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L’accès au

travail des
migrants
en Tunisie
Du cadre juridique
à la pratique

L’ESSENTIEL
MAI 2020
L’accès au travail des migrants en Tunisie

L’accès au
travail des
migrants
en Tunisie
Du cadre juridique
à la pratique

MAI 2020

1
L’ESSENTIEL//MAI 2020

Ce livret est publié par Terre d’Asile Tunisie dans le cadre de


son projet de « Plateformes d’assistance aux migrants dans le
Grand Tunis et dans la région de Sfax » (PMGTS 3) soutenu par
la Coopération Suisse.

Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des


auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Coopéra-
tion Suisse.

Rédigé par :
Balkis Essid et Elisa Claessens

Sous la supervision de :
Michela Castiello d’Antonio
Sherifa Riahi
Hélène Soupios David (France terre d’asile)

2
L’accès au travail des migrants en Tunisie

sommaire
Introduction 4

1. Migration et travail en Tunisie : éléments 5


de contexte

2. Migration et travail : cadre juridique 8


international

3. Approche nationale en matière d’emploi 11


des étrangers

4. Le travail salarié : qui peut y accéder 12


et comment ?

5. Protection et droits sociaux du travailleur 21


migrant

6. Le travail des demandeurs d’asile et des 24


réfugiés

7. Entrepreneurs et investisseurs migrants 25

8. étudiants étrangers : des stages aux « petits 27


boulots »

9. Recours au travail informel : exploitation 28


et traite des personnes

10. Faire valoir ses droits en tant que travailleur 34


migrant

Conclusion 36

Annexe 37

Bibliographie 39

3
L’ESSENTIEL//MAI 2020

Introduction

Le monde du travail est aujourd’hui d’accès au travail formel et par les


plus globalisé que jamais. Une pé- abus auxquels sont exposés les tra-
nurie de main-d’œuvre dans un pays vailleurs informels et irréguliers.
ou une région du monde peut être Nous remarquons également le
comblée par des travailleurs venus manque d’accès à l’information sur
de l’autre côté de la planète. L’ac- les conditions d’emploi et les droits
cès au travail et l’exercice de celui-ci des travailleurs migrants, et ce, aus-
dans des conditions décentes est si bien au niveau des migrants que
une question centrale de droit pour des associations, acteurs publics
chaque pays concerné par la migra- ou employeurs concernés par cette
tion de main d’œuvre, aussi bien que question.
pour chaque migrant qui subvient lui-
même à ses besoins. Le livret propose donc de faire un
état des lieux de l’accès au travail des
Dans le travail quotidien de Terre étrangers en Tunisie : qui y a accès et
d’Asile Tunisie, à travers notre assis- comment, selon la loi tunisienne et au
tance juridique et sociale et nos ac- regard de quelles normes internatio-
tions en partenariat avec des associa- nales ? Quelle est la procédure pour y
tions de migrants notamment, nous arriver ? Et au-delà du cadre juridique,
mesurons à quel point les conditions quels sont les défis de l’accès au tra-
d’accès à l’emploi déterminent les vail, et les conséquences des difficul-
aspects de la vie des migrants : leurs tés d’accès au marché formel?
conditions de vie économiques, so-
ciales, juridiques mais aussi physiques
et psychologiques. Nous témoignons
également des vulnérabilités et de la
précarité engendrées par le manque

4
L’accès au travail des migrants en Tunisie

1. Migration et travail
en Tunisie : éléments
de contexte
La Tunisie, longtemps considérée ces pays vers la Tunisie, pour le tra-
comme un pays de départ, devient vail mais aussi les études : la récente
progressivement un pays d’accueil et multiplication de l’offre éducative pri-
de transit. Ces mouvements humains vée et publique attire de plus en plus
sont favorisés par sa position géogra- d’étudiants étrangers, subsahariens
phique au bord de la Méditerranée et avant tout. Enfin, la crise en Libye
aux portes de l’Europe ainsi que sa depuis 2011 a poussé de nombreux
proximité avec la Libye et l’Algérie, Libyens mais aussi migrants qui tra-
mais également par son attractivité vaillaient ou transitaient par la Libye,
auprès de nombreux pays subsaha- à chercher refuge et subsistance éco-
riens notamment grâce aux oppor- nomique en Tunisie.
tunités économiques et d’études
qu’elle représente. Sans toutefois disposer de données
chiffrées représentatives2, les organi-
Plusieurs facteurs ont contribué à sations et associations actives dans le
l’augmentation récente de l’immigra- domaine migratoire telles que Terre
tion de travail en Tunisie, notamment d’Asile Tunisie constatent une aug-
en provenance des pays subsahariens. mentation du nombre de migrants en
On peut noter tout d’abord le trans- Tunisie (quelle que soit la durée de
fert du siège de la Banque africaine leur présence), une diversification de
de développement à Tunis entre 2003 leur profil (en termes de nationalité,
et 2014. Ensuite, la suppression de de statut juridique, de genre) et des
l’obligation de visa d’entrée sur le ter- raisons de leur présence en Tunisie3.
ritoire tunisien pour les ressortissants
de plusieurs pays subsahariens1 a fa-
vorisé les mouvements humains de 2.L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estimait
en 2018 le nombre de migrants à environ 75 000 personnes.
3.Voir notamment les rapports annuels de la Permanence d’ac-
1 .La liste des pays dont les ressortissants sont exemptés de visa cueil de Terre d’Asile Tunisie https://maison-migrations.tn
d’entrée est disponible sur ce site : https://www.aeroportdetunis.
com/visa_tunisie.php

5
L’ESSENTIEL//MAI 2020

Profils des travailleurs Cependant, ces travailleurs formels


migrants en Tunisie représentent une partie seulement,
voire une minorité des migrants tra-
Les caractéristiques des travailleurs vaillant en Tunisie. La plupart seraient
migrants employés de manière régu- en effet des travailleurs informels,
lière sont connues grâce aux statis- une condition étroitement liée à l’ir-
tiques du Ministère de la Formation régularité du séjour, sauf dans les cas
Professionnelle et de l’Emploi qui des réfugiés et des étudiants. Les ac-
leur octroie l’autorisation de travail4. teurs associatifs et organisationnels
On compte environ 5500 travailleurs s’accordent sur une concentration
migrants autorisés à travailler chaque des travailleurs migrants dans les sec-
année. 40 % d’entre eux sont Eu- teurs de l’agriculture, du bâtiment,
ropéens, 31% sont issus du monde du travail domestique, dans certaines
arabe, 14% sont asiatiques et 4% sont industries manufacturières dans les
subsahariens. On peut les regrouper zones d’export ainsi que des services
en 3 groupes selon le type de posi- et du tourisme (OIT, 2019). Les villes
tion et de secteur d’emploi : côtières de Tunis, Sfax, Sousse et Mé-
denine regroupent la plupart des tra-
o 51% occupent des professions
vailleurs migrants.
hautement qualifiées (gérants,
scientifiques, techniciens) au sein
de bureaux d’étude, dans le sec-
Un cadre juridique favori-
teur de l’informatique et autres
sant le travail informel
services
Malgré des avancées considérables
o 41% sont des professionnels du
notamment au niveau législatif, la ré-
tourisme et du sport
ponse tunisienne face à l’accroissement
o 8% sont des ouvriers qualifiés des flux migratoires dans le contexte
(secteur de l’industrie) et non post-révolution reste insuffisante.
qualifiés (secteur des services).

4.Données interprétées dans l’étude de Saïd Ben Sedrine (2018)


« Défis à relever pour un accueil décent de la migration subsaha-
rienne en Tunisie »

6
L’accès au travail des migrants en Tunisie

Le cadre juridique tunisien demeure


incomplet et ne couvre pas toutes les
problématiques rencontrées par les
populations migrantes. L’accès aux
droits les plus fondamentaux n’est
pas toujours garanti, ce qui entraine
une situation de forte précarisation et
de vulnérabilité des populations mi-
grantes en Tunisie.

En effet, en Tunisie, l’accès au tra-


vail formel et donc aux condi-
tions décentes qui en découlent
sont mis à mal par plusieurs facteurs :
des conditions d’accès à l’autorisa-
tion de travail extrêmement restric-
tives, une méconnaissance de ces
conditions d’accès et des lois qui pro-
tègent les travailleurs, un statut de
séjour souvent irrégulier résultant de
l’étroitesse d’accès au travail formel,
et des conditions de travail informel
marqué par les abus, le manque de
protection, et l’impossibilité de dé-
noncer ces abus en raison du statut
de séjour irrégulier.

Nous détaillons ces différents as-


pects du travail des migrants dans
les sections suivantes.

