9782130462712
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ESSAIS PHILOSOPHIQUES
Collection f o n d é e p a r J e a n H y p p o l i t e
et dirigée p a r J e a n - L u c M a r i o n
A l l e m a n n B . , H ö l d e r l i n et H e i d e g g e r
( 2 é d . r e v . e t c o r r i g é e ) T r a d . p a r F . FÉDIER.
A l q u i é F . , L e r a t i o n a l i s m e de S p i n o z a
B e a u f r e t J . , Entretiens (2e é d . )
P u b l i é s p a r F . d e TOWARNICKI
B r a g u e R . , D u temps chez P l a t o n e t A r i s t o t e ( Q u a t r e
études)
— A r i s t o t e et l a question d u monde
B r u a i r e G . , L ' ê t r e et l ' e s p r i t
C a r r a u d V . , P a s c a l et l a philosophie
C o u r t i n e J . - F . , S u a r e z et le système de l a métaphysique
D a v i d s o n D . , A c t i o n s et événements
T r a d . p a r P a s c a l ENGEL
D e l e u z e G . , E m p i r i s m e et subjectivité ( 5 é d . )
— D i f f é r e n c e e t répétition ( 8 éd.)
D e l h o m m e J . , L a pensée i n t e r r o g a t i v e ( 2 é d . )
D e r r i d a J . , L a voix et le p h é n o m è n e ( 5 é d . )
— Le problème de l a genèse d a n s l a p h i l o s o p h i e de
Husserl
D ' H o n d t J . , H e g e l secret ( 2 é d . m i s e à j o u r )
— H e g e l , p h i l o s o p h e de l ' h i s t o i r e vivante ( 2 é d . )
F é d i e r F . , Interprétations
F e r r e y r o l l e s G . , P a s c a l et l a r a i s o n d u p o l i t i q u e
F r a n k f u r t H . , D é m o n s , rêveurs et f o u s
T r a d u c t i o n p a r S . - M . LUQUET
G r i m a l d i N . , L ' a r t ou l a f e i n t e p a s s i o n
G r o n d i n J . , L e t o u r n a n t d a n s l a pensée de M a r t i n
Heidegger
— L ' u n i v e r s a l i t é de l ' h e r m é n e u t i q u e
H e n r y M . , Généalogie de l a p s y c h a n a l y s e
— P h i l o s o p h i e e t phénoménologie d u corps ( 2 é d . )
— L'essence de l a m a n i f e s t a t i o n ( 2 é d . e n 1 v o l . )
— Phénoménologie matérielle
LA VIE DU SUJET
Recherches sur l'interprétation
de Husserl dans la phénoménologie
ÉPIMÉTHÉE
ESSAIS PHILOSOPHIQUES
RUDOLF BERNET
L a réduction phénoménologique
et la double vie d u sujet
1. Cf. J.-L. Marion, Réduction et donation. Recherches sur Husserl, Heidegger et la phé-
noménologie, Paris, PUF, 1989; M. Henry, Phénoménologie matérielle, Paris, PUF, 1990;
J.- F.Courtine, Heidegger et la phénoménologie, Paris, Vrin, 1990, p. 207-247 ; M. Henry,
Quatre principes de la phénoménologie, Revue de métaphysique et de morale, 96/1, 1991,
un deuxième point sur lequel tout le monde s'accorde : la réduction
phénoménologique est impensable sans un sujet capable d'accueillir la
donation des phénomènes que cette réduction fait apparaître pour la
première f o i s Ces phénomènes au sens phénoménologique ne sont
pas seulement recouverts par les phénomènes de la vie ordinaire, mais
ils constituent en même temps le fondement dont les phénomènes
ordinaires reçoivent leur signification. La donnée offerte par la réduc-
tion phénoménologique est donc une donnée fondamentale, fonda-
trice de toute autre donation. Au-delà de ce troisième point d'accord,
les avis commencent cependant à diverger sur ce que les phénomènes
phénoménologiques font apparaître, sur la forme de l'apparaître qui
leur est propre, et sur la manière dont ils se différencient et se lient
avec les phénomènes ordinaires.
