte au principe dispositif qui réserve aux parties la détermina-
tion des faits du litige (P. Mayer et V. Heuzé, p. 113, note 18; comp. 3e éd.,
no 149). Mais l’argument ne serait pleinement convaincant que si, dans la
limite des prétentions des parties, le juge était obligé de relever d’office tous les
faits pertinents et pas seulement l’élément d’extranéité. Dans toutes ces hypo-
thèses, en effet, le juge est le « serviteur de la loi » sans pour autant remettre
en cause le principe dispositif. Or tel n’est pas le cas. C’est donc dans la spé-
cificité de l’élément d’extranéité lui-même qu’il conviendrait de rechercher la
justification du statut procédural particulier qu’implique l’obligation d’appli-
quer d’office la règle de conflit de lois. À cet effet, on pourrait songer à mettre
l’accent sur l’idée que seule la prise en compte d’office de l’élément interna-
tional qui commande l’application du droit étranger est de nature à engendrer
une véritable égalité de traitement entre la loi étrangère et la loi française,
égalité que postule la structure bilatérale de la règle de conflit (v. Y. Lequette,
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 291

« L’abandon de la jurisprudence Bisbal », Rev. crit. 1988. 298 et s.; F. Melin,


La connaissance de la loi étrangère par les juges du fond, thèse Reims, 2000,
no 209, p. 245.).

6 2°) Dans le cas de désignation de la loi française, la formule de l’arrêt Bisbal,


pourvu qu’on se permette une lecture a contrario, semble attribuer un carac-
tère d’ordre public à la règle de conflit. Mais cette qualification a-t-elle un
sens alors que les parties n’ont pas « soulevé le conflit » de lois ? Reprenons
les deux hypothèses que considère l’article 7 du Nouveau Code de procédure
civile.
Si les allégations des parties ne comportent aucun élément qui révèle l’inter-
nationalité de la situation litigieuse, celle-ci au regard du tribunal ressortira
directement au droit interne, c’est-à-dire à la loi française. Si néanmoins le
juge fait application d’une loi étrangère, il commet une double infraction :
d’une part, il méconnait la règle de conflit, d’autre part et au préalable, il viole
l’article 7, alinéa 1er. Ce grief là devrait suffire à condamner sa décision et il
n’y aurait nul besoin d’invoquer le premier.
L’hypothèse où les allégations permettent de discerner un élément d’extra-
néité se prête à de semblables observations. La mise en jeu de la règle de
conflit est alors justifiée; l’article 7, alinéa 2, l’autorise et il est donc loisible
au juge d’y procéder. Mais à la vérité son initiative sera de peu de portée, car
aussi bien que son inaction, elle doit déboucher sur l’application de la loi
française. Sans doute, il ne peut être exclu que déclarant obéir à la règle de
conflit, le juge se trompe et se tourne vers une loi étrangère; mais alors il aura
violé la règle de conflit et sa décision encourra la censure de la Cour de cas-
sation sans qu’il soit nécessaire de solliciter la notion d’ordre public.

7 Cette perspective montre combien dans l’hypothèse Bisbal, où les plaideurs


n’ont rien réclamé quant à la loi applicable, il est difficile de donner un sens
précis à cette notion d’ordre public. En réalité il semble que les termes de
l’arrêt expriment seulement le constat suivant : dans le cas de désignation de la
loi étrangère par la règle de conflit, la méconnaissance de cette dernière peut
prendre sa source dans une donnée de fait (l’extranéité n’ayant pas été alléguée
ni relevée devant les juges du fond) et elle ne peut être alors dénoncée pour la
première fois devant la Cour de cassation, tandis que dans le cas de désigna-
tion de la loi française, la méconnaissance de la règle de conflit suppose la
prise en considération du conflit de lois et ne peut résulter que d’une erreur de
droit (ayant conduit à appliquer la loi étrangère), laquelle expose le juge du
fond à la censure de la Cour de cassation car elle fonde un moyen de pur droit
toujours recevable devant la Cour de cassation (art. 619, NCPC).
Et, en définitive, c’est uniquement en incluant dans le champ de la discus-
sion l’hypothèse où le plaideur soulève lui-même le conflit de lois qu’on par-
vient à rendre à la formule de la Cour de cassation un sens tant à l’égard de la
loi française que de la loi étrangère. Ainsi la question de l’applicabilité
d’office de la règle de conflit conduit-elle à celle de la force obligatoire de la
désignation.
292 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 32-34

B. — La force obligatoire de la désignation

8 Si les plaideurs sont convenus de l’application de telle ou telle loi, le juge


doit-il s’incliner devant leur accord ou bien ne lui faut-il obéir qu’à la règle de
conflit ? En d’autres termes, peut-on procéder à une exclusion conventionnelle
de la loi désignée par la règle de conflit ? (sur cette question, v. B. Fauvarque-
Cosson, Libre disponibilité des droits et conflits de lois, 1996, nos 400 et s.,
p. 241 et s.; H. Muir Watt, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd., v° Loi étrangère, nos 59
et s. et infra, arrêt Hannover International, no 85).
Avant de répondre à cette question, il importe de relever que cette exclusion
pourra revêtir soit une forme expresse, les plaideurs soulevant le conflit et
demandant l’application de telle ou telle loi, soit une forme tacite, les plaideurs
gardant le silence sur l’internationalité du rapport litigieux dans le dessein de
le placer sous l’égide de la loi française alors que la règle de conflit désigne la
loi étrangère. En dépit de l’attention qui lui est souvent portée, cette dernière
éventualité ne semble pas mériter un traitement spécifique. Elle s’analyse, en
effet, en une simulation qui, percée à jour grâce à la perspicacité du juge, à la
maladresse ou au repentir des parties, restituera la situation litigieuse dans sa
vérité, ce qui permettra de la soumettre à l’application des solutions ordinaires.
La réponse à la question ci-dessus posée dépend de la nature juridique de la
règle de conflit. Si la désignation qu’elle opère est d’ordre public, le juge ne
pourra pas exaucer le vœu contraire des parties; en revanche, si la désignation
n’est pas d’ordre public, la commune volonté des parties liera le juge. Rap-
portée à ce dilemme qu’aucun des arrêts, répétons-le, n’avait à affronter, la
réponse de l’arrêt Bisbal conduisait au résultat suivant : la règle de conflit
désigne-t-elle la loi française, elle ne tolère aucune dérogation conventionnelle;
se fixe-t-elle au contraire sur une loi étrangère, elle est à la merci du bon vou-
loir des plaideurs. Une telle distinction appelle, on va le voir, les plus expres-
ses réserves.
9 1°) La désignation de la loi française est impérative, celle de la loi étrangère
ne l’est pas; cette inégalité est bien peu satisfaisante.
Sur le plan théorique, elle vient ébranler la structure bilatérale du règlement
de conflit qui postule l’unité de régime quelle que soit la loi déclarée applica-
ble. Or la loi française, loi du for, est ici installée dans une position privilé-
giée, comme si elle jouissait d’une compétence de principe tandis que l’appli-
cation de la loi étrangère serait confinée dans le statut d’une espèce de faveur
dérogatoire dont le bénéfice ne s’obtiendrait que sur la revendication expresse
de l’intéressé. Loin d’assurer à la relation internationale le règlement que sa
localisation impose, la règle de conflit ainsi comprise transforme le droit
étranger en un simple catalogue de règles facultatives. C’est dire si, interprété
de la sorte, le système Bisbal est source d’incohérence.
Cette incohérence se traduira sur le plan pratique par un encouragement
à la fraude à la loi étrangère, les parties puisant dans le caractère facultatif
de la désignation le moyen d’obtenir de la lex fori ce que la loi applicable
leur refuse. Et, dans cette voie, la juridiction française pourrait, à plus ou
moins brève échéance, devenir un très attractif et donc très actif centre de
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 293

forum shopping. On conviendra que ces perspectives justifiaient de la part


des commentateurs de l’arrêt Bisbal une réaction. Celle-ci se développa dans
deux directions.
10 2°) Motulsky, de façon très dogmatique, entreprit de reconstruire entière-
ment le problème en rétablissant d’abord l’exacte symétrie que postule la bila-
téralité de la règle de conflit et en substituant par suite à la distinction selon la
qualité française ou étrangère de la loi désignée une distinction selon le carac-
tère d’ordre public ou non de la matière litigieuse (v. JCP 1960. II. 11733). Ce
programme débutait par l’affirmation que le droit étranger, dès lors que la
règle de conflit le désigne, constitue du droit au regard du juge et n’est donc
pas justiciable d’un traitement différent de celui que connaît la lex fori. Pour
autant qu’est en cause la désignation — et non l’application — de la loi étran-
gère, la thèse est parfaitement acceptable. La règle de conflit en devient appli-
cable par le juge comme n’importe quelle autre règle de droit — sans qu’il y
ait lieu de considérer la désignation par elle opérée. Cependant cette désigna-
tion n’est impérative qu’autant que « la matière (visée) a ce caractère en droit
interne ». Ainsi, selon Motulsky, on ne pouvait pas admettre que les parties
choisissent la loi applicable au divorce parce que cette matière n’était pas en
droit interne à la libre disposition de la volonté des particuliers.
C’est vers une proposition plus pragmatique qu’incline aujourd’hui la juris-
prudence. Il a été suggéré, en effet, par H. Batiffol (note préc., Rev. crit.
1960. 62) que le juge devrait appliquer d’office la règle de conflit française
lors même qu’elle désigne la loi étrangère « dans les matières sur lesquelles
les parties ne peuvent, dans la conception française, déroger à la loi ». La
jurisprudence Bisbal serait ainsi cantonnée aux seules hypothèses où les plai-
deurs sont maîtres de leur droit. Certains arrêts de la Cour de cassation, inter-
prétés a contrario, ont pu être considérés comme allant dans ce sens (v. aussi
Paris, 6 avr. 1962, Rev. crit. 1963. 364, note H. Batiffol, Clunet 1963. 13, note
B. G., D. 1962. 617, note Malaurie; Civ. 1re, 24 janv. 1984, Soc. Thinet, préc.).
Et après la parenthèse des arrêts des 11 et 18 octobre 1988 (infra, no 71-72), la
solution a été consacrée sans ambiguïté par la haute juridiction dans son arrêt
Société Coveco du 4 décembre 1990 (infra, no 76) et plus encore dans ses arrêts
du 26 mai 1999, (infra, no 77-78).
Les deux propositions doctrinales ne divergent au demeurant que sur la
forme que doit revêtir la dérogation aux règles supplétives. Selon la première,
il faut toujours pour contrarier la désignation une manifestation de volonté
expresse; selon la seconde, une semblable manifestation serait nécessaire pour
écarter la loi française tandis qu’elle serait inutile à l’égard de la loi étrangère
— il suffirait, quant à celle-ci, de ne pas « en réclamer l’application » (arrêt
Bisbal).
11 3°) Mais, à la vérité, aucune solution n’est parfaite et il est permis de se
demander si sur le plan théorique la meilleure ne serait pas celle qui niant
absolument le caractère facultatif de la désignation prévoirait que le juge est
toujours obligé d’appliquer la règle de conflit française. Cette thèse respecte-
rait scrupuleusement la structure bilatérale de la règle de conflit; elle n’enlève-
294 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 32-34

rait pas pour cela aux plaideurs la possibilité de déroger aux règles supplétives
édictées pour leur cause et elle devrait donc résoudre le problème de la forme
de la dérogation.
Déplaçant l’exercice de la liberté des parties du plan de l’application des
règles de conflit à celui de l’application du droit interne, elle confierait d’abord
la détermination du caractère supplétif des règles dont la mise à l’écart est
envisagée, non plus à la lex fori comme l’enseignent les auteurs (Weill et
Alexandre, J.-Cl. dr. int., fasc. 539, no 64, et réf. citées), mais à la loi désignée
en tant que telle. La règle de conflit serait toujours appliquée et le juge, une
fois la désignation effectuée, serait tenu d’admettre les dérogations conven-
tionnelles à la loi désignée dans la mesure où celle-ci les tolère. Ne revient-il
pas en effet à l’ordre juridique qui édicte une norme d’en fixer le caractère
impératif ou simplement dispositif ? Au demeurant et réserve faite de toute
considération d’ordre dogmatique, il faut observer que déduire le caractère sup-
plétif de la règle étrangère du caractère supplétif de la règle française, c’est
accepter encore la possibilité d’obtenir en certains cas du juge français ce que
le droit étranger refuse et que, parallèlement, déduire le caractère impératif de
la règle étrangère du caractère impératif de la règle française, c’est être prêt à
retirer en France aux parties une liberté qui leur est reconnue par la loi appli-
cable. Cette altération du droit étranger est pour le moins malaisée à justifier
et il serait donc préférable de l’éviter.
La suggestion de prendre en compte la lex causae s’est néanmoins heurtée
à certaines objections. Si les critiques théoriques qui lui ont été faites appa-
raissent peu convaincantes (sur cette discussion, v. infra, no 74-78 § 11),
l’obstacle pratique semble en revanche beaucoup plus fort : obliger le juge à
interroger la loi étrangère pour savoir si les parties peuvent le dispenser de
l’appliquer, c’est créer une sorte de cercle vicieux qui éloignera de la sim-
plification recherchée (P. Mayer et V. Heuzé, no 147-1). Or l’on sait que le
droit positif ne se forge pas seulement à coup de doctrine, il se façonne aussi à
l’enclume de la réalité (sur cette question, v. B. Fauvarque-Cosson, op. cit.,
nos 70 et s.).

12 On ajoutera enfin qu’il serait opportun d’exiger, à l’instar de Motulsky (v. aussi
G. Bolard, « Les tribulations de la loi étrangère devant le juge français »,
Mélanges Ponsard 2003, p. 106), que la commune volonté de déroger aux
règles supplétives de la loi applicable se soit exprimée de manière sinon expresse
du moins certaine afin de ne consentir aucune prime à la lex fori (Civ. 1re,
6 mai 1997, Hannover international, infra, no 85 § 9).

II. La vocation générale subsidiaire de la loi du juge saisi

13 L’arrêt Bisbal affirme la vocation de la loi interne française « à régir tous les
rapports de droit privé ». Cette formule est, elle aussi, empruntée au Traité de
H. Batiffol (1re éd. 1949, no 336) dans lequel, jusqu’à sa consécration jurispru-
dentielle, elle venait constituer la notion — déduite d’arrêts antérieurs — de
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 295

plénitude de compétence de la loi française (v. 3e éd. 1959, nos 336 et 348
et s.). Pourtant cette dernière expression a été par la suite abandonnée au profit
de celle de vocation générale subsidiaire (H. Batiffol, op. cit., 4e éd., 1967,
nos 346 et s.; comp. P. Lerebours-Pigeonnière, Précis 3e éd., 1937, no 226 :
« compétence générale subsidiaire de la loi du juge saisi »). Le choix des mots
n’était pas indifférent; il recouvrait le choix entre deux notions distinctes
(v. M. Céalis-Santa Croce, La vocation générale subsidiaire de la loi du juge
saisi dans le règlement des conflits de lois, thèse multigr., 1975; v. aussi Louis-
Lucas, « Existe-t-il une compétence générale du droit français pour le règle-
ment des conflits de lois », Rev. crit. 1959. 405; Bischoff, La compétence du
droit français dans le règlement des conflits de lois, 1959; Francescakis, La
pensée des autres en dr. int. pr., p. 238).
La notion de plénitude de compétence de la loi française — en tant que loi
du juge saisi — repousse en seconde ligne le règlement du conflit de lois.
À l’égard des relations internationales, comme à l’égard des relations inter-
nes, la loi française représente la solution de principe, laquelle peut toutefois
être exceptionnellement écartée au profit d’une loi étrangère. Dans cette
conception, solidaire des thèses unilatéralistes de Niboyet (Traité, t. III, nos 932-
933 et 1016) ou positivistes de R. Ago (« Règles générales des conflits de
lois », Rec. cours La Haye, 1936. IV., p. 280 et s.; M. Céalis-Santa Croce,
op. cit., nos 17 et s.), la loi française n’est jamais en relation d’égalité avec la
loi étrangère, mais occupe toujours une position prééminente. L’arrêt Bisbal
propose une bonne illustration de cette doctrine en tant qu’il paraît bien
subordonner l’application de la loi étrangère à la réclamation des parties.
Cette doctrine est évidemment incompatible avec la bilatéralité habituelle des
règles de conflit de lois, laquelle suppose une concurrence a priori égalitaire
entre les lois concernées par la relation considérée. Aussi bien le changement
terminologique observé plus haut, implique une critique de l’arrêt Bisbal qui,
en attribuant d’emblée le divorce de deux Espagnols à la lex fori, ne tient pas
la balance égale entre celle-ci et la loi étrangère. En affirmant la vocation de
la lex fori à régir tous les rapports de droit privé pour ce seul motif que
l’application de la loi étrangère n’a pas été demandée, la Cour de cassation
méconnaît la structure bilatérale de la règle de conflit.
14 En revanche, la notion de vocation générale subsidiaire s’accorde mieux à la
bilatéralité. Une brève analyse et le relevé de ses applications non contestées
suffisent pour en convaincre.
Le terme vocation dénote une aptitude, une « aptitude éventuelle » précisait
Lerebours-Pigeonnière (op. cit., eod. loc.; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-
Sommières, no 234); il y a en effet entre une vocation à réaliser et une compé-
tence à écarter (Niboyet, R. Ago) toute la distance qui sépare le potentiel de
l’actuel. Aussi bien, se référer à la vocation de la loi interne française ce n’est
pas postuler comme le fait l’arrêt une applicabilité a priori, non tributaire de
la règle de conflit — qui manifesterait une supériorité essentielle de la lex fori
sur la loi étrangère — c’est seulement évoquer la disponibilité de la loi fran-
çaise comme recours offert au juge français pour apporter une solution de
fond au litige dont il est saisi.
296 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 32-34

Ce recours est, au demeurant, d’autant plus naturel que, comme le rappelle


le qualificatif général, la loi civile française, comme toute loi interne de droit
privé, assemble des règles abstraites énonçant des modèles de conduite au
moyen de propositions universelles et conditionnelles qui, selon la démonstra-
tion de M. P. Mayer (La distinction entre règles et décisions et le dr. int. pr.,
1973, nos 102 à 109; v. aussi P. Mayer et V. Heuzé, nos 83-84.), lui ménagent
un champ potentiel d’application illimité.
Enfin, la spécification du caractère subsidiaire souligne nettement que ce
recours n’est ouvert qu’en second rang, lorsque la voie principale ne débouche
sur aucune solution. Tel est le cas dans deux séries d’hypothèses, soit qu’il y
ait impossibilité d’appliquer la loi désignée, soit qu’il y ait impossibilité de
désigner la loi applicable.
15 Deux obstacles viennent empêcher la désignation de la loi applicable,
s’opposant à la concrétisation du facteur de rattachement de la règle de conflit.
Ainsi l’apatride qui n’a point de domicile ni de résidence connue n’offre
aucune assiette au rattachement prévu par la règle de conflit relative au statut
personnel (Batiffol et Lagarde, t. 1, no 347). Semblablement, la loi du juge
saisi était naguère appliquée au divorce d’époux de nationalité différente et
sans domicile commun (Civ., 15 mai 1961, Tarwid, Rev. crit.1961. 547, note
H. Batiffol, Clunet 1961. 734, note B. Goldman, D. 1961. 437, note G. Hol-
leaux ; v. obs. sous Rivière, no 26 § 5). La défaillance peut aussi atteindre un
rattachement spatial; ainsi du cas où « l’abordage s’étant produit en haute mer,
le lieu du délit, qui fixe la loi applicable à la responsabilité, ne donne en
l’espèce aucune compétence à aucune loi » (Com., 9 mars 1966, Lenten c/Vigou-
roux, Rev. crit. 1966. 636, note MM. Simo-Depitre et C. Legendre, D. 1966. 572,
note Jambu-Merlin, JCP 1967. II. 14994, note de Juglart et du Pontavice),
pour lequel la Cour de cassation reconnaît que « l’application de la lex fori est
fondée ».
16 Le second groupe d’hypothèses réunit deux types d’obstacles à la mise en
œuvre de la loi étrangère (abstraction dûment faite de l’exception d’ordre
public, v. P. Lerebours-Pigeonnière, eod. loc.). Le premier est l’impraticabilité :
l’application de cette loi requiert du juge français des moyens ou des concours
dont il ne dispose pas ou encore réclame des délais que l’urgence de la cause
rend inacceptables (v. Batiffol et Lagarde, t. 1, no 350; Y. Lequette, Protection
familiale et protection étatique des incapables, nos 182 et 246; Civ., 7 mai
1928, Antoniotti, Clunet 1929. 341, S. 1929. I. 238). Il n’est alors d’autre issue
que d’exploiter les ressources de la loi du juge saisi (comp. Civ. 1re, 16 avr.
1996, Denney, Rev. crit. 1997, no 4, note P. de Vareilles-Sommières, décision
qui affirmerait plutôt la plénitude de compétence de la loi du juge saisi d’une
demande d’autorisation de mesure conservatoire en enlevant à celui-ci le pou-
voir d’« appliquer la règle de conflit de lois »; rappr. Civ. 1re, 4 mai 1994,
Arpels, Bull. I, no 161). Le second obstacle tient à l’ignorance du droit étran-
ger. Naguère, la jurisprudence distinguait de la manière que voici. Elle admet-
tait, d’un coté, qu’au cas d’impossibilité pour l’auteur d’une prétention de rap-
porter la preuve de la loi étrangère applicable à celle-ci, il y avait lieu de se
32-34 BISBAL… — CASS., 12 MAI 1959, 2 MARS 1960, 11 JUILL. 1961 297

tourner vers la loi française tandis que, de l’autre coté, le défaut de preuve
résultant d’un manquement de ce plaideur à son devoir commandait de rejeter
sa prétention (v. supra, obs. sous Lautour, no 19 § 8). Ainsi ce n’était que dans
l’hypothèse où un obstacle objectif, indépendant de la volonté, empêchait
d’appliquer le droit étranger désigné que se réalisait la vocation subsidiaire de
la lex fori et la force obligatoire de la règle de conflit n’était pas abandonnée à
la discrétion de celle des parties qui était tenue de la preuve. Cette solution ne
put se maintenir après la consécration, temporaire, de la doctrine Amerford
(v. infra, Civ. 1re, 16 nov. 1993, no 82) qui, lorsque le litige portait sur des inté-
rêts disponibles, abandonnait le critère de la prétention pour celui de l’invoca-
tion ou de l’intérêt, lequel n’obligeait le juge à mettre en œuvre la loi étrangère
désignée que si la partie qui se prévalait de ses dispositions faisait la preuve de
ce que leur application conduirait à un résultat différent de celui à attendre de
l’application du droit français. Mais si cette preuve n’était pas rapportée et
sans qu’il y ait lieu, semble-t-il, de distinguer selon la raison de cette carence,
la loi française du for était appliquée et la Cour de cassation, par un abus de
concept manifeste, présentait cette conséquence comme une réalisation de la
« vocation subsidiaire » de la loi du for. Or, dans ce cas de figure que l’on sol-
dait par « l’application de la loi française sans la constatation des condi-
tions d’impossibilité matérielle ou morale d’une preuve de la loi étrangère »
(H. Batiffol, note sous Soc. MAN, Com., 14 juin 1984, Rev. crit. 1985. 119,
spéc. p. 125), il était patent qu’il ne s’agissait que de plénitude de compétence,
à la façon de Niboyet : la loi française ne s’effaçait que si le plaideur qui y
avait intérêt parvenait à assurer à son encontre l’autorité de la loi étrangère et,
partant, celle de la règle de conflit. Il n’y avait plus, dès lors, parité entre loi
française et loi étrangère, puisque l’une et l’autre ne s’appliquaient pas pour
les mêmes raisons. Ce n’était que dans le cas où les intérêts litigieux n’étaient
pas disponibles que cette parité était maintenue et que la vocation subsidiaire
pouvait se réaliser. En effet, il incombait alors au juge non seulement d’appli-
quer, au besoin d’office, la règle de conflit (v. supra, Rebouh et Belaïd A.,
nos 74 et 78), mais, encore « de rechercher la solution donnée à la question
litigieuse par le droit positif en vigueur dans l’État concerné » (Civ. 1re,
24 nov. 1998, Soc. Lavazza, Rev. crit. 1999. 88, note B. A., D. 1999. 337, note
M. Menjucq, Grands arrêts, 4e éd., no 83); ce n’est que s’il échouait dans cette
entreprise, dont il pouvait confier l’exécution à l’une ou à l’autre des parties ou
aux deux, qu’il devait mettre en œuvre la loi française à titre subsidiaire (tout
au plus, dans l’éventualité où le juge se serait heurté à la mauvaise volonté
d’un plaideur et où lui-même se serait trouvé dans l’impossibilité d’accéder au
droit étranger, il était envisagé de l’habiliter à tirer toute conséquence de pareil
refus de coopération, dont celle consistant, le cas échéant, à débouter le deman-
deur, v. P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., no 185).
17 Aujourd’hui, après l’arrêt Itraco (Civ. 1re, 28 juin 2005, v. infra, no 83), la
distinction de la disponibilité et de l’indisponibilité des intérêts est abolie sur
le terrain de la connaissance du droit étranger et la solution Lavazza s’impose
de manière générale. La notion de vocation générale subsidiaire est ainsi res-
taurée dans son intégrité et dans sa fonction qui est, selon ses promoteurs,
298 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 32-34

d’apporter un remède à l’échec de la « méthode normale » (P. Lerebours-


Pigeonnière, eod. loc.). Ce n’est évidemment pas cette fonction qu’en dépit de
son affirmation la jurisprudence Bisbal sollicitait lorsque, de son côté, en
dehors de toute question de preuve de la loi étrangère, elle reconnaissait à la
liberté des parties ou à la discrétion du juge (Compagnie Algérienne de Crédit
et de Banque) le pouvoir d’occulter le caractère international de la situation
litigieuse : court-circuitant les mécanismes du droit des conflits, pareille désin-
ternationalisation renvoyait les intérêts débattus au pur droit interne et la loi
française s’appliquait directement.
35
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

6 juillet 1959

(Rev. crit. 1959. 708, note Batiffol)


Contrat. — Loi applicable.

La loi applicable aux contrats, en ce qui concerne leur formation, leurs


conditions ou leurs effets est celle que les parties ont adoptée; à défaut de
déclaration expresse de leur part, il appartient aux juges du fond de recher-
cher d’après l’économie de la convention et les circonstances de la cause,
quelle est la loi qui doit régir les rapports des contractants.

(Société des Fourrures Renel c/Allouche)

Faits. — La Société des Fourrures Renel avait conclu, à Paris, un contrat avec une
personne domiciliée à Casablanca. Un différend les ayant opposées, la Cour de Rabat le
trancha par application de la loi marocaine, sans s’expliquer autrement sur la compé-
tence de celle-ci. Un pourvoi fut formé. Directement inspiré de l’arrêt American Tra-
ding Co (supra, no 11), ce pourvoi prétendait que l’arrêt attaqué n’avait donné aucune
raison d’écarter la loi du lieu de conclusion alors que celle-ci bénéficiait d’une compé-
tence de principe.
Voici la réponse de la Cour de cassation.

ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen : — Vu l’article 1134 du Code civil; —
Attendu que la loi applicable aux contrats, en ce qui concerne leur formation,
leurs conditions ou leurs effets, est celle que les parties ont adoptée; qu’à
défaut de déclaration expresse de leur part, il appartient aux juges du fond de
rechercher, d’après l’économie de la convention et les circonstances de la cause,
quelle est la loi qui doit régir les rapports des contractants; — Attendu qu’un
litige s’étant élevé entre la Société des Fourrures Renel et la dame Allouche rela-
tivement à un achat de deux manteaux contracté lors du passage à Paris de la
dame Allouche, dont le domicile indiqué sur le bon de commande était à Casa-
blanca, l’arrêt attaqué a appliqué au contrat les dispositions du Dahir marocain
des obligations et contrats sans s’expliquer sur les raisons pour lesquelles il y
avait lieu de soumettre en l’espèce la convention litigieuse à la loi marocaine; —
Attendu qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel n’a pas donné une base légale à sa
décision;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen : — Casse.
Du 6 juillet 1959. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prés.; Ancel, rapp.; Ithier,
av. gén. — MMes Hennuyer et Talamon, av.
300 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 35

OBSERVATIONS
1 Tout en censurant la Cour de Rabat, la Cour de cassation se refuse à
emprunter la voie tracée par le pourvoi. Bien loin de réaffirmer la compétence
de principe de la loi du lieu de conclusion du contrat, elle énonce les directives
qui doivent désormais, selon elle, gouverner la détermination de la loi applica-
ble à celui-ci. Combinant volonté des parties et localisation objective, ces prin-
cipes établissent un système dualiste (I), lequel paraît viable s’il se développe
dans certaines limites (II). Cette conception dualiste a, au reste, directement
inspiré la plupart des conventions internationales qui ont été adoptées en ce
domaine (III).

I. Un système dualiste

2 Jusqu’alors la détermination de la loi applicable au contrat avait donné lieu


à des positions nettement tranchées.
Pour les tenants de la conception subjective (v. supra, no 11 § 8) cette dési-
gnation dépendait exclusivement de la volonté des contractants; celle-ci
devant servir de guide au juge lors même qu’elle n’est pas exprimée, il conve-
nait en l’absence de choix exprès des parties, de rechercher leur volonté
implicite, voire même hypothétique.
Pour les partisans de la conception objective (v. supra, no 11 § 8) la loi
applicable au contrat est déterminée par le juge en raison de la volonté des
parties quant à la localisation du contrat. Cette volonté n’étant pas retenue en
elle-même mais à travers la physionomie qu’elle a conférée au contrat, le
choix exprès d’une loi sera regardé comme une simple localisation de celui-ci.
Dans cette conception, le juge dispose donc d’un « pouvoir rectificateur » qui
lui permet de préférer à la loi expressément choisie celle que désigne l’ensem-
ble des autres éléments du contrat (Batiffol, « Subjectivisme et objectivisme
dans le droit international privé des contrats », Mélanges Maury, t. I, p. 39
et s., reproduit in Choix d’articles, p. 249 et s.).
Entre ces deux conceptions, la Cour de cassation emprunte une voie médiane :
le choix des parties sera suivi dès lors qu’il a été formulé de manière
expresse; et ce n’est qu’à défaut d’un tel choix qu’on aura recours à la théorie
de la localisation.
3 Cette dichotomie a l’avantage de retrancher de chacune des deux concep-
tions ci-dessus rappelées ce qu’elle a de plus artificiel. En se conformant au
choix des parties, elle évite de voir dans leur déclaration relative à la loi appli-
cable un simple élément de localisation du contrat pouvant être remis en cause
par le juge. Une telle analyse apparaît, en effet, comme une « subtilité défor-
matrice » (Louis-Lucas, « La liberté contractuelle et le droit international privé
français », Mélanges Dabin, t. II, p. 743 et s. spéc. p. 759; Rabel, The conflict
of laws, A comparative study, 2e éd., 1960, p. 367). Lorsque les contractants
élisent une loi, ce n’est pas parce qu’elle est celle du centre de gravité de
leur contrat, même subjectivement apprécié, mais parce qu’elle leur convient
35 FOURRURES RENEL — CASS., 6 JUILLET 1959 301

(P. Mayer et V. Heuzé, no 701). Partant, reconnaître au juge un pouvoir de rec-


tification, c’est risquer de ruiner la sécurité juridique inhérente à la loi d’auto-
nomie : la règle de décision du juge ne coïncidera plus avec celle sur laquelle
les parties ont modelé leur conduite. Il se peut, en effet, que les parties retien-
nent fort légitimement une loi sans lien avec leur contrat. Ainsi en va-t-il
lorsqu’elles choisissent une loi parce qu’elles la connaissent et que celle-ci
leur apparaît juste et particulièrement adaptée à leur problème. Mieux, c’est
parfois l’absence de tout lien entre un contrat et une loi qui motive le choix de
celle-ci, sans qu’on puisse pour autant parler de fraude. Tel est notamment
le cas lorsque les parties retiennent une loi en raison de sa neutralité par rap-
port à leurs systèmes juridiques, politiques et économiques respectifs (v. en ce
sens, P. Lagarde, « Les contrats dans le projet suisse de codification du droit
international privé », Annuaire suisse de droit international, 1979, p. 74).
Inversement, en substituant la localisation à la volonté implicite ou hypo-
thétique des contractants, elle évite les recherches d’intention divinatoires tout
en conduisant à l’application d’une loi à laquelle les parties pouvaient raison-
nablement s’attendre. De fait, vouloir à toute force ramener le problème à la
constatation d’une volonté, ce n’est plus, en l’absence d’intention des parties,
établir un fait mais rechercher un « devoir être » (Batiffol, note, Rev. crit. 1959.
708). Se trouvant le plus souvent dans l’impossibilité de déterminer quelle
aurait été la volonté des cocontractants si ceux-ci s’étaient posé la question,
puisqu’il ignore notamment lequel aurait imposé ses préférences à l’autre,
le juge se référera tout naturellement à la volonté qui aurait été celle d’un
homme raisonnable. À cet effet, il se fondera sur les indices qui servent, en
l’absence de choix exprès, à déterminer le centre de gravité de l’opération.
Dès lors, pourquoi, plutôt que d’emprunter le détour d’une fiction, ne pas
recourir directement à la théorie de la localisation ? Et ceci d’autant plus que
localiser le contrat ne consiste pas simplement à compter les rattachements
mais à les évaluer en fonction de leur signification pour le contrat envisagé
afin de désigner la loi du milieu socio-économique dans lequel celui-ci est
réellement appelé à s’insérer. En préférant l’expression « économie de la
convention » à celle plus étroite de « termes du contrat » dont se servaient les
décisions précédentes, ainsi qu’en évitant de reprendre la présomption favora-
ble à la loi du lieu de conclusion qui figurait dans l’arrêt American Trading Co
alors que le pourvoi y faisait expressément référence, la Cour marque claire-
ment qu’elle entend laisser au juge la possibilité de tenir compte de l’ensem-
ble des caractères de l’opération afin de découvrir la loi qui lui convient effec-
tivement.
4 Ainsi reposant sur « l’observation des réalités » (Batiffol, note Rev. crit.
1959. 708), la solution mise sur pied par la Cour de cassation permet-elle de
répondre à la diversité des situations. Bien que le contraire ait parfois été sou-
tenu (Kahn, note Clunet 1972. 53; Ponsard, Études Goldman, p. 254), il ne
semble pas que cet équilibre ait été remis en cause par des décisions ultérieu-
res (v. not. Civ. 1re, 29 juin 1971, Nassar, Clunet 1972. 51, note Kahn; Civ. 1re,
25 mars 1980, Soc. Mercator Press, Rev. crit. 1980. 576, note Batiffol, Clunet
1980. 650, obs. Kahn). Certes en décidant que « si la localisation du contrat
302 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 35

dépend de la volonté des parties, c’est au juge qu’il appartient, après avoir
interprété souverainement leur commune intention quant à cette localisation de
déduire de celle-ci la loi applicable », ces décisions rappellent uniquement la
doctrine de la localisation objective, mais elles le font dans des hypothèses où
les parties s’étaient abstenues de toute manifestation de volonté quant à la
détermination de la loi applicable (v. en ce sens, F. Deby-Gérard, Le rôle de la
règle de conflit dans le règlement des rapports internationaux, 1973, no 309,
p. 248; Loussouarn, « Cours général de droit international privé », Rec. cours
La Haye, 1973, t. II, p. 353 à 356; Jacquet, Principe d’autonomie et contrats
internationaux, 1973, p. 213).

II. Un dualisme atténué

5 Cette solution de compromis a cependant été critiquée au motif qu’elle


introduisait une « dualité de régime dans une matière qui paraîtrait appeler un
règlement unitaire » (Batiffol, note Rev. crit. 1959. 708) : « adoptée » par les
parties, la loi s’incorporerait au contrat dont elle constituerait une clause
comme une autre; objectivement localisé dans l’espace, le contrat serait « régi »
par la loi du pays dans la sphère duquel il s’inscrit. Ainsi conception subjec-
tive et conception objective alterneraient-elles, tour à tour, et avec toutes leurs
conséquences (sur celles-ci, v. supra, no 11 § 8), selon qu’un choix exprès a,
ou non, été réalisé.
Cette analyse n’est cependant pas la seule concevable. L’idée de choix de la
loi ne débouche pas, en effet, nécessairement sur celle d’incorporation. La
souplesse que nécessite le caractère international du contrat et qui s’exprime à
travers la liberté de choix laissée aux parties n’est, en effet, nullement exclu-
sive de cette autre considération que tout contrat, fût-il international, doit se
rattacher à un système juridique étatique (v. supra, arrêt Messageries mariti-
mes, no 22). Afin de les concilier, il suffit de prévoir que la volonté des parties
« a pour seul effet » d’indiquer la loi à laquelle le contrat est soumis (P. Mayer
et V. Heuzé, no 698). Il a d’ailleurs été suggéré d’énoncer cette solution sous
la forme d’une règle matérielle de droit international (Deby-Gérard, Le rôle
de la règle de conflit dans le règlement des rapports internationaux, nos 320
et 321). Partant, libres de choisir le modèle qui fixe les bornes entre lesquelles
se meut leur volonté, les parties seraient ensuite obligées de s’y conformer.
À cela, on a objecté que les parties pourraient mettre leur liberté à profit
pour adhérer à un modèle dont les dispositions impératives sont moins contrai-
gnantes que celles d’autres lois entretenant des liens objectifs plus étroits avec
le contrat. Il y aurait là une contradiction qui ruinerait le système, les dispo-
sitions impératives étant par essence réfractaires à toute dérogation volon-
taire. Ce serait oublier qu’une disposition impérative au plan interne ne l’est
plus nécessairement au plan international (v. K. Neumayer, « Autonomie de la
volonté et dispositions impératives en droit international privé », Rev. crit.
1957. 579 et s.; P. Mayer et V. Heuzé, no 699). L’État est, en effet, dans le
domaine des relations privées internationales, et spécialement des relations
contractuelles, indifférent à l’application de telle loi plutôt que de telle autre.
35 FOURRURES RENEL — CASS., 6 JUILLET 1959 303

Ce qu’il veut simplement, c’est disposer d’un ensemble cohérent de règles qui
garantissent un minimum de protection aussi bien aux parties qu’aux tiers
dont les intérêts pourraient être affectés par l’opération (v. supra, observations
sous l’arrêt Messageries Maritimes, no 22 § 4). Certes, cette indifférence ces-
sera lorsque les intérêts essentiels de la société qu’il a en charge seront affec-
tés par un contrat. Mais il ne sera alors nullement besoin pour les défendre de
peser sur le choix des cocontractants. S’analysant en lois de police, les dispo-
sitions qui prennent en charge ces intérêts essentiels, s’appliqueront directe-
ment dans toute la mesure où cela sera nécessaire à leur satisfaction (v. infra,
arrêt Cie internationale des wagons-lits, no 53).
Ainsi, expression d’un subjectivisme modéré (P. Mayer et V. Heuzé, nos 698
et s.), cette approche a le mérite de permettre la coexistence des deux modes
de désignation, tout en assurant l’unité du régime juridique de la loi désignée.
Choisie par les parties ou procédant de la localisation du contrat, la loi reste la
loi.
Partant, les contractants ne sauraient prétendre écarter les dispositions à venir
qui seraient applicables aux contrats en cours ni procéder à un « panachage »,
en choisissant une règle dans une législation, une autre dans une seconde.
Telle paraît être, au demeurant, la position retenue par l’arrêt. En effet, si
l’emploi des verbes « adopter » et « régir » pourrait incliner vers la première
interprétation, l’affirmation que la loi choisie s’applique à « leur formation,
leurs conditions ou leurs effets » ramène à la seconde. Par cette formule, la Cour
marque, en effet, clairement que le contrat obéit quant au fond à une loi uni-
que, excluant par là-même toute possibilité de « métissage » (Savatier, Cours,
no 414) et donc toute incorporation.

III. Le droit conventionnel

6 Cette voie moyenne est, au demeurant, celle dans laquelle s’est clairement
engagé le mouvement conventionnel. Retenue, avant même que l’arrêt Four-
rures Renel ne soit rendu, par la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la
loi applicable aux ventes à caractère international d’objets mobiliers corporels
en vigueur en France depuis le 1er septembre 1964, cette solution de compro-
mis a été ultérieurement reprise par les Conventions de La Haye du 14 mars
1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation
(entrée en vigueur le 1er mai 1992), et du 22 décembre 1986 sur la loi applica-
ble à la vente internationale de marchandises ainsi que par la Convention de
Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles
laquelle constitue désormais le droit commun français pour tous les contrats
conclus après le 1er avril 1992, date de son entrée en vigueur (sur cette conven-
tion, v. notamment les études de P. Lagarde, Rev. crit. 1991. 287; Jacques Foyer,
Clunet 1991. 601; H. Gaudemet-Tallon, RTD eur. 1981. 215, J.-Cl. Europe,
fasc. 3200).
7 Trois grandes différences doivent néanmoins être soulignées. En premier
lieu, la plupart de ces conventions introduisent entre les deux modes de dési-
304 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 35

gnation de la loi du contrat une césure différente de celle retenue par l’arrêt
ci-dessus reproduit. Au lieu de se référer comme celui-ci au seul « défaut de
déclaration expresse », elles affirment en substance que le choix doit être
exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circons-
tances de la cause. La solution paraît préférable puisqu’il n’est pas exclu que
les parties opèrent un véritable choix de la loi sans pour autant l’indiquer
expressément dans leur contrat. Ainsi en va-t-il par exemple de l’adoption
d’un contrat-type manifestement construit en contemplation d’un système juri-
dique particulier.
En deuxième lieu, ces conventions adoptent, à défaut de choix de la loi, le
système de la localisation objective. Mais, soucieuses de sécurité juridique,
elles posent des présomptions qui permettent de déterminer aisément la loi
du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits. C’est ainsi
qu’à s’en tenir à l’essentiel, les Conventions de La Haye du 15 juin 1955 et du
22 décembre 1986 donnent respectivement compétence, en ce cas, à la loi du
pays où le vendeur a, pour la première, sa résidence habituelle au moment où
il reçoit la commande (art. 3), pour la seconde son établissement au moment
de la conclusion du contrat (art. 8). Quant à la Convention de Rome, elle dési-
gne la loi du pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique
a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle (art. 4.2;
M.-E. Ancel, La prestation caractéristique du contrat, thèse Paris I, éd. 2002,
nos 416 et s., p. 321 et s.). Si cette directive s’applique sans difficulté dans
les contrats-échange opérant permutation de biens ou de services contre de
l’argent, il n’en va pas de même dans les contrats d’intérêt commun, tels les
contrats de distribution, au sein desquels coexistent une prestation instrumen-
tale et une prestation finale. Se conformant à une doctrine qui n’a manifeste-
ment qu’imparfaitement pris conscience de la spécificité de ce type de contrat,
la haute juridiction les localise au moyen de la résidence habituelle du fournis-
seur (Civ. 1re, 15 mai 2001, Optelec, Rev. crit. 2002. 86, note P. Lagarde, Clunet
2001. 1121, note A. Huet, D. 2002. 198, note Diloy, Som. com. p. 1397, obs.
B. Audit, JCP 2001. II. 10634, note J. Raynard; 25 nov. 2003, Soc. Ammann-
Yanmar, Rev. crit. 2004. 102, note P. Lagarde, Clunet 2004. 1179, note M.-
E. Ancel, D. 2004. 494, note Kenfack, JCP 2004. II. 10046, note J. Raynard).
Fort opportunément, la proposition de règlement Rome I localise ce type de
contrat au lieu de la résidence habituelle du distributeur (v. art. 5.1, g et h)
(Sur cette question, v. M.-E. Ancel, thèse préc., nos 175 et s., p. 123 et s.).
Ce souci de prévisibilité des solutions risque au demeurant d’être altéré par
l’introduction dans les deux derniers instruments d’une clause d’exception,
encore nommée clause échappatoire, qui permet au juge d’appliquer une autre
loi que celle désignée par la présomption « lorsqu’il résulte de l’ensemble des
circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays »
(art. 4 § 5, Conv. de Rome; art. 8-3, Conv. du 22 déc. 1986). Il est, en effet, à
craindre que sous couvert de désigner la loi qui a les liens les plus étroits, les
juges ne choisissent par une pente naturelle celle dont les dispositions subs-
tantielles ont leur préférence ou encore celle à laquelle conduisait leur ancien
système de solution. Les premières applications jurisprudentielles montrent,
s’il en était besoin, que ce danger n’a rien d’imaginaire (Versailles, 6 févr. 1991,
35 FOURRURES RENEL — CASS., 6 JUILLET 1959 305

Rev. crit. 1991. 745, note P. Lagarde, Clunet 1992. 125, note Jacques Foyer,
D. 1992. 174, note Mondoloni. Sur cette question, v. G. Cuniberti, « L’inci-
dence du lieu d’exécution sur la loi applicable au contrat, la difficile cohabita-
tion des art. 4.2 et 4.5. de la Convention de Rome du 19 juin 1980 », JCP 2003.
I. 153; P. Rémy-Cerlay, Études critiques de la clause d’exception dans les
conflits de lois, thèse Poitiers, 1997, nos 686 et s., p. 491 et s.). La proposition
de Règlement Rome I supprime purement et simplement ces mécanismes.
En troisième lieu, certaines conventions internationales, notamment les
deux dernières citées, admettent le dépeçage du contrat. Destiné à permettre
un meilleur accomplissement des volontés des parties, cet accroissement de
liberté n’en surprend pas moins à une époque où le législateur accumule les
règles d’organisation et de canalisation du jeu contractuel. Cela s’explique
cependant, au moins pour la Convention de Rome, si l’on veut bien considérer
qu’embrassant les obligations contractuelles dans leur généralité, celle-ci doit
notamment résoudre les problèmes de conflits de lois soulevés par l’existence
d’opérations complexes.
8 Au surplus, certains contrepoids destinés à préserver la nécessaire autorité
des lois viennent y équilibrer la plus grande liberté reconnue aux parties.
D’une part, plusieurs de ces conventions reconnaissent aux tribunaux la pos-
sibilité d’appliquer leurs lois de police (sur cette notion, v. infra, no 53) mais
aussi de prendre en considération les lois de police de tout État signataire ou
non qui visent impérativement la situation, quelle que soit la loi régissant le
contrat (art. 7, Conv. de Rome, art. 16, Conv. de La Haye du 14 mars 1978; sur
cet équilibre, v. J.-M. Jacquet, Principe d’autonomie et contrats internatio-
naux, nos 402 et s., p. 267 et s.; Y. Lequette, « L’évolution des sources nationa-
les et conventionnelles du droit des contrats internationaux » in L’évolution
contemporaine du droit des contrats, Journées René Savatier, 1985, p. 185 et s.,
spéc. p. 195; Ferry, La validité des contrats en dr. int. pr., 1989, nos 315 et s.,
p. 241 et s.; contra V. Heuzé, La réglementation française des contrats inter-
nationaux, 1990, nos 373 et s., p. 179 et s.). Il s’agit là de « dispositions
progressistes marquant une tentative de solidarité entre les États pour épauler
mutuellement leur politique législative et déjouer les manœuvres de ceux
qui cherchent en utilisant au maximum les possibilités de la théorie des
conflits de lois et de l’autonomie de la volonté à se jouer des ordres juridiques
nationaux » (P. Lagarde, art. préc., Annuaire suisse de droit international
1979, p. 88).
D’autre part, lorsqu’il existe une cause structurelle d’inégalité, l’opposition
loi d’autonomie-loi de police est souvent dépassée au moyen de l’élaboration
d’une règle synthétique (Jacquet, op. cit., no 452, p. 294; F. Leclerc, La pro-
tection de la partie faible dans les contrats internationaux, thèse Strasbourg,
éd. 1995, nos 528 et s., p. 481 et s.). Ainsi dans le domaine des contrats conclus
par les consommateurs comme en matière de contrat de travail, la Convention
de Rome laisse aux parties la possibilité de choisir la loi applicable mais pré-
voit, afin de garantir la partie défavorisée, que celle-ci ne peut être privée de
la protection des dispositions impératives de la loi sur laquelle elle peut habi-
tuellement compter parce qu’elle entretient avec elle les liens les plus étroits
306 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 35

(art. 5 et 6) (P. Mayer, « La protection de la partie faible en dr. int. pr. », in La


protection de la partie faible dans les rapports contractuels, 1996, p. 513
et s., spéc. p. 525). La voie avait déjà été ouverte, par la jurisprudence fran-
çaise qui, renonçant à distinguer la dimension obligatoire et la dimension
administrative de la relation de travail, s’est en la matière prononcée pour une
règle bilatérale et contraignante : le contrat de travail est en principe régi par
la loi du lieu d’exécution de celui-ci, laquelle ne peut être écartée qu’au profit
d’une loi plus favorable au salarié (Soc. 31 mars 1978, Royal Air Maroc,
Rev. crit. 1978. 703, 2e esp., note A. Lyon-Caen; Soc. 25 janv. 1984, Rev. crit.
1985. 327; comp. P. Lagarde, « Sur le contrat de travail international; analyse
rétrospective d’une évolution mal maîtrisée », Études Gérard Lyon-Caen,
1989, p. 83 et s.; Ph. Coursier, Les conflits de lois en matière de contrat de
travail, 1993). La solution reflète les traits d’un ordre public social, impératif
mais susceptible d’amélioration au profit des salariés. Allant plus loin encore
dans cette voie, un auteur a récemment soutenu que la détermination de la loi
applicable aux contrats devrait être exclusivement opérée au moyen des rat-
tachements objectifs (V. Heuzé, op. cit., no 445, p. 210; pour une discussion
de cette thèse v. P. Mayer, Rev. crit. 1990. 852 et s.; J.-M. Jacquet, Clunet
1991. 679). Il renoue ainsi avec un courant de pensée qu’avait illustré la doc-
trine française de la fin du XIXe siècle (v. sur ce point, V. Ranouil, L’autono-
mie de la volonté, Naissance et évolution d’un concept, p. 101 et s.).
36
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

21 novembre 1961

(Rev. crit. 1962. 329, note P. Lagarde, Clunet 1962. 686, note Goldman,
JCP 1962. II. 12521, note Louis-Lucas,
D. 1963, p. 37, note Ph. F. et chr. Francescakis, p. 7).
Loi étrangère. — Dénaturation.

Doit être cassé l’arrêt qui méconnaît et dénature le sens clair et précis
d’un document législatif étranger, belge en l’occurrence, versé aux débats.

(Montefiore c/Colonie belge du Congo)

Faits. — Une bonne compréhension des problèmes soulevés par l’arrêt Montefiore
nécessite que soit, au préalable, rappelée brièvement la série d’événements singuliers
qui aboutit à la naissance de la colonie du Congo belge.
Roi de Belgique, Léopold II fonda en 1876 une Association internationale du Congo
qui chargea l’explorateur Stanley de prendre en son nom possession du bassin du fleuve
du même nom. Après que la Conférence internationale de Berlin (1884-1885) lui eut
reconnu la maîtrise de ces territoires, l’association disparut, laissant place à un État indé-
pendant doté de la personnalité internationale, dont le souverain fut, à titre personnel,
Léopold II. En 1907, celui-ci céda par traité cet État à la Belgique qui en fit la colonie
du Congo belge. L’État indépendant du Congo ayant émis en 1901 un emprunt, des por-
teurs français se fondant sur l’article 14 du Code civil assignèrent en 1952 la Colonie du
Congo belge devant les tribunaux français afin d’en obtenir le remboursement. La Colo-
nie, soutenue par l’État belge partie intervenante, ayant excipé de l’immunité de juridic-
tion des États étrangers, le problème se posait de savoir qui de l’État belge ou de la
Colonie du Congo était débiteur de l’emprunt. Faisant échec à la compétence des tribu-
naux français dans le premier cas, l’immunité ne s’y opposait pas dans le second, la
colonie belge du Congo constituant un démembrement territorial d’un État étranger (sur
cette question, v. infra, arrêt Société Levant Express Transport, no 47, II). Or il existait
dans le droit belge, seul compétent pour apporter une réponse à cette question, deux textes
apparemment contradictoires. Le traité de cession du 20 novembre 1907, tout d’abord,
dont l’article 3 stipule : « La cession comprend tout le passif et tous les engagements
financiers de l’État indépendant » tels qu’ils sont détaillés dans une annexe où l’emprunt
en cause est expressément désigné. Une loi belge du 18 octobre 1908, dite Charte colo-
niale, ensuite, dont l’article 1er dispose : « Le Congo belge a une personnalité distincte
de celle de la métropole. Il est régi par des lois particulières. L’actif et le passif de la
Belgique et de la colonie demeurent séparés. En conséquence le service de la rente
congolaise [l’emprunt en question] demeure exclusivement à la charge de la colonie ».
308 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 36

Par un arrêt infirmatif du 31 octobre 1956 (JCP 1956. II. 9605, concl. Lindon, Rev.
jur. et pol. de l’Union française 1957. 356, note S. Bastid), la Cour de Paris fit prévaloir
le traité sur la loi et se déclara incompétente.
Un pourvoi fut formé.
Il soutenait, d’une part, que le traité devait être mis hors de cause parce qu’il réglait
exclusivement sur le plan du droit international public, un problème de succession
d’États; d’autre part, que la loi du 18 octobre 1908 qui déterminait quel était le patri-
moine public tenu de supporter la charge de l’emprunt, avait été dénaturée par les juges
du fond français.
La Cour de cassation ayant accueilli implicitement l’argumentation développée sur
le premier point, l’arrêt statue en toute clarté sur le problème de la recevabilité du grief
de dénaturation de la loi étrangère.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique en ses deux premières branches : — Vu
l’article 1134 du Code civil; — Attendu que Montefiore ayant formé contre la
Colonie belge du Congo une action en paiement de coupons des obligations
(dites « rente congolaise ») émises en 1901 par l’État du Congo, et en rembour-
sement du capital de titres amortis, l’arrêt infirmatif attaqué a admis que depuis
le traité du 20 novembre 1907, réalisant la cession par le roi Léopold II du Congo
à la Belgique, la Colonie du Congo se confondait avec la Belgique et qu’en
conséquence l’action dirigée contre la Colonie visait et atteignait directement
l’État belge lui-même, immédiatement tenu des dettes de la Colonie, devenues
son propre passif, de sorte que la Colonie défenderesse, bien qu’ayant cessé
d’être un État, devait néanmoins en l’occurrence profiter de l’immunité de juri-
diction bénéficiant, en sa qualité d’État indépendant et souverain, à la Belgique,
de la personnalité de laquelle elle ne se distinguait pas; — Attendu toutefois
que la loi belge du 18 octobre 1908 « sur le gouvernement du Congo Belge »,
document versé aux débats et sur lequel s’appuyait Montefiore, dispose en son
article 1er : « Le Congo Belge a une personnalité distincte de celle de la Métro-
pole. Il est régi par des lois particulières. L’actif et le passif de la Belgique et de
la Colonie demeurent séparés. En conséquence le service de la rente congolaise
demeure exclusivement à la charge de la Colonie »; d’où il suit qu’en statuant
comme il l’a fait, l’arrêt attaqué a méconnu et dénaturé le sens clair et précis
d’un document législatif consacrant la distinction de l’État belge et de sa Colo-
nie, comme de leurs passifs, et définissant la Colonie comme seule débitrice
de l’emprunt envers les porteurs de titres, et a, en conséquence, violé le texte
susvisé;
Par ces motifs et sans qu’il soit besoin de statuer sur la troisième branche du
moyen : — Casse.
Du 21 novembre 1961. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Hol-
leaux, rapp.; Jodelet, av. gén. — MMes Célice, Martin-Martinière et Coutard, av.

OBSERVATIONS

1 L’arrêt Montefiore tire sa notoriété de ce que, pour la première fois, la Cour


de cassation y affirme que les juges du fond ne sauraient dénaturer une loi
étrangère sans encourir sa censure (I). Le contexte favorable dans lequel l’arrêt a
été rendu et qu’il relève d’ailleurs expressément oblige à s’interroger sur la
portée exacte de ce contrôle (II).
36 MONTEFIORE — CASS., 21 NOVEMBRE 1961 309

I. Le principe du contrôle de la dénaturation de la loi étrangère


2 La Cour de cassation vérifie-t-elle l’interprétation donnée par les juges du
fond, de la loi étrangère ? En dépit de son importance, cette question a été
longtemps l’objet d’une réponse incertaine. Dans les premières années qui sui-
virent son institution, la Cour de cassation parut disposée à sanctionner la
fausse interprétation du droit étranger. Ainsi dans un arrêt du 1er février 1813
rendu sur les réquisitions de Merlin, elle cassa une décision pour avoir « erré
dans l’interprétation (…) des lois du Royaume d’Italie » (S. 1813. 1. 113). Il
est vrai que celui-ci occupait, à l’époque, au regard de l’empire français, une
position particulière illustrée notamment par la réception du Code Napoléon…
Délaissé par un arrêt du 25 septembre 1829 (S. 1830. 1. 151), ce contrôle réap-
paraît dans plusieurs décisions intervenues entre 1870 et 1880 (v. not. Req.
4 juin 1872, S. 1872. 1. 160, DP 1873. 5. 65; Civ., 12 févr. 1879, DP 1879. 1.
84 interprétant l’article 972 du Code civil belge identique au même article du
code français en vue d’éviter la violation de l’art. 999 du Code civil français
qui en prescrivait l’application), avant d’être définitivement abandonné à partir
de 1886 (Req. 18 mai 1886, S. 1886. 1. 243; Civ., 5 mai 1908, DP 1913. 1.
260). Cette longue période d’hésitation s’explique, semble-t-il, par le fait que
la haute juridiction contrôlait l’interprétation donnée par les juges du fond à la
loi étrangère lorsque celle-ci était désignée par une règle de conflit écrite mais
non lorsqu’elle l’était par une règle de conflit coutumière, motif pris de ce que
si la loi étrangère était mal interprétée, la règle de conflit n’était pas respectée
(v. en faveur de ce système Reverchon, S. 1874. 1. 149 col. 3; contra Colin,
Clunet 1890. 803-807). Outre qu’elle se faisait une fausse idée des sources
du droit puisqu’elle conférait à la loi un rôle exclusif, la Cour de cassation
confondait ainsi deux réalités qui ont depuis été nettement distinguées, celle
de la règle de conflit désignant la loi étrangère et celle de la loi étrangère dési-
gnée par la règle de conflit (Francescakis, « La loi étrangère à la Cour de cas-
sation », D. 1963. 8, note 2). Alors que l’interprétation de la première s’effec-
tue, comme pour toute règle de droit français, sous le contrôle de la Cour de
cassation, celle de la seconde relève du pouvoir souverain des juges du fond
(v. cep. resté isolé Crim., 17 mai 1989, Rev. crit. 1989. 511, note B. Ancel; comp.
Crim., 12 nov. 1997, Bull. no 383).
3 Jadis critiqué (v. Pillet, Traité, t. I, no 57; Niboyet, Manuel, 2e éd., nos 482
et s.; Bartin, Principes, t. I, § 115), le refus de la Cour de cassation de vérifier
l’interprétation de la loi étrangère est aujourd’hui généralement approuvé
(Niboyet, Traité, t. III, no 1065; Batiffol et Lagarde, t. I, no 337; Loussouarn,
Bourel et de Vareilles-Sommières, no 243-7, no 243; P. Mayer et V. Heuzé,
no 193; B. Audit, no 281; Holleaux, Foyer et de La Pradelle, no 578; Boré, La
Cassation en matière civile, nos 1171 et s.; v. cep. G. Légier, note sous Civ. 1re,
17 mai et 16 juin 1993, Rev. crit. 1994. 505). À cet effet, on souligne qu’aucune
des deux fonctions discernées par Marty (La distinction du fait et du droit,
1929, nos 165 et s.) dans l’activité de la Cour de cassation n’incite à un tel
contrôle. La fonction disciplinaire tout d’abord : encourue par le juge parce
qu’il ne remplit pas ses devoirs, la censure ne se conçoit en notre domaine que
si pèse sur lui l’obligation de connaître le droit étranger. Or « l’office du juge
310 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 36

français n’exige de lui que la connaissance de la loi française » (Motulsky,


« L’office du juge et la loi étrangère », Mélanges Maury, 1960, t. I, p. 369
et 371 reproduit in Écrits, Vol. 3, p. 88 et s.). La fonction juridique, c’est-à-
dire d’unification du droit, ensuite : selon ses propres termes la Cour de cas-
sation a été « instituée pour maintenir l’unité de la loi française par l’unifor-
mité de la jurisprudence » (v. not. Req. 15 avr. 1861, S. 61. 1. 721; Crim., 27 avr.
1912, S. 1914. 1. 171). Et de fait, comme on y a souvent insisté, étendre cette
mission au droit étranger enfermerait la haute juridiction dans un dilemme
insoutenable. Soit, recherchant l’interprétation qui lui paraîtrait la meilleure,
elle méconnaîtraît l’idée que le droit étranger doit être appliqué en France tel
qu’il l’est en fait à l’étranger. Soit, recherchant l’interprétation adoptée à
l’étranger, elle sortirait de son rôle traditionnel; il ne s’agirait plus alors, en
effet, à proprement parler d’interprétation mais d’investigations matérielles
lesquelles excèdent ses attributions et ses moyens (H. Batiffol, Aspects philo-
sophiques du droit international privé, no 49, p. 108 et s.). On glisse ainsi
insensiblement vers des considérations plus pragmatiques qui ont certainement
pesé lourd dans l’adoption de la solution. Parce que mal armée pour procéder
aux recherches nécessaires, la Cour de cassation risquerait, d’une part, de don-
ner de la loi étrangère une interprétation erronée qui ne pourrait que diminuer
son prestige à l’étranger, d’autre part, de dépenser un temps déjà trop rare à
l’étude des pourvois supplémentaires que ne manquerait pas de susciter
l’admission du contrôle de l’interprétation que les juges du fond donnent de la
loi étrangère.
Cette argumentation a parfois été contestée au motif que trop exclusive-
ment procédurale, elle négligeait la véritable nature du droit étranger, règle de
droit et non simple élément de fait (v. par ex. Maury, « La condition de la loi
étrangère en droit français », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 97 et s.,
spéc. p. 103 et s.). Ainsi engagé le débat risque de dégénérer en une véritable
logomachie. Au demeurant, bien loin d’identifier le droit étranger au fait afin
d’en déduire son régime positif, la doctrine dominante s’est contentée de cons-
tater que le traitement procédural propre auquel il obéissait n’était pas sans
rappeler celui des faits du procès (v. par ex., Batiffol et Lagarde, t. I, no 328).
Par son réalisme, une telle attitude doit être préférée à celle qui entend
déduire la condition procédurale du droit étranger d’une analyse a priori de sa
nature juridique. Comme le notait Motulsky, « l’essence d’un droit se révèle
dans sa réalisation » (art. préc., Mélanges Maury, t. I, p. 338). Au reste, si dans
une décision récente la haute juridiction a posé que la loi étrangère « est une
règle de droit » (Civ. 1re, 13 janv. 1993, Consorts Coucke, Rev. crit. 1994. 78,
note B. Ancel), elle n’est pas pour autant revenue sur ce que l’interprétation
de celui-ci relevait de l’appréciation souveraine des juges du fond (Civ. 1re,
17 mai et 16 juin 1993, Rev. crit. 1994. 505, note G. Légier; 23 mars 1994,
Rev. crit. 1994. 545, note D. Bureau; 20 déc. 2000, JCP 2001. IV. 1310; 3 juin
2003, Soc. nat. de recouvrement, D. 2003, IR p. 1666, JCP 2003. IV. 2330;
30 sept. 2003, de Paepe, Clunet 2005, p. 124, 1re esp., note G. Légier.).
4 Aussi bien fondée qu’elle soit, la circonspection dont fait preuve la Cour de
cassation ne va pas sans quelques inconvénients fréquemment relevés. Tout
36 MONTEFIORE — CASS., 21 NOVEMBRE 1961 311

d’abord, certains textes étrangers régulièrement appliqués en France pourront


être l’objet d’interprétations divergentes des juges du fond; d’où le possible
« scandale de décisions contradictoires » avec ses corollaires habituels : rup-
ture de l’égalité devant la justice, risque de forum shopping (Marty, op. cit.,
no 165, p. 365). Ensuite, l’application du droit étranger par les juges du fond
échappant à toute censure, ceux-ci pourront impunément commettre de gros-
sières erreurs; d’où l’éventuel « scandale de décisions tournant le dos à l’évi-
dence » (Goldman, note, Clunet 1962. 690).
Afin de remédier à ces inconvénients, il a été suggéré d’user, en la matière,
de la notion de dénaturation dont on sait qu’elle a été initialement forgée par
la Cour de cassation (Civ., 15 avr. 1872, Foucauld et Coulombe, DP 72. 1. 76,
Grands arrêts de la jurisprudence civile, 11e éd., t. 2, no 160) pour tempérer
le pouvoir souverain traditionnellement reconnu aux juges du fond dans l’inter-
prétation des contrats (Cass., sect. réun., 2 févr. 1808, Lubert, S. chr., Grands
arrêts de la jurisprudence civile, 11e éd., t. 2, no 159). En cas d’erreur mani-
feste, c’est-à-dire lorsqu’aura été méconnu le sens clair et précis d’un écrit, la
censure sera encourue (sur cette notion, v. Boré, « Un centenaire : le contrôle
par la Cour de cassation de la dénaturation des actes », RTD civ. 1972. 249
et s.; C. Marraud, La notion de dénaturation en droit privé français, 1974).
Située au point de convergence des différents courants doctrinaux, cette pro-
position a connu un vif succès : « soupape de sûreté » pour les uns (Motulsky,
art. préc., Mélanges Maury, t. I, p. 372; Loussouarn, « Le contrôle par la Cour
de cassation de l’application des lois étrangères », Trav. com. fr. dr. int. pr.
1962-1964, p. 133 et s.), la dénaturation devait, pour les autres, ouvrir la voie
à l’abandon du principe de l’interprétation souveraine de la loi étrangère par
les juges du fond (Maury, comm. préc.). En dépit de cette unanimité, au moins
apparente, de la doctrine, l’attitude de la jurisprudence resta longtemps réser-
vée. Si l’on excepte quelques décisions anciennes et d’ailleurs ambiguës
(Civ., 18 juill. 1876, Wyse, DP 1876. 1. 497, S. 1876. 1. 451), la Cour de cas-
sation se retrancha derrière l’interprétation souveraine de la loi étrangère par
les juges du fond et déclara irrecevable tout pourvoi en cassation fondé non
seulement sur la fausse interprétation de cette loi, mais sur sa dénaturation
(Req. 17 janv. 1933, Gaz. Pal. 1933. 1. 368; Civ., 8 déc. 1953, JCP 1954. II.
8080, note Savatier, Rev. crit. 1955. 133, note Motulsky). Néanmoins, certai-
nes décisions précédant immédiatement l’arrêt Montefiore paraissaient bien
annoncer un revirement de jurisprudence. Par un arrêt du 4 novembre 1958
(Moens, Rev. crit. 1959. 303, note Francescakis, Clunet 1959. 788, note A. P.),
la Cour de cassation énonça qu’en interprétant la loi étrangère « dans l’exer-
cice de son pouvoir souverain, la Cour d’appel, dont l’arrêt est motivé et ne
dénature aucun des documents, a légalement justifié sa décision ». En discu-
tant le grief de dénaturation et en l’écartant comme injustifié en fait, la Cour
de cassation paraissait bien admettre sa recevabilité. Puis dans un arrêt du
13 juin 1960 (consorts Liou-Sang, Rev. crit. 1961. 540, note Jambu-Merlin,
D. 1960. 596, note Malaurie, Clunet 1961. 440), après avoir rappelé le prin-
cipe de l’interprétation souveraine de la loi étrangère par les juges du fond,
elle ajoutait que la « dénaturation » de cette loi n’était « pas alléguée ». Là
encore, par cette observation nullement nécessaire au soutien de sa décision,
312 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 36

la Cour de cassation semblait indiquer que le grief de dénaturation de la loi


étrangère était désormais recevable. Cette interprétation suggérée par certains
(Malaurie, note préc.) fut confirmée par l’arrêt Montefiore. La haute juridic-
tion y casse, en effet, la décision frappée de pourvoi au seul motif qu’elle
avait « méconnu et dénaturé le sens clair et précis d’un document législatif »
(étranger). Désormais donc la Cour de cassation n’abandonne plus entière-
ment aux juges du fond l’interprétation de la loi étrangère.
5 Comme l’ont souligné tous les commentateurs, la formule retenue par
l’arrêt ainsi que le visa de l’article 1134 du Code civil qui la précède indiquent
clairement que la haute juridiction n’a pas entendu fonder le contrôle de déna-
turation sur la violation de la règle de conflit française mais simplement éten-
dre à la loi étrangère le concept de dénaturation appliqué par une jurisprudence
séculaire aux contrats et plus généralement aux pièces de la procédure (Civ.,
15 avr. 1872, préc.). Il en résulte qu’il ne peut y avoir, en principe, dénatura-
tion qu’en présence d’un document dont les termes ont un sens clair et précis.
Ainsi entendu le contrôle de dénaturation permet d’éviter que la Cour de
cassation ne soit désarmée en présence d’une décision méconnaissant ouverte-
ment la signification manifeste d’un droit étranger. Pourrait-il également lui
permettre d’unifier l’interprétation de certains textes étrangers appliqués fré-
quemment par nos tribunaux ? La réponse n’est pas évidente. Dans un domaine
précis, celui des clauses reproduites à des millions d’exemplaires dans les
contrats d’assurances, la haute juridiction n’a pas hésité à procéder, sous cou-
vert de dénaturation, à une interprétation unificatrice de ces clauses (Civ. 1re,
24 janv. 1984, Bull. I, no 28, p. 33; 2 mai 1990, Bull. I, no 89, p. 67; 16 mai
1995, D. 1995. 349, rapp. Sargos; v. cep. contra Civ. 1re, 9 févr. 1999, D. 1999.
339, note M.-H. Malleville). Mais la dénaturation sert alors à habiller un véri-
table contrôle d’interprétation, la clause litigieuse n’étant le plus souvent ni
claire ni précise (O. Kuhnmunch, La Cour de cassation et l’assurance, RGAT
1992. 237; Terré, Simler et Lequette, Droit civil, Les obligations, 9e éd., 2005,
no 460, p. 464). On pourrait songer à étendre une telle solution à la loi étran-
gère pour mettre fin aux risques de contradictions multiples résultant de diver-
gences d’interprétation dont serait l’objet une règle étrangère fréquemment
appliquée. Mais une telle analyse pourrait également être consacrée à la faveur
de l’autonomie conceptuelle que la jurisprudence la plus récente semble vou-
loir reconnaître à la notion de dénaturation de la loi étrangère.
6 Et de fait, 36 ans après l’arrêt Montefiore, la haute juridiction a paru prête
avec son arrêt société Africatours (Civ. 1re, 1er juill. 1997, Rev. crit. 1998. 292,
note H. Muir Watt, Clunet 1998. 98, note I. Barrière-Brousse, D. 1998. 104,
note M. Menjucq, JCP 1998. II. 10170, note Fillion-Dufouleur) à remodeler
les contours du contrôle de la dénaturation de la loi étrangère. Abandonnant le
visa de l’article 1134, elle lui a substitué celui de l’article 3 du Code civil : en
dénaturant la loi étrangère, les juges du fond refusent de l’appliquer et contre-
viennent ainsi à la règle qui la désigne. Mais ce nouveau fondement rend en
même temps plus difficile le maintien du contrôle exercé par la Cour de cas-
sation sur l’application du droit étranger dans les cadres stricts qui l’enserraient :
36 MONTEFIORE — CASS., 21 NOVEMBRE 1961 313

faussement interpréter la loi étrangère, c’est aussi ne pas l’appliquer et donc


violer la règle qui la désigne (rappr. supra, § 2). Aussi bien a-t-on justement
souligné qu’en désolidarisant la dénaturation de la loi étrangère de celle du
contrat, la haute juridiction avait donné son autonomie à la première en sorte
qu’elle était désormais susceptible d’évoluer selon une pente propre (M. Men-
jucq, note, D. 1998. 104). Cette autonomie est, au reste, probablement la con-
séquence de l’évolution que connaît actuellement la condition de la loi étran-
gère devant le juge français. On sait, en effet, qu’il incombe au juge français
qui reconnaît applicable un droit étranger d’en rechercher la teneur exacte et
donc de s’informer sur l’interprétation qui en est retenue à l’étranger (infra,
no 82-83). S’il ne peut lui être reproché de ne pas connaître le droit étranger,
on peut en revanche lui faire grief de ne pas avoir recherché la teneur réelle de
celui-ci. C’est dire que le contrôle des motifs vient s’adjoindre, de manière
beaucoup plus envahissante que par le passé, au contrôle de dénaturation et
que les contours de ce dernier en deviennent moins évidents à cerner (M. Men-
jucq, D. 1998. 105).
Dans deux décisions récentes, la Cour de cassation a adjoint au visa de
l’article 3, celui des textes étrangers dénaturés (Civ. 1re, 6 déc. 2005, Soc.
Nestlé France, Rev. crit. 2006. 428, note E. Pataut; 14 févr. 2006, Brianti,
JCP 2006. IV. 1515). On a pu y voir un signe annonçant « un contrôle ren-
forcé de la Cour de cassation » (E. Pataut, note, Rev. crit. 2006. 435).

II. La portée du contrôle de la dénaturation de la loi étrangère

7 Le contrôle de la dénaturation de la loi étrangère revêt par rapport à celui de


la dénaturation du contrat une originalité marquée.
En matière contractuelle, l’acte juridique, le negotium fait en principe corps
avec le document, l’instrumentum; il est, en effet, interdit aux termes de
l’article 1341 du Code civil de prouver contre et outre le contenu d’un acte
écrit autrement que par un autre écrit. Partant, il est aisé d’établir la teneur de
la clause discutée. De plus, son sens est relativement facile à connaître car elle
n’a d’existence que dans le cadre limité du contrat et est généralement, au
moins pour les contrats internes, rédigée en langue française. Au contraire, le
droit étranger n’est le plus souvent appréhendé qu’à travers des documents
(certificat de coutume, rapport d’expertise, copie d’ouvrage de doctrine,…)
avec lesquels il ne s’identifie pas. En outre, les dispositions du droit étranger
ne sont jamais que les éléments d’un système plus étendu : telle ou telle dis-
position peut tirer des autres composantes de cet ensemble (texte de loi, déci-
sions jurisprudentielles…) un sens différent de celui qu’il revêt apparemment.
Enfin, rédigées le plus souvent dans une langue étrangère, ces dispositions
devront être traduites.
Est-ce à dire que toutes ces différences font obstacle au contrôle de la déna-
turation du droit étranger. Certainement pas, puisque précisément l’arrêt Mon-
tefiore le consacre. Mais il le fait dans les circonstances favorables qu’il
relève. Le document versé aux débats était, en effet, d’origine législative et
rédigé en langue française.
314 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 36

8 Un document versé aux débats : N’étant pas tenus de connaître le droit


étranger, les magistrats français appréhendent habituellement celui-ci à travers
les documents que les parties leur communiquent. Il en résulte sur le terrain du
contrôle de la Cour de cassation une conséquence importante : l’élément argué
de dénaturation ne sera pas la loi étrangère elle-même mais le document qui
est censé la constater. Comme le note M. Boré, « la Cour de cassation n’appré-
cie jamais la clarté d’un écrit qu’en l’état de la documentation produite devant
elle et devant les juges du fond. On ne peut donc pas dire qu’elle apprécie la
clarté de la loi étrangère mais plutôt la clarté et la concordance des documents
qui la lui rapportent » (art. préc., RTD civ. 1972, p. 297, no 104; v. aussi
P. Mayer, « L’office du juge dans le règlement des conflits de lois », Trav. com.
fr. dr. int. pr. 1975-1977, p. 244 et s., note, Rev. crit. 1982. 709).
Une telle constatation ne tire pas à conséquence lorsque les documents pro-
duits rendent un compte exact du droit étranger; à supposer que celui-ci ait un
sens clair et précis, la Cour de cassation vérifiera si les juges du fond l’ont ou
non dénaturé. En revanche, les difficultés apparaissent lorsque la documenta-
tion communiquée aux magistrats donne de ce droit une image infidèle; ainsi
en va-t-il, par exemple, lorsqu’elle ignore l’existence d’un changement légis-
latif récent ou d’une source complémentaire, jurisprudentielle notamment.
Deux hypothèses doivent alors être distinguées. Soit, première hypothèse les
juges ont dénaturé le document produit mais ont retrouvé la signification
exacte du droit étranger. Y aura-t-il alors censure pour dénaturation ? Une
réponse négative paraît devoir prévaloir. Le contrôle a, en effet, pour fin une
bonne application de la loi étrangère (en ce sens P. Mayer, note Rev. crit.
1982. 710). Encore faut-il que les juges du fond fassent état des autres élé-
ments d’information sur lesquels ils se sont appuyés pour donner au droit
étranger le sens qu’ils lui attribuent (Civ., 2 févr. 1982, Olivier, Rev. crit.
1982. 706, note P. Mayer, Clunet 1982. 690, note H. Muir Watt, JCP 1982. II.
19749, concl. Gulphe; Civ. 1re, 19 mars 1991, Buzyn, Rev. crit. 1992. 88, note
H. Muir Watt, dénaturation par attribution au texte de loi étranger d’un sens
que n’imposent pas ses termes clairs et précis) ou, à défaut, que la Cour de
cassation ait connaissance du sens véritable du droit étranger.
Soit, seconde hypothèse les juges ont, tout en se conformant au document
produit, dénaturé le sens clair et précis du droit étranger. On est alors en pré-
sence de ce que Motulsky nommait une « dénaturation intellectuelle »
(« L’évolution récente de la condition de la loi étrangère », Mélanges R. Sava-
tier, 1965, p. 681 et s., spéc. p. 702). Il était traditionnellement enseigné que
la censure pour dénaturation n’était pas encourue dans un tel cas. Il ne peut,
en effet, y avoir de sanction sans faute. La Cour de cassation ne saurait repro-
cher aux juges du fond d’avoir ignoré un droit qu’ils ne sont pas tenus de
connaître. Il y a d’ailleurs à proprement parler non dénaturation, puisque le
juge a respecté le sens de l’écrit qui lui était communiqué, mais violation de la
loi étrangère laquelle ne saurait, à elle seule, entraîner la cassation (Maury,
comm. préc., Trav. com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 111; P. Lagarde, note
Rev. crit. 1962. 334; P. Mayer, note, Rev. crit. 1982. 710). Mais l’alourdis-
sement déjà relevé de l’office des juges du fond en matière d’établissement du
contenu de droit étranger (infra, no 82-83) semble devoir conduire à un renfor-
36 MONTEFIORE — CASS., 21 NOVEMBRE 1961 315

cement du contrôle de la Cour de cassation. Lorsque le juge du fond s’en tient


au certificat de coutume produit par l’une des parties, sans vérifier la fidélité
de celui-ci par rapport à l’état réel du droit positif du système concerné, sa
décision paraît désormais susceptible d’encourir la censure sur le terrain du
contrôle des motifs (H. Muir Watt, note Rev. crit. 1998. 297; rappr. Civ. 1re,
24 nov. 1998, Soc. Lavazza France, Rev. crit. 1999. 88, note B. A., D. 1999.
337, note M. Menjucq, Grands arrêts, 4e éd., 2001, no 83.; 6 mars 2001, The
Arab Investment Company, Rev. crit. 2001. 335, note H. Muir Watt).
9 Un document législatif : En relevant expressément l’origine législative du
document dont le sens avait été méconnu, la haute juridiction a-t-elle voulu
marquer qu’était seule recevable la dénaturation des lois étrangères à l’exclu-
sion des règles d’origine jurisprudentielle ou coutumière ?
L’affirmative a parfois été soutenue au motif que jurisprudence et coutume
ne revêtiraient pas, au même titre que la loi, un sens clair et précis. Tout en
contenant une part de vérité, la remarque n’est certainement pas décisive : il
est, en effet, des jurisprudences qui par leur stabilité et leur netteté l’empor-
tent en clarté sur la plupart des textes de loi. Le droit international privé fran-
çais l’illustre d’ailleurs de manière parfois cruelle. Au demeurant, il ne faut
pas oublier que c’est le droit étranger tel qu’il existe réellement qui doit être
appliqué en France. Dès lors, refuser de prendre en compte les jurisprudences
étrangères serait faire preuve d’un irréalisme certain : il est des textes obscurs
auxquels la jurisprudence a conféré un sens clair et précis; à l’inverse, il est
des textes apparemment clairs auxquels la jurisprudence a donné une signifi-
cation tout à fait différente de leur lettre. Il n’est besoin pour l’illustrer que de
citer l’article 900 du Code civil (v. Req. 3 juin 1863, DP 1863. 1. 429, Grands
arrêts de la jurisprudence civile, 11e éd., t. 1, no 119).
Ajoutons, ainsi qu’on y a déjà insisté, que ce n’est pas le droit étranger lui-
même dont on prétend qu’il a été dénaturé mais le document communiqué au
juge. Or celui-ci peut tout aussi bien rapporter la teneur d’une jurisprudence
ou d’une coutume que celle d’une loi au sens strict.
Il faut toutefois constater qu’en dépit de la pertinence de ces considérations,
la Cour de cassation s’est longtemps refusée à étendre à la jurisprudence étran-
gère le contrôle de la dénaturation. Cette attitude réservée est notamment
illustrée par l’arrêt Hocke (Com., 4 mars 1963, Rev. crit. 1964. 264, Clunet
1964. 806, note Goldman, JCP 1963. II. 13376, note Lescot; v. aussi Civ. 1re,
13 janv. 1993, préc.). Dans cette affaire une personne avait, sans autre préci-
sion, donné en Allemagne son aval à six lettres de change. La question de
droit posée avait trait à la nature de la présomption énoncée par l’article 31,
alinéa 4 de la loi uniforme annexée à la Convention de Genève du 7 juin 1930
relative à la lettre de change qui veut qu’à défaut d’indication, l’aval soit
réputé donné pour le tireur. Ce texte devenu en France l’article 130, alinéa 6
du Code de commerce, et en Allemagne l’article 31, alinéa 4 de la loi sur les
lettres de change fut compris de manière différente par la justice des deux pays :
irréfragable pour la Cour de cassation française (Ch. réunies 8 mars 1960,
JCP 1960. II. 11616, note Roblot), la présomption était simple selon le Bun-
desgerichtshof (15 nov. 1956, Unidroit, Annuaire 1956, p. 354). Les juges du
316 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 36

fond français ayant estimé qu’il y avait, en l’espèce, un véritable conflit de


lois qui devait être tranché en faveur du droit allemand (1) (sur cet aspect du
problème, v. P. Lagarde, « Les interprétations divergentes d’une loi uniforme
donnent-elles lieu à un conflit de lois ? » Rev. crit. 1964. 235 et s.), la pré-
somption aurait dû souffrir la preuve contraire. Or telle ne fut pas la solution
substantielle retenue : tout en se référant à la loi allemande, la Cour de Col-
mar conféra à la présomption un caractère irréfragable. Pouvait-on dès lors
valablement arguer du grief de dénaturation du droit allemand ? Si, à l’évi-
dence, le texte interprété ne revêtait pas un sens clair et précis, il n’en allait
pas de même de la jurisprudence allemande. Malgré cela, la haute juridiction
se retrancha derrière l’appréciation souveraine des juges du fond, marquant
ainsi implicitement que le contrôle de dénaturation ne pouvait englober dans
son objet la jurisprudence étrangère. On ne peut que le déplorer. C’est en effet
« vider le contrôle de la dénaturation de toute utilité » que de l’écarter alors
que la jurisprudence est la principale source de droit sur le point litigieux
(Goldman, note Clunet 1964, p. 809; Motulsky, Mélanges R. Savatier, 1965,
p. 703). Mais il semble aujourd’hui que la Cour de cassation ait infléchi sa
position et qu’après les arrêts Olivier et Buzyn (préc.), « le sens apparent du
document législatif peut être écarté sans encourir la censure en raison de
l’apport d’une jurisprudence étrangère [et] qu’un texte obscur peut inverse-
ment, grâce au sens que lui confère la jurisprudence étrangère, constituer une
référence claire pour les besoins du contrôle de la dénaturation » (H. Muir
Watt, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd., v° Loi étrangère, no 154). Ainsi, dans le fil de
cette évolution, la Cour de cassation censure une cour d’appel qui a méconnu
le « sens littéral » d’une loi du Sénégal « sans faire état d’aucune autre source
de droit positif donnant à la disposition litigieuse le sens qu’elle lui attribue »
(Civ. 1re, 1er juill. 1997, Soc. Africatours, Rev. crit. 1998. 292, note H. Muir
Watt, Clunet 1998. 98, note I. Barrière-Brousse, D. 1998. 104, note Menjucq,
JCP 1998. II. 10170, note Fillion-Dufouleur; comp. Civ. 1re, 16 mars 1999,
Rev. crit. 1999. 713, note H. Muir Watt). Encore faut-il que le droit positif
envisagé globalement — loi, jurisprudence et autres sources — ait un sens suf-
fisamment évident pour qu’on puisse parler de dénaturation.
10 Un document en langue française : Bien que l’arrêt n’y insiste pas, il est
permis de se demander si le fait que le texte dénaturé était rédigé en langue
française, n’a pas été déterminant dans l’admission du contrôle de dénatura-
tion. En d’autres termes, la censure est-elle possible en présence d’un droit
rédigé dans une langue étrangère ?
La question est délicate. On pourrait être tenté de la résoudre en faisant
valoir que toute traduction s’accompagne nécessairement d’une interprétation
qui exclut la dénaturation. Telle a été, au demeurant, la solution retenue par la
Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 25 juin 1968

(1) Par application de l’article 4, alinéa 2 de la Convention parallèle du 7 juin 1930 sur les
conflits de lois en matière de lettre de change et de billet à ordre qui prévoit que les effets produits
par la signature apposée sur une lettre de change par un obligé autre que l’accepteur « sont détermi-
nés par la loi du pays sur le territoire duquel les signatures ont été données ».
36 MONTEFIORE — CASS., 21 NOVEMBRE 1961 317

(Clunet 1969. 96, note Kahn); elle y énonce, en effet, que « la traduction d’un
contrat rédigé en langue étrangère comporte de la part de la Cour d’appel une
interprétation qui relève de son pouvoir souverain ». Mais l’affirmation n’est-
elle pas trop tranchée ? Si la traduction d’un texte étranger obscur ou ambigu
peut nécessiter une interprétation de celui-ci, il n’en va pas de même de celle
d’un texte étranger clair, au moins pour toute personne qui maîtrise la langue
dans laquelle il est rédigé. La traduction en français de son sens incontestable
n’implique aucune interprétation. Dès lors au cas où le juge se conformerait
à une traduction qui méconnaîtrait ce sens évident, ne pourrait-on pas parler
de dénaturation (en ce sens Marraud, op. cit., p. 179 et s.; Kahn, note Clunet
1969. 102) ?
Telle a été la position de la Chambre civile dans l’arrêt Olivier (Civ. 1re,
2 févr. 1982, préc.). Une Cour d’appel ayant déclaré une action éteinte sur la
foi d’une traduction erronée qui faisait dire à l’article 196 du Code civil alle-
mand que la prescription de deux ans qu’il édicte joue « à condition que la
prestation soit faite pour l’activité commerciale du débiteur », alors que cet
article dispose en réalité que cette prescription intervient « à moins que la
prestation n’ait lieu pour les besoins de l’activité commerciale du débiteur »,
la Cour de cassation a censuré cette erreur grossière de traduction. Dans le
commentaire très approfondi qu’il a consacré à cette décision, M. P. Mayer a
mis l’accent sur les raisons qui pouvaient faire douter de son bien-fondé.
D’une part, selon lui, un texte en langue étrangère ne pourrait jamais être
réputé clair pour le juge français car on ne peut pas exiger de lui qu’il connaisse
celle-ci; partant, sa mise en œuvre relèverait nécessairement de son pouvoir
souverain. D’autre part, on l’a vu, ce n’est pas la loi étrangère elle-même qui
est l’objet du contrôle mais le document soumis au juge; or celui-ci n’a pas
été dénaturé (note préc., Rev. crit. 1982. 713). Et de fait, si l’on fait abstrac-
tion de la dernière décision citée, il est troublant de constater que les rares
décisions favorables au contrôle de dénaturation ont été rendues dans des
hypothèses où le texte était rédigé en langue française et même bien souvent
calqué sur le modèle d’un texte français (Civ., 4 nov. 1958, art. 313, al. 2,
C. civ. belge; Soc. 10 mai 1972, Bastia, Rev. crit. 1974. 324, note Marraud,
dahir marocain du 25 juin 1927 calqué dans sa structure sur la législation
française des accidents du travail; v. aussi Civ. 1re, 6 déc. 2005, préc., art. 35
et 97, C. proc. algérien; Civ. 1re, 14 févr. 2006, préc., art. 410-19, C. civ. moné-
gasque). Inversement, la dénaturation a été écartée dans certaines espèces qui
paraissaient se prêter à un tel contrôle mais dans lesquelles le texte discuté
était rédigé dans une langue autre que la langue française (Civ., 2 févr. 1966,
Dlle Troeger, Rev. crit. 1968. 289, note P. L., art. 1717, BGB; v. cep. Buzyn,
Civ. 1re, 19 mars 1991, préc., sanctionnant la dénaturation de l’art. 20 de la loi
israélienne sur les successions).
11 Plus généralement, il semble que la rareté des cas effectifs de censure pour
dénaturation (un tous les dix ans entre 1961 et 1991, un peu plus dans la
période récente) s’explique par la sévérité des conditions ainsi que par l’inadé-
quation de la sanction. Pour qu’il y ait dénaturation, il faut que les juges fran-
çais aient méconnu le sens clair et précis d’un droit étranger. Or lorsqu’on est
318 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 36

réellement en présence d’un droit présentant ces caractères, hypothèse semble-


t-il peu fréquente, il est fort rare que les magistrats ne le respectent pas. Il en va
différemment en matière contractuelle, les juges cherchant parfois à y faire
prévaloir l’équité ou la volonté réelle des parties sur la lettre du texte. En cas
de dénaturation, la Cour de cassation dispose, semble-t-il, d’un véritable
« pouvoir de substitution » (Goldman, note Clunet 1962. 694). Elle ne se
contente pas, en effet, en l’espèce d’exiger de la juridiction de renvoi des justi-
fications supplémentaires d’une interprétation qui pourrait être identique à
celle retenue par la décision cassée mais impose son interprétation en affir-
mant que le document législatif dont il s’agit « consacre la distinction de l’État
belge et de sa Colonie comme de leur passif et [définit] la Colonie comme
seule débitrice de l’emprunt envers les porteurs de titre ». Or l’exercice d’un
tel pouvoir paraît fâcheux dans la mesure où il n’appartient pas, on l’a vu, à la
haute juridiction d’élaborer le droit étranger.
Pour toutes ces raisons la Cour de cassation paraît aujourd’hui exercer de
préférence son contrôle sur l’application de la loi étrangère par le biais du
contrôle des motifs. Contrairement aux pronostics de certains (P. Lagarde, note
préc., Rev. crit. 1962. 333, 334; Malaurie, note préc.), ce contrôle ne revêt pas
un caractère purement formel. Non seulement, en effet, la Cour de cassation
l’emploie « pour écarter des interprétations du droit étranger qui paraissent
peu vraisemblables, lorsque du moins les conclusions des parties avaient mis
les juges en demeure de se prononcer sur une certaine interprétation » (Pon-
sard, note sous Civ. 1re, 7 nov. 1967, Clunet 1968. 713, spéc. p. 717), mais
encore elle n’hésite plus à censurer l’insuffisance des motifs donnés par les
juges à l’appui de leur interprétation de la loi étrangère, même en l’absence de
conclusions soutenant une autre interprétation (Civ., 10 oct. 1978, Saccone,
Rev. crit. 1979. 775, note P. Courbe; sur l’utilité de ce contrôle, v. P. Gannagé,
Rev. crit. 1997. 49).
37
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)
30 octobre 1962

(Rev. crit. 1963. 387, note Francescakis, D. 1963. 109, note G. Holleaux)
Compétence internationale. — Divorce.

L’extranéité des parties n’est pas une cause d’incompétence des juridic-
tions françaises dont la compétence internationale se détermine par exten-
sion des règles de compétence territoriale interne.

(Dame Scheffel c/Scheffel)

Faits. — Après quelques années de vie commune dans leur pays d’origine, deux époux
allemands se séparent. Le mari s’installe en France, la femme continue de résider en
Allemagne fédérale. En 1957, le mari cite sa femme en conciliation à fin de divorce.
Appelée à comparaître devant le président du Tribunal de Sedan, celle-ci soulève in
limine litis une exception d’incompétence ratione loci qui est rejetée; en l’absence d’appel,
l’ordonnance passe en force de chose jugée. Le mari ayant introduit sa demande en
divorce devant le Tribunal de Mézières, son épouse excipe à nouveau de l’incompétence
des tribunaux français. Cette exception est rejetée en première instance puis en appel au
motif que l’ordonnance passée en force de chose jugée fixe irrévocablement, en vertu de
l’article 238 du Code civil, la compétence des tribunaux français.
Dans son pourvoi, la demanderesse soutenait que l’incompétence dont elle se préva-
lait n’avait pas sa source dans l’article 238 du Code civil et revêtait un caractère absolu
permettant de la soulever en tout état de cause. À l’appui de cette assertion, elle invo-
quait deux arguments : la nationalité allemande des deux époux et la situation en Alle-
magne du dernier domicile commun.
Voici la réponse de la Cour de cassation :

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que Scheffel, de nationalité
allemande, a formé en France, devant le tribunal de son domicile, à la suite
d’une ordonnance du juge conciliateur rendue contradictoirement sur sa com-
pétence en vertu de l’article 238, al. 1er du Code civil, une action en divorce
contre dame Scheffel, de même nationalité que lui, laquelle réside en Allema-
gne (Basse-Saxe); — Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué
d’avoir rejeté l’exception d’incompétence ultérieurement soulevée par dame
Scheffel devant le tribunal, alors que son déclinatoire se fondait, selon le pour-
voi, en dehors du domaine de l’article 238, sur une incompétence absolue des
juridictions françaises pour connaître d’un divorce entre époux allemands ayant
en Allemagne leur dernier domicile commun; — Mais attendu que l’extranéité
des parties n’est pas une cause d’incompétence des juridictions françaises, dont,
320 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 37

d’autre part, la compétence internationale se détermine par extension des


règles de compétence territoriale interne; qu’il en est ainsi notamment pour les
divorces entre étrangers, comme le relève justement la cour d’appel, lorsque le
mari, demandeur, a, en France, un domicile tel qu’il est défini par le Code civil,
qui est en même temps le domicile légal de la femme aux termes de l’article 108,
complément nécessaire à cet égard des règles françaises de compétence; que
c’est donc à bon droit que les juges d’appel ont décidé que la compétence ter-
ritoriale du tribunal ayant été constatée conformément aux dispositions seules
applicables au litige, de l’article 238 du Code civil, et, faute d’appel, irrévocable-
ment établie par le juge conciliateur, aucune contestation sur la compétence
n’était plus, de la part de dame Scheffel, recevable devant le tribunal, d’où il
suit que l’arrêt attaqué, qui est motivé, a légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 30 octobre 1962. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Holleaux,
rapp.; Ithier, av. gén. — MMes Le Bret et Lépany, av.

OBSERVATIONS
1 Le seul fait que l’ordonnance du juge conciliateur fût passée en force de
chose jugée suffisait en l’espèce et en l’état du droit positif à justifier la com-
pétence des tribunaux français. Mais profitant de l’occasion qui lui était offerte
par le libellé du pourvoi, la Cour de cassation répondant à la lettre aux asser-
tions de son auteur énonce, en une formule lapidaire et avec un grand bonheur
de plume, les deux principes qui fondent ce qu’il est convenu d’appeler la
compétence « ordinaire » des tribunaux français (I). La rigidité qui marque
l’application du second de ces principes à l’espèce appelle néanmoins quel-
ques réserves (II). Si les principes posés par cet arrêt conservent leur valeur,
leur domaine d’application tend à se restreindre comme une peau de chagrin
sous l’effet de la communautarisation du droit international privé (III).

I. Les principes gouvernant la compétence ordinaire


des tribunaux français
2 Décider que les tribunaux français ne sont pas incompétents du seul fait que
les parties sont étrangères oblige à préciser les litiges internationaux dont ils
peuvent connaître; on ne saurait en effet admettre que puissent leur être défé-
rés tous les litiges entre tous les étrangers du globe ! Aussi bien, le rappel de
l’abandon du principe d’incompétence des tribunaux français dans les litiges
entre étrangers (A) s’accompagne-t-il dans un enchaînement irréprochable
de l’énoncé des directives qui fondent positivement leur compétence interna-
tionale (B).
3 A. — En décidant dans l’arrêt ci-dessus reproduit que « l’extranéité des par-
ties n’est pas une cause d’incompétence des juridictions françaises », la Cour
de cassation ne fait que formuler de manière quasi-doctrinale le principe déjà
posé par l’arrêt Patiño du 21 juin 1948 (JCP 1948. II. 4422, note Lerebours-
Pigeonnière, S. 1949. 1. 121, note Niboyet, Rev. crit. 1949. 557, note Frances-
cakis). Par cette décision, la haute juridiction avait mis un terme à une juris-
37 SCHEFFEL — CASS., 30 OCTOBRE 1962 321

prudence dont l’abondance et la diversité étaient telles qu’il est difficile d’en
rendre compte autrement que par l’énoncé de quelques « lignes de force »
(Francescakis, note, Rev. crit. 1949. 559); si l’on s’accorde en effet sur l’exis-
tence d’un principe d’incompétence des juridictions françaises dans les litiges
entre étrangers tout au long du XIXe siècle, son fondement et sa portée restent
incertains (Pillet, Traité, t. I, no 109, p. 395).
4 Ce que l’on désignera désormais, brevitatis causa, sous l’appellation de
« principe d’incompétence » relevait-il de la condition des étrangers ou de la
catégorie des règles de compétence ? Selon la première conception, l’accès à
la justice constituait un « droit civil », au sens de l’article 11 du Code civil,
refusé aux étrangers (v. supra, no 20). Un tel fondement qui pouvait s’autoriser
de l’arrêt de la Chambre des requêtes du 11 juillet 1892 décidant qu’il « est de
principe en France, conformément à l’article 11 du Code civil, que les étran-
gers ne sont pas justiciables des tribunaux français en matière de contestation
intéressant leur statut personnel et soulevant des questions d’état » (Suissa,
S. 1892. 1. 407, D. 1892. 1. 489) n’emportait guère la conviction. De fait, pour-
quoi reconnaître aux étrangers la jouissance des droits dits naturels en France
(v. supra, no 20) si on leur en refuse la sanction dans ce même pays ? (Batiffol
et Lagarde, t. II, no 671). Au surplus, on perçoit mal ce qui dans l’article 11
justifierait la limitation du principe aux seules actions d’état, ce à quoi le can-
tonnait pourtant le droit positif (v. infra, Francescakis, note préc.). Enfin l’ana-
lyse minutieuse de la jurisprudence montrait qu’il n’y avait là qu’une justifica-
tion isolée : la plupart des décisions de la Cour de cassation ne faisait pas, en la
matière, référence à l’article 11 du Code civil. Ainsi apparaissait-il que bien
loin de procéder de la condition des étrangers, le principe d’incompétence res-
sortissait à la catégorie des règles de compétence (Niboyet, Traité, t. VI,
nos 1793 et s.; Francescakis, note préc.; D. Holleaux, Compétence du juge étran-
ger et reconnaissance des jugements, 1970, nos 290 et s.). Malheureusement,
au-delà de cette qualification, la jurisprudence ne se prêtait guère, du fait de sa
diversité, à une représentation univoque. À l’instar d’un arrêt de la Cour de
Colmar (30 déc. 1815, S. 1815-1818. II. 87) énonçant que « si le droit de ren-
dre la justice est un des apanages de la souveraineté, celui de la réclamer et de
l’obtenir est un avantage que le sujet est fondé à exiger de son souverain, que
sous ce double rapport, chaque monarque ne doit la justice qu’à ses sujets et
doit la refuser aux étrangers », nombre des décisions des juges du fond fai-
saient référence à un principe de droit public attribuant au souverain la préro-
gative exclusive de juger ses nationaux (v. décisions citées par Ph. Théry, Pou-
voir juridictionnel et compétence, thèse multigr., Paris II, 1981, p. 365 et s.).
L’analyse trouvait, aux dires de ses partisans, une confirmation dans une inter-
prétation a contrario des articles 14 et 15 du Code civil (D. Jur. gén. 1850,
v° Droit civil, no 313). Néanmoins là encore le fondement proposé n’était
guère décisif : en mettant l’accent sur la souveraineté de l’État on sacrifiait les
intérêts des particuliers et négligeait le fait que l’institution des tribunaux
repose sur des considérations de tranquillité publique étrangères à la nationa-
lité des plaideurs (Batiffol et Lagarde, t. II, no 671). Quant à l’exégèse des
articles 14 et 15, elle se révélait bien peu respectueuse de l’intention de leurs
322 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 37

auteurs. Il avait en effet été précisé, notamment par Tronchet, qu’on ne pouvait
préjuger à partir de ces textes de la solution que la question débattue devait
recevoir car ils « ne statuent que sur la manière de décider des contestations
entre Français et étrangers et ne s’occupent pas des procès entre étrangers »
(Locré, Législation civile, t. II, p. 44).
Ces considérations étaient au demeurant absentes des décisions de la Cour
de cassation dont les premiers arrêts faisaient beaucoup plus simplement réfé-
rence à la maxime actor sequitur forum rei et à l’absence de domicile du défen-
deur en France (Req. 22 janv. 1806, Mount Florence c/Skilpewitch, S. chr.;
Req. 14 avr. 1818, Vanherke, S. chr.). Est-ce à dire qu’il n’y aurait eu là qu’une
application du droit commun tel que nous le connaissons aujourd’hui ? En
réalité, de savantes études ont montré que la règle ne devait pas être comprise
comme un simple rappel de l’article 59 de l’ancien Code de procédure civile
mais comme l’expression d’une maxime de droit des gens; si le domicile fai-
sait défaut, c’est parce que la tradition héritée de l’Ancien droit lui donnait, au
moins en matière de statut personnel, une signification très particulière. Par
domicile, il fallait entendre non le domicile interne, « institution de police
civile issue de l’ordre napoléonien », mais une notion proche du domicile
d’origine et directement liée à « l’idée de patrie » (Francescakis, note préc.).
Les concepts de domicile et de nationalité étant ainsi quasiment identifiés, la
jurisprudence en vint dans de nombreuses décisions à faire l’économie de la
référence au domicile et à relever la seule extranéité des parties. C’est donc
la maxime actor sequitur forum rei qui aurait « sécrété » le principe d’incom-
pétence (en ce sens D. Holleaux, op. cit., nos 296 et s. et décisions citées;
v. aussi Niboyet, Traité, t. VI, no 1793, p. 403).
5 Mais ainsi fondé, ce principe portait en lui-même ses propres limites. Il ne
devait en effet, en bonne logique, jouer que dans les domaines où la maxime
actor sequitur… s’appliquait exclusivement et où il était légitime de donner au
domicile l’acception précédemment relevée, c’est-à-dire essentiellement le
statut personnel. De fait, en matière commerciale, les tribunaux français admi-
rent très tôt qu’ils pouvaient connaître de contestations entre étrangers dès lors
que, conformément à l’article 420 de l’ancien Code de procédure civile, la pro-
messe avait été conclue en France (Civ., 26 nov. 1828, Harris, S. chr. 1828-
1830. 1. 192) ou que le défendeur y avait un domicile de fait (Civ., 26 avr. 1832,
Hugde, S. 1832. 1. 455). De même, la compétence des tribunaux français fut
admise en matière successorale lorsque le dernier domicile de fait du de cujus
était situé en France (Req. 7 juill. 1874, Specht, D. 1875. 1. 271) (1). En d’autres

(1) Les deux dernières décisions citées montrent qu’on ne saurait expliquer l’enchaînement
historique décrit ci-dessus par l’existence de l’article 13 du Code civil et l’exigence de l’admission
à domicile (v. par ex. en ce sens, H. Bauer, Compétence judiciaire internationale des tribunaux
français et allemands, 1965, nos 37 et s.). Bien que certaines décisions fassent référence à ce texte,
la suggestion achoppe sur la double constatation que le principe d’incompétence s’est prolongé au-
delà de la suppression de l’admission à domicile et que dans les domaines autres que l’état des per-
sonnes, la notion de domicile de fait a été jugée suffisante, ainsi que l’attestent les deux décisions
citées, pour fonder la compétence des tribunaux français (en ce sens D. Holleaux, op. cit., no 293;
Francescakis, note préc.; Ph. Théry, op. cit., no 399; v. cep. Batiffol et Lagarde, t. II, no 671).
37 SCHEFFEL — CASS., 30 OCTOBRE 1962 323

domaines, les tribunaux français fondaient leur compétence dans les litiges
entre étrangers, non sur la constatation que l’élément de localisation retenu par
les règles de compétence territoriale interne était situé en France, mais sur le
fait que la loi française régissait ce type de litige. Par une sorte d’a fortiori, ils
estimaient qu’il serait singulier qu’ils se refusent à connaître de relations inté-
ressant suffisamment la société française pour que sa loi les régisse. Ainsi en
allait-il notamment pour les contestations ayant pour objet des immeubles sis
en France (Req. 10 nov. 1847, François, S. 1848. 1. 52; Civ., 22 mars 1865,
Prince Ghyka, S. 1865. 1. 175; v. aussi supra, arrêt Bartholo, no 9) ou la répa-
ration de délit survenu en France (Civ., 17 nov. 1834, Dehaut, S. 1841. 1. 544).
Inversement d’ailleurs, la constatation que les litiges entre étrangers ayant trait
au statut personnel relevaient nécessairement d’une loi étrangère, les conforta
dans leur attitude d’abstention (v. les décisions citées par Ph. Théry, op. cit.,
p. 385 et s.).
Quoi qu’il en soit de leur justification, ces nombreuses dérogations en évin-
çant le principe d’incompétence là où son application eût été proprement into-
lérable lui permirent de subsister. Néanmoins, même résiduelle, la solution
se heurtait à la considération déjà rappelée que pour assurer la paix publique,
la justice civile doit régner sur tous ceux qui se trouvent matériellement
sur le territoire. Aussi fut-elle écartée, même en matière d’état des personnes,
lorsqu’elle risquait de conduire à un véritable déni de justice : sous-jacente
dans l’arrêt du 8 avril 1851 (S. 1851. 1. 355), la considération passe au premier
plan dans des décisions ultérieures (Req. 7 mars 1870, Kœhler, S. 1872. 1. 361;
Req. 22 juill. 1886, S. 1887. 1. 69). Enfin, avec l’arrêt Patiño (21 juin 1948,
préc.) la Cour de cassation, sans plus se préoccuper de la qualité de français
ou d’étranger des parties, admit la compétence des tribunaux français dès lors
que le litige s’insère suffisamment dans l’ordre juridique français (v. déjà Civ.,
4 déc. 1935, Kirke Paulding, Rev. crit. 1937. 189, Clunet 1936. 862, note J. P.,
S. 1936. 1. 95). On constate ainsi qu’à un mois d’intervalle la haute juridiction
fit sauter deux des verrous qui avaient longtemps entravé la participation des
étrangers à la vie juridique française : assimilés aux nationaux sur le terrain de
la jouissance des droits privés par l’arrêt Lefait (27 juill. 1948, supra, no 20),
les étrangers peuvent désormais grâce à l’arrêt Patiño (préc.) obtenir des tribu-
naux français la sanction de ces mêmes droits. Bien que les deux questions
soient, comme on l’a vu, techniquement distinctes, cette convergence témoi-
gne de leur dépendance à l’égard des mêmes forces créatrices du droit. Le
« nationalisme politique » cède devant le souci de promouvoir des relations
privées internationales plus humaines et plus praticables. La personnalité de
Lerebours-Pigeonnière, rapporteur de l’arrêt Patiño, n’est sans doute pas
étrangère à cette évolution (Francescakis, « Perspectives du droit international
privé français actuel », RID comp. 1955. 352, reproduit in La pensée des autres
en dr. int. privé, p. 126 et s.).
6 B. — L’abandon du principe d’incompétence mettait en pleine lumière l’insuf-
fisance des articles 14 et 15 du Code civil : sur quelles directives s’appuyer
pour fonder la compétence internationale de nos tribunaux lorsqu’aucun Fran-
çais n’est partie au litige ? Longtemps résolue sans formule générale, la ques-
324 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 37

tion trouve une réponse de principe dans l’arrêt ci-dessus reproduit : « La com-
pétence internationale se détermine par extension des règles de compétence
territoriale interne ». (v. déjà en ce sens Civ., 19 oct. 1959, Pelassa, D. 1960. 37,
note G. Holleaux, Rev. crit. 1960. 215, note Y. L.; sur les rapports de ce prin-
cipe et des articles 14 et 15, C. civ., v. infra, no 71 § 2). Il suffit donc que l’élé-
ment de rattachement utilisé par les règles de compétence, par exemple le
domicile du défendeur, soit situé en France pour que le tribunal français ainsi
désigné puisse être valablement saisi. Par cette formule, la haute juridiction
aurait, aux dires de son rapporteur, entendu marquer que « la question de com-
pétence internationale est purement et simplement assimilée à un problème de
compétence territoriale interne (…). Le litige entre deux étrangers porté devant
un tribunal français y est traité en ce qui concerne les questions de compétence
internationale exactement comme le serait, dans les mêmes circonstances, un
litige français interne » (G. Holleaux, note, D. 1963, p. 110, col. 1). Et de fait,
les règles de compétence territoriale interne ayant pour objet de « localiser les
relations juridiques quant à la juridiction compétente » (Batiffol et Lagarde,
t. II, no 669), pourquoi ne pas leur emprunter la solution de notre problème ?
Ne s’agit-il pas dans les deux cas de rechercher avec quel tribunal le litige
entretient les liens qui permettront de lui donner une solution prompte et sûre ?
Néanmoins, ainsi qu’on l’a très tôt relevé, cette assimilation n’est pas aussi
évidente qu’il y paraît au premier abord. D’une part, on ne retrouve pas, en
matière internationale, « l’équivalence fonctionnelle » qui existe entre les
juridictions françaises (Batiffol et Lagarde, t. II, no 673); l’« universalisme
juridictionnel » sous-jacent au jeu des règles de compétence territoriale interne
y est absent (Hébraud, note, Rev. crit. 1956. 544; Francescakis, note, Rev. crit.
1952. 353).
D’autre part, plus radicalement, on souligne que la détermination du juge
internationalement compétent n’est pas une simple question de répartition des
litiges dans l’espace entre des tribunaux ayant tous la même compétence
d’attribution. Il s’agit plus exactement de savoir au nom de quelle souverai-
neté la justice sera rendue. En d’autres termes, il y aurait à opérer un « choix
préalable entre l’ordre juridictionnel français et l’ordre juridictionnel étranger »
(Solus et Perrot, Droit judiciaire privé, t. II, La compétence, nos 386 et s. et
675; comp. P. Mayer et V. Heuzé, no 277; A. Huet, « Le Nouveau Code de
procédure civile du 5 déc. 1975 et la compétence internationale des tribunaux
français », Clunet 1976, p. 342 et s.). Partant, la compétence internationale
s’apparenterait beaucoup plus à la compétence d’attribution qu’à la compé-
tence territoriale. Telle fut au demeurant la thèse développée par Bartin (Prin-
cipes, t. I, § 124 et s.). Malheureusement cette voie s’avère singulièrement
étroite. Vouloir édifier un corps de solution original en s’appuyant sur les
caractères de fond du litige, c’est probablement, selon l’aveu même de cet
auteur, poursuivre d’« irréalisables chimères » (Principes, t. I, § 124). Et il n’a
jamais été possible de construire un système de compétence internationale à
partir des règles régissant la compétence d’attribution. La raison en est simple :
la répartition entre les différentes catégories de juridictions (administrative,
répressive, civile,…) s’opère en fonction de la nature du litige. Or celle-ci n’est
en rien altérée par l’élément international. Ainsi qu’on l’a justement relevé, ce
37 SCHEFFEL — CASS., 30 OCTOBRE 1962 325

qui différencie les litiges internationaux des litiges internes, ce n’est pas la
matière mais « les éléments touchant aux personnes et aux lieux » (Lerebours-
Pigeonnière, Précis, 5e éd., no 283 ; Batiffol et Lagarde, t. II, no 669). Et s’il
est légitime de distinguer le rattachement à un ordre juridictionnel de la situa-
tion géographique d’un litige, il n’en reste pas moins que la solution du pro-
blème passe par la localisation de celui-ci (Loussouarn, Bourel et de Vareilles-
Sommières, no 441).
7 Aussi une bonne partie de la doctrine s’engage-t-elle aujourd’hui dans une
voie médiane : irréductible à la compétence d’attribution comme à la compé-
tence territoriale, la compétence internationale s’analyserait en une compétence
sui generis (Francescakis, note, Rev. crit. 1963. 394 et s.; Hébraud, note, Rev.
crit. 1963. 806; H. Gaudemet-Tallon, « La compétence internationale à l’épreuve
du Nouveau Code de procédure civile : aménagement ou bouleversement ? »,
Rev. crit. 1977, p. 1 et s., spéc. p. 44 et 45; Couchez, « Les nouveaux textes de
la procédure civile et la compétence internationale », Trav. com. fr. dr. int. pr.
1977-1979, p. 122; comp. Niboyet, Traité, t. VI, no 1724, p. 281; Batiffol et
Lagarde, t. II, no 673; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 441;
P. Mayer et V. Heuzé, no 277; B. Audit, no 329). En l’absence d’un corps de
solutions complet élaboré par le législateur, la détermination des règles de
compétence internationale aurait pour point de départ les seules dispositions
dont, ainsi que l’atteste la pratique spontanée des tribunaux, la transposition au
plan international est praticable, c’est-à-dire les règles de compétence territo-
riale. Il est, en effet, naturel de puiser dans l’ordre interne, du fait de son anté-
riorité, les principes de solution qui gouvernent l’ordre international. Or pré-
cisément, le triple souci du bon ordre sur le territoire, de la commodité des
parties et d’une bonne administration de la justice qui anime les règles de com-
pétence territoriale « subsiste en son principe malgré les liens de la situation
avec d’autres États » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 673; pour une pratique iden-
tique en Allemagne, v. H. Bauer, Compétence judiciaire internationale des tri-
bunaux civils français et allemands, 1965, nos 35 et s., p. 37 et s.). Néanmoins
cet emprunt ne devrait pas se résoudre en une extension pure et simple de ces
règles, ainsi que le préconise l’éminent rapporteur de l’arrêt Scheffel, mais en
une transposition s’accompagnant éventuellement d’une adaptation aux besoins
des relations internationales. Celle-ci se révélerait particulièrement nécessaire
lorsque le litige se développe en un domaine où la souveraineté d’un État est
directement impliquée; il en irait de même lorsque le phénomène de la fron-
tière réintroduit des impératifs d’effectivité absents du droit interne (Niboyet,
Traité, t. VI, no 1719).
8 En outre, comme il est plus grave de choisir entre deux ordres juridiction-
nels qu’entre deux tribunaux français, le régime juridique de la compétence
internationale ne saurait être celui de la compétence territoriale. C’est au demeu-
rant, essentiellement à ce propos, qu’avec et depuis Bartin les auteurs relèvent
la nécessité de rapprocher la compétence internationale de la compétence
d’attribution. Et si, en l’espèce, l’alignement sur le régime de la compétence
territoriale est complet puisque les parties ne peuvent soulever l’exception
326 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 37

d’incompétence qu’in limine litis, la jurisprudence n’a pas hésité à s’engager


lorsqu’elle l’a jugé nécessaire, dans la voie de certains aménagements (v. infra,
arrêt Cie de signaux et d’entreprises électriques, no 72). Quant au Nouveau
Code de procédure civile, s’il n’a, sur le point évoqué dans l’arrêt, réalisé aucune
transformation (art. 74, NCPC; Civ. 2e, 2 avr. 1979, D. 1979, IR p. 478, obs.
Julien), il a, en revanche, dans un domaine voisin ouvert la voie à une certaine
prise en compte de la spécificité des rapports internationaux : il prévoit, en
effet, dans son article 92 que le juge peut relever d’office son incompétence
même en appel et en cassation lorsque l’affaire « échappe à la connaissance de
la juridiction française ». Certains se sont emparés de cette disposition pour
soutenir que l’on devait désormais assimiler compétence internationale et
compétence d’attribution (A. Huet, art. préc., Clunet 1976, p. 345). Mais les
raisons exposées ci-dessus conservent toute leur valeur et la Cour de cassation
a ultérieurement réaffirmé le « principe qui étend à l’ordre international les
règles internes de compétence » (Civ. 1re, 13 janv. 1981, Dame de Bendern,
Rev. crit. 1981. 331, note H. Gaudemet-Tallon, Clunet 1981. 360; v. aussi Soc.
20 oct. 1983, Clunet 1984. 332, note P. Rodière; Civ. 1re, 16 avr. 1985, Rev.
crit. 1986. 694, note Batiffol; 2 avr. 1996, JCP 1996. IV. 1264).

II. Les règles de compétence ordinaire en matière de divorce

9 Prenant acte des impératifs propres tenant à l’effectivité des décisions ou à


la souveraineté des États, la jurisprudence n’a pas hésité à procéder en plu-
sieurs domaines aux adaptations nécessaires. Ainsi en a-t-il été notamment en
matière de succession immobilière (v. par ex. Req. 10 nov. 1847, S. 1848. 1.
52), ou de voies d’exécution (v. infra, arrêt Nassibian, no 59). Malheureuse-
ment, en l’espèce, s’inspirant de la lettre plutôt que de l’esprit des principes ci-
dessus énoncés, la Cour de cassation procède à une application mécanique des
règles internes de compétence territoriale (A). Cette rigidité excessive conti-
nuerait, selon certains, de marquer les solutions intervenues postérieurement à
la réforme du divorce opérée en 1975 (B).

10 A. — Se conformant au précédent de l’arrêt Patiño (Civ., 21 juin 1948, préc.),


la Cour de cassation décide que les tribunaux français sont compétents pour
statuer sur le divorce de deux étrangers, « lorsque le mari, demandeur, a, en
France, un domicile tel qu’il est défini par le Code civil, qui est en même
temps le domicile légal de la femme aux termes de l’article 108, complément
nécessaire à cet égard des règles françaises de compétence ». Compétent dans
l’ordre interne pour connaître du divorce, le tribunal du domicile du mari l’est
également ipso facto dans l’ordre international. C’est là « une simple question
de compétence donc de procédure (…) régie par la loi française ». (G. Hol-
leaux, note, D. 1963. 11). De fait, personne ne conteste que la définition des
concepts auxquels se réfèrent les règles de compétence internationale doive
être empruntée au droit français. Mais l’affirmation n’empêche nullement la
Cour de cassation de « vérifier la convenance des règles internes aux rapports
37 SCHEFFEL — CASS., 30 OCTOBRE 1962 327

internationaux » (Francescakis, note, Rev. crit. 1963. 397). Or précisément, la


combinaison de l’article 59 de l’ancien Code de procédure civile qui donnait
compétence au tribunal du domicile du défendeur et de l’ancien article 108 du
Code civil qui réputait la femme domiciliée de plein droit chez son mari condui-
sait en matière internationale à des résultats fort peu satisfaisants. Elle permet-
tait au mari demandeur qui était, comme en l’espèce, à l’origine de la disloca-
tion du ménage et de l’« internationalisation » du problème, de saisir son
propre tribunal, méconnaissant ainsi au détriment de son épouse les considéra-
tions qui ont fait de l’adage actor sequitur un principe universellement reçu.
La discordance avec la conception qui prévalait en matière de conflit de lois
(v. supra, no 26 § 5) était au surplus manifeste. Afin d’éviter ces excès, il avait
été suggéré, mais sans succès, de reconnaître la compétence internationale des
tribunaux français soit lorsque l’époux défendeur avait en France un domicile
apprécié indépendamment de celui de son conjoint, soit lorsque le dernier
domicile commun se trouvait en France (Francescakis, J.-Cl. dr. int., fasc. 547 A,
nos 67 et s.).

11 B. — Les données du problème ont été renouvelées par la réforme du


divorce opérée en 1975. La compétence territoriale interne des tribunaux fran-
çais procède désormais de l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile
dont on sait qu’il pose une règle de compétence hiérarchisée — compétence du
tribunal de la résidence commune de la famille, à défaut compétence du tribu-
nal de la résidence de l’époux avec qui habitent les enfants mineurs, à défaut
encore compétence du tribunal de la résidence de l’époux défendeur. Consta-
tant que ce texte était essentiellement inspiré par des « considérations de
bonne administration de la justice française » qui ne paraissent pas « confor-
mes aux nécessités propres à l’ordre international », plusieurs auteurs ont pro-
posé que sa transposition au plan international s’accompagne de sa conversion
en une règle définissant des chefs de compétence alternatifs et non plus hiérar-
chisés (Gaudemet-Tallon, note, Rev. crit. 1981. 335; Sinay-Cytermann, L’ordre
public en matière de compétence judiciaire internationale, thèse multigr., 1980,
p. 282 et s.). Partant, l’époux qui a la charge des enfants pourrait poursuivre
devant les tribunaux français son conjoint résidant en France alors même qu’il
réside avec ceux-ci à l’étranger. Cette adaptation a cependant été repoussée par
la Cour de cassation dans une espèce qui semblait pourtant s’y prêter : une
Suédoise repartie vivre dans son pays d’origine avec ses enfants avait assigné
son mari de nationalité anglaise et résidant en France, lieu de la dernière rési-
dence commune des époux, devant les tribunaux français; la Cour de cassation
approuve ceux-ci de s’être déclaré incompétents (Civ. 1re, 13 janv. 1981, préc.).
Il a été objecté à cette solution que la décision rendue ne sera effective, notam-
ment en matière alimentaire, qu’au domicile du défendeur : refuser la com-
pétence du tribunal de ce lieu, c’est rendre obligatoire le détour par une pro-
cédure d’exequatur. Au surplus, à supposer que les tribunaux étrangers,
connaissant uniquement la règle actor sequitur, refusent de traiter du divorce,
il ne restera au demandeur que la ressource d’invoquer le déni de justice
(L. Corbion, Le déni de justice en droit international privé, thèse Paris II,
éd. 2004, nos 212 et s., p. 192 et s.). Plutôt que de réactiver un chef de compé-
328 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 37

tence délicat à établir et qui avait sombré dans l’oubli depuis l’abandon du
principe d’incompétence, ne serait-il pas préférable de procéder à l’adaptation
préconisée ? (en ce sens, H. Gaudemet-Tallon, note Rev. crit. 1981. 333 et s.).
En sens inverse, on peut faire valoir que le tribunal de la résidence du parent
avec lequel habitent les enfants, est mieux armé pour connaître du divorce
compte tenu du centre de gravité de la famille (A. Huet, note Clunet 1981. 362
et s.). Cet argument prend un relief particulier depuis que la France a retiré,
avec effet au 28 avril 1984, la réserve de l’article 15 de la Convention de La Haye
du 5 octobre 1961 qui soustrayait à l’emprise de celle-ci les mesures de protec-
tion des mineurs rendues nécessaires par le divorce de leurs parents. Doréna-
vant, cette question est soumise quant à la compétence des autorités et à la loi
applicable, au régime prévu par la Convention dès lors que l’enfant réside
habituellement dans un État contractant (art. 13). Il en résulte que le juge du
divorce ne sera, internationalement, compétent pour connaître du problème
de la garde des enfants que s’il est le juge de la résidence habituelle de l’enfant
ou celui de sa nationalité. De ce point de vue, le maintien, au plan internatio-
nal, de la hiérarchie prévue par l’article 1070 du Nouveau Code de procédure
civile apparaît préférable (sur cette question, v. Y. Lequette, note, Rev. crit.
1988. 342 et s.).

III. La communautarisation du droit international privé

12 Les principes de solution édictés par la jurisprudence Scheffel ne trouvent


plus matière à s’appliquer que de façon résiduelle. L’article 65 du Traité d’Ams-
terdam ayant transféré à l’Union européenne les compétences ayant trait à la
coopération judiciaire en matière civile, lesquelles englobent les conflits de
lois et les conflits de juridictions, un certain nombre de conventions internatio-
nales en vigueur, (Conv. de Bruxelles du 27 sept. 1968, dite Bruxelles I) ou en
cours de ratification (Convention de Bruxelles II) ont été refondues sous forme
de règlements communautaires. La première est devenue le Règlement de
Bruxelles I du 22 décembre 2001 qui est entré en vigueur le 1er mars 2002
(G. Droz et H. Gaudemet-Tallon, « La transformation de la Convention de
Bruxelles du 27 septembre 1968 en règlement du Conseil concernant la com-
pétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière
civile et commerciale », Rev. crit. 2001. 601), la seconde le Règlement de
Bruxelles II du 29 mai 2000 qui, entré en vigueur le 1er mars 2001 (H. Gaude-
met-Tallon, « Le Règlement no 1347/2000 du Conseil du 29 mai 2000 : com-
pétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et
en matière de responsabilité parentale des enfants communs », Clunet 2001.
381; B. Ancel et H. Muir Watt, « La désunion européenne : le Règlement dit
de Bruxelles II », Rev. crit. 2001. 405; N. Watté et H. Boularbah, « Le règle-
ment communautaire en matière matrimoniale et de responsabilité parentale »,
RTD familial 2000. 539), a été abrogé et remplacé par un Règlement dit de
Bruxelles II bis du 27 novembre 2003, entré en vigueur le 1er mai 2005, qui
ajoute au précédent un volet consacré au contentieux de la responsabilité
37 SCHEFFEL — CASS., 30 OCTOBRE 1962 329

parentale (B. Ancel et H. Muir Watt, « L’intérêt supérieur de l’enfant dans le


concert des juridictions : le Règlement de Bruxelles II bis », Rev. crit. 2005. 569;
A. Bigot, Dr. fam., mars 2004, chron. no 8).
S’agissant des litiges qui relèvent du champ d’application de Bruxelles I
(matière civile et commerciale à l’exception essentiellement du droit extra-
patrimonial et du droit patrimonial de la famille, du droit des procédures col-
lectives, de la sécurité sociale et de l’arbitrage), les règles de compétence
ordinaire n’ont plus lieu de jouer que si l’on est en présence d’un litige non
intégré à l’Union européenne. S’agissant des litiges qui relèvent du champ
d’application de Bruxelles II bis, c’est-à-dire principalement du divorce, la
place laissée aux règles de compétence ordinaire apparaît encore plus modeste.
Le règlement du 27 novembre 2003 prévoit, en effet, une série de règles de
compétence concurrente. Sont compétentes les juridictions de l’État-membre
sur le territoire duquel se trouve la résidence habituelle des époux, la dernière
résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore,
la résidence habituelle du défendeur (…), la résidence habituelle du deman-
deur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’intro-
duction de l’instance, la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé
depuis au moins six mois avant l’introduction de la demande et s’il est ressor-
tissant de l’État-membre en question, ou encore les juridictions de l’État dont
les deux époux ont la nationalité (art. 3) (Sur cette dernière hypothèse
v. Civ. 1re, 22 févr. 2005, Rev. crit. 2005. 515, note E. Pataut, D. 2005. 1459, note
S. Chaillé de Néré). Et ce n’est que si l’un quelconque de ces chefs de compé-
tence ne désigne pas les juridictions d’un État-membre qu’il sera fait applica-
tion des règles de compétence ordinaire (art. 7). C’est dire que celles-ci ne
jouent plus qu’à la marge, puisqu’il faut, pour qu’elles reçoivent application,
imaginer un époux étranger demandeur qui résiderait en France avec ses enfants
mineurs (art. 1070, 2°, NCPC) depuis moins de un an avant l’introduction de
l’instance.
Quoi qu’il en soit, libre de choisir entre l’une quelconque des juridictions
désignées par les règles communautaires, l’époux qui prend l’initiative de
l’action pourra opposer l’exception de litispendance à la demande qui serait
portée en second devant une autre juridiction (art. 19). C’est dire que le
demandeur initial se voit reconnaître un avantage considérable puisqu’il est en
mesure de peser très directement sur le droit applicable, les règles de conflit
de lois en matière de divorce n’étant pas unifiées. Si l’on y ajoute que la déci-
sion ainsi obtenue circulera ensuite très aisément entre les différents pays de
l’Union, il apparaît que le système avantage considérablement l’époux qui
ouvre les hostilités. On est bien loin de la préoccupation autrefois si forte de
la paix des ménages et des familles. On perçoit ainsi les intérêts auxquels est
ordonnée l’Union européenne : en facilitant au maximum la dislocation des
familles, lieu par excellence de gratuité, source de régulations propres, elle
laisse le champ libre à un ordre marchand qui aspire à traiter exclusivement
avec des consommateurs sans attache ni appartenance.
38-39
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

15 mai 1963 (deux arrêts)

(Rev. crit. 1964. 532, note P. Lagarde, Clunet 1963. 1016, note Malaurie,
JCP 1963. II. 13365, note Motulsky, 1er arrêt;
Rev. crit. 1964. 506, note P. Lagarde, Clunet 1963. 996, note Malaurie,
JCP 1963. II. 13366, note Motulsky, 2e arrêt)
Ordre public. — Divorce. — Conflit de décisions. —
Contrat de mariage. — Incapacité du mineur. —
Nullité. — Prescription.

L’existence d’un jugement français portant sur le même objet entre les
mêmes parties fait obstacle à toute reconnaissance en France de l’autorité
d’une décision étrangère incompatible avec lui (1er arrêt).
Lorsque l’application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit
française a pour résultat l’impossibilité simultanée du divorce et de la sépa-
ration de corps, une telle situation est à bon droit considérée comme contraire
à l’ordre public international français, et la séparation de corps peut être
prononcée par substitution de la loi du for aux droits étrangers normalement
compétents avec pour corollaire nécessaire le règlement des intérêts patrimo-
niaux des époux suivant les formes prévues par la loi française (1er arrêt).
Les règles habilitant un mineur à la conclusion d’un contrat de mariage
sont une simple modalité de son incapacité générale de contracter édictée,
comme celle-ci, dans son seul intérêt et ressortissant à sa loi personnelle à
la date du contrat (2e arrêt).
La sanction de l’inobservation des conditions de capacité nécessaires à
la validité du contrat de mariage demeure à tous égards soumise à la loi
sous l’empire de laquelle il a été conclu (2e arrêt).

(Patiño c/Dame Patiño)

Faits. — « Roman politico-juridique » (P. Lagarde, Rev. crit. 1964. 535), « imbroglio
juridique extraordinaire » (Ph. Malaurie, Clunet 1963. 1020), les expressions n’ont pas
manqué pour tenter le caractériser l’étonnante affaire Patiño. Plus de vingt ans de procé-
dure pour près de vingt décisions, tel en est le bilan français. Mais plus encore que
l’abondance du contentieux, c’est l’extrême diversité des questions posées ainsi que la
qualité des réponses qui leur ont été apportées qui en ont fait la célébrité. Non seule-
ment la plupart des grands problèmes du droit international privé y ont été évoqués,
mais encore elle a été, pour certains, l’occasion d’un pas décisif.
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 331

Comme il ne saurait être question dans les limites nécessairement restreintes d’un tel
ouvrage de reproduire la totalité des décisions, ne serait-ce que de la Cour de cassation,
auxquelles elle a donné lieu, notre choix s’est porté sur les deux arrêts rendus par celle-
ci le 15 mai 1963; bien que ne constituant que l’antépénultième intervention de la haute
juridiction dans cette affaire, ces décisions lui ont, en effet, permis de répondre à la plu-
part des questions soulevées. Toutefois, afin de permettre au lecteur de prendre une vue
d’ensemble de l’affaire et de saisir combien le caractère international d’une situation est
de nature à en accroître la complexité et à encourager les plaideurs pugnaces à renouve-
ler inlassablement leur prétention, on retracera ici les principales étapes de la procédure
qui les a précédés, en renvoyant, pour les aspects non traités au texte, aux différents
commentaires dans lesquels ceux-ci sont évoqués.
Maria Cristina de Bourbon, de nationalité espagnole, a épousé à Madrid, le 8 avril
1931, Antenor Patiño, de nationalité bolivienne. La veille, les futurs époux avaient, par
contrat de mariage, adopté le régime de la séparation de biens du droit bolivien; mineure,
la future Mme Patiño avait obtenu de son père adoptif l’autorisation de conclure cette
convention matrimoniale. Devenue bolivienne par son mariage, Mme Patiño s’établit
avec son époux à Paris. Puis, en raison de la guerre, elle se fixa à New York avec ses
enfants, son mari demeurant à Londres où il exerçait des fonctions diplomatiques. En
1944, après de premiers différends conjugaux qui donnèrent lieu, à l’initiative de l’épouse,
à une action en divorce devant les juridictions américaines, les époux Patiño tentèrent de
reprendre la vie commune; ils signèrent à cet effet à New York le 10 juillet 1944 une
convention par laquelle le mari promettait à son épouse de lui verser une importante
somme d’argent, celle-ci se désistant de sa demande en divorce et renonçant à toute
créance dans l’hypothèse où le divorce ou la séparation de corps serait prononcé. Cette
tentative fut malheureusement sans lendemain. Le 16 avril 1946, M. Patiño engagea une
action en divorce devant le Tribunal civil de la Seine. Celui-ci s’étant déclaré incompétent
(13 déc. 1946) au motif que les tribunaux français ne peuvent connaître d’un divorce entre
étrangers, sa décision fut infirmée en appel (Paris 12 mai 1947, JCP 1947. II. 3773,
note Lisbonne). Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation en profita pour proclamer par
un arrêt célèbre, le 21 juin 1948 (JCP 1948. II. 4422, obs. P. L. P., S. 1949. 1. 121, note
J. P. Niboyet, Rev. crit. 1949. 557, note Francescakis), l’abandon du principe d’incom-
pétence des tribunaux français dans les litiges entre étrangers. Cet apport essentiel de
l’affaire Patiño est traité dans le commentaire de l’arrêt Scheffel (supra, no 37 § 3).
L’obstacle de l’incompétence levé, le Tribunal de la Seine (28 juin 1950, Rev. crit. 1951.
648, note Motulsky, D. 1953. 175) déclara irrecevable la demande en divorce parce
qu’elle était prohibée par la loi espagnole à laquelle renvoyait partiellement la loi boli-
vienne, loi nationale des époux. C’est pourquoi, en appel, M. Patiño transforma sa
demande de divorce en demande de séparation de corps; celle-ci fut accueillie par la
Cour de Paris (12 mai 1951) mais son arrêt fut cassé pour violation de la règle du dou-
ble degré de juridiction (Civ., 21 oct. 1952, Bull. I, p. 222, no 272; et sur renvoi, Orléans
11 mai 1955, Gaz. Pal. 1955. 2. 53, RTD civ., 1955. 713, obs. Raynaud).
Là aurait pu s’arrêter le contentieux, au moins au regard de la France : M. Patiño se
désista en effet de son action devant les juridictions françaises et obtint des juridictions
mexicaines (Mexico, 14 nov. 1958) le prononcé du divorce à son profit exclusif. Mais
c’était compter sans son épouse, laquelle n’était pas restée inactive.
En premier lieu, désireuse de se prémunir contre les conséquences financières d’une
éventuelle dissolution du mariage, elle avait saisi le 1er août 1949 les juridictions espa-
gnoles afin que celles-ci annulent le contrat de mariage et déclarent les époux mariés
sous le régime de communauté. Après avoir obtenu satisfaction grâce à un arrêt infirmatif
de la Cour de Madrid du 23 mai 1954 maintenu par une décision du Tribunal suprême
du 1er juill. 1955, elle avait, plutôt que de demander l’exequatur de ces décisions, intro-
duit à titre principal une nouvelle action ayant le même objet devant les juridictions
332 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39

françaises. Fondée sur ce que la loi espagnole, compétente en tant que loi personnelle de
l’épouse au jour de la conclusion du contrat de mariage, exigeait non l’autorisation du
parent adoptif mais l’assistance du mineur par celui-ci, sa prétention fut accueillie en
première instance (T. civ. Seine, 17 oct. 1956, JCP 1956. II. 9688, obs. Bellet, Gaz. Pal.
1957. 1. 42, concl. Mazet), puis en appel (Paris 1er juill. 1959, JCP 1959. II. 11214,
concl. Combaldieu, Clunet 1960. 428, note Ponsard, D. 1959. 455, note Malaurie). C’est
au pourvoi formé contre cette décision que répond le second arrêt ci-dessous reproduit.
En second lieu, reprenant l’action dont son mari s’était désisté, Mme Patiño
demanda le prononcé de la séparation de corps. Là encore, elle obtint satisfaction tant
devant le Tribunal civil de la Seine (2 juill. 1958) que devant la Cour de Paris (1er juill.
1959, Clunet 1960. 412, note Ponsard, D. 1959. 431, note Malaurie) par application de
la loi française compétente en vertu de l’ordre public international français, la combi-
naison des lois bolivienne et espagnole empêchant tout relâchement du lien conjugal.
C’est au pourvoi formé contre cette décision que répond le premier arrêt ci-dessous
reproduit.
Ajoutons pour être complet qu’en marge du débat sur le relâchement du lien conjugal
et du contentieux relatif au régime matrimonial, lequel donnera lieu à un nouvel arrêt de
la Cour de cassation (Civ. 1re, 4 mars 1969, Bull. I, no 95, p. 72, Rev. crit. 1970. 747),
M. Patiño introduisit deux actions devant les juridictions françaises.
L’une ne retint guère l’attention des commentateurs; elle lui permit d’obtenir répara-
tion d’un abus de droit dans l’emploi des voies d’exécution dont son épouse s’était
rendu coupable à son encontre en le faisant arrêter aux États-Unis dans des circonstances
très particulières (Paris, 1er juill. 1959, JCP 1959. II. 11215). L’autre visait à obtenir de
son épouse la restitution des fonds qu’il lui avait remis en conformité de la convention
du 10 juillet 1944, convention dont l’exécution avait été ordonnée par des arrêts de la
Cour suprême de New York des 12 juillet 1945, 15 juillet 1949 et 14 juillet 1951 mais
dont la validité était contestée par lui devant les juridictions françaises. Accueillie en
première instance (T. civ. Seine, 5 févr. 1953, Rev. crit. 1954. 553), sa prétention fut
repoussée en appel (Paris, 7 juill. 1954, Rev. crit. 1954. 553, note Francescakis). L’inté-
rêt de ces décisions tient moins à leur libellé qu’au commentaire qu’elles inspirèrent à
Francescakis. Celui-ci saisit, en effet, cette occasion pour développer sa réflexion sur
les conflits de systèmes dans le temps. Ce dernier aspect de l’affaire Patiño a été évoqué
dans les observations relatives à l’arrêt Machet (supra, no 23 § 3). Mme Patiño ayant
demandé l’exequatur des décisions de la Cour suprême de l’État de New York ci-dessus
visées, l’affaire connut un dernier rebondissement avec un arrêt de la Cour de cassation
du 5 mars 1969 (Rev. crit. 1969. 546, note H. Gaudemet-Tallon).

1er ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen pris en ses diverses branches : — Attendu
que l’arrêt attaqué a prononcé entre les époux Anténor Patiño y Rodriguez et
Maria-Cristina de Borbon, mariés à Madrid le 8 mars 1931, et tous deux de
nationalité bolivienne, la séparation de corps à la demande de la femme; qu’il
lui est en premier lieu fait grief d’avoir déclaré inopposable et sans effet en
France un arrêt contradictoirement rendu à Mexico le 14 novembre 1958, pro-
nonçant à la demande du mari, le divorce entre les époux, cette inopposabilité
étant fondée sur le motif que la décision mexicaine est contraire aux règles fran-
çaises tant de conflits de juridictions, en ce que les tribunaux du Mexique
étaient territorialement incompétents, que de conflits de lois, en ce qu’il a été,
dans l’arrêt en question, fait application de la législation du District fédéral
mexicain, bien que la loi bolivienne, compétente à titre de statut national com-
mun des époux, renvoyât à la loi espagnole du lieu de célébration, laquelle ne
connaît pas le divorce, alors, selon le pourvoi, que d’une part, la fixation effec-
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 333

tive à Mexico du domicile du mari conférait compétence aux juridictions mexi-


caines, et que, d’autre part, le renvoi au droit du lieu de célébration statué par
l’article 24 de la loi bolivienne du 15 avril 1932 sur le divorce était rendu inopé-
rant par un nouveau renvoi de la loi espagnole à la loi nationale des époux, et
qu’enfin la cour d’appel ne constate pas qu’il y ait divergence entre les disposi-
tions mexicaines appliquées et celles de la loi bolivienne compétente; — Mais
attendu qu’un jugement du Tribunal de la Seine du 28 juin 1950, rendu entre les
époux Patiño, et passé en force de chose jugée, a précisément décidé, sur le fon-
dement du renvoi statué par la loi bolivienne au droit espagnol du lieu du
mariage, que leur union n’était pas susceptible d’être dénouée par le divorce;
que l’existence de ce jugement français portant sur le même objet entre les
mêmes parties, fait obstacle à toute reconnaissance en France de l’autorité
d’une décision étrangère incompatible avec lui; que ce motif de pur droit suffit
à justifier la décision de l’arrêt attaqué, quant à la non-opposabilité en France
de la décision mexicaine, abstraction faite des motifs critiqués par le pourvoi;
que le premier moyen doit donc être rejeté;
Sur les deuxième et troisième moyens réunis, pris en leurs diverses branches :
— Attendu qu’il est encore reproché à l’arrêt attaqué d’avoir sur le fondement
de l’ordre public international français, prononcé par application de la loi du
for, la séparation de corps des époux, puis conséquemment ordonné, conformé-
ment à cette même loi, la liquidation de leurs intérêts pécuniaires, alors que,
selon le pourvoi, aucune considération d’ordre public international n’était de
nature à justifier le recours à la loi du for pour ordonner une séparation de
corps, seule étant éventuellement possible, dans la mesure de l’urgence, l’appli-
cation des simples mesures provisoires prévues par la loi française, et qu’enfin
les effets sur la situation patrimoniale des époux d’une séparation de corps ne
relevant que de la loi de leur régime matrimonial, se trouvait de plus fort injus-
tifiée l’application, au titre de l’ordre public international, de la loi française au
règlement de leurs rapports pécuniaires; — Mais attendu que les juges du fond
ont, à bon droit, admis que l’application des règles de conflit françaises, en com-
binaison avec le contenu de la loi bolivienne, par eux souverainement appréciée
sans dénaturation, comme l’a été d’autre part la portée du renvoi par elle statué
à la législation espagnole et limité à la seule question de l’admissibilité du
divorce, avait pour résultat l’impossibilité à la fois et du divorce et de la sépara-
tion de corps; qu’en présence de semblable situation, contraire à l’ordre public
international français, l’arrêt attaqué a pu prononcer la séparation de corps par
substitution de la loi du for aux droits étrangers normalement compétents; que,
dans les circonstances de l’espèce, l’arrêt attaqué a considéré, à bon droit, que
pareille décision entraînait légitimement, par un corollaire nécessaire, le règle-
ment des intérêts patrimoniaux des époux suivant les formes prévues par la loi
française, sans que d’ailleurs, l’arrêt attaqué se prononce, en l’occurrence, ni sur
le régime matrimonial, ni sur la loi applicable au fond à sa liquidation; que les
deuxième et troisième moyens ne peuvent donc être davantage accueillis que
les précédents;
Sur le cinquième moyen (additionnel) : — Attendu que le pourvoi formé par
Patiño contre l’arrêt attaqué a été déposé le 24 décembre 1959; que, le 3 mars
1961, il a proposé un moyen additionnel nouveau; que ce moyen invoqué après
l’expiration du délai imparti à peine de déchéance par l’article 19 de la loi du
23 juillet 1947 est tardif et partant irrecevable; rejette les premier, deuxième,
troisième et cinquième moyens;
Mais sur le quatrième moyen : — Vu l’article 1351 du Code civil; — Attendu
que des énonciations de la décision attaquée, il résulte que, par arrêt du 7 juillet
1954, a été, en France, en application d’une loi étrangère, déclarée valable et
obligatoire une convention transactionnelle conclue entre les époux Patiño,
selon laquelle la femme, en considération de prestations pécuniaires exécutées
334 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39

par le mari, renonçait pour l’avenir à toute pension alimentaire dans l’éventua-
lité d’un divorce ou d’une séparation de corps; que néanmoins l’arrêt attaqué a,
nonobstant l’exception de chose jugée invoquée par Patiño, accordé à sa
femme, à l’occasion de la séparation de corps qu’il prononce, une pension ali-
mentaire, au motif erroné et inopérant que la convention litigieuse, valable
« sur le plan international », était en revanche nulle au regard du droit français,
alors que la solution antérieurement donnée sur ce point par une juridiction
française, en vertu de la loi étrangère jugée par elle compétente pour régir le
litige ainsi définitivement tranché, faisait obstacle à ce qu’on pût entre les
mêmes parties résoudre à nouveau le même litige en sens inverse par applica-
tion cette fois de la loi française; d’où il suit que l’arrêt attaqué a violé le texte
susvisé;
Par ces motifs : — Casse et annule dans les limites du quatrième moyen, l’arrêt…
Du 15 mai 1963. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Holleaux,
rapp.; Gavalda, prem. av. gén. — MMes Hersant, Célice, Mayer et Le Prado, av.

2e ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen en ses deux branches : — Attendu que
Antenor Patiño y Rodriguez, bolivien, et dame Maria-Cristina de Borbon,
mineure de 18 ans, alors de nationalité espagnole, ont conclu à Madrid, le
7 avril 1931, veille de leur mariage, un contrat de mariage soumettant leur
union conjugale aux lois boliviennes et établissant entre eux la séparation de
biens telle que définie par le droit bolivien; que dame Patiño ayant par la suite,
en 1955, introduit en France une action en nullité du contrat de 1931, fondée
sur son incapacité, il est fait grief à l’arrêt attaqué d’y avoir fait droit, par appli-
cation du droit espagnol, statut personnel de la future épouse à la date de l’acte
et régissant, à ce titre, les conditions de son habilitation à conclure un contrat
de mariage, alors que, selon les termes du pourvoi, d’une part, les règles parti-
culières relatives à semblable habilitation relèveraient d’une capacité spéciale,
soumise non au statut personnel de la partie mineure, mais à la loi bolivienne
en l’occurrence, régissant le contrat, et que d’autre part, et subsidiairement, à
supposer l’incapacité de la mineure régie par la loi espagnole, en revanche la
mise en œuvre de la nullité en découlant, et spécialement la prescription de
cette action en nullité, est soumise au droit bolivien, statut personnel commun
des époux à compter du mariage, et gouvernant de surcroît l’ensemble de leurs
rapports matrimoniaux; — Mais attendu que c’est par une exacte qualification
que les juges du fond ont vu dans les règles habilitant un mineur à la conclusion
d’un contrat de mariage une simple modalité de son incapacité générale de
contracter, édictée comme celle-ci dans son seul intérêt et ressortissant à sa loi
personnelle (en l’espèce espagnole) à la date du contrat, et qu’en admettant
donc, par application de l’article 1318 du Code civil espagnol, l’incapacité de la
future épouse et la nullité qui la sanctionne, ils n’ont fait qu’user de leur pou-
voir souverain pour interpréter la loi étrangère reconnue compétente, dont la
dénaturation n’est pas alléguée; que d’autre part, c’est également à bon droit
qu’ils ont décidé que la sanction de l’inobservation des conditions de capacité
nécessaires à la validité d’un contrat de mariage demeure à tous égards soumise
à la loi sous l’empire de laquelle il a été conclu; que le changement ultérieur du
statut personnel de la partie incapable, non plus qu’aucune considération tirée
de la loi régissant pendant le mariage l’union conjugale, ne peuvent avoir pour
effet de modifier les conditions de fond de la mise en œuvre de la nullité encou-
rue, cette mise en œuvre, et notamment la prescription de l’action destinée à la
faire valoir, formant avec l’incapacité originaire et sa sanction un ensemble
indissociable, soumis à une unique loi; d’où il suit que le moyen est mal fondé
en ses deux branches;
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 335

Sur le deuxième moyen en ses diverses branches : — Attendu que le pourvoi


fait encore valoir qu’à supposer nul le contrat de mariage, et en conséquence les
époux Patiño réputés mariés sous la communauté d’acquêts bolivienne, c’est à
tort que l’arrêt considère que cette communauté continuait encore à régir les
époux et rejette les conclusions de Patiño tendant à voir dire qu’elle avait cessé
au cours du mariage et avait été remplacée par la séparation de biens, alors
d’une part, que les dispositions du Code civil bolivien permettent à la femme de
renoncer en tous temps à la communauté, et que d’autre part, dame Patiño
avait précisément, dans l’accord transactionnel par elle passé à New York avec
son mari, le 10 juillet 1944, en déclarant renoncer à toute réclamation sur les
biens de son mari, manifesté en connaissance de cause de façon implicite mais
non équivoque la volonté de renoncer à la communauté d’acquêts, la cour
d’appel ayant au surplus omis de s’expliquer sur l’attitude de la femme au cours
de l’instance, terminée en 1954 et relative à la validité de la susdite convention
de 1944; — Mais attendu que des termes de l’arrêt il appert que rien n’établit la
volonté de dame Patiño de renoncer à la communauté et que notamment, de
l’économie de l’accord de 1944, réglant les conditions d’une reprise de la vie
commune sur le fondement du contrat de mariage de séparation de biens de
1931, dont la validité était alors tenue pour indubitable par les époux, on ne
saurait induire, pour cette raison même, aucun indice d’une intention quelcon-
que de la part de dame Patiño d’écarter dans les termes de la loi bolivienne, un
régime de communauté dont elle ignorait l’existence; que ces constatations de
fait et d’intention des parties énoncées par la cour d’appel — qui n’avait pas
d’autre part à suivre Patiño dans le détail de son argumentation (notamment en
ce qui concerne l’instance de 1954 incidemment énoncée dans ses écritures) —
suffisent à justifier la décision des juges du fond sans qu’il y ait à s’arrêter aux
motifs surabondants critiqués par la 1re branche du moyen; d’où il suit que le
second moyen n’est pas mieux fondé que le premier et que l’arrêt attaqué, qui
est motivé, a légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 15 mai 1963. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Battestini, prem. prés.; Holleaux,
rapp.; Gavalda, prem. av. gén. — MMes Hersant, Célice, Mayer et Le Prado, av.

OBSERVATIONS
1 Relâchement du lien conjugal, remplacement du régime séparatiste par un
régime communautaire, tels étaient, on l’a vu, les deux axes de la stratégie de
Mme Patiño. Mais, étroitement imbriquées en ce qu’elles répondent à des
demandes concourant à la réalisation d’un même dessein, les deux décisions
ci-dessus reproduites n’en soulèvent pas moins des problèmes juridiques pro-
fondément différents. Aussi bien seront-elles étudiées successivement.

I. Le relâchement du lien conjugal

2 À la demande de séparation de corps formée par son épouse, M. Patiño


objectait, d’une part, l’existence d’une décision de divorce mexicaine, laquelle
bénéficiant d’une autorité provisoire de chose jugée (v. supra, arrêts Bulkley,
no 4 et de Wrède, no 10), aurait fait obstacle à la poursuite de l’action en
France, d’autre part, la teneur de la loi bolivienne, loi nationale commune des
époux qui ne connaissait plus depuis la réforme du 15 avril 1932 instituant le
336 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39

divorce, la séparation de corps. Aucun de ces arguments n’emporta la convic-


tion de la cour d’appel. La décision mexicaine fut déclarée inopposable en
France parce que rendue par un juge incompétent selon une loi qui l’était éga-
lement. Quant à la loi bolivienne, elle fut écartée comme contraire à l’ordre
public en ce que combinée avec la loi espagnole à laquelle elle renvoyait par-
tiellement, elle interdisait tout relâchement du lien conjugal. Alors que le pour-
voi contestait cette double argumentation, la Cour de cassation se place pour
rejeter le premier moyen sur un tout autre terrain que celui choisi par la cour
d’appel. Procédant par substitution de motifs, elle relève d’office qu’un juge-
ment français (T. civ. Seine, 28 juin 1950, préc.) revêtu de l’autorité de chose
jugée (sur cette question, v. Motulsky, note, JCP 1963. II. 13365) avait déjà
décidé que le mariage des époux Patiño n’était pas susceptible d’être dissous
par divorce; incompatible avec la décision mexicaine, ce jugement faisait donc
obstacle à l’efficacité de celle-ci. Le pouvoir que se reconnaissait ainsi la Cour
de cassation de soulever d’office le moyen tiré de l’autorité de chose jugée sur-
prit les commentateurs (A). Bien que plus classique, sa réponse aux deuxième
et troisième moyens relatifs à l’exception d’ordre public n’en contient pas
moins également de précieux enseignements quant à l’étendue de l’effet subs-
titutif de l’ordre public (B). En revanche, le dernier moyen qui permit à
M. Patiño d’obtenir satisfaction et qui avait trait à l’étendue de l’autorité de
chose jugée de l’arrêt de la Cour de Paris du 7 juillet 1954 (préc.) n’intéresse
que fort peu le droit international privé. Il ne sera donc pas commenté ici (sur
cette question, v. Ponsard, note Clunet 1960. 422).
3 A. — La surprise des commentateurs tenait sans doute plus à la forme qu’au
fond. En effet, lorsque le motif écarté est, comme en la cause, à l’abri de la
critique, son remplacement par un motif préférable est un procédé d’autorité
particulièrement énergique qui confère un éclat très vif à l’arrêt qui s’y livre.
Relevant d’office le moyen tiré de l’existence d’un jugement français portant
sur le même objet entre les mêmes parties, la Cour de cassation assurait la pré-
valence des décisions françaises sur les décisions étrangères incompatibles
(1°) et, de l’avis général des commentateurs, traitait cette prévalence comme
un élément d’ordre public (2°).
4 1°) Contredisant le jugement de 1950, la décision mexicaine de divorce de
1958 — à la supposer par ailleurs susceptible de reconnaissance en France —
aurait dû l’emporter comme dernière en date. Dans le cas de conflit entre déci-
sions françaises, le droit judiciaire français met, en effet, en œuvre un critère
chronologique qui désigne la plus récente dès lors que la fin de non recevoir
tirée de l’autorité de chose jugée de la première décision n’a pas été soulevée
lors de la seconde instance (Civ., 3 mai 1912, S. 1912. I. 365; Civ., 10 févr. 1953,
JCP 1953. II. 7636, note Perrot, Gaz. Pal., 1953. I. 359; arg. art. 617, NCPC).
Pour écarter cette solution, il a suffi d’ériger l’exigence de compatibilité en
condition de régularité internationale de la décision étrangère (v. Motulsky,
JCP 1963. II. 13366). Ainsi tout conflit de choses jugées est prévenu : l’incom-
patibilité avec un jugement français entache d’irrégularité et « fait obstacle à
toute reconnaissance en France de l’autorité d’une décision étrangère ». La chose
jugée à l’étranger est refoulée par le jugement français. Rationnellement, cet
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 337

abandon de la solution chronologique au profit de la prééminence de la déci-


sion française est cependant délicat à justifier.
La primauté de la décision française a pu d’abord être expliquée par le fait
qu’elle bénéficierait d’un meilleur crédit auprès des tribunaux français : les
décisions françaises sont entre elles réputées de même valeur et, à qualité égale,
la seconde l’emporte parce que le fait qu’on l’a demandée et obtenue implique
que l’on a renoncé à la première (v. D. Tomasin, Essai sur l’autorité de la
chose jugée en matière civile, 1975, no 314, p. 227-228; P. Hébraud, « Acte
juridictionnel et classification des contentieux », Rec. Acad. Législ. Toulouse,
1949, no 18, p. 172); en revanche, les décisions étrangères sont admises en
France sous réserve d’un contrôle qui exclut la connaissance de la cause,
c’est-à-dire la révision (en matière d’état depuis l’arrêt de Wrède, v. supra,
no 10, en toute matière, depuis l’arrêt Munzer, v. infra, no 41). Dans ces condi-
tions il se conçoit que la préférence soit donnée aux décisions françaises
(P. Lagarde, Rev. crit. 1964, p. 539). Le critère chronologique est remplacé
par un critère de qualité, qui est aussi un critère d’origine. On ajoute que
l’accueil d’une décision étrangère « signifiant une renonciation à réaliser le
système juridique français… la renonciation ne saurait avoir lieu lorsque pré-
cisément le système français s’est réalisé » (D. Holleaux, J.-Cl. dr. int. 1977,
fasc. 584. A, no 178; Holleaux, Foyer et de Geouffre de La Pradelle, no 994).
Mais ce dernier argument ne vaut que pour le cas, qui est celui de l’espèce,
où la décision étrangère est postérieure à la décision française. Dans l’hypo-
thèse inverse, lorsque rien n’était accompli en France tandis que l’on jugeait à
l’étranger, c’est par application banale du critère chronologique que la chose
ultérieurement jugée en France l’emporte sur la chose jugée à l’étranger
(D. Holleaux, op. cit., no 179, Compétence du juge étranger et reconnaissance
des jugements, 1970, no 63, p. 70; Ph. Malaurie, note sous Civ. 1re, 8 janv.
1963, Hohenzollern, D. 1963, p. 342; v. cep. prenant appui sur la convention
franco-algérienne du 27 août 1964 pour accomplir, selon l’annotateur, quel-
ques « acrobaties juridiques, » Civ. 1re, 9 janv. 1996, Rev. crit. 1996. 719, note
H. Muir Watt). Or, cette doctrine qui distingue selon l’ordre chronologique se
concilie mal avec l’arrêt qui, pour sa part, ne distingue pas, parmi les déci-
sions étrangères, celles qui ont été prononcées avant et celles qui ont été pro-
noncées après le jugement français antagoniste. De même, la portée de l’argu-
ment fondé sur les valeurs respectives des décisions françaises et étrangères
est douteuse lorsque les tribunaux français n’avaient pas de compétence exclu-
sive pour connaître de l’affaire tranchée à l’étranger ou lorsque la loi applica-
ble n’était pas la loi française mais celle du juge étranger.
5 En réalité, la solution est historiquement apparue avec l’application d’ancien-
nes conventions internationales prévoyant, tel le traité franco-sarde du 11 sep-
tembre 1760, l’admission en France mais sous condition d’un exequatur préa-
lable sans révision au fond des jugements en provenance de l’État cocontractant,
(v. Ph. Malaurie, Clunet 1963, p. 1030; V. Moissinac-Massenat, Les conflits de
procédure et de décisions en dr. int. pr., thèse Paris I, 2002). Dans ce système
qui exclut toute connaissance de la cause au fond par le juge requis, l’instance
d’exequatur n’a évidemment pas le même objet que l’instance directe qui a été
338 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39

portée devant le juge français dont la décision est incompatible avec la décision
étrangère. Ainsi écarté l’obstacle de la chose précédemment jugée en France, la
demande d’exequatur est recevable et la décision étrangère recevra la force exé-
cutoire dès lors qu’elle satisfera aux conditions de l’efficacité pourvu que parmi
celles-ci ne figure pas l’absence d’incompatibilité avec une décision française. Il
en résultera que si l’exequatur est accordé après que la décision française a été
rendue, la règle chronologique désignera la décision étrangère, peut-être plus
ancienne mais ayant acquis en France plus récemment l’autorité de la chose
jugée, et que si l’exequatur est accordé tandis que l’instance directe en France se
poursuit, l’autorité reconnue à la chose jugée à l’étranger provoquera l’irreceva-
bilité. C’est pour empêcher ce résultat que l’arrêt Negrotto a refusé « de rendre
exécutoire en France un jugement italien qui pourrait être contraire à celui que
devait prononcer l’un de nos tribunaux déjà saisi de la même contestation »
(Civ., 10 mars 1914, Rev. crit. 1914. 449, D. 1917. 1. 137, note J. Valéry; Lyon,
15 oct. 1920, Franzy, Clunet 1922. 683; rappr. Civ. 1re, 10 juin 1997, Hilmarton,
Clunet 1997. 1033, note E. Gaillard, Rev. crit. 1997. 376, note Ph. Fouchard,
RTD com. 1998. 329, obs. E. Loquin et J. C. Dubarry). L’exigence de compatibi-
lité a donc été intégrée parmi les éléments de la régularité internationale des
jugements étrangers pour éviter que ne se crée un déséquilibre à l’avantage de
ceux-ci. Cette intégration renversait l’ordre de préférence, les décisions étrangè-
res cédant devant les décisions françaises (Civ. 1re, 27 avr. 2004, Rev. crit. 2004.
610, note H. M. W.) et même devant les procédures françaises en cours.
Au moins, en ce qui concerne ce dernier aspect, ce nouveau déséquilibre,
inverse et réflexe, s’est atténué au fur et à mesure que s’installait l’idée que
les jugements étrangers non sujets à révision, en vertu du droit commun ou du
droit conventionnel, avaient dès leur prononcé autorité en France, avant même
que leur régularité ne fût vérifiée (sur ce point, v. supra, arrêt de Wrède,
no 10). Ainsi — sans insister sur la recevabilité de l’exception de litispen-
dance (v. infra, arrêt Miniera di Fragne, no 54) — faut-il constater qu’il a été
décidé, au rebours de l’arrêt Negrotto, que l’existence d’une instance pendante
en France n’interdisait pas de statuer sur la demande d’exequatur d’une décision
étrangère prononçant le divorce (Civ. 1re, 6 mars 1979, Bull. I, no 80, p. 65).
En revanche, l’on enseigne généralement que l’existence d’une décision
française, inconciliable avec la décision étrangère fait obstacle à la recon-
naissance de celle-ci (Batiffol et Lagarde, t. II, no 727; P. Mayer et V. Heuzé,
no 450). La solution a d’ailleurs été consacrée par le droit conventionnel notam-
ment par le Règlement (CE) du 22 décembre 2000 (art. 34.3) à la suite de l’arti-
cle 27-3 de la Convention de Bruxelles (v. cep. Gothot et Holleaux, La Conven-
tion de Bruxelles du 27 sept. 1968, nos 276 et s., qui considèrent qu’au cas où la
décision de l’État requis est postérieure à celle dont la reconnaissance est en ques-
tion, le conflit devrait être tranché par le recours à la procédure spéciale pré-
vue par l’article 618 du Nouveau Code de procédure civile; pour le divorce et,
plus généralement, le contentieux conjugal, v. Règlement du 27 nov. 2003, dit
Bruxelles II bis, art. 22c).
6 2°) S’appuyant sur la jurisprudence et notamment sur l’arrêt de Wrède
(supra, no 10), la doctrine analyse généralement cette exigence comme l’une
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 339

des composantes de la conformité de la décision étrangère à l’ordre public


international (v. cep. la note G. H. sous Hohenzollern, Civ. 1re, 8 janv. 1963,
Rev. crit. 1963. 118), ce qui du même coup, expliquerait l’initiative prise par la
Cour de cassation dans la présente affaire. Il est de règle en effet que les
moyens dits d’ordre public — procédural interne — peuvent être relevés d’office
par le juge, serait-il juge de cassation (Boré, La cassation en matière civile,
no 2618). Or, même aux yeux de ceux qui doutent que chaque condition de
régularité internationale fonde un moyen de cette nature (v. obs. infra, sous
arrêt Munzer, no 41 § 21 et s.), il est certain qu’en constitue un celui qui se
déduit de la non conformité à l’ordre public international. Mais ainsi comprise,
la substitution de motifs demande au moins que soit expliquée l’absorption de
l’exigence de compatibilité par la notion d’ordre public.
On en connaît l’origine : c’est toujours l’application des traités supprimant
le pouvoir de révision ; énumérant les chefs de contrôle, ils réservaient la
conformité à l’ordre public. La notion était accueillante… Ultérieurement les
auteurs ont observé que « la contrariété de jugements est… un cas où l’ordre
social serait troublé si on pouvait se prévaloir de deux jugements contradictoi-
res » (Niboyet, Traité, t. VI, no 2038) et s’appuyant formellement sur les ter-
mes des arrêts (de Wrède, Negrotto, préc.) ils concluaient que « les décisions
de la justice française sont constitutives de l’ordre public en France; donner
effet à une décision étrangère porterait atteinte à cet ordre public » (Batiffol,
Traité, 3e éd., no 761, p. 854). On pouvait toutefois être sceptique sur l’oppor-
tunité de maintenir les formules anciennes et même penser que pour la cohé-
rence de l’ordre juridique français, de « l’ordre social », l’incompatibilité de
deux jugements français — que rend possible le caractère d’intérêt privé de
l’exception de chose jugée — est un symptôme beaucoup plus inquiétant que
celle qui met aux prises un jugement français et un jugement venu d’ailleurs.
C’est sans doute cette constatation qui a conduit M. Paul Lagarde (Rev. crit.
1964. 539) à suggérer que l’ordre public n’était intéressé que dans le cas où
les décisions inconciliables concernaient des droits échappant à la libre dispo-
sition des plaideurs.
Dans la ligne de cette proposition, la Cour de cassation devait d’ailleurs
décider par la suite, mais dans le cadre du droit interne, qu’en matière d’état
des personnes, l’exception de chose jugée est d’ordre public et peut être sou-
levée d’office par le juge (Civ. 1re, 19 mai 1976, Sellam, Bull. I, no 184,
p. 148, RTD civ. 1976. 820, obs. J. Normand). L’arrêt Patiño anticipait ainsi
au plan international une solution qui ne sera arrêtée sur le plan interne que
treize ans plus tard. Ce phénomène d’anticipation pourrait aussi être relevé à
propos d’une autre solution introduite dans le droit interne par un arrêt de la
Chambre sociale du 4 juillet 1967, selon lequel « si le moyen tiré de la chose
jugée n’est pas d’ordre public et ne peut en principe être soulevé d’office, il
en va différemment au cours d’une même instance lorsqu’il est statué sur
les suites d’une précédente décision passée en force de chose jugée » (Soc.
4 juill. 1967, Bull. IV, no 557, p. 486, RTD civ. 1961. 191, obs. P. Hébraud;
Civ. 3e, 6 déc. 1972, Bull. III, no 425; Com., 26 juin 1984, Bull. IV, no 205,
p. 171; 18 déc. 1984, Bull. IV, no 350; 16 mars 1996, D. 1996, IR 119). L’unité
du procès impose au juge de connaître des jugements qui y ont été antérieure-
340 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39

ment prononcés. Or la Cour de Paris avait rendu l’arrêt attaqué du 1er juillet
1959 dans l’instance ouverte par l’assignation de 1946 et dans laquelle avait été
prononcé le jugement, indûment négligé, du 28 juin 1950… (comp. Ph. Théry,
Pouvoir juridictionnel et compétence, thèse multigr., no 333; v. aussi G. Pugliese,
Encicl. del Dir., vo Guidicato Civile [dir. vig.], no 6, distinguant à la manière
des Allemands chose jugée matérielle [materielle Rechtskraft] et chose jugée
formelle [formelle Rechtskraft], laquelle caractérise la décision antérieure-
ment prononcée dans le même procès et qui n’est plus susceptible de recours).
Il ne serait plus, au demeurant, nécessaire aujourd’hui d’établir que le
moyen était d’ordre public. Les moyens de pur droit peuvent, en effet, doréna-
vant être relevés d’office par la Cour de cassation alors même qu’ils sont
d’intérêt privé. C’est là une des innovations du Nouveau Code de procédure
civile (art. 620, al. 2, dont l’utilisation n’est peut-être pas toujours opportune,
v. la note de Mme H. Gaudemet-Tallon sous les arrêts Lemaire, Civ. 1re, 22 avr.
1986 et 6 juill. 1988, Rev. crit. 1989. 89, spéc. p. 96 et s.).

7 B. — Une fois éliminé l’obstacle que constituait la décision mexicaine de


divorce, il restait à rechercher si le jeu normal des règles de conflit conduisait,
ou non, en l’espèce à un résultat contraire à l’ordre public. À cet égard, les
enseignements du premier arrêt ci-dessus reproduit sont d’une inégale impor-
tance. Alors que le seuil qu’il fixe à l’intervention de l’ordre public est
aujourd’hui au moins partiellement périmé (1°), son apport reste essentiel en
ce qui concerne la détermination de l’étendue de son effet substitutif (2°).

8 1°) La difficulté avait sa source dans une singularité du droit bolivien. Tout
en connaissant le divorce, celui-ci subordonnait son prononcé en cas de mariage
célébré à l’étranger, à la condition que la loi du lieu de célébration l’admît éga-
lement (art. 24, L. 15 avr. 1932). Or les époux Patiño s’étaient mariés en Espa-
gne, pays qui à l’époque ne retenait que la séparation de corps comme mode de
relâchement du lien conjugal.
Quel sens exact donner à cette référence de la loi bolivienne à la loi
espagnole ? Le Tribunal civil de la Seine dans son jugement du 28 juin 1950
(préc.) y vit un « renvoi partiel à la législation d’un État tiers », c’est-à-dire un
renvoi au second degré (sur cette notion, v. supra, no 16 § 4). Plus précisé-
ment, alors que les causes et les effets du divorce restaient régis par la loi
bolivienne, loi personnelle des époux, la dissolubilité du mariage relevait
selon le droit international privé bolivien de la lex loci celebrationis qui ren-
voyait ainsi à la loi espagnole. Reprise par la Cour de cassation à laquelle la
question n’était d’ailleurs pas directement posée, cette analyse a été approu-
vée par la majorité des auteurs. Ainsi Motulsky estimait-il qu’on était en pré-
sence d’une véritable hypothèse de renvoi car la loi bolivienne opérait au pro-
fit de la loi espagnole une véritable « transmission de compétence » (note,
Rev. crit. 1951. 652; v. aussi Batiffol et Lagarde, t. I, no 307; Malaurie, note,
Clunet 1963. 1022 et s.). Il est cependant permis de se demander s’il ne
s’agissait pas ici, plutôt que d’un renvoi de la loi bolivienne à la loi espagnole,
d’une hypothèse de prise en considération de certaines dispositions substan-
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 341

tielles de la seconde par la première (sur cette notion, v. P. Mayer et V. Heuzé,


no 139; E. Fohrer, La prise en considération des normes étrangères, thèse Paris II,
2004). La règle bolivienne énonce, en effet, la solution de la question de droit
tout en la subordonnant au contenu d’une autre règle substantielle qu’elle dési-
gne par un élément de rattachement. En d’autres termes, elle intègre à son pré-
supposé une disposition du droit espagnol. Le même procédé est employé par
le droit pénal international français lorsqu’il subordonne dans l’article 113-6, al 2
du Nouveau Code pénal (anc. art. 689, al 2, C. pr. pén.) la compétence de la loi
pénale française pour réprimer les agissements qualifiés délit par celle-ci dont un
Français s’est rendu coupable à l’étranger, à la condition que ceux-ci soient égale-
ment punis par la loi du pays de commission. Il s’agissait au demeurant ici non de
corriger une localisation déficiente mais d’atteindre un objectif matériel précis :
éviter que la Bolivie, seul pays de la région à connaître le divorce, ne devienne
pour les ressortissants des pays voisins une sorte de Nevada sud-américain.
Quoi qu’il en soit, le résultat était là : les époux Patiño ne pouvaient ni
divorcer parce que la loi espagnole l’interdisait, ni être séparés de corps parce
que la loi bolivienne ignorait l’institution. Confrontés à cette double impos-
sibilité, les juges du fond l’avaient déclarée contraire à l’ordre public interna-
tional français. La Cour de cassation les en approuve. De fait, on ne pouvait
admettre que le mariage devînt une « prison sans issue ». Même le droit canon
qui a conçu les liens matrimoniaux sous leur forme la plus astreignante admet
comme une nécessité qu’un tempérament puisse être apporté aux unions man-
quées (Malaurie, note, D. 1959. 434). La décision précisait ainsi utilement le
contenu de l’ordre public international français à l’encontre des lois étrangè-
res plus restrictives que la nôtre : si celui-ci n’imposait pas la faculté de divor-
cer (Req. 12 févr. 1895, DP 1896. 1. 377; Civ., 25 févr. 1947, Rev. crit. 1947.
444), encore fallait-il qu’existât un remède à la mésentente des époux.
9 En dépit de la libéralisation qui en est résultée, la réforme du 11 juillet 1975
n’entraîna pas dans un premier temps de modification de cette solution. À
deux reprises, la Cour de cassation réaffirma que « l’application de la loi étran-
gère qui ignore le divorce sans interdire tout moyen de mettre fin à la vie com-
mune n’est pas contraire à la conception française de l’ordre public interna-
tional » (Civ. 1re, 10 juill. 1979, Van der Plassche, Rev. crit. 1980. 91, note
H. Gaudemet-Tallon, Clunet 1980. 310, note Audit; v. aussi Civ. 1re, 8 nov.
1977, Rev. crit. 1979. 395, note Loussouarn, Clunet 1978. 587, note D. Alexan-
dre). Mais le maintien de cette solution devenait de plus en plus difficile depuis
que les nouvelles règles de conflit issues de la loi du 11 juillet 1975, pleines de
sollicitude pour les étrangers domiciliés en France, avaient abandonné aux
aléas de l’unilatéralisme le sort du Français qui n’avait en commun avec son
conjoint ni la nationalité française, ni un domicile en France. Aussi bien la
Cour de cassation devait-elle, par un arrêt du 1er avril 1981 (de Itturalde de
Pedro, Clunet 1981. 812, note D. Alexandre), admettre l’intervention de
l’ordre public pour permettre au Français domicilié en France de demander le
divorce contre son conjoint étranger domicilié à l’étranger, dans le cas où la loi
personnelle de ce dernier prohibant le divorce se reconnaîtrait compétente au
sens de l’ancien article 310 du Code civil (comp. P. Mayer et V. Heuzé, no 589).
342 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39

Rappelant l’arrêt Ferrari (supra, no 12), cette décision ne semble pas permettre
à l’époux étranger d’invoquer l’exception d’ordre public contre son conjoint
français. Critiquée parce qu’elle engendre des discriminations entre époux
français et étranger, cette solution paraît pourtant bien imposée par la lettre
de l’arrêt. Celle-ci commande également, semble-t-il, l’application des lois
étrangères prohibitives dans les rapports entre époux étrangers (sur ce que la
Convention européenne des droits de l’homme ne consacre pas un droit au
divorce, v. CEDH, 18 déc. 1986, Johnston, Clunet 1987. 812).

10 2°) Quelles conséquences déduire de cette contrariété ? L’ordre public pres-


crit, on le sait, l’éviction de la loi étrangère normalement compétente et son
remplacement par la loi française. Mais dans quelle proportion ? C’est tout le
problème de l’étendue de la substitution. Celle-ci doit-elle être intégrale ou
partielle ? Le premier arrêt ci-dessus reproduit se prononce pour une solution
moyenne : la loi française n’évince en principe la loi étrangère que dans la
mesure strictement requise par les exigences de l’ordre public. Néanmoins
lorsque la cohérence de son application requiert son extension à une question
qui en constitue le corollaire nécessaire, celle-ci sera réputée imposée par
l’ordre public. Ainsi l’étendue d’intervention de l’ordre public trouve-t-elle ses
limites non seulement dans la contrariété des dispositions étrangères avec nos
principes mais encore dans la possibilité de coordonner la loi française avec le
système étranger.
Déjà affirmée à plusieurs reprises par la haute juridiction (Civ., 8 nov.
1943, Fayeulle, Rev. crit. 1946. 273, D. 1944. 65, note Savatier, JCP 1944.
II. 2522, note P. L. P.; Civ. 1re, 15 juill. 1963, Sellam, Bull. I, no 392; 17 nov.
1964, JCP 1965. II. 13978, concl. Lindon, Rec. Gén. Lois 1965, p. 249, no 311,
obs. Droz), cette directive est mise en œuvre avec beaucoup de finesse dans
l’arrêt ci-dessus reproduit. La Cour de cassation y approuve les juges de fond
d’avoir décidé que le lien conjugal pouvait être relâché par une séparation de
corps. Certes il n’y est pas précisé si cette séparation sera ou non convertible
de droit au bout de trois ans. Mais la plupart des commentateurs se prononcè-
rent pour la négative (Ponsard, note Clunet 1960. 422; Malaurie, note Clunet
1963. 1028; Motulsky, note JCP 1963. II. 13365; P. Lagarde, note Rev. crit.
1964. 541). De fait, permettre aux époux de divorcer immédiatement ou à
terme, c’était aller au-delà de ce qu’exigeaient les nécessités impérieuses
de l’ordre public, puisque la faculté de divorcer n’avait pas ce caractère.
Inversement, n’admettre qu’une séparation des résidences, comme le suggé-
rait l’auteur du pourvoi, c’était retenir un remède trop rudimentaire ne per-
mettant pas un véritable relâchement du lien conjugal.
Encore fallait-il pour que la nouvelle situation fût viable qu’intervînt un
règlement des intérêts pécuniaires des époux Patiño; on conçoit mal, en effet,
des époux séparés de corps vivant sous un régime de communauté. Or, igno-
rant la séparation de corps, la loi bolivienne qui régissait le régime matrimo-
nial n’en faisait évidemment pas une cause de dissolution de celui-ci. Usant
de la seconde partie de la directive dégagée ci-dessus, la Cour relève que
l’arrêt attaqué a considéré à bon droit que la décision de prononcer la sépara-
tion de corps selon la loi française entraînait, par un corollaire nécessaire, le
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 343

règlement des intérêts patrimoniaux des époux selon les formes prévues par la
loi française. La portée de l’affirmation doit être précisée. Ce qui est commandé
en l’espèce par l’ordre public français, c’est le « principe même » d’un règle-
ment des intérêts pécuniaires des époux car on ne conçoit pas en droit français
de séparation de corps sans conséquence patrimoniale (P. Lagarde, note Rev.
crit. 1964. 542; D. Cocteau-Senn, Dépeçage et coordination dans le règle-
ment des conflits de lois, thèse Paris I, 2001, no 688, p. 530). En revanche, les
autres aspects de la liquidation obéissent aux lois normalement compétentes :
lex fori pour les règles de forme comme le rappelle l’arrêt, loi applicable au
régime pour le surplus (Versailles, 13 janv. 1994, D. 1994, IR p. 101). C’est
précisément à la résolution des difficultés soulevées par la détermination de
celui-ci que s’emploie le second arrêt ci-dessus reproduit.

II. Le régime matrimonial

11 À la différence de son « jumeau » (Malaurie, note préc.), le présent arrêt


énonce des solutions dont le temps n’a en rien altéré la positivité.
À la suite de péripéties dont on a déjà fait état, Mme Patiño demanda et
obtint du Tribunal civil de la Seine (17 oct. 1956, préc.), puis de la Cour de
Paris (1er juill. 1959, préc.) le prononcé de la nullité de son contrat de mariage.
Corrélativement ces juridictions décidèrent que les époux Patiño étaient sou-
mis au régime légal bolivien (la communauté d’acquêts) car, avant même le
choix d’un régime conventionnel, ils avaient dans leur contrat déclaré soumet-
tre la société conjugale à cette loi. La motivation apparaissait, au moins au
premier abord, doublement paradoxale. Peut-on, en effet, déduire une inten-
tion commune d’un acte nul ? Plus précisément, est-il cohérent après avoir
prononcé la nullité d’un contrat de mariage de se fonder sur l’une de ses clau-
ses pour déterminer la loi à laquelle les époux ont entendu soumettre leurs
biens ? La réponse est positive si l’on admet qu’un acte nul en tant que créa-
teur de situation juridique peut valoir comme révélateur d’intention (Ponsard,
note Clunet 1960. 440 et références citées). Mais n’est-il pas alors contradic-
toire d’utiliser la déclaration figurant au contrat de mariage pour soumettre les
époux à un régime communautaire alors qu’ils avaient expressément choisi un
régime séparatiste ? Là encore, cette difficulté peut être dépassée si l’on consi-
dère avec H. Batiffol que l’objet propre de la volonté des parties est la locali-
sation du contrat et non le choix de la loi (sur cette conception, v. supra,
nos 11 § 8 et 35 § 5). Quoi qu’il en soit, sans doute parce que la question était
dépourvue d’intérêt pratique les législations en présence connaissant toutes un
régime communautaire, ce second aspect de la décision n’était pas contesté
par le pourvoi. Concentrant sa critique sur le prononcé de la nullité du contrat
de mariage, son auteur opposait à celui-ci deux arguments réunis dans les
deux premières branches du premier moyen du pourvoi. Le premier était
déduit de la qualification des règles relatives à la capacité d’un mineur de pas-
ser un contrat de mariage (A). L’autre était tiré de la loi applicable à la pres-
cription de l’action en nullité du contrat de mariage (B).
344 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39

12 A. — L’incapacité d’un mineur de passer un contrat de mariage relève-t-elle


de sa loi personnelle ou de la loi du régime ? Telle était la première question
soulevée par le pourvoi. Sa solution n’était pas évidente. Certes l’article 3,
alinéa 3 du Code civil dispose que « les lois concernant l’état et la capacité des
personnes régissent les Français même résidant à l’étranger ». Mais derrière la
notion de capacité se dissimulent des institutions passablement hétérogènes
(Francescakis, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Capacité, no 5) qui ne relèvent
pas toutes de cette règle de conflit. Jurisprudence et doctrine distinguent, en
effet, les incapacités générales et les incapacités spéciales.
Les premières (celles du mineur, du majeur en tutelle ou en curatelle…)
concernent la personne comme telle. Destinées à protéger certains individus
contre eux-mêmes en raison d’une maturité insuffisante ou de déficiences
psychiques c’est-à-dire de caractères qui leur sont inhérents, elles doivent les
suivre partout où ils vont et à travers tous leurs actes. Aussi bien la Cour de
cassation a-t-elle énoncé très tôt dans l’arrêt Dame de Crotat que « le statut
est personnel lorsqu’il règle directement et indéfiniment la capacité ou l’inca-
pacité générale et absolue des personnes de contracter » (Cass. réun., 27 févr.
1817, S. 1817. 1. 122, concl. Proc. gén. Mourre).
Les secondes, telles celles qui empêchent le médecin ou le ministre du culte
de recevoir une libéralité de celui qu’il a soigné ou assisté durant sa dernière
maladie, sont édictées en vue de prohiber certaines catégories d’actes jugés
dangereux en eux-mêmes, indépendamment de l’état de la personne concer-
née. Aussi obéissent-elles au contraire selon la doctrine dominante à la loi
de la matière dont elles relèvent, la loi successorale dans l’exemple choisi
(Batiffol et Lagarde, t. II, nos 487 et 651; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-
Sommières, no 278; P. Mayer et V. Heuzé, no 517; v. cep. contra, Ponsard, Rép.
Dalloz dr. int., 1re éd.,v° Disposition à titre gratuit, no 11). Certes, l’idée de pro-
tection n’est pas absente; le malade sera défendu contre les abus d’influence
dont il risque d’être l’objet. Mais ces incapacités ne sont pas établies en fonc-
tion de la personnalité de ceux qui en sont frappés; elles constituent toujours
un aspect particulier du fonctionnement d’une institution soumise à une loi
propre.

13 Qu’en est-il dans ces conditions de notre problème ? S’analyse-t-il en une


incapacité générale parce que frappant un mineur, ou en une incapacité
spéciale parce qu’existe une règle propre au contrat de mariage ? Entre ces
deux analyses, la Cour de cassation prend très nettement parti. Elle affirme que
les règles habilitant un mineur à la conclusion d’un contrat de mariage sont
une simple modalité de son incapacité générale de contracter, édictée comme
celle-ci dans son seul intérêt et ressortissant à sa loi personnelle. Réitérée ulté-
rieurement (Civ., 16 juill. 1971, Chelly, Rev. crit. 1972. 612, note Droz, Clunet
1972. 287, note Lehmann, D. 1972. 633, 1re esp., note Malaurie), cette solution
a été approuvée par la majorité des auteurs (Batiffol et Lagarde, t. II, nos 487
et 627; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 394; P. Mayer et
V. Heuzé, no 522; B. Audit, no 869; P. Lagarde, note Rev. crit. 1964. 509;
Motulsky, note JCP 1963. II. 13366; Malaurie, note Clunet 1963. 1000; v. cep.
contra, H. L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. IV, no 62; Overstake, « Le
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 345

contrat de mariage des incapables », RTD civ. 1971, p. 27, nos 65 et s.). De fait,
la soumission de l’incapacité du mineur à un régime particulier en matière de
contrat de mariage n’altère en rien sa nature d’incapacité générale. Ces dernières
sont, en effet, rarement l’objet d’un régime absolument uniforme; ainsi la pro-
tection que le législateur donne au mineur doit-elle s’adapter aux divers actes
que celui-ci est susceptible de passer (v. Cornu, « L’âge civil », Mélanges Rou-
bier, 1961, t. I, p. 9 et s.). Les soustraire à l’emprise de la loi personnelle de
l’incapable, ce serait méconnaître que tout régime d’incapacité « organise
l’ensemble des conséquences d’une infirmité donnée » et, partant, risquer
d’aboutir à des solutions incohérentes (P. Mayer et V. Heuzé, no 522). Ainsi
soumettre la capacité de conclure un contrat de mariage à la loi du régime,
c’eût été la disjoindre de la capacité de se marier alors que la règle habilis ad
nuptias, habilis ad pacta nuptialia marque la volonté du législateur français de
ne pas dissocier, en ce domaine, l’engagement personnel de l’engagement pécu-
niaire (Niboyet, Traité, t. V, no 1505, p. 401). Quant à l’argument déduit du
caractère absolu de la nullité, déjà contestable à l’époque dans la mesure où la
large diffusion de l’action en nullité n’empêchait pas que l’incapacité ait,
comme le note la Cour, pour fonction principale la protection du mineur, il a
perdu toute pertinence depuis que les lois du 13 juillet 1965 et du 3 janvier
1968 lui ont substitué une nullité relative. La solution n’est pas remise en
cause par la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux
régimes matrimoniaux, celle-ci excluant de son domaine d’application la ques-
tion de la capacité des époux (art. 1er, al. 2).

14 B. — À supposer la nullité admise, le pourvoi prétendait que sa prescriptibi-


lité dépendait du droit bolivien, statut personnel des époux à compter du
mariage; cette prétention n’était pas innocente, la prescription étant de dix ans
en droit bolivien, de trente ans en droit espagnol.

15 1°) La Cour de cassation repousse cette argumentation. Dans un attendu


d’une grande fermeté elle affirme que « la mise en œuvre de la nullité encourue
(…), et notamment la prescription de l’action destinée à la faire valoir forment
avec l’incapacité originaire et sa sanction un ensemble indissociable soumis à
une loi unique ». Ainsi, la prescription de l’action en nullité relève de la loi de
la condition transgressée. En affirmant cette solution de manière aussi nette, la
haute juridiction n’innovait guère. Par un arrêt du 11 juillet 1928 (Clunet
1931. 381), elle avait déjà soumis la prescription de l’action en rescision pour
lésion dans un partage de société à la loi du partage. Quant à l’arrêt Silvia
(v. supra, no 29), il affirmait que « la sanction d’(une) incapacité et notamment
le délai d’exercice de l’action en nullité sont soumis à la loi personnelle ».
(v. aussi à propos du mariage putatif, supra, no 28 § 5). Un principe analogue
avait au demeurant déjà été retenu à propos des actions relatives à l’état des
personnes. Selon l’arrêt Imbach du 10 mai 1960 (Rev. crit. 1960. 205, note
Batiffol, Clunet 1961. 126, note Ponsard, D. 1960. 548, note Malaurie), « le
délai d’exercice d’une action en déclaration judiciaire de paternité relié étroite-
ment en matière de filiation au fond du droit, est en conséquence régi par la loi
346 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39

nationale du demandeur ». En revanche, la même certitude ne se retrouvait pas


à l’époque, à propos de la loi applicable à la prescription extinctive des obliga-
tions. Par un arrêt Albrecht du 13 janvier 1869 (S. 1869. 1. 49, note Labbé,
DP 1869. 1. 135), la Cour de cassation avait, en effet, posé qu’en la matière
« les règles de prescription sont celles de la loi du domicile du débiteur », sans
que la justification profonde de la solution apparût nettement. La compétence
des tribunaux français ayant son fondement normal dans la règle actor sequi-
tur, la Cour de cassation n’avait-elle pas entendu viser la lex fori sous le cou-
vert de la loi du domicile ? Réaffirmée à plusieurs reprises, cette solution fut
partiellement remise en cause par l’arrêt Banque de Petrograd du 31 janvier
1950 (D. 1950. 216, note Lerebours-Pigeonnière, S. 1950. 1. 121, note Niboyet,
JCP 1950. II. 5541, note Weill, Rev. crit. 1950. 415, note Lenoan) qui laissait
au débiteur la faculté de choisir entre la loi contractuelle et la loi du domicile.
Cette innovation portait en elle la condamnation de la solution initiale. L’arrêt
soulignait, en effet, que la prescription ne pouvait « être arbitrairement dis-
sociée des autres stipulations du contrat et soustraite à la compétence de la lex
contractus ». Aussi bien la Cour de cassation devait-elle dans les arrêts Société
des Tabacs et Allumettes et Lloris tous deux du 21 avril 1971 décider que « la
prescription extinctive d’une obligation est soumise à la loi qui régit celle-ci »
(Rev. crit. 1972. 74, note P. Lagarde; v. depuis, Civ., 7 juin 1977, Rev. crit. 1978.
119, note Batiffol, Clunet 1977. 879, obs. Kahn; Civ. 1re, 8 févr. 1983, Clunet
1984. 123, note Légier; sur ces arrêts v. la lecture très personnelle de F. Hage
Chahine, Les conflits de lois dans l’espace et dans le temps en matière de pres-
cription, 1977, p. 194, nos 295 et s.). La prescription dépend donc aujourd’hui,
en principe, de « la loi applicable au fond » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 703),
car elle n’est qu’un aspect de la réglementation du droit (sur le cas particulier
de la prescription des jugements, v. Civ. 1re, 19 mars 1991, Rev. crit. 1992.
108, note B. Ancel).

16 Cette solution n’était cependant pas la seule concevable. Si la prescription


intéresse le fond du droit, elle n’est pas sans lien avec la procédure. Aussi bien
dans les pays de common law l’a-t-on longtemps soumise et la soumet-on
parfois encore à la loi du for (Sur le refus de faire jouer dans ce cas de figure
le renvoi de qualifications, v. Paris 3 mars 1994, Rev. crit. 1994. 532, note
B. Ancel, Clunet 1995. 607, note Légier, JCP 1995. II. 22367, note H. Muir Watt,
D. 1994, Som. com. p. 355, obs. Audit, maintenu par Civ. 1re, 11 mars 1997,
Rev. crit. 1997. 702, note B. Ancel, Clunet 1997. 789, note M. Santa-Croce,
D. 1997, IR p. 90). Et en France, il a été soutenu qu’« en droit interne le carac-
tère processuel de l’institution est prépondérant » (Motulsky, Rép. Dalloz dr.
int., v° Procédure civile et commerciale, no 43). Néanmoins cette analyse est
aujourd’hui très contestée (v. par ex., Hage Chahine, op. cit., nos 25 et s., p. 27;
A. Toubiana, Le domaine de la loi du contrat en droit international privé,
1972, no 104; Bandrac, La nature juridique de la prescription extinctive en
matière civile, 1986). Au demeurant, à la supposer fondée, ses partisans
s’accordent sur la nécessité de procéder à une déformation des catégories de
droit interne (Motulsky, op. et loc. cit.). Soumettre la prescription à la lex fori,
c’est en effet la faire dépendre du choix du tribunal et par conséquent encoura-
38-39 PATIÑO — CASS., 15 MAI 1963 347

ger le forum shopping. On retrouve ici l’idée que le contenu d’une catégorie
doit être défini en contemplation de son rattachement (v. supra, arrêt Silvia,
no 29 § 6).
La soumission à un principe de solution unique du conflit de lois relatif à la
prescription marque bien, au demeurant, qu’au-delà de la diversité de l’insti-
tution en droit interne, fort estompée d’ailleurs lorsqu’on analyse l’action en
nullité en un droit de critique, celle-ci puise son unité profonde dans le fait
qu’elle constitue « un élément de l’organisation du droit dont elle détermine le
contenu et contribue à modeler la contexture » (Dayant, « Les problèmes actuels
de conflit de lois en matière de prescription », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1969-
1971, p. 176; v. aussi M. L. Niboyet-Hoegy, L’action en justice dans les rap-
ports internationaux de droit privé, 1986, nos 380 et s., p. 196 et s.). Ainsi, en
notre domaine : facteur essentiel du régime de l’action, la durée du délai de
prescription est « liée à l’aménagement du conflit des intérêts opposés de la
nullité et de la validité ». Il en va de même, ainsi que le rappelle l’arrêt, de la
détermination des titulaires de l’action ou de la possibilité de confirmation.
Un rapport étroit existe, en effet, en droit interne entre la gravité de l’irrégula-
rité et l’étendue du cercle des titulaires de l’action; quant à la mesure dans
laquelle il est possible de renoncer à l’exercice du droit de critique, elle est un
facteur important de l’aménagement de ce droit (G. de La Pradelle, Les conflits
de lois en matière de nullités, 1967, p. 180, nos 273 et s.; G. Couturier, La
confirmation des actes nuls, 1972).
17 2°) En raison des particularités de l’espèce, la solution donnée au problème
du conflit de lois en matière de prescription conduisait à une nouvelle inter-
rogation. Capacité, nullité, prescription relevaient de la loi personnelle de
Mme Patiño; or celle-ci avait changé de nationalité; fallait-il dès lors appli-
quer la loi nationale ancienne ou la loi nationale nouvelle ? On reconnaît ici la
question classique du conflit mobile (sur cette question, v. infra, no 48 § 9); et
de fait c’est en ces termes que les juges du fond avaient envisagé la difficulté.
Approuvés en cela par la Cour d’appel, les premiers juges avaient décidé que
« le principe de la non rétroactivité s’opposait à ce que la nullité absolue du
contrat puisse être indirectement remise en cause par l’effet du changement de
nationalité de l’un des contractants ». L’interprétation de cette proposition
n’allait pas sans ambiguïté. Devait-on y voir une transposition pure et simple
des règles du droit transitoire interne ? Certes, à cela on pouvait objecter que
selon l’enseignement dominant, la loi nouvelle est, en droit transitoire, immé-
diatement applicable aux prescriptions en cours (Roubier, Droit transitoire,
2e éd., p. 297 et s., spéc. p. 300). Mais à l’époque, cette solution ne paraissait
nullement évidente aux magistrats comme le révèlent le libellé du jugement
ainsi que la note du Président Bellet (JCP 1956. II. 9688). Fallait-il au contraire
y déceler un cas d’adaptation du droit transitoire interne provoqué par la spéci-
ficité des relations internationales ? La Cour de cassation refuse de s’engager
dans ce difficile débat. Coupant court à la discussion, elle affirme que « la
sanction de l’inobservation des conditions de capacité nécessaires à la validité
d’un contrat de mariage demeure à tous égards soumise à la loi sous l’empire
de laquelle il a été conclu ». Alors que certains (Motulsky, note JCP 1963. II.
348 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 38-39

13366) ont expliqué cette décision par l’idée d’inapplicabilité au conflit mobile
des règles du droit transitoire interne, d’autres y ont vu (P. Lagarde, note
Rev. crit. 1964. 512; Hage Chahine, op. cit., p. 320, no 475) un cas de refoule-
ment de celui-ci. Selon eux, souder la prescription au fond, c’était en l’assimi-
lant à la capacité, la soumettre à un rattachement déjà affecté d’une précision
temporelle; retenir la solution contraire, c’eût été en effet faire régir capacité et
conditions de la nullité par des lois différentes, c’est-à-dire ruiner l’« ensemble
indissociable » pour lequel la Cour de cassation venait de se prononcer.
L’observation est exacte. Mais il faut bien constater que la précision tempo-
relle dont il est ainsi fait état procède directement de la solution, évidente au
demeurant et conforme aux règles de droit transitoire interne, qui avait été
antérieurement donnée au problème du conflit mobile relatif à la capacité.
40
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

28 mai 1963

(Rev. crit. 1964. 513, note Loussouarn, Clunet 1963. 1004, note Goldman,
JCP 1963. II. 13347, note Malaurie,
D. 1963. 677, Rec. Gén. Lois 1963. 633, note Droz)
Forme des actes. — Règle locus regit actum. —
Caractère facultatif.

La règle locus regit actum ne s’oppose pas à ce que les contrats interna-
tionaux soient passés en France en une forme prévue par la loi étrangère
qui les régit au fond.

(Société les Films Richebé c/Société Roy Export et Charlie Chaplin)

Faits. — Le litige opposait deux sociétés de distribution de films concurrentes : la


société Roy Export de Vaduz à laquelle s’était joint Charlie Chaplin et la société les
Films Richebé.
Par acte passé à Paris selon les formes américaines de l’assignment of copyright et
soumis au fond à la loi fédérale des États-Unis, la première avait acquis de la société
Roy Export de Tanger qui les tenait elle-même de Charlie Chaplin, l’exclusivité des
droits sur le film « Le Kid ». Une copie de ce film ayant été exploitée par la société les
Films Richebé, la société Roy Export la poursuivit en contrefaçon et fit opérer une sai-
sie. Pour sa défense, la société les Films Richebé ne se prétendait pas titulaire des droits
d’exploitation du film mais soutenait que son adversaire était, faute d’acquisition régu-
lière, irrecevable à agir. Plus précisément, l’acte était, selon elle, nul en la forme parce
que, consistant en une déclaration du cédant ne comportant ni prix ni acceptation du
cessionnaire, il ne respectait pas les prescriptions imposées par la législation révolution-
naire (décrets des 13 janv. et 19 juill. 1791 et 19 juill. 1793) encore en vigueur à l’époque.
Or celle-ci était, toujours selon elle, applicable en tant que loi du lieu de conclusion de
l’acte et loi de police.
Le Tribunal civil de la Seine (15 févr. 1958, JCP 1959. II. 11133, note Savatier, D. 1958.
682, note Lyon-Caen et Lavigne, Clunet 1959. 146, obs. Sialelli) lui donna gain de cause
au motif que l’acte passé selon les formes de l’assignment of copyright ne satisfaisait
pas aux exigences jugées par lui d’application territoriale impérative des décrets des 13 jan-
vier et 19 juillet 1791. Qualifiée d’« aventureuse » et de « hasardeuse » par les commen-
tateurs, cette décision fut infirmée par la Cour de Paris (29 avr. 1959, Rev. crit. 1959. 484,
note Loussouarn, Clunet 1960. 128, note Goldman, JCP 1959. II. 11134, note Savatier,
D. 1959. 402, note G. Lyon-Caen, Gaz. Pal. 1959. 1. 264, concl. Combaldieu), aux motifs
d’une part, « qu’en affirmant que la loi française était compétente comme lieu de pas-
sation de l’acte pour déterminer la forme même de celui-ci, les premiers juges ont attribué
350 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 40

à tort à la règle locus regit actum un caractère impératif; que sans doute cette règle
assure la sauvegarde des intérêts des parties en leur garantissant que leur contrat sera
valable en la forme, si elles ont suivi la loi du lieu de sa conclusion, mais qu’on doit
admettre, en vertu du principe de l’autonomie de la volonté, que rien n’empêche les
contractants de se référer à une autre loi qu’elles connaissent mieux et qu’elles ont choi-
sie, que cette loi soit ou non la loi nationale des parties »; d’autre part, « que les lois de
protection ne peuvent être tenues comme lois de police et de sûreté à portée territoriale
que dans la mesure où elles comportent des sanctions pénales ou d’ordre administratif »,
lesquelles faisaient en l’espèce défaut.
Un pourvoi fut formé.

ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen en ses deux branches : — Attendu que
l’arrêt attaqué a, sur l’action tant de la Société Roy Export, ayant son siège social
à Vaduz (Liechtenstein), que de Chaplin, exerçant son droit moral d’auteur,
déclaré la susdite société seule titulaire, pour les avoir acquis de Chaplin, de tous
les droits d’exploitation et de représentation du film « Le Kid », créé par Chaplin
aux États-Unis d’Amérique, dit que l’exploitation en France, par la Société des
Films Richebé, d’une copie de ce film qu’elle tenait d’un tiers, constituait une
contrefaçon, et condamné cette dernière société à des dommages-intérêts
envers la Société Roy Export et envers Chaplin; qu’il est d’abord reproché à la
cour d’appel de n’avoir pas répondu à des conclusions qui posaient la question
de savoir si la Société Roy Export était au regard de la loi du Liechtenstein, une
personne morale pouvant ester en justice, et si, d’autre part, elle possédait en
France la personnalité juridique en vertu de la loi du 30 mai 1857; — Mais
attendu, d’une part, que la question de l’application de la loi de 1857 n’a jamais
été soulevée devant les juges du fond et constitue, en cause de cassation, un
moyen nouveau, mélangé de fait et de droit, et partant irrecevable; que,
d’autre part, en déclarant recevable à agir en justice la Société Roy Export, aussi-
tôt après avoir expressément constaté l’existence de son siège social au Liech-
tenstein, la cour d’appel a implicitement mais nécessairement admis que le sta-
tut découlant pour cette société de la situation de son siège la rendait habile à
plaider; qu’en conséquence, le premier moyen ne saurait être accueilli;
Sur le 2e moyen en ses diverses branches : — Attendu qu’il est encore fait
grief à la cour d’appel d’avoir admis la validité en la forme, d’une part, de l’acte
par lequel Chaplin avait, à Paris, en décembre 1955, cédé à une Société Roy
Export de Tanger, par une déclaration écrite unilatérale dite assignment of
copyright, régie en la forme comme au fond par la législation fédérale des
États-Unis, les droits d’auteur dont il était le titulaire incontesté, ainsi que,
d’autre part, de l’acte ultérieur par lequel cette société avait, au même lieu et
en la même forme, à son tour transmis en décembre 1956 tous ces droits à la
Société Roy Export de Vaduz, alors, selon le pourvoi, qu’en premier lieu, d’après
le droit international privé français, la règle locus regit actum imposerait pour
les conventions conclues en France entre parties de nationalité différente,
comme en l’espèce, l’observation des seules formes définies par la loi française
interne, et alors, d’autre part, que les décrets des 13 janvier et 19 juillet 1791
et 19 juillet 1793 exigeaient impérativement, à titre de lois de police, que toutes
cessions de droits d’auteur fussent, pour leur validité, passées en une forme
écrite qui devait être celle définie par les articles 1317 à 1325 du Code civil; —
Mais attendu que la règle locus regit actum ne s’opposant pas à ce que les
contrats internationaux soient passés en France en une forme prévue par la loi
étrangère qui les régit au fond, la cour d’appel a pu décider qu’il avait été loisi-
ble aux parties de donner aux cessions de droits d’auteur litigieuses, soumises
par elles quant au fond à la législation fédérale des États-Unis, la forme de l’assi-
40 CHARLIE CHAPLIN — CASS., 28 MAI 1963 351

gnment of copyright admise par cette législation; que, d’autre part, c’est égale-
ment à bon droit que l’arrêt attaqué décide que les décrets précités de 1791
et 1793, applicables au litige, n’avaient point fait échec au principe du consen-
sualisme et que la mention y figurant d’un consentement écrit de l’auteur ne
subordonnait pas la validité d’une cession de droits à l’emploi d’une forme
écrite et encore moins à l’emploi de celle que le Code civil devait, plus tard, envi-
sager pour la preuve des conventions synallagmatiques, mais n’avait trait qu’à
une simple condition de preuve, d’ailleurs réalisée en l’occurrence par la forme
étrangère adoptée; — D’où il suit que le moyen est, en toutes ses branches,
dénué de fondement;
Sur le troisième moyen en ses deux branches : (sans intérêt);
Sur le quatrième moyen : (sans intérêt);
Par ces motifs : — Rejette.
Du 28 mai 1963. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prés.; Holleaux, rapp.;
Lindon, av. gén. — MMes Ravel, Célice et Ryziger, av.

OBSERVATIONS
1 Venue du fond des âges, universellement reçue, la maxime locus regit actum
n’échappe pourtant pas à la controverse. Longtemps applicable au fond comme à
la forme des actes juridiques, elle ne régit plus depuis l’arrêt American trading
(supra, no 11) que la seconde. D’où une interrogation sur sa portée : répondant
au souci de faciliter la conclusion des actes juridiques ne doit-elle pas revêtir, à
la différence des règles de conflit traditionnelles, un caractère facultatif ? (I)
En ce cas, quelle est l’ampleur de la liberté reconnue aux intéressés ? (II)
Autant de questions auxquelles l’arrêt reproduit apporte d’intéressants élé-
ments de réponse qui ont directement inspiré les conventions internationales,
et notamment la Convention de Rome d’où est issu, en la matière, l’essentiel
du droit international privé positif (infra, § 7 et 8). Aussi bien, les principes de
solution posés par cet arrêt continuent-ils de régir directement les contrats
conclus avant le 1er avril 1991, date d’entrée en vigueur de la Convention de
Rome (v. par ex., Civ. 1re, 23 janv. 2001, le Meilleur, Bull. I, no 8, Rev. crit.
2002. 80, note B. Ancel, Clunet 2001. 1113, note Th. Vignal, JCP 2001. II.
10628, note G. Légier, Dr. fam. 2002, no 27, note E. Fongaro, Defrénois
2001. 626, note R. Crône).

I. Le caractère facultatif de la règle locus regit actum

2 Les solutions que cette question a reçues au cours des siècles lui ont imprimé
un mouvement de balancier : facultative à l’origine, la règle l’est redevenue
(B) après une longue interruption (A).
3 A. — « La forme des actes est réglée par la loi du lieu dans lequel ils sont
faits ou passés ». C’est en ces termes que l’article 4 du projet de Code civil
énonçait la maxime locus regit actum. Mais critiqué en raison notamment de la
difficulté de définir les formes d’un acte (c’est la raison que suggère Lainé,
Introduction au droit international privé, t. I, p. 456 et s.; « La rédaction du
352 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 40

Code civil et le sens de ses dispositions en droit international privé », Rev. dr.
int. 1905. 24, 462 et s.), ce texte fut retiré par le gouvernement; subsistèrent
uniquement quelques applications limitées : articles 47, 170 et 999 du Code
civil. Malgré cela, la Cour de cassation ne tarda pas à proclamer que « d’après
la législation universellement observée en France et qui dans aucun temps n’a
été méconnue, les actes de toute nature passés en pays étranger entre des Fran-
çais et des étrangers doivent être faits suivant la loi du pays où ces actes ont
lieu ; que ce principe, loin d’être modifié, a reçu une force nouvelle des arti-
cles 47 et 170 du Code civil qui le rappellent de la manière la plus expresse »
(Civ., 10 août 1819, Gaudin, S. chr.). La haute juridiction renouait ainsi avec la
tradition de l’Ancien droit. C’est ainsi que Dumoulin posait comme première
conclusion : « le statut dispose-t-il de ce qui concerne la forme ou solennité de
l’acte et alors la loi (coutume ou statut) à suivre est toujours la loi du lieu où
l’acte s’accomplit, qu’il s’agisse de contrats, jugements, testaments, actes ins-
trumentaires ou actes quelconques… » (Conclusiones, p. 554). Quant au Par-
lement de Paris il avait, tout au long du XVIIIe siècle, affirmé le caractère obli-
gatoire de la règle locus regit actum (arrêts des 15 janv. 1721, de Pommereuil,
14 juill. 1722, 15 juill. 1777, cités par Merlin, Répertoire, 5e éd., t. XVII,
v° Testament, Sect. II, § IV, art. 1 et 2; v. aussi les décisions citées par S. Gruber-
Magitot, Les conflits de coutumes en matière de contrats dans la jurisprudence
des Parlements, p. 72). Certes les motifs de la décision visaient seulement les
actes passés à l’étranger entre Français et étranger, mais par un arrêt Browning
du 9 mars 1853 (D. 1853. 1. 217, S. 1853. 1. 274) la Cour consacra ce caractère
de manière générale; elle annula, en effet, un testament olographe rédigé en
France par un Anglais conformément aux formes prescrites par la loi anglaise
mais en violation de celles édictées par la loi française.
4 B. — En dépit de son ancienneté, cette solution fut à la fin du XIXe siècle
l’objet d’une vigoureuse offensive doctrinale conduite par Lainé (op. cit., t. I,
p. 395-410; « La forme du testament privé en droit international privé », Rev.
dr. int. 1907. 832 et s.; Surville, « La règle locus regit actum et le testament »,
Clunet 1906. 961 ; Naquet, « La règle locus regit actum est-elle impérative
ou facultative ? », Clunet 1904. 39 et s.; Colin, Clunet 1897. 78, 508 et 929).
Selon cet auteur, un véritable contre-sens historique aurait fait perdre à la
maxime le caractère facultatif qu’elle revêtait à l’origine : la règle étant bien
établie à la fin du XVe siècle, on se serait borné à la rappeler sans prendre le
soin de la justifier; ainsi aurait-on fini par en oublier la raison d’être puis par
en dénaturer le sens en lui conférant un caractère obligatoire. Mais celui-ci ne
pouvait se maintenir que si la confusion subsistait : la règle ayant été conçue
pour faciliter la conclusion des actes, en raison de l’impossibilité ou de l’incom-
modité qu’il y a souvent à observer une loi autre que la loi locale, la considérer
comme obligatoire, c’était aller à l’encontre de l’idée de faveur qui l’anime et
donc en méconnaître la signification véritable.
La réalité historique était sans doute plus complexe. Ainsi que l’indiquent les
travaux de Meijers, (« L’histoire des principes fondamentaux du droit interna-
tional privé à partir du Moyen-Âge », Rec. cours La Haye, 1934, t. III, p. 556
et s. spéc. p. 582-588), il semble bien qu’en plusieurs lieux, la loi locale qui
40 CHARLIE CHAPLIN — CASS., 28 MAI 1963 353

régissait le fond comme la forme des actes ait été appliquée non en tant que
loi du lieu de conclusion mais en tant que loi du for : le principe du consen-
sualisme n’étant pas admis, les contrats devaient être passés devant un officier
public; or les litiges relatifs au contrat relevaient de la seule compétence du
tribunal auquel cet officier était rattaché et qui les tranchait par application de
sa propre loi. D’où une compétence impérative.
Peu importe, au demeurant, aujourd’hui que l’analyse de Lainé ait été ou non
historiquement fondée. Venue à point nommé, elle permit à la Cour de cas-
sation, renversant sa jurisprudence, de donner à la maxime un sens conforme
aux exigences des relations internationales. Par le célèbre arrêt Viditz, elle
décida, en effet, que la règle locus « est simplement facultative en ce qui
concerne les testaments privés, qu’elle a été admise pour faciliter les actes
accomplis soit par les Français à l’étranger, soit par les étrangers en France et
qu’elle n’a d’autre effet que d’accorder au testateur un droit d’option entre les
formes admises par sa loi nationale et celles qui sont exigées par la loi du lieu
où il se trouve » (Civ., 20 juill. 1909, Revue 1909. 900, concl. Baudouin, Clu-
net 1909. 1097, avec les mêmes conclusions, DP 1911. 1. 185, note Politis).
Visant exclusivement les testaments, l’arrêt Viditz laissait planer un doute sur
sa portée (v. également en matière de testament, Civ. 1re, 17 avr. 1953, Rev.
crit. 1953. 796, note Loussouarn); l’arrêt ci-dessus reproduit le dissipe : le
caractère facultatif de la règle locus vaut aussi bien pour les conventions que
pour les actes juridiques unilatéraux. Mais c’est surtout par les précisions
qu’il apporte quant aux limites dans lesquelles s’exerce la liberté ainsi recon-
nue aux intéressés que son apport se révèle précieux.

II. Les limites à la liberté des parties

5 Posée pour la commodité des parties, la règle locus ne doit pas se retourner
contre celles-ci. De là son caractère facultatif. Encore faut-il en mesurer exac-
tement l’ampleur. À cet égard, il a parfois été proposé d’ouvrir très largement
l’option car les règles de forme importeraient peu par elles-mêmes. Le seul
intérêt des parties serait, en la matière, de conclure un contrat valable. Or
quelle formule permettrait d’y parvenir mieux que l’application de la loi
qu’elles ont librement choisie ? Aussi bien a-t-on soutenu que la matière trou-
verait son achèvement dans la soumission des règles de forme comme des
règles de fond à l’autonomie de la volonté, la règle locus se réduisant à la pré-
somption que les parties se sont référées à la loi locale (Malaurie, J.-Cl. dr. int.,
fasc. 551-B, « Forme des actes, la règle locus regit actum », no 162).
Ces considérations n’ont cependant pas emporté l’adhésion de la doctrine
dominante. Tout d’abord, il n’est pas sûr que la liberté favorise véritablement
la validité : laisser aux parties la possibilité de choisir n’importe quelle loi
peut leur nuire lorsqu’elles en apprécient mal les exigences (Loussouarn, note
Rev. crit. 1959. 493). Mais surtout, c’est se faire une représentation très inexacte
des règles de forme que de voir dans celles-ci des entraves arbitraires aux
relations juridiques. Bien souvent elles protègent des intérêts fort respectables
en permettant notamment d’assurer l’effectivité de règles de fond qui sinon
354 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 40

resteraient lettre morte (V. Delaporte, Recherches sur la forme des actes juri-
diques en droit international privé, thèse multigr., 1974, p. 11 et s.). De là, en
droit international privé, une double directive : la forme des actes devrait être
régie par une loi présentant des liens réels et sérieux avec les intérêts en cause
(V. Delaporte, op. cit., p. 170) (A); parfois même l’importance des intérêts
qu’elle assume obligerait à lui reconnaître le caractère de loi de police (B).
6 A. — La première considération conduit à ouvrir modérément l’éventail des
lois applicables à la forme : à la loi du lieu de conclusion qui a le mérite de
donner aux intéressés « les directives précises et immédiatement utilisables »
dont ils ont besoin (P. Louis-Lucas, « La distinction du fond et de la forme
dans le règlement des conflits de lois », Mélanges Maury, 1960, t. I, no 16,
p. 193) pourrait s’ajouter la loi régissant l’acte au fond. Habituellement
connue des parties ou de leurs conseils, elle offre des avantages de commodité
évidents, tout en supprimant de difficiles problèmes de qualification et d’adap-
tation. Tel est, au demeurant, le système consacré par l’arrêt ci-dessus repro-
duit. Alors que la Cour de Paris semblait laisser aux parties une autonomie illi-
mitée, la Cour de cassation décide : « la règle locus regit actum ne s’oppose
pas à ce que les contrats internationaux soient passés en France en une forme
prévue par la loi étrangère qui les régit au fond ». Faut-il aller plus loin ? Le
rapprochement des arrêts Viditz et Chaplin pose, à cet égard, un délicat pro-
blème d’interprétation : peut-on ajouter aux rattachements visés par le second,
la loi personnelle retenue par le premier ? L’hésitation est permise. La réfé-
rence de l’arrêt Viditz à la loi nationale du testateur peut, en effet, être com-
prise soit comme un simple rappel de la loi applicable au fond, les successions
mobilières des étrangers non admis à domicile étant à l’époque soumises à la
loi nationale du de cujus (v. arrêt Labedan, supra, no 18 § 3), soit comme une
désignation de sa loi personnelle. À l’appui de cette seconde interprétation, on
peut faire valoir qu’elle concorde avec la doctrine de Mancini qui considérait
la règle locus comme une dérogation à la compétence de principe de la loi
nationale, ainsi qu’avec le système de Bartin qui, regardant les règles de forme
comme essentiellement protectrices du consentement, les soumettait par prin-
cipe à la loi personnelle, tout en admettant pour des raisons pratiques l’appli-
cation de la loi du lieu de l’acte (Principes, t. II, § 260 et s.). Mais ces considé-
rations — à supposer même qu’elles aient à l’époque au moins pour la
première, emporté la conviction de la Cour de cassation — apparaissent
aujourd’hui bien vieillies. La nationalité commune des parties n’est souvent
qu’« un facteur relativement secondaire de rattachement économique comme
de localisation juridique des contrats internationaux » (Goldman, note, Clunet
1960. 144). Son emploi ne s’explique plus guère que par l’idée, bien incer-
taine, que les cocontractants sont présumés la connaître. Ne serait-il pas dès
lors préférable de l’écarter ? Telle n’a pas été l’opinion de la haute juridiction.
Par un arrêt Pierucci du 10 décembre 1974 (Rev. crit. 1975. 475, note A. P.,
Clunet 1975. 542, note Kahn, Defrénois 1975. 1081, note Malaurie et Morin),
elle vise, en effet, de manière autonome la loi nationale des cocontractants. On
est donc en présence d’une option à trois branches : loi locale, loi applicable
au fond de l’acte, loi nationale commune des parties.
40 CHARLIE CHAPLIN — CASS., 28 MAI 1963 355

7 En multipliant les rattachements, cette décision donne en même temps un


intérêt accrû à la question de savoir comment doit, en pratique, s’effectuer le
choix entre les différentes lois. Suffit-il que l’acte respecte les exigences de
forme d’une de ces lois pour être valable, ou existe-t-il une hiérarchie entre
celles-ci ? Alors que l’arrêt Chaplin paraît admettre l’égale vocation des lois
qu’il vise, l’arrêt Pierucci donne une compétence de principe à la loi du lieu de
passation de l’acte, les autres législations n’étant applicables que si les parties
ont eu la volonté de s’y soumettre (v. déjà en ce sens, Civ., 31 janv. 1967, Rou-
quaud, Rev. crit. 1968. 292; comp., omettant toutefois de réserver la faculté,
non exercée en l’espèce, de soumettre la forme de l’acte à une loi différente,
Civ. 1re, 23 janv. 2001, Le Meilleur, préc.). À l’appui de cette solution, on fait
valoir qu’elle simplifie considérablement la tâche du juge puisque celui-ci sait
ainsi aisément quelle loi consulter afin de déterminer tant la forme observable
que la sanction de son inobservation (Ponsard, note Rev. crit. 1975. 482). Mais
subordonner le caractère facultatif de la règle locus à une déclaration des par-
ties, n’est-ce pas donner à celle-ci une importance que rien ne justifie dès lors
que chacune des lois désignées a un titre sérieux à s’appliquer ? (en ce sens,
Delaporte, op. cit., p. 186). Puisque les deux questions sont, semble-t-il, liées
(Ponsard, note préc.), il aurait sans doute été préférable, à l’image de l’arrêt
Chaplin, de placer sur un pied d’égalité les termes d’une option plus stricte-
ment bornée (F. Rigaux, « La loi applicable à la forme des actes juridiques »,
Mélanges Schnitzer, 1979, p. 381 et s., spéc. p. 388 et s.; v. F. Soirat, Les règles
de rattachement à caractère substantiel, thèse Paris I, 1995, nos 823 et s., sou-
lignant l’aptitude du procédé à rétablir l’égalité de traitement entre contrats
internes et contrats internationaux). Telle est, au demeurant, la solution consa-
crée par la Convention de Rome du 19 juin 1980 dont l’article 9 dispose : « Un
contrat conclu entre des personnes qui se trouvent dans un même pays est vala-
ble quant à la forme s’il satisfait aux conditions de forme de la loi qui le régit
au fond en vertu de la présente convention ou du pays dans lequel il a été
conclu ». On le voit, cette convention d’où procède le droit international privé
commun français pour tous les contrats conclus postérieurement au 1er avril
1991, date de son entrée en vigueur, dans un même mouvement, restreint les
termes de l’option et supprime toute hiérarchie entre les lois ainsi désignées.
Le parti retenu par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur la forme
des dispositions testamentaires, en vigueur en France depuis 1967, est dif-
férent : elle ouvre très largement les branches de l’option. Mais, comme on l’a
justement mis en relief, ceci n’est possible que parce que les législations natio-
nales contiennent en la matière des « règles de forme qui, de façons diverses,
concourent au même résultat et assurent au testateur la liberté et la spontanéité
de son consentement » (Delaporte, op. cit., p. 173, no 96).
8 B. — Les parties pouvant rédiger leur contrat conformément aux prescrip-
tions de forme de la loi qui le régit au fond et personne ne contestant que celle-
ci fût, en l’espèce, la loi fédérale des États-Unis, la validité de l’acte réalisé
dans les formes américaines de l’assignment of copyright paraissait s’imposer.
Aussi, afin d’assujettir plus strictement le carcan dans lequel elle prétendait
enserrer le titre acquisitif des droits sur le Kid, la société les Films Richebé
356 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 40

soutenait que les prescriptions de forme des décrets révolutionnaires revêtaient


le caractère de lois de police et qu’elles étaient, de ce fait, applicables à l’acte
passé en France lors même qu’il relevait au fond d’une loi étrangère.
Cette prétention n’obtint aucun succès. D’une part, en effet, comme le relève
l’annotateur à l’anonymat transparent du Dalloz (Francescakis, « L’apport
savant de G. Holleaux à la jurisprudence française de droit international privé »,
Clunet 1974. 250, note 12, reproduit in La pensée des autres en dr. int. pr.,
p. 464 et s.), les exigences de la loi française, à la supposer de police, étaient
entièrement satisfaites par les formes américaines de l’assignment of copyri-
ght. D’autre part, il était difficile de reconnaître ce caractère à des règles posées
en un domaine où le souci de la protection d’une des parties ne revêt pas le
caractère d’« intérêt hautement collectif » (Goldman, Clunet 1960. 144). Elle
n’en est pas moins intéressante en ce qu’elle rappelle que la liberté des parties
peut, en notre domaine, se heurter à des bornes plus strictes que celles qui
résultent du caractère limitatif des termes de l’option : lorsque par le truche-
ment des exigences de forme le législateur entend assurer la défense d’intérêts
qu’il juge essentiels, celles-ci peuvent revêtir le caractère de lois de police
(Delaporte, op. cit., p. 415 et s.; sur cette notion, v. infra, no 53). Applicables
dans toute la mesure nécessaire à la satisfaction des intérêts qu’elles servent,
elles font alors échec au jeu normal de la règle de conflit. Ceci ne signifie
pas nécessairement l’application impérative de la loi locale ; tributaire du
but poursuivi, leur domaine varie avec chaque disposition. Ainsi, mettant en
évidence les liens qui unissent fond et forme, l’alinéa 5 de l’article 9 de la
Convention de Rome prévoit-il que la forme des contrats conclus par les
consommateurs obéit, par dérogation à la règle rappelée ci-dessus, à la loi qui
les régit au fond. (Sur cette question, v. F. Leclerc, La protection de la partie
faible dans les contrats internationaux, thèse Starsbourg, éd. 1995, nos 733
et s., p. 644 et s.). Ainsi encore, la haute juridiction a-t-elle décidé que l’arti-
cle 10 de la loi du 3 janvier 1967, qui prescrit, à peine de nullité, pour la
forme des actes relatifs à la propriété des navires francisés, la rédaction d’un
écrit comportant des mentions propres à identifier les parties et le navire cons-
titue une loi de police au sens de l’article 7.2 de la Convention de Rome,
applicable dès lors que le navire était immatriculé en France (Com., 14 janv.
2004, Soc. DFC Groupe, Rev. crit. 2005. 55, note P. Lagarde).
41
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

7 janvier 1964

(Rev. crit. 1964. 344, note Batiffol, Clunet 1964. 302, note Goldman,
JCP 1964. II. 13590, note M. Ancel)
Jugement étranger. — Exequatur. — Conditions de régularité
internationale. — Suppression de la révision au fond. —
Office du juge de l’exequatur.

