Limagination
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PAUL RICŒUR
L’imagination
Cours à l’Université de Chicago (1975)
suivi de
ouvrage traduit
avec le concours du centre national du livre
ÉDITIONS DU SEUIL
57, rue Gaston-Tessier, Paris XIXe
Ce livre est publié dans la collection Bibliothèque Ricœur.
isbn 978‑2‑02‑151540‑4
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Préface à l’édition française
par Jean-Luc Amalric 1
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Ces deux cours ont donc été élaborés conjointement 4 et renvoient plus
largement au projet d’une théorie générale de l’imagination, capable de
penser une articulation précise entre les versants individuel et collectif
du travail productif de l’imagination. Les lecteurs français ont pu avoir
accès en 1997 au texte du cours sur l’idéologie et l’utopie 5, grâce à la
traduction française du texte américain paru dès 1986, mais, de même
que les lecteurs américains, ils avaient été privés jusque‑là du second
volet des cours de Chicago consacrés à l’imagination et qui paraît
aujourd’hui simultanément aux University of Chicago Press et aux
éditions du Seuil. La publication de L’Imagination constitue donc un
complément indispensable à celle de L’Idéologie et l’Utopie : à la philo‑
sophie de l’imaginaire social développée dans ce dernier volume, elle
vient en efet ajouter les linéaments d’une « phénoménologie de l’ima‑
gination individuelle 6 ».
Les textes de ces deux cours ont un statut comparable : ils ont été établis à
partir de la transcription des enregistrements des cours professés par Ricœur
en 1975 à l’Université de Chicago. Le découpage en leçons correspond
au déroulement efectif des cours de même que son style de présentation
oral. Ces textes ne sauraient donc avoir le même statut que les œuvres
de Ricœur qui elles, ont été conçues et écrites en vue de la publication.
À la demande de George H. Taylor 7, Ricœur a accepté en 1981 le
principe de la publication du cours sur l’idéologie et l’utopie. Pour ce
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12. De fait, c’est dans ses écrits d’exégèse biblique que Ricœur esquissera une
méditation sur la création originaire entendue au sens biblique du terme et, par souci de
ne pas mêler les genres, ses œuvres ultérieures s’engageront progressivement dans l’éla‑
boration d’une anthropologie philosophique dans laquelle le rapport à la foi biblique
et à la théologie se trouve mis en suspens.
13. Paul Ricœur, Réflexion faite, Paris, Éditions Esprit, 1995, p. 26.
14. Ibid., p. 69‑70. C’est nous qui soulignons.
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15. Pour un développement plus détaillé de cette question, nous nous permettons
de renvoyer à notre article « Airmation originaire, attestation et reconnaissance. Le
cheminement de l’anthropologie philosophique ricœurienne », in Études ricœuriennes/
Ricœur studies, vol. 2, no 1, 2011, p. 12‑34.
16. On reconnaîtra dans ce sous‑titre les expressions de « déi » et « d’équivalence
sans identité » qui gouvernent les trois essais que Ricœur a consacrés à la question de
la traduction. Cf. Paul Ricœur, Sur la traduction, Paris, Bayard, 2004.
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1. Dans les premiers paragraphes de cette Leçon 1, Ricœur situe son étude de l’ima-
gination par rapport aux tendances universitaires qui prévalaient dans les années 1970,
lorsque le cours a été donné : la littérature philosophique concernant l’imagination était
limitée ; la psychologie était largement behavioriste ; et la réputation académique des
études sur la créativité était médiocre. Depuis cette époque, des changements substan-
tiels se sont produits dans ces domaines. Les leçons elles-mêmes traitent des change-
ments qui commençaient alors à se produire. Voir infra note 3 et Leçon 4, note 1. Dans
cette Leçon d’introduction, Ricœur laisse rapidement de côté le contexte contemporain
pour en venir à sa propre argumentation.
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2. Afin de réduire les notes de bas de page, chaque fois que Ricœur présente une
référence générale à un texte spécifique, comme ici, aucune note de bas de page n’est
proposée, mais la référence complète est disponible dans la Bibliographie. Aucune référence
n’est donnée lorsque Ricœur ne propose qu’une référence générale à la littérature secon-
daire. Dans la présente Leçon d’introduction, nous n’insérons pas de références en bas
de page concernant les sujets que Ricœur aborde dans les leçons suivantes.