Qu'est-ce qui apparaît grâce à la réduction phénoménologique?
Selon Husserl, c'est la subjectivité transcendantale en tant qu'elle
constitue le monde. Ce qui devient phénomène, c'est donc tout autant
le monde en tant qu'il est constitué par la subjectivité transcendantale
que cette subjectivité elle-même en tant qu'elle constitue le monde. La
réduction phénoménologique met ainsi en lumière la « corrélation
transcendantale » entre l'être du sujet constituant et l'être du monde
constitué en montrant aussi comment cette constitution était déjà à
l'œuvre dans la vie naturelle, sans qu'elle apparaisse pour autant. Pour
Heidegger aussi, c'est l'être et notamment l'être des étants qui apparaît
grâce à la réduction phénoménologique : l'être des outils, l'être du
monde ambiant, l'être du Dasein dans ses divers modes de l'existence,
et finalement le sens de l'être en général. Cet apparaître phénoménolo-
gique ne fait cependant plus appel à un regard détaché, comme chez
Husserl, mais il s'accomplit au sein de l'existence effective du Dasein.
Avec l'apparaître de l'être des différents étants, Heidegger interroge
dès ses premiers écrits phénoménologiques la phénoménalité de ces
phénomènes. J.-L. Marion, enfin, tente de dépasser une telle concep-
HUSSERL
HEIDEGGER
1. Cf. Ve Recherche logique, § 15b : « Ainsi par exemple, la joie à propos d'un évé-
nement heureux est certainement un acte. Cependant cet acte (...) comprend dans son
unité non seulement la représentation de l'événement joyeux et le caractère d'acte de
plaisir qui s'y rapporte ; mais à la représentation se rattache aussi une sensation de
plaisir (...) : l'événement nous apparaît comme nimbé de rose. L'événement comme
tel, coloré ainsi par le plaisir devient alors seulement le fondement de l'attachement
joyeux, de l'agrément, de l'état de transport (...). »
grande ambivalence quant au caractère originellement subjectif ou
objectif des sentiments et aussi quant aux avantages et aux désavan-
tages de leur assimilation aux actes objectivants. D'une part, Husserl
semble reculer devant l'idée d'attribuer aux vécus axiologiques des
objets intentionnels suigeneris, tels que les valeurs et, d'autre part, il ne
veut pas renoncer à l'idée qu'il existe bien une intentionnalité de type
affectif qui se manifeste sous la forme d'un attachement émotionnel
(Zuwendung) à l'objet intentionnel. A nouveau, Sartre et M. Henry se
sont précipités à trancher, là où, dans un premier temps, Husserl n'ar-
rivait pas à se décider : M. Henry en affirmant que le caractère inten-
sément subjectif des sentiments exclut d'office qu'on puisse encore les
considérer comme des vécus intentionnels ; Sartre en contestant que
l'intentionnalité des émotions diffère sensiblement de celle des percep-
tions et justifie qu'on leur attribue une forme égologique ou égocen-
trique qui ferait défaut aux autres vécus intentionnels (38-43). Nous
avons vu que Husserl, le premier moment d'indécision passé, a réso-
lument opté dès les Idées I pour une analyse plutôt objectiviste de l'in-
tentionnalité des sentiments, tout en affirmant par ailleurs leur carac-
tère égologique. Mais nous sommes encore loin de comprendre les
motifs de ce choix.
Il semble que la décision en faveur du caractère objectivant de l'in-
tentionnalité des sentiments fut à nouveau prise dans les années situées
entre la parution des Recherches logiques et des Idées I et qu'elle fut moti-
vée par le souci d'une fondation phénoménologique de l'éthique
C'est surtout dans les textes éthiques de cette période intermédiaire
que Husserl insiste sur le fait que les sentiments éthiques et les valeurs
éthiques auxquelles ils renvoient intentionnellement doivent être sou-
mis à un examen critique qui consiste à scruter leur caractère ration-
nel. Il semble donc que ce soit cette exigence d'une justification
rationnelle des sentiments éthiques qui ait amené Husserl à considérer
tous les sentiments comme étant des actes intentionnels objectivants.