7
L’ESSENTIEL//MAI 2020

2. Migration et travail :
cadre juridique
international
Le droit au travail et aux conditions Les principaux instruments de l’OIT
décentes de travail, est un droit fon- sur les travailleurs migrants sont
damental reconnu et encadré par de les conventions 97 et 143. Elles in-
nombreux textes internationaux, en diquent les moyens de gérer les flux
particulier par la Déclaration univer- migratoires et d’assurer une protec-
selle des droits de l’Homme et les tion adéquate à cette catégorie vul-
conventions de l’Organisation inter- nérable de travailleurs (elles sont dé-
nationale du travail (OIT)5. taillées ci-après).

Dans un monde globalisé où les éco- Cependant, aucune de ces deux


nomies dépendent de plus en plus de conventions n’a obtenu un grand
la migration pour fonctionner, il est nombre de ratifications : seuls 49 pays
en effet primordial que les Etats s’ac- ont ratifié la première, et 23 pays ont
cordent sur des normes internatio- ratifié la deuxième. La Tunisie fait par-
nales de protection des travailleurs. tie des pays qui n’ont pas ratifié ces
C’est pourquoi l’OIT, qui élabore les deux conventions.
normes internationales en matière
de travail à travers ses conventions
et recommandations, s’intéresse à
la condition de tous les travailleurs,
y compris les travailleurs migrants.
Ses instruments se complètent pour
protéger les migrants réguliers et ir-
réguliers.

5.L’OIT est l’agence des Nations unies qui élabore les instru-
ments juridiques définissant les principes et les normes minimaux
au travail. Ce sont les mandants de l’OIT (gouvernements, em-
ployeurs et travailleurs) qui élaborent les instruments juridiques.
Les conventions sont des traités internationaux juridiquement
contraignants, pouvant être ratifiées par les États Membres, et les
recommandations servent de principes directeurs, sans caractère
contraignant. Source : www.ilo.org
8
L’accès au travail des migrants en Tunisie

Les conventions internatio- pour les réfugiés (articles 17 à 19).


nales ratifiées par la Tunisie Cependant, aujourd’hui, aucun
cadre juridique national ne garan-
La Tunisie a ratifié plusieurs instru- tit leurs droits (voir section 6).
ments juridiques des Nations unies
fondamentaux dans la défense des o La Convention des Nations unies
droits des migrants et du travail. de 2003 contre la criminalité trans-
nationale organisée, dite Conven-
tion de Palerme, et ses protocoles
Citons notamment : additionnels, qui criminalisent no-
tamment la traite des personnes.
o La Déclaration Universelle des La Tunisie a adopté une loi de lutte
Droits de l’Homme de 1948 qui contre la traite des personnes6
garantit le droit au travail et aux qui est conforme aux standards
conditions équitables et satisfai- internationaux.
santes de travail, à la rémunéra-
tion équitable et à la syndicalisa- La Tunisie a également ratifié 63
tion dans son article 23. Conventions et un Protocole de
l’OIT dont les huit conventions fon-
o Le Pacte international relatif aux damentales7, relatifs à la protection
droits sociaux, économiques et des travailleurs y compris les travail-
culturels. Ce traité adopté par les leurs migrants. Celles-ci portent sur
Nations unies en 1966 fait partie le travail forcé, la liberté syndicale
de la Charte universelle des droits et la protection du droit syndical, le
de l’homme. Il engage les Etats droit d’organisation et de négocia-
à assurer l’accès aux droits éco- tion collective, l’égalité des rému-
nomiques, sociaux et culturels, y nérations, l’abolition du travail forcé
compris le droit au travail et aux et la discrimination dans l’emploi
conditions de travail dignes. Il et la profession.
précise à cet égard la Déclaration
universelle des droits de l’Homme
dans ses articles 6 à 10.

o La Convention de 1951 et son 6.Loi organique n°61-2016 relative à la prévention et à la lutte


contre la traite des personnes
protocole de 1967 relatif à la
protection des réfugiés et des 7.Voir en annexe la liste des principales conventions ratifiées par
la Tunisie
demandeurs d’asile, qui garan-
tit l’accès au marché du travail

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L’ESSENTIEL//MAI 2020

Les conventions o Le respect des droits fondamen-


internationales non taux de tous les travailleurs mi-
ratifiées par la Tunisie grants, y compris irréguliers.

La Tunisie n’a cependant pas ratifié o En matière d’égalité de traite-


les instruments pertinents de l’OIT re- ment entre travailleurs migrants
latifs à la migration. et nationaux, la convention va
plus loin que celle n°97 : Il faut
Il s’agit d’abord de la Convention garantir l’égalité de chances et de
n°97 sur les travailleurs migrants (révi- traitement en matière d’emploi et
sée) de 1949. Celle-ci recommande : de profession, de sécurité sociale,
de droits syndicaux et culturels, et
o Un service gratuit approprié
de libertés individuelles et collec-
chargé d’aider les travailleurs mi-
tives, aux personnes qui, en tant
grants et de leur fournir des infor-
que travailleurs migrants ou en
mations exactes, de prendre des
tant que membres de la famille,
mesures contre la propagande
se trouvant légalement sur le ter-
trompeuse concernant l’émigra-
ritoire de l’État l’ayant ratifiée.
tion et l’immigration.
o La facilitation du regroupement
o Une protection médicale suffi-
familial des travailleurs migrants.
sante des travailleurs migrants
et le transfert des gains et de La Tunisie n’a pas non plus ratifié la
l’épargne. Convention internationale sur la pro-
tection des droits de tous les travail-
o Un traitement des travailleurs mi-
leurs migrants et des membres de
grants égal à celui des nationaux
leur famille du 18 décembre 1990. À
en matière de conditions d’em-
travers ce texte, l’Organisation des
ploi, de liberté syndicale et de
Nations unies vise à protéger les tra-
sécurité sociale.
vailleurs migrants, en rappelant no-
Il s’agit ensuite de la convention tamment les conventions de l’OIT
n°143 sur les travailleurs migrants n°97 et n°143 sur les travailleurs mi-
(dispositions complémentaires) de grants.8
1975. Celle-ci recommande :

o Des mesures pour lutter contre


l’émigration clandestine et l’em- 8.Voir en annexe la liste des principales conventions non ratifiées
ploi illégal. par la Tunisie

10
L’accès au travail des migrants en Tunisie

3. Approche nationale
en matière d’emploi
des étrangers
La Tunisie adopte le principe de pré- sent, plutôt gérée par une approche
férence nationale en matière d’accès sécuritaire (Geisser, 2019, Nasraoui,
à l’emploi. Elle accorde donc une 2017). Cependant, le projet de Stra-
priorité d’embauche, à qualifica- tégie Nationale Migratoire, dont la
tion égale, aux travailleurs tunisiens dernière version date de 2017, a pour
par rapport aux étrangers. Cette objectif d’encadrer la migration et de
approche protectionniste quant au l’intégrer au développement du pays
marché du travail est reflétée dans en faisant la promotion d’une migra-
la législation régissant l’accès au tra- tion « organisée, respectueuse et
vail des étrangers qui est défavorable protectrice des droits des migrants ».
à l’emploi des étrangers (Nasraoui, Lorsque cette stratégie sera adoptée,
2017). En effet celui-ci est accessible une étape sera franchie dans l’ouver-
à certaines catégories de travailleurs ture vers une approche en faveur des
migrants seulement, sous des condi- droits humains, aussi bien que vers
tions restrictives, et pour une durée une valorisation du lien entre migra-
limitée. Ainsi, les migrants qui réus- tion et développement.
sissent à s’insérer de manière durable
sont une exception sur le marché de
l’emploi formel.

La stratégie ou politique publique


concernant l’immigration en Tunisie
reflète également ce souhait de ne
pas encourager la migration de main
d’œuvre ou l’emploi des étrangers
présents sur le territoire. La gestion
de l’immigration est, jusqu’à pré-

11
L’ESSENTIEL//MAI 2020

4. Le travail salarié :
qui peut y accéder et
comment ?
Conditions d’accès au séjour portant la mention « autorisé à
travail exercer un travail salarié en Tunisie ».
Plus précisément, pour travailler léga-
Les conditions d’accès des migrants lement en Tunisie, un étranger doit :
au travail en Tunisie sont réglemen-
tées par deux textes de loi principa- o Signer un contrat de travail avec
lement: la loi n° 68-7 du 8 mars 1968 son employeur
relative à la condition des étrangers
en Tunisie et le Code du travail, plus o Obtenir une autorisation de tra-
précisément ses articles 258 à 269. vail, c’est-à-dire obtenir un visa
de la part du MFPE sur ce contrat
En effet, l’article 8 de la loi relative de travail
à la condition des étrangers en Tuni-
sie stipule qu’ « il est interdit à tout o Alternativement, obtenir une at-
étranger d’exercer une profession testation de non-soumission au
ou d’avoir une activité rémunérée visa du contrat de travail s’il fait
en Tunisie s’il n’est pas autorisé par partie des catégories de travail-
le Secrétariat d’Etat compétent ». En leurs concernés
l’occurrence, c’est le Ministère de la o Ensuite, faire une demande de
Formation Professionnelle et de l’Em- carte de séjour au titre du travail
ploi (MFPE) qui délivre ces autorisa-
tions.

