Théorie Polyvagale Et Sentiment de Sécurité - E

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Théorie polyvagale

et sentiment de sécurité
« … un travail monumental, une explication scientifique lucide, pour recon-
naître que se préserver est le fondement même de notre nature… ».
Bessel van der Kolk, MD

Stephen Porges, PhD, n’a pas seulement apporté l’une des contributions
les plus approfondies et les plus enrichissantes à notre compréhension du
système nerveux au cours des 50 dernières années, mais il en a fait l’une des
plus utiles. Tous les thérapeutes ou les praticiens de santé peuvent bénéficier
de ses travaux. Grâce aux travaux de Stephen Porges, nous pouvons de mieux
en mieux déchiffrer les expressions faciales et approfondir notre compréhen-
sion des liens unissant notre système nerveux, nos expressions faciales et nos
sensations corporelles.
Un travail remarquable sur la relation entre les expressions faciales et les
émotions avait déjà été conduit par Darwin et Ekman. Stephen Porges
prolonge ces découvertes en nous-mêmes, les mettant en relation avec le
système nerveux. Ce qu’il y a de si particulier dans sa contribution, c’est
qu’elle est d’une portée clinique immédiate. Ses principes et ses découvertes
nous guident dans la prise en charge des cas cliniques les plus difficiles et
nous offrent de nouvelles opportunités de traitement.
Pendant des décennies, il a écrit comme un scientifique, pour des scienti-
fiques. Dans ce livre clair et accessible, qui est une introduction idéale à ses
travaux, nous avons maintenant la chance de bénéficier du dialogue de cet
homme brillant. C’est idéal pour tous les cliniciens, mais aussi pour tous ceux
qui veulent mieux comprendre leur propre système nerveux et celui de ceux
qu’ils aiment.
Norman Doidge, médecin

Dans ce livre, Stephen Porges a réussi, comme peu de chercheurs l’ont fait,
l’art de détailler des concepts scientifiques pour les rendre merveilleuse-
ment accessibles aux patients, cliniciens et profanes. Alors que les subtilités
de la théorie polyvagale prennent vie grâce à sa voix amicale et son esprit
innovant, émerge une nouvelle compréhension de l’influence du système
nerveux autonome sur le comportement humain, ainsi que des explications
neurobiologiques de nombreuses difficultés. Vous pourrez ainsi constater
que bon nombre des problèmes complexes, amenant les personnes en
thérapie, prennent soudain un sens biologique, et vous pourrez découvrir
encore les pistes pour les guérir. Laissez-vous inspirer dans la lecture de
ce livre par une perspective révolutionnaire sur la condition humaine, qui
aura un impact positif considérable sur votre vie, vos relations et dans votre
pratique clinique.
Pat Ogden, PhD
Théorie polyvagale
et sentiment de sécurité
Enjeux et solutions thérapeutiques

STEPHEN W. PORGES

Traduit de l’américain par Nico Milantoni


et Isabelle Chosson-Argentier

17, avenue du Hoggar – P.A. de Courtabœuf


BP 112, 91944 Les Ulis Cedex A
“The Pocket Guide to the Polyvagal Theory” (ISBN 978-0-393-70787-8),
by Stephen W. Porges was originally published in 2017, all rights reser-
ved. Authorized translation from the English language edition published by
W. W. Norton & Company. © 2017 by Stephen W. Porges.

L’ouvrage « The Pocket Guide to the Polyvagal Theory » (ISBN 978-0-393-


70787-8), de Stephen W. Porges a été initialement publié en 2017, tous droits
réservés. Cette traduction est publiée avec l’autorisation de W. W. Norton
& Company.

Avertissement aux lecteurs : les normes de pratique clinique et de proto-


cole changent au fil du temps. Aucune technique ou recommandation n’est
garante d’efficacité en toutes circonstances. Ce volume, source d’informations
générales, est destiné aux professionnels exerçant dans le domaine de la
psychothérapie et de la santé mentale. Il ne remplace pas un accompa-
gnement approprié, un examen ou une expertise clinique. Ni l’éditeur, ni
les auteurs ne peuvent garantir la pertinence ou la parfaite efficacité d’une
recommandation particulière à tous égards.

Composition et mise en pages : Flexedo

Imprimé en France
ISBN (papier) : 978-2-7598-2762-6
ISBN (ebook) : 978-2-7598-2763-3

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés


pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3
de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à
l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part,
que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute
représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses
ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation
ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon
sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
© EDP Sciences, 2022
SOMMAIRE

Remerciements............................................................................... 9
Préface à l’édition française............................................................. 13
Préface......................................................................................... 15
Lexique........................................................................................ 19

1. Neurobiologie du sentiment de sécurité.................................... 49


Pensées et sensations : réflexions sur le corps et le cerveau........... 49
Les sensations : un intérêt scientifique légitime............................ 50
La variabilité de la fréquence cardiaque dans la recherche
en psychophysiologie................................................................ 52
Mécanismes neuraux médiant la variabilité de la fréquence
cardiaque................................................................................. 53
Un index sensible de la régulation vagale du cœur........................ 54
Évaluations physiologiques dans les modèles stimulus-réponse........ 55
La recherche d’une variable intermédiaire..................................... 57
Sentiment de sécurité et état physiologique................................. 58
Sentiment de sécurité et survie................................................... 61
Sentiment de sécurité et engagement social................................. 63
Conclusion............................................................................... 65
2. Théorie polyvagale et traitement des traumatismes................... 67
Traumatisme et système nerveux................................................. 67
Les origines de la théorie polyvagale : le paradoxe du vague.......... 70
Un système nerveux autonome redéfini........................................ 75
Neuroception : détection inconsciente......................................... 78
Déclenchement d’un syndrome de stress post-traumatique.............. 83
Engagement social et attachement.............................................. 85
Quels sont les points communs entre autisme et traumatisme ?...... 86
Traitement de l’autisme............................................................. 91
Le listening project protocol : théorie et traitement........................ 98
Musique, sécurité et intimité...................................................... 103
3. Autorégulation et engagement social........................................ 109
Variabilité de la fréquence cardiaque et autorégulation :
quelle relation ?....................................................................... 109
Les principes organisateurs de la théorie polyvagale...................... 110
Altérité et sentiment de sécurité................................................. 112
Nos trois systèmes de réponse au monde..................................... 115
Le paradoxe du vague................................................................ 117

5
Sommaire

Le nerf vague : un conduit de voies motrices et sensitives............. 120


Traumatisme et engagement social.............................................. 122
Musique et régulation vagale...................................................... 124
Signaux d’engagement social : co-régulation ou autorégulation....... 128
Recruter la régulation neurale..................................................... 131
Quel lien entre attachement et fonctions adaptatives ?.................. 131
Des hôpitaux plus sécurisants..................................................... 133
4. Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau, le corps
et le comportement selon l’approche polyvagale........................ 135
Les origines de la théorie polyvagale........................................... 135
Le vague végétatif et le vague intelligent.................................... 138
Le nerf vague : un ensemble de voies neurales.............................. 142
Nerf vague et fonctions cardiopulmonaires................................... 147
Le sixième sens : l’intéroception................................................. 149
Tonus vagal et émotion............................................................. 150
Le frein vagal........................................................................... 153
Mode de fonctionnement de la neuroception................................ 153
Neuroception : sentiment de menace ou de sécurité ?.................... 156
Réponses reptiliennes et mammaliennes face à l’imprévu................ 160
Le jeu, un exercice neural.......................................................... 162
Nerf vague et dissociation.......................................................... 167
Apprentissage par expérience unique (single-trial learning)............... 172
5. Sécurité, santé et théorie polyvagale........................................ 175
Nerf vague et théorie polyvagale................................................. 175
Santé et connexion corps-cerveau............................................... 179
Traumatisme et trahison............................................................ 181
Comment fonctionne la neuroception.......................................... 183
Incertitude et impératif biologique de connexion aux autres........... 187
Traumatisme et attachement...................................................... 188
Comment le chant et l’écoute nous calment-ils ?........................... 191
Exercices activant le système d’engagement social........................ 195
Le futur du traitement du traumatisme........................................ 199
6. L’avenir du traitement du traumatisme...................................... 203
7. Soma et psychothérapie........................................................... 219

Références.................................................................................... 249
Crédits.......................................................................................... 255

6 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Aux courageux survivants de traumatismes,
en besoin de sécurité
REMERCIEMENTS

La théorie polyvagale est née de mes recherches et de mes réflexions


le 8 octobre 1994 (Porges, 1997). Lors de mon discours présidentiel
à la Society for Psychophysiological Research, j’ai présenté le modèle
polyvagal et ses implications théoriques. À cette époque, je ne m’atten-
dais pas à un tel succès. J’avais conceptualisé la théorie, en avançant
des hypothèses vérifiables, au sein de la communauté scientifique.
Comme je l’espérais, la théorie a suscité l’intérêt des scientifiques, a
été évaluée par des comités de lecture, et diffusée dans de nombreuses
publications dans de nombreux domaines. Cependant, le principal
impact de la théorie a été de donner des explications neurophysiolo-
giques aux expériences diverses décrites par des personnes ayant subi
un traumatisme. La théorie leur a permis de mieux comprendre la
façon dont leur corps avait été transformé en réponse à une menace
vitale, et la façon dont elles avaient perdu leur capacité de résilience
et de retour à un ressenti de sécurité.
Plusieurs personnes ont joué un rôle important, en m’aidant à
retranscrire la théorie d’une façon cohérente. Avant tout, je souhaite
remercier mon épouse, Sue Carter. Pendant plus de 40 ans, elle a
continuellement écouté, témoigné et partagé des idées qui se sont
concrétisées dans la théorie polyvagale. Les travaux remarquables

9
Remerciements

de Sue, sa découverte du rôle de l’ocytocine dans les liens sociaux


et son intérêt pour la neurobiologie du comportement social, m’ont
permis de me concentrer sur le rôle que le système nerveux auto-
nome et l’homéostasie physiologique jouaient, non seulement dans le
domaine de la santé, mais aussi dans celui du comportement social.
Sans le soutien, l’amour et la curiosité intellectuelle de Sue, la théorie
polyvagale n’aurait jamais vu le jour. Je lui en suis profondément
reconnaissant.
Contrairement à beaucoup de mes collègues traitant et étudiant les
traumatismes, ces derniers n’étaient pas au centre de mes recherches
et de mon programme théorique. Sans cet intérêt suscité chez les
psychotraumatologues, la théorie polyvagale n’aurait pu contribuer
au traitement des traumatismes. Ces avancées se sont concrétisées
grâce à trois pionniers de la psychotraumatologie, Peter Levine,
Bessel van der Kolk et Pat Ogden. Je leur suis profondément recon-
naissant pour l’influence qu’ils ont apportée à mon travail. Leur aide
m’a été précieuse pour comprendre les processus impliqués dans
l’expérience et la récupération d’un traumatisme. Dans le but d’aider
leurs patients et celui de comprendre ces processus, ils ont intégré la
théorie polyvagale dans leurs thérapeutiques.
Grâce à Peter, Bessel et Pat, j’ai pu participer à des dizaines de
formations et d’ateliers sur le traumatisme. Ces expériences m’ont
permis de constater à quel point les traumatismes pouvaient e­ xercer
des perturbations profondes chez un grand nombre d’individus.
J’ai réalisé que les survivants d’un traumatisme pouvaient passer le
restant de leur vie sans comprendre les réactions corporelles consé-
cutives à leur traumatisme, ou sans retrouver leur capacité de réguler
et co-réguler leur état physiologique et comportemental. Beaucoup
de personnes rechutent lorsqu’elles évoquent leur expérience. Elles
sont souvent critiquées par leur entourage, pour ne pas avoir appa-
remment réagi et pour être restées dans la peur. D’autres se sentent
ridicules, car elles n’arrivent pas à se rétablir psychologiquement,
malgré l’absence de séquelles physiques apparentes.

10 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Remerciements

Je tiens à remercier Theo Kierdorf pour sa contribution à l’élabora-


tion de ce livre. L’idée d’un livre basé sur la transcription d’entretiens
avec des cliniciens m’a été suggérée par lui. Il a non seulement été
le traducteur de la version allemande de ce volume, mais a aussi
participé activement à la sélection, à l’édition et à l’organisation de la
plupart des documents inclus. Son aide pour organiser ce travail m’a
été précieuse. Nous avons rédigé ensemble l’introduction allemande
de la théorie polyvagale. Sa collaboration m’a permis de mieux faire la
différence entre l’écriture dans un but de documentation et l’écriture
dans un but de communication. J’ai pu améliorer grâce à lui la rédac-
tion des textes scientifiques et mieux communiquer leur contenu. Je
lui suis reconnaissant pour son engagement dans la rédaction de ce
volume, permettant ainsi de rendre la théorie polyvagale plus facile-
ment accessible.
Un merci particulièrement à Deborah Malmud, mon éditrice aux
éditions Norton. Deborah m’a patiemment aidé à transformer mon
manuscrit en une théorie polyvagale accessible au grand public.

11
PRÉFACE À L’ÉDITION FRANÇAISE

Avec ces deux traductions, La Théorie polyvagale et Théorie poly­


vagale et sentiment de sécurité de Stephen W. Porges, faites avec Nico
Milantoni, j’ai l’impression d’une mission accomplie, de quelque
chose qui devait se faire…
Printemps 2022 :
2022 enterre peut-être la virulence d’un Covid, si ce n’est sa conta-
giosité, tout au moins dans notre pays. 2022 a vu renaître la violence
et l’horreur de conflits, si proches de nous, si proches d’ici, visions
insoutenables. Plus que jamais nous ressentons ce besoin de nous
retrouver, ce besoin de partager, ce besoin de sécurité…
Et si ce livre sort en 2022, à la rentrée 2022, c’est un hasard mais
c’est presque symbolique aussi, pour que nous ayons peut-être alors
entre les mains l’outil qui nous fera comprendre toute l’importance
de savoir être ensemble, toute l’importance de ces choses que l’on
pourrait simplement résumer par ces mots : pouvoir… aimer.
L’évolution des mammifères nous conduit à cet avantage d’être
capables d’aimer, comme des êtres évolués. Et quel bénéfice trouve-
t-on à ceci ? Tout simplement de profiter d’une certaine sérénité,
d’un sentiment de sécurité, sécurité condition essentielle et sécurité
aux pouvoirs exceptionnels de santé, de croissance et de restauration.

13
Préface à l’édition française

Plus que jamais, ce travail est essentiel.


Je tenais aujourd’hui à remercier particulièrement Stephen Porges,
qui non seulement a su comprendre, mais partage avec nous ce fabu-
leux outil de la Théorie polyvagale.
Nico Milantoni avec qui j’ai partagé de nombreuses heures pour
accomplir ce travail.
Les éditions EDP Sciences, éditions grâce auxquelles sont ample-
ment divulguées la recherche et les connaissances scientifiques,
éditions grâce auxquelles est divulguée pour la première fois en fran-
çais l’intégralité de cette théorie.
Tous ceux encore qui ont lu ou vont lire ce livre pour qu’ils puissent
devenir, avec la compréhension de la Théorie polyvagale, avec cette
nouvelle approche scientifique, des ambassadeurs de la sécurité et de
l’acheminement pour tous sur la voie de la santé.
Isabelle Chosson-Argentier

14 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


PRÉFACE

POURQUOI UN LIVRE SOUS FORME DE DIALOGUE ?


La publication de La Théorie polyvagale : Fondements neuro­
physiologiques des émotions, de l’attachement, de la communication
et de l’autorégulation1 a fourni les bases scientifiques de la théorie.
Cet ouvrage a offert aux cliniciens et aux professionnels de santé
une occasion de comprendre de nouveaux concepts expliquant
le comportement humain. La théorie polyvagale souligne le lien
important entre les expériences psychologiques et les manifesta-
tions physiques, corporelles. Le livre est dense et a été rédigé pour
les scientifiques. L’ouvrage original de la théorie polyvagale a facilité
l’accès aux travaux publiés dans des revues scientifiques et dans des
livres académiques, qui auraient pu rester oubliés dans une littéra-
ture scientifique spécialisée. J’ai été ravi de voir ce travail sortir de
l’obscurité des publications scientifiques avec leur diffusion limitée et
souvent coûteuse sur des portails publics tels qu’Amazon.
Lorsque j’ai écrit La Théorie polyvagale, mon but était de rassembler
dans un ensemble cohérent les documents qui formaient le corpus de

1. Porges, S. W. (2011). The polyvagal theory: Neurophysiological foundations of


emotions, attachment, communication, and self-regulation. Norton series on interper-
sonal neurobiology. New York, NY: W. W. Norton.

