La Géostatistique Au Service de La Modélisation Géologique 3D

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La géostatistique au service de la modélisation géologique 3D

Article in Annales des Mines - Responsabilité et environnement · March 2019


DOI: 10.3917/re1.094.0030

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Didier Renard Simon Lopez


MINES ParisTech French Geological Survey
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Cécile Allanic Gabriel Courrioux


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La géostatistique au service de
CONCEVOIR ET FABRIQUER LA CARTOGRAPHIE 4.0

la modélisation géologique 3D
Par Didier RENARD
et Christian LAJAUNIE
Centre de Géosciences, MINES ParisTech – PSL University
Simon LOPEZ
Direction Géoressources/Unité GSO (BRGM)
Cécile ALLANIC
Direction Géoressources/Unité GBS (BRGM)
Gabriel COURRIOUX
et Bernard BOURGINE
Direction Géoressources/Unité GSO (BRGM)
et Philippe CALCAGNO
Direction Géoressources/Unité REG (BRGM)
Bureau de Recherches géologiques et minières (BRGM)

Version moderne de la cartographie géologique 2D, la modélisation géologique 3D est appelée


à jouer un rôle fondamental dans l’exécution des missions relevant du Référentiel Géologique
de la France. Elle intègre des données variées, relatives tant à la surface qu’à la profondeur, et
permet une représentation cohérente, bien qu’imparfaite, du sous-sol. Elle permet aussi au (géo)
modélisateur de tester et de visualiser des hypothèses de façon à éprouver la pertinence de
ses interprétations. Les outils développés et mis en place au BRGM reposent sur des modèles
géostatistiques sous-jacents. La méthode du champ de potentiel, simple et flexible, faite de
relations géologiques et de champs stochastiques, assure l’intégration des données sous une
forme cohérente et permet de chiffrer les incertitudes. Ainsi, loin de s’opposer, l’interprétation du
géologue et la représentation stochastique peuvent se nourrir l’une de l’autre.

L
es missions résultant du Référentiel Géologique de nous emprunterons plusieurs éléments (2). À l’heure du
la France consistent à collecter des informations re- numérique, de la donnée massive et de l’algorithmique,
latives à la surface et au sous-sol, à les combiner et à il nous est apparu intéressant de revenir, ici, sur l’élément
offrir une nouvelle représentation géologique du territoire moteur qui permet de tirer plus des données qu’elles n’en
français (1). Le RGF est une réponse aux enjeux actuels et contiennent réellement, en formulant des hypothèses et
futurs des géosciences : « gestion des ressources en eau, en élaborant des modèles. Classiquement, il peut s’agir
approvisionnement en matières premières, recherche de de l’interprétation qu’est amené à faire le géologue de
nouvelles ressources énergétiques, stockage d’énergie, ses données, pour aboutir à son modèle géologique.
de CO2 et de déchets, protection des populations et de Dans le présent article, il sera plutôt question de la dé-
l’environnement… ce qui nécessite de pouvoir fournir aux marche géostatistique qui permet de représenter une ré-
acteurs publics et privés une description aussi complète alité imparfaitement connue par un modèle géostatistique
que possible de la structure du sol et du sous-sol ». stochastique, mais par ailleurs assez simple, aboutissant
à une modélisation 3D à travers laquelle interprétation du
Alors que la Carte Géologique de la France visait une
couverture en deux dimensions du territoire, le RGF
s’intéresse à une représentation en trois dimensions de (1) http://rgf.brgm.fr/page/mission-referentiel-geologique-france
la géologie française. Dans ce contexte, la modélisation (consulté le 1er février 2019).
géologique est appelée à jouer un rôle central. La tran- (2) LOPEZ S., ALLANIC C., COURRIOUX G., BOURGINE B.,
CALCAGNO P., CARITG S. & GABALDA S. (2017), « La Modélisation
sition entre ces deux approches est décrite avec préci- géologique 3D : un outil pour la cartographie », Revue officielle de la
sion dans un article récent de Lopez et al. (2017), auquel Société géologique de France, 193, pp. 48-53.

