Aides Cnam Prevention Risques Professionnels 1

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ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES

LES AIDES DE LA CNAM


À LA PRÉVENTION
DES RISQUES
PROFESSIONNELS :
UNE EFFICACITÉ
NON DÉMONTRÉE
Exercices 2019-2022

AUDIT FLASH

Mars 2024
COUR DES COMPTES 3

SOMMAIRE
4 PROCÉDURES ET MÉTHODES
7 SYNTHÈSE
10 RECOMMANDATION UNIQUE
11 INTRODUCTION
13 I - DEUX TYPES D’AIDE AUX LOGIQUES TRÈS DIFFÉRENTES
13 A - Les subventions « prévention TPE »,
une dépense de guichet
16 B - Les contrats de prévention : un dispositif
sur mesure peu utilisé
17 II - UN DÉFAUT DE PILOTAGE, UNE ABSENCE D’OUTILS
17 A - Un pilotage global à l’aveugle
25 B - Une absence de priorisation des contrats
de prévention
27 C - Les subventions « prévention TPE » : une dépense
de guichet non-régulée, un maintien à examiner
28 III - LES CARENCES DU CONTRÔLE INTERNE
28 A - Les faiblesses persistantes du contrôle
des incitations financières
30 B - La structuration tardive et inaboutie du contrôle
interne national
31 C - Une absence de contrôle des fournisseurs,
bénéficiaires in fine des subventions
33 LISTE DES ABRÉVIATIONS
34 ANNEXES
41 RÉPONSES DES ADMINISTRATIONS, ORGANISMES
ET PERSONNES CONCERNÉS
4 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

PROCÉDURES ET MÉTHODES

Les rapports de la Cour des comptes sont réalisés par l’une des six chambres
thématiques que comprend la Cour ou par une formation associant plusieurs
chambres et/ou plusieurs chambres régionales ou territoriales des comptes.
Trois principes fondamentaux gouvernent l’organisation et l’activité de la
Cour ainsi que des chambres régionales et territoriales des comptes, donc
aussi bien l’exécution de leurs contrôles et enquêtes que l’élaboration des
rapports publics qui en résultent : l’indépendance, la contradiction et la
collégialité.
L’indépendance institutionnelle des juridictions financières et l’indépendance
statutaire de leurs membres garantissent que les contrôles effectués et les
conclusions tirées le sont en toute liberté d’appréciation.
La contradiction implique que toutes les constatations et appréciations faites
lors d’un contrôle ou d’une enquête, de même que toutes les observations
et recommandations formulées ensuite, sont systématiquement soumises
aux responsables des administrations ou organismes concernés ; elles ne
peuvent être rendues définitives qu’après prise en compte des réponses
reçues et, s’il y a lieu, après audition des responsables concernés.
La collégialité intervient pour conclure les principales étapes des procédures
de contrôle et de publication. Tout contrôle ou enquête est confié à un ou
plusieurs rapporteurs. Le rapport d’instruction, comme les projets ultérieurs
d’observations et de recommandations, provisoires et définitives, sont
examinés et délibérés de façon collégiale, par une formation comprenant
au moins trois magistrats. L’un des magistrats assure le rôle de contre-
rapporteur et veille à la qualité des contrôles.
Sauf pour les rapports réalisés à la demande du Parlement ou du
Gouvernement, la publication d’un rapport est nécessairement précédée par
la communication du projet de texte, que la Cour se propose de publier, aux
ministres et aux responsables des organismes concernés, ainsi qu’aux autres
personnes morales ou physiques directement intéressées. Leurs réponses
sont présentées en annexe du rapport publié par la Cour.
COUR DES COMPTES 5

Le présent audit a été conduit sur le fondement des articles L.111-2 et


suivants du code des juridictions financières. Il est rendu public en vertu
des dispositions de l’article L.143-1 alinéa 2 du même code. Contrairement
à d’autres publications de la Cour des comptes, il ne donne pas lieu à un
rapport exhaustif sur un organisme ou une politique publique mais permet
de dresser dans un délai resserré un état des lieux factuel sur un dispositif
public bien délimité.
L’audit a été effectué par la sixième chambre de la Cour. Il a été notifié
le 1er juin 2023 au directeur général de la caisse nationale de l’assurance
maladie (Cnam), à la présidente de la commission des accidents du travail et
des maladies professionnelles, au directeur de la sécurité sociale, au directeur
général du travail, au secrétaire général des ministères chargés des affaires
sociales, à la directrice du budget et au secrétaire général de l’organisme
professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP).
L’audit a été réalisé selon plusieurs modalités complémentaires :
- la réalisation d’entretiens et le recueil d’éléments documentaires, notamment
auprès de la caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) et de trois caisses
locales de son réseau (Cramif1, Carsat2 Sud-Est et Carsat Aquitaine) ;
- l’analyse de plus de 200 dossiers de subvention ;
- l’exploitation des données de la Cnam en vue d’apprécier la qualité du
pilotage et du contrôle des subventions.


Le rapport a été préparé puis délibéré le 19 décembre 2023 par la sixième
chambre présidée par Mme Hamayon, présidente de chambre, et composée
de MM. Machard et Fulachier, Mme Soussia, MM. Appia et Guégano
et Mme Caroli, conseillers maîtres, ainsi que, en tant que rapporteure,
Mme Ser-Istin, conseillère référendaire en service extraordinaire, assistée
par M. Charre, vérificateur, M. Burckel, conseiller maître, étant contre-
rapporteur.

1. Caisse régionale d’assurance maladie Île-de-France.


2. Caisse d’assurance retraite et de santé au travail.
6 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

Il a été examiné et approuvé par le 30 janvier 2024 par le comité du


rapport public et des programmes de la Cour des comptes, composé de
M. Moscovici, Premier président, M. Rolland, rapporteur général, M. Charpy,
Mme Camby, Mme Démier, M. Bertucci, Mme Hamayon, M. Meddah et
Mme Mercereau, présidentes et présidents de chambre de la Cour,
M. Strassel, M. Lejeune, M. Serre, Mme Daussin-Charpantier et Mme Renet,
présidentes et présidents de chambre régionale des comptes, M. Gautier,
procureur général, entendu en ses avis.

Les rapports publics de la Cour des comptes sont accessibles en ligne sur le site
internet de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes :
www.ccomptes.fr
COUR DES COMPTES 7

SYNTHÈSE
Pour inciter les petites entreprises à mettre en place des actions de prévention
des accidents du travail, des accidents de trajet et des maladies professionnelles,
a caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) peut leur octroyer des subventions.
Dans les entreprises de plus de 150 salariés en revanche, l’incitation passe par la
tarification des cotisations d’accidents du travail et de maladies professionnelles en
fonction de la sinistralité, c’est-à-dire de la fréquence et de la gravité des sinistres.
Deux dispositifs coexistent : des contrats de prévention sur mesure et accompagnés
par les caisses locales, et les subventions « prévention aux très petites entreprises
(TPE) », ciblées et versées dans une logique de guichet. Le montant cumulé de ces
aides a atteint 383,8 M€ sur la période 2019-2022.
Dans son rapport public thématique sur Les politiques publiques de prévention en
santé au travail dans les entreprises, publié en décembre 2022, la Cour avait porté
une première appréciation critique sur le dispositif de subvention en faveur des
très petites entreprises. Cet audit flash, mené dans le contexte d’une augmentation
importante des moyens permise par la création en 2023 d’un fonds d’investissement
dans la prévention de l’usure professionnelle, va plus loin dans la recommandation
d’une révision du dispositif qui souffre, notamment, d’un manque de ciblage des
aides et d’une évaluation insuffisante de leur efficacité.
Un pilotage mal éclairé et insuffisamment ciblé
Les effets des aides à la prévention sur la sinistralité font l’objet de très peu
d’évaluations. De surcroît, la répartition du budget entre les régions n’est pas liée
à la sinistralité locale. Enfin, la répartition des aides entre les secteurs d’activité
ne dépend qu’imparfaitement de leur sinistralité. C’est en effet la capacité de
mobilisation des acteurs - entreprises demandeuses de subventions et fédérations
professionnelles capables de signer des conventions nationales d’objectifs (CNO)
et de les promouvoir - et non l’identification des secteurs dont les besoins sont les
plus importants, qui détermine l’orientation des subventions.
Des subventions « prévention TPE » difficiles à mettre en œuvre et à l’impact
incertain
Les subventions « prévention TPE » sont versées à des entreprises de moins
de 50 salariés en fonction de la demande, dans la limite d’un budget prévisionnel
national. Cela contraint leur pilotage et conduit à leur arrêt en cas d’épuisement
du budget. Les conditions d’attribution sont définies dans des documents
de référence consolidés avec retard, plusieurs mois après leur date de prise d’effet.
Ces aides financent des équipements de travail, des prestations de service et des
formations répondant à des cahiers des charges précis. Leur nombre, leur objet
et leur durée variables les rendent difficiles à comprendre pour les entreprises
éligibles, ce qui concourt à un taux de rejet élevé des demandes de subvention.
8 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

Leur budget augmente régulièrement bien que leur impact sur la fréquence
et la gravité des accidents du travail et des maladies professionnelles n’ait pu
être démontré.
Dans l’attente de leur ciblage vers les secteurs à forte sinistralité et de la mise
au point d’une méthode d’évaluation fiable de leur impact, la Cour recommande
leur suspension au bénéfice de campagnes de sensibilisation destinées aux petites
entreprises des secteurs à plus forte sinistralité.
Des contrats de prévention fortement encadrés et à mieux évaluer
Les contrats de prévention sont signés entre une entreprise de moins de 200
salariés et une caisse locale dans le but de mettre en œuvre un plan d’action global
de prévention des risques professionnels dans un établissement. Ils doivent
s’inscrire dans le cadre d’une convention nationale d’objectifs (CNO) définie par
une instance paritaire, le comité technique national du secteur d’activité.
Le développement des contrats de prévention est donc lié à la capacité d’action
des fédérations professionnelles et aux moyens humains disponibles dans les
caisses. Leur conception est chronophage mais leur contrôle est facilité par le fait
que des agents de l’assurance maladie se rendent systématiquement sur place
pour s’assurer de la bonne mise en œuvre du contrat. Ces contrats de prévention
permettent de réduire la fréquence des accidents du travail dans les établissements
bénéficiaires, dans une proportion non significativement différente de celles
observées dans l’ensemble des entreprises.
Un contrôle interne embryonnaire, au renforcement indispensable
Le contrôle des conditions d’attribution des contrats de prévention et des
subventions « prévention TPE » est, de longue date, dépendant des dispositifs mis
en place par les services ordonnateurs et comptables des caisses locales. La Cnam
ne s’est engagée que récemment dans une démarche de pilotage coordonné du
contrôle interne et de la lutte contre la fraude, qui doit être renforcée.
Les récentes modifications apportées aux conditions de versement des subven–
tions « prévention TPE » (exigence de produire un relevé bancaire pour attester
de la réalité de la dépense, par exemple) gagneraient à être complétées. Des
photographies in situ des dispositifs devraient être exigées et le nom des
fournisseurs des équipements acquis devrait être obligatoirement renseigné dans
l’application informatique afin de détecter d’éventuelles situations de monopole
de fait. Enfin, des visites sur place devraient être rendues obligatoires, comme
c’était le cas jusqu’en 2019.
COUR DES COMPTES 9

Conclusions principales de l’audit


Les deux dispositifs d’incitation financière étudiés ne permettent pas, selon
les rares études réalisées, de réduire la sinistralité dans les petites entreprises.
Le développement des actions coordonnées, telles que les contrats de
prévention, qui repose sur l’engagement des partenaires sociaux, appelle
une forte implication de la Cnam pour rappeler les objectifs poursuivis et
accompagner leur conception et leur mise en place.
Une évaluation des résultats des aides, pratiquement inexistante car
méthodologiquement délicate, est indispensable pour décider le retrait, le
maintien ou la promotion de chaque dispositif, ainsi que pour ajuster les
cibles en fonction de la taille des entreprises ou des secteurs d’activité. Enfin,
au-delà de la vérification de la bonne exécution formelle de la dépense, le
contrôle repose sur des processus parfois lourds et insuffisamment probants.
Il est limité à une recherche de la preuve de réalisation et d’évaluation de
l’impact de la dépense et souffre d’une absence de suivi des fournisseurs, ce
qui ne permet pas d’identifier les situations de monopole de fait.
Ces insuffisances sérieuses sont préoccupantes dans le contexte de la création
du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle3
(Fipu) destiné à financer, à hauteur de 150 M€ supplémentaires par an, des
actions de prévention, de sensibilisation, de formation et de reconversion
au bénéfice des salariés particulièrement exposés aux facteurs de risque
ergonomiques.
Dans la suite d’une recommandation déjà formulée4, la Cour appelle la Cnam
à remédier aux faiblesses du système actuel et, si ces incitations financières
devaient coexister avec le Fipu, à tenir compte des constats formulés dans le
présent audit avant la mise en œuvre de celui-ci, en ciblant les aides vers les
secteurs où la sinistralité est la plus élevée, en mettant au point une méthode
robuste d’évaluation de leur efficacité et en mettant en œuvre d’un contrôle
interne renforcé couvrant, notamment, les relations avec les fournisseurs de
dispositifs de prévention.