Pour accorder l’exequatur, le juge français doit s’assurer que cinq condi-
tions se trouvent remplies, à savoir la compétence du tribunal étranger qui
a rendu la décision, la régularité de la procédure suivie devant cette juri-
diction, l’application de la loi compétente d’après les règles françaises de
conflit, la conformité à l’ordre public international et l’absence de toute
fraude à la loi.
Cette vérification, qui suffit à assurer la protection de l’ordre juridique
et des intérêts français, objet même de l’institution de l’exequatur, constitue
en toute matière à la fois l’expression et la limite du pouvoir de contrôle du
juge chargé de rendre exécutoire en France une décision étrangère, sans
que ce juge doive procéder à une révision au fond de la décision.

(Munzer c/Dame Munzer)

Faits. — Le 29 juin 1926, un tribunal de l’État de New York prononce la séparation


de corps des époux Munzer et impose au mari de verser à la femme une pension alimen-
taire. Munzer ne s’acquittera de cette obligation que pendant quatre années, jusqu’en
1930. Longtemps après, le 10 avril 1958, son épouse obtient de la même juridiction amé-
ricaine qu’il soit condamné à payer l’arriéré de la pension, soit environ 77 000 dollars.
Mais Munzer est désormais installé en France; son épouse sollicite donc du Tribunal de
Nice l’exequatur des deux décisions américaines de 1926 et de 1958. Elle l’obtient pour
la première, mais se le voit refuser pour la seconde au motif que la condamnation à
payer l’arriéré de pension contredit la règle « aliments n’arréragent point » et méconnaît
la limitation à cinq années de la prescription posée par l’article 2277 du Code civil. La
Cour d’Aix, saisie en appel, considère en revanche que ces règles du droit français, alors
même qu’elles exprimeraient les exigences de l’ordre public international, ne sauraient
être opposées à la condamnation américaine, car s’agissant de donner effet en France à
des droits régulièrement acquis à l’étranger, l’ordre public ne peut intervenir que sous la
forme de son effet atténué. En vain cette solution sera critiquée par le sieur Munzer
devant la Cour de cassation; la doctrine de l’effet atténué de l’ordre public, clairement
formulée en 1953 par l’arrêt Rivière (v. supra, no 26) sera de nouveau consacrée de la
manière la plus explicite. Mais le pourvoi reproche aussi à la Cour d’Aix de ne pas avoir
358 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41

exercé le pouvoir de révision au fond sur la décision américaine relative à l’arriéré de


pension, alors que celle-ci ne se compte pourtant pas au nombre des jugements exemp-
tés de cet examen parce qu’ils sont constitutifs ou bien encore relatifs à l’état ou à la
capacité des personnes (v. supra, no 10). Ainsi la Cour de cassation doit-elle affronter la
question du maintien ou de l’abandon de la révision au fond dans le régime du droit
commun de l’exequatur. La réponse donnée à cette question soulèvera celle de la défini-
tion de l’office du juge dans l’instance d’exequatur. Voici en quels termes, la Cour de
cassation éclaircit sa position sur ces deux points :

ARRÊT
La Cour; — Sur le troisième moyen : (sans intérêt);
Sur le premier moyen : — Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’un juge-
ment rendu le 29 juin 1926 dans l’État de New York a prononcé la séparation de
corps entre les époux Munzer-Jacoby et alloué à la femme une pension alimen-
taire de 35 dollars par semaine, qu’un autre jugement, prononcé par la même
juridiction le 10 avril 1958, a condamné Munzer à payer à la dame Jacoby-
Munzer la somme de 76.987 dollars représentant l’arriéré de la pension du
10 novembre 1930 au 19 janvier 1958; que, Munzer étant venu se fixer à Nice, la
dame Jacoby a demandé l’exequatur de ces deux décisions; — Attendu qu’il est
fait grief à l’arrêt partiellement infirmatif attaqué d’avoir accueilli cette
demande, alors, soutient le pourvoi, que, par la règle d’ordre public que les det-
tes alimentaires ne s’arréragent pas et par l’établissement de la prescription
extinctive de l’article 2277 du Code civil, la loi française a entendu protéger le
débiteur d’une telle dette contre des réclamations tardives et empêcher des pro-
cès difficiles à juger ou devenus inopportuns par suite du temps écoulé; — Mais
attendu que l’arrêt attaqué rappelle avec raison qu’en l’espèce il s’agissait seule-
ment de « donner effet en France à des droits régulièrement acquis à l’étranger »
et qu’ainsi l’ordre public, qui n’intervenait que par son effet atténué, se trouvait
moins exigeant que s’il se fût agi de l’acquisition des mêmes droits en France;
que, de ce point de vue, la cour d’appel considère que le principe que les dettes
alimentaires ne s’arréragent pas, simple présomption appelée à s’effacer devant
la preuve contraire, peut être considéré comme d’intérêt privé, et que la règle
de l’article 2277, si elle constitue bien un mode de libération du débiteur en
dehors de tout paiement, ne joue pas néanmoins de plein droit, est susceptible
de renonciation et ne peut être suppléée d’office par le juge; que, de cette ana-
lyse, l’arrêt attaqué conclut à bon droit que la décision étrangère dont la dame
Jacoby-Munzer demandait en France l’exécution ne se trouvait pas à cet égard
en contradiction avec l’ordre public international français; qu’ainsi les griefs du
premier moyen ne sauraient être retenus;
Sur le second moyen : — Attendu que le pourvoi critique encore l’arrêt atta-
qué pour avoir décidé que la cour d’appel ne pouvait procéder à la révision de la
décision américaine soumise à l’exequatur, au motif qu’un jugement de sépara-
tion de corps, avec tous les effets qu’il comporte, échappe à ce pouvoir de
révision; que le pourvoi prétend que, à supposer qu’un tel pouvoir soit exclu en
matière d’état des personnes, cette exception, qui est nécessairement de droit
étroit, ne saurait être étendue au chef de la décision fixant le montant de la
dette alimentaire mise à la charge de Munzer; — Mais attendu que l’arrêt atta-
qué énonce justement que, pour accorder l’exequatur, le juge français doit
s’assurer que cinq conditions se trouvent remplies, à savoir la compétence du
tribunal étranger qui a rendu la décision, la régularité de la procédure suivie
devant cette juridiction, l’application de la loi compétente d’après les règles
françaises de conflit, la conformité à l’ordre public international et l’absence de
toute fraude à la loi; que cette vérification, qui suffit à assurer la protection de
l’ordre juridique et des intérêts français, objet même de l’institution de l’exe-
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 359

quatur, constitue en toute matière à la fois l’expression et la limite du pouvoir


de contrôle du juge chargé de rendre exécutoire en France une décision étran-
gère, sans que ce juge doive procéder à une révision au fond de la décision; —
Attendu qu’en l’espèce, la Cour d’appel constate que les décisions soumises à
son contrôle répondent aux conditions exigées pour l’octroi de l’exequatur; que
dès lors, en les déclarant l’une et l’autre exécutoires en France, l’arrêt attaqué,
loin de violer les textes visés par le pourvoi, en a fait au contraire une exacte
application et a légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 7 janvier 1964. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prem. prés.; Ancel, rapp.;
Ithier, av. gén. — MMes Le Prado et de Ségogne, av.

OBSERVATIONS
1 Cet arrêt rompt avec près de cent cinquante ans de tradition jurisprudentielle
(v. supra, arrêt Parker, no 2). Sans doute, depuis quelque temps déjà, cette rup-
ture s’annonçait par des présages sûrs. La Cour de Paris s’était prononcée
clairement pour la suppression du pouvoir de révision (21 oct. 1955, Charr,
Rev. crit. 1955. 769, note H. Batiffol, Clunet 1956. 164, note J. B. Sialelli,
D. 1956. 164, note Ph. Francescakis, JCP 1956. II. 9047, note H. Motulsky);
quant à la Cour de cassation, un an à peine avant l’arrêt Munzer, elle avait
affirmé que le juge de l’exequatur doit exercer son contrôle sur la décision
étrangère « en dehors de toute révision au fond, toujours exclue » (Civ. 1re,
8 janv. 1963, Hohenzollern, Rev. crit. 1963. 109, note G. H., JCP 1964. II.
13470, note Ph. F.). Si claire que fût cette affirmation, elle n’apportait cepen-
dant aucune réponse positive pour la raison qu’elle avait été formulée alors
même que la question du maintien du pouvoir de révision ne se posait pas;
l’arrêt Hohenzollern prononçait en effet sur la reconnaissance d’un jugement
d’état exclu comme tel du champ du pouvoir de révision depuis l’arrêt de
Wrède (v. supra, no 10). Cependant la généralité du motif précité, de l’obiter
dictum, promettait sans équivoque la prochaine disparition de la révision en
toute matière (sur cette pratique, v. arrêt Ortiz-Estacio, infra, no 62 § 2). C’est
cette promesse que l’arrêt Munzer accomplit.
Au sein du régime général de l’exequatur la révision revêtait un caractère
ambigu. En tant que pouvoir, elle concourait à définir l’office du juge mais en
tant que son résultat commandait l’octroi ou le refus de la force exécutoire en
France, elle établissait une condition d’accueil de la décision étrangère. Sa
disparition devait donc produire son effet sur ces deux plans. De fait, si l’arrêt
a justement gagné sa réputation sur le terrain de l’établissement des condi-
tions de régularité internationale des jugements étrangers (I), son importance
à l’égard de la délimitation corrélative de l’office du juge de l’exequatur ne
doit pas être sous-estimée (II).

I. La régularité internationale des jugements étrangers


2 L’abolition du pouvoir de révision ne supprime pas toute vérification du
jugement étranger. L’examen au fond portant sur le conflit d’intérêts privés
360 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41

tranché par le tribunal étranger est désormais proscrit. En revanche, restent


soumis au contrôle du juge de l’exequatur tous les éléments qui révèlent à
celui-ci le caractère international du litige résolu à l’étranger.
Cette réduction de l’objet de l’examen était censée déjà réalisée à l’égard
des décisions relatives à l’état et à la capacité des personnes — auxquelles on
associe les jugements constitutifs patrimoniaux — par l’arrêt de Wrède du
9 mai 1900 (v. supra, arrêt no 10) duquel se laissait déduire une liste des chefs
de contrôle. La Cour de Paris, par l’arrêt Charr (préc.) devait la détailler et la
compléter afin sans doute de rassurer ceux que la suppression complète de la
révision au fond pouvait effrayer. L’arrêt Munzer retient une liste plus courte;
si réfléchie qu’elle ait été, celle-ci ne présente pas un caractère définitif.
Certaines rubriques ont d’ailleurs aujourd’hui disparu, d’autres se sont préci-
sées (A). C’est qu’en réalité l’équilibre et l’ampleur du contrôle dépendent
directement, non de la nécessité d’effectuer un filtrage — sur le principe de quoi
tout le monde s’accorde — mais d’une certaine conception de la justice de
droit international privé en matière d’exequatur. Sur ce point, l’arrêt Munzer
s’exprime brièvement et sans doute avec la pensée de fixer un palier qui
empêchera de retomber vers la révision, mais qui pourra aussi être un trem-
plin pour l’évolution ultérieure (B).
3 A. — Les conditions de régularité internationale des jugements sont de
deux ordres; certaines sont d’ordre processuel (1°), d’autres d’ordre substan-
tiel (2°). Il en est même une pour mettre la distinction en défaut : l’absence de
fraude à la loi (3°).
4 1°) L’arrêt Munzer retient deux conditions d’ordre processuel qui, l’une et
l’autre vont évoluer. La régularité de la procédure suivie à l’étranger sera
comprise, jusqu’à l’arrêt Bachir (Civ. 1re, 4 oct. 1967, infra, no 45) qui lui fera
subir une transformation profonde, comme exigeant de la décision soumise à
exequatur qu’elle ait été élaborée dans le strict respect des règles de procédure
en vigueur dans l’ordre juridictionnel dont elle émane. La régularité se confon-
dait alors avec la légalité, laquelle ne peut s’apprécier que par rapport à la loi
du tribunal étranger, seule applicable… Ainsi conçue, cette condition était
vouée soit à disparaître, soit à se réformer. L’arrêt Bachir a choisi la seconde
voie, en prescrivant un contrôle du respect des droits de la défense et de l’ordre
public de procédure. De la sorte, le juge de l’exequatur n’est plus astreint à se
faire le censeur de l’application par les tribunaux étrangers de leurs propres
lois de procédure; il est ainsi libéré d’une charge qu’il n’était pas le mieux
qualifié pour exercer (v. infra, arrêt Bachir, no 45).
La seconde condition d’ordre procédural est la compétence du tribunal
étranger. La Cour de cassation n’apporte aucune indication sur le contenu de
cette condition qui pourrait donc aussi bien s’étendre à la compétence interne
ou spéciale du tribunal étranger qu’à sa compétence internationale ou géné-
rale. Cette première hésitation se dissipera avec la jurisprudence Bachir : se
déduisant des règles de procédure du for, la compétence interne du tribunal
étranger sera exclue du contrôle qui ne peut porter sur la bonne application de
celles-ci (v. cep. les observations de R. El Husseini, « Le dr. int. pr. francais et
la répudiation islamique », Rev. crit. 1999. 427, spéc. p. 455).
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 361

5 Quant au contrôle de la compétence internationale, il n’y a jamais eu chez


les commentateurs le moindre doute; sa vérification est même considérée par
certains comme la condition essentielle de la régularité, au motif qu’« en affir-
mant la compétence de l’ordre juridictionnel étranger, la règle de compétence
relève la norme étrangère de sa tare d’extranéité qui la prive, au regard de
l’ordre juridique français, de toute force obligatoire intrinsèque… » (P. Mayer
et V. Heuzé, no 366). Il est permis de penser en effet que la meilleure façon de
compenser l’infirmité tenant à l’extranéité de la décision est d’établir que son
origine est saine, c’est-à-dire en somme qu’elle n’a pas été obtenue d’un tribu-
nal qu’aucun autre titre que la complaisance de ses règles de compétence inter-
nationale ou l’insouciance de ses juges ne désignait pour connaître de l’affaire.
Dans la mesure où ces risques sont en principe très réduits entre les ordres
juridictionnels composant l’espace judiciaire européen, les Règlements Bruxel-
les I et Bruxelles II bis n’imposent pas — sauf exception — cette condition
d’origine.

6 Cette condition d’origine a reçu de Bartin la dénomination de « compétence


internationale indirecte » voulant exprimer par là que le choix par les parties
du tribunal étranger n’est pas apprécié du point de vue de la régularité de la
saisine — question de compétence internationale directe du seul ressort de la
lex fori étrangère — mais du point de vue des exigences de régularité interna-
tionale animant l’ordre juridique dans lequel la décision étrangère est présen-
tée à l’exequatur. La compétence internationale directe est une condition
d’accueil de la demande, la compétence internationale indirecte est une condi-
tion d’accueil de la décision rendue à l’étranger. La parenté terminologique
non plus que la possibilité d’une présentation parallèle des deux notions,
n’autorisent leur confusion. L’une et l’autre se rapportent à des problèmes
essentiellement distincts.

7 Quant aux critères permettant la résolution du second de ces problèmes,


celui de la compétence internationale indirecte, l’arrêt Munzer est muet. La
jurisprudence, notamment celle de la Cour de Paris, a expérimenté différents
systèmes d’appréciation se référant tantôt aux règles étrangères, tantôt aux
règles françaises de compétence directe et proposant finalement un troisième
mode d’évaluation, autonome cette fois, de la compétence indirecte. Après quel-
ques hésitations, la Cour de cassation lui emboîtera le pas avec l’arrêt Simitch
(Civ. 1re, 6 févr. 1985, infra, no 67).

8 2°) Au nombre des conditions d’ordre substantiel, l’arrêt Munzer compte la


conformité à l’ordre public international. Cette condition figure aussi habi-
tuellement dans les conventions relatives aux effets des jugements. On com-
prendrait mal au demeurant qu’il n’en soit pas ainsi, car c’est là le moyen de
préserver une certaine organisation de la vie sociale au sein de laquelle la déci-
sion étrangère, qui ne s’en était pas spécialement inquiétée, est appelée à
déployer ses effets; mais il interviendra avec compréhension, parce qu’il se
mesurera à une décision, un état de droit, constitués à l’étranger. C’est de la
362 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41

notion d’effet atténué de l’ordre public qu’il est ici question. Introduite par
l’arrêt Bulkley du 28 février 1860 (v. supra, no 4), explicitée par l’arrêt Rivière
(v. supra, no 26), elle est régulièrement rappelée par la Cour de cassation en
matière d’effets des jugements (v. par ex., Civ., 28 janv. 1958, supra, no 30,
Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi, infra, no 63). Prenant en compte le fait accompli
et son extranéité, l’ordre public module son intensité selon qu’on est en pré-
sence d’une situation déjà créée à l’étranger ou d’une situation à créer en
France. S’il est une hypothèse où cette distinction peut opérer sans se heurter à
la difficulté de déterminer ce qu’est une situation déjà créée ou un droit acquis
à l’étranger, c’est bien celle où cette acquisition ou création procède de l’acte
d’un tribunal étranger (v. supra, arrêt Machet, no 23 § 7). L’exequatur offre
donc son domaine naturel à cette notion d’effet atténué de l’ordre public ce qui
reste vrai même lorsque l’atténuation est de surcroît subordonnée à l’absence
de lien significatif entre la situation tranchée à l’étranger et l’ordre juridique
français (v. supra, no 26 § 13); le paramètre ainsi introduit contraint seulement
à plus de circonspection face au jugement qui en toute hypothèse n’est pas pro-
tégé par son extranéité d’une éventuelle réaction de l’ordre public (v. infra,
Civ. 1re, 17 févr. 2004, no 63). Il faut en effet se garder de conclure que l’ordre
public ne commande jamais de repousser une décision étrangère; l’effet atté-
nué n’est pas l’effet nul (v. par ex., Civ. 1re, 30 janv. 1979, Bayar, Rev. crit.
1979. 629, note Y. Lequette, Clunet 1979. 393, note D. Mayer).
9 Quoique formulée avec une grande netteté, la condition de conformité au
règlement français de conflit de lois n’est pas la mieux assurée. Sa teneur reste
indécise et son bien-fondé prête à controverse. Elle a d’ailleurs été éliminée
par l’article 34 du Règlement Bruxelles I comme par les articles 22 et 23 du
Règlement Bruxelles II bis, alors que l’article 27-4 de la Convention de
Bruxelles du 27 septembre 1968 lui conservait, formellement un petit domaine
d’intervention. De fait, la teneur de cette condition est indécise. Exiger du
jugement soumis à exequatur qu’il ait été prononcé en application de la loi
que désigne la règle de conflit française, c’est en somme poser un principe
très restrictif, celui de la nécessaire identité entre la décision étrangère et la
décision qu’aurait rendue le juge français s’il avait été directement saisi du
litige. Mais l’identité requise peut s’entendre de deux manières. La jurispru-
dence Loesch (Civ. 1re, 24 nov. 1965, Rev. crit. 1966. 289, note P. Lagarde,
Clunet 1966. 369, note Ph. Kahn, et sur renvoi, Poitiers, 13 déc. 1967, Rev.
crit. 1969. 94, note P. L.) a opté pour une identité formelle ou « conflictuelle »,
qui est acquise dès lors que le juge étranger a mis en œuvre un rattachement
coïncidant avec celui de la règle de conflit française; dans cette perspective, il
est indifférent qu’il ait ensuite fait une fausse application de la loi ainsi dési-
gnée — celle-ci serait-elle même la loi française. L’objet du contrôle serait
donc la simple concordance des désignations, réserve faite naturellement du
pouvoir du tribunal de l’exequatur de réagir à la dénaturation de la loi compé-
tente par le juge étranger (v. H. Batiffol, note préc.).
Cette solution n’est pas en harmonie avec une autre attitude de la jurispru-
dence qui consiste à réputer régulières des décisions étrangères qui, tout en
n’ayant pas appliqué la loi compétente, sont néanmoins parvenues à un résul-
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 363

tat au fond équivalent de celui sur lequel aurait débouché le système français
de conflit. L’équivalence des résultats, volontiers présentée comme un simple
tempérament adoucissant la sévérité du principe, dévoile la nature de celui-
ci : l’identité des désignations ne serait pas requise pour elle-même, mais seu-
lement en tant qu’elle annonce normalement l’identité des solutions au fond
— laquelle formerait la véritable condition. S’autorisant de l’arrêt Drichemont
(Civ., 29 juill. 1929, Rev. dr. int. 1931. 334, Clunet 1930. 377, DH 1929. 458,
S. 1930. 1. 20) ou, plus récemment, de l’arrêt Baumann (Civ. 1re, 16 mars 1982,
Bull. I, no 110, p. 96; v. aussi Paris, 4 févr. 1958, Lundwall, Rev. crit. 1958. 389,
note H. Batiffol, Clunet 1958. 1016, note A. Ponsard, JCP 1958. II. 10612, note
Ph. Francescakis; Civ. 1re, 22 avr. 1986 et 6 juill. 1988. Lemaire. Rev. crit.
1989. 89, note H. Gaudemet-Tallon; Civ. 1re, 20 nov. 1990, Bull. I, no 249,
D. 1990. 354, note J. Massip; TGI Paris, 17 oct. 1991, Rev. crit. 1992. 508,
note H. Muir Watt; Paris, 27 mars 1997, Rev. crit. 1997. 732, note H. Muir
Watt), cette interprétation ne le cède en rien sur le plan de la positivité à la
jurisprudence Loesch, qui pourtant lui est contraire. Ainsi, la définition de
l’objet même du contrôle paraît mal fixée, voire entachée de contradiction, ce
qui fait douter de la solidité de la condition posée (v. cep., A. Ponsard, Clunet
1989. 230). Le doute s’accroît d’ailleurs lorsqu’on constate que l’exigence
d’identité, quelle qu’en soit la teneur, se heurte toujours à d’autres solutions
non moins positives.
Ainsi, par exemple, l’identité conflictuelle étonne par sa rigueur en ce
qu’elle oblige à vérifier que la décision étrangère a été rendue « en application
de la loi compétente d’après les règles françaises de conflit », alors que s’il
avait été directement saisi du litige, le juge français, dans le silence des parties,
n’aurait pas été tenu d’appliquer d’office la règle de conflit française, sauf si celle-
ci est relative à une matière dans laquelle les parties n’ont pas la libre disposi-
tion de leurs intérêts (v. arrêts reproduits, infra, no 74-78). Le droit internatio-
nal privé français exigerait donc plus du juge étranger que du juge français !
(v., sensible à cet argument, Paris, 25 mars 1994, Rev. crit. 1996. 119, note
H.M.W.). Quant à l’identité substantielle, sa conciliation avec l’accueil de la
notion d’effet atténué de l’ordre public est malaisée. Grâce à cette notion, il
est admis que le juge étranger peut, dans une large mesure, rester insensible à
l’ordre public français sans compromettre pour cela la régularité de sa déci-
sion, laquelle cependant s’écartera quant au fond de celle que le juge français
aurait rendue. Par son effet atténué, l’ordre public s’accommode d’une solu-
tion différant substantiellement de celle qu’il eût attendu d’un juge français
(Civ., 11 avr. 1945, Bach, et 1er mai 1945, Schabel, D. 1945. 245, note P. L-P.,
S. 1945. I. 121, JCP 1945. II. 2895, note Savatier). Théoriquement la condi-
tion de conformité aux règles françaises de conflit n’a pas ce libéralisme.
10 Ces frictions et ces incertitudes rendent imprécise cette condition, ce qui ne
facilite pas la recherche de sa justification. Or celle-ci devrait s’imposer avec
une grande force, car le principe d’identité attire a priori la contestation. Il est
en effet paradoxal de proposer d’accueillir dans l’ordre juridique français,
grâce à l’exequatur ou à la reconnaissance, des décisions étrangères et dans le
même temps d’exiger que celles-ci soient semblables à celles qui auraient pu
364 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41

être prononcées en France. N’est-ce pas refuser ce qui est étranger et donc dif-
férent — étant constant que chaque juge applique ses propres règles de conflit
pour déterminer la loi compétente (v. l’argument chez Loussouarn, Bourel et
de Vareilles-Sommières, no 496 et s.) ?
Mais, objecte-t-on, il s’agit d’imposer le respect du système français de
conflit, non pas au juge étranger, mais seulement aux justiciables qui pour-
raient en effet être tentés d’aller chercher auprès de celui-ci la solution que la
règle de conflit française empêche d’obtenir ici en rendant applicable une loi
qui la leur refuse (v. Batiffol et Lagarde, t. II, no 726; V. Delaporte, note sous
TGI Paris, 19 janv. 1978, Rev. crit. 1978, p. 548). De fait, choisir son juge,
c’est indirectement choisir son droit. Indéniablement, l’argument mérite consi-
dération. Il est d’ailleurs volontiers invoqué, sous une forme ou sous une autre
en droit international privé comparé, pour justifier le contrôle de la loi appli-
quée lorsque celui-ci est prévu (v. très explicites, pour l’Italie d’avant la loi du
31 mai 1995, C. cass. ital., 22 déc. 1978 et 6 mars 1979, Riv. dir. int. priv.
proc. 1980, p. 215 et p. 222 ; au sujet de l’anc. § 328, no 3 du ZPO, en Alle-
magne, G. Holleaux, « La reconnaissance et l’exécution des jugements étran-
gers de divorce dans les droits allemand et français », Trav. com. fr. dr. int. pr.
1955-1957, p. 115, spéc. p. 135 et s., J. Basedow, Rev. crit. 1978. 461, spéc.
p. 479, sur sa disparition en 1986, J. Basedow, Rev. crit. 1987. 77, spéc. p. 90
et sur sa résurgence, à l’ombre du contrôle de l’ordre public, M. Becker,
RabelZ, 1996. 691; sur l’attitude des tribunaux américains, A. T. von Mehren
et D. T. Trautman « Recognition of foreign adjudications : a survey and a sug-
gested approach », Harvard L. Rev., 1968. 1601, spéc. p. 1638 et s.). Cepen-
dant il ne faut pas en exagérer la portée. On observera d’abord que dans les
domaines où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il ne peut leur
être reproché d’avoir, entre plusieurs tribunaux, retenu celui dont les règles de
conflit conduisent à la loi interne qu’elles estiment appropriée au règlement
de leur différend. Ensuite, de manière générale, l’argument du forum shop-
ping ne suppose-t-il pas qu’il serait loisible aux parties de s’adresser aux
juges de leur convenance ? Or, cette latitude est doublement limitée. Elle l’est
au moment de l’instance directe conduite à l’étranger où le tribunal est nor-
malement tenu de respecter ses propres règles de compétence; elle l’est aussi
à celui de l’instance d’exequatur où le juge français s’assure de la compétence
indirecte du tribunal étranger et exige qu’entre celui-ci et le litige ait existé un
lien suffisamment caractérisé. Bien sûr, il reste les cas où ce lien suffisant
étant avéré à l’égard de plusieurs ordres juridictionnels prêts à connaître de la
cause, le demandeur se détermine en considération du droit qui sera appliqué.
Mais y a-t-il à reprendre là dessus ? Reprocher au demandeur d’avoir porté
son procès devant un juge étranger qui ne pratique pas le système français de
solution de conflit de lois, n’est-ce pas remettre en cause la compétence de celui-
ci, laquelle pourtant était acquise en raison du lien suffisant (v. J.-D. Bredin,
Trav. com. fr. dr. int. pr. 1964-1966, p. 28; P. Lagarde, « Le principe de proxi-
mité dans le droit international privé contemporain », Rec. cours La Haye,
1986, I, no 196, Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, eod. loc.) ?
Justifier le contrôle de la loi appliquée par l’argument du forum shopping
équivaut à dénoncer l’insuffisance du contrôle de la compétence indirecte.
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 365

Cette dénonciation ne paraît légitime que dans les cas où, d’une part, l’ordre
juridique français estime son intérêt si immédiatement engagé dans le conflit
de lois qu’il ne peut tolérer une solution différente de celle que lui-même pré-
voit et où, d’autre part, il n’a pas pris la précaution d’assurer une compétence
exclusive à ses propres tribunaux (B. Ancel, « Loi appliquée et effets en
France des décisions étrangères », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1986-1988, p. 25
et s.; comp. P. Lagarde, op. cit., no 200, et E. Pataut, Principe de souveraineté
et conflits de juridictions, thèse Paris I, éd. 1999, nos 627 et s.; pour une justi-
fication plus privatiste, F. Delpech, Le rôle de la règle de conflit de lois dans
l’efficacité des décisions étrangères, thèse Paris I, 1999, nos 384 et s.). Cette
éventualité — qui peut se réaliser, par exemple en matière de divorce (quoi-
que l’unilatéralité du règlement de l’article 309, C. civ. ait fait douter de la
légitimité du contrôle en cette matière, v. H. Gaudemet-Tallon, J.-Cl. dr. int.,
v° Divorce, nos 52 et s.; P. Courbe « Le divorce international : premier bilan
d’application de l’article 310 du Code civil », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1988-
1990, p. 133 et s.; Civ. 1re, 25 févr. 1986, Rev. crit. 1987. 103, note Monéger;
contra : TGI Paris, 17 oct. 1991, préc.; Paris, 15 nov. 1991, D. 1992, IR 62,
Rev. crit. 1993. 785; Metz, 19 janv. 1999, Clunet 2003. 115, note A. Bigot;
Civ. 2e, 14 mars 2002, Clunet 2002. 1062, note Ph. Kahn, JCP 2002. II. 10095,
note H. Fulchiron; Civ. 1re, 28 janv. 2003, époux L.-G., Rev. crit. 2004. 398,
note H. Muir Watt, Clunet 2003. 468, note J.-M. Jacquet, Defrénois 2003. 1086,
note J. Massip et Civ. 1re, 28 nov. 2000, en application de l’art. 47 de la conven-
tion franco-sénégalaise du 29 mars 1974, cité par M.-L. Niboyet, L. Sinopoli
et F. de Bérard, Gaz. Pal. 2004, nos 168 à 169, p. 18) — reste trop circonscrite
pour permettre que le contrôle de la loi appliquée soit hissé au même niveau
de généralité que les autres conditions de régularité internationale. Cepen-
dant la Cour de cassation n’a pas hésité à lui reconnaître la parité dans l’arrêt
ci-dessus reproduit. Peut-être cette généralité, excessive en théorie, s’expli-
que-t-elle en pratique, comme le suggérait un éminent magistrat, par le fait
qu’elle donne au juge français un motif de refuser l’exequatur à une décision
étrangère sans froisser la susceptibilité du tribunal qui l’a rendue. Cette pru-
dence courtoise, qui tend à prévenir la rétorsion dont pourraient pâtir les juge-
ments français à l’étranger, peut être opportune en toute matière et elle rend
un compte suffisant des diverses imperfections de la condition (v. S. Gressot-
Léger, « Faut-il supprimer le contrôle de la loi appliquée… ? », Clunet 2003. 767
et s., et, en réponse, Civ. 1re, 4 juillet 2006, Enfant Viola, no C04-17590).
11 3°) La fraude à la loi fait échec à l’efficacité en France des décisions dont
elle a permis l’obtention ou l’élaboration à l’étranger. Sa définition en matière
d’effets des jugements est celle-là même qui a cours en matière de conflit de
lois; il faut y voir l’emploi délibéré de moyens objectivement licites propres à
modifier la situation de l’intéressé dans le seul but de soustraire celle-ci à
l’application d’une norme à laquelle elle était soumise.
C’est la démarche entreprise par la Princesse de Bauffremont, s’efforçant
de perdre la nationalité française pour se placer sous l’empire d’une loi étran-
gère lui accordant le divorce (v. supra, no 6). C’est aussi la démarche du sieur
Giroux transportant son domicile hors de la Province de Québec pour échapper
366 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41

à l’application de la loi québécoise et obtenir du Tribunal de Reno un divorce


par application de la loi de l’État de Nevada (Civ. 1re, 11 juill. 1977, Rev. crit.
1978. 145, note B. Audit; v. aussi Civ., 2 oct. 1984, Favreau, Rev. crit. 1986. 91,
note M.-N. Jobard-Bachellier, Clunet 1985. 495, note B. Audit; Civ. 1re, 22 avr.
1986 et 6 juill. 1988, Lemaire, Rev. crit. 1989. 89, note H. Gaudemet-Tallon).
Dans ces deux exemples, la fraude se consomme sur le plan du conflit de lois.
Mais elle peut aussi intervenir sur celui du conflit de juridictions. Par exem-
ple, l’intéressé se ménage un chef de compétence dans un pays étranger dont
il espère que les juges — quoique utilisant une règle de conflit semblable à la
règle de conflit française — prononceront une décision qu’il n’aurait pu obte-
nir d’un tribunal français — parce qu’en France la loi applicable, ne bénéfi-
ciant pas de l’effet atténué de l’ordre public, serait écartée tandis qu’elle ne le
sera pas à l’étranger, ou encore parce que le droit applicable est entendu de
manière différente ici et là. Si le chef de compétence internationale ainsi
recherché ne répond qu’au dessein de profiter de cette différence, il y a fraude
aux règles de compétence (Civ. 1re, 16 févr. 1965, Cader, Rev. crit. 1966. 641,
note Motulsky, Clunet 1965. 628, note Level; rappr. P. Mayer, nos 393 et s.,
P. Courbe, note Rev. crit. 1991. 599, J. Deprez, note Rev. crit. 1995. 103).
Qu’il s’agisse des règles de conflit de lois ou des règles de conflit de juri-
dictions, l’atteinte portée à leur autorité est de même nature et mérite la même
sanction, qui est celle qu’appelle en général la fraude à la loi : l’inopposabilité
de la modification de la situation initiale du sujet. Il en résultera qu’entachés de
fraude, les jugements étrangers ne pourront être reconnus en France, soit parce
que la loi applicable n’a pas été respectée, soit parce que le tribunal étranger a
statué sans compétence — et même parfois parce que ces deux vices se seront
associés (v. Paris, 18 juin 1964, de Gunzburg, Rev. crit. 1967. 340, note Déprez,
Clunet 1964. 810, note Bredin et Civ. 1re, 11 juill. 1977 et 2 oct. 1984, préc.).
Cette condition d’absence de fraude n’est donc pas autonome puisqu’elle peut
s’interpréter comme une spécification apportée aux conditions de compétence
du tribunal étranger et de conformité au règlement français de conflit de lois.
Cependant, il n’est pas exclu que cette position secondaire et accessoire de la
fraude à la loi ne soit qu’une position d’attente et qu’un jour lui soit confié, en
concours avec l’ordre public, un rôle de premier plan dans l’appréciation de la
régularité internationale des jugements étrangers. Plus en effet le contrôle
s’affaiblit et plus l’exigence d’absence de fraude prend d’importance.

12 Quoi qu’il en soit, une fois encore, il apparaît que la condition d’efficacité
retenue n’était pas parfaitement stabilisée au moment même où l’arrêt Munzer
la consacrait. Généralisable aux autres éléments de régularité internationale,
sauf la conformité à l’ordre public de fond, la remarque signifie-t-elle que
l’arrêt Munzer serait aujourd’hui périmé ? Rien n’est moins assuré. La seconde
observation qu’appelle en effet le catalogue qu’il présente est que la relative
incertitude affectant la teneur des diverses conditions constituait en elle-même
une promesse d’évolution. L’arrêt Munzer clôt une époque pour en ouvrir une
autre, dont il prétend seulement orienter le cours et non arrêter la marche.
Cette souplesse se remarque aussi dans la manière dont sont évoquées les fina-
lités que poursuivent les cinq critères de régularité internationale des juge-
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 367

ments. Ici encore la Cour de cassation se garde d’une trop grande précision
qui, certes, aurait fixé le sens et la teneur de ces critères mais aurait aussi para-
lysé le mouvement de libéralisation à peine relancé.

13 B. — « L’objet de l’institution de l’exequatur » est « la protection de l’ordre


juridique et des intérêts français ». Cette formule a le mérite d’enterrer la doc-
trine qui assigne aux règles relatives à l’effet en France des jugements étran-
gers la mission de défendre la souveraineté française (v. obs. sous Parker, arrêt
no 2 ; E. Bartin, Principes, t. I, § 182, p. 461) — si du moins ou entend par là
le refus d’accueillir toute décision étrangère qui ne serait pas à tous égards
identique à celle que nos juridictions auraient rendue. Cette exigence d’iden-
tité complète des décisions — qu’on pourrait aussi appeler rejet de la dif-
férence, donc en principe de l’extranéité — requiert autant la révision au fond
— sur l’aspect matériel — que le contrôle — sur l’aspect international. Seul ce
dernier étant désormais autorisé, il faut conclure que la souveraineté de l’ordre
juridique français n’est plus le souci du droit de l’exequatur. Mais que placer
alors sous l’expression choisie par la Cour de cassation ?
La tentation vient naturellement de déduire de l’élimination de la révision
au fond, une diminution du besoin de protection de l’ordre juridique français.
Allégée, la protection se concentrerait sur le seul terrain international. Dans
cette perspective rétrécie, l’exigence d’identité des décisions (étrangère effective
et française hypothétique) subsisterait, mais son domaine serait amputé. La
protection de l’ordre juridique et des intérêts français se limiterait à imposer
au jugement étranger le respect objectif des vues du droit international privé
français. Les sujets des situations contentieuses internationales seraient ainsi
placés en France sur un pied d’égalité afin de prévenir le désordre : ils ne
pourraient pas obtenir à l’étranger ce qui leur est refusé en France.

14 Dans cette perspective on comprend tout à fait l’exigence de conformité au


règlement français de conflit de lois, y compris l’absence de fraude à la loi.
Mais la cohérence voudrait aussi que sur le plan de la compétence indirecte, la
vérification de la décision étrangère s’effectue selon les règles fondant la com-
pétence internationale directe de la juridiction française. Pourtant, il se trouve
que ce n’est pas cette orientation qu’a suivie la jurisprudence depuis l’arrêt
Munzer en matière de compétence indirecte (v. arrêt Simitch, préc.; sur la doc-
trine de la bilatéralité des règles de compétence, v. D. Holleaux, Compétence du
juge étranger et reconnaissance des jugements, 1970, nos 103 et s., p. 121 et s.).
À la vérité cette infraction à la règle de l’identité des décisions était déjà
consommée sur le plan de l’ordre public de fond qui, à la différence de l’ordre
public de procédure, n’intervient comme le précise l’arrêt, que sous la forme
dite de « l’effet atténué ». C’est donc que la protection dont l’ordre juridique
français éprouve le besoin n’impose pas, même limitée aux seuls aspects
internationaux, l’exacte similitude entre le jugement étranger et celui qui
aurait pu être prononcé par le tribunal français. Les règles et principes du
droit international privé français mis en œuvre dans l’instance directe n’ont
pas une valeur absolue. La constatation ne commande plus seulement de res-
treindre le champ de l’examen, elle en modifie l’esprit.
368 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41

15 La règle de l’identité des décisions est récusée. Il ne s’agit plus d’affirmer


l’autorité de l’ordre juridique français par le moyen d’un assujettissement de
toutes les situations internationales aux exigences de son droit international
privé; il s’agit de définir les limites dans lesquelles sont accueillies les déci-
sions émanées des ordres juridiques étrangers. L’idée n’est pas celle d’une
nécessaire mise en défense de l’ordre juridique français contre les entreprises
judiciaires étrangères; elle est au contraire celle de l’acceptation de la dif-
férence, pourvu toutefois que celle-ci n’aille pas jusqu’à l’antagonisme. Cette
position de départ s’ajuste mieux au fait que, même dans le domaine des rela-
tions internes, où ne se rencontre pas la concurrence des ordres étrangers,
l’ordre juridique français supporte la diversité; ainsi pour ne pas sortir du
domaine du contentieux, il admet la transaction et l’arbitrage, et même l’amia-
ble composition sans pour cela renoncer à ses fins de justice dans les rapports
individuels et d’organisation de la vie sociale. Or, sur le plan de l’efficacité
internationale des jugements, ce libéralisme se justifie mieux encore par ce
très puissant motif qu’en général l’individu qui prétend exploiter en France
une décision étrangère cherche seulement à écarter la menace que la pluralité
des ordres juridiques fait peser sur l’unité de traitement de la situation liti-
gieuse (v. supra, arrêt de Wrède, no 10). Il s’agit pour lui d’échapper à l’écar-
tèlement auquel le condamnerait le devoir d’obéir à la fois au modèle de
conduite défini par le juge étranger et à celui qu’il serait contraint de solliciter
du juge français si le premier n’était pas reconnu en France (v. L. Condorelli,
La funzione del riconoscimento di sentenze straniere, 1967, p. 121; D. Hol-
leaux, no 175, no 415; P. Mayer et V. Heuzé, no 365). Gravement préjudiciable
à l’intéressé, cette éventuelle dualité ne saurait en règle générale lui être impo-
sée car elle procède d’une différence qui, sauf le cas où par quelque fraude à
la loi il l’aurait lui-même provoquée, ne lui est pas imputable puisque elle est
la conséquence de la pluralité des ordres juridiques.
16 Selon cette vue, les conditions de régularité internationale ne doivent plus
représenter que des sauvegardes. C’est peut-être d’ailleurs ce que voulait sug-
gérer la mention distincte des intérêts français venant doubler dans le motif de
l’arrêt la référence à l’ordre juridique français. Le mouvement qui a préparé
l’arrêt Munzer encourage cette distinction de l’ordre juridique français et des
intérêts français : la mesure de la protection due au premier se déduirait des
seconds. Cette interprétation s’autorise de la doctrine d’un des plus actifs ani-
mateurs de l’évolution jurisprudentielle en la matière, le conseiller Georges
Holleaux, qui n’acceptait de soumettre la décision étrangère à l’épreuve des
principes et règles du droit international privé français que dans le cas où le
litige « intéresse au premier chef le droit français » et où il s’agit de « défendre
l’intégrité du domaine de notre droit » (Rev. crit. 1963, p. 116, note sous l’arrêt
Hohenzollern, préc.).
La directive ne permet de repousser le jugement étranger que si, ayant fran-
chi l’obstacle de l’ordre public (de procédure et de fond) et évité celui de la
fraude à la loi (contre une règle de conflit ou de compétence), il méconnaît
une compétence législative ou judiciaire que l’ordre juridique français entend
se réserver, parce qu’elle est une pièce indispensable de la protection d’un
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 369

intérêt par lui estimé fondamental. La formule conduit d’une part vers les cas
de compétence exclusive des tribunaux français et d’autre part vers les cas
d’application nécessaire de la loi française — qu’il conviendrait d’identifier
plus précisément, soit en consultant les règles de conflit françaises, soit en
s’en tenant aux lois de police ou d’application immédiate (comp. D. Holleaux,
op. cit., no 382).
Ce nouvel inventaire des conditions de régularité internationale n’est pas
encore le droit positif. Cependant, d’un côté, le décalage entre l’énumération
de l’arrêt Munzer et les objectifs assignés à l’exequatur et, de l’autre côté, les
avancées accomplies par la jurisprudence ultérieure laissent espérer un sem-
blable aboutissement fondant un meilleur équilibre entre les exigences de
l’intérêt général pris en charge par l’ordre juridique français et la considération
due aux intérêts privés affrontés à la pluralité des ordres juridiques (comp. note
H. M. W., Rev. crit. 1996, p. 124, sous Paris, 25 mars 1994).

II. L’office du juge de l’exequatur

17 Une obligation et une interdiction définissent, selon la Cour de cassation, la


tâche incombant au juge de l’exequatur. L’obligation est celle de vérifier les
cinq conditions et elle « constitue en toute matière, à la fois l’expression et la
limite du pouvoir de contrôle » (B); l’interdiction frappe, bien sûr, la révision
au fond (A).

A. — La défense de réviser au fond

18 Réviser le jugement étranger, c’est selon la vénérable définition d’Aubry et


Rau en « examiner la valeur du dispositif sous le double rapport de l’apprécia-
tion des faits et de l’application des règles de droit » (Droit civil français,
t. XII, 5e éd. par Bartin, § 769 ter, p. 487). Il est donc désormais interdit de se
livrer à cette opération. Les investigations se cantonneront à ce que requièrent
les différentes conditions de la régularité internationale de la décision. La mise
en œuvre de ce principe — si ferme soit-il — rencontre quelques difficultés.
19 Ainsi, c’est une question très délicate que celle de savoir jusqu’à quel point
la prohibition de la révision empêche que la vérification ne porte sur l’inter-
prétation des dispositions de la loi appliquée par le juge étranger pour fonder
sa décision. Celui-ci a pu commettre une erreur telle qu’il n’est pas possible de
reconnaître dans la loi qu’il prétend avoir appliquée celle que désigne la règle
de conflit française (v. la note de H. Batiffol, Rev. crit. 1964, préc. et supra,
§ 10). Ou bien encore la solution qu’il a cru devoir déduire de la loi applicable
heurte l’ordre public français alors même que les dispositions de cette loi sont
très proches des principes du Code civil : l’intervention de l’exception d’ordre
public pour repousser ici le jugement étranger implique une véritable critique
de la manière dont le tribunal qui l’a rendu a fait application du droit (v. arrêt
Bayar, Civ. 1re, 30 janv. 1979, Clunet 1979. 393, note D. Mayer, Rev. crit. 1979.
629, note Y. Lequette; D. Holleaux, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1980-1981, p. 60).
370 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41

S’agissant de l’appréciation des faits, la frontière qui sépare la révision du


contrôle n’est pas moins difficile à tracer, spécialement lorsque l’examen de
certains éléments, déjà utilisés par le tribunal étranger pour fonder sa déci-
sion, semble aussi opportun pour vérifier les conditions de régularité.
La question se pose aussi, comme le relevait H. Batiffol (Rev. crit. 1964,
note préc.), à l’égard de la conformité à l’ordre public des preuves retenues
par le juge étranger. Une condamnation prononcée sans preuve digne de ce
nom ne peut être revêtue en France de l’exequatur. Mais comment là-dessus
procéder à un contrôle sans reprendre le travail du juge étranger et en quelque
sorte se substituer à lui ? Le clivage est malaisé entre la preuve non concluante
— qui serait abritée de la critique — et la preuve non pertinente — qui est
absence de preuve et heurte partant l’ordre public de procédure.
L’hésitation est aussi permise lorsque le tribunal étranger s’est fié à des
moyens de preuve qui au regard du droit français ne jouissent d’aucun crédit
ou encore sont inadmissibles parce qu’attentatoires à quelque principe fonda-
mental de procédure ou de fond. À quel moment de l’examen, dans ce cas, le
contrôle devient-il révision ? (v. par ex., Civ. 1re, 18 mai 1976, Clunet 1977.
485, note A. Huet, Rev. crit. 1978. 351, note M. Simon-Depitre et J. Foyer;
Civ. 1re, 7 mars 1978, deux arrêts, Clunet 1979. 614, note J. Foyer).
20 Cette grave difficulté n’a pas échappé à la Cour de cassation qui a fourni un
élément de solution intéressant sinon toujours suffisant. L’objet de la prohibi-
tion, précise-t-elle, c’est la « révision au fond de la décision ». En d’autres ter-
mes et selon la lettre même de la définition d’Aubry et Rau (v. supra), le péri-
mètre interdit est celui où s’inscrivent les appréciations de fait et l’application
des règles de droit dans leur rapport avec le dispositif de la décision, c’est-à-
dire avec la détermination des droits et obligations respectifs des parties opé-
rée par le tribunal étranger. Toutes les appréciations de fait et applications de
droit qui ont permis de trancher le litige dans son aspect matériel (« au fond »)
sont exclues de l’examen; mais cette exclusion n’atteint pas les faits eux-
mêmes ni le droit, en tant qu’ils ont contribué à la résolution des questions
d’ordre international couvertes par l’énumération des conditions de régularité.
Ainsi, le réexamen est donc « tout à fait licite » s’il est « utile dans le cadre de
l’un des contrôles précis imposés à présent par la jurisprudence » (P. Mayer et
V. Heuzé, no 364); ainsi du contrôle de la compétence indirecte, de la loi appli-
quée ou de la conformité à l’ordre public… (v. D. Alexandre, op. cit., p. 323
et s.; D. Holleaux, comm. préc., p. 57 et s.; J.-Cl. dr. int., 1977, fasc. 584-B,
nos 153 et s.; Y. Lequette, note, Rev. crit. 1979. 634; H. Muir Watt, J.-Cl. dr.
int., fasc. 584-3, nos 7 et s.).

B. — Le devoir du juge

21 L’arrêt déclare que « pour accorder l’exequatur, le juge français doit s’assu-
rer que… se trouvent remplies » les cinq conditions de la régularité internatio-
nale (v. déjà l’arrêt de Wrède, no 10; Civ. 1re, 8 janv. 1963, préc.; Civ. 1re,
9 nov. 1971, Camus, Rev. crit. 1972. 314, note D. Holleaux, adde, dans le
cadre de l’application de la convention franco-camerounaise du 21 févr. 1974,
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 371

Civ. 1re, 9 juill. 1991, JCP 1992. II. 21818, note H. Muir Watt, Defrénois
1992, no 35212, et D. 1992. 334, note J. Massip). L’affirmation doit-elle être
comprise comme faisant au juge de l’exequatur le devoir de procéder, au
besoin d’office, à la vérification de chacune des conditions ?
En dépit de son caractère un peu abrupt, la formule de la Cour de cassation
ne doit pas inciter à des conclusions extrêmes. Elle ne constitue en effet que le
rappel d’un principe de procédure civile qui ne suffit pas à définir exactement
l’office du juge en matière d’exequatur. « Le juge tranche le litige conformé-
ment aux règles de droit qui lui sont applicables »; l’article 12, alinéa 1er, du
Nouveau Code de procédure civile exprime un principe directeur du procès
qui régissait l’office du juge avant même que soit prononcé l’arrêt Munzer. Il
ne faut pas être surpris que celui-ci l’ait évoqué au moment où il énonçait la
règle de conflit de juridictions applicable à l’efficacité internationale des juge-
ments. Le tribunal de l’exequatur a donc le devoir de vérifier que la décision
étrangère répond aux conditions de droit fixées par cette règle (Comp. Civ. 1re,
25 janv. 2000, Droit de la famille, 2000, no 123, note H. Fulchiron, par appli-
cation de l’art. 4 de la convention franco-algérienne du 27 août 1964; Civ. 1re,
30 mars 2004, Rev. crit. 2005. 89, note L. Sinopoli, JCP 2004. II. 10097, note
V. Egea, Gaz. Pal. 2004, nos 247 à 248, obs. M.-L. Niboyet).
Mais ce devoir, pour être accompli, requiert la coopération des parties et
son ampleur varie en fonction de celle-ci. Le demandeur a la charge de l’allé-
gation : il lui incombe donc de fournir au juge tous les éléments de fait pro-
pres à établir la régularité. S’il manque à cette charge relativement à l’une
ou l’autre des conditions, il sera normalement débouté. S’il y satisfait, le juge,
en cas de contestation de la demande, devra trancher et pour cela conduire
un débat entre les parties sur les points controversés, tandis qu’en l’absence
de contestation, il s’en tiendra aux allégations du demandeur et accordera
l’exequatur si celles-ci sont pertinentes et suffisantes (v. Civ. 1re, 3 juin 1969,
Vve Kolin, Rev. crit. 1971. 743, note D. Holleaux). Ainsi les règles du droit
commun de la procédure civile déterminent le travail du juge, sans laisser à
celui-ci la possibilité, même en l’absence de contestation, d’escamoter tel ou
tel élément de régularité.
22 Cependant ces solutions laissent entière la question de savoir s’il est permis
aux parties qui y trouveraient leur avantage de limiter le contrôle à certaines
conditions seulement. À cet égard, il faut noter que ne faisait aucun doute en
son principe la faculté pour le bénéficiaire de renoncer à l’exercice des privilè-
ges résultant des articles 14 et 15 du Code civil (v. infra, arrêt Prieur, no 87).
Mais au-delà de ce cas particulier, il faut revenir au Nouveau Code de procé-
dure civile : aux termes de l’article 12, alinéa 3, l’élimination par les parties
des exigences légales est licite pourvu qu’elle soit l’objet d’une convention
expresse et qu’elle concerne des droits dont leurs titulaires ont la libre disposi-
tion (v. Civ. 1re, 9 nov. 1971, préc.); le problème devient alors celui de l’exer-
cice de cette permission dans le procès d’exequatur. De quelles conditions de
régularité les parties ont-elles la libre disposition ?
Si aujourd’hui, le droit positif n’est pas encore parfaitement assuré de la
solution à adopter (v. M.-L. Niboyet, L. Sinopoli et F. de Bérard, « L’exequatur
372 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 41

des jugements étrangers en France. Étude de 1 390 décisions inédites, 1999-


2001 », Gaz. Pal. 2004, nos 168 et 169, p. 18 et s.), la doctrine pour sa part
croit pouvoir avancer selon deux axes en distinguant parmi les conditions de
l’exequatur celles qui seraient par elles-mêmes insusceptibles de dérogation
conventionnelle — et donc d’ordre public interne per se — et celles qui ne le
seraient qu’en raison de la nature de l’affaire tranchée par le juge étranger —
donc d’ordre public interne ratione materiae (v. D. Holleaux, J.-Cl. préc.,
no 133; P. Mayer et V. Heuzé, nos 429 et s.; D. Alexandre, op. cit., no 368;
H. Muir Watt, J.-Cl. préc., fasc. 584-7, nos 93 et s.).
23 D’un côté, ne se rencontrera, semble-t-il, que la condition de conformité à
l’ordre public international de fond. Il est évidemment difficile de donner aux
parties la liberté d’introduire d’un commun accord en France une décision
étrangère dont l’exécution ou la reconnaissance perturberait gravement l’orga-
nisation de la vie sociale française. Mais cette protection de l’ordre juridique et
des intérêts français ne forme-t-elle pas l’objet de l’institution de l’exequatur
dans son ensemble ? Ne faut-il pas alors, en raison de la communauté de but
qui les réunit, admettre que chacune des conditions de régularité, quelle qu’en
soit la teneur, est d’ordre public interne per se ?
Cette conclusion était celle de Hébraud (v. RTD civ., 1964. 164) et de
Motulsky (v. note sous Civ. 1re, 15 mai 1963, Patiño, JCP 1963. II. 13365).
Elle se heurte pourtant à une objection qui paraît insurmontable : hormis la
contrariété à l’ordre public international de fond, aucun vice commandant le
refus de l’exequatur ne justifierait par lui-même l’annulation d’une conven-
tion entre les plaideurs reprenant la substance du dispositif de la décision irré-
gulière si celle-ci est intervenue sur des droits disponibles. Il est donc inutile
de verrouiller à l’encontre de la volonté commune des parties la voie judi-
ciaire si, dans le même temps, la voie conventionnelle leur est ouverte.
24 L’argument réduit l’influence des considérations de sauvegarde de l’ordre
juridique sur la solution du problème, tandis qu’il accroît notablement le poids
qu’y prendra la nature de la matière litigieuse traitée par le juge étranger : mise
à part la conformité à l’ordre public international de fond, les conditions de
régularité ne sont d’ordre public interne qu’en raison de la nature de l’affaire
tranchée à l’étranger (v. D. Holleaux, notes préc., Rev. crit. 1971. 743 et 1972.
314, P. Mayer et V. Heuzé, nos 431 et s., H. Muir Watt, J.-Cl. préc., B. Ancel
notes Rev. crit. 1984. 501 et 1990. 540, A. Huet, note sous Civ. 1re, 12 janv.
1994, Tonon, Rev. crit. 1994. 371). Dès lors, si cette nature ne s’y oppose pas
lorsque les intérêts qu’elle recouvre sont disponibles, les plaideurs pour-
raient conventionnellement, par une renonciation expresse ou à tout le moins
résultant d’une manifestation non équivoque de volonté, réduire le travail du
juge au seul contrôle de l’ordre public international de fond. Cette solution
peut se recommander de l’adhésion que lui apportaient naguère les juridictions
du fond lorsqu’elles déduisaient l’obligation du juge de l’exequatur de vérifier,
au besoin d’office, la compétence indirecte du tribunal étranger du divorce, de
l’interdiction de l’acquiescement et de la transaction que connaissait alors le
droit français en la matière (v. par ex., Seine, 11 janv. 1956, Rev. crit. 1956. 138,
41 MUNZER — CASS., 7 JANVIER 1964 373

note P. Bellet, Clunet 1956. 1022, note B. Goldman, JCP 1956. II. 9223, note
P. Louis-Lucas et les décisions citées par H. Muir Watt, J.-Cl. préc., no 99;
rappr. Paris, 25 mars 1994, préc., où le devoir de contrôler la conformité au
règlement français de conflit de lois naît de la contestation « étoffée » du
défendeur, v. la note H. M. W., Rev. crit. 1996, p. 125; v. aussi Paris, 10 févr.
1993, Parretti, Rev. crit. 1993. 664, note H. Gaudemet-Tallon, Clunet 1993. 599,
note C. Kessedjian).
Elle peut aussi s’autoriser de l’harmonie qu’elle entretient avec la tendance
qui semble dominer actuellement l’évolution du droit de l’efficacité interna-
tionale des jugements et qui est moins désireuse de multiplier les défenses
destinées à abriter l’ordre juridique français des atteintes que lui porteraient
les juges étrangers, que de ménager en France, autant que possible, aux justi-
ciables dont le contentieux s’est réglé à l’étranger, l’avantage de l’unité de
solution (lequel, dans le cadre de la Convention de Bruxelles de 1968, deman-
derait la suppression de tout contrôle d’office, Civ. 1re, 17 nov. 1999, Rev. crit.
2000. 52, note B. Ancel). Dans cette perspective, en effet, la justice de l’exe-
quatur s’affirme d’abord justice de droit privé, justice des intérêts privés.
Ceux-ci par conséquent ne sauraient être sacrifiés — pas plus aux aléas inhé-
rents à la diversité des ordres juridiques et de leurs machineries judiciaires
qu’aux craintes irraisonnées que l’ordre juridique français éprouverait pour
lui-même.
42

COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

15 février 1966

(Rev. crit. 1966. 273, note Batiffol, Clunet 1967. 95, note Goldman, D. 1966. 370,
note Malaurie, Rec. Gén. Lois 1966. 637, obs. Droz)
Donations entre époux. — Loi applicable.

Les donations mobilières entre époux sont soumises à la loi régissant les
effets personnels du mariage.

(Dame Campbell-Johnston c/Campbell-Johnston)

Faits. — Un Britannique, M. Campbell-Johnston fait donation à son épouse citoyenne


française, le 16 août 1940, par acte passé à New York, des meubles garnissant l’apparte-
ment parisien où était établi leur domicile. En 1950, Mme Campbell-Johnston acquiert
à Paris un immeuble dont le prix est payé par son mari. Quelques années plus tard à la
suite de l’introduction d’une action en séparation de corps par son épouse, M. Campbell-
Johnston révoque la donation et revendique les meubles qui en étaient l’objet ainsi que
l’immeuble français acquis par celle-ci, au motif que cette acquisition réalisée à l’aide
de ses deniers serait une donation déguisée nulle par application de l’article 1099
alinéa 2 du Code civil. Assez curieusement, le problème du conflit des lois est évoqué à
propos du premier point mais non du second, Mme Campbell-Johnston se prévalant des
lois américaine et anglaise uniquement en ce qu’elles ne connaissent pas la révocabilité
ad nutum des donations entre époux. Confirmant un jugement du Tribunal de la Seine
du 12 juillet 1962 (Rev. crit. 1962. 690, note Batiffol), la Cour de Paris se prononce
pour l’application de la loi française dans une décision très motivée du 4 juillet 1963
(Rev. crit. 1963. 772, note Batiffol, Clunet 1964. 73, note Ponsard) : « Considérant que,
pour déterminer quelle est la loi applicable à la donation considérée, on ne saurait se
référer d’une manière satisfaisante à la loi gouvernant le régime matrimonial des époux,
s’agissant d’une libéralité étrangère à ce régime, ni à la loi gouvernant la succession du
donateur dont on ignore où sera le domicile au jour du décès, ni à la loi d’autonomie qui
se déduit de la localisation du contrat telle que résultant de la volonté des parties, alors
que la donation entre époux se trouve, à certains égards, en marge du droit des contrats;
— Considérant, au contraire, que la donation faite par Campbell-Johnston à sa femme,
qui trouve sa cause dans les relations personnelles des époux et la force du lien qui les a
unis, doit être soumise à la loi gouvernant les effets personnels du mariage, laquelle est
celle du domicile commun des époux au moment de la donation ainsi qu’il a été admis
en matière de divorce et que l’ont estimé à bon droit les premiers juges ».
Un pourvoi est formé.
42 CAMPBELL-JOHNSTON — CASS., 15 FÉVRIER 1966 375

ARRÊT
La Cour; — Sur les deux premiers moyens réunis pris en leurs diverses
branches : — Attendu qu’il résulte des énonciations des juges du fond que Diar-
mid Campbell-Johnston, de nationalité britannique, a, suivant acte du 16 août
1940, passé à New York devant un notaire de cette ville, fait donation à Marie-
Germaine Chataur, son épouse, de nationalité française, notamment de la tota-
lité des meubles, tapisseries, tableaux et d’une façon générale de tous objets
sans exception garnissant un appartement sis avenue Foch à Paris, où était éta-
bli le domicile conjugal; que suivant acte du 8 décembre 1950, dame Campbell-
Johnston a acquis la propriété d’un immeuble sis rue Montpensier, sur le Palais-
Royal, où les époux transférèrent leur domicile; que, sur une instance en sépara-
tion de corps introduite par la femme, le magistrat conciliateur a décidé que
celle-ci résiderait au premier étage et le mari au deuxième étage de l’immeuble;
que par acte notarié du 22 juin 1962, Campbell-Johnston, ayant révoqué la
donation du 16 août 1940, a revendiqué la propriété des meubles garnissant
l’appartement occupé par son épouse, ainsi que de quatre tapis donnés en
garde par celle-ci; qu’il a également revendiqué la propriété de l’immeuble du
Palais-Royal acquis par elle, en soutenant que cette acquisition avait été réalisée
à l’aide de deniers qu’il avait remis au notaire, en sorte que s’agissant d’une
donation déguisée, celle-ci serait nulle par application de l’article 1099 alinéa 2
du Code civil; — Attendu qu’il est d’abord fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué
d’avoir fait droit à la demande du mari, en considérant que la loi française
devait s’appliquer à la donation des objets mobiliers, alors d’une part que,
s’agissant de déterminer la loi régissant un contrat, la cour d’appel a, sans justi-
fication, écarté l’application de la loi d’autonomie, et alors, d’autre part, que,
de toutes façons, la loi nationale du donateur, laquelle excluait la révocabilité
des donations entre époux, pouvait seule régir les conditions de fond de l’acte
litigieux, ainsi que dame Campbell-Johnston l’avait soutenu dans des conclu-
sions qui seraient demeurées sans réponse.
Mais attendu que l’arrêt attaqué, après avoir justement énoncé que la loi
d’autonomie ne saurait s’appliquer aux donations entre époux, eu égard aux
règles particulières auxquelles elles obéissent, et relevé que le litige porte uni-
quement sur une donation d’objets mobiliers, entre époux de nationalité dif-
férente dont le domicile commun se trouvait en France au moment où la libéra-
lité a été consentie, décide à bon droit que semblable libéralité est soumise à la loi
française, loi du domicile commun, régissant les effets personnels du mariage, et
est en conséquence révocable en vertu de l’article 1096 du Code civil, qu’en sta-
tuant ainsi la cour d’appel a nécessairement écarté les conclusions de dame
Campbell-Johnston tendant à l’application dans la cause de la loi nationale du
donateur et sur ce point légalement justifié sa décision, que les deux premiers
moyens doivent être écartés;
Sur le troisième moyen pris en sa première branche : — Attendu qu’il est
encore reproché à l’arrêt attaqué, également confirmatif à cet égard, d’avoir
déclaré recevable l’action de Campbell-Johnston tendant à faire déclarer nulle
parce qu’étant déguisée, par application de l’article 1099, alinéa 2 du Code civil,
la donation qu’il aurait consentie à son épouse en payant de ses deniers le prix
de l’immeuble acquis par celle-ci le 18 décembre 1950 et ordonné une mesure
d’instruction à effet de déterminer si les fonds versés pour cette acquisition pro-
venaient du patrimoine du mari ou de celui de la femme, alors que, selon le
pourvoi, l’article susvisé ne trouverait application que dans le cas d’existence
d’héritiers réservataires du donateur;
Mais attendu que l’article 1099 alinéa 2 du Code civil n’interdit pas à l’époux
donateur, même en l’absence d’héritiers réservataires, de faire déclarer, en
même temps que le déguisement, la nullité de la donation; d’où il suit que la
première branche du troisième moyen ne saurait être accueillie;
376 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 42

Et sur les deux autres branches du même moyen : — Attendu que non moins
vainement le pourvoi reproche à la cour d’appel, d’une part, de s’être contre-
dite en se prononçant sur la cause de la prétendue fourniture de deniers par le
mari tout en ordonnant une mesure d’instruction pour rechercher l’origine de
ceux-ci, ainsi que d’avoir omis de procéder à une recherche subjective de l’inten-
tion effective du donateur pour ne retenir que le fait matériel d’une remise de
deniers, et, d’autre part, d’avoir décidé « par avance et a priori » que la dona-
tion déguisée, en la supposant établie, portait sur l’immeuble acheté plutôt que
sur les deniers fournis pour le paiement du prix, sans faire état d’aucune circons-
tance lui permettant de statuer ainsi; — Attendu en effet, que la cour d’appel
ne s’est prononcée définitivement que sur la recevabilité de l’action en nullité
en soulignant l’intérêt que Campbell-Johnston avait à établir la simulation de
l’acte litigieux; que c’est pour caractériser cet intérêt qu’elle a énoncé, avant de
confirmer la mesure d’instruction ordonnée par les premiers juges, « qu’une telle
simulation consistant en une opération, commandée par la commune intention
des parties, pour faire passer un bien du patrimoine du mari dans celui de la
femme, suffit à démontrer l’intention de celui-ci, qui a remis les fonds pour
l’accomplir, à la seule condition que les fonds proviennent bien de son patri-
moine, ce qui est formellement contesté »; — Qu’en décidant ainsi, la Cour
d’appel ne s’est nullement contredite et l’appréciation de la commune intention
des parties étant de la sorte expressément réservée, n’a pas tranché la question
de savoir si la libéralité dont l’existence reste à démontrer portait sur l’immeu-
ble lui-même ou sur le numéraire qui a servi à son acquisition; — D’où il suit que
les deux derniers griefs du pourvoi ne sont pas mieux fondés que les précédents
et que l’arrêt motivé a légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 15 février 1966. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Bornet, prem., prés.; Thirion,
rapp.; Lindon, av. gén. — MMes Lemanissier, Vidart et Roques, av.

OBSERVATIONS
1 La Cour de cassation n’a pas donné à l’arrêt Campbell-Johnston les appa-
rences d’une décision de principe. À la différence de la Cour de Paris qui, dans
l’arrêt attaqué, avait pris le soin de synthétiser en une formule brève mais soli-
dement argumentée, les raisons de préférer sa solution à toutes celles qui ont
été proposées en la matière, elle s’en tient strictement au pourvoi et se contente
de le rejeter en s’appuyant sur des motifs « ou bien allusifs, ou bien exclusive-
ment liés à la technique du contrôle des décisions des juges du fond » (Gold-
man, note Clunet 1967. 98). On y verra une manifestation de cette « économie
de moyens » si chère à la haute juridiction (Malaurie, note D. 1966. 370) ainsi
qu’une illustration de la tradition qui veut que « nos juges fassent des arrêts et
non des articles de revue » (Goldman, note préc.). Il est néanmoins permis de
se demander si, en une matière aussi disputée, la Cour de cassation n’aurait
pas dû, sans pour autant renoncer au génie propre de sa motivation, justifier
plus explicitement son choix.
Il n’en reste pas moins que, même si des doutes subsistent sur sa portée (II),
l’arrêt Campbell-Johnston a eu le mérite de fixer la jurisprudence française
sur la loi applicable aux donations mobilières de biens présents entre époux (I).
De là, sa reproduction dans le présent ouvrage.
42 CAMPBELL-JOHNSTON — CASS., 15 FÉVRIER 1966 377

I. La loi applicable aux donations mobilières entre époux

2 On a souvent insisté sur la difficulté qu’il y a à déterminer la loi applicable


aux donations entre époux : interférant avec plusieurs groupes d’institutions,
elles sont, selon une image aujourd’hui classique, au « confluent » (Batiffol,
note S. 1934. 1. 393) ou au « carrefour » (Loussouarn, note Rev. crit. 1951. 514)
de plusieurs catégories de rattachement; réglementées de façon très différente
par les divers droits nationaux, elles présentent de l’un à l’autre une physiono-
mie fort dissemblable qui oblige à s’interroger sur l’objet exact de la qualifica-
tion : de la prohibition absolue à l’absence de toute réglementation particulière
en passant par un régime propre marqué notamment par la révocabilité ad
nutum de l’opération, tous les systèmes sont, en effet, représentés (sur le droit
comparé, v. B. Ancel, Les conflits de qualifications à l’épreuve de la donation
entre époux, 1977, nos 412 et s.). Il n’est donc guère surprenant que la matière
soit devenue l’un des champs de réflexion privilégié des internationalistes
désireux d’approfondir le processus de la qualification (Goldman, note Clunet
1967. 98, et surtout B. Ancel, op. cit). Se gardant de reprendre le problème des
qualifications dans sa totalité, on se contentera ici de rappeler brièvement les
enseignements qui ont déjà été dégagés dans le corps de commentaires précé-
dents. Quant à l’objet de l’opération de qualification tout d’abord : celle-ci ne
porte pas sur les règles de droit, françaises ou étrangères, mais sur la question
de droit que ces règles résolvent souvent différemment. Ainsi évitera-t-on les
conflits de qualifications (v. arrêt Caraslanis, supra, no 27 § 8). Quant à la
délimitation de la catégorie ensuite : celle-ci se fera à partir des classifications
internes du for qui seules expriment l’organisation de l’ordre du for à laquelle
les règles de conflit doivent intégrer les relations d’intérêt privé à caractère
international (v. arrêt Caraslanis, supra, no 27 § 3). Mais au cas où le droit
interne présente lui-même un caractère équivoque, la délimitation de la catégo-
rie peut être heureusement influencée par la signification du rattachement.
Défini en fonction de la catégorie, il contribue en même temps à la modeler
dans la mesure où, en cas d’hésitation, la question sera classée dans la catégo-
rie à laquelle est affecté le rattachement qui lui convient le mieux (v. arrêt Sil-
via, supra, no 29 § 6). Ainsi, entre la matière-même du droit interne et la raison
d’être du rattachement s’établit une sorte de rapport dialectique de condition-
nement mutuel dont les donations entre époux offrent précisément une excel-
lente illustration.
3 Les donations entre époux sont des contrats, mais comme toutes les libérali-
tés, elles peuvent être remises en cause à l’occasion du règlement de la succes-
sion du donateur; intervenant entre époux, elles sont assujetties à un régime
particulier qui peut apparaître soit comme une règle de protection de l’époux
donateur, soit comme un effet personnel du mariage, soit comme un élément
du régime matrimonial. Selon qu’on privilégie l’un ou l’autre de ces traits, le
rattachement retenu sera différent : loi d’autonomie au titre soit de l’acte juri-
dique soit du régime matrimonial, loi successorale c’est-à-dire, selon la nature
de l’objet donné, loi du dernier domicile du défunt ou loi du lieu de situation
de l’immeuble, loi nationale de l’époux donateur, loi des effets du mariage
378 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 42

c’est-à-dire loi nationale commune des époux ou à défaut loi du domicile com-
mun. Bien qu’en l’espèce, la Cour de cassation ait limité le débat à certains de
ces rattachements, on reprendra ici le problème en son entier.
Comme tout contrat, la donation entre époux ne doit-elle pas relever de la
loi d’autonomie ? C’est semble-t-il à cette conception, consacrée à deux repri-
ses par les juges du fond (Paris 29 juin 1888, Clunet 1890. 323; T. civ. Lyon,
26 déc. 1950, Rev. crit. 1951. 511, note Loussouarn) qu’entendait se référer
l’auteur du pourvoi lorsqu’il revendiquait l’application de la loi américaine,
parce qu’elle était celle du lieu où la donation avait été réalisée. En décidant
que « la loi d’autonomie ne saurait s’appliquer aux donations entre époux, eu
égard aux règles particulières auxquelles elles obéissent », la Cour de cas-
sation la condamne sans équivoque. Et de fait si les donations relèvent en
principe de la loi d’autonomie — sans que celle-ci puisse d’ailleurs prétendre
à un empire exclusif (v. Paris, 23 janv. 1990, Caron, Rev. crit. 1991. 92, note
Y. Lequette, Clunet 1990. 994, note M.-L. Niboyet-Hoegy, JCP 1991. II. 21637,
note Behar-Touchais) —, la spécification « entre époux » y introduit un élé-
ment dont l’importance est telle que la qualification de contrat ne peut suffire
à fonder le rattachement (Batiffol, note S. 1934. 1. 394). Il existe, au demeurant,
une discordance certaine entre une question qui, comme celle des donations
entre époux, obéit dans un grand nombre de législations à une réglementation
impérative et la loi d’autonomie. Certes, l’impérativité des règles dans l’ordre
interne est toujours relativisée par le conflit de lois : la loi ne doit être obéie
que si elle est applicable. Néanmoins, témoignant d’une certaine préoccupa-
tion du législateur, cette impérativité constitue un indice sérieux pour écarter
la loi d’autonomie. Aussi bien, même dans le domaine de la vie des affaires,
la référence à la volonté des parties a tendance à s’effacer derrière des ratta-
chements plus contraignants pour les contrats qui, tel le contrat de travail, sont
très strictement réglementés (v. arrêt Fourrures Renel, supra, no 35 § 7).
Postulant également l’application de la loi d’autonomie, le rattachement au
régime matrimonial peut sembler plus satisfaisant car les donations entre époux
affectent le régime des biens de ceux-ci. Les avantages matrimoniaux dont
elles semblent au premier abord fort proches ne relèvent-ils pas d’ailleurs de
la loi du régime ? Mais là encore, on a craint à tort ou à raison que la sou-
plesse inhérente à la loi d’autonomie, même si celle-ci se concrétise le plus
souvent par l’application de la loi du premier domicile matrimonial (v. supra,
arrêt Zelcer, no 15), ne convienne pas à une question dont la réglementation
est le plus souvent impérative. En outre et surtout, bien loin d’être, comme les
avantages matrimoniaux, un élément d’organisation du régime matrimonial,
les donations entre époux en sont, en France et à l’étranger, très largement
indépendantes (B. Ancel, op. cit., nos 390 et s., p. 375; v. cep., dans le cadre
du droit conventionnel, Civ. 1re, 14 mai 1992, Woll, Rev. crit. 1992. 696, note
B. Ancel).
Pas plus ne paraît convenir la loi nationale du donateur, à laquelle le pour-
voi faisait également référence. À supposer que l’on raisonne en termes de
capacité, on est en effet en présence d’une question non de capacité générale
mais de « capacité spéciale statutaire » (Fadlallah, La famille légitime en droit
international privé, no 228, p. 211). Le disposant n’est pas protégé en raison
42 CAMPBELL-JOHNSTON — CASS., 15 FÉVRIER 1966 379

de données inhérentes à sa personne mais du fait du rapport de mariage qui


l’unit au gratifié. Participant à l’aménagement des rapports entre époux, la
question ne saurait relever de la loi personnelle de l’un d’entre eux. Quelle
solution retiendrait-on au demeurant lorsque deux époux de nationalité dif-
férente se seraient consenti des donations réciproques ? (Droz, note Journal
des Notaires 1965. 253).
4 Ainsi en définitive, le débat paraît bien se circonscrire à la loi successorale
d’une part, à la loi des effets du mariage d’autre part. La première pouvait se
recommander, à l’époque, de ce que les donations entre époux de biens pré-
sents se rapprochaient davantage, par leur régime particulier et notamment par
leur révocabilité, des actes à cause de mort que des actes entre vifs (1); or si les
seconds relèvent au moins partiellement de la loi d’autonomie, les premiers
sont soumis à la loi successorale (Batiffol et Lagarde, t. II, nos 639 et s.). Cette
parenté n’est au demeurant nullement fortuite. Les traits qui la fondent s’expli-
quent, en effet, par la position très particulière qu’occupe le conjoint survivant
dans l’organisation de la dévolution successorale : comme l’atteste l’existence
d’une quotité disponible spéciale, la libéralité est entre époux « la voie succes-
sorale normale » (B. Ancel, op. cit., nos 485 et s.). À l’appui de la loi des effets
du mariage, on a fait valoir que si l’acte est d’ordre successoral, son régime
particulier n’en est pas moins lié au fait que les parties y ont la qualité de
conjoint. Formant naguère, avec les règles propres à la vente ou aux sociétés
entre époux, un triptyque qui contribuait à définir la condition d’époux, la
question appartient au « bloc statutaire » qui relève de la loi des effets du
mariage (v. en ce sens, Fadlallah, op. cit., no 228).
Entre ces deux conceptions, la Cour de cassation, dans un premier temps, a
marqué sa préférence pour la qualification successorale (v. not. Req. 8 mai
1894, Zammaretti, Clunet 1894. 562). Mais en posant que « la loi personnelle
des époux est applicable aux donations mobilières que les étrangers se font en
France », l’arrêt Prince Ibrahim Hilmy rendu par la Chambre des requêtes le
15 mars 1933 est venu jeter le trouble (Req. 15 mars 1933, S. 1934. 1. 393,
note Batiffol, Clunet 1935. 904, note Perroud).
C’est qu’intervenant après la suppression de l’admission à domicile par la
loi du 10 août 1927 mais avant l’arrêt Labedan (v. supra, no 18), c’est-à-dire à
une époque où la définition de la loi successorale était encore incertaine, il
était susceptible de multiples interprétations. Fallait-il considérer qu’achevant
l’évolution qui avait fait passer insensiblement les successions mobilières de la
loi du domicile à la loi nationale, la Cour de cassation avait entendu maintenir
par cette décision la qualification successorale ? Telle fut l’opinion de Lere-
bours-Pigeonnière (Précis, 3e éd., no 372, p. 471). Devait-on au contraire, avec
H. Batiffol, considérer que la Cour de cassation avait décidé de soumettre les
donations mobilières entre époux à la loi personnelle de ceux-ci, en tant que
loi des effets du mariage, les successions mobilières restant régies par la loi

(1) La loi du 26 mai 2004 a modifié l’article 1096 du Code civil. Alors qu’auparavant les dona-
tions faites entre époux pendant le mariage « étaient toujours révocables », les donations des biens
présents ne le sont plus « que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958 ».
380 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 42

du domicile ? En se prononçant en toute connaissance de cause contre la sou-


mission de la succession mobilière à la loi personnelle du défunt, l’arrêt Labe-
dan paraissait incliner vers cette seconde interprétation, laquelle renouait avec
les solutions de l’Ancien droit, les donations immobilières entre époux y
obéissant à la lex rei sitae, les donations mobilières à la loi du domicile au
jour de la donation plutôt qu’au jour du décès du disposant (B. Lemarignier,
La Conférence des avocats et les conflits de statuts concernant les effets du
mariage au début du XVIIIe siècle, p. 69 et s.; B. Ancel, op. cit., nos 46 et s.).
Néanmoins un certain doute subsistait. L’arrêt Campbell-Johnston le dissipe
entièrement; les donations mobilières entre époux relèvent de la loi des effets
du mariage (v. depuis Versailles, 27 juin 1988, Klein, Rev. crit. 1989. 696,
note B. Ancel; civ. 1re, 3 avr. 1990, Klein, Rev. crit. 1991. 104, note B. A.;
v. cep., Civ. 1re, 14 mai 1992, préc.).
5 Comment expliquer cette solution alors que la question posée était, par sa
nature, prédisposée tout autant, sinon plus, à recevoir une qualification
successorale ? La réponse tient à l’influence du rattachement sur la définition
de la catégorie. Comme l’ont souligné tous les commentateurs, et comme le
relève la Cour de Paris dans l’arrêt attaqué, les donations entre époux soulè-
vent un certain nombre de questions — validité, révocabilité notamment —
qui peuvent se poser avant même le décès du donateur. Or il est impossible
de connaître du vivant du disposant la loi de son dernier domicile ! L’impra-
ticabilité du rattachement rejaillit ainsi sur la catégorie successorale qui est
déchargée de la matière des donations entre époux. Une autre solution était
certes envisageable qui aurait consisté à adapter le rattachement successoral au
caractère actuel de la libéralité et à retenir le domicile du disposant au moment
de la donation (v. en ce sens, B. Ancel, op. cit., nos 505 et s.). Mais à l’adapta-
tion du rattachement, la Cour de cassation a préféré la requalification de la
question. Cette attitude provient sans doute, en partie, de ce que les singulari-
tés du régime de la donation entre époux qui dictent la qualification succes-
sorale étaient déjà, à l’époque, quelque peu passées de mode, au point qu’elles
ont ultérieurement disparu de notre droit positif (art. 1096, réd. L. 26 mai
2004, et abrogation par la même loi de l’al. 2 de l’art. 1099). Elle s’explique
aussi par le fait que depuis que l’arrêt Rivière (v. supra, no 26) a surmonté
l’écueil résultant du conflit éventuel des lois personnelles en cas de nationalité
différente des époux, la catégorie effet du mariage offre un rattachement aussi
équilibré qu’aisé à mettre en œuvre.
Il convient néanmoins de relever que la suppression par la loi du 26 mai
2004 des principales dispositions qui conféreraient aux donations des biens pré-
sents entre époux leur spécificité pourrait, à terme, conduire la jurisprudence à
délaisser la loi des effets du mariage et à lui préférer la loi d’autonomie.

II. L’extension de la solution

6 Tout en mettant fin à une longue controverse, l’arrêt rapporté n’épuise pas
tous les problèmes. Posé à l’occasion de la révocation d’une donation mobi-
42 CAMPBELL-JOHNSTON — CASS., 15 FÉVRIER 1966 381

lière de biens présents, le rattachement qu’il énonce ne vaut-il que dans cette
hypothèse ou peut-il être étendu, d’une part à d’autres libéralités — donations
immobilières, donations de biens à venir — (A), d’autre part à d’autres ques-
tions — réduction, déguisement,… — (B) ?
7 A. — Pour rejeter le pourvoi formé contre l’arrêt attaqué, la Cour de cas-
sation note expressément que celui-ci relève « que le litige porte uniquement
sur une donation d’objets mobiliers ». Par cette précision, la Cour de cassation
entendait-elle indiquer que les donations immobilières entre époux étaient
régies par une autre loi ? Une telle interprétation pouvait se recommander de
l’histoire. Si des hésitations s’étaient fait jour quant à la loi applicable aux
donations mobilières, les donations immobilières avaient, en revanche, toujours
été soumises à la loi du lieu de situation des biens (v. not. Req. 8 mai 1894,
Zammaretti, préc.). Cette solution avait d’ailleurs été réaffirmée postérieure-
ment à l’arrêt Prince Ibrahim Hilmy (Req. 15 mars 1933, préc.), par un arrêt
du 11 mai 1954 (Civ., 11 mai 1954, Try, Rev. jur. et polit. de l’Union fr. 1954.
419, rappr Attuly, note Caratini; sur cet arrêt, v. B. Ancel, op. cit., nos 109 et s.;
Fadlallah, op. cit., no 234). Elle témoignait du pouvoir d’attraction de la loi
réelle; l’impraticabilité du rattachement ne venait pas en matière immobilière
ruiner les raisons qui militaient pour la qualification successorale. Néanmoins
nombre d’auteurs considéraient cette distinction comme dépassée. Ils souli-
gnaient que la raison d’être du particularisme des donations entre époux ne
tient pas au caractère mobilier ou immobilier du bien qui en est l’objet mais à
la nature du lien qui unit disposant et gratifié (H. Batiffol, Aspect philosophi-
ques du droit international privé, no 114, p. 253). Ils insistaient également sur
ce que la distinction était difficile à mettre en œuvre dans l’hypothèse fré-
quente d’une donation de fonds en vue de l’acquisition d’un immeuble (v. par
ex., Ponsard, note Clunet 1964. 75; Malaurie, note D. 1966. 371; Fadlallah,
op. cit., nos 235 et s.). La jurisprudence ne resta pas insensible à ces arguments.
Après avoir amorcé, par un arrêt Dartois du 2 décembre 1969 (Rev. crit.
1971. 507, note G. de la Pradelle), une évolution vers l’application de la loi
des effets du mariage aux donations immobilières de biens présents entre
époux, elle consacra cette solution dans un arrêt Dame Frost du 12 juin 1979
(Rev. crit. 1980. 322, note G. Légier, Clunet 1980. 644, note Wiederkehr, D. 1979;
IR 459, obs. Audit, maintenant Aix, 17 mai 1976, Rev. crit. 1977. 508, note
Légier; v. aussi Civ. 1re, 3 avr. 1990, préc. qui, quoique rendu à propos d’une
donation mobilière, vise « les donations entre époux » dans leur généralité).
8 À l’inverse, en ne spécifiant pas dans son motif que la donation portait sur
des biens présents, la Cour n’avait-elle pas entendu étendre la règle de conflit
qu’elle énonce aux donations de biens à venir ? Certains l’ont pensé (Gold-
man, note Clunet 1967. 100). La déduction apparaît cependant bien aléatoire.
Les donations de biens à venir ou institutions contractuelles, exceptionnel-
lement permises entre époux ou aux époux, présentent en effet une physiono-
mie éminemment originale. Actes hybrides, elles empruntent leurs traits distinc-
tifs à la donation et au testament : comme les donations, ce sont des contrats
qui requièrent le consentement du disposant et du gratifié; comme le testa-
382 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 42

ment, ce sont des actes par lesquels l’instituant dispose pour un temps où il ne
sera plus. Aussi a-t-on pu parler pour les désigner de « testament contractuel »
(Voirin, JCP 1944. II. 2732). Prenant appui sur cette donnée, nombre d’auteurs
considèrent que les donations de biens à venir, mode contractuel de dévolution
de la succession, doivent au même titre que le testament être régies par la loi
de la succession, sans qu’il soit besoin de distinguer selon que leur objet est
mobilier ou immobilier (Droz et Revillard, J.-Cl. dr. int., fasc. 557 B, nos 63
et s.; Fadlallah, op. cit., nos 285 et s.; Ponsard, Clunet 1964. 75 et Rép. Dalloz
dr. int., 1re éd., v° Donations entre époux, no 17; P. Mayer et V. Heuzé, no 834).
Certes dans le premier cas, on retrouve la pierre d’achoppement que constitue
l’indétermination de la loi successorale (Batiffol, note Rev. crit. 1966. 277).
Mais les donations de biens à venir n’impliquant pas un dépouillement immé-
diat, la question de leur validité ne se pose pas avec plus d’urgence que celle
du testament; or celle-ci relève de la loi successorale. Force est au demeurant
de constater que dans tous les cas relevés en jurisprudence, le litige était né
après la mort de l’instituant (Fadlallah, op. cit., no 288). Il paraît donc quelque
peu aventureux, même si en la matière aucune décision n’a, depuis 1966, réaf-
firmé la compétence de la loi successorale, de déduire son abandon du seul
silence observé à cet égard par la Cour de cassation dans l’arrêt rapporté (v. en
dernier lieu, Paris, 24 févr. 1964, Rev. crit. 1965. 334, note Le Bris, D. 1965.
25, note de la Marnierre, GP 1964. 1. 321, concl. Mailhol; Aix, 17 mai 1976,
motifs, Rev. crit. 1977. 508, note Légier).
9 B. — La question centrale posée par les donations entre époux semble bien
être celle de leur validité de principe ainsi que de leur révocabilité; c’est alors,
en effet, la possibilité-même de l’acte juridique qui est en cause. Aussi bien la
haute juridiction a-t-elle récemment rappelé que la loi des effets du mariage
s’applique « s’agissant (…) de déterminer l’existence d’une donation entre
époux, d’apprécier sa validité et de statuer sur sa révocation » (Civ. 1re, 3 avr.
1990, préc.). Mais il est en la matière, d’autres questions soit de fond, soit de
forme, pour lesquelles d’autres rattachements paraissent concevables.
Ainsi en va-t-il des montants de la réserve et de la quotité disponible spé-
ciale entre époux, lesquels relèvent très certainement de la loi successorale
(Ponsard, note Clunet 1964. 75; Batiffol, note Rev. crit. 1966. 277; Lous-
souarn et Bourel, no 317). Quant à la question de la loi applicable à la nullité
des donations déguisées intervenues entre époux, elle a perdu une bonne part
de son intérêt depuis que la loi du 26 mai 2004 a abrogé l’alinéa 2 de l’arti-
cle 1099 du Code civil. Rappelons néanmoins qu’entre la qualification forme
et la qualification fond, la haute juridiction s’est prononcée pour la seconde
estimant sans doute que la prohibition de l’article 1099 était indispensable à
la sauvegarde du fond. Dans un arrêt Dartois du 2 décembre 1969 (préc.;
v. aussi Civ., 10 mars 1970, D. 1970. 661, note Breton), elle a en effet décidé
que l’action en nullité d’une donation déguisée entre époux exercée par le
conjoint donateur relevait de la loi des effets du mariage (cpr., Civ., 12 juin
1979, préc.), puis dans un arrêt Veuve Beauchamp du 3 mars 1971 (Rev. crit.
1972. 291, note Batiffol) que la même action exercée par un héritier réserva-
taire était soumise à la loi successorale. Comme l’ont souligné les commen-
42 CAMPBELL-JOHNSTON — CASS., 15 FÉVRIER 1966 383

tateurs (Batiffol, note préc.), il n’y a pas de contradiction entre les deux
solutions : exercée par l’époux donateur, l’action a pour but de défendre la
révocabilité des donations entre époux; exercée par l’héritier réservataire, elle
tend à la protection de sa réserve; il est donc naturel, se conformant à l’idée
que les conséquences de la violation d’une règle sont régies par la loi qui
l’édicte (v. supra, arrêt Vve Moreau, no 28 § 5), de faire dépendre la première
de la loi des effets du mariage, la seconde de la loi successorale.
43
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

21 mars 1966

(Rev. crit. 1966. 670, note Ponsard, D. 1966. 429, note Malaurie,
Clunet 1967. 380, note Bredin,
Rec. Gén. Lois 1966. 441, obs. Droz, et p. 493, obs. Boyer)
Compétence. — Article 14 du Code civil. — Bénéficiaires.

La compétence internationale des tribunaux français est fondée, en vertu


de l’article 14 du Code civil, non sur les droits nés des faits litigieux, mais
sur la nationalité des parties.

(Cie La Métropole c/Soc. Muller)

Faits. — Une compagnie d’assurance française, La Métropole, avait indemnisé une


société anglaise, la société Davidson, du préjudice subi par celle-ci à l’occasion d’un
transport effectué par la société Muller, également anglaise. L’assureur conventionnel-
lement subrogé dans les droits de son client anglais réclamait devant les tribunaux fran-
çais à la société Muller le montant des indemnités versées à son assuré; il invoquait
pour fonder la compétence de ceux-ci, l’article 14 du Code civil. La défenderesse ayant
décliné la compétence des tribunaux français au motif que l’assureur subrogé ne dispo-
sait pas d’un droit propre lui permettant de se prévaloir de ce texte, son argumentation
fut admise par la Cour de Paris. Un pourvoi fut formé.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique pris en sa première branche : — Vu
l’article 14 du Code civil; — Attendu que ce texte permet au plaideur français de
citer un étranger devant les juridictions françaises; — Attendu que, pour faire
droit au contredit formé par la Société britannique W. N. Muller de Londres,
contre un jugement qui a déclaré les tribunaux français compétents pour
connaître de l’action de la Compagnie française d’assurance La Métropole,
conventionnellement subrogée aux droits de son assurée, la Société britannique
Davidson Ltd, tendant au recouvrement de la somme qu’elle avait payée à cette
dernière à l’occasion d’avaries subies par des marchandises chargées sur un
navire appartenant à la Société W. N Muller et vendues CAF au départ de France
à la Société Davidson Ltd, l’arrêt infirmatif attaqué a considéré que l’assureur
français, ne possédant aucun droit propre distinct de celui de son assuré étran-
ger, ne pouvait invoquer le bénéfice de l’article 14 du Code civil; — Attendu
qu’en statuant ainsi, alors que la compétence internationale des tribunaux fran-
43 CIE LA MÉTROPOLE — CASS., 21 MARS 1966 385

çais est fondée non sur les droits nés des faits litigieux, mais sur la nationalité
des parties, l’arrêt a, par refus d’application, violé le texte susvisé;
Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres branches du
moyen : — Casse.
Du 21 mars 1966. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Blin, prés.; Thirion, rapp.; Lebègue,
av. gén. — MMe Roques et Lemaître, av.

OBSERVATIONS
1 La compétence internationale des tribunaux français est fondée, en vertu de
l’article 14 du Code civil, « non sur les droits nés des faits litigieux, mais sur la
nationalité des parties ». Reprise à un qualificatif près, du Traité de H. Batiffol
(1re éd., no 686), la formule permet de déterminer en la personne de qui (I) et à
quel moment (II) la nationalité française doit s’apprécier.

I. La détermination des bénéficiaires du privilège de juridiction


de l’article 14 du Code civil

2 L’article 14 du Code civil permet, on le sait, à tout Français de porter un


litige à la connaissance du juge français. Mais cette compétence subsiste-t-elle
lorsque le Français n’ayant pas été le titulaire originaire du droit dont il
demande la sanction tient celui-ci d’un tiers de nationalité étrangère ? Ne faut-
il pas alors prendre en compte l’origine du rapport litigieux et plus précisé-
ment le fait qu’il ne comportait initialement aucun élément lui conférant une
coloration française ? À cette question, la haute juridiction répond par la néga-
tive : seule doit être prise en compte la nationalité de l’ayant cause (A).
N’allant pas sans inconvénients, ce principe est aujourd’hui assorti de tempé-
raments importants (B).
3 A. — En cas de transmission d’un droit, seule compte la nationalité de
l’ayant cause à titre particulier ou à titre universel qui agit. Français, il pourra
se prévaloir du privilège de juridiction de l’article 14 du Code civil, étranger il
ne le pourra pas. Peu importe donc la nature des droits litigieux; il n’est pas
nécessaire que le droit invoqué ait été stipulé à l’origine entre Français ou que
les éléments du litige soient situés en France. S’appliquant en toutes matières
(v. arrêt Weiss, infra, no 49), l’article 14 du Code civil énonce une compétence
qui n’est pas posée ratione materiae mais « ratione gallicae personae » (Malau-
rie, note D. 1966. 430).
La règle repose sur l’idée développée par les processualistes modernes que,
bien loin d’être le droit lui-même mis en mouvement comme l’envisageait
Demolombe (Cours de Code Napoléon, t. IX, no 338), l’action en justice est
indépendante de celui-ci. Elle est, selon la définition de l’article 30 du Nou-
veau Code de procédure civile, elle-même directement inspirée des travaux
d’Henri Motulsky, « le droit pour l’auteur d’une prétention d’être entendu
sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée » (« Le droit
subjectif et l’action en justice », APD 1964. 215 et s., reproduit in Écrits,
386 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 43

Études et notes de procédure civile, p. 85 et s., spéc. p. 95; v. la critique de


J. Héron, Droit judiciaire privé, 1991, nos 35 et s.). Appliquée à l’article 14 du
Code civil, cette analyse « ouvre au plaideur français, en raison de sa seule
nationalité, condition de déclenchement de ce droit, la faculté de saisir le juge
français » (E. Loquin, note Clunet 1988. 796). Encore faut-il que le Français
qui se prévaut de l’article 14 justifie d’un intérêt personnel et direct à exercer
en son nom propre l’action engagée (Civ. 1re, 22 févr. 2005, Soc. ABCI, Rev.
crit. 2005. 671, note M.-E. Ancel; rappr. Civ. 1re, 7 avr. 1998, Samib, Rev. crit.
1998. 459, note M. Muir Watt). La haute juridiction a néanmoins admis le jeu
de l’article 14 dans l’hypothèse de l’action oblique : le créancier français a le droit
d’agir en France pour exercer l’action oblique même si son débiteur ainsi que le
débiteur de celui-ci sont des étrangers domiciliés à l’étranger (Civ. 1re, 31 janv.
1995, Soc. Guy Couach-Plascoa, Bull. I, no 56, p. 40, D. 1995. 471, note P. Courbe,
RTD civ. 1996. 162, obs. Mestre).
4 En posant que la compétence des juridictions françaises repose, dans l’hypo-
thèse de l’article 14, sur la seule nationalité française du demandeur, l’arrêt
Compagnie La Métropole dissipe certaines ambiguïtés qui affectaient la juris-
prudence antérieure laquelle, pour résoudre la question, inclinait vers la dis-
tinction suivante : lorsque l’ayant cause tenait sa qualité de la loi — héritier
français agissant en révocation d’une donation consentie par un de cujus étran-
ger (v. par ex., Req. 2 août 1876, S. 1877. 1. 97, note Renault), subrogation
légale — les tribunaux français se reconnaissaient compétents sur le seul
fondement de la nationalité française de l’ayant cause; lorsqu’au contraire
l’ayant cause tenait sa qualité d’un accord de volonté — cession de créance
(Req. 26 janv. 1833, motifs, DP 1833. 1. 54, S. 1833. 1. 100; Paris, 1er mars
1856, S. 1857. 2. 109), subrogation conventionnelle (Paris, 19 oct. 1959, Rev.
crit. 1960. 208, note Gavalda, JCP 1960. II. 11443, note de Juglart) — les
décisions précitées lui refusaient le bénéfice de l’article 14 du Code civil. La
solution s’expliquait sans doute par la crainte de certaines collusions fraudu-
leuses. Un subrogeant ou un cédant étranger pourrait, par exemple, s’entendre
avec un subrogé ou un cessionnaire français pour attirer un débiteur étranger
devant un tribunal français dont il n’avait jamais cru pouvoir relever. Le danger
est d’autant plus grand que l’étranger qui contracte avec un Français peut se
mettre à l’abri de toute surprise ultérieure en exigeant une renonciation à
l’article 14 du Code civil, alors que celui qui contracte avec un autre étranger
dans un contexte totalement extérieur à la France ne songe évidemment pas à
se protéger contre l’application ultérieure de ce texte en raison de l’interven-
tion inopinée d’un ayant cause de nationalité française, car à aucun moment il
n’a pu envisager l’application de celui-ci (en ce sens, Droz, « Réflexions pour
une réforme des articles 14 et 15 du Code civil », Rev. crit. 1975. 11). Mais, en
décidant dans la présente espèce que la compétence fondée sur l’article 14 du
Code civil se règle par référence à la nationalité non de l’auteur mais de
l’ayant cause sans distinguer selon que celui-ci tient sa qualité de la loi ou d’un
accord de volonté, la Cour de cassation a, au moins dans un premier temps,
considéré que les dangers précédemment décrits n’étaient pas suffisants pour
justifier l’élaboration de solutions propres à chaque hypothèse (v. aussi, Civ. 1re,
43 CIE LA MÉTROPOLE — CASS., 21 MARS 1966 387

16 janv. 1973, Rev. crit. 1975. 92, Clunet 1975. 336, note Kahn, Rec. Gén. Lois
1975. 616, note Droz). Elle s’accorde en cela avec une partie de la doctrine
pour qui « ce risque étant inhérent à tout mode volontaire de cession, mieux
vaut réserver au débiteur la possibilité d’établir une fraude organisée contre lui
que de présumer l’abus ». (Batiffol et Lagarde, t. II, no 679; Loussouarn, Bourel
et de Vareilles-Sommières, no 463; Holleaux, Foyer et de la Pradelle, no 734).
Aussi bien les juges du fond n’ont-ils pas hésité à sanctionner cette fraude et à
se déclarer incompétents malgré la nationalité française de l’ayant cause, lorsque
les éléments en étaient réunis (Montpellier, 2 mai 1985, Rev. crit. 1987. 108,
note Droz, maintenu par Civ. 1re, 24 nov. 1987, Soc. Europe Aéro Service, Rev.
crit. 1988. 364, note Droz, Clunet 1988. 793, note Loquin, JCP 1989. II. 21201,
note Blondel et Cadiet, RTD civ. 1988. 544, obs. Mestre). Quant à la haute
juridiction, elle a affirmé, de manière fort claire, que la compétence des tribu-
naux fondée sur l’article 14 cède devant « la preuve d’une fraude destinée à
donner artificiellement compétence à la juridiction française pour soustraire le
débiteur à ses juges naturels », tout en considérant en la circonstance que la
preuve de la fraude n’était pas rapportée (Civ. 1re, 14 déc. 2004, Assinco, D. 2005,
Panorama, p. 1264, obs. H. Chanteloup).
5 B. — Ne pouvant jouer que dans des cas de figure relativement rares,
l’exception de fraude ne permet pas de remédier à tous les inconvénients que
génère le principe de solution précédemment exposé. Aussi la Cour de cassation
a-t-elle assorti celui-ci d’un double tempérament afin d’éviter que ne soient
par trop déjouées les prévisions de la partie adverse.
6 En premier lieu, le plaideur français ne peut se prévaloir de l’article 14
lorsqu’il tient ses droits d’un auteur qui, dans le contrat litigieux, a souscrit
une clause attributive de juridiction ou une clause compromissoire (Civ. 1re,
25 nov. 1986, Siaci, Rev. crit. 1987. 396, note H. Gaudemet-Tallon, RTD civ.
1987. 547, obs. Mestre; Paris, 27 janv. 1988, D. 1988, Som. com. p. 342, obs.
Audit. Sur cette jurisprudence, v. P. Courbe, « Privilège de juridiction et trans-
mission de la clause de compétence », Mélanges Colomer, 1993, p. 143 et s.).
Dans cette affaire, un assureur français ayant remboursé des marchandises ava-
riées au cours d’un transport maritime s’était ensuite prévalu de la subrogation
dans les droits de l’assuré prévue par l’article L. 172-29 du Code des assuran-
ces pour assigner la compagnie de navigation devant les tribunaux français. La
compétence de ceux-ci ayant été déclinée par le transporteur qui se prévalait
de la clause attributive de juridiction incluse dans le connaissement, la haute
juridiction rejette le pourvoi formé contre la décision des juges du fond qui
avaient refusé de connaître du litige, aux motifs que « l’insertion d’une clause
attributive de compétence dans un contrat international fait partie de l’écono-
mie de la convention et emporte renonciation à tout privilège de juridiction;
que cette clause s’impose aussi bien à l’égard de l’ancien titulaire du droit qu’à
l’assureur français subrogé et doit produire ses effets ». On pourrait penser que
la haute juridiction entend ainsi renouer avec son ancienne jurisprudence qui
distinguait entre les ayants cause qui tiennent leur droit de la loi et ceux qui le
tiennent d’une convention. En effet, contrairement à celui qui tient son droit de
388 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 43

la loi, celui qui accepte de succéder à un droit issu d’un contrat contenant une
clause d’élection de for, marque son adhésion à cette clause et par là même son
intention de renoncer au bénéfice des articles 14 et 15 du Code civil (en ce
sens, Com., 12 juill. 1950, Rev. crit. 1952. 509, note Francescakis, Clunet
1950. 1206, note Goldman; Paris 19 oct. 1959, préc.).
Mais une telle lecture achoppe sur la constatation que la subrogation était,
en l’occurrence, d’origine légale. Aussi bien, la solution paraît-elle reposer,
non sur la volonté du subrogé censé accepter la clause attributive de juridic-
tion et par là même renoncer aux articles 14 et 15 du Code civil, mais sur
l’idée que le subrogé pénétrant dans un contrat recueille une créance assortie
de ses charges et obligations accessoires et ne saurait donc avoir plus de droits
que celui dont il prend la place (Mestre, La subrogation personnelle, 1979,
no 405, p. 417; v. déjà en ce sens Ponsard, note préc., p. 677; rappr. Civ. 1re,
12 juill. 2001, D. 2001, Som. com. p. 3246, obs. Ph. Delebecque).
7 En second lieu, le cessionnaire français d’une créance ne peut se prévaloir
de l’article 14 lorsque cette créance fait l’objet d’un litige devant un tribunal
étranger saisi par le cédant ou dont le cédant a accepté la compétence (Civ. 1re,
24 nov. 1987, préc.). En l’occurrence, une société suisse avait assigné des
sociétés américaines devant la juridiction du Minnesota, en réparation du pré-
judice qu’elle prétendait avoir subi du fait de la violation par celles-ci d’un
contrat d’exclusivité. Alors que l’instance était encore pendante devant le juge
américain et que les chances de succès de cette action paraissaient compromi-
ses, le demandeur cède ses droits litigieux à une société française qui assigne
les sociétés américaines devant le Tribunal de commerce de Perpignan. Celui-
ci se reconnaît compétent et condamne les défenderesses à indemniser le ces-
sionnaire des droits litigieux. Cette décision est réformée par la Cour de Mont-
pellier le 2 mai 1986 (préc.) aux motifs que cette cession « n’avait d’autre but
que de créer un élément de rattachement artificiel destiné à soustraire le recou-
vrement de la créance à ses juges naturels, en l’espèce la juridiction améri-
caine que le cédant avait pourtant initialement saisie ». Tout en reprenant ce
motif à titre surabondant et en admettant donc que l’arrêt de la Cour de Mont-
pellier était parfaitement justifié, la Cour de cassation lui préfère un motif de
pur droit : « le cessionnaire français d’une créance n’est pas en droit de se pré-
valoir des dispositions de l’article 14 du Code civil lorsque cette créance fait
l’objet d’un litige devant un tribunal étranger saisi par le cédant ou dont le
cédant a accepté la compétence ». Exceptionnelle car l’emploi du moyen de
rejet de pur droit est, en règle générale, utilisé par la haute juridiction pour
éviter la censure d’un arrêt fondé dans sa solution mais non dans ses motifs,
cette démarche est de nature à conférer à la solution ci-dessus rappelée une auto-
rité toute particulière (v. Blondel et Cadiet, note JCP 1989. II. 21202, no 29).
On ne peut que s’en féliciter dans la mesure où elle remédie à l’un des
défauts les plus criants du système. Elle permet, en effet, d’éviter qu’au cas où
une action aurait été antérieurement introduite devant un juge étranger par le
subrogeant ou le cédant étranger, celle-ci puisse être renouvelée devant le juge
français grâce à l’intrusion d’un subrogé ou d’un cessionnaire français alors
que ceux-ci se seraient vu opposer leur renonciation tacite au bénéfice de l’arti-
43 CIE LA MÉTROPOLE — CASS., 21 MARS 1966 389

cle 14 du Code civil s’ils avaient eux-mêmes pris l’initiative de l’action étran-
gère (v. Req. 11 déc. 1860, S. 1860. 1. 371; Civ. 1re, 6 mars 1979 Dame S.,
Bull. I, no 80; 15 nov. 1983, Soc. Schenk Algérie, Rev. crit. 1985. 100, note
H. Batiffol, Clunet 1984. 887, note P. Courbe).
Encore faut-il la justifier juridiquement. L’hypothèse ne saurait évidem-
ment se ramener à celle de l’exception de litispendance puisque le procès ne
se déroule plus entre les mêmes parties (sur cette exception, v. infra, arrêt Soc.
Miniera di Fragne, no 54). On pourrait songer à fonder cette solution en ayant
recours à une analyse de la volonté implicite du cessionnaire. Plus précisé-
ment, la saisine du juge étranger par le cédant et l’acceptation de cette compé-
tence par le défendeur vaudrait élection de for (en ce sens, Droz, note Rev.
crit. 1987. 119). En faisant l’acquisition de droits litigieux, le cessionnaire
serait alors censé accepter cette élection de for et par là même renoncer impli-
citement au bénéfice de l’article 14 du Code civil. Mais, sollicitant à l’extrême
la volonté implicite, l’explication n’est pas sans artifice (Loquin, note Clunet
1988. 799). Aussi bien a-t-il été suggéré que le fondement de cette solution
devrait être découvert dans le régime de l’action en justice et du lien d’ins-
tance. En nouant un véritable lien juridique entre les parties au procès — ce
dont témoigne le fait que le désistement doit être accepté par l’adversaire de
celui qui le propose —, l’instance rendrait indisponible le droit d’action de
celui qui a pris l’initiative de saisir le juge ou qui a accepté la compétence de
celui-ci. Partant, le cédant étranger ne pourrait que transmettre au cession-
naire français sa « position processuelle » de telle sorte que celui-ci n’aurait
d’autre ressource que de se substituer au cédant dans l’instance pendante à
l’étranger (Blondel et Cadiet, note préc., nos 14 et s.; Loquin, note préc., p. 799).
Ainsi, comme dans l’hypothèse précédente, la solution se relierait à l’idée que
l’ayant cause ne peut recevoir plus de droit que son auteur. Mais elle ne
remettrait pas en cause le fondement même de la jurisprudence Cie la Métro-
pole, car c’est au seul droit d’action stricto sensu, et non au droit né du contrat
cédé, qu’elle aurait égard. C’est dire qu’à défaut d’une clause attributive de
juridiction insérée dans le contrat initial ou d’un lien d’instance noué à
l’étranger, l’ayant cause français pourra toujours assigner son adversaire
devant les juridictions françaises. Seule l’exception de fraude pourra alors être
invoquée pour faire échec à la compétence de celles-ci.
Ajoutons pour terminer qu’en cas de représentation, la nationalité prise en
considération est celle du représenté qui, en droit, est seul partie au procès. En
conséquence, la nationalité française des représentants d’un étranger ne sau-
rait fonder la compétence des tribunaux français (Civ. 1re, 7 avr. 1998, Rev.
crit. 1998. 459, note H. Muir Watt) pas plus d’ailleurs que la nationalité étran-
gère du représentant d’un Français ne saurait faire obstacle à la compétence
de ceux-ci.

II. La date à laquelle doit exister la qualité de Français

8 Abandonnant l’économie de moyens qui lui est coutumière, la Cour de cas-


sation énonce une proposition dont la généralité permet de résoudre un pro-
390 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 43

blème autre que celui qui lui était directement posé. L’affirmation que la com-
pétence internationale des tribunaux français est fondée « non sur les droits
nés des faits litigieux mais sur la nationalité des parties » permet, en effet, de
déterminer indirectement la date à laquelle doit exister la qualité de français
lorsqu’un des plaideurs a acquis ou perdu celle-ci : la nationalité prise en consi-
dération est celle des parties au jour où se noue le lien juridique d’instance et
non au jour où est né le droit substantiel mis en œuvre. En conséquence, le
Français devenu étranger au jour de l’introduction de l’instance ne peut invo-
quer l’article 14 du Code civil (Civ., 19 juill. 1875, S. 1876. 1. 289). Inverse-
ment la personne, étrangère au jour de la naissance de l’obligation mais deve-
nue française au jour de l’introduction de l’instance, peut se prévaloir de ce
texte (v. par ex., Civ., 9 mars 1863, S. 1863. 1. 225). Peu importe, en revanche,
qu’elle perde cette qualité en cours d’instance (Civ., 4 févr. 1891, S. 1891. 1. 449,
Clunet 1891. 171).
Là encore, la solution est en harmonie avec les principes qui gouvernent la
délimitation du domaine matériel des articles 14 et 15 du Code civil. En déci-
dant que ceux-ci s’appliquent en toutes matières (v. infra, arrêt Weiss, no 49),
la Cour les traite, en effet, non comme des règles de fond mais comme des
règles procédurales dont les conditions d’application doivent s’apprécier au
jour de la demande (Ponsard, note Rev. crit. 1966. 672).
44
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

2 mai 1966

(Rev. crit. 1967. 553, note Goldman, Clunet 1966. 648, note Level,
D. 1966. 575, note J. Robert)
Règle matérielle. — Aptitude de l’État à compromettre.

Édictée pour les contrats internes, la prohibition de compromettre déri-


vant pour les personnes morales de droit public des articles 83 et 1004 du
Code de procédure civile, n’est pas applicable à un contrat international
passé pour les besoins et dans des conditions conformes aux usages du
commerce international.

(Trésor public c/Galakis)

Faits. — La Mission des Transports maritimes, organisme public français dépendant


du ministère de la Marine marchande, affrète, par charte-partie signée à Londres le
20 avril 1940, le navire grec « Aspâcia ». Deux mois plus tard, elle dénonce le contrat.
Celui-ci comporte en son article 17 une clause compromissoire. L’armateur, Jean Gala-
kis, s’en prévaut. Après avoir accepté l’arbitrage prévu, l’État français, se ravisant, refuse
d’y participer; néanmoins une sentence est prononcée à son encontre le 12 octobre 1953
et est revêtue de l’exequatur en France par ordonnance du président du Tribunal de la
Seine le 23 décembre 1954. L’agent judiciaire du Trésor la conteste et son opposition est
reçue par le Tribunal de la Seine qui, par jugement du 24 juin 1959 (Rev. arb. 1960. 30)
annule ensemble la clause compromissoire et la sentence. Mais la Cour de Paris infirme,
par arrêt du 21 février 1961 (Rev. arb. 1961. 18), aux motifs que la défense faite par le
droit français à l’État de soumettre les intérêts dont il a la charge à un arbitrage n’est pas
d’ordre public international et que la « clause compromissoire est valable dans les contrats
internationaux lorsque, comme la loi anglaise, la législation applicable à ces contrats
n’édicte à son égard aucune prohibition ».
L’agent judiciaire du Trésor se pourvoit devant la Cour de cassation à laquelle il demande
de juger que l’aptitude de l’État à compromettre est une question de capacité relevant de
la loi française selon l’article 3, al. 3, du Code civil, et que par conséquent la prohibition
déduite des dispositions du Code de procédure civile est applicable en la cause.
La Cour de cassation rejette le pourvoi par l’arrêt ci-dessous :

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches : — Attendu
qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la Mission des Transports
Maritimes, dépendant du ministère de la Marine marchande, a, le 20 avril 1940,
392 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 44

affrété le navire grec « Aspâcia » pour le transport de marchandises en prove-


nance de l’ouest-africain; que la charte-partie, conclue avec Jean Galakis, pro-
priétaire du navire, prévoyait dans son article 17 que tout différend né du
contrat serait soumis à un arbitrage à Londres; que l’affréteur ayant dénoncé le
contrat le 27 juin 1940 au cours du voyage, l’armateur se prévalut de l’article 17
de la charte-partie; que l’État français refusa de participer à l’arbitrage et que,
par sentence du 12 octobre 1953, il fut condamné à payer à Galakis la somme de
£ 11 344; qu’une ordonnance du président du Tribunal de la Seine du 23 décem-
bre 1954 accorda l’exequatur à cette décision, mais que, sur opposition formée
par l’agent judiciaire du Trésor, le tribunal, par jugement du 24 juin 1959, déclara
nulles la clause compromissoire litigieuse ainsi que la sentence arbitrale du
12 octobre 1953; — Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir infirmé
cette décision au motif que l’interdiction faite à l’État de compromettre par les
articles 1004 et 83 du Code de procédure civile avait pour seul fondement la
protection spéciale que lui assure, devant les juridictions françaises, la communi-
cation des causes le concernant au ministère public et qu’il y pouvait renoncer
comme il peut renoncer à son immunité de juridiction; que le pourvoi soutient
d’abord que tel n’est pas le fondement de l’interdiction pour l’État de compro-
mettre, qui procède d’une méfiance de principe à l’égard de l’arbitrage privé,
dépourvu des garanties juridictionnelles normales; que, selon le pourvoi, l’inter-
diction en question constituerait une incapacité frappant la personne morale
publique, quel que soit le caractère de son activité; que le pourvoi prétend
enfin que cette incapacité est nécessairement régie par la loi française sans
qu’on puisse en cette matière faire intervenir la loi qui régit le contrat, et que,
par suite, toute renonciation à cette incapacité heurte des règles d’ordre public
international; — Mais attendu que la prohibition dérivant des articles 83 et 1004
du Code de procédure civile ne soulève pas une question de capacité au sens de
l’article 3 du Code civil; que la cour d’appel avait seulement à se prononcer sur
le point de savoir si cette règle, édictée pour les contrats internes, devait s’appli-
quer également à un contrat international passé pour les besoins et dans des
conditions conformes aux usages du commerce maritime; que l’arrêt attaqué
décide justement que la prohibition susvisée n’est pas applicable à un tel contrat
et que par suite, en déclarant valable la clause compromissoire souscrite ainsi
par une personne morale de droit public, la cour d’appel, abstraction faite de
tous autres motifs qui peuvent être regardés comme surabondants, a légalement
justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 2 mai 1966. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Blin, prés.; Ancel, rapp.; Lindon, av.
gén. — MMes Labbé et de Ségogne, av.

OBSERVATIONS

1 Consacrant l’aptitude de l’État à compromettre, l’arrêt développe sa motivation


sur deux plans nettement distincts. Il affirme d’abord l’existence d’une solution
spécifique au problème de la liberté pour l’État et les organismes publics de
consentir une clause compromissoire, lorsque le contrat qui doit la contenir
s’insère dans le mouvement des relations internationales du commerce maritime.
Il formule ainsi une règle de droit international privé matériel (I). Il fournit
ensuite une importante contribution à l’analyse des méthodes de règlement des
rapports internationaux d’intérêts privés, en apportant de très utiles indications
sur le mode d’application de la règle matérielle qu’il vient de dégager (II).
44 GALAKIS — CASS., 2 MAI 1966 393

I. La formulation de la règle de droit international privé matériel

2 Les règles matérielles existent banalement dans toutes les branches du droit.
Il s’agit, comme chacun sait, de ces normes courantes qui se caractérisent par
l’imputation à la situation de fait (ou hypothèse) qu’elles prétendent régir
d’une conséquence juridique (ou sanction) établissant les droits et obligations
respectifs des sujets impliqués.
Ainsi, énonçant qu’« on ne peut compromettre… sur aucune des contesta-
tions qui seraient sujettes à communication au ministère public », l’article 1004
de l’ancien Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 83 du même
code qui compte au nombre de ces causes celles qui « concernent l’ordre
public, l’État… et les établissements publics », formait une règle matérielle
frappant de nullité la stipulation par les entités publiques d’une clause d’arbi-
trage. Mais il ne s’agit encore que d’une règle matérielle interne — dont la
substance est aujourd’hui recueillie par l’article 2060 du Code civil.
La règle de droit international privé matériel ou règle matérielle internatio-
nale se constitue sur le même modèle mais se caractérise par deux singulari-
tés. La première est que la situation qu’elle envisage présente un caractère
international; la seconde est que la conséquence prescrite n’est pas identique
à celle attribuée par le droit interne. Ainsi la Cour de cassation affirme qu’en
dépit de la prohibition dérivant des articles 1004 et 83, la nullité de la clause
compromissoire n’est pas applicable lorsque celle-ci est contenue dans un
« contrat international… ». L’écart avec la règle matérielle interne est patent.

3 Cet écart doit être justifié. L’entreprise n’est pas trop malaisée car, en géné-
ral, il faut à la jurisprudence de très puissantes raisons pour oser doubler la
règle matérielle interne d’une règle matérielle internationale. De fait, chaque fois
que les tribunaux instaurent le dualisme des solutions, c’est sous la contrainte
de l’évidence (v. par ex. l’arrêt Messageries maritimes, supra, no 22; également
sur l’autonomie de la clause compromissoire, Civ. 1re, 7 mai 1963, Gosset,
D. 1963. 545, note J. Robert, Rev. crit. 1963. 615, note Motulsky, JCP 1963. II.
13405, note Goldman, Clunet 1964. 83, note Bredin, Rev. arb. 1963. 60, note
Francescakis; Civ., 4 juill. 1972, Hecht, Rev. crit. 1974. 82, note Level, Clunet
1972. 843, note Oppetit et chr. Francescakis, Rev. arb. 1974. 67 et s.; Paris,
13 déc. 1975, Menicucci, Rev. crit. 1976. 507, note B. Oppetit; Civ. 1re, 20 déc.
1993, Dalico, Rev. crit. 1994. 663, note P. Mayer, Clunet 1994. 432, note
E. Gaillard et 690, note E. Loquin, Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-
Tallon, Rev. trim. dr. com. 1994. 254, obs Dubarry et Loquin; Civ. 1re, 21 mai
1997, Meglio, Rev. crit. 1998. 87, note V. Heuzé, Clunet 1998. 969, note S. Poil-
lot ; Perruzetto, Contrats, conc. consom., 1997, no 149, obs. Leveneur; Civ. 1re,
28 mai 2002, Cimat, Rev. crit. 2002. 758, note N. Coipel-Cordonnier, Rev. arb.
2003. 397, note D. Cohen; D. 2003. 2471, obs. T. Clay, JCP 2003. I. 105, obs.
C. Seraglini; Civ. 1re, 30 mars 2004, Soc. Uni Kod, JCP 2004. II. 10132, note
G. Chabot, RTD com. 2004. 443, obs. E. Loquin; sur l’originalité des règles
matérielles de l’arbitrage international, v. N. Coipel-Cordonnier, Les conven-
tions d’arbitrage et d’élection de for en. dr. int. pr., thèse Louvain, éd. 1999,
394 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 44

nos 163, 345 et 355). Cette évidence était ici d’autant plus pressante que sa
méconnaissance aurait impliqué pour l’État le privilège dévastateur de se
délier à son gré des clauses d’arbitrage qu’il avait pourtant acceptées. Mais cet
aspect du problème qui a pu inspirer et stimuler la réflexion des juges du fond
(v. Paris, 10 avr. 1957, Myrtoon Steamship, JCP 1957. II. 10078, note Mol-
tusky) est par lui-même trop contingent pour appeler autre chose que la mise
en œuvre d’un correctif exceptionnel (v. l’évocation par Motulsky, note préc.,
de la jurisprudence Lizardi et aussi sa référence à l’apparence; on peut aussi
songer à l’institution de l’estoppel sur laquelle, v. Civ. 1re, 6 juill. 2005, Gols-
hani, Bull. I, no 302, Rev. crit. 2006, note H. Muir Watt; P. Mayer, note, Rev. crit.
1984. 499; O. Moréteau, L’estoppel et la protection de la confiance légitime,
thèse multigr., Lyon-III, 1990; H. Muir Watt, in Mélanges Loussouarn, p. 303;
B. Fauvarque-Cosson, in L’interdiction de se contredire en détriment d’autrui,
p. 3; voire à l’ordre public international : sentence CCI, affaire 1939/71, citée
par Y. Derains, Rev. arb. 1973. 145); or il s’agit ici de fonder l’édiction d’une
règle nouvelle. D’autres éléments, plus généraux, ont pesé. Certains sont négatifs,
ils s’opposent à l’application de la prohibition de la clause compromissoire;
d’autres sont positifs, ils soutiennent l’instauration d’un régime de liberté.
4 A. — L’agent judiciaire du Trésor demandait l’application de textes prohi-
bitifs dont la raison d’être ne se vérifiait pas en la cause.
Cette raison d’être procède d’abord du souci de l’intérêt public — censé
animer l’activité de toute personne morale de droit public. Par nature, cet intérêt
appellerait une protection spéciale, laquelle, en procédure civile, serait assurée
par le devoir de communiquer au ministère public les causes le concernant.
Or, il est clair que l’arbitrage, juridiction privée instituée pour éviter toute
officialisation, toute « socialisation » du contentieux est incompatible avec
cette exigence.
À cela s’ajoute ensuite le souci de préserver le crédit de l’institution judi-
ciaire française. Cette préoccupation impose aux organismes publics comme à
l’État dont ils sont l’émanation, de prêcher d’exemple et de ne pas marchander
leur confiance aux tribunaux mis en place par celui-ci.
Mais, en sens contraire, il faut relever, d’une part, que si l’activité d’une
entité publique est en principe guidée par la seule considération de l’intérêt
public, elle peut néanmoins prospérer dans les voies et les formes du droit
commun (c’est-à-dire du droit privé); c’est ce que vient attester la circons-
tance, dûment signalée par l’arrêt, que l’affrètement résultait d’« un contrat
international passé pour les besoins et dans des conditions conformes aux usa-
ges du commerce maritime ». Ce genre d’opération ne met en cause aucune
prérogative de puissance publique ni ne comporte aucune clause exorbitante
du droit commun; l’intérêt public n’y est qu’indirectement concerné et seuls
des intérêts privés y sont immédiatement engagés. Dans ces conditions, la
protection spéciale assurée par le caractère communicable n’est plus indis-
pensable (sur la nullité de l’arbitrage en droit public, CE, 3 mars 1989, Rev.
arb. 1989. 215, chr. D. Foussard, p. 167, RFDA 1989. 616, note B. Pacteau,
JCP 1989. II. 21323, note P. Level, D. 1990, Somm. p. 67; v. chr. Y. Gaudemet,
Rev. arb. 1992. 241).
44 GALAKIS — CASS., 2 MAI 1966 395

Il faut observer, d’autre part, que l’hypothèse est ici celle d’un contrat
international; elle se développe simultanément face à plusieurs ordres juridi-
ques et, en cas de contentieux, relève de la connaissance possible des juridic-
tions étrangères. Il n’est d’ailleurs pas exclu que celles-ci semblent en certains
cas mieux convenir au traitement de l’affaire, notamment lorsque la condam-
nation que l’État recherche devra s’exécuter à l’étranger; d’où en de tels cas,
la possibilité pour ces entités publiques de saisir éventuellement une juridic-
tion que l’État français n’a pas lui-même créée — ce que confirme la faculté
qui lui est reconnue de renoncer à son immunité devant un tribunal étranger.
Ne pas se soumettre à ses propres tribunaux n’exprime alors aucun désaveu à
leur endroit et ne peut donc ruiner leur autorité. Cessante ratione legis, cessat
ejus dispositio.
5 B. — Il convient maintenant, pour déterminer jusqu’où avancer sur cette voie,
de dégager une justification positive de la liberté de compromettre.
Celle-ci se trouve dans la considération que développait, dans l’affaire Myr-
toon Steamship, la Cour de Paris (10 avr. 1957, préc.) : « il serait contraire aux
intérêts de l’État de défendre à ses représentants d’accepter un mode de règle-
ment de ses différends conforme aux usages du commerce international alors
que son refus entraînerait souvent la rupture des pourparlers engagés » (v. aussi
l’arrêt attaqué, Paris, 21 févr. 1961 préc., et Aix, 5 mai 1959, Clunet 1960. 1076,
obs. Sialelli, Rev. arb. 1960. 28). En d’autres termes, empêcher les organismes
publics français qui aspirent au rôle d’opérateurs du commerce international
de déférer aux usages qui y ont cours, c’est dissuader quiconque de traiter
avec eux et les condamner à l’inaction faute de partenaires. Si la mission
d’intérêt public requiert de l’organisme à qui elle est confiée qu’il entre dans
le jeu du commerce international pour atteindre les objectifs assignés, elle
nécessite alors que lui soit laissée la possibilité d’adhérer aux règles du jeu —
dont l’une, solidement établie dans la pratique, commande de respecter l’accord
d’arbitrage auquel on a souscrit.
Ainsi l’interdiction dérivant des articles 83 et 1004 de l’ancien Code de
procédure civile — aujourd’hui relayés par l’article 2060 du Code civil — se
révèle aussi nocive qu’inutile lorsque l’entité publique à laquelle on songe à
l’appliquer entretient dans le champ du commerce international des rapports
contractuels d’intérêts privés (et même, a-t-il semblé au législateur, lorsqu’il
s’agit de contracter « avec des sociétés étrangères pour la réalisation d’opéra-
tions d’intérêt national », L. no 86-972 du 19 août 1986, art. 9, dite loi Mickey).
La Cour de cassation était dès lors assurément fondée à reconnaître à l’État
et aux établissements qui en dépendent la liberté de compromettre en consa-
crant de la sorte l’arbitrabilité des litiges susceptibles de naître dans ce genre
d’hypothèse.
6 Cette justification fixe elle-même les limites de sa validité et, partant, le
domaine de la règle de la libre arbitrabilité.
La triple référence de l’arrêt au caractère international, à l’objet économi-
que et à la conformation juridique du contrat montre l’intention de la Cour de
cassation de ne considérer que le cas qui lui était soumis. Néanmoins le raison-
396 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 44

nement qui l’autorise à doubler d’une version propre au droit international


privé une disposition législative interne se prête à d’autres applications que
celle du contrat d’affrètement maritime conclu avec un armateur étranger
selon une charte-partie du type Baltime. Il faut comprendre plus généralement
que si le contrat est établi entre l’État et une personne privée étrangère comme
un instrument ordinaire du commerce international, la convention d’arbitrage
y est alors aussi régulière qu’elle est courante. Il n’y a pas lieu de limiter la
liberté de compromettre au seul cas envisagé dès lors que les motifs qui
l’imposent se retrouvent dans les autres secteurs de l’activité commerciale
internationale.
Au demeurant la pratique déborde aujourd’hui largement l’hypothèse Gala-
kis et introduit des clauses compromissoires dans des contrats beaucoup
moins dépendants des usages, tels que ceux qui gouvernent les concessions
pétrolières ou minières ou les investissements industriels et qui se négocient
non pas seulement entre État et personne privée étrangère mais bien parfois
entre deux entités publiques relevant d’États différents — voir par exemple, la
clause figurant dans les contrats CEA-État iranien et CEA-OEAI du 23 février
1975 et dont il est fait état dans l’arrêt Eurodif (infra, no 65). Dans ces condi-
tions, il est permis de conclure qu’il suffit que le contrat soit international
pour que la liberté de l’arbitrage soit acquise à l’État (sur la définition du
contrat international, v. supra, arrêt Messageries maritimes, no 22).
7 Est-il possible de pratiquer encore l’analogie lorsqu’il s’agit de déterminer
les bénéficiaires de cette aptitude à compromettre ? Consacrée pour l’État fran-
çais, l’est-elle aussi, implicitement, pour les États étrangers ? Sur ce point éga-
lement, la Cour de cassation manifeste qu’elle n’envisage que l’État français.
La formule qu’elle retient s’articule tout entière autour des dispositions du
Code de procédure civile ancien, dont il est difficile de croire qu’elles visaient
aussi les États, communes, établissements publics étrangers… Contrairement à
la démarche à l’instant suivie quant au type d’opérations susceptibles d’arbi-
trage, il serait ici difficile de s’éloigner de l’arrêt tant est marquée son intention
de n’abattre que la prohibition française atteignant l’État français. C’était donc
avec une grande hardiesse que B. Goldman (Rev. crit. 1967, p. 557) avait pu
lire dans ou sous l’arrêt Galakis une règle de droit international privé matériel
issue d’un droit coutumier commun propre au commerce international — issue
de la Lex Mercatoria —, libérant aussi les États et organismes publics étran-
gers des éventuelles interdictions résultant de leurs droits respectifs. Mais la
réserve de l’arrêt Galakis à l’égard des restrictions des lois étrangères ne pros-
crivait pas le jeu de l’inopposabilité. C’est ce jeu que conduisait avec persévé-
rance la Cour de Paris lorsque, s’appuyant sur le principe de l’autonomie de la
clause compromissoire (v. J.-P. Ancel, « Actualité de l’autonomie de la clause
compromissoire », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1991-1992, p. 75), par elle déclarée
d’application générale, elle considérait que « quel qu’en soit le fondement, la
prohibition pour un État de compromettre est limitée aux contrats d’ordre
interne et n’est pas d’ordre public international, lequel interdirait au contraire à
un opérateur public de se prévaloir des dispositions restrictives de son droit
national ou de la loi du contrat pour se soustraire a posteriori à l’arbitrage
44 GALAKIS — CASS., 2 MAI 1966 397

convenu » (Paris, 17 déc. 1991, Gatoil, Rev. arb. 1993. 281, note H. Synvet;
24 févr. 1994, Bec Frères, Rev. arb. 1995. 275, note Y. Gaudemet, RTD com.
1994. 255, obs. Dubarry et Loquin; 13 juin 1996, KFTCIC, Clunet 1997. 151,
note E. Loquin; v. Fouchard, Gaillard et Goldman, Traité de l’arbitrage com-
mercial international, nos 534 et s.; N. Coipel-Cordonmier, op. cit., nos 249
et s.). C’est bien sûr aller au-delà de l’affirmation de la liberté de l’État fran-
çais et des entités qui en dépendent, de souscrire, en dépit de l’article 2060 du
Code civil, une clause compromissoire dans les contrats internationaux qu’ils
concluent. Cependant, la règle que dégageait la Cour de cassation en 1966 posait
déjà, peut-être avec moins d’éclat mais tout aussi nettement, le problème de
son mode d’application.

II. L’application de la règle de droit international privé matériel

8 Spécialement élaborée pour répondre aux exigences propres des relations


internationales, la règle de droit international privé matériel a, lorsqu’il s’agit
d’organiser une situation entrant dans ses prévisions, une vocation naturelle à
remplacer la règle matérielle interne. La substitution s’opère sans difficulté nota-
ble puisque l’hypothèse que contemple cette dernière ne comporte pas l’élé-
ment international caractéristique justifiant l’intervention de la première; il
s’ensuit que les deux normes ont des domaines distincts.
Mais cette observation n’épuise pas le problème de l’application des règles
matérielles internationales. La règle de droit interne à l’instant écartée n’était
en principe susceptible de régir une situation internationale que si elle recevait
cette mission d’une règle de conflit; ne faut-il pas dès lors faire également
appel à la règle de conflit pour déterminer l’application de la règle matérielle
internationale ? Par exemple, s’il avait été saisi dans l’affaire Galakis, le juge
anglais à qui on supposera que sa règle de conflit commande d’appliquer à
l’entité publique étrangère la loi de l’État dont elle est l’émanation, serait par-
venu à la conclusion qu’il devait se référer, parmi les règles du droit français
désigné, non à celle de la prohibition réservée aux contrats internes, mais à
celle de la liberté de compromettre reconnue dans les contrats internationaux.
Le mode d’application serait ainsi le procédé conflictuel; ce ne serait qu’au
sein de l’ordre désigné que la substitution évoquée plus haut s’effectuerait.
Cette représentation des rapports entre règle de conflit, règle matérielle
interne et règle de droit international privé matériel ne s’impose plus aussi
facilement dans le cas différent de la saisine d’un tribunal relevant de l’ordre
juridique qui a posé cette dernière. Pourquoi, si elle appartient à l’ordre du
for, l’assujettir à l’autorité de la règle de conflit alors qu’elle n’est pas moins
habilitée que celle-ci à régir une relation internationale ? Ne serait-il pas pré-
férable de s’épargner le détour conflictuel ?
C’est par un cheminement différent que le pourvoi débouchait sur cette
interrogation. Le grief qu’il articulait se concentrait sur un point de qualifica-
tion symptomatique de la méthode conflictuelle pratiquée par les juges du
fond en cette affaire : le problème de la liberté de compromettre formait-il une
question de capacité ou bien une question de contrat, comme l’avait jugé la
398 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 44

Cour de Paris ? Revenait-il à la loi française de l’organisme public ou bien à


la loi anglaise du contrat de le résoudre ? On le voit, la controverse ne sort pas
du champ des règles de conflit. Or, l’arrêt Galakis, quant à lui, s’en évade. Le
fait est certain, mais ce qui l’est moins, c’est la méthode employée pour
l’application de la règle matérielle internationale.
9 A. — Deux ans avant l’arrêt Galakis, la Cour de cassation avait, dans une
affaire San Carlo (Civ. 1re, 14 avr. 1964, Rev. crit. 1966. 68, note Batiffol, Clu-
net 1965. 645, note Goldman, D. 1964. 637, note Robert, JCP 1965. II. 14406,
obs. R. L.) rallié les positions de la Cour de Paris. Le résultat en était la validité
de la clause compromissoire, par application de la loi italienne, loi du contrat.
Tous les commentateurs se réjouirent de l’issue mais, dans leur ensemble
aussi, ils critiquèrent le moyen choisi pour y parvenir.
Motulsky (note préc.) estimait la qualification tendancieuse : le problème
concernait la capacité et c’était donc la loi personnelle qu’il fallait appliquer
sauf à en corriger les effets en usant du tempérament de la jurisprudence
Lizardi (supra, no 5). D’autres auteurs s’inquiétaient des implications de la
solution. Ainsi il paraissait à H. Batiffol que « l’interdiction concernant l’État…
pose un problème de compétence et de pouvoirs qui s’accommode mal de la
soumission à la loi du contrat » (Batiffol, Rev. crit. 1966, p. 71); quant à
B. Goldman, il estimait d’abord peu vraisemblable qu’on découvre jamais
dans une loi étrangère une norme mesurant à l’État français sa liberté de com-
promettre et, ensuite, peu acceptable qu’on applique au détriment du parte-
naire privé la prohibition contenue dans la législation de l’État contractant
lorsque celle-ci gouverne le contrat (Goldman, note préc., Clunet 1965. 645 et
Trav. com. fr. dr. int. pr. 1967, p. 132; v. aussi Level, note préc.).
Cette double objection de Goldman tendait de manière plus radicale à récu-
ser le recours aux règles de conflit pour ce motif qu’il se solderait ici comme
ailleurs par l’application d’une solution de droit interne, conçue pour des
hypothèses internes, alors que la situation en cause est non pas interne mais
réellement internationale. Il convenait d’abandonner la méthode conflictuelle
et d’appliquer une règle matérielle appropriée.
10 Ayant accompli, comme on l’a vu, la seconde partie de ce programme, l’arrêt
Galakis n’hésite pas à engager la réalisation de la première. Approuvant la
Cour de Paris d’avoir admis la validité de l’accord d’arbitrage, il déclare sura-
bondants les motifs qui, pour elle, avaient fondé l’applicabilité du droit
anglais. C’est donc que l’aptitude de l’État à compromettre ne dépend ni de la
loi du contrat — quoi qu’en dise l’arrêt attaqué —, ni de la loi de la capacité
— quoi qu’en dise le pourvoi; elle échappe à toute règle de conflit. La méthode
conflictuelle doit se retirer, exclue pour cause de « réduction à l’interne » infli-
gée aux situations internationales dont le règlement lui est confié.
Ceci étant, le reproche est d’une valeur très relative. L’exemple de la sai-
sine du juge anglais démontrait à l’instant que la règle de conflit peut aussi
conduire à la mise en œuvre d’un traitement spécialement conçu pour les
situations internationales; il suffit à cela que la loi désignée contienne des nor-
mes matérielles internationales (v. pour l’application de la Loi uniforme sur la
44 GALAKIS — CASS., 2 MAI 1966 399

vente internationale — LUVI —, Civ. 1re, 6 févr. 1996, Rev. crit. 1996. 460,
2e esp., note D. Bureau : pour l’application de la Convention de Vienne sur
la vente internationale de marchandises — CVIM —, Com., 17 déc. 1996, Céra-
mique culinaire de France, Rev. crit. 1997. 72, note J.-P. Rémery, D. 1997. 337,
note C. Witz). D’ailleurs, même émanant de l’ordre du for, la règle matérielle
internationale n’est pas, par nature, réfractaire au jeu de la règle de conflit. On
ne doute pas que les articles 647-1, 683 et suivants du Nouveau Code de pro-
cédure civile, relatifs aux notifications internationales (D. 2005-1678 du 28 déc.
2005), ne s’appliquent que si la loi française est désignée pour régir la pro-
cédure dans laquelle interviennent les actes à notifier (v. aussi l’article 3 du
Code du commerce international de Tchécoslovaquie — Loi du 4 déc. 1963,
entrée en vigueur le 1er avr. 1964 — et F. Deby-Gérard, Le rôle de la règle de
conflit dans le règlement des rapports internationaux, 1973, no 158). La
démarche consiste à déterminer d’abord, grâce à la règle de conflit, l’ordre
juridique compétent pour ensuite, mettre en œuvre la règle matérielle interna-
tionale que celui-ci édicte. En l’espèce, la Cour de cassation aurait pu s’y plier
sans compromettre le résultat qu’elle a atteint — pourvu qu’elle délaissât,
d’une part, la qualification tendancieuse qu’elle avait dans l’arrêt San Carlo
reprise de la Cour de Paris et qu’elle consentît, d’autre part, à discerner dans
l’arbitrabilité une question de statut et de pouvoirs dépendant de la loi de
l’État ayant constitué l’entité publique concernée. Applicable alors, en vertu
de la règle de conflit, la loi française se serait appliquée en sa disposition de
droit international privé matériel consacrant la liberté de compromettre.
L’abandon de la règle de conflit par l’arrêt Galakis n’en est que plus lourd
de sens. Il exprime le rejet du libre échange des lois étatiques dont la méthode
conflictuelle est l’instrument. Il impose aussi de préciser le procédé selon
lequel est traitée la question de l’aptitude de l’État à compromettre.
11 B. — L’arsenal du droit international privé n’est pas démuni de moyens pro-
pres à empêcher le libre échange des lois étatiques; il suffit d’évoquer l’excep-
tion d’ordre public et le procédé des lois de police, intervenant l’un a poste-
riori et l’autre a priori par rapport à l’opération de la règle de conflit, mais
tous deux récusant l’équivalence qui permet d’ordinaire de substituer le droit
étranger au droit du for (v. obs. sous Cie internationale de wagons-lits, infra,
no 53). Cependant aucun de ces deux procédés ne semble correspondre à la
démarche suivie en l’espèce, laquelle présente donc une relative originalité.
En dépit du précédent de l’arrêt des Messageries maritimes (v. supra, arrêt
no 22) et de l’autorité considérable qui le soutient, le recours à la notion d’ordre
public est inapproprié. L’exception d’ordre public est destinée, on le sait, à
repousser l’application de lois étrangères qui produirait un résultat incompati-
ble avec les exigences fondamentales de l’ordre juridique du for. Cette pers-
pective n’est pas ouverte en l’espèce où l’ordre public n’aurait pu trouver pour
adversaire que la loi anglaise; précisément, cette loi comme la règle française
de droit international privé matériel, validait l’accord compromissoire. Cette
concordance des solutions décourage toute intervention de l’ordre public.
L’appel à la notion de loi de police ou loi d’application immédiate ne serait
pas moins contestable. Certes, viennent se ranger dans cette catégorie des nor-
400 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 44

mes animées par une intention de nature politique puisqu’elles s’efforcent de


promouvoir ou conserver un certain mode d’organisation de l’État et, dès lors
il se comprendrait que doive y figurer aussi une règle comme celle qui recon-
naît aux entités publiques l’aptitude à compromettre; n’étant que le moyen
nécessaire ou utile à la réalisation de leur mission, cette aptitude paraît bien
participer à l’organisation étatique. La thèse de la loi de police a en effet été
soutenue (v. Francescakis, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1967, p. 145).
Cependant des différences considérables sépareront toujours la règle maté-
rielle ici formulée et les lois de police. D’abord, ces dernières expriment l’asser-
vissement du règlement des intérêts privés aux exigences des intérêts étatiques,
en quoi elles révèlent l’écrasante supériorité que souvent l’État revendique
pour lui-même. En revanche, la règle de la libre arbitrabilité impose à l’État
qui entend prendre part au commerce international le respect des usages y
gouvernant les intérêts privés; la supériorité de l’État rencontre ici sa néga-
tion. Ensuite, à l’instar de la règle de conflit dont elle n’est à cet égard qu’une
version faussée ou inachevée, un modèle gauchi par la pression trop directe
des intérêts de la structure étatique, la loi de police ne tend qu’à ménager
l’emprise sur les rapports internationaux d’un droit souverainement édicté par
un État. Il s’agit encore d’une réduction, sinon nécessairement à « l’interne »,
du moins à « l’étatique », propre à instaurer le monopole des systèmes juridi-
ques des ordres étatiques sur le commerce international. L’arrêt Galakis, par
la solution matérielle qu’il énonce, procède d’une inspiration tout opposée,
qui adhère à l’idée d’une autonomie, au moins sur le plan substantiel, des
relations commerciales internationales. Il y a là un motif suffisant pour écarter
le procédé des lois de police — et ce motif procure en même temps la clef du
problème de l’application de la règle de la liberté de compromettre.
12 L’arrêt Galakis introduit en effet le principe d’une répartition en deux clas-
ses des relations internationales; il invite à distinguer, d’une part, celles qui,
participant à la vie sociale de plusieurs ordres internes, ne sont pas indépen-
dantes des milieux nationaux que s’efforcent d’organiser les lois étatiques et,
d’autre part, celles qui, pour ainsi dire matériellement délocalisées, se dévelop-
pent en dehors de ces ordres et sociétés étatiques. Pour les premières, les
conflits de lois sont une réalité qu’il revient à la méthode conflictuelle de
maîtriser; pour les secondes, le conflit de lois n’existe pas car, évoluant au
dehors des ordres internes, elles n’engagent ni ne compromettent les intérêts
réglés par les lois que chaque État se donne; il leur suffit d’obéir à des règles
spécialement élaborées en considération des données et des besoins du milieu
international. Si cette classification a un sens, elle conditionnera le mode
d’application au for de la règle étudiée : constatant que le contrat dans lequel
figure la clause compromissoire présente les caractéristiques d’un contrat
international, le juge français, délaissant les voies conduisant aux droits des
sociétés étatiques, mettra directement en œuvre la règle matérielle internatio-
nale et déclarera ainsi l’État français lié par la stipulation (v. A. Ponsard, Étu-
des Goldman, p. 251-252; A. Chapelle, Les fonctions de l’ordre public en
droit international privé, thèse Paris II, 1979, nos 155 et s., p. 167 et s.; rappr.
D. Bureau, Les sources informelles du droit dans les relations privées interna-
44 GALAKIS — CASS., 2 MAI 1966 401

tionales, thèse Paris II, 1992, nos 1022 et s., p. 675 et s.; comp. la détermination
du droit applicable au contrat par l’arbitre, dans l’affaire Valenciana, Paris,
13 juill. 1989, Rev. crit. 1990. 305, note B. Oppetit, Clunet 1990. 430, note
B. Goldman, Rev. arb. 1990. 663, note P. Lagarde, maintenu par Civ. 1re,
22 oct, 1991, Rev. crit. 1992. 113, note B. Oppetit, Clunet 1992. 177, note
B. Goldman, Rev. arb. 1992. 459, note P. Lagarde; B. Goldman, « Nouvelles
réflexions… » in Mélanges P. Lalive, p. 241).
Ainsi, à côté de celles qui, comme les articles 647-1, 683 et suivants du
Nouveau Code de procédure civile, restent subordonnées à la méthode con-
flictuelle, apparaît une autre catégorie de règles matérielles internationales qui
échappent à l’autorité de cette méthode. Ce second type, mis en évidence par
l’arrêt Galakis et encore peu représenté dans la panoplie du droit international
privé français, soulève de très épineuses questions. Ainsi celle du degré
d’originalité que doivent revêtir les besoins du commerce international pour
provoquer l’accueil par le système juridique français d’une solution spécifi-
que, écartant celle du droit interne, et aussi celle, consécutive, de l’articulation
de ces règles matérielles avec les règles de conflit conventionnelles ou com-
munautaires (v. notamment, H. Synvet, « Les lois de police applicables aux
opérations bancaires », Droit et banque, no hors série, juin 1993. 15 et « La
situation née du départ du salarié. Aspects de dr. int. pr. », Droit social, 1991.
836; L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit interna-
tional privé, thèse Paris II, éd. 2001, et Rev. crit. 2001, p. 25) ou encore celle,
ultérieure et non moins redoutable, de la constitution autonome — pas seule-
ment sur le plan substantiel, mais bien aussi sur le plan organique — d’un
droit commun des relations commerciales internationales, d’une lex mercato-
ria (v. Civ. 1re, 22 oct. 1991, Valenciana, préc.; pour une présentation
d’ensemble des thèses en présence v. F. Osman, Les principes généraux de la
Lex Mercatoria, thèse Dijon, éd. 1992, p. 257 et s.) (sur la lex mercatoria,
v. note B. Goldman, « Frontières du droit et lex mercatoria », APD 1965, p. 177;
P. Lagarde, « Approche critique de la lex mercatoria », Mélanges B. Goldman,
1982, p. 125; J.-M. Mousseron, « Lex mercatoria, bonne mauvaise idée ou
mauvaise bonne idée », Mélanges Boyer, 1996, p. 469).
45
COUR DE CASSATION
(Ch. civ., 1re sect.)

4 octobre 1967

(Rev. crit. 1968. 98, note P. Lagarde, Clunet 1969. 102, note Goldman,
D. 1968. 95, note Mezger, JCP 1968. II. 15634, note Sialelli)
Exequatur. — 1° Conformité de la procédure étrangère
à l’ordre public et au respect des droits de la défense. —
2° Compétence indirecte. —
Article 15 du Code civil. — Renonciation.

La régularité du déroulement du procès devant la juridiction étrangère


s’apprécie uniquement par rapport à l’ordre public international français
et au respect des droits de la défense.
C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain qu’une cour d’appel juge
qu’un plaideur français défendeur à une instance en exequatur a renoncé
tacitement au privilège de l’article 15 du Code civil s’il n’a pas contesté
devant les premiers juges saisis de la demande d’exequatur la compétence
du tribunal étranger.

(Bachir c/Dame Bachir)

Faits. — La dame Bachir a obtenu de la Cour d’Aix-en-Provence l’exequatur d’une


décision de divorce prononcée par la Cour d’appel de Dakar (Sénégal). Le sieur Bachir
proteste que l’exequatur n’aurait pas dû être accordé, qu’en effet la Cour d’Aix a, d’une
part, admis la compétence indirecte de la juridiction étrangère alors que contrairement à
ce qu’elle déclare, il n’avait pas renoncé au bénéfice du privilège de l’article 15 du Code
civil et que, d’autre part, elle a estimé que la procédure suivie à l’étranger avait été régu-
lière quoiqu’il eût fait état de multiples violations des règles gouvernant au Sénégal les
formes de l’assignation et la tentative de conciliation.

ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen pris en ses deux branches : — Attendu qu’il
est fait grief à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence saisie par dame Samat, épouse
divorcée d’Albert Bachir, d’une action tendant à rendre exécutoire en France un
arrêt de la Cour d’appel de Dakar, qui, faisant droit à la demande en divorce de
la femme, lui a confié la garde de l’enfant né du mariage et alloué une pension
alimentaire, d’avoir décidé que Bachir ne pouvait prétendre que cette juridic-
tion étrangère était internationalement incompétente parce qu’il avait renoncé
au bénéfice des dispositions de l’article 15 du Code civil, alors, d’une part,
qu’une telle renonciation ne se présume pas et que le fait d’accepter de défen-
45 BACHIR — CASS., 4 OCTOBRE 196 403

dre devant un tribunal étranger ne vaudrait renonciation au privilège institué


par ce texte en faveur des Français que si cette attitude n’était susceptible
d’aucune autre interprétation, ce qui n’était pas le cas, puisqu’il avait fait valoir
qu’à l’époque où sa femme avait engagé la procédure, il ne pouvait savoir que
le fait de comparaître devant un magistrat français dans un pays dépendant de
la Communauté, allait l’entraîner à être jugé par des juridictions d’un pays
étranger, et alors, d’autre part, qu’au lieu de procéder à la recherche d’intention
qui lui était demandée, la cour d’appel se serait déterminée par un motif géné-
ral et abstrait; — Mais attendu qu’après avoir justement rappelé que le plaideur
de nationalité française peut renoncer, même tacitement, au privilège de
l’article 15 du Code civil, la cour d’appel retient que Bachir « a reconnu dans ses
conclusions de première instance sur l’exequatur, signifiées le 12 mai 1962, que
la Cour d’appel de Dakar était compétente et… qu’il s’est borné à reprocher à
cette cour d’avoir négligé d’appliquer certaines règles de droit français et de
n’avoir pas fait, au fond, une exacte appréciation des circonstances de la
cause »; que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain qu’elle a estimé que
Bachir avait, notamment en prenant une telle position, renoncé à contester la
compétence de la juridiction étrangère; que, par ce seul motif, qui n’est nulle-
ment général et abstrait, la décision attaquée se trouve justifiée sur le point cri-
tiqué par le premier moyen qui, dès lors, doit être écarté;
Et sur le second moyen pris en ses quatre branches : — Attendu qu’il est sou-
tenu que l’arrêt attaqué aurait à tort admis que la procédure suivie devant les
juridictions sénégalaises était régulière, alors, d’abord, que dame Samat ayant
utilisé la voie de la commission rogatoire pour présenter sa requête en divorce,
les juges d’appel auraient dû rechercher si cette voie se justifiait par un empê-
chement autre que le seul éloignement, alors, aussi, que la date de la tentative
de conciliation ayant été avancée sur requête de la femme, celle-ci eût dû être
de nouveau entendue, alors encore qu’à défaut de toute audition de dame
Samat après que son mari avait comparu devant le magistrat conciliateur, il
n’aurait pas été procédé à la tentative de conciliation et que la cour d’appel
n’aurait pas répondu à cet égard aux conclusions de Bachir qui attiraient son
attention sur ce vice dirimant, alors, enfin, que l’indication inexacte du domicile
de Bachir dans la citation en conciliation constituait une autre irrégularité
substantielle; — Mais attendu que si le juge de l’exequatur doit vérifier si le
déroulement du procès devant la juridiction étrangère a été régulier, cette
condition de régularité doit s’apprécier uniquement par rapport à l’ordre public
international français et au respect des droits de la défense; que la cour d’appel
constate que Bachir, assigné là où il s’est expressément domicilié, a été présent
ou représenté à toutes les phases et à tous les degrés de la procédure et qu’il ne
démontre pas « que ses intérêts aient été compromis » par les irrégularités
prétendues; que les juges du second degré, ayant en outre justement énoncé
que les règles de procédure qui, selon Bachir, auraient été violées, ne sont pas
d’ordre public, au sens ci-dessus défini, l’arrêt attaqué motivé et qui répond aux
conclusions dont la cour d’appel était saisie, a légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 4 octobre 1967. — Cour de cassation (Ch. civ., 1re sect.). — MM. Ausset, f. f. prés.; Thirion, rapp.;
Lindon, av. gén. — MMes Calon et Rousseau, av.

OBSERVATIONS

1 Parmi les cinq conditions auxquelles depuis l’arrêt Munzer (v. supra, no 41)
est subordonnée l’efficacité en France des décisions étrangères, deux sont
404 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 45

d’ordre processuel : la régularité de la procédure suivie à l’étranger et la compé-


tence du juge étranger. Abordant la seconde sur le point particulier et très délicat de
la renonciation au privilège indirect que la jurisprudence attachait à l’article 15 du
Code civil, l’arrêt Bachir retient une solution peu novatrice en son temps et depuis
lors dépassée : la cour en effet abandonne au pouvoir souverain des juges du fond
la constatation et l’appréciation de cette renonciation qui ne requiert aucune forme
solennelle et peut donc être tacite comme jugé en l’espèce; cependant, à la suite de
l’arrêt d’une Chambre mixte du 26 avril 1974 (D. 1974. 249, note Boré; JCP
1975. II. 18157, note Gégout) qui déclarait que « la renonciation à un droit ne peut
résulter que d’acte manifestant sans équivoque la volonté de renoncer », elle
s’évertuera à exercer sur ces renonciations tacites ou implicites son contrôle avec
sérieux (Civ. 1re, 16 juin 1981, Soc. Continentale et 1er juill. 1981, Bassereau, Rev.
crit., 1981. 721, note H. Gaudemet-Tallon; 21 oct. 1981, Bull. I, no 304; 16 déc.
1981, Tangy, Bull. I, no 389; 17 mars 1982, Urbain, Bull. I, no 113; 18 déc. 1990,
Soc. Intercomi, Rev. crit., 1991. 759, note B. Ancel; 15 novembre 1994, Bull. I,
no 327; 28 janvier 2003, époux L.-G., Rev. crit., 2004. 398, note H. Muir Watt),
mais non pas de « gaîté de cœur », tant elle se sentait mal équipée pour se saisir de
données relevant fondamentalement de l’interprétation des actes juridiques et pro-
pres à fourvoyer son autorité dans les méandres de la casuistique (V. Ponsard, « Le
contrôle de la compétence des juridictions étrangères », Trav. com. fr. dr. int. pr.,
1985-1986, 47, p. 51). Finalement, c’est l’un des effets heureux de l’arrêt Prieur
du 23 mai 2006 (infra, no 87) que de supprimer cette contrainte en supprimant le
privilège indirect de l’article 15 du Code civil; sa disparition emporte avec elle la
question de la renonciation. Il n’est pas utile de la réveiller (v. sur cette question
Grands arrêts, 4e éd., no 45, § 13 et s., v. cep., pour la renonciation au privilège de
compétence directe, supra observations sous Cie La Métropole, no 43).
En revanche, l’actualité de la position prise sur l’exigence de régularité de la
procédure n’a pas été entamée par l’évolution; celle-ci, au contraire, l’a si bien
soutenue que, aujourd’hui encore, l’arrêt Bachir jouit d’une autorité indiscutée.
2 Conformément à une opinion généralement partagée en son temps, le pour-
voi soutenait que le juge de l’exequatur devait examiner, suivant la loi étran-
gère, la régularité de la procédure ayant mené à la décision. Abandonnant la
référence à la loi étrangère et rendant par là-même inopérants les griefs de vio-
lation des règles du droit sénégalais relatives à la pratique de la commission
rogatoire, au déroulement de la tentative de conciliation ou à l’adresse de la
citation, l’arrêt exclut en principe le contrôle de la conformité du procès à la
lex fori étrangère (I); il décide que la régularité procédurale de la décision
étrangère se mesure désormais uniquement aux exigences de l’ordre public
international de procédure, dont il précise la configuration (II).

I. L’exclusion du contrôle de la conformité


de la procédure à la loi étrangère

3 L’arrêt Bulkley (supra, no 4) avait exigé pour reconnaître la capacité matri-


moniale de l’étranger divorcé par un tribunal de son pays qu’il établisse « que
45 BACHIR — CASS., 4 OCTOBRE 196 405

son mariage a été dissous dans les formes et selon les lois du pays dont il était
sujet ». Ainsi au contrôle de la loi appliquée au fond par le juge étranger
s’associait le contrôle de la régularité de la procédure d’après la loi du tribunal
étranger. L’arrêt de Wrède (v. supra, no 10) subordonne l’exequatur à la condi-
tion que le jugement étranger ait été « rendu dans les formes prescrites par la
loi du pays »; ainsi s’implante la pratique de la référence à la loi de procédure
du for étranger.
Mais si celle-ci pouvait s’expliquer dans le cadre de la conception mise en
œuvre par ces arrêts anciens (v. obs. sous arrêt de Wrède, supra, no 10), l’évo-
lution des idées et des solutions en matière d’effets des jugements rendait son
maintien incertain. Elle se heurtait à deux séries d’objections. Les unes prove-
naient de l’ampleur et de la gravité des obstacles que rencontre fatalement
l’exercice d’un tel contrôle (A); les autres, plus décisives encore, se fondent
sur son absence de justification en tant que condition de l’exequatur (B).
4 A. — Les obstacles sont de deux ordres : le premier est pratique et le second
est juridique.
Le juge français, observera-t-on d’abord, n’est ni armé ni qualifié pour
contrôler l’application que le tribunal étranger a faite de ses propres règles de
procédure. Le juge de l’exequatur se heurte aux difficultés de la connaissance
du droit étranger qui sont plus embarrassantes encore ici, dans l’instance indi-
recte, qu’elles ne le sont dans l’instance directe — où il est possible en cas
d’incertitude sur la teneur du droit étranger de se rabattre sur la loi française
au titre de la vocation générale subsidiaire (v. supra, arrêt Bisbal, no 32).
Aussi bien a-t-on justement dénoncé « l’indécence d’une leçon donnée par le
juge français à son collègue étranger sur la saine application de sa propre loi »
(H. Batiffol, Rev. crit. 1960. 594) de même que l’inconfort dans lequel le pré-
tendu maître, trop inexpert, était précipité face à un élève rompu à toutes les
finesses de la matière (v. P. Bellet, « La jurisprudence du Tribunal de la Seine
en matière d’exequatur des jugements étrangers », Trav. com. fr. dr. int. pr.
1962-1964, p. 271; B. Goldman, note, Clunet 1964, p. 307). En réalité, ces
considérations avaient, dès avant la suppression du pouvoir de révision, fait
tomber dans un état de quasi désuétude le contrôle par le juge de l’exequatur
de la régularité de la procédure suivie à l’étranger (v. P. Lagarde, note préc.,
Rev. crit. 1968, p. 102). Cette tendance ne pouvait évidemment que s’accen-
tuer après l’arrêt Munzer. Avant même que ne fût rendue cette décision, la
Cour de Paris avait relevé qu’en dénonçant la violation par le juge étranger de
sa propre loi de procédure, l’appelant, « pour obtenir le rejet de l’exequatur,
demande en réalité au juge français non plus de contrôler si les conditions de
régularité de cet exequatur sont remplies, mais de réviser au fond les déci-
sions rendues à l’étranger » (Paris, 2 févr. 1961, Lestrade de Kyvon, Rev. crit.
1961. 566, note Francescakis). Etant désormais acquis en toute matière que la
régularité internationale ne peut dépendre « d’une nouvelle appréciation aussi
bien des faits que de l’application à ces faits des règles de droit » (Ph. Fran-
cescakis, note préc., p. 569), il ne reste plus de place pour le contrôle de la
conformité du jugement étranger à la loi de procédure étrangère (Ph. Frances-
cakis, eod. loc.; B. Goldman, notes au Clunet 1964, p. 307 et 1969, p. 105;
406 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 45

P. Lagarde, note préc., Rev. crit. 1968, p. 101). La jurisprudence Loesch


(Civ. 1re, 24 nov. 1965, Rev. crit. 1966. 289, note P. Lagarde, et Poitiers, 13 déc.
1967, Rev. crit. 1969. 94, note P. L.) illustre d’ailleurs la difficulté de concilier
la prohibition de la révision et la vérification d’une condition de régularité par
référence à la loi applicable (fût-elle même la loi française et sauf dénatura-
tion) ; sans doute s’agissait-il alors du contrôle de la loi appliquée au fond par
le juge étranger, mais le problème est identique. La solution doit l’être aussi.
5 B. — Une raison plus contraignante encore d’exclure la loi étrangère de
procédure est que son utilisation est dépourvue de justification. Pourquoi la
violation du droit judiciaire privé étranger devrait-elle empêcher l’exequatur
de la décision étrangère ? La réponse à cette question conduit à distinguer fin de
non-recevoir (de la demande d’exequatur) et condition de régularité (de la
décision étrangère).
Instituer un régime d’efficacité internationale des décisions — ce qui est réel-
lement entrepris en France depuis la suppression de la révision — c’est recon-
naître en principe à chaque plaideur le droit de tirer effet en France du juge-
ment prononcé à l’étranger et d’être ainsi traité sur le même pied de part et
d’autre de la frontière; c’est par exemple permettre à la dame Bachir d’être
divorcée non seulement au Sénégal mais aussi en France. Or subordonner ce
résultat à la légalité de la procédure étrangère, c’est commettre une erreur évi-
dente. La conformité du procès à la loi étrangère de procédure ne procure pas
nécessairement l’unité de traitement, car le jugement en cause peut fort bien
être dénué de toute portée normative à l’étranger, par suite de quelque péremp-
tion, prescription ou caducité. Il n’obligerait alors personne et sa reconnais-
sance en France créerait l’antinomie. Inversement un procès irrégulier au
regard du droit judiciaire étranger a pu aboutir à une décision obligatoire pour
les parties — aucune d’entre elles n’ayant exercé un recours… (rappr. art. 34.2,
Règlement Bruxelles I et v. les explications d’E. Pataut, Rev. crit. 2006, p. 204
et s.). Le refus d’exequatur, cette fois, provoquerait l’antinomie. Ce qui
importe, on le voit, c’est l’effectivité à l’étranger de la norme que le jugement
établit pour le plaideur (Niboyet, Traité, t. VI, no 1957, p. 110). À défaut de
cette effectivité, la demande d’exequatur est irrecevable (Niboyet, Traité, t. VI,
no 1958, p. 110; H. Muir Watt, J.-Cl. dr. int., fasc. 584-4, no 29).
À cela on pourra objecter que la vérification de la procédure selon les règles
étrangères n’est pas dépourvue d’intérêt pour l’ordre juridique français. En
effet, lorsqu’il accorde l’exequatur, l’ordre juridique français renonce à émet-
tre lui-même le jugement sur le litige tranché et il court ainsi le danger, s’il
n’y veille, de recevoir une décision étrangère obtenue dans des conditions à
ses yeux intolérables. Mais, pour éviter ce péril, rien ne l’oblige à apprécier la
qualité de la procédure étrangère selon d’autres critères que ceux qui font la
valeur de la procédure française à laquelle il renonce. La loi étrangère n’a pas
ici à intervenir.
Ainsi en arrive-t-on à la distinction de la fin de non-recevoir de la demande
d’exequatur et de la condition de régularité internationale du jugement. La
conformité du procès au droit judiciaire étranger est éliminée des conditions
de régularité internationale, mais le juge de l’exequatur peut, en tant que de
45 BACHIR — CASS., 4 OCTOBRE 196 407

besoin, consulter celui-ci pour s’assurer de l’effectivité de la décision, c’est-à-


dire de la recevabilité de la demande. Son contrôle portera donc non sur la
régularité de la procédure, mais sur l’effectivité de la décision ou, selon la ter-
minologie reçue, sa force exécutoire d’après les dispositions de la loi étran-
gère dont l’applicabilité à cet égard est incontestée (v. Batiffol et Lagarde, t. II,
no 724, p. 575; comp. B. Ancel, note Rev. crit. 1988, p. 726). Ainsi plutôt que
d’exclure de façon absolue la référence à la loi étrangère de procédure, l’arrêt
Bachir contribue à en délimiter plus précisément le domaine, lequel est celui
de l’examen de la recevabilité de la demande mais non celui du contrôle de la
régularité internationale de la décision.
Ce contrôle du jugement étranger sur le plan de la procédure n’est pas pour
autant abandonné; il est restreint à une vérification pratiquée selon des normes
ayant cours dans l’ordre juridique français, que l’arrêt réunit sous la dénomi-
nation complexe d’« ordre public international français et respect des droits
de la défense ».

II. Les exigences de l’ordre public de procédure

6 L’opportunité du contrôle de la procédure a été soulignée : l’ordre juridique


français ne peut renoncer à une procédure française qu’il organise selon cer-
tains principes essentiels sans s’assurer de la qualité équivalente de la procé-
dure étrangère. Une attitude laxiste sur ce point éloignerait le contrôle de la
régularité internationale de son objectif de « protection de l’ordre juridique
français et des intérêts français » (arrêt Munzer, préc.) et exposerait à entériner
des décisions manifestement injustes.
L’exercice de ce contrôle requiert la disposition d’un instrument d’évalua-
tion qui puisse être appliqué au « déroulement du procès devant la juridiction
étrangère ». À cet effet, l’arrêt Bachir en appelle naturellement à la notion
d’ordre public international français; à son niveau de généralité, celle-ci, en
effet, cerne la communauté juridique existant entre les solutions pratiquées à
l’étranger et les principes et valeurs que le droit français s’efforce de réaliser;
elle est ainsi en mesure de discerner les cas d’incompatibilité où le défaut
d’équivalence devient insupportable et justifie une réaction de rejet (comp.
Goldman, note préc., Clunet 1965, p. 105-106). Une illustration en est offerte
par la constatation des juges d’appel que « les règles de procédure qui, selon
Bachir, auraient été violées ne sont pas d’ordre public au sens ci-dessus
défini »; l’approbation sur ce point de la Cour de cassation signifie que les
particularités procédurales du divorce que connaît le droit français, telle la
tentative de conciliation, et auxquelles il aurait été manqué à l’étranger, ne
correspondent à aucun élément essentiel dans la conception française de l’ins-
titution (Civ. 1re, 6 mars 1979, dame S., Bull. I, no 80) et que par conséquent il
importe peu qu’imposées par la loi étrangère elles aient été ou non méconnues
devant la juridiction étrangère.
Mais l’arrêt ne se borne pas à établir le principe de la référence à l’ordre
public, il apporte aussi deux indications indispensables à l’évaluation de la
procédure étrangère.
408 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 45

7 En premier lieu, l’arrêt réunit à l’ordre public international français, le res-


pect des droits de la défense, comme si cet élément n’y était pas déjà compris
(v. également Civ. 1re, 6 mars 1979, préc.). En réalité, il semble que cette réu-
nion permette surtout de souligner l’importance relative, parmi les exigences
de l’ordre public international, du principe du respect des droits procéduraux
des parties ainsi que de préciser sa consistance. Assurément il peut y avoir en
certains cas atteinte à l’ordre public sans qu’automatiquement il y ait atteinte
aux droits de la défense. B. Goldman (note, Clunet 1969. 105) donne l’exem-
ple du serment religieux imposé par le juge étranger à un incroyant — qui sans
doute heurte l’ordre public français sans pour cela impliquer l’inexactitude des
déclarations recueillies… On peut aussi évoquer les conflits de décisions dont
les solutions sont rattachées à la conformité à l’ordre public (v. entre décisions
étrangères, arrêts de Wrède, préc., et Hohenzollern, Civ. 1re, 8 janv. 1963, Rev.
crit. 1963. 109, note G. H., JCP 1964. II. 13470, note Ph. F.; entre une déci-
sion étrangère et une décision française, arrêts Negrotto, Civ., 10 mars 1914,
Rev. crit. 1914. 449, D. 1917. I. 137, note J. Valéry; Forest, Civ. 1re, 5 avr. 1960,
D. 1960. 717, note G. Holleaux, Clunet 1960. 1070, note Sialelli, Rev. crit.
1961. 319, note M. Weser; Patiño, Civ. 1re, 15 mai 1963, supra, no 39). Mais le
plus souvent l’atteinte à l’ordre public s’accompagne d’une violation des droits
de la défense (« qui constituent pour toutes les personnes… un droit fondamen-
tal à caractère constitutionnel », Cons. const., 13 août 1993, Rev. crit. 1993. 597,
spéc. p. 613). Ainsi en va-t-il des procès poursuivis sans que le défendeur ait
été légalement et réellement assigné (Req. 11 nov. 1908, Le Goaster, Rev. crit.
1909. 217, Clunet 1909. 753, S. 1909. I. 572, DP 1914. 1. 118, rapport cons.
Denis; Civ. 1re, 17 févr. 2004, Bull. I, no 49, D. 2004. 824, concl. Cavarroc;
25 oct. 2005, Boualem, Bull. I, no 380; 22 nov. 2005, Corbier, Bull. I, no 335;
Batiffol et Lagarde, t. II, no 725, p. 579) ou ait eu la possibilité d’être régu-
lièrement représenté (Batiffol et Lagarde, eod. loc.; Civ. 1re, 21 oct. 1997,
Guerri, Bull. I, no 281, p. 190) ou ait été informé des conséquences de sa non-
comparution (Orléans, 24 janv. 2002, Soc. Himalaya Cosmetics, Rev. crit. 2002.
354, note H. M.W); ainsi en va-t-il aussi, de ces condamnations prononcées au
mépris du « principe de l’impartialité du juge » (Civ. 1re, 3 déc. 1996, Vve Tord-
jeman, Rev. crit. 1997. 328, note H. Muir Watt), sur le seul serment du deman-
deur (Civ., 22 janv. 1951, Weiller, supra, no 24) ou d’un tiers intéressé (Civ. 1re,
19 déc. 1973, Office mun. de la jeunesse de Cassel, Rev. crit. 1974. 534, note
G. Wiederkehr, Clunet 1974. 616, note A. Huet, DS 1974. 661, note E. Mezger)
ou sur le seul défaut du défendeur (Civ. 1re, 28 oct. 1981, Bull. I, no 319;
Civ. 1re, 10 mars 1982, Rev. crit. 1982. 724, note E. Mezger; s’aggravant d’une
absence de motivation : Orléans, 24 janv. 2002, préc.)… Manifestement contrai-
res aux principes essentiels de justice procédurale mis en œuvre par la législa-
tion française, ces éventualités sont déclarées avant comme après l’arrêt Bachir
tout aussi contraires à l’ordre public international français : « la conception
française de l’ordre public international empêche de reconnaître une décision
étrangère qui n’aurait pas respecté les droits de la défense » (Civ. 1re, 22 févr.
1978, Lavie, Rev. crit. 1979. 593, note G. Couchez). En revanche, l’ordre public
procédural dont le juge doit assurer le respect n’exige pas, lorsque le défen-
deur a connaissance de l’instance étrangère, que la notification de la décision
45 BACHIR — CASS., 4 OCTOBRE 196 409

comporte l’indication des voies de recours ouvertes dans l’État d’origine


(Civ. 1re, 29 nov. 1994, Rev. crit. 1995. 362, note Daniel Cohen; 10 juill. 1996,
Rev. crit. 1997. 85, note H. Muir Watt; 16 mars 1999, Mailliez, inédit; rappr.
Orléans, 24 janv. 2002, préc., relevant l’absence de notification impliquant le
défaut d’information sur les voies de recours). De même, l’exigence française
d’une motivation n’est pas en soi d’ordre public; mais doivent être produits au
juge les documents lui permettant de vérifier que les conditions de l’exequatur,
notamment la conformité à l’ordre public, sont réunies.
De fait, la Cour de cassation donne à la condition de respect des droits de la
défense une acception matérielle que révèle la manière dont elle répartit les
rôles entre le juge de l’exequatur et les parties en ce domaine. Le juge « doit
vérifier si le déroulement du procès devant la juridiction étrangère » répond
aux exigences de justice procédurale. L’accomplissement de ce devoir requiert
en principe du demandeur à l’exequatur qu’il produise les éléments attestant
le respect des droits de la défense (« toutes justifications utiles sur la régula-
rité de l’assignation et de la procédure suivie », C. Bernard, « L’exequatur des
jugements étrangers », Gaz. Pal. 1971. 2. 426; v. sur l’exigence de motivation,
Civ. 1re, 17 mai 1978, Clunet 1979. 380 1re esp., note D. Holleaux; 9 oct. 1991,
Rev. crit. 1992. 516, note C. Kessedjian, Clunet 1993. 157, obs. A. Huet; TGI
Paris, 10 févr. 1993, Parretti, Rev. crit. 1993. 664, note H. Gaudemet-Tallon,
Clunet 1993. 519, note C. Kessedjian; rappr. Poitiers, 1er juill. 1994, JCP 1994.
IV. 250) et, corrélativement, exige du défendeur — s’il conteste cette confor-
mité — la démonstration, non pas des irrégularités au regard des règles de
procédure étrangère, mais du fait que « ses intérêts [ont] été compromis » par
la manière, conforme ou non, dont le débat judiciaire s’est engagé et poursuivi
devant le tribunal étranger. La violation de la loi applicable importe peu par
elle-même, seul compte le préjudice éprouvé par le plaideur (comp. art. 114,
al. 2, NCPC). C’est dire que l’appréciation de l’ordre public en ce domaine doit
se faire in concreto (v. Civ. 1re, 16 mars 1982, Baumann, Bull. I, no 110; 25 oct.
2005, préc.).
8 En second lieu, on relèvera qu’en dépit du fait que la matière de l’effet des
jugements lui ouvre un domaine naturel d’application, la théorie de l’effet atté-
nué de l’ordre public n’est l’objet d’aucune allusion. Il ne s’agit pas d’une
omission. Deux raisons s’opposent à son accueil en cette hypothèse. La pre-
mière est que la forme de l’effet « plein » est réservée à l’hypothèse où le juge
français est appelé par la règle de conflit à appliquer une loi étrangère dans une
instance directement portée devant lui; cette hypothèse ne se réalise jamais
dans le champ de la procédure puisque la règle de conflit attribue celle-ci à
la lex fori. Le juge français n’applique que la loi française de procédure. La
confrontation à l’ordre public procédural n’a d’autre occasion que l’instance
d’exequatur où il s’agit d’apprécier une procédure étrangère. Il serait dès lors
illogique d’y introduire la notion d’effet atténué puisqu’aussi bien celle-ci ne
prend son sens que par rapport à l’effet plein, lequel constitue en cette matière
une éventualité irréalisable (v. D. Alexandre, Les pouvoirs du juge de l’exe-
quatur, no 314, p. 282). La seconde raison est que l’idée d’une atténuation de
l’ordre public déborderait ici le domaine qui lui est assigné depuis l’arrêt
410 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 45

Rivière (v. supra, no 26). La condition de conformité à l’ordre public procédu-


ral ne demande pas un jugement sur l’admissibilité « en France des effets d’un
droit acquis sans fraude à l’étranger… »; elle demande une appréciation de la
régularité de « l’acquisition de ce droit » (v. P. Mayer et V. Heuzé, no 384), c’est-
à-dire du procès ayant abouti à la consécration de ce droit. Or le droit acquis en
violation des garanties procédurales essentielles ne mérite pas protection (v. par
ex., Civ. 1re, 6 juin 1990, Rev. crit. 1991. 593, note P. Courbe, D. 1990, Som.
com. p. 265, obs. B. Audit).
Ainsi le juge de l’exequatur tenu d’apprécier la régularité de la procédure
suivie à l’étranger par rapport aux seules exigences de l’ordre public et du res-
pect des droits de la défense n’utilise plus le droit étranger que dans le cadre
de l’examen de la recevabilité de la demande d’exequatur afin de vérifier l’effec-
tivité ou le caractère exécutoire de la décision à l’étranger.
9 L’attention accrue que la période actuelle porte aux droits fondamentaux
pourrait venir compliquer la mise en œuvre de solutions aujourd’hui bien
acquises. Le droit à un procès équitable consacré par la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 6;
v. L. Sinopoli, Le droit au procès équitable dans les rapports privés internatio-
naux, thèse Paris I, 2000) suggère en effet trop facilement que toutes les règles
imposées à ce titre dans les États liés par cet instrument revêtent un « caractère
d’une part sacro-saint, d’autre part universel », de telle sorte qu’indépendam-
ment de leur origine, les décisions étrangères y contrevenant doivent être refou-
lées par le juge de l’exequatur. Mais, comme il a été remarqué, la convention
n’impose pas de méconnaître à ce point l’esprit de la discipline : « le droit
international privé vise à organiser la coexistence, sur le terrain du droit privé,
d’ordres juridiques qui ne reposent pas toujours sur les mêmes règles. Il ne
peut remplir sa mission sans un certain sens de la relativité » (P. Mayer,
« Droit au procès équitable et conflit de juridictions », in Les nouveaux dévelop-
pements du procès équitable au sens de la Convention européenne des droits
de l’homme, 1996, p. 125 et s. spéc. no 12); cette relativité est celle qu’admet
la convention elle-même dans son article 63 § 3, qui prévoit qu’aux situations
non entièrement localisées sur le territoire européen (des États parties) ses dispo-
sitions seront appliquées « en tenant compte des nécessités locales » (P. Mayer,
Rev. crit. 1991, p. 661, ad notam 11). Aussi admettra-t-on plutôt que les exi-
gences promues par ces conventions consolident celles du droit commun et que
seules les atteintes graves à l’équité du procès justifient un refus d’accueillir
les décisions étrangères (comp. P. Hammje, chr., Rev. crit. 1996. 1, spéc. p. 26
et s.; H. Muir Watt, note préc., Rev. crit. 1997, p. 329 et chr. Justices, 1996.
333). Tout au plus ces exigences présentent un intérêt propre lorsque la ques-
tion surgit dans le cadre de l’application d’instruments internationaux ou com-
munautaires. Certains d’entre ceux-ci, en matière d’effets des décisions étran-
gères, n’ont pas pris la précaution d’appeler au nombre de leurs conditions
de régularité le principe du respect des droits de la défense (ou de la demande,
v. G. Droz, « Les droits de la demande dans les relations privées internationa-
les », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1993-1995. 97, spéc. p. 110 et s.). Tel est le cas
de la Convention de Bruxelles, dont l’article 27. 2, avant de devenir l’arti-
45 BACHIR — CASS., 4 OCTOBRE 196 411

cle 34. 2 du Règlement (CE) du 22 décembre 2000 (Bruxelles I), requiert


simplement que l’acte introductif d’instance ait été notifié au défendeur
défaillant régulièrement et en temps utile pour pouvoir se défendre (v. les notes
de G. Droz sous CJCE, 3 juill. 1990, Lancray, Rev. crit. 1991. 19; 12 nov.
1992, Minalmet, Rev. crit. 1993. 81). La prise en compte des droits fondamen-
taux assurerait alors la réintroduction des exigences de l’ordre public procédu-
ral au sein de ces instruments (en ce sens, sous couvert de l’article 27.1 de la
Convention de Bruxelles : Civ. 1re, 16 mars 1999, Pordea, Rev. crit. 2000. 224,
chr. G. Droz, p. 181 et s., Clunet 1999. 774, obs. A. Huet, Dalloz Aff., 1999.
799, obs. V. A.-R.; H. Muir Watt, chr., Rev. gén. proc., 1999. 749; également,
Civ. 1re, 16 mars 1999, Mailliez, resté inédit ; sur cette question de l’absorp-
tion de la protection des droits fondamentaux par la notion d’ordre public,
v. P. Mayer, art. préc., nos 14 et s., P. Hammje, ibid., H. Muir Watt, ibid; et
spéc. sur les frictions entre la convention franco-marocaine du 10 août 1981
effaçant le caractère extra-judiciaire de la répudiation islamique et les disposi-
tions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales, Civ. 1re, 31 janv. 1995, Rev. crit. 1995. 569, note
J. Déprez, Clunet 1995. 345, note Ph. Kahn; Civ. 1re, 11 mars 1997; D. 1997.
400, note M.-L. Niboyet, Clunet 1998. 110, note Ph. Kahn, JCP N, 1998,
p. 524, note H. Fulchiron; Civ. 1re, 27 janv. 1998, Sefiani, inédit et leur résolu-
tion progressive, Civ. 1re, 25 oct. 2005, dame El W., Bull. I, no 379, et 3 janv.
2006, dame M. T., Bull. I, no 2, Rev. crit. 2006. 627, note M.-C. Najm; L. Gan-
nagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit international privé,
thèse Paris II, éd. 2001, nos 321 et s., p. 227 et s., « Le dr. int. pr. de la famille à
l’épreuve de la hiérarchie des normes », Rev. crit. 2001. 1, spéc. p. 33 et s.;
R. El Husseini, Le droit international privé français et la répudiation islami-
que, thèse Paris II, 1999, et chr. Rev. crit. 1999. 427; L. Sinopoli, op. cit.).
46
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

17 juin 1968

(Rev. crit. 1969. 59, note Batiffol)


Conflit de nationalités.

Lorsqu’un individu a plusieurs nationalités dont la nationalité française,


celle-ci est seule prise en considération par les juridictions françaises.

(Kasapyan c/Dame Kasapyan)

Faits. — Un Turc épouse une Française. Tout en conservant sa nationalité d’origine,


la femme acquiert la nationalité de son mari. Une demande en divorce est ultérieurement
introduite devant les juridictions françaises. Le mari invoque la compétence de la loi
turque au motif qu’elle est la loi nationale commune des époux, la femme celle de la loi
française, loi de leur domicile commun, au motif que les époux sont de nationalité dif-
férente (v. supra, arrêt Rivière, no 26). Titulaire des deux nationalités, la femme devait-
elle être regardée par les juridictions françaises comme turque ou comme française ?
La cour d’appel ayant retenu la seconde solution, un pourvoi fut formé.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que selon les énonciations des
juges du fond, Kasapyan, de nationalité turque, a épousé à Paris, en 1939, Mar-
guerite Duval, de nationalité française; que l’arrêt confirmatif attaqué a décidé
que les époux étant de nationalité différente et ayant leur domicile en France,
la loi française était applicable au divorce qui était demandé de part et d’autre;
— Attendu que le pourvoi soutient que la femme ayant, tout en conservant
sa nationalité d’origine, acquis, au regard de la loi turque, la nationalité turque
du mari, cette nationalité se trouvait être commune aux deux époux, ce qui
avait pour conséquence de rendre la loi turque applicable au divorce; — Mais
attendu que la cour constate que dame Kasapyan est demeurée française; que
cette nationalité seule pouvant être prise en considération par les tribunaux
français, c’est à bon droit que la cour d’appel, pour appliquer la règle française
de conflit qu’elle n’a nullement méconnue, a décidé que les époux Kasapyan
étaient de nationalité différente; que le moyen ne saurait être accueilli et que
l’arrêt, motivé, a légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 17 juin 1968. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Blin, prés.; Thirion, rapp.; Blondeau, av.
gén. — Me Talamon, av.
46 KASAPYAN — CASS., 17 JUIN 1968 413

OBSERVATIONS
1 L’arrêt Kasapyan est le « premier à avoir énoncé (…) dans des conditions
qui ne prêtent à aucune équivoque » (Batiffol, note Rev. crit. 1969. 60), la règle
qui veut que lorsqu’un individu a plusieurs nationalités dont la nationalité
française, cette dernière soit seule prise en considération par les juridictions
françaises. D’un parfait classicisme (I), la solution n’en présente pas moins
certains inconvénients qui expliquent les tempéraments dont elle est parfois
assortie (II).

I. Le principe

2 « Il appartient à chaque État de déterminer par sa législation quels sont ses


nationaux » (art. 1er, Conv. de La Haye du 12 avr. 1930 concernant certaines
questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité). Cette règle, parmi les
mieux établies du droit international public, est à l’origine de conflits de natio-
nalités. Lorsqu’aucun État ne revendique un individu comme son national, on
est en présence d’un conflit négatif ; il y a apatridie. Lorsqu’au contraire
plusieurs États considèrent un même individu comme leur national, on est en
présence d’un cumul de nationalités (v. L. Darras, La double nationalité, thèse
dactyl., Paris II, 1986). Assez fréquente, cette seconde situation peut tenir aux
circonstances qui entourent la naissance de l’intéressé. Ainsi l’enfant issu d’un
couple mixte aura-t-il une double nationalité lorsque chacun des pays dont ses
parents sont respectivement ressortissants prévoit la transmission de sa natio-
nalité jure sanguinis. Ainsi en ira-t-il encore parfois de l’enfant né sur le ter-
ritoire d’un État autre que celui dont ses parents sont les ressortissants. Elle
peut également provenir, comme en l’espèce, de la survenance d’événements
postérieurs qui, tel le mariage, permettent à une personne d’acquérir une nou-
velle nationalité sans que pour autant elle perde sa nationalité d’origine. Ce
cumul engendre un conflit « positif de nationalités lorsque (…) un choix devient
nécessaire parce que le contenu de la règle à appliquer impose de ne retenir
qu’une nationalité » (Civ. 1re, 11 juin 1996, Imhoos, Rev. crit. 1997. 291, note
Y. Lequette, D. 1997. 3, note F. Monéger). Ainsi en va-t-il de l’article 3, alinéa 3
du Code civil qui soumet le statut personnel à la loi nationale. Ainsi en va-t-il
encore, comme en l’espèce, de la règle de conflit qui subordonne l’application
de la loi du domicile commun à la constatation que les époux sont de nationa-
lité différente.
3 Pour résoudre cette difficulté et déterminer la nationalité qui sera retenue, il
est traditionnellement fait appel à une distinction : si toutes les nationalités en
conflit sont étrangères, la plus effective l’emporte (Civ. 1re, 15 mai 1974, Mar-
tinelli, Rev. crit. 1975. 260, note Nisard; sur cette question v. P. Lagarde, « Le
principe de proximité dans le droit international privé contemporain », Rec.
cours La Haye, 1986, nos 69 et s.); si l’une des nationalités en cause est la
nationalité française, elle prévaut. Déjà énoncée à plusieurs reprises par la
Cour de cassation (Civ., 13 nov. 1951, Rev. crit. 1952. 323; Civ., 1er avr. 1952,
414 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 46

Rev. jur. et pol. de l’Union fr. 1952. 308, note Jean Foyer), cette solution a été
affirmée dans la présente affaire avec d’autant plus de force qu’elle est répétée
dans un arrêt du même jour rendu entre les mêmes parties sur la question du
régime matrimonial (Bull. I, no 713, p. 545; v. depuis, Civ. 1re, 7 nov. 1972, Lou-
nis, Rev. crit. 1973. 301, note P. Lagarde).
La primauté ainsi reconnue à la nationalité du for a parfois été critiquée au
motif qu’identique dans l’une et l’autre hypothèses, le problème devait être
résolu conformément à la même directive, celle de la nationalité effective
(Kahn, Frankenstein, Isay, cités par Maury, « Du conflit de nationalités… »,
Mélanges G. Scelle, p. 370; J.-P. Laborde, La pluralité du point de rattache-
ment dans l’application de la règle de conflit, thèse multigr., Bordeaux, 1981,
no 845, p. 594). Et de fait, exprimant une allégeance politique, la nationalité
repose sur une présomption d’appartenance à la collectivité étatique. Au cas où
plusieurs présomptions se contrediraient pourquoi ne pas rechercher celle qui
correspond le mieux à la réalité ? Mais se prononcer en ce sens, serait oublier
que « le juge ne peut se mettre en opposition avec le pouvoir dont il tient sa
mission et sans lequel il n’a aucune qualité » (Batiffol et Lagarde, t. I, no 78).
Or, on l’a vu, en matière de nationalité, chaque législateur a seul compétence
pour déterminer ses nationaux. Permettre au juge d’écarter la nationalité fran-
çaise au prétexte qu’elle n’est pas la nationalité effective, ce serait d’une cer-
taine façon introduire un cas de perte de la nationalité française non prévu par
le législateur (Derruppé, « La nationalité étrangère devant le juge français »,
Rev. crit. 1959. 231). Celui-ci a accompli un effort méritoire pour faire préva-
loir la réalité en ouvrant des options aux bi-nationaux (v. par ex., art. 19 et 24,
87 et 94, C. nat., devenus art. 18-1, 19-4, 23 et 23-5, C. civ.) et en leur permet-
tant, grâce à l’article 91 du Code de la nationalité (devenu l’art. 23-4, C. civ.),
de solliciter la libération de l’allégeance française; le juge ne saurait aller au-
delà. Il est, au demeurant, des raisons plus politiques à cette solution. Poser le
principe de la primauté de la nationalité du for, c’est se donner les moyens
« dans les pays à forte immigration d’éviter en matière de statut personnel les
dangers d’une société pluri-culturelle ». Comme le souligne M. Paul Lagarde,
« un pays comme la France est fondé à refuser qu’un Français possédant aussi
la nationalité d’un État musulman se prévale en France, au stade de la création
d’un droit, de son statut musulman étranger au motif que son autre nationalité
serait plus effective que sa nationalité française ». (« Vers une approche fonc-
tionnelle du conflit positif de nationalités », Rev. crit. 1988. 29 et s., spéc.
p. 38). Aussi bien la règle de la primauté de la nationalité du for est-elle connue
de la quasi-totalité des droits positifs.

II. Les tempéraments

4 En dépit de son universalité, cette solution rencontre des résistances. Certaines


qui conduisent à la remise en cause du principe posé par l’arrêt Kasapyan ne
sauraient être prises en compte en raison des graves dangers qu’elle recèle (A).
D’autres, aux contours mieux définis, apparaissent au contraire, comme un
utile moyen d’assouplissement du principe (B).
46 KASAPYAN — CASS., 17 JUIN 1968 415

5 A. — Il est apparu à une époque récente, à l’étranger et en France, une ten-


dance à ne plus faire prévaloir systématiquement la nationalité du for lorsque
l’instance a pour objet la reconnaissance d’une décision obtenue à l’étranger
par des personnes possédant à la fois la nationalité de l’État d’origine du juge-
ment et celle de l’État de reconnaissance.
Ainsi des décisions néerlandaises (Hoge Raad, 9 févr. 1965, Rev. crit. 1966.
297, note de Winter) et allemandes (OLG, Düsseldorf, 17 mai 1974, Clunet
1979. 422) ont admis la reconnaissance de divorce prononcé dans un autre
pays entre des époux ayant à la fois la nationalité de l’État d’origine de la
décision et celle de l’État d’accueil lorsque la première nationalité était plus
effective que la seconde. En France, la Cour de cassation a approuvé les juges
du fond d’avoir accordé l’exequatur à un jugement suisse ayant prononcé par
application de la loi suisse, le divorce d’époux ayant simultanément les natio-
nalités française et suisse (Civ. 1re, 10 mars 1969, Butez, Rev. crit. 1970. 114,
note Batiffol). Mais cette tendance a surtout été illustrée par les décisions ren-
dues dans l’affaire Dujaque. Rappelons brièvement les données de celle-ci. Le
litige mettait aux prises deux époux divorcés qui se disputaient la garde de
leur enfant mineur. Polonais, mariés en Pologne, ceux-ci étaient venus s’instal-
ler en France, où ils avaient acquis la nationalité française sans perdre leur
nationalité d’origine, puis s’étaient séparés, le mari restant en France, la femme
rentrant en Pologne avec l’enfant, lui-même double national. Un jugement de
divorce français avait confié la garde au père, mais quelque temps plus tard un
jugement polonais attribuait, par application de la loi polonaise de l’enfant, la
garde à la mère qui demandait l’exequatur de cette décision en France. Par un
arrêt du 18 juin 1985 (Rev. crit. 1986. 699, note Jodlowski, Clunet 1986. 726,
note J.-P. Laborde, D. 1985, IR p. 499, obs. Audit), la Cour de Paris accorda
cet exequatur sur le fondement de la Convention franco-polonaise du 5 avril
1967 en considérant que « si, pour l’application directe de la règle de conflit
de lois donnant compétence à la loi nationale, le juge français ne doit prendre
en considération que la loi française sur la nationalité, il en va autrement lors-
que la juridiction française est appelée à se prononcer sur l’effet en France
d’une décision étrangère qui, pour la mise en œuvre d’une telle règle de conflit,
a procédé — comme l’eût fait le juge français à l’égard de sa propre loi — en
ne tenant compte que de la nationalité attribuée à la partie concernée par la loi
locale ». Saisie d’un pourvoi, la haute juridiction le rejeta par un arrêt très
motivé (Civ. 1re, 22 juill. 1987, Rev. crit. 1988. 85 et chr. P. Lagarde, p. 29).
Selon elle, la Convention franco-polonaise était applicable « bien qu’au regard
de la loi française toutes les parties en cause fussent françaises » car « l’esprit
de cette convention étant de régler l’ensemble des rapports juridiques de
caractère international en matière de droit des personnes et de la famille, il
convient de la faire jouer dès lors que le litige concerne des personnes qui ont
la nationalité polonaise, même si elles ont aussi la nationalité française ». Et
s’agissant de l’exequatur en France du jugement polonais modifiant l’attri-
bution de la garde de l’enfant, hypothèse pour laquelle l’article 10, alinéa 2 de
la Convention prévoyait, en cas de domicile séparé des parents, l’application
de la loi nationale de l’enfant, elle décide que « c’est aussi avec raison que les
juges d’appel ont estimé que la juridiction étrangère était en droit pour déter-
416 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 46

miner la loi applicable (…) de prendre en considération, comme l’eût fait le


juge français dans le cas où il aurait été saisi, la nationalité qui était attribuée
à l’enfant par la loi locale, à savoir, en l’espèce, la loi polonaise ».
6 Considérée initialement avec réserve par la doctrine qui a vu, dans ses
premières illustrations, des solutions d’espèce s’expliquant par l’application
plus ou moins consciente de la méthode du groupement des points de contact
et ne remettant pas en cause le principe de solution des conflits de nationali-
tés (Batiffol, note, Rev. crit. 1970. 120; P. Lagarde, « Les destinées de l’arrêt
Rivière », Clunet 1971. 254), cette tendance est aujourd’hui appréciée plus
favorablement par certains auteurs. Prenant appui sur l’arrêt Dujaque, M. Paul
Lagarde a proposé un mode de règlement original des conflits de nationalités
(art. préc., Rev. crit. 1988, p. 29; v. aussi G. de Geouffre de la Pradelle, « Natio-
nalité française, extranéité, nationalités étrangères », Mélanges D. Holleaux,
p. 135 et s.). Rappelons-en les grandes lignes. Négativement, cette doctrine
critique la solution du conflit de nationalités fondée sur un « principe général
abstrait » et notamment la solution traditionnelle déduite du primat de la natio-
nalité du for. Positivement, elle recommande de régler le conflit de nationa-
lités, au cas par cas, en recherchant la « fonction que remplit la nationalité
dans l’hypothèse considérée ». C’est ainsi qu’à propos de l’effet en France
des jugements provenant de l’un des États dont les parties ont la nationalité, il
conviendrait de ne tenir compte que de la nationalité attribuée à ces parties par
la loi du juge qui a rendu la décision car celui-ci ne pouvait, au stade de la
compétence directe, que faire prévaloir sa propre nationalité.
7 Cette thèse ne manque pas d’attraits et la difficulté qu’elle se propose de
résoudre n’est nullement imaginaire. La prédominance systématique de la natio-
nalité du for risque, en cas de double nationalité, de briser l’unité du statut des
personnes concernées. Ainsi des époux, double nationaux, ne pourront que très
difficilement faire reconnaître dans l’un des pays dont ils sont les ressortissants
la décision de divorce ou de nullité de mariage intervenue dans l’autre; partant,
toujours mariés dans le premier, ils seront démariés dans le second (Maury,
art. préc., Mélanges G. Scelle, p. 370; Bischoff, note JCP 1963. II. 13329;
Flattet, note S. 1948. 2. 186). Or précisément, en sacrifiant le principe de la
primauté de la nationalité du for, on se met en position de pouvoir accueillir les
décisions étrangères. La continuité de traitement des situations juridiques est
ainsi assurée grâce à la flexibilité de la nationalité.
Cependant l’expérience suggère de sérieuses réserves car elle montre qu’il
est des hypothèses où cette démarche expose à de graves dangers et, notam-
ment pour cette raison — qui en forme l’âme même — qu’elle assujettit la solu-
tion du conflit de nationalités au contexte qui le fait surgir et qui est d’autant
plus variable que les fonctions assignées à la nationalité sont nombreuses. De
la sorte, un même individu pourra être, pour les autorités françaises, successi-
vement français et étranger. Parfois même sa qualité variera dans la même
décision selon la règle qu’il s’agit d’appliquer. Une décision récente permet
d’illustrer les difficultés de mise en œuvre du système (TGI Paris, 27 sept.
1990, Rev. crit. 1992. 91, note Y. Lequette). Deux Marocains résident en France.
46 KASAPYAN — CASS., 17 JUIN 1968 417

Ils s’y marient et se font naturaliser français. Deux ans après, au cours d’un
séjour au Maroc, le mari répudie son épouse puis demande en France la
reconnaissance de cette décision sur le fondement de la Convention franco-
marocaine du 10 août 1981 (Rev. crit. 1981. 531). Le Tribunal de Paris prati-
quant l’approche fonctionnelle considère les époux comme marocains, en
dépit de leur naturalisation, et accorde l’exequatur. En la circonstance, cette
solution a pu être retenue car la femme ne s’était pas opposée à la répudiation.
Assimilée à un divorce par consentement mutuel, celle-ci ne heurtait pas
l’ordre public. Mais, au cas où un tel consentement aurait fait défaut, quelle
solution retenir ? À supposer réunies les garanties pécuniaires et procédurales
minimales exigées à l’époque par la Cour de cassation pour réputer la répu-
diation non contraire à l’ordre public au moins lorsqu’aucun époux n’est fran-
çais (Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi, infra, no 63; 6 et 26 juin 1990, Rev. crit.
1991. 593, note P. Courbe), la solution aurait entièrement dépendu de la natio-
nalité de ceux-ci : Français, la décision étrangère heurtait l’ordre public;
Marocains, elle ne le heurtait pas. En réalité, un « fonctionnalisme » consé-
quent imposerait de distinguer au sein même des conditions de l’exequatur.
S’agissant d’apprécier la compétence de l’autorité étrangère, « l’esprit » de la
Convention franco-marocaine voudrait que la nationalité du juge qui a rendu
la décision, c’est-à-dire la nationalité marocaine l’emporte. S’agissant, en
revanche, d’apprécier la conformité de cette dernière à l’ordre public, c’est la
cohésion de la société française qui est en jeu et on comprendrait mal que ne
soit pas retenue la nationalité du juge de l’exequatur dès lors que l’intensité
de l’ordre public varie en fonction d’un critère personnel. On perçoit ainsi
l’extraordinaire enchevêtrement de nationalités auquel peut conduire cette
démarche : dans un même procès et pour résoudre la même question, celle de
l’exequatur d’une décision étrangère, la même personne va être, à quelques
instants d’intervalle, réputée par la même autorité, française puis étrangère !
Plus grave encore, la question se réglant au coup par coup, toute prévisibilité
disparaît. La matière devient casuistique pure. Or, comme y a souvent insisté
le doyen Batiffol, il n’est pas de bonne justice sans prévisibilité des solutions.
Aussi bien cet auteur avait-il souligné dans le domaine voisin de la nationa-
lité des sociétés, la nécessité d’y conserver la dialectique du principe et de
l’exception. Face à la décision rendue par le Tribunal des conflits dans la
fameuse affaire Mayol Arbona, qui consacrait avant la lettre l’approche fonc-
tionnelle en posant que « la nationalité des sociétés ne peut être déterminée
qu’au regard des dispositions législatives ou réglementaires dont l’application
ou la non application à la société intéressée dépend de savoir si celle-ci est ou
non française » (T. confl., 23 nov. 1959, Rev. crit. 1960. 180, note Loussouarn,
Clunet 1961. 442, note Goldman, D. 1960. 223, note Savatier; v. infra, no 50
§ 9), il écrivait : « il est à souhaiter (…) que la jurisprudence ne s’attache pas
à la lettre de cette formule (…). Autrement, on provoquera un procès sur
chaque texte muet, et dont la solution sera divinatoire du fait même de ce
mutisme en l’absence de toute directive de principe ». (Batiffol et Lagarde, t. I,
no 197, p. 345).
Donnée pour la nationalité des personnes morales, la leçon s’étend dans
toute sa limpidité à la nationalité des personnes physiques et avertit alors qu’il
418 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 46

y aurait une singulière régression à abandonner les cadres solides qui résulte
de l’affirmation de la primauté de la nationalité du for. Aussi bien, s’il faut
répondre aux besoins mis en évidence par l’arrêt Dujaque, cela ne doit se faire
qu’à travers une règle revêtant la forme d’une exception au principe de la pri-
mauté de la nationalité du for, comme en témoigne la consécration de celui-ci
par toutes les codifications récentes (v. not. § 9 [1] Loi autrichienne du 15 juin
1978, Rev. crit. 1979. 171; § 11 [2] Décret-loi hongrois du 31 mai 1979, Rev.
crit. 1981. 163; art. 27 Loi portugaise du 3 oct. 1981, Rev. crit. 1982. 796;
Loi turque du 20 mai 1982, Rev. crit. 1983. 141; Loi yougoslave du 15 juill.
1982, Rev. crit. 1983. 353; art. 5, Loi allemande du 25 juill. 1985, Rev. crit.
1987. 172; art. 19, Loi italienne du 31 mai 1995, Rev. crit. 1996. 177; art. 3,
Loi belge du 16 juill. 2004, Rev. crit. 2005. 154), à l’exception de la législa-
tion suisse (art. 23, loi du 18 déc. 1987, Rev. crit. 1988. 409).

8 Encore faudrait-il pour que la sécurité juridique soit sauvegardée, que les
contours de cette exception soient suffisamment définis.
À cet effet, deux voies s’offrent. Une voie libérale : lorsque l’instance a pour
objet la reconnaissance d’une décision obtenue à l’étranger par des personnes
possédant à la fois la nationalité de l’État d’origine du jugement et celle de
l’État de reconnaissance, la nationalité de l’État d’origine prévaudrait systé-
matiquement par une sorte d’« effet réflexe du principe dominant en matière
de conflit de nationalités » (B. Audit, note D. 1985, IR p. 499). Une voie res-
trictive : la reconnaissance du jugement serait subordonnée à la constatation
que la nationalité de l’État d’origine du jugement possédée par les intéressés
est la plus effective.
De la première, on a pu observer qu’elle offre « l’avantage de garantir beau-
coup plus sûrement la reconnaissance de la décision étrangère » (P. Lagarde,
Cours préc., Rec. cours La Haye, 1986, t. I, p. 85). Des exemples précédents,
il résulte néanmoins qu’il serait préférable de l’écarter car, suivie à la lettre,
elle pourrait conduire à la reconnaissance en France de la répudiation pronon-
cée contre la volonté de l’épouse ou de la seconde union contractée par un
Français dans un pays musulman dont il a aussi la nationalité, avec une femme
dont le statut admet la polygamie. En l’état du droit positif, l’ordre public
international français ne fait pas, en effet, obstacle à l’accueil de la deuxième
de ces situations si les époux sont considérés comme ayant la nationalité du
pays où elles ont été constituées. Quant aux répudiations, la haute juridiction
a un temps admis qu’il ne faisait pas obstacle à leur reconnaissance, avant de
se réorienter vers des solutions plus sévères (infra, no 63-64).
Consacrée à plusieurs reprises à l’étranger (v. décisions préc.), la seconde
aurait le mérite de répondre à une partie des difficultés évoquées. Elle permet-
trait d’éviter qu’un Français, résidant en France, ne s’y prévale d’une autre
nationalité pour obtenir la reconnaissance d’une décision qu’il n’aurait pu y
faire prononcer.
Encore cette restriction ne nous paraît-elle pas suffisante. En effet, à suppo-
ser même que les intéressés aient pour nationalité effective celle d’un pays
étranger, la décision qu’ils y auraient obtenue ne saurait recevoir effet en
46 KASAPYAN — CASS., 17 JUIN 1968 419

France, s’ils sont également français et que cette décision heurte l’ordre public
renforcé que la jurisprudence attache parfois à la qualité de français.
Enfin, la compétence exclusive qui se déduisait de l’article 15 du Code civil
(v. sur cette question, infra no 87) ne paraissait pas devoir être tenue en échec
par ce tempérament. La Cour de cassation l’avait d’ailleurs rappelé à plusieurs
reprises (Civ. 1re, 23 juin 1982, Nolan, Rev. crit. 1983. 314, note E. Poisson-
Drocourt; 27 janv. 1987, Alamir, Rev. crit. 1987. 605, note P. Lagarde; rappr. à
propos de l’art. 14, Civ. 1re, 2 oct. 2001, D. 2001. IR, p. 3089, JCP
2001. IV. 2819). Mais, en supprimant le privilège indirect de l’article 15 par
un arrêt Prieur du 23 mai 2006 (v. infra, no 87, § 10), la haute juridiction a,
par là-même, privé les double nationaux comme tout autre ressortissant fran-
çais du bénéfice de cette règle.

9 Au-delà de ces questions, se pose une interrogation essentielle. Faut-il per-


mettre l’éclatement de la nationalité, laquelle tend à définir l’une des compo-
santes les plus essentielles de l’État, sa population constitutive, pour assurer
l’unité du statut des personnes concernées ? Il est permis d’en douter. L’inspi-
ration de la démarche fonctionnaliste — à savoir que les « difficultés de fonc-
tionnement d’une règle de droit doivent être résolues en fonction du fonde-
ment de cette règle » (P. Lagarde, Rev. crit. 1987. 609) — reste trop insensible
à cette autre considération qu’il est des règles aux fondements différents entre
lesquelles un équilibre est à trouver. Il n’est pas démontré et il n’est pas évi-
dent que l’objectif légitime des règles de conflit de lois et des règles de conflit
de juridictions qui est de promouvoir les relations privées internationales ait
une valeur supérieure à toute autre et puisse exiger le sacrifice de l’identité
nationale qu’a en charge le droit de la nationalité (Y. Lequette, « La nationalité
française dévaluée », Mélanges Terré, 1999, p. 349, spéc. p. 384). Couper la
nationalité de ses prolongements naturels que sont le statut des personnes, la
compétence des tribunaux non moins que la jouissance des droits, c’est lui
retirer toute substance pour en faire une qualité accidentelle (Y. Lequette, « Le
droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions internationa-
les », Rec. cours La Haye, 1994, t. II, p. 121 et s., nos 121 et s.). Au demeurant,
l’approche recommandée semble ne pouvoir se concilier avec le principe
d’égalité qui, lui, a valeur constitutionnelle.
Qu’advient-il en effet de celui-ci, s’il existe deux catégories de Français,
ceux qui peuvent répudier leurs épouses et ceux qui ne le peuvent pas, ceux
qui peuvent se prévaloir du privilège de juridiction et ceux qui ne le peuvent
pas bien qu’ils soient dans la même position procédurale ? Et à considérer la
question de manière plus pragmatique, il n’est pas sûr que les résultats atteints
soient à la hauteur des sacrifices consentis : admettre de telles pratiques, c’est
encourager les double nationaux grâce à la quasi-ubiquité que leur assure la
facilité actuelle des déplacements, à jouer sur les deux tableaux, à user à leur gré,
— en fonction de leur intérêt immédiat et sans se préoccuper de la cohésion
de la société dans laquelle ils résident et dont ils ont la nationalité —, des facili-
tés que leur donne leur double appartenance. (Sur cette question, v. Y. Lequette,
note Rev. crit. 1992. 103 et s.). Fort heureusement, la Cour de cassation, ainsi
que le tribunal de grande instance de Paris qui lui avait emboîté le pas, parais-
420 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 46

sent aujourd’hui très en retrait par rapport à la jurisprudence Dujaque


(Civ. 1re, 17 mai 1993, Clunet 1994. 115, note Y. Lequette, D. 1993, Som. com.
p. 349, obs. Audit; 3 juin 1998, Clunet 1999. 781, note Y. Lequette; 15 juill.
1999, JCP 1999. IV. 2687; Civ. 2e, 14 mars 2002, Clunet 2002. 1062, note
Ph. Kahn, JCP 2002. II. 10095, note H. Fulchiron, D. 2002, IR p. 1777; TGI
Paris, 30 sept. 1993, Clunet 1994. 115, 2e esp., note Y. Lequette, D. 1993,
Som. com. p. 351, obs. Audit; v. aussi Civ. 1re, 9 nov. 1993, Rev. crit. 1994. 644,
note Kerckhove, à propos de la reconnaissance en France d’un mariage contracté
en Algérie; TGI Paris, 13 mai 1992, Clunet 1994. 419, note H.-J. Lucas; rappr.
Grenoble, 20 janv. 1998, JCP 1998. IV. 3538).

10 B. — Il est, au contraire, des tempéraments aux contours mieux définis.


Ainsi dans l’ordre international, il est généralement admis qu’un État ne
peut prétendre exercer la protection diplomatique de ses nationaux à l’encon-
tre des États qui les considèrent comme leurs propres ressortissants (Batiffol
et Lagarde, t. I, no 78). On notera aussi que le gouvernement français n’a pas
hésité à sacrifier le principe traditionnel dans certaines conventions internatio-
nales alors même que les tribunaux français étaient directement saisis de la
question, lorsqu’il lui est apparu que tel était le prix à payer pour préserver
l’homogénéité du statut de personnes auxquelles il marque un intérêt particu-
lier. Ainsi la Convention franco-portugaise du 20 juillet 1983 relative à la pro-
tection des mineurs (Rev. crit. 1984. 723 et s.) prévoit-elle dans son article 8
qu’en cas de double nationalité franco-portugaise, « les autorités judiciaires
appliquent la loi de l’État où le mineur a sa résidence habituelle et dont il est
ressortissant ».
Plus généralement, on a pu se demander si l’utilisation de certaines métho-
des n’impliquait pas de la part du législateur la volonté de déroger au principe
de la primauté de la nationalité du for. C’est ainsi que la technique de la règle
de conflit unilatérale employée par l’article 310 du Code civil (réd. L. 11 juill.
1975) pour déterminer la loi applicable au divorce ne semble se concilier que
très imparfaitement avec ce principe. Certes, en cas de double nationalité, la
nationalité française continue de primer dès lors qu’il s’agit de déterminer si
la loi française se veut ou non applicable sur le fondement de l’article 310-1
(rappr. Civ. 1re, 28 janv. 2003, Rev. crit. 2004. 398, note H. Muir Watt, Clunet
2004. 68, note J.-M. Jacquet). Mais, dans la négative, en cas de conflit entre la
nationalité du for et une nationalité étrangère, le juge français ne doit-il pas
lorsqu’il recherche si la loi du pays en question se veut ou non applicable,
faire prévaloir la seconde ?
Selon la logique du système unilatéraliste, le droit du for ayant marqué son
désintérêt, il importe afin d’assurer l’homogénéité et la continuité de la vie
juridique des sujets, de n’appliquer aucune autre loi que celle qui se veut
applicable et de le faire « le plus exactement et le plus fidèlement » possible
(Gothot, « Le renouveau de la tendance unilatéraliste », Rev. crit. 1971. 21).
Or en cas de conflit de nationalités, l’ordre juridique étranger raisonnera
exclusivement par rapport à sa propre nationalité (v. en ce sens, D. Alexandre,
note, Clunet 1981. 822). À supposer qu’on suive ce raisonnement, on aurait,
en l’espèce, à défaut de nationalité commune française et de domicile des
46 KASAPYAN — CASS., 17 JUIN 1968 421

époux en France, reconnu la compétence du droit turc sur le fondement de


l’article 13 de la loi turque du 7 juillet 1981 qui dispose que « les causes et les
effets du divorce et de la séparation de corps sont soumis à la loi nationale
commune des époux » (Rev. crit. 1983. 140). Il est vrai qu’un tel raisonnement
est, à son tour, de nature à multiplier les risques de conflit positif entre législa-
tions. Aussi bien la Cour de cassation l’a-t-elle expressément écarté (Civ. 1re,
13 oct. 1992, Camara, Rev. crit. 1993. 41, note P. Lagarde, Clunet 1993. 97,
note Y. Lequette, D. 1993. 85, note P. Courbe, Som. com. p. 351, obs Audit,
JCP 1993. I. 22036, note Behar-Touchais. — Sur l’interprétation réductrice
de cette décision par M. Paul Lagarde, v. Y. Lequette, Clunet 1993. 311, no3).
11 En guise de conclusion, il convient de souligner que la question du conflit
de nationalités n’échappe plus à l’influence du droit communautaire. La Cour
de Luxembourg a, en effet, condamné l’utilisation du principe dit de la pri-
mauté de la nationalité du for, laquelle était aussi en la circonstance la nationa-
lité la plus effective, par les autorités juridictionnelles d’un État-membre, afin
de déterminer, en présence d’un double national communautaire, la loi régis-
sant l’attribution du nom, aux motifs qu’une telle utilisation engendrerait une
discrimination (CJCE, 2 oct. 2003, Carlos Garcia Avello, Rev. crit. 2004. 184,
note P. Lagarde, D. 2004. 1476, note M. Audit). Plus précisément, elle consi-
dère qu’est discriminatoire l’application de la loi belge, par les autorités bel-
ges, à des mineurs, nés et résidant en Belgique et ayant la double nationalité
belge et espagnole, afin de déterminer leur nom car elle est de nature à engen-
drer pour les intéressés « de sérieux inconvénients d’ordre tant professionnel
que privé » en Espagne, pays où ils ne sont pas nés et ne résident pas mais dans
lequel ils pourraient hypothétiquement être conduits à séjourner dans l’avenir.
En revanche, très curieusement, le fait que les intéressés n’aient plus dans
l’État belge de leur naissance et de leur résidence un nom conforme à la légis-
lation de celui-ci n’est, semble-t-il, pas de nature à engendrer ces mêmes
« sérieux inconvénients » ! (M. Audit, note D. 2004. 1478). L’arrêt laisse per-
plexe, en raison bien sûr de l’absurdité tant de la solution qu’il retient que de la
motivation sur laquelle il s’appuie, mais aussi parce qu’il n’indique pas com-
ment doit désormais être tranché le conflit de nationalités dans un tel cas. Une
fois écartés les principes de la primauté de la nationalité du for ou de la natio-
nalité la plus effective, faudra-t-il pour résoudre la question, comme le laisse
supposer l’arrêt, laisser aux intéressés le soin de choisir la nationalité qui com-
mande la désignation de la loi régissant le nom, voire pourquoi pas tout autre
aspect du statut personnel ? Outre qu’elle apparaît singulièrement dévastatrice
puisqu’elle pourrait conduire à un dépeçage encore accru du statut personnel
au gré des impulsions des intéressés, une telle solution laisserait pendante la
question de la détermination de la nationalité en cas de désaccord entre ceux-
ci. Une fois de plus, l’absolutisme avec lequel sont entendues les libertés com-
munautaires conduit à la désintégration des ordres juridiques nationaux (infra,
no 55-56 § 14 et s.).
47
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

25 février 1969

(Rev. crit. 1970. 102, note P. Bourel)


Immunité de juridiction. — État étranger.

Les États étrangers et les organismes agissant par leur ordre ou pour leur
compte ne bénéficient de l’immunité de juridiction qu’autant que l’acte qui
donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été accom-
pli dans l’intérêt d’un service public.

(Soc. Levant Express Transport


c/Chemins de fer du gouvernement iranien)

Faits. — Des marchandises expédiées à destination de l’Iran par la Compagnie géné-


rale d’entreprises électriques ayant été endommagées au cours du voyage, celle-ci demanda
réparation au commissionnaire qui s’était chargé du transport. Une cascade d’appels en
garantie aboutit à la mise en cause de l’Administration des chemins de fer du gouverne-
ment iranien.
Cet organisme prétendit se soustraire à la juridiction des tribunaux français en invo-
quant son immunité. Admise en première instance, sa prétention fut repoussée en appel
par la Cour de Paris le 2 juillet 1966. Un pourvoi fut formé qui faisait grief à la cour
d’avoir insuffisamment répondu aux conclusions, lesquelles soutenaient que les Che-
mins de fer du gouvernement iranien constituent une administration purement gouver-
nementale et totalement inassimilable à une société commerciale même étatique.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique pris en ses diverses branches : — Attendu
que, selon les énonciations de l’arrêt attaqué, la Compagnie Générale d’Entre-
prises Electriques ayant expédié, à destination de l’Iran, des marchandises par
l’entremise d’un commissionnaire, la Société Méditerranéenne de portefaitage
et de transit (SOMEPORT), a assigné celle-ci en réparation de diverses avaries;
que ladite société a appelé en garantie notamment la Société Iranienne
« Levant Express Transport », plus spécialement chargée du transport terrestre
entre Khorramshar et Téhéran, laquelle a appelé en intervention forcée et
garantie l’Administration des chemins de fer du gouvernement iranien; que
l’arrêt infirmatif attaqué l’ayant déboutée de son exception d’incompétence
fondée sur l’immunité de juridiction dont elle se prévalait, cette administration
soutient qu’en tant qu’organe du pouvoir central et expression de son activité
elle bénéficiait de l’immunité et fait grief à la cour d’appel d’avoir « insuffisam-
ment répondu » aux conclusions par lesquelles elle faisait valoir que les chemins
47 SOC. LEVANT EXPRESS TRANSPORT — CASS., 25 FÉVRIER 1969 423

de fer du gouvernement iranien constituent une administration purement gou-


vernementale et totalement inassimilable à une société commerciale même éta-
tique et d’avoir dénaturé et méconnu les justifications qui l’établissaient; qu’il
est aussi prétendu que les juges d’appel se seraient contredits, en énonçant que
le transport ferroviaire constituait, selon le droit iranien, une opération « fixée
ratione materiae » qui ne saurait dès lors dépendre de la qualité de celui qui
l’accomplit tout en admettant qu’un transport de cette nature « puisse faire
intervenir un acte de souveraineté »; — Mais attendu que les États étrangers et
les organismes agissant par leur ordre ou pour leur compte ne bénéficient de
l’immunité de juridiction qu’autant que l’acte qui donne lieu au litige constitue
un acte de puissance publique ou a été accompli dans l’intérêt d’un service
public; d’où il suit qu’après avoir justement énoncé que cette immunité est fon-
dée sur la nature de l’activité, et non sur la qualité de celui qui l’exerce, la cour
d’appel qui, sans dénier à la demanderesse au pourvoi son caractère d’organe
du pouvoir central iranien, relève que selon la loi iranienne elle-même, le trans-
port, même ferroviaire, entre dans la catégorie des actes de commerce qui ne
sont « pas subordonnés de manière nécessaire à l’intervention d’un acte de sou-
veraineté » a, sans contradiction ni dénaturation, et en répondant aux conclu-
sions dont elle était saisie, légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 25 février 1969. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Ausset, f. f. prés.; Thirion, rapp.;
Lebègue, av. gén. — Me Lepany, av.

