Défaillance de L'objet Et Somatisations

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Défaillance de l'objet et somatisations

Andreas Saurer
Dans Revue française de psychanalyse 2010/5 (Vol. 74), pages 1647 à 1654
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0035-2942
ISBN 9782130576327
DOI 10.3917/rfp.745.1647
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 30/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 129.0.205.1)

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Défaillance de l’objet et somatisations

Andreas Saurer

Mon questionnement au sujet du lien entre somatisations et défaillance


de l’objet s’insère dans le modèle psychosomatique de Pierre Marty, modèle
basé sur l’articulation entre mentalisation et somatisation. Quant à la causa‑
lité psychique, mon point de vue est proche de celui de Marilia Aisenstein
selon laquelle « il n’y a pas de maladie somatique psychogénétique. Qu’elle
soit grave ou bénigne, une maladie est la résultante d’une infinité de facteurs
héréditaires, génétiques, organiques, environnementaux et psychiques, or, elle
survient à un moment donné de la vie d’un sujet »1. C’est sur ce « moment
donné » du déclenchement de la maladie que je souhaite porter ma réflexion.
Une autre remarque préliminaire concerne le terme « somatisation ».
Certaines personnes limitent ce terme aux seules affections fonctionnelles.
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D’autres y incluent les maladies somatiques graves telles que cancers, mala‑
dies immunologiques ou encore maladies cardio‑vasculaires. Cet article sera
consacré aux somatisations en général et sera basé sur les expériences cliniques
qui ont marqué mon parcours de médecin interniste, puis de psychanalyste.

Illustration clinique

André est un patient dans la cinquantaine, cultivé et d’un commerce fort


agréable à condition que l’entourage réponde à ses désirs et qu’il se sente
admiré. Il nous donne à ressentir un important contrôle de ses affects dont
l’explosivité se manifeste dès que les réponses de l’entourage ne correspon‑
dent pas à ses attentes ; il est par ailleurs empêtré dans des conflits de travail et
des crises affectives à répétition. Ce mode de fonctionnement peut, en partie,
être mis en lien avec un événement de la petite enfance. Il a un vague souvenir,
probablement largement reconstruit, qu’il a été plâtré et immobilisé pendant
plusieurs mois vers l’âge d’un an en raison de malformations congénitales des

1. M. Aisenstein (2009), « Les exigences de la représentation », Bulletin de la spp, no 94, p. 144.


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chevilles tandis que sa sœur, d’une année son aînée, courait dans tous les sens
en le narguant. Il se rappelle également de n’avoir pu se faire consoler par sa
mère – elle aurait été trop absorbée par ses nombreux frères et sœurs – et qu’il
avait l’habitude, en cas de chagrin, d’aller trouver du réconfort auprès de sa
tante qui habitait la même maison que ses parents.
Des douleurs musculaires sont apparues il y a une dizaine d’années suite
à une brusque aggravation des conflits au travail. Ayant une formation profes‑
sionnelle pointue, il lui était difficile, quoique pas impossible, de changer de
travail ; il est donc resté dans la même entreprise tout en continuant à travailler
dans un climat conflictuel. En ce qui concerne le cancer colorectal diagnosti‑
qué chez lui il y a deux ans et qui a pu être opéré à temps, j’aurais également
tendance à le comprendre, en ce qui concerne sa composante psychosoma­
tique, comme le résultat d’un débordement pulsionnel consécutif à la sépara‑
tion pénible et douloureuse d’avec sa femme survenue trois ans auparavant.