3. Décret n° 2023-759 du 10 août 2023 relatif au fonds d’investissement dans la prévention de l’usure
professionnelle et au compte professionnel de prévention.
4. Cour des comptes, Les politiques publiques de prévention en santé au travail dans les entreprises,
décembre 2022. Une recommandation portait sur la poursuite des travaux d’évaluation permettant
d’apprécier de manière robuste l’efficacité des programmes de prévention.
10 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

RECOMMANDATION UNIQUE
Suspendre les subventions « prévention TPE » dans l’attente d’un ciblage vers les
secteurs où la sinistralité est la plus élevée, de la mise au point d’une méthode
d’évaluation de leur efficacité et de la mise en œuvre d’un contrôle interne
renforcé couvrant notamment les relations avec les fournisseurs de dispositifs
de prévention (Cnam, ministère du travail, de la santé et des solidarités).
COUR DES COMPTES 11

INTRODUCTION
Malgré l’affirmation, dès 1946, du principe selon lequel la prévention des accidents
du travail doit prévaloir sur l’objectif de réparation, les actions de prévention ne
représentent aujourd’hui que 2 % du montant total du budget de la branche des
accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de l’assurance maladie.
Ce budget présente la particularité d’être voté par la commission AT-MP de la
Cnam, instance paritaire ad hoc5.
L’instrument de prévention le plus efficace reste, selon la Cnam, la modulation
de la tarification selon laquelle les entreprises de plus de 149 salariés cotisent à
la branche AT-MP, dans une logique assurantielle, en fonction de leur sinistralité6.
Les plus petites entreprises (moins de 20 salariés) se voient, quant à elles, appliquer
un taux forfaitaire lié à la sinistralité de leur secteur. Entre ces seuils d’effectifs,
les deux systèmes coexistent avec une progressivité de la cotisation à la sinistralité.
Deux dispositifs d’aide spécifiques ont été créés afin d’inciter les petites entreprises
à prévenir les risques professionnels.
Le premier est le contrat de prévention, créé en 1987, et actuellement proposé
aux entreprises de moins de 200 salariés7. Conclu entre la Caisse d’assurance
retraite et de la santé au travail (Carsat) et l’entreprise, il définit un programme
spécifique de prévention. Il s’inscrit dans le cadre d’une convention nationale
d’objectifs (CNO) propre au secteur d’activité de l’entreprise. La CNO, signée
entre un comité technique national et la Cnam, vise à encadrer les contrats de
prévention et définit un ou plusieurs risques propres au secteur d’activité. Le
contrat de prévention précise les aides financières (contenu, montant) versées
par la Carsat à l’entreprise.
Le second prend la forme de subventions dites « prévention TPE » réservées
aux entreprises de moins de 50 salariés. D’un montant maximal de 25 000 €
par opération, elles ont été généralisées par la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2010. Ces subventions sont attribuées selon une logique de guichet,
les demandes étant traitées dans l’ordre d’arrivée à la Carsat et dans la limite
d’un budget annuel national.
Une subvention « prévention TPE covid », a été mise en place à partir du 18 mai
2020 jusqu’à fin 2021 pour aider les entreprises de moins de 50 salariés à investir
dans des matériels permettant de lutter contre la propagation de covid19 en
milieu professionnel. Son montant était limité à 5 000 € par établissement.

5. La CAT-MP est composée de dix représentants des organisations syndicales de salariés et


d’employeurs. Elle est chargée de fixer les orientations politiques de l’assurance maladie dans
le domaine des risques professionnels, sur des sujets tels que la prévention, la tarification et
l’indemnisation. Elle suit les objectifs de la convention d’objectifs et de gestion entre l’État et la
Cnam dans ce domaine et s’appuie sur l’avis des comités techniques nationaux. Ces derniers sont
composés de représentants des employeurs et des salariés d’un secteur d’activité ; ils sont chargés
d’élaborer des recommandations et de définir des priorités qui font office de références pour la
prévention des risques professionnels (voir la liste en annexe n° 1).
6. Fréquence et gravité des accidents du travail et des maladies professionnelles.
7. Article 20 de l’arrêté du 9 décembre 2010 relatif à l’attribution (…) de subventions en matière
d’AT-MP. Fixé initialement à 300 salariés (arrêté du 15 décembre 1987), ce seuil a été abaissé à
250 salariés de 1996 à 1998, puis à 200 salariés par l’arrêté du 29 décembre 1999.
12 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

L’examen de ces incitations financières par la Cour fait suite à son rapport précité
sur Les politiques publiques de prévention en santé au travail dans les entreprises
et se place dans la perspective de la mise en œuvre du fonds d’investissement
dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu) décidée en 2023.

Subventions versées aux petites entreprises


au titre de la prévention
En M€ 2019 2020 2021 2022 Total 2019-2022
Contrats de prévention 20,4 17,6 27,9 28,8 94,8
Subventions prévention TPE 40,4 83,5 98,7 59,8 282,4
dont subventions prévention covid - 28,5 20,9 0,0 49,5
Travailleurs indépendants - 0,6 0,3 0,8 1,7
Autres subventions aux entreprises 1,2 0,9 1,2 1,6 4,9
Total 62,1 102,6 128,2 91,0 383,8

Source : Cnam, balances comptables, calculs Cour des comptes

Les dépenses cumulées se sont élevées à 383,8 M€ de 2019 à 2022, dont 282,4 M€ pour les
subventions « prévention TPE », qui représentent 74 % du montant total. Ces subventions
ont bénéficié à 60 129 entreprises et les contrats de prévention à 3 800.
L’évolution des dépenses a été largement affectée par la création de la subvention
« prévention TPE covid », à hauteur de 28,5 M€ en 2020 et de 20,9 M€ en 2021, et par la
suppression de la subvention « prévention TPE Cuisine + sûre » (14 M€ en 2021 et 1,7 M€
en 2022).
Les dépenses relatives aux contrats de prévention sont passées de 20,4 M€ en 2019 à
28,8 M€ en 2022 et celles relatives aux subventions prévention TPE de 40,4 M€ à 59,8 M€.
Le champ du présent audit ne prend pas en compte d’autres dépenses de prévention
au bénéfice des entreprises, telles que celles prévues par l’article R. 422-8 du code de la
sécurité sociale (4,9 M€ sur la période 2019-2022)8, ni celles en faveur des organisations
syndicales et patronales nationales au titre de la formation à la sécurité (37 M€ sur la
période 2019-2022)9.
L’ensemble de ces dispositifs est mis en œuvre par la direction des risques professionnels
de la Cnam, qui mobilise 82 agents. En 2022, les caisses locales10 disposaient de 264 ingé–
nieurs conseils, 568 contrôleurs de sécurité et 526 personnels administratifs.

8. Financements de structures relevant d’établissements employant des salariés réalisant des mesures de prévention
innovantes, exemplaires, expérimentales (art. R. 422-8) et financement de structures dans le cadre d’actions ciblées
partenariales (club de la sécurité routière en Alsace).
9. La Cnam finance depuis 1975 des sessions de formations à la santé au travail, organisées par les organisations
interprofessionnelles de salariés et d’employeurs destinées à porter les messages de prévention des risques professionnels
au plus près des métiers et des territoires (Art. R. 421.5 et R. 421.6 du code de la sécurité sociale).
10. Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France
(Cramif) et caisses générales de sécurité sociale (CGSS) en outre-mer.
COUR DES COMPTES 13

I - DEUX TYPES D’AIDE AUX LOGIQUES TRÈS DIFFÉRENTES

A - Les subventions « prévention pas revendre les équipements subventionnés.


TPE », une dépense de guichet Cet engagement a été généralisé en 2023.
Auparavant fixés entre 25 % et 50 %, les taux
1 - Les principes régissant les subventions
de financement sont harmonisés à compter
« prévention TPE »
de 2023 pour l’ensemble des subventions
Chaque dispositif de subvention « prévention d’équipements (au taux de 50 %) et restent
TPE » précise les métiers et les risques qu’il fixés à 70 % pour les prestations de formation,
vise, les équipements et services pouvant d’accompagnement et de vérification (risques
bénéficier de l’aide et les taux de subvention. chimiques).
Les équipements acquis doivent être neufs ;
Les subventions sont attribuées dans la limite
les formations doivent être dispensées par des
d’un budget annuel par Carsat. Lorsque ce
organismes habilités par l’Institut national de
montant est atteint, aucune subvention n’est
recherche et de sécurité pour la prévention
plus attribuée. En 2021, dès fin juin, six Carsat
des accidents du travail et des maladies
avaient épuisé leurs crédits et l’ensemble des
professionnelles (INRS) ; les prestataires de
crédits était consommé dès le 15 septembre.
services intellectuels doivent être référencés
En 2022, les demandes de subventions
par la Carsat ou par la Dreets11.
« prévention TPE » devaient être déposées
Les montants de subvention sont limités à avant le 1er octobre. La dépense ne peut
25 000 € par opération, mais une entreprise être engagée qu’après la mise en place de
peut cumuler trois subventions « prévention la convention d’objectifs et de gestion de la
TPE » pendant la période couverte par une branche des accidents du travail et maladies
convention d’objectifs et de gestion (COG) de professionnelles et l’envoi des « Lettres
la branche des accidents du travail-maladies Réseau » décrivant ces dispositifs.
professionnelles conclue avec l’État.
Aussi l’exécution du budget a-t-elle démarré
Les subventions « prévention TPE » nationales lentement au début de la convention d’objectifs
sont définies par la Cnam, qui les diffuse par et de gestion pour la période 2018-2022. Le
des « Lettres Réseau » aux caisses locales12. report de crédits a permis une augmentation
Des dispositifs de subventions « prévention de la consommation financière et du nombre
TPE » régionales sont conçus par les Carsat, de dossiers au fur et à mesure des années. En
dans la limite de trois par Carsat. En 2022, en 2023, dans l’attente de la nouvelle convention
vue de lutter contre les abus et les fraudes, la d’objectifs et de gestion, les budgets ont été
Cnam a précisé, pour certaines subventions, reconduits dans la limite de 80 % de ceux de
que les entreprises devaient s’engager à ne 2022.

11. Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités.