15
Préface

la théorie. Ce qui a suivi la publication de l’ouvrage n’était pas prévu.


À ma grande surprise, le livre a connu un certain succès, touchant
un public professionnel dans différentes disciplines. Il a été traduit
en allemand, italien, espagnol, portugais, polonais et dernièrement en
français. Ceci a contribué au succès de la théorie polyvagale, et m’a
poussé à participer à des webinaires et à faire des conférences dans
de nombreux pays. Du fait de l’intérêt croissant pour la théorie poly-
vagale, il m’a paru important de chercher à la rendre plus facilement
accessible aux cliniciens et à leurs patients. On m’a souvent dit que la
lecture de l’ouvrage était dense et parfois difficile, mais on a souligné
par contre à quel point les mêmes choses devenaient de plus en plus
accessibles lors de mes conférences. En réalité en conférence mon
objectif est de communiquer, et lorsque je rédige des articles, mon
objectif est de transmettre des idées et des données dans le respect
des normes imposées par les publications scientifiques.
Au cours des dernières années, sous l’impulsion de nombreux
cliniciens, m’est apparue clairement la nécessité de simplifier le
contenu dense de la théorie, de la retranscrire dans un style plus
accessible. Ce livre est le fruit de cette volonté, de cet élan. J’ai revu
les transcriptions de plusieurs de mes entretiens. Les entrevues ayant
été menées par des cliniciens, mes argumentations se sont orientées
sur les applications cliniques.
Les entretiens retranscrits ici font suite à un lexique permettant au
lecteur de se familiariser avec les concepts de la théorie polyvagale. Ils
suivent encore une introduction expliquant le contexte et la culture
scientifiques dans lesquels la théorie polyvagale est née. Les entretiens
ont été modifiés pour en améliorer l’exhaustivité et la clarté.
Ces échanges spontanés et informels m’ont permis de communi-
quer les éléments cliniquement importants de la théorie polyvagale.
Les entretiens ont été sélectionnés pour faciliter la compréhension
de la façon dont notre système nerveux s’adapte aux défis et pour
permettre aux cliniciens de développer des thérapeutiques réhabi-
litant la régulation bio-comportementale à travers les interactions

16 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Préface

sociales. Les transcriptions ont été modifiées pour éviter certaines


répétitions et pour rester centrés sur les sujets les plus pertinents.
Dans certains passages, mes propos ont été développés et clarifiés.
Afin d’éviter toute redondance, les différents thèmes ont été évoqués
dans des entretiens distincts. Les thèmes centraux de la théorie poly-
vagale réintroduits dans les différents contextes m’ont permis d’en
souligner la portée et l’importance clinique.

POURQUOI SE CENTRER SUR UNE QUÊTE DE SÉCURITÉ ?


Mon ouverture dans le monde clinique m’a incité à transmettre les
perspectives nouvelles de la théorie polyvagale sous une forme plus
accessible. Mes conférences se sont concentrées sur la régulation du
système nerveux autonome, fonctionnant comme une plateforme
neurale, à partir de laquelle différents types de comportements adap-
tatifs peuvent s’exprimer. La théorie polyvagale souligne le rôle de
l’évolution comme constituant un principe organisateur dans l’iden-
tification des circuits neuraux favorisant le comportement social et
les deux classes de stratégies défensives (la mobilisation, associée au
combat ou à la fuite et l’immobilisation, associée à un collapsus ou
à une mort simulée). Le circuit vagal mammalien, phylogénétique-
ment le plus récent, favorise le comportement social et se définit
par une connexion face-cœur dans laquelle la régulation neurale des
muscles striés du visage et de la tête est neurophysiologiquement liée
à la régulation neurale de notre cœur. Selon la théorie polyvagale,
la connexion face-cœur fournit aux humains et aux autres mammi-
fères un système d’engagement social intégré qui détecte et projette
des caractéristiques d’un sentiment de « sécurité » aux congénères
par le biais d’expressions faciales et de vocalisations qui sont des
co-variables de l’état autonomique. À travers ce modèle, la façon dont
nous regardons, écoutons et vocalisons indique si une approche est
possible, en toute sécurité.
Récemment, après avoir été interviewé lors d’un webinaire, des
auditeurs ont posté des commentaires sur un blog. En lisant leurs

17
Préface

commentaires, j’ai réalisé que les auditeurs avaient compris la théo-


rie polyvagale, malgré toute la complexité du langage scientifique.
Malgré ma formation de scientifique et le pragmatisme auquel j’ai été
formé pour rédiger les articles scientifiques, les conversations dans les
webinaires m’ont permis de transmettre, efficacement et d’une façon
accessible, l’essence de la théorie. Bien que les interviews aient duré
une heure, le message retenu par les auditeurs était tout simplement
qu’un sentiment de sécurité psychologique constituait la base d’une
vie réussie.
J’espère parvenir à communiquer à travers ce livre toute l’im-
portance d’un ressenti de sécurité dans les processus de guérison.
L’absence de ce ressenti, dans une perspective polyvagale, entraîne
des conséquences bio-comportementales conduisant aux maladies
mentales et physiques. J’espère sincèrement que l’expansion et la
compréhension de ce besoin de sécurité conduiront à de nouvelles
stratégies sociales, éducatives et thérapeutiques nous permettant de
nous montrer plus accueillants lorsque nous inviterons les autres à
satisfaire, dans la réciprocité, ce besoin de sécurité.

18 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


LEXIQUE2

Afférent vagal. Approximativement 80 % des fibres nerveuses du


nerf vague sont afférentes (sensitives). La plupart des fibres vagales
sensitives vont des organes jusqu’à une aire du tronc cérébral connue
sous le nom de noyau du tractus solitaire. Les études de médecine
permettent une compréhension très limitée des afférents vagaux.
Ainsi, les traitements médicaux reconnaissent rarement l’influence
du feedback d’un organe traité sur le cerveau. Pouvoir agir en modi-
fiant le feedback sensitif permet d’améliorer la santé physique et
mentale.
Voir page : 215 (afférence)
Anticipation neurale. Dans la théorie polyvagale, l’anticipation
neurale se réfère à une prédisposition ancrée dans notre système
nerveux qui anticipe la réciprocité d’une réponse à un comporte-
ment d’engagement social spontané. L’anticipation neurale favorise
les interactions sociales, les liens, la confiance. Lorsque les attentes
neurales sont satisfaites, règne le calme. La violation de ces attentes
peut déclencher un état physiologique défensif.
Voir : Jeu et Exercice neural.

2. Les mots suivis d’un astérisque dans le texte sont expliqués dans le lexique.

19
Lexique

Anxiété. L’anxiété est fréquemment définie d’un point de vue


psychologique comme une peur, un sentiment d’inquiétude,
pouvant aboutir à des troubles psychiatriques, comme un trouble
anxieux généralisé. La théorie polyvagale souligne l’importance de
l’état autonomique sous-jacent au ressenti psychologique anxieux.
Selon l’approche polyvagale, l’anxiété résulte d’un état autonomique
caractérisé par une suractivation du système nerveux sympathique,
parallèlement à une réduction de l’influence du complexe vagal
ventral et du système d’engagement social.
Voir pages : 109, 143, 159, 166, 195-197, 201, 202, 204, 220
Apprentissage par expérience unique (single-trial learning). C’est
un type d’apprentissage spécifique résultant d’une exposition unique à
un stimulus déclenchant systématiquement une réponse, et ne néces-
sitant pas de renforcement par des expositions successives. Selon la
théorie polyvagale, la plupart des cas de single-trial learning surviennent
lorsque la réponse nécessite l’activation du circuit vagal dorsal. Les
sévères réactions de shutdown face à une menace vitale, précédant
souvent le syndrome de stress post-traumatique, seraient les mani-
festations d’un single-trial learning. Ainsi, dans les cas où la réponse
conditionnée au single-trial learning correspond à une émission de
selles, une mort simulée et des nausées, ceci pourrait nous fournir des
indications précieuses sur les stratégies thérapeutiques pouvant être
adoptées pour traiter de façon efficace les survivants d’un traumatisme.
Voir pages : 168, 169, 172, 173
Arythmie sinusale respiratoire (ASR). L’arythmie sinusale
respiratoire correspond à des augmentations et à des diminutions
rythmiques de la fréquence cardiaque se produisant à la fréquence
de la respiration spontanée. L’amplitude de ce processus périodique
de la fréquence cardiaque est un indicateur valide de l’influence du
nerf vague ventral sur le cœur (Lewis et al., 2012).
Voir pages : 54, 56, 73, 74, 110, 151
Attachement. L’attachement est un concept de la psychologie
traduisant l’établissement de liens émotionnels forts entre deux

20 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

individus, comme les liens entre une mère et son enfant. La théorie
polyvagale se centre sur l’importance du sentiment de sécurité dans
le système d’engagement social, permettant à l’attachement de se
produire. Des voix prosodiques, des expressions faciales positives
et une gestuelle accueillante déclenchent, à travers la neuroception,
des sentiments de sécurité et de confiance émergeant spontanément
quand le système d’engagement social est activé.
Voir pages : 85, 86, 111, 131-133, 188, 234
Autisme (TSA). Le trouble du spectre autistique est un diagnostic
psychiatrique complexe qui inclut, entre autres, des difficultés dans la
communication et dans les rapports avec les autres. La théorie polyva-
gale se centre sur les observations reflétant un système d’engagement
social déprimé. Beaucoup d’individus présentant ce trouble ont des
voix sans prosodie, des hypersensibilités auditives et des difficultés
dans les processus auditifs. Ils fuient le regard, ont des expressions
faciales appauvries (spécialement dans la partie haute du visage) et
ont des difficultés sévères dans la régulation des états comporte-
mentaux, se manifestant fréquemment par des crises de colère. La
théorie polyvagale ne se focalise pas sur les causes de ces difficultés,
mais nous offre des perspectives thérapeutiques intéressantes. Elle
souligne que beaucoup de dysfonctionnements du système d’enga-
gement social observés dans ce trouble peuvent être améliorés du fait
d’une meilleure compréhension des réponses du système nerveux
d’un individu autiste, via la neuroception, aux signaux et indices
de sécurité environnants. Les stratégies thérapeutiques polyvagales
favorisent le réengagement du système d’engagement social. En ce
qui concerne le trouble du spectre autistique, l’approche polyvagale
n’affirme rien d’autre que l’existence d’un système d’engagement
social déprimé.
Voir pages : 86, 87, 91, 99, 109, 129, 135, 143, 210-215, 224
Autorégulation. L’autorégulation est un terme fréquemment
utilisé pour décrire la capacité de réguler son propre comportement
sans l’aide d’autrui. L’autorégulation décrit souvent une aptitude de

21
Lexique

l’enfant à s’adapter dans une classe, ou à des situations changeantes.


La théorie polyvagale ne considère pas l’autorégulation comme
une compétence apprise, mais comme une aptitude du système
nerveux à se maintenir dans un état de calme sans ressentir le besoin
d’une présence rassurante. La théorie souligne que c’est à travers
un processus de co-régulation qu’un individu acquiert la capacité
d’autorégulation. La théorie souligne que les interactions mutuelles,
synchrones et réciproques permettent la co-régulation et agissent
comme un entraînement neural augmentant la capacité d’autorégu-
lation en l’absence d’un contexte de co-régulation.
Voir pages : 92, 109, 129, 130

Aversion gustative. L’aversion gustative est un exemple d’appren-


tissage conditionné (voir Apprentissage par expérience unique).
Généralement, l’aversion gustative se développe après l’ingestion d’un
aliment susceptible de provoquer des nausées et des vomissements.
Les patients ayant des nausées consécutivement à une chimiothérapie
peuvent souvent développer une aversion à des aliments ordinaires
consommés à un moment rapproché de l’administration du traite-
ment. Selon la théorie polyvagale, les processus neuraux entraînant la
persistance de l’aversion gustative permettent de mieux comprendre
comment un traumatisme est encodé dans le système nerveux et
pourquoi il est difficile à traiter.
Voir pages : 168, 173

Chant. La théorie polyvagale place le chant dans la catégorie des


outils permettant la stimulation du circuit neural du système d’enga-
gement social. Chanter nécessite de lentes expirations, pendant que le
contrôle des muscles du larynx, du pharynx et de la face module les
vocalisations. Les expirations lentes calment l’état autonomique en
accroissant l’impact des voies vagales ventrales sur le cœur. Pendant
l’expiration, les fibres vagales motrices envoient un signal inhibiteur
(activation du « frein vagal ») au pacemaker du cœur pour ralentir la
fréquence cardiaque. Pendant l’inspiration, en revanche, l’influence

22 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

vagale sur le cœur est diminuée et la fréquence cardiaque augmente.


Le chant nécessite de longues expirations comparativement aux
inspirations, ce qui favorise un état de calme physiologique. Le chant
couple l’exercice d’activation et de désactivation du frein vagal avec
l’exercice de régulation neurale des muscles de la face pour les voca-
lisations, les muscles de l’oreille moyenne pour l’écoute, et ceux du
pharynx et du larynx pour l’intonation.
Le chant est donc globalement un moyen de stimuler complète-
ment le système d’engagement social. Le chant, la lecture à voix haute,
la pratique d’un instrument de musique à vent pourraient être aussi
des moyens d’entraîner ce système.
Voir pages : 127, 190, 191
Complexe vagal dorsal (CVD). Le complexe vagal dorsal est loca-
lisé dans le tronc cérébral et se constitue principalement de deux
noyaux, le noyau moteur dorsal du vague et le noyau du tractus soli-
taire. Cette région intègre et coordonne les informations sensitives
des viscères (véhiculées par les fibres sensitives du nerf vague qui
aboutissent dans le noyau du tractus solitaire) avec l’influx moteur
provenant du noyau moteur dorsal du vague qui aboutit aux organes
viscéraux. Le noyau du tractus solitaire et le noyau moteur dorsal du
vague ont une organisation viscérotropique dans laquelle les aires
de chaque noyau sont liées à des organes viscéraux spécifiques. Les
voies motrices partant de cette région correspondent à celles des
fibres non myélinisées du nerf vague, aboutissant principalement
dans les organes sous-diaphragmatiques. Noter que quelques-unes
des voies vagales non myélinisées peuvent aussi aboutir dans les
organes supra-diaphragmatiques, comme les bronches et le cœur.
C’est ce qui est à l’origine de la bradycardie chez les enfants prématu-
rés et qui est potentiellement lié à l’asthme. Les voies vagales prenant
origine dans le noyau moteur dorsal du vague peuvent être indiffé-
remment appelées vague dorsal, vague sous-diaphragmatique, vague
non myélinisé ou vague végétatif.
Voir page : 228

23
Lexique

Complexe vagal ventral (CVV). Le complexe vagal ventral est


une aire du tronc cérébral impliquée dans la régulation du cœur, des
bronches et des muscles striés de la face et de la tête (voir figure 1).
Ce complexe se constitue spécifiquement du noyau ambigu, du noyau
du nerf trijumeau et du nerf facial régulant à la fois le cœur et les
bronches à travers les voies viscéromotrices, et les muscles de la
mastication, de l’oreille moyenne, du pharynx, du larynx et du cou à
travers les voies efférentes viscérales spéciales.
Voir : Système d’engagement social.
Comportement adaptatif. La théorie polyvagale souligne la
fonction adaptative des comportements réflexes et spontanés, en
se centrant sur l’impact de ces comportements sur la régulation
de l’état physiologique. Cette perspective est basée sur un modèle
évolutionniste dans lequel le comportement est qualifié d’adaptatif
s’il permet la survie, minimise le stress, ou influence l’état physiolo-
gique de façon à optimiser la santé, la croissance et la restauration.
Parfois, des comportements initialement adaptatifs peuvent devenir
inadaptés. Il peut arriver par exemple qu’une réaction efficace pour
assurer la survie et minimiser la détresse face à une menace soit
recrutée d’une façon chronique en l’absence du moindre danger.
Un tel comportement serait inadapté, car non seulement il n’aurait
aucun sens en termes de préservation de la survie, mais il pour-
rait aussi compromettre les fonctions physiologiques et amplifier la
détresse. Le traumatisme pourrait faire suite à des réactions initiale-
ment adaptatives dans le cas d’une menace vitale (par exemple, une
immobilisation, une perte de connaissance) et qui, si elles se répètent
ou se modifient (par exemple, dans la dissociation), deviennent
inadaptées.
Voir pages : 92, 146
Connexion. La théorie polyvagale définit la connexion comme
un besoin biologique de relations de confiance entre les individus.
Les humains peuvent aussi ressentir un certain type de connexion