Défaillance de l’objet primaire et manque de complexification


des voies d’écoulement pulsionnel
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D’une manière générale, il me semble que les patients somatisants présen‑
tent un trouble narcissique‑identitaire, et cela, quelle que soit la qualité œdi‑
pienne de leur fonctionnement psychique. Compte tenu du fait que la satisfaction
pulsionnelle dépend largement de la réponse de l’objet face à l’attente du sujet,
la relation primaire de ces patients se caractérise souvent par un « trop » ou un
« pas assez », un défaut qu’il faut probablement lier à un manque de malléa‑
bilité de l’objet primaire. Cette réponse défaillante est responsable d’éprouvés
de douleur/agressivité/angoisse indifférenciées et indicibles n’ayant pu être
accueillis et partagés par l’objet primaire. Tout se passe comme si ce vécu non
advenu et agonistique avait laissé des traces traumatiques qui n’auraient pu
être intégrées dans l’appareil représentationnel tout en influençant cependant
la structuration de l’appareil psychique. Il s’ensuit que nous nous trouvons en
présence d’une croissance limitée du gradient pulsionnel d’alphabétisation, de
complexification, de mentalisation ou encore de symbolisation.
Dans la terminologie de Winnicott1, « le créé n’a pas été trouvé », dans
celle de Bion2, nous sommes en présence d’un défaut d’alphabétisation avec
« un emmagasinement d’éléments bêta » par un manque de rêverie maternelle.

1. D.W. Winnicott (1975), « Jouer. Proposition théorique », Jeu et Réalité, Paris, Gallimard.
2. W.R. Bion (1979), Aux sources de l’expérience, Paris, puf, p. 25.
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Roussillon insiste sur le manque de malléabilité de l’objet et sur un défaut


d’accordage précoce1. Selon lui, nous sommes en présence d’un objet dont
l’attitude a laissé la trace de quelque chose qui n’a pu advenir. Il s’agit d’un
objet qui n’a pas permis au sujet de se trouver dans son regard, d’un objet qui
ne répondait pas à l’attente du sujet, d’un objet décevant plutôt que d’un objet
absent ou encore d’un objet sans désir.
La compréhension du fonctionnement mental comme un processus de
complexification allant des processus d’autoconservation aux émotions, aux
sentiments et finalement aux pensées, a trouvé une forme de confirmation par
certains travaux des neurosciences. Ainsi, A. Damasio parle d’emboîtement et
de « réarrangements bricolés » allant « de la régulation homéostatique simple
aux émotions proprement dites » et aux sentiments2.

Contre‑investissement et accrochage perceptif

Confronté aux traces agonistiques, l’appareil psychique a dû utili‑


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ser une partie de son énergie pour les contre‑investir comme le mentionne
Marilia Aisenstein dans son rapport. Selon elle, « le préconscient se protège de
la poussée des représentations de chose par un contre‑investissement alimenté
par l’énergie retirée aux représentations des mots […]. Imaginer chez nos
patients un préconscient vidé de ses forces par un contre‑investissement telle‑
ment drastique qu’il paralyse ce système et isole l’autre. Contre‑investissement
que j’imagine de l’ordre d’un vaste mécanisme de répression »3.
Un autre mécanisme classique des patients somatisants est l’accrochage
perceptif, aux objets externes, garantissant ainsi une certaine satisfaction
pulsionnelle. En raison du manque de souplesse de leur fonctionnement psy‑
chique, l’écoulement pulsionnel est fortement tributaire de l’adéquation « suf‑
fisamment bonne » des réponses de l’entourage par rapport à leur attente, y
compris à l’âge adulte. La malléabilité de l’objet, à l’instar de l’attitude de
la mère face aux attentes du bébé, doit permettre une relation « accordée » et
« adéquate ». Cet accrochage perceptif permet non seulement un écoulement
pulsionnel mais garantit également une certaine « aération » de l’espace psy‑
chique avec la mise en place d’un espace de « jeu psychique ».