12. Le périmètre des Carsat ne correspond pas toujours à celui des régions administratives actuelles. Il s’agit dans
certains cas de celui d’une ancienne région (par exemple, Aquitaine ou Midi-Pyrénées). Le cas de l’Alsace-Moselle est lié à
l’existence d’un régime particulier de sécurité sociale. En outre-mer, ce sont les CGSS qui sont chargées de la prévention
des risques professionnels et en Île-de-France, il s’agit de la Cramif.
14 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

Graphique n° 1 : évolution du nombre de dossiers de subventions prévention TPE


et des montants versés hors covid (2019-2022)

80 8 707 9 000
72
75
Montant versé en M€

Nombre de dossiers
8 500
70
65 8 000
60 8 225 58
60 7 500
55 6 865
6 347 7 000
50
45 6 500
41
40 6 000
2019 2020 2021 2022

Montant payé Nb de dossiers

Source : calculs Cour des comptes, d’après données Cnam

L’élargissement du bénéfice des subventions De ce fait, les agents des Carsat n’avaient pas
« prévention TPE » aux travailleurs indépen– de contacts parmi les travailleurs indépendants.
dants, après leur intégration au régime En outre, ces derniers n’ont pas accès aux
général, s’est d’abord traduit par le versement applications informatiques qui assurent le lien
de la subvention « prévention TPE covid », de la direction des risques professionnels de
de mai à décembre 2020, à 1 625 travailleurs la Cnam avec les autres entreprises, si bien
indépendants, pour 1 M€. Les subventions aux qu’il n’existe pas de flux de données entre
travailleurs indépendants ont évolué à partir eux et les services de prévention des risques
2021 pour cibler certains métiers - notamment professionnels. Les travailleurs indépendants
ceux de la restauration (185 832 € en 2021) et concernés sont informés par courrier élec–
du bâtiment (29 555 € en 2021 pour les maçons tronique de l’existence de ces aides. Les
et 646 546 € en 2022 pour les professionnels dossiers sont instruits manuellement et un
du bâtiment) - et certains risques, comme les tableau de suivi est envoyé par les caisses
chutes, les troubles musculo-squelettiques et locales à la direction des risques professionnels
les lombalgies. de la Cnam tous les 15 jours. La Cnam n’a pas
l’intention d’automatiser les échanges, dont le
Les travailleurs indépendants, qui sont
volume est très limité.
exonérés de cotisation obligatoire d’accidents
du travail-maladies professionnelles, ne font Au total, seuls 73 maçons indépendants ont
pas partie de la cible habituelle des Carsat, demandé une aide en 2021 et 24 l’ont obtenue
qui s’adressaient jusqu’alors uniquement aux (les rejets étant justifiés par des matériels
entreprises ayant au moins un salarié et aux demandés non éligibles). Le budget prévu pour
nouveaux établissements ayant l’intention les maçons, de 400 000 €, n’a été consommé
d’embaucher à court terme. que pour moins de 30 000 €.
COUR DES COMPTES 15

2 - Un fonctionnement imparfait du régime (79 ont concerné moins de 10 entreprises),la


des subventions « prévention TPE » Cnam a donné instruction, en 2019, de limiter
1) Une efficacité des dispositifs amoindrie le nombre des dispositifs régionaux.
par leur répartition et par la variabilité Durant la période 2019-2022, 280,3 M€ ont été
de leurs règles de gestion versés au titre de 74 dispositifs de subventions
Compte tenu du nombre très élevé de dispositifs « prévention TPE », dont 25 nationaux et 49
de subventions « prévention TPE » (147 en régionaux. La plupart des dispositifs étant
2013) et du saupoudrage d’une partie des ouverts pour plusieurs années, environ 50
crédits, ainsi que d’un coût de gestion important d’entre eux ont été actifs chaque année au gré
et de l’inefficacité de certaines subventions des ouvertures et des fermetures.

Tableau n° 1 : dispositifs nationaux et régionaux de subventions prévention TPE,


en dépenses et en nombre (2019-2022)

SP-TPE nationales SP-TPE régionales Total


Nombre Montant Nombre Montant Nombre Montant
2019 17 34 M€ 30 7 M€ 47 41 M€
2020 17 78 M€ 29 10 M€ 46 88 M€
2021 20 85 M€ 29 8 M€ 49 93 M€
2022 19 51 M€ 28 7 M€ 47 58 M€
2019-2022 25 248 M€ 49 32 M€ 74 280 M€

Source : calculs Cour des comptes, d’après données Cnam


Note de lecture : 25 dispositifs nationaux de subventions prévention TPE distincts ont été en vigueur sur la période
2019-2022 (49 dispositifs régionaux).

Entre 2019 et 2022, un tiers des 74 dispositifs représenté des dépenses plus faibles, de 8 M€
de subventions « prévention TPE » ont par an et 160 000 € par dispositif en moyenne.
concentré 96 % de la dépense, tandis que, Quelques-uns ont été très demandés, comme
pour un autre tiers, la dépense par dispositif la sensibilisation à la culture de prévention en
est restée inférieure à 100 000 €. Les dispo– Hauts-de-France ou la boulangerie-pâtisserie
sitifs nationaux ont concentré l’essentiel en Normandie, par exemple.
de la dépense (89 % pour 62 M€ par an en
moyenne), avec les montants les plus élevés ; Un dispositif est susceptible d’être suspendu
deux dispositifs - l’un relatif à la prévention si son plafond budgétaire annuel est atteint
des risques musculosquelettiques, dénommé (« Cuisine + sûre » en 2021) ou, au contraire,
« TMS Pros Action » pour 97,5 M€ et l’autre s’il ne rencontre aucun succès (« Garde-corps »
relatif à la prévention du covid pour 49,5 M€13 en Corse). Avant d’être éventuellement relancé,
- ont représenté la moitié de la dépense. il peut être modifié, notamment par la mise
Les dispositifs régionaux ont globalement à jour de la liste des équipements éligibles.

13. Environ 100 agents ont été recrutés en contrat à durée déterminée pour appuyer les Carsat afin de traiter
les demandes massives.
16 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

La doctrine de la Cnam peut s’avérer Un grand nombre de rejets serait imputable


changeante. En 2020-2021, plusieurs dispo– au non-respect des conditions d’attribution14
sitifs ont été arrêtés. Néanmoins, les matériels (matériel non éligible, travaux non conformes,
qu’ils finançaient restaient éligibles à un autre organisme de formation non habilité, dossier
dispositif à large cible, tel que la subvention hors délai) ou à l’insuffisance des documents
« prévention TPE - TMS Pros Action ». En justificatifs.
février 2022, la Cnam a exclu explicitement
La baisse des taux de rejet n’est pas considérée
ces matériels de la liste de ceux pouvant être
comme un objectif par la Cnam car elle souhaite
financés par le dispositif « TMS Pros Action »,
exercer un contrôle strict avant paiement.
ce qui n’a finalement plus été le cas à partir
Pour autant, la Cnam s’efforce d’améliorer la
de février 2023.
communication et la lisibilité des documents
2) Des « Lettres Réseau » diffusées décrivant les conditions d’attribution (qui com–
tardivement, un taux élevé de rejet portent jusqu’à 39 pages15), au moins pour
des demandes de subvention les subventions « prévention TPE » présentant
La gestion des subventions par les services de des taux de rejet très élevés.
l’assurance maladie (branche des accidents du
travail – maladies professionnelles) pourrait B - Les contrats de prévention :
être améliorée. Alors que la préparation des un dispositif sur mesure peu utilisé
conditions d’attribution des subventions fait
Dans le cadre d’une convention nationale
l’objet d’une information régulière aux caisses
d’objectifs signée entre l’assurance maladie et
locales, les « Lettres Réseau » définitives qui les
une ou plusieurs organisations professionnelles,
définissent leur sont adressées avec retard. Ainsi,
des contrats de prévention, qui sont des
en 2019, celles concernant quatre dispositifs dispositifs sur mesure destinés aux entreprises
ont été transmises plus de cinq mois après leur de moins de 200 salariés, peuvent être signés
date d’effet. En 2023, les onze « Lettres Réseau » avec la Carsat à l’échelle d’un établissement. Ils
ont accusé un retard d’un mois et demi à deux prévoient un plan d’action global à mettre en
mois et demi. Ces retards affectent le calendrier œuvre dans un calendrier qui ne peut dépasser
de mise en œuvre des actions bénéficiant des trois ans.
subventions et compliquent l’organisation des
Un ingénieur conseil ou un contrôleur de
services chargés de l’instruction et du contrôle.
sécurité de la Carsat se rend dans l’entre–
Par ailleurs, le taux de rejet moyen des prise bénéficiaire lors de la négociation du
demandes de subvention est élevé (31 %) contrat et à son échéance, afin de vérifier sa
et très inégal, puisqu’il est, par exemple, de mise en œuvre. Les matériels et prestations
16 % pour le dispositif « Stop Essuyage », de subventionnés doivent respecter les mêmes
98 % pour « Couteau + » et de 59 % pour les caractéristiques que celles définies pour les
subventions aux travailleurs indépendants. subventions « prévention TPE ». Des avances

14. Selon la Cramif, le taux de rejet moyen (37 % en Île-de-France à mi-2023) serait inférieur à 24 % si les entreprises
respectaient les conditions d’attribution.
15. Selon une étude de la Cnam (BVA, SP-TPE. Étude de satisfaction, 2021), les conditions d’attribution ont été lues par
88 % des bénéficiaires. La non lecture est justifiée par un manque de visibilité pour près de la moitié d’entre eux (47 %)
et par une longueur trop importante pour près d’un tiers (29 %). Le taux de lecture par l’ensemble des demandeurs n’est
pas connu mais il est probable qu’il soit beaucoup plus faible.
COUR DES COMPTES 17

peuvent être versées tout au long du contrat, complexifie la compréhension des contrats
sur présentation d’un bon de commande ou de prévention par les entreprises, ainsi que
d’une facture. l’instruction et le contrôle de ceux-ci par les
caisses.
La signature des contrats de prévention
dépend des conventions nationales d’objectifs L’investissement en moyens humains de la
(CNO) en vigueur, au nombre de 48, avenants caisse locale étant élevé, le nombre de contrats
compris, entre 2019 et 2022. Leur nombre de prévention dépend des effectifs disponibles.
varie fortement d’un comité technique
Au total, 4 253 contrats ont été signés entre
national (CTN) à l’autre (voir annexe n° 1). À
2019 et 2022 ; leur nombre tend à décroître
titre d’exemple, le CTN B (BTP) propose en
annuellement, passant de 1 149 en 2019 à 956
permanence deux CNO, une pour le bâtiment
en 2022, soit une diminution de 17 %, pour un
et l’autre pour les travaux publics, alors que le
montant total engagé de 137,9 M€.
CTN D (alimentation) en a proposé 14 durant
cette période. Ceci est lié à l’organisation du Durant la crise sanitaire, de nombreux contrats
secteur, notamment le nombre de fédérations ont été prolongés par avenant. De plus,
professionnelles, et à la capacité d’initiative de les difficultés d’organisation rencontrées à
chaque comité technique national. La durée l’époque n’ont pas permis la tenue des réunions
d’une CNO est de quatre ans. des comités techniques nationaux à l’occasion
desquelles devaient en être tirés les bilans
Un faible nombre de conventions nationales
et décidé le renouvellement des conventions
d’objectifs peut également être un signe de
nationales d’objectif. Pour résoudre cette diffi–
faible activité du comité technique national,
culté, des arrêtés ont prolongé leur durée.
comme dans le cas du CTN H (services :
banques, assurances, administrations). Un
nombre élevé de CNO dans un secteur

II - UN DÉFAUT DE PILOTAGE, UNE ABSENCE D’OUTILS

A - Un pilotage global à l’aveugle les employeurs à prévenir les risques de conta–


mination à la covid 19.
Les conventions d’objectifs et de gestion de
la branche des accidents du travail-maladies En début de convention d’objectifs et de
professionnelles ont prévu une augmentation gestion 2018-2022, la direction des risques
progressive du budget affecté aux incitations professionnels de la Cnam a entendu privilégier
financières en matière de prévention. De 50 M€ les subventions « prévention TPE » plutôt que
par an de 2014 à 2017, ce budget prévisionnel les contrats de prévention (en leur affectant
est passé à 85 M€ en 2018 et devait être porté respectivement 60 % et 40 % des crédits,
jusqu’à 100 M€ à partir de 2021 si une évaluation ceux-ci restant fongibles comme prévu par
démontrait l’efficacité des aides. En raison de la convention d’objectifs et de gestion). En
la crise sanitaire, cette dernière hausse a été répartition globale sur la durée de celle-ci, les
avancée à début 2020, sans que l’évaluation subventions prévention TPE (dont celle relative
ait eu lieu. En complément, une enveloppe de à la prévention des risques de contamination à
50 M€ a été affectée au financement d’une la covid 19) représentent 74 % des crédits. Les
subvention « prévention TPE covid » pour aider évolutions récentes sont proches de l’objectif :
18 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

la part des subventions « prévention TPE » est et des objectifs de réduction de la sinistralité.
passée de 65 % en 2019 à 61 % en 2022 (hors De surcroît, toutes les données disponibles ne
SP-TPE covid). sont pas exploitées.
À défaut d’informations sur l’efficacité des aides,
Lors des arbitrages financiers de la convention
leur ciblage ne peut être considéré comme
d’objectifs et de gestion 2018-2022, en 2019, le
optimal et adapté à la sinistralité observée, à
Premier ministre avait demandé une évaluation
la taille des entreprises bénéficiaires et à leur
de ces deux incitations financières. Il s’agissait
de rechercher l’effet des aides accordées sur répartition géographique.
la sinistralité de l’entreprise et d’établir leur 1 - Des seuils de taille d’entreprises
contribution à la réduction effective des risques à mieux prendre en compte
professionnels. Devait être également étudié
le niveau d’aide considéré comme optimal En 2019, plus de 96 % des entreprises françaises
pour les subventions « prévention TPE »16. comptaient moins de 10 salariés, mais 55 %
L’Institut de recherche et de documentation des salariés travaillaient dans une entreprise
en économie de la santé (Irdes) était chargé de moins de 200 salariés. Le plafond de 50
de cette évaluation, à partir des données de salariés fixé pour bénéficier d’une subvention
la direction des risques professionnels de la « prévention TPE » est lié au caractère
Cnam, mais ce travail n’a pas abouti, faute de obligatoire, à partir de ce seuil, de la création
méthodologie adaptée. d’un comité d’hygiène, de sécurité et des
conditions de travail, devenu une commission
Pour justifier l’absence d’études d’impact ou spéciale du comité social et économique. Une
d’évaluations, la Cnam fait valoir le grand instance représentative du personnel est alors
nombre d’entreprises à étudier (plus de 30 000 en place pour contribuer à la prévention des
entreprises pour l’année 2020), leur très petite risques professionnels.
taille et la faible fréquence d’accidents du travail Pour autant, ce plafond fixé à 50 salariés pour
qu’elles déclarent ; en moyenne un accident se bénéficier d’une subvention « prévention
produit tous les trois ans dans les entreprises TPE » pourrait être réexaminé à la lumière de
de 9 à 10 salariés et tous les 15 ans dans celles la fréquence et de la gravité des accidents du
de moins de 5 salariés. travail.

