Étude Préliminaire Sur Le Concept D'identification Projective
Étude Préliminaire Sur Le Concept D'identification Projective
Étude Préliminaire Sur Le Concept D'identification Projective
Scaglia Hector. Étude préliminaire sur le concept d'identification projective. In: Bulletin de psychologie, tome 29 n°320,
1975. pp. 84-120;
doi : https://doi.org/10.3406/bupsy.1975.10677;
https://www.persee.fr/doc/bupsy_0007-4403_1975_num_29_320_10677;
Hector SCAGLIA
lien entre les membres d’un groupe ou collec¬ soin de contrôler les anxiétés persécutrices
tivité, et aussi la mention dans ce contexte des contribue à la scission du sein maternel tant
processus qui sous-tendent à l’adoption d’une à l’extérieur qu’à l’intérieur du sujet. Cette
attitude particulière face aux autres personnes. scission crée un objet aimé et dont l’enfant a
Points sur lesquels se développera la concep¬ besoin, et un objet haï et redouté ». Ceci consti¬
tion kleinienne. La notion d’imitation, par con¬ tuerait le modèle de toute internalisation d’ob¬
tre, sera reléguée au deuxième plan dans les jet ultérieur (4).
recherches postérieures touchant l’identifica¬ La déviation de l’instinct de mort s’effectue
tion, bien que son emploi soit plus fréquent même lorsqu'il y a une prédominance de la
en ce qui concerne l’explication des attitudes pulsion de vie et de la capacité d’aimer. Cette
sociales et des rôles. déviation va contribuer à la création des objets
Ces considérations nous amènent maintenant persécuteurs et dangereux lesquels seront pos¬
au concept d'identification projective tel qu’il térieurement re-introjectés. « Les processus de
a été élaboré par Mélanie Klein. Nous ne nous projection et de re-introjection modifient de
limiterons pas à la théorie kleinienne, et nous façon permanente les rapports entre le moi et
essayerons de faire référence à d’autres auteurs ses objets, avec des fluctuations entre les ob¬
et aux modifications ultérieurement introduites. jets externes et internes, entre les bons et les
Dans ce sens nous voudrions repérer dès le mauvais objets (5). Ce processus est en étroite
début la place du mécanisme dans le modèle liaison avec les fantasmes et les émotions de
du fonctionnement mental proposé par M. Klein. l'enfant aussi bien qu’avec l’urgence de ses
Nous insisterons alors sur quelques concepts expériences actuelles. La complexité de ces
qui servent de cadre et délimitent l’idée d’iden¬ fluctuations produites par l’activité perpétuelle
tification projective. des deux pulsions, est à la base du développe¬
M. Klein, dans son article « On the Deve¬ ment du moi ; de son rapport avec le monde
lopment of Mental Fonctionning» (3), signale externe et aussi avec la construction de son
l'importance des formulations exposées par propre monde interne.
Freud et relatives à la structuration mentale « Freud a postulé que le moi s’enrichit de
en termes de ça, moi et surmoi. Elle indique façon permanente à partir du ça. Pour ma part,
aussi le poids de la découverte des instincts j'ai déjà dit que le moi est appelé à l'activité
de vie et de mort avec sa polarité et sa fusion et qu’il est aussi développé par la pulsion de
agissant dès la naissance. Son repérage théori¬ vie. Ceci s'obtient à partir des premières rela¬
que a grandement contribué — à son avis — tions d’objets. Le sein, dans lequel sont pro¬
à la compréhension de l’appareil mental. jetées les pulsions de vie et de mort, est alors
En continuant avec l'idée freudienne de la le premier objet internalisé par introjection. De
déviation à l'extérieur de la pulsion de mort cette façon, les deux pulsions trouvent un objet
comme une défense de l’organisme contre les dans lequel elles se lient. C'est à partir de
dangers qui découlent de cet instinct, M. Klein cela que, moyennant les projections et les intro
aboutit à son élaboration du concept de pro¬ jections successives, le moi s'enrichit et se for¬
jection. C’est justement la mise en marche du tifie ».
mécanisme de projection qui protégera l’enfant
de l’invasion des pulsions destructrices. D’un b) Les antécédents du concept d’identification
certain point de vue, le moi, incité par l’instinct projective dans l’œuvre de M. Klein.
de vie, sera appelé à l’action pour faire face
à cette menace et pour faire démarrer les fonc¬ Le concept d’identification projective fut in¬
tions projectives. troduit par M. Klein en 1946, sans que cela
Nous accédons ainsi à la délimitation des pro¬ impliquât de s’écarter, selon son opinion, de la
cessus primaires du fonctionnement mental : théorie freudienne orthodoxe. Mais, très pré¬
la projection, comme moyen de dévier à l'exté¬ cocement on trouve déjà dans ses recherches
rieur la pulsion de mort et comme forme la référence au mode de fonctionnement et à
d’investir le premier objet de libido, et l'intro l’importance des mécanismes de projection et
jection, opérant aussi dès la naissance et qui d’introjection dans les processus de formation
est également au service de l’instinct de vie. et de consolidation des instances psychiques.
A travers ces affirmations on distingue nette¬ (C’est justement en rapport avec ce processus
ment l'action des deux instincts au cours de de formation qu'apparaîtront quelques différen¬
leur fusion. Liaison qui s'accomplit dans les ces avec les idées originaires de Freud).
objets, le premier étant le sein maternel. Selon Le concept d'identification projective est alors
la prédominance des pulsions destructrices ou un élément important dans la pensée kleinienne.
des sentiments d'amour, le sein avec les expé¬ Car c’est à partir d’une première introjection
riences gratifiantes, commence à former à
l'intérieur de l'enfant « le bon objet primaire ». (3) KLEIN (M.). On the development of mental
La projection sur le sein des pulsions destruc¬ fonctionning. In The Int. J. of Psycho-Anal., 39,
trices contribue à la délimitation du « mauvais 1958, p. 84. Traduction personnelle.
objet primaire Les deux objets primaires sont
». (4) KLEIN (M.). — Op. cit. p. 84. Traduction per¬
re-introjectés et ainsi les instincts de vie et de sonnelle.
mort qui avaient été précédemment projetés se (5) KLEIN (M.). — Op. ch. p. 87. Traduction per¬
retrouveront de nouveau dans le moi. « Le be¬ sonnelle.
86 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
de base que le moi va se développer, c’est-à En outre, il faut signaler que les concepts
dire que c'est l'interrelation de projection et d'identification projective et de projection qui
d'introjection qui serait l’origine de cette ins¬ font partie de l’idée d'identification projective,
tance. (Pour la théorie freudienne les méca¬ sont utilisés dans l’œuvre de M. Klein avec tou¬
nismes d’introjection et de projection ne sont tes les acceptions qu’impliquent ces termes.
pas mis en marche que lorsque le moi com¬ Dans le Vocabulaire Technique et Critique de
mence à se différencier du monde extérieur). la Philosophie (9) cité par Laplanche et Pon
Il est possible alors de repérer très tôt dans talis (10), on trouve deux acceptions: «A)
l'œuvre de M. Klein, les concepts qui ont contri¬ Action d’identifier, c’est-à-dire de reconnaître
bué à la formation de la notion d’identification pour identique, soit en nature, par exemple
projective. quand on reconnaît un objet comme apparte¬
nant à une certaine classe..., ou encore quand
Dans son livre « La psychanalyse des en¬
on reconnaît une classe de faits pour assimila¬
fants » de 1932, l'auteur écrit : « Pendant cette
ble à une autre... ». « B) Acte pour lequel un
période du développement, les méthodes de dé¬
individu devient identique à un autre, ou par
fense sont proportionnelles à la pression de
l’anxiété en lui et elles sont extrêmement
lequel deux êtres deviennent identiques (en
pensée ou en fait, totalement ou segundum
violentes. Nous savons que pendant le précoce quid) ».
stade sadique-anal, ce que l'enfant expulse c’est
un objet qu’il perçoit comme très hostile et On peut ajouter encore l'emploi kleinien du
équivalent aux excréments. D’un certain point verbe dans sa forme réflexive dans le sens de
« trouver une identité ».
de vue, ce qu’il expulse est aussi un terrifiant
surmoi qu’il a intro jecté pendant la phase sadi¬ En ce qui concerne l'utilisation du terme de
que-orale de son développement. L’acte d'expul¬ « projection » dans l’œuvre kleinienne, on peut
ser est ainsi un moyen de défense employé trouver entre autres, les acceptions suivantes :
par le moi terrifié contre le surmoi. L'enfant
A) Dans le sens expulsif et lié à la décharge
expulse des objets internalisés et les projette pulsionnelle.
dans le monde extérieur » (6).
B) Dans le sens précis de mécanisme de
Les mécanismes de projection et d’expulsion défense, c’est-à-dire en impliquant la mécon¬
sont liés très étroitement dans l'individu au
naissance de ce qui est projeté.
processus de formation du surmoi. Le moi tente
de se défendre du surmoi soit en l'expulsant C) « Se projeter » dans le sens expressif qui
violemment à l’extérieur, soit en le détruisant. se lie parfois à la signification du mécanisme
d’identification.
Mais aussi, et à cause des menaces du surmoi,
le moi cherche à se débarrasser du ça sadique. D) Dans le sens d'intentionalité.
Dans les deux cas le moi utilise le même moyen : F) Comme forme particulière du mécanisme,
l'expulsion par la force. L'enfant harcelé par c’est-à-dire comme une projection endo-psychi
ses identifications terrifiantes, les projette dans que produite à partir de la dissociation.
ses objets. Cette façon d’agir semble contri¬ Dans « La personnification dans le jeu des
buer à renforcer le besoin de répéter plus enfants ». M. Klein arrive à la conclusion que
fréquemment encore les processus d’introjec¬ la dissociation du surmoi en ses identifications
tion et elle devient aussi un facteur décisif
primaires, introjectées pendant les différents
pour l’évolution du lien entre l’enfant et ses stades du développement « est un mécanisme
objets. M. Klein pense que l'anxiété et le sen¬ semblable à la projection, avec laquelle il est
timent de culpabilité qui surgissent des pul¬ étroitement lié ». Pour M. Klein les mécanismes
sions agressives, contribuent très précocement de dissociation et de projection sous-tendent
à intensifier la liaison libidinale primaire entre à la tendance à la personnification dans le
l’enfant et sa mère.
jeu. A travers la dissociation et la projection,
C'est dans son travail « La personnification la synthèse du surmoi peut être momentané¬
dans le jeu des enfants » (7) datant de 1929, ment abandonnée. Ils éliminent aussi la tension
que l’on peut assister déjà à une accentuation
des concepts de projection et d’introjection (6) KLEIN (M.). — El psiconalisis de ninos. Situa •
voisine de la future élaboration de l'identifica¬ clones tempranas de ansiedad y su efecto en el
tion projective. L’aire conceptuelle ainsi déli¬ desarrollo del nino. Primeros estadios del conflicto
mitée correspondra, à notre avis, à celle que de Edipo y de la formacion del superyo. Buenos
caractérisera plus tard le concept. C’est dire Aires, Paidos, 1964, p. 155.
que, pour l’instant, nous avons dégagé trois (7) KLEIN (M.). — La personnification dans le jeu
aspects : le projectif, l'expulsif et l'introjectif. des enfants. In Essais de Psychanalyse, Paris, P.U.F.,
Précisément, dans son article « On Identifica¬ 1967.
tion » (8) M. Klein signalera la liaison intrin¬ (8) KLEIN (M.). — On Identification (Sur l’iden¬
sèque entre le mécanisme d’identification pro¬ tification). In New directions in Psycho-Analysis. Lon¬
jective et l'assomption des rôles, tout en faisant don, Tavistock Public. 1955.
la différence entre l’inter jeu des processus (9) LALANDE (A.). — Vocabulaire technique et
d’introjection et de projection d’une part et critique de la philosophie. Paris, P.U.F., 1951.
le processus d'identification projective de l’au¬ (10) LAPLANCHE et PONTALIS. — Vocabulaire
tre. de la psychanalyse. Paris, P.U.F. 1968, p. 187.
H. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 87
me lorsque la libido orale est prédominante. tion, comme M. Klein elle-même l’a écrit dans
L’auteur signalera alors deux lignes d'attaques la note que nous avons citée. Ces aspects
fantasmées contre la mère et qui nous semblent métaphoriques sont impliqués dans la notion
intéressantes pour notre actuel propos. Une de «projeter dans une autre personne» (23).
ligne dérive de la pulsion orale à sucer, mordre, L’éclaircissement de M. Klein montrerait alors
détruire le corps maternel. « L'autre ligne pro¬ non seulement les difficultés propres à la com¬
venant de pulsions anales et urétrales est liée préhension des relations objectales précoces,
à l'expulsion de produits dangereux (des excré¬ à la notion d'objet interne et aux relations
ments) dans l'intérieur du corps maternel. En d’inclusions réciproques entre les objets, mais
même temps, des parties clivées du moi seront aussi il traduirait en partie le poids fantas¬
projetées dans la mère ». Dans une note M. matique que porte le concept.
Klein donne des éclaircissements supplémen¬ D’un autre point de vue, du fait que les
taires en disant que : « La description de ces
parties « bonnes » de la personnalité sont aussi
processus primitifs se heurte à un grave incon¬
projetées découlent quelques conclusions.
vénient, car ces phantasmes surgissent à un D'abord cette projection des sentiments de
moment où le bébé n’a pas encore commencé
bonté, des parties « bonnes » dans la mère,
à penser avec les mots. C'est pourquoi j’emploie consolide les relations d’objet et contribue à
par exemple, l'expression « projeter dans une
l’intégration du moi. Mais il faut signaler aussi
auter personne » parce qu'elle me semble l'uni¬
que : « ...si un processus projectif se produit
que moyen de transmettre le processus incons¬
en excès, ces parties « bonnes » du moi sont
cient que j'essaye de décrire» (21).
ressenties comme perdues et la mère devient de
De cette façon, on commence à délimiter cette façon l'idéal du « moi ». Ce processus
ce qui va être considéré comme « identification contribue à l'appauvrissement du moi et il
projective ». Parce qu'avec ces sentiments et peut s’étendre à d'autres personnes pouvant
ces « parties mauvaises », le sujet vise non aboutir « à une extrême dépendance à l’égard
seulement à blesser l'objet, mais aussi à l’habi¬ des représentants extérieurs des parties « bon¬
ter, à le contrôler et à prendre possession de nes » du sujet» (24). Cette ligne de pensée
lui. La mère alors ne sera plus un individu pourra être retrouvée postérieurement dans
séparé. Elle deviendra la « mauvaise personne ». quelques travaux concernant les groupes hu¬
« Une grande proportion de la haine contre mains reliant la description freudienne de la
des parties de la personne propre est alors formation de groupes.
dirigée contre la mère. Cela conduit à une Finalement, les processus de clivage et de
forme particulière d’identification qui établit projection de parties de la personnalité contri¬
le prototype d’une relation d’objet agressive. buent à façonner les relations d’objets norma¬
Je propose pour ce processus le nom « d’identi¬ les aussi bien que les anormales et sont à la
fication projective ». Quand la projection dérive base du développement de l'individu.
surtout du désir de l'enfant de blesser ou de L'intervention du mécanisme produit quel¬
contrôler la mère, il vit celle-ci comme un per¬ ques effets caractéristiques. Par exemple l’ir¬
sécuteur » (22).
ruption violente dans l'intérieur de l’objet et
cnn nrxrvfrAlo nltoric
OVll WUUVXV UU.V1 1\ WX1UUUW U COU11"
A son origine même, on pourra déceler avec gurer l’introjection postérieure sur le mode
M. Klein des états affectifs qui corerspondent vindicatif, comme une irruption violente prove¬
largement à la position « paranoïde-schizoïde » : nant, cette fois de l'extérieur du sujet.
telles l’envie primitive, la voracité et le déni, D'autres fantasmes décrits contribuent à la
ces deux derniers étant les mécanismes qui
caractérisation d'une crainte typique que l’on
font partie des défenses maniaques contre la trouve très fréquemment : « la crainte que non
dépression.
seulement le corps, mais aussi le psychisme
D'une façon générale on peut dire que l’omni¬ soient contrôlés par d'autres personnes » (25).
potence, la voracité et le sadisme infantiles
agissant à travers les identifications projec¬ Une autre conséquence découle de l'affaiblis¬
tives sont responsables du sentiment corrélatif sement et de l’appauvrissement du moi qui
aux identifications projectives vécues comme résulte du clivage et de l'identification projec¬
de violentes intrusions dans les autres per¬ tive excessive. Le moi, incapable d’assimiler
sonnes. Ces parties projetées conservent leur ses objets internes peut succomber au senti¬
pouvoir d’action et leur force à l’intérieur de ment d'être contrôlé par eux. En même temps
l'objet qu'alors elles possèdent et contrôlent. on ressent l'impossibilité de récupérer les par¬
Le concept d'identification projective struc¬ ties projetées et perdues dans le monde exté¬
ture alors, à notre avis, toute une série de rieur. Ces divers processus qu'impliquent un
notions de base appartenant à la théorie klei clivage excessif du moi, aussi bien que l’emploi
nienne. Nous voudrions signaler pour l’instant particulièrement intense de l’identification pro
deux aspects en particulier. Le premier est
inclus dans la définition même. Il porte sur (21) KLEIN (M.). — Op. du p. 282.
l’aspect identificatoire de l’identification pro¬ (22) KLEIN (M.). — Op. du p. 281-2.
jective, trait qui contribue à l’établissement (23) Cette description a été pleinement suivie.
d'une relation d'objet. Le deuxième a trait (24) KLEIN (M.). — Op. du, p. 283.
avec les aspects métaphoriques de la descrip¬ (25) KLEIN (M.). — Op. cit. p. 285.