L’article 258-2 du Code du travail


explique quant à lui que pour exer-
cer une activité professionnelle sa-
lariée, l’étranger doit être muni d’un
contrat de travail et d’une carte de

12
L’accès au travail des migrants en Tunisie

Plusieurs conditions doivent être rem- telles que le secteur d’activité et la


plies pour remplir ces formalités, et région de travail : l’employeur ne peut
plusieurs catégories de migrants font donc ni modifier la nature de l’emploi
figure d’exceptions (notamment les décrit dans le contrat, ni modifier son
demandeurs d’asile et réfugiés et les lieu de travail (l’employé devra rester
investisseurs) : nous les détaillons ci- dans le même gouvernorat), et ce du-
après. rant toute la durée du contrat.

De plus, l’autorisation est également


Obtenir une autorisation de exigée lors du renouvellement du
travail contrat de travail.

Pour obtenir une autorisation de tra- Muni du contrat de travail, le travail-


vail, il faut soumettre un contrat de leur migrant fera une demande d’au-
travail au Bureau de l’émigration et de torisation du travail au MFPE, qui
la main d’œuvre étrangère du MFPE. prend la forme d’un visa inscrit sur ce
Il s’agit d’un contrat-type élaboré par contrat, puis sur sa carte de séjour.
ce même ministère, obligatoirement
La procédure d’octroi de l’autorisa-
sous forme écrite (contrairement au
tion de travail est complexe et longue
contrat des nationaux qui peut être
– elle peut prendre plusieurs mois. De
consensuel) et qui contient notam-
plus, les textes législatifs ne précisent
ment les droits et normes importantes
pas cette procédure d’octroi de l’au-
en matière d’emploi : il s’agit d’une
torisation de travail, ce qui confère un
protection de base contre les abus et
pouvoir discrétionnaire important à
exploitation pour les employés qui ne
l’administration tunisienne (BIT, ONM
connaissent pas forcément les condi-
et HCDH 2017).
tions d’emploi en Tunisie (Ben Se-
drine, 2018). En plus de cela, pour octroyer à un
migrant l’autorisation de travail, les
Cependant, selon les règles édictées
autorités compétentes doivent obli-
par l’article 258-2 du Code du travail,
gatoirement tenir compte de la régu-
ce contrat est également restrictif par
larité de résidence du migrant, mais
rapport aux nationaux : il est à durée
également de la situation nationale
déterminée (une année) et à renouvel-
de l’emploi : elles appliquent le prin-
lement limité (une année supplémen-
cipe de la préférence nationale.
taire, sauf dérogation). Il doit égale-
ment comporter certaines mentions

13
L’ESSENTIEL//MAI 2020

Le ministère de la formation de projets de partenariat ou de


professionnelle et de l’emploi coopération entre des sociétés
fournit le contrat-type de tra- tunisiennes et d’autres entre-
vail aux catégories suivantes prises étrangères.
(http://www.emploi.gov.tn/): o Les agents de nationalité étran-
gère détachés auprès des suc-
cursales des entreprises mères
o Les étrangers à recruter pour titulaires de(s) marché(s) en Tu-
inexistence d’homologue tuni- nisie.
sien dans la spécialité deman- o Les agents de nationalité étran-
dée. gère détachés auprès des suc-
o Les titulaires de contrat de tra- cursales des entreprises mères
vail parmi les conjoints des Tu- qui participent dans le cadre
nisiens. de sous-traitance à l’exécution
o Les agents d’encadrement de(s) marché(s) en Tunisie.
et de maîtrise de nationalité o Les jeunes professionnels
étrangère exerçant dans les so- Français dans le cadre de l’ac-
ciétés éligibles aux dispositions cord franco-tunisien relatif aux
de l’article 6 de la loi n° 2016- échanges de jeunes profes-
71 du 30 septembre 2016 por- sionnels.
tant loi de l’investissement. o Les Jeunes Professionnels
o Les agents d’encadrement Suisses.
et de maîtrise de nationalité o Les jeunes Français détachés
étrangère dans les domaines dans le cadre des Volontaires
d’exploitation objet de l’article Internationaux aux entreprises.
75 paragraphes 1 et 2 du code o Les agents de nationalité étran-
minier. gère exerçant dans le champ
o Les agents d’encadrement sportif et artistique.
et de maîtrise de nationalité o Les agents de nationalité étran-
étrangère exerçant dans le do- gère exerçant dans les hôtels y
maine d’exploitation objet de compris les animateurs et les
l’article 62-2 du code des hy- représentants des agences de
drocarbures. voyages.
o Les agents de nationalité o Les cas sociaux : de mère tuni-
étrangère détachés des entre- sienne ou de père tunisien.
prises mères ou dans le cadre o Les associés et les action-
naires.

14
L’accès au travail des migrants en Tunisie

Le principe de la préférence en particulier dans pour les postes


nationale peu ou pas qualifiés, surtout dans un
contexte de chômage élevé en Tuni-
La condition et limite principale à sie. Pour cette raison, de nombreux
l’octroi de l’autorisation de travail migrants se voient refuser l’autori-
est l’inexistence de compétence tu- sation de travail. Pourtant, les em-
nisienne pour réaliser le travail visé : ployeurs se plaignent de ne pas ar-
il s’agit du principe de la préférence river à recruter localement pour ces
nationale. emplois, y compris pour les postes
peu ou pas qualifiés. Plusieurs raisons
L’article 258-2 du Code du travail
existent à cela : d’une part, la main
précise en effet que « le recrutement
d’œuvre tunisienne n’accepte pas
d’étrangers ne peut être effectué
forcément les conditions des postes
lorsqu’il existe des compétences tu-
à pourvoir. D’autre part, les qualifi-
nisiennes dans les spécialités concer-
cations des candidats locaux ne sont
nées par le recrutement ».
pas toujours à la hauteur des attentes
Plus précisément, l’article 260 du des employeurs. Enfin, nombre de
Code prévoit un régime de contingen- jeunes travailleurs tunisiens préfèrent
tement de main d’œuvre étrangère et attendre leur intégration dans un em-
permet de délimiter, par des décrets, ploi stable de la fonction publique
le pourcentage d’étrangers suscep- (Ben Sedrine, 2018).
tibles d’être employés par territoire
ou par branche d’activité.
Exceptions : migrants
Pour déterminer l’existence ou non non-soumis au visa du
d’un candidat tunisien au poste de contrat de travail
travail en question, la demande d’au-
torisation est transmise à la direction Un régime dérogatoire est institué à
régionale de l’emploi dont relève la l’obligation de l’autorisation de tra-
société concernée, qui remet sa déci- vail, principalement pour favoriser
sion en fonction de l’analyse réalisée l’investissement direct étranger (OIT,
par les bureaux d’emploi de la région 2019). En fonction des conventions
(OIT, 2019). bilatérales signées par la Tunisie avec
d’autres pays, certaines nationalités
Dans la plupart des cas, il est diffi- (comme les Marocains) sont égale-
cile de prouver qu’aucun Tunisien ment exemptées de cette formalité.
ne peut occuper le poste à pourvoir,

15
L’ESSENTIEL//MAI 2020

Catégories de travailleurs mi-


Il existe donc plusieurs catégories de grants non-soumis au visa du
personnes qui, en raison de leur na- contrat de travail :
tionalité ou de leur type d’emploi, ne
requièrent pas d’autorisation de tra- o Les étrangers ayant la qua-
vail – la plupart étant lié à l’investisse- lité d’employeur (gérant,
ment ou l’entrepreneuriat. Le principe cogérant ou directeur
de la préférence nationale ne s’ap- fondé de pouvoir pour
plique donc pas dans leur cas. les Sociétés à responsa-
bilité limitée ; le Directeur
Tous les travailleurs listés dans l’enca- Général ou le Président
dré suivant reçoivent une « attestation du Conseil de l’entreprise
de non-soumission au visa du contrat pour les Sociétés ano-
de travail » de la part du Ministère de nymes), conformément au
la Formation professionnelle et de Code du travail
l’Emploi9.
o Les agents d’encadrement
et de maîtrise de natio-
nalité étrangère dans la
limite de 4 agents des so-
ciétés établies dans des
parcs d’activité écono-
miques, conformément
à la loi n°1992-81 relative
aux zones franches modi-
fiée et complétée par la loi
No.2001-76

o Les agents d’encadrement


et de maîtrise de nationali-
té étrangère de toute nou-
velle société, dans la limite
de 30% du nombre total
des cadres de l’entreprise,
jusqu’à la fin de la 3ème
9.Pour plus de détails sur les pièces à fournir pour obtenir une
attestation de non soumission au visa du contrat de travail, voir ici : année d’existence de l’en-
http://www.emploi.gov.tn/fr/131/emploi-des-etrangers-en-tunisie treprise, et 10% à partir de