DÉPASSEMENT DU SUBJECTIVISME
ET DE L'OBJECTIVISME CHEZ HUSSERL
L'auto-apparaître de la chair
Nous devons donc concéder que notre enquête n'a pas corroboré
l'hypothèse d' « une intentionnalité sans sujet ». Nous avons plutôt
été amenés à revoir notre conception et du sujet égologique et de l'in-
tentionnalité objectivante. Mais nous avons effectivement réussi à
mettre en évidence chez Husserl l'existence d' « une intentionnalité
sans objet ». Celle-ci est à l'œuvre aussi bien dans le rapport du sujet à
un monde prédonné que dans le rapport « impressionnellement-inten-
tionnel » du sujet à lui-même. Cette intentionnalité du rapport impres-
sionnel à soi, loin d'être une intentionnalité objectivante au service
d'un ego pur conçu comme « source de vie », nous est plutôt apparue
comme une manifestation originaire de la vie même du sujet, c'est-à-
dire de son existence charnelle et temporelle. Cette vie du sujet ne se
borne cependant pas à être l'auto-manifestation impressionnelle d'elle-
même, puisque son intentionnalité la porte aussi, et en même temps,
vers les objets du monde. Une vie qui coïnciderait totalement avec son
auto-manifestation n'aurait plus guère le droit de s'appeler « subjec-
tive ». Nous avons en effet observé comment la vie subjective est ani-
mée par une double intentionnalité qui fait en sorte qu'elle s'apparaît
à elle-même tout en faisant apparaître les objets mondains ou tout en
étant affectée par eux. Pour Husserl, être sujet veut dire être divisé,
c'est-à-dire être le sujet d'une double intentionnalité et d'une double
affection. Il s'ensuit que le sujet apparaît à lui-même comme se trans-
cendant vers les choses et donc aussi dans sa différence avec les choses
du monde.
M. Henry avait donc raison de souligner le caractère impressionnel
ou affectif, c'est-à-dire invisible, de l'auto-manifestation de la vie sub-
jective et d'en faire un mode d'apparaître sui generis. Mais il n'a sans
doute pas été assez attentif au fait que cette auto-manifestation origi-
naire de la vie subjective se réalise encore grâce à une intentionnalité
sui generis qui n'est pas incompatible avec le caractère impressionnel de
cette auto-manifestation. Nous croyons aussi — avec Husserl — que
M. Henry a tort de considérer cette auto-manifestation comme étant
plus originaire que la manifestation des choses mondaines et comme
constituant en quelque sorte l'essence même de la manifestation. Il
s'est non seulement avéré que ces deux modes de l'apparaître allaient
nécessairement de pair, mais aussi que le sujet ne coïncidait pas avec
l'auto-manifestation de sa vie. La conception husserlienne du sujet
divisé de l'intentionnalité que nous avons défendue a trouvé un écho
plus favorable chez E. Levinas. En insistant sur la différence ontolo-
gique entre « l'existant » et « l'existence », E. Levinas a montré com-
ment sa propre existence apparaît à l'existant dans la mesure précisé-
ment où celui-ci s'en différencie C'est en éprouvant son existence
comme une charge — comme ce qu'il « a » à supporter autant qu'il ne
l' « est » — que l'existant est affecté par l'apparaître de son existence.
Cette mise-à-distance de sa propre existence est aussi ce qui permet à
l'existant de s'ouvrir au monde et à Autrui. Cela ne veut pas dire, bien
entendu, que le sujet puisse s'établir « spectateur impartial » de sa vie
ou de la vie des autres. S'il ne coïncide pas avec sa vie, il ne peut pas
non plus s'en évader au point d'en faire un objet mondain. Le rapport
du sujet à (l'apparaître de) sa vie est donc une figure supplémentaire
de cette « transcendance dans l'immanence » qui semble bien être la
clé de la théorie husserlienne de l'intentionnalité.
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