90 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
jective, semblent être à la racine de certaines tion qui est caractérisée par une intense désin¬
formes de schizophrénie. tégration, mais aussi par la prédominance de
M. Klein a signalé que la lutte contre une l’anxiété persécutrice et qui présente un large
identification projective accablante peut amener spectre de défenses. Parmi celles-ci, nous trou¬
à s'identifier à des objets qui présentent des vons l'idéalisation, la dénégation et le contrôle
caractéristiques opposées. D’autre part, si la omnipotent des objets internes et externes.
projection dérive de l’impulsion à endommager Comme nous l'avons déjà avancé, c’est alors
ou à contrôler, l’objet sera investi de carac¬ dans l’identification projective — dans l’iden¬
téristiques persécutrices. Par contre, si les sen¬ tification par projection — où nous pouvons
timents de bonté ou les parties bonnes sont rencontrer une image synthétisée des carac¬
projetées, on établit les bases pour le déve¬ téristiques propres à cette position. Ainsi, elle
loppement des bonnes relations d’objet et aussi implique « une combinaison de la dissociation
pour l'intégration du moi. des parties du moi et la projection de celles-ci
Non seulement du point de vue de l'utilisa¬ sur (ou plutôt dans) une autre personne. Ces
tion normale ou pathologique de l'identification processus ont beaucoup de ramifications et in¬
projective, mais aussi pour la diversité de situa¬ fluent de façon particulière les relations objec
tions anxiogènes qu'elles produisent, « Le fan¬ taies (27).
tasme de faire irruption violente dans l’objet Mais il faut remarquer aussi l’importance de
donne naissance à des angoisses portant sur l'internalisation vis-à-vis du processus projectif.
les dangers qui menacent le sujet depuis l'inté¬ Elle réside dans le fait qu’elle rend possible
rieur de l’objet. Par exemple, le désir de con¬ une reprojection des contenus, et qu’elle entra¬
trôler un objet entrant en lui éveille la peur ve le processus de dissociation permettant une
d'être contrôlé et persécuté à l’intérieur de meilleure capacité de synthèse et d’intégration
lui ». Le sentiment de persécution interne moïque.
du sujet est momentanément augmenté pour Par ailleurs, les descriptions concernant
avoir intro jecté et réintrojecté l’objet volontai¬ l’identification projective comportent aussi des
rement envahi, « et plus encore du fait que implications spatio-temporelles, lesquelles ont
l'on sent que l'objet réintrojecté contient les parfois seulement comme trait caractéristique,
aspects dangereux de la personne ». M. Klein la présence d'un certain type de liaison, de
considère comme un élément de base de la parenté avec le dépositaire.
paranoïa, « l’accumulation des angoisses de De cette façon, les impressions qu’ont par¬
cette sorte où le moi pourrait-on dire, est mis fois les patients d'avoir perdu des parties de
entre une multiplicité de situations de persé¬ leur propre personne ou de l'éloignement de
cution interne et externe ». ces parties, constituent des fantasmes qui sous
Une autre angoisse qui en découle est la tendent les processus dissociatifs. (Sans pour
peur d'être emprisonné à l’intérieur de la mère. cela impliquer une nécessaire référence spatiale
Cette crainte produite par les fantasmes d’atta¬ dans la dissociation) (28). Dans ces fantasmes,
quer le corps maternel et d'entrer sadiquement les parties perdues du patient (parties que très
en lui, peut être retrouvée aussi dans la para¬ souvent représentent les émotions) ne sont plus
noïa. Et encore : « j’ai montré que la peur accessibles ni à lui-même, ni au thérapeute, et
deviennent ainsi une source d’anxiété.
d’être emprisonné (et en particulier d'avoir le
pénis attaqué) à l'intérieur de la mère est un On a signalé déjà que c’est à cause des iden¬
facteur important dans les troubles ultérieurs tifications projectives et de la perte des parties
de la puissance virile (impuissance) et sous du moi, que peuvent apparaître des situations
tend aussi la claustrophobie » (26). de nettes caractéristiques claustrophobiques.
Nous signalons encore une fois, la particu¬ Une partie du moi a été enterrée dans l’objet,
lière conception des relations d’objet et ses elle va y mourir.
implications des différentes possibilités d' « in¬ Egalement, et de façon parallèle à la claus¬
clure » et d' « être indu » dans les objets. Il se trophobie, apparaît la crainte de l'intérieur du
dessine alors toute une correspondance spatiale corps et de dangers qui y siègent.
des liens qui mérite d'être signalée ici. M. Klein dans son article « Sur l'identifica¬
C'est dans son travail « Sur l’identification » tion », et à partir de l’analyse du roman de
où M. Klein lie « la conviction d’un patient Julien Green, « Si j'étais vous », présente les
d’être « réellement », Christ, Dieu, un roi, avec identifications projectives du personnage de
la projection ». Elle remarque que les bases de trois points de vue différents. A partir du
ces processus n’étaient pas encore complète¬ premier, elle fait référence à la relation des
ment étudiées quand dans ses « Notes sur quel¬ parties dissociées et projetées du moi avec
ques mécanismes schizoïdes » elle proposa la celles qui restent écartées. Relation qui est
dénomination d’identification projective, pour
la description de phénomènes qui font partie (26) KLEIN (M.). — Op. cit., p. 286.
de la position « paranoïde-schizoïde ». (27) KLEIN (M.). — On identification. In New
C’est ainsi que l’identification projective est Directions in Psycho-Analysis. London, Tavistock Pu¬
reliée à des processus évolutifs agissant pen¬ blications, 1955. Trad. esp. Nuevas Direcciones en Psi*
dant les premiers mois de la vie, c'est-à-dire coanalisis. Bs. As., Paidos, 1965, p. 303. Traduction
durant la position « paranoïde-schizoïde ». Posi¬ personnelle.
H. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 91
considérée par M. Klein comme impliquant une mécanismes d'identification projective, avec
certaine liaison, une sorte de chagrin face aux la fusion instinctive qui les caractérise, en un
parties scindées, parties qui représentent l'iden¬ essai de revivre, de se réalimenter à l'intérieur
tité même du sujet. De là aussi l’importance des objets. Nous avons mentionné auparavant
donnée au nom du personnage. Ce nom restera la possibilité d’aboutir à une sorte de répara¬
toujours comme un résidu à chaque transfor tion primitive à travers les identifications pro¬
matoin. jectives.
Nous croyons que c’est justement à travers
ce genre de description qu’on peut s’apercevoir d) Quelques formes d’expression des identifica¬
des aspects que M. Klein considérait dignes tions projectives.
d'être soulignés par rapport aux identifications Le mécanisme d’identification projective, l’un
projectives. On retrouve ici une référence à des plus importants piliers de la théorie klei
l'empathie et aux différentes formes d' « habi¬ nienne, découle et se visualise à partir de la
ter » l'autre.
position « paranoïde-schizoïde ». Au niveau de
Le deuxième point de vue pris par M. Klein la pratique et par conséquent au niveau de la
dans cette analyse, implique la considération recherche, la source conceptuelle se trouve dans
des motivations qui fondent le choix de l'objet les cadres schizophréniques. C'est en rapport
dans lequel on fera la projection. En ce sens, avec ce type de pathologie qu'on a pu avancer
il semble que l’auteur suggère la possibilité jusqu’à la définition finale du mécanisme.
d'un choix basé sur le transfert avec les objets A notre avis, l’identification projective pré¬
originaux. sente cinq aspects fondamentaux étroitement
En outre, comme nous l'avons déjà souligné, liés entre eux et qui sont les responsables de
les caractéristiques perçues comme étant com¬ sa caractérisation en tant que :
munes avec les objets, sont vues comme prépa¬ a) relation d’objet ; b) mécanisme de défen¬
ratoires pour les identifications projectives. se ; c) fantasme ; d) lien ; e) moyen de com¬
munication.
La lutte contre les identifications écrasantes,
tant intro jectives que projectives, amène fré¬ C'est dire que l’identification projective peut
quemment à s'identifier avec des objets qui être définie à partir de chacune de ces carac¬
présentent des traits opposés. Ces processus téristiques ou avec toutes les cinq à la fois.
peuvent conduire à une multiplicité de nou¬ Bien que cela n'implique pas nécessairement
velles identifications. une prise de position à l'égard du concept, dans
De la persistance plus ou moins intense des diverses études on pourra retrouver l'accent
premières identifications projectives découle mis de préférence sur quelques-uns des traits
mentionnés. Nous reconnaîtrons ces facettes
un profond intérêt pour les objets, l’attirance
envers eux, et aussi l'empathie, concept qui dans les analyses de divers auteurs.
est à la base de la délimitation de l'identifica¬ Selon M. Klein, la première relation objec
tion projective. tale se fonde à travers l’identification projec¬
Pendant le processus d’élection des objets tive, et elle établira la base de toutes les
dépositaires on pourrait donc repérer deux éta¬ autres relations qui suivront.
pes : dans la première surgit une certaine base Pour sa part Rosenfeld écrit : « ... dans l’ana¬
commune. Dans la seconde on aboutit à la lyse contre-transférentielle des malades schizo
concrétisation de l'identification projective. Ce préniques aigus, il est possible de suivre le
processus aurait lieu normalement de façon mécanisme d'identification projective jusqu'à
unifiée.
son origine. J’ai observé qu'à chaque fois qu'un
L' empathie », l'impression d'avoir des cho¬
« schizophrène aigu s’approche d’un objet, avec
ses en commun avec une autre personne (mé¬ amour ou haine, il semble se fusionner avec
canisme à forte base narcissique), se fait évi¬ celui-ci. Cette confusion peut être attribuée non
dente par la projection de parties de la per¬ seulement aux fantasmes d’incorporation orale
sonne dans l'autre. Ce phénomène, d'intensité qui amènent à l’identification introjective, mais,
et durée variables est en rapport avec la force en même temps, à des impulsions et à des fan¬
et l'importance des identifications. tasmes du patient de pénétrer dans l'objet avec
Le troisième point de vue remarque l'impor¬ la totalité ou une partie de son moi, ce qui
tance de la détermination de la mesure où
les parties projetées restent « enterrées » dans (28) Dans la note au bas de la page 280, appar¬
l'objet ou acquièrent un contrôle sur lui. Ces tenant à l’article « Notes sur quelques mécanismes
deux possibilités étant en liaison étroite avec schizoïdes » (In Développements de la Psychana¬
certains processus psychopathologiques notam¬ lyse), M. Klein ajoute : «Dans la discussion qui a
ment dans ceux qui sous-tendent les psychopa¬ suivi la lecture de ce travail, le Dr W.C.M. Scott a
thies. mentionné un autre aspect du clivage. Il a montré
La crainte de la mort, intensifiée par les l’importance des ruptures dans la continuité des
anxiétés de nature psychotique qui amènent à expériences qui impliquent un clivage dans le temps
vivre la mort comme une attaque provenant plutôt que dans l’espace. Il a mentionné comme
des objets hostiles tant externes qu’internes, exemple l’alternance des états de sommeil et de
aurait comme résultat l'accroissement des scis¬ veille. Je suis tout à fait d’accord sur ce point de
sions. Ces faits peuvent mettre en marche les vue ».
92 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
tant externe qu’interne — ; présence d'une légè¬ dans ses objets. Le dernier de ces emplois est
re mais tenace relation objectale. au service del'identification projective.
Cet ensemble de facteurs fait que l’évolution A travers ce mécanisme, le patient utilise les
du schizophrène à travers les positions para mots comme s'il s’agissait des « choses » ou
noïde-schizoïde et dépressive, est sensiblement des parties scindées de lui-même et il les pousse
différente de celle d'une personne non-psychoti¬ violemment dans l’analyste.
que. « ...mon examen de l'identification projec¬ L'invasion de la personnalité par l'objet con¬
tive — dit cet auteur — va se limiter à l’utili¬
tenu, conduit l’individu à établir une équiva¬
sation que fait le schizophrène du mécanisme, lence entre les mots et les choses qu'il nomme,
contre ses appareils de vigilance ( conscience), pour aboutir plus tard à leur confusion « car
lesquels ont été décrits par Freud comme étant le patient fait l’équation (44) mais il n’arrive
appelés à l'action par le principe de réalité (39). pas à symboliser, comme l'a déjà décrit Hanna
Ces attaques contre l'appareil de perception Segal » (Seconds Thoughts, p. 40).
(présentes dès le début de la vie), sont sem¬
blables aux attaques sadiques contre le sein qui a) L’identification projective inversée :
font partie des fantasmes de l'enfant, et qui
apparaissent pendant la position paranoïde Cette modalité d’identification projective est
schizoïde. « Une partie de la personnalité est liée à l’incapacité de réintrojecter, caractéristi¬
littéralement coupée, scindée en des fragments que de la personnalité psychotique. C'est dire
minuscules et à travers l'identification projec¬ que le retour des objets préalablement expul¬
tive, expulsée de la personnalité» (40). C’est sés (c’est le cas aussi des interprétations psy¬
ainsi que « l’identification projective associée chanalytiques, par exemple) ne peut pas être
à la fuite par l’évacuation ne doit pas être accompli moyennant l'introjection, mais à tra¬
confondue avec l’identification projective nor¬ vers le même chemin de l'expulsion. Autrement
male» (41). dit, par une identification projective inversée.
L'appareil de vigilance est étroitement lié à « C’est à cause de cet emploi de l’identifica¬
la pensée verbale, c’est pourquoi son expulsion tion projective que le patient ne parvient pas
amène le schizophrène à n’être « ni tout à fait à une synthèse des objets, qu’il n’arrive qu’à les
mort ni tout à fait vivant ». Fait qui marque agglutiner et à les comprimer. Plus tard, et
une différence fondamentale entre une person¬ dans la mesure où il ressent qu’il a quelque
nalité psychotique et une non-psychotique. chose à l’intérieur de lui-même, c'est-à-dire qu’il
La conséquence de cette scission est un senti¬ ressent qu’il a introjecté quelque chose, le
ment de cassure de l’appareil de perception. patient éprouve l’entrée de l'objet comme s'il
Les mutilations subies par les impressions sen¬ s’agissait d’un assaut vindicatif, provoqué par
sorielles sont en rapport « avec le modèle selon sa violente... (et précédente)... intrusion en
lequel le sein est attaqué par les fantasmes lui (45).
sadiques de l’enfant » (42). Il se produit ainsi
le sentiment d'être emprisonné, sentiment qui Les objets deviennent alors beaucoup plus
est intensifié par la présence menaçante des terrifiants qu’avant de subir l’expulsion. A tra¬
fragments expulsés, à l’intérieur desquels il se vers cette entrée violente (même si elle a été
sent contenu et au « mouvement planétaire » souhaitée), le patient se sent alors attaqué
desquels il est mêlé. et torturé... L'appareil de perception, expulsé
comme une partie du moi, finit par être doulou¬
Dans le fantasme du patient, les particules reusement comprimé dans le chemin de retour ».
expulsées du moi mènent une existence indé¬ Bion trouve que c’est cela la cause des terri¬
pendante et incontrôlée hors de la personnalité. bles hallucinations tactiles, auditives et vi¬
Elles contiennent les objets externes de la mê¬ suelles dont très fréquemment souffre le schi¬
me façon et en même temps qu'elles sont zophrène. « La dépression et l'anxiété, qui sont
contenues par eux. « ...comme si la dure épreuve liées au même mécanisme, sont également in¬
à laquelle elles ont été soumises n’avait été tensifiées. Le patient est obligé de les traiter,
utile que pour augmenter leur nombre aussi encore une fois, à travers l’identification pro¬
bien que pour provoquer leur hostilité envers jective, tel qu'il a été décrit par H. Segal » (46).
la psyché qui les a expulsées. Par conséquent
le patient se sent entouré d’objets bizarres.
« On ressent alors que chaque particule con¬ (39) BION W.R.). — Seconds Thoughts. Lon¬
tient un objet réel externe lequel est encapsulé don, W. Heinemann, 1970, p. 38.
dans la partie de la personnalité qui l'a avalé (40) BION (W.R.). — Théorie de la pensée. In
(43). Les objets encapsulés, à travers le proces¬ Rev. Fr. de Psy., 28, ri° 1, 1964, pp. 75-84.
sus d'identification projective, peuvent être res¬ (41) BION (W.R.). — Seconds Thoughts, p. 39.
sentis comme s'ils avaient envahi et contrôlé (42) BION (WR.). — Idem.
la partie de la personnalité avec laquelle ils (43) BION (W.R.). — Idem.
