MICROFINANCE ET RÉDUCTION de La Pauvreté Le Cas de Cameron

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Revue internationale de l'économie sociale


Recma

Microfinance et réduction de la pauvreté, le cas du crédit du


Sahel au Cameroun
Micro-finance and the reduction of poverty: the case of Crédit
du Sahel in Cameroon
Gérard Tchouassi et Honoré Tekam Oumbe

Numéro 288, avril 2003 Résumé de l'article


Cet article présente l’expérience d’une coopérative d’épargne et de crédit, le
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1022202ar Crédit du Sahel, qui tente à travers quelques formules innovantes de réduire la
DOI : https://doi.org/10.7202/1022202ar pauvreté dans un pays, le Cameroun, où le taux de pauvreté est assez élevé.
Cette structure de microfinance a mis sur pied une forme très attractive de
Aller au sommaire du numéro petits crédits permettant aux bénéficiaires soit de financer une livraison ou le
traitement d’une commande, soit de favoriser le renouvellement de petits
matériels agricoles, soit de financer l’achat des intrants agricoles. Certaines
actions s’inscrivent dans un partenariat avec l’Union européenne autour de
Éditeur(s)
projets de développement. Si les revenus qui en résultent permettent aux
Institut de l’économie sociale (IES) populations de rembourser le crédit contracté, ils leur offrent avant tout les
moyens de se nourrir et de sortir peu à peu de la précarité et de la pauvreté
ISSN ambiante.

1626-1682 (imprimé)
2261-2599 (numérique)

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Tchouassi, G. & Tekam Oumbe, H. (2003). Microfinance et réduction de la
pauvreté, le cas du crédit du Sahel au Cameroun. Revue internationale de
l'économie sociale, (288), 80–88. https://doi.org/10.7202/1022202ar

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MICROFINANCE ET RÉDUCTION
DE LA PAUVRETÉ, LE CAS DU CRÉDIT
DU SAHEL AU CAMEROUN
par Gérard Tchouassi (*) et Honoré Tekam Oumbe (**)

Cet article présente l’expérience d’une coopérative d’épargne et de crédit,


le Crédit du Sahel, qui tente à travers quelques formules innovantes de
réduire la pauvreté dans un pays, le Cameroun, où le taux de pauvreté est
assez élevé. Cette structure de microfinance a mis sur pied une forme très
attractive de petits crédits permettant aux bénéficiaires soit de financer
une livraison ou le traitement d’une commande, soit de favoriser le renou-
vellement de petits matériels agricoles, soit de financer l’achat des intrants
agricoles. Certaines actions s’inscrivent dans un partenariat avec l’Union
(*) Centre A.-&-L.-Walras, Institut
des sciences de l’homme, univer-
européenne autour de projets de développement. Si les revenus qui en résul-
sité Lyon-2 et enseignant à l’uni- tent permettent aux populations de rembourser le crédit contracté, ils leur
versité de Yaoundé-II, Cameroun.
(**) Enseignant à l’université de
offrent avant tout les moyens de se nourrir et de sortir peu à peu de la pré-
Dschang, Cameroun. carité et de la pauvreté ambiante.


éfléchir sur les moyens et les méthodes permettrant de rendre le cré-
dit accessible aux pauvres n’est pas du tout inédit de nos jours (Adams
(1) Anglophones et francophones
glorifient leurs « modèles » res-
pectifs, avec ou sans épargne préa-
lable, en même temps que les
R et Pischke, 1992). En effet, au XIXe siècle, en Europe et en Amérique
du Nord, le crédit « populaire » semblait être une voie possible d’autono-
bailleurs de fonds multiplient leurs
appuis financiers à ces projets qui misation des classes paysannes et ouvrières pauvres. Les caisses Raffeisen
démontrent à la fois l’intérêt du en Allemagne et les caisses Desjardins au Canada ont fait progressive-
microcrédit comme instrument
financier de lutte contre la pau- ment et au fil du temps figure de modèles (1) à exporter dans d’autres pays
vreté et les limites de l’universa- tant du Nord que du Sud.
lité supposée de ces modèles de
référence. Au lendemain des indépendances et de nos jours dans les pays d’Afrique
(2) Les gouvernements de plu- au sud du Sahara, ce sont ces mêmes expériences qui tentent de remédier
sieurs pays d’Afrique au sud du
Sahara ont eu, au moins sur ce à la pauvreté et de combler le vide laissé par les banques de développement
plan, la volonté de promulguer des
textes réglementaires permettant
(Gentil et Fournier, 1993). Selon de nombreux auteurs, de nombreux cher-
de bien cerner les activités des cheurs tant francophiles qu’anglophiles (Servet, 1998, 1999, 2001 et 2002;
coopératives d’épargne et de cré-
dit jusque-là mal connues.
Guérin, 1999 et 2000 ; Vallat, 2000 ; Mayoukou, 2000 ; Morduch, 1999
(3) Elle a toujours eu le courage de et 2000; etc.), les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux (BIT, Banque
prendre les devants en créant des
groupements (Coopec, GIC, GIE,
mondiale, Union européenne, etc.), les pouvoirs publics (2), la société civile (3),
ONG, etc.), même si à un moment etc., la microfinance constitue un instrument, un outil de réduction de la
donné ils étaient considérés comme
évoluant dans l’informel. Le projet
pauvreté. Cependant, elle doit être réservée, sans trop de conditionnalités,
très réussi de la Grameen Bank, ini- aux couches de population pauvres ou même aux plus pauvres n’ayant
tié par l’économiste Mohammed
Yunus au Bangladesh en 1975,
pas accès à certaines ressources. En outre, lorsque le système financier ban-
constitue un exemple concret. caire limite sa clientèle aux classes sociales aisées des grandes villes, il n’est

