Mariage en Afrique

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LE MA~IAGE

EN
AF~IQUE NOIRE
PAR

JACQUES BINET
LE MARIAGE
EN AFRIQUE NOIRE
© 1959, by les Éditions du Cerf.
LE MARIAGE
EN
AFRIQUE NOIRE
PAR
JACQUES BINET
Administrateur en chef de la France d'Outre-mer
Directeur de Recherches à l'O. R. S. T. O. M.

foi vivante
série
sne des missions

LES ÉDITIONS DU CERF


29. Boulevard de Latour-Maubourg - PARIS- vue
..

NIHIL OBSTAT :

Pari.r, le 13 mai 1959,


A.-M. HENRY, o. p.

IMPRIMATUR:

PariJ, le 28 mai 1959,


J. HOTTOT
vic. gén.
PRÉFACE

Le livre de M. Binet n'est pas seulement


une étude sociologique de valeur, qui s'efforce
d'apporter des précisions dans un domaine
d'importance vitale pour l'avenir des popula-
tions de l'Afrique noire ; c'est aussi un ouvrage
singulièrement éclairant pour les missionnaires
qui travaillent en ce pays.
D'abord en raison même de son caractère
scientifique, établi sur des faits concrets, des
rapports contrôlés, des statistiques aussi pré-
cises que possible, - le tout recueilli et pesé
par un chercheur qui jouit d'une solide expé-
rience africaine et dont la probité n'hésite pas
à reconnaître les lacunes et les limites inévi-
tables dans une enquête couvrant un champ
si va5te et si divers. Il devient ainsi possible
de serrer la réalité de plus près et de reviser,
au besoin, les impressions et les pseudo-évi-
dences qui risquent d'influencer le jugement
de ceux qui n'ont ni le temps, ni les moyens,
8 LE 'MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

de se livrer à un examen critique du milieu


où ils vivent, et qui, du fait de l'accoutu-
mance, ne sont pas toujours sensibles aux
transformations progressives que subit ce même
milieu. Ce n'est pas toujours le soldat de pre-
mière ligne qui se rend le mieux compte du
déroulement de la bataille! Ne serait-ce qu'en
éveillant leur attention, en les incitant à recon-
sidérer telle ou telle de leurs opinions, en les
sollicitant de regarder à deux fois, en les ame-
nant à s'interroger sur certains points de leur
pastorale, ce serait déjà rendre aux mission-
naires grand service.
Puis, il se trouve que le sujet traité par
M. Binet touche de très près à l'apostolat mis-
sionnaire. En effet, l'objectif de la mission
n'est pas uniquement de convertir des indi-
vidus, mais encore et surtout d'instaurer
l'Église en pays non-chrétien. Or, l'Église n'est
pas une société désincarnée : elle est une réa-
lité visible et tangible, une communauté
d'hommes. Il faut donc qu'elle pénètre tous
les domaines de l'humain et, notamment, celui
de la famille: c'est par là que le christianisme
sera incorporé pour ainsi dire à la vie même
du peuple à évangéliser.
D'une façon générale, quand les mission-
naires présentent le message chrétien aux popu-
lations de l'Afrique noire, ce n'est pas la par-
PRÉFACE 9
tie théorique, dogmatique, de ce message qui
fait difficulté. Croire à un Dieu tout-puissant,
en un Sauveur, à la grâce, au paradis et à
l'enfer, ne rebute guère les Africains. La bible
et la liturgie encore moins. C'est que, dans
le paganisme traditionnel lui-même, il y avait
déjà des éléments analogues, des « pierres d'at-
tente », qui préparaient la voie. Mais quand
on en arrive à la morale, et spécialement à
la morale conjugale et familiale, il en va diffé-
temment. Sur ce terrain, en effet, il s'agit
d'engagements concrets qui mettent en ques-
tion la pratique quotidienne de la vie et les
structures mêmes de la société ; de plus, les
conceptions traditionnelles du mariage et de
la famille différent radicalement de celles que
présente le christianisme. Demander à un chef
de village d'apprendre le Credo et de venir à
la messe, c'est facile ! Mais exiger que, pour
recevoir le baptême, il congédie d'abord toutes
ses femmes sauf une, c'est une autre affaire!
En quoi différent et s'opposent ces deux
conceptions, nous n'avons pas à le dire :
l'ouvrage de M. Binet le fait excellemment.
Qu'il s'agisse de la condition de la femme,
des rapports entre les sexes, de la notion cou-
tumière du mariage, de la polygamie, de ce
qu'on appelle assez improprement la « dot»
africaine, de la vie du foyer et des -influences
10 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

de l'évolution moderne en ces domaines, on


trouvera, en ces pages, toute l'information
désirable, et on comprendra facilement pour-
quoi ces « palabres de mariage » prennent
tant de place dans le ministère des mission-
naires et leur causent tant de soucis.
Non seulement, comme nous venons de le
dire, la question matrimoniale retarde singu-
lièrement les conversions, mais, chez les chré-
tiens eux-mêmes, elle crée des difficultés telles
qu'il leur est souvent bien malaisé de mettre,
sut ce point, leur conduite en accord avec
leur nouvelle croyance. C'est que la « cou-
turne» pèse sur eux de tout son poids, aggravé
encore par celui de la législation, et qu'elle
est, en cette matière, si intimement liée aux
structures essentielles de l'ordre de choses afri-
cain, qu'elle nécessite de leur part un véri-
table déchirement et une sorte de retourne-
ment total pour s'en affranchir. Aussi une vie
familiale authentiquement chrétienne est-elle
pratiquement le meilleur signe d'une « con-
version » véritable chez les chrétiens d'Afrique
noire.
Non pas que tout soit à condamner en bloc,
dans cette coutume. Sans doute, elle contient
des éléments, comme la polygamie, l'infério-
rité présupposée de la femme, le caractère col-
lectif de l'union matrimoniale, avec lesquels le
PRÉFACE Il

christianisme ne peut composer : tout cela


était parfaitement logique quand la préoccu-
pation dominante était la sauvegarde et la
prospérité du clan, mais ne l'est plus si on
envisage la perspective surnaturelle qui est
celle de la morale évangélique. En revanche, il
en est d'autres, comme le caractère « sacré »
de l'union, et même le principe de la « dot »,
quand celle-ci n'a pas été foncièrement per-
vertie, qui peuvent être « baptisés » et qui,
moyennant une sage adaptation, peuvent être
informés d'esprit chrétien. Les missionnaires
savent bien qu'ils n'ont pas à instaurer un
ordre là où il n'y avait que désordre, que,
selon les instructions répétées du Saint-Siège,
« ils doivent se garder de changer les cou-
tumes qui ne sont pas ouvertement contraires
à la religion et aux bonnes mœurs », et que,
de toutes façons, on ne supprime bien que ce
que l'on remplace.
Le bouleversement provoqué par la coloni-
sation européenne n'a guère arrangé la situa-
tion. Avec quelques restrictions de détail, l'ad-
ministration coloniale a sanctionné la coutume
traditionnelle en lui donnant force de loi.
Cela créait, avec la mission, une première
source de conflits, puisque, d'une part, se
trouvaient ainsi renforcés certains usages que
l'Église ne peut admettre, et que, d'autre part,
IZ LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

les chrétiens, qui renonçaient à la coutume


sur ces points, se trouvaient exclus du béné-
fice de la légalité. Mais, de plus, cela a empêché
la coutume de se transformer au même rythme
et dans le même sens que l'évolution générale,
de sorte que, l'état de choses dont elle était
l'expression n'existant plus ou s'étant grande-
ment modifié, elle n'a pu se survivre qu'arti-
ficiellement et en se pervertissant. Le cas de
la « dot » est typique : jadis, signe, preuve
et garantie de l'union, elle est devenue, sur-
tout dans les villes et dans les régions les plus
touchées par l'évolution, un odieux marchan-
dage qui empêche la constitution de foyers
stables et harmonieux. Il ne manque pas de
missions comptant plusieurs milliers de chré-
tiens et où il n'est possible de bénir que de
rares mariages chaque année. Si l'on ajoute à
cela les surviv~nces de la polygamie, les faci-
lités apportées au divorce et à l'union libre,
la promiscuité résultant de l'éclatement des
cadres sociaux anciens, les vices qu'entraîne la
poursuite de l'argent et que permet sa posses-
sion, on comprendra à quels obstacles se
heurte l'établissement de la famille chrétienne.
Le remède? En ce domaine, il s'agit de
substituer à un ordre de choses païen un
ordre de choses chrétien. L'évolution générale
du pays au contact de la civilisation occiden-
PRÉFACE
tale y contribue dans une certaine mesure,
puisque, dans cette civilisation, l'inspiration
chrétienne qui fut une de ses composantes
subsiste malgré bien des détériorations. La
législation civile elle aussi peut y contribuer :
déjà certaines dispositions, comme les décrets
Mandel et Jacquinot, ont essayé de parer aux
principaux abus, et il est à souhaiter que les
nouveaux États africains, suivant l'exemple de
certains États musulmans qui ont répudié la
polygamie et favorisé l'émancipation de la
femme, matchent dans cette voie. Ainsi la
nouvelle République du Togo a pris des
mesures pour que les allocations familiales ne
soient pas détournées de leur but et ne
deviennent pas une prime à la polygamie et
au trafic des enfants.
La législation ecclésiastique, évidemment, ne
peut qu'agir dans le même sens : on sait, par
exemple, que l'archevêque de Yaoundé vient
d'ordonner à ses fidèles, sous peine de péché,
de renoncer à la « dot » qui, dans le Sud-
Cameroun, a des effets si désastreux que sa
disparition s'impose comme une nécessité, non
seulement pour la chrétienté, mais pour le
pays lui-même.
Toutefois, même s'il est des régions où il
demeure encore possible d'opérer un retout
dans un esprit chrétien au sens primitif de la
14 LE MARIAGE EN AFRIQUE. NOIRB

« dot » et de tous les usages traditionnels


concernant le mariage et la famille, il faut bien
reconnaître que la législation, seule, ne peut
suffire à transformer des institutions touchant
aux structures les plus profondes et aux tra~
ditions les mieux établies de la société afri~
caine. Il faut que l'évolution du droit corres·
ponde à l'évolution des mœurs. Il s'agit donc
avant tout d'inculquer aux populations la vraie
notion du mariage chrétien, de ses exigences
mais aussi de ses richesses, de façon que)
sous les cérémonies et les usages de l'Église,
les Mricains retrouvent au moins l'équivalent
de ce que recouvraient les rites et les cou·
turnes d'autrefois. En fait, ils y découvriront
bien davantage : le meilleur moyen de recons·
tituer sur des bases solides la cellule familiale,
élément essentiel de la nouvelle Afrique qui
s'édifie sous nos yeux.
A tous ceux qui se préoccupent de cette
œuvre d'éducation et de formation, et qui
s'appliquent à la mener à bien, l'ouvrage de
M. Binet apportera une documentation pré.
cieuse et suggérera d'utiles réflexions.
J. BOUCHAUD, C. S. Sp.
INTRODUCTION

Il suffit de parcourir les romans occiden·


taux, d'aller au cinéma ou au théâtre pout
comprendre la place essentielle que tiennent
dans notre société l'amour et le mariage: ils
sont à l'heure actuelle la base de la vie de
famille.
Depuis longtemps le mariage joue ce rôle
essentiel, les Églises l'ont sanctionné par des
cérémonies religieuses. Mais depuis quelques
années, on insiste davantage encore, dans les
milieux catholiques, sur la richesse spirituelle
du sacrement et sur la « spiritualité conju~
gale ». En même temps l'amour a acquis une
importance de plus en plus avouée. Au début
du siècle, de nombreux mariages se concluent
pour des raisons de convenance ou d'intérêt.
Seuls des cyniques, aujourd'hui, laisseraient
penser que leurs héros se marient pour des
motifs aussi bas. Dans la vie quotidienne
d'ailleurs, chez les paysans ou chez les bour~
geois, les mariages arrangés pour unir des for-
16 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

tunes ou rassembler des terres semblent moins


fréquents. S'ils existent, ils sont dissimulés, ce
qui prouve combien ils sont passés de mode.
La primauté de l'amour est proclamée partout,
sans qu'il soit possible de toujours distinguer
clairement si elle cache de l'érotisme, du tes-
pect pour la liberté des êtres, une prise en
considération du sentiment ou de l'estime...
Le maria.ge, et le mariage librement consenti
pat amour, nous semble un fait dénué de
toute nouveauté et de tout caractère explosif.
La civilisation occidentale a été modelée par
la civilisation gréco-latine, elle a reçu, par le
christianisme, tout l'apport de la pensée juive
et, à travers elle, celui des philosophies et des
droits babyloniens, égyptiens ou sumériens.
A la suite de cette lente évolution, les idées
d'individualisme, ou de liberté individuelle,
sont devenues un des axes de notre pensée:
chaque être humain a une âme d'une valeur
unique irremplaçable. Il en est comptable et
doit la sauver par ses efforts personnels. L'idée
de responsabilité individuelle en découle, dont
les conséquences sont innombrables dans la
vie sociale, jutidique ou économique. Le libre
consentement au mariage se trouve donc dans
un contexte social préparé à le recevoir. Il
n'en est pas de même dans les territoires
d'Afrique noire. Nos institutions et nos usages
INTRODUCTION

véhiculent des idées ou des doctrines qui ne


sont pas toujours compatibles avec les tradi-
tions locales. Les civilisations africaines de leur
côté ont leur philosophie propre. Non pas
quelles en soient toujours conscientes. Peu
abstractrices, elles n'ont pas cherché en géné-
ral à exprimer en systèmes les principes qui
les font vivre. Mais, implicitement, les institu-
tions auxquelles elles ont donné naissance sup-
posent un corps de doctrine.
On conçoit dès lors les difficultés qui peu-
vent naître des contacts de civilisations. Idées
et institutions sont empruntées et mélangées.
Mais toute la civilisation occidentale ne peut
pas être assimilée dans les civilisations afri-
caines. Certaines institutions, certaines doc-
trines peuvent être adoptées sans difficulté.
D'autres sont rejetées comme absolument ina-
daptées ; d'autres encore sont déviées et repen-
sées; d'autres risquent même de faire éclater
toute la civilisation qui les reçoit, tout comme
la civilisation latine a fait éclater les clans cel-
tiques, tout comme la civilisation chrétienne a
fait éclater la cité antique en lui arrachant son
caractère sacré ; le dommage était faible puis-
qu'une construction s'abattait devant les pro-
grès d'un autre édifice. Cependant les hommes
étaient conscients de la ruine sans s'aperce-
voir qu'une synthèse nouvelle s'élaborait.
MARIAGE 2
18 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

N'en est-il pas de même actuellement pour


la vie familiale en Afrique? La vieille famille
patriarcale est menacée par les progrès de l'in-
dividualisme. De nouvelles formes naîtront,
elles existent parfois déjà en fait, mais si les
hommes voient l'institution, elle ne leur paraît
pas digne de respect : n'en saisissant pas le
sens profond, ils ne lui sont pas attachés.
Il est urgent de connaître tout ce qui évolue,
tout ce qui peut s'adapter et tout ce qui se
modifie. En effet, il est possible, en adoptant
certains usages, de les faire entrer dans la nou-
velle synthèse civilisatrice, comme saint Mar-
tin plantait des croix sur les pierres dressées.
Mais présenter un tableau précis de la condi-
tion matrimoniale dans les pays africains n'est
pas facile. Continent culturellement morcelé,
l'Mrique a vu se développer des systèmes juri-
diques fort différents les uns des autres et des
usages sociaux divers. Tenter une synthèse des
droits coutumiers et des modes de vic semble
difficile, compte tenu de la complexité du
sujet et des lacunes de nos connaissances.
Mais, qui pis est, la documentation statistique
est peu abondante. Un juriste étudiant le
divorce en Europe pourra se référer à une
législation et à une jurisprudence écrites, faciles
à atteindre. Il disposera de statistiques démo-
graphiques précises permettant de mesurer l'ex-
INTRODUCTION

tension du phénomène selon les diverses


régions, les divers milieux. Rien de tel ici;
lois et usages sont décrits par des ethno-
graphes ou des sociologues, mais les rensei-
gnements statistiques sont encore trop rares.
Faute d'ouvrages généraux sur les divers
points à étudier, il est donc nécessaire de con-
sulter des monographies et de procéder à une
série de sondages en prenant deux ou trois
peuples dans chaque zone géographique et cul-
turelle et en supposant qu'aucun caractère par-
ticulier ne les empêche d'être représentatifs de
l'ensemble. L'idéal serait d'avoir pour chaque
cas deux témoignages à mettre en parallèle :
l'un moderne et l'autre du début du siècle.
Connaissant ainsi ce qui est fait (sociologie) et
ce qui devrait l'être (droit), ce qui est moderne
et ce qui est ancien, il serait possible de voir
le chemin parcouru et l'évolution qui se des-
sine.
CHAPITRE PREMIER

LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER

Étudier le mariage, c'est inévitablement con-


fronter les usages en vigueur en Afrique avec
les idées que la civilisation occidentale actuelle
a adoptées. Mais le mariage européen et le
mariage africain sont-ils choses comparables,
sont-ils, par rapport à une même réalité, deux
expressions entre lesquelles les différences
viennent uniquement de l'éloignement géo-
graphique, de l'écart des techniques ou des
économies, de la diversité des religions?
S'agit-il de deux institutions auxquelles des
traits communs donnent un faux air de parenté
comme se le demandent les auteurs du « Sur-
vey of African Marriage and Family life »?
Dans tous nos romans occidentaux, tout se
termine par un mariage. Dans les sociétés qui
nous occupent ici, le mariage n'est peut-être
22 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

qu'un phénomène secondaixe. « On n'est pas


parti du couple originel, on est parti de masses
plus ou moins grandes qui se sont concen-
trées peu à peu. L'évolution s'est faire par la
détermination de cercles concentriques de
parenté, toujours de _plus en plus étroits. Il
ne faut donc pas expliquer la parenté par une
multiplication des ménages, mais au contraixe
expliquer la famille conjugale à partix de la
parenté indivise. » Ce jugement de M. Mauss
peut paraître un peu déroutant et catégorique.
Mais il a le mérite de montrer que le mariage
n'a pas partout le caractère essentiel, central,
que nous lui connaissons en Europe.
Avant toute étude des institutions africaines,
il est donc nécessaire de chercher à quelle fin
elles sont ordonnées. Les institutions elles-
mêmes et leurs traits caractéristiques ne pour-
ront être comprises ou critiquées que si leur
finalité est connue dans l'ensemble.
Tout au long de ces pages, le mot « cou-
tume » sera pris dans le sens du droit coutu-
mier - ce qui, selon les règles juridiques en
vigueur, doit être fait - alors que le mot
« usage » sera employé pour désigner ce qui
se fait communément, même si cela ne con-
corde pas actuellement avec l'ensemble du
droit et si cela peut apparaître comme une
anomalie. Si un usage se maintient, il finira par
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 23

trouver un support juridique car le droit cou-


tumier évolue et ses constructions, sa philo-
sophie, sont susceptibles de se modifier pour
s'adapter aux besoins nouveaux. Il semble bien
en effet, comme l'estiment divers auteurs 1 que
le droit coutumier forme un ensemble cohé-
rent, sous-tendu par une vision métaphysique
de la vie et de la société et non pas un amas
de solutions hétéroclites. Enfin, à côté de la
coutume et de l'usage, il faut encore distin-
guer les « pratiques » plus ou moins répré-
hensibles, que l'opinion publique réprouve, en
principe. Il reste possible qu'un jour, ce qui
était mauvais ou même intolérable puisse deve-
nir convenable ou obligatoire. L'évolution de
l'opinion des Européens à propos du duel, par
exemple, montre bien la possibilité de ces revi-
rements.
« Acte juridique et religieux par lequel un
homme et une femme sont unis en vue de la
procréation d'enfants légitimes », c'est ainsi
que le Prof. Labouret définissait le manage

1. En matière de droit coutumier, je citerai simplement:


S.oHIER, Traité élémentaire de droit coutumier, 1954; Possoz,
Eléments de droit coutumier nègre, Élisabethville, I94Z. Pour
les systèmes métaphysiques, il suffit de citer M. GRIAULE,
G. DIETERLEN, J .-P. LEBEUF ou le P. TEMPELS. M. METAIS
(Mariage et équilibre social des sociétés primitives, Institut
d'Éthnologie, 1956) expose pour le Pacifique des idées
comparables.
24 . LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

africain. Chacun des termes mérite d'être repris


et scruté en détail.

***
A. Les parties en présence.
Dès l'abord un fait paraît extraordinaire au
juriste européen : dans l'institution africaine
les personnalités en jeu semblent mal fixées.
Cette imprécision se révèle dans presque toutes
les coutumes : des mariages sont décidés sans
que l'on sache au juste quels seront les époux.
Ici, des fiançailles sont nouées avant la nais-
sance des fiancés. Là, le remplacement des
époux est assuré si l'un d'eux vient à mourir:
la famille de la femme donne au veuf une
remplaçante ou bien l'héritier du de crgus
devient l'époux des veuves. Le système du
màriage par échange est caractéristique de cette
imprécision dans le choix des époux, puisque
le groupe qui reçoit une femme doit en donner
une autre sans que la personnalité des maris,
ni celle des femmes, ne semble avoir une bien
grande importance. Le langage même traduit
parfois cette imprécision. Les femmes de
langue éwondo (Yaoundé, Cameroun) disent
ordinairement « Je suis mariée chez les Éten-
ga », et non « j'ai épousé Un tel ».
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 15

Si la désignation des époux est souvent


vague, en revanche les conditions relatives à
la parenté sont extrêmement précises. Les règles
varient selon les ethnies : ici endogamie dans
la tribu ou la caste professionnelle, ailleurs
exogamie clanique... Dans la plupart des cas,
des Mricains manifestent une véritable ter-
reur de l'inceste et redoutent beaucoup d'en
commettre à leur insu, chose possible lorsque
la prohibition s'étend à la totalité d'un clan
parfois très éparpillé. Il convient de rappeler
que, selon. divers mythes, l'inceste constitue
le premier crime, le péché originel qui a
entraîné la déchéance de l'homme.
Ces règles de prohibition de mariage ont-
elles des conséquences démographiques? Il
semble que non, aucun auteur à ma connais-
sance ne signale une hypo-nuptialité qui leur
soit imputable. L'endogamie qui limite le
nombre de ceux entre qui le mariage est pos-
sible pourrait théoriquement avoir ce résultat.
Mais elle est beaucoup moins fréquente que
l'exogamie· et ne s'applique pas à des caté-
gories sociales trop étroites. Les usages exo-
gamiques n'ont pas eu sur les groupes tri-
baux l'influence unificatrice que l'on pourrait
.supposer. En effet l'individu doit se marier
hors de son clan. Mais il n'en découle pas
qu'il doive ou puisse simplement convoler
26 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

avec une fille appartenant à une autre tribu.


Lorsque les mariages intertribaux sont pos-
sibles, la coutume prévoit assez souvent les
peuples avec qui le « connubium » est en
usage.
L'âge des époux n'est généralement pas pré-
vu avec précision par le droit coutumier. En
règle générale, les rites d'initiation, de circon-
cision ou d'excision doivent être antérieurs au
mariage : tant qu'ils ne sont pas initiés, cir-
concis ou excisés, les jeunes gens ne sont pas
encore des humains complets et ne peuvent
jouir de la plénitude des droits.
Comment expliquer alors les mariages d'im-
pubères? Une fille est parfois fiancée avant sa
naissance et remise à sa belle famille lors-
qu'elle est encore toute petite. Mais il faut
distinguer entre l'échange de consentement qui
noue l'union, la remise de la fiancée et la con-
sommation du mariage. Ce que nous appelons
mariage d'impubères est en réalité un système
éducatif assez judicieux. Pour éviter les heurts
susceptibles de naître entre deux individualités
formées par des méthodes diverses, pour éviter
les difficultés d'adaptation entre deux époux
héritiers tous deux des habitudes et des tics
de leur propre famille, certaines coutumes pré-
voyaient la remise de la fiancée à sa belle
famille dès l'âge de 8 ou 9 ans. Élevée par sa
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 27

belle-mère, elle s'habituait tout doucement à


son nouveau milieu et l'on pouvait espérer
qu'elle aurait les mêmes goûts que son mari.
Cette volonté d'orienter la formation d'un
caractère mérite d'être signalée, comme aussi
ce désir que mari et femme soient semblables
alors que nous, Européens, déclarons volon-
tiers qu'ils sont complémentaires. La coutume
était sage, et peut-être bienfaisante, tant que
la consommation du mariage n'était autorisée
que longtemps après la puberté. Mais l'opi-
nion publique s'alarmait du progrès des mala-
dies vénériennes, répandues à partir de la côte
ou à partir du désert ; des hommes, redoutant
la stérilité d'épouses contaminées, en vinrent à
consommer le mariage trop tôt, croyant
accroître ainsi leur chance d'avoir des enfants.
Cet affolement devant une menace démogra-
phique corrompait profondément une coutume
et engendrait des conséquences diverses: l'ad-
ministration européenne, constatant la consom-
mation de mariages d'impubères, s'élevait
contre cette pratique et la sanctionnait pénale-
ment. D'autre part, un certain nombre de filles
fécondées trop tôt ne peuvent pas mener à
bien la grossesse et après' avortement elles
demeurent stériles. Il est impossible d'avancer
des chiffres à ce propos. En effet, les plaintes
pour viol ou mariage d'impubères sont rares.
2.8 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Cela ne prouve pas nécessairement la rareté


des faits mais bien plutôt la complicité des
familles. Une enquête auprès des médecins per-
mettrait peut-être de préciser l'importance de
cette cause de stérilité 1.
Postérieur en droit aux cérémonies mar-
quant l'accès à la virilité, le mariage était en
fait beaucoup plus tardif pour le garçon. Divers
auteurs signalaient il y a une trentaine d'années
que les hommes ne se mariaient pas avant
30 ou 40 ans. Des vieillards confirment ce fait,
et pour le Sud-Cameroun il m'a été possible
d'avoir sur l'âge au mariage des données assez
précises. En effet, les registres d'état civil men-
tionnent l'âge de l'époux avec une exactitude,
approximative certes, mais pas plus approxi-
mative en 1954 qu'elle n'était en 1930. De
l'examen des actes d'état civil de cinq cantons,
il ressort que l'âge moyen au mariage était
en 1936 de 43 ans, de 40 ans en 1940, de
39 ans en 1947 et de 36 ans en 1953. Et ces
chiffres correspondent à un mouvement géné-
ral, puisque quatre des cinq cantons pré-
sentent séparément la même évolution, tandis
que trois autres, non compris dans le total,