étaient en contact. C'est justement un des (44) Nous aborderons le thème de l’équation
aspects des relations objectales du schizophrè¬ symbolique dans la troisième partie de ce travail.
ne, celui de scinder une partie du « self » et (45) BION (W.R.). — Seconds Thoughts, p. 41.
d'être toujours en train de sortir ou d'entrer (46) BION (W.R.). — Op. cit. p. 63.
fl. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 95
b) L’identification projective normale et patho¬ lation, qu'avec une véritable expression commu¬
logique : nicative. L'auteur rappelle que Freud a suggéré
que « pendant la phase de prédominance du
Nous avons déjà souligné dans la première principe de plaisir, les actions du patient
partie de ce travail, de quelle façon Bion inter¬ n'étaient pas destinées à produire un change¬
prète l’emploi excessif des scissions et de l'iden¬ ment dans le milieu, mais qu’elles essayaient
tification projective dans des personnalités très de soulager l’appareil psychique de l’excédent
perturbées. En outre, et en partant de l'idée de stimulation» (50).
que l’introjection d'un bon objet est une condi¬ Quelques gestes, par exemple les changements
tion préalable pour le développement normal, d’expression sont considérés, plutôt que comme
Bion suppose l'existence d’un degré normal une recherche de communication, comme une
d'identification (sans définir pourtant ses limi¬ véritable décharge émotionnelle.
tes). Pour cet auteur, le lien qui s'établit entre L'intolérance à la frustration amène à l'em¬
le sujet et l'objet est constitué par l’identifica¬ ploi de l’action musculaire, action caractéristi¬
tion projective elle-même. que de la phase dominée par le principe du
Les attaques sadiques contre ce lien sont plaisir. « ...car l’expérience a déjà montré au
ressenties comme ayant leur origine dans une patient que c'est à travers une action de ce
source extérieure au sujet. Comme conséquence
genre qu’il obtiendrait son propos beaucoup
il se produirait une augmentation des proces¬ plus rapidement qu’à travers une action diri¬
sus d’identification projective et elle deviendrait gée vers la modification du monde exté¬
« excessive ». Si cette production excessive arri¬ rieur» (51).
ve pendant l’enfance, il y aura une détériora¬ Bion estime qu'un changement de la muscu¬
tion du développement, cependant, le facteur lature ne produit pas seulement un changement
constitutionnel demeure le facteur décisif.
d’expression lequel peu vouloir exprimer, par
Parmi les conclusions principales extraites de exemple, une haine assassine, mais qu’il donne
son travail « Attacks on Linking », il en a plu¬ lieu « à un réel assaut assassin ». « L’acte qui en
sieurs qui sont en rapport avec la description
résulte doit, par conséquent, être compris com¬
d’un état mental dans lequel « la psyché du me une activité idéo-motrice » (52). Cette acti¬
patient contient un objet interne qui s'oppose vité idéo-motrice est ressentie par le patient
à et qui détruit tous les liens (47). Cette atta¬
comme appartenant à la classe de phénomènes
que est dirigée non seulement contre les formes créateurs des « objets bizarres ».
les plus sophistiquées de la communication
« L'assaut n'est que l’expression externe d'une
verbale, mais aussi contre les liens les plus
identification projective explosive par laquelle
primitifs. la haine assassine, avec les morceaux de per¬
Dans cet état mental, l'émotion est rejetée
sonnalité, est éparpillée partout dans les objets
car « elle est ressentie comme faisant l'union
réels — membres de la société inclus — , dont
entre les objets et comme donnant réalité à des il est entouré » (53).
objets différents de la personne propre, et par
Ces manifestations externes du patient arri¬
conséquent elle est ressentie comme hostile vent à affecter involontairement le monde
au narcissisme primaire» (48). externe. Elles peuvent, par exemple, atteindre
U i oirrti «lrt /mi i 1 tt /"v i *i -»-i a a ta a a t <4
WJ. , JLJAVAl OlglldAt' il y Il L1 1 LA&
CK LA. CALA
l’analyste et les associations sur lesquelles sont
l'emploi de l'identification projective qui est en basées les interprétations.
relation étroite avec la différenciation entre les
Dans des cas limites, il peut arriver que ces
parties psychotiques et les parties non-psycho¬ manifestations provoquent une réaction du
tiques de la personnalité. L'auteur fait allusion
groupe auquel le patient appartient. On pourra
ici, à la forme particulière d'utilisation du refou¬ trouver alors la mise en marche des réactions
lement, caractéristique de la personnalité psy¬
psychotiques typiques et qui sont dues à la
chotique. Le patient psychotique serait incapa¬
collision inconsciente produite par le fait de
ble de le mettre en œuvre.
recevoir les identifications projectives de cha¬
A la place du refoulement il emploie le méca¬
cun des membres du groupe.
nisme d'identification projective et « ce qui de¬
vrait être son inconscient est remplacé par un d) L’identification projective et son rapport
monde habité par des objets des rêves » (of avec la pensée verbale :
dream furniture) (49).
Selon Bion, un pas très important est fait Le début de la pensée verbale est situé par
dans la thérapie de schizophrènes, lorsqu'on Bion dans la position dépressive. Elle a pour
parvient à remplacer l’identification projective (47) BION (W.R.). — Attacks on linking. In
par le refoulement et l'introjection, et lorsqu'on
Int. J. of Psycho-Anal., 40, Parts 5-6, 1959, pp. 308
fait l’élaboration des attaques destructives diri¬
315. Traduction personnelle.
gées contre les liens et contre le moi.
(48) BION (W.R.). — Op. cit., p. 309.
c) L'identification projective et l'activité mus¬ (49) BION (W.R.). — Idem.
culaire. (50) BION (WR.). — On hallucination. In
Seconds Thoughts, p. 84
Dans plusieurs cas Bion a trouvé une produc¬ (51) BION (W.R.). — Op. cit., p. 84.
tion de gestes, une activité gestuelle qui était (52) BION (W.R.). — Idem.
plus en rapport avec une décharge de la stimu¬ (53) BION (W.R.). — Idem.
96 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
Dans la pensée de Bion l'attaque contre la implique l’idée d'un contenant dans lequel un
fonction alfa donne un résultat opposé à l’ani¬ contenu est projeté.
misme, puisqu’on attribue aux choses vivantes Il s’agit aussi d’une activité, partagée par
des caractéristiques qui appartiennent aux deux individus, laquelle va être intro jetée par
morts, aux objets. Ces attaques vont détruire l’enfant. L' « appareil » 9 $ devient une partie
la possibilité d'établir un contact conscient avec
de la personnalité de l’enfant grâce à la fonc¬
soi-même et avec d’autres objets vivants.
tion alfa. Bion va mettre ce modèle en rapport
La présence des éléments alfa rend possible avec l'exploration que fait un enfant d'un objet
les processus inconscients et elle ouvra la voie avec la bouche ( bouche-sein : 9 $ ).
à des processus tels que le refoulement, la sup¬ La relation mère-enfant décrite par M. Klein
pression et l’apprentissage. Les éléments bêta, comme identification projective, est intériorisée
par contre, empêchent ces types de processus. et elle donne lieu à un « appareil pour penser »,
Face à l’impossibilité de refouler on fait une c'est-à-dire à un appareil capable de réguler
utilisation excessive de l’identification projec¬ la rencontre d’une préconception avec une expé¬
tive avec l’appauvrissement conséquent du moi. rience émotionnelle ou sensorielle. C'est à tra¬
Les éléments bêta sont traités par un proces¬ vers cette expérience émotionnelle ou senso¬
sus d'évacuation qui est semblable aux mouve¬ rielle que la pré-conception originelle pourra
ments musculaires qui interviennent, par exem¬ être cristallisée en une conception.
ple dans le changement d’expression, de mine. Bion décrit l'identification projective comme
Bion écrit que dans ce cas un sourire ou une étant une relation symbiotique, réciproquement
formulation verbale doivent être compris com¬ profitable, entre deux personnes, entre un con¬
me étant un mouvement musculaire d’évacua¬ tenant et un contenu (9 S).
tion et non comme la communication d’un sen¬ Le sein ( 9 ) peut jouer un rôle modérateur sur
timent. la crainte d'être annihilé que l’enfant a projeté
« dans » lui. C'est alors que l'enfant pourrait
Bion va se référer à des éléments conscients
éventuellement réintrojecter les parties de son
et inconscients plutôt qu'à des entités telles que moi, et de cette façon stimuler aussi sa propre
la conscience ou l'inconscient. Les éléments cons¬
évolution.
cients et inconscients sont séparés par une
Cette théorie dans laquelle on utilise les ter¬
« barrière de contact », c’est-à-dire par une bar¬
mes de K et —K, peut être repérée comme
rière qui sert à la fois de point d'union et de
représentant la rencontre entre une pré-concep¬
séparation. Cette barrière est dans un état de tion et l'objet capable de la saturer et de don¬
transformation constante car elle est le produit
ner ainsi la possibilité d’une expérience émo¬
de la prolifération et de l'accumulation des élé¬
tionnelle. Expérience qui peut se concrétiser
ments alfa élaborés par la fonction alfa. Cette
en une conception.
élaboration est accomplie à travers les impres¬
En —K, par contre, le sein est vécu de façon
sions sensorielles et les expériences émotion¬
envieuse, comme s’il dérobait les parties valo¬
nelles (57). Bion met l’accent sur le terme de
risées du moi, en ne laissant que les résidus
barrière, non seulement pour souligner le con¬
inutiles. « L’enfant — écrit Bion — qui com¬
tact entre le conscient et l'inconscient, mais
mence avec une crainte de mourir finit par
aussi pour impliquer le passage sélectif de l’un
à l’autre des éléments.
contenir une peur sans nom» (58). En —K,
c'est l’envie qui a entravé l’établissement d’une
relation symbiotique entre les termes.
g) L’identification projective, la relation conte¬
nant - contenu et l’oscillation des positions Si on transpose cette même idée dans la si¬
paranoïde-schizoïde <— > dépressive :
tuation groupale en K K, le groupe, avec l’intro¬
duction de nouvelles idées ou personnes, croît
Pour Bion, ce que nous appelons la pensé et se développe. En —K, tout fait nouveau —
fût à ses origines un processus à travers lequel qu’il soit une personne ou une idée — , sera
on libérait le moi de l'accroissement des stimuli. dépouillé de sa valeur. Si en K le climat amène
Ce processus a été décrit par M. Klein sous le vers la « santé mentale », en —K le groupe aussi
nom d'identification projective. bien que les idées ne pourront pas survivre à
Un aspect de celle-ci est en rapport avec
la modification des craintes enfantines. L'en¬
(57) Une expérience émotionnelle ne peut pas
fant projette une partie de soi dans le sein être conçue comme étant isolée d’une relation inter¬
maternel. Il ressent ensuite que ce qui a été personnelle. Les relations de base que postule Bion
projeté a subi une modification qui le rend sont :
apte pour être de nouveau introjecté. Les sen¬ X aime Y - X hait Y - X connaît Y
timents préalablement projetés sont devenus
tolérables pour la psyché de l'enfant dans la Ces liens sont désignés par :
L H K
mesure où ils sont resté dans le sein maternel
(le bon objet), et où ils ont été métabolisés. Il faut prendre en considération aussi que, par
Bion pour sa part, fait sienne cette idée de exemple, — K ne représente pas la non-compré¬
base de la théorie kleinienne et il l’utilisera hension ou l’erreur. De la même façon — L n’est
comme modèle pour son concept interrelation¬ pas la même chose que H, ni — H n’est l’équiva¬
nel : «contenant-contenu» (9 S). Concept qui lent de L : (-LH;-HL).
98 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
cause de la destruction qui est propre à l’acte me. C’est dire que, d’une manière générale, de
de dépouillement, acte provoqué par l’envie l’action de PS < — > D, va dépendre la délimi¬
primitive. tation de l’objet total, tandis que de l’action
Dans son travail « Elements of Psycho-Ana¬ réussie de 2 $, surgira la signification inhé¬
lysis », Bion définit justement toute une série rente à ce même objet total. L'identification
d'éléments, parmi lesquels on trouve la rela¬ projective, qui fait partie des mécanismes de
tion dynamique 2 $ A son avis, le trait fon¬
.
défense les plus primitifs acquiert une modalité
damental de la conception kleinienne de l’iden¬ de fonctionnement différente dans le passage
tification projective, pourrait être représenté à la position dépressive.
« La panique psychotique », cette expérience
par ? $, même si cette relation implique une
perte de précision à l'égard du concept originel. émotionnelle qui constitue le point de départ,
le « O » de la transformation en une hallucina¬
Un
deuxième élément est symbolisé par tion, est une expérience qui peut être conçue
PS < — » D. Cette relation ayant deux signi¬ à partir de l’échec de l’activité de la fonction
fications :
alfa dans la constitution d’un contenant ( 2 )
a) l’interaction entre les positions paranoïde capable de « contenir » des émotions violentes.
schizoïde et dépressive, telles qu'elles étaient L'impossibilité de former un « contenu » ( $ )
définies par M. Klein. que puisse tolérer l'attente d’un contenant, asso¬
ciée à l’échec dans
la cristallisation d’une con¬
b) La réaction précipitée par ce que Poincaré
a décrit comme « un fait sélectionné ».
jonction constante liée à un fait sélectionné
(opération PS <— > D), amène à la non-conso¬
Bion postule l'existence de trois dimensions lidation de la relation 2 $ et à l'établissement
appartenant aux éléments porpres à la psycha¬ d'une relation — 2 S.
nalyse et à ses objets. Une première dimension
est constituée par « l'extension dans le domaine Cette dernière sera pénétrée par l'envie, et
du sens » ; la deuxième, « l'extension dans le par conséquent les éléments 2 et $ seront
domaine du mythe », et la troisième « l'exten¬ dépouillés de leurs propriétés essentielles :
sion dans le domaine de la passion» (59). signification, vitalité, et ils seront rapprochés
des objets inanimés. — 2 $ configure un
Dans ce travail l’auteur insiste sur le rôle
modèle qui est l'antithèse du modèle utilisé pour
fondamental de l'identification projective, car le développement, pour la croissance. Elle subi¬
c’est elle qui va permettre à l'enfant de faire ra constamment les attaques dépouillantes qui
face à l’émotion primitive, en rendant possible donneront naissance aux objets bizarres.
ainsi la continuation d'un développement nor¬ La partie de la personnalité qui agit sous
mal de la pensée. — 2 S , vise à configurer un « Super-moi », qui
Le mécanisme de 2 S est implicite dans va entraver tout apprentissage à travers l’expé¬
l’idée même d'identification projective, et il est rience. Ce « Super-moi », s’oppose à tout déve¬
en rapport avec les catégories primitives. L'au¬ loppement scientifique, et sa forme d'action est
teur proposera alors de représenter « l’appareil déterminée par des normes morales. Il faut
pour penser les pensées » avec les signes $ $ . mentionner que ces normes morales, surgies
Son bon fonctionnement dépendra d’une intro des identifications projectives pathologiques, et
jection réussie du bon sein, qui est finalement de la confusion qui en découle, ne portent même
le responsable de l'existence de la fonction pas en elles, pas une idée rudimentaire du bien
alfa.
et du mal. Bion, par contre, les définit comme
L'appareil pour penser » ( 2 $ ) aussi bien
« impliquant l'affirmation d'une supériorité des¬
que Interrelation des positions paranoïde tructrice qui amène à posséder afin d'éviter la
schizoïde et dépressive (PS < — > D) sont liées libre existence de l’objet.
au développement de la pensée. (Il faut rappe¬ Face à — 2 $, on verra apparaître ce que
ler aussi que la formation de symboles dérive Bion appelle une « explosion projective », c’est
de la position dépressive). à-dire une expérience d'espace mental sans
Pour Bion il y a alors une relation de parenté limites. Cet espace mental incommensurable est
entre 2 $ et PS <— >
D. Cette dernière serait dû à une relation dévastatrice entre le conte¬
chargée de donner signification et de mettre en nant et le contenu.
rapport les « pensées » produites par 2 $ . Mais Par
ailleurs, Bion dans son travail sur la
en fait, l’une et l'autre de ces fonctions théorie de la pensée, met en valeur le rôle que
(PS <— » D et 2 S ), sont considérées comme joue l'identification projective dans l'évolution
étant à l'origine des pensées. de l'individu. Il y définit une pensée comme
Ces deux processus pourraient être exprimés « l'union d'une préconception avec une frustra¬
de manière très simple comme suit : PS <— > D tion », et il propose le modèle « d’un enfant
= fragmentation - intégration ; et 2 $ = chez qui l'attente d'un sein s’unit à une cons¬
expulsion - incorporation. cience qu’il n'y a pas de sein pouvant procurer
Chaque mécanisme peut fonctionner selon sa
manière propre, ou d’une façon qui rappelle le (58) BION (W.R.). — Learning from, experience.
mode de fonctionnement de l'autre. London, W. Heinemann, 1963, p. 99.
Quand c'est 2 $ qui entre en jeu, le produit (59) BION (W.R.). — Elements of Psycho-Ana¬
de sa mise en marche est la signification mê¬ lysis. London, W. Heinemann, 1963, p. 67.
H. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 99
une satisfaction. Cette union est ressentie com¬ modalité normale d'identification projective.
me une absence-de-sein ou un non-sein en Cette modalité découlerait tant de la qualité
lui» (60). avec laquelle ont fonctionné les premières iden¬
A partir de cet état, l’évolution ultérieure va tifications projectives du sujet (vis-à-vis des
dépendre de la capacité de l’enfant de tolérer objets partiels et/ou totaux), que de l'impor¬
la frustration. « Si cette capacité est suffisante, tance des identifications projectives provenant
le non-sein en lui devient une pensée et un des premiers objets familiaux et du type de
appareil pour le « penser » se développe. C’est répercussion que celles-ci ont produit sur le
à-dire que la fonction alfa pourra alors élaborer sujet.
les données sensorieles et les transformer en Cependant, il faut également tenir compte
éléments alfa. d'un autre facteur. Il s'agit, selon l'auteur, de
Si la capacité de tolérance à la frustration l’utilisation — dans un niveau de développe¬
n’est pas suffisante « ce qui devrait être une ment plus organisé — des mécanismes obses¬
pensée, un produit de juxtaposition d’une pré¬ sionnels qui permettent de maintenir le contrô¬
conception et d'une actualisation négative de¬ le des parties dissociées et projetées. L'échec
vient alors un mauvais objet indiscernable d’une de ces mécanismes peut conduire à l'émergence
chose en soi propre à être évacuée» (61). de troubles de diverses importances dans le
fonctionnement du moi face à l’objet.