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pratiquement possible de distribuer du crédit qu’à une partie de la popu-


lation. La partie de la population la plus pauvre ne peut accéder qu’aux
solutions alternatives ou qu’aux solutions « palliatives ».
Les pauvres représentent au Cameroun en 1996 plus de 50 % de la
population, et 64 % vivent en milieu rural. Désormais conscients de
cette situation, les pouvoirs publics (à travers des programmes précis et des
dispositions légales et réglementaires) et la société civile (caisses coopéra-
tives d’épargne et de crédit, associations, ONG, tontines, etc.) ont fait de
la réduction de la pauvreté l’un des axes principaux de réflexion et de
mise en pratique des nouvelles orientations de politique économique dans
(4) Le Cameroun a été élu et le cadre du programme « Pays pauvres très endettés » (PPTE) (4). En réalité,
classé au rang des pays africains
pauvres très endettés par les orga-
la perspective d’une impasse dans les pays en développement en général
nismes de Brettons Woods. Dans et la réminiscence de la crise de la dette des années 80 ont conduit les
ce cadre, il bénéficie d’un pro-
gramme d’appui financier consi-
pays du G7 et les institutions de Bretton Woods à mettre sur pied en 1996
dérable dans les secteurs sociaux l’« Initiative en faveur des pays pauvres très endettés », dont les insuffisances
(santé, éducation, entretien des
infrastructures) les plus frappés
nées de l’application de la version initiale ont conduit à l’adoption d’un
par la pauvreté. cadre révisé en 1999. Cette initiative constitue la première tentative d’en-
vergure visant à résoudre le problème de la dette en libérant des res-
sources pour investir dans la réduction de la pauvreté (Tamba, 2001).
En effet, dans la pratique, il est souvent très difficile d’établir des critères
de pauvreté qui soient à la fois objectifs et reconnus par les populations et
qui tiennent compte des aspects matériels, économiques, financiers et
sociaux. La pauvreté ne désigne pas uniquement une insuffisance ou un
non-accès aux ressources matérielles, économiques et financières, mais éga-
lement l’absence de capacités (intellectuelles, mentales et psychologiques)
à bien gérer sa vie, à articuler et à agencer ses besoins et ses intérêts, à com-
prendre certaines situations, à poursuivre ses objectifs et à se faire entendre.
Etre pauvre peut encore signifier, au Cameroun, ne pas avoir de chance et
de réputation, mais aussi ne pas être sérieux et honnête. Les pauvres sont
les « bons à rien », les « sans esprit d’entreprise » qui « fuient le travail ». Cette
définition immatérielle de la pauvreté prend beaucoup plus en considéra-
tion l’aspect social et l’aspect psychologique, non matériel et non financier
des pauvres. C’est ce qui amène certaines couches de la population pauvres
ou aisées à se regrouper ou à constituer des associations, des organisations
à initiatives communes ou économiques, des tontines, etc., pour enfin se
constituer un « capital social ».
L’objet de cet article est de montrer comment les pouvoirs publics, par la voie
de la législation et la société civile (associations, coopératives d’épargne et
de crédit, ONG, tontines, etc.), peuvent combiner leurs efforts dans la réduc-
tion de la pauvreté au Cameroun. Spécifiquement, la question de recherche
(5) Précisons ici que la distribution
qui nous préoccupe dans ce travail est de savoir comment procéder, à travers
des microcrédits n’est pas, en les coopératives d’épargne et de crédit, à la réduction de la pauvreté au Came-
général, exclusive aux plus pauvres.
Les bénéficiaires des crédits se
roun et particulièrement dans la partie nord du Cameroun ? En d’autres
comptent parfois parmi les « plus termes, comment contribuer, par la mobilisation et la collecte des petites
aisés ». Mais l’important est que le
crédit puisse permettre de faire
épargnes et par la distribution des petits crédits, à faire reculer la pauvreté en
reculer la pauvreté. milieu rural (5) ? Cette contribution s’intéresse à la microfinance en tant