1. M. le Dr Blanc, médecin chef de l'Hôpital de Sang-


mélima et de la région du Dja et Lobo, me déclarait en
1954 qu'il attribuait à cette cause 10 % des cas de stérilité
féminine.
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 29

parce que ne renfermant pas la série complète


des années, évoluent aussi dans le même sens 1.
On fait souvent état d'une précocité sexuelle
marquée. Physiologiquement, le fait semble
établi. Mais de bons observateurs se demandent
si la crise pubertaire ne se prolongerait pas
plus longtemps que l'on ne pense communé-
ment, chez les garçons tout au moins, avec
son cortège d'hésitations, de tendances agres-
sives ou oppositionnelles. Il y aurait là matière
à des recherches futùres. L'intérêt pratique en
serait grand, puisque l'influence des garçons
de 18 à 25 ans est fort importante dans l'Mrique
moderne. Le mariage conclu à un âge relati-
vement élevé, s'expliquerait assez bien dans
ces perspectives, mais la tendance se renverse
actuellement et les mariages de jeunes se font
fréquents.
Il serait assez normal que cette évolution
1. Les chiffres peuvent être faussés du fait que l'état
civil enregistre aussi bien les mariages polygamiques que
les mariages monogamiques. Si le nombre des mariages
polygamiques était plus grand, il serait logique que l'âge
moyen s'en trouve élevé, puisqu'un deuxième mariage est
entrepris plusieurs années (au moins cinq) après le pre-
mier... En fait cette cause d'erreur ne me paraît pas redou-
table, la polygamie n'ayant pas décru, affirment les obser-
vateurs, depuis 1936. Tous les mariages, il est vrai, ne
sont pas enregistrés à l'état civil, contrairement à la loi :
mais on voit mal pourquoi les jeunes auraient évité cette
formalité en 1935 et l'auraient adoptée en 1953. Il me
semble, au contraire, que les jeunes, plus perméables aux
idées nouvelles, auraient dû s'y conformer plus rapidement.
30 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
ait des conséquences démographiques ou socio-
logiques. La fécondité de l'homme peut être
différente à 2~ ou 30 ans de ce qu'elle est à
40 ans. De toute façon, se mariant plus tôt,
les époux peuvent avoir de plus longues
années de vie conjugale. Enfin, les ménages
où les deux époux sont d'âge équilibré n'ont-
ils pas plus de chances de bonne entente que
ceux où la différence d'âge est très forte?
Malheureusement aucun chiffre précis ne peut
être apporté sur ces points, et les conséquences
de la diminution de l'âge de l'époux au mariage
sont inconnues.
Le mariage unit un homme et une femme,
mais les intéressés ne sont pas les seuls à
donner leur consentement pour nouer ce con-
trat.
A voir les choses de l'extérieur le rôle des
familles paraît même prédominant. La plupart
des descriptions nous montrent le père du
jeune homme cherchant une fiancée pour son
fils et entreprenant les démarches pour arran-
ger le mariage. Il est reçu par le père de la
fille et se mec d'accord avec lui. La mère est
généralement consultée et son accord est mar-
qué par les présents qu'elle reçoit. Mais bien
d'autres consentements doivent être réunis :
celui du patriarche, celui de l'oncle maternel
parmi les peuples où l'organisation matrili-
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 31

néaire est encore marquée; parfois, tous les habi-


tants, tous les camarades d'âge doivent donner
leur assentiment. Et les cadeaux qui leur sont
faits peuvent être interprétés soit comme un
argument destiné à les convaincre, soit, puis-
qu'ils sont acceptés, comme le signe du con-
sentement. L'intervention d'un « allié de clan»
est peut-être particulièrement révélatrice, puis-
qu'elle montre la part prise dans les négocia-
tions non seulement par la parenté directe,
mais par tous les alliés de la parenté à plai-
santerie, comme l'a bien fait voir le Prof.
Labouret 1 à propos des Voltaïques.
Cette intervention d'une collecrivité est par-
faitement dans la logique d'une civilisation où
l'élément essentiel est le groupe familial plu-
tôt que l'individu. De même que dans les
mariages royaux, en Europe, une union matri-
moniale dépasse les individus en présence :
elle intéresse tout le groupement, ses membres
vivants, morts ou à naître. Il n'est pas besoin
de recourir à l'hypothèse du mariage par
groupe, il n'est pas nécessaire de supposer
que le clan a exercé sur les enfants une tutelle
collective pour expliquer ces interventions de
la communauté, il suffit de se souvenir que le
village est une famille où règne une grande
1, En particulier: Paysans de l'Afrique Occidentale, NRF,
1940, p. 14 2 •
32 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

solidarité. D'ailleurs, l'intervention des pères


de famille est parfaitemen[ naturelle dans une
société où l'égalité n'est pas habituelle, où la
pleine capacité juridique n'est pas accordée à
tous les individus. De même que l'interven-
tion du plus proche descendant de l'ancêtre
fondateur est parfois exigée par la coutume
pour prendre certaines décisions graves, de
même l'intervention des « pères », plus com-
pétents que les « enfants », est logique pour
régler les mariages.
Nous ne saurions nous en étonner puisque
nos lois supposaient, hier encore, le consente-
ment des parents au mariage ; puisque dans
certains milieux l'usage demeure encore de
mariages arrangés par les parents. Cependant
les pouvoirs réservés au père par les usages
- sinon par les coutumes - en Mrique,
étaient considérables, puisqu'il arrivait qu'ils
décident se,uls du sort de leurs enfants - en
particulier de leurs filles.
Droit de décision, voilà qui est bien diffé-
rent du droit de conseil ou du droit d'oppo-
sition dont jouissem les familles dans l'ancien
droit européen. Et, muni de ce pouvoir, le
père a trop naturellement tendance à recher-
cher un gendre parmi les groupes des hommes
avec qui il a des relations amicales, parmi ses
camarades d'âge. D'où le grand nombre des
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 33

ménages où les âges des époux sont très dis-


proportionnés.
Si le consentement de la parenté, et particu-
lièrement ceux du père et de la mère, sont
importants, l'usage est à peu près partout soli-
dement établi de marier les garçons selon leur
choix. Jusqu'à présent une coutume assez
répandue voulait que le père établisse son fils
en lui donnant une femme, la première femme,
la « grande femme », celle dont les descen-
dants, selon certaines coutumes, ont un statut
privilégié (possibilité d'hériter du commande-
ment ou de certains biens particuliers, situa-
tion d'aîné...). En fait, actuellement, les chefs
de famille s'assurent au moins de l'acceptation
du jeune homme 1. Parfois même c'est celui-ci
qui a l'initiative et prie son père de formuler
la demande en mariage et de discuter des
conditions. Une évolution nouvelle marque
bien l'indépendance accrue dont jouissent les
jeunes hommes pour le choix d'une compagne:
chez les Betis et Boulous du Sud-Cameroun,
des liens particulièrement étroits, à l'intérieur

L Encore que des traditions plus restrictives soient


encore en usage, M. Diallo Telly, à propos de ses compa-
triotes, les Foulas de Guinée, écrit : « L'avis du futur est
souvent pris, d'ailleurs à titre de simple renseignement.
Celui de la fille ne l'est presque jamais du moins lorsqu'il
s'agit d'un premier mariage », in Rev. Jurid. et Polit. de
rU.F., avril 1957.
MARIAGE 3
34 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

d'un foyer polygamique, unissent frères et


sœurs germains. La coutume prévoit que la
dot reçue pour la sœur doit permettre l'éta-
blissement de son frère, et une mère refuserait·
son consentement au mariage de sa fille si son
fils n'est pas « établi ». Théoriquement, c'est
le pète qui effectue cette compensation, mais
à l'heure actuelle, des chefs de famille pré-
fèrent ne pas se mêler du mariage de leur fils
et ne prendre aucune part à ces négociations :
ils donnent au jeune homme la dot perçue ou
à percevoir sur leur sœur, le laissant chercher
une fiancée et mener tout seul ses entreprises
matrimoniales. Pour les épouses secondaires,
il semble avoir toujours été admis que l'homme
fasse lui-même choix et négociations, comme
si son premier mariage avait définitivement
accru sa capacité juridique.
Le consentement de l'époux est donc en
général bien marqué. Celui de l'épouse existe-
t-il et peut-il s'exprimer librement, ou, comme
le pensent certains auteurs, eSt-il totalement
éclipsé par la manifestation de la volonté des
parents? En effet, devant certaines modalités
coutumières du mariage - fiançailles d'en-·
fants à naître par exemple - des observateurs
ont pu se demander si l'épouse avait à poser
un acte de volonté ou non. Le problème a
été particulièrement débattu dans les milieux
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 35

missionnaires. En effet, pour le droit canon,


le mariage naît du double consentement des
époux : mariage naturel, s'il est contracté
hors des rites religieux chrétiens, mariage reli-
gieux, s'il est béni par l'Église. Dans les deux
cas l'acte serait nul si un des consentements
avait manqué ou était forcé 1.
Ces cas sont-ils si fréquents? Certes l'inter-
vention familiale est évidente. Mais dans la
plupart des coutumes la femme exprime son
avis, tantôt par l'acceptation de cadeaux ou
de services, tantôt en transmettant à son père
un don que lui remet le prétendant, tantôt en
buvant avec lui. lamais la décision ne se mani-
feste par un « o{li » public, les Africains esti-
meraient de mauvais goût d'aflicher ainsi un
sentiment ou une acceptation. Divers symboles
sont employés pour le traduire.
Évidemment ce n'est pas la femme qui a
l'initiative du choix, mais elle dispose du droit
d'accepter ou de refuser le futur que lui pré-
sente sa famille. Est-ce pour lui permettre
d'échapper à la pression des siens que l'usage
du mariage par enlèvement s'est répandu?
Cette pratique est signalée dans les régions
les plus diverses : au Kissi, sous le nom de
« no somboro » ; chez les Malinkés, les Bagas,
1. Bulletin des missions, Saint-André-les-Bruges, 2. e trim.
1952.·
36 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

les Foulas; dans le Sud-Cameroun~ aussi bien


chez les Doualas et les B~tangas que chez les
Éwondos, les Boulous (mariage abom). Le
public y voit généralement une modalité moins
régulière mais admissible du mariage. Évidem-
ment ce subterfuge permet aux filles d'im-
poser leur choix et, après s'être enfuies avec
l'élu, d'obliger la famille à accepter le mariage.
En fait, dans les circonstances actuelles, les
filles ne peuvent guère être contraintes. Comme
l'écrit M. de Lestrange 1 « pratiquement,
aucune fille n'est mariée sans son consente-
ment et l'indépendance des filles croissant> il
y a trop de risques à les fiancer jeunes ». Cette
situation de fait ne se trouve pas pleinement
reconnue par les coutumes qui considèrent
jusqu'à un certain point les femmes comme
incapables. « Nantie du droit de posséder, de
gérer sa fortune et de la transmettre, la femme
occupe donc dans la société négro-africaine
une place assez paradoxale. Subordonnée dans
la société comme l'étaient ses sœurs de l'an-
cien droit romain, du droit barbare et même
du Moyen Age, elle jouit pourtant d'avantages
que celles-ci n'ont pas connus 2. » Ce déséqui-
libre entre un statut juridique de mineure et
I. .M. DE LESTRANGE, Coniaguis et Bassaris, P.U.F.,
Paris, 1956.
2. LABOURET, op. cit., pp. 149-181 et Africa II, 1940.
LE MARIAGE EN DROIT COUTIlMIER 37

une totale liberté de fait, entre un statut


matrimonial défavorable et un statut égal à
celui de l'homme dans le domaine écono-
mique n'est pas sans exemple dans l'histoire:
l'époque alexandrine et certaines périodes de
l'ancienne Égypte en témoignent tout comme
divers documents cunéiformes.
Notre souci de logique nous a rendu sen-
sible à cette anomalie. D'ailleurs, pour des
Occidentaux, l'importance du mariage est telle
que la liberté de commercer associée à une con-
trainte matrimoniale semble une dérisoire mys-
tification. Il faut avouer aussi que, en Europe,
l'évolution juridique s'est faite en sens opposé:
très tôt le droit matrimonial a reconnu la
nécessité du consentement de la femme, cepen-
dant que les incapacités de contracter, de dis-
poser, etc., étaient maintenues.
Sans songer que, sous certains rapports, les
femmes africaines étaient plus libres que les
femmes d'Europe, les législateurs ont voulu
assurer leur affranchissement.
Des textes législatifs ont été pris pour
assurer le libre consentement de la femme au
mariage: le décret Mandel (15-6-39), le décret
Jacquinot (14-9-51). Le premier rappelle la
nécessité des consentements, le second précise
qu'il peut être passé outre au refus du consen-
tement paternel. Ces textes sont-ils appliqués,
;8 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

ou, plus précisément, des intéressées en deman-


dent-elles l'application? Aucune statistique
d'ensemble n'a pu être rassemblée sur ce
sujet et il est impossible de savoir si la légis-
lation a eu des conséquences sur le taux de la
nuptialité. En tout cas, il ne semble pas que
le nombre des mariages soit plus élevé dans
les contrées où les femmes jouissent en fait
d'une plus grande indépendance, au contraire.
Après avoir tenté de voir si les époux pou-
vaient donner à leur mariage un consentement
valable, je ne puis faire mieux que de citer le
P. de Pélichy : « Sans doute des pressions
peuvent s'exercer et elles s'exercent sur les
conjoints, en Mrique comme autrefois en
Europe. Ce sont là des abus que seul le chris-
tianisme parviendra peu à peu à extirper. Mais
ces abus ... constituent une preuve de l'impor-
tance que les anciens attachent au consente-
ment mutuel des époux. Si celui-ci n'était pas
indispensable aux yeux du peuple pour la
conclusion d'un mariage, croit-on vraiment
que les pères de famille se donneraient tant
de peine pour l'obtenir 1? »
On peut donc estimer qu'en droit comme
en fait, le consentement des époux peut se
manifester. Toutefois l'intervention de la col-

1. Bulletin des missions, ze trim., 1952. p. 57.


LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 39

lectivité entière diminue leur indépendance


dans des proportions variables.

B. Fins du mariage.
Le but essentiel du mariage africain est la
procréation d'enfants. Face aux idées euro-
péennes, ce caractère strictement « nataliste »
du mariage africain est frappant et ses lacunes
apparaissent.
Nous ne nous en apercevons pas au pre-
mier abord. En effet, pour réagir contre les
tendances de son inconscient, l'Européen a
proclamé à diverses occasions ce but de pro-
création. Mais dans la psychologie de l'Occi-
dental, comme dans ses codes et ses romans,
cette fin n'est ni la seule ni la principale.
Nos dictionnaires définissent le mariage
comme l'union légale de l'homme et de la
femme. L'encyclique du pape Pie XI, Casti
Connubii, indique dès ses premières lignes que
le mariage est le principe et le fondement de
la société domestique. Le mot société indique
l'importance que revêt à nos yeux la cellule
élémentaire composée d'un homme et d'une
femme : le ménage. En est-il de même en
Afrique? Celui qui observe une famille étendue
doit constater qu'il y a entre la vie commu-
nautaire du groupe patriarcal et la vie du
40 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

ménage certaines antinomies : sans s'exclure


absolument, ces deux cellules se concurrencent.
Le ménage n'est pas en droit la base de la
société. Examinons le cas du ménage polyga-
mique sorti de la famille patriarcale. Toute la
zone sylvestre, de la Côte d'Ivoire au Gabon,
offre des exemples de ce système: l'ancienne
« gens » est dispersée. Des liens de solidarité
demeurent, mais chaque ménage vit à part.
Dans cette organisation sociale, ce n'est pas
la société conjugale, le groupe « époux-épouse
(s) » qui paraît le plus marquant, mais le
groupe « mère-enfant ». En effet chaque
femme vit à part, avec ses enfants, cultivant
pour eux, travaillant avec eux. Lorsque son 61s
aura grandi, elle se mettra sous sa direction. Ce
petit groupe forme une entité juridique qui a ses
biens propres : j'ai signalé plus haut que le
garçon, chez les Bétis et Boulous, avait un
droit sur la dot de sa sœur. Dans la même
région, chaque enfant est l'héritier des champs
maternels : en cas de décès du père, les 61s
de chaque lit ont droit à ce qui était cultivé
par leur mère ou même à ce qui avait été cul-
tivé et est retombé en jachère. Chaque foyer
a donc son existence autonome. Il est évident,
en effet, que la polygamie distend les liens
entre mari et femme et resserre les liens entre
mère et enfants. Jalousie, absence d'intimité
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 41

ne facilitent pas l'établissement de relations


totalement confiantes.
Dans le mariage monogamique même, le
couple n'a pas la valeur sociale qu'il a pré-
sentement en Europe : il donne souvent l'im-
pression d'être composé de deux individus
simplement juxtaposés et qui n'ont pas créé
un élément nouveau. Sur le plan social et
religieux, mari et femme ont peu d'activités
communes. Les anciennes sociétés « secrètes»
séparaient toujours les hommes des femmes et
les confréries chrétiennes, catholiques et pro-
testantes, font souvent de même. Dans les
pays où le culte des ancêtres est pratiqué, il
est fréquent que les épouses soient écartées
des cérémonies, et c'est logique puisqu'elles
n'ont pas le même ancêtre que leur mari.
Dans la plupart des cas, la femme en se mariant
ne quitte pas sa famille pour s'agréger à une
autre famille. Les rites marquant une telle sépa-
ration et une telle agrégation, si fréquents
dans le folklore européen, sont rares en
Mrique. Le mari de son côté ne quitte pas
son groupe. Le jeune ménage ne forme pas
une cellule nouvelle : il devient un élément
nouveau d'une famille. Sentimentalement, la
femme reste très attachée à son groupe et
subit toujours l'influence des siens qu'elle va
souvent visiter. Beaucoup de querelles naissent
4Z LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

de la complication des relations, soit que les


parents cherchent à soustraire leur fille à son
mari, soit que l'un des époux soit froissé de
voir son conjoint témoigner trop peu d'égards
à sa famille, soit que les voyages et visites
soient trop fréquents. Dans la civilisation euro-
péenne actuelle, ces relations avec les beaux-
parents ne sont pas toujours faciles, mais cha-
cun pose en principe, au moins théoriquement,
l'indépendance absolue du jeune ménage, con-
formément à la parole de la Genèse reprise
dans l'Évangile: « L'homme quittera son père
et sa mère et il s'attachera à sa femme et ils
ne seront tous deux qu'une seule chair. »
Considérer le ménage comme une individua-
lité nouvelle, comme un être social nouveau
est parfaitement dans la ligne de la tradition
judéo-chrétienne. En Afrique, le problème est
différent.
La bizarrerie de la situation juridique de la
femme mariée apparaît bien en lumière dans
les mouvements dits de regroupements tribaux
qui ont touché les peuples Pahouins du Came-
roun ou du Gabon. Les initiateurs de ces
mouvements voulaient amener les membres
des divers clans ou des diverses tribus à
prendre davantage conscience de leur appar-
tenance et des devoirs qu'elle comportait. Ils
ont donc organisé des réunions autour de ce
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 43

qu'on appelle la « danse enyèguè », spectacle


très complexe de danses, de chants, de scènes
mimées. Enyèguè est dansé par les femmes,
les états-majors des associations comptent un
certain nombre de femmes dignitaires. Il est
piquant de constater que ces apôtres de la
tribu ne sont pas elles-mêmes membres de la
tribu, car les règles d'exogamie sont très exac-
tement appliquées. Le mariage leur a-t-il con-
féré une sorte de naturalisation dans le clan
de leur mari? Cette explication paraît la seule
satisfaisante. Est-elle dans la logique du droit
coutumier ou montre-t-elle que les liens con-
jugaux sont en train d'acquérir droit de cité
en face des droits de filiation?
Sur le plan financier le ménage n'a guère
d'existence. Mari et femme conservent leurs
gains par-devers eux et en ont l'usage qui leur
paraît bon. Certes, la femme doit nourrir son
mari et pour ce faire elle utilise les produits
de ses champs. Le mari de son côté doit pré-
parer pour sa femme des terres à cultiver, il
doit entretenir sa case et ses outils. En fait,
il lui donne une partie de l'argent dont il dis-
pose ou lui achète des vivres et des vêtements.
Cependant, il n'y a pas de communauté de
biens. Jadis les sources de profit étaient fort
limitées et les femmes maîtresses des cultures
vivrières avaient une situation favorable. Mais
44 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

les hommes se sont réservés les cultures d'ex-


portation et détiennent ainsi les sources de la
richesse. L'équilibre financier entre les deux
sexes se trouve maintenant rompu, sans que
l'idée d'une communauté financière vienne
encore la rétablir. Au contraire, on assiste à
une réaction dans le sens traditionnel : des
femmes s'efforcent maintenant de se créer une
plantation pour avoir ainsi des ressources en
argent.
Le ménage, la vie commune des époux
semblent donc n'être pas une fin essentielle du
mariage africain. Au contact des Européens et
. du christianisme, hommes et femmes s'en aper-
çoivent et éprouvent le sentiment qu'il y a là
une lacune. Le Prof. Lorrimer l'expliquait par-
faitement lors d'un congrès sur les statistiques
démographiques : « Les facteurs qui paraissent
déterminants pour empêcher des tendances à une
violente désagrégation sociale ou pour la redres-
ser impliquent la stabilité de l'emploi... l'éveil
d'un intérêt nouveau pour les valeurs familiales et
conjugales représentées par le foyer monogame.
Ce facteur inclut un changement d'attitudes à
l'égard de l'épouse et de::: enfants considérés
non plus comme des richesses à exploiter et
à réclamer, mais comme des personnes à ché-
rir et à épanouir. La famille conjugale... est
l'institution pivot pour la reconstitution des
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 45

relations sociales stables du fait que les


anciennes institutions basées sur les relations
de parenté étendue cessent d'étre adaptées et
efficaces 1. »
Dans le Sud-Cameroun, sous l'influence des
missions catholiques, des groupes de jeunes
ménages se forment où les époux réfléchissent
sur les problèmes de la vie conjugale, étu-
dient la doctrine élaborée à ce sujet et prennent
par là même conscience de l'importance de la
communauté entre les époux. Bien entendu,
les milieux touchés sont encore peu nom-
breux. Sauf exception, les groupes sont encore
limités_ aux missions urbaines, leur recrute-
ment se fait parmi les fonctionnaires, employés
et ouvriers qualifiés, plutôt gue dans les frac-
tions restées plus traditionalistes. Peu impor-
tant encore paf le nombre de ses adhérents,
le mouvement peut avoir une action en offrant
à la masse une « philosophie » du mariage,
alors que cette institution paraît avoir perdu
son sens profond.
Le mariage « récemment encore... était tou-
jours la conséquence d'une alliance entre deux
groupes humains ... Les sentiments individuels
n'y avaient guère part 2 ». M. Labouret indique
peut-être ici à la fois la raison pour laquelle
1. Revue de l'Action Populaire, nov. 1954.
z. Paysans d'Afrique occidentale, p. 147.
46 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

la notion de communauté de ménage ne s'est


pas imposée et la cause de décadence de l'ins-
titution matrimoniale. Jadis, le mariage trou-
vait une finalité suffisante dans la procréation,
les époux étaient satisfaits de se soumettre aux
lois de leur famille, ils trouvaient dans cette
obéissance leur règle de vie et, dans la perpé-
tuation de la lignée, la justification et la con-
sécration de leur destinée personnelle. AuJour-
d'hui hommes et femmes ont d'autres aspira-
tions et attendent le bonheur.
Ils veulent, comme on dit, vivre leur vie :
les coutumes matrimoniales tenant faiblement
compte de la volonté des époux, ne prévoyant
guère la communauté du ménage, ne favori-
sant pas le mariage d'amour si nécessaire aux
romanciers européens. Jusqu'à quel point d'ail-
leurs la notion d'amour existe-t-elle? Une
étude complète de la littérature folklorique
permettrait seule de le préciser, faute de docu-
mentation sur la « psychologie des profon-
deurs ». Il semble bien toutefois que les sen-
timents amoureux soient plus rarement expri-
més que dans le folklore européen : « ils se
plûrent, vécurent heureux, se marièrent et
eurent beaucoup d'enfants» n'est pas la con-
clusion classique des contes africains.
Une étude de l'opinion publique telle qu'elle
s'exprime dans les lettres adressées aux jour-
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 47

naux permet de s'en apercevoir à l'évidence.