C’est alors qu’à la place d'un appareil pour Selon Grinberg, l'émergence des identifications
penser, il se produit un développement hyper¬ projectives va être conditionné par les tendan¬
trophié du mécanisme d’identification projec¬ ces et les fantasmes appartenant à chacune des
tive.
phases libidinales.
« Echouer à établir entre
et la mère l'enfant Cet auteur reprend ainsi le concept tel qu’il
une relation dans laquelle l'identification pro¬ a été décrit par M. Klein, c'est-à-dire comme
jective normale soit possible, empêche le déve¬ caractéristique de la position paranoïde-schizoï
loppement de la fonction alfa et par consé¬ de, phase dans laquelle les parties projetées ne
quent d'une différenciation des éléments en sont pas profondément modifiées et la projec¬
conscients et inconscients ». tion suit certaines lignes directrices. Ceci peut
La personnalité de l'enfant par elle-même
« être repéré dans l'apparition des objets persé¬
est incapable d’utiliser les données sensorielles, cuteurs ou bien dans les objets fortement idéa¬
mais doit évacuer ses éléments
la mère dans lisés caractéristiques de cette étape.
en comptant sur elle pour leur donner une for¬ Dans la recherche d’une délimitation des di¬
mule appropriée à leur utilisation comme élé¬ verses modalités de l'identification projective,
ments alfa pour l'enfant» (62). l’auteur distingue cette modalité « normale »
Bion souligne ici le rôle que joue l'autre du mécanisme de celle postulée par Bion comme
dans l’identification projective. Dans ce cas étant une identification projective pathologique
précis, la mère peut être un contenant com¬ « dans laquelle les aspects dissociés et désinté¬
préhensif qui permettra la réintrojection après grés en fragments minuscules, sont projetés
un séjour qui a rendu tolérable pour la psyché dans l'objet qui devient alors morcelé en élé¬
de l’enfant, ce qui a été projeté préalablement. ments minuscules (les objets bizarres) (2).
Le modèle proposé par Bion, peut être élargi Grinberg suggère aussi l'existence d'une mo¬
non seulement à la relation thérapeute-patient, dalité fœtale d’identification projective, où il
mais aussi aux relations humaines en général, y aurait une scission d'une partie du « self »
car l’individu « ne peut pas trouver satisfac¬ du fœtus qui serait projetée à l'intérieur du
tion en dehors du groupe, et ne peut pas non corps maternel.
plus satisfaire aucune tendance émotionnele En outre, cet auteur insistera sur le besoin
sans l'expression de sa composante sociale » (62).
de considérer non seulement l'aspect quantita¬
tif (il fait référence à l'utilisation « excessive »
DEUXIEME PARTIE
ou « massive ») des identifications projectives,
mais aussi son aspect qualitatif. Dans ce sens
il mentionnera différentes modalités de fonc¬
A — QUELQUES MODALITES
DE L’IDENTIFICATION PROJECTIVE
tionnement : les identifications projectives schi
zoïdes, mélancoliques, maniaques, psychopa¬
thiques, perverses, etc., en ajoutant que « la
Après avoir donné un aperçu des idées de modalité fonctionnelle
de ce mécanisme — en
Bion, lesquelles élargissent la caractérisation
faite par M. Klein de l’identification projective,
accord avec le point de fixation ou de régres¬
sion obtenus et avec la qualité et le montant de
nous envisageons de décrire quelques modalités
de ce mécanisme.
(60) BION (W.R.). — Théorie de la pensée. In
Une première distinction fut établie par L. Rev. Fr. de Psychanalyse, 28, 1964, p. 76.
Grinberg dans son article intitulé « Contribucion (61) BION (W.R.). — Op. cit., p. 77
al estudio de las modalidades de la identifi (62) BION (W.R.). — Op. cit., p. 84.
cacion proyectiva » (1) (Une contribution à (1) GRINBERG (L.). — In Rev. de Psicoanalisis
l'étude des modalités de l’identification projec¬ de Buenos-Aires, 22, N° 4, 1965, p. 263.
tive). L'auteur fait référence au postulat d’une (2) GRINBERG (L.). — Op. cit., p. 265.
100 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
anale » (8). L’auteur y décrit l'influence qu'a L. Grinberg a élaboré le concept de « contre
sur la formation de la personnalité la présence identification projective ». Dans son analyse,
d’une combinaison de trois éléments : l'évalua¬ les identifications projectives peuvent contri¬
tion narcissique des excréments ; la confusion buer de façon plus ou moins active à l’émission
autour de la zone anale (en particulier la con¬ de messages extraverbaux, tout en exerçant une
fusion anus-vagin ; pénis-excréments), et les grande influence sur le récepteur. De façon
aspects des habitudes et des fantasmes anaux très spécifique dans la technique analytique,
basés sur les identifications projectives. Meltzer l’auteur a observé les troubles produits par un
fait référence à un processus inadéquat de montant excessif des identifications projectives
dissociation et d'idéalisation. Cette idéalisation du patient. Ces troubles constituent des réac¬
étant en partie la conséquence de la confusion tions spécifiques chez le thérapeute, réactions
d’identité due à l’identification projective. qui ne sont pas perçues ni enregistrées par lui.
Dans l'état d’excitation et de confusion qui L’analyste peut être entraîné à jouer de façon
découle de la masturbation anale, il pourrait passive les rôles et les fonctions que l’analysé
se produire une masturbation bi-manuelle des de façon active (quoique inconscient) a placé
organes génitaux (pénis ou clitoris) et de l’anus de force à l’intérieur de l'analyste.
fantasmé comme vagin qui donne lieu à un Ces manifestations sont considérées comme
fantasme sadomasochiste du coït dans lequel étant en rapport avec un aspect partiel et dé¬
le couple parental s'endommage de façon réci¬ terminé du contre-transfert et de là aussi son
proque. L’identification projective avec les deux nom de contre-identifications projectives.
figures internes qui accompagne cette mastur¬
L'auteur établit ainsi la différence entre deux
bation bimanuelle, endommage aussi les objets
sortes de réactions contre-transférentielles :
internes par la violence de l'intrusion et par
« celles basées sur les attitudes émotionnelles
les caractéristiques sadiques de la relation
sexuelle auxquelles on les attribue. propres à l'analyste... (de celles)... basées sur
Cette situation favorise durant l'enfance l’éta¬ les résidus névrotiques réactivés par les conflits
blissement d'une organisation pré-œdipienne ce avec le patient ». Il faut souligner que ces consi¬
dérations sont basées sur les travaux de H.
qui permet d'éviter le complexe d’Œdipe et qui,
en apparence, ouvre l’enfant à la vie sociale et Racker sur la dynamique du contre-transfert.
intellectuelle. Tout en suivant quelques idées de H. Dautsch,
Meltzer a décrit « les manifestations transfé¬ Racker a remarqué que l'analyste, par sa ten¬
rentielles d'une sorte de trouble caractérologi dance empathique à comprendre ce qui se passe
que relativement fréquent parmi les nombreu¬ chez le patient, peut arriver à identifier « cha¬
ses personnes intelligentes, douées et d'appa¬ que partie de sa personnalité avec des parties
rences satisfaites qui s'adressent au traitement psychologiques de l'analysé, c'est-à-dire son ça
psychanalytique, c’est-à-dire la pseudo-maturité. avec le ça du patient, son moi avec celui du
Le concept d’identification projective, originel¬ patient, etc. tout en acceptant consciemment
lement décrit par M. Klein, a ouvert le chemin ces identifications ». Ces identifications sont
vers une nouvelle et fructifiante recherche des appelées « identifications concordantes ou ho¬
aspects jusqu'ici inexplorés de banalité. En mologues ». Elles reposent sur « l’introjection
comprenant comment la masturbation anale et la projection, sur la résonance de l'externe
détermine l'identification projective avec les dans l’interne, sur la reconnaissance de ce qui
objets internes on achève une conception plus est étranger et sur son équivalence avec ce qui
riche des conséquences et de la signification nous appartient, et sur l’équivalence de ce qui
de l'évaluation narcissique des excréments, ce nous appartient avec ce qui ne nous appartient
qui permet de lier plus certainement la phase pas » (10).
anale, avec la pathologie symptomatique et « Les identifications concordantes seraient
caractérologique » (9). Il faut signaler aussi
une reproduction des propres processus passés
que cet emploi de l'identification projective de l'analyste, qui se réactivent comme une
dans un objet interne n’est pas très généralisé
réponse à la stimulation provenant du patient,
et présente des difficultés secondaires.
en donnant lieu aussi à un contre-transfert posi¬
tif sublimé qui détermine une plus grande
dose d’empathie chez le thérapeute» (11).
B — SUR L’IDENTIFICATION PROJECTIVE,
LE TRANSFERT Un deuxième type d’identifications, appelées
ET LA CONTRE-IDENTIFICATION identifications complémentaires, découlent des
PROJECTIVE identifications de l’analyste avec les objets
internes du patient. L’analyste se sent ainsi
Comme contrepartie des différentes modalités traité de la même façon que le patient traite ses
des identifications projectives, on pourrait envi¬
sager la description de certains phénomènes qui (8) MELTZER (D.). — La relacion entre la mas
se présentent comme une conséquence, comme turbacion anal y la identification proyectiva. Trad.
une réponse aux identifications projectives, de esp. In Rev. de Psicoanal., Buenos-Aires, 24, N° 4,
la même façon que le contre-transfert peut être p. 791.
considéré comme une réponse au transfert (ou (9) MELTZER (D.). — Op. cit., p. 808.
comme sa contrepartie). (10) - (11) GRINBERG (L.). — Op. cit., p. 216.
102 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
objets internes et il ressent ces objets comme fication projective) chez divers analystes, en
propres. utilisant de façon spécifique et intense le mé¬
Racker a décrit un « contre-transfert concor¬ canisme d’identification projective.
dant » à travers
lequel on établit une identité Il est important de souligner que cette réac¬
entre les parties du sujet et les parties de tion spécifique del'analyste est due à la façon
l’objet (expériences, pulsions et défenses), et dont l’analysé a projeté et placé de force son
aussi un « contre-transfert complémentaire » à identification projective dans son thérapeute.
travers lequel on peut fonder une véritable Grinberg ajoute qu’ « en général dans toute
« relation d’objet, un véritable « transfert » dans communication extra-verbale, le mode de fonc¬
lequel l’analyse répète des prototypes antérieurs tionnement (le degré et la qualité) de l’identi¬
de conduites où l’analysé représente des objets fication projective de la part de celui qui trans¬
internes de l'analyste» (12). met (l’analysé), ne dépasse pas le seuil critique
Grinberg pour sa part a souligné la différence du récepteur (l'analyste) et le message produit
entre ces formes du contre-transfert et son con¬ alors une résonance contre-transférentielle et il
cept de contre-identification projective. Cet au¬ rend possible une réponse qui pourra être
teur considère d'abord qu’entre le concept de captée, contrôlée et verbalisée par l’analyste.
contre-identification projective et celui de con¬ Pourtant, dans certains cas, le degré et la
tre-transfert concordant, il n’y a aucun point qualité des identifications projectives peuvent
de contact, car ce dernier est en rapport avec imprégner d'une manière spéciale sa modalité
la liaison empathique envers l’analysé et avec fonctionnelle, de sorte que la communication
le désir de lui comprendre. En outre, il s'agit extra-verbale dépasse le seuil critique et provo¬
des identifications qui sont « acceptées par la que la contre-identification projective. Ce seuil
conscience de l’analyste » selon l’expression de dépendra, dans chaque cas, de la propre per¬
Racker. C’est-à-dire qu'il y a une certaine dispo¬ sonnalité de l’analyste, de son analyse person¬
sition active de la part du thérapeute. nelle et du degré de connaissance ou de cons¬
Selon l'affirmation de Grinberg, la différence cience de ce phénomène» (15).
entre la contre-identification projective et le Finalement, on pourra ajouter que la recher¬
contre-transfert complémentaire est moins nette. che de ce problème a surgi durant l'exercice
Pourtant, dans ce dernier cas, « l'analyste est du travail de contrôle de cas, effectué par le
l'objet passif des projections de l’analysé (par Dr. Grinberg, et pendant lequel il a pu obser¬
exemple de ses objets internes) et il réagit ver la réaction émotionnelle expérimentée par
de manière contre-transférentielle à cause de quelques analystes face au même patient.
ses propres anxiétés et par la réactivation de Une autre liaison avec la théorie de Bion est
ses propres conflits avec ses objets inter¬ proposée par Grinberg lorsqu’il lie la capacité
nes » (13). des éléments bêta de Bion (éléments qui font
Par contre, dans la contre-identification pro¬ partie de l'écran bêta et qui sont prêts à
jective, il y a une réaction de l'analyste qui l'évacuation par identification projective) à pro¬
est en grande partie « indépendante de ses pro¬ duire certaines réponses émotionnelles dans
pres conflits et qui dépend de façon prédomi¬ l’objet, avec son propre concept de contre
nante ou exclusive de l'intensité et de la qua¬ identification projective.
lité des identifications projectives de l’analysé. Otto Kernberg (16) dans son article «The
Dans ce cas, l'accent est mis sur le patient treatment of patients with borderline perso¬
et non pas sur l’analyste. C'est celui-là qui, à nality organisation », écrit que l’identification
un moment régressif particulier, et à travers la projective est une forme primitive de projec¬
modalité fonctionnelle de l'identification pro¬ tion. Cette assimilation à la projection est,
jective, va provoquer d'une façon active chez comme nous l'avons déjà mentionné, une posi¬
l’analyste une réponse émotionnelle précise que tion très répandue. L'auteur continue les idées
le thérapeute subira de façon passive. Dans de Racker (1957) et de Money-Kyrle (1956) quant
les identifications complémentaires, il y aura à l’implication du mécanisme dans les proces¬
toujours un mécanisme ou une réaction propre sus contre-transférentiels, mais il propose de
à l'analyste. Dans la contre-identification pro¬ faire la distinction suivante : ce qui est projeté
jective, l'analyste prendra en charge une réac¬ ne doit pas être considéré seulement comme
tion ou un mécanisme qui n'appartient qu’au une projection de la « pure agression », mais
patient» (14). En outre, cet auteur considère comme une représentation du self ou de l’objet
que ces mécanismes n'apparaissent jamais de lié à un dérivé instinctif.
façon nette ou isolée, mais qu’en général ils Les oscillations entre les moments de pro¬
coexistent en différentes proportions. jections des représentations du self et les mo¬
A travers le contre-transfert complémentaire, ments de projections des représentations de
chaque analyste en s'identifiant avec les objets
internes de son patient, réagit selon sa propre (12) GRINBERG (L.). — Op. du, p. 216.
modalité, selon sa propre personnalité et en (13) GRINBERG (L.). — Op. du, p. 116.
rapport avec ses propres conflits. Les mêmes (14) GRINBERG (L.). — Op. du p. 117.
productions d’un patient vont provoquer diffé¬ (15) GRINBERG (L.). — Op. du, p. 118-9.
rentes réactions chez divers analystes. Par con¬ (16) KERNBERG (O.). — The treatment of pa¬
tre, le même patient peut provoquer une même tients with borderline personality organisation. In
réponse contre-transférentielle (contre-identi¬ Int. J. of Psycho-Anal., 49, 1968, p. 600.
H. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 103
l’objet peuvent être traduites par des expé¬ ceux qui sont dus à l'identification projective —
riences contre-transférentielles et transféren¬ et la problématique concernant le transfert.
tielles (identifications complémentaires de Le transfert sera ainsi considéré comme étant
Racker (1957). basé sur la projection (de Saussure), mais en
Dans le travail de R.E. Money-Kyrle « Normal faisant la remarque que la projection seule
Counter-Transference and some of its devia¬ ne donne pas lieu au transfert. La projection
tions » (17), nous pourrons trouver quelques « in vacuo » ne serait pas une réalité clinique.
aspects impliqués dans le problème du méca¬ Ce mécanisme serait conçu comme impli¬
nisme et sa relation avec le contre-transfert. quant l'expulsion de toute une série d'éléments
C'est l'opinion de l’auteur — laquelle est ba¬ psychiques dans un objet externe (et quelque¬
sée sur une conception élargie du contre-trans¬ fois interne). Elle serait constituée par le dérivé
fert — qu'il y a deux directions fondamentales instinctif inconscient, l’objet externe impliqué
pour la compréhension de ce processus, l’une et une fonction du self (page 344). Mais cette
provient de la propre tendance réparatrice de conception inclue aussi la participation de l’ob¬
l'analyste, l'autre, de l’aspect paternel qui a jet récepteur de la projection. Cette série
été déjà souligné par P. Heimann et où le constituerait alors — selon Rodrigué — l’unité
patient prendrait la place — au moins en de la projection.
partie — d’un aspect infantile du self de l'ana¬ Lorsque le but de ce mécanisme consiste à
lyste. Il y aurait donc un fort compromis du se débarrasser de la stimulation, — et il inclut
processus identificatoire (tant introjectif que le contrôle de ce qui a été projeté — , on
projectif). serait en présence du mécanisme d'identifica¬
Dans le déroulement ordinaire des séances, tion projective (Klein, 1948).
il se produirait une oscillation rapide entre les Dans son action, on pourrait distinguer au
processus d’introjection et de projection. Au moins deux formes par lesquelles l'identifica¬
fur et à mesure que le patient s’exprime l’ana¬ tion projective se heurte contre le thérapeute.
lyste devra s’identifier d’une façon intro jective Dans la première, l'analyste peut s'apercevoir
avec lui, et une fois qu’il l'a internalisé et l'a dès le début « de ce que, dans le fantasme, le
compris, il devra reprojeter sa compréhension patient essaye de faire avec lui ». Ce qui a été
dans l'interprétation. projeté produit la participation active du thé¬
Mais lorsque l'équilibre entre les processus rapeute. Emergerait alors ce que l'auteur appelle
introjectif s et projectifs est brisé, l'analyste « transference actuality », phénomène dans le¬
peut rester soit dans l'une ou dans l’autre posi¬ quel la série projective est ressentie comme
tion (introjective ou projective). Chacune de provenant de l'extérieur et qui peut être inter¬
ces positions sera prise selon l’élaboration par¬ prétée. Dans la deuxième forme il s'agirait de
ticulière que l'analyste fera de la propre culpa¬ ce que Grinberg (1963) a dénommé «contre
bilité engendrée par sa non compréhension. S'il identification projective» et que Bion (1962 —
accepte la culpabilité, le patient restera comme Learning from Experience) a décrit comme
une figure introjectée. S’il projette, le patient étant le cas où l'identification projective bute
restera comme une figure incompréhensible contre l’analyste de façon qu’il ne perçoive pas
appartenant au monde extérieur. le processus en cause, mais où il agit, au con¬
Dans l’alternative introjective, le thérapeute traire, suivant la projection. C’est-à-dire que le
peut ressentir quelques-uns de ses « vieux » thérapeute agit au lieu de percevoir. La série
problèmes, être excessivement perturbé par eux projective est alors ressentie comme provenant
et présenter aussi un compromis corporel à tra¬ de l'intérieur de l’analyste et elle partage ses
vers des perturbations somatiques. Cette ten¬ propres fantasmes. Ce type « insidieux » d'iden¬
dance de l’analyste à prolonger l'introjection tification projective constituerait un danger
du malade, — sans l'issue projective — , peut pour le processus thérapeutique, en particulier
correspondre à la tendance du patient à l’em¬ lorsque cette identification projective due à
ploi de l'identification projective comme moyen l’envie, cherche à détruire la capacité de penser
de se débarrasser de la propre destructivité. du thérapeute.