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qu’outil de développement pour montrer comment le Crédit du Sahel contri-


bue spécifiquement, en utilisant des formules innovantes, à faire reculer la
pauvreté dans la partie septentrionale du Cameroun.


Les coopératives d’épargne et de crédit comme outil de développement
Avant d’aller plus loin dans l’analyse, il est important de dire exactement
ce que nous entendons par microfinance et, ensuite, de préciser le rôle
des institutions nationales et internationales dans la reconnaissance de cet
outil de développement.

Aperçu sur la notion de microfinance


On parle à la fois de microfinance et de microcrédit, de finance décentra-
lisée, de finance de proximité (proximity bank) ou encore de finance soli-
daire. L’emploi du terme « micro » met directement l’accent sur l’échelle
des projets financés. Par exemple, les crédits accordés sont de très faible
(6) Dans les pays du Sud, les montant (6) et destinés à des projets de très petite envergure et favorisant
microcrédits financent les activi-
tés agricoles et commerciales
généralement l’auto-emploi. En général, on retient trois critères pour ce
génératrices de revenus. Il s’agit, type de crédit: son montant faible, sa durée très courte et ne s’adressant en
en effet, des activités tradition-
nelles, maîtrisées par tous et ne
priorité qu’aux exclus des systèmes financiers formels (les banques com-
nécessitant pas un capital très merciales, par exemple). Le critère « faible montant » n’a de sens que par
élevé. Ce capital peut se situer
entre 20 000 et 120 000 francs
rapport à un niveau de vie. Ce qui est considéré comme un « micro-
CFA, correspondant juste au finan- montant » en Europe peut constituer un « gros montant » en Afrique. En
cement du fonds de roulement
d’une activité génératrice de reve-
effet, la Banque mondiale retient pour ce critère un montant maximal de
nus. Dans les pays industriels, le crédit d’environ 30 % du produit intérieur brut par habitant.
montant du crédit nécessaire varie
avec le niveau de revenu par tête. Le terme « microfinance » recouvre à la fois les opérations de crédit et d’épargne.
Il se situe entre 350 0 0 0 francs Sa spécificité réside beaucoup plus dans l’octroi de crédit préalable et destiné
CFA dans les villages albanais et
peut atteindre 2 000 000 francs aux pauvres ou aux exclus. C’est, en fait, ce qui explique l’usage du terme
CFA en France. « microcrédit ». En outre, les expériences de finance de proximité ou de finance
décentralisée se distinguent des systèmes bancaires classiques par une simple
volonté de proximité, de rapprochement entre les clients cibles et la
structure et aussi entre ces clients eux-mêmes. C’est ce qui implique
nécessairement une décentralisation des opérations. La finance solidaire se
justifie, car certaines expériences mettent en avant des préoccupations d’ordre
éthique, de lutte contre la précarité et la pauvreté, et non pas de rentabilité
financière. Certaines de ces expériences se basent sur le principe de la
caution solidaire, inspiré de la Grameen Bank. La solidarité ne se situe plus
entre les opérateurs et les clients, mais entre les clients eux-mêmes.
La microfinance peut être considérée comme un instrument d’intégration
des pauvres au marché et au circuit économique. Elle est aussi considérée
ailleurs comme un mode d’allocation de ressources rares et comme un fac-
teur d’émancipation et de lutte contre l’exclusion de certaines franges de
la population. Elle est, en plus, un facteur de dynamique collective à par-
tir de la base, d’apprentissage de la démocratie, de la bonne gouvernance
et d’émergence de la société civile.