24 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

avec leurs animaux de compagnie, qui, en tant que mammifères,


disposent également d’un système d’engagement social.
Voir pages : 64, 66, 186-188, 196, 200, 242
Co-régulation. Selon la théorie polyvagale, la co-régulation permet
une régulation physiologique réciproque entre les individus. Dans la
relation mère-enfant, par exemple, la mère n’est pas la seule à calmer
son enfant, mais l’état de calme et de relaxation de l’enfant en réponse
aux vocalisations, aux expressions faciales et aux gestes de la mère,
lui apporte en retour un effet apaisant. Si la mère ne parvient pas
à calmer son enfant, cela la perturbe aussi. La co-régulation peut
s’étendre encore à l’entourage familial. Par exemple, à la suite du
décès d’un parent, la présence familiale facilite le travail de deuil.
Voir pages : 63-66, 128-130, 199, 226
Cybernétique. À l’Institut de technologie du Massachusetts, le
mathématicien Norbert Wiener (1948) a créé le terme cybernétique
pour définir des systèmes de contrôle et de communication chez les
animaux et dans les machines. La théorie polyvagale emprunte les
notions de la cybernétique pour désigner les boucles de feedbacks
neuraux régulant l’état physiologique dans l’organisme et entre
individus.
Concepts similaires développés tout le long du texte.
Dépression. La dépression constitue un trouble de l’humeur très
commun et potentiellement grave qui perturbe le ressenti, la pensée
et le comportement. La dépression a un profil physiologique que la
théorie polyvagale explique par un affaiblissement fonctionnel du
système d’engagement social et une coordination dysfonctionnelle
entre le système nerveux sympathique et le système vagal dorsal.
Ce dernier point peut conduire à un comportement oscillant entre
une hyperactivité liée à une activation sympathique et une léthargie
correspondant à une dépression de l’activité sympathique, simulta-
nément à un accroissement de l’activité vagale dorsale.
Voir pages : 87, 109, 143, 159, 204

25
Lexique

Dissociation. La dissociation est une sorte « d’absence » résultant


d’une déconnexion et d’un manque de continuité entre les pensées,
les souvenirs et l’environnement. Pour beaucoup de personnes, la
dissociation est une expérience psychologique normale que l’on peut
placer sous l’appellation de tempérament rêveur. Pour certains, la
dissociation les déconnecte tellement, qu’il en résulte une perte de
l’identité personnelle, ceci pouvant être à l’origine de sévères diffi-
cultés dans les relations interpersonnelles et dans la vie quotidienne.
Un traumatisme est fréquemment associé à de sévères dissociations
et peut faire l’objet d’un diagnostic psychiatrique. Dans la perspective
polyvagale, la dissociation se rapproche de la réponse d’immobilisa-
tion ou de figement, mais contrairement aux effets d’une réponse de
mort simulée, elle ne compromet pas les besoins neurobiologiques
en oxygène et le flux sanguin. On peut en effet envisager différents
degrés de réaction face à une menace vitale, allant de la perte totale
de connaissance et du collapsus, simulant la mort chez les petits
mammifères, à une immobilisation du corps au cours de laquelle les
muscles se relâchent et l’esprit s’évade et se dissocie de l’événement.
Voir pages : 68, 69, 76, 80, 114, 164, 167, 168, 171, 180, 181, 204,
228, 238
Dissolution. La dissolution est une notion introduite par le philo-
sophe Herbert Spencer (1820-1903) pour décrire le processus évolutif
en sens inverse. John Hughlings Jackson (1835-1911) a adapté ce
concept pour décrire les lésions et les maladies cérébrales dans un
processus analogue à celui d’une « régression » dans laquelle se
produit une désinhibition progressive des circuits phylogénétique-
ment les plus anciens (Jackson, 1884). La théorie polyvagale adopte
la notion de dissolution pour expliquer l’ordre hiérarchique d’appa-
rition des réponses adaptatives du système nerveux autonome, selon
une séquence progressive allant du circuit évolutivement le plus
récent aux plus anciens.
Voir pages : 77, 178, voir : Hiérarchie phylogénétiquement
ordonnée.

26 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

Écoute. L’écoute est un processus actif permettant la compréhen-


sion d’une information acoustique, alors que l’audition constitue
la simple détection des sons. La théorie polyvagale souligne le rôle
de l’oreille moyenne pour potentialiser la fonction de l’écoute et la
compréhension de la voix humaine.
Voir pages : 63, 64, 84, 85, 87, 88, 98, 101-103, 105, 106, 120, 124,
125, 128, 145, 176, 191, 193, 195
Équilibre autonomique. C’est une notion soulignant l’équilibre
entre le système nerveux sympathique et le système nerveux para-
sympathique. Bien que la plupart des organes soient réciproquement
innervés par ces deux branches du système nerveux autonome, l’équi-
libre autonomique fonctionne comme un modèle additif linéaire dans
lequel les deux branches ont une influence comparable. Par exemple,
étant donné que le système nerveux sympathique accroît la fréquence
cardiaque et que le parasympathique la ralentit à travers le nerf vague
(principale composante du système nerveux parasympathique), une
fréquence cardiaque élevée serait interprétée comme la manifestation
d’un équilibre autonomique orienté sur une excitation sympathique,
alors qu’une fréquence cardiaque basse exprimerait une excitation
plutôt parasympathique.
Le terme d’équilibre autonomique est souvent évoqué pour indiquer
une dysfonction du système nerveux autonome. Selon la perspec-
tive polyvagale, se centrer exclusivement sur la notion d’équilibre
autonomique nous fait éluder l’importance des réactions (phylogéné-
tiquement hiérarchisées) du système nerveux autonome face aux défis.
Conformément à la théorie polyvagale, lorsque le système d’enga-
gement social est recruté (via les voies vagales ventrales myélinisées),
émerge un état autonomique particulier favorisant une régulation
optimale des organes sous-diaphragmatiques. Cette régulation opti-
male résulte de l’intervention des voies vagales ventrales m
­ yélinisées,
contrebalançant l’action des voies sympathiques et des voies vagales
non myélinisées. Du fait de la nature hiérarchisée des réponses auto-
nomiques, l’activation des voies vagales ventrales empêche les deux

27
Lexique

autres branches du système nerveux autonome, régulant les organes


sous-diaphragmatiques, de s’engager dans la défense.
Voir pages : 72, 178, 228
État autonomique : Dans la théorie polyvagale, les notions d’état
autonomique et d’état physiologique sont équivalentes. La théorie
polyvagale décrit trois circuits primaires régulant l’état autonomique à
partir desquels découlent des états respectivement régulés par les
voies vagales ventrales, les voies vagales dorsales et les voies sympa-
thiques. L’état autonomique reflète l’activation de ces voies. Chaque
circuit fournit la régulation neurale primaire d’un état spécifique.
Ceci pourrait se résumer en un circuit vagal ventral supportant les
comportements d’engagement social, un système nerveux sympa-
thique supportant la mobilisation défensive (fuite-lutte) et un circuit
vagal dorsal supportant les comportements d’immobilisation défen-
sive. Cependant, l’état autonomique peut supporter des mobilisations
et immobilisations non défensives lorsqu’elles sont couplées avec le
système d’engagement social (voir Équilibre autonomique et Système
d’engagement social). Donc, en couplant le système d’engagement
social avec le système nerveux sympathique, il est possible de se
mobiliser sans tomber dans la défense. C’est ce que l’on observe
dans le jeu, dans lequel les mouvements agressifs sont maîtrisés par
le comportement d’engagement social. De la même façon, quand
le système d’engagement social est couplé avec le circuit vagal
dorsal, les indices de sécurité (voix prosodique, expressions faciales
­positives) permettent l’immobilisation sans recrutement de la défense
(­c’est-à-dire mort simulée [shutdown], collapsus, dissociation). Ceci
peut s’observer au cours des rapports intimes et dans les relations de
confiance. Donc, en asssociant l’engagement social à la mobilisation et
à l’immobilisation, les trois circuits autonomiques peuvent supporter
cinq états associés à différents types de comportement : engagement
social, jeu, intimité, fuite/lutte et immobilisation défensive.
Voir pages : 55, 57, 60, 65, 78, 80, 81, 88, 94, 127, 143, 164, 170,
223

28 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

État physiologique. Voir État autonomique.


Voir : tout le long du texte.
Exercice neural. La théorie polyvagale donne une importance
particulière aux exercices neuraux permettant l’amélioration de la
régulation de l’état physiologique. Une forme d’exercice neural poly-
vagal consiste en l’alternance d’interactions suivies de perturbations
transitoires et de reprises qui réparent et restaurent l’état physiolo-
gique et favorisent une plus grande résilience. Des jeux tels que celui
du « coucou, me voilà » sont un exemple d’exercice neural que les
parents peuvent facilement pratiquer avec leurs enfants.
Voir pages : 92, 94, 102, 128, 162, 163, 192, 195
Fonction de transfert de l’oreille moyenne. Lorsque le tonus des
muscles de l’oreille moyenne se modifie, un changement s’effectue
dans le transfert de l’énergie acoustique à travers les structures de
l’oreille moyenne jusqu’à l’oreille interne. Borg & Counter (1989)
ont expliqué le rôle des muscles de l’oreille moyenne dans l’ex-
traction de la voix humaine, qui consiste en une atténuation de la
transmission des sons de basse fréquence de l’environnement vers
l’oreille interne. Le modèle de Borg & Counter explique pourquoi
l’hypersensibilité auditive est un des symptômes de la paralysie
de Bell, une paralysie latéralisée du nerf facial incluant les voies
régulant le muscle stapédien dans l’oreille moyenne. Ces deux cher-
cheurs ont fourni les bases scientifiques permettant d’étudier si une
amélioration des processus auditifs et de la régulation neurale de
l’oreille moyenne se produirait sous l’action des neuromodulations
induites par le Listening Project Protocol / Safe and Sound Protocol.
Le lien établi entre la normalisation de la fonction de transfert de
l’oreille moyenne et l’amélioration de la régulation vagale du cœur
est basé sur le modèle élaboré par Porges & Lewis (2010), et lié
au système d’engagement social développé dans la théorie poly­
vagale (Porges, 2011).
Voir page : 99

29
Lexique

Frein vagal. Le frein vagal reflète l’influence inhibitrice des voies


vagales sur le cœur, qui ralentissent la fréquence intrinsèque du pace­
maker cardiaque. Lorsque les influences vagales s’atténuent sur le
cœur, la fréquence cardiaque augmente instantanément sans modifi-
cation de l’excitation sympathique. La fréquence cardiaque intrinsèque
d’un individu jeune et en bonne santé est d’environ 90 battements
par minute. Cependant, la fréquence cardiaque basale est considé-
rablement ralentie sous l’action du nerf vague fonctionnant comme
un frein. Le mode de fonctionnement de ce « frein vagal » permet
l’engagement et le désengagement des influences vagales sur le pace­
maker cardiaque. Le « frein vagal » dépend du nerf vague ventral
myélinisé. Le nerf vague non myélinisé est par contre le médiateur de
la bradycardie chez les prématurés, mais ce processus reste en dehors
du mode d’action du « frein vagal ». La notion de bradycardie clinique
relevant d’une action vagale massive doit être clarifiée, et il est néces-
saire d’insister sur le fait qu’elle s’opère sous l’action d’un mécanisme
différent de celui des influences protectrices du nerf vague ventral.
Voir pages : 122, 153, 156, 190
Hiérarchie phylogénétiquement ordonnée. Selon la théorie poly-
vagale, les composantes du système nerveux autonome réagissent
aux défis selon un ordre hiérarchique impliquant en premier lieu
les circuits phylogénétiquement les plus récents. Ce modèle évolu-
tionniste en sens inverse est conforme au principe de dissolution
jacksonienne. Fonctionnellement, l’ordre des réactions suit la
séquence suivante : nerf vague ventral myélinisé, système nerveux
sympathique, nerf vague dorsal non myélinisé.
Voir pages : 228, 229, voir : Dissolution
Homéostasie. L’homéostasie reflète les processus neuraux et
neurochimiques à travers lesquels notre corps régularise les organes
viscéraux pour optimiser la santé, la croissance et la restauration.
Bien que ce mot provienne d’un mot grec signifiant « identique » ou
« stable », l’homéostasie est mieux représentée par la résultante de

30 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

l’action d’un feedback oscillant autour d’une valeur de référence. Dans


certains systèmes physiologiques, un accroissement plus important de
l’amplitude des oscillations (c’est-à-dire l’amplitude des déviations
rythmiques autour de la valeur de référence) est un indicateur positif
de santé (par exemple, dans l’arythmie sinusale respiratoire), alors
que dans d’autres situations il est un indicateur négatif de santé (par
exemple, lors de variations trop conséquentes de la pression sanguine).
Les oscillations d’un système physiologique sont principalement le
reflet d’un feedback neural et de mécanismes neurochimiques.
Voir pages : 75, 140, 165, 173, 178
Impératifs biologiques. Ce sont les besoins vitaux des orga-
nismes vivants, comme la protection, la territorialisation, la santé
et la reproduction. Selon le modèle polyvagal, il est impératif pour
l’Homme de pouvoir établir des connexions avec son entourage pour
satisfaire un impératif biologique. La cohésion à un groupe permet
des ­co-régulations réciproques de la physiologie entre les individus,
­optimisant ainsi la santé physique et mentale. La théorie insiste sur
le rôle du système d’engagement social pour initier et maintenir la
cohésion et la co-régulation.
Voir pages : 61, 64, 66, 187, 199
Intéroception. L’intéroception est un processus décrivant les
sensations conscientes et inconscientes interférant sur les processus
corporels par le biais du système nerveux. L’intéroception, comme
les autres systèmes sensoriels, a quatre composantes : 1) des récep-
teurs sensoriels localisés dans les organes internes et permettant d’en
évaluer l’état ; 2) des voies sensitives convoyant l’information des
organes au cerveau ; 3) des structures cérébrales qui interprètent l’in-
formation et qui régulent les réponses des organes afin de modifier
les conditions internes ; 4) des voies motrices qui communiquent l’in-
formation du cerveau aux organes pour modifier l’état des organes.
Dans la théorie polyvagale, l’intéroception signale au cerveau des
changements survenus dans l’état physiologique (voir Porges, 1993).