De telles études, ou des évaluations à tout le Ainsi, la fréquence des accidents du travail
moins, mériteraient, pourtant, d’être menées est supérieure à la moyenne dans les entre–
compte tenu des 317 M€ d’aides programmées prises dont l’effectif est compris entre 25 et
de 2017 à 2022, de l’accélération de la dépense 154 salariés.

16. En s’appuyant sur l’expérimentation du dispositif « Échafaudage+ » visant à réduire les chutes de hauteur dans
le secteur du bâtiment, deux taux de financement différents étant alors en vigueur selon les régions (25 % et 40 %).
COUR DES COMPTES 19

Graphique n° 2 : évolution de la sinistralité en fonction de l’effectif de l’entreprise en 2021

50 2,5
45
40 IFmoyen = 36 2,0
35
30 1,5
25
TG moyen = 1,3
20 1,0
15
10 0,5
5
0 0,0
s l. l. l. l.l. l.
l. l.
l. al. al. al. al. al. . . .
al sal sal lus
rié sa sa sa sasa sasa sa
sa s s s s s s p
la 5 9 14 24 34 49 79 124 189 284 439 689 109 949 789 349 999 . et
sa 3 à 6 à à à à à à l
2 à à à à à 1 1 3 8 29 sa
à 10 15 25 35 50 80 25 90 85 40 à à à à
1 1 1 2 4 9 0 10 5 0 90 0 à 00
6 1 9 7 5 0
1 1 3 8 3 30
IF IF TGTG

Source : Cnam
IF : indice de fréquence (nombre d’accidents en premier règlement pour 1 000 salariés)
TG : taux de gravité (nombre de journées d’incapacité temporaire pour 1 000 heures de travail)

La gravité des accidents est supérieure à la petites entreprises, celles de moins de 20


moyenne dans les entreprises de 15 à 54 salariés comptant pour 77 % des entreprises
salariés. Or, les subventions « prévention bénéficiaires en 2022, comme l’illustre le
TPE » bénéficient principalement aux plus schéma qui suit.

Graphique n° 3 : répartition du nombre de subventions prévention TPE


accordées en 2022 par tranche d’effectif

> à 39 salariés
5%
30 à 39 salariés
7%

20 à 29 salariés
11 %

1 à 9 salariés
54 %

10 à 19 salariés
23 %

Source : Cnam
20 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

Les contrats de prévention sont le plus maladie d’Île-de-France (Cramif) est la caisse
souvent signés avec des entreprises de moins qui a géré le plus de contrats de prévention
de 50 salariés (61 % du nombre d’entreprises (463 contrats pour 8,9 M€). La Carsat de
bénéficiaires en 2022). Rhône-Alpes a versé le plus de subventions
« prévention TPE » - hors SP-TPE covid - (3 532
Le ciblage des subventions « prévention TPE »
subventions versées pour 26,4 M€), suivie par
vers les plus petites entreprises s’explique, selon
celle du Sud-Est (23,9 M€).
la Cnam, par le fait qu’elles constitueraient un
« produit d’appel » permettant de sensibiliser Le montant de subventions « prévention
les chefs d’entreprise à la prévention des TPE » versé par établissement éligible varie du
risques professionnels et de leur faire mieux simple au quadruple entre l’Île-de-France et
connaître leurs interlocuteurs institutionnels l’Auvergne (cf. annexe n° 2). Pour les contrats
que sont les Carsat. de prévention, le rapport est de 1 à 3,5 entre
les régions Île-de-France et Nord-Est.
2 - Une affectation régionale des budgets
indépendante de la sinistralité Par ailleurs, la répartition des budgets entre
les caisses ne tient pas compte de la sinistralité
Lors de la mise en place des dispositifs locale. Or, la fréquence des accidents du travail
d’incitation financière, le budget était réparti varie fortement selon les régions. En métropole,
entre les caisses locales selon le nombre d’éta– l’indice de fréquence en Languedoc-Roussillon
blissements et de salariés dans la région. La est le double de celui observé en Île-de-France,
« capacité à faire » des Carsat et le dynamisme où le secteur tertiaire est prééminent, et le
des partenaires locaux sont, peu à peu, devenus montant versé par établissement éligible est
des critères de répartition complémentaires. triple. Ce dernier montant est le plus élevé
L’Île-de-France est la région qui compte le plus en Auvergne, région où le taux de fréquence
d’établissements et de salariés. Sur la période est le huitième parmi ceux des 15 caisses
2019-2022 la caisse régionale d’assurance métropolitaines.

Carte n° 1 : indice de fréquence des accidents du travail par région

Nombre d’AT pour 1 000 salariés en 2019 (IF)

38,8 Moins de 25
De 25 à 35
37,2 32,8 De 35 à 38
21,5 37,6
41,5 De 38 à 40
40 et plus
40,8 39,3
37,1

39,1 Guadeloupe Martinique

38,3 36,6

39,2
34,3 43,5 37,1 Guyane La Réunion

GéoAtlas-SRPP - DL - Septembre 2018

Source : Cnam
COUR DES COMPTES 21

3 - Une absence de corrélation entre « prévention TPE », est peu corrélé à la


les aides et la sinistralité par secteur criticité des accidents du travail (taux de
d’activité fréquence multiplié par le taux de gravité)
par comité technique national (CTN). Le CTN
La fréquence et la gravité des accidents du tra-
D (alimentation) est particulièrement bien
vail et des maladies professionnelles par sec-
subventionné, eu égard à la criticité du risque
teur d’activité sont examinés par les comités
dans ce secteur. À l’inverse, les CTN C, F et I17
techniques nationaux.
mériteraient d’être davantage soutenus.
Le montant des incitations financières versées
durant la période de contrôle, au titre des
contrats de prévention et des subventions

Graphique n° 4 : montant versé de 2019 à 2022


en fonction de la criticité du risque par comité technique national

120
D
100
B
Montants versés (M€)

80

60
A
40
I
E C
20
G F
H
0
0 200 400 600 800 1000 1200 1400 1600

Criticité

Source : Cnam, calculs Cour des comptes


Criticité = indice de fréquence x indice de gravité18 (en 2019).

Les comités techniques nationaux peuvent La Cnam et les Carsat n’analysent pas l’activité
réunir des métiers relativement proches de leurs agents en fonction de la sinistralité
(CTN B : bâtiment et travaux publics) ou des entreprises sur une granularité plus fine
très différents (CTN C : transports, eau, gaz, que les comités techniques nationaux. Seule
électricité, livre et communication), ce qui une analyse à partir des codes NAF19 (732 sous-
a pour effet de « masquer » des situations classes) serait à même de fournir des données
propres à un secteur de plus petite taille. nécessaires à des actions de prévention ciblées.

17. CTN C : transports, eau, gaz, électricité, livre et communication ; CTN F : bois, ameublement, papier-carton, textile, cuirs
et peaux, etc. ; CTN I : activités de services II (travail temporaire, action sociale, santé, etc.).
18. Total des taux d’incapacité permanente par million d’heures de travail (inclut les décès comme les incapacités
permanentes de 99 %).
19. Nomenclature nationale d’activités française.
22 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

À la demande de la Cour, la Cnam a transmis est concentrée à 75 % pour les contrats de


des données, pour l’exercice 2021, relatives prévention et à 62 % pour les subventions
aux dépenses de prévention par type d’activité « prévention TPE » sur des entreprises dont
(code NAF). Parmi tous les secteurs d’activité la sinistralité20 est supérieure à la moyenne.
identifiés par les codes NAF, la dépense

Graphique n° 5 : dépenses des contrats de prévention et sinistralité

12 33,1 35

27,6 30
10
25,1 25,1
23,5 23,1 23,7 23,7
25
8 20,2
19,1
Dépenses 20 Indice
par décile 6 de
de code NAF 15 sinistralité
bénéficiaire 4
10
2
5

0 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Dépenses par décile Sinistralité

Source : données Cnam, calculs Cour des comptes


Note de lecture : Chaque décile recouvre environ 20 des 207codes NAF bénéficiaires de contrats.

S’agissant des subventions « prévention TPE » présentant une très forte sinistralité ont perçu
(hors covid) versées en 2021, trois secteurs ont très peu de subventions « prévention TPE ».
concentré 31 % de la dépense (restauration C’est le cas du secteur de l’aide à domicile
traditionnelle – 11,7 M€ –, maçonnerie géné- et de celui de l’hébergement médicalisé pour
rale et gros œuvre – 5,6 M€ – et boulangeries - personnes âgées (voir 2.A.4).
pâtisseries – 4,6 M€).
Parmi ces trois secteurs, seul celui de la ma-
çonnerie affiche une sinistralité particulière-
ment élevée. En revanche, d’autres secteurs

20. La sinistralité a été calculé en rapportant le nombre d’arrêts de travail x 1 000 000 aux heures travaillées.
COUR DES COMPTES 23

Graphique n° 6 : dépenses de subventions prévention TPE et sinistralité

60 35
29
50 27 30

22 23 25
40
Dépenses Indice
20
par décile 16 15 16 de
30 15 14
de code NAF sinistralité
13 15
bénéficiaire
20
10

10 5

0 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Dépenses par décile Sinistralité

Source : calculs Cour des comptes, d’après données Cnam


Note de lecture : Chaque décile recouvre 10 % (43 ou 44) des 435 codes NAF bénéficiaires de SP-TPE.
À la demande de la Cour, la Cramif a enrichi les données de dépenses de contrats de prévention et de subventions
avec des données de sinistralité et d’activités du code APE, entre 2019 et 2022.

Sur les 25 M€ de subventions de prévention, de sinistralité les plus élevés. L’arrêté de 2010
2 M€ (soit 8 %) ont bénéficié à des secteurs fondant les incitations financières ne les limite
d’activité qui n’ont pas connu d’arrêts de travail pas aux secteurs d’activité à risque, comme
et 40 % de la dépense (9 M€) ont concerné le rappelle la Cnam. Il n’empêche pas pour
des secteurs d’activité dont la sinistralité21 autant d’orienter les actions de prévention
était inférieure à la moyenne. vers les secteurs les plus sinistrés.

Pour les contrats de prévention, 27 % de la 4 - Des limites au pilotage sectoriel :


dépense a concerné la restauration (tradi- l’exemple de l’aide et des soins
tionnelle et rapide), sans corrélation avec la à la personne
sinistralité22.
Le secteur de l’aide et des soins à la personne
Il apparaît donc indispensable que la Cnam (ASP) se caractérise, notamment, par une sinis-
et son réseau analysent les données de dépenses tralité particulièrement élevée. En 2021, l’indice
à leur disposition selon une granularité de fréquence des accidents du travail y était de
plus fine que les seuls comités techniques 105,5 pour le secteur de l’aide à domicile et de
nationaux, qui ne permettent pas de s’assurer 88,823 dans les hébergements médicalisés pour
que les dépenses sont prioritairement personnes âgées, contre 30,3 tous secteurs
orientées vers les secteurs d’activité aux taux confondus.