OBSERVATIONS

1 Longtemps paisible, la matière de l’immunité de juridiction des États étran-


gers est entrée, il y a déjà près de cinquante ans, dans une zone de turbulence.
L’idée qu’un État échappe en raison de sa seule qualité d’autorité souveraine à
la juridiction des autres États s’est, en effet, révélé insuffisante à résoudre le
problème dès lors que les États sont, d’une part, sortis du rôle qui était tradi-
tionnellement le leur pour accomplir des actes qui ne diffèrent pas substantiel-
lement de ceux des personnes privées et ont, d’autre part, parfois confié à des
organismes autonomes, publics ou même privés, le soin de remplir certaines
missions ressortissant à leur prérogative souveraine. La considération de la
seule qualité des bénéficiaires éventuels s’avérant impuissante à préciser les
contours exacts de l’immunité, il a fallu la compléter par un appel à la nature
de leur activité. Comment définir ce critère objectif ? (I) Dans quelle mesure
laisse-t-il subsister le critère subjectif ? (II) Autant d’interrogations auxquelles
l’arrêt ci-dessus reproduit apporte des réponses si tranchées qu’un commen-
tateur a pu écrire, avec peut-être une pointe d’optimisme, que la théorie de
l’immunité de juridiction reposait depuis sur des « bases certaines » (Kahn,
note, Clunet 1974. 848).

I. La nécessité d’un critère objectif

2 Le défaut de pouvoir des tribunaux français pour connaître des litiges dans
lesquels un État étranger est impliqué comme défendeur a été affirmé pour la
424 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 47

première fois par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 janvier 1849 (Gou-
vernement espagnol c/Casaux, D. 1849. 1. 9, S. 1849. 1. 81) :
« Attendu que l’indépendance réciproque des États est l’un des principes
les plus universellement reconnus du droit des gens; que, de ce principe, il
résulte qu’un gouvernement ne peut être soumis, pour les engagements qu’il
contracte, à la juridiction d’un État étranger; qu’en effet le droit de juridic-
tion, qui appartient à chaque gouvernement pour juger les différends nés à
l’occasion des actes émanés de lui, est un droit inhérent à son autorité souve-
raine, qu’un autre gouvernement ne saurait s’attribuer sans s’exposer à altérer
leurs rapports respectifs ».
Fondée sur l’idée d’indépendance réciproque des États, l’immunité bénéfi-
ciait à ceux-ci en raison de leur seule qualité; elle était absolue. Mais cette
conception n’était viable qu’autant que les actes accomplis par l’État l’étaient
dans l’exercice de sa souveraineté. L’autoriser à se prévaloir de ce privilège
alors qu’il se comportait comme une personne privée — commerçant, entre-
preneur —, c’était lui permettre de « jouer sur les deux tableaux » (Lous-
souarn, note, Rev. crit. 1962. 352); c’était paralyser la fonction juridiction-
nelle et sacrifier les intérêts des justiciables, sans que rien ne le justifiât. Aussi
bien, les tribunaux français ne purent-ils maintenir leur position traditionnelle
dès lors que l’ingérence de l’État dans la vie économique s’accrut. Confrontée
au monopole du commerce extérieur qu’entendaient s’arroger certains États, la
Chambre des requêtes refusa, par un arrêt célèbre du 19 février 1929 (DP 1929.
1. 73, note Savatier, S. 1930. 1. 49, note Niboyet; v. aussi Req. 15 déc. 1936,
S. 1937. 1. 104, Rev. crit. 1937. 710), le bénéfice de l’immunité de juridiction
à la Représentation commerciale des soviets au motif que celle-ci « manifeste
son activité commerciale dans tous les domaines; que ces manifestations ne
peuvent apparaître que comme des actes de commerce auxquels le principe de
souveraineté des États demeure complètement étranger ».
3 Ainsi d’absolue, l’immunité de juridiction des États étrangers devenait-elle
relative. Encore fallait-il définir la portée exacte de cette limitation. À cet effet,
la jurisprudence distingua les actes d’autorité des actes de gestion, les premiers
étant seuls couverts par l’immunité (v. par ex., Req. 5 févr. 1946, S. 1947. 1.
137, rapp. Castets). Directement inspirée des principes qu’avait initialement
employés la juridiction administrative pour déterminer sa propre compétence
par rapport à celle des tribunaux judiciaires, cette directive se heurta aux mêmes
difficultés de mise en œuvre. Aussi bien, poursuivant dans cette voie et faisant
sienne l’expérience des juges administratifs, la Cour de cassation devait-elle
ultérieurement s’inspirer des nouveaux critères élaborés par ceux-ci à cette
même fin. Après bien des tâtonnements cette tendance trouve enfin une formu-
lation claire dans l’arrêt ci-dessus reproduit :
« Attendu que les États étrangers et les organismes agissant par leur ordre
ou pour leur compte ne bénéficient de l’immunité de juridiction qu’autant que
l’acte qui donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été
accompli dans l’intérêt d’un service public ».
Ainsi est-il tenu compte soit de la nature intrinsèque de l’acte litigieux, soit
de la finalité poursuivie. Le premier critère tend à écarter l’immunité chaque
47 SOC. LEVANT EXPRESS TRANSPORT — CASS., 25 FÉVRIER 1969 425

fois que l’État agit dans les formes du droit privé, c’est-à-dire notamment
lorsque le contrat qu’il conclut ne comporte pas de clause exorbitante du droit
commun. Quant au second critère, il permet d’accorder l’immunité dès lors
que l’acte, même dépourvu de clause exorbitante, a été réalisé dans un but de
service public. La disjonctive « ou » employée par l’arrêt et reprise ultérieure-
ment par d’autres décisions (v. par ex., Civ. 1re, 19 mai 1976, Banque du Japon,
Rev. crit. 1977. 359, note Batiffol, Clunet 1976. 687, note Kahn; rappr. Civ. 1re,
2 mai 1990, Soc. nationale iranienne de gaz, Rev. crit. 1991. 140, note
P. Bourel; 27 avr. 2004, Cotigny, Rev. crit. 2005. 75, (1re esp.), note H. Muir
Watt), marque bien, en effet, qu’il suffit qu’une des deux conditions soit
réalisée pour que l’immunité existe (1). En revanche, lorsqu’elle font toutes
deux défaut, l’immunité du juridiction ne saurait jouer. C’est ainsi que la
jurisprudence a, à plusieurs reprises, décrété que le licenciement d’une per-
sonne employée dans une ambassade étrangère en France mais n’y exerçant
aucune responsabilité particulière est un acte de gestion qui n’est pas couvert
par l’immunité de juridiction de l’État étranger (Civ. 1re, 11 févr. 1997, Rev.
crit. 1997. 332, note H. Muir Watt, pour un concierge; Soc. 10 nov. 1998,
D. 1999. 157, note M. Menjucq, pour une infirmière). Elle a, au contraire,
admis l’existence d’une immunité dans le cas d’un ancien diplomate employé
comme traducteur à l’ambassade d’Arabie saoudite ou dans celui d’un traduc-
teur du service des passeports du consulat d’Égypte (Soc. 18 juill. 2000 et 9 oct.
2001, cités par R. de Gouttes, chron. D. 2006, p. 606, spéc. p. 609, no 5).
4 Cette référence aux critères élaborés par la jurisprudence administrative a sus-
cité un débat plus général : Faut-il l’entendre à la lettre et décider que l’immu-
nité est écartée ou retenue selon que la compétence interne est administrative
ou judiciaire ? Doit-on, au contraire, y voir une simple directive qui, tout en
s’inspirant du droit interne, conserverait son autonomie ? La réponse dépend
du fondement que l’on assigne à l’immunité de juridiction de l’État étranger.
Il a été soutenu que ce qu’on dénomme habituellement immunité ne serait
que le produit de l’incompétence d’attribution de nos tribunaux. Incompétents
ratione materiae pour connaître de certains actes (actes administratifs, actes
de fonction), accomplis par l’État français, nos tribunaux judiciaires le seraient
également, de ce seul fait, à l’égard de ceux de même nature émanant des
États étrangers; quant aux tribunaux administratifs, ils ne pourraient résoudre
que des litiges dans lesquels l’État français est impliqué. Ainsi l’immunité
coïncidant avec l’incompétence d’attribution des juridictions judiciaires fran-
çaises, son domaine résulterait de l’application pure et simple des critères
élaborés par le droit interne pour délimiter les compétences respectives des
juridictions administratives et judiciaires. Ebauchée par Niboyet (« Immunité
de juridiction et incompétence d’attribution », Rev. crit. 1950. 139 et s.), cette
analyse a été poussée jusqu’au bout de sa logique par M. Freyria (« Les limi-
tes de l’immunité de juridiction et d’exécution des États étrangers », Rev. crit.
1951. 207 et s., 449 et s.; et obs. Rev. crit. 1953. 425). Quoique séduisante, elle

(1) Suggéré par certains afin de limiter plus strictement le domaine de l’immunité (Di Qual,
note, JCP 1966. II. 14571), l’emploi cumulatif de ces critères n’a pas, pour l’instant, été retenu.
426 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 47

achoppe, nous semble-t-il, sur une double constatation. En premier lieu, affir-
mer que l’immunité de juridiction procède de l’incompétence ratione materiae
des tribunaux judiciaires suppose une coïncidence parfaite des deux notions.
Or précisément, on constate que le domaine de l’immunité ne concorde pas
avec celui de l’incompétence d’attribution des tribunaux judiciaires. Il est, à
certains égards, plus vaste : les tribunaux judiciaires ne peuvent, par exemple,
connaître directement de mesures d’expropriation prévues par un État étranger
alors que celles-ci rentrent dans leur compétence d’attribution (rappr. Civ. 1re,
20 oct. 1987, Soc. int. de plantations d’hévéas, Rev. crit. 1988. 727, note
P. Mayer). Il est, à d’autres égards, moins étendu : les conseils de prud’hom-
mes peuvent connaître des litiges relatifs aux contrats conclus entre une entre-
prise publique étrangère et son personnel de direction, alors que ces mêmes
litiges sont, en droit interne, de la compétence du tribunal administratif (Soc.
26 janv. 1989, Cie Air Algérie, Rev. crit. 1989. 754, note H. Gaudemet-Tallon).
En second lieu, fonder l’immunité sur la compétence d’attribution des tribu-
naux français, c’est lui conférer un caractère d’ordre public rendant inopé-
rante toute renonciation de l’État étranger. Or cette faculté lui est aujourd’hui
unanimement reconnue. En réalité, si la transposition peut s’expliquer par
l’idée que dans l’un et l’autre cas il s’agit de déterminer dans quelle mesure
les tribunaux doivent s’abstenir de s’immiscer dans l’Administration de l’État,
le décalage des solutions montre bien, en même temps, que l’immunité est
irréductible à la mise en œuvre des règles de compétence dans l’ordre interne
et qu’elle obéit à des impératifs propres. La doctrine contemporaine a entre-
pris de les découvrir dans deux directions différentes.
5 Pour certains, l’immunité s’expliquerait par le souci de respecter les souve-
rainetés étrangères ; plus précisément, elle représenterait un « point d’équili-
bre » entre deux manifestations de souveraineté, celle du for dans son expres-
sion juridictionnelle et celle de l’État étranger (Ph. Théry, Pouvoir juridictionnel
et compétence, thèse multigr. 1981, no 215, p. 197; v. aussi G. Holleaux, Trav.
com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 175). Dans cette conception, « un État ne peut
s’ériger en juge d’un autre État à l’égard d’un acte que celui-ci a accompli dans
l’exercice de sa souveraineté, sauf s’il accepte de se laisser juger » (P. Mayer
et V. Heuzé, no 324).
Pour d’autres, l’immunité de juridiction aurait pour but d’éviter que « les
appréciations portées par les tribunaux, même dans les limites de leur compé-
tence, sur les actes d’un État étranger, puissent être de nature à troubler les
relations de la France avec cet État ». Avancée par MM. Batiffol et Lagarde
qui la relient à l’idée de courtoisie (t. II, no 693), cette analyse a été dévelop-
pée et infléchie par M. Michel Bauer (Le droit public étranger devant le juge
du for, thèse multigr., Paris II, 1977, p. 268 et s.). Observant que la décision
rendue au mépris de l’immunité de juridiction peut être critiquée au moyen du
pourvoi pour excès de pouvoir sur l’ordre du garde des sceaux, instrument par
excellence de protection de l’ordonnancement constitutionnel contre les empié-
tements du pouvoir judiciaire, l’auteur voit dans l’immunité une « application
de la règle matériellement constitutionnelle qui interdit à l’autorité judiciaire
d’intervenir dans les relations internationales de la France » (op. cit., no 316,
47 SOC. LEVANT EXPRESS TRANSPORT — CASS., 25 FÉVRIER 1969 427

p. 269). En violant l’immunité de l’État étranger, le juge commet un excès de


pouvoir parce qu’il méconnaît l’exclusivité que le droit constitutionnel fran-
çais donne au pouvoir exécutif en matière de relations extérieures.
Plausible en l’état de notre droit positif, cette dernière explication ne fait
cependant à notre sens qu’habiller une solution dont les fondements sont,
semble-t-il, plus profonds. Il est, en effet, plus que probable que si la notion
de séparation des pouvoirs venait à manquer, l’immunité de juridiction n’en
serait pas moins maintenue.
En réalité il s’agit toujours dans toutes ces analyses de prendre en compte
soit directement, soit à travers « les lentilles du droit constitutionnel français »
(Sperduti, Mélanges Rousseau p. 262) les exigences de l’ordre international.
Certes alors que la première analyse décèle dans le droit international public
une véritable règle contraignante, la seconde repose simplement sur l’idée de
courtoisie incompatible avec la notion d’obligation stricte. Mais peu importe
au regard du juge que l’immunité soit ou non obligatoire pour l’État puisqu’elle
l’est de toute façon pour lui dès lors que son droit interne l’a posée (P. Mayer
et V. Heuzé, no 324).
6 Les conséquences positives de chacune de ces analyses sont au demeurant
fort voisines.
En premier lieu, la transposition au plan international des critères élaborés
en droit interne pour délimiter la compétence des juridictions judiciaires et
administratives ne devrait s’effectuer, dans tous les cas, qu’avec pragmatisme
et sous réserve d’une éventuelle adaptation (en ce sens, Batiffol et Lagarde, t. II,
no 693-2; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 480; P. Mayer et
V. Heuzé, no 325). Que l’on appuie l’immunité sur le seul principe de la sépa-
ration des pouvoirs ou que l’on insiste sur le fait qu’il est lui-même dominé
par celui de la souveraineté des États, la différence est profonde avec la règle
de la séparation des autorités judiciaires et administratives qui fonde le mono-
pole de ces dernières. (Sur le caractère très hexagonal de ce principe inconnu
de « la plupart des systèmes juridiques étrangers », v. Vedel et Delvolvé, Droit
administratif, 9e éd., p. 116). Il ne s’agit plus, en effet, de répartir des litiges
entre deux ordres de juridictions françaises mais de soustraire à la connais-
sance de celles-ci certains d’entre eux. La situation, qui n’est pas sans rap-
peler celle qui résulte de la transposition au plan international des règles de
compétence territoriale interne (v. supra, no 37), s’en distingue néanmoins par
la gravité des conséquences qu’elle peut engendrer. L’octroi de l’immunité
pourra, en effet, beaucoup plus aisément, conduire à un véritable déni de jus-
tice susceptible le cas échéant d’engager la responsabilité de l’État français
pour rupture de l’égalité devant les charges publiques (Batiffol et Lagarde, t. II,
no 693-2).
Ajoutons que l’indispensable souplesse qui devrait accompagner cette trans-
position n’empêche pas que les critères employés soient définis lege fori
(Civ. 1re, 2 mars 1966, État du Pakistan, JCP 1966. II. 14831, note M. Ancel).
La définition des concepts auxquels se réfère une règle délimitant les pouvoirs
des juridictions françaises ne saurait, en effet, s’effectuer que selon nos pro-
pres conceptions. De plus, la solution contraire en permettant à l’État étranger
428 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 47

de faire entériner toutes ses prétentions en matière d’immunité de juridiction


risquerait de restituer à celle-ci son caractère absolu et ouvrirait la porte à tous
les abus (Loussouarn, obs. RTD com. 1973. 676). En se référant à la loi ira-
nienne, le présent arrêt n’implique pas abandon de cette règle; la Cour de cas-
sation se contente, en effet, de relever que la qualification étrangère n’était pas
différente de la qualification française (Bourel, note, Rev. crit. 1970, p. 114).
En second lieu, l’une comme l’autre de ces analyses justifie que l’immnu-
nité de juridiction doive être invoquée par l’État bénéficiaire et qu’il puisse
renoncer au bénéfice de celle-ci (Civ. 1re, 30 juin 1993, République d’Éstonie,
Clunet 1994. 156, note G. Burdeau; 12 oct. 1999, Rép. fédérale de Yougoslavie,
Clunet 2000. 1036, note M. Cosnard). Enfin, toutes deux conduisent à voir
dans l’immunité non une règle d’incompétence mais une absence de pouvoir
se traduisant par l’irrecevabilité de la demande. Quoique cette dernière solu-
tion ait les faveurs de la doctrine (v. par ex., Terré, note, Rev. crit. 1963. 598;
Hébraud, note, Rev. crit. 1963. 807; Motulsky, Rev. crit. 1969. 537; Théry, op.
cit., nos 255 et s.), l’arrêt ci-dessus reproduit reste fidèle à la notion d’incom-
pétence. Mais la haute juridiction s’est ensuite ralliée à une analyse en termes
de pouvoir. Après avoir affirmé dans un arrêt General National Maritime C°
(Civ. 1re, 4 févr. 1986, Rev. crit. 1986. 718, note P. Mayer, Clunet 1987. 112,
note J.-M. Jacquet; v. aussi Civ. 1re, 20 oct. 1987, préc.; 28 mai 2002, Consorts
Daninos, Rev. crit. 2003. 296, note H. M. W.) que « le juge français perd (…)
son pouvoir de juger » lorsque l’État étranger est couvert par l’immunité, elle
a dans son arrêt Picasso de Oyague tiré toutes les conséquences procédurales
de son analyse en décidant que le moyen tiré de l’immunité de juridiction
constitue « une fin de non recevoir invocable en tout état de cause, et non une
exception d’incompétence » (Civ. 1re, 15 avr. 1986, Rev. crit. 1986. 723, note
Couchez; Versailles, 14 juin 1995, Clunet 1996. 102, note C. Byck).
7 Si, en dépit de la similitude de leurs conséquences positives, on essaie de
préciser lequel de ces deux fondements a la préférence de la jurisprudence, on
se heurte à des constatations contradictoires. En faveur de l’analyse en termes
de conflit de souverainetés, on peut faire valoir que ce qui fait l’unité foncière
de notre jurisprudence depuis le milieu du XIXe siècle, c’est la constante réfé-
rence à cette notion (en ce sens, Théry, op. et loc. cit.). Tel est encore le cas
dans l’arrêt ci-dessus reproduit. Mais, en sens inverse, on peut relever que cette
référence s’opère souvent sous le couvert de la courtoisie internationale. L’arrêt
rendu par la Cour de Paris dans l’affaire Banque du Japon (Paris, 16 mars
1974, Clunet 1974. 842, note Ph. Kahn) est, à cet égard, exemplaire; il y est
affirmé que l’immunité a « pour fondement la souveraineté et l’indépendance
des États auxquelles la courtoisie internationale impose qu’il ne soit pas porté
atteinte ». La Cour de cassation semble néanmoins marquer aujourd’hui une
certaine préférence pour la première analyse. Certes, en visant dans son arrêt
Eurodif du 14 mars 1984 (infra, no 65) « les principes du droit international
privé régissant les immunités des États étrangers », elle semblait adhérer à
l’idée que cette immunité relève plutôt de la courtoisie que du droit internatio-
nal public positif (Bischoff, note, Rev. crit. 1984. 648), encore que cette lecture
de l’arrêt ait été discutée (Ponsard, Clunet 1989. 231; comp. Synvet, « Quelques
47 SOC. LEVANT EXPRESS TRANSPORT — CASS., 25 FÉVRIER 1969 429

réflexions sur l’immunité d’exécution de l’État étranger », Clunet 1985. 867).


Mais, en énonçant que le juge qui s’est reconnu le pouvoir de juger, malgré
l’immunité de juridiction, « a violé les règles du droit international gouvernant
les États » (Civ. 1re, 4 févr. 1986, préc.; 20 oct. 1987, préc.), elle paraît bien
relier cette solution au droit international public et au principe de l’indépen-
dance et de la souveraineté des États.
Aussi bien une chambre mixte s’est-elle ultérieurement prononcée, en toute
clarté, pour une analyse en termes de souveraineté. Après avoir énoncé « que les
États étrangers et les organismes qui en constituent l’émanation ne bénéficient
de l’immunité de juridiction qu’autant que l’acte qui donne lieu au litige parti-
cipe, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de ces États et
n’est donc pas un acte de gestion », elle a précisé que la non déclaration « à
un régime français de protection sociale » d’un salarié exerçant une activité
d’enseignement de la langue arabe dans une école implantée dans l’ambas-
sade d’Arabie saoudite était « un acte de gestion administrative » non couvert
par l’immunité de juridiction (Ch. mixte, 20 juin 2003, Dame Soliman, Rev.
crit. 2003. 647, note H. Muir Watt, JCP 2004. II. 10010, note J.-G. Mahinga,
D. 2005, Panor., p. 1197, obs. H. Chanteloup). Négligeant, en la circons-
tance, le critère formaliste tenant à la forme de l’acte et au contenu des clau-
ses du contrat de travail (sur les raisons de cette attitude, v. H. Muir Watt, Rev.
crit. 2003. 653), la haute juridiction retient le critère de la participation de
l’acte (par sa nature ou sa finalité) à l’exercice de la souveraineté étrangère,
critère jugé par l’avocat général de Gouttes « plus lisible et plus restrictif que
celui du “but d’intérêt public” ou de la “responsabilité particulière dans
l’exercice d’un service public”, utilisé dans la jurisprudence antérieure et qui
a l’avantage de renouer avec le critère initial des “actes d’autorité” accomplis
jure imperii, c’est-à-dire manifestant la souveraineté de l’État » (R. de Gouttes,
« L’actualité de l’immunité de juridiction des États étrangers », D. 2006, p. 606
et s., spéc. p. 609).

II. La pérennité du critère subjectif

8 L’immunité de juridiction bénéficiait initialement aux seuls États souverains


dans l’ordre international. Aussi bien la jurisprudence s’employa-t-elle à défi-
nir cette notion, y incluant les États protégés (v. par ex., Aix, 30 déc. 1929,
1er arrêt, S. 1930. 2. 153, note Rivière, DP 1932. 2. 153, note Pic), en écartant
les États membres d’un État fédéral (Civ., 24 oct. 1932, DP 1933. 1. 196, note
Gros, Clunet 1933. 644). Mais la diversification des modes d’intervention de
l’Administration devait renouveler les termes du problème. Fallait-il accorder
ce privilège aux établissements de plus en plus nombreux qui, bien que char-
gés par l’État d’une mission de service public, se voyaient reconnaître par
celui-ci une autonomie plus ou moins marquée ?
Dans un premier temps, la jurisprudence s’en tint à un critère exclusive-
ment organique : accordée aux services qui se confondaient avec l’État lui-
même, l’immunité était refusée à ceux qui étaient dotés d’une personnalité
propre (sur cette jurisprudence, v. P. Bourel, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Immu-
430 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 47

nités, nos 40 et s.). Vivement critiquée par la doctrine au motif que l’existence
ou l’absence de personnalisation d’un organisme d’État ne constitue qu’un
procédé de gestion plus ou moins commode dépourvu de signification pro-
fonde (Bourel, Rép. préc., no 44; Kahn, note, Clunet 1966. 852), cette concep-
tion paraît aujourd’hui définitivement abandonnée. L’immunité a, en effet, été
octroyée à des organismes dotés d’une personnalité indépendante, notamment
à des organismes bancaires (Civ. 1re, 3 nov. 1952, Rev. crit. 1953. 423, note Frey-
ria, Clunet 1953. 654, note J. B. S.; Civ., 19 mai 1976, préc.), alors qu’elle
était, comme en l’espèce, déniée à des services publics qui étaient des émana-
tions du pouvoir central. La jurisprudence s’attache désormais à la nature de
l’activité réalisée : acte de puissance publique ou accompli dans un but de ser-
vice public.
9 Est-ce à dire que la considération de la qualité de celui qui exerce cette acti-
vité soit devenue indifférente ? La lecture de l’arrêt ci-dessus reproduit
apporte, à cet égard, des éléments de réponse ambigus. En effet, après avoir
affirmé que « les États étrangers et les organismes agissant par leur ordre ou
pour leur compte ne bénéficient de l’immunité qu’autant que l’acte qui donne
lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans
l’intérêt d’un service public », il ajoute que l’« immunité est fondée sur la
nature de l’activité et non sur la qualité de celui qui l’exerce ». Pourquoi rap-
peler que le privilège ne bénéficie qu’aux États et aux organismes qui les
représentent si son attribution s’effectue en raison de la seule nature de l’acti-
vité exercée ? Certes une conciliation est possible : le fait qu’un organisme qui
ne s’identifie pas avec l’État agit par représentation de celui-ci se reconnaîtrait
à ce qu’il accomplit des actes de nature publique (P. Mayer et V. Heuzé,
no 325). Mais cette analyse n’est pas totalement satisfaisante : en identifiant
qualité personnelle et nature de l’activité, elle fait perdre à la première toute
originalité. Or il est, semble-t-il, des hypothèses où il est satisfait au critère
objectif sans que pour autant l’immunité puisse être valablement invoquée.
Ainsi en va-t-il lorsque l’acte, quoique présentant la nature requise, émane d’un
démembrement territorial de l’État (sur cette jurisprudence, v. Rép. Dalloz dr.
int., v° Immunités, nos 36 et s., et en dernier lieu, TGI Paris, 15 janv. 1969, Rev.
crit. 1970. 98, note Bourel). Dépourvues d’existence au plan international, ces
collectivités agissent pour leur propre compte et non celui de l’État. De même
a-t-on proposé qu’il en aille ainsi lorsqu’un organisme agissant par délégation
de l’État accomplit des actes de puissance publique non pour répondre à la
mission qui lui a été confiée mais pour rendre service à un particulier. Il agit
alors, en effet, en représentation d’intérêts privés (Batiffol et Lagarde, t. II,
no 693-1; sur cette hypothèse v. Batiffol, note Rev. crit. 1977. 365).
On perçoit ainsi que tout en mettant l’accent sur la nature des actes accom-
plis, la jurisprudence n’exclut pas toute recherche quant à la personne de celui
qui invoque le privilège (comp. B. Audit, no 410). Certes, cette dernière consi-
dération sera le plus souvent implicite lorsque c’est l’État lui-même ou,
comme en l’espèce, l’une de ses émanations directes qui est défendeur au pro-
cès (Sur la notion d’émanation, v. Civ. 1re, 4 janv. 1995, Clunet 1995. 649,
note Mahiou); son existence est indiscutable. Mais cette coïncidence ne doit
47 SOC. LEVANT EXPRESS TRANSPORT — CASS., 25 FÉVRIER 1969 431

pas faire oublier qu’au regard de la jurisprudence française la qualité d’État


souverain reste indispensable à l’octroi de l’immunité. Aussi bien faut-il
rechercher, lorsqu’un organisme est doté d’une personnalité propre, s’il agit
par représentation de l’État. Il ne bénéficie pas, en effet, du privilège directe-
ment mais en tant qu’agent d’un État souverain (Crim., 23 nov. 2004, Agent
judiciaire du Trésor, Rev. crit. 2005. 468, 1re esp., note I. Pingel). Cette cons-
tatation est fort naturelle : restriction imposée par le droit international public,
ou concession courtoise du for, l’immunité est une protection accordée à la
souveraineté. Elle ne peut donc profiter qu’aux organes qui participent de
celle-ci. Seul, au demeurant, un sujet de droit international entretient avec la
France des relations dont la sauvegarde peut justifier qu’il échappe à la juri-
diction de nos tribunaux (M. Bauer, op. cit., no 335, p. 289).
En conclusion, on soulignera que l’image, pourtant classique, d’une immu-
nité dont le domaine se serait progressivement restreint, est quelque peu trom-
peuse. En mettant fin au caractère absolu de l’immunité de juridiction, il s’est
agi, en effet, beaucoup moins de battre en brèche le privilège dont jouissait
l’État étranger au siècle dernier que d’empêcher celui-ci de l’étendre aux nou-
velles fonctions qu’il assumait. Ainsi, derrière l’évolution des critères se dis-
simule une très grande permanence de l’institution.
48
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

8 juillet 1969

(Rev. crit. 1971. 75, note Fouchard, Clunet 1970. 916, note Derruppé,
JCP 1970. II. 16182, note H. Gaudemet-Tallon)
Statut réel mobilier. — Loi applicable. — Conflit mobile.

La loi française est seule applicable aux droits réels dont sont l’objet les
biens mobiliers situés en France.

(Soc. DIAC c/Alphonse Oswald)

Faits. — La Société allemande D.I.A.C. avait ouvert au profit d’une autre société
allemande, la Société Eugen Schluter, un crédit destiné à financer l’acquisition d’une
automobile. Selon l’analyse que les juges du fond français avaient donnée de la conven-
tion, régulièrement conclue au regard de la loi allemande, le véhicule était grevé d’un
gage assorti d’une réserve de propriété au profit du créancier. Immatriculé en Allema-
gne, le véhicule fut ultérieurement introduit en France. Ne parvenant pas à se faire
payer, un garagiste français, M. Oswald, devenu créancier de la Société Eugen Schluter
pour diverses fournitures qu’il lui avait procurées, fit pratiquer une saisie conservatoire du
véhicule. La société DIAC estimant ses droits compromis par cette saisie en demanda la
mainlevée. À cet effet, elle invoquait non sa qualité de créancier gagiste qui ne lui était
pas contestée et qui lui aurait sans doute permis d’obtenir gain de cause (sur cette ques-
tion, v. Fouchard, note Rev. crit. 1971. 82) mais son droit de propriété sur le véhicule.
Cette demande fut rejetée par la Cour de Colmar le 3 mars 1967 au motif, semble-t-il
d’après le pourvoi, que même valablement stipulée au regard de la loi étrangère applica-
ble au contrat, la clause de réserve de propriété s’analysait en un pacte commissoire
contraire à l’ordre public international français.
Un pourvoi fut formé.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que selon les énonciations des
juges du fond, la Société Saarfinanz, présentement désignée sous le sigle DIAC,
dont le siège est en Allemagne, a, conformément à la loi allemande, ouvert à la
Société allemande Eugen Schluter un crédit pour l’achat d’une voiture automo-
bile, qui fut immatriculée en Allemagne; qu’aux termes de la convention alors
intervenue, ce véhicule a été frappé d’un gage assorti d’une réserve de pro-
priété au profit du créancier; que le véhicule ayant été introduit en France, le
garagiste Oswald, se prévalant d’une créance contre la Société Eugen Schluter
pour des fournitures qu’il lui avait procurées, a fait pratiquer une saisie conser-
vatoire sur le véhicule qu’il détient; qu’il est reproché à l’arrêt confirmatif atta-
48 SOC. DIAC — CASS., 8 JUILLET 1969 433

qué d’avoir débouté la Société DIAC de sa demande en mainlevée de cette sai-


sie, alors que le contrat de gage ayant été conclu entre des parties étrangères
sur le bien situé lui-même à l’étranger au moment de la conclusion du contrat,
conformément à la loi applicable, lequel contrat se trouvait avoir reçu un com-
mencement d’exécution avant que l’objet gagé pénètre en territoire français,
les droits invoqués par le créancier, bailleur de fonds, ne pouvaient être considé-
rés, comme constituant l’exécution d’un pacte commissoire contraire à l’ordre
public français; — Mais attendu qu’en tant qu’elle prévoit au profit du créancier
une réserve de propriété sur le gage affecté à la garantie d’un prêt, la conven-
tion litigieuse renferme, ainsi que le constate justement l’arrêt attaqué, un
pacte commissoire prohibé par la loi française, seule applicable aux droits réels
dont sont l’objet les biens mobiliers situés en France; d’où il suit qu’en refusant
de faire produire, en France, effet à ladite convention, la cour d’appel dont
l’arrêt est motivé a légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 8 juillet 1969. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Ausset, f. f. prés.; Thirion, rapp.; Blon-
deau, av. gén. — Me Hennuyer, av.

OBSERVATIONS
1 Quelle est, au regard de l’ordre juridique français, la valeur d’une clause de
réserve de propriété consentie en Allemagne, à un établissement financier alle-
mand par un emprunteur de même nationalité sur un véhicule immatriculé
dans ce pays mais ultérieurement introduit en France ?
Afin de répondre à cette question dont l’importance pratique est évidente,
la Cour de cassation développe un raisonnement en trois temps :
1) les droits réels mobiliers et, parmi eux, les sûretés réelles mobilières sont
régis par la lex rei sitae;
2) en cas de déplacement de la chose, la lex rei sitae est celle de la situation
actuelle, c’est-à-dire en l’espèce la loi française;
3) la clause allemande de réserve de propriété équivaut à un pacte commis-
soire prohibé par la loi française.
On reprendra ici chacune des étapes de ce raisonnement.

I. Le statut réel mobilier

2 En énonçant que les droits réels mobiliers relèvent de la lex rei sitae, la Cour
fait référence à une règle qui paraît parmi les mieux établies du droit interna-
tional privé. Il s’agit là pourtant d’un principe qui ne s’est imposé que très pro-
gressivement (A) et dont l’application aux sûretés mobilières d’origine conven-
tionnelle laisse encore place à la discussion (B).
3 A. — Le Code civil était resté muet sur la loi applicable aux meubles (1).
S’ajoutant à l’ambiguïté de notre Ancien droit ce silence laissait la voie libre
aux interprétations les plus diverses.

(1) Mais non l’avant-projet de l’an VIII, v. supra, no 18 § 2, note 1.


434 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 48

Exprimant sous une forme souvent imagée — Mobilia sequuntur personam;


mobilia ossibus personae inhaerent — l’idée que les meubles faisaient corps
avec la personne, les anciens adages semblaient soustraire la matière à
l’emprise de la lex rei sitae. Mais leur signification exacte était controversée.
Selon P.-C. Timbal, ces adages ne seraient que les « débris » d’une règle très
forte mais déjà atténuée lorsqu’ils furent formulés. Ils remonteraient à une
époque où le pouvoir du seigneur à l’égard de tous les individus « levant et
couchant » sur son territoire s’exerçait sur tout ce qui leur était personnel,
c’est-à-dire notamment sur leurs meubles car la propriété mobilière propre-
ment dite n’existant pas, la personne ne se concevait pas sans ses meubles
(« La contribution des auteurs et de la pratique coutumière au droit internatio-
nal privé du Moyen Âge », Rev. crit. 1955, p. 26). Quoi qu’il en soit, pour les
auteurs du XVIe siècle, ces adages semblent exprimer beaucoup plus simple-
ment l’idée que les meubles, dépourvus d’assiette fixe permettant de leur assi-
gner un statut indépendant, devaient être réunis à la personne qui les possède.
Mais cette constatation conduisait à des analyses différentes : alors que pour
d’Argentré, la maxime faisait des meubles une dépendance du statut person-
nel, elle ne remettait nullement en cause, selon Dumoulin, leur appartenance
au statut réel. Pour celui-ci, en effet, une localisation fictive au domicile du
propriétaire se substituait simplement à une localisation effective. Les deux inter-
prétations se partagèrent les suffrages de nos anciens auteurs, Bouhier et
Pothier se prononçant pour la première, Boullenois et plus tard Merlin, pour
la seconde (v. Lainé, Introduction au droit international privé, t. II; p. 223
et s.). Mais n’entraînant que des conséquences positives réduites (1), cette dis-
cussion importait moins que celle qui avait trait à la détermination de la por-
tée exacte de ces adages. Valaient-ils uniquement pour les meubles envisagés
ut universi ou également pour ceux considérés ut singuli ? La lecture de cer-
tains passages de nos anciens auteurs, pourtant parmi les plus territorialistes,
semble bien indiquer que la conception extensive avait leur préférence. Ainsi
d’Argentré écrivait : « Lorsqu’il s’agit de choses tenant au sol, c’est-à-dire les
immeubles ou héritages, lorsqu’on a en vue l’aliénation ou l’acquisition de
ces choses et qu’elles sont situées en divers lieux, la question de savoir quelle
loi doit leur être appliquée est résolue par l’usage de la façon la plus certaine :
la loi à suivre dans chaque lieu, c’est la loi locale. Mais il doit en être autre-
ment quant au droit des personnes auquel il faut attacher celui des meubles
qui est identique : les personnes et avec elles leurs meubles sont régis par la
loi du domicile » (d’Argentré, De statutis personalibus et realibus, nos 2 et 3;
v. la traduction de Lainé, op. cit., t. I, p. 316-317). Néanmoins les recherches
historiques ultérieures tendirent à démontrer que la portée de ces maximes
était limitée aux universalités mobilières. Utiles là où elles permettaient de
maintenir l’unité du patrimoine, elles auraient été ailleurs en contradiction
avec la nature des choses (Lainé, op. cit., t. II, p. 225 et s.; Delaume, Les conflits
de lois à la veille du Code civil, p. 177; v. cep. Meijers, Études d’histoire du

(1) En cas de conflit mobile, le domicile pris en compte était dans le premier cas le domicile
d’origine, dans le second le domicile actuel.
48 SOC. DIAC — CASS., 8 JUILLET 1969 435

dr. int. pr., p. 79, 150, 155). D’où, l’ampleur des exceptions qui les auraient
affectées. Ainsi selon Vareilles-Sommières, « au principe d’abord posé, on
soustrayait tout, excepté deux choses : la distribution de la succession mobi-
lière et l’attribution des droits de préférence » (La synthèse du droit interna-
tional privé, p. 52, no 79). Mais — convergence inattendue —, la conception
extensive jadis soutenue par d’Argentré devait recevoir un renfort de l’école
de Mancini ainsi que de Story. Ceux-ci préconisèrent, en effet, la soumission
des meubles à la loi personnelle de leur propriétaire. Bien que cette sugges-
tion ait obtenu quelques succès — éphémères au demeurant — en droit
positif (1), la jurisprudence française lui resta, semble-t-il fermée.
4 Dès 1872, la Cour de cassation affirma la compétence de la lex rei sitae
(Req. 19 mars 1872, Craven, DP 74. 1. 465, S. 72. 1. 238) :
« En ce qui concerne l’article 3 : — attendu que si cet article, en disant
expressément que les immeubles possédés par les étrangers sont régis par la
loi française garde le silence sur les meubles, rien n’autorise à en conclure
que ces derniers, dans la pensée du législateur, doivent être toujours et néces-
sairement soumis à la loi étrangère; qu’il ne saurait en être ainsi, tout au
moins, dans les questions de possession, de privilège et de voies d’exécution ».
La proposition restait néanmoins timide. Il fallut attendre l’arrêt Kantoor de
Mas (Req. 24 mai 1933, S. 1935. 1. 253, note Batiffol, Rev. crit. 1934. 142,
note J. P. N.) pour que soit enfin énoncé fermement que la loi française est
« seule applicable aux droits réels dont sont l’objet les biens mobiliers situés
en France ». C’est cette affirmation que reprend, mot pour mot, l’arrêt ci-dessus
reproduit.
Et de fait, sans aller jusqu’à dire que « fondre le mobilier dans la per-
sonne », c’est « créer un être monstrueux » (Vareilles-Sommières, op. cit., no 78,
p. 51), il faut reconnaître que le régime des biens est totalement indépendant
de celui des personnes. De plus, aucune vie juridique ne serait possible si, lors
de chaque opération afférente à un meuble, l’on était obligé de tenir compte
de la loi personnelle du propriétaire souvent incertaine (Niboyet, Traité, t. IV,
no 1191). Enfin, comment se référer à cette loi, lorsque plusieurs revendi-
quants, de statut personnel différent, se contestent la propriété d’un même
bien ? (Batiffol et Lagarde, t. I, no 280). Le recours à un rattachement objectif
est alors, à l’évidence, indispensable. Et quelle directive est mieux à même de
le fournir, si ce n’est l’idée qu’un rapport de droit est naturellement localisé
par son objet quand celui-ci est un bien corporel ? (Batiffol et Lagarde, t. I,
no 283). Elle permet, en effet, de satisfaire, ainsi qu’on l’a vu (v. supra, arrêt
Stewart, no 3 § 4), les divers intérêts en présence : intérêts particuliers, intérêt
général, intérêt de l’ordre international. Néanmoins la remarque perd en partie
sa force lorsqu’elle est appliquée aux meubles. Les avantages de la lex rei

(1) Voir par ex. : art. 7 des dispositions préliminaires du Code civil italien de 1865 : « les biens
meubles sont soumis à la loi de la nation de leur propriétaire, sauf le cas de disposition contraire de
la loi du pays où ils se trouvent », remplacé par l’art. 22 du Code civil du 16 mars 1942; art. 10 du
Code civil espagnol de 1889 : « les meubles sont soumis à la loi de la nation à laquelle appartient le
propriétaire » remplacé par le nouvel art. 10, al. 1, rédaction D. 31 mai 1974.
436 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 48

sitae se retrouvent en effet pour ceux-ci, mais associés à des inconvénients qui
ne se rencontrent pas pour les immeubles (Loussouarn, Bourel et de Vareilles-
Sommières, no 169). La qualité du rattachement y est notamment affaiblie,
ainsi que le relevaient déjà nos anciens auteurs, par la possibilité d’un conflit
mobile : en cas de déplacement du meuble, les divers intérêts en présence
s’affrontent fréquemment de manière inconciliable (infra, II). Aussi, afin de
dépasser cette difficulté, certains ont-ils proposé de recourir à la loi d’autono-
mie lorsque les droits réels, et notamment les sûretés mobilières, prennent leur
source dans un contrat (pour une critique de la solution traditionnelle et une
proposition tendant à lui substituer pour les meubles situés à l’étranger, la
méthode de l’ordre juridique de référence, v. L. d’Avout, Sur les solutions du
conflit de lois en droit de biens, thèse Paris II, 2005).
5 B. — Les droits réels ont leur source soit dans un mode d’acquisition spéci-
fique (ex., possession, occupation) soumis à la lex rei sitae, soit dans un fait
(ex., succession ab intestat) ou un acte juridique (ex., vente) qui obéit à une loi
propre. Le problème se pose alors de la délimitation de leur frontière. À cet
effet, on enseigne habituellement, à propos des contrats translatifs ou constitu-
tifs de droit réel, que relèvent de la loi du contrat ses conditions de formation
ainsi que ses effets créateurs d’obligations, de la lex rei sitae le contenu des
droits réels mais aussi les conditions de leur création ou de leur transfert entre
les parties comme à l’égard des tiers (Batiffol et Lagarde, t. II, no 524; Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 419; Fouchard, Rép. Dalloz dr.
int., 1re éd., v° Biens, nos 82 et s.). C’est à cette présentation traditionnelle
qu’adhère implicitement l’arrêt ci-dessus reproduit.
6 La matière serait donc totalement paisible si un courant doctrinal persistant
n’avait proposé d’évincer la loi réelle au profit de la loi d’autonomie. Émise ini-
tialement par Mme Gaudemet-Tallon (note, JCP 1970. II. 16182), cette sug-
gestion a été reprise et approfondie par MM. Mayer et Heuzé (nos 646 et s.) ainsi
que par M. Khairallah (Les sûretés mobilières en droit international privé, 1984).
Leur constatation de départ est simple : l’application de la lex rei sitae pré-
sente en notre domaine des insuffisances manifestes. Incertaine et changeante,
la situation du meuble peut engendrer un conflit mobile qu’il est impossible de
résoudre en assurant de façon adéquate la sécurité des tiers et celle des contrac-
tants (infra, II). Au surplus, cette application requerrait une « scission impra-
ticable » entre les effets réels et les effets personnels de l’acte juridique
(P. Mayer et V. Heuzé, no 654; Khairallah, op. cit., nos 49 et s.). Sous les appa-
rences d’une application distributive des lois contractuelle et réelle se dissimule-
rait en réalité, notamment pour les sûretés, l’exigence d’un cumul (Khairallah,
op. cit., nos 33 et s.). Or précisément, en supprimant la difficulté sur ces deux
points, la loi d’autonomie marquerait sa supériorité. Et il ne saurait être ques-
tion de lui objecter son imprécision : les progrès réalisés grâce à la théorie de
la localisation permettraient de la déterminer avec une facilité et une objecti-
vité lui conférant une stabilité et une certitude dont ne peut pas toujours se
targuer la loi réelle mobilière (H. Gaudemet-Tallon, note préc.; Khairallah,
op. cit., nos 245 et s.).
48 SOC. DIAC — CASS., 8 JUILLET 1969 437

À cela, il avait été répondu par avance (Batiffol, note S. 1935, p. 258) que
les litiges mobiliers se posant fréquemment en dehors de tout contrat une
pareille solution briserait la « nécessaire unité » du statut réel. Ce n’est pas en
effet, ainsi que l’ont relevé différents protagonistes de ce débat (Batiffol, note
préc.; Fouchard, note, Rev. crit. 1971, p. 78), les seuls modes d’acquisition de
droits réels qui échapperaient à la lex rei sitae mais le contenu même de ces
droits. Tel était, d’ailleurs, en l’espèce comme dans l’arrêt Kantoor de Mas,
l’enjeu du litige puisque sa solution nécessitait que l’on déterminât l’étendue
des prérogatives qui étaient conférées au titulaire de la sûreté. Or une telle
scission du régime des biens engendrerait une profonde insécurité qui risque-
rait de perturber gravement la circulation des meubles en France ainsi que le
crédit qu’ils représentent. Le commerce et le crédit mobiliers reposent en effet
dans notre pays sur l’idée que l’on peut traiter en toute sécurité avec le posses-
seur d’un meuble car il en est présumé propriétaire; les tiers n’ont pas à
redouter les droits réels qui peuvent grever les meubles dès lors qu’ils n’ont
pas été portés à leur connaissance par un mécanisme plus ou moins parfait
d’information (dépossession, publicité). Partant, permettre au titulaire d’une
sûreté quelconque d’invoquer une loi étrangère pour faire valoir un droit de
suite ou de préférence ignoré de la lex rei sitae, ce serait déjouer leurs prévi-
sions les plus légitimes. Ne pouvant se fier au seul élément objectif qui leur
est connu, le lieu de situation, les tiers devraient se préoccuper d’événements
qu’ils ignorent et qu’ils ne sont guère armés pour découvrir afin de s’assurer
que le bien n’est pas grevé d’un droit réel comportant le droit de suite ou le
droit de préférence. Comme le notait Lerebours-Pigeonnière, en soustrayant
une partie des meubles présents dans le pays à l’empire de la lex rei sitae, on
retire à celle-ci son crédit (Lerebours-Pigeonnière, Précis, 4e éd., no 355).
7 C’est là évidemment l’objection décisive, mais c’est aussi sur ce point que
les auteurs favorables à la loi d’autonomie ont le plus approfondi leur réflexion.
D’une part, ils relèvent que du fait de l’évolution du droit interne français, et
notamment de la loi du 12 mai 1980 rendant opposable, même sans publicité,
les clauses de réserve de propriété aux créanciers de celui qui a la chose entre
les mains, la possession mobilière n’a plus le rôle absolu qu’on lui prêtait
(Khairallah, op. cit., nos 222 et s.; P. Mayer, « Les conflits de lois en matière de
réserve de propriété après la loi du 12 mai 1980 », JCP 1981. I. 3019, no 15).
Dès lors, pourquoi ne pas traduire en droit international privé, ce recul du rôle
de l’apparence par un désengagement de la loi réelle ? L’argument de la néces-
saire unité du statut réel est, en effet, ainsi qu’on l’a relevé, dans la dépendance
directe de celui déduit de la protection des tiers. D’autre part, ils insistent sur
ce que — et c’est là la principale différence avec la thèse soutenue initialement
par Mme Gaudemet-Tallon — le recours à la loi d’autonomie serait compa-
tible avec la sécurité des tiers s’il s’accompagnait de divers correctifs. Ainsi
M. Khairallah s’inspirant de la jurisprudence Lizardi (supra, no 5), suggère que
la loi d’autonomie devrait s’effacer s’il résulte des circonstances de l’espèce
que le tiers est excusable d’avoir ignoré la loi étrangère (op. cit., nos 336 et s.;
comp. M.-N. Jobard-Bachellier, L’apparence en dr. int. pr., nos 282 et s., p. 202
et s.). Quant à MM. Mayer et Heuzé, ils préconisent à cet effet, la réintroduc-
438 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 48

tion de la lex rei sitae mais sous le couvert de la notion de loi de police et dans
la seule mesure où son intervention serait indispensable à la protection des
tiers (Précis, no 655; rappr. M. Souleau-Bertrand, Le conflit mobile, thèse
Paris I, éd. 2005, nos 594 et s., p. 299 et s.).
8 En conclusion, on relèvera d’abord que la Cour de cassation a postérieure-
ment à l’arrêt ci-dessus reproduit, nettement réaffirmé la distinction tradition-
nelle en décidant dans une espèce similaire (Civ., 3 mai 1973, Nederlansche
Middenstands Financierings Bank N. V., Rev. crit. 1974. 100, note Mezger,
Clunet 1975. 74, note Fouchard, Rec. Gén. Lois 1974. 453, obs. Droz) :
« Attendu qu’indépendamment de la loi régissant le contrat conclu entre les
Sociétés N. et F., la loi française est seule applicable aux droits réels dont sont
l’objet des biens mobiliers situés en France ». (v. cep. Com., 11 mai 1982, Soc.
Localease, Rev. crit. 1983. 450, note Khairallah, D. 1983. 271, note Witz, qui
semble implicitement se prononcer à propos d’un crédit-bail pour la loi du
contrats).
On relèvera ensuite que cette domination de la loi réelle se renforce encore
avec l’entrée en vigueur, le 31 mai 2002, du Règlement (CE) du Conseil du
29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité. En effet, alors que la juris-
prudence française traditionnelle, en cas de faillite du débiteur, décide que la
lex concursus vient « coiffer » la loi propre du droit du créancier garanti
(B. Ancel, « Le droit français et les situations d’insolvabilité internationales »,
Gaz. Pal., 1999, no 265-266, p. 46, spéc., nos 17 et s.) et que « les conditions
auxquelles peuvent être revendiquées les marchandises vendues avec réserve
de propriété sont, en cas de règlement judiciaire, déterminées par la loi de la
procédure collective, quelle que soit la loi régissant la validité et l’opposabilité,
en général, de la réserve de propriété » (Civ. 1re, 8 janv. 1991, Soc. Heinrich
Otto, Clunet 1991. 913, note Jacquement, D. 1991. 276, note J.-P. Rémery;
v. Y. Loussouarn, « Les conflits de lois en matière de réserve de propriété »,
Trav. com. fr. dr. pr. 1982-1983, p. 91; P. Mayer, art. préc., JCP 1981. I. 3019;
N. Pimblis, La faillite dans les relations internationales d’ordre privé, thèse
Paris XI, 1992, p. 265 et s.; J.-P. Rémery, La faillite internationale, p. 83;
H. Synvet, Rép. Dalloz dr. int., v° Faillite, nos 61 et s.), les articles 5 (Droits
réels des tiers) et 7 (Réserve de propriété) du Règlement soustraient à la loi de
la faillite les droits de garantie grevant le bien affecté lorsqu’au moment de
l’ouverture de la procédure celui-ci se trouve sur le territoire d’un État membre
autre que l’État d’ouverture. C’est dire que, dans l’espace européen, la dis-
sociation de la lex concursus et de la lex rei sitæ tourne alors au profit de cette
dernière.
Il n’en est que plus nécessaire de préciser ce qu’on doit entendre, en cas de
conflit mobile, par lex rei sitæ.

II. Le conflit mobile

9 Située en Allemagne lors de la conclusion du contrat qui la grevait d’une


sûreté, l’automobile fut ultérieurement introduite en France. Par lex rei sitae,
48 SOC. DIAC — CASS., 8 JUILLET 1969 439

fallait-il comprendre la loi du lieu de situation du bien au moment de la conclu-


sion du contrat, la loi allemande, et admettre l’exercice de cette sûreté, ou au
contraire la loi du lieu de situation du bien lors de la saisie, la loi française, et
refuser de lui donner effet ? Bien que cette question soit généralement
employée par les auteurs pour illustrer ce qu’il est, depuis Bartin (Principes,
t. I, § 78), convenu d’appeler un conflit mobile, sa solution ne va pas sans dif-
ficultés. Les incertitudes qui tiennent à l’absence de directive précise et unani-
mement acceptée se font, en effet, cruellement sentir en un domaine où les
intérêts en présence sont particulièrement difficiles à concilier. (Pour d’autres
exemples de conflit mobile, v. les arrêts Verdier, supra, no 21, Patiño, supra,
no 39 et Chemouni, supra, no 31. Pour une critique de l’approche en termes de
conflit mobile et une analyse en termes de « succession des ordres juridiques
de référence », v. L. d’Avout, thèse préc., nos 325 et s., p. 410 et s.).
10 La doctrine dominante enseigne que la solution du conflit mobile doit être
recherchée dans la transposition au plan international des principes du droit
transitoire interne (Batiffol et Lagarde, t. I, no 320; Loussouarn, Bourel et de
Vareilles-Sommières, no 228). De fait, la similitude entre les deux situations
est manifeste : dans les deux cas, il faut choisir entre deux lois qui se sont
trouvées successivement applicables au droit subjectif considéré. Pourquoi dès
lors ne définirait-on pas leurs domaines respectifs en s’inspirant des directives
dégagées par Roubier à partir de l’article 2 du Code civil et consacrées par
notre droit interne : non rétroactivité de la loi nouvelle, effet immédiat de la loi
nouvelle ? Les conditions et les effets passés de la situation juridique obéi-
raient à la loi désignée par l’ancien rattachement, les effets futurs à la loi dési-
gnée par le nouveau rattachement.
Cette suggestion n’a cependant pas emporté l’adhésion de la totalité de la
doctrine. Il a été soutenu que la solution du conflit mobile doit être avant tout
recherchée dans l’interprétation de la règle de conflit elle-même. Lorsque le
rattachement est susceptible de variation dans le temps, il faudrait non se
contenter des principes retenus par le droit transitoire interne, dont les justifi-
cations ne se retrouveraient pas en cas de conflit mobile, mais apporter à celui-
ci une précision temporelle à déduire des impératifs qui ont dicté son choix en
mettant l’accent soit sur la catégorie de rattachement (P. Graulich, Rép. Dalloz
dr. int., v° Conflits de lois dans le temps, nos 68 et s.; F. Rigaux, « Le conflit
mobile en droit international privé », Rec. cours La Haye, 1966, t. I, no 46,
p. 367 et nos 74 et s., p. 390; P. Mayer et V. Heuzé, nos 250 et s.; J. Foyer et
P. Courbe, J.-Cl. dr. int., fasc. 533, nos 177 et s.; Fahmy, Les conflits mobiles
de lois en droit international privé français, thèse multigr. 1951), soit sur le
seul élément de rattachement (M. Souleau-Bertrand, thèse préc., nos 351 et s.,
p. 179). On est alors, en effet, en présence non d’un législateur qui remplace une
loi ancienne par une loi nouvelle, mais de deux législations qui demeurent, en
fait, en vigueur dans leur ordre juridique respectif. Partant, l’idée que la loi
nouvelle doit sous réserve des impératifs de sécurité juridique recevoir le
domaine d’application le plus large car elle serait supérieure à l’ancienne, ferait
défaut. À cela on peut répondre que ce n’est pas le postulat de la « bonté » de
la loi nouvelle qui dicte la règle de l’effet immédiat mais la volonté d’assurer
440 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 48

l’unité de législation afin d’éviter la « confusion inextricable dans les rapports


juridiques » (Roubier, Le droit transitoire, no 70, p. 345) que ne manquerait
pas de provoquer un système où « chacun vivrait avec le droit de sa généra-
tion » (Cornu, Introduction, les personnes, les biens, no 368). Or cet impératif
n’est nullement absent en droit international privé. Ainsi qu’on a pu le souli-
gner, toute personne, tout meuble relevant de la loi d’un pays est à partir de sa
naturalisation ou de son importation soumis à « l’unité de législation de l’État
nouveau »; contre cet effet immédiat, conséquence d’un règlement réaliste du
conflit, l’individu ne saurait avoir d’autres droits acquis que ceux dont il dis-
pose à l’encontre de la loi nouvelle dans le conflit transitoire (Loussouarn,
Bourel et de Vareilles-Sommières, no 229). Certes, la différence des situations
peut imposer des adaptations. Mais c’est là le prix à payer pour assurer la
désignation d’une loi entretenant des liens effectifs avec la relation juridique
considérée (v. par ex. en matière de filiation, arrêt Verdier, supra, no 21).
En l’espèce, l’emploi de ces principes devrait conduire à appliquer la loi
nouvelle à la définition du contenu actuel des droits réels tout en maintenant
les procédés d’acquisition et les effets passés sous l’empire de la loi ancienne.
Telle est bien, au demeurant, la solution implicitement retenue; s’agissant
ainsi qu’on l’a vu (supra, I. A.) du contenu du droit, la Cour fait application
de la loi française, c’est-à-dire de la loi du lieu de situation actuelle (pour une
justification fondée sur le principe de souveraineté, v. M. Souleau-Bertrand,
thèse préc., no 589, p. 296).
11 Les inconvénients de ce choix ont été relevés à maintes reprises : l’interven-
tion de la loi nouvelle risque de sacrifier la sécurité des contractants (v. en der-
nier lieu, P. Lagarde, « Sur la loi applicable au transfert de propriété », Mélan-
ges Droz, 1996, p. 151 et s., spéc. p. 161); de fait l’établissement de crédit
allemand se voit en l’espèce privé du bénéfice d’une sûreté régulièrement éta-
blie alors qu’aucun agissement répréhensible ne peut lui être reproché. Néan-
moins la solution est généralement approuvée car c’est le seul moyen de sau-
vegarder les intérêts des tiers. En raison du rôle essentiel reconnu dans notre
système à la possession mobilière, il est nécessaire à la sécurité du commerce
mobilier et du crédit que le statut du meuble dépende non de sa localisation
ancienne que les tiers ignorent mais de sa localisation actuelle qui leur est
seule connue. Entre les intérêts contradictoires des tiers et des contractants, le
droit français donne la préférence aux premiers car l’intérêt de la stabilité du
commerce international est moindre que le besoin de sécurité juridique du
commerce interne (Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 229).
Les tiers doivent pouvoir se fier à la loi réelle pour évaluer le crédit de leur
cocontractant (M. Souleau-Bertrand, thèse préc., no 594, p. 299). Les correctifs
que les auteurs partisans de la loi d’autonomie proposent de lui apporter mon-
trent, s’il en était besoin, qu’un autre choix apparaît difficilement concevable.
En outre, il faut souligner que le déplacement du bien grevé n’entraîne pas,
par lui-même et automatiquement, purge des droits réels établis à l’étranger.
Restant soumise à la loi ancienne, la validité de la constitution des droits réels
n’est pas remise en cause. Simplement ceux-ci ne peuvent produire d’effets
dans le pays où a été transporté le bien que si une articulation est possible
48 SOC. DIAC — CASS., 8 JUILLET 1969 441

avec la loi de celui-ci, c’est-à-dire s’il existe une correspondance suffisante


entre les deux systèmes (Y. Flour, L’effet des contrats à l’égard des tiers en
droit international privé, thèse dactyl., Paris II, 1974, p. 178 et s.).
12 Afin de dépasser cette difficulté, il a été proposé de soumettre les véhicules
automobiles, à l’instar des navires et des aéronefs, à la compétence exclusive
et permanente de la loi de leur pays d’immatriculation (Batiffol, Derruppé,
notes préc.). Les tiers pourraient ainsi aisément connaître le régime juridique
applicable au véhicule. Encore faudrait-il que soit organisé en ce lieu un sys-
tème efficace de publicité des sûretés prises sur le véhicule. De plus, un change-
ment de lieu d’immatriculation, donc un conflit mobile, reste toujours possible.
Seule l’unification du droit des sûretés mobilières permettrait de surmonter le
problème. Mais eu égard à l’extrême diversité des solutions positives, il s’agit
là fort probablement d’un « rêve » (Mezger, note Rev. crit. 1974. 109). Aussi
certains recommandent la mise sur pied d’une sûreté unique communautaire
limitée aux seules situations intracommunautaires (Kreuzer, « La reconnaissance
des sûretés mobilières conventionnelles étrangères », Rev. crit. 1995. 465;
rappr. F. Oudin, L’efficacité internationale des sûretés conventionnelles mobi-
lières et le droit uniforme, thèse Paris XI, 1999).

III. L’équivalence des institutions

13 En vertu des principes sus-énoncés — distinction du statut contractuel et du


statut réel, application de la loi de la situation nouvelle — le droit réel stipulé
conformément à la loi originaire ne pourra produire effet que s’il est également
connu de la loi de la situation actuelle. Une fois le bien introduit en France,
l’institution étrangère obéira quant à son régime aux dispositions qui régissent
en droit français l’institution qui lui est équivalente. Encore faut-il qu’existe
une telle communauté de conception entre les deux législations. En son
absence, le droit réel s’éteindra ou, pour le moins, sera suspendu jusqu’au
retour du bien dans son pays d’origine. Il importe donc de rechercher si les
droits français et allemand présentent, en la matière, une « substance commune
suffisante » qui rende possible leur articulation (Batiffol, « Conflits mobiles et
droit transitoire », Mélanges Roubier, t. I, p. 39 et s., reproduit in Choix d’arti-
cles, p. 192. Pour d’autres exemples v. Cabrillac, « La reconnaissance en
France des sûretés réelles sans dépossession constituées à l’étranger », Rev.
crit. 1979. 487 et s.; Y. Flour, op. cit., p. 177 et s.; E. Bost, La location finan-
cière en dr. int. pr., thèse Paris I, 2003, nos 397 et s., p. 368 et s.; sur la position
du droit allemand, v. BGH, 20 mars 1963, Clunet 1967. 438; 2 févr. 1966,
Clunet 1971. 610; Kreuzer, Mélanges von Overbeck, p. 613 et s.).
14 Sous l’appellation de clause de réserve de propriété, généralement employée
par les tribunaux français pour décrire le droit allemand, se dissimulent des
réalités variées. Plusieurs commentateurs autorisés ont, en effet, souligné la
nécessité de distinguer l’Eigentumsvorbehalt (art. 455, BGB) de la Siche-
rungsübereignung (art. 930, BGB) (Fouchard, note préc.; Mezger, note préc.;
442 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 48

Witz « Le droit des sûretés réelles mobilières en République fédérale d’Alle-


magne », RID comp. 1985. 27 et s.).
La première expression désigne une situation qui correspond très précisément
à ce que le droit français entend par réserve de propriété : un vendeur à crédit
retient la propriété de la chose vendue jusqu’à complet paiement du prix.
La seconde recouvre une réalité quelque peu différente : le prêteur acquiert
la propriété d’un bien à titre de garantie de sa créance; plus précisément,
l’emprunteur transmet à son banquier la propriété de certains biens à titre de
sûreté du crédit qui lui est consenti, étant convenu qu’il restera en possession
et qu’il recouvrera automatiquement sa propriété lorsqu’il aura remboursé sa
dette. On n’est plus alors à proprement parler en face d’une réserve de pro-
priété mais d’un transfert de propriété à fin de garantie, qui n’est pas sans rap-
peler la fiducie. (v. Malaurie, Aynés et Crocq, Les sûretés, no 753; Marty,
Raynaud et Jestaz, Les sûretés, La publicité foncière, 2e éd., nos 539 et s.).
Cette deuxième formule peut servir tant à financer l’acquisition d’un bien
qu’à se procurer un crédit au moyen de biens dont l’emprunteur était déjà pro-
priétaire. En dépit de la terminologie employée par les juges français, il sem-
ble que c’est à cette seconde variété de sûreté que les intéressés avaient eu
recours en l’espèce (Fouchard, note préc.; Mezger, note préc.).
15 Son application en France est, en la circonstance, refusée par la Cour de cas-
sation au motif qu’une telle combinaison « renferme un pacte commissoire
prohibé par la loi française » (art. 2078, C. civ.). L’affirmation reprise de
l’arrêt Kantoor de Mas a été, en règle générale, vivement critiquée. On a souli-
gné les différences profondes séparant les deux institutions : alors qu’avec le
pacte commissoire le créancier ne devient automatiquement propriétaire du
gage qu’à l’échéance et s’il n’est pas payé, il l’est en droit allemand dès l’ori-
gine, soit qu’il retienne cette propriété, soit qu’il l’acquière. Certes, en pratique
et du point de vue qui nous intéresse, le résultat est fort proche : le créancier
allemand pourra en vertu de son droit de propriété prétendre appréhender la
chose au jour de l’échéance. Mais, économiquement et socialement, le contexte
des deux opérations est profondément différent. La prohibition du pacte com-
missoire a été posée pour protéger le débiteur contre le prêteur à gage en raison
de la vive méfiance qu’il inspire. Or les intérêts du débiteur ne sont guère
menacés par les sûretés du droit allemand. À la différence des anciens usuriers,
les établissements financiers allemands ne sont pas en possession effective de
la chose et ne peuvent donc exercer sur leur débiteur qu’une pression purement
juridique (Fouchard, note préc., p. 84). En réalité, si l’efficacité de ces sûretés
est déniée, c’est en raison du danger qu’elles présentent pour les tiers qui, du
fait du déplacement du meuble, peuvent être abusés par la possession. C’est
donc dans la constatation que les biens situés en France ne sauraient être
l’objet d’une sûreté d’un genre différent de celles prévues par le droit français
que doit être recherché le fondement de cette solution (Mezger, note préc.,
p. 105). Telle a été au demeurant l’analyse ultérieurement retenue par la Cour
de cassation dans son arrêt du 3 mai 1973 (préc.). Elle y approuve en effet une
cour d’appel d’avoir décidé qu’une vente à crédit avec réserve de propriété au
profit du vendeur constituait en réalité un prêt assorti d’un gage sans déposses-
48 SOC. DIAC — CASS., 8 JUILLET 1969 443

sion et d’en avoir déduit que, par application de l’article 2076 du Code civil, ce
droit n’était pas « opposable aux tiers sur un matériel qui se trouvait sur le ter-
ritoire français ».
Est-ce à dire que les sûretés allemandes grevant des biens ultérieurement
introduits en France ne pourront jamais y produire effet ? La réponse est cer-
tainement négative pour les clauses de réserve de propriété stricto sensu. Lici-
tes en droit interne, ces clauses ont vu leur portée renforcée par la loi du
12 mai 1980 (v. depuis art. 121, Loi du 25 janv. 1985, mod. L. 10 juin 1994,
relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, devenu
l’art. L. 621-122, C. com.). La solution reste en revanche incertaine pour les
clauses emportant transfert de propriété à fin de garantie. Il a été suggéré que
les tribunaux français pourraient se montrer plus libéraux dès lors que la ban-
que reçoit en garantie le bien dont elle a financé l’acquisition (P. Mayer,
art. préc., JCP 1981. I. 3019, no 37). La situation est en effet la même pour les
tiers que le revendiquant soit un banquier ou le vendeur. De plus, elle n’est
pas sans parenté avec, selon les hypothèses, le crédit-bail ou la cession-bail
(lease back) (Khairallah, op. cit., nos 134 et s.). Tel n’est plus le cas lorsque le
crédit est gagé sur des biens qu’il n’a pas permis d’acquérir. La prohibition du
gage sans dépossession serait alors en effet très directement tournée puisque
tout l’actif pourrait sans publicité être affecté à la garantie du prêt. Ces sug-
gestions seraient cependant, ainsi que la note leur auteur, plus aisément reçues
si la question relevait de la loi d’autonomie, la lex rei sitae n’intervenant rési-
duellement qu’à titre de loi de police. L’exigence d’une stricte équivalence
des institutions n’y ferait plus alors en effet obstacle.
16 En guise de conclusion, il est permis de se demander si cette solution est ou
non remise en cause par l’entrée en vigueur de la Convention de Rome. La réponse
est rien moins qu’évidente. En effet, si cet instrument traite à plusieurs reprises
de l’incidence de la situation de l’immeuble sur la désignation de la loi appli-
cable aux contrats ayant pour objet un droit réel immobilier ou un droit d’utili-
sation d’un immeuble (art. 4-3 et 9-6), il n’envisage en revanche à aucun
moment le cas des contrats translatifs ou constitutifs de droits réels mobiliers.
L’effet translatif ou constitutif de ces contrats n’est ni exclu du champ d’appli-
cation de la Convention (art. 1) ni visé explicitement dans le domaine de la loi
du contrat (art. 10). Est-ce à dire que les rédacteurs de la Convention de Rome
ont entendu consacrer le système préconisé par M. Pierre Mayer : application
de la loi d’autonomie tempérée par le recours à la lex rei sitae prise en compte
en tant que loi de police ? L’hypothèse est séduisante. Mais notons qu’au cas
où le juge saisi ne serait pas celui du lieu de situation du bien, la loi de police
applicable serait une loi étrangère avec toutes les incertitudes qui s’attachent
au jeu de l’article 7-1. Faut-il au contraire utiliser ici les ressources de l’arti-
cle 4-1 et considérer que la loi réelle s’applique au transfert ou à la constitution
de droit réel parce que cette « partie du contrat est séparable du reste du contrat
et présente un lien plus étroit » avec le pays du lieu de situation du bien ? Mais
un tel aménagement ne pourra pas jouer en cas de choix exprès. Faut-il encore
et beaucoup plus simplement considérer que les frontières de la loi d’autono-
mie subsistent inchangées ? (V. en ce sens, V. Heuzé, « La notion de contrat en
444 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 48

droit international privé », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1995-1998, p. 319 et s.,
spéc. p. 328 et s.) C’était le parti initialement adopté par l’avant-projet dans
son article 9 (v. Clunet 1976. 654). Mais pourquoi alors n’avoir pas persé-
véré ? On peut regretter qu’une convention internationale qui se propose d’éle-
ver « le niveau de la sécurité juridique » (Rapport Giuliano et Lagarde JOCE,
no C. 282, p. 4) laisse subsister de pareilles incertitudes.
49
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

27 mai 1970

(Rev. crit. 1971. 113, note Batiffol)


Compétence. — Article 14 du Code civil. — Domaine.

L’article 14 du Code civil qui permet au plaideur français d’attraire un


étranger devant les juridictions françaises, a une portée générale s’étendant
à toutes matières, à l’exclusion des actions réelles immobilières et demandes
en partage portant sur des immeubles situés à l’étranger, ainsi que des
demandes relatives à des voies d’exécution pratiquées hors de France, et
s’applique notamment à tous litiges ayant pour fondement la responsabi-
lité extracontractuelle.

(Weiss c/Soc. Atlantic Electric et autres)

Faits. — Se disant victime d’une révocation abusive, le sieur Weiss réclame des
dommages-intérêts à la société française dont il était le gérant ainsi qu’aux deux socié-
tés étrangères qui contrôlaient celle-ci. La Cour de Paris s’étant, dans l’arrêt attaqué,
déclaré incompétente à l’égard des deux sociétés étrangères au seul motif « qu’aucune
convention n’est intervenue entre Weiss, d’une part, et les dites sociétés, d’autre part »,
un pourvoi fut formé, fondé sur la violation, par refus d’application, de l’article 14 du
Code civil.

ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen : — Vu l’article 14 du Code civil; — Attendu
que ce texte, qui permet au plaideur français d’attraire un étranger devant les
juridictions françaises, a une portée générale s’étendant à toutes matières, à
l’exclusion des actions réelles immobilières et demandes en partage, portant sur
des immeubles situés à l’étranger, ainsi que des demandes relatives à des voies
d’exécution pratiquées hors de France, et s’applique notamment à tous litiges
ayant pour fondement la responsabilité extracontractuelle; — Attendu que
Weiss ayant assigné, d’une part, la Société Française Amaco, et, d’autre part, les
deux sociétés qui l’ont constituée, savoir : la Société Italienne Atlantic Electric, et
la Société Panaméenne, Campana International de Asuntos Industriales, en
paiement notamment de dommages-intérêts à la suite de la révocation de son
mandat de gérant et de la rupture de son contrat de directeur commercial de la
Société Amaco, ces deux sociétés étrangères ont décliné la compétence des juri-
dictions françaises; — Attendu que pour décider que l’article 14 du Code civil
était inapplicable à la demande par laquelle Weiss faisait valoir que les deux
sociétés étrangères lui devaient réparation, en vertu des articles 1382 et 1383 du
446 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 49

Code civil, du dommage qu’elles-mêmes lui auraient causé en provoquant de


manière abusive la révocation de son mandat de gérant de la Société Amaco,
l’arrêt confirmatif attaqué se fonde uniquement sur ce qu’aucune convention
n’est intervenue entre Weiss, d’une part, et lesdites sociétés, d’autre part; qu’il a
ainsi, par refus d’application, violé le texte susvisé;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen : — Casse.
Du 27 mai 1970. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Ancel, prés.; Thirion, rapp.; Blondeau,
av. gén. — MMes de Ségogne et Talamon, av.

OBSERVATIONS
1 Texte célèbre, l’article 14 du Code civil a une origine obscure. Si l’on
s’accorde, en effet, à voir dans l’article 15 une consécration de la doctrine du
juge naturel, l’article 14 n’a semble-t-il aucun précédent direct dans notre
ancien droit (J. Hudault, « Sens et portée de la compétence du juge naturel
dans l’ancien droit français », Rev. crit. 1972. 27 et 249, spéc. p. 266). Il serait
dû à un « accident de rédaction » dont sa formulation embarrassée porterait
aujourd’hui encore témoignage (H. Gaudemet-Tallon, Recherches sur les origi-
nes de l’article 14 du Code civil, p. 161 et s.; Bartin, Principes, t. I, § 132;
Niboyet, Traité, t. VI, no 1737). Celle-ci a été, au demeurant, très tôt à l’ori-
gine d’un délicat problème d’interprétation. En visant, comme d’ailleurs l’arti-
cle 15, les « obligations contractées » ce texte entendait-il cantonner la com-
pétence du juge français aux seuls litiges nés à l’occasion d’obligations
contractuelles ? Une réponse négative devait progressivement prévaloir. Véri-
table « arrêt de consolidation » de la jurisprudence antérieure (Francescakis,
La pensée des autres en dr. int. pr., p. 474), la décision reproduite présente le
double mérite d’affirmer la portée générale de ce texte (I) et de rassembler en
une formule synthétique les exceptions qui l’affectent (II).

I. La généralité du domaine matériel des articles 14 et 15


du Code civil

2 Selon l’article 14 du Code civil, l’étranger peut être attrait devant les tribu-
naux français pour l’exécution des obligations contractées en France ou à
l’étranger avec un Français. Fallait-il attacher à cette précision une significa-
tion particulière ? Telle fut l’opinion des premiers commentateurs et spéciale-
ment de Locré (Esprit du Code Napoléon, t. I, p. 322). Selon lui, la compé-
tence des tribunaux français procéderait, en ce cas, d’une convention implicite;
en contractant, en France ou à l’étranger, avec un Français, l’étranger accep-
terait de se soumettre à la juridiction des tribunaux français. « Juridiction de
consentement » reposant sur une présomption légale d’acceptation de la com-
pétence des tribunaux français, l’article 14 ne pourrait fonctionner qu’en matière
contractuelle.
L’analyse apparaît pourtant singulièrement artificielle. Si la référence à
l’obligation contractée avait probablement une signification précise dans l’avant-
projet qui distinguait entre les obligations contractées en France, et celles qui
49 WEISS — CASS., 27 MAI 1970 447

l’avaient été à l’étranger, exigeant dans ce second cas que l’étranger soit
« trouvé » en France (1), elle l’a perdue avec la suppression de cette dernière
condition. Ainsi que le relevait Bartin, en écartant cette exigence, les rédac-
teurs de l’article 14 ont, qu’« ils l’aient voulu ou non (…) qu’ils l’aient com-
pris ou non », changé profondément « l’esprit du système » (Principes, t. I,
§ 132). Désormais l’article 14 se présente comme la « rançon » de l’article 15
du Code civil. Il a pour objet de contrebalancer l’avantage substantiel que ce
texte consent au demandeur étranger. Justifié par une idée de réciprocité, il
constitue un « privilège compensatoire de juridiction au profit des Français »
(Bartin, Principes, t. I, § 133). Il en résulte que l’article 14 devrait se voir
reconnaître un champ d’application matériel identique à celui de l’article 15.
Or ce dernier texte apparaissant, à l’époque, comme la consécration de la doc-
trine du juge naturel, c’est-à-dire d’une sorte de juridiction immédiate du juge
français à l’égard des Français (v. supra, obs. sous Parker, no 2 § 3), la men-
tion des « obligations contractées » qui y figurait semblait bien devoir y être
entendue de manière énonciative et non limitative (op. cit., § 136).
3 C’est, au demeurant, en ce sens que la jurisprudence s’est orientée. Dès
1808 la Cour de Poitiers appliqua l’article 14 en matière délictuelle (8 Prairial
an XIII, Devilleneuve, 2e vol., an XIII, 1808, IIe partie, p. 56). Cette solution
fut à son tour affirmée par la Cour de cassation le 13 décembre 1842 (Req.
13 déc. 1842, Cie du Britannia, DP 1843. 1. 15, S. 1843. 1. 14; v. aussi Civ.,
12 août 1872, DP 1872. 1. 293, S. 1872. 1. 323, Clunet 1874. 24) au motif « que
le mot obligation n’étant ni limité, ni modifié par aucune expression doit
nécessairement être entendu dans le sens générique et absolu qui lui appartient
en droit; qu’il s’applique dès lors à toutes les obligations, quelles qu’en soient
la nature et la cause, et à celles qui sont contractées par une convention volon-
taire et à celles qui sont contractées par le fait de celui qui, ayant commis un
quasi-délit est obligé, suivant l’expression de l’article 1382, à réparer le dom-
mage qu’il a causé ». On constate que, sensible à la doctrine exégétique, la
haute juridiction mettait l’accent sur l’équivalence entre obligation contractée
et obligation créée. Mais là ne devait pas s’arrêter le mouvement d’expansion
des articles 14 et 15. Leur compétence fut en effet étendue aux différents
aspects de l’état des personnes : recherche de maternité (Civ., 19 juill. 1848,
DP 1848. 1. 129, S. 1848. 1. 529), destitution d’un tuteur (Req. 22 déc. 1874,
S. 1875. 1. 423), désaveu de paternité (Req. 6 mars 1877, S. 1877. 1. 305),
etc… Néanmoins une certaine ambiguïté subsistait dans la mesure où, selon la
remarque de H. Batiffol, l’admission reposait sur « des motifs plus ou moins
explicites mais propres au type d’action considéré ». Ainsi dans l’arrêt du
19 juillet 1848 (préc.), la Cour de cassation relevait « qu’il n’est pas de plus
sainte obligation pour une mère que celle de reconnaître son enfant, d’assurer

(1) Dans sa rédaction antérieure, l’article 14 du Code civil était ainsi conçu : « L’étranger, même
non résidant en France, peut être cité devant les tribunaux français pour l’exécution des obligations
par lui contractées en France avec un Français; et s’il est trouvé en France, il peut être traduit devant
les tribunaux de France, même pour des obligations contractées par lui en pays étranger envers des
Français ».
448 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 49

son état, de lui fournir des aliments et de pourvoir à ses besoins » (comp. arrêt
Fontaine, supra, no 17). L’incertitude fut complètement dissipée par l’arrêt du
15 févr. 1955 (Consorts Bonnet, Rev. crit. 1955. 327, note H. Batiffol); la Pre-
mière chambre civile y affirmait la « portée générale » de l’article 15. Cette for-
mule fut reprise par la même chambre pour l’article 14 à propos d’une succes-
sion mobilière le 16 juin 1959 (Rougeron, Rev. crit. 1959. 501, D. 1959. 377,
note Holleaux; v. aussi en matière de faillite Civ. 2e, 7 juill. 1962, Clunet
1963. 106, note Ponsard; 12 juill. 1962, Clunet 1963. 1056, note B. G.; Com.,
19 mars 1979, Rev. crit. 1981. 524, note P. Lagarde, Rev. Soc., 1979. 567, note
Y. Guyon, Dr. prat. com. int. 1979. 537, note B. Mercadal).
4 Ainsi les articles 14 et 15 attribuent-ils compétence aux tribunaux français
en raison de la seule qualité de Français du demandeur ou du défendeur et sans
que soit prise en compte la matière en jeu. De fait, il aurait été paradoxal de les
exclure dans le domaine du statut personnel. La loi française étant le plus sou-
vent applicable, on y retrouve le même raisonnement a fortiori qui a entraîné
en d’autres domaines, l’abandon du principe d’incompétence des tribunaux
français dans les litiges entre étrangers (v. supra, no 37 § 5; v. aussi Droz,
« Réflexions pour une réforme des articles 14 et 15 du Code civil français »,
Rev. crit. 1975. 5). Le droit comparé nous enseigne d’ailleurs que c’est en ce
domaine que la référence à la nationalité est la plus fréquente pour fonder la
compétence internationale des juridictions. (Pour l’exemple allemand, v. Bauer,
Compétence judiciaire internationale des tribunaux civils français et allemands,
1965, nos 62 et s.).
C’est, au demeurant, dans le domaine qui est le sien depuis l’origine, celui
des obligations, que certains ont mis en doute la légitimité de l’article 14 en
relevant qu’il était exorbitant de permettre à un demandeur français d’assigner
en France un défendeur étranger domicilié aux antipodes. À cela on peut
répondre, comme le faisait d’ailleurs déjà Locré, que cette disposition n’aura
le plus souvent « d’effet réel que lorsque le débiteur possédera des biens en
France » (Esprit du Code Napoléon, t. I, p. 323). Au moins en matière patri-
moniale, le Français ne saisira, en effet, la juridiction française sur le fonde-
ment de l’article 14 du Code civil que s’il pense pouvoir exécuter la décision
sur place. Or le forum arresti et le forum patrimonii qui assoient la compé-
tence internationale des juridictions d’un pays sur l’existence de biens saisis-
sables sur le territoire de celui-ci, le premier en la limitant à la valeur de ceux-
ci, le second en ne prévoyant pas cette limite, sont assez largement reçus en
droit comparé (Batiffol et Lagarde, t. II, no 667, note 2). Il est vrai cependant
que depuis l’entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles (en son art. 4
devenu l’art. 4 du Règlement Bruxelles I) et dans la seule mesure évidemment
où celle-ci permet d’invoquer l’article 14 du Code civil (c’est-à-dire lorsque le
litige n’est pas intégré à la Communauté; v. Droz, « Entrée en vigueur de la
Convention de Bruxelles… », Rev. crit. 1973. 21, spéc. p. 26), les décisions
ainsi obtenues sur le fondement de ce texte pourront aisément être exécutées
dans tous les États de la Communauté adhérant à la Convention. En consé-
quence, grâce à l’article 14, on s’adressera aux tribunaux français alors même
que l’adversaire n’a pas de biens en France et on fera ensuite exécuter la déci-
49 WEISS — CASS., 27 MAI 1970 449

sion dans toute l’étendue de la Communauté, là où précisément il pourrait


avoir des biens. De plus, à la différence du forum arresti et du forum patrimonii
qui jouent en dehors de toute considération personnelle, l’article 14 ne profite
qu’aux Français (Droz, art. préc., Rev. crit. 1975. 7) ainsi qu’à ceux qui leur
sont assimilés par l’article 4, alinéa 2 de la Convention de Bruxelles, devenu
le Règlement de Bruxelles I. C’est là sans doute d’ailleurs une des raisons qui
avaient conduit la jurisprudence française à consacrer au moins partiellement
le forum arresti (v. infra, arrêt Nassibian, no 59). Aussi bien s’était-on demandé
si cette jurisprudence n’était pas la première étape d’un processus qui condui-
rait à terme au refoulement de l’article 14 du Code civil. Mais le revirement
de jurisprudence auquel a ultérieurement procédé la haute juridiction (infra,
no 60) montre que celle-ci n’entend pas pour l’instant s’engager dans cette
voie. Enfin la définition extensive que la jurisprudence française donne des
bénéficiaires du privilège de l’article 14 n’est pas, spécialement en cas de
subrogation ou de cession de créance, sans faciliter certaines fraudes (v. supra,
arrêt Cie La Métropole, no 43).
Mais à supposer ces privilèges réellement excessifs, certains feront remar-
quer, non sans réalisme le monde étant ce qu’il est, qu’il n’est parfois pas
mauvais de disposer dans le cadre d’une négociation internationale, d’une
monnaie d’échange afin d’obtenir des autres États la renonciation à leurs pro-
pres abus. (Sur le privilège indirect de l’article 15 du Code civil et son abandon
par la jurisprudence, v. infra, no 87 § 15; sur les rapports des articles 14 et 15
avec les règles ordinaires de compétence, v. infra, arrêt Soc. Cognacs and
Brandies from France, no 71).
5 Quoi qu’il en soit, la portée générale des articles 14 et 15, très largement
approuvée en doctrine (Batiffol et Lagarde, t. II, no 680; Loussouarn, Bourel et
de Vareilles-Sommières, no 464; P. Mayer et V. Heuzé, no 311; B. Audit, no 360;
Holleaux, Foyer et de La Pradelle, nos 740 et s.), reste incontestée en jurispru-
dence (v. par ex., Civ. 1re, 17 nov. 1981, Clunet 1982. 926, note Wiederkehr;
Civ. 1re, 21 juin 1988, Bull. I, no 198, p. 138, D. 1988, Som. com. p. 344, obs.
Audit; Civ. 1re, 9 déc. 2003, Dr. fam. 2004, no 163, note B. Bourdelois, Defré-
nois 2004. 599, obs. Massip). Et s’agissant du régime juridique de l’article 14
du Code civil, la Cour de cassation s’est employée à briser les audaces de la
Cour de Paris qui prétendait découvrir dans ce texte une simple faculté laissant
la latitude au juge français de décliner sa compétence s’il estimait qu’un autre
juge était mieux placé pour connaître du litige (Paris, 11 janv. 1989, Soc. inter-
comi, D. 1989, Som. com. 256, obs. Audit); elle a, en effet, rappelé que cette
disposition instaure au profit du demandeur français une règle de compétence
qui s’impose au juge français et qui ne peut être écartée, si son bénéficiaire ne
renonce pas à s’en prévaloir, que par un traité international (Civ. 1re, 18 déc.
1990, Soc. Intercomi, Rev. crit. 1991. 759, note B. Ancel; 27 janv. 1993,
D. 1993. 602, note J. Massip; sur la non remise en cause de cette solution par
Civ. 1re, 23 mai 2006, v. infra, no 87 § 13). Durant un temps, la haute juridiction
a considéré que les conventions internationales opéraient aisément une mise à
l’écart des privilèges des articles 14 et 15 : « les règles de compétence directe
édictées par l’article 11 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981
450 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 49

sont exclusives de l’application de l’article 14 du Code civil » (Civ. 1re,


12 mars 1999, JCP 1999. II. 10220, note G. Cuniberti; v. déja Civ. 1re, 1er juill.
1997, Driss Abdou, Bull. I, no 222, Rev. crit. 1998. 60, note P. Mayer; rappr.
Civ. 1re, 2 oct. 2001, Rev. crit. 2002. 140, note G. Cuniberti). Mais elle semble
aujourd’hui vouloir revenir à la solution contraire (Civ. 1re, 20 mai 2003, Clu-
net 2003. 827, note G. Cuniberti; 28 mars 2006, D. 2006. IR p. 999).
Cette portée générale s’accompagne, comme presque toujours en droit, de
certaines exceptions. Avant de les étudier, ajoutons que les tribunaux français
ne pourraient plus aujourd’hui se reconnaître compétents dans une telle espèce
sur le fondement de l’article 14. L’article 3 de la Convention de Bruxelles du
27 septembre 1968 devenu le Règlement Bruxelles I exclut en effet le jeu des
fors exorbitants lorsque le litige est intégré à la Communauté, c’est-à-dire
notamment lorsque le défendeur y est domicilié, ce qui était le cas de la
Société italienne Atlantic Electric.

II. Les limites du domaine matériel des articles 14 et 15


du Code civil

6 L’histoire des articles 14 et 15 du Code civil ne se réduit pas au récit de leur


expansion. Tout en étendant ces textes au-delà de ce qu’impliquait leur lettre,
la jurisprudence fut, en effet, amenée à poser certaines bornes, spécialement en
matière immobilière (action réelle, Req. 6 janv. 1841, Wenger, S. 1841. 1. 24;
Req. 19 avr. 1859, Guichard, S. 59. 1. 411; action en partage, Civ., 5 juill.
1933, Nagalingampoullé, DP 1933. 1. 33, note Silz, S. 1934. 1. 337, note
Niboyet, Rev. crit. 1934. 166) et de voies d’exécution (Civ., 12 mai 1931, Cie
française de navigation Cyprien Fabre, DP 1933. 1. 60, note Silz, S. 1932. 1.
137, rapp. Casteil, note Niboyet, Clunet 1932. 387, note Perroud; TGI Paris,
29 juin 1988, de Dampierre, Rev. crit. 1990. 339, note B. Ancel). En décidant
que l’article 14 « a une portée générale s’étendant à toutes matières, à l’exclu-
sion des actions réelles immobilières et demandes en partage, portant sur des
immeubles situés à l’étranger ainsi que des demandes relatives à des voies
d’exécution pratiquées hors de France », l’arrêt ci-dessus reproduit donne, pour
la première fois, de celles-ci une énumération complète.
7 Bien que les justifications avancées par les arrêts — rendus, il est vrai, à
près de cent ans de distance — soient fort diverses, les uns se fondant sur la
compétence nécessaire de la loi française (Req. 6 janv. 1841, préc.), les autres
sur la souveraineté des États (Civ., 12 mai 1931, préc.), il semble possible de
dégager une explication unique. Celle-ci paraît pouvoir être découverte au pre-
mier chef dans la constatation qu’il existe en ces domaines un lieu d’exécution
nécessaire. Certes, à la différence de certains droits étrangers (v. par ex.,
l’ancien art. 606-b et l’actuel art. 606-a, Z. P. O.), le droit international privé
français ne subordonne pas la compétence de nos tribunaux à la reconnais-
sance de leurs décisions dans le pays dont la loi est applicable. Néanmoins
cette considération ne saurait être éludée lorsque la décision recherchée s’exé-
cutera obligatoirement en un lieu clairement défini : lieu de situation de
49 WEISS — CASS., 27 MAI 1970 451

l’immeuble pour les actions réelles immobilières ou les actions en partage, lieu
où la saisie a été pratiquée pour les demandes en mainlevée ou en validité de
celle-ci. Il devient alors légitime de se préoccuper de l’accueil que l’étranger
pourra faire à notre décision. Pourquoi, en effet, se reconnaître compétent, s’il
est certain que la décision rendue ne pourra jamais recevoir exécution ? (Bartin,
Principes, t. I, § 137; Niboyet, Traité, t. VI, no 1744; Batiffol et Lagarde, t. II,
no 681). On perçoit ainsi ce que pourrait être la seconde exigence : l’exception
jouerait dans les domaines où les États reconnaissent en règle générale une
compétence exclusive à leurs propres tribunaux. La décision devant nécessaire-
ment s’exécuter en un pays dont les juges dénient efficacité aux décisions
étrangères, toute compétence autre que la leur est vouée à l’échec, et l’État du
lieu d’exécution jouit de ce fait d’une sorte de monopole. Or tel serait précisé-
ment le cas dans les matières qui nous occupent. On ne saurait, en effet, y lais-
ser les plaideurs porter leur litige devant un tribunal étranger sans risquer la
méconnaissance des intérêts substantiels que le droit international privé local
entend garantir (v. infra, arrêt Simitch, no 70, II-A; comp. art. 16, 1° et 5° de la
Conv. de Bruxelles du 27 sept. 1968, devenus art. 22-1 et 5 du Règlement
Bruxelles I). La conduite des voies d’exécution, la protection et la répartition
de la propriété immobilière sont ainsi l’objet d’une espèce de juridiction
immédiate de l’État de localisation. C’est donc la conjonction de l’inéluctable
localisation à l’étranger de l’exécution de la décision à intervenir et d’une
compétence exclusive largement répandue qui fonderait les exceptions au jeu
des articles 14 et 15 du Code civil (rappr. A. Miaja de la Muela, « Les princi-
pes directeurs des règles de compétence territoriale des tribunaux internes en
matière de litiges comportant un élément international », Rec. cours La Haye,
1972, t. I, p. 1 et s., spéc. p. 88).
Cette analyse trouve, au demeurant, une confirmation dans la solution rete-
nue à propos des actions mixtes. Bien que les décisions issues de certaines de
ces actions, telle la demande en nullité ou en résolution d’une vente, ne soient
effectives qu’au lieu de situation de l’immeuble, la jurisprudence leur appli-
que le privilège de juridiction des articles 14 et 15 du Code civil (Req. 19 avr.
1852, S. 1852. 1. 801; Req. 9 nov. 1868, S. 1869. 1. 122; Lyon, 19 avr. 1977,
Rev. crit. 1979. 788, note B. Ancel). C’est sans doute que la compétence n’y
revêt pas un caractère exclusif : embrassant l’aspect réel et l’aspect obliga-
toire de la relation juridique, la contestation est l’occasion d’une concurrence
que l’article 46 du Nouveau Code de procédure civile résout par une option de
compétence (v. cep. art. 16-1°, Conv. de Bruxelles du 27 sept. 1968, devenu
art. 22-1 du Règlement Bruxelles I). Il convient toutefois de relever que l’assi-
milation récente de l’action en pétition d’hérédité à l’action en partage pour-
rait ouvrir la voie à une compréhension sensiblement plus étendue des excep-
tions qui affectent les articles 14 et 15 du Code civil (Civ. 1re, 4 déc. 1979,
Rev. crit. 1980. 758, note B. Ancel). Ajoutons qu’en marge des exceptions
réaffirmées par l’arrêt ci-dessus reproduit, la portée des articles 14 et 15 reste
à l’heure actuelle quelque peu incertaine tant en ce qui concerne la juridiction
gracieuse (comp. Ponsard, note sous Paris, 29 juin 1968, Rev. crit. 1970. 310;
Souleau, concl., JCP 1969. II. 15845; P. Callé, L’acte public en dr. int. pr.,
thèse Caen, éd. 2004, nos 46 et s., p. 28 et s.) qu’à propos des hypothèses où un
452 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 49

acte administratif ou un service public étrangers sont en cause (v. Y. Lequette,


note sous Civ. 1re, 20 oct. 1981, Vannoni, Rev. crit. 1982. 720; rappr. Paris,
17 oct. 1990, Rev. crit. 1991. 400, note P. Y. Gautier, Clunet 1991. 729, note
A. Huet).
8 En conclusion, on soulignera que l’existence de ces exceptions montre
que le droit international privé français n’est pas imperméable aux préoccupa-
tions auxquelles tentent de répondre, en d’autres pays, les dispositions qui
subordonnent la compétence de leurs juridictions à la reconnaissance par un ou
plusieurs ordres de référence des décisions qu’elles rendent. Mais au lieu
d’essayer de déterminer le ou les ordres étrangers auxquels la situation importe
le plus afin de tenter de prévenir, non sans beaucoup d’aléas (v. déjà Bartin,
Études, p. 100 et s.), toute discordance avec eux (pour une telle approche,
v. Picone « La méthode de la référence à l’ordre juridique compétent », Rec.
cours La Haye, 1986, t. II, p. 239 et s.), il se contente, avec plus de réalisme,
de faire échec à la compétence internationale des tribunaux français au seul cas
où existe un lieu d’exécution nécessaire à l’étranger, tarissant ainsi dans ces
hypothèses tout risque de contradiction.
50
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

30 mars 1971

(Rev. crit. 1971. 451, note P. Lagarde, Clunet 1972. 834, note Loussouarn,
JCP 1972. II. 17101, note Oppetit)
Société. — Nationalité. — Siège social. —
Changement de souveraineté territoriale.

Si, en principe, la nationalité d’une société se détermine par la situation


de son siège social, pareil critère cesse d’avoir application lorsque le ter-
ritoire sur lequel est établi ce siège social, étant passé sous une souverai-
neté étrangère, les personnes qui ont le contrôle de la société et les orga-
nes sociaux investis conformément au pacte social ont décidé de transférer
dans le pays auquel elle se rattachait le siège de la société afin qu’elle
conserve sa nationalité et continue d’être soumise à la loi qui la régissait.

(Caisse centrale de réassurance des mutuelles agricoles


c/Mutuelle centrale d’assurance et de réassurance des mutuelles
agricoles et Société Générale)

Faits. — Par trois arrêtés des 17 octobre, 13 novembre 1963 et 28 janvier 1964, le
gouvernement algérien destitue et remplace les membres du conseil d’administration de
la Caisse centrale de Réassurance des Mutuelles agricoles (CCRMA). Le siège social de
cette société est établi à Alger où il fonctionne effectivement depuis la fondation en
1907. La Caisse développe son activité tant en Algérie que dans divers pays d’Afrique.
Les mesures prises par le gouvernement algérien participent du mouvement d’« algéria-
nisation » des agents économiques opérant sur ou à partir du territoire algérien. Mais, en
l’occurrence, elles seront annulées pour excès de pouvoir par un arrêt de la Cour suprême
d’Algérie, du 20 janvier 1967.
Les administrateurs français évincés n’ont pas attendu cette décision pour réagir.
Très vite après le premier arrêté, le conseil d’administration dissous se réunit à Paris et
décide de transférer le siège social dans cette ville. Le Ministère français des Finances
(Direction des assurances) prend acte de ce transfert, lequel est approuvé par une assem-
blée générale réunie à Paris le 9 juin 1964. Puis la société met ses statuts en conformité
de la nouvelle réglementation française et prend le nom de Mutuelle centrale d’Assu-
rance et de Réassurance des Mutuelles agricoles. C’est sous cette nouvelle dénomina-
tion qu’elle engage une action contre la Société Générale en vue de se faire reconnaître
la propriété des avoirs détenus, pour le compte de la Caisse originaire, par cette banque
sous le dossier de son agence d’Alger. La banque assigne alors en intervention forcée
454 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 50

l’organisme algérien édifié sur les trois arrêtés de 1963 et 1964 et qui conserve le nom
de Caisse centrale de Réassurance des Mutuelles agricoles : il s’agit de savoir qui, de la
Caisse algérienne ou de la Caisse de Paris, a le droit de se faire restituer les valeurs
déposées.
Le Tribunal de grande instance de Paris, puis la Cour de Paris ont alors à décider si,
du fait du changement de souveraineté intéressant le territoire algérien où se situait le
siège social, la société est ou n’est pas devenue algérienne. La CCRMA-Alger soutient
l’affirmative et en déduit que, depuis le jour de l’indépendance, les autorités algériennes
avaient toute compétence pour dissoudre le conseil d’administration et en nommer un
autre, lequel a désormais seul qualité pour agir au nom de la Caisse originaire. À quoi la
CCRMA-Paris oppose notamment que la société est restée française en dépit du chan-
gement de souveraineté territoriale et que dès lors les organes sociaux en fonction au
moment de l’indépendance ont pu valablement transférer le siège social en France.
Les juridictions du fond donnent raison à la CCRMA-Paris. Spécialement la cour
d’appel, pour justifier le maintien du fonctionnement de la société sous l’empire de la
loi française — et le maintien en fonction corrélatif des administrateurs français — juge
que « en l’absence de critère légal de la nationalité des personnes morales, le rattache-
ment d’une société à un État se détermine d’après l’ensemble des éléments particuliers à
chaque espèce ». (Paris, 17 mai 1967, Clunet 1967. 874, note Y. Loussouarn, JCP 1968.
II. 15427, note B. Oppetit).
La CCRMA-Alger forme un pourvoi.

ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : — Attendu que
selon les énonciations des juges du fond, la Caisse centrale de Réassurance des
Mutuelles agricoles a été constituée en 1907 conformément à la loi du 4 juillet
1901 et son siège social fixé statutairement à Alger; que par divers arrêtés des
17 octobre 1963, 13 novembre 1963 et 28 janvier 1964 — lesquels ont été annu-
lés pour excès de pouvoir par arrêt du 20 janvier 1967 des Chambres administra-
tives et de droit privé réunies de la Cour suprême d’Algérie — le ministre algé-
rien de l’Agriculture et de la réforme agraire a prononcé la dissolution du
conseil d’administration de la Caisse, nommé trois administrateurs provisoires
algériens et investi un nouveau conseil d’administration désigné par une assem-
blée générale réunie en Algérie le 20 janvier 1964; que dès le 12 novembre
1963, le conseil d’administration dissous par l’autorité algérienne s’était réuni à
Paris et après délibération sur les résolutions à prendre à la suite des mesures
arrêtées par le gouvernement algérien, a décidé « pour conserver sa liberté
d’action gravement atteinte et poursuivre son unique objet qui est la sauve-
garde des mutualistes agricoles des différents pays où s’exerce son activité » de
transférer le siège social à Paris; que la Direction des assurances au ministère
français des Finances a pris acte de ce transfert qui fut approuvé et en tant que
de besoin décidé par une assemblée générale tenue à Paris le 9 juin 1964; que
conformément aux dispositions d’un décret français du 23 mai 1964, la Caisse se
transforma en société d’assurance à forme mutuelle à cotisations fixes sous la
nouvelle dénomination de Mutuelle centrale d’Assurance et de Réassurance des
Mutuelles agricoles; qu’un litige s’étant élevé entre l’établissement public algé-
rien ayant conservé la dénomination de Caisse centrale de Réassurance des
Mutuelles agricoles et son siège à Alger et la Mutuelle centrale ayant son siège
à Paris au sujet de la propriété des valeurs mobilières détenues par la Société
Générale de Paris sous le dossier de son agence d’Alger, l’arrêt confirmatif atta-
qué, déclaré commun à l’organisme algérien assigné en intervention forcée, a
condamné cet établissement bancaire à transférer au compte ouvert au nom de
la Mutuelle centrale à la Banque de France les valeurs par lui détenues pour le
50 CCRMA — CASS., 30 MARS 1971 455

compte de la Caisse centrale ayant eu son siège à Alger; qu’il est fait grief à la
cour d’appel d’avoir ainsi statué, alors, d’une part, que la règle de conflit de lois
française qui aurait valeur législative rattache les sociétés et les personnes mora-
les en général à l’État dans lequel elles ont leur siège social; alors, d’autre part,
que l’accession de l’Algérie à l’indépendance aurait eu pour effet de rattacher à
la loi algérienne les sociétés qui avaient, avant l’indépendance, leur siège social
sur le territoire algérien et que l’article 17 de la déclaration de principes des
accords d’Évian relative à la coopération économique et financière aurait seule-
ment établi une différence entre les sociétés françaises ayant sur le territoire
algérien un établissement ou une succursale et les sociétés devenues algérien-
nes et dont le capital est en majorité détenu par des personnes physiques ou
morales françaises, tout en garantissant aux deux types de sociétés l’exercice
normal de leur activité dans des conditions excluant toute discrimination à leur
préjudice; alors enfin, que le décret algérien du 1er octobre 1963, qui déclare
biens de l’État « les exploitations agricoles appartenant aux personnes physi-
ques ou morales qui à ladite date ne jouissaient pas de la nationalité algérienne
ou ne justifiaient pas avoir accompli les formalités légales en vue de l’acquisition
de cette nationalité », n’aurait nullement entendu, par cette formule, décider
que les personnes morales étaient soumises à d’autres formalités que celles
d’avoir leur siège social en Algérie pour jouir de la nationalité algérienne; —
Mais attendu que si, en principe, la nationalité d’une société se détermine par la
situation de son siège social, pareil critère cesse d’avoir application lorsque le
territoire sur lequel est établi ce siège social, étant passé sous une souveraineté
étrangère, les personnes qui ont le contrôle de la société et les organes sociaux
investis conformément au pacte social ont décidé de transférer dans le pays
auquel elle se rattachait le siège de la société afin qu’elle conserve sa nationalité
et continue d’être soumise à la loi qui la régissait; — Attendu qu’en l’espèce,
l’arrêt attaqué retient que les Français qui ont fondé la Caisse centrale de Réas-
surances des Mutuelles agricoles ont entendu placer cet organisme sous le
régime de la loi française qui a été suivie pour sa constitution et son fonctionne-
ment et lui donner pour siège social une ville du territoire français; que lors de
l’accession de l’Algérie à l’indépendance, ce sont des Français qui exerçaient un
pouvoir prépondérant dans la direction et la gestion de la Caisse centrale,
laquelle n’a cessé d’être soumise au contrôle du gouvernement français et que
ceux-ci ayant décidé, avec l’agrément de l’autorité française de tutelle, de trans-
férer le siège social de celle-ci dans ses bureaux administratifs de Paris, une réso-
lution de l’assemblée générale extraordinaire a approuvé cette décision et en
tant que de besoin décidé ce transfert; que de ces circonstances, la cour d’appel
a pu déduire que la Caisse centrale avait conservé sa nationalité française et par
ces seuls motifs légalement justifié sa décision, abstraction faite des autres
motifs critiqués par le moyen qui sont surabondants;
Et sur le second moyen, pris en ses diverses branches : — Attendu qu’il est
encore reproché à la cour d’appel d’avoir décidé que le conseil d’administration
dissous par l’autorité algérienne avait valablement convoqué l’assemblée géné-
rale extraordinaire du 3 juin 1964, au motif que l’arrêt de la Cour suprême
d’Algérie du 20 janvier 1967 avait annulé les différentes mesures prises pour
substituer aux administrateurs en exercice d’autres organes sociaux et que
l’assemblée générale convoquée à Paris était régulière, alors, d’une part, que
nul ne peut se faire justice à soi-même et que, tant que lesdites mesures n’avaient
pas été annulées, les anciens administrateurs français ne pouvaient exercer les
pouvoirs dont ils avaient été dessaisis et que l’annulation dont s’agit ne pouvait
rétroactivement valider leurs actes; alors, d’autre part, que l’assemblée extraor-
dinaire n’aurait pas été régulière, les caisses d’Algérie n’ayant pas été convo-
quées au mépris des statuts; alors enfin qu’à supposer que la règle de l’unani-
mité ne dût pas être respectée pour réaliser le transfert du siège social, la cour
456 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 50

aurait omis de rechercher si la majorité qualifiée par l’article 45 des statuts avait
été réunie en l’espèce et qu’en considérant comme régulière une modification
des statuts intervenue à la majorité simple des membres présents, la cour
d’appel aurait dénaturé lesdits statuts; — Mais attendu, d’une part, que la cour
d’appel retient justement qu’en raison de l’annulation par la Cour suprême
d’Alger, pour excès de pouvoir, des mesures qui les avaient destitués, les organes
statutaires doivent être considérés comme étant restés seuls qualifiés pour
administrer la Caisse centrale jusqu’à la réunion de l’assemblée générale du
3 juin 1964 et pour convoquer celle-ci; que, d’autre part, eu égard aux circons-
tances particulières qu’elle relève et qu’elle a souverainement appréciées, la
cour d’appel a pu tenir pour régulière cette assemblée, nonobstant la non-
convocation des caisses régionales d’Algérie; — Et attendu que la demanderesse
au pourvoi n’a point soutenu, devant les juges du fond, que la résolution prise
par l’assemblée générale extraordinaire pour transférer le siège social dût être
acquise à une majorité qualifiée; que le moyen sur ce point est donc nouveau
et, mélangé de fait et de droit, irrecevable;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 30 mars 1971. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Ancel, prés.; Thirion, rapp.; Blondeau,
av. gén. — MMes Ryziger et Le Prado, av.

OBSERVATIONS

1 Cet arrêt comporte trois enseignements. Le siège social est le critère de


détermination de la nationalité des sociétés (I). Cette solution de principe souf-
fre des exceptions, notamment dans le cas de changement de souveraineté du
territoire où se trouve temporairement maintenu le siège social (II). Le droit
international privé français accueille la notion de nationalité des sociétés (III).

I. Le principe de la détermination de la nationalité des sociétés


par leur siège social

2 A. — Le siège social est le lieu où la société a établi « ses organes de direc-


tion et de contrôle » (Civ., 15 juin 1957, D. 1957. 596), le lieu où elle délibère
son action et organise ses moyens, le lieu, enfin, par elle indiqué aux tiers
comme celui où ils peuvent entrer en relation avec elle. Il fonde une présomp-
tion d’intégration de l’être moral dans le milieu économique national. En déduire
la nationalité de la société, c’est consacrer un critère matériel.
Le droit français aurait pu, à l’instar des droits de la tradition anglo-américaine,
incliner vers un critère formel, tel celui de l’incorporation (sur les divers critè-
res concevables, v. Loussouarn, Les conflits de lois en matière de sociétés,
Paris, 1949; Loussouarn et Bredin, Droit du commerce international, nos 243
et s.). Cette incorporation est un mode particulier d’acquisition de la person-
nalité morale (corpus mysticum) exigeant l’enregistrement par l’autorité publi-
que d’une déclaration des fondateurs; selon cette conception, l’être moral ne
naît pas du contrat de société, assorti ou non de formalités de publicité, il naît
de son accueil et de sa prise en charge par l’autorité publique. Précisément, ce
procédé avait cours en France avant la loi de 1867 sur les sociétés anonymes;
50 CCRMA — CASS., 30 MARS 1971 457

celles-ci ne pouvaient se constituer que par autorisation du gouvernement.


Ainsi selon cette conception, une société anonyme française aurait été à l’épo-
que une société anonyme autorisée par le gouvernement français : une société
a la nationalité de l’État qui lui insuffle la vie.
Malgré son allure un peu métaphysique, la solution n’est pas dépourvue
d’intérêt pratique : elle offre notamment un critère d’un maniement simple et
sûr puisque la nationalité de la société ressortira de la consultation de documents
officiels; ensuite, elle repose sur un engagement de l’État d’incorporation à
assumer la protection de l’être moral qui garantit la consistance du lien de
nationalité; enfin, elle se prête à une pratique très libérale qui autorise la mobi-
lité et s’adapte spontanément à la dynamique du marché unique (v. T. Bal-
larino, « Les règles de conflit sur les sociétés commerciales à l’épreuve du
droit communautaire d’établissement », Rev. crit. 2003. 373, p. 386; H. Muir
Watt, « Aspects économiques du droit international privé », Rec. cours La Haye,
t. 307 (2004), nos 60 et s.) et favorise ainsi le développement de l’activité col-
lective sous forme sociale au plan international.
Quoiqu’encouragée autrefois par les péripéties provoquées sur le terrain de
la reconnaissance des sociétés anonymes par l’arrêt de la Cour de cassation de
Belgique du 8 février 1849 (v. Les grands arrêts de la jurisprudence belge.
Droit international privé, par F. Rigaux et G. Zorbas, 1981, p. 97; Batiffol et
Lagarde, t. I, no 201, p. 243; Béguin et Menjucq, Droit du commerce international,
Litec, 2005, par A. Couret, nos 491 et s.; sur la loi du 30 mai 1857, v. J. Béguin,
« Un texte à abroger : la loi sur la reconnaissance internationale des sociétés
anonymes étrangères », Mélanges C. Champaud, p. 2 et s.; H. Synvet, Rép.
Dalloz dr. int., v° Société, nos 16 et s.; v. aussi Crim., 12 nov. 1990 et Civ. 1re,
25 juin 1991, Extraco, Rev. crit. 1991. 667, note G. Khairallah; Com., 8 juill.
2003, Banque internationale pour l’industrie de la Guinée, Bull. IV, no 121),
et maintenant par certaines des positions de la Cour de justice des Commu-
nautés européennes en matière de liberté d’établissement (CJCE, 9 mars 1999,
Centros, Rec. I, p. 1459, concl. La Pergola, Rev. soc. 1999. 386, note Parléani;
5 nov. 2002, Uberseering, Rev. crit. 2003. 508, note P. Lagarde, Rev. soc. 2003.
315, note J.-Ph. Dom, JCP 2003. II. 10032, note M. Menjucq; 30 sept. 2003,
Inspire Art., Rev. crit. 2004. 151, note H. Muir Watt, Clunet 2004. 917, note
M. Menjucq, D. 2004. 491, note E. Pataut, JCP 2004. II. 1002, note M. Luby
et p. 251 chr. V. Magnier; v. B. Le Bars, in Béguin et Menjucq, op. cit., nos 741
et s.), cette solution n’a jamais obtenu l’adhésion de la jurisprudence française
(v. H. Synvet, v° Société, préc., no 35 et s.; G. Duranton, Rép. Sociétés Dalloz,
v° Nationalité, Généralités, nos 134 et s.; A. Couret, op. cit., no 458). Celle-ci
s’en est tenue à une approche concrète : elle a préféré le lien matériel de
l’activité sociale avec un milieu économique national. C’est ainsi qu’elle
s’est, au XIXe siècle, d’abord tournée vers le centre d’exploitation, qui est le
lieu où la société manifeste extérieurement son activité. Mais, du jour où les
sociétés ont poussé leurs entreprises au-delà des frontières et réalisé leur objet
social dans plusieurs pays, le critère du lieu d’exploitation, instable et démul-
tipliable, devenait impropre à la détermination du lien de nationalité. En
revanche, le siège social, centre d’animation de l’activité sociale, représen-
tait un signe sérieux d’insertion dans l’économie du pays où il est situé tout
458 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 50

en satisfaisant aux exigences d’unité et de stabilité. Aussi bien depuis un arrêt


de la Cour de cassation du 20 novembre 1870 (S. 1870. 1. 373), la jurispru-
dence s’est orientée vers ce critère, qu’il s’agisse d’ailleurs de déterminer la
nationalité française (v. Req. 22 déc. 1896, S. 1896. I. 84) ou une nationalité
étrangère (Req. 28 juill. 1929, Clunet 1930. 680). Cependant, l’affirmation du
principe n’avait jamais été aussi nette que dans le présent arrêt.
3 Le choix du siège social a pourtant été l’objet de contestations développées
à l’occasion, notamment, des mesures de séquestre des « biens ennemis » déci-
dées par le gouvernement français lors de la Première guerre mondiale. Ne
convenait-il pas d’assujettir à ces mesures les actifs des sociétés contrôlées par
des Allemands ou des Autrichiens même si leur siège social était en France ?
S’engouffrant dans la voie qu’un arrêt de la Chambre des requêtes (Req. 20 juill.
1915, Conserveries Lenzbourg, S. 1916. I. 148, Clunet 1915. 1164, Rev. crit.
1916. 244) venait d’ouvrir en recourant à la notion d’interposition de person-
nes, une circulaire ministérielle du 29 février 1916 (Rev. crit. 1916. 366, Clu-
net 1916. 701) recommandait de placer sous séquestre les biens d’une société
« dès que, notoirement, sa direction ou ses capitaux, sont en totalité ou en
majeure partie entre les mains de sujets ennemis ». Ainsi, un accident de l’His-
toire introduisit la notion de contrôle dans le problème de la détermination de
la nationalité des sociétés.
Mais cette notion était peu appropriée. Sur le plan théorique, elle implique
la négation de la personnalité morale, distincte de celle des associés, et de
l’autonomie de l’être social, titulaire d’intérêts propres. Sur le plan pratique,
la notion de contrôle est d’une efficacité aléatoire : la cessibilité ou la négo-
ciabilité des parts sociales affecte de précarité toute détermination de la natio-
nalité de la société et l’hypothèse d’un capital social détenu à parts égales par
des associés de nationalité différente rend celle-ci impossible. Aussi cette notion
de contrôle, d’ailleurs imprécise dans sa définition (totalité ?, majorité ?…),
n’a été retenue par la jurisprudence que pour l’application des mesures de
séquestre et elle s’est effacée devant le critère du siège social une fois passées
les circonstances exceptionnelles qui en avaient favorisé l’apparition (v. Req.
24 déc. 1928, La soie artificielle, S. 1929. I. 121, rapp. Bricout, note Niboyet;
Req. 17 juill. 1930, Graf, Rev. dr. int. 1931. 26, note Caleb, Clunet 1931. 654,
note J. P., S. 1931. 1. 4, DP 1930. 1. 163, note Camerlynck; Civ., 28 juill. 1933,
DP 1936. I. 125, note Silz, Rev. crit. 1934. 109 et S. 1935. I. 41, note Niboyet;
Com., 20 oct. 1953, Rev. crit. 1954. 354, note H. Batiffol).
Le critère du siège social l’a donc incontestablement emporté en droit posi-
tif et si le législateur s’est gardé d’énoncer un principe en la matière, il en a du
moins déduit la conséquence notamment sur le terrain de la loi applicable,
d’abord avec l’article 3 de la loi du 24 juillet 1966 (devenu art. L. 210-3,
C. com.) puis avec l’article 1837 du Code civil (L. 4 janv. 1978). Sans doute
la notion de contrôle se manifeste parfois, mais c’est soit en raison de l’ordre
exprès du législateur prenant des mesures de défiance envers les étrangers (ainsi
à l’occasion de la Seconde guerre mondiale, v. infra, II, § 8), soit encore dans
le cadre du critère du siège social, pour résoudre certaines difficultés que ren-
contre sa mise en œuvre.
50 CCRMA — CASS., 30 MARS 1971 459

4 B. — Deux types d’hypothèses provoquent plus particulièrement des dif-


ficultés d’application. Il se peut d’abord que le siège social indiqué par les sta-
tuts ne corresponde pas réellement au lieu où la société a établi « ses organes
de direction et de contrôle ». Il se peut aussi que la fiction atteigne non pas
seulement la localisation du siège mais sa matérialité ou son existence; le cas
topique est celui de la société filiale dont les organes de direction et de contrôle
ne jouissent d’aucune autonomie par rapport à la société mère.
Face au problème de la localisation fictive, la réaction première et naturelle
de la jurisprudence a été de décider que le siège mentionné par les statuts ne
s’impose pas comme critère de nationalité (Req. 22 déc. 1896, préc., Paris
4 févr. 1935, Rev. crit. 1935. 816). Cependant, l’article 3, alinéa 2 de la loi du
24 juillet 1966 (devenu art. L. 210-3, C. com.) — repris par l’alinéa 2 de
l’article 1837 du Code civil — est venu préciser, à propos de la loi applicable,
que « les tiers peuvent se prévaloir du siège statutaire, mais [que] celui-ci ne
leur est pas opposable par la société si son siège social réel est situé en un
autre lieu » (comp. art. 48 du Traité CE).
Le premier élément de cette solution est que la distorsion que crée l’écart
entre le siège réel et le siège statutaire ne doit pas préjudicier aux tiers qui,
selon ce que leur intérêt commande, peuvent se prévaloir de l’un ou de l’autre
et choisir la loi applicable à la question de droit des sociétés qui les concerne
(T. com. Paris, 19 oct. 1982, Rev. crit. 1984. 93, note H. Synvet; v. H. Synvet,
Rép. dr. int., v° Société, nos 41 et s.). Cette option protectrice n’est évidem-
ment pas offerte à la société elle-même qui doit assumer les risques nés de
l’équivoque qui lui est imputable (v. les conséquences sur la détermination du
tribunal compétent en matière de procédure d’insolvabilité, Civ. 1re, 21 juill.
1987, Éts Bernard, D. 1988. 169, note J.-P. Rémery, Rev. soc. 1988. 98, note
A. Honorat).
Le second élément que ne spécifie pas le texte, mais que le droit commun
impose se déduit du principe que la mauvaise foi, la fraude ni la tromperie ne
se présument (v. art. 2268, C. civ.) : il appartiendra donc au tiers qui allègue la
fictivité du siège statutaire de rapporter la preuve contraire aux dispositions du
pacte social pour pouvoir se prévaloir du siège réel.
C’est dire qu’il convient normalement de se référer au siège statutaire censé
correspondre au siège réel (v. Ass. plén., 21 déc. 1990, Rev. crit. 1992. 70, note
G. Duranton, JCP 1991, éd. G. II. 21640, concl. Dontenwille et éd. E. II,
p. 49, rapport J. Lemontey : « … la nationalité…, pour une société, résulte en
principe de la localisation de son siège réel, défini comme le siège de la direc-
tion effective et présumé par le siège statutaire » (comp. Règlement de 29 mai
2000 relatif aux procédures d’insolvabilité art. 3 § 1 et v., maltraitant more
britannico, pour l’application de ce règlement, la présomption fondée sur le
siège statutaire, Versailles, 4 sept. 2003, Daisytec, Rev. crit. 2003. 655, note
G. Khairallah, D. 2003. 2352, note J.-L. Vallens, JCP 2004. II. 10007, note
M. Menjucq, Rec. soc. 2003. 891, note J.-P. Rémery, et T. com. Nanterre,
19 mai 2005, MG Rover, JCP 2005. II. 10116, note M. Menjucq; mais v. CJCE
2 mai 2006, C-341/04, Euro food IFSC). Cette solution rapproche sensible-
ment le critère du siège social de celui de l’incorporation (v. H. Synvet,
L’organisation juridique du groupe international de sociétés, thèse Rennes,
460 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 50

1979, nos 93 et s., p. 208 et s. et vo Société, préc. nos 35 et s.; M. Menjucq, La


mobilité des sociétés dans l’espace européen, thèse Bordeaux, éd. 1997, nos 183
et s., p. 131 et s.). Pratiqué avec libéralisme, ce dernier laisse aux fondateurs le
choix de la nationalité de la société, mais cette liberté est souvent limitée, en cas
d’absence de lien effectif avec l’économie du pays choisi, par le recours à la
notion de fraude ou encore par des restrictions d’activités infligées à la société
indûment enregistrée à l’étranger (v. B. Audit, La fraude à la loi, no 524;
P. Mayer et V. Heuzé, no 1039; v. pour le droit suisse, LDIP, art. 154 et les ratta-
chements spéciaux des art. 156 et s.; pour le droit italien, L. no 218 du 31 mai
1995, art. 25 [1]). Ainsi équilibré par des préoccupations réalistes, le critère de
l’incorporation ne s’oppose plus guère à celui du siège social dès lors que celui-
ci à son tour s’imprègne du formalisme du siège statutaire, encouragé d’ailleurs
en France par le régime de l’immatriculation au registre du commerce et des
sociétés. À ce propos, on rappellera que, il y a quelque temps déjà, Lerebours-
Pigeonnière a suggéré la parenté entre le principe de détermination de la natio-
nalité des sociétés et la règle de la loi d’autonomie (v. Précis, 3e éd., no 163).
Celle-ci, on le sait (v. supra, arrêts American Trading Co et Fourrures Renel,
nos 11 et 35), est soumise à deux pôles d’interprétation, subjectiviste et
objectiviste; la même dialectique paraît bien lier incorporation et siège social
(v. CIJ, 5 févr. 1970, Aff. Barcelona Traction, Rec. 1970, p. 42 et Ph. Francescakis
« Lueurs sur le droit international des sociétés de capitaux » Rev. crit. 1970. 609
et s.; v. aussi B. Goldman sous Paris, 26 mars 1964, Clunet 1966. 841; rappr.
H. Muir Watt, Cours préc., no 20 et s.). On en conclura que le droit positif,
fidèle au réalisme de la jurisprudence de la fin du XIXe siècle, ne néglige pas
pour autant les avantages que procure un critère formaliste.

5 Un degré de plus dans l’ordre de la fiction est atteint avec le cas des sociétés
qui, dépourvues de toute autonomie, ne sont en vérité que des façades couvrant
les activités directement conduites en France par des entreprises étrangères.
L’illustration en a été offerte par l’affaire de la société Remington Typewriter ;
américaine par son siège, cette entreprise avait installé en France un réseau com-
mercial pour distribuer ses produits. Elle avait revêtu ce réseau de la forme sociale
en constituant une société dont le siège était fixé à Paris et elle prétendait de ce
fait bénéficier des dispositions relatives aux baux commerciaux dont la jouissance
était réservée aux citoyens français par la loi du 30 juin 1926 (puis art. 38,
D. 30 sept. 1953, devenu art. L. 145-13, C. com). La Cour de cassation s’opposa
à cette prétention, relevant avec soin les divers indices (origine des capitaux, com-
position du conseil d’administration, lieu d’emploi des capitaux, subordination
économique) dénonçant l’absence d’indépendance de la société constituée en
France. Pas plus que cette société de façade, le siège social n’avait de consistance;
il ne pouvait fonder une présomption d’intégration à l’économie française ni donc
une attribution de nationalité française (Req. 12 mai 1931, DP 1933. I. 60, note
Silz, S. 1932. I. 57, note Niboyet; v. aussi Req. 27 mai 1921, Clunet 1923. 322).
En revanche, quelque quarante ans plus tard, la Cour de cassation, toujours
aussi attentive aux éléments de fait attestant l’autonomie de l’activité sociale
déterminée depuis le siège français, admettait la nationalité française de la
50 CCRMA — CASS., 30 MARS 1971 461

société Shell Berre (Civ. 3e, 8 févr. 1972, Rev. crit. 1973. 299, note P. Lagarde,
Clunet 1973. 218, note Oppetit), puis de la Société Shell française (Civ. 3e,
10 mars 1976, Rev. crit. 1976. 658, Rev. Soc. 1977. 305, note J.-L. Bismuth),
filiales l’une et l’autre de la société Royal Dutch. Ainsi le critère du siège
social n’est inopérant que dans le cas où la société constituée en France n’est
qu’un établissement, une branche ou une succursale appartenant à une société
étrangère. L’ineffectivité du siège social le stérilise (sur la nationalité des
sociétés intégrées dans un groupe multinational, v. Goldman, Trav. com. fr. dr.
int. pr. 1966-1969, p. 232, Cours de droit du commerce international, 1972-
1973, p. 100-101; H. Synvet, v° Société, préc. no 196; B. Oppetit, note préc.,
Clunet 1973. 218). La constatation ne doit pas s’entendre comme contredisant
le principe que consacre le présent arrêt, mais comme un élément de spécifi-
cation du critère retenu. Il s’agit, comme l’énonce un arrêt de 1972 du « siège
statutaire et effectif » (Civ. 1re, 18 avr. 1972, Société Overseas Apeco Limited,
Clunet 1973. 218, note B. Oppetit).

II. Les limitations exceptionnelles de la portée du principe

6 « Pareil principe cesse d’avoir application lorsque le territoire sur lequel est
établi ce siège social, est passé sous une souveraineté étrangère… » L’arrêt
n’avait donc rappelé le principe que pour mieux s’accorder la liberté d’y déro-
ger et ce que la Cour de cassation a fait en la cause (A), il arrive aussi à la loi
de le faire (B).

7 A. — Lorsque par l’effet d’une cession de territoire ou de l’accession d’un


territoire à l’indépendance, la souveraineté qui s’exerçait au lieu du siège
social s’efface devant une nouvelle souveraineté, l’application pure et simple
du principe conduit à constater le changement corrélatif de nationalité de la
société. La solution a été admise par exemple pour les sociétés qui, en 1918,
avaient leur siège en Alsace; elles sont devenues françaises (v. Batiffol et
Lagarde, t. I, no 194, p. 234). La solution a été reprise à la suite de l’indépen-
dance de l’Algérie (v. Paris, 21 oct. 1965, Grande Vinaigrerie Oranaise, Clunet
1966. 360, note J.-D. Bredin, maintenu par Com., 7 févr. 1968, D. 1968. 552;
Civ. 1re, 26 nov. 1975, Dame Jenner, Rev. crit. 1976. 506, note P. L., Rev. soc.
1976. 528, note J.-L. Bismuth) : les sociétés dont le siège était en Algérie sont
en principe devenues algériennes.
Ce changement de nationalité, conséquence automatique du changement de
souveraineté territoriale qui avait la faveur de la CCRMA-Alger, ne convenait
évidemment pas aux associés français lesquels souhaitaient que leur société
conserve la nationalité française. Certes, ils pouvaient envisager de combattre
l’effet du changement de souveraineté en transportant le siège social en France;
mais l’opération s’analysait alors en un nouveau changement de nationalité —
une réintégration —, la société redevenant française après avoir été temporai-
rement, depuis l’indépendance jusqu’au rapatriement, société algérienne. Ce
462 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 50

mouvement de va-et-vient, reposant sur un transfert international du siège


social qui peut être fiscalement coûteux, qui n’est pas nécessairement autorisé
par le droit du nouvel État et qui de toute façon est source de complication
(v. par ex., art. L. 225-9, C. com.), est évité par le présent arrêt à la CCRMA.
La Cour de cassation suspend l’application du critère du siège social, à condi-
tion d’une part que la société concernée soit contrôlée par des Français et
d’autre part que le siège social ait été transféré en France par décision régu-
lière des organes sociaux. Cette double condition montre, selon l’explication
de M. Paul Lagarde (note préc., Rev. crit. 1971, p. 467) que l’exception ainsi
retenue résulte d’une extension aux personnes morales du système de la recon-
naissance de la nationalité française prévu pour les personnes physiques à
l’occasion de l’accession à l’indépendance des États de l’Afrique noire et
Madagascar (ord. 20 juill. 1960) et de l’Algérie (ord. 21 juill. 1962) et caracté-
risé par son effet rétroactif assurant la conservation de la nationalité française.
Comme le relève M. Lagarde, la notion de contrôle « intervient ici unique-
ment pour déterminer et ceci unilatéralement, les sociétés autorisées à conser-
ver leur nationalité française en transférant leur siège social en France ». Il ne
s’agit pas d’un critère dérogatoire écartant à lui seul le siège social, mais seu-
lement d’un des éléments d’une hypothèse où une exception — toute provi-
soire — peut être apportée au principe, sans pour autant l’ébranler.

8 B. — S’il y a lieu de craindre pour la solidité du critère du siège social, ce


n’est certes pas du fait de la Cour de cassation, mais de celui du législateur. En
effet, celui-ci, pour l’application de textes particuliers dont il entend réserver le
bénéfice ou la charge aux Français, récuse parfois le critère du siège social et
utilise alors la notion de contrôle. Ainsi, en va-t-il d’abord dans le cadre de
circonstances exceptionnelles, avec les dispositions du décret du 1er septembre
1939 relatif au séquestre des biens ennemis, qui se réfère à la nationalité des
associés, ou celles du décret du 14 août 1939 relatif à la fabrication d’armes
qui considère l’origine des capitaux. Ainsi en va-t-il ensuite dans des domai-
nes où l’intérêt national paraît engagé avec, par exemple, le décret du 7 mars
2003 réglementant les relations financières avec l’étranger qui soumet à décla-
ration administrative les investissements directs effectués en France par une
entreprise de droit français dont le capital ou les droits de vote sont détenus à
plus de 33,33 % par une ou plusieurs entreprises de droit étranger…
Cette utilisation de la notion de contrôle, sous des formes variées, plus ou
moins précises, ne compromet pas immédiatement la valeur de principe du
critère du siège social. Il peut y avoir en effet de justes motifs d’établir une
différence de traitement entre les sociétés françaises selon qu’elles sont ou
non contrôlées par des étrangers; il s’agit alors d’exceptions légalement déter-
minées qui confirment le principe. Mais la multiplication de ces emplois
législatifs ou règlementaires de la notion de contrôle encourage la tendance à
la systématisation, de sorte que — sur l’observation que les dérogations au
siège social interviennent en matière de jouissance des droits et non pas en
matière de choix de la loi applicable — pourrait resurgir la thèse de Niboyet,
opposant l’allégeance juridique et l’allégeance politique (Niboyet, Traité, t. II,
nos 761 et s.).
50 CCRMA — CASS., 30 MARS 1971 463

9 La première de ces deux relations se manifeste par la soumission de la


société à la loi d’un État. Le critère du siège social convient pour fixer cette
allégeance juridique : l’intégration de l’activité de la société dans l’économie
nationale d’un État justifie l’application de la loi de cet État à la constitution,
au fonctionnement et à la dissolution de la société (Com., 21 déc. 1987, Soc.
Viuda de Jose Tolra, Rev. crit. 1989. 344, note M.-N. Jobard-Bachellier, Rev.
soc. 1988. 398, note H. Synvet, JCP 1988. II. 21113, concl. Montanier, Grands
arrêts jurisp. civile, 11e éd., t. 2, no 278; Com., 8 nov. 1988, Rev. crit. 1989. 371,
JCP 1989. II. 21230, note J.F. Barbieri; Com., 9 août 1991, Clunet 1992. 954,
note Ph. Kahn, Rev. soc. 1991. 746, note R. Libchaber; Civ. 1re, 8 déc.1998,
Rev. crit. 1999. 284, note M. Menjucq, Rev. soc. 1999. 93, note Y. Guyon). En
revanche, l’allégeance politique se révélerait par le contrôle. Sur le plan du
loyalisme, du patriotisme, de la défense des intérêts nationaux de l’État et de la
collectivité étatique, la personne morale n’existe pas; seuls sont à considérer
les associés. Cette allégeance politique opérerait sur le terrain de la condition
des étrangers — ce qui permettrait d’éviter de reconnaître la jouissance de
droits subordonnés à la nationalité française, à l’étranger qui s’associerait avec
d’autres.
À ce genre de tentative, on se contentera ici d’objecter d’une part qu’elle
est fâcheusement animée par un sentiment de défiance systématique envers
l’étranger qui se traduit par une présomption irréfragable de fraude, et d’autre
part, selon la remarque pénétrante du doyen Batiffol, qu’elle méconnaît le fait
qu’en principe les droits offerts à la jouissance des sociétés sont d’ordre écono-
mique et non politique de sorte que c’est sur le plan économique qu’il convient
d’appréhender le problème de leur allégeance ou nationalité (v. Batiffol et
Lagarde, t. I, no 197).
Aussi bien d’ailleurs, la jurisprudence refuse-t-elle cette distinction doctri-
nale pour s’en tenir au siège social, même quand il y va de la condition des
étrangers (v. arrêts Shell, Civ. 3e, 8 févr. 1972 et 10 mars 1976, préc.).
Toutefois, la fréquence du recours à la notion de contrôle, spécialement
dans le domaine du droit public, a bien failli faire perdre au siège social sa fonc-
tion de critère de principe. Le Tribunal des conflits en vint, en effet, à déclarer
« que la nationalité d’une société… ne peut être déterminée qu’au regard des
dispositions législatives ou réglementaires dont l’application ou la non appli-
cation à la société intéressée dépend du point de savoir si celle-ci est ou n’est
pas française » (T. confl., 23 nov. 1959, Sté Mayol Arbona, D. 1960. 223, note
R. Savatier, Rev. crit. 1960. 180, note Y. Loussouarn). Il aurait donc fallu à
propos de chaque disposition particulière rechercher quel critère de nationalité
elle entendait mettre en œuvre, et, à défaut d’indications, abandonner au juge
le soin d’interroger les circonstances de la cause. C’est bien ainsi que l’avait
entendu la Cour de Paris, dans la présente affaire, pour conserver sa nationalité
française à la CCRMA. La Cour de cassation, on l’a vu, a choisi une autre voie.
Contrairement à l’arrêt Mayol Arbona qui ne mettait pas seulement en
cause le critère de détermination de la nationalité des sociétés, mais pulvéri-
sait le concept même de nationalité, le présent arrêt rétablit celui-ci dans son
intégrité.
464 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 50

III. La notion de nationalité des sociétés

10 La décision de 1959 du Tribunal des conflits n’est pas le premier assaut


dirigé contre le concept de nationalité des sociétés. Il y a plus de trois quarts de
siècle que Pillet a engagé le débat (v. Les personnes morales en dr. int. priv.,
Paris 1914, no 82, p. 122; sur la controverse, v. Loussouarn, Rec. cours La Haye,
1959. 458 et s.; Loussouarn et Bredin, op. cit., no 238, p. 253 et s.; sur la por-
tée de la controverse, v. Holleaux, Foyer et de Geouffre de La Pradelle, nos 221
et s., H. Synvet, Rép. Dalloz dr. int., v° Société, nos 4 et s., nos 175 et s.). Depuis,
la contestation s’est développée sur trois points : la consistance de la notion, la
fonction qui lui est reconnue et enfin son mode de détermination.
11 Quant à la consistance, la critique dénonce la confusion entre la vraie natio-
nalité, qui est celle des personnes physiques et la « pseudo-nationalité »
(Niboyet, « Existe-t-il une nationalité des sociétés », Rev. crit. 1927. 402 et s.;
F. Luchaire, RTD civ. 1982, p. 285) des personnes morales. Il n’y a pas soixante-
cinq millions de Français, dont cinq millions de personnes morales (Niboyet,
op. cit.). Il est incontestable que celles-ci n’appartiennent pas à la population
constitutive de l’État.
Mais, à ce niveau, la contestation reste d’ordre terminologique et repose sur
le postulat que le terme nationalité désigne exclusivement l’appartenance à la
« population de l’État ». Si l’on y adhère, il faut choisir un autre vocable pour
désigner la relation qui unit la société et le milieu économique national. Pillet
n’allait guère au-delà de cette revendication lorsqu’il qualifiait « analogique »
l’usage du mot nationalité à propos des personnes morales. Nul d’ailleurs ne
nie aujourd’hui que l’allégeance étatique revêt des formes variables en fonc-
tion de la nature du sujet : personne physique ou être moral; à côté de la ver-
sion démographique du concept, il existe des versions économique (sociétés)
ou répondant à d’autres activités spécialisées et intérêts distincts dans le
milieu social (associations, fondations…). L’unité du concept n’est pas atteinte
par cette diversification des formes dès lors que celles-ci s’ordonnent aux
mêmes fins : identification d’un État en vue de la détermination de la loi
applicable, de l’exercice de la protection diplomatique, de la reconnaissance
du bénéfice des traités (v. par ex., l’art. 1er du Traité franco-belge du 8 juill.
1899, l’art. 26 de la Convention franco-suisse du 9 sept. 1966, dont l’applica-
tion était en cause dans Ass. plén., 21 déc. 1990, préc.) et plus généralement
de l’application des règles de condition des étrangers. Mais précisément,
Niboyet ouvre ici la brèche et fractionne la notion pour diviser la fonction.
12 Quant à la fonction, en effet, Niboyet distingue, comme on l’a vu, l’allégeance
juridique, opérant dans le champ du conflit de lois, et l’allégeance politique,
opérant dans celui de la condition des étrangers.
Cette thèse est arbitraire. Pourquoi refuser à la société de siège français,
mais sous contrôle étranger, le bénéfice des articles 14 et 15 du Code civil, ou
celui de la loi du 1er juillet 1926 (ou du décret du 30 sept. 1953), alors qu’elle
contribue de la même façon qu’une société sous contrôle français à la prospé-
rité nationale ? Certes, ce n’est pas sur la seule considération de ces questions
50 CCRMA — CASS., 30 MARS 1971 465

de pur droit privé que Niboyet a forgé ses idées. Celles-ci étaient tributaires
de la conjoncture qui, pour lors, appelait les mesures de guerre et incitait à
gonfler le contenu politique de la notion de nationalité en surestimant les
coefficients moral et sentimental — lesquels font en effet référence à des qua-
lités (loyalisme, patriotisme, solidarité…) plus aisément perceptibles chez les
personnes physiques, mais non point pour cela étrangères aux êtres moraux
(v. sur ce point, l’expérience anglaise au témoignage de B. Goldman, Cours
préc., p. 41-42). Mais même sous cet éclairage très particulier, la position de
Niboyet n’est pas convaincante. La politique exige une adaptation aux cir-
constances et autorise le recours à des moyens variables face à des données
évolutives. Défendre la notion de contrôle comme critère d’une allégeance
couvrant un ensemble, une catégorie de questions étendue comme celle de la
condition des étrangers est le péché d’un « faiseur de système » (J. Rivero,
D. 1952, chr. 99); la position agnostique du Tribunal des conflits, récusant la
notion générale de nationalité des sociétés est, de ce point de vue, beaucoup
mieux fondée. L’application de textes de circonstances peut appeler des critè-
res de circonstances.
Aussi bien, pas plus qu’elle ne s’est rendue au relativisme absolu de l’arrêt
Mayol Arbona, la jurisprudence civile n’a consacré la distinction de Niboyet
— à laquelle elle préfère l’opposition du principe et des exceptions légale-
ment déterminées (v. supra, II, préférence que manifeste aussi le Conseil d’État,
spécialement dans l’affaire Mayol Arbona en suite de la décision du Tribunal
des conflits : CE, 22 févr. 1960, Rev. crit. 1960. 335). Néanmoins cette dis-
tinction réapparaît chez certains auteurs contemporains. Ainsi MM. Mayer et
Heuzé détachent, pour la régler de manière indépendante et préalable, la ques-
tion de la loi applicable à la société de celle de la condition des étrangers
(nos 1030 et s.; v. aussi L. Levy, La nationalité des sociétés, Paris, 1984,
nos 44 et s., M. Menjucq, op. cit., nos 53 et s., note Rev. crit. 1999. 284 préc. et
également en faveur d’une distinction mais d’un ordre différent, P. Louis-Lucas
« Remarques relatives à la détermination de la nationalité des sociétés »,
JCP 1953. II. 1104). Selon ces auteurs, il conviendrait de distinguer les condi-
tions de création et les règles de fonctionnement des sociétés, d’une part,
l’exercice par les sociétés étrangères d’une activité en France, d’autre part. La
première question serait réglée par l’application de la loi du siège social,
c’est-à-dire par l’emploi d’une règle de conflit bilatérale, dont le rattachement
coïncide avec le critère de la nationalité sans s’identifier à celle-ci. La seconde
nécessiterait, au contraire, la détermination de la nationalité de la société,
laquelle devrait être opérée par application du droit du pays auquel la société
prétend ressortir, c’est-à-dire au moyen d’une règle unilatérale.
13 Cette différence quant à la méthode de détermination (bilatéralité ou unila-
téralité) avait déjà été relevée par Niboyet : alors qu’à l’égard des personnes
physiques chaque État détermine souverainement ses nationaux (supra, arrêt
Kasapyan, no 46), à l’égard des sociétés la jurisprudence utilise le siège social
de manière bilatérale lui confiant le soin d’établir la nationalité étrangère aussi
bien que la nationalité française, ce qui peut avoir pour effet d’attribuer à une
personne morale la nationalité d’un État qui ne la lui confère pas. Il y avait là,
466 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 50

selon lui, une divergence notable qui reflétait une différence de nature entre la
nationalité des personnes physiques et celle des personnes morales.
MM. Mayer et Heuzé ne vont pas jusque-là : sans nier l’importance de la
divergence, ils maintiennent l’unité du concept de nationalité. Mais par souci
de cohérence, ils considèrent que là où elle joue, la nationalité des sociétés
obéit à un mode de détermination unilatéral.
Qu’en penser ? On observera à cet égard que l’unilatéralité qui caractérise
la détermination de la nationalité des personnes physiques tient à la fonction
que remplit la notion de population dans la constitution de l’État, au sens du
droit international public. L’État souverain organise dans les limites d’un ter-
ritoire un pouvoir politique qui s’exerce sur une population. La souveraineté
qui le caractérise assure à l’État ainsi défini la liberté de déterminer sa popula-
tion. Dès lors l’unilatéralité des règles de détermination de la nationalité des
sociétés doit, ou non, prévaloir selon qu’on estime, ou non, qu’un même ensem-
ble doit accueillir les personnes physiques et les personnes morales pour subir
uniformément le régime publiciste de la souveraineté des États. En faveur d’une
réponse positive, on relèvera le courant, variable selon les époques, qui tend à
alourdir l’emprise de l’État sur les agents économiques. Mais il faut bien
constater que telle n’est pas la position de la jurisprudence française (Ass.
plén., 21 déc. 1990, préc.; Com., 9 avr. 1991, Interpart, Rev. soc. 1991. 746,
note R. Libchaber; 19 mai 1992, Clunet 1992. 954, note Ph. Kahn; 9 mars
1993, Soc. Ejendomusselskabet, Bull. IV, no 94, Rev. soc. 1993. 584, JCP 1993.
I. 3682, obs. Viandier et Caussain) laquelle n’est d’ailleurs pas en retard sur la
jurisprudence internationale qui ne rejette pas la méthode bilatérale (v. arrêt
Barcelona Traction, préc., se ralliant à « la règle traditionnelle » désignant
« l’État sous les lois duquel elle s’est constituée et sur le territoire duquel elle
a son siège », Rec. p. 42).
Certes, la solution de la bilatéralité peut conduire à un désaccord entre
l’État qui l’applique et l’État dont la nationalité est en jeu. Mais avec un cri-
tère comme celui du siège social, tel que le conçoit le droit international privé
français, il en résultera simplement que, par exemple, la compétence en
matière de protection diplomatique sera déniée à un État auquel la société à
défendre n’est reliée que par de trop faibles attaches ou encore que cette com-
pétence sera reconnue à un État qui ne consent pas à l’exercer. Ni l’une, ni
l’autre éventualité ne choquent ou ne mettent en péril la souveraineté des
États. Elles autorisent seulement cette conclusion que la nationalité des socié-
tés, analogue de la nationalité des personnes physiques, est une autre espèce
du même genre, moins sujette à la domination de l’idée de souveraineté.
51
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

1er février 1972

(Rev. crit. 1972. 644, note Wiederkehr, Clunet 1972. 594, note Ph. Kahn,
JCP 1972. II. 17096, concl. Gégout, Rép. Defrénois 1972. 1033, note Malaurie)
Renvoi. — Régime matrimonial.

Le choix du régime matrimonial dépendant de la volonté expresse ou


implicite des époux, ceux-ci n’ont pu se référer qu’à une loi interne à l’exclu-
sion de ses règles de conflit de lois dont « il n’est pas raisonnable de penser
qu’ils aient soupçonné l’existence ».

(Dame Gouthertz c/Gouthertz)

Faits. — Casimir Gouthertz, sujet français, en instance de séparation de corps, a


acquis un appartement en 1955 puis, quatre ans plus tard, la procédure toujours pen-
dante, l’a revendu. Son épouse, née Nathalie Riabimine, d’origine russe mais devenue
française par son mariage, demande l’annulation de cette vente sur le fondement de
l’article 243 (ancien) du Code civil, lequel prévoit que l’aliénation d’un bien commun,
quoique faite par le mari dans la limite de ses pouvoirs d’administrateur de la commu-
nauté, pourra être déclarée nulle si elle a été effectuée depuis le début de la procédure et
en fraude des droits de la femme. Gouthertz se défend en contestant que la vente liti-
gieuse ait eu pour objet un bien commun, les époux étant selon lui mariés sous le régime
légal d’inspiration séparatiste de la loi russe en vigueur au moment de leur mariage.
L’union a été célébrée sans contrat préalable, en 1915, à Odessa où lui-même était né et
domicilié et où les jeunes époux vécurent ensemble les premiers mois de leur mariage,
avant que les circonstances de la guerre n’appellent Gouthertz à quitter la Russie pour la
France. Mais, en 1919, dès sa démobilisation, il rejoignait son épouse à Odessa — que
le ménage dut quitter définitivement en 1921, chassé par la révolution bolchevique; il
s’établit alors en France.
Au vu de ces éléments, estimant que le premier domicile commun avait été fixé par
les époux Gouthertz en Russie, la cour d’appel décidait que ceux-ci s’étaient soumis au
régime matrimonial russe en vigueur au temps de leur mariage. Cette solution, qui lui
dénie tout droit sur le bien acquis par le mari et donc tout titre pour en critiquer la
revente, est contestée par Mme Gouthertz.
Formant un pourvoi devant la Cour de cassation, elle développe plusieurs griefs —
parmi lesquels on délaissera d’abord un prétendu défaut de réponse à conclusions, si
instructif qu’en soit le rejet du point de vue du droit civil, et ensuite une insuffisance de
motifs s’en prenant pourtant à la démarche suivie par la cour d’appel pour déterminer la
loi applicable au régime matrimonial d’époux mariés sans contrat de mariage, mais sur
laquelle il fut répondu de façon tout à fait classique (v. sur ce point la note de G. Wieder-
468 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 51

kehr, Rev. crit. 1972. 644; arrêt Zelcer, supra, no 15). Avec l’auteur du pourvoi, on
négligera aussi la question de la survivance à l’« Empire des Tsars » (G. Wiederkehr,
ibid.) de la loi russe en vigueur lors du mariage, malgré les modifications importantes
qu’a connues en Russie, depuis 1917, le droit des régimes matrimoniaux et spécialement
du régime légal (sur la question de savoir si cette modification en général rétroactive
dans le pays dont la loi est déclarée applicable et duquel se sont définitivement éloi-
gnés les époux, affecte leur régime établi antérieurement à leur exil, v. Civ. 1re, 1er déc. 1969,
Païtchadzé, Rev. crit. 1970. 95, note P. Lagarde, Clunet 1970. 306, note A. Ponsard, Journ.
not., note G. Droz, et la jurisprudence citée par B. Ancel, Rép. Dalloz dr. int., vo Conflits de
lois dans le temps, nos 48 et s.; adde, quoique peu convaincants : Civ. 1re, 18 sept. 2002,
Vve Nachim, Rev. crit. 2003. 91, note G. Droz, D. 2003. 1251, note G. Khairallah, Defré-
nois 2003. 24, note M. Revillard, JCP 20093. I. 111, obs. G. Wiederkeher, LPA; 7 juin
2004, no 133, note P. Courbe et, sur renvoi, Paris, 22 sept. 2004, D. 2005. 1195, obs.
P. Courbe); la Cour de cassation ne pouvait connaître ce problème du changement légis-
latif intervenu dans l’ordre désigné dans la mesure où il intéressait le contenu de la loi
applicable et où les parties n’en avaient pas saisi les juges du fond. On ne retiendra donc
que le reproche qui a mené l’arrêt ci-dessous à la notoriété et qui posait le problème du
renvoi en matière de régime matrimonial. Il remontrait en effet que « d’après la loi russe
déclarée applicable, le régime matrimonial d’époux étrangers serait déterminé par la loi
nationale du mari, en conséquence de quoi, les époux seraient soumis au régime légal
français de la communauté ».
Voici la réponse de la Cour de cassation :

ARRÊT
La Cour; — Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : — Attendu que,
selon les énonciations des juges du fond, Casimir Gouthertz, de nationalité fran-
çaise, a, le 25 octobre 1915, à Odessa (Russie), où il était né et avait son domicile,
épousé, sans contrat préalable, Nathalie Riabimine, Russe devenue française par
ce mariage; que Gouthertz, pour satisfaire à ses obligations militaires, a quitté
la Russie en 1916 et ne l’a regagnée qu’en 1919 pour rejoindre sa femme; qu’en
1921 les époux sont venus s’installer en France; — Attendu que dame Gouthertz,
en instance de séparation de corps depuis le 15 octobre 1954 et prétendant être
mariée sous le régime français de la communauté légale, a, en 1967, intenté une
action tendant à faire prononcer sur le fondement de l’article 243 du Code civil
la nullité de la vente, consentie le 20 juillet 1959 par Gouthertz à demoiselle L…,
d’un appartement qu’il avait acquis le 15 juillet 1955; — Attendu qu’il est fait
grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté dame Gouthertz de sa demande au motif
que, suivant la règle française des conflits de lois, les époux se trouvaient soumis
au régime matrimonial légal en vigueur dans l’ancien Empire russe, exclusif de
communauté, pour avoir établi leur domicile en Russie, alors que, selon le pour-
voi, d’une part, d’après la loi russe déclarée applicable, le régime matrimonial
d’époux étrangers serait déterminé par la loi nationale du mari, en conséquence
de quoi les époux seraient soumis au régime légal français de la communauté,
et alors, d’autre part, que si l’on considère que la loi russe interne est applicable
à des ressortissants français, « l’intention des époux d’établir leur domicile à
l’étranger doit être établie de façon certaine et non d’après des déductions
hypothétiques fondées sur des motifs contradictoires; que s’il appartient aux
juges du fait de tenir compte de la fixation du domicile commun, ils peuvent
prendre en considération des éléments d’appréciation postérieurs à la célébra-
tion du mariage; que, notamment, il ne (serait) pas possible de dire que le pre-
mier domicile était fixe et durable pour un garçon de 19 ans attendant d’un
moment à l’autre son ordre de mobilisation et qui n’avait pas de situation; que
51 GOUTHERTZ — CASS., 1 FÉVRIER 1972 469

loin de rester 6 ans en Russie comme l’indique l’arrêt attaqué (Gouthertz) est
parti en France (sic) trois mois après son mariage; que dès son retour en Russie,
à sa démobilisation, fin 1918, il aurait fait des démarches pour obtenir l’autori-
sation d’être rapatrié, accompagné de sa femme; qu’il (n’aurait) pu réaliser son
projet malgré l’autorisation obtenue pour le mois d’avril 1919 en raison, d’une
part, de l’état de grossesse avancé de sa femme, et de la situation créée par la
révolution qui empêchait tous départs »; — Mais attendu que la cour d’appel
relève, par une appréciation souveraine et non dénaturante des éléments de la
cause et dans des motifs qui ne sont ni hypothétiques ni contradictoires, que les
époux Gouthertz ont, de façon fixe et durable, au moment de leur mariage, éta-
bli leur domicile en Russie, qu’ils n’ont quitté qu’à la suite de circonstances con-
traignantes, et qu’ils se sont, de la sorte, placés sous le régime légal de la sépara-
tion de biens alors en vigueur dans ce pays; Qu’elle déduit justement de cette
analyse que le choix du régime dépendant de la volonté expresse ou implicite
des époux, ceux-ci n’ont pu se référer qu’à la loi interne à l’exclusion des règles
russes de conflit de lois « dont elle déclare qu’il n’est pas raisonnable de penser
qu’ils aient soupçonné l’existence »; Que le moyen ne saurait être accueilli; — Et
sur le second moyen : — Attendu que non moins vainement il est soutenu que la
cour d’appel aurait omis de répondre aux conclusions d’appel de dame
Gouthertz qui, pour demander la nullité de la vente, se fondait aussi sur la cause
illicite de celle-ci en application des articles 1131 et 1133 du Code civil, alors
qu’elle aurait été tenue de s’expliquer sur ce point quelle que soit sa décision en
ce qui concerne le régime matrimonial, dame Gouthertz n’en ayant pas moins
intérêt à obtenir l’annulation d’une vente qui, en dépouillant son mari, aurait
porté atteinte à ses droits éventuels dans la succession de celui-ci, et dans le
présent aurait privé le ménage d’une partie de ses ressources; — Attendu en
effet, d’une part, qu’en énonçant que la question qui se pose et dont dépend la
solution du litige est celle de savoir à quel régime matrimonial se trouvaient
soumis les époux, puis en décidant que ceux-ci sont séparés de biens, et en
confirmant, d’autre part, le jugement à elle déféré, la cour d’appel a implicite-
ment mais nécessairement rejeté les conclusions délaissées, et légalement justi-
fié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 1er février 1972. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Aydalot, prem. prés.; Ancel, prés.;
Thirion, rapp.; Gégout, av. gén. — MMes Lemanissier et Waquet, av.

OBSERVATIONS
1 Le renvoi n’intervient pas dans la résolution des conflits de lois relatifs au
régime matrimonial, telle est la leçon essentielle que cet arrêt vient inscrire
dans la tradition jurisprudentielle française. Prévisible et attendue, cette évic-
tion du renvoi est commandée par la teneur même de la règle de conflit qui est,
depuis Dumoulin, celle de la loi d’autonomie (v. supra, arrêt Zelcer, no 15).
Quoiqu’assurée de conserver longtemps encore son autorité à l’égard des cou-
ples mariés avant 1992, cette règle est désormais vouée à la disparition par
l’effet de l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye de 1978 sur la loi
applicable en matière de régime matrimonial. Si formellement ce traité évolue
à proximité de la position française en prévoyant l’application de la loi de la
première résidence habituelle commune des époux après le mariage (art. 4,
al. 1er) à défaut de choix par ceux-ci avant le mariage de l’une des lois énumé-
rées en son article 3, il propose au fond, avec ses exceptions en faveur de la loi
470 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 51

nationale ou de la loi du lieu de situation, un règlement de conflit invertébré,


dominé par l’esprit de compromis beaucoup plus qu’inspiré par une conception
structurée du régime matrimonial (Y. Lequette, « Le dr. int. pr. de la famille à
l’épreuve des conventions internationales », Rec. cours La Haye, 1994. II. 9,
spéc. p. 146 et s., nos 152 et s.); l’éclectisme qui le caractérise dissuade d’en
entreprendre la théorie et de dépasser le stade de l’analyse pratique. Aussi
bien, d’ailleurs, la convention rejette ici (art. 3 et 4, al. 1er) le renvoi qu’elle
accueille là (art. 4, al. 2) et on ne pourrait donc sans quelque artifice la replacer
dans les cadres que dessine l’arrêt Gouthertz. L’observation n’invite pourtant
pas à céder aux facilités d’un préjugé anti-historique — et, à vrai dire, anti-
juridique — qui presserait de réputer le droit international privé français libéré
de l’autorité de cette décision. Fondant l’exclusion du renvoi sur la nature
du rattachement que met en œuvre la règle de la loi d’autonomie, l’arrêt
Gouthertz encourage aujourd’hui non moins qu’hier à envisager l’extension de
cette solution à d’autres domaines relevant de règles de conflit à divers égards
apparentées; il s’agira en somme, de circonscrire le champ d’application du
renvoi (II) après avoir dégagé les raisons de son élimination en matière de
régime matrimonial (I).

I. L’exclusion du renvoi en matière de régime matrimonial

2 La Cour de cassation n’avait jamais auparavant admis le renvoi en ce


domaine et pourtant, certains ont pu douter qu’elle l’eût réellement rejeté.
Le fait est que dans l’arrêt le plus ancien, l’arrêt Balsan (Req. 18 juill.
1905, Rev. crit. 1906. 200), elle esquive la difficulté. Alors que la décision
d’appel (Montpellier, 25 avr. 1904, Rev. crit., ibid.) mettait effectivement en
cause le renvoi et était attaquée précisément sur ce point, une lecture très
opportune « déportant le débat sur le terrain de l’interprétation de la loi
étrangère » (Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes
en droit international privé, no 245, p. 223), délivrait la Cour de cassation de
l’obligation de prendre parti; peut-être la question lui sembla-t-elle prématu-
rée (v. Batiffol, Traité, 3e éd., no 619, note 8)… Ce détour ne pouvait plus
servir avec l’arrêt Lardans, prononcé quelque trois années avant celui ci-
dessus reproduit (Civ. 1re, 27 janv. 1969, D. 1969. 294, Rev. crit. 1969. 710,
note J. Derruppé, Clunet 1969. 644, note A. Ponsard, JCP 1970. II. 16407,
note J. Foyer), mais il n’était pas non plus nécessaire; reprochant à la Cour
d’Aix un défaut de réponse à conclusions, le pourvoi n’engageait pas le fond
du problème. Le grief était en quelque sorte disciplinaire. On aurait donc pu
déplorer une occasion manquée. Ce n’est pas ainsi qu’à bon escient réagirent
les commentateurs de l’arrêt Lardans. La Cour de cassation a ses habiletés et
l’éclat qu’elle donnait à l’arrêt maintenu n’était sans doute pas dépourvu de
signification; on ne reproduit pas sans le moindre avertissement de larges
extraits d’une décision dont on suspecte ou dénie la rectitude; aussi bien, ce
faisant, la Cour de cassation dévoilait ses inclinations et c’est donc sans pro-
voquer de surprise que l’arrêt Gouthertz condamnait le renvoi en matière de
régime matrimonial.
51 GOUTHERTZ — CASS., 1 FÉVRIER 1972 471

Cependant cette condamnation n’est pas une simple péripétie intéressant


seulement l’inépuisable querelle du renvoi; le problème vient ici toucher le
sens même de la règle de conflit relative au régime matrimonial, de la règle de
la loi d’autonomie et, en cela, l’arrêt Gouthertz apparaît comme une consécra-
tion de la doctrine de H. Batiffol. Mais cette doctrine, selon laquelle les époux
localisent librement leurs intérêts matériels et, s’ils ne se sont eux-mêmes
exprimés sur cette conséquence, le juge en déduit la loi applicable (Batiffol et
Lagarde, t. II, nos 619 et 622; v. aussi arrêt Zelcer, no 15) ne bénéficie pas chez
les auteurs d’une adhésion unanime.

3 Certains pensent que la jurisprudence traite différemment le cas où le choix


de la loi applicable au régime légal des époux résulte d’une manifestation de
volonté de ceux-ci et celui où, cette volonté faisant défaut, il procède d’une
détermination objective de la loi d’autonomie (v. Derruppé, note préc.). Si les
époux ont explicitement manifesté la volonté de soumettre leurs rapports pécu-
niaires à une loi déterminée, il faut d’après eux s’en tenir à ce choix et récuser
le renvoi qui ne pourrait que le ruiner. Mais si elle s’est portée globalement sur
un ordre juridique, considéré dans son ensemble, lui déléguant, pour ainsi dire,
le soin de déterminer la loi applicable, la volonté ne sera respectée, dans sa
sinuosité même, que par l’admission du renvoi lorsque la règle de conflit de
l’ordre choisi désigne une autre loi interne que la sienne. N’est-ce pas d’ailleurs
cette solution que l’arrêt est prêt à consacrer lorsqu’il évoque l’ignorance de la
règle russe de conflit par les époux Gouthertz ? (v. Wiederkehr, note préc.). Le
renvoi doit également, selon cette thèse être suivi lorsque les époux n’ayant
manifesté aucune volonté, le rattachement est objectivement déterminé par le
juge. En cette hypothèse il n’y aurait aucune raison de se priver des avantages
que ce mécanisme peut procurer sans jamais causer préjudice à une volonté
qui n’a pas existé… Comme on le voit, dans cette conception, la clé du pro-
blème est confiée à la volonté des époux : si elle ne s’est pas manifestée, elle
n’est rien; dans le cas contraire, elle est tout.
Acceptable dans sa première partie, cette démonstration ne l’est pas dans la
seconde. En l’absence de contrat de mariage et de choix exprès de la loi appli-
cable (Civ. 1re, 6 juill. 1988, Tangi, Rev. crit. 1989. 360, note G. Khairallah,
Clunet 1989. 115, note G. Wiederkehr), la jurisprudence a recours à la doc-
trine de la localisation volontaire. La volonté des époux intervient non pour
dicter au juge le choix de la loi applicable, mais pour l’aider à localiser les
intérêts du ménage. Dans le silence des époux, leur volonté continue de peser
et le juge est tenu de la rechercher; elle n’est jamais rien, elle n’est jamais
tout. La localisation repose en effet sur deux éléments, l’un matériel, l’autre
intentionnel, que concrétise le domicile matrimonial — c’est-à-dire « le lieu
où les époux entendent fixer et fixent effectivement leur établissement d’une
manière stable » (Batiffol et Lagarde, t. II, nos 620 et 623). Dès lors, il appa-
raît que, déduite des circonstances ou formellement manifestée, l’intention
des époux sera toujours déçue par un renvoi appelant une autre loi que celle
sous l’autorité de laquelle ceux-ci avaient placé, dès le début de leur union, le
développement de leurs intérêts patrimoniaux. La libre localisation des inté-
472 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 51

rêts matériels du ménage réalise l’intention que les époux ont de vivre leurs
relations pécuniaires comme il est d’usage de les vivre dans le milieu qu’ils
choisissent — et non dans un autre milieu ainsi que le voudrait le renvoi (comp.
Jacques Foyer, note préc.). Celui-ci, selon cette interprétation de la règle de la
loi d’autonomie, est donc inacceptable.

4 C’est bien ce qu’enseigne l’arrêt Gouthertz et il n’y a pas à s’émouvoir du


motif, repris de l’arrêt attaqué, dénonçant la trop probable ignorance du droit
international privé russe par les époux Gouthertz.
Les termes sont explicites. Le choix du régime dépend de la volonté expresse
ou implicite des époux, laquelle se porte sur les règles matérielles de l’ordre
juridique de localisation, sur la loi interne russe à l’exclusion des règles russes
de conflit de lois; il n’y a donc pas à distinguer selon que le choix a été ou n’a
pas été formellement exprimé, l’intention contemple la « teneur » et non la
« vocation » de la loi qu’elle désigne (v. P. Louis-Lucas, « Vue simplifiée du
renvoi », Rev. crit. 1964. 1). On ne réservera donc pas la condamnation du
renvoi au seul cas où les époux ont précisé la loi à laquelle ils soumettaient
directement leur régime.

5 Reste toutefois le problème que pose, au moins en théorie, la volonté décla-


rant s’en remettre à un ordre juridique en son entier, droit international privé
compris : faut-il soustraire cette éventualité à la condamnation ? La réponse
est négative (v. en ce sens Inst. dr. int., Session de Berlin, août 1999, rés. I, 3
litt. c). Même en ce cas le renvoi est rejeté, encore que ne soit pas exclue toute
espèce de prise en considération de la règle de conflit étrangère. Sur ce point,
une analyse attentive des motifs montre déjà ce que l’arrêt Mari (Civ. 1re,
24 janv. 1984, D. 1984. 561, note E. Poisson-Drocourt, Rev. crit. 1984. 631,
note B. Ancel, Clunet 1984. 868, note J. Derruppé) exprimera en toute clarté
lorsqu’il subordonnera explicitement à l’intention des époux la prise en
compte par le juge du fond du droit international privé étranger. Il sera alors
indiscutable que, si elle avait été avérée en la cause, la référence faite par les
époux à la règle de conflit russe se serait inscrite dans l’élément intentionnel
de la localisation et serait ainsi venue contribuer à l’application de la règle de
conflit du for et non se mettre en conflit avec elle. Son intervention se serait
intégrée dans le processus de repérage de la loi d’autonomie et non dans une
phase ultérieure où l’applicabilité de cette dernière aurait pu être remise en
question par le mécanisme du renvoi et au mépris de l’intention des époux
(v. B. Ancel, note préc., Rev. crit. 1984, p. 637).
Donc, même l’hypothèse rare — mais non invraisemblable (v. le cas du
ménage installé dans un ordre juridique plurilégislatif à structure intercommu-
nautaire étudié par Droz, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Régimes matrimoniaux,
nos 116 et 117) — d’une soumission volontaire à un ordre juridique en son
entier ne laisse pas place au renvoi, ni aux rebondissements, chassés-croisés
ou autres cercles vicieux propres à le faire échouer. La solution ne devrait pas
étonner. Le renvoi est en effet accordé dans des conditions et pour des raisons
précises que la teneur même de la règle de conflit française fait disparaître en
matière de régime matrimonial. C’est ce qu’il convient de montrer maintenant.
51 GOUTHERTZ — CASS., 1 FÉVRIER 1972 473

6 Le renvoi est un instrument de coordination des systèmes qui offre deux


visages orientés vers deux modes de résolution des conflits de désignation. Il
peut ramener la situation litigieuse vers la loi du for et il est alors au premier
degré. Il peut conduire vers une loi tierce (ou quarte…) et il est alors au second
degré (ou au troisième…).
Au premier degré, le renvoi offre habituellement l’avantage de dépasser le
conflit des désignations en soumettant à la loi française du for le règlement
d’intérêts nés sur le territoire français (v. obs. sous les arrêts Forgo, supra,
no 7-8). Ainsi favorise-t-il l’homogénéité de la loi interne du for. Mais, préci-
sément ce bienfait ordinaire perd ici ses vertus puisque l’organisation du
régime matrimonial étant en principe laissée à la discrétion des époux par le
droit civil français (v. art. 1387 et s., C. civ.) l’homogénéité ne représente pas
en la matière un objectif à atteindre. Le principe de la liberté des conventions
matrimoniales, encourageant en droit interne même le pluralisme juridique pour
respecter et exalter la singularité de chaque couple, récuse ici l’entreprise
d’uniformisation confiée au renvoi au premier degré. Celui-ci heurterait de
front l’un des piliers soutenant la conception française du régime matrimonial,
laquelle est en revanche en parfaite communauté d’inspiration avec la règle de
la loi d’autonomie. On comprend donc que la Cour de cassation l’ait écarté.
7 La justification du renvoi au second degré est dans la concordance des dési-
gnations qu’il permet d’obtenir. Le résultat est souhaitable parce qu’il garantit
aux parties l’uniformité et la continuité du traitement juridique de leur rapport :
quelle que soit la juridiction saisie, la solution du conflit de lois est constante.
Cette constance assure le respect des légitimes prévisions des parties ; c’est
ce que montre l’exemple célèbre du rocher de bronze proposé par L. Raape
(v. obs. sous l’arrêt de Marchi, supra, no 16 § 5; Batiffol et Lagarde, t. I, no 306;
P. Mayer et V. Heuzé, no 222). Mais à cet égard, la valeur du procédé suppose,
comme c’est ordinairement le cas, qu’au moment où s’est constituée la situation
litigieuse, les intéressés subissant la différence des systèmes de règles de conflit,
n’étaient pas en mesure de déterminer le droit applicable. Or précisément, la
règle de la loi d’autonomie rend ce détour superflu : en localisant librement leurs
intérêts matériels, les époux arrêtent la solution du conflit de lois relatif à leur
régime et, de la sorte, la soustraient à cette variabilité que combat le renvoi (1).

(1) Attestant le rejet de la conception française de la loi d’autonomie en matière de régime matri-
monial, l’article 4, al. 2, b de la Convention de La Haye de 1978 admet le renvoi au second degré.
Ainsi dans le cas, par exemple, d’un ménage allemand ayant établi sa première résidence habituelle
commune en Italie, le juge français appliquera la loi allemande de la nationalité commune, loi d’un
État non partie à la convention dont la règle de conflit s’accorde sur cette désignation avec celle du
pays de la résidence, également État tiers. La solution offre l’avantage indéniable de l’uniformité
internationale de traitement que met en relief le Rocher de bronze. Mais, en contrepartie, elle exige le
sacrifice unilatéral de la conception française, aux mérites pourtant avérés par une expérience plurisé-
culaire, et consolide une solution de conflit en vigueur dans des États non liés par le traité (et qui
n’auront aucun intérêt à l’être jamais) et dont la qualité est à bien des égards discutable (v. supra, arrêt
Zelcer, no 15). Jointe au caractère accidentel de la ratification française (ibidem), au faible nombre
d’États ayant adhéré (Luxembourg, Pays-Bas et France), l’observation ne peut qu’inspirer le regret
que l’autorité de cette Convention de 1978 perdure plus que celle de la Convention de La Haye du
17 juillet 1905 (promulguée le 23 août 1912 et dénoncée le 15 déc. 1916 avec effet au 24 juin 1917).
474 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 51

Il pourrait toutefois en aller autrement du fait de l’extrême singularité de la


règle de conflit française lorsqu’à l’époque du mariage il n’existait aucun lien
avec la France, et que les systèmes de conflit des pays concernés retenaient
une solution concordante mais différente de la nôtre. Ainsi en irait-il d’un
couple italien, établi durant de nombreuses années en Allemagne avant que la
survenance de tel ou tel événement n’oblige les tribunaux français à s’interro-
ger sur son régime matrimonial. Soumis au régime légal italien en vertu des
règles de conflit allemande et italienne, il relève en vertu du droit internatio-
nal privé français de la loi allemande. Réaliser la convergence des désigna-
tions par le jeu du renvoi au second degré permettrait alors sans doute mieux
que ne le ferait l’application de la règle de conflit française, de respecter les
prévisions des époux lesquels n’ont pu évidemment prendre en compte la
liberté que leur offrait le droit international privé français (en ce sens, Wieder-
kehr, Les conflits de lois en matière de régime matrimonial, no 146; Derruppé,
note Rev. crit. 1969. 716; P. Mayer et V. Heuzé no 787). Il est vrai que le con-
flit de systèmes se complique alors d’un élément temporel qui lui donne une
physionomie bien particulière (sur les conflits de systèmes dans le temps,
v. arrêt de Marchi, supra, no 16 et arrêt Machet, supra, no 23). Quoi qu’il en
soit, l’exclusion du renvoi est aujourd’hui inscrite dans la structure même de
la règle de conflit jurisprudentielle.

8 La conviction des juges est d’ailleurs si ferme qu’ils paraissent résolus à


frapper jusqu’à l’ombre du renvoi dans des affaires où, en vérité, sa possibilité
était rien moins que douteuse (v. arrêts Massine, Paris, 25 nov. 1976, Rev.
crit. 1978. 76, note G. Wiederkehr, Clunet 1979. 103, note C. Labrusse; Paris,
15 juin 1978, Rev. crit. 1979. 763, note G. Wiederkehr, Clunet eod. loc.; arrêt
Liss, Paris, 3 déc. 1980, Rev. crit. 1981. 501, note H. Gaudemet-Tallon, Clunet
1981. 578, note G. Wiederkehr, et les explications sur le pseudo-renvoi de
P. Mayer et V. Heuzé, no 787; v. aussi Paris, 31 oct. 1991, Hewett, Clunet 1992.
373, note L. Idot).
Ainsi, qu’il se présente sous l’une ou l’autre forme, le renvoi ne procure
pas les profits qui en justifient l’accueil par le droit commun ; son incom-
patibilité avec la loi d’autonomie est manifeste et son intervention en
devient inopportune. Cela suffit à le condamner en matière de régime
matrimonial.

II. La délimitation du domaine d’application du renvoi

9 Fondée sur de tels motifs, la condamnation se prête à une double généralisa-


tion. Reposant sur l’incompatibilité qui existe entre le renvoi et la loi d’autono-
mie, elle atteint, dans un premier mouvement, toutes les matières que le droit
international privé soumet à des rattachements volontaires (v. F. Soirat, Les
règles de rattachement à caractère substantiel, thèse Paris I, 1995, nos 437 et s.).
Et, comme la mise en œuvre de ces rattachements demande une détermination
concrète appuyée à l’appréciation des singularités de chaque espèce, il faudra
51 GOUTHERTZ — CASS., 1 FÉVRIER 1972 475

ensuite envisager une seconde avancée de la solution qui lui permettrait


d’envahir d’autres domaines assujettis eux aussi à des règles de conflit recou-
rant à ce procédé d’individualisation de la désignation (sur les rapports entre
renvoi et unilatéralisme, v. Y. Lequette, Clunet 1993. 100).

10 Le renvoi est incompatible avec la loi d’autonomie. La proposition a été


vérifiée sur le cas du régime matrimonial; elle aurait pu l’être plus facilement
encore à propos du contrat. De fait, la règle de la loi d’autonomie y opère, pour
ainsi dire, à l’état pur, les contractants ayant, par définition, toujours passé
contrat… Mais il se trouve que l’évidence, sans doute, les dissuade de plaider
devant les tribunaux français pour l’application du renvoi de sorte que la juris-
prudence ne proposait guère jusqu’à ces derniers temps de décision (à l’étran-
ger en revanche, la question a été abordée et, en général, le renvoi y a été
rejeté, v. Batiffol et Lagarde, t. I, no 311, note 8; Ph. Francescakis, note, Rev.
crit. 1971. 470; v. pour la France, à la faveur d’un conflit de qualifications,
réel ou prétendu, Paris, 23 janv. 1975, Rev. crit. 1976. 97, note R. Dayant;
Mobil North Sea Ltd, Paris, 3 mars 1994, Rev. crit. 1994. 532, note B. Ancel,
JCP 1995. II. 22367, note H. Muir Watt, Clunet 1995. 607, note G. Légier,
D. 1994. Som. com. p. 355, obs. B. Audit; Civ. 1re, 11 mars 1997, Clunet
1997. 789, note M. Santa Croce, D. 1998. 406, note E. Agostini, Rev. crit. 1997.
702, note B. Ancel). La quasi-absence de contentieux traduit le consensus dont
bénéficie l’observation selon laquelle les parties au contrat, lorsqu’elles déter-
minent, directement ou par le truchement d’une quelconque référence légale,
la consistance de leurs obligations respectives, se représentent celles-ci dans
une perspective de droit matériel et non de conflit de lois et appliquent ainsi
leur intention à la « teneur » d’une loi et non à sa « vocation » (v. Batiffol et
Lagarde, t. II, no 311; Civ. 1re, 11 mars 1997, préc. : « la mise en œuvre de la
loi d’autonomie est exclusive de tout renvoi »; v. aussi, art. 15, Conv. de Rome
du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles).

11 Le renvoi est également exclu s’agissant de la réglementation de la forme


des actes. L’élimination peut être ici fondée sur le caractère facultatif de la règle
locus regit actum comme d’ailleurs aussi sur le caractère alternatif que, dans une
autre interprétation, revêtirait la règle de conflit relative à la forme (v. Ponsard,
note sous Civ. 1re, 10 déc. 1974, Pierucci, Rev. crit. 1975. 476).
Le caractère facultatif offre aux parties ou à l’auteur de l’acte, si celui-ci est
unilatéral, la possibilité de préférer aux formes prévues par la loi du lieu de
formation celles que prescrit une autre loi répondant mieux, pour le cas, aux
besoins de commodité et de sécurité. Une option est ouverte aux auteurs (sur
les termes de l’option, v. arrêt Charlie Chaplin, supra, no 40), qu’ils exerceront
à leur convenance; c’est donc leur volonté qui commandera, dans la limite des
termes de l’option, la loi applicable. Il s’ensuit que la double considération de
commodité et de sécurité qui détermine, lors de la confection de l’acte, le
choix de telle ou telle loi serait ruinée si, au moment du procès, le juge pou-
vait au mépris de toutes les prévisions mettre en œuvre un renvoi conduisant à
apprécier la régularité formelle selon une loi différente. Aussi bien, le renvoi
476 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 51

est-il inacceptable selon cette analyse (v. Batiffol et Lagarde, ibid.; Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 221; P. Mayer et V. Heuzé,
no 758; B. Audit, no 229; v. aussi, en contre-épreuve, déniant le caractère facul-
tatif et appliquant le renvoi en matière de forme du mariage, l’arrêt Moatti,
Civ. 1re, 15 juin 1982, Rev. crit. 1983. 300, note J.-M. Bischoff, Clunet 1983.
595, note Lehmann). Il ne l’est pas moins dans l’autre interprétation de la
règle de conflit relative à la forme des actes qui, en quelque sorte, remet au
juge l’exercice de l’option. Dans la mesure où le nombre des lois entre les-
quelles choisir n’est pas indéfini, on est en présence d’une règle de conflit à
rattachement alternatif. Or l’économie de ce type de règle paralyse le renvoi
au sens traditionnel du terme : permettre au juge qui a découvert un ordre juri-
dique dont les dispositions matérielles consacrent la solution recherchée par
l’auteur de la règle alternative, de n’en retenir que les dispositions du droit
international privé alors que celles-ci risquent de conduire à une loi qui ne la
consacre pas, serait à l’évidence absurde. Et, comme le montre M. F. Soirat
(op. cit., nos 66 et s.), il serait inconséquent, lorsqu’au contraire aucune des lois
indiquées n’admet la solution recherchée, de suivre leurs règles de conflit :
sans « envoi », point de renvoi. Seul un renvoi d’un modèle particulier, le ren-
voi in favorem serait éventuellement concevable : au cas où aucune des lois
désignées par les différents termes de l’option ne permettrait d’atteindre le
résultat qu’elle poursuit, on pourrait faire jouer le renvoi s’il conduit à une loi
de validité, c’est-à-dire s’il sert l’objectif de la règle de conflit alternative. Le
renvoi se résume alors en une « amplification du rattachement alternatif »
(Patocchi, Règles de rattachement localisatrices et règles de rattachement à
caractère substantiel, 1985, no 575, p. 286, v. aussi Batiffol et Lagarde, t. 1, 8e éd.,
no 311). Une telle pratique ne paraît toutefois pas souhaitable (v. TGI Paris,
29 nov. 1994, Rev. crit. 1995. 703, note Jacques Foyer). Ajouter d’autres ratta-
chements à ceux déjà prévus par le législateur, c’est en effet accroître au-delà
de ce qu’il a voulu la faveur qu’il témoigne à l’une des parties et corrélative-
ment la défaveur qu’il marque à l’autre (v. arrêt Verdier, supra, no 21 § 10; rappr.
art. 13 [3], Loi italienne du 31 mai 1995). Antinomique de l’idée même de
droit, la faveur doit être strictement cantonnée (comp. P. Mayer et V. Heuzé,
no 616; Holleaux, Foyer et de Geouffre de la Pradelle, no 1233).

12 On remarque que les arguments développés pour exclure le renvoi ne solli-


citent plus l’expectative raisonnable des parties, ni leur intention et s’éloignent
ainsi de l’invocation de la volonté. Néanmoins la solution est identique. C’est
qu’elle se relie à un caractère plus général qui marque également les règles de
conflit à rattachement volontaire et celles à rattachement alternatif.
Il semble en effet que le renvoi doive être rejeté lorsque la désignation de la
loi applicable ne se laisse pas déduire directement de l’application d’un rat-
tachement abstraitement défini (tel que la nationalité, le lieu de survenance
d’un fait, de situation d’une chose…), mais requiert au contraire pour se réali-
ser l’intervention du destinataire de la règle de conflit (ainsi du choix de la loi
la plus favorable, de celle qui présente les liens les plus étroits…). Cette tâche
peut être demandée aux parties elles-mêmes; c’est le cas avec la règle de la
loi d’autonomie, avec locus regit actum si on lui prête un caractère facultatif.
51 GOUTHERTZ — CASS., 1 FÉVRIER 1972 477

Elle peut aussi incomber au juge qui devra, d’après les éléments de la cause
que retient la règle de conflit et les directives qu’elle lui donne, déterminer la
loi appropriée, quand ce ne sera pas même la solution substantielle appropriée;
illustrent ce phénomène les règles de conflit à rattachements pluraux (cumula-
tifs, alternatifs, hiérarchisés ou non) et à rattachement flexible (comp. Inst. dr.
int., rés. préc., I, 4, litt. a et b).
Sous une forme ou sous une autre, la règle de conflit ne définit alors qu’une
orientation générale, un rattachement-cadre qu’il appartient à son destinataire
de réaliser. Le système de droit international privé qui utilise ce procédé des
normes inachevées manifeste que le jeu d’un rattachement abstrait, rigide, ne
permet pas d’approcher suffisamment les objectifs imposés par les particulari-
tés de la matière considérée et qu’il est donc préférable à cet égard de confier
au juge ou aux parties, qui sont en position d’apprécier les données concrètes
du cas, la mission de résoudre le conflit de lois (Y. Lequette, Rép. Dalloz dr.
int., 2e éd., v° Renvoi, no 48).
Maintenir le principe du renvoi dans ces conditions, ce serait accepter que
le travail « sur mesure » accompli par le destinataire de la règle du for puisse
être ruiné par le droit international privé de l’ordre juridique désigné, soit qu’il
adopte, mais à d’autres fins, ce même procédé, soit qu’au contraire il édicte un
rattachement abstraitement défini. (Sur les rapports entre clause d’exception
et renvoi, v. Dubler, Les clauses d’exception en droit international privé, nos 139
et s. ; rappr. P. Lagarde, « Le principe de proximité en dr. int. pr. contempo-
rain », Rec. cours La Haye, 1986. I, no 17, p. 40; F. Soirat, op. cit., nos 595 et s.).

13 La conclusion se dégage alors que le renvoi est un mécanisme de correction


appelé par le caractère abstrait du rattachement utilisé par la règle de conflit du
for. L’abstraction est facteur de relativité; elle rend possible les divergences
d’appréciation qui, en droit international privé, engendrent les divergences de
désignation (v. l’hésitation entre nationalité et domicile); il est bon de compen-
ser cet inconvénient par la recherche ultérieure d’un accord et le renvoi s’y
efforce. Aussi est-il difficile de pénétrer les raisons du refus, par certaines juri-
dictions du fond, d’employer le renvoi en matière de filiation, après application
de l’article 311-14 du Code civil (v. Paris, 11 mai 1976, D. 1976. 633, note Mas-
sip, Rev. crit. 1977. 109, note Fadlallah, Clunet 1977. 656, note J. Foyer;
Lyon, 31 oct. 1979, Clunet 1981. 54, note J. Foyer, Rev. crit. 1980. 558, note
B. Ancel; Paris, 20 janv. 1986, Rev. crit. 1988, Somm. p. 828; contra, TGI
Paris, 20 avr. 1982, Clunet 1983. 583, note Derruppé, Rev. crit. 1984. 290,
note J. Foyer commentant également la décision d’appel ambiguë, Paris,
8 mars 1983, ibid.; Paris, 15 mars 1994, Rev. crit. 1995. 810, D. 1994, IR 122).
Fort heureusement, l’arrêt Leppert, du 3 mars 1987 (infra, no 73) paraît bien
contenir une condamnation implicite de cette jurisprudence (v. obs. no 73. II).
En revanche, il se comprend que si la règle de conflit prévoit une désignation
concrète, fondée sur une appréciation des données de l’espèce, sa mise en
œuvre, par les concours qu’elle suppose, épuise le problème qu’elle entend
traiter. C’est pourquoi, toujours dans le domaine de la filiation, l’intervention
du renvoi sur l’application de l’article 311-17 ne serait que source de perturba-
tion et de contradiction. Le renvoi n’est pas un instrument utile là où la coordi-
478 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 51

nation des systèmes n’est pas un objectif (rappr. TGI Paris, 29 nov. 1994,
préc., excluant le renvoi à propos de l’art. 311. 117, mais en reprenant à la
lettre la motivation de la Cour de Paris relative à l’art. 311. 14, C. civ.; v. aussi
art. 4, 1 EGBGB).
La généralité de cette conclusion expliquerait même, au besoin, pourquoi
l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi
applicable aux régimes matrimoniaux (v. le texte in Rev. crit. 1976. 821), qui
comporte de semblables normes inachevées, n’aurait d’aucune façon —
même si elle n’avait directement exclu le renvoi quant à celles-ci — modifié
sur ce point le droit positif tel que l’a fixé en 1972 l’arrêt Gouthertz.
52
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

3 mai 1973

(Rev. crit. 1975. 426, note Y. L., Clunet 1974. 859, obs. Goldman)
Loi étrangère. — Gouvernement étranger non reconnu. —
Loi applicable.

Le défaut de reconnaissance d’un gouvernement étranger ne permet pas


au juge français de méconnaître les lois de droit privé édictées par ce gouver-
nement, antérieurement à sa reconnaissance, pour le territoire sur lequel il
exerçait effectivement son autorité.

(Stroganoff-Scherbatoff c/Bensimon et autres)

Faits. — Georges Stroganoff-Scherbatoff agit en 1961, devant les juridictions fran-


çaises, en revendication d’objets vendus, trente ans plus tôt, par le gouvernement sovié-
tique. Ces objets dépendaient d’un majorat constitué au XIXe siècle au profit du Lieute-
nant général Stroganoff par des oukases qui les avaient déclarés « intangibles » et
« indivisibles », et qui en avaient réglé la dévolution en précisant qu’ils devaient passer
par ordre de primogéniture d’héritier mâle en héritier mâle et, à défaut, à un héritier de
sexe féminin. En application de ces règles, ces biens étaient au moment de la révolution
bolchevique la propriété de Serge Stroganoff. Celui-ci émigra en France dans le temps-
même où le gouvernement soviétique qui avait aboli la législation tsariste, appréhendait
ses biens. Il s’y maria en 1918 et fit, au moyen d’une institution contractuelle, donation
à son épouse, l’année suivante, de la propriété de l’universalité de ses biens « sauf tou-
tes restrictions résultant de la loi russe qui sera en vigueur au moment du décès du dona-
teur à l’égard des biens soumis à cette législation ». Le 1er mai 1923, Serge Stroganoff
décédait en France laissant son épouse et plusieurs sœurs dont Olga Stroganoff, épouse
Scherbatoff.
Le gouvernement soviétique ayant décidé de vendre aux enchères, à Berlin, une par-
tie des objets d’art compris dans le majorat, Olga Stroganoff-Scherbatoff adressa une
protestation solennelle à ceux qui en étaient chargés. Sans succès, puisque la dispersion
eut lieu les 12 et 13 mars 1931 et qu’une partie des objets fut adjugée aux frères Bensi-
mon. Olga Stroganoff-Scherbatoff étant décédée en France en 1944, c’est son fils Geor-
ges, neveu de Serge Stroganoff, qui réclamait aux défendeurs la restitution des objets
d’art toujours en leur possession, au motif que ceux-ci leur avaient été illégalement ven-
dus par le gouvernement soviétique.
La recevabilité d’une telle action supposant que Georges Stroganoff rapportât la
preuve de sa vocation héréditaire, il convenait de rechercher selon quelle loi celle-ci
devait être appréciée. Or la désignation de la loi applicable dépendait de la nature des
biens en question : meubles, leur dévolution obéissait à la loi du dernier domicile du
480 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 52

défunt (Civ., 19 juin 1939, supra, no 18), loi française qui, en présence de collatéraux
privilégiés, permettait au de cujus de laisser par des dispositions à cause de mort la tota-
lité de son patrimoine à son conjoint; immeubles, elle relevait de la lex rei sitae (Civ.,
14 mars 1837, supra, no 3), loi russe dont les dispositions, à les supposer toujours en
vigueur en 1923, attribuaient les biens inclus dans le majorat, en l’absence d’héritier mâle,
à un héritier de sexe féminin, en l’occurrence la sœur du de cujus, mère du demandeur.
Afin d’obtenir gain de cause, celui-ci prétendait que le statut particulier qui avait été
conféré à ces biens par les oukases du Tsar permettait de les assimiler à des immeubles.
On le voit, la législation tsariste était invoquée à deux étapes du raisonnement : au départ,
en ce qu’elle aurait conféré aux biens qui étaient l’enjeu du litige la nature d’immeuble;
à l’arrivée, en ce qu’elle organisait pour ces biens une dévolution spécifique.
Saisi du litige, le Tribunal de grande instance de la Seine ne se déroba pas devant les
questions hautement théoriques — loi applicable à la qualification des biens comme
meuble ou immeuble, condition de la loi émanant d’un État étranger non reconnu —
que celui-ci soulevait. Par un jugement très remarqué en date du 12 janvier 1966 rendu
sous la présidence de M. Bellet (Rev. crit. 1967. 120, note Loussouarn, JCP 1967. II.
15266, note Bischoff), il affirma que « c’est à la loi française qu’il y a lieu de recourir
pour déterminer si les objets sont des immeubles ou des meubles et en déduire la loi qui
régit leur dévolution (car) il n’est pas possible de qualifier les biens successoraux selon
la loi de leur situation sous peine de donner compétence à cette loi alors qu’il s’agit
précisément de dire laquelle est compétente (mais que) la qualification lege fori n’inter-
dit pas de prendre en considération le statut et le caractère particulier donnés aux objets,
situés en territoires étrangers, pour déterminer s’ils rentrent, compte tenu de ces particula-
rités, dans la catégorie des meubles ou dans celle des immeubles, telle que la loi française
définit celles-ci », d’autre part « que le défaut de reconnaissance d’un gouvernement
étranger ne peut entraîner la méconnaissance par les tribunaux français des lois de droit
privé, édictées par ce gouvernement antérieurement à sa reconnaissance, pour le ter-
ritoire sur lequel il exerçait en fait incontestablement sa souveraineté ».
Il en résultait que la loi russe affectant les objets d’art garnissant le Palais Stroganoff
à un majorat perpétuel pouvait certes être prise en compte lors de la phase d’analyse
précédant le classement dans les catégories du for mais qu’à supposer même que les
caractères de cette affectation permettent d’assimiler les objets litigieux à des immeubles,
cette qualification ne pouvait être retenue en l’espèce car, abrogée en 1918, la législa-
tion tsariste n’était plus en vigueur lors de l’ouverture de la succession. Certes, la France
n’avait pas encore à l’époque reconnu le régime soviétique. Mais, à suivre le Tribunal
de la Seine, le défaut de reconnaissance d’un gouvernement étranger ne permet pas au
juge français de méconnaître les dispositions qui émanent de celui-ci dès lors qu’il
exerce un pouvoir effectif sur son territoire.
Ce jugement ayant été confirmé par la Cour de Paris dans un arrêt du 8 juillet 1970,
un pourvoi fut formé. Il soutenait que le régime soviétique n’ayant été reconnu par le
gouvernement français que le 28 octobre 1924, la législation tsariste était encore en
vigueur, au regard du juge français, au moment de l’ouverture de la succession de Serge
Stroganoff.

ARRÊT
La Cour; — Sur les trois moyens réunis : — Attendu que, selon les énonciations
des juges du fond, Serge Stroganoff, de nationalité russe, a épousé, le 25 mars
1918, en France, où il avait son domicile, Rose, Angeline Lavieuze, de nationalité
française; que, par acte du 8 janvier 1919, il fit donation à celle-ci, pour le cas où
elle lui survivrait, de la toute propriété de l’universalité des biens de toute
nature qui, au jour de son décès, « composeraient sa succession sans aucune
exception, ni réserve et en quelque lieux et endroits qu’ils soient dus ou situés
52 STROGANOFF — CASS., 3 MAI 1973 481

sauf toutes restrictions résultant de la loi russe qui serait en vigueur au moment
du décès du donateur, à l’égard des biens soumis à cette législation »; que Serge
Stroganoff est décédé à son domicile en France le 1er mai 1923 à la survivance de
son épouse; qu’il laissait deux sœurs, dont l’une, Olga, épouse Scherbatoff, eut
plusieurs enfants parmi lesquels Georges Stroganoff-Scherbatoff; que Serge
Stroganoff, propriétaire à son décès de divers biens situés en France, avait, en
Russie, hérité d’un majorat constitué et complété par deux ukases tsaristes des
11 août 1817 et 3 avril 1847 et comprenant divers biens meubles et immeubles
situés en Russie déclarés « intangibles » et « indivisibles » et devant passer par
ordre de primogéniture d’héritier mâle en héritier mâle ou à défaut à un héri-
tier du sexe féminin; que Serge Stroganoff était encore, en 1918, titulaire de ce
majorat mais que par un décret du Gouvernement des Soviets du 13 septembre
de ladite année les ukases l’instituant furent abrogés et les biens en dépendant
nationalisés; que des œuvres d’art qui en faisaient partie furent vendues, aux
enchères, à Berlin, les 12 et 13 mai 1931, à la requête de ce Gouvernement, et
que les frères Gaston et Maurice Bensimon se portèrent acquéreurs de certaines
d’entre elles pour le compte de la société qu’ils avaient créée pour l’exploitation
de leur commerce d’antiquités; que Georges Stroganoff-Scherbatoff, préten-
dant être seul héritier du majorat dont son oncle Serge était titulaire, a, par
exploit du 6 mai 1961, assigné la Société Bensimon et les consorts Bensimon en
restitution des objets d’art dont ceux-ci s’étaient portés adjudicataires; —
Attendu que, l’arrêt confirmatif attaqué ayant rejeté cette demande, il lui est
d’abord fait grief d’avoir décidé que, les ukases de 1817 et 1847 ayant été abro-
gés en 1918, cette abrogation avait eu pour effet de faire disparaître le statut
particulier des biens constituant le majorat Stroganoff de sorte que Georges
Stroganoff-Scherbatoff ne pouvait se prévaloir d’aucun droit héréditaire sur les
biens laissés par son oncle, en l’état de la donation faite à dame Lavieuze le
8 janvier 1919, alors, selon le pourvoi, que seules les lois émanant d’un gouver-
nement étranger reconnu par le gouvernement français peuvent être appli-
quées par les juges français; qu’en l’espèce, aucun acte du gouvernement fran-
çais et de portée internationale n’avait, avant le 28 octobre 1924, reconnu le
régime soviétique et que la reconnaissance décidée à cette date sans rétroacti-
vité n’aurait pu avoir pour conséquence de porter atteinte aux effets régulière-
ment produits par la législation tsariste antérieurement en vigueur, de sorte que
la dévolution de la succession de Serge Stroganoff, ouverte en 1923, se trouve-
rait régie par les lois tsaristes — en ce qui concerne les biens immobiliers —
caractère qu’auraient eu par destination les œuvres d’art attachées aux immeu-
bles compris dans le majorat —; qu’il est soutenu, aussi, que la Cour d’appel
aurait dénaturé l’acte de donation du 8 janvier 1919 en ce qu’elle a estimé que,
par une clause de cet acte, Serge Stroganoff avait réservé à sa veuve tous ses
droits sur les biens situés en Russie dont il aurait pu disposer selon la législation
russe effectivement en vigueur à cette date, alors que celui-ci aurait expres-
sément exclu de la donation les biens antérieurement constitués en majorat et
les aurait soumis « sous l’angle de leur dévolution successorale » à l’application
du statut résultant des ukases; qu’il est enfin reproché à la Cour d’appel d’avoir,
par confirmation du jugement à elle déféré, décidé que l’action de Georges
Stroganoff-Scherbatoff se trouvait atteinte par la prescription trentenaire de
l’article 2262 du Code civil sans répondre aux conclusions du demandeur au
pourvoi faisant valoir que, pendant toute la période où les biens litigieux
avaient été détenus en Russie par le gouvernement soviétique, ses auteurs
n’avaient pu agir en revendication de ces biens par suite d’un empêchement
résultant d’un cas de force majeure; que, dès lors, la prescription n’avait com-
mencé à courir qu’à compter du 12 mai 1931, date de la mise en vente des biens
à Berlin par le gouvernement soviétique; — Mais attendu que, tant par motifs
propres que par motifs adoptés, la Cour d’appel énonce, à bon droit, que le
482 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 52

défaut de reconnaissance d’un gouvernement étranger ne permet pas au juge


français de méconnaître les lois de droit privé édictées par ce gouvernement,
antérieurement à sa reconnaissance, pour le territoire sur lequel il exerçait
effectivement son autorité; que c’est par une exacte application de ce principe
que les juges du fond, après avoir souligné que le gouvernement soviétique
exerçait son autorité sur le territoire russe, à la date du décès de Serge Stroga-
noff, décident que les ukases de 1817 et 1847, instituant un majorat au profit
des auteurs de celui-ci, ont été abrogés en 1918 et que pareille abrogation, dont
les effets ne sont pas contraires à l’ordre public français, avait fait disparaître le
statut particulier donné par eux aux biens constituant le majorat et restitué aux
objets revendiqués le caractère de meubles aliénables suivant le droit commun,
de sorte que, Serge Stroganoff ayant son domicile en France, la dévolution
successorale de ces objets était régie par les règles du droit français; qu’ayant,
en outre, par une interprétation de l’acte de donation du 8 janvier 1919, rendue
nécessaire par l’ambiguïté de cet acte et, partant, exclusive de la dénaturation
alléguée, estimé que Serge Stroganoff avait entendu réserver à sa veuve tous
ses droits sur les biens situés en Russie dont il aurait pu disposer au jour de
son décès, selon l’état de la législation russe effectivement en vigueur à cette
date, la Cour d’appel en a justement déduit que l’institution contractuelle por-
tant sur l’universalité de ses biens, faite par Serge Stroganoff au profit de son
épouse, avait eu pour effet, en l’état de cette législation en 1923, de retirer à
Olga Stroganoff-Scherbatoff sa sœur et à Georges, fils de celle-ci, à défaut
de testament en leur faveur, toute vocation successorale; — Et attendu que Geor-
ges Stroganoff-Scherbatoff se trouvant ainsi débouté de son action en revendi-
cation, en raison même de son défaut de qualité héréditaire, la Cour d’appel,
dont la décision est par ce seul motif justifiée, n’avait pas à s’expliquer sur les
conclusions par lesquelles celui-ci contestait que son action fût éteinte par
prescription;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 3 mai 1973. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Pluyette, f. f. prés.; Thirion, rapp.; Blon-
deau, av. gén. — MMes Nicolas, Desaché et Beurdeley, av.

OBSERVATIONS

1 Se refusant à ressusciter une deuxième fois « l’Empire des Tsars » (v. supra,
no 51, Faits), la haute juridiction affirme, avec réalisme, que le juge français ne
peut méconnaître les règles émanant d’un État étranger non reconnu dès lors
qu’il constate qu’elles sont, en fait, en vigueur sur le territoire de celui-ci (I).
Mais en visant les seules « lois de droit privé », la Cour de cassation invite à
s’interroger sur la portée du principe qu’elle émet (II).

I. Le principe

2 Lorsque la règle de conflit française désigne une loi émanant d’un État ou
d’un gouvernement étranger non reconnu, deux solutions sont concevables :
s’en tenir à la reconnaissance et refuser l’application du droit étranger dès lors
que celle-ci fait défaut; s’attacher à l’effectivité et appliquer ces normes dès
lors qu’elles sont, en fait, en vigueur sur le territoire étranger.
52 STROGANOFF — CASS., 3 MAI 1973 483

En ce qu’il reprend mot à mot le motif du jugement du Tribunal de la Seine


énonçant que « le défaut de reconnaissance d’un gouvernement étranger ne
permet pas au juge français de méconnaître les lois de droit privé édictées par
ce gouvernement, antérieurement à sa reconnaissance, pour le territoire sur
lequel il exerçait effectivement son autorité », l’arrêt Stroganoff a généralement
été compris comme consacrant la seconde thèse celle de l’effectivité. Néan-
moins, à s’en tenir à une lecture littérale, une telle interprétation ne s’impose
pas d’elle-même (rappr. Goldman, obs. Clunet 1974. 860). Tout en relevant
que la règle dont l’application était en question émanait d’un gouvernement
exerçant une autorité effective sur son territoire (A), l’arrêt prend, en effet, le
soin de noter que ce gouvernement avait été reconnu entre le moment des faits
et celui où le juge statue (B).

3 A. — En mettant l’accent sur l’effectivité, la Cour de cassation entend sou-


ligner que celle-ci constitue désormais la condition essentielle à l’applicabilité
des normes étrangères. La haute juridiction rompt ainsi avec la pratique juris-
prudentielle antérieure. Lors de l’avènement en Russie d’un pouvoir bolche-
vique, les tribunaux français se refusèrent, en effet, unanimement, à quelque
application que ce soit d’un droit édicté par un gouvernement non reconnu par
la France. C’est ainsi qu’ils dénièrent tout effet aux nationalisations soviéti-
ques, quitte à assurer la survie fictive de sociétés disparues, et continuèrent de
soumettre à l’ancien droit tsariste le statut personnel des Russes établis en
France (v. not., T. civ. Seine, 20 mai 1921, Clunet 1923. 533; T. com. Seine,
20 août 1924, Clunet 1925. 385; 20 janv. 1921, Clunet 1924. 139; Seine,
26 avr. 1922 Clunet 1923. 933). Et après que la France eut reconnu le gouver-
nement soviétique la Cour de Paris décida que les tribunaux français étaient
désormais obligés « dans les questions d’état (d’) appliquer (…) à ceux qui
sont demeurés citoyens des Républiques socialistes soviétiques, leur statut per-
sonnel tel qu’il a été défini par les lois soviétiques » apportant ainsi à la règle
déjà énoncée sa contre-épreuve (Paris 30 avr. 1926, Clunet 1926. 944, note
Perroud, Rev. dr. int. pr. 1927. 242, note Niboyet). C’est dire qu’à l’époque, la
reconnaissance par la France des gouvernements étrangers était une condition
nécessaire de l’applicabilité des normes qu’ils édictent.
Cette solution n’était pas dépourvue de soutien en doctrine. Bartin notam-
ment enseignait que le juge français est habilité à appliquer les seules lois
émanant d’États intégrés à la communauté internationale. Et faisant de la
reconnaissance par la France le critère de cette intégration, il considérait que
le juge français ne pouvait, sans se mettre en contradiction avec le pouvoir
exécutif, appliquer des règles édictées par un gouvernement non reconnu par
celui-ci (Principes, t. I, § 32). Admissible tant que le droit des conflits était
compris comme réglant des rapports entre souverainetés, une telle analyse
ne le fut plus dès lors qu’on lui assigna pour fin de réglementer de manière
adéquate les relations privées internationales (v. H. Muir Watt, La fonction
de la règle de conflit de lois, thèse multigr., Paris II, nos 250 et s., p. 317 et s.).
N’impliquant aucune attribution de compétence au souverain étranger
(P. Mayer, « Droit international privé et droit international public sous l’angle
de la notion de compétence », Rev. crit. 1979. 1, spéc. p. 19, no 16), la dési-
484 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 52

gnation du droit qui gouverne le milieu social dans lequel la relation s’inscrit
naturellement vise seulement à donner à celle-ci le traitement le plus appro-
prié. Par ce détour, on cherche notamment à assurer aux acteurs de la vie inter-
nationale un minimum de sécurité juridique en prévoyant que le juge retiendra
pour majeure de son syllogisme le droit sur lequel ils ont dû modeler leur
conduite parce que celui-ci entretenait avec la relation en cause les liens les
plus étroits. Or il est évident qu’un tel objectif n’a quelque chance d’être
atteint que si on prend en compte la loi qui s’applique effectivement dans ce
ressort. Quelle sécurité les individus retireraient-ils de l’application d’une règle
qui n’était déjà plus à l’époque où la relation s’est nouée qu’un « cadavre
législatif » ? C’est dire que l’intérêt des justiciables exige que l’on tienne
compte « de l’ordre juridique tel qu’il existe à l’étranger et non tel qu’on vou-
drait qu’il fût » (Bischoff, note, JCP 1967. II. 15266). Obéissant à des consi-
dérations qui lui sont propres, le juge n’a pas à calquer systématiquement son
attitude sur celle de son gouvernement. Alors que celui-ci, inspiré par des
motifs politiques, peut différer la reconnaissance d’une situation dont l’effec-
tivité n’est pourtant guère douteuse, celui-là doit s’attacher à déterminer le
système qui est, en fait, en vigueur à l’étranger, abstraction faite du statut de
l’autorité légiférante.
Aussi bien, en consacrant cette solution, la haute juridiction n’a-t-elle fait
que se rallier à une analyse dominante à l’étranger (v. Joe Verhoeven, « Rela-
tions internationales de droit privé en l’absence de reconnaissance d’un État,
d’un gouvernement ou d’une situation », Rec. cours La Haye, 1985, t. III, p. 9
et s., spéc. p. 108 et s., nos 78 et s.; H. Muir Watt, thèse préc., p. 318, note 1).

4 B. — Cette thèse suppose toutefois que l’on dispose d’une définition ferme
du concept d’ordre juridique. On comprend dès lors que, sans doute peu
encline à théoriser sur ce thème, la Cour de cassation n’ait pu éviter toute réfé-
rence à la reconnaissance ultérieure de l’État des Soviets : l’histoire enseigne
que s’il se rencontre, selon la juste observation de Santi Romano (L’ordre juri-
dique, 1975, p. 177 et s.), des ordres juridiques non constitués en État, il n’est
pas d’État reconnu qui ne repose sur un ordre juridique. Aussi bien, la recon-
naissance, qui n’est pas la condition de l’effectivité est un indice a posteriori
dont la prise en compte est essentielle dans l’appréciation de celle-ci, car il
atteste (si l’on ne craint le jeu de mot) une véritable possession d’état (comp.
Batiffol et Lagarde, no 256, p. 304).

II. La portée du principe

5 En posant que le juge français ne saurait méconnaître « les lois de droit


privé » édictées par un gouvernement non reconnu, la haute juridiction pro-
cède à une « affirmation riche de réserves potentielles » (Goldman, obs. Clunet
1974. 860). En visant les seules « lois de droit privé », n’a-t-elle pas entendu
exclure du bénéfice de cette jurisprudence, d’une part, les décisions (A), d’autre
part, les règles de droit public (B) ?
52 STROGANOFF — CASS., 3 MAI 1973 485

6 A. — Sur le premier point, une réponse négative s’impose. Si le terme de


« loi » est souvent employé comme synonyme de règle, il recouvre aussi bien
cette sorte de norme que les décisions. L’exemple des lois de nationalisation
est là pour l’attester (v. P. Mayer, La distinction des règles et décisions et le
droit international privé, 1973, nos 156 et s.). D’ailleurs, on enseigne générale-
ment que « le défaut de reconnaissance d’un État n’interdit pas celle des déci-
sions rendues en son nom dès lors qu’il exerce effectivement les prérogatives
normales d’un État » (Audit, no 454; Batiffol et Lagarde, t. II, no 713, p. 551,
H. Muir Watt, thèse préc., no 239, p. 305). Sans doute, le pouvoir de juger
étant un apanage de la souveraineté, une décision doit-elle pour être soumise à
exequatur avoir été prononcée au nom d’un souverain étranger. Mais en orga-
nisant les juridictions civiles, le pouvoir entend non défendre les intérêts de
l’État en tant que tel mais offrir aux personnes privées le moyen de faire tran-
cher les contestations qui les opposent. Partant, s’agissant de l’accueil en
France des décisions qu’elles prononcent c’est moins la souveraineté au nom
de laquelle elles ont été rendues qui importe, que la nature et l’effectivité de
celles-ci. Le libre épanouissement des relations privées internationales com-
mande, en effet, que soient susceptibles d’être accueillies en France toutes
les décisions intéressant le droit privé et s’appliquant effectivement sur le ter-
ritoire de l’autorité qui les rend. Au cas contraire, une discontinuité radicale
risquerait de se creuser entre l’ordre juridique français et l’ordre juridique dont
elles émanent.
7 B. — Plus délicate est, en revanche, la question de l’applicabilité des lois de
droit public étrangères. Véhiculant très directement la souveraineté de l’État
qui les édicte, celles-ci peuvent-elles être appliquées par les autorités d’un
pays qui n’aurait pas reconnu cet État ? Au premier abord, on est tenté de
nourrir, par rapport à cette question des doutes analogues à ceux que suscite le
délicat problème des immunités des États étrangers non reconnus, dans la
mesure où ces privilèges sont directement fondés sur le principe de l’indépen-
dance et de la souveraineté des États (supra, no 47 § 7). On sait, en effet, que si
la Cour de Paris a décidé dans son arrêt Clerget que l’effectivité d’un État
étranger justifiait à elle seule que lui soit accordé le bénéfice des immunités de
juridiction et d’exécution (Paris, 7 juin 1969, Rev. crit. 1970. 483, note Bourel,
Clunet 1969. 894, note Pinto, JCP 1969. II. 15954, concl. Fortier, note crit.
Ruzié), la haute juridiction s’est, dans la même affaire, gardée de toutes réfé-
rences à l’effectivité et a paru considérer qu’un État ne pouvait se prévaloir de
ces mêmes immunités qu’à la condition qu’il entretienne avec la France des
relations juridiques suffisamment étroites pour qu’on puisse en déduire une
reconnaissance de facto (Civ. 1re, 2 nov. 1971, Clerget, Rev. crit. 1972. 310,
note Bourel, Clunet 1972. 267, note Pinto, JCP 1972. II. 16929, note Ruzié).
Mais à y bien réfléchir, il semble que les termes du problème soient dif-
férents et qu’une distinction s’impose.
Soit l’application du droit public étranger suppose l’accomplissement d’actes
relevant de la prérogative jure imperii de l’État qui les édicte : réprimer, taxer.
La question se résout alors très simplement par la constatation que les tribu-
naux français sont dépourvus du pouvoir d’accomplir de tels actes (infra,
486 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 52

no 79). On concevrait mal, en effet, que les seuls tempéraments à ce défaut de


pouvoir — les exigences de la solidarité internationale ou la convergence des
intérêts en cause (infra, no 79) — puissent se rencontrer dans les rapports avec
un État non reconnu. C’est dire que le problème se réglant en amont, il n’est
alors, le plus souvent, nul besoin de s’interroger sur l’incidence du défaut de
reconnaissance.
Soit la question de l’application du droit public étranger est soulevée, en
dehors du contexte de l’action étatique, à l’occasion d’une question incidente
posée dans un litige de droit privé. Par exemple, le juge français doit pour
trancher le contentieux dont il a à connaître, déterminer la nationalité étran-
gère d’une personne. Il fera alors application de la loi de l’État dont la natio-
nalité est en cause. Et ceci, semble-t-il, alors même que celui-ci n’aurait pas
été reconnu par la France. Les raisons qui commandent la solution de l’arrêt
Stroganoff paraissent bien, en effet, se retrouver ici. Quelle crédibilité pour-
rait-on attendre d’un règlement du conflit de lois qui reposerait sur l’attribu-
tion d’une nationalité que l’État intéressé n’octroie plus ou, à l’inverse, sur le
refus de prendre en compte une nationalité étrangère effectivement attribuée
et vécue. Aussi bien est-il permis de penser que la solution posée par la Cour
de cassation dans son arrêt dame Kaiser de Meden (Civ., 10 janv. 1951, Rev.
crit. 1952. 681, note Batiffol; rappr. TGI Neumünster, 16 déc. 1986, Rev. crit.
1988. 675, note J. Verhoeven) refusant d’admettre qu’un Letton soit privé de
sa nationalité du seul fait de l’annexion, non reconnue, des États baltes par
l’Union soviétique est « devenue caduque » depuis qu’a été rendu l’arrêt ana-
lysé (Batiffol et Lagarde, t. I, no 257; comp. Audit, no 920).
53
CONSEIL D’ÉTAT
(Ass.)
29 juin 1973

(Rev. crit. 1974. 344, concl. Questiaux, Clunet 1975. 538, note M. Simon-Depitre,
Dr. soc. 1976. 50, obs. J. Savatier,
Rev. soc. 1976. 663, note Bismuth; chr. Ph. Francescakis,
Rev. crit. 1974. 273.)
Lois de police.

La circonstance qu’une entreprise employant en France plus de cin-


quante salariés a son siège social à l’étranger ne saurait la faire échapper
à la législation française sur les comités d’entreprise.
Il lui appartient, au contraire, d’instituer la participation d’un comité
central d’entreprise à ses activités d’employeur en France, ce comité devant
être mis à même d’exercer l’ensemble des attributions définies par l’ordon-
nance du 22 février 1945 à la seule exception de celles qui seraient incom-
patibles avec la présence à l’étranger du siège social.

(Syndicat général du personnel de la Compagnie des Wagons-lits)

Faits. — En dépit de sa dénomination, la Compagnie internationale des Wagons-lits


et du Tourisme est une société belge. Son siège social est situé à Bruxelles et elle est
régie par la loi belge. Mais elle possède plusieurs établissements en France.
À la suite de l’ordonnance du 22 février 1945 relative aux comités d’entreprise, elle a
institué pour son nombreux personnel et ses divers points d’implantation en France, cinq
comités d’établissement; elle a aussi mis en place, à l’échelon national, un comité de
coordination des œuvres sociales. Mais elle n’a pas instauré le comité central d’entreprise,
aux attributions plus larges, que prévoit l’ordonnance. Cette carence a été dénoncée par le
Syndicat général du personnel qui, se prévalant de son désaccord avec la direction de la
société, a demandé à l’inspecteur régional du travail et de la main-d’œuvre des transports,
puis au ministre des Travaux publics et des Transports que soient décidées l’augmentation
du nombre de comités d’établissement et la création d’un véritable comité central.
Le refus de l’Administration est à l’origine du recours porté devant le Conseil d’État.

ARRÊT
Le Conseil d’État; — Sur l’intervention de la Compagnie internationale des
wagons-lits et du tourisme : — Considérant que ladite compagnie a intérêt au
maintien des décisions attaquées; que, dès lors, son intervention est recevable;
Sur la requête du Syndicat général du personnel de la Compagnie des
wagons-lits : — Considérant qu’aux termes des deux premiers alinéas de l’arti-
cle 21 de l’ordonnance du 22 février 1945 instituant des comités d’entreprise,
488 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 53

« dans les entreprises comportant des établissements distincts, il sera créé des
comités d’établissements dont la composition et le fonctionnement seront iden-
tiques à ceux des comités d’entreprise…, qui auront les mêmes attributions que
les comités d’entreprise dans la limite des pouvoirs confiés aux chefs de ces éta-
blissements… Le comité central d’entreprise sera composé de délégués élus des
comités d’établissements… »; que le troisième alinéa du même article, modifié
par l’article 12 de la loi du 18 juin 1966, dispose : « dans chaque entreprise le
nombre d’établissements distincts et la répartition des sièges entre les différents
établissements et les différentes catégories font l’objet d’un accord entre le chef
d’entreprise et les organisations syndicales reconnues comme représentatives
dans l’entreprise; dans le cas où cet accord ne peut être obtenu, le directeur
départemental du travail et de la main-d’œuvre dans le ressort duquel se trouve
le siège de l’entreprise décide de ce nombre et de cette répartition »; qu’en
vertu de l’article 96 du livre II du Code du travail lesdites attributions sont
confiées, dans les établissements soumis au contrôle technique du ministère des
Transports, à des fonctionnaires relevant de ce département, notamment en ce
qui concerne les entreprises de chemins de fer d’intérêt général; que la Compa-
gnie internationale des wagons-lits et du tourisme est au nombre de ces entre-
prises ; — Considérant qu’en application de ces dispositions le syndicat requé-
rant, faisant état d’un désaccord entre lui et la direction de la Compagnie, a saisi
l’inspecteur principal du travail et de la main-d’œuvre des transports d’une
demande qui tendait, d’une part, à ce qu’au sein de la direction française de
l’exploitation ferroviaire et hôtelière le nombre des comités d’établissements
soit porté de un à neuf et, d’autre part, à ce que soit mis en place en sus desdits
comités et des quatre comités existant déjà dans les autres services de la Compa-
gnie un comité central d’entreprise à ladite Compagnie; qu’il se pourvoit contre
le refus opposé à cette double demande par l’inspecteur régional du travail et
de la main-d’œuvre des transports le 28 décembre 1968, et, sur recours hiérar-
chique, par le ministre des Transports les 2 janvier et 25 mars 1969;
Sur les conclusions relatives à la création d’un comité central d’entreprise à la
Compagnie internationale des wagons-lits et du tourisme : — Considérant qu’en
vertu de l’article 1er de l’ordonnance précitée du 22 février 1945 il doit être
constitué dans toute entreprise industrielle et commerciale employant au moins
cinquante salariés un comité d’entreprise et qu’en vertu de l’article 21 de ladite
ordonnance, lorsque dans une entreprise comportant des établissements dis-
tincts il est créé des comités d’établissements, ceux-ci doivent élire des délégués
à un comité central d’entreprise; que le législateur a ainsi entendu assurer à
tout travailleur employé dans les conditions ci-dessus indiquées l’exercice des
droits reconnus par ladite ordonnance dont les dispositions doivent être appli-
quées par toute personne physique ou morale exerçant en France les responsa-
bilités de l’employeur; qu’il suit de là que la circonstance qu’une entreprise
employant en France plus de cinquante salariés a son siège social à l’étranger ne
saurait la faire échapper à l’application de la législation sur les comités d’entre-
prises ; qu’il lui appartient, au contraire, d’instituer la participation d’un tel
comité à ses activités d’employeur en France dans toute la mesure du possible;
que les dispositions de l’article 21 de l’ordonnance selon lesquelles le comité
central se réunit au siège de l’entreprise doivent s’entendre, lorsque cette der-
nière a son siège social à l’étranger, comme visant le lieu d’exercice principal de
ses activités d’employeur en France et qu’un tel comité central doit être mis à
même d’exercer l’ensemble des attributions définies par l’ordonnance à la seule
exception de celles qui seraient incompatibles avec la présence à l’étranger du
siège social; que, par suite, le syndicat requérant est fondé à soutenir qu’en tant
qu’elles ont rejeté sa demande de création d’un comité central des établis-
sements français de la Compagnie internationale des wagons-lits et du tou-
risme, les décisions attaquées sont entachées d’excès de pouvoir;
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 489

Sur les conclusions relatives à la création de neuf comités d’établissements au


sein de la direction française de l’exploitation ferroviaire et hôtelière de la
Compagnie : — Considérant que cette direction comprend un personnel admi-
nistratif situé à Paris et est divisée en inspections correspondant aux gares de
Paris et de Lyon et en sections principales, sections et postes en gare correspon-
dant aux autres gares les plus importantes du territoire français; — Considérant
qu’il ressort des pièces du dossier que, si les inspections, sections, groupes de
sections et d’inspections et services que le syndicat requérant voudrait voir doter
de comités d’établissements propres ont bien une implantation géographique
distincte et présentent un certain caractère de stabilité, ils ne possèdent, en
revanche, aucune comptabilité propre et ne présentent qu’un degré d’autono-
mie très réduit tant en ce qui concerne la gestion du personnel qui y est affecté
qu’en ce qui a trait à l’exécution du service; que, par suite, en estimant qu’ils ne
constituaient pas des établissements distincts et que la direction française de
l’exploitation ferroviaire et hôtelière de la Compagnie formait un établissement
unique pour l’application de l’article 21 de l’ordonnance du 22 février 1945, les
auteurs des décisions attaquées n’ont pas fait des dispositions de cette ordon-
nance une inexacte application;
Décide :
Article Premier. — L’intervention de la Compagnie internationale des wagons-
lits et du tourisme est admise.
Article 2. — La décision susvisée de l’inspecteur régional du travail et de la
main-d’œuvre des transports en date du 28 décembre 1968, ensemble les décisions
du ministre des Transports en date des 2 janvier et 25 mars 1969, sont annulées
en tant qu’elles ont rejeté les demandes du Syndicat général du personnel de la
Compagnie des wagons-lits tendant à la création d’un comité d’entreprise à
ladite compagnie.
Article 3. — Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4. — L’État supportera les dépens.
Article 5. — Expédition de la présente décision sera transmise au ministre des
Transports et au ministre du Travail, de l’emploi et de la population.
Du 29 juin 1973. — Conseil d’État (Assemblée). — M. Errera, rapp.; Mme Questiaux, comm. du gouv.
— MMes Guinard et Célice, av.