31
Lexique

Dans un contexte de danger ou de sécurité, l’intéroception intervien-


drait consécutivement à la neuroception, l’intéroception résultant
d’une réponse corporelle pouvant être consciente, alors que la neuro-
ception est un processus inconscient.
Voir pages : 149, 150
Voir : Chapitre 5 de La théorie polyvagale.
Jeu. La théorie polyvagale considère les jeux interactifs comme
des « exercices neuraux » qui améliorent la co-régulation des états
physiologiques favorisant les mécanismes neuraux impliqués dans
la santé physique et mentale. Les jeux interactifs nécessitent des
comportements synchrones et réciproques entre les individus, et une
conscience de l’engagement de chacun. L’accès au système d’enga-
gement social évite que l’activation sympathique (impliquée dans la
mobilisation) ne transforme les gestes ludiques en comportements
agressifs.
Voir pages : 92-94, 137, 162, 163, 230, 246, 247
Listening Project Protocol. Le Listening Project Protocol est une
thérapie auditive destinée à réduire les hypersensibilités auditives, à
améliorer le traitement de l’information auditive, à calmer les états
physiologiques et à favoriser l’engagement social. Cette intervention
est connue sous le nom de Safe and Sound Protocol.
Le Safe and Sound Protocol est accessible aux praticiens sur le
site Integrated Listening Systems (http://integratedlistening.com/ssp-
safe-sound-protocol/). Le Listening Project Protocol / Safe and Sound
Protocol a été conçu à partir de disciplines traitant les troubles audi-
tifs, en soulignant le rôle des structures centrales dans la gestion des
processus liés au langage.
Le Listening Project Protocol / Safe and Sound Protocol vise à
réduire les hypersensibilités auditives en recrutant les fonctions
anti-masquage des muscles de l’oreille moyenne pour optimiser les
fonctions de transfert de ces muscles pour le traitement de l’infor-
mation sonore et du langage humain. Cette intervention constitue

32 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

une forme d’« entraînement » utilisant des stimulations acous-


tiques informatiquement retraitées, afin de modifier la sensibilité
aux bandes de fréquences de la voix humaine. Les caractéristiques
fréquentielles de la stimulation acoustique sont sélectionnées sur
la base scientifique des techniques contemporaines utilisées pour
extraire la voix humaine d’un fond sonore. Pendant l’écoute normale
de la voix humaine, via les voies centrales descendantes, les muscles
de l’oreille moyenne se contractent et tendent la chaîne ossiculaire.
Ce processus change les fonctions de transfert de l’oreille moyenne
et supprime efficacement la plupart des basses fréquences du fond
sonore de l’environnement acoustique, ce qui permet à la voix
humaine d’être mieux analysée par les structures cérébrales plus
hautes.
La modulation de l’énergie acoustique exercée dans la bande de
fréquence de la voix humaine (c’est-à-dire de certains éléments de
la prosodie de la voix) est censée recruter et moduler la régulation
neurale des muscles de l’oreille moyenne, réduire fonctionnellement
les hypersensibilités auditives, stimuler l’engagement social spontané,
et calmer les états physiologiques en accroissant l’influence des voies
vagales ventrales sur le cœur.
La musique vocale est utilisée pour « entraîner » la régula-
tion neurale des muscles de l’oreille moyenne et pour améliorer le
processus de l’écoute de la voix humaine. Les stimuli acoustiques se
situant dans la bande de fréquence de la voix humaine sont modulés
et présentés, par l’intermédiaire d’un casque, aux deux oreilles. Le
protocole consiste en 60 minutes d’écoute par séance pendant 5 jours
consécutifs et délivrées via un dispositif iPod-MP3 dans une pièce
silencieuse pendant que le thérapeute ou un proche restent présents.
Pour des informations complémentaires voir Porges et al. (2013,
2014) et Porges & Lewis (2010).
Voir pages : 98-103, 105, 107, 124-126, 211, 214
Muscles de l’oreille moyenne. Ce sont les deux plus petits muscles
striés du corps, le muscle tenseur du tympan et le muscle stapédien,

33
Lexique

localisés dans l’oreille moyenne. L’oreille moyenne est la partie du


système auditif située entre le tympan et la cochlée (oreille interne).
Les structures de l’oreille moyenne sont constituées d’osselets et
de muscles régulant la rigidité de la chaîne ossiculaire. Lorsque ces
muscles sont tendus, ils contractent la chaîne ossiculaire augmentant
ainsi la tension du tympan. Ce processus modifie les caractéristiques
du son atteignant l’oreille interne, en atténuant le passage des sons
de basse fréquence et en améliorant la capacité d’extraction de la voix
humaine. Ces muscles sont régulés par les voies efférentes viscérales
spéciales.
Voir pages : 88-90, 98-100, 102, 104-106, 120, 124-127, 145, 146,
191, 211
Nerfs afférents. Ensemble de fibres afférentes convoyant l’infor-
mation depuis les organes viscéraux jusqu’aux structures cérébrales.
Ces voies sont aussi appelées voies sensitives, puisqu’elles donnent
des informations aux structures régulatrices du tronc cérébral rela-
tives à l’état des organes.
Voir : tout le long du texte.
Nerfs crâniens. Les nerfs crâniens émergent directement du
cerveau, contrairement aux nerfs spinaux qui émergent des segments
de la colonne vertébrale. Les nerfs crâniens sont fonctionnellement
des conduits qui comprennent des voies sensitives et motrices. Les
humains ont douze paires de nerfs crâniens (I à XII) : le nerf olfactif (I),
le nerf optique (II), le nerf oculomoteur (III), le nerf trochléaire (IV),
le nerf trijumeau (V), le nerf abducens (VI), le nerf facial (VII), le
nerf vestibulo-cochléaire (VIII), le nerf glossopharyngien (IX), le
nerf vague (X), le nerf accessoire (XI) et le nerf hypoglosse (XII).
Différents du nerf vague qui fournit à la fois des voies sensorielles
et motrices et communique avec de nombreux organes, les autres
nerfs crâniens relaient l’information essentiellement depuis et vers
les régions de la tête et du cou.
Voir pages : 142, 146, 227

34 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

Nerfs efférents. Les nerfs efférents sont les voies neurales


qui envoient les informations depuis le système nerveux central
(­c’est-à-dire le cerveau et la moelle épinière) à un organe cible. Elles
sont appelées fibres motrices, car elles envoient des signaux influen-
çant le fonctionnement de l’organe cible.
Voir : tout le long du texte.
Nerf vague. Le nerf vague est le dixième nerf crânien. Il est le
nerf principal de la branche parasympathique du système nerveux
autonome. Le nerf vague constitue une sorte de conduit contenant
des fibres motrices provenant du noyau ambigu et du noyau moteur
dorsal du vague, et des fibres sensitives se terminant dans le noyau du
tractus solitaire. Le nerf vague connecte les aires du tronc cérébral aux
différentes régions du corps, comme le cou, le thorax et l’abdomen.
Le modèle polyvagal souligne les transitions phylogénétiques dans le
système nerveux autonome des vertébrés, et souligne le rôle des voies
vagales motrices du nerf vague myélinisé, spécifique des mammifères.
Voir : tout le long du texte.
Nerf vague sous-diaphragmatique. Le vague sous-diaphragma-
tique est une branche du nerf vague qui connecte certaines régions
du tronc cérébral avec les organes situés au-dessous du diaphragme.
Les fibres motrices de cette branche du nerf vague prennent origine
dans le noyau moteur dorsal du vague. Ces fibres motrices sont essen-
tiellement non myélinisées.
Voir pages : 164, 165, 168, 169, 173, 176, 178-180
Nerf vague supra-diaphragmatique. Le nerf vague supra-
diaphragmatique est la branche du nerf vague qui connecte les aires
du tronc cérébral avec les organes situés au-dessus du diaphragme,
comme les bronches et le cœur (voir figure 1). Les fibres motrices de
cette branche prennent origine dans le noyau ambigu, noyau d’ori-
gine du nerf vague ventral. Ces fibres motrices sont majoritairement
myélinisées.
Voir pages : 140, 179, 180

35
Lexique

Nerf vague végétatif. Voir : Complexe vagal dorsal.


Voir page : 138
Neuroception. C’est le processus à travers lequel le système nerveux
évalue de façon inconsciente le risque environnemental. Ce processus
automatique implique des aires cérébrales qui évaluent les conditions
de sécurité, de risque ou de menace vitale. Suite à l’évaluation d’un
risque, l’état physiologique s’adapte automatiquement pour optimiser
les chances de survie. Bien que nous soyons souvent inconscients des
éléments induisant une certaine neuroception, nous pouvons prendre
conscience des modifications de notre état physiologique (c’est-à-
dire de l’intéroception) (voir chapitre 5, La théorie polyvagale). À
travers notre ressenti corporel, celui de notre intestin, ou de notre
cœur, nous avons parfois l’intuition qu’un contexte est dangereux.
La neuroception peut déclencher également des états favorisant la
confiance, les comportements d’engagement social et l’établissement
de liens solides. La neuroception peut être erronée. Dans ce cas, un
risque peut être détecté alors qu’il n’en existe aucun, ou, inversement,
la sécurité peut être ressentie en présence d’un danger réel.
Voir pages : 59, 78, 80-86, 95, 96, 98, 103, 104, 118, 123, 150,
153-156, 160, 181, 183, 191, 201, 234, 241
Noyau ambigu (NA). Le noyau ambigu est logé dans le tronc céré-
bral, en position ventrale par rapport au noyau moteur dorsal du vague.
Les cellules du noyau ambigu comprennent des neurones moteurs
de trois nerfs crâniens (nerfs glossopharyngien, vague et accessoire)
ayant un contrôle des muscles striés du pharynx, du larynx, de l’œso-
phage et du cou (à travers les voies somatomotrices) et des bronches
et du cœur (à travers des voies vagales ventrales myélinisées).
Voir pages : 121, 141, 176, 230
Noyau du tractus solitaire (NTS). Le noyau du tractus solitaire est
localisé dans le tronc cérébral et constitue le noyau sensitif principal
du nerf vague.
Voir pages : 121, 141

36 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

Ocytocine (OXT). L’ocytocine est une hormone mammalienne


qui agit sur le cerveau comme un neurotransmetteur. L’ocytocine
est produite à l’origine dans le cerveau et libérée par la glande pitui-
taire. Chez les femmes, l’ocytocine permet de régler les fonctions de
la reproduction, de la naissance et de l’allaitement, mais elle existe
dans les deux sexes. Dans le cerveau, l’ocytocine est impliquée dans
les processus liés à la cognition sociale et à la reconnaissance sociale.
Les fonctions sociales de l’ocytocine résultent de son influence sur les
aires du tronc cérébral correspondant au complexe vagal ventral et au
complexe vagal dorsal. Les deux complexes vagaux ont d’abondants
récepteurs à l’ocytocine, et beaucoup de fonctions positives attribuées
à l’ocytocine se superposent aux fonctions positives sociales décrites
dans la théorie polyvagale, comme l’engagement social et l’immobi-
lisation sans peur (voir chapitre 11, La théorie polyvagale).
Voir pages : 131, 132, 147, 246
Paradoxe vagal. Les influences vagales sur les organes viscéraux
sont considérées comme protectrices. Toutefois, ces influences
vagales peuvent devenir létales en stoppant le cœur, ou en provo-
quant un collapsus se manifestant par une mort simulée ou par une
émission réflexe de selles. Ces réponses sont souvent associées à la
peur et sont médiées par le nerf vague. Le paradoxe vagal a été mis
en évidence pour la première fois chez des enfants prématurés, chez
lesquels l’arythmie sinusale respiratoire était protectrice, et la brady-
cardie potentiellement létale. C’est ce qui constitue le paradoxe vagal,
car l’arythmie sinusale respiratoire et la bradycardie sont médiées
toutes deux par des mécanismes vagaux. Cette apparente contra-
diction a trouvé une réponse dans la théorie polyvagale, liant ces
réponses à des mécanismes vagaux différents, relevant de deux voies
vagales distinctes.
Voir pages : 70, 73, 117, 139, 169
Phylogénie. La phylogénie est la science qui décrit l’histoire des
espèces au cours de l’évolution. En tant que science, elle constitue un

37
Lexique

moyen de regrouper la taxonomie des organismes. La théorie polyva-


gale porte un intérêt particulier aux transitions phylogénétiques de la
fonction autonomique des vertébrés, se concentrant notamment sur
la transition des reptiles primitifs disparus aux mammifères.
Voir page : 229
Prosodie. La prosodie est l’intonation de la voix qui traduit l’émo-
tion. La théorie polyvagale souligne que la prosodie est médiée par
des processus vagaux et, tout comme la variabilité de la fréquence
cardiaque, elle constitue un indicateur de l’état physiologique.
Voir pages : 65, 77, 78, 87, 88, 101-104, 116, 118, 120, 123-125,
137, 141, 142, 145, 147, 150, 152, 191
Sécurité. La théorie polyvagale propose un modèle neurophysiolo-
gique de la confiance et du sentiment de sécurité. On souligne dans ce
modèle que la notion de sécurité est définie par le ressenti de sécurité
et non par la suppression d’une menace. Le sentiment de sécurité
dépend de trois conditions : 1) le système nerveux autonome ne doit
pas être orienté sur un état défensif ; 2) le système d’engagement
social doit être activé pour pouvoir atténuer l’activation sympathique,
et, en même temps, pour maintenir le système sympathique et le
système vagal dorsal à un niveau optimum d’homéostasie, favorisant
la santé, la croissance et la restauration ; 3) il faut que la détection de
la sécurité puisse se faire via la neuroception, grâce à des indices tels
que la prosodie de la voix, les vocalisations, les expressions faciales
positives et la gestuelle. Dans toutes les situations de la vie quoti-
dienne, les indices de sécurité enclenchent le processus d’engagement
social via la neuroception, qui maintiendra l’état autonomique à un
niveau homéostatique optimal et restreindra les réactions défensives
du système nerveux autonome. Cette contrainte de l’état autono-
mique a été dénommée fenêtre de tolérance (voir Ogden et al., 2006 ;
Siegel, 1999) et peut être accrue grâce à des exercices neuraux intégrés
dans la thérapie.
Voir : tout le long du texte.

38 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

Sécurité en thérapie. Dans une perspective polyvagale, le sentiment


de sécurité est un élément modérateur important favorisant l’effica-
cité des démarches thérapeutiques, comme les procédures médicales,
psychothérapiques et éducatives. Le modèle polyvagal considère les
fonctions de l’état autonomique comme une variable influençant
l’efficacité d’un traitement. Plus spécifiquement, la théorie précise
que pour qu’un traitement puisse être efficace, il est nécessaire de
maintenir le système nerveux autonome hors des états défensifs.
L’activation du système d’engagement social, par les voies vagales
ventrales, permet au système nerveux d’assurer la santé, la crois-
sance et la restauration. En condition de sécurité, le système nerveux
s’oriente difficilement sur la défense. La nécessité d’un sentiment de
sécurité n’est pas une notion bien comprise dans le secteur éduca-
tif, médical et psychothérapeutique. De plus, l’environnement dans
lequel les thérapies sont pratiquées est souvent lui-même vecteur de
stimuli nuisibles (comme les sons de basse fréquence, les bruits de
rue, les systèmes de ventilation, les vibrations des ascenseurs et des
escalators) susceptibles de déclencher, du fait de la neuroception,
des états autonomiques défensifs nuisant à l’efficacité du traitement.
Voir pages : 98, 103, 206, 210, 222, 225, 230-234, 237, 238, 240,
241, 245, 246
Somatomoteur. Les voies somatomotrices sont les voies motrices
des muscles striés. Les voies somatomotrices régulant les muscles
striés de la face et de la tête sont celles des nerfs crâniens et les voies
somatomotrices des muscles des membres et du tronc correspondent
à celles des nerfs spinaux.
Voir : Système d’engagement social.
Syndrome de stress post-traumatique. Le diagnostic de syndrome
de stress post-traumatique est posé après l’expérience d’un événe-
ment traumatisant et en reflétant les conséquences, par exemple
après un viol, une grave blessure, une guerre, un tremblement de
terre, un ouragan, ou un grave accident. La théorie polyvagale se

39
Lexique

centre sur les réponses à l’événement et non sur les causes, car il a
été observé de grandes différences dans les réactions individuelles à
un même événement. Un traumatisme peut être dévastateur pour un
individu, détruire sa vie, alors que d’autres peuvent sembler résilients
ou moins affectés. Du fait des différences de réactivité des individus
face à un traumatisme et de leur potentiel de guérison, la théorie poly-
vagale se focalise sur le profil de la réaction à un évènement pour en
déduire les changements survenus dans la régulation de l’état auto-
nomique, et elle souligne encore le rôle des réponses des voies vagales
dorsales face à une menace vitale. Beaucoup de problèmes liés à un
syndrome de stress post-traumatique sont des réponses consécutives
à une menace vitale, se manifestant par un dysfonctionnement du
système d’engagement social et un seuil très bas de déclenchement de
réponses défensives du système nerveux sympathique, ou du système
vagal dorsal.
Voir pages : 70, 83, 88, 91, 96, 101, 170, 206
Système de défense lutte-fuite (mobilisation). La lutte et la
fuite sont des comportements de défense, de mobilisation, atti-
tudes prédominantes chez les mammifères. L’activation du
système nerveux sympathique est nécessaire afin d’assurer la
demande métabolique permettant la lutte ou la fuite. Le retrait du
complexe vagal ventral et du système d’engagement social facilite
l’efficience et l’activation du système nerveux sympathique, pour
assurer la demande métabolique permettant ces comportements
de lutte-fuite.
Voir pages : 92, 114, 117, 121, 151, 228, 230
Système d’engagement social. Comme illustré dans la figure 1,
le système d’engagement social comprend une composante soma-
tomotrice et une composante viscéromotrice. La composante
somatomotrice inclut les voies des efférents viscéraux spéciaux (voir
Voies efférentes viscérales spéciales) qui régulent les muscles striés
de la face et de la tête. La composante viscéromotrice comprend le

40 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

nerf vague myélinisé supra-diaphragmatique régulant les bronches et


le cœur. Fonctionnellement, le système d’engagement social émerge
d’une connexion face-cœur qui coordonne le cœur avec les muscles de
la face et de la tête. Les fonctions initiales de ce système sont de coor-
donner les fonctions de succion-déglutition-respiration-­vocalisation.
Une coordination atypique de ce système précocement dans la vie
est un indicateur de difficultés conséquentes dans le comportement
social et la régulation des émotions.
Voir pages : 60, 62-65, 81, 82, 88, 89, 92, 94-96, 98, 102

Cortex

Tronc cérébral

Muscles de Bronches
la mastication
Nerfs crâniens
V, VII, IX, X, XI
Muscles de
l’oreille moyenne Cœur

Muscles Larynx Pharynx Rotation de la tête


faciaux

Environnement

Figure 1 | Système d’engagement social. Le système d’engagement social consiste


en une composante somatomotrice (blocs en lignes continues) et une composante
viscéromotrice (blocs en pointillé). La composante somatomotrice inclut les voies
efférentes viscérales spéciales régulant les muscles striés de la face et de la tête,
pendant que la composante viscéromotrice inclut le nerf vague myélinisé dans la
régulation du cœur et des bronches.