21. Nombre d’arrêts de travail/effectif.


22. Nombre d’arrêts de travail/heures travaillées.
23. Les accidents du travail des intervenants au domicile sont essentiellement dus aux manutentions manuelles (53 %)
et aux chutes (35 %).
24 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

Ce secteur d’activité étant en fort dévelop– à domicile. Peu utilisés, ils ont été revus en
pement, la Cnam y a encouragé, dès 2012, 2022, mais ces dispositifs ne sont pas adaptés
la prévention des risques professionnels. à une majorité d’établissements d’héberge–
Durant la convention d’objectifs et de gestion ment pour personnes âgées dépendantes
2014-2017, la plupart des Carsat ont conçu des (Ehpad) et de services d’aide à domicile,
plans d’action régionaux ad hoc. La convention qui comptent plus de 50 salariés. L’autre
nationale d’objectifs « Hébergement, aide et difficulté tient au fait que les intervenants
soins à la personne » (2018-2023) a permis à domicile travaillent dans des habitations
la signature de 723 contrats de prévention équipées par les personnes aidées, et non par
d’un montant moyen de 30 000 €, dont 140 leur employeur. Aussi, entre 2019 et 2022,
en Aquitaine et seulement 32 en Île-de-France. seulement 103 subventions « prévention TPE
ASP Établissement » ont été versés et 75
En complément, deux dispositifs de subven–
subventions prévention TPE ASP Domicile »,
tions « prévention TPE » dans le domaine
pour un montant moyen de 8 495 €.
des soins à la personne ont été conçus en 2019,
l’un pour les établissements, l’autre pour l’aide

En Aquitaine, une démarche « aidants aidés » exemplaire


mais lourde à mettre en œuvre
En Aquitaine, l’indice de fréquence des accidents du travail dans le secteur de l’aide à domi–
cile s’élève à 95 pour 1 000 salariés, contre 38,9 dans l’ensemble des secteurs.
Le programme « Aidants, aidés, une qualité de vie à préserver » a été lancé en 2012 afin
d’accompagner des structures de services d’aide à domicile (SAAD) dans leur démarche de
prévention des risques liés à l’activité physique (troubles musculosquelettiques, chutes)
des aidants professionnels.
Cofinancé par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), les départements
et la Carsat, le programme propose plusieurs actions aux SAAD : un diagnostic par des
ergothérapeutes, le financement de matériels (draps de glisse, barres d’appui, etc.) dans
le cadre des subventions « ASP Domicile », des formations des intervenants à domicile,
des actions de sensibilisation, un parcours de prévention des nouveaux embauchés et un
accompagnement par des ergonomes.
Entre 2019 et 2022, le programme a accompagné près de 180 SAAD et 20 contrats de
prévention ont été signés. Une évaluation du programme a été réalisée en 2022 par
un prestataire : une part importante des SAAD étaient encore peu mûrs en matière de
prévention et nécessitaient un accompagnement conséquent ; le bilan est positif pour les
bénéficiaires, dont 78 % estiment que leur structure est devenue autonome en prévention
et dont 70 % constatent une amélioration de leurs conditions au travail. En revanche, 62 %
des responsables de structure déclarent que l’accès aux financements reste « compliqué ».
COUR DES COMPTES 25

Les Ehpad sont peu mobilisés par la prévention, montre une baisse légèrement plus rapide de
leur taux de cotisation au titre des accidents la fréquence des accidents du travail dans les
du travail et des maladies professionnelles entreprises ayant signé un contrat. En revanche,
étant forfaitaire et indépendant du nombre selon les travaux de la Cnam, les contrats de
de salariés. La progression de la prévention prévention sont sans effet sur les maladies
suppose une remise en cause de cette professionnelles, qui résultent principalement
dérogation à la tarification fondée sur la d’une usure professionnelle sur une longue
sinistralité24. La Cour recommandait déjà en période.
202225 de mettre en place progressivement
une tarification AT-MP tenant compte du niveau Ces travaux ne fournissent pas d’indication sur
de risque par catégorie d’établissements et l’évolution de la gravité des accidents dans les
services médico-sociaux et, le cas échéant, entreprises ayant signé un contrat, ce qui ne
par établissement. La direction de la sécurité permet pas de comparer la situation avant et
sociale y est favorable. après la signature de contrats. Enfin, l’étude
n’avait pas pour objet d’analyser les effets des
contrats de prévention par secteur d’activité.
B - Une absence de priorisation
des contrats de prévention De cette comparaison, il ressort que les contrats
concernent des entreprises dont la fréquence
1 - Une incidence non avérée
des accidents est deux fois supérieure à la
des contrats de prévention sur
moyenne et que la baisse de la fréquence des
la fréquence des accidents du travail
accidents est sensiblement la même pour
Une étude produite en 2018 par la Cnam a l’ensemble des entreprises (- 13 %) que pour
comparé le nombre d’accidents du travail dans les entreprises ayant bénéficié d’un contrat
les entreprises ayant bénéficié d’un contrat de prévention (- 14 %). Ce très faible écart
de prévention et dans les autres. L’analyse n’apparaît pas significatif.

24. Cour des comptes, Rapport public annuel, chapitre VIII : La tarification des accidents du travail et maladies
professionnelles : une gestion lourde, un caractère incitatif à renforcer, 2018.
25. Cour des comptes, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale 2022, chapitre VI :
Les enjeux de la maîtrise des risques professionnels dans les établissements et services pour personnes âgées
et personnes en situation de handicap, 2022.
26 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

Graphique n° 7 : évolution comparée de la fréquence des accidents du travail


avec ou sans contrat de prévention

78,6
80
74,9 73,5
71,3 72,4
69,0
70 66,2 66,5 66,4 65,3

60

50

39,1 37,8
40 35,8 35,8 36,0 34,8 33,6 33,8 33,7 33,7

30
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Entreprises sans contrat Entreprises avec contrat

Source : Calculs Cour des comptes, d’après données Cnam


Note de lecture : En 2007, il y a eu 11 662 accidents du travail parmi les 148 301 salariés couverts
par un contrat de prévention, soit une fréquence de 78,6. En 2007, il y a eu 728 897 accidents
du travail parmi les 18 626 023 salariés du secteur privé, soit une fréquence de 39,1.

Cette étude, menée sur des contrats anciens effet, seuls les objectifs quantitatifs, quand ils
(2007-2016), mériterait d’être actualisée, en ont été fixés26, sont évalués en fin de CNO au
retenant des contrats signés dix ans plus tard et travers d’un simple compte-rendu des objets
avec une méthodologie complétée et ajustée. financés.
Ce type d’évaluation pourrait être mené
dans le cadre du bilan de chaque convention 2 - Une absence de pilotage
d’objectifs et de gestion (COG) pour adapter le des conventions nationales d’objectifs
dispositif dans la convention suivante.
L’établissement des conventions nationales
Aucune évaluation spécifique de l’effet des d’objectifs est laissé à l’appréciation des
conventions nationales d’objectifs sur la sinis– secteurs professionnels. Or, l’implication des
tralité (fréquence et gravité des accidents secteurs est variable selon la structuration
du travail et des maladies professionnelles) de leurs organisations professionnelles ou les
avant et après contrat n’a jamais été produite. caractéristiques techniques du secteur, comme
Elle pourrait pourtant compléter l’évaluation l’illustre le secteur de l’aides et des soins à la
des contrats en fin de COG. Actuellement, en personne évoqué plus haut.

26. Si les principes généraux des conventions nationales d’objectifs sont bien renseignés (champ d’application, durée,
objectifs de prévention, mesures finançables), les CNO ne fixent pas toutes des objectifs quantitatifs (nombre d’entreprises
et nombre de salariés) ni des montants maximaux de financ nt (quand ils sont fixés, ces montants varient de 70 000 €
à 99 000 €). Ainsi, la CNO du 23 juillet 2021 transversale de prévention des troubles musculo-squelettiques ne fixe pas
d’objectif, alors que l’avenant n° 1 du 1er janvier 2021 à la CNO « Activités du secteur de l’hébergement, de l’aide et du soin
à la personne » fixe un objectif de 30 % des établissements, la CNO transversale du CTN F du 24 février 2020 fixe l’objectif
d’atteindre un nombre « significatif » d’entreprises et la CNO « Activités du secteur de la propreté » du 4 mai 2021 fixe un
objectif de plusieurs dizaines d’établissements.
COUR DES COMPTES 27

La place du paritarisme dans la branche Au total, l’indice de fréquence28 des accidents


des accidents du travail et maladies profes- du travail et l’indice de fréquence des troubles
sionnelles ne doit pas empêcher la Cnam musculosquelettiques des entreprises ayant
d’encourager la préparation de conventions perçu une subvention décroissaient de
nationales d’objectifs dans les secteurs façon comparable à ce qui s’observait pour
à forte sinistralité et qui ne disposent les entreprises qui n’avaient pas perçu de
pas de fédérations professionnelles très subvention.
structurées. La Cnam considère que cela
la conduirait à contribuer à l’organisation 2 - Une régulation limitée
de la représentation professionnelle, qui ne à de la communication
relève pas de sa compétence. Elle pourrait
Les subventions « prévention TPE » sont
pourtant s’appuyer sur des évaluations périodi-
allouées aux entreprises à leur demande selon
ques et la convention d’objectifs et de gestion
une logique de guichet. Leur régulation ne peut
de la branche des accidents du travail et
s’appuyer que sur une communication ciblée. La
maladies professionnelles afin de prioriser les
direction des risques professionnels de la Cnam
CNO. Un accompagnement méthodologique
communique sur ces subventions au travers des
dans l’élaboration des CNO pourrait également
échanges privilégiés qu’elle entretient avec les
être proposé aux comités techniques natio-
fédérations professionnelles et de campagnes
naux, voire la création d’une CNO cadre décli-
de communication nationales. Les Carsat les
nant en annexe les spécificités par comité
font connaître aux fédérations professionnelles
technique national.
régionales et aux entreprises avec lesquelles
elles sont en contact.
C - Les subventions « prévention
TPE » : une dépense de guichet Des actions de communication sont prévues
non-régulée, un maintien à examiner dans le cadre du plan 2022-2025 pour la
prévention des accidents du travail graves
1 - Un impact incertain des subventions et mortels : la mesure n° 14 a pour objectif
« prévention TPE » sur la sinistralité d’« informer les TPE-PME des aides proposées »
et l’engagement clé n° 16 a pour objet de
L’effet des dispositifs nationaux de subventions
« renforcer la sensibilisation du grand public
« prévention TPE » sur la sinistralité des
et déployer une communication à destination
entreprises a fait l’objet d’une unique étude27,en
des travailleurs et des employeurs ».
2018, qui n’a pas été mise à l’ordre du jour d’une
réunion de la commission des accidents du Deux campagnes de communication nationales
travail et maladies professionnelles de la Cnam. sur les incitations financières ont eu lieu durant
Cette étude n’a pas mesuré l’impact de chacun la période de contrôle : de juillet à septembre
des dispositifs de subventions « prévention 2019 sur internet (pour 146 000 €) et en octobre
TPE », puisqu’elle portait sur l’incidence de et novembre 2022 sur internet et à la radio
ceux-ci sur l’ensemble des entreprises ayant (pour 235 410 €).
perçu une subvention entre 2013 et 2018.

27. Cnam, Relevé de sinistralité des établissements ayant bénéficié d’une AFS depuis 2013, Étude 2018-153.
28. (Nombre des accidents en premier règlement/effectif salarié) x 1 000.
28 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

3 - Un dispositif coûteux à réexaminer Selon la direction des risques professionnels


de la Cnam, les subventions « prévention
L’effet des subventions « prévention TPE »
TPE » constituent avant tout un outil de
sur la sinistralité n’a pas pu être mesuré, alors
sensibilisation des TPE. À défaut de démontrer
qu’il s’agit d’une aide substantielle apportée
leur effet sur la sinistralité et de parvenir à les
aux très petites entreprises. La conception
réguler par d’autres moyens que des actions
des dispositifs de subvention nécessite un
de communication, il serait moins coûteux
travail technique en amont important et leur
de remplacer progressivement ce dispositif
instruction et leur contrôle constituent une
complexe par une politique de sensibilisation
charge administrative lourde pour les Carsat.
aux risques professionnels et à leur prévention
En outre, des effets d’aubaine sont relevés :
à destination des très petites entreprises.
47 % des entreprises bénéficiaires déclarent
qu’elles auraient acquis le matériel éligible
même en l’absence de subvention29.