Au Cameroun en 1951, 1952 et 1953, la presse
publia des centaines d'opinions sur la dot, la
polygamie, le divorce. Pas un seul de ces docu-
ments n'évoque l'importa.nce des sentiments.
En revanche, lorsqu'au collège de jeunes filles
de Douala un devoir a été proposé sur le
mariage, 4 élèves (sur 14) ont insisté sur la
nécessité de l'amour.
Pour l'homme, a.voir de nombreux enfants
reste le but essentiel de l'existence, la paternité
flatte son orgueil et son désir de considération
sociale. Il est possible, comme l'indique M. Pos-
soz, que la notion de paternité joue en droit
négro-africain un rôle important, analogue à
celui de la propriété en Occident. L'accession
au « paternat », selon son expression, donne
à l'homme un accroissement de sa personna-
lité, il s'agrandit positivement de ses enfants
tout comme en Occident il s'agrandit de ses
propriétés. Peut-être les idées actuelles con-
tiennent-elles le germe d'une déviation des
principes originels : au lieu de chercher la
grandeur de sa « gens », le père cherche sa
propre grandeur, ce qui le désarme d'avance
devant ses propres enfants lorsque ceux-ci
auront à leur tour c1es vélléités c1'inc1énendance.
Mais les femmes ont-elles semblabl; désir de
maternité? Certes, ce sentiment demeure quasi
48 . LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
général, mais il y a maintenant des excep-
tions : des cas d'avortement ont été signalés
dans diverses régions. Des femmes vivant en
concubinage redoutent d'être mère de peur de
vieillir, des femmes vivant en mauvaise intel-
ligence avec leur mari cherchent volontaire-
ment à le priver de postérité 1.
Le mariage a pour but essentiel la procréa-
tion d'enfants légitimes; la définition ne ris-
que-t-elle pas d'écarter certains types d'union
pour la raison que les enfants qui en sont
issus n'appartiennent pas à leurs parents? Le
mot « légidme » doit être pris dans un sens
assez large. En effet les unions en question ne
sont pas des phénomènes juridiques, des
excroissances monstrueuses de la coutume;
elles sont au contraire dans la ligne logique du
corpus juridique coutumier. Elles ne sont pas
plus « révoltantes » que ne l'est chez nous
l'adoption. Au Dahomey, les enfants nés du
mariage kpokanta ou du mariage gbossou
donougbossi, n'appartiennent pas à leur père 2.
Au Cameroun, l'attention a été attirée par cer-

1. AUJOULAT et OLIVIER ont signalé le fait dans leur


article Obstétrique en pays Yaoundé, Éli/des camerounaises,
1945. CROQUEVIELLE décrit l'emploi de breuvages stérili-
sants, in Population, juillet 1953.
2. Sœur MARIE-ANDRÉ DU SACRÉ-CœUR, Condition humaine
en Afrique noire, Grasset, 1953, p. 125. LE HÉRISSEY, Ancien

,
royaume du Dahomry.
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 49

tains auteurs sur le mariage « Nkap » des


Bamilékés : le chef donne à un de ses fidèles
une femme dépendant de lui ; il disposera des
filles nées de ce mariage comme s'il était leur
père véritable 1. L'enfant est légitime en ce
sens qu'il a un statut juridique parfaitement
régulier. Ces mariages sont intéressants parce
qu'ils montrent que la coutume peut séparer
trois fins du mariage que le droit occidental
ne nous a pas habitué à distinguer : la vie en
commun des époux, le procréation d'enfants
et le devoir d'éducation de ces enfants. Il faut
en effet signaler ce dernier point parmi les fins
du mariage. Les codes prévoient des disposi-
tions sur le droit de garde ou de correction
et, parmi les « biens du mariage », Pie XI
indique non seulement la naissance des enfants,
mais leur éducation au sens le plus fort du mot 2.
En Mrique, il en est tout différemment.
Certes, la mère a un rôle essentiel dans l'édu-
cation des tout-petits, mais en règle générale
le rôle du père est plus effacé. Des raisons
diverses en sont données ; certaines traduisent
simplement le fait que le ménage n'est pas la
cellule essentielle. Les enfants vivent le plus
1. Le mariage « Nkap » a été décrit par le P. ALBERT,
Bantijoun et par J. HURAULT, ingénieur géographe, Etude
inédite sur la structure sociale des Bamilékés, 1956.
2. « La fin première du mariage, c'est la procréation
des enfants et leur éducation », Codex ]uris, Canon 1013.
MARIAGE 4
~o LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
souvent avec leur mère et l'unité élémentaire
est le foyer. Même dans les ménages mono-
gamiques, le style de vie caractéristique de la
polygamie est imité ; le mari vit dans Sa case
et la femme avec ses enfants dans la sienne 1.
Mais un autre phénomène joue également :
les coutumes sont fonction d'une organisation
communautaire. Les grands rites d'initiation
sont la conclusion d'une éducation collective
de tous les jeunes d'un village ou d'un can-
ton : le père doit confier à la communauté
l'éducation de ses enfants. Dans le cadre beau-
coup plus restreint de la famille patriarcale, le
père se trouve souvent déchargé de sa fonc-
tion d'éducateur; - sans parler des peuples
de droit matrilinéaire où la tutelle des oncles
maternels est de règle, il est fréquent qu'un
enfant soit confié à un membre quelconque de
sa parenté : il vivra chez lui, à sa charge,
rendant les services que son âge lui permet de
rendre pendant une année ou plus. Certains
érigent même en système ce parrainage : vivre
ailleurs que chez son père, disent-ils, permet
d'apprendre du nouveau, de s'habituer à la
vie sociale; la discipline serait plus forte qu'au

I. Parfois le père se trouve ainsi séparé de ses enfants


par souci de sauvegarder sa dignité. Dans d'autres cas, le
désir d'éviter les jalousies caractéristiques de la polygamie
entre en jeu.
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER ~1

foyer où elle se trouve tempérée par l'affec-


tion. Faut-il rapprocher cet usage de la mise
en service des pages, si fréquente au Moyen
Age? La mise en pension est expliquée par-
fois par l'insuffisance des écoles: faute d'école
dans le village, les jeunes sont envoyés chez
des parents habitant à p:roximité d'un établis-
sement scolaire. Explication insuffisante : en
effet, après enquête dans les villes du Sud-
Cameroun, où l'équipement scolaire est par-
faitement suffisant, j'estime que 25 % des
enfants vivent ainsi hors de la maison pater-
nelle. Outre les conséquences sur l'éducation
qu'il n'y a pas lieu d'évoquer ici, cette pra-
tique mérite d'être signalée: elle explique que
la nécessité de bien élever ses enfants n'im-
pose à peu près jamais aux pères une limita-
tion des naissances.
Deux problèmes viennent d'être soulevés
qu'il ne faut pas esquiver, car ils ont des
conséquences démographiques - et en auront
de plus en plus. Faute de renseignements dùf-
frés, il n'est guère possible de faire plus que
poser les questions.
La première question est celle-ci: l'attribu-
tion des droits paternels a-t-elle une consé-
quence sur là fécondité des mariages? Autre-
ment dit les mariages « nkap }} ou « kpo-
kanta }} sont-ils les moins féconds?
52 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

La seconde est celle-ci : la fécondité varie-


t-elle selon que les enfants appartiennent à
leur père ou à la famille de leur mère? La
parenté matrilinéaire est en usage dans le Sud
de la Côte d'Ivoire (Baoulés) et au Congo. Dès
à présent, en milieu africain, des articles de
journaux ont ouvert la discussion et l'on peut
dire que le procès est ouvert.
Ce serait un excellent « canular » que de
prétendre que la sexualité ne joue aucun rôle
dans le mariage africain. Et pourtant des faits
permettent de penser que son rôle est moindre
que dans l'Europe actuelle ou dans la civili-
sation islamique.
Des commentateurs musulmans estiment que
certains mariages sous condition « restent
valables en raison de l'absence d'illégalité dans
le but du mariage (le but est le coït) mais
que la condition est nulle ». L'expression
« but du mariage » est révélatrice. L'impor-
tance attribuée à la consommation du mariage
l'est aussi : en droit occidental ou en droit
musulman, c'est elle qui marque l'origine du
mariage. En est-il ainsi dans les coutumes afri-
caines? Ce n'est pas évident. Les relations
sexuelles entre fiancés sont parfois tout à fait
licites, et souvent, d'autre part, on fait dater
le mariage non pas de sa consommation mais
de la tradition de l'épouse ou de telle autre
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 5;
cérémonie. Le fait a. frappé les rédacteurs de
certains coutumiers 1. Enfin certains peuples
n'attribuent aucune considération particulière
à la virginité de la jeune épouse.
Les coutumeS qui attribuent juridiquement
la paternité des enfants à un autre que celui
qui a fécondé la mère vont dans un sens ana-
logue, en distinguant le mariage et ses consé-
quences sociales de la sexualité.
L'existence du mariage entre femmes, attesté
chez les Nienegués, en est une autre forme.
Une femme vieillissante redoute-t-elle un veu-
vage solitaire, elle demande une fille et, avec
l'accord de la famille, lui présente tous les
hommes pour qu'elle choisisse un compagnon
de lit. Les enfants à naître porteront le patro-
nyme du mari de la vieille femme comme dans
le cas des mariages sans puissance paternelle 2.
L'intérêt de cet exemple est de montrer qu'il
n'est pas impossible, ici encore, de séparer des
éléments que nous sommes habitués à mélan-
1. « La consommation du mariage est considérée comme
secondaire, le fiancé ayant pu avoir en secret auparavant
des rapports et le mariage est conclu du jour où les parents
acceptent de remettre la fille, avant même que cette remise
ait eu lieu effectivement », coutume Tagouana, cercle de
Katiola-Soudan, 1950, inédit, archives FOM AP. - « L'ha-
bitude est encore répandue que la fille promise aille habiter
dans le village de son futur mari. .. (alors) le mariage n'est
pas marqué par une fête. Il n'a pas une date... » Coutume
Bété de Gagnoa, Côte d'Ivoire, 1950, inédit, archives FOM.
2. D, TRAORE, notes I,F.A.N,
54 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

ger. La fréquence des mutilations sexuelles


(excision) en est une autre preuve. Il est
important de signaler que ces mutilations ne
semblent avoir aucune répercussion fâcheuse
sur la natalité. L'infibulation elle-mêmè, telle
qu'elle est pratiquée à la Côte des Somalis,
serait sans influence démographique.
A l'issue de cet examen des fins du mariage,
les différences appréciables apparaissent entre
institutions africaines et institutions euro-
péennes : ici, la vie du couple est importante
avec ce que cela entraîne sur le plan psycho-·
logique ou juridique ; là-ba.s, la procréation
eSt l'essentiel, mais l'éducation compte peu.
Carothers 1 souligne un autre aspect: « L'at-
titude à l'égard du mariage est assez différente
de celle qui prévaut parmi les Européens du
fait qu'en Afrique cette institution est basée
plus franchement sur les facteurs d'économie
et de succession. » Jeffreys écrit que « l'on
constate très souvent que le mariage chez les
Noirs n'est pas tant une question per.sonnelle
qu'une affaire entre familles ou entre groupes ».
Le mariage est par conséquent un contrat civil
aux termes duquel chaque partie s'engage à
respecter certaines obligations vis-à-vis de
l'autre, mais conserve une autonomie considé-
1. CAROTHERS, Psychologie normale et pathologique des Afri-
cains, o.m.s., 1954.
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER ~~

rable du point de vue économique. Les


motivations économiques ne se dissimulent
jamais derrière un paravent de sentimentalité.
L'homme se marie souvent pour s'assurer les
services d'une cuisinière et d'une ouvrière agri-
cole.

C. Le mariage, acte juridique de caractère sacré.


La définition du mariage serait extrêmement
incomplète si le caractère d'acte juridique et
religieux était passé sous silence.
Acte juridique, le mariage a des consé-
quences opposables à tous. C'est un acte
public, valable même à l'égard de ceux qui
n'y ont pas pris part. La rotalité du clan souffre
si l'un de ses membres, par ignorance ou par
malice, a enfreint les lois d'exogamie. Ainsi
se justifie l'intervention de la parenté la plus
éloignée: ce n'est pas un abus, mais l'expres-
sion d'une réalité juste. Ainsi se justifie égale-
ment tout le caractère de publicité donné au
contrat: festivités, cortèges d'invités, dépenses
excessives, emploi d'intermédiaires spécialisés,
entraînent des difficultés considérables, mais
sont inhérents au caractère public de l'acte.
Le mariage, d'autre part, est une institu-
tion qui ne saurait être modifiée au gré de
chacun, ceux qui s'y engagent acceptent des
56 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

obligations précises. Ce caractère contraignant,


sinon irrévocable, des obligations matrimo-
niales doit être souligné ici : en effet il influe
certainement sur le recul de beaucoup de filles
devam le mariage.
Mais le ca.cactère sacré du mariage coutu-
mier tend à disparaître. Faut-il voir dans cette
décadence la conséquence d'une corruption
des usages? Les auteurs qui croient à une
monogamie primitive, sont tentés de conclure
que l'adoption de la polygamie et la tolérance
du divorce comportaient le germe qui allait
ruiner le mariage. Travaillant sur des faits
néo-calédoniens, M. Métais semble pencher
vers cette opinion, en soulignant que les
croyances sur le couple et son rôle dans le
cosmos semblent peu compatibles avec la poly-
gamie, le divorce ou l'adultère, ces « contra-
dictions internes » sont certainement dange-
reuses. En outre, dans les régions christia-
nisées, d'autres valeurs sacrées se développent
dans lesquelles le mariage traditionnel n'a pas
bien trouvé sa place. Les critiques formulées
contre la polygamie dans tous les milieux,
l'anathème dont elle est l'objet chez les chré-
tiens, ont contribué d'ailleurs à déconsidérer
le mariage. Enfin une idée nouvelle était revê-
tue d'un prestige considérable, celle de la
liberté individuelle; or, elle paraissait s'op-
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 17

poser au mariage, puisque celui-ci suppose des


restrictions à cette sacra-sainte liberté.
La perte du sens du mariage a peut-être
été facilitée par la pauvreté du rituel; acte
et objets permettent de fixer les idées sur le
caractère sacré du mariage et de le développer.
Au contraire le dépouillement des cérémonies
risqq.e, non pas d'en rendre le sens plus clair,
mais d'en faire des formalités ennuyeuses et
vides. Aussi serait-il souhaitable de marquer
par un rituel nouveau et moderne l'importance
de cet acte social essentiel qu'est le mariage.
Un effort a été fait en ce sens dans certaines
circonscriptions où l'inscription à l'état civil
a été solennisée par la présence d'officiers
d'État civil et du chef de subdivision en
grande tenue. Les formalités administratives
se prêtent mal à l'implantation d'un rituel
émouvant, mais, en pays chrétien, on cons-
tate un peu partout qu'à l'issue de la bénédic-
tion nuptiale, chants et danses font participer
tout le public, et en particulier des cohortes.
de demoiselles d'honneur parées de robes
d'uniforme. Malgré les dépenses qu'entraî-
nent ces fêtes, l'institution en est excellente,
car elle montre bien l'importance du mariage.
S'il est nécessaire de donner au mariage un
caractère spectaculaire, il l'est plus encore de
lui retrouver une base métaphysique. En cou-
58 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

turne païenne, le mariage et la polygamie elle~


même ont un sens et une noblesse. Ces insti~
tutions sont sanctifiées par la sainteté de leurs
fins : lignée à prolonger, soumission aux rites
de fécondité qui gouvernent le cosmos,
recherche de la fusion dans l'âme du monde.
Ce sens religieux est en général perdu et rien
ne le remplace dans les zones fétichistes deve-
nues chrétiennes : la théologie n'est guère
perçue. La morale en a été exposée, mais non
pas le sens profond. En particulier, l'idée de
l'amou-r humain symbole de l'amour divin ne
semble guère assimilée par les chrétientés
locales. On déplore parfois l'érotisme de nos
civilisations occidentales, mais c'est peut-être
simplement la déformation et la rançon de ce
primat de l'amour. Donner au mariage et à
l'amour humain sa juste place dans la civili-
sation permettrait de redonner une âme à des
institutions familiales menacées.
Les missions catholiques s'en sont aperçues
et depuis quelques années elles se sont efforcées
de créer des cercles de foyers où les fidèles
prennent conscience de la grandeur du mariage
chrétien.
Partout, le mariage, en tant qu'acte de droit,
est soumis à certaines « formes ». Sur ce point,
d'ailleurs, les rituels africains sembleront bien
sommaires à tous les familiers du folklore occi-
LE MARIAGE EN DROIT COUTUMIER 59

dental : des conversations entre familles et des


dons, forment souvent le seul cérémonial tra-
ditionnel ; le passage à l'état civil; une céré-
monie religieuse chrétienne ou des gestes
copiés du folklore islamique sont en usage ici
ou là. Un acte social a besoin de manifesta-
tions sociales, un acte important a besoin
d'être entouré de rites.
Dans les perspectives coutumières le carac-
tère sacré du mariage était évident. Des tra-
vaux récents montrent la gemelléité à la base
de nombreuses cosmogonies, et 1a nostalgie de
l'unité perdue anime toute une partie de la
pensée traditionnelle africaine. Certains auteurs
indiquent que le mariage est parfois présenté
en fonction de ces idées : « Les époux ne font
qu'un, écrit Mme Diéterlen, leur dya (double)
se joignant comme leur corps dans un acte
qui n'est pas uniquement physique et qui réa-
lise l'unité idéale des jumeaux 1. » Ailleurs,
c'est un culte quasi divin de la fertilité qui
anoblit le mariage. Dans des civilisations où
le culte des ancêtres est le trait dominant, la
perpétuation de la lignée est un acte sacré.
Enfin l'importance de la notion de paternité
dans le monde africain explique celle du
mariage.

1. DIETERLEN, Essai sur la religion Bambara.


CHAPITRE II

POLYGAMIE

La polygamie n'est pas particulière à


l'Afrique. L'histoire montre que d'autres
régions l'ont connue. Dans les belles époques
de son histoire, l'Égypte pratique la mono-
gamie ; seul le souverain peut avoir plusieurs
épouses, mais la polygamie apparaîc lorsque
le pouvoir royal, dans les périodes de déca-
dence, tombe aux mains des féodaux. D'après
les textes cunéiformes, le droit mésopotamien
admettait en principe la monogamie, mais au-
torisait l'entretien de concubines. Les Aztèques
étaient polygames. Actuellement, les ethno-
graphes signalent la polygamie en Australie.
dans des archipels d'Océanie et parmi les
peuples arctiques. La Thaïlande ne l'a abolie
qu'en 1935, les pays islamiques la reconnais-
sent en général (sauf la Turquie et la Tunisie).
62. LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

On voit donc que si la polygamie n'est pas


limitée à l'Afrique, c'est dans ce continent
qu'elle paraît le plus solidement implantée.
Avant d'étudier l'influence de la polygamie
sur la démographie il faut essayer de préciser
les faits, leur répartition géographique et
sociale. Tâche malaisée: aucune documenta-
tion d'ensemble n'existant sur la question. Un
dépouillement des recensements administratifs
ne serait pas impensable, mais ils ne sont
centralisés nulle part et le travail à faire serait
gigantesque. Des recherches systématiques ont
cependant été menées vers 1930 au Togo.
« Portant sur 300.000 foyers elles permettent
d'indiquer que dans l'ensemble du territoire
le pourcentage des ménages à une épouse
oscillait de 75 à 56 % ; celui des ménages à
2 épouses entre 31 et 18 % ; celui des ménages
à 3 épouses entre 10 et 3 % ; celui des ménages
à 4 épouses entre 4 et 0,8 % ; celui des ménages
à 5 épouses entre 3,4 et 0,4 % ; les ménages
ayant plus de 5 femmes sont extrêmement
rares; ces constatations sont valables pour
l'ensemble de l'Mrique occidentale où la mono-
gamie est imposée par les conditions écono-
miques à la moitié et parfois aux deux tiers
des ménages 1. »

1. LABOURET, Paytani d'Afrique occidentale, p. 41.


POLYGAMIE
Ces évaluations de 1-1. Labouret peuvent.
elles être précisées?

***
A. Répartition de la po{ygamie dans l'espace.
Il semble que la monogamie domine dans
les régions désertiques. Elle serait courante
chez les Maures et les 'Touareg. Faut-il voir
là une conséquence de la structure écono-
mique? Dans ces régions très pauvr~s, la
polygamie se.cait un luxe dispendieux. Mais,
en outre, les fenunes maures et touareg pré.
fèrent la monogamie; on cite comme un
axiome en matière matrimoniale le dicton « pas
de précédente pas de suivante ».
Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler id
les craditions matriarcales particulières à cette
zone. L'opinion des femmes compte et leur
opposition a pu empêcher l'implantation de la
polygamie.
Dans la zone soudanaise, la monogamie
semble fréquente : chez les Diawaras de
Nioro, 65 % des hommes mariés sont mono-
games 1. Dans le delta central nigérien, des
chiffres relevés dans trois centres de coloni-
1. Adr. BOYER, Les Diawaras, mémoire inédit, CHEAM,
1952·
64 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

sation montrent également l'importance de la


monogamie (60,8 %) des ménages 1, chez les
Haoussas de Zinder 2 la tendance est la même ;
la polygamie serait moins répandue encore
puisqu'il y a 2.362 femmes mariées pour
1.834 hommes (12 pour 10).
Un peu plus au sud, aux environs du 10e de
latitude Nord, quelques documents révèlent la
situation dans la région tchadienne.
Une étude sur les Saras-kaba (Moyen-Chari)
fournit des précisions extrêmement intéres-
santes et des chiffres solides sur la totalité
d'une population de 16.345 individus 3. Dans
ce groupe, les hommes adultes 4 se répar-
tissent en : célibataires 28 %, monogames
53 %, polygames 18 %. De l'ouvrage Popu-
lation du Jv[~yen Logone de Cabot et Diziain 5,
on peut extraire des chiffres analogues pour le
Mayokebbi : dans quatre villages du canton

1. Étude démographique des populations de l'Oflice du Niger,


1943-1944, Arch. Serv. de Santé. L'étude porte sur
19.533 personnes.
2. Méd. Cdt CAVALADE, L'étude démographique de la Cir-
conscription de Zinder, 1943, Arch. SerY. Santé. L'étude porte
sur 7.678 individus.
3. CROCQUEVIEILLE, Conférence au CHEAM, 13-12-55,
Démographie et niveau de vie des Saras-Kaba de Kyabe (Moyen-
Chari. Tchad).
4. Sauf exceptions indiquées, sous la rubrique « hommes
adultes » je n'ai compté que ceux ayant plus de 20 ans.
5. CABOT et DIZ1AIN, Population du Moyen Logone, in
Homme d'Outre-mer, nO 1, 1955.
POLYGAMIE 65

de Koumi, au nord de Bongor (2.139 habi-


tants), 31 % des hommes adultes sont céliba-
taires, 55 % sont monogames, 13,4 % sont
polygames. Au Cameroun, région du Diamaré,
subdivision de Kaélé et Yagoua, sur l'autre
rive du Logone, les chiffres semblent plus
divers 1 :
Célibataires Monogames Polygames

Foulbés de Lara .... 13 % 79 % 15,5 %


Foulbés de Mousgoy. 19 % 60 % 21 %
Dabas de Mousgoy .. 18,4 % 48 % 33%
Moundangs de Lara .. 18,7 % 52,6 % 28,7 %
Toupouris de Golom-
pui .............. 23,5 % 5° % 25 %
Falis de Bunium .... 28 % 65 % 8%

Retenons pour l'instant, à titre d'hypo-


thèse, le petit nombre de polygames et de céli-
bataires chez les Peuls et chez les païens de
cette zone un pourcentage de polygames de
20 à 30 % au Cameroun, de 15 à 18 % au
Tchad.
Dans le Nord du Togo, chez des popula-
tions appartenant au même groupe culturel
paléo-négritique, le statut matrimonial n'est
pas très différent :
1. DIZIAIN, Rapport IRCAM, Densité de la population,
démographie, économie rurale dans les subdivisions de Guider,
Kaélé et Yagoua, décembre 1954, ronéotypé.
MARIAGE 5
66 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
Célibataires Monogame; Polygames

Kabrès 1, . . • . . . . . , 24%
Cotocolis 2 •••••••• 47%
La polygamie reste peu étendue. Le nombre
particulièrement élevé des célibataires chez les
Cotocolis s'explique par des conditions locales:
les femmes sont fort indépendantes et émi-
grent vers la Gold Coast où elles font com-
merce de leurs charmes. Elles remontent après
fortune faite et retrouvent en général leur
fiancé coutumier. Mais leur absence et le
retard des mariages se notent dans les statis-
tiques.
Plus à l'Ouest, dans la même zone ethnique,
la situation est sensiblement différente.
Deux sources de documentation one été uti-
lisées : une monographie de village établie en
1956 par l'Institut des Sciences Humaines
Appliquées de l'Université de Bordeaux, et
des recensements administratifs recueillis par
la Sœur Marie-André du Sacré-Cœur. La mono-
graphie de Taghella porte sur une popu-
lation totale de 713 habitants, les recense-
ments portent sur le canton de Sapone (1.295
1. Dr BEZON, Les Kabrès de Lome-Tessi (Lama-Kara-
Togo), 1955, à paraître, in Annales de Médecine Tropicale.
L' « univers» étudié est de 12.741 individus.
2. Documents fournis par M. l'Administrateur ALEXANDRE
en 1955 et portant sur quatre cantons, soit 7.5 I I habitants.
POLYGAMIE

ressortissants). Dans les deux cas les propor-


tions sont si voisines que le fait doit être
souligné:
Célibataires Monogames Polygames

Taghella " . 33 %
Canton de Sapone 32%
Ainsi la polygamie paraît beaucoup plus
développée chez les Mossis que dans les popu-
lations précédemment étudiées. La proportion
de célibataires augmente aussi. Et pourtant,
l'émigration, probablement plus importante
ici que précédemment, tend vraisemblablement
à réduire le nombre des célibataires.
L'enquête démographique menée en Guinée
en 1954 décrit la sitUation matrimoniale 1.
Mais parmi les résultats actuellement dépouillés,
rien ne concerne des populations rurales com-
parables à celles étudiées jusqu'ici. Le tableau
ci-dessous ne peut donc pas être comparé sans
précautions à ceux établis ci-dessus pour les
païens du Tchad, les Mossis, les Kabrès .ou
les Cotocolis. Mais il suggère un rapproche-
ment inattendu entre les Foulbés du Cameroun
et les Foulas de Guinée; bien que séparés
I. Mission démographique de Guinée. Étude démographique,
ze Fasc., juin 1956, pp. 14-18. Dans L'élude agricole et éco-
nomique de IV villages, Fascicule IV, février 1957. Pour les
Guerze, les adultes ont été pris à z 5 ans.
68 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

par des milliers de kilomètres, ces groupes


appartiennent à la même race, parlent la même
langue, ont une même culture et des réac-
tions psychologiques semblables.
Célibataires Monogames Polygames

Fouta-Di aIon . 14 %
Basse Côte . 27 %
Guerzé . 33%
La proportion de célibataires est faible au
Fouta comme dans le Diamaré. Si la propor-
tion de monogames paraît forte, elle est très
inférieure à celle du Nord-Cameroun. Quant
aux groupes côtiers, les chiffres qui les con-
cernent ne sont pas très différents de ceux
relatifs aux Mossis : le nombre des céliba-
taires y est à peine moins élevé, la polygamie
y est presque aussi forte. '
Aux alentours du 5e Parallèle, il a été pos-
sible de réunir des matériaux sur trois régions :
Bouaké (Côte d'Ivoire) où a eu lieu une étude
sur les niveaux de vie, le Sud-Cameroun où
des budgets familiaux ont été relevés, enfin
Bangassou 1 (Mbomou-Oubangui) où le pro-

I. Enquête socio-démographique réalisée dans la région de Ban-


gassou, 1954, Service de la statistique d'A.E.F. La répar-
tition a été calculée sur la population mâle de plus de
25 ans. Les populations concernées sont au total de
8'763 urbains et 5.406 ruraux.
POLYGAMIE
blème n'a pas été éclairci dans sa totalité :
on connaît le nombre des célibataires, le
nombre d'épouses pour 100 hommes mariés,
mais la discrimination entre grande et petite
polygamie n'est pas faite. J'ai supposé - tout
à fait arbitrairement - que la polygamie se
limitait à deux femmes. Malgré cette hypo-
thèse, la proportion des polygames est faible
et rappelle certains secteurs du Nord-Togo.
Célibataires Monogames Polygames

Bangassou (rural).... 36 % 42 % 20 %
Cameroun boulou 1... 25 % 42,5 % 32,5 %
Cameroun béti 1. . . . . 20 % 69 % l l %
Cameroun bassa 2. . . • 16 % 48,5 % 35 %
Cameroun bamiléké 2. 24,5% 30,5 % 45 %
Cameroun mungo. . .. 48 % 23 % 29 %
Côte d'Ivoire Agni 3.. 28 % 52 % 19 %
. » Dyoulabougou 3. 40 % 53 % 7%
La situation de la région du Mungo comme
celle des Dyoulabougou (campements d'étran-
I. D'après des documents personnels utilisés en partie
pour Budgets familiaux des planteurs de cacao, J. BINET,
I955, in Homme d'Outremer, nO 3. Ces documents décrivent
une collectivité de 2.4°0 individus.
2. Chiffres extraits de recensements administratifs par la
Sœur Marie-André du Sacré-Cœur qui a bien voulu me
les communiquer. Ils concernent 4 villages Bassas d'Éseka,
II villages bamilékés, 4 villages de la subdivision de
N'Kongsamba (soit au total de I.2p, 4.905 et 703 habi-
tants).
3. Chiffres extraits de l'enquête Nutrition, niveau de vie
Bongouanou, rapport nO 3, p. 9 et nO. 5, 8.
70 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

gers) de Bongouanou est anormale. Il s'agit


en effet d'une contrée où l'immigration est
très active, ce qui peut expliquer le nombre
de célibataires. La différence entre la p.copor-
tion très faible de polygames dans le Dyoula-
bougou et la proportion normale du Mungo
peut venir de ce que les chiffres de Côte
d'Ivoire séparent les autochtones des étrangers,
ce que ne font pas ·les chiffres camerounais
où la population nantie et stable a son influence.
L'importance de la polygamie en pays bami-
léké est très remarquable. Signalons qu'elle
s'accompagne d'une élimination des hommes
en surnombre par émigration : ce n'est pas
par hasard que les chiffres évoquent ceux des
Mossis.
En pays bassa, la répartition est difficile à
expliquer. Car le nombre de célibataires est
faible, cependant que le nombre de. polygames
est élevé : les deux faits sont contradictoires
dans une population stable à sex-ratio-normale.
Faut-il invoquer une diminution des classes
d'hommes jeunes où les célibataires sont nom-
breux? Cette diminution vient-elle d'une déna-
talité des années 1923-1933 ou d'une émigra-
tion actuelle des adolescents? Des pourcen-
tages analogues ont été relevés pour les Fouta-
Djalon et pour les Dabas de Mousgoy. Y a-t-il
un trait commun pour expliquer cette situation?
POLYGAMIE

Chez les Boulous le statut matrimonial cor-


respond à un équilibre classique : c'est celui
que nous avons trouvé en Basse-Guinée.
Faible émigration, donc présence de beaucoup
de célibataires. La polygamie n'atteint pas le
niveau élevé qu'elle atteint chez certains peuples
aux solides structures tribales (Mossis, Bami-
lékés). Le cas des populations Bétis est excep-
tionnel. En effet, Banés, Étons, Éwondos sont
fortement christianisés : l'importance de la
monogamie s'explique par là.
Dans la zone proprement équatoriale, les
proportions ne semblent pas homogènes selon
les sources de documentation :
Célibataires Monogames Polygames

Baloumbous (Sissé
Cama)l ........ 38 % 46 % 19 %
Fangs 2 (Oyem-Ga-
bon) .......... 41 % 20 % 39 %
Fort Rousset 3•••• 61 0/) 22.0/) 16 %
Niari 4 •••••••••• 2.1 % 47 % 3 1,5 %

1. Extrait du recensement administratif d'un village,


1954. Document manuscrit fourni par M. l'Administrateur
SOUILLAC.
2. Calculé d'après Les villages Gabonais, BALANDIER et
PAUERT, Mémoire IFAN, Brazzaville, 1952, p. p.
3. CROCQUEVIELLE, Population, juil. 1953, r.tude démogra-
phique de quelples villages Likoualas.
4. Enquête soda-démographique de la région du Niari,
Services statistiques d'A.E.F. 1954. L'ensemble de la vallée
du Niari compte 166.807 habitants.
7Z LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Les conditions économiques, sociales et cul-


turelles étant différentes en ville de ce qu'elles
sont en milieu rural, une répartition toute
différente des statuts matrimoniaux serait
logique, mais les statistiques disponibles sont
peu nombreuses pour des études comparées.
Voici ce qu'il a été possible de rassembler 1 :
Célibataires Monogames Polygames

Bangassou ville....... 38 % 52% 8,5 %


Kankan, Siguiri, Kou-
roussa........... 36 % 41 % 24 %
Conakry ........... 41 0/
,0 4° % 19 %
Cotonou ........... 28 % 54 % 18 %
DoHsié ............ 58 % 34 % 6%
Brazzaville ......... 43 %
Bacongo ........... 4° %
Dakar.............. 21 % 55,5 % 20,5

Est-il raisonnable, malgré le caractère frag-


mentaire de l'information, de penser, qu'en

1. Les sources sont les suivantes : Enquête... Bangas-


sou, 1954. Service Statistique d'A.E.F.
LOMBARD pour le Dahomey étudie 50 cas. Les chiffres
cités ne tiennent compte que de l'état de fait actuel. En
effet, parmi les Z7 monogames de fait, 9 ne le sont devenus
qu'après divorce d'une épouse. - Afission démographique de
Guinée, ZC fascicule, juin 1956, pp. 14-18.
SORET, Démographie et problèmes urbains en A.E.F.,
Mémoire IFAN, Brazzaville. - Recensement et Démo-
graphie des principales agglomérations d'A.E.F. : Bacongo
en 1955-1956, Brazzaville en 1955-1956.
MASSÉ, ËJudes Sénégalaises, nO 5, p. 55.
POLYGAMIE

gros, les célibataires sont particulièrement


nombreux en milieu urbain et que les poly-
games le sont peu?
Les lacunes de la documentation ne per-
mettent pas de tracer une carte de la poly-
gamie et de suivre sa répartition en fonction
des divers facteurs susceptibles d'agir sur les
institutions humaines. Pourtant un trait semble
se dégager : rare dans le désert, où pourtant
l'Islam lui donne droit de cité, la polygamie
semble relativement faible parmi les popula-
tions encore peu évoluées du Tchad, du Nord-
Togo, etc. Plus fréquente dans la zone fores-
tière, elle n'atteint son maximum que dans des
populations où la société est fortement hiérar·
chisée (Bamiléké, Mossi). Mais la considérer
isolément ne suffit pas, il faut voir en même
temps l'importance du célibat chez les hommes.
En effet, la grande polygamie pratiquée par
un petit nombre de privilégiés peut condamner
au célibat beaucoup plus de jeunes gens qu'un
usage généralisé de petite polygamie.