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géologue et représentation stochastique sont en perpé- par sa structure géostatistique. Il n’est pas question ici de

Didier RENARD et al.


tuelle interaction. métaphysique. En particulier, il ne s’agit pas de considérer
qu’un phénomène est « dû [ou non] au hasard » (4), mais
La modélisation géologique est essentiellement une dé-
de proposer une représentation commode des configu-
marche d’intégration et de mise en cohérence de connais-
rations possibles, qui soient cohérentes avec les obser-
sances et d’interprétations. Elle est alimentée par des
vations disponibles. On peut alors, notamment, procéder
données diverses : il peut s’agir d’observations faites
à des estimations optimales (krigeage) pour répondre à
par le géologue directement sur le terrain (affleurements,
des besoins d’interpolation ou de cartographie. De telles
contacts lithologiques, mesures structurales), de don-
cartes ne permettent évidemment pas de reproduire des
nées de sondages, de géophysique, mais aussi de mo-
détails qui auraient échappé aux mesures disponibles,
dèles numériques de terrain, de cartes, de coupes... La
mais elles peuvent être assorties de variances d’erreur
troisième dimension, souterraine, est souvent beaucoup
quantifiant leur incertitude. On peut également procéder à
plus incertaine, car elle est caractérisée de manière indi-
des simulations géostatistiques qui reproduiront la varia-
recte (méthodes géophysiques) ou de façon très ponc-
bilité existante et qui sont censées ressembler à la réalité,
tuelle et partielle (forages). Cependant, même pour le géo-
tout en en étant différentes.
logue cartographe du XIXe siècle qui n’avait accès qu’à
des données de surface, la troisième dimension n’était Au BRGM, la boîte à outils géostatistique développée
jamais bien loin. C’est par le biais de coupes verticales au départ avec l’École des Mines de Paris est progres-
judicieusement choisies que le géologue élaborait son sivement devenue le logiciel GDM (Geological Data
interprétation de la réalité géologique et de l’histoire de Management).
celle-ci, et renforçait la cohérence de son modèle et de
Ce dernier s’intéresse aux thématiques des géosciences
la cartographie 2D. Naturellement, l’enjeu ne sera pas le
(mine, hydrogéologie, géotechnique, environnement…). Il
même dans un contexte géologique calme que dans un
permet d’interpoler différentes variables : propriétés, te-
contexte chahuté par des déformations tectoniques.
neurs, ou encore épaisseur ou profondeur représentant
La question des incertitudes pesant sur la géométrie ou des géométries peu tectonisées. En matière de géométrie,
sur les propriétés de milieux géologiques n’est pas nou- il intègre de nombreux tests automatiques visant à vérifier
velle. C’est notamment cette question qui a donné nais- la cohérence des données, des tests indispensables pour
sance, à partir des années 1950, à la géostatistique. Née combiner de façon efficace des milliers d’informations di-
de l’activité minière, il s’agissait de tirer le meilleur parti verses (forages et cartes géologiques). Les surfaces inter-
possible des données disponibles (obtenues par son- polées peuvent être combinées entre elles en considérant
dages, échantillonnages) pour évaluer les ressources d’un certains événements géologiques, comme l’érosion ou le
gisement. Georges Matheron (1930-2000) en a théori- dépôt.
sé les concepts majeurs au Centre de géostatistique de
Du point de vue mathématique, cette approche est es-
l’École des Mines de Paris, après son passage au BRGM
sentiellement bidimensionnelle : chaque surface ne peut
(1954-1963). Le développement de la discipline s’est
être rencontrée plus d’une fois le long d’une verticale, elle
poursuivi depuis, au sein de ce qui est devenu le Centre
ne peut donc pas présenter de replis. La cartographie de
de géosciences de MINES-ParisTech, en liaison avec
nombreuses données d’orientation (azimut, pendage, po-
ses partenaires. La géostatistique (3) est aujourd’hui une
larité des stratifications, schistosités…) en sus des points
étape incontournable de l’évaluation des ressources mi-
de passage des interfaces géologiques, ainsi que le besoin
nérales. Elle s’est aussi étendue à nombre de domaines
de modélisation de structures géologiques complexes, ont
dans lesquels une variable spatialisée (ou régionalisée) se
motivé dans les années 1990 de nouveaux travaux de re-
déploie dans l’espace : ressources naturelles, ressource
cherche. Menés conjointement par le BRGM et l’École des
halieutique, environnement, pollution du sol, de l’eau, de
Mines de Paris, ils ont débouché sur l’élaboration d’un nou-
l’air... Il peut être question de profondeur ou d’épaisseur
vel outil géostatistique : la méthode du potentiel (5) qui, im-
de couche, de concentration en métal, en hydrocarbure,
plémentée dans l’outil GeoModeller, permet de prendre en
en polluants, en biomasse...
compte simultanément les données d’interfaces et d’orien-
Une caractéristique fréquente de tels phénomènes (une tation (voir la Figure 1 de la page suivante).
minéralisation, par exemple) ou de telles variables (la te-
Dans ce modèle, les interfaces géologiques sont modéli-
neur de cette minéralisation) est de présenter un aspect à
sées par des surfaces définies de manière implicite comme
la fois structuré et aléatoire : structuré, parce que les me-
des lieux d’isovaleurs d’un champ scalaire 3D, dont les
sures opérées en deux points proches auront tendance à
gradients sont contraints par les données d’orientation.
être plus approchantes que celles opérées en deux points
Le champ est obtenu par une interpolation multivariable
distants (on parle de variogramme ou de corrélation spa-
de ces données (cokrigeage universel). L’utilisation des
tiale) ; aléatoire, parce que leur prévision échappe à tout
modèle déterministe. Empiriquement, le calcul du vario- (3) CHILES J.-P. & DELFINER P. (1999), Geostatistics: Modeling spatial
gramme ou de la covariance à partir des données collec- uncertainty, Wiley, New York, 695 p.
tées permet de faire la part entre le côté structuré et ce (4) MATHERON G. (1989), Estimating and Choosing, an Essay on
Probability in Practice, Springer.
qui paraît aléatoire. Il est alors extrêmement commode de
(5) LAJAUNIE C., COURRIOUX G. & MANUEL L. (1997), “Foliation
considérer la variable régionalisée comme une réalisation Fields and 3D Cartography in Geology: Principles of a Method Based
d’un modèle probabiliste de fonction aléatoire caractérisé on Potential Interpolation”, Mathematical Geology 29(4), pp. 571-584.