OBSERVATIONS

1 L’arrêt ci-dessus reproduit ne livre aucune formule générale susceptible


d’exprimer un principe de droit international privé; ceci n’amenuise pourtant
pas son intérêt qui est considérable et qui tient à ce que, pour trancher la ques-
tion qui lui était soumise, il emploie une méthode de réglementation des situa-
tions internationales exorbitante de l’usage commun. Cet usage commun
consiste en la mise en œuvre de règles de conflit de lois, lesquelles opèrent un
choix de la loi applicable en déterminant grâce à un facteur de rattachement
celle qui convient au type de relation qu’elles considèrent.
En l’espèce, le Conseil d’État ne s’est pas spécialement inquiété de la
nature ni du type de la relation en cause pour établir l’applicabilité de la loi
française. Il s’est limité à rechercher s’il convenait, eu égard à la teneur de
l’article 21 de l’ordonnance du 22 février 1945, d’imposer l’observation de
celle-ci à une société étrangère entretenant des relations de travail dans ses
implantations permanentes en France.
490 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 53

2 Pour désigner ce mode de règlement, la doctrine contemporaine emploie


indifféremment deux expressions. Phocion Francescakis, à qui sont dues en
France la redécouverte et la reconstruction de la méthode, a d’abord parlé des
lois d’application immédiate, mettant ainsi l’accent sur la particularité du pro-
cessus de mise en œuvre : l’application sur le plan international des normes
de cette espèce ne requiert pas la médiation d’une règle de conflit de lois
(v. Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en dr. int.
pr., 1958, p. 11; v. aussi H. Batiffol et Ph. Francescakis « L’arrêt Boll de la
Cour internationale de Justice et sa contribution à la théorie du droit interna-
tional privé », Rev. crit. 1958. 259; P. Graulich, « Règles de conflit et règles
d’application immédiate », Mélanges J. Dabin, 1963. 629; R. de Nova, « Conflits
de lois et normes fixant leur propre domaine d’application », Mélanges Maury
1960, t. 1, p. 377 et s., visant la même particularité, aboutit à des expressions
différentes : normes substantielles « autolimitées » — Dir. int. 1959. 500 —,
règles matérielles fonctionnellement circonscrites — California L. R., 1966.
1569). Approfondissant son analyse, l’auteur en est venu par la suite à propo-
ser la dénomination concurrente lois de police, faisant cette fois référence à la
fonction que remplissent ces règles dans l’ordre juridique qui les pose
(Ph. Francescakis, « Quelques précisions sur les lois d’application immédiate
et leurs rapports avec les règles de conflit de lois » Rev. crit. 1966. 1; « Lois
d’application immédiate et règles de conflit », Riv. dir. int. priv. proc. 1967.
691; Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Conflits de lois (Principes généraux), no 136;
« Y a-t-il du nouveau en matière d’ordre public ? », Trav. com. fr. dr. int. pr.
1966. 69, 149; « Lois d’application immédiate et droit du travail. L’affaire du
comité d’entreprise de la Compagnie des Wagons-lits », Rev. crit. 1974. 273;
adde T. G. Guedj, « The theory of the lois de police, a functional trend in
continental private international law », Am. J. Comp. L., 1991. 661; comp., le
terme allemand Eingriffnormen : normes d’intervention).
Signalons enfin que la jurisprudence n’a pas tranché ; bien plus, elle tend
à aggraver l’indécision terminologique et à provoquer des confusions en
employant les expressions de lois d’ordre public (v. par ex., Paris, 16 févr. 1966,
Moëller, Rev. crit. 1966. 453, note P. Lagarde; Paris, 28 avr. 1967, Vve Rodri-
guez, Rev. crit. 1968. 447, note J. Foyer; emploie aussi cette dénomination
G. Sperduti, « Les lois d’application nécessaire en tant que lois d’ordre public »,
Rev. crit. 1977. 257) ou encore de lois d’application impérative (Civ. 1re,
28 mai 1991, consorts Huston, Rev. crit. 1991. 752, note P. Y. Gautier, Clunet
1992. 123, note B. Edelman; v. aussi les occurrences occasionnelles de la for-
mule « loi d’application territoriale » : Civ. 1re, 20 oct. 1987, Cressot, Rev. crit.
1988. 540, note Y. Lequette, Clunet 1988. 446, note A. Huet; Civ. 1re, 6 avr.
1994, Defrénois 1994, no 55892, obs. J. Massip, tandis que le vocabulaire des
conventions internationales oscille entre loi de police — Conv. de Rome du
19 juin 1980, art. 7 —, règles ou dispositions impératives (mandatory rules ou
provisions), ou « qui s’imposent quelle que soit la loi applicable » — Conv. de
Rome, eod. loc.; Conv. de La Haye sur la loi applicable aux contrats d’inter-
médiaire et à la représentation du 14 mars 1978, art. 16, aux contrats de vente
internationale de marchandises, 22 déc. 1986, art. 17; convention interaméri-
caine de Mexico du 17 mars 1994 sur la loi applicable au contrats, art. 11 —,
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 491

ces dernières formules étant aussi retenues par la Loi fédérale de droit interna-
tional privé suisse, art. 18 et 19, sans rejoindre tout à fait K. H. Neumayer qui
a introduit l’expression dispositions internationalement impératives, « Auto-
nomie de la volonté et dispositions impératives », Rev. crit. 1957. 579, spéc.
1958, p. 53).
Cette hésitation de vocabulaire n’est peut-être pas accidentelle. Chacune
des appellations capte un aspect de la méthode et leur pluralité invite dès lors
à en esquisser la théorie (I) tandis que l’impression d’inachèvement qui s’en
ressent oblige à indiquer les difficultés que sa pratique rencontre (II).

I. La théorie des lois de police

3 Application immédiate, police, ordre public, impérativité. Les deux derniers


termes peuvent servir de lien entre les deux premiers : on verra en effet que
c’est par la référence à l’ordre public que le procédé (A) et sa justification (B)
se rejoignent.

4 A. — L’expression loi d’application immédiate veut rendre compte de ce


que certaines lois fixent elles-mêmes leur champ d’application dans l’espace
sans la médiation d’une règle de conflit. Nécessaire à leur efficacité substan-
tielle, ce champ d’application propre serait donc dans la dépendance directe de
leur teneur. C’est dire que chaque loi de police s’appliquerait à toutes les situa-
tions internationales qu’il est nécessaire qu’elle réglemente pour que soient
atteints les objectifs auxquels elle est ordonnée.
Et de fait, il faut bien constater, en l’espèce, que l’application de l’ordon-
nance de 1945 aux établissements de la Compagnie des Wagons-lits situés en
France constitue une condition du succès de cette législation. Celle-ci met en
œuvre le principe, que proclamera le Préambule de la Constitution de 1946,
de participation des salariés à la détermination collective des conditions de
travail et à la gestion des entreprises. Il s’agit, on le sent bien, de restituer au
travail salarié son intérêt et sa dignité de manière à favoriser l’instauration
dans ce pays d’un type de relations industrielles débarrassé des germes d’anta-
gonisme de classe et de division de la communauté nationale. Un tel dessein
politique embrasse l’ensemble des personnels occupant en France un emploi
salarié. Refuser le droit à la participation dans certains établissements français
au motif qu’ils relèvent de sociétés étrangères, ce serait contrecarrer le projet
du législateur. Le Conseil d’État ne pouvait le permettre.
Une telle investigation sur les buts de la règle n’est cependant pas toujours
nécessaire. Plutôt que d’abandonner à l’interprétation judiciaire le soin de
définir les critères d’efficacité dans l’espace de la loi de police, il arrive au
législateur d’énoncer ceux-ci au côté des conditions de fond. Cette précaution
révèle beaucoup plus nettement la structure de la loi d’application immédiate. Il
s’agit en somme de règles substantielles délimitant elles-mêmes et a priori leur
champ d’application (v. R. de Nova, art. préc.). Le raisonnement est d’essence
unilatéraliste. Un bon exemple en est donné par la loi du 8 juillet 1964 relative
492 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 53

à la propriété littéraire et artistique (Rev. crit. 1964. 792) qui pose, dans son
article 1er, le principe de réciprocité au titre de la protection, en France, des
œuvres étrangères, mais ajoute dans son article 2 : « toutefois, aucune atteinte
ne pourra être portée à l’intégrité et à la paternité de ces œuvres ». Aussi bien,
la Cour de cassation a-t-elle, dans la célèbre affaire Huston, déduit de cette
disposition l’existence d’une loi d’application impérative protégeant le droit
moral de l’auteur de toute atteinte en France quel que soit l’État sur le ter-
ritoire duquel l’œuvre a été divulguée pour la première fois (Civ. 1re, 28 mai
1991, préc.). La loi impose le respect de l’intégrité de toutes les œuvres sus-
ceptibles d’être malmenées en France, abstraction faite du statut que leur
confère la loi de leur origine. Il n’y a aucune place pour la méthode conflic-
tuelle ; le respect du droit moral est assuré en France sans référence à la loi de
première publication. Il faut également citer la loi du 21 décembre 1975
(« relative à l’emploi de la langue française », v. chr. V. Delaporte, Rev. crit.
1976. 447) qui a introduit dans le Code du travail un article L. 121-1, alinéa 2
énonçant que « le contrat de travail constaté par écrit et à exécuter sur le ter-
ritoire français est rédigé en français », disposition que la Première chambre
civile a reconnue « d’application immédiate » (Civ. 1re, 19 mars 1986, Soc.
Geoservices international, Rev. crit. 1987. 554, note Y. Lequette, D. 1987. 359,
note G. Légier, RTD civ., 1988. 330, obs. J. Mestre; v. aussi Com., 11 mars
1997. SEIA, Rev. crit. 1997. 535, rapp. Rémery, note H. G.-T., Defrénois
1997. 1348, obs. Ph. Delebecque, qualifiant loi de police, l’art. L. 112-3,
al. 1er, C. ass., imposant l’emploi du français pour la rédaction des contrats
d’assurances des risques français, et la « salve » perçue par M.-E. Ancel,
chron. « Droit int. pr. patrimonial », Droit et Patrimoine, nov. 2005, p. 109,
distinguant Civ. 2e, 3 févr. 2005, Bull. II, no 24, Clunet 2006. 152, note
G. Légier, imposant l’application territoriale de l’art. 3122-1, C. sant. pub.,
sur l’indemnisation des transfusés victimes du VIH; Civ. 2e, 3 juin 2004, Rev.
crit. 2004. 750, note D. Bureau, déclarant « loi d’application nécessaire »
l’art. 706-3 C. pr. pén. concernant l’indemnisation de certaines victimes
d’infraction; Civ. 1re, 19 oct. 2004, D. 2005. 878, note C. Montfort, pour
lequel constitue une « loi de police et d’application immédiate » l’art. 63 de la
loi du 29 juill. 1881, prévoyant une prescription de trois mois pour l’action
civile en diffamation, auxquels P. Courbe et H. Chanteloup dans leur Pano-
rama, D. 2005. 1193, joignent Com., 14 janv. 2004, Rev. crit. 2005. 55, note
P. Lagarde, D. 2005. 1193, obs. Courbe, qualifiant « loi de police » l’art. 10,
L. 3 janv. 1967, qui pour les actes relatifs à la propriété des navires francisés
prescrit la rédaction d’un écrit permettant l’identification des parties et du
navire, et Civ. 1re, 3 févr. 2004, Rev. crit. 2004. 395, note B. Ancel, RTD civ.
2004. 267, obs. J. Hauser, A J famille, 2004. 144, obs. F. Bicheron, Dr. fam.
2004, no 47, obs. V.L.-T., concernant l’art. 147, C. civ.).

5 L’économie de la méthode classique du conflit de lois est toute différente :


au lieu de partir de la loi et d’en définir le domaine d’application, elle part de
la relation internationale à traiter pour déterminer quelle loi doit lui être appli-
quée parmi celles au contact desquelles elle se trouve. À cette fin, elle construit
des règles qui procèdent à des rattachements fondés sur la nature du problème de
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 493

droit matériel à résoudre et non sur le contenu de la réponse particulière que


prétendrait lui apporter telle ou telle d’entre elles. C’est d’ailleurs une des
caractéristiques les mieux perçues de la démarche traditionnelle que cette
indifférence à la teneur des solutions prévues par les lois que la situation met
en concurrence. La préoccupation substantielle n’apparaîtra qu’ultérieurement,
une fois la désignation opérée, la règle de conflit s’accordant alors une faculté
de repentir avec l’exception d’ordre public. Ainsi, face à une pluralité de règles
matérielles émanées d’ordres juridiques distincts, la règle de conflit les appré-
hende collectivement par ce qu’elles ont de commun, c’est-à-dire le problème
qu’elles résolvent et non par ce qui est susceptible de les opposer, à savoir la
solution qu’elles y apportent. Cette particularité a pour conséquence normale
le caractère synthétique et général des catégories dont use le droit des conflits
pour qualifier les situations (v. supra, obs. sous Caraslanis, arrêt no 27). Le
mécanisme des lois d’application immédiate est, au contraire, entièrement sus-
pendu à la préoccupation substantielle qui a déterminé l’élaboration de la règle
et dès lors, il opère individuellement, règle par règle, solution par solution, de
manière à assurer à chacune son domaine optimal d’efficacité.
Naturellement cette différence se traduit par une divergence de résultats
dont l’arrêt rend parfaitement compte : « La circonstance qu’une entreprise
employant en France plus de cinquante salariés a son siège social à l’étranger
ne saurait la faire échapper à l’application de la législation sur les comités
d’entreprise ». Le motif révèle que, si, en l’espèce, le Conseil d’État s’était
contenté de la méthode conflictuelle, il aurait constaté que la définition du
rôle du salarié dans la vie de la société touche à l’organisation et au fonction-
nement de celle-ci et doit donc être attribuée à la loi que désigne la règle de
conflit en matière de sociétés, c’est-à-dire la loi belge, loi du lieu du siège
social (v. supra, arrêt CCRMA, no 50); l’ordonnance aurait été écartée et ses
objectifs négligés. En revanche le dessein de satisfaire ces objectifs a conduit
à identifier dans l’implantation en France des établissements employeurs, le
critère d’efficacité internationale de l’ordonnance de 1945. S’effectuant selon
des optiques différentes, le choix du critère d’efficacité de la loi de police et
celui du facteur de rattachement de la règle de conflit ne coïncident pas néces-
sairement (rappr. Paris, 21 janv. 1994, Rev. crit. 1995. 535, note P. Lagarde,
D. 1994, Som. com. 357, obs. B. Audit, à propos de l’application de la Loi
Hoguet du 2 janv. 1970; v. aussi Civ. 1re, 8 juill. 1986, Bull. I, no 194; TGI
Nice, 24 avr. 1985, Rev. crit. 1986. 325, note P. Lagarde).

6 Cette divergence engendre elle-même un conflit de méthodes : lorsque le


juge découvre dans son système juridique une loi de police qui entend régir la
question de droit dont il est saisi alors que sa règle de conflit lui désigne un
ordre juridique étranger, à laquelle de ces deux normes contradictoires doit-il
obéir ? Il n’est pas interdit de songer ici à déduire la réponse à cette question
de la maxime Specialia generalibus derogant : le mécanisme de l’application
immédiate a, en effet, une portée individuelle, parce que suspendu à la consi-
dération d’une solution matérielle tandis que le procédé des règles de conflit a
une portée collective lui permettant d’embrasser une pluralité de règles inter-
nes. La loi d’application immédiate l’emporte donc sur la règle de conflit.
494 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 53

L’argument est cependant loin d’épuiser le besoin de justification; car si les


lois de police occupent le statut d’exception par rapport aux règles de conflit,
il faut alors rendre compte des nécessités qui les imposent et qui comman-
dent de leur donner cette configuration spéciale leur assurant cette énergie
particulière.
Remarquons seulement pour l’instant que la priorité d’application des lois
de police du for a pour effet d’exclure préventivement l’appel au droit étran-
ger — dans la mesure où en effet celui-ci dépend en principe de l’opération de
la règle de conflit. La loi de police pourrait alors être présentée comme une
espèce d’exception d’ordre public a priori en ce qu’elle récuse — mais par
avance — une éventuelle mise en œuvre du droit étranger (comp. la construc-
tion différente du mode d’intervention proposée par A. Bonomi, La norme
imperative nel dir. int. pr., Zürich, 1998, c. r. Rev. crit. 1998. 809). C’est préci-
sément en abordant la question de la justification du procédé de l’application
immédiate que cette parenté formelle autant que la « préséance » (P. Graulich,
art. préc.) sur la règle de conflit s’éclaireront.
7 B. — Le recours au procédé des lois d’application immédiate de préférence
à la méthode des règles de conflit se fonde sur l’importance des objectifs que
ce type de loi s’efforce d’atteindre. C’est parce qu’elle présente pour la société
française un intérêt primordial qu’elle n’entre pas en concurrence avec la loi
étrangère.
Traditionnellement, dans le cadre de la démarche conflictuelle la plus clas-
sique, les dispositions de droit privé interne émanées des divers ordres juridi-
ques sont réputées interchangeables; les solutions matérielles de la lex fori et
des lois étrangères sont équivalentes. Savigny avait parfaitement discerné cette
prémisse du raisonnement, lorsqu’il évoquait l’exigence de communauté juri-
dique. Les lois internes sont réputées égales et procurent, chacune à sa façon
et dans son propre système, une même qualité de justice matérielle. De sorte
qu’aucune n’étant au fond préférable par elle-même, le problème de la loi
applicable se réduit à un choix de la loi qui entretient avec la relation considé-
rée les liens les plus étroits. Ainsi satisfera-t-on prévisibilité, harmonie et
effectivité des solutions. À cet effet, il est procédé à la localisation objective
de chaque relation (le « siège du rapport de droit » ou « le système juridique
auquel ce rapport appartient d’après sa nature », Savigny, op. cit., § 348). Pre-
nant ainsi ses distances à l’égard des considérations substantielles, la méthode
des règles de conflit s’applique à produire une justice de droit international
privé (v. G. Kegel, « Begriffs-und Interessenjurisprudenz im internationalen
Privatrecht », Festschrift für H. Lewald, 1953, p. 259) qui apporte un règle-
ment satisfaisant aux intérêts privés que la relation met aux prises. Ce souci
n’est pas celui des lois d’application immédiate.
8 Il s’agit, nous dit Ph. Francescakis, de lois dont « l’observation est néces-
saire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du
pays » (Trav. com. fr. dr. int. pr. 1966-1969, comm. préc., p. 165; Rép. Dalloz
dr. int., op. cit., no 137), de lois qui, ayant pour objet le règlement de rapports
d’intérêts privés, ont pour fonction de leur apporter une solution matérielle
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 495

propre à conserver ou à transformer (selon les options du législateur) les struc-


tures de l’ordre juridique-vie sociale organisée (Comp. Savigny, op. cit., § 349,
p. 38; CJCE, 23 nov. 1999, Arblade, Rev. crit. 2000. 710, note M. Fallon, don-
nant une définition communautaire des lois de police : « dispositions nationa-
les dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation
politique sociale et économique de l’État membre concerné, au point d’en
imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national de cet
État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci » et affirmant à
leur égard la primauté du droit communautaire; comp. art. 8, prop. Règlement
Rome I).
Délaissant l’idée libérale traditionnelle d’après laquelle la satisfaction de
l’intérêt général de la société procède de la satisfaction des intérêts indivi-
duels, à la prospérité desquels doit essentiellement se vouer l’autorité publi-
que, ces lois postulent l’existence et l’engagement dans les relations privées
d’une classe d’intérêts spécifiques, propres à l’ordre juridique et distincts des
intérêts individuels. Bien qu’impliqués dans les relations privées, ces intérêts
sociaux apparaissent si importants qu’ils sont pris en charge par l’organisation
étatique, c’est-à-dire deviennent matière de police (v. Ph. Francescakis, « Quel-
ques précisions… », art. préc., p. 13; G. Khairallah, Les sûretés mobilières en
dr. int. privé, nos 168 et s., p. 135 et s.; CIJ, 28 nov. 1958, Boll, Rev. crit.
1958. 713 et s., spéc. p. 726 et s.). Produit du développement et de la transfor-
mation au cours de ce siècle du rôle de l’État à l’égard des personnes privées,
ces lois de police doivent être nettement distinguées des règles de droit public.
Alors que les premières sont « organisatrices de la société dont l’État a la
charge », les secondes sont relatives à l’auto-organisation de l’État lui-même
(P. Mayer, « Les lois de police étrangères », Clunet 1981, p. 305, no 28). Ainsi,
quoiqu’investie d’une mission spéciale, la loi de police appartient au droit privé.
9 Et c’est précisément cette mission spéciale qui fournit les raisons de la prio-
rité d’application dont elle jouit à l’égard de la règle de conflit.
La première raison est que la loi de police se concentre sur les seuls intérêts
de l’ordre juridique qui la pose. Aucune loi étrangère ne reçoit mission de
satisfaire les intérêts propres de l’ordre juridique français; aucune ne s’efforce
de promouvoir dans l’ordre juridique français une structure sociale reposant
sur la participation des salariés, assurée par l’institution des comités d’entre-
prise. Certes, il n’est pas exclu que d’autres pays — et spécialement parmi
eux la Belgique — se soient aussi donné les moyens d’atteindre de sembla-
bles objectifs; mais chacun l’a fait pour soi, pour la vie sociale organisée sous
l’autorité de ses pouvoirs publics, de sorte que toutes ces législations compa-
rables sont néanmoins réfractaires au libre échange des lois que suppose la
règle de conflit classique.
La seconde raison est l’antériorité des ordres juridiques étatiques par rap-
port à l’ordre international. Le fait est que ceux-ci sont actuellement les com-
munautés de vie sociale les plus puissamment et les plus précisément organi-
sées et donc, en principe, les plus aptes à favoriser le développement paisible
et harmonieux des rapports humains (H. Batiffol, Aspects philosophiques du
dr. int. pr., no 144, p. 322). Dans ces conditions, leur rôle primordial dans un
496 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 53

ordre international inachevé oblige à préserver leur existence et leur efficacité.


« Les relations internationales s’insérant normalement dans le contexte du
droit interne — et devant s’y insérer sans perturbation — l’ordre interne doit
être admis en priorité à faire prévaloir sur les lois étrangères ceux de ses élé-
ments qui mettent en cause sa cohésion » (H. Batiffol et Ph. Francescakis,
« L’arrêt Boll… » art. préc., Rev. crit. 1958. 259) et, ceci, « pour le bien même
de l’ordre international » (Ph. Francescakis, « Quelques précisions… », art. préc.,
eod. loc.). Mais avec la montée en puissance de l’ordre international ainsi
qu’avec l’émergence d’un ordre communautaire de mieux en mieux structuré,
on pourrait assister tôt ou tard, mais sans doute pas dans l’immédiat (v. la
« salve », supra, § 4) à un certain effacement des lois de police nationales.
C’est ainsi que la Cour de Luxembourg a récemment affirmé que les lois de
police n’échappent pas au contrôle du droit communautaire et que leur appli-
cation peut être entravée par les contraintes qu’impose la mise en place d’un
ordre marchand (CJCE, 23 nov. 1999, préc.). Et en doctrine, il a été soutenu
que, lorsque sont aux prises une règle de conflit conventionnelle et une loi de
police qui portent sur le même objet et dont la première ne réserve pas l’inter-
vention de la deuxième, le jeu de la hiérarchie des normes devrait conduire au
refoulement des lois de police (L. Gannagé « Le dr. int. pr. à l’épreuve de la
hiérarchie des normes », Rev. crit. 2001. 1, spéc. p. 40). En d’autres termes le
principe de la primauté de l’ordre international ou de l’ordre communautaire
l’emporterait sur celui de l’antériorité de l’ordre interne par rapport à l’ordre
international (sur cette question, v. infra, no 55-56, § 16)
10 À s’en tenir à une vision plus classique des choses, la loi de police, parce
qu’elle se polarise sur l’ordre étatique auquel elle appartient et parce que cet
ordre étatique prime l’ordre international, rompt avec l’hypothèse de la com-
munauté juridique; en quoi, elle s’apparente — matériellement, cette fois — à
l’exception d’ordre public — laquelle réagit aussi à une semblable rupture
(v. Savigny, op. cit., § 349, p. 38) — mais celle-là imputée à l’ordre juridique
étranger et donc logiquement perçue après que la règle de conflit a opéré
(P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en dr. int. pr., nos 86 et s.; v. sur les
rapports entre « Ordre public et lois de police en droit des contrats
internationaux », P. Courbe, Études Mercadal, p. 99 et s.). Sans minimiser ces
différences, observons que la rupture de la communauté juridique engendre
toujours le même effet, l’éviction de la règle de conflit.
Une telle constatation légitimerait sans doute la dénomination jurispruden-
tielle de lois d’ordre public, si elle n’encourageait la confusion des moments
et des figures de l’intervention de la notion. Elle débouche aussi sur la ques-
tion de la contexture du droit international privé : le groupe des règles de con-
flit n’aurait-il qu’un rôle résiduel et provisoire qui ne s’accomplirait que sur la
zone délaissée par les lois de police et non encore couverte par les règles
matérielles de droit international (v. supra, arrêts Messageries maritimes, no 22
et Galakis, no 44) ? Ph. Francescakis paraît bien incliner pour un tel canton-
nement, voire un « déclassement » (P. Graulich, art. préc.) de la démarche
conflictuelle qui lui retirerait le statut de méthode de principe. Mais Savigny,
si volontiers invoqué lorsqu’il s’agit de fonder le procédé des lois de police
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 497

dans l’histoire, déclarait sans ambage qu’elles « ont toutes ce caractère com-
mun d’anomalie [en ce] que… elles échappent à cette communauté de droit,
en général si désirable » (op. cit., § 349, p. 40).
Lorsqu’un débat s’élève à cette altitude théorique, la prudence commande
de lui chercher une issue du côté de la pratique.

II. La pratique des lois de police

11 Le Conseil d’État ne semble pas avoir éprouvé de grandes difficultés à dis-


cerner le caractère de loi de police de l’ordonnance du 22 février 1945. Quoi-
que celle-ci n’énonçât elle-même aucun critère d’efficacité internationale qui
pût signaler ce caractère, sa mise en relation, opérée par le Commissaire du
gouvernement, avec le Préambule de la Constitution de 1946 (v. in Rev. crit.
1974. 348) faisait clairement apparaître le comité central d’entreprise « comme
intéressant non pas distinctement l’organisation politique, sociale ou économi-
que du pays, mais bien, cumulativement, ces trois plans de l’organisation étati-
que ou même comme intéressant proprement, principalement et synthétique-
ment l’organisation politique du pays » (Ph. Francescakis, « Loi d’application
immédiate et droit du travail… », art. préc., Rev. crit. 1974, p. 257). La déter-
mination du critère d’efficacité internationale n’a pas soulevé davantage de
problème. Il est vrai qu’il s’agissait de définir le domaine d’application néces-
saire de la loi de police, non in abstracto, mais dans le cadre du problème
concret que posait la Compagnie internationale des wagons-lits. Il n’en reste
pas moins que cette question des critères d’efficacité rejoint celle du caractère
de loi de police et se résout avec elle, étant donné la stricte corrélation qui
existe entre la teneur de la règle et son étendue d’application. Le problème se
résume alors à l’identification de la loi de police (A); mais la simplicité du
problème ne garantit pas la simplicité de la solution.
Au demeurant, il existe un second problème que le Conseil d’État n’a pas
abordé — et que pose l’existence avérée de lois de police dans les ordres juri-
diques étrangers. En l’espèce, la réalisation de l’impératif contenu dans
l’ordonnance de 1945 a paru commander la mise à l’écart de la loi belge
comme de toute autre loi, même dans leurs éventuelles dispositions de police.
L’exclusivisme de la loi de police du for justifie assez cette solution. Ce même
caractère marquant les lois de police étrangères, ne devrait-il pas justifier une
réaction du même ordre à leur profit ? C’est le problème de l’application des
lois de police étrangères (B).

A. — L’identification de la loi de police

12 Comment reconnaître une loi de police ? Si en l’espèce la question n’a pas


soulevé de graves difficultés, c’est que l’argument tiré du Préambule de la
Constitution de 1946 avait quelque chose de massif. Cependant, un supplément
de démonstration n’aurait pas été superflu étant donné l’allure paradoxale que
498 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 53

prend l’arrêt : il déduit l’applicabilité de l’ordonnance de sa teneur, mais il


modifie sa teneur pour pouvoir l’appliquer ! Ainsi qu’on l’a très justement
relevé (M. Simon-Depitre, note préc., Clunet 1975. 538; H. Synvet, L’organi-
sation juridique du groupe international de sociétété, thèse Rennes, 1979,
no 437; J.-M. Jacquet, « La norme extraterritoriale dans le commerce interna-
tional », Clunet 1985. 327, spéc. no 47, p. 355 et s.), en limitant les attributions
du comité central d’entreprise à celles qui ne sont pas « incompatibles avec la
présence à l’étranger du siège social », le juge administratif élabore, pour les
sociétés étrangères ayant des établissements en France, une règle matérielle
parallèle à celle de l’article 21 de l’ordonnance de 1945 (Depuis la loi du
12 nov. 1996, transposant aux art. L. 439-1 et s., C. trav., la directive 94/45/CE
du 22 sept. 1994, l’organisation de la représentation des salariés des entrepri-
ses de dimension européenne, telle la Cie internationale des wagons-lits, est
l’objet d’une réglementation propre). De la même manière, à propos de l’insti-
tution du délégué syndical central dans les unités économiques et sociales réu-
nissant plusieurs sociétés en une seule entreprise, la Chambre sociale quali-
fiera, de façon générale, lois de police les lois relatives à la représentation des
salariés et à la défense de leurs droits et intérêts, les déclarant applicables à
toutes les entreprises, seraient-elles sociétés étrangères, qui exercent leur
activité en France et limitera néanmoins les attributions de l’organe de repré-
sentation à celles qui ne sont pas « incompatibles avec la présence à l’étranger
du siège social » (Soc., 3 mai 1988, Soc. Thoresen Car Ferries Ltd, Rev. crit.
1989. 63, note G. Lyon-Caen; rappr. Ass. plén., 10 juill. 1992, Air Afrique c/Gueye,
Rev. crit. 1994. 69, note B. Audit, D. 1993. 67, concl. Chauvy, JCP 1993. II.
22063, note P. Rodière).
Sans contester l’opportunité en l’occurrence de cette « solution politique »
(M. Simon-Depitre, eod. loc.), il est permis d’observer que l’attitude illustre
une des grandes faiblesses de la théorie des lois de police : l’interprète est-il
porté à exalter l’organisation étatique de préférence à l’utilité privée, il aper-
cevra facilement un objectif de police là où un tempérament moins engagé ou
plus libéral ne verra rien de tel (v. par ex., Ch. mixte, 28 févr. 1986, Air Afrique,
D. 1987. 173, concl. Franck, Dr. soc. 1986. 406, note H. Gaudemet-Tallon,
limitant l’application du régime français de l’information des salariés aux
entreprises dont le siège social est situé sur le territoire national).
13 « L’incertitude subsiste en effet sur le domaine de la notion » (Batiffol et
Lagarde, t. I, no 251, p. 299). C’est que même si la loi de police s’emploie
manifestement à pourvoir à un intérêt propre de l’ordre juridique, elle a aussi
pour mission de résoudre une opposition d’intérêts privés et cette dualité de
fonctions se rencontre, selon des équilibres variables, dans toute règle de droit
privé. De celles qui sont de police à celles qui ne le sont pas, il n’y a « pas de
différence de nature », mais « une simple différence de degré » (Loussouarn,
« Cours général de droit international privé », Rec. cours La Haye, 1973. II.
328-329; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, nos 126 et 132; Hol-
leaux, Foyer et de Geouffre de La Pradelle, no 647). La distinction est alors
aussi malaisée qu’aléatoire et M. Loussouarn a pu déployer tout un éventail de
critères, se distribuant en trois types (formaliste, technique et finaliste) com-
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 499

prenant chacun plusieurs variétés, avant de constater que « la qualification de


loi de police ne peut résulter que d’un examen concret de chaque disposition
législative » et de dénoncer « l’impossibilité de découvrir un critère satisfai-
sant et précis », génératrice d’un « risque d’arbitraire » (op. cit.). Cet état de
chose incite à la plus grande circonspection et à ne reconnaître le caractère de
loi de police que s’il ressort de manière évidente de la disposition — c’est-à-
dire, à n’accorder en fait au procédé que le statut d’exception (v. Batiffol et
Lagarde, eod. loc.; v. aussi, la note de M. P. Lagarde sous l’arrêt Moëller,
préc., Rev. crit. 1966, spéc. p. 459-460 et les motivations également péremp-
toires de cet arrêt et de l’arrêt Vve Rodriguez, préc.).
Cette difficulté d’identification est au demeurant encore accrue par l’exis-
tence de dispositions mixtes dont l’application relève tantôt du procédé des
lois d’application immédiate, tantôt de la méthode conflictuelle. Cette espèce
singulière qui illustre à merveille la dualité des fonctions ne se rencontre pas
là où les lois de police ont tendance à proliférer, dans cette législation déroga-
toire à finalité sociale ou économique (protection physique, sanitaire et sociale
des salariés, régime des baux ruraux, commerciaux et d’habitation, police
contractuelle, régulation du crédit, etc…), mais dans certaines dispositions du
droit civil contemporain issu des réformes qui se sont succédé depuis une
trentaine d’années (Fadlallah, La famille légitime en droit international privé,
1977, nos 137 et s., p. 133 et s.). Tel est le cas par exemple de l’article 221 du
Code civil (L. 13 juill. 1965 et L. 23 déc. 1985; v. TGI Paris, 25 juin 1976,
Rev. crit. 1977. 708, note Poisson-Drocourt, Clunet 1978. 325, obs. Y. Lequette;
rappr. Civ. 1re, 20 oct. 1987, Cressot, Rev. crit. 1988. 540, note Y. Lequette,
Clunet 1988. 446, note A. Huet) qui, en consacrant l’autonomie bancaire de la
femme mariée, réalise le principe de l’égalité des époux, jugé essentiel à la
constitution civile de la société française. Il convient de l’appliquer à tous les
ménages dont la femme s’adresse à un guichet de banque ouvert en France de
manière à rendre absolue la défense qu’il fait implicitement au banquier
d’exiger de sa cliente des justifications qu’elle ne pourrait en pratique pro-
duire qu’avec la coopération de son mari; seule, en effet, cette solution pré-
vient la dépendance de la femme à l’égard du mari. L’objectif commande le
domaine. Mais le problème que règle cette disposition peut aussi concerner
des époux dont les rapports personnels sont soumis à la loi française par la
règle de conflit. L’épouse voudrait-elle ouvrir un compte bancaire à l’étranger,
la loi française ne fournirait aucune indication quant à la nécessité ou non
d’une autorisation maritale si l’application de l’article 221 devait se circons-
crire au périmètre que fixe le critère de la situation en France du guichet. Pour
éviter cette lacune, il faudra faire abstraction du procédé de l’application
immédiate et placer l’article 221 dans le champ de la méthode conflictuelle
sous l’autorité de la règle de conflit relative aux effets personnels du mariage.
Il en sera ainsi pour toute règle qui, assumant une fonction de police, exprime
en même temps le droit commun dans l’ordre interne — et non pas une solution
dérogatoire.
14 L’observation ne rassure pas sur la simplicité de l’identification et du manie-
ment des lois de police (v. C. cass. belge, 25 mai 1992, Banque Sud Belge, Rev.
500 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 53

crit. 1993. 615, note M. Fallon, déniant la qualité de loi de police à l’art. 224,
§ 1er, al. 4 du Code civil belge, relatif à l’annulation du cautionnement contracté
par un époux et mettant en péril les intérêts de la famille; v. aussi, pour la
législation protectrice du représentant de commerce, Soc. 5 mars 1969, Zana-
relli, Rev. crit. 1970. 279, note Batiffol, Clunet 1969. 670, obs. Ribettes-Tilhet,
JCP 1970. II. 16481, note P. L., RTD com. 1969. 1172, obs. Loussouarn; pour
le statut de l’agent commercial, Civ. 1re, 24 janv. 1978, Staudenmayer. Rev.
crit. 1978. 689, note V. Delaporte; Com., 25 mars 1980, Mercator Press, Rev.
crit. 1980. 576, note H. Batiffol; Com., 9 oct. 1990, Soc. De Dietrich, Rev.
crit. 1991. 545, note P. Lagarde; Com., 28 nov. 2000, Soc. Allium, Bull. IV,
no 183, D. 2001. 305, note E. Chevrier, Clunet 2001. 511, note J.-M. Jacquet;
v. cep. CJCE, 9 nov. 2000, Ingmar GB Ltd, Rev. crit. 2001. 107, note L. Idot,
Clunet 2001. 511, note J.-M. Jacquet, JCP 2001. I. 328, chron. L. Bernardeau)
et elle accuse le caractère spécial ou exceptionnel que revêt le procédé de
l’application immédiate par rapport à la méthode conflictuelle qui seule
embrasse la généralité des cas. Ces difficultés s’aggravent encore au sein de
l’Union européenne avec le développement du droit communautaire substi-
tuant aux normes impératives des droits nationaux divers régimes de protection
de « la partie faible » harmonisés ou uniformes. Entre États membres, il n’y a
plus en ces domaines de divergences sur le plan des politiques juridiques, de
sorte que dépassant l’hypothèse de la communauté savignienne, ces réglemen-
tations parallèles peuvent dans leurs différences d’ordre « technique » être pri-
ses en charge par le règlement de conflit sans risquer pour cela de manquer
leurs objectifs (rappr. Paris, 26 avr. 2000, Clunet 2001. 523, note S. Dion). En
revanche, si le règlement de conflit doit déboucher sur la loi d’un État tiers,
alors que la situation couverte par le régime protecteur se réalise dans le
champ d’efficacité de celui-ci, la qualification loi de police ou règle internatio-
nalement impérative pourrait s’imposer (CJCE, 9 nov. 2000, Ingmar GB Ltd,
préc.), au moins pour les hypothèses que la Convention de Rome n’assigne pas
à des règles de rattachement à caractère matériel (art 5 et 6 de la convention;
v., sur cette question, les notes de P. Lagarde, in Rev. crit. 1998, p. 610, sous
BGH, 19 mars 1997, et 2000, p. 29, sous Civ. 1re, 19 oct. 1999, Moquin). Mais
la qualification de loi de police est ici discutée et il faut reconnaître que son
extension aux normes assurant la défense des intérêts de certaines catégories
de contractants, que l’ordre juridique entend abriter en fixant des minima de
protection impérative, perturbe la représentation du mécanisme de l’applica-
tion immédiate ou prioritaire et suggère de nouvelles analyses qui doivent per-
mettre au juge de comparer la loi désignée par la règle de conflit et la loi inter-
nationalement impérative de protection minimale (v. A. Bonomi, Le norme
imperative nel diritto internazionale privato, Zurich, 1998, spéc. p. 146 et s. et
c.r. in Rev. crit. 1998. 809; E. Pataut, note sous CJCE, 15 mars 2001, Maz-
zoleni, Rev. crit. 2001. 495). La nature variable ou l’allure shizophrénique attri-
buée à ces règles — tantôt internationalement impératives, tantôt simplement
impératives — requiert de savantes analyses et de subtiles distinctions qui ren-
dent leur praticabilité aléatoire. Le dessein de garantir leur pleine efficacité se
paie du prix de la sécurité juridique. C’est vers une semblable conclusion que
dirigera l’examen du problème des lois de police étrangères.
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 501

B. — L’application des lois de police étrangères

15 Primitivement, le problème se dédoublait car il avait paru convenable, avant


d’aborder le mode d’application des lois de police étrangères, de se prononcer
sur le principe même de leur applicabilité dans l’ordre du for.
Avec cette question de principe, il s’agissait de savoir si, confronté d’une
manière ou de l’autre à une loi de police étrangère, le juge français pouvait
se faire l’agent de la satisfaction des intérêts propres d’un pays étranger. La
confusion entre loi de police et règle de droit public, liée à l’ambivalence de
l’expression organisation étatique (v. supra, § 8), s’associait à la mauvaise répu-
tation que s’était acquise en doctrine comme en jurisprudence la notion peu
homogène de loi politique pour faire douter qu’une autorité publique fran-
çaise pût s’adonner à cette besogne. Aujourd’hui, la généralité des auteurs,
procédant aux distinctions nécessaires, admet que ni la fonction de police de
la règle étrangère, ni sa polarisation sur les intérêts propres de l’ordre juridi-
que étranger ne constituent en elles-même des causes de non applicabilité dès
lors que la relation à traiter est de droit privé (v. Batiffol et Lagarde, no 251,
p. 300; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 133; P. Mayer et
V. Heuzé, no 127, p. 106, P. Mayer « Les lois de police étrangères », art. préc.,
Clunet 1981. 277; Y. Lequette, Protection familiale et protection étatique des
incapables, nos 283 et s.). Il convient seulement de réserver trois cas. Il y a
d’abord celui de la règle étrangère dont l’intervention contrecarrerait l’action
d’une loi de police du for : la préférence observée dans les rapports avec la
règle de conflit du for explique la solution (v. supra, § 9). Semblablement sera
déclarée inapplicable la loi de police étrangère dont le contenu, les objectifs
ou les effets heurteraient les conceptions fondamentales de justice et de liberté
ayant cours en France ainsi que les politiques législatives qui y sont prati-
quées ; la notion d’ordre public justifie le refus (v. P. Mayer, art. préc., no 40,
p. 313). Enfin, une dernière limitation résulte du « mouvement de publicisa-
tion du droit privé » engendrant des hypothèses dans lesquelles le traitement
des relations d’intérêts privés sollicite le ministère d’autorités publiques; cette
éventualité oblige à repousser la loi de police étrangère lorsque sa mise en
œuvre requiert d’un organe étatique « l’accomplissement d’actes de puissance
publique ». Mais on est alors, il est vrai, plutôt en présence d’une loi de droit
public (Civ. 1re, 2 mai 1990, infra, no 74).
16 Au-delà de ces trois cas, le principe de l’applicabilité débouche sur le pro-
blème du mode d’application des lois de police étrangères.
Ce problème a naguère provoqué une certaine effervescence doctrinale
aujourd’hui apaisée et il ne paraît pas avoir beaucoup inquiété la jurispru-
dence, laquelle a eu seulement à connaître du cas de la loi de police émanée
de l’ordre juridique désigné par la règle de conflit du for; ne serait-ce que pour
préserver l’unité du système déclaré compétent (v. Batiffol et Lagarde, no 251,
p. 300), elle laisse à ce dernier le soin de définir la vocation d’application de
sa propre loi de police (v. en ce sens TGI Paris, 22 oct. 1968, Rev. crit. 1969.
455, note M. Simon-Depitre; TGI Seine, 13 avr. 1967, Rev. crit. 1969. 68 (sol.
implicite); Civ. 1re, 25 janv. 1966, Royal Dutch, Rev. crit. 1966. 238, concl.
502 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 53

Desangles, note Ph. Francescakis, D. 1966. 390, note Loussouarn, Clunet 1966.
631, note Bredin; Civ. 1re, 17 oct. 1972, Époux Audouze, Rev. crit. 1973. 520,
note H. Batiffol; Civ. 1re, 17 oct. 1972, Cassan, Clunet 1973. 716, note Oppetit).
Certes la solution est limitée à l’hypothèse considérée et sans utilité directe
pour résoudre le cas tout différent où la loi de police qui revendique le règle-
ment de la situation émane d’un ordre tiers. Mais elle témoigne cependant d’une
inclination à respecter autant que possible les critères d’efficacité internatio-
nale de la loi de police étrangère. La démarche suivie évoque celle qu’impose
le renvoi et cette affinité a sans doute exercé quelque influence sur le résultat.
17 Quoi qu’il en soit à cet égard, les auteurs manifestent une plus grande har-
diesse. Ils soulignent combien serait contraire à l’idéal d’harmonie internatio-
nale des solutions une décision judiciaire qui ferait abstraction d’une loi de
police au prétexte qu’elle n’est édictée ni par l’ordre du for ni par l’ordre dési-
gné, alors que selon toute vraisemblance, l’ordre tiers qui l’a posée s’emploiera à
la faire observer, parce qu’il en a la volonté et que la situation visée est à sa
portée. Par souci de réalisme (Batiffol et Lagarde, eod. loc.), ils recommandent
en conséquence de déborder le choix fait par la règle de conflit et d’envisager
directement l’application des lois de police étrangères indépendamment de la
méthode conflictuelle (rappr. Soc., 27 avr. 2000, B. Smith, Clunet 2001. 523,
note S. Dion). Le procédé de l’application immédiate s’imposerait aussi pour
les lois de police étrangères.
Cette orientation s’exprime dans l’article 7.1 de la Convention de Rome sur
la loi applicable aux obligations contractuelles du 19 juin 1980, qui prévoit
que « lors de l’application, en vertu de la présente convention, de la loi d’un
pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la
loi d’un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la
mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables
quelle que soit la loi régissant le contrat… » (Comp. art. 83 de la proposition
de Règlement Rome I, du 15 déc. 2005, et art. 13.2 de la proposition modifiée
de Règlement Rome II, du 21 févr. 2006). On remarquera aussitôt que cette
clause ne réalise pas strictement le modèle unilatéraliste; elle ne prescrit pas
de mettre en œuvre la loi de police d’après et seulement d’après ses propres
critères d’efficacité. Il faut en effet que soit remplie une condition très raison-
nable, qui est celle du lien étroit entre la situation et l’ordre tiers et qui répond
au souci de réalisme (comp. Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la
loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation, art. 16). De
plus, même cette exigence satisfaite, l’application n’est pas obligatoire : « il
pourra être donné effet… »
18 Observons à cet égard que d’autres paramètres doivent être alors considérés,
puisque le texte poursuit : « Pour décider si effet doit être donné à ces disposi-
tions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que
des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-
application » (comp. art. 19, loi fédérale sur le droit international privé). On ne
saurait trop souligner l’exacte adéquation de cette attitude au phénomène de la
loi de police étrangère. Par sa teneur et par le domaine qu’elle revendique,
53 CIE INTERNATIONALE DES WAGONS-LITS — CE, 29 JUIN 1973 503

celle-ci sollicite pour le compte de son ordre d’origine, la collaboration du juge


du for; on comprend que ce dernier n’y sacrifie sa règle de conflit (conventio-
nelle, en l’occurrence) que si les intérêts dont il a la charge y trouvent avan-
tage. Il lui faut donc mesurer l’incidence réelle — tant sur les droits des parties
que sur l’organisation étatique étrangère — du parti auquel il s’apprète et
opposer son libre-arbitre aux appétits parfois abusifs de tel ou tel législateur
étranger (T. arrdt La Haye, 17 sept. 1982, CEP, Rev. crit. 1983. 473 et chr. Audit,
p. 401).
Un autre mérite de la solution est son ingéniosité : la méthode du bilan
coût/avantage ou de la proportionnalité sur laquelle elle repose esquive la dif-
ficulté, inhérente et fatale à toute démarche unilatéraliste, que constitue le
conflit positif ou cumul de lois applicables (v. arrêt Busqueta, supra, no 1). Si
plusieurs lois de police étrangères incompatibles se disputent la même situa-
tion, l’unilatéralisme sombre dans la contradiction en ne pouvant proposer
autre chose qu’un critère général, telle l’effectivité (v. Quadri, Lezioni di dir.
int. priv., 1969, no 39, p. 291), dont l’emploi efface les critères propres de cha-
que loi. La Convention de Rome prévient le conflit grâce aux directives
qu’elle impose à l’interprète et qui le contraignent à ne retenir que la disposi-
tion y répondant le mieux.
Cependant, comme on le voit, le fonctionnement de l’article 7.1 intègre un
coefficient judiciaire important dans le processus d’application de la loi de
police étrangère. Présente dans certaines règles de conflit bilatérales, cette
caractéristique prend ici un relief singulier. Elle renforce l’impression de
paradoxe que déjà favorisait l’examen de la question de l’identification des
lois de police : si impérieuse qu’elle se veuille, une règle de cette espèce peine à
s’imposer d’elle-même. Il lui faut le secours du juge (sur l’aléa auquel ce
secours et partant l’autorité de la loi de police sont exposés du fait du libéra-
lisme des régimes de la compétence internationale, des clauses d’élection de
for et d’arbitrage, de l’efficacité internationale des jugements et des sentences
arbitrales v. L.G. Radicati di Brozolo, « Mondialisation, juridiction, arbitrage :
vers des règles d’application semi-nécessaires », Rev. crit. 2003. 1, et spéciale-
ment dans le cadre du droit de l’arbitrage, C. Seraglini, Lois de police et jus-
tice arbitrale internationale, thèse Paris I, éd. 2001).
54
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

26 novembre 1974

(Rev. crit. 1975. 491, note D. Holleaux, Clunet 1975. 108, note A. Ponsard)
Litispendance internationale. —
Recevabilité de l’exception. — Conditions.

L’exception de litispendance peut être reçue devant le juge français, en


vertu du droit commun français, en raison d’une instance engagée devant
un tribunal étranger également compétent.
Mais elle ne saurait être accueillie, lorsque la décision à intervenir à
l’étranger n’est pas susceptible d’être reconnue en France.

(Soc. Miniera di Fragne c/Cie Européenne d’équipement industriel)

Faits. — Un contrat d’ingénierie à exécuter à Lyon a été conclu par correspondance


entre la Société Miniera di Fragne, dont le siège est en Italie et la Société Compagnie
Européenne d’Équipement industriel (CEEI), dont le siège est en France. À la suite de dif-
ficultés dans l’exécution, la Société Miniera di Fragne assigne la CEEI en résolution
avec dommages-intérêts, devant le Tribunal de Milan. La CEEI réplique par une citation
de la société italienne aux mêmes fins devant le Tribunal de commerce de Paris.
La Société Miniera di Fragne soulève l’exception de litispendance devant la juridic-
tion française qui l’accueille en se fondant sur l’article 19 de la Convention franco-
italienne du 3 juin 1930, relative à l’exécution des jugements en matière civile et com-
merciale. Saisie par voie de contredit, la Cour de Paris infirme au motif que, selon ladite
convention (art. 19 et14), des deux juridictions saisies, seul le Tribunal de commerce de
Paris était compétent.
La Société Miniera di Fragne se pourvoit en cassation.

ARRÊT

La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu qu’il résulte des énonciations


de l’arrêt attaqué que, des difficultés s’étant élevées sur l’exécution d’un contrat
passé entre la Société Miniera di Fragne, dont le siège est en Italie, et la Compa-
gnie européenne d’équipement industriel (CEEI), dont le siège est en France, la
première fit assigner la seconde, le 4 mars 1972, devant le Tribunal de Milan, en
résolution de la convention et paiement de la somme de 19 910 174 lires; que le
16 mai 1972, la CEEI fit à son tour assigner la Société Miniera di Fragne devant le
54 SOC. MINIERA DI FRAGNE — CASS., 26 NOVEMBRE 1974 505

Tribunal de commerce de Paris en résolution de la même convention et en paie-


ment de diverses sommes d’argent; que, sur l’exception de litispendance soule-
vée par la Société Miniera di Fragne, l’arrêt attaqué, appliquant les articles 14
et 19 de la Convention franco-italienne du 3 juin 1930, a décidé que le contrat,
soumis à la loi française, devait être considéré comme passé à Paris d’où avait
été expédiée l’acceptation de l’offre et que le Tribunal de commerce de Paris,
compétent pour connaître du litige, n’avait donc pas à se dessaisir au profit de
la juridiction italienne; — Attendu qu’il lui est reproché d’en avoir ainsi décidé,
alors que, s’agissant d’une question de compétence juridictionnelle, il aurait
convenu, selon le pourvoi, « de la résoudre eu égard aux règles propres de la
matière, et non en raisonnant en termes de conflits de lois »; que de telles
règles auraient été, en l’espèce, contenues aux articles 14 et 19 de la Convention
franco-italienne, qui revêtiraient, en matière de litispendance, et par exception
à l’article 10 de la même convention, le caractère de règles de compétence
directe; que l’article 14 de cette convention renverrait, pour son application en
cas de litispendance, à la loi du tribunal premier saisi, en l’espèce la loi italienne;
qu’en vertu de cette dernière, le contrat devait être regardé comme ayant été
conclu en Italie, lieu de réception de l’acceptation, et que, dès lors, l’exception
de litispendance aurait dû être considérée comme fondée; — Mais attendu que
l’article 19 de la Convention franco-italienne du 3 juin 1930, applicable à l’épo-
que où les actions ont été intentées, énonce des règles de compétence simple-
ment indirectes; que l’exception de litispendance peut cependant être reçue
devant le juge français, en vertu du droit commun français, en raison d’une ins-
tance engagée devant un tribunal étranger également compétent, mais ne sau-
rait être accueillie, lorsque la décision à intervenir à l’étranger n’est pas suscepti-
ble d’être reconnue en France; que l’article 11 de la Convention franco-italienne
donne compétence indirecte au tribunal du domicile du défendeur, et l’article 14,
propre à la matière des contrats commerciaux, au tribunal du lieu où le contrat
a été conclu et à celui du lieu où il doit être exécuté; que, selon les énonciations
de l’arrêt attaqué, la défenderesse à l’instance engagée en Italie était domiciliée
en France et que l’exécution du contrat devait y avoir lieu; que, dès lors, le juge-
ment italien qui devait mettre fin à cette instance n’aurait pu être reconnu en
France que si le contrat avait été conclu en Italie; que, en l’absence de défini-
tion, par l’article 14 de la Convention, du lieu de conclusion du contrat, que vise
cet article, c’est à la loi du tribunal français, saisi de l’exception de litispendance,
qu’il appartient de définir ce lieu de conclusion; que, par ces motifs de pur droit,
substitués à ceux de l’arrêt attaqué, se trouve justifiée la décision de la cour
d’appel de se référer à la loi française pour fixer ce lieu de conclusion à Paris,
ville d’où a été expédiée l’acceptation de l’offre, et en conclure à la seule com-
pétence des tribunaux français; qu’ainsi, le moyen ne saurait être accueilli;
Par ces motifs : — Rejette.

Du 26 novembre 1974. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Bellet, prés.; Ponsard, rapp.;
Gégout, prem. av. gén. — MMes Calon et Labbé, av.

OBSERVATIONS

1 « L’exception de litispendance peut… être reçue devant le juge français, en


vertu du droit commun français…, mais ne saurait être accueillie lorsque la
décision à intervenir à l’étranger n’est pas susceptible d’être reconnue en
France ». Le motif dicte l’ordre que doit suivre le commentaire, en distinguant
la recevabilité de l’exception de litispendance (I) et son accueil (II).
506 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 54

I. La recevabilité de l’exception de litispendance

2 L’arrêt Miniera di Fragne consacre le principe de la recevabilité de l’excep-


tion de litispendance internationale : le juge français doit tenir compte et éven-
tuellement tirer conséquence de l’existence d’une procédure en cours à l’étran-
ger antérieurement engagée sur le litige dont il vient à être saisi. C’est là une
solution qui, jusqu’alors, n’était admise que dans le cadre du droit convention-
nel ; certains traités bilatéraux, comme le Traité franco-suisse de 1869, le Traité
franco-belge de 1899 ou la Convention franco-espagnole de 1969, ou multila-
téraux, comme la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (art. 21
devenu art. 27 du Règlement Bruxelles I ; v. P. Gothot et D. Holleaux, La
Convention de Bruxelles du 27 sept. 1968, Paris 1985, nos 215 et s.; H. Gaudemet-
Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, 3e éd., nos 323 et s.)
prévoient cette forme de coopération judiciaire qui consiste pour le tribunal
d’un pays à faire confiance au tribunal d’un autre pays devant lequel le procès
s’est préalablement engagé. Tel semblait être aussi le cas de la Convention
franco-italienne de 1930 dont l’article 19 envisage le dessaisissement du juge
saisi en second lieu en cas de litispendance (ou de connexité). C’est de cette
disposition que la société italienne prétendait se servir en la cause. Le moyen
était des plus incertains car la jurisprudence française décide avec constance
que ledit article 19, comme les autres règles du titre II du traité, s’adresse au
juge de l’exequatur et non au juge de l’instance directe (v. par ex., Civ. 1re,
3 déc. 1985, Rev. crit. 1986, Somm. p. 766, D. 1986, IR 269, obs. B. Audit).
Toutefois comme l’interprétation contraire triomphe en Italie, on conçoit que
la Société Miniera di Fragne ait couru sa chance, escomptant un revirement.
Elle n’avait, au demeurant, pas d’autre choix, le droit commun des conflits de
juridictions campant de longue date sur une position d’hostilité envers la litis-
pendance internationale (v. les références citées par A. Huet, J.-Cl. dr. int.,
fasc. 581-43, nos 20 et s.). Admettre celle-ci suppose, en effet, que se développe
au niveau international un « esprit de collaboration juridictionnelle » (G. Hol-
leaux, note D. 1962, p. 719) dont l’avènement était pour lors retardé par une
conscience trop aiguë de la diversité des systèmes juridiques et du cloison-
nement des organisations judiciaires.

3 L’arrêt Miniera di Fragne sanctionne un changement d’attitude — qui s’était


déjà manifesté dans un arrêt Zins du 5 mai 1962 (D. 1962. 718, note G. Hol-
leaux, Rev. crit. 1963. 99, note H. Batiffol), lequel avait dû cependant se bor-
ner à une simple déclaration d’intention, la défaillance d’une condition de la
litispendance l’empêchant d’accomplir le revirement. Aussi bien, cette décision
retint davantage l’attention des auteurs que celle des juges du fond (v. Paris,
14 janv. 1963, Clunet 1964. 81, note P. Level; Paris, 6 juill. 1965, Clunet 1966.
365, note J.-D. Bredin; T. com. Paris, 4 janv. 1968, Gaz. Pal. 1968. I. 247;
Paris, 18 oct. 1972, Clunet 1973. 371, note F. Deby-Gérard, citant comme éga-
lement hostile à la litispendance Paris, 5 juill. 1972, inédit; v. cep. : Paris,
3 juin 1966, Rev. crit. 1967. 734, note P. L.) et la Cour de cassation elle-même
avait paru l’oublier, revenant à la vieille habitude de refus dans un arrêt de
54 SOC. MINIERA DI FRAGNE — CASS., 26 NOVEMBRE 1974 507

1969 (Civ. 1re, 1er déc. 1969, Soc. Anciens établissements Valla et Richard,
Rev. crit. 1972. 84, note H. J. Lucas, Clunet 1970. 707, note A. Huet). Ce retour
vers l’ordre ancien appela plus de réserve que d’approbation (v. les notes préc.
de H. J. Lucas et de A. Huet; v. aussi D. Holleaux « La litispendance interna-
tionale » Trav. com. fr. dr. int. pr. 1971-1973, p. 205). Il n’était qu’une ultime
résistance. Par un arrêt du 25 juin 1974 (Huret, Clunet 1975. 102, note A. Huet)
la Cour de cassation retrouvait sa disposition d’esprit de 1962. Six mois après,
elle la concrétisait dans le présent arrêt. La matière illustre ainsi la réflexion de
Paul Lerebours-Pigeonnière, selon qui la jurisprudence avançait « en dents de
scie » (Trav. com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 135).
Avant d’exposer les raisons qui ont pu conduire la Cour de cassation à sur-
monter une hostilité traditionnelle (B) il convient de préciser les éléments de
la situation de litispendance internationale (A).
4 A. — L’article 100 du Nouveau Code de procédure civile fournit les élé-
ments définissant la litispendance dans le cadre interne : « si le même litige est
pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour
en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir… » (v. A. Huet,
J.-Cl. dr. int., fasc. 581-43, nos 3 et s.). L’hypothèse est celle d’une concurrence
parfaite de procédures : identité de litige, dualité d’instances, égalité des juri-
dictions saisies tant sur le plan de la compétence que sur celui de la hiérarchie
judiciaire (sur l’hypothèse de la connexité, reliant deux « affaires » distinctes
v. Civ. 1re, 22 juin 1999, Rev. crit. 2000. 42, note G. Cuniberti, D. Aff. 2000. 211,
note D. Ammar).
La litispendance internationale réunit certainement les deux premiers élé-
ments. L’identité de litige s’y définit comme dans la litispendance interne, selon
les termes de l’article 1351 du Code civil « … Il faut que la chose demandée
soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande
soit entre les mêmes parties… » (sur la difficulté d’apprécier l’identité de
cause en matière de divorce, v. TGI Paris, 7 juill. 1976, Hernod-Johnson, Rev.
crit. 1977. 725, note I. Fadlallah, et Paris, 24 nov. 1977. Rev. crit. 1978. 527,
note I. F. Clunet 1978. 306, note A. Huet, Gaz. Pal., 1978. 1. 201, note Sar-
raute ; Civ. 1re, 17 nov. 1993, JCP 1994. III. 22346, note H. Muir Watt;
Civ. 1re, 15 juin 1994, Rev. crit. 1996. 127, note B. Ancel, D. 1994, Som.
com. 352, obs. B. Audit, Rép. Defrénois 1995. 312, obs. J. Massip; v. aussi
H. Gaudemet-Tallon, J.-Cl. dr. int., fasc. 547-10, nos 109 et s.; sur le traitement
de cette difficulté par le Règlement Bruxelles II bis, en matière matrimoniale :
art. 19 § 1).
La dualité d’instances est évidemment requise puisque c’est elle qui est à
l’origine du problème. Cette condition de la litispendance peut cependant sur
le plan international susciter quelques difficultés car elle introduit la considé-
ration du droit étranger. La règle de conflit relative à la procédure impose en effet
de se référer à la loi du for étranger pour déterminer si celui-ci est effectivement
saisi (Civ. 1re, 6 déc. 2005, Soc. Nestlé, Bull. I, no 467, Rev. crit. 2006. 428,
note E. Pataut, visant expressément les articles 35 et 97 du Code de procédure
algérien à propos d’un désistement d’instance) et le moment auquel il l’a été
(TGI Dunkerque, 18 avr. 1984, Clunet 1986. 966, obs. A. Huet); cette vérifi-
508 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 54

cation qui est indispensable pour établir la concomitance des procédures et la


chronologie des saisines est parfois malaisée à effectuer en raison des particula-
rismes de chaque système judiciaire (ce qui a conduit les Règlements [CE],
Bruxelles II bis, art. 16, et Bruxelles I, art. 30 à établir un dispositif autonome
concentrant l’ensemble du processus de saisine sur le jour des premières
démarches, sous la condition que le processus soit mené à terme; rappr.
Civ. 1re, 6 déc. 2005, Bull. I, no 466).
En revanche, le quatrième élément ci-dessus indiqué, l’égalité de degré dans
la hiérarchie judiciaire — dont la vérification imposerait aussi une référence à
la loi du for étranger —, peut être considéré comme indifférent dans la litis-
pendance internationale. Celle-ci s’élève à l’échelle des organisations judi-
ciaires étatiques — c’est-à-dire au plan de la compétence générale ou interna-
tionale — et non pas au niveau de telle et telle juridictions à l’intérieur d’un
même pays — niveau qui est celui de la compétence spéciale ou interne. Cette
particularité supprime la condition d’égalité hiérarchique, qui peut jouer à
l’intérieur d’un même ordre de juridiction mais non entre organisations judi-
ciaires étatiques, chacune participant de la souveraineté de l’État duquel elle
relève. Ce nivellement par le haut simplifie l’hypothèse.
5 Enfin, la condition d’égalité de compétence a donné lieu à quelque débat.
Pendant longtemps la majorité de la doctrine (v. H. Motulsky, Rép. Dalloz dr.
int., v° Procédure civile et commerciale, nos 180 et s.; D. Holleaux Compétence
du juge étranger et reconnaissance des jugements, 1970, no 158; A. Huet
notes au Clunet 1970, p. 711 et 1975, p. 108) enseigna « qu’il n’y a litispen-
dance internationale que dans les cas où les règles françaises »… attribuent
compétence au sujet d’un litige donné à un tribunal français et à un tribunal
étranger (A. Huet, Clunet 1970, eod. loc.). Cette opinion, qui pouvait s’autori-
ser d’une longue série jurisprudentielle, se fondait sur le caractère subsidiaire
de l’exception de litispendance, laquelle en effet n’a lieu d’être invoquée que
là où les règles de compétence se sont révélées impuissantes à empêcher le
conflit des procédures. Mais sans douter de la subsidiarité de l’exception —
que les tribunaux ne respectent pas toujours, il est permis de ne pas adhérer à
la conséquence qu’on voudrait en tirer sur le plan international et qui est l’uti-
lisation des règles françaises pour le contrôle préalable de la compétence
étrangère. Les règles françaises de compétence ne sont édictées qu’à l’adresse
des tribunaux français et elles ne permettent pas « sur le terrain de la pure
compétence » (A. Huet) d’évaluer la régularité de la saisine de la juridiction
étrangère. Elles ne le pourraient que si elles assumaient une fonction dite de
compétence indirecte — que l’arrêt Simitch leur refuse (Civ. 1re, 6 févr. 1985,
infra, arrêt no 70). De plus le problème de la détermination de l’hypothèse de
la litispendance internationale n’engage aucune question de compétence indi-
recte — laquelle n’intéresse que l’efficacité des décisions étrangères et sera, à
ce titre, retrouvée plus loin (sur la nécessité de distinguer compétence directe
et compétence indirecte v. H. Gaudemet-Tallon, note Rev. crit. 1984, p. 515).
Aussi bien est-il généralement admis aujourd’hui que le caractère unilatéral
des règles de compétence directe, d’une part, commande d’apprécier la com-
pétence du juge étranger selon sa propre loi (v. TGI Paris, 12 févr. 1980, Clu-
54 SOC. MINIERA DI FRAGNE — CASS., 26 NOVEMBRE 1974 509

net 1980. 653, note A. Huet) et d’autre part, dans la ligne de la jurisprudence
Bachir (v. supra, arrêt no 45), dispense le juge français de se livrer à une sem-
blable appréciation (v. D. Holleaux, comm. préc., p. 211; P. Mayer et V. Heuzé,
no 444-1; G. Droz, Compétence judiciaire et effets des jugements dans le Marché
commun, no 98; H. J. Lucas, note préc., Rev. crit. 1972. 86; A. Huet, note préc.,
Clunet 1980. 653; H. Gaudemet-Tallon, « La litispendance internationale dans
la jurisprudence française après la communication de D. Holleaux au com. fr. dr.
int. pr. », Mélanges D. Holleaux, p. 121, spéc. p. 125-126; J. Pellerin, « L’excep-
tion de litispendance internationale », Bull. Ch. avoués Paris, 1991. 125 et s.).
Il suffit donc pour qu’il y ait litispendance internationale que la compétence
avérée du tribunal français à l’égard du litige s’accompagne de la saisine anté-
rieure effective du tribunal étranger. C’est alors que le refus du tribunal fran-
çais de considérer la litispendance développe le conflit des procédures et avec
lui de graves inconvénients.
6 B. — C’est la nocivité particulière de ce conflit de procédures qui naturel-
lement justifie la recevabilité de l’exception de litispendance internationale. Il
a semblé pendant longtemps que des raisons supérieures interdisaient d’admet-
tre en principe cette solution. Mais elles ont certainement aujourd’hui perdu la
force qu’on leur reconnaissait autrefois et qui était d’ailleurs largement suresti-
mée eu égard à la qualité des intérêts que compromet le refus de considérer la
litispendance.
Certes il ne s’agit pas directement des intérêts de l’ordre juridique français —
lequel peut toujours résister au conflit de décisions qui prolongera un conflit de pro-
cédures non résolu, en faisant prévaloir le jugement français comme tel (v. supra,
obs. sous arrêts Patiño, no 38-39). Une litispendance internationale négligée
ne bouleversera pas l’ordre juridique français, dont elle ne révélera aucun dys-
fonctionnement (Batiffol, Francescakis et Le Galcher-Baron, Rép. Dalloz dr.
int. v° Compétence civile et commerciale, no 23; D. Holleaux, Compétence du
juge étranger… op. cit., no 155); mais elle n’est pas pour autant inoffensive.
Elle porte d’abord atteinte à l’ordre international en ce que celui-ci va se
trouver occupé de deux procès et à terme encombré de deux jugements pour
une seule cause. Cette redondance est facteur de désordre. Ensuite ce désordre
nuit aux rapports des parties entre elles qui auront à obéir à deux jugements
dont rien n’indique qu’ils s’accorderont. Enfin, sans même attendre que ce
risque s’accomplisse, il faut relever que l’indifférence à la litispendance inter-
nationale, en raison de la diversité des organisations judiciaires et de la dimen-
sion du facteur géographique, favorise, au détriment du plaideur le moins for-
tuné, le plaideur le plus puissant et le plus chicanier; elle autorise le « forum
shopping à retardement » (P. Mayer et V. Heuzé, no 443), encourageant les
manœuvres déloyales et repoussant abusivement l’apurement définitif du
contentieux ; en somme, elle est à la source de tous les dommages que peut
causer l’incoordination de l’action juridictionnelle des États et, spécialement,
d’« un gaspillage préjudiciable à l’intérêt d’économie procédurale » (D. Holleaux;
adde, M.-L. Niboyet-Hoegy, « Les conflits de procédures », Trav. com. fr. dr.
int. pr. 1995-1998, p. 71, s’efforçant de fusionner ces arguments sous la règle
prior tempore, qu’imposerait l’extinction du droit d’action résultant de son
510 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 54

premier usage dans un ordre international où l’équivalence fonctionnelle des


tribunaux nationaux induirait l’ordre juridique français à renoncer à se réaliser
sur les causes dont sont déjà saisis les juges étrangers).
7 En dépit de toutes ces considérations, la tradition proclamait qu’« il est de
principe que l’exception de litispendance n’est pas reçue en France à raison
d’une instance introduite à l’étranger » (Civ. 1re, 1er déc. 1969, préc.). Cette hos-
tilité se soutenait de plusieurs arguments dont la force était aussi variable que
la pertinence.
Il importe d’abord de dissiper les confusions. L’irrecevabilité, avait-on sou-
tenu, a pour but de protéger la compétence française fondée sur les articles 14
et 15 du Code civil ; le plaideur français ne peut être privé de son droit à la
juridiction nationale — aussi longtemps du moins qu’il n’avait pas renoncé
à celle-ci, qu’il n’avait pas, par exemple, « lui-même engagé l’instance
devant le tribunal étranger » (Cass., 7 sept. 1808, S. 1808. I. 453; v. aussi Civ.,
21 mars 1950, Lasserre, Rev. crit. 1951. 666). Il est incontestable qu’une
jurisprudence s’était développée sur cette préoccupation; mais elle ne concer-
nait pas, à proprement parler, la recevabilité de l’exception. Le refus du juge
français y reposait sur un constat d’incompétence étrangère dressé à partir des
articles 14 et 15, mais ces dispositions du droit français, à l’égard des tribu-
naux étrangers, n’avaient qu’une fonction indirecte qui se résumait en une
affirmation de la prééminence de la juridiction française. Cette prééminence
était précisément invoquée parce que la juridiction française se trouvait en
compétition avec la juridiction étrangère. Ce privilège indirect tranchait alors
le conflit — ce qui supposait que celui-ci avait été considéré. En fait, avec ces
arrêts, la recevabilité était admise, mais l’exception était rejetée parce que
jugée mal fondée en l’état des articles 14 et 15. C’est donc par l’effet d’une
généralisation abusive (sans doute encouragée par un souci d’économie de
moyens, v. A. Huet, J.-Cl. dr. int. préc., no 13) que le caractère systématique
de ce rejet — pourtant limité au cas d’intervention du privilège indirect —
avait pu répandre l’idée que l’exception était irrecevable (v. Versailles, 20 déc.
1988, DS 1989, Som. com. 258, obs. B. Audit; en sens contraire, Paris, 16 nov.
1989, Clunet 1990. 127, note A. Huet, cassé par Civ. 1re, 21 janv. 1992 D. 1993,
Som. com. 301, obs. B. Audit, et sur renvoi, Versailles, 22 sept. 1993, eod. loc.,
JCP 1995. II. 22459, note H. Muir Watt; Civ. 1re, 3 juin 1997, Rev. crit. 1998. 452,
note B. Ancel; Paris, 25 oct. 2001, Clunet 2002. 1065, note G. Cuniberti,
D. 2002. IR p. 41, et se référant aux règles de compétence indirecte de la Conven-
tion franco-tunisienne du 28 juin 1972, Civ. 1re, 14 déc. 2004, El F., Bull. I,
no 312 ; Rev. crit. 2006. 583, note V. Moissinac-Massenat; v. aussi, convertis-
sant en exclusivité l’impérativité de l’art. 114. 1, C. ass., prohibant l’élection
de for, Civ. 1re, 17 juin 1997 Equitania, Rev. crit. 1998. 452, et Rev. gén. dr. ass.
1999. 204, note V. Heuzé). Aujourd’hui, privés de l’exclusivité qui leur permet-
tait d’évincer toute compétence étrangère, les articles 14 et 15 n’opposent plus
aucune résistance à la recevabilité de l’exception (v. arrêt Prieur, infra no 87).
8 Il est vrai que la recevabilité se heurtait à d’autres objections. Celles-ci
s’élevaient sur le dogme de l’indépendance et de la souveraineté des ordres
juridictionnels au plan international.
54 SOC. MINIERA DI FRAGNE — CASS., 26 NOVEMBRE 1974 511

La première qu’il est aisé de réfuter se fonde sur l’impossibilité de procéder,


en cas de litispendance internationale, à un règlement de juges. Celui-ci, opéré
en droit interne, par un recours exercé devant la cour d’appel contre la décision
prise par le juge saisi en second lieu, serait inapplicable dans les relations
internationales; la cour d’appel n’aurait en raison de l’étanchéité des organisa-
tions judiciaires, aucune autorité sur le tribunal étranger et ne pourrait donc lui
adresser utilement une quelconque injonction. L’argument ne peut convaincre.
D’une part, le règlement de juges intervient au second degré et n’est pas tou-
jours nécessaire car la décision du tribunal sur la litispendance n’est pas auto-
matiquement contestée. Ainsi qu’on l’a remarqué « l’absence d’autorité com-
mune… n’est plus [à considérer] lorsque la seconde des juridictions saisies
accepte de se dessaisir au profit de l’autre » (P. Bellet, note sous Paris, 23 déc.
1960, Rev. crit. 1962. 445; v. H. Batiffol, Traité, 3e éd., no 701). D’autre part, la
cour d’appel dispose d’une autorité suffisante sur le juge français pour lui impo-
ser le dessaisissement ou lui confirmer sa saisine. Certes, ces solutions resteront
unilatérales puisqu’elles n’obligeront pas le tribunal étranger. Mais cette parti-
cularité de la litispendance internationale, qui confère au contredit une physio-
nomie adaptée au cloisonnement des ordres juridictionnels, ne lui retire ni son
objet ni son utilité (v. A. Huet, J.-Cl. dr. int., fasc. 581. 43, nos 18 et s.).
9 Les deux dernières justifications de l’irrecevabilité touchent l’une et l’autre au
régime d’efficacité des décisions étrangères en France. Jusqu’aux arrêts de
Wrède (v. supra, arrêt no 10) et Munzer (v. supra, arrêt no 41), l’exequatur d’un
jugement étranger était subordonné à sa révision au fond. À quoi aurait-il servi
dans ces conditions d’abandonner dans un premier temps la connaissance de la
cause au juge étranger si, dans un second temps, à l’occasion de l’instance d’exe-
quatur, le juge français devait réexaminer l’affaire au fond ? La litispendance
aurait simplement conduit à différer sans profit le moment où le litige aurait en
France connu son issue. C’était le maintien de la saisine du tribunal français qui
constituait la véritable économie de moyens. Mais, on le sait, aujourd’hui le pou-
voir de révision a disparu et donc, avec lui, le motif d’irrecevabilité.
De ce pouvoir subsisterait cependant une trace qui serait la règle de l’inef-
ficacité des décisions étrangères avant exequatur. Repoussée par la jurispru-
dence de Wrède à l’égard des jugements constitutifs ou relatifs à l’état et à la
capacité des personnes, cette règle aurait survécu à la disparition de la révi-
sion pour les jugements déclaratifs pris en matière patrimoniale. On convien-
dra qu’en ce domaine au moins — qui est celui auquel appartient l’affaire où
est intervenu le présent arrêt — il serait inattendu qu’une procédure en cours à
l’étranger se voie reconnaître le pouvoir de paralyser une procédure postérieu-
rement engagée en France, alors qu’une décision rendue à l’étranger n’empê-
cherait pas de renouveler le procès en France aussi longtemps qu’elle n’a pas
obtenu l’exequatur (E. Mezger, note sous Paris, 5 mai 1960, Rev. crit. 1960. 603;
sur le droit de reprendre le procès en France v. Civ., 10 mars 1914, Negrotto, Rev.
crit. 1914. 449, D. 1917. I. 137, note J. Valéry; Civ., 8 oct. 1940, Sté Wilh-
Gammersbach, S. 1941. I. 81, note J. P. Niboyet, DC 1942. 153, note M. N.,
Nouv. Rev. dr. int. 1943. 80, note P. L.-P., Clunet 1940-1945. 108, note Tenger,
Rev. crit. 1946. 100, note J. P. Niboyet). Le raisonnement a persuadé certains
512 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 54

auteurs qui en déduisent l’irrecevabilité de l’exception de litispendance inter-


nationale en matière patrimoniale (v. très nuancé, P. Mayer et V. Heuzé, no 444).
Mais dans l’arrêt ci-dessus reproduit la Cour de cassation ne paraît pas
réserver le principe d’une semblable restriction. Il est vrai qu’il n’en était, en
l’espèce, nul besoin, l’article 1er de la Convention du 3 juin 1930 reconnais-
sant de plein droit autorité provisoire de chose jugée aux décisions françaises
et italiennes sur le territoire de l’autre partie contractante. Et il faut bien cons-
tater que nombre des décisions qui, depuis 1974, ont accueilli l’exception de
litispendance ont le plus souvent été rendues dans le domaine du droit de la
famille (TGI Paris, 7 juill. 1976, Rev. crit. 1977. 725, note Fadlallah, infirmée
par Paris, 24 nov. 1977, Rev. crit. 1978. 527, note I. F., Clunet 1978. 306, note
Huet; TGI Paris, 12 févr. 1980, Clunet 1980. 653, note Huet; Paris, 24 mai
1983, Clunet 1983. 827, note Huet; Civ. 1re, 14 déc. 2004, Rev. crit. 2006. 583,
note V. Moissinac-Massenat; 6 déc. 2005, Bull. I, no 466). Néanmoins une telle
limitation (désormais refusée par la Cour de Paris, 23 nov. 1983, Rev. crit.
1984. 510, note H. Gaudemet-Tallon; v. aussi H. Gaudemet-Tallon « La litis-
pendance internationale… », art. préc. Mélanges D. Holleaux, p. 126-127;
rappr. Civ. 1re, 22 juin 1999, préc.) s’accommode mal du mouvement, imprimé
par l’arrêt de Wrède et relancé par l’arrêt Munzer, qui tend à cantonner la dis-
continuité des ordres juridiques étatiques au seul plan organique ou institu-
tionnel pour mieux porter aux intérêts privés la considération qu’ils méritent.
10 D’ailleurs quelques jours seulement après l’arrêt Miniera di Fragne, la Cour
de cassation admettait qu’une décision déclarative patrimoniale pouvait immé-
diatement produire effet en France, sans exequatur (Civ. 1re, 9 déc. 1974, Locau-
tra, Rev. crit. 1975. 504, note E. Mezger, Clunet 1975. 534, note A. Ponsard;
v. aussi Aix-en-Provence, 6 avr. 2000, Juno, Clunet 2001. 1130, note M. Lelièvre-
Boucharat) et c’est bien dans cette direction, qu’elle semble persévérer lors-
que, par l’arrêt Filippi (Soc., 7 mai 1996, Rev. crit. 1997. 77, note G. Droz), elle
refuse de censurer une cour d’appel qui avait ordonné le dessaisissement du
juge français après avoir constaté la litispendance sur une cause prudhomale.
Enfin il n’est pas interdit de penser que l’irrecevabilité serait une conséquence
trop lointaine de la règle de l’inefficacité avant exequatur pour pouvoir se parer
de son autorité, désormais vacillante. La litispendance n’est pas seulement un
risque de conflit de décisions; elle est d’abord un conflit de procédures et,
comme tel, un ferment d’injustice (rappr. G. Droz, note préc., p. 85).

II. L’accueil de l’exception de litispendance internationale

11 La constatation par le juge français de la situation de litispendance internatio-


nale n’emporte pas d’elle-même le succès de l’exception. La Cour de cassation
prescrit même le rejet de celle-ci lorsqu’il apparaît que « la décision à intervenir
à l’étranger n’est pas susceptible d’être reconnue en France » (A); en revanche,
l’arrêt ne précise pas quels effets s’attachent au succès de l’exception (B).
12 A. — L’exigence que formule la Cour de cassation est tout à fait légitime,
quoique la mise en œuvre des vérifications qu’elle impose puisse être délicate.
54 SOC. MINIERA DI FRAGNE — CASS., 26 NOVEMBRE 1974 513

Deux observations suffiront à justifier la condition posée dans son prin-


cipe comme dans sa teneur. La première est qu’il n’y a pas dans l’ordre inter-
national « équivalence fonctionnelle du procès interne et du procès étranger »
(D. Holleaux, comm. préc., p. 212 ; v. aussi, Compétence du juge étran-
ger…, op. cit., no 174, p. 179 et note préc., Rev. crit. 1975, p. 459) ; c’est
dire qu’en l’absence de la commune soumission aux règles françaises de
droit judiciaire privé qui garantit cette équivalence en droit interne, rien
n’indique a priori que la procédure qui se déroule à l’étranger aura la qua-
lité de celle qui pourrait être poursuivie en France. Il serait dès lors particu-
lièrement imprudent de « renvoyer à l’aveuglette les plaideurs à se contenter
d’une procédure dont on ne sait selon quels errements elle est conduite »
(H. Batiffol, note préc., Rev. crit. 1963, p. 102). Aussi bien, avant de s’effa-
cer devant la saisine antérieure du tribunal étranger, le juge français pro-
cède-t-il à un contrôle sur ce point.
La seconde est que la litispendance n’est pas seulement un conflit de
procédures; elle est aussi un conflit de décisions en puissance. Prévenir le
second en résolvant le premier est assurément souhaitable, mais encore faut-il
que cette démarche n’aboutisse pas à une décision étrangère indigne d’être
reconnue en France. On ne peut raisonnablement troquer une procédure fran-
çaise en cours contre une décision étrangère à venir dont il apparaît d’ores et
déjà qu’elle ne remplira pas les conditions de l’efficacité internationale. Le
retrait du tribunal français, qui escompte la reconnaissance d’un jugement
étranger et s’analyse comme elle en une renonciation de l’ordre juridique
français à se réaliser à propos du rapport de droit litigieux, n’est acceptable
que si la réalisation de l’ordre juridique étranger à laquelle il fait place est
elle-même acceptable — c’est-à-dire répond aux critères de régularité résul-
tant de la jurisprudence Munzer-Bachir-Simitch (v. D. Holleaux, eod. loc.;
P. Mayer et V. Heuzé, no 445; v. aussi l’intéressante suggestion de V. Moissinac-
Massenat, Les conflits de procédures et de décisions en dr. int. pr., thèse
Paris I, 2002, nos 362 et s., de substituer au lien caractérisé de l’arrêt Simitch,
le lien prépondérant). Au surplus, l’intérêt d’économie procédurale ne serait
pas satisfait si, dès l’accueil de l’exception, il y avait lieu de prévoir le renou-
vellement en France d’un procès paraissant devoir être mal traité à l’étranger.
13 Cette exigence d’un contrôle de la régularité de la décision à intervenir sou-
lève deux questions. En premier lieu, ce contrôle est-il suffisant ? Il est permis
d’en douter. En effet, les éléments de la vérification imposée ne recouvrent pas
l’ensemble des intérêts que la litispendance dérange. Ainsi, par exemple, l’un
des motifs les plus pressants d’admettre la recevabilité de l’exception tient aux
abus que peut engendrer l’unilatéralité des systèmes de compétence directe. Or
ces abus ne se matérialisent pas seulement par l’exercice en France d’une
action dont un tribunal étranger est déjà saisi. Ils peuvent aussi résulter du fait
de l’adversaire qui, voulant s’assurer que le procès se déroulera chez lui, a
assigné avec une précipitation suspecte devant le juge étranger. Cette éventua-
lité incite à reconnaître au juge français un large pouvoir d’appréciation qui lui
permette, en l’état d’une vérification satisfaisante de la régularité de la déci-
sion attendue, de rejeter néanmoins l’exception pour ne pas la détourner de ses
514 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 54

fins (v. H. Batiffol, note préc., p. 102; Batiffol et Lagarde, t. II, no 676, p. 468;
P. Mayer et V. Heuzé, no 446). Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que la
Cour de cassation partage ce point de vue lorsqu’elle déclare que « l’exception
de litispendance peut être reçue… »; il s’agirait d’une faculté, non d’un devoir
(v. cep., Civ. 1re, 17 juin 1997, Rev. crit. 1998. 452, note B. Ancel, Defrénois
1998. 305, note J. Massip).
En second lieu, ce contrôle de régularité est-il possible ? La difficulté tient
au caractère prospectif que lui confère la chronologie des opérations : pour
accueillir l’exception, le juge français doit apprécier une décision étrangère
qui n’est pas encore prononcée. D’où un risque d’erreur, mais il faut se garder
de l’exagérer. D. Holleaux remarquait très justement que, depuis la suppres-
sion de la révision au fond, « la régularité internationale du jugement étranger
tient au moins autant aux caractéristiques abstraites du système qui le produit
(les règles de conflit de lois, de droit matériel et de procédure de ce système)
qu’à la décision concrète du juge » (note, Rev. crit. 1975, p. 501); or les caracté-
ristiques abstraites ont l’avantage d’être permanentes, donc d’ores et déjà
accessibles au juge français. D’ailleurs certaines d’entre elles et spécialement
celles qui concernent l’introduction de l’instance à l’étranger sont par hypo-
thèse déjà actualisées : le juge français peut apprécier la loyauté de l’assigna-
tion. Il peut aussi apprécier la compétence indirecte — ce que successivement
la cour d’appel et la Cour de cassation ont fait dans la présente affaire
(v. aussi Civ. 1re, 15 juin 1994, préc.; Civ. 1re, 8 juin 1999, Rev. crit. 2000. 35,
note P. Rémy-Corlay, Defrénois 2000. 105, note J. Massip; 14 déc. 2004, préc.)
— et cette possibilité est, au besoin, amplement démontrée par l’ancienne pra-
tique liant la recevabilité de l’exception à l’intervention du privilège, aujourd’hui
disparu (v. infra, no 87), des articles 14 et 15 du Code civil (sur ce que le contrôle
de la compétence indirecte peut être inhibé « au nom de la bonne foi », lors-
que la juridiction étrangère constitue le « for de l’initiative » dont la partie qui
l’a saisi prétend, au soutien de son exception de litispendance, contester la com-
pétence devant le juge français, v. Civ. 1re, 7 mai 1996, Filippi, préc., et spéc. la
note de G. Droz, Rev. crit. 1997, p. 82 et s.).
Bien sûr, il ne faut pas non plus à l’inverse minimiser l’incompressible aléa.
Il pourra toujours advenir que les prévisions du juge français soient démenties.
Cette considération incitera à la circonspection; elle justifie « la discrétion qui
[doit] être accordée au juge français dans l’accueil ou le rejet de l’exception »
(H. Batiffol, note Rev. crit. 1963, p. 102) et, sans doute, doit-elle aussi peser
sur la détermination des effets de celle-ci.

14 B. — L’article 100 du Nouveau Code de procédure civile énonce que, la


litispendance étant constatée, « le juge saisi en second lieu doit se dessaisir au
profit de l’autre… ». La solution, au moins lorsqu’elle est demandée par l’une
des parties, n’est pas en droit interne facultative pour le juge — alors qu’il
semble bien qu’elle doive l’être toujours en droit international — et elle est
déterminée dans son contenu : c’est le dessaisissement. Celui-ci paraît ne
devoir être que l’une des deux issues possibles au succès de l’exception de litis-
pendance internationale (v. cep. Civ. 1re, 17 juin 1997, préc., et Civ. 1re, 22 juin
1999, préc., sur l’exception de connexité).
54 SOC. MINIERA DI FRAGNE — CASS., 26 NOVEMBRE 1974 515

Certes à l’égard des litiges internationaux comme à l’égard des procédures


internes, cette exception poursuit l’objectif d’une réduction à l’unité d’un pro-
cès qui s’est inutilement dédoublé devant des juges différents. Cette réduction
à l’unité peut se présenter sous deux formes entre lesquelles la Cour de cas-
sation ne choisit pas et d’ailleurs n’a pas à choisir en l’espèce. L’une de ces
formes est définitive; c’est celle que prévoit l’article 100, le dessaisissement
qui mettrait un terme à la procédure engagée devant le juge français. L’autre
est provisoire, c’est le sursis qui, en interrompant les opérations judiciaires,
suspend le cours de l’instance sans l’éteindre et ménage ainsi la possibilité de
réanimer le procès devant le juge français.
La solution du dessaisissement préjuge la qualité de la décision étrangère
attendue. Elle n’est pas pour cela nécessairement exclue. Le juge français peut
en effet disposer d’éléments lui garantissant la bonne fin de la procédure
étrangère; il peut alors prendre le risque raisonnable d’abandonner la cause à
son collègue étranger. Mais le pronostic de régularité ne sera pas toujours
évident; le juge peut en effet être confronté à des indices et des considérations
contradictoires propres à ébranler ses analyses les plus solides. Il paraît donc
raisonnable de « différencier les effets procéduraux de la litispendance inter-
nationale… suivant le plus ou moins haut degré de certitude du pronostic »
(D. Holleaux, comm. préc., p. 218). Cette gradation des effets placera la solu-
tion du sursis entre le dessaisissement et le rejet de l’exception (comp. la ver-
sion originelle de l’art. 21 Conv. de Bruxelles et celle issue de la Convention
de San Sebastian reprise à l’art. 27 du Règlement Bruxelles I; v. G. Droz, Rev.
crit. 1990, p. 4; v. aussi sur le caractère facultatif pour le juge de l’exception
de connexité, Civ. 1re, 20 oct. 1987, Cressot, Rev. crit. 1988. 540, note
Y. Lequette, Clunet 1988. 447, note A. Huet).
On le voit, l’exception de litispendance, confrontée à l’hypothèse de la plu-
ralité des ordres juridictionnels, est contrainte aux adaptations et s’éloigne
ainsi de plus en plus du modèle interne (v. dans le sens de l’autonomie de la
litispendance internationale, V. Moissinac-Massenat, thèse préc., plaidant en
faveur du « juge le plus compétent »).
55-56
COUR DE CASSATION
(Ch. mixte)

24 mai 1975

CONSEIL D’ÉTAT
(Ass.)

20 octobre 1989

I. — Ch. mixte 24 mai 1975, Rev. crit. 1976. 347, note Jacques Foyer
et D. Holleaux, Clunet 1975. 801, note D. Ruzié,
D. 1975. 497, concl. Touffait, JCP 1975. II. 18180 bis, concl. Touffait,
Gaz. Pal. 1975. 2. 470, concl. Touffait.
II. — CE, Ass., 20 octobre 1989,
Rev. crit. 1990. 125, concl. Frydman, note P. Lagarde,
Clunet 1990. 5, chron. Dehaussy, D. 1990. 135, note Sabourin,
JCP 1989. II. 21371, concl. Frydman,
RGDIP 1989. 1041, concl. Frydman, 1990. 91, note Boulouis,
RFDA 1989. 812, concl. Frydman, note Genevois.

Traité. — Conflit avec une loi postérieure. —


Supériorité du traité.

Le traité du 25 mars 1957 qui, en vertu de l’article 55 de la Constitution,


a une autorité supérieure à celle des lois, institue un ordre juridique inté-
gré à celui des États membres; en raison de cette spécificité, l’ordre juridi-
que qu’il a créé est directement applicable aux ressortissants de ces États
et s’impose à leurs juridictions. Dès lors, c’est à bon droit qu’une cour
d’appel a décidé que l’article 95 du traité devait être appliqué à l’exclusion
de l’article 265 du Code des douanes, bien que ce dernier texte fût posté-
rieur (1er arrêt).
Le juge administratif est compétent pour apprécier, conformément à l’arti-
cle 55 de la Constitution, la compatibilité d’une loi interne avec les disposi-
tions claires d’un traité international. Les dispositions de la loi du 7 juillet
1977, faisant du territoire de la République une circonscription unique pour
les élections européennes incluant nécessairement les départements et ter-
ritoires d’outre-mer, ne sont pas incompatibles avec les stipulations claires
de l’article 227 § 1 du Traité de Rome (2e arrêt).
55-56 J. VABRE, CASS., 24 MAI 1975 — NICOLO, CE, 20 OCTOBRE 1989 517

1er ARRÊT
(Administration des Douanes
c/Soc. des cafés Jacques Vabre et Soc. Weigel)

Faits. — La société des Cafés Jacques Vabre avait, depuis 1964, importé des Pays-
Bas du café soluble, dédouané par la société Weigel. A l’occasion de chaque importa-
tion, l’Administration des Douanes perçut la taxe intérieure de consommation prévue
par l’article 265 du Code des douanes. En 1968, ces deux sociétés assignèrent l’Admi-
nistration des Douanes en restitution des sommes versées par la société Weigel et en
réparation du préjudice subi du fait de la privation des fonds correspondants. Elles fai-
saient valoir que cette taxe était contraire à l’article 95 du Traité de Rome du 25 mars
1957, aux termes duquel « aucun État membre ne frappe directement ou indirectement
les produits des autres États membres d’impositions intérieures, de quelque nature qu’elles
soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits natio-
naux similaires. En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États
membres d’impositions intérieures de nature à protéger indirectement d’autres produc-
tions ». La taxe frappant les cafés solubles hollandais était, selon les sociétés demande-
resses, supérieure à celle due pour les cafés verts importés, servant à la production de
café soluble en France. Partant, l’article 265 du Code des douanes tel que formulé par
une loi du 14 décembre 1966 constituait une disposition législative contraire à un traité
antérieurement ratifié et publié.
Le tribunal d’instance du 1er arrondissement de Paris, dans un jugement en date du
8 janvier 1971, donna gain de cause aux sociétés demanderesses. Ce jugement fut confirmé
en appel par la Cour de Paris (Paris, 7 juill. 1973, D. 1974. 159, note J. Rideau, Gaz.
Pal. 1973. 2. 661, concl. J. Cabannes, Clunet 1974. 820, note Ruzié). Un pourvoi fut
formé par l’Administration des Douanes.

La Cour; — Sur le premier moyen pris en ses deux branches : — Attendu qu’il
résulte des énonciations de l’arrêt déféré que, du 5 janvier 1967 au 5 juillet
1971, la Soc. « Cafés Jacques Vabre » (Soc. Vabre) a importé des Pays-Bas, État
membre de la Communauté économique européenne, certaines quantités de
café soluble en vue de leur mise à la consommation en France; que le dédoua-
nement de ces marchandises a été opéré par la Soc. J. Weigel et Cie (Soc. Wei-
gel), commissionnaire en douane; qu’à l’occasion de chacune de ces importa-
tions, la Soc. Weigel a payé à l’Administration des Douanes la taxe intérieure de
consommation prévue, pour ces marchandises, par la position Ex. 2102 du
tableau A de l’article 265, C. des douanes; que, prétendant qu’en violation de
l’article 95 du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique
européenne, lesdites marchandises avaient ainsi subi une imposition supérieure
à celle qui était appliquée aux cafés solubles fabriqués en France à partir du café
vert en vue de leur consommation dans ce pays, les deux sociétés ont assigné
l’Administration en vue d’obtenir, pour la Soc. Weigel, la restitution du montant
des taxes perçues et, pour la Soc. Vabre, l’indemnisation du préjudice qu’elle
prétendait avoir subi du fait de la privation des fonds versés au titre de ladite
taxe; — Attendu qu’il est reproché à la Cour d’appel d’avoir accueilli ces deman-
des en leur principe (…).
Sur le deuxième moyen : — Attendu qu’il est de plus fait grief à l’arrêt d’avoir
déclaré illégale la taxe intérieure de consommation prévue par l’article 265,
C. des douanes par suite de son incompatibilité avec les dispositions de l’arti-
cle 95 du Traité du 25 mars 1957, au motif que celui-ci, en vertu de l’article 55 de
la Constitution, a une autorité supérieure à celle de la loi interne, même posté-
rieure, alors, selon le pourvoi, que s’il appartient au juge fiscal d’apprécier la
518 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56

légalité des textes réglementaires instituant un impôt litigieux, il ne saurait


cependant, sans excéder ses pouvoirs, écarter l’application d’une loi interne sous
prétexte qu’elle revêtirait un caractère inconstitutionnel; que l’ensemble des
dispositions de l’article 265, C. des douanes a été édicté par la loi du 14 décem-
bre 1966 qui leur a conféré l’autorité absolue qui s’attache aux dispositions
législatives et qui s’impose à toute juridiction française; — Mais attendu que le
Traité du 25 mars 1957, qui, en vertu de l’article susvisé de la Constitution, a une
autorité supérieure à celle des lois, institue un ordre juridique propre intégré à
celui des États membres; qu’en raison de cette spécificité, l’ordre juridique qu’il
a créé est directement applicable aux ressortissants de ces États et s’impose à
leurs juridictions; que, dès lors, c’est à bon droit, et sans excéder ses pouvoirs,
que la cour d’appel a décidé que l’article 95 du traité devait être appliqué en
l’espèce, à l’exclusion de l’article 265, C. des douanes, bien que ce dernier texte
fût postérieur; d’où il suit que le moyen est mal fondé; (…) Par ces motifs : —
rejette.
Du 24 mai 1975. — Cour de cassation (Ch. mixte). — MM. Aydalot, prem. prés.; Drouillat, Laroque,
Monguilan, Bellet, Costa et Combaldieu, prés.; Vienne, rapp.; Touffait, proc. gén. — MMes Boré et
Riche, av.

2e ARRÊT
(Nicolo)

Faits. — Le Conseil d’État est compétent pour connaître du contentieux des élec-
tions européennes en vertu de la loi du 7 juillet 1977. Agissant en qualité d’électeur,
M. Nicolo a contesté la régularité du scrutin du 18 juin 1989 en raison de la participa-
tion à celui-ci des citoyens français des départements et territoires d’outre-mer. Comme
le souligne le commissaire du gouvernement dans ses conclusions, une telle argumenta-
tion ne pouvait être retenue. Elle heurtait, en effet, directement aussi bien la loi du
7 juillet 1977 qui dispose que le « territoire de la République française forme une cir-
conscription unique » que le traité de Rome dont l’article 227 § 1 prévoit qu’il s’appli-
que à la « République française ». Mais le Conseil d’État devait-il écarter le moyen dont
il était saisi en se fondant sur la seule loi du 7 juillet 1977 ou lui fallait-il vérifier la
compatibilité de celle-ci avec le Traité de Rome ? La question était d’importance car de
la réponse qui lui était apportée dépendait la place que le Conseil d’État entend accorder
à la loi et au traité dans la hiérarchie des normes. En suivant les recommandations de
son commissaire du gouvernement et en vérifiant la compatibilité de la loi avec le traité,
le Conseil d’État a, de façon discrète mais certaine, rompu avec sa jurisprudence anté-
rieure. Désormais le traité l’emporte sur la loi lui serait-elle postérieure.

Le Conseil d’État statuant au contentieux; — Sur le rapport de la 10e sous-


section de la section du contentieux : — Vu la requête, enregistrée le 27 juin 1989
au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par M. Raoul Georges
Nicolo et tendant à l’annulation des opérations électorales qui se sont déroulées
le 18 juin 1989 en vue de l’élection des représentants au Parlement européen;
Vu les autres pièces du dossier;
Vu la Constitution, notamment son article 55;
Vu le traité en date du 25 mars 1957, instituant la communauté économique
européenne;
Vu la loi no 77-729 du 7 juillet 1977;
Vu le Code électoral;
Vu l’ordonnance no 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret no 53-934 du 30 sep-
tembre 1953 et la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987;
55-56 J. VABRE, CASS., 24 MAI 1975 — NICOLO, CE, 20 OCTOBRE 1989 519

Sur les conclusions de la requête de M. Nicolo :


Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la loi no 77-729 du 7 juillet 1977
relative à l’élection des représentants à l’Assemblée des Communautés européen-
nes « le territoire de la République forme une circonscription unique » pour
l’élection des représentants français au Parlement européen; qu’en vertu de
cette disposition législative, combinée avec celles des articles 2 et 72 de la Cons-
titution du 4 octobre 1958, desquelles il résulte que les départements et territoi-
res d’outre-mer font partie intégrante de la République française, lesdits dépar-
tements et territoires sont nécessairement inclus dans la circonscription unique
à l’intérieur de laquelle il est procédé à l’élection des représentants au Parle-
ment européen;
Considérant qu’aux termes de l’article 227-1 du traité en date du 25 mars 1957
instituant la Communauté économique européenne : « Le présent traité s’appli-
que… à la République française »; que les règles ci-dessus rappelées, définies
par la loi du 7 juillet 1977, ne sont pas incompatibles avec les stipulations claires
de l’article 227-1 du Traité de Rome;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les personnes ayant, en vertu
des dispositions du chapitre ler du titre 1er du Code électoral, la qualité d’élec-
teur dans les départements et territoires d’outre-mer ont aussi cette qualité
pour l’élection des représentants au Parlement européen; qu’elles sont égale-
ment éligibles, en vertu des dispositions de l’article L. 0.127 du Code électoral,
rendu applicable à l’élection au Parlement européen par l’article 5 de la loi sus-
visée du 7 juillet 1977; que, par suite, M. Nicolo n’est fondé à soutenir ni que la
participation des citoyens français des départements et territoires d’outre-mer à
l’élection des représentants au Parlement européen, ni que la présence de cer-
tains d’entre eux sur des listes de candidats auraient vicié ladite élection; que,
dès lors, sa requête doit être rejetée :
Sur les conclusions du ministre des Départements et des Territoires d’outre-
mer tendant à ce que le Conseil d’État inflige une amende pour recours abusif à
M. Nicolo :
Considérant que des conclusions ayant un tel objet ne sont pas recevables;
Décide :
Article 1er. La requête de M. Nicolo et les conclusions du ministre des Départe-
ments et des Territoires d’outre-mer tendant à ce qu’une amende pour recours
abusif lui soit infligée sont rejetées.
Article 2. La présente décision sera notifiée à M. Nicolo, à M. de Charette,
mandataire de la liste d’Union UDF-RPR, aux mandataires de la liste de rassem-
blement présentée par le Parti communiste français, de la liste du Centre pour
l’Europe, de la liste Majorité de progrès pour l’Europe, de la liste Les Verts
Europe-écologie et de la liste Europe et Patrie et au ministre de l’intérieur.
Du 20 octobre 1989. — Conseil d’État (Ass.). — M. de Montgolfier, rapp.; Frydman, com. du gouv.
— SCP de Chaisemartin, av.

OBSERVATIONS

1 Le juge peut-il refuser d’appliquer une loi au motif qu’elle est contraire à un
traité ou à un accord international ? En donnant, à quinze ans d’intervalle, une
réponse positive à cette interrogation, la Cour de cassation (II) puis le Conseil
d’État (III) ont profondément modifié la physionomie de notre système juridi-
que (IV). Afin d’en prendre pleinement conscience, il n’est pas inutile de rap-
peler l’état du droit antérieur (I).
520 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56

I. L’état du droit antérieur

2 Ayant des origines différentes, traités et lois peuvent se trouver, plus encore
que deux lois successives, en contradiction. Comment se résout alors le conflit
entre la loi et le traité ?
La question s’est toujours réglée sans difficulté lorsque le traité est posté-
rieur à la loi qu’il contredit. Pour affirmer la supériorité du traité postérieur
sur la loi antérieure, il n’est, en effet, nul besoin de se référer à une quelcon-
que primauté du traité sur la loi; il suffit de faire application des règles qui
gouvernent la succession des normes dans le temps : lex posterior derogat
priori (la loi postérieure déroge à la loi antérieure) (Roland et Boyer, Adages
du droit français, no 190). La maxime reçoit d’autant plus aisément applica-
tion que les Constitutions de 1946 et de 1958 prescrivent la ratification en
vertu d’une loi de tout traité modifiant une loi interne française. Le traité ne va
donc pas à l’encontre de la volonté du Parlement (Batiffol, Droit international
privé, 4e éd., 1967, no 39).
3 Plus délicat est, en revanche, le conflit entre une loi et un traité qui lui est
antérieur. Les règles qui gouvernent la succession des normes dans le temps
donnant l’avantage à la loi, la question est alors clairement posée de savoir si
le traité ne doit pas, malgré tout, lui être préféré parce qu’il occuperait dans la
hiérarchie des normes une place supérieure à celle-ci.
Longtemps les tribunaux ont éludé la difficulté en considérant, conformé-
ment à ce qu’on a appelé la « doctrine Matter », que toute loi contraire à un
traité antérieur devait s’entendre comme réservant le jeu du traité (Civ., 4 févr.
1936, S. 1936. 1. 257, note Raynaud; CE Ass. 2 mai 1975, Mathis, Rec. Lebon
279). Le problème se règle alors très simplement par la coordination des nor-
mes en présence. Aussi bien aurait-il suffi, dans l’affaire Jacques Vabre, de faire
appel à cette règle jurisprudentielle d’interprétation pour résoudre la question
posée. L’article 265 du Code des douanes ayant une portée générale et frap-
pant les produits importés de toute origine pouvait, en effet, être compris
comme réservant nécessairement l’application du Traité de Rome (en ce sens,
Rideau, note D. 1974. 163; Foyer et Holleaux, note Rev. crit. 1976, p. 357).
Mais ni la Cour d’appel, ni la Cour de cassation n’ont voulu emprunter cette
voie. Suivant en cela les conclusions de l’avocat général Cabanne (Gaz. Pal.
1971. 2. 661), puis celles du procureur général Touffait (D. 1975. 500, 1er col.),
elles ont entendu poser la question en termes de conflit ouvert entre le traité et
la loi qui lui est postérieure. Il est, au reste, des cas où l’on ne saurait faire
l’économie d’un tel conflit. Ainsi en va-t-il lorsque le législateur modifie un
texte introduit en vertu d’un traité d’unification.
4 Le juge doit-il s’incliner devant l’ordre du législateur alors même que celui-
ci contredirait les obligations internationales de la France ? Aux termes de l’arti-
cle 55 de la Constitution, le traité a, dès sa publication, une autorité supérieure
à celle des lois. La précision temporelle que renferme le texte montre que les
lois qui sont, au premier chef, envisagées par celui-ci sont celles qui sont en
vigueur au moment où le traité entre dans l’ordre juridique français, du fait de
sa publication. Faut-il aller plus loin et déduire de cette disposition que le traité
55-56 J. VABRE, CASS., 24 MAI 1975 — NICOLO, CE, 20 OCTOBRE 1989 521

a également une autorité supérieure aux lois internes postérieures et que le


juge, destinataire direct de cette règle, peut écarter l’application de ces lois ?
Les travaux préparatoires sont obscurs (Travaux préparatoires de la Constitu-
tion, Avis et débats du comité consultatif constitutionnel, La documentation
française, 1960, p. 64 et s., 192). Quant à la lettre de l’article 55, force est de
constater, comme on l’a justement souligné, que si elle « n’interdit pas cette
double extension, elle ne la commande pas davantage, surtout la seconde »
(P. Lagarde, « La condition de réciprocité dans l’appréciation des traités inter-
nationaux : son appréciation par le juge interne », Rev. crit. 1975. 31; v. aussi
Francescakis, « Remarques critiques sur le rôle de la Constitution dans le
conflit entre le traité et la loi interne devant les tribunaux judiciaires », Rev.
crit. 1969, p. 425 et s., spéc. p. 434). Et de fait, à supposer même que l’article 55
soit compris comme affirmant de manière générale la supériorité du traité sur
la loi, que celle-ci lui soit antérieure ou postérieure, la question reste entière de
savoir si ce texte habilite ou non le juge à assurer le respect de la hiérarchie des
normes qu’il édicte. Les travaux préparatoires n’étant d’aucun secours, rien
n’empêche de comprendre l’article 55 comme admettant simplement, dans le
cadre d’un litige entre États, la responsabilité internationale de l’État français,
en cas d’adoption d’une loi contraire à un traité (en ce sens, Francescakis,
art. préc., Rev. crit. 1969. 440 et s.; Batiffol et Lagarde, Traité t. 1, 8e éd., no 41).
Tel est d’ailleurs le système mis en place par la Convention de Vienne du 23 mai
1969 (art. 27 et 73). L’article 55 paraît, au reste, se prêter d’autant mieux à une
telle lecture que celle-ci est seule de nature à permettre la conciliation de ce
texte, compris comme affirmant le principe de la supériorité des traités sur la
loi, avec un autre principe à valeur constitutionnelle du droit français, celui de
la séparation des pouvoirs qui interdit aux tribunaux de faire obstacle à l’appli-
cation des lois (art. 10, loi des 16 et 24 août 1790). Reconnaître au juge le
pouvoir d’écarter l’application d’une loi au motif qu’elle est contraire à un
traité, c’est en effet soumettre le législatif au contrôle du judiciaire contraire-
ment à notre tradition de séparation des pouvoirs. Enfin, s’il est vrai que la
Constitution de 1958 n’adhère plus au dogme du caractère sacré de la loi, c’est
au Conseil constitutionnel, et à lui seul, qu’elle a conféré le pouvoir de contrô-
ler la validité de celle-ci. Dès lors, il semblerait que les tribunaux ne puissent
exercer sur la loi contraire au traité un contrôle de conventionnalité qui s’appa-
rente d’assez près à un contrôle de constitutionnalité des lois (infra, IV). On
comprend que, dans ces conditions, la jurisprudence judiciaire ait traditionnel-
lement donné la préférence à la loi sur le traité (v. décisions citées, Batiffol et
Lagarde, t. I, 8e éd., no 41, note 7). Comme le rappelait le Procureur général
Matter dans des conclusions restées célèbres : « À supposer qu’il y ait conflit
entre la loi et un traité, quels seraient les devoirs du juge ? Aucun doute, vous
ne connaissez et ne pouvez connaître d’autre volonté que celle de la loi. C’est
le principe même sur lequel reposent nos institutions judiciaires » (S. 1932. 1.
257). Cette solution est, au reste, parfaitement compatible avec la subordina-
tion de l’ordre interne à l’ordre international. En effet, comme le soulignait
Henri Batiffol, si « l’ordre interne est fondamentalement subordonné à l’ordre
international (…), il lui est antérieur quant aux institutions existantes; et le juge
interne tenant sa mission de l’autorité qui l’institue, ne saurait assumer un rôle
522 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56

contraire à la mission qui définit ses pouvoirs et dont l’objet propre est la mise
en œuvre de l’ordre interne : user de ses pouvoirs contre l’autorité qui les lui a
conférés lui enlève toute qualité » (Droit international privé, 4e éd., no 39, p. 42).

II. La position de la Cour de cassation


5 En énonçant que c’est à bon droit qu’une Cour d’appel a décidé que l’arti-
cle 95 du Traité de Rome dont l’autorité est supérieure à celle des lois, devait
être appliqué à l’exclusion de l’article 265 du Code des douanes et bien que ce
texte lui fût postérieur, la Cour de cassation rompt résolument avec l’état du
droit antérieur. Comment expliquer une telle rupture ?
Le premier élément de réponse réside probablement dans la jurisprudence
du Conseil constitutionnel. Par sa décision du 15 janvier 1975 relative à la
loi sur l’interruption volontaire de grossesse, le Conseil a jugé qu’« une loi
contraire à un traité ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution »,
car si les dispositions de l’article 55 de la Constitution « confèrent aux traités,
dans les conditions qu’elles définissent, une autorité supérieure à celle des
lois, elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive
être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitu-
tion prévu à l’article 61 de celle-ci ».
Cette solution repose sur l’idée que les décisions prises par le Conseil cons-
titutionnel dans le cadre de son contrôle revêtent un caractère absolu et défi-
nitif alors que la supériorité des traités sur les lois affirmée par l’article 55 de
la Constitution « présente un caractère à la fois relatif et contingent, tenant,
d’une part, à ce qu’elle est limitée au champ d’application du traité et, d’autre
part, à ce qu’elle est subordonnée à une condition de réciprocité dont la réali-
sation peut varier selon le comportement du ou des États signataires du traité
et le moment où doit s’apprécier le respect de cette condition » (Cons. const.
15 janv. 1975, D. 1975. 529, note L. Hamon, JCP 1975. II. 18030, note E.-M. Bey,
Gaz. Pal. 1976. 1. 25, note Pellet, Rev. crit. 1975. 606, note P. L., Clunet 1975.
249, note D. Ruzié).
Si les motifs invoqués par le Conseil constitutionnel n’ont pas toujours
emporté la conviction des commentateurs, la solution qu’il a posée leur a, en
règle générale, semblé digne d’approbation. Tout d’abord, la violation de la
Constitution qui résulterait de la méconnaissance d’un traité leur est apparue
trop indirecte pour pouvoir être consacrée en tant que telle. Ensuite et surtout,
la solution retenue évite d’étendre de manière exagérée le domaine du bloc de
constitutionnalité en y incluant l’ensemble des traités ou accords internatio-
naux ratifiés ou approuvés, quels qu’en soient le contenu et la portée (F. Terré,
Introduction générale au droit, no 162). Enfin, on a souligné que le conseil
constitutionnel n’est pas le mieux placé pour opérer ce contrôle en raison de
la brièveté des délais qui lui sont impartis et des difficultés d’interprétation
que soulèvent fréquemment les engagements internationaux, spécialement
d’origine communautaire.
6 Relativement à la question étudiée, il a été tiré argument de cette jurispru-
dence d’une double façon. En premier lieu, on a insisté sur ce qu’en refusant
55-56 J. VABRE, CASS., 24 MAI 1975 — NICOLO, CE, 20 OCTOBRE 1989 523

d’englober, sauf cas exceptionnel, les traités dans le bloc de constitutionnalité,


le Conseil constitutionnel avait nettement marqué que le contrôle de la validité
de la loi au regard du traité ne relevait pas du contrôle de constitutionnalité. En
procédant à un tel contrôle, le juge judiciaire ne se mettrait donc pas en contra-
diction avec le principe qui veut qu’il ne soit pas juge de la constitutionnalité
des lois. Et ceci d’autant plus qu’il s’agit pour le juge judiciaire de se pronon-
cer sur la validité d’une loi, non de manière abstraite, mais par voie d’excep-
tion, à propos d’un cas concret. En second lieu, il a été souligné que, du fait
même du refus du Conseil constitutionnel de procéder à un tel contrôle, le seul
moyen d’éviter que l’article 55 de la Constitution ne reste lettre morte était de
reconnaître au juge judiciaire le pouvoir d’y procéder.
À cette argumentation, il avait été à l’époque objecté qu’elle reposait sur
une interprétation « quelque peu audacieuse » de la décision du Conseil cons-
titutionnel, celle-ci n’étant « somme toute qu’une décision d’incompétence »
(Foyer et Holleaux, note préc., p. 358; Jeantet, JCP 1975. I. 2743). De sur-
croît « comment qualifier le refus d’application d’une loi en vertu d’un texte
constitutionnel autrement que comme un contrôle indirect de la constitution-
nalité des lois » (Foyer et Holleaux, note préc., p. 358; D. Ruzié, Clunet
1975. 251). Enfin la solution retenue conduit à un résultat paradoxal : les tri-
bunaux écartant les lois contraires au traité mais non celles qui heurtent la
Constitution, le traité est mieux protégé que la Constitution qui lui est pour-
tant supérieure (Carbonnier, Introduction, no 116).
7 En réalité, la solution consacrée par l’arrêt Jacques Vabre s’explique, sem-
ble-t-il, moins par des considérations techniques que par des choix idéologi-
ques. Elle tend, en effet, à tirer toutes les conséquences d’évolutions qu’on
peut discerner dans l’ordre juridique français et qui, conduites à leur terme, en
remettent en cause les fondements les mieux établis. Tout d’abord, l’époque de
la suprématie du droit interne serait, selon certains, révolue en raison de l’essor
considérable qu’ont connu depuis près de trente ans les sources internationa-
les. Partant, l’impossibilité de faire prévaloir le traité sur la loi devrait céder,
car elle apparaîtrait comme une entrave à l’investissement progressif de notre
ordre juridique par les normes internationales. Corrélativement, la perte de
prestige subie par la loi du fait de l’abaissement du Parlement par la Constitu-
tion de 1958 crée un climat favorable à la « véritable révolution de Palais »
(Foyer et Holleaux, Rev. crit. 1975. 359) qu’opère l’arrêt Jacques Vabre. Profi-
tant du déclin du pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire s’arroge le droit de
censurer, sinon toutes les lois, du moins celles qui lui paraissent contraires
aux traités. Aussi bien certains commentateurs ont-ils vu dans l’arrêt Jacques
Vabre, toutes proportions gardées, « l’équivalent français du célèbre arrêt Mar-
bury v/Madison de 1803, par lequel la Cour suprême des États-Unis a pro-
clamé le principe du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois fédéra-
les » (Foyer et Holleaux, note préc., p. 359).
8 Le pouvoir dont se sont ainsi emparés les juges est d’autant plus grand que,
du fait de la construction européenne, ce qu’on a pu appeler le « bloc de
conventionnalité » (Teboul, JCP 1992. II. 21859) est bien loin de se réduire
524 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56

aux traités et accords internationaux visés par l’article 55 de la Constitution.


Tout en prenant appui sur ce texte, la haute juridiction décide, en effet, dans
l’arrêt Jacques Vabre, que le Traité de Rome « institue un ordre juridique pro-
pre intégré à celui des États membres; qu’en raison de cette spécificité l’ordre
juridique qu’il a créé est directement applicable aux ressortissants de ces États
et s’impose à leurs juridictions » (rappr. CJCE, 15 juill. 1964, Costa, Rec.
p. 1141; v. aussi 9 mars 1978, Simmenthal, Rec. p. 609). Il en résulte qu’à la
faveur du pouvoir que se sont arrogé les tribunaux de contrôler la conformité
de la loi aux traités, c’est non seulement le Traité de Rome lui-même qui est
assuré d’une véritable primauté sur les lois internes françaises, mais encore les
règlements et directives communautaires (v. Crim., 14 juill. 1988, Bull. crim.,
no 270, p. 719; 7 nov. 1990, Bull. crim., no 371, p. 939) ainsi que, semble-t-il,
les règles jurisprudentielles issues des décisions de la Cour de justice des Com-
munautés européennes. En effet, par un arrêt du 5 décembre 1983, la Chambre
criminelle de la Cour de cassation a reconnu, en se fondant sur l’article 55 de
la Constitution, l’autorité de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg sur le
législateur français (Crim., 5 déc. 1983, D. 1984. 217, 1re esp., note Cosson).

III. La position du Conseil d’État

9 Dans un premier temps, cette montée en puissance du pouvoir des juges a


été limitée, aux seules juridictions de l’ordre judiciaire. Dans l’important arrêt
Syndicat général des fabricants de semoules de France, en date du 1er mars
1968, le Conseil d’État avait, en effet, décidé que le conflit entre le traité et la
loi postérieure soulevait un problème de constitutionnalité échappant à la com-
pétence de la juridiction administrative (CE, 1er mars 1968, D. 1968. 285, note
M. L., Rev. crit. 1968. 516, concl. Questiaux, note Kovar). Comme le soulignait
le commissaire du gouvernement, le Conseil d’État ne pouvait écarter une loi
au prétexte qu’elle était contraire à un traité, « sans modifier, de sa seule
volonté, sa place dans les institutions ». La haute juridiction administrative
maintint sa position malgré le revirement de jurisprudence qu’opéra la Cour de
cassation avec l’arrêt Jacques Vabre (v. par ex., CE, 22 oct. 1979, Union démo-
cratique du travail, Rec. Lebon 384, Rev. dr. publ. 1980. 531, concl. Hagels-
teen). Et ce n’est que quatorze années plus tard que la révolution opérée au
Palais de Justice atteignit le Palais Royal. Encore le Conseil d’État ne se ren-
dit-il qu’après que le Conseil constitutionnel, tirant explicitement les enseigne-
ments de sa propre jurisprudence, lui eut adressé des invites pressantes. Par
une décision du 3 septembre 1986, celui-ci énonça, en effet, que le respect de
la règle posée par l’article 55 de la Constitution « s’impose même dans le
silence de la loi » et qu’« il appartient aux divers organes de l’État de veiller à
l’application » des conventions internationales « dans le cadre de leurs compé-
tences respectives » (Rec. 135, RFDA 1987. 120, note Genevois, Clunet 1987.
289, note Pinto). Menant à son terme la logique de la proposition précédente,
le Conseil constitutionnel décida « qu’il lui appartient en tant que juge électo-
ral de ne pas faire application d’une loi qui serait contraire à un traité et ceci
55-56 J. VABRE, CASS., 24 MAI 1975 — NICOLO, CE, 20 OCTOBRE 1989 525

bien qu’il ne puisse, dans le contentieux électoral, apprécier, par la voie de


l’exception, la constitutionnalité d’une loi » (Cons. const. 21 oct. 1988, D. 1989.
285, note F. Luchaire).
Aussi bien, cédant aux multiples pressions dont il était l’objet, le Conseil
d’État décida-t-il, par son arrêt Nicolo, de rompre avec une jurisprudence à
laquelle il paraissait pourtant attaché et de s’aligner sur la position de la Cour
de cassation et du Conseil constitutionnel. Ayant à connaître d’un contentieux
électoral, le Conseil, suivant en cela les conclusions du commissaire du gouver-
nement, n’appliqua la loi du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants
à l’Assemblée des Communautés européennes qu’après s’être assuré qu’elle
n’était pas contraire aux stipulations du Traité de Rome, acceptant ainsi
l’éventualité d’écarter une loi incompatible avec un traité, quand bien même
elle lui serait postérieure.

10 Restait encore à déterminer si cette primauté des traités valait également


pour le droit communautaire dérivé. Evoquant la question, le commissaire du
gouvernement Frydman avait affirmé dans ses conclusions sur l’arrêt Nicolo
qu’on ne pouvait s’engager « dans une logique difficilement justifiable, de
supranationalité, à laquelle ne souscrit pas expressément le Traité de Rome, et
qui conduirait — quoi qu’on puisse par ailleurs en penser sur le plan politique
— à rendre celui-ci très certainement inconstitutionnel », ce qui paraissait
indiquer que les juridictions administratives entendaient se maintenir en retrait
par rapport aux positions de la Cour de cassation. Mais le Conseil d’État a
ultérieurement affirmé la primauté sur les lois nationales, même postérieures,
non seulement des règlements (CE, 24 sept. 1990, Boisdet, Rec. Lebon 251,
RFDA 1991. 172, note Dubouis), mais encore des directives communautaires
(CE, 28 févr. 1992, Rothman, JCP 1992. II. 21859, note Teboul; 3 déc. 1999,
RTD civ. 2000. 194, obs. Libchaber). Enfin, il a estimé qu’un arrêt de la Cour
de justice des Communautés européennes condamnant la France pour manque-
ment à ses obligations communautaires du fait de la contrariété d’un règlement
national avec une directive, avait pour conséquence de rendre ce règlement de
plano inapplicable (CE, 23 mars 1992, Soc. Klochner France, Rec. Lebon 133).
En revanche, le Conseil d’État a décidé que, dans l’ordre interne, une coutume
internationale ne saurait, à la différence d’un traité, l’emporter sur la loi (CE,
6 juin 1997, Aquarone, AJDA 1997. 570, chron. D. Chauvaux et T. X. Girar-
dot, RGDIP 1997. 1053, note D. Alland, JCP 1997. II. 2294, note Teboul).

11 Comment expliquer cet important décalage dans le temps entre la jurispru-


dence de la Cour de cassation et celle du Conseil d’État ? Sans doute par la
perception différente qu’ont eue, un moment, ces deux hautes juridictions, des
rapports entre l’ordre interne et les ordres international et européen.
Mais aussi par des phénomènes de pouvoir qu’il est intéressant de mettre
en évidence tant ils montrent combien, à la suite de la brèche ouverte par le
Conseil constitutionnel, a été rapide et profonde l’évolution de la société
française vers un « gouvernement des juges ». La clef de cette évolution nous
est, au reste, donnée par le commissaire du gouvernement Frydman dans ses
conclusions sur l’arrêt Nicolo : « la nécessité d’éviter, dans l’intérêt de la jus-
526 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56

tice administrative (1), tout conflit potentiel entre le Conseil d’État et le pou-
voir législatif (…) nous paraît (…) moins pressante que par le passé. Nous ne
sommes plus, en effet, à l’époque où le commissaire du gouvernement
Latournerie pouvait évoquer, dans ses conclusions sur l’arrêt Arrighi de 1936,
qu’un contrôle de la loi risquerait de compromettre l’acquis de la jurispru-
dence en remettant en cause la place même du Conseil d’État dans les institu-
tions. L’autonomie, l’indépendance et les compétences propres de la juridic-
tion administrative ont, en effet, été depuis lors solennellement reconnues,
notamment en vertu d’une jurisprudence très constructive du Conseil constitu-
tionnel inaugurée par ses importantes décisions du 22 juillet 1980 et du 23 jan-
vier 1987, et à nouveau confirmée tout récemment encore par une décision du
28 juillet 1989 ». Autrement dit, tant qu’une épreuve de force survenant entre
le Conseil d’État et le pouvoir législatif fut susceptible de se résoudre au
détriment du premier, la haute juridiction administrative jugea préférable de
s’abstenir. Le souvenir de l’arrêt Canal (CE, 19 oct. 1962, JCP 1963. II. 13068,
note Debbasch, Gr. arrêts jurispr. adm., 15e éd., no 83) et des réactions qu’il
avait entraînées était là pour la rappeler à la prudence. Mais le Conseil consti-
tutionnel ayant limé les griffes du pouvoir législatif de telle sorte qu’il n’était
plus en position de rappeler aux magistrats qu’« user de ses pouvoirs contre
l’autorité qui les (leur) a conférés (leur) enlève toute qualité » (Batiffol, op.
cit., no 39, p. 42), la voie était libre pour le gouvernement des juges. Belle
leçon de science politique plus que de droit !

IV. Les conséquences

12 Les arrêts Jacques Vabre et plus encore Nicolo ont généralement été l’objet
de la part de la communauté des juristes, d’appréciations dithyrambiques. On
se permettra ici de faire entendre un point de vue quelque peu hétérodoxe. Et
de fait, procédant de choix idéologiques favorables à l’internationalisation et à
l’européanisation de notre droit (A) ainsi qu’à l’émergence d’un gouverne-
ment des juges (B), la solution retenue par ces arrêts pourrait à terme se révéler
lourde de déconvenues pour la société française.
13 A. — Rappelons, tout d’abord, qu’elle procède à l’intégration au sein de
l’ordre juridique français non d’un corps de règles figées, comme il en va habi-
tuellement lorsqu’on parle d’intégration, mais d’une « autorité étrangère légi-
férante » (Carbonnier, Droit civil, Introduction, no 116). Il en résulte que
l’énorme masse sécrétée, au jour le jour, par la bureaucratie bruxelloise est
désormais applicable en France sans que le peuple français puisse, par l’inter-
médiaire de ses représentants, la contrôler, l’infléchir, l’amender, (B. Oppetit,
« L’Eurocratie ou le mythe du législateur suprême », D. 1990. 73). Tout au
plus, dans le contexte de la ratification du Traité de Maastrich, une orientation
dans le sens d’une réduction du déficit démocratique s’est-elle manifestée à
l’occasion de la réforme constitutionnelle opérée par la loi du 25 juin 1992. Il

(1) C’est nous qui soulignons.


55-56 J. VABRE, CASS., 24 MAI 1975 — NICOLO, CE, 20 OCTOBRE 1989 527

en est résulté une obligation pour le gouvernement de soumission pour avis au


Parlement de certains textes (v. nouv. art. 88-4 de la Constitution de 1958).
Mais il ne s’agit pas de subordonner leur intégration dans l’ordre juridique
français à l’accord de celui-ci. Cette situation est d’autant plus regrettable que
le droit communautaire apparaît aux yeux mêmes des plus ardents défenseurs
de l’idée européenne, comme un « monument d’hermétisme, connu seulement
des spécialistes ou des groupes d’intérêts » (J. Delors, La France par l’Europe,
Grasset, 1988, p. 272). Et de fait, on a parfois comparé le droit européen à une
« tapisserie que tisseraient les directions générales de Bruxelles sans avoir un
modèle devant les yeux, et qui n’aurait comme lien de cohérence que de répon-
dre aux besoins du Marché, loin des grands principes fondateurs des relations
entre les hommes que devraient être la liberté, la responsabilité, la bonne foi,
la confiance et la proportionnalité » (P. Lagarde, compte rendu de Zeitschrift
für Europaisches Privatrecht, Rev. crit. 1994. 862; J. Carbonnier, Droit et pas-
sion du droit sur la Ve République, 1996, p. 48 et s.; Jean Foyer, « Le droit privé
dominé », Mélanges P. Catala, 2001, p. 13 et s.).
14 Du moins aurait-on pu penser que le droit international privé échapperait,
en raison de sa spécificité, à cette dérive. L’étude des derniers développements
de la matière montre qu’il n’en est rien. Outre que l’inclusion par le Traité
d’Amsterdam du droit international privé dans la sphère communautaire devrait
se traduire, à terme, par une refonte complète de la discipline, l’exaltation des
grandes libertés économiques qui fondent l’union européenne a d’ores et déjà
pour conséquence la subversion du droit international privé classique.
On sait que les articles 52 et 59 du Traité de Rome imposent l’élimination
des obstacles discriminatoires au libre établissement et à la libre prestation de
services. Au premier abord, ces dispositions ne paraissent guère pouvoir inté-
resser que la condition des étrangers, à l’exclusion des conflits de lois qui
constituent le cœur de notre discipline. Et de fait, à raisonner sur la libre pres-
tation de services, il semble que celle-ci soit satisfaite dès lors que chaque
prestataire de services se voit, sur le fondement de l’agrément qu’il a reçu
dans son pays d’origine, reconnaître la possibilité d’exercer son activité dans
les autres États membres. Mais le respect du principe de la libre prestation de
services exige aujourd’hui beaucoup plus. On considère, en effet, que cette
liberté peut être entravée du seul fait qu’un prestataire de services, établi dans
un État membre et devant opérer dans un autre État membre, serait contraint
de respecter la législation de cet État alors que celle-ci diffère de celle en
vigueur dans son État d’origine. Il ne peut pas alors, en effet, exercer son acti-
vité de la même manière que dans l’État où il est établi. En d’autres termes, la
seule diversité entre la législation des États membres serait de nature à faire
obstacle à la libre prestation de services. Afin d’y remédier, il conviendrait de
poser que l’exportation des services est assujettie exclusivement à la législa-
tion de l’État d’origine et non à celle de l’État d’accueil. Seule, en effet,
l’application des règles du pays d’origine serait de nature à garantir à chaque
prestataire établi dans la communauté la possibilité de fournir dans les autres
États membres le même service que celui qui est commercialisé dans l’État
d’origine. Aussi bien, cette approche est-elle d’ores et déja retenue par les
528 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56

directives européennes qui sont intervenues en matière de banque, d’asurance-


vie ou d’investissements. C’est ainsi que le 16e considérant de la deuxième
directive bancaire pose que « les États membres doivent veiller à ce qu’il n’y
ait aucun obstacle à ce que les activités bénéficiant de la reconnaissance
mutuelle puissent être exercées de la même manière que dans l’État membre
d’origine » (L. G. Radicati di Brozolo, « L’influence sur les conflits de lois
des principes de droit communautaire en matière de liberté de circulation »,
Rev. crit. 1993. 401 et s.; v. aussi E. Jayme et Ch. Kholer, « L’interaction des
règles de conflit contenues dans le droit dérivé de la Communauté européenne et
des Conventions de Bruxelles et de Rome », Rev. crit. 1995. 1 et s.; A. Gosselin-
Gorand, L’influence des principes communautaires de libre circulation sur les
règles nationales de conflits de lois, thèse Caen, 2001, nos 159 et s., p. 157 et s.).
15 Une telle conception de la liberté d’établissement est de nature à ruiner le
règlement des relations privées internationales auquel procède le droit interna-
tional privé. Prenant acte de la diversité des législations, celui-ci désigne le
droit applicable en tentant de concilier de multiples intérêts, parmi lesquels
ceux du marché n’occupent qu’une place marginale. Partant, la recherche de
l’harmonie internationale des solutions, le souci de la cohésion des ordres
internes, la défense des intérêts des parties qui guident le règlement des conflits
de lois… peuvent conduire à la désignation d’une loi autre que celle du pays
d’origine du prestataire de services (Gosselin-Gorand, thèse préc., no 293,
p. 309). En présence d’une telle situation, la réaction des zélateurs du droit
communautaire est sans détour : la loi désignée par la règle de conflit doit être
écartée dès lors que son application constitue un obstacle à la libre circulation
des services. Tout au plus cette loi pourrait-elle se maintenir si elle était
« justifiée par un intérêt général communautaire » dont on ne sait trop ce qu’il
recouvre (B. Sousi-Roubi, « La Convention de Rome et la loi applicable aux
contrats bancaires », D. 1993. 183; rappr. P. Lagarde, compte rendu, Rev. crit.
1996. 853).
16 Une telle approche des relations privées internationales apparaît éminemment
dangereuse.
Au regard des principes, tout d’abord : sous couvert de la primauté du droit
communautaire, on fait du marché et des principes qui le sous-tendent un
absolu devant lequel doivent plier toutes les autres valeurs, et notamment les
intérêts que le droit international privé prend traditionnellement en charge.
Cette menace apparaît d’autant plus redoutable que les libertés du droit com-
munautaire peuvent conduire à une remise en cause du droit international
privé non seulement dans le domaine du droit des obligations mais aussi dans
des matières, tel le statut personnel, qui paraissaient devoir leur échapper tota-
lement (v. par ex., CJCE, 30 mars 1993, aff. 168/91, Rec. 1993, p. 1193, décision
citée par M. Fallon, « Les conflits de lois et de juridictions dans un espace
économique intégré, l’expérience de la Communauté européenne », Rec. cours
La Haye, 1995, p. 85; sur cette question, v. L. Gannagé, La hiérarchie des
normes et les méthodes du dr. int. pr., thèse Paris II, éd. 2001, p. 102, no 155).
Au regard de la méthode, ensuite : elle risque, en effet, de conduire à une
démarche d’une rare complexité ainsi qu’à des résultats difficilement prévisi-
55-56 J. VABRE, CASS., 24 MAI 1975 — NICOLO, CE, 20 OCTOBRE 1989 529

bles. À suivre toujours les zélateurs du droit communautaire, le juge devrait,


en effet, dans chaque cas d’espèce, utiliser un raisonnement en trois temps :
1o rechercher la loi que désigne la règle de conflit; 2o « se demander si cette
loi constitue un obstacle à la libre circulation des services », 3o dans la néga-
tive, l’appliquer; dans l’affirmative, l’évincer, sauf à ce que cette loi soit justi-
fiée par l’intérêt général communautaire (B. Sousi-Roubi, art. préc., D. 1993.
183). Que reste-t-il de la sécurité juridique lorsque la désignation du droit
applicable dépend de critères aussi flous ?
La démarche suivie par la Cour de Luxembourg à propos de l’application
des lois de police étatiques offre d’ores et déjà une bonne illustration de ces
difficultés (CJCE, 23 nov. 1999, Arblade, Rev. crit. 2000. 710, note M. Fallon,
Clunet 2000. 493, note Luby; 15 mars 2001, Mazzoleni, Rev. crit. 2001. 495,
note E. Pataut). La Cour de justice s’estime autorisée à contrôler les condi-
tions d’application de ces lois dès lors qu’il est allégué que cette application
pourrait constituer une gêne à l’exercice des libertés instituées par le Traité
CE. Bien que d’application directe dans toute la mesure nécessaire à la sauve-
garde des intérêts essentiels de la société concernée (supra, no 53), ces lois de
police ne trouveront donc grâce aux yeux des autorités communautaires que
si, usant de critères non discriminatoires, elles se justifient par des raisons
impérieuses d’intérêt général et ne soumettent pas les parties à une contrainte
disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, ce qui laisse une marge
d’appréciation considérable aux juges (pour une analyse de ces directives,
v. C. Blanchin, Sources et méthodes du droit international privé de l’Union
européenne, thèse Paris II, 2000, nos 557 et s.; sur les contraintes d’une telle
démarche, v. P. Mayer et V. Heuzé, no 126). Comme on l’a justement souligné
« la finalité de la détermination du droit applicable s’en trouve profondément
modifiée. Le test de proportionnalité qui procède à un "arbitrage entre intérêts
communautaires et intérêts étatiques" est, en effet, orienté vers la satisfaction
d’une "politique déterminée de droit matériel" qui est celle de l’ordre juridi-
que communautaire. Or, celle-ci reste guidée pour l’essentiel par des consi-
dérations d’ordre économique étrangères au droit international privé, telles
que la réalisation du marché intérieur et la garantie des libertés de circula-
tion » (L. Gannagé, « Les règles de conflit face à l’harmonisation du droit de
la consommation », Mélanges Calais-Auloy, p. 421 et s., spéc. p. 443).
Au regard de la logique même qui anime le droit communautaire, enfin. On
ne peut, en effet, manquer de s’interroger sur les distorsions de concurrence
qui résulteront, sur un marché, de l’obligation faite à ceux qui y sont établis
de respecter une législation très contraignante et de la liberté donnée à ceux
qui viennent de l’extérieur de s’y soustraire (P. Mayer, Banque et droit, Hors
série, Rapport de synthèse p. 5). En réalité, en donnant la préférence à la loi
du pays d’origine si elle est moins sévère que celle du pays d’importation, on
entend amener les États « non seulement à aligner leur législation sur la plus
libérale, mais encore à surenchérir par rapport à elle dans la voie de la
déréglementation ». Le résultat est pour le moins inattendu si on le confronte
aux ambitions affichées puisqu’il conduit « à mettre en concurrence les peuples
que l’on prétend(ait) rassembler, en les sommant d’avoir à choisir entre
l’abandon de leurs systèmes de valeurs et une profonde dégradation des condi-
530 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56

tions de leur vie matérielle » (V. Heuzé, « De la compétence de la loi du pays


d’origine en matière contractuelle ou l’anti-droit européen », Mélanges P. Lagarde,
2005, p. 393).
17 B. — Parmi les conventions internationales auxquelles la France est partie,
figure un certain nombre d’instruments internationaux protecteurs des droits et
libertés fondamentaux au sein desquels la Convention européenne des droits
de l’homme occupe une position de premier plan. Or, en s’arrogeant le droit
d’écarter une loi au prétexte qu’elle serait contraire à un droit fondamental
consacré par l’un de ces instruments, les juges pratiquent un contrôle de conven-
tionnalité qui présente une profonde similitude avec le contrôle de constitu-
tionnalité que notre système juridique réserve en principe au Conseil constitu-
tionnel. On n’insistera jamais assez sur l’importance de la mutation ainsi
réalisée, à propos de laquelle il ne paraît pas excessif de parler de « coup
d’État » des juges. Une chose est, en effet, d’interpréter une loi lorsqu’elle est
obscure, de la compléter lorsqu’elle est lacunaire, une autre est d’écarter un texte
clair et précis voté par le Parlement au prétexte qu’il n’est pas « conforme aux
axiomes passe-partout d’une pseudo-constitution étrangère » dont le caractère
elliptique autorise les interprétations les plus divinatoires (Carbonnier, Droit
civil, Introduction, no 116). Les juges du fond les plus obscurs guidés par des
idéologies qui ne reflètent nullement l’opinion de la majorité des Français sont
ainsi en position de censurer à tout moment le Parlement.
18 À titre d’échantillon du désordre que ce système pourrait engendrer, on
citera le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Toulouse le
30 octobre 1995 (D. 1996. 101, note D. Mayer et J.-F. Chassang). Dans cette
affaire, le Tribunal de Toulouse a refusé d’appliquer l’article 21 de l’ordonnance
du 2 novembre 1945 qui punit d’une peine de prison de cinq ans et de
200 000 francs d’amende, « toute personne qui, alors qu’elle se trouvait en
France, a, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la
circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France », à une personne
qui avait hébergé puis aimé un étranger en situation irrégulière. En effet, selon
le tribunal, le texte incriminé serait contraire à l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme qui prévoit que toute personne a droit au
respect de sa vie privée et familiale car ce « principe comporte en lui-même un
ordre public affectif devant lequel la loi nationale doit s’effacer (car) on ne
saurait contester le droit à deux êtres de s’aimer et d’agir en fonction de ce
sentiment ». Ainsi un concept flou, le droit au respect de la vie privée, se méta-
morphose-t-il en un autre droit, celui de s’aimer, qui permet à un individu de se
soustraire aux prescriptions les plus impératives du droit français. À suivre le
tribunal, aucune infraction ne pourrait plus être sanctionnée pénalement dès
lors qu’elle est commise par amour.
19 Sans doute, objectera-t-on qu’il s’agit là d’une caricature et qu’il existe des
freins. De fait, la haute juridiction exerce, en la matière, comme dans les autres
domaines, son contrôle. C’est ainsi que la Cour de cassation a rappelé, à plu-
sieurs reprises, que les conventions internationales relatives aux droits fonda-
55-56 J. VABRE, CASS., 24 MAI 1975 — NICOLO, CE, 20 OCTOBRE 1989 531

mentaux ne peuvent être invoquées par les particuliers devant les tribunaux que
si elles présentent un caractère auto-exécutoire (self-executing). Il faut pour cela
que la convention ne se contente pas de mettre des obligations à la charge des
États mais qu’elle accorde directement des droits subjectifs aux individus et
que les droits ainsi reconnus soient suffisamment précis pour pouvoir se suffire
à eux-mêmes. La Première chambre civile a dans un premier temps décidé, à
plusieurs reprises, que la Convention de New York sur les droits de l’enfant du
26 janvier 1990 « ne crée des obligations qu’à la charge des États parties » et
« n’est pas directement applicable en droit interne » (Civ. 1re, 10 mars 1993,
Lejeune, Bull. I, no 103, D. 1993. 361, note Massip, Rev. crit. 1993. 449, note
P. Lagarde; 24 janv. 1995, D. 1995, IR 53). Prenant appui sur cette analyse,
elle a heureusement censuré la Cour de Paris qui avait fait prévaloir l’article 26
de cette convention qui pose que « les États parties reconnaissent à tout enfant
le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales »
sur l’article R. 313-12 du Code de la sécurité sociale, qui fixe de façon précise
l’âge limite du droit des enfants aux prestations de l’assurance maladie en
qualité d’ayants droit de leurs parents (Soc. 13 juill. 1994, Bull. V, no 236,
JCP 1995. II. 22363, note Benhamou). Mais ultérieurement, s’alignant sur la
position du Conseil d’État (CE, 22 sept. 1997, JCP 1998. II. 10052, note
Gouttenoire; 30 juin 1999, D. 2001. 1, note F. Boulanger), elle a abandonné,
en la matière toute solution a priori et a choisi de rechercher au cas par cas si
les disposition de la Convention de New York sont d’une précision suffisante
pour justifier leur application directe (Civ. 1re, 18 mai 2005 et 14 juin 2005,
Rev. crit. 2005. 679, note D. Bureau, Clunet 2005. 1132, note C. Chalas, JCP
2005. II. 10081, note Granet-Lambrechts et Stryckler et 10115, note C. Petit,
Defrénois 2005. 1418, obs. Massip, D. 2005. 1909, note Egéa, Dr. fam. 2005,
no 156, obs. Gouttenoire, RTD civ. 2005. 556, obs. Encinas de Munagorri, 583,
obs. J. Hauser, 750, obs. Rémy-Corlay). Dans cette nouvelle approche, elle a
considéré que l’article 3.1, de la Convention de New York prévoyant que
l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes
les décisions qui concernent l’enfant, était d’application directe. La précision
de la directive ainsi posée n’apparaît pourtant pas évidente, tant sont multiples
les lectures auxquelles peut donner lieu cette « notion magique » (J. Carbon-
nier, D. 1960. 673).
20 Il est vrai que la notion d’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas plus vague
que la plupart des droits consacrés par la Convention européenne des droits de
l’homme. Or ceux-ci sont généralement regardés, en raison de l’article 1er de
cet instrument, comme directement invocables par les individus. Au prétexte
de leur contrariété avec des concepts flous, pour ne pas dire mous, les règles
précises élaborées par le législateur pour répondre aux intérêts collectifs de la
société peuvent ainsi être balayées par le juge. Mieux, la compétence accordée
à la Cour européenne des droits de l’homme pour connaître des recours des
particuliers qui se plaignent d’une violation de leurs droits fondamentaux
permet à cet organisme d’imposer aux juridictions françaises son interpréta-
tion des droits fondamentaux (v. infra, no 80-81 § 14). Ainsi non contente
de sombrer dans le gouvernement des juges, la France confie celui-ci à un
532 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 55-56

organisme extérieur dont les membres ne connaissent ni son système juridi-


que, ni ses traditions, ni ses mœurs, ni ses besoins et qui n’a pas pour première
mission le bien commun de la société française. Singulière conception de la
démocratie !
21 La place ainsi faite aux droits et libertés fondamentaux est, au reste, là
encore de nature à remettre en cause les solutions traditionnelles du droit inter-
national privé. Par le biais de l’exception de conventionnalité, il peut en
effet être soutenu que telle ou telle règle de conflit de lois ou de conflit de
juridictions est contraire à ces principes et doit être écartée (sur ce problème,
v. P. Hammje, La contribution des principes généraux du droit à la formation
du droit international privé, thèse Paris I, 1994; P. Courbe, « Le droit interna-
tional privé et les difficultés d’insertion de la convention dans le système fran-
çais », Quelle Europe pour les droits de l’homme ? 1996, p. 249; Y. Lequette,
« Droit international privé et droits fondamentaux » in Droits et libertés fonda-
mentaux, 12e éd., 2006, nos 171 et s., spéc. no 183). Le droit international privé
français serait ainsi confronté à un débat voisin de celui qu’a connu le droit
international privé allemand ou encore le droit international privé italien à la
faveur du contrôle de la constitutionnalité d’un certain nombre de leurs dispo-
sitions (BGH, 4 mai 1971, Rev. crit. 1974. 56 et chron. C. Labrusse p. 1; Cour
constitutionnelle d’Italie 26 févr. 1987, Rev. crit. 1987. 563, note B. Ancel).
Dans la même ligne, certains n’hésitent pas à soutenir que les droits et libertés
fondamentaux sont d’application directe en matière internationale de telle
sorte que le jeu traditionnel des conflits de lois en serait remis en cause. On se
trouve aussi confronté au paradoxe suivant : au nom de l’universalisme des
droits de l’homme, le cloisonnement des ordres juridiques s’accentue (v. par
ex., à propos du droit de changer de sexe que les juges ont découvert derrière
le droit au respect de la vie privée : Paris 14 juin 1994, Rev. crit. 1995. 308,
note Y. Lequette; adde Direction générale des registres et du notariat (d’Espa-
gne), Décision du 24 janv. 2005, Rev. crit. 2005. 614, note S. Sanchez
Lorenzo, et arrêté-circulaire du 29 juill. 2005, note A. Quiñones Escamez, Rev.
crit. 2005. 855; B. Ancel, « Regards critiques sur l’érosion du paradigme
conflictuel », Cursos de Vitoria Gasteiz, 2005, p. 377 et s.).
57
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
23 novembre 1976
(Rev crit. 1977. 746, note Jacques Foyer, Clunet 1977. 504, obs. Ph. Kahn)
Ordre public. — Date d’appréciation. — Actualité.

La compatibilité d’une décision étrangère avec l’ordre public interna-


tional français doit être appréciée au jour où statue le juge français de
l’exequatur et non au jour de la décision étrangère.
(Marret c/Office de la jeunesse de Starnberg)

Faits. — Bien que marié, un Français est déclaré père d’un enfant naturel allemand
puis condamné au versement d’une pension alimentaire par des décisions de la Cour de
Munich du 5 juillet 1971 et du Tribunal cantonal de Starnberg du 7 avril 1972. Probable-
ment contraires aux principes fondamentaux de l’ordre juridique français à l’époque de leur
prononcé, ces décisions ne l’étaient certainement plus lorsque l’exequatur en fut demandé
quelque temps plus tard. Fallait-il dès lors pour apprécier leur conformité au regard de
l’ordre public international se référer à la conception ancienne ou nouvelle de celui-ci ?
Voici la réponse de la Cour de cassation.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique, pris en ses divers griefs : — Attendu que,
selon les énonciations de l’arrêt confirmatif attaqué, l’Office de la Jeunesse du
Cercle de Starnberg (République fédérale allemande), représentant légal du
mineur Dietrich Rapsilber, a demandé l’exequatur du jugement du Tribunal can-
tonal de Starnberg du 7 avril 1972 condamnant Marret à verser diverses sommes
à titre de pension alimentaire pour l’entretien de cet enfant, dont il avait été
antérieurement décidé qu’il était né de ses œuvres; — Attendu qu’il est fait
grief à la cour d’appel d’avoir fait droit à la demande alors que la parenté adul-
térine de Marret qui servait de fondement à l’arrêt attaqué avait été judiciaire-
ment constatée par deux décisions allemandes des 25 août 1970 et 5 juillet 1971
à une époque à laquelle l’ordre public français s’opposait à toute recherche de
paternité adultérine et que la cour d’appel, même si elle devait se placer à la
date de sa décision pour apprécier la compatibilité de l’ordre public avec une
décision étrangère, n’aurait pu valider une décision nulle dès son origine; —
Mais attendu que c’est à bon droit que les juges du fond ont décidé que la com-
patibilité d’une constatation de paternité adultérine avec l’ordre public interna-
tional tel qu’il est conçu en France devait être appréciée au jour où statue le
juge français de l’exequatur, et non au jour de la décision étrangère, ce qui
exclut la nullité alléguée par le moyen; — Que le moyen n’est pas fondé;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 23 novembre 1976. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Bellet, prés.; Pauthe, rapp.; Granjon,
av. gén. — MMes Pradon et Vincent, av.
534 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 57

OBSERVATIONS
1 La Cour de cassation énonce dans le présent arrêt avec beaucoup de force ce
qu’il est, depuis Pillet (Principes de dr. int. pr., p. 398, no 201), convenu
d’appeler le principe de l’actualité de l’ordre public international (II). Le droit
international privé de la filiation se prêtait tout particulièrement à cette affir-
mation car c’est sans doute en ce domaine, que la variabilité dans le temps de
l’ordre public à laquelle répond la règle de l’actualité, s’est manifestée avec le
plus d’ampleur (I).

I. La variabilité de l’ordre public

2 L’exception d’ordre public international a, on l’a vu (v. supra, arrêt Lautour,


no 19), pour fonction de préserver la cohésion de la société française des
atteintes que pourrait lui porter l’introduction de normes étrangères, règles
mais aussi décisions. Evinçant les normes qui heurtent les exigences de justice
universelle, elle assure également la défense de principes qui, sans prétendre à
l’universalité, constituent « les fondements politiques, sociaux de la civilisa-
tion française », ainsi que celle de « certaines politiques législatives » (Batiffol
et Lagarde, t. II, 7e éd., no 359; P. Lerebours-Pigeonnière, Précis, 6e éd.,
no 270; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 254; P. Mayer et
V. Heuzé, no 200). C’est dire que l’ordre public n’est pas une notion figée. En
effet si la référence au droit naturel ainsi qu’aux principes généraux de la
société française lui confère une stabilité indéniable, les objectifs plus immé-
diats que recouvre la notion de politique législative en font le reflet au moins
partiel de notre droit interne et donc de ses transformations. Le droit de la filia-
tion, et plus particulièrement l’établissement de la paternité naturelle, en est
sans doute l’une des meilleures illustrations : à chacun de ses assouplissements
a correspondu une libéralisation de notre ordre public.
3 Parmi les interdits destinés à protéger la famille légitime celui qui frappait
l’établissement volontaire (anc. art. 335, C. civ.) ou judiciaire (anc. art. 342,
C. civ.) d’une filiation adultérine revêtait, selon l’opinion dominante, un carac-
tère d’ordre public, même sans doute à l’encontre des droits acquis à l’étranger
(Batiffol, Traité, 2e éd., no 486, p. 539); la loi française fixait « le maximum
constatable dans le domaine du désordre des mœurs » (Malaurie, note,
D. 1961, p. 47). Cette solution connut un premier cantonnement avec la loi du
15 juillet 1955 qui permit aux enfants issus d’un commerce adultérin de récla-
mer des aliments sans que l’action ait pour effet de proclamer l’existence d’un
lien dont l’établissement demeurait prohibé. Non seulement la constatation à
l’étranger d’une filiation adultérine à fin exclusivement alimentaire put sortir
ses effets en France, mais encore l’ordre public ne s’opposa plus à ce qu’une
telle demande fût, en application d’une loi étrangère, accueillie par les tribu-
naux français. En revanche, l’établissement judiciaire ou volontaire (Civ. 1re,
3 juin 1966, Domino, Rev. crit. 1968. 64, note Derruppé, Clunet 1967. 614,
note Malaurie) d’un lien d’état, de même que l’accueil en France de décisions
57 MARRET — CASS., 23 NOVEMBRE 1976 535

étrangères le constatant, restait semble-t-il prohibé (Batiffol, Traité, 4e éd.,


no 476; v. cep. pour une position plus nuancée, Pallard, « La filiation illégitime
en droit international privé français », Rev. crit. 1953. 338 et s., spéc. p. 343).
La loi allemande du 19 août 1969 ayant nové le rapport alimentaire en un rap-
port d’état, les décisions rendues par application de celle-ci et dont nos tribu-
naux avaient en l’espèce à connaître risquaient donc de se heurter aux exigen-
ces de notre ordre public même atténué.
4 Mais cet interdit devait à son tour céder avec la loi du 3 janvier 1972. Désor-
mais le problème s’est déplacé. Comme pour la filiation naturelle, il ne s’agit
plus que de vérifier la compatibilité des modes d’établissement retenus par le
droit étranger avec nos propres conceptions. À cet égard, le droit international
privé français a eu fort longtemps une attitude très restrictive puisqu’il décla-
rait l’article 340 du Code civil d’ordre public international « en tant qu’il
refuse l’action en recherche de paternité naturelle en dehors des cas qu’il énu-
mère limitativement » (Civ., 26 mars 1935, Rohmann, DP 1935. 1. 57, note
Savatier, S. 1936. 1. 89, note Niboyet, Clunet 1936. 399, note Perroud; et déci-
sions citées par J. Foyer, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Filiation, no 128). Réa-
lisant un certain équilibre entre les intérêts de la famille légitime et ceux de
l’enfant illégitime, ce texte faisait échec à l’application par les juridictions
françaises de toute loi étrangère plus libérale que la nôtre. Partant, les disposi-
tions du droit allemand (art. 1708, BGB) furent déclarées contraires à l’ordre
public international français en ce qu’elles prévoyaient que le lien de filiation
pouvait être établi à l’égard du prétendu père par tous moyens (Civ., 8 nov. 1943,
Fayeulle, Rev. crit. 1946. 273, JCP 1943. II. 2522, note P. L.-P., DC 1944. J. 65,
note Savatier; sur l’effet en France des décisions étrangères, v. Civ., 11 avr. et
1er mai 1945, Bach et Schabel préc., supra, no 26 § 11). Excessive, la solution
procédait d’une incompréhension manifeste de l’économie profonde du droit
allemand. Celui-ci réalisait, en effet, à sa manière propre, la conciliation de
l’intérêt de l’enfant naturel et de celui de la famille légitime : le libéralisme qui
présidait à l’administration de la preuve de la paternité naturelle était en effet
compensé par la modicité des conséquences qui en découlaient; l’action avait
pour unique objet l’allocation d’aliments. La loi du 15 juillet 1955, dont on a
rappelé qu’elle accordait aux enfants adultérins le bénéfice d’une action alimen-
taire, favorisa une meilleure compréhension des législations étrangères, donc
une meilleure qualification des questions de droit se référant à celles-ci (Civ.,
10 févr. 1960, Muller, Rev. crit. 1961. 341, note Francescakis). Les prescrip-
tions de l’article 340 ne furent plus opposées qu’aux lois étrangères connais-
sant une véritable action d’état. Là encore, la loi du 3 janvier 1972 entraîna
un bouleversement profond des solutions. Certes, les cas d’ouverture de l’arti-
cle 340 du Code civil subsistèrent à peu près inchangés. Mais le contexte dans
lequel ils s’inscrivaient devint profondément différent. La défense de « l’hon-
neur et (du) repos des familles » laissa, en effet, la place à la volonté d’attri-
buer à chacun son véritable rapport de filiation. Aussi bien, la Cour de cassation
donna-t-elle de nouveaux contours à l’exception d’ordre public international.
S’agissant des lois plus libérales que la loi française, la haute juridiction
décida que l’ordre public « n’interdit pas la recherche en France de la paternité
536 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 57

naturelle selon une loi étrangère compétente qui ne prévoit pas les cas d’ouver-
ture énumérés par l’article 340 du Code civil français dès lors que cette loi pré-
sente de sérieuses garanties en ce qui concerne le respect de la vérité biologi-
que et permet au père d’assurer efficacement sa défense » (Civ. 1re, 9 oct.
1984, Hublin, Rev. crit. 1985. 643, note Jacques Foyer, Clunet 1985. 906, note
M. Simon-Depitre; et sur l’effet en France de décisions étrangères, v. Civ. 1re,
6 mars 1984, Kryla, Rev. crit. 1985. 108, note Droz, Clunet 1984. 859, note
Chappez). La solution ne peut que trouver un renfort dans la suppression des
cas d’ouverture de l’action en recherche de paternité par la loi du 3 janvier
1993, solution reprise par l’ordonnance du 4 juillet 2005 (v. art. 327, C. civ.).
S’agissant des lois plus restrictives, la haute juridiction eut plus de mal à défi-
nir sa position. Après avoir posé que les lois étrangères qui, tel le droit musul-
man, prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont pas contraires à
la conception française de l’ordre public international dont la seule exigence
est que soient assurés à l’enfant les subsides qui lui sont nécessaires (Civ. 1re,
3 nov. 1988, Rev. crit. 1989. 495, note Jacques Foyer, Clunet 1989. 703, note
F. Monèger; v. aussi, P. Guiho, « La conception française de l’ordre public
international en matière de filiation », Mélanges Breton et Derrida, 1991,
p. 145 et s.), elle décida ensuite que si ces lois ne sont pas contraires à
l’ordre public, il en va autrement si elles ont pour effet de priver un enfant
français ou résidant actuellement en France du droit d’établir sa filiation.
Posée initialement à l’occasion d’une action en recherche de paternité naturelle
(Civ. 1re, 10 févr. 1993, Rev. crit. 1993. 620, note J. Foyer, Clunet 1994. 124,
note I. Barrière-Brousse, D. 1994. 66, note J. Massip, Som. com. p. 32, obs.
B. Audit; v. depuis Lyon, 2 déc. 2000, Clunet 2002. 475, note F. Monéger;
Civ. 1re, 10 mai 2006, Enfant Léana Myriam, JCP 2006. IV. 2216, D. 2006,
IR. 1481), la solution a ensuite été réaffirmée à propos d’une action contestant la
validité d’une reconnaissance (Paris 13 janv. 2000, D. 2000. 898, note S. Aubert).
La variabilité dans le temps se conjugue alors avec la relativité inhérente à l’ordre
public de proximité (sur l’ordre public de proximité, v. supra, no 26 § 12).

II. L’actualité de l’ordre public

5 En cas de modification du contenu de l’ordre public, le juge doit considérer


celui-ci dans son état au moment où il statue. Tel est l’enseignement le plus
immédiat de l’arrêt ci-dessus reproduit. Cette règle dite de l’actualité de l’ordre
public avait déjà été énoncée par la Cour de cassation dans l’affaire des Che-
mins de fer portugais (Civ., 22 mars 1944, Rev. crit. 1946. 107, note Niboyet,
S. 1945. 1. 77, rapp. Lerebours-Pigeonnière, note Niboyet, DC 1944. 145, rapp.
et note Lerebours-Pigeonnière). La Cour de cassation y affirme en effet que la
définition de l’ordre public « dépend dans une large mesure de l’opinion qui
prévaut à chaque moment en France » et approuve la cour d’appel d’avoir
recherché si l’intervention des décrets-lois français de 1935 organisant la
masse des obligataires modifiait les conditions de contrariété à l’ordre public
français de la décision étrangère qui était soumise à l’exequatur (v. aussi déjà
en matière de filiation : Paris 2 janv. 1936, Clunet 1936. 327; Paris, 22 févr.
57 MARRET — CASS., 23 NOVEMBRE 1976 537

1957, Rev. crit. 1957. 84, note Y. Loussouarn; et depuis : Civ. 1re, 12 juill. 1977,
D. 1978, IR p. 100, obs. B. Audit; Civ. 1re, 13 nov. 1979, Rev. crit. 1979. 753,
note M. Simon-Depitre). La haute juridiction a même dans une affaire Henrich
(Civ., 22 mai 1957, Rev. crit. 1957. 466, note Batiffol, Clunet 1957. 722),
approuvé la Cour de Paris d’avoir, avant la promulgation de la loi du 15 juillet
1955, donné effet en France à une reconnaissance d’enfant adultérin allemand, à
l’occasion d’une demande d’aliments présentée contre un père français, en se
référant non à l’ordre public actuel mais à l’ordre public futur, s’agissant il est
vrai, d’un futur immédiat et bien défini (Jacques Foyer, note Rev. crit. 1977. 748).
La règle de l’actualité est généralement approuvée par la doctrine (Batiffol
et Lagarde, t. 1, no 364; B. Audit, no 317; P. Mayer et V. Heuzé, no 204; Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 254-2; N. Nord, Ordre public et
lois de police en dr. int. pr., thèse multigr., Strasbourg, 2003, nos 134 et s.,
p. 73 et s.). Et de fait, on comprendrait mal que le juge perturbe le jeu normal
de la règle de conflit au moyen du correctif exceptionnel de l’ordre public
pour défendre des conceptions déjà abandonnées par son propre droit (Maury,
L’éviction de la loi normalement compétente : l’ordre public international et
la fraude à la loi, p. 122). On a également invoqué en ce sens le caractère
jurisprudentiel de l’ordre public : à la différence de la règle légale, la règle
jurisprudentielle nouvelle est applicable à toutes les situations qui se présen-
tent au juge postérieurement à sa consécration (v. arrêt Ortiz-Estacio, infra,
no 62 § 2 et s.; P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit internatio-
nal privé, p. 189, no 164).
6 L’application de ce principe ne soulève, au demeurant, aucune difficulté
lorsque la variabilité de l’ordre public se traduit par un assouplissement de celui-
ci. Affirmer que le juge statue conformément à l’ordre public du moment, c’est
en effet dans une telle hypothèse refouler l’exception d’ordre public et se
conformer au règlement normal du conflit de lois. Ainsi, bien que contraires à
l’ordre public à l’époque de leur prononcé, des décisions étrangères ont, comme
en l’espèce, obtenu l’exequatur en France, parce que le contenu de celui-ci
s’était entre-temps libéralisé. De même, des actes accomplis ou des situations
créées en France ou à l’étranger conformément à une loi étrangère compétente
mais dont les prescriptions violaient notre ordre public international ont été
validés par nos tribunaux qui ont tenu compte des modifications postérieures
de la loi française et corrélativement de notre ordre public. Par exemple, une
reconnaissance d’enfant adultérin souscrite en conformité d’un droit étranger
avant 1972, ne pourra plus être annulée de ce chef postérieurement à l’entrée
en vigueur de la loi nouvelle.
En revanche, certaines hésitations sont permises dans le cas contraire, c’est-
à-dire lorsque les exigences de l’ordre public international français se sont
accrues. Valable au regard du règlement français de conflit de lois, une situa-
tion perd brutalement cette qualité en raison d’une modification du contenu de
notre ordre public. La règle de l’actualité conduit alors à privilégier l’excep-
tion d’ordre public au détriment du règlement normal du conflit des lois. Il est
vrai que si l’opinion courante veut que l’exception soit entendue strictement,
les raisons qui fondent celle-ci peuvent néanmoins le cas échéant justifier une
538 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 57

interprétation extensive (Batiffol, Problèmes de base de philosophie du droit,


p. 258). Or s’agissant de défendre les conceptions fondamentales de notre
droit, le juge doit à l’évidence se référer à celles qui ont cours au moment où
il statue (Maury, op. cit., p. 122).
Ne pourrait-on pas cependant dans une telle hypothèse tempérer le principe
de l’actualité en recherchant si le législateur, tout en adoptant une nouvelle
politique et en augmentant corrélativement le domaine de l’ordre public, n’a
pas entendu réserver certaines situations acquises ? À cet effet, il a été sug-
géré de consulter les mesures transitoires internes (P. Mayer et V. Heuzé,
no 204). Et de fait, si la loi française nouvelle en énonçant un principe d’ordre
public interne qui est aussi un principe d’ordre public international, accepte le
maintien de situations établies conformément à la loi ancienne, pourquoi ne
pas en déduire qu’elle maintient également les situations, crées à la même
époque conformément à une loi étrangère analogue ? Le droit interne ne
connaît-il pas d’ailleurs une différenciation du même ordre avec la théorie de
la rétroactivité in mitius : bien qu’elle participe, comme l’exception d’ordre
public, à la défense des fondements de notre société, la loi pénale nouvelle ne
s’applique pas aux infractions commises avant son entrée en vigueur à moins
qu’elle ne soit moins sévère (Roubier, Le droit transitoire, no 88, p. 450;
v. cep. J. Héron, « Étude structurale de l’application de la loi dans le temps »,
RTD civ., 1985. 277 et s., spéc. p. 301 et s.).
7 À plusieurs reprises, des décisions italiennes ont refusé d’appliquer la loi
fasciste de 1938 prohibant le mariage de personnes de race différente, bien
qu’elle fût d’ordre public international, à des unions célébrées antérieurement
au motif qu’il faut « tenir compte non de l’ordre public actuel mais de ce qui,
selon la conscience juridique et le système de la législation italienne de l’épo-
que, était la conception de l’ordre public en 1931 (c’est-à-dire à l’époque du
mariage), en ce qui concernait la matière des mariages mixtes et la politique
raciale » (Cour d’appel de Trieste, 17 déc. 1941, Riv. dir. int. 1943. 111, main-
tenu par Cour de cassation d’Italie, 19 mai 1943, Giurisprudenza comparata
de diritto internazionale privato 1944. 69, cités par M. de Angulo Rodriguez,
« Du moment auquel il faut se placer pour apprécier l’ordre public internatio-
nal », Rev. crit. 1972. 369 et s., spéc. p. 380). La jurisprudence française ne
donne pas, à notre connaissance, d’exemples d’une telle démarche. Il est vrai
que, dans les rares hypothèses où la question aurait pu se poser, le législateur
avait expressément prévu l’application de la loi nouvelle aux situations antérieu-
rement constituées (v. par ex., à propos de l’art. 313-1, C. civ. réd. L. 3 janv.
1972, TGI Paris, 1er mars 1977, Rev. crit. 1978. 110, note Y. Lequette) (1).

(1) Une autre limitation a été proposée par M. Lagarde (Trav. com. fr. dr. int. pr. 1977-1979,
p. 111) : pour les jugements ayant autorité de plein droit en France, c’est-à-dire les jugements cons-
titutifs et les jugements relatifs à l’état et à la capacité des personnes (v. supra, no 10), la vérification
pourrait se faire conformément à la conception de l’ordre public qui avait cours au jour de leur pro-
noncé. Cette suggestion ne convainc guère : précaire, l’autorité de chose jugée dont sont revêtues
ces décisions n’acquerra un caractère définitif qu’après qu’elles aient satisfait à un contrôle, lequel
doit être, au moins au regard de l’ordre public, conduit conformément aux exigences du moment
(v. Niboyet, note S. 1945. 1. 78).
58
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

20 février 1979

(Rev. crit. 1979. 803, note Batiffol, JCP 1979. II. 19147, concl. Gulphe)
Nationalisation. — Compétence.

Le principe de souveraineté des États a pour conséquence qu’une mesure


de nationalisation ne peut avoir d’effet que sur le territoire de l’État qui la
prend.

(Société méditerranéenne de combustibles c/Sonatrach)

Faits. — Par une ordonnance du 13 mai 1968, le gouvernement algérien exproprie


les biens de la succursale algéroise d’une société française, la Société Méditerranéenne
de Combustibles (SMC), dont le siège social est à Paris et les transfère à la Sonatrach,
entreprise publique algérienne.
Avant cette mesure de nationalisation, la succursale algéroise, opérant sur ordre du
siège parisien, a procédé sur ses fonds à des achats de fournitures de soute qu’elle a
livrées à des navires de passage. Il apparaît au lendemain de la nationalisation que ces
opérations n’ont pas été, sur le plan financier, entièrement couvertes par le siège parisien
et que la succursale a ainsi avancé pour leur exécution une somme d’un million de dinars
environ. Aussi la Sonatrach se prétend-elle désormais créancière de la SMC du chef de
la succursale nationalisée.
Elle obtient de la Cour d’Alger une condamnation de la SMC et fait pratiquer des
saisies-arrêts sur des établissements bancaires français auprès desquels celle-ci est titu-
laire de comptes, puis elle l’assigne devant le Tribunal de grande instance de Paris en
exequatur de l’arrêt algérien et en validité des saisies-arrêts.
Déboutée en première instance, la Sonatrach fait appel. La Cour de Paris, infirmant,
déclare exécutoire l’arrêt algérien et valables les saisies-arrêts. La SMC se pourvoit en
cassation.

ARRÊT
La Cour; — Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : — Vu le prin-
cipe de la souveraineté des États; — Attendu qu’une mesure de nationalisation
ne peut avoir effet que sur le territoire de l’État qui la prend; — Attendu que
selon les énonciations de l’arrêt attaqué, une ordonnance algérienne a, le
13 mai 1968, nationalisé, en ce qui concerne son activité relative aux hydrocar-
bures, les biens de la succursale à Alger de la Société française « Méditer-
ranéenne de Combustibles » (SMC) dont le siège social est situé à Paris et les a
transférés à la Société nationale algérienne pour la recherche, la production, le
transport et la commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach); que, par un
540 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 58

arrêt du 18 décembre 1974, la Cour d’appel d’Alger a condamné la SMC à payer


à la Sonatrach la somme de 1 040 722,46 dinars algériens, représentant le prix
des fournitures de soute livrées par sa succursale d’Alger sur son ordre à des
navires de passage; que la Sonatrach, après avoir pratiqué des saisies-arrêts sur
les comptes de la SMC, à la Société Centrale de Banque et au centre de chèques
postaux de Paris, a sollicité l’exequatur de l’arrêt de condamnation et que la
cour d’appel, par l’arrêt attaqué, a accueilli cette demande; — Attendu qu’en
statuant ainsi alors que, d’une part, la SMC, société française ayant à Paris son
siège social est régie par la loi française et que sa succursale ne pouvait avoir
une personnalité morale propre distincte de celle de la société elle-même, que
d’autre part, la demande formée par la société algérienne Sonatrach tend à
obtenir l’autorisation d’exécuter en France un arrêt de la Cour d’appel d’Alger
condamnant la SMC au paiement de fournitures d’hydrocarbures faites par sa
succursale à Alger dans le cadre de son activité de recherche, de production, de
transport et de commercialisation de ces produits, antérieurement à l’ordon-
nance algérienne du 13 mai 1968 de nationalisation de cette activité et au
décret du même jour transférant à la Sonatrach l’ensemble des biens, droits et
intérêts de la SMC correspondant à la même activité, qu’il s’ensuit qu’en accor-
dant l’exequatur à une telle décision fondée sur une mesure étrangère de natio-
nalisation, la cour d’appel a violé le principe d’ordre public susvisé;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les premier, deuxième et
quatrième moyens du pourvoi : — Casse.
Du 20 février 1979. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Charliac, prés.; Pauthe, rapp.; Gul-
phe, av. gén. — MMes Martin-Martinière et Calon, av.

OBSERVATIONS
1 S’opposant à la reconnaissance en France des effets des nationalisations
étrangères non accompagnées d’une indemnisation sérieuse, l’exception d’ordre
public ne doit normalement intervenir, comme on l’a déjà relevé (v. supra,
arrêt La Ropit, no 13), qu’après qu’a été constatée la compétence de l’État
étranger à édicter de telles normes. Néanmoins en pratique, cette première
étape est souvent éludée : la norme étrangère étant vouée au rejet en raison de
son contenu, il devient inutile de s’interroger sur la compétence de l’autorité
qui l’a édictée. Cette question ne peut cependant plus être passée sous silence
lorsque le caractère spoliateur de la mesure de nationalisation n’est pas dénoncé;
il importe alors de déterminer si l’État étranger avait ou non le pouvoir
d’atteindre les biens qu’il prétend nationaliser.
C’est à cette question que se consacre l’arrêt SMC : l’État algérien pouvait-
il transférer à la Sonatrach la créance dont celle-ci demandait l’exécution ? Le
problème avait été également abordé, on l’a vu (supra, no 13), par l’arrêt La
Ropit : quoique la nature confiscatoire de la nationalisation soviétique justifiât
l’intervention de l’ordre public, cet arrêt s’était refusé à enjamber purement et
simplement la question de la compétence. Au premier abord, ces décisions
paraissent s’être placées sur des terrains différents : droit international privé
pour l’arrêt La Ropit, droit international public pour l’arrêt SMC En réalité,
par delà ces différences la Cour de cassation y marque son adhésion à une
même conception qu’elle ne paraît pas disposée à répudier (II), en dépit des
contestations doctrinales (I).
58 SMC — CASS., 20 FÉVRIER 1979 541

I. La contestation doctrinale

2 Elle s’est développée principalement sur le terrain de la méthode (v. P. Mayer,


La distinction entre règles et décisions et le droit international privé, nos 155
et s., p. 111 et s.; P. Mayer et V. Heuzé, Précis, nos 669 et s., spec. 673; A. Boye,
L’acte de nationalisation), où elle prend un relief très spectaculaire.
La conception traditionnelle représente le problème de la régularité de la
nationalisation en termes de conflit de lois; elle traite la nationalisation comme
un mode d’acquisition ou de transmission relevant à ce titre de la loi gouver-
nant le bien auquel elle s’applique. On recherche donc la loi compétente pour
régir le transfert du bien, la nationalisation n’ayant d’effet à son égard qu’à la
condition d’émaner de l’État dont la loi est, selon notre règle de conflit, appli-
cable (v. décisions citées supra, no 13, II).
Malgré l’appui que lui ménagerait tout un florilège de décisions judiciaires,
cette représentation du problème voit sa pertinence contestée par une fraction
importante de la doctrine actuelle, laquelle souligne la nature d’acte de puis-
sance publique que revêt la mesure de nationalisation. Selon elle la question
qui se pose quant à ce type d’acte n’est pas celle du conflit de lois. Il n’y a
pas, en effet, en la matière, à choisir entre plusieurs lois possibles, entre plu-
sieurs règles d’origines diverses qui apporteraient des réponses éventuel-
lement différentes à une question de droit unique, mais à rechercher, comme
pour les jugements, si une décision étrangère provenant d’un seul et même
État doit ou non être accueillie en France. Et de fait, la loi applicable n’est
pas, en notre matière, à déterminer; il est, en effet, évident que l’attribution
d’un bien à un État donné ne peut être décidée que par cet État. Ainsi en
l’espèce, l’ordonnance privant, au profit d’une entreprise publique algérienne,
la SMC des biens qu’elle avait affectés à l’activité déployée par sa succursale
d’Alger ne peut émaner que des autorités algériennes.
3 Restent évidemment à préciser les raisons de l’acceptation ou du refus. Si
on laisse de côté l’exception d’ordre public, le seul problème, selon ces auteurs,
est celui de savoir si l’État en question a excédé ou non les pouvoirs que lui
reconnaît le droit international public; en d’autres termes, avait-il ou non au
regard de celui-ci le pouvoir d’atteindre les biens qu’il prétend nationaliser, la
créance litigieuse, ici, les navires réclamés, là. Le problème étant celui de la
compétence étatique dans l’ordre international devrait se régler par voie de
répartition entre les États de sphères d’action si possible distinctes, étant pré-
cisé que le principe de cette répartition ne saurait se déduire des règles de
conflit de lois, leur critère de rattachement étant en la matière dépourvu de
pertinence. L’action étatique dans le domaine économique obéit, en effet, à des
impératifs propres qui ne sont pas ceux qui gouvernent l’application des lois
de droit privé. En l’occurrence, la finalité des nationalisations commanderait,
toujours selon ces auteurs, que l’État ne puisse s’approprier que les biens ou
les entreprises qui rentrent dans « sa sphère économique », laquelle ne se
confond pas avec son territoire (P. Mayer, « Le rôle du droit public étranger en
droit international privé français », Colloque de Bâle sur le rôle du droit public
en dr. int. pr., mars 1986, 1991, p. 63 et s., no 18; contra, selon une interpréta-
542 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 58

tion plus traditionnelle et tributaire du concept abstrait et indécis de souve-


raineté, B. Audit, nos 794 et s., Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières,
no 420).
Les deux méthodes conduisent à des résultats différents. Ainsi l’approche
conflictuelle frappe-t-elle d’inefficacité les mesures de réquisition édictées par
la loi du 26 décembre 1945 visant les avoirs en or détenus à l’étranger par des
Français résidant en France (v. P. Mayer, La distinction des règles et des déci-
sions en droit international privé, no 265, p. 199). La lex rei sitae ne pré-
voyant pas le transfert forcé à l’État français, la réquisition est irrégulière à
l’égard de ces biens. En revanche, envisagée sous l’angle de la compétence
étatique, le problème paraît bien appeler une solution opposée : chaque État
n’est-il pas compétent pour imposer à ses nationaux un effort de solidarité
nationale ? On ne voit pas en quoi la mesure de réquisition, circonscrite par le
double critère de la nationalité et de la résidence, serait irrégulièrement prise
et donc frappée d’inefficacité quant à l’or détenu à l’étranger (v. en ce sens,
P. Juillard, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd., v° Nationalisation, no 28; v. aussi,
orientant vers les mêmes conclusions, l’analyse en termes de lois de police, de
L. d’Avout, Sur les solutions du conflit de lois en droit des biens, thèse
Paris II, 2005, no 563).

II. L’attitude de la jurisprudence

4 Face à ces deux conceptions, la jurisprudence campe sur une positon inter-
médiaire que n’a pas modifiée l’extraordinaire diversification du phénomène
de la nationalisation. De prime abord, l’arrêt La Ropit apparaît, on l’a vu,
comme une illustration de la première méthode. Il juge en effet qu’« en principe,
les tribunaux d’un État, lorsqu’ils sont appelés à apprécier une situation juridi-
que née sous l’empire d’une législation étrangère, doivent le faire en appli-
quant la loi étrangère ». Caractéristique du discours de la théorie des droits
acquis, la formule ne prend son véritable sens qu’assortie du rappel que dans
le cadre de cette théorie, la constitution d’une situation à l’étranger n’est régu-
lière au regard de l’ordre du for et ne mérite d’y être reconnue que si elle est
réputée acquise dans l’ordre juridique désigné par sa règle de conflit de lois
(supra, no 13). C’est dire que, réserve faite de la conformité à l’ordre public,
il dépend de cette dernière qu’une nationalisation prononcée à l’étranger soit
ou non reconnue en France. Le problème serait donc traité en termes de conflit
de lois.
Il ne faut pourtant pas s’y tromper. La théorie des droits acquis emploie la
règle de conflit, mais en lui confiant une mission bien particulière. La règle de
conflit doit permettre la reconnaissance de l’état de droit créé à l’étranger en
recherchant s’il est effectivement pris en charge par l’ordre juridique désigné
par elle — et considéré globalement, c’est-à-dire aussi bien dans la perspec-
tive de l’application de ses règles de droit que du point de vue des autorités
habilitées à y prendre des décisions. Au fond, il importe peu que le transfert
des biens à l’État se soit réalisé par voie de décret ou par l’effet d’une disposi-
tion générale et abstraite, relative par exemple aux biens vacants ou sans
58 SMC — CASS., 20 FÉVRIER 1979 543

maître; l’essentiel est que le transfert soit accompli au regard de l’ordre juridi-
que désigné et de lui seul. La règle de conflit est alors une règle de compétence
dont l’objet est l’activité, quelles qu’en soient la forme et la nature, de l’État
relativement à la matière qu’elle contemple; elle délimite ainsi l’espace à l’inté-
rieur duquel l’État peut agir; elle répartit les souverainetés.
5 C’est précisément cette répartition qui est au cœur de l’arrêt SMC. Cette
décision se place, en effet, d’emblée sous l’autorité du « principe de la souve-
raineté des États » et casse un arrêt de la Cour de Paris qui, en accordant l’exe-
quatur, avait prorogé en France l’efficacité d’un acte du gouvernement algérien
et violé ainsi le système de répartition des compétences étatiques d’après
lequel « une mesure de nationalisation ne peut avoir d’effet que sur le territoire
de l’État qui la prend ». Mais une fois le principe affirmé, encore faut-il
l’appliquer, c’est-à-dire localiser les biens qui sont l’enjeu du débat. S’agissant
de mettre ouvertement en œuvre le principe de territorialité des nationalisa-
tions, on s’est demandé si une méthode de localisation spécifique, plus réa-
liste, ne serait pas souhaitable, l’important étant alors moins de déterminer la
loi qui régit le bien que de savoir où celui-ci peut être appréhendé (P. Lagarde,
note Rev. crit. 1982. 345). Ainsi en matière de créance, on s’attacherait non
à la loi qui la régit mais au domicile du débiteur ainsi qu’aux différents pays
où celui-ci a des biens saisissables. À la supposer fondée, une telle analyse
n’est cependant envisageable qu’au cas où la créance est considérée en tant
qu’« élément du patrimoine du créancier objet de convoitise tant par les créan-
ciers de celui-ci que par l’État qui nationalise ». Lorsqu’au contraire la créance
est envisagée comme « lien de droit entre le créancier et le débiteur et dans
leurs rapports mutuels » seule la loi de la source semble convenir (P. Lagarde,
note préc.). Aussi bien se conformant à la démarche traditionnelle de la juris-
prudence, l’arrêt SMC utilise, comme le relève H. Batiffol dans son commen-
taire, le système des règles de conflit de lois afin de localiser la créance que
l’État algérien prétendait s’approprier. Régie, au temps où elle aurait dû naître,
par la loi française applicable en tant que lex societatis gouvernant les relations
entre la société et sa succursale d’Alger, la créance litigieuse échappait à la
compétence de l’État algérien. Admettre l’existence de cette créance, alors que
le droit français refuse d’attribuer à la succursale « une personnalité morale
propre distincte de celle de la société elle-même », c’eût été renoncer à la com-
pétence française; de même que permettre l’exécution en France du jugement
contraire prononcé en Algérie, c’eût été s’incliner devant un acte pris hors de
sa compétence par un gouvernement étranger. La souveraineté française, telle
que la délimite la règle de conflit de lois, en aurait été atteinte.
6 Ainsi se retrouvent, dans cette décision, les ingrédients essentiels de la théo-
rie des droits acquis : l’identification du conflit de lois et du conflit de souve-
rainetés avec ses corollaires de l’ajustement du champ d’action de l’État sou-
verain au domaine d’application de ses lois, de l’assimilation des règles et
des décisions et enfin de l’assignation à la règle de conflit de lois d’une fonc-
tion de reconnaissance (v. Civ., 14 mars 1939, Potasas Ibericas, S. 1939. I. 182,
DH 1939. 257, note Sarraute et Tager; Com., 15 mars 1965, Zeiss, Clunet 1966.
544 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 58

622, note Le Tarnec; Civ. 1re, 25 janv. 1966, Royal Dutch, D. 1966. 390, note
Y. Loussouarn, Rev. crit. 1966. 238, note Ph. Francescakis; Civ. 1re, 17 oct.
1972, Ep. Audouze, Rev. crit. 1973. 520, note H. Batiffol; Civ. 1re, 1er juill.
1981, Total Afrique, Rev. crit. 1982. 336, note P. Lagarde, Clunet 1982. 148,
note P. Bourel, Rev. sociétés 1982. 878, note J.-L. Bismuth).
Assurément la méthode prête le flanc à la critique (v. supra, obs. sous arrêt
de Wrède, no 10 § 7 et s.) : la désignation effectuée par la règle de conflit de
lois répond au souci premier d’assurer le règlement le plus satisfaisant aux
intérêts privés que la relation considérée met en cause, alors que la décision
de nationaliser, comme tout exercice des prérogatives de la puissance publique,
ne s’inscrit certainement pas dans le cadre d’une telle préoccupation. Ainsi,
par exemple, on a pu reprocher à cette méthode qui dans le cas de nationalisa-
tion visant une entreprise ne reconnaît compétence qu’à l’État de la situation
des biens, de ne considérer ceux-ci qu’isolément (ut singuli) et non pas en tant
qu’élément du patrimoine de la personne nationalisée; cette attitude néglige-
rait « l’essence même de la nationalisation qui est de viser l’unité économique
constituée par l’entreprise » (P. Mayer et V. Heuzé, no 672 et P. Mayer, note
Rev. crit. 1996, p. 687). À cela, on peut répondre que le raisonnement suivi
par la Cour de cassation permet de respecter cette unité lorsque la nationalisa-
tion a été opérée au moyen d’une mainmise de l’État sur les actions d’une
société ayant son siège sur son territoire et des activités dans plusieurs pays.
Les biens visés par la nationalisation, c’est-à-dire les actions, sont alors en
effet valablement transférés puisque soumis à la lex societatis. Partant, la
société ainsi nationalisée conserve sa personnalité et demeure propriétaire
de ses avoirs situés à l’étranger. Telle est au reste la solution qu’a consacrée
le Conseil constitutionnel dans ses décisions des 16 janvier et 11 février 1982
(Rev. crit. 1982. 349, note Bischoff, Clunet 1982. 330 et article B. Goldman,
p. 275; v. aussi L. Favoreu, Rev. dr. pub. 1982. 377; Gr. déc. Cons. const.,
5e éd., no 33, p. 462 et s.; rappr. T. app. Bâle-ville, 27 mars 1992, Rev.
crit. 1995. 507, note B. Audit; v. aussi Com., 14 nov. 1995, Cubatabaco, Rev.
crit. 1996. 683, note P. Mayer).
Mais surtout la théorie des droits acquis qui utilise la règle de conflit de
lois pour résoudre un problème de compétence étatique et n’est qu’un alliage
des deux conceptions opposées, présente le mérite de fournir un instrument
objectif de solution qui, à défaut de règles précises et sûres provenant du droit
international public en la matière, dispense le juge judiciaire de l’obligation
redoutable de définir lui-même ce qui est permis et ce qui ne l’est pas aux
États étrangers (fardeau dont le chargerait aussi l’analyse en termes de lois de
police étrangères recommandée par L. d’Avout, op. cit., eod. loc.). Enfin, elle
offre l’avantage de sa faiblesse qui est de mettre en œuvre des critères de dési-
gnation sur le choix desquels a pesé la considération des intérêts privés —
qui, en effet, ne sont pas méprisables.
59-60
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

6 novembre 1979 et 11 février 1997

I. — Civ. 1re, 6 novembre 1979, Rev. crit. 1980. 588,


note Couchez, Clunet 1980. 95, rapport Ponsard.
II. — Civ. 1re, 11 février 1997, Bull. I, no 47, p. 30.

Compétence. — Forum arresti.

Par dérogation au principe qui étend à l’ordre international les règles


internes de compétence territoriale, les tribunaux français sont seuls com-
pétents pour statuer sur l’instance en validité d’une saisie-arrêt pratiquée
en France et peuvent éventuellement à cette occasion statuer sur l’existence
de la créance invoquée par le saisissant (1er arrêt).
Lorsque le président du Tribunal de grande instance a autorisé un créan-
cier à prendre inscription provisoire d’hypothèque judiciaire sur un immeu-
ble situé en France, les tribunaux français sont nécessairement compétents
pour statuer sur l’instance au fond engagée conformément à l’ordonnance
du président (1er arrêt).
Si les juridictions françaises sont seules compétentes pour statuer sur la
validité d’une saisie-arrêt pratiquée en France et apprécier, à cette occasion,
le principe de la créance, elles ne peuvent se prononcer sur le fond de cette
créance que si leur compétence est fondée sur une autre règle (2e arrêt).

1er ARRÊT

(Dame Nassibian c/Nassibian)

Faits. — Séparés de fait depuis de nombreuses années, deux époux libanais avaient
vécu successivement en Egypte, en France et en Suisse, pays dans lequel l’un et l’autre
avaient, semble-t-il, en définitive fixé leurs domiciles respectifs.
La confiance réciproque s’affaiblissant à la suite de certaines opérations du mari, la
femme révoqua la procuration qu’elle lui avait consentie pour l’administration de son
compte en banque. Puis, dans le cadre de ce différend, elle obtint du président du Tribu-
nal de grande instance de Nice deux ordonnances qui l’autorisaient à prendre des inscrip-
tions provisoires d’hypothèque sur des immeubles situés à Nice et appartenant à son
546 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 59-60

mari, ainsi qu’à pratiquer une saisie-arrêt sur un compte de celui-ci auprès d’une banque
de la même ville.
L’épouse assigna ensuite son mari pour le voir condamner à lui payer une certaine
somme d’argent afin de faire valider la saisie-arrêt et de prendre inscription définitive
d’hypothèque judiciaire. Celui-ci ayant soulevé l’incompétence du Tribunal de Nice au
motif qu’il était domicilié à Lausanne, sa défense fut accueillie en première instance
puis en appel. Un pourvoi fut formé qui critiquait les motifs par lesquels la cour d’appel
affirmait la réalité du domicile de l’époux en Suisse.

La Cour; — Sur l’irrecevabilité soulevée par la défense : — Attendu qu’il est


soutenu que le pourvoi est irrecevable en ce qu’il critiquerait seulement la dis-
position de l’arrêt attaqué décidant que Nassibian était domicilié à Lausanne à
la date des deux assignations, ce qui ne ferait pas grief à la demanderesse au
pourvoi, puisque l’affirmation par une juridiction française de la compétence
du Tribunal civil du district de Lausanne ne s’impose pas à ce tribunal; — Mais
attendu que du domicile à Lausanne de Nassibian, l’arrêt confirmatif attaqué a
déduit à la fois l’incompétence du Tribunal de grande instance de Nice et la
compétence du Tribunal de Lausanne; que le pourvoi est donc recevable en tant
qu’il s’attaque au premier chef de la décision;
Sur le moyen relevé d’office dans les conditions prévues à l’article 16-1 du
décret no 67-1210 du 22 décembre 1967 : — Vu l’article 59, alinéa ler, du Code de
procédure civile, applicable à l’époque des assignations, ensemble l’article 567,
alinéa 1er, du même code; — Attendu, d’une part, que, par dérogation au prin-
cipe qui étend à l’ordre international les règles internes de compétence ter-
ritoriale, les tribunaux français sont seuls compétents pour statuer sur l’instance
en validité d’une saisie-arrêt pratiquée en France, et qu’ils peuvent statuer éven-
tuellement, à cette occasion, sur l’existence de la créance invoquée par le saisis-
sant ; d’autre part, que, lorsque le président du Tribunal de grande instance a
autorisé un créancier à prendre inscription provisoire d’hypothèque judiciaire
sur un immeuble situé en France, les tribunaux français sont nécessairement com-
pétents pour statuer sur l’instance au fond engagée conformément à l’ordon-
nance du président; — Attendu que dame Nassibian de nationalité libanaise
ayant été autorisée, par ordonnances du président du Tribunal de grande ins-
tance de Nice, à prendre des inscriptions provisoires d’hypothèques sur des
immeubles sis à Nice et appartenant à son mari, également de nationalité liba-
naise et à faire saisie-arrêt auprès de la Barclays Bank à Nice, sur un compte de
son mari, a assigné celui-ci, le 19 février et le 19 juin 1975, devant le Tribunal de
grande instance de Nice pour le faire condamner à lui payer diverses sommes
d’argent, pour faire valider la saisie-arrêt et pour pouvoir prendre inscription
définitive d’hypothèque judiciaire; — Attendu que l’arrêt confirmatif attaqué a
déclaré incompétent le Tribunal de grande instance de Nice au motif que Nas-
sibian était domicilié à Lausanne; — Attendu qu’en statuant ainsi, alors que,
même en supposant que le domicile de Nassibian fût à l’étranger, les tribunaux
français étaient seuls compétents pour statuer sur la validité d’une saisie-arrêt
pratiquée en France et pouvaient également connaître de l’instance au fond
engagée à la suite d’une ordonnance ayant autorisé une inscription provisoire
d’hypothèque sur des immeubles sis en France, la cour d’appel a violé par fausse
application les textes susvisés;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le moyen unique du pour-
voi : — Casse.
Du 6 novembre 1979. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Charliac, prés.; Ponsard, rapp.;
Gulphe, av. gén. — MMes Fortunet et Nicolas, av.
59-60 NASSIBIAN, CASS., 6 NOV. 1979 — STROJEXPORT, 11 FÉVR. 1997 547

2e ARRÊT
(Société Strojexport et autre c/Banque centrale de Syrie)

Faits. — Par un contrat en date du 10 décembre 1983, l’établissement public d’élec-


tricité de la république de Syrie avait confié à la société tchécoslovaque Strojexport la
conception et la fourniture de matériels, ainsi que l’assistance aux travaux de génie
civil, nécessaires à la construction d’une ligne à haute tension entre les villes de Bagnias
et de Hama, moyennant le prix de 7 162 080 dollars. Le 23 septembre 1984, la Banque
centrale de Syrie avait émis une lettre de garantie à concurrence de 4 756 451 dollars.
N’ayant pu obtenir le règlement des travaux exécutés en Syrie, la société Strojexport
mit en œuvre la garantie accordée par la Banque centrale de Syrie. Mais celle-ci refusa
d’honorer ses engagements. La société Strojexport diligenta alors une procédure tendant à
saisir les avoirs de la banque de Syrie en France. À cet effet, elle fit procéder à plusieurs
saisies conservatoires entre les mains d’établissements bancaires parisiens. Ces saisies
furent autorisées par deux ordonnances rendues respectivement par les juges de l’exécu-
tion des tribunaux de grande instance de Paris et de Nanterre, les 7 et 13 mai 1993.
La société Strojexport assigna ensuite au fond la Banque centrale de Syrie devant le
Tribunal de commerce de Paris. Estimant que le tribunal de première instance de Damas
avait vocation à connaître du litige, le défendeur souleva l’incompétence du tribunal de
Paris. Ce tribunal accepta de connaître du litige après avoir déclaré recevable mais mal
fondée cette exception. Sur contredit formé par la Banque centrale de Syrie, la Cour de
Paris par un arrêt en date du 2 novembre 1994 se déclara incompétente et renvoya les
parties à mieux se pourvoir. L’arrêt de la Cour de Paris étant resté inédit, on reproduira
ci-dessous l’essentiel de sa motivation :
« Les dispositions combinées de l’article 70 de la loi du 9 juillet 1991 portant
réforme des procédures civiles d’exécution et 215 du décret du 31 juillet 1992 pris pour
l’application de cette loi, font obligation au créancier qui a pratiqué une mesure conser-
vatoire sans titre exécutoire, d’introduire une procédure ou d’accomplir les formalités
nécessaires a l’obtention d’un tel titre, à peine de caducité, dans le mois qui suit l’exé-
cution de la mesure.
C’est sur le fondement de ces dispositions que la société Strojexport, ayant fait prati-
quer les saisies conservatoires autorisées à l’encontre de la Banque centrale de Syrie par
le Juge de l’exécution du Tribunal de grande instance de Paris et le Juge de l’exécution
du Tribunal de grande instance de Nanterre, a fait assigner la Banque centrale de Syrie
devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de statuer au fond sur le litige qui
les oppose.
Le tribunal normalement compétent, en vertu du principe qui étend à l’ordre interna-
tional les règles de compétence territoriale interne, est le Tribunal de première instance
de Damas, juridiction dans le ressort de laquelle demeure la défenderesse.
Pour écarter l’application de ce principe, la société Strojexport et la société New York
forfaiting inc. invoquent la compétence du juge de la situation des biens saisis, (« forum
arresti »), qui, selon elles, survivrait sous l’empire des nouveaux textes qui gouvernent
les procédures civiles d’exécution.
Or, s’il a pu être considéré que les textes abrogés par cette réforme offraient aux tribu-
naux français appelés à statuer à l’occasion d’une voie d’exécution la faculté de trancher
les questions de fond qui en commandaient la validité, cette faculté ne leur est désor-
mais plus ouverte.
En effet, l’ancienne saisie-arrêt comprenait une phase conservatoire, suivie d’une ins-
tance en validité qui donnait au juge compétence à la fois pour se prononcer sur la régu-
larité de la saisie et sur l’existence de la créance invoquée par le saisissant.
548 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 59-60

Les nouveaux textes ont supprimé la saisie-arrêt, et n’offrent au créancier dépourvu


de titre exécutoire que la possibilité de procéder à une mesure conservatoire, notamment
la saisie conservatoire régie par les articles 74 et suivants de la loi et par les articles 220
et suivants du décret.
Ces textes, s’ils précisent quel est le juge compétent pour autoriser la saisie conserva-
toire, laissent aux juridictions normalement compétentes sur le fond le soin de statuer sur
le titre exécutoire en vertu duquel le créancier pourra convertir la saisie conservatoire,
selon le cas, en saisie-attribution ou en saisie-vente.
Il s’ensuit que la compétence du juge syrien ne peut être écartée au profit du juge
français à raison de la situation du lieu où ont été pratiquées les saisies conservatoires.
La Cour ne retiendra pas davantage les considérations d’opportunité invoquées par
les défenderesses au contredit pour conduire le juge français à retenir sa compétence,
dès lors qu’aux termes même de leurs écritures, cette hypothèse ne peut se présenter que
dans le cadre d’une compétence facultative, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
En conséquence, et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur le sens de la clause contro-
versée, il sera fait droit au contredit, les parties étant renvoyées à mieux se pourvoir
conformément à l’article 96 du Nouveau Code de procédure civile ».
Un pourvoi fut formé contre cette décision.

La Cour; — Sur le moyen unique. pris en ses deux branches : — Attendu que
la société tchèque Strojexport et la société américaine New York Forfaiting Inc.
font grief à l’arrêt attaqué (Paris, 2 nov. 1994) d’avoir écarté la compétence
internationale de la juridiction française pour statuer sur l’instance engagée au
fond à la suite d’une saisie conservatoire pratiquée en France à l’encontre de la
Banque centrale de Syrie, afin d’obtenir paiement d’une garantie souscrite par
cette banque à l’occasion de l’exécution de travaux de génie civil en Syrie par la
société Strojexport; qu’il est reproché à la cour d’appel de s’être fondée sur les
nouvelles dispositions internes de procédure restreignant la compétence du
juge de l’exécution, règles qui sont dépourvues de portée internationale, et
d’avoir méconnu le principe de compétence internationale incidente de la juri-
diction française pour statuer sur le fond de la créance à l’occasion d’une saisie
pratiquée en France; — Mais attendu que si les juridictions françaises sont seules
compétentes pour statuer sur la validité d’une saisie pratiquée en France et
apprécier, à cette occasion, le principe de la créance, elles ne peuvent se pronon-
cer sur le fond de cette créance que si leur compétence est fondée sur une autre
règle; que la cour d’appel, qui a retenu que, le litige au fond ne présentant
aucun lien de rattachement avec la France, le juge compétent était le juge de
Damas, a justement décidé que le lieu de la saisie en France ne pouvait pas fon-
der la compétence internationale de la juridiction française pour connaître du
fond du litige; qu’elle a ainsi, abstraction faite des motifs surabondants criti-
qués par le pourvoi, légalement justifié sa décision;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 11 février 1997. — Cour de cassation (1re ch. civ.). — MM. Lemontey, prés.; Ancel, rapp.; Gau-
net, av. gén. — SCP Defrénois et Levis, SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, av.

OBSERVATIONS
1 On entend par forum arresti un chef de compétence exorbitant qui donne
aux juridictions ayant autorisé une mesure conservatoire sur un bien situé sur
leur territoire, la faculté de connaître du contentieux qui commande au fond le
59-60 NASSIBIAN, CASS., 6 NOV. 1979 — STROJEXPORT, 11 FÉVR. 1997 549

sort de cette mesure. Consacré par la haute juridiction en 1979, ce chef de


compétence a été abandonné par celle-ci dix-huit ans plus tard, bien qu’il fût
approuvé par une doctrine unanime. Aussi après avoir retracé cette volte-face
(I), s’interrogera-t-on sur les mérites de l’une et l’autre solutions (II).

I. Une volte-face

2 La matière des voies d’exécution a connu, en France, au début des années


quatre-vingt-dix, une importante réforme (L. 9 juill. 1991; D. 31 juill. 1992).
Mais il ne semble pas que ce changement de notre droit interne soit à l’origine
du revirement étudié.
3 A. — En dépit d’une modification des textes, la définition de la compétence
internationale des tribunaux français afin d’autoriser une mesure conservatoire
n’a pas varié. Elle résulte d’une adaptation des règles de compétence territo-
riale interne, la transposition pure et simple de celles-ci au plan international
ne permettant pas d’apporter au problème une réponse appropriée. Alors que
les règles de compétence territoriale interne désignent le juge du lieu où
demeure le débiteur (art. 567, anc. C. proc. civ.; art. 211, D. 31 juill. 1992), la
jurisprudence décide que les tribunaux français ne sont compétents pour pro-
noncer une telle mesure que si les biens qui en sont l’objet sont localisés en
France. La raison de cette adaptation tient au nécessaire respect du « principe
d’indépendance et de souveraineté des États », lequel veut que seules les auto-
rités de l’État du lieu de situation du bien puissent procéder à des voies d’exé-
cution sur celui-ci (Civ., 12 mai 1931, Cie française de navigation Cyprien
Fabre, S. 1932. 1. 137, rapport Casteil, note Niboyet, DP 1933. 1. 60, note
Silz, Clunet 1932. 387, note Perroud; v. toutefois Civ. 1re, 22 juin 1999, Rev.
crit. 2000. 42, note Cuniberti, D. Aff. 2000. 211, note D. Ammar).
4 Une fois la mesure conservatoire autorisée, le créancier saisissant ne saurait
s’en tenir à celle-ci. Il aspire bien évidemment à l’exécution de sa créance.
Sous l’empire du droit antérieur, le créancier même muni d’un titre exécutoire
devait, pour les besoins de la conversion de la saisie conservatoire en mesure
d’exécution, engager une instance dite « en validité ». Quant au créancier
dépourvu d’un tel titre, il lui fallait introduire une instance au fond en vue
d’obtenir la condamnation du débiteur. Dans l’un et l’autre cas, le délai imposé
au créancier pour introduire l’instance devait être fixé par le juge dans son
ordonnance d’autorisation. Traditionnellement, la jurisprudence décidait, comme
le rappelle l’arrêt Nassibian, que les tribunaux français sont « seuls compé-
tents pour statuer sur l’instance en validité d’une saisie pratiquée en France ».
Mais qu’en était-il en l’absence de titre exécutoire ? La validité de la saisie
demeurant suspendue à la constatation de la créance invoquée, cette question
pouvait-elle être tranchée par les tribunaux français, alors même que les règles
françaises ne leur attribuaient pas compétence pour en connaître ?
5 Longtemps une réponse négative avait prévalu en jurisprudence (Req.
23 mars 1868, Potocki, S. 1868. 1. 328, DP 68.1. 369; 30 déc. 1929, Clunet
550 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 59-60

1931. 94; Paris 21 mai 1957, Rev. crit. 1958. 128, note Francescakis; TGI
Paris, 14 janv. 1970, Rev. crit. 1970. 714, note P. L.) et en doctrine (Batiffol et
Lagarde, 6e ed., t. II, no 676 in fine; Bauer, Compétence judiciaire internatio-
nale des tribunaux civils français et allemands, 1965, no 56; Patarin, Rép. Dalloz
dr. int., 1re éd., v° Saisies, no 8, v° Saisie-arrêt, no 60). On enseignait, en effet,
généralement que le tribunal saisi de l’action en validité devait en ce cas sur-
seoir à statuer et impartir un délai au créancier afin qu’il porte sa demande
devant la juridiction étrangère compétente et obtienne de celle-ci un jugement
destiné à servir ultérieurement de titre en France. Ainsi parvenait-on à main-
tenir « dans un intérêt général de paix publique et de justice » des mesures
conservatoires sans pour autant « atteindre ni compromettre le fond du droit »
(Req. 23 mars 1868, préc.), puisque le créancier ne pouvait distraire le débiteur
de son juge naturel.
6 Par son arrêt Nassibian, la haute juridiction a rompu avec cette solution.
Elle a, en effet, décidé que les tribunaux français pouvaient, à l’occasion de
l’instance en validité, statuer sur l’existence de la créance invoquée par le saisis-
sant (v. aussi Civ. 1re, 18 nov. 1986, Banque camerounaise de développement,
Rev. crit. 1987. 773, note H. Muir Watt, Clunet 1987. 632, note Ph. Kahn,
JCP 1987. II. 20909, note Nicod). Posée à propos d’une saisie-arrêt, procédure
qui présentait la particularité d’associer une phase conservatoire permettant de
bloquer les sommes dues au débiteur saisi par le tiers saisi et une phase d’exé-
cution, cette solution fut également appliquée par l’arrêt Nassibian à d’autres
mesures conservatoires, qualifiées de « sûretés judiciaires ». La Cour de cas-
sation décida, en effet, que « lorsque le président du Tribunal de grande ins-
tance a autorisé un créancier à prendre une inscription provisoire d’hypothè-
que judiciaire sur un immeuble situé en France, les tribunaux français sont
nécessairement compétents pour statuer sur l’instance au fond engagée confor-
mément à l’ordonnance du président » (v. aussi Paris, 22 sept. 1982, D. 1982,
Som. com. p. 148, obs. B. Audit; Civ. 1re, 6 déc. l989, Fahim, Rev. crit. 1990.
545, note Couchez).
7 B. — Le droit français des voies d’exécution a été profondément renouvelé
par la loi du 9 juillet 1991 et le décret du 31 juillet 1992. Parmi de nombreuses
modifications, il en est une dont on s’est demandé si elle n’était pas de nature à
remettre en cause la jurisprudence Nassibian.
La saisie-arrêt qui associait, au sein d’une même procédure, phase conser-
vatoire et phase d’exécution a été remplacée par la saisie-attribution qui n’est
plus qu’une mesure d’exécution. Corrélativement, l’instance en validité a été
supprimée. Seule demeure l’obligation pour le créancier, dont la mesure conser-
vatoire n’est pas fondée sur un titre exécutoire, d’introduire dans le mois qui
suit l’exécution de cette mesure, à peine de caducité, une procédure en vue
d’obtenir un tel titre. Ratione materiae, cette procédure est de la compétence
non du juge de l’exécution mais du juge de droit commun. La Cour de Paris
saisie du litige qui a conduit au deuxième arrêt ci-dessus reproduit en a déduit
que les tribunaux français avaient perdu le pouvoir de connaître des litiges
relatifs à l’existence de la créance invoquée par le saisissant (Paris, 2 nov.
59-60 NASSIBIAN, CASS., 6 NOV. 1979 — STROJEXPORT, 11 FÉVR. 1997 551

1994; v. aussi en ce sens, A. Huet, J.-Cl. dr. int., fasc. 581-40, v° Compétence
des tribunaux à l’égard des litiges internationaux, no 43).
8 L’argument n’emporte pas la conviction.
En premier lieu, la compétence internationale dérivée des tribunaux français
pour statuer au fond sur la créance du saisissant n’est pas aussi dépendante
que semble le croire la Cour de Paris de la « configuration particulière » que
revêtait en droit interne le contentieux de la saisie-arrêt. On a vu, en effet,
que la compétence des tribunaux français pour connaître de l’existence de la
créance invoquée avait été admise par l’arrêt Nassibian, non seulement afin de
valider une saisie-arrêt mais aussi afin de justifier une inscription d’hypothè-
que sur un immeuble dont le défendeur était propriétaire en France (v. supra,
§ 6; v. aussi TGI Paris, 11 juill. 1990, Clunet 1991. 722, note M. Revillard).
Or, dans ce dernier cas, il n’y a aucune « instance en validité comparable à
celle qui, en matière de saisie-arrêt, créait un lien procédural particulier entre
la mesure d’exécution et sa cause; la contestation au fond relevait, en effet, en
toute hypothèse d’une instance distincte » (H. Muir Watt, JCP 1995. II. 22430,
no 6). Mieux, la dissociation réalisée par la loi du 9 juillet 1991 entre l’autorisa-
tion de saisie conservatoire faite sans titre exécutoire et l’instance au fond ten-
dant à l’obtention de ce dernier correspond à la situation qui existait en 1979
et qui existe encore aujourd’hui en matière d’inscription d’hypothèque judi-
ciaire. On perçoit mal, dès lors, ce qui justifierait une différence de solution.
En second lieu, vouloir déduire de la restriction affectant désormais les
pouvoirs du juge de l’exécution en droit interne, une incompétence des tribu-
naux français pour connaître au plan international de l’instance au fond serait
commettre un véritable contresens au regard des directives traditionnelles qui
régissent les conflits de juridictions. Ce serait, en effet, « conférer une portée
internationale aux règles internes de compétence d’attribution ». Or, selon la
jurisprudence Scheffel (supra, no 37) « seules les règles de compétence territo-
riale interne sont de nature à concerner l’ordre international » (H. Muir Watt,
note préc., no 7). Certes, le juge de l’exécution ne peut pas plus connaître de la
créance invoquée au plan international qu’il ne le peut au plan interne, mais il
n’y a pas là matière à fonder une limitation à la compétence internationale de
l’ordre juridictionnel français. Les règles de compétence d’attribution ne doi-
vent, en effet, être prises en compte que dans un deuxième temps, une fois
réglée la compétence de l’ordre juridictionnel français, afin de déterminer
la juridiction plus particulièrement compétente pour connaître de la cause
(H. Muir Watt, note préc., no 7). Allant plus loin, certains auteurs ont souligné
que l’économie de la loi nouvelle et notamment l’obligation d’introduire dans
le délai d’un mois, à peine de caducité, une instance au fond en vue d’obtenir
un titre exécutoire, portaient plus au maintien de la jurisprudence Nassibian
qu’à sa condamnation (G. Couchez, « Les incidences de la réforme des voies
d’exécution sur le droit international privé », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1995-
1998, p. 123).
9 Les termes du problème étant ainsi parfaitement identifiés, la Cour de cas-
sation devait rendre une première décision le 17 janvier 1995, dans une affaire
552 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 59-60

Méridien Breckwoldt et cie (Civ. 1re, 17 janv. 1995, Rev. crit. 1996. 133, note
Y. Lequette, JCP 1995. II. 22340, note H. Muir Watt). Tout en semblant incli-
ner vers l’abandon du forum arresti, cette décision n’était pas sans laisser pla-
ner un certain doute quant à sa portée, en raison de l’ambiguïté de sa rédaction
et des circonstances très particulières de l’espèce, au point qu’on a pu parler à
son propos d’« arrêt à énigme » (Y. Lequette, Rev. crit. 1996. 134). Elle était,
en effet, intervenue à propos d’une saisie conservatoire de navire, question qui
demeure réglementée par les dispositions spécifiques d’un décret du 27 octo-
bre 1967. De plus, si la saisie conservatoire du navire avait bien été autorisée,
mainlevée en avait été ordonnée au moment de l’assignation au fond de telle
sorte que le litige n’avait plus de lien avec la France.
10 Le pourvoi formé contre l’arrêt déjà évoqué (supra, § 7) de la Cour de Paris
devait donner à la haute juridiction l’occasion de se prononcer en toute clarté.
Tout en écartant la motivation de la Cour de Paris, fondée sur la nouvelle éco-
nomie du droit interne français, qu’elle qualifie de surabondante, la Cour de
cassation condamne le forum arresti. Elle pose, en effet, que « si les juridic-
tions françaises sont seules compétentes pour statuer sur la validité d’une sai-
sie pratiquée en France et apprécier à cette occasion, le principe de la créance,
elles ne peuvent se prononcer sur le fond de cette créance que si leur compé-
tence est fondée sur une autre règle ». En d’autres termes, la seule présence du
lieu de la saisie en France ne suffit plus à fonder la compétence internationale
des tribunaux français pour connaître du litige. Ceux-ci ne pourront en connaî-
tre que s’ils sont compétents en vertu des règles de compétence judiciaire
internationale. Ainsi, renonçant à chercher dans le droit interne la solution du
problème, la haute juridiction lui apporte une réponse spécifiquement interna-
tionale. Reste à savoir si cette solution est adaptée aux données de la vie inter-
nationale.

II. Les mérites respectifs de chaque solution

11 A. — En consacrant par son arrêt Nassibian le principe du forum arresti, la


haute juridiction était, semble-t-il, guidée par le désir de simplifier et d’accélé-
rer l’administration de la justice au plan international. Plus précisément, en
limitant drastiquement le nombre des questions préjudicielles, comme sem-
blait les y inviter l’article 49 du Nouveau Code de procédure civile (Ponsard,
Clunet 1980. 95; v. cep. sur ce point les réserves de Ph. Théry, « Judex gladii »,
Mélanges R. Perrot, 1996, p. 487), les hauts magistrats entendaient éviter que
le demandeur ne se trouvât contraint, après avoir saisi les tribunaux français,
d’engager une nouvelle instance à l’étranger puis de demander l’exequatur de
la décision ainsi obtenue, afin de permettre à la voie d’exécution pratiquée en
France de prospérer et d’aboutir. Soucieuse néanmoins d’éviter que la compé-
tence ainsi accordée aux tribunaux français ne permît de distraire le défendeur
d’un juge dont la compétence s’imposait manifestement, la haute juridiction
avait précisé que la compétence posée par l’arrêt Nassibian n’existait qu’à la
59-60 NASSIBIAN, CASS., 6 NOV. 1979 — STROJEXPORT, 11 FÉVR. 1997 553

condition qu’une autre juridiction ne fût pas exclusivement compétente pour


connaître de la cause (Civ. 1re, 18 nov. 1986, préc.).
À cette considération s’en ajoutait une seconde qui avait trait à la sauve-
garde des « droits de la demande » (H. Muir Watt, JCP 1995. II. 20909,
no 13; Droz, « Les droits de la demande dans les relations privées internatio-
nales », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1993-1995, p. 97 et s.). Obliger le demandeur
à porter son action à l’étranger en lui impartissant qui plus est un délai très
bref d’un mois, à peine de caducité, c’est en effet lui dénier parfois la pos-
sibilité d’obtenir justice. Rien ne garantit qu’il trouvera un juge étranger qui
acceptera de connaître du litige au fond et de le trancher dans un délai raison-
nable, et dont la décision satisfera aux conditions de régularité internationale
auxquelles la jurisprudence française subordonne l’octroi de l’exequatur.
Ainsi qu’on l’a souligné, c’est « l’exigence d’effectivité d’accès à la justice »
garantie par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme
qui peut ainsi se trouver remise en cause (H. Muir Watt, note préc., no 13).
12 B. — D’où vient alors que la haute juridiction ait abandonné une solution
qui paraissait si solidement fondée ?
Selon les observations du conseiller rapporteur, le changement d’orientation
s’expliquerait par la crainte que le forum arresti ne conduise les juridictions
françaises à connaître d’un contentieux sensible dans lequel pourraient notam-
ment être impliqués directement ou indirectement des États étrangers. Ce dan-
ger prendrait un tour particulièrement aigu lorsque la saisie porterait sur un
navire puisqu’il suffirait qu’elle s’opère à l’occasion de son escale en France
pour que les tribunaux français soient conduits à traiter d’affaires ne présen-
tant par ailleurs aucun lien avec la France. La compétence des juridictions fran-
çaises tiendrait alors « au seul hasard d’une relâche » (M. Rémond-Gouilloud,
Droit maritime, no 301, p. l67; sur cette question, v. aussi du même auteur,
note sous Poitiers, 13 févr. 1980, Rev. crit. 1982. 384 et s.).
Un tel argument ne saurait être négligé. Il est possible, au reste, de lui don-
ner un relief supplémentaire en considérant la question, non à travers le
prisme du seul intérêt des juridictions françaises et du confort de leurs magis-
trats mais de l’intérêt national. On pourrait souligner, en effet, qu’un forum
arresti trop largement entendu serait de nature à entraver le commerce exté-
rieur de la France en décourageant les détenteurs de capitaux de les y déposer
dans des comptes ouverts en France et les navires et aéronefs étrangers d’y
faire escale. Sans doute, ne faut-il pas exagérer le péril. De telles données ne
jouent probablement qu’à la marge, la désaffection pour les ports français
ayant malheureusement d’autres causes que le forum arresti. Il n’en reste pas
moins que ces préoccupations ne peuvent être totalement passées sous silence
et que l’adoption par la France de positions beaucoup plus favorables aux
créanciers que celles des autres pays avec lesquels elle est en compétition
pourrait être de nature à altérer la concurrence. Les inconvénients relatifs
au forum arresti avaient, au demeurant, déjà été mis en évidence lorsque la
doctrine française s’était interrogée sur les conséquences d’un éventuel recul
de l’immunité d’exécution des États étrangers : « la combinaison de ces
deux éléments favorise, en effet, le risque, d’une part, de voir l’État du for
554 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 59-60

devenir la providence des créanciers du monde entier » alors que l’État natio-
nal de ces créanciers se garde d’offrir les mêmes facilités, ce qui conduit la
France à assumer sans aucun profit les inconvénients diplomatiques liés au
fait de laisser se dérouler sur son territoire des voies d’exécution contre un
État étranger ou ses émanations (B. Audit, Rev. crit. 1986. 536), d’autre part,
de voir se raréfier les dépôts de capitaux publics étrangers (Synvet, « Quelques
réflexions sur l’immunité d’exécution de l’État étranger », Clunet 1985. 865 et s.,
spéc. p. 886). Sur cette question, v. infra, obs. no 65-66 § 5.
13 Est-ce à dire que la jurisprudence Nassibian laissait les magistrats français
désarmés face à de telles difficultés ? La réponse est très certainement néga-
tive. Il convient, en effet, de rappeler que la compétence du juge français
lorsqu’elle repose sur le forum arresti est toujours facultative (v. sur ce point,
Ponsard, Clunet 1989. 231). Il lui appartient donc, en fonction des divers inté-
rêts en présence, privés mais aussi publics, d’accepter ou non de connaître de
la contestation au fond.
Parmi les éléments qui guident le choix du juge figurent les liens que
l’affaire peut entretenir avec le for, ce qui a conduit M. Paul Lagarde à consi-
dérer que le forum arresti devait se comprendre par rapport au principe de
proximité (« Le principe de proximité », Rec. cours La Haye, 1986, t. I, no 132,
p. 137). Mais raisonner en termes de proximité géographique ne rend pas suf-
fisamment compte de la richesse des possibilités offertes par ce chef de com-
pétence. Le caractère facultatif du forum arresti permet, en effet, d’intégrer
d’autres éléments : existence d’une procédure à l’étranger, accessibilité et cré-
dibilité du juge étranger, personnalité du défendeur. C’est dire que le forum
arresti ainsi compris était un instrument idéal entre les mains des magistrats
pour que la France ne devienne ni « la providence des créanciers du monde
entier » (B. Audit, note préc.), ni « le paradis des débiteurs étrangers mauvais
payeurs » (H. Muir Watt, préc.). Aussi bien son abandon par la haute juridic-
tion risque-t-il de conduire à des résultats choquants comme le montre le
deuxième arrêt ci-dessus reproduit.
14 Et de fait, il aurait été difficile à un auteur d’imaginer un cas d’école plus
révélateur des dangers de la nouvelle solution consacrée par la Cour de cas-
sation que l’espèce dont elle a eu à connaître dans son arrêt du 11 février 1997.
La société Strojexport avait exécuté son contrat dans des conditions qui ne sou-
levaient aucune discussion. Une sentence arbitrale avait d’ailleurs condamné
l’établissement public d’électricité syrien le 30 juillet 1992. Mais pas plus
celui-ci que la Banque centrale de Syrie, qui était pourtant tenue au titre d’une
garantie à première demande, engagement contraignant s’il en est, n’enten-
daient exécuter leurs obligations. En présence d’une telle situation, les juridic-
tions françaises se déclarent incompétentes et invitent le demandeur à mieux
se pourvoir, c’est-à-dire à porter son action devant le juge naturellement com-
pétent pour en connaître qui est, aux dires du défendeur, le juge de première
instance de Damas.
Raisonner ainsi, c’est considérer que toutes les juridictions sont fongibles
et aptes à rendre une justice de même qualité. Malheureusement, un tel uni-
59-60 NASSIBIAN, CASS., 6 NOV. 1979 — STROJEXPORT, 11 FÉVR. 1997 555

versalisme juridictionnel repose sur une vision totalement angélique de la


société internationale. Comme on l’a parfois relevé, il est des États où les
plaideurs étrangers « ont toujours tort » (C. Bernard, intervention, Trav. com.
fr. dr. int. pr. 1985-1986 p. 67; P. Courbe, D. 1995, p. 22). Aussi bien ne peut-
on exclure que l’obligation faite au demandeur de saisir le juge syrien dans
une affaire qui l’oppose à des organismes étroitement liés à ce même État
conduise à un véritable déni de justice, situation dont on enseigne qu’elle suf-
fit en principe à fonder la compétence internationale des tribunaux français
(Batiffol et Lagarde, t. II, no 674-1; L. Corbion, Le déni de justice en droit
international privé, thèse Paris II, éd. 2004, no 318 et s., p. 291 et s.).
On discerne ainsi, de manière presque caricaturale, les ressorts de cette
affaire. Admettre en l’espèce, la compétence des juges français, c’était per-
mettre au créancier étranger d’obtenir justice. Mais cela supposait que les
tribunaux français acceptent de connaître d’un contentieux particulièrement
embarrassant puisqu’il mettait indirectement en cause la Syrie, État dont les
autorités se sont acquis une réputation sulfureuse. Supprimer le chef de com-
pétence fondé sur le forum arresti, c’est épargner aux juges français d’être
confrontés à ce genre de difficultés. On perçoit ainsi clairement les enjeux de
la question : d’un côté, la sauvegarde des droits de la demande ainsi qu’une
certaine moralité minimale de la vie internationale qui voudrait que des débi-
teurs mauvais payeurs ne puissent pas en toute impunité conduire des affaires
en France; de l’autre, la tranquillité des magistrats et, peut-être même au-delà,
de la société française. Entre ces deux considérations, la Cour de cassation a
nettement choisi les secondes (v. sur ce point, J. Lemontey et J.-P. Ancel,
« André Ponsard, un internationaliste à la Cour de cassation », Études A. Pon-
sard, 2003, p. 207 et s., spéc. p. 209).
Il est à souhaiter qu’il se trouvera un jour des magistrats qui ne se satisfe-
ront pas de cet abandon sans gloire du forum arresti et qui renoueront avec la
jurisprudence initiée par le Président Ponsard.
61
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ)

3 janvier 1980

(Rev. crit. 1980. 331, note Batiffol, Clunet 1980. 327, note Simon-Depitre,
D. 1980. 549, note Poisson-Drocourt)
Polygamie. — Succession.