***
B. Nature de la polygamie.
Il est donc nécessaire de préciser ce que
sont les mariages dont il s'agit. Faute de le
74 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

faire on risque de mélanger des faits très


différents.
Éliminons tout d 1 abord une apparence trom-
peuse. Certaines femmes sont recensées comme
épouses, qui ne le sont pas en réalité. Souvent,
en effet, des femmes âgées sont recueillies au
foyer d'un beau-frère, neveu, cousin. Celui-ci
a bien les droits d'un époux, mais il n'est pas
certain qu'il en use.
Certains auteurs parlent de « polygamie suc-
cessive » ; il n'y a pas à proprement parler
plusieurs épouses, mais les unions se nouent
et se dénouent vite et facilement. Une épouse
perd sa qualité et une autre la remplace. Nous
évoquons ces pratiques à propos du divorce.
Afin d'éviter toute confusion, j'ai toujours
évité, ici, d'employer le mot polygamie en ce
sens. Il a toujours été utilisé dans son sens
le plus habituel : plusieurs mariages réguliers
coexistants. Mais il faut distinguer la petite
polygamie, qui réunit autour d'un homme
deux, trois, quatre ou cinq épouses, de la
grande polygamie. Socialement, économique-
ment, démographiquement, la distinction
semble s'imposer.
En moyenne le nombre de femmes par foyer
polygame est faible, de l'ordre de 2 ou 3 1 :
1. Les sources sont celles citées au paragraphe précédent.
Les mêmes documepts concernant les mêmes régions sont
POLYGAMIE 75
Sara Kyabe (Tchad) . 2,2
Foulbé de Lara (N. Camer.) . 2,2
Kabré (Togo) . 2,2
Agni Bongouanou (Côt. Iv.) . 2,2
Porto Novo (Dahomey) . 2,23
Diawara Nioro (Soudan) . 2,25
Bongor (Tchad) . 2,3
Cotocoli (Togo) . 2,3
Moundang de Lara (N. Camer.) . 2,4
Fali (Nord Cameroun) . 2,4
Foulbé de Mousgoy (N. Cam.) . 2,4
Toupouri de Golompui (N. C.) . 2,5
Baloumbou (Gabon) . 2,5
Vallée de Niari (Moy. Cong.) . 2,5
Mossi de Taghella (Hte Volta) . 2,6
Ouolof! (Sénégal) . 2,7
Mossi de Sapone (Hte Volta) . 2,75
Daba de Mousgoy (N. Cam.) . 2,8
Basse-Guinée . 2,8
Guinée Forestière . 2,8
Haute-Guinée Ville . 2,9
Fort Rousset (Moyen Congo) . 2,9
Fouta-Djalon (Guinée) . 3
Bassa (Cameroun) . 3,°5
Mungo (Cameroun) . 3,25
Bamiléké (Cameroun) . 3,6

utilisés pour décrire les différents aspects du mariage tout


au long des pages qui suivent. Sauf nécessité, les références
ne seront pas rappelées.
1. AMES, South- West- Journal of Anthropology, Albuquerque,
11-4- 1 955.
76 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Dans cette liste, les divers points cités ont


été classés par ordre de polygamie croissante.
Et une sorte de classement géographique se
dégage pourtant. Il semble bien en outre que
le nombre de polygames varie dans le même
sens que le taux de polygamie: plus la poly-
gamie est fréquente, plus la famille polyga-
mique est nombreuse. En d'autres termes, la
polygamie ne connaît pas de limite et s'exa-
cerbe là où elle est plus répandue.
De même que nous avons été amené à pré-
cise..: la nature de la polygamie, de même il
conviendrait de distinguer le statut mattimo-
.niaI monogamique choisi comme tel, de façon
définitive, de la monogamie imposée par le
manque de ressources. Celle-ci en effet n'est
qu'un stade provisoire dans l'esprit des hommes
qui y vivent. Mais ici, on ne peut avancer
aucun chiffre à moins d'admettre comme mono-
games définitifs les adeptes reconnus des con-
fessions chrétiennes.

***
C. Variation de la po!.J.gamie.
Aucun document statistique ne permet d'éva-
luer ce qu'était la polygamie il y a 50 ou
100 ans et de voir s'il y a recul ou progrès
POLYGAMIE 77

de l'institution. Les ouvrages publiés pendant


les dernières décades du XIXe siècle insistent
vivemem sur la grande polygamie pratiquée
par certains chefs. Quelques traits glanés çà
et là permettent de se demander si cette situa-
tion n'était pas fréquente. Dans La tribu des
Bakokos Nicol écrit à propos des plus proches
voisins des Bassas du Cameroun: « En 1920
j'ai pu constater que la population masculine
comptait sur 100 adultes, 40 célibataires obligés.
D'autre part sur 100 ménages, 70 étaient mono-
games. » Quelque quinze ans plus tard, un
extrait de recensement du pays mossi indique
qu'en face de 7.337 monogames il y avait
5.650 polygames. En adoptant la présentation
suivie jusqu'ici, les chiffres sont :
Nombre de
Céliba- Mono- Poly- femmes par
taires games games polygame

Bakokos (1920). 4° % 54 % 21 %
Bassas (1953).. ' 16 % 48,5 % 35 %
Mossis l (1953)·
1 (1953)·

La diminution du nombre des polygames


et la réduction du nombre des femmes dans
les ménages polygamiques est possible.
Est-il permis de penser que la polygamie
est une coutume dépassée, à laquelle les géné-
78 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

rations anciennes restent fidèles, mais que les


jeunes n'apprécient plus? Rien n'est moins sûr.
Il est exact que les monogames sont en
moyenne plus jeunes que les polygames. Mais
lorsque ces jeunes vieilliront et acquerront de
la richesse, ne deviendront-ils pas polygames
à leur tour? Une enquête faite dans le Sud-
Cameroun a permis de constater que 10 %
des polygames avaient moins de 30 ans.
Di~ers facteurs sont susceptibles d'avoir une
action sur le statut matrimonial : religion,
niveau d'enseignement, situation économique
méritent examen.
Théoriquement, le statut matrimonial devrait
évoluer avec la religion. En effet, si les cultes
traditionnels acceptent la polygamie sans
aucune limitation 1, si l'Islam tolère 4 épouses
et des concubines, les cultes chrétiens exigent
en général la monogamie. Cette influence de
la religion sur le statut matrimonial apparaît
bien à Dakar où les peuples les plus islamisés
présentent le plus fort pourcentage de poly-
games. Pour l'ensemble des recensés, on
compte 4 polygames seulement sur 100 chré-
tiens, contre 18 sur 100 musulmans. Rappe-
1. Certains auteurs estiment que la polygamie serait seu-
lement tolérée par la civilisation traditionnelle et qu'une
seule femme jouirait véritablement du statut d'épouse. Il
est de fait que de nombreuses coutumes distinguent la pre-
mière épouse des autres.
POLYGAMIE 79
Ions pourtant que certaines sectes protestantes
africaines admettent ou encouragent la poly-
gamie en s'appuyant sur l'exemple des patri-
arches. Leurs zélateurs mettent tellement l'ac-
cent sur ce point que l'on est amené à voir
là un motif essentiel de leur propagation.
On s'étonne souvent que des Mricains se
déclarent catholiques ou protestants tout en
restant polygames. Dans leurs statistiques
pourtant les autorités religieuses signalent peu
de « chrétiens polygames ». Ce n'est ni naïveté,
ni dissimulation, ni manque d'information, ni
indulgence excessive.
C'est que les mots « catholiques» ou « pro-
testants » n'ont pas le même sens. Des Afri-
cains se déclarent catholiques sans être encore
baptisés. Leurs sympathies vont à telle ou telle
confession sans qu'ils aient fait encore la
démarche définitive. Les missions au contraire
ne comptent que les fidèles entièrement enga-
gés. Ainsi s'expliquent probablement des con-
tradictions apparentes 1.
1. On pense communément que les régions côtières du
Dahomey ou du Togo sont des pays chrétiens. A lire les
statistiques du Vicariat apostolique on constate que la
situation est plus complexe pour: Ouidah, 164.702 catho-
liques seulement sur l.q8'500 hab. Pour Lomé 134.445
sur 514.933 = 14 % et 26 %. Le dénombrement par LOM-
BARD de 38 % de polygames dans une ville dahoméenne
ne prouve donc pas que la religion reste sans effet sur le
statut matrimonial.
80 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
Dans les milieux véritablement chrétiens, la
polygamie est nettement en régression. 5 % des
hommes sont polygames parmi les catholiques
du Sud-Cameroun 1. La proportion est vrai-
semblablement analogue chez les protestants
évangélisés par la Mission Protestante Améri-
caine 2.
Peut-être faut-il faire intervenir l'ancienneté
de l'influence religieuse.
En effet, l'imprégnation d'une société est
un phénomène assez lent : comme l'indique
Soret : « Étant donné l'ancienneté de notre
installation sur la côte gabonnaise, nous avons
là des tribus les plus anciennement christia-
nisées et la lutte menée par les Missions ne
peut à si longue échéance manquer de porter
ses fruits. Ces tribus comptent 95 % des mono-
games, 1,05 femme par homme. Les origi-
naires des territoires belges et portugais ont
eux aussi 1,05 femme par homme, 97,5 % des
monogames. Ces pourcentages sont dus en
grande partie à la forte lutte menée en ces
1. Mission de Mvolye 0,8 %' - Mission d'Akono
1,3 %' - Mission de Mbalmayo, 7 % chez les citadins,
4 % chez les ruraux. - Mission de Sangmélima 10 %. -
Des rapports de tournées des missions permettent d'avancer
ces chiffres en toute certitude.
:z. Les chiffres de la MPA ne donnent pas une certitude
absolue. La polygamie peut être considérée comme péché
public et amener l'excommunication (1,5 % par rapport au
total des fidèles) ou bien la mise sous discipline (7,5 %).
POLYGAMIE 81

pays contre la polygamie (taux général à Doli-


sie: 7 %). »
On peut donc admettre que les religions
chrétiennes là où elles sont véritablement pra-
tiquées s'opposent à la polygamie. A Dakar,
M. Mercier note des faits semblables et précise
l'influence de facteurs culturels 1 : « Vappar-
tenance religieuse divise notre population entre
deux groupes, un chrétien, presque exclusive-
ment monogame, l'autre musulman où la ten-
dance à la polygamie est très vivace, mais où
les différences se font sentir selon la catégorie
socio-professionnelle. C'est seulement au ni-
veau des membres de l'enseignement, des pro-
fessions libérales... que cette distinction à base
religieuse s'efface et que nous constatons, com-
mune aux chrétiens et aux musulmans, une
valorisation de la monogaITÙe. »
D'autres facteurs sociaux sont-ils suscep-
tibles de diminuer ou d'accroître le nombre
des polygames?
Il est probable que les milieux traditiona-
listes pratiquent la polygamie dans la mesure
de leurs moyens. Qu'en est-il de~ milieux
évolués, aucun chiffre ne permet actuellement
de répondre avec certitude. Il n'est pas évi-
dent que les hommes instruits renoncent aux

I. btudes Sénégalaises, nO 5, p. 28.


MARIAGE 6
82 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
usages anciens... « Le taux de polygamie des
Vili est accru par le fait qu'ils comptent sur-
tout des ouvriers spécialisés, des employés de
bureau, des commerçants, tous gens écono-
miquement forts, donc pouvant s'offrir le luxe
d'avoir 7 %, le plus fort taux à Dolisie, des
polygames ayant trois femmes et plus (1,4
femme par homme) 1. »
Ce n'est en effet qu'au-delà d'un certain
niveau culturel que les Mricains véritablement
cultivés opteraient pour la monogamie. En
deçà la polygamie demeure. « Parmi les poly-
games, on enregistre une tendance progressive
selon le standing social allant des manœuvres
aux ouvriers et aux agents de maîtrise ; une
autre tendance progressive va des employés
subalternes aux employés supérieurs. La caté-
gorie enseignement, santé, professions libé-
rales semble au contraire renoncer résolument
à la polygamie 2. »
Faut-il considérer la population urbaine
comme plus occidentalisée que la population
rurale et essayer de savoir quelle est la posi-

1. SORET indique le nombre de monogames par rapport


au total des mariés: 67,4 % par rapport au total des hommes.
En supposant que pour les ViIi la répartition monogame,
polygame et célibataire est conforme à la moyenne géné-
rale, il n'y aurait. que 27 % de monogames (la moyenne
générale étant 54 %).
2. MERCIER, MASSÉ, op. çil., p. 51. .
POLYGAMIE

tion des évolués devant la polygamie? Les


résultats sont décevants. Si en A.E.F. la mono-
gamie est plus répandue en ville qu'en brousse
(encore que nous ne disposions pas de chiffres
précis pour l'affirmer et voir en quelle propor-
tion), au Dahomey le nombre de monogames
est faible (la répartition est un peu différente
de celle du Cameroun rural, du pays Mossi...).
Enfin, en milieu catholique, la ville ne paraît
pas avoir une influence heureuse sur le statut
matrimonial. 7 % des hommes catholiques de
Mbalmayo ville, vivent avec plusieurs épouses,
contre 4 % seulement des ruraux de la même
circonscription.
L'influence du standing intellectuel et celle
de la ville ne semblent pas agir partout de
façon évidente. La richesse serait-elle le fac-
teur de répartition des statuts matrimoniaux?
En d'autres termes, les riches seraient-ils poly-
games, les gens de condition médiocre mono-
games, et les pauvres célibataires? La poly-
gamie se développerait-elle au profit de quel-
ques-uns en même temps que les richesses se
concentreraient dans leurs mains selon l'évolu-
tion économique? Un schéma aussi précis, un
déterminisme aussi rigoureux sont probable-
ment forcés.
« Il y a relation évidente entre monogamie
et habitat de montagne, écrit M. Diziain, à
84 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

propos de Kirdis du Nord-Cameroun, entre


polygamie et habitat de plaine, suttout si la
place disponible est importante. Constatation
qui amène celle-ci : l'installation de monta-
gnards en plaine, en s'accompagnant d'un
accroissement du taux de polygamie, loin de
mettre tous les hommes à l'aise contraint beau-
coup d'entre eux à demeurer plus ou moins
longtemps célibataires ou à quitter la collecti-
vité, d'où perte de force vive. »
Si une liaison trop étroite avec la richesse
est excessive, on ne peut manquer de souli-
gner une coïncidence d'ensemble avec les
grandes lignes de la répartition géographique :
monogamie du désert, polygamie rare encore
dans les savanes, mais plus marquée dans les
pays de cultures riches.
L'histoire semble confirme1 ces vues : les
auteurs d'il y a quarante ou cinquante ans
décrivent les harems des grands seigneurs de
cette époque, les 75 femmes des rois de Djou-
gou, les 30 ou 40 des chefs Baribas moins
puissants, les 10 ou 15 de quelques chefs
Peuls, les 1.200 femmes de Njoya, les 400 du
chef de Manguelo l, etc. Cette polygamie liée
au pouvoir féodal (Bamiléké, Mossi...) serait
actuellement en voie d'être remplacée par une
1. MARTY, Islam au Dahomey, Rapport du Cameroun à
la SDN, 1921, pp. 61 suiv.
POLYGAMIE

polygamie liée au pouvoir économique (Sud-


Cameroun, Dahomey). A propos de Cotocoli,
un administrateur, rapprochant des chiffres de
1950 et 1952, constatait une augmentation des
ménages polygames de l'ordre de 2 % et con-
cluait à un enrichissement du pays. L'exemple
des Vili de Dolisie plus riches et plus poly-
games va dans le même sens.
Enfin, au Cameroun, au cours d'une cam-
pagne de presse sur ce sujet, le ton de certains
articles ou lettres de lecteurs montrait qu'il
s'agissait non pas d'un problème juridique
mais d'un problème social!.

D. Causes et conséquences de la po{vgamie.


Une étude aussi sommaire que celle-ci ne
prétend pas éclaircir définitivement ces pro-
blèmes. Il est pourtant utile d'énumérer des
causes possibles et d'attirer l'attention sur
certaines conséquences.
On invoque souvent, pour expliquer la
polygamie, la proportion des femmes par rap-
port aux hommes, la sex-ratio. Argument
1. « Nous disons que le chagrin de 200 familles riches
n'a jamais attristé les prolétaires et qu'il faut également
estimer la joie considérable de la multitude des céliba-
taires qui pourrait se montrer si on abattait ce mur d'ar-
gent qui les empêche d'épouser une femme ». A. BINnZ1
QYOA et G. 1\1. NnzANA, Radio-Presse, 26-3-195°, Yaoundé.
86 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

médiocre, car le déséquilibre entre les deux


sexes est toujours faible. Mais si la propor-
tion des deux sexes est normale à la nais-
sance, les conditions de vie étaient telles jadis
que les chances de survie étaient plus faibles
chez les hommes que chez les femmes. Chasse,
guerres tribales décimaient les effectifs mascu-
lins. Les travaux de débroussage ou de
bûcheronnage~ traditionnellement confiés aux
hommes, comportent davantage de risques
d'accidents que les travaux d'entretien confiés
aux femmes. Le déséquilibre numérique entre
les deux sexes a donc pu exister, non pas
comme phénomène naturel, mais comme con-
séquence d'un état social et politique.
Avec la sécurité et l'amélioration des con-
ditions sanitaires, la sex-ratio redevient nor-
male pour tous les groupes d'âge. Des dis-
proportions subsistent cependant, dans les
zones d'émigration en particulier; en général
d'ailleurs, ce n'est qu'après quinze ans - c'est-
à-dire à partir du moment où les jeunes gens
vont chercher du travail au loin - qu'elles
sont sensibles, et que les femmes sont plus
nombreuses que les hommes. Dans l'autre sens,
les villes présentent aussi une perturbation :
les hommes y dominent grâce à l'afflux. des
immigrés, mais pour les enfants, les propor-
tions restent équilibrées.
POLYGAMIE

On ne peut trouver dans un déséquilibre


actuel entre les effectifs totaux des deux sexes
une justification de la polygamie, serait-il pos-
sible de ne prendre en considération que les
hommes et les femmes disponibles. Chez cer-
tains peuples, les hommes étaient astreints à
des rites d'initiation qui retardaient leur
mariage. Ailleurs, les guerres continuelles
empêchaient les jeunes gens de songer à
fonder un foyer.
« Si l'on se réfère à l'opinion répandue qui
donne pour cause de la polygamie la supério-
rité du nombre des femmes sur celui des
hommes, il faut remarquer de quelle façon
cette opinion se trouve justifiée. En fait le
nombre total des hommes de tous âges est
à peine différent de celui des femmes. Mais
c'est le décalage de l'âge moyen auquel se
marient d'une part les femmes, d'autre part
les hommes qui permet d'expliquer le méca-
nisme de la polygamie. En moyenne les filles
sont mariées cinq à dix ans plus tôt que les
garçons. C'est cette génération de filles de
15 à 23 ans, représentant environ 30 % de
l'ensemble des femmes en âge de se marier,
qui explique la proportion observée de
4 femmes mariées pour 3 hommes mariés 1. »
1, Enquête Nutrition niveau de vie à Bougouanou, 1955,
Rapp. 3, p. 9·
88 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Nous avons vu que la proportion 4 pour 3,


caractéristique des Agnis, correspond à un
taux de polygamie très faible. Faut-il penser
qu'ailleurs la différence d'âge entre les époux
s'accroît ou bien que d'autres causes jouent
en même temps?
Certains auteurs signalent « un véritable
accaparement des femmes par les vieux. Plus
le Mossi est vieux et plus ses relations sociales
er ses biens lui permettent d'obtenir des
épouses. Les filles étant, en général, mariées
dès l'enfance, il ne reste guère de filles nubiles,
si bien que lorsqu'un jeune homme de 20 ou
25 ans réussit à obtenir la main d'une fille, il
s'a.git d'une fillette de 3 ou 4 ans 1 ». La con-
centration du pouvoir et des richesses, qu'elle
se fasse entre les mains d'une gérontocratie
ou entre celles d'une aristocratie peut être
favorable à l'accroissement de la polygamie.
Le fait que la polygamie soit particulièrement
développée chez les Mossi, les Bamilékés, les
Foula.hs, peuples très hiérarchisés, peut con-
firmer cette façon de voir.
L'imérêt économique que peut présenter la
polygamie est évident dans un continent où
la terre disponible n'est généralement pas
limitée, où les femmes fournissent une grande
1. OUEDRAOGO, Polygamie en pays Mossi, Notes afrkaines,
IFAN, avr. 1951, p. 46.
POLYGAMIE

part du travail agricole : avoir beaucoup de


femmes permet d'avoir de vastes cultures.
Selon certains auteurs, la polygamie serait
« un mode de placement des richesses. La
polygamie a reculé quand l'homme a eu
d'autres placements possibles: on peut acheter
une moto plutôt qu'une seconde femme. Pen-
dant la guerre la polygamie a connu une
recrudescence parce que l'argent était abon-
dant et les marchandises rares : il faut (pour
l'éviter) développer les autres formes d'épar-
gne 1 ».
En même temps qu'une cause de la poly-
gamie, la concentration des richesses peut en
être une conséquence. Les études sur les bud-
gets familiaux permettent de constater que les
polygames sont en très forte proportion parmi
les riches : « La majorité des polygames
(58 %) jouit de revenus supérieurs à 5°.000 fr.
dans la région cacaoyère du Cameroun en
1954, tandis que 73 % des monogames sont
dans les catégories de 5.000 à 5°.000 fr. et
que 50 % des célibataires ont moins de
15.000 fr. l » Dans le Nord-Cameroun, le
budget moyen du polygame est de 18.200 fr.,
celui du monogame de 11.7°0 fr. 2, ce qui
1. J. BINET, Budgets familiatlx des planteurs de cacao au
Cameroun, in Homme d'Outremer, nO 3.
2. J. BINET, Étude sur les budgets familiaux rlu Nor4-
90 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
ne signifie pas d'ailleurs que, par individu, le
rendement soit plus fort chez les polygames :
dans le Nord, le revenu moyen par tête est
de 1.980 fr. en milieu polygame, 2.800 fr. en
milieu monogame ; à considérer le revenu par
individu actif, une différence est encore nette :
4.980 fr. en famille monogame, 3.700 fr. chez
le polygame. Mais, même si la « producti-
vité » est médiocre, le chef de famille poly-
game dispose personnellement de sommes plus
importantes, et la différenciation des condi-
tions économiques s'amorce. Non pas par une
concentration de la richesse au sens propre,
ce qui supposerait un appauvrissement des
autres catégories. En fait, dans un pays où
il y a des terres vierges, des ressources nou-
velles se créent. Mais les revenus se diversi-
fient et la distinction entre riches et pauvres
risque de se marquer. Cela n'était guère sen-
sible jadis, dans une économie de consomma-
tion : amasser était difficile et produire pour
vendre n'était possible que dans une faible
mesure. Aujourd'hui les marchés se sont éten-
dus aux limites du monde. Aucune limite ne
s'oppose plus à l'ambition.
La polygamie a-t-elle pour conséquence de
Cameroun I9S6, ronéotypé, p. 18. Dans les deux études,
il s'agit de revenus annuels en francs C.F.A. (2 francs
métropolitains) pour le ménage.
POLYGAMIE

rendre impossible l'amour conjugal? Les Occi-


dentaux le croient souvent, et peut-être à tort.
Ils confondent l'amour et la possession exclu-
sive, l'amour et la jalousie, donnant au senti-
ment une coloration plus particulièrement
sexuelle. Peut-être, en outre, sont-ils dupes
d'une certaine sécheresse ou d'une pudeur qui
interdit l'expression de certaines émotions?
C'est pourtant une femme vivant dans la poly-
gamie qui a donné dans une autobiographie
cette description de ses sentiments : « J'aimais
beaucoup mon mari et lui aussi m'aimait.
Notre amour l'un pour l'autre était tel que
jamais, dans les débuts, l'un de nous ne par-
tait en voyage sans emmenet son ami. Aussi
à partir de ce moment-là, je n'eus plus jamais
d'amants. Ma joie était telle qu'elle me rendait
toute bête, je n'allais même plus chez mon
père 1. »
Mais les difficultés sont fréquentes entre les
co-épouses, les querelles de préséance nom-
breuses. Les enfants de chaque lit s'affrontent,
d'autant que les règles de dévolution successo-
rale étant en général assez floues chacun peut
espérer évincer ses frères. Les chroniques his-
toriques des peuples pratiquant la polygamie
apportent de nombreux exemples de ces jalou-
1. Autobiographie d'une femme Banen publiée dans les
btudes Camerounaises par Mme Du GAST, 1944, p. 93.
92 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

sies et de ces haines qui se concluent souvent


par les révolutions de palais. La polygamie a
probablement là un rôle néfaste : si elle ne
rend pas impossible l'amour conjugal, elle mul-
tiplie au sein de la famille les risques de que-
relles.
La polygamie a une autre conséquence sou-
vent ressentie comme une injustice sociale :
elle contraint une fraction des hommes à
rester célibataires. Si le taux n'est pas lié de
plus près au taux de polygamie, c'est que
l'émigration diminue artificiellement le nombre
de célibataires adultes.
Il est difficile de se faite une idée des condi-
tions de vie de cette catégorie, S'agit-il
d'hommes dont le mariage est retardé? S'agit-
il d'hommes qui ne se marieront jamais?
S'agit-il d'hommes vivant avec leur parenté,
s'agit-il d'isolés? Il n'a pas été possible d'avoir
des documents précis pour tous les points
étudiés ci-dessus. Il semble cependant oppor-
tun de distinguer les régions où un pourcen-
tage important de célibataires demeure dans
le célibat à plus de 40 ans, de celles où le
célibat disparaît à partir de cet âge ou tout
au moins diminue fortement.
A Conakry, dans les diverses villes de
Haute-Guinée, ou dans l'agglomération de
Bangassou, les célibataires constituent 4 ou
· POLYGAMIE 93

5 % de la population. Mais on peut supposer


qu'ils retournent dans leur village, passé un
certain âge. La faible proportion de céliba-
taires âgés de plus de 40 ans dans le Fouta,
chez les Agnis ou dans le Niari (respective-
ment 1, 3 et 5 %) laisse penser qu'ils s'y
marient.
L'examen de la situation à Brazzaville ou
dans les villages des alentours de Bangassou
oblige à conclure différemment : la proportion
de célibataires de plus de 40 ans Y est élevée
(12 ou II % à Brazzaville et Bacongo, 13 % à
Bangassou rural). Au Tchad, aussi bien dans
la région étudiée par Cabot que chez les Sara
Kaba de Kyabe ou chez les Moundang du
Nord-Cameroun, dans le village de la Guinée
Forestière étudiée par la mission démogra-
phique, cette proportion reste de 8 %. Il Y a
donc là plus qu'un retard de mariage. Il est
inutile de préciser que les célibataires repré-
sentent une catégorie défavorisée de la popu-
lation.
Aussi bien en ville qu'en brousse, l'absence
de foyer personnel en fait aisément des vaga-
bonds. N'ayant pas de cultures vivrières à
eux, faute de cultivatrices, n'ayant pas de cui-
sinière, ils vivent au restaurant s'ils sont en
ville, ce qui est fort coûteux; à moins qu'ils
ne vivent en parasites chez des « frères ».
94 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

En brousse, ils sont pris dans la « cour »


d'un parent quelconque; leur vie matérielle
y est assurée, mais leur liberté se trouve
diminuée : ils n'ont pas pleine capacité
d'homme. Économiquement, le célibat accom-
pagne toujours une situation inférieure dont il
est à la fois cause et conséquence. L'étude
sur les budgets familiaux dans le Sud-Came-
roun le montre avec évidence, puisque 5a %
des célibataires ont des budgets inférieurs à
15.000 fr. tandis que la majorité des poly-
games (60 3 % exactement) a un revenu supé-
rieur à 50.000 fr.