41
Lexique

Système d’immobilisation (shutdown). Chez les mammifères


et dans certaines conditions, le système nerveux peut revenir à
un mode de défense primitif, réponse caractérisée par un état de
mort apparente. Ceci est fréquemment observé chez les vertébrés,
comme les reptiles et les amphibiens apparus phylogénétiquement
avant les mammifères. Cependant, les mammifères sont grande-
ment tributaires de l’oxygène et l’immobilisation simulant la mort
induit une diminution de l’oxygénation du sang et, en conséquence,
l’impossibilité d’apporter suffisamment d’oxygène au cerveau pour
maintenir un état de conscience. Cette dépression massive des fonc-
tions autonomiques est due à l’activation du circuit vagal dorsal
(nerf vague non myélinisé), qui déprime la respiration (apnée) et
ralentit la fréquence cardiaque (bradycardie). La théorie polyvagale
suggère que la mort simulée est une réponse adaptative à une situa-
tion de menace vitale, lorsque les opportunités de fuite ou de lutte
sont faibles, lorsque l’on se retrouve contraint et sans possibilité de
fuite. Dans ces conditions de menace vitale, le système nerveux, à
travers la neuroception, s’oriente vers l’immobilisation défensive.
La théorie polyvagale conçoit les réactions traumatiques face à une
menace vitale comme des réponses adaptatives se manifestant par des
réponses corporelles pouvant impliquer certaines manifestations de
la mort simulée, comme l’évanouissement (syncope vasovagale), une
émission de selles et une dissociation.
Voir pages : 69, 116, 118, 121, 155, 173, 233, 247
Système nerveux autonome [approche traditionnelle]. Le
système nerveux autonome est la partie du système nerveux
régulant les organes internes en l’absence de conscience. Le nom
autonome vient du fait que la régulation se produit de façon auto-
matique. Traditionnellement, on décompose le système nerveux
autonome en deux sous-systèmes : le système nerveux sympathique
et le système nerveux parasympathique. Dans cette perspective est
soulignée l’influence antagoniste des voies motrices sympathique
et parasympathique sur les organes cibles. Une attention moindre

42 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

est portée en revanche aux voies sensitives reliant les organes au


cerveau ou au tronc cérébral. Les voies sensitives et motrices consti-
tuent une communication bidirectionnelle entre les organes et le
cerveau.
Voir pages : 56, 62, 64, 72, 73, 75, 77, 81, 111, 112, 118, 136-139,
164, 170, 177-179, 190, 226-231, 240
Système nerveux autonome [approche polyvagale]. La théorie
polyvagale se centre sur le nerf vague, composante principale du
système nerveux parasympathique. Le nerf vague est le dixième
nerf crânien et il connecte les aires du tronc cérébral aux différents
organes. La théorie souligne les différences entre les deux voies effé-
rentes motrices qui voyagent à travers le nerf vague. Chaque branche
motrice a une origine individuelle spécifique dans le tronc cérébral
(c’est-à-dire le noyau moteur dorsal du vague et le noyau ambigu).
Les voies motrices principales provenant du noyau moteur dorsal
du vague (c’est-à-dire le nerf vague dorsal) sont non myélinisées, et
se terminent principalement dans les organes situés en dessous du
diaphragme (nerf vague sous-diaphragmatique). Les voies motrices
principales provenant du noyau ambigu sont myélinisées et se
terminent principalement dans les organes localisés au-dessus du
diaphragme (nerf vague supra-diaphragmatique).
La théorie polyvagale donne une définition plus complète du
système nerveux autonome qui comprend, au-delà des voies motrices,
les voies sensitives, et souligne la fonction régulatrice autonomique
des aires du tronc cérébral. Cette théorie lie le nerf vague ventral
à la régulation des muscles striés de la face et de la tête, et celui-ci
participe avec d’autres nerfs crâniens à la constitution d’un système
d’engagement social intégré (voir figure 1, Complexe vagal ventral et
Système d’engagement social).
Contrairement au modèle traditionnel qui se centre sur les
influences permanentes exercées sur les organes viscéraux, la théorie
poly­vagale met l’accent sur la réactivité du système nerveux auto-
nome. La théorie admet néanmoins le modèle traditionnel quant aux

43
Lexique

influences autonomiques exercées sur les organes viscéraux sous la


forme d’une action antagoniste des voies vagales et des voies sympa-
thiques. Elle propose cependant une hiérarchie phylogénétiquement
ordonnée dans laquelle les sous-systèmes autonomiques réagissent
aux défis dans le sens inverse de celui de leur histoire évolutive, et
conformément au principe de dissolution (voir Dissolution).
La théorie indique que lorsque le nerf vague ventral et le système
d’engagement social fonctionnent de manière optimale, le système
nerveux autonome soutient la santé, la croissance et la restauration. Au
cours d’un état dominé par les influences vagales ventrales, demeure
un « équilibre autonomique » optimal entre le système nerveux
sympathique et les voies vagales dorsales innervant les organes
sous-diaphragmatiques. En revanche, lorsque la fonction du nerf
vague ventral est atténuée ou même supprimée, le système nerveux
autonome soutient la défense, et non plus la santé. Ces réactions de
défense peuvent se manifester soit par une augmentation de l’activité
sympathique, qui inhiberait la fonction du nerf vague dorsal pour
favoriser les stratégies de mobilisation (telles que les comportements
de lutte et de fuite), soit par une inhibition bio-comportementale
totale (shutdown) se manifestant par une dépression sympathique
et une poussée d’influences vagales dorsales, qui entraîneraient des
évanouissements, des émissions réflexes de selles et une inhibition
du comportement moteur, souvent observée chez les mammifères
simulant la mort.
Voir pages : 72, 74, 76, 77, 82, 114, 138
Système nerveux entérique. Le système nerveux entérique est
constitué d’un système intégré de neurones qui gouverne les fonc-
tions gastro-intestinales. Le système nerveux entérique est ancré dans
le système gastro-intestinal, débutant dans l’œsophage et se termi-
nant dans l’anus. Il est capable de fonctions autonomes et reçoit une
innervation considérable du système nerveux autonome. La théo-
rie polyvagale considère que le fonctionnement optimal du système
nerveux entérique dépend du complexe vagal ventral, activé lorsque

44 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

le circuit vagal dorsal (voir Complexe vagal dorsal) n’est pas recruté
pour la défense.
Voir pages : 120-122, 142
Système nerveux parasympathique. Le système nerveux para-
sympathique constitue l’une des deux grandes divisions du système
nerveux autonome. Les voies neurales principales de ce système sont
vagales et optimisent la santé, la croissance et la restauration. La théo-
rie polyvagale souligne cependant que dans des conditions de menace
vitale, des voies spécifiques, qui devraient normalement soutenir
l’homéostasie et la santé, peuvent répondre d’une façon défensive et
inhiber ces fonctions optimisant la santé.
Voir pages : 68, 72, 138, 139, 175, 177, 215, 227-229
Système nerveux sympathique. Le système nerveux sympathique
constitue l’une des deux grandes divisions du système nerveux auto-
nome. Le système nerveux sympathique permet d’accroître le débit
sanguin à travers le corps pour permettre le mouvement. La théorie
polyvagale souligne le rôle du système nerveux sympathique dans
l’accroissement du débit cardiaque pour permettre le mouvement et
les comportements de fuite et de lutte.
Voir pages : 68, 72, 75, 76, 81, 94, 113, 114, 116, 119, 121, 122,
137-140, 151-153, 166, 176-180, 190, 227-230, 232, 238
Tonus vagal. La notion de tonus vagal, ou plus précisément de
tonus vagal cardiaque, correspond à une influence tonique des voies
vagales ventrales myélinisées sur le cœur. Le tonus vagal peut être
évalué à partir de la valeur de l’amplitude de l’arythmie sinusale
respiratoire.
Voir pages : 71, 72, 122, 150, 151, 152, 163, 180
Trouble de la personnalité borderline. C’est un diagnostic psychi­
atrique décrivant une instabilité de l’humeur et des difficultés dans la
régulation des émotions. Dans une perspective polyvagale, la régula-
tion de l’humeur et des émotions implique la régulation neurale du
système nerveux autonome. La théorie polyvagale avance l’hypothèse

45
Lexique

que le trouble de la personnalité borderline serait lié à une perturba-


tion fonctionnelle du système d’engagement social d’un individu. La
théorie souligne l’efficacité du complexe vagal ventral pour atténuer
l’activation sympathique chez ces sujets. Cette hypothèse a été testée
et confirmée (Austin, Riniolo & Porges, 2007). (Approfondissements
au chapitre 15, La théorie polyvagale.)
Voir pages : 143, 156, 157, 159, 160
Variabilité de la fréquence cardiaque (VFC). La variabilité de
la fréquence cardiaque reflète les variations dans le temps entre les
battements cardiaques. Un cœur sain ne bat pas à une fréquence
constante. Seul un cœur dépourvu d’innervation cardiaque p ­ ourrait
battre à une fréquence relativement constante. La plus grande partie
de la variabilité de la fréquence cardiaque dépend de l’influence
vagale émanant spécialement du nerf vague ventral (voir Complexe
vagal ventral) qui se manifeste dans l’arythmie sinusale respiratoire.
Le nerf vague dorsal peut apporter d’autres influences à la variabilité
de la fréquence cardiaque. Un blocage des influences vagales sur le
cœur par l’atropine supprimerait pratiquement toute variabilité de la
fréquence cardiaque.
Voir pages : 52-54, 56-58, 109, 110, 117, 151
Viscéromoteur. Les nerfs viscéromoteurs sont des nerfs moteurs
qui, au sein du système nerveux autonome, innervent la musculature
lisse, le muscle cardiaque et les glandes.
Voir : Système d’engagement social.
Voies efférentes viscérales spéciales. Les voies efférentes viscérales
spéciales trouvent leur origine dans les noyaux moteurs du tronc céré-
bral (noyau ambigu, noyau moteur du nerf facial, et noyau moteur du
nerf trijumeau) qui se développent au cours de l’embryogenèse à partir
de la colonne branchio-motrice (c’est-à-dire les anciens arcs bran-
chiaux) et qui innervent les fibres des muscles striés correspondant
aux arcs pharyngés (muscles de la mastication impliqués dans l’inges-
tion, les muscles faciaux impliqués dans l’expression émotionnelle,

46 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Lexique

les muscles du pharynx et du larynx impliqués dans les vocalisations,


et les muscles de l’oreille moyenne impliqués dans l’écoute). Les voies
efférentes viscérales spéciales constituent la composante somatomo-
trice du système d’engagement social (voir figure 1).
Voir : Système d’engagement social.
Yoga et système d’engagement social. La pratique du yoga, utili-
sant la respiration comme un moyen d’entraînement du frein vagal,
est un exercice neural polyvagal. Le Pranayama yoga est fonctionnel-
lement un yoga de système d’engagement social, puisqu’à travers sa
pratique s’effectue un entraînement neural, à la fois de la respiration
et des muscles striés de la face et de la tête (voir figure 1).
Voir page : 128

47
1
Neurobiologie du sentiment
de sécurité

PENSÉES ET SENSATIONS : RÉFLEXIONS SUR LE CORPS


ET LE CERVEAU
Notre besoin de « sécurité » est si naturel, intuitif et important
qu’il est étonnant qu’il soit autant négligé par nos institutions. La
mauvaise compréhension de l’importance d’un ressenti de sécurité
réside peut-être dans ce que nous croyons être la « sécurité ». Cette
croyance mérite d’être remise en question, parce qu’il pourrait y
avoir un hiatus entre les mots que nous utilisons pour décrire un
sentiment de sécurité et notre ressenti corporel de sécurité. En
Occident, nous donnons à la pensée une importance supérieure
à celle de notre ressenti. L’éducation parentale et les stratégies
éducatives privilégient l’importance et l’accroissement des proces-
sus cognitifs au détriment du ressenti corporel et de l’élan vers le
mouvement. On aboutit ainsi à une orientation cortico-centrée,
dans laquelle les processus mentaux – [système top-down (projec-
tions descendantes)] – priment sur le ressenti corporel – [système

49
Neurobiologie du sentiment de sécurité

bottom-up (projections ascendantes)]. D’ailleurs, dans notre culture,


l’éducation et les institutions religieuses ont explicitement placé les
sensations corporelles sous la domination de la pensée. Descartes
a historiquement proclamé (1637) « Je pense, donc je suis », mais
il n’a jamais dit « Je ressens, donc je suis », ou « Je me sens, donc je
suis ». (Notez que j’utilise ici la forme réflexive du verbe to feel.) En
français, quand feel est utilisé sous la forme réflexive, ceci souligne
le ressenti corporel. En anglais, la signification du verbe to feel est
ambiguë, pouvant mentionner à la fois le ressenti corporel après
avoir touché un objet et l’expérience subjective associée à une
réponse émotionnelle.
Les études portant sur la cognition et les sensations se sont centrées
sur la façon dont le comportement humain et l’expérience émotion-
nelle peuvent être compris, modifiés et optimisés. C’est seulement
depuis les 50 dernières années que l’émotion et l’état subjectif
sont devenus un domaine de recherche accepté en psychologie. La
recherche initiale, l’éducation, les stratégies éducatives parentales,
comme les modèles thérapeutiques insistaient sur les voies cognitives,
au détriment des ressentis subjectifs. C’est-à-dire que l’on donnait de
l’importance aux indices objectifs et mesurables du comportement et
des fonctions cognitives, au détriment des réponses subjectives d’un
ressenti.

LES SENSATIONS : UN INTÉRÊT SCIENTIFIQUE LÉGITIME


Lors de l’acquisition de mon diplôme universitaire en 1966, le
monde scientifique ne considérait pas l’étude du ressenti corporel
comme un domaine de recherche valide. C’était un monde dans
lequel « l’émotion » pouvait être traduite seulement par des compor-
tements orientés vers une finalité (motivation). Les études sur les
émotions ont été initialement conduites sur des rats de laboratoire ;
la motivation était étudiée en contrôlant les quantités ingérées de
nourriture, pendant que la réactivité émotionnelle était quantifiée
par le volume des selles de l’animal (Hall, 1934).

