Les Dérives Du Microcrédit Au Maroc, Le Regard D'un Investisseur
Les Dérives Du Microcrédit Au Maroc, Le Regard D'un Investisseur
Les Dérives Du Microcrédit Au Maroc, Le Regard D'un Investisseur
social et solidaire.
AUTEURS :
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INTRODUCTION
Les ancêtres de la microfinance au Maroc remontent à loin. Le Crédit Populaire considère
qu’il en a été précurseur dès les années 60, avec ses financements et ses programmes
d’appui aux artisans. La Solidarité Internationale pour le Développement et l’Investissement
(SIDI)1 y a certainement joué un rôle avec le lancement à la fin des années 80 de
financements et de programmes d’appui au développement de la très petite entreprise et la
création en 1989 de sa filiale locale MADI (MAghreb Développement Investissement). Mais
c’est la Fondation Zakoura, initiée par un riche mécène en 1996 et l’association Al Amana,
lancée grâce à un gros financement de l’USAID2 en 1997 qui donneront une portée nationale
à l’activité.
La SIDI est solidaire d’Al Amana et du secteur marocain du microcrédit sur la mission et les
principes fondateurs de l’activité. Elle finance et accompagne les personnes ou les
groupements n’ayant pas accès aux banques classiques pour la réalisation de leurs activités
génératrices de revenus. La SIDI est sensible à la protection des clients, autant par vocation
(portée par les parties fondatrices et par les actionnaires individuels) que par souci légitime
d’image de marque. Elle a la capacité d’aider à une meilleure intégration des règles
éthiques, de la protection de la clientèle, de la transparence dans les standards d’activité et
les programmes d’action de ses partenaires.
Après la crise générale des Associations de MicroCrédit (3AMCs) marocaines en 2008, un
phénomène de non remboursements de prêts par les clients de certaines structures se
développe début 2011. Les effets retard de ce phénomène continuent de se manifester,
dans le pays et à l’étranger. A cet effet, la SIDI a décidé d’analyser les dérives de la
microfinance au Maroc pour rassurer ses actionnaires sur la réelle finalité de leurs
investissements, pour réaffirmer son soutien et son accompagnement à son partenaire Al
Amana.
Ce travail examine les tenants et les aboutissants de cette campagne anti-microcrédit qui a
eu pour slogan : « Nous ne rembourserons pas ! » mais aussi les perspectives du secteur.
L’article repose sur les résultats des enquêtes de terrain effectuées au Maroc courant Juillet
2014 au cours desquelles des entretiens ont été menés auprès de neuf personnes
ressources des établissements de microfinance, de l’Association Forum des Alternatives
1La SIDI, est une Société en Commandite par Actions (SCA) qui a été créée en 1983 par le Comité Catholique contre la Faim
et pour le Développement (CCFD)-Terre Solidaire et des congrégations religieuses avec le concours d’actionnaires
individuels. En qualité d’investisseur social, la SIDI est labellisée «entreprise solidaire» depuis février 2006. Sa raison d’être
est l’inclusion financière pour la réduction de la précarité.
2United States Agency for International Development est l’agence indépendante du gouvernement des Etats-Unis chargée
l’Ouest, le terme courant est Système Financier Décentralisé (SFD). En Afrique Centrale, on parle d’Etablissement de
MicroFinance (EMF). Dans cet article, nous utiliserons indifféremment les termes AMC et IMF.
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Sud, de la Fédération Nationale des Associations de Microcrédit (FNAM), du Centre
Mohammed VI et de la Commission Ethique et Bonne Gouvernance de l’organisation du
patronat marocain.
Le microcrédit a commencé au Maroc alors que les pionniers de par le monde en avaient
déjà largement balisé le terrain et que la doctrine de l’activité en était assise. Les
associations marocaines de microcrédit sont devenues visibles lorsque la 4loi les a
reconnues en 1997. En 2011, le secteur du microcrédit au Maroc a subi une campagne
intense de dénigrement. Cette campagne a été pour le moins fortement appuyée et relayée
par Attac Maroc, association affiliée au mouvement mondial Attac (« contre l’hégémonie de
la finance et la marchandisation du monde »). Son argument central a été que les
associations de microcrédit ont abusé de l’ignorance de leurs clients. Le discours sous-
jacent de la campagne est que le microcrédit n’est qu’un adjuvant pour la survie du système
capitaliste qu’il convient d’éradiquer et que les pauvres ont besoin non pas de prêts mais de
la redistribution égalitaire des richesses nationales et mondiales.
Les documents de la campagne contre le microcrédit sont aussi prolifiques que virulents tels
que l’illustre une publication d’Attac/CADTM6 Maroc " Contre la mondialisation libérale "
(2014). Ce document montre le caractère idéologique et le parti-pris des auteurs. Les
arguments avancés sont nombreux, allant des éléments indéniables à des allégations qui
semblent farfelues. Ces arguments consistent à considérer que le système du microcrédit au
Maroc se caractérise par un coût exorbitant des crédits, un biais lourd d’information
préalable des clients, un surendettement systématique des clients, donnant des effets
catastrophiques, des procédures musclées de recouvrement et un manque notable
d’accompagnement des clients.