III - LES CARENCES DU CONTRÔLE INTERNE

A - Les faiblesses persistantes Ce contrôle se fondait sur les conditions de


du contrôle des incitations financières versement des subventions « prévention
TPE », parfois définies dans quatre documents
1 - Un contrôle interne des subventions différents. En 2023, le format des documents
« prévention TPE » à l’initiative des a été uniformisé et seuls deux documents
caisses locales et sans visite sur place complètent la « Lettre Réseau » (conditions
d’attribution de la subvention prévention et
La prise en charge des dossiers administratifs
formulaire de demande de subvention).
est assurée par les services administratifs du
service prévention de la caisse locale. Jusqu’en 2019, la Cnam fixait des objectifs de
visite dans les entreprises pour contrôler la
La Cour a constaté que les services ordon–
présence des biens acquis grâce aux subventions.
nateurs et comptables de la Cramif contrô–
La Cnam s’est abstenue d’en informer la
laient la totalité des dossiers, notamment pour
commission des accidents du travail et des
s’assurer du respect effectif des conditions
maladies professionnelles30. Les instructions
d’attribution, conformément aux instructions
de la Cnam sur le contrôle interne, fin 2022, ne
de la Cnam.
requièrent plus de visites sur site31 pour vérifier
Au-delà de cette demande, la Cnam a laissé, la bonne installation des achats financés, alors
jusqu’à récemment, l’initiative du plan de que celles-ci permettraient également de
contrôle interne aux caisses locales pour la repérer et de corriger des situations de travail
vérification des conditions d’attribution et des éventuellement dangereuses.
calculs des montants versés aux entreprises.

29. Subvention prévention TPE. Étude de satisfaction, BVA, 2021.


30. Alors qu’elle doit approuver le budget du fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies
professionnelles et définir les orientations de la COG de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles,
la commission n’a pas, malgré sa demande, accès aux Lettres Réseau de la Cnam, qui orientent l’action des Carsat.
31. Sur un échantillon aléatoire, tel que le modèle le prévoyait avant 2019.
COUR DES COMPTES 29

2 - Une clarification de la gestion un contrat de prévention et une subvention


des contrats de prévention en attente « prévention TPE ».
depuis 2017 De même, les contrats TPE ne sont encadrés
Depuis 1992, la gestion des contrats de par aucune « Lettre Réseau »33, laissant ainsi les
prévention fait l’objet périodiquement d’ins- Carsat, isolément et sans coordination, définir
tructions sous forme de circulaires et de leurs propres protocoles d’administration et de
« Lettres Réseau » qui se juxtaposent. Un audit contrôle. La « Lettre Réseau » qui en rappelle
interne de 2017 avait relevé de nombreuses les principes précise que ces contrats peuvent
interprétations locales parfois divergentes. Une financer « une situation particulièrement grave
« Lettre Réseau » devait clarifier de nombreux de risque exceptionnel ». Aucun cas de ce type
points32 mais elle n’a toujours pas été diffusée, n’a été observé lors de l’audit de la Cour.
six ans plus tard.
L’audit interne de 2017 avait également mis en
L’audit de la Cour a mis en évidence d’autres évidence une analyse insuffisante de l’activité
points à clarifier. Une circulaire de 1992 indique des agents des caisses. De plus, l’animation du
que la signature du contrat de prévention doit réseau concernant les contrats de prévention
intervenir pendant la durée de la convention était qualifiée de confidentielle. La capitalisation
d’objectifs et de gestion, puis que la date d’effet de l’information et des bonnes pratiques, qui
et la date de signature du contrat doivent devait être développée, est toujours en attente
être compatibles avec la durée d’application
de la convention d’objectifs et de gestion de 3 - Un retard dans la lutte contre la fraude
référence. Il n’existe pas de limite au nombre La lutte contre la fraude et les pratiques
de contrats par entreprise par convention abusives prévue par la convention d’objectifs
d’objectifs et de gestion et aucune règle ne et de gestion 2018-2022 n’a pas été mise en
s’oppose à ce qu’une entreprise puisse cumuler œuvre avant fin 2022.

Des demandes abusives de subventions « prévention TPE »


lors de la crise sanitaire
Pendant la mise en œuvre la subventions « prévention TPE covid », les Carsat ont constaté
des demandes abusives de travailleurs indépendants, concernant, par exemple, des écrans
de visualisation. Des professionnels de santé libéraux, ainsi qu’une chocolaterie, ont
demandé, et obtenu, l’installation – pérenne – de douches (ostéopathe, podologue, médecin-
rhumatologue). Des demandes portant sur des nombres de masques chirurgicaux sans
rapport avec l’activité ont été identifiés (2 000 masques pour un architecte, 3 000 masques
pour un centre d’hypnose, 1 800 masques pour une entreprise de lavage de véhicules), ainsi
que des masques facturés à 32,50 € l’unité.

32. Condition « d’un salarié minimum », calcul du nombre de salariés, liste des documents à réclamer aux entreprises, liste des
correspondances requérant un envoi en courrier recommandé, modalités de vérification de la règle des minimis, modalités
de vérification de la situation vis-à-vis de l’Urssaf et vérification de la viabilité financière des entreprises avant de signer un
contrat.33. Alors qu’elle doit approuver le budget du fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies
professionnelles et définir les orientations de la COG de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles,
la commission n’a pas, malgré sa demande, accès aux Lettres Réseau de la Cnam, qui orientent l’action des Carsat.
33. Leur champ doit s’inscrire dans les objectifs généraux de prévention de la branche définis paritairement.
30 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

En 2022, un audit interne34 concluait à des B - La structuration tardive


contrôles de qualité inégale, démontrant que le et inaboutie du contrôle interne
risque de fraude n’avait pas été suffisamment national
maîtrisé et que certaines actions de contrôle
étaient disproportionnées au vu des enjeux Une mission « plan de contrôle SP-TPE »
financiers (pour les travailleurs indépendants, a été confiée à la Carsat Bretagne, à compter
la limite basse des remboursements est de du 1er juillet 2021 afin de proposer un plan de
250 €). contrôle permettant d’assurer la maîtrise des
risques financiers du processus d’attribution
La traçabilité des supervisions et des contrôles
des subventions.
a été jugée très insuffisante. L’audit préconisait,
pour l’ensemble du réseau, des actions de Cette mission a conduit en novembre 2022
contrôle coordonnées entre ordonnateurs à la définition d’une démarche de contrôle
et comptables dans le but d’apporter une coordonnée par la Cnam qui précise les
assurance raisonnable de conformité des rôles de supervision (service ordonnateur),
activités, et ce dans une logique de priorisation de contrôle de l’ordonnancement (service
des risques. Un outil de reporting des résultats comptable), de contrôle des critères et pièces
des opérations de contrôle devait être construit pour paiement (service comptable) et de
en vue d’analyser les résultats pour objectiver contrôle des équipements subventionnés
les risques et faire évoluer le plan de contrôle (service ordonnateur – lutte contre la fraude)
interne. et prévoit la construction d’un outil de suivi des
L’efficacité de la lutte contre la fraude est contrôles des subventions « prévention TPE ».
limitée par l’absence de sanction administrative Les dossiers contrôlés représentent 20 % des
des fraudes en matière de subvention. Ces équipements subventionnés en 2023.
sanctions ne sont, en effet, pas instituées par
l’article L 114-17-1 du code de la sécurité Les mesures prises présentent des limites.
sociale, ni par un autre texte. Or, les montants Le format des documents nécessaires pour
limités des fraudes individuelles permettent vérifier les conditions d’attribution a été
rarement d’engager une procédure pénale uniformisé, mais deux documents seulement
avec succès. Les plaintes en la matière se complètent la « Lettre Réseau » (conditions
cantonnent aux cas de fraude en bande d’attribution de la subvention prévention et
organisée. Le cadre législatif gagnerait à être formulaire de demande de subvention).
complété sur ce point.
De nouvelles exigences ont été édictées
pour justifier l’achat de matériels financés
par les subventions « prévention TPE » : bons
de livraison pour les équipements, relevés
bancaires pour l’ensemble des investissements
réalisés et durée d’un an de conservation de
l’équipement subventionné (à compter de

34. Réalisé par les services de la direction déléguée de l’audit, des finances et de la lutte contre la fraude sur les subventions
« prévention TPE covid ».
COUR DES COMPTES 31

la date de livraison). Cependant, certaines matériels et assurant les prestations de service.


améliorations n’ont pas été mises en œuvre : Or, dans les outils informatiques de gestion
dans les « Lettres Réseau » spécifiques aux des contrats et des subventions mis en œuvre
subventions « prévention TPE », il n’est par les ordonnateurs ou les comptables, aucun
plus question de « relevés bancaires » mais applicatif ne permet de recenser les prestations
d’« extraits des relevés bancaires » ; l’exigence et matériels financés. Il n’est donc pas possible
de photographies des équipements avec d’effectuer un recensement automatisé de
numéro de série/plaque CE35 n’a pas été ceux-ci par cet outil.
retenue.
L’absence d’analyse fine de l’activité est préju–
Les attestations de formation suivies, au for– diciable à l’équité et aux équilibres entre finan–
malisme largement insuffisant précédem– ceurs de prestations et de matériels.
ment36, sont depuis 2023 plus rigoureuses37,
bien que ne soit toujours pas exigée l’apposition De possibles effets d’aubaine, évoqués de
du cachet de l’employeur. longue date ne sont pas détectés. La Cour
a analysé les dossiers de la Cramif relevant
Au titre de la lutte contre la fraude, plusieurs du dispositif « Stop Essuyage » en 2019 : bien
dispositions ont été retenues en avril 2023 : le que 17 fabricants de lave-verres aient été
contrôle sur échantillon de 20 % de dossiers identifiés par la Cnam, l’immense majorité
de subventions « prévention TPE » et le des équipements avait été fournie par un seul
contrôle exhaustif par la direction des risques fabricant38.
professionnels de la Cnam des subventions
accordées aux travailleurs indépendants
(700 accordées en 2022 pour un montant de
822 000 €), ciblant, notamment, les usurpations
d’identité.

C - Une absence de contrôle


des fournisseurs, bénéficiaires in fine
des subventions

La Cour a demandé à la Cnam et à des caisses


locales l’analyse qualitative des contrats
et des subventions « prévention TPE » afin
d’identifier les entreprises fournissant les

35. Ce marquage réglementaire indique que le fabricant engage sa responsabilité sur la conformité du produit aux
exigences de l’Union européenne. Il doit être complété des éléments suivants : numéro de type, de lot ou de série, nom,
raison sociale ou marque déposée du fabricant, et de l’éventuel importateur.
36. Les attestations de formation n’étaient soumises à aucun formalisme (« Échafaudage + » 2019 par exemple) ou pas
assez exigeantes (« TOP BTP » 2022 : attestation de formation ou attestations de présence de l’organisme de formation
ou certificat à défaut, la feuille de présence signée pour les formations des salariés, de l’animateur et de l’encadrement).
37. « TMS Diagnostic » 2023 : ajout du cachet de l’organisme de formation et de la signature du chef d’entreprise.
38. 54 sur 74 pour un chiffre d’affaires de 0,45 M€ sur 0,6 M€ au total, dont 50 % pris en charge par la Cramif.
32 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

Un spécialiste des études ergonomiques dans la restauration


Au titre du dispositif de subvention TPE « TMS Pros Diagnostic » (renommé en 2023
« TMS diagnostic et formation »), dont les bénéficiaires en Île-de-France sont quasi-
exclusivement des entreprises de l’hôtellerie-restauration, les études ergonomiques ont été
majoritairement attribuées à une même société en 2022 et 2023.
En 2022, cette société a traité 69 dossiers sur 88 (78 %) soit un dossier tous les trois jours
ouvrables, pour un chiffre d’affaires de 258 000 € sur les 345 000 € des dossiers de ce
programme. La Cramif rembourse au client destinataire du diagnostic 70 % de la dépense.
En 2023, sur les 58 dossiers traités, 69 % des diagnostics avaient été établis par cette société.
Les liens sont si étroits entre la Cramif et ce prestataire que celui-ci envoie des dossiers de
subventions complets en lieu et place des entreprises. Un ingénieur conseil responsable
d’antenne à la Cramif oriente des entreprises intéressées directement vers ce prestataire.
Le site internet de ce prestataire affiche le logo de la Cramif sur l’une de ses pages. Enfin,
la Cramif elle-même affiche le nom de plusieurs sociétés, dont ce prestataire, dans un
communiqué de presse relatif à un salon tenu à Paris en 2022.
En outre, parmi les 107 contrats de prévention franciliens de 2022 examinés par la Cour, la
plupart contenaient un volet formation. Si la majorité des formations ont été dispensées
par la Cramif, ce prestataire a été l’opérateur privé le plus présent parmi les fournisseurs
couverts par le champ des contrats et a facturé 5 530 € pour neuf prestations, dont 70 % ont
été remboursés aux entreprises.
La Cramif fait état de l’établissement récent d’une procédure de lutte contre les conflits
d’intérêts Pour autant, elle n’a pas indiqué à la Cour les diligences accomplies pour s’assurer
de l’absence de conflit d’intérêts des responsables de cette subvention « prévention TPE »
avec ce prestataire.