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CONCEVOIR ET FABRIQUER LA CARTOGRAPHIE 4.0

Figure 1 : Représentation 1 – Méthode de modélisation géologique par interpolation de champs de potentiels : points de passage et
de données d’orientation éparses provenant de l’observation du terrain ; représentation 2 – Interfaces géologiques correspondant aux
surfaces d’isovaleurs du potentiel ; représentation 3 – Intégration de fonctions de dérive discontinues pour la modélisation des failles.

gradients du champ scalaire interpolé a conduit à l’as- de construire directement des objets géologiques tridi-
similer à un champ de potentiel ; de fait, la méthode a mensionnels dans de nombreux contextes. Sa combi-
été qualifiée de méthode de modélisation géologique par naison avec la topographie fait que les coupes réalisées
champ de potentiel. dans le modèle et la carte sont forcément cohérentes.
Cette cohérence est la plus-value fondamentale qu’ap-
Un même champ de potentiel, connu dans tout l’espace,
porte cette approche, mais c’est aussi une contrainte qui
permet de modéliser des formations présentant des géo-
ne tolère aucune approximation : toutes les coupes étant
métries assez proches ayant une histoire commune, et
possibles et cohérentes, on ne peut se contenter d’en
dont les interfaces correspondent à différentes valeurs,
choisir quelques-unes pour étayer un a priori conceptuel.
inconnues a priori, du potentiel. La terminologie de série
Ainsi, la production d’un modèle géologique demande de
a été retenue pour désigner cet ensemble de formations.
réaliser un travail conséquent de réflexion afin de pou-
Ainsi, on peut reconstruire, à partir de quelques don-
voir intégrer, après les avoir synthétisées, le plus grand
nées de surface, des structures ayant enregistré des
nombre de données disponibles.
déformations identiques (voir la Figure 2 de la page sui-
vante). De même, la reconstruction d’architectures plus De plus, le formalisme géostatistique sous-jacent à l’in-
complexes est possible grâce à l’utilisation d’une pile terpolation du champ de potentiel permet de quantifier
géologique qui permet d’établir une chronologie à la fois l’incertitude associée à un tracé cartographique. En ef-
des dépôts et des relations spatiales entre les différentes fet, la structure spatiale du potentiel peut être inférée à
séries (6), et de traduire des relations géologiques d’érosion partir des données d’orientation. Il est alors possible, à
ou de dépôt. À ce titre, cette pile constitue un élément à l’aide des variances de cokrigeage, de cartographier une
part entière de la construction et de l’interprétation du mo- variable mesurant la probabilité de l’appartenance d’un
dèle géologique 3D et une synthèse de la connaissance point à une interface, ce qui permet de localiser les zones
associée, qui permet de combiner automatiquement des d’incertitude élevée.
séries construites indépendamment les unes des autres.
D’un point de vue épistémologique, il est intéressant de
Enfin, en introduisant des discontinuités dans la dérive du constater que l’outil permettant d’obtenir le modèle géo-
krigeage universel utilisé pour calculer le champ de po- logique à trois dimensions n’est au fond bâti que sur des
tentiel, on peut reproduire l’effet de failles (voir la Figure 1 champs stochastiques de potentiels, lesquels sont ca-
ci-dessus). Leur rejet est alors automatiquement déduit ractérisés par leur plus ou moins forte régularité (cova-
des points de passage utilisés pour définir les formations riance spatiale), et sont reliés par un ensemble de règles
qu’elles affectent. La géométrie de ces failles est quel- d’assemblage (la pile géologique). Ainsi, sans nécessaire-
conque, finie ou infinie, et est également construite en uti- ment le savoir, le géologue modélisateur développe son
lisant un champ de potentiel spécifique. À l’instar de celles interprétation grâce à une approche géostatistique. C’est
mises en évidence par la pile géologique dans le cas des la simplicité et la souplesse de ce modèle géostatistique
formations, des relations permettent de définir simplement
les interactions des failles et de modéliser de véritables ré-
seaux structuraux (voir la Figure 3 de la page suivante). (6) CALCAGNO P., CHILES J.-P., COURRIOUX G. & GUILLEN
A. (2008), “Geological modeling from field data and geological
L’outil de modélisation géologique ainsi obtenu est par-
knowledge (Part I). Modeling method coupling 3D potential-field in-
ticulièrement bien adapté aux besoins et aux spécificités terpolation and geological rules”, Physics of the Earth and Planetary
de la cartographie géologique. Il est générique et permet Interiors 171(1-4), pp. 147-157.