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3. Pour ce qui est du constat que Ricœur fait de ces changements, voir Leçon 4,
note 1.
4. À titre d’éclaircissement, précisons que Ricœur se réfère explicitement ici à des
ouvrages de psychologie et non à l’intérêt philosophique indépendant que Gilbert Ryle
manifeste pour les jeux de rôle. En ce qui concerne les ouvrages de psychologie, voir
Leçon 4, note 1. En ce qui concerne Ryle, voir les Leçons 7 et 8.
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5. Voir, par exemple, Charles Sanders Peirce, Papers of Charles Sanders Peirce (vol. 2),
Cambridge, MA, Belknap Press, 1960, p. 157-158. Pour la traduction française, voir :
Charles Sanders Peirce, Écrits sur le signe. Textes rassemblés, traduits et commentés
par Gérard Deledalle, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 1978 ; réédition Points
Essais, 2017, p. 172-179.
6. Les références complètes des textes fondamentaux qui seront discutés par Ricœur
figurent dans la Bibliographie, dans la section relative au syllabus du Cours.
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7. Dans les leçons suivantes, pour des raisons que Ricœur sera amené à expliciter,
son vocabulaire se fera plus précis et il sera conduit à préférer le terme « inexistence ».
Pour les termes techniques tels que « inexistence », l’Index fournit des références aux
définitions de Ricœur.
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9. Dans cette leçon comme dans les suivantes, Ricœur se réfère au cours sur l’idéo-
logie et l’utopie qu’il a également donné à l’Université de Chicago durant l’automne
1975. Ce cours sera publié plus tard en anglais sous le titre Lectures on ideology and
utopia et en français sous le titre L’Idéologie et l’Utopie.
10. Ricœur se réfère à l’extrémité gauche de l’axe de la présence et de l’absence, car
c’est là que seraient situés la présence pleine et le degré zéro de l’absence.
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Non-croyance ou
Distance critique
Image mentale
Présence Absence
trace hallucination
Croyance ou
Fascination
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11. Dans sa forme finale, la deuxième partie du cours ne revient pas sur ces études de
psychologie. Dans les Leçons 7 et 8, en revanche, Ricœur discute longuement la façon
dont Ryle aborde philosophiquement le rôle du jeu. Pour un commentaire concernant
la littérature en matière de psychologie, voir la Leçon 4, note 1.
Lectures classiques
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appréhender aussi bien des êtres individuels que des êtres universels.
L’imagination flotte entre l’intuition de l’individuel et l’intuition des
Formes idéales. Elle manque non seulement de consistance mais aussi
de fiabilité en matière de vérité. En ce sens, le chemin est pavé pour une
approche essentiellement dépréciative de l’imagination que nous verrons
à l’œuvre chez Pascal dans notre prochaine leçon.
Venons-en maintenant plus directement au texte. On voit qu’il présente
d’emblée une structure argumentative, et c’est à cette structure argumen-
tative que je vais m’intéresser ici. Elle consiste principalement à analyser les
différences qui permettent de distinguer l’imagination d’autres fonctions,
puis à examiner, au sein de ces différences, certaines similitudes suggérées
soit par le langage ordinaire soit par l’expérience commune. Aristote a
souvent bonne réputation chez les philosophes du langage ordinaire car
il procède à la manière d’Austin et parfois de Wittgenstein, en n’exa-
minant pas seulement les choses mais aussi ce que les gens disent au sujet
des choses. Sa description de l’imagination fait donc appel aux ressources
conjointes du langage commun et de l’expérience commune et elle consiste
à dégager deux différences spécifiques qui renvoient respectivement au bas
et au sommet de l’échelle. Dans le paragraphe d’ouverture du chapitre 3,
Aristote définit les termes de référence qui serviront à son travail de diffé-
renciation et il passe un certain temps à distinguer clairement les termes
opposés de perception et de pensée afin de ménager une place au terme
intermédiaire. Son intention initiale est d’ouvrir un espace entre les deux
termes mais le poids des opinions contraires ne rend pas les choses faciles.