E. Statut matrimonial et prolificité.


La polygamie a-t-elle une influence sur la
prolificité? La question a été discutée et est
mal éclaircie. Les chiffres ne sont pas nom-
breux, là encore, et rien ne peut être affirmé.
Cependant, quoique très insuffisants, les chiffres
donnent à penser et on est tenté d'avancer
en guise d'hypothèse, avec toutes les réserves
d'usage, que la monogamie entraîne une fécon-
dité supérieure.
Les auteurs de l'enquête démographique de
Guinée, avec beaucoup de prudence, laissent
supposer qu'ils ne sont pas très éloignés de
partager ce point de vue : « En ce qui con-
POLYGAMIE 9'
cerne l'éventuelle différence de fécondité sui-
vant le régime conjugal (monogamie ou poly-
gamie), il faut reconnaître que les résultats ne
sont pas tout à fait concluants. Certes, la
fécondité globale des femmes mariées en
régime monogamique est, dans tous les sec-
teurs, supérieure à celle de l'ensemble des
femmes mariées. Mais, à l'exception du Fouta-
Djalon où l'écart est substantiel, la différence
est généralement assez faible. L'examen des
courbes (qui retracent l'évolution du phéno-
mène aux différents âges) conduit aux mêmes
constations : sauf pour le Fouta-Djalon où
la quasi-totalité de la courbe relative aux
femmes de monogames se situe au-dessus de
celle correspondant à l'ensemble des femmes
mariées, ces deux courbes sont le plus sou-
vent mêlées et ne mettent pas en évidence
des positions significativement distinctes 1. »
La seule conclusion que l'on puisse émettre
pour l'instant à cet égard est donc une simple
présomption de fécondité plus faible chez les
fenunes mariées en régime polygamique que
chez celles qui sont mariées en régime mono-
gamique.
Les quelques chiffres recueillis pour les points
cités dans notre étude méritent d'être signalés:

1. Mission déJnographique de Guinée, fase. 2, juin 1956.


96 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Enfants par femme


Monogames Polygames

Mossi . 1,1 0,99


Cameroun Éton . 1,44 1,3 ~
» Bassa . 2,06 1,3 8
» Mungo . 1,3 1 0,99
» Bamiléké . 1,7~ 1,34

Dans le Nord-Cameroun, j\L Diziain cons-


tate également une plus grande fécondité chez
les monogames :

Enfants par femme de 30 à 39 ans.


Polygames
Monogames (moyenne)

Moundang de Lara . 2,43 2,02


Daba de Mousgoy . 1,86 1,6~
Guidar et Guisiga de Mous-
goy . 2,24
Falio ••••••••••••••••••••• 1,24
Toupouri de Golompui. . 2,27
Foulbé de Mousgoy . 0,94
Foulbé de Lara . 1,33

Mis à part, les deux cas de Foulbés, où


les séries sont courtes, ces chiffres semblent
probants.
Avec des documents nouveaux sur les villes
d'A.E.F.. M. Soret apporte une explication :
POLYGAMIE 91
« Les femmes des polygames, mise à part la
première, ont moins d'enfants que les autres.
Alors qu'à Dolisie, la moyenne est de 1,2
enfants par femme, les épouses suivantes ont
respectivement 0,9, 1,1; à Potopoto, les
femmes des polygames autres que la première
n'ont que 0,8 enfants. Si à Dolisie les pre-
mières femmes des polygames ont 1,5 enfants
et à Potopoto 2,3 cela provient de ce que,
en moyenne, elles sont mariées depuis plus
longtemps que les femmes des monogames 1. »
Et d'ailleurs « si pour l'ensemble des femmes
nous n'en avons qu'une faible proportion ayant
1 5 ans de moins que leur mari, par contre,
c'est le lot de nombreuses femmes de poly-
games : 39 % des secondes épouses, 57 % des
troisièmes, 87 % des quatrièmes. Or, à plus
de 15 ans de différence d'âge, les femmes ont
(Potopoto et Dolisie) 0,9 à °
enfant par
femme 1 ».
D'après toutes ces informations, il semble-
rait donc que la femme de polygame est moins
féconde que la femme de monogame. L'indi-
vidu marié obtient plus d'enfants par ce sys-
tème, mais à voir les choses du point de vue
de la communauté, la monogamie serait plus
favorable à la démographie 2.
1. SORET, op. cil., pp. I12.-I13.
2.. Ajoutons que pour le Sud-Cameroun, dans une étude
MARIAGE 7
98 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Pourtant, d'après les échantillons étudiés à


Dakar par M. Massé, il semblerait que :
les monogames non musulmans (104) ont
222 enfants = 2, 13 par femme ;
les monogames musulmans (595) ont
1.193 enfants = 2 par femme;
soit au total (699 femmes) 1.4 1 5 enfants
= 2,02 par femme ;
les bigames musulmans (356 femmes)
787 enfants = 2,1. par femme;
l'ensemble des polygames aurait 501. femmes
et 1.067 enfants = 1., 11. par femme.
Mais il faudrait pouvoir faire intervenir le fac-
teur de la durée du mariage.
L'auteur conclut : « La polygamie aug-
mente le nombre des enfants par homme;
sur les malades vus par les 8 hôpitaux et dispensaires de la
Mission Protestante Américaine au Cameroun, Miss Adams
a comparé la prolificité des mariages mono et polygames ;
Sakbayemé. - 12 % des malades étaient polygames.
Enfants : pour les monogames, 3; - pour les poly-
games, 2,5 par femme, 7,5 par famille.
Éfoulane. - 19 % polygames.
Enfants : pour les monogames, 2,4; - pour les poly-
games, 1,6 par femme, 4 par famille.
Batanga. - 30 % polygames, 23 % monogames stériles -
44 % des polygames.
Enfants : pour les monogames, 4; - pour les poly-
games, 1,4 par femme, 7 par famille.
Kol Nvolan. - 36 polygames.
Enfants de monogames; 2,7; - de polygames : 1,8
par femme, 4,7 par famille.
(Extrait de Mission meetings, 1948, pp. 87-88).
POLYGAMIE 99
mais dans le cas des premières femmes de la
fraction bigame de nos enquêtes, il semble que
la polygamie tende à diminuer le nombre d'en-
fants par femme 1. »
Dans la grande polygamie on peut, semble-
t-il, tenir cette diminution pour acquise. « Il
est de fait constant que plus un individu pos-
sède de femmes, moins celles-ci procréent, les
exemples en sont fréquents. En voici deux typi-
ques : le Sultan des Bamouns a 1.200 femmes
et seulement 147 enfants. Le chef de région
Manguélo a 400 femmes et pas un enfant»
(Rapport du Cameroun à la S.D.N., 1921).
Il serait essentiel de poursuivre les études
pour vérifier si, et dans quelle mesure, la pro-
lificité varie avec le statut matrimonial. D'ores
et déjà toutes sortes de raisons ont été mises
en avant. Dans les cas de grande polygamie,
la rareté des visites d'un mari chargé d'ans
explique tout; c'est là d'ailleurs que l'on
accepterait diverses pratiques aberrantes (Bor-
nou, Ouadaï...). Dans les cas de polygamie
restreinte certains médecins pensent qu'une vie
sexuelle trop active entraîne la stérilité, en par-
ticulier pOUf l'homme ; la diffusion des mala-
dies vénériennes est plus rapide. Des femmes
ont déclaré que l'avortement était pratiqué par-

1. MASSÉ, op. cit., p. 67.


",

/- \
/

i~:' 100 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE


\ :- fois par des épouses en haine de leur mari
"" ..
(Sud-Cameroun). Mais l'explication par la dif-
férence d'âge suggérée à Soret par l'étude des
statistiques d'A. B.F., est la plus séduisante.

F: Opinion de la population sur la polygamie.


Après avoir essayé de discuter objective-
ment sur la polygamie, il n'est peut-être pas
inutile d'essayer de comprendre les sentiments
qui animent le public africain quand il médite
sur ces questions.
Un peu partout, l'on discute sur la poly-
gamie, la monogamie, le divorce et l'émanci-
pation des femmes. En ville comme en brousse
ces sujets passionnent les Africains. Diverses
campagnes de presse en sont témoin : chaque
article apporte une moisson de lettres des lec-
teurs approuvant ou combattant les opinions
émises. Après son enquête sur Cotonou,
M. Lombard indiquait que 70 % des inter-
rogés sont favorables à la polygamie, et 28 %
à la monogamie. Il n'est pas certain toutefois
que l'échantillon interrogé soit suffisamment
vaste pour être représentatif de la collectivité.
Il est bien évident que les partisans de la
polygamie ne l'envisagent pas comme privée
de caractère moral ou religieux.
En effet, le culte des ancêtres paraît avoir
POLYGAMIE 101

été une des bases de la vie religieuse de cette


région du Cameroun : la famille conserve
pieusement le souvenir des morts et célèbre
des cérémonies en leur honneur. Tout ce qui
contribue à la perpétuation du groupe revêt,
de ce" fait, un caractère sacré. La mariage
polygamique n'apparaît donc pas, dans cette
perspective, comme le résultat d'une morale
relâchée, mais comme une modalité parfaite-
ment saine de la vie sociale. Le mari et ses
épouses ne cherchent pas à vivre égoïstement
leur vie individuelle. Leur but n'est pas non
plus de fonder une cellule repliée sur elle-même.
Intégrés dans la famille patriarcale, ils parti-
cipent d'une lignée dont la vie domine et
éclaire leur existence propre.
Société religieuse, la famille polygamique
est aussi une véritable société politique dont
l'organisation est analogue à celle de la cité.
Ainsi, chez les Douala, la première femme se
voit confier une sorte de tutelle sur les co-
épouses jusqu'à ce qu'une favorite soit choisie
pour commander une autre fraction du harem.
Ces deux moitiés, les mwébé, ont une exis-
tence bien individualisée. L'héritier du chef de
famille sera le premier enfant mâle du « mwé-
bé » confié à la « grande femme », mais alors
qu'il sera devenu chef, l'héritier du second
« mwébé » aura à son égard un rôle curieux.
102 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Cellseur de son frère, il veille au respect des


coutumes familiales. Cette étrange dyarchie,
cette balance des pouvoirs habilement calculée
se retrouve dans la chefferie. A côté du Chef,
un conseiller contrôle le bien fondé des déci-
sions. Tandis que le roi est l'héritier du pre-
mier « mwébé », son conseiller est celui du
second. Il est probable qu'une organisation
analogue a été en vigueur dans de nombreuses
autres tribus.
On voit que la vie de la famille polygame
est bien loin d'être livrée à la fantaisie de
chacun. Elle est réglée par toutes sortes de
règles religieuses et juridiques.
Mais sous l'influence des circonstances nou-
velles, ce qui servait d'âme aux institutions
familiales est quelque peu oublié. Sous l'in-
fluence du christianisme et du droit occidental,
la notion des responsabilités individuelles s'est
implantée; avec la vie économique nouvelle,
les hommes sont devenus indépendants de leur
groupe d'origine. Quels jugements portent-ils
alors sur la polygamie ?
Des articles, lettres de lecteurs et autres
documents publiés par le journal Radio-Presse
du Cameroun permettent de connaître les opi-
nions en présence 1.
I. Les divers articles cités ici ont été analysés plus com-
plètement dans Aspects actuels du mariage dans le Sud-Came-
'.
q;

POLYGAMIE 1°3

Certains évolués, fortement influencés par la


civilisation occidentale, manifestent parfois
devant cette institution, une sévérité brutale
et un peu hâtive. Les arguments qu'ils évo-
quent ne sont pas toujours très solides. Sou-
vent ils font allusion à la faible prolificité des
ménages polygames : « Il est impossible de
dire que la polygamie a fait du bien à nos
ancêtres. Mon père avait 12 femmes et n'a·
laissé que 6 enfants. Quant à moi je n'ai
qu'une seule épouse, épousée le 3 janvier 1928,
et nous avons actuellement 12 enfants », écrit
M.F.O. D'autres vont plus loin dans leurs
conversations, comparent polygamie et pros-
titution. La monogamie est parfois simplement
présentée comme une « manière de blanc »
dont la seule vertu est d'être importée d'Eu-
:rope. « Chers compatriotes, suivons la règle
de la vraie civilisa.tion, celle que les meilleurs
Européens sont venus nous inculquer : la. reli-
gion, la monogamie, sans oublier la médecine
du dispensaire ou de l'hôpital qui sera tou-
jours supérieure à celle du sorcier et des féti-
cheurs. » Très peu nombreux sont ceux qui
envisagent le problème sous son aspect pro-
fond : égalité des sexes et intimité du foyer.
Certains le font pourtant : « Les polygames
roun par J. BINET, Recueil Penant, juil.-sept. 1952, nOs 602-
6°3·
104 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

ont une difficulté spéciale à comprendre la


nécessité de cette fusion des sexes, car il est
bien difficile à un homme qui se respecte
d'avoir souvent à faire état d'une demi-dou-
zaine de femmes qui se surveilleraient plutôt
qu'elles ne prendraient part à une honnête
conversation », écrit par exemple M. W. E.
En face de ces témoignages, il faut ne pas
oublier que d'autres sont favorables à la poly-
gamie. Soulignons d'ailleurs qu'ils se trouvent
nombreux dans la presse locale de 1950. Là
aussi les arguments sont souvent superficiels.
Argument démographique d'abord : « Il est
honteux, écrit un moniteur de l'enseignement,
qu'un Camerounais nie hautement que la poly-
gamie n'a pas fait de bien à ses ancêtres. Le
pauvre Cameroun a absolument besoin d'en-
fants. Il semblerait donc désirable que la
polygamie soit en pleine pratique au Came-
roun. » Certains semblent mus avant tout par
l'égoïsme masculin. « Les auteurs des articles
ci-dessus (hostiles à la polygamie) auraient
peut-être bien fait de nous donner aussi des
éclaircissements concernant les méfaits de la
polygamie sur la société et plus particulière-
ment sur la santé des polygames. » Enfin un
attachement sentimental au passé anime le
rédacteur d'un journal éphémère à tendance
nationaliste. « La société africaine n'aura

1
\
POLYGAMIE

jamais de solidité tant qu'elle ne reviendra pas


sur ces institutions moralement saines. La
polygamie est certainement l'une des bases de
l'édifice social africain. Elle est encore l'une
des principales institutions contre lesquelles
s'est toujours dirigé l'action de ceux qui
veulent discrètement la disparition de la race
noire. On crée des sociétés pour patronner le
métissage, c'est-à-dire favoriser l'adultère entre
le blanc et la femme noire, et l'on ne cesse
de lancer des anathèmes impuissants contre les
polygames. » L'adhésion à la foi chrétienne
ne paraît pas à certains incompatible avec la
polygamie. M.O.E. déclare en ce sens: « Au
surplus, aucun texte de la Bible, aucun com-
mandement de Dieu, aucun commandement
de l'Église, n'interdit la polygamie sous toutes
ses formes. »
Les conditions économiques, rarement évo-
quées, ont une grande importance: « La poly-
gamie trouve sa raison d'être dans la fourni-
ture de main-d'œuvre au paysan camerounais
dans l'intention d'avoir beaucoup d'enfants,
dans l'idée qu'épouser plusieurs femmes cons-
titue une preuve des signes extérieurs de la
richesse du polygame. »
On devine à travers ces lignes la profonde
déchéance des institutions matrimoniales. Jadis,
le ménage polygame vivait dans une atmos-
106 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

phère sacralisée par le rôle de la famille. Son


organisation interne, analogue à celle de la
société politique le faisait participer à l'ordre
du monde. Aujourd'hui, la polygamie paraît,
comme dit M. Balandier, « l'instrument d'une
volonté de puissance individuelle ». Les
femmes risquent de n'être plus que des tra-
vailleuses édifiant la fortune de leur mari.
Sont-elles conscientes de cette « améliora-
tion » et expriment-elles une opinion sur la
polygamie? La vérité oblige à dire qu'elles ne
paraissent pas se considérer comme asservies.
« La femme, écrit Sohier, n'appréciait pas
la monogamie. En répartissant sur un plus
grand nombre de têtes les charges du ménage,
la polygamie rend le sort de la femme moins
dur. Signe de la richesse et de la prospérité
du mari, elle élève le rang social de chacune
des épouses. En donnant à la femme une habi-
tation distincte de celle du mari, la polygamie
lui permet une plus grande liberté de vie. »
Il est rare qu'une demande de divorce soit
faite par une femme parce que son mari lui
a imposé une co-épouse. Au contraire il arri-
vera qu'une femme désire voir son mari deve-
nir polygame et l'aide avec ses économies per-
sonnelles à doter une nouvelle femme. « Mon
mari et moi décidâmes qu'il devait épouser
une deuxième femme. Je l'y obligeai parce que,
POLYGAMIE 1°7

lorsque j'allais en voyage, je m'apercevais au


retour qu'il était tout faible de faim. Moi-
même, en arrivant, je ne trouvai rien à man-
ger... » Une autre raison est que si un homme
n'a pas plusieurs femmes, il est compté pour
rien. De même pour la femme, si elle n'a pas
une co-épouse qui est sa servante, elle n'est
pas respectée de ses « amies ». Ce texte date
de 1934, mais des faits analogues sont encore
possibles. Les femmes africaines ne sont pas
en général hostiles à la polygamie. Que pensent
les jeunes filles sorties de l'école?
Il n'est pas certain, dans d'autres contrées
d'Mrique, que l'opinion cultivée soit en géné-
ral aussi favorable à la polygamie. Une bonne
partie du Théâtre Populaire d'A.a.F. est des-
tinée à ridiculiser les vieux polygames qui
veulent des filles jeunes et autres analogues.
Pourtant l'enquête dahoméenne et sa forte
majorité de tenants de la polygamie donnent
à penser.
Mais si les femmes lettrées n'ont aucune-
ment participé aux débats rappelés ci-dessus,
faut-il conclure qu'elles sont favorables à la
polygamie? M. Senghor ne le pense pas, qui
voit dans les bataillons sortis des écoles de
filles les seuls combattants capables de sup-
primer ce régime.
L'Mrique doit choisir entre polygamie et
108 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
monogamie. Actuellement, beaucoup d'hommes
sont monogames de fait, mais prendraient de
nouvelles épouses s'ils en avaient la possibilité.
Chez les chrétiens même, la monogamie
est-elle solidement ancrée dans les mœurs, est-
elle bien justifiée dans les esprits, sa nécessité
profonde est-elle bien comprise?
Certes, l'existence d'une grande masse de
célibataires forcés, devrait condamner la poly-
gamie. Un quart de la population, même
adulte, ne peut se marier à cause d'elle. Le
prolétariat africain est constitué de célibataires
et c'est ce trait qui caractérise leur condition
prolétarienne. Mais le public ne s'en aperçoit
pas, ignorant totalement que la sex-ratio est
toujours à peu près équilibrée dans l'espèce
humaine.
Mais cet argument d'intérêt général peut-il
faire reculer la polygamie? Pas plus que les
théories natalistes bien souvent évoquées. En
fait, la monogamie est peut-être plus favo-
rable à l'expansion démographique, encore que
ce ne soit pas tellement évident. Mais si, au
lieu de raisonner abstraitement au niveau d'une
nation, on se place au niveau d'une famille,
le seul où le problème se pose concrètement,
on constate la fausseté de la position : un
homme a plus de chances d'avoir des enfants
nombreux s'il a plusieurs épouses. Le pays
POLYGAMIE

peut en souffrir, d'autres hommes sont con-


damnés à mourir célibataires et sans postérité.
Mais l'égoïste qui pratique la polygamie s'as-
sure une descendance. Et l'insuffisance de
l'argumentation nataliste est plus évidente
encore en cas de stérilité, vraie ou supposée,
de la femme. Rester monogame et ne pas
divorcer, c'est alors pour un catholique faire
preuve d'héroïsme, d'autant plus que la mono-
gamie apparaît généralement comme une exi-
gence disciplinaire dont les raisons ne sont
pas explicables et ne sont pas reliées aux doc-
trines.
Aussi de nombreuses sectes, nées du pro-
testantisme, admettent-elles la polygamie en
s'appuyant sur l'exemple des patriarches et cette
position est probablement la cause essentielle
de leur diffusion. L'élaboration d'une synthèse
intégrant dans l'ensemble culturel les divers
usages en vigueur serait donc de la plus
grande utilité.
CHAPITRE III

LA DOT

Depuis quelques années le problème de la


dot a été soulevé à maintes reprises, partout
et dans tous les milieux. Le mot « dot » est
employé ici faute d'un terme meilleur. L'usage
d'ailleurs s'en est répandu en Mrique. Parler
de « douaire » ne serait guère plus exact et
risquerait de paraître prétentieux. Au sens
africain du mot, la dot est la somme versée
par le fiancé (ou par sa famille) au père de la
fiancée. Souvent payée en argent, la dot peut
l'être parfois en nature, en produits alimen-
taires ou artisanaux, parfois en objets tradi-
tionnellement réservés à cet usage : perles,
bijoux, objets de cuivre ou de fer. Beaucoup
de mariage ne se font qu'après livraison aux
beaux-parents de la « compensation dotale »,
comme on dit parfois, pout montrer qu'il
112 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
s'agit d'équilibrer la perte subie par une
famille, amputée d'une fille, et l'enrichissement
d'une autre, fortifiée par l'arrivée de cette
jeune épouse et escomptant s'accroître de ses
enfants. Tant qu'il s'est agi de cadeaux tradi-
tionnels, personne n'avait trouvé l'usage dan-
gereux, mais les dots maintenant libellées en
monnaie, sont susceptibles de hausse très
forte. Le tarif est en général élevé. Il semble
que l'obligation d'effectuer les paiements soit
de nature à retarder ou empêcher les mariages
et à faire naître une sorte de spéculation.
Le problème n'est pas aussi nouveau qu'on
le croit parfois. Dans un ouvrage datant des
premières années du siècle, Le Hérissé rappelle
que, du temps des rois dahoméens, certains
mariages de filles de criminels, captives de la
famille royale, se faisaient contre un paiement
de 100 à 140 fr. Mais les enfants appartenaient
à la famille maternelle, c'est-à-dire au roi. En
1941, pour contracter un mariage hongbono,
dont les enfants appartiennent à la famille
paternelle, une dot de 500 à 600 fr. doit être
versée. En outre, des paiements nouveaux ont
lieu à la naissance des enfants.
En tenant compte de la dépréciation de la
monnaie et des cadeaux divers, sommes-nous
si loin des taux actuels? Dès 1905, au Sénégal,
des conseils de notables demandaient l'élabo-
LA DOT
ration d'un barême parce que les jeunes gens
éprouvaient des difficultés à se marier, tant les
dots étaient élevées. Au Gabon, des faits ana-
logues pourraient être signalés : en 1898 déjà,
Miss Kingsley écrit que le jeune Fang met
très longtemps à amasser assez de caoutchouc
pour s'acheter une femme 1.
Le problème n'est donc pas nouveau et ne
se limite pas à une seule région.