16
L’accès au travail des migrants en Tunisie

La fonction publique et les


sa 4ème année. Et dans tous
les cas, l’entreprise peut professions libérales
recruter quatre cadres de L’accès à la fonction publique est ré-
nationalité étrangère. Ces servé aux nationaux. De façon excep-
dispositions sont décrites
tionnelle, le recrutement des étrangers
dans la Loi n° 2016-71
peut se faire par voie contractuelle et
portant loi de l’investisse-
pour une durée déterminée.
ment.

o Les agents d’encadrement L’exercice des professions libérales


et de maîtrise de nationa- est aussi réservé aux nationaux en
lité étrangère dans le do- principe. Néanmoins, les ressortis-
maine des mines et des sants étrangers peuvent être autori-
hydrocarbures, confor- sés à exercer leur profession après un
mément au Code des accord ministériel.
mines et au Code des hy-
drocarbures
Exceptions en vertu de
o Les cadres étrangers exer- conventions bilatérales et
çant dans des Associations multilatérales
et des Organisations non
Gouvernementales à but Les ressortissants maghrébins bé-
non lucratif. néficient de conditions de circula-
tion, d’établissement et d’emploi
o Les coopérants tech- privilégiées en Tunisie, en vertu de
niques affectés dans des conventions multilatérales et bila-
projets ou programmes
térales (ONM, BIT et HCDH, 2017).
financés par des Etats ou
Les ressortissants marocains, al-
des organismes étrangers
gériens et libyens sont dispensés
en collaboration avec la
Tunisie de la formalité de carte de séjour.

o Les ressortissants ma-


rocains en vertu de la
Convention d’établisse-
ment entre la Tunisie et
le Maroc (loi n°66-35 du 3
mai 1966)

17
L’ESSENTIEL//MAI 2020

Concernant l’accès à l’emploi : il est mentionné la possibilité d’exer-


cer un travail salarié. Les ressortissants
o Les ressortissants marocains sont français résidant plus que trois ans en
tenus d’obtenir une «attestation Tunisie ont également droit à une
de non soumission au visa du carte de séjour valable pour 10 ans
contrat de travail », mais sont (ONM, BIT et HCDH, 2017).
dispensés d’autorisation de tra-
vail10.
Le permis de séjour au titre
o Les ressortissants algériens sont
du travail
libres d’accéder à l’emploi en
Tunisie, sans formalité d’aucune La loi tunisienne établit un rapport
sorte11. étroit entre le séjour régulier et l’auto-
risation du travail puisque pour pou-
o Les ressortissants libyens ont le
voir occuper un emploi en Tunisie le
droit à l’exercice d’une activité
migrant doit y résider d’une façon ré-
professionnelle dans les diffé-
gulière, et sa carte de séjour doit por-
rents secteurs de l’activité éco-
ter la mention « Autorisé à exercer un
nomique, selon la Convention de
travail salarié en Tunisie »12.
1974. Cependant l’exercice de ce
droit n’est pas totalement libre, La carte de séjour temporaire est dé-
puisque la préférence nationale livrée pour une durée d’un an et doit
s’applique à leur égard. être renouvelée à chaque signature
d’un contrat de travail.
La Tunisie a également signé des
conventions avec certains pays euro-
péens, notamment celle signée avec
la France en mars 1988. Celle-ci ac-
corde plusieurs avantages aux ressor-
tissants français, qui peuvent obtenir
une carte de séjour valable pour une 12 . De manière plus large, la législation relative à l’emploi des
étrangers ne peut pas être dissociée de celle relative à la condition
année renouvelable ; sur cette carte des étrangers sur le sol tunisien en matière d’entrée, sortie, séjour.
La loi n°68-7 du 28 mars 1968 sur la condition des étrangers en
Tunisie prévoit des peines pour l’entrée, la sortie et le séjour irré-
gulier et condamne les personnes qui les facilitent.
10 . Convention d’établissement Maroc-Tunisie, signée à Tunis le Cette loi est complétée par la loi de 1975 relative aux passeports
9 décembre 1964 et ratifiée par le décret royal n°208-66 du 3 juin et aux documents de voyage, modifiée par la loi n°2004-6 du 3 fé-
1966. vrier 2004 qui alourdit les peines en cas d’entrée, sortie ou séjour
irrégulier. La Loi n° 2004-6 prévoit plus spécifiquement de lourdes
11. Convention d’établissement Tunisie-Algérie, signée à Tunis le peines en cas de facilitation de l’entrée ou de la sortie clandestine
26 juillet 1963 et ratifiée par le décret n°63-450 du 14 Novembre d’une personne du territoire tunisien.
1963.

18
L’accès au travail des migrants en Tunisie

La carte de séjour est délivrée par la


Procédure d’obtention de la
Direction Générale de la Sûreté na-
carte de séjour au titre du travail
tionale du ministère de l’Intérieur.
Ainsi, il s’agit d’une deuxième pro- La demande de carte de séjour
cédure pour le travailleur migrant au- s’effectue au commissariat le plus
près d’une autre administration, après proche du lieu de résidence. Les
celle concernant l’autorisation de documents à fournir sont les sui-
travail. Comme expliqué dans cette vants :
étude du BIT, de l’ONM et du HCDH
(2017), « cette imbrication de deux o Contrat de travail
titres différents à savoir le titre de sé-
jour et le visa du travail est source de o Autorisation de travail
plusieurs problèmes qui rendent diffi- o Photocopie du passeport
cile l’accès des migrants au travail. Le
visa du travail se trouve scindé entre o Contrat de location ou attes-
deux supports (le contrat du travail tation d’hébergement
et le titre de séjour), deux autorités
(ministère de l’emploi et celle de l’in- o 2 photos d’identité
térieur) et deux procédures. »
o Une quittance de 75 dinars.

Si le travailleur migrant ne fait pas o Passé le délai de dépôt règle-


la demande de carte de séjour, ou mentaire, cette quittance se
si celle-ci lui est refusée, il devient voit passer à 300DT
irrégulier et accumule des pénalités
à ce titre de 20 DT par semaine, pla-
fonnés à 3000 DT. Il est également
Pour plus de détails sur la procé-
passible de refoulement du terri-
dure d’obtention d’une carte de
toire national. Les conséquences
séjour au titre du travail voir ici :
de cette irrégularité sont détaillées
dans la section 9. http://emploi.gov.tn/

19
gulier et accumule des pénalités à ce
titre de 20 DT par semaine, plafonnés
àL’ESSENTIEL//MAI
3000 DT. Il 2020
est également passible
de refoulement du territoire national.
Les conséquences de cette irrégulari-
té sont détaillées dans la section 9.

Sanctions prévues en cas de


non-respect des formalités
du contrat et de l’autorisa-
tion de travail

La loi de 1968 sur la condition des


étrangers en Tunisie et le Code du
travail prévoient des sanctions en cas
de non-respect des règles concer-
nant l’emploi des migrants. Ces
sanctions s’appliquent aussi bien aux
employés qu’aux employeurs fautifs.
Elles sont cependant déséquilibrées
puisqu’elles sont plus sévères envers
les employés que les employeurs.

En effet un travailleur migrant qui


travaille sans contrat ni autorisation
de travail, encourt les sanctions sui-
vantes : une mise à pied, une sanc-
tion pécuniaire (amende), une peine
d’emprisonnement et enfin le refou-
lement du territoire.

L’employeur est quant à lui passible


de sanctions pécuniaires : il encourt
une amende de 12 à 30 dinars par
jour et par travailleur (article 265 du
Code du travail).