Alors que la dévolution successorale d’immeubles sis en France relève


de la loi française, l’établissement de la parenté nécessaire au jeu de cette
dévolution est soumis à la loi algérienne, loi personnelle des intéressés.
Dès lors qu’il s’agit seulement de laisser acquérir des droits en France
sur le fondement d’une situation créée sans fraude à l’étranger conformé-
ment à la loi compétente en vertu du droit international privé français,
l’ordre public français ne s’oppose pas à ce qu’un mariage polygamique
régulièrement contracté à l’étranger selon la loi personnelle des parties,
produise en France des effets d’ordre successoral au bénéfice d’une
seconde épouse et de ses enfants légitimes.

(Dame Bendeddouche c/Dame Boumaza)

Faits. — Un Algérien, propriétaire d’immeubles sis en France, décède en 1974 lais-


sant deux épouses et neuf enfants. Ses deux mariages avaient été célébrés en Algérie,
respectivement en 1936 et 1969, avec deux compatriotes, conformément au statut per-
sonnel des intéressés; de la première union étaient nés sept enfants, de la seconde deux.
La loi française étant applicable à la dévolution d’immeubles sis en France (v. supra,
arrêt Stewart, no 3), la première épouse déniait à la seconde toute vocation à la succes-
sion au motif que « la loi française ne reconnaît qu’une épouse légitime et n’admet
parmi les ayants droit du défunt que cette épouse ». Sa prétention fut repoussée par le
Tribunal de grande instance de Pontoise le 16 septembre 1976, puis par la Cour d’appel
de Paris le 22 février 1978 (Rev. crit. 1978. 511, note Batiffol).
Un pourvoi fut formé.
Moyen unique de cassation. — Violation de l’article 3, alinéas 2 et 3 du Code civil,
de l’article 455 du Nouveau Code de procédure civile, ensemble défaut de motifs et
manque de base légale, en ce que l’arrêt attaqué a reconnu à Fatima Boumaza, seconde
épouse du défunt et aux deux enfants issus de leur union, sur les immeubles situés en
France dépendant de la succession du défunt, la vocation que la loi successorale fran-
çaise reconnaît au conjoint survivant et aux enfants légitimes, aux motifs que la preuve
de la filiation légitime et naturelle est réglée par la loi personnelle, en l’espèce la loi
algérienne; que la qualité de conjoint et l’établissement de la parenté nécessaires à la
dévolution successorale relèvent également de cette loi; que, dans la mesure où la loi
nationale étrangère applicable à l’établissement de la parenté reconnaît la polygamie,
61 BENDEDDOUCHE — CASS., 3 JANVIER 1980 557

l’ordre public français ne s’oppose pas à ce qu’un mariage polygamique, contracté


régulièrement à l’étranger selon la loi locale, produise en France des effets d’ordre suc-
cessoral au bénéfice d’une seconde épouse et de ses enfants légitimes, alors que, d’une
part, la loi française, qui était applicable à la dévolution successorale, ne reconnaît
qu’une épouse légitime et n’admet parmi les ayants droit du défunt que cette épouse;
qu’il s’ensuit que la deuxième épouse de Larbi Boumaza ne pouvait prétendre à une
quelconque vocation successorale, quels que fussent, au demeurant son statut personnel
et la régularité de sa situation matrimoniale, alors que, d’autre part, l’établissement du
lien de parenté ou du lien matrimonial à des fins successorales constitue une question
préalable à la question principale de la dévolution de la succession, qui ne peut être
résolue qu’en vertu de la règle de conflit de l’État dont la loi interne est applicable à la
question principale; que, lorsque, comme en l’espèce, le droit international privé du for
désigne la loi interne du for pour régir la question principale, les immeubles objet de la
succession étant sis en France, et que, partant, la règle de conflit du for, appelée à résou-
dre la question préalable, désigne à son tour une loi étrangère, à savoir la loi algérienne,
le juge doit écarter cette dernière, au nom de l’ordre public international fançais, en tant
qu’elle valide un mariage polygamique et reconnaît au second époux et aux enfants nés
de l’union bigame la qualité de légitimes.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : — Attendu,
selon les énonciations de l’arrêt confirmatif attaqué, que Larbi Boumaza s’est
marié en Algérie, en 1936, avec Zohra Bendeddouche, et en a eu sept enfants;
qu’après s’être installé en France avec sa famille et y avoir acquis des immeubles,
il est retourné en Algérie et y a épousé, en 1969, conformément à son statut
personnel, Fatima Boumaza dont il a eu deux enfants; que Larbi Boumaza étant
décédé en 1974, la cour d’appel a décidé que dame Boumaza et ses deux enfants,
de nationalité algérienne comme le défunt lui-même, étaient en droit de venir à
la succession des immeubles situés en France, en qualité d’épouse et d’enfants
légitimes du défunt, au même titre que dame Bendeddouche et ses sept
enfants, également de nationalité algérienne, et en concours avec eux; —
Attendu qu’il est fait grief à la cour d’appel d’avoir ainsi statué, alors que, d’une
part, la loi française, applicable à la dévolution successorale des immeubles
situés en France, ne reconnaît qu’une épouse légitime et n’admet parmi les
ayants droit du défunt que cette épouse, de sorte que, selon le moyen, la
deuxième épouse ne pouvait prétendre à aucune vocation successorale, quels
que fussent son statut personnel et la régularité de son statut matrimonial, et
alors que, d’autre part, lorsque, comme en l’espèce, la règle de conflit du for
désigne, pour résoudre la question d’état des personnes, préalable à celle de
dévolution successorale, une loi étrangère, en l’occurrence la loi algérienne,
cette loi devrait être écartée, au nom de la conception française de l’ordre
public international, en tant qu’elle valide un mariage polygamique et recon-
naît au second conjoint et à ses enfants les qualités d’époux et d’enfants
légitimes; — Mais attendu que, d’une part, si la loi française régit la dévolution
successorale des immeubles sis en France, la qualité de conjoint et l’établis-
sement de la parenté nécessaire pour le jeu de la dévolution successorale relè-
vent de la loi personnelle, ainsi que l’a énoncé à bon droit la cour d’appel; — Et
attendu que, d’autre part, la réaction à l’encontre d’une disposition de loi
étrangère contraire à la conception française de l’ordre public n’est pas la même
suivant qu’elle met obstacle à la création en France d’une situation juridique
prévue par cette loi ou qu’il s’agit seulement de laisser acquérir des droits en
France, sur le fondement d’une situation créée sans fraude à l’étranger en
conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international privé
558 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 61

français, et qu’en particulier, en cas de mariage polygamique régulièrement


contracté à l’étranger conformément à la loi personnelle des parties, le second
conjoint et ses enfants légitimes peuvent prétendre, en ces qualités, concurrem-
ment avec le premier conjoint et ses propres enfants, exercer les droits reconnus
par la loi successorale française, soit au conjoint survivant, soit aux enfants
légitimes; — Qu’il s’ensuit que l’arrêt attaqué est légalement justifié et que le
moyen n’est fondé en aucune de ses branches;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 3 janvier 1980. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Charliac, prés.; Ponsard, rapp.; Bau-
douin, av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani, Liard et Me Rémond, av.

OBSERVATIONS
1 La seconde épouse d’un étranger polygame peut-elle exercer concurrem-
ment avec la première épouse les droits que la loi successorale française reconnaît
au conjoint survivant ? Importante en pratique eu égard au nombre d’étrangers
polygames établis en France, la réponse à cette question passe par la résolution
de délicats problèmes de théorie générale du droit international privé.
Qualification : L’établissement du lien de famille indispensable au jeu de la
dévolution héréditaire relève-t-il de la loi successorale ou de la loi person-
nelle ? Adaptation : à supposer établie la validité du mariage polygamique,
celui-ci peut-il s’articuler avec le droit successoral français ? L’arrêt reproduit
apporte à ce double égard, d’utiles précisions.

I. L’établissement du lien de famille nécessaire au jeu


de la dévolution héréditaire

2 Bien que la doctrine française enseignât depuis fort longtemps que « l’éta-
blissement de la parenté nécessaire à la dévolution successorale relève de la loi
personnelle » (Batiffol, Traité, 1re éd., 1949, no 658), l’affirmation n’allait pas
sans quelques incertitudes. D’une part, en effet, la Cour de cassation avait jugé
en 1931 (Req. 21 avr. 1931, Rev. crit. 1932. 526, rapport Pilon, note Niboyet;
Bartin, « Adoption et transmission héréditaire », Clunet 1932. 5; Batiffol,
« Statut personnel et statut réel, deux arrêts », JCP 1932, p. 597), dans l’arrêt
Ponnoucannamale, que l’établissement du lien de parenté était soumis à la loi
successorale. D’autre part, l’utilisation d’un raisonnement original, connu sous
le nom de théorie des questions préalables et repris par le pourvoi, était préco-
nisée en la matière par un important courant doctrinal étranger, allemand
notamment. En reprenant fidèlement la proposition à l’instant rappelée, l’arrêt
reproduit lève à ce double égard toute hésitation.
3 A. — Peu de décisions ont été l’objet de lectures aussi diverses que l’arrêt
Ponnoucannamale. Il est vrai que l’exubérance de la doctrine trouvait un ali-
ment dans l’ambiguïté de sa rédaction. Le litige mettait aux prises relativement
à la dévolution d’immeubles sis en Cochinchine mais soumis à la loi française,
un enfant adoptif et un enfant légitime déjà né au moment où l’adoption avait
été réalisée; tous deux étaient de nationalité indienne. La loi française applica-
ble à la dévolution de la succession prévoyait que les enfants adoptifs venaient
61 BENDEDDOUCHE — CASS., 3 JANVIER 1980 559

comme les enfants légitimes à la succession, mais elle prohibait l’adoption en


présence d’enfant légitime. Celle-ci était au contraire valable au regard du
droit indien. L’adoption indienne permettait-elle à l’enfant adoptif de se préva-
loir des effets successoraux de la loi française ?
La cour refuse à l’enfant adoptif toute vocation à la succession au motif que
« d’après l’article 3, alinéa 2 du Code civil, les immeubles situés en France,
même ceux possédés par des étrangers sont soumis à la loi française; qu’il
s’ensuit que la dévolution héréditaire en est réglée par cette loi quel que soit
le statut personnel du de cujus ou des héritiers ». Qu’en déduire, sinon que le
statut successoral absorbe, en la matière, le statut personnel. Mais dans un
motif subséquent, la Cour ajoute que l’adoption invoquée ne saurait recevoir
en la cause effet en France car « une telle adoption est (…) contraire aux pres-
criptions de l’article 344 du Code civil lequel, concernant l’état des personnes,
intéresse l’ordre public ». Or s’il est besoin de l’ordre public pour évincer la
loi indienne, loi personnelle de l’auteur, n’est-ce pas qu’elle était applicable ?
L’ambiguïté devait durer près d’un demi-siècle. Si, en effet, la Cour d’appel
de Paris se prononça dès 1946 par l’arrêt de Loriol (Paris, 10 juill. 1946, Rev.
crit. 1947. 143, note Batiffol; Paris, 29 juin 1963, Rev. crit. 1964. 300, concl.
Souleau, note Graulich, Clunet 1964. 290, note Sebag) pour l’application de
la loi personnelle, il fallut attendre le présent arrêt pour que la Cour de cassa-
tion dissipe, à son tour, les interrogations qu’avait fait naître l’arrêt Ponnou-
cannamale. Il énonce, en effet, très clairement que : « si la loi française régit
la dévolution successorale des immeubles sis en France, la qualité de conjoint
et l’établissement de la parenté nécessaire pour le jeu de la dévolution succes-
sorale relèvent de la loi personnelle ». Une fois le classement des héritiers
opéré conformément à la loi successorale, il convient donc de consulter, si
nécessaire, la loi personnelle afin de vérifier l’existence du lien de famille
retenu par la première. En délimitant aussi clairement la frontière de la loi
successorale et de la loi personnelle, la Cour de cassation ajoute à la construc-
tion du droit international privé français une pierre qu’on peut, avec H. Batif-
fol (note Rev. crit. 1980. 333), qualifier d’« angulaire ».
4 B. — L’incertitude n’était pas, au demeurant, d’origine exclusivement juris-
prudentielle ; la doctrine y avait également largement contribué. La question
de l’établissement du lien de parenté nécessaire au jeu de la dévolution succes-
sorale illustre, en effet, ce qu’il est convenu d’appeler la théorie des questions
préalables. Le problème de l’établissement du lien de famille ne se pose pas
en l’occurrence de façon autonome, mais en tant qu’élément nécessaire à
la solution d’une question principale, la question successorale. Or certains
auteurs ont préconisé en ce cas l’application d’une directive propre : la loi
applicable à la question préalable devrait être désignée non par la règle de con-
flit du for mais par la règle de conflit du système juridique désigné pour régir
la question principale (Wengler, « Die Vorfrage im Kollisionsrecht », Zeits-
chrift für ausländisches und internationales Privatrecht 1934. 148; « Nouvel-
les réflexions sur les questions préalables », Rev. crit. 1966. 165; P. Lagarde,
« La règle de conflit applicable aux questions préalables », Rev. crit. 1960. 459
et s.; P. Louis-Lucas, « Qualification et répartition », Rev. crit. 1957. 158;
560 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 61

E. Agostini, « Les questions préalables en dr. int. privé », in Droit international


et droit communautaire, 1991, p. 25; D. Cocteau-Senn, Dépeçage et coordina-
tion dans le règlement des conflits de lois, thèse Paris I, 2001, no 83, p. 69).
Allant plus loin, M. Paul Lagarde a, dans sa thèse proposé d’en déduire le
critère qui commanderait le déclenchement de l’exception d’ordre public : ne
pourraient être écartées au nom de l’ordre public que les lois étrangères qui
auraient été désignées par la règle de conflit du for. Il n’y aurait donc pas lieu
de faire jouer cette exception dès lors que la désignation de la loi étrangère
applicable à une question préalable aurait échappé au droit international privé
du for parce que la question principale serait elle-même, en vertu du droit
international privé du for, soumise à une loi étrangère. Le recours au droit
international privé étranger serait, en effet, la marque que le droit international
privé du for se désintéresse de la question préalable, qu’il considère que celle-
ci échappe à son domaine et n’a pas à s’intégrer dans son ordre juridique
(Recherches sur l’ordre public en droit international privé, 1959, p. 77). C’est
sur cette analyse que s’appuyait le pourvoi en relevant, d’une part, que « l’éta-
blissement du lien de parenté ou du lien matrimonial à des fins successorales
constitue une question préalable à la question principale de la dévolution de la
succession qui ne peut être résolue qu’en vertu de la règle de conflit de l’État
dont la loi interne est applicable à la question principale » et, d’autre part, que
la question successorale étant soumise à la loi française, la loi applicable à la
question préalable n’était pas désignée par une règle de conflit étrangère ce
qui permettrait l’intervention de l’ordre public.
La Cour s’est manifestement refusée à suivre le pourvoi sur ce dernier point.
Sa solution est en cela conforme aux précédents, la jurisprudence opposant
l’ordre public à des lois étrangères régissant une question préalable lors même
que la question principale était soumise à une loi étrangère (J. Foyer, Filiation
illégitime et changement de la loi applicable, 1964, nos 348, 352 et 373 et
décisions citées). La distinction repose, au demeurant, sur un postulat qu’il est
difficile d’admettre : pourquoi « accorder un blanc-seing à toutes les lois
étrangères sous prétexte que la question principale doit être résolue par une
loi étrangère » ? (J. Foyer, op. cit., p. 262, no 347; v. aussi les réserves de
M. Francescakis, compte rendu, Rev. crit. 1960. 282, reproduit in La pensée
des autres en dr. int. pr., p. 187, spéc. p. 191).
5 S’agissant de la théorie des questions préalables, elle-même, il est plus dif-
ficile de déduire des enseignements de l’arrêt. La question principale étant, en
l’espèce, soumise à la loi française, la loi applicable à la question préalable
était définie par la règle de conflit du for quel que soit le raisonnement adopté.
Néanmoins en formulant sa solution en termes classiques, la Cour de cassation
semblait bien indiquer qu’elle n’était pas prête à s’engager dans cette voie.
Elle le confirmera ultérieurement en décidant dans un arrêt Djenangi (Civ. 1re,
22 avr. 1986, Clunet 1986. 1025, note A. Sinay-Cytermann, JCP 1987. II. 20878,
note Agostini, Rev. crit. 1988. 302, note J.-M. Bischoff), que « s’il appartient à
la loi successorale de désigner les personnes appelées à la succession et de dire
notamment si le conjoint figure parmi elles et pour quelle part, il ne lui appar-
tient pas de dire si une personne a la qualité de conjoint, ni de définir selon
61 BENDEDDOUCHE — CASS., 3 JANVIER 1980 561

quelle loi doit être appréciée cette qualité ». Il faut l’en approuver. Non seule-
ment en effet, les arguments invoqués en faveur de cette théorie n’emportent
guère la conviction mais ils se heurtent à des critiques troublantes.
À l’appui de ce raisonnement on a fait valoir que déterminer le droit appli-
cable à la question préalable au moyen de la règle de conflit du for, c’était
risquer de « dénaturer le droit étranger applicable à la question principale ».
(P. Lagarde, art. préc., Rev. crit. 1960. 470). Par exemple, pour reprendre
l’hypothèse de l’arrêt Ponnoucannamale et à supposer que le droit interna-
tional privé du for désigne un droit qui annule l’adoption, comment pourrait-
on prétendre qu’on a véritablement appliqué une loi étrangère à la succession
alors que le juge de ce pays aurait soumis en vertu de son propre droit interna-
tional privé cette adoption à une loi autre qui la valide ? Mais raisonner ainsi,
c’est oublier « qu’en désignant la loi applicable à la question principale, la
règle de conflit du for ne l’interroge que sur la teneur de sa règle, non sur la
position de ses tribunaux » (P. Mayer et V. Heuzé, no 263, note 146).
En revanche, les inconvénients sont évidents : la complexité tout d’abord,
l’absence d’harmonie interne des solutions ensuite. La réponse donnée à la
question préalable variera selon le contexte dans lequel elle se pose. Par exem-
ple, la question de la validité d’une adoption pourra être appréciée différem-
ment selon qu’elle se pose à titre principal ou en tant que question préalable
d’un problème successoral ou d’un problème d’aliments. Or il n’est pas satis-
faisant que le statut d’une personne varie d’une espèce à l’autre (Francescakis,
La pensée des autres en dr. int. pr., p. 216). À cela, on peut répondre certes
que l’autorité relative de la chose jugée limite l’inconvénient et que le danger
de contrariété de décisions existe même en droit interne (P. Lagarde, art. préc.,
Rev. crit. 1960. 476). Mais c’est prendre son parti d’un risque qu’il convient
de combattre au lieu d’en faciliter la réalisation (Fadlallah, op. cit., no 31,
p. 33). Aussi bien l’étude de la jurisprudence allemande montre-t-elle que la
théorie des questions préalables n’a jamais été accueillie par les tribunaux de
ce pays dès lors que son application aurait entraîné l’invalidation d’un rapport
incident, régulier au regard de la règle du for. Loin de confirmer le caractère
logiquement nécessaire de cette démarche, la constatation permet, au mieux,
de voir dans cette théorie une exception au principe de l’application de la règle
de conflit du for fondée sur le respect des situations acquises (v. en ce sens,
Francescakis, La théorie du renvoi, nos 199 et s.; I. Fadlalldah, op. cit., nos 29
et s.; Gothot, « Le renouveau de la tendance unilatéraliste », Rev. crit. 1971.
434; H. Muir Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, thèse multigr.,
Paris II, 1984, p. 538 et s., nos 467 et s.).

II. L’articulation de la polygamie et du droit français des successions


6 Décider que l’établissement du lien de famille nécessaire au jeu de la dévolu-
tion successorale relève de la loi personnelle, c’est se conformer à ce que com-
mande une qualification exacte, mais c’est aussi s’engager dans une voie semée
d’embûches. La définition du concept qui constitue la condition d’application
de la règle successorale pouvant, en effet, être empruntée, non à celle-ci mais à
un droit étranger, qu’adviendra-t-il lorsque la loi personnelle connaît des ins-
562 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 61

titutions, telle la polygamie, dont l’hétérogénéité par rapport à nos propres


concepts est manifeste ?
On sait qu’après une première réaction de refus, le droit international privé
français a accepté de reconnaître la validité de certaines unions polygamiques
dès lors qu’elles satisfaisaient à une double exigence. Respect de la règle de
conflit : la polygamie doit être connue par la loi personnelle de chacun des
futurs époux; non contrariété à l’ordre public : le mariage doit avoir été célé-
bré à l’étranger afin de bénéficier de l’effet atténué de l’ordre public (v. arrêts
Chemouni, supra, nos 30-31). Mais, à supposer ces conditions remplies, ce qui
était d’ailleurs le cas en l’espèce, un tel mariage peut-il sortir des effets confor-
mément à la loi successorale française ? Plus précisément, la seconde épouse
peut-elle exercer concurremment avec la première, les droits que la loi française
accorde au conjoint survivant ? Dissipant les incertitudes auxquelles les déci-
sions de certains juges du fond avaient donné naissance, l’arrêt ci-dessus repro-
duit se prononce clairement pour l’affirmative. On s’interrogera ici, non seule-
ment sur la solution elle-même (B), mais sur la méthode qui y a conduit (A).
7 A. — Confronté à une situation similaire à celle de l’arrêt Bendeddouche, le
Tribunal de grande instance de Paris avait, en 1972, refusé de reconnaître à la
seconde épouse d’un étranger polygame les droits successoraux prévus par la
loi française; il s’était pour cela fondé sur l’exception d’ordre public interna-
tional (TGI Paris, 17 juin 1972, Rev. crit. 1975. 62, note Fadlallah). Bien que
les critiques doctrinales aient à l’époque porté sur la solution retenue, et non
sur la méthode employée, il est permis de se demander si l’exception d’ordre
public convient parfaitement à la solution d’un problème né de la juxtaposition
d’éléments empruntés à des systèmes juridiques différents.
Certes le critère d’intervention de l’ordre public permet, au moins au pre-
mier abord, de résoudre le problème. En insistant à juste titre sur le fait que la
conformité à l’ordre public s’apprécie in concreto et non in abstracto, que ce
qui déclenche l’intervention de l’exception c’est non le contenu de la loi étran-
gère mais le résultat de son application en l’espèce, la doctrine, spécialement
le Doyen Maury (L’éviction de la loi normalement compétente, l’ordre public
international et la fraude à la loi, p. 78) et M. Paul Lagarde (thèse préc., p. 174
et s.), lui a donné suffisamment de souplesse pour lui permettre de traiter ce
type de situation. Néanmoins, si l’on va jusqu’au bout de ce raisonnement ce
qui devrait être déclaré contraire à l’ordre public, ce n’est pas tant le mariage
polygamique, puisque célébré à l’étranger conformément à la loi compétente
il est reconnu par l’ordre juridique français, que l’effet qu’on veut lui faire
produire en l’espèce. C’est donc la loi qui édicte l’effet contesté et non l’insti-
tution étrangère, qui devrait être évincée. Or l’exception d’ordre public est, en
raison de la rigidité de ses effets, bien incapable de produire un tel résultat.
Même apprécié in concreto, l’ordre public ne pourra jamais entraîner que
l’éviction d’une loi étrangère. Il ne frappera donc pas la loi successorale
puisqu’il s’agit de la loi française, mais la loi étrangère, c’est-à-dire la loi per-
sonnelle (v. cep., Civ. 1re, 6 juill. 1988, Baaziz, Rev. crit. 1989. 71, note
Y. Lequette). On aboutit ainsi à un résultat paradoxal : après avoir affirmé la
validité d’un mariage polygamique, on revient sur celle-ci au motif que tel
61 BENDEDDOUCHE — CASS., 3 JANVIER 1980 563

effet est demandé (en ce sens, J.-M. Bischoff, « Le mariage polygamique


en droit international privé », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1980-1981, p. 100;
Y. Lequette, « Ensembles législatifs et droit international privé des succes-
sions », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1983-1984, p. 174; P. Mayer et V. Heuzé,
no 570; G. Droz, « Regards sur le droit international privé comparé », Rec.
cours La Haye, 1991, t. IV, p. 151; D. Cocteau-Senn, Dépeçage et coordina-
tion dans le règlement des conflits de lois, thèse Paris I, 2001, no 129, p. 104).
Utiliser ainsi l’exception d’ordre public, c’est subordonner la validité d’une
institution aux conséquences qu’on veut lui attacher. La solution n’est pas
satisfaisante : un mariage est valable ou ne l’est pas ! De même que l’absence
d’harmonie interne des solutions a été invoquée pour refuser d’accueillir la
théorie des questions préalables (v. supra, § 5), de même devrait-il en aller à
l’encontre de l’emploi de l’exception d’ordre public dans un tel cas.
8 Afin d’éviter cet écueil, il faut poser le problème en termes différents. Ainsi
que l’a montré la doctrine étrangère (v. par ex., Lewald, « Règles générales des
conflits de lois », Rec. cours La Haye, 1939 t. III, p. 5 et s., spéc. p. 132 et s.;
Rigaux, La théorie des qualifications en droit international privé, nos 295 et s.;
Droit international privé, 1977, t. I, nos 448 et s.; Graulich, Introduction à
l’étude du droit international privé, nos 45 et s.), l’articulation des systèmes
juridiques se ramène ici à un problème d’équivalence des institutions. La situa-
tion juridique élaborée conformément au droit étranger étant reconnue comme
valable en France — et c’est à ce stade qu’aurait pu intervenir l’ordre public
quoiqu’en son effet atténué, il faut encore rechercher si elle équivaut à l’insti-
tution visée dans son hypothèse par la règle successorale française. En d’autres
termes, l’institution étrangère peut-elle constituer la prémisse à laquelle la
règle successorale fait produire un effet déterminé ? Dans l’affirmative on dira
qu’il y a substitution de l’institution étrangère à l’institution française (en ce
sens, D. Holleaux, JCP 1982. I. 3087, no 52).
Tel paraît bien, au demeurant, être le raisonnement implicitement suivi par
la Cour de cassation dans l’arrêt Bendeddouche. Ayant constaté que le
mariage polygamique avait été « régulièrement contracté à l’étranger confor-
mément à la loi personnelle des parties » et qu’il ne heurtait donc pas l’ordre
public international français, elle décide que « le second conjoint et ses enfants
légitimes peuvent prétendre, en ces qualités, concurremment avec le premier
conjoint et ses propres enfants, exercer les droits reconnus par la loi succes-
sorale française soit au conjoint, soit aux enfants légitimes ». C’est dire
qu’elle estime que la qualité de veuve résultant de la loi personnelle ne diffère
pas de celle requise par la loi successorale au point que l’articulation entre les
deux notions soit impossible (v. depuis dans le même sens, Paris, 8 nov. 1983,
Rev. crit. 1984. 638, note Y. Lequette, Clunet 1984. 881, note Simon-Depitre,
Defrénois 1984. 571, note M. L. Revillard).
La solution est-elle fondée ?
9 B. — Apprécier si l’institution prévue par un droit étranger a, ou non, une
configuration suffisamment proche de celle qui est visée par le présupposé de
la règle interne édictant l’effet de droit recherché est sans doute l’une des opé-
564 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 61

rations les plus délicates du droit international privé. Il faut, en effet, au cas par
cas porter un jugement de valeur afin de déterminer si l’institution étrangère
peut être ajustée à la règle successorale française sans provoquer d’altération
grave. (Sur la directive générale qui pourrait résulter du fait que la combinai-
son des deux systèmes conduit à un résultat que n’aurait pas permis d’atteindre
leur application in extenso, v. Y. Lequette « Ensembles législatifs et droit inter-
national privé des successions », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1983-1984, p. 174 et
supra, no 12 § 6). Les enseignements déduits du droit interne peuvent à cet
effet se révéler un guide très précieux. Il est, en effet, évident que la jurispru-
dence admettra d’autant plus facilement l’articulation des deux systèmes que,
confrontée à une situation analogue en droit interne, elle lui aura donné une
réponse favorable.
La polygamie l’illustre excellemment. L’hypothèse de deux conjoints survi-
vants venant tous deux à la succession n’est pas inconnue du droit français. Il
en va ainsi lorsqu’un mariage est annulé pour bigamie postérieurement au
décès de l’époux bigame et que ce mariage est déclaré putatif à l’égard du
second conjoint. L’annulation n’opérant pas rétroactivement, l’état des voca-
tions est irrémédiablement fixé au jour du décès, et la part attribuée au conjoint
survivant répartie entre la première et la seconde épouse. Une telle solution
permet tout à la fois d’affirmer que la discordance entre les deux législations
n’est pas telle qu’elle fasse obstacle à un ajustement et que celui-ci revêtira la
forme d’une répartition et non d’un cumul. Dans l’espèce présente, les deux
épouses devaient donc se partager le quart alloué en usufruit au conjoint sur-
vivant, soit 1/8 chacune. On remarquera néanmoins que la Cour de cassation
s’est abstenue d’apporter cette précision qui ne lui était pas demandée, se gar-
dant ainsi de donner à sa décision l’allure d’un arrêt de règlement. (Pour la
liquidation du régime matrimonial, v. Toulouse 22 mars 1982, JCP 1984. II.
20185, note F. Boulanger, RTD civ. 1983. 333, obs. Nerson et Rubellin-Devi-
chi et la suggestion de L. Leveneur, Situations de fait et droit privé, 1990,
nos 179 et s., p. 206 et s.). Depuis la réforme opérée par la loi du 3 décembre
2001, la question de l’articulation de la polygamie avec le droit français des
successions se pose en termes plus complexes en raison, notamment, de l’exis-
tence d’une option offerte au conjoint survivant par l’article 757 du Code civil
(sur ces difficultés, v. F. Sauvage, « Brèves remarques sur la vocation succes-
sorale des épouses d’un mari polygame depuis la loi du 3 déc. 2001 », Defré-
nois 2003. 1470).
Inversement, il est des hypothèses dans lesquelles cette équivalence a été
jugée faire défaut. Telle est probablement l’explication profonde de l’arrêt
Ponnoucannamale. Au-delà, en effet, des motifs exprimés, la décision s’expli-
que sans doute par le fait que reconnaître une vocation successorale à l’enfant
adoptif, c’était méconnaître la corrélation posée avant 1966 par le droit français
entre la prohibition de l’adoption en présence d’enfants légitimes et la recon-
naissance d’effets successoraux étendus aux adoptions régulières (P. Mayer et
V. Heuzé, no 263). Ainsi en a-t-il encore été décidé, en matière successorale, à
propos des legs adressés à une fondation à créer (Paris 26 juin 1981, Ecken-
berger, Rev. crit. 1982. 537, note B. Ancel; Civ., 15 févr. 1983, Rev. crit. 1983.
645, note B. Ancel).
62
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

13 janvier 1982

(Rev. crit. 1982. 551, note Batiffol)


Conflit transitoire international.

L’article 24 de la loi du 11 juillet 1975 pose seulement des règles transitoi-


res spéciales de la loi interne et ne régit pas la règle de conflit de lois
laquelle demeure déterminée par les principes généraux du droit transitoire.

(Ortiz-Estacio c/Mme Rodriguez)

Faits. — En 1971, un jugement du Tribunal de grande instance de Dieppe prononce


la séparation de corps de deux époux espagnols domiciliés en France depuis de nom-
breuses années. En novembre 1976, le mari demande la conversion de cette séparation
en divorce. Dans l’intervalle, la règle de conflit de lois a changé : l’ancienne règle
modelée sur l’article 3 al. 3 du Code civil donnait compétence à la loi nationale com-
mune des époux, loi espagnole qui, à l’époque, ignorait le divorce; la nouvelle règle
issue de l’article 310 du Code civil (réd. L. 11 juill. 1975, devenu l’art. 309, C. civ, ord.
4 juill. 2005) prévoit que le divorce est régi par la loi française, entre autres, « lorsque
les époux ont, l’un et l’autre, leur domicile sur le territoire français ». Or pour la loi
française, la conversion est de droit. Le choix entre la règle ancienne et la règle nouvelle
était donc décisif. Impossible si l’on retenait la première, la conversion était au contraire
automatique en cas d’application de la seconde.
Par un arrêt infirmatif du 21 février 1980 (Rev. crit. 1981. 666, note E. Poisson-
Drocourt), la Cour d’appel de Rouen applique la règle de conflit ancienne en prenant
appui sur les dispositions transitoires spéciales de la loi du 11 juillet 1975, c’est-à-dire
sur son article 24. Aux termes de ce texte, « Toutes les fois que la requête initiale a été
présentée avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’action en divorce ou en sépara-
tion de corps est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne ». Or en droit tran-
sitoire interne, la Cour de cassation tranchant la controverse qui s’était instaurée sur ce
point, a décidé qu’en cas de conversion de séparation de corps en divorce la date de la
requête initiale était celle de la demande en séparation et non celle de la demande en
conversion; cette dernière reste donc régie par la loi en vigueur à l’époque de la présen-
tation de la requête initiale en séparation de corps (Civ. 2e, 27 avr. 1979, Bull. II, no 123,
RTD civ. 1979. 650, obs. Normand). Transposée au problème des conflits de lois, cette
directive conduisait à la compétence de l’ancienne règle de conflit et donc au refus de la
conversion par application du droit espagnol.
Un pourvoi fut formé qui posait en toute clarté la question du droit transitoire des
règles de conflit.
566 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 62

« Premier moyen de cassation : Pris de ce que l’arrêt attaqué a refusé de prononcer la


conversion en divorce d’une séparation de corps prononcée en 1971 entre deux époux
de nationalité espagnole, domiciliés en France, au motif que la demande en conversion
était régie par la loi nationale commune des époux, en l’espèce la loi espagnole qui pro-
hibe le divorce, par application de la règle de conflit antérieure à la loi du 11 juillet
1975, à l’exclusion de la règle de conflit posée par le nouvel article 310 du Code civil,
qu’en effet l’article 24 de la loi du 11 juillet 1975 dispose que celle-ci n’est pas applica-
ble quand « la requête initiale » a été présentée avant l’entrée en vigueur de la présente
loi, que « la requête initiale » au sens du texte susvisé doit s’entendre de la requête
introduisant l’action en séparation de corps, alors que la loi nouvelle est en principe
immédiatement applicable aux situations en cours dont elle doit régir les effets à venir,
qu’ainsi la loi du 11 juillet 1975 est applicable aux époux mariés avant son entrée en
vigueur, que l’instance tendant à la conversion de la séparation de corps en divorce,
étant distincte de l’instance en séparation, doit dès lors être régie par la règle de conflit
en vigueur au jour où elle a été introduite, que si selon l’article 24 de la loi du 11 juillet
1975, l’action en conversion est régie par la loi ancienne lorsque la requête initiale en
séparation de corps a été présentée avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, cette dis-
position spéciale, dérogatoire aux principes généraux du droit transitoire, ne vise pas la
règle de conflit de lois posée par l’article 310 nouveau du Code civil, que dès lors, la
demande en conversion formée en 1976 devait être régie par la loi française, les époux
étant tous deux domiciliés en France, qu’en écartant la demande par application de la loi
espagnole, la cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article 2 du Code civil et,
par fausse application, l’article 24 de la loi du 11 juillet 1975; »

ARRÊT

La Cour; — Sur le premier moyen : — Vu l’article 24 de la loi no 75-617 du


11 juillet 1975 et l’article 310 nouveau du Code civil; — Attendu que le premier
de ces textes pose seulement des règles transitoires spéciales de la loi interne et
ne régit pas la règle de conflit de lois, laquelle demeure déterminée par les prin-
cipes généraux du droit transitoire qui commandent l’application immédiate de
la règle de conflit unilatérale exprimée dans le second; — Attendu, selon les
énonciations de l’arrêt attaqué, que M. Sébastien Ortiz-Estacio et Mme Marie-
Flore Rodriguez, époux de nationalité espagnole, domiciliés en France, ont été,
sur la demande de la femme, séparés de corps et de biens par un jugement,
devenu irrévocable, du 5 mai 1971 du Tribunal de grande instance de Dieppe;
que, le mari ayant formé, le 23 novembre 1976, une demande de conversion de
la séparation de corps en divorce, la cour d’appel l’en a débouté aux motifs que
cette demande devait être régie par la loi nationale commune des époux, prohi-
bitive du divorce, par application de la règle de conflit antérieure à la loi du
11 juillet 1975 à l’exclusion de la règle de conflit posée par le nouvel article 310
du Code civil; qu’en effet, l’article 24 de la loi du 11 juillet 1975 dispose que
celle-ci n’est pas applicable quand la requête initiale a été présentée avant
l’entrée en vigueur de la loi et que la requête initiale doit s’entendre de la
requête introduisant l’action en séparation de corps; — Attendu qu’en statuant
ainsi, la cour d’appel a, par fausse application du premier et refus d’application
du second, violé les textes susvisés;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen : — Casse.

Du 13 janvier 1982. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Charliac, prés.; Fabre, rapp.; Gulphe,
av. gén. — Me. Labbé, av.
62 ORTIZ-ESTACIO — CASS., 13 JANVIER 1982 567

OBSERVATIONS
1 Comment résoudre le conflit dans le temps de règles de conflit de lois dans
l’espace ? Au seul énoncé de la question, beaucoup estimeront sans doute
qu’on est ici en présence d’un « droit à la seconde puissance » (P. Lagarde,
« Le droit transitoire des règles de conflit après les réformes récentes du droit
de la famille », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1977-1979, p. 89), que son abstraction
et sa rareté d’application réservent aux seuls initiés. Ce serait méconnaître
l’actualité que les transformations récentes du droit international privé ont
conférée à cette question. Et de fait, si le problème du droit transitoire des
règles de conflit est, au moins en droit français, resté longtemps théorique (I),
il a, avec les lois de 1972 et de 1975 ainsi qu’avec l’essor du mouvement
conventionnel, acquis une positivité qui oblige à des réponses claires (II).

I. Les origines du problème

2 Affirmer que le conflit transitoire de droit international privé est d’appari-


tion récente peut, au premier abord, surprendre. L’évolution de notre matière
n’a-t-elle pas été émaillée de changements, parfois profonds, des solutions de
conflits de lois ? Mais précisément, comme ces grands arrêts en portent le
témoignage, ces mutations ont été presqu’exclusivement l’œuvre de la juris-
prudence. Or il n’existe pas en ce domaine de questions de droit transitoire.
Comme le soulignait Roubier : « une jurisprudence nouvelle s’applique tou-
jours dans tous les procès nouveaux, sans que l’on prenne en considération la
date à laquelle les faits du procès se sont produits et quand bien même ces faits
seraient antérieurs au changement de jurisprudence » (Le droit transitoire,
2e éd., no 7, p. 25). Pour exprimer cette réalité, on enseigne souvent que le
revirement de jurisprudence est « rétroactif par nature » (Carbonnier, Droit
civil, Introduction, no 31; Gesthin, Goubeaux et Fabre-Magnan, Droit civil,
Introduction générale, no 516). Le propos doit être nuancé : la Cour de cas-
sation répugne, en effet, à remettre en cause par un revirement de jurispru-
dence les situations acquises; ainsi l’action en restitution de sommes qui ont
été payées conformément à une interprétation précédemment admise de la loi
et qu’une nouvelle jurisprudence fait apparaître comme indues est déclarée
irrecevable (v. par ex., Soc. 20 juin 1966, Gaz. Pal. 1966. II. 234; v. aussi
Hébraud, obs. RTD civ. 1967. 202; 1970. 606). En réalité, si une nouvelle
jurisprudence s’applique même à des faits qui lui sont antérieurs, c’est parce
que faisant corps avec la loi interprétée, elle revêt un caractère déclaratif qui
oblige à en tenir compte dans tous les procès en cours (J. Héron, Principes du
droit transitoire, 1996, no 10, p. 13).
Mais évidente à une époque où l’on était imbu de l’idée que la loi devait
suffire à résoudre tous les différends et que le rôle du juge devait se borner à
assurer le passage de la règle de droit au cas concret (Marty, La distinction du
fait et du droit, p. 60, no 34), cette analyse est-elle encore admissible alors que
la jurisprudence est devenue une véritable source du droit (v., particulièrement
sur ce problème, les pénétrantes remarques de P. Hébraud, « Le juge et la
568 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 62

jurisprudence », Mélanges Couzinet, 1974, p. 329 et s.) ? En d’autres ter-


mes, ne faut-il pas pour ménager la sécurité juridique, tenter de régler les
conflits entre jurisprudences successives ? La question, qui prend en France
tout son intérêt dans des matières comme le droit international privé ou le
droit administratif, a été très tôt au centre des préoccupations des juristes de
common law. Grâce au principe de l’autorité du précédent, une décision de
justice même isolée peut, dans ces systèmes, suffire à poser une véritable règle
de droit. Aussi afin d’éviter que les revirements de jurisprudence n’engen-
drent une trop grande insécurité, certaines décisions américaines ont-elles
assorti le principe qui veut que la nouvelle jurisprudence s’applique même
aux situations réalisées sous l’empire de la règle ancienne, d’une exception :
échapperont à la nouvelle jurisprudence les droits acquis par contrat, et peut-
être même tous les droits acquis « dès lors que les parties avaient légitime-
ment fondé leurs stipulations ou leurs actions sur une règle de droit qui préva-
lait à l’époque » (A. et S. Tunc, Le droit des États-Unis d’Amérique, no 81,
p. 215 et décisions citées). Mais même ainsi borné, le revirement de jurispru-
dence reste par rapport au changement de législation, porteur d’incertitude.
S’établissant, en effet, nécessairement à l’occasion de cas concrets, la nou-
velle jurisprudence fera sentir son action « rétroactive » sur le litige qui en
sera l’occasion. Là encore, afin d’éviter que le progrès juridique ne s’opère au
prix de la méconnaissance des prévisions des parties, certaines juridictions
américaines ont développé une pratique originale : le prospective overruling;
avertissant qu’elles ont pour l’avenir décidé d’abandonner une jurisprudence
établie, elles appliquent encore l’ancienne à l’espèce afin de ne pas tromper
l’attente des plaideurs (v. A. et S. Tunc, op. cit., no 83; T. Piazzon, La sécurité
juridique, thèse Paris II, 2006, p. 195, no 90). On l’a critiqué au motif qu’il
n’est guère cohérent d’utiliser une règle que l’on a déclarée mauvaise (v. par
ex. Batiffol, note Rev. crit. 1975. 79). Mais n’est-ce pas là l’attitude de toute
autorité qui tente de ne pas sacrifier la sécurité juridique au progrès présumé
du droit ?
En droit communautaire, la Cour de Luxembourg pose que l’interprétation
qu’elle donne d’une règle de droit communautaire doit être appliquée par le
juge « même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant
sur la demande d’interprétation » mais prévoit « qu’à titre exceptionnel (…)
par application générale d’un principe de sécurité juridique inhérent à l’ordre
juridique communautaire (elle peut) être amenée à limiter la possibilité pour
tout intéressé d’invoquer la disposition ainsi interprétée en vue de mettre en
cause des relations juridiques établies de bonne foi » (CJCE, 2 févr. 1988, aff.
24/86; rappr. CJCE, 8 avr. 1976, Defrenne C. Sabena, aff. 43/75; comp. CEDH,
13 juin 1979, Marckx, Jurisp. CEDH par Vincent Berger, 7e éd., nos 121.1 et s.).
3 Il a été suggéré de transposer de telles pratiques dans notre système juridi-
que (Ch. Mouly, « Le revirement pour l’avenir », JCP 1994. I. 3776; du même
auteur, « Les revirements de jurisprudence de la Cour de cassation », in
L’image doctrinale de la Cour de cassation, 1994, p. 123 et s.). Plus récem-
ment, un rapport établi à la demande du premier Président de la Cour de cas-
sation suggère de reconnaître aux formations plénières de la haute juridiction,
62 ORTIZ-ESTACIO — CASS., 13 JANVIER 1982 569

après qu’un débat a été spécialement consacré à cette question, le pouvoir de


moduler dans le temps l’entrée en vigueur des nouvelles règles prétoriennes.
Celles-ci pourraient limiter le caractère rétroactif du revirement de jurispru-
dence en raison « soit (…) des inconvénients que pourrait emporter l’applica-
tion rétroactive du revirement, soit (de) la mise en évidence d’un impérieux
motif d’intérêt général qui justifierait l’exception apportée à la règle générale
de la rétroactivité » (Les revirements de jurisprudence, sous la direction de
N. Molfessis, 2005, p. 40).
Mais il semble bien que l’article 5 du Code civil, prohibant les arrêts de
règlement, fasse obstacle à de telles innovations (sur l’art. 5, v. R. Libchacher,
« Les articles 4 et 5 et les devoirs contradictoires du juge français », in Le titre
préliminaire du Code civil, 2003, p. 143). Un arrêt qui poserait une solution
qui vaudrait pour l’avenir mais non pour le cas présent tomberait, en effet,
certainement sous le coup de cette prohibition. Comme on l’a justement souli-
gné « la règle que le juge est conduit à poser du fait de l’obligation qui s’impose
à lui de compléter ou de compenser une insuffisance légale n’est admissible
comme telle que si elle gouverne le litige dont la résolution a imposé une telle
création normative » (Th. Revet, « La légisprudence », Mélanges Ph. Malau-
rie, 2006, p. 377 et s., spéc. p. 386; V. Heuzé, « À propos du rapport sur les
revirements de jurisprudence », JCP 2005. I. 130; comp. T. Piazzon, thèse
préc., nos 298 et s., p. 792 et s.).
Au surplus, il est, en raison de la prohibition des arrêts de règlement, dif-
ficile de dater le changement de jurisprudence (Roubier, op. cit., no 7, p. 26).
Le processus d’élaboration de la règle jurisprudentielle est souvent lent, voire
insensible; ce n’est donc qu’avec le recul du temps qu’il est possible de déter-
miner le moment de la transformation.
Par exemple, si l’on fixe aujourd’hui à l’arrêt Rivière (supra, no 26) l’appa-
rition de la règle de conflit soumettant le divorce d’époux de nationalité dif-
férente à la loi du domicile commun, il faut bien constater qu’au lendemain de
son prononcé sa portée novatrice restait incertaine.
Aussi bien, une doctrine unanime enseigne-t-elle qu’aucun conflit dans le
temps ne peut, en notre matière, surgir en cas de succession de règles jurispru-
dentielles (v. par ex., Gavalda, Les conflits dans le temps en droit internatio-
nal privé, Sirey 1955, no 157, p. 203; Graulich, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd.,
v° Conflits de lois dans le temps, no 20; Goldman, Les conflits de lois dans le
temps en droit international privé, Cours IHEI 1970-1971, p. 28 et s.; Batiffol
et Lagarde, t. I, no 316 in fine; Batiffol, note, Rev. crit. 1975. 78 et s.). La règle
nouvelle sera considérée comme ayant toujours été en vigueur (v. par ex.,
pour l’application de la nouvelle règle jurisprudentielle posée par les arrêts
Weyrich-Laroche et Bonomo en matière de légitimation, à des faits très anté-
rieurs, Civ. 1re, 19 mars 1973, Rev. crit. 1975. 72, note Batiffol).
Certaines considérations tempèrent néanmoins parfois la brutalité de la
solution. En premier lieu, il faut tenir compte du caractère plus ou moins assis
de la jurisprudence renversée; moins celle-ci était établie, plus la transition
s’opérera aisément (v. l’affaire préc. et la note Batiffol; v. aussi Rivero, « Sur
la rétroactivité de la règle jurisprudentielle », AJDA 1968, p. 15, spéc. p. 17,
reproduit in Pages de doctrine, t. I, p. 165). En second lieu, la règle nouvelle
570 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 62

peut parfois être énoncée à l’occasion d’un litige dont la solution eût été iden-
tique par application de la règle ancienne. L’arrêt Rivière offre là encore une
bonne illustration, le domicile commun des époux désignant comme la natio-
nalité du mari, le droit équatorien (pour d’autres exemples dans la jurispru-
dence administrative, v. Rivero, art. préc., p. 16). En troisième lieu, le revire-
ment peut parfois être annoncé (et même réalisé car on peut soutenir que
l’attendu a d’autant plus de force qu’il est gratuit) par un obiter dictum inséré
dans une décision qui n’avait pas à trancher directement cette question. Le
droit international privé en offre de multiples exemples. Ainsi l’arrêt Hohen-
zollern (Civ. 1re, 8 janv. 1963, Rev. crit. 1963. 109, note G. H.) annonçant la
suppression du pouvoir de révision était-il intervenu en un domaine où celui-
ci était exclu depuis longtemps (v. supra, arrêt Munzer, no 41 § 1). De même
la consécration du contrôle de la dénaturation de la loi étrangère par l’arrêt
Montefiore (supra, no 36 § 4) avait-elle été précédée de plusieurs décisions la
laissant présager (Civ., 4 nov. 1958, Mœns, Rev. crit. 1959. 303, note Frances-
cakis ; Civ., 13 juin 1960, Consorts Liou-Sang, Rev. crit. 1961. 540, note Jambu-
Merlin). L’incidente relative au renvoi au second degré relevée dans l’arrêt de
Marchi (supra, no 16) pourrait également, en notre matière, donner lieu à une
telle lecture. En droit civil, le meilleur exemple en est certainement l’arrêt du
20 mars 1969 (D. 1969. 429, concl. Lindon, note Colombet, Grands arrêts de
la jurisprudence civile, 11e éd., t. 1, no 47) par lequel la Cour de cassation a
accordé à l’enfant naturel le bénéfice de l’action alimentaire de l’article 342
du Code civil alors que le problème ne se posait pas en l’espèce, l’intéressé
ayant la qualité d’enfant légitime.
Mais ce ne sont là malgré tout que quelques aménagements destinés à faci-
liter les transitions. Le principe reste bien établi que la dernière jurisprudence
est censée énoncer ce qui a toujours été le droit en vigueur. Ici se trouve,
comme le notait le doyen Batiffol (note, Rev. crit. 1975. 79), « la curieuse
revanche de la subordination du pouvoir judiciaire au pouvoir législatif : en
interprétant la loi, il dit (…) un droit qui vaut pour le passé comme pour l’ave-
nir » (v. aussi J. Maury, « Observations sur la jurisprudence en tant que source
du droit », Études Ripert, t. I, p. 28 et s., spéc. p. 50).

II. La solution du problème

4 Requérant pour s’épanouir un changement de règles de conflits de lois


opéré, non par voie jurisprudentielle, mais par voie conventionnelle ou législa-
tive, la question du conflit transitoire de droit international n’est apparue que
tardivement en France. Alimentées par l’entrée en vigueur de la loi d’introduc-
tion du Code civil allemand en 1900, les premières analyses consacrées à ce
problème ont été allemandes. Niedner et Kahn notamment ont développé, à
cette époque, des propositions originales. Pour le premier, les nouvelles règles
de conflit devraient toujours être appliquées parce qu’elles constituent des
règles de droit public lesquelles seraient par nature rétroactives; pour le
second, la nouvelle règle de conflit a vocation à s’appliquer même si le rapport
de droit a pris naissance avant son entrée en vigueur dès lors que la situation
62 ORTIZ-ESTACIO — CASS., 13 JANVIER 1982 571

litigieuse ne présentait pas, au moment de sa création, de lien suffisant avec le


territoire car les parties n’avaient pu prévoir son intervention (Sur ces doctri-
nes, v. B. Ancel, Rép. Dalloz dr. int. 2e éd., v° Conflits de lois dans le temps,
no 11). Si l’on excepte la thèse de M. Marin (Essai sur l’application dans le
temps des règles de conflit dans l’espace, Aix, 1928), ces suggestions n’ont eu
que fort peu d’écho en France. On leur a objecté pour la première, qu’elle
reposait sur des prémisses inexactes; pour la seconde, qu’à supposer admis le
postulat qui la fonde, celui-ci conduisait à la disqualification des règles de
conflit anciennes mais aussi nouvelles, les parties ayant encore moins pu
compter sur l’application de celles-ci.
Aussi bien, la doctrine française a-t-elle, en règle générale, recherché la
solution du conflit transitoire international dans une application analogique
des règles de conflit dans le temps. La succession dans le temps des règles de
conflit de lois étant « assimilable dans sa structure » à la succession dans le
temps des règles matérielles, il conviendrait en principe, de se référer aux
« règles de droit transitoire de la matière du droit interne que ces nouvelles
règles de conflit ont pour objet » (Batiffol et Lagarde, t. I, no 316).
5 Mais qu’entendre par là ? Faut-il s’en tenir aux principes généraux du droit
transitoire exprimés par l’article 2 du Code civil ou doit-on faire usage des
dispositions spéciales par lesquelles le législateur aménage la transition entre
la loi ancienne et la loi nouvelle ? La question revêt un intérêt d’autant plus
grand que bien souvent les secondes présentent, comme le montre d’ailleurs
l’espèce, une originalité marquée par rapport aux premières (F. Dekeuwer-
Defossez, Les dispositions transitoires dans la législation civile contempo-
raine, Paris 1977; Th. Bonneau, La Cour de cassation et l’application de la loi
dans le temps, 1990, p. 183 et s.).
Les juges du fond se sont, dans un premier temps, prononcés pour l’appli-
cation des dispositions transitoires spéciales. Notamment la Cour de Rouen
avait, avant même la présente affaire, dans un arrêt fortement motivé du
14 mars 1978, affirmé que « rien dans le texte de la loi de 1972 ne permet de
séparer arbitrairement les dispositions de droit civil uniquement applicables
aux instances nouvelles, et les dispositions de droit international privé dont
le droit transitoire des règles de conflit permettrait l’application immédiate
aux instances en cours » (cité par P. Lagarde, comm. préc.; v. aussi TGI Paris,
27 oct. 1972, Clunet 1974. 125, note Bourel; Paris, 12 mars 1976, JCP 1977. II.
18721, note Lefebvre; Paris, 14 déc. 1978, Rev. crit. 1979. 603, note M. Simon-
Depitre). Autrement dit, il est défendu de distinguer là où la loi ne distingue
pas (Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus). Cette solution
parut, au demeurant, avoir les faveurs de la Cour de cassation puisque celle-ci
ne lui marqua aucune réprobation dans des hypothèses, il est vrai, où la question
ne lui était pas directement posée (Civ. 1re, 13 nov. 1979, Rev. crit. 1980. 753,
note Simon-Depitre; Civ. 1re, 3 juin 1981, Bull. I, no 195, JCP 1981. IV. 295).
Mais l’équivoque ainsi créée devait être nettement dissipée par l’arrêt ci-
dessus reproduit. La haute juridiction s’y prononce, en effet, en termes dépour-
vus d’ambiguïté pour l’application des principes généraux du droit transi-
toire : l’article 24 de la loi du 11 juillet 1975 « pose seulement les règles tran-
572 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 62

sitoires spéciales de la loi interne et ne régit pas la règle de conflit de lois


laquelle demeure déterminée par les principes généraux du droit transitoire
qui commandent l’application immédiate de la règle de conflit » (v. aussi Paris,
23 févr. 1987, D. 1987, Som. com. p. 348, obs. Audit; Paris, 21 janv. 1994, Soc.
Agedi, Rev. crit. 1995. 535, note P. Lagarde, D. 1994, Som. com. p. 357, obs.
Audit). Un doute a néanmoins été récemment introduit par un arrêt du 9 juin
1996 (Civ. 1re, 9 juin 1996, Imhoos, Rev. crit. 1997. 291, note Y. Lequette,
D. 1997. 3, note F. Monéger, Defrénois 1997. 307, obs. Massip). La Pre-
mière chambre civile y définit le domaine d’application dans le temps de l’arti-
cle 311-14 en prenant appui sur l’article 12, alinéa 1 de la loi du 3 janvier
1972 et non sur les principes généraux du droit transitoire. Mais l’article 12,
alinéa 1 n’étant, selon l’opinion dominante (Massip, Morin et Aubert, La réforme
de la filiation, no 214; v. cep. J. Héron, op. cit., no 155), que l’application des
principes généraux du droit transitoire, l’arrêt Imhoos pourrait s’expliquer par
la volonté de s’en tenir au plus simple plutôt que par celle de renverser la
jurisprudence Ortiz-Estacio.
6 Aussi bien, la solution consacrée par la jurisprudence Ortiz-Estacio a-t-elle
les préférences de la doctrine dominante. Dès 1931, dans un article resté célèbre
(« Les conflits dans le temps en droit international privé », Rev. dr. int. 1931,
p. 79 et s.), Roubier s’était clairement prononcé en ce sens; il excluait, en
effet, les règles spéciales du droit transitoire « lorsqu’elles s’écartent des prin-
cipes généraux de ce droit » (v. aussi Gavalda, op. cit., nos 136 et s., p. 177).
Et près d’un demi-siècle plus tard, alors que les réformes de 1972 et de 1975
avaient donné au problème la dimension positive qui lui faisait jusqu’alors
défaut, M. Paul Lagarde reprenait et développait les arguments qui militent en
faveur du choix des principes généraux (comm. préc., Trav. com. fr. dr. int. pr.
1977-1979, p. 89 et s.; v. déjà Giardina, Successione di norme di conflitto,
1970 et compte rendu P. Gothot, Rev. crit. 1972. 522). Le principal tient au fait
que les règles de conflit sont, en raison de leur caractère indirect, indifférentes
au contenu du droit qu’elles désignent. Or les dispositions transitoires spécia-
les ont été élaborées en contemplation des solutions substantielles posées par
la loi nouvelle. Par exemple, la loi du 3 janvier 1972 se voit reconnaitre un
domaine d’application important parce qu’elle est une loi de vérité et d’égalité
des filiations (1). Or, la loi de la mère peut désigner une loi qui satisfait moins
à ces objectifs que ne le faisait la loi de l’enfant. Bref, la loi cesse, là où ces-
sent ses motifs (Cessante ratione legis, cessat ejus dispositio).

(1) L’affirmation partout reproduite selon laquelle la loi nouvelle s’applique aux enfants nés
avant son entrée en vigueur (art. 12), parce qu’elle leur serait plus favorable, est, en effet, inexacte.
On s’en convaincra si l’on veut bien considérer la situation de l’enfant légitime né avant 1972 plus
de 300 jours après l’ordonnance autorisant les époux à résider séparément. Légitime, au moins en
l’absence de désaveu, sous l’empire de l’ancienne législation (art. 313, al. 2 anc.), il devient en
vertu des textes nouveaux, adultérin a matre, et perd avec le lien de filiation qui l’unissait au mari
de sa mère, ses expectatives successorales (Massip, Morin et Aubert, La réforme de la filiation,
no 215). Comme l’a souligné la Cour de cassation, la loi de 1972 n’est pas animée par une faveur
systématique à l’enfant mais par le souci « d’attribuer à chacun son vrai rapport de filiation » (Civ.
1re, 27 févr. 1985 [deux arrêts], D. 1985. 265, concl. Sadon, note Cornu, Defrénois 1985, p. 1283,
note Grimaldi, Grands arrêts de la jurisprudence civile, 11e éd., t. 1, no 40-41).
62 ORTIZ-ESTACIO — CASS., 13 JANVIER 1982 573

Ainsi justifiée, la solution posée devrait, à notre avis, être limitée aux règles
de conflit qui revêtent effectivement un caractère neutre et indirect. Il n’est, en
effet, aucune raison de soustraire aux mesures transitoires spéciales, les règles
de conflit qui, telles les règles alternatives, présentent un aspect substantiel
marqué (v. supra, no 21); poursuivant des objectifs analogues à ceux des règles
internes, elles doivent recevoir le même domaine d’application dans le temps
(P. Mayer et V. Heuzé, no 246; B. Audit, no 245; B. Ancel, Rép. Dalloz dr.
int., 2e éd., v° Conflits de lois dans le temps, no 31). Et ce d’autant plus que les
rattachements nouveaux englobant les rattachements anciens, on ne court pas
alors le risque de rendre applicable une loi moins conforme aux objectifs
poursuivis par le législateur (en ce sens, P. Mayer et V. Heuzé, no 245).
Dans cette perspective, il est permis de se demander si la question posée
n’aurait pas dû être résolue par application des dispositions transitoires spé-
ciales. La signification de l’article 310 du Code civil (devenu l’art. 309, ord.
4 juill. 2005) est, en effet, ambiguë. Sous couvert d’unilatéralisme il s’agit
moins de respecter la souveraineté étrangère ou d’assurer l’homogénéité et la
continuité de la vie juridique des sujets que de permettre aux époux étrangers
domiciliés en France d’y divorcer. En posant la règle de l’article 310 le légis-
lateur a montré qu’entre deux conceptions de l’égalité de traitement — les
Espagnols vivant en France doivent obtenir le divorce dans les mêmes condi-
tions que les Français ou les Espagnols doivent comme les Français être sou-
mis à leur loi nationale, il préférait la première. La considération du résultat à
atteindre vient donc ici, comme en d’autres domaines, corrompre le règlement
du conflit de lois. En dépit de l’emploi d’une technique différente de celle des
règles de conflit à coloration matérielle, la philosophie sous-jacente est très
proche : dans une matière intéressant au premier chef les particuliers, le légis-
lateur se comporte comme s’il était intéressé à ce que la justice soit rendue
dans un sens plutôt que l’autre.
À cela, on objectera sans doute qu’en l’espèce l’application des règles tran-
sitoires spéciales conduisait au refus du divorce. Mais précisément, faut-il
reconnaître à la loi du 11 juillet 1975 un domaine d’application dans le temps
supérieur à celui que législateur a lui-même jugé suffisant pour qu’elle attei-
gne ses objectifs ?
63-64
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

3 novembre 1983 et 17 février 2004

I. — Civ. 1re, 3 novembre 1983, Rev. crit. 1984. 325, 1re esp., note I. Fadlallah,
Clunet 1984. 329, note Ph. Kahn, JCP 1984. II. 20131, concl. Gulphe.
II. — Civ. 1re, 17 février 2004, Rev. crit. 2004. 423, 1re esp., note P. Hammje,
Clunet 2004. 1200, 1re esp., note L. Gannagé,
D. 2004. 824, 1re esp., concl. Cavarroc et chron. P. Courbe, p. 815,
JCP 2004. II. 10128, 1re esp., note H. Fulchiron,
Defrénois 2004. 812, obs. J. Massip.
Répudiation. — Ordre public. — Droits de l’homme.

N’est pas contraire à l’ordre public français une répudiation prononcée


à l’étranger dès lors que le statut personnel commun des époux, s’il fait de
la répudiation un mode de dissolution du mariage laissé à la discrétion du
mari, en tempère les effets par les garanties pécuniaires qu’il accorde à la
femme, même si cette répudiation a un caractère révocable, cette révocabi-
lité étant destinée à ménager une période de transition, qui peut favoriser
le rapprochement des époux (1er arrêt).
Même si elle résulte d’une procédure loyale et contradictoire, la décision
algérienne constatant une répudiation unilatérale du mari qui s’effectue
sans donner d’effet juridique à l’opposition éventuelle de la femme et en pri-
vant l’autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d’aménager les
conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial, est contraire
au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage reconnu
par l’article 5 du protocole du 22 novembre 1984, no 7, additionnel à la
Convention européenne des droits de l’homme, que la France s’est enga-
gée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l’ordre
public international réservé par l’article 1er d) de la Convention franco-
algérienne du 27 août 1964, dès lors que les deux époux ou la femme sinon
les deux sont domiciliés sur le territoire français (2e arrêt).

1er ARRÊT
(Rohbi c/Mme Kharkouch)

Faits. — Résidant et travaillant en France, Brahim Rohbi et Zackia Kharkhouch,


tous deux de nationalité marocaine, se sont mariés, en 1973, au Maroc à El Jadida. Ils
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 575

ont ensuite vécu en France où une fille est née en 1974. Mais la dissension s’étant ins-
tallée au sein du ménage, l’épouse est retournée vivre en juillet 1976 chez ses parents.
M. Rohbi s’est alors rendu au Maroc pour procéder le 7 décembre 1976 à la répudiation
simple et révocable de son épouse devant le cadi d’El Jadida en présence de deux adouls
instrumentaires. Le 15 juin 1977, M. Rohbi a pris l’initiative d’une instance en divorce
devant le Tribunal de grande instance de Nanterre et a sollicité la garde de sa fille,
demeurée auprès de sa mère. Cette dernière s’est portée reconventionnellement deman-
deresse aux mêmes fins. Par jugement du 16 novembre 1978, le tribunal a débouté le
demandeur, au motif qu’il n’avait pas démontré les griefs invoqués à l’encontre de son
épouse et, faisant droit à la demande reconventionnelle de celle-ci, a prononcé le divorce
aux torts du mari. Après avoir interjeté appel, celui-ci s’est désisté de sa demande et a
produit l’acte de répudiation marocain qui rendait, selon lui, la demande reconvention-
nelle de sa femme irrecevable car il lui était antérieur. Par un arrêt du 30 juin 1981, la
Cour de Paris a jugé que cet acte de répudiation n’était pas opposable à l’épouse car il
heurtait l’ordre public international français et notamment les droits de la défense. Pre-
nant acte de la renonciation du mari à sa demande, la cour a rejeté l’exception d’irrece-
vabilité opposée à la demande reconventionnelle de la femme et confirmé le jugement
rendu au profit de celle-ci. Un pourvoi a été formé.

La Cour; — Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche : — Vu


l’article 3 du Code civil et les principes régissant l’ordre public international; —
Attendu que M. Brahim Rohbi et Mme Zackia Kharkhouch, tous deux de natio-
nalité marocaine, se sont mariés à El Jadida (Maroc) le 28 août 1973, sous le
régime commun du droit musulman, puis ont vécu en France; que, le 15 juin
1977, le mari a assigné sa femme en divorce; que celle-ci a formé une demande
reconventionnelle aux mêmes fins; que, par jugement du 2 novembre 1978, le
Tribunal de grande instance de Nanterre a rejeté la demande du mari et a
accueilli celle de la femme; que M. Rohbi a interjeté appel de cette décision et a
produit devant la juridiction du second degré un acte dressé le 21 février 1977
par le Cadi notaire d’El Jadida constatant, à la date du 27 novembre 1976, la
« répudiation simple, primaire et révocable » par M. Rohbi de son épouse Zackia
Kharkhouch; que M. Rohbi a demandé acte aux juges d’appel du désistement
de son action en divorce, qui, selon lui, était irrecevable, de même que la
demande reconventionnelle de sa femme; — Attendu que la cour d’appel a
estimé qu’elle était tenue de statuer sur la demande reconventionnelle en
divorce de Mme Kharkhouch, au motif, d’une part, que la répudiation n’était
opposable à la femme que si celle-ci l’avait acceptée ou, à tout le moins, si elle
avait été appelée à formuler ses prétentions et défenses, ce qui n’avait pas été
le cas en l’espèce, où Mme Kharkhouch n’avait même pas été convoquée devant
les adouls, et au motif, d’autre part, que la répudiation avait été déclarée révo-
cable « ce qui heurtait un ordre juridique exigeant la pleine égalité des époux »;
— Attendu, cependant, que la réaction à l’encontre de l’ordre public n’est pas la
même suivant qu’il s’agit de mettre obstacle à l’acquisition d’un droit en France,
ou de laisser se produire en France les effets d’un droit acquis, sans fraude, à
l’étranger et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit inter-
national privé français; — Attendu qu’en l’espèce, selon les constatations de
l’arrêt attaqué, les deux époux de nationalité marocaine, s’étaient mariés au
Maroc, conformément à leur statut personnel commun, lequel, s’il fait de la
répudiation un mode de dissolution du mariage laissé à la discrétion du mari,
est tempéré par les garanties pécuniaires qu’il assure à la femme; que, contrai-
rement à ce qu’a estimé la juridiction du second degré, le caractère révocable de
la répudiation n’accroît en rien les prérogatives du mari puisqu’il ménage une
période de transition qui peut favoriser le rapprochement des deux époux; —
576 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64

Attendu qu’en refusant, pour les motifs susénoncés, de reconnaître les effets de
la répudiation intervenue le 27 novembre 1976 et constatée par l’acte du
11 février 1977, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du
premier moyen ni sur le second moyen : — Casse.
Du 3 novembre 1983. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Fabre, rapp.; Gul-
phe, av. gén. — Me Choucroy et SCP Chareyre et Vier, av.

2e ARRÊT
(M. A. c/Mme G.)

Faits. — Un homme et une femme, tous deux de nationalité algérienne, se marient


en Algérie, en 1985. Ultérieurement, les époux viennent résider en France. Une dou-
zaine d’années plus tard, deux instances en divorce sont introduites, l’une par le mari en
Algérie, en novembre 1997, l’autre par l’épouse en France, en janvier 1998. Le 7 avril
1998, le mari soulève l’exception de litispendance internationale en invoquant l’ins-
tance pendante en Algérie. Par une ordonnance rendue le 12 mai 1998, les premiers
juges font droit à cette exception et se prononcent en faveur du dessaisissement de la
juridiction française au profit du tribunal algérien. Sur appel, la Cour de Paris rend un
premier arrêt par lequel elle rejette l’exception de litispendance et invite le mari à établir
l’autorité de chose jugée du jugement algérien, au regard des conditions posées par
l’article 1er de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l’exequatur.
Puis par un deuxième arrêt du 22 mars 2001, la même cour décide que le jugement algé-
rien ayant prononcé le divorce ne pouvait être reconnu en France. Elle écarte en consé-
quence l’exception de chose jugée. Le mari se pourvoit en cassation. Au soutien de son
pourvoi, il invoque notamment l’absence de fraude, le caractère loyal et contradictoire
de la procédure en Algérie et les dommages-intérêts alloués à son épouse.

LA COUR ; — Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : — Attendu que
M. A et Mme G., tous deux de nationalité algérienne, se sont mariés en Algérie
en 1985; qu’en janvier 1998, Mme G. a présenté une requête en divorce au juge
aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris; qu’à l’audience
du 7 avril 1998, M. A a soulevé l’exception de litispendance internationale, en
raison de l’instance en divorce pendante devant le tribunal de Sidi M’hamed
(Algérie) depuis le 23 novembre 1997; — Attendu que M. A. fait grief à l’arrêt
attaqué (Paris, 22 mars 2001) d’avoir dit que le jugement du tribunal de Sidi
M’hamed du 29 mars 1998 ayant prononcé le divorce ne pouvait être reconnu
en France et d’avoir rejeté l’exception de chose jugée, alors, selon le moyen,
que, dès lors qu’il résulte des propres constatations des juges du fond : 1o que le
litige entre les époux, tous deux de nationalité algérienne et mariés en Algérie,
se rattachait de manière caractérisée aux juridictions algériennes; 2o que la pro-
cédure devant la juridiction algérienne avait été loyale et contradictoire,
l’épouse obtenant des dommages-intérêts; 3o que le choix du juge algérien n’avait
pas été frauduleux, dans la mesure où la saisine de la juridiction algérienne
ne visait pas à faire obstacle à la saisine préalable du juge français et où, au
contraire, l’épouse n’avait saisi la juridiction française qu’après mise en œuvre
de la procédure en Algérie, la cour d’appel ne pouvait refuser l’exequatur du
jugement algérien du 23 mars 1998 sans violer l’article 1er d) de la Convention
franco-algérienne du 27 août 1964 et les principes régissant l’ordre public inter-
national français;
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 577

Mais attendu que l’arrêt retient que le divorce des époux A a été prononcé
par les juges algériens, malgré l’opposition de la femme, au seul motif, admis
par la loi algérienne, que le pouvoir conjugal reste entre les mains de l’époux et
que le divorce doit être prononcé sur la seule volonté de celui-ci; que la cour
d’appel en a exactement déduit que, même si elle résultait d’une procédure
loyale et contradictoire, cette décision constatant une répudiation unilatérale
du mari sans donner d’effet juridique à l’opposition éventuelle de la femme et
en privant l’autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d’aménager
les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial, était contraire
au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage reconnu par
l’article 5 du protocole du 22 novembre 1984, no 7, additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme, que la France s’est engagée à garantir à
toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l’ordre public international
réservé par l’article 1er d) de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964,
dès lors que, comme en l’espèce, les deux époux étaient domiciliés sur le ter-
ritoire français; d’où il suit que la deuxième branche du moyen n’est pas fondée
tandis que les deux autres sont inopérantes dès lors qu’elles s’attachent à la
compétence du juge algérien que la cour d’appel n’a pas déniée;
Par ces motifs : — Rejette le pourvoi.
Du 17 février 2004. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Lemontey, prés.; Pluyette, rapp.;
Cavarroc, av. gén. — MMes Choucroy et Cossa, av.

OBSERVATIONS
1 Avec le mariage polygamique (supra, no 30-31 et 61), la répudiation unila-
térale est probablement l’institution du droit musulman dont l’articulation avec
le système juridique français se révèle la plus délicate. Encore faut-il, pour
mesurer précisément l’ampleur de cette difficulté, savoir ce que recouvre exac-
tement cette institution. Sous la dénomination de répudiation se dissimule, en
effet, une réalité assez diverse : répudiation unilatérale et discrétionnaire par le
mari de son épouse (talâk), répudiation obtenue par la femme moyennant com-
pensation versée au mari (khol’), répudiation prononcée par le juge, au lieu et
place du mari, à la demande de la femme, en cas de défaut d’entretien, de sévi-
ces… (tatlîk). De ces trois modalités de répudiation, seule la première, le talâk,
parfois encore nommée répudiation more islamico, fait véritablement pro-
blème au regard de l’ordre juridique français. La troisième (tatlîk) correspond,
en effet, à une sorte de divorce pour faute. Quant à la deuxième, (Khol’), elle
peut se ramener à un divorce par consentement mutuel. En revanche, en raison
de son caractère unilatéral, discrétionnaire et exclusivement marital, le talâk ne
saurait être assimilé à l’une des causes de divorce prévues par le droit français.
Aussi bien enseigne-t-on traditionnellement et à peu près unanimement qu’une
telle répudiation ne peut être prononcée en France, alors même que la loi com-
pétente la prévoirait, (hypothèse au demeurant fort rare depuis l’introduction
dans le Code civil, par la loi du 11 juillet 1975, de l’article 310 qui confère un
domaine exorbitant au droit français). L’ordre public opérant avec son effet
plein s’y oppose. Reste à savoir ce qu’il advient lorsqu’une telle répudiation a
été prononcée à l’étranger et qu’elle est invoquée en France. La consultation
des deux décisions ci-dessus reproduites montre que, à vingt-et-un ans de dis-
tance, la haute juridiction a apporté à cette question des réponses très contras-
578 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64

tées. Alors que l’arrêt Rohbi est inspiré par un esprit d’ouverture de l’ordre
juridique français aux décisions de répudiation islamiques (I), l’arrêt rendu par
la Première chambre civile, le 17 février 2004, premier d’une série de cinq
(Bull. I, no 256-260), témoigne d’une volonté de fermeture à ces mêmes déci-
sions (II).

I. De l’ouverture…

2 D’entrée de jeu, il convient de mettre à part une hypothèse celle d’une répu-
diation prononcée par le mari et acceptée par l’épouse, soit que celle-ci y ait
acquiescé (cet acquiescement ne peut se déduire du fait pour l’épouse d’avoir
accepté les pensions accordées par le juge étranger, Civ. 1re, 11 mars 1997,
D. 1997. 400, note M.-L. Niboyet, ou d’avoir sollicité leur majoration, Civ. 1re,
17 févr. 2004, Clunet 2004. 1200, 2e esp., note L. Gannagé), soit qu’elle se
prévale en France de la décision de répudiation. À raisonner in concreto,
comme le veut la théorie moderne de l’ordre public international, on est alors
en présence non à proprement parler d’une répudiation unilatérale mais d’un
divorce par consentement mutuel. Or, on sait que les décisions étrangères
prononçant le divorce sur ce fondement ont été accueillies en France, sous
couvert de l’effet atténué de l’ordre public, alors même qu’une telle cause de
divorce n’existait pas dans la législation française (v. arrêt Rivière, supra, no 26;
v. d’ailleurs T. civ. Seine, 26 oct. 1959, Spira, Rev. crit. 1960. 354, 1re esp., note
Loussouarn, à propos d’une répudiation mosaïque; v. depuis la loi du 11 juill.
1975, TGI Paris, 5 déc. 1979, 3e et 4e esp., Mme Bonnereau et Mme Vanqua-
them, Rev. crit. 1981. 88).
Fait donc uniquement problème la répudiation prononcée unilatéralement
et discrétionnairement par le mari, sans acquiescement de la femme, et à la
reconnaissance de laquelle celle-ci s’oppose. Si à l’époque coloniale on a fait
montre, sous couvert du principe de la personnalité des lois, d’une certaine
tolérance à l’égard de ces répudiations, on s’est ensuite orienté, la décolonisa-
tion venue, vers une attitude beaucoup plus stricte. Et de fait, la conception
institutionnelle de la famille, traditionnellement retenue par le droit français,
ne se prêtait guère à un traitement libéral de la question de la répudiation.
Mais le glissement ultérieur du droit français vers une conception contrac-
tuelle du mariage a paru créer un environnement plus favorable à l’accueil des
répudiations more islamico (A). Aussi bien, la Cour de cassation n’a-t-elle pas
hésité à sauter le pas dans son arrêt Rohbi (B).

A. — Du mariage institution au mariage contrat

3 Dans une vision classique, le mariage est l’acte par lequel un homme et une
femme qui se sont mutuellement choisis, s’engagent à vivre ensemble à
l’exclusion de tout autre et en principe jusqu’à la mort (Carbonnier, Droit civil,
la famille, no 12, p. 36). Reposant sur un accord de volontés, il est un contrat
mais aussi et surtout une institution qui constitue l’un des piliers de la société.
Il en résulte qu’il est, à la différence des contrats de droit commun, soustrait au
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 579

pouvoir de la volonté des époux; notamment, la possibilité d’y mettre fin uni-
latéralement, admise par le code pour les contrats à durée indéterminée, ne
s’y rencontre pas. Comme l’écrivait Portalis, « nous avons regardé comme
contraire à l’essence même des choses qu’un contrat aussi sacré que le mariage
pût arbitrairement être rompu sur la demande et simple allégation d’une des
parties, c’est-à-dire par la volonté et pour l’avantage d’un seul époux » (Locré,
La législation civile, commerciale et criminelle de la France, commentaire des
codes français, 1825, t. 5, p. 333).
Retenant au contraire une conception contractuelle du mariage, le droit
musulman pousse celle-ci jusqu’à ses extrêmes limites, en admettant la répudia-
tion unilatérale. C’est dire que, dans une vision classique des choses, une telle
institution ne pouvait que difficilement trouver grâce aux yeux des juristes
français. En effet, conférant au mari une sorte de droit de résiliation unilaté-
rale voisin de celui que connaissent les contrats à durée indéterminée, il porte
atteinte à « l’essence » d’une institution perçue comme l’un des fondements
essentiels de la société (rappr. Civ., 22 janv. 1951, Weiller, supra, no 24, décla-
rant inopposable en France un divorce prononcé en vertu d’une loi incompé-
tente permettant à l’épouse de « répudier son mari sans débats sérieux »).
4 Mais on sait que le mariage a ultérieurement connu une profonde transfor-
mation, sa connotation contractuelle allant s’accentuant au détriment de sa
dimension institutionnelle (M.-T. Meulders, « L’évolution du mariage et le
sens de l’histoire : de l’institution au contrat et au-delà », in Le droit de la
famille en Europe, 1992, p. 215). Le couple marié est perçu non plus comme
une entité indépendante ordonnée à la satisfaction de fins qui lui sont supérieu-
res mais comme l’association de deux individus, laquelle n’a vocation à perdu-
rer qu’autant qu’elle apparaît à chacun d’entre eux comme l’instrument de son
bonheur individuel (sur cette question, v. Y. Lequette, « Quelques remarques à
propos des libéralités entre concubins », Mélanges Ghestin, 2001, p. 547, spéc.
p. 557). Dans cette perspective, beaucoup tendent à considérer qu’il n’est plus
légitime pour un conjoint de refuser de divorcer lorsque l’autre ne supporte
plus la vie commune ; il y aurait là une atteinte intolérable à la liberté
individuelle (F. Dekeuwer-Défossez, Rénover le droit de la famille, 1999, p. 114).
Amorcée en droit français par la loi du 11 juillet 1975, la contractualisation du
mariage a été portée à son point d’achèvement par la loi du 24 mai 2004. Alors
que la première a introduit dans le droit français, avec le divorce pour rupture
de la vie commune, une ébauche de répudiation unilatérale, la seconde consa-
cre ouvertement celle-ci sous couvert d’altération définitive du lien conjugal.
Désormais, le divorce peut être prononcé à la demande de l’un quelconque des
époux dès lors que la vie commune a cessé durant deux ans. Le fait que l’époux
demandeur ait pris l’initiative de la rupture importe peu et ne saurait, notam-
ment, entraîner à son égard des conséquences pécuniaires particulières. C’est
dire que le droit français du mariage s’est considérablement rapproché du droit
musulman (rappr. M. Charfi, « L’influence de la religion dans le droit interna-
tional privé des pays musulmans », Rec. cours La Haye 1987, t. III, p. 332).
À se placer au début des années quatre-vingts, la différence entre divorce
pour rupture de la vie commune et répudiation more islamico restait impor-
580 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64

tante. Pouvant être invoqué par l’un ou l’autre des époux, le divorce pour rup-
ture de la vie commune était assorti de garanties pécuniaires importantes et
subordonné à un contrôle du juge qui pouvait y faire obstacle en prenant
appui sur la clause de dureté. En revanche, selon le droit musulman tradition-
nel, le prononcé de la répudiation appartient au seul mari et revêt donc un
caractère profondément inégalitaire; la femme ne bénéficie ni d’un délai de
préavis, puisqu’elle peut être répudiée à son insu, ni de la possibilité de
dénoncer un abus de droit de la part de son conjoint puisque le caractère dis-
crétionnaire de la répudiation est absolu. Enfin, le droit musulman n’accorde à
l’épouse qu’une pension alimentaire pour la période correspondant au délai de
viduité, ainsi qu’un don de consolation modique si la rupture du lien conjugal
est demandée, sans raisons sérieuses, par son conjoint.
Malgré ces différences considérables, il n’en reste pas moins que le divorce
pour rupture de la vie commune entrouvrait la porte à une dissolution par mani-
festation unilatérale de volonté d’un des époux, sans que celui-ci ait aucun
grief à faire valoir contre son conjoint. Aussi bien s’engouffrant dans l’inters-
tice ainsi ouvert, un auteur suggéra-t-il que l’ordre public international fran-
çais pourrait tolérer l’accueil des répudiations prononcées à l’étranger dès lors
qu’elles seraient assorties de certaines des garanties, essentiellement pécuniai-
res, conférées par le droit français à l’époux défendeur dans un divorce pour
rupture de la vie commune (I. Fadlallah, « Vers la reconnaissance de la répu-
diation musulmane par le juge français ? », Rev. crit. 1981. 17, spéc. p. 26).
Cette suggestion ayant trouvé un écho favorable auprès de certains magistrats
(Gulphe, concl., JCP 1981. II. 20131), la Cour de cassation opéra en la matière
avec son arrêt Rohbi un revirement de jurisprudence remarqué.

B. — L’acceuil des répudiations more islamico

5 Ayant prononcé au Maroc la répudiation de son épouse, un Marocain avait


ensuite invoqué cette répudiation devant les juridictions françaises afin que
soit déclarée irrecevable la demande en divorce formée par celle-ci. Les juges
du fond avaient refusé de donner effet en France à cette répudiation en invo-
quant deux arguments : la répudiation était révocable, la femme n’avait pas été
appelée à formuler ses prétentions et défenses. Ils ne faisaient ainsi que suivre
les directives qui résultaient à l’époque de la jurisprudence de la Cour de cas-
sation. Par un arrêt Ferroudji, celle-ci avait en effet décidé que l’application
par un juge algérien d’une loi permettant au mari de reprendre son épouse,
dans le délai de trois mois suivant la répudiation, était contraire à l’ordre
public international (Civ. 1re, 20 juin 1978, Rev. crit. 1981. 88). Par un arrêt
Dahar, elle avait rejeté le pourvoi formé contre une décision qui avait accueilli
une répudiation reçue par un tribunal algérien aux motifs que cet acte de répu-
diation « avait ouvert une procédure à la faveur de laquelle chaque partie avait
fait valoir ses prétentions et ses défenses » (Civ. 1re, 18 déc. 1979, Rev. crit.
1981. 88, Rev. jud. Ouest 1981-2, 68, note B. Ancel). A contrario, en l’absence
d’une telle procédure, la répudiation ne pouvait être accueillie.
Se conformant scrupuleusement aux enseignements de la haute juridiction,
la décision des juges du fond paraissait à l’abri de toute censure. Mais, à
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 581

l’époque où le pourvoi fut formé, les hauts magistrats nourrissaient manifeste-


ment des doutes sur le bien-fondé des présupposés qui les avaient guidés dans
le passé. Une étude doctrinale les avait, en effet, éclairés sur les insuffisances
de certaines de leurs analyses (I. Fadlallah, art. préc., Rev. crit. 1981. 17).
S’agissant du caractère révocable de la répudiation, qui avait été compris par
les magistrats français comme accentuant les pouvoirs du mari — maître de
sa femme, il la répudiait ou la reprenait selon son bon plaisir —, il avait été
souligné qu’il y avait là un contre-sens; la révocabilité de la répudiation,
c’est-à-dire la possibilité de reprendre son épouse dans les trois mois suivant
la répudiation, sans nouvelle célébration du mariage et donc sans nouveau
consentement de la femme, devait être analysée comme « un garde-fou » contre
les emportements du mari, comme une sorte de délai de réflexion qui lui était
ouvert a posteriori. Quant à la garantie procédurale dont la haute juridiction
paraissait vouloir faire grand cas, elle était « purement formelle » (I. Fadlal-
lah, art. préc., Rev. crit. 1981. 27), car « la femme ne peut se défendre contre
une répudiation que, de toute façon, le mari a le droit de lui imposer »
(H. Gaudemet-Tallon, « La désunion du couple en droit international privé »,
Rec. cours La Haye, 1991, t. 1, p. 268). En effet, même si les législations les
plus récentes tentent d’atténuer le caractère extra-judiciaire de ce mode de
dissolution du mariage, en exigeant l’homologation de l’acte de répudiation
(v. par ex., dahir du 10 sept. 1993 modifiant l’art. 48 du Code du statut per-
sonnel marocain qui prévoit que la répudiation n’est enregistrée qu’« après
autorisation donnée par le juge », exigence maintenue par l’art. 79 du nouveau
Code marocain de la famille, Loi du 5 févr. 2004), il ne faut pas se tromper
sur la portée réelle de l’intervention de l’autorité judiciaire en la matière. Le
juge n’a aucun pouvoir d’appréciation du bien-fondé de la répudiation qu’il se
contente de constater et le défaut d’homologation ne remet pas en cause la
validité de l’acte (L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du
droit international privé, thèse Paris II, éd. 2001, no 312, p. 218). Tout au plus
l’homologation permet-elle à la femme d’être entendue (depuis 2004 au Maroc
au cours d’une tentative de conciliation) avant que ne soient fixées les consé-
quences financières du divorce (rappr. Déprez, Rev. crit. 1995. 116, no 13).
6 L’inanité des motifs qui avaient jusqu’alors guidé la haute juridiction étant
ainsi établie, restait à savoir si celle-ci allait renverser sa jurisprudence ou si
elle allait la maintenir en l’appuyant sur des motifs renouvelés et pertinents.
C’est le premier parti que choisit la Première chambre civile dans son arrêt
Rohbi. Suivant les conclusions de son avocat général, elle censure, en effet, la
décision des juges du fond qui avaient refusé d’accueillir la répudiation maro-
caine. À cet effet, elle développe son argumentation en deux temps.
Prenant appui sur le motif de principe qui, depuis l’arrêt Rivière, com-
mande le jeu de l’effet atténué de l’ordre public, elle rappelle que « la réaction
à l’encontre de l’ordre public n’est pas la même suivant qu’il s’agit de mettre
obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou de laisser se produire en
France les effets d’un droit acquis, sans fraude, à l’étranger et en conformité
de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ». La
formule appelle plusieurs remarques. En premier lieu, « la réaction à l’encon-
582 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64

tre d’une disposition contraire à l’ordre public » de l’arrêt Rivière s’est contrac-
tée en « la réaction à l’encontre de l’ordre public », ce qui n’est pas nécessai-
rement un progrès puisque, littéralement entendue, la formule ne veut plus
rien dire ! En second lieu, il est curieux de rappeler l’exigence d’un droit
acquis en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit internatio-
nal privé français puisque, la convention franco-marocaine n’étant pas appli-
cable en la circonstance, l’article 310-2 du Code civil désignait, dans le cas
présent, la loi française. En relevant qu’on était en présence de deux époux
marocains mariés au Maroc, conformément à leur statut personnel commun,
la Cour veut sans doute marquer que les titres d’application du droit marocain
sont forts et que l’article 310-2 n’a pas vocation à être utilisé pour vérifier si
un droit acquis à l’étranger l’a été régulièrement. Cantonné dans une
« unilatéralité directe », l’article 310-2 n’écarte la loi nationale commune des
époux au profit de la loi française de leur domicile commun que lorsque le
juge français est directement saisi (I. Fadlallah, note, Rev. crit. 1984. 334;
Gulphe, concl. préc).
Ce préalable posé, les hauts magistrats envisagent les caractères de la répu-
diation qu’ils avaient mis en avant dans le passé pour refuser d’accueillir
celle-ci dans l’ordre juridique français. Mieux éclairés sur la véritable signifi-
cation du caractère révocable de la répudiation, ils soulignent que ce caractère
« n’accroît en rien les prérogatives du mari puisqu’il ménage une période de
transition qui peut favoriser le rapprochement des deux époux ». Délaissant
les garanties procédurales, ils constatent que le caractère discrétionnaire de la
répudiation par le mari est tempéré par les garanties pécuniaires qu’il assure à
la femme. Et de fait, la femme répudiée sur l’initiative du mari a droit à un
don de consolation (Mout’a) qui peut prendre la forme d’une pension. Simple
recommandation pour le droit coranique, ce don de consolation est obligatoire
pour le Code du statut personnel marocain. La haute juridiction brosse ainsi
un tableau réaliste de la répudiation puisqu’elle la décrit telle qu’elle existe
et fonctionne effectivement (I. Fadlallah, Rev. crit. 1984. 332). Bien que ce
tableau soit assez éloigné de l’hypothèse du divorce pour rupture de la vie
commune, la haute juridiction considère que la répudiation satisfait aux exigen-
ces de l’ordre public entendu dans son effet atténué car il existerait entre les
deux situations une parenté suffisante : l’abandon peut être cause de divorce,
sur la seule initiative de celui qui est parti, s’il est accompagné de garanties
suffisantes pour le conjoint délaissé.
7 C’est dire que la haute juridiction choisit la voie du libéralisme. Ainsi que
nombre de commentateurs l’ont relevé à l’époque, ce choix s’explique proba-
blement, au moins partiellement, par le contexte très favorable à l’accueil des
répudiations étrangères créé par la Convention franco-marocaine du 10 août
1981 relative au statut des personnes et de la famille, dont on rappellera ici les
quelques éléments nécessaires à la compréhension du problème (Rev. crit. 1983.
534; sur cette convention, v. F. Monéger, Rev. crit. 1984. 2 et 267).
Les objectifs qui ont conduit le Maroc et la France à négocier cette conven-
tion sont très différents. Du côté marocain, il s’agissait de « conserver aux
personnes les principes fondamentaux de leur identité nationale » en ramenant
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 583

le statut personnel des plaideurs musulmans établis en France sous l’empire


de la loi coranique, écartée par l’article 310 (devenu l’article 309) du Code
civil. Du côté français, on cherchait à remédier au douloureux problème des
déplacements illicites d’enfants. À considérer le premier objectif, qui nous
intéresse seul ici, il convient de mettre plus particulièrement l’accent sur
quelques dispositions de la Convention franco-marocaine de 1981. L’article 8
donne compétence en matière de divorce aux juridictions de celui des deux
États sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient
leur dernier domicile commun, mais précise qu’au cas où les époux ont tous
deux la nationalité de l’un des deux États, les juridictions de celui-ci peuvent
être également compétentes. L’article 9 prévoit, quant à lui, que la dissolution
du mariage est prononcée selon la loi de l’État dont les époux ont tous deux la
nationalité. Au cas où, usant de l’option de compétence concurrente ouverte
par l’article 8, chacun des époux saisirait les juridictions d’un pays différent,
l’article 11 prévoit que la juridiction saisie en second doit surseoir à statuer.
Enfin, pour faciliter la réception des répudiations marocaines par l’ordre juri-
dique français, l’article 13 pose une règle matérielle originale : « les actes
constatant la dissolution du lien conjugal homologués par un juge au Maroc
entre conjoints de nationalité marocaine dans les formes prévues par la loi
nationale produisent effet en France dans les mêmes conditions que les juge-
ments de divorce prononcés à l’étranger ». En assimilant la répudiation à un
jugement étranger de divorce, le texte aboutit par une sorte de fiction à la
négation pure et simple du caractère extra-judiciaire de l’institution. Mais
quelle portée faut-il attribuer à cette assimilation ? Plusieurs lectures sont conce-
vables. Pour certains, « à peine de ne rien dire », elle signifie que les répudia-
tions ne peuvent être traitées plus sévèrement que des divorces. En d’autres
termes, il n’est pas possible de tirer argument de leur nature propre pour refu-
ser de les reconnaître (I. Fadlallah, Rev. crit. 1984. 333). Pour d’autres, elles
doivent certes être assimilées à des jugements. Mais cette assimilation ne les
dispense pas de satisfaire aux exigences qui s’imposent à tout jugement.
L’article 13 ne prétend pas, en effet, assimiler les répudiations à un jugement
régulier de divorce. Le tableau des difficultés futures était ainsi brossé.

II. …à la fermeture

8 Dans les années qui suivirent, la haute juridiction donna à l’article 13 de la


Convention franco-marocaine une portée maximale. Elle décida, en effet, que
les répudiations intervenues au Maroc devaient être reconnues sans qu’elles
puissent, en tant que telles, être déclarées contraires à l’ordre public au sens du
droit international privé français (Civ. 1re, 8 déc. 1987 et 6 juill. 1988, Rev. crit.
1989. 733, note M.-L. Niboyet, Clunet 1989. 63, 2e esp.), ce qui permit aux
maris marocains de se prévaloir d’une répudiation prononcée dans le pays
d’origine pour paralyser les instances au moyen desquelles l’épouse cherchait
à obtenir en France le prononcé du divorce ou la condamnation de son conjoint
en contribution aux charges du mariage. On assistait ainsi à une curieuse esca-
lade dans la tolérance : la Convention franco-marocaine de 1981 avait créé un
584 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64

contexte favorable à l’adoption de la jurisprudence Rohbi, et celle-ci favorisait


à son tour une interprétation libérale de l’article 13 de la Convention. Devant
les critiques soulevées par ces solutions, la Cour de cassation devait, non sans
tâtonnements ni repentir, procéder à un nouveau revirement de jurisprudence :
la répudiation more islamico ne peut être accueillie en France parce qu’elle est
contraire au principe de l’égalité des sexes (A). Les hésitations de la haute juri-
diction à arrêter une position définitive en matière de répudiation s’expliquent
probablement par la complexité des intérêts en présence et les difficultés de les
concilier (B).

A. — La prise en compte du principe de l’égalité des époux

9 Tout en ayant joué un rôle décisif dans le processus qui conduisit au revire-
ment de jurisprudence réalisé par l’arrêt Rohbi, M. Ibrahim Fadlallah ne fut
pas, une fois ce revirement acquis, sans laisser percer certains doutes quant à la
pertinence de la solution adoptée. La jurisprudence Rohbi ne jouait-elle pas,
s’interrogeait-il, « l’intégrité du statut personnel contre l’intégration de la
communauté nord-africaine dans la société française ? » (Rev. crit. 1984. 333).
Et de fait, bien loin d’accélérer l’évolution en cours, la jurisprudence Rohbi
tendait à figer les femmes de statut personnel musulman dans une situation
d’inégalité à l’égard des hommes. Aussi bien ceux-ci étaient-ils encouragés
par cette jurisprudence à « faire le voyage de la répudiation », celui-ci leur per-
mettant de tenir en échec l’action en contribution aux charges du mariage ou
l’action en divorce intentées en France par l’épouse. Les conséquences d’une
telle situation furent dénoncées de plus en plus fermement par la doctrine.
C’est ainsi que Mme Françoise Monéger constatait que « le mari se débarras-
sait ainsi à bon compte de son épouse qui avait de bonnes chances de rester à la
charge de la collectivité française. La tolérance devait-elle aller jusque-là ? »
(« Vers la fin de la reconnaissance des répudiations musulmanes par le juge
français ? », Clunet 1992. 348). Quant à M. Déprez, il soulignait que « cette
ouverture au statut de l’autre, louable sur le plan de l’idéal, profite surtout aux
hommes et se retourne contre les femmes », lesquelles pouvaient espérer plus
de considération de la société française dans laquelle elles étaient venues s’ins-
taller (« Droit international privé et conflits de civilisations », Rec. cours
La Haye, 1988 t. IV, p. 211). La configuration procédurale du divorce français,
d’une part, de la répudiation more islamico, d’autre part, rendait au reste la
solution particulièrement choquante. La répudiation s’effectuant sans délai,
par simple acte notarié et étant très rapidement homologuée, le mari était,
grâce à celle-ci, en position de gagner de vitesse son épouse alors même
qu’elle aurait pris l’initiative du divorce devant les juridictions françaises. En
effet, ouverte en France par une requête, l’instance n’y commence véritable-
ment qu’au jour de l’assignation, après la procédure de conciliation. Partant,
intervenue entre la date de la requête en divorce et celle de l’assignation, la
répudiation ne pouvait donner lieu à un conflit de procédures susceptible
d’être résolu au profit de l’ordre juridictionnel français, saisi en premier par
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 585

l’épouse, comme l’aurait pourtant voulu l’article 11 alinéa 3 de la Convention


franco-marocaine.
10 Vigoureusement critiquée en France, cette solution le fut aussi à l’étranger.
On souligna que le processus d’adaptation du statut personnel aux exigences
de la modernité, engagé par certains États musulmans ou revendiqué par une
partie de leur population risquait d’être sinon enrayé du moins gêné par l’atti-
tude très libérale des juridictions françaises (K. Meziou et A. Mezghani, « Les
musulmans en Europe, l’application de la loi nationale au statut personnel :
essai de clarification », Cahiers de droit maghrébin 1995, no 1). C’est ainsi
que les juges tunisiens qui n’hésitaient pas, à la suite de la suppression de la
répudiation maritale par le Code du statut personnel tunisien, à écarter comme
contraires à l’ordre public les répudiations marocaines (T. 1re inst. Tunis,
19 avr. 1977, Clunet 1979. 654, obs. Charfi; Cass. 16 juin 1983, Bull. civ.
1987. 223) ou saoudiennes (Trib. 1re inst. Tunis, 19 nov. 1991, Rev. tunisienne
de droit 1993. 429, note Gara) se retrouvaient, du fait de la position française,
en porte à faux.
11 Sensible à ces critiques, la haute juridiction entreprit de mettre en place des
freins à sa tolérance, spécialement lorsque les répudiations prononcées à
l’étranger étaient invoquées pour court-circuiter des procédures françaises en
contribution aux charges du mariage ou en divorce, intentées par la femme. À
cet effet, fut suggéré le recours aux procédés les plus divers.
Dans un premier temps, l’exception de fraude connut une certaine faveur
(Civ. 1re, 6 juin 1990, Rev. crit. 1990. 593, 1re esp., note P. Courbe, D. 1990,
Som. com. p. 265, obs. B. Audit). Mais il apparut très vite que celle-ci était, en
la circonstance, singulièrement difficile à manier. Et de fait, l’attitude du mari
répudiant dans son pays d’origine son épouse et invoquant cette répudiation
en France ne paraît pas pouvoir constituer une fraude au sens du droit interna-
tional privé. Comme le souligne M. Audit, « en matière internationale, la
fraude à la loi consiste normalement à provoquer l’application d’une loi sans
rattachement sérieux, au détriment d’une autre loi présentant un titre d’appli-
cation manifestement supérieur, et à prétendre exercer les droits ainsi acquis
dans le ressort de la seconde. La difficulté vient ici de ce que le recours aux
autorités et à la loi marocaine n’est nullement artificiel » (B. Audit, D. 1990,
Som. com. p. 265 ; comp. arrêt Weiller, supra, no 24). Et Mme Gaudemet-
Tallon de renchérir : « s’agissant d’Algériens ou de Marocains domiciliés en
France, les autorités françaises et étrangères, les lois françaises et étrangères
ont toutes des titres raisonnables à intervenir. On ne peut reprocher au mari de
choisir le système le plus conforme à ses intérêts », surtout lorsque, comme c’est
le cas pour les rapports franco-marocains, la compétence des autorités résulte
directement d’une convention à laquelle la France est partie (H. Gaudemet-
Tallon, Cours préc., Rec. cours La Haye, 1992, t. 1, p. 267; v. aussi D. Alexan-
dre, « La protection de l’épouse contre la répudiation », in Le droit de la
famille à l’épreuve des migrations transnationales, 1993, p. 140 ; Déprez,
Rev. crit. 1995. 112). En réalité, ce qui s’oppose à la reconnaissance des répu-
diations, comme on l’a justement souligné, « c’est moins le comportement
586 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64

prétendument frauduleux du mari que la teneur même des décisions étrangè-


res » (L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit interna-
tional privé, thèse Paris II, éd. 2001, p. 209, no 301). Autrement dit, c’est plu-
tôt sur le terrain de l’ordre public et plus exactement encore sur celui de la
« fraude à l’intensité de l’exception d’ordre public » que la solution paraissait
devoir être recherchée (I. Fadlallah, Rev. crit. 1984. 336). On est alors en pré-
sence d’une personne qui cherche à acquérir à l’étranger un droit qu’elle sait
ne pas pouvoir acquérir directement en France parce que cette acquisition s’y
heurte à l’effet plein de l’ordre public. Mais n’est-ce pas alors le signe que la
distinction opérée par l’arrêt Rivière entre l’effet plein et l’effet atténué de
l’ordre public est devenue inadaptée dans un monde aux communications
toujours plus faciles et qu’il conviendrait de faire varier le seuil d’intervention
de l’ordre public en fonction de liens prédéterminés avec le territoire du for
(H. Gaudemet. Tallon, Cours préc., Rec. cours La Haye, 1992, t. l, p. 270;
rappr. P. Lagarde, « La théorie de l’ordre public international face à la polyga-
mie et à la répudiation, l’expérience française », Mélanges F. Rigaux, p. 263,
préconisant l’élaboration de clauses spéciales d’ordre public) ?
D’autres pistes furent, au reste, suggérées afin de mettre fin aux situations
les plus choquantes. À cet effet, il fut préconisé de faire prévaloir l’antériorité
de la saisine des juridictions françaises par l’épouse en retenant la date de la
requête et non plus celle de l’assignation pour régler le conflit de procédures
(M.-L. Niboyet, Rev. crit. 1989. 739; Déprez, Rev. crit. 1995. 112) ou encore
de prendre en compte la théorie anglo-saxonne de l’estoppel qui permet de
sanctionner les attitudes contradictoires d’une même partie dans des procédu-
res parallèles (H. Muir Watt, « Pour l’accueil de l’estoppel en droit français »,
Mélanges Loussouarn, 1994, p. 303).
12 Il ne s’agissait là néanmoins que de demi-mesures. Or, aux yeux de beaucoup,
c’était l’accueil même des répudiations more islamico qu’il convenait pure-
ment et simplement de remettre en cause. La difficulté venait alors de ce que,
au moins dans les rapports franco-marocains, la Convention de 1981 paraissait
s’opposer à un tel retour en arrière. Mais, usant de toutes les ressources de l’ordre
public, la Cour de cassation devait « signer en trois actes » (L. Gannagé, thèse
préc.) la fin de la reconnaissance des répudiations islamiques par le juge français.
Dans un premier temps, ce fut l’ordre public procédural qui fut mis à
contribution pour faire échec à l’accueil en France des répudiations pronon-
cées à l’étranger. À cet effet, la haute juridiction décide que l’article 13 de la
Convention franco-marocaine, s’il assimile les répudiations à des jugements
de divorce, ne les dispense pas de satisfaire aux conditions d’accueil des déci-
sions étrangères en France. S’agissant des décisions marocaines, ces conditions
résultent de la Convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 d’aide
mutuelle judiciaire et d’exequatur des jugements dont l’article 16 b) pose que
les parties doivent avoir été loyalement représentées ou déclarées défaillantes.
C’est dire que la répudiation, dès lors qu’elle est prononcée à l’insu de la
femme, qui n’a pu faire valoir ses prétentions et défenses, se heurte à l’ordre
public procédural (Civ. 1re, 6 juin 1990, préc.). La haute juridiction renoue
ainsi avec la jurisprudence Dahar.
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 587

Dans un deuxième temps, la jurisprudence prit appui sur « l’ordre public


alimentaire ». Relevant le montant dérisoire des sommes temporairement
allouées à l’épouse pour subvenir tant à ses besoins qu’à ceux de ses enfants,
les magistrats considèrent que de véritables garanties pécuniaires font défaut
en sorte que la répudiation ne saurait être accueillie par l’ordre juridique fran-
çais. Comme le constate la Cour de Versailles (9 oct. 1989, D. 1990, Som.
com. p. 99, obs. Groslière), la reconnaissance de répudiations non assorties de
garanties pécuniaires sérieuses aurait « pour effet d’obliger les organismes
sociaux français à se substituer à la carence du père qui pourtant exerce une
profession, pour remédier aux conditions matérielles critiquables dans les-
quelles se trouvent les enfants du fait de la décision marocaine » (rappr.
Civ. 1re, 16 juill. 1992, Rev. crit. 1993. 269, note P. Courbe, JCP 1993. II.
22138, note Déprez, D. 1993. 358, note K. Saidi; Comp. en cas d’action directe
devant les tribunaux français, Civ. 1re, 7 nov. 1995, D. 1996, Som. com.
p. 170, obs. Audit; Aix en Provence, 10 mai 1998, Clunet 1999. 136, note
M. Bencheneb). Et de fait, bien que l’article 60 du Code du statut personnel
marocain prévoie que « tout mari qui prend l’initiative de répudier sa femme
doit lui remettre un don de consolation qui sera fixé compte tenu de ses
moyens et de la situation de la femme répudiée », la pratique révèle que ce don
est souvent dérisoire et ne permet pas d’assurer la subsistance en France de la
femme répudiée (F. Monéger, art. préc., Clunet 1992. 354). Mais, à supposer
même que les garanties pécuniaires soient suffisantes, doit-on admettre qu’un
mari est libre de répudier sa femme dès lors qu’il est prêt à en payer le prix ?
Dans un troisième temps enfin, le domaine déjà très limité réservé à
l’accueil des répudiations unilatérales fut réduit à rien par le constat de leur
contrariété avec le principe de l’égalité des époux. Mais ce constat ne se fit
pas sans difficultés ni repentir, en sorte qu’on peut ici parler d’un acte divisé
en trois scènes.
13 Première scène : dans une espèce dont les faits revêtaient un caractère d’école
— deux époux marocains établis en France, requête en divorce présentée par la
femme devant le juge français, répudiation par le mari au Maroc, assignation
du mari par la femme devant le juge français —, les juges du fond français
avaient déclaré irrecevable la demande en divorce de la femme au motif,
notamment, que la répudiation marocaine n’était pas contraire à l’ordre public
international français. Par un arrêt du 1er juin 1994 visant, entre autres, l’article
5 du protocole no 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel
énonce le principe de l’égalité des époux, la Première chambre civile les cen-
sure (Civ. 1re, 1er juin 1994, Rev. crit. 1995. 103, 2e esp., note J. Deprez,
D. 1995. 263, note J. Massip, Grands arrêts, 4e éd., 2001, no 64). Le message
paraissait d’autant plus clair que, la répudiation ayant été effectuée « hors la
présence de l’épouse non appelée à la procédure », l’ordre public procédural
suffisait à faire échec à sa reconnaissance en France. En invoquant en sus le
principe d’égalité des époux, la haute juridiction semblait vouloir marquer que
la répudiation, alors même qu’elle était assortie de garanties pécuniaires
sérieuses et qu’elle était précédée d’une procédure au cours de laquelle la
femme avait été entendue, ne saurait recevoir effet en France (L. Gannagé,
588 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64

thèse préc., no 315, p. 222). Privilège masculin, la répudiation est par cela
même contraire à un principe jugé fondamental par l’ordre juridique français,
le principe d’égalité des époux.
Explicitant plus complètement sa démarche, la haute juridiction devait pré-
ciser dans un arrêt du 11 mars 1997 (Clunet 1998. 110, note Ph. Khan,
D. 1997. 400, note M.-L. Niboyet, JCP 1998. I. 101, no 3, obs. Fulchiron),
que si, aux termes de l’article 13 « les actes constatant la dissolution du lien
conjugal entre époux marocains, homologués dans les formes prévues par la
loi marocaine, produisent effet en France dans les mêmes conditions que les
jugements de divorce prononcés à l’étranger », il résulte de l’article 16 b) de
la Convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 « que ces conditions exi-
gent notamment que la décision étrangère ait respecté les droits de la défense
et que sa reconnaissance ne soit pas contraire à l’ordre public international,
qu’au titre de cette dernière exigence figure l’égalité des droits et responsabi-
lité des époux lors de la dissolution du mariage, droit reconnu par l’article 5
du protocole du 22 novembre 1984, no 7 à la Convention européenne de sau-
vegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et que la France
s’est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction ». En d’autres
termes, le principe d’égalité des époux est pris en compte comme une compo-
sante de l’ordre public international français, lequel intervient lui-même par le
biais de la Convention franco-marocaine de 1957 qui y fait expressément réfé-
rence et dont le jeu est réservé par celle de 1981 (C. Brière, Les conflits de
conventions internationales en droit privé, thèse Rouen, éd. 2001, nos 405 et s.,
p. 295 et s.).
Si la solution fut, en général, approuvée, la méthode sur laquelle elle se
fondait n’alla pas sans susciter certaines réserves. C’est ainsi qu’il fut notam-
ment souligné que plutôt que d’emprunter le détour de l’ordre public, il aurait
été préférable de traiter directement le conflit de conventions sous-jacent à
cette situation. Mais si le conflit entre la Convention européenne des droits
de l’homme et la Convention franco-marocaine est, en la circonstance, mani-
feste, sa solution ne va pas sans difficultés. À considérer les directives qui
gouvernent les conflits de conventions, c’est plutôt la convention franco-
marocaine qui paraîtrait devoir l’emporter. L’article 30-4-b de la Convention
de Vienne sur le droit des traités prévoit que lorsque « dans les relations entre
un État-partie à deux traités (successifs et portant sur la même matière) et un
État-partie à l’un de ces traités seulement, le traité auquel les deux États sont
parties régit leurs droits et obligations réciproques ». Transposé au conflit qui
oppose la Convention européenne des droits de l’homme à la Convention
franco-marocaine, cette directive aurait pour effet de donner priorité à la
seconde. Mais on objecte parfois à l’application de cette disposition qu’elle
vise des « traités successifs et portant sur la même matière ». Or tel ne paraît
pas être le cas des deux conventions susnommées qui ont des objets distincts.
La tentation est alors grande de revenir à l’adage specialia generalibus dero-
gant en vertu duquel la norme spéciale déroge à la norme générale. Mais là
encore, ce serait la Convention franco-marocaine qui devrait prévaloir. D’où,
pour justifier la prévalence de la Convention européenne des droits de l’homme,
l’idée de faire appel au jus cogens, norme à laquelle aucune dérogation ne
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 589

peut être apportée parce qu’elle est acceptée et reconnue par la communauté
internationale des États. Mais, ainsi qu’on l’a justement souligné, « il est pour
le moins surréaliste d’évoquer le caractère universel de règles de droit qui ne
sont pas partagées par un milliard d’individus dans le monde », ce qui est le
cas du principe d’égalité des époux (L. Gannagé, thèse préc., p. 260, no 355).
D’où l’idée de faire appel aux principes généraux du droit pour résoudre cette
difficulté, le principe d’ordre public l’emportant alors sur celui de l’harmonie
internationale des solutions (L. Gannagé, thèse préc., p. 308, no 362; W. Wen-
gler, « Les principes généraux du droit et leurs conflits », Rev. crit. 1953, p. 47).
14 Deuxième scène : la haute juridiction renoue avec sa jurisprudence libérale.
Alors que la cause paraissait entendue, la Première chambre civile, par un arrêt
Douibi du 3 juillet 2001, passant par pertes et profits le principe de l’égalité des
époux pourtant expressément invoqué, rejeta le pourvoi formé contre un arrêt
ayant accueilli une répudiation unilatérale (Civ. 1re, 3 juill. 2001, Rev. crit.
2001. 704, note L. Gannagé, Clunet 2002, 181, note Ph. Kahn, D. 2001. 3378,
note M.-L. Niboyet, JCP 2002. II. 10039, note Th. Vignal, Droit et patri-
moine, 2001, no 97, p. 116, obs. F. Monéger, LPA 2002, no 108, p. 11, note
P. Courbe). L’hypothèse était pourtant on ne peut plus classique : alors qu’il
résidait en France avec son épouse de même nationalité que lui, un Algérien
s’était rendu en Algérie pour procéder à la répudiation de celle-ci puis y contrac-
ter un second mariage, suivi d’un retour en France. Ayant tenté de s’opposer à
l’exequatur de la répudiation algérienne en invoquant le comportement fraudu-
leux du mari ainsi que la contrariété de la décision ainsi obtenue au principe de
l’égalité des époux, la femme ne put obtenir gain de cause devant les juges du
fond. Son pourvoi est rejeté aux motifs que la conception française de l’ordre
public international ne s’oppose pas à la reconnaissance en France d’un
divorce étranger par répudiation unilatérale dès lors que le choix d’un tribunal
par celui-ci n’a pas été frauduleux, que la répudiation a ouvert une procédure à
la faveur de laquelle chaque partie a pu faire valoir ses prétentions et ses défen-
ses et que le jugement algérien, passé en force de chose jugée et susceptible
d’exécution, avait garanti des avantages financiers en condamnant le mari à lui
payer des dommages-intérêts pour divorce abusif, une pension de retraite
légale et une pension alimentaire d’abandon.
Critiquée par ses premiers commentateurs en ce qu’elle reposait sur une
« lecture au rabais » du principe de l’égalité des époux (L. Gannagé, Rev. crit.
2001. 709; M.-L. Niboyet, D. 2001. 3378), cette décision fut approuvée par
d’autres au nom de la méthode (« le raisonnement de la Première chambre
civile est empreint d’une grande rigueur juridique. Il est certes bien vrai que la
loi étrangère est in abstracto contraire à l’ordre public pour atteinte à l’égalité
des sexes. Mais il n’en est pas moins vrai que l’atteinte à l’ordre public, dans
une espèce particulière, doit se faire in concreto », P. Lagarde, Rép. Dalloz dr.
int., Cahiers de l’actualité 2002-1, p. 6), et du réalisme (il convient de respec-
ter la diversité culturelle, car c’est le seul moyen d’éviter les situations boiteu-
ses, H. Fulchiron, JCP 2002. II. 10095, note sous Civ. 2e, 4 mars 2002;
P. Courbe, note préc.; M. Farge, Dr. fam. 2002, chr. no 17). Pour les auteurs
favorables à la solution, il n’y a atteinte effective à l’égalité des époux que
590 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64

lorsque la femme est entièrement à la merci de son mari; tel n’est pas le cas quand
elle a pu être entendue et a perçu un certain nombre d’avantages financiers.
Cette nouvelle solution se heurta à une certaine résistance de la Cour de Paris
(13 déc. 2001, Rev. crit. 2002. 730, note L. Gannagé) et ne fut pas suivie telle
quelle par les autres chambres de la Cour de cassation (Civ. 2e, 14 mars 2002,
JCP 2002. II. 10095, note Fulchiron, I. 107, no 3, obs. Peruzzetto; Farge, Dr. fam.
2002, chr. no 17).
15 Troisième scène : par cinq arrêts du 17 février 2004, dont seul le premier est
ici reproduit, la haute juridiction réaffirme, avec toute la solennité qu’implique
un tel effet de répétition, que les répudiations more islamico sont contraires
au principe de l’égalité des époux, énoncé par l’article 5 du Protocole no 7,
additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et donc à
l’ordre public international, dès lors que la femme répudiée était domiciliée
sur le territoire français. Autrement dit, la haute juridiction procède à un « dur-
cissement de l’ordre public international », tout en subordonnant le déclenche-
ment de celui-ci à une nouvelle condition de proximité (P. Hammje, Rev. crit.
2004. 426). Le respect des exigences procédurale et alimentaire ne suffit plus à
mettre la répudiation à l’abri de l’ordre public, car les garanties qui en résul-
tent sont très largement illusoires (supra, § 11). Le principe d’égalité des
époux, composante de l’ordre public international, est méconnu du seul fait
que le pouvoir conjugal reste entre les mains de l’époux et que le divorce doit
être prononcé sur la seule volonté de celui-ci, du moins si la femme répudiée
est domiciliée en France, ou encore si domiciliés à l’étranger les époux sont de
nationalité française (Civ. 1re, 10 mai 2006, JCP 2006. IV. 2248).
Il est à souhaiter que ces décisions constituent l’épilogue du feuilleton des
répudiations musulmanes (v. depuis dans le même sens, Civ. 1re, 25 oct. 2005,
El W., Dr. fam. 2006, no 103, obs. Farge; 3 janv. 2006, JCP 2006. IV. 1199,
Rev. crit. 2006. 627, note M.-C. Najm; 10 mai 2006, JCP 2006. IV. 2238). La
solution qu’elles posent réalise, en effet la moins mauvaise conciliation possi-
ble entre les multiples intérêts qui s’affrontent et s’entremêlent, en la matière.

B. — La conciliation des intérêts en présence

16 Rappelons d’abord qu’il ne saurait plus être question de s’opposer aux


répudiations more islamico, au motif qu’elles méconnaîtraient, du fait de leur
caractère unilatéral, « le sérieux, la dignité et la permanence du mariage »
(Paris, 15 déc. 1948, Weiller, JCP 1949. II. 4950, note Sarraute et Tager). On
sait, en effet, que le droit français connaît, depuis 2004, un tel mode de disso-
lution du mariage sous couvert d’altération définitive du lien conjugal (supra,
§ 4). On sait aussi que le législateur français a introduit dans le Code civil, par
une loi du 15 novembre 1999, le pacte civil de solidarité (PACS). Or la régle-
mentation de ce pacte, qui ne peut être conclu « entre ascendant et descendant
en ligne directe…, entre collatéraux jusqu’au troisième degré, entre deux per-
sonnes dont l’une au moins est engagée dans les liens du mariage… ou déjà
liée par un pacte civil de solidarité » et qui une fois conclu implique « aide
mutuelle et matérielle » et solidarité pour les dettes contractées pour les besoins
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 591

de la vie courante, prévoit qu’il peut y être mis fin par chaque partenaire unila-
téralement et discrétionnairement, sans autre formalité qu’une signification
dont copie est adressée au greffe du tribunal d’instance et sans garantie pécu-
niaire (art. 515-7, C. civ.). Autrement dit, chaque partenaire peut congédier
l’autre dès qu’il a cessé de plaire, le ravalant ainsi au rang de simple « outil
masturbatoire » (J.-C. Guillebaud, La tyrannie du plaisir, p. 473). Seul donc le
principe d’égalité différencie clairement le droit français du droit musulman et
est donc de nature à faire échec à l’accueil des répudiations more islamico.
Encore faut-il savoir comment il doit être entendu pour concilier les différents
intérêts en présence : intérêts de la société internationale, intérêts des sociétés
internes, intérêts des personnes concernées.
17 À se placer du point de vue de la société internationale, le premier objectif
qui s’impose est celui de l’harmonie internationale des solutions. En vertu de
ce principe, il importe que la même question reçoive la même réponse dans les
différents ordres concernés. Dans cette perspective, il convient de reconnaître
en France les répudiations prononcées à l’étranger. À l’appui d’une telle solu-
tion, une voix particulièrement autorisée à fait valoir qu’il convient de ne
pas céder à la « tentation universaliste des droits de l’homme (…) Imposer à
l’encontre de jugements venus d’ailleurs des valeurs perçues comme impérati-
ves suppose en effet qu’elles aient une égale vocation à s’appliquer dans toutes
les traditions juridiques. La légitimité d’une position aussi absolutiste est dis-
cutable. Elle revient à postuler l’universalité des droits de l’homme, à s’oppo-
ser au relativisme culturel, à refuser toute concession à la diversité (…). Les
droits de l’homme ne sont que l’expression d’une certaine culture juridique
régionale et n’ont pas vocation à faire systématiquement obstacle à toute recon-
naissance de situations acquises sous l’empire d’une loi ou par le truchement
d’un jugement provenant d’une culture profondément différente » (G. Canivet,
« La convergence des systèmes juridiques du point de vue du droit privé fran-
çais », RID comp. 2003, p. 7 et s., spéc. p. 20; rappr. H. Fulchiron, JCP 2004.
II. 10128, in fine; du même auteur, « “Ne répudiez point…” : pour une inter-
prétation raisonnée des arrêts du 17 février 2004 », RID comp. 2006. 7 et s.).
Aussi bien est-il prôné dans cette conception de procéder à une lecture aussi
concrète que possible de l’exception d’ordre public international. En arrière-
plan se dessine l’idée qu’il existe au profit des étrangers une sorte de droit légi-
time à la différence et qu’il convient de favoriser sur notre sol l’émergence
d’une société multiculturelle (A. Touraine, « Faux et vrais problèmes », in Une
société fragmentée ? Le multiculturalisme en débat, p. 295).
18 Pleinement satisfaisante pour les intérêts de la société internationale, une
telle approche est-elle tolérable pour les ordres juridiques internes concernés ?
Dans la conception traditionnelle du droit international privé, l’insertion des
relations internationales dans le contexte des ordres juridiques nationaux doit,
en effet, s’opérer de telle façon que leur cohésion ne soit pas altérée et que leur
existence ne puisse être remise en cause. À considérer les intérêts de l’ordre
juridique français, il importe de rappeler que, à la différence d’autres nations,
la nation française est une nation ouverte dont l’héritage fondateur n’est pas
592 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 63-64

réservé aux héritiers biologiques, mais bénéficie à tous ceux qui en prennent
connaissance et l’intériorisent par le processus de socialisation (D. Schnapper,
La France de l’intégration, 1991, p. 348), lequel suppose le respect d’un cadre
global de référence, d’un « corpus républicain minimum » sur lequel la France
ne saurait transiger sans risquer de disparaître (J.-P. Chevènement, Le vert et
le noir, 1995, p. 204). Or, parmi ce corpus, figure certainement l’égalité de
l’homme et de la femme. Prôner le respect de la diversité culturelle, c’est en
réalité s’engager résolument sur la voie du communautarisme, voire même de
l’apartheid. C’est en effet, considérer qu’il y a en France deux catégories de
femmes, celles qui ont le droit à l’égalité et à la protection de l’ordre juridique
français et les autres qui peuvent être confinées dans une sorte de « ghetto
coupé des valeurs » de la société où elles vivent. La répudiation apparaît, en
effet, comme le « symbole d’une conception patriarcale et inégalitaire des rap-
ports conjugaux, contraire à l’intégration non seulement des femmes musul-
manes maintenues dans une condition mineure » mais aussi des hommes
« confirmés dans leurs privilèges masculins et confortés dans la conviction de
leur supériorité » (J. Déprez, « La réception du statut personnel musulman en
France », Cahiers des droits maghrébins, 1995, p. 20 et s., spéc. no 33). Le
droit à la différence devient ainsi un « droit à l’indifférence » et à « l’enferme-
ment » (S. Abou, Cultures et droits de l’homme, 1992, p. 13 et s., spéc. p. 32
et 37), voire à la « condescendance » (A. Mezghani, « Quelle tolérance pour
les répudiations ? », RID comp. 2006. 61 et s., spéc. p. 65). En outre, comme
on a pu le souligner, « l’institution est (…) de plus en plus contestée au sein
du monde musulman, et on ne peut oublier que ce sont les femmes musulma-
nes elles-mêmes qui s’insurgent contre cette pratique, de sorte qu’il serait
presque surréaliste de la leur imposer au nom du respect de leur identité cultu-
relle » (M.-C. Najm, Principes directeurs du droit international privé et conflit
de civilisations, thèse Paris II, éd. 2004, no 500, p. 478). Dans cette perspec-
tive, seul le constat que la femme a pris l’initiative de la répudiation ou y a
acquiescé est de nature à restituer à celle-ci sa dignité en lui permettant de
rompre avec l’univers patriarcal dans lequel on cherche à l’enfermer. En outre,
une telle exigence permet de vider de sa portée l’objection selon laquelle le refus
de reconnaître les répudiations risque de se retourner contre l’intérêt de l’épouse
en créant une rupture dans son statut, puisque démariée dans son pays d’origine,
elle serait toujours mariée en France. La répudiation sera, en effet, accueillie en
France, si elle y consent. Ainsi concilie-t-on les intérêts de l’ordre juridique fran-
çais et de l’épouse répudiée avec ceux de la société internationale.
Il apparaît donc clairement que l’ordre public international français doit
faire obstacle à l’accueil en France d’une répudiation more islamico, pronon-
cée à l’étranger, lorsqu’elle concerne une femme domiciliée en France ou à
plus forte raison de nationalité française : l’ordre public de proximité
l’emporte alors sur l’effet atténué (M.-C. Najm, thèse préc., no 500, p. 479;
rappr. M.-L. Niboyet « Regard français sur la reconnaissance en France des
répudiations musulmanes », RID comp. 2006. 27 et s., spéc. p. 45).
19 Favorable à la cohésion de la société française, la décision retenue l’est
aussi à la modernisation du statut personnel des sociétés musulmanes. Le droit
63-64 ROHBI, CASS., 3 NOVEMBRE 1983 — M.A., 17 FÉVRIER 2004 593

des pays musulmans ne peut plus, en effet, être perçu comme un ensemble
immuable et monolithique. L’urbanisation, l’industrialisation, le développement
des services, le travail des femmes conduisent à faire évoluer un droit conçu
pour une société essentiellement pastorale et agricole. C’est ainsi que l’ordre
juridique tunisien a connu une mutation profonde marquée notamment par la
promotion du statut de la femme et de celui de l’enfant naturel, (Y. Lequette,
« Le conflit de civilisations à la lumière de l’expérience franco-tunisienne »,
Mélanges Sassi Ben Halima, 2005, p. 175). Sans aller aussi loin, le Maroc n’en
a pas moins réformé son droit de la famille en 2004 (F. Sarehane, « Le nou-
veau Code marocain de la famille », Gaz. Pal. 3-4 sept. 2004). Aussi bien a-t-il
été souligné que les tergiversations de la jurisprudence française ne peuvent
qu’affaiblir les arguments de ceux qui œuvrent dans des conditions difficiles à
la réforme du statut personnel (L. Gannagé, note Rev. crit. 2001. 716; du même
auteur « Le relativisme des droits de l’homme dans l’espace méditerranéen »,
RID comp. 2006. 101 et s., spéc. p. 112; M.-L. Niboyet, note D. 2001. 3379).
« Poussant trop loin le prétendu respect des civilisations étrangères (…), la
position (libérale) de la jurisprudence européenne occulte la fonction pédago-
gique du droit (…). Les législateurs musulmans n’ont certes pas de leçon à
recevoir des législateurs européens ni de la jurisprudence occidentale, mais le
rejet systématique au nom de l’ordre public de certaines solutions ne peut
qu’interpeller, inciter à une remise en cause, à une interrogation sur le contenu
des droits concernés » (K. Meziou et A. Mezghani, « Les musulmans en Europe,
L’application de la loi nationale au statut personnel essai de clarification »,
Cahiers des droits maghrébins 1995, p. 7; A. Mezghani, « Le juge français et
les institutions de droit musulman », Clunet 2003, p. 721 et s.).
20 Il a été suggéré qu’il conviendrait de distinguer le prononcé de la répudia-
tion du règlement de ses conséquences patrimoniales et sur les enfants. Acte
public à caractère constitutif, la répudiation stricto sensu échapperait à l’exi-
gence du respect du contradictoire et devrait être accueillie très libéralement
en France. Revêtant un caractère juridictionnel, l’acte qui renferme le règle-
ment des effets de la répudiation devrait répondre aux conditions d’accueil des
décisions étrangères en France. Il en résulterait une dichotomie : la répudiation
bénéficierait d’un exequatur partiel qui aurait le mérite d’éviter une rupture
dans le statut des intéressés, tandis que les conséquences pécuniaires ou sur la
personne des enfants pourraient donner lieu à une nouvelle instance en France
(R. El Husseini, Le droit international privé français et la répudiation islami-
que, thèse Paris II, 1999; v. aussi Rev. crit. 1999. 427).
65-66
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

14 mars 1984 et 1er octobre 1985

I. — Civ. 1re, 14 mars 1984, Rev. crit. 1984. 644, note Bischoff,
Clunet 1984. 598, note Oppetit, D. 1984. 629, rapport Fabre, note J. Robert,
JCP 1984. II. 20205, concl. Gulphe, note Synvet,
Rev. arb. 1985. 69, note Couchez.
II. — Civ. 1re, 1er octobre 1985, Rev. crit. 1986. 527, note B. Audit,
Clunet 1986. 170, note Oppetit,
JCP 1986. II. 20566, concl. Gulphe, note Synvet.
Immunité d’exécution. — États étrangers.

L’immunité d’exécution dont jouit l’État étranger est de principe. Toutefois


elle peut être exceptionnellement écartée. Il en est ainsi lorsque le bien
saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant du droit
privé qui donne lieu à la demande en justice (1er arrêt).
À la différence des biens de l’État étranger qui sont en principe insaisis-
sables, sauf exceptions, les biens des organismes publics personnalisés ou
non, distincts de l’État étranger, peuvent être, lorsqu’ils font partie d’un
patrimoine que celui-ci a affecté à une activité principale relevant du droit
privé, saisis par tous les créanciers, quels qu’ils soient, de cet organisme
(2e arrêt).

Faits. — La matière de l’immunité d’exécution montre que le procès le plus modeste


peut jouer un rôle aussi important dans l’édification d’une jurisprudence que le conten-
tieux le plus retentissant. Il est, en effet, difficile d’imaginer des litiges aux enjeux poli-
tiques et financiers aussi dissemblables que ceux qui ont donné naissance aux deux
décisions ci-dessous reproduites.
Le gouvernement impérial iranien a conclu, en 1975, avec les sociétés Eurodif et
Sofidif, des accords de coopération pour le développement de l’énergie nucléaire; il a
en outre prêté au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) un milliard de dollars amé-
ricains dont le remboursement prévu sur sept ans à compter de 1982 était garanti par l’État
français. À la suite de la révolution iranienne, ces accords de coopération furent dénon-
cés par les nouveaux dirigeants iraniens. S’estimant lésées par cette décision, les socié-
tés Eurodif et Sofidif engagèrent, conformément aux clauses compromissoires insérées
dans ces accords, une procédure arbitrale sous les auspices de la Chambre de commerce
internationale. Parallèlement, afin de préserver leurs droits, elles pratiquèrent une saisie
conservatoire sur les sommes dues par le CEA et subsidiairement l’État français, à
l’État iranien. La République islamique d’Iran ayant sollicité la mainlevée de cette sai-
65-66 EURODIFF, CASS., 14 MARS 1984 — SONATRACH, 1 OCTOBRE 1985 595

sie, celle-ci lui fut refusée par une ordonnance du président du Tribunal de commerce en
date du 21 décembre 1979. Mais, sur appel, la Cour de Paris, par un arrêt du 21 avril
1982 (Rev. crit. 1983. 101, note P. Mayer, Clunet 1983. 145, note Oppetit, Rev. arb.
1982. 209) rétracta l’ordonnance autorisant la saisie conservatoire au motif que l’État ira-
nien était couvert par son immunité d’exécution. C’est au pourvoi formé contre cette
décision que répond le premier arrêt ci-dessous reproduit.
Bien différentes sont les circonstances qui ont donné naissance à la seconde affaire :
M. Migeon, ingénieur de nationalité française, avait conclu un contrat de travail pour
une durée de deux ans avec la Société nationale (algérienne) de transport et de commer-
cialisation des hydrocarbures (Sonatrach). Celle-ci ayant mis fin au contrat avant le
terme convenu, M. Migeon saisit les juridictions françaises. Estimant la résiliation fau-
tive, la juridiction prud’homale puis la Cour de Paris condamnèrent la Sonatrach à verser
une indemnité de 56 000 fr. à son ancien salarié. Devant le refus de l’entreprise algé-
rienne d’exécuter spontanément cette décision, M. Migeon pratiqua une saisie-arrêt
entre les mains de Gaz de France, débiteur de la Sonatrach au titre d’un contrat d’appro-
visionnement de gaz liquéfié, et de la Banque française du commerce extérieur par
laquelle transitaient les fonds versés en exécution de cette convention. Bien que la
Sonatrach ait revendiqué le bénéfice de l’immunité d’exécution, la Cour de Paris par
décision du 10 février 1984 valida cette saisie-arrêt, au motif qu’il n’était pas démontré
que « les fonds saisis avaient, par leur origine ou leur destination, une affectation publi-
que les assimilant aux fonds publics de l’État algérien ». C’est au pourvoi formé contre
cette décision que répond le second arrêt ci-dessous reproduit.

1er ARRÊT
(Soc. Eurodif c/République islamique d’Iran)
La Cour; — Sur le premier moyen, pris en sa première branche : — Vu les prin-
cipes de droit international privé régissant les immunités des États étrangers; —
Attendu que l’immunité d’exécution dont jouit l’État étranger est de principe;
que, toutefois, elle peut être exceptionnellement écartée; qu’il en est ainsi lors-
que le bien saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant
du droit privé qui donne lieu à la demande en justice; — Attendu qu’en exécu-
tion d’accords internationaux intervenus le 27 juin 1974 et le 23 décembre de la
même année entre le gouvernement impérial de l’Iran et le gouvernement fran-
çais en vue d’une large coopération « scientifique, technique et industrielle »
entre les deux pays, l’État iranien a consenti, par un contrat du 23 février 1975,
un prêt d’un milliard de dollars au Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA),
prêt dont le remboursement était garanti par l’État français, tandis que, par une
convention du même jour, le CEA et l’Organisation de l’Énergie Atomique de
l’Iran (OEAI), établissement public iranien (auquel a été substituée par la suite
l’Organisation pour les Investissements et les Aides Economiques et Techniques
de l’Iran (OIAETI), simple département de l’État iranien), ont signé un « accord
de participation » en matière de production d’uranium enrichi à des fins pacifi-
ques qui précisait les modalités de constitution d’une nouvelle société de droit
français dénommée Société franco-iranienne d’enrichissement d’uranium par
diffusion gazeuse (SOFIDIF) à laquelle devait être transférée une partie des
actions de la société EURODIF (société de droit français constituée par des orga-
nismes de plusieurs pays européens en vue de la construction et de l’exploita-
tion de l’usine d’enrichissement d’uranium de Tricastin), ce qui devait assurer à
l’OEAI le contrôle de 10 % du capital de cette dernière société et lui conférer
dans la même proportion un droit d’enlèvement d’uranium enrichi produit par
l’usine de Tricastin; que les deux contrats du 23 février 1975 contenaient une
clause d’arbitrage faisant référence au règlement de la cour d’arbitrage de la
596 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66

Chambre de commerce internationale (CCI); qu’en 1977, la totalité du prêt avait


été versée mais qu’en juin 1979, le nouveau gouvernement iranien, qui avait
depuis quelques mois cessé de notifier ses commandes de service d’uranium
enrichi et suspendu le paiement de ses avances d’actionnaire et des acomptes
qu’il devait en qualité de client, a fait connaître sa décision d’abandonner son
programme nucléaire et de cesser d’acquérir de l’uranium enrichi; qu’invoquant
le grave préjudice que leur causait cette brusque rupture des contrats en cours
d’exécution, les Sociétés EURODIF et SOFIDIF ont déclenché la procédure arbi-
trale et, pour préserver leurs droits, ont présenté requête au président du Tribu-
nal de commerce de Paris aux fins de saisie conservatoire des sommes déte-
nues par le CEA en sa qualité d’emprunteur, et par l’État français, en sa qualité
de garant, à la suite du prêt consenti par l’État iranien le 23 février 1975; —
Attendu que, pour rétracter l’ordonnance du 24 octobre 1979 par laquelle le
premier juge avait accueilli la requête et donner mainlevée de la saisie conserva-
toire pratiquée en vertu de cette ordonnance, l’arrêt attaqué énonce que « s’il
est constant que la somme de un milliard de dollars versée au CEA était destinée
à financer la construction de l’usine de Tricastin et a effectivement été utilisée à
cette fin, les fonds dont le CEA et l’État français sont désormais débiteurs envers
l’État iranien feront retour à celui-ci sans être grevés d’aucune affectation et
que le gouvernement iranien décidera souverainement de leur utilisation dans
l’exercice de ses compétences internes; que sa créance porte donc sur des fonds
publics et bénéficie en principe de l’immunité d’exécution; qu’il est dès lors sans
intérêt de rechercher… si les opérations de production et de distribution d’ura-
nium enrichi auxquelles l’État iranien s’était engagé à participer présenteraient
un caractère commercial les soumettant au seul droit privé »; — Attendu qu’en
statuant ainsi alors que l’arrêt attaqué avait relevé que la créance saisie était
celle que l’État iranien possédait sur le CEA et l’État français par l’effet du con-
trat de prêt consenti le 23 février 1975 et qu’il en résultait que cette créance
avait pour origine les fonds mêmes qui avaient été affectés à la réalisation du
programme franco-iranien de production et de distribution d’énergie nucléaire,
dont la rupture par la partie iranienne donnait lieu à la demande, la cour
d’appel, à laquelle il appartenait donc de rechercher la nature de cette activité
pour trancher la question de l’immunité d’exécution, n’a pas donné de base
légale à sa décision;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du
premier moyen ni sur le second moyen : — Casse.
Du 14 mars 1984. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Fabre, rapp.; Gulphe,
av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, SCP Labbé et Delaporte, Me Barbey et SCP Boré et
Xavier, av.

2e ARRÊT
(Soc. Sonatrach c/Migeon)
La Cour; — Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : — Attendu,
selon les énonciations des juges du fond, qu’un arrêt du 16 février 1971, devenu
irrévocable, de la Cour d’appel de Paris a condamné la Société nationale (algé-
rienne) de transport et de commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach) à
payer une indemnité à M. Migeon pour résiliation fautive de son contrat de
travail; que, pour avoir paiement de cette indemnité, M. Migeon a fait prati-
quer entre les mains de Gaz de France et de la Banque française du commerce
extérieur (dans les comptes de laquelle transitaient les fonds) la saisie-arrêt de
sommes dues par Gaz de France à la Sonatrach, en exécution d’un contrat de
fourniture de gaz liquéfié du 3 février 1982; que l’arrêt attaqué a validé la saisie-
arrêt après avoir écarté l’immunité d’exécution invoquée par la Sonatrach, au
65-66 EURODIFF, CASS., 14 MARS 1984 — SONATRACH, 1 OCTOBRE 1985 597

motif qu’elle n’établissait pas que les fonds saisis avaient, par leur origine ou
leur destination, une affectation publique les assimilant aux fonds publics de
l’État algérien; — Attendu que la Sonatrach reproche à la cour d’appel d’avoir
ainsi statué, alors, selon le moyen, d’une part, que l’immunité d’exécution dont
jouit l’État étranger ou l’organisme public agissant pour son compte ne peut
être exceptionnellement écartée que lorsque la créance saisie a été affectée à
une activité privée qui est celle-là même qui sert de base à la demande; qu’en
l’espèce, en validant une saisie-arrêt pratiquée sur une créance que détenait
Sonatrach à l’encontre de Gaz de France et qui était totalement étrangère au
litige opposant le saisissant à la Sonatrach à la suite de la rupture d’un contrat
de travail, l’arrêt attaqué a violé les principes de droit international privé régle-
mentant les immunités des États étrangers; et alors, d’autre part, que, l’immu-
nité d’exécution étant de principe, c’est à celui qui prétend faire pratiquer une
mesure d’exécution sur les biens d’un organisme public étranger d’établir que
ces biens ont une affectation privée; qu’en écartant l’immunité d’exécution au
seul motif que la Sonatrach n’établit pas que les fonds saisis ont une affectation
publique les juges d’appel ont violé l’article 1315 du Code civil; — Mais attendu
qu’à la différence des biens de l’État étranger, qui sont en principe insaisissables,
sauf exceptions, notamment quand ils ont été affectés à l’activité économique
ou commerciale de droit privé qui est à l’origine du titre du créancier saisissant,
les biens des organismes publics, personnalisés ou non, distincts de l’État étran-
ger, lorsqu’ils font partie d’un patrimoine que celui-ci a affecté à une activité
principale relevant du droit privé, peuvent être saisis par tous les créanciers,
quels qu’ils soient, de cet organisme; — Attendu qu’en l’espèce, la Sonatrach
ayant pour objet principal le transport et la commercialisation des hydrocarbu-
res, activités relevant par sa nature du droit privé, sa créance sur Gaz de France,
qui avait pour origine la fourniture de gaz, était saisissable par M. Migeon, sauf
si elle démontrait qu’il n’en était pas ainsi, ce qu’elle n’a pas fait selon l’appré-
ciation souveraine des juges du fond; qu’en aucune de ses deux branches le
moyen n’est donc fondé;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 1er octobre 1985. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Fabre, rapp.; Gulphe,
av. gén. — SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde, Me Le Bret, av.

OBSERVATIONS
1 L’immunité d’exécution des États étrangers est longtemps restée le « parent
pauvre » de la matière. « Arme de dernier recours » pour les États étrangers
(Synvet, note JCP 1984. II. 20205), il n’était le plus souvent nul besoin de
l’invoquer puisque ceux-ci étaient couverts en amont par leur immunité de
juridiction. Mais le recul de celle-ci (v. arrêt Soc. Levant Express Transport,
supra, no 47) ainsi que l’essor de l’arbitrage commercial international devaient
progressivement entraîner une modification des données du problème : attraits
devant les juridictions étatiques ou arbitrales, parfois condamnés, les États se
retranchèrent tout naturellement derrière leur immunité d’exécution. Néan-
moins, les années passant, les raisons qui avaient conduit les tribunaux à res-
treindre la portée de l’immunité de juridiction firent sentir leur poids dans le
domaine voisin de l’immunité d’exécution. Devant la multiplication des inter-
ventions directes ou indirectes des États dans le commerce international et leur
propension à se soustraire aux conséquences de leurs engagements, la jurispru-
598 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66

dence entreprit de forger un régime des immunités qui concilie le respect des
souverainetés et l’intérêt des cocontractants. En affirmant, pour la première
fois clairement, dans son arrêt Eurodif, que l’immunité d’exécution des États
étrangers ne revêt pas un caractère absolu, la Cour de cassation pose les bases
indispensables à la définition de ce nouvel équilibre (I). Mais la construction
est loin d’être achevée puisqu’il lui faut encore préciser l’étendue exacte de
l’immunité dont bénéficient tant les États étrangers que leurs émanations. C’est
précisément ce à quoi s’emploient, chacun dans son domaine, les arrêts Euro-
dif et Sonatrach (II).

I. Le caractère relatif de l’immunité d’exécution

2 Distincte de l’immunité de juridiction (A), l’immunité d’exécution n’en a pas


moins perdu, comme celle-ci mais plus tardivement, son caractère absolu (B).
3 A. — L’on s’accorde généralement sur ce qu’immunité de juridiction et
immunité d’exécution ne sauraient coïncider entièrement car elles se situent
sur des plans différents (Batiffol et Lagarde, t. II, no 693-3).
En premier lieu, alors que l’immunité de juridiction a pour objet de dérober
certains « actes » de l’État étranger au pouvoir de juridiction des tribunaux
français, l’immunité d’exécution tend à soustraire certains « biens » de l’État
étranger aux mesures d’exécution de ses créanciers (Batiffol et Lagarde, t. II,
no 699-3). Plus précisément l’immunité d’exécution permet de s’opposer à
l’exécution forcée d’une décision rendue à l’encontre d’un État étranger ou
d’une de ses émanations soit par une juridiction du pays dans lequel l’exécu-
tion est demandée, soit éventuellement, après exequatur, par une juridiction
étrangère ou un arbitre; tel était le cas dans la seconde espèce. Mais la juris-
prudence l’étend également aux saisies conservatoires opérées contre un État
étranger ou ses émanations avant toute condamnation car celles-ci ont pour
effet de frapper le bien qui en est l’objet d’indisponibilité; ainsi en allait-il
dans la première espèce (sur la coexistence des deux immunités en cas de saisie
conservatoire, v. P. Mayer, note, Rev. crit. 1986. 720; V. Delaporte, Trav. com.
fr. dr. int. pr. 1986-1988, p. 151; F. Ameli, La saisie-arrêt en dr. int. pr., thèse
multigr., Paris I, 1990, no 360). En revanche, l’exequatur relève du domaine de
l’immunité de juridiction car « acte préalable aux mesures d’exécution »
(Paris, 26 juin 1981, Rev. crit. 1982. 379, Clunet 1981. 843, note Oppetit) il
ne constitue pas en lui-même, « un acte d’exécution de nature à provoquer
l’immunité d’exécution de l’État considéré » (Civ. 1re, 11 juin 1991, Rev. crit.
1992. 331, note P. L.; v. cep. les réserves élevées à l’encontre de cette solution
par P. Bourel, « Aspects récents de l’immunité d’exécution des États et servi-
ces publics étrangers », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1982-1984, p. 140. Sur cette
question, v. Ph. Théry, « Judex Gladii », Mélanges R. Perrot, 1996, p. 477
et s., spéc. p. 479.).
En second lieu, l’exercice de voies d’exécution contre un État étranger
porte, dit-on, une atteinte plus grave à son indépendance et à sa souveraineté
que ne le fait le seul prononcé d’une décision à l’encontre de ce même État
65-66 EURODIFF, CASS., 14 MARS 1984 — SONATRACH, 1 OCTOBRE 1985 599

par un tribunal français. Aussi bien en déduit-on généralement que le domaine


de l’immunité d’exécution devrait être plus étendu que celui de l’immunité de
juridiction (Batiffol et Lagarde, t. II, no 693-3). Encore faut-il le définir. Pre-
nant en compte le fait que la matière interfère étroitement avec la conduite des
relations internationales, certains États ont laissé ce soin au pouvoir exécutif
(Italie). D’autres ont connu une intervention du législateur (États-Unis : Foreign
Sovereign Immunity Act 1976, trad. fr., Rev. crit. 1978. 396 avec un commen-
taire P. Herzog, Clunet 1978. 429 avec un commentaire G. Delaume; Grande-
Bretagne : State Immunity Act 1978, trad. fr., Rev. crit. 1980. 156 avec un
commentaire L. Collins; Canada : Loi sur l’immunité des États étrangers du
3 juin 1982, Rev. crit. 1986. 374 avec un commentaire C. Emmanuelli; Aus-
tralie : Foreign States Immunities Act 1985, trad. fr. Rev. crit. 1987. 440 avec
un commentaire J. Crawford). En France, au contraire, les principes de solution
sont l’œuvre de la jurisprudence. (Sur les mérites respectifs de ces différentes
attitudes, v. H. Synvet, « Quelques réflexions sur l’immunité d’exécution de
l’État étranger », Clunet 1985. 865 et s., spéc. 870). Sans doute lassés du
silence de la loi (B. Oppetit, note Clunet 1984. 600), nos tribunaux ont entre-
pris de réaliser eux-mêmes les évolutions que les transformations de la société
internationale rendaient nécessaires.
4 B. — Initialement la Cour de cassation avait, dans un arrêt Veuve Caratier-
Terrason du 5 mai 1885 (S. 86. 1. 353), affirmé le caractère absolu de l’immu-
nité d’exécution : « il est de principe absolu en droit qu’il n’appartient pas à un
créancier de l’État, même pour assurer l’exécution d’une condamnation judi-
ciaire obtenue contre celui-ci de faire saisir-arrêter, entre les mains d’un tiers,
les deniers ou autres objets qui sont la propriété de l’État ». Ecarté progressi-
vement dans le domaine des immunités de juridiction, ce caractère fut réguliè-
rement réaffirmé dans celui de l’immunité d’exécution par les juges du fond
(v. par ex., Aix, 16 févr. 1966, Clunet 1966. 846, note Kahn; Paris 7 juin 1969,
JCP 1969. II. 15954, concl. Fortier, note Ruzié).
La solution n’en était pas moins critiquée de plus en plus vigoureusement
par la doctrine. Celle-ci faisait valoir que la règle avait perdu sa raison d’être
depuis que les sujets du droit international public ne se cantonnent plus dans
l’accomplissement d’actes de puissance publique. Autant, disait-on, l’État doit
être protégé contre les mesures d’exécution susceptibles de compromettre son
indépendance et sa souveraineté, autant ces privilèges ne doivent pas lui per-
mettre de se soustraire à l’exécution d’engagements commerciaux volontaire-
ment souscrits (B. Oppetit, note, Clunet 1981. 369). En participant aux opéra-
tions du commerce international, l’État devient le concurrent des entreprises
privées, il doit donc être soumis aux mêmes règles du jeu. Il y aurait, au demeu-
rant, une contradiction manifeste à développer une jurisprudence favorable à
la résolution par l’arbitrage des litiges du commerce international, notamment
lorsque des personnes publiques y sont parties (v. supra, arrêt Galakis, no 44),
et à laisser dans le même temps leur partenaire privé désarmé devant le refus
d’exécuter les sentences ainsi obtenues (Oppetit, note Clunet 1981. 369; Syn-
vet, note JCP 1984. II. 20205). Plus généralement, une décision judiciaire est
faite pour être exécutée; accorder trop facilement le bénéfice de l’immunité,
600 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66

c’est risquer de ravaler cette décision au rang d’un simple « avis juridique »
(Synvet, art. préc., Clunet 1985. 884).
5 Ce n’est pas à dire pour autant que le domaine de l’immunité d’exécution
doive être réduit à l’excès. Il faut, en effet, éviter que la France ne devienne la
« providence » de créanciers, originaires d’États n’offrant pas sur le terrain des
immunités les mêmes facilités, ce qui l’obligerait à supporter sans aucun béné-
fice les inconvénients diplomatiques, ou autres…, inhérents à ces exécutions.
(Sur cette question, v. B. Audit, note Rev. crit. 1986. 535; Synvet, art. préc., Clu-
net 1985. 885 et s.). En restreignant les immunités, on veut simplement éviter
que « l’État étranger se comporte en commerçant dans les relations intéressant
l’État du for sans acquitter les obligations correspondantes » (Audit, note préc.).
L’on ne saurait au demeurant adopter en la matière, à l’encontre des États
étrangers une attitude sensiblement plus restrictive que celle des autres grands
pays, sous peine de voir se raréfier les dépôts de capitaux publics étrangers
(Synvet, art. préc., Clunet 1985. 868; rappr. obs. supra, no 59-60 § 12). Aussi
bien, la Cour de cassation s’est-elle, on le verra, très directement inspirée
des enseignements du droit comparé pour redéfinir le domaine de l’immunité
d’exécution.
6 Consciente de ces impératifs, la Cour de cassation a amorcé, il y a un peu
plus d’une trentaine d’années, une évolution dont l’arrêt Eurodif constitue le point
d’aboutissement. Dans un arrêt Englander du 11 février 1969 (Rev. crit. 1970.
98, note Bourel, Clunet 1969. 923, note Kahn), elle a censuré une cour d’appel
qui, pour permettre à la Banque d’État tchécoslovaque de se retrancher der-
rière l’immunité d’exécution, avait invoqué l’impossibilité de distinguer les
fonds publics des fonds privés. Puis dans un arrêt Clerget du 2 novembre 1971
(Rev. crit. 1972. 310, note Bourel, JCP 1972. II. 16969, note Ruzié), elle a pris
soin de souligner que « les fonds ne pouvaient — leur origine et leur destina-
tion n’étant pas déterminées — faire l’objet d’une saisie ». Enfin dans un arrêt
CAVNOS du 7 décembre 1977 (Rev. crit. 1978. 532, note Bourel), elle a approuvé
une cour d’appel d’avoir refusé l’immunité d’exécution à un organisme algé-
rien sur le seul constat de son autonomie financière. Implicitement ces arrêts
semblaient signifier que l’immunité d’exécution ne protégeait plus les biens de
l’État étranger en leur totalité. Or « une règle qui tolère des exceptions n’a plus
que valeur de principe sans pouvoir prétendre à l’absolutisme » (B. Oppetit,
note Clunet 1983. 151). Néanmoins leur portée restait incertaine, la Cour de
cassation ayant dans chacune de ces affaires pris le soin de limiter sa décision
au seul examen du problème qui lui était soumis.
Tel n’est précisément plus le cas avec l’arrêt Eurodif. En visant expres-
sément « les principes de droit international privé régissant les immunités des
États étrangers » (sur les utilisations de la notion de principe, v. B. Oppetit,
note Clunet 1982. 937) et en posant que l’immunité dont jouit l’État étranger
est de principe « mais qu’elle peut être exceptionnellement écartée », l’arrêt
Eurodif consacre sans aucune ambiguïté le caractère relatif de l’immunité
d’exécution. Corrélativement la question essentielle devient celle de la délimi-
tation de son domaine.
65-66 EURODIFF, CASS., 14 MARS 1984 — SONATRACH, 1 OCTOBRE 1985 601

II. L’étendue de l’immunité d’exécution

7 Leur seule qualité ne suffisant plus à abriter les États étrangers des voies
d’exécution pratiquées contre leurs biens situés en France, il devient nécessaire
de définir les critères permettant de tracer les contours de l’immunité d’exécu-
tion. Celle-ci ayant, on l’a vu, pour objet de protéger les biens de l’État étran-
ger dont la saisie par ses créanciers pourrait porter atteinte à son indépendance
et entraver l’exercice de sa souveraineté, il est généralement suggéré de faire
référence à la seule nature de ceux-ci : les biens affectés à l’exécution d’une
mission de puissance publique ou de service public seront couverts par l’immu-
nité ; les biens affectés à une activité purement commerciale ou privée ne le
seront pas (Batiffol et Lagarde, t. II, no 693-2). Peu importe donc la nature de
l’activité qui est à l’origine du titre de créance; seul compte le caractère public
ou privé du bien saisi.
La mise en œuvre d’une telle directive ne soulève que peu de difficultés
lorsque le bien convoité a une nature ou une destination qui permettent de
déterminer aisément qu’il participe à l’exercice de la souveraineté; ainsi en
va-t-il, par exemple, de navires de guerre, d’aéronefs militaires ou d’immeubles
affectés à l’exercice d’activités diplomatiques, tous biens au demeurant cou-
verts par des conventions internationales. En revanche, celle-ci devient beau-
coup plus épineuse lorsque, comme c’est souvent le cas, le bien saisi est une
créance de somme d’argent que l’État détient sur des personnes domiciliées
en France. L’argent étant chose fongible par excellence, on ne saurait déduire
de sa seule nature s’il est public ou privé. Dès lors à supposer qu’on ne veuille
pas s’en tenir à la qualité du propriétaire, seule une plongée dans le passé ou
une prospection de l’avenir, c’est-à-dire la prise en considération de l’origine
des fonds ou de leur destination, peut permettre de le caractériser. Aussi bien
la Cour de cassation avait-elle mêlé, de façon assez peu claire, ces deux critè-
res dans l’arrêt Clerget. Délaissant le premier, la Cour de Paris s’en est tenue
au contraire, dans l’affaire Eurodif à la seule affectation des fonds. La solution
n’allait pas sans entraîner certains inconvénients immédiatement relevés par
la doctrine (P. Mayer, B. Oppetit, notes préc.). En effet, à la différence de
l’origine des fonds qui peut toujours être recherchée, l’affectation de ceux-ci
dépend du bon vouloir de l’État lequel, sauf quelques rares exceptions (sur
lesquelles v. P. Mayer, note Rev. crit. 1983. 107), se garde de la préciser. Dès
lors comment qualifier les fonds si ce n’est par leur appartenance : fonds de
l’État, personne de droit public par excellence, ils sont sauf décision d’affecta-
tion spéciale, présumés publics. Telle fut, au demeurant, la solution adoptée
par la Cour de Paris dans l’affaire Eurodif : constatant que les fonds remis à
l’État iranien en remboursement du prêt consenti au CEA lui reviendraient
libres de toute affectation, elle en avait conclu que la créance portait sur des
fonds purement publics. Mais n’est-ce pas là en revenir, sous couleur d’immu-
nité restreinte, à une immunité quasi-absolue puisqu’hormis les cas spéciaux
d’affectation, l’immunité résultera de la seule qualité du propriétaire du bien ?
(en ce sens, P. Mayer, note Rev. crit. 1983. 108; Oppetit, note Clunet 1984. 602).
Aussi la doctrine a-t-elle suggéré de tempérer la rigueur de la solution par
l’énoncé d’une double présomption : détenus par l’État, les fonds seraient pré-
602 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66

sumés publics; détenus par un organisme public distinct de celui-ci, ils


seraient présumés privés (Batiffol et Lagarde, t. II, no 693-3; P. Mayer, note
préc.). C’est dans cette voie que s’est, semble-t-il, engagée la Cour de cassa-
tion avec les arrêts Eurodif et Sonatrach.
Le premier rappelle, en effet, le principe que les biens de l’État sont insais-
sissables non sans d’ailleurs l’assortir d’une nouvelle exception (A); le second
que les biens d’un organisme public distinct de l’État étranger et dont le patri-
moine est affecté à une activité privée peuvent être saisis par tous les créan-
ciers de cet organisme (B).

8 A. — Si l’immunité d’exécution des États étrangers n’est plus absolue, elle


n’en demeure pas moins le principe. C’est dire que pour pouvoir prétendre à
l’exécution forcée sur leurs biens, les créanciers devront démontrer qu’ils sont
dans le champ d’une exception à ce principe.
À cet effet, la jurisprudence antérieure mettait, on l’a vu, l’accent sur l’affec-
tation du bien saisi. Selon que le créancier parvenait, ou non, à établir l’inten-
tion de l’État d’employer celui-ci à un usage purement commercial ou privé,
l’immunité était ou non écartée. Ainsi comprise, l’exception risque de conduire
à la restauration du caractère quasi absolu de l’immunité d’exécution de l’État
étranger puisqu’elle laisse à la discrétion de celui-ci le soin d’en définir les
limites. Consciente de ce danger, la Cour de cassation assortit le principe
d’une nouvelle exception « lorsque le bien saisi a été affecté à l’activité éco-
nomique ou commerciale relevant du droit privé qui donne lieu à la demande
en justice ». La perspective se déplace. L’immunité est écartée lorsque tant la
créance saisie que celle qui sert de cause à la saisie ont leur origine dans une
même activité de caractère privé. Partant, alors que n’intervenait jusqu’à pré-
sent aucun élément déduit de la nature de l’activité litigieuse, l’origine du titre
exécutoire est désormais prise en considération. Mais cette exigence supplé-
mentaire est compensée par le fait que l’affectation de la créance saisie sera
définie en tenant compte non de sa destination mais de son origine. Ainsi, en
l’espèce, la créance saisie avait sa source dans un prêt dont le produit avait été
affecté au programme de développement de l’énergie nucléaire; la demande
des sociétés Eurodif et Sofidif procédant de la rupture par l’Iran des accords
relatifs à ce même programme, le lien était établi entre les deux créances. Les
juges d’appel avaient donc privé leur décision de base légale en omettant de
s’interroger sur la nature de cette activité. Aussi bien la Cour de cassation
a-t-elle ultérieurement, dans cette même affaire, précisé qu’il n’était pas
nécessaire que l’affectation ait été prévue par une clause du contrat et que les
juges du fond pouvaient donc rechercher par tous moyens si cette affectation
existait (Civ. 1re, 20 mars 1989, Rev. crit. 1990. 346, note J. M. B., Gaz. Pal.
1989. 2. 892, note S. Piédelièvre; v. aussi Civ. 1re, 6 juin 1990, OEAI c/groupe-
ment Framatome, Bull. I, no 141, p. 100).
Bien qu’il fasse référence à la nature de l’activité litigieuse, le nouveau cri-
tère ne s’identifie pas à celui qui prévaut en matière d’immunité de juridiction
(v. supra, no 47). Il faudra, en effet, pour écarter l’immunité d’exécution, éta-
blir en sus que la créance saisie a son origine dans l’activité ainsi caractérisée.
En revanche, comme l’ont souligné tous les commentateurs, la parenté est
65-66 EURODIFF, CASS., 14 MARS 1984 — SONATRACH, 1 OCTOBRE 1985 603

manifeste avec le droit américain. Aux termes de l’article 1610 a-2 du Code
des États-Unis dans la rédaction que lui a donnée le Foreign Sovereign Immu-
nity Act de 1976 (préc.), l’immunité d’exécution est écartée lorsque les biens
saisis « ont été utilisés pour l’activité commerciale sur laquelle la demande est
fondée ». Il a déjà été fait état des raisons qui motivent cette convergence.

9 La nouvelle exception ne profitant, malgré tout, aux créanciers que dans des
hypothèses, somme toute assez rares, l’on s’est demandé tout à la fois si elle
laissait intactes les dérogations antérieures et si elle ouvrait la voie à de nou-
velles. Le caractère énonciatif de l’adverbe « ainsi » qui précède la nouvelle
exception a incliné les commentateurs vers l’affirmative; cette interprétation
est confirmée par les termes employés par l’arrêt Sonatrach : en visant au plu-
riel les exceptions au principe et en reprenant celle de l’arrêt Eurodif précédée
de l’adverbe « notamment », cette décision lève tout doute à cet égard, sans
qu’il soit pour autant aisé de discerner très exactement leur ampleur. En exi-
geant que le titre saisi et le titre exécutoire aient une origine commune, la Cour
de cassation entend-elle faire sienne l’idée qu’« il n’y aurait pas, dans l’ensem-
ble des biens d’un État, un patrimoine général, insaisissable, et un patrimoine
privé général, saisissable par tous les créanciers privés à l’étranger, mais plutôt
un patrimoine public général et éventuellement une série de patrimoines privés
d’affectation, ne répondant comme tout patrimoine d’affectation que des dettes
liées à l’utilisation des biens qui le composent » (Bischoff, note Rev. crit.
1984. 654) ? En ce cas, un bien privé — quelle que soit la façon dont ce carac-
tère est établi — ne serait jamais saisissable que s’il était démontré que ce bien
était affecté à la réalisation de l’opération dont le créancier tire son droit. Faut-
il y voir au contraire une condition qui ne vaudrait que lorsque le caractère
privé de la créance a été déduit de l’affectation des sommes d’argent d’où elle
tire son origine, la jurisprudence Englander-Clerget subsistant pour le sur-
plus : les biens privés d’un État étranger pourraient alors être l’objet d’une sai-
sie sans qu’il soit besoin de distinguer selon la créance qui en est la cause. (Sur
les moyens permettant d’identifier les fonds privés de l’État, v. la proposition
de H. Synvet, art. préc., Clunet 1985. 883).
La seconde interprétation s’harmonise mieux avec le fondement de l’immu-
nité d’exécution. Dès lors, en effet, que celle-ci a pour objet de préserver la
souveraineté de l’État étranger, on voit mal pourquoi les biens qui ne sont pas
nécessaires à son exercice échapperaient aux mesures d’exécution au prétexte
qu’ils ne sont pas affectés à l’activité qui est à l’origine de la demande. Néan-
moins la première interprétation n’est pas, non plus, dépourvue de mérites. En
exigeant que le titre saisi et le titre exécutoire aient une origine commune, elle
empêche de poursuivre dans notre pays l’exécution de créances sans lien avec
lui (supra, § 5). En décidant qu’un bien, se rattachant non à l’exercice d’une
activité de souveraineté mais à une opération habituelle de gestion (logement
du personnel diplomatique), n’était pas couvert par l’immunité d’exécution en
ce qui concerne une créance de charges de copropriété liée à cette opération,
la haute juridiction semble incliner vers cette dernière analyse (Civ. 1re, 25 janv.
2005, République démocratique du Congo, Rev. crit. 2006. 123, note H.M.W,
D. 2005. 620 et concl. Sainte-Rose, p. 616).
604 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66

10 B. — Assimilés aux États étrangers sur le terrain de l’immunité de juridiction


(v. supra, no 47, II), les organismes publics agissant pour leur compte le sont-
ils aussi sur celui de l’immunité d’exécution ? À cette question, l’arrêt Sona-
trach apporte une réponse dépourvue d’ambiguïté : « À la différence des biens
de l’État étranger qui sont en principe insaisissables (…) les biens des organis-
mes publics, personnalisés ou non, distincts de l’État étranger (…) peuvent
être saisis ». Ainsi, l’arrêt Sonatrach pose-t-il à propos de ces organismes un
principe en quelque sorte inverse de celui retenu par l’arrêt Eurodif à l’égard
de l’État étranger. Partant, l’octroi de l’immunité d’exécution dépend d’abord
de la qualité de celui qui l’invoque : alors que l’immunité est de principe pour
les États étrangers, la règle est la saisissabilité de leurs biens pour les organis-
mes qui en sont distincts. Peu importe que ces organismes aient, ou non, une
personnalité propre. Le critère est, en effet, on l’a vu (supra, no 47), jugé peu
satisfaisant pour les immunités parce que dans la dépendance étroite du choix
que chaque État fait quant aux techniques d’organisation financière et juridi-
que de ses services. En revanche, la considération de la nature de leur activité
est primordiale. Les biens de ces organismes ne sont, en effet, saisissables par
leurs créanciers qu’à la condition qu’ils aient été inclus dans un patrimoine
« affecté à une activité principale relevant du droit privé ». La Cour précise
donc fort judicieusement les contours de cette nouvelle règle par un appel à la
notion de patrimoine; et de fait, à supposer même que les résultats de l’exploi-
tation soient destinés à alimenter les caisses de l’État étranger, cette affectation
ne doit avoir lieu que « sous forme de bénéfices nets, c’est-à-dire lorsque les
produits ont acquitté toutes les charges de l’exploitation », Bona non sunt nisi
deducto aere alieno (B. Audit, note préc.). Elle y avait été, au demeurant, invitée
par la doctrine qui préconisait, lorsque le bien saisi n’appartient pas à l’État mais
à un organisme public distinct, de déduire sa destination de l’affectation générale
du patrimoine dont il fait partie (v. spéc. P. Mayer, note, Rev. crit. 1983. 108).
Là encore la parenté avec le droit américain est manifeste (art. 1610 a-2).
11 Ainsi dès lors que le patrimoine d’un organisme public distinct de l’État a
été affecté à une activité principale relevant du droit privé, tous les éléments
d’actif en sont saisissables par les créanciers de celui-ci. Mais le sont-ils égale-
ment par les créanciers de l’État ou par les créanciers d’autres organismes
dépendant du même État ? Ce n’est pas alors la notion d’immunité d’exécution
qui est au centre du débat mais celle de patrimoine. La solution varie, en effet,
selon que la cloison qu’il édifie entre l’actif qu’il comprend et le passif de
l’État ou de ses émanations sera ou non considérée comme étanche. Bien que
l’argument ait été invoqué dans un contexte différent, on pourrait faire valoir
pour la saisissabilité que lorsque le débiteur est l’État lui-même il ne devrait
pas pouvoir opposer sa propre législation interne (créatrice d’émanations) pour
se soustraire à sa responsabilité (P. Mayer, « La neutralisation du pouvoir nor-
matif de l’État en matière de contrats d’État », Clunet 1986, p. 16, et note Rev.
crit. 1980. 707). À cela, on peut répondre que si « on dénie à l’État la possibi-
lité de se prévaloir simultanément des qualités de souverain et de commerçant,
il convient de respecter toutes les conséquences de la seconde lorsqu’elle est
jugée établie » (B. Audit, note préc.). Telle semble d’ailleurs avoir été l’opi-
65-66 EURODIFF, CASS., 14 MARS 1984 — SONATRACH, 1 OCTOBRE 1985 605

nion du Tribunal de grande instance de la Seine (15 mars 1967, Gaz. Pal.
1967. 2. 63) et de la Cour de Paris (7 juin 1969, Rev. crit. 1970. 483, note
Bourel, JCP 1969. II. 15954, concl. Fortier, note Ruzié) dans l’affaire Clerget.
La solution est, au demeurant, conforme à celle qui en droit interne veut que,
sauf circonstances particulières, la filiale ne réponde pas des dettes de la
société-mère (Ripert et Roblot, Traité élémentaire de droit commercial, TI,
no 713). Et il a fallu précisément les conditions très particulières du commerce
maritime pour que la Cour de Rouen fasse céder cette limitation (Rouen
23 déc. 1985, Droit maritime français, 1986. 349 et commentaire M. Rémond-
Gouilloud, p. 333). Les créanciers de l’État étranger ou ceux d’une émanation
de l’État distincte de l’organisme public concerné ne sauraient donc en prin-
cipe saisir les biens de cet organisme aux motifs qu’ils appartiennent aussi à
l’État en question. Aussi bien la haute juridiction a-t-elle ultérieurement posé
qu’« il ne peut être admis que le contrôle exercé par un État suffit à faire consi-
dérer les organismes qui en dépendent comme des émanations de cet État »
devant répondre de ses dettes (Civ. 1re, 21 juill. 1987, Soc. Benvenutti et Bonfant,
Clunet 1988. 108, note Kahn, RTD civ. 1988. 744, obs. J. Mestre; 6 juill. 1988,
Soc. Navrom Romania maritime navigation, Clunet 1989. 376, note Kahn;
4 janv. 1995, Office des céréales de Tunisie, Clunet 1995. 645, note Mahiou;
Com., 1re oct. 1995, Soc. Secil Maritima, Rev. crit. 1997. 751, rapp. Rémery;
Civ. 1re, 19 juill. 1999, Dumez GTM, Clunet 2000. 45, note M. Cosnard).
Faut-il, en outre, que la créance servant de cause à la saisie présente certains
liens avec le pays du lieu d’exécution, c’est-à-dire en l’occurrence avec la
France ? (v. supra, II. A). Une réponse positive ouvrirait au juge une certaine
marge d’appréciation. Mais en précisant que les biens de ces organismes peu-
vent être saisis par tous les créanciers « quels qu’ils soient » la Cour ne sem-
ble pas s’engager dans cette voie.
12 Quoi qu’il en soit, pas plus que le principe de l’immunité d’exécution des
États étrangers, le principe de l’absence d’immunité des organismes publics
n’est absolu. L’organisme propriétaire du bien saisi peut toujours démontrer
soit que son activité principale n’est pas privée mais publique, soit encore que
la créance saisie a pour origine non son activité principale mais une activité
dans laquelle il agit « sur ordre et pour le compte » de l’État étranger. Affecté à
une mission qui intéresse la souveraineté de l’État dont cet organisme est
l’émanation, le bien convoité sera alors couvert par l’immunité d’exécution.
Appliquant ces directives à l’espèce, la Première chambre civile relève,
d’une part, que la Sonatrach a pour mission le transport et la commercialisa-
tion des hydrocarbures, activités qui ressortissent par nature au droit privé,
d’autre part, que la créance saisie a sa source dans la fourniture de gaz. En
raisonnant ainsi, la haute juridiction marque clairement que la nature de l’acti-
vité doit s’apprécier objectivement et non en considération de la place qu’elle
occupe dans la politique économique de l’État en question.
En conclusion, on notera que la matière des immunités va, au regard des
sources du droit, au rebours des pratiques habituelles. Alors que les pays
d’Europe continentale (France, Allemagne fédérale, Suisse) où la tradition
codificatrice est forte, abandonnent la question à la jurisprudence, les pays de
606 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 65-66

common law (Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Australie) ont suivi la voie


législative. Cette différence quelque peu paradoxale pourrait s’expliquer par le
fait que les seconds ont plus que les premiers conscience de ce qu’en la
matière « il ne suffit pas d’avoir de bonnes règles, il faut encore les faire
connaître » (Synvet, art. préc., Clunet 1985. 873).
67-69
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

7 novembre 1984; 31 janvier 1990 et 10 mai 1995

I. — Civ. 1re, 7 novembre 1984, Rev. crit. 1985. 533, note Simon-Depitre,
Clunet 1985. 434, note H. Gaudemet-Tallon,
D. 1985. 459, note Poisson-Drocourt, Defrénois 1985, p. 1006, obs. Massip.
II. — Civ. 1re, 31 janvier 1990, Rev. crit. 1990. 519, note Poisson-Drocourt,
JCP 1991. II. 21635, note H. Muir Watt, D. 1991. 105, note F. Boulanger,
Gaz. Pal. 1990. 2. 481, note B. Sturlèse, Defrénois 1990, p. 961, obs. Massip.
III. — Civ. 1re, 10 mai 1995, Bull. civ. I, no309, p. 261,
Rev. crit. 1995. 548, note H. Muir Watt, Clunet 1995. 625, note F. Monéger,
D. 1995. 544, note V. Larribau-Terneyre, Defrénois 1991. 331, obs. Massip.

Adoption. — Loi applicable. — Ordre public.

Les conditions comme les effets de l’adoption sont régis par la loi natio-
nale de l’adoptant, la loi de l’enfant devant seulement déterminer les condi-
tions du consentement ou de la représentation de l’adopté (1er arrêt).
Lorsque le consentement donné par un parent étranger à l’adoption de
son enfant par un Français ne précise pas en considération de quel type
d’adoption il a été donné, ce consentement vaut pour l’une ou l’autre des
formes d’adoption que connaît le droit français (1er arrêt).
Le contenu même du consentement à l’adoption — savoir s’il a été donné
en vue d’une adoption simple ou d’une adoption plénière — doit être appré-
cié indépendamment des dispositions de la loi nationale de l’adopté, le juge
français devant s’attacher à la volonté, expresse ou présumée, de la personne
qui a consenti (2e arrêt).
Ne sont pas contraires à la conception française de l’ordre public inter-
national, ni aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou à celles du pacte
international des Nations-Unies relatif aux droits civils et politiques, les
dispositions de la loi brésilienne qui prohibent l’adoption d’un enfant en
sa forme plénière par un étranger ne résidant pas au Brésil (2e arrêt).
Au regard de l’article 3 du Code civil ainsi que des principes généraux
régissant l’adoption en droit international, deux époux français peuvent
procéder à l’adoption d’un enfant dont la loi personnelle ne connaît pas
ou prohibe cette institution, à la condition qu’indépendamment des dispo-
608 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69

sitions de cette loi, le représentant du mineur ait donné son consentement


en pleine connaissance des effets attachés par la loi française à l’adoption
demandée (3e arrêt).

Faits. — « Institution en euphorie » (Savatier, D. 1949, chr. p. 117), l’adoption doit


composer en France avec la diminution du nombre d’enfants juridiquement adoptables.
De là, pour répondre à une demande soutenue, une immigration d’un type nouveau, celle
des enfants étrangers. (Sur ce phénomène, v. not. les communications de Mme Champenois-
Marmier et de Mme Sutton, in L’adoption d’enfants étrangers, 1986, p. 3 et 9 ; adde
D. Operti Badan, « L’adoption internationale », Rec. cours La Haye, 1983, t. II, p. 295 et s.;
E. Poisson-Drocourt « L’adoption internationale », Rev. crit. 1987. 673; H. Gaudemet-
Tallon, « Le droit français de l’adoption internationale », RID comp. 1990. 567; H. Muir
Watt, « L’adoption d’enfants étrangers » in Le droit de la famille à l’épreuve des migra-
tions transnationales, 1993, p. 147 et s.; F. Boulanger, Enjeux et défis de l’adoption, étude
comparative et internationale, 2001). Ce phénomène n’a cessé de croître puisque la
France est aujourd’hui le deuxième pays « importateur » d’enfants après les États-Unis
et que le nombre des adoptions internationales y est supérieur à celui des adoptions
internes (J. Rubellin-Devichi, « L’adoption à la fin du XXe siècle », Études Pierre Catala,
2001, p. 341). Cinq mille enfants, dont les quatre cinquième sont étrangers, ont en effet
été adoptés en France en 2004.
Juridiquement, cette immigration peut emprunter l’une ou l’autre des deux voies sui-
vantes : soit les adoptants obtiennent dans le pays d’origine de l’enfant un jugement
d’adoption qui sera ensuite reconnu en France, soit ils sollicitent directement des tribu-
naux français le prononcé d’une adoption. Néanmoins, en pratique, les deux procédés
sont souvent combinés : après qu’une décision d’adoption a été rendue à l’étranger une
nouvelle demande est introduite à titre principal en France. Il en va tout particulière-
ment ainsi lorsque les adoptants désirent que l’enfant leur soit rattaché de manière irré-
versible alors que le droit étranger ignore l’adoption plénière. La décision étrangère ne
pouvant produire en France plus d’effets que ne lui en attribue son propre droit, la réité-
ration de l’action en France est indispensable.
Tel était précisément le cas dans les trois décisions ci-dessous reproduites :
Dans la première affaire, un jugement rendu le 16 novembre 1979 par un tribunal grec
avait, après avoir recueilli à l’audience le consentement de la mère naturelle de l’enfant,
prononcé l’adoption d’un enfant grec par une Française. S’appuyant sur la décision
grecque sans pour autant en solliciter la reconnaissance ou l’exequatur, celle-ci avait
demandé aux tribunaux français le prononcé d’une adoption plénière. Les juges du fond
s’y étaient refusé par application de la loi française. N’étant pas pupille de l’État et
n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration judiciaire d’abandon, l’enfant n’était, aux termes
des articles 347 et suivants du Code civil, juridiquement adoptable qu’à la condition que
sa mère y eût consenti. Or cette exigence ne leur paraissait pas satisfaite : le consente-
ment donné par la mère sans aucune précision quant à son objet n’impliquait pas, en
effet, selon eux l’acceptation d’une rupture irréversible dès lors que l’adoption grecque
laisse subsister des liens entre l’adopté et sa famille d’origine. Un pourvoi fut formé.
Dans la deuxième affaire, la question se posait en termes quelque peu différents en
raison des particularités du droit brésilien qui, tout en connaissant comme le droit français
deux sortes d’adoption, la simple et la plénière, réservait à l’époque le bénéfice de la
seconde aux Brésiliens et aux étrangers résidant au Brésil. Un juge brésilien avait, après
avoir déchu une mère de l’autorité parentale sur son enfant « en situation irrégulière »,
autorisé des époux français à procéder à l’adoption simple de cet enfant, laquelle avait
été réalisée peu après par acte dressé par un notaire brésilien. Les adoptants français
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 609

ayant saisi le tribunal de grande instance de leur domicile d’une requête en adoption
plénière de cet enfant brésilien, celui-ci puis la Cour d’appel de Toulouse refusèrent le
prononcé de celle-ci aux motifs que c’est à une demande d’adoption simple qu’avait
consenti le juge des enfants brésilien. Là encore un pourvoi fut formé.
Dans la troisième affaire enfin, la difficulté était maximale, la loi personnelle de
l’enfant, la loi marocaine, prohibant l’adoption, comme la plupart des législations d’ins-
piration coranique. Deux Français convertis à l’Islam s’étaient vu confier par un centre
marocain un enfant marocain né de parents inconnus dans le but de l’adopter, d’assurer
sa subsistance et de veiller à son instruction et à son éducation. Le président du Tribunal
de 1re instance de Rabat avait autorisé le mari à adopter l’enfant et à le prendre avec lui
en France, tout en précisant que les autorités diplomatiques marocaines étaient chargés
de veiller sur ses conditions de vie. Les intéressés ayant présenté une requête en adop-
tion plénière devant les juridictions françaises, leur demande fut accueillie par le tribu-
nal de grande instance. Mais, sur appel du ministère public, cette décision fut réformée
par la cour, le magistrat marocain n’ayant selon celle-ci pu donner son consentement
qu’en application de la loi marocaine, laquelle dénie à l’adoption toute valeur juridique.
Un pourvoi fut formé.
Il convient de souligner que, dans l’avenir, la procédure suivie pourrait être dif-
férente. Plutôt que d’introduire une demande principale en France, afin d’obtenir le pro-
noncé d’une adoption plénière, les adoptants pourraient être tentés, usant de la possibilité
offerte par le nouvel article 370-5 du Code civil ou encore par l’article 27 de la Conven-
tion de La Haye du 29 mai 1993, de demander aux tribunaux français de convertir en
adoption plénière la décision d’adoption intervenue à l’étranger, même si elle ne rompt
pas de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant, dès lors que les
consentements requis ont été donnés expressément et en connaissance de cause.

1er ARRÊT
(Mme Torlet c/Procureur général près la Cour d’appel de Versailles)
La Cour; — Sur le moyen unique : — Vu l’article 3 du Code civil, ensemble les
articles 343 et suivants du même code; — Attendu que, par jugement du
16 novembre 1979, le Tribunal de première instance du Pirée (Grèce) a prononcé
l’adoption de Karine, Ionna Kotsoronis, née le 27 mai 1979, par Mme Jacqueline
Torlet, de nationalité française, après avoir recueilli, à l’audience des débats, le
consentement de la mère naturelle de l’enfant; que Mme Torlet a saisi le tribu-
nal de grande instance de son domicile en France, d’une requête aux fins
d’adoption plénière; que l’arrêt confirmatif attaqué a estimé que le juge fran-
çais, requis de prononcer une adoption irrévocable et entraînant la rupture de
tous liens avec les parents par le sang, devait vérifier si le consentement avait
bien été donné pour une adoption ayant les mêmes effets; que la législation
grecque ne connaissant point d’adoption comportant des effets identiques, il
ne pouvait résulter du jugement rendu par le Tribunal du Pirée que la mère de
Karine avait consenti à une adoption rompant totalement ses liens avec son
enfant, que la cour d’appel a, en conséquence, rejeté la demande en adoption
plénière qui lui avait été présentée; — Attendu, cependant, que les conditions
comme les effets de l’adoption sont régis lorsque l’adoption est demandée par
une seule personne, par la loi nationale de celle-ci, la loi de l’enfant devant
seulement déterminer les conditions du consentement ou de la représentation
de l’adopté; que lorsque le consentement à l’adoption par un Français d’un
enfant étranger ne précise pas en considération de quel type d’adoption il a été
donné, ce consentement vaut pour l’une ou l’autre des formes d’adoption que
connaît le droit français; que dès lors en statuant comme elle l’a fait, au motif
610 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69

que, compte tenu des effets de l’adoption tels que prévus par la loi grecque, le
consentement de la mère n’avait pu être donné à une adoption plénière, la juri-
diction du second degré a violé les textes susvisés;
Par ces motifs : — Casse.
Du 7 novembre 1984. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Massip, rapp.;
Sadon, prem. av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, av.

2e ARRÊT
(Pistre c/Procureur général près la Cour d’appel de Toulouse)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que M. et Mme Pistre font
grief à l’arrêt attaqué (Toulouse, 7 sept. 1987), qui les a déboutés de leur
requête en adoption plénière, d’avoir violé l’article 431 du Nouveau Code de
procédure civile, le ministère public n’ayant pas assisté à l’audience alors que,
ayant transmis la requête en adoption au tribunal, en application de l’arti-
cle 1168 du même code, il était partie principale à l’instance; — Mais attendu
que l’article 1168 précité se borne à imposer au procureur de la République saisi
d’une requête en adoption de la transmettre au tribunal; que la procédure ainsi
suivie n’a pas pour effet de modifier le rôle du ministère public qui est de don-
ner son avis sur l’application de la loi, spécialement sur la conformité de l’adop-
tion à l’intérêt de l’enfant; qu’elle ne confère au parquet ni la qualité de repré-
sentant des adoptants ni celle de partie principale à l’instance; que le moyen
n’est donc pas fondé.
Et, sur le second moyen, pris en ses quatre branches : — Attendu que l’arrêt
confirmatif attaqué a rejeté la demande d’adoption plénière présentée par
M. et Mme Pistre aux motifs que si les conditions et les effets de l’adoption sont
régis par la loi nationale des adoptants, c’est la loi de l’adopté qui détermine les
conditions du consentement de celui-ci ou de sa représentation; que c’est à une
demande d’adoption simple qu’a consenti le juge des enfants brésilien qui a, le
3 mars 1986, prononcé la déchéance de l’autorité parentale de l’enfant Emma-
nuel Pierre Dos Santos en vue d’autoriser une telle adoption; — Attendu que
M. et Mme Pistre reprochent à la Cour d’appel d’avoir ainsi statué alors que, de
première part, la loi de l’adopté, si elle détermine les conditions du consente-
ment ou de la représentation de l’adopté ne peut limiter l’objet de ce consente-
ment de sorte que la Cour d’appel qui, selon le moyen, n’a pas recherché quel
était l’objet effectif du consentement à l’adoption donné en l’espèce par le juge
brésilien a privé sa décision de base légale; et alors, de deuxième, troisième et
quatrième part, que la loi française doit être substituée à la loi brésilienne dès
lors que celle-ci, qui prohibe l’adoption plénière lorsqu’elle est demandée par
un adoptant étranger ne résidant pas au Brésil, est contraire à l’ordre public
français; qu’il s’ensuit que l’arrêt attaqué ne pouvait faire application de cette
loi sans méconnaître la conception française de l’ordre public international ni
violer les dispositions des articles 8-1, 12 et 14 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et celles des
articles 23, 24-1 et 26 du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits
civils et politiques; — Mais attendu, d’abord, que si le contenu même du consen-
tement — savoir s’il a été donné en vue d’une adoption simple ou d’une adop-
tion plénière — doit être apprécié indépendamment des dispositions de la loi
nationale de l’adopté, le juge français devant s’attacher à la volonté, expresse
ou présumée, de la personne qui a consenti, il reste qu’en l’espèce les juges du
fond relèvent que le consentement a été spécialement donné par l’autorité bré-
silienne compétente en vue d’une adoption simple; — Et attendu, ensuite, que
les dispositions de la loi brésilienne qui prohibent l’adoption d’un enfant, en
forme plénière, par un étranger lorsque cet étranger ne réside pas au Brésil et
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 611

qui repose sur le souci de ne pas couper complètement l’enfant de ses racines,
ne sont contraires ni à la conception française de l’ordre public international, ni
aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, ni à celles du Pacte international des
Nations Unies relatif aux droits civils et politiques; — D’où il suit que l’arrêt atta-
qué est légalement justifié et que le moyen, en aucune de ses branches, ne peut
être accueilli.
Par ces motifs : — Rejette.
Du 31 janvier 1990. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Jouhaud, prés.; Massip, rapp.; Don-
tenwille, av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, av.

3e ARRÊT
(Époux Fanthou)
La cour; — Sur le moyen unique, pris en sa première branche : — Vu l’article 3
du Code civil et les principes généraux qui régissent l’adoption en droit
international; — Attendu que deux époux français peuvent procéder à l’adop-
tion d’un enfant dont la loi personnelle ne connaît pas, ou prohibe, cette insti-
tution, à la condition qu’indépendamment des dispositions de cette loi, le repré-
sentant du mineur ait donné son consentement en pleine connaissance des
effets attachés par la loi française à l’adoption et, en particulier, dans le cas
d’adoption en forme plénière, du caractère complet et irrévocable de la rupture
des liens entre le mineur et sa famille par le sang ou les autorités de tutelle de
son pays d’origine;
Attendu qu’il a été constaté, par un acte du Tribunal de Rabat chargé du
notariat, que les époux Jean-Luc et Eliane Fanthou, tous deux convertis à l’Islam,
ont, le 22 mai 1992, avec l’autorisation du Wali de Rabat-Salé, reçu du centre
d’éducation Lalla Mariam un enfant né de parents inconnus le 26 mars 1989 et
prénommé Salim Salah, « dans le but d’adopter, d’assurer son cautionnement
(sic) et sa subsistance et de veiller sur son instruction et son éducation », étant
précisé que « les intéressés l’instituent comme leur propre enfant, du fait qu’il
aura droit à une part héréditaire de leur succession »; que, par ordonnance du
27 mai 1992, le président du Tribunal de première instance de Rabat a autorisé
M. Fanthou à adopter le jeune Salim Salah et à le prendre avec lui en France,
après avoir toutefois indiqué que les autorités diplomatiques marocaines
étaient chargées de veiller sur les conditions de vie de l’enfant et de les contrô-
ler ; que les époux Fanthou ont présenté devant le tribunal de grande instance
une requête en adoption plénière qui a été accueillie; que, saisie d’un appel du
ministère public, la Cour d’appel a infirmé cette décision;
Attendu que, pour rejeter la requête des époux Fanthou, l’arrêt attaqué
énonce que le consentement à l’adoption n’a pu être donné par le président du
Tribunal de Rabat qu’en application de la loi marocaine selon laquelle l’adop-
tion n’a pas de valeur juridique et n’entraîne aucun des effets de la filiation;
qu’il ajoute que les restrictions mentionnées dans l’ordonnance du 27 mai 1992
sont incompatibles avec les effets normaux de l’adoption plénière;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, au vu de ce seul document, sans recher-
cher quel était le représentant légal de l’enfant, et en quels termes il avait
consenti à la remise du jeune Salim Salah aux époux Fanthou, la Cour d’appel
n’a pas donné de base légale à sa décision;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres branches du
moyen : — Casse
Du 10 mai 1995. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Grégoire, f. f. près.; Gélineau-Larrivet,
rapp.; Mme Le Foyer de Costil, av. gén. — Me Thomas-Raquin, av.
612 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69

OBSERVATIONS

1 Tout en bouleversant, à la faveur des réformes du droit interne, les solutions


acquises en ce qui concerne les conflits de lois relatifs à la filiation (art. 311-14
et s., réd. L. 3 janv. 1972) et au divorce (art. 310, réd. L. 11 juill. 1975), le
législateur des années soixante-dix avait préféré s’abstenir en matière d’adop-
tion internationale, bien que le vote de la loi du 22 décembre 1976 lui eût offert
l’occasion d’intervenir en ce domaine. Pareille distorsion s’explique probable-
ment par le fait que la nouveauté du problème à résoudre rendait prématurée
l’intervention du législateur. Comme l’écrivait Portalis, dans le Discours préli-
minaire, « c’est à la jurisprudence que nous abandonnons (…) tous les objets
(…) qu’une prévoyance précipitée ne pourrait définir sans danger ». La haute
juridiction ne s’est pas dérobée à cette invite. Par les arrêts ci-dessus repro-
duits, elle a, en effet, entrepris de forger le régime juridique de l’adoption inter-
nationale. En donnant une compétence de principe à la loi de l’adoptant et en
complétant celle-ci par une règle matérielle propre au consentement du repré-
sentant de l’adopté, dont elle a progressivement ciselé les contours, elle a mis
sur pied un système qui, sous couvert d’une apparente neutralité, était, en réa-
lité, assez nettement favorable au prononcé d’une adoption au profit d’adop-
tants français. Il permettait, en effet, à ceux-ci de contourner le verrou résultant
de l’existence d’une loi personnelle de l’enfant prohibant l’adoption. Cette
orientation fut remise en cause par la circulaire du 16 février 1999, relative à
l’adoption internationale (Rev. crit. 1999. 586; sur cette circulaire, v. H. Muir
Watt, Rev. crit. 1999. 469; M. Revillard, Defrénois 1999. 917; P. Salvage-
Gerest, Dr. fam. 1999, chron. no 9; F. Monéger, JCP 1999, no 18, actualité).
Durcissant le régime juridique de l’adoption internationale en présence d’une
loi personnelle de l’enfant prohibitive, elle invitait en même temps le parquet
à s’ériger en gardien vigilant de la loi étrangère. Sans doute, le juge judi-
ciaire n’est pas lié par une telle circulaire, dont la juridiction administrative a
d’ailleurs ultérieurement précisé qu’elle ne revêtait pas un caractère réglemen-
taire (CE, 27 nov. 2000, D. 2001, IR p.903). Il n’en restait pas moins que les
certitudes antérieures en sortaient ébranlées. Aussi bien, afin de clarifier la
situation, une proposition de loi fut déposée le 28 mars 2000 (Doc. Ass. nat,
no 2265). Après diverses péripéties, celle-ci a conduit au vote de la loi du
6 février 2001 qui introduit dans le Code civil les articles 370-3 à 370-5 (sur
cette loi, v. E. Poisson-Drocourt, D. 2001. 1404; M. Revillard, Defrénois
2001. 333; P. Lagarde, Rev. crit. 2001. 275; Baur, LPA, 22 mars 2001, p. 42;
F. Monéger, Dr. fam. 2001, chron. no 15; B. Bourdelois, Gaz. Pal. 12-13 déc.
2001, nos 346-347, p. 3; H. Muir Watt, Clunet 2001. 995). Portant l’empreinte,
d’une part, de la circulaire du 16 février 1999, d’autre part, de la Convention
de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en
matière d’adoption internationale, entrée en vigueur en France le 1er octobre
1998 (sur cette convention, v. not. H. Muir Watt, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1993-
1995, p. 49; N. Meyer-Fabre, Rev. crit. 1994. 259; Poisson-Drocourt, Clunet
1998. 707), ces textes n’en présentent pas moins une parenté indéniable avec
la jurisprudence antérieure.
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 613

2 C’est dire que l’étude de cette jurisprudence est loin d’avoir perdu tout inté-
rêt. Son analyse permet, en effet, de mieux comprendre la genèse de la loi et
par là-même son économie profonde. Afin de mettre celle-ci en évidence, on
partira de l’étude des principes de solution posés par la jurisprudence et on
recherchera dans quelle mesure ceux-ci ont été consacrés ou remis en cause
par les dispositions issues de la loi du 6 février 2001.
Aux termes de la jurisprudence Torlet l’adoption relève de la loi de l’adop-
tant (I), à l’exception des conditions relatives au consentement de l’adopté ou
de son représentant légal qui obéissent à la loi de l’adopté. La coexistence de
ces deux règles n’allant pas sans difficultés, lorsque les adoptants de nationalité
française demandent le prononcé d’une adoption plénière alors que l’enfant
est originaire d’un pays qui soit ignore cette institution (cas de la Grèce dans
l’arrêt Torlet), soit en refuse l’accès à certains étrangers (cas du Brésil dans
l’affaire Pistre avant que la loi brésilienne du 13 juill. 1990 ne lève l’interdic-
tion), soit l’interdit expressément (cas des pays musulmans dans l’affaire Fan-
thou), la haute juridiction double la référence à la loi de l’adopté d’une règle
matérielle qu’elle précise et affine au fil de sa jurisprudence (II). Une autre
voie s’offrait, au demeurant, pour permettre le prononcé d’une telle adoption
malgré les prohibitions étrangères : déclarer celles-ci contraires à l’ordre
public international français. Dans le deuxième arrêt ci-dessus reproduit, la
haute juridiction refuse clairement de s’y engager en des termes dont l’intérêt
dépasse la question immédiatement posée pour atteindre à la théorie générale
de l’ordre public. Bien loin de remettre en cause cette solution les dispositions
de la loi du 6 février 2001 lui apportent une confirmation indirecte (III).

I. La loi de l’adoptant

3 À mettre en parallèle la solution de principe énoncée par l’arrêt Torlet et


celles qui résultent des articles 370-3, alinéa 1 et 370-4 du Code civil, les
convergences et les divergences apparaissent très nettement.
Les convergences : reprenant la directive énoncée par l’arrêt Torlet qui sou-
met les conditions de l’adoption à la loi nationale de l’adoptant, l’article 370-
3, alinéa 1 poussant celle-ci à son terme, y ajoute que « en cas d’adoption
par les deux époux », « les conditions de l’adoption sont régies par la loi des
effets de leur union ». Le pas avait, au reste, déjà été franchi à de multiples
reprises par les juges du fond (v. par ex., Paris, 8 déc. 1977, Rev. crit. 1978. 684,
note J. Foyer, D. 1978. 235, note Poisson).
Les divergences : alors que l’arrêt Torlet soumettait également à la loi de
l’adoptant les effets de l’adoption, l’article 370-4 dispose que « les effets de
l’adoption prononcés en France sont ceux de la loi française ».
Jurisprudence et législation divergent donc essentiellement en ce que la
seconde rompt l’unité du statut législatif de l’adoption voulue par la première.
Certes, cette rupture sera, en pratique, relativement rare. Dans l’immense majo-
rité des cas, l’adoption sera demandée par des adoptants français ou éventuel-
lement par des adoptants étrangers de nationalité différente, de sorte que la loi
614 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69

française sera applicable aussi bien aux conditions de l’adoption, en tant que
loi nationale commune ou en tant que loi du domicile commun des adoptants,
qu’aux effets de celle-ci. Pour que la distorsion s’introduise, il faut une adop-
tion demandée en France par des adoptants ayant tous deux la même nationa-
lité étrangère : les conditions de l’adoption sont alors soumises à leur loi
nationale commune, loi étrangère, et les effets à la loi française.
Sans doute peu fréquente en pratique, cette distorsion n’en présentera pas
moins lorsqu’elle se rencontrera des inconvénients certains. Et de fait, si la
jurisprudence avait choisi, d’une part, de soumettre conditions et effets de
l’adoption à la même loi, d’autre part, de retenir la loi des adoptants de préfé-
rence à celle de l’adopté ou encore à l’application distributive de la loi de
l’adoptant et de la loi de l’adopté, c’était qu’elle en attendait d’évidents avan-
tages aussi bien sur le terrain méthodologique que sur celui de la politique
juridique.
4 Se donnant pour but de nouer les fils de destinées individuelles que la nature
n’avait pas encore associées, l’adoption est une pure création de la loi. Pour
reprendre la terminologie d’Aubry et Rau, c’est une institution de « droit
civil » et non de « droit naturel » (supra, no 20 § 3). Partant, elle revêt selon les
législations des aspects différents : on constate d’un système à l’autre de pro-
fondes divergences et, bien souvent, à l’intérieur d’un même système une plu-
ralité de modèles; à des conditions strictes correspondent des liens renforcés, à
des conditions moins rigoureuses des liens plus lâches (Weill et Terré, Droit
civil, les personnes, la famille, les incapacités, no 727). Dès lors, emprunter la
définition des conditions de l’adoption ou en soumettre les conditions et les
effets à des lois différentes risque, en rompant ces corrélations, de conduire à
de difficiles problèmes d’adaptation. La situation est, à cet égard, différente de
celle du mariage à laquelle se réfèrent pourtant souvent les partisans d’une
application distributive de la loi de l’adoptant et de la loi de l’adopté (Lous-
souarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 359-1). En effet, si « mariage vaut
mariage », adoption ne vaut pas nécessairement adoption. La dichotomie entre la
loi applicable aux conditions et aux effets du mariage procède d’un « postulat
d’équivalence » entre les divers modes de création de ce lien (Fadlallah, La
famille légitime en droit international privé, no 2) qui ne se retrouve pas en
matière d’adoption (Y. Lequette, Rev. crit. 1976. 72; contra P. Lagarde, Rev.
crit. 2001. 291). De ce point de vue, la compétence donnée par l’arrêt Torlet à
la loi de l’adoptant présentait l’avantage évident de permettre de soumettre à
une loi unique les conditions et les effets de l’adoption. Manifeste au regard du
système qui préconise l’application distributive ou cumulative des lois de
l’adoptant et de l’adopté, selon que les conditions de l’adoption sont unilatéra-
les (ex : âge de l’adopté) ou bilatérales (ex : différence d’âge entre l’adopté et
l’adoptant), sa supériorité était également certaine au regard de celui qui recom-
mande l’application de la seule loi de l’adopté. Celui-ci se voyant attribuer
d’office en cas d’adoption plénière (art. 26, C. nat. devenu art. 20, C. civ.) ou
acquérant aisément en cas d’adoption simple la nationalité française (art. 55, al. 1er,
C. nat. devenu art. 21-12, C. civ.), appliquer la loi de l’adopté aux conditions et aux
effets de l’adoption, ce serait en réalité soumettre les effets à la loi de l’adoptant.
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 615

Comment dès lors expliquer que le législateur ait choisi, dans les arti-
cles 370-3 et 370-4, de soumettre les conditions et les effets de l’adoption à
des lois différentes ? La réponse semble devoir être recherchée dans les rebon-
dissements et les aléas propres au travail parlementaire. La proposition de loi
votée en première lecture à l’assemblée nationale étant loin de donner toute
satisfaction, en ce qu’elle se contentait de délimiter de manière exorbitante le
domaine international de la loi française (M. Josselin-Gall, « Adoption inter-
nationale : la difficile élaboration législative d’une règle de conflit de lois »
JCP N, 2000, p. 1319, spéc. p. 1321; A. Bottiau, « Autour de l’adoption inter-
nationale », D. 2000. 510), le texte fut remis sur le métier par le Sénat. La
technicité des questions posées conduisit les hôtes du Palais du Luxembourg
à s’aider de deux documents préparatoires établis pour le Cridon Paris par
certains spécialistes de la discipline : l’un, dû à la plume de M. Paul Lagarde,
prévoyait que « les conditions de l’adoption sont régies par la loi de l’État de
la résidence habituelle de l’adoptant ou des adoptants » et ajoutait « les effets
de l’adoption prononcée en France sont ceux de la loi française »; l’autre
rédigé par M. Georges Khairallah posait que « les conditions et les effets de
l’adoption sont soumis à la loi nationale de l’adoptant. Les conditions et les
effets de l’adoption demandée par deux personnes sont soumis à la loi des
effets de leur union » (v. ces textes, in JCP N, 2000, p. 1325). L’un comme
l’autre satisfaisaient à l’impératif méthodologique puisque, par des voies dif-
férentes, ils soumettaient conditions et effets de l’adoption à la même loi.
Fruit d’un compromis qui emprunte la définition de la loi applicable aux condi-
tions de l’adoption au texte de M. Khairallah et celle de ses effets à celui de
M. Paul Lagarde, le libellé final de la loi introduit une rupture au sein du sta-
tut législatif de l’adoption. On a tenté de la justifier en faisant valoir que la
soumission des effets de l’adoption à la loi française permet d’éviter l’insécu-
rité juridique et les inégalités qui résultent de la coexistence de statuts dif-
férents d’enfants adoptifs sur le territoire français (P. Lagarde, art. préc., Rev.
crit. 2001. 294). Mais cette unité du statut législatif de l’adoption sur le terri-
toire français a un prix. Comme par un effet quasi-mécanique, elle a pour
conséquence la multiplication des adoptions boiteuses (v. les exemples don-
nés par P. Lagarde, Rev. crit. 2001. 294). Or, non sans paradoxe, c’est contre
ces mêmes adoptions boiteuses que se proposent de lutter les nouvelles dispo-
sitions donnant plein effet aux lois prohibitives !
5 Brisant avec les solutions antérieures sur le terrain méthodologique, les arti-
cles 370-3 et suivants rompent également avec celles-ci au regard de la politi-
que législative. En pratique, les situations dont nos tribunaux ont à connaître
présentent une très grande uniformité : un couple de Français désireux d’adopter
un enfant se tourne vers l’étranger afin de pallier une offre locale défaillante.
Ces candidats à l’adoption restent attirés par le modèle traditionnel : ouvrir
leur foyer à un enfant, le plus petit possible, dont les liens sont rompus avec la
famille d’origine. En d’autres termes, ils aspirent à une adoption plénière. Or,
à ce double égard, l’application des lois étrangères ne permet pas toujours de
répondre à leur attente. Certaines législations, telles celles des pays islamiques
(v. par ex., art. 83-3° du Code du statut personnel marocain), prohibent l’adop-
616 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69

tion, d’autres ne la connaissent que sous des formes édulcorées. En désignant


presque toujours la loi française, la loi nationale du ou des adoptants permet de
surmonter ces obstacles. Comme l’avait énoncé la Cour de Paris, « c’est la loi
unique de la création du lien — en l’occurrence la loi française, loi nationale
commune aux deux époux adoptants, au foyer desquels l’enfant est destiné à
vivre en France — qui doit déterminer si le type d’adoption choisi par les
adoptants peut être prononcé » (Paris, 8 déc. 1977, Rev. crit. 1978. 684, note
J. Foyer, D. 1978. 235, note Poisson). Ainsi, sous le couvert d’une règle neutre
se dissimulait en réalité une solution qui favorisait la réalisation des adoptions
souhaitées.
La perspective s’inverse avec la loi du 6 février 2001. Faisant siennes les
préoccupations qui animaient les rédacteurs de la circulaire du 16 février 1999,
le législateur se refuse à mettre sur pied un régime juridique de l’adoption
internationale qui permette de contourner les prohibitions édictées par les lois
personnelles des intéressés. À cet effet, le dispositif est double. En premier
lieu, la loi pose dans l’article 370-3 que « l’adoption ne peut être prononcée
si la loi nationale de l’un et l’autre (époux) la prohibe ». La solution est en
contradiction avec celle qui avait été énoncée par la Cour de cassation à pro-
pos du divorce, dans son arrêt Corcos (Civ., 22 févr. 1961, D. 1961. 431,
1re esp., note G. Holleaux, Rev. crit. 1961. 382, note H. Batiffol, Clunet 1961.
734, note B. Goldman). La haute juridiction y avait, en effet, décidé que deux
époux de nationalité différente domiciliés en France pouvaient divorcer confor-
mément à la loi de leur domicile commun, alors même que leur loi nationale
respective prohibait celui-ci. Comme le soulignait Henti Batiffol, l’emprunt
« aux lois nationales respectives des époux (d’)une disposition commune (…)
(eût été) en contradiction avec l’applicabilité de principe de la loi du domi-
cile » et n’aurait eu « de sens que fondé sur une politique de sévérité systéma-
tique à l’encontre du divorce ». Mutatis mutandis, la remarque vaut pour notre
hypothèse. Elle traduit un changement profond d’orientation. Le fait que le
statut individuel des adoptants l’emporte sur la loi des effets du mariage mar-
que qu’il n’existe plus ici une véritable loi de la création du lien ayant voca-
tion à déterminer si le type d’adoption choisi par les adoptants peut ou non
être prononcé. En deuxième lieu, il pose que « l’adoption d’un mineur étran-
ger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution ».
Mais c’est alors la place qu’il convient de faire à la loi de l’adopté qui est au
centre du débat.

II. La loi de l’adopté

6 À confronter l’alinéa 3 de l’article 370-3 avec la jurisprudence antérieure, la


parenté apparaît étroite. Certes, au premier abord, une différence de taille se
fait jour; à la différence de la jurisprudence Torlet-Pistre, le texte législatif ne
précise pas que c’est la loi nationale de l’adopté qui détermine la forme du
consentement et les personnes ou autorités habilitées à consentir. Mais la solu-
tion jurisprudentielle paraît devoir être maintenue, le ministre de la Justice ayant
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 617

déclaré que le texte finalement voté ne remet pas en cause le principe consistant
à reconnaître une compétence à la loi nationale de l’adopté pour la détermina-
tion du représentant légal et la forme du recueil du consentement. Quant à la
règle matérielle qu’il énonce, relativement au consentement du représentant de
l’adopté, elle présente une profonde similitude avec celle énoncée par l’arrêt
Fanthou. Reprenant l’exigence dégagée par la jurisprudence, selon laquelle le
consentement donné par le représentant de l’adopté doit l’avoir été en pleine
connaissance des effets attachés par la loi française à cette institution et, en
particulier, dans le cas de l’adoption plénière, du caractère complet et irrévocable
de la rupture des liens qui unissent l’enfant avec sa famille par le sang, l’arti-
cle 370-3, alinéa 3 précise en sus, s’inspirant très directement de l’article 4 de
la Convention de La Haye du 29 mai 1993, que « le consentement doit être
libre, obtenu sans aucune contrepartie » et « après la naissance de l’enfant ».
Mais si de la jurisprudence à la législation, la filiation est manifeste, il n’en
reste pas moins que le contexte profondément différent dans lequel évoluent
ces deux dispositions, apparemment similaires, conduit à leur accorder une
portée très différente.

7 Évitant de transformer en monopole la nécessaire prépondérance de la loi


personnelle de l’adoptant, la Cour de cassation soumettait, dans son arrêt Tor-
let, à la loi de l’adopté les conditions relatives au consentement de celui-ci ou
de son représentant. Même bornée aussi strictement, la compétence ainsi
reconnue à la loi de l’adopté soulevait des difficultés lorsque les diverses légis-
lations en présence n’étaient pas en harmonie. De fait, quelle solution retenir
lorsque, connue de la loi personnelle de l’adoptant, l’adoption ne l’est pas de
celle de l’adopté ? La jurisprudence Torlet permettait de surmonter la dif-
ficulté. En décidant que les conditions et les effets de l’adoption relèvent de la
loi de l’adoptant, elle consacrait on l’a vu, même si elle n’utilisait pas l’expres-
sion, une véritable « loi de la création du lien » (P. Mayer et V. Heuzé, no 628),
seule compétente pour indiquer si l’adoption peut ou non être réalisée. Telle
était, au reste, la solution consacrée par la Cour de Versailles dans une espèce
où les données du problème étaient inversées, l’enfant étant français et les
adoptants algériens; elle y affirmait, en effet, que « si la loi française, loi per-
sonnelle de l’enfant, doit être appliquée en ce qui concerne les conditions du
consentement ou la représentation de l’adopté, c’est la loi unique, loi de la créa-
tion du lien, en l’espèce la loi algérienne commune aux deux futurs adoptants
au foyer desquels l’enfant serait appelé à vivre, qui doit permettre de détermi-
ner si l’adoption sollicitée peut être prononcée » (Versailles, 16 févr. 1983,
Rev. crit. 1985. 533, note M. Simon-Depitre; v. aussi Paris, 13 janv. 1994,
D. 1994, IR p. 65). Mais affirmer que l’adoption peut être réalisée alors même
que la loi de l’adopté l’ignore, nécessite l’élaboration d’une solution de rem-
placement en ce qui concerne son consentement. Tel fut précisément l’objet de
la règle matérielle progressivement forgée par la jurisprudence (sur les problè-
mes d’adaptation que cette règle soulève, v. D. Cocteau-Senn, Dépeçage et
coordination dans le règlement des conflits de lois, thèse Paris I, 2001, nos 648
et s., p. 505 et s.).
618 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69

8 À l’origine, celle-ci fut énoncée dans l’arrêt Torlet pour répondre à une dif-
ficulté bien particulière, celle d’une loi de l’adopté, la loi grecque en la cir-
constance, qui tout en connaissant le principe de l’adoption ignorait l’adoption
plénière puisqu’elle ne prévoyait pas la rupture des liens unissant l’enfant
adoptif à sa famille d’origine. Obtenu dans un tel contexte, le consentement
valait-il pour le prononcé d’une adoption plénière en France ? La Cour de cas-
sation l’a admis au motif que « lorsque le consentement à l’adoption par un
Français d’un enfant étranger ne précise pas en considération de quel type
d’adoption il a été donné, ce consentement vaut pour l’une ou l’autre des formes
d’adoption que connaît le droit français ». Posant une véritable règle maté-
rielle, la haute juridiction limite de manière drastique la compétence de la loi
de l’adopté puisqu’elle considère implicitement que si celle-ci détermine la
forme du consentement et les personnes habilitées à le donner, elle ne peut en
limiter l’objet ou le contenu. Réaffirmée explicitement par l’arrêt Pistre (en ce
sens Massip, obs. Defrénois 1990. 962), cette solution est en harmonie avec
l’existence d’une véritable loi de la création du lien. Mais elle va beaucoup
plus loin, car, non contente de considérer que le fait de savoir si l’enfant est ou
non susceptible d’être adopté plénièrement échappe entièrement à la loi de
l’adopté pour dépendre de la loi de l’adoptant et de l’analyse du consentement
émanant de l’autorité compétente (rappr. Holleaux, Foyer et de La Pradelle,
no 1274), elle décide qu’à défaut de volonté exprimée en sens contraire, le
consentement donné à une adoption simple vaut pour une adoption plénière.
Les avantages du système sont évidents : simple à utiliser, il évite des recher-
ches complexes et facilite grandement le prononcé des adoptions plénières. Il
paraît cependant tout à fait excessif. Il est, en effet, bien différent de consentir
à la création d’un lien supplémentaire dont on espère qu’il apportera à l’enfant
ce qui lui fait défaut, et de renoncer aux liens qui vous unissent à ce même
enfant. Notons d’ailleurs qu’en droit français le consentement donné « en
blanc » laisse le loisir de choisir l’adoptant mais non le type d’adoption. Quant
à la délégation de l’autorité parentale, elle ne peut jamais porter sur le droit de
consentir à l’adoption (Weill et Terré, op. cit, no 799). Peut-on dès lors admet-
tre qu’une règle matérielle soit spécialement posée pour soustraire les adop-
tions d’enfants étrangers aux prescriptions qui, en droit français, garantissent
les droits des parents par le sang ? En l’espèce, il aurait été naturel d’exiger
que la mère consentît expressément à une adoption rompant entièrement ses
liens avec l’enfant.

9 Aussi bien, la Cour de cassation a-t-elle progressivement infléchi sa juris-


prudence dans un sens plus respectueux de la volonté des personnes appelés à
donner leur consentement à l’adoption. Dans un premier temps, elle a affirmé
dans l’arrêt Pistre que si « le contenu même du consentement doit être appré-
cié indépendamment des dispositions de la loi nationale de l’adopté, le juge
français doit s’attacher à la volonté expresse ou présumée de la personne qui a
consenti ». En d’autres termes, si la haute juridiction confirmait l’existence
d’une règle matérielle de droit international privé prévoyant que l’adoption
est prononcée au seul vu du consentement du représentant légal de l’enfant,
abstraction faite de la loi personnelle de l’enfant, elle se montrait encore peu
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 619

regardante sur la qualité du consentement exigé puisqu’elle se contentait d’une


volonté « expresse ou présumée ». Mais elle devait ultérieurement faire preuve
sur ce point d’une plus grande vigilance dans le troisième arrêt ci-dessus
reproduit. Visant l’article 3 du Code civil et les principes généraux du droit,
elle affirme dans une décision qui revêt tous les attributs de l’arrêt de principe
que « deux époux français peuvent procéder à l’adoption d’un enfant dont
la loi personnelle ne connaît pas, ou prohibe, cette institution, à la condition
qu’indépendamment des dispositions de cette loi, le représentant du mineur ait
donné son consentement en pleine connaissance des effets attachés par la loi
française à l’adoption et, en particulier, en cas d’adoption en forme plénière,
du caractère complet et irrévocable de la rupture des liens entre le mineur et sa
famille par le sang ou les autorités de tutelle de son pays d’origine ». En
d’autres termes, l’adoption doit être prononcée au vu du consentement éclairé
du représentant légal de l’enfant (Civ. 1re, 30 sept. 2003, Defrénois 2003. 155,
obs. Massip; 25 janv. et 8 mars 2005, Defrénois 2005, p. 1219, note M.-L. Revil-
lard, (2e esp.), p. 1356, obs. Massip, Dr. fam. 2005, no 98, obs. P. Murat), indé-
pendamment de toute référence à la loi personnelle de ce dernier. La solution
apparaît en l’espèce d’autant plus nette que, l’enfant étant de nationalité maro-
caine, son statut prohibait l’adoption. Mais très vite, une difficulté se fit jour :
lorsque la représentation de l’enfant est assurée non par une personne — phy-
sique ou morale — privée, mais par une autorité publique dont la loi ignore ou
prohibe l’adoption, celle-ci peut-elle donner un consentement qui paraît bien
excéder les pouvoirs qui lui sont consentis par la loi qui l’investit ? Si la haute
juridiction parut, dans un premier temps, écarter la possibilité de prononcer
l’adoption dans un tel cas (Civ. 1re, 1er juill. 1997, D. 1998. 187, note Poisson-
Drocourt, JCP 1997. II. 22916, note Th. Garé, 1998. I. 101, no 4, obs.Y. Favier,
Dr. fam. 1997, no 119, obs. P. Murat, Defrénois 1998. 723, obs. Massip), elle
l’admit dans un second (Civ. 1re, 16 déc. 1997, Rev. crit. 1998. 433, note
H. Muir Watt, JCP 1998. II. 10186, note Th. Garé, Defrénois 1998. 723, obs.
Massip), il est vrai à propos d’une adoption simple. La seconde solution appa-
raît mieux en harmonie avec le principe qui dénie compétence à la loi person-
nelle de l’adopté pour définir le contenu du consentement. Considérer que
le représentant de l’enfant n’a pas le pouvoir de consentir à l’adoption parce
que la loi de l’adopté ignore ou prohibe celle-ci, c’est réintroduire le jeu d’une
loi que la haute juridiction avait précisément voulu écarter en formulant une
règle matérielle propre à l’adoption internationale (Massip, Defrénois 1998.
725). Aussi bien certains juges du fond n’hésitèrent-ils pas à affirmer qu’il
n’appartient pas au juge français de porter une appréciation sur le respect par
l’autorité étrangère de sa propre légalité (Paris, 10 juin 1997, Dr. fam. 1997,
no 119, obs. P. Murat).

10 Mais la question devait connaître un nouveau rebondissement avec la circu-


laire du 16 février 1999. Désireux de lutter contre le trafic international
d’enfants, sensible aux contraintes nouvelles résultant de l’entrée en vigueur
de la Convention de La Haye du 29 mai 1993, dont l’article 4 dispose que les
adoptions internationales « ne peuvent avoir lieu que si les autorités compéten-
620 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69

tes de l’État d’origine (…) ont établi que l’enfant est adoptable », cet instru-
ment prend le contre-pied de la jurisprudence. Il prévoit, en effet, que « la
règle de solution du conflit de lois qui renvoie à la loi personnelle de l’adopté
en matière de consentement conduit à considérer que l’adoption n’est pas pos-
sible lorsque cette loi interdit l’adoption. Compte tenu de la prohibition qu’elle
pose, la loi étrangère ne comporte en effet aucune désignation des personnes
habilitées à consentir, ni des formes selon lesquelles le consentement doit être
recueilli. (…) Ainsi un consentement donné en violation de la loi étrangère
apparaît sans valeur, quelles que soient les conditions dans lesquelles il a été
donné » (Rev. crit. 1999. 593). Nullement impressionnée par cette mise en
garde, la haute juridiction a réaffirmé sa position traditionnelle dans un arrêt
du 3 octobre 2000 (Bull. I, no 229, p. 151, JCP éd. N, p. 1593, Defrénois 2001.
96, obs. Massip, Dr. fam. 2001 no 38, obs. P. Murat). Usant d’une formulation
plus proche de l’arrêt Pistre que de l’arrêt Fanthou, la Première chambre civile
rappelle que « le contenu du consentement doit être apprécié indépendamment
des dispositions de la loi nationale de l’enfant à adopter et uniquement au
regard de la volonté expresse ou présumée de la personne qui a consenti ». Et
même si l’adoption plénière est ici écartée, elle l’est en fonction du consente-
ment concrètement donné et non parce que la loi personnelle de l’adopté ne
connaît pas cette forme d’adoption. Aussi bien a-t-il été relevé que les quel-
ques décisions des juges du fond qui ont eu à se prononcer sur l’adoption
d’enfants dont le statut prohibe l’adoption et qui se sont conformées aux direc-
tives de la circulaire, ont encouru la censure, sauf lorsque le consentement
n’avait pas été donné en pleine connaissance des effets de la loi française
(v. J. Rubellin-Devichi, « L’adoption à la fin du XXe siècle », Études Pierre Catala,
2001, p. 348).