50 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Neurobiologie du sentiment de sécurité

C’était le monde scientifique qui précédait la résurgence du


comportementalisme (behaviorisme) et l’intérêt pour les processus
mentaux guidé par la révolution cognitiviste. Le comportementalisme
a fusionné avec différents domaines de la psychologie appliquée, au
fur et à mesure de son intégration dans les enseignements spécialisés
et la psychologie clinique. Les sciences cognitives ont grandi en propo-
sant de nouveaux modèles de mémoire, d’apprentissage, de prise
de décision, d’élaboration de concepts ; la résolution de problèmes
(problem-solving) a été adoptée et développée dans l’ingénierie et
dans les sciences informatiques comme des modèles d’intelligence
et d’apprentissage artificiels. Avec le progrès des mesures d’évalua-
tion des fonctions cérébrales, les cognitivistes ont appliqué à leurs
modèles des techniques d’électrophysiologie et d’imagerie cérébrale,
constituant ainsi, avec les neurosciences, les neurosciences cogni-
tives. Bien que le comportement et la cognition soient dépendants du
système nerveux, ni les connaissances appliquées du behaviorisme, ni
les sciences cognitives n’ont considéré l’état physiologique comme un
médiateur du comportement et des processus psychologiques étudiés.
Le behaviorisme persévérait dans la méconnaissance du système
nerveux, pendant que les neurosciences cognitives se concentraient
sur l’identification de mesures corrélatives des processus cognitifs.
Dès le début de mon doctorat, j’ai été immédiatement attiré par
une nouvelle discipline, la psychophysiologie. Le premier article de
cette nouvelle discipline a été publié quelques années seulement
avant mon admission au doctorat, et il n’y avait que deux ou trois
livres disponibles à ce sujet. La recherche psychophysiologique
s’est concentrée sur la mesure des réactions physiologiques suivant
les manipulations psychologiques (Stern, 1964). J’ai été attiré par
des méthodologies psychophysiologiques fournissant une stratégie
objective et quantifiable, utilisant des réponses physiologiques (par
exemple, électro-dermique, respiratoire, cardiaque, vasomotrice),
pour puiser dans les expériences subjectives sans exiger une réponse
volontaire de la part du sujet. Cette approche corrélative reliant les

51
Neurobiologie du sentiment de sécurité

processus mentaux aux processus neurophysiologiques est encore


le modèle prédominant en psychophysiologie et en neurosciences
cognitives. Au cours des 50 dernières années, ce modèle a subi en
lui-même peu de changements, mais le développement d’outils de
détection, utilisés dans le monitoring des réponses physiologiques et
neurophysiologiques, et dans les méthodes statistiques pour l’extrac-
tion des variables mesurant les processus mentaux, a eu des avancées
majeures.

LA VARIABILITÉ DE LA FRÉQUENCE CARDIAQUE


DANS LA RECHERCHE EN PSYCHOPHYSIOLOGIE
Mes recherches universitaires ont constitué les premiers travaux
quantifiant la variabilité de la fréquence cardiaque*, à la fois comme
une variable dépendante (Porges & Raskin, 1969), mais aussi comme
une variable instrumentale (Porges, 1972). L’utilisation distincte
de la variabilité cardiaque* comme une variable dépendante ou
comme une variable instrumentale est un élément important dans la
compréhension d’un changement de paradigme. Au moment où j’ai
commencé mes études, les modèles psychophysiologiques définis-
saient les réponses physiologiques comme des variables dépendantes.
Cela signifie que les réponses physiologiques mesurées étaient des
réponses à une manipulation psychologique contrôlée. Ce paradigme
s’adaptait parfaitement au modèle traditionnel stimulus-réponse
(S-R), modèle dans lequel la manipulation psychologique était le « S »
et la réponse physiologique le « R ». À travers ce paradigme, mes
recherches ont pu montrer des changements physiologiques (entre
« S » et « R ») relatifs à la fréquence cardiaque, la variabilité de la
fréquence cardiaque*, et la respiration.
Mon travail montrait qu’une réduction de la variabilité de
la fréquence cardiaque* était un indicateur solide d’une atten-
tion soutenue et d’un effort mental. Pendant cette recherche, j’ai
constaté que lorsque les participants n’étaient pas engagés dans
une tâche demandant de l’attention, ils présentaient des différences

52 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Neurobiologie du sentiment de sécurité

individuelles dans la variabilité de la fréquence cardiaque*. Ces


différences individuelles étaient liées à l’ampleur des variations des
stimuli environnants, et se reflétaient dans la fréquence cardiaque
et dans la variabilité de la fréquence cardiaque. En me basant sur
cette observation, j’ai commencé à séparer les participants en sous-
groupes, définis par des hautes ou basses variabilités de la fréquence
cardiaque* (Porges, 1972, 1973). Ces études ont fait écho dans la
communauté scientifique et ont conduit à une explosion de publi-
cations liant les différences individuelles dans la variabilité de la
fréquence cardiaque aux performances cognitives, à la sensibilité
aux stimuli environnants, aux troubles psychiatriques, mais aussi à
l’amélioration de la santé mentale, physique et à la résilience. Une
fois que la variabilité de la fréquence cardiaque* a été établie comme
un indice psychophysiologique, d’autres chercheurs ont travaillé sur
l’amélioration de la variabilité de la fréquence cardiaque*, grâce au
biofeedback, aux exercices de respiration, à l’exercice physique et à
la méditation.

MÉCANISMES NEURAUX MÉDIANT LA VARIABILITÉ


DE LA FRÉQUENCE CARDIAQUE
Après avoir établi un lien entre les différences individuelles se
manifestant entre la variabilité de la fréquence cardiaque* et des
mesures liées à l’attention (comme le temps de réaction et la réactivité
autonomique à partir des variations de la fréquence cardiaque), mes
recherches ont pris une autre orientation. J’ai essayé de comprendre
les raisons de ces différences de variabilité de la fréquence cardiaque*,
en fonction des individus, dans le soutien de l’attention et la régula-
tion des états comportementaux. J’ai orienté alors mes recherches sur
des modèles animaux, en étudiant la régulation neurale du cœur pour
identifier les voies neurales influençant la fréquence cardiaque inter-
battement et contribuant à la variabilité de la fréquence cardiaque.
Lors de mes études en neurophysiologie et en neuroanatomie,
j’ai découvert, dans les antres de la littérature scientifique, que la

53
Neurobiologie du sentiment de sécurité

variabilité de la fréquence cardiaque* constituait une signature


neurale de la régulation vagale du cœur. Une publication du début
des années 1900, du physiologiste allemand H. E. Hering (1910), indi-
quait en effet que la respiration constituait un outil fonctionnel de
contrôle vagal sur le cœur. Hering affirmait : « Il est reconnu qu’une
diminution conséquente de la fréquence cardiaque via la respira-
tion… témoigne de l’action du nerf vague. »

UN INDEX SENSIBLE DE LA RÉGULATION VAGALE


DU CŒUR
Sachant que les fibres vagales cardio-inhibitrices agissent par le
biais de la respiration, j’avais la justification neurophysiologique
me permettant de passer d’une mesure globale à un index plus
précis de la régulation vagale du cœur. Ceci m’a amené à déve-
lopper un système quantifiant l’arythmie sinusale respiratoire*,
indexant précisément le tonus vagal. La variabilité de la fréquence
cardiaque* est la manifestation fonctionnelle de l’influence vagale
sur la fréquence cardiaque, comme décrite par Hering. L’influence
vagale sur le cœur par le moyen de la respiration se manifeste par
des augmentations et des diminutions rythmiques de la fréquence
cardiaque. Nous pouvons observer une plus grande variabilité de la
fréquence cardiaque* lorsque les influences vagales augmentent. La
variabilité de la fréquence cardiaque est un indicateur fonctionnel
et dynamique du feedback neural des influences inhibitrices du nerf
vague sur le pacemaker cardiaque. Ce système de feedback a des
projections ascendantes allant des poumons et du cœur jusqu’au
tronc cérébral, et des projections descendantes allant des aires céré-
brales supérieures au tronc cérébral. Les paramètres de sortie de ce
système de feedback sont l’amplitude et la fréquence. L’amplitude
est le reflet de l’influence vagale et la périodicité reflète la fréquence
respiratoire.
Avec ce nouvel outil, ma recherche est passée d’une approche corré-
lative à un modèle neurophysiologiquement informé, c­ ’est-­à-dire

54 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Neurobiologie du sentiment de sécurité

pouvant évaluer continuellement la régulation de l’état autono-


mique* par le nerf vague. Avec cette nouvelle technologie, je pouvais
mesurer précisément les changements d’états spécifiques liés à la
régulation vagale.
Dans les années 1980, j’ai orienté ma recherche sur l’étude de popu-
lations ayant des troubles de la régulation des états comportementaux,
tels que ceux des enfants prématurés. Depuis, mes recherches se sont
focalisées sur le monitoring des états physiologiques. Pour en faci-
liter la pratique en milieu hospitalier, j’ai conçu un appareil portatif
(Porges, 1985) permettant de monitorer en continu la régulation
vagale du cœur. Environ une centaine d’exemplaires ont été fabri-
qués et vendus à des chercheurs par la compagnie Delta-Biometrics,
qui n’existe plus.

ÉVALUATIONS PHYSIOLOGIQUES
DANS LES MODÈLES STIMULUS-RÉPONSE
Le comportementalisme appliqué (c’est-à-dire les techniques visant
à modifier le comportement) et les sciences cognitives accordent une
importance minime à la biologie. L’intégration des neurosciences aux
sciences cognitives n’a pas changé l’approche de ces dernières, qui
s’est limitée à l’étude de nouvelles variables dépendantes pour mesu-
rer les fonctions du système nerveux central. Malgré la prolifération
d’études d’imagerie cérébrale et de monitoring électro-­physiologique
du cerveau, aucun changement de paradigme n’a eu lieu. Ces
études ont maintenu l’ancien modèle stimulus-réponse (S-R), inté-
grant seulement marginalement l’impact de la physiologie et de la
neurophysiologie.
Dans le domaine des sciences comportementales appliquées
– caractérisé par les membres et les revues de l’Association of
Behavioral Analysis International (ABAI) –, on ne considère pas
l’état physiologique comme une déterminante majeure dans la
relation S-R, relation que leurs méthodes tentaient d’établir et de
renforcer. Il y a quelques années, j’ai eu l’honneur de donner une

55
Neurobiologie du sentiment de sécurité

conférence à la convention annuelle de l’ABAI. Le thème de mon


exposé était « La modification du comportement à travers le prisme
de la théorie polyvagale ». Dans cet exposé, je décrivais mes travaux
sur des variables mesurant les états physiologiques et intervenant
dans la relation S-R (relation définissant les méthodes comportemen-
tales). J’ai réintroduit un modèle plus ancien d’apprentissage, pour
permettre une prise de conscience du rôle important des variations
dans l’organisme d’un médiateur entre stimulus et réponse. Dans le
modèle S-O-R de Woodworth (1929), « O » représente l’organisme et
constitue une variable instrumentale. Cependant, historiquement, le
« O » dans ce modèle S-O-R n’avait pas de base neurophysiologique
et n’utilisait pas l’état physiologique comme un élément déterminant.
Au cours de mon exposé, j’ai montré que l’évaluation de la régu-
lation neurale du système nerveux autonome*, par la variabilité de
la fréquence cardiaque*, permettait de monitorer le « O » ayant
fonction de variable instrumentale dans les modèles comportemen-
talistes. J’ai expliqué encore que, l’état physiologique pouvant être
modifié, le contexte et bien d’autres éléments pouvaient influencer
le « O » pour améliorer les résultats. J’ai suggéré que l’arythmie sinu-
sale respiratoire* (indexant la régulation vagale du cœur) pouvait
être utilisée comme une variable intervenant dans les modèles
comportementalistes.
J’étais persuadé que l’état physiologique avait un rôle, selon le sujet
et le contexte, dans l’efficacité des procédures visant la modification du
comportement. J’ai suggéré donc que de nouveaux paradigmes soient
conçus dans un cadre S-O-R. Cette nouvelle formulation permettait
d’utiliser le contexte comme une variable capable d’amener l’état
physiologique dans un état de régulation vagale optimale, améliorant
ainsi fonctionnellement l’efficacité des protocoles comportementa-
listes. L’exposé a été bien accueilli et a offert aux participants, qui
étaient tous des comportementalistes orthodoxes, une opportunité
d’intégrer une approche neurophysiologique sans conflit avec leurs
méthodologies et paradigmes.

56 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Neurobiologie du sentiment de sécurité

LA RECHERCHE D’UNE VARIABLE INTERMÉDIAIRE


Tout au long de mon parcours scientifique, j’ai cherché à trouver
une variable permettant de mieux comprendre les différences indivi-
duelles observées dans le comportement. Ceci m’a amené à découvrir
toute l’importance des états autonomiques constituant une plate-
forme neurale conditionnant le comportement et les expériences
psychologiques, le ressenti corporel et le sentiment de sécurité.
Généralement, l’influence de l’état autonomique* sur le compor-
tement n’est pas causale, comme dans un phénomène de cause à
effet. Cependant, il semble évident que la gamme des comportements
possibles et que les expériences psychologiques soient limitées par
l’état autonomique. Une autre façon de voir est de considérer l’état
autonomique comme un élément jouant un rôle dans la probabilité
que des comportements spécifiques et des expériences psycholo-
giques se produisent ou non.
Ce parcours m’a amené à élaborer la théorie polyvagale, en respec-
tant les exigences pragmatiques des institutions académiques dont je
faisais partie. Les universités fonctionnent fondamentalement selon
un modèle d’évaluation clair et objectif, dans lequel les idées et les
études sont continuellement étudiées et remises en question. Elles
ne sont pas structurées pour que l’on s’y sente forcément à l’aise
et en sécurité. Les modèles d’étude et d’évaluation, lorsqu’ils sont
trop répétés, placent les chercheurs et les cliniciens dans une atti-
tude défensive. Les états physiologiques défensifs sont incompatibles
avec ceux qui favorisent la créativité et l’expansion d’une théorie. Les
règles implicites de cet environnement académique m’ont poussé à
rechercher des solutions, à être créatif et à envisager de nouvelles
perspectives.
Mon parcours académique s’est fait en trois étapes. Dans la première,
j’ai mené mes recherches pour obtenir le titre de professeur associé.
Suite à toute une série de travaux, j’ai pu souligner l’importance de la
variabilité de la fréquence cardiaque*. La deuxième phase a été carac-
térisée par des recherches sur les mécanismes neurophysiologiques

57
Neurobiologie du sentiment de sécurité

médiant la variabilité de la fréquence cardiaque*. Ces recherches


m’ont permis d’obtenir le titre de professeur titulaire. Grâce à ce
professorat, j’ai pu appliquer les connaissances et les résultats de mes
recherches à certains troubles cliniques. La troisième étape a été celle
de l’élaboration de la théorie polyvagale, en la présentant comme une
science corps-cerveau ou corps-esprit, trouvant ses concepts dans la
neurophysiologie, la neuroanatomie et l’évolution. La présentation
d’un tel paradigme était risquée et pouvait mettre fin à ma carrière
prématurément. Mais heureusement, mes travaux m’ont donné la
crédibilité nécessaire pour présenter la théorie polyvagale. Mais pour
moi, la troisième phase a réellement débuté dix ans plus tard, lorsque
j’ai présenté la théorie polyvagale à la Society for Psychophysiological
Research (Porges, 1995). Cette présentation a été très bien accueillie
dans la communauté académique et clinique, et m’a permis d’obtenir
le titre de professeur agrégé.
La théorie polyvagale m’a permis de présenter l’état physiolo-
gique comme une variable interférant sur le comportement et sur
les compétences relationnelles. La théorie explique comment une
sensation de danger ou une menace réelle entraînent des états physio-
logiques défensifs. Et finalement, ce qui est le plus important, la
théorie explique que le sentiment de sécurité n’est pas la suppression
de la menace, mais qu’il dépend à la fois des facteurs environnants
et relationnels, facteurs capables d’inhiber activement nos circuits
de défense et de favoriser la santé, les sentiments de confiance et
d’amour (Porges, 1998).