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Rôle des institutions dans la reconnaissance


de cet outil de développement
Le rôle des institutions internationales multilatérales, en particulier du
Bureau international du travail et plus récemment de la Banque mondiale,
doit être vivement souligné dans tout ce vaste mouvement d’expansion et
de reconnaissance de la microfinance comme outil de développement.
Convaincu que la stabilité et la performance des systèmes financiers
affectent directement le niveau de l’emploi, de la pauvreté et de l’exclusion
sociale, le Bureau international du travail a mis en place depuis 1990 une
unité de recherche intitulée Finance et Solidarité (BIT, 1999).
Cependant, l’année 1995 marque un tournant décisif dans la reconnais-
sance de l’outil. En effet, la déclaration et le plan d’action du sommet de
Copenhague appellent à la nécessité de relier les problèmes sociaux à la ques-
tion de l’accès aux marchés financiers. Au même moment se crée sous l’égide
de la Banque mondiale le Groupe consultatif d’assistance aux plus pauvres
(CGAP), dont l’un des objectifs vise à créer plus précisément un climat favo-
rable au développement de la microfinance. Il s’agit, en réalité, de généra-
liser le soutien de l’institution à des expériences concrètes de terrain, mais
aussi de permettre la coordination entre les différents donateurs.
C’est ainsi qu’en 1997 le premier sommet du microcrédit, tenu à Washing-
ton, lui a donné une autre ampleur. Ce sommet, soutenu par l’Organisation
des Nations unies et par plusieurs gouvernements, avait été organisé sous
l’égide d’un consortium qui regroupait de multiples organismes de microfi-
nance, des bailleurs de fonds et des fondations. En réunissant plus de deux
mille organisations, ce sommet du microcrédit officialise et rend ainsi légi-
time cet instrument sur la scène internationale. L’objectif des promoteurs du
sommet est clair. Il s’agit de se mobiliser à l’échelle internationale pour atteindre
à l’horizon 2005 plus de cent millions de familles parmi les « plus pauvres ».
Sur le terrain, simultanément, on assiste à l’émergence d’une floraison de
(7) Pour une analyse de l’état des dispositifs (7) recouvrant des réalités très disparates, mais proposant au public
lieux et une synthèse de ces dis-
positifs attrayants et innovants,
des formules très attrayantes et innovantes, que ce soit au niveau des
voir Célestin Mayoukou (2000) et objectifs généraux et spécifiques poursuivis, de l’échelle d’intervention, de
Thierry Montalieu (2002).
l’importance de l’épargne mobilisée et des crédits distribués, du mode d’or-
ganisation et du degré d’autogestion souhaité ou du type de promoteurs
impliqués. Le terme « microfinance » renvoie tout aussi bien à des institu-
tions financières comme la Grameen Bank ou la Bank Rayat Indonesia, qui
regroupent plus de deux millions d’emprunteurs, qu’à des réseaux mutua-
listes et coopératifs déjà anciens qui se mettent à élargir leur clientèle.
(8) En ce qui concerne l’Afrique de
Si l’on s’en tient aux dispositifs qui font preuve d’un minimum de viabi-
l’Ouest, il faut préciser que l’ex- lité et d’envergure, les chiffres sont toutefois éloquents. En effet, parmi
pansion de la microfinance a été
largement facilitée par la loi Par-
les neuf cents dispositifs répertoriés par la Banque mondiale en 1995 sur
mec (« Programme d’appui à la l’ensemble des continents (dispositifs de plus de mille clients et ayant
réglementation des mutuelles
d’épargne et de crédit »), adoptée
plus de trois ans d’existence), 80 % n’existent que depuis le début des
par la plupart des pays de l’Union années 80. Parmi les dispositifs recensés par le Bureau international du
économique et monétaire ouest-
africaine (UEMOA) au cours des
travail en Afrique de l’Ouest (8), 72 % ont été créés après 1990. En
années 1994 et 1995. Afrique centrale, c’est dans la même mouvance de libéralisation de la vie

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Microfinance et réduction de la pauvreté, le cas du Crédit du Sahel au Cameroun