11 Offrant ainsi un bel exemple de jurisprudence combattue par la loi, l’arti-


cle 370-3, alinéa 2 du Code civil pose que « l’adoption d’un mineur étranger
ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce
mineur est né et réside habituellement en France » (sur ce que cette disposition
ne s’applique pas à l’adoption d’un majeur, v. Amiens, 5 mai 2004, Dr. fam.
2005, no 199). De même que la loi des effets du mariage ne saurait tenir en
échec la prohibition édictée par les lois personnelles respectives des adoptants,
de même elle ne permet plus de passer outre à la prohibition posée par la loi
personnelle de l’enfant. Il en va toutefois autrement lorsque l’enfant est né et
réside habituellement en France. On est alors en présence d’une sorte d’ordre
public de proximité dont les conditions de déclenchement sont entendues très
strictement puisqu’il faut non seulement que l’enfant réside en France mais
qu’il y soit né. Cette double exigence marque qu’il s’agit d’un enfant très intégré
à l’ordre juridique français puisque, si cette situation se prolonge, il acquerra
automatiquement à sa majorité la nationalité française (art. 27-1, C. civ.). Il est
d’ailleurs permis de se demander si cet ordre public de proximité n’aurait pas
dû jouer de manière plus générale pour tous les enfants dont la loi personnelle
prohibe l’adoption et qui résident de manière permanente en France (en ce
sens H. Muir Watt, « L’adoption internationale », Statut et protection de l’enfant,
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 621

Rapport du Conseil d’État, 1990, p. 193, spéc. p. 199; note JCP 1991. II.
21635, no 7; rappr. J. Rubellin-Devichi, art. préc., Études Pierre Catala, 2001,
p. 348).

III. L’exception d’ordre public

12 À l’encontre des lois qui ignorent l’adoption ou qui multiplient les entraves
à celle-ci, on pourrait penser à invoquer l’exception d’ordre public. Tel fut
précisément le cas dans l’affaire Pistre. Le pourvoi soutenait, en effet, que la
loi brésilienne, en refusant l’adoption plénière d’un enfant lorsque l’adoptant
est étranger, heurtait le principe d’égalité ainsi que le droit de constituer une
famille, fondements de la société française également consacrés par la Conven-
tion européenne des droits de l’homme (art. 8-1, 12 et 114) ainsi que par le
Pacte international des Nations-Unies relatif aux droits civils et politiques
(art. 23, 24-1 et 26).
Très sobrement, la haute juridiction répond que les dispositions de la loi
brésilienne qui « repose(nt) sur le souci de ne pas couper complètement l’enfant
de ses racines, ne sont contraires ni à la conception française de l’ordre public
international, ni aux dispositions » conventionnelles précédemment citées.
Jusqu’alors les juridictions françaises avaient surtout eu à se préoccuper de la
compatibilité avec notre ordre public de lois qui permettaient l’adoption en
présence d’enfants du sang à une époque où la loi française la prohibait ou qui
retenaient des conditions d’âge différentes de celles du droit français. Jugées
en leur temps contraires à notre ordre public dans le premier cas (Req. 21 avr.
1931, Ponnoucannamalle, S. 1931. 1. 377, note Niboyet, Rev. crit. 1932. 526),
les lois étrangères furent au contraire déclarées conformes à celui-ci dans
le second cas (Paris, 10 juill. 1946, de Loriol, Rev. crit. 1947. 142, JCP 1947.
II. 3391, note Savatier; TGI Paris, 15 déc. 1975, Rev. crit. 1976. 728, note
Y. Lequette). C’est la même tendance libérale qui anime la haute juridiction
dans l’affaire Pistre. Inspirées par le souci de ne pas couper complètement
l’enfant de ses racines, les restrictions à l’adoption édictées par le droit brési-
lien à l’encontre des étrangers ne sont pas jugées contraires à l’ordre public
international français. Et de fait, la justification avancée semble suffisamment
objective et raisonnable pour que la distinction qu’elle fonde n’apparaisse pas
discriminatoire. (Sur l’impérativité inférieure dont jouit de ce fait la filiation
adoptive par rapport à la filiation biologique — Civ. 1re, 10 févr. 1993, Rev.
crit. 1993. 620, note J. Foyer –, v. H. Muir Watt, Rev. crit. 1996. 84).
Pas plus pertinente n’était l’invocation des deux traités mentionnés. Certes
ceux-ci consacrent le principe de non-discrimination, le droit à fonder une
famille et le droit pour les mineurs d’être l’objet de mesures de protection
appropriées. Mais, ainsi qu’on l’a justement noté, ils le font « en termes beau-
coup trop vagues pour qu’on puisse en déduire le droit pour tout enfant de
faire l’objet d’une adoption, et qui plus est d’un type déterminé » (Poisson-
Drocourt, note Rev. crit. 1990. 524). Entrée en vigueur en France depuis le
prononcé de cette décision, la Convention des Nations-Unies sur les droits de
l’enfant (texte, Rev. crit. 1991. 176) ne modifie pas cette appréciation. Elle
622 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 67-69

présente, en effet, l’adoption, non comme un droit, mais comme une simple
possibilité (art. 21 b).
13 Ultérieurement, la haute juridiction s’est prononcée dans le même sens à
propos d’une loi étrangère prohibant l’adoption. Le demandeur ayant soutenu
que l’article 83 du Code du statut personnel marocain qui prohibe l’adoption
heurtait l’ordre public international français et par là-même violait les arti-
cles 6 du Code civil, 8-1 de la Convention européenne des droits de l’homme
et 21 de la Convention de New York sur les droits de l’enfant, la Cour de cas-
sation répond très sobrement que la cour d’appel « a exactement décidé, sans
violer les textes susvisés au moyen, que ce texte n’était pas contraire à la
conception française de l’ordre public international » (Civ. 1re, 19 oct. 1999,
Bull. civ. I, no 282, p. 183, Clunet 2000. 737, note F. Monéger, Defrénois 2000.
660, obs. Massip et 699, note Revillard, Dr. fam. 2000, no 85, obs. P. Murat).
Cette solution trouve, au reste, aujourd’hui tout à la fois un appui et une déro-
gation dans les alinéas 1 et 2 de l’article 370-3 du Code civil. Un appui : on
comprendrait mal, en effet, qu’un juge déclare une loi prohibitive contraire à
l’ordre public international alors que ce texte prévoit que la prohibition de
l’adoption par la loi personnelle de l’enfant ou par les lois nationales respecti-
ves des candidats à l’adoption fait obstacle au prononcé de celle-ci. Une
dérogation : en prévoyant que la loi personnelle de l’enfant prohibant l’adop-
tion s’oppose au prononcé de celle-ci, sauf lorsque l’enfant est né et réside en
France, elle ouvre la voie au jeu de l’ordre public de proximité (supra, § 11).
14 Le fait que, dans l’arrêt Pistre, la haute juridiction ait accepté de vérifier la
conformité de la loi brésilienne par rapport à certaines dispositions de la
Convention européenne des droits de l’homme, et cela alors même que le
Brésil n’a pas signé celle-ci, soulève en outre un intéressant problème de
méthode. On a pu, en effet, se demander si une telle solution ne revenait pas à
mettre à la charge d’un État étranger une obligation internationale qu’il n’a pas
volontairement assumée. Et la haute juridiction a paru elle-même encourager
cette analyse lorsque, interrogée à propos d’une demande d’exequatur d’un
jugement gabonais prétendûment rendu à la suite d’un procès inéquitable, elle
a écarté l’application de l’article 6 de cette même convention au motif que
celle-ci « ne crée d’obligations qu’à l’égard des États qui y sont parties, ce qui
n’est pas le cas de la République du Gabon » (Civ. 1re, 10 juill. 1990, Rev. crit.
1991. 757). Néanmoins la solution retenue par l’arrêt Pistre apparaît préféra-
ble (v. depuis Civ. 1re, 1er juin 1994, Rev. crit. 1995. 103, note Déprez, Defré-
nois 1995. 310, obs. Massip). En effet, comme on l’a justement souligné, le
fait que l’État auteur de la norme soit ou non partie à la Convention est indif-
férent. A transposer à notre problème la solution dégagée par la Cour de Stras-
bourg dans une affaire Soering (7 juill. 1989, Recueil, Série A, no 161, Juris-
prudence de la Cour européenne des droits de l’homme, 7e éd., p. 4-1 et s.), il
semble qu’on doive s’attacher uniquement au point de savoir si le jugement
français rendu en application de la loi étrangère réalise ou non, en lui-même, la
violation d’un droit de l’homme. Dans l’affirmative, la loi étrangère devra être
évincée même si aucune violation de la Convention ne peut être reprochée à
67-69 TORLET, 7 NOV. 1984 — PISTRE, 31 JANV. 1990 — FANTHOU, 10 MAI 1995 623

l’État dont elle émane puisqu’il n’est pas lié par celle-ci. C’est, en effet, de la
décision rendue par le juge français que procède concrètement la violation
d’un droit de l’homme. Or cette décision est imputable à l’État au nom duquel
ce juge statue (P. Mayer, « La Convention européenne des droits de l’homme
et l’application des normes étrangères », Rev. crit. 1991. 651 et s., spéc. p. 654;
Y. Lequette, « Droit international privé et droits fondamentaux » in Droits et
libertés fondamentaux, 2006, 12e éd., no 190).
15 Reste une dernière interrogation : le mécanisme d’application de la Conven-
tion européenne est-il distinct de celui de l’exception d’ordre public ou les
droits fondamentaux qu’elle édicte sont-ils simplement inclus dans les princi-
pes essentiels dont l’exception doit assurer le respect ?
L’enjeu de la question est important puisque, dans le premier cas, ces droits
fondamentaux devraient être considérés comme des lois de police dont il y
aurait lieu de déterminer le domaine dans l’espace et dont l’intervention
pourrait éventuellement faire échec aussi bien à l’application en France des
lois étrangères qu’à l’accueil de situations constituées à l’étranger. Source
d’incertitude importante, une telle démarche en érigeant des barrières beaucoup
plus sévères à l’encontre des règles et des décisions émanant de certains
ordres juridiques étrangers est de nature à creuser entre ceux-ci et l’ordre juridi-
que français une discontinuité radicale (v. à propos du transsexualisme, Paris,
14 juin 1994, Rev. crit. 1995. 308, note Y. Lequette). Aussi bien, le raison-
nement en termes d’exception d’ordre public apparaît-il préférable. Tel qu’il
est conçu par le droit international privé français, ce mécanisme a, en effet,
vocation à assurer le respect de toute norme en vigueur en France, quelle que
soit sa place dans la hiérarchie. Pas plus qu’il n’a été, jusqu’à présent, réservé
un traitement spécial aux normes à valeur constitutionnelle (v. par ex. supra,
no 13, à propos des nationalisations), pas plus ne devrait-il en être pour celles
qui ont une source internationale (P. Mayer, art. préc.; Lerebours-Pigeonnière,
« La déclaration universelle des droits de l’homme et le droit international
privé français », Études Ripert, 1950, I, p. 261).
70
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

6 février 1985

(Rev. crit. 1985. 369, Clunet 1985. 460, note A. Huet,


D. 1985. 469, note J. Massip et IR 497, obs. B. Audit; chr. Ph. Francescakis,
Rev. crit. 1985. 243)
Jugement étranger. — Exequatur. — Compétence indirecte.

Toutes les fois que la règle française de solution de conflits de juridictions


n’attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal
étranger doit être reconnu compétent, si le litige se rattache d’une manière
caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction
n’a pas été frauduleux.

(Mme Fairhurst c/Simitch)

Faits. — Le mariage entre Alexander Simitch, citoyen américain et Mme Maria Fai-
rhurst, de nationalité britannique, avait été célébré en Angleterre, pays avec lequel le
mari avait déjà des attaches, y possédant certains biens, et où les époux établirent leur
premier domicile.
Le ménage n’eut pas d’enfants. Appelé par sa profession à résider en France,
M. Simitch devait former en 1979 devant le Tribunal de Paris une demande en divorce
contre son épouse restée en Angleterre. La procédure se heurta à l’incompétence du Tri-
bunal de Paris. Mais, de son côté, Mme Fairhurst avait saisi la Haute Cour de justice de
Londres d’une demande en divorce. En cours de procédure, elle obtint au titre des
mesures provisoires l’allocation d’une pension alimentaire, par décision du 2 mai 1980.
C’est de cette décision qu’elle sollicite l’exequatur en France. Le Tribunal de Paris le lui
accorde. Cependant, le jugement est infirmé par un arrêt du 5 novembre 1982 (Rev. crit.
1985, p. 370), qui estime que « la décision dont l’exequatur est demandé a été rendue
par un juge incompétent au sens du droit international privé »; la Cour de Paris observe
en effet que l’époux défendeur devant la juridiction anglaise avait sa résidence en
France; or, déclare-t-elle, « il est de principe que la compétence juridictionnelle interna-
tionale est déterminée par l’extension des règles de compétence territoriale interne, sous
réserve d’adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations internatio-
nales »; dès lors en saisissant la juridiction londonienne, la dame Fairhurst a elle aussi
contrevenu à l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile, applicable au plan
international et qui rend compétent si les conjoints, sans enfants, ont des résidences dis-
tinctes, « le tribunal du lieu où réside l’époux qui n’a pas pris l’initiative de la demande ».
Mme Fairhurst forme un pourvoi en cassation; elle y dénonce de prétendues caren-
ces qui auraient affecté la mise en œuvre des principes définis et appliqués par la Cour
70 SIMITCH — CASS., 6 FÉVRIER 1985 625

de Paris pour déterminer la compétence du juge étranger. Mais ces principes eux-mêmes
sont épargnés par le pourvoi. Indûment selon la Cour de cassation qui relève d’office le
moyen de cassation suivant : « Violation de l’article 1070 du Nouveau Code de procé-
dure civile et des principes qui régissent la compétence juridictionnelle internationale,
en ce que l’arrêt attaqué a débouté Mme Fairhurst de sa demande tendant à voir déclarer
exécutoire en France une décision rendue le 2 mai 1980 par une juridiction britannique
lui allouant une pension alimentaire au titre des mesures provisoires pendant l’instance
en divorce l’opposant à son mari M. Simitch, au motif qu’il est de principe que la com-
pétence juridictionnelle internationale est déterminée par l’extension des règles de com-
pétence territoriale interne, sous réserve d’adaptations justifiées par les nécessités
particulières des relations internationales, alors que, toutes les fois que la règle française
de solution de conflits de juridictions n’attribue pas compétence exclusive aux tribu-
naux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent dès lors que le litige se
rattache d’une manière suffisante au pays dont le juge a été saisi, c’est-à-dire lorsque le
choix de la juridiction n’a été ni arbitraire, ni artificiel, ni frauduleux ».

ARRÊT

La Cour; — Sur le moyen relevé dans les conditions prévues à l’article 1015 du
Nouveau Code de procédure civile : — Vu les principes qui régissent la compé-
tence juridictionnelle internationale, ensemble l’article 1070 du Nouveau Code
de procédure civile; — Attendu que, toutes les fois que la règle française de
solution des conflits de juridictions n’attribue pas compétence exclusive aux tri-
bunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent, si le litige se
rattache d’une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix
de la juridiction n’a pas été frauduleux; — Attendu que Mme Maria Fairhurst,
de nationalité britannique, a formé une action en divorce contre son mari,
M. Alexandre Simitch, citoyen américain, devant les juridictions anglaises ;
que, par décision du 2 mai 1980 une pension alimentaire lui a été accordée au
titre des mesures provisoires pendant l’instance; que l’arrêt attaqué a débouté
Mme Fairhurst de sa demande tendant à ce que cette décision soit déclarée exé-
cutoire en France au motif qu’il est de principe que la compétence juridiction-
nelle internationale est déterminée par l’extension des règles de compétence
territoriale interne, sous réserve d’adaptations justifiées par les nécessités parti-
culières des relations internationales; qu’il résultait de l’article 1070 du Nouveau
Code de procédure civile qui régit la compétence en matière de divorce que la
juridiction anglaise était incompétente pour connaître de l’action, le défendeur
ayant sa résidence en France; — Attendu cependant que la cour d’appel a cons-
taté que Mme Fairhurst était de nationalité britannique, avait son domicile en
Angleterre où les époux s’étaient mariés, où ils avaient fixé le domicile conjugal
et où le mari possédait certains biens, de sorte qu’il résultait de l’ensemble de
ces éléments un lien caractérisé avec le pays dont le juge a été saisi; — Attendu,
dès lors, qu’en se déterminant comme elle l’a fait, alors que l’article 1070 du
Nouveau Code de procédure civile ne donne pas une compétence exclusive
aux juridictions françaises pour connaître du divorce dans les cas auxquels il se
réfère, la juridiction du second degré a violé les principes susvisés et faussement
appliqué cet article;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi : —
Casse.
Du 6 février 1985. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Massip, rapp.; Sadon,
prem. av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, et SCP Calon, Guiguet et Bachellier, av.
626 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 70

OBSERVATIONS
1 L’arrêt du 6 février 1985 met un terme à une longue incertitude. Dès avant
l’arrêt Munzer de 1964 (v. supra, arrêt no 41), il était admis que la reconnais-
sance en France d’un jugement étranger est subordonnée notamment à « la
compétence du tribunal étranger » qui l’a prononcé, mais le contenu de cette
exigence restait indéterminé. Les juridictions du fond avaient expérimenté plu-
sieurs méthodes d’appréciation de la compétence indirecte; sans doute faute
d’une conception précise et homogène de l’intérêt auquel répondait cette condi-
tion, aucune de ces tentatives n’emportait la conviction. La jurisprudence
paraissait fluctuante. L’arrêt Simitch fixe désormais l’orientation du droit posi-
tif (1) et représente ainsi un progrès décisif dans l’élaboration de la règle de
principe en matière de compétence indirecte (I) en même temps qu’il apporte
de précieuses indications sur son application (II).

I. L’élaboration de la règle de compétence indirecte

2 La recherche de la règle de compétence indirecte s’était d’abord fourvoyée


dans diverses directions dont il devait apparaître autour de 1970 qu’elles cons-
tituaient autant d’impasses (A). Ces impasses qui, la doctrine aidant, se don-
naient l’allure de théories reçurent, au moment même où elles étaient condam-
nées, les noms d’unilatéralité simple, de bilatéralité et de double unilatéralité
(D. Holleaux, Compétence du juge étranger et reconnaissance des jugements,
Paris, 1970); et c’est sur leurs décombres qu’a pu se construire la règle consa-
crée par le présent arrêt (B).
3 A. — La doctrine de l’unilatéralité simple est illustrée par un arrêt de la
Cour de Montpellier du 17 mars 1949 (Rev. crit. 1950. 228, S. 1951. 2. 125,
note Ph. Francescakis, JCP 1950. II. 5739, note Guiho; v. aussi Ph. Francesca-

(1) Certes, il le fait à propos d’une décision d’octroi d’aliments émanée d’un juge anglais au
cours d’une procédure de divorce et la Convention du 27 septembre 1968 — remplacée dès le
1er mars 2002 par le Règlement Bruxelles I — régit dans l’espace judiciaire européen la reconnais-
sance et l’exécution « de la mesure provisoire ordonnée… dans une procédure de divorce par
laquelle l’une des parties à l’instance obtient une pension alimentaire mensuelle… » (CJCE, 6 mars
1980, de Cavel, Rev. crit. 1980. 614, note G. Droz, Clunet 1980. 442, obs. A. Huet); cependant, cet
instrument n’est entré en vigueur dans les rapports avec le Royaume-Uni que le 1er janvier 1987 et il
ne pouvait être appliqué en l’espèce, ni donc dispenser du contrôle de la compétence du juge étran-
ger. En revanche, la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 concernant la reconnaissance et
l’exécution des décisions relatives aux obligations alimentaires « découlant de relations de famille,
de parenté, de mariage… » (art. 1er) prévoit un tel contrôle et avait certainement vocation à interve-
nir dans une affaire franco-anglaise (puisqu’entrée en vigueur en 1977 pour la France et le 1er mars
1980 pour le Royaume-Uni) ; mais n’interdisant pas que « le droit non-conventionnel de l’État
requis [soit invoqué] » (art. 23), elle ne pouvait écarter ici le droit commun jurisprudentiel auquel se
référaient les parties qui centraient ainsi le débat sur la compétence indirecte du juge étranger dans
le domaine du divorce (y inclus la question de l’octroi d’aliments en cours d’instance). Aussi bien
les principes mis en œuvre par l’arrêt Simitch forment-ils l’expression de ce droit commun jurispru-
dentiel et ils conservent, dans leur généralité et leurs aménagements, toute leur valeur pour les déci-
sions étrangères échappant aux règlements communautaires et au droit conventionnel.
70 SIMITCH — CASS., 6 FÉVRIER 1985 627

kis, « Compétence étrangère et jugement étranger », Rev. crit. 1953. 1) selon


lequel « la juridiction française appelée à se prononcer sur l’exequatur ne doit
se référer qu’à la loi étrangère pour apprécier si le jugement a été rendu par un
tribunal compétent, à moins que la décision qui lui est soumise n’implique la
violation d’une règle fondamentale de notre droit en matière d’exequatur ». La
méthode préconisée commande de vérifier la compétence du juge étranger par
application des seules dispositions étrangères de compétence… La première
infirmité de la méthode se déduit de son seul énoncé : elle ne se donne pour but
que de contrôler la validité ou la bonne conformation de l’acte juridictionnel
du point de vue de l’ordre juridique d’origine, alors que le problème pour le
juge de l’exequatur n’est pas celui de l’existence du jugement à l’étranger,
mais celui de sa reconnaissance ou de son efficacité en France (v. D. Holleaux,
op. cit., no 10, p. 18). Les règles étrangères de compétence directe n’ont rien à
dire sur la possibilité d’accueillir en France la décision qu’a prononcée le tribu-
nal étranger. Le problème de compétence indirecte est un problème français;
sa solution doit l’être aussi.
Au demeurant, et c’est la seconde faiblesse de la méthode, ce contrôle
d’après la loi étrangère est peu souhaitable : le juge de l’exequatur est moins
bien placé et moins bien armé que le juge étranger lui-même pour défendre
les règles de compétence directe de celui-ci. Développée sur le plan du
contrôle de la procédure, cette considération a joué un rôle important dans la
jurisprudence Bachir (v. supra, arrêt no 45); elle doit aussi conduire à l’inef-
fectivité et au rejet de la référence aux règles étrangères de compétence.
Enfin, l’unilatéralité simple pèche par excès de libéralisme : une décision
obtenue à l’étranger grâce à une compétence toute de complaisance serait
reconnue en France en dépit de l’attribution du litige à un tribunal français
répondant peut-être à de très sérieuses raisons ! Une compétence étrangère
faible l’emporterait sur une compétence française forte ! Pour l’éviter, il n’est
d’autre moyen que de recourir à la notion d’ordre public, laquelle devient alors,
avec cette thèse de l’unilatéralité simple, le seul instrument de contrôle efficace.
4 La doctrine de la bilatéralité mesure la compétence indirecte au moyen des
critères français de compétence directe. Cette doctrine, qui est celle de la déci-
sion attaquée, était déjà celle de la Cour de Paris, dans l’arrêt de Gunzbourg
(Paris, 18 juin 1964, Rev. crit. 1967. 340, note Déprez, Clunet 1964. 810, note
J. D. Bredin; v. aussi, Paris, 22 oct. 1970, Rev. crit. 1971. 541, note G. Cou-
chez, Clunet 1972. 77, note G. de La Pradelle) : « si… la juridiction française ne
peut revendiquer sa propre compétence pour connaître du divorce, elle n’aban-
donne pas pour autant… la détermination de la compétence internationale à la
loi du for effectivement saisi, mais conserve sur cette compétence un contrôle
suivant le principe admis par le droit international privé français » : les mêmes
règles françaises de compétence jouent donc un double rôle; directement, elles
établissent le cas échéant, la régularité de la saisine d’un juge français et, indi-
rectement, elles repoussent toute décision étrangère rendue sur le litige dont
n’aurait pu connaître un juge français placé dans les mêmes circonstances.
Cette dualité de fonctions a été défendue par Bartin (Principes, t. I, § 206)
qui la fondait sur la notion de souveraineté — laquelle n’aurait pu tolérer que
628 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 70

soit reconnu en France un jugement rendu par une juridiction étrangère ayant
empiété sur la compétence des tribunaux français. Souveraineté et compétence
sont identifiées l’une à l’autre (Bartin, Principes, t. I, § 211, p. 573-574). Mais
n’est-ce pas oublier que si la compétence des tribunaux français est une
expression formelle de la souveraineté française — chaque État étant effective-
ment maître de fixer lui-même la compétence de ses organes —, elle n’en est
pas l’expression matérielle — la maîtrise de l’État en matière de compétence
internationale ne s’exerçant pas pour affirmer un pouvoir, mais pour établir les
chefs les plus propres à assurer un fonctionnement satisfaisant des organes
judiciaires face aux litiges privés internationaux; ce qui domine c’est le souci
de la justice à apporter aux plaideurs et non la considération de la puissance
ou de l’indépendance de l’État (comp. J. Héron, Droit judiciaire privé, no 209).
Or précisément, il se peut qu’un droit étranger connaisse un chef de compé-
tence ignoré du droit français mais qui permette, procéduralement, l’adminis-
tration d’une bonne justice.
Enfin, la bilatéralisation est une solution excessive. Faisant, « par un jeu de
bascule » (Niboyet, Traité, t. VI, vol. 2, no 1951, p. 101) dépendre la compé-
tence étrangère de l’incompétence française (Bartin, op. cit., p. 551), elle pro-
tège trop attentivement et trop aveuglément la compétence des tribunaux fran-
çais ; celle-ci est en effet appelée à s’opposer à la reconnaissance des décisions
étrangères alors même qu’elle ne se fonderait sur aucun titre qui la rende néces-
saire. La bilatéralisation impose et généralise abusivement l’exclusivité de la com-
pétence française — n’admettant la concurrence étrangère que dans les cas mar-
ginaux où la règle française comporte plusieurs chefs alternatifs dont certains se
réalisent en France et d’autres à l’étranger. Trop restrictive dans ses effets, trop
fragile dans ses fondements, cette doctrine qui fait de la compétence indirecte
l’« épreuve renversée » (Bartin, op. cit., p. 563) de la compétence directe fran-
çaise manifeste un esprit d’impérialisme peu adapté aux réalités du contentieux
international. Pourtant, longtemps elle connut la faveur de la jurisprudence.
5 Protectionnisme ou laxisme ? Entre la bilatéralité et l’unilatéralité simple, il
était évidemment tentant de rechercher une voie moyenne. Ce fut sans doute
l’inspiration de la doctrine de la double unilatéralité qu’illustre l’arrêt Lund-
wall, de la Cour de Paris, du 4 février 1958 (Rev. crit. 1958. 398, note H. B.,
Clunet 1958. 1016, note A. Ponsard, JCP 1958. II. 10612, note Ph. Francesca-
kis ; v. aussi, par ex., Seine, 11 janv. 1956, Prince Ali Khan, Rev. crit. 1956. 128,
note P. Bellet, Clunet 1956. 1022, note B. Goldman, JCP 1956. II. 9223, note
P. Louis-Lucas). Cette doctrine emprunte aux deux précédentes; elle prévoit
un contrôle prioritaire selon les règles françaises de compétence directe mais à
seule fin de vérifier que l’exequatur ne viendra pas consacrer une atteinte à la
compétence exclusive des tribunaux français; puis si ce contrôle négatif a été
affronté avec succès, elle procède à un contrôle positif d’après les règles de
compétence directe du juge étranger. La double unilatéralité est donc une
« unilatéralité résiduelle » (Francescakis, compte rendu, Rev. crit. 1972. 529 et s.,
reproduit in La pensée des autres en droit international privé, p. 303).
Cette démarche en deux temps a le mérite de tempérer la nocivité de cha-
cun des deux systèmes qu’elle combine. Mais chacun, à son heure, reste aussi
70 SIMITCH — CASS., 6 FÉVRIER 1985 629

critiquable. Considérant que toute règle de compétence directe fonde une com-
pétence exclusive dès lors qu’elle désigne uniquement les tribunaux français
(v. infra, II-A), la bilatéralité protège des compétences françaises qui toutes ne
demandent pas à l’être. Quant à l’unilatéralité, elle débouche toujours en fait,
dans le champ qui lui est laissé, sur un simple contrôle de conformité à l’ordre
public. Moins radicale que les deux doctrines qu’elle exploite successivement,
la double unilatéralité n’est pas mieux fondée.
La brève présentation de ce triptyque n’appelle pas de remarque supplé-
mentaire : aucune des trois tentatives n’est convaincante.
6 B. — De ce triple échec, il fut plus facile de prendre conscience à la suite de
l’ouvrage de Dominique Holleaux : Compétence du juge étranger et reconnais-
sance des jugements (op. cit., Dalloz, 1970). Y est établie l’impossibilité de
déduire la solution du problème de la compétence indirecte des règles de com-
pétence directe. Les secondes déterminent la régularité de la saisine du juge,
question qui intéresse l’ordre juridique de l’instance directe, alors que la com-
pétence indirecte ne représente pas un élément de cette régularité de la saisine,
mais une condition de l’efficacité internationale du jugement et répond à une
préoccupation de l’ordre juridique d’accueil (v. aussi P. Mayer, La distinction
entre règles et décisions et le droit international privé, Dalloz, 1973, no 233,
p. 176). Aussi bien rien n’impose logiquement d’utiliser les règles de compé-
tence directe pour trancher la question de la compétence indirecte.
Cette thèse de l’indépendance des deux problèmes (déjà consacrée en
Angleterre par la Chambre des Lords dans l’arrêt Indyka v. Indyka, du 23 mai
1967, Clunet 1969. 132, note Lipstein; v. aussi Ph. Francescakis, « Un bond
de la jurisprudence anglaise en matière de reconnaissance des décisions étran-
gères », Rev. crit. 1969. 601) fut accueillie par l’arrêt Mack Trucks de la Cour
de Paris, le 10 novembre 1971 (Clunet 1973. 239, note A. Huet, RTD com. 1972.
239, obs. Y. Loussouarn). Après avoir rappelé que la compétence directe du juge
français se détermine par extension des règles internes de compétence territo-
riale (v. supra, arrêt Scheffel, no 37), la Cour déclare : « il convient, en revan-
che, pour le juge chargé de se prononcer sur une demande d’exequatur, de
contrôler la compétence internationale en se référant aux principes plus libé-
raux du droit international privé français en ce domaine, lesquels résultent
aussi bien de la coutume que des textes… ». Il y a donc deux séries de princi-
pes, voués à deux questions distinctes.
7 Il a fallu près de quinze années à la Cour de cassation pour reprendre à son
compte cette position. Un tel délai s’explique sans doute moins par une quel-
conque réserve à l’égard de la dissociation des deux compétences que par le
refus de la règle de compétence indirecte que la Cour de Paris prétend extraire
« de la coutume et des textes » (non autrement précisés parce qu’il se pourrait
bien que la référence ne soit qu’un hommage rituel à l’article 5 du Code civil)
et qui devait remplacer désormais, à son avis, les règles de compétence directe
que la jurisprudence antérieure avait détournées de leurs fins.
Sur ce point, D. Holleaux avait recommandé l’adoption d’une directive
limitant le contrôle, sous le couvert de la notion d’ordre public, à la vérifica-
tion du respect « des exigences fondamentales des droits de la défense et de la
630 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 70

bonne administration de la justice » (op. cit., p. 408). Ce libéralisme présentait


cependant l’inconvénient de déboucher sur une appréciation in concreto et de
convertir ainsi pour l’essentiel le contrôle de la compétence indirecte en une
question de fait relevant du pouvoir souverain des juges du fond (v., quant à
l’incidence de l’appréciation in concreto de la conformité à l’ordre public, sur
l’étendue du pouvoir de la Cour de cassation, P. Lagarde, Recherches sur l’ordre
public en droit international privé, no 141). En dépit de quelques précautions,
la Cour de Paris, dans l’arrêt de 1971, ne se montre guère plus attentive aux
prérogatives de la Cour de cassation. En effet, l’arrêt Mack Trucks propose en
maxime « qu’il suffit pour qu’un tribunal étranger soit reconnu compétent que
le litige se rattache d’une manière suffisante au pays dont le juge a été saisi,
c’est-à-dire que le choix de la juridiction ne soit ni arbitraire, ni artificiel, ni
frauduleux » (v. aussi, Paris, 27 nov. 1981, D. 1983. 143, note Paire).
Apparemment mieux balisée, cette approche tient pourtant, elle aussi, la
Cour de cassation à l’écart : elle se porte en effet vers une donnée subjective
— le choix du demandeur — malaisément contenue dans la triple limite de
l’absence de caprice ou de fantaisie, voire de malveillance, de l’absence de
simulation et de l’absence de fraude — tous éléments négatifs qui, devant
s’apprécier in concreto, se placent aussi dans le champ du pouvoir souverain
des juges du fond. Il serait pourtant malencontreux, au regard de l’unité et du
crédit du régime français d’efficacité internationale des jugements, que sa pièce
maîtresse, le contrôle de la compétence indirecte, échappe à l’action régula-
trice de la Cour de cassation. On comprend dès lors que celle-ci, même si elle
approuvait le principe de la dissociation des deux compétences, directe et
indirecte, n’ait mis aucun empressement à suivre la Cour de Paris lorsque
cette dernière l’invitait en fait à l’abdication. Cependant la réserve de la Cour
de cassation, manifestée par l’arrêt Giroux (Civ. 1re, 11 juill. 1977, Rev. crit.
1978. 149, note B. Audit, rejetant le pourvoi contre Paris, 5 mars 1976, eod.
loc., Clunet 1977. 880, note A. H., répétant l’arrêt Mack Trucks), n’exprimait
aucun désintérêt et les arrêts Urbain (Civ. 1re, 17 mars 1982, Bull. I, no 113) et
Favreau (Civ. 1re, 2 oct. 1984, Rev. crit. 1986. 91, note M.-N. Jobard-Bachellier,
Clunet 1985. 497, note B. Audit) témoignent au contraire une persistante
attention, voire une certaine préoccupation : sans en tirer conséquence, ils
signalent en effet que les décisions d’appel, attaquées sur d’autres chefs,
avaient mis en œuvre la maxime Mack Trucks — comme s’il y avait là matière
à pourvoi. Aussi bien pour affirmer avec la netteté requise une règle qui lui
permettrait de maintenir son pouvoir de contrôle, la Cour de cassation ne pou-
vait trouver meilleure occasion que celle que lui offrait l’affaire Simitch : la
Cour de Paris y avait abandonné sa doctrine de la dissociation des deux com-
pétences, pour revenir ostensiblement à la thèse de la bilatéralité et le pourvoi
ne lui en avait pas fait reproche. Ces circonstances ne pouvaient qu’encoura-
ger un acte d’autorité tel que relever d’office un moyen de cassation et elles
confèrent à la décision de censure un éclat particulier qui renforce la positivité
de la solution imposée.
8 Ainsi s’explique, semble-t-il, que la Première chambre civile ait forgé son
moyen de cassation sur la formule même de l’arrêt de 1971, et qu’elle y ait
70 SIMITCH — CASS., 6 FÉVRIER 1985 631

apporté, en termes pesés, la réponse suivante : « le tribunal étranger doit être


reconnu compétent si le litige se rattache d’une manière caractérisée au pays
dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux ».
En excluant toute référence aux critères de compétence directe, ce motif
fait de l’indépendance des deux compétences l’un des « principes qui régis-
sent la compétence juridictionnelle internationale » visés par l’arrêt — lequel
s’approprie donc à cet égard la doctrine de Dominique Holleaux et de l’arrêt
Mack Trucks.
Ce motif indique aussi que la compétence indirecte ne saurait reposer uni-
quement sur des données d’ordre subjectif qui échapperaient au contrôle de la
Cour de cassation. Celle-ci ne se contente pas de rappeler que le choix du
demandeur ne saurait être frauduleux; elle fait précéder cette exigence — qui
ne fonde qu’une exception (exceptio fraudis) — d’un principe formulé en
termes objectifs, requérant la condition positive de l’existence d’un lien caracté-
risé entre le litige et le tribunal étranger. Il ne s’agit plus d’un lien suffisant,
ramené à un choix du demandeur qui ne serait ni arbitraire, ni artificiel, ni
frauduleux. La conception subjectiviste et, dirait-on, factuelle de l’arrêt Mack
Trucks est supplantée par une conception objectiviste et juridique, qui conserve
toute son autorité à la Cour de cassation (v. en ce sens N. Joubert, La notion
de liens suffisants avec l’ordre juridique [Inlandsbeziehung] en droit interna-
tional privé, thèse Paris I, 2002, nos 546 et s.).
Tout en définitive dans cet arrêt — la forme et le fond — vient attester que
le droit positif a consommé « la rupture conceptuelle entre les compétences
directe et indirecte » (Ph. Francescakis, compte rendu de l’ouvrage préc. de
D. Holleaux, Rev. crit. 1972. 529, spéc. p. 535, reproduit in La pensée des autres,
p. 309) et a consacré la règle du « lien caractérisé ». Il reste à appliquer celle-ci.

II. L’application de la règle de compétence indirecte

9 L’application suppose en premier lieu que le domaine de la règle soit cir-


conscrit (A) et en second lieu, qu’à l’intérieur de celui-ci, sa mise en œuvre
soit précisée (B). Sur ces deux points d’interprétation, l’arrêt Simitch apporte
d’utiles enseignements.
10 A. — L’exigence d’un lien caractérisé entre le litige et le tribunal étranger
constitue la solution de principe; elle a donc normalement vocation à régler
toute question de compétence indirecte quel que soit le litige tranché à l’étran-
ger. Néanmoins, la Cour de cassation a pris la sage précaution de réserver les
cas dans lesquels « la règle française de solution des conflits de juridictions…
attribue… compétence exclusive aux tribunaux français ». Cette précaution
oblige à déterminer l’hypothèse qu’elle prétend soustraire à la règle du lien
caractérisé. La tâche était encore naguère malaisée; l’arrêt Simitch la facilite
grandement, sans toutefois l’épuiser.
La difficulté première était celle de la définition de la notion de compétence
exclusive. Sans doute il n’était pas discuté que l’effet distinctif de l’exclusivité
était de lier compétence directe française et incompétence étrangère; lorsque
632 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 70

les tribunaux français s’estiment seuls compétents, aucun tribunal étranger ne


peut l’être. Seulement cet effet d’exclusivité présuppose une cause sur laquelle
il ne dit rien; il faut donc la rechercher. Or deux conceptions prétendaient gui-
der la recherche. Le présent arrêt consacre l’une et rejette l’autre.
Pour des raisons d’ordre historique, tenant notamment à l’autorité de la
doctrine de Bartin et à une consonance certaine de celle-ci et des solutions de
son époque, l’exclusivité a d’abord été perçue comme la manifestation de la
bilatéralité des chefs français de compétence directe. Ainsi a-t-on vu que, selon
cette doctrine, toute règle française de compétence directe est apte à fonder
une compétence exclusive : il suffit qu’elle désigne uniquement les tribunaux
français. La compétence concurrente du juge étranger n’est qu’un accident
que réalise le cas échéant la dispersion des chefs alternatifs de la règle fran-
çaise entre la France et l’étranger. Dans cette perspective, nul besoin de justi-
fier spécialement l’exclusivité; elle est la conséquence naturelle de la bilatéra-
lité. C’est ainsi que la Cour de Paris l’avait entendu, dans la présente affaire;
renouvelant une solution qu’elle avait déjà adoptée (Paris, 24 nov. 1977, Rev.
crit. 1978. 527, note I. F., Clunet 1978. 306, note A. Huet, Gaz. Pal. 1978. 2.
201, note Sarraute), elle déclare que « l’application de l’article 1070 du Nou-
veau Code de procédure civile conduit à considérer en l’espèce que la juridic-
tion anglaise était incompétente, le défendeur ayant sa résidence en France ».
11 La seconde conception refuse de bâtir sur la base des règles françaises de
compétence directe un système général de distribution des litiges prétendant
s’imposer autant aux tribunaux étrangers qu’aux tribunaux français. Il n’y a,
d’après elle, d’exclusivité que spécifique, propre à telle ou telle compétence
particulière. Elle met ainsi en œuvre un principe opposé, selon lequel les com-
pétences françaises sont normalement concurrentes de celles qui sont attri-
buées par les règles étrangères aux juridictions étrangères; dès lors une décision
étrangère ne saurait être repoussée du seul fait que le litige aurait pu, selon les
règles françaises, être tranché par un tribunal français. Cependant, ce principe
de compétence concurrente est assorti d’exceptions — qui, comme toutes les
exceptions, appellent une justification spéciale. Il faudra donc rendre compte
de la qualité particulière de certaines compétences françaises qui serait propre
à fonder leur exclusivité.
C’est à la réalisation de ce programme qu’engage l’arrêt Simitch; non seu-
lement parce qu’il consacre le principe de dissociation des deux ordres de
compétence et, par là, condamne irrémédiablement la doctrine de la bilatéra-
lité (comme celle de la double unilatéralité) mais aussi parce qu’il déclare
plus précisément que « l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile ne
donne pas une compétence exclusive aux juridictions françaises pour connaître
du divorce dans les cas auxquels il se réfère » (v. dans le même sens, Civ. 1re,
6 janv. 1987, D. 1987. 467, note J. Massip, Rev. crit. 1988. 337, note Y. Lequette,
Clunet 1988. 435, note J.-M. Jacquet; Civ. 1re, 15 juin 1994, Rev. crit. 1996.
127, note B. Ancel, D. 1994, Som. com. 352, obs. B. Audit, Defrénois 1995. 312,
obs. J. Massip et contra l’arrêt isolé Abbaci, cité infra § 16; v. pour les suites du
divorce et l’art. 1072, NCPC, Civ. 1re, 8 juin 1999, Rev. crit. 2000. 35, note
P. Rémy-Corlay; pour l’adoption et l’art. 1166, Paris, 27 mars 1997, Rev.
70 SIMITCH — CASS., 6 FÉVRIER 1985 633

crit. 1997. 732, note H. Muir Watt). Admettant ainsi que la compétence fran-
çaise, en matière de divorce et même en général, n’est qu’une compétence
concurrente, la Cour de cassation considère que l’exclusivité ne peut être que
spécifique. Il reste à déterminer dans quels cas ce caractère est reconnu à une
compétence française.
12 L’histoire désignait ici aussitôt les articles 14 et 15 du Code civil, mais
aujourd’hui l’arrêt Prieur (v. infra, no 87) a fait justice d’une exclusivité forte-
ment critiquée par la doctrine (v. D. Holleaux, op. cit., no 376; G. Droz, «
Réflexions pour une réforme des articles 14 et 15 du Code civil français », Rev.
crit. 1975. 1, spéc. p. 18 et s.; P. Mayer et V. Heuzé, no 376). Il était difficile en
effet de rendre compte de cette solution dès lors qu’était délaissée la doctrine
de la bilatéralité et, avec elle, abandonnée la notion de souveraineté sur
laquelle Bartin l’avait fondée. L’exclusivité aurait sans doute été moins atta-
quée si le privilège avait été restreint — non pas aux seules obligations men-
tionnées par les textes — mais au statut personnel ou à certaines question
d’état (v. supra, arrêt Weiss, no 49); il n’aurait pas semblé abusif que soit
accordé au plaideur français, dont l’état était en cause, « le droit de n’être jugé
que devant les tribunaux français » dans la mesure où ce droit lui garantissait
celui d’être jugé d’après les règles françaises ou d’après les règles que désigne
le droit international privé français. La corrélation entre la question du droit
applicable et le problème de compétence judiciaire aurait pu favoriser le main-
tien du privilège indirect, dans une matière où l’unité et la continuité de la
règlementation sont tout à fait désirables. Mais le caractère indifférencié du
privilège quant aux litiges non moins que la dispersion des questions d’état
vers d’autres lois que celle de la nationalité (E. Pataut, Principe de souverai-
neté et conflits de juridictions, thèse Paris I, éd. 1999, nos 432 et s.) démon-
traient que cette corrélation n’est pas déterminante et donc que l’exclusivité ne
reposait sur aucun support rationnel (v. obs. infra sous no 87).
13 C’est qu’en effet la seule idée qui ait une envergure suffisante pour rassem-
bler les divers cas de compétence exclusive française est celle d’une solidarité
nécessaire des solutions du conflit de lois et de la question de compétence
(v. D. Holleaux, J.-Cl. dr. int., 1977, fasc. 584 A, p. 101 et s. et spéc. no 116;
H. Muir Watt, J.-Cl. dr. int., fasc. 584-3, no 48). Il est des cas où, par excep-
tion, il n’est pas possible de laisser les plaideurs porter leur litige devant un
juge étranger parce que ceci créerait le risque de méconnaissance d’intérêts
d’ordre substantiel que le droit international privé français entend garantir.
Il en est ainsi des cinq compétences répertoriées par l’article 16 de la
Convention de Bruxelles. Certes, à leur propos, la très complaisante notion de
souveraineté a pu être évoquée (P. Lagarde, « Le principe de proximité, Rec.
cours La Haye, 1986. I, no 179; E. Pataut, op. cit., nos 363 et s.). Et de fait,
tant à l’égard des actions relatives aux voies d’exécution que des actions réel-
les immobilières, on retrouve, plus ou moins sous-jacente, l’idée de souverai-
neté telle que l’utilisait la doctrine publiciste du juge naturel laquelle perçoit
la juridiction « comme un aspect de l’autorité du souverain sur le sujet »
(D. Holleaux, op. cit., nos 201 et s.). De même que le national français relevait
aux termes des articles 14 et 15 du Code civil de la juridiction française, de
634 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 70

même l’agent d’exécution français et le sol de France reléveraient de la seule


juridiction de l’ordre dont ils expriment la souveraineté. Néanmoins, à l’égard
des litiges intéressant les immeubles, l’exécution des décisions et les inscrip-
tions sur les registres publics, il paraît aujourd’hui plus exact et, en tout cas,
moins vague et moins sommaire, de s’appuyer sur l’idée qu’en ces matières,
la réalisation effective du jugement — spontanée ou forcée — s’accomplira
nécessairement dans l’ordre juridique qui englobe l’élément fondamental du
litige et dont la loi est applicable au fond (v. H. Batiffol, « Observations sur
les liens de la compétence judiciaire et de la compétence législative », Mélan-
ges Kollewijn et Offerhaus, 1962, p. 57; D. Holleaux, op. cit., no 379). De
même, il est permis de considérer que le contentieux interne des personnes
morales comme les contestations relatives aux droits de propriété industrielle
ou, encore, à la validité des inscriptions sur les registres publics se développe
à l’intérieur de constructions artificielles ou entités juridiques qui ne doivent
d’exister qu’à l’autorité de l’ordre juridique qui prend en charge leur organisa-
tion. Précisément, cette sorte de litige dérange cette organisation et en com-
promet l’efficacité; elle appelle l’intervention du juge autant en sa qualité
d’arbitre des conflits d’intérêts privés qu’en celle de protecteur de l’institu-
tion. Le particularisme de cette mission intègre le juge dans l’institution dont
il devient l’un des rouages. Dès lors, il serait malencontreux de séparer la loi
qui organise et le juge qui veille au bon fonctionnement de la machinerie. La
liaison entre le rôle du juge et la teneur du droit applicable détermine la com-
pétence et son exclusivité (v. D. Holleaux, op. cit., nos 381-382; Gothot et
Holleaux, La Convention de Bruxelles du 27 sept. 1968, Paris, 1985, no 37,
p. 21, évoquant « les contraintes tenant à l’homogénéité nécessaire de chaque
ordre juridique »).

14 La compétence fondée sur la volonté des parties est aussi généralement


considérée comme exclusive. En stipulant une clause attributive de juridiction
(sur la validité de ce genre de clause, v. infra, arrêt Cie de signaux et d’entre-
prises électriques, no 69), les parties établissent, en effet, le plus souvent une
liaison entre compétence directe et droit applicable : qui eligit judicem, eligit
jus. À cela s’ajoute le fait que les clauses attributives figurent normalement dans
des contrats que le droit international privé remet, plus libéralement que le
droit interne, à l’autonomie des cocontractants. L’exclusivité se présente alors
comme l’effet, sur le plan de la compétence, du principe d’autonomie, principe
de droit international privé matériel — dont la loi d’autonomie est l’effet sur le
plan du conflit de lois. Le rapport entre exclusivité et droit matériel apparaît
sous un angle différent, mais n’en est pas moins certain.
Le présent arrêt, il est vrai, n’affirme pas en termes exprès que le fondement
de l’exclusivité d’une compétence française réside dans son asservissement à
des objectifs d’ordre substantiel particulièrement impérieux. Néanmoins, cette
conviction peut être présumée, car elle explique que les compétences exclusives
aient été si soigneusement exceptées du principe libéral du lien caractérisé.
En effet, tel qu’il est mis en œuvre en l’espèce, ce principe pourrait rester
indifférent à la nature des questions de fond soulevées par le litige tranché à
l’étranger.
70 SIMITCH — CASS., 6 FÉVRIER 1985 635

15 B. — L’arrêt ne définit pas ce qu’est le lien caractérisé mais il en fournit


une illustration. La relation entre le litige et le juge étranger est en l’occurrence
établie et évaluée au moyen de la méthode du groupement des points de contact
ou du cumul des indices. La Cour de cassation s’écarte ainsi de la voie suivie
par la Convention de La Haye du 1er juin 1970 sur la reconnaissance des divor-
ces et des séparations de corps (non ratifiée par la France, mais en vigueur
entre dix-sept États, v. Rev. crit. 2006, p. 223) et qui consiste à énumérer les
compétences admissibles, spécialement déterminées en considération de la
nature de la matière litigieuse. En l’espèce, l’arrêt relève les éléments rat-
tachant le litige à la Grande-Bretagne, sans appliquer une échelle de compé-
tence préétablie. Ainsi il associe au domicile de la demanderesse, sa nationa-
lité, le lieu de célébration du mariage, la situation de divers biens du mari, la
localisation de l’ancien domicile conjugal avant la séparation des époux…
C’est l’addition de tous ces éléments qui vient caractériser le lien requis. Or
l’addition est un compte. Un compte suppose la fongibilité de ses éléments. Il
faudrait donc comprendre que ceux qui sont ici considérés sont, d’après l’arrêt,
réputés se prêter à un même ordre d’évaluation; on ne pourrait en effet addi-
tionner la situation des biens du mari et le domicile de la demanderesse, si ces
indices ne valaient chacun — en tant que forum patrimonii et forum actoris —
que relativement à des catégories distinctes de litiges — telles, d’un côté, les
actions en exécution d’une obligation contractuelle et, de l’autre, les demandes
d’aliments. Dès lors si les éléments relevés en l’espèce sont, sinon de même
valeur, du moins de même qualité, c’est qu’ils sont appréciés, abstraction faite
de la nature de l’objet du litige, selon des paramètres qui se retrouvent dans
tout procès, quel qu’en soit l’enjeu, c’est-à-dire des paramètres d’ordre procé-
dural. Il s’agit, selon les vues de D. Holleaux, « de l’équité procédurale et de la
bonne administration de la justice » (op. cit., p. 407 et surtout, nos 384 et s.,
p. 357 et s.). Ainsi l’arrêt Simitch détacherait la règle du lien caractérisé du
fond du litige.
16 Toutefois cette dématérialisation de la compétence indirecte est trop éloi-
gnée du paradigme de la primauté du fond sur la procédure que la Cour de
cassation n’est pas prête à abandonner, et elle ne représente pas fidèlement le
droit positif; dans un système où la compétence directe associe au chef géné-
ral, fondé sur des considérations procédurales, des chefs spéciaux érigés
ratione materiae, il est pratiquement inévitable en effet que la portée des indi-
ces s’apprécie en fonction de la nature de l’objet du contentieux et même qu’à
l’occasion, un seul d’entre eux qui serait jugé particulièrement significatif eu
égard à la matière litigieuse, s’impose avec le concours du demandeur face à
une coalition de rattachements désignant un tribunal différent (v. A. Ponsard,
Trav. com. fr. dr. int. pr. 1985-1986, p. 59 et s.; P. Lagarde, « Le principe de proxi-
mité », Rec. cours La Haye, 1986-I, p. 178; A. Sinay-Cytermann, Rev. crit. 1989,
p. 725; B. Audit, obs. D. 1990, Som. com. p. 263). Certes, à diverses reprises,
la Cour de Paris (15 nov. 1988, D. 1989, Som. com. 259, obs. B. Audit;
15 mars 1990, D. 1990, Som. com. 263, obs. B. Audit), a illustré les risques de
la méthode en estimant non caractérisé le lien avec la juridiction de l’État de la
nationalité en matière de statut personnel; mais il s’agissait de réagir à l’hypo-
636 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 70

thèse « du divorce migratoire » où l’étranger musulman a regagné son pays le


temps d’une répudiation hâtive destinée à torpiller une action introduite ou ter-
minée ici contre lui, en contribution aux charges du mariage, en séparation de
corps ou en divorce, alors que lui-même, son épouse et leurs enfants mineurs
avaient leur résidence habituelle en France (sur cette question, v. supra, no 63-64).
La disqualification de la nationalité comme lien caractérisé ne résultait pas
immédiatement de ces décisions, lesquelles se bornaient à lui préférer un ratta-
chement de proximité qu’elles réputaient plus fort en l’espèce. Mais luttant de
cette manière contre ce type de comportement, elles méconnaissaient la méthode
du contrôle de la compétence indirecte au moins sur deux points.
En premier lieu, alors que l’arrêt Simitch confie au critère qu’il établit les
cas de compétence non exclusive, c’est-à-dire les cas de compétences éven-
tuellement concurrentes où s’ouvre au demandeur un choix de juridiction
qu’il s’agit de contrôler a posteriori, la Cour de Paris, en se mettant à la
recherche du lien prépondérant pour le faire prévaloir, supprimait en réalité
l’option du demandeur : seule la décision émanée du juge que sacre ce lien
prépondérant était régulière du point de vue de la compétence indirecte. Or le
procédé du groupement des indices est, selon la Cour de cassation, une
démarche d’évaluation et non de détermination du tribunal d’origine; il ne
s’agit pas de rechercher le for le plus approprié, il s’agit seulement de vérifier
que le for étranger n’était pas inapproprié. Si celui-ci correspond à un chef
retenu par les règles françaises de compétence internationale, il satisfait cer-
tainement au contrôle. Mais si ce for étranger ne correspond pas à un chef
français de compétence, il n’est pas pour autant récusé; il oblige seulement à
s’assurer, par l’examen des circonstances et de la nature de la cause, que sa
saisine ne heurte pas les « principes qui régissent la compétence judiciaire
internationale » (Civ. 1re, 24 nov. 1993, Rev. crit. 1994. 367, note B. Ancel,
D. 1994. 127, note J. Massip; Civ. 1re, 15 juin 1994, préc.; Civ. 1re, 5 mai
1998, Mailian, Rev. crit. 1998. 662, note H. Muir Watt); c’est en vue de cette
vérification qu’il convient d’entreprendre le relevé et l’appréciation des points
de contact, sans se tourner, faut-il le rappeler, vers les systèmes de l’unilatéra-
lité simple, de la double unilatérialité ou de la bilatéralisation.
Certes, interprétant sur le mode de la bilatéralité la stipulation contenue
dans l’art. 1er-a) de la convention franco-algérienne du 27 août 1964 aux ter-
mes de laquelle la compétence du juge d’origine s’apprécie selon « les règles
concernant les conflits de compétence admises dans l’État où la décision doit
être exécutée », un arrêt de la Première chambre civile du 17 fév. 2004 —
Abbaci, Bull. I, no 46, Clunet 2004. 867, note G. Cuniberti, D. 2004. 824,
concl. Cavarroc, et chr. P. Courbe, p. 819, Defrénois 2004. 812, note J. Massip,
Gaz. Pal., 2004, somm. 569 et 3366, note M.-L. Niboyet et somm. 2678, note
J. Massip, JCP 2004. I. 159, no 3, obs. M. Attal — impose l’exclusivité du
for de l’article 1070, NCPC. Cette option interprétative pouvait sembler pro-
curer un moyen de défense efficace contre les divorces migratoires; mais elle
sera bientôt inutile, les Règlements Bruxelles II et II bis plaçant devant l’arti-
cle 1070, NCPC et les articles 14 et 15, C. civ., un éventail de compétences
alternatives si généreux qu’il semble n’être qu’une concrétisation du « lien
substantiel visé par l’arrêt Simitch en une série de rattachements fongibles et
70 SIMITCH — CASS., 6 FÉVRIER 1985 637

suffisamment caractérisés » — B. Ancel et H. Muir Watt, « La désunion euro-


péenne », Rev. crit. 2001. 403, p. 414 —, crevant ainsi le bouclier de la bilatéra-
lité. Au demeurant, la Cour de cassation ne paraît pas décidée à maintenir
cette interprétation, v. Communication J. Lemontey du 1er avr. 2005, Trav. com.
fr. dr. int. pr., à paraître, et après Civ. 1re, 17 janv. et 28 mars 2006, Bull. I à
paraître, ramenant l’art. 1er-a) de la convention franco-algérienne dans la ligne
de la jurisprudence Simitch en sanctionnant le choix frauduleux du mari et
l’arrêt Itchir, Civ. 1re, 10 mai 2006, Bull. I, à paraître, qui exprime clairement le
maintien de la solution Simitch en reprenant à la lettre la motivation de cette
décision; v. aussi Civ. 1re, 12 mai 2004, Dame Tapiero, Bull. I, no 132, lisant
dans la lettre analogue de l’article 16-a) de la convention franco-marocaine du
5 oct. 1957 la règle même que pose l’arrêt Simitch).
En second lieu, la Cour de Paris par ces décisions rendait pratiquement
sans objet la réserve du choix frauduleux : l’analyse du cas d’espèce débou-
chant, selon cette doctrine, sur l’établissement d’un lien prépondérant, exclu-
sif de toute compétence concurrente, il devenait indifférent que ce soit la fraude,
la maladresse ou la facilité qui ait conduit le demandeur devant un tribunal
moins qualifié; même le hasard devait être sanctionné par un refus de recon-
naissance (v. en ce sens, H. Muir Watt, note préc., Rev. crit. 1998, p. 667 et 670).
17 La jurisprudence de la Cour de cassation ne professe pas une telle sévérité,
par trop contraire à la politique d’accueil des décisions étrangères; elle admet
en principe que la concurrence entre les fors raisonnablement intéressés au
traitement du litige se résolve par le choix du demandeur lorsqu’il se porte sur
l’un de ceux-ci, mais elle refuse d’adhérer à un choix qui se serait exercé à
d’autres fins que celles qui animent le droit de la compétence et notamment
dans « le seul but d’échapper aux conséquences d’un jugement français »
(Civ. 1re, 1er mars 1988, Rev. crit. 1989. 721, note A. Sinay-Cytermann, D. 1988.
486, note J. Massip; Civ. 1re, 6 juin 1990, Rev. crit. 1991. 593, note P. Courbe,
D. 1990, Som. com. 263, obs. B. Audit; Civ. 1re, 4 mai 1994, Rev. crit. 1995.
103, note J. Déprez; sur le bien-fondé de la réserve du choix frauduleux prati-
quée par Civ. 1re, 28 janv. 2003, époux L.-G., Rev. crit. 2004. 398, note H. Muir
Watt, Clunet 2003. 468, note J.-M. Jacquet, LPA 2003, no 200, p. 11, note
J. Massip, et 28 mars 2006 préc., v. les positions, critique de H. Muir Watt,
Rev. crit., eod. loc. et 1991. 400, 1993. 482 et 1998. 664, sceptique de D. Bureau,
note sous Com., 18 janv. 2000, Pehrsson, Rev. crit. 2000. 462 et approbative de
N. Joubert, La notion de liens suffisants…, thèse préc., nos 555 et s.). Elle ne
fait, à cet égard, que maintenir la solution générale qui sanctionne la fraude par
« sa propre inefficacité » (J. Vidal, cité supra, no 6.14) et qu’elle applique aussi
lorsqu’elle oppose une fin de non-recevoir au plaideur qui, dépassé par sa
machination, confesse sa fraude devant le juge français pour empêcher que la
décision obtenue de la sorte d’un tribunal étranger, ne produise en France des
effets que les changements de conjoncture ont rendu contraires à ses intérêts du
moment (v. Civ. 1re, 19 janv. 1983, Conlon, Rev. crit. 1984. 492, note P. Mayer,
Clunet 1984. 898, note G. Wiederkehr; rappr. Versailles, 27 févr. 1992; Paris,
22 avr. 1992, Rev. crit. 1993. 473, note H. Muir Watt, spéc. p. 482 et s.; Soc.,
7 mai 1996, Filippi, Rev. crit. 1997. 77, note G. Droz).
638 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 70

Quoi qu’il en soit de ces implications méthodologiques et de leur dévelop-


pement, il restera de l’arrêt Smitch qu’il incombe au juge de l’exequatur de
relever avec précision les divers éléments objectifs qui fondent son apprécia-
tion de la compétence indirecte, car comme on l’a vu et comme elle le montre,
la Cour de cassation entend exercer son contrôle en ce domaine (v. par ex.,
Lemaire, Civ. 1re, 22 avr. 1986 et 6 juill. 1988, Rev. crit. 1989. 89, note
H. Gaudement-Tallon; Civ. 1re, 5 mai 1998, Mailian, préc. et 28 janv. 2003,
époux L.-G., préc. distinguant nettement le lien caractérisé, sujet au contrôle
de la Cour de cassation, et le choix frauduleux, laissé à l’appréciation souve-
raine des juges du fond).
71
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
19 novembre 1985

(Rev. crit. 1986. 712, note Y. Lequette, Clunet 1986. 719, note A. Huet,
D. 1986. 362, note Prévault, et Som. com. p. 268, obs. B. Audit,
JCP 1987. II. 20810, note P. Courbe)
Compétence. — Article 14 du Code civil. —
Règles ordinaires de compétence.

L’article 14 du Code civil qui donne compétence à la juridiction française,


en raison de la nationalité française du demandeur, n’a lieu de s’appliquer
que lorsqu’aucun critère ordinaire de compétence territoriale n’est réalisé
en France.

(Soc. Cognacs and Brandies from France c/Soc. Orliac)

Faits. — La société Orliac dont le siège est dans le Tarn-et-Garonne entend prati-
quer à l’encontre de la Société Cognacs and Brandies from France dont le siège est dans
l’État du Connecticut (États-Unis), une saisie conservatoire portant sur des fonds déposés
dans l’agence du Crédit agricole de Lons-le-Saunier (Jura). À cet effet, elle s’adresse au
juge de son domicile, le président du Tribunal de grande instance de Montauban. Une
ordonnance de saisie ayant été rendue, la société américaine demande au même magis-
trat de la rétracter, en soulevant son incompétence au regard de l’article 48 de l’ancien
Code de procédure civile lequel prévoit l’intervention, soit du magistrat du domicile du
débiteur, soit de celui dans le ressort duquel sont situés les biens à saisir. Cette demande
ayant été repoussée en première instance, puis en appel par un arrêt de la Cour de Tou-
louse en date du 15 février 1984, aux motifs que l’article 14 du Code civil instaure, au
profit du demandeur français, un privilège de juridiction qui l’autorise à saisir tout tribunal
de son choix et qu’il est de jurisprudence constante que « la règle de compétence de l’arti-
cle 14 ayant pour seul fondement la nationalité française du demandeur, les règles de
compétence interne ne peuvent faire obstacle à son application », un pourvoi est formé.
Voici la réponse de la Cour de cassation.

ARRÊT
La Cour ; — Sur le deuxième moyen : — Vu l’article 14 du Code civil et l’arti-
cle 48 du Code de procédure civile; — Attendu que le premier de ces textes, qui
donne compétence à la juridiction française en raison de la nationalité française
du demandeur, n’a lieu de s’appliquer que lorsqu’aucun critère ordinaire de
compétence territoriale n’est réalisé en France; que, selon le second, le magis-
trat, compétent pour autoriser sur requête le créancier justifiant d’une créance
fondée en son principe à saisir conservatoirement les meubles appartenant à
640 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 71

son débiteur, est celui du domicile du débiteur ou dans le ressort duquel sont
situés les biens à saisir; — Attendu que par ordonnance du 4 octobre 1983 le pré-
sident du Tribunal de grande instance de Montauban a autorisé la Société Orliac,
qui a son siège à Lamagistère (Tarn-et-Garonne), à saisir conservatoirement les
fonds appartenant à la Société Cognacs and Brandies from France Inc (CBFF)
société de droit américain ayant son siège à Old Greenwich, État du Connecticut
(États-Unis d’Amérique), qui seraient déposés au compte ouvert par elle à
l’agence du Crédit Agricole à Lons-le-Saunier (Jura); que la CBFF a demandé au
même magistrat de rétracter son ordonnance en soulevant son incompétence
notamment au regard des dispositions de l’article 48 du Code de procédure
civile; — Attendu que pour rejeter cette demande, l’arrêt attaqué (Toulouse,
2e ch., 15 févr. 1984) retient que l’article 14 du Code civil énonce une disposition
spéciale qui, dérogeant au droit commun, instaure au profit de tout Français un
privilège de juridiction qui l’autorise à saisir tout tribunal de son choix; qu’en se
déterminant ainsi la cour d’appel a, par fausse application du premier et par
refus d’application du second, violé les textes susvisés;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier et le troisième
moyens : — Casse.
Du 19 novembre 1985. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Joubrel, prés.; Fabre, rapp.; Gul-
phe, av. gén. — SCP Boré et Xavier, av.

OBSERVATIONS
1 La cassation était prévisible. La solution retenue par les juges du fond était,
en effet, rien moins qu’orthodoxe : en décidant que le privilège de juridiction
de l’article 14 du Code civil permettait au demandeur de faire abstraction des
règles de compétence territoriale interne pour résoudre le problème de compé-
tence spéciale, la Cour de Toulouse prenait directement le contre-pied de la
jurisprudence de la Cour de cassation (Civ., 11 oct. 1967, Stanton, Rev. crit. 1968.
105, note Jean Foyer, D. 1968. 302, note Claeys, Rec. Gén. Lois 1968. 139,
note Droz). Mais le rappel de cette solution n’aurait évidemment pas suffi à
asseoir la notoriété de l’arrêt si la haute juridiction n’en avait profité pour redé-
finir avec une grande netteté les rapports des privilèges de juridiction des
articles 14 et 15 du Code civil et des règles ordinaires de compétence interna-
tionale. Parachevant une évolution amorcée dès les lendemains du Code civil
(I), la solution avancée n’en suscite pas moins quelques interrogations si on la
rapproche de certains développements récents de notre droit positif (II).

I. Compétence ordinaire et compétence privilégiée

2 On sait qu’en l’absence de règles propres à la compétence internationale,


autres que les articles 14 et 15 du Code civil, la jurisprudence avait posé un
principe d’incompétence des tribunaux français pour connaître des procès
entre étrangers; en présence d’un litige présentant un élément d’extranéité, les
tribunaux français n’étaient compétents qu’au cas où l’une des parties était de
nationalité française. Progressivement démantelé, ce principe fut abandonné
par l’arrêt Patiño de 1948 (v. supra, no 37, I. A). Mais les tribunaux français ne
pouvaient évidemment connaître que des litiges entretenant un lien suffisant
71 SOC. BRANDIES & COGNACS FROM FRANCE — CASS., 19 NOV. 1985 641

avec la France. Aussi bien la Cour de cassation précisa-t-elle que si « l’extra-


néité n’est pas une cause d’incompétence des juridictions françaises », la com-
pétence internationale de celles-ci « se détermine par extension des règles de
compétence territoriale interne » (v. supra, arrêt Scheffel, no 37). C’est ce que
l’on a désormais coutume d’appeler les règles ordinaires de compétence inter-
nationale.
Le problème se posa alors de leurs rapports avec les privilèges de juridiction
des articles 14 et 15 du Code civil. Certes, aucune difficulté n’existe lorsqu’une
seule de ces règles donne compétence aux tribunaux français. Ainsi en va-t-il
lorsque les parties sont toutes deux étrangères et que l’élément de localisation
retenu par les règles de compétence territoriale interne est situé en France.
Ainsi en va-t-il encore lorsque ce même élément n’est pas situé en France et
que l’une au moins des parties est française. Dans le premier cas, seules jouent
les règles de compétence ordinaire; dans le second cas, après avoir invoqué le
privilège de juridiction adéquat lequel suffit évidemment à fonder la compé-
tence internationale des tribunaux français (Civ. 1re, 6 déc. 1988, JCP 1989. II.
21270, D. 1988, Som. com. p. 257, obs. Audit; 19 févr. 2002, Kourbatoff, iné-
dit), le demandeur se voit traditionnellement reconnaître par la jurisprudence le
droit de porter son action devant le tribunal de son domicile (Civ., 9 mars 1863,
DP 63. 1. 176, S. 63. 1. 225) ou celui que « des circonstances spéciales font
apparaître comme particulièrement désigné au regard d’une bonne administra-
tion de la justice » (Civ., 9 févr. 1960, John Vielle, D. 1960. 509, note Lenoan,
Rev. crit. 1960. 390, note Ph. F., et décisions citées par Batiffol et Lagarde,
t. II, no 684, jurisprudence que consacre avec un libéralisme accru l’art. 42, al. 3,
NCPC sur lequel v. infra, II).
En revanche, qu’en est-il lorsque dans un litige où l’une des parties au
moins est française, les règles de compétence territoriale interne désignent
une juridiction française ? Peut-on alors faire l’économie des articles 14 et 15
du Code civil ?
Une réponse positive paraissait bien s’imposer. S’il était, en effet, logique
de prendre appui sur les articles 14 et 15 du Code civil tant qu’il n’était pas
dans nos lois d’autre fondement à la compétence internationale de nos juridic-
tions, cette référence apparaît comme superflue depuis qu’ils sont devenus des
dispositions isolées par rapport à un principe général de compétence se suf-
fisant à lui-même. Et ceci d’autant plus que le détour par les articles 14 et 15
du Code civil, dépourvu de conséquences positives devant les juridictions
françaises, n’est pas sans comporter des risques graves pour l’efficacité à
l’étranger des décisions qu’elles rendent.

3 Invoquer le bénéfice des articles 14 et 15 du Code civil ne dispense, en effet,


nullement le demandeur du respect des règles internes de compétence territo-
riale. Comme l’a bien souvent rappelé la haute juridiction, le demandeur ne
dispose d’une faculté de choix qu’à défaut de tribunal compétent en applica-
tion de ces règles. Ainsi avait-il été décidé dans l’affaire Stanton (préc.) que le
Français victime d’un accident de la circulation en France et qui agissait en
réparation contre un Anglais domicilié en Grande-Bretagne ne pouvait pas sai-
sir le tribunal de son domicile de préférence à celui du lieu de l’accident.
642 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 71

Mais « purement académique » (B. Audit, obs. préc.) quant à ses conséquen-
ces immédiates, la référence aux articles 14 et 15 n’était pas dépourvue d’effets
à long terme : lorsque le bénéficiaire de la décision ainsi obtenue l’invoquait à
l’étranger, il risquait fort de se heurter à un refus d’exequatur. Contrairement
aux règles de compétence ordinaire que leur fondement objectif rend malaisé-
ment critiquables, les articles 14 et 15 du Code civil y sont, en effet, souvent
dénoncés en raison de leur caractère exorbitant. L’argument a certes perdu une
partie de sa portée depuis l’entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles : en
supprimant le contrôle de la compétence du juge, son article 28 (devenu art. 35
du Règlement Bruxelles I) rend, en effet, efficace dans les autres États ayant
adopté le système de cette convention un jugement français rendu sur le fonde-
ment de l’article 14 du Code civil contre un défendeur domicilié dans un État
non contractant alors qu’auparavant un tel jugement n’aurait été reconnu et exé-
cuté par aucun État européen (Gothot et Holleaux, La Convention de Bruxelles
du 27 sept. 1968, no 302; sur la critique de cette solution, v. K. Juenger, « La
Convention de Bruxelles du 27 sept. 1968 et la courtoisie internationale.
Réflexions d’un Américain », Rev. crit. 1983. 42). Il n’en reste pas moins qu’il
est, en règle générale, préférable lorsque les tribunaux français sont compétents
à la fois sur le fondement de la nationalité française d’une des parties et sur
celui d’une règle de compétence territoriale étendue à l’ordre international,
d’invoquer pour l’efficacité des décisions françaises les seules règles de compé-
tence ordinaire (en se sens, J. Foyer et B. Audit, obs. préc.).
Ce ne fut pourtant pas la voie suivie par la Cour de cassation avec l’affaire
Stanton. Tout en y réaffirmant l’applicabilité des règles de compétence territo-
riale interne, la haute juridiction les subordonnait hiérarchiquement aux règles
de compétence fondées sur la nationalité. Il est vrai qu’elle pouvait, à cet effet,
se recommander d’une doctrine considérable, puisque dans la quatrième édition
de son traité (1967), le doyen Batiffol continuait d’enseigner que les règles de
compétence ordinaire ne jouaient qu’à défaut des articles 14 et 15 du Code civil.
Mais cet appui devait à son tour se dérober; maintenue dans la cinquième édi-
tion (1971), cette présentation fut abandonnée dans la sixième (1976). Prenant
acte de ces évolutions, la Cour de cassation affirme dans le présent arrêt le
caractère, en quelque sorte résiduel, de l’article 14 du Code civil (v. d’ailleurs
déjà semble-t-il en ce sens, Civ. 2e, 1er juill. 1965, Bull. II, no 594 et dans le
contexte très particulier des rapports franco-andorrans, Civ. 1re, 6 janv. 1971,
Bull. civ. I, no 2, p. 1). Elle étendra cette solution à l’article 15 par un arrêt
Duclairoire (Civ. 1re, 18 avril 2000, Bull. I, no 110, D. 2000. IR. 140). C’est dire
que les articles 14 et 15 n’ont plus lieu de jouer que lorsque l’élément de locali-
sation prévu par les règles de compétence ordinaire est situé hors de France.

II. Les incertitudes du droit écrit

4 Bien que se plaçant dans le fil de l’évolution de notre système de conflit de


juridictions, la décision ci-dessus reproduite ne s’harmonise qu’imparfaite-
ment avec certains textes récents.
Le décret du 12 mai 1981 a introduit dans le Nouveau Code de procédure
civile des dispositions qui laissent au demandeur la liberté de choisir, dans
71 SOC. BRANDIES & COGNACS FROM FRANCE — CASS., 19 NOV. 1985 643

certains cas, le tribunal compétent. Ainsi l’article 42, alinéa 3 qui pose la com-
pétence du forum actoris lorsque « le défendeur n’a ni domicile ni résidence
connus » prévoit-il subsidiairement que le demandeur peut saisir la juridiction
de son choix s’il demeure à l’étranger. Ainsi encore le troisième cas visé par
l’article 1166, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile énonce-t-il que
le tribunal compétent en matière d’adoption est le tribunal choisi en France
par le requérant « lorsque celui-ci et la personne dont l’adoption est demandée
demeurent à l’étranger ».
5 L’attendu de principe posé par l’arrêt ci-dessus reproduit embrasse-t-il ces
dispositions ? En d’autres termes, la compétence internationale des tribunaux
français peut-elle être fondée sur la seule manifestation de volonté du deman-
deur lorsque les conditions posées par ces textes sont réunies (absence de domi-
cile et de résidence connus du défendeur, ainsi que domicile du demandeur à
l’étranger dans le premier cas, établissement à l’étranger de l’adoptant et de
l’éventuel adopté dans le second cas) ?
En l’absence de toute indication sur les intentions des auteurs de ces textes,
il est permis de s’interroger. Néanmoins il semble bien qu’une réponse posi-
tive présenterait des inconvénients majeurs. Outre les risques accrus de forum
shopping qu’elle engendrerait, elle concourrait à faire de la juridiction fran-
çaise une sorte de champ clos où des étrangers s’affronteraient pour des affai-
res totalement extérieures à la sphère juridique nationale. Certes, on pourra
objecter qu’il en est déjà ainsi depuis que la jurisprudence a admis que deux
étrangers peuvent, au moyen d’une clause d’élection de for, décider de porter
un éventuel litige devant les juridictions françaises, en raison notamment de la
neutralité de celles-ci par rapport aux données de l’affaire (v. infra, arrêt Cie
de signaux et d’entreprises électriques, no 72). Mais le contexte est profondé-
ment différent. Il n’y a pas en effet, dans notre hypothèse accord des intéres-
sés mais liberté de choix laissée au seul demandeur; la solution serait d’autant
plus de nature à accroître les risques de forum shopping qu’il n’existe dans
notre pays aucun tempérament analogue à la doctrine du forum non conveniens
pour modérer la compétence internationale des tribunaux français. Au surplus,
peu heureuse en règle générale, la solution serait particulièrement mal venue
en matière d’adoption, certains États marquant en ce domaine une suscepti-
bilité sourcilleuse (v. Rép. min., Rev. crit. 1986. 795). Nombre de législations
prennent d’ailleurs en ce cas la précaution de ne retenir la compétence de
leurs tribunaux que sous réserve de la reconnaissance de leur décision par un
ou plusieurs ordres de référence (v. not. art. 8, LRDC suisse, Rev. crit. 1974.
173, § 30 Loi norvégienne du 13 juin 1980 cité par P. Lagarde, « Le principe
de proximité en dr. int. privé contemporain », Rec. cours La Haye, 1986, no 171).
N’y aurait-il pas au demeurant quelque paradoxe à remettre à l’entière dispo-
sition des intéressés la compétence de nos tribunaux en un domaine où le Nou-
veau Code de procédure a réservé aux magistrats la possibilité de soulever
d’office leur incompétence aussi bien au plan interne (art. 93, NCPC) qu’inter-
national (art. 92, NCPC) ?
Il semble donc préférable de considérer que ces textes ne s’appliquent que
pour régler le problème de compétence interne, après que la question de com-
644 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 71

pétence internationale a été tranchée positivement par application d’une règle


de compétence générale (en ce sens, H. Gaudemet-Tallon, « Le droit français
de l’adoption internationale », RID comp. 1990. 567 et s., spéc. p. 573; P. Bourel,
J.-Cl. dr. int., fasc. 548-4, no 7; contra Holleaux, Foyer et de La Pradelle,
no 1268 ; rappr. P. Lagarde, Rev. crit. 2001. 281, note 22). Ainsi en irait-il
lorsque l’une des parties est française ou, notamment dans la première hypo-
thèse en cas de déni de justice. Tel serait encore le cas lorsqu’une clause d’élec-
tion de for attribue compétence aux tribunaux français sans autre précision
(v. infra, no 72). Cette interprétation se concilie, au demeurant, sans trop de
difficultés avec la lettre de la décision reproduite qui en ne visant que les cri-
tères ordinaires de compétence territoriale semble bien exiger l’existence d’un
rattachement objectif. Elle aurait pour conséquence de rendre sans objet la
jurisprudence qui limite le choix du demandeur au tribunal que « des circons-
tances particulières font apparaître comme particulièrement désigné au regard
d’une bonne administration de la justice » (Civ., 9 févr. 1960, John Vielle,
préc.), lorsque les tribunaux français sont internationalement compétents sur
le fondement des articles 14 et 15 du Code civil et qu’aucun des éléments de
localisation objectifs retenus par les règles internes de compétence territoriale
n’est situé en France.
Ainsi la distinction compétence internationale — compétence interne qui
conserve en tout état de cause « une valeur pour l’ordre des idées » (Batiffol
et Lagarde, t. II, no 669-1, note 2) verrait-elle son intérêt positif s’accroître alors
même que l’arrêt ci-dessus reproduit tendait à la refouler.
72
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

17 décembre 1985

(Rev. crit. 1986. 537, note H. Gaudemet-Tallon, D. 1986,


IR p. 265, obs. B. Audit)
Clause attributive de juridiction. — Licéité.

Les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe


licites, lorsqu’il s’agit d’un litige international et que la clause ne fait pas
échec à la compétence territoriale impérative d’une juridiction française.
La désignation globale des juridictions d’un État dans une clause de pro-
rogation de compétence est licite si le droit interne de cet État permet de
déterminer le tribunal spécialement compétent.
L’article 48 du Nouveau Code de procédure civile doit s’interpréter en
ce sens que doivent être exclues de la prohibition qu’il édicte les clauses
qui ne modifient la compétence territoriale interne qu’en conséquence
d’une modification de la compétence internationale.

(Cie de signaux et d’entreprises électriques c/Soc. Sorelec)

Faits. — La société Sorelec, de nationalité française, a conclu avec un organisme


libyen un marché de travaux publics. Le contrat comporte un renvoi exprès aux « dispo-
sitions générales des contrats de travaux publics » lesquelles prévoient notamment
l’application du droit libyen et la compétence des juridictions libyennes. Par deux conven-
tions ultérieures se référant aux conditions du marché principal, la Société Sorelec confie
la réalisation d’une moitié des travaux à une autre société française, la Compagnie de
signaux et d’entreprises électriques (CSEE).
Un conflit s’étant élevé entre les deux sociétés, Sorelec sollicite et obtient du juge
libyen la désignation d’un expert tandis que la CSEE, à son tour, assigne Sorelec en
référé, aux mêmes fins, devant le président du Tribunal de commerce de Paris. Celui-ci,
estimant que la clause attributive de juridiction insérée au marché principal lie le sous-
traitant, se déclare incompétent. La Cour d’appel de Paris, par arrêt du 12 juillet 1984,
confirme cette solution. Un pourvoi est formé.
Dans une première branche du moyen, il est reproché au juge des référés de s’être
déclaré incompétent alors que la clause attributive de juridiction insérée dans le contrat
principal ne pouvait s’imposer dans les rapports entre les parties unies par un contrat de
sous-traitance et qu’en tout état de cause cette clause n’aurait désigné que la juridiction
compétente pour trancher le litige au fond et non pour nommer un expert. La Cour de
cassation rejette ces deux griefs aux motifs qu’il résultait des constatations de la Cour
d’appel que « les parties, qui avaient la libre disposition de leurs droits, étaient convenues
646 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 72

de soumettre aux juridictions libyennes toute demande même celle relevant des attribu-
tions du juge des référés et relative à l’exécution aussi bien du contrat de sous-traitance
que du contrat de base, et que déjà le juge libyen avait désigné son expert ». La décision
n’a sur ce point que la portée limitée qui s’attache à un arrêt de rejet fondé sur l’inter-
prétation par les juges du fond de la volonté des parties (B. Audit, obs. D. 1986, IR p. 265).
En revanche, la réponse aux autres branches du moyen qui posaient en toute clarté la
question de la validité des clauses attributives de juridiction dans l’ordre international,
présente un vif intérêt.

ARRÊT
La Cour (…) Sur la deuxième et la troisième branches du moyen : — Attendu
qu’il est aussi soutenu qu’une clause attributive de juridiction est nulle et de nul
effet lorsqu’elle déroge aux règles de compétence internationale ordinaires
résultant de l’extension à l’ordre international des règles internes de compé-
tence territoriale; qu’en l’espèce, la cour d’appel aurait violé les articles 42, 43
et 46 du Nouveau Code de procédure civile qui désignaient comme compéten-
tes les juridictions parisiennes et qu’à tout le moins, en ne vérifiant pas si la
clause litigieuse ne dérogeait pas à ces règles, elle n’aurait pas légalement justi-
fié sa décision; — Mais attendu d’abord, que les clauses prorogeant la compé-
tence internationale sont en principe licites, lorsqu’il s’agit d’un litige interna-
tional, comme c’était le cas en l’espèce, et lorsque la clause ne fait pas échec à la
compétence territoriale impérative d’une juridiction française, hypothèse qui est
exclue en l’occurrence; — Attendu, ensuite, que l’article 48 du Nouveau Code
de procédure civile doit s’interpréter en ce sens que doivent être exclues de la
prohibition qu’il édicte les clauses qui ne modifient la compétence territoriale
interne qu’en conséquence d’une modification de la compétence internationale;
qu’ainsi, en aucune de ses deuxième et troisième branches le moyen n’est
fondé;
Sur les quatrième, cinquième et sixième branches : — Attendu qu’il est encore
allégué, dans la quatrième branche, qu’en décidant que le renvoi opéré par
l’article 7 de la convention dite de groupement d’entreprises aux stipulations du
contrat de base manifestait la volonté non équivoque de CSEE d’accepter la
compétence des tribunaux libyens pour connaître des contestations nées de ses
rapports contractuels avec Sorelec, bien que la combinaison de ces textes, dans
leur ensemble, ne fût ni claire ni précise, la juridiction du second degré aurait
violé les articles 14 et 1134 du Code civil ainsi que l’article 48 du Nouveau Code
de procédure civile; que la cinquième branche fait valoir que la prorogation de
compétence au profit des juridictions étrangères n’est valable que si la clause
qui la prévoit désigne de façon claire et précise le tribunal qui, parmi les juridic-
tions de l’État étranger, devra être spécialement saisi; que sur ce point, l’arrêt
attaqué, qui n’a pas fait cette recherche, manquerait de base légale; qu’enfin, il
est invoqué, en la sixième branche, que la clause attributive de compétence au
profit d’une juridiction étrangère n’est valable qu’autant qu’elle est reconnue
comme telle par la loi de l’État étranger dont les tribunaux ont été désignés
comme compétents; que la juridiction du second degré, qui ne constate pas la
validité au regard de la loi libyenne de la clause litigieuse, n’aurait pas donné de
base légale à sa décision; — Mais attendu, en premier lieu, que pour déterminer
la portée exacte de la clause attributive de compétence, la juridiction d’appel a
recherché, par une analyse de l’ensemble des conventions, quelle avait été la
commune intention des parties à cet égard; que si, comme le soutient le moyen
en sa quatrième branche, le rapprochement de la convention, dite de groupe-
ment d’entreprises, du contrat de base et du contrat de sous-traitance faisait
apparaître un ensemble complexe, l’interprétation nécessaire qu’en a ordonnée
la cour d’appel ne saurait être remise en question devant la Cour de cassation;
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 647

qu’il s’ensuit que, retenue comme une clause attributive de compétence géné-
rale aux juridictions d’un État étranger, il en résultait une renonciation des par-
ties françaises au bénéfice des articles 14 et 15 du Code civil; — Attendu, en
deuxième lieu, que contrairement à l’affirmation du moyen en sa cinquième
branche, la désignation globale des juridictions d’un État dans une clause de
prorogation de compétence est licite, du moins si le droit interne de cet État
permet de déterminer le tribunal spécialement compétent; qu’à cet égard, la
constatation de la juridiction du second degré, qu’à la demande d’une des par-
ties en cause une juridiction libyenne avait déjà désigné un expert, enlève toute
portée à la critique contenue dans cette branche; — Attendu, enfin, que pour la
même raison il en est de même de celle énoncée en la sixième branche; —
Qu’ainsi, les quatrième, cinquième et sixième branches du moyen sont sans
fondement;
Par ces motifs : — Rejette.

Du 17 décembre 1985. — MM. Joubrel, prés.; Fabre, rapp.; Rocca, av. gén. — SCP Lyon-Caen,
Fabiani et Liard, av.

OBSERVATIONS
1 L’arrêt ci-dessus reproduit dissipe les incertitudes qu’avaient suscitées, dix ans
plus tôt, relativement à la licéité des clauses attributives de juridiction en
matière internationale, certaines dispositions du décret du 5 décembre 1975
instituant un Nouveau Code de procédure civile. Il décide, en effet, que
l’article 48 de ce code qui répute non écrite « toute clause qui directement ou
indirectement déroge aux règles de compétence territoriale » ne fait pas obsta-
cle à la licéité de principe des accords d’élection de for dans l’ordre internatio-
nal (I) et précise les limites dans lesquelles peut s’exercer cette liberté (II).
Raisonnant par rapport au droit français sans pour autant en définir les titres
d’application, l’arrêt est, en revanche, moins riche d’enseignements quant à la
détermination de la loi applicable (III).

I. Licéité des clauses attributives de juridiction


dans l’ordre international

2 On s’accorde, en général, sur la très grande utilité pratique des clauses attri-
butives de juridiction dans l’ordre international. Grâce à elles il est, en effet,
possible de diminuer sensiblement l’insécurité inhérente à l’absence d’organi-
sation de la société internationale.
On sait qu’il existe souvent pour un même litige une multiplicité d’ordres
juridictionnels compétents dont les systèmes de conflit de lois sont eux-
mêmes parfois différents. L’incertitude sur le juge compétent se double alors
d’une incertitude sur le droit applicable. Or en permettant aux intéressés de
choisir, par avance, le juge appelé à connaître des litiges qui pourraient résul-
ter de leurs relations, les clauses attributives de juridiction évitent que la
détermination de l’ordre juridictionnel, et donc souvent du droit applicable, ne
soit laissée à l’initiative unilatérale de l’un d’entre eux au moment du procès;
648 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 72

les parties sauront par quel juge et selon quel droit leur affaire sera tranchée.
Cet avantage prend évidemment tout son relief lorsque la compétence qui en
résulte revêt un caractère exclusif obligeant les plaideurs à n’agir que devant
la juridiction élue sous peine de ne pas obtenir une décision efficace en France
(sur cette question, v. observations sous l’arrêt Simitch, supra, no 70 § 14). En
outre, en offrant aux parties la possibilité de choisir un tribunal auquel sont
familiers les problèmes soulevés par les contrats qui les contiennent, les clauses
attributives de juridiction réalisent une sorte de compromis, « intermédiaire »
entre la compétence ordinaire des tribunaux et le recours à l’arbitrage lequel
ne va pas parfois sans de réels inconvénients (G. Holleaux, Trav. com. fr. dr.
int. pr. 1964-1966, p. 170). Alliant souplesse et prévisibilité, elles répondent
indiscutablement aux besoins de la vie internationale.
3 Il n’est donc pas surprenant que la jurisprudence française ait consacré
assez tôt leur validité de principe (v. par ex., Civ., 19 févr. 1930, 27 janv. 1931,
Mardelé et Dambricourt, Rev. crit. 1931. 514, S. 1933. 1. 41, note Niboyet) et
que l’arrêt ci-dessus reproduit la réaffirme avec beaucoup de fermeté.
Il ne faudrait pas croire pour autant que cette solution se soit imposée sans
hésitation ni débat. Si la majorité des auteurs était, en effet, favorable à la licéité
des clauses modifiant la compétence internationale (Pillet, Traité, t. I, no 193;
Lerebours-Pigeonnière, Précis, 4e éd., no 287; Batiffol, Traité, 4e éd., no 686),
certains et notamment Bartin, soutenaient que la nature intrinsèque de la com-
pétence internationale française s’opposait à ce que la volonté des personnes
privées puisse jouer, en la matière, un rôle quelconque; concourant comme la
règle de conflit de lois, à définir l’empire de la souveraineté française, les
règles de conflit de juridictions étaient, selon lui, par essence impératives
(Études sur les effets internationaux des jugements, 1907, p. 57 et s.). C’était
oublier que si la compétence des tribunaux français est une expression for-
melle de la souveraineté française, elle n’en est pas l’expression matérielle
(v. supra, observations sous l’arrêt Simitch, no 70 § 4). Le service public de la
justice est d’abord institué dans l’intérêt des justiciables; s’il tend à maintenir
la paix publique, c’est en reconnaissant et sanctionnant des droits privés
(H. Gaudemet-Tallon, La prorogation volontaire de juridiction en droit inter-
national privé, 1965, nos 212 et s., p. 240 et s.). Aussi bien les règles de com-
pétence judiciaire internationale n’ont-elles pas pour objet d’assurer l’autorité
du souverain sur le sujet mais de garantir, sous l’angle de la compétence, la
« justice procédurale de droit privé » (D. Holleaux, Compétence du juge étran-
ger et reconnaissance des jugements, 1970, no 401, p. 379). Dès lors s’il est vrai
que la définition de la compétence des organes d’un État relève de ce seul État,
cela n’empêche pas celui-ci de laisser aux intéressés la possibilité de modifier
conventionnellement la compétence de ses organes, lorsqu’il l’estime utile.
4 La discussion devait néanmoins rebondir avec le Nouveau Code de procé-
dure civile dont les dispositions paraissaient se conjuguer pour prohiber, en
matière internationale, les clauses attributives de juridiction. Et de fait, certains
ont déduit de son article 92 une telle interdiction, soit directement en considérant
que le pouvoir qu’il reconnaît au juge de relever d’office son incompétence
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 649

lorsque la question « échappe à la connaissance de la juridiction française » lui


donne en même temps les moyens de tenir en échec toute clause attributive de
juridiction (Perrot, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1977-1979, p. 145), soit indirecte-
ment en estimant qu’il assimile la compétence internationale à la compétence
d’attribution, laquelle serait, en la matière, pour une large part d’ordre public
(Huet, « Le Nouveau Code de procédure civile du 5 déc. 1975 et la compé-
tence internationale des tribunaux français », Clunet 1976. 356 et s.). À l’opposé,
d’autres qui insistent sur ce que la compétence internationale se détermine
par extension des règles internes de compétence territoriale, se heurtent à l’arti-
cle 48 du Nouveau Code de procédure civile qui répute non écrite « toute
clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence
territoriale (…) à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant tou-
tes contracté en qualité de commerçant ». Ainsi quelle que soit l’analyse rete-
nue, la prohibition des clauses modifiant la compétence internationale parais-
sait inscrite dans les derniers développements du droit procédural français.
Néanmoins, aucune de ces analyses n’était tout à fait déterminante. Comme
on a déjà eu l’occasion de le souligner (v. observations sous l’arrêt Scheffel,
supra, no 37 § 7), la compétence internationale ne saurait être assimilée ni à la
compétence d’attribution, ni à la compétence territoriale; elle constitue bien
plutôt une compétence sui generis qui, en raison de l’insuffisance de ses règles
propres, emprunte la plupart de ses principes de solution à l’ordre interne. La
définition d’un régime procédural spécifique à la compétence internationale
mais voisin de la compétence d’attribution n’a d’ailleurs pas empêché la Cour
de cassation de rappeler que les chefs de compétence internationale des tribu-
naux français se déterminent par extension au plan international des règles
internes de compétence territoriale (v. en dernier lieu, Civ. 1re, 16 avr. 1985,
Rev. crit. 1986. 694, note Batiffol, et supra, arrêt Scheffel, no 37).
Mieux, la « discordance » introduite par le Nouveau Code de procédure
civile entre la question de la détermination de la compétence internationale
des tribunaux français et celle de son régime juridique laisse aux tribunaux
français une plus grande latitude pour construire à partir des dispositions
de l’ordre interne un système adapté aux besoins de la vie internationale
(v. P. Lagarde, note Rev. crit. 1975. 135). D’ailleurs, aucun des textes précités
n’apparaît relativement à notre problème, véritablement décisif. L’article 92
du Nouveau Code de procédure civile a certes été édicté pour les relations
internationales mais il n’en résulte nullement une prohibition des clauses attri-
butives de juridiction. Il prévoit simplement que l’incompétence des tribunaux
français peut être relevée d’office en matière internationale; encore faudrait-il
pour cela qu’il y ait incompétence, c’est-à-dire, au cas où aurait été stipulée
une clause attributive de juridiction, que celle-ci soit inapte à fonder une compé-
tence, ce qui est tout le problème (D. Alexandre, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1975-
1977, p. 147; Théry, Pouvoir juridictionnel et compétence, thèse multigr. 1981,
p. 499, no 524). Quant à l’article 48 du Nouveau Code de procédure civile, il
prohibe les clauses d’élection de for dans l’ordre interne pour des raisons
qui, transposées au plan international, perdent une bonne part de leur force de
conviction. En effet, les rédacteurs de ce texte ont essentiellement voulu
empêcher certaines pratiques abusives consistant pour la partie la plus forte à
650 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 72

insérer à son profit exclusif et au détriment de la partie la plus faible, notam-


ment du consommateur, une clause attributive de juridiction dans des bons de
commande ou des factures (comp., à propos de l’exigence et de la fonction de
l’écrit, C. const. d’Italie 18 oct. 2000, Riv. dir. int. 2001. 164 et p. 33, chron.
F. Salerno).
Or ce risque, s’il n’est pas totalement absent de la vie internationale, ne s’y
retrouve qu’atténué, celle-ci mettant le plus souvent aux prises des acteurs
pourvus d’une expérience et d’un poids suffisants (Couchez, « Les nouveaux
textes de la procédure civile et la compétence internationale », Trav. com. fr.
dr. int. pr. 1977-1979, p. 129). Aussi bien n’appelle-t-il pas dans l’ordre inter-
national la précaution d’une prohibition générale des accords d’élection de for
dont on a vu qu’ils constituent un très utile instrument de prévision; refuser
de tenir compte de ces accords c’est, en effet, bien souvent risquer de remettre
en cause l’opération à propos de laquelle ils ont été stipulés. Certes l’arti-
cle 48 du Nouveau Code de procédure civile prévoit une exception en faveur
des clauses souscrites entre commerçants; tel était d’ailleurs le cas en l’espèce.
Mais cette exception se révèle, en matière internationale, incapable de sauve-
garder les intérêts que les accords d’élection de for tentent de satisfaire. D’une
part en effet, nombre de pays notamment les États ayant subi la férule soviéti-
que et les pays de common law ignorent la distinction du droit civil et du droit
commercial, et par là même la notion de commerçant, ce qui en rend la mise
en œuvre singulièrement difficile (H. Gaudemet-Tallon, « La compétence
internationale à l’épreuve du Nouveau Code de procédure civile : aménage-
ment ou bouleversement ? », Rev. crit. 1977. 38). D’autre part, même dans les
pays qui la connaissent, il est des contrats, telles d’importantes cessions de droits
intellectuels, qui mettent en jeu les intérêts du commerce international sans
pour autant être le fait de commerçants (Droz, Rec. Gén. Lois 1976. 625). Une
rapide étude de droit comparé montre d’ailleurs que le souci des intérêts du
commerce international a conduit plusieurs droits étrangers à consacrer la
validité de principe des accords d’élection de for alors même qu’ils avaient
longtemps retenu la solution contraire (sur le droit comparé, v. Jodlowski,
« Les conventions relatives à la prorogation et à la dérogation à la compétence
internationale en matière civile », Rec. cours La Haye 1974, t. III, p. 477 et s.).
Tel est notamment le cas des États-Unis d’Amérique (C. suprême des États-
Unis, 12 juin 1972, Zapata, Rev. crit. 1973. 510, note H. et D. Tallon; 17 juin
1974, Scherk, Rev. crit. 1975. 643, note H. et D. Tallon; sur cette jurispru-
dence, v. Delaume, « Clauses d’élection de for et clauses compromissoires :
évolution et gestation d’un nouveau droit américain », Clunet 1975. 486 et s.;
H. Gaudemet-Tallon, « Réflexions comparatives sur certaines tendances nouvel-
les en matière de compétence internationale des juges et des arbitres », Mélan-
ges Marty, p. 531 et s.; A. Sinay-Cytermann, L’ordre public en matière de com-
pétence judiciaire internationale, thèse multigr. 1980, p. 97 et s.). Il aurait dès
lors été particulièrement regrettable que la jurisprudence française, par une
sorte d’évolution à rebours, prohibât les clauses d’élection de for au moment
même où leur utilité leur valait une large consécration à l’étranger. Si l’on
veut sauvegarder au plan international les intérêts pris en charge par l’arti-
cle 48 du Nouveau Code de procédure civile au plan interne, cela doit se tra-
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 651

duire non par une prohibition générale des clauses d’élection de for, mais par
l’énoncé de certaines limites à leur validité de principe. Telle est précisément
la voie suivie par l’arrêt ci-dessus reproduit.
Ajoutons que toute autre solution aurait mis à rude épreuve la cohérence du
droit international privé français. La Convention de Bruxelles (art. 17, devenu
art. 23 du Règlement Bruxelles I) validant déjà les clauses d’élection du for
dès lors que l’une des parties est domiciliée dans l’un des États de la Commu-
nauté (Gothot et Holleaux, La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968,
nos 159 et s., p. 91 et s.; H. Gaudemet-Tallon, Les Conventions de Bruxelles et
de Lugano, 2e éd., 1996, nos 104 et s.; B. Ancel, « La clause attributive de
juridiction selon l’article 17 de la Convention de Bruxelles », Riv. dir. int. priv.
proc. 1991, p. 263 et s.), la prohibition résultant de l’extension au plan inter-
national de l’article 48 du Nouveau Code de procédure civile n’aurait d’effet
que dans les autres cas. Comment justifier une telle disparité de régime dans le
traitement de situations aussi proches ? (en ce sens, A. Sinay-Cytermann, op. cit.,
p. 95; sur l’attraction exercée par les traités sur le droit interne, v. Niboyet,
Traité, t. III, nos 934 et s.). Enfin, on sait que la jurisprudence a posé le principe
de la validité des clauses compromissoires dans l’ordre international (Civ. 1er,
4 juill. 1972, Hecht, Clunet 1972. 843, note Oppetit, Rev. crit. 1974. 82, note
Level, RTD com. 1973. 419, obs. Loussouarn, Rec. Gén. Lois 1974. 409, obs.
Droz, chron. Francescakis Rev. arb. 1974. 67); on comprendrait mal que les
clauses attributives de juridiction soient l’objet d’une solution plus sévère
alors que, bien loin de faire échec à toute juridiction étatique, elles ne dérogent
qu’à la juridiction française. Aussi ne peut-on qu’approuver la Cour de cassa-
tion d’avoir décidé que « les clauses prorogeant la compétence internationale
sont en principe licites » (v. depuis, Civ. 1re, 25 nov. 1986, Siaci, Rev. crit. 1987.
396, note H. Gaudemet-Tallon).

5 L’affirmation prend d’autant plus de relief que la cour aurait pu se retrancher


derrière l’exception posée par l’article 48 du Nouveau Code de procédure civile,
le litige opposant deux commerçants. Elle ne va pas cependant sans distinc-
tion. L’arrêt envisage, en effet, trois types de clauses : 1° celles qui désignent
non seulement l’ordre juridictionnel compétent mais encore le tribunal spécia-
lement appelé à connaître du litige, 2° celles qui, au sein d’un ordre juridic-
tionnel internationalement compétent, se contentent de modifier la désignation
du tribunal spécialement appelé à connaître du litige, 3° celles, enfin, qui attri-
buent globalement compétence à un ordre juridictionnel sans autre précision.
Sous réserve des limites étudiées dans la seconde partie de ce commentaire,
la validité des clauses appartenant à la première catégorie ne soulève pas de
difficultés sérieuses. Sans doute, en ce qu’elles affectent aussi la compétence
territoriale interne, faut-il se demander si, à leur égard et dans cette mesure,
l’article 48 ne conserve pas son autorité et ne s’oppose pas dès lors au choix
par les parties d’un tribunal français qui ne serait pas celui que désignent les
règles du Nouveau code de procédure civile. Chassée du plan de la compé-
tence générale, la prohibition se maintiendrait en France sur le plan de la
compétence spéciale. La réponse est que l’application en ce cas de l’article 48
dans l’ordre interne compromettrait le principe de la licéité de l’élection de
652 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 72

for dans l’ordre international et c’est bien ainsi que l’entend le présent arrêt
lorsque, empruntant à M. P. Mayer (Précis, 3e éd., no 300), il énonce que
« doivent être exclues de la prohibition les clauses qui ne modifient la compé-
tence territoriale interne qu’en conséquence d’une modification de la compé-
tence internationale ». Ainsi l’interdiction ne frappe plus que les conventions
dérogeant à la compétence territoriale interne française sans affecter la com-
pétence internationale des tribunaux français.
Cette exigence appelle une précision utile pour fixer le sort de la deuxième
catégorie de clauses énumérée ci-dessus, celle qui rassemble les élections de
for confirmant la compétence internationale des juridictions françaises mais
se portant vers un tribunal ne répondant à aucun chef de compétence territo-
riale française. La formule de l’arrêt requiert « une modification de la compé-
tence internationale »; on pourrait douter qu’elle soit alors satisfaite. En réalité,
le terme « modification » ne recouvre pas seulement le « déplacement » de la
compétence; il vise aussi bien une altération des caractères de la compétence.
Ainsi est modifiée la compétence internationale des juridictions françaises
lorsque, de concurrente elle devient, par l’effet du choix des parties, exclusive.
La même idée pourrait s’exprimer en disant que la prorogation de for ne peut
pas s’abriter de la prohibition de l’article 48 derrière un prétendu choix de
compétence internationale dès lors que le caractère purement interne du conten-
tieux rend celui-ci en principe superfétatoire. En revanche, est licite la clause
qui, aux tribunaux de Boston et de Saint Pétersbourg — domiciles respectifs
des contractants — et à celui de Cherbourg — lieu de livraison de la marchan-
dise — préfère le Tribunal de commerce de Paris, juridiction importante et
aisément accessible, mais que par hypothèse ne désigne pas le Nouveau Code
de procédure civile.
Quant à la dernière catégorie qui réunit les clauses se limitant à une dési-
gnation générale d’un ordre juridictionnel, sans individualisation du tribunal
auquel s’adresser, leur validité ne paraît pas mettre en cause particulièrement
l’article 48 et, au demeurant, elle n’est pas sérieusement discutée dès lors que
le droit interne de l’État choisi « permet de déterminer le tribunal spécialement
compétent » (v. aussi Com., 19 mars 1991, Empresa Lineas Maritimas Argen-
tina, Bull. IV, no 113, D. 1999, IR p. 113; 25 mars 1997, Insurance Company
of North America, Rev. crit. 1998. 98, rapp. J.-P. Rémery; Civ. 1re, 13 avr. 1999,
Soc. Sullivan Polynésie, Bull. I, no 127; 13 avr. 1999, Grands Comptoirs français
de Djibouti, Rev. crit. 2000. 219, note B. A.). L’affirmation a le mérite de dis-
siper les incertitudes suscitées par certaines décisions antérieures qui avaient
réputé non écrites de telles clauses en raison de leur imprécision (Aix-en-
Provence, 15 juin 1972, Rev. crit. 1973. 350, note H. Gaudemet-Tallon, D. 1972.
757, note Rodière; Soc. 23 mai 1973, Rev. crit. 1974. 354, 2e esp., note
P. Lagarde; v. depuis Rouen, 28 janv. 1993, Rev. crit. 1993. 307, note H. G-T.).
La solution — outre qu’elle n’était guère conforme à notre droit des obliga-
tions lequel n’annule pas les clauses obscures ou ambiguës — heurtait de
front les principes consacrés par le droit conventionnel. La Convention de
Bruxelles du 27 septembre 1968 et la Convention de La Haye du 25 novembre
1965 sur les accords d’élection de for (non entrée en vigueur) admettent, en
effet, toutes deux la validité des clauses attribuant compétence générale aux
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 653

tribunaux d’un État. Ajoutons que l’exigence posée par l’arrêt ne devrait pas,
au moins au regard du droit français, soulever de réelles difficultés : au cas où
ne serait situé en France aucun des éléments de localisation objectifs retenus
par les règles de compétence territoriale interne, le tribunal français spéciale-
ment compétent pourrait toujours être déterminé par application de l’alinéa 3
de l’article 42 du Nouveau Code de procédure civile qui dispose : « Si le défen-
deur n’a ni domicile ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juri-
diction du lieu où il demeure ou celle de son choix s’il demeure à l’étranger »
(v. cep. Civ. 1re, 13 avr. 1999, Gr. Comptoirs français de Djibouti, préc.).

6 Poursuivant dans la voie qu’elle avait ouverte avec l’arrêt Compagnie de


signaux et d’entreprises électriques, la haute juridiction a décidé que l’arti-
cle 333 du Nouveau Code de procédure civile ne devait pas être transposé dans
l’ordre international (Com., 30 mars 1993, Soc. Comanav, Rev. crit. 1993. 680,
note H. Gaudemet-Tallon; v. déjà à propos des clauses compromissoires Com.,
8 nov. 1982, Clunet 1984. 151, note Buhart, Rev. arb. 1983. 177, note Rubellin-
Devichi). Posant que « le tiers mis en cause est tenu de procéder devant la juri-
diction saisie de la demande originaire, sans qu’il puisse décliner la compétence
territoriale de cette juridiction même en invoquant une clause attributive de juri-
diction », ce texte apparaît comme un « corollaire » de l’article 48 du Nouveau
Code de procédure civile. Il tend, en effet, à limiter les effets d’une clause
valable dans un souci du bon fonctionnement du service public de la justice.
Cette justification ne se retrouvant pas dans l’ordre international, il est logique
de ne pas y faire application de ce texte (P. Lagarde, note, Rev. crit. 1983, p. 659).
En revanche, la haute juridiction a fait prévaloir, en cas de pluralité de
défendeurs, la compétence dérivée de l’article 42, alinéa 2 du Nouveau Code
de procédure civile sur les clauses attributives de juridiction (Civ. 1re, 24 févr.
1998, Rafidain Bank, Rev. crit. 1999. 310, 2e esp., note A. Sinay-Cytermann).

II. Limites à la licéité des clauses attributives de juridiction

7 « Les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe lici-


tes, lorsqu’il s’agit d’un litige international (…) et lorsque la clause ne fait pas
échec à la compétence territoriale impérative d’une juridiction française ». En
subordonnant la validité de principe à cette double limite, et à elle seule, l’arrêt
ci-dessus reproduit importe par ce qu’il dit mais aussi par ce qu’il ne dit pas.
Le litige doit être international. Il en ira ainsi lorsque la relation juridique
qui lui est sous-jacente présente ce caractère. Tel était le cas en l’espèce,
comme le relève la cour, le contrat conclu entre deux sociétés françaises
devant s’exécuter en Libye et étant lui-même étroitement lié à la convention
passée entre l’une des sociétés et le client libyen. En revanche, le seul fait de
choisir le tribunal d’un pays autre que celui où se concentrent tous les élé-
ments de la relation litigieuse ne saurait satisfaire à cette exigence. Certes, il a
été soutenu à propos tant de la Convention de La Haye du 25 novembre 1965
sur les accords d’élection de for (P. Lagarde, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1964-
654 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 72

1966, p. 156) que de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (Droz,


Compétence judiciaire et effets des jugements dans le marché commun, nos 207-
208, p. 129) que c’était l’accord d’élection de for et non le rapport de droit qui
en est l’occasion, qui devait revêtir un caractère international. Mais on
s’accorde aujourd’hui à considérer cette interprétation comme incompatible
avec l’état actuel de notre droit interne; la prohibition posée par l’article 48 du
Nouveau Code de procédure civile serait, en effet, trop aisément tournée s’il
suffisait pour y échapper de soumettre un litige, en soi purement interne, à un
tribunal étranger (Gothot et Holleaux, op. cit., p. 99, no 167; v. en ce sens
Civ. 1re, 4 oct. 2005, Keller Grundbau Gmbh, D. 2005, IR p. 2626, Rev. crit.
2006. 413, note M. Audit). Le souci de sécurité qui justifie la mise à l’écart de
ce texte ne se rencontre, au demeurant, que dans les relations réellement inter-
nationales.
En visant uniquement le caractère international du litige la Cour de cassation
semble bien considérer que l’existence d’un lien sérieux entre ledit litige et le
tribunal désigné — pourtant exigée par de nombreux auteurs (Loussouarn et
Bourel, 6e éd. no 454; Batiffol, Le respect international des droits acquis, Cours
IHEI, 1968-1969, p. 30-31) — n’est pas nécessaire à la validité des accords
d’élection de for. Cette solution qui était déjà inscrite en filigrane dans un pré-
cédent arrêt de la haute juridiction entérinant le choix d’un tribunal suisse par
des cocontractants allemand et français apparaît préférable (Com., 19 déc. 1978,
Rev. crit. 1979. 61, note A. Huet, Clunet 1979. 366, note H. Gaudemet-Tallon,
D. 1979, IR p. 341, obs. Audit). La définition d’un tel lien n’est pas, en effet,
sans soulever de grandes difficultés pratiques (H. Gaudemet-Tallon, op. cit.,
no 318). De plus, en empêchant les parties de désigner un tribunal qui serait
entièrement neutre, une telle exigence ne laisserait parfois à celles-ci d’autres
possibilités que de renoncer à leur opération ou de recourir à l’arbitrage
(Jodlowski, cours préc., Rec. cours La Haye, 1974, t. III, p. 555 et s.; Kaufmann-
Kohler, La clause d’élection de for dans les contrats internationaux, 1980,
p. 141). Aussi bien cette exigence est-elle ignorée de la plupart des droits
étrangers. En revanche, la considération d’un lien sérieux se réintroduit par-
fois, non plus positivement pour appuyer la compétence du tribunal élu, mais
négativement pour justifier l’exclusion des tribunaux du for. Ainsi en droit
allemand, il n’est possible de déroger à la compétence des tribunaux du for
que si celle-ci repose sur un chef de compétence relativement fragile. Cette
conception n’est, au demeurant, peut-être pas totalement étrangère au droit
positif français. Elle pourrait, en effet, expliquer les contours que la juris-
prudence donne parfois à la notion de compétence impérative (en ce sens,
P. Lagarde, « Le principe de proximité en droit international privé contempo-
rain », Rec. cours La Haye, 1986, t. I, nos 134 et s.).

8 L’accord d’élection de for ne peut pas déroger à la compétence des tribu-


naux français lorsque celle-ci est impérative. La difficulté est alors évidem-
ment de déterminer les chefs de compétence qui revêtent un tel caractère. Bien
que l’arrêt fasse expressément référence à la « compétence territoriale impéra-
tive », le droit interne ne paraît pas devoir être, à cet égard, d’un très grand
secours : l’article 48 du Nouveau Code de procédure civile réputant d’ordre
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 655

public, sauf entre commerçants, les règles de compétence territoriale, aligner


l’impérativité internationale sur l’impérativité interne reviendrait à vider de son
contenu le principe dont la Cour de cassation vient pourtant d’affirmer la licéité.
Certes, il existe en marge de l’article 48 du Nouveau Code de procédure civile, un
certain nombre de dispositions qui attribuent ponctuellement un caractère impéra-
tif à tel ou tel chef de compétence; encore faut-il pour que leur transposition à
l’ordre international soit concevable qu’il existe une « correspondance entre
objectifs internes et internationaux » (A. Sinay-Cytermann, op. cit., p. 126).
Inversement d’ailleurs, certains cas de compétence impérative au plan internatio-
nal peuvent ne correspondre à aucune disposition spéciale de notre droit interne.
C’est donc par « l’analyse des données propres aux rapports internationaux » que
doit être déterminé le caractère impératif de la compétence internationale
(Hébraud, obs. RTD civ. 1950. 96). À cet égard, il importe de ne pas confondre
impérativité et exclusivité : alors que la première, relative à la compétence directe,
a pour objet de maintenir au profit de chaque partie le droit de saisir la juridiction
française, la seconde qui intéresse la compétence indirecte entend obliger les
parties à n’agir que devant la juridiction française sous peine de ne pas obtenir
une décision efficace en France (D. Holleaux, J.-Cl. dr. int., fasc. 584 A, no 121;
contra D. Alexandre, Les pouvoirs du juge de l’exequatur, nos 213 et s.; Huet,
Clunet 1976. 364 et 1978. 312). Aussi bien pourra-t-on constater dans les
développements qui suivent qu’impérativité de la compétence directe et exclu-
sivité de la compétence indirecte ne coïncident pas nécessairement.

9 Il ne saurait être question dans les limites restreintes d’un tel commentaire de
recenser l’ensemble des cas de compétence impérative (pour une telle entreprise, v.
A. Sinay-Cytermann, op. cit., p. 126 et s.). On se contentera donc après avoir rap-
pelé quelques chefs de compétence internationale dont l’impérativité est bien éta-
blie, d’envisager certaines des hypothèses dont la solution est encore imprécise.
On s’accorde généralement sur ce que la compétence revêt un caractère
impératif dans le domaine du statut personnel, matière traditionnellement indis-
ponible (H. Gaudemet-Tallon, art. préc., Mélanges Marty, p. 551; P. Mayer et
V. Heuzé, no 304). La Cour de cassation l’a d’ailleurs affirmé avec beaucoup
de netteté à propos du divorce (Civ. 1re, 1er avr. 1981, de Itturalde de Pedro, Clu-
net 1981. 812, note D. Alexandre, D. 1982, IR p. 69, obs. Audit, Gaz. Pal. 1981.
2. 228, note Lisbonne), tout en précisant ultérieurement dans son arrêt Simitch
(supra, no 70) que l’article 1070 du Nouveau Code de procédure civile n’attri-
bue pas une compétence exclusive aux juridictions françaises. Inversement
d’ailleurs, et de manière beaucoup plus curieuse, les privilèges de juridiction
des articles 14 et 15 du Code civil qui jouent un rôle important en matière de
statut personnel ont longtemps été jugés non impératifs sur le terrain de la
compétence directe mais exclusifs sur celui de la compétence indirecte
(v. supra, observations sous l’arrêt Simitch, no 70 § 12). En mettant fin au pri-
vilège indirect attaché à l’article 15 du Code civil (v. infra, no 87), la haute
juridiction a supprimé cette anomalie.
De même, on considère que la compétence des juridictions françaises en
matière d’action réelle immobilière portant sur un immeuble sis en France ne
saurait faire l’objet de modification conventionnelle, bien qu’en la matière les
656 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 72

parties puissent transiger sur leurs droits. En un domaine où se maintient encore


la vieille idée de souveraineté de l’État sur son territoire et où la lex rei sitae
est applicable, le tribunal du lieu de situation est considéré comme seul bien
placé pour administrer correctement la justice et pour rendre une décision
immédiatement efficace (rappr. observations sous l’arrêt Weiss, supra, no 49
§ 7). De là, une compétence directement impérative et indirectement exclusive.
Cette coïncidence se retrouve d’ailleurs dans la Convention de Bruxelles
(art. 16-1°, devenu art. 22 du Règlement de Bruxelles I).
En revanche, il est des hypothèses dans lesquelles il se révèle délicat de
décider du caractère impératif ou non de la compétence des tribunaux fran-
çais. Ainsi en va-t-il notamment lorsqu’une loi de police du for embrasse dans
son domaine d’application la relation litigieuse qui est à l’origine de la clause
attributive de juridiction : témoignant de ce que l’ordre juridique français entend
se réserver une compétence législative qu’il juge indispensable à la protection
de ses intérêts, le recours à cette méthode n’implique-t-il pas en même temps
sur le terrain de la compétence judiciaire, l’existence d’une compétence impé-
rative ? Suggérée par certains (D. Holleaux, op. cit., no 382, J.-Cl. dr. int.,
1977, fasc. 584 A, no 121 ; P. Hébraud, « De la corrélation entre la loi appli-
cable à un litige et le juge compétent pour en connaître », Rev. crit. 1968,
no 18, p. 236), une telle correspondance a été vivement critiquée par d’autres
(H. Gaudemet-Tallon, art. préc., Mélanges Marty, p. 552; Ph. Guez, L’élection
de for en droit international privé, thèse Paris X, 2000, no 242, p. 191). Force
est pourtant de constater que la condition des lois de police reste profondé-
ment différente selon qu’elles apparaissent en tant que lois de police du for ou
lois de police étrangères (v. supra, arrêt Cie internationale des wagons-lits,
no 53). L’« immédiateté » d’application qui les caractérise ne joue, en effet,
pleinement qu’au regard du pays qui les édicte. Dès lors ne faudrait-il pas voir
dans la volonté d’application d’une loi de police française un indice sérieux
en faveur de l’impérativité de la compétence des tribunaux français ? Au cas
contraire en effet, les accords d’élection de for se révéleraient un instrument
idéal pour se jouer des dispositions impératives par lesquelles les États enten-
dent sauvegarder leurs intérêts essentiels en imposant aux particuliers tel ou
tel comportement. La très grande liberté qui tend à prévaloir aussi bien en ce
qui concerne le choix de la loi applicable au contrat (v. supra, arrêt Fourrures
Renel, no 35) que celui de la juridiction compétente, notamment grâce à la
possibilité d’élire un for dépourvu de tout lien sérieux avec l’affaire, ne sau-
rait se développer qu’à l’intérieur des bornes que lui assigne la défense des
intérêts des sociétés étatiques. Aussi bien paraît-il peu raisonnable d’autoriser
les parties à convenir d’une clause dont l’effet mécanique est de rendre incer-
taine l’application d’une loi d’application nécessaire… La notion de police
semble donc devoir être étendue jusqu’à la compétence et marquer celle-ci du
caractère d’impérativité. Mais cette impérativité ne suffira pas; elle interdira
la clause attributive, mais ne résolvant pas le concours des compétences qui
naît de la diversité des systèmes judiciaires, elle ne garantira pas que le tribunal
de l’ordre du for sera saisi de la demande lorsque l’action sera exercée; le
demandeur pourra, en effet, s’adresser à une autre juridiction. Il faut donc pro-
longer l’impérativité de la compétence directe.
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 657

10 Deux possibilités sont à envisager :


1) L’exclusivité de la compétence des tribunaux du for. La solution garantit,
sinon l’application de la loi de police du for, du moins que la question que
celle-ci règle ne recevra jamais un traitement différent et reconnu au for (en
ce sens, D. Holleaux, op. cit., no 382, J.-Cl. dr. int., 1977, fasc. 584 A, préc.).
Le juge du for apparaît alors comme un rouage intégré de l’application immé-
diate. Aussi bien la solution n’est-elle opportune que dans le cas où précisé-
ment la loi de police exige du juge qu’il remplisse au fond une telle fonction
(sur ce point, v. observations sous l’arrêt Simitch, supra, no 70 § 13 et la for-
mule intermédiaire du décret du 29 mai 2000 garantissant au salarié détaché
en France la compétence du tribunal français pour obtenir la protection judi-
ciaire de l’art. L. 341.5, C. trav., Rev. crit. 2000. 520, comm. E. Pataut).
2) Le contrôle de la conformité au droit applicable. Si le juge n’est pas ce
rouage intégré, il suffit de procéder à un contrôle des décisions étrangères
incluant la conformité au droit applicable (comp. l’exercice a priori de ce
contrôle en droit belge où l’admissibilité de la dérogation à la compétence
belge est subordonnée au choix par les parties de la loi belge, v. N. Coipel-
Cordonnier, Les conventions d’arbitrage et d’élection de for en dr. int. pr., thèse
Louvain, éd. 1999, no 63, 124-125, 218-219). Il n’y a pas de raison d’imposer
ici l’exclusivité, c’est-à-dire de sacrifier les objectifs procéduraux de commo-
dité des parties et de bonne administration de la justice s’ils ne s’opposent pas
aux exigences des intérêts substantiels en cause. À partir du moment où l’on
admet l’ouverture de l’ordre juridique du for aux lois de police étrangères et
la possibilité de leur application par le juge français, on doit également souf-
frir la compétence des juridictions étrangères pour appliquer les lois de police
françaises.
Il est vrai que s’ajoutant à l’incertitude qui marque déjà la notion de lois de
police, ces directives sont plus faciles à énoncer qu’à mettre en œuvre. On
notera néanmoins à propos de la question qui nous intéresse ici directement,
c’est-à-dire la définition du caractère impératif de la compétence juridiction-
nelle, que la jurisprudence française n’a pas hésité à attribuer un tel caractère
à la compétence internationale des tribunaux français lorsqu’était impliqué un
service public français (rectification d’un acte de l’état civil français, validité
d’un brevet français, contrefaçon d’une marque française). De plus, la difficulté
s’amenuise lorsque le droit interne connaît en ces domaines une réglementa-
tion spécifique prohibant ou limitant les clauses attributives de juridiction. Ainsi
en va-t-il en droit français des dispositions qui, à propos du contrat d’assu-
rance (art. R 114-1, C. ass.) ou du contrat de travail (art. R 517-1, C. trav.), visent
à protéger la partie réputée la plus faible (P. Mayer, « La protection de la par-
tie faible en droit international privé » in La protection de la partie faible dans
les rapports contractuels, 1996, p. 513 et s., spéc. p. 547, nos 63-64). Aussi bien
la question de la licéité des clauses désignant un tribunal étranger et contenues
dans un contrat de travail conclu entre un salarié français et un employeur
étranger a-t-elle suscité un important contentieux. Après une longue période
d’hésitations (Civ. 1re, 9 janv. 1968, Rev. crit. 1968. 490, 2e esp., note H. Gaudemet-
Tallon, Clunet 1968. 717, note Simon-Depitre, JCP 1968. II. 15451, note G. Lyon-
Caen; Soc. 18 oct. 1967, Rev. crit. 1968. 490, note H. Gaudemet-Tallon, JCP 1967.
658 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 72

II. 15293, note P. Lagarde), la Cour de cassation avait décidé qu’une telle clause
était valable lorsqu’elle dérogeait au privilège de juridiction des articles 14
et 15 du Code civil mais non lorsqu’elle tenait en échec les fors objectifs de
compétence posés par le Code du travail (lieu d’exécution du travail, lieu
de conclusion du contrat, domicile du salarié, établissement de l’employeur)
(Ch. mixte 28 juin 1974, Rev. crit. 1975. 110, note P. L., Clunet 1975. 82, 1re esp.,
note D. Holleaux, JCP 1974. II. 17881, note G. Lyon-Caen, Droit social 1975.
458, note H. J. Lucas, Rec. Gén. Lois 1975. 413, obs. Droz).
Le décret du 12 septembre 1974 ayant accru le nombre des chefs de com-
pétence territoriale, les possibilités de validité des clauses attributives de juri-
diction s’en trouvent restreintes d’autant. Aussi bien, la chambre sociale a-
t-elle assoupli sa position en énonçant que « dès lors que le contrat de travail
revêtait le caractère d’un contrat international, il s’ensuivait que les parties
avaient pu valablement déroger aux règles de l’article R 517-1 du Code du
travail » (Soc. 8 juil. 1985, Allard, Rev. crit. 1986. 113, note H. Gaudemet-
Tallon; Civ. 1re, 16 juin 1987, Air Afrique, Rev. crit. 1988. 78, 2e esp., note
H. Gaudemet-Tallon, D. 1988, Som. com. p. 341, 2e esp., obs. Audit; 8 mars
1988, Air Zaïre, Clunet 1988. 1041, 2e esp., note A. Lyon-Caen; Soc. 30 janv.
1991, Bull. V, no 41, p. 26; mais v. la réaffirmation de la solution stricte par
Soc. 7 mai 1987, Soc. des travaux d’outre-mer, Rev. crit. 1988. 78, 1re esp., note
H. Gaudemet-Tallon, D. 1988, Som. com. p. 341, obs. Audit). Il a été suggéré
que l’arrêt Allard signifierait qu’il serait désormais possible de déroger à la
compétence des tribunaux français lorsqu’elle repose sur les articles 14 et 15
du Code civil ou sur des chefs de compétence objectifs de faible intensité, tel
le lieu de conclusion du contrat, mais non lorsqu’elle se fonde sur la présence
en France du lieu d’exécution (H. Gaudemet-Tallon, note préc.; comp.
P. Mayer « Les clauses relatives à la compétence insérées dans les contrats de
travail », Mélanges D. Holleaux, 1990, p. 263 et s. qui considère qu’il faut pren-
dre en compte « toute la configuration spatiale de la situation »). Il n’est pas
indifférent de constater, si l’on suit cette interprétation, que le rattachement
fondant la compétence impérative est, en même temps, celui qui est générale-
ment retenu pour délimiter le domaine d’application dans l’espace de la légis-
lation du travail que beaucoup considèrent comme de police.
Assez curieusement, la Convention de Bruxelles ne prévoyait aucune dis-
position prohibant ou limitant les prorogations de compétence relatives à une
relation de travail (Gothot et Holleaux, op. cit., no 180, p. 107). En revanche,
elle comportait dès l’origine et plus encore dans sa version révisée en 1978,
des chefs de compétence particuliers au bénéfice des consommateurs (art. 13
et s., devenus art. 15 et s. du Règlement Bruxelles I) revêtant un caractère
d’ordre public, alors qu’en droit commun la mise à l’écart de l’article 48 du
Nouveau Code de procédure civile ne s’était, semble-t-il, accompagnée d’aucune
réserve au profit de cette catégorie. Cette discordance certaine entre le droit
commun et le droit conventionnel a disparu dès l’entrée en vigueur des Conven-
tions de Lugano (art. 17-5, Conv. de Lugano du 16 sept. 1988, Rev. crit.
1989. 157 et G. Droz, chron., Rev. crit. 1989, p. 25, no 36) et de San Sebastian
(art. 17, al. 6, Conv. de San Sebastian du 26 mai 1989, Rev. crit. 1990, p. 174
et G. Droz, chron., Rev. crit. 1990, p. 11; H. Gaudemet-Tallon, Les Conventions
72 CIE DE SIGNAUX ET ENTREPRISES ÉLECTRIQUES — CASS., 17 DÉC. 1985 659

de Bruxelles et de Lugano, no 142) et le Règlement Bruxelles I qui réserve sa


section 5 à la compétence en matière de contrats individuels de travail confirme
cette convergence.
Soulignons pour terminer que ces clauses ne devraient évidemment être
admises qu’à la condition qu’elles aient été connues de la partie à laquelle on
entend les opposer. À cet effet il a été suggéré de maintenir, au plan interna-
tional, l’exigence de forme posée par l’article 48 du Nouveau Code de procé-
dure civile (comp. art. 17, Convention de Bruxelles) (B. Audit, obs. préc.). En
admettant l’opposabilité au sous-traitant d’une clause attributive de juridiction
insérée dans les conditions générales auxquelles renvoyait le contrat principal,
la Cour de cassation ne paraît pas s’orienter dans cette voie.

III. La loi applicable aux accords d’élection de for

11 En l’espèce, la Cour de cassation affirme la validité de la clause attributive


de juridiction sans poser clairement la question de la loi applicable. Certes,
elle raisonne par rapport au droit français. Mais à quel titre l’applique-t-elle ?
Contractuels par leur source mais procéduraux par leur objet, les accords
d’élection de for suscitent de délicats problèmes de conflit de lois. Obéissent-
ils à la loi du contrat qui les contient, à une loi d’autonomie propre, à la loi
nationale des parties, à la loi du tribunal élu, à la loi du ou des tribunaux
exclus ? Autant de solutions qui ont tour à tour ou simultanément obtenu les
suffrages des auteurs (sur ces différentes solutions, v. H. Gaudemet-Tallon, op.
cit., nos 60 et s.; Ph. Guez, op. cit., nos 310 et s., p. 241 et s.). Néanmoins, il
semble aujourd’hui que la doctrine dominante s’oriente vers une solution
moyenne qui tienne compte de la double nature de l’institution (v. en se sens,
D. Holleaux, op. cit, nos 183 et s.; P. Mayer et V. Heuzé, no 301; Loussouarn,
Bourel et de Vareilles-Sommières, no 454-2; Kaufmann-Kohler, op. cit, p. 15
et s.; Batiffol et Lagarde, t. II, no 675; N. Coipel-Cordonnier, Les conventions
d’arbitrage et d’élection de for en dr. int. pr., thèse Louvain, éd. 1999). Elle
distingue, en effet, l’accord attributif, c’est-à-dire l’acte juridique, et l’objet de
l’attribution, c’est-à-dire la création de compétence. Comme tout contrat, l’accord
d’élection de for obéit quant à ses conditions de validité (consentement, etc…)
— et sous réserve des règles de conflit propres par exemple à la capacité — à
la loi d’autonomie qui sera normalement la loi applicable au contrat principal
dans lequel la clause est insérée. Mais en même temps, l’accord d’élection de
for influe sur la compétence d’organes juridictionnels. Or, on le sait, chaque
État étant seul maître de sa compétence, aucun État ne peut prétendre régler
la compétence des organes d’un autre État. Partant, la seule loi qui ait voca-
tion à admettre ou à refuser dans son principe, l’extension ou la restriction
conventionnelle de la compétence des tribunaux d’un État est celle de cet État
(P. Mayer et V. Heuzé, no 301; N. Coipel-Cordonnier, op. cit., no 39, nos 77
et s.). Le juge saisi n’analyse donc que sa propre compétence. Elu, il examine
l’efficacité de la désignation. Exclu, il détermine la validité de la dérogation.
Encore convient-il dans ce dernier cas, de subordonner la validité de l’exclu-
sion à l’efficacité de l’élection : en désignant un juge et en en écartant un
660 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 72

autre, les parties n’entendent pas, en effet, renoncer à tout recours à la justice.
« Reflet fidèle de la dualité inhérente à l’attribution de juridiction », cette dis-
tinction permet de sauvegarder une certaine sécurité juridique en évitant que
la validité de la manifestation de volonté que constitue la convention d’élec-
tion de for ne soit appréciée selon une loi qui varierait avec le tribunal devant
lequel est portée l’action (Kaufmann-Kohler, op. cit., p. 44-45 et 61).
L’arrêt ci-dessus reproduit peut parfaitement se concilier avec cette analyse.
Certes, le contrat était soumis à la loi libyenne et non à la loi française. Mais
précisément, c’était la licéité de l’accord d’élection de for en tant qu’il déro-
geait à la compétence des juridictions françaises, et non sa validité en tant
qu’acte juridique, qui était en question. Il était dès lors naturel que la cour rai-
sonne par application du droit français. Le fait que la juridiction libyenne
avait déjà accepté de connaître de l’affaire lui a évité de préciser les consé-
quences sur la compétence internationale des juridictions françaises, d’un éven-
tuel refus du tribunal étranger élu (rappr. Paris, 14 juin 1995, D. 1996, Som.
com. p. 170, obs. Audit).
Certains commentateurs ont cependant suggéré que cette décision pourrait
constituer le premier pas sur la voie de la consécration d’une nouvelle règle
matérielle de droit international privé, indépendante de la règle de conflit de
lois, à l’image de celle qui existe déjà à propos des accords compromissoires
(Civ. 1re, 4 juill. 1972, Hecht, préc.; sur les règles matérielles, v. supra, arrêt
Galakis, no 44; rappr. H. Gaudemet-Tallon, notes, Rev. crit. 1991. 138 et 605;
C. Blanchin, L’autonomie de la clause compromisoire : un modèle pour la clause
attributive de juridiction ? Trav. et recherches de Paris II, préf. H. Gaudemet-
Tallon, 1995; Ph. Guez, op. cit., nos 275 et s., p. 232 et s.). Cependant la Cour
de cassation ne paraît pas prête à entrer dans ces vues et préfère aujourd’hui
maintenir, avec la démarche conflictuelle, la distinction de l’admissibilité et
de la formation (selon les termes de N. Coipel-Cordonnier, op. cit.) ou de la
licéité et de la validité de la clause (selon ses propres mots, v. Civ. 1re, 3 déc.
1991, Cie Alliance, Rev. crit. 1992. 340, note H. Gaudemet-Tallon; rappr. TGI
Paris, 10 juill. 1991, Rev. crit. 1993. 54, note H. Gaudemet-Tallon, qui nie
l’autonomie de la clause attributive de juridiction).
12 En guise de conclusion, il convient de souligner que le droit commun des
clauses attributives de juridiction ne joue plus qu’un rôle résiduel, la plupart
des clauses dont les tribunaux français ont à connaître, relevant du droit com-
munautaire (art. 22, Règlement de Bruxelles I). Dès lors que le rapport de droit
à l’occasion duquel la clause a été conclue rentre dans le champ d’application
matériel du droit communautaire de la compétence (art. 1, Règlement de Bruxel-
les I), le droit commun ne trouve plus à s’appliquer que dans le cas où ni le
demandeur ni le défendeur n’ont leur domicile dans un État membre de l’Union
européenne.
73
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

3 mars 1987

(Rev. crit. 1988. 695, note M. Simon-Depitre,


JCP 1989. II. 21209, note E. Agostini)
Conflit transitoire de droit étranger. — Filiation. —
Article 311-14 du Code civil.

L’article 311-14 du Code civil, en disposant que l’établissement de la


filiation est régi par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance
de l’enfant, a entendu déterminer le droit applicable en considération de
la nationalité de la mère.
En cas de modification ultérieure de la loi étrangère désignée, c’est à elle
qu’il appartient de résoudre les conflits dans le temps.

(Leppert c/Mme Grauschopf et autres)

Faits. — En 1944, une Allemande donne naissance à un enfant naturel. Trente années
plus tard, celui-ci s’avise du changement législatif intervenu en Allemagne fédérale
avec l’entrée en vigueur le 1er juillet 1970 de la loi du 16 août 1969, laquelle abolissant
l’ancienne recherche judiciaire de paternité à portée simplement alimentaire permet
désormais l’établissement d’un véritable lien d’état avec effets successoraux. Cette impor-
tante modification l’amène en 1974 à intenter une action en recherche de paternité contre
les ayants cause du prétendu père, entre-temps décédé.
Mais ce qui, en la circonstance, donnait un intérêt concret à l’action, en faisait en
même temps toute la difficulté juridique. La règle de conflit de lois française désignant
la loi allemande, fallait-il appliquer celle-ci dans sa version ancienne ou nouvelle ? Les
juges du fond puisèrent leur réponse dans la lettre même de l’article 311-14 du Code
civil. Ce texte soumettant l’établissement de la filiation à la loi nationale de la mère au
jour de la naissance de l’enfant, ils retinrent la loi allemande en vigueur à cette date.
Un pourvoi fut formé.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Vu l’article 311-14 du Code civil; —
Attendu que Mme Leppert, de nationalité allemande, a mis au monde, le
26 août 1944, un enfant prénommé Manfred, Charles, Ernest; que Manfred Lep-
pert a, le 18 juin 1974, assigné Mme Tautenhahn, prise en sa qualité d’héritière
d’Alfred Tautenhahn, en recherche de paternité naturelle; que Mme Tauten-
hahn étant elle-même décédée le 30 juillet 1977, l’instance a été ultérieurement
reprise contre les consorts Grauschopf, Naett, Lindoerfer, ses légataires univer-
662 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 73

sels ; — Attendu que l’arrêt attaqué a déclaré la demande irrecevable aux motifs
qu’aux termes de l’article 311-14 du Code civil, la filiation est régie par la loi per-
sonnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant, c’est-à-dire la loi natio-
nale de la mère en vigueur au jour de la naissance de l’enfant; qu’il est constant
que la mère de Manfred Leppert est de nationalité allemande et que le Code
civil allemand en vigueur à la date du 26 août 1944 n’autorisait pas la recherche
judiciaire de la filiation naturelle mais uniquement la condamnation du père
présumé en qualité de débiteur d’aliments; que les dispositions actuelles du para-
graphe 1600 n du BGB, résultant de la loi du 19 août 1969 ne sont pas applica-
bles en la cause comme étant postérieures à la naissance; — Attendu, cepen-
dant, que l’article 311-14 du Code civil, en disposant que l’établissement de la
filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de
l’enfant, a entendu déterminer le droit applicable en considération de la natio-
nalité de la mère; qu’en cas de modification ultérieure de la loi étrangère dési-
gnée, c’est à cette loi qu’il appartient de résoudre les conflits dans le temps; —
Attendu qu’en statuant comme elle a fait, sans rechercher le contenu des dispo-
sitions transitoires de la loi allemande du 19 août 1969, la cour d’appel n’a pas
donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé :
Par ces motifs : — Casse.
Du 3 mars 1987. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Fabre, prés.; Camille Bernard, rapp.;
Charbonnier, av. gén. — SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, SCP de Chaisemartin, av.

OBSERVATIONS
1 Apportant pour la première fois une réponse dépourvue d’ambiguïté à la
question du conflit transitoire de droit étranger (I), cette décision donne, en même
temps, de précieuses indications sur la compréhension que la haute juridiction
se fait de la règle de conflit énoncée par l’article 311-14 du Code civil (II).

I. Le conflit transitoire du droit étranger

2 Deux grands types de conflit transitoire sont susceptibles de se présenter en


droit international privé.
Le premier, préalable au règlement du conflit de lois : en cas de change-
ment de la règle de conflit du for, il faut déterminer si la désignation du droit
applicable doit s’opérer en usant de la règle de conflit ancienne ou de la règle
de conflit nouvelle. C’est le « conflit transitoire de droit international » (Rou-
bier, « Les conflits de lois dans le temps en droit international privé », Rev.
crit. 1931. 45), encore nommé « conflit transitoire international » (Popoviliev,
« Le droit civil transitoire ou intertemporel », RTD civ. 1908. 462 et s.; Gavalda,
Les conflits dans le temps en droit international privé, 1955, p. 260; P. Grau-
lich, Rép. Dalloz dr. int., 1re éd., v° Conflits de lois dans le temps, no 5; B. Ancel,
Rép. Dalloz dr. int, 2e éd., v. Conflits de lois dans le temps, no 6; sur celui-ci,
v. supra, arrêt Ortiz-Estacio, no 62).
Le second, postérieur au règlement du conflit de lois : un droit étranger
ayant été désigné par la règle de conflit de lois du for, on constate qu’au sein
de celui-ci, une règle en remplace une autre. On est alors en présence d’un
conflit de lois dans le temps au sein de l’ordre juridique étranger souvent
73 LEPPERT — CASS., 3 MARS 1987 663

nommé « conflit transitoire de droit étranger » (Rigaux, « Le conflit mobile »,


Rec. cours La Haye, 1966, t. 1, p. 329 et s., spéc. p. 348; P. Mayer, no 247),
« conflit transitoire étranger » (H. Muir Watt, La fonction de la règle de conflit
de lois, thèse multigr., Paris II, 1985, p. 435, no 368; B. Ancel, Rép. préc.,
v° Conflits de lois dans le temps, no 32) ou encore « conflit international tran-
sitoire » (Graulich, Rép. préc., v° Conflits de lois dans le temps, no 6). C’est
d’une telle situation que les juges avaient à connaître dans la présente espèce.
3 Comme bien souvent dans notre discipline, les directives avancées par la
doctrine pour résoudre cette difficulté n’étaient guère homogènes. Selon un
courant majoritaire, il conviendrait d’appliquer le droit transitoire étranger
(v. not. Batiffol et Lagarde, t. I, no 334; Audit, no 306; Holleaux, Foyer et de la
Pradelle, nos 558 et s.; P. Mayer et V. Heuzé, no 247; Batiffol, « Sur l’applica-
tion des règles de conflit dans le temps du droit étranger », Festchrift für
Murad Ferid, 1978, p. 25). Plus souvent affirmée que justifiée tant elle paraît
évidente à ses partisans, cette solution n’en repose pas moins sur des bases
solides.
La règle de conflit du for ayant désigné le droit compétent pour régir telle
question de droit, celui-ci semble ensuite le mieux qualifié pour trancher la
difficulté née de la succession, en son sein, de deux règles de droit. La méthode
conflictuelle vise à distribuer les différents éléments de la relation entre diver-
ses lois conformément à la vocation effective de chacune d’elles (rappr. supra,
no 52 § 3). Dès lors, il convient d’admettre la conséquence qui se déduit de la
localisation de la question dans un ordre juridique étranger, à savoir l’obligation
de la traiter comme elle le serait dans cet ordre, c’est-à-dire en prenant en
compte, entre autres, ses règles de conflits de lois dans le temps. Qu’advien-
drait-il, au demeurant, de l’harmonie internationale des solutions — à la vérité,
idéal toujours hors d’atteinte mais dont il convient de se rapprocher plutôt que
de se détourner — si le juge du for appliquait une loi autre que celle qui se
trouve effectivement en vigueur à l’étranger ? De même qu’adviendrait-il de la
sécurité juridique si la règle sur laquelle les parties ont mutuellement modelé
leur conduite parce qu’elle était en vigueur au sein de l’ordre juridique avec
lequel la relation entretient les liens les plus étroits, n’était pas retenue par
l’interprète comme majeure de son syllogisme ? Allant plus loin, certains consi-
dèrent qu’il existe une véritable indivisibilité entre normes substantielles et
règles transitoires du droit étranger. C’est ainsi que, selon Niboyet, « elles
sont par rapport à la loi, ce que les ailes d’un aéronef peuvent être par rapport
à lui » (Traité, t. 3, no 986, p. 415). Tout au plus, dans cette conception, le
droit transitoire étranger pourrait-il être tenu en échec au cas où il heurterait
l’ordre public international. Ainsi en irait-il d’un texte dont la rétroactivité
serait dictée par des « considérations particulières par exemple d’ordre politi-
que ou racial » (Paris, 2 juill. 1954, Lamet, Rev. crit. 1954. 810, note Batiffol).
4 Prenant prétexte de ce que cette construction n’expliquerait qu’imparfaite-
ment une jurisprudence très diverse (sur celle-ci, v. P. Courbe, Les objectifs
temporels des règles de droit international privé, 1981, nos 189 et s., p. 189),
quelques auteurs ont entrepris de renverser la perspective. Pour eux, le conflit
664 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 73

né du changement de règles étrangères est international avant d’être transi-


toire. Il doit donc être résolu non comme un litige interne au droit étranger
mais comme un litige international, c’est-à-dire en ayant égard aux exigences
du système français de droit international privé. En d’autres termes, le juge
saisi n’a pas à imiter le juge étranger, mais à prendre en compte les intérêts
propres qu’il a en charge. Dans cette perspective, Ph. Francescakis s’est
demandé « s’il ne serait pas de meilleure méthode (…) de considérer l’élément
temps comme faisant partie intégrante de la règle de conflit ». S’ajouterait
ainsi au critère de rattachement dans l’espace, un critère de rattachement dans
le temps qui préciserait le moment auquel doit être considérée la loi étrangère
désignée (Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en
droit international privé, 1958, p. 190, note 1). Dans la même ligne de pensée,
M. Paul Graulich estime qu’« au lieu de chercher à compléter un rattachement
spatial par un rattachement temporel, on pourrait peut-être résoudre le second
problème en s’inspirant des idées qui ont permis de dégager la solution du pre-
mier en s’alignant sur les objectifs précis de la règle de conflit » (Rép. Dalloz
dr. int., 1re éd., v° Conflits de lois dans le temps, no 116; v. aussi Introduction
au droit international, 1978, nos 69 et s.). Cette idée a été reprise et amplifiée
par M. Patrick Courbe dans son importante thèse consacrée aux Objectifs tem-
porels des règles de droit international privé (v. aussi H. Muir Watt, op. cit.,
nos 352 et s., p. 421 et s.; Loussouarn, Bourel et de Vareilles-Sommières, no 225).
Bien que voisines, ces deux conceptions ne conduisent pas nécessairement au
même résultat. Ainsi, à raisonner sur l’article 311-16, alinéa 1 du Code civil
relatif à la légitimation (1), la précision temporelle « au jour où l’union a
été célébrée » conduirait à trancher le conflit en retenant la loi en vigueur à
cette date, alors que l’objectif de la règle — la faveur à la légitimation — per-
mettrait de retenir de la loi ancienne ou de la loi nouvelle, celle qui y satisfait
le mieux.

5 La controverse doctrinale ainsi retracée dans ses grandes lignes, il devient


aisé de comprendre les positions adoptées tant par la Cour de Colmar que par
la Cour de cassation. Pour la première, la difficulté née de la réforme du droit
allemand de la filiation devait être réglée au moyen de la précision temporelle
figurant dans l’article 311-14 du Code civil. En disposant que « la filiation est
régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant », le
législateur aurait entendu résoudre non seulement un conflit mobile mais
encore un éventuel conflit transitoire étranger. C’est dire que la Cour de Col-
mar fait ici siennes les analyses de Ph. Francescakis. La haute juridiction la
censure en des termes qui ne laissent place à aucune ambiguïté : « en cas de
modification (…) de la loi étrangère désignée, c’est à cette loi qu’il appartient
de résoudre les conflits dans le temps ». Sont ainsi consacrées les conceptions

(1) Art. 311-16, al. 1 : « Le mariage emporte légitimation lorsqu’au jour où l’union a été célé-
brée, cette conséquence est admise, soit par la loi régissant les effets du mariage, soit par la loi per-
sonnelle de l’un des époux, soit par la loi personnelle de l’enfant ». Ce texte a été abrogé par
l’ordonnance du 4 juillet 2005 sur la filiation.
73 LEPPERT — CASS., 3 MARS 1987 665

de la doctrine dominante : le champ d’application dans le temps de la loi étran-


gère est déterminé par son droit transitoire.
La solution doit être approuvée.
Certes, il paraît excessif de professer que normes substantielles et droit
transitoire étrangers sont, au sens propre du terme, indissociables. La prise en
compte des règles de conflit de lois dans le temps du droit étranger n’est pas
plus une « nécessité logique » que ne l’est celle de ses règles de conflit de lois
dans l’espace (supra, no 16 § 7). Mais, comme pour le renvoi, il paraît de meil-
leure méthode de partir du principe du respect des normes transitoires étrangè-
res, lequel permet de satisfaire certains objectifs généraux et notamment la
prévisibilité et l’harmonie internationale des solutions, quitte à lui apporter
d’éventuelles dérogations lorsque le besoin s’en fait sentir.
Les objectifs temporels que certains préconisent de rechercher dans les dif-
férentes règles de conflit sont au reste mal dénommés : loin d’inviter au respect
du principe prior tempore, potior jure ou d’exalter une bienfaisante unité du
droit dans l’instant, ils ne constituent que des objectifs matériels. Or ceux-ci ne
pèsent pas, en règle générale, de façon déterminante sur les choix effectués par
les règles de conflit traditionnelles lesquelles ont la réputation d’être indifféren-
tes au contenu de la loi désignée. À supposer qu’on la fasse sienne, cette direc-
tive n’est donc praticable avec un minimum de certitude que pour les règles à
coloration substantielle, telles les règles à rattachement alternatif (rappr.
B. Ancel, Rép. Dalloz dr. int. 2e éd., v° Conflits de lois dans le temps, no 45).
De manière plus générale, il est permis de s’interroger sur le bien-fondé
d’une théorie qui considère que la loi étrangère n’est jamais appliquée pour
elle-même, mais utilisée comme une pâte malléable ou comme un instrument
docile, au service des conceptions françaises de l’organisation de la société
privée internationale. Une telle analyse ne se concilie, en effet, que fort malai-
sément avec les solutions qui prévalent en d’autres domaines — interprétation
de la loi étrangère (supra, no 36 § 3), loi émanant d’un État étranger non
reconnu (supra, no 52 § 3) — lesquelles reposent sur l’idée que le juge du for
doit avoir égard à la réalité du droit appliqué à l’étranger.

II. L’article 311-14 du Code civil et le renvoi


6 En insérant dans le Code civil un article 311-14 qui dispose que « la filia-
tion est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de
l’enfant », le législateur français a non seulement entendu rompre avec notre
tradition jurisprudentielle (sur laquelle, v. obs. supra, no 21 § 2), mais encore
innover au moins partiellement par rapport aux solutions habituellement
reçues à l’étranger. De fait, si la soumission de la filiation naturelle à la loi
nationale de la mère a des correspondants en dehors de nos frontières, notam-
ment en République fédérale d’Allemagne (art. 20, Nouv. EGBGB), il n’en va
pas de même pour la filiation légitime.
Aussi bien le caractère insolite du rattachement choisi a-t-il donné très rapi-
dement naissance à une controverse assez vive : au cas où la loi étrangère
désignée par la règle française de conflit dénierait sa compétence, faudrait-il
prendre en compte le renvoi qu’elle opère à la loi française ou à une loi tierce ?
666 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 73

Très vite le débat prit un tour passionnel. Pour les rares partisans de la
réforme, le renvoi devait être exclu. Au cas contraire, en effet, l’innovation
qu’ils approuvaient aurait été tenue en échec toutes les fois qu’elle conduisait
à une solution différente de celle habituellement reçue (Massip, Morin et Aubert,
La réforme de la filiation, no 206, note 106; M. Simon-Depitre et J. Foyer, Le
nouveau droit international privé de la filiation, no 25). Pour les adversaires
de la réforme, le renvoi devait être admis. Ainsi reviendrait-on à des « solutions
plus réalistes » présentant de meilleures « chances d’être reconnues à l’étran-
ger » (Batiffol et Lagarde, t. II, no 461; v. aussi « L’improvisation de nouvelles
règles de conflits en matière de filiation », Rev. crit. 1972. 1 et s., spéc. p. 7;
Ponsard, « La loi française du 3 janvier 1972 et les conflits de lois en matière de
filiation », Clunet 1972. 765; P. Mayer et V. Heuzé, no 615; Fadlallah, La famille
légitime en droit international privé, nos 306 et s.; B. Audit, no 728; B. Ancel,
note Rev. crit. 1980. 564; Derruppé, note Clunet 1983. 591; Gutmann, no 188).
Enfin, cultivant l’originalité, un auteur se prononça pour la réforme et pour le
renvoi (Malaurie, « La législation de droit international privé en matière de sta-
tut personnel », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1975-1977, p. 177 et s., spéc. p. 187).
7 Si dépassant ces a priori, on considère les arguments échangés, on constate
que ceux-ci sont d’inégale valeur. À s’en tenir à ceux qui sont spécifiques à
la question étudiée, on fait valoir à l’encontre du renvoi que « si le législa-
teur avait songé (à celui-ci), ç’aurait été pour l’écarter » (M. Simon-Depitre et
J. Foyer, op. cit., no 25). Outre qu’il laisse perplexe sur le sérieux du travail
législatif accompli et la compétence de ceux qui s’y adonnèrent, un tel argu-
ment n’emporte guère la conviction. Doit-on faire prévaloir une hypothétique
volonté du législateur alors que celui-ci disposait d’un moyen simple d’éviter
le renvoi puisqu’il lui suffisait de viser la loi « interne » et qu’il n’en a pas
usé ? Mais précisément, toujours selon les adversaires du renvoi, il existerait
dans le texte même de l’article 311-14 « un indice important de la volonté du
législateur de voir appliquer une loi interne et non une règle de conflit »; celui-
ci résulterait du commandement d’appliquer la loi personnelle de la mère « au
jour de la naissance de l’enfant » (J. Foyer, note Clunet 1977. 665). Là encore,
l’argumentation est singulièrement faible. N’est-ce pas à propos de la règle de
conflit qui soumet les successions mobilières à la loi du dernier domicile du
défunt que le principe même du renvoi fut posé (arrêt Forgo, supra, no 7-8) et
son fondement précisé (v. not. Req. 9 mars 1910, Soulié, DP 1912. 1. 262,
rapp. Denis; Civ., 7 mars 1938, supra, no 16) ? En dépit de la faiblesse des
arguments qui la sous-tendent, la thèse de l’exclusion du renvoi fut consacrée
par la Cour de Paris au motif que l’article 311-14 procède à une « désignation
directe et impérative de la loi étrangère » (Paris, 11 mai 1976, D. 1976. 633,
note Massip, Rev. crit. 1977. 109, note Fadlallah, Clunet 1977. 656, note
J. Foyer; 20 janv. 1986, Rev. crit. 1988. Somm. p. 828; comp. Paris 15 mars
1994, D. 1994, IR p. 122; v. aussi Lyon 31 oct. 1979, Clunet 1981. 54, note
J. Foyer, Rev. crit. 1980. 558, note B. Ancel; rappr. TGI Paris, 29 nov. 1994,
Rev. crit. 1997. 403, 3e esp., note Jacques Foyer qui écarte le renvoi en repre-
nant la même motivation mais à propos de l’art. 311-17, ce qui témoigne d’une
singulière confusion des méthodes; contra TGI Paris, 20 avr. 1982, Clunet
73 LEPPERT — CASS., 3 MARS 1987 667

1983. 583, note Derruppé, Rev. crit. 1984. 290, note Jacques Foyer). On ne
s’étonnera pas dès lors de la position retenue par la Cour de Colmar dans la
présente affaire. Celle-ci est, en effet en parfaite harmonie avec celle de la juri-
diction parisienne. L’article 311-14 du Code civil donne compétence au seul
droit interne étranger à l’exclusion de ses règles de conflit, qu’elles en délimi-
tent le domaine dans l’espace ou dans le temps. Mais la logique qui animait les
juges du fond conduit à se demander si, en censurant la seconde solution, la
haute juridiction n’a pas implicitement remis en cause la première. D’une part,
en effet, l’arrêt Leppert fait définitivement justice de l’argument qu’on préten-
dait déduire de la précision temporelle figurant dans l’article 311-14; celle-ci a
pour seul objet de résoudre un éventuel conflit mobile. D’autre part et surtout,
il permet de dissiper les doutes que certains entretenaient sur la nature de la
règle de conflit qu’il énonce. Usant d’un rattachement abstraitement défini,
elle désigne la loi applicable en raison non de sa « teneur » mais de sa « voca-
tion » (Louis-Lucas, « Vue simplifiée du renvoi, Rev. crit. 1964. 1). C’est dire
qu’on ne saurait prétendre écarter le renvoi au prétexte qu’il risquerait de
remettre en cause la désignation d’une loi dont les dispositions matérielles
consacrent la solution recherchée par l’auteur de la règle. Valable pour la règle
de conflit figurant à l’article 311-17 du Code civil laquelle présente un carac-
tère substantiel marqué, l’argument ne l’est pas pour une règle de conflit de
facture classique comme celle qu’énonce l’article 311-14. Pas plus pertinente
ne serait l’argumentation qui développerait l’idée que la règle de l’article 311-14
repose plus sur la notion de proximité que sur celle d’allégeance et que le rat-
tachement choisi est le meilleur parce que la mère est au centre de la relation
(P. Lagarde, Rev. crit. 1988. 53). Un tel argument prouverait trop « car le choix
d’un rattachement quelconque est toujours fondé sur ce que l’auteur de la
règle, qu’il s’agisse des tribunaux ou du législateur, l’estime le meilleur »
(P. Mayer et V. Heuzé, no 615).
Ensuite et surtout, si l’idée de proximité peut justifier la mise à l’écart du
renvoi lorsqu’elle s’incarne dans une règle qui requiert pour se réaliser l’inter-
vention de son destinataire (loi qui présente les liens les plus étroits, clause
d’exception,…), car on ne saurait admettre que soit ruiné le travail sur mesure
accompli par celui-ci, il n’en va pas de même lorsqu’elle s’exprime à travers
un rattachement abstraitement défini, sauf à remettre en cause le principe
même du renvoi (supra, no 52 § 12). Or consacré, en ce domaine, par l’arrêt
Sommer (Civ., 8 déc. 1953, Rev. crit. 1955. 133, note Motulsky, JCP 1954.
II. 8080), celui-ci s’y révèle aujourd’hui plus utile encore que par le passé.
Il permet, en effet, de corriger la localisation quelque peu irréaliste à laquelle
conduit parfois le rattachement retenu par le législateur (pour un exemple
v. Y. Lequette, note, Rev. crit. 1989. 74 et s.).
8 En parfaite harmonie avec la structure de la règle de conflit énoncée par
l’article 311-14 du Code civil, l’admission du renvoi l’est également avec
l’esprit même de la loi du 3 janvier 1972. On sait, en effet, que celle-ci est,
pour l’essentiel, formée de dispositions qui, tels l’article 311-15 ou la règle à
coloration substantielle de l’article 311-17, assurent une prépondérance mar-
quée à la loi française et par là même transforment le droit international privé
668 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 73

de la filiation en une sorte d’« instrument de valorisation du droit interne »


(Jacques Foyer, « Problèmes de conflits de lois en matière de filiation », Rec.
cours La Haye, 1985, t. IV, p. 13 et s.; Y. Lequette, « Aspects récents de l’évo-
lution du droit de la famille », Trav. Capitant 1988, p. 467 et s., spéc. p. 475
et s.). Comment dans un tel contexte, admettre la mise à l’écart du renvoi au
1er degré alors que celui-ci repose sur l’idée que « l’homogénéité de la loi
interne importe plus que celle des règles de conflit » ? (Batiffol et Lagarde, t. I,
no 305). Quelle serait, en effet, la logique d’un système qui aurait multiplié les
dispositions dérogatoires afin d’étendre le domaine de la loi française sur la
filiation et qui récuserait le moyen que lui offre le droit commun pour parvenir
à ce même résultat ?
Aussi bien, en refusant de suivre la Cour de Colmar sur le terrain des conflits
transitoires étrangers, la haute juridiction s’est-elle engagée dans une voie qui
devrait, semble-t-il, la conduire à réaffirmer le principe du renvoi. Dès lors, en
effet, que la règle de conflit issue de l’article 311-14 désigne non seulement le
droit substantiel étranger mais aussi ses règles de conflit dans le temps, il en
va de même, en bonne logique, de ses règles de conflit dans l’espace (v. en ce
sens, F. Hage-Chahine, « L’article 311-14 du Code civil et la règle étrangère
de conflit dans le temps et dans l’espace », Clunet 1990. 73 et s).
74-78
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

11 et 18 octobre 1988, 4 décembre 1990 et 26 mai 1999

I. — Civ. 1re, 11 octobre 1988, Rev. crit. 1989. 368 et chr. Y. Lequette, p. 277,
Clunet 1989. 349, note D. Alexandre et chr. D. Bureau, 1990, p. 317,
Rép. Defrénois 1989. 310, obs. Massip.
II. — Civ. 1re, 18 octobre 1988, Rev. crit. 1989. 368 et chr. Y. Lequette, p. 277,
Clunet 1989. 349, note D. Alexandre, et chr. D. Bureau, 1990, p. 317,
JCP 1989. II. 21259, note Prévault.
III. — Civ. 1re, 4 décembre 1990, Rev. crit. 1991. 558, note M.-L. Niboyet-Hoegy,
Clunet 1991. 371, note D. Bureau.
IV. — Civ. 1re, 26 mai 1999, Rev. crit. 1999. 707, 1re esp., note H. Muir Watt,
Gaz. Pal. 2000, nos 61 et 62, p. 39, obs. M.-L. Niboyet.
V. — Civ. 1re, 26 mai l999, Rev. crit. 1999. 707, 2e esp., note H. Muir Watt,
JCP 1999. II. 10192, note F. Mélin, Defrénois 1999. 1261, obs. Massip.

Applicabilité d’office de la règle de conflit. —


Loi étrangère. — Office du juge.

En déboutant une mère algérienne de son action en recherche de pater-


nité par application de la loi française sans rechercher d’office quelle
suite devait être donnée à cette action en application de la loi algérienne,
loi personnelle de la mère, alors que l’article 311-14 du Code civil donne
compétence à celle-ci et que l’article 12, alinéa 1 du Nouveau Code de pro-
cédure civile oblige le juge à trancher le litige conformément aux règles de
droit qui lui sont applicables, une cour d’appel a violé les textes susvisés
(1er arrêt).
En annulant une donation déguisée consentie par un de cujus domicilié
en Suisse, par application de la loi française, sans rechercher, au besoin
d’office, quelle suite devait être donnée à cette action en application de la
loi helvétique alors qu’en vertu des principes du droit international privé les
libéralités entre vifs sont soumises à la loi successorale, c’est-à-dire s’agis-
sant d’une succession mobilière à la loi du dernier domicile du défunt pour
tout ce qui concerne les règles protectrices des héritiers, spécialement celles
relatives à la réserve héréditaire, et alors que l’article 12, alinéa 1 du Nou-
veau Code de procédure civile oblige le juge à trancher le litige conformé-
670 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

ment aux règles de droit qui lui sont applicables, une cour d’appel a violé
les textes et principes susvisés (2e arrêt).
Lorsque les parties n’ont pas invoqué d’autres lois que celles spécialement
tirées du droit français en une matière qui n’est soumise à aucune conven-
tion internationale et où elles ont la libre disposition de leurs droits, il ne
saurait être reproché aux juges du fond de ne pas avoir procédé d’office à
la recherche de la loi applicable au fond (3e arrêt).
S’agissant des droits dont les parties ont la libre disposition, une cour
d’appel a légalement justifié sa décision sur le fondement de la loi française,
dès qu’aucune des parties n’avait invoqué la Convention de La Haye du
15 juin 1955 pour revendiquer l’application d’un droit étranger (4e arrêt).
En accueillant une action en recherche de paternité sur le fondement de
l’article 340 du Code civil français, sans rechercher, d’office, quelle suite
devait être donnée à l’application de la loi personnelle de la mère, qui,
selon les éléments de la procédure, était titulaire d’une carte de résident,
la cour d’appel a méconnu les exigences des articles 311-14 et 3 du Code
civil (5e arrêt).

Faits. — Traitée initialement sur le mode de la trilogie (supra, no 32 à 34), la ques-


tion de l’autorité de la règle du conflit de lois relève désormais d’une dramaturgie plus
complexe qui s’exprime à travers l’exercice nouveau de la « pentalogie ». Au vrai, chacune
de ces séries recouvre des lignes d’évolution fort différentes. Alors que dans la pre-
mière, (arrêts Bisbal, Compagnie algérienne de crédit, Bertoncini, supra, no 32 à 34) la
succession des décisions exprime un certain affinement des solutions, elle recouvre
dans la seconde une curieuse valse-hésitation : portant la question de l’autorité de la
règle de conflit à ce qui pouvait paraître son point d’achèvement, les deux premières
décisions ci-dessous reproduites s’opposent aux trois suivantes qui la ramènent bien
près de son point de départ.
Les deux premières affaires n’étaient pas sans présenter une certaine parenté, sinon
dans leurs faits proprement dits, du moins dans leur configuration procédurale. On y
était, en effet, en présence de situations internationales relevant manifestement d’après
les règles de conflit de lois françaises, d’une loi étrangère. Mais si l’élément d’extra-
néité qui commandait la désignation du droit étranger était, à l’évidence, connu des juges
dans l’un et l’autre cas puisqu’il s’agissait, dans le premier, de la nationalité de la mère
laquelle doit figurer dans l’assignation (art. 56, NCPC), dans le second du dernier domi-
cile du de cujus, le conflit de lois n’avait été soulevé par aucune des parties devant les
juges du fond. Ici s’arrête, au demeurant, la ressemblance.
Dans la première affaire, une Algérienne avait, en violation des règles du droit fran-
çais, contracté en France avec un de ses compatriotes un mariage en la seule forme
coranique (sur cette pratique v. Civ. 1re, 4 avr. 1978, Clunet 1979. 353, note Y. Lequette;
15 mars 1988, Defrénois 1988. 1012, obs. Massip). Après six mois de vie commune, le
« mari » apprenant que sa femme était enceinte l’avait chassée. Celle-ci avait alors
introduit contre le prétendu père une action en recherche de paternité naturelle sur le
fondement de l’article 340 du Code civil. Accueillie par les premiers juges qui avaient
retenu l’existence d’une séduction dolosive et fait procéder à une expertise sanguine qui
concluait que la probabilité de paternité du père prétendu était supérieure à 99,978 %,
cette demande fut repoussée en appel au motif que l’existence d’un des cas d’ouverture
de l’action en recherche de paternité prévu par l’article 340 du Code civil n’était pas
rapportée en l’espèce, la jeune femme ne démontrant pas qu’elle avait été séduite.
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 671

Comme le note M. Massip dans ses observations, une telle solution apparaît quelque
peu « stupéfiante » (Defrénois 1989. 311). Mais sur le terrain du droit interne français
l’arrêt échappait à la censure de la Cour de cassation, l’appréciation de la valeur des
preuves produites relevant du pouvoir souverain des juges du fond. Restaient alors les
possibilités offertes par le droit international privé français puisque l’article 311-14 du
Code civil soumet l’action en recherche de paternité à la loi nationale de la mère, loi
algérienne en l’occurrence. Mais le pourvoi n’invoquant pas l’application de cette loi, la
seule voie ouverte à la haute juridiction pour censurer cette décision était de découvrir
dans la non-application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit française un
moyen de pur droit que l’article 1015 du Nouveau Code de procédure civile lui permet
de relever d’office. Ce qu’elle fit.
Les données de la deuxième affaire étaient plus techniques. Un Suisse domicilié en
Suisse avait consenti à sa maîtresse une donation déguisée. Après le décès du donateur,
sa fille avait demandé la nullité de la libéralité. Les juges du fond la lui avaient accordée
par application du droit français. Un pourvoi avait été formé qui soutenait que la loi
suisse était applicable en tant que loi du dernier domicile du défunt régissant la succes-
sion mobilière de celui-ci (Civ., 19 juin 1939, Labedan, supra, no 18) et plus particuliè-
rement les règles de la réserve héréditaire.
Sensiblement différente était la troisième affaire. Si l’élément d’extranéité y était
également manifeste, il n’était, en revanche, pas aussi évident qu’elle dût obéir à une loi
étrangère. En l’espèce, la Société française Vesoul Transports avait été choisie par la
Société Transports affréteurs de la Sienne, également française, pour transporter des
Pays-Bas en Espagne un chargement de viande de porc vendu par la société Coveco
dont le siège social est aux Pays-Bas, aux Etablissements Jamones Sala domiciliés en
Espagne. Estimant la viande avariée, les autorités vétérinaires espagnoles refusèrent
l’entrée du chargement en Espagne. Une expertise ayant révélé que le dommage était dû
au mauvais fonctionnement du camion et à la négligence du chauffeur, les Sociétés
Coveco, Jamones Sala, et Transports affréteurs de la Sienne agirent en responsabilité
contre la Société Vesoul Transports. Le Tribunal de grande instance de Vesoul leur donna
gain de cause. Mais en appel la société Coveco se vit dénier par la Cour de Besançon son
droit à agir en réparation. Selon le droit français des assurances, la demanderesse ne
pouvait plus agir en son nom propre dès lors qu’elle avait été totalement indemnisée par
son assureur. Afin d’échapper à cette règle, la société Coveco prétendait que son intérêt
à agir et par suite l’existence de son droit d’action devait s’apprécier au regard du droit
néerlandais qui régissait le contrat conclu avec son assureur. Le pourvoi soulevait donc
une question particulièrement délicate, celle de la loi applicable aux conditions du droit
d’agir en justice et spécialement à l’appréciation de l’existence de l’intérêt à agir (sur
ces problèmes, v. F. Terré, « Les conflits de lois en matière d’action en justice », Trav.
com. fr. dr. int. pr. 1964-1966, p. 111; M. L. Niboyet-Hoegy, L’action en justice dans les
rapports internationaux de droit privé, 1986). Répondant à la question qui lui était
posée, la haute juridiction saisit en même temps l’opportunité que lui offrait cette affaire
pour infléchir sa position sur la question de l’autorité de la règle de conflit. Aussi bien,
figurant dans ce recueil pour cette seule raison, cette décision y sera-t-elle analysée de
ce seul point de vue.
Quant aux deux dernières affaires, elles constituent un tout, en raison de leur complé-
mentarité. La haute juridiction a, en effet, choisi de traiter le même jour deux pourvois
ayant trait à des espèces, certes fort différentes mais dont le rapprochement lui permet-
tait de préciser aussi exactement et complètement que possible les contours de la doc-
trine qu’elle entend désormais faire prévaloir en matière d’autorité de la règle de conflit
de lois. Les hauts magistrats ayant clairement laissé entendre que le « fil conducteur »
de leur nouvelle jurisprudence résidait dans la nature des droits litigieux (Lemontey et
672 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

Rémery, « La loi étrangère dans la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation »,


Rapport de la Cour de cassation 1993, p. 81, spéc. p. 85), les arrêts analysés sont fort
logiquement intervenus le premier à propos de droits disponibles, le second à propos de
droits indisponibles.
Et de fait, dans la quatrième affaire, les droits litigieux étaient à l’évidence disponi-
bles. Un silo à grains, vendu par la société armoricaine de modernisation, s’étant effondré,
l’acquéreur fut indemnisé par la société des Mutuelles du Mans, assureur du vendeur.
Désireux de rentrer dans ses fonds, l’assureur exerça un recours en garantie contre
l’importateur du silo, la société suisse Gutzwiller, et contre le fabricant, la société alle-
mande Selz. La Cour d’appel le débouta de ces recours en garantie par application de la
loi française. Le conflit de lois n’avait été soulevé par aucune des parties, mais l’extra-
néité de l’importateur et du fabricant résultait des pièces du dossier. Devant la Cour de
cassation, l’assureur invoquait la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi
applicable à la vente internationale d’objets mobiliers corporels (sur les difficultés sou-
levées par l’application de cette convention aux rapports acheteur-fabricant, v. Civ. 1re,
10 oct. 1995, Rev. crit. 1996. 332, note V. Heuzé, D. 1996, Som. com. 171, obs. B. Audit)
et reprochait aux juges du fond de ne pas en avoir fait application d’office conformé-
ment à la jurisprudence Coveco.
Dans la cinquième affaire enfin, les droits des parties étaient, au contraire, clairement
indisponibles. Une femme de nationalité marocaine ayant donné naissance le 7 mai
1991 à un enfant prénommé Saby forma contre M. Belaid A. une action en recherche de
paternité sur le fondement des articles 340 et suivants du Code civil (réd. L. 8 janv.
1993). Elle obtint gain de cause devant les juges du fond « sur la foi de plusieurs témoi-
gnages attestant d’une liaison de plusieurs années, qui s’était poursuivie alors que la
mère était déjà enceinte, et compte tenu des résultats d’une expertise sanguine » (Mas-
sip, Defrénois 1999, p. 1262). M. Belaid A. se pourvut en cassation. Il reprochait aux
juges du fond d’avoir fait application de la loi française alors que l’article 311-14 donne
compétence en matière d’établissement de la filiation à la loi nationale de la mère. Pré-
cisons qu’aucune des parties n’avait, devant les juges du fond, soulevé le conflit et qu’il
n’était pas fait mention dans les pièces du dossier de la nationalité marocaine de la
mère. L’extranéité de celle-ci résultait seulement de ce que, née au Maroc, elle avait jus-
tifié de son identité par la présentation d’une carte de résident.

1er ARRÊT
(Rebouh c/Bennour)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que Melle Rebouh reproche à
l’arrêt attaqué, statuant sur une action en recherche de paternité, d’avoir été
prononcé en chambre du conseil alors qu’en application des dispositions combi-
nées des articles 450 et 1149 du Nouveau Code de procédure civile, il aurait dû
l’être en audience publique; — Mais attendu que, selon l’article 458 du même
code, aucune nullité ne peut être ultérieurement soulevée pour l’inobservation
des formes prescrites relativement à la publicité du prononcé des jugements si
elle n’a pas été invoquée au moment de ce prononcé par simples observations
dont il est fait mention au registre d’audience, ce qui n’est pas allégué en
l’espèce; que la mention de l’arrêt selon laquelle l’affaire a été mise en délibéré
pour l’arrêt rendu le 14 avril 1986 établit que, contrairement aux allégations du
moyen, les parties avaient été averties de la date du prononcé de la décision;
que le moyen est donc sans fondement; — Le rejette;
Mais sur le moyen relevé dans les conditions prévues par l’article 1015 du
Nouveau Code de procédure civile : — Vu l’article 311-14 du Code civil, ensemble
l’article 12, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile; — Attendu qu’aux
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 673

termes du premier de ces textes, la filiation est régie par la loi personnelle de la
mère au jour de la naissance de l’enfant; qu’en vertu du second, le juge doit
trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables; —
Attendu que Melle Nadia Rebouh, de nationalité algérienne, a donné nais-
sance à un enfant de sexe féminin le 3 juillet 1977, qu’elle a formé une action
en recherche de paternité contre M. Laïb Bennour; que l’arrêt attaqué l’a
déboutée de sa demande au motif que la preuve d’un concubinage notoire ou
d’une séduction à l’aide d’une promesse de mariage, cas d’ouverture à l’action
prévus par les 2° et 4° de l’article 340 du Code civil français, invoqués par la
mère, n’était pas rapportée; — Attendu qu’en se déterminant ainsi sans recher-
cher, d’office, quelle suite devait être donnée à l’action en application de la loi
algérienne, loi personnelle de la mère, la cour d’appel a violé les textes susvisés;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen du
pourvoi; — Casse.
Du 11 octobre 1988. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Ponsard, prés.; Massip, rapp.; Char-
bonnier, av. gén. — SCP Riché, Blondel et Thomas-Raquin, av.

2e ARRÊT
(Schule c/Philippe)
La Cour; — Attendu que le 5 août 1977, Max Brunner, président-directeur
général de la société anonyme dénommée « Société alsacienne d’importation
de café », dite SATI, avait cédé 92 actions de cette société à sa maîtresse,
Mme Schule, moyennant le prix de 699 200 F, stipulé payable comptant à
concurrence de 460 000 F et le solde en deux fractions, l’une de 100 000 F, le
1er août 1981, et l’autre de 139 200 F, le 1er août 1982; que, le 19 août 1977,
Mme Schule avait donné à sa banque, le Crédit industriel d’Alsace et de Lor-
raine, l’ordre de virer au compte de Max Brunner à l’agence de Schaffhouse
(Suisse) de l’Union des banques suisses, la somme de 460 000 F français, repré-
sentant la première fraction du prix de cession des actions; que trois jours plus
tard, Max Brunner faisait ouvrir à la Banque cantonale de Schaffhouse un
compte personnel au nom de Mme Schule sur lequel il faisait virer, le 24 août
1977, une somme de 224 940 F suisses, représentant la contre-valeur, à cette
date, des 460 000 F français qu’il avait reçus de Mme Schule, le 19 août précé-
dent ; qu’il est décédé le 20 avril 1978, laissant pour seule héritière sa fille,
Marie-Thérèse, épouse Philippe; que cette dernière, ne retrouvant aucune trace
dans la succession de son père de la somme de 460 000 F, représentant la pre-
mière fraction du prix de cession des actions de la société Sati, a fait assigner
Mme Schule pour faire juger que la cession de ces actions dissimulait, sous la
forme d’une vente, une donation consentie par son père à sa maîtresse et faire
déclarer nulle cette donation déguisée; que l’arrêt infirmatif attaqué, retenant
que les diverses opérations du mois d’août 1977 traduisaient clairement l’inten-
tion de Max Brunner d’avantager sa maîtresse au préjudice de sa fille légitime,
sous l’apparence d’une vente fictive, et en infraction à la législation sur les chan-
ges, a condamné Mme Schule à restituer à la succession de Max Brunner les
92 actions au porteur de la société Sati ayant fait l’objet de la cession du 5 août
1977, ainsi que les dividendes produits par ces actions depuis le 25 août 1977 et
les intérêts légaux de ces dividendes à compter de leur distribution;
Sur le premier moyen : — Attendu que Mme Schule reproche à l’arrêt attaqué
d’avoir ainsi statué, alors que la qualification de donation déguisée ne pouvant
être retenue qu’en présence d’une dissimulation cherchant à créer une appa-
rence trompeuse, la cour d’appel, qui avait constaté que la somme de 460 000 F,
représentant la première fraction du prix de cession des actions, avait été osten-
siblement versée à Max Brunner et que celui-ci avait tout aussi ostensiblement
674 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

versé une somme équivalente à Mme Schule quelques jours plus tard, ne pou-
vait, sans violer les articles 1582 et 1099, alinéa 2, du Code civil, décider qu’il
s’agissait d’une donation déguisée; — Mais attendu que les juges du second
degré ont estimé, par une appréciation souveraine, que les opérations du mois
d’août 1977 présentaient un caractère unique d’où il résultait que la même
somme de 460 000 F, entrée dans le compte de Max Brunner en était immédiate-
ment ressortie pour créer un compte du même montant, exprimé en francs suis-
ses, à la Banque cantonale de Schaffhouse au profit de Mme Schule; qu’ils ont
pu voir dans le rapprochement de ces opérations simultanées, dont le but était
de créer une apparence trompeuse, la dissimulation constitutive de la donation
déguisée, d’où il suit que le moyen n’est pas fondé; — Le rejette;
Mais sur le deuxième moyen : — Vu l’article 3 du Code civil et les principes du
droit international privé qui gouvernent le droit des successions et des libérali-
tés, ensemble l’article 12 du Nouveau Code de procédure civile; — Attendu que
les libéralités entre vifs sont soumises à la loi successorale pour tout ce qui
concerne les règles protectrices des droits des héritiers, spécialement celles rela-
tives à la réserve héréditaire, et que les successions mobilières sont régies par la
loi du dernier domicile du défunt; — Et attendu que le juge doit trancher le
litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables; — Attendu que,
pour annuler la donation déguisée consentie par Max Brunner à Mme Schule,
l’arrêt retient que la dissimulation opérée avait eu pour objet de priver l’enfant
légitime d’une partie de la succession de son père; — Attendu qu’en statuant
ainsi, alors que Max Brunner avait son dernier domicile en Suisse, sans recher-
cher, au besoin d’office, quelle suite devait être donnée à l’action de Mme Phi-
lippe en application de la loi helvétique, la cour d’appel a violé les textes et les
principes susvisés;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen : —
Casse.
Du 18 octobre 1988. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Ponsard, prés.; Barat, rapp.;
Mme Flipo, av. gén. — SCP Boré et Xavier, SCP de Chaisemartin, av.

3e ARRÊT
(Soc. Coveco et autres c/Soc. Vesoul transports et autre)
La Cour; — Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la société
Vesoul transports a été choisie par la société Transports affréteurs de la Sienne
pour transporter, par route, des Pays-Bas en Espagne un chargement de viande
vendu CAF par la société néerlandaise Coveco à la société Jamones Sala; que la
marchandise a été refusée pour l’entrée en Espagne lors du contrôle sanitaire;
que l’arrêt attaqué (Besançon, 15 févr. 1989) a déclaré la société Coveco irrece-
vable à agir en réparation de son préjudice, aux motifs qu’elle avait été indem-
nisée par son assureur;
Sur le premier moyen : — Attendu qu’il est reproché à cet arrêt d’avoir ainsi
statué alors, selon le moyen, que l’intérêt à agir s’apprécie au regard de la loi
applicable au fond que le juge doit rechercher d’office; qu’en faisant applica-
tion de la loi française et en énonçant que la société Coveco n’invoque l’applica-
bilité d’aucune autre règle de droit pour en déduire qu’elle n’est pas autorisée à
agir au nom de l’assureur qui l’a indemnisée, sans rechercher si la loi néerlan-
daise régissant le contrat de la société Coveco avec son assureur était applicable,
la cour d’appel a violé l’article 12 du Nouveau Code de procédure civile, l’arti-
cle 3 du Code civil ainsi que les principes de droit international privé gouvernant
la procédure; — Mais attendu que l’exigence d’un intérêt né et actuel est com-
mandée, en raison de son caractère procédural, par la loi du for, la loi applicable
au fond n’étant à prendre en considération que si elle n’accorde pas de droits à
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 675

celui qui agit en justice; — Et attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt
attaqué que les parties, et particulièrement la société Coveco, n’ont pas invoqué
sur ce point d’autres lois que celles spécialement tirées du droit français en une
matière qui n’était soumise à aucune convention internationale et où la société
Coveco avait la libre disposition de ses droits; — D’où il suit que le moyen ne
peut être accueilli;
Sur le second moyen : — Attendu qu’il est fait grief à la cour d’appel d’avoir
statué comme elle a fait alors, selon le moyen, qu’en relevant que le libellé des
conclusions de la société Coveco démontre que les assureurs ont indemnisé
celle-ci et en énonçant que, contrairement à ce que soutient cette société, la
jurisprudence par elle citée décide que l’assuré, dans la mesure où il a été désin-
téressé par l’assureur, ne peut plus exercer contre le responsable les droits dans
lesquels ce dernier a été subrogé, elle a divisé l’aveu et violé l’article 1356 du
Code civil; — Mais attendu que, dans ses conclusions, la société Coveco exposait
que « le fait que les assureurs l’aient indemnisée n’implique pas qu’elle n’ait
plus le droit d’agir à son nom mais pour le compte des assureurs »; qu’en rete-
nant, à la fois, le fait de l’indemnisation et qu’aucune disposition légale ou
conventionnelle n’autorise la société Coveco à agir au nom de l’assureur qui l’a
indemnisée, la cour d’appel n’a aucunement divisé l’aveu comme le prétend le
moyen qui, dès lors, est sans fondement;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 4 décembre 1990. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. C. Bernard, f. f. prés.; Lemontey,
rapp., Mme Flipo, av. gén. — Me Ryziger et SCP Le Bret et Laugier, av.

4e ARRÊT
(Soc. Mutuelle du Mans IARD c/M. Boedec et autres)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Attendu que la société Mutuelle du
Mans IARD, condamnée en qualité d’assureur de la société Armoricaine de
modernisation (ARMO) à indemniser M. Boedec des conséquences de l’effondre-
ment d’un silo à grains fourni par la société ARMO, fait grief à l’arrêt attaqué
(Rennes, 6 mars 1996) de l’avoir déboutée de ses recours en garantie dirigés
contre la société suisse Gutzwiller, importateur du silo, et la société allemande
Selz, fabricant, en application du droit français, sans se prononcer, au besoin
d’office, sur la loi compétente pour régir le recours en garantie par application
de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à
caractère international d’objets mobiliers corporels; — Mais attendu que s’agis-
sant de droits dont les parties ont la libre disposition, la cour d’appel a légale-
ment justifié sa décision sur le fondement de la loi française, dès lors qu’aucune
des parties n’avait invoqué la Convention de La Haye du 15 juin 1955 pour
revendiquer l’application d’un droit étranger.
Sur le second moyen : (sans intérêt).
Par ces motifs : — Rejette.
Du 26 mai 1999. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Lemontey, prés., Ancel, rapp., Gaunet,
av. gén. — SCP Boré et Xavier, SCP Célice, Blancpain et Soltner, Me Spinosi, SCP Vincent et Ohl,
Me Vuilton, av.

5e ARRÊT
(M. Belaid A. c/Mme E)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Vu l’article 311-14 du Code civil, ensem-
ble l’article 3 du Code civil; — Attendu qu’aux termes du premier de ces textes,
676 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de


l’enfant; que, selon le second, il incombe au juge français, pour les droits indis-
ponibles, de mettre en application la règle de conflit de lois et de rechercher le
droit étranger compétent; — Attendu que Mme E. a donné naissance, le 7 mai
1991, à un enfant prénommé Samy-Benlaïd Daoud; qu’elle a formé contre
M. Belaid A. une action en recherche de paternité fondée sur l’article 340 du
Code civil français; que l’arrêt attaqué a accueilli sa demande; — Attendu qu’en
statuant ainsi, sans rechercher, d’office, quelle suite devait être donnée à
l’action en application de la loi personnelle de la mère, qui, selon les éléments
de la procédure, était titulaire d’une carte de résident, la cour d’appel a méconnu
les exigences des textes susvisés;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens : —
Casse.
Du 26 mai 1999. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Lemontey, prés., Durieux, rapp., Gau-
net, av. gén. — SCP Boré et Xavier, Me Jacoupy, av.

OBSERVATIONS
1 Selon Paul Lerebours-Pigeonnière, la jurisprudence avance en « dents de
scie ». Enoncée devant le Comité français de droit international privé à la suite
de la communication présentée par le Doyen Maury sur « La condition de la
loi étrangère en droit français » (Trav. com. fr. dr. int. pr. 1948-1952, p. 135),
cette remarque reçoit, près de cinquante ans plus tard, à propos de cette même
question, une illustration éclatante. En effet, après avoir longtemps posé que la
règle de conflit de lois présentait pour le juge français un caractère facultatif
lorsqu’elle désignait une loi étrangère (arrêts Bisbal et Compagnie algérienne
de crédit, supra, nos 32 et 33), la haute juridiction consacre, par deux arrêts
des 11 et 18 octobre 1988, la solution contraire pour revenir ensuite, mais en
deux temps à une solution proche de sa position initiale. On décrira ici le phé-
nomène (I), avant de tenter d’apprécier la valeur des solutions qui en sont
issues (II).

I. Une « dent de scie »

A. — De la faculté à l’obligation

2 On sait que la Cour de cassation a, dans son arrêt Bisbal (supra, no 32),
décidé que « les règles françaises de conflits de lois en tant du moins qu’elles
prescrivent l’application d’une loi étrangère, n’ont pas un caractère d’ordre
public, en ce sens qu’il appartient aux parties d’en réclamer l’application et
qu’on ne peut reprocher aux juges du fond de ne pas appliquer d’office la loi
étrangère et de faire, en ce cas, appel à la loi interne française laquelle a voca-
tion à régir tous les rapports de droit privé ». Elle a ainsi jeté les bases d’une
théorie de l’autorité de la règle de conflit laquelle varierait selon qu’est dési-
gnée la loi française ou la loi étrangère : la règle de conflit a dans le premier
cas un caractère d’ordre public qu’elle perd dans le second. Il en résulte que le
juge n’est tenu d’appliquer la règle de conflit désignant une loi étrangère que
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 677

si l’un des plaideurs le lui demande, faute de quoi il lui est cependant loisible
de le faire. En d’autres termes, le juge a la faculté, mais non l’obligation, en
l’absence d’allégation de l’une ou l’autre des parties relative au droit compé-
tent, d’appliquer d’office la règle de conflit lorsqu’elle désigne une loi étran-
gère. En dépit des nombreuses critiques que cette solution suscita, la haute
juridiction la maintint pendant près de trente ans. Tout au plus laissa-t-elle par-
fois entendre que l’application de la loi étrangère cesse d’être facultative pour
devenir obligatoire lorsque la matière faisant l’objet du litige est d’ordre public
(v. not. Soc. Thinet, Civ. 1re, 24 janv. 1984, Rev. crit. 1985. 89, note P. Lagarde,
Clunet 1984. 874, note J.-M. Bischoff, Grands arrêts dr. int. pr., 2e éd., no 61).
3 Néanmoins par deux arrêts des 11 et 18 octobre 1988, les arrêts Rebouh et
Schule, il sembla que la haute juridiction s’était enfin persuadée que la règle de
conflit de lois était une règle comme les autres. Elle y affirme, en effet, que le
juge est tenu d’appliquer d’office la règle de conflit française alors même
qu’elle désigne une loi étrangère. La faculté se transforme en obligation, le
pouvoir en devoir. Le message paraît clair. D’une part, ces décisions sont
dépourvues de toute ambiguïté : elles prononcent la cassation pour violation
de la loi et non pour manque de base légale, elles sont revêtues de tous les
attributs de l’arrêt de principe et, au moins pour la première, le moyen tiré de
la non-application de la règle de conflit de lois y est relevé d’office. D’autre
part, la haute juridiction use de l’ensemble des ressources qui s’offrent à
elle pour préparer et accompagner un tel changement. Effet d’annonce tout
d’abord : à plusieurs reprises la haute juridiction avait indiqué que la question
était au cœur de ses préoccupations et qu’elle entendait à plus ou moins brève
échéance revenir sur sa jurisprudence. Visant l’article 12, alinéa 1 du Nouveau
Code de procédure civile, elle avait déjà par deux fois affirmé l’obligation pour
le juge d’appliquer d’office la loi étrangère. Il est vrai que ces décisions
n’étaient pas sans laisser subsister certaines interrogations, dans la mesure où
elles avaient été rendues à propos de règles de conflit à la physionomie parti-
culière : règles à finalité matérielle pour la première (Civ. 1re, 25 nov. 1986,
Ameur, Rev. crit. 1987. 383, note B. Ancel et Y. Lequette, JCP 1988. II. 20967,
note P. Courbe, Defrénois 1987. 772, obs. Massip, D. 1987, Som. com. p. 351,
obs. Audit), règles unilatérales pour la seconde (Civ. 1re, 25 mai 1987, Clunet
1987. 927, note H. Gaudemet-Tallon, Rev. crit. 1988. 60, note Y. Lequette,
JCP 1988. II. 20976, note P. Courbe). Mais précisément les arrêts des 11 et
18 octobre 1988 paraissaient bien rétrospectivement dissiper toute incertitude.
Effet de répétition ensuite : désireuse de marquer le prix qu’elle attache à la
solution qu’elle pose, la Cour de cassation use d’un procédé plus spectaculaire
qu’à l’accoutumée et, semble-t-il, encore inédit en matière de conflit de lois;
rassemblant quelques pourvois appelant une réponse analogue, elle rend une
série d’arrêts qui énoncent tous la même solution de principe. Ainsi le modèle
proposé à l’imitation des juges du fond l’est-il avec plus de solennité. Effet de
promotion enfin : soucieux de focaliser l’attention de la communauté des juris-
tes sur l’importance du revirement ainsi réalisé, André Ponsard, Président de la
Première chambre civile, lui consacre une étude publiée en tête du Rapport
annuel de la Cour de cassation pour 1989 dans laquelle il met en relief ses
678 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

traits essentiels (« L’office du juge et l’application du droit étranger », repro-


duite in Rev. crit. 1990. 607 et s.).
4 Aussi bien, cette conjonction d’éléments permettait-elle de dissiper d’emblée
la plupart des doutes qui auraient pu s’insinuer à la faveur d’un revirement
d’une si vaste ampleur. Affirmée à propos de litiges dont la solution requérait
la mise en œuvre de règles de conflit de facture classique — filiation (Civ. 1re,
11 oct. 1988; art. 311-14, C. civ.), succession mobilière (Civ. 1re, 18 oct. 1988;
loi du dernier domicile du défunt) —, l’obligation d’appliquer d’office la loi
étrangère l’avait été également dans des espèces où étaient en cause des règles
à la configuration originale : règle de conflit à coloration matérielle (Civ. 1re,
25 nov. 1986 préc. — art. 311-16, al. 1), règle de conflit unilatérale (Civ. 1re,
25 mai 1987 préc. — art. 310). Énoncée à propos de règles de conflit d’ori-
gine législative — art. 311-14, 311-16, 310, C. civ. — elle l’avait été aussi
lorsqu’étaient en cause des règles de conflit jurisprudentielles (succession
mobilière). Posée dans des cas où la matière du litige est d’ordre public —
filiation, divorce — elle l’avait été également dans des hypothèses où les par-
ties ont la libre disposition de leurs droits. Ainsi en allait-il plus particulière-
ment dans l’arrêt Schule du 18 octobre 1988. En effet si la réserve est d’ordre
public, l’héritier protégé peut, postérieurement à l’ouverture de la succession,
renoncer à son droit (Terré et Lequette, Les successions, Les libéralités, 3e éd.,
no 1027). C’est dire que l’obligation d’appliquer d’office la loi étrangère
jouait quelles que soient la source — conventionnelle, législative, jurispruden-
tielle —, la structure — bilatérale, unilatérale, à finalité matérielle — de la
règle de conflit, quelle que soit également la nature des droits — disponibles
ou non — qui étaient l’enjeu du litige (rappr. Ponsard, art. préc., Rev. crit. 1990,
p. 611 et 615). Seules restaient pendantes des questions périphériques de celle
de l’autorité de la règle de conflit et qui avaient trait, d’une part, à sa force
obligatoire à l’égard des parties (v. Y. Lequette, Rev. crit. 1989. 300 et s.),
d’autre part et surtout, à la preuve de la loi étrangère. Cette dernière interroga-
tion était d’autant plus pressante qu’en faisant jouer l’application d’office à
propos de règles de conflit unilatérales et de règles de conflit à finalité maté-
rielle pour lesquelles il est impossible de dissocier désignation et connaissance
du droit étranger (v. Rev. crit. 1989. 321 et s.) et en affirmant dans les arrêts
Rebouh et Schule, l’obligation pour le juge de rechercher « quelle suite devait
être donnée à l’action en application de la loi » étrangère, la haute juridiction
semblait s’engager dans une voie qui pouvait la conduire à plus ou moins long
terme à remettre en cause, peu ou prou, la jurisprudence Lautour-Thinet (Rev.
crit. 1989. 333 et s., supra no 19 § 8 et infra, no 82-83).

B. — De l’obligation à la faculté

5 Adopté à l’initiative du Président Ponsard, ce revirement de jurisprudence


ne devait pas survivre à son auteur (v. cherchant à atténuer l’ampleur du revire-
ment, J. Lemontey et J.-P. Ancel, « André Ponsard, un internationaliste à la
Cour de cassation », Études A. Ponsard, 2003, p. 207 et s., spéc. p. 211). Lors
d’une table ronde organisée par le Comité français de droit international privé
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 679

pour essayer de préciser le régime juridique de la loi étrangère après les arrêts
Rebouh et Schule (séance du 23 nov. 1990) une voix particulièrement autorisée
suggéra que la jurisprudence Bisbal demeurait, sauf lorsque la règle de conflit
avait son origine dans une convention internationale ou lorsque les parties
n’avaient pas la libre disposition de leurs droits (Lemontey, intervention, Trav.
com. fr. dr. int. pr. 1990-1991, p. 32). Aussi bien, la Cour de cassation devait-elle
faire sienne cette doctrine quelques jours plus tard. Elle affirma, en effet, dans
un arrêt Société Coveco du 4 décembre 1990 que « les juges du fond ne sont
pas obligés d’appliquer d’office la loi étrangère dès lors que les parties, et
particulièrement (le demandeur) n’ont pas invoqué sur ce point d’autres lois
que celles spécialement tirées du droit français en une matière qui n’était
soumise à aucune convention internationale et où (le demandeur) avait la
libre disposition de ses droits ». En d’autres termes, la règle de conflit revêt
un caractère facultatif sauf lorsqu’elle a sa source dans une convention
internationale ou qu’elle porte sur une matière impérative. Survenu dans un
laps de temps anormalement bref, ce nouveau revirement de jurisprudence
témoigne de l’inconvénient qu’il peut y avoir à ce qu’une solution soit le
produit, plus de l’empire qu’une forte personnalité exerce sur une formation
juridictionnelle que d’une délibération et d’une décision véritablement col-
légiales. Cette personnalité disparue, la juridiction renoue avec ses pratiques
antérieures.
6 S’efforçant de préserver l’acquis des arrêts des 11 et 18 octobre 1988, cer-
tains auteurs ont néanmoins tenté de minimiser la portée de l’arrêt Société
Coveco en soulignant que les circonstances de l’espèce étaient particulières, la
loi étrangère y étant prise en considération et non à proprement parler appli-
quée (P. Mayer, 4e éd., no 146). La réitération de cette solution (v. not. Civ.1re,
10 déc. 1991, Sarkis, Rev. crit. 1992. 313, note H. Muir Watt; 18 déc. 1990,
Soc. Menegatti, JCP 1992. II. 21824, note D. Ammar) devait montrer qu’il
s’agissait non d’un arrêt d’espèce mais d’un « arrêt de consolidation » : réaf-
firmant la solution Bisbal, il l’assortissait des tempéraments qui étaient censés
la rendre tolérable.
Mais, à l’usage, il apparut assez rapidement que la jurisprudence Société
Coveco était loin d’atteindre les objectifs que le pragmatisme de ses promo-
teurs lui avait fixés. Alors que la Cour de cassation était animée par le souci
d’alléger la charge incombant aux juges du fond, le système retenu par l’arrêt
Société Coveco conduisait à un curieux résultat : la réaffirmation du caractère
facultatif de la règle de conflit dans les matières où les parties sont maîtresses
de leurs droits, qui était l’instrument de cet allégement, était vidée de l’essen-
tiel de sa portée par le caractère obligatoire reconnu par le même arrêt aux
règles de conflit d’origine conventionnelle. Et de fait, les matières où les parties
ont le plus souvent la libre disposition de leurs droits (contrats, responsabilité
civile, régimes matrimoniaux) sont en même temps celles où s’appliquent des
règles de conflit d’origine conventionnelle à caractère universel (Conv. de
Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux contrats; Conv. de La Haye du
4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation routière; Conv.
de La Haye du 2 oct. 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des
680 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

produits; Conv. de La Haye du 14 mai 1978 sur la loi applicable aux régimes
matrimoniaux). Le principe était ainsi paralysé par une exception dont on
verra dans la deuxième partie de ce commentaire que son fondement théori-
que était lui-même fort peu assuré (infra, § 10). Aussi le régime dérogatoire
dont bénéficiaient les règles de conflit d’origine conventionnelle était-il l’objet
de critiques doctrinales convergentes (B. Fauvarque-Cosson, Libre disponibi-
lité des droits et conflits de lois, thèse Paris II, éd. 1996, nos 207 et s., p. 130 et s.,
et réf. citées).
7 C’est dire qu’en décidant que les règles de conflit d’origine conventionnelle
ne présentent plus un caractère obligatoire dès lors qu’elles interviennent dans
un domaine où les droits sont disponibles, l’arrêt Mutuelle du Mans opère un
revirement de jurisprudence qui était souhaité. Or curieusement, ce revirement
de jurisprudence, bien qu’il ait pu apparaître rétrospectivement comme annoncé
par certains « soubresauts » jurisprudentiels (H. Muir Watt, Rev. crit. 1999. 707;
v. notamment Civ. 1re, 5 déc. 1995, La Préservatrice foncière, Rev. crit. 1996.
100, note B. Fauvarque-Cosson; 1er juill. 1997, Driss Abdou, Rev. crit. 1998.
60, 1re esp., note P. Mayer, D. 1999. 275, note Massip, qui ne tirent pas les
conséquences du statut privilégié d’une règle de conflit d’origine convention-
nelle quant aux obligations des juges du fond en ce qui concerne la recherche
de la teneur de la loi étrangère; v. aussi Civ. 1re, 5 janv. 1999, Rev. crit. 1999.
297, note P. Lagarde, qui s’abstient de relever d’office la Convention de
La Haye du 4 mai 1971), n’avait pas été pressenti par la doctrine (P. Lagarde,
Rev. crit. 1999. 297), au point qu’on a pu parler à son propos de « coup de
théâtre » (B. Fauvarque-Cosson, « Le juge français et le droit étranger »,
D. 2000. 125). Une telle situation s’explique sans doute par la fermeté affichée
des hauts magistrats en faveur de l’application d’office des règles de conflit
d’origine conventionnelle (Lemontey et Rémery, Rapport préc., p. 81).
Désireuse de réduire au maximum les supputations et les interrogations qui
accompagnent tout revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a choisi
de répondre le même jour aux pourvois formés contre deux décisions interve-
nues dans des domaines très différents, contrat pour la première, état des
personnes pour la deuxième. On est alors en présence d’arrêts de concert pro-
duisant non plus à proprement parler un effet de répétition mais un effet de
complémentarité. Grâce à l’association de ces deux affaires, la haute juridic-
tion est, en effet, en mesure de présenter aussi complètement que possible sa
nouvelle doctrine : privant par son premier arrêt les règles de conflit d’origine
conventionnelle de l’autorité privilégiée dont elles bénéficiaient, elle confirme
par son deuxième arrêt la vitalité de l’exception tirée de la nature indisponible
des droits litigieux. En d’autres termes, la nature disponible ou indisponible
des droits litigieux devient le « paramètre exclusif » qui commande l’office du
juge en matière internationale : facultative lorsque les droits litigieux sont dis-
ponibles, la règle de conflit de lois est obligatoire lorsqu’ils ne le sont pas
(H. Muir Watt, Rev. crit. 1999. 709).
8 La mise en parallèle des deux premières et des deux dernières décisions ci-
dessus reproduites est, au reste, riche d’enseignements. Reproduction presque
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 681

fidèle de l’arrêt Rebouh (à l’exception du remplacement dans le visa de l’art. 12


du Nouv. C. proc. civ. par l’art. 3, C. civ.), l’arrêt Belaïd A. n’est qu’un pale
reflet de la jurisprudence Rebouh. La différence tient au contexte jurispru-
dentiel dans lequel chacune de ces décisions est intervenue. Complété une
semaine plus tard par l’arrêt Schule qui réaffirmait la même solution dans un
domaine où les droits litigieux étaient à la disposition des parties puisqu’il
s’agissait de droits patrimoniaux acquis, l’arrêt Rebouh apparaissait comme
l’expression d’un principe général, celui de l’obligation pour les juges du fond
d’appliquer d’office les règles de conflit de lois. Rendu le même jour que
l’arrêt Mutuelle du Mans d’où il résulte que les juges du fond ne sont pas obli-
gés d’appliquer d’office les règles de conflit de lois lorsque les droits litigieux
sont disponibles, l’arrêt Belaïd A. n’est plus que la manifestation d’un des
deux principes concurrents qui gouvernent la matière; rendu dans un litige où
les droits des parties étaient indisponibles, il édicte une obligation qui ne vaut
que pour cette hypothèse. On perçoit ainsi que, lorsque la haute juridiction
a décidé d’user de l’effet de complémentarité, un arrêt ne prend sa véritable
signification que considérée à la lumière de son jumeau.

II. Appréciation de cette évolution

9 Les multiples rebondissements qu’a connus la question de l’autorité de la


règle de conflit au cours de ces dernières années portent à s’interroger non seu-
lement sur le bien fondé de l’état présent de la jurisprudence mais aussi sur
celui de certaines de ses étapes intermédiaires. La vraie question qui est celle
du caractère facultatif ou obligatoire de la règle de conflit de lois (B), a, en effet,
été un temps obscurci par une seconde interrogation tenant à l’incidence de
l’origine internationale de la règle de conflit (A).

A. — Une fausse question : le prétendu caractère obligatoire


des règles de conflit d’origine conventionnelle

10 Tout en posant que la règle de conflit est facultative ou obligatoire selon que
les parties sont ou non maîtresses de leurs droits, la haute juridiction avait,
dans l’arrêt Société Coveco, précisé que la règle de conflit avait un caractère
toujours obligatoire lorsqu’elle avait sa source dans une convention internatio-
nale. Autrement dit, peu importait alors la nature disponible ou non des droits
litigieux; l’origine internationale de la règle de conflit suffisait à lui conférer
un caractère obligatoire. La haute juridiction cristallisait ainsi en une formule
tranchée une solution qui avait déjà connu, à l’état diffus, de multiples appli-
cations, soit que la Cour de cassation censure les décisions n’ayant pas fait
application d’office des règles contenues dans un traité (Civ., 15 juill. 1811,
S. chr. 1811. 1. 317; Crim., 18 févr. 1971, Rev. crit. 1973. 671, note Gothot et
Holleaux; Civ. 1re, 6 juin 1990, Bull. civ. I, no 137; v. depuis Civ. 1re, 18 déc.
1990, préc.), soit qu’elle souligne l’origine nationale de la règle de conflit pour
rejeter les pourvois dirigés contre les arrêts qui ne l’ont pas appliquée (Civ. 1re,
9 mars 1983, JCP 1984. II. 20295, note P. Courbe; 4 mars 1986, D. 1987,
682 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

Som. com. p. 345, obs. Audit; 10 mai 1988, Clunet 1988. 1007, note Kahn).
Le fondement théorique de cette solution était pourtant loin d’être assuré, qu’on
le recherche du côté de la procédure civile ou du droit international public.
11 À se placer sur le seul terrain de la procédure civile, rien ne paraît, en effet,
devoir justifier la position éminente qui est ainsi reconnue aux conventions
internationales. Comme le soulignent les auteurs, « une fois en vigueur, les
normes conventionnelles doivent être appliquées à l’instar des autres normes
qui constituent le droit français » (P. Mayer, 4e éd., no 36), leur « inobservation
étant sanctionnée de la même manière que celle de la loi » (Dehaussy, J.-Cl. dr.
int., fasc. 12 A, nos 85 et s.). Sans doute la supériorité du traité sur la loi est-elle
aujourd’hui affirmée par les juridictions judiciaires (v. arrêt Jacques Vabre,
supra, no 55) et administratives (v. arrêt Nicolo, supra, no 56) qui se considè-
rent comme les destinataires directs de l’article 55 de la Constitution. Mais
cette disposition n’a d’intérêt qu’en cas de conflit avec un texte interne. S’agis-
sant de l’application même des conventions, celle-ci « s’intègre normalement
dans la mission générale de dire le droit car une fois introduit dans l’ordre
interne, le traité comme la constitution, les lois, les règlements, les actes contrac-
tuels ou unilatéraux, pénètre dans l’ordonnancement juridique que le juge a le
devoir naturel de garantir et de mettre en œuvre » (Nguyen Quoc Dinh,
Daillier et Pellet, Droit international public, 3e éd., no 154, p. 216; rappr.
M. L. Niboyet-Hoegy, « La mise en œuvre du dr. int. pr. conventionnel », Mélan-
ges Perrot, 1996, p. 313 et s., spéc. p. 316). Cette analogie paraît d’autant plus
s’imposer que, comme on l’a justement souligné, les conventions internationa-
les ne traitent pas, sauf disposition expresse assez rare, du problème de l’office
du juge face aux règles du traité (M. L. Niboyet-Hoegy, note Rev. crit. 1991.
566). Laissée à l’appréciation de chaque État, la question doit être résolue par
application de son droit commun, c’est-à-dire pour la France, de l’article 12,
alinéa 1 du Nouveau Code de procédure civile (en ce sens, Gothot et Holleaux,
note Rev. crit. 1973. 674). Il n’est donc de ce point de vue aucune raison de
conférer un statut privilégié aux conventions diplomatiques. Aussi bien, a-t-on
entrepris d’expliquer la différence de traitement dont elles bénéficient par des
considérations propres à ces dernières. Ainsi Niboyet avait cru pouvoir décou-
vrir celles-ci dans l’idée que les dispositions issues des conventions internatio-
nales sont « par hypothèse (…) préférables au droit commun » car les États ont
voulu améliorer celui-ci par celles-là (Traité, t. III, no 1064). Mais à supposer
même que le droit conventionnel soit de meilleure qualité que le droit interne,
ce qui reste à démontrer, il n’y a pas là matière à fonder une véritable obliga-
tion juridique.
12 Aussi, est-ce plutôt en prenant appui directement sur le droit international
public que certains ont entrepris de découvrir le fondement de cette obligation
du juge : le défaut d’application d’un traité étant de nature à engager la respon-
sabilité internationale de l’État, le juge serait obligé d’en faire application,
quelle que soit par ailleurs la teneur de son office à l’égard des règles d’origine
nationale (Lemontey, intervention, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1990-1991, p. 32).
S’il n’est pas exclu que la méconnaissance d’une convention internationale par
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 683

le juge suscite une certaine effervescence diplomatique, il n’en reste pas moins
que l’hypothèse reste fort théorique. En dépit du très grand nombre de déci-
sions ayant omis d’appliquer d’office, en matière de conflit de lois, des règles
d’origine conventionnelle, on ne peut citer aucune affaire ayant donné lieu à la
mise en cause de la responsabilité internationale de l’État. Même l’affaire Boll
souvent invoquée, y compris par nous même (Grands arrêts, 3e éd., p. 578),
pour illustrer une telle éventualité n’est pas significative; le débat y portait, en
effet, non sur l’absence d’application d’office de la Convention de La Haye de
1902, mais sur le fait qu’invoquée par la partie néerlandaise, elle avait été écar-
tée par le juge suédois (sur cette affaire, v. Batiffol et Francescakis, « L’arrêt
Boll de la Cour internationale de justice et sa contribution à la théorie du droit
international privé », Rev. crit. 1959. 259). Cette situation n’est pas fortuite.
Elle s’explique par le fait que l’omission d’une convention internationale rela-
tive aux conflits de lois ne saurait suffire à engager la responsabilité internatio-
nale de l’État. Il y faut en sus la démonstration que ce défaut d’application a
conduit à causer au ressortissant d’un État contractant un préjudice (privation
d’un droit subjectif, déni de justice) pour lequel cet État accepte de faire jouer
sa protection diplomatique et pour lequel la France accepte la juridiction de la
Cour. À supposer cette double acceptation acquise, il faudrait démontrer pour
obtenir gain de cause que l’application de la loi désignée par la règle de conflit
conventionnelle aurait permis d’accueillir la prétention de celui qui s’estime
victime de ce préjudice. Or il est rare, si vraiment la loi normalement compé-
tente permet d’obtenir satisfaction, qu’un plaideur fasse l’impasse sur celle-ci.
Et s’il l’a faite, c’est-à-dire s’il ne s’est pas prévalu devant les juges du fond de
la loi applicable en vertu d’une convention internationale, il ne devrait pouvoir
s’en prendre qu’à lui-même et ne saurait donc engager la responsabilité inter-
nationale de l’État (H. Muir Watt, Rép. Dalloz dr. int., 2e éd., v° Loi étrangère,
nos 48 et s.). C’est dire que le problème se pose en termes très différents selon
qu’on est en présence d’un refus d’application par le juge français d’une
convention internationale invoquée par l’une des parties ou d’une absence
d’application d’office de cette même convention.
Le droit français n’est, au reste, pas resté indifférent à la première éventua-
lité. Il prévoit, en effet, qu’au cas où les tribunaux français auraient un compor-
tement qui risque de gêner le pouvoir exécutif dans la conduite des relations
extérieures de la France, notamment en écartant une convention internationale
qui engage « l’honneur de la nation qui (l’)a signé(e) » (P. G. Matter, Gaz.
Pal. 1936. 1, p. 572, 1re col.), les décisions qui en seraient le fruit seraient pas-
sibles d’un recours en cassation pour excès de pouvoir (v. M. Bauer, Le droit
public étranger devant le juge du for, thèse multigr., Paris II, 1979, nos 396
et s., p. 348 et s.). Réservé au Procureur Général près la Cour de cassation qui
l’exerce sur ordre du Garde des sceaux, ce recours a pour but de sanctionner
l’atteinte au principe de la séparation des pouvoirs qui résulterait d’une telle
attitude (Boré, La cassation en matière civile, no 3709, p. 1100). Il traduit « le
souci de préserver l’organisation constitutionnelle en maintenant les juges
dans les limites de leurs attributions et non pas celui de faire appliquer d’office
le droit conventionnel » (B. Fauvarque-Cosson, Libre disponibilité des droits
et conflits de lois, thèse Paris II, éd. 1996, no 220, p. 137); il est, au reste, très
684 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

rarement utilisé (Req. 5 févr. 1936, S. 1936. 1. 151; Civ. 1re, 6 juill. 1954, Rev.
crit. 1954. 612, note Lenoan; 4 juin 1955, Rev. crit. 1956. 66, note Batiffol,
JCP 1955. II. 8777).
Ainsi conduisant à des résultats pratiques absurdes (supra, § 6, et plus
encore Grands arrêts, 3e éd., 1998, p. 578 et s.), l’application d’office des règles
de conflit d’origine conventionnelle était, en outre, dépourvue de tout fonde-
ment théorique solide. Il faut donc se féliciter de ce que, par son arrêt Mutuelle
du Mans du 26 mai 1999, la haute juridiction ait mis fin à une solution qui
contribuait à obscurcir une question déjà délicate. Il a récemment été soutenu
(A. Verdot, « L’applicabilité de la règle de conflit de lois d’origine conven-
tionnelle en question », D. 2006, p. 260) que la Première chambre civile aurait
renoué avec la jurisprudence Soc. Coveco par deux arrêts des 9 décembre 2003
(Bull. civ. I, no 251) et 31 mai 2005 (Rev. crit. 2005. 465, note P. Lagarde). C’est
là, semble-t-il, commettre une confusion : la haute juridiction se contente de
rappeler que lorsque les juges du fond exercent la faculté que leur reconnaît la
jurisprudence Mutuelle du Mans, dans les matières où les droits sont disponi-
bles, il leur faut user de la bonne règle de conflit.