20
L’accès au travail des migrants en Tunisie

5. Protection et droits
sociaux du travailleur
migrant
Une fois l’étranger titulaire d’une Le travailleur étranger est également
carte de séjour portant la mention soumis aux mêmes obligations que
« autorisé à exercer un travail salarié celles qui sont applicables au travail-
en Tunisie », il jouit de certains droits leur tunisien.
qui découlent de son statut de travail-
leur migrant. A noter cependant, que l’absence de
sanctions spécifiques en cas de viola-
La réglementation en matière d’em- tion des dispositions de l’article 263
ploi en Tunisie est régie par le Code est un obstacle au contrôle de son
du travail dont l’article 263 garantit application par l’inspecteur du travail
aux travailleurs migrants et natio- (Ben Sedrine, 2018).
naux les mêmes droits notamment en
termes de : Mais le plus grand obstacle à l’accès
aux droits sociaux et à la protection so-
o Rémunération ciale réside dans le fait que la plupart
des travailleurs migrants travaillent de
o Protection contre la discrimina- manière informelle. Les droits et obli-
tion, le travail forcé et le harcèle- gations décrits dans le Code du tra-
ment vail ne leur sont donc pas applicables.
En effet, la protection sociale contre
o Age minimum pour travailler
la maladie, les accidents de travail,
o Prévention contre les accidents l’invalidité ainsi que le bénéfice des
de travail et les maladies profes- droits sociaux (retraite, congés de
sionnelles maladie, salaire minimal légal) ne sont
garantis qu’aux personnes exerçant
o Formation professionnelle. un emploi déclaré.

21
L’ESSENTIEL//MAI 2020

Ainsi, la Tunisie respecte le prin- Travail et accès aux soins de


cipe d’égalité de traitement en ma- santé
tière d’accidents de travail et en
matière de sécurité sociale en ver- Les travailleurs migrants réguliers sont
tu des Conventions n°1913 et 11814 donc couverts, en cas d’accident de
de l’OIT. Cependant, dans les faits, travail ou de maladie professionnelle,
ces principes ne sont pas appliqués par la CNAM (la Caisse Nationale
pour la majorité des travailleurs mi- d’Assurance Maladie)15 . Pour béné-
grants dont le travail est informel. ficier de ces prestations de soins, le
travailleur doit être affilié et déclaré à
Il est important de noter que l’ab- l’un des régimes de sécurité sociale16 ,
sence d’accès à la sécurité sociale tel que la CNSS (Caisse Nationale de
ne concerne pas uniquement les Sécurité Sociale)17.
travailleurs migrants, mais aussi les
Tunisiens. L’assurance-maladie obli- Les travailleurs migrants irrégu-
gatoire, qui couvre les travailleurs et liers ne peuvent pas s’affilier à la
leurs ayants droit, ne couvre que 68 % CNSS. En cas d’accident ou de ma-
de la population tunisienne. Environ ladie, l’accès aux soins de santé18
8 % de la population serait en dehors sera donc à leur charge. Ils ne
de tout régime de sécurité sociale pourront bénéficier de la gratui-
(statistiques de 2014 citées par Nas- té que pour les soins d’urgence19
raoui, 2017). (Médecins du Monde, 2016).

15. La CNAM est un régime d’assurance maladie qui garantit la


prise en charge des frais des prestations de soins des assurés
13. Convention n°19 sur l’égalité de traitement (accidents du tra- sociaux, y compris des leurs ayant droits, des secteurs public et
vail privé.
14 .Convention n°118 sur l’égalité de traitement des nationaux et 16. Loi n°60-30 du 14 décembre 1960 relative à l’organisation des
des non-nationaux en matière de sécurité sociale régimes de sécurité sociale
17. La CNSS s’occupe des cotisations et de la redistribution des
pensions de retraite à ses affiliés qui travaillent dans le secteur
privé agricole et non agricole.
18. L’art. 38 de la Constitution tunisienne de 2014 légifère en ma-
tière de droit à la santé universel. Il mentionne que que «tout être
humain a droit à la santé». Pourtant, dans sa deuxième partie, il
garantit l’accès à la prévention et aux soins de santé aux citoyens
seulement.
19 .Art. 20 du Décret n° 98-409 du 18 février 1998, fixant les ca-
tégories des bénéficiaires des tarifs réduits de soins et d’hospita-
lisation dans les structures sanitaires publiques relevant du minis-
tère de la santé publique ainsi que les modalités de leur prise en
charge et les tarifs auxquels ils sont assujettis.

22
L’accès au travail des migrants en Tunisie

Les Tunisiens en situation de grande A titre d’exemple, sans convention


pauvreté peuvent bénéficier de la en matière de sécurité sociale, un
gratuité des soins dans les struc- travailleur ne pourra pas bénéficier
tures publiques, de même que les des allocations de pension dans son
personnes vulnérables ou à revenus pays d’origine pour lesquelles il aura
limités. La circulaire d’application du pourtant cotisé en Tunisie à travers la
décret de 1998 fixant les catégories CNSS.
bénéficiant des régimes de gratuité
des soins exige la nationalité tuni- La Tunisie a signé des conventions
sienne ; les personnes migrantes ne en ce sens avec la plupart des pays
peuvent donc pas en bénéficier en du Maghreb et d’Europe, mais avec
dehors des urgences (Médecins du aucun État subsaharien. Les ressor-
Monde, 2016). tissants de ces pays sont donc désa-
vantagés pour certains aspects de la
sécurité sociale20.
Conventions bilatérales et
multilatérales en matière de 20. Office National de la Famille et de la Population (ONFP) et
Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) 2016,
sécurité sociale « Évaluation de base des vulnérabilités socioéconomiques et sa-
nitaires des migrants pour un accès effectif aux services de santé
en Tunisie. »
Le régime de protection sociale des
travailleurs migrants dépend égale-
ment des conventions multilatérales
ou bilatérales signées par la Tunisie
et le pays d’origine du travailleur. Ces
conventions permettant à certaines
catégories de personnes (selon les
conventions : les travailleurs, les étu-
diants, etc.) de bénéficier de la cou-
verture sociale dans le pays d’accueil
au même titre que les nationaux de
ce pays. Si en Tunisie, les travailleurs
nationaux et étrangers bénéficient
des mêmes droits et devoirs (comme
mentionné ci-avant), ces conven-
tions permettent d’autres avantages
comme la couverture sociale lors de
retours ponctuels ou lors du retour
définitif dans leur pays d’origine.

23
L’ESSENTIEL//MAI 2020

6. Le travail des
demandeurs d’asile
et des réfugiés
Bien que la Tunisie ait ratifié la Il en est de même pour l’accès au tra-
Convention de Genève relative aux vail : il n’est pas interdit, mais il n’est
droits des réfugiés, il n’existe pas en- juridiquement ni permis ni encadré.
core de loi nationale sur l’asile – le En principe, les demandeurs d’asile
projet de loi étant en cours d’examen et réfugiés sont donc soumis aux
à l’Assemblée des Représentants du mêmes règles que les autres travail-
Peuple depuis 2014 – qui introduit leurs migrants. En pratique, l’autori-
dans le droit interne les implications sation de travail n’est pas exigée des
sociales, économiques, juridiques réfugiés pour pouvoir travailler (OIT,
de cette ratification. Ainsi, c’est le 2019). Pour les demandeurs d’asile, la
Haut-commissariat pour les Réfugiés situation est plus floue encore.
(HCR), en partenariat avec le Conseil
tunisien pour les réfugiés (CTR), qui Ainsi en réalité, pour s’insérer écono-
est en charge des questions d’asile miquement, les demandeurs d’asile
en Tunisie à savoir l’examen de la de- et réfugiés nécessitent souvent l’in-
mande d’asile, l’octroi du statut de tervention du HCR ou d’autres ac-
réfugié et de la protection qui en dé- teurs associatifs tels que Terre d’Asile
coule. Tunisie.

Cependant, en l’absence de loi natio-


nale, le statut de demandeur d’asile
ou de réfugié ne donne pas automa-
tiquement accès à un titre de séjour,
ce qui précarise les détenteurs de ces
statuts. Les demandeurs d’asile et ré-
fugiés sont « tolérés » sur le territoire
national, sans statut régulier.