politique et économique que les Etats, à travers leurs gouvernements, ont


adopté d’importants textes allant dans ce sens.
Une dynamique se trouve ainsi initiée dans presque tous les pays d’Afrique
situés au sud du Sahara. En particulier, dès le début des années 90, le
paysage financier camerounais se caractérise par l’émergence et le déve-
loppement des sociétés coopératives d’épargne et de crédit. Des coopéra-
tives comme le Crédit du Sahel se sont implantées au Cameroun grâce
surtout à la promulgation de la loi n° 92/006 du 14 août 1992 sur les socié-
tés coopératives (Coopec) et les groupes d’initiatives communes (GIC) et
à ses divers décrets d’application et d’orientation (Tchouassi, 2001).
Aussi, pour fixer les modalités d’exercice des activités des coopératives
d’épargne et de crédit, le décret n° 98/300/PM du 9 septembre 1998 du
Premier ministre du Cameroun modifie et complète les dispositions anté-
rieures. Toute coopérative d’épargne et de crédit inscrite au service du registre
du ministère de l’Agriculture ne peut avoir des activités dans le domaine
de l’épargne ou du crédit que si elle est agréée sur décision de l’autorité
monétaire, après avis conforme de la Commission bancaire de l’Afrique cen-
trale (Cobac). La Commission bancaire arrête, selon ses règles de fonc-
tionnement propres, après concertation avec le ministre chargé de la Monnaie
et du Crédit et avis de la profession bancaire, les normes prudentielles finan-
cières et comptables spécifiques applicables aux coopératives d’épargne et
de crédit. Ces normes de gestion sont notamment le capital, la liquidité, les
risques, la solvabilité et le montant des créances douteuses (Tchouassi, 2001).
Le ministère chargé de la Monnaie et du Crédit, en collaboration avec le minis-
tère de l’Agriculture, fixe par arrêté le capital minimum requis à l’agrément
d’une coopérative d’épargne et de crédit, en fonction de sa catégorie. Les fonds
propres d’un établissement de crédit constituent un élément essentiel de sa
solvabilité. Ils sont considérés comme la dernière ligne de défense en cas de
difficultés dues à des pertes qui n’ont pu être résorbées par les bénéfices cou-
rants ou les provisions. Ils constituent à ce titre le gage ultime des créanciers.
Le Crédit du Sahel, tout en réunissant les conditions d’ouverture et de
fonctionnement des coopératives, développe dans la partie septentrionale
du Cameroun des stratégies pouvant favoriser la réduction de la pauvreté.


Crédit du Sahel et stratégies spécifiques de réduction de la pauvreté
Dans un contexte caractérisé par la pauvreté, l’entrepreneuriat coopératif s’est
développé dans la partie septentrionale du Cameroun tout en mettant en
place des stratégies innovantes et spécifiques de réduction de l’exclusion.

Contexte de l’entrepreneuriat coopératif dans le Septentrion


La carte de l’indice de pauvreté par provinces au Cameroun indique que
les provinces de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord sont les plus
(9) Le Septentrion regroupe les
provinces de l’Adamaoua, du Nord
frappées par la pauvreté, qui touche plus de 50 % de la population du
et de l’Extrême-Nord. Septentrion (9). Le Crédit du Sahel, coopérative d’épargne et de crédit, tente

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à sa manière et à travers des mécanismes très spécifiques et innovateurs de