1. R. Roussillon (2008), Le transitionnel, le sexuel et la réflexivité, Paris, Dunod.


2. A. Damasio (2003), Spinoza avait raison : joie et tristesse, le cerveau des émotions, Paris,
Odile Jacob, p. 43.
3. M. Aisenstein (2009), « Les exigences de la représentation », Bulletin de la spp, no 94, p. 135.
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L’importance de l’accrochage perceptif peut-être illustrée par le cas de


Femi, un ancien plâtrier qui souffre actuellement d’une lombosciatalgie chro‑
nique et invalidante. Il était un « dur à cuire » qui travaillait « à la tâche » et
gagnait environ 10 000 euros par mois. Compte tenu de ses prouesses, il était
admiré par son entourage professionnel et familial, une admiration qui était
un élément primordial pour son écoulement pulsionnel et son économie psy‑
chosomatique. Ainsi, le plus grand plaisir de Femi consistait à stationner sa
Porsche rouge au milieu de son village natal pendant les vacances et à regarder
les villageois venir admirer sa voiture. Un accident mineur responsable d’une
lombosciatalgie modérée l’a empêché de retrouver son rendement exception‑
nel et a brisé cet équilibre fragile ce qui a conduit à une chronicisation invali‑
dante de sa douleur lombaire.

Défaillance de l’objet actuel, décrochage perceptif et somatisation

Mon hypothèse est que le déclenchement des processus de somatisations


est attribuable, dans certains cas, à une défaillance de l’objet actuel entraînant
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un décrochage perceptif responsable d’un affaiblissement de l’étayage nar‑
cissique. Chez les patients somatisants, l’atteinte de la composante du réel de
l’investissement pulsionnel est susceptible d’entraîner un rétrecissement de
l’espace psychique.
Les atteintes musculo‑squelettiques consécutives à un accident ou à un
faux mouvement ainsi que les opérations avec ablation d’un organe constituent
une atteinte de l’étayage narcissique. L’émigration, le chômage, le divorce, la
naissance d’un enfant, la crise d’adolescence des enfants et toute autre forme
de changement de l’entourage relationnel constituent une atteinte de l’étayage
objectal. Cette atteinte du réel – qu’elle soit d’ordre narcissique ou objectal – a
évidemment des répercussions sur la composante symbolique. Cependant, que
l’atteinte du réel touche l’entourage (objet) ou le corps (narcissisme), l’atteinte
symbolique est essentiellement d’ordre narcissique chez un patient somatisant
présentant une problématique narcissique identitaire. Les patients bien menta‑
lisés ayant pu installer en eux un objet interne suffisamment solide et complexe
sont capables de s’adapter à cette nouvelle réalité, d’entrer dans un processus de
deuil normal et de trouver un objet d’investissement de remplacement. En revan‑
che, le patient somatisant peine à trouver un autre objet d’étayage et à retrouver
son fonctionnement antérieur. Tout se passe chez celui‑ci comme si la défaillance
de l’objet, le décrochage perceptif, entraînait un rétrécissement de l’espace du
jeu psychique, un rétrécissement du contenant psychique avec une limitation
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des possibilités d’écoulement pulsionnel, une limitation qui va de pair avec « un