Mais si l’analyste ne peut pas tolérer cette L’auteur pense que, dans la mesure où ce
situation d'être perturbé, « chargé » par son genre d'identification projective est dominant
patient, comme une figure persécutrice et irré¬ — et dans des situations extrêmes — , il peut
parable, il pourra mettre en œuvre une parti¬ arriver que l’interaction thérapeute - patient
culière reprojection qui a pour but l'expulsion soit interrompue. Cette interruption serait sou¬
du patient sans avoir accompli une élaboration vent produite sous l'influence de l'identification
du problème (sans digérer dirait Bion). Une projective.
autre possibilité implique la reprojection des Grinberg et Bion ont fait référence au mo¬
parties du self de l'analyste, fait qui contribue ment où l'analyste s'interroge sur son état
à une impression de perte de la capacité intel¬
lectuelle. (17) MONEY - KYRLE (R.E.). — Normal Coun¬
Dans cette même ligne de pensée, E. Rodigué tertransference and some of its deviations. In The
développe dans son article « Transference and Int. J. of Psycho-Anal., 37, 1956, p. 360.
a-transference phenomena» (18) quelques con¬ (18) RODRIGUE (E.) — Transference and a
cepts impliqués dans la formulation qui lie les transference phenomena. In The Int. J. of Psycho
aspects projectifs — et plus particulièrement Anal., 47, 1966, p. 343.
104 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
ge dans les processus de pensée de l'analyste. tant que relation d’objet et comme lien. Nous
C'est sur la base de ces observations que l'au¬ parlerons plus tard de l'identification projec¬
teur affirme que les mauvais objets internes tive comme moyen de communication). A tra¬
n’apparaissent pas à partir de l’introjection vers la considération de ces aspects, apparaît
active effectuée par l’enfant, mais comme un avec netteté la présence d’une autre personne
résultat des intrusions passivement endurées liée au processus en jeu. La définition même
provenant d'une mère peu affective et intrusive. d’identification projective implique une pluralité
de personnes (au moins deux). C’est pour cela
Ce processus commence durant le stade indif¬ que la situation groupale avec la distribution
férencié où l’enfant est démuni au maximum.
et l'assomption de rôles, encadre dans sa pro¬
« De telles expériences aboutissent à l’établis¬ pre spatialité un lieu privilégié pour ce type
sement d'une sub-structure (20) greffée à l’ap¬ de mécanisme.
pareil psychique ». Elles produisent des effets
fondamentaux pour la formation des trois struc¬ D. Anzieu, en faisant référence spécifiquement
tures (ça - moi - surmoi). « Cette structure pour¬
rait bien correspondre au système d’identifica¬ (19) HEINMANN (F.). — Comment on Dr Kern¬
tion de Kernberg dans le niveau le plus bas berg’s paper. In Int. J. of Psycho-Anal., 47, 1966,
de son système hiérarchique» (21). p. 254.
C’est ainsi que se dessine pour nous les aspects (20) Souligné par l’auteur.
tant de contrôle, d’intrusion dans l'objet que (21) HEIMANN (P.). — Op. cit., p. 257.
d'influence et de participation active du dépo¬ (22) ROSENFELD (H.). —
Contribution to the
sitaire, aspects impliqués dans le concept d’iden¬ Psychopathology of Psychotic States. In
Problé¬
tification projective. matique de la Psychose. Excerpta Medica Founda¬
Rosenfeld (22) a remarqué la place du méca¬ tion, I, 1969, pp. 115-128.
nisme dans le transfert où elle sert : à des fins (23) WINNICOTT (D.). — La interrelacion en
de communication des expériences préverbales ; terminos de identificaciones cruzadas. Trad. esp.
comme défi de la réalité psychique à travers In Revista de Psicoanalisis, Bs. As., 3/4, T. 25, 1968,
l'évacuation des parties mauvaises de la person¬ p. 909.
H. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 105
dans lesquelles il présente les mécanismes senter. Ces premières projections et identifica¬
d'identification projective et introjective comme tions constituent le point de départ du proces¬
étant des mécanismes de défense contre les sus de formation du symbole» (30).
anxiétés les plus primitives, et de façon plus Toutefois, ces premiers symboles ne sont pas
précise contre l'anxiété paranoïde ou dépressi¬ considérés par le moi comme étant des substi
ve. Selon cet auteur parmi les éléments de tituts des choses représentées, mais comme
cohésion qui amènent l'individu à former des étant l’objet originel lui-même. C’est à cause
associations (des institutions), on trouve cette de ce fait que Hanna Segal propose une
défense contre l’anxiété psychotique. dénomination qui leur soit propre. « Dans mon
E. Jacques tout en s’appuyant sur les idées article de 1950 (il s’agit de « Some aspects of
de Freud et de M. Klein, et sur les concepts the Analysis of a Schizophrenic », paru in the
d’identification projective et introjective affir¬ Int. J. of Psycho-Anal., 31)... j’ai proposé le ter¬
me qu’à partir du fait de partager les objets me « équation ». Pourtant, ce terme les diffé¬
externes, il est possible d’établir des relations rencie trop du mot « symbole », et je voudrais
sociales fantasmées à travers l’identification le modifier en «équation symbolique» (31).
projective avec l’objet commun. « Ces relations E. Liendo, dans son travail « Las relaciones
fantasmées seront élaborées plus tard par l’in objetales y la simbolizacion de la angustia » (32)
trojection ; et le caractère bidirectionnel des (Les relations objectales et la symbolisation
relations sociales est véhiculé à travers le jeu de l’angoisse) aborde ce même sujet à partir
bidirectionnel des identifications intro jectives d'une position différente, mais qui garde son
et projectives » (26). rapport avec les concepts que nous venons de
présenter. Dans cet article Liendo applique la
théorie générale des signes à la théorie psycha¬
D — L’IDENTIFICATION PROJECTIVE nalytique des symboles avec le dessein d’obtenir
ET LES PROCESSUS DE SYMBOLISATION un ordre logique plus précis applicable à cette
dernière.
Nous avons déjà avancé, au début
de ce Le concept de base qui permet le passage
travail, la liaison étroite existant entre les de l’un à l’autre modèle est « la relation dyna¬
processus de symbolisation et le concept d’iden¬ mique entre le contenant et le contenu » (c’est
tification projective, celui-ci pouvant guider à-dire l’identification projective), que Bion a
le processus total de déplacement. extrait de la relation concrète entre le sein
Hanna Segal dans son article « Notes sur la maternel et l’enfant. « Etant donné que l’enfant
formation du symbole » (27) affirme que c'est fantasme sa mère comme un contenant concret,
à partir de la relation symbolique aux matières donc physique et limité, tant le coït des pa¬
fécales et aux autres produits du corps, qu’il rents qu'une nouvelle grossesse maternelle par
peut se produire une projection de cette rela¬ exemple, représentent pour lui des scènes pri¬
tion sur des matériaux tels que la peinture, maires concrètes d'exclusion qui donnent lieu,
la pâte à modeler, etc., lesquels peuvent être encore une fois, à l’impressionnante césure de
alors utilisés à des fins de sublimation. Mais la naissance (33).
si les angoisses sont trop puissantes « la régres¬ L'auteur considère qu’à la naissance, tant les
sion à la position schizo-paranoïde peut surve¬ souffrances dérivées du fait de se heurter con¬
nir à n’importe quel stade du développement tre le monde extérieur, que la perte de l’état
de l’individu, et l'identification projective peut intra-utérin, sont ressenties par le bébé comme
être appelée à la rescousse comme défense con¬ s'il s’agissait d’une attaque provenant des for¬
tre l’angoisse. Alors, les symboles qui avaient ces hostiles. Cette situation produirait un ac¬
été développés et avaient fonctionné en tant que croissement de la pulsion de mort, ce qui conduit
symboles dans la sublimation, redeviennent des inévitablement, à une augmentation de l'an¬
équations symboliques concrètes. Ceci est dû goisse. Selon Liendo ce début de la vie post¬
principalement au fait que, dans l'identifica¬ natale classifie les relations objectiales en celles
tion projective massive le Moi se confond de qui ne présentent pas cet aspect (le premier
nouveau avec l’objet, le symbole se confond
avec la chose symbolisée, et, pour cette raison, (26) JACQUES (E.). — Los sistemas sociales com
tourne en équation symbolique» (28). defensa contra las ansiedades persecutorias y depresi
« Le symbole est utilisé, non pour nier, mais vas ». Trad. esp. In Nuevas Direccionnes en Fsico
pour surmonter la perte » (29). analisis ». Buenos-Aires, Paidos, 1965, pp. 461-2.
Dans la définition que l’auteur propose de (27) SEGAL (H.). — «Notes sur la formation du
l’identification projective dans ce même tra¬ symbole. » In Int. J. of Psycho-Anal., 37, 1957, et
vail, on trouve la liaison du mécanisme avec la dans Rev. Fr. de Psa., 34, 4, juillet 1970, p. 685.
formation de symboles. H. Segal affirme Dans : « (28) SEGAL (H.). — Op. cit., p. 692.
l’identification projective, le sujet projette en (29) SEGAL (H.). — Op. du, p. 693.
fanstame d’importantes parties de lui-même (30) SEGAL (H.). — Op. du p. 689.
dans l'objet, et cet objet devient alors identifié (31) Ibid..
aux parties du Soi qu’il est ressenti comme (32) LIENDO (E.C.). — Las relaciones objetales y
contenant en lui. De même, les objets internes la simbolizacion de la angustia. In Rev. de Psicoana
sont projetés à l’extérieur et identifiés aux par¬ lisis, Bs. As., T. 24, N° 4, 1967, pp. 839 et suivantes.
ties du monde extérieur qui viennent les repré¬ (33) LIENDO (E.C.). — Op. du, p. 844.
fl. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 107
exemple d'une relation « non-contenante » étant, trois types de base : l’équation symbolique (que
justement la naissance). Mais ce commence¬ nous venons d’exposer), le pseudo-symbole et la
ment sert aussi d’unité de mesure pour toutes représentation symbolique. Toute symbolisation
les angoisses ultérieures. qu’elle soit équationnelle ou représentationnelle,
Dans la recherche de relations objectales échoue quand le montant d’angoisse dépasse un
contenantes, le moi de l'enfant accomplit toute seuil déterminé.
une série de déplacements. Ces déplacements «Dans l'équation symbolique, ou confusion
constituent déjà le processus de symbolisation. entre le symbole et ce qui est symbolisé, il y
La première symbolisation porte, dans la a non seulement confusion entre l’objet primai¬
théorie kleinienne, « sur la structure relation¬ re et le substitut, mais aussi confusion entre
nelle formée par le corps maternel et les conte¬ le moi qui symbolise et l'objet symbolisé et
nus envahisseurs (pénis, excréments, frères) » encore entre le contenant (le corps maternel)
(34). L'enfant essaie de récupérer l’intériorité et les contenus envahisseurs (pénis, frères, etc.).
du corps maternel — affirme Liendo — à tra¬ Dans le pseudo-symbole ou pseudo-discrimina¬
vers les zones érogènes orale, anale, phallique tion entre le symbole et l'objet symbolisé, il y
urétale et génitale, zones à travers lesquelles a moins de confusion entre le moi qui symbo¬
le sujet véhicule des instincts de vie et de lise et l’objet symbolisé. D’autre part, il se
mort. présente une apparente discrimination entre
« Les fantasmes sadiques dirigés contre l’in¬ l’objet originel et son substitut symbolique, de
térieur du corps maternel — écrit M. Klein — même qu’entre le contenant et les contenus ;
constituent la première et la plus fondamen¬ mais pourtant, le moi agit comme s'il n'arrivait
tale relation avec le monde extérieur» (35). pas à discriminer entre le soi et l’objet et entre
Dans le modèle kleinien — continue Liendo l’objet originel et ses substituts. Dans la repré¬
— la relation du moi avec l'angoisse constitue sentation symbolique ou discrimination entre
le moteur de la symbolisation, et la relation le symbole et ce qui est symbolisé, le mois se
du moi avec des objets constitue la base qui différencie de l'objet et par conséquent il éta¬
permet d’aboutir à un processus de symbolisa¬ blit une discrimination entre l'objet originel et
tion. Quand, dans cette perspective théorique ses substituts d’une part et entre le contenant
on fait référence à la possibilité de symbolisa¬ et les contenus d’autre part» (37).
tion, on fait allusion spécifiquement « à la pos¬ L’équation symbolique — dans cette ligne de
sibilité de faire des déplacements et de diffé¬ pensée — serait le résultat de l’action des iden¬
rencier les relations objectales (avec le corps tifications projectives dans les objets partiels
maternel...) (les contenus envahisseurs)... les¬ détruits ou psychotiques ; dans le pseudo-sym¬
quels constituent ce qui est « symbolisé », des bole ce même mécanisme aurait lieu dans des
relations substitutives que constituent le sym¬ objets partiels moins détruits ou non-psychi¬
bole» (36). ques ; finalement dans la représentation sym¬
Il faut tenir compte aussi que dans ces bolique les identifications projectives s'effec¬
déplacements on ne fait pas la substitution tuent dans des objets totaux.
d'objets isolés (pénis, sein, etc.). Puisque ce Le travail de E. Liendo dépasse largement le
qu’on substitue c’est la relation du moi avec sujet que nous entreprenons ici, mais au ris¬
les objets, et des objets entre eux. Le moi — que de le simplifier à l'excès nous avons voulu
affirme Liendo — ne remplace pas par exemple donner un léger aperçu de ces idées.
le ventre maternel par une maison, mais il rem¬ Nous avons essayé d'exposer dans cette sec¬
place une structure relationnelle dans laquelle tion, une partie de la portée qu'a prise le
le moi et le ventre maternel avec le pénis pater¬ concept kleinien d'identification projective. La
nel constituent les termes, par une autre struc notion pluridimensionnelle et spatiale implicite
tur dont les termes sont le moi, la maison et dans cette idée lui confèrent un intérêt parti¬
quelque chose qui peut envahir la maison et culier pour la compréhension des processus de
déplacer le sujet. C'est une relation semblable groupe. Ainsi, l’étude de l’identification projec¬
à celle qui existe entre un objet originel et sa tive en rapport avec le rôle joué, projette une
« maquette ». Dans cette relation ce qui change lumière différente sur la dynamique des grou¬
(si le moi répète sans élaborer), c’est l'échelle, pes non seulement artificiels mais aussi, et
mais on continue avec le même genre d'objets surtout naturels.
et dans la même combinaison ; par contre si L'un des traits qui à notre avis s’avère d’im¬
le moi élabore, ce qui se transforme c'est la portance est la distinction entre le déposant,
relation du moi avec les objets et la relation le dépositaire (dans le sens de qui projette et
des objets entre eux. sur qui ou dans qui se fait la projection), et
De ce travail nous retiendrons ici quelques le contenu des identifications projectives. Dans
aspects en rapport avec l'application du con¬ ce mécanisme le dépositaire ne se réduit pas
cept d'identification projective à la formation
de symboles. (34) LIENDO (E.C.). — Op. du, p. 846.
Selon Liendo (qui suit les idées de M. Klein), (35) KLEIN (M.). — La importancia de la forma
c’est grâce à l’angoisse persécutrice, confusion cian de simbolos en el desarrollo del yo. In Contri
nelle ou dépressive face à l’objet originel, que budones al Psicoanalisis. Bs. As. Hormé, 1962, p. 210.
s’effectuent les déplacements symboliques des (36) LIENDO (E.C.). — Op. du p. 848.
relations objectales. Celles-ci sont classées en (37) LIENDO (E.C.). — Op. du, p. 845.