SENTIMENT DE SÉCURITÉ ET ÉTAT PHYSIOLOGIQUE


Dans une situation environnementale quelconque, le ressenti
de sécurité correspond plutôt à des réponses corporelles qu’à des
évaluations cognitives. Dans une perspective adaptative de survie,
le sentiment de sécurité réside dans le ressenti corporel et dans
des structures profondes de notre système nerveux, en dehors de
la conscience. En d’autres termes, notre évaluation cognitive du

58 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Neurobiologie du sentiment de sécurité

risque environnemental, dont l’identification de relations poten-


tiellement dangereuses, joue un rôle secondaire par rapport à nos
réactions viscérales aux gens et aux lieux. À travers la théorie poly-
vagale, nous comprenons que la neuroception* est le processus
neural inconscient de l’évaluation d’un risque présent dans l’envi-
ronnement (Porges, 2003, 2004). À ce propos, les effets délétères
d’événements mettant en danger notre santé physique et mentale
sont souvent évalués à travers notre cognition, et sont souvent moins
dépendants des circonstances concrètes de l’événement que de nos
réponses corporelles.
Confronté à un défi, notre corps réagit comme un polygraphe,
comme un détecteur de mensonge. Les caractéristiques d’un envi-
ronnement, qui peuvent sembler confortables et appréciées par
certains, peuvent sembler insupportables et effrayantes pour d’autres.
En tant qu’humains responsables, parents, mentors et cliniciens,
nous devons savoir rester à l’écoute de nos réactions corporelles et
respecter celles des autres. Nous aiderons ainsi plus efficacement
les autres, et nous-mêmes, à naviguer dans un monde naturelle-
ment dangereux, pour trouver des environnements sécurisants et
des relations de confiance. Les mêmes fonctionnalités que notre
système nerveux exploite pour nous protéger, quel que soit le lieu,
nous indiquent également l’état et les besoins de nos patients dans
le setting thérapeutique. Nous pouvons analyser leur état et leurs
intentions d’après la tonalité de leur voix, leurs expressions faciales,
leur gestuelle, leurs postures. Si nous pouvons mettre des mots sur
toutes ces informations, si nous restons à l’écoute de notre ressenti,
cela guidera notre pratique.
La théorie polyvagale révise les critères utilisés par les institu-
tions éducatives, légales, politiques, religieuses et médicales pour
définir la sécurité. Elle remet en question la façon dont les individus
sont généralement traités dans notre société, et passe d’une vision
de la sécurité centrée sur un modèle structurel de l’environnement
(avec des barrières et des détecteurs…), à un modèle orienté vers

59
Neurobiologie du sentiment de sécurité

l’évaluation fonctionnelle de la sensibilité viscérale et de l’état auto-


nomique*. La théorie nous incite à nous demander si notre société
nous offre suffisamment de chances pour expérimenter des envi-
ronnements sécurisants et des relations de confiance. Ayant pris
conscience de notre peu de ressenti de sécurité au sein d’institutions
telles que l’école, l’hôpital et les religions, nous pouvons alors faci-
lement comprendre que cela puisse retentir sur notre santé, comme
le feraient une manifestation politique, une crise économique, ou
même une guerre.
La théorie polyvagale donne une explication neurobiologique de
l’importance du sentiment de sécurité et des conséquences (adap-
tatives) de la détection d’un risque sur l’état physiologique, le
comportement social, les expériences psychologiques et la santé. La
théorie redéfinit les désordres cliniques comme des difficultés rencon-
trées dans la régulation neurale de circuits spécifiques destinés à
abaisser les stratégies de défense et permettant un engagement social*
spontané. Cette perspective se différencie des modèles thérapeu-
tiques traditionnels selon lesquels les dysfonctions du comportement
seraient apprises, et potentiellement modifiables par des approches
thérapeutiques utilisant l’association, l’extinction et l’habituation.
Bien qu’elle n’exclue pas les interventions pharmacologiques, notre
approche se différencie de l’approche psychiatrique contemporaine,
dans laquelle les traitements pharmacologiques sont prédominants.
La théorie polyvagale fournit les bases d’un modèle complémen-
taire, centré sur la prise en compte et le respect de l’état physiologique
comme une plateforme neurale permettant d’optimiser le compor-
tement social et l’efficacité des stratégies de défense. La théorie
polyvagale invite le praticien à rester attentif à l’état physiologique du
patient et à considérer l’état physiologique comme un déterminant
majeur de la gamme des comportements exprimés. Plus encore, la
théorie offre de nouvelles perspectives thérapeutiques basées sur des
exercices neuraux pouvant être utilisés pour améliorer la régulation
autonomique.

60 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Neurobiologie du sentiment de sécurité

SENTIMENT DE SÉCURITÉ ET SURVIE


La transition des reptiles aux mammifères a abouti à un système
nerveux capable d’évaluer le degré de sécurité lors de l’approche et
du contact de congénères. Cette adaptation nécessitait de disposer
de mécanismes capables de neutraliser les stratégies défensives des
reptiles et d’autres vertébrés plus primitifs. Le besoin de sécurité des
mammifères était guidé par de multiples impératifs biologiques*.
Tout d’abord, contrairement à nos ancêtres primitifs reptiliens, tous
les mammifères nécessitent pour survivre à la naissance une protec-
tion parentale. Ensuite, de nombreuses espèces de mammifères, dont
l’espèce humaine, ont besoin pour survivre d’interactions sociales
durables. Pour de nombreux mammifères, l’isolement est trauma-
tisant et compromet sévèrement la santé. L’aptitude à repérer des
lieux sécurisants et des congénères de confiance est nécessaire aux
mammifères pour qu’ils puissent diminuer leurs réactions défen-
sives, se protéger et adopter un comportement social approprié.
Enfin, le système nerveux mammalien a besoin d’environnements
sécurisants pour améliorer les fonctions biologiques et comporte-
mentales diverses dont la reproduction, les soins, le sommeil et la
digestion. Ceci particulièrement pendant les périodes de grande
vulnérabilité comme la grossesse et les phases les plus précoces de
la vie. L’expression des comportements sociaux et la régulation des
émotions sont tributaires de cet impératif de sécurité, nécessaire à
l’activation de fonctions biologiques spécifiques.
Les différentes évolutions neurophysiologiques apparues au cours
de la transition des tous premiers reptiles aux mammifères ont
eu un retentissement sur le comportement social et la régulation
des émotions. Il est important pour la santé physique et mentale
de comprendre que ces circuits ne sont pas accessibles en situation
d’insécurité, et qu’ils fonctionnent souvent de façon inappropriée
dans de nombreux troubles physiques et psychiques. La théorie poly-
vagale souligne que les circuits neuraux supportant le comportement
social et la régulation émotionnelle sont accessibles seulement quand

61
Neurobiologie du sentiment de sécurité

le système nerveux évalue les conditions d’un environnement comme


suffisamment sécurisantes pour pouvoir s’orienter sur la santé, la
croissance et la restauration.
La sécurité est essentielle pour optimiser le potentiel humain dans
différents domaines. Elle est nécessaire non seulement pour adop-
ter un certain comportement social, mais aussi pour ouvrir l’accès
aux structures cérébrales supérieures conditionnant la créativité et la
productivité. Cependant, peut-on dire vraiment que nos institutions
comme les écoles, les gouvernements et les centres médicaux soient
générateurs d’un sentiment de sécurité ? Quelles sont les priorités
de notre culture dans le respect du besoin de sécurité de chacun ? Il
est nécessaire de comprendre ce qui, dans notre vie, perturbe notre
ressenti de sécurité et nous contraint à vivre dans un monde peu
sécurisant. Si nous tenons compte de notre vulnérabilité au danger
et à la menace, nous prenons conscience de l’importance du compor-
tement social et du système d’engagement social* (Porges, 2007),
qui, en atténuant nos systèmes défensifs, nous permet de créer des
liens sociaux solides, tout en favorisant la santé, la croissance et la
restauration.
De nombreux modèles thérapeutiques se sont inspirés de la théorie
polyvagale, considérant les réactions corporelles et les états physio-
logiques comme une plateforme neurophysiologique, à partir de
laquelle peuvent s’élaborer des techniques thérapeutiques efficaces.
La théorie polyvagale souligne à quel point nos réponses psycholo-
giques et comportementales dépendent de notre état physiologique.
La théorie souligne la communication bidirectionnelle entre les
organes et le cerveau, à travers le nerf vague et d’autres nerfs impli-
qués dans la régulation du système nerveux autonome*. La théorie
a progressivement expliqué comment, à travers l’évolution, les
mammifères se sont différenciés des autres vertébrés, avec l’acqui-
sition de voies neurales leur permettant de donner des indices de
sécurité et de se co-réguler.

62 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Neurobiologie du sentiment de sécurité

SENTIMENT DE SÉCURITÉ ET ENGAGEMENT SOCIAL


Les interactions thérapeutiques impliquant le regard, l’écoute* et
le dialogue mettent en jeu certains éléments mis en relief dans la
théorie polyvagale tels que le système d’engagement social et le feed­
back corporel. Ces deux éléments contribuent à la subjectivité de
notre ressenti qui se traduit dans notre humeur et nos émotions. Le
système d’engagement social* est constitué d’un ensemble de voies
régulant fonctionnellement les muscles striés de la face et de la tête.
Le système d’engagement social* témoigne des ressentis corporels et
permet d’osciller entre un état de calme et de sécurité, favorisant la
confiance et l’amour, et un état de vulnérabilité induisant des réac-
tions défensives.
Le regard et l’écoute* portés sur l’autre constituent un élément
important du système d’engagement social*, car poser son regard
sur quelqu’un est un acte d’engagement et témoigne encore de
l’état corporel de l’observateur. En fonction de ce que traduit l’état
corporel de l’observateur, la personne observée comprendra si son
interlocuteur est accueillant ou désintéressé ou même hostile. Le
patient ressent l’engagement du thérapeute en fonction des réactions
corporelles de ce dernier, et les projections de son propre ressenti
corporel influenceront à leur tour l’engagement du thérapeute.
Regarder, écouter et ressentir l’autre dans le setting thérapeutique
illustre bien la communication dynamique bidirectionnelle entre
l’état corporel et l’état émotionnel. Pour que les interactions sociales
soient efficaces et rendent possible la co-régulation* des états physio-
logiques, des indices de confiance et de sécurité doivent être émis de
façon réciproque par chacun des interlocuteurs. Lorsque c’est effec-
tivement le cas, les participants actifs, qu’ils soient des enfants, des
parents, ou un couple d’adultes, se sentent alors respectivement en
sécurité dans la proximité d’un autre. Ces processus d’expériences
partagées pourraient être symbolisés par l’insertion d’un code dans
une serrure à combinaison permettant l’ouverture, lorsque le culbu-
teur trouve sa place.

63
Neurobiologie du sentiment de sécurité

Le lien entre le comportement d’engagement social et l’état physio-


logique est un produit de l’évolution, lors de la transition des reptiles
disparus aux mammifères. Les évolutions neurophysiologiques appa-
rues avec les mammifères les ont rendus capables de détecter et de
ressentir les états affectifs des individus de leur espèce. Cette innova-
tion leur a offert la possibilité d’autoriser ou non un rapprochement,
des contacts physiques et la création de liens sociaux. En cas d’émis-
sion de signaux agressifs ou défensifs, l’engagement pouvait alors être
immédiatement interrompu, sans conflit ni blessure.
Au fur et à mesure de l’évolution, les nerfs et structures défi-
nissant le système d’engagement social* et régulant les expressions
faciales, l’ingestion, l’écoute* et les vocalisations se sont intégrés
avec les voies neurales du système nerveux autonome* ralentissant
le cœur et permettant d’abaisser les défenses. Les processus évolutifs
mammaliens ont lié l’état physiologique aux circuits neuraux détec-
tant (par exemple, la sensorialité auditive ou gustative) et traduisant
(par des expressions faciales et des vocalisations) les émotions.
Fonctionnellement, ces connexions intégrées, entre l’état corporel
et les expressions faciales et vocales, permettent aux membres d’une
même espèce d’identifier les signaux de sécurité ou de danger, et de
simuler la mort pour se préserver lorsqu’ils ne peuvent ni lutter, ni
fuir. Ce système bidirectionnel, liant les états corporels aux expres-
sions faciales et aux vocalisations, a permis les échanges sociaux
nécessaires à une co-régulation*, et une résolution des perturbations
grâce aux mécanismes apaisants de la co-régulation.
Ce système intégré comprend la régulation neurale des muscles
de la face et de la tête qui indiquent à l’autre s’il peut s’approcher ou
non en toute sécurité. Notre besoin de sécurité et l’impératif biolo-
gique* implicite de connexion* et de co-régulation* de notre état
physiologique avec celui d’un autre sont profondément ancrés dans
notre système d’engagement social*. Cette faculté que nous avons de
nous observer mutuellement est un élément déterminant de notre
capacité de connexion. Des indices subtils de compréhension, de

64 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Neurobiologie du sentiment de sécurité

partage d’émotions, d’intentions sont ainsi transmis. L’intonation


et la prosodie* de notre voix témoignent de notre état physiolo-
gique. C’est seulement dans un état de calme physiologique que
nous pouvons transmettre aux autres un sentiment de sécurité.
Cette capacité de nous connecter et de nous co-réguler mutuelle-
ment détermine la positivité des relations, que ce soit des relations
parentales, amoureuses, ou autres. Le système d’engagement social*
n’est pas seulement un moyen de traduire un état physiologique, mais
il permet aussi de détecter la détresse chez l’autre. La détection de la
sécurité calme la physiologie. Lors de la détection d’un danger, au
contraire, la physiologie s’active pour permettre la défense.

CONCLUSION
La théorie polyvagale nous permet de comprendre que le senti-
ment de sécurité dépend de l’état autonomique*, mais aussi que le
calme de l’état autonomique est tributaire de la sécurité. Le calme
de l’état physiologique nous permet d’établir des liens de confiance
sécurisants, ce qui augmente en retour les opportunités de co-régu-
lation* de l’état physiologique et du comportement. Cette relation
circulaire définit les relations bénéfiques, dans lesquelles on trouve un
support de santé physique et mentale. Dans ce modèle, nos sensations
corporelles (état autonomique*) fonctionnent comme une variable
déterminante contribuant à notre réactivité vis-à-vis des autres.
Lorsque nous sommes dans un état de mobilisation caractérisé par
une activation sympathique, nous sommes orientés sur la défense et
non sur la sécurité. Lorsque l’état autonomique* est sous l’influence
des voies du nerf vague ventral, notre système d’engagement social*
coordonne les signaux de sécurité à travers la voix et les expressions
faciales, afin d’atténuer nos réactions de défense personnelles ou
celles des autres. La théorie permet de comprendre que les approches
thérapeutiques devraient non seulement tenir compte des ressentis
corporels, mais aussi stimuler les états physiologiques qui optimisent
les attributs positifs de l’expérience humaine.

65
Neurobiologie du sentiment de sécurité

La théorie polyvagale explique combien la connexion* et la


co-régulation* avec les autres représentent des impératifs biolo-
giques*. Nous ne pouvons satisfaire cet absolu besoin de sécurité
qu’au travers de relations sociales réussies, nous offrant la possibilité
d’une co-­régulation de nos comportements et de notre physiologie. Si
nous réfléchissons à toute l’importance que nous donnons à la sécurité
dans nos vies, nous pouvons comprendre alors comment la signature
physiologique des ressentis et les éléments déclenchant ces ressentis
peuvent nous aider dans nos relations, et dans le support apporté à
nos patients, notre famille et nos amis. Donc, pour répondre à nos
impératifs biologiques* d’interconnexion, nous devons nous orienter
vers la création d’un sentiment de sécurité pour tous.