vaste mécanisme de répression » selon les termes de Marilia Aisenstein.
Ce bouillonnement pulsionnel cherche des voies d’écoulement. Faute de
mieux, il investit les sensations corporelles, les stimuli nociceptifs des lésions
somatiques qui se libidinalisent ainsi progressivement dans l’après‑coup.
On pourrait dire que les souffrances psychiques actuelles de l’atteinte nar‑
cissique « profitent » de la stimulation nociceptive de la lésion somatique et
« se projettent » sur elle en la psychisant. De plus, tout se passe comme si ce
bouillonnement pulsionnel entrait en résonance avec des traces agonistiques
de la prime enfance. Ainsi, la douleur somatique se laisse, au moyen de la
blessure narcissique actuelle, progressivement engloutir dans les profondeurs
du fonctionnement psychique en se faisant attirer par les traces agonistiques et
se transforme en douleur corporelle chronique.
L’importance du décrochage perceptif et de la défaillance de l’objet dans
le déclenchement de somatisations mérite d’être illustrée par quelques très
brèves vignettes cliniques. Sieglinde, une mère célibataire dans la cinquan‑
taine, présente une fibromyalgie avec des douleurs généralisées. Ce tableau
s’est installé lors de l’adolescence de sa fille avec laquelle la patiente entrete‑
nait une relation fusionnelle. Avec la perte progressive de son objet d’étayage
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fusionnel, nous assistons à un rétrécissement de son espace de jeu psychique
et le développement de la symptomatologie psychocorporelle.
Vesca, une femme dans la trentaine, cadre moyen très ambitieux dans le
secteur bancaire, souffre de crises de panique à répétition, d’allergies et d’une
maladie lupique. Dans son pays d’origine, elle vivait une relation sadomaso‑
chiste haineuse avec sa mère. Arrivée en Suisse, elle reproduit ce schéma rela‑
tionnel mais sans arriver à éprouver la même intensité sadomasochiste qu’avec
sa mère. L’étayage de son sadomasochisme s’estompe et elle tombe malade.
François a animé des émissions de radio nocturnes entre 17 et 25 ans,
émissions qui lui ont procuré un sentiment de bien‑être océanique et une satis‑
faction inégalable d’être écouté et de se sentir exister… « C’était ma dope »
comme il se plaît à le dire. Suite à certaines frasques, il a été mis à la porte d’un
jour à l’autre, il a commencé à traiter sa souffrance par la prise d’héroïne et il
est ainsi entré dans la toxicomanie.

Double défaillance de l’objet et décrochage perceptif

Dans mon hypothèse théorique, les somatisations sont le résultat d’une


double défaillance de l’objet. D’une part, la défaillance de l’objet actuel qui
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participe au déclenchement des somatisations et, d’autre part, la défaillance


de l’objet primaire qui est responsable du manque de souplesse psychique du
sujet, le rendant ainsi particulièrement vulnérable aux changements dans la
réalité actuelle. La problématique intersubjective et la relation avec l’objet
réel joue donc, à mes yeux, un rôle important, aussi bien lors de l’installa‑
tion du fonctionnement narcissique identitaire dans la prime enfance qu’en ce
qui concerne le déclenchement de la symptomatologie somatique. Précisons
cependant que l’installation de cette dernière est tout autant tributaire du fonc‑
tionnement psychique du moment, donc de la problématique intrapsychique,
que de la défaillance de l’objet à l’âge adulte. Par conséquent, l’expression
« décrochage perceptif » – qui ne spécifie pas si ce décrochage est le résultat
d’un lâchage par le sujet ou l’effet d’une défaillance de l’objet – est peut‑être
plus pertinente que celle de « défaillance de l’objet » qui charge un peu trop
l’entourage et le monde extérieur.
Il arrive que l’atteinte narcissique soit de faible importancee et que
l’intervention du psychanalyste ait lieu peu de temps après le déclen‑
chement de l’affection. Cela n’est cependant pas souvent le cas avec les
patients somatisants, car ils ont l’habitude, dans un premier temps, de
s’adresser aux généralistes. Si dans un tel cas, le patient s’adresse tout
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de même à un psychanalyste, l’écoute attentive de la souffrance psychi‑
que actuelle peut permettre, un peu à l’instar de ce que Freud pratiquait
dans la période pré‑analytique, une abréaction, un rétablissement du statu
quo ante. Une telle démarche qui diminue le risque d’une chronicisation
aide le patient à penser la problématique affective de l’événement, à l’inté‑
grer dans son histoire psychique et en rétablir la continuité, ce qui per‑
met d’éviter une répétition traumatique. Cela est particulièrement utile
quand la problématique psychique n’est que vaguement ressentie par le
patient, entraînant un risque important que l’événement ne soit pas intégré
dans son histoire psychique et entre en résonance avec des traces trauma‑
tiques anciennes. Ce travail permet une sorte de ré‑accrochage du fonc‑
tionnement psychique à l’objet endommagé ou à un objet de substitution.
En revanche, le fonctionnement psychique n’est guère transformé.
Quand l’atteinte narcissique est d’importance et date d’un certain temps,
il est utile d’aider le patient à construire son moi dans une dynamique de
construction/déconstruction en lien avec des événements non intégrés de la
prime enfance du fait d’une réponse de la mère peu adéquate par rapport à
l’attente de l’enfant. Il s’agit de permettre au patient d’éprouver ce qui n’est
pas advenu en lui offrant un environnement qu’il n’a pas eu et, ce qui est
essentiel, d’analyser ce nouveau mode relationnel. Il ne s’agit donc pas de se
contenter d’une simple « expérience correctrice ».
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Un aspect important de la technique analytique avec de tels patients