24
L’accès au travail des migrants en Tunisie

7. Entrepreneurs
et investisseurs
migrants
L’entreprenariat est particulière- reçoivent une attestation de non-sou-
ment encouragé en Tunisie à travers mission au contrat de travail (voir
plusieurs programmes d’accompa- section 4).
gnement et des mécanismes de fi-
nancements nationaux et internatio- De plus, la Tunisie met à disposi-
naux. Pour favoriser l’investissement tion des entrepreneurs étrangers un
étranger, elle s’est récemment dotée centre regroupant toutes les formali-
d’un cadre juridique qui le facilite, tés administratives et légales néces-
notamment la loi n°2016-71 du 30 saires : le Guichet unique de l’Agence
septembre 2016 (« loi sur l’investis- de promotion de l’industrie et de l’in-
sement »), mais aussi la loi n°2017- novation (APII).
8 du 14 février 2017 qui modifie les Les entrepreneurs bénéficient d’avan-
dispositions relatives aux avantages tages importants par rapport aux
fiscaux ainsi que le décret 2017-389 autres travailleurs migrants en ce qui
du 9 mars 2017 relatif aux incitations concerne les démarches d’autorisa-
financières au profit des investisse- tion de travail et d’accès au statut de
ments réalisés. séjour.
Ainsi, en matière d’accès à l’emploi, o Autorisation de travail : les entre-
un régime dérogatoire est institué preneurs ou investisseurs ne sont
pour favoriser l’investissement direct pas soumis au visa du contrat de
étranger. L’article 6 de la loi sur l’in- travail. Ils doivent simplement
vestissement de 2016 énonce que le demander une attestation de
recrutement de cadres étrangers n’est non soumission à l’obligation du
pas soumis aux conditions générales visa du contrat de travail, qui leur
d’accès des étrangers à l’emploi. Les permettra d’accéder au statut de
bénéficiaires du régime dérogatoire séjour. Ils ne dépendent donc pas

25
L’ESSENTIEL//MAI 2020

non plus du principe de préfé-


rence nationale.

o Durée du contrat de travail : il


n’est pas limité à un an renou-
velable une fois comme pour les
autres travailleurs migrants.

o Carte de séjour : alors que la du-


rée de validité de la carte de sé-
jour est d’une année pour tous
les étrangers en Tunisie (sauf cas
exceptionnels), les investisseurs
étrangers peuvent obtenir une
carte valable pendant 5 ans. De
plus, la procédure d’obtention
de la carte de séjour est facilitée,
puisqu’elle est gérée par le Gui-
chet unique de l’APII et que cette
procédure d’obtention est réduite
à 1 mois.

26
L’accès au travail des migrants en Tunisie

8. étudiants
étrangers : des stages
aux « petits boulots »
En tant qu’étudiant étranger en Tu- étudiants étrangers nécessitent une
nisie, il est possible d’effectuer un source de revenus complémentaire
stage sur le territoire tunisien, mais à leur bourse d’études ou à l’argent
cette activité est très encadrée et envoyé par leurs parents, pour garan-
doit répondre à des critères précis : tir une situation économique confor-
il doit être conforme au programme table.
pédagogique des études entreprises.
Un stage non scolaire serait contraire Ces étudiants cherchent donc des op-
à l’article 258 du Code du travail tu- portunités de travail en soirée, durant
nisien. les weekends ou les vacances sco-
laires. Il s’agit majoritairement de tra-
L’étudiant étranger est libre de choi- vaux non qualifiés (centres d’appels,
sir son lieu de stage. Il doit déposer restauration, construction, hôtels,
à l’établissement choisi une demande etc.), toujours informels, et rarement
de stage qui doit être validée aupara- en phase avec leurs qualifications.
vant par l’université.
Les abus sont très nombreux et
Le travail rémunéré est strictement in- identiques à ceux rencontrés par les
terdit aux étudiants étrangers : ceux-ci autres travailleurs migrants, que nous
doivent s’engager par écrit, en début détaillons ci-après.
de formation, à ne pas travailler et à
quitter la Tunisie après leurs études21. Notons cependant que certains étu-
Pourtant, selon une étude de Terre diants trouvent des opportunités lé-
d’Asile Tunisie (2018), la majorité des galement acceptables tout en valori-
sant leurs acquis comme des stages
rémunérés (Terre d’Asile Tunisie,
21 .Les étudiants disposent d’une carte de séjour « étudiant » et
ils ne pourront travailler que s’ils obtiennent une autre carte de
2018).
séjour, portant la mention « autorisé à exercer un travail salarié en
Tunisie ».

27
L’ESSENTIEL//MAI 2020

9. Recours au
travail informel :
exploitation et traite
des personnes
Nous l’avons expliqué à la section 4, Le recrutement des travail-
les voies d’accès au travail formel sont leurs informels
très restreintes en Tunisie. En plus
de cela, la procédure est longue et Les abus envers les travailleurs mi-
complexe, et on note également un grants peuvent commencer avant leur
manque d’informations aussi bien de arrivée sur le territoire national. En
la part des employeurs que des tra- effet, le recrutement des travailleurs
vailleurs migrants sur les conditions – spécifiquement des travailleurs sub-
d’accès au travail formel. Enfin, les mi- sahariens – se réalise pour une part
grants travaillant de manière formelle de manière indirecte, à travers des
peinent à le faire de manière durable, réseaux organisés d’intermédiaires in-
puisque l’autorisation de travail n’est formels opérant entre pays d’origine
valable que pour une année renouve- et pays d’accueil, lesquels font des
lable une fois. promesses d’emploi majoritairement
orales. A l’arrivée sur son lieu de tra-
Pour toutes ces raisons, de nombreux vail, le travailleur se rend compte que
étrangers ont recours au travail les conditions voire la nature du tra-
informel (dit « au noir »), sans contrat vail correspondent peu ou pas du tout
ou sans contrat valable ni autorisation à l’accord conclu.
de travail, et donc sans protection
sociale ni possibilité de recours en cas Le deuxième mode de recrutement
d’abus. est direct, par des employeurs qui
peuvent être intéressés par la possibi-
lité d’appliquer des niveaux de salaire
en deçà des conventions collectives
et de disposer d’une main-d’œuvre

28
L’accès au travail des migrants en Tunisie

dont l’informalité constitue le carac- le migrant dans une situation précaire


tère flexible recherché (OIT, 2019). dont il ne voit pas l’issue, et dont l’ac-
cumulation des vulnérabilités peut fi-
nalement fragiliser son état de santé
Séjour irrégulier : mentale (Terre d’Asile Tunisie et Mé-
le cercle vicieux des pénali- decins du Monde, 2017).
tés et la porte ouverte à l’ex-
ploitation
Caractéristiques de l’emploi
L’arrivée des migrants sur le territoire informel des migrants
est généralement régulière, grâce à
un visa d’entrée ou une exemption Les travailleurs migrants informels se
de visa qui leur autorise un séjour répartissent principalement dans les
de 3 mois. Cependant, en l’absence secteurs de l’agriculture, du bâtiment,
d’autorisation de travail et de carte du travail domestique, dans certaines
de séjour au titre du travail, le tra- industries manufacturières dans les
vailleur migrant tombe rapidement zones d’export ainsi que des ser-
en statut de séjour irrégulier. Il accu- vices et du tourisme. Il s’agit donc en
mule alors des pénalités de 20 DT grande partie de secteurs peu quali-
par semaine, plafonnées à 3000 DT22 fiés et peu réglementés.
et est passible d’être mis en déten-
tion avant d’être refoulé du territoire. A noter qu’un emploi informel peut
s’exercer au sein du secteur infor-
Ce statut irrégulier a des consé- mel, c’est-à-dire l’ensemble des acti-
quences néfastes sur les migrants à vités permises mais non déclarées et
plusieurs niveaux : il empêche l’exer- échappant donc à toute réglemen-
cice d’un emploi dans des conditions tation, ou encore au sein du secteur
formelles et décentes, y compris en formel, dans une entreprise qui choi-
matière de sécurité sociale et d’ac- sit de ne pas déclarer certains de ses
cès aux soins, il empêche le migrant employés.
d’accéder à la justice puisqu’en cas
d’agression ou de litige il craindra Le travail est occasionnel. Il n’y a sou-
de se tourner vers les autorités. Sans vent pas de continuité de celui-ci : il
possibilité de régularisation de sa si- peut s’arrêter à tout moment et est
tuation, le statut irrégulier maintient donc souvent entrecoupé par des
périodes de chômage, et il s’exerce
22. Décret gouvernemental n° 2017-1061 du 26 septembre 2017, souvent d’un secteur à l’autre, selon
fixant les tarifs des droits de chancellerie