108 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
à être un récepteur passif des contenus proje¬ Nous pensons que c’est justement le développe¬
tés, mais, par contre, il joue un rôle plus ou ment postérieur subi par le terme, — dévelop¬
moins actif. pement qui a conduit à une certaine perte de
Selon Bleger (38) la relation entre le dépo¬ signification — celui qui pourrait nous guider
sant et ce qui a été projeté (les contenus dans le sens inverse, c'est-à-dire dans le sens
projetés) a été profondément étudiée (appau¬ d'une recherche de précision.
vrissement du déposant, la dépendance vis-à C’est pour cela que nous incluons mainte¬
vis de ce qui a été projeté, etc.). Mais la rela¬ nant ce que nous considérons être les principales
tion entre les contenus projetés et le dépositaire aires d'application (et d’implication) du con¬
devrait encore être éclaircie. « Dans la projec¬ cept.
tion tout se passe dans le sujet... La relation Ainsi le mécanisme d’identification projec¬
avec le dépositaire est une simple décharge de tive est attribué à des phénomènes cliniques
la part du déposant qui n'altère pas, n’influence dans lesquels les patients ressentent que tant
pas, ni ne modifie la conduite du dépositaire ; les parties de la personne propre que ses
on peut être le dépositaire des objets internes pulsions sont projetées dans l'analyste et con¬
des autres personnes sans jamais prendre cons¬ fondues avec lui (Rosenfeld, 1952 a, 1952 b, 1954 ;
cience de ce fait ». Bion, 1954, 1955, 1956 ; Segal, 1956 ; Searles, 1963).
Mais, l'identification projective peut présen¬ Rosenfeld (1947, 1949, 1950) fait référence à
ter des conséquences différentes car « ... le dépo¬ l’importance du rôle joué par l'identification
sitaire peut jouer le rôle qui correspond à ce projective dans la dépersonnalisation schizo¬
qui a été projeté (c'est-à-dire qu'il assume le phrénique, dans les états confusionnels et dans
rôle)... Dans ce cas, la distance entre ce qui a la relation entre la paranoïa et l'homosexualité
été projeté et le dépositaire disparaît» (38). masculine. Grinberg (1966) décrit la présence
du mécanisme dans les psychopathies et dans
les pathologies voisines à ce cadre.
TROISIEME PARTIE Rosenfeld et Bion ont appliqué le concept
d'identification projective à l'interprétation cli¬
A — EXPOSITION GENERALE nique du patient psychotique.
DE QUELQUES TRAVAUX ET PROBLEMES Les deux auteurs partent de la scission de
EN RAPPORT l'objet interne et de sa projection dans le thé¬
AVEC L'IDENTIFICATION PROJECTIVE (1) rapeute. La contrepartie du processus se trouve
dans l’état d'appauvrissement intérieur condi¬
Il est évident que les travaux de M. Klein et tionné par l'emploi du mécanisme. Rosenfeld
ses collaborateurs ont assis les bases et les aussi bien que Bion signalent l’action de
lignes générales pour la captation et l’emploi l’identification projective dans ce qu’il appellent
du concept. Mais il ne découle pas pourtant de « delusional transference ».
cette situation une utilisation univoque du Searles (1963) fait une description liée à des
terme. phénomènes voisins, associés à l’identification
Les différences répondent nettement à la projective.
diversité des cadres théoriques en jeu. Mais ces Dans l’opinion de Malin et Grostein qui élar¬
différences sont dues aussi au fait qu’on essaie gissent la portée des propositions de Searles,
de définir le mécanisme selon les processus la psychose de transfert serait un autre aspect
impliqués (l'identification et la projection). On de l’identification projective. Ces aspects remar¬
se trouve alors face à l'utilisation simultanée qués sont en rapport avec l'importance qu'ac¬
des diverses acceptions des mécanismes, ce qui quiert pour les auteurs, la nécessité où se
amène non seulement à une indécision finale trouve le patient schizophrénique de projeter
mais plus encore à l’équiparation des termes une partie de soi dans le thérapeute. L’analyste
impliqués. Pour quelques auteurs les deux ter¬ — selon Searles — devrait s'efforcer de consti¬
mes deviennent interchangeables et résultent tuer un objet réceptif vis-à-vis des projections
finalement des synonymes de l'identification pro¬ du patient. Ainsi, le patient schizophrène chro¬
jective. nique a besoin d'une proximité symbiotique
Comme nous l’avons souligné plus haut, la
large signification de ces concepts est présente (38) BLEGER (J.). — Simbiosis y Ambiguedad.
dans l’œuvre même de M. Klein. Mais il faut Buenos-Aires, Paidos, 1967, p. 19. Traduction per¬
dire aussi que dans la description de ce con¬ sonnelle.
cept, reste implicite la compréhension et la (1) La présente section
est basée sur les travaux
description de phénomènes cliniques particu¬ de : JAFFE (D.S.) « The Mechanism of Projec¬
liers, d’une façon spéciale en rapport avec la tion : its dual role in object relations . (Int. J. of
schizophrénie, fait qui rend plus difficile son Psycho-Anal. ; 49, 1968, p. 662) ; MALIN (A.) et
accès par une voie non clinique. GROSTEIN (J.S.). : «Projective Identification in
Dans les sections précédentes nous nous som¬ the Therapeutic Process ». (Int. J. of Psycho-Anal.,
mes centrés sur quelques aspects de l’identifi¬ 47, 1966, p. 26) ; ZINNER et SHAPIRO R. : «Pro¬
cation projective. A travers l’exposé des travaux jective Identification as a Mode of Perception and
appartenant à différents auteurs nous avons Behavior in families of Adolescents». London, Ta¬
cherché d’établir quelques points de repère en vistock Publications, 1971 ; et dans les autres tra¬
vue à la délimitation et la précision du concept. vaux par nous consultés.
fl. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 109
avec l’analyste dans le transfert (2). Searles Ainsi Malin et Grostein affirment de façon
affirme que l'identification projective du pa¬ concrète l’impossibilité de l'existence d'une pro¬
tient doit être préalablement acceptée par le jection dans une identification concomitante.
thérapeute. Il est nécessaire de signaler que — comme
Jaffe, pour sa part, décrit dans le travail cité : nous l'avons remarqué plus haut — une grande
« On doit noter qu’il existe un consensus géné¬ partie des difficultés que présente le concept
ral en ce qui concerne la formation des images d'identification projective (liée d'ailleurs à l'am¬
d’objet influencées par la projection, comme pleur des concepts de base), est due aussi à la
ayant une partie réflexive dans la formation différence dans l'adhésion au schéma conceptuel
d’introjections (Glover, 1945 ; Brierley, 1951). qui est à son origine. (Par exemple l'inter-rela
tion dynamique que M. Klein propose d'établir
« Pourtant il y a aussi de grands doutes sur
l'attribution au moi préformé de la première entre les deux termes et d’autre part la théorie
enfance, des capacités qui impliquent les pro¬ des relations objectales et ses différents ap¬
cessus secondaires de fonctionnement, sans la ports).
suffisante reconnaissance d'une structure moï En ce sens Malin et Grostein explicitent leur
que qui se développe progressivement avec de préférence pour le terme d'identification projec¬
tive face à celui de projection. Celle-ci est con¬
telles capacités défensives (Glover, 1945 ; Bib¬
sidérée comme étant un mécanisme lié aux
ring, 1947 ; Brierley, 1951) ». En plus, il y a des
tendances pulsionnelles et apparenté à l'incor¬
objections référées à : l’existence d'un système
poration. (Ceci correspondrait non seulement
instinctif préformé sans phases successives ;
au modèle kleinien mais aussi au modèle freu¬
l’oscurité dans la différencition entre pulsion
dien). Selon l’opinion de ces auteurs (et comme
et défense et aussi entre fantasmes, objets et
l'a soutenu Fairbain en 1954), toutes les rela¬
affects ; et encore en relation avec l’équiva¬
tions intrapsychiques et tous les rapports inter¬
lence entre les processus biologiques et les
personnels sont conçus sur la base des rela¬
mécanismes mentaux en rapport avec l’intro
tions objectales. « Nous croyons — disent Malin
jection et la projection (Glover, 1945) » (3).
et Grostein — que les parties investies du self
L'acceptation de la participation des méca¬ (ou identifications) sont projetées à l’extérieur
nismes introjectifs et projectifs dans le proces¬ et que le statut des identifications change à
sus d'identification et dans les relations d'objet, partir de la projection ; celui-ci permettant au
est pouratnt plus répandue. moi la décharge, par exemple des parties reje¬
Nous sommes d'accord avec Jaffe pour dire tées du self. L'objet externe reçoit la partie
que cette participation découle de l’utilisation projetée, et cette élaboration — l'objet externe
kleinienne et la dynamique de la projection plus les parties projetées récemment arrivées
et de l'intériorisation de l’amour et de la haine. — est réintrojectée en complétant ainsi le
Meltzer (1966) continue dans la ligne Klei¬ cycle » (4). Ces auteurs ne se centrent pas seu¬
lement sur la nature défensive de l'identifica¬
nienne, en précisant l'action de l'identifica¬
tion projective dans un objet interne. Cette tion projective, mais ils la considèrent comme
application du concept est retrouvée dans les une forme de relation avec les objets, relation
travaux de P. Heimann (1952) ; E. Rodrigué qui peut être aussi bien normale que patho¬
(1966) ; E. Liendo (1967) ; L. Grinberg (1965). logique.
L'article de Knight de 1940 « Introjection, pro¬
Segal (1956) remarque aussi la perte de la jection and identification » (5) est vue comme
partie projetée du moi. Bion (1956, p. 344) si¬ anticipant le concept d'identification projective
gnale le fait que la partie scindée et projetée même si le processus en cause n'est pas décrit
de la personnalité peut s'installer dans l'objet explicitement sous cette dénomination. Knight
et agir comme un persécuteur. écrit que l'identification n’est jamais un pro¬
Selon l'opinion de Jaffe, il serait souhaitable cessus irréductible mais qu'elle est toujours
de faire une distinction entre la projection et basée sur une subtile interaction de mécanis¬
l'identification projective, car dans cette der¬ mes aussi bien introjectifs que projectifs. Puis¬
nière il y aurait un essai d’annihiler l'objet. que nous connaissons déjà notre façon de réagir
Cette distinction étant basée sur la porfondeur face à certaines situations, — affirme l'auteur,
avec laquelle le processus d’annihilation psychi¬ — ceci nous conduit à projeter nos besoins et
que est effectivement accompli. C’est-à-dire qu'il nos désirs sur les objets placés dans des cir¬
s’agit d’une différenciation qui porte sur le de¬ constances dans lesquelles nous pourrions re¬
gré dans lequel le splitting est complet. trouver et prévoir nos réactions. Celles-ci cons¬
En ce sens, il y a un penchant manifesté par titueraient la base pour une identification tem¬
quelques auteurs, à utiliser le concept d'identi¬ poraire avec l'objet. Même si cette expérience
fication projective pour la description des pro¬ déplacée peut paraître un processus unique,
cessus schizophréniques, et celui de projection
pour celui de la paranoïa. Ce fait semble aussi (2) Ce sujet peut être retrouvé dans Bleger, 1967.
être orienté vers l’établissement de la distinc¬ (3) JAFFE (D.). — Op. cit. p. 663.
tion entre certains processus qui impliquent la (4) MALIN (A.) et GROSTEIN (J.). — Op. cit.
présence d’un certain « contact » avec ce qui p. 26.
a été projeté, et d’autres dans lesquels ce (5).
KNIGHT (R.). — Introjection, projection
contact n'est pas décelable. and identification. In Psychoanal. Quart., 9, 1940.
110 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
Knight pense qu'il est possible de la réduire C'est pour cela que nous avons souligné le
à ses mécanismes constitutifs, c’est-à-dire à rapport existant entre le concept d’identifica¬
la projection et peut-être à l'introjection. tion projective et la pratique clinique dans la¬
En faisant référence à l’article de Knight, quelle il prend sa source. Ainsi il est difficile
Malin et Grostein trouvent que l’auteur fait d’arriver à une compréhension clinique à partir
allusion à l’identification avec des objets totaux, de l’analyse théorique des mécanismes impli¬
plutôt qu’avec des objets partiels (comme qués.
c'était le cas dans l'œuvre de M. Klein), mais Nous pensons que, (même si ça ne découle
que, toutefois, les idées de Knight sont certai¬ pas forcément des auteurs cités), le concept
nement compatibles avec le concept d’identifica¬ d'identification projective, tel qu’il est employé
tion projective. dans plusieurs travaux, est particulièrement
Nous voudrions signaler à cet égard, une fa¬ ambigu (8).
cette de la problématique qui semble accompa¬ Ambiguïté qui amène, même dans certaines
gner inévitablement le traitement de l’identifi¬ analyses, à l’annulation du concept d'identifica¬
cation projective. L’interaction des mécanismes tion projective à travers les mécanismes impli¬
d’introjection et de projection, — nous l'avons qués. De telle façon — nous le répétons encore
déjà dit — , est à la base de la pensée kleinienne une fois — on peut établir l'équivalence entre
et c’est sur cette base que va se délimiter le l’identification projective d'une part, et la pro¬
concept. Nous avons mentionné plus haut l’em¬ jection et l'identification d’autre part.
ploi kleinien de l'empathie. Cet emploi corres¬
pond aussi à celui d’une défense, à l’apparition (6) KLEIN (M.). — Note sur la dépression chez
d’une défense primaire contre la dépression. le schizophrène. In Revue Française de Psycha¬
En ce sens l’empathie couvre une gamme très nalyse , 25, 1961, p. 937.
étendue de phénomènes (à l'égal de tous les (7) SEGAL (H.). — Depression in the Schizo¬
concepts auxquels nous sommes en train de phrenic. In Int. J. of Psycho-Anal., 37, 1956, p. 338.
nous référer ici) : du fait de « se mettre à la (8) Il faut noter que le concept même de projec¬
place de l’autre » en un acte de compréhension tion est loin de recevoir un traitement univoque
et de « contact » avec l’autre jusqu’à l’action de la part des différents auteurs. Rapport (1944)
de se situer
dans l’autre comme un contrôle, affirme que les postulats psychanalytique du déter¬
comme une défense contre la dépression ou minisme et de la continuité psychiques impliquent
comme un moyen de lutter contre une culpa¬ un processus semblable à celui de la projection.
bilité très précoce. C'est dire que — selon notre Selon Novick et Kelly («Projection and externa¬
opinion — il est un peu abusif d’attribuer à lisation». In the Psycho-Anal. Study of the Child,
l'action du mécanisme d’identification projec¬ 25, p. 69), dans la littérature courante ce concept est
tive toute résonance sympathique envers un lié aussi à des mécanismes tels que le déplacement,
objet. Ce qui ne délimitera, d'ailleurs même la généralisation, le transfert, l’externalisation et
pas l'empathie. quelques processus du domaine adaptatif.. Une lar¬
ge variété de phénomènes tels que les tendances,
« ...Troisième raison qui explique pourquoi il les introjections, les aspects du self, les affects et
est si difficile de décrire la dépression chez le les sensations, aussi bien que des structures telles
schizophrène : l’identification projective, très que le surmoi et le ça, sont décrits comme étant
forte chez lui, est utilisée à projeter dépression en liaison étroite avec la projection. D’autre part
et culpabilité sur un objet qui est essentielle¬ la projection se manifeste dans des aspects aussi
ment constitué par le psychanalyste pendant variés que le jeu, la création artistique, la religion,
le traitement psychanalytique. Comme la réin les illusions perceptives et les tests projectifs.
trojection suit l'identification projective, l'effort « ... en l’utilisant sous cette forme, écrivent les
vers une projection durable de la dépression auteurs, le terme perd son pouvoir d’explication
échoue » (M. Klein — Note sur la dépression et les distinctions cliniques s’effacent». (Rycroft
chez le schizophrène) (6). (1968) a défini la projection comme l’acte de perce¬
voir une image mentale comme s’il s’agissait d’une
D'autre part, H. Segal dans son travail « Dé¬
réalité objective). A partir de cet emploi élargi
pression in the Schizophrenic » (7) soutient
du concept on a essayé de différencier quelques-uns
l’hypothèse que durant son développement le
des processus rassemblés sous le nom de projec¬
patient schizophrène a atteint la position dé¬
tion. C’est le terme d’externalisation celui qui a
pressive. Parce que celle-ci lui est intolérable, attiré de façon particulière l’attention des auteurs.
et comme un moyen de lutter contre la dé¬
Pourtant l’indiscrimination continue.
pression, le sujet projette les anxiétés dépres¬ L’utilisation du terme de projection est sem¬
sives. Ceci n’est possible qu'à travers la projec¬
blable dans le cas de l’art, de la religion et en
tion d'une grande partie de son moi par iden¬
général on l’étend à toute manifestation superfi¬
tification projective. cielle de phénomènes internes. C’est à ce reflet
H. Segal dans cet article définit l’identifica¬ de ce qui est interne dans le monde extérieur
tion projective comme un processus à travers auquel Rappaport fait allusion en le dénommant
lequel une partie du moi est scindée et pro¬ « Hypothèse projective ». Cela implique le sens
jetée dans l'objet. Avec comme conséquence descriptif, pré-analytique du terme. Mais cette utili¬
la perte et l’altération de la perception de sation conduit à une situation dans laquelle toutes
l'objet. les manifestations superficieUes sont soumises à la
H. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 111
En ce sens il semble que le concept d'identi¬ dans une projection pure que dans une identifi¬
fication projective retourne à la base d’origine, cation pure.
il souffre d’une réabsorption par l'un ou l’autre L'école kleinienne décrit les processus para¬
des mécanismes ou par l'interaction entre eux. noïaques en faisant appel à l'identification pro¬
Mais l'identification projective en tant que jective. Il semblerait alors que dans le concept
fantasme et en tant que relation objectale pré¬ de projection est impliqué le détachement et
coce implique au moins un des versants du l’étrangeté face à ce qui est projeté. Par contre
concept d’identification, comme : « ...la forme dans l’identification projective on met l’accent
la plus originaire de lien affectif à un objet » sur la liaison avec les objets qui fonctionnent
(9). D’autre part: «Au tout premier début, comme contenants.