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Didier RENARD et al.
Figure 2 : Modèle géologique 3D de la région du Monastier-sur-Gazeille (7), lequel a été produit à partir du relevé sur le terrain de données
de passage et d’orientation (voir méthodologie – représentation 1, dans la Figure 1 de la page précédente).

sous-jacent qui permettent l’intégration de données va-


riées dans un ensemble cohérent.
Par ailleurs, ce cadre se prête bien à la question de la
multiplicité des représentations cohérentes avec les ob-
servations, liée à la caractérisation et à la quantification
des incertitudes. Ainsi, loin de se substituer au travail du
géologue, la modélisation vient l’appuyer. D’une part, en
modifiant le modèle géostatistique sous-jacent, le géo-
logue peut explorer rapidement et visuellement différentes
hypothèses scientifiques compatibles avec ses connais-
sances en produisant pour chacune d’elles une cartogra-
phie 3D compatible avec les données disponibles. Il peut
alors cibler les zones où la géométrie des formations reste
problématique et organiser stratégiquement les nouvelles
campagnes d’acquisition. D’autre part, pour un même
modèle géostatistique, il devrait pouvoir à l’avenir générer
différentes simulations (on parle aussi de réalisations) de
ce modèle, dans l’optique de reproduire la variabilité spa- Figure 3 : Construction d’un réseau discret de failles identifiées
tiale présumée de la géologie. dans la région de Bouillante (8) (Guadeloupe). Deux familles dis-
tinctes de failles sont mises en évidence et modélisées (en vert
La modélisation géologique permet ainsi de revenir aux et en jaune). La structuration E-W de l’île de Basse-Terre dans
fondamentaux que sont la donnée et la description des le prolongement du graben de Marie-Galante est représentée en
géométries. De plus, son aspect intégrateur permet de 3D.
mutualiser des données et de confronter les points de
vue. En ce sens, la production d’un modèle géologique la modélisation géologique 3D constitue un outil central
est donc une démarche pluridisciplinaire qui doit aboutir pour le Référentiel Géologique de la France.
à une vision partagée du sous-sol et de sa géologie. Par
rapport à la carte, lorsqu’il est discrétisé de manière adé-
quate par un maillage, il peut également servir de support (7) DEFIVE E., COURRIOUX G. & LEDRU P. (2011), « Carte géolo-
à la simulation de phénomènes physiques dynamiques : gique de Le Monastier-sur-Gazeille (Haute-Loire) », Carte géologique
propagation des ondes sismiques, transferts souterrains de la France au 1:50 000, Orléans, BRGM, ISBN 978-2-7159-1816-0.
(8) CALCAGNO P., BOUCHOT V., THINON I. & BOURGINE B.
de masses et/ou d’énergie… qui permettent d’étudier le (2012), “A new 3D fault model of the Bouillante geothermal province
fonctionnement des systèmes géologiques et les impacts combining onshore and offshore structural knowledge (French West
anthropiques. C’est pour l’ensemble de ces raisons que Indies)”, Tectonophysics 526-529, pp.185-195.

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