29
L’ESSENTIEL//MAI 2020

les opportunités trouvées (Nasraoui, o Discrimination en raison de l’ori-


2017). gine ethnique sur les salaires, et
l’attribution des tâches dange-
Selon l’OIT (2019), l’informalité de reuses et pénibles.
la relation de travail avec l’employé,
combinée à leur position subalterne A noter que le secteur informel ne
socialement, mais aussi au racisme concerne pas que les migrants,
subi spécifiquement pour les tra- puisque l’emploi informel au sein de
vailleurs subsahariens, expose les l’économie représente 32,2 % de la
migrants à pratiques abusives qui population active occupée en 2015
semblent être une norme plutôt (BIT, ONM et HCDH, 2017), et que
qu’une exception : les conditions de travail précaires et
parfois abusives peuvent concerner
o Harcèlement sexuel, particuliè- l’ensemble des travailleurs informels.
rement des travailleuses domes-
tiques subsahariennes

o Confiscation des documents


d’identité

o Retard de paiement de salaires,


non-paiement des heures supplé-
mentaires

o Hébergement insalubre, inappro-


prié, sans Intimité

o Propos et insultes racistes par-


ticulièrement vis-à-vis des Sub-
sahariens

o Absence de congés, absence de


jours de repos

o Entrave à la liberté de mouve-


ment, séquestration

30
L’accès au travail des migrants en Tunisie

Le phénomène de la traite Le constat est identique auprès de la


des personnes permanence d’accueil de Terre d’Asile
Tunisie. Entre mai 2017 et décembre
La traite des personnes est une forme 2019, nous avons accompagné 403
aggravée d’exploitation. Pour quali- potentielles victimes de traite: 118
fier un acte de traite, trois éléments de mai 2017 à juin 2018, puis près du
doivent être réunis : double, soit 213 victimes entre juillet
2018 et juin 2019, et enfin 83 pour le
o Un acte : le recrutement, le trans-
seul dernier semestre 201923.
port, le détournement, l’héberge-
ment ou l’accueil de la victime La plupart des victimes de traite étran-
gères sont des femmes (79% des po-
o Un moyen : la menace, l’enlè-
tentielles victimes détectées par Terre
vement, la fraude, la tromperie,
d’Asile Tunisie) issues de pays sub-
l’abus d’autorité ou de vulnérabi-
lité, la rétribution afin d’obtenir le sahariens, plus particulièrement de
consentement de la victime Côte d’Ivoire (98% des potentielles
victimes détectées par Terre d’Asile
o Cet acte et ce moyen doivent Tunisie), exploitées dans le travail do-
avoir été employés dans un mestique. On recense également des
but : l’exploitation. Celle-ci peut hommes subsahariens, exploités dans
prendre plusieurs formes, no- l’agriculture principalement mais aus-
tamment : l’exploitation sexuelle si la construction et la restauration.
(prostitution), le travail forcé ou
l’esclavage, la mendicité, le pré- Les victimes de traite sont générale-
lèvement d’organes. ment recrutées en étant abusées sur
la nature et les conditions de travail.
En Tunisie, on constate une hausse Elles doivent ensuite rembourser
marquée des cas de traite transnatio- une dette à l’intermédiaire qui les a
nale, c’est-à-dire concernant des per- placées sur le lieu de travail, via la
sonnes migrantes qui sont la plupart confiscation de leur salaire pendant
du temps recrutées dans leur pays plusieurs mois, et ne peuvent quit-
d’origine pour venir être exploitées
en Tunisie. En 2018, l’Instance Natio- 23. France terre d’asile et Terre d’Asile Tunisie (2020), « Regard sur
la traite transnationale des êtres humains en Tunisie. Observations
nale de Lutte contre la Traite des Per- du projet de Renforcement des Capacités des OSC pour mieux
lutter contre la traite en Afrique », rapport à paraître.
sonnes (INLTP) identifiait 780 victimes
de traite, et 1313 victimes en 2019,
dont 630 victimes étrangères.

31
L’ESSENTIEL//MAI 2020

ter celui-ci avant le règlement de la Mesures d’assistance pour


dette. Elles tombent dans l’irrégulari- les victimes de traite
té durant cette période de servitude
pour dette. Horaires et charge de tra- Du fait de la gravité du crime de traite
vail excessifs, maltraitance physique des personnes, les victimes bénéfi-
et psychologique, isolement, enfer- cient d’une protection et d’une assis-
mement et confiscation du passeport, tance particulière. Elles bénéficient
menaces d’arrestation et d’expul- de la gratuité des soins pour garantir
sion sont les moyens souvent mis en leur rétablissement physique et psy-
œuvre par les auteurs de traite pour chologique, d’une assistance sociale
les priver d’échappatoire. Les femmes (comme l’hébergement), etc.
sont davantage exposées aux condi- Concernant leur statut de séjour, elles
tions abusives, étant notamment plus bénéficient d’un délai de réflexion et
vulnérables aux agressions sexuelles. de rétablissement d’un mois renou-
Pour lutter contre ce phénomène, velable une fois, durant lequel elles
la Tunisie s’est dotée en 2016 d’une ne sont pas considérées comme ir-
loi relative à la prévention et la lutte régulières. Si elles souhaitent porter
contre la traite des personnes24 plainte, elles bénéficient d’un séjour
qui est axée autour des « 4 P », les temporaire sur la durée de la procé-
standards internationaux en la ma- dure. Enfin, elles bénéficient d’une
tière : la Prévention de la traite, la Pro- aide au retour volontaire si elles ne
tection et l’assistance des victimes de souhaitent pas rester sur le territoire
la traite, la Poursuite des trafiquants tunisien, comprenant l’exonération
et de toute personne impliquée dans des pénalités d’irrégularité de séjour.
le crime, et enfin le développement Si la loi contre la traite des personnes
de Partenariats avec les pays concer- prévoit que ces mesures d’assistance
nés par la traite, les ONG et la société soient fournies par les institutions pu-
civile. bliques, au vu des limitations de ca-
pacités de celles-ci, de nombreuses
organisations internationales et de la
24. Loi organique n° 2016-61 du 3 août 2016, relative à la préven-
société civile y participent (voir enca-
tion et la lutte contre la traite des personnes. dré ci-dessous).

32
L’accès au travail des migrants en Tunisie

Services d’assistance aux vic-


times d’exploitation :

oo Aide sociale : Terre d’Asile


Tunisie (Kits d’hygiène,
écoute, rencontres etc.)

oo Aide médicale : Médecins du


Monde, Organisation Inter-
nationale pour les Migrations
(OIM)

oo Aide psychologique : Méde-


cins du Monde, Nebras

oo Santé sexuelle et reproduc-


tive : ATL-MST Sida, Office
National de la Famille et de
la Population (ONFP)

oo Hébergement : Beity, Cari-


tas, Amal pour la famille et
l’enfant, Terre d’Asile Tunisie

oo Aide juridique : Terre


d’Asile Tunisie (médiation,
information sur les droits,
aide à la régularisation, mise
à disposition d’avocats pour
assister les victimes), OIM
(conseils, informations)

33
L’ESSENTIEL//MAI 2020

10. Faire valoir ses


droits en tant que
travailleur migrant
En cas de problème, comme un litige hésion des travailleurs étrangers en
avec l’employeur, il est très difficile situation régulière.
pour une personne migrante de faire
valoir ses droits. Les migrants ne sont cependant pas
ou peu syndiqués en Tunisie car la plu-
Selon le droit international, tout em- part d’entre eux ont recours au travail
ployé a droit à des conditions dé- informel, ce qui ne leur confère pas le
centes de travail. En Tunisie, lorsque droit à la syndicalisation. Cependant,
l’on est travailleur informel et que l’on une réflexion est en cours au sein de
ne jouit pas des droits prévus par le l’Union générale tunisienne du travail
Code du travail, et lorsque l’on est en (UGTT), principale centrale syndicale
statut de séjour irrégulier en outre, il de Tunisie, pour permettre aux tra-
est très difficile de voir ses droits les vailleurs migrants informels de jouir
plus élémentaires être respectés. Des d’une protection syndicale.
mécanismes et des initiatives de dé-
fense des droits des travailleurs mi- En attendant, face à la multiplication
grants se développent cependant. des cas d’exploitation et de traite
des personnes en Tunisie, l’UGTT a
décidé de réagir. En 2018, elle a mis
L’action des syndicats en sur pied quatre « Espaces migrants »
faveur des travailleurs mi- dans les villes de Tunis, Sfax, Sousse
grants et Médenine dédiés aux travailleurs
étrangers réguliers ou irréguliers. Les
La syndicalisation est un puissant mé- points focaux migrants accueillent les
canisme de défense et de dévelop- travailleurs étrangers afin de leur offrir
pement des droits des travailleurs. des conseils, des orientations, des in-
En Tunisie, la liberté syndicale est formations, une aide juridique et un
prévue par l’article 242 du Code du accompagnement en cas d’abus.
travail. La loi n’interdit donc pas l’ad-

34
L’accès au travail des migrants en Tunisie

Au niveau international, l’action syn- l’UGTT, le Forum Tunisien pour les


dicale se développe également en Droits Economiques et Sociaux (FT-
faveur des travailleurs migrants. En DES) et d’autres associations telles
2014, un réseau syndical des migra- que l’Association des Etudiants et Sta-
tions méditerranéennes subsaha- giaires Africains en Tunisie (AESAT),
riennes (RSMMS), a été créé pour l’Association pour le Leadership et le
l’articulation interrégionale de l’ac- Développement en Afrique (ALDA) et
tion syndicale au service du travail Terre d’Asile Tunisie25, ont proposé
décent des migrants. Celui-ci réunit plusieurs initiatives en faveur de la ré-
24 syndicats (dont l’UGTT) de trois gularisation des travailleurs migrants26
régions (Afrique subsaharienne, Ma- et d’un assouplissement des règles
ghreb, Europe) qui veillent à la pro- d’accès au travail formel.
tection des droits fondamentaux des
migrants et leurs familles ainsi qu’à la 25. Voir par exemple la Rencontre débat organisée par Terre
d’Asile Tunisie le 4 avril 2019 sur « L’accès au travail pour les travail-
protection des droits des travailleurs leurs migrants dans le cadre de la Stratégie Nationale Migratoire »
qui transitent ou qui s’installent dans 26.Deux marches pacifiques pour les droits des migrants en Tu-
leur pays. Plus précisément, l’objec- nisie ont été organisées par un collectif d’associations le 13 mai
2018 et le 4 mai 2019
tif est de développer une approche
coordonnée entre syndicats des pays
de départ, de transit et d‘accueil en
matière de défense des droits des mi-
grants, y compris irréguliers.