A. Extension de la dot.
La coutume du mariage dotal est une cou-
tume très ancienne et fort répandue. Ce n'est
pas la seule pourtant.
Certains peuples sont de droit matriarcal.
Les liens familiaux avec le groupe paternel
sont peu importants. La véritable famille est
celle de la mère. En fait, il ne s'agit pas à
proprement parler de matriarcat, avec autorité
des femmes, mais de système matrilinéaire.
Dans les groupes où ce système est pratiqué
(Agni, Alladian, Adioukrou, de Basse Côte
d'Ivoire), l'héritier d'un homme n'est pas son
1. GEISMAR, Recueil des coutumes civiles au Sénégal, indique
que le conseil des notables de Kaolack eut souhaité une
liquidation à 500 fr. - Dès 1875, le Synode méthodiste
de Gold Coast essayait de lutter contre les dépenses dues
à l'émulation des parties lors du mariage (Surlley of Afri-
can Mariage, 3e partie).
MARIAGE 8
1 I4 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

fils, mais le fils de sa sœur ou tout autre parent


utérin.
Lorsque ces conceptions inspirent la cou-
tume, une compensation dotale n'a guère de
sens : la femme travaille chez son mari, mais
ses enfants continuent à appartenir à sa propre
famille qui héritera aussi de ses biens. En fait,
et au mépris de toute logique, certaines tribus
de droit matriarcal connaissent le mariage à
dot (Basse Côte d'Ivoire, Bapoumou du Ga-
bon). D'autres, bien qu'ayant conservé des
traces de famille matrilinéaire, ne le prati-
quent guère (Baoulé). On cite même des cou-
tumes où le passage au patriarcat est accompli,
mais où l'on prévoit un mariage sans dot, en
régression vers le droit matriarcal : le mari
s'engage à donner à la famille de sa femme
un de ses futurs enfants (Senoufo).
Tous ces usages semblent d'ailleurs prouver
que la dot serait liée au moins en partie à la
dévolution des enfants. La pratique des Bapou-
mous de Mouila le confirme : dans ce groupe
encore matriarcal, le père veuf doit effectuer
un paiement spécial s'il veut obtenir le droit
de garder ses enfants.
D'autres coutumes prévoient le mariage par
échange 1. Deux groupes, deux clans font
1. Sœur Marie-André du Sacré-Cœur voit dans ce sys-
tème la forme la plus ancienne du mariage en Afrique
LA DOT II~

échange de femmes, assurant ainsi le mariage


de leurs jeunes hommes. Cette pratique est
signalée chez les Nalous (Guinée) comme dans
la zone forestière du Cameroun (Bafia, Boulou,
Beti). Ce système ne tient guère compte du
consentement des parties en présence, et si
un des mariages se rompt, celui qui l'a équi-
libré est rompu de plein droit.
Le mariage par enlèvement a été signalé
plus haut. Le folklore local prévoit des gestes
faisant songer à des rapts simulés. Un nom
particulier désigne cette sorte de mariage, fait
plus ou moins contre le gré de la famille.
Beaucoup de coutumes prévoient un rituel
de régularisation. Il faut reconnaître que
dans ces cas la dot est aggravée d'amendes
« pour payer les larmes », comme disent les
Doualas.
Dans le Soudan Occidental et en Guinée
Forestière, plusieurs coutumes marquent les
consentements par une espèce de confaréa-
tion ; les membres des deux familles mangent
ensemble des kolas (Malinké, Senoufo, Toma,
Soussou). En fait, les rites de ce genre ont un
caractère folklorique ; le geste peut avoir une
valeur symbolique ou magique, il peut témoi-
gner d'institutions plus anciennes qui se sont
noire. Condition Humain8 en Afrique 1I0ire, Grasset, 1953,
p. 69·
116 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

atrophiées, ne laissant que ce témoin. Tou-


jours est-il que, dans le mariage actuel, ces
rites ne semblent plus avoir une importance
prédominante.
Dans certaines régions, il n'y a pas un véri-
table versement de dot. Le gendre manifeste
son respect et sa soumission à ses futurs
beaux-parents en travaillant pour eux: défri-
chage, construction de cases et de toitures
sont ainsi effectués par le fiancé et ses cama-
rades. Outre la valeur des services ainsi four-
nis, qui dédommagent de la perte de la fille,
le travail donne l'occasion de mesurer l'éner-
gie du garçon. C'est en quelque sorte une
épr~uve à franchir.· Il en est ainsi chez les
Diolas du Casamance, les Bobos ou les Mos-
sis de Haute-Volta, les Cotocolis du Togo, les
Abrons et les Koulango, de Côte d'Ivoire, où
on trouve cet usage.
Des dons de détail sanctionnent parfois le
mariage. Ces dons sont parfois très importants.
Ils sont de règle chez les Malinkés, de Kayes
à Odiénné, les Diawaras (Nioro), les Peuls du
Macina, les Sonraïs de Gao, les Touareg, les
païens du Nord-Cameroun, où l'élevage a tou-
jours été une activité importante. Mais en
dehors de cette somme, des coutumes attri-
buent une importance patticulière au don d'uné
« chèvre de mariage ». Faut-il voir là une dot
LA DOT

payée en nature ou un échange d'une vie pour


une autre?
Ailleurs, et cela est plus proche encore des
prestations monétaires, la dot est payée en
une monnaie spéciale. Morceaux d'or dans le
Sud de la Côte d'Ivoire, bijoux d'argent chez
certains Malinkés, fers travaillés dans le Sud-
Cameroun.
S'il n'est pas absolument général, le paie-
ment d'une compensation est donc très fré-
quent. Certaines zones de droit matriarcal du
Sud de la Côte d'Ivoire y échappent, ainsi que
les régions voltaïques où la dot est remplacée
par le travail au profit des beaux-parents.
La coutume du mariage dotal paraît autoch-
tone dans de nombreuses régions. Ce peut être
une simple apparence et il est possible qu'elle
ait été simplement empruntée, puis intégrée
dans là coutume au point d'y sembler vérita-
blement indigène.
La dot est prévue dans le droit musulman,
comme elle l'était d'ailleurs dans la Bible 1.
Elle s'impose de ce fait à tous les croyants.
Certains pensent que la diffusion de la cou-
tume, liée à la diffusion de l'Islam, ou du

1. Genèse, 3I, 15 : « Rachel et Léa répondirent : Ne


sommes-nous pas considérées comme étrangères puisque
notre père nous a vendues et qu'il a ensuite mangé notre
argent? » (Voir aussi Genèse, 34, 12).
Il8 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

moins de son influence culturelle, aurait pris


une importance démesurée parmi les popula-
tions pour qui elle était peu familière : ces
tribus lui auraient donné une interprétation
nouvelle et l'institution aurait pris un déve-
loppement considérable. Il ne faudrait pas
exagérer le caractère étranger de la dot. En
effet, les peuples forestiers du Sud-Cameroun
n'ont jamais été islamisés. Leurs contacts avec
l'Islam sont récents : quelques razzias de cava-
liers fulbés à la fin du XIXe siècle, quelques
établissements de marchands « Haoussa »
depuis 1925. Cependant, dès avant 1900, ils
employaient pour payer les dots une monnaie
spéciale de losanges .de fer ayant vaguement
la forme d'un fer de sagaïe. Il fallait 500 à
3.000 de ces « bikye » pour doter une fille.
En fait, les juristes musulmans ont eu une
action, d'un ordre différent, chez les croyants :
ils ont insisté pour qu'une proportion de la
dot soit effectivement versée. En effet de nom-
breuses tribus avaient coutume de fixer une
dot théorique considérable. Exiger beaucoup
montrait que la famille n'acceptait pas de
donner sa fille au premier venu. S'engager à
donner un troupeau nombreux montrait que
l'on était un prétendant épris et fastueux.
Mais en réalité une faible fraction seulement
est livrée tandis que le reste ne sera versé
LA DOT

qu'en cas de répudiation par le mari. Tel est


l'usage chez les Foulbés, au Sénégal, au Tchad,
chez les Souraïs. Il semble qu'en insistant
pour qu'un versement soit effectué même s'il
était limité, les pieux croyants aient voulu
garantir le sérieux et la stabilité des unions.
La jurisprudence des tribunaux a probable-
ment agi dans le même sens. Dans les zones
où le mariage se fait en échange des travaux
du fiancé, les juges ont essayé de restituer
quelque chose au mari qui se voit imposer
le divorce. Cédant à la contagion de l'exemple
ou voulant se garantir, les parents pouvaient
songer à exiger une dot. Il en serait actuelle-
ment de même chez les Baoulés, où la com-
pensation n'existe pas en fait. Mais les mariages
inscrits à l'état civil en stipulent souvent une,
pour faire meilleur effet.
Faute d'autres rituels, le mariage par dot
s'est répandu : il était commode et paraissait
offrir des garanties. Les autres mariages finis-
sent par faire figure de systèmes aberrants. Cer-
tains sont évidemment condamnés: l'échange
de femmes entre deux clans est quelque peu
archaïque dans un siècle de liberté indivi-
duelle. Le mariage par rapt ne convient pas
à une société pacifiée. Le don d'une femme
par un chef ne pouvait se maintenir en dehors
de l'échange, du servage ou organisations
120 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
sociales de même espèce 1! Il est probable
que la pauvreté étonnante du cérémonial
employé pour célébrer le mariage a facilité la
dot : c'était un rituel simple et qui s'impo-
sait, n'étant concurrencé par rien d'autre.
Actuellement, autour des rites chrétiens et
souvent à l'invitation des usages européens,
des pratiques folkloriques se développent.
Peut-être pourront-elles rendre enfin évident
que le mariage n'est pas seulement une affaire
d'argent payé.

1. La simple liste de types de mariages énumeres par


COURNARIE (in Coutumes du Nyong et Sam/ga, manuscrit
1933, archives régionales) montre que le mariage dotal
devait prendre toute la place : infan aluk (vrai mariage)
ou mariage avec dot; - Abom (rapt); - Ntobo ekobo
(mariage avec une fille proclamée préférée pat sa famille) ; -
aluk evina (mariage de mécontentement) ou aluk eyian
(mariage de remplacement), une fille est donnée pour rem-
piacer une première épouse qui s'est révélée stérile ou est
morte prématurément; - aluk etuga (mariage obliga-
toire) avec une fille non consentante ou livrée en paiement
d'une dette; - aluk ekokoba (don d'une femme par
l'oncle maternel qui a touché la dot de la mère). Les
mariages sans dot sont aluk mfoalna (échangés); aluk
nkompita (mariages avec captive de guerre); - ntam
ayem, ekodo (mariage avec une femme donnée pour indem-
niser d'un dommage, d'une accusation calomnieuse); -
inbi zene (mariage avec la femme rencontrée sur le che-
min, valable si la famille est indemnisée). Tout ce qui n'est
pas mariage dotal suppose des contraintes qui étaient
appelées à disparaître,
LA DOT lU

B. Szgniftcation et {ymbolisme de la dot.


Je ne prétends pas traiter ici d'une question
qui a été étudiée à plusieurs reprises. Est-il
bien nécessaire de chercher le sens profond
de la dot? Qu'elle soit une compensation entre
deux familles, qu'elle soit la trace d'échanges
anciens, qu'elle ait l'aspect d'un véritable
achat, qu'elle marque l'acquisition des enfants,
qu'elle soit une preuve de l'amour du fiancé
et des sacrifices qu'il est prêt à faire pour
vivre avec celle qu'il a choisie, tout cela est
probablement vrai. Il est probable aussi qu'elle
est la preuve du mariage, le lien définitif des
volontés de ceux qui donnent comme de ceux
qui reçoivent.
Tous ces traits se retrouvent dans la dot.
Il serait insuffisant d'y voir une seule presta-
tion; comme l'indique Sohier : « La dot
jouait quatre rôles. On en comprendra la
possibilité en considérant qu'elle ne compor-
tait pas le paiement d'une somme unique mai;;
plusieurs versements de valeurs dotales, géné-
ralement échelonnés dans le temps et dont
chacun possédait un nom distinct. Ces verse-
ments n'étaient pas des acomptes, mais avaient
chacun un nom et une fonction propre :
ID La dot est un instrument de preuve du
1 zz LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

consentement des familles, le titre de l'al-


liance... ; pour remplir cette fonction, la dot
est toujours remise en public, parfois par un
agent matrimonial..., avec assistance des pa-
rents du fiancé. Même lorsque la dot est for-
mée par le fiancé, ses père et frères lui don-
nent l'un ou l'autre objet afin de marquer leur
accord. La dot est en principe remise au père,
mais il s'y ajoute des cadeaux pour la mère
et tous les proches.
2° La dot est un gage remis par le mari
aux beaux-parents pour garantie qu'il traitera
bien sa femme; s'il ne se conduit pas bien,
il perdra les biens dotaux. Le rôle de gage
exige que la dot soit assez forte : c'est une
garantie sérieuse de stabilité de l'union.
3° La dot est une compensation parce que
le groupe perd l'activité d'un de ses membres.
Dans cette conception la dot doit être resti-
tuée si la femme quitte prématurément son
mari, non si elle meurt. Cette dot doit être
assez forte pOUl satisfaire l'amour-propre de
la femme. La femme sera plus attachée à son
époux parce que celui-ci, en se montrant géné-
reux, aura montré son affection.
4° La dot assure la filiation des enfants... »
Plusieurs descriptions confirment cette façon
de voir et montrent la complexité de la dot.
LA DOT

C. Taux.
Mais la dot est actuellement autre chose
qu'un rite ou un instrument de preuve. Les
sommes payées sont parfois considérables et
le gendre a l'impression d'être pressuré au
maximum. En effet, après la dot elle-même,
mille revendications sont formulées : lors de
la cérémonie, il faut faire un cadeau pour que
la fiancée puisse franchir une limite, un sen-
tier, un ruisseau, donner de l'argent à ses
sœurs, à ses amies. Des revendications qui ne
sont pas justifiées par la coutume sont pré-
sentées à très haute voix, si bien que le fiancé
est obligé d'obtempérer de crainte d'être
accusé de pingrerie. Plus tard, les occasions
les plus diverses seront utilisées pour lui
demander des cadeaux : visite de la belle-
famille, naissances, mille prétextes seront bons
pour « réclamer» au gendre quelque présent.
Bien sûr ce serait caricaturer les choses que
de voir là avarice pure et simple : recevoir des
cadeaux, ce n'est pas seulement s'enrichir
matériellement avec des objets que l'on n'a
pas payé, c'est aussi, et surtout, participer à
une espèce de communion avec le donateur,
comme le dit Mme Dugast à propos des
Banens : « Journellement les produits sont
124 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

appelés à quitter les greniers, ils passent de


case. en case et font partie de la vie interne
profonde de la tribu. Ils sont une force dyna-
mique, insensible à celui qui ne fait que passer,
force qui unit les individus et les générations
de façon indissoluble. » Il serait également
excessif de parler de mauvaise foi à propos
de cette dot, dont la corbeille n'est jamais
remplie.. Exigences successives, surenchères
peut-être, mais aussi notion très fortement
. marquée dans toute la civilisation négro-afri-
caine qu'un acte ne peut jamais être considélé
isolément, hors du déroulement de la vie,
qu'une action n'est jamais terminée, close,
tant qu'elle a des conséquences. Le droit
africain n'aime pas, comme le nôtre, poser
des actes définitifs, et irrévocables. Il préfère
ce qui est adhésion à un statut dont les
conséquences sont durables; cela peut con-
tribuer à expliquer ces cadeaux périodiques
demandés à un gendre. Il n'en sont pas moins
lourds.
D'autre part la dot présente certaines appa-
rences d'un prix commercial : elle varie selon
les circonstances générales et selon les qualités
de la fille à marier. La hausse des dots est liée
à ·la hausse générale du taux de la vie et au
cours des produits. Des courbes notant le
prix du cacao et le niveau des dots montrent
LA DOT
bien le synchronisme de l'évolution. Depuis
toujours d'ailleurs, certaines qualités de la
fiancée sont sanctionnées par un tarif dotal
plus fort : une fille jeune est dotée plus cher
qu'une autre; selon les peuples, la virginité
ou la fécondité prénuptiale seront appréciées;
chez les Massa (Yagoua, Cameroun), il faut
25 à 30 vaches pour doter une fille vierge
alors qu'une dote de 10 vaches est suffisante
pOUf une femme.
La condition sociale de la famille de la fille
entre souvent en considération. Une famille
influente exigera plus qu'une famille modeste,
et il est certain que les bouleversements
sociaux ont contribué à faire monter le taux
de la dot : « La société citadine est une société
de déracinés sans passé propre, presque sans
tradition, sans cadre... elle est en proie au
complexe d'infériorité et par compensation
incroyablement vaniteuse. C'est une société
de commerçants dominée par l'argent seul
critère valable, avec l'instruction de la dignité.
Les populations de brousse ont de lointaines
et solides traditions, chacun se marie selon sa
condition... on ne concevrait pas que deux
familles d'artisans imaginassent de donner au
mariage de deux des leurs l'éclat d'un mariage
entre libres ou entre nobles. Des limites se
trouvent ainsi imposées à l'ascension des prix
126 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

en matière matrimoniales certaines propor-


tions sont conservées 1... »
Chercher à reprendre les causes qui ont pu
amener la montée des dots serait fastidieux et
dénué d'originalité. Diffusion de l'économie
monétaire, hausse du niveau de vie, perte du
sens sacré du mariage, égoïsme des patri-
arches: des causes très diverses ont agi simul-
tanément 2. La documentation disponible est
trop fragmentaire pour qu'il soit possible de
faire une carte exacte des taux des dots et de
voir ainsi les facteurs qui ont pu agir sur ces
hausses 3.
D'une façon générale les dots sont plus
chères en ville qu'en brousse, plus chères sur
la côte qu'à l'intérieur. A Dakar, à Saint-Louis,
à Kaolack, on signale depuis longtemps des
dots élevées : vers 195 0, l'histoire de « la fille
qui valait un million» a longuement alimenté
la chronique locale. Dans le Sud de la Côte
d'Ivoire chez les Bétés, les Didas, ou les Ébriës,
le taux habituel est de 80.000 à 120.000 fr.
Il en est de même dans le Sud-Dahomey (Oui-
dah), dans le Sud-Cameroun, Douala, Yaoundé,
Ébolowa, chez les Fanges du Gabon (100.000).
1. ROBIN, Évolution du mariage au Sénégal, Afrim 17,
1947, p. 122.
2. Voir à cc propos, Sœur MARIE-ANDRÉ DU SACRÉ-
CœUR, op. cit., p. 97.
3. Tous les prix sont en francs C.F.A.
LA DOT
Chez les Bapoumous (Gabon), le taux est un
peu moins élevé : 35.000 à 50.000. Certaines
tribus fort éloignées pratiquent des tarifs éle-
vés : on ne s'en avise pas à première vue
parce qu'ils sont libellés en bétail, mais à tout
prendre les 20 vaches payées dans l'Ennedi,
les 25 à 30 payées chez les Massas représentent.
des sommes énormes si l'on retient un prix
moyen de 7.000 fr. par tête. Le taux un peu
moins élevé des Diawaras) des Malinkes ou des
Moudangs correspondent aux taux modérés en
usage chez les Soussous (15.000 fr.), les Abbeys
de Côte d'Ivoire (20.000 fr.), les Baribas païens
du Dahomey. Ailleurs, les taux sont plus bas
encore, Tomas de Guinée (5.000 fr.), Haoussas,
Baribas musulmans (5.000 fr.), tandis que les
Foulbés, dans leurs divers groupements (Fouta
Djalon, Macina, Cameroun) les Sonraïs ne
versent qu'une proportion infime de la dot
proclamée. D'autres peuples enfin n'avaient pas
prévu la dot bien que l'usage soit en pleine
évolution : Diola de Casamance, Coniaguis de
Guinée, Bobos, Mossis, Cotocolis.
La coutume des Senoufos comme celle des
environs de Kayes est révélatrice : une dot
est exigée s'il y a exogamie, comme chez les
Dioulas d'Odienne ou à Tafouana, où le mari
a le choix entre payer une dot ou laisser un
enfant à la famille maternelle.
128 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

De cette trop longue énumération se dégage


une impression : les dots lourdes sont liées
à la côte, ou sont payées en bétail. L'exemple
des Bandas, des Yakomas et des Mandjias de
l'Oubangui est révélateur. Dans ces tribus le
taux est de 12.000 fr., ce qui est cher pour
un peuple de pêcheurs.
A côté des Mandjias, leurs anciens captifs,
les Yakpas, installés sur les plateaux moins
fertiles que le fond de la vallée, ont des taux
deux fois moins élevés. Le fait est ici bien
net, la dot s'élève en même temps que les
disponibilités financières.
Il ne faudra pas s'imaginer cependant que
les prestations dotales sont la cause principale
des dépenses, même dans les contrées où elles
sont onéreuses.
L'étude I de 500 budgets familiaux réunis
en 1954 dans le' Sud-Cameroun permet d'éva-
luer à 45.000 fr. par famille le revenu moné-
taire annuel (compte non tenu de l'autocon-
sommation). Sur ce total, les dots, en recettes
ou en dépenses, représentent environ 10 %.
Dans le Nord-Cameroun, le revenu moné-
taire (autoconsommation non comprise) est

1. J. BINET, Budgets Familiaux, in Homme d'Outre-Mer,


nO 3, p. 82 (noter que 1954 fut une année de cours très
élevés) et Budgets familiaux dans le Nord-Cameroun, 1956
(ronéotypé, ORSTOM).
LA DOT

de 14.000 fr. Les dots représentent environ


2 %. Le pourcentage n'est donc pag négli-
geable dans le Sud surtout, et le peu d'écart
entre le pourcentage faible du Nord et celui
du Sud renforce encore l'impression que la
dot croit avec la richesse, mais plus vite qu'elle.

D. L'opinion publique.
L'opinion s'est alarmée à la fois des taux
élevés et de l'aspect commercial de la chose.
Différents auteurs européens ont signalé ces
faits. Mais quelle était la réaction des milieux
africain? Depuis longtemps, au Cameroun,
une campagne était menée dans les milieux
chrétiens, contre la dot. Dès 1939, Wilbois
décrit par exemple la confrérie de Cinq Plaies
dont les adhérents s'engagent entre autres
choses à ne pas prendre de dot pour le mariage
de femmes dépendant d'eux. Actuellement, les
missions protestantes demandent aux « an-
ciens de l'église» ce même sacrifice. Lorsque
vers 1950 divers journaux étudièrent la ques-
tion, il est probable que la plupart des adver-
saires de la dot venaient de ces milieux. L'una-
nimité n'était pas faite d'ailleurs et la qualité
des arguments exposés étonne parfois. On
évoque assez rarement l'avilissement du ma-
riage né de sa commercialisation, mais la
)lARIAGE 9
130 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

possibilité pour de nombreux jeunes gens


pauvres. de trouver femme est souvent rap-
pelée.
Dans les milieux ruraux, l'attention est alertée
et certaines associations préconisent une limi-
tation de la dot. Mais tous sont unanimes à
souhaiter que cette limitation soit imposée et
imposée de l'extérieur, par l'autorité adminis-
trative. Cela évoque fâcheusement une accep-
tation du « paternalisme » depuis longtemps
dépassé par les événements.
L'opinion des femmes est malheureusement
peu connue; moins lettrées et plus timides
que les hommes, elles interviennent rarement
dans les débats lancés par les journaux. Lors
d'un congrès organisé par le Secrétariat Social
de Bangui (1952), les femmes semblent avoir
montré plus d'attachement à la dot que les
hommes : « Ce serait mécontenter la femme
(que de se limiter à une dot symbolique de
500 fr.) qui ne se considérait pas mariée parce
que pas assez dotée... », dit un délégué. Et
des femmes déclarent: « Nous n'aurions pas
accepté un mari qui ne nous aurait pas dotées.
Nous voulons qu'il soit reconnaissant à nos
parents par la dot. » Ou encore : « Il ne faut
pas que la dot soit trop faible, sinon le mari
respecte moins sa femme. » En 1954, dans la
même région, des écolières furent questionnées
LA DOT
sur les buts du mariage. Une proportion non
négligeable répondit : « Pour avoir des enfants
et pour que le mari donne de l'argent à mes
parents. »
D'autres milieux ont certainement des opi-
nions différentes et il est possible que les chré-
tiennes, fréquentant assidûment l'église et les
confréries, soient peu favorables à la dot.
Certaines filles évoluées y sont hostiles.
Une série de devoirs rédigés par les filles
du collège de Douala aide à s'en faire une
idée. Est-ce la lecture de la presse, est-ce
l'influence des missions, un certain nombre de
jeunes filles sont franchement hostiles aux dots
élevées (50 %). Elles seraient blessées que leurs
parents « prennent quelque chose sur elles ».
Les autres décrivent seulement l'institution
sans la juger explicitement. Leurs arguments
sont souvent intéressants. La dot supprime le
libre choix, l'amour est la condition du ma·
riage... ; mais très fières pour elles-mêmes, elles
accepteraient que la dot subsiste pour d'autres
catégories où, pensent-elles, les filles ne com-
prendraient pas le caractère définitif du ma-
riage 1.

1. « Les personnes qui trouvent leurs filles assez rai-


sonnables pour pouvoir comprendre que le mariage est un
lien éternel doivent les marier sans dot écrit l'une d'elles.
Pour celles qui ne comprennent pas le mariage leurs parents
IF LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Ailleurs, cette indépendance féminine se mani-


feste d'une autre façon.
Les femmes peules, lorsqu'elles ont été
émancipées par un premier mariage, reçoivent
et conservent par-devers elles la dot versée
pour les épouses. Ceci est d'ailleurs conforme
à certaines traditions islamiques qui distin-
guent ce douaire (au sens propre) de la dot
coutumière africaine. Un usage analogue serait
fréquent à Cotonou, où la femme conserve-
rait les deux-tiers de la dot. Est-ce à l'imita-
tion des musulmans yoruba? Des femmes Coto-
colis (Nord-Togo), de retour de Gold Coast
agissent de même et des cas analogues m'onl
été signalés avec étonnement et réprobation
par de notables boulous, du Sud-Cameroun.
Un féminisme serait-il en train de naître en
Afrique? L'importance prise en pays soussou
par exemple par les sections féminimes du
R.D.A., tendrait à le prouver. Les femmes se
mettront-elles à lutter contre les « aliénations»
qui leur étaient imposées?
Une autre réaction se fait jour, plus intéres-
sante peut-être, car elle paraît susceptible d'en-
gendrer une transformation de la coutume.
Diverses personnes, des femmes comme des
doivent les marier avec une dot modérée. Ainsi si elles
rencontrent des difficultés, la dot pourra les retenir », écrit
l'une d'elles.
LA DOT
hommes, estiment que la dot peut demeurer,
mais qu'elle doit être compensée par des
cadeaux de la famille de la fille. Dot et cadeaux
resteraient à la disposition du jeune ménage et
constitueraient l'embryon d'un bien de com-
munauté. Exprimée dans les journaux du Sud-
Cameroun, mise en pratique par certaines
familles Douala, cette opinion est d'autant
plus intéressante qu'elle coïncide avec la reven-
dication par les veuves d'un droit sur les
plantations cacaoyères de l'époux pré-décédé.
De nombreux tribunaux de cette zone recon-
naissent ce droit, admettant aussi implicite-
ment l'idée d'un bien commun aux deux époux.
Pour être complet, il faut ajouter que les
discussions sur la dot n'ont pas toujours paru
du meilleur goût à certains intellectuels afri-
cains. Ils se sont indignés que l'on compare
à une vente la coutume de la dot tradition-
nelle. Senghor, par exemple, estime que la
question peut se poser sur le plan écono-
mique, mais il ne pense pas judicieux de la
poser sur le plan moral. D'autres réflexions
font écho à la sienne, justifiant la dot et disant
son utilité. Ce courant d'opinions doit inciter
à la réflexion. On peut probablement faire
admettre à ses tenants, encore que leur sus-
ceptibilité soit grande, qu'il y a eu une dévia-
tion dangereuse de la coutume. Mais ils n'ac-
134 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

cepteront probablement pas la suppression


d'un usage qui rentre, à leur avis, dans un
patrimoine ancestral vénérable par son ancien-
neté.