Pour Aristote, il est toujours important de considérer ce que les gens ont
déjà dit parce qu’il nous faut choisir la meilleure opinion au moyen d’une
sorte de critériologie philosophique, qui ne part pas de rien mais s’appuie
au contraire sur ce qui a déjà été dit sur un sujet. Aristote ne conteste
pas les droits de l’expression poétique. Il cite Homère aussi bien que le
présocratique Empédocle (p. 586 ; 427a 21-25). Pourquoi s’appuie-t-il
sur ces opinions ? Parce qu’il existe une fonction qui semble commune
à l’ensemble du champ décrit dans le Livre III et qui est la fonction de
discrimination : distinguer, faire des distinctions. Entre la perception et
la raison ou la pensée il existe au moins un point commun : c’est le fait
qu’elles discriminent.
Pour nous, cet argument est toujours pertinent dans la mesure où
nous avons appris de la philosophie du langage ordinaire (je pense en
particulier à Sense and Sensibilia [Sens et sensibilité] de John Langshaw
Austin), mais aussi de la psychologie moderne de la perception, que
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fois que nous le souhaitons (nous pouvons, par exemple, faire appel
à une image comme dans les procédés mnémotechniques opérant au
moyen d’images mentales), mais nous ne sommes pas libres de former
des opinions : nous ne pouvons pas échapper à l’alternative de la fausseté
et de la vérité » (p. 587 ; 427b 18-21). Aristote met l’accent sur l’attitude
de l’esprit lorsqu’il imagine plus que sur la nature de l’image. Comme je
l’ai dit, ses exemples ne sont pas très précis, mais ceux qu’il nous suggère
ici semblent renvoyer à certains diagrammes – « les procédés mnémotech-
niques opérant au moyen d’images mentales » – ou à certaines images
– comme les portraits ou les tableaux. Dans le contexte de cette phrase,
c’est bien d’un portrait mental qu’il s’agit puisqu’il peut faire l’objet
d’une libre évocation. Il est vrai que, dans d’autres contextes argumen-
tatifs, Aristote mobilisera d’autres exemples qui seront assez éloignés de
ce premier exemple ; encore une fois, cela tient au fait que sa démarche
ne consiste pas à mettre en ordre des exemples mais à identifier le niveau
auquel ils se réfèrent. Que veut donc dire Aristote lorsqu’il oppose le
caractère arbitraire de l’imagination à l’absence de liberté dans la formation
des opinions ? L’argument peut paraître étrange. Si le jugement et
l’opinion sont deux phénomènes plus ou moins semblables, pourquoi
ne sommes-nous pas libres de former chacun d’eux ? Pour Aristote, le
problème vient du fait que, lorsque nous jugeons, nous ne sommes pas
libres, « nous ne pouvons pas échapper à l’alternative de la fausseté et de
la vérité ». L’arbitraire dont est capable l’imagination n’est pas seulement
l’arbitraire dans l’évocation de quelque chose mais il implique aussi la
possibilité de ne pas avoir à choisir entre vérité et erreur.
Cette idée selon laquelle l’imagination échappe à l’alternative entre
vérité et fausseté se retournera en argument contre l’imagination. Quand
on sait à quel point la philosophie met l’accent sur la capacité à appré-
hender la vérité, il est clair qu’il ne s’agit pas d’une description très
favorable. Cette étrange liberté de l’imagination à laquelle Aristote fait
référence ici ne trouvera son expression légitime que dans la troisième
Critique de Kant, lorsque le libre jeu de l’imagination sera mis au service
du plaisir ou de l’art. Ce libre jeu ne renverra alors à rien d’objectif au
sens où il ne s’accompagnera d’aucune donation d’objet. La capacité
de l’imagination à échapper à l’alternative de la fausseté et de la vérité
ne sera donc reconnue qu’en dehors de l’épistémologie et dans le seul
domaine de l’esthétique.
Aristote avance alors un second argument qui confirme l’indépen-
dance de l’imagination. Il évoque en effet une autre forme de liberté qui
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