L’action de la société civile


et des organisations inter-
nationales

Les organisations de la société civile


et les organisations internationales
jouent également un rôle essentiel
dans la défense des droits des mi-
grants, dans la sensibilisation de
ceux-ci et de leurs employeurs, ain-
si que dans le plaidoyer auprès des
autorités pour une meilleure gestion
de la migration de travail. En plus de

35
L’ESSENTIEL//MAI 2020

Conclusion

Si la Tunisie dispose d’un cadre lé- Une évolution de la législation dans ce


gal et de procédures permettant aux sens pourrait éventuellement combler
étrangers d’obtenir un emploi formel les demandes en main d’œuvre dans
et un titre de séjour valable, le carac- des secteurs où les besoins ne sont pas
tère restreint des voies d’accès à l’em- satisfaits par les nationaux.
ploi pousse une partie importante
des migrants à avoir recours au travail L’amélioration de ce cadre législatif
informel, précaire et sans protection ne peut pas négliger la mise en place
sociale. Ils sont alors particulièrement de mécanismes de protection des tra-
exposés aux abus, y compris ceux qui vailleurs migrants, y compris occupant
concernent la traite des personnes. La un emploi informel et étant en séjour
restriction de l’accès au travail formel irrégulier, et une intensification de la
pose donc des obstacles à l’accès aux lutte contre l’exploitation. A cet égard,
droits humains. la ratification des Conventions n°97 et
n°143 de l’OIT et l’intensification de
Il apparait donc nécessaire que le la lutte contre les discriminations et la
cadre juridique évolue en faveur traite s’imposent. Cela passe par l’ap-
d’une facilitation de l’accès au tra- plication des dispositions de la loi de
vail formel pour les étrangers – qu’il 2018 contre les discriminations raciales,
s’agisse d’une réforme des lois exis- mais aussi des sanctions prévues dans
tantes ou d’établissement d’accords les cas d’exploitation et de traite des
bilatéraux favorisant l’emploi tempo- personnes.
raire. Une réflexion doit être menée
sur les conditions de séjour et les pos- Enfin, une meilleure information sur
sibilités de régularisation. les droits des travailleurs migrants de-
vrait également être favorisée, auprès
En outre, le travail informel repré- des travailleurs aussi bien que des em-
sente un manque à gagner important ployeurs et des professionnels des sec-
en termes de recettes fiscales et de teurs liés à ces droits (par exemple le
cotisations sociales. secteur de la santé).

36
L’accès au travail des migrants en Tunisie

ANNEXE
principales conventions
internationales en matière de
migration et de travail27

Les Conventions internatio- o La Convention n°29 sur le travail


nales ratifiées par forcé de 1930
la Tunisie27
o La Convention n°87 sur la liberté
Les instruments juridiques des Na- syndicale et la protection du droit
tions unies : syndical de 1948
o La Déclaration Universelle des o La Convention n°98 sur le droit
Droits de l’Homme de 1948 d’organisation et de négociation
collective de 1949
o La Convention de Genève et de
son protocole de 1968 relatif à la o La Convention n°100 sur l’égalité
protection des réfugiés et des de- des rémunérations de 1951
mandeurs d’asile.
o La Convention n°105 sur l’aboli-
o la Convention de Palerme et ses tion du travail forcé de 1957
protocoles additionnels criminali-
sant notamment la traite des per- o La Convention n°111 sur la dis-
sonnes et le trafic de migrants crimination (emploi et profession)
de 1958
o Le Pacte international relatif aux
droits sociaux, économiques et o La Convention n°138 sur l’âge mi-
culturels. nimum de 1973 qui spécifie que
l’âge minimum est de 16 ans
La Tunisie a ratifié 64 textes de l’OIT,
notamment ses 8 conventions fonda- o La Convention n°182 sur les pires
mentales : formes de travail des enfants de
1999
27. https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:11200:0::NO:1
1200:P11200_COUNTRY_ID:102986

37
L’ESSENTIEL//MAI 2020

La Tunisie a également ratifié 3 dation n°86 concernant les travail-


Conventions de gouvernance priori- leurs migrants (révisée) de 1949
taires sur 4 :
oo Convention n°143 de l’OIT ainsi
o La Convention n°081 sur l’inspec- que la recommandation n°151 sur
tion du travail de 1947 entrée en les travailleurs migrants de 1975
vigueur le 15 mai 1957
oo Convention internationale sur
o La Convention n°122 sur la po- la protection des droits de tous
litique de l’emploi de 1964 en- les travailleurs migrants et des
trée en vigueur le 17 février membres de leur famille du 18
1966 décembre 1990. À travers ce
texte, l’Organisation des Nations
o La Convention n°144 sur les unies vise à protéger les travail-
consultations tripartites relatives leurs migrants, en rappelant les
aux normes internationales du tra- conventions de l’OIT n°97 et
vail de 1976 n°143 sur les travailleurs migrants
ainsi que les recommandations nº
86, nº 151, nº 29 et nº105
Enfin la Tunisie a ratifié 52 Conven-
oo Convention n°102 sur la sécurité
tions techniques sur 178. Cependant,
sociale (norme minimum) de 1952
sur ces 64 textes ratifiés par la Tunisie,
seuls 48 sont en vigueur. oo Convention de gouvernance prio-
ritaire n° 129 sur l’inspection du
travail (agriculture) de 1969
Les Conventions internatio-
oo Convention n°157 sur la conser-
nales non ratifiées par la Tu-
vation des droits en matière de
nisie
sécurité sociale de 1982
Plusieurs instruments relatifs notam-
oo Convention n°181 sur les agences
ment aux travailleurs migrants n’ont
d’emploi privées de 1997
pas été ratifiés par la Tunisie, notam-
ment : oo Convention n°189 sur les travail-
leuses et travailleurs domestiques
oo Convention n°97 sur les travail-
de 2011
leurs migrants de l’OIT (révisée)
de 1949 ainsi que la recomman-

38
L’accès au travail des migrants en Tunisie

oo Recommandation n°204 sur la


transition de l’économie infor-
melle vers l’économie formelle
de 2015.

Au total, on compte 47 conventions


de l’OIT non ratifiées par la Tunisie.

39
L’ESSENTIEL//MAI 2020

bibliographie
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et satisfaction des étudiants subsahariens
Médecins du Monde (2016), « Plaidoyer en Tunisie », Tunisie
pour un accès des migrants au droit à la
santé en Tunisie », Tunisie
40
Terre d’Asile Tunisie, section tunisienne de France terre d’asile est
une association de droit tunisien à caractère humaniste. Depuis 2012,
l’association agit pour le renforcement des capacités de la société
civile et des institutions publiques, en tant qu’actrice des migrations et
de l’asile. Pour cela, elle a créé les Maisons du Droit et des Migrations
de Tunis et de Sfax, espaces de formation, de débats et de ressources.
L’association dispose aussi de plateformes d’information, d’orientation
et de médiation pour les migrants via des permanences d’assistance
juridique et sociale.

S’inscrivant durablement en Tunisie, l’association œuvre, grâce à une


société civile engagée, des institutions locales impliquées, et une
opinion publique mieux sensibilisée à une meilleure prise en compte
des besoins des populations concernées par les autorités tunisiennes,
dans l’application et la révision des stratégies nationales migratoires et
de lutte contre la traite, de la législation et des politiques publiques.

Terre d’Asile Tunisie agit à plusieurs niveaux et auprès de plusieurs


publics cibles : les personnes migrantes, et notamment les demandeurs
d’asile, réfugiés, mineurs isolés, victimes de traite et migrants les plus
vulnérables, la société civile et en premier lieu les associations, les
relais communautaires, les avocats, les journalistes, les universités
mais également les ambassades, les autorités tunisiennes, les services
publics locaux, et enfin le grand public.

Terre d’Asile Tunisie – Maison du Droit et des Migrations


17, rue Khaled Ibn El Oualid, Mutuelleville, Tunis
maison-migrations.tn
[email protected]
+216 71 287 484

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