répondre au défi qui est de faire reculer la pauvreté dans cette zone en
particulier et au Cameroun en général.
En effet, l’entrepreneuriat coopératif s’est fortement développé au Came-
roun dès les années 90, au moment où un important programme de restruc-
turation bancaire mis en place par les autorités monétaires et les partenaires
financiers étrangers a contribué à exclure des milliers de petits épargnants
(10) Nom donné aux petites com- (petits commerçants, agriculteurs, bayam sellam (10), etc.) du circuit bancaire
merçantes revendeuses ambu-
lantes et à la sauvette que l’on
formel. L’accès aux petits crédits ou microcrédits distribués par le Crédit
rencontre sur les places du mar- du Sahel est une expérience originale et innovante qui tente de combler les
ché au Cameroun.
lacunes et les vides laissés par le circuit financier formel et essaie ainsi de
promouvoir l’épargne et le crédit rural dans cette partie du pays très encla-
vée du point de vue des infrastructures financières et bancaires.
(11) Le Crédit du Sahel a été enre-
gistré au ministère de l’Agriculture
Le crédit du Sahel (11), dont le capital initial se chiffrait à près de 19,6 mil-
le 7 février 1997 sous le numéro lions de francs CFA, est aujourd’hui la plus importante institution de micro-
EN/CO/28/97/0956 et a effecti-
vement commencé ses activités
finance, solidement implantée dans les trois provinces septentrionales du
le 13 décembre 1997. Son siège Cameroun. Son capital a évolué pour atteindre en juin 2002 le montant de
se trouve à Maroua, dans la pro-
vince de l’Extrême-Nord. Il a été
300 millions de francs CFA dont 250 sont entièrement libérés. Initialement
reconnu par la Commission ban- implanté à Maroua (siège social), dans le département du Diamaré, dans
caire de l’Afrique centrale (Cobac)
le 10 janvier 2001.
la province de l’Extrême-Nord, le Crédit du Sahel se développe en créant
(12) Cette coopérative est admi- des agences dans d’autres villes du Septentrion. Cette coopérative (12) compte
nistrée par un conseil d’adminis-
tration présidé par un président élu
à ce jour plus de cinq cent cinquante membres sociétaires dont 20 % sont
par les membres du conseil. Il ne des élites et le reste des groupements d’agriculteurs, d’éleveurs, des petits
peut être démis de ses fonctions
que lors d’un conseil d’administra-
commerçants, des artisans et petits entrepreneurs, des petits salariés des sec-
tion ordinaire ou extraordinaire. Les teurs public et privé, etc. Elle a procédé à l’ouverture de cinq agences, déjà
membres du conseil d’administra-
tion sont les élites (intellectuels,
opérationnelles (Garoua, Maroua, Kousseri, Kaëlé, Yagoua). Elle compte
hauts fonctionnaires, hauts cadres, ouvrir dans les prochains mois des agences d’appui à Douala et à Yaoundé
hommes d’affaires et politiques,
etc.) originaires du Septentrion qui afin de se rapprocher des bailleurs de fonds et de faciliter le mouvement de
ont fait germer l’idée de coopéra- fonds des commerçants entre la partie nord du pays et la partie sud.
tive ou qui ont adhéré par la suite.
Les bénéficiaires du microcrédit ne Dans ses livres, elle dispose d’environ 700 millions de francs CFA (13) d’épargne
sont pas nécessairement socié- collectée (14). Les comptes d’épargne ouverts dans les livres du Crédit du
taires. Sa gestion quotidienne est
assurée par une équipe de dirigeants Sahel sont rémunérés au taux unique de 6,5 % l’an. Les bons de caisse sont
camerounais dont un directeur rémunérés au taux annuel de 9 %. La collecte et la mobilisation de l’épargne
général, ancien banquier, et le com-
missariat aux comptes est tenu par se sont faites principalement, au début, auprès des élites originaires de la
un cabinet d’expertise comptable. région du grand Nord qui se sont installées dans les autres villes du Came-
(13) 1 € = 655,9570 FCFA.
(14) Ce montant d’épargne a évo- roun (Bafoussam, Bertoua, Douala, Nkongsamba, Yaoundé, etc.) comme
lué pour atteindre au 30 juin 2002 hauts fonctionnaires ou exerçant des activités libérales: commerçants, avo-
la somme de 1,2 milliard de francs
CFA. cats, etc., avant de se faire auprès des paysans qui se sont regroupés en orga-
(15) On compte à ce jour près nisations paysannes (15). La mobilisation de l’épargne des élites, sa collecte
de deux cents groupements pay-
sans regroupés sous la forme juri- et la distribution des petits crédits aux populations pauvres représentent
dique de groupes d’initiative
commune selon la loi de 1992.
leur contribution au développement du Septentrion. Les petits commer-
(16) En matière d’assistance, çants, les petits agriculteurs, les petits éleveurs, les bayam sellam, etc., les
aujourd’hui, on doit noter qu’il y a
toujours une forme d’asymétrie
plus sollicités dans cette expérience innovante, pour leur apport financier,
entre celui qui donne et celui qui fût-il très bas, modeste et précaire, au financement de leurs propres acti-
reçoit. On se rend immédiatement
compte que la règle du don contre
vités, bénéficient ainsi du soutien financier et de l’assistance financière (16)
don n’est plus respectée. de l’élite à travers la coopérative mise en place.

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N ° 288 RECMA – REVUE INTERNATIONALE DE L’ÉCONOMIE SOCIALE
Microfinance et réduction de la pauvreté, le cas du Crédit du Sahel au Cameroun