à la phase orale primitive de l'individu, l’in¬ Il faut souligner — encore une fois — jus¬
vestissement d’objet et l’identification ne sont qu’à quel point le concept d’identification pro¬
peut-être pas à distinguer l’une de l'autre » (10). jective à son tour, doit supporter les divergen¬
Nous croyons que ces deux citations de Freud ces entre les besoins de conceptualisation théo¬
expriment l’un des aspects de l’identification rique et la nécessité de décrire certains phéno¬
contenu dans l'analyse kleinienne des relations mènes cliniques. Phénomènes qui très souvent
objectales précoces et aussi de l’identification ne sont délimités qu’à un niveau fantasmati¬
projective. Nous pensons aussi que c'est cet que. Nous nous occuperons plus tard de l'iden¬
aspect de l’identification celui qui est présent tification projective en relation avec la paranoïa
dans les analyses de Malin et Grostein. Ces et la psychopathie. Les divergences et l’ampleur
auteurs affirment : « ...dans la ligne -de pensée du concept amènent inévitablement à réfléchir
de Knight, nous voulons remarquer ce qui sur la multiplicité de schémas théoriques ac¬
semble être évident dans le concept d'identifi¬ tuellement en vigueur en psychanalyse. Schémas
cation, c'est-à-dire que toute identification in¬ dont nous ne croyons pas qu’ils soient incom¬
clut une projection, et aussi que toute projec¬ patibles entre eux.
tion inclut une identification. Avant qu’on puis¬ Selon Zinner et Shapiro (1971) l'identifica¬
se internaliser (ou physiquement incorporer) tion projective « est une activité du moi laquelle,
on doit se trouver dans un certain état de
entre autres effets, modifie la perception de
réceptivité face à ce processus. C'està-dire on l'objet et de façon réciproque, modifie l’image
doit projeter une partie des contenus psychi¬ du self »... « Ces changements associés à la
ques afin d'être réceptifs pour l’introjection de perception, influencent et peuvent aussi domi¬
l'objet et pouvoir ainsi s'identifier avec lui. ner le comportement du self à l'égard de l'ob¬
Lorsqu'on commence par la projection il faut jet » (13).
qu’il se produise aussi un processus d’identifi¬
Nous ne nous attarderons pas sur cette défi¬
cation ou d’intériorisation, car autrement on
nition. Notre but est de voir maintenant com¬
n'aboutirait jamais à la projection. C'est dire
ment l'identification projective est utilisée pour
que ce qui est projeté serait perdu comme un
la description et pour la compréhension des
satellite envoyé hors du champ gravitationnel
phénomènes groupaux. Sur ce thème Zinner et
terrestre... La projection en elle-même n'aurait
mir*nn conc n mm-no nnp rmnitnnn nmccp rptA.
Shapiro soutiennent que le concept d'identifica¬
UUUUlA ovuo u uiuxuj vjwv mui v ivxu ykxioov a www
a.
tion projective apporte une idée fondamentale
nir un contact avec ce qu’il
a projeté. Le
contact est une sorte d'intériorisation ou, d'une
qui se situe entre la psychologie individuelle et
la psychologie interpersonnelle, car le manie¬
façon abusive, d'identification» (11).
ment de ce mécanisme permet de comprendre
Nous nous retrouvons ici avec les problèmes « les interactions spécifiques entre personnes en
du lien et de sa caractérisation. Nous croyons
que c'est justement cet état de réceptivité (ou projection, qui entraîne une perte des références
ce
de « chagrin ») qui est présent dans le concept spécifiques. A la place d’ « Hypothèse projective »
d’identification projective, mais cela n'implique on pourrait parler d’ «Hypothèse expressive» et
pas notre accord avec l'analyse que nous ve¬ pouvoir ainsi souligner l’existence de liens géné¬
nons d’exposer. En effet, nous ne pouvons pas tiques et causais entre les expressions superficielles
suivre ces auteurs dans les implications théo¬ de l’individu et « les structures cachées, les fonc¬
riques de leurs formulations. tions et les contenus de l’appareil psychique» (Anna
D’autre part Jaffe affirme que la nature dua Freud, 1965). Ces manifestations superficielles peu¬
listique et conflictuelle du mécanisme de pro¬ vent refléter ou exprimer tous les processus psy¬
jection implique l'actualisation de l'appareil chiques en incluant les défenses parmi lesquelles
psychique en un mode constamment ambivalent se trouve la projection.
face à ses relations d’objet. « A l’extrémité de (9)
FREUD (S.). — Psychologie collective et
cette gamme, l'annihilation de l'objet est le analyse du moi (1921). In Essais de psychanalyse ,
but prédominant, alors qu'à l’autre extrémité Paris, Payot, 1927.
l’identification avec l’objet et sa préservation (10) FREUD (S.). — Le moi et le ça (1923). In
est l'objectif principal» (12). Essais de Psychanalyse.
Aussi en ce sens il semblerait que l'identifi¬ (11) JAFFE (D.S.). — Op. cit.
cation projective se situe au milieu de cette (12) Op. cit. p. 663.
gamme. Ceci pourrait signifier que l’identifica¬ (13) - (14) ZINNER et SHAPIRO. — Op. cit ,
tion projective peut se dissoudre aussi bien p. 523. Trad, personnelle.
112 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
termes des conflits dynamiques spécifiques qui me (Brodey W.M., 1965); sur les processus de
se passent dans les individus » (2). projection familiale (Boen M., 1965) (15).
C'est justement à travers l'étude des impli¬ Tous ces processus auraient un dénominateur
cations du mécanisme dans le transfert et le commun à cause duquel ils pourraient être
considérés comme étant des variations de l'iden¬
contre-transfert durant le processus thérapeuti¬
que, que les conséquences au niveau interper¬ tification projective. Ce dénominateur commun
sonnel ont été décrites (Heimann, 1950, 1954 ;
serait constitué selon Zinner et Shapiro par :
l'autre à devenir l’incarnation même de la pro¬ tale. Nous rappelons ici que Bion soutient que
jection ». l’identification projective « excessive ou massi¬
« La collusion de l’autre est requise pour ve » remplace le processus de refoulement. A
« compléter » l'identité que le soi se sent forcé sa place, le sujet produirait des identifications
de maintenir» (17). projectives. Et nous ne considérons pas inutile
Wangh (1962) a remarqué aussi le proces¬
« de signaler l'importance qu’attache cet auteur
sus actif d'incitation qui apparaît associé à la à l'étude des liens qui nouent le sujet avec ces
projection dans le cas du « renoncement altruis¬ objets.
te ». Mais quelle serait la place du mécanisme
Finalement les auteurs ajoutent que : « Pour d'identification projective dans la paranoïa, par
que l’identification projective puisse fonction¬ exemple ? Quel est le cadre conceptuel qui sou¬
ner efficacement comme une défense, la véri¬ tient une analyse conçue en termes d’identifi¬
table nature de la relation entre le self et la cation projective ?
partie projetée doit rester inconsciente ; même A cet égard, nous nous occuperons ici de
si l’individu peut ressentir la présence d’un lien trois types de pathologies qui ont entre elles
mal défini avec le récipient de ses projections. un certain rapport du point de vue de la des¬
Le manque de relation entre la partie projetée cription nosologique et des mécanismes en jeu.
et le moi n’est pas assez complète pour que P. Heiman dans son article « Preliminary
le sujet perde sa capicité de ressentir de façon notes on some defence mechanisms » (19) affir¬
substitutive une large gamme de sentiments me que la forme paranoïde d’introjection établit
provenant de l'objet, en y incluant les senti¬ un objet interne que le moi traite de la même
ments qu’il a lui-même provoqués. Ces expé¬ façon sadique qu'il souhaite traiter l’objet ori¬
riences substitutives présentent des traits asso¬ ginel externe. Parallèlement à l’introjection de
ciés non seulement avec l’identification mais l’objet il se produirait un processus de scission
aussi avec le châtiment et la privation» (18). du moi et la partie du moi qui reste identifiée
Nous croyons que, même si les descriptions à l’objet introjecté serait alors scindée du
kleiniennes ont été principalement centrées sur reste. C'est alors qu’une nouvelle scène se joue
les relations objectales précoces, il est possible à l’intérieur du moi, scène dans laquelle le moi
d’établir une concordance entre les concepts continue ses relations d'amour sadique.
que nous venons d'exposer et celui d’identifica¬ Les gratifications
que le moi obtient de l’ob¬
tion projective. jet interne représentent en même temps une
Nous pensons que les considérations présen¬ décharge des impulsions destructrices qui me¬
tées dans cette section de notre travail peuvent nacent le moi. Ces gratifications représentent
transmettre une idée de l’ampleur du concept alors une déviation intra-psychique de la pulsion
aussi bien que de certains problèmes qu’il a de mort.
soulevés. Selon P. Heiman les défenses typiques des
états paranoïdes sont l’introjection, la scission
et la projection intra-psychique.
B — L’IDENTIFICATION PROJECTIVE
Si la scission du moi ne peut pas etre mainte¬
DANS LA PARANOIA,
nue, le processus défensif est destiné à échouer
LA MANIE ET LA PSYCHOPATHIE
et le sujet sera envahi par l’anxiété. La projec¬
tion à l'extérieur est souvent utilisée quand
Le concept d'identification projective est
survient une menace d’intégration des parties
issue de la pratique clinique en milieu de ma¬
scindées, fait qui renouvelle le conflit. L’indivi¬
lades psychotiques, plus précisément des pa¬
du a alors besoin d’un objet adéquat, qui puisse
tients schizophrènes. Mais la portée du concept
recevoir ses projections, c’est-à-dire d'un mau¬
a été étendue à d’autres cadres psychopatholo¬
vais objet externe. « De cette façon, on peut
giques.
commencer un cercle vicieux dans lequel le su¬
Afin de différencier l’identification projective jet est à la fois attiré et persécuté par l'objet
de la projection, certains auteurs soulignent externe. Celui-ci à travers la projection devient
l’aspect du « contact ultérieur » avec ce qui a ainsi un « alter ego » du sujet (identification
été projeté (contenu dans l’identification pro¬ projective) » (20).
jective). Dans le cas de la paranoïa par contre,
on se trouverait plutôt face au mécanisme de (17) LAING (R.D.). — Le moi divisé, Paris Stock,
projection, dans la mesure où il y aurait une 1971, p. 137. « La collusion éveille à la fois la réso¬
méconnaissance fondamentale vis-à-vis des con¬
nance du jeu et celle de la tromperie» (p. 133). «La
tenus projetés. Les liens avec le projeté ont été collusion est nécessairement un jeu-à-deux ou à
brisés, sa trace même effacée et avec elle la plusieurs personnes» (p. 132).
voie de retour perdue. (18) ZINNER et SHAPIRO. — Op. cit., pp. 525-6.
En ce qui concerne l’identification projective, Traduction personnelle.
il faut considérer aussi qu’elle est basée sur (19) HEIMANN (P.). — Preliminary notes on
une scission du moi à partir de laquelle on pro¬ some Defence Mechanisms in Paranoid States. In
jette l'objet internalisé avec lequel le sujet Int. J. of Psycho-Anal., 33, 1952.
avait préalablement établi une relation objec (20) HEIMANN (P.). — Op. cit., p. 33.
114 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
P. Heimann signale aussi le sentiment de ces orales sadiques cannibalistiques. Ces sujets
« triomphe » que manifeste le sujet paranoïde exploitent le sentiment de culpabilité des autres
quand il qualifie d’incapable, de cruel, de stu¬ personnes. Dans ces personnalités on peut trou¬
pide, l’objet externe, et l'auteur ajoute que cette ver aussi des composants maniaques.
situation est à la limite des états mixtes para¬ 3) La psychopathie obsessionnelle (anale se¬
noïdes et maniaques. Le dénominateur commun condaire) est typique des sujets qui ont besoin
à ces deux pathologies étant « la défense face de projeter la partie obsessionnelle pour la
à la culpabilité, l’indignité et la dépression, contrôler sans l’objet. Ils cherchent un dépo¬
c’est-à-dire les émotions délimitées par M. Klein sitaire à caractère névrotique.
sous le nom d’ « anxiété dépressive ». 4) La psychopathie primaire est celle des
Nous décririons brièvement la place du mé¬ sujets qui se lient à d’autres psychopathes
canisme dans les états maniaques. Pour cela (groupes délictifs).
nous suivrons les travaux de Grinberg et Liber¬ 5) La psychopathie phallique-urétale est celle
man ; Aslan et Horne.
qui nécessite un objet phobique pour pouvoir
exploiter sa contre-phobie.
Dans le cas de la manie, le moi s’identifie 6) La psychopathie génitale est celle qui pré¬
projectivement à un objet interne idéalisé et cède l'angoisse de catstration.
omnipotent. Les identifications projectives sont particu¬
Ce type de personnalité est caractérisé par lièrement violentes chez le psychopathe à cause
trois formes de sentiments réactionnels : le de son incapacité à faire face à la culpabilité
contrôle, à travers lequel on essaie de nier la et par conséquent à la dépression. L'équilibre
dépendance, le triomphe qui apparaît comme est très précaire, car son moi est obligé d’utili¬
une expression de la négation de la dépression ser ses énergies pour monter un grand appa¬
et le mépris, utilisé comme une défense face reil défensif. L'intolérance à la frustration
aux sentiments d'envie, de perte et de culpa¬ l’amène « à chercher avec urgence, des objets
bilité (Klein). externes avec lesquels, à travers un fantasme
Selon Grinberg (21) : « ...le moi du maniaque de coït anal, il fait la décharge de ses violentes
se projette dans un objet interne idéalisé et identifications projectives » (4).
omnipotent avec lequel le sujet s’identifie pro¬ Il y aurait ainsi une relation intrapsychique
jectivement ; de l'intérieur de cet objet interne... à caractère tyrannique entre une partie du moi
(le maniaque)... traite avec mépris et avec un qui soumet et une autre partie qui est dominée
sentiment de triomphe, l'objet externe ». et qui serait celle qui accomplirait la plupart
Cette situation est en rapport avec l’hypothèse des actions masochistes qui surviennent pen¬
développée par Aslan et Home (22) sur les dant la période maniaque de la psychopathie
idées de Angel Garma du triomphe maniaque (Grinberg).
comme une réussite masochiste. Ce triomphe, Il est alors fréquent que, lorsque le psycho¬
qui implique la destruction d’un bon objet exter¬ pathe ne trouve pas des objets capables de
ne est en réalité dirigé contre un bon objet recevoir des identifications projectives, il
internalisé.
prenne « son propre corps pour dépositaire des
Dans le cas de personnalités psychopathiques, identifications projectives en produisant alors
les identifications projectives ont pour base les des réactions hypocondriaques ou des somati¬
phases orales et anales sadiques. Ces person¬ sations » (26).
nalités font un emploi particulier du mécanis¬ Nous avons essayé, dans cette « Etude préli¬
me d'identification projective, en produisant minaire », de montrer non seulement la portée
dans l’objet — selon l’opinion de Grinberg — mais aussi la diversité des concepts impliqués
la mise en marche de contre-identifications pro¬ dans le terme d'identification projective.
jectives.
Le langage verbal est utilisé pour provoquer (21) GRINBERG (L.). — Contribucion al estudio
des conduites dans l’objet (Liberman) (23). Le de las modalidades de la identificacion proyectiva.
psychopathe prend les autres pour des simples In Rev. de Psicoanalisis, Buenos-Aires, T. 22, N° 4,
objets et comme une expression, une extension 1965, p. 276.
de son moi. La communication est alors établie (22) ASLAN (C.M.). y HORNE (B.). — La des
à travers un langage d'action (Ruesch) (24). truccion des objecto bueno en el triunfo maniaco.
En suivant la ligne de pensée de Grinberg et In Psicoanalisis de la mania y de la psicopatia. Bs.
Liberman (25) il y aurait une modalité spéci¬ As. ; Paidos, 1966.
fique d’identification projective liée étroitement (23) LIBERMAN (D.). — La comunicacion en
à chaque modalité de psychopathie, et par consé¬ terapia psicoanalitica. Bs. As., Eudeba, 1962.
quent en rapport avec l’élection de l’objet dépo¬ (24) RUESCH (J.). — Comunicacion terapeutica.
sitaire : Bs. As., Paidos, 1964.
(25) GRINBERG (L.) y LIBERMAN (D.). —
1) La psychopathie schizoïde est caractérisée Op. cit., p. 116.
par le sujet froid qui prend pour dépositaire (26) GRINBERG (L.). — Contribucion al estudio
un sujet très détérioré qu’il « utilise ». de las modalidades de la identificacion proyectiva.
2) La psychopathie mélancolique présente des In Rev. de Psicoanal., Bs. As., T. 22, N° 4, 1965, p.
identifications projectives chargées de tendan¬ 272.
H. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 115
Il nous faudra remarquer ici que ses diffé¬ Le fantasme qui agit dans l’identification
rents aspects (relation objectale, mécanisme de projective, comme l'a remarqué Bion, « est un
défense, fantasme, lien et moyen de communi¬ fantasme omnipotent » et il a comme objectif
cation), sa participation à d’autres processus la préservation du moi et la préservation et (ou)
psychiques (le transfert et l'assomption de rôles le contrôle de l'objet. Ce qu'on expulse ce ne
par exemple et aussi à l’évolution
même de sont pas seulement les mauvais aspects, mais
l’individu), font que le concept dépasse large¬ aussi les « bonnes » parties du moi. Ceci aboutit,
ment le cadre conceptuel kleinien pour occu¬ d'une façon générale, à deux expressions diffé¬
per une place de singulière importance dans rentes : soit que l'objet devienne l’idéal du
la théorie psychanalytique générale. moi, soit que l’objet soit contrôlé par le sujet
C'est peut-être à cause de la multiplicité des Dans les deux cas, l’identification projective
facettes du concept que très fréquemment il est est présente.
utilisé sous une forme qui manifeste beaucoup Si dans le cadre de ce travail nous avons
d’imprécision. On le trouve ainsi dans les textes donné un rôle d'importance à l'idée de $ $ et
comme un synonyme de l’identification, parfois aussi à la fonction et interrelation entre le
de la projection ou de l'introjection. déposant, le dépositaire et les contenus proje¬
Il est évident que ces trois aspects sont des tés, c’est parce que nous avons voulu souligner
parties constitutives de l’identification projec¬ une autre idée inhérente à l’identification pro¬
tive, mais qu'ils n'épuisent pas le sens de celle jective et qui ne concerne pas seulement les
ci et qu'ils ne peuvent se substituer à ce con¬ structures défensives. Cette idée, qui à notre
cept. Ce dernier devrait être compris « comme avis est la pierre angulaire de l'identification
le fantasme de faire irruption dans une autre projective est la relation d'objet.
personne ». Et nous pensons qu'il n’est pas inu¬ Il faudra nous rappeler aussi que cette der¬
tile de souligner le terme de fantasme, puisque nière est définie plutôt que par la relation S -
— à notre avis — c’est justement sur une moda¬ Obj., par la relation entre le moi et ses objets
lité fantasmatique que pivote l'originalité et la internalisés, par la relation des objets dans
spécificité de l'identification projective. le moi. Ainsi, l'objet externe, qui ne coïncide
Un autre versant de cette utilisation «peu pas toujours avec sa représentation interne,
précise » ou abusive du terme, est due — selon donne aussi son caractère spatial au concept.
notre opinion — au fait de limiter l’identification Finalement, et comme pour fermer le cercle,
projective à la simple interaction entre pro¬ nous voudrions reprendre quelques idées de base
jection et introjection. Bien que cette interre¬ appartenant au concept d’identification projec¬
lation soit à la base du mécanisme, elle n’arrive tive.
pas à définir, à lui donner une caractérisation
qui lui soit propre. L’interaction de l’introjec Nous rappelons que, pour M. Klein :
tion et de la projection n'est pas à l’apanage A — « ...la relation avec le premier objet se
du mécanisme d’identification projective, mais fait à travers l’utilisation d’un mécanisme qui
elle participe à beaucoup d'autres processus. implique aussi bien la projection que l’intro
L’un des objectifs de cette interrelation (d ’in¬ jection ». (M. Klein. Notes sur quelques méca¬
trojection et de projection) avec les identifica¬ nismes schizoïdes, p. 275) (27). Il s’agirait donc
tions corrélatives qui en découlent, est l’expres¬ d’un processus conçu à partir de, au moins,
sion aussi bien de la pulsion de mort que de trois versants, puisque la projection implique
la pulsion de vie. Ces trois éléments de base la scission du moi. C'est dire que le lien avec
(la projection, l’introjection et l'identification) le premier objet inclut une scission préalable,
préparent le terrain pour la fusion pulsionnelle la projection des contenus et la voie du retour
avec une prédominance relative d'une des deux à travers l'introjection. Par ailleurs, M. Klein
pulsions. fait sienne la relation intrinsèque entre intro¬
jection et identification proposée par Freud
A notre avis la « difficulté » du concept d'iden¬ dans « Deuil et Mélancolie ».
tification projective, l’ampleur qu’on lui attri¬
bue, la non-spécificité qui en découle, la confu¬ Nous arrivons à une définition du mécanis¬
sion même que parfois on trouve dans son em¬ me comme étant :
ploi sont en partie basées sur une généralisation B — « ...une forme particulière d'identifica¬
qui fait d'elle un équivalent d’autres mécanis¬ tion qui établit le prototype d’une relation d’ob¬
mes plus connus. jet agressive... » (M. Klein. Notes..., p. 282) (28).
La plus fréquente est peut-être l'équivalence En tant que relation objectale elle participe
entre l'identification projective et l’addition : d’une matrice projective et introjective. Mais
projection -f introjection. Avec celle-ci, le mé¬ l'identification implique aussi que :
canisme a quelque chose en commun. L'identi¬ C — « ... la projection dérive du désir de
fication projective a aussi une base projective blesser ou de contrôler l’objet... » (M. Klein.
et introjective. Mais c’est justement dans la fina¬ Notes..., p. 282).
lité de l’expulsion, et aussi dans la modalité du
fantasme qui véhicule la fusion pulsionnelle,
que le concept d’identification projective ac¬ (27) Souligné par nous.
quiert les caractéristiques qui lui sont propres. (28) Souligné par nous.
116 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE
D — « ... (un) ...fantasme de faire irruption relie le sujet à l'objet : elle est surtout une
violemment dans l'objet... » (M. Klein, Notes..., forme de relation établie avec la mère.
p. 286). — La voracité et l'envie restent les « forces
E — « ...une combinaison des parties du moi motrices » des identifications projectives.
dissociées et la projection de celles-ci sur (ou — La scission de la personnalité est aussi à
plutôt dans) une autre personne ». (M. Klein. l’origine du mécanisme. La scission multiple
On Identification, trad, esp., p. 303) (2). de la personalité, dans le cas du schizophrène,
va produire une scission multiple de ses objets.
On tiendra compte aussi du fait que :
Nous avons souligné à propos de la pensée
F — « ... la dissociation du surmoi en ses de Bion qu’un des aspects des relations objec¬
identifications primaires intro jetées est un mé¬ tales psychotiques, est, justement celui de scin¬
canisme semblable à la projection et avec la¬ der une partie du « self » et d’être toujours
quelle il est étroitement lié » (M. Klein « La en train de sortir ou d’entrer dans les objets.
personnification... Trad. esp. In Contribuciones... Le dernier de ces emplois est au service de
p. 198) (29). l’identification projective.
Nous nous trouverons maintenant face au — L’identification projective pathologique
même processus, mais cette fois-ci au niveau est apparentée à l’incapacité de réintrojecter.
du surmoi, avec une projection ultérieure des Comme dans le schéma kleinien, la voie de
identifications. Ce phénomène sous-tend aus¬ retour est barrée.
si le processus de personnification dans le jeu. — C'est pour cela qu'à la place du refoule¬
Nous soulignons la correspondance existant ment, il faut donc mettre en œuvre les iden¬
entre ce mécanisme et celui qui le précède (E). tifications projectives, lesquelles, d'un certain
G — En faisant référence à l'identification point de vue, contrarient la « loi de la pesan¬
projective, on parle aussi d’identification par teur » propre au système.
projection. Ce processus peut aboutir à une — Le mécanisme a comme point de départ la
identification, mais on pourrait aussi envisager position schizoparanoïde. Dans le cas du patient
la possibilité de considérer en ce qui concerne schizophrène, celui-ci scinde aussi la dépression
les relations objectales précoces, l’identification et la projette, ce qui aboutit à l’appauvrisse¬
comme : « la première manifestation d’un atta¬ ment du moi, car la dépression amène à la
chement affectif à une autre personne » (Freud constitution des symboles et elle implique l’in
S. « Psychologie collective et analyse du moi », trojection.
p. 126).
— A partir d’une autre perspective il n'y
H — Enfin, à partir de la scission primaire, aurait donc pas une élaboration (une synthèse)
la projection ultérieure est accomplie aussi des éléments alfa, mais une production (une
bien vers l’extérieur que vers l’intérieur du moi. agglutination) des éléments bêta, qui ne sont
Il s’établit alors une véritable relation d’objet pas aptes qu’à être évacués, c’est-à-dire, à être
dans le moi qui participe des mêmes caracté¬ traités par identification projective. C'est pour
ristiques que celles qui se maintiennent à cela aussi que les éléments bêta sont plutôt
l'extérieur. L’aspect de contrôle de l’objet, tel des « faits non digérés ». Ils n’ont pas subi le
que nous l’avons vu à propos de la manie, processus de métabolisation propre à la dépres¬
par ex., n’est pas absent de cette relation, ce sion. (Les éléments bêta plus les résidus du
processus a été dénommé identification projec¬ moi, du surmoi et de la réalité externe, consti¬
tive dans un objet interne. tuent les « objets bizarres »). C’est dire aussi
Nous remarquons par ailleurs qu’on fait que cette forme d’identification projective véhi¬
référence au mécanisme d’identification projec¬ cule les éléments bêta, et en même temps re-ali
tive à travers différentes dénominations. Ces mente le système évacuatif au détriment des
dernières sont en rapport avec les divers as¬ processus d'introjection et de refoulement.
pects impliqués dans le concept : comme une — L'identification projective est conçue à par¬
forme d’identification (B) ; à partir d’une tir de l’évacuation et de l’entrée dans les
projection particulière (C) ; comme une com¬ objets. Elle est alors esquissée comme l’inter
binaison de dissociation et de projection (E) ; relation contenant-contenu.
comme projection des identifications (F) ;
comme identification par projection (G) ; etc. — L’identification projective est une forme
de relation avec la mère, relation qui sera
Nous voyons alors la confluence dans l’iden¬ ultérieurement intériorisée. C’est à travers ce
tification projective des fantasmes particuliers ; lien que la mère « nomme » les angoisses de
de voracité, de vider l’objet, de possession, etc. l’enfant. Celui-ci sera capable de les maîtriser
La première relation s’établit dans la mère. si la mère est un contenant capable de les
Le premier lien noue une intériorité à une recevoir et de les rendre tolérables. C'est-à-dire
autre intériorité. L’identification projective est si la mère possède la « capacité de rêverie ».
le modèle d’un fantasme et le prototype d’une — La relation 2 $ intériorisée deviendra
relation d’objet. 1’ appareil pour penser ». Un appareil pour
«
Dans la pensée de Bion, on trouve le même donner soi-même un nom à ses propres angois
schéma, peut-être plus dynamisé encore. L’iden¬
tification projective est toujours le lien qui (29) C’est l’auteur qui souligne.
H. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 117
ses. On voit ici à l'œuvre l’oscillation PS <— » D. va surgir cette conjonction constante dyna¬
A travers la fragmentation schizoïde et l’inté¬ misée, ce précipité cristallisé qui peut être ap¬
gration dépressive, on arrive jusqu’au symbole, pelé : objet, sujet, pensée. Faits digérés, sou¬
jusqu’au nom. venirs, désirs liés en un équilibre toujours
— De l’interrelation 5 $ <— » PS <— > D, instable.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
FERENCZI (S.). — Intro jection and transference. GRINBERG (L.). — Aspectos magicos en las
In Sex in Psycho-Analysis (1909). New York, Basic ansiedades paranoïdes y depresivas. In Rev. de
Books, 1950. psicoanal. de Bs. As., 16, 1959.
FERENCZI (S.). — On the definition of introjec GRINBERG (L.). — On specific aspect of coûter
tion (1912). In Final Contribution to the Problems transference due to the patient’s projective identi¬
and Methods of Psycho-Analysis. fication. In The Int. J. of Psycho-Anal., 43, 1952.
FERENCZI (S.). — Suggestion et psychanalyse. In
GRINBERG (L.). — Psicopatologia de la identifi¬
Psychanalyse I. Paris, Payot.
cation y contraidentificacion proyectiva y de la con
FLIESS (R.). — Countertransference and counter¬ tratransferencia. In Rev. de Psicoanal. de Bs. As.,
identification. In Journal of the Amer. Psa. Assoc., 22, N° 4, 1965.
vol. I.
GRINBERG (L.). — Relacion objetal y modalidad
FORNARI (F.). — La Psychanalyse de la Guerre. en las identificaciones proyectivas en la mania y
In Rev. Fr. de Psychanalyse, 30, 1966. psicopatia. In Psicoanalisis de la mania y de la
FOULKES (S.H.). — On Introjection. In Int. J. psicopatia, Bs. As,, Paidos, 1966.
Psychanal., 18, 1937. GRINBERG (L.). — La identificacion y contrai¬
FREUD (A.). — The Ego and the Mechanisms of dentificacion proyectiva en la dinamica de grupos ».
Defence, (1936), New York, Int. Univ. Press, 1946. Copie dactylographiée.
FREUD (S.). — 1912. Totem et Tabou, Paris, Payot, GRINBERG (L.), LIBERMAN (D.). — Identifi
1924. cacion proyectiva y comunicacion en la situacion
FREUD (S.). — (1915) Un cas de paranoïa qui transferencial. In Psicoanalisis de la mania y de la
contredit la théorie psychanalytique de cette affec¬ psicopatia. Bs. As., Paidos, 1966.
tion. In Rev. Fr. de Psy. T. 8, 1935. GRINBERG (R.). — Las significaciones del
FREUD (S.). — (1917) Deuil et mélancolie. In mirar en una claustrofobica. In Rev. de Psicoana¬
Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1952. lisis de Bs. As., 17, 1960.
FREUD (S.). — (1919) On bat un enfant. In GRINKER (R.). — On Identification. In The
Rev. Fr. de Psy., 6, 1933. Int. J. Psychoanal., 38, 1957.
FREUD (S.). — 1921). — L’identification. In Psy¬ GUNTRIP (H.). — Personality structure and
chologie collective et analyse du moi. Essais de human interaction. The developping synthesis of
Psychanalyse, Paris, Payot, 1927. Psychodynamic theory. Trad. esp. Estructura de la
FREUD (S.). — 1923) Le moi et le ça. In Essais personalidad e interaccion humana. Bs. As. Paidos,
de Psychanalyse, Paris, Payot, 1927. 1965.
FREUD (S.). — (1927) Psychologie collective et
HAMMET (van Buren). — Identifications and
analyse du moi. In Essais de Psychanalyse, Paris,
hallucinations. In Bull, of the Philadelphia Assoc.
Payot, 1927.
for Psycho-Anal., 2, 1952.
FREUD (S.). — (1932) Nouvelles conférences sur
la Psychanalyse, Paris, Gallimard, 1971. HARPER HART (H.). — Problems on Identi
fications. In Psychiatric Quarterly, 21, 1947.
GLOVER (E.). — Introduction to the study of
Psychoanalytical Theory. In Int. J. of Psychoanal., HEIMANN (P.). — Certaines fonctions de l’in
11, 1390 trojection et de la projection dans la première
GLOVER (E.). — Examination of the Klein sys¬ enfance. In M. Klein ; P. Heimann ; S. Isaacs ; J.
tem of child psychology. In Psychoanal. Study of the Rivière : Développements de la Psychanalyse, Paris,
Child 1, 1945. P.U.F. 1966.
GLOVER (E.). — Basic mental concepts and their HEIMANN (P.). — Notes sur la théorie des
clinical and theoretical value. In Psychoanal. Quart., pulsions de vie et des pulsions de mort. In Déve¬
16, 1947. loppements de la Psychanalyse. Paris, P.U.F. 1966.
HEIMANN (P.). — A contribution to the pro¬
GREEN (A.). — La projection : de l’identification
blem of sublimation and its relation to processes of
projective au projet. In Rev. Fr. de Psy., 35, 1971.
internalisation. In Int. J. of Psychoanal., 23, 1942.
GREENSON (R.R.). — The struggle against iden¬ HEIMANN (P.). — Some notes on the Psycho¬
tification. In Journal of the Am. Psychoanal. Ass., 2, analytic concept of the introjected objects. In Brit.
1954. J. Med. Psychol. 22, 1949.
GREENSON (R.R.). — L’empathie et ses phases di¬ HEIMANN (P.). — On countertransference. In
verses. In Rev. Fr. de Psy., 25, 1961. Int. J. of Psycho-Anal., 31, 1950.
GRINBERG (L.). — Si yo fuera Ud. In Rev. de HEIMANN (P.). — Preliminary notes on some
Psicoanal. de Buenos-Aires, T. XIV, N° 4, 1957. Defence mechanisms in Paranoid states. In Int. J.
GRINBERG (L.). — Aspectos magicos en la trans¬ of Psycho-Anal., 33, 1952.
ference y en la contraidentificacion proyectivas. Rev. HEIMANN (P.). — Problems of the training
de Psicoanal. de Buenos-Aires, 5, 1958. analysis. In Int. J. Psycho-Anal., 35, 1954.
GRINBERG (L.). — Sobre algunos problemas de HEIMANN (P.). — A contribution to the re
tecnica psicoanalitica determinados por la identi evaluation of the Oedipus complex — the early
ficacion proyectiva. In Rev. de Psicoanal. de Bs. stages» (1955). In New Directions in Psycho-Ana¬
As., T. 13. lysis. London, Tavistock.
GRINBERG (L.). — Perturbaciones en la inter HEIMANN (P.). —
A combination of defence
pretacion motivadas por la contraidentificacion pro¬ mechanisms in paranoid states (1955). In New Direc¬
yectiva. In Rev. de Psicoanal., de Bs. As., T. 14, 1959. tions in Psycho-Analysis.
H. SCAGLIA : IDENTIFICATION PROJECTIVE 119