E. Conséquences du système dotal.


Dot et nuptialité.
Si la dot est élevée, des jeunes gens peuvent
être incapables de se marier, ou du moins
être obligés de retarder leur mariage jusqu'à
ce qu'ils aient remis les sommes nécessaires.
D'autre part, si les mariages se négocient à
prix d'argent les riches peuvent accaparer les
femmes et réduire les pauvres au célibat. Ce
raisonnement n'est pas parfaitement irréfu-
table. En effet, dans une région où ·la richesse
est quelque peu partagée, l'existence d'une dot
permet à tous ceux qui ont quelque argent de
trouver une épouse. S'il n'y avait rien à payer,
rien ne limiterait l'extension de la polygamie.
Le polygame se trouve donc limité par sa
richesse.
Il est vrai que la polygamie engendre une
concentration des richesses, dans ces pays où
le travail des femmes est la source de la pro-
duction : plus un homme a de bras à son
service, plus il est puissant et riche. Par con-
LA DOT
séquent la polygamie irait sans cesse se déve-
loppant, grâce au système dotal, puisqu'elle
permettrait aux polygames, plus riches par
définition, d'exercer une surenchère constante
sur le taux des dots et de se réserver les femmes
au moins en théorie. Le processus serait plus
complexe selon Crocqueville et permettrait
aux chefs de famille de monopoliser les femmes
grâce à une hausse quasi fictive du taux des
dots : « Les chefs de famille ont tendance à
prendre eux-mêmes pour épouses des filles qui
conviendraient beaucoup mieux à leurs fils.
Ces unions sont le plus souvent la conséquence
d'accords de compensation entre chefs de clan
qui permettent de fixer le montant des dots
à des sommes exorbitantes n'apportant aucune
gène aux contractants, puisqu'en fin de compte
la dot n'est que prêtée jusqu'à ce que soit
parfaite la compensation des filles. En revanche
ce système fixe les cours moyens de la dot à
un taux tellement élevé que les jeunes hommes
sont toujours dans l'impossibilité de consti-
tuer une dot.
L'importance du taux de la dot est-il un
frein au mariage de jeunes gens, est-il un
encouragement à la polygamie? Il faudrait
pour le savoir comparer une carte des taux
de dots avec une carte de la polygamie et une
carte des taux de nuptialité, tous documents
136 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

impossibles à établir, faute d'informations suffi-


santes.
L'état civil n'est pas obligatoire pour l'en-
semble de l'Afrique française et il n'est pas
utilisé par tous ceux qui y sont astreints. Les
travaux d'ordre démographique ou médical
distinguent parfois les mariés des célibataites.
Mais on n'indique jamais le nombre de mariages
dans l'année. Ce chiffre est donné, pour
ce qui les concerne, dans les statistiques des
missions catholiques. Il est possible de le
mettre en regard du nombre total des fidèles.
Ceux-ci sont obligés en conscience de faire
procéder à la bénédiction de leur mariage. On
ne peut pas en conclure bien entendu qu'ils
le font. Parmi les chrétiens, il peut y avoir
des mariages purement coutumiers comme il
peut y avoir (et en plus grand nombre proba-
blement) des unions libres. En outre, il n'est
pas rare que des fiancés vivent ensemble sans
pouvoir se marier religieusement si les parents
n'acceptent pas de faire rédiger l'état civil
(pour des raisons financières par exemple).
Cependant, si les mariages relevés ne rendent
pas compte des faits de cohabitation, on peut
estimer qu'ils retracent la plupart des mariages
définitifs. En tout cas, même si les chiffres
n'ont pas une valeur absolue, on peut estimer
que les causes d'erreur étant comparables, ici
LA DOT
et là, les statistiques permettent des compa-
raisons utiles de vicariat à vicariac 1.
Pour fixer les idées, rappelons simplement
qu'en 1931 Huber (Cours de démographie)
indique comme le plus élevé le taux de nup-
tialité de la Bulgarie : r 89 nouveaux mariés
dans l'année pour 10.000 habitants étant con-
sidéré comme le plus élevé, celui de l'Irlande
98 nouveaux mariés, comme le plus faible.
Les taux de nuptialité de la population chré-
tienne révèlent des chiffres prodigieusement
faibles, dans le Sud de la Côte d'Ivoire, le
Togo et le Dahomey (Abidjan 74 ; Katiola 60 ;
Bouaké 48,9 ; Lomé 47 ; Ouidah 82), à Pointe
Noire (74,5) et Brazzaville (60). Des taux
médiocres caractérisent Ziguincho (r 09), Maa-
rekoré (raz), Kantan (r32), Sassandra (r38),
Niamey (roo), Douala (r38) et Port-Lamy
(r29). Une zone de plus forte nuptialité se
dessine avec Kayes (rp), Bobo-Dioulasso
(143), Ouagadougou (17 2), Garoua (r8r) et

1. Bien entendu les statistiques ne distinguent pas les


mariages européens des mariages africains. Les vicariats
ayant, au moins proportionnellement, des populations euro-
péennes nombreuses, doivent étre éliminés. En outre, les
statistiques mentionnent à part les mariages mixtes (où
les deux conjoints ne sont pas catholiques). On a pris en
considération uniquement les catholiques : deux époux
dans le cas du mariage entre fidèles, un seul en cas de
mariage mixte. Les chiffres sont établis d'après les statis-
tiques de 1954.
138 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Sangui (195). Enfin des taux exceptionnels


sont atteints à Nouna (325), Koudougou (2.30)
et dans l'intérieur du bloc A.B.F. Cameroun,
Doumé (264), Berberati (228), Fort-Lamy (241)
et Moundou (378).
Cette répartition semble donc assez cohé-
rente ; faible sur la côte, la nuptialité croît
vers l'intérieur pour atteindre son maximum
en Haute-Volta et en pays Sara. On ne peut
manquer de constater que cette répartition cor-
respond en partie avec celle de la piété exté-
rieure ; en effet le pourcentage des commu-
nions pascales est particulièrement fort en
Haute-Volta, au Cameroun, à Moundou. Il est
logique, en effet, que des chrétiens attachés à
la pratique fassent célébrer religieusement leur
mariage.
On ne peut manquer non plus de souligner
que les pays de Nouna et d'Ouagadougou,
d'une part, de Moundou et Fort-Lamy, d'autre
part, ont la réputation d'être des pays à popu-
lation croissante. Croît-elle parce qu'il y a
beaucoup de mariages ou y a-t-il beaucoup de
mariages parce que la population en âge de
se marier est proportionnellement nombreuse?
Rien ne permet de choisir entre ces hypo-
thèses?
Peut-on tenter un rapprochement entre la
carte de la nuptialité et celle des taux de dots?
LA DOT 139

Pour incertain que soit le procédé, il permet


tout de même de constater que le Sud-Came-
roun, où les dots sont très fortes, est un pays
où les mariages sont relativement nombreux.
Tandis que le Sud de la Côte d'Ivoire, qui
pratique des taux de dot analogues, est une
zone de très faible nuptialité. Des zones comme
Nsérékore ou Ziguinchor ont une nuptialité
médiocre, alors que la dot est faible. Il semble
que toutes sortes de facteurs entrent en jeu,
et imputer à la seule dot le taux de nuptialité
serait probablement simplifier à l'excès le pro-
blème.
Dot et prolificité.
Les documents chiffrés sont introuvables.
On pourrait penser que la dot, obligeant les
jeunes gens à travailler pour réunir les fonds
nécessaires, les conduit à se marier tard.
Comme Soret note qu'un décalage important
entre l'âge des deux époux amène une réduc-
tion du nombre des naissances, on pourrait
conclure que, par le retard du mariage, la dot
se trouverait facteur de dépopulation.
Mais y a-t-il ce retard de l'âge du mariage
que l'on peut logiquement supposer? En fait,
rien ne permet des affirmations tranchantes sur
ce point. La seule indication dont je puisse
disposer, grâce au dépouillement de çertains
140 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
actes d'état civil, montre, contrairement à ce
que l'on pouvait supposer, que les hommes se
marient plus jeunes qu'il y a dix ou vingt ans:

Répartition des nouveaux mariés par âge (%J


20 à 25 ans 25 à 35 ans plus de 35 ans

193 6 ........... 8 16 75
1947·········· . 6,5 18 75
1953· .......... 20,3 29,5 55

S'il Y a hausse des dots par rapport au


niveau de vie, ce qui au fond, est inconnu,
il n'y a pas élévation de l'âge au mariage.
Dot et liberté de choix.
Encore que le libre consentement des époux
ne soit pas très souvent évoqué dans la presse,
il est certain que la dot fait naître des difficultés
sur ce point. Difficultés doubles : des diffi-
cultés financières peuvent empêcher certains
choix, d'une part, et des raisons d'argent
peuvent, d'autre part, amener des parents à
accepter des unions mal assorties. Il est bien
entendu impossible de mesurer ces difficultés.
Garçons et filles en souffrent-ils? Acceptent-
ils de bon gré n'importe quel partenaire qui
leur est donné par leur famille? Après tout,
l'Europe a longtemps connu ces mariages
LA DOT

arrangés par les parents et acceptés, plutôt que


voulus, par les intéressés.
Dot et divorce.
Entachant le consentement au mariage d'un
vice, la dot est-elle facteur de divorce? Le
fait a été signalé : la fille, pour marquer sa
déférence envers sa famille, accepte l'époux à
qui elle est donnée puis, dans un délai assez
bref, se sépare de lui. Les tribunaux ont eu
à connaître des divorces où la dot est plus
directement en cause: soit que le gendre n'ait
pas payé tout ce qui était convenu, soit qu'il
ait repoussé des demandes nouvelles, soit qu'un
nouveau mariage soit en train, certains patri-
arches poussent les filles de leur famille à
divorcer. Il va sans dire qu'en période de
dévaluations successives ils trouvent toujours
un nouveau prétendant prêt à verser une dot
plus forte que celle qui leur avait été donnée
quelques mois ou quelques années plus tôt.
Cette question sera reprise plus loin.
Mais, d'un autre côté, les défenseurs de la
dot voient-ils un frein aux divorces? Quoi-
qu'ils ne concernent pas un territoire de
l'Union Française, les chiffres suivants, fournis
par l'Ashanti Social Survey, méritent d'être
cités 1.
1. Survey of African A1arriage, ze partie, p. 13 I.
142 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Proportion des mariages sans dot.


Parmi les Parmi Dans
mariages les l'ensemble
rompus par mariages des
divorces stables mariages

19°9 ......... 21% 6% 14 %


19 10- 19 2 9 .... 16 % 6% 11%
193°-1945 .... 22.% 15% 17 %
Calculés sur des échantillons de plusieurs cen-
taines de cas, ces pourcentages montrent que les
mariages sans dot fournissent au divorce un con-
tingent plus que proportionnel à leur nombre.
En citant ces chiffres, L. Mair, ajoute :
« L'opinion ashanti que le paiement aide à
stabiliser les mariages est étayée par la com-
paraison du nombre d'enfants nés, indication
sommaire de la durée de l'union dans les
deux cas : 3,4 dans le cas du mariage à dot,
2,6 dans le second cas. »
En fait, le dommage psychologique est peut
être le plus grave, encore qu'il ne soit pas
possible de l'évaluer. Les marchandages qui
entourent les négociations dotales seraient dan-
gereux, même s'ils n'empêchaient personne de
se marier librement. Dans la mesure où ils
pourraient ravaler une institution sociale esseq.-
tielle au rang d'une transaction économique,
ils lui enlevaient sa respectabilité, « son carac-
tère sacré ».
CHAPITRE IV

FRAGILITÉ DU MARIAGE

L'étude des idées directrices du droit cou-


tumier montre que la génération, bien plus que
le mariage, est un acte sacré. Il n'y a pas dans
la civilisation africaine ce primat de l'amour,
si caractéristique des civilisations occidentales,
où il est souvent hypertrophié et dévié. Il
n'y a pas davantage de romantisme du nou-
veau foyer à bâtir, de la famille nouvelle à
fonder. Le mariage était important parce qu'il
permettait d'assurer la grandeur et la conti-
nuité du clan. Maintenant, avec la montée de
l'individualisme, c'est sa propre grandeur et
sa propre survie que chacun tente d'assurer à
travers sa descendance. Le travail des femmes
a toujours été essentiel, mais aujourd'hui des
Africains peuvent à bon droit se demander si
la polygamie n'a pas pour premier résultat de
144 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
fournir beaucoup de main-d'œuvre et si l'enri-
chissement d'un homme ne peut pas apparaître
comme un but aussi noble, aussi digne de
respect qu'était jadis la consolidation d'un clan.
Le mariage, sans avoir un caractère totale-
ment sacré, a été une institution sociale et
religieuse qui assurait l'ordre du monde, par
les alliances, la fécondité, la transmission de
la vie. Il n'est plus qu'une institution sociale
€t économique. Cet avilissement explique qu'il
soit attaqué de tous côtés : par la multiplica-
tion du divorce, ou de l'union libre, par le
refus même de toute espèce de vie commune.
Au nom de quel idéal en effet l'individu
renoncerait-il à lui-même, pourquoi se sacri-
fierait-il au bien du couple ou de la famille?
La civilisation occidentale est individualiste,
- c'est évident dans le domaine de la poli-
tique et il a fallu plus d'un siècle pour que
l'on renonce à cet individualisme de la vie
économique. Les catholiques s'en étonnent
parfois et, au nom du corps mystique, rap-
pellent l'exigence communautaire de la vie
chrétienne. Ils ont raison, mais pourtant le
christianisme apporte avec lui, partout où il
s'installe, la notion de responsabilité indivi-
duelle, de liberté morale : comment ne serait-
il pas individualiste celui qui, au sortir de la
famille patriarcale où tout est ordonné au bien
FRAGILITb DU MARIAGE 145

du groupe, réalise qu'il possède une âme à lui...,


dont il est comptable devant Dieu?
L'individu est donc un absolu qui n'accepte
plus d'être oublié et ne voit guère de valeurs
plus hautes auxquelles il doit se soumettre et
en faveur de qui il doive renoncer à son déve-
loppement.

A. Définition du divorce.
Dans le droit africain moderne qui se dégage
des textes réglementaires et de la jurispru-
dence, le divorce existe, mais il convient de
le distinguer de certaines séparations ou rup-
tures ; en effet, le divorce suppose un mariage
véritable. Ce serait pur formalisme de n'ac-
cepter pour mariages véritables que ceux enre-
gistrés à l'état civil, là où cette inscription est
obligatoire. Soyons larges et tenons pout
vrais les mariages où les parents et les époux
ont l'intention de nouer un mariage tel que
le définit la coutume; c'est éliminer toutes
sortes de mariages à l'essai, de fiançailles avec
cohabitation, ou même d'unions tolérées mais
dépourvues de signification juridique impor-
tante. Plusieurs coutumes prévoient que le
consentement au mariage se fait en plusieurs
temps. Le rituel en usage chez les Malinkés
de Faranah est caractéristique : après une série
MARIAGE tO
146 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
de cadeaux et de discussions familiales, le
mariage est conclu en présence de témoins,
scellé par te don au beau-père d'un «boubou»
et d'une somme d'argent. Le gendre emmène
alors sa fiancée, avec qui il vit maritalement.
Mais le mariage n'est pas encore définitif;
quelques années plus tard la femme quitte son
foyer et, avec les compagnes se trouvant dans
le même cas, effectue une retra.ite au sein de
la société secrète des femmes. Les maris
offrent à leurs beaux-parents des présents
rituels, se retirent en brousse, réunissen.t divers
cadeaux, puis vont rejoindre les femmes.
Chaque épouse décide alors si le maria.ge con-
tinue ou s'il est rompu i.
S'agit-il d'une pratique nouvelle ou d'une
coutume vraiment traditionnelle? Il est diffi-
dIe de le savoir : jadis à peine marquée, la
cérémonie se serait développée à partir de
1910 et aurait contribué à faire monter le
taux des dots. Mais divers auteurs décrivent
dans d'autres régions des rites semblables, si
bien qu'il ne semble pas s'agir d'un usa.ge
aberrant.
L'existence du « mariage à l'essai » devait
être signalée, car elle peut aider à expliquer
l'importance du divorce et éliminer des st::1.-

1. DE SALINS.
FRAGILITÉ DU MARIAGE 147

tistiques ce qui n'en est pas à proprement


parler.
En principe, une définition du divorce
devrait indiquer les autorités qui ont la com-
pétence de le prononcer. L'autorité du tribunal
devrait y être nécessaire. En fait, il n'en est
rien, et la plupart des divorces sont constatés
par les autorités mêmes qui ont noué le
mariage : les chefs de fami.lle assistés parfois
des notables villageois. Il convient de distin-
guer la répudiation, - renvoi de la femme
par le mari, acte de fait qui n'a pas à être
motivé, - du divorce, demandé et accordé,
et de la fuite de la femme, symétrique de la
répudiation, par lequel le mariage se trouve
rompu par la volonté d'un seul, en fait, sinon
en droit.
La coutume en usage aux Comores est inté-
ressante, car elle marque bien la liaison entre
divorce et répudiation. Le rite chaféi, tel qu'il
est en usage dans l'archipel, prévoit que le
mari peut donner le droit de répudiation à
sa femme et, précise un rapport officiel, « dans
ce pays ou le matriarcat est vivace, il est cou-
rant que la femme obtienne ce droit et en
use. Elle doit alors indemniser l'époux ».
Dans l'Afrique continentale, les choses sont
bien différentes, la répudiation est rare, le
divorce est à peu près toujours dem.a.ndé par
148 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

l'épouse et les motifs invoqués n'ont pas une


extrême importa.nce : ils ne sont que les symp-
tômes d'une incompatibilité d'humeur. La
femme se déclare lasse de son mari, de son
avarice ou de sa sévérité. Parfois, elle souhaite
suivre un amant et, dans la plupart des cas,
elle cherche à utiliser sa propre faute pour
faire rompre le mariage. On peut se demander
'si elle n'emploie pas son amant pour s'affran-
chir de la tutelle de son mari comme elle uti-
lise parfois son mari pour s'affranchir de la
tutelle de son père.
Mais la fille continue à appartenir sentimen-
talement à sa famille. Elle y retourne fréquem-
ment. Dès que la vie conjugale fait naître
des difficultés, elle exige d'aller passer quelques
mois chez ses parents, son mari l'y envoie
souvent par prudence. Il espère que de bons
conseils l'assagiront. Mais souvent elle agit
sur les conseils de sa famille, blessée de n'avoir
pas reçu de cadeaux, offusquée de l'indépen-
dance du gendre. La rapacité des pèrès dési-
reux de remarier leur fille avec un homme
plus riche, capable de payer une dot plus
élevée, est souvent signalée, à juste raison.
Dans la plupart des cas, la femme a fui le
domicile conjugal, elle trouve souvent refuge
dans sa famille et c'est auprès de son beau-
père que le mari tente des démarches pour
FRAGILITÉ DU MARIAGE 149

qu'il fasse entendre raison à la femme. Si cela


s'avère impossible, le mariage se trouve rompu:
le remboursement de la dot marque la recon-
naissance du fait, et la femme part trouver un
nouveau mari. Quant aux enfants, nés d'un
mariage légitime, la coutume règle leur attri-
bution : en droit patriarcal, ils appartiennent
à la famille paternelle. Les tribunaux confient
assez souvent à la mère le droit de garde sur
les tout-petits. Il n'est pas certain que l'esprit
des coutumes anciennes anime cette jurispru-
dence. De toute façon, la présence d'enfants
ne semble guère freiner les divorces.
Situation de fait, situation de droit même
au regard des lois européennes, le divorce est-
il concevable si l'on se place dans l'optique du
droit coutumier? Certes, pour celui-ci, la
famille étendue est la cellule essentielle, à quoi
tout se subordonne, et dont il est impossible
de s'affranchir sans impiété. D'ailleurs, les
philosophies négro-africaines insistent davan-
tage sur le déroulement des événements, sur
la vie, le devenir que sur la solidité d'un enga-
gement et son caractère durable, définitif.
Cependant, certains estiment que le divorce
n'est pas une institution coutumière: il serait
en usage simplement toléré.
A propos des coutumes du Congo belge,
Sohier donne une description qui semble vraie
150 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

pour tout le monde Bantou : « Tout man-


quement grave d'un époux aux obligations
dérivant du mariage peut être une cause de
divorce. Mais aucun manquement n'est cause
de divorce s'il ne revêt pas un caractère de
réelle gravité. Avant l'arrivée des Européens,
le divorce était fort rare, aucune espèce de
faute n'est par elle-même une cause de divorce.
Il faut que les détails et circonstances lui con-
fèrent un caractère de gravité. En général, le
divorce ne s'obtenait pas pu une instance
devant le tribunal. La partie qui avait à se
plaindre usait de voies de fait, elle rompait
l'union. Certaines coutumes connaissent des
catégories de mariage où le divorce n'est
jamais permis. Elles permettent aussi aux
conjoints d'attacher à leur union le caractère
d'indissolubilité, souvent par la cérémonie
d'échange des sangs. Ces engagements se
doublaient généralement d'un pacte de mono-
garnie... On peut en conclure que la capacité
de divorce n'est pas un principe fondamental
du droit coutumier... La rupture du mariage,
autrefois très rare, est devenue très fréquente,
au point que la moralité et la situation démo-
graphique en soient mises en péril. Dans cer-
tains groupes on trouve difficilement une
femme qui en soit à son premier mari. »
Trop souvent les femmes font preuve d'une
FRAGILITE DU MARIAGE 151

v~):satilitédésarmante. Telle qui ~. dewandé le


divorce pour se remarier avec SQtl atn@t le
quittera quelques mois plus tard. Il n'est pas
tare que des femmes divorcent ainsi cinq o~
six fois de suite. Une malchance pe\l,t expliquer
un divorce. Pour en excuser toute une série,
il faut faire intervenir un singulier goût du
changement, une certaine instabilité psycho-
logique, ou la conviction que le mariage n'a
pas beaucoup d'importance.
Coutume primordiale ou coutume née d'une
dégénérescence des mœurs, le divorce est
décrit dans un certain nombre de coutumiers.
Mais des différences essentielles existent avec
ce qui est pratiqué aujourd'hui. L'intervention
des chefs de famille est nécessaire; ils. accor-
dent ou refusent la rupture de l'union alors
que de nos jours ils semblent souvent réduits
à constater. Heureux encore si les filles ne
diSParaissent pas purement et simplement au
sein d'une grande ville, sans que leur père
soit avisé. D'autre part, l'atmosphère générale
est bien différente de celle qui règne mainte-
nant. L'adultère était parfois puni de mort
pour la femme, la fuite étant impossible ou
durement réprimée. En bref, la morale, trè$
différente parfois de la nôtre, avait un carac.,.
tère infiniment plus contraignant.
Rupture d'un mariage régulièrement célébré,
r 52 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

et garanti par les anciens, le divorce était


certainement plus rare jadis. Aujourd'hui, à
l'instar du droit de répudiation, les femmes
ont conquis le pouvoir de rompre par leur
seule volonté le lien conjugal.

B. Extension.
Cette totale absence de formalisme du
divorce rend à peu près impossible toute
connaissance statistique de la question. Pour
juger de l'extension de cet état de fait, il faut
questionner un par un chaque individu;
toute référence aux statistiques judiciaires est
inexacte, puisque de nombreux divorces exis-
tent en fait, sans avoit été accordés ou recon-
nus par une autorité quelconque.
Il est hors de doute que les divorces sont
particulièrement nombreux en Afrique. S'ils se
sont multipliés en Europe ou en Amérique,
ils y sont encore loin des chiffres africains.
comme en témoignent les documents réunis
par Barnes 1 : alors qu'en Angleterre 2,6 %
des mariages rompus se trouvent rompus par
divorce, chez les Lambas il y en a 61,3 %, à
Ft. Jameson 55,8 %, chez les Nuers 25 %.
chez les Yaos 68,2 %, chez les Yagas (Nige-
1. Divorce in primitive Society, in Journal of Royal Anthro-
pological Institute, Londres, 1951.
FRAGILITÉ DU MARIAGE

ria) 57 %, aux USA la proportion est de


18 % en 1928, chez les Arabes de Palestine
7,7. A ces chiffres il serait possible d'ajouter
ceux relatifs à Stanley-Ville, cités par Clé-
mentI:
Nombre de Nombre Nombre Personnes divorcées une
personnes total moyen ou plusieurs fois
mariées ou de de ~

l'ayant été divorces divorces Nombre %

Quartier A. 0,72-
Quartier B. 0,84

On trouvera d'autres chiffres aussi édifiants


dans Survey of African Marriage : les taux du
divorce pour un village Yao (Nyassaland)
sont calculés par Mitchell (Marriage among the
Machinga Yao) à « 30 ou 40 % des mariages;
8 personnes sur 10 de plus de 40 ans ont à
quelque occasion divorcé ». Smith analyse
764 cas de divorce dans un district du nord
de Zaria (Nigeria) et calcule que la femme
Haoussa moyenne fait 3 mariages entre
13 ans et sa ménopause. Forde calcule (sur
313 femmes Yako en 1939) que le taux des
divorces croît et que 30 % ont divorcé au
moins une fois.
Est-il possible de voir en quelles régions
géographiques, en quel milieu sociologique

1. Aspects Sociaux d, l'Urbanisation..., p. 452.


114 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

le taux des divorces est particulièrement élevé?