Des mécanismes financiers innovateurs


et spécifiques en matière de réduction de la pauvreté
(17) En général, pour cette coopé- La population bénéficiaire (17) des petits et microcrédits est constituée des 95 %
rative, on retrouve des bénéfi-
ciaires de microcrédits, le plus
de la population du Septentrion aux revenus très bas, très modestes ou pré-
souvent regroupés en groupe- caires. Au départ, le Crédit du Sahel appliquait un taux débiteur unique de
ments, qui sont des sociétaires et
des bénéficiaires qui ne sont pas
2 % par mois. Mais depuis plus d’un an la coopérative pratique trois taux
des sociétaires. débiteurs discriminatoires dont 1,25 % par mois pour les membres, 1,5 %
(18) Au 30 juin 2002, le montant
total de crédit s’élève à près de
par mois pour les agriculteurs et les éleveurs et 2 % pour les autres. Au cours
1,05 milliard de francs CFA. Nous des deux dernières années budgétaires, le volume cumulé de crédit se chiffrait
avons, dans cette partie, donné le
taux de remboursement des cré-
autour de 250 millions de francs CFA en 1998-1999 pour atteindre 500 mil-
dits sur trois années récentes. lions de francs CFA au cours de l’exercice fiscal 1999-2000 (18). Le taux de rem-
Tous les chiffres contenus dans ce
texte nous ont été communiqués
boursement du crédit au cours des premières années était de 100 %. Les années
par le directeur général du Crédit suivantes, nous notons que ce taux de remboursement est de 100 % en milieu
du Sahel à la veille du quinzième
conseil d’administration, qui s’est
rural et de 95 % en milieu urbain, ce qui pose le problème du suivi et de
tenu à Yaoundé. l’encadrement des emprunteurs tant à la campagne qu’en ville (19).
(19) En ce qui concerne le compte
d’exploitation du Crédit du Sahel,
La politique de distribution de petits ou de microcrédits est orientée vers
il y a eu une perte de près de presque tous les secteurs économiques. Pour le secteur primaire, 40 %
2 7 millions de francs CFA la pre-
mière année ; la deuxième année,
des financements du Crédit du Sahel sont consacrés aux exploitations agri-
le compte s’est équilibré ; il y a eu coles. L’élevage et la pêche absorbent seulement 10 % du montant total
un excédent de 8 millions la troi-
sième année, et cet excédent est
des crédits alloués. La coopérative encadre plus de 4000 petits agriculteurs
passé à 50 millions la quatrième regroupés en groupe d’initiative commune et le montant moyen de
année. En termes de subvention,
c’est seulement depuis six mois
crédit (20) par bénéficiaire est de 80 000 francs CFA. Le Crédit du Sahel les
que la coopérative a commencé aide ainsi à s’approvisionner et à se procurer des intrants agricoles (semences
à signer des conventions avec
la Banque africaine de dévelop- sélectionnées, engrais chimiques de qualité, pesticides, etc.), à acheter les
pement, la Banque islamique de animaux et les outils de labour (bœufs de labour, charrues, charrettes, etc.)
développement, l’ACDI, l’Union
européenne, l’ambassade de et à acheter les petits équipements (motopompes, motocyclettes, etc.). Le
France, etc. remboursement de ces crédits est échelonné sur de courtes durées, qui
(20) Ce montant moyen de crédit
ne concerne pas seulement la clien- varient selon le type de crédits: six mois pour les crédits de stockage, douze
tèle paysanne. C’est en réalité une mois pour les crédits d’achat d’intrants agricoles et vingt-quatre mois pour
moyenne qui concerne tous les
bénéficiaires de microcrédits, qu’ils les crédits d’achat d’animaux et de petits équipements. Les conditions et
soient des secteurs primaire ou l’échéancier de remboursement sont assez souples et très simplifiés.
tertiaire, des sociétaires ou non de
la coopérative. Le secteur secondaire n’est pas beaucoup représenté dans cette coopérative;
on trouve quelques femmes qui produisent des boissons alcoolisées ou non
à base de mil, de maïs, de citron, etc., des artisans cordonniers (utilisant
les peaux d’animaux) et tisserands (utilisant du coton pour la filature). Ils
produisent, en général, à très faible échelle. Mais le secteur tertiaire occupe
une place de choix dans le volume de crédit distribué. Le petit com-
merce, les très petites et les microentreprises de services, de bâtiments et
travaux publics, les artisans tâcherons représentent plus de 20 % du volume
des financements du Crédit du Sahel.
Le Crédit du Sahel innove par le soutien qu’il apporte aux petits et microen-
trepreneurs de productions agricoles, de services et aux artisans tâcherons
locaux en bâtiment et travaux publics. Les artisans tâcherons locaux contri-
buent à la construction et à la réalisation d’ouvrages multiples (entretien
des routes et des pistes de collecte des produits agricoles) dans le cadre
des projets mis en place par l’Union européenne dans la partie septentrionale