Au titre du dispositif de subvention « Écha– renseigner les noms de fournisseurs et qu’il


faudage + », 128 dossiers acceptés en Île-de- soit possible de faire une recherche sur ce
France de 2019 à 2021 correspondent à 6 M€ de champ afin que les Carsat mettent en place un
factures. Or, un fournisseur, leader mondial du dispositif de suivi organisé des fournisseurs. La
secteur, a bénéficié de ces achats subventionnés Cnam y est favorable.
à hauteur de 4,3 M€, dont 40 % pris en charge
Enfin, il apparaît nécessaire d’étendre le pro-
par la Carsat (avec un montant plafonné à
cessus et les moyens du contrôle interneen
25 000 €), soit environ 70 % du marché. Un
complétant la liste des justificatifs demandés
échantillonnage a permis de constater que la
– y compris des photographies in situ des
situation est similaire dans les autres régions. La
équipements acquis –, en renforçant la lutte
totalité du montant versé au titre du dispositif
anti-fraude et en prévoyant les moyens d’ana-
« Échafaudage+ » se monte à 14,3 M€.
lyser les caractéristiques des fournisseurs et
Ces constats justifient que l’outil informatique des prestataires.
de gestion des dossiers prévoie l’obligation de
COUR DES COMPTES 33

LISTE DES ABRÉVIATIONS


ASP Aide et soins à la personne
AT-MP Accidents du travail et maladies professionnelles
Carsat Caisse d’assurance retraite et de santé au travail
CAT-MP Commission accidents du travail et maladies professionnelles
CGSS Caisse générale de sécurité sociale
Cnam Caisse nationale de l’assurance maladie
CNO Convention nationale d’objectifs
CNSA Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie
COG Convention d’objectifs et de gestion
Cramif Caisse régionale d’assurance maladie Île-de-France
CTN Comité technique national
Dreets Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail
et des solidarités
Ehpad Établissements d’hébergement pour personnes âgées
dépendantes
Fipu Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure
professionnelle
IF Indice de fréquence
INRS Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention
des accidents du travail et des maladies professionnelles
Irdes Institut de recherche et de documentation en économie
de la santé
NAF Nomenclature nationale d’activités française
OPPBTP Organisme professionnel de prévention du bâtiment
et des travaux publics
SAAD Structures de services d’aide à domicile
SP-TPE Subvention « prévention TPE »
TG Taux de gravité
TMS Troubles musculo-squelettiques
TPE Très petites entreprises
34 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

ANNEXES
Annexe n° 1. les comités techniques nationaux et les conventions nationales
d’objectifs
Annexe n° 2. les montants de subventions prévention TPE versés
par établissement éligible
Annexe n° 3. les principaux dispositifs de subventions prévention TPE
Annexe n° 4. les subventions prévention TPE : objectifs et dispositifs
éligibles au financement
Annexe n° 5. les risques couverts par les conventions nationales d’objectifs
COUR DES COMPTES 35

Annexe n° 1
Les comités techniques nationaux
et les conventions nationales d’objectifs
Tableau n° 2 : nombre de conventions nationales d’objectifs et d’entreprises
de moins de 200 salariés par comité technique national

Nombre
Comités techniques nationaux Nombre de CNO Nombre de PME
de salariés
A - métallurgie 6 95 139 926 789
B - bâtiment et travaux publics 2 275 441 1 483 624
C - transport, eau, gaz, électricité,
6 182 300 1 188 259
livre, communication
D - commerce et industrie
14 302 766 1 843 097
de l’alimentation
E - chimie, caoutchouc, plasturgie 1 6 599 155 593
F - bois, ameublement, papier-carton,
textile, vêtement, cuirs et peaux, 8 25 241 252 513
pierre et terres à feu
G - commerce non alimentaire 4 332 138 1 473 675
H - activités de service I (banques,
1 321 117 2 107 175
assurances, administrations…)
I - activités de service II (travail
temporaire, action sociale, santé, 2 202 731 1 615 654
aide et soin, nettoyage…)

Source : Cnam
CNO : Conventions nationales d’objectifs en vigueur de 2019 à 2022 (avenants compris).
36 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

Annexe n° 2
Les montants de subventions prévention TPE
versés par établissement éligible
Tableau n° 3 : montant de subventions prévention TPE versé de 2019 à 2022
par établissement de moins de 50 salariés, par caisse locale

Nombre Montant moyen par


Caisse Montant versé
d’établissements éligibles établissement éligible
Carsat Auvergne 8,4 M€ 33 935 248 €
Carsat Bourgogne-
15,2 M€ 64 045 238 €
Franche-Comté
Carsat Pays de Loire 19,2 M€ 87 901 219 €
Carsat Nord Est 11,8 M€ 55 518 213 €
Carsat Bretagne 16,7 M€ 80 321 208 €
Carsat Centre-
11,5 M€ 55 518 206 €
Val de Loire
Carsat Alsace-Moselle 14,2 M€ 69 177 206 €
Carsat Midi-Pyrénées 15,8 M€ 82 138 192 €
Carsat Normandie 13,7 M€ 73 782 185 €
Carsat Languedoc-
14,7 M€ 81 778 180 €
Roussillon
Carsat Centre Ouest 10,4 M€ 60 088 173 €
Carsat Rhône-Alpes 32,7 M€ 192 581 170 €
Carsat Aquitaine 16,8 M€ 99 094 169 €
Carsat Hauts-de-France 18,6 M€ 114 663 163 €
Carsat Sud-Est 28,1 M€ 176 049 160 €
CGSS Martinique 1,6 M€ 11 078 149 €
CGSS Réunion 3,4 M€ 23 020 146 €
CGSS Guyane 0,6 M€ 5 121 118 €
CGSS Guadeloupe 1,4 M€ 12 700 107 €
Cram Île-de-France 25,4 M€ 398 393 64 €
Total 14 014 585 € 88 845 Moyenne : 176 €

Source : calculs Cour des comptes, d’après données Cnam


COUR DES COMPTES 37

Annexe n° 3
Les principaux dispositifs de subventions prévention TPE

Tableau n° 4 : dépenses au titre des principaux dispositifs de subventions


prévention TPE (2019-2022)

En M€ 2019 2020 2021 2022 Total


TMS Pros action 16,31 22,57 29,09 29,49 97,46
Prévention covid 0,0 28,52 20,93 0,01 49,46
Cuisine + sûre 0,0 0,0 14,61 1,72 16,33
Stop essuyage 5,35 5,92 0,44 0,0 11,71
TPE 3,93 2,97 2,44 2,04 11,39
Échafaudage 40 % (11 régions) 1,3 4,93 3,74 0,0 9,96
Bâtir + 1,53 2,67 4,22 0,01 8,43
Top BTP 0,0 0,0 0,0 7,14 7,14
Preciseo 4,07 2,72 0,17 0,0 6,96
TMS Pros diagnostic 1,04 1,58 1,97 2,14 6,74
Garage plus sûr 1,52 2,89 0,4 0,0 4,81
Métiers de bouche + 0,0 0,0 1,39 3,32 4,72
Soudage + sûr 0,24 0,97 1,54 1,8 4,56
Échafaudage 25 % (8 régions) 0,62 1,79 1,92 0,0 4,34
Filmeuse + 1,0 1,44 1,5 0,16 4,09
Culture de prévention* 0,21 1,21 1,1 0,86 3,37
Propreté + 0,06 0,69 0,85 1,29 2,89
Airbonus 0,46 0,71 0,7 0,74 2,62
Boulangerie / pâtisserie ** 0,0 0,87 0,77 0,75 2,39
Hôtel + 0,16 0,48 0,59 1,0 2,23
Bonus restauration traditionnelle *** 0,53 1,05 0,0 0,0 1,58
Transformation construction bois **** 0,02 0,18 0,59 0,62 1,42
Prévention BTP 0,3 0,4 0,28 0,32 1,3
Risque routier ***** 0,03 0,58 0,39 0,24 1,24
ASP établissement 0,02 0,3 0,57 0,32 1,21

* Carsat Hauts-de-France
** Carsat Normandie
*** Carsat Sud-Est
**** Carsat Rhône-Alpes
***** Carsat Languedoc-Roussillon
Source : Cnam, calculs Cour des comptes
38 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

Annexe n° 4
Les subventions prévention TPE :
objectifs et dispositifs éligibles au financement
Tableau n° 5 : les subventions prévention TPE nationales en 2023 :
objectifs et dispositifs éligibles au financement
Nom du dispositif
Objectif Objet
en 2023
Aspirateur à très haute efficacité, unité
Gérer le risque amiante notamment
Subvention mobile de décontamination, dispositif
lors des travaux
Prévention Amiante de production et de distribution d’air
sur des bâtiments existants.
de qualité respirable
Installations de captage localisé :
Réduire l'exposition aux
torches aspirantes TIG, torches aspirantes
Subvention conséquences néfastes du soudage
MIG-MAG, dosserets aspirants, gabarits
Prévention Captage à l’arc (particules submicroniques
aspirants, bras aspirants, tables aspirantes,
fumées de soudage et des gaz contenus dans les
cabines, enceintes pour
fumées)
le soudage robotisé
Subvention Réduire l'exposition aux émissions
Système d'extraction de gaz et fumée
Prévention : de moteur diesel et aux fumées
d'échappement, système de ventilation
Captage fumées d’échappement des véhicules
générale mécanisée
de diesel essences
Réduire les risques liés au port
Subvention de charges lourdes et aux postures
Sièges de douches et de bains réglable
Prévention Aide contraignantes dans les
électrique, draps de glisse, lève-personne
médico-sociale établissements sanitaires et
sur rail
en établissement médico-sociaux par la formation
et les aides techniques matérielles
Réduire les risques liés au port
Subvention de charges lourdes et aux postures
Prévention Aide contraignantes dans les métiers Appareil de dépollution de l'air spécifique
médico-sociale de l'aide et du soin à domicile par aux produits utilisés dans la coiffure
à domicile la formation et les aides techniques
matérielles
Formation d'une personne ressource,
salariée de l'entreprise chargée du projet
Subvention
TMS, réalisation d'une étude ergonomique
Prévention Formation d'une personne
des situations de travail concernées
TMS diagnostic ressource en charge du projet TMS
(diagnostic de prévention des TMS et plan
et formation
d'action détaillant les solutions à mettre
en œuvre)
COUR DES COMPTES 39

Nom du dispositif
Objectif Objet
en 2023
Réduire les contraintes physiques
Achat et installation de nouveaux matériels
en particulier lors de manutentions
Subvention et équipements visant à réduire les
manuelles de charges, d'efforts
Prévention TMS action contraintes physiques et formations
répétitifs ou de postures
à la prévention des TMS
contraignantes
Réduire les risques liés aux agents
chimiques dangereux, mutagènes,
Subvention Box ou laboratoire de préparation, cabine
toxiques pour la reproduction
Prévention Captage de peinture ou de vernissage, enceinte
lors des phases d'application
peinture en de séchage, équipement de nettoyage
de peinture ou vernis durant
menuiserie automatique des outils
la préparation et de nettoyage
du bois
Réduire les risques liés aux agents
Subvention Risque chimiques dangereux, mutagènes, Équipement de captage des polluants
chimique toxiques pour la reproduction en et d'équipements réduisant le risque
Équipements aidant les entreprises à s'équiper d'exposition, installation incluse
de moyens de protection collective
Prestation d'accompagnement
Subvention par un consultant permettant Réalisation du diagnostic / repérage
Prévention RPS d'agir en prévention des RPS des facteurs de RPS, et accompagnement
Accompagnement (accompagnement à l’élaboration du plan d’action
ou formation/action)
Prévention des risques liés aux
chutes et aux manutentions,
amélioration des conditions Échafaudages, escaliers d'accès
Prévention TOP BTP
d'hygiène sur les chantiers, pour échafaudages et formations
des risques d'ensevelissement
et d'exposition aux vibrations