Auclln chiffre précis ne peut être avancé pour
des communautés un peu étendues.
Cependant, en face des auteurs belges qui
estiment qu'en pays bantou le divorce n'est
pas une procédure normale, il convient de
citer un article ancien, relatif à une période
assez proche de l'arrivée des Européens, pour
que l'on puisse supposer que la société décrite
n'a pas subi encore de transformation sous
leur influence. « Le divorce est mis en pra-
tique sur la plus grande échelle dans tout le
Soudan occidental... En jetant un coup d'œil
synthétique sur les peuplades sénégambiennes,
au point de vue du divorce, nous voyons que
chez elles le mariage a une fragilité plus ou ,~
moins grande, sans être nulle part un lien
indestructible ou même bien durable entre les
intéressés 1. »
Décrivant les coutumes d'autres peuples,
des ethnographes affirment que le divorce est
inconnu chez les Senoufos (Haute Côte-
d'Ivoire), les Mossis (Haute-Volta), les Mata-
kams (Nord-Cameroun), chez les Soussous
de Guinée et les Kotokos du Tchad ou les
Bamilékés. Que faut-il croire? Les hommes
- informateurs habituels des ethnographes -
1. Dr Béranger FERAND, Le mariage chez les Sénégam-
biens, in Revue d'anthropologie, Paris, 1883.
FRAGILITE DU MARIAGE

ont-ils eu intérêt à dissimuler que les femmes


avaient le droit de divorcer? Certaines régions
ont-elles vu le divorce se multiplier sous l'in-
fluence de l'Islam, de ses juristes et de ses
conquérants? Le système de la famille patri-
arcale n'opposerait-il pas au divorce une bar-
rière solide? On sait que la famille étendue,
très vivante tout le long du 15 0 de latitude
nord,. chez les peuples paléonigtitiques en
particulier, est beaucoup moins forte au nord,
en région saharienne, ou au sud, en Forêt.
Peut-être faut-il seulement invoquer l'éloigne-
ment de ces pays et admettre que les divorces
se multiplient là où il y a acculturation, soit
au nord sous l'influence des musulmans du
désert, soit au sud sous l'influence du com-
merce maritime européen. Un dépouillement
complet de toute la littérature ethnographique
sur ce sujet serait intéressant et permettrait
peut-être de discerner quelques traits généraux.
S'il faut chercher à deviner l'évolution des
faits dans le temps, la comparaison s'impose
entre les milieux traditionnels de pays éloignés
de Haute-Volta, du Nord-Cameroun ou du
plateau bamiléké, avec les citadins des ports.
Dans tous les domaines, dans tous les temps
et dans tous les pays, la mode des villes finit
par s'imposer à la campagne. Les bons obser-
vateurs estiment que la stabilité des ménages
IS6 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

est moins grande en ville et que les divorces


se multiplieront énormément si les usages
urbains sont imités des ruraux 1. Le tableau
ci-contre permet de préciser quelques chiffres :
afin de les obtenir, j'ai emprunté des éléments
à diverses études et j'ai, sur ces documents
originaux, calculé des pourcentages permettant
de comparer les différentes régions.
Les documents rassemblés sont trop peu
nombreux pour que l'on essaie à travers eux
de mesurer les facteurs susceptibles d'agir sur
la multiplication des divorces. Mais le tableau
est cependant assez significatif dans son
ensemble : les chiffres de la Likouala ou ceux
des Sara Kaba sont évidemment trop forts
puisqu'ils groupent toutes les femmes rema-
riées, que leur précédent mariage ait été rompu
par mort ou par divorce, mais le nombre de
mariages par femme vient confirmer l'impres-
sion d'instabilité des unions.
Divers facteurs ont été cités comme favori-
sant l'extension du divorce : il est difficile de
1. Citons cependant une opinion contraire : « L'Ashanti
. Social Survey » ne montre pas un accroissement des
divorces. Parmi les hommes de moins de 30 ans, 20 %
ont divorcé. Entre 30 et 40, 40 %, et la proportion croit
avec l'âge. Le fait que peu de femmes, dans des ménages
actuels, ont plus de 50 ans, laisse à penser à propos de
divorce que la femme qui a passé l'âge d'enfanter préfère
se monter un ménage indépendant avec ses filles (SurvO
of Afriçan Marriage. p. 145)'
FRAGILITb DU MARIAGE 157

Stabilité matrimoniale
% de divorcces Nombre
parmi moyen
femmes de par femme
+ de 15 ans mariée

Dakar 1••••••••••••••••••••••
Bacongo 2 ••••••••••••••••••• Z4
Potopoto 2 •••••••••••••••••• za
Balombou . 17
Plateau Koukouya 3••••••••••• Z
Fort Rousset 4 . 61
(toutes remariées ensemble) .
Sara Kaba 5 (toutes remariées). 43 1,5
Konakry 6 ••••••••••••••••••• z 5,5 1,39
Kankan Siguiri 6 •••••••••••••• 19 1,3 1
Basse Guinée 6 . z 5,5 1,35
Niehen 6 •••••••••••••••••••• za 1,3
Fouta-Djalon 6 ••••••••••••••• z4 1,39
Bongouanou 6 ••••••••••••••• IZ 1,48
Pour mémoire: France métro-
politaine . z
Porto Novo 7 • • • • • • • • • • • • • • • •
(Parmi les hommes adultes).
I. Service statistique de l'A.O.F. Sondage démogra-
phique à paraître INSE-FOM.
2. SORET, op. cit.
3. Enquête statistique A.E.F. Plateau KOUKOUYA,
I9~6-57·
4. CROCQUEVIEILLE, btude démographique de quelque! vil-
lage: Likouala, in Population, juil. I9~3, p. ~04.
~. CROCQUEVIEILLE, Conférence CHEAM.
6. btude démographique de GUINbE.
7. LOMBARD, op. cit.
158 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

démêler l'influence des uns et des autres. Le


taux de divorce est très fort chez les Foulbé.,
du Nord-Cameroun : Guidiguis, 240 divorces
pour 349 mariages. Ce taux élevé est-il dû
à un facteur ethnique ou au facteur religieux?
Ne faut-il pas le rapprocher de l'instabilité
conjugale des Touareg, Toucouleurs, etc.?
Le catholicisme n'admet pas le divorce.
Peut-on escompter une stabilité totale chez ses
fidèles? En fait, les tribunaux sont saisis de
demandes émanant de plaideurs qui se disent
catholiques. Il est vrai que cette qualité est
revendiquée par des gens qui, à strictement
parler, n'y ont pas droit, étant seulemem
« sympathisants » et pas encore baptisés. En
outre, certains chiffres donnent à penser que,
dans les premières années, un certain nombre
de cathéchumènes cherchent à rompre les
mariages anciens, conclus selon le droit natu-
rel et la coutume, pour se marier religieuse-
ment : des polygames répudient leurs femmes
pour n'en conserver qu'une. Des femmes sur-
tout cherchent à s'affranchir des liens de
mariages polygamiques et païens - pour se
marier chrétiennement, ou en en exprimant au
moins l'intention.
Puis le mouvement s'apaise. Le tableau sui-
vant, obtenu par dépouillement des archives
des tribunaux, montre bien cette évolution :
FRAGILITÉ DU MARIAGE 1~9

% de catholiques parmi les divorçants


~~~
Ebolowa
HOMMES

Sang melina Ebolowa


----
FEMMES

Sang melina

1934* . 22 61 75
1946 . 43 60
1953 . 41 42
Les femmes se déclarant d'une confession
chrétienne, sont nettement plus nombreuses
que les hommes, ce qui tend à montrer qu'elles
cherchent par là un affranchissement. D'autre
part, une vingtaine d'années après l'implanta-
tion religieuse, la proportion des catholiques
parmi les divorçants devient plus conforme
à leur importance dans la masse totale de la
population.
Dans la communauté catholique, le divorce
est rare t't le mariage reconnu par l'Église,
le mariage religieux, est solide et rarement
rompu : le vicaire apostolique de Douala esti-
mait qu'il y avait annuellement une quinzaine
de divorces cassant des mariages religieux
alors que 1.215 unions étaient célébrées. Pro-
portion faible en effet, mais il ne faut pas s'en
réjouir trop tôt: redoutant le caractère défi-
nitif du. sacrement de ma.ciage, beaucoup de
* Pour Ebolowa la première série de chiffres se rap-
porte à l'année 1938.
160 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

chrétiens préfèrent ne pas se marier religieuse-


ment et se contenter d'un mariage coutumier
ou d'un mariage légal. 3.000 femmes seraient
dans cette situation 1.
On dit souvent que le système dotal aboutit
à une multiplication des divorces, surtout
lorsque les dots sont élevées. En effet, les
futurs époux ne sont pas parfaitement libres
de leur choix: un prétendant qui offre davan-
tage a plus de chance d'être agréé par les
parents. D'autre part, si un mariage a été
négocié pour de jeunes enfants et si une dot
a été versée d'avance, la fiancée et sa famille
ne peuvent plus se dédire s'ils pen"ent que le
fiancé ne convient pas, à moins de rembourser
une somme parfois considérable.
Parfois des chefs de famille font divorcer
leurs filles pour les remarier moyennant une
dot supérieure. Mais la dot n'est pas la cause
unique de l'instabilité : chez les Brignans, les
Abbeys, les Abrons (Côte d'lvoire) la dot est
faible ou parfois absente et les divorces n'en
sont pas moins fréquents.
Faut-il voir dans le divorce une réaction de
I. « Je pense que j'ai dans mon diocèse en ce moment
peut-être 3.000 jeunes filles qui sont avec un homme, la
dot est versée, l'état civil est fait, mais elles ne veulent pas
du sacrement de mariage parce qu'elles sont sur le pas
de la porte» Mgr BONNEAU, La petite femme noire, LAIC-
CAM, Douala, 1957, p. 10.
FRAGILITÉ DU MARIAGE 161

révolte de femmes asservies, ne faut-il pas en


imputer la faute aux patriarches qui ont noué
maladroitement ces mariages sans tenir compte
suffisamment des goûts des intéressés? Jadis
le mariage était arrangé par un chef de famille
qui vivait dans l'intimité quotidienne des
enfants et de leurs parents: voyant les carac-
tères des jeunes gens, témoins de leurs rela-
tions, connaissant leurs préférences et leurs
amourettes, il pouvait raisonnablement choisir
pour eux un conjoint, dans le cercle d'ailleurs
très restreint des voisins avec qui le mariage
pouvait être conclu. « Actuellement, le père
«coutumier ou juridique », ignore souvent les
enfants et même leurs parents, partis en ville.
On négocie donc des mariages dans l'abstrait,
sans être retenu par la bienveillance que l'on
ne peut manquer d'avoir pour des gens que
l'on connaît bien l, »
La polygamie est parfois présentée comme
entraînant une situation inférieure de la femme.
Il semble en effet que les ménages polyga-
miques soient légèrement plus instables que
les autres, mais la différence est-elle suffisante
pour être significative 2 ?

1. Sœur MARIE-ANDRÉ, Condition Humaine, p. 137.


2. Mission démographique de Guinée, ze fase., p. 22, et
titlilies agrkoles, etc., IV, Niehen, p. 1.1..
MARIAGE II
162 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
Nombre de mariages Nombre de mariages
par femme par femme
moyenne générale ménages monogames

Niehen . 1,3 1,26


Fouta-Djalon, . 1,39 1,3 1
Basse Guinée . 1,35 1,37
Conakry . 1,39 1,3 8
Kankan Siguiri. . 1,31 1,29

Un second tableau mérite d'être cité ici, car


il semble lier la mobilité conjugale non seule-
ment à la distinction entre monogames et poly-
games, mais même à la taille du ménage poly-
gamique,

Nombre de mariages par épouse, selon la taille du ménage


Nombre d'épouses Fouta. Basse- Conakry
Haute·
du mari Djalon Guinée Guinée

1 1,3 1 1,37 1,3 8 1,29


2 1,4 1 1,44 1,37 1,30
3 1,46 1,41 1,40 1,30
4 l,59 1,41 1,47 1,37
5 1,75 1,3 1 1,39

Les épouses d'un polygame se sentiraient-


elles moins liées à leur foyer, les occasions de
querelles seraient-elles plus nombreuses? Avanc
d'affirmer un raooort de cause à effet et de
rechercher des ~~tifs, il est sage de souligner
avec les auteurs de l'étude de Guinée, que
FRAGILITb DU MARIAGE

les ménages monogamiques sont dans l'en-


semble plus jeunes que les autres : la mobilité
peut ne s'être pas encore exprimée à plein
chez eux. La croissance très nette du nombre
de mariages avec l'âge montre bien en effet
qu'il ne s'agit pas d'un phénomène nouveau
ou de crises limitées à un certain âge, mais
de tendances constantes. Les chiffres suivants,
extraits du rapport nO 3 de l'enquête sur
Bongouanou, sont intéressants à ce point de
vue :
Nombre de mariages par femme de chaque âge.
Age Nombre moyen de mariages par femme mariée.
veuve ou divorcée

15/ 19 1,13
20/24 1,3 0
25/ 29 1,45
30 /34 l,53
35/39 1,7 1
40 /44 1,7 6
45/49 1,88
5° 1,77

En fait, il semble que tous les milieux


soient atteints: les femmes instruites divorcent
aussi bien que les illettrées, les riches que les
pauvres.

MARIAGE II.
164 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

C. Conséquences.

L'instabilité des unions a des conséquences


graves. Non pas peut-être sur la démographie.
Rien ne prouve que ces femmes divorcées
soient moins fécondes que les autres. D'ail-
leurs les remariages sont nombreux. Mais l'édu-
cation des enfants et leur équilibre psychique
souffrent de ces situations. Le fait est parfois
signalé, en Europe, à propos d'enfants délin-
quants ou caractériels. Il serait également sen-
sible en Mrique, où pourtant l'existence de
la famille étendue limite, en la rendant moins
exclusive, l'influence des parents. Beaucoup
d'auteurs mettent la dissociation de la famille
au premier rang des causes de délinquance
juvénile: en Haute-Volta, le centre de redres-
sement de mineurs de Wara est peuplé, dans
la proportion de 8/IO, d'enfants venus de
foyers détruits, soit par la mort, soit par
l'émigration, soit dans la majorité des cas
par le divorce 1.
L'enquête Busia à Sekondi Takoradi « a
constaté que la cause première était l'absence
d'une vie familiale normale, due à des cir-
constances diverses: manque de soins et de
1. Renseignement fourni par l'Administrateur L. IMBERT,
Chef du Service Social, Ouagadougou.
FRAGILITÉ DU MARIAGE

surveillance résultant de la séparation des


parents » en premier lieu. Tooth, dans les
mêmes régions, « constate que les enfants
appartenant à des familles dissociées étaient
nettement plus nombreux parmi les délin-
quants 1 ».
Certains pensent que « les épouses divorcées
constituent le noyau d'une très large classe de
semi·-prostituées ou concubines 2 ». Le divorce
serait donc une occasion de libération.
Mais la conséquence la plus grave est pro-
bablement la méfiance qui naît entre hommes
et femmes. Les hommes craignent de voir
leur épouse s'enfuir et, dans cette crainte,
redoublent de surveillance plutôt que d'atten-
tions. Il va sans dire que chaque sexe fait
plus facilement le procès du sexe opposé qu'il
he fait son propre examen de conscience.
Dans les civilisations africaines la séparation
avait toujours été marquée entre la société des
hommes et celle des femmes : chaque sexe a
ses associations, ses rites, sa vie économique
propre. Séparation, méfiance vont facilement
ensemble, et il ne serait pas difficile de trouver
des textes reflétant l'opinion locale et expri-

Aspects Sociaux ... , pp. 93-101.


1.
Aspects sociaux de l'Urbanisation, p. 221, à propos
2.
d'une enquête de M. HUNTER sur East London, pp. 193
ct 201.

\
166 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
mant une réelle hostilité des hommes à l'égard
des femmes.
Le danger du divorce est tel, en outre, que
les hommes redoutant d'être abandonnés, pré-
fèrent ne pas se marier religieusement; divor-
cés, ils ne pourraient se remarier sous peine
de péché; ils préfèrent vivre en concubi-
nage ou ne se marier que selon la loi coutu-
mière.

D. Refus de mariage.
A côté du divorce, le refus du mariage est
un autre symptôme de la fragilité des insticu-
tions matrimoniales et le signe ultime de leur
décomposition. On observe diverses nuances
dans les positions adoptées. Depuis le concu-
binage stable, véritable mariage auquel ne
manque que le sceau d'un acte juridique, jus-
qu'aux passades de prostituées en passant par
le concubinage limité à quelques années et par
le célibat à peu près régulier.
Tout ceci est difficilement compatible avec
le droit coutumier : théoriquement, même
lorsque les jeunes filles jouissent d'une grande
liberté sexuelle, elles doivent se marier lors-
qu'elles en ont l'âge et l'adultère est en général
réprouvé. Le divorce n'est pas toujours pos-
sible et le veuvage, en général, n'affranchit pas
FRAGILITÉ DU MARIAGE

la femme qui devient l'épouse de l'héritier de


son feu mari.
En opposition à ces principes, on voit appa-
raitre, sur les recensements, des femmes « céli-
bataires ». Mot impropre qui peut désigner
célibat réel, célibat juridique - la concubine
n'est pas en puissance de mari - ou prosti-
tution. Les chiffres cités par Pons pour Stan-
ley-Ville montrent bien l'importance du pro-
blème l •

Répartition en % des femmes suivant la situation


.matrimoniale

AGE
Total
11115 16;25 26/35 36/451461551
, el56-t- (+ de 16)
- ~--

Mariées .......... 10,3 79,7 7 8,6 64,7 4~.4 19,3 69,7


Vivant en concu-

I:::II:'~
binage ......... 0,8 2,9 4,2 8,2 4,3
Divorcées vivant
seules .......... 1,4 ~,I 12,9 16,7 II, ~
Veuves vivant
seules .......... 0 o,~ 2,2 7,1 27,8 6~,3 9,1
Célibataires ....... 87,~ II,8 2,1 3,3 2,7 0,9 ~,4
- - ~
~
- --
Total ....... \100 100

I. Aspects Sociaux... , p. 289.


168 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

D'après ces statistiques, 30 % des femmes


nubiles vivent hors du mariage, 26 % vivent
célibataires.
Les documents laissent supposer que le phé-
nomène est extrêmement variable d'une région
à l'autre. Si l'on calcule le pourcentage des
femmes célibataires, parmi les femmes de plus
de 20 ans, on obtient les résultats suivants :

Femmes célibataires pour IOO adultes de plus de 20 ans


Fouta-Djalon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0,3
Basse-Guinée 0,4
Conakry. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1,3
Kankan Siguiri. . . . . . . . . . . . . . . . . 0,4
Sara Kaba..................... 0,4
Bongouanou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Bangassou-ville. . .. . . . 25,5
» -rural.. 18
Niari.. . . . . . . . . . . . .. .. 4
Bacongo....................... 22

L'extrême diversité de ces chiffres est con-


fondante. Peut-on tenter de l'expliquer? L'en-
quête de Guinée n'a pas compris dans les
célibataires les veuves et les divorcées. Elle ne
semble pas non plus avoir classé à part les
unions libres. Au contraire, celle de Bacongo
groupe toute la population en deux catégories,
mariées et non mariées, et celle de Bangassou
FRAGILITE. DU MARIAGE

distingue les célibataires des veuves et des


remariées.
Il n'est pas sans intérêt de remarquer que
les proportions relevées pour les Saras et les
Agnis de Bongouanou (populations rurales) se
comparent bien à celles notées pour la Guinée.
Les pourcentages élevées sembleraient carac-
tériser les agglomérations urbaines (Stanley-
Ville ou Bacongo). Mais Bangassou a un taux
très élevé. Y serait-on en présence de circons-
tances particulières et faut-il penser, comme
l'écrit l'auteur du rapport d'enquête, que « ce
manque d'inclination du mariage peut-être
expliqué par le déréglement social qui a suivi
la désagrégation du Sultanat de Bangassou,
(désagrégation qui) a entraîné selon toute vrai-
semblance l'émancipation des femmes appro-
priées par le sultan et laissées comme concu-
bines à des guerriers. La brusque rupture de
la grande polygamie n'a pas manqué d'apporter
de graves perturbations familiales : la redistri-
bution des ménages a dû s'effectuer sans règle
tribale précise et il est très fréquent de ren-
contrer aujourd'hui des couples vivant en con-
cubinage ne désirant pas règler leur situation
selon le droit coutumier ».
. Le désordre moral consécutif à l'oubli des
vieilles règles est particulièrement sensible chez
les évolués et chez les citadins, où il n'est pas
170 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE
toujours compensé par l'adoption complète et
rapide de la morale chrétienne ou occidentale.
Selon les renseignements recueillis auprès de
trois missions entre Yaoundé et Sangmelina
(Sud-Cameroun), la situation matrimoniale des
femmes catholiques adultes est en gros la
suivante : 36 % vivent dans leur foyer après
mariage religieux, 12 % sont en concubinage
au sens du droit canon (c'est-à-dire sans ma-
riage religieux), 5 % ont quitté famille ou
ménage et sont en fuite, vraisemblablement
dans les villes où elles se livrent à la prosti-
tution, 35 % sont célibataires. Parmi elles, il
y a évidemment des jeunes filles non encore
mariées mais qui le seront sous peu ; cependant
la proportion ne laisse pas de paraître impor-
tante, surtout lorsqu'il s'agit de communautés
rurales.
La grande ville en effet est particulièrement
dangereuse au point de vue de la morale.
Balandier, dans son étude sur les Brazzavilles
noires, écrit que « lorsque la femme est jeune,
elle aime mieux se mettre au service de céliba-
taires qui la rétribuent que de consentir au
mariage, elle n'a plus qu'à préparer les repas,
se prêter au service sexuel et faire toilette.
Elle bénéficie d'un véritable renversement des
rôles. Une semblable situation coûte à l'homme
près de 2.000 fr. par mois... Dans certains cas

j
FRAGILITÉ DU MARIAGE
une telle association peut conduire au mariage
et à la constitution d'une famille normale. Cela
est rare tant que la femme ne se sent pas
vieillir... Ces femmes coûteuses ne sont acces-
sibles qu'aux hommes économiquement forts
La prostitution bénéficie de la complicité des
patents qui spéculent sur les jeunes filles
comme sur une marchandise rare. C'est en
effet ce que chantent celles-ci :
Dieu nous a donné des mères,
Des mères qui nous tuent
Pour de l'argent ».

On souligne souvent la disproportion numé-


rique entre les hommes et les femmes dans
les villes, pour expliquer le nombre des
hommes célibataires. Mais si l'on étudie de
plus près, par classe d'âge) on peut constater
que pour certaines races au moins le nombre
de femmes en âge de mariage est plus élevé
que celui des garçons d'âge analogue : les
hommes ne sont donc pas écartés du mariage
par les nécessités de l'émigration, mais bien
par le refus des femmes de s'établir. Et ces
statistiques confirment le diagnostic de beau-
coup de ruraux qui considèrent les villes
comme des pièges où vont se perdre les femmes,
des refuges pour les fortes têtes et les esprits
affranchis.
172 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

Taux de féminité (femme pour IDD hommes)


(I7 principales ethnies)
ABIDJAN

15 à 30 à 1 40 ans Général
29 ans 39 ans et plus (Adultes)
~~~-~-

Total ville ........ 72 % 50 % 43 % 72 %


Baoulé ........... 190 99,5 61 134
Mossi ............ 23 17 19,8 29
Ébrié ............ 120 82 85 94
Dioula ........... 72 48 33 67
Beté ............. 87 41 16 78
Malinké ......... 83 51 33 75
Ghana ........... IF 78 57 100
Total. ........... 81 65 53 81
-"

Toutes les études faites en Afrique tendent


à confirmer ces idées : les unions illégitimes
ne font manifestement l'objet d'aucune répro-
bation. A Rooiyard (Johannesbourg), environ
un cinquième des couples était illégitime,
« une femme sur cinq a choisi de vivre s~ vie
comme femme libre à Élisabethville ». « En
1945, à Léopoldville, on estimait à 8.000, soit
45 à 50 %, le nombre des célibataires parmi
les femmes de plus de 14 ans ; ce total se
décomposait comme suit: a) 600 prostituées;
FRAGILITE DU MARIAGE 173

b) près de 100 jeunes filles dont beaucoup


étaient fiancées ... elles préparent les repas de
leur fiancé et partagent en général son lit
mais vivent chez leurs parents; c) quelques
centaines de veuves et de divorcées ayant
passé l'âge d'avoir des enfants... ; d) environ
300 femmes qui paient l'impôt auquel sont
assujetties les femmes seules... ; e) environ
5. 000 concubines 1. »
Les institutions matrimoniales sont aban-
données : divorce, concubinage, union libre,
ou même célibat (compensé par des passades)
deviennent de plus en plus fréquents.
Mais ce serait limiter la question que de
rechercher les causes dans la vie urbaine ou
dans une détribalisation rapide. En effet, aux
Antilles, où la vie sociale a atteint un nouvel
équilibre, la situation matrimoniale n'est pas
très claire. « L'importance des célibataires
dans la population tient de la persistance de
mœurs très libres issues du temps de l'escla-
vage... Les célibataires de plus de 2.0 ans
représentent 50 % de la population masculine
dans chacun des deux départements, respecti-
vement 50 et 47 % de la population féminine
de la Martinique et de la Guadeloupe alors
que dans la métropole 2. 5 % seulement des

1. Aspects sociaux... , pp. 130-135, 20B.


174 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

hommes et 16 % des femmes de 20 ans et


plus sont célibataires 1. »
La répartition des ménages (au sens de
groupement d'individus et sans aucune signi-
fication matrimoniale) est très révélatrice. Sur
100 « ménages », 37 % sont des ménages de
gens mariés, 12 % sont des ménages composés
d'un homme et d'une femme vivant en union
libre, 30 % sont dirigés par une femme seule.
L'importance de l'union libre est donc évi-
dente, mais les ménages de femmes célibataires
montrent mieux encore la liberté des mœurs.
Vivant sans compagnon permanent, ces femmes
n'en ont pas moins un nombre assez élevé
d'enfants : 22,2 % en ont un; 12,9 en ont
deux; 9,1 en ont trois ; 6,3 en ont quatre;
8,2 en ont cinq et plus. La fécondité des
couples légitimes reste plus forte puisque
27 % ont cinq enfants et plus contre 12 %
des couples non mariés. Cependant il semble
bien que des traits décelés en Afrique se
retrouvent ici : abandon du mariage et même
de l'union libre coïncident avec un maintien
de la natalité.
Le fait d'engendrer des enfants naturels n'a
rien de déshonorant dans la plupart des cas :
à East London 56,7 % des enfants sont illé-
I. Résultat du recensement... des départements d'Outre-
mer. Institut de statistique, 1956, pp. 52-89.
FRAGILITÉ DU MARIAGE
gitimes 1, mais les conséquences sur la dété-
rioration de l'esprit familial et de l'éducation
des enfants, sur l'accroissement de la méfiance
entre hommes et femmes sont certaines.
Il n'est pas nécessaire de reprendre les
causes de ce refus du mariage : nous avons
signalé au passage les plus importantes. Il se
peut que les centres urbains groupent une
proportion importante de jeunes hommes et
que la compétition pour les femmes y soit
âpre. La femme ayant une conscience aiguë
de sa valeur marchande préfère le concubi-
nage susceptible de lui rapporter 'davantage.
Ce n'est pas le cas partout. Le désir d'indé-
pendance est cettain. Pour accepter de limiter
leur liberté, en s'engageant dans les « liens »
du mariage - le mot dit bien ce qu'il veut
dire -, il faut que les femmes aient un idéal
en vue. Sauf contrainte, on ne se sacrifie pas
sans raison, or l'idéal traditionnel du clan a
disparu. L'amour conjugal, le désir d'une vie
où tout est mis en commun sont encore peu
fréquents : faute de raison d'être, les institu-
tions familiales s'effondrent donc devant l'in-
dividualisme. Elles reprendront vigueur le

1. Pour la même région, Éloff écrit : « Le taux moyen


d'illegitirnité est de 50 %. La plupart des enfants ont des
mères non mariées 1) (Change and décline in Family Life,
among the Urban Bantu. Journal of Racial Affairs, July 1953).
176 LE MARIAGE EN AFRIQUE NOIRE

jour où les valeurs découvertes dans la civili-


sation occidentale animeront véritablement les
esprits et où elles seront solidement greffées
sur ce que les valeurs traditionnelles ont de
durable et de droit. Actuellement deux morales,
deux civilisations se heurtent parfois ou se
concurrencent, engendrant des ruines. C'est
leur synthèse qu'il faut réaliser. Seul le peuple
africain peut le faire : c'est alors que naîtront
les fruits de la civilisation nouvelle.
TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE ••••••••••...•••••••••.••.••••• 7
INTRODUCTION ., • • • . • . • • • • • • • • • • • • • • • • • • 15

1. Le mariage en droit coutumier...... 2l

II. Polygamie............ . . . . . .. ... . .. . . 61


III. La dot. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . l l l

IV. Fragilité du mariage. " . . . 143


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CARTE ETHNOLOGIQUE
IMPRIMERIE F. PAILLART
ABBEVILLE

N° d'impressio1t : 72II
N° d'édition: 4974
Dépôt /égal: 4" trimestre I959.
foi vivante
Série « Vie des Missions »
DiRECTEURS : A.-M. HENRY ET P.-A. UÉGÉ

*
Le mariage
en Afrique Noire> par
Jacques BINET.

LES ÉDITIONS DU CERF

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