B. — Le vrai problème : le caractère facultatif ou obligatoire


de la règle de conflit de lois

13 Une fois évacué l’élément de complexité qu’avait introduit, de manière inop-


portune, l’arrêt Société Coveco en faisant référence à l’origine conventionnelle
de la règle de conflit, on retrouve les termes essentiels du débat. Lorsque l’élé-
ment d’extranéité, générateur du conflit de lois, n’a pas été spécialement invo-
qué par l’une des parties, mais est révélé incidemment par la consultation des
pièces du dossier, le juge peut-il ou doit-il faire application de la règle de con-
flit de lois ? La question est l’objet d’un débat classique dont les termes ont été
rappelés dans les observations figurant sous les arrêts Bisbal, Compagnie algé-
rienne de crédit et Bertoncini (supra, no 32-34). On ne le reprendra donc pas
ici. Rappelons seulement que la jurisprudence a d’abord adopté, par rapport à
ce débat, une attitude très tranchée. Adepte initialement du tout facultatif, elle
a ensuite consacré le tout obligatoire. Alors que, sous l’empire de la jurispru-
dence Bisbal le juge n’est jamais obligé de relever d’office l’élément d’extra-
néité et de faire application de la règle de conflit, il « doit », selon les arrêts
Rebouh et Schule, trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui
sont applicables. En bref, par un mouvement de balancier, la haute juridiction
a adopté une thèse puis son contraire.
Désireuse de trouver un point d’équilibre entre ces extrêmes, elle rompt
dans ses arrêts du 26 mai 1999 avec cette politique du tout ou rien et emprunte à
chacun des courants jurisprudentiels précédents une partie de sa nouvelle doc-
trine. À l’image de ce que décidait l’arrêt Bisbal, l’arrêt Mutuelle du Mans
prévoit que le juge n’est pas obligé d’appliquer d’office la règle de conflit de
lois. Mais cela ne vaut que lorsque les parties ont la libre disposition des
droits litigieux. À l’image de ce que décidaient les arrêts Rebouh et Schule,
l’arrêt Belaïd A. prévoit que le juge est obligé d’appliquer d’office la règle de
conflit de lois. Mais cela ne vaut que là où les parties n’ont pas la libre dispo-
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 685

sition des droits litigieux. L’office du juge est donc commandé par la nature
des droits litigieux.
14 Au regard de la stricte orthodoxie juridique, le système apparaît discutable.
La nature disponible ou non des droits litigieux est, en droit interne, sans inci-
dence sur l’office du juge. Pourquoi devrait-il en aller différemment en droit
international privé ? Comme le soulignait Henri Motulsky, la règle de conflit
doit être appliquée d’office, non parce qu’elle est d’ordre public mais parce
qu’elle est du droit. Le concept d’ordre public ne présente d’intérêt que
lorsqu’on se demande si le juge doit, ou non, s’incliner devant l’accord des
plaideurs qui ont convenu de l’application d’une loi autre que celle désignée
par la règle de conflit (Motulsky, « L’office du juge et la loi étrangère », Mélan-
ges Maury, t. I, p. 337 et s., reproduit in Écrits, t. III, p. 37 et s.; note, JCP 1960.
II. 11733, reproduite in Écrits, t. III, p. 168 et s., spéc. p. 172). C’est alors non
l’autorité de la règle de conflit de lois qui est en question mais sa force obliga-
toire (v. arrêt Soc. Hannover international, infra, no 84). Ceci étant, si la haute
juridiction, parfaitement informée des possibilités qui s’offraient à elle, a choisi
cette voie, c’est qu’elle en attendait des retombés positives. Après avoir envi-
sagé celles-ci, on constatera que ces considérations n’ont pas suffi à emporter
la conviction de la doctrine.
15 1°) En affirmant le caractère facultatif de la règle de conflit tout en l’assor-
tissant d’un tempérament lorsque les parties n’ont pas la libre disposition des
droits litigieux, la haute juridiction entend tout à la fois conserver les mérites
les plus concrets du système Bisbal et le purger de ses défauts les plus criants.
16 On débutera par les seconds qui sont connus : bien loin d’assurer à la rela-
tion internationale le règlement que sa localisation impose, la règle de conflit
devient, lorsqu’elle présente un caractère facultatif, source d’incohérence. Le juge
peut au gré de sa fantaisie ou de ses convictions, de son tempérament « volon-
taire » ou « asthénique » (P. Bellet, note, Rev. crit. 1965. 133), appliquer une
loi ou une autre. Quant aux parties, elles puisent dans le caractère facultatif de
la désignation et la carence du juge, le moyen d’obtenir de la lex fori, ce que la
loi en principe applicable leur refuse. La juridiction française est ainsi trans-
formée en un très attractif centre de forum shopping ! Les inconvénients du
système sont, au demeurant, particulièrement sensibles dans les matières
impératives : laisser aux parties la possibilité de rendre la loi du for applicable
en s’abstenant d’invoquer le droit compétent, c’est leur permettre de disposer
indirectement de droits… pourtant indisponibles. Aussi bien, soucieux de
remédier aux défauts les plus criants du système, Henri Batiffol avait-il pro-
posé dans sa note sous l’arrêt Bisbal que le juge soit obligé d’appliquer
d’office la loi étrangère désignée par la règle de conflit dans « les matières sur
lesquelles les parties ne peuvent, dans la conception française, déroger à la
loi » (Rev. crit. 1960. 66). C’est cette suggestion que la Cour de cassation
consacre avec éclat dans son arrêt Société Coveco et maintient dans l’arrêt
Belaid A. du 26 mai 1999 (v. depuis Civ. 1re, 14 juin 2005, Defrénois 2005.
1851, obs. Massip; 22 nov. 2005, Zédoufane, Bull. I, no 432, JCP 2005. IV.
3710; 7 juin 2006, JCP 2006. IV. 2427).
686 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

17 Mais tout en se donnant les moyens de sauvegarder l’autorité de la règle de


conflit dans les hypothèses particulièrement sensibles, la haute juridiction
n’entend pas aller plus loin. Le règlement du conflit reste facultatif dans les
matières où les parties sont maîtresses de leurs droits. La raison d’une telle
solution est alors, semble-t-il, plus pragmatique que juridique. Elle se nourrit,
en effet, pour l’essentiel de considérations sociologiques. Conscients de ce que
le corps judiciaire français est très inégalement familiarisé avec les problèmes
de droit international privé, les magistrats de la Cour de cassation répugnent à
lui imposer, de manière uniforme, l’obligation d’appliquer d’office la règle de
conflit française, lors même qu’elle désigne une loi étrangère. De deux choses
l’une, en effet : ou bien le juge de première instance est sensibilisé à ces ques-
tions et il relèvera d’office les éléments d’un conflit de lois qui « passé sous
silence pourrait ultérieurement fournir à la partie perdante un moyen nouveau
recevable en appel » (G. Sutton, « Les articles 311-14 et s. du Code civil à
l’épreuve de la jurisprudence du Tribunal de grande instance de Paris », Trav.
com. fr. dr. int. pr. 1983-1984, p. 193 et s., spéc. p. 196), sans qu’il soit pour
cela besoin de lui en faire l’obligation; ou bien il les ignore et lui imposer
d’appliquer d’office la loi étrangère ne conduira qu’à rendre les décisions des
juges du fond plus fragiles. On peut, en effet, redouter que les « professionnels
du pourvoi » qui se seraient gardés de soulever explicitement le conflit de lois,
en n’invoquant pas de manière circonstanciée une loi étrangère, ne s’appuient
sur l’existence parmi les éléments du débat, d’un élément d’extranéité pour
obtenir une cassation et relancer l’affaire. On comprend qu’une Cour de cas-
sation, déjà surchargée, répugne à consacrer un principe qui pourrait être la
source d’un contentieux artificiel.
18 2°) En dépit de son pragmatisme, le système dualiste mis en place par les
arrêts du 26 mai 1999 n’a pas réussi à dissiper les regrets qu’avait suscités
chez la plupart des auteurs l’abandon de la jurisprudence Rebouh et Schule.
Outre les critiques traditionnellement adressées à la jurisprudence Bisbal sur
lesquels on ne reviendra pas (v. supra, no 32-34 § 5), le système actuel encourt
deux griefs. En premier lieu on souligne que la distinction des droits disponi-
bles et des droits indisponibles qui est au cœur du système actuel n’est pas
sans soulever de délicats problèmes de frontière qui conduisent à alourdir la
tâche des juges. En second lieu, on fait valoir que les objectifs que s’assigne ce
même système — allégement de la charge pesant sur les juges du fond, lutte
contre les pourvois dilatoires — pourraient être atteints plus efficacement par
d’autres voies.
19 Cantonnant l’application d’office aux seules règles de conflit qui ont pour
objet une matière dans laquelle les droits des parties sont indisponibles, le sys-
tème dualiste mis en place par les arrêts du 26 mai 1999 oblige le juge dési-
reux de ne pas appliquer d’office la loi désignée par la règle de conflit, à véri-
fier qu’il est en présence de droits disponibles. Or cela ne va pas sans
problèmes. Certes à suivre le haut magistrat qui est à l’origine de cette juris-
prudence, la distinction des matières dans lesquelles les parties sont ou non
maîtresses de leurs droits ne soulèverait aucune difficulté puisque les secondes
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 687

s’identifieraient à l’état et à la capacité des personnes (Lemontey, intervention


Journées Motulsky, 20 déc. 1991). La ligne de partage passerait ainsi grosso
modo entre les matières patrimoniales et les matières extrapatrimoniales (rappr.
P. Mayer, note, Rev. crit. 1998. 71; S. Bostanji, L’évolution du traitement réservé
à la loi étrangère en matière de statut personnel, thèse Dijon, 2000, p. 409
et s.). Mais il a été objecté qu’il n’est plus sur ce terrain de disciplines totalement
homogènes (Mezger, intervention, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1975-1977, p. 255);
c’est ainsi que le rôle de la volonté ne cesse de s’accroître au sein d’un droit de
la famille, traditionnellement considéré comme d’ordre public (v. P. Gannagé,
« La pénétration de l’autonomie de la volonté dans le droit international privé
de la famille », Rev. crit. 1992. 425), dans le temps même où se multiplient en
droit des obligations, jadis terre d’élection des règles supplétives, des disposi-
tions d’ordre public. Aussi bien, devient-il nécessaire en présence de matières
de plus en plus composites de scruter la nature exacte du droit litigieux. Telle
est, au reste, la démarche déjà suivie dans le domaine de l’arbitrage pour
l’application des articles 2059 et 2060 du Code civil. La jurisprudence s’est
orientée dans cette direction. Après avoir raisonné en termes de « matières »
dans le domaine voisin de la preuve de la loi étrangère (v. Civ. 1re, 16 nov. 1993,
Soc. Amerford, infra, no 82) la Cour de cassation y use désormais de l’expres-
sion de « droits disponibles » (Civ. 1re, 11 juin 1996 Soc. Agora Sopha, Rev.
crit. 1997. 65, note P. Lagarde, Clunet 1996. 941, 2e esp., note D. Bureau). La
question de l’application d’office de la règle de conflit a connu la même évolu-
tion. Une approche analytique s’y est substituée à l’approche synthétique.
Celle-ci n’est pas sans soulever à son tour, de délicats problèmes de « décou-
page » au sein de l’office du juge lorsque coexistent dans un même litige des
droits disponibles et des droits non disponibles. Il a été suggéré que ceux-ci
devraient « se résoudre, en cas d’indivisibilité ou même de connexité en faveur
du caractère non disponible de l’ensemble de ces droits » (P. Lagarde, note, Rev.
crit. 1997. 80). C’est dire que le souci d’alléger la charge incombant au juge
dans les domaines où les parties sont maîtresses de leurs droits débouche sur
des questions d’une grande complexité.
Et ceci d’autant plus qu’il semble que la haute juridiction doive, eu égard à
l’importance du rôle joué par la notion de droits disponibles ou indisponibles,
exercer son contrôle en la matière. La question risque ainsi de devenir aussi
complexe que celle de l’arbitrabilité du litige, de sorte qu’il se pourrait que,
d’ici quelques années, la haute juridiction constate que « le meilleur moyen
d’éviter les pourvois dilatoires et d’alléger la tâche des juges serait encore de
généraliser l’application d’office de la règle de conflit » (B. Fauvarque-
Cosson, chron. préc., D. 2000. 128, no 8). Toute différente de ce point de vue
était la solution mise en place par les arrêts Rebouh et Schule. En posant que
le juge doit toujours appliquer la règle de conflit, quelles que soient sa source,
sa structure ou la nature des droits auxquels elle s’applique, ces arrêts rédui-
saient à leur plus simple expression les problèmes de frontière. Il est vrai
qu’évincés au stade de l’autorité de la règle de conflit à l’égard du juge, ceux-
ci se réintroduisent à celui de sa force obligatoire à l’égard des parties. Si cel-
les-ci conviennent, au moyen d’un accord procédural (infra, no 84), de l’appli-
cation d’une loi autre que celle désignée par la règle de conflit, il faudra éta-
688 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

blir que les droits litigieux sont disponibles. Mais dans ce système, le problème
de la définition de ces droits ne se pose qu’exceptionnellement et est d’abord
l’affaire des parties.
20 Prolongeant la réflexion, nombre d’auteurs soulignent que des voies autres
que celle de l’affirmation du caractère partiellement facultatif des règles de
conflit permettraient d’alléger plus efficacement la charge des juges. À consi-
dérer notamment la lutte menée par la haute juridiction contre les pourvois
dilatoires qui paraît bien constituer le motif essentiel du retour au principe de
l’application facultative des règles de conflit lorsque les droits litigieux sont
disponibles (Lemontey et Rémery, Rapport préc., p. 81), on s’est demandé si
elle ne pourrait pas être conduite en usant de moyens plus efficaces.
À cet égard, il a été souligné que le recours plus fréquent à la technique de
la substitution de motifs serait de nature à éviter le prononcé de cassations
purement formelles (J.-M. Bischoff, Trav. com. fr. dr. int. pr. 1990-1991, p. 19
et s.; Y. Lequette, Clunet 1993. 310 et s.). Apparue dans la jurisprudence du
siècle dernier, cette technique a été consacrée par l’article 620 du Nouveau
Code de procédure civile qui dispose : « la Cour de cassation peut rejeter le
pourvoi en substituant un motif de pur droit à un motif erroné; elle le peut
également en faisant abstraction d’un motif de droit erroné mais surabondant ».
Se plaçant dans la perspective alors ouverte par les arrêts Rebouh et Schule,
Bischoff constatait que l’obligation d’appliquer d’office la règle de conflit
française risquait de conduire à des « cassations purement formelles lorsque la
loi étrangère comporte des dispositions substantielles sensiblement identiques
à celles de la loi française appliquée à tort » ou, ajoutera-t-on, manifestement
contraires à notre ordre public international. Afin d’éviter de telles cassations
tout en sauvegardant le respect dû au droit, il convenait, selon lui, de recourir
à la « substitution de motifs ». Il est vrai que pour pouvoir y procéder, le texte
exige que le motif substitué soit de pur droit, condition qui empêchait souvent
le procédé de jouer en matière internationale car la Cour de cassation n’était
pas en mesure de déterminer elle-même le contenu de la loi étrangère non
appliquée déférée à sa censure. Mais l’obstacle est aujourd’hui levé, la haute
juridiction estimant désormais que la loi étrangère est du droit (Civ. 1re,
13 janv. 1993, Coucke, Rev. crit. 1994. 78, note B. Ancel). La perspective est,
au reste, bien particulière puisque la recherche du droit étranger a alors pour
objet de rendre opératoire non un moyen de cassation mais un moyen de rejet
d’un pourvoi purement dilatoire (supra, no 36). Aussi bien, l’emploi d’une
telle technique devrait-elle permettre de lutter contre les contentieux artificiels
de manière beaucoup plus efficace que ne le fait l’actuelle limitation à certai-
nes matières de l’obligation d’appliquer d’office les règles de conflit de lois.
Les cassations formelles sont, en effet, susceptibles de se rencontrer non seu-
lement dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits
mais aussi dans celles où elles ne les ont pas, comme l’attestent les arrêts
Rebouh et Belaïd A.
Cette dernière décision permet, au demeurant, de prendre pleinement cons-
cience du caractère peu satisfaisant du système actuel. Alors que les juges du
fond avaient accueilli l’action en recherche de paternité naturelle par applica-
74-78 REBOUH — SCHULE — COVECO — MUTUELLE DU MANS — BELAID A. 689

tion du droit français, leur décision est censurée parce qu’ils n’ont pas fait
application de la loi marocaine. Mais celle-ci étant, s’agissant d’un enfant
résidant habituellement en France, contraire à l’ordre public international fran-
çais (Civ. 1re, 10 févr. 1993, Rev. crit. 1993. 620, note J. Foyer, Clunet 1994. 124,
note I. Barrière-Brousse, Defrénois 1994. 994, obs. Massip), il appartiendra à
la juridiction de renvoi de constater cette contrariété et de donner au litige la
même solution que celle posée par les premiers juges. L’espèce permet, en
même temps, de prendre conscience des limites de la technique de la substitu-
tion de motifs. Celle-ci requiert que les faits sur lesquels la Cour de cassation
prend appui « soient exclusivement ceux qui résultent des constatations et
appréciations des juges du fond, tels que la décision attaquée les a énoncés »
(A. Perdriau, La pratique des arrêts civils de la Cour de cassation, 1993, nos 998
et s., p. 340). Or, en la circonstance, les juges du fond n’avaient malheureuse-
ment pas constaté dans leur décision la résidence en France de l’enfant. Tech-
nique utile, la substitution de motifs n’est cependant pas la panacée.
21 Récemment, la haute juridiction a paru prête à ouvrir, en la matière, de nou-
velles perspectives en usant de la théorie de l’équivalence. Une automobile
immatriculée en France étant entrée en collision avec un cheval qui divaguait
sur une route belge, le passager demanda réparation au conducteur des graves
blessures qu’il avait subies. Saisie d’un recours en garantie du conducteur et de
son assureur, la Cour de Reims condamna le propriétaire de l’animal ainsi que
son assureur à garantir l’intégralité des sommes mises à la charge des pre-
miers. Un pourvoi ayant reproché à la cour d’appel de s’être fondée sur « les
Codes civils français et belge (…) et de ne pas avoir exercé son office quant à
la détermination de la loi applicable », la Première chambre civile le rejette au
motif que « l’équivalence entre la loi appliquée et celle désignée par la règle de
conflit — en ce sens que la situation de fait constatée par le juge aurait les
mêmes conséquences juridiques en vertu de ces deux lois — justifie la déci-
sion qui fait application d’une loi autre que la loi compétente » (Civ. 1re,
13 avr. 1999, Cie royale belge, Bull. I, no 130, p. 85, Rev. crit. 1999. 698, note
B. Ancel et H. Muir Watt, Clunet 2000. 315, note B. Fauvarque-Cosson,
D. 2000. 268, note E. Agostini, JCP 2000. II. 10261, note G. Légier, Gaz. Pal.
2000, no 61-62, p. 42, obs. M.-L. Niboyet; v. déjà Civ. 1re, 11 juill. 1988, Bao-
Daï, Rev. crit. 1989. 81, note P.-Y. Gautier; 16 févr. 1994, Ammache, Rev. crit.
1994. 341, note H. Muir Watt). On a souligné qu’il y aurait là un moyen
d’écarter les pourvois dilatoires lorsque les deux lois en conflit (loi désignée et
loi appliquée) sont équivalentes, le manquement à l’obligation d’appliquer
d’office la règle de conflit ne changeant rien à l’issue du procès (B. Fauvarque-
Cosson, Clunet 2000. 322; G. Légier, JCP 2000. II. 10261, nos 13 et 17).
Mais ce moyen risque d’être de « faible portée » (H. Gaudemet-Tallon, « De
nouvelles fonctions pour l’équivalence en dr. int. pr. », Mélanges P. Lagarde,
2005, p. 303 et s., spéc. p. 309). N’ayant pas compétence pour apprécier la
teneur de la loi étrangère, la Cour de cassation ne peut rejeter un pourvoi utili-
sant la théorie de l’équivalence que si celle-ci a été constatée par les juges
du fond (B. Ancel et H. Muir Watt, note, Rev. crit. 1999. 705). Or il s’agit
là, semble-t-il, d’une éventualité assez rarement réalisée, les juges du fond
690 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 74-78

ne s’embarrassant pas d’un tel détour qui complique singulièrement leur tâche,
puisqu’il les oblige à prendre connaissance du droit étranger. En outre, elle
nécessite de s’accorder sur l’équivalence alors requise (équivalence des droits
objectifs, équivalence des résultats,…) (v. infra no 82-83 § 13). Enfin, on a pu
s’interroger sur l’adéquation de cette théorie au regard de la logique d’ensem-
ble de notre droit international privé (H. Gaudemet-Tallon, art. préc., Mélan-
ges P. Lagarde, p. 309 et s.), particulièrement telle qu’elle résulte des arrêts du
28 juin 2005 (infra, no 83; M.-L. Niboyet, note, Gaz. Pal. 24-25 févr. 2006,
p. 23). Ces interrogations n’ont cependant pas empêché la haute juridiction
d’avoir recours à l’équivalence lorsque les circonstances s’y prêtaient (Civ. 1re,
3 avr. 2001, White, Rev. crit. 2001. 513, note H. Muir Watt, Gaz. Pal. 12-13 déc.
2001, p. 34 et chron. T. Habu-Groud, p. 22; Civ. 1re, 11 janv. 2005, Barbus-
chke, Rev. crit. 2006. 85, note M. Scherer, Clunet 2006. 955, note S. Godechot,
D. 2005. 2925, note J.-G. Mahinga, JCP 2005. I. 169, no 8, obs. C. Delpy,
Defrénois 2005. 1064, obs. Massip, Dr. fam. 2005, no 197, obs. M. Farge, Gaz.
Pal. 24-26 févr. 2006, p. 21, note M.-L. Niboyet) et de rappeler qu’il y a équiva-
lence lorsque « la situation de fait constatée par le juge (a) les mêmes consé-
quences juridiques en vertu (de la loi appliquée et de celle désignée par la règle
de conflit) » (Civ. 1re, 11 janv. 2005, préc.).
En définitive, le dilemme qui se pose aujourd’hui à la haute juridiction a pu
être ainsi résumé : « afin d’éviter les pourvois dilatoires, vaut-il mieux laisser
les juges du fond libres d’appliquer d’office la règle de conflit de lois, au gré
de leur humeur et de leur connaissances personnelles du droit étranger, ou
bien faut-il s’en tenir à une conception plus exigeante de l’office du juge
quitte à concevoir des tempéraments étroitement encadrés ? » (B. Fauvargue-
Cosson, Clunet 2000. 322).
79
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

2 mai 1990

(Rev. crit. 1991. 378, note B. Audit, Clunet 1991. 137 et chr. Dehaussy, p. 109)
État étranger. — Demande fondée sur son droit public. —
Juridictions françaises. — Défaut de pouvoir.

Il résulte des principes de droit international régissant les relations


entre États que, dans la mesure où du point de vue de la loi du for, leur objet
est lié à l’exercice de la puissance publique, les demandes d’un État étranger
fondées sur des dispositions de droit public ne peuvent être portées devant
les juridictions françaises. Toutefois, ce principe peut être écarté, notam-
ment si, du point de vue du for, les exigences de la solidarité internationale
ou la convergence des intérêts en cause le justifient.

(République du Guatemala
c/Soc. internationale de négoce de café et de cacao)

Faits. — Avec la complicité d’un exportateur local et de la Société arabe de torré-


faction, acquéreur fictif, la Société internationale de négoce de café et de cacao dont le
siège est à Paris, fait sortir du Guatemala une qualité de café dont l’exportation est inter-
dite par la réglementation de ce pays, sans acquitter les droits de douanes, impôts et
redevances dus. La République du Guatemala ayant agi devant les juridictions françai-
ses contre ces sociétés en paiement des droits de douane non acquittés et en remise de
la marchandise ou à défaut de sa valeur, la Cour d’appel de Paris accueille l’exception
d’incompétence soulevée par la Société internationale de négoce de café et de cacao aux
motifs qu’à défaut de convention internationale définissant une coopération réciproque
ou un objectif de solidarité évident, les juridictions françaises ne sont pas compétentes
pour appliquer les règles de droit public fiscal, douanier ou économique d’un État étran-
ger. Un pourvoi est formé.

ARRÊT
La Cour; — Attendu qu’il résulte des énonciations des juges du second degré
que la République du Guatemala a assigné la Société internationale de négoce
du café et du cacao (SINCAFC) devant le Tribunal de commerce de Paris dans le
ressort duquel celle-ci a son siège, ainsi que la Société arabe de torréfaction
(SATC), M. Chemali, dirigeant de cette dernière, la société Cotterelle, transitaire,
la société de droit hondurien Beneficio Merendon et M. Esquivel Lopez, 1° en
annulation pour cause illicite ou en inopposabilité sur le fondement de
l’article 1167 du Code civil de la vente, à Paris, le 17 juin 1986, d’un lot de café
692 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 79

en provenance du Honduras, par SATC à SINCAFC, 2° en paiement de droits de


douane et 3° en restitution de la marchandise ou de la valeur ou encore les
mêmes sommes à titre de dommages-intérêts; qu’à l’appui de ses demandes, la
République du Guatemala prétend que SINCAFC a, en réalité, avec la complicité
de M. Esquivel Lopez, exportateur local, et de SATC, acquéreur fictif, et en utili-
sant de faux documents d’origine, fait sortir du Guatemala une qualité de café
dont l’exportation est interdite par la réglementation de ce pays, sans acquitter
les droits de douane, impôts et redevances dus et en payant le prix en violation
de la législation guatémaltèque sur les changes; que l’arrêt confirmatif attaqué
(Paris, 20 janv. 1988), rendu sur contredit, a accueilli l’exception d’incompétence
soulevée par SINCAFC aux motifs qu’à défaut de convention internationale défi-
nissant une coopération réciproque ou un objectif de solidarité évident, les juri-
dictions françaises ne sont pas compétentes pour appliquer les règles de droit
public fiscal, douanier ou économique d’un État étranger;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches : — Attendu que
la République du Guatemala reproche à la Cour d’appel d’avoir ainsi statué,
alors, selon le moyen, d’une part, qu’en déduisant son incompétence de la seule
nature des règles de droit éventuellement applicables au fond du litige, la Cour
d’appel a méconnu l’article 42 du Nouveau Code de procédure civile et les arti-
cles 4 et 15 du Code civil; alors, d’autre part, que celle-ci a également violé les
accords internationaux du café auxquels sont parties la France et le Guatemala
et qui définissent une politique de coopération réciproque; alors, de troisième
part, que l’interdiction d’exporter la qualité déterminée de café ne constitue
pas une règle de droit public que les tribunaux français seraient incompétents
pour appliquer mais une loi régissant les rapports juridiques entre personnes
privées, si bien qu’en se déclarant incompétents, les juges du second degré ont
encore violé les articles 4 et 15 du Code civil et les principes de la compétence
internationale des juridictions françaises; alors, de quatrième part, qu’en se
déclarant aussi incompétente pour statuer sur la demande en tant qu’elle était
fondée sur la loi française, au motif que l’application de cette loi nécessitait la
prise en considération de lois de police étrangères, la Cour d’appel a violé les
textes et principes susmentionnés; — Mais attendu qu’il résulte des principes de
droit international régissant les relations entre États que, dans la mesure où du
point de vue de la loi du for, leur objet est lié à l’exercice de la puissance publi-
que, les demandes d’un État étranger fondées sur des dispositions de droit
public ne peuvent être portées devant les juridictions françaises; que, toutefois,
le principe peut être écarté, notamment, si, du point de vue du for, les exigences
de la solidarité internationale ou la convergence des intérêts en cause le
justifient; — Attendu, en premier lieu, qu’il ne peut être ainsi reproché à l’arrêt
attaqué d’avoir, préalablement à tout rattachement de compétence internatio-
nale tiré de la nationalité ou de la localisation des défendeurs, déduit de l’objet
même des demandes de la République du Guatemala le défaut de pouvoir de
juridiction; qu’en deuxième lieu, il ressort des écritures du demandeur, tant
devant les premiers juges que devant la Cour d’appel, que l’illicéité de l’exporta-
tion était fondée seulement au regard de la réglementation guatémaltèque du
commerce extérieur et non sur la violation d’accords internationaux exprimant
une exigence de solidarité entre la France et le Guatemala et alors, au surplus,
que le moyen ne critique pas la constatation de l’arrêt attaqué selon laquelle
« les accords relatifs aux quotas ont été dénoncés avant les faits survenus en juin
1986 »; qu’ensuite, la revendication d’une marchandise exportée illicitement,
fondée sur un droit de suite invoqué par l’État étranger, suffit à traduire l’exer-
cice d’une prérogative de puissance publique indépendamment du fait que la
règle de droit public en cause s’incorpore à la loi du contrat ou que sa violation
s’exprime par une qualification tirée de la loi française; — Attendu, ainsi, que la
Cour d’appel, qui, statuant sur contredit, n’avait pas à apprécier des questions
79 RÉPUBLIQUE DU GUATEMALA — CASS., 2 MAI 1990 693

de fond dont ne dépendaient pas le pouvoir de juger et la compétence, n’a


violé aucune des règles françaises sur la compétence judiciaire internationale;
Sur les cinquième et sixième branches du moyen : — Attendu qu’il est encore
fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir, en retenant que l’État demandeur ne visait
pas les accords passés dans le cadre de l’organisation internationale du café qui
auraient été transgressés, dénaturé les conclusions qui exposaient que la mar-
chandise litigieuse avait été exportée dans des sacs non marqués ni numérotés
et que le certificat d’origine était un faux; qu’il est enfin soutenu, alors que la
République du Guatemala faisait valoir dans ses conclusions que le paiement en
devises étrangères était intervenu en violation de sa réglementation des chan-
ges et invoquait expressément l’article VIII 2 b) des statuts du Fonds monétaire
international, que l’arrêt, en relevant que ce moyen n’était pas effectivement
soulevé, aurait dénaturé ces conclusions et violé, par refus d’application, les dis-
positions invoquées; — Mais attendu, d’une part, que l’énonciation de l’arrêt
selon laquelle « le demandeur au contredit ne produit, ni même ne vise les accords
passés dans le cadre de l’OIC qui auraient été transgressés par la SINCAFC » est
exempte de la dénaturation reprochée en présence des termes des écritures qui
se bornaient à faire état « du règlement de l’OIC auquel la République du Gua-
temala et la République du Honduras ont adhéré » sans autre précision, ni iden-
tification ; — Attendu, d’autre part, que l’arrêt retient aussi que le demandeur
ne justifiait pas des conditions auxquelles est subordonnée l’application de
l’article VIII 2 b) des statuts du FMI; — D’où il suit que le moyen ne peut être
accueilli en aucune de ses branches;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 2 mai 1990. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Camille Bernard, f. f. prés.; Lemontey,
rapp.; Dontenwille, av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard et Me Choucroy, av.

OBSERVATIONS

1 Si l’hypothèse de l’État étranger défendeur nourrit depuis fort longtemps, à


travers la question des immunités de juridiction et d’exécution, un contentieux
abondant, le cas symétrique de l’État étranger demandeur n’avait jusqu’à l’arrêt
ci-dessus donné lieu, devant les juridictions françaises, qu’à de rares décisions
— lesquelles n’étaient pas parvenues à définir, de manière synthétique, le sta-
tut de l’État étranger exerçant en France une action en justice. L’arrêt reproduit
revêt donc le plus haut intérêt lorsqu’il pose d’abord, en principe, l’irrecevabi-
lité des demandes qu’un État étranger fonde « sur les dispositions de droit
public » dont « du point de vue du for, l’objet est lié à l’exercice de la puis-
sance publique » et qu’il assortit ensuite ce principe d’une exception réservant
toujours « selon le point de vue du for, les exigences de la solidarité internatio-
nale ou la convergence des intérêts en cause ». « Démarche ordinaire de la vie
du droit » (Batiffol, Mélanges Giuliano,1989, p. 33), cette dialectique du prin-
cipe et de l’exception ne rend cependant pas compte de la totalité du problème.
De fait, autant que par rapport à l’exception dont il est assorti, le principe
d’irrecevabilité ci-dessus énoncé se définit en contemplation d’un principe
concurrent, celui de la recevabilité des demandes émanant des États étrangers
lorsque leur objet n’est pas lié à l’exercice de la puissance publique. L’étendue
de ces principes (II) étant dans la dépendance directe du fondement qui leur est
assigné (I), on envisagera tour à tour l’une et l’autre de ces questions.
694 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 79

I. Le fondement du principe
2 Si la possibilité d’appliquer incidemment, à l’occasion d’un litige entre parti-
culiers, les règles de droit public est aujourd’hui admise par tous, celle de les
appliquer, à titre principal et direct, à la demande et au bénéfice de l’État qui les
édicte fait encore difficulté. Elle se heurte, en effet, selon les uns, à l’incompé-
tence, selon les autres, au défaut de pouvoir des juridictions françaises. Le
contraste entre ces deux situations est, au reste, parfaitement illustré par les réso-
lutions successivement adoptées par l’Institut de droit international dans ses ses-
sions de Wiesbaden (1975) et d’Oslo (1977). Après avoir affirmé dans la première
que « le caractère public attribué à une disposition de droit public étranger dési-
gnée par la règle de conflit de lois ne fait pas obstacle à l’application de cette dis-
position, sous la réserve fondamentale de l’ordre public » (Rev. crit. 1976. 423),
l’Institut ajoute dans la seconde que « dans la mesure où du point de vue du for,
leur objet est lié à l’exercice de la puissance publique, les demandes en justice
d’une autorité étrangère ou d’un organisme public étranger fondées sur les dispo-
sitions de droit public, devraient en principe être considérées comme irrece-
vables » (Rev. crit. 1978. 224). Aussi bien, la haute juridiction s’est-elle, dans
l’arrêt reproduit, très directement inspirée des recommandations de l’illustre com-
pagnie, puisque, si ce n’était le passage du mode conditionnel au mode indicatif,
le motif essentiel reprendrait, mot pour mot, la résolution précitée.
Mais si l’on s’accorde généralement sur ce que les juridictions d’un État ne
sauraient se faire « les auxiliaires » d’un autre État, les divergences apparais-
sent dès lors qu’on s’efforce de mettre en évidence le fondement de cette
solution. Pour certains, celui-ci devrait être recherché à un niveau de généra-
lité plus élevé qu’ils situent soit dans le droit international public avec le prin-
cipe de l’indépendance et de la souveraineté des États, soit dans le droit cons-
titutionnel avec le principe de la séparation des pouvoirs (A). Pour d’autres,
rien dans le droit des gens ni dans le droit constitutionnel n’empêcherait les
tribunaux d’un État de s’ouvrir à de telles prétentions. S’ils s’y refusent, ce
serait pour des considérations pragmatiques, faute d’intérêt (B).
3 A. — Au premier abord, la notion de souveraineté paraît fournir une explica-
tion séduisante à l’attitude de refus des juridictions françaises. La situation de
l’État étranger demandeur n’est-elle pas symétrique de celle de l’État étranger
défendeur ! Or on sait qu’il est, au nom du respect des souverainetés, interdit à
un État de s’immiscer juridictionnellement dans les affaires d’un autre État dès
lors que « l’acte qui donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique
ou a été accompli dans l’intérêt d’un service public » (supra, no 47). Mais, à bien
y réfléchir, la similitude entre les deux situations n’est qu’apparente. Lorsque
l’État étranger occupe la position de défendeur, c’est en règle générale, contre
son gré qu’il est attrait devant les juridictions françaises. On comprend dès lors
que le fait de s’ériger en juge d’actes qu’il a accomplis dans l’exercice de sa
puissance publique porte atteinte à sa souveraineté. Lorsque l’État étranger a la
position de demandeur, c’est, au contraire, à sa requête expresse que les juges
français seront amenés à connaître d’actes qui relèvent de sa souveraineté. Com-
ment pourrait-il se plaindre ensuite d’un empiètement sur celle-ci ? Sa situation
s’apparente alors à celle de l’État étranger qui a renoncé au bénéfice de son
79 RÉPUBLIQUE DU GUATEMALA — CASS., 2 MAI 1990 695

immunité, tout en étant, de ce point de vue, encore plus favorable à l’intervention


des juridictions françaises puisque, non content de l’accepter, il la sollicite. Cer-
tes, il a été soutenu que le principe de l’indépendance des États aurait pour corol-
laire celui du « caractère exclusif des compétences étatiques » lequel en même
temps qu’il interdirait aux juridictions d’un État d’intervenir, en ce qui concerne
l’exercice de la puissance publique, dans les affaires des autres États, donnerait à
ceux-ci « le devoir de les exercer seul, sauf convention expressément contraire »
(J. Dehaussy, « Le statut de l’État étranger demandeur sur le for français : droit
international coutumier et droit interne », Clunet 1991. 109 et s., spéc. p. 127).
Mais il s’agit là plus d’une affirmation que d’une démonstration. On perçoit mal,
au demeurant, en vertu de quoi un État serait contraint d’exercer seul ses préro-
gatives, alors même que les juridictions d’un autre État seraient prêtes à lui
apporter leur concours. En réalité, si l’on veut raisonner en termes d’indépen-
dance des États, c’est à la souveraineté de l’État du juge saisi plutôt qu’à celle de
l’État demandeur qu’il faut avoir égard.
4 Encore faut-il savoir ce que l’on entend par là. Selon F. A. Mann, il existe-
rait une classe d’actions qui ne pourraient être portées devant les juges d’un
autre État « sans atteinte aux droits de souveraineté de celui-ci ». Aucun juge
ne devrait, selon lui, permettre l’exercice d’une action qui serait la manifesta-
tion d’une autorité souveraine étrangère car une « semblable permission ne
peut être donnée que par le souverain et présuppose immanquablement un
traité et probablement une disposition législative. Un juge qui prendrait sur lui
de galvauder le pouvoir de juridiction de son souverain lui porterait un grave
préjudice, en le privant de la possibilité d’exiger la réciprocité » (F. A. Mann,
« L’exécution internationale des droits publics », Rev. crit. 1988. 1 et s.,
spéc. p. 5-6; v. déjà en termes très voisins « Conflict of laws and public law,
Rec. cours La Haye, 1971, t. 1, p. 132 et s., spéc. p. 168). Ainsi fondée, l’abs-
tention requise des juges français s’explique moins par le fait que leur inter-
vention outrepasserait la sphère de pouvoir que le droit international attribue à
l’État dont ils sont l’émanation que par le fait qu’elle excéderait, à l’intérieur
de la souveraineté française, la sphère de pouvoir que la Constitution reconnaît
à l’autorité judiciaire. On retrouve ainsi des analyses qui ont été développées
en France par M. Michel Bauer (Le droit public étranger devant le juge du for,
thèse multigr., Paris II, 1977). Selon cet auteur, il existerait une règle de droit
constitutionnel français qui interdirait à l’autorité judiciaire d’intervenir dans
les relations extérieures de la France. Fondant tout à la fois l’immunité de juri-
diction des États étrangers (supra, no 47 § 4) et la limitation traditionnellement
assignée au pouvoir des juridictions judiciaires d’interpréter les traités diploma-
tiques (infra, obs. no 80-81 § 3 et s.), cette règle expliquerait, en notre domaine,
que les juridictions françaises soient dépourvues du pouvoir d’accueillir une
demande fondée sur une norme à l’application de laquelle « l’État étranger est
(…) suffisamment attaché pour que le pouvoir politique du for puisse en faire
l’objet d’une négociation » (M. Bauer, op. cit., p. 482). En accordant de son
propre chef un avantage « monnayable », le juge excéderait ses pouvoirs car
son attitude s’apparenterait à la création d’une convention internationale nou-
velle, ce qui ressortit aux prérogatives du seul pouvoir exécutif.
696 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 79

Séduisante, cette analyse n’emporte cependant pas la conviction. La règle


constitutionnelle sur laquelle l’auteur prend appui n’a, en effet, sans doute pas
la rigidité qu’il lui prête. C’est ainsi que, sur le terrain de l’interprétation des
traités, les conséquences qu’on avait cru pouvoir en déduire sont aujourd’hui
battues en brèche puisque le Conseil d’État puis la Cour de cassation se sont
reconnu le pouvoir d’interpréter les traités diplomatiques sans aucune limi-
tation tenant à l’existence d’une « question de droit public international »
laquelle était, on le sait, le signe d’une difficulté diplomatique (infra, no 80-81
§ 4). Aussi bien est-il permis de se demander si un juge excède véritablement
ses pouvoirs lorsqu’il accorde à un État étranger un avantage qui aurait pu
faire l’objet d’une négociation diplomatique. À suivre cette analyse, la haute
juridiction se serait rendue coupable d’excès de pouvoir lorsqu’elle a, dans
son arrêt Munzer (supra, no 41), aboli le pouvoir de révision, ou dans son arrêt
Simitch (supra, no 70), retenu un système de contrôle de la compétence du
juge étranger plus libéral que celui qui existait par le passé. Disparaissent en
effet ainsi des entraves à l’accueil des décisions étrangères en France qui, si
elles avaient été maintenues, auraient fourni à l’État français, lors d’une négo-
ciation diplomatique, des éléments de pression certains, afin d’obtenir de ses
partenaires la réciprocité de traitement pour les décisions françaises. Or, si
certains ont déploré ce « désarmement unilatéral » (Lemontey, Trav. com. fr.
dr. int. pr. 1985-1986, p. 65), personne n’a, semble-t-il, soutenu que la haute
juridiction avait, en ces occasions, violé la règle constitutionnelle de la sépa-
ration des pouvoirs. C’est dire que, par cela seul qu’il accorde à l’État étran-
ger un avantage qui aurait pu être l’objet d’une négociation, le juge français
n’excède pas ses pouvoirs.
5 En réalité, à essayer de cerner au plus près les raisons qui fondent l’attitude
de refus des juridictions françaises, il semble qu’il faille faire appel à des
considérations où se mêlent souveraineté et organisation des pouvoirs publics.
En acceptant d’accomplir des actes de puissance publique au nom d’un État
étranger, le juge du for s’érige en organe de l’État étranger et par là même
abdique sa propre souveraineté (Y. Lequette, Protection familiale et protection
étatique des incapables, nos 281 et s., p. 220). Comme le soulignent MM. Pierre
Mayer et Vincent Heuzé, « tout État organise son fonctionnement en vue de la
réalisation de ses buts propres et non de ceux des autres États (…). Nos organes
parmi lesquels figurent nos tribunaux n’ont pas pour mission d’aider les États
étrangers; l’égoïsme est pour eux une obligation liée à l’étendue de leurs
pouvoirs; nos juridictions répressives, par exemple, ne peuvent appliquer le
droit étranger, ce qui les transformerait en organe d’État étranger » (no 315;
v. aussi P. Mayer, « Droit international privé et droit international public sous
l’angle de la compétence », Rev. crit. 1979, p. 370, no 52; « Le rôle du droit
public en droit international privé », RID comp. 1986. 487 et s.; D. Chilstein,
Droit pénal international et lois de police, thèse Paris I, éd. 2003, no 477,
p. 263). En ce qu’elle dénie à nos tribunaux la possibilité d’aider les États
étrangers, la formule est sans doute trop large car, prise à la lettre, elle signifie-
rait que des lois de police étrangères ne peuvent être appliquées en France (sur
cette question, v. supra, no 53). Elle n’en met pas moins l’accent sur l’élément
79 RÉPUBLIQUE DU GUATEMALA — CASS., 2 MAI 1990 697

cardinal : nos tribunaux, nos organes administratifs ne peuvent, sans attenter à


la souveraineté française, se transformer en organes de l’État étranger. Certes,
de cette constatation ne découle pas une impossibilité absolue qui aurait sa
source dans le droit international public. Rien n’empêche, en effet, un État
d’ouvrir ses tribunaux, ses organes administratifs à de telles prétentions et
d’accepter de coopérer, en dehors de toute convention, au fonctionnement
interne de l’État étranger si celui-ci le lui demande. Encore faut-il que cette
décision soit prise par l’organe idoine. Or il ne semble pas que le juge français
puisse se laver du grief d’abandon de souveraineté par cela seul qu’il s’estime
qualifié pour connaître de la demande d’un État étranger. Il faut pour le relever
d’un tel abandon, le consentement de l’État du for lui-même. C’est dire que
dans cette conception, l’accomplissement d’actes relevant de la prérogative
souveraine des États étrangers suppose, au préalable, soit une convention inter-
nationale, soit une loi. Traduisant l’existence de « relations sélectives », les
premières sont peu fréquentes; on citera, à titre d’illustration, la convention
franco-belge du 16 mai 1931 qui permet le recouvrement dans l’un des deux
pays des impôts dus à l’autre État contractant.
Quant aux secondes, elles sont rarissimes puisqu’on se limite toujours, à
leur propos, à quelques très rares exemples, tel l’article 5 du Code pénal suisse
qui prévoit, en cas de délit commis à l’étranger contre un Suisse, l’application
par le juge répressif suisse de la loi pénale étrangère si elle est plus favorable
à l’inculpé (v. Lalive, « Le droit public étranger et le droit international
privé », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1973-1975, p. 237; Rigaux, Droit public et
droit privé dans les relations internationales, p. 170; Van Hecke, « Droit
public et conflits de lois », Trav. com. fr. dr. int. pr. 1983-1984, p. 227).
6 B. — Ceci étant, il est aujourd’hui un courant de pensée qui ne s’arrête pas
à ces objections et qui enseigne qu’il n’est besoin ni d’une convention interna-
tionale, ni d’une disposition législative pour que le juge judiciaire puisse
accueillir les demandes d’État étranger fondées sur des dispositions de droit
public et dont l’objet est lié à l’exercice de la puissance publique. Et de fait, si
dépassant la théorie, on considère la pratique, il faut bien reconnaître que
l’organisation des pouvoirs publics est, en France, conçue de telle façon qu’il
revient à la Cour de cassation de dire si le juge judiciaire excède, ou non, la
mission pour laquelle il a été institué. La Cour régulatrice est, en effet, seule
gardienne des limites du pouvoir dans lequel elle s’inscrit. Partant, au cas où
elle entérinerait une décision par laquelle les juges du fond sortiraient du cadre
qui leur est imparti, il n’existerait pas d’autres possibilités de rétablissement de
celui-ci que le vote d’une disposition législative particulière.
De ce qui précède, il ne faudrait cependant pas inférer que ce courant de
pensée conduit nécessairement à la remise en cause de la traditionnelle atti-
tude d’abstention des juridictions françaises. Pour la quasi-totalité des auteurs,
ce principe devrait être maintenu. Mais il reposerait plus sur des considéra-
tions pragmatiques, notamment sur le défaut d’intérêt des juridictions françai-
ses que sur des arguments proprement juridiques. Les intérêts des États étant
souvent concurrents et parfois même contradictoires, les juges ne sauraient
accueillir les demandes d’État étranger dont l’objet est lié à l’exercice de la
698 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 79

puissance publique car ils risqueraient d’aller à l’encontre des intérêts de leur
propre État. C’est ainsi qu’en matière fiscale, la capacité contributive des assu-
jettis n’étant pas illimitée, faire droit à une demande étrangère ce serait pren-
dre le risque que les impôts dus à l’État du for ne soient pas acquittés. C’est
ainsi encore qu’en matière douanière, la réglementation des exportations par
l’État d’origine vise, comme dans la présente espèce, à maintenir les cours
à un niveau suffisant alors même que l’intérêt de l’État de destination est de
laisser jouer la loi du marché (B. Audit, note Rev. crit. 1991. 303; Van Hecke,
Comm. préc., Trav. com. fr. dr. int. pr. 1982-1984, p. 234).
À supposer même qu’un tel conflit d’intérêts soit absent, l’attitude de refus
des juridictions françaises s’expliquerait fort bien par les difficultés que pour-
rait susciter la position contraire. Accepter de statuer sur une demande émanant
des autorités étrangères n’implique pas, en effet, que celle-ci soit satisfaite. Or
le rejet circonstancié de cette demande pourrait être plus « offensant » pour
l’État étranger et donc plus embarrassant pour l’État du for que ne l’est « une
irrecevabilité fondée sur un principe indifférencié » (B. Audit, note Rev. crit.
1991. 382). Simplement, à raisonner exclusivement en termes d’intérêt, ces
auteurs admettent que, en dehors de toute convention ou disposition législative,
le juge puisse, s’il l’estime opportun, accepter de connaître d’une demande d’un
État étranger dont les intérêts convergeraient avec ceux du for, et ce, alors même
que cette demande serait fondée sur le droit public de cet État et que son objet
serait lié à l’exercice de la puissance publique. En guise d’exemple, on peut
songer à l’action en revendication qu’un État intenterait pour récupérer des
biens culturels volés ou exportés illégalement en se prévalant de son droit
éminent sur ceux-ci (G. Carducci, La restitution internationale des biens cul-
turels et des objets d’art, 1997).
On le voit, si le principe posé par la haute juridiction n’est pas près d’être
remis en cause, l’étendue des exceptions qui lui sont apportées dépend du fon-
dement qu’on lui assigne. Aussi bien convient-il maintenant de rechercher
celui qui a les faveurs de la haute juridiction afin de préciser l’exacte portée
du principe et de l’exception.

II. L’étendue du principe

7 En tant qu’ils jouissent de la personnalité juridique, les États étrangers peu-


vent ester en justice. Mais l’accueil qui sera fait à leur demande dépendra du
visage qu’ils empruntent. Irrecevable s’ils se présentent revêtus de « la toge
pourpre de l’imperium », leur demande sera au contraire recevable s’ils s’en
sont dépouillés (Dehaussy, art. préc., Clunet 1991. 113).
Bien que l’arrêt reproduit ne traite que du premier aspect (A), on n’en envi-
sagera pas moins rapidement le second (B) car il n’est guère possible de défi-
nir l’un sans l’autre.
8 A. — Des deux analyses qui ont été énoncées pour fonder le principe de
l’irrecevabilité des demandes de l’État étranger agissant dans l’exercice de sa
prérogative jure imperii, quelle est celle qui a les faveurs de la haute juridiction ?
79 RÉPUBLIQUE DU GUATEMALA — CASS., 2 MAI 1990 699

La réponse est rien moins qu’évidente, la décision analysée renfermant des


éléments qui peuvent porter vers l’une ou l’autre conception.
À s’en tenir au principe lui-même ainsi qu’à l’exception dont il est assorti,
la Cour de cassation semble plutôt incliner vers une analyse en termes d’inté-
rêts. On sait, en effet, que ses motifs ne font que reprendre les résolutions de
l’Institut de droit international. Or dans les deux rapports qui ont précédé
l’adoption de celles-ci, M. Lalive s’est nettement prononcé en ce sens : « il y
a lieu de remettre en cause la prétendue « impossibilité » pour les tribunaux
du for d’accueillir les actions de droit public intentées par les autorités étran-
gères : il ne s’agit en fait point d’un manque de compétence ou d’un Nicht-
dürfen mais d’un simple Nicht-wollen » (Annuaire de l’Institut de droit inter-
national, session de Wiesbaden, 1975, p. 180). Et encore, « le refus tradition-
nel d’accueillir, par exemple, la prétention d’ordre fiscal présentée par une
autorité étrangère n’est pas fondé sur un défaut de compétence mais bien sur
un défaut d’intérêt » (Annuaire de l’Institut de droit international, session
d’Oslo, 1977, p. 11). Aussi bien, l’exception telle qu’elle est conçue par l’Ins-
titut et reprise par la haute juridiction s’inscrit-elle parfaitement dans la logi-
que de cette conception. Elle prévoit, en effet, que l’attitude de refus des juri-
dictions françaises peut céder si « du point de vue du for, les exigences de la
solidarité internationale ou la convergence des intérêts en cause le justifient ».
C’est dire qu’à la différence de la Cour de Paris dans l’arrêt d’appel, la haute
juridiction n’exige pas que la communauté d’intérêts entre les États se soit
matérialisée dans un traité pour que les demandes émanant d’un État étranger
et dont l’objet est lié à l’exercice de sa puissance publique soient recevables.
Les juges sont, semble-t-il, invités à procéder à une sorte de balance des inté-
rêts et à appliquer la loi étrangère de droit public si le rapport coût-avantage
leur paraît satisfaisant. Aussi bien, la condition des lois de droit public étran-
gères a-t-elle, dans cette conception, tendance à se rapprocher très fortement
de celle des lois de police étrangères (supra, no 53 § 18).
9 L’arrêt étudié est intrinsèquement ambigu en ce que la haute juridiction
ajoute à la motivation empruntée à la résolution de l’Institut des éléments ori-
ginaux qui inclinent plutôt vers l’autre analyse. Ainsi en va-t-il d’abord du fait
que la haute juridiction prend le soin de préciser que c’est le pouvoir de juri-
diction, distinct de la compétence internationale et antérieur à elle, qui manque
aux juridictions françaises (Théry, Pouvoir juridictionnel et compétence, thèse
multigr., Paris II, 1981). Or si c’est le pouvoir de juridiction qui fait réellement
défaut, comment admettre que la seule constatation, au cas par cas, d’une
convergence des intérêts suffise à le rétablir ? Ainsi en va-t-il ensuite de l’affir-
mation que ce défaut de pouvoir aurait sa source dans les « principes du droit
international régissant les relations entre États » lesquels orienteraient plutôt
l’interprète vers une justification juridique prenant appui sur l’idée de
souveraineté; un auteur a d’ailleurs déduit de cette référence que le défaut de
pouvoir du juge procéderait d’une règle prohibitive du droit international
public qui prescrirait à celui-ci de respecter à la fois la souveraineté de l’État
étranger et celle de son propre État (Dehaussy, art. préc., Clunet 1991, p. 127).
Enfin il n’est pas sans intérêt de constater que dans l’arrêt rendu vingt-sept jours
700 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 79

plus tard dans l’affaire Duvalier (Civ. 1re, 20 mai 1990, Rev. crit. 1991. 386,
note J.-M. Bischoff), la haute juridiction a réitéré le principe de l’irrecevabilité
mais non l’exception. Or celle-ci constitue certainement, dans l’acception que
lui a donnée l’arrêt reproduit, l’élément le plus solide en faveur d’un raison-
nement en termes d’intérêt.
En revanche, on ne saurait, à notre sens, déduire aucun argument en faveur
de l’une ou l’autre thèse de ce que la qualification doit s’opérer lege fori.
Qu’on raisonne en termes de pouvoir ou d’intérêt, la solution s’impose : il est
naturel que la définition des concepts auxquels se réfère une règle délimitant
les pouvoirs des juridictions françaises soit opérée selon nos propres concep-
tions. Quant à la convergence des intérêts, elle s’évalue évidemment à travers
le prisme du for.
En réalité, il n’y aurait guère pour départager les deux thèses en présence
que l’épreuve des faits, à savoir l’accueil, au nom de la convergence des inté-
rêts, d’une demande d’un État étranger fondée sur les dispositions de son droit
public et dont l’objet est lié à l’exercice de la puissance publique. Or la prati-
que française n’en offre pour l’instant pas d’exemple. Une telle constatation
n’est, au demeurant, guère surprenante car le tempérament énoncé par l’Insti-
tut de droit international, bien que formellement repris par la Cour de cassation,
paraît mieux adapté à la pratique judiciaire d’autres États, notamment celle des
États-Unis, qu’à celle de la France. Ainsi, il est fréquent Outre-Atlantique que
le juge exerce un pouvoir d’appréciation en opportunité contrastant avec l’appli-
cation de règles rigides; la doctrine du forum non conveniens en offre une
bonne illustration. En outre, il y est admis, lorsque sont présentes des consi-
dérations de politique étrangère, que l’exécutif fasse connaître aux juges
ses préférences et que ceux-ci en tiennent compte. Rien de tout cela ne se
retrouve en France.
Aussi bien, est-il permis de se demander si une solution équilibrée du pro-
blème qui nous occupe ne devrait pas être recherchée dans la prise en compte
d’un principe concurrent de celui énoncé par l’arrêt reproduit, à savoir la pos-
sibilité pour le juge français d’accueillir les demandes d’un État étranger
fondées sur des dispositions de son droit public, lorsqu’elles sont consécutives
ou accessoires à des prétentions de droit privé, plutôt que dans une exception
reposant sur la convergence des intérêts.
10 B. — Traitant de l’accueil par nos tribunaux de demandes des États étran-
gers fondées sur leur droit public, Henri Batiffol récusait, comme à son habi-
tude, les positions extrêmes. « La vérité, écrivait-il, se trouve naturellement
dans une position moyenne, et qui est réaliste, non une demi-mesure mal
justifiée » (note, Rev. crit. 1985. 107). Cette vérité jaillissait, selon lui, du rap-
prochement des deux principes posés par l’Institut dans sa session d’Oslo. Le
premier, on l’a vu avec la motivation de l’arrêt reproduit, affirme le principe de
l’irrecevabilité des demandes des États étrangers fondées sur des dispositions
de leur droit public lorsque leur objet est lié à l’exercice de la puissance publi-
que. Le second, simplement évoqué jusqu’à présent pose, au contraire, que
« devraient être considérées comme recevables les demandes en justice d’une
autorité étrangère ou d’un organisme public étranger, autres que celles visées
79 RÉPUBLIQUE DU GUATEMALA — CASS., 2 MAI 1990 701

dans l’article précédent et fondées sur les dispositions de son droit public, tel-
les notamment les demandes qui, du point de vue de l’État du for, sont consé-
cutives ou accessoires à des prétentions de droit privé » (Rev. crit. 1978. 224).
11 Autant l’existence d’une exception fondée sur la constatation d’une hypo-
thétique communauté d’intérêts qui ne se serait pas matérialisée dans une
convention, paraît, en l’état de la société internationale, audacieuse, autant
l’affirmation d’un principe concurrent déclarant recevables les demandes des
États étrangers dont l’objet n’est pas lié à l’exercice de la puissance publique
semble raisonnable. Les objections traditionnellement adressées à la recevabi-
lité des demandes des États étrangers tombent, en effet, dès lors que ceux-ci
n’agissent plus en tant que souverains.
Reste évidemment à tracer la ligne de partage entre ces deux principes jux-
taposés. Celle-ci procède moins de la définition de la notion de droit public
puisqu’elle est présente dans les deux hypothèses, que du fait que l’objet de la
demande est, ou non, lié à l’exercice de la puissance publique (rappr. CJCE,
14 oct. 1976, Eurocontrol, Rev. crit. 1977. 772, note G. A. L. Droz, Clunet 1977.
707, note A. Huet). Le caractère vague de la notion laisse une marge de manœu-
vre importante au juge. Et ceci d’autant plus que, comme dans le domaine
voisin des immunités (supra, no 47 § 5), ce sont les concepts de l’État du for
qui doivent être utilisés. Aussi bien, les remarques qu’a suscitées l’emploi en
matière d’immunité des formules par lesquelles la jurisprudence délimite la
compétence des juridictions judiciaires et administratives valent-elles ici aussi
(supra, no 47 § 3) : s’il ne saurait être question d’appliquer purement et sim-
plement ces critères aux demandes formulées par les États étrangers, du moins
peut-on s’en inspirer pour en déduire, non plus la compétence ratione materiae
des juridictions administratives ou judiciaires, mais le pouvoir ou le défaut de
pouvoir de l’ensemble des tribunaux français.
12 En la circonstance, ce défaut de pouvoir ne faisait guère de doute. De fait, la
revendication par l’État étranger d’une marchandise exportée illicitement ne
saurait être assimilée à celle qu’exerce le propriétaire dépossédé; elle implique
une « confiscation traduisant l’exercice d’une prérogative de puissance publi-
que ». Quant au contrat, il n’était pas à proprement parler l’enjeu du litige,
mais constituait « l’assiette d’une contribution dont l’État poursuivait le recou-
vrement » (Audit, note, Rev. crit. 1981. 383).
Tel était aussi le cas dans la célèbre affaire Duvalier. L’État haïtien deman-
dait aux tribunaux français de condamner M. Jean-Claude Duvalier, président
à vie d’Haïti réfugié en France, à restituer d’importantes sommes d’argent qu’il
aurait détournées. La Cour d’Aix-en-Provence ayant admis la compétence
des tribunaux français (Aix-en-Provence, 25 avr. 1988, Clunet 1988. 779, note
A. Huet), la Cour de cassation la censure en se fondant sur le principe de
l’irrecevabilité déjà posé dans l’arrêt reproduit ci-dessus. La solution paraît
fondée. En affirmant que « les rapports entre une collectivité publique et celui
de ses agents qui, par sa faute, lui cause un préjudice, sont des rapports
d’ordre privé », la Cour d’appel avait, en effet, pris de grandes libertés avec
les critères utilisés en droit interne français pour délimiter la compétence des
702 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 79

juridictions administratives et judiciaires. Si, en effet, la demande de répara-


tion des dommages causés par des fautes personnelles détachables du fonc-
tionnement normal du service public peut être portée devant la juridiction
judiciaire, il n’en va ainsi que pour les préjudices causés à des tiers. Pour les
dommages dont a été victime l’Administration elle-même, l’action en répara-
tion relève de la compétence de la juridiction administrative, quelle que soit
la nature personnelle ou de service de la faute commise (CE, 28 juill. 1951,
Laruelle et Delville, Gr. arrêts jurisp. administrative, 15e éd., no 69). Comme
le souligne le Tribunal des conflits, de tels litiges ne peuvent trouver leur solu-
tion « que dans les principes du droit public » parce qu’ils intéressent « les
rapports du droit public entre l’Administration et ses agents » (T. confl.,
26 mai 1954, Moritz, D. 1955. 385, note Chapus, JCP 1954. II. 8334, note Vedel,
S. 1954. 3. 85, concl. Latournerie). Certes, ce sont là de simples directives dont
la transposition au plan international peut s’accompagner d’une adaptation.
Mais il existait, en la circonstance, de bonnes raisons de s’y conformer. D’une
part, comme le souligne Bischoff, si l’on remonte à la « situation source »,
c’est-à-dire au rapport originaire liant les parties et d’où découle le droit invo-
qué par le demandeur, il est difficilement contestable que « les liens unissant
un État à ses dirigeants et qui se trouvent bien à l’origine des faits reprochés
par le premier aux seconds sont fortement marqués par l’exercice de la puis-
sance publique » (note, Rev. crit. 1991. 390). D’autre part, l’accueil d’une telle
demande aurait contraint les tribunaux français à prendre parti sur des ques-
tions qui relèvent de la politique intérieure d’un État étranger et qui risquent
donc d’engager la politique extérieure de la France. Les précédents de déci-
sions américaines refusant de connaître d’actions similaires intentées par le
gouvernement iranien contre le Shah (Cour d’appel de New York, Islamic
Republic of Iran v. Mohammed Reza Pahlevi, 62 NY2 d474, 467 NE2 d245,
478 NYS2 d567 (1984)) ou par le gouvernement philippin contre le Président
Marcos (Cour d’appel fédérale, 4 juin 1987, Ferdinand Marcos, 87 Daily Jour-
nal DAR 2870) montrent que, quel que soit le pays, les juges répugnent à se
placer dans de telles situations. Aussi bien, la haute juridiction se réfère-t-elle
très explicitement au critère dégagé par la jurisprudence administrative pour
constater que l’objet de la demande de l’État étranger était, en l’espèce, lié à
l’exercice de la puissance publique.
13 On comprend dès lors fort bien que la Cour de cassation, dont la mission est
de rendre des arrêts et non de délivrer des consultations, n’ait, dans aucune de
ces affaires, invoqué la règle qui permet aux juridictions françaises de connaî-
tre d’une demande émanant d’État étranger, même fondées sur les dispositions
de son droit public, dès lors qu’elle est « accessoire ou consécutive à des pré-
tentions de droit privé ». Mais s’il n’a pas été explicitement affirmé par la
haute juridiction, ce principe n’en fait pas moins partie de notre droit positif.
La jurisprudence française offre, en effet, de multiples exemples de son appli-
cation. C’est ainsi que, dans la célèbre affaire Reyes, a été déclarée recevable
l’action intentée par le gouvernement des États-Unis, subrogé par l’effet d’une
règle de droit public américain dans les droits d’un militaire stationné en France
et victime d’un accident, contre l’auteur du dommage (Rouen, 20 mars 1968,
79 RÉPUBLIQUE DU GUATEMALA — CASS., 2 MAI 1990 703

Rev. crit. 1970. 70, note Jambu-Merlin; Civ. 1re, 17 mars 1970, Rev. crit. 1970.
688, 1re esp., note P. Lagarde, Clunet 1970. 923, 1re esp., note G. de la Pradelle;
rappr. Cour de cassation de Belgique, 23 oct. 1969, Rev. crit. 1970. 688, 2e esp.,
note P. Lagarde; BGH, 26 avr. 1966, N. J. W. 1966. 120, Gaz. Pal. 1967. 1. 35).
Comme le souligne M. Rigaux, la demande de l’État étranger ne tend pas, dans
ce cas, à poursuivre « l’exécution d’un acte de souveraineté mais à obtenir la
mise en œuvre d’un droit civil à la protection duquel les organismes adminis-
tratifs ont été associés » (Rigaux et Zorbas, Les grands arrêts de la jurispru-
dence belge, Droit international privé, p. 385).
Ajoutons pour clore ce commentaire que, de manière plus générale, les tri-
bunaux français n’hésitent pas à appliquer des règles de droit public étrangè-
res à l’occasion de litiges qui relèvent fondamentalement du droit privé. En
effet, un tribunal internationalement compétent pour statuer sur un rapport
entre deux personnes privées ne peut refuser de résoudre une question de droit
public qui se pose à lui de façon incidente et conditionne l’issue du procès. La
jurisprudence française en offre de multiples exemples (Civ. 1re, 25 janv. 1966,
Royal Dutch, Rev. crit. 1966. 238, concl. Desangles, note Francescakis, donnant
effet aux arrêtés néerlandais rétablissant dans leurs droits les porteurs d’actions
Royal Dutch spoliés pendant la guerre; Civ. 1re, 13 déc. 1972, Bull. I, no 287,
admettant la validité du cautionnement d’une dette fiscale étrangère; Civ. 1re,
21 janv. 1975, Rev. crit. 1977. 120, note Couchez, déclarant recevable l’action
d’une personne en remboursement d’une dette fiscale payée pour autrui à
l’étranger; Civ. 1re, 15 nov. 1983, Rev. crit. 1985. 100, note Batiffol, Clunet
1984. 887, note P. Courbe; v. aussi P. Mayer, « Le rôle du droit public en droit
international privé français », Colloque de Bâle sur le rôle du droit public en
droit international privé, mars 1986, 1991, p. 63 et s.).
80-81
CONSEIL D’ÉTAT
(Ass.)
29 juin 1990

COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
19 décembre 1995

I. — CE, 29 juin 1990, Rev. crit. 1991. 61, concl. Abraham,


note P. Lagarde, Clunet 1990. 965, note Julien-Laferrière,
D. 1990. 560, note Sabourin, JCP 1990. II. 21579, note Tercinet,
AJDA 1990. 621, concl. Abraham, note Teboul,
RGDIP 1990. 879, concl. Abraham et 1991. 753, note Ch. Rousseau,
RFDA 1990. 923, note Lachaume.
II. — Civ. 1re, 19 décembre 1995, Rev. crit. 1996. 468, note B. Oppetit,
Gaz. Pal. 28, 29 juin 1996. 867, note G. Cohen-Jonathan,
RGDIP 1996. 867 et chron. D. Alland, p. 603.
Traités. — Interprétation.

Le juge administratif a le pouvoir d’interpréter lui-même les traités inter-


nationaux, sans être lié par l’interprétation gouvernementale (sol. impl.)
(1er arrêt).
Il est de l’office du juge judiciaire d’interpréter les traités internationaux
invoqués dans la cause soumise à son examen, sans qu’il soit nécessaire
de solliciter l’avis d’une autorité non juridictionnelle (2e arrêt).

1er ARRÊT
(GISTI)

Faits. — Le groupement d’information et de soutien des travailleurs immigrés


(GISTI) a déféré au Conseil d’État une circulaire ministérielle du 14 mars 1986 relative
aux conditions de circulation, d’emploi et de séjour en France des ressortissants algé-
riens et de leur famille. Cette circulaire procédait à l’interprétation d’un accord franco-
algérien du 27 décembre 1968 (Rev. crit. 1969. 334), modifié par un avenant du 22 décem-
bre 1985 (Rev. crit. 1986. 349).
Parmi les questions soumises par le GISTI à la juridiction administrative figurait
l’appréciation de la légalité d’une disposition déterminant quels étaient les membres de la
famille des ressortissants algériens qui étaient susceptibles de bénéficier du regroupement
80-81 GISTI, CE, 29 JUIN 1990 — BAD CASS., DÉC. 1995 705

familial. Plus précisément, l’accord franco-algérien mentionnant les « enfants mineurs »


sans autre précision, la circulaire avait compris cette disposition comme visant les
« enfants mineurs de 18 ans » alors que le GISTI soutenait que cette notion devait
s’apprécier en fonction de la loi algérienne qui fixe la majorité à 19 ans pour les garçons
et à 21 ans pour les filles. Durant la phase d’instruction, le Conseil d’État avait sollicité
l’avis du ministre des affaires étrangères qui s’était prononcé dans le même sens que la
circulaire attaquée. À s’en tenir à sa jurisprudence traditionnelle, le Conseil d’État
aurait dû s’en remettre à l’interprétation ministérielle et rejeter la demande du GISTI. Si
telle est bien finalement la décision de la haute juridiction, elle y parvient par un chemi-
nement différent. Se conformant aux recommandations du commissaire du gouvernement,
le Conseil d’État fonde sa décision de rejet non sur l’interprétation gouvernementale
mais sur sa propre interprétation de l’accord. Il réalise ainsi un important revirement de
jurisprudence.

Le Conseil d’État statuant au Contentieux sur le rapport de la 2e sous-section


de la section du Contentieux; — Vu la requête, enregistrée le 14 mai 1986 au
secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, présentée pour le Groupement
d’information et de soutien des travailleurs immigrés — GISTI —, (…) représenté
par son président, et tendant à ce que le Conseil d’État annule la circulaire du
ministre de l’intérieur et de la décentralisation et du ministre des affaires socia-
les et de la solidarité nationale en date du 14 mars 1986 relative aux conditions
de circulation, d’emploi et de séjour en France des ressortissants algériens et de
leur famille; — Vu les autres pièces du dossier; — Vu l’ordonnance du 2 novem-
bre 1945; — Vu le Code du travail; — Vu la Convention européenne de sauve-
garde des droits de l’homme; — Vu l’accord franco-algérien du 27 décembre
1968 modifié par l’avenant et le protocole du 22 décembre 1985; — Vu l’ordon-
nance no 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret no 53-934 du 30 septembre 1953
et la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987;
Sur les conclusions tendant à l’annulation des 7e et 10e alinéas du paragraphe
2-2-1-2 de la circulaire du 14 mars 1986 : — Considérant que si l’article 7 de la
déclaration de principes relative à la coopération économique et financière
entre la France et l’Algérie du 19 mars 1962 reconnaît aux ressortissants algé-
riens résidant en France les mêmes droits qu’aux nationaux français à l’excep-
tion des droits politiques, les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants
algériens en France sont régies par l’accord franco-algérien du 27 décembre
1968 et les conventions qui l’ont modifié; qu’aux termes de l’article 7 b) dudit
accord dans la rédaction issue de son premier avenant du 22 décembre 1985 :
« Les ressortissants algériens désireux d’exercer une activité professionnelle sala-
riée reçoivent, après le contrôle médical d’usage et sur présentation d’un
contrat de travail visé par les services du ministre chargé des travailleurs immi-
grés, un certificat de résidence valable un an pour toutes professions et toutes
régions, renouvelable et portant la mention « salarié »; cette mention constitue
l’autorisation de travail exigée par la législation française »; qu’en précisant
que, pour l’application de cette disposition, l’autorisation de travail serait déli-
vrée selon les instructions applicables aux étrangers relevant du régime général
et en tenant compte notamment, comme le prévoit l’article R.341-4 du Code du
travail, de la situation de l’emploi, les auteurs de la circulaire attaquée se sont
bornés à interpréter exactement les stipulations de l’accord; que, les disposi-
tions critiquées de la circulaire étant ainsi dépourvues de caractère réglemen-
taire, le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés n’est pas
recevable à en demander l’annulation;
Sur les conclusions tendant à l’annulation du 24e alinéa du paragraphe 2.2.1.2
relatif aux autorisations provisoires de travail accordées aux étudiants algériens :
706 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 80-81

— Considérant que le protocole annexé au premier avenant à l’accord franco-


algérien du 27 décembre 1968 ne comporte, en ce qui concerne les ressortissants
algériens admis à séjourner en France comme étudiants, aucune stipulation qui,
lorsqu’ils entendent exercer une activité salariée à titre accessoire, en même
temps qu’ils poursuivent leurs études, subordonne l’exercice de cette activité à
l’autorisation de travail exigée par la législation française; qu’en prévoyant que
les étudiants algériens voulant travailler seraient soumis à un régime compor-
tant des autorisations provisoires de travail délivrées dans les conditions fixées
par les circulaires des 24 février 1976 et 1er août 1985, lesquelles disposent qu’il
sera tenu compte notamment de la situation de l’emploi, et en abrogeant sur ce
point la circulaire du 12 mars 1979 qui constatait qu’ils étaient dispensés d’une
telle autorisation par l’article 7 de la déclaration de principes du 19 mars 1962,
la circulaire a édicté une règle contraire aux conventions internationales appli-
cables aux intéressés; que le Groupe d’information et de soutien des travailleurs
immigrés est, par suite, recevable et fondé à en demander l’annulation sur ce
point;
Sur les conclusions tendant à l’annulation des dispositions du premier alinéa
du paragraphe 3.1.1 en tant qu’elles incluent, parmi les membres de la famille
susceptibles de bénéficier du regroupement familial, les « enfants mineurs de
dix-huit ans » : — Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 4 de
l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, dans la rédaction résultant du
premier avenant audit accord : « Les membres de la famille qui s’établissent en
France sont en possession d’un certificat de résidence de même durée de validité
que celui de la personne qu’ils rejoignent »; qu’aux termes du premier alinéa du
titre II du protocole annexé audit avenant : « Les membres de la famille s’enten-
dent du conjoint d’un ressortissant algérien, de ses enfants mineurs ainsi que
des enfants de moins de dix-huit ans dont il a juridiquement la charge en vertu
d’une décision de l’autorité judiciaire algérienne »; qu’il ressort des pièces du
dossier que les auteurs dudit avenant et du protocole annexé n’ont pas entendu
modifier les stipulations antérieurement en vigueur de l’accord du 27 décembre
1968 qui s’appliquaient au conjoint et aux enfants mineurs de moins de dix-
huit ans; que, par suite, en indiquant qu’il fallait entendre par enfants mineurs
les enfants mineurs de 18 ans, et non ceux de 19 et 21 ans conformément au
droit algérien, les auteurs de la circulaire attaquée se sont bornés à interpréter
exactement les termes de la convention franco-algérienne; que la circulaire est
donc sur ce point dépourvue de caractère réglementaire; que le Groupe d’infor-
mation et de soutien des travailleurs immigrés n’est, par suite, pas recevable à
en demander l’annulation;
Sur les conclusions tendant à l’annulation des dispositions du troisième alinéa
du paragraphe 2.2.1.1 et de l’avant-dernier alinéa du paragraphe 2.2.4 de la cir-
culaire attaquée relatives au refus de délivrance d’un certificat de résidence
d’un an ou un certificat de résidence de 10 ans si la présence en France de l’inté-
ressé constitue une menace pour l’ordre public : — Considérant qu’aucune dis-
position de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié par le pre-
mier avenant et le protocole du 22 décembre 1985 ne prive l’administration
française du pouvoir qui lui appartient, en application de la réglementation
générale relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France, de refuser
l’admission au séjour d’un ressortissant algérien en se fondant sur la circonstance
que sa présence en France constitue une menace pour l’ordre public; qu’ainsi, et
alors même que l’accord susmentionné ne prévoyait pas une telle possibilité, les
auteurs de la circulaire attaquée n’ont édicté sur ce point aucune règle nouvelle
dont le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés serait rece-
vable à contester la légalité;
Sur les autres dispositions de la circulaire attaquée : — Considérant que si
l’association requérante soutient que l’ensemble de la circulaire devrait être
80-81 GISTI, CE, 29 JUIN 1990 — BAD CASS., DÉC. 1995 707

annulé en raison de l’incompétence des ministres signataires, elle ne précise pas


les dispositions de ladite circulaire, autres que celles précédemment analysées,
qui auraient un caractère réglementaire; qu’elle n’est par suite, pas recevable à
demander cette annulation;
Décide :
Article ler. — Le 24e alinéa du paragraphe 2.2.1.2 de la circulaire en date du
14 mars 1986 du ministre de l’intérieur et de la décentralisation et du ministre
des affaires sociales et de la solidarité nationale, relatif à la délivrance d’autori-
sations provisoires de travail aux étudiants algériens, est annulé.
Article 2. — Le surplus des conclusions de la requête du Groupe d’informa-
tion et de soutien des travailleurs immigrés — GISTI — est rejeté.
Du 29 juin 1990. — Conseil d’État (Ass.). — MM. Errera, rapp.; Abraham, com. du gouv. — SCP
Waquet, Farge, Hazan, av.

2e ARRÊT
(Banque africaine de développement c/BCCI et autres)

Faits. — La Banque africaine de développement avait déposé des fonds à la Bank of


credit and commerce international (BCCI). Une procédure de redressement judiciaire
ayant été ouverte à l’encontre de la BCCI, la Banque africaine de développement
demanda au Tribunal de commerce de Paris la restitution des fonds déposés. À cet effet,
elle invoquait les articles 52 à 54 d’un accord signé à Karthoum le 4 août 1963 et auquel
la France est partie. Le Tribunal de commerce de Paris puis la Cour du même lieu ayant
déclaré cette demande irrecevable, le pourvoi soutenait que la Cour aurait dû renvoyer
les dispositions de l’accord de Karthoum à l’interprétation gouvernementale car il s’agis-
sait d’une question touchant à l’ordre public international. En effet, selon une jurispru-
dence bien assise, l’interprétation des traités échappait aux juridictions judiciaires dès
lors qu’on était en présence d’une telle question (infra, § 4).

La Cour; — Attendu qu’à la suite de la procédure de redressement judiciaire


ouverte, le 23 juillet 1991, à l’égard de la Bank of Credit and Commerce Interna-
tional (BCCI), la Banque africaine de développement (BAD) a demandé au Tribu-
nal de commerce de Paris la restitution des fonds déposés en invoquant les dis-
positions des articles 52 à 54 de l’accord portant création de la BAD qui a été
signé à Khartoum, le 4 août 1963, et auquel la France a adhéré;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches, qui est recevable : —
Attendu que la BAD reproche à l’arrêt confirmatif attaqué (Paris, 13 janv. 1993)
d’avoir rejeté sa demande de renvoi à l’interprétation gouvernementale des
textes invoqués, alors, selon le moyen, d’une part, que la discordance entre le
sens littéral et la conception restrictive donnée de ces textes par la cour d’appel
implique la nécessité d’une interprétation qui, s’agissant d’une question tou-
chant l’ordre public international, relève du Gouvernement; alors, d’autre part,
que touche par nature à l’ordre public international le litige opposant une ban-
que privée et une organisation internationale dont la mission est de service
public international et qui se prévaut de l’interprétation du traité définissant sa
mission et ses moyens; — Mais attendu qu’il est de l’office du juge d’interpréter
les traités internationaux invoqués dans la cause soumise à son examen, sans
qu’il soit nécessaire de solliciter l’avis d’une autorité non juridictionnelle; que la
cour d’appel n’a donc fait qu’user de ses pouvoirs en interprétant elle-même les
dispositions invoquées de l’Accord de 1963; qu’ainsi, le moyen est dépourvu de
fondement;
708 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 80-81

Sur le second moyen, pris en ses deux branches : — Attendu que la BAD fait
grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré irrecevable sa demande en paiement du
solde créditeur de ses comptes ouverts à la BCCI, alors, selon le moyen, d’une
part, qu’en décidant que l’arrêt des poursuites individuelles prescrit par l’arti-
cle 47 de la loi du 25 janvier 1985 ne soumet pas, par lui-même, les avoirs de la
BAD aux « restrictions, réglementations, contrôles ou moratoires de toute
nature », la cour d’appel, par une interprétation restrictive de l’article 54 de
l’Accord, a violé ce dernier; alors, d’autre part, que l’exemption des avoirs de la
BAD par l’effet de ce texte est de droit, de sorte qu’en imposant à la BAD de
prouver que sa mission a été entravée, la cour d’appel a ajouté une condition à
l’article 54 précité; — Mais attendu, d’une part, que l’obligation faite à la BAD
de se soumettre, en qualité de créancière de la BCCI, aux règles d’ordre public
international de la procédure collective ouverte à l’encontre de son débiteur,
n’entre pas dans les prévisions de l’article 54 de l’Accord, l’indisponibilité provi-
soire des fonds en découlant n’étant que la conséquence de la situation juridi-
que de ce débiteur, ainsi que l’a exactement énoncé dans son principe la cour
d’appel; — Attendu, d’autre part, que le grief exposé dans la seconde branche
du moyen ne s’attaque qu’à des motifs, dès lors, surabondants; — D’où il résulte
que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches;
Par ces motifs : — Rejette.

Du 19 décembre 1995. — Cour de cassation (1re Ch. civ.). — MM. Lemontey, prés. et rapp.; Gaunet,
av. gén. — SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Célice et Blancpain, av.

OBSERVATIONS

1 Qui a compétence pour interpréter les conventions diplomatiques ? Le juge


parce que leur application est nécessaire à la solution des litiges qu’il doit
trancher ? Le pouvoir exécutif parce qu’il a mission de conduire les relations
extérieures de la France ? La réponse n’est pas évidente. Elle a longtemps dif-
féré d’un ordre de juridiction à l’autre (I). Mais l’unité est aujourd’hui faite en
faveur de l’intervention du juge (II).

I. À la recherche d’un difficile équilibre

2 Faut-il s’en remettre au juge ou au pouvoir exécutif pour interpréter les


traités ? Aucune de ces solutions n’est dépourvue d’inconvénients.
Réserver l’interprétation des conventions internationales à l’exécutif, c’est
prendre le risque de laisser celui-ci s’immiscer de manière caractérisée dans
l’administration de la justice. Les dangers en sont aisément perceptibles. Le
cours de celle-ci pourra s’en trouver considérablement ralenti, voire même para-
lysé ; le renvoi pour interprétation au gouvernement peut, en effet, demander
de longs délais. L’interprétation donnée par l’Administration n’aura pas été
débattue contradictoirement, à la différence de celle qui est l’œuvre des tribu-
naux. Enfin, il n’est pas sain, comme l’a jadis montré l’expérience du référé
législatif, que l’auteur d’un texte ait à en préciser le sens à l’occasion d’une
affaire déterminée. Et ceci d’autant plus que les services concernés étant le
80-81 GISTI, CE, 29 JUIN 1990 — BAD CASS., DÉC. 1995 709

plus souvent consultés par le ministère des Affaires étrangères, l’interprète sera,
lorsque l’Administration est impliquée dans le litige, juge et partie.
À l’inverse, confier exclusivement aux tribunaux le soin d’interpréter les
conventions diplomatiques, c’est permettre éventuellement à ceux-ci de contre-
carrer la politique menée par le gouvernement. « En fixant lui-même le sens et
la portée d’un engagement international, le juge peut dans certains cas entraver
les initiatives diplomatiques du gouvernement, par exemple si une renégocia-
tion est en cours, ou si, à la suite d’un contentieux international, le gouverne-
ment trouve intérêt à défendre à l’égard de ses partenaires, une interprétation
différente de celle à laquelle parvient le juge » (Abraham, Rev. crit. 1991. 69).
Et la responsabilité internationale de la France est toujours susceptible d’être
engagée par une interprétation intempestive.
Aussi bien, conscientes des enjeux, les plus hautes juridictions de l’ordre judi-
ciaire et de l’ordre administratif se sont-elles efforcées de prendre en compte
ces impératifs contradictoires. Mais elles l’ont fait sur des modes différents,
conformes à leur génie propre.

3 A. — Soucieuse de donner aux juridictions judiciaires les moyens de rendre


une justice de qualité, la Cour de cassation a refusé d’abdiquer son pouvoir
d’interprétation entre les mains de l’exécutif, tout en ménageant l’existence
d’une soupape qui permettait de réserver à celui-ci l’interprétation des ques-
tions « sensibles » au regard des relations extérieures.

4 Dans un arrêt Duc de Richmond rendu par la Chambre civile le 24 juin 1839
(S. 1839. 1. 577, DP 1839. 1. 257), la haute juridiction a affirmé, à l’occasion
de l’interprétation des Conventions de 1814, que « les traités passés entre les
nations ne sont pas de simples actes administratifs et d’exécution, qu’ils ont le
caractère de lois et ne peuvent être appliqués et interprétés que dans les formes
et par les autorités chargées d’appliquer toutes les lois dans l’ordre de leurs
attributions, toutes les fois que les contestations qui donnent lieu à cette inter-
prétation ont pour objet des intérêts privés qui étaient attribués par la loi au
pouvoir judiciaire ». Reprise par la Chambre des requêtes (Req. 11 août 1841,
S. 1841. 1. 848; 30 juin 1884, S. 1886. 1. 174), cette solution fut formulée en
termes plus synthétiques par la Chambre civile dans un arrêt Rawane-Boye du
7 mars 1910 : « il appartient aux tribunaux de l’ordre judiciaire d’interpréter
les traités internationaux en tant qu’ils peuvent servir à résoudre un litige
d’intérêt privé » (S. 1915. 1. 101; v. aussi Civ., 22 déc. 1931, S. 1932. 1. 257).
A contrario, l’interprétation des conventions diplomatiques soulevant des ques-
tions d’intérêt public relevait de la seule compétence du gouvernement.
Ultérieurement, la haute juridiction substitua à l’opposition intérêts privés-
intérêts publics, un raisonnement en termes de principe et d’exception, sans
que la substance même des solutions s’en trouvât modifiée. Il appartient aux
tribunaux judiciaires d’interpréter les conventions diplomatiques, sauf en pré-
sence de questions touchant à l’« ordre international public » (Cass. ch. réu-
nies, 27 avr. 1950, Friedmann, Rev. crit. 1951. 98, concl. Rey, note Monneray,
S. 1950. 1. 65, note Niboyet, JCP 1950. II. 5650, note Lerebours-Pigeonnière,
710 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 80-81

Grands arrêts dr. int. privé, 2e éd., 1992, no 22, p. 171 et s.), à « l’ordre public
international » (Civ. 1re, 7 juin 1989, Soc. Cartours, JCP 1990. II. 21448, note
Rémery) ou encore de « questions de droit public international » pour employer
la motivation d’arrêts intermédiaires (Civ. 1re, 19 mars 1963, Chassagne, Rev.
crit. 1964. 93, Clunet 1963. 1044, note B. G., JCP 1963. II. 13270, note M. Ancel,
D. 1963. 529, note Malaurie; v. aussi Civ. 3e, 9 juin 1966, Consorts Caldum-
bide, Rev. crit. 1968. 471, note Batiffol, JCP 1966. II. 4814, note Tricaud; Civ. 1re,
18 nov. 1986, Soc. Atlantic Triton, Rev. crit. 1987. 760, note Audit, Clunet
1987. 125, note Gaillard).

5 Que recouvrait cette terminologie fluctuante ? Longtemps, on a cru qu’il


existait en notre domaine des matières d’intérêt privé et des matières d’intérêt
public, les conventions diplomatiques étant ou non susceptibles d’interpré-
tation judiciaire selon qu’elles appartenaient par leur objet à l’une ou l’autre
catégorie. En d’autres termes, il aurait été possible de dresser une liste des
questions d’intérêt public, ultérieurement dénommées questions d’ordre public
ou de droit public international. Mais une telle démarche est, à l’expérience,
apparue passablement aventureuse : tout traité ne relève-t-il pas, comme le préci-
sait déjà Bartin (Principes, t. l, § 52, p. 102), du droit public international
même si les matières qu’il régit ressortissent au droit privé. L’étude de la
jurisprudence devait, au demeurant, rapidement mettre en évidence la vanité
d’une distinction ainsi conçue. Les tribunaux judiciaires ont, en effet, accepté
d’interpréter des conventions intervenues dans des matières dont l’objet excède
manifestement les intérêts privés : conventions fiscales (Civ. 1re, 19 mars 1963,
préc.), traité concernant la délimitation d’une frontière (Civ., 7 mars 1910,
préc.; 22 mars 1960, Rev. crit. 1960. 557, note Mezger). Mieux, ils ont parfois
considéré que l’interprétation de la même disposition issue du même traité, à
l’occasion du même litige, soulevait (Cass. ch. réunies 27 avr. 1950, Friedmann,
préc.) ou non (Civ., 9 mai 1938, Friedmann, S. 1938. 1. 334) une question
d’ordre international public.
Comment expliquer de telles variations ? Par le fait, semble-t-il, qu’une
question initialement neutre du point de vue des relations extérieures était deve-
nue diplomatiquement sensible, en raison du changement du contexte interna-
tional. On perçoit ainsi l’idée directrice qui animait la jurisprudence. Les tri-
bunaux judiciaires ont un pouvoir général d’interprétation qui tient, comme le
relevait Bartin (Principes, t. l, § 51, p. 101) à la nature du litige et non à celle
du traité. Mais ce pouvoir cédait lorsqu’en l’exerçant « ils risquent d’empiéter
sur le pouvoir nécessairement reconnu au gouvernement dans son action inter-
nationale et dans sa direction des relations diplomatiques avec les États
étrangers » (M. Ancel, note JCP 1963. II. 13270). C’est donc le seul souci de
ne pas gêner la conduite des relations extérieures et de ne pas violer le prin-
cipe de la séparation des pouvoirs qui donnait sa cohérence à la notion d’ordre
international public. Partant le critère de celui-ci devait être recherché non
dans une qualité du texte interprété mais dans les éventuelles conséquences
internationales que pouvait avoir une prise de position sur ce texte (M. Bauer,
Le droit public étranger devant le juge du for, thèse multigr., Paris II, 1977,
p. 352 et s.; v. aussi D. Alland, « Jamais, parfois, toujours, réflexions sur la com-
80-81 GISTI, CE, 29 JUIN 1990 — BAD CASS., DÉC. 1995 711

pétence de la Cour de cassation en matière d’interprétation des conventions


internationales », RGDIP 1996. 599 et s.).
6 Restait à déterminer quand, concrètement, l’intervention du juge risquait
d’entraver la liberté d’action du gouvernement en matière internationale ?
Il y avait tout d’abord, estimait-on, question d’ordre international public
lorsque le ministère des Affaires étrangères avait pris l’initiative de donner son
interprétation d’une convention internationale. N’ayant pas à justifier l’exis-
tence de réclamations émanant du gouvernement étranger puisque son action
peut avoir pour objet de les prévenir, il était maître de la décision. Tout au
plus, la Cour de cassation exigeait-elle parfois que cette interprétation, donnée
sous la forme de circulaires, ait été publiée au Journal officiel pour qu’elle soit
obligatoire pour le juge (Civ., 22 déc. 1931, Rev. crit. 1932. 83, concl. Matter;
10 mars 1955, Rev. crit. 1956. 48, note M. Simon-Depitre; contra Civ., 6 juill.
1954, Rev. crit. 1954. 612, concl. Rey, note Lenoan; 4 juin 1955, Rev. crit.
1956. 66, note Batiffol).
Il y avait aussi question d’ordre international public lorsque les tribunaux
judiciaires avaient eu connaissance de négociations en cours ou à intervenir.
L’existence d’un problème diplomatique étant alors objectivement établie, il
importait de ménager la liberté du gouvernement. L’interprétation des accords
d’Évian sur les obligations de l’État français aux dettes nées du chef du fonc-
tionnement de l’Administration française en Algérie avant l’indépendance
en offre une bonne illustration. La cour de Paris ayant, dans la même affaire
Humbert, décidé dans un premier arrêt qu’il convenait de solliciter l’inter-
prétation du ministre des Affaires étrangères pour l’application à l’espèce des
accords d’Évian « dès lors que des négociations entre la France et l’Algérie
étaient envisagées par le gouvernement français quant à la portée de ces textes
et qu’il y avait lieu d’éviter de porter atteinte à sa liberté en matière diplomati-
que », puis dans un second arrêt que l’interprétation des conventions litigieu-
ses « ne mettait plus en jeu aucune question de droit international public » le
gouvernement français ayant renoncé à engager de telles négociations, la Cour
de cassation l’en approuva (Civ. 3e, 27 mars 1973, Rev. crit. 1975. 287, note
Batiffol, Clunet 1974. 110, note Ruzié, RGDIP 1975. 1198, note Ch. Rousseau).
On ne saurait montrer plus clairement que la notion d’ordre international public
présentait en la matière un caractère politique et purement contingent.
7 B. — Désireux de sauvegarder la liberté de manœuvre de l’exécutif dans la
conduite des relations extérieures et s’estimant mal armé pour procéder à l’inter-
prétation de conventions dont les travaux ne lui étaient souvent pas accessibles,
le Conseil d’État avait posé dès 1823, dans un arrêt Rougemont, qu’il ne lui
appartenait pas, dans l’exercice de ses fonctions contentieuses, d’interpréter
les traités internationaux. Saisi d’un recours nécessitant l’interprétation d’un
accord international, le juge administratif devait donc surseoir à statuer et
renvoyer la question préjudicielle ainsi soulevée à l’autorité gouvernementale
(CE Ass., 3 juill. 1931, S. 1932. 3. 129). Sollicitée ou donnée spontanément,
l’interprétation ministérielle considérée comme un acte de gouvernement s’impo-
sait au juge pour toutes les affaires ultérieures mettant en cause les mêmes dis-
712 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 80-81

positions conventionnelles à moins que, désireux d’obtenir un changement


d’interprétation, celui-ci ne renvoie de nouveau la question au ministre.
Cette position n’était pas pour autant restée immuable. Elle avait, en effet,
connu un important infléchissement avec la théorie de l’« acte clair ». Le référé
diplomatique n’avait pas lieu d’être lorsque le sens de la stipulation conven-
tionnelle est clair. Il y a, en ce cas, matière non à interprétation mais à appli-
cation de la convention (CE Ass., ler juill. 1938, Rec. Lebon p. 607). Utilisée
de plus en plus fréquemment alors même que la clarté n’était pas « le princi-
pal mérite de la disposition évoquée », cette théorie avait contribué à rappro-
cher la position du Conseil d’État de celle de la Cour de cassation au point
qu’on avait pu dire que les différences qui subsistaient entre les deux juridic-
tions étaient, sur ce point, « plus apparentes que réelles » (Abraham, Rev. crit.
1991. 71).
C’est dire que, tout en partant de positions opposées, la Cour de cassation
et le Conseil d’État étaient finalement parvenus, par des cheminements dif-
férents, à une solution équilibrée qui faisait sa part au pouvoir du juge et à
celui de l’Administration. Mais cette situation d’équilibre a été récemment
remise en cause au détriment de l’Administration et au profit du juge.

II. La compétence du juge

8 Après avoir étudié comment s’est opéré ce double revirement de jurispru-


dence (A), on brossera un tableau des pouvoirs des juges en matière d’inter-
prétation des traités (B).
9 A. — En dépit des aménagements qui lui avaient été apportés, la position du
Conseil d’État était souvent perçue comme celle d’une juridiction qui aban-
donnait, en matière d’interprétation des traités, l’essentiel de son pouvoir à une
autorité non juridictionnelle. Cette attitude était l’objet de critiques de plus en
plus vives.
En premier lieu, on relevait que, tolérables à une époque où les litiges sou-
mis à l’emprise du droit conventionnel étaient rares, cette solution ne l’était plus
depuis que celle-ci allait croissante, du fait de la multiplication des conven-
tions internationales.
En second lieu, on insistait sur ce que le recours à l’interprétation ministé-
rielle avait, depuis l’adoption de la jurisprudence Nicolo (supra, no 56), pour
conséquence de déléguer à une autorité gouvernementale le pouvoir que le juge
tire de l’article 55 de la Constitution d’écarter l’application d’une loi contraire
à un traité.
En troisième lieu, on soulignait que le système du référé diplomatique était
de nature à heurter l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de
l’homme. Et de fait, le juge abandonnant son pouvoir entre les mains d’une
autorité non juridictionnelle, fréquemment intéressée à la solution du litige
parce qu’elle y occupait la position de partie et dont l’intervention se tradui-
sait par un allongement de la procédure, on pouvait nourrir des doutes sur
l’effectivité du droit de tout plaideur à ce que sa « cause soit entendue équita-
80-81 GISTI, CE, 29 JUIN 1990 — BAD CASS., DÉC. 1995 713

blement (…) par un tribunal indépendant et impartial (…) dans un délai rai-
sonnable ».
En dernier lieu, on notait que les raisons traditionnellement invoquées en
faveur de l’interprétation ministérielle avaient perdu beaucoup de leur force.
L’argument selon lequel le juge n’a pas accès aux travaux préparatoires, fondé
pour les conventions bilatérales, ne valait pas pour la plupart des conventions
multilatérales. Les débats qui entourent leur négociation sont, en effet, souvent
l’objet d’une large publicité de la part des organisations internationales sous
l’égide desquelles elles sont élaborées. Il n’est pour illustrer ce propos, en
droit international privé, que de citer les actes et documents publiés par la
Conférence de La Haye à la suite de chacune de ses sessions.

10 On comprend, dès lors, qu’invité par son commissaire du gouvernement à


réviser sa position, le Conseil d’État se soit reconnu le pouvoir d’interpréter
lui-même les traités diplomatiques renonçant ainsi à une solution qui remontait
aux limbes de la juridiction administrative. Seule, au demeurant, une lecture
attentive de l’arrêt GISTI, éclairé par les conclusions du commissaire du
gouvernement, permet de prendre conscience de ce revirement de jurispru-
dence. Confrontée à la question de savoir s’il fallait entendre par la notion
d’« enfant mineur » visée par l’accord franco-algérien, les enfants mineurs de
dix-huit ans, comme le prévoit la circulaire du 14 mars 1986 ou les enfants
mineurs tels qu’ils sont définis par la loi algérienne (dix-neuf ans pour les gar-
çons, vingt et un ans pour les filles), le Conseil d’État ne s’en remet pas à
l’interprétation donnée par le ministère des Affaires étrangères mais dégage
lui-même la signification à donner à la convention en prenant appui sur les piè-
ces du dossier.
Mais tout en se reconnaissant à l’image de la Cour de cassation le pouvoir
d’interpréter les traités diplomatiques, le Conseil d’État n’a pas assorti ce pou-
voir des limites que la Cour de cassation lui avait fixées. Même en présence
d’une question d’ordre international public, le juge administratif n’est pas lié
par l’interprétation donnée unilatéralement par le gouvernement, aurait-elle
été publiée (v. CE, 21 déc. 1994, Sarra Garriga, Rev. crit. 1995. 292, note
P. Lagarde).

11 D’où une interrogation : la Cour de cassation maintiendrait-elle sa jurispru-


dence traditionnelle ou s’alignerait-elle sur la position du Conseil d’État ? Il
était permis d’hésiter. Les critiques qui ont conduit le Conseil d’État à renver-
ser sa jurisprudence n’avaient, en effet, qu’une prise assez faible sur la juridic-
tion judiciaire.
L’abandon du pouvoir d’interprétation du juge entre les mains d’une autorité
non juridictionnelle s’est toujours présentée, au sein de l’ordre judiciaire, non
comme le principe mais comme une exception étroite justifiée par le souci de
ne pas entraver dans des cas particulièrement sensibles l’action diplomatique
du gouvernement. En outre, l’interprétation gouvernementale y apparaît beau-
coup moins choquante, l’État n’y occupant pas en règle générale la position
de juge et de partie.
714 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 80-81

Aussi bien, la Cour de cassation devait-elle un temps hésiter sur la conduite


à tenir : par un arrêt du 29 avril 1993 (Gaz. Pal. 11-12 mars 1994, concl.
Chauvy), la Chambre sociale parut amorcer un rapprochement avec la position
de la juridiction administrative, mais le 7 février 1995, la Première chambre
civile réaffirmait sa jurisprudence traditionnelle (Ngo Thi Hoa, Bull. I, no 73,
p. 52, RGDIP 1996. 275). Elle devait néanmoins se rallier à la solution consa-
crée par la juridiction administrative, dans l’arrêt du 19 décembre 1995, ci-
dessus reproduit : « il est de l’office du juge d’interpréter les traités internatio-
naux invoqués dans la cause soumise à son examen, sans qu’il soit nécessaire
de solliciter l’avis d’une autorité non juridictionnelle ». Les limites tradition-
nellement posées par la Cour de cassation au pouvoir du juge judiciaire d’inter-
préter les traités sont supprimées.
Subsiste néanmoins aujourd’hui encore une incertitude. La Chambre crimi-
nelle ayant longtemps fait cavalier seul au sein de la haute juridiction puisqu’elle
retenait une solution analogue à celle du Conseil d’État (Crim., 22 janv. 1963,
D. 1963. 531; 10 mai 1988, Gaz. Pal. 1988. 846, note Doucet), on s’est demandé
si elle persisterait dans sa singularité ou si elle choisirait de s’aligner sur la
nouvelle position des deux hautes juridictions. Le deuxième terme de la réponse
semble le plus probable.

12 B. — Décider que les juges ne sont plus liés par l’interprétation gouverne-
mentale ne signifie pas que leur pouvoir ne rencontre pas, parfois, certaines
bornes.
En premier lieu, si l’interprétation unilatérale donnée par le gouvernement
ne s’impose plus ni au juge judiciaire ni au juge administratif, ceux-ci sont en
revanche liés par une interprétation authentique qui prend la forme d’un nou-
veau traité faisant lui-même l’objet d’une ratification ou d’une approbation et
d’une publication par décret du président de la République. Au reste, il n’y a
pas alors, à proprement parler, interprétation mais nouvelle règle, laquelle est
elle-même susceptible de nouvelles interprétations (D. Alland, art. préc.,
RGDIP 1996, p. 629 et s., nos 39 et s.). Cette nouvelle règle ne sera pas applica-
ble aux affaires en cours, sauf à ses auteurs à lui conférer un caractère expres-
sément interprétatif (P. Lagarde, note, Rev. crit. 1989. 533). Ainsi en a-t-il été
dans l’affaire Air Afrique. Par deux fois en effet, la Cour de cassation a dû s’y
incliner devant l’interprétation gouvernementale qui avait pris la forme d’un
échange de lettres entre les gouvernements français et ivoiriens (Civ. 1re, 18 oct.
1988, Rev. crit. 1989. 527, note P. Lagarde; 6 nov. 1990, Rev. crit. 1991. 147,
note P. L. et échanges de lettres franco-ivoiriens des 11 avr. 1986 et 13 juill.
1989, Rev. crit. 1986. 575 et 1989. 806).

13 En deuxième lieu, la suppression du référé diplomatique est sans incidence


sur l’interprétation du droit communautaire. En cas de difficulté d’interpréta-
tion de celui-ci, le renvoi préjudiciel à la Cour de justice des Communautés
européennes s’impose, en vertu des engagements internationaux souscrits par
la France (art. 177, Traité de Rome). Ce renvoi préjudiciel est également prévu
par deux des conventions internationales, élaborées dans le cadre de la com-
munauté européenne, qui intéressent particulièrement le droit international
80-81 GISTI, CE, 29 JUIN 1990 — BAD CASS., DÉC. 1995 715

privé : la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, concernant la com-


pétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale
ainsi que la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles.
Pour la Convention de Bruxelles, le protocole signé à Luxembourg le 3 juin
1971 et entré en vigueur le ler septembre 1975, prévoyait que les juridictions
nationales saisissent la Cour de justice lorsque se pose un problème d’interpré-
tation. Plus précisément, les juridictions suprêmes (Cour de cassation et Conseil
d’État en France) étaient tenues de saisir la Cour de justice si elles estimaient
qu’une décision de la cour est nécessaire pour qu’elles puissent rendre leur
décision; quant aux cours d’appel, elles avaient seulement la faculté de la sai-
sir (H. Gaudemet-Tallon, Les Conventions de Bruxelles et de Lugano, 2e éd.,
1996, nos 4 et s.). Son remplacement par le règlement de Bruxelles I conduit à
des solutions différentes. La compétence de la CJCE pour se prononcer par
voie d’interprétation préjudicielle relève désormais de l’article 68 du Traité
CE. Il en résulte que seules les juridictions nationales « dont les décisions ne
sont plus susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne » peuvent
poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Les cours d’appel ne
peuvent donc plus l’interroger (H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution
des jugements en Europe, 3e éd., 2002, no 33).
Pour la Convention de Rome, le protocole signé le 19 décembre 1988 et
entré en vigueur le 1er août 2004 prévoit un recours préjudiciel en interpré-
tation facultatif pour les juridictions suprêmes et pour les cours d’appel (sur
cette question, v. D. Bureau, RDC 2004. 1057 et 2005. 449).
14 En troisième lieu, il existe pour certaines conventions internationales des
organismes habilités à veiller à leur respect. Ainsi en va-t-il notamment pour la
Convention européenne des droits de l’homme avec la Cour européenne des
droits de l’homme qui siège à Strasbourg.
Ayant reçu compétence de certains États-parties, dont la France, pour
connaître des demandes formées contre ces États par les individus qui leur
reprocheraient d’avoir méconnu leurs droits, cette juridiction est appelée à
préciser la signification des règles conventionnelles afin de savoir s’il y a eu
ou non violation des droits et libertés protégés par la convention. L’interpréta-
tion ainsi donnée de la convention ne s’intègre pas dans le droit interne des
États car ceux-ci n’ont pas entendu faire de la cour un organe officiel d’inter-
prétation de la convention. Mais, en pratique, les juges français ont tendance à
s’inspirer de la jurisprudence de la cour de Strasbourg, voire même à s’aligner
sur celle-ci (v. par ex., Ass. plén., 11 déc. 1992, JCP 1993. II. 21991, concl. Jéol,
note G. Mémeteau, Grands arrêts jurisp. civile, 11e éd., no 23) Et ceci d’autant
plus que si les tribunaux d’un État-partie refusent d’adopter l’interprétation
consacrée par la cour, ils exposent cet État à des condamnations à l’occasion
de recours futurs.
Il est d’ailleurs permis de se demander si cette donnée n’a pas joué un rôle
dans le revirement opéré par la Cour de cassation dans son arrêt Banque afri-
caine de développement. Par son arrêt Beaumartin du 24 novembre 1994, la
Cour de Strasbourg a en effet condamné la France dans une hypothèse où,
716 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 80-81

antérieurement au revirement de jurisprudence opéré par l’arrêt GISTI, le


Conseil d’État s’était estimé lié par l’interprétation d’un accord international
donné par le ministère des Affaires étrangères, les requérants n’ayant pas été
entendus par « un tribunal indépendant et de pleine juridiction ». Il est vrai
qu’il s’agissait en l’espèce d’un litige où le gouvernement était juge et partie,
situation qui ne se rencontre pas devant les juridictions de l’ordre judiciaire
(sur cette question, v. G. Cohen-Jonathan, Gaz. Pal., 28-29 juin 1996).
15 Rencontrant les mêmes limites dans l’exercice de leur pouvoir d’interpréta-
tion des conventions internationales, la Cour de cassation et le Conseil d’État
doivent-ils faire application des mêmes directives lorsqu’ils mettent en œuvre
ce pouvoir ? La réponse est très certainement positive en ce qui concerne les
directives d’interprétation. Les principes et méthodes qui ont été codifiés par la
Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités s’imposent aussi
bien aux juges judiciaires qu’aux juges administratifs (Abraham, Rev. crit.
1991. 73; B. Oppetit, Rev. crit. 1996. 472).
16 En revanche, il est permis de se demander si certaines divergences ne sub-
sistent pas, en matière d’interprétation des traités, entre les deux hautes juridic-
tions quant aux rapports qu’elles entretiennent avec le pouvoir exécutif.
Le juge qui rencontre une difficulté d’interprétation à propos d’un engage-
ment international doit-il consulter le ministre des Affaires étrangères, quitte à
ne pas suivre son avis ? À en croire les conclusions du commissaire du gou-
vernement, la réponse serait positive en ce qui concerne le juge administratif :
obligé de consulter le gouvernement, il ne serait pas lié par l’opinion de celui-
ci (Abraham, Rev. crit. 1991. 73). Une telle obligation apparaît excessive. L’avis
du pouvoir exécutif ne devrait être sollicité que lorsqu’il est susceptible de
permettre au juge d’avoir accès à des éléments d’information dont il est privé,
par exemple les travaux préparatoires d’une convention internationale (rappr.
Teboul, AJDA 1990. 632; P. Lagarde, Rev. crit. 1991. 82). En tout état de cause,
il est certain qu’une telle obligation ne s’impose pas au juge judiciaire. La
Cour de cassation l’indique, en effet, expressément en précisant qu’il est « de
l’office du juge d’interpréter les traités internationaux invoqués dans la cause
soumise à son examen, sans qu’il soit nécessaire de solliciter l’avis d’une
autorité non juridictionnelle ». Reste à savoir s’il en a la faculté ? En doctrine,
la négative a été soutenue au motif qu’en rattachant ce pouvoir d’interpréta-
tion à l’« office du juge », la haute juridiction aurait exclu une telle démarche
(B. Oppetit, Rev. crit. 1996. 472).
17 Autre question à propos de laquelle la Cour de cassation et le Conseil d’État,
perpétuant leur opposition antérieure, paraissent vouloir retenir des solutions
différentes : l’appréciation de la condition de réciprocité posée par l’article 55
de la constitution. Ce texte subordonnant l’autorité qu’il confère aux traités
à « son application par l’autre partie », les tribunaux peuvent-ils se faire juges
de cette condition ? À tout le moins peuvent-ils surseoir à statuer et provoquer
une prise de position du gouvernement sur cette question ?
S’en tenant à sa position traditionnelle (Civ. 1re, 6 mars 1984, Kryla, Rev. crit.
1985. 108, note Droz, Clunet 1984. 859, note Chappez, D. 1985, IR p. 182,
80-81 GISTI, CE, 29 JUIN 1990 — BAD CASS., DÉC. 1995 717

obs. Audit), la Cour de cassation refuse aux juges judiciaires la faculté d’inter-
roger le gouvernement et à plus forte raison d’apprécier eux-mêmes le respect
de la condition de réciprocité. En l’absence d’une initiative prise par le gou-
vernement pour dénoncer une convention ou suspendre son application, celle-
ci doit être appliquée par le juge (Civ. 1re, 16 févr. 1994, Ait Kaci, Rev. crit.
1995. 51, note P. Lagarde). À l’inverse, en présence d’une telle dénonciation,
cette décision s’impose aux juges sans qu’ils puissent en contrôler la régula-
rité (Civ. 1re, 23 mars 1994, N’Guyen, Rev. crit. 1995. 51, note P. Lagarde, Clu-
net 1995. 119, note Chappez).
À supposer qu’elle suive les recommandations du commissaire du gouver-
nement, la juridiction administrative devrait adopter en la matière une position
qui se situe aux antipodes de celle de la juridiction judiciaire (Abraham, Rev.
crit. 1991. 73; v. aussi Lachaume, note RFDA 1990. 938). Le juge administratif
devrait, en effet, comme par le passé (CE Ass., 29 mai 1981, Rekhou, D. 1982.
137, note Calonnec, Rev. crit. 1982. 65, concl. Théry, note P. Lagarde, Clunet
1982. 437, note Chappez), interroger le gouvernement sur le caractère effectif
de la réciprocité (pour la critique de cette solution, v. P. Lagarde, Rev. crit.
1991. 84). Et de fait le Conseil d’État a ultérieurement réaffirmé sa position
traditionnelle par un arrêt du 9 avril 1999 (CE, 9 avr. 1999, D. 1999, IR p. 174).
La condamnation de celle-ci par la Cour de Strasbourg au motif qu’elle viole-
rait l’article 6-1 de la CEDH (CEDH, 13 févr. 2003, D. 2003. 931, note Mou-
touh) devrait avoir pour conséquence soit l’abandon de cette jurisprudence,
soit au moins, au cas où l’opinion gouvernementale continuerait à être sollici-
tée, la discussion contradictoire de celle-ci par les parties.
82-83
COUR DE CASSATION
(Ch. com.)

16 novembre 1993 et 28 juin 2005

I. — Rev. crit. 1994. 332, note P. Lagarde,


Clunet 1994. 98, note J.-B. Donnier,
Dr. mar. fr. 1994. 120, note Y. T.
II. — Rev. crit. 2005. 645, note B. Ancel et H. Muir Watt,
D. 2005. 2853, note N. Bouche,
Droit & patrimoine, novembre 2005, p. 107, obs. M.-E. Ancel.
Loi étrangère. — Connaissance. —
Office du juge. — Charge des parties.

Dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il
incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit étranger
désigné par la règle de conflit, conduirait à un résultat différent de celui
obtenu par l’application du droit français, de démontrer l’existence de cette
différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu’elle invoque à
défaut de quoi le droit français s’applique en raison de sa vocation subsi-
diaire (1er arrêt).
Il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger
d’en rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque,
la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de
donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étran-
ger (2e arrêt).

Faits. — Moins que toute autre, la question de la connaissance par le tribunal fran-
çais de la teneur de la loi étrangère que la règle de conflit commande d’appliquer peut
prétendre être définitivement résolue. Aussi bien, le titre à figurer conjointement dans
ce recueil des deux arrêts aux doctrines opposées ci-dessous présentés procède du des-
sein de rendre compte des deux solutions entre lesquelles la jurisprudence depuis plu-
sieurs lustres oscille selon des amplitudes variables. Sans doute le fait que le second de
ces arrêts émané de la Chambre commerciale se fonde sur une motivation de principe en
tout point identique à celle d’une décision de la Première chambre civile, prononcée le
même jour (Aubin, Rev. crit. 2005. 645, note B. Ancel et H. Muir Watt), atteste la forte
détermination de la Cour de cassation à fixer sa religion sur le point de l’office de juge
et du rôle des parties dans la recherche du droit étranger applicable. Cependant l’expé-
rience montre que la multiplicité des paramètres qu’il s’agit de combiner pour dégager
82-83 AMERFORD, CASS., 16 NOV. 1993 — ITRACO, 28 JUIN 2005 719

quelque règle solide en ce domaine où la pratique le dispute à la théorie, comporte un


risque non négligeable d’instabilité ou en tout cas de divergences plus ou moins occasion-
nelles ; l’infinie variété des cas qui alimentent la première ne peut que contrarier
l’incoercible désir d’unité que ressent la seconde. C’est pourquoi, si aujourd’hui la doc-
trine de l’arrêt du 28 juin 2005 exprime seule l’orthodoxie, il a paru utile de ne pas
occulter la doctrine adverse qui inspire l’arrêt du 16 novembre 1993 et inspirera peut-
être demain encore quelques autres décisions; de surcroît, il n’est sans doute pas mau-
vais sur le terrain purement pédagogique de présenter le maillon manquant, celui qui
s’intercale entre la jurisprudence Lautour-Thinet (v. supra, no 19 § 8 et 9) et les arrêts
du 28 juin 2005.
Venant aux droits de la Société CII-Honeywell Bull pour l’avoir indemnisée des ava-
ries subies par les marchandises dont celle-ci avait confié l’acheminement à la Société
Amerford International Corp., commissionnaire de transport, six compagnies d’assurances
obtiennent que soit sanctionnée la responsabilité de cette dernière, de sa filiale en France
comme du transporteur et de leurs assureurs. La condamnation est prononcée par appli-
cation de la loi française alors que la convention conclue par la Société Bull en vue du
transport à effectuer de Chicago à Roissy obéissait à la loi américaine de l’État de l’Illinois.
La Société Amerford avait pourtant demandé que cette loi étrangère soit appliquée à la
prétention que les assureurs de la Société Bull dirigeait contre elle, mais la Cour d’appel
de Versailles était restée sourde à cette réclamation, l’existence d’une différence entre la loi
française et la loi américaine ne lui ayant pas été représentée. La Société Amerford forme un
pourvoi par lequel elle proteste qu’en la condamnant par application de la loi française, la
cour d’appel la sanctionne de n’avoir pas établi la teneur de la loi étrangère qu’elle invo-
quait, comme si la charge de cette preuve lui incombait, alors que c’était, soutient-elle,
aux compagnies d’assurances demanderesses d’établir le bien-fondé de leur prétention et
donc la conformité de celle-ci au droit applicable.
Estimant que c’est au plaideur qui entend tirer avantage de la loi étrangère désignée
d’en rapporter la teneur, la Cour de cassation, rejette le pourvoi sur ce point.
Le second arrêt prononce une cassation dans les circonstances suivantes. Acquéreur
d’une cargaison de fèves australiennes expédiée sous couvert de trois connaissements
depuis l’Australie, la société Itraco demande aux juridictions françaises de condamner
la société Fenwick Shipping Services Ltd, le transporteur, à lui verser 78 000 dollars en
réparation du préjudice subi en raison d’un manquant de 215 tonnes constaté après
déchargement de la marchandise dans le port de destination, à Abadya en Égypte. Les
premiers juges font application des Règles de Hambourg, issues d’une convention inter-
nationale du 31 mars 1978 à laquelle la France n’est pas partie; au vu des connaisse-
ments soumettant le contrat de transport à la loi australienne, la Cour de Paris déclare
celle-ci applicable. Néanmoins, parce que l’appelant n’établit pas la teneur de la loi aus-
tralienne, la cour en écarte l’application et rejette la demande. La Société Itraco se pour-
voit en cassation.

1er ARRÊT

(Soc. Amerford et autre c/Soc. Air France et autres)


La Cour; — Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société CII Honeywell Bull
(la société Bull) a confié à la société Amerford International Corporation (la
société Amerford), en qualité de commissionnaire de transport, l’organisation
du transport de colis de matériels de Chicago à l’aéroport de Roissy-en-France;
que la société Amerford a chargé de cet acheminement la compagnie Air France;
qu’après leur réception par la société Amerford France, mandataire de la société
720 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 82-83

Amerford, les marchandises ont été livrées à Roissy à la société Bull, « destina-
taire réel »; que c’est à leur arrivée à Angers, où cette dernière les avait fait
transporter par route, que des dommages aux marchandises, reconnus causés
par des chocs lors des opérations de manutention ou de transport, ont été cons-
tatés sans que l’expert désigné ait pu préciser à quel moment les avaries avaient
eu lieu; que les six compagnies d’assurance de la société Bull, subrogées dans ses
droits pour l’avoir indemnisée, ont assigné la société Amerford en dommages-
intérêts;
Sur le premier moyen : — Attendu que les sociétés Amerford et Amerford
France ainsi que la compagnie Air France et les assureurs de celle-ci font grief à
l’arrêt d’avoir accueilli la demande des assureurs de la société Bull sur le fonde-
ment du droit français alors, selon le pourvoi, que la charge de la preuve de la
loi étrangère pèse sur la partie dont la prétention est soumise à cette loi; que
saisie d’une action en responsabilité engagée par la société Bull à l’encontre de
la société Amerford, société de droit américain, en sa qualité de commission-
naire de transport et fondée sur la mauvaise exécution de la convention conclue
le 24 mai 1986 pour un transport de marchandises de l’Illinois à l’aéroport de
Roissy-en-France, la cour d’appel ne pouvait, sans renverser la charge de la
preuve, refuser d’appliquer la loi de l’État d’Illinois, normalement compétente
en vertu de la règle de conflit française, au seul motif que le défendeur à l’action
n’en rapportait pas la teneur; qu’ainsi, la cour d’appel a violé les articles 3 et 1315
du Code civil; — Mais attendu que, dans les matières où les parties ont la libre
disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend que la mise en
œuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de lois, conduirait à un
résultat différent de celui obtenu par l’application du droit français, de démon-
trer l’existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère
qu’elle invoque, à défaut de quoi le droit français s’applique en raison de sa
vocation subsidiaire; qu’ayant retenu que la société Amerford se bornait à reven-
diquer la compétence du droit de l’État de l’Illinois, sans établir que l’apprécia-
tion de sa responsabilité au regard des règles de ce droit en serait modifiée,
c’est sans inverser la charge de la preuve que la cour d’appel a statué sur le fon-
dement du droit français; que le moyen n’est pas fondé;
Mais sur le deuxième moyen : — Vu l’article 98 du Code de commerce; —
Attendu que pour décider que la société Amerford, en sa qualité de commis-
sionnaire de transport, était responsable des avaries constatées à l’arrivée de la
marchandise à Angers, l’arrêt retient que les circonstances exactes dans lesquel-
les les marchandises ont été dégradées sont inconnues et que, tenu d’une obli-
gation de résultat, le commissionnaire de transport ne peut échapper à sa
responsabilité; — Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses cons-
tatations que la marchandise litigieuse, après avoir été réceptionnée, à l’issue
du transport aérien, par la société Amerford France, avait été livrée, à Roissy, à
la société Bull, son « destinataire réel », et qu’il n’était pas possible d’établir
que les dommages avaient eu lieu pendant le transport effectué par la compa-
gnie Air France ou pendant les opérations de manutention précédant la livrai-
son à Roissy, c’est-à-dire pendant la seule partie des opérations concernées par
le contrat de commission, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales
de ses constatations;
Par ces motifs; et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen : —
Casse et annule, sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action directe exercée par
les compagnies d’assurance de la société CII Honeywell Bull contre la compagnie
Air France, l’arrêt rendu le 28 mars 1991, entre les parties, par la cour d’appel de
Versailles.

Du 16 novembre 1993. — Cour de cassation (Ch. com.) — MM. Bézard, prés., Rémery, rapp., Mme Piniot,
av. gén. — SCP Delaporte et Briard, MMes Cossa, Le Prado, av.
82-83 AMERFORD, CASS., 16 NOV. 1993 — ITRACO, 28 JUIN 2005 721

2e ARRÊT
(Soc. Itraco c/Fenwick Shipping Services Ltd et autre)
La Cour; — Sur le premier moyen : — Vu l’article 3 du Code civil; — Attendu
qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en
rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur,
avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la
question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger; — Attendu,
selon l’arrêt déféré, que la société International Trading Company (société
Itraco) ayant conclu avec la General Service Organization (GSO) une vente CIF de
fèves australiennes, la marchandise a été acheminée en vrac à bord du navire
MV Chang-Er sous couvert de connaissements nets de réserve depuis les ports
australiens de Wallaroo et d’Adelaïde au port d’Adabya en Égypte et que des
manquants ont été constatés au cours des opérations de déchargement;
qu’ultérieurement, la société Itraco, subrogée dans les droits de GSO, a assigné
la société Fenwick Shipping Services Ltd, armateur du navire ainsi que son capi-
taine, en indemnisation du préjudice ; — Attendu que pour écarter l’applica-
tion de l’« Australian Carriage of Goods by Sea Act 1991 » et rejeter la demande
de la société Itraco, l’arrêt retient que les fèves ont été transportées sous cou-
vert de trois connaissements « Austwheat » prévoyant l’application des règles
de l’« Australian Carriage of Goods by Sea Act 1991 » et non celle des règles de
Hambourg de 1978, comme l’a retenu à tort le tribunal, que la société Itraco n’a
pas justifié du contenu de ces règles, ni versé les connaissements complets recto
verso, ne permettant pas d’examiner les clauses figurant au verso et qu’en l’état
des pièces produites, la société Itraco n’établit ni les modalités prévues pour la
livraison ni celles afférentes aux pesées de la cargaison délivrée au réception-
naire ; — Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que la loi aus-
tralienne était applicable au litige, la cour d’appel a méconnu son office et violé
le texte susvisé;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : — Casse.
Du 28 juin 2005. — Cour de cassation (Ch. com.). — MM. Tricot, prés., de Monteynard, rapp., Jobard,
av. gén. — SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Delaporte, Briard et Trichet, av.

OBSERVATIONS

1 Au-delà de la pure technique procédurale, la question de la prise de connais-


sance par le tribunal français de la loi étrangère applicable engage l’effectivité
de la règle de conflit et partant son autorité. En effet, si l’accès à la teneur du
droit étranger désigné reste fréquemment hors de portée, celui-ci ne pourra
être mis en œuvre et la règle de conflit aura tourné à vide; en revanche, si une
stricte discipline impose de prendre les moyens de découvrir le contenu de la
loi étrangère, la règle de conflit inscrira réellement son effet propre dans la
décision d’un juge qui aura été en mesure d’appliquer le droit compétent à la
question dont il était saisi. La simple existence de la règle de conflit rend
en théorie la seconde branche de cette alternative la plus souhaitable. Cepen-
dant, en pratique, il faut aussi compter avec « les difficultés de la connaissance
concrète du droit étranger — donnée toujours fondamentale en la matière,
même pour le magistrat le mieux disposé à l’application de ce droit… »
(J. Lemontey et J.-P. Rémery, « La loi étrangère dans la jurisprudence actuelle
722 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 82-83

de la Cour de cassation », Rapport général de la Cour de cassation 1993,


p. 87); de fait, ce n’est jamais sans requérir bien des efforts, ni sans s’exposer à
quelque risque qu’une décision met en œuvre une disposition étrangère —
celle-ci serait-elle aussi notoire que la licéité de la polygamie, par exemple,
dans les systèmes juridiques d’obédience islamique —, car la notoriété reste
souvent vague et abstraite alors que l’application sera concrète et particulière.
2 Avertis de cette tension entre le souhaitable et le faisable, les arrêts ci-dessus
reproduits offrent deux réponses contraires qui, cependant, l’une comme l’autre,
s’articulent sur la définition de l’office du juge. D’après l’arrêt Amerford, le
juge, extérieur au processus d’acquisition de la connaissance de la loi étran-
gère applicable, se prononce sur le résultat des recherches effectuées par les
parties; d’après l’arrêt Itraco, qui désormais fait autorité, le juge constitue la
pièce maîtresse du dispositif et assume ès qualités et activement la responsabi-
lité de la connaissance de cette loi étrangère. En 1993, la Chambre commer-
ciale charge la partie qui prétend tirer avantage de la loi étrangère de faire la
preuve de son contenu; en 2005, elle proclame qu’« il incombe au juge fran-
çais qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en rechercher, soit d’office
soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des
parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une
solution conforme au droit positif étranger ». Le revirement est patent. Du
moins, il est patent dans la mesure où le procès roulait sur des intérêts disponi-
bles pour les parties; en effet, il était admis déjà depuis plusieurs lustres, dans
le sillage des arrêts Rebouh (supra, no 74), Schule (supra, no 75), Makhlouf
(Civ. 1re, 18 nov. 1992, Rev. crit. 1993. 276, note B. Ancel, Clunet 1993. 309,
note Y. Lequette, D. 1993. 213, note P. Courbe) que dans les procès où les
parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits, il revient au juge appli-
quant au besoin d’office la règle de conflit de « rechercher quelle suite devait
être donnée à l’action en application de la loi » désignée ou encore, dans une
autre formulation (Civ. 1re, 1er juill. 1997, Driss Abdou, Rev. crit. 1988. 60, note
P. Mayer, Defrénois 1998. 711, note J. Massip), que « l’application de la loi
étrangère désignée pour régir les droits dont les parties n’ont pas la libre dispo-
sition impose au juge français de rechercher la teneur de cette loi » ou, selon le
motif de l’arrêt Lavazza, « de rechercher la solution donnée à la question de
droit litigieuse par le droit positif en vigueur dans l’État concerné » (Civ. 1re,
24 nov. 1998, Lavazza, Rev. crit. 1999. 88, note B. A., D. 1999. 337, note
M. Menjucq, Grands arrêts, 4e éd., no 83). Abandonner le soin de la loi étran-
gère à des parties qui pourraient n’avoir que le dessein de lui échapper risque-
rait de contredire le caractère indisponible des intérêts litigieux (Y. Lequette,
Rev. crit. 1989, p. 335-336; B. Fauvarque-Cosson, Libre disponibilité des droits
et conflits de lois, thèse Paris II, LGDJ 1996, nos°291 et s.; H. Muir Watt, Rép.
Dalloz dr. int., 2e éd., v° Loi étrangère, no 88); dès lors, assigner au juge la
mission de trancher le conflit de lois implique pour celui-ci « l’obligation sup-
plémentaire de veiller à l’application effective de la loi étrangère désignée »
(P. Lagarde, note Rev. crit. 1994, p. 339; J. Lemontey et J.-P. Ancel, « André
Ponsard, un internationaliste à la Cour de cassation », Études A. Ponsard, 2003,
p. 211). En revanche, lorsque les intérêts sont disponibles, il est concevable de
82-83 AMERFORD, CASS., 16 NOV. 1993 — ITRACO, 28 JUIN 2005 723

laisser aux plaideurs la responsabilité de la preuve de la loi étrangère et même


aussi de son applicabilité. C’est cette solution que l’arrêt Itraco efface; il
dégage la question de la connaissance de la loi étrangère, de l’emprise de la
distinction de la disponibilité et de l’indisponibilité des intérêts débattus et,
partant, de concert avec son vrai jumeau, l’arrêt Aubin (préc.), il généralise la
solution Lavazza, remodelant ainsi l’office du juge. Mais, à cette fin il ne suf-
fisait pas de restituer au juge l’entière maîtrise de la loi étrangère désignée,
il fallait encore organiser en pratique la recherche de celle-ci. Évoquant le
concours des parties pour l’obtention d’une solution conforme au droit positif
étranger, l’arrêt procède en effet à la distribution des rôles — éminent et utile
— entre les acteurs du procès. Il oppose ainsi l’attribution de la charge d’éta-
blir la teneur de la loi étrangère (I) à l’exécution de cette charge (II).

I. L’attribution de la charge d’établir la teneur de la loi étrangère

3 L’affirmation du rôle éminent du juge disqualifie la solution Amerford; cette


condamnation ne réhabilite pourtant pas le système que cet arrêt condamnait
— le système dit de la prétention — qu’avaient consacré les arrêts Lautour (v.
supra no 19) et Société Thinet (Civ. 1re, 24 janv. 1984, Rev. crit. 1985. 89, note
P. Lagarde, Clunet 1984. 874, note Bischoff, Grands arrêts, 2e éd., no 61).
Avec l’arrêt Itraco, la Cour de cassation restitue au juge la maîtrise de la ques-
tion de la connaissance de la loi étrangère applicable pour ne confier aux par-
ties qu’une fonction utile.

A. — La fonction éminente du juge

4 En 1993, la Chambre commerciale ne remettait pas en cause, dans le périmètre


des intérêts disponibles, la position du juge qui restait ainsi au-dessus de la mêlée.
Dans ce seul périmètre et selon la recommandation de la doctrine (P. Mayer,
Dr. int. pr., 4e éd., no 188) qui trouvait appui dans une série non négligeable de
précédents (Com., 14 juin 1984, Soc MAN, Rev. crit. 1985. 119, note Batiffol;
Civ. 1re, 22 avr. 1986, Djenangi, Rev. crit. 1988. 302, note Bischoff, Clunet
1986. 1025, note A. Sinay-Cytermann, JCP 1987. II. 20878, note E. Agostini;
Civ. 1re, 10 janv. 1990, Soc. HDW, Bull. I, no 2, p. 1, et surtout Civ. 1re, 5 nov.
1991, Soc. Masson, Rev. crit. 1992. 314, note H. Muir Watt, Clunet 1992. 357,
note M.-A. Moreau, Grands arrêts, 2e éd., no 74), elle se bornait à opérer une
nouvelle répartition entre les parties en transférant la charge de rapporter la
teneur de la loi étrangère de l’auteur de la prétention vers le plaideur qui enten-
dait prendre avantage de l’applicabilité de celle-ci. Cette modification inter
partes était destinée à prévenir les perturbations auxquelles le déroulement de
la procédure était exposé par l’assimilation traditionnelle de la loi étrangère à
un fait; le risque était principalement celui d’une instrumentalisation du méca-
nisme de la charge de la preuve, transposé de l’article 9 NCPC, qui conduisait
à l’échec de la prétention lorsque l’auteur de celle-ci n’avait pas établi la
teneur de la loi étrangère applicable. Lorsqu’il y avait ainsi défaut de preuve, la
724 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 82-83

menace d’un pareil rejet de la prétention ouvrait à l’adversaire, selon le


moment de la procédure, la faculté soit de retarder ou compliquer le cours du
procès, soit même d’obtenir une cassation obligeant à revenir devant les juges
du fond, et cette faculté pouvait s’exercer sans justifier que la loi étrangère
négligée prescrivait en la cause un résultat différent de celui produit par la loi
française (v. supra, obs. sous Lautour, no 19 § 9). Avec l’arrêt Amerford, la
règle exigeait de celui qui entend introduire dans le procès le droit étranger
qu’il démontre l’intérêt de cette démarche en établissant que l’application de
celui-ci commande une issue différente de celle qui se déduit de l’application
de la loi française; si cette démonstration n’était pas faite, la règle de conflit et
donc la loi étrangère étaient maintenues hors jeu et, malgré son caractère inter-
national, l’affaire ne relevait que du droit interne en sorte qu’il devenait impos-
sible de tirer parti du droit étranger désigné. Effaçant l’internationalité, la solu-
tion était radicale; elle abritait assurément des manœuvres dilatoires ou
intempestives.
5 Néanmoins, cette solution Amerford qui tablait encore sur l’assimilation de
la loi étrangère à un fait laissé à la responsabilité des parties, n’était pas non
plus sans défaut. En premier lieu, elle sous-évaluait notoirement la dimension
internationale du contentieux : liant le jeu de la règle de conflit à la preuve
préalable de la loi étrangère par la partie qui l’invoque, elle acceptait que des
considérations d’ordre procédural conduisent à l’exclusion du conflit de lois et
elle faisait ainsi prévaloir les exigences de la justice du procès sur les exigen-
ces de la justice de droit international privé. Or, cette justice de droit interna-
tional privé, dans le contentieux des intérêts disponibles, n’est peut-être pas
une simple affaire d’intérêts privés qui pourrait être abandonnée à la seule
volonté ou à la seule stratégie de l’un ou l’autre des plaideurs ou des deux; il
s’y mélange de l’intérêt général, intérêt des États et intérêt de l’ordre interna-
tional selon ce qu’enseignaient Lerebours-Pigeonnière (Droit international
privé, 3e éd. 1937, nos°213 et s.), Batiffol (Traité, no 267) ou G. Kegel
(« Begriffs-und Interessenjurisprudenz im Internationalen Privatrecht », Fests-
chrift für H. Lewald, p. 259). Dès lors, en effet, qu’une règle, deviendrait-elle
dispositive ou supplétive en matière de droits disponibles, exprime le choix
d’une solution, c’est que, ne se résignant pas à laisser hors droit le conflit
d’intérêts privés à régler, l’ordre juridique entend imposer, en l’absence de
manifestation contraire de volonté, le règlement qui, de son point de vue,
s’harmonise le mieux avec l’organisation de la vie sociale dont il a la charge et
donc qui réalise, dans les situations internationales, le meilleur équilibre entre
les trois classes d’intérêts à l’instant évoquées. Aussi bien la règle de conflit
ne doit pas être paralysée ou exclue par l’inertie des plaideurs et la Cour de
cassation admet, au moins dans les cas où l’internationalité est patente, qu’un
juge qui n’est pas réfractaire à toute idée de justice conflictuelle, qui ne doute
pas de la valeur ni du sens de la désignation, prenne l’initiative du règlement
de conflit. C’est ainsi que, dans l’affaire Itraco, la Chambre commerciale
approuve la cour d’appel au moins d’avoir retenu l’application de la loi austra-
lienne après avoir constaté que les connaissements s’y étaient soumis; se référer
avec le tribunal aux règles de Hambourg écartées par les contractants déjouait
82-83 AMERFORD, CASS., 16 NOV. 1993 — ITRACO, 28 JUIN 2005 725

toute prévisibilité. Selon ce que de son côté depuis un certain temps jugeait la
Première chambre civile, l’argument vaut tout autant à l’encontre de la solution
Amerford qui impose la loi du for (Civ. 1re, 5 oct. 1994, Soc. Demart, Rev.
crit. 1995. 60, note D. Bureau; 27 janv. 1998, Abadou, JCP 1998. II. 10098,
note H. Muir Watt; 8 déc. 1998, Calberson, Rev. crit. 1999. 88, note B. A.;
18 juin 2002, Mesquita, et 18 sept. 2002, D. & J. Sporting, Rev. crit. 2003. 86,
note H. Muir Watt ; mais jusqu’à la fin du XXe siècle, certains arrêts se veu-
lent fidèles au système Amerford : Civ. 1re, 10 mai 1995, Rev. crit. 1996. 330,
note B. A., 5 déc. 1995, La Préservatrice Foncière, Rev. crit. 1996. 100, note
B. Fauvarque-Cosson; 11 juin 1996, Agora Sopha, Rev. crit. 1997. 65, note
P. Lagarde, Clunet 1996. 941, note D. Bureau; 3 mars 1998, BICIC, inédit;
12 janv. 1999, L’Alliance africaine, inédit; Com., 2 mars 1999, Soc. Sea Land
Services, Rev. crit. 1999. 305, rapp. J.-P. Rémery). Toutefois, parce qu’elle
s’accommode d’une certaine discrétion judiciaire (v. supra, Cie Algérienne de
Crédit et de Banque, no 33 § 5), cette approbation de l’initiative du juge ne
rejoint pas exactement l’impératif de l’article 12 NCPC, qui place au cœur de
la mission de celui-ci le devoir de trancher « le litige conformément aux règles
de droit qui lui sont applicables »; cette discrétion, désormais sous l’égide de
l’article 3 du Code civil, est liée à l’internationalité qui rend le contentieux
plus complexe et justifie certaines adaptations — comme celle qui exonère le
juge du devoir d’appliquer la règle de conflit lorsque la loi étrangère que celle-
ci désigne et la loi du for sont équivalentes (Civ. 1re, 11 juill. 1988, Bao Daï,
Rev. crit. 1989. 81, note P.-Y. Gautier; 13 avril 1999, Compagnie royale belge,
Rev. crit. 1999. 698, note B. Ancel et H. Muir Watt, Clunet 2000. 315, note
B. Fauvarque-Cosson, D. 2000. 268, note E. Agostini, JCP 2000. II. 10261,
note G. Légier, Gaz. Pal. 2000 no 61-62, p. 24, obs. M.-L. Niboyet; 3 avr.
2001, White, Rev. crit. 2001. 513, note H. Muir Watt, Gaz. Pal. 2001, nos 346-
347, p. 22, chron. T. Habu Groud; 11 janv. 2005, Barluschke, Rev. crit.
2006. 85, note M. Scherer, Clunet 2006. 955, note S. Godechot, D. 2006.
2924, note Mahinga; v. supra no 74-78 § 21).

6 En deuxième lieu et sur la même ligne, le jeu des intérêts privés ne peut être
toujours souverain même dans le périmètre des droits disponibles et il se ren-
contre des circonstances dans lesquelles il est peu satisfaisant de confiner le
juge dans un rôle passif. Il y a des plaideurs ignorants et l’ignorance ne doit
pas forcément être sanctionnée par la privation des droits que la loi a consacrés
— serait-ce en les conformant à des règles étrangères. Il serait difficile d’ima-
giner une règle, même de conflit, dont la raison d’être importerait si peu que
son application pourrait sans dommage être refusée à qui elle est destinée au
prétexte que ses bienfaits sont ignorés de l’intéressé. Aussi bien la Cour de
cassation dans ce domaine des droits disponibles a-t-elle une raison supplé-
mentaire de ne point censurer l’immixtion du juge lorsque, de son propre mou-
vement — et en l’absence d’accord procédural (v. infra, Hannover Internatio-
nal, no 84) —, celui-ci a pris l’initiative de soulever le moyen tiré de la règle de
conflit, pourvu qu’il ait conduit sa démarche à son terme dans le respect du
principe du contradictoire (Civ. 1re, 6 déc. 1977, de Villalonga, Rev. crit. 1979. 88,
726 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 82-83

note P. Hébraud; 16 juin 1992, Silva Fernandez, Rev. crit. 1993. 34, note F. Ameli;
2 déc. 1997, Soc. Socma, Bull. I, no 336; 6 déc. 2005, Comptoir Commercial
d’Orient, Bull. I, no 469). Ainsi la recevabilité du moyen tiré de la règle de
conflit n’est pas nécessairement subordonnée à la preuve de la loi étrangère
par la partie qui y a intérêt et le juge est replacé au centre du dispositif. Même
dans un conflit d’intérêts privés, il y a de l’intérêt général à défendre.

7 Dans ces conditions, la mécanique Amerford, dans son application sinon


dans son principe, pouvait paraître brutale et disproportionnée par rapport à
l’objectif qu’elle poursuivait. Pour garantir la correction du comportement
procédural des parties et éviter l’alourdissement des procédures encombrant
les tribunaux, il suffisait d’imposer au plaideur se prévalant de la règle de con-
flit qu’il représente clairement au juge les enjeux de l’introduction de la loi
étrangère dans la cause et donc qu’il allègue la teneur de celle-ci de façon suf-
fisamment précise et circonstanciée pour en déduire concrètement une solution
favorable à ses intérêts. C’est dans cette direction que, presqu’à reculons,
s’était d’ailleurs engagée la Chambre commerciale dans un arrêt B. Jacob du
5 février 2002 (pourvoi no 97-20193, reproduit en sommaire à la Gaz. Pal.,
25 juin 2003, no 176/177, p. 33 et la chron. M.-N. Jobard-Bachellier) où il est
décidé, de manière occasionnelle il est vrai (v. Cass. com., 11 mars 2003, Ban-
que Worms, Gaz. Pal., eod. loc.), que le juge n’est pas tenu « de se prononcer
sur la loi applicable, même s’il s’agit de droits disponibles, lorsqu’une partie
invoque la compétence d’un droit étranger,… » si celle-ci se contente d’expri-
mer abstraitement le titre d’application de la loi étrangère « sans déduire de
cette simple référence une conséquence juridique quant à la solution du litige,
différente de celle résultant de l’application de la loi française ». La Première
chambre civile empruntait la voie ainsi ouverte lorsqu’à son tour, elle décla-
rait, le 28 janvier 2003 dans l’arrêt Justin S. Colin (Rev. crit. 2003. 402, note
B. Ancel) que « s’agissant de droits disponibles, le juge n’est tenu de mettre en
œuvre la règle de conflit de lois et d’appliquer le droit étranger que dans la
mesure où ce droit est expressément invoqué par une partie et non si, les par-
ties ayant fondé leur argumentation sur le droit français, l’une d’elles fait réfé-
rence au droit étranger en une simple allégation dont aucune demande n’est
déduite ». Un raisonnement a contrario à partir de cette commune prémisse
négative autorise l’affirmation que l’obligation du juge de trancher le conflit
de lois et de s’engager dans le processus d’application du droit étranger se
déclenche dans le contentieux des intérêts disponibles dès que la partie qui y a
intérêt soumet à son appréciation une allégation circonstanciée portant sur les
éléments desquels il ressort que le droit positif de l’ordre désigné donne à la
question litigieuse une réponse autre que celle que le droit français apporterait
(v. M.-E. Ancel, Droit et patrimoine, nov. 2005, p. 107). C’est la solution que
justement retient l’arrêt Itraco, s’accordant ainsi avec l’arrêt Aubin de la Pre-
mière chambre civile (préc.), prononcé dans une affaire où les intérêts litigieux
étaient indisponibles, sur une motivation purgée de toute mention relative à la
disponibilité des intérêts ou à la preuve de la loi étrangère.
82-83 AMERFORD, CASS., 16 NOV. 1993 — ITRACO, 28 JUIN 2005 727

8 Preuve ou « invocation circonstanciée », ce n’est pas une simple question de


mots. D’abord pour le plaideur, la charge de l’allégation circonstanciant
l’invocation est moins lourde que la charge de la preuve puisqu’elle ne tend ici
qu’à établir prima facie la possibilité de dégager des sources rapportées la solu-
tion demandée — sans avoir à vaincre aussitôt la critique de l’adversaire — et
la perspective d’échapper à la loi française pour être jugé d’après la loi dési-
gnée est plus ouverte — ce qui ne nuit pas à l’autorité effective de la règle de
conflit (v. P. Lagarde, note sous Amerford, Rev. crit. 1994, p. 336). Ensuite, cet
allégement de la charge pour le plaideur déplace le fardeau vers le juge; bien
sûr, ce dernier doit apprécier le caractère sérieux et suffisant de l’allégation et
si son appréciation est négative il doit prononcer l’irrecevabilité du moyen tiré
de la règle de conflit, à moins qu’il ne préfère suppléer le plaideur et relever
d’office ce moyen, par quoi reconnaissant applicable un droit étranger il se
trouve alors « saisi de [son] application » et en conséquence mis dans l’obliga-
tion, comme dans le contentieux des droits indisponibles, d’assumer la direc-
tion et la responsabilité des opérations de recherche de sa teneur (Civ. 1re,
13 nov. 2003, Besnard, Rev. crit. 2004. 95, note B. Ancel, Clunet 2004. 520,
note F. Mélin; 25 janv. 2005, Van Dongen, Rev. crit. 2005. 300, note B. Ancel,
D. 2005. 1210, note N. Bouche, Defrénois 2005. 1040, note M. Revillard, RJ
Personnes et Famille, 2005. 4/18, note F. Oudin, Droit et Patrimoine, nov.
2005, p. 107 note M.-E. Ancel), c’est-à-dire d’assumer pleinement sur ce plan
la qualification « règle de droit » appliquée par l’arrêt Coucke (Cass. civ. 1re,
13 janv. 1993, Rev. crit. 1994. 78, note B. Ancel).

B. — La fonction utile des parties

9 Cette obligation s’exécutera « avec le concours des parties et personnel-


lement s’il y a lieu »; la formule prévoyant la coopération des plaideurs n’est
pas révolutionnaire — elle est légalement proclamée dans certains pays tels
l’Espagne (art. 12 § 6, C. civ.), l’Italie (art. 14, L. du 31 mai 1995) ou la Belgi-
que (art. 15, C. dr. int. pr.) — mais l’ordre des mots marque bien ici que le juge
n’est tenu de se lancer dans des investigations personnelles que s’il ne se satis-
fait pas des éléments que spontanément ou sur sa demande les parties auront
pu produire. Censurant une décision qui pensait pouvoir s’abriter derrière la
défaillance des parties dans la recherche de la loi étrangère, la cour suprême
avertit que, concédée pour des raisons pratiques aisément compréhensibles, la
subsidiarité des diligences du magistrat ne saurait équivaloir à une exemption;
si le rejet de la demande soumise à la loi étrangère dont les parties n’ont pas
fourni la teneur est aussi sévèrement stigmatisé par l’arrêt Itraco, c’est bien
parce que les juges d’appel avaient manqué à leur devoir de recherche du droit
étranger applicable (v. également la censure de l’appel prématuré à la vocation
générale subsidiaire dans le contentieux des intérêts indisponibles, l’arrêt
Aubin, Civ. 1re, 28 juin 2005, préc).
10 L’arrêt Itraco dénoue ainsi dans le champ des intérêts disponibles le lien que
l’arrêt Amerford avait noué à charge des plaideurs entre la recevabilité du
moyen tiré de l’applicabilité de la loi étrangère et la preuve du contenu de
728 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 82-83

celle-ci. Désormais, la seule différence qui s’observe dans le traitement pro-


cessuel international des deux types de contentieux ne concerne pas directe-
ment l’établissement de la teneur de la loi étrangère; elle tient à ce que le juge
appelé à connaître d’intérêts disponibles a le pouvoir, mais non l’obligation, de
mettre en œuvre la règle de conflit et donc la loi étrangère, si aucune des par-
ties ne l’a saisi de l’application de celle-ci par une invocation circonstanciée
(v. supra, no 74-78, § 13 et s.) et s’il n’y a pas eu accord procédural en faveur
de la lex fori (v. infra no 84). Dès lors que le juge est saisi de cette application
— soit d’office, soit à la demande de l’une des parties, la loi étrangère devient
en quelque sorte son affaire; en aucun cas, elle ne saurait relever d’une phase
purement accusatoire du procès qui serait préalable à l’examen au fond. Res-
tauré dans son intégrité, l’office du juge n’exclut pas toutefois la coopération
des plaideurs, qui sont en effet délégués en première ligne dans l’exécution de
la tâche d’établir le contenu de la loi étrangère applicable.

II. L’exécution de la charge d’établir la teneur de la loi étrangère

11 Le juge doit rechercher la teneur de la loi étrangère désignée et « donner à la


question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ». En pratique
cependant l’exécution de cette tâche sera normalement dévolue aux parties; le
juge conservera néanmoins la maîtrise des opérations car il lui appartient de pré-
ciser ce qu’il attend des plaideurs et d’apprécier le résultat de leurs investigations
comme d’en déduire la solution du litige. Le travail ainsi confié aux parties doit
permettre une mise en œuvre effective de la loi étrangère et la Cour de cassation
veille à ce qu’il soit accompli avec sérieux et perspicacité.

A. — La mise en œuvre de la loi étrangère

12 Les arrêts Rebouh et Schule (supra, no 74-75) avaient demandé au juge de


« rechercher quelle suite devait être donnée à l’action en application de la loi
étrangère ». Reprise par l’arrêt Makhlouf de 1992 (préc.) et plus récemment
par l’arrêt Belaïd A, (supra, no 78), la formule reste un peu imprécise. L’arrêt
Amerford imposait de démontrer l’existence d’une différence entre les résul-
tats respectivement produits par la mise en œuvre de cette loi et par l’applica-
tion de la loi française. Dans ces termes, l’objet de la recherche recouvre les
solutions concrètes que chacune des deux lois confrontées permet d’apporter à
la question litigieuse. Pourtant la Cour de cassation restreignait la tâche du
plaideur à « la preuve du contenu de la loi étrangère ». Certes, il aurait été inat-
tendu qu’elle exige que la démonstration de la différence se fasse par la repré-
sentation comparée des réalisations du système étranger et du système français
sur le cas à résoudre. Le juge français est réputé connaître le second terme de
la comparaison (jura novit curia) et il aurait été singulier qu’on imposât au
plaideur de l’établir devant lui. Mais ceci concédé, restreindre la preuve au
contenu du droit étranger semble introduire une discordance dans la mesure où
l’énoncé des règles constituant la teneur d’une loi n’est pas exactement la
même chose que le résultat obtenu par le moyen de leur application à une espèce
82-83 AMERFORD, CASS., 16 NOV. 1993 — ITRACO, 28 JUIN 2005 729

particulière (v. les exemples offerts par l’arrêt Hocke, com., 4 mars 1963, Rev.
crit. 1964. 264, Clunet 1964. 806, note Goldman, JCP 1963. II. 13376, note Les-
cot, et l’arrêt Coucke, préc. où on a pu constater que l’identité des libellés n’était
pas exclusive d’une disparité des solutions). L’hésitation est donc permise :
preuve de la loi étrangère considérée in abstracto ou preuve de la solution
déduite de la loi étrangère in concreto ? D’un côté, il suffit de produire les tex-
tes et leur mode d’emploi, de l’autre il faut y ajouter la réponse que leur mise
en œuvre sur la question litigieuse détermine dans le système étranger; la
tâche est alors plus lourde et plus complexe et en somme d’une autre nature.
C’est pourtant vers ce second parti que paraissait incliner la Cour de cassa-
tion lorsque dans l’arrêt Lavazza (préc.) et par une formule préfigurant celle
de l’arrêt Itraco, elle reprochait au juge du fond de n’avoir pas recherché « la
solution donnée à la question litigieuse par le droit positif en vigueur » dans
l’ordre juridique étranger. Cependant, cette orientation ne semblait pas être
toujours suivie puisqu’à quelques jours de là, l’arrêt Calberson (Civ. 1re,
8 déc. 1998, préc.) — à la suite des arrêts Demart (civ. 1re, 5 oct. 1994, préc.)
et Abadou (Civ. 1re, 27 janv. 1998, préc.) — se replace dans la ligne de l’arrêt
Driss Abdou (Civ. 1re, 1er juill. 1997) en déclarant que la mise en œuvre de la
loi étrangère implique qu’on en recherche le contenu.
13 L’ambiguïté ne sera pas vraiment levée par l’arrêt Compagnie Royale belge
(Civ. 1re, 13 avr. 1999, préc.) qui ne traitait pas directement de la question de la
connaissance de la loi étrangère, mais avait à décider si le juge était absous de ses
fautes lorsqu’à tort il avait prononcé en application d’une loi étrangère non dési-
gnée mais équivalente de la loi (française) désignée. La réponse exigeait que fût
tranchée la question de savoir si les lois à comparer devaient être considérées
abstraitement dans leurs dispositions respectives ou bien in concreto dans les
résultats à attendre de leur application respective. D’après la cour, l’absolution
procède de « l’équivalence entre la loi appliquée et celle désignée par la règle de
conflit — en ce sens que la situation de fait constatée par le juge aurait les mêmes
conséquences en vertu de ces deux lois ». Transposant la directive, il faudrait
admettre que la recherche de la loi étrangère n’est pas limitée aux règles abstrai-
tes et générales, mais qu’elle porte sur l’ensemble des facteurs qui concourent à
la résolution concrète du litige « dans le droit positif de l’État concerné ». Pour-
tant cette interprétation paraît peu compatible avec l’indulgence que dans cette
affaire Compagnie Royale belge, la Cour de cassation montre à l’endroit de
l’arrêt attaqué qui avait justifié son non-choix par cette circonstance que « les dis-
positions des articles 1385 des Codes civils français et belge étaient identiques »
(comp. Civ. 1re, 3 avr. 2001, White, préc., 11 janv. 2005, Barluschke, préc.);
c’était ramener l’équivalence au niveau plus général et abstrait des règles législa-
tives, l’éloignant par là même du niveau particulier et concret de l’espèce.
14 Comme souvent lorsque la contradiction menace, le juriste distingue et sans
doute sera-t-il ici porté à distinguer et séparer au moins conceptuellement deux
opérations, l’une que le juge confiera aux plaideurs avant de s’y exercer lui-
même si nécessaire, l’autre qu’il est tenu de se réserver en toute hypothèse. La
première porte sur le « contenu de la loi étrangère » et consiste à collecter et
730 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 82-83

introduire dans le débat les éléments pertinents qui abstraitement dans le sys-
tème étranger permettent de résoudre la question litigieuse; la seconde est la
« mise en œuvre de la loi étrangère », par laquelle se construit à partir des maté-
riaux ainsi réunis la solution concrète de la cause. Cependant, il n’est pas sûr que
la pratique quotidienne des tribunaux s’ajuste aisément à cette distinction.
15 Renvoyant d’abord la recherche du « contenu de la loi étrangère » à l’ordre
des questions de fait — de l’existence de règles étrangères déterminées
(v. P. Mayer et V. Heuzé, no 179) —, la distinction donne accès aux modes de
preuve et mesures d’instruction admis en procédure civile pour la vérification
des allégations de fait. Telle est bien au demeurant la pratique traditionnelle.
De leur propre chef ou à la demande du juge (v. Grenoble, 11 janv. et 27 nov.
1996, Rev. crit. 1997. 483, note S. Poillot-Peruzzetto, Clunet 1997. 123, 1er arrêt,
note R. de Quénaudon), les plaideurs produisent des certificats de coutume,
documents établis par la personne de leur choix et rapportant les éléments
constitutifs du système étranger susceptibles d’apporter une réponse à la ques-
tion litigieuse. Sans doute très souvent ces documents excèdent les limites du
droit objectif et esquissent ou même réalisent eux-mêmes la mise en œuvre de
la loi étrangère, mais le juge n’est nullement lié par la solution suggérée et il
n’en retire que des informations sujettes à sa propre évaluation (v. H. Muir Watt,
op. cit., nos 120 et s.). Aussi bien les parties peuvent à leur gré faire l’économie
des certificats et représenter directement les divers éléments de nature norma-
tive, jurisprudentielle et doctrinale formant les « sources » du droit positif
étranger — dont il appartiendra au juge de combiner l’action sur le cas à tran-
cher en observant en principe les hiérarchies et méthodes ayant cours à l’étran-
ger (v. par exemple, exigeant la prise en considération d’un jugement étranger
pour apprécier selon le droit étranger applicable la capacité d’agir en justice
d’un majeur protégé, Civ. 1re, 14 févr. 2006, Brianti, Bull. I, à paraître). Et si le
juge s’estime insuffisamment éclairé ou s’il assume la preuve du contenu de la
loi étrangère, il peut recourir aux mesures d’instruction prévues par le Code de
procédure civile; il ordonnera une expertise ou une consultation (v. Civ., 17 juin
1958, Peugeot, Rev. crit. 1958. 704, note Ph. Francescakis; Civ. 1re, 19 oct. 1971,
Darmouni, Rev. crit. 1973. 70, note M. Simon-Depitre, Clunet 1972. 828, note
M. Nisard, D. 1972. 633, note Ph. Malaurie; Paris, 25 nov. 1976, Massine, Rev.
crit. 1978. 76, note G. Wiederkher, Clunet 1979. 100, note C. Labrusse; Civ. 1re,
21 juill. 1987, Sfez, Rev. crit. 1988. 329, note B. Ancel) ; enfin et surtout, il
songera (en fait très rarement v. F. Mélin, LPA, 27 sept. 1999, no 192), dans
le contentieux civil et commercial, à adresser une demande de renseignement à
l’État désigné par la règle de conflit, si celui-ci est comme la France lié par la
Convention européenne dans le domaine de l’information sur le droit étranger,
signée à Londres le 7 juin 1968 (Rev. crit. 1972, p. 758), ce qui lui permettra
d’obtenir rapidement et sans frais une information « objective et impartiale sur
le droit de l’État requis » (art. 7) sans pour cela aliéner son pouvoir d’apprécia-
tion (art. 8). Comme l’observe Mme Muir Watt, la réponse donnée « ne vise
pas à résoudre directement la question de droit dont est saisi le tribunal
requérant » (op. cit., no 132). La preuve du contenu n’est pas la mise en œuvre
de la loi étrangère.
82-83 AMERFORD, CASS., 16 NOV. 1993 — ITRACO, 28 JUIN 2005 731

16 Assignant ensuite cette « mise en œuvre de la loi étrangère » à l’ordre du


droit (comme le veut l’arrêt Coucke, Civ. 1re, 13 janv. 1993, préc.), la distinc-
tion ci-dessus, d’une part, impose au juge et à lui seul de dégager des données
issues de la recherche de la teneur de la loi étrangère la solution concrète qu’il
y a lieu d’apporter à la cause, et, d’autre part, place ce travail propre du juge
sous le contrôle de la Cour de cassation.
17 Cependant, l’examen de ce contrôle montre qu’en réalité il n’y a pas de
fracture nette entre les deux opérations de recherche et de mise en œuvre.
C’est que si, sur le plan conceptuel, l’opposition du fait et du droit n’est nul-
lement arbitraire et correspond à deux points de vue différents, sur le plan pra-
tique, il serait bien difficile et même impossible de s’enquérir des éléments
pertinents du droit étranger sans se préoccuper de ce qui leur confère cette per-
tinence et les désigne à la recherche, c’est-à-dire sans se soucier précisément
de leur mise en œuvre sur la cause à trancher (l’exemple des certificats de cou-
tume livrant la solution au juge est topique) et, réciproquement, la mise en
œuvre de la loi étrangère présuppose une information constituée sur le contenu
de celle-ci qui garantisse sa capacité à atteindre « la solution donnée à la ques-
tion litigieuse par le droit positif en vigueur dans l’État concerné » (comme
l’atteste l’article 4 de la Convention de Londres de 1968 qui prévoit que la
demande de renseignement « sera accompagnée de l’exposé des faits néces-
saire tant pour la bonne compréhension que pour la formulation d’une réponse
exacte et précise »). En réalité, cette compénétration ouvre une marge d’action
commune entre le fait et le droit, entre recherche et mise en œuvre, qui expli-
que aussi bien l’absorption des deux opérations dans l’office du juge que la
définition du contrôle exercé par la Cour de cassation.

B. Le contrôle de la Cour de cassation

18 Ainsi la Cour de cassation n’étend pas son examen jusqu’à la vérification de


la conformité de la solution atteinte à la vérité du droit étranger. Elle ne
demande pas et même elle interdit au juge de reproduire trait pour trait, sans
autre justification, les solutions qui lui auraient été communiquées; elle attend
de lui qu’il les élabore pour les causes dont il est saisi même si elle ne contrôle
pas son interprétation de la loi étrangère (v. par ex., Civ. 1re, 16 mars 1999,
Moureau, Rev. crit. 1999. 713, note H. Muir Watt, ou plus récemment 30 sept.
2003, De Paepe, Clunet 2005. 125, note G. Légier). Mais elle censure la déna-
turation, c’est-à-dire le fait d’une erreur manifeste de compréhension, d’une
omission ou d’une addition d’éléments normatifs, qui altère nécessairement le
sens du droit étranger quel qu’il puisse être (v. supra, arrêt Montefiore, no 36).
Et si ce contrôle s’est alourdi ces dernières années, (Civ. 1re, 1er juill. 1997,
Africa Tours, Rev. crit. 1998. 292, note H. Muir Watt, Clunet 1998. 98, note
I. Barrière-Brousse, D. 1998. 104, note M. Menjucq, JCP 1998. II. 10170,
note B. Fillion-Dufouleur; 6 déc. 2005, Nestlé France, Bull. I no 467, Rev. crit.
2006. 428, note E. Pataut; 14 févr. 2006, Brianti, préc.), il est aussi complété
par un contrôle des motifs également plus rigoureux comme l’atteste dans
l’affaire Lavazza (préc.) la cassation de l’arrêt qui disait déterminer les effets
732 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 82-83

du jugement déclaratif de faillite sur l’exercice des droits du créancier par


application du droit monégasque et qui avouait en même temps statuer « en
l’état d’un extrait [de l’article 461 du Code de commerce de la Principauté]
produit » par l’une des parties. La cour d’appel avait ainsi failli dans la mise en
œuvre du droit étranger pour n’avoir pas recherché une information plus com-
plète et plus précise sur son contenu — même si, comme on peut le supposer,
l’élément qui lui avait été apporté, reflet tronqué d’une disposition législative,
n’avait été l’objet d’aucune contestation entre les parties (v. H. Muir Watt, note
à la Rev. crit. 2001, p. 338-339). Le grief visait autant l’opération de mise en
œuvre que celle d’établissement de la teneur du droit étranger; l’exécution
défectueuse de celle-ci empêche l’accomplissement de celle-là comme le mon-
tre aussi clairement l’arrêt Itraco qui prend soin d’énumérer les omissions des
juges d’appel consommant la méconnaissance de leur office (v. aussi Civ. 1re,
22 févr. 2000, Transitas, Rev. crit. 2000. 778, note B. Ancel et H. Muir Watt;
D. & J. Sporting, Civ. 1re, 18 sept. 2002, préc. et 14 févr. 2006, JCP 2006. IV. 1516;
rappr. 3 juin 2003, Yassine, Clunet 2004. 520, note F. Mélin). De la même veine
est la censure infligée pour manque de base légale par l’arrêt The Arab Invest-
ment de la première Chambre civile, le 6 mars 2001 (Rev. crit. 2001. 335, note
H. Muir Watt, Clunet 2002. 171, note M. Raimon), à une cour d’appel qui
n’avait pas indiqué les dispositions du droit anglais par application desquelles
elle déclarait prescrite l’action du créancier contre les garants soumise à cette loi
(v. aussi Civ. 1re, 18 juin 2002, Mesquita, Rev. crit. 2002. 86, note H. Muir Watt;
13 nov. 2003, Besnard, préc.; rappr. 3 juin 2003, Sachse, inédit; v. M.-N. Jobard-
Bachellier, « Manque de base légale et application de la loi étrangère », in La
Cour de cassation et l’élaboration de la loi, Economica, 2004).
Ainsi, bien qu’il ne puisse s’étendre à l’interprétation de la loi étrangère et
qu’il doive se cantonner à la bonne exécution de la mise en œuvre de celle-ci,
le contrôle de la Cour de cassation est étroit; cette vigilance n’autorisera pas
le juge à renoncer devant la première difficulté à l’application de la loi étran-
gère désignée, car elle garantit qu’il ne sera déchargé de son devoir que s’il
justifie dans sa décision de l’impossibilité de l’accomplir, c’est-à-dire d’obte-
nir les informations nécessaires. Seule cette impossibilité de connaître le droit
étranger applicable légitime la réalisation de la vocation générale subsidiaire
de la lex fori (v. supra, arrêts Bisbal, Cie Algérienne de Crédit et de Banque et
Bertoncini, no 32-34 § 13 et s.).
L’arrêt Itraco est le cinquième appelé à représenter dans ce recueil la position
de la Cour de cassation quant à l’établissement de la teneur de la loi étrangère
désignée et il figure dans la cinquième édition. Sans doute, depuis le 28 juin
2005, quelques décisions sont venues encourager l’espoir d’un peu de stabilité
(v. par ex., Civ. 1re, 22 nov. 2005, de Ganay, Bull. I, no 426; 6 déc. 2005, Dynar-
gie France, Bull. I, no 461), mais les nombres montrent assez qu’en ce domaine,
si solide qu’en paraisse le mérite au jour de sa consécration, la dernière solution
de la Cour de cassation n’est pas assurée de sa pérennité. (Sur le statut de la loi
étrangère, v. en dernier lieu, M. Nicod, « Un droit venu d’ailleurs : la loi étran-
gère désignée par la règle de conflit », Mélanges Jestaz, 2006, p. 417 et s.).
84
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)
6 mai 1997

(Rev. crit. 1997. 514, note B. Fauvarque-Cosson,


Clunet 1997. 804, note D. Bureau)
Règle de conflit. — Force obligatoire à l’égard des parties. —
Accord procédural.

Pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent
s’accorder sur l’application de la loi du for malgré l’existence d’une
convention internationale ou d’une clause contractuelle désignant la loi
compétente. Un tel accord peut résulter des conclusions des parties invo-
quant une loi autre que celle qui est désignée par un traité ou par un
contrat.

(Soc. Hannover international c/Baranger)

Faits. — Une société de droit belge, l’Anglo Belgian Corporation (ABC), avait
fourni à un armateur résidant en France un ensemble mécanique de propulsion destiné à
l’équipement d’un chalutier. Cet ensemble s’étant révélé défectueux, la société ABC fut
condamnée, sur le fondement de l’article 1641 du Code civil relatif à la garantie des
vices cachés, à indemniser l’armateur des conséquences des avaries dues à un défaut du
matériel vendu. Les parties ayant soumis leur contrat à la loi belge, comme l’article 2
de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable à la vente internatio-
nale d’objets mobiliers corporels leur en donnait la liberté, la société ABC fit grief aux
juges du fond d’avoir méconnu cette règle de conflit d’origine conventionnelle que la
jurisprudence Société Coveco leur faisait pourtant à l’époque l’obligation d’appliquer
(supra, no 76).

ARRÊT
La Cour; — Sur les deux premiers moyens réunis, les quatrième et cinquième
moyens pris en leur première branche : — Attendu que la société de droit belge
Anglo Belgian Corp. NV (ABC), qui avait fourni à M. Baranger un ensemble
mécanique de propulsion, destiné à l’équipement d’un chalutier fait grief, avec
son assureur la société Hannover International, à l’arrêt attaqué, (Poitiers,
18 janv. 1995), de les avoir condamnés à indemniser M. Baranger des consé-
quences des avaries dues à un défaut du matériel vendu, en se fondant sur la
garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil, au mépris, à
la fois, de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux
ventes à caractère international d’objets mobiliers corporels, qui lui imposait de
rechercher la loi applicable, s’agissant de la garantie due par un vendeur belge à
734 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 84

un acheteur français, et de la convention des parties, qui soumettait le contrat à


la loi belge du vendeur et fixait contractuellement le délai de la garantie; —
Mais attendu que pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties
peuvent s’accorder sur l’application de la loi française du for malgré l’existence
d’une convention internationale ou d’une clause contractuelle désignant la loi
compétente; qu’un tel accord peut résulter des conclusions des parties invo-
quant une loi autre que celle qui est désignée par un traité ou par le contrat; —
Et attendu que la société ABC, n’a pas invoqué devant la cour d’appel l’applica-
tion de la clause contractuelle de limitation de la durée de garantie; — D’où il
suit que l’arrêt attaqué est légalement justifié, en ce qu’il a fait application du
droit français en l’espèce, et que le deuxième moyen, pris en sa seconde bran-
che, est irrecevable en ce qu’il est nouveau et mélangé de fait et de droit; (…)
Par ces motifs : — Rejette.
Du 6 mai 1997. — Cour de cassation (1re ch. civ.). — MM. Lemontey, prés.; Ancel, rapp.; Roehrich,
av. gén. — Me Le Prado et SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, av.

OBSERVATIONS

1 Lorsque les parties à un litige conviennent d’appliquer une loi autre que
celle désignée par la règle de conflit, le juge doit-il s’incliner devant leur
accord ? En répondant par l’affirmative à cette interrogation, le présent
arrêt consacre le principe de l’accord procédural (I) et précise son régime
juridique (II).

I. Le principe de l’accord procédural

2 Apparue assez récemment en doctrine et en jurisprudence, la question de la


force obligatoire de la règle de conflit à l’égard des parties a reçu une réponse
de principe nettement tranchée (A), sans que pour autant l’unanimité se fasse
sur son fondement et ses justifications (B).
3 A. — On sait qu’aux termes de la jurisprudence Bisbal-Cie algérienne de
Crédit et de Banque (supra, no 32-33), le juge a la faculté mais non l’obliga-
tion, en l’absence d’allégation de l’une ou l’autre des parties relativement au
droit compétent, d’appliquer d’office la règle de conflit lorsqu’elle désigne
une loi étrangère. On sait aussi qu’Henri Motulsky n’avait pas ménagé ses
critiques à cette solution. Pour lui, le juge doit appliquer d’office, en toutes
matières, la règle de conflit alors même qu’elle désigne une loi étrangère
parce qu’elle est du droit. Néanmoins, cette désignation n’étant impérative
qu’« autant que la matière (visée) a ce caractère en droit interne », il admettait
que les parties puissent s’accorder sur l’application d’une loi autre que celle
désignée par la règle de conflit, là où elles avaient la libre disposition de leurs
droits (JCP 1960. II. 11733). En d’autres termes, si l’autorité de la règle de
conflit à l’égard du juge ne supportait aucune dérogation, sa force obligatoire à
l’égard des parties cédait lorsque celles-ci convenaient, là où elles étaient maî-
tresses de leurs droits, d’écarter la loi normalement applicable.
84 SOC. HANNOVER INTERNATIONAL — CASS., 6 MAI 1997 735

Bien qu’elle fût ainsi nettement posée, la question de la force obligatoire de


la règle de conflit à l’égard des parties tomba dans un profond sommeil.
L’état du droit positif de l’époque l’explique. Le juge étant dispensé de tran-
cher d’office le conflit de lois, le procès pouvait être maintenu sous l’empire
de la loi du for par le seul silence des parties sur l’éventuelle compétence du
droit étranger. Certes, seul un accord exprès aurait été de nature à assurer aux
parties une pleine sécurité quant à la loi applicable, le juge pouvant toujours
vaincre leur silence en usant de la faculté que lui reconnaissait la jurispru-
dence Cie algérienne de Crédit et de Banque. Mais celles-ci n’en éprouvaient
pas, semble-t-il, la nécessité. Aussi bien la question ne prit-elle tout son relief
que lorsque la haute juridiction parut prête à faire peser sur le juge une vérita-
ble obligation de trancher le litige conformément à la loi désignée par la règle
de conflit (supra, no 74-75). Il devint, en effet, alors essentiel de savoir si les
parties peuvent ou non lier le juge, lors du procès, quant à la loi applicable à
leur contentieux.

4 Un premier élément de réponse fut donné par la Première chambre civile


dans son arrêt Roho (Civ. 1re, 19 avr. 1988, Rev. crit. 1989. 69, note Batiffol,
D. 1988, Som. com. p. 345, obs. Audit). Prenant appui sur l’article 12, alinéa 3
du Nouveau Code de procédure civile qui « interdit au juge de changer le fon-
dement juridique de la demande lorsque les parties l’ont lié par un accord
exprès », la haute juridiction décida que les parties peuvent, « pour les droits
dont elles ont la libre disposition, demander l’application d’une loi différente
de celle désignée par une convention internationale ». La licéité de l’accord par
lequel les parties conviennent d’écarter la règle de conflit fut de nouveau con-
sacrée par la haute juridiction, dans les années qui suivirent, dans des motifs
incidents. Faisant application de la jurisprudence Rebouh et Schule, la Cour de
cassation y rappela que les juges du fond sont, « à défaut d’accord exprès des
parties », tenus d’appliquer la loi compétente d’après la règle de conflit, con-
ventionnelle en l’occurrence (Civ. 1re, 6 déc. 1988, Bull. I, no 346, Rev. crit.
1990, Somm. p. 787, Rev. gén. ass. terr. 1989. 569, obs. Chapuisat; 4 oct. 1989,
de Baat, Rev. crit. 1990. 316, note P. Lagarde, Clunet 1990. 415, 1re esp., note
Kahn, D. 1990, Som. com. p. 266, obs. Audit; Com., 4 juin 1991, Bull. IV,
no 205). Quant aux juges du fond, bien loin de résister, ils se montrèrent favo-
rables à l’admission de l’accord procédural (Paris, 23 janv. 1990, Caron,
Rev. crit. 1991. 92, note Y. Lequette, Clunet 1991. 994, note M.-L. Niboyet-
Hoegy, JCP 1991. II. 21637, note Behar-Touchais, donnant effet à l’accord
relatif à la loi applicable à la validité d’une donation en considération de la
disponibilité des droits litigieux; Grenoble, 13 sept. 1995, Rev. crit. 1996. 666,
note D. Pardoel, se fondant sur l’accord des plaideurs pour appliquer de
manière anticipée la Convention d’Ottawa du 28 mai 1988).
Très vite, la doctrine entreprit de conceptualiser l’accord ainsi mis en évi-
dence par la jurisprudence. Les problèmes de frontière se posant avec une
particulière acuité dans les domaines où la règle de conflit repose sur la
volonté des parties, c’est-à-dire principalement en matière contractuelle, il
fut proposé de distinguer l’accord procédural de l’accord de fond. Ayant sa
736 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 84

source dans l’autonomie de la volonté, l’accord de fond est constitutif de la


règle de conflit, laquelle opère une désignation qui « vaut en principe (sauf
dépeçage) pour l’ensemble du contrat et engage l’avenir sauf modification
ultérieure de ce choix ». Reposant sur le principe dispositif, l’accord procé-
dural est élisif de la règle de conflit et le choix qu’il exprime ne vaut que pour
le litige en cours (P. Lagarde, note, Rev. crit. 1990. 321). Alors que la validité
du contrat de choix de la loi relève de la loi choisie pour régir le contrat
(art. 3.4, Conv. de Rome), celle de l’accord procédural dépend de la loi du for
(v. M.-L. Niboyet; J.-Cl. dr. int., fasc. 552-2, no 42).

5 Ainsi consacré dans son principe et dessiné dans ses contours, l’accord pro-
cédural paraissait promis à un avenir assuré. Mais les déclarations d’un très haut
magistrat dont l’opinion passait, à l’époque, pour faire autorité au sein de la
formation en charge des questions de droit international privé vinrent semer le
doute. À l’occasion d’une table ronde organisée par le Comité français de droit
international privé en novembre 1990 sur « le régime de la loi étrangère en
France », celui-ci indiqua son intention, d’une part, de revenir à la jurispru-
dence Bisbal, sauf dans les matières où les parties n’ont pas la libre disposition
de leurs droits ainsi que pour les règles de conflit d’origine conventionnelle,
d’autre part, de tenir en échec l’accord procédural dès lors que la désignation
de la loi applicable procède d’une règle conventionnelle alors même que les
droits litigieux sont disponibles (J. Lemontey, intervention, Trav. com. fr. dr. int.
pr. 1990-1991, p. 32). La première partie de ce programme ayant été immédiate-
ment traduite en acte (v. arrêt soc. Coveco, supra, no 76 § 5), la seconde parais-
sait mériter considération. Or sa mise en œuvre était de nature à priver l’accord
procédural de l’essentiel de son intérêt, puisqu’elle l’enserrait dans un cadre
encore moins favorable à son épanouissement que celui que lui avait jadis
offert, la jurisprudence Bisbal-Cie algérienne de Crédit et de Banque. Cette
suggestion n’emporta pas l’adhésion d’auteurs (Ancel et Lequette, Grands
arrêts dr. int. pr., 2e éd., p. 591 et s.), dont les critiques trouvèrent un écho au
sein même de la haute juridiction (J.-P. Rémery, note, Rev. crit. 1993. 470
et s.; rappr. J. Lemontey et J.-P. Rémery, « La loi étrangère dans la jurispru-
dence actuelle de la Cour de cassation », in Rapport de la Cour de cassation
1993, 1994, p. 81 et s., spéc. p. 84). Aussi bien l’arrêt ci-dessus reproduit a-t-il
le mérite de dissiper les doutes qu’avait fait naître cette déclaration intempes-
tive. La Première chambre civile y pose, en effet, que « pour les droits dont
elles ont la libre disposition, les parties peuvent s’accorder sur l’application de
la loi française du for malgré l’existence d’une convention internationale ou
d’une clause contractuelle désignant la loi applicable » (v. depuis, Civ. 1re,
1er juill. 1997, Karl Ibold GmbH, Bull. I, no 222, p. 148, Rev. crit. 1998. 6,
note P. Mayer, D. 1999. 274, note Massip, Defrénois 1998. 711, obs. Massip).
Encore faut-il qu’elles s’accordent (Civ. 1re, 22 févr. 2005, MAIF, D. 2005,
IR p. 794, Rev. crit. 2005. 304, note P. Lagarde).
L’évolution ultérieure de la jurisprudence française relative à l’autorité de
la règle de conflit a privé l’accord procédural de la majeure partie de son inté-
rêt. On sait que, depuis les arrêts du 26 mai 1999 (supra, no 77-78), la règle de
84 SOC. HANNOVER INTERNATIONAL — CASS., 6 MAI 1997 737

conflit revêt pour le juge un caractère facultatif lorsque les droits litigieux
sont disponibles et un caractère obligatoire lorsqu’ils ne le sont pas. Dès lors,
de deux choses l’une : ou bien l’on est en présence de droits litigieux indispo-
nibles, et il ne saurait être question d’avoir recours à un accord procédural, ou
bien l’on est en présence de droits disponibles et le caractère facultatif de la
règle de conflit prive la notion d’accord procédural d’une bonne partie de son
intérêt.

6 B. — Selon l’arrêt Roho, la faculté qu’ont les parties de lier le juge quant
à la loi applicable, a son fondement dans l’article 12, alinéa 3 du Nouveau
Code de procédure civile (v. aussi, Civ. 1re, 6 déc. 1988, préc.). Les auteurs
en ont généralement déduit que l’accord procédural aurait sa source dans le
principe dispositif qui veut que le juge statue dans les limites fixées par les
conclusions des parties (F. Rigaux, « Examen de quelques difficultés lais-
sées ouvertes par la Convention de Rome », Cah. dr. eur. 1988. 306 et s.,
spéc. p. 315 ; P. Lagarde, note, Rev. crit. 1990. 320). Cette analyse a suscité
de multiples critiques.
On a souligné tout d’abord que le principe dispositif a son siège, non à
l’article 12, alinéa 3 du Nouveau Code de procédure civile, mais aux articles 4
et 5 de celui-ci et que ses effets précisément entendus ne vont pas jusqu’à
donner aux plaideurs la faculté de lier le juge sur les points de droit aux-
quels ils entendent limiter le débat. Aussi bien semble-t-il plus exact dans
cette analyse de relier l’accord procédural à la libre disponibilité des droits
(B. Fauvarque-Cosson, Libre disponibilité des droits et conflits de lois,
no 411, p. 250). Plus radicalement, certains auteurs s’interrogent sur le pou-
voir qui est ainsi reconnu aux parties de désigner la loi applicable. Ils souli-
gnent, en effet, que l’article 12, alinéa 3 du Nouveau Code de procédure
civile, s’il autorise les parties à empêcher le juge de faire application d’une
règle normalement applicable, ne lui permet pas de lui imposer de statuer
conformément à une disposition dont les conditions d’application ne sont pas
réunies. (D. Bureau, « L’accord procédural à l’épreuve », Rev. crit. 1996. 595).
À cela, on peut répondre que la transposition d’une disposition au plan interna-
tional peut s’accompagner d’une adaptation. Or, il ne s’agit pas, en la cir-
constance, de contraindre le juge à appliquer une règle de droit erronée au
sein d’un ordre juridique donné (mais) de lui demander de choisir la bonne
règle de droit (…) dans un autre système de droit » (B. Fauvarque-Cosson, note,
Rev. crit. 1997. 514, spéc. p. 520, no 7). N’est-ce pas, au demeurant, sur le fon-
dement de ce texte qu’on a pu envisager que les parties puissent en s’enga-
geant sur l’honneur se placer « dans une sphère d’autorégulation qui obéit à ses
propres lois » (B. Oppetit, « L’engagement d’honneur », D. 1979. 107; v. aussi
B. Fauvarque-Cosson, thèse préc., no 107).
Passant sous silence l’article 12, alinéa 3 du Nouveau Code de procé-
dure civile, la Cour de cassation réaffirme très nettement dans le présent
arrêt, la licéité de principe de l’accord procédural. Est-ce à dire que les
critiques précédemment rappelées ont été entendues et qu’elle formule
désormais une règle jurisprudentielle détachée de tout support textuel ? Il
est difficile de le dire s’agissant d’un arrêt de rejet.
738 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 84

7 Là n’est pas, au demeurant, probablement l’essentiel. Si la haute juridic-


tion a consacré la figure de l’accord procédural, c’est très pragmatiquement
parce qu’elle lui paraît revêtue de réels mérites et ne présente rien qui puisse
heurter les principes juridiques. Et de fait, comme on l’a justement souligné,
« dans la mesure où les parties pourraient transiger sur le droit subjectif liti-
gieux, il n’y a pas d’inconvénient à les autoriser à se mettre d’accord sur le
droit objectif dont le juge devra déduire le contenu de ce droit subjectif »
(P. Mayer, « Le juge et la loi étrangère », Revue suisse de droit international
et européen 1991. 481, spéc. p. 488).
Mieux, la faculté octroyée aux parties de s’accorder sur la loi applicable
introduit une heureuse souplesse dans le règlement du conflit de lois. Elle
double, en effet, les règles de conflit traditionnelles « d’une règle de conflit
subsidiaire qui confère à celles-ci un caractère supplétif lorsque les droits
litigieux sont disponibles » (B. Fauvarque-Cosson, thèse préc., no 410, p. 250)
et donne ainsi aux parties le moyen de corriger la localisation du rapport de
droit auquel procède la règle de conflit lorsque celle-ci se révèle déficiente.
Pour prendre conscience de cette donnée, il n’est pas de meilleur exemple
que l’arrêt Roho. Un accident était survenu à Djibouti entre deux véhicules
conduits par des Français affectés provisoirement à une base française
située sur ce territoire, illustrant ainsi ce que peut parfois avoir d’artificiel le
rattachement à la loi du lieu du délit (v. observations supra, no 19 § 3). Mais
les tempéraments posés par la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la
loi applicable aux accidents de la circulation routière afin de permettre
l’application de la loi du pays dans le contexte social duquel la relation évo-
lue effectivement ne pouvaient, en l’espèce, fonctionner. L’article 4 utilise, en
effet, à cette fin, le lieu d’immatriculation des véhicules. Or, soit que ceux-
ci aient été immatriculés à Djibouti, soit encore que l’un d’eux, une motocy-
clette, ait été un véhicule non immatriculé pour lequel l’article 6 remplace la
loi de l’État d’immatriculation par celle de l’État de stationnement, les condi-
tions de mise en œuvre de l’article 4 n’étaient pas réunies. Les parties ayant
réclamé dans leurs conclusions respectives l’application de leur loi natio-
nale, la Cour de cassation rejette le pourvoi qui reprochait aux juges du
fond de s’être référés à celle-ci et non à la lex loci delicti que désignait la
règle de conflit conventionnelle. On le voit, la possibilité laissée aux par-
ties de désigner une loi autre que celle normalement applicable constitue,
en l’espèce, un facteur d’assouplissement opportun permettant notamment
de soumettre la relation au droit du pays avec lequel elle entretient réel-
lement les liens les plus significatifs.
Enfin, l’accord procédural peut aussi parfois permettre aux parties de
s’assurer de l’application d’une loi qu’elles connaissent et de faire ainsi l’éco-
nomie de recherches longues et coûteuses sur la loi applicable (pour une cri-
tique de ces justifications, v. D. Bureau, art. préc., Rev. crit. 1996. 616 et s.;
v. aussi du même auteur « L’influence de la volonté individuelle sur les conflits
de lois », Mélanges F. Terré, 1999, p. 285 et s., spéc. p. 292). Mais la solution
a aujourd’hui perdu la majeure partie de son intérêt du fait de l’abandon du
caractère obligatoire de la règle de conflit en matière conventionnelle.
84 SOC. HANNOVER INTERNATIONAL — CASS., 6 MAI 1997 739

II. Le régime juridique de l’accord procédural

8 Forme, domaine et portée de l’accord procédural ont très vite suscité les
réflexions de la doctrine. L’arrêt reproduit apporte fort opportunément des élé-
ments de clarification sur chacun de ces points.
9 A. — Selon quel mode d’extériorisation l’accord procédural doit-il s’expri-
mer ? Le consentement des parties doit-il être exprès ou peut-on se contenter
d’un accord certain résultant, par exemple, de la seule concordance des conclu-
sions des parties ? Un temps, le texte même de l’article 12, alinéa 3 du Nou-
veau Code de procédure civile ainsi que la lecture littérale dont il a été l’objet
au plan interne (Civ. 3e, 10 oct. 1979, Bull. III, no 175, p. 136) ont plutôt porté
les auteurs à retenir la solution la plus rigoureuse : « l’accord procédural (…)
doit (…) être un accord exprès » (P. Lagarde, note, Rev. crit. 1990. 322; P. Mayer
et V. Heuzé, no 147; G. Bolard, « Les tribulations de la loi étrangère devant le
juge français », Études A. Ponsard, 2003, p. 106). Il avait néanmoins été sug-
géré qu’en la matière l’important n’était pas tant la forme utilisée que la qua-
lité de la volonté qui s’y exprime. La référence commune des parties, pendant
le procès, à une loi déterminée devrait valoir choix de la loi dès lors qu’elles
sont conscientes de l’internationalité du litige et veulent l’application de cette
loi non parce qu’elles la croient objectivement compétente mais parce qu’elles
la désirent subjectivement applicable (Y. Lequette, « L’abandon de la juris-
prudence Bisbal », Rev. crit. 1989. 309, no 27; rappr. B. Fauvargue-Cosson, note
Rev. crit. 1997. 519, no 6). Aussi bien après avoir posé à plusieurs reprises
l’exigence d’un accord exprès (Civ. 1re, 6 déc. 1988, préc.; 27 oct. 1992, Bull. I,
no 261, p. 171), la Cour de cassation se montre, dans la présente affaire, favora-
ble à une analyse plus souple des exigences formelles. Elle décide, en effet,
qu’« un tel accord peut résulter des conclusions des parties invoquant une loi
autre que celle qui est désignée par la règle de conflit » (v. aussi Com., 12 juin
2001, Soc. Maglificio Pratesi, indédit). La coïncidence des conclusions des par-
ties semble donc suffire à former l’accord procédural dès lors que, conscientes
de la dimension internationale du litige et informées des problèmes de conflit
de lois qu’elle soulève, elles font explicitement référence à la loi qu’elles
entendent voir appliquer. Néanmoins, l’évolution ultérieure qui a marqué
l’office du juge sur le terrain de la preuve du droit étranger (v. Com., 28 juin
2005, supra, no 83) pourrait porter à douter que la seule absence de contesta-
tion des parties relativement à la loi applicable puisse encore valoir quasi-
accord procédural (B. Ancel et H. Muir Watt, Rev. crit. 2005. 657). En tout état
de cause, il est certain que le silence ne saurait valoir accord. Ainsi en va-t-il,
notamment, en cas de défaut du défendeur. Usant de ses pouvoirs, le juge peut
alors toujours appliquer d’office la loi compétente d’après la règle de conflit.
10 B. — « Pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent
s’accorder sur l’application de la loi française du for malgré l’existence d’une
convention internationale. » La proposition est riche d’enseignements quant au
domaine de l’accord procédural. Il en résulte que le fait que la règle de conflit
soit d’origine conventionnelle ne fait plus, par lui-même, obstacle au jeu de
740 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 84

l’accord procédural (v. déjà implicitement, Civ. 1re, 10 mai 1995, Rev. crit.
1996. 330, note B. A.). Dissipant les interrogations qu’avaient pu susciter les
déclarations dont la teneur a été ci-dessus rappelée (supra, § 5), la solution doit
être approuvée. Et de fait, privilégiant à l’excès la source au détriment de l’objet,
l’éviction de l’accord procédural du domaine des règles de conflit d’origine
conventionnelle aurait conduit à une singulière régression. Méconnaissant que
les conflits de lois intéressent d’abord les « relations entre particuliers »
(Batiffol et Lagarde, t I, no 264), elle rappellerait l’époque où l’on raisonnait
en termes de souveraineté, non plus certes parce que les règles de conflit
auraient pour objet de délimiter le domaine des lois en présence, mais en raison
de leur origine formelle. Il semblait donc légitime de faire céder l’obligation du
juge d’appliquer d’office la règle de conflit conventionnelle devant le libre
accord des parties pour les droits dont elles ont la libre disposition car les intérêts
en cause sont d’abord privés (comp. M.-L. Niboyet-Hoegy, « La mise en œuvre
du droit international privé conventionnel », Mélanges R. Perrot., 1996, p. 313
et s., spéc. p. 316). Mais une fois cette solution acquise, il devenait difficile
de maintenir la jurisprudence Coveco (supra, no 76) affirmant le caractère obli-
gatoire pour le juge de la règle de conflit d’origine conventionnelle. Comme on
l’avait justement souligné, « si le respect des règles de conflit conventionnel-
les s’impose au juge, sous peine de mettre en jeu la responsabilité internatio-
nale de l’État français, comment les parties pourraient-elles délier le juge et
par suite l’État français du respect des engagements internationaux souscrits
par la France, sauf lorsque le traité remet lui-même une telle liberté aux
parties ? » (M.-L. Niboyet, Gaz. Pal. 2000, no 61-62, p. 40). Aussi bien la haute
juridiction a-t-elle fort logiquement décidé ultérieurement d’abandonner le cri-
tère déduit de l’origine internationale de la règle de conflit et de retenir comme
seul critère de l’impérativité de la règle de conflit, celui du caractère indisponible
des droits en cause (supra, no 77-78).
11 Reste à savoir ce qu’il faut entendre par « droits dont les parties ont la libre
disposition ». La réponse est rien moins qu’évidente. Elle passe, en effet, par
la solution de délicats problèmes de méthode. Le pouvoir des parties étant dif-
férent selon qu’elles ont ou non la libre disposition de leurs droits, la question
se pose de savoir selon quelle loi doit s’apprécier cette disponibilité : la loi du
for ou la lex causae c’est-à-dire la loi étrangère désignée par la règle de
conflit ? À l’appui de la seconde solution, on a pu faire valoir que la question
de la libre disposition touche à la « substance des droits », de telle sorte qu’il
conviendrait de se tourner vers la lex causae (Y. Lequette, art. préc., Rev. crit.
1989. 314, no 31; P. Mayer, 4e éd., no 189; supra, no 32-34 § 11). En faveur de
la première solution, c’est-à-dire de la lex fori, on réplique que l’accord procédu-
ral faisant échec à l’application de la règle de conflit, c’est à la loi française
qu’il doit être demandé si celle-ci présente ou non un caractère supplétif
(B. Fauvarque-Cosson, thèse préc., no 85, p. 53). On relève également qu’on
serait ici en présence d’une question de procédure dont la solution ne sau-
rait dépendre d’une loi autre que celle du for (P. Lagarde, note, Rev. crit.
1990. 320; contra Y. Lequette, note, Rev. crit. 1991. 102; M.-L. Niboyet-Hoegy,
note, Rev. crit. 1991. 568). En réalité, plus que des considérations théoriques, ce
84 SOC. HANNOVER INTERNATIONAL — CASS., 6 MAI 1997 741

sont les résultats pratiques de l’application de la lex causae qui conduisent à lui
préférer la lex fori. Retenir la lex causae, c’est en effet créer une sorte de cercle
vicieux, en obligeant le juge à interroger celle-ci pour savoir s’il peut se dispen-
ser de l’appliquer (P. Mayer et V. Heuzé, no 147-1).
12 Même à s’en tenir à la loi du for, la mise en œuvre de la notion de libre
disponibilité des droits ne va pas sans difficultés. L’indisponibilité d’un droit
résulte-t-elle de la seule impérativité de la règle qui le régit ? La négative a été
soutenue au motif que la jurisprudence admet l’arbitrabilité des litiges dans
des matières régies par de nombreuses règles d’ordre public alors même qu’il
faut avoir la libre disposition de ses droits pour compromettre (B. Fauvarque-
Cosson, thèse préc., nos 153 et s., p. 93 et s.). Aussi bien une démarche calquée
sur celle qui permet de déterminer si un droit est ou non susceptible de renon-
ciation devrait-elle conduire à considérer que l’indisponibilité du droit doit se
déduire du caractère public ou privé des intérêts en jeu ainsi que, dans la deuxième
hypothèse de la situation de dépendance du titulaire du droit (B. Fauvarque-
Cosson, thèse préc., nos 192 et s., p. 116 et s.). Autre interrogation : au cas où cer-
tains droits seraient disponibles et d’autres indisponibles, l’accord procédural
pourrait-il donner naissance à une nouvelle forme de dépeçage ? Les notions
d’indivisibilité et de connexité pourraient ici fournir la clef de la solution
(rappr. supra, no 74-78 § 19; pour les autres difficultés de mise en œuvre sou-
levées par l’arrêt, v. B. Fauvarque-Cosson, note, Rev. crit. 1997. 514)
13 C. — L’accord procédural laisse-t-il aux parties toute liberté pour choisir
une loi autre que celle désignée par la règle de conflit du for ou peuvent-elles
uniquement faire abstraction du caractère international de la situation et s’en
tenir à l’application de la loi française alors même que la règle de conflit
désigne une loi étrangère ? La réponse n’est pas évidente. Les deux termes
de l’option ont trouvé des défenseurs en doctrine. Mettant l’accent sur la
libre disponibilité des droits ainsi que sur l’égalité de traitement des lois
françaises et étrangères, certains soutiennent que les parties devraient pou-
voir, sauf collusion frauduleuse, choisir une loi autre que celle du for dès lors
qu’elles apportent la preuve de son contenu (B. Fauvarque-Cosson, thèse
préc., nos 480 et s., p. 288 et s.; P. Lagarde, intervention, Trav. com. fr. dr. int. pr.
1990-1991, p. 36). C’est souvent, au demeurant, uniquement à ce prix que
les parties pourront, au moyen de l’accord procédural, corriger un règle-
ment du conflit de lois inadapté au cas d’espèce (supra, § 7). Soulignant
la spécificité de l’office du juge, d’autres insistent sur ce qu’une telle solu-
tion « se heurte à un obstacle tiré de la fonction même du juge : celui-ci
n’est pas un gymnaste intellectuel auquel les parties peuvent demander,
simplement parce qu’elles en sont d’accord, de procéder à n’importe quel
raisonnement dont elles lui fournissent les données » (P. Mayer, art. préc.,
Revue suisse de droit international et européen 1991 p. 489). Aussi bien,
l’accord procédural a-t-il, selon eux, pour principal mérite de permettre au
juge en appliquant, conformément au vœu des parties, la loi du for de ren-
dre « une justice de meilleure qualité puisqu’il connaît mieux sa propre
loi » (P. Mayer, art. préc., p. 488).
742 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 84

La jurisprudence ne s’est pas, pour l’instant, clairement déterminée. Dans


son arrêt Roho, la Cour de cassation, tout en donnant effet à un choix qui por-
tait sur la seule loi française, avait usé d’une formule assez compréhensive :
les parties « peuvent demander l’application d’une loi différente de celle dési-
gnée par une convention internationale ». Quant à la Cour de Paris, elle avait,
dans l’affaire Caron, admis un choix qui s’était opéré en faveur d’une loi
étrangère (Paris 23 janv. 1990, préc.). Mais on était en matière contractuelle et
l’accord procédural ne faisait que conforter l’accord de fond. En se référant
exclusivement à « la loi française du for », formule curieusement redondante,
le présent arrêt pourrait être compris comme marquant une inclination de la
haute juridiction vers la thèse restrictive. Mais la permission donnée aux par-
ties de « s’accorder sur l’application d’une loi autre » que celle désignée par
la règle de conflit, dans des arrêts ultérieurs (Civ. 1re, 26 mai 1999, Soc. Delta
Draht, Gaz. Pal. 2000, no 61-62, p. 39, 1re esp., obs. M.-L. Niboyet) montre
que la question reste ouverte et que la haute juridiction semble plutôt « favo-
rable à la "neutralité" de l’accord procédural », lequel pourrait jouer au profit
aussi bien de la loi du for que de la loi étrangère (M.-N. Jobard-Bachellier,
chron., Gaz. Pal. 2001, nos 346-347, p. 13, spéc. p. 19).
85-86
CONSEIL D’ÉTAT
(Ass.)

30 octobre 1998

COUR DE CASSATION
(Ass. plén.)

2 juin 2000

I. — CE, Ass., 30 octobre 1998, D. 2000. 152, note E. Aubin,


RFDA 1998. 1081, concl. C. Maugüé, 1094, chron. D. Alland, 1999. 57,
notes Dubouis, Mathieu et Verpeaux, Gohin,
AJDA 1998. 1039, chron. F. Raynaud et P. Fombeur, p. 962,
Europe mars 1999, chron. no 3, D. Simon, RDP 1999. 1081, note J.-F. Flauss,
RTD civ. 1999. 232, obs. N. Molfessis.
II. — Ass. plén. 2 juin 2000, Bull. Ass. plén., no 4,
JCP 2001. II. 10453, note A.-C. de Foucauld, D. 2001, chron. B. Beignier,
S. Mouton, p. 1636, Europe août-septembre 2000, chron. no 3, A. Rigaux
et D. Simon, RTD civ. 2000. 672, obs. R. Libchaber.
Traité. — Conflit avec la Constitution. — Ordre interne. —
Supériorité de la Constitution.

La suprématie conférée aux engagements internationaux sur les lois par


l’article 55 de la Constitution ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux
dispositions de nature constitutionnelle (1er et 2e arrêt).

Faits. — L’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie a été l’occasion pour


le Conseil d’État puis pour la Cour de cassation de préciser l’architecture de la pyra-
mide des normes dans l’ordre interne. Conclu entre le gouvernement et les principaux
acteurs de la vie politique néo-calédonienne, l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998
fixe le cadre dans lequel doit s’inscrire l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calé-
donie au cours des vingt prochaines années. Cette évolution supposant le transfert pro-
gressif et irréversible aux institutions locales de compétences, dont l’article 74 de la
Constitution qui traite des territoires d’outre-mer ne prévoit pas qu’elles puissent être
déléguées à ceux-ci car elles relèvent de prérogatives essentielles de l’État, la loi consti-
tutionnelle du 20 juillet 1998 a introduit dans la Constitution un titre XIII intitulé
« Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ». Celui-ci habilite les pou-
voirs publics à prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre des orientations défi-
nies dans l’accord de Nouméa. Parmi ces mesures, l’article 76 prévoyait l’organisation
d’une consultation électorale avant la fin 1998 et renvoyait à cet effet à la loi du
744 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 85-86

9 novembre 1988 d’où il résultait que seules les personnes établies en Nouvelle-Calédonie
avant le 6 novembre 1988 pourraient y prendre part, le vote devant être organisé par un
décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres précisant notamment les
conditions dans lesquelles seraient établies la liste des électeurs autorisés à y participer.
C’est donc en vertu de cette habilitation directe du constituant que le pouvoir réglemen-
taire a pris, le 20 août 1998, le décret dont l’annulation était demandée. Les requérants
soutenaient, parmi d’autres moyens, que la condition de domiciliation posée par
l’article 76 de la Constitution et reprise par les articles 3 et 8 du décret attaqué était
incompatible avec les stipulations des articles 2, 25 et 26 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, de l’article 14 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi
que de l’article 3 du Premier protocole additionnel à cette convention. La contradiction
alléguée n’allait pas de soi (sur cette question, v. E. Aubin, note D. 2000. 153). Mais,
répondre sur ce terrain, c’était admettre de contrôler la Constitution au regard des traités,
c’est-à-dire la subordonner à ceux-ci. La question posée obligeait donc le Conseil d’État à
se prononcer sur la place de la Constitution et des traités dans la hiérarchie des normes.
Toujours dans la perspective de l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie
fut adoptée, conformément au titre XIII de la Constitution, une loi organique du
19 mars 1999 fixant le statut transitoire de celle-ci, qui définissait notamment le collège
restreint admis à participer à l’élection du congrès et des assemblées de province. La
commission administrative et le tribunal de première instance de Nouméa ayant refusé,
la première, d’inscrire la Dlle Fraisse sur la liste prévue par l’article 188 de cette loi
organique, le second, d’annuler cette décision, un pourvoi en cassation fut formé. Le
demandeur arguait, à l’appui de son pourvoi, que les premiers juges avaient refusé
d’exercer un contrôle de conventionnalité de l’article 188 de la loi organique du 19 mars
1999 relative à la Nouvelle-Calédonie au regard des articles 2 et 25 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, 3 du premier protocole addi-
tionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et F (devenu 6) du traité de l’Union européenne du 7 février 1992. Là
encore, la question des places respectives des textes à valeur constitutionnelle et des
traités dans la hiérarchie des normes était posée.

1er ARRÊT
(Sarran c/Levacher et autres)
Le Conseil d’État; — Vu la Constitution modifiée notamment par la loi consti-
tutionnelle du 20 juillet 1998; l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958
portant loi organique sur le Conseil constitutionnel; le Pacte international rela-
tif aux droits civils et politiques; la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le protocole addi-
tionnel no 1 à cette convention; le Code civil; le Code électoral; le Nouveau Code
de procédure civile; la loi no 88-1028 du 9 novembre 1988; la loi no 80-539 du
16 juillet 1980 modifiée notamment par la loi no 95-125 du 8 février 1995;
l’ordonnance no 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret no 53-934 du 30 septembre
1953 et la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987; …
Sur les conclusions à fin d’annulation du décret attaqué :
Considérant que l’article 76 de la Constitution, dans la rédaction qui lui a été
donnée par l’article 2 de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 énonce, dans
son premier alinéa, que : « Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appe-
lées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l’accord
signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la
République française »; qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article 76 : « Sont
85-86 SARRAN, CE, 30 OCT. 1998 — FRAISSE, CASS., 2 JUIN 2000 745

admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à


l’article 2 de la loi no 88-1028 du 9 novembre 1988 »; qu’enfin, aux termes du
troisième alinéa de l’article 76 : « Les mesures nécessaires à l’organisation du
scrutin sont prises par décret en Conseil d’État délibéré en Conseil des minis-
tres »; que le décret du 20 août 1998 a été pris sur le fondement de ces derniè-
res dispositions;
En ce qui concerne les moyens de légalité externe : …
En ce qui concerne les moyens de légalité interne :
Quant aux moyens dirigés contre les articles 3 et 8 du décret attaqué :
Considérant que l’article 3 du décret du 20 août 1998 dispose que : « Confor-
mément à l’article 76 de la Constitution et à l’article 2 de la loi du 9 novembre
1988 (…) sont admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 les élec-
teurs inscrits à cette date sur les listes électorales du territoire et qui ont leur
domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988 »; qu’il est spécifié
que : « Sont réputées avoir leur domicile en Nouvelle-Calédonie alors même
qu’elles accomplissent le service national ou poursuivent un cycle d’études ou de
formation continue hors du territoire, les personnes qui avaient antérieurement
leur domicile dans le territoire »; que l’article 8 du décret précise dans son pre-
mier alinéa, que la commission administrative chargée de l’établissement de la
liste des personnes admises à participer à la consultation, inscrit sur cette liste les
électeurs remplissant à la date de la consultation la condition de domicile exi-
gée par l’article 2 de la loi du 9 novembre 1988;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le deuxième alinéa de l’article 76
de la Constitution dispose que : « Sont admises à participer au scrutin les per-
sonnes remplissant les conditions fixées à l’article 2 de la loi no 88-1028 du
9 novembre 1988 »; que ce dernier article exige que les intéressés soient domici-
liés en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988, sous réserve des excep-
tions qu’il énumère dans son second alinéa et qui sont reprises par l’article 3 du
décret attaqué; qu’ainsi, les articles 3 et 8 dudit décret, loin de méconnaître
l’article 76 de la Constitution en ont fait une exacte application;
Considérant que l’article 76 de la Constitution ayant entendu déroger aux
autres normes de valeur constitutionnelle relatives au droit de suffrage, le moyen
tiré de ce que les dispositions contestées du décret attaqué seraient contraires
aux articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à
laquelle renvoie le préambule de la Constitution ou à l’article 3 de la Constitution
ne peut qu’être écarté;
Considérant que si l’article 55 de la Constitution dispose que « les traités ou
accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une auto-
rité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son
application par l’autre partie », la suprématie ainsi conférée aux engagements
internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature
constitutionnelle; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, en ce qu’il
méconnaîtrait les stipulations d’engagements internationaux régulièrement
introduits dans l’ordre interne, serait par là même contraire à l’article 55 de la
Constitution, ne peut lui aussi qu’être écarté;
Considérant que si les requérants invitent le Conseil d’État à faire prévaloir
les stipulations des articles 2, 25 et 26 du pacte des Nations unies sur les droits
civils et politiques, de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 3 du proto-
cole additionnel no 1 à cette convention, sur les dispositions de l’article 2 de la
loi du 9 novembre 1988, un tel moyen ne peut qu’être écarté dès lors que par
l’effet du renvoi opéré par l’article 76 de la Constitution aux dispositions dudit
article 2, ces dernières ont elles-mêmes valeur constitutionnelle;
Considérant enfin que, dans la mesure où les articles 3 et 8 du décret attaqué
ont fait une exacte application des dispositions constitutionnelles qu’il incom-
746 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 85-86

bait à l’auteur de ce décret de mettre en œuvre, ne sauraient être utilement


invoquées à leur encontre ni une méconnaissance des dispositions du Code civil
relatives aux effets de l’acquisition de la nationalité française et de la majorité civile
ni une violation des dispositions du Code électoral relatives aux conditions d’inscrip-
tion d’un électeur sur une liste électorale dans une commune déterminée;
Quant aux moyens dirigés contre l’article 13 du décret attaqué : (…)
Rejet.
Du 30 octobre 1998. — Conseil d’État (Ass.). — MMes Prada-Bordeneuve, rapp.; Maugüe, com.
du gouv.

2e ARRÊT
(Dlle Fraisse)
Sur les deuxième et troisième moyens réunis : — Attendu que Mlle Fraisse fait
grief au jugement attaqué (tribunal de première instance de Nouméa, 3 mai
1999) d’avoir rejeté sa requête tendant à l’annulation de la décision de la commis-
sion administrative de Nouméa ayant refusé son inscription sur la liste prévue à
l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie
des électeurs admis à participer à l’élection du congrès et des assemblées de
province et d’avoir refusé son inscription sur ladite liste, alors, selon le moyen :
1° que le jugement refuse d’exercer un contrôle de conventionnalité de
l’article 188 de la loi organique no 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-
Calédonie au regard des articles 2 et 25 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques du 16 décembre 1966, 3 du premier protocole additionnel à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et F (devenu 6) du traité de l’Union européenne du 7 février 1992,
l’article 188 étant contraire à ces normes internationales en tant qu’il exige d’un
citoyen de la République française un domicile de dix ans pour participer à
l’élection des membres d’une assemblée d’une collectivité de la République
française; 2° qu’il appartenait subsidiairement au tribunal de demander à la
Cour de justice des Communautés européennes de se prononcer à titre préjudi-
ciel sur la compatibilité de l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 avec
l’article 6 du traité de l’Union européenne; — Mais attendu, d’abord, que le
droit de Mlle Fraisse à être inscrite sur les listes électorales pour les élections en
cause n’entre pas dans le champ d’application du droit communautaire; —
Attendu, ensuite, que l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 a valeur
constitutionnelle en ce que, déterminant les conditions de participation à l’élec-
tion du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et pré-
voyant la nécessité de justifier d’un domicile dans ce territoire depuis dix ans à
la date du scrutin, il reprend les termes du paragraphe 2.2.1 des orientations
de l’accord de Nouméa, qui a lui-même valeur constitutionnelle en vertu de l’arti-
cle 77 de la Constitution; que la suprématie conférée aux engagements interna-
tionaux ne s’appliquant pas dans l’ordre interne aux dispositions de valeur cons-
titutionnelle, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 188 de la loi
organique seraient, contraires au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales doit être écarté;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier moyen auquel
Mlle Fraisse a déclaré renoncer : — rejette.
Du 2 juin 2000. — Cour de cassation (Ass. plén.). — MM. Canivet, Prem. prés.; Chagny, rapp.,
assisté de Mme Curiel-Malville, auditeur; M. Joinet, Prem. av. gén.
85-86 SARRAN, CE, 30 OCT. 1998 — FRAISSE, CASS., 2 JUIN 2000 747

OBSERVATIONS

1 Malgré sa fortune pédagogique, l’image de la pyramide des normes n’est


pas exempte d’approximations. Formée par strates successives, elle présente
un caractère relatif et inachevé, au point que la définition même de son som-
met était restée jusqu’à ces derniers temps matière à controverses. En raison
des éléments de réponse qu’elles apportent à cette délicate question, les déci-
sions ci-dessus reproduites ont pu être présentées comme deux « des arrêts les
plus importants de l’histoire de la Vème république en matière de hiérarchie des
normes » (D. Alland, « Consécration d’un paradoxe : primauté du droit interne
sur le droit international », RFDA 1998. 1095). En refusant de procéder à un
contrôle de conventionnalité de la Constitution, elles reconnaissent, en effet, à
celle-ci la qualité de norme suprême de l’ordre juridique français. Bien qu’elle
ait pu étonner certains (Rép. Dalloz dr. int., Synthèse annuelle, 2000-1), une
telle solution apparaît fondée aussi bien en droit (I), qu’en opportunité (II).

I. Appréciation en droit

2 Tout en affirmant le principe de supériorité des traités sur la loi, les arrêts
Jacques Vabre et Nicolo (supra, no 55-56) avaient laissé en suspens la question
des rapports des traités et de la Constitution. Les premiers l’emportaient-ils sur
la seconde au nom de la primauté de l’ordre international ou la seconde sur les
premiers en ce qu’elle est la norme fondatrice de l’ordre juridique français ?
En demandant aux juridictions administratives, puis judiciaires de contrôler la
conformité des dispositions constitutionnelles avec les stipulations du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention euro-
péenne des droits de l’homme, les requérants obligeaient les magistrats à pren-
dre position sur la place respective de la Constitution et des traités dans la hié-
rarchie des normes. Conseil d’État et Cour de cassation ne se sont pas dérobés.
Refusant tous deux de procéder à un tel contrôle, ils affirment que « la supré-
matie conférée aux engagements internationaux sur les lois ne s’applique pas,
dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ». Posée dans
l’hypothèse d’un texte constitutionnel postérieur au traité, la solution paraît
devoir également trouver application, du fait même de la généralité de la for-
mule utilisée, dans l’hypothèse inverse d’un traité postérieur à la norme consti-
tutionnelle. Il semble donc bien résulter des deux décisions ci-dessus reproduites
que les traités ont une valeur supralégislative et infraconstitutionnelle.
3 Au premier abord, la solution peut surprendre. N’enseigne-t-on pas habi-
tuellement que l’ordre international prime l’ordre interne ? Comme l’écrivait
Michel Virally, « le droit international est inconcevable autrement que supé-
rieur aux États, ses sujets. Nier sa supériorité revient à nier son existence »
(« Sur un pont aux ânes : les rapports entre droit international et droit interne »,
Mélanges Rolin, 1964, reproduit in Le droit international en devenir, 1990,
p. 103, spéc. p. 110). Aussi bien la Cour permanente de justice internationale
a-t-elle rappelé qu’un « État ne saurait invoquer sa propre constitution pour se
748 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 85-86

soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités
en vigueur » (CPJI, avis du 3 févr. 1932, Traitement des prisonniers de guerre
polonais à Dantzig, Sér. A/B, no 44). Et la Cour de justice des Communautés
européennes a affirmé, dans son célèbre arrêt Costa, la primauté du droit commu-
nautaire sur toute norme de droit interne, même constitutionnelle (CJCE, 15 juill.
1964, Rec. p. 1141; v. aussi CJCE, 17 déc. 1970, Internationale Handelgesells-
chaft, Rec. p. 1125). N’y aurait-il pas, dès lors, quelque « paradoxe » à affirmer la
primauté de la Constitution sur le droit international ?

4 En réalité, tout dépend, ainsi qu’on l’a lumineusement montré, du point de


vue auquel on se place pour envisager la question des rapports entre le droit
international et le droit interne (D. Alland, « Consécration d’un paradoxe : pri-
mauté du droit interne sur le droit international », RFDA 1998. 1094). Si on la
considère à travers le prisme de l’ordre international, le principe de la primauté
du droit international sur le droit interne l’emporte à l’évidence. Si on l’envi-
sage du point de vue de l’ordre interne, les exigences fondamentales de la
théorie de l’État conduisent à conférer à la Constitution la valeur de norme
suprême. Et de fait, comme on l’a justement souligné, « il est très clair que,
dans le droit interne de chaque État, la Constitution occupe une place tout-à-
fait particulière. Il s’agit de la norme suprême de laquelle toutes les autorités
de l’État, législatives, exécutives et judiciaires, tirent leur autorité. Elle est
l’expression du pouvoir constituant, c’est-à-dire du pouvoir originel. C’est la
constitution qui organise les rapports entre les pouvoirs publics, appelés d’ailleurs
pouvoirs constitués » (F. Raynaud et P. Fombeur, « Chronique générale de juris-
prudence administrative », AJDA 1998. 962, spéc. p. 964). Or, comme le rap-
pelait également Michel Virally, « l’État trouve en lui-même, dans l’assenti-
ment du groupe humain qu’il intègre, le fondement de sa légitimité. Tout ordre
étatique est autocréateur et se développe à partir de sources originaires qui lui
sont propres et qui n’ont besoin pour affirmer leur validité, de se référer à
aucune norme supérieure (…). L’ordre juridique étatique se forme en dehors
du droit international et sans lui » (art. préc., Le droit international en devenir,
p. 108). On sait qu’afin de rendre compte de ce constat, Henri Batiffol parlait
de l’antériorité de l’ordre interne par rapport à l’ordre international. Il en
déduisait que, « tenant sa mission de l’autorité qui l’institue », un juge interne
« ne saurait assumer un rôle contraire à la mission qui définit ses pouvoirs et
dont l’objet propre est la mise en œuvre de l’ordre interne : user de ses pou-
voirs contre l’autorité qui les lui a conférés lui enlève toute qualité » (H. Batif-
fol, Droit international privé, 4e éd., no 39, p. 42). Invoquée longtemps avec
succès pour faire échec au contrôle de conventionnalité des lois, cette considé-
ration a finalement été écartée en la matière, aux motifs que l’article 55 de la
Constitution habilite constitutionnellement juge judiciaire et juge administratif
à exercer un contrôle de conventionnalité des lois ordinaires (supra, no 55-56).
Mais elle conserve toute sa force et toute sa pertinence en ce qui concerne le
contrôle de conventionnalité de la Constitution. On ne saurait, en effet, s’agis-
sant des lois constitutionnelles, prétendre découvrir dans l’article 55 une telle habi-
litation. On voit mal dès lors comment un juge qui tire son existence et ses pou-
85-86 SARRAN, CE, 30 OCT. 1998 — FRAISSE, CASS., 2 JUIN 2000 749

voirs de la Constitution pourrait s’ériger en censeur de celle-ci. En faisant prévaloir


sa propre interprétation sur celle du pouvoir constituant, il commettrait néces-
sairement une usurpation de pouvoir.

5 Et ceci d’autant plus qu’il est dans la Constitution des dispositions qui lais-
sent à penser qu’elle se considère, dans l’ordre juridique interne, comme supé-
rieure aux traités. Certes, tel n’est pas le cas de son article 54, pourtant souvent
invoqué en ce sens, qui prévoit que lorsqu’un engagement comporte une clause
contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après la révi-
sion de celle-ci. Cherchant seulement à empêcher le conflit de normes qui
résulterait de ce que la France s’engage internationalement à respecter un traité
qu’elle ne pourrait appliquer qu’au mépris de sa Constitution, il n’établit pas
une relation hiérarchique entre les deux (J. Combacau, Le droit des traités,
1991, p. 50; D. Alland, art. préc., RFDA 1998. 1098). En revanche, le nouvel
article 53-1 de la Constitution issu de la loi constitutionnelle du 25 novembre
1993 est plus significatif sur la valeur respective de la Constitution et des trai-
tés. Tout en habilitant le gouvernement à conclure avec les États européens des
accords délimitant leur compétence respective pour l’examen des demandes
d’asile qui leur sont présentées, cette disposition ouvre à la France la possibi-
lité d’exercer sa prérogative d’asile, nonobstant tout engagement international
en la matière. En d’autres termes, le droit constitutionnel y est perçu comme
un « rempart efficace » contre le droit international, ce qui implique qu’il ne
saurait lui être subordonné (D. Alland, art. préc., RFDA 1998. 1096).
On voit mal, au reste, comment il pourrait en aller autrement. À raisonner
en termes de logique formelle, on ne saurait affirmer dans la Constitution la
primauté de l’ordre international sur les dispositions constitutionnelles
sans commettre un « paralogisme ». Comment, en effet, « le principe de supé-
riorité d’une norme » pourrait-il « dépendre de l’énoncé d’une norme de rang
inférieure » ? Il y faudrait un exercice de « lévitation » juridique qui paraît
hors de portée (D. Alland, art. préc., RFDA 1998. 1102 ; rappr. R. Libcha-
ber, RTD civ. 2000. 674; B. Beigner et s. Mouton, D. 2001, chron. p. 1636).
Plus généralement, comme le relève fort justement M. Rémy Libchaber
« quelque effort que fasse la France pour favoriser une hiérarchie des normes
fidèle à la primauté des règles internationales, elle ne pourra consacrer la
suprématie de l’ordre international qu’à la condition de cesser d’être un
État souverain » (RTD civ. 2000. 674; rappr. L. Lemasson, « La constitution
française face au droit international : pour une défense du principe de sou-
veraineté », RRJ, 2003, no 2, p. 1165 et s.).
Aussi bien, l’affirmation de la primauté de la Constitution sur les traités
était-elle déjà en germe dans le célèbre arrêt Koné rendu par le Conseil d’État
le 3 juillet 1996 (RFDA 1996. 870, concl. Delarue, 882, notes Favoreu,
Gala, Labayle, P. Delvolvé, AJDA 1996. 722, chron. Chauvaux et Girau-
dot, D. 1996. 509, note Julien-Laferrière, JCP 1996. II. 22720, note Prê-
tot, RGDIP 1997. 237, note D. Alland). La haute juridiction administrative
y avait, en effet, utilisé un principe à valeur constitutionnelle pour faire
échec à l’application d’un traité d’extradition ratifié et publié depuis plus
de trente ans.
750 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 85-86

6 Bien que dictée par les exigences fondamentales de la théorie de l’État,


cette solution a été l’objet de vives critiques.
Les spécialistes du droit européen ne la considèrent comme tolérable que si
elle est cantonnée au seul rapport du droit international et du droit constitu-
tionnel, l’ordre communautaire primant selon eux nécessairement sur la Cons-
titution. Aussi bien, certains n’ont-ils pas hésité à voir, dans le fait que la Cour
de cassation avait pris le soin de relever que le droit d’être inscrit sur les listes
électorales « n’entre pas dans le champ d’application du droit communautaire »,
une « avancée significative » en ce que, entendue a contrario, cette incidente
impliquerait que la solution ne vaudrait pas en cas de conflit entre la norme à
valeur constitutionnelle et le droit communautaire (A. Rigaux et D. Simon,
« Droit communautaire et constitution française : une avancée significative de
la Cour de cassation », Europe août-sept. 2000, chron. no 8). C’est là prêter à
cette incidente une signification qu’elle n’a vraisemblablement pas. Rappe-
lons en effet que, pour que la pyramide des normes ait vocation à être sollici-
tée, il faut qu’il y ait un conflit de normes à résoudre, c’est-à-dire une antino-
mie. Celle-ci n’existe que si l’on est en présence de dispositions qui, pour un
même champ d’application, édictent des solutions incompatibles entre elles
(L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit interna-
tional privé, thèse Paris II, éd. 2001, p. 81 et s., nos 123 et s. ; v. aussi, « Le
droit international privé à l’épreuve de la hiérarchie des normes », Rev. crit.
2001. 35). En relevant que la question litigieuse ne rentrait pas dans le champ
d’application du droit communautaire, la Cour de cassation se contentait de
constater l’absence d’antinomie.
Il n’en reste pas moins que la question est délicate. Il existe, en effet, deux
lectures des rapports de l’ordre communautaire et de l’ordre interne.
Celle des juridictions françaises et notamment du Conseil d’État est d’assi-
miler purement et simplement les traités communautaires et les dispositions
prises sur leur fondement à des traités internationaux comme les autres. En
fondant sur l’article 55 de la Constitution la supériorité des textes communau-
taires sur la loi interne, ils marquent clairement qu’ils n’entendent faire aucune
part à la spécificité du droit communautaire (CE, 3 déc. 1999, RTD civ. 2000.
194, obs. R. Libchaber; rappr. conclusions Frydman sur l’arrêt Nicolo, Rev.
crit. 1990. 125; v. aussi l’arrêt Jacques Vabres dans lequel la Cour de cas-
sation prend appui sur l’article 55 de la Constitution, contrairement aux conclu-
sions du procureur général Touffait qui l’invitait à ne pas user de ce détour et
à consacrer directement la primauté du droit communautaire, D. 1975. 497,
spéc. 503). Dès lors, pas plus que les traités ne s’imposent à la Constitution
dans l’ordre interne, pas plus l’ordre communautaire ne devrait s’imposer à
celle-ci.
Celle de la Cour de justice des Communautés européennes représente
l’ordre communautaire comme « un ordre juridique propre, intégré au système
juridique des États-membres » et qui l’emporte sur les textes internes quels
qu’ils soient. L’intrication des ordres juridiques interne et communautaire pour-
rait alors porter le juge national à considérer qu’il tient son office, au moins
pour partie, directement de l’ordre juridique communautaire, en sorte qu’en
vérifiant la conformité de la Constitution à l’ordre juridique communautaire,
85-86 SARRAN, CE, 30 OCT. 1998 — FRAISSE, CASS., 2 JUIN 2000 751

il échapperait à l’objection de l’usurpation de pouvoir. En réalité, ainsi engagé


le débat reste assez artificiel. La véritable question est de savoir si les États
qui se sont accordés par traité pour créer l’ordre juridique communautaire
sont prêts à aller jusqu’au bout de l’abdication de leur souveraineté à l’égard
de celui-ci ? Pour l’instant, la plupart des juridictions suprêmes des pays-
membres de l’Union européenne semblent répugner à franchir le pas et à s’ali-
gner sur la Cour de Luxembourg lorsqu’elle affirme la primauté du droit com-
munautaire sur toute norme de droit interne même constitutionnelle. Aussi bien,
s’agissant de la France, si le Conseil constitutionnel a décidé qu’il ne contrôle
pas la constitutionnalité d’une loi qui est la transposition précise et nécessaire
d’une directive communautaire, c’est, a-t-il précisé, sous la réserve de
l’absence de dispositions contraires, expresses et spécifiques de la Constitu-
tion (Cons. const. 10 juin et 1er juill. 2004, RTD eur. 2005. 580, obs. Kovar).
Et dans sa décision du 19 novembre 2004 (Gr. déc. Cons. const., 13e éd., no 51)
sur le Traité portant constitution pour l’Europe, il a, prenant appui tant sur « la
logique immanente au traité que sur une interprétation contextuelle » de son
article I-6 affirmant la primauté du droit communautaire, ainsi que sur les dis-
positions constitutionnelles nationales, décidé que ce Traité ne changeait rien à
la nature de l’Union européenne ni à la primauté de la Constitution dans l’ordre
juridique interne (B. Mathieu, D. 2004. 3075).
7 Plus généralement, on a critiqué cette décision, car il ne saurait exister de
hiérarchie des normes propres à l’ordre interne, la contradiction avec la pri-
mauté de l’ordre international apparaissant alors irréductible. À cela il a été
répondu qu’en précisant que la suprématie conférée aux engagements interna-
tionaux ne s’applique pas « dans l’ordre interne » aux dispositions de valeur
constitutionnelle, Conseil d’État et Cour de cassation laissent à la primauté du
droit international tout le loisir de se déployer dans l’ordre international. En
revanche, dans l’ordre interne, les traités ne font sentir leur supériorité que
dans la mesure où ils sont conformes aux textes de valeur constitutionnelle. La
solution trouve une explication dans le constat déjà relevé de l’antériorité de
l’ordre interne par rapport à l’ordre international. Au cas où existerait une contra-
riété entre l’ordre international et la Constitution, c’est-à-dire l’essence même de
l’ordre interne, dont l’adoption et la modification sont soumises à des procédu-
res contraignantes qui ne se retrouvent en aucune façon pour celle des traités,
le juge interne, dont on a vu qu’il a pour première mission la mise en œuvre de
l’ordre interne, serait tout naturellement porté à faire prévaloir les considéra-
tions qui permettent de sauvegarder la cohérence de l’ordre dont il est l’éma-
nation. La contradiction irréductible entre ordre international et ordre interne
se résout alors non par l’appel à un hypothétique troisième ordre juridique
chargé de régler les relations entre les deux premiers, mais par la mise en
cause éventuelle de la responsabilité internationale de l’État. S’il apparaît au
juge international que le juge interne n’a pas correctement réglé le litige au
regard des règles du droit international, la contradiction entre l’interprétation
interne et l’interprétation internationale de la légalité est « résolue par le droit
international qui permet en quelque sorte à l’État d’« acheter » dans l’ordre
juridique international la possibilité de respecter son droit interne en substi-
752 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 85-86

tuant à ses obligations internationales incompatibles une obligation nouvelle,


celle de réparer la violation de la loi » (Combacau et Sur, Droit international
public, 3e éd., 1997, p. 544; rappr. S. Sur, « Quelques observations sur les nor-
mes juridiques internationales », RGDIP 1985. 901). Cette responsabilité peut
être considérée, conformément à l’article 30 § 5 de la Convention de Vienne sur
les traités, comme un phénomène normal du droit international. Le commis-
saire du gouvernement, Mme Maugüe, l’envisage d’ailleurs dans ses conclu-
sions sur l’arrêt Sarran comme une conséquence naturelle de la solution fina-
lement consacrée par la haute juridiction administrative (RFDA 1998. 1081
et s., spéc. 1086).
8 On perçoit ainsi qu’à raisonner dans l’ordre interne, juge administratif et
juge judiciaire ne pouvaient que refuser d’entrer dans la voie d’un contrôle de
conventionnalité de la Constitution. Bien loin de s’expliquer par l’incapacité
qu’aurait le Conseil d’État, « héritier des juristes de la Couronne qui n’avaient
cessé d’aider le Roi à défendre son “pré carré” » à appréhender le droit d’ori-
gine externe, internationale ou communautaire (Rép. Dalloz dr. int., Synthèse
annuelle 2000-1), les deux décisions ci-dessus reproduites témoignent d’une
parfaite compréhension des rapports entre un ordre international et un ordre
interne gouvernés par le constat de l’antériorité du second par rapport au pre-
mier. La notion devrait, au reste, être familière à l’internationaliste privatiste
puisqu’elle est au cœur de la conception qu’avait Henri Batiffol du droit inter-
national privé (Aspects philosophiques du droit international privé, 1956,
p. 134, et compte rendu par Ph. Francescakis, APD 1958. 205 reproduit in
La pensée des autres en droit international privé, p. 163).