Source : Cour des comptes, d’après Cnam


40 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

Annexe n° 5
Les risques couverts par les conventions nationales d’objectifs
Tableau n° 6 : les risques couverts par les conventions nationales d’objectifs

Nombre de citations
Risques
dans les CNO
Formation à la sécurité 38
Risques dus aux manutentions manuelles 36
Risques liés à l'ergonomie des postes de travail 34
Risques liés aux poussières 31
Risques de chutes de hauteur 29
Risques mécaniques 28
Risques liés aux circulations 28
Risques dus aux manutentions mécaniques 27
Risques liés au bruit 27
Risques liés à la luminosité 23
Risques liés à la sécurité dans les procédés de travail 23
Risques liés à la sécurité dans l'organisation du travail 21
Risques de chutes de plain-pied 20
Risques liés à la température 19
Risques liés au stockage 18
Risques d'incendie ou d'explosion 14
Risques biologiques 13
Risques liés aux conditions d'hygiène 12
Risque routier 12
Risques liés à l'utilisation d’chimiques dangereux 10
Risques liés aux vibrations 9
Risques psychosociaux 8
Risques électriques 7
Risques de réactions chimiques dangereuses 7
Risques d'ensevelissement 4
Risques d’écrasement 4
Risques de glissades 3

Source : Cour des comptes, d’après Cnam


COUR DES COMPTES 41

RÉPONSES DES ADMINISTRATIONS


ET ORGANISMES CONCERNÉS

Sommaire
Réponse reçue à la date de la publication (07/03/2024)

42 Réponse du directeur général de la CNAM


42 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

RÉPONSE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA CNAM


En complément de mon précédent courrier, dans le cadre de la phase contradictoire de l’audit
flash «Les subventions versées par la Cnam aux petites entreprises au titre de la prévention des
risques professionnels » et en réponse à votre courrier du 2 février dernier, je souhaitais vous faire
part de mes remarques au projet d’audit, dont je note le changement de titre, plus frappant dans
la dernière version « Les aides de la Cnam à la prévention des risques professionnels : une efficacité
non démontrée ».
1. L’unique recommandation de la mission est de suspendre le versement des subventions dans
l’attente de déploiement d’actions d’envergure, essentiellement autour de la mise en œuvre d’une
politique de ciblage qui n’est ni prévue réglementairement, ni souhaitée politiquement, ainsi que
la mise au point d’une méthode d’évaluation fiable à laquelle l’ensemble des acteurs souscriraient.
Le rapport incite également à subordonner la mise en œuvre du Fonds de Prévention de l’Usure
Professionnelle, issu de la réforme des retraites, à l’accomplissement de cette recommandation.
Cette suspension ne me parait toutefois pas compatible avec les ambitions qui sont confiées à
la branche AT/MP, et non à la seule Caisse Nationale d’Assurance Maladie, et ce sous la tutelle
des services de l’État. Ces ambitions se lisent par l’octroi de crédits budgétaires en augmentation
depuis 201739. Ces dispositifs d’aides directes aux entreprises sont aujourd’hui renforcés à
hauteur de 200 M€ supplémentaires via le Fonds d’Investissement pour la Prévention de l’Usure
professionnelle (FIPU), pris sur les excédents de la branche AT/MP, la majorité de ce budget
étant orientée vers des aides financières aux entreprises. Le contexte de la branche AT/MP, son
financement par les seules cotisations employeurs, la place de sa gouvernance paritaire et une
situation de solde positif durable, motivent ces orientations politiques, qui ne peuvent être écartées
des réflexions sur le sujet : la présidence de la Commission des AT/MP aurait d’ailleurs utilement
pu être entendue par la mission.
Également, le rapport évoque qu’« il serait moins coûteux de remplacer progressivement ce dispositif
complexe par une politique de sensibilisation aux risques professionnels et à leur prévention à
destination des très petites entreprises ». Compte tenu des difficultés de communication efficace
auprès de ce public, il resterait utile d’apporter quelques précisions à ce terme de sensibilisation,
et aux attentes de la mission sur ce point, au risque de se heurter aux mêmes écueils que ceux des
subventions, soulignés par le rapport (manque d’impact sur la baisse de sinistralité, enjeux trans-
sectoriels et non ciblés.
2. Le reste du rapport appelle de ma part les observations suivantes.
Premièrement, de façon générale, le périmètre de la mission, que le titre circonscrit aux seules
« subventions », couvre en réalité les contrats de prévention et les aides pour les travailleurs
indépendants alors qu’il s’agit de modalités d’aides très différentes. Ainsi, les contrats de prévention
s’adressent à de plus grandes entreprises (moins de 200 salariés) et s’intègrent dans une démarche
de prévention globale, accompagnée par un préventeur sur le terrain, et ce durant plusieurs
années. L’incitation financière elle-même n’est qu’une partie d’un processus de prévention au long

39. Ceux-ci sont passés de de 50 M€/an à 200 M€/an.


COUR DES COMPTES 43

cours, multi-actions, et relevant d’une gestion budgétaire particulière. A l’inverse, les subventions
s’adressent à de petites entreprises - généralement moins de 20 salariés - pour le financement
partiel d’actions de portée limitée (achat de matériel, financement de prestation). Attendre de
ces actions, opposées dans leur conception et s’adressant à un public aussi diversifié, une portée
similaire au regard de la baisse de sinistralité ne me parait pas toujours pertinent.
Par ailleurs, comme la Cnam l’a indiqué au cours de la phase d’enquête, les TPE/PME sont un
public particulièrement complexe à sensibiliser à la prévention des risques professionnels. Au-delà
d’une réticence générale aux procédures administratives, ces entreprises sont peu concernées par
les AT/MP : une entreprise de 9-10 salariés connaîtra en moyenne un AT tous les 3 ans en son sein
et tous les 15 ans pour les entreprises de moins de 5 salariés. L’octroi d’aide financière constitue
donc un levier de sensibilisation que la branche utilise pour promouvoir la culture de prévention
et en représenter une première étape. L’octroi d’une subvention permet d’agir concrètement sur
au moins une situation de travail et d’améliorer la sécurité dans l’entreprise, même si la mesure
d’impact statistique ne se lit pas. Il est évident que les contrats de prévention s’inscrivant dans
une durée pluriannuelle et impliquant des entreprises de plus grande taille, peuvent quant à eux
démontrer plus efficacement une baisse de sinistralité.
Les différentes études et méthodologies testées pour mesurer cet impact pour les subventions
ont effectivement échoué, y compris par recours à un institut extérieur. Il est mentionné dans le
rapport la nécessité de poursuivre la recherche de méthodologies adaptées ; c’est également le
souhait des partenaires sociaux de la branche et de la Cnam, comme le prévoient les rédactions en
projet dans le cadre de la future COG AT/MP 2023-2027.
Deuxièmement, le rapport met en exergue des manques dans la gestion et le contrôle de
l’attribution de ces aides.
En matière de gestion, le rapport évoque un fonctionnement imparfait, en lien avec la multiplicité
des subventions et leur « saupoudrage » au sein des entreprises bénéficiaires.
Il me semble important de justifier ce dernier point au regard du nombre d’entreprises concernées,
celles de moins de 50 salariés étant les plus nombreuses sur le territoire, et de la diversité des
activités considérées comme exposantes aux risques professionnels, selon les secteurs, les
organisations ou situations de travail. Comme l’évoque le rapport, il existe 74 aides financières
(de type SP-TPE) créées sur 4 ans, mais 1/3 d’entre elles concentre 96 % de la dépense, et il s’agit
essentiellement d’aides nationales. Il y a donc en réalité une réelle concentration de ces aides, sans
pour autant exclure l’ensemble des secteurs d’activité.
Il faut également rappeler à ce titre que l’arrêté de 2010 fondant les incitations financières de
la branche ne les limite en aucun cas aux seuls secteurs « sinistrogènes ». La mise en œuvre des
subventions régionales se limite à 3 subventions au maximum. La dispersion que vous évoquez est
donc toute relative et maitrisée. Par ailleurs, l’augmentation du nombre de subventions nationales
44 LES AIDES DE LA CNAM À LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS : UNE EFFICACITÉ NON DÉMONTRÉE

en 2019 est une traduction concrète de l’augmentation des crédits accordés aux aides financières
durant la COG 2018-2022 (de 50 M€ à 100 M€).
Comme l’indique le rapport, la Cnam n’est effectivement volontairement pas restrictive, ce qui
permet à tous les Comités Techniques Nationaux incluant la représentation professionnelle de
tous les secteurs d’activité, de proposer des aides financières. Il en résulte donc des dynamiques
différentes selon l’organisation de cette représentation, par exemple plus structurée s’agissant du
BTP par rapport au médico-social, ce paramètre échappant de fait au périmètre d’action légitime
de l’Assurance Maladie-Risques professionnels. Il me semble utile de préciser que, bien sûr, s’il ne
relève pas de la compétence de la Cnam d’organiser la représentation professionnelle, pour autant
l’accompagnement des représentants des entreprises en prévention est bien de son périmètre
légitime.
Le rapport évoque par ailleurs une affectation régionale des budgets indépendante de la
sinistralité, relevant une forte variation des montants versés selon les régions. Or, abstraction faite
des régions ayant des indices de sinistralité plus faible (l’Île-de-France par exemple, au regard de la
prééminence des activités de service), les montants versés par établissement ne varient que dans
un rapport de 1,5.
Le rapport évoque par ailleurs un lien imparfait entre les aides accordées et la sinistralité par
secteur d’activité. Je souscris pleinement à l’approche en fonction de la criticité du risque que vous
proposez (graphique n° 4), et je rappelle que les programmes de prévention et les aides financières
sont construits en segmentant finement la sinistralité par codes risques et/ou par codes NAF.
Concernant la gestion des subventions, le rapport évoque une documentation tardive relative aux
aides. Il faut cependant clarifier ce qui relève de la documentation interne, traduction écrite des
consignes de la Cnam à son réseau, des éléments de cadrage à destination du public des entreprises.
Vis-à-vis des entreprises, chaque ouverture de subventions s’accompagne systématiquement de
règles d’éligibilité décrites par des conditions d’attribution voire cahiers des charges.
Cette documentation relative aux aides n’est pas superflue car elle est le cadre de référence pour
les contrôles avant paiement, en transparence vis-à-vis des entreprises utilisatrices. Leur efficacité
se lit à travers le taux de rejet, élevé, que constate la Cour. Ce taux de rejet illustre la difficulté des
TPE/PME face aux processus administratifs de façon générale et le positionnement de la Cnam sur
une logique de cadres et contrôles. La Cnam ne se dote en effet pas d’objectif de réduction » de ce
taux, ce que semble regretter la mission. Rechercher l’abaissement de ce taux serait renoncer à un
contrôle strict avant paiement, alors même que le rapport évoque des carences du contrôle interne.
Sur ce dernier point, la mise en œuvre récente d’une politique unifiée de contrôle des subventions
est évoquée. En effet, les travaux nationaux ont démarré en 2020, concomitamment à une
augmentation forte des crédits nationaux attribués à la branche. S’ils n’ont abouti qu’en 2022, ce
délai est à attribuer à la crise sanitaire ayant eu un effet particulier sur le sujet des aides financières,
avec l’ouverture d’une subvention spécifique, de très forte audience et ayant en conséquence
mobilisé intensément l’ensemble des organismes régionaux. Pour autant, les pratiques de
COUR DES COMPTES 45

supervision et de contrôle préexistaient, sous la responsabilité des organismes régionaux. Le


rapport évoque d’ailleurs un réel investissement des caisses auditées.
J’attire en outre votre attention sur le fait que cette action nationale est aujourd’hui déployée et
porte ses fruits. Ainsi, les échantillons de dossiers contrôlés ont représenté de 2 % à 11 % des dossiers
instruits selon les catégories, et jusqu’à 20 % pour le contrôle des équipements subventionnés. Des
anomalies d’ordonnancement ou de paiement ont été identifiées et rectifiées grâce à ce plan de
contrôle 2022, poursuivi et complété en 2023.
Par ailleurs, je souscris à la recommandation de la Cour visant à mieux suivre les relations
fournisseurs, une évolution informatique en permettant la saisie par chaque ordonnateur et donc
in fine la supervision régionale et nationale étant planifiée.
Le présent rapport
est disponible sur le site internet
de la Cour des comptes : www.ccomptes.fr

AUDIT FLASH

Mars 2024

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