consiste à partager l’affect en faisant sentir au patient que leur récit nous
touche. En effet, ces patients mettent souvent en avant une grande force
de caractère et une étonnante capacité de sang-froid avec une difficulté de
lâcher-prise et une importante distance affective, un fonctionnement dont
le but consiste davantage à contre‑investir une profonde souffrance et une
douleur indicible qu’à procurer une satisfaction. Tout se passe comme si
ces patients n’avaient pas rencontré un entourage suffisamment sécurisant
pour pouvoir partager des affects indifférenciés de douleur/agressivité res‑
ponsables de traces agonistiques. Ferro, dans un ouvrage récent, propose
« d’accueillir l’émotion que le patient est en train de vivre à ce moment‑là
et de dire par exemple : « C’est terrible pour un enfant d’avoir un loup der‑
rière soi. » Il s’agit de ce que Bion appelle « être à l’unisson […]. C’est la
somme d’expériences répétées de micro‑unisson qui permet le développe‑
ment du contenant […]1 ». Cet « être à l’unisson » peut être illustré par le
cas d’André présenté en introduction. Un moment important de son analyse
se situe lorsqu’il a pu vivre en séance des moments d’intense tristesse en
lien avec sa souffrance de petit enfant, une souffrance qu’il n’avait pu par‑
tager avec sa mère et, surtout, lorsque j’ai pu lui montrer, en m’inspirant de
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Symington2, un postbionien australien, qu’il a pu éprouver quelque chose
avec moi qu’il n’avait pas pu vivre avec sa mère.
Un autre aspect de la technique avec les patients somatisants me sem‑
ble être la co‑construction. Roussillon3 propose d’échoïser les propos, de
déployer la tendance au tout ou rien pour permettre au patient de faire un
choix adéquat et au bon moment. Il s’agit de faire sentir au patient que ses
propos ne sont pas le reflet d’une simple projection et que nous reconnais‑
sons leur réalité vécue. Il s’agit de nous mettre dans une dynamique inter‑
subjective de co‑pensée, de conversation psychanalytique, et d’avancer des
hypothèses ou des possibles pour permettre au patient de développer son
appareil à penser et son espace de jeu psychique. Ce processus est favo‑
risé par une certaine malléabilité de l’objet analyste. Métaphoriquement,
on pourrait dire qu’il s’agit d’apprendre à faire « circuler le ballon » – des
affects et des pensées – entre le patient et l’analyste à l’instar de ce qui se
fait quand on apprend à un petit enfant à jouer au ballon en faisant des passes
avec lui, démarche qui porte ses fruits à condition qu’on la pratique souvent

1. A. Ferro (2010), Psychalaystes en supervision, Paris, Érès, p. 18.


2. N. Symington (2008), « Une technique pour faciliter la création du psychisme », L’Année psy‑
chanalytique internationale, p. 217‑231.
3. R. Roussillon (2009‑2010), Communication orale dans le cadre de ses séminaires à Genève.
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et avec plaisir. Cependant, pour que la conversation soit psychanalytique,


il est indispensable de compléter ce jeu de co‑construction par l’analyse du
mode de communication et des enjeux transféro‑contre‑transférentiels dans
une optique de métacommunication.
Andreas Saurer
Groupe médical des Grottes
23, rue Louis‑Favre
1201 Genève
Suisse
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