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Un certain nombre de clients des associations de microcrédit ont considéré opportun
d’exiger l’abandon de leurs dettes. Ils ont été particulièrement encouragés par le fait que les
leaders politiques sont allés jusqu’à autoriser que leurs réunions aient lieu dans les locaux
de certaines mairies. Pour que la réaction des Institutions de MicroFinance (IMFs) ne puisse
pas être efficace, il fallait que le mouvement soit généralisé, ce à quoi plusieurs personnes
ont contribué. Le manque de réactions immédiates et fermes des Associations de
MicroCrédit (AMCs) et la bénédiction tacite des autorités ont encouragé la population
bénéficiaire de microcrédit à suspendre les remboursements en attendant la suite des
évènements.
Sur les 11000 clients Al Amana dans la région de Ouarzazate, le tiers environ a suspendu
ses remboursements, mettant à risque des créances de l’ordre de 73,5 millions d’euros. En
réaction, Al Amana et les autres associations concernées ont suspendu pour une année,
l’octroi de crédits dans les points concernés, jusqu’à la normalisation de la situation. Al
Amana a organisé la mobilisation de ses équipes de la région et du reste du pays, avec
comme priorité d’expliquer et de convaincre qu’elle est là pour servir la population et non
pour enrichir ses membres et dirigeants. Elle a manifesté des signes de bonne volonté, en
réaménageant favorablement et sans surcoûts les échéanciers de remboursement pour les
clients qui alléguaient de problèmes conjoncturels et exprimaient leur désir de rétablir une
relation de confiance. Elle a aussi engagé des poursuites judiciaires contre une centaine de
clients qui ont été considérés comme mal intentionnés, puisqu’ils n’avaient pas de problèmes
pour le remboursement ayant un patrimoine suffisant pour pouvoir rembourser en une fois
l’intégralité de leur dette, sans se retrouver dans une situation financière dramatique. Ils sont
accusés d’avoir commis des délits pour lesquels on peut les poursuivre devant la justice,
notamment escroquerie et abus de confiance.
Les deux leaders les plus en vue de ce mouvement, Bennasser Ismaïni (Président de
l’Association Assistance Populaire pour le Développement Social) et Amina Morad (son
adjointe), ont été poursuivis par cinq associations, auprès desquelles ils avaient contracté
chacun le maximum d’emprunt, pour refuser peu de temps après tout remboursement.
Lorsque les AMCs ont engagé des poursuites contre eux, des entremises ont été tentées par
certains acteurs en vue de la société civile. Il semble que la partie poursuivie comptait sur
l’appui des autorités et n’a pas pensé qu’il soit nécessaire de tergiverser, préférant miser sur
un gain politique et médiatique. Le 11 février 2014, la Cour d’Appel condamnait Amina
Morad et Benasser Ismaïni à un an de prison ferme, 2500 euros d’amende et 800 euros de
dédommagements au profit de l’Institution Marocaine d’Appui à la micro-entreprise. Depuis,
les intéressés se seraient pourvus en cassation, ce qui suspend l’exécution des peines et les
laisse donc en liberté.
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2- Zoom sur la microfinance marocaine
8 http://www.cm6-microfinance.ma/uploads/file/tendances%202014/Tendances%20Mars%202014.pdf
9 Nouvelle dénomination Albaraka.
10 Entretien avec Asmaa Zniber, Chargée de la Commission Ethique et Bonne Gouvernance.
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2-2- Que faire ?
Le système du microcrédit rencontre certes des crises mais reste toujours l’un des
instruments de lutte contre la pauvreté. Il nécessite peut-être une réorganisation des AMCs
pour s'adapter plus aux besoins des clients. Pour cela, il est impératif d’exploiter les axes de
développement et de progrès qui feront les avancées majeures des prochaines années.
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leurs produits, afin de proposer aux clients une palette de produits plus ou moins comparable
à celle disponible chez les banques et garantir les meilleures conditions pour l’innovation
sociale, institutionnelle, technologique et le marketing afin de rendre l’offre de prestations
toujours plus en adéquation avec les besoins et les attentes des clients. L’utilisation
judicieuse de la technologie devrait être une de leur priorité, afin de mieux répondre aux
besoins et d’alléger les coûts de transaction. Le renforcement des capacités et des
compétences institutionnelles, grâce à l’accès aux ressources et savoir-faire des institutions
financières les plus pointues, l’amélioration du cadre légal, réglementaire et fonctionnel, afin
de dépasser l’opacité, le déficit de confiance et les freins dus à la concurrence, peuvent
contribuer à la performance des offres d’une institution de microfinance.
CONCLUSION
La situation est stabilisée au Maroc. La microfinance n’est plus perçue comme comportant
un risque important de perte d’image de marque, mais le secteur fait du sur-place depuis
trop longtemps. Les mêmes produits de prêt, les mêmes limites à l’innovation, la même
absence de compétitivité et la faiblesse de la diversité institutionnelle, le même enfermement
du secteur vis-à-vis des opérateurs ayant un savoir-faire international et la répercussion des
coûts sur les clients, etc. Tout cela ne permet pas d’espérer une valeur ajoutée substantielle
et une satisfaction croissante de la clientèle. On peut donc craindre que la morosité
ambiante crée les conditions pour de nouvelles expressions d’agacement de la clientèle, qui
peuvent aller de la bouderie des services de microcrédit jusqu’à des jacqueries en tous
genres.
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Asmaa Zniber, Chargée de la Commission Ethique et Bonne Gouvernance de
l’organisation du patronat marocain/Confédération Générale des Entreprises du
Maroc (CGEM).