II. Appréciation en opportunité

9 Fondée en droit, cette solution l’est aussi en opportunité. En premier lieu,


décider que le juge pourrait écarter la volonté clairement exprimée du consti-
tuant au profit de l’application de normes internationales antérieures condui-
rait directement à la consécration du gouvernement des juges sous sa forme la
plus exacerbée. Il leur permettrait, en effet, de paralyser la volonté du peuple
souverain clairement et solennellement exprimée en prenant appui sur les
axiomes passe-partout de n’importe quelle convention internationale. À cet
égard, on ne peut mieux faire que de citer la formule du Doyen Vedel, « si les
juges ne gouvernent pas, c’est parce qu’à tout moment le souverain à la condi-
tion de paraître en majesté comme constituant peut dans une sorte de lit de
justice, briser leurs arrêts » (G. Vedel, « Schengen et Maastrich », RFDA 1992.
173). A supposer que cette dernière borne vienne un jour à céder, le change-
ment de régime serait patent, la souveraineté glissant des mains du peuple dans
celle du juge.
10 En second lieu, admettre le contrôle de conventionnalité de la Constitution,
ce serait placer une « folle confiance » dans le droit international (D. Alland,
art. préc., RFDA 1998. 1102; rappr. L. Lemasson, art. préc., RRJ 2003, no 2,
p. 1165 et s.). Certes, l’idéologie internationaliste et européiste pèse aujourd’hui
85-86 SARRAN, CE, 30 OCT. 1998 — FRAISSE, CASS., 2 JUIN 2000 753

de tout son poids dans la vie juridique, au point qu’on a pu qualifier de « malen-
contreuse » les deux décisions ci-dessus reproduites car elles priveraient les
justiciables du bénéfice des normes internationales (Rép. Dalloz dr. int., Syn-
thèse annuelle 2000-1 et 2001-1). Le propos apparaît pour le moins excessif.
Tout d’abord, il convient de noter que les hypothèses de contrariété entre
l’ordre international et la Constitution sont, semble-t-il, assez rares. Comme le
relève M. Jean Combacau « les traités ont rarement pour objet la réglementation
de questions qui ressortissent à l’organisation des pouvoirs publics » (Le droit
des traités, p. 50). Et lorsqu’il y a superposition, c’est-à-dire essentiellement
en matière de droits fondamentaux, « la plupart des instruments internatio-
naux protecteurs des droits de l’homme (…) adoptés ces dernières années,
non seulement ne révolutionnent pas le droit français, mais encore offrent à
l’individu un standard de protection moins élevé » (D. Gutmann, « Les droits
de l’homme sont-ils l’avenir du droit ? », Mélanges F. Terré, 1999, p. 338).
Ensuite, il y a lieu de relever que, lorsque contrariété il y a, l’intérêt des justi-
ciables est bien loin de concorder avec la primauté des textes internationaux
ou communautaires. C’est ainsi qu’uniquement occupée à asseoir l’impéria-
lisme du marché, la technocratie européenne n’hésite pas à piétiner les droits
des citoyens ordinaires. Par exemple, prenant appui sur les textes européens,
elle a décidé que les dispositions françaises qui imposent l’utilisation de la
langue française pour l’étiquetage des denrées alimentaires, « sans retenir la
possibilité qu’une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit uti-
lisée ou que l’information de l’acheteur soit assurée par d’autres mesures »
constituent une restriction à l’importation et ne sauraient donc recevoir appli-
cation (CJCE, 12 sept. 2000, aff. C.366/98, D. Aff, 2001. 1458 RTD civ.
2001. 235, obs. N. Molfessis; rappr. H. Claret, « La loi Toubon du 4 août
1994 est-elle conforme au droit communautaire ? », Contrats, conc., consom.
2001, chron. no 5). En clair, pour la Cour de Luxembourg, sur le territoire de
la République française, nul n’est censé ignorer l’anglais. C’est oublier qu’au
sein même de la société française, il est une partie importante de la popula-
tion, en règle générale la moins favorisée, qui ne pratique pas la vie internatio-
nale et pour laquelle le français est la seule langue vernaculaire. Aussi bien
reste-t-il pour protéger cette catégorie la plus fragile de la population, la res-
source de faire appel à la Constitution qui pose dans son article 2 que « la lan-
gue de la République est le français ». Ainsi, instrument par excellence de la
cohésion de la société interne, la Constitution permet-elle de faire échec à la
seule logique du marché véhiculée par les textes européens. Encore faudrait-il
pour cela que le Conseil d’État et la Cour de cassation aillent jusqu’au bout de
l’affirmation de la primauté de la Constitution et découvrent les moyens de
procéder à un contrôle de la conformité des textes internationaux ou de droit
communautaire à la Constitution (v. déjà pour un contrôle de régularité formelle
opéré au regard de l’art. 53 de la Constitution, Civ. 1re, 29 mai 2001, Bull. I,
no 149, D. 2001, IR, 2001, Gaz. Pal. 12-13 déc. 2001, p. 31, note M.-L. Niboyet,
RTD civ. 2001. 706, obs. R. Libchaber, Rev. arb. 2001. 614), du moins
lorsqu’une telle vérification n’a pas été effectuée par le Conseil constitution-
nel. Il y aurait là une initiative heureuse, spécialement pour les seconds, puis-
que établis de manière purement technocratique, ils sont introduits dans
754 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 85-86

l’ordre juridique français sans que la souveraineté populaire ait à dire son mot
et sans que le Conseil constitutionnel ait pu exercer un quelconque contrôle.
Serait ainsi restaurée la cohérence de la pyramide des normes mise à mal par
le système actuel puisque, comme on l’a justement noté, « une norme censée
inférieure à la Constitution, la norme européenne, vient paralyser l’application
de la loi, alors même que (…) celle-ci a pu être jugée conforme à la
Constitution » (RTD civ. 1999. 240). Ces suggestions encourront fort proba-
blement la réprobation de certains qui témoigneront ainsi du réel souci qu’ils
ont de la protection des justiciables lorsque leurs intérêts ne concordent pas
avec ceux des « élites mondialisées ».
L’importance de la Constitution dans la défense de la cohésion de la
société française contre les atteintes que peuvent lui porter les textes interna-
tionaux a été, au reste, parfaitement mise en évidence par l’actualité récente.
Avec la condamnation par le Conseil constitutionnel de la Charte des lan-
gues régionales et minoritaires, celle-ci est en effet apparue comme le der-
nier rempart contre les entreprises de ceux qui, avec la bénédiction des
eurocrates et sous la pression de certains de nos puissants voisins, cherchent
à démanteler la société française pour mieux la dissoudre dans une Europe
fédérale à caractère ethnique (Y. Bollmann, La tentation allemande, 1998 ;
La bataille des langues en Europe, 2001 ; P. Hillard, Minorités et régionalis-
mes dans l’Europe fédérale des régions, 2001).
11 En définitive, ces arrêts sont au cœur des interrogations qui agitent le monde
contemporain. Certains y verront un simple combat d’arrière garde mené par
des « cours suprêmes trop constitutives de l’ordre juridique national qui les a
instituées » pour prendre conscience de ce que « l’immense plaque du droit
supranational est en train de disloquer la frêle croûte du droit national
souverain » (R. Libchaber, RTD civ. 2000. 676). À prolonger la métaphore tec-
tonique, d’autres rappelleront que l’homme vit sur cette mince croûte du droit
national et que les secousses que lui imprime la montée des magmas mondia-
liste et européen risquent de provoquer des éruptions et des fractures lourdes
de déconvenues qui pourraient bien conduire les peuples à se redécouvrir.
Comme le constatait Jean-Baptiste Duroselle, à la lumière de l’expérience his-
torique, tout empire périra (Armand Colin, 2e éd., 1992). « Masquées par les
superstructures impériales, les nations ne se laissent pas supprimer, et réap-
paraissent tôt ou tard, décomposant les empires qui n’en tenaient pas compte »
(P. Béhar, Vestiges d’empires, 1999, p. 17). En cherchant à maintenir la cohé-
sion des sociétés internes, nos hautes juridictions, non seulement sont parfai-
tement dans leur rôle, mais encore pourraient bien être en avance sur leur
époque.
87
COUR DE CASSATION
(1re Ch. civ.)

23 mai 2006

(D. 2006, p. 1846, chr. B. Audit)


Jugement étranger. — Conditions d’efficacité. — Compétence
indirecte. — Article 15 C. civ. — Compétence facultative. —
Compétence concurrente

L’article 15 du Code civil ne consacre qu’une compétence facultative de


la juridiction française, impropre à exclure la compétence indirecte d’un
tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée
à l’État dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n’est
pas frauduleux.
(J.-M. Prieur c/A.-D. de Montenach)

Faits. — Le 16 avril 1993 le Tribunal de première instance de la République et Can-


ton de Genève prononce, par application du droit suisse, l’annulation du mariage entre
deux époux, résidant l’un et l’autre à Genève, qui se sont mariés en Suisse et ont adopté
par contrat de mariage un régime matrimonial de droit suisse. Le mari, comme la
femme, est né en Suisse, mais alors qu’elle est de nationalité helvétique, il est Canadien
et aussi, quoiqu’il se garde d’exhiber cette qualité en Suisse, titulaire de la nationalité
française; au moment où son épouse demande aux tribunaux français l’exequatur de la
décision suisse d’annulation, il n’a effectué qu’un très bref séjour en France avant de
transporter sa résidence à Montréal (Québec, Canada). Devant le juge français, pour
faire échec à la demande d’exequatur, il conteste la compétence du Tribunal de Genève
laquelle, selon la jurisprudence Munzer (v. supra no 41, v. aussi Bachir no 45 et Simitch,
no 70), constitue une condition de régularité de la décision étrangère : se prévalant cette
fois de sa qualité de Français, il invoque l’article 15 du Code civil dont il était admis
qu’il fondait une compétence exclusive des tribunaux français réservant à ceux-ci la
connaissance du litige et s’opposant ainsi à ce qu’un Français puisse être jugé par une
juridiction étrangère. L’objection n’est cependant pas retenue par les juges du fond; elle
ne l’est pas non plus par la Cour de cassation qui renverse donc sa jurisprudence.

ARRÊT
La Cour; — Sur le moyen unique : — Attendu que Mme de Montenach a solli-
cité l’exequatur en Fance d’un jugement rendu le 16 avril 1996 par le tribunal de
première instance de la République et Canton de Genève, qui a annulé, pour
vice du consentement, le mariage qu’elle avait contracté le 15 octobre 1993
avec M. Prieur; — Attendu que M. Prieur fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué
(Poitiers, 10 décembre 2002) d’avoir déclaré ce jugement exécutoire en France,
756 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 87

alors, selon le moyen, qu’en refusant de retenir la compétence exclusive des tri-
bunaux français, bien que le défendeur français n’eût pas renoncé à son privi-
lège de juridiction et qu’aucun traité international, de nature à y faire échec, ne
fût applicable à la cause, la cour d’appel a violé l’article 15 du Code civil;
Mais attendu que l’article 15 du Code civil ne consacre qu’une compétence
facultative de la juridiction française, impropre à exclure la compétence indi-
recte d’un tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière carac-
térisée à l’État dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n’est
pas frauduleux; qu’ayant retenu que les parties, toutes deux nées en Suisse,
s’étaient mariées dans ce pays en convenant d’un contrat de mariage régi par le
droit suisse et y avaient établi leur résidence, la cour d’appel a exactement
décidé qu’en l’absence de fraude dans la saisine du tribunal étranger, celui-ci
était compétent; — D’où il suit que le moyen n’est pas fondé;
Par ces motifs : — Rejette.
Du 23 mai 2006. — Cour de cassation (1re ch. civ.) — MM. Ancel, prés., Gueudet, rapp., Cavarroc,
av. gén. — SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, av.

OBSERVATIONS
1 L’article 15 du Code civil se porte mieux : il cesse de « faire ses ravages
dans les relations internationales » (A. Huet, note sous Paris, 15 janv. 1973,
Missouni, Rev. crit., 1973. 721, p. 725). Certes, prévoyant toujours qu’« un
Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations
par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger », il persiste sur le
terrain de la compétence directe et pour les litiges que le droit conventionnel et
les règlements communautaires laissent au droit commun, à offrir un for fran-
çais que ne justifient pas les principes généraux de la compétence internatio-
nale. Mais ce for exorbitant perd avec l’arrêt Prieur le caractère d’exclusivité
qui portait la compétence française issue de cette disposition à disqualifier
telle ou telle compétence d’un juge étranger qu’un plaideur avait pu préférer
dans un litige l’opposant à un défendeur français. Autrement dit, le revirement
de jurisprudence n’abroge pas l’article 15 du Code civil et lui conserve donc
une fonction de compétence directe; il ne concerne que la régularité au regard
de l’ordre juridique français des décisions émanées de juridictions étrangères.
Auparavant, grâce à l’article 15, le défendeur français qui avait succombé à
l’étranger détenait le pouvoir de priver d’effet en France la décision le
condamnant; il lui suffisait d’invoquer dans l’instance d’exequatur ou de
reconnaissance sa nationalité française pour remontrer que la demande aurait
dû être portée devant un tribunal français et que, d’avoir été soumise à un juge
étranger, elle avait méconnu l’exclusivité de la compétence française et partant
contrevenait à la condition de compétence indirecte.
2 Peu de regrets, sans doute, accompagneront cette disparition. Par nature, les
fors exorbitants tels le forum arresti ou le forum patrimonii n’attirent pas les
sympathies de la doctrine qui mesure son indulgence à la hauteur des services
que marginalement ils peuvent rendre (v. Droz, « Réflexions pour une réforme
des articles 14 et 15 du Code civil français », Rev. crit., 1975. 1, spéc. p. 3-4)
— en des occasions qui, en vérité, se placent le plus souvent sous le signe de la
87 J.-M. PRIEUR — CASS., 23 MAI 2006 757

nécessité, de l’urgence ou de la menace de déni de justice (v. L. Corbion, Le


déni de justice en droit international privé, thèse Paris II, éd. 2004, nos 321 et s.),
toutes contraintes qui ne sont pas toujours traitées pour ce qu’elles sont par
tous les systèmes de compétence internationale. Ainsi il peut être jugé satisfai-
sant que le créancier assigne son débiteur français de l’étranger devant un tri-
bunal de France lorsque c’est en ce pays que se trouvent les seuls biens
saisissables; l’article 15 du Code civil rencontre alors le principe d’économie
procédurale (v. Ph. Malaurie, notes D. 1966. 430 sous Civ. 1re, 21 mars 1966,
Compagnie La Métropole, supra no 43 et Clunet 1971. 816, sous TGI Paris,
12 novembre 1969). Cependant, le défaut de ces fors exorbitants est qu’ils
débordent en général les circonstances particulières où leur utilité est avérée et
qu’ils couvrent un domaine beaucoup plus large que celui de leur opportunité;
ils sont alors sans justification sérieuse. Cette faiblesse représente parfois le
prix exigé en l’état du système de compétence pour se garantir des inconvé-
nients auxquels peut remédier le for exorbitant, mais s’il faut s’accommoder
de cette part d’arbitraire, rien n’oblige à l’aggraver. Or c’est précisément ce
que faisait l’exclusivité de la compétence de l’article 15 du Code civil; celle-ci
n’a jamais trouvé une justification adéquate ni donc proposé aucune raison de
déplorer désormais la disparition du privilège indirect qu’elle réservait au
défendeur français (I); il convient au contraire de se réjouir de l’extension cor-
rélative de la jurisprudence Simitch, c’est-à-dire du régime ordinaire d’admis-
sion de jugements étrangers (II).

I. L’abolition du privilège indirect de l’article 15 du Code civil

3 Il est difficile de se persuader que la compétence directe offerte à titre de


simple faculté au demandeur par l’article 15 doive revêtir un caractère d’exclu-
sivité, rendant irrégulière toute décision obtenue contre un Français à l’étran-
ger. Il ne s’agit plus alors d’élargir le choix de la juridiction en octroyant au
demandeur une possibilité supplémentaire ou subsidiaire; il s’agit de retirer à
ce dernier toute autre possibilité que celle qu’ouvre l’article 15. Fondée sur la
nationalité française du défendeur, cette solution condamnait même les juge-
ments étrangers par ailleurs irréprochables parce que remplissant toutes les
conditions ordinaires de régularité internationale. C’est ce qui la rendait criti-
quable (B) alors qu’elle était incontestablement de droit positif (A).
4 A. — Établie dès le XIXe siècle, à partir d’un arrêt de 1830 (Req. 17 mars
1830, Ovel, S. chr., D. Jur. gén., v° Droit civil, no 443, analysé par D. Holleaux,
Compétence du juge étranger et reconnaissance des jugements, no 242, p. 232,
nos 275 et s., p. 259 et s., nos 311 et s., p. 284 et s.), elle s’est d’abord appuyée
sur la nécessité de prolonger la compétence directe en compétence indirecte en
vue de protéger la juridiction, pour ainsi dire, immédiate du juge français à
l’égard des Français; elle se présentait alors comme un élément de la doctrine
publiciste du juge naturel (D. Holleaux, op. cit., nos 201 et s., p. 203 et s., et
supra obs. sous Parker, no 2 § 4). Avec le caractère exclusif de la compétence
de l’article 15 que les « principes de droit public » et l’« indépendance de la
758 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 87

nation française et de son souverain » lui paraissaient commander, cette doc-


trine aurait dû imposer le caractère impératif; mais, en réalité, l’impérativité
était peu compatible avec l’admission progressive dès l’Ancien droit, au côté
du for naturel lié à l’allégeance envers le souverain, de fors purement civils
d’inspiration toute privatiste qu’il était loisible au sujet d’accepter, s’il lui con-
venait, par exemple, d’être attrait devant le juge étranger du lieu de conclusion
ou d’exécution de l’engagement ou du siège de la société (pour une contesta-
tion entre associés, comme il était prétendu dans l’affaire Ovel). Ce caractère
d’exclusivité a survécu à l’effacement de la doctrine du juge naturel parce
qu’en fait, dès l’origine, la préoccupation privatiste de justice procédurale avait
pénétré la compétence de l’article 15, laquelle s’établissait sur une certaine
confusion de la nationalité et du domicile donnant à la règle du Code le visage
d’une application de l’adage actor sequitur forum rei. Cependant, à la longue,
domicile et nationalité se détachèrent l’un de l’autre, le premier rejoignant la
branche privatiste du système tandis que la seconde s’érigeait en chef de com-
pétence distinct, maintenu dans ses caractères d’exclusivité et de faculté (arrêts
Laflère, Req. 1er juill. 1896, Clunet, 1896. 840, DP 1897. I. 12, S 1900. I. 355;
Banque d’Italie, Civ. 2 mai 1928, DH 1928. 334, DP 1929. I. 50, S. 1928.
I. 281, Clunet 1929. 76; Camus, Civ. 1re, 9 nov. 1971, Rev. crit. 1972. 314,
note D. Holleaux). S’il n’y avait pas de véritable contradiction entre les deux
caractères, du moins leur coexistence dans le cas particulier opposait une sin-
gulière résistance à toute recherche d’un fondement de la solution. En raison
de la nature du lien de nationalité, la facilité conduisait à la dogmatique d’un
prétendu « principe de souveraineté », mais toute tentative en ce sens, si coura-
geuse et raisonnée qu’elle fût (P. Courbe, D. 1995, p. 22), se heurtait à l’hété-
rogénéité du privilège qui remettait la souveraineté juridictionnelle française à
la merci du justiciable français (sans pouvoir en appeler utilement à la distinc-
tion de l’ordre de la souveraineté interne [qui s’exerce sur le sujet] et de l’ordre
de la souveraineté externe [qui s’exerce face aux autres souverains], puisque
précisément, par la faculté de renonciation, le droit positif du privilège indirect
assujettissait le rapport des tribunaux français avec les juridictions étrangères
au seul bon vouloir du défendeur français).
5 Ce paradoxe ne troubla pas la sérénité de la Cour de cassation qui, jusqu’au
bout, se sera montrée inflexible. Ainsi, elle se sera opposée à toutes les tentati-
ves de débarrasser le privilège de sa fonction indirecte. Celles-ci ne manquè-
rent pas de la part des juges du fond. Par exemple, au lendemain de l’arrêt
Banque d’Italie (préc.), la Cour de Lyon jugeait que « l’article 15 du Code
civil est conçu en termes facultatifs qui ne pouvaient faire aucunement obsta-
cle à la compétence du Privy Council, laquelle d’ailleurs n’a pas été contestée
durant l’instance » (Lyon, 24 juill. 1929, Clunet 1930. 116, note J. P.). Le
désaccord a même pris pour quelque temps un tour un peu abrupt après que
l’arrêt Simitch (v. supra no 70) a libéralisé le contrôle de la compétence indi-
recte. Si cette libéralisation veut qu’en principe « le tribunal étranger [soit]
reconnu compétent si le litige se rattache d’une manière caractérisée au pays
dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux »
(ibidem), elle réserve toutefois les cas de compétence exclusive des tribunaux
87 J.-M. PRIEUR — CASS., 23 MAI 2006 759

français; l’option de principe en faveur de l’ouverture aux décisions étrangères


invitait ainsi à réévaluer les compétences et partant à reconsidérer le domaine
du protectionnisme juridictionnel assuré par l’exclusivité; aussi, à plusieurs
reprises, la Cour de Paris confrontait le privilège de juridiction à la nouvelle
doctrine et jugeait ainsi, en des termes que la Cour de cassation reprend
aujourd’hui à son compte, que « l’article 15 du Code civil ne consacre qu’une
compétence facultative de la juridiction française impropre à exclure la com-
pétence indirecte d’un tribunal étranger dès lors que le litige se rattache de
manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et que le choix de la juri-
diction n’a pas été frauduleux » (Paris 22 nov. 1990, Banque internationale de
l’Afrique occidentale, D. 1992 Som. com. 169, obs. B. Audit; v. aussi, dans un
cas de litispendance, Paris, 16 nov. 1989, Époux L., Clunet 1990. 127, note
A. Huet; 15 nov. 1991, D. 1992. IR. 60).
6 Cette proposition ne rencontrera en son temps que froideur de la part de la
Cour de cassation qui, fidèle à sa religion selon laquelle un Français a le droit
de n’être jugé que par les tribunaux français, répondra sans aménité que
« l’article 15 du Code civil édicte une règle de compétence qui, dans la mesure
où son bénéficiaire n’y a pas renoncé, est exclusive de toute compétence concur-
rente de la juridiction étrangère dont la décision ne saurait dès lors être recon-
nue en France » (Civ. 1re, 21 janv. 1992, Époux L., Bull. I, no 18, D. 1993. Som.
com. 351, obs. B. Audit, Defrénois 1992. 1053, note J. Massip et, sur renvoi,
Versailles, 22 sept. 1993, JCP 1995. II. 22459, note H. Muir Watt). Avec les
années, le motif reviendra régulièrement, sans s’expliciter davantage, mais se
voulant à la fois plus concis et complet : à quelques mois du présent arrêt, la
Première chambre civile déclarait encore imperturbablement que « les articles 14
et 15 du Code civil édictent en toute matière une règle de compétence qui,
dans la mesure où son bénéficiaire n’y a pas renoncé et où elle n’est pas écar-
tée par un traité international, est exclusive de toute compétence concurrente
d’une juridiction étrangère » (Civ. 1re, 6 déc. 2005, Époux Zajdner, inédit, no K 02-
19291; v. aussi Civ. 1re, 9 décembre 2003, Defrénois 2004. 434, note M. Revillard
et 599, note J. Massip, D. 2004. Somm. 1851, note J.-J. Lemouland, RTD civ.
2004. 65, note J. Hauser). Ainsi, comme le pourvoi l’avait parfaitement com-
pris en l’espèce, le droit positif était en ce sens que, sauf convention internatio-
nale contraire, le défendeur français condamné à l’étranger n’était exposé au
libéralisme de la règle Simitch du lien caractérisé que s’il y consentait en
renonçant au bénéfice de l’article 15.
7 B. — Aussi bien devant l’apparente pérennité de la solution, les auteurs les
plus pragmatiques se résignaient à suggérer qu’à l’égard de certains litiges,
celle-ci n’était pas insusceptible d’une explication acceptable, par exemple, en
dénaturant le concept de souveraineté par une connexion le reliant soit au pou-
voir judiciaire, à la nationalité et au statut personnel (la nationalité place l’indi-
vidu dans le cercle de l’allégeance à la souveraineté, laquelle lui impose la
soumission au pouvoir judiciaire qui est son émanation, au moins quant aux
questions intéressant le statut personnel dont dépendent la condition de la per-
sonne et la nationalité elle-même, v. quoique sans enthousiasme, H. Gaudemet-
760 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 87

Tallon, « Nationalisme et compétence judiciaire : déclin ou renouveau ? »,


Trav. com. fr. dr. int. fr., 1987-1988, 171, spéc. p. 178), soit encore au pouvoir
législatif et à la compétence de la loi française (le souverain, en tant que légis-
lateur, exprime sa volonté d’assurer l’application de ses lois relatives aux
droits extrapatrimoniaux ou indisponibles en soumettant ses sujets à l’autorité
de ses juges qui sont ses plus fidèles agents d’application, v. E. Pataut, Prin-
cipe de souveraineté et conflits de juridictions, thèse Paris I, éd. 1999, nos 432
et s.; comp. supra, no 70 § 12, B. Ancel « Loi appliquée et effets des juge-
ments étrangers » Trav. com. fr. dr. int. fr., 1986-1987, 25, spéc. p. 34,
H. Muir Watt, note au JCP 1995. II. 22459; rappr. C. Chalas, L’exercice dis-
crétionnaire de la compétence juridictionnelle en droit international privé,
thèse Paris XI, nos 468 et s, L. Corbion, thèse préc., nos 157 et s.). Mais tolérer
dans un cas particulier, c’est condamner dans la généralité. Or, on le sait, la
Cour de cassation avait opté pour la généralité du privilège (v. supra, arrêt
Weiss, no 49).
8 Il ne restait plus qu’à constater que le privilège indirect était tout simple-
ment arbitraire en ce qu’il s’établissait sur la présomption que les défendeurs
français et eux seuls étaient, en règle générale, victimes des mauvais procédés
et de la partialité des juges étrangers alors qu’aucun élément ne venait soutenir
l’hypothèse que la qualité de Français entraînait d’elle-même une détérioration
du travail juridictionnel accompli à l’étranger. Cet arbitraire était d’ailleurs
souligné par le fait que l’exclusivité qu’il imposait attribuait à la nationalité
française sur le plan de la compétence indirecte une valeur que celle-ci avait
perdue sur le plan de la compétence directe. L’arrêt Cognacs and Brandies
from France (Civ. 1re, 19 nov. 1985, supra no 71) avait statué en effet que la
nationalité française ne peut fonder la juridiction française qu’en seconde
ligne, « lorsqu’aucun autre critère ordinaire de compétence n’est réalisé en
France » et ce caractère de subsidiarité du privilège direct, d’abord affirmé à
propos de l’article 14 du Code civil, avait ensuite été étendu à l’article 15 par
un arrêt Duclairoire (Civ. 1re, 18 avril 2000, Bull. I, no 110, D. 2000. IR. 140,
JCP 2000. IV. 1903). Or, c’est sur le mode inverse que continuait de fonction-
ner la relation entre le privilège indirect et le lien caractérisé du droit
commun : la compétence française de l’article 15 y était de premier rang et elle
primait le lien caractérisé, même lorsque celui-ci se réalisant, par exemple, par
le domicile du défendeur correspondait à un des critères ordinaires que retient
pour ses propres tribunaux le système français de compétence internationale. Il
était délicat de rendre compte de cette variation selon laquelle la nationalité
française valait moins que les chefs de compétence ordinaire lorsqu’ils dési-
gnaient une juridiction française, mais les surclassait lorsqu’ils désignaient un
tribunal étranger. Le sentiment seul, mais non la raison, commandait tout
ensemble la faveur pour le défendeur français et la défiance envers le juge
étranger.
9 Or, pareille défiance s’accordait mal avec l’orientation libérale prise depuis
l’arrêt Munzer qui, sans préjuger des mérites propres de chaque décision étran-
gère, entend assurer au plan international l’uniformité de traitement des situa-
87 J.-M. PRIEUR — CASS., 23 MAI 2006 761

tions juridiques privées et porte à concevoir les conditions de régularité bien


plus comme des sauvegardes venant réguler un principe d’accueil que comme
un tribut à acquitter pour obtenir la levée des barrières (v. supra obs. sous
no 41, § 15-16). Dans cette perspective, il était difficile de réputer inacceptable
le jugement étranger qu’un tribunal, choisi sans fraude et auquel un lien carac-
térisé rattachait le litige, avait prononcé en conformité du règlement français
de conflit, de l’ordre public de fond comme de procédure et en l’absence de
toute fraude à la loi; pourtant, l’exercice du privilège indirect de l’article 15
permettait à la discrétion du plaideur français de repousser la décision sans
défaut au regard des exigences ordinaires de l’efficacité des jugements étran-
gers et donc digne de circulation internationale. Cette solution extraordinaire
n’avait d’ailleurs en pratique que cette utilité de tenir en échec les jugements
qui étaient parfaitement réguliers; pour ceux qui, au contraire, s’étaient nourris
de mauvais procédés et de partialité, le contrôle des conditions ordinaires de
régularité naturellement suffisait. La rationalité de ce contrôle accusait l’irra-
tionalité du privilège et donc dénonçait son injustice. Ce privilège de l’article 15
apparaissait comme la carte secrètement glissée dans la manche que le joueur
abat dès que sa mise est en péril.
Veiller à « la protection de l’ordre juridique français et des intérêts français »
(Munzer, préc.) contre « une mauvaise justice » (Niboyet, Traité t. VI, no 1748)
paraît un objectif peu contestable, mais la réalisation de celui-ci doit compo-
ser avec l’exigence générale d’uniformité et elle ne peut imposer une exclusi-
vité qui est radicalement contraire à cette exigence; le privilège ne constitue
qu’une faveur pour le défendeur français et partant une discrimination pour le
demandeur étranger (même si l’infatigable et complaisante notion de souve-
raineté parvient encore à l’abriter des foudres de l’article 12 Traité CE, v. la
démonstration de M.-P. Puljak, Le droit international privé à l’épreuve du
principe communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité,
thèse Paris II, éd. 2004, nos 273 et s.).
10 Naturellement, l’absence de justification n’ayant pas empêché l’exclusivité
de traverser les décennies, il était, à la veille même de l’arrêt Prieur, impossi-
ble de prédire sa disparition, mais rien ne garantissait non plus sa survie. Il
n’est pas inconcevable que le rétrécissement continu du domaine du droit com-
mun de l’efficacité des jugements (auquel ressortit le privilège indirect de
l’article 15) ait joué un rôle, en suggérant que la disparition de l’exclusivité
n’intéresserait que des hypothèses marginales. Le fait est qu’un certain nombre
de conventions internationales écartent les compétences privilégiées et pré-
viennent ainsi leurs méfaits; le fait est aussi que le Règlement Bruxelles I
interdit en principe le contrôle de la compétence indirecte et donc neutralise ici
l’exclusivité lorsqu’il admet, pour des litiges non-intégrés, le jeu des fors exor-
bitants, tandis que le Règlement Bruxelles II bis qui pour le contentieux conju-
gal enrôle au besoin et à titre « résiduel » ces fors exorbitants, proscrit égale-
ment le contrôle de la compétence indirecte. Mais si ces instruments absorbent
une grande part des décisions dont la reconnaissance ou l’exécution est recher-
chée en France, il n’est pas assuré que la Cour de cassation tienne le reliquat
pour quantité négligeable. Aussi est-il plus vraisemblable qu’en l’espèce ce
762 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 87

soit la double nationalité du défendeur qui a déterminé la Cour de cassation à


se soustraire au principe d’inertie; celle-ci se trouvait en effet confrontée par
les circonstances à un dilemme dont l’issue s’imposait pour ainsi dire d’elle-
même : les juges du fond avaient constaté, sur la base d’éléments que la cour
suprême ne manque pas d’évoquer à son tour, que le défendeur entretenait une
nationalité canadienne active, sans avoir jamais jusqu’au procès d’exequatur,
revendiqué sa qualité de Français. Entre, d’un côté, abandonner le principe
solide et justifié selon lequel en cas de dualité de nationalités, l’autorité saisie
ne doit connaître que celle qu’elle partage avec l’intéressé (v. supra obs. sous
Kasapyan, no 46 § 5 et s.) et, de l’autre côté, se défaire d’une exclusivité aussi
anachronique et infondée qu’attentatoire à la simple équité procédurale, il n’y
avait pas lieu d’hésiter. Et si l’arrêt relève combien en la cause les faits affir-
maient un lien caractérisé avec la juridiction suisse — que n’avait pu relâcher
une villégiature qualifiée en appel de « bref (très bref) séjour sur le territoire
métropolitain » —, c’est que la levée de l’exclusivité ramenait dans les voies
de la solution Simitch, celles que balisent les conditions ordinaires de la com-
pétence indirecte.

II. L’extension du régime ordinaire d’accueil des décisions étrangères

11 La disparition du privilège indirect de l’article 15 se présente donc comme


une avancée de la jurisprudence Simitch (et une victoire à terme de la Cour de
Paris). C’est sur la base de ce constat qu’il est permis de risquer quelques conjec-
tures touchant à la portée de l’arrêt Prieur. Celles-ci concerneront d’abord
l’étendue du revirement : faudra-t-il y comprendre aussi le privilège indirect
de l’article 14 du Code civil (A) ? Elles se rapporteront ensuite à l’exercice du
contrôle de droit commun duquel désormais doit dépendre le refoulement
éventuel d’une décision étrangère (B).
12 A. — Depuis les travaux de Dominique Holleaux (op. cit., nos 359 et s;
H. Muir Watt, J.-Cl. dr. int., fasc. 584-III, nos 66 et s.), il était mis en doute que
la règle de l’article 14 du Code civil qui offre au demandeur français la faculté
de saisir un tribunal français se double, à l’instar de la règle de l’article 15,
d’un privilège indirect. Mais cette opinion doctrinale ne semblait pas émouvoir
la Cour de cassation qui attribuait une portée indirecte à ce forum actoris
patriae, de telle sorte qu’en principe, sauf renonciation de sa part ou traité
international contraire, un demandeur français qui avait lui-même soumis le
différend à un juge étranger était en mesure de faire échec à la décision ainsi
obtenue pour ce motif qu’elle n’émanait pas d’un tribunal français même si
elle présentait par ailleurs toutes les qualités requises par le droit commun de
l’efficacité des jugements étrangers. En vérité, ce type d’hypothèse ne s’est
guère présenté car l’action d’un demandeur français à l’étranger était générale-
ment perçue comme une renonciation au privilège de l’article 14 et c’est en
fait dans le cas de litispendance que la Cour a pu afficher la fermeté de ses
convictions; ainsi dans une affaire où la juridiction étrangère de la résidence de
la famille, d’abord saisie par le mari d’une demande de divorce, se trouvait en
concurrence avec la juridiction française symétriquement saisie ensuite par
87 J.-M. PRIEUR — CASS., 23 MAI 2006 763

son épouse française, elle fit prévaloir la compétence française en transposant


simplement le motif dont elle usait à propos du privilège indirect de
l’article 15 : « il résulte de l’article 14 une règle de compétence en faveur des
juridictions françaises qui, sauf renonciation ou traité international, est exclu-
sive de toute compétence concurrente de la juridiction étrangère » (Civ. 1re,
3 juin 1997, Rev. crit. 1998. 452, note B. Ancel). Au demeurant, la formulation
de l’arrêt Époux Zajdner du 6 décembre 2005 (cité supra, § 6, v. déjà Civ. 1re,
3 nov. 2004, Époux Crenn, no Z 02-18913) associe expressément les deux pri-
vilèges indirects comme s’il n’y avait qu’une seule exclusivité. Il faut donc
admettre que l’arrêt Prieur qui retire ce caractère à la compétence de
l’article 15 le retire pareillement à la compétence de l’article 14, elle aussi
replacée dans l’orbite de la solution Simitch.
13 Mais il ne semble pas que l’arrêt Prieur aille au delà dans l’interprétation de
l’article 14. La question peut être évoquée parce que, aux temps de son offensive
sur l’article 15 (supra § 5), la Cour de Paris qui se rebellait aussi contre la portée
indirecte prêtée à la règle de l’article 14, avait cru pouvoir manifester son hosti-
lité à la solution traditionnelle dans un cas où pourtant n’était en débat que la
compétence directe française; elle avait alors dénié l’exclusivité à l’article 14 de
manière à mettre en concurrence le tribunal de commerce de Paris qui avait été
saisi et la juridiction sénégalaise des défendeurs qui aurait pu l’être, et, en con-
fiant au juge français la mission d’apprécier les compétences respectives selon
les liens les plus caractérisés, elle l’avait laissé maître de décider s’il y avait lieu
ou non de suivre le privilège et de connaître le fond de la demande d’un plaideur
français (Paris, 11 janv. 1989, Soc. Intercomi, D. 1989, Som. com. 256, obs.
B. Audit; v. C. Chalas, thèse préc., nos 459 et s.). Cette construction qui suppri-
mait la portée indirecte du privilège, s’incorporait une variante de la doctrine du
forum non conveniens et proposait un développement inédit de la jurisprudence
Simitch promouvant le for le plus compétent; trop audacieuse sans doute, elle fut
censurée (Civ. 1re, 18 déc. 1990, Rev. crit., 1991. 759, note B. Ancel). Mais il ne
semble pas qu’aujourd’hui la Cour de Paris ait obtenu de l’arrêt Prieur sa
réhabilitation; d’une part, cet arrêt reste dans les limites de solution Simitch et
n’apprécie pas la compétence du juge étranger par référence au critère des liens
les plus caractérisés ou prépondérants (v. infra, obs. no 70, § 16), mais se satisfait
de ce que la cour d’appel a relevé divers éléments attestant l’existence d’un lien
caractérisé; d’autre part, il n’accorde pas au juge du fond le pouvoir de soupeser
les mérites respectifs de la compétence du juge étranger et de celle du juge fran-
çais. Si la compétence de l’article 14 a perdu sa portée indirecte, le privilège
direct est encore indemne.
Les deux privilèges offrent le même service : ils ménagent un accès aux tri-
bunaux français lorsque l’un des plaideurs est Français, ils ne contraignent pas
de l’emprunter en disqualifiant la décision qu’on aura préféré obtenir à l’étran-
ger. Cette décision étrangère ne sera repoussée qu’après qu’une vérification aura
établi un manquement à l’une ou l’autre des conditions ordinaires d’efficacité.
14 B. — La soumission des décisions étrangères impliquant des plaideurs fran-
çais au seul régime ordinaire de la compétence indirecte pourrait conduire à
764 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 87

une rigueur accrue dans l’exercice du contrôle. Autrement dit, le retrait de


l’arme de défense que constituait l’exclusivité s’accompagnerait non pas d’une
modification des critères ordinaires mais d’une rigueur accrue dans leur appli-
cation. Bien sûr, il ne s’agit là que d’une spéculation d’ordre psychologique
qu’aucun élément rationnel ne vient légitimer; elle pourrait pourtant s’étayer
en fait d’un arrêt plus récent de la Cour de cassation. À propos d’une décision
suédoise établissant à l’égard d’une enfant suédoise la paternité d’un défen-
deur français, la Première chambre civile casse l’arrêt qui, après s’être assuré
essentiellement de la conformité aux exigences de l’ordre public de la procé-
dure suivie à l’étranger, avait refusé de déclarer l’inopposabilité en France; il
est reproché à la cour d’appel de n’avoir pas recherché « si le jugement étran-
ger remplissait toutes les conditions de régularité internationale, tant au regard
de la compétence du juge saisi que de l’application au litige de la loi
appropriée » (Civ. 1re, 4 juill. 2006, Enfant Viola, no C. 04-17590). La formule
qui a pu s’inspirer aussi de l’arrêt Banque internationale de l’Afrique occiden-
tale (Paris, 22 nov. 1990, préc., supra § 5) et qui ramène à la plus stricte ortho-
doxie vient à point nommé montrer que la Cour de cassation entend distinguer
libéralisme et laxisme. Si des conditions ordinaires de régularité viennent
modaliser l’application aux décisions étrangères du principe d’unité et de con-
tinuité de traitement des situations juridiques privées, il convient de les obser-
ver et c’est bien à la Cour de cassation d’y veiller. Ce rappel à la rigueur pour-
rait donc représenter une retombée heureuse et rassurante de l’arrêt Prieur.
15 Un autre bienfait incident doit être enfin évoqué brièvement. Le privilège
indirect des articles 14 et 15 diffusait au-delà des frontières une image néga-
tive du système français d’accueil des décisions qui, par pure faveur pour les
nationaux, autorisait le rejet de sentences sans examen de leur régularité. Les
« faiseurs de traités » avaient cependant cru trouver dans ces dispositions la
monnaie d’échange qui, disaient-ils, leur permettait dans la négociation de
conventions internationales d’obtenir des partenaires étrangers qu’ils renon-
cent eux-mêmes à leurs fors exorbitants et, en l’état de la libéralisation bien
engagée du régime français, d’aucuns jugeaient même que l’exclusivité consti-
tuait la « dernière chose à négocier », l’ultime ressource faute de laquelle il
était vain d’espérer arracher un accord (J. Lemontey, in Trav. com. fr. dr. int.
pr., 1985-1986, p. 65-66). Il n’est pas sûr que la Cour de cassation soit tou-
jours restée insensible à ces considérations. Il est heureux qu’elle s’en soit
aujourd’hui éloignée. L’argument exaltait l’exclusivité la plus contraire aux
exigences d’unité et de continuité qu’il prétendait imposer aux autres. La poli-
tique du pire n’est pas forcément la mieux avisée ni la plus efficace et surtout
la confiance qu’y plaçaient des bureaux ministériels en charge des conventions
internationales se nourrissait de l’injustice infligée aux plaideurs qui avaient
eu l’infortune ou l’imprudence de nouer des relations avec des Français. Ce
droit international privé-là n’avait pas le souci du développement des relations
privées internationales. (Sur l’incidence, en matière de litispendance de la sup-
pression de l’exclusivité des privilèges de juridiction, v. supra, obs. sous
Miniera di Fragne, no 54).
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

Les chiffres en gras correspondent au numéro d’ordre des grands arrêts


reproduits et commentés. Les chiffres en maigre précédés du signe (§) ren-
voient aux numéros de paragraphes à l’intérieur des commentaires. La let-
tre F renvoie à l’exposé des faits. Les arrêts reproduits et commentés sont
signalés par un astérisque.

1806. — Cass., Req., 7 janv. 2 § 3 1829. — Cass., Ch. des vacat., 25 sept.
— Cass., Req., 22 janv. 37 § 4 36 § 2
— Cass., Req. 2 juin 3 § 8 1830. — Cass., Req., 17 mars 87 § 4
1808. — Cass., Req., 7 sept. 54 § 7 1832. — Cass., Civ., 26 avr. 37 § 5
1811. — Cass., Civ., 15 juill. 74-78 § 10 1833. — Cass., Req., 26 janv. 43 § 4
1813. — Cass., Crim., 1er févr. 36 § 2 — Cass., Req., 17 juill. 1 § 7
— Cour supr. (EU), 1er mars 2 F — Paris, 18 sept. 2 § 12
1814. — Paris, 13 juin* 1*; 5 § 2; 1834. — Cass., Civ., 17 nov. 37 § 5
10 § 2; 14 F; 14 § 3; 18 § 4; 1837. — Cass., Civ., 14 mars* 3*; 7-
27 § 5; 53 § 18 8 F; 9 § 3; 14 F; 14 § 3;
1815. — Seine, 19 août 2 F; 11 § 4 15 § 3; 16 F; 18 § 3 et § 6;
— Colmar, 30 déc. 37 § 4 27 § 5; 48 § 4; 61 F
1839. — Cass., Civ., 24 juin 80-81 § 4
1816. — Paris, 27 août 2 F; 10 § 2
1841. — Cass., Req., 6 janv. 49 § 6
1817. — Cass., Ch. réun., 27 févr. 3 § 8;
5 § 3; 38-39 § 12 — Cass., Req., 11 août 80-81 § 4
1842. — Cass., Req., 13 déc. 49 § 3
1818. — Cass., Req., 14 avr. 37 § 4
1843. — Paris, 20 mai 4 § 9
1819. — Cass., Crim., 18 févr. 28 § 3
1845. — Cass., Req., 10 nov. 6 § 3
— Cass., Civ., 19 avr. 2*; 4 § 1; 1846. — Paris, 5 mai 2 § 11
3 § 4; 4 § 10; 10 § 2; 1847. — Cass., Req., 10 nov. 37 § 5
10 § 10; 10 § 17; 41 § 1 1848. — Cass., Ch. Réun., 12 juill.
— Cass., Civ., 10 août 40 § 3 20 § 4
1820. — Paris, 13 mai 2 § 4 — Cass., Civ., 19 juill. 49 § 3
— Douai, 20 juin 4 § 3 — Paris, 20 nov. 4 § 9
— Bruxelles, 21 juin 4 § 5 1849. — Cass., Civ., 22 janv. 47 § 2
1823. — Cass., Civ., 5 août 20 § 4 — Cass. belge, 8 févr. 50 § 2
— CE, 3 sept. 80-81 § 7 1851. — Cass., Civ., 8 avr. 37 § 5
1824. — Bordeaux, 10 févr. 4 § 5 1852. — Cass., Req., 19 avr. 49 § 7
— Paris, 3 août 4 § 9 1853. — Cass., Req., 9 mars 40 § 3
1826. — Aix, 6 août 4 § 9 1855. — Cass., Civ., 11 janv. 15 § 12
1827. — Cass., Req., 15 nov. 2 § 11 — Cass., Civ., 11 juill. 15 § 5
1828. — Cass., Civ., 26 nov. 37 § 5 1856. — Paris, 1er mars 43 § 4
766 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

1857. — Cass., Civ., 4 mars 15 § 5; — Cass., Req., 2 août 43 § 4


15 § 12 — Cass., Civ., 14 août 11 § 4
— Cass., Req., 10 juin 11 § 4 1877. — Cass., Req., 6 mars 49 § 3
1858. — T. civ. Seine, 14 mars 5 F — Paris, 20 juin 6 § 3
1859. — Cass., Req., 19 avr. 49 § 6 1878. — Cass., Civ., 18 mars 6*; 41 § 9
— Paris, 18 juill. 5 F — Cass., Civ., 4 juin 11 § 4;
1860. — Cass., Civ., 28 févr.* 1 § 10; 6 § 1; 7*; 9 § 7; 73 § 7
2 § 1; 2 § 8; 4*; 10 § 2; — Cass., Civ., 24 juin 2 § 12;
26 F; 26 § 11; 41 § 7; 45 § 3 16 F; 16 § 1 et § 4; 18 § 3;
1861. — Cass., Req., 16 janv.* 1 § 4 27 § 5; 51 § 6
et § 10; 5*; 44 § 3 et § 9; — Cass., Civ., 15 juill. 4 § 11
48 § 7 — Cass., Civ., 7 août 11 § 4
1862. — Cass., Req., 17 févr. 11 § 4 1879. — Cass., Civ., 12 févr. 36 § 2
1863. — Cass., Civ., 9 mars 43 § 8; — Amiens, 15 avr. 4 § 11
71 § 2 1880. — Toulouse, 22 mai 7-8 F
1864. — Cass., Civ., 23 févr. 11 § 4 1882. — Cass., Req., 22 févr.* 2 § 12;
8*; 9 § 7; 16 § 1; 16 § 4;
1865. — Cass., Civ., 22 mars 18 § 3;
18 § 3; 27 § 5; 51 § 6
37 § 5
1884. — Cass., Req., 19 mai 11 § 4
— Cass., Civ., 3 juill. 20 § 4
— Cass., Req., 30 juin 80-81 § 4
— Cass., Civ., 5 juill. 20 § 4
1885. — Cass., Civ., 5 mai 65-66 § 4
1866. — T. civ. Le Mans, 6 févr. 2 § 9 1866. — Cass., Req., 18 mai 36 § 2
— Angers, 4 juill. 2 § 9 — Cass., Civ., 26 juin 11 § 4
1867. — Cass., Req., 24 déc. 15 § 12 — Cass., Req., 22 juill. 37 § 5
1868. — Cass., Req., 23 mars 59-60 § 5 — Cass., Civ., 15 déc. 11 § 4
— Cass., Civ., 27 avr. 18 § 3 1888 — Paris, 29 juin 42 § 3
— Cass., Req., 3 nov. 49 § 7 1889. — Alger, 24 déc.* 2 § 12;
1869. — Cass., Civ., 12 janv. 18 § 3 7-8 § 2; 7-8 § 5; 7-8 § 6; 9*;
— Cass., Civ., 13 janv. 38-39 § 15 23 § 1; 27 § 2; 27 § 7; 37 § 5
1870. — Cass., Req., 7 mars 37 § 5 1891. — Cass., Civ., 4 févr. 43 § 8
Cass., Civ., 20 nov. 50 § 2 1892. — Alger, 27 janv. 12 § 2
1872. — Cass., Req., 19 mars 48 § 4 — Cass., Req., 11 juill. 37 § 4
— Cass., Req., 4 juin 36 § 2 1893. — Cass., Civ., 13 juin 14 § 5
— Cass., Civ., 12 août 49 § 3 — Alger, 2 déc. 12 § 2
— Cass., Req., 18 déc. 11 § 4 1894. — Cass., Req., 8 mai 42 § 4;
1874. — Pau, 11 mars 7-8 F 42 § 7
1895. — Cass., Req., 12 févr. 38-39 § 8
— Cass., Req., 31 mars 18 § 3
— T. civ. Seine, 5 avr. 6 § 7
— Cass., Civ., 31 mars 11 § 4
— Cass., Civ., 18 juill. 20 § 4
— Cass., Req., 7 juill. 16 § F;
1896. — Cass., Req., 1er juill. 87 § 4
18 § 3; 37 § 5
— Cass., Req., 22 déc. 50 § 2;
— Cass., Req., 22 déc. 49 § 3
50 § 4
1875. — Cass., Civ., 5 mai 7-8 F 1899. — Cass., Civ., 17 janv. 32-34 § 3
— Cass., Civ., 19 juill. 43 § 8 — Cass., Req., 17 juill. 11 § 5
— Cass., Civ., 25 août 11 § 4 1900. — Cass., Civ., 9 mai* 2 § 1;
1876. — T. civ. Seine, 10 mars 6 F 2 § 11; 4 § 1, § 7 et § 8; 10*;
— Bordeaux, 24 mai 7-8 F 24-25 § 1 et § 2; 26 F;
— Paris, 17 juill. 6 F; 6 § 1 38-39 § 2; 41 § 1 et § 14; 45
— Cass., Civ., 18 juill. 36 § 4 § 3 et § 7; 54 § 9; 58 § 6
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 767

1903. — Cass., Req., 27 janv. 20 § 4 — Cass., Civ., 7 mai (Antoniotti)


— Cass., Req., 22 juill. 30-31 § 9 32-34 § 15
1904. — Montpellier, 25 avr. 51 § 2 — Cass., Civ., 7 mai (Giglio)
1905. — Cass., Civ., 29 mai 27 § 12 12 § 2
— Cass., Req., 18 juill. 51 § 2 — Cass., Civ., 11 juill. 28 § 4;
— Cass., Civ., 30 oct. 12 § 2 38-39 § 15
1907. — Pau, 9 juill. 14 § 5 — Cass., Req., 31 juill. 22 § 12
1908. — Cass., Civ., 5 mai 36 § 2 — Cass., Req., 3 nov. 12 § 6
— Cass., Req., 11 nov. 10 § 12, — Cass., Req., 24 déc. 50 § 3
§ 13 et § 14; 24-25 § 2; 1929. — Cass., Civ., 5 févr. 6 § 7; 12 § 2
45 § 7 — Cass., Req., 19 févr. 47 § 2
1909. — Cass., Civ., 8 mars 18 § 3 — Paris, 12 avr. 16 F
— Cass., Civ., 20 juill. 11 § 5, — CPJI, 12 juill. 22 § 6
40 § 4 et § 6 — Lyon, 24 juill. 87 § 5
1910. — Cass., Civ., 7 mars 80-81 § 4 — Cass., Req., 28 juill. 50 § 2
— Cass., Req., 9 mars 7-8 § 6; — Cass., Civ., 29 juill. 41 § 8
12 § 2; 73 § 7 — Aix, 30 déc. 47 § 8
— Cass., Civ., 5 déc.* 3 § 7; 11*; — Cass., Req., 30 déc. 59-60 § 5
15 § 2, § 5 et § 6; 22 § 1; 1930. — Cass., Civ., 19 févr. 22 § 18;
35 § 2, § 3 et § 5; 72 § 3
38-39 § 11; 50 § 4 — Cass., Req., 3 mars 10 § 14
1912. — Cass., Crim., 27 avr. 36 § 3 — Cass., Req., 17 juill. 50 § 3
1914. — Cass., Civ., 10 mars 10 § 15; — Cass., Req., 24 déc. 2 § 10
38-39 § 5; 45 § 7; 54 § 9 1931. — Cass., Civ., 27 janv. 22 § 18;
1915. — Cass., Req., 20 juill. 50 § 3 72 § 3
1920. — Cass., Req., 7 juin 22 § 12 — Cass., Req., 4 févr. 12 § 2
— Lyon, 15 oct. 38-39 § 5 — Cass., Req., 21 avr. 14 § 4;
61 § 2, § 3, § 5 et § 9;
1921. — T. com. Seine, 20 janv. 52 § 3
67-69 § 12
— T. civ. Seine, 20 mai 52 § 3
— Cass., Civ., 12 mai 49 § 6;
— Cass., Req., 27 mai 15 § 6
59-60 § 3
— Cass., Req., 8 juin 21 § 3 — Cass., Req., 12 mai 50 § 5
1922. — Cass., Req., 27 mars 30-31 § 9 — CE, 3 juill. 80-81 § 7
— T. civ. Seine, 26 avr. 52 § 3 — Cass., Civ., 22 déc. 80-81 § 4
— Cass., Civ., 6 juill.* 12*; 17 et § 6
§ 3; 26 F; 26 § 3; 38-39 § 9 1932. — CPJI, 3 févr. 85-86 § 3
1923. — Cass., Req., 14 mai 14 F — Cass., Civ., 13 avr.* 3 § 7;
1924. — Cass., Civ., 23 janv. 22 § 12 3 § 10; 5 § 3; 14*
— T. com. Seine, 20 août 52 § 3 — Cass., Civ., 31 mai 11 § 6
1925. — Cass., Civ., 20 janv. 21 § 2 — Cass., Civ., 28 juin 21 § 3
— T. civ. Blois, 30 avr. 14 F — Cass., Civ., 24 oct. 47 § 8
— Cass., Civ., 28 juin 21 § 3 1933. — Cass., Req., 17 janv. 36 § 4
1926. — Paris, 30 avr. 52 § 3 — Cass., Req., 14 mars 30-31 § 4
1927. — Cass., Civ., 17 mai 22 § 12 — Cass., Req., 15 mars 42 § 4
1928. — Orléans, 29 févr. 14 F et § 7
— Cass., Req., 5 mars* 13*; — Cass., Req., 11 avr. 2 § 10
58 § 1; et 4 — Cass., Req., 24 mai 48 § 4, § 6
— Cass., Civ., 14 mars 12 § 6 et § 15
— Cass., Civ., 2 mai 87 § 4, § 5 — Cass., Civ., 5 juill. 49 § 6
768 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

— Cass., Civ., 28 juill. 50 § 3 — Cass., Civ., 8 nov. 30-31 § 9;


— Cass., Civ., 7 nov. 7-8 § 6 38-39 § 10; 57 § 4
1934. — Cass., Civ., 14 févr. 22 § 19 — Cass., Req., 20 déc. 17 § 5
— Cass., Req., 26 déc. 29 § 3 1944. — Cass., Civ., 22 mars 4 § 11;
1935. — Cass., Civ., 15 janv. 11 § 10 24-25 § 1; 57 § 5
— Cass., Civ., 26 mars 57 § 4 1945. — Cass., Civ., 11 avr. 10 § 18;
— Cass., Req., 4 juin* 3 § 6; 15*; 24-25 § 1; 26 § 11; 41 § 8;
38-39 § 11; 42 § 3; 51 § 1 57 § 4
— Paris, 4 oct. 50 § 4 — Cass., Civ., 1er mai 10 § 18;
— Aix, 28 oct. 17 F 24-25 § 1; 26 § 11; 41 § 8;
— Cass., Civ., 4 déc. 37 § 5 57 § 4
1936. — Paris, 2 janv. 57 § 5 1946. — Cass., Req., 5 févr. 47 § 2
— Cass., Civ., 4 févr. 55-56 § 3 — Paris, 10 juill. 61 § 3;
— Cass., Req., 5 févr. 74-78 § 12 67-69 § 12
— Paris, 3 avr. 22 § 12 1947. — Cass., Civ., 25 févr. 27 § 15;
— R. G., 28 mai 22 § 4 27 § 16; 38-39 § 8
— Cass., Civ., 20 juill. 30-31 § 9 — Paris, 12 mai 38-39 F
— T. civ. Seine, 23 juill. 22 § 12 — T. civ. Seine, 2 juill. 24-25 F
— Cass., Req., 15 déc. 47 § 2 1948. — Cass., Civ., 25 mai* 19*;
1937. — Cass., Civ., 27 mai 21 § 3 32-34 § 1, § 3 et § 16; 57 § 2;
— Cass., Req., 2 nov. 11 § 6 74-78 § 4; 82-83 § 5
1938. — Paris, 5 janv. 24-25 § 10 — Cass., Civ., 21 juin 37 § 3
— Cass., Civ., 7 mars* 7-8 § 7; et § 5; 38-39 F; 71 § 2
16*; 23 § 6; 38-39 § 8; — Cass., Civ., 27 juill.* 1 § 3;
62 § 3; 73 § 7 18 § 3; 20*; 37 § 4 et § 5
— Cass., Civ., 8 mars* 12 § 3; — Rabat, 30 nov. 26 F
17*; 21 § 2; 21 § 5; 49 § 3 — Paris, 15 déc. 24-25 F,
— Cass., Req., 5 mai 15 § 12 24-25 § 5; 63-64 § 16
— Cass., Civ., 9 mai 80-81 § 5 — T. civ. Seine, 22 déc. 28 F
— CE, 1er juill. 80-81 § 7 1949. — Montpellier, 17 mars 70 § 3
— Cass., Req., 19 oct. 11 § 10 — Cass., Civ., 5 déc.* 12 § 3;
— T. civ. Seine, 16 nov. 22 F 17 § 6; 21*; 48 § 9 et § 10;
1939. — Cass., Civ., 14 mars 13 § 3; 51 § 11; 62 § 6
13 § 6; 13 § 10; 58 § 6 1950. — Cass., Civ., 31 janv. 38-39 § 15
— Cass., Req., 10 mai 9 § 7; — Paris, 15 févr. 28 F
16 § 6 — Cass., Civ., 21 mars 54 § 7
— Cass., Civ., 19 juin* 3 § 8; — Cass., Ch. réun., 27 avr.
7-8 F; 15 § 3; 18; 40 § 6; 80-81 § 4 et § 5
42 § 4 — Cass., Civ., 21 juin* 11 § 6, § 8
1940. — Paris, 24 avr. 22 F et § 10; 22*; 35 § 5; 44 § 3,
— Cass., Civ., 8 oct. 10 § 15; § 6 et § 11; 53 § 10
54 § 9 — T. civ. Seine, 28 juin
1941. — Cass., Crim., 4 juin 4 § 7; 38-39 F; 38-39 § 2 et § 8
18 § 4, § 5 et § 6 — Cass., Com., 12 juill. 16 § 4
— Trieste, 17 déc. 57 § 7 — Rabat, 24 oct.* 23*; 38-39 F;
1943. — Paris, 9 janv. 27 § 14 41 § 7; 51 § 7
— Cass. ital., 19 mai 57 § 7 — T. civ. Lyon, 26 déc. 42 § 3
— Rouen, 27 juill. 13 § 3 1951. — Cass., Civ., 10 janv. 52 § 7
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 769

— Cass., Civ., 22 janv.* 10 § 1; — Cass., Civ. 1re, 2 mars 13 § 3;


24*; 45 § 7; 63-64 § 3 13 § 6
— T. civ. Colmar, 12 juin 15 § 12 — Cass., Civ., 10 mars 80-81 § 6
— CE, 28 juill. 79 § 12 — Cass., Civ. 1re, 15 mars 26 § 4
— Cass., Civ., 13 nov. 18 § 4; — T. civ. Seine, 30 mars
46 § 3 30-31 F
— Cass., Civ., 17 déc. 17 § 5 — CE, 27 mai 28 § 3
— Cass., Civ., 18 déc. 22 § 13; — Cass., Civ. 1re, 4 juin
22 § 17 74-78 § 12; 80-81 § 6
1952. — Cass., Civ., 19 févr. 24-25 § 2 — Paris, 21 juin 26 § 7
— Cass., Civ., 1er avr. 46 § 3 — Cass., Civ. 1re, 22 juin* 7-8 § 2
— Cass., Civ., 24 avr. 22 § 13 et § 3; 9 § 4, § 7 et § 8;
— Cass., Civ., 21 oct. 38-39 F 23 § 1; 27*; 29 § 1, § 3
— Cass., Civ., 3 nov. 47 § 8 et § 5; 42 § 2; 53 § 5
— Cass., Civ., 4 nov. 1 § 5 — Paris, 21 oct. 10 § 18; 41 § 1
— Paris, 10 nov. 10 § 17; 24-25 F et 2
1956. — Cass., Civ. 1re, 4 janv. 15 § 7;
1953. — T. civ. Seine, 5 févr. 23 § 3;
15 § 8
38-39 F
— T. civ. Seine, 11 janv. 41 § 22;
— Cass., Civ. 1re, 17 avr.
70 § 5
(Rivière)* 1 § 3 et § 4; 4 § 1;
— Cass., Civ. 1re, 6 mars* 28*;
4 § 9; 10 § 18; 12 § 3 et 4; 14
29 § 6; 38-39 § 15; 42 § 9
§ 4; 15 § 3; 17 § 3 et § 5;
— CE, 17 juin 28 § 3
26*; 28 § 2; 30-31 § 6;
— T. civ. Seine, 17 oct.
37 § 10; 41 § 7; 42 § 5; 45
38-39 F; 38-39 § 11
§ 8; 46 F; 62 § 3;
— T. civ. Seine, 22 oct. 16 § 4
63-64 § 2
— Paris, 31 oct. 36 F
— Cass., Civ. 1re, 17 avr. (Cons.
— T. civ. Seine, 30 nov.
Nagib. Sabbague) 40 § 4
24-25 F
— Cass., Civ. 1re, 5 mai 15 § 7
1957. — Paris, 22 févr. 57 § 5
— T. civ. Seine, 26 juin
— Cass., Civ. 1re, 2 avr.* 25*
24-25 F
— Paris, 10 avr. 44 § 3 et § 5
— Cass., Com., 20 oct. 50 § 3
— Paris, 21 mai 59-60 § 3
— Cass., Civ. 1re, 8 déc. 16 § 3; — Cass., Civ. 1re, 22 mai 17 § 5;
36 § 4; 73 § 7 17 § 6; 21 § 2; 26 § 11;
1954. — Paris, 18 mars 21 § 5 57 § 5
— Cass., Civ. 1re, 11 mai 42 § 7 — Cass., Civ. 1re, 14 juin 28 § 2
— T. confl., 26 mai 79 § 12 — Cass., Civ. 1re, 25 juin* 5 § 3;
— Paris, 2 juill. 73 § 3 7-8 § 3; 9 § 8; 26 § 7; 27 § 5;
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. 28 § 4; 29*; 30-31 § 4;
74-78 § 12; 80-81 § 6 38-39 § 15 et § 16; 42 § 2
— Paris, 7 juill. 23 § 3; 38-39 F; 1958. — T. civ. Seine, 3 janv.
38-39 § 2 24-25 § 9 et § 10
— Paris, 30 oct. 26 § 11 — Cass., Civ. 1re, 28 janv.*
1955. — Nancy, 13 janv. 26 § 11 26 § 11; 29 § 1; 30*; 61 § 6
— Paris, 27 janv. 11 § 6 — Paris, 4 févr. 41 § 8; 70 § 5
— Cass., Civ. 1re, 15 févr. 49 § 3 — BGH, 14 févr. 16 § 3
— Cass. belge, 16 févr. 21 § 8 — T. civ. Seine, 15 févr. 40 F
— Paris, 28 févr. 24-25 F — Cass., Civ. 1re, 22 avr. 15 § 7
770 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

— Cass., Civ. 1re, 19 mai 14 § 6 — Cass. belge, 24 mars 21 § 5


— Cass., Civ. 1re, 17 juin — Cass., Civ. 1re, 5 avr. 45 § 7
82-83 § 15 — Paris, 5 mai 54 § 9
— Cass., Civ. 1re, 4 nov. 26 § 7; — Cass., Civ. 1re, 10 mai
36 § 4 et § 9; 62 § 3 38-39 § 15
— Cass., Civ. 1re, 17 nov. 26 § 4 — Cass., Civ. 1re, 13 juin 14 § 6;
— Cass., Civ. 1re, 20 nov. 28 § 2 36 § 4; 62 § 3
— BGH, 21 nov. 7-8 § 2; 16 § 3 — Paris, 26 déc. 54 § 9
— CIJ, 28 nov. 53 § 8; 74-78 § 12 1961. — Paris, 2 févr. 2 § 11; 45 § 4
— Cass., Civ. 1re, 17 déc. — Cass., Civ. 1re, 13 févr. 6 § 13
30-31 § 9 — Paris, 21 févr. 44 F; 44 § 5
1959. — Cass., Civ. 1re, 24 févr. 4 § 2 — Cass., Civ. 1re, 22 févr. 26 § 4;
— Paris, 29 avr. 40 F 67-69 § 5
— Aix, 9 mai 44 § 5 — Cass., Civ. 1re, 15 mai 12 § 4;
— Cass., Civ. 1re, 12 mai* 5 § 5; 26 § 5; 32-34 § 16
6 § 4; 6 § 7; 19 § 8; 26 § 5; — Cass., Civ. 1re, 11 juill.* 34*;
32*; 42 § 9; 45 § 4; 74-78 F, 74-78 F, § 13
§ 13, § 15 et § 16; 82-83 § 4 — Cass., Civ. 1re, 7 nov. 15 § 7;
et § 5; 84 § 3 et § 5 15 § 8
— Cass., Civ. 1re, 16 juin 49 § 3
— TGI Seine, 8 nov. 24-25 § 9
— TGI Seine, 24 juin 44 F
— Cass., Civ. 1re, 21 nov.*
— Paris, 1er juill. 38-39 F
32-34 § 1; 36*; 62 § 3;
— Paris, 1er juill. 38-39 F;
82-83 § 19
38-39 § 11
1962. — TGI Seine, 11 févr. 19 § 11
— Paris, 1er juill. 38-39 F
— TGI Seine, 29 mars 19 § 11
— Cass., Civ. 1re, 6 juill.*
11 § 10; 15 § 2; 15 § 6; 35*; — Cass., Civ. 1re, 5 mai 10 § 14;
42 § 3; 50 § 4; 72 § 9 54 § 3
— Cass., Civ. 1re, 23 août 24-25 F — Cass., Civ. 2e, 7 juill. 49 § 3
— Paris, 19 oct. 43 § 4 — TGI Seine, 12 juill. 42 F
— Cass., Civ. 1re, 19 oct. 37 § 6 — CE, 19 oct. 55-56 § 11
— TGI Seine, 26 oct. — Cass., Civ. 1re, 30 oct.* 9 § 2;
63-64 § 2 30-31 § 9; 37*; 38-39 F;
— T. confl., 23 nov. 22 § 17; 47 § 6; 49 § 3; 59-60 § 8;
46 § 7; 50 § 9; 50 § 12 70 § 6; 71 § 2; 72 § 4
— Cass., Civ. 1re, 22 déc. 20 § 4 — TGI Seine, 2 nov. 19 § 9; 19
— Cass., Civ. 1re, 30 déc. 15 § 7 § 11
1960. — TGI Versailles, 2 févr. 1963. — Cass., Civ. 1re, 8 janv. 28 § 4;
30-31 F 38-39 § 4 et § 6; 41 § 1;
— Cass., Civ. 1re, 9 févr. 71 § 2 45 § 7; 62 § 3
et § 5 — Paris, 14 janv. 54 § 3
— Cass., Civ. 1re, 10 févr. 57 § 4 — Cass., Crim., 22 janv.
— CE, 22 févr. 50 § 12 80-81 § 11
— Cass., Civ. 1re, 2 mars* 6 § 7; — Cass., Civ. 1re, 12 févr. 9 § 2
33*; 74-78 F, § 13; — Cass., Civ. 1re, 19 févr.*
82-83 § 10; 84 § 5 29 § 1; 31*; 48 § 9; 61 § 6
— T. civ. Seine, 5 mars 19 § 11 — Cass., Civ. 1re, 26 févr. 15 § 7
— Cass., Civ. 1re, 22 mars — Cass., Com., 4 mars 36 § 8;
80-81 § 5 82-83 § 13
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 771

— Cass., Civ. 1re, 19 mars — TGI Versailles, 31 mars 30-31


80-81 § 4 et § 5 § 12
— Cass., Civ. 1re, 7 mai 22 § 18; — Cass., Civ. 1re, 15 mai 15 § 7
44 § 3 — Cass., Civ. 1re, 1er juill. 72 § 3
— New York, 9 mai 19 § 3 — Paris, 6 juill. 54 § 3
— Cass., Civ. 1re, 15 mai (Patino, — Paris, 21 oct. 50 § 7
1er arrêt)* 16 § 4; 38*; — TGI Seine, 24 nov. 24-25 § 10
41 § 21; 54 § 6 — Cass., Civ. 1re, 24 nov. 41 § 8;
— Cass., Civ. 1re, 15 mai (Patino, 45 § 4
2e arrêt)* 5 § 3; 14 § 5; — Hoge Raad, 9 déc. 46 § 5
15 § 12; 28 § 4; 29 § 6; 39*; 1966. — TGI Seine, 12 janv. 4 § 7; 52 F
45 § 7; 48 § 9 — Cass., Civ. 1re, 25 janv.
— TGI Seine, 21 mai 13 § 10; 53 § 16; 58 § 4;
24-25 § 9 79 § 13
— Cass., Civ. 1re, 28 mai* 3 § 7; — Cass., Civ. 1re, 2 févr. 36 § 9
11 § 5; 41*; 51 § 11 — Paris, 9 févr. 22 § 14
— TGI Seine, 12 juin 5 § 5 — Cass., Civ. 1re, 15 févr.* 3 § 7;
— Cass., Civ. 1re, 19 juin 18 § 4 15 § 3; 15 § 10; 26 § 7;
— Paris, 29 juin 21 § 5; 61 § 3 29 § 6; 42*
— Paris, 4 juill. 42 F — Aix, 16 févr. 65-66 § 4
— Cass., Civ. 1re, 15 juill. — Paris, 16 févr. 53 § 2
38-39 § 10 — Cass., Civ. 1re, 2 mars 47 § 6
— Cass., Civ. 1re, 17 juill. 18 § 4 — Cass., Com., 9 mars 32-34 § 16
— Paris, 2 oct. 19 § 4; 19 § 11; — Cass., Civ. 1re, 21 mars* 43*;
19 § 9 49 § 4; 87 § 2
— Ontario, 4 nov. 23 § 9 — B. G. H., 26 avr. 79 § 13
— Paris, 12 déc. 6 § 8 — Cass., Civ. 1re, 2 mai* 22 § 7;
— TGI Seine, 16 déc. 24-25 § 5 22 § 9 et § 18; 44*; 53 § 10;
1964. — Cass., Civ. 1re, 7 janv.* 2 § 1; 65-66 § 4; 72 § 11
2 § 11; 10 § 1; 10 § 18; — Cass., Civ. 3e, 3 juin 57 § 3
16 § 4; 23 § 8; 26 § 11; — Paris, 3 juin 54 § 3
38-39 § 4; 38-39 § 10; 41*; — Cass., Civ. 1re, 9 juin 80-81 § 4
45 § 1; 45 § 6; 54 § 9; — Cass., Civ. 1re, 28 juin 11 § 9
54 § 12; 79 § 4 — Paris, 10 oct. 2 § 11
— Paris, 24 févr. 42 § 8 — Paris, 2 déc. 28 § 2
— Paris, 26 mars 50 § 4 1967. — Cass., Civ. 1re, 25 janv.
— Cass., Civ. 1re, 14 avr. 44 § 9 32-34 § 5
— Paris, 18 juin 6 § 8; 41 § 10; — TGI Seine, 25 janv. 15 § 13
70 § 4 — Cass., Civ. 1re, 31 janv. 40 § 7
— CJCE, 15 juill. 85-86 § 3 — Paris, 10 mars 24-25 § 10
— Cass., Civ. 1re, 17 nov. — TGI Seine, 15 mars
38-39 § 10 65-66 § 11
— Cass., Civ. 1re, 15 déc. 17 § 5 — Cass., Civ. 1re, 12 avr. 15 § 10
1965. — Cass., Civ. 1re, 16 févr. 41 § 10 — Paris, 28 avr. 53 § 2
— Cass., Com., 15 mars 13 § 10; — TGI Paris, 28 avr. 27 § 15
58 § 5 — Paris, 17 mai 50 F; 50 § 8
— Paris, 19 mars 22 § 14; 23 § 4 — Ch. des Lords, 23 mai 70 § 6
772 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

— Cass., Civ. 1re, 30 mai 19 § 4; — Cass., Civ. 1re, 8 juill. (Wey-


19 § 11 rich-Laroche) 26 § 7; 62 § 3
— Cass., Civ. 1re, 6 juin 4 § 7 — Cass. belge, 23 oct. 79 § 13
— TGI Paris, 21 juin 30-31 § 5 — TGI Paris, 12 nov. 87 § 2
— Cass., Civ. 1re, 4 oct.* 41 § 4; — TGI Dijon 18 nov. 15 § 13;
41 § 19; 43 § 6; 45*; 54 § 5; 15 § 14
70 § 3 et § 12; 72 § 9 — Cass., Civ. 1re, 1er déc. 54 § 3;
— Cass., Civ. 1re, 11 oct. 71 § 1 54 § 7
et § 2 — Cass., Civ. 1re, 1er déc. (Paït-
— Cass., Soc., 18 oct. 72 § 10 chadzé) 51 F
— Cass., Civ. 1re, 30 oct. 26 § 5 — Cass., Civ. 1re, 2 déc. 42 § 7;
— Cass., Civ. 1re, 7 nov. 36 § 10 42 § 9
— Poitiers, 13 déc. 41 § 8; 45 § 4 — Cass., Civ. 1re, 15 déc. 19 § 11
1968. — T. com. Paris, 4 janv. 54 § 3 1970. — TGI Paris, 14 janv. 59-60 § 5
— Cass., Civ. 1re, 9 janv. 72 § 10 — C. I. J., 5 févr. 50 § 4; 50 § 13
— Cass., Civ. 1re, 31 janv. 15 § 7 — Cass., Civ. 3e, 26 févr. 13 § 7
— Cass., Com., 7 févr. 50 § 7 — Cass., Civ. 1re, 3 mars 26 § 7
— CE, 1er mars 55-56 § 9 — Cass., Civ. 1re, 17 mars 79 § 13
— Rouen, 20 mars 79 § 13 — Liège, 23 avr. 30-31 § 12
— Cass., Civ. 1re, 17 juin — Cass., Civ. 1re, 27 mai* 43 § 8;
(Kasapyan : divorce)* 1 § 6; 45 § 9; 49*; 70 § 12; 72 § 9;
46*; 50 § 13; 87 § 10 87 § 7
— Cass., Civ. 1re, 17 juin — Paris, 19 juin 22 § 17
(Kasapyan : régime matri-
— TGI Paris, 21 juill. 15 § 8
monial) 46 § 3
— T. inst. Montmorency, 9 sept.
— Cass., Com., 25 juin 36 § 9
14 § 7
— Paris, 29 juin 15 § 13; 49 § 7
— Paris, 22 oct. 70 § 4
— TGI Dinan, 24 sept. 19 § 4
— Cass., Civ. 1re, 8 déc. 13 § 7
— TGI Paris, 22 oct. 53 § 16
— CJCE, 17 déc. 85-86 § 3
1969. — TGI Paris, 15 janv. 47 § 9
— Cass., Civ. 1re, 27 janv. 51 § 2 — Cass., Civ. 1re, 22 déc. 18 § 4
1971. — Cass., Civ. 1re, 6 janv. 71 § 3
— Cass., Civ. 1re, 11 févr.
65-66 § 6 et § 9 — Cass., Civ. 1re, 10 févr.
— Cass., Civ. 1re, 25 févr.* 36 F; 24-25 § 5
47*; 65-66 § 1, § 8 et § 10; — TGI Paris, 17 févr. 24-25 § 5
79 § 11 — Cass., Crim., 18 févr.
— Cass., Civ. 1re, 4 mars 15 § 13; 74-78 § 10
38-39 F — Cass., Civ. 1re, 3 mars 42 § 9
— Cass., Civ. 1re, 5 mars (Patino) — Cass., Civ. 1re, 18 mars 22 § 18
38-39 F — Cass., Civ. 1re, 30 mars* 50*;
— Cass., Soc., 5 mars (Zanarelli) 53 § 5
53 § 14 — Cass., Civ. 1re, 21 avr.
— Cass., Civ. 1re, 10 mars 46 § 5 (2 arrêts) 38-39 § 15
— Cass., Civ. 1re, 23 avr. 13 § 3; — T. const. féd. d’Allemagne,
13 § 8 4 mai 27 § 15; 55-56 § 20
— Cass., Civ. 1re, 3 juin 41 § 19 — Cass., Com., 28 mai 32-34 § 5
— Paris, 7 juin 65-66 § 4 et § 11 — Cass., Civ. 1re, 29 juin 35 § 4
— Cass., Civ. 1re, 8 juill.* (Soc. — Cass., Civ. 1re, 16 juill.
DIAC) 5 § 6; 38-39 § 17; 48* 38-39 § 13
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 773

— Cass., Civ. 1re, 19 oct. — T. const. féd. (All.), 9 mai


82-83 § 15 85-86 § 6
— Cass., Civ. 1re, 2 nov. — Cass., Civ. 1re, 15 mai 46 § 3
65-66 § 6, § 7 et § 9 — OLG. Düsseldorf, 17 mai
— Cass., Civ. 1re, 9 nov. 41 § 19; 46 § 5
87 § 4 — Lyon, 21 mai 30-31 § 5
— Paris, 10 nov. 70 § 6, § 7 et § 8 — Cour supr. (EU), 17 juin 72 § 4
1972. — Cass., Civ. 1re, 1er févr.* — Cass., Civ. 1re, 25 juin 54 § 3
16 § 7; 21 § 9; 23 § 7; 51* — Cass., Ch. mixte, 28 juin
— Cass., Civ. 3e, 8 févr. 50 § 5 72 § 10
et § 9
— Cass., Civ. 1re, 26 nov.*
— Cass., Civ. 1re, 15 févr. 22 § 13
38-39 § 5; 43 § 7; 54*
— Monaco, 17 avr. 16 § 3
— Cass., Civ. 1re, 9 déc. 10 § 13;
— Cass., Civ. 1re, 18 avr. 50 § 5
10 § 15; 54 § 10
— Cass., Soc., 10 mai 36 § 9
— Cass., Civ. 1re, 10 déc. (Pie-
— TGI Paris, 10 mai 15 § 8
rucci) 40 § 6; 40 § 7; 51 § 11
— Cour supr. (EU), 12 juin 72 § 4
1975. — Cons. const., 15 janv. 55-56
— Aix, 15 juin 72 § 5
— TGI Paris, 17 juin 61 § 7 §5
— Cass., Civ. 1re, 4 juill. 44 § 3; — Cass., Civ. 1re, 21 janv. 79 § 13
72 § 4 et § 11 — Paris, 23 janv. 7-8 § 4; 51 § 10
— TGI Paris, 12 juill. 15 § 8 — CE, 4 févr. 55-56 § 3
— Cass., Civ. 1re, 17 oct. (Époux — Cass., Ch. mixte, 24 mai 55*;
Audouze) 53 § 16; 58 § 6 74-78 § 11; 85-86 § 2, § 4
— Cass., Civ. 1re, 17 oct. (Cas- et § 6
san) 53 § 16 — Cass., Civ. 1re, 26 nov. 50 § 7
— Paris, 18 oct. 54 § 3 — Paris, 13 déc. 22 § 18; 44 § 3
— TGI Paris, 27 oct. 62 § 5 — TGI Paris, 15 déc. 67-69 § 19
— Cass., Civ. 1re, 7 nov. 46 § 3 1976. — Reims, 19 janv. 30-31 § 5
— TGI Paris, 29 nov. 13 § 3 — Paris, 5 mars 67 § 7
— Cass., Civ. 1re, 13 déc. 79 § 13 — Cass., Civ. 3e, 10 mars 50 § 5;
— Cass., Civ. 1re, 17 déc. 10 § 14 50 § 9
1973. — Paris, 15 janv. 87 § 1 — CJCE, 8 avr. 1976 62 § 2
— Cass., Soc., 1er mars 30-31 § 12 — Cass., Civ. 1re, 4 mai 19 § 11
— Cass., Civ. 1re, 19 mars 62 § 3 — Paris, 11 mai 51 § 13; 73 § 7
— Cass., Civ. 3e, 27 mars — Aix, 17 mai 42 § 7; 42 § 8
80-81 § 6
— Cass., Civ. 1re, 18 mai 41 § 17
— Cass., Civ. 1re, 3 mai* (Stroga-
— Cass., Civ. 1re, 19 mai 47 § 3;
noff-Scherbatoff) 18 § 4; 52*
47 § 8
— Cass., Civ. 1re, 3 mai (Soc.
Nederlandsche) 48 § 8; — Cass., Civ. 1re, 1er juin 19 § 4
48 § 15 — Cass., Civ. 1re, 20 juin
— Cass., Soc., 23 mai 72 § 5 63-64 § 5
— CE, 29 juin* 5 § 8; 22 § 7; 27 — TGI Paris, 25 juin 15 § 10; 53
§ 14; 35 § 5; 44 § 11; 53*; § 13
72 § 9 — TGI Paris, 7 juill. 54 § 9
— Cass., Civ. 1re, 19 oct. 45 § 7 — Cass., Civ. 1re, 19 juill. 18 § 4
— Cass., Civ. 1re, 19 déc. 15 § 14 — BGH, 5 oct. 19 § 5
1974. — Paris, 16 mars 47 § 7 — CJCE, 14 oct. 79 § 11
774 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

— Paris, 25 nov. 51 § 8; — Cass., Com., 19 mars 13 § 7


82-83 § 15 — Cass., Civ. 1re, 21 mars 19 § 11
— CJCE, 30 nov. 19 § 6 — Cass., Civ. 1re, 12 juin (Frost)
1977. — TGI Paris, 20 janv. 12 § 5 42 § 7
— TGI Paris, 1er mars 55 § 7 — Cass., Civ. 1re, 12 juin (Dujar-
— Lyon, 19 avr. 22 § 17; 49 § 7 din) 15 § 14
— T., 1re inst. Tunis, 19 avr. — Cass., Civ. 1re, 10 juill.
63-64 § 9 38-39 § 9
— Cass., Civ. 1re, 7 juin — CEDH, 13 juin 62 § 2
38-39 § 15 — Cass., Civ. 3e, 10 oct. 84 § 9
— TGI Paris, 30 juin 28 § 2 — CE, 22 oct. 55-56 § 9
— Cass., Civ. 1re, 11 juill. 6 § 8; — Lyon, 31 oct. 52 § 13; 73 § 7
23 § 4; 24-25 § 1; 41 § 10; — Cass., Civ. 1re, 6 nov.* 49 § 4;
70 § 7 59*
— Cass., Civ. 1re, 7 nov. 65-66 § 6 — Cass., Civ. 1re, 13 nov. 62 § 5
— Cass., Civ. 1re, 8 nov. 38-39 § 9 — Cass., Civ. 1re, 4 déc. 49 § 7
— Paris, 24 nov. 54 § 4; 54 § 9; — TGI Paris, 5 déc. 63-64 § 2
70 § 10 — Cass., Civ. 1re, 18 déc.
— Cass., Civ. 1re, 6 déc. 32-34 § 5 63-64 § 5 et § 11
— Paris, 8 déc. 67-69 § 4 et § 5 1980. — Cass., Civ. 1re, 3 janv. (Bended-
1978. — TGI Paris, 19 janv. 41 § 9 douche)* 14 § 4; 26 § 11;
— Cass., Civ. 1re, 24 janv. 53 § 14 28 § 16; 30-31 § 12; 61*
— Paris, 22 févr. 61 F — Cass., Civ. 1re, 3 janv. (Garino)
— Cass., Civ. 1re, 22 févr. 45 § 7 24-25 § 6; 24-25 § 10
— Cass., Civ. 1re, 7 mars 41 § 17 — Cass., Civ. 1re, 15 janv. 28 § 2
— Rouen, 14 mars 62 § 5 — TGI Paris, 12 févr. 54 § 5; 54
— Cass., Soc., 31 mars 35 § 8 § 10
— Cass., Civ. 1re, 4 avr. (Attouchi) — Poitiers, 13 févr. 59-60 § 12
32-34 § 5; 82-83 § 3 — Rouen, 21 févr. 62 F
— Cass., Civ. 1re, 4 avr. 74-78 F — Cass., Civ. 1re, 25 mars 35 § 4;
— Cass., Civ. 1re, 5 avr. 15 § 7 53 § 14
— Cass., Civ. 1re, 17 mai 45 § 7 — T. inst. Lille, 28 mars 14 § 7
— Paris, 15 juin 51 § 8 — Paris, 12 juin 22 § 10
— Cass., Civ. 1re, 20 juin — CE, 11 juill. 30-31 § 12
63-64 § 5 — Cons. const., 22 juill. 55-56
— Cass., Civ. 1re, 10 oct. 36 § 10 § 11
— Paris, 14 déc. 62 § 5 — Cass., Civ. 1re, 7 oct. 11 § 6;
— Cass., Com., 19 déc. 72 § 7 22 § 17
— Cass. ital., 22 déc. 41 § 9 — Paris, 3 déc. 51 § 8
1979. — Cass., Civ. 1re, 23 janv. 13 § 7 1981. — Cass., Civ. 1re, 13 janv. 37 § 8;
— Cass., Civ. 1re, 30 janv. 41 § 7; 37 § 11
41 § 17 — Cass., Civ. 1re, 25 févr. 20 § 4
— TGI Paris, 13 févr. 17 § 7 — TGI Paris, 4 mars 22 § 10
— Cass., Civ. 1re, 20 févr.* 4 § 7; — TGI Paris, 25 mars 15 § 8
13 § 6; 13 § 8; 13 § 10; 58* — Cass., Civ. 1re, 1er avr. 12 § 4;
— Cass., Civ. 1re, 6 mars 26 § 12; 38-39 § 9; 72 § 9
38-39 § 5 — CE, 28 mai 80-81 § 17
— Cass. ital., 6 mars 41 § 9 — Cass., Civ. 1re, 3 juin 62 § 5
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 775

— Cass., Civ. 1re, 16 juin 45 § 1 — T. arrdt La Haye, 17 sept.


— Paris, 26 juin (Soc. Benvenuti 53 § 18
et Bonfant) 65-66 § 3 — Paris, 22 sept. 59-60 § 6
— Paris, 26 juin (Eckensberger) — T. com. Paris, 19 oct. 50 § 4
61 § 9 — Cass. belge, 22 oct. 32-34 § 5
— Cass., Civ. 1re, 1er juill. (Basse- — Paris, 5 nov. 70 F
reau) 45 § 1 — Cass., Com., 8 nov. 72 § 6
— Cass., Civ. 1re, 1er juill. (Soc. 1983. — Cass., Civ. 1re, 19 janv. 6 § 14;
Total Afrique) 13 § 4; 13 70 § 17
§ 10; 58 § 6 — Cass., Civ. 1re, 8 févr. 19 § 4;
— Cass., Civ. 1re, 20 oct. 49 § 7 38-39 § 15
— Cass., Civ. 1re, 21 oct. 45 § 1 — Cass., Civ. 1re, 15 févr. 18 § 4;
61 § 9
— Cass., Civ. 1re, 28 oct. 45 § 7
— Versailles, 16 févr. 67-69 § 6
— Cass., Civ. 1re, 17 nov. 45 § 5
— Paris, 8 mars 51 § 13
— Cass., Civ. 1re, 25 nov. 9 § 2
— Cass., Civ. 1re, 9 mars
— Paris, 27 nov. 6 § 7; 28 § 2; 32-34 § 5; 74-78 § 10
70 § 7 — Cass., Civ. 1re, 17 mai 6 § 2;
— Cass., Civ. 1re, 9 déc. 22 § 10 6 § 8; 6 § 9; 24-25 § 5;
— Cass., Civ. 1re, 16 déc. 45 § 14 24-25 § 6
1982. — Cass., Civ. 1re, 12 janv. 15 § 7 — Paris, 24 mai 54 § 9
— Cass., Civ. 1re, 13 janv.* — Cass., Civ. 1re, 15 juin 22 § 19
41 § 1; 57 § 5; 62* — Cass., Soc., 20 oct. 37 § 8
— Cons. const., 16 janv. 58 § 6 — Cass., Civ. 1re, 3 nov. (Rohbi)*
— Cass., Civ. 1re, 2 févr. 36 § 7; 26 § 12; 41 § 7 63*
36 § 9 — Cass., Civ. 1re, 3 nov. (Soc.
— Cons. const., 11 févr. 58 § 6 Hermann) 4 § 7
— Cass., Civ. 1re, 17 févr. 6 § 10; — Paris, 8 nov. 30-31 § 5; 61 § 8
30-31 § 5 — Cass., Civ. 1re, 15 nov. 79 § 13
— Aix, 9 mars 6 § 4; 6 § 14 — Cass., Crim., 5 déc. 55-56 § 8
— Cass., Civ. 1re, 10 mars 45 § 7 1984. — Cass., Civ. 1re, 24 janv. (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 16 mars 41 § 8; Thinet)* 19 § 8; 32-34 § 5
45 § 7 et § 10; 74-78 § 2; 82-83 F, § 3
— Cass., Civ. 1re, 17 mars 45 § 1; — Cass., Civ. 1re, 24 janv. (Mari)
70 § 7 15 § 7; 51 § 5
— Cass., Soc., 25 janv. 35 § 8
— Toulouse, 22 mars 30-31 § 12;
— Cass., Civ. 1re, 31 janv. 20 § 4
61 § 9
— Cass., Com., 28 févr. 32-34 § 5
— TGI Paris, 20 avr. 51 § 13; 73
ad notam 1
§7
— Cass., Civ. 1re, 6 mars 55 § 4;
— Paris, 21 avr. 65-66 F 80-81 § 17
— Cass., Com., 11 mai 48 § 8 — Cass., Civ. 1re, 14 mars*
— Paris, 2 juin 15 § 14 44 § 6; 47 § 7; 65*
— Cass., Civ. 1re, 15 juin 16 § 3; — Cass., Com., 14 juin
16 § 4; 23 § 4; 51 § 11 32-34 § 16; 82-83 § 4
— Cass., Com., 21 juin 32-34 § 5 — Paris, 12 juill. 22 § 14
ad notam 1 — Cass., Civ. 1re, 2 oct. 6 § 8;
— Cass., Civ. 1re, 23 juin 46 § 8 23 § 4; 24-25 § 1; 41 § 10;
— Paris, 6 juill. 6 § 4 70 § 7
776 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

— Paris, 3 oct. 22 § 14; 23 § 4 — Paris, 9 juill. 24-25 § 4


— Cass., Civ. 1re, 9 oct. 55 § 4 — Cons. const., 3 sept. 55-56 § 9
— Cass., Civ. 1re, 7 nov.* 26 § 8; — Cass., Civ. 1re, 12 nov. (Anda-
67* laft) 15 § 7
1985. — Cass., Civ. 1re, 3 janv. 15 § 14 — Cass., Civ. 1re, 12 nov. (Miche-
— BGH, 8 janv. 19 § 5 lin) 15 § 7
— Cass., Civ. 1re, 6 févr.* 41 § 6; — Cass., Civ. 1re, 18 nov. (Atlan-
41 § 13; 49 § 7; 54 § 5; 70*; tic Triton) 80-81 § 4
72 § 2, § 3, § 9 et § 10; — Cass., Civ. 1re, 18 nov. (Ban-
79 § 4; 87 § 5 que Camerounnaise de Déve-
— Cass. belge, 18 févr. 32-34 § 5 loppement) 59-60 § 6
— Cass., Civ. 1re, 20 mars 3 § 9; — Cass., Civ. 1re, 25 nov. (Ameur)
6 § 4 et § 14 21 § 8; 74-78 § 3 et § 4
— Cass., Civ. 1re, 16 avr. (Mayer) — Cass., Civ. 1re, 25 nov. (Siaci)
37 § 8; 72 § 4 43 § 6; 72 § 4
— TGI Nice, 24 avr. 53 § 5 — T. inst. Neumünster, 16 déc.
— Montpellier, 2 mai 43 § 4; 52 § 7
43 § 7 — C. eur. Dr. Homme, 18 déc.
— Cass., Civ. 1re, 13 mai 22 § 19 38-39 § 9
— Paris, 18 juin 46 § 5 1987. — Cass., Civ. 1re, 6 janv. 70 § 11
— Cass., Soc., 8 juill. 72 § 10 — Cons. const., 23 janv. 55-56
— Cass., Civ. 1re, 1er oct.* 66* § 11
— Cass., Civ. 1re, 19 nov.* 37 § 6; — Cass., Civ. 1re, 27 janv. 46 § 8
49 § 4; 71*; 87 § 8 — Paris, 23 févr. 30-31 § 12;
— Cass., Civ., 3 déc. 54 § 2 62 § 5
— Cass., Civ. 1re, 17 déc.* 37 § 8; — Cons. const. ital., 28 févr.
70 § 14; 71 § 5; 72* 55-56 § 19
— Rouen, 23 déc. 65-66 § 11 — Cass., Civ. 1re, 3 mars*
1986. — Paris, 20 janv. 51 § 19; 73 § 7 51 § 13; 73*
— Cass., Civ. 1re, 4 févr. 47 § 6; — TGI Paris, 8 avr.
47 § 7 30-31 § 7 ad notam 1
— TGI Paris, 7 févr. — OGH, 27 avr. 27 § 7
24-25 § 6; 24-25 § 8 — Cass., Soc., 7 mai 72 § 11
— Cass., Civ. 1re, 25 févr. 41 § 9 — Cass., Civ. 1re, 25 mai
— Cass., Ch. mixte, 28 févr. 74-78 § 3 et § 4
53 § 12 — Cour d’appel fédérale, 4 juin
— Cass., Civ. 1re, 4 mars 79 § 12
74-78 § 10 — Cass., Civ. 1re, 16 juin 72 § 10
— Cass., Civ. 1re, 19 mars 53 § 4 — Cass., Civ. 1re, 21 juill. (Benve-
— Cass., Civ. 1re, 15 avr. 47 § 6 nuti et Bonfant) 65-66 § 11
— Cass., Civ. 1re, 22 avr. (Dje- — Cass., Civ. 1re, 21 juill.
nangi) 61 § 5; 82-83 § 6 (Ets. Bernard) 50 § 4
— Cass., Civ. 1re, 22 avr. — Cass., Civ. 1re, 21 juill. (Sfez c/
(Lemaire) 24-25 § 1; 38-39 Cohen) 19 § 8; 82-83 § 15
§ 4; 41 § 8 et § 10; 70 § 17 — Cass., Civ. 1re, 22 juill. 46 § 5
— Cass., Civ. 1re, 22 avr. (Riahi) — Cass., Civ. 1re, 20 oct. (Cres-
27 § 15; 30-31 § 12 sot) 15 § 10; 26 § 8; 53 § 2
— Cass., Civ. 1re, 8 juill. 53 § 5 et § 13; 54 § 14
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 777

— Cass., Civ. 1re, 20 oct. (Soc. Int. — Cass., Civ. 1re, 18 oct.*
Plantations d’Hévéas) (Schule) 32-34 § 1; 75*; 82-
13 § 1; 47 § 4 et § 6; 54 § 14 83 § 3 et § 13; 84 § 4
— Cass., Civ. 1re, 24 nov. 43 § 4 — Cons. const., 21 oct. 55-56 § 9
— Cass., Civ. 1re, 8 déc. 63-64 § 8 — Cass., Civ. 1re, 3 nov. 17 § 7;
— Cass., Com., 21 déc. 5 § 9; 54 § 4
50 § 9 — Cass., Com. 8 nov. 50 § 9
1988. — Cass., Civ. 1re, 1er mars 70 § 17 — Paris, 15 nov. 70 § 16
— Cass., Civ. 1re, 8 mars 72 § 11 — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (MACIF)
— Cass., Civ. 1re, 15 mars 74-78 F 19 § 5; 32-34 § 12; 84 § 4
— Cass., Civ. 1re, 19 avr. et § 5
32-34 § 12; 74-78 § 13; — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (Mme X.)
84 § 4, § 5, § 7 et § 13 71 § 2
— Aix, 25 avr. 79 § 12 — Versailles, 20 déc. 54 § 7
— Cass., Soc., 3 mai 53 § 12 1989. — Paris, 11 janv. 49 § 5; 87 § 13
— Cass., Com., 8 mai 5 § 9 — Cass., Soc., 26 janv 47 § 3
— Cass., Civ. 1re, 10 mai — Cass., Civ. 1re, 20 mars
74-78 § 10 65-66 § 8
— Cass., Civ. 1re, 29 mars
— Cass., Crim., 10 mai
24-25 § 10
80-81 § 11
— Cass., Soc., 19 avr. 4 § 7
— Cass., Civ. 1re, 21 juin (Panayo-
— Cass., Crim., 17 mai 36 § 2
takis) 49 § 5
— TGI, Paris, 25 mai
— Cass., Civ. 1re, 21 juin (Soc.
24-25 § 5
Balenciaga) 19 § 8;
— Cass., Civ. 1re, 7 juin 80-81 § 4
82-83 § 6
— C. eur. Dr. Homme, 7 juill.
— Versailles, 27 juin 42 § 4 67-69 § 14
— TGI Paris, 29 juin 49 § 6 — Paris, 13 juill. 44 § 12
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. (Baaziz) — Cons. const., 28 juill. 55-56
17 § 7; 30-31 § 5 et § 12 § 11
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. (Bou- — Cass., Civ. 1re, 4 oct. 84 § 4
jlifa) 63-64 § 8 — CE, 20 oct.* 56*; 74-78 § 11;
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. 85-86 § 2, § 4 et § 6
(Lemaire) 24-25 § 1; 38-39 — Cass., Civ. 1re, 25 oct. 11 § 9
§ 6; 41 § 8 et § 10; 70 § 17 — Paris, 16 nov. 54 § 7; 87 § 5
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. (Soc. — Cass., Civ. 1re, 6 déc. 59-60 § 6
Navrom Roumanian naviga- 1990. — Cass., Civ. 1re, 10 janv. (Soc.
tion) 65-66 § 11 HDW) 82-83 § 4
— Cass., Civ. 1re, 6 juill. (Tangi) — C. const., 22 janv. 20 § 5
15 § 8; 51 § 3 — Paris, 23 janv. (Caron) 4 § 6;
— Cass., Civ. 1re, 11 juill. 42 § 3; 84 § 4 et § 13
74-78 § 21 — Cass., Civ. 1re, 31 janv.* (Pis-
— Cass., Crim., 14 juill. 55-56 § 8 tre) 68*
— Cass., Civ. 1re, 11 oct.* 32-34 — Cass., Soc., 8 mars 30-31 § 12
§ 1 et § 16; 74*; 82-83 § 3 et — Paris, 15 mars 70 § 16
§ 13; 84 § 4 — Cass., Civ. 1re, 3 avr. 42 § 4;
— Cass., Civ. 1re, 18 oct. (Air 42 § 9
Afrique) 24-25 § 4 et § 10; — Cass., Civ. 1re, 2 mai* (Rép. du
80-81 § 12 Gautemala) 79*
778 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

— Cass., Civ. 1re, 2 mai (Soc. nat. — Cass., Soc. 30 janv. 72 § 10


iranienne de gaz) 47 § 3 — Versailles, 6 févr. 11 § 1;
— Cass., Civ. 1re, 20 mai 79 § 9 35 § 7
— Cass., Civ. 1re, 6 juin — Cass., Civ. 1re, 19 mars
(Yorkshire Insurance com- (Buzyn) 36 § 7; 36 § 9
pany) 74-78 § 10 — Cass., Civ. 1re, 19 mars
— Cass., Civ. 1re, 6 juin (Mme X.) (Mlle P.c/H.) 38-39 § 15
26 § 13; 45 § 8; 46 § 7; — Cass., Com., 19 mars 72 § 5
63-64 § 11 et § 12; 70 § 17 — Cass., Civ. 1re, 4 avr. 19 § 12
— Cass., Civ. 1re, 6 juin (OAEI) — Cass., Com., 9 avr. 50 § 9
65-66 § 8 et § 13
— Cass., Civ. 1re, 6 juin — Cass., Civ. 1re, 28 mai (Consorts
(L’Union) 19 § 10 Huston) 53 § 2; 53 § 4
— Cass., Civ. 1re, 26 juin 26 § 13, — Cass., Com., 4 juin 84 § 4
46 § 7 — Cass., Civ. 1re, 11 juin
— CE, 29 juin* (GISTI) 79 § 4, 80* 65-66 § 3
— Cass., Civ. 1re, 10 juill. — Paris, 21 juin 30-31 § 6
67-69 § 13 — Cass., Civ. 1re, 25 juin 4 § 7
— TGI, Paris, 11 juill. 59-60 § 8 — Cass., Civ., 25 juin (Extraco)
— CE, 24 sept. (Boisdet) 50 § 2
55-56 § 10 — Cass., Civ. 1re, 9 juill. 41 § 20
— TGI, Paris, 27 sept. 46 § 7 — TGI Paris, 10 juill. 72 § 11
— Cass., Com. 9 oct. 53 § 14 — Cass., Soc., 11 juill. 4 § 7
— Paris, 17 oct. 49 § 7 — TGI, Paris, 19 sept. 23 § 19
— Cass., Civ. 1re, 6 nov. (Paul — Cass., Civ. 1re, 9 oct. (Dier-
Monthe) 26 § 8; 30-31 § 9 meier) 15 § 8
— Cass., Civ. 1re, 6 nov. (Air Afri- — Cass., Civ. 1re, 9 oct. 45 § 7
que) 80-81 § 12 — TGI, Paris, 17 oct. 41 § 8; 41
— Cass., Crim., 7 nov. 55-56 § 8 §9
— Cass., Crim., 12 nov. 50 § 2 — Cass., Civ. 1re 22 oct. (Valen-
— Cass., Civ. 1re, 20 nov. 41 § 8 ciana) 22 § 10; 44 § 12
— Paris, 22 nov. 87 § 5 et § 14 — Paris, 31 oct. (Hewett) 15 § 14;
— Cass., Civ. 1re, 4 déc. (Pearsh) 51 § 8
3 § 10 — Cass., Civ. 1re, 5 nov. (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 4 déc. (Soc. Masson) 82-83 § 4
Coveco) 6 § 7; 19 § 8; — TGI, Dijon, 8 nov. 67-69 § 12
32-34 § 1 et § 2; 41 § 8; 76*; — Paris, 15 nov. 41 § 10; 87 § 5
82-83 § 3; 84 § 5 — Cass., Civ. 1re, 3 déc. 15 § 9
— Cass., Civ. 1re, 18 déc. (Soc. — Cass., Civ. 1re, 3 déc. (Cie
Intercomi) 45 § 1; 87 § 13 Alliance) 72 § 11
— Cass., Civ. 1re, 18 déc. (Soc. — Cass., Civ. 1re, 4 déc. (UAP c/
Menegatti) 74-78 § 6 et § 10 Zivkovic) 22 § 13
— Cass., Ass. plén., 20 déc. — Cass., Civ. 1re, 10 déc. (Sarkis)
50 § 4; 50 § 10 74-78 § 6
1991. — Cass., Civ. 1re, 8 janv. (Soc. — Paris, 17 déc. (Gatoil) 45 § 7
Heinrich Otto) 48 § 8 1992. — Cass., Civ. 1re, 21 janv. 45 § 7;
— Cass., Civ. 1re, 8 janv. (UAP c/ 54 § 7; 87 § 6
Mainier) 19 § 9; 82-83 § 6 — Metz, 28 janv. 26 § 5
— Cass., Civ. 1re, 22 janv. 19 § 5 — Cass., Civ. 1re, 4 févr. 19 § 11
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 779

— Cass., Com., 4 févr. 22 § 6 — Cass., Com., 2 mars (Soc. Alk-


et § 10 halaf) 19 § 9; 82-83 § 6
— Versailles, 27 févr. 13 § 3; — Cass., Com., 9 mars (Soc.
70 § 17 Ejendomsselskabet) 50 § 13
— CE, 28 févr. (Rothman) 55-56 — Cass., Civ. 1re, 10 mars
§ 10 55-56 § 18
— Paris, 17 mars (Cubatabaco) — Cass., Com., 30 mars (Soc.
13 § 4 Comanav) 72 § 6
— CE, 23 mars (Soc Klochner) — CJCE, 30 mars 55-56 § 15
55-56 § 10 — Cass., Soc., 29 avr. 80-81 § 11
— T. app., Bâle-Ville, 27 mars — Cass., Civ. 1re, 17 mai (Mme O.)
58 § 6 36 § 3
— Paris, 22 avr. 70 § 17 — Cass., Civ. 1re, 17 mai (El
— Cass. ital., 28 avr. 29 § 3 Maliki) 46 § 9
— TGI, Paris, 13 mai 46 § 9 — Cass., Civ. 1re, 16 juin 36 § 3
— Cass., Civ. 1re, 14 mai (Woll) — Cass., Civ. 1re, 30 juin (Rép.
42 § 4 d’Éstonie) 47 § 6
— Cass., Com. 19 mai 50 § 13 — Cons. const., 13 août
30-31 § 13; 45 § 7
— Cass. belge, 25 mai (Banque
— Versailles, 22 sept. 54 § 7;
Sud Belge) 15 § 10; 53 § 14
87 § 6
— Cass., Civ. 1re, 16 juin (Silva
— TGI, Paris, 30 sept. 46 § 9
Fernandez 82-83 § 10
— Paris, 3 nov. (Meder) 15 § 14
— CJCE, 7 juill. (Micheletti)
— Cass., Civ. 1re, 9 nov. 46 § 9
46 § 3
— Cass., Com., 16 nov. (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 16 juill.
Amerford*) 19 § 9; 32-34
63-64 § 12 § 1; 32-34 § 16; 36 § 6;
— Cass., Civ. 1re, 27 sept. 15 § 14 74-78 § 19; 82*
— Cass., Civ. 1re, 13 oct. — Cass., Civ. 1re, 17 nov. 54 § 4
(Camara) 46 § 10 — TGI, Paris, 23 nov. 21 § 8
— Cass., Civ. 1re, 27 oct. 84 § 9 — Cass., Civ. 1re, 24 nov. 70 § 16
— Cass., Civ. 1re, 18 nov. — Cass., Civ. 1re, 20 déc. 44 § 3
(Makhlouf) 82-83 § 3 et § 13 1994. — TGI, Paris, 5 janv. 6 § 8
— Cass., ass. plén., 11 déc. — Cass., Civ. 1re, 12 janv. (Soc.
80-81 § 14 Carrefour) 11 § 6
1993. — Cass., Civ. 1re, 13 janv. — Cass., Civ. 1re, 12 janv. (Tonon)
(Coucke) 19 § 7; 36 § 3; 41 § 23
74-78 § 20; 82-83 § 4, § 13 — Versailles, 13 janv. 38-39 § 10
et § 17 — Paris, 13 janv. 67-69 § 7
— Colmar, 19 janv. (Metz) — Paris, 14 janv. 28 § 2
15 § 13; 15 § 14 — Paris, 21 janv. 53 § 5; 62 § 5
— Cass., Civ. 1re, 27 janv. 49 § 5 — Cass., Civ. 1re, 16 févr. (Ait
— Rouen, 28 janv. 72 § 5 Kaci) 80-81 § 17
— Cass., Civ. 1re, 31 janv. 43 § 3 — Cass., Civ 1re, 16 févr. (Amma-
— TGI, Paris, 10 févr. (Parretti) che) 19 § 9; 74-78 § 21
24-25 § 6, § 8 et § 10; — Paris, 24 févr. (Bec Frères)
41 § 23; 45 § 7 44 § 7
— Cass., Civ. 1re, 10 févr. 17 § 7; — Paris, 3 mars (Soc. Mobil NSL)
57 § 4; 67-69 § 12; 74-78 § 20 7-8 § 5; 38-39 § 15; 51 § 10
780 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

— Paris, 15 mars 51 § 13; 73 § 7 — Cass., Civ. 1re, 31 janv. 45 § 9


— Cass., Civ. 1re, 23 mars — Cass., Civ. 1re, 7 févr. 80-81 § 11
(N’Guyen) 80-81 § 17 — CJCE, 7 mars 19 § 6
— Paris, 25 mars 41 § 9, § 16 — Versailles, 30 mars 28 § 15
et § 24 — Cass., Civ. 1re, 10 mai
— Cass., Civ. 1re, 6 avr. 53 § 2 82-83 § 5; 84 § 10
— TGI, Dunkerque, 18 avr. 54 § 4 — Cass., Civ. 1re, 10 mai
— Cass., Civ. 1re, 4 mai 26 § 13; (Fanthou) 69*
70 § 17 — Cass., Civ. 1re, 1er juin 26 § 12
— Cass., Civ. 1re, 4 mai (Arpels) — Paris, 14 juin 15 § 8; 28 § 3;
32-34 § 16 30-31 § 5
— Paris, 11 mai 19 § 6 — Paris, 14 juin 72 § 11
— Cass., Civ. 1re, 15 mai (Pici- — Versailles, 14 juin 47 § 6
nelli) 19 § 12 — Chambéry, 20 juin 15 § 14
— Cass., Civ. 1re, 18 mai 45 § 13 — Grenoble, 13 sept. 35 § 7;
— Cass., Civ. 1re, 1er juin 19 § 10; 84 § 4
46 § 8; 64 § 13; 67-69 § 14 — Paris, 19 sept. 4 § 7; 6 § 8
— Cass., Civ. 1re, 1er juin — Cass., Com., 1er oct. 65-66 § 11
67-69 § 14 — Cass., Civ. 1re, 10 oct. 74-78 F
— Paris, 7 juin 30-31 § 6 — TGI, Toulouse, 30 oct. 55-56
— Paris, 14 juin 19 § 10; § 18
55-56 § 20; 67-69 § 15 — Cass., Civ. 1re, 7 nov. 63-64 § 12
— Cass., Civ. 1re, 15 juin 54 § 4; — Cass., Com., 14 nov. 13 § 4;
54 § 13; 70 § 11 et § 16 58 § 6
— Poitiers, 1er juill. 45 § 7 — Paris, 1er déc. 6 § 4
— Cass., Soc., 13 juill. 55-56 § 18 — Cass., Civ. 1re, 5 déc.
— Cass., Civ. 1re, 5 oct. 74-78 § 7; 82-83 § 5
(Ép. Brenckmann) 10 § 14 — Cass., Civ. 1re, 19 déc. (Banque
— Cass., Civ. 1re, 5 oct. (Soc. africaine de développement*)
Demart) 82-83 § 5 et § 13 55-56 § 19; 79 § 4; 81*
— Paris, 2 nov. (Soc. Strojexport) — Cass., Civ. 1re, 19 déc. (BCCI
59-60 § F; 59-60 § 7 et § 10 c/Prabhu) 24-25 § 10
— Cass., Civ. 1re, 15 nov. 45 § 1 — Cass., Civ. 1re, 19 déc. 26 § 12
— TGI, Paris, 22 nov. 21 § 8 1996. — Cass., Civ. 1re, 9 janv. 38-39 § 4
— CEDH, 24 nov. (Beaumartin) — Grenoble, 11 janv. 82-83 § 15
80-81 § 14 — Cass., Civ. 1re, 6 févr. 44 § 10
— TGI, Paris, 29 nov. 21 § 8; 51 — Paris, 23 févr. 27 § 14
§ 11; 51 § 13; 73 § 7 — Paris, 12 mars 45 § 13
— Cass., Civ. 1re, 29 nov. 45 § 7 — Cass., Com., 16 mars 38-39 § 6
— Cass., Civ. 1re, 13 déc. (Bezzaï- — Cass., Civ. 1re, 2 avr. 37 § 8
Dalle) 15 § 7; 15 § 8 — Cass., Civ. 1re, 16 avr. 32-34 § 16
— CE, 21 déc. (Sarra Garriga) — Cass., Soc., 7 mai 54 § 10;
80-81 § 10 54 § 13; 70 § 17
1995. — Cass., Civ. 1re, 4 janv. 47 § 9; — Cass., Civ. 1re, 14 mai 82-83 § 3
65-66 § 11 — Cass., Civ. 1re, 9 juin 32-34
— Cass., Civ. 1re, 17 janv. 59-60 § 9 § 5; 62 § 5; 82-83 § 3
— Cass., Civ. 1re, 24 janv. — Cass., Civ. 1re, 11 juin (Agora
55-56 § 18 Sopha) 16 § 4; 74-78 § 19;
— Cass., Civ. 1re, 31 janv. 43 § 3 82-83 § 5
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 781

— Cass., Civ. 1re, 11 juin — Cass., Civ. 1re, 1er juill. (Soc.
(Imhoos) 32-34 § 5; 46 § 2; Africatours) 36 § 6, § 8
62 § 5; 82-83 § 3 et § 9; 82-83 § 19
— Cass., Crim., 11 juin 6 § 14 — Cass., Civ. 1re, 1er juill. (Karl
— Paris, 13 juin 23 § 18; 44 § 7 Ibold GmbH) 84 § 5
— CE, 3 juill. 85-86 § 5 — Cass., Civ. 1re, 1er juill.
— Cass., Civ. 1re, 10 juill. 45 § 7 (Époux L.) 67-69 § 8
— Cass., Civ. 1re, 5 nov. 15 § 7 — Cass., Civ. 1re, 1er juill. (Driss
— Grenoble, 27 nov. 82-83 § 15 Abdou) 49 § 5; 74-78 § 7;
— Cass., Civ. 1re, 3 déc. 45 § 7 82-83 § 3
— Cass., Com., 17 déc. 44 § 10 — Cass., Civ. 1re, 16 juill. 19 § 6
1997. — Cass., Civ. 1re, 14 janv. 19 § 6 — CE, 22 sept. 55-56 § 19
— Cass., Civ. 1re, 11 févr. (Soc. — Cass., Civ. 1re, 7 oct. 26 § 8
Strojexport*) 60* — Cass., Civ. 1re, 19 oct. 53 § 14
— Cass., Civ. 1re, 11 févr. (Sai- — Cass., Civ. 1re, 19 oct. 53 § 14
gnie) 47 § 3 — Cass., Civ. 1re, 21 oct. 45 § 7
— Cass., Com. 11 mars (SEIA) — Cass., Crim., 12 nov. 36 § 2
53 § 4 — Cass., Civ. 1re, 2 déc.
— Cass., Civ. 1re, 11 mars (Soc. (Soc. Socma) 32-34 § 5;
Mobil NSL) 7-8 § 5; 16 § 2; 82-83 § 10
38-39 § 16; 51 § 10 — Cass., Civ. 1re, 2 déc.
— Cass., Civ. 1re, 11 mars (Mme Kubicka c/M. Thomé)
63-64 § 2 et § 12 15 § 8; 28 § 3
— BGH, 19 mars 53 § 14 — Cass., Civ. 1re, 2 déc. (Dona-
— Cass., Civ. 1re, 25 mars doni) 15 § 7
(Merzouk) 15 § 7 — Cass., Civ. 1re, 8 déc. 50 § 9
— Cass., Com. 25 mars (Insu- — Cass., Civ. 1re, 16 déc.
rance Company of North 67-69 § 8
America) 72 § 5 1998. — Grenoble, 20 janv. 46 § 9
— Paris, 27 mars 41 § 9; 70 § 11 — Cass., Civ. 1re, 27 janv.
— Cass., Civ. 1re, 6 mai 32-34 (Sefiani) 45 § 9
§ 8; 32-34 § 12; 82-83 § 10; — Cass., Civ. 1re, 27 janv. (Aba-
84* dou) 82-83 § 5 et § 13
— Cass., Civ. 1re, 21 mai 15 § 14 — Cass., Civ. 1re, 24 févr. 72 § 6
— Cass., Civ. 1re, 21 mai (2 esp. : — Cass., Civ. 1re, 3 mars
Meglio, Renault) 22 § 18; 82-83 § 5
44 § 3 — Paris, 24 mars 30-31 § 12
— Cass., Civ. 1re, 3 juin 54 § 7; — Cass., Civ. 1re, 7 avr.
87 § 12 (Hamidou) 15 § 8
— CE, 6 juin 55-56 § 10 — Cass., Civ. 1re, 7 avr. (M. G. c/
— Paris, 10 juin 67-69 § 8 Commune de Ferney-Voltaire)
— Cass., Civ. 1re, 10 juin (Soc. 24-25 § 10
Hilmarton) 38-39 § 5 — Cass., Civ. 1re, 7 avr. (SAMIB)
— Cass., Civ. 1re, 17 juin (Equita- 43 § 3
nia) 54 § 7 — Paris, 28 avr. 4 § 7
— Cass., Civ. 1re, 17 juin (Ben- — Cass., Civ. 1re, 5 mai (Mailian)
dabdesslam) 10 § 14 70 § 16
— Cass., Civ. 1re, 17 juin (Époux — Aix, 10 mai 63-64 § 12
X.) 54 § 13 — Cass., Civ. 1re, 3 juin 28 § 4
782 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

— Cass., Civ. 1re, 6 juill. 65-66 § 11 — Cass., Civ. 1re, 26 mai (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 16 juill. 28 § 2 Delta Draht) 84 § 13
et § 4 — Cass., Civ. 1re, 8 juin (Mme T.
— CE, 30 oct. 85* C/M. W.) 54 § 13; 70 § 11
— Cass., Civ. 1re, 10 nov. 47 § 3 — Cass., Civ. 1re, 22 juin (Mauri-
— Cass., Civ. 1re, 24 nov. 19 § 8; garment Trading and Marke-
32-34 § 1 et 16; 36 § 6 et § 8; ting Ltd) 54 § 4, § 9 et § 14
83* — CE, 30 juin 55-56 § 19
— Cass., Civ. 1re, 8 déc. (Calber- — Cass., Civ. 1re, 6 juill. 21 § 9
son) 82-83 § 5 et § 13 — Cass., Civ. 1re, 15 juill. 46 § 9;
— Cass., Civ. 1re, 8 déc. 65-66 § 11
(Soc. General Accident) — Cass., Civ. 1re, 19 juill. 65-66
5 § 9; 50 § 9 § 11
1999. — Cass., Civ. 1re, 5 janv. (Avci) — Cass., Civ. 1re, 12 oct. 47 § 6
19 § 11; 74-78 § 7 — Cass., Civ. 1re, 19 oct. (El Kha-
— Cass., Civ. 1re, 12 janv. roumi) 67-69 § 12
(L’Alliance africaine) 82- — Cass., Civ. 1re, 19 oct.
83 § 5 (Moquin) 53 § 14
— Metz, 19 janv. 41 § 10 — Cass., Civ. 1re, 17 nov. 41 § 24
— Cass., Civ. 1re, 9 févr. 36 § 5 — CJCE, 23 nov (Arblade) 53 § 8
— Cass., Civ. 1re, 2 mars (Soc. — CE, 3 déc. 85-86 § 6
Sea Land Service) 82-83 § 5 2000. — Paris, 13 janv. 17 § 7; 57 § 4
— CJCE, 9 mars (Centros) 50 § 2 — Cass., Com., 18 janv. 70 § 17
— Cass., Civ. 1re, 12 mars 49 § 5 — Cass., Civ. 1re, 25 janv. 41 § 21
— Cass., Civ. 1re, 16 mars — Cass., Civ. 1re, 22 févr. 82-83
(Maillez) 45 § 7 et § 9 § 18
— Cass., Civ. 1re, 16 mars (Soc. — Cass., Civ. 2e, 4 mars 63-64
Moureau c/Soc. Lanvin) § 13
36 § 9; 82-83 § 18 — Cass., Civ. 1re, 7 mars (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 16 mars Torkwerke Neuhaus Gmbh)
(Pordea) 45 § 9 19 § 5
— CE, 9 avr. 80-81 § 17 — Cass., Civ. 1re, 7 mars (Igoa-
— Cass., Civ. 1re, 13 avr. Etchebarren) 16 F
(Cie Royale Belge) 74-78 — Cass., Civ. 2e, 14 mars 63-64
§ 21; 82-83 § 14 § 13
— Cass., Civ. 1re, 13 avr. — Cass., Civ. 1re, 21 mars 3 § 10;
(Gr. Comptoirs français 16 § 4, § 5 et § 8
de Djibouti) 72 § 5 — Aix-en-Pr., 6 avr. 10 § 15, 54
— Cass., Civ. 1re, 13 avr. (Soc. § 10
Sullivan Polynésie) 72 § 5 — Cass., Civ. 1re, 18 avr. 71 § 3,
— Cass., Civ. 1re, 11 mai 19 § 6 87 § 8
— Cass., Civ. 1re, 26 mai (Belaïd — Paris, 26 avr. 53 § 14
A*) 6 § 7; 32-34 § 10 et § 16; — Cass., Soc. 27 avr. 53 § 17
78*; 82-83 § 3 et § 13; 84 § 5 — Cass. Ass. plén., 2 juin 86*
— Cass., Civ. 1re, 26 mai (Mutuel- — Cass., Soc. 18 juill. 47 § 3
les du Mans*) 32-34 § 1 et — CJCE, 12 sept. 85-86 § 10
§ 10; 77*; 82-83 § 3; 84 § 5 — Cass., Civ. 1re, 3 oct. 67-69
et § 13 § 10
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 783

— Corte Costit. (It.), 18 oct. 72 — Cass., Civ. 1re, 18 juin 82-83


§4 § 5 et § 18
— CJCE, 12 sept. 85-86 § 10 — Cass., Civ. 1re, 18 sept. (D. &
— CJCE, 9 nov. 53 § 14 J. Sporting) 82-83 § 5 et § 18
— CE, 27 nov. 67-68 § 1 — Cass., Civ. 1re, 18 sept. 51 F
— Cass., Civ. 1re, 28 nov. 41 § 10 — Cass., Civ. 1re, 24 sept. 30-31
— Lyon, 2 déc., 57 § 4 §5
— Cass., Civ. 1re, 20 déc. 36 § 3 — Cass., Civ. 1re, 30 sept. 67-69
2001. — Cass., Civ. 1re, 23 janv. 40 § 1 §9
et § 7 — CJCE, 5 nov. 50 § 2
— Cass., Civ. 1re, 6 mars 36 § 8; 2003. — Cass., Civ. 1re, 28 janv. (ép. L.-
82-83 § 18 G.) 41 § 10, 45 § 1, 46 § 10,
— CJCE, 15 mars 53 § 14 70 § 17
— Cass., Civ. 1re, 3 avr. 74-78 — Cass., Civ. 1re, 28 janv. (Justin
§ 21; 82-83 § 5 S. Colin) 82-83 § 7
— Bordeaux, 9 mai 30-31 § 12 — CEDH, 13 févr. 80-81 § 17
— Cass., Civ. 1re, 15 mai 35 § 7 — Cass., Com., 11 mars 82-83
— Cass., Civ. 1re, 29 mai 85-86 §7
§ 10 — Cass., Civ. 1re, 20 mai 49 § 5
— Cass., Com., 12 juin 84 § 9 — Cass., Civ. 1re, 3 juin (Soc. nat.
— Cass., Civ. 1re, 3 juill. 63-64 de Recouvrement) 36 § 3
§ 14 — Cass., Civ. 1re, 3 juin (Yassine)
— Cass., Civ. 1re, 12 juill. 43 § 6 82-83 § 18
— Cass., Civ. 1re, 12 juill. 19 § 5 — Cass., Civ. 1re, 3 juin (Sachse)
— Cass., Crim., 5 sept. 15 § 7 82-83 § 18
— Cass., Civ. 1re, 2 oct. (no 235) — Cass., Ch. mixte, 20 juin 47 § 7
46 § 8 — Cass., Com., 8 juill. 50 § 2
— Cass., Civ. 1re, 2 oct. (no 236) — Cass., Civ. 1re, 9 juill. 30-31
49 § 5 §9
— Cass., Soc. 9 oct. 47 § 3 — Versailles, 4 sept. 50 § 4
— Bordeaux, 19 oct. 30-31 § 12 — Cass., Civ. 1re, 30 sept.
— Cass., Civ. 1re, 20 oct. 49 § 5 (Fanucci) 19 § 10
— Paris, 25 oct. 54 § 7 — Cass., Civ. 1re, 30 sept. (de
— Dijon, 30 oct. 26 § 14 Paepe) 19 § 5, 36 § 3
— Paris 13 déc. 63-64 § 14 — Cass., Civ. 1re, 30 sept. 67-69
2002. — Orléans, 24 janvier 45 § 7 §9
— Cass., Com, 5 févr. 82-83 § 7 — CJCE, 2 oct., 46 § 11
— Cass., Civ. 1re, 19 févr., 71 § 2 — Cass., Civ. 1re, 28 oct. 19 § 6
— Chambéry, 25 févr. 15 § 7 — Cass., Civ. 1re, 13 nov. 82-83
— Cass., Civ. 2e, 4 mars 63-43 § 8 et § 18
§ 14 — Cass., Civ. 1re, 25 nov. 35 § 7
— Cass., Civ. 1re, 5 mars 19 § 6 — Cass., Civ. 1re, 9 déc. 49 § 5;
— Cass., Civ. 2e, 14 mars 41 § 10; 87 § 6
46 § 9; 63-64 § 15 — Cass., Civ. 1re, 9 déc. 74-78
— Cass., Civ. 1re, 28 mai (Cimat) § 12
44 § 3 2004. — Cass., Civ. 1re, 6 janv. 15 § 8
— Cass., Civ. 1re, 28 mai (Con- — Cass., Civ. 1re, 14 janv. 40 § 8,
sorts Daninos) 47 § 6 53 § 4
784 INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS

— Cass., Civ. 1re, 3 févr. 26 § 14, — Cass., Civ. 1re, 18 mai 55-56
53 § 4 § 19
— Cass., Civ. 1re, 17 févr.* 19 § 11, — T. com. Nanterre, 19 mai 50
26 § 12, 41 § 8, 64* §4
— Cass., Civ. 1re, 17 févr. 45 § 7 — Cass., Civ. 1re, 31 mai 74-78
— Cass., Civ. 1re, 30 mars 41 § 21 § 12
— Cass., Civ. 1re, 30 mars 22 § 18 — Cass., Civ. 1re, 14 juin 55-56
— Cass., Civ. 1re, 30 mars (Soc. § 19; 74-78 § 16
Uni Kod) 44 § 3 — Cass., Civ. 1re, 28 juin (Aubin)
— Cass., Civ. 1re, 27 avr. (dame El 74-78 § 21, 82-83 F, § 2, § 7
B.) 38-39 § 5 — Cass., Com., 28 juin (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 27 avr. (Coti- Itraco) 19 § 8 et § 9; 32-34
gny) 47 § 3 § 17; 74-78 § 21; 83*; 84 § 9
— Amiens, 5 mai 67-69 § 11 — Cass., Civ. 1re, 6 juill. (Golds-
— Cass., Civ. 1re, 12 mai 70 § 16 hani) 44 § 3
— Cass., Civ. 2e, 3 juin 53 § 4 — Cass., Civ. 1re, 4 oct. 72 § 7
— Cons. Const., 10 juin 85-86 § 6 — Cass., Civ. 1re, 21 sept. 16 § 2
— Cons. Const., 1er juill. 85-86 — Cass., Civ. 1re, 25 oct. (Boua-
§6 lem) 45 § 7
— Paris, 22 sept. 51 F — Cass., Civ. 1re, 25 oct. (El W.)
— Cass., Civ. 1re, 19 oct. 30-31 45 § 9, 63-64 § 15
§ 12 — Cass., Civ. 1re, 22 nov. (Cor-
— Cass., Civ. 1re, 19 oct. 53 § 4 bier) 45 § 7
— Cass., Civ. 1re, 16 nov. 15 § 8 — Cass., Civ. 1re, 22 nov. (de
— Cons. const., 19 nov. 85-86 § 6 Ganay) 82-83 § 18
— Cass., Crim. 23 nov. 47 § 9 — Cass., Civ. 1re, 22 nov. (Hami-
— Cass., Civ. 1re, 14 déc. dou) 15 § 8
(Assinco) 43 § 4, — Cass., Civ. 1re, 22 nov.
— Cass., Civ. 1re, 14 déc. 54 § 7 (Zahzouh) 15 § 8
2005. — Cass., Civ. 1re, 11 janv. (Bar- — Cass., Civ. 1re, 22 nov. (Zedou-
luschke) 74-78 § 21; 82-83 fane) 74-78 § 16
§5 — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (Comp-
— Cass., Civ. 1re, 25 janv. (Van toir Commercial d’Orient)
Dongen) 15 § 14; 82-83 § 8 82-83 § 6
— Cass., Civ. 1re, 25 janv. (Rép. — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (Dynar-
démocratique du Congo) 65- gie France) 82-83 § 18
66 § 9 — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (Soc.
— Cass., Civ. 1re, 25 janv. 67-69 Nestlé France) 36 § 6 et § 10,
§9 54 § 4
— Cass., Civ. 1re, 22 févr. 37 § 12 — Cass., Civ. 1re, 6 déc. (Ep.
— Cass., C iv. 1re, 22 févr. (Soc. Zajdner), 87 § 6 et § 12
ABCI) 43 § 3 2006. — Cass., Civ. 1re, 3 janv. 45 § 9;
— Cass., C iv. 1re, 22 févr. (MAIF) 63-64 § 15
84 § 5 — Cass., Civ. 1re, 17 janv. 70 § 16
— Cass., Civ. 1re, 8 mars 67-69 — Cass., Civ. 1re, 31 janv. 15 § 8
§9 — Cass., Civ. 1re, 14 févr. (Brianti)
— Cass., Civ. 1re, 18 mai (Bent- 36 § 6 et § 10; 82-83 § 15
chikou) 18 § 4 et § 18
INDEX CHRONOLOGIQUE DES ARRÊTS 785

— Cass., Civ. 1re, 14 févr. (D. & — Cass., Civ. 1re, 23 mai (Viénot)
J. Sporting) 82-83 § 18 15 § 14
— Cass., Civ. 1re, 28 mars 49 § 5; — Cass., Civ. 1re, 7 juin 74-78
70 § 16 et § 17 § 16
— CJCE, 2 mai 50 § 4 — Cass., Civ. 1re, 20 juin
— Cass., Civ. 1re, 10 mai (Enfant (Boudaih) 63-64 § 15
Léana-Myriam) 17 § 7 — Cass., Civ. 1re, 20 juin
— Cass., Civ. 1re, 10 mai (Itchir) (Bouhdayd) 63-64 § 15
63-64 § 15; 70 § 16 — Cass., Civ. 1re, 20 juin
— Cass., Civ. 1re, 23 mai (Prieur)* (Wildenstein) 16 § 4
45 § 1; 46 § 8; 49 § 4; 54 § 7; — Cass., Civ. 1re, 4 juill. 41 § 10;
70 § 12; 87* 87 § 14
INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS

Les chiffres en gras correspondent au numéro d’ordre des grands arrêts


reproduits et commentés. Les chiffres en maigre précédés du signe (§) ren-
voient aux numéros de paragraphes à l’intérieur des commentaires. La let-
tre F renvoie à l’exposé des faits.
Les arrêts reproduits et commentés sont signalés par un astérisque.

A B

Abadou : 82-83 § 2, § 15 Baaziz : 6 § 10; 17 § 7; 30-31 § 5


Adao : 15 § 7 et § 8 Babcock : v. Jackson 19 § 3
Agent judiciaire du Trésor : 47 § 9 Bach : 10 § 18 ; 24-25 § 1 ; 26 § 11 ; 41
Aït Kaci : 80-81 § 17 § 8; 57 § 4
Alary : 32-34 § 5 Bachir* : 41 § 4; 43 § 6; 45*; 49 § 4; 54
§ 5; 70 § 3 et § 10; 72 § 9
Albrecht : 38-39 § 15
Ballestrero : 3 § 10; 16 § 4, § 5 et § 8
Ali Abed : 20 § 4
Balsan : 51 § 2
Ali Khan (Prince) : 41 § 23; 70 § 5 Banque Africaine de Développement* :
Allard : 72 § 10 55-56 § 19; 79 § 4; 81*
American Trading Co* : 3 § 7 ; 11* ; Banque Camerounaise de Développe-
15 § 2 ; 15 § 5 et § 6 ; 22 § 1 ; 35 § 2, ment : 59-60 § 6
§ 3 et § 5; 38-39 § 11; 50 § 4 Banque de Petrograd : 38-39 § 15
Ameur : 21 § 8; 74-78 § 3 et § 4 Banque d’Italie : 2 § 10; 87 § 4 et § 5
Ammache : 19 § 9; 74-78 § 21 Banque du Japon : 47 § 3 et § 8
Amigues : v. Kieger Banque internationale de l’Afrique
Amoussou : 15 § 8 occidentale : 87 § 5 et § 14
Andalaft : 15 § 7 Banque internationale de l’industrie
Antoniotti : 32-34 § 16 de Guinée : 50 § 2
Aquarone : 55-56 § 10 Banque ottomane : 22 § 14; 23 § 4
Arblade : 53 § 8 et § 9; 55-56 § 16 Banque Sud Belge : 15 § 10; 53 § 14
Banque veuve Morin Pons : 19 § 4;
Arpels : 32-34 § 16
38-39 § 15
Arrighi : 55-56 § 11 Banque Worms : 82-83 § 7
Atlantic Triton : 80-81 § 4 Bao Daï : 74-78 § 21; 82-83 § 5
Attouchi : 32-34 § 5; 82-83 § 3 Baranes : 15 § 8
Aubin : 82-83 F § 2, § 7 et § 9 Barcelo Mercader : 74-78 § 3 et § 4
Audouze (époux) : 53 § 16; 58 § 6 Barcelona Traction : 50 § 4 et § 13
Avci : 19 § 11; 74-78 § 7 Barluschke : 74-78 § 21; 82-83 § 5 et § 13
788 INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS

Barrau : 15 § 7 Bourbon-Parme :
Bartholo* : 7-8 § 2, § 5 et § 6 ; 9* ; 23 v. Chateau de Chambord
§ 1; 27 § 2 et § 7; 37 § 5 Boureghda : 15 § 7
Bastia : 36 § 10 Brajeul : 19 § 12
Bauffremont (Princesse de)* : 6* ; 41 Brianti : 82-83 § 15 et § 18
§9 Brunswick (Duc de –) : 2 § 12
Baumann : 41 § 8; 45 § 7 Bulkley* : 2 § 1 et § 8; 4*; 10 § 2; 26 F;
Bayar : 41 § 7 et § 17 26 § 11; 41 § 7; 45 § 3
Bazbaz* : 28 § 3; v. aussi Moreau (veuve) Burguière : 4 § 7
BCCI c. Prabhu : 24-25 § 10 Burnett : 20 § 4
Beauchamp (veuve) : 42 § 9 Busqueta* : 1* ; 5 § 2 ; 10 § 2 ; 14 F ;
Beaumartin : 80-81 § 14 14 § 3; 18 § 4; 27 § 5; 53 § 18
Butez : 46 § 5
Bec Frères : 44 § 7
Buzyn : 36 § 10
Belaïd A. : 6 § 7 ; 32-34 § 10 et § 16 ;
78*; 82-83 § 12; 84 § 5 et § 10
Bellatrèche : 15 § 8 C
Benabdesslam : 10 § 14 Cader : 41 § 10
Ben Attar : 7-8 § 6 Cafés Jacques Vabre :
Bendeddouche (dame)* : 14 § 4 ; 26 v. Jacques Vabre
§ 11; 27 § 16; 30-31 § 12; 61* Caiato : 35 § 7; 84 § 4
Bendern (de) (dame) : 37 § 8 et § 11 Calberson : 82-83 § 5 et § 12
Bentchikou : 18 § 4 Caldumbide : 80-81 § 4
Benvenuti et Bonfant : 65-66 § 3 et § 11 Camara : 46 § 10
Bertoncini* : 34* ; 74-78 § 13 ; 82-83 Cametz : 11 § 9
§ 18 Campbell Johnston* : 3 § 7; 15 § 3
Besnard : 82-83 § 8 et § 10; 26 § 7; 29 § 6; 42*
Bettahar : 29 § 3 Camus : 41 § 20; 45 § 11
Bezzaï-Dalle : 15 § 7 et § 8 Canal : 55-56 § 11
BICIC : 82-83 § 6 Canovas Gutierrez : 26 § 8
Bielsky : 24-25 § 5 Caraslanis* : 7-8 § 2 ; 7-8 § 3 ; 9 § 4 ;
Birchall : 7 § 16; 9 § 7 9 § 7; 9 § 8; 23 § 1; 27*; 29 § 1, § 3
Bisbal* : 5 § 5; 6 § 4 et § 7; 19 § 8; 26 et § 5; 42 § 2; 53 § 5
§ 5 ; 32* ; 42 § 9 ; 45 § 4 ; 74-78 § 2, Carathéodory (veuve) : 11 § 6
§ 5, § 6, § 13, § 15 et § 18; 82-83 § 18; Caratier Terrasson (veuve) : 65-66 § 4
84 § 3 et § 5 Caron (Civ. 1re, 20 mars 1985) : 4 § 6;
6 § 4 et § 14
Boisdet : 55-56 § 10
Caron (Paris, 23 janv. 1990) : 84 § 4
Boll : 53 § 8; 74-78 § 12
et § 13
Bonar /d’Hervas : 1 § 7 Cassan : 53 § 16
Bonnereau : 63-64 § 2 CAVNOS : 65-66 § 6
Bonnet (consorts) : 49 § 3 CCRMA* : 50*; 53 § 5
Bonnevide (Delle) : 18 § 4 Centros : 50 § 2
Bonomo (Civ. 3 mars 1970) : 18 § 4 Chant du Monde (Le) : 20 § 4
Bonomo (Civ. 19 mars 1973) : 62 § 3 Charlie Chaplin* : 3 § 7 ; 11 § 5; 40*;
Boualem : 45 § 7 51 § 11
Boudaih : 63-64 § 14 Charr : 2 § 11; 10 § 18; 41 § 1 et 2
Bouhdayd : 63-64 § 14 Chassagne : 80-81 § 4
Boumaza : Château de Chambord* : 3 § 7; 3 § 10;
v. Bendeddouche 5 § 3; 14*
INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS 789

Chelly : 38-39 § 13 Cressot : 15 § 10; 26 § 8; 53 § 2 et § 13;


Chemins de Fer de l’Est : 11 § 4 54 § 14
Chemins de Fer iraniens : Crotat (de) (dame) : 3 § 8; 5 § 3;
v. Soc. Levant Express 38-39 § 12
Chemins de Fer portugais : 4 § 11; Cubatabaco : 13 § 4; 58 § 6
24-25 § 1; 57 § 5
Chemouni* : 26 § 11; 29 § 1; 30*; 31*; D
48 § 9; 61 § 6
Chemouny* : D. & J. Sporting (2002) : 82-83 § 5 et
§ 18
v. Cie Algérienne de Crédit et de Banque
D. & J. Sporting (2006) : 82-83 § 18
Cie Air Algérie : 47 § 3
Dahar : 63-64 § 5 et § 11
Cie Algérienne de Crédit et de Banque* :
Daim : 15 § 7; 15 § 8
6 § 7 ; 33* ; 72 § 9 ; 74-78 F, § 1 et Daisytec : 50 § 4
§ 13; 82-83 § 5 et § 18; 84 § 3 et § 5 Dambricourt : 22 § 18; 72 § 3
Cie Alliance : 72 § 11 Daninos (Consorts) : 47 § 6
Cie de Signaux et d’Entreprises élec- Darmouni : 82-83 § 15
triques* : 37 § 8; 70 § 14; 71 § 5; 72* Dartois : 42 § 7 et § 9
Cie du Britannia : 49 § 3 De Baat : 84 § 4
Cie Européenne des Pétroles : 53 § 18 Degano : 15 § 7
Cie Française de l’Afrique Occidentale : Dehaut : 37 § 5
22 § 13 De Itturalde de Pedro : 12 § 4; 26 § 12;
Cie Française de Navigation Cyprien 38-39 § 9; 72 § 9
Fabre : 49 § 6; 59-60 § 3 Del Torchio : 26 § 4
Cie Internationale des Wagons-lits* : Denney : 32-34 § 16
5 § 8; 22 § 7; 27 § 14; 35 § 5; 44 § 11; De Paepe : 19 § 5; 36 § 3; 82-83 § 18
53*; 72 § 9 Desprades : 6 § 3
Cie La Métropole* : 43*; 49 § 4; 87 § 2 Diarro : 15 § 14
Cie Péninsulaire et Orientale de Lon- Diermeier : 15 § 8
dres : 11 § 4 Djenangi : 61 § 5; 82-83 § 4
Cie Rhin et Moselle : 82-83 § 3 Domeyne : 19 § 5
Cie Royale Belge : 74-78 § 21 ; 82-83 Douibi : 63-64 § 13
§ 5 et § 13 Domino : 57 § 3
Cimat : 44 § 3 Donadoni : 15 § 7
Clerget : 65-66 § 6, § 7 et § 9 Drichemont : 41 § 8
Comptoir Commercial d’Orient : 82- Driss Abdou : 49 § 5; 74-78 § 7;
83 § 6 82-83 § 2 et § 12
Conserveries Lenzbourg : 50 § 3 Duclairoire : 71 § 3; 87 § 8
Corbier : 45 § 7 Dudu-Loviau : 15 § 14
Dugied : 20 § 4
Corcos : 26 § 4; 67-69 § 4
Dujaque : 46 § 5 et § 9
Corporacion del Cobre : 13 § 3
Dulles : 15 § 7
Costa : 55-56 § 8
Dumez GTM : 65-66 § 11
Cotigny : 47 § 3 Duvalier : 79 § 2
Cottan : 12 § 2
Coucke : 19 § 8; 36 § 3; 74-78 § 20;
E
82-83 § 8, § 12 et § 16
Cousin de Lavallière : 30-31 § 4 Eckensberger : 18 § 4; 61 § 9
Courvoisier : 4 § 9 El Kharoumi : 67-69 § 12
Craven : 48 § 4 El W. (dame) : 45 § 9
790 INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS

Emprunts Serbes et Brésiliens : 22 § 6 GAN : 19 § 11


E.-M.-C. : 64* Garcia Avello : 46 § 11
Enfant Viola : 87 § 15 Garcia Fuentés : 27 § 14
Englander : 65-66 § 6 et § 9 Garino : 24-25 § 6 et § 10
Équille : 4 § 7 Gatoil : 44 § 7
Equitania : 54 § 7 Gaudin : 40 § 3
État du Pakistan : 47 § 6 General National Maritime : 47 § 6 et
Ettouhami : 28 § 2 §7
Eurocontrol : 79 § 11 Ghattas : 27 § 15; 38-39 § 8
Eurodif* : 47 § 7; 65* Ghyka (Prince) : 18 § 3; 37 § 5
Eurofood IFSC : 50 § 4 Giglio : 12 § 2
Europe Aéro Service : 43 § 4 et § 7 Giroux : 6 § 8 ; 23 § 4 ; 24-25 § 1 ; 41
Extraco : 50 § 2 § 10; 70 § 7
GISTI* : 80*
F Gosset : 22 § 18; 44 § 3
Gouthertz* : 16 § 7; 21 § 9; 23 § 7; 51*
Fairhurst* : v. Simitch
Gouvernement Espagnol c/Casaux :
Fanthou : 69*
47 § 2
Fanucci : 19 § 11
Graf : 50 § 3
Farouk (Prince) : 5 § 5
Grande Vinaigrerie oranaise : 50 § 7
Favreau : 6 § 8 ; 23 § 4 ; 24-25 § 1 ;
Grands Comptoirs français de
41 § 10; 70 § 7
Djibouti : 72 § 5
Fayeulle : 30-31 § 9; 38-39 § 10; 57 § 4
Grech : 18 § 3
Ferrari* : 12*; 17 § 3; 26 F; 26.3;
38-39 § 9 Gros : 22 § 18
Ferrer y Vidal : v. Moens Guarte : 10 § 14
Ferroudji : 63-65 § 5 Guesnot : 20 § 4
Filippi : 54 § 10; 54 § 13; 70 § 17 Guichard : 49 § 6
Fiocca : 6 § 7 Gunzburg (de) : 6 § 8; 41 § 10; 70 § 4
Fiona Shevill : 19 § 6
Fitzgerald : 2 § 9 H
Fontaine c. Pulteney : 12 § 3 ; 17* ; 21
Hainard; 10 § 14
§ 2 et § 5; 49 § 3
Hamidou : 15 § 8
Fontaine (époux) : 15 § 13
Harris : 37 § 5
Forest : 45 § 7
Forgo* : 6 § 1; 7-8*; 9 § 7; 16 F; 16 § 1; Hasenpouth : 21 § 5
16 § 4; 18 § 3; 27 § 5; 51 § 6 Hassain : 28 § 2
Fourrures Renel* : 11 § 10 ; 15 § 2 et Hecht : 22 § 17; 44 § 3; 72 § 4 et § 11
§ 6; 35*; 42 § 3; 50 § 4; 72 § 9 Henrich : 17 § 5 ; 17 § 6 ; 21 § 2 ; 26
Fraisse* : 86* § 11; 57 § 5
Fraix : 15 § 5 et § 12 Hertzfeld : 2 § 10
François : 37 § 5 Hewett : 15 § 14; 51 § 8
Franzy : 38-39 § 5 Hilmarton : 38-39 § 5
Friedmann (consorts) : 80-81 § 5 Hocke : 36 § 8; 82-83 § 12
Frost : 42 § 7, § 8 et § 9 Hohenzollern : 28 § 4; 38-39 § 4 et § 6;
41 § 1; 45 § 7; 62 § 3
G Holker : v. Parker 2 F
Horn y Prado : 19 § 6
Galakis* : 22 § 7, § 9 et § 18; 44*; Hublin : 57 § 4
53 § 10; 65-66 § 4; 72 § 11 Hugde : 37 § 5
INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS 791

Humbert : 80-81 § 6 Kryla : 57 § 4; 80-81 § 17


Huret : 54 § 3 Kubicka : 15 § 8
Huston (Consorts) : 53 § 2 et § 4
Hyde : v. Hyde 30-31 § 4 L

I Labedan* : 3 § 8; 7-8 F; 15 § 3; 18*;


40 § 6; 42 § 4
Ibrahim Hilmy (Prince) : 42 § 4 et § 7 Laflère : 87 § 4
Igoa-Etchebarren : 16 F L’Alliance Africaine : 82-83 § 5
Imbach : 38-39 § 15 Lamet : 73 § 3
Imhoos : 32-34 § 5; 46 § 2; 62 § 5; La Préservatrice Foncière : 74-78 § 7;
82-83 § 3 82-83 § 5
Impex : 22 § 18 Lardans : 51 § 2
Indyka : v. Indyka 70 § 6 La Ropit* : 13*; 58 § 1 et § 4
Ingmar GB Ltd : 53 § 14 Laruelle et Delville : 79 § 12
Inspire Art : 50 § 2 Lasserre : 54 § 7
Insurance Company of North Lautour* : 19*; 32-34 § 1, § 3 et § 16;
America : 72 § 5 57 § 2; 74-78 § 4; 82-83 F, § 3 et § 4
Isaac : 9 § 2 Lavie : 45 § 7
Itchir : 70 § 16 Lefait* : 1 § 3; 18 § 3; 20*; 37 § 4 et § 5
Le Goaster : 10 § 12, § 13 et § 14;
J 24-25 § 2; 45 § 7
Lemaire : 24-25 § 1; 38-39 § 6; 41 § 8;
Jacob (B.) : 82-83 § 7 41 § 10; 70 § 17
Jacques Vabre : 55*; 74-78 § 11;
Le Meilleur : 40 § 1 et § 7
85-86 § 2 et § 4
Lenten c. Vigouroux : 32-34 § 15
Jakowski : 4 § 9
Léonard : v. Favreau.
Jeannin : 18 § 3
Leppert* : 16 § 8; 51 § 13; 73*
Jenner (dame) : 50 § 7
Lestrade de Kyvon : 2 § 11; 45 § 4
Juno : 10 § 15
Levinçon : 27 § 12
Justin S. Colin : 82-83 § 7
L.-G. (ép.) : 41 § 10, 45 § 1; 46 § 10;
70 § 17
K
Lewandowski : 26 § 4
Kaiser de Meden : 52 § 7 Liou-Sang (consorts) : 14 § 6; 36 § 4;
Kantoor de Mas : 48 § 4, § 6 et § 15 62 § 3
Karl Ibold GmbH : 84 § 5 Liss : 51 § 8
Kasapyan* : 1 § 6 ; 46* ; 50 § 13 ; 87 Lizardi* : 1 § 4; 5*; 44 § 3 et § 9; 48 § 7
§ 10 Lloris : 38-39 § 15
Kaspar : 28 § 2 Loesch : 41 § 8; 45 § 4
Keller Grundbau GmbH : 72 § 7 Lorenzon : 15 § 13
Kenny : 16 § 2 Loriol (de) : 61 § 3
KFTCIC : 23 § 18; 44 § 7 Lounis : 46 § 3
Kieger : 19 § 4, § 10 et § 12 Luccantoni : 19 § 4
Kirke Paulding (dame) : 37 § 5 Lundwall : 41 § 8; 70 § 5
Klein : 42 § 4 et § 9
Koehler : 37 § 5 M
Kolin (Vve) : 41 § 19
Koné : 85-86 § 5 M. A. A. F. : 45 § 14
Kourbatoff : 71 § 2 Mac Donald : 45 § 13
792 INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS

Machet* : 16 § 4; 23*; 38-39 F; 41 § 7; Moeller : 53 § 2


51 § 7 Moens : 26 § 7; 36 § 4 et § 9; 62 § 3
Mack Trucks : 70 § 6, § 7 et § 8 Montcho : 30-31 § 12
MAIF : 84 § 5 Montefiore* : 32-34 § 1 ; 36* ; 62 § 3 ;
Mailian : 45 § 15; 70 § 16 82-83 § 18
Mailliez : 45 § 7 et § 9 Monnet : 20 § 4
Makhlouf (1992) : 82-83 § 2 et § 12 Moquin : 53 § 14
Makhlouf (1998) : 28 § 4 Moreau* (veuve) : 28*; 29 § 6;
Mancini : 6 § 7; 12 § 2 38-39 § 15; 42 § 9
Marbury : v. Madison 55-56 § 7 Moritz : 79 § 12
Marchesi : 28 § 3 Mount Florence : 37 § 4
Marchi (de)* : 7-8 § 7; 16*; 23 § 6; Moureau : 82-83 § 18
38-39 § 8; 62 § 3 Muller : 57 § 4
Marckx : 62 § 2 Munzer* : 2 § 1; 2 § 11; 10 § 1 et § 18;
Mardelé : 22 § 18; 72 § 3 16 § 4; 23 § 8; 26 § 11; 38-39 § 4
Mari : 15 § 7; 51 § 5 et § 10; 41*; 45 § 1 et § 6; 54 § 9
Marret* : 45 § 14; 57* et § 12
Martinelli : 46 § 3 Mutuelle du Mans :
Mary Bryan : 4 § 9
v. Soc. Mutuelle du Mans
Massine : 51 § 8; 82-83 § 15
Myrtoon Steamship : 44 § 3; 44 § 5
Mathis : 55-56 § 3
Maurigarment Trading and Marketing
Ltd : 54 § 4, § 9 et § 14 N
Mayer : 22 § 19
Nagalingampoullé : 49 § 6
Mayol Arbona : 22 § 17; 46 § 7; 50 § 9
Naitouakla : 15 § 7
et § 12
Nassar : 35 § 4
Mazzoleni : 53 § 14; 55-56 § 16
Mebtouche : 18 § 4 Nassibian* : 49 § 4; 59*
Meder : 15 § 14 Nationalisations algériennes : 13 § 3 et
Meglio : 22 § 18; 44 § 3 §8
Melizet : 18 § 3 Negrotto : 10 § 15; 38-39 § 5; 45 § 7;
Melkonian : 15 § 7 54 § 9
Méridien Breckwoldt : 59-60 § 9 Neumeier : v. Kuehne 19 § 4
Merzouk : 15 § 7 Ngo Thi Hoa : 80-81 § 11
Mesquita : 82-83 § 5 et § 18 N’Guyen : 80-81 § 17
Messageries Maritimes* : 11 § 6, § 8 Nicolo* : 56*; 74-78 § 11; 85-86 § 2 et
et § 11 ; 22* ; 35 § 5 ; 44 § 3, § 6 et §4
§ 11; 53 § 10 Nolan : 46 § 8
Merzouk : 15 § 7
Metz : 15 § 13 et § 14 O
MG Rover : 50 § 4
Micheletti : 46 § 3 Office municipal de la Jeunesse
Michelin : 15 § 7 de Cassel : 45 § 7
Mihaesco : 21 § 3 Olivier : 36 § 10
Missouni : 87 § 1 Optelec : 35 § 7
Mitelet : 4 § 7 Orsini : 21 § 3
Moatti : 16 § 3 et § 4; 23 § 4; 51 § 11 Ortiz-Estacio* : 41 § 1; 57 § 5; 62*
Mobil North Sea Ltd : Ottaviani : 15 § 7
v. Soc. Mobil NSL Ovel : 87 § 4
INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS 793

P République démocratique du Congo :


65-66 § 9
P. (Mlle) c/H : 38-39 § 15 République d’Estonie : 47 § 6
Pahud : 15 § 14 République du Guatemala* : 53 § 15 ;
Parker* : 2*; 4 § 1, § 3, § 4 et § 10; 79*
10 § 2; 10 § 10; 10 § 17; 87 § 4 République fédérale de Yougoslavie :
Parretti : 24-25 § 5 et § 8; 41 § 23; 45 § 7 47 § 6
Pastre : 12 § 6 Reyes : 79 § 13
Patiño (Civ. 21 juin 1948) : 37 § 3 Rezki : 9 § 2
et § 5; 38-39 F; 71 § 2 Riaki : 27 § 15; 30-31 § 12
Patiño (Paris, 7 juill. 1954) : 23 § 3; Richmond (de) (duc) : 80-81 § 4
38-39 F; 38-39 § 2 Rivière* : 1 § 5 ; 4 § 1 et § 9 ; 10 § 18 ;
Patiño (Civ. 15 mai 1963, 1er arrêt)* : 12 § 3 et § 4; 14 § 4; 15 § 3; 17 § 3
16 § 4; 38*; 41 § 21; 54 § 6 et § 5 ; 26* ; 28 § 2 ; 30-31 § 6 ; 37
Patiño (Civ. 15 mai 1963, 2e arrêt)* : § 10; 41 § 7; 42 § 5; 45 § 8; 46 F; 62
5 § 3; 14 § 5; 15 § 12; 28 § 4; 29 § 6; § 3; 63-64 § 2
39*; 45 § 7; 48 § 9 Rodriguez (veuve) : 53 § 2
Patiño (Civ. 1re, 4 mars 1969) : 15 § 13 Rohbi* : 19 § 10; 26 § 12; 41 § 7; 63*
Pays-Fourvel : 19 § 6 Rohmann : 57 § 4
Pearsh : 3 § 10 Roho : 32-34 § 12 ; 74-78 § 13 ; 84 § 4,
Pehrsson : 70 § 17 § 6, § 7 et § 13
Pelassa : 37 § 6 Rossi : 21 § 8
Pelissier du Besset : 22 § 12 Rothman : 55-56 § 10
Peugeot : 82-83 § 15 Rougeron (Civ. 16 juin 1959) : 49 § 3
Picasso de Oyague : 47 § 6 Rougeron (Civ. 19 juin 1963) : 18 § 4
Picinelli : 19 § 12 Rouquaud : 40 § 7
Pierucci : 40 § 6 et § 7; 51 § 11 Roure : 21 § 3
Pistre* : 68* Royal Dutch : 13 § 10; 53 § 16; 58 § 4;
Pommereuil (de) : 40.§ 3 74 § 13
Ponnoucannamale : 14 § 4; 61 § 2, § 3, Ruffini : 9 § 2
§ 5 et § 9
Pordea : 45 § 9 S
Potasas Ibericas : 13 § 3, § 6 et § 10;
58 § 6 Saccone : 36 § 10
Potocki : 59-60 § 5 Saclier : 17 § 5
Prevost : 11 § 10 Saggioriato : 15 § 10
Prieur* : 45 § 1; 46 § 8; 49 § 4; 54 § 7; Saignie : 47 § 3
70 § 12; 87* San Carlo : 44 § 9
Sarra Garriga : 80-81 § 10
R Sarran* : 85*
Sarkis : 74-78 § 6
Rafidain Bank : 72 § 6 Schabel : 10 § 18; 24-25 § 1; 26 § 11;
Rawane-Boye : 80-81 § 4 et § 5 41 § 8; 57 § 4
Rebouh* : 32-34 § 1 et § 16; 74*; 82-83 Scheffel* : 9 § 2 ; 30-31 § 9 ; 37* ; 38-
§ 2 et § 12; 84 § 4 et § 12 39 F ; 47 § 6 ; 49 § 3 ; 59-60 § 8 ; 70
Rekhou : 80-81 § 17 § 6; 71 § 2; 72 § 4
Renault : 22 § 18; 44 § 3 Scherk : 72 § 4
Renoir : 24-25 § 2 Schule* : 32-34 § 1; 75*; 82-83 § 2
Représentation commerciale des et § 12; 84 § 4 et § 12
Soviets : 47 § 2 Schwebel : v. Ungar 23 § 9
794 INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS

Sebaoum : 18 § 3 Soc. des Fourrures Renel* :


Sefiani : 45 § 9 v. Fourrures Renel
SEIA : 53 § 4 Soc. des Tabacs et Allumettes : 38-39
Sellam : 38-39 § 10 § 15
Sempère : 45 § 14 Soc. des Travaux d’Outre-Mer : 72
Senoussi : 70 § 17 § 10
Sfez c/Cohen : 19 § 9; 82-83 § 1-5 Soc. DIAC* : 5 § 6; 38-39 § 17; 48*
Shapiro : 4 § 7 Soc. Ejendomsselskabet : 50 § 13
Siaci : 43 § 6; 72 § 4 Soc. Eurodif* :
Sidi Belkassem : 14 § 5 v. Eurodif
Silva Fernandez : 82-83 § 6 Soc. General Accident : 5 § 9
Silvia* : 5 § 3; 7-8 § 3; 9 § 8; 26 § 7; Soc. Geoservices International : 53 § 4
27 § 5; 28 § 4; 29*; 30-31 § 4;
Soc. Gordon and Breach : 19 § 6
38-39 § 15 et § 16; 42 § 2
Soc. Guy Couach Plascoa : 43 § 5
Simitch* : 41 § 6 et § 13; 49 § 7; 54 § 5;
70*; 72 § 2, § 3, § 9 et § 10 Soc. Hannover Int.* : 32-34 § 8 et § 12;
Simmenthal : 55-56 § 8 74-78 § 19; 82-83 § 6; 84*
Sisro : 19 § 6 Soc. H. D. W. : 82-83 § 6
Smith (B) : 53 § 17 Soc. Heinrich Otto : 48 § 8
Soc. ABCI : 43 § 3 Soc. Hermann : 4 § 7
Soc. Africatours : 36 § 6, § 8 et § 9; Soc. Hilmarton : 38-39 § 5
82-83 § 18 Soc. Himalaya Cosmetics : 45 § 7
Soc. Agora Sopha : 16 § 4; 74-75 § 19; Soc. Intercomi : 45 § 1; 49 § 5; 87 § 13
82-83 § 5 Soc. Internationale de Plantations
Soc. Air Afrique : 24-25 § 4, § 6 et § 8; d’Hévéas : 13 § 1; 47 § 4; 47 § 6
53 § 12; 72 § 10 Soc. Interpart : 50 § 9 et § 13
Soc. Alfa Laval Paris : 7-8 § 5 Soc. Itraco* : 19 § 8 et § 9; 32-34 § 17; 83*
Soc. Alkhalaf : 19 § 9; 82-83 § 6 Soc. Jansen c. Soc. Heurtey : 11 § 6
Soc. Allium : 53 § 14 Soc. Klochner : 55-56 § 10
Soc. Ammann-Yanmar : 35 § 7 Soc. Lafarge : 6 § 2, § 8 et § 9 ; 24-25
Soc. Amerford* : 19 § 8; 32-34 § 1 § 5 et § 6
et § 16; 74-78 § 19; 82*; 84 § 13
Soc. Lavazza : 19 § 8; 32-34 § 1, § 16
Soc. Anc. Éts. Valla et Richard : 54 § 3 et § 17; 36 § 7 et § 8; 82-83 § 2, § 12
et 7
et § 18
Soc. Balenciaga : 19 § 9; 82-83 § 6
Soc. Levant Express* : 36 F; 47*;
Soc. Carrefour : 11 § 6
65-66 § 1 et § 10
Soc. Cartours : 80-81 § 4
Soc. Localease : 48 § 8
Soc. Céramiques culinaires : 44 § 10
Soc. Charlet : 45 § 15 Soc. Locautra : 10 § 13 et § 15; 54 § 10
Soc. Comanav : 72 § 6 Soc. Maglificio Pratesi : 84 § 9
Soc. Cognacs and Brandies from Soc. MAN : 32-34 § 16; 82-83 § 4
France* : 37 § 6; 49 § 4; 71*; 87 § 8 Soc. Masson : 82-83 § 4
Soc. Coveco* : 6 § 7; 32-34 § 1 et § 2; Soc. Méditerranéenne de Combusti-
41 § 8; 75*; 82-83 § 3; 84 F, § 5 bles* : 4 § 7; 13 § 6, § 8 et § 10; 58*
Soc. De Dietrich : 53 § 14 Soc. Menegatti (Civ. 1re, 18 déc. 1990) :
Soc. Delta Draht : 84 § 13 74-78 § 6 et § 10
Soc. Demart : 82-83 § 5 et § 12 Soc. Menegatti (Civ. 1re, 6 févr. 1996) :
Soc. DFC Groupe : 40 § 8; 53 § 4 44 § 10
Soc. Dumez GTM : 65-66 § 11 Soc. Mercator Press : 35 § 4; 53 § 14
INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS 795

Soc. Miniera di Fragne* : 38-39 § 5; Spira : 63-64 § 2


43 § 7; 54*; 87 § 15 Stanton : 71 § 1 et § 3
Soc. Mobil NSL (1997) : 7-8 § 5; 16 § 2; Staudenmayer : 53 § 14
38-39 § 15; 51 § 10 Stewart* : 3*; 7-8 F; 9 § 3; 14 F; 14 § 3;
Soc. Mobil NSL (1999) : 19 § 6 15 § 3; 16 F; 18 § 3 et § 6; 27 § 5; 48
Soc. Moureau : 36 § 9; 82-83 § 19 § 4; 61 F
Soc. Mutuelle du Mans* : 32-34 § 1 Strauss-Etlinger : 15 § 13
et § 10; 77*; 82-83 § 3; 84 § 5 et § 13 Stroganoff-Scherbatoff* : 4 § 7; 18 § 4;
Soc. nat. de Recouvrement : 36 § 3 52*
Soc. nat. iranienne de gaz : 47 § 3 Suissa : 37 § 4
Soc. Navrom Romania maritime Summers : 21 § 3
navigation : 65-66 § 11 Syndicat général des Fabricants de
Soc. Nederlandsche Middenstands semoules : 55-56 § 9
Financierings Bank N.V. : 48 § 8 et Szlapka : 4 § 7; 18 § 4 et § 5 et 6
§ 15
Soc. Nestlé France : 36 § 6; 54 § 14; T
82-83 § 18
Tangi : 15 § 8; 52 § 3
Soc. Oranit : 45 § 13
Tangy : 45 § 14
Soc. Overseas Apeco Ltd. : 50 § 5
Tapiero (Dame) : 70 § 16
Soc. Promocomex : 11 § 9 Tardieu : 11 § 6; 22 § 17
Soc. Ram Dis Ticaret : 82-83 § 16 Tarwid : 12 § 4; 26 § 5; 32-34 § 15
Soc. Remington typewriter : 50 § 5 The Arab Investment : 36 § 8 ; 82-83
Soc. Royal Air Maroc : 35 § 8 § 19
Soc. Sea Land Service : 82-83 § 5 Thelonious Monk : 4 § 7
Soc. Secil Maritima : 65-66 § 11 Tomatis : 21 § 2
Soc. Shell Berre : 50 § 5 et § 9 Torlet* : 26 § 8; 67*
Soc. Shell Française : 50 § 5 et § 9 Tonon : 41 § 23
Soc. Schenck Algérie : 45 § 12 Tordjemann : 45 § 7
Soc. Socma : 32-34 § 5; 82-83 § 6 Troeger (Delle) : 36 § 10
Soc. Sonatrach* : 66* Try : 42 § 7
Soc. Strojexport* : 59-60 F; 59-60 § 7
et § 10; 60* U
Soc. Sullivan Polynésie : 72 § 5
Soc. Thinet : 19 § 8; 32-34 § 5 et § 10; UAP c/Mainier : 19 § 9; 82-83 § 6
74-78 § 2; 82-83 F, § 3 UAP c/Zivkovic : 22 § 13
Soc. Thoresen Car Ferries : 53 § 12 Ueberseering : 50 § 2
Soc. Torfwerke Neuhaus GmbH : 19 Union démocratique du travail :
§5 55-56 § 9
Soc. Total Afrique : 13 § 4 et § 10 ; 58 Union et le Phénix espagnol (L’) :
§6 19 § 11
Soc. Uni Kod : 44 § 3 Urbain : 45 § 14; 70 § 7
Soc. Viuda de José Tolra : 5 § 9; 50 § 9
Soc. Wihl-Gammerbasch : 10 § 15; 54 V
§9
Soie artificielle (La) : 50 § 3 Valenciana : 22 § 10; 44 § 12
Soliman (dame) : 47 § 7 Valentinis : 30-31 § 9
Sommer : 16 § 3; 36 § 4 Van den Plassche : 38-39 § 9
Soulié : 7-8 § 6 Van Dongen : 15 § 14; 82-83 § 8
Specht : 16 F; 18 § 3; 37 § 5 Vanherke : 37 § 4
796 INDEX ALPHABÉTIQUE DES ARRÊTS

Vanquathem : 63-64 § 2 Wrède (de) (Prince)* : 2 § 1 et 2; 4 § 1


Vannoni : 49 § 7 et § 7; 10*; 24-25 § 1 et § 2; 26 F;
Verdier* : 12 § 3 ; 17 § 6 ; 21* ; 48 § 9 ; 38-39 § 2 et § 6; 41 § 1 et § 14; 45 § 3
48 § 10; 51 § 11; 62 § 6 et § 7; 54 § 9; 58 § 6
Vidal : 6 § 3 Wyse : 36 § 4
Viditz : 11 § 5; 40 § 4 et § 6
Vielle (John) : 71 § 2 Y
Viénot : 15 § 14
Villalonga : 32-34 § 5; 82-83 § 6 Yechilzuke : 26 § 5
Vorbe : 11 § 5 Yorkshire insurance company :
74-78 § 10
W
Z
Wahab (consorts) : 14 § 6
Wegmann : 19 § 6 Zagha :
Weiller* : 10 § 1; 24*; 25*; 45 § 7; v. Moatti
63-64 § 3 et § 10 Zahzouh : 15 § 8
Weiss* : 43 § 8; 45 § 9; 49*; 59-60 § 2; Zammaretti : 42 § 4 et § 7
70 § 12; 72 § 9; 87 § 7 Zanarelli : 53 § 14
Wenger : 49 § 6 Zapata : 72 § 4
Weyrich-Laroche : 26 § 7; 62 § 3 Zeiss : 13 § 10; 58 § 5
White : 74-78 § 21; 82-83 § 5, § 13 Zelcer* : 3 § 6; 15*; 38-39 § 11; 42 § 3;
Wildenstein : 16 § 4 51 § 1
Witschy : 21 § 5; 61 § 3 Zins : 10 § 14; 54 § 3
Woll : 42 § 4 Zvoristeanu : 28 § 2 et § 4
INDEX THÉMATIQUE

Les chiffres en gras correspondent au numéro d’ordre des grands arrêts


reproduits et commentés. Les chiffres en maigre renvoient aux numéros de
paragraphes à l’intérieur des commentaires.

A – succession : 61 § 2
Aliments :
Abordage : 32-34 § 15
v. Obligations alimentaires
Accession de territoire à l’indépen-
Antériorité de l’ordre interne par rap-
dance : 50 § 7
port à l’ordre international : 9 § 8;
Accident de la circulation routière :
27 § 7; 53 § 9; 85-86 § 8
19 § 5; 84 § 7
Anzilotti : 9 § 8
Accord procédural : 84 § 1 et s.
Apatride : 32-34 § 16; 46 § 2 et s.
Act of state : 13 § 6
Apparence :
Acte de l’état civil :
– conflit de systèmes dans le temps :
v. État civil
23 § 9
Acte juridique :
v. Contrat, Testament – ignorance excusable de la loi
étrangère : 5 § 6
Action déclaratoire :
– en inopposabilité : 24-25 § 1 et s. Arbitrage :
– régime matrimonial : 15 § 8 – capacité de l’État : 44 § 9
Action en inopposabilité : 24-25 § 1 – clause compromissoire : 22 § 18; 43
et s. § 6; 44 § 3; 72 § 4 et § 10
Action en opposabilité : 24-25 § 9 Articles 14 et 15 du Code civil :
Adaptation : – action en partage : 49 § 6
– conflit de lois : 12 § 5; 27 § 16; – action mixte : 49 § 6
30-31 § 11; 48 § 13; 61 § 6; 67-69 § 3 – action réelle immobilière : 49 § 6
– conflit de juridictions : 37 § 7; 47 § 5; – application d’office : 45 § 14
72 § 4; 84 § 6 – bénéficiaires : 43 § 2
Admission à domicile : 1 § 3 ; 5 § 6 ; – cession de créance : 43 § 4
18 § 3; 20 § 2; 37 § 5 note 1; 42 § 4 – clause attributive de juridiction : 43
Adoption : 67-69 § 1 et s. § 6; 69 § 9
– compétence judiciaire : 71 § 4 – compétence exclusive : 45 § 1; 46 § 8;
– consentement à l’adoption : 67-69 § 6 70 § 22; 87 § 1 et s.
et s. – compétence facultative : 72 § 8; 87 § 4
– jugement étranger : 4 § 7 – compétence interne : 71 § 2
– loi applicable : 26 § 8; 67-69 § 2 et s. – contrats : 49 § 2; 49 § 4
798 INDEX THÉMATIQUE

– Convention de Bruxelles : 49 § 4; 71 – ordre public : 19 § 9; 26 § 11


§3 – qualification : 9 § 1 et s.; 27 § 2
– délit : 49 § 3 – renvoi : 7-8 § 2 et 3
– domaine : 49 § 2 Bien :
– forum arresti : 49 § 4; 59-60 § 9 et s.; v. Statut réel
87 § 2 Bigamie :
– fraude : 43 § 4; 49 § 4 v. Polygamie
– juridiction gracieuse : 49 § 7 Bilatéralité :
– litispendance : 43 § 7; 54 § 7 v. Exequatur, Règle de conflit
– nationalité française au jour de l’intro- Bouhier : 3 § 6; 48 § 3
duction de l’instance : 43 § 8 Boullenois : 3 § 6; 18 § 6; 48 § 3
– rapport avec les règles ordinaires Brevets d’invention : 70 § 13; 72 § 10
de compétence : 71 § 1 et s. v. Nationalisation
– renonciation : 45 § 20; 43 § 4; 41 § 12
– représentation : 43 § 7 C
– révision : 2 § 9
– sociétés : 50 § 12 Capacité :
– statut personnel : 49 § 3 – aptitude de l’État à compromettre : 44
– subrogation conventionnelle : 43 § 4 § 1 et s.
– subrogation légale : 43 § 4 – contrat de mariage : 38-39 § 12
– succession : 49 § 6 – donations entre époux : 42 § 3
– voies d’exécution : 49 § 6; 59-60 § 2 – ignorance excusable de la loi
et s. étrangère : 5 § 1 et s.
Aubry et Rau : – loi applicable : 5 § 2 et s.; 14 § 3
– condition des étrangers : 20 § 3 – lois de police : 5 § 8
– pouvoir de révision : 10 § 17; 41 § 17 – mariage : 1 § 3 et s.
Autonomie de la volonté : v. aussi Incapacité
v. Contrat Cession de créance :
Autorité de la chose jugée : v. Articles 14 et 15 du Code civil
v. Jugement étranger Clause attributive de juridiction :
Avantages matrimoniaux : 72 § 1 et s.
v. Régime matrimonial – action réelle immobilière : 72 § 9
– article 14 du Code civil : 43 § 6; 45
B § 13
– assurances : 72 § 10
Bartin : – choix d’un juge sans lien avec
– compétence indirecte : 41 § 5; 70 § 1 le litige : 72 § 7
et s. – compétence exclusive : 70 § 14; 72
– conflit de systèmes : 7-8 § 2 § 10
– conflit mobile : 48 § 9 – compétence impérative : 72 § 8
– forme : 40 § 6 – compétence interne : 71 § 5; 72 § 5
– fraude : 6 § 9 – contrat de travail : 72 § 10
– interprétation des traités : 80-81 § 5 – consommateurs : 72 § 4 et 10
– nature de la compétence judiciaire – licéité : 72 § 2
internationale : 39 § 6; 70 § 4; 72 § 3 – litige international : 72 § 7
INDEX THÉMATIQUE 799

– loi applicable : 72 § 11 – droit civil : 20 § 3; 27 § 4


– lois de police : 72 § 9 et 10 – droit des gens : 20 § 3
– règle matérielle : 72 § 11 – droits politiques : 20 § 3
– statut personnel : 72 § 9 – hypothèque légale : 20 § 4
Clause compromisoire : – litiges entre étrangers : 37 § 4
– article 14 du Code civil : 43 § 6 – lois de police : 20 § 7
– autonomie : 44 § 3 – sociétés : 50 § 9
– capacité de l’État : 44 § 1 et s. Conflit de conventions : 63-64 § 13
– caractère international : 22 § 18 Conflit de décisions : 10 § 4; 26 § 8;
– clause attributive de juridiction : 72 38-39 § 4; 45 § 7; 54 § 6 et § 12
§ 4, § 9 et § 10 Conflit de juridictions :
– règle matérielle : 44 § 1 et s.; 72 § 11 v. Articles 14 et 15 du Code civil,
Compétence : Compétence, Exequatur,
– acte de commerce : 37 § 5 Jugement étranger
– action immobilière : 37 § 5 Conflit de lois :
– actor sequitur forum rei : 37 § 4; 37 v. Règle de conflit
§ 10 Conflit de nationalités : 46 § 1 et s.;
– contrats : 37 § 5 87 § 10
– délits : 37 § 5 – approche fonctionnelle : 46 § 6
– déni de justice : 37 § 5; 37 § 11; – jugements étrangers : 46 § 5
59-60 § 14; 71 § 5; 74-78 § 12; 87 § 2 – unilatéralisme : 46 § 10
– divorce : 37 § 9 Conflit de souverainetés : 7-8 § 5;
– exception d’incompétence : 37 § 8 9 § 6; 47 § 6; 56 § 5
– extension de la compétence Conflit de systèmes : 7-8 § 1 et s.
territoriale : 37 § 7; 59-60 § 8 v. aussi Conflit de qualifications,
– forum arresti : 59-60 § 9 et s.; 87 § 2 Conflit de systèmes dans le temps,
- impérative : 72 § 8 Renvoi
– jugement étranger : 41 § 6; 45 § 1 et Conflit de systèmes dans le temps :
s.; 70 § 1 et s. 16 § 4; 23 § 1 et s.; 51 § 7
– litiges entre étrangers : 37 § 3 et s.; 71 Conflit mobile :
§2 – capacité : 38-39 § 17
– nature : 37 § 7; 72 § 3 – changement de souveraineté : 50 § 7
– privilèges de nationalité : 45 § 9 et s.; – divorce : 12 § 5
49 § 1 et s.; 71 § 1 et s. – effets du mariage : 30-31 § 11
– régime procédural : 37 § 8; 72 § 4 – filiation : 21 § 1 et s.
– saisie-arrêt : 59-60 § 1 et s. – fraude à la loi : 6 § 3
– statut personnel : 37 § 5 – loi la plus favorable : 21 § 4
– succession : 37 § 5 – prescription : 30-31 § 17
– voies d’exécution : 59-60 § 1 et s. – statut réel : 48 § 9
Compétence judiciaire Conflit transitoire de droit étranger :
et compétence législative : 10 § 5 ; 73 § 1 et s.
19 § 2; 27 § 13; 29 § 6; 37 § 5; 49 § 4 Conflit transitoire international :
Condition des étrangers : 62 § 1 et s.
– conflit de lois : 20 § 7 Connexité : 54 § 14
800 INDEX THÉMATIQUE

Consommateurs : – renvoi : 51 § 10
v. Clause attributive de juridiction, - sans loi : 11 § 8; 22 § 2
Contrat, Forme – statut réel : 3 § 6; 48 § 5
Contrat : Contrat de mariage :
– autonomie de la volonté : 11 § 1 et s.; – capacité : 38-39 § 12
22 § 2 et s.; 35 § 1 et s. – loi applicable : 15 § 8
– autorité de la règle de conflit de lois : Convention de Bruxelles :
74-78 § 6 – article 14 du Code civil : 49 § 4; 71 § 3
– caractère international : 11 § 6; 22 – autorité de la chose jugée : 10 § 15
§ 16 et s.; 44 § 12 – clause attributive de juridiction : 72 § 4
– clause monétaire : 22 § 11 et s. et § 7
– consommateurs : 35 § 7
– compétence exclusive : 70 § 13
– contrat de distribution : 35 § 7
– conflit de décisions : 38-39 § 5
– contrat de travail : 35 § 7
– litispendance : 54 § 2
– Convention de La Haye du 15 juin
Convention de Rome :
1955 : 35 § 6
v. Contrat, Forme, Lois de police
– Convention de La Haye du 14 mars
Convention européenne
1978 : 35 § 6
des droits de l’homme : 55-56 § 17;
– Convention de La Haye du 30 octobre
63-64 § 12; 67-69 § 12
1985 : 35 § 6
– Convention de Rome du 19 juin 1980 : Convention franco-marocaine
5 § 8; 11 § 1; 35 § 6; 40 § 7; 48 § 16; du 10 août 1981 : 26 § 5; 63-64 § 1
53 § 18 Convention internationale :
– dépeçage : 11 § 8 et s.; 35 § 5 – application : 74-78 § 5 à 7, § 10 à 12
- d’États : 22 § 9; 44 § 6 – hiérarchie des normes : 55-56 § 1 et s.;
- entre époux : 23 § 3; 26 § 8; 42 § 3 85-86 § 1 et s.
– forme : 40 § 1 et s. Coutume de Bretagne : 3 § 1, note 1
– histoire : 3 § 6; 11 § 3
– incorporation de la loi choisie : 11 § 8 D
– indices de localisation : 11 § 6; 35 § 3
D’Argentré : 3 § 6; 5 § 3; 10 § 8;
– lex mercatoria : 22 § 10; 44 § 7 et § 12
14 § 3; 15 § 5; 18 § 2; 48 § 3
– lieu de conclusion : 11 § 4
– lieu d’exécution : 11 § 6 Demangeat : 5 § 4; 20 § 3
– localisation : 11 § 6; 35 § 3 Demolombe :
– loi choisie annulant le contrat : 11 § 9 – condition des étrangers : 20 § 3
– loi de police : 22 § 7; 35 § 5; 53 § 18 – ignorance excusable de la loi
– loi d’un pays neutre : 35 § 3 étrangère : 5 § 4
– monnaie : 22 § 11 Dénaturation :
– nationalité des parties : 11 § 6 – contrat : 36 § 4
– ordre public : 22 § 12 – document versé aux débats : 36 § 7
– pouvoir rectificateur du juge : 35 § 2 – jurisprudence étrangère : 36 § 8
– prestation caractéristique : 11 § 6; 35 – loi étrangère : 36 § 1 et s.; 41 § 8
§7 – traduction : 36 § 9
– règles matérielles : 22 § 10; 22 § 17; Déni de justice :
35 § 7; 44 § 12 v. Compétence
INDEX THÉMATIQUE 801

Dépeçage : Donations entre époux : 42 § 1 et s.


v. Contrat – de biens à venir : 42 § 8
Dicey : 9 § 8 – de biens présents : 42 § 2
Divorce : – déguisées : 42 § 9
– article 310 du Code civil : 26 § 8; – immobilières : 42 § 7
46 § 10; 62 § 6 – loi applicable : 26 § 7; 42 § 1 et s.
– autorité de la règle de conflit de lois : - mobilières : 42 § 2
32-34 § 1 et s. Droits acquis :
– compétence judiciaire directe : 37 § 9 – conflit de jurisprudences : 62 § 2
– compétence indirecte : 70 § 15 – conflit de systèmes dans le temps :
– conflit de décisions : 10 § 4; 26 § 8; 22 § 7
38-39 § 4 – conflit mobile : 48 § 10
– conflit de nationalités : 46 § 5 – nationalisation : 13 § 10; 58 § 6
– conflit transitoire international : 62 § 6 – ordre public : 26 § 11; 30-31 § 6; 41
– conséquence du défaut de preuve de la §7
loi étrangère : 82-83 § 4, § 8 et § 20 Droit communautaire : 37 § 12; 55-56
– époux de nationalité différente : 12 § 8, § 10 et § 14; 85-86 § 6 et § 10
§ 2; 26 § 3 Droit d’aubaine : 9 § 3; 18 § 3
– fraude : 6 § 1 et s.; 41 § 10; 63-64 § 11 Droit de prélèvement :
– jugement étranger : 10 § 1 et s.; 24-25 v. Succession
§ 1 et s.; 70 § 1 et s. Droit de suite : 48 § 6
– loi applicable : 12 § 2; 26 § 3 Droits de l’homme : 19 § 10; 45 § 9;
– loi étrangère prohibant le divorce : 55-56 § 17 et s.; 63-64 § 13 et 17;
38-39 § 8 67-69 § 11 et s.
– mariage nul selon la loi nationale : Droits disponibles : 74-78 § 5 à 8 et § 13
27 § 15 et s.; 82-83 § 5 et s.
– ordre public : 12 § 4; 26 § 12; 38-39 Droit international public : 13 § 10 ;
§ 8; 63-64 § 12 et s. 47 § 5; 57 § 2; 65-66 § 3; 79 § 4
- religieux : 27 § 12 et § 9; 85-86 § 7
– remariage de l’époux divorcé : 4 § 9; Droit public :
10 § 1 et s. v. Lois de droit public
– renvoi : 16 § 6; 38-39 § 8 Droit réel :
– répudiation : 26 § 13; 46 § 7; 63-64 v. Statut réel
§ 1 et s. Droit transitoire :
– unilatéralisme et conflit v. Conflit mobile,
de nationalités : 46 § 10 Conflit transitoire international,
– v. aussi Séparation de corps Conflit transitoire de droit étranger
Domicile : Dumoulin : 3 § 6; 11 § 3; 15 § 4; 18 § 2;
- commun des époux : 26 § 5 48 § 3
– divorce : 26 § 4; 37 § 10
- d’origine : 1 § 4; 37 § 4 E
– loi applicable : 16 § 7
- matrimonial : 15 § 4; 51§ 3 Effectivité : 49 § 7; 52 § 2; 73 § 3;
– statut personnel : 1 § 4 et s. 82-83 § 9 et § 20
– succession : 18 § 2 Emprunt international : 22 § 11 et s.
802 INDEX THÉMATIQUE

Epoux de nationalité différente : – immunités : 65-66 § 3


v. Divorce, Loi personnelle – intérêt français : 41 § 12
Equivalence : – jugement patrimonial : 10 § 9
– des institutions : 12 § 5; 48 § 13; 61 – jugement relatif à l’état des personnes :
§9 10 § 1 et s.; 41 § 1
– des résultats : 41 § 8; 74-78 § 21; – loi appliquée au fond : 10 § 18; 16 § 5;
82-83 § 14 41 § 8
Etablissement public : – lois de police : 41 § 15; 72 § 9 et § 10
v. Immunité d’exécution, – modes de preuve : 41 § 15; 45 § 7
Immunité de juridiction – objet de l’– : 41 § 12
État : – office du juge : 2 § 10; 41 § 16
– aptitude à compromettre : 44 § 1 et s. – ordre public de fond : 10 § 17; 41 § 7;
– contrat d’– : 22 § 9; 44 § 6 41 § 18
- étranger non reconnu : 52 § 1 et s. – ordre public procédural : 41 § 4 et
– immunité d’exécution : 65-66 § 1 et s. § 18; 45 § 6
– immunité de juridiction : 47 § 1 et s. – privilège indirect de l’article 15 du Code
– lois de droit public : 79 § 1 et s. civil : 45 § 1; 70 § 12; 87 § 1 et s.
– nationalisation : 13 § 1 et s.; 58 § 1 – recevabilité de la demande : 45 § 5
et s. – réciprocité : 2 § 12
État civil : – régularité de la procédure : 41 § 4; 45
– mariage : 27 § 13 § 2 et s.
Exequatur : 2 § 1 et s.; 10 § 1 et s.; – renvoi au second degré : 16 § 5
41 § 1 et s.; 45 § 1 et s.; 70 § 1 et s. – révision (pouvoir de) : 2 § 7; 4 § 4;
– adoption : 67-69 § 1 et s. 4 § 10; 10 § 15; 41 § 12 et s.; 45 § 4;
– bilatéralité : 70 § 4 54 § 9
– compétence exclusive du juge – unilatéralité simple : 70 § 3 et § 16
français : 41 § 9; 41 § 15; 45 § 10; 46
§ 8; 49 § 7; 70 § 10; 72 § 10; 87 § 1 et s. F
– compétence internationale du juge
étranger : 10 § 18; 41 § 5; 45 § 10; Faillite : 4 § 5; 48 § 8
70 § 1 et s. Fiançailles : 7-8 § 2
– compétence interne du juge étranger : Filiation :
41 § 5 – articles 311-14 du Code civil : 21 § 6;
– conditions : 10 § 17; 41 § 3 et s.; 26 § 8; 51 § 13; 73 § 6
45 § 1 – articles 311-17 du Code civil : 17 § 6;
– contrariété avec un jugement français : 21 § 8
38-39 § 4; 45 § 7 – conflit mobile : 21 § 3
– définition : 24-25 § 7 - légitime : 21 § 6
– divorce : 24-25 § 12; 70 § 1 et s. - naturelle : 17 § 1; 21 § 1
– double unilatéralité : 70 § 5 – mariage putatif : 28 § 4
– droits de la défense : 45 § 6 – ordre public : 17 § 7; 57 § 1 et s.
– équivalence : 41 § 8 – recherche judiciaire de paternité : 21
– fraude : 41 § 10; 70 § 7 et 8, § 16 et §2
§ 17 – reconnaissance d’enfant naturel : 17
– histoire : 2 § 3 § 1 et s.
INDEX THÉMATIQUE 803

– règle de conflit alternative : 21 § 7 et s. I


– renvoi : 52 § 13; 73 § 6
– solution politique : 17 § 2; 21 § 4 Ignorance excusable de la loi étrangère :
Forme : 40 § 1 et s. 5 § 1 et s.; 48 § 7
– consommateurs : 40 § 8 Immeuble :
– Convention de Rome du 19 juin 1980 : v. Statut réel, Succession
40 § 7 Immunité d’exécution : 65-66 § 1 et s.
– donations déguisées entre époux : 42 – créances : 65-66 § 7
§9 – définition : 65-66 § 3
– histoire : 3 § 6; 40 § 3 – établissements publics : 65-66 § 10
– loi applicable : 40 § 1 et s. – État : 65-66 § 8
– loi de police : 40 § 8 – État étranger non reconnu : 52 § 7
– mariage : 27 § 12 – étendue : 65-66 § 7
– renvoi : 51 § 11 – saisie conservatoire : 65-66 § 3
– testament : 40 § 4; 40 § 7 Immunité de juridiction : 47 § 1 et s.
Forum arresti : 45 § 10; 49 § 4; 59 § 9 – courtoisie : 47 § 4 et 6
et s.; 87 § 2 – démembrement territorial : 47 § 8
Forum patrimonii : 45 § 10; 49 § 4; 87 – établissements publics : 47 § 7
§2 – État : 47 § 7
Forum shopping : 29 § 6 ; 38-39 § 16 ; – État étranger non reconnu : 52 § 7
41 § 10; 43 § 4; 54 § 6; 71 § 5 – étendue : 47 § 2 et s.
Fraude à la loi : 3 § 10; 6 § 1 et s.; – nationalisation : 13 § 1
41 § 10; 63-64 § 10 – nature : 47 § 4
– définition : 6 § 2 Incapacité :
- étrangère : 6 § 7 – contrat de mariage : 38-39 § 12
– preuve : 6 § 10 – dément non interné ni interdit : 29 § 2
– prévention : 6 § 12 - générale : 5 § 3; 14 § 5; 15 § 12;
– sanction : 6 § 14; 70 § 17 38-39 § 12
Froland : 3 § 6 - naturelle : 5 § 1; 29 § 1 et s.
- spéciale : 14 § 5; 15 § 12; 38-39 § 12
G – partage : 14 § 16
– prescription : 29 § 6; 38-39 § 15
Gage : 48 § 1 et s.; 48 § 15 Inlandsbeziehung : 13 § 7; 26 § 13
GREDIN : 19 § 5 Interprétation :
– de la loi étrangère : 36 § 1 et s.
H – de la règle de conflit étrangère : 16 § 2
– du traité : 80-81 § 1 et s.
Habilis ad nuptias : 38-39 § 13
Harmonie internationale des solutions : J
16 § 4; 63-64 § 17; 73 § 3
Hiérarchie des normes : 55-56 § 1 et s.; Jugement étranger :
85-86 § 1 et s. – autorité de chose jugée : 2 § 3; 4 § 2;
Hypothèque : 10 § 1 et s.; 10 § 14; 38-39 § 4; 41 § 1
– judiciaire : 59-60 § 6 et § 8 et s.; 54 § 9
– légale de la femme mariée : 20 § 4 – conflit de nationalités : 46 § 5
804 INDEX THÉMATIQUE

- constitutif : 10 § 2 et § 10; 54 § 9 – vocation subsidiaire générale de la loi


– contrôle incident : 24-25 § 2 du for : 32-34 § 13
- déclaratif : 4 § 4; 10 § 2, § 10 et Lésion : 38-39 § 15
§ 14; 54 § 9 Lex fori :
– divorce : 25-26 § 1 et s.; 38-39.4 – divorce : 12 § 4; 26 § 5
– efficacité substantielle : 2 § 3; 4 § 2; – prescription extinctive : 29 § 6;
10 § 12 38-39 § 15
– force probante : 4 § 5; 10 § 2 – responsabilité délictuelle : 19 § 2
– histoire : 2 § 3; 4 § 3 – vocation subsidiaire générale : 26 § 5;
- patrimonial : 10 § 9 et § 14 32-34 § 13; 82-83 § 4
- relatif à l’état des personnes : 4 § 6; Lex loci delicti : 19 § 2 et s.
10 § 1 et s.; 46 § 5; 54 § 9 Lex mercatoria : 22 § 10; 22 § 17;
44 § 8; 44 § 11
– reconnaissance : 2 § 11; 10 § 1 et s.;
Lex rei sitae : 3 § 2; 48 § 2
10 § 11
Liberté d’établissement : 55-56 § 14
v. aussi Action en inopposabilité,
Litispendance : 38-39 § 5; 54 § 1 et s.
Action en opposabilité, Exequatur
Locus regit actum : 11 § 4 ; 15 § 12 ;
Juge naturel : 2 § 3 et s.; 2 § 8 ; 4 § 4 ;
23 § 8; 40 § 1 et s.; 42 § 9; 51 § 11
45 § 11; 49 § 1 et § 2; 70 § 13; 87 § 4
Loi d’application immédiate : 53 § 1
Jura novit curia : 5 § 5; 19 § 7; 36 § 3
et s. v. aussi Loi de police
Juridiction gracieuse : 10 § 2 ; 14 § 7 ; Loi d’autonomie :
49 § 7 – contrat : 11 § 1 et s.; 22 § 1 et s.;
Jurisprudence : 35 § 1
– application dans le temps : 62 § 2 – donation : 42 § 3
– arrêt de règlement : 6 § 1; 61 § 9; – régime matrimonial : 15 § 3; 51 § 7
62 § 2 – renvoi : 51 § 10
– doctrine : 16 § 5; 23 § 1; 32-34 § 2 – statut réel : 48 § 6
– obiter dictum : 36 § 4; 41 § 1; 62 § 3 Lois de droit public :
– prospective overruling : 62 § 2 – application : 79 § 1 et s.
– État étranger non reconnu : 52 § 7
K – lois de police : 53 § 8
Lois de police : : 53 § 1 et s.
Kahn : 9 § 1; 9 § 7; 62 § 4 – capacité : 5 § 8
– compétence judiciaire exclusive :
L 72 § 10
– compétence judiciaire impérative :
Lainé : 1 § 2; 3 § 8; 40 § 3 72 § 8
Légitimation : 27 § 7; 73 § 4 – condition des étrangers : 20 § 7
Lerebours-Pigeonnière : – contrat : 22 § 7; 35 § 5
– condition des étrangers : 20 § 5; 37 § 5 – Convention de Rome du 19 juin 1980 :
– conflit de souverainetés : 9 § 8 53 § 17
– litige entre étrangers : 37 § 5 – domaine d’application : 53 § 11 et s.
– nationalité des sociétés : 50 § 4 – droit communautaire : 53 § 9 et § 14;
– renvoi règlement subsidiaire : 16 § 5 55-56 § 16
– statut réel : 48 § 6 – droit public : 53 § 8
INDEX THÉMATIQUE 805

- étrangères : 53 § 15 et s. – célébration : 27 § 8 et s.
– forme des actes : 40 § 8 – effets : 26 § 7
– mariage : 27 § 14 – empêchement bilatéral : 30-31 § 5
– ordre public : 53 § 15 – indigène : 30-31 § 4
– règles de conflit : 53 § 5 – lois de police; 27 § 14
– règles matérielles : 5 § 8; 44 § 11 – nationalité : 6 § 1; 28 § 3
– statut réel : 48 § 7 – nullité : 28 § 4
– théorie des – : 53 § 1 et s. – obligation alimentaire : 26 § 7; 30-31
Lois d’ordre public : 19 § 9; 53 § 2 § 8 et s.
Loi des effets du mariage : 12 § 3; – ordre public : 25 § 14; 55 § 7
15 § 3; 26 § 6 et s.; 28 § 2; 30-31 § 5 – possession d’état : 9 § 2; 28 § 4
et 10; 42 § 4; 67-69 § 4 et § 5 – preuve : 9 § 2
Loi étrangère : – publicité : 6 § 13
– application d’office : 32-34 § 1 et s.;
- putatif : 28 § 1 et s.; 61 § 9
74-78 § 1 et s.
– qualification : 27 § 1 et s.
– charge de la preuve : 19 § 7; 82-83 § 1
- religieux : 27 § 11 et s.
et s.
v. aussi Contrat entre époux,
– contrôle de la Cour de cassation : 16
Divorce, Donations entre époux,
§ 2; 16 § 6; 32-34 § 4; 36 § 1 et s.
Hypothèque, Polygamie,
– contrôle des motifs : 36 § 10
Régime matrimonial,
– défaut de preuve : 32-34 § 15; 82-83
Séparation de corps
§ 1 et s.
Marques : 70 § 13
– dénaturation : 36 § 1 et s.; 41 § 8
v. aussi Nationalisation
– État non reconnu : 52 § 1
Meijers : 23 § 7
– interprétation : 16 § 2; 19 § 7; 36 § 2
Merlin : 48 § 3
– invocation en cours d’instance : 32-34
Meuble :
§4
v. Statut réel
– preuve : 32-34 § 15; 82-83 § 1 et s.
Mobilia sequuntur personam : 18 § 2;
– traduction : 36 § 9
48 § 3
Loi personnelle :
– conflit de nationalités : 46 § 1 et s. Monnaie de compte : 22 § 13
– loi du domicile : 1 § 4; 14 § 3
– loi nationale : 1 § 2; 5 § 2; 14 § 3 N
– pluralité de nationalités : 12 § 2; 17
Nationalisation : 13 § 1 et s.; 58 § 1 et s.
§ 3; 26 § 3
– actions de société : 13 § 10
– solution politique : 12.3; 17 § 2; 21
- algérienne; 13 § 3
§ 4; 26 § 3
– biens incorporels : 13 § 8
– brevets d’invention : 13 § 10
M
– compétence de l’État : 13 § 6; 13 § 9
Mancini :1 § 5 ; 9 § 8 ; 14 § 3 ; 19 § 9 ; et s.; 58 § 1 et s.
40 § 6; 48 § 3 – conflit mobile : 13 § 6
Mariage : – créance : 13 § 8; 13 § 10; 58 § 5
– boîteux : 26 § 3; 27 § 15 – défaut d’indemnisation : 13 § 3 et s.
– capacité : 1 § 3 et s. – dette : 13 § 8
806 INDEX THÉMATIQUE

– droit international public : 13 § 4; – Convention de La Haye du 2 octobre


13 § 10; 58 § 3 1973 : 26 § 8; 30-31 § 9
– immunité : 13 § 1 – entre époux : 26 § 7; 30-31 § 9
– marques : 13 § 10 – loi applicable : 30-31 § 9
– navires : 13 § 10 – polygamie : 30-31 § 9
– ordre public : 13 § 2 et s. – questions préalables : 30-31 § 9
– règles et décisions : 58 § 2 Office du juge : 16 § 4 19 § 7; 32-34 § 1
- soviétique : 13 § 1 et s. et s.; 37 § 3; 37 § 7; 38-39 § 6; 41 § 16
Nationalité : et s.; 54 § 13; 74-78 § 1 et s.;
– adoption : 67-69 § 5 82-83 § 1 et s.
– conflit de nationalités : 46 § 1 et s. Ordre interne et ordre international :
– mariage : 6 § 2 7-8 § 6; 9 § 8; 27 § 7; 37 § 7; 53 § 9;
– mariage putatif : 28 § 3 85-86 § 4 et s.
– notion : 50 § 10 Ordre public international :
– ordre public : 26 § 12 – actualité : 53 § 1 et s.
– privilège de juridiction : 43 § 1 – clause monétaire : 22 § 12 et s.
– statut personnel : 14 § 3 – conflit de décisions : 10 § 4; 38-39 § 6
Nationalité (sociétés) : 50 § 1 et s. – contrat : 22 § 12
– approche fonctionnelle : 46 § 7 – Convention européenne des droits
– centre d’exploitation : 50 § 2 de l’homme : 55-56 § 21; 67-69 § 12
– changement de souveraineté : 50 § 6 – définition : 19 § 9; 22 § 14
– contrôle : 50 § 3 et 6 – divorce : 12 § 4; 26 § 12; 38-39 § 7
– filiale : 50 § 5 et s.
– incorporation : 50 § 2 – droits fondamentaux : 19 § 10; 45 § 9;
– notion : 50 § 10 67-69 § 12 et s.
– siège fictif : 50 § 4 – effets : 26 § 11; 38-39 § 10
– siège social : 50 § 2 – effet atténué : 4 § 9 et s.; 26 § 11 et s.;
– unilatéralité ou bilatéralité : 50 § 13 30-31 § 6; 41 § 7; 45 § 8; 61 § 4
Naturalisation : 6 § 7; 6 § 13 – étendue de la substitution : 38-39 § 10
Niboyet : – exequatur : 41 § 7; 45 § 6
– condition des étrangers : 20 § 5 – fonction : 19 § 9
– nationalité des sociétés : 50 § 12 – jugement étranger : 41 § 7
– ordre public : 26 § 11 – lois de police : 53 § 10
– renvoi : 16 § 5 – mariage religieux : 27 § 12
– solution politique : 12 § 3; 17 § 2; – nationalisation : 13 § 2 et s.
21 § 4; 26 § 3 – pacte commissoire : 48 § 15
Nom : 26 § 8; 46 § 11 – polygamie : 30-31 § 6
Nullité : – procédure : 41 § 4; 45 § 6
– contrat : 11 § 9 – proximité : 26 § 12; 30-31 § 6; 63-64
– contrat de mariage : 38-39 § 16 § 18
– mariage : 28 § 4 – questions préalables : 61 § 5
– rapport avec l’adaptation : 30-31 § 11;
O 61 § 7
– recherche judiciaire de paternité :
Obligations alimentaires : 17 § 7; 57 § 2 et s.
INDEX THÉMATIQUE 807

– reconnaissance d’enfant naturel : – rescision pour lésion : 38-39 § 15


17 § 5; 57 § 2 et s. Preuve :
– règles matérielles : 23 § 12; 44 § 11 – conformité à l’ordre public : 45 § 6
– répudiation : 63-64 § 12 et s. et s.
– respect des droits de la défense : 45 § 6 – loi étrangère : 19 § 7; 32-34 § 15;
– responsabilité délictuelle : 19 § 11 82-83 § 1 et s.
– révision (Pouvoir de –) : 41 § 19 – mariage : 9 § 2
– statut personnel : 26 § 12 Principes directeurs du procès civil :
– substitution : 38-39 § 10 19 § 7; 32-34 § 4; 45 § 7
Principes du droit européen du contrat :
P 22 § 10
Principes relatifs aux contrats
PACS : 63-64 § 16 du commerce internationale :
Pacte commissoire : 48 § 15 22 § 10
Partage : Prise en considération : 38-39 § 8;
– capacité : 14 § 6 74-78 § 6
– formalités habilitantes : 14 § 7 Protection des incapables : 14 § 1 et s.
- judiciaire : 14 § 7 – acceptation de la succession : 14 § 6
– pluralité de masses : 14 § 8 – formalités habilitantes : 14 § 6
– régime matrimonial : 15 § 14 – loi applicable : 14 § 3
– rescision pour lésion : 14 § 8 – partage : 14 § 6
Pillet : 9 § 8; 19 § 9; 26 § 11; 50 § 10
Plénitude de compétence : 32-34 § 13 Q
Polygamie : 30-31 § 1 et s.; 61 § 1 et s.
– adaptation : 30-31 § 11; 61 § 8 Qualification : 9 § 1 et s.; 27 § 1 et s.;
– aliments : 30-31 § 9 29 § 1 et s.
– aptitude au second mariage : 30-31 § 5 – aptitude de l’État à compromettre :
– effets : 30-31 § 7 44 § 9
– mariage putatif : 26 § 1 et s. – autonomie des catégories : 29 § 7;
– ordre public : 30-31 § 6; 61 § 7 30-31 § 4
– qualification : 30-31 § 4 – catégorie universelle : 9 § 5
– régime matrimonial : 30-31 § 12 - comparative : 27 § 6
– regroupement familial : 30-31 § 12 – immunités : 47 § 5
– responsabilité civile : 30-31 § 12 – incapacité naturelle : 29 § 2
– Sécurité sociale : 30-31 § 12 - lege causae : 9 § 7; 27 § 3
– succession : 30-31 § 12; 61 § 1 et s. - lege fori : 9 § 7; 27 § 3; 29 § 7;
– validité : 30-31 § 2 30-31 § 4; 47 § 5; 79 § 9
Possession d’état : – lien avec le rattachement : 1 § 6; 7-8
– mariage : 9 § 2; 28 § 4 § 3; 15 § 3; 15 § 13; 26 § 7; 27 § 5; 29
Pothier : 48 § 3 § 6; 30-31 § 4
Prescription : – mariage : 27 § 11
– incapacité : 29 § 6; 38-39 § 15 – objet de la – : 27 § 8
– loi applicable : 38-39 § 15 - par la fonction : 30-31 § 4
– nullité du mariage : 28 § 4 – polygamie : 30-31 § 4
– obligations : 38-39 § 15 – quarte du conjoint pauvre : 9 § 5
808 INDEX THÉMATIQUE

– renvoi de qualification : 7-8 § 3 - d’origine conventionnelle : 74-78 § 6


Quarte du conjoint pauvre : 9 § 5 et s.
Questions préalables (Théorie des) : – fonctions : 4 § 6; 10 § 8; 27 § 7; 58 § 6
61 § 5 – force obligatoire : 6 § 7; 32-34 § 8;
– aliments : 30-31 § 9 74-78 § 14; 84 § 1 et s.
– successions : 61 § 5 – lois de police : 53 § 5
– règles matérielles : 44 § 8
R – unilatéralité ou bilatéralité : 1 § 7
Règle de conflit alternative : 21 § 7
Recherche de paternité naturelle : et s.; 40 § 6; 51 § 11; 62 § 6; 70 § 5;
v. Filiation, Ordre public. 74-78 § 4
Reconnaissance d’enfant naturel : Règle de conflit cumulative : 21 § 8
v. Filiation, Ordre public Règle matérielle : 22 § 10 et s.; 44 § 1
Régime matrimonial : 15 § 1 et s.; et s.
51 § 1 et s. – adoption : 67-69 § 7
– action en déclaration de la loi – apparence : 23 § 9
applicable : 15 § 8 – application : 44 § 8
– avantages matrimoniaux : 42 § 3 – aptitude de l’État à compromettre :
– changement de – : 15 § 10 44 § 1 et s.
– contrat de mariage : 15 § 8; 38-39 § 11 – choix de la loi applicable au contrat :
et s.; 51 § 3 35 § 5
– Convention de La Haye du 14 mars – clause attributive de juridiction :
1978 : 15 § 9; 15 § 14; 51 § 1; 51 § 7; 72 § 11
51 § 13 – clause compromissoire : 44 § 3
– domicile matrimonial : 15 § 4; 51 § 3 – clause monétaire : 22 § 16
– donations entre époux : 42 § 3 – ignorance excusable de la loi
– droit comparé : 15 § 2 étrangère : 5 § 8
– historique : 15 § 4 – loi de police : 5 § 8; 44 § 11
– immutabilité : 15 § 12 – règle de conflit : 44 § 8
– loi applicable : 15 § 2 et s. Règlement (CE) du Conseil du 22 déc.
– mariage putatif : 28 § 3 2000, Bruxelles I :
– ordre public : 38-39 § 10 – article 14 du Code civil : 49 § 4; 71 § 3
– permanence du rattachement : 15 § 3; – autorité de la chose jugée : 10 § 15
15 § 14 – clause attributive de compétence : 72
- primaire : 26 § 8; 53 § 13 §4
– qualification : 9 § 4 – compétence exclusive : 70 § 13
– renvoi : 51 § 1 et s. – compétence indirecte : 41 § 5
Règle de conflit : – compétence ordinaire : 37 § 12
– application d’office : 32-34 § 2 et s.; – contrôle de la loi appliquée : 41 § 3
71-73 § 1 et s. – litispendance : 34 § 2 et § 4
– autorité de la – : 6 § 7; 32-34 § 2; – reconnaissance et exécution : 70 § 1
74-78 § 1 et s. – respect des droits de la défense : 45 § 5
– caractère bilatéral : 1 § 7; 32-34 § 10 Règlement (CE) du Conseil du 27 nov.
et 13 2003, Bruxelles II bis :
– caractère neutre : 21 § 7 et s. – compétence indirecte : 41 § 5
INDEX THÉMATIQUE 809

– compétence ordinaire : 37 § 12 – préjudice moral : 19 § 12


– contrôle de la loi appliquée : 41 § 9 – préjudice par ricochet : 19 § 6
– divorce : 37 § 12 – proper law : 19 § 3
– litispendance : 54 § 4 Revigny (Jacques de –) : 3 § 1; 3 § 10
– reconnaissance et exécution : 24-25 Révision (pouvoir de –) :
§ 9, § 10; 70 § 1 v. Exequatur, Ordre public
Règlement (CE) du Conseil du 29 mai
2000 (procédure d’insolvabilité) : S
48 § 8; 50 § 4
Renvoi : Saisie-arrêt : 59-60 § 1 et s.; 65-66 § 3
– au 1er degré : 7-8 § 1 et s.; 51 § 6; Saisie conservatoire : 65-66 § 3
73 § 8 Savigny : 9 § 4; 53 § 7
– au 2e degré : 16 § 4 et s.; 23 § 7; Séparation de corps : 12 § 5; 38-39 § 8
38-39 § 8; 51 § 7 Société :
– conflit de systèmes dans le temps : – conflit de lois : 50 § 9
16 § 4; 23 § 2; 23 § 7; 51 § 7 – excuse d’ignorance légitime : 5 § 9
– conflit négatif : 7-8 § 2 – filiale : 50 § 5
- coordination : 7-8 § 7; 16 § 5 – jouissance des droits : 50 § 9
- de qualification : 7-8 § 3 – lois de police : 53 § 4
– domaine : 16 § 7; 51 § 9 et s.; 73 § 6 – nationalité : 50 § 2 et s.
et s. – nationalisation : 58 § 6
– filiation : 51 § 13; 73 § 6 et s. – protection diplomatique : 51 § 13
– fondement : 16 § 5 et s. Statut mixte : 3 § 6; 14 § 3
- in favorem : 21 § 9; 51 § 11 Statut personnel :
– loi d’autonomie : 51 § 10 – domaine : 14 § 2
– ordre public : 16 § 5 – étendue de la catégorie : 1 § 6; 5 § 2
– régime matrimonial : 21 § 7; 51 § 2 – loi applicable : 1 § 2
- règlement subsidiaire : 7-8 § 7; – loi du domicile : 1 § 4; 26 § 2 et s.
16 § 5 – loi nationale : 1 § 5; 5 § 2; 46 § 1 et s.
Répudiation : – permanence : 1 § 5; 4 § 6; 10 § 4;
v. Divorce 46 § 7
Réserve de propriété : 48 § 1, § 7 Statut réel :
et § 15 – conflit mobile : 48 § 9
Responsabilité : – domaine : 3 § 5; 14 § 2; 48 § 3
– accidents de la circulation routière : – histoire : 3 § 8; 48 § 3
19 § 5; 84 § 7 – immeuble : 3 § 3
– assurance : 19 § 4; 19 § 12 – loi applicable : 3 § 2 et s.; 48 § 2 et s.
– Conventions de La Haye : 19 § 5 – loi d’autonomie : 48 § 6; 48 § 16
- délictuelle : 19 § 2 et s. – lois de police : 48 § 7; 48 § 15
– fait des produits : 19 § 5 – meubles : 48 § 3
– intérêts gouvernementaux : 19 § 3 – meubles immatriculés : 48 § 12
– lex fori : 19 § 2 – ordre public : 48 § 15
– lex loci delicti : 19 § 2 et s. – possession : 48 § 6
– localisation : 19 § 6 Subrogation :
– ordre public : 19 § 12 v. Articles 14 et 15 du Code civil
810 INDEX THÉMATIQUE

Substitution : – Convention de La Haye du 5 oct.


v. Adaptation, Ordre public 1961 : 40 § 7
Succession : – forme : 40 § 4 et 7
– adoption : 61 § 2; 61 § 9 – loi applicable : 42 § 4 et 8
– donations entre époux : 42 § 4 Traités :
– établissement du lien de famille : 61 – conflit avec la Constitution : 85-86
§ 2 et s. § 1 et s.
– fondation : 61 § 9 – conflit avec une loi : 55-56 § 1 et s.
– fondement : 18 § 5 – hiérarchie des normes : 85-86 § 1 et s.
– fraude à la loi : 6 § 4; 6 § 9 – interprétation : 80-81 § 1 et s.
– historique : 3 § 8; 18 § 2 et s. – réciprocité : 80-81 § 17.
- immobilière : 3 § 8; 9 § 3
– lésion : 14 § 8 U
- mobilière : 18 § 2 et s.
– morcellement : 3 § 9; 14 § 8 Unilatéralisme : 1 § 8 et s.; 46 § 10;
– polygamie : 61 § 1 et s. 53 § 5; 53 § 18
– prélèvement : 3 § 10 Urgence : 32-34 § 15
– qualification : 9 § 3
– renvoi : 7-8 § 1 et s.; 16 § 1 et s. V
– réserve héréditaire : 3 § 10; 14 § 8; 42 Valette : 5 § 4; 20 § 3
§9 Vareilles-Sommières : 3 § 8; 10 § 8;
– testament : 3 § 10 48 § 4
– unité : 3 § 9; 18 § 6 Vocation subsidiaire générale de la loi
Succession d’États : 50 § 6 du for : 27 § 5; 32-34 § 13 et s.;
Sûretés réelles : 48 § 6 et s. 82-83 § 4
v. aussi Gage, Réserve de propriété, Voies d’exécution : 49 § 6; 59-60 § 1
Statut réel et s.; 65-66 § 3
von Bar : 7-8 § 7; 9 § 8
T
W
Testament :
– conjonctif : 40 § 7 Westlake : 7-8 § 5
TABLE DES MATIÈRES

(Les chiffres gras renvoient aux numéros des arrêts,


les chiffres maigres renvoient aux pages)

Préface de H. Batiffol .................................................................................... V


Avant-propos ................................................................................................. VII
1 Paris, 13 juin 1814, Busqueta ............................................................. 1
2 Cass., Civ., 19 avr. 1819, Parker ........................................................ 11
3 Cass., Civ., 14 mars 1837, Stewart ..................................................... 22
4 Cass., Civ., 28 février 1860, Bulkley .................................................. 30
5 Cass., Req., 16 janv. 1861, Lizardi ..................................................... 39
6 Cass., Civ., 18 mars 1878, Bauffremont ............................................ 47
7-8 Cass., Civ., 24 juin 1878 et Cass., Req., 22 févr. 1882, Forgo ........... 60
9 Alger, 24 déc. 1889, Bartholo ............................................................ 70
10 Cass., Civ., 9 mai 1900, de Wrède ..................................................... 79
11 Cass., Civ., 5 déc. 1910, American Trading C° ................................ 94
12 Cass., Civ., 6 juill.1922, Ferrari ......................................................... 103
13 Cass., Req., 5 mars 1928, La Ropit ..................................................... 109
14 Cass., Civ., 13 avr. 1932, Château de Chambord ............................. 119
15 Cass., Req., 5 juin 1935, Zelcer ........................................................... 128
16 Cass., Civ., 7 mars 1938, de Marchi ................................................... 142
17 Cass., Civ., 8 mars 1938, Fontaine...................................................... 151
18 Cass., Civ., 19 juin 1939, Labedan ..................................................... 157
19 Cass., Civ., 25 mai 1948, Lautour....................................................... 164
812 TABLE DES MATIÈRES

20 Cass., Civ., 27 juill. 1948, Lefait ........................................................ 177


21 Cass., Civ., 5 déc. 1949, Verdier ........................................................ 185
22 Cass., Civ., 21 juin 1950, Messageries maritimes ............................. 194
23 Rabat, 24 oct. 1950, Machet ............................................................... 210
24-25 Cass., Civ., 22 janv. 1951 et 2 avr. 1957, Weiller ......................... 220
26 Cass., Civ. 1re, 17 avr. 1953, Rivière .................................................. 232
27 Cass., Civ. 1re, 22 juin 1955, Caraslanis ............................................ 245
28 Cass., Civ. 1re, 6 mars 1956, Veuve Moreau ...................................... 257
29 Cass., Civ. 1re, 25 juin 1957, Silvia ..................................................... 263
30-31 Cass., Civ. 1re, 28 janv. 1958 et 19 févr. 1963, Chemouni ............ 269
32-34 Cass., Civ. 1re, 12 mai 1959, Bisbal,
2 mars 1960, Cie Algérienne de Crédit et de Banque,
et 11 juill. 1961, Bertoncini ................................................................ 284
35 Cass., Civ. 1re, 6 juill. 1959, Fourrures Renel ................................... 299
36 Cass., Civ. 1re, 21 nov. 1961, Montefiore ........................................... 307
37 Cass., Civ. 1re, 30 oct. 1962, Scheffel ................................................. 319
38-39 Cass., Civ. 1re, 15 mai 1963, (deux arrêts) Patino ......................... 330
40 Cass., Civ. 1re, 28 mai 1963, Charlie Chaplin ................................... 349
41 Cass., Civ. 1re, 7 janv. 1964, Munzer ................................................. 357
42 Cass., Civ. 1re, 15 févr. 1966, Campbell-Johnston ............................ 374
43 Cass., Civ. 1re, 21 mars 1966, Cie La Métropole ............................... 384

44 Cass., Civ. 1re, 2 mai 1966, Galakis .................................................... 391

45 Cass., Civ. 1re, 4 oct. 1967, Bachir ..................................................... 402

46 Cass., Civ. 1re, 17 juin 1968, Kasapyan ............................................. 412

47 Cass., Civ. 1re, 25 février 1969, Soc. Levant Express Transport ..... 422
48 Cass., Civ. 1re, 8 juill. 1969, Soc. DIAC .............................................. 432
49 Cass., Civ. 1re, 27 mai 1970, Weiss...................................................... 445
TABLE DES MATIÈRES 813

50 Cass., Civ. 1re, 30 mars 1971, CCRMA .............................................. 453


51 Cass., Civ. 1re, 1er févr. 1972, Gouthertz ............................................ 467
52 Cass., Civ. 1re, 3 mai 1973, Stroganoff ............................................... 479
53 CE, Ass., 29 juin 1973, Cie internationale
des Wagons-lits .................................................................................. 487
54 Cass., Civ. 1re, 26 nov. 1974, Soc. Miniera di Fragne ....................... 504
55-56 Cass., Ch. mixte, 24 mai 1975, Jacques Vabre,
et CE, 20 oct. 1989, Nicolo .................................................................. 516
57 Cass., Civ. 1re, 23 nov. 1976, Marret .................................................. 533
58 Cass., Civ. 1re, 20 févr.1979, SMC ...................................................... 539
59-60 Cass., Civ. 1re, 6 nov. 1979, Nassibian
et 11 févr. 1997, Soc. Strojexport ...................................................... 545
61 Cass., Civ. 1re, 3 janv. 1980, Bendeddouche ...................................... 556
62 Cass., Civ. 1re, 13 janv. 1982, Ortiz-Estacio ...................................... 565
63-64 Cass., Civ. 1re, 3 nov. 1983, Rohbi
et Civ., 1re, 17 févr. 2004, M. A. ......................................................... 574
65-66 Cass., Civ. 1re, 14 mars 1984, Eurodif
et 1er octobre 1985, Sonatrach ........................................................... 594
67-69 Cass., Civ. 1re, 7 nov. 1984, Torlet, 31 janv. 1990, Pistre
et 10 mai 1995, Fanthou ..................................................................... 607
70 Cass., Civ. 1re, 6 févr. 1985, Simitch .................................................. 624
71 Cass., Civ. 1re, 19 nov. 1985,
Soc. Brandies and Cognacs from France ........................................ 639
72 Cass., Civ. 1re, 17 décembre 1985,
Cie de Signaux et d’Entreprises électriques .................................... 645
73 Cass., Civ. 1re, 3 mars 1987, Leppert ................................................. 661
74-78 Cass., Civ. 1re, 11 oct. 1988, Rebouh, 18 oct. 1988, Schule,
4 déc. 1990, Soc. Coveco, 26 mai 1999, Mutuelle du Mans
et 26 mai 1999, Belaid A. ................................................................... 669
79 Cass., Civ. 1re, 2 mai 1990, République du Guatemala ................... 691
80-81 CE, Ass., 29 juin 1990, GISTI
et Cass., Civ. 1re, 19 déc. 1995,
Banque Africaine de Développement .............................................. 704
814 TABLE DES MATIÈRES

82-83 Cass., Com., 16 nov. 1993, Soc. Amerford


et Cass., Civ. 1re, 28 juin 2005, Soc. Itraco ........................................ 718
84 Cass., Civ. 1re, 6 mai 1997, Soc. Hannover International ................ 733
85-86 CE, 30 oct. 1998, Sarran
et Cass., Ass. plén., 2 juin 2000, Dlle Fraisse ..................................... 743
87 Cass., Civ. 1re, 23 mai 2006, J.-M. Prieur .......................................... 755

Index chronologique des arrêts ...................................................................... 765


Index alphabétique des arrêts ........................................................................ 787
Index thématique ........................................................................................... 797

Photocomposition : SCM, Toulouse


JURIS FRANC DROIT INTER PRIV 7/09/06 15:47 Page 1

GRANDS
GRANDS ARRÊTS ARRÊTS GRANDS ARRÊTS

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Les grands arrêts de la
jurisprudence française B. Ancel / Y. Lequette
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Ces grands arrêts offrent une vue vivante et complète du droit international
privé français. Dans cette discipline non codifiée, la discrétion de la loi
face aux relations que nouent et entretiennent au-dessus des frontières
les personnes privées – physiques ou morales – a contraint les tribunaux
à élaborer, au plein sens du terme, un véritable corps de règles. L’ouvrage
est l’expression de ce rôle de création du droit assumé par la jurisprudence.
de la jurisprudence
Plus qu’un complément nécessaire, il constitue l’outil indispensable de tout
étudiant ou praticien qui veut savoir et comprendre les principes et les appli-
cations du droit international privé français d’aujourd’hui.
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87 arrêts sont présentés dans cette 5e édition. Faits, décision, analyse,
telle est la présentation adoptée par les auteurs. Ainsi le lecteur découvre
la variété des circonstances qui font naître les questions de nationalité
ou de condition des étrangers, et surtout les problèmes réputés plus aigus
international privé
de conflits de lois ou de conflits de juridictions. Il est ainsi en mesure de pénétrer
le sens et de circonscrire la portée de la règle que chaque arrêt consacre,
tandis que le commentaire lui représente la valeur et la place de celle-ci dans
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