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RECMA – REVUE INTERNATIONALE DE L’ÉCONOMIE SOCIALE N ° 288
L’économie sociale au Sud

du Cameroun – par exemple le projet de développement du bassin de la


Bénoué et le projet de développement des monts Mandara, déjà opéra-
tionnels dans les provinces du Nord et de l’Extrême-Nord du Cameroun.
La formule de partenariat mise en place entre l’Union européenne et le Crédit
du Sahel est la suivante: d’une part, le Crédit du Sahel préfinance, moyen-
nant des frais, des marchés engagés par les très petites et les microentreprises
installées dans cette zone, et ce sur présentation de documents justificatifs
(lettres commandes, etc.) ; d’autre part, le Crédit du Sahel se fait rembourser
directement auprès des caisses de l’Union européenne. Ce mécanisme permet
d’éviter le non-remboursement des crédits alloués et de récupérer les fonds
engagés dans le financement des activités initiées localement. Cela favorise
ainsi la participation accrue des populations pauvres elles-mêmes aux projets
de développement, au développement de nouvelles activités génératrices
d’emplois et de revenus et à la sortie du « piège de la pauvreté ».
Spécifiquement, la lutte contre la pauvreté constitue l’une des principales
préoccupations du Crédit du Sahel, dans la mesure où il cible sa politique
de distribution de petits et de microcrédits sur les populations défavorisées
à revenus très faibles, très modestes et précaires. De même, cette coopéra-
tive d’épargne et de crédit, en dehors de ses activités financières, mène des
activités de conseil et d’encadrement des petits agriculteurs, des petits
éleveurs et des groupements coopératifs. Les actions et les mécanismes de
lutte contre la pauvreté engagés par le Crédit du Sahel sont nombreuses.
Ces actions concernent toutes les couches de la population urbaine ou
rurale ayant des potentialités et des opportunités nombreuses pouvant
contribuer à faire reculer la pauvreté dans le Septentrion.
Qu’avons-nous observé pendant nos multiples descentes sur le terrain, par
exemple dans les zones rizicoles du Mayo et du Logone et Chari, où cette coopé-
rative encadre à ce jour plus de cinq cents riziculteurs? Nous avons constaté
que, sans engrais, le riziculteur produit dix à quinze sacs de 80 kilogrammes de
paddy par parcelle. Lorsqu’on lui procure quatre sacs d’engrais, sa production
en riz par parcelle cultivée triple. Pour atteindre cette production et réaliser ainsi
une bonne récolte (le passage de dix à quarante sacs de paddy), le riziculteur
n’a besoin que de 60000 francs CFA pour acheter les quatre sacs d’engrais
chimiques nécessaires à l’augmentation de la rentabilité des parcelles
cultivées. Il parvient ainsi à rembourser son crédit auprès de la coopérative avec
six à huit sacs de paddy et le reste des trente-deux sacs lui revient. Cela
procure au riziculteur, après commercialisation, un revenu consistant qui lui
permet de subvenir aux besoins essentiels de sa famille. Le même mécanisme
a permis aussi aux producteurs d’arachides et de mil de tripler leur production.


Conclusion
Le Crédit du Sahel constitue un exemple concret d’appui et de participa-
tion à la lutte contre la pauvreté. Par ailleurs, le rôle du Crédit du Sahel
comme intermédiaire financier aux côtés de l’Union européenne, outre un

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Microfinance et réduction de la pauvreté, le cas du Crédit du Sahel au Cameroun

contrôle de la consommation des crédits alloués par les pays de l’Union,


favorise la mise en pratique et le suivi des projets de développement : la
construction des routes et des pistes rurales contribue au désenclavement
des villages et permet aux agriculteurs de transporter et d’écouler leur pro-
duction vers des centres commerciaux et de distribution. Tout cela
constitue ainsi un vecteur stratégique de lutte contre la pauvreté.
Pour améliorer les conditions de vie des habitants ou, en un mot, pour aug-
menter le revenu des habitants exerçant de petites activités génératrices de
richesses (petite agriculture, petit élevage, petit commerce, etc.) dans la partie
septentrionale du Cameroun, le Crédit du Sahel, solidement implanté dans les
trois grandes villes de la région, a mis sur pied une forme très attractive de petits
crédits permettant aux bénéficiaires soit de financer une livraison ou le traite-
ment d’une commande, soit de favoriser le renouvellement de petits maté-
riels agricoles, soit de financer l’achat des intrants agricoles. Les revenus provenant
de tous ces financements permettraient aux populations du Septentrion de sor-
tir peu à peu de la précarité et de faire reculer la pauvreté ambiante. ●

● Journal of economic literature, vol. 37, pp. 1569-1614.


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