66 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


2
Théorie polyvagale
et traitement des traumatismes

Stephen W. Porges et Ruth Buczynski

TRAUMATISME ET SYSTÈME NERVEUX


Dr Buczynski : Je me présente, je suis Ruth Buczynski, psycho-
logue dans l’État du Connecticut et présidente du National Institute
for the Clinical Application of Behavioral Medicine (NICABM).
Aujourd’hui, notre invité est Stephen Porges. Je pense que le travail
de Stephen Porges va vraiment modifier notre façon de comprendre
le traumatisme et bien d’autres désordres. Quand une personne est
victime d’un traumatisme, que se passe-t-il pour elle, notamment sur
le plan intérieur ?
Dr Porges : Le problème majeur dans la compréhension des
réponses neurophysiologiques à un traumatisme, c’est que l’on consi-
dère celui-ci comme un trouble lié au stress. Les éléments les plus
importants d’un traumatisme se perdent autour des causes et des

67
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

traitements possibles, si l’on attribue au traumatisme une réponse


stress-dépendante. Il existe un malentendu, celui de considérer que le
système nerveux humain ne peut répondre au danger ou à une menace
vitale que par une réaction commune de stress, associée au système
nerveux sympathique* et à l’axe HPA (hypothalamo-­hypophyso-
adrénalien). La plupart des thérapeutes et des scientifiques ne voient
dans le système nerveux humain qu’un seul et unique système de
défense contre le stress, les comportements de fuite et de lutte. La
théorie polyvagale souligne cependant l’existence de différents profils
de réponses défensives face à un danger et à une menace vitale. La
théorie reconnaît que face à un danger peut se manifester une réponse
de stress se traduisant par un accroissement de l’activité du système
nerveux sympathique* et de l’axe HPA. La théorie poly­vagale souligne
cependant l’existence d’un second système de défense face à une
menace vitale, caractérisé par une atténuation massive des fonctions
autonomiques par le biais d’une voie neurale archaïque du système
nerveux parasympathique*.
Il est reconnu classiquement que les réponses de stress ont un
impact négatif sur la santé. En interrompant la régulation des
systèmes autonome, immunitaire et endocrinien, le stress induit une
fragilité physique et mentale. Ce phénomène est décrit dans tous les
livres de psychologie et constitue un élément central dans les articles
liant la santé aux expériences psychologiques. Ce modèle a été décrit
dans des sous-disciplines comme la neuro-endocrinologie, la neuro-
immunologie, la psychophysiologie et la médecine psychosomatique.
Il manque cependant encore l’évocation d’un second système de
défense, avec des fonctions qui ne sont pas celles de la mobilisation,
telles que les réactions de fuite ou de lutte, mais au contraire celles de
l’immobilisation, que l’on retrouve, par exemple, dans la syncope et la
dissociation*. Bien que les comportements de fuite ou de lutte soient
fonctionnellement adaptatifs en réponse aux dangers, ces compor-
tements ne peuvent êtres adaptatifs si les possibilités de fuite ou de
défense sont limitées ou inexistantes.

68 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Contrairement aux réactions de fuite ou de lutte, la réponse à une


menace vitale déclenche un second système de défense, qui s’exprime
à travers l’immobilisation ou la dissociation*. L’immobilisation
défensive induit un état physiologique potentiellement mortel. Cette
réponse est classiquement observée chez les mammifères, comme les
souris capturées par un chat. Dans la gueule d’un chat, une souris
semble morte, mais elle ne l’est pas. Nous nommons cette réaction
adaptative de la souris une mort simulée. Cependant, ce n’est pas
une réponse consciente ou volontaire. C’est une réaction adaptative
biologique, liée à l’impossibilité d’utiliser les mécanismes de fuite
ou de lutte pour se défendre ou s’échapper. La réponse réflexe est la
même pour un être humain perdant connaissance suite à une frayeur.
Il existe une réelle méconnaissance de la gamme complète des
réactions biologiques adaptatives face à la menace. En effet, beaucoup
de thérapeutes travaillant avec des patients traumatisés ne sont pas
familiarisés avec le système d’immobilisation* défensive. Si l’on suit
la recherche scientifique dans ce domaine depuis ses débuts, nous
comprenons vite que cette faille vient de la difficulté à concevoir
l’existence d’un système de défense d’immobilisation, peu compatible
avec les théories prédominantes du stress qui se sont focalisées sur
les réponses surrénaliennes, assimilées aux stratégies défensives de
mobilisation.
La théorie polyvagale souligne l’existence de différentes stratégies
défensives et le caractère involontaire des réponses de mobilisation
(comme la fuite ou la lutte) et d’immobilisation (comme dans les cas
d’une syncope, d’un collapsus, d’une réaction de figement). D’une
façon inconsciente, notre système nerveux évalue continuellement le
risque dans l’environnement, établissant des priorités pour la mise en
place de comportements adaptatifs. Ces processus se produisent sans
que des processus mentaux conscients, tels que les « fonctions exécu-
tives », n’interviennent dans la prise de décision.
Chez certaines personnes, le même événement peut déclen-
cher des comportements de fuite ou de lutte, pendant que d’autres

69
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

peuvent perdre totalement conscience. Je tiens à souligner que c’est


la compréhension de la réponse, et non celle de l’événement trau-
matique, qui est importante pour guérir d’un traumatisme. Certains
événements ne constituent que de simples événements pour certains
individus, mais déclenchent chez d’autres des réponses typiques
d’une menace vitale. Leurs corps répondent alors en simulant la
mort de la même façon qu’une souris le ferait dans la gueule d’un
chat.
Dr Buczynski : Ceci pourrait-il expliquer pourquoi en guerre
certains soldats peuvent endurer des événements terribles, sans être
victimes du syndrome de stress post-traumatique* alors que d’autres
seraient touchés ?
Dr Porges : Oui. Le problème, une fois de plus, c’est que lorsque
nous évoquons un trouble psychiatrique spécifique, nous décrivons
ponctuellement une variété de symptômes qui ne sont pas toujours
regroupés. C’est comme dans le menu d’un restaurant dans lequel
une sélection limitée de plats est proposée pour un repas. Certaines
personnes apprécieront les aliments choisis, alors que d’autres pour-
ront ne pas les supporter. Quand un médecin pose un diagnostic
basé sur un ensemble d’éléments, cela ne signifie pas que tout le
monde a les mêmes réactions neurophysiologiques sous-jacentes, ou
les mêmes manifestations cliniques.
La majorité des cliniciens le comprennent, et savent que lorsque
l’on pose un diagnostic spécifique pour un patient, cela ne signifie
pas qu’il va réagir de façon identique à un autre, ou encore que le
traitement qui a été efficace avec un autre le sera aussi avec lui.

LES ORIGINES DE LA THÉORIE POLYVAGALE : LE PARADOXE*


DU VAGUE
Dr Buczynski : Donc, venons-en à la théorie polyvagale, et à la
façon dont elle vous a permis de comprendre le traumatisme.
Dr Porges : Avant de parler de la théorie polyvagale, j’aimerais
faire un rappel à son propos.

70 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

J’ai souvent dit que je n’ai jamais prévu de développer la théorie


polyvagale. Ma vie était plus facile avant que je ne structure cette
théorie. Mes recherches avançaient, j’étais bien installé, j’étais publié.
J’aimais développer ce que je pensais être les mesures les mieux adap-
tées pour indexer l’activité vagale, et je pensais qu’elles constituaient
des moyens d’évaluation faciles des fonctionnalités protectrices de
notre système nerveux.
Pour rappel, le nerf vague est un nerf émergeant du tronc céré-
bral et innervant de nombreux organes. Le nerf vague constitue un
conduit bidirectionnel liant le tronc cérébral et les organes viscé-
raux. Bien que nous nous focalisions généralement sur les fonctions
motrices du nerf vague, et sur la façon dont il régule les voies motrices
du cœur et de l’intestin, il est d’abord un nerf dont approximative-
ment 80 % des fibres envoient des informations sensitives depuis
les viscères jusqu’au cerveau. Les 20 % de fibres restantes forment
les voies motrices qui permettent aux circuits cérébraux de changer
dynamiquement, et parfois dramatiquement notre physiologie, avec
des changements pouvant survenir en l’espace de quelques secondes.
Les voies motrices vagales peuvent, par exemple, causer des ralen-
tissements de notre cœur et stimuler la motricité de notre intestin.
Dans un état tonique, le nerf vague fonctionne comme un frein
sur le pacemaker du cœur. Quand le frein est actionné, un tonus
vagal* important ralentit le cœur. Les voies vagales atteignant le
cœur sont fonctionnellement inhibitrices et ralentissent la fréquence
cardiaque. C’est ce qui est souvent expérimenté dans un état de calme.
Les fonctions vagales sont donc fréquemment considérées comme
des mécanismes de lutte contre le stress.
Cependant, il existe, dans d’autres textes, des propos contradic-
toires à ces attributs positifs, et qui attribuent au nerf vague des
mécanismes vagaux entraînant une bradycardie dangereuse et une
mort soudaine. À la base, le même nerf, le nerf vague, présenté
comme un système antistress, est capable encore de stopper le cœur
et d’entraîner une émission de selles en réponse à des menaces vitales.

71
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Lors de mes études sur le système nerveux autonome*, on


m’avait enseigné que le nerf vague était le nerf essentiel du système
nerveux parasympathique*, un système à l’action antagoniste de
celle du système nerveux sympathique*. La composante sympa-
thique du système nerveux autonome mobilise le corps et nous
anime, pendant que le nerf vague est impliqué dans le calme, la
croissance et la restauration.
Dans tous les textes d’anatomie ou de physiologie, est décrite
l’action antagoniste de ces deux composantes du système nerveux
autonome*. Si l’on voulait faire une métaphore, nous pourrions dire
que le système nerveux sympathique*, en supportant le stress, est
notre « mortel ennemi », tandis que le système nerveux parasym-
pathique* neutralise et en inhibe les influences délétères. L’action
antagoniste de ces deux systèmes permet l’établissement d’un
équilibre.
Cliniquement, le terme d’« équilibre autonomique* » est utilisé
avec l’idée qu’un état devrait être d’autant plus parasympathique
et plus vagal, que nous devenons plus calmes. Si nous supprimons
cette activité vagale et si nous réduisons le tonus vagal*, nous deve-
nons tendus et réactifs et expérimentons le stress. Cette explication
succincte du système nerveux autonome* n’est que partiellement
vraie. Il est vrai que la plupart de nos organes viscéraux sont inner-
vés à la fois par le système nerveux parasympathique* et le système
nerveux sympathique*, et que la plupart des fibres nerveuses para-
sympathiques voyagent à travers le nerf vague. Mais, j’ai remis en
question la validité de ce modèle après avoir conduit mes recherches
sur des nouveau-nés.
J’avais développé alors des méthodes de mesure de l’activité
vagale à partir de la fréquence cardiaque inter-battement, que je
considérais comme un indice protecteur offrant les plus grandes
chances d’issues cliniques positives. Ma recherche démontrait que
les nouveau-nés ayant un tonus vagal* élevé avaient des issues
cliniques favorables. Je mesurais l’activité vagale en quantifiant

72 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

un paramètre rythmique de la fréquence cardiaque connu sous le


nom d’arythmie sinusale respiratoire*. L’arythmie sinusale respira-
toire est visualisée lors des augmentations et des diminutions de la
fréquence cardiaque, associées à la respiration spontanée. Certains
bébés qui affichaient des fréquences cardiaques inter-battement
relativement constantes et sans rythme respiratoire (c’est-à-dire
sans arythmie sinusale respiratoire*) présentaient des risques
sérieux de complications.
En me basant sur ces découvertes, j’ai publié un article dans la
revue Pediatrics (Porges, 1992). Le but de cet article était de prouver
aux néonatologues et aux pédiatres l’utilité de la mesure de l’aryth-
mie sinusale respiratoire* dans les nurseries des nouveau-nés. À la
suite de cette publication, j’ai reçu le courrier d’un néonatologue
me disant que la notion d’une activité vagale protectrice ne corres-
pondait pas avec ce qu’il expérimentait. Il me précisait que lors de
ses études en médecine, on lui avait enseigné qu’une réaction vagale
pouvait être dangereuse, voire mortelle. J’ai immédiatement compris
ce que le néonatologue voulait dire. Le nerf vague pouvait induire une
bradycardie et une apnée dangereuses, caractérisées par une chute
massive de la fréquence cardiaque et un arrêt respiratoire. Pour les
enfants prématurés, la bradycardie et l’apnée constituent en effet un
un risque mortel. Il suggérait que « trop de quelque chose » pouvait
être quelque chose de potentiellement dangereux. Ses commen-
taires m’ont permis de comprendre les divergences entre nos visions
respectives du système nerveux autonome*.
J’ai été interpellé par cette remarque, et j’ai commencé à réfléchir à
mes observations. J’ai alors réalisé qu’au cours de mes recherches, je
n’avais jamais observé de bradycardie ou d’apnée en présence d’une
arythmie sinusale respiratoire*. C’est ainsi que j’ai compris le para-
doxe vagal*. Comment cette action vagale pouvait-elle induire une
menace vitale quand elle était exprimée par une bradycardie et une
apnée, et être protectrice quand elle était exprimée sous la forme
d’une arythmie sinusale respiratoire* ?

73
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Pendant des mois, j’ai porté la lettre du néonatologue dans ma


malette, essayant d’expliquer ce paradoxe, mais mes connaissances
étaient encore trop limitées. Pour comprendre ce paradoxe, j’ai fait
des recherches sur la neuroanatomie du nerf vague afin de décou-
vrir si différents circuits vagaux étaient à la base de ces réponses
contradictoires.
La théorie polyvagale est née grâce à l’identification de différents
mécanismes neuraux expliquant les raisons de ce paradoxe. Au cours
du développement de la théorie, j’ai étudié l’anatomie, l’histoire
évolutive et les fonctions des deux systèmes vagaux : l’un médiant
la bradycardie et l’apnée, l’autre médiant l’arythmie sinusale respira-
toire* ; l’un des deux systèmes, étant potentiellement létal et l’autre,
protecteur.
Les deux voies vagales prennent origine dans des aires différentes du
tronc cérébral. En me penchant sur l’anatomie comparée, j’ai compris
que les deux circuits avaient évolué séquentiellement. Au fond, nous
répondons à l’environnement selon une hiérarchie fonctionnelle du
système nerveux autonome*, basée sur notre histoire phylogénétique.
Ces faits sont devenus les éléments majeurs de la théorie polyvagale.
Immobilisation, bradycardie et apnée sont des manifestations d’un
système de défense, apparu chez des vertébrés anciens, bien avant les
mammifères. Nous pouvons observer ce système de défense chez les
reptiles, dans une animalerie. Lorsque nous observons ces reptiles,
nous ne voyons leur comportement que d’une façon limitée, puisque
l’immobilisation est le principal système de défense pour beaucoup
de reptiles. Il existe cependant un réel contraste avec le comporte-
ment de petits mammifères, tels que celui des hamsters ou des souris,
qui bougent constamment et jouent entre eux. Ils ne s’immobilisent
que lorsqu’ils sont en contact physique avec leurs semblables.
En me basant sur l’évolution comme principe organisateur de la
théorie polyvagale, j’ai compris qu’au cours des différentes étapes
phylogénétiques sont apparues différentes stratégies de défense,
chacune dépendant d’un circuit nerveux différent. En poursuivant

74 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

mes recherches, j’ai découvert l’existence d’un système de défense


archaïque appartenant à des vertébrés évolutivement anté-
rieurs, encore profondément ancré dans notre système nerveux.
Contrairement à la mobilisation nécessaire aux comportements de
fuite ou de lutte, ce système de défense archaïque est caractérisé par
l’immobilisation. Cependant, bien que l’immobilisation et la mort
simulée soient adaptatives dans de nombreuses situations pour les
reptiles et d’autres vertébrés, elles deviennent potentiellement létales
pour les mammifères, en raison de leur grande dépendance vis-à-vis
de l’oxygène. Si un événement menaçant déclenche une réponse bio-
comportementale d’immobilisation, il devient très difficile pour les
humains de l’effacer et de retrouver une certaine « normalité ». C’est
le cas de nombreux survivants de traumatismes.

UN SYSTÈME NERVEUX AUTONOME REDÉFINI


Avec le développement de la théorie polyvagale s’est dessiné
un nouveau modèle des fonctions adaptatives du système nerveux
autonome*. À travers ce nouveau modèle, les états et les réponses
autonomiques ne sont plus expliqués comme le produit d’un antago-
nisme entre les systèmes nerveux sympathique et parasympathique.
Les fonctions autonomiques s’expliquent plutôt par la présence de
trois sous-systèmes fonctionnels, hiérarchiquement organisés, selon
l’évolution biologique. Chez les humains et les autres mammifères,
ces sous-systèmes comprennent : 1) les voies vagales non myélinisées
permettant principalement la régulation vagale des organes sous-
diaphragmatiques ; 2) le système nerveux sympathique* ; 3) les voies
vagales myélinisées constituant principalement la régulation des
organes supra-diaphragmatiques.
Les voies vagales non myélinisées sont apparues les premières et
sont partagées par la plupart des vertébrés. Chez les humains et les
autres mammifères, ce système archaïque supporte l’homéostasie*
lorsque l’on se trouve en situation de sécurité. Cependant, pour
préserver les ressources métaboliques vitales dans un contexte de

75
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

menace, il peut entraîner une immobilisation, une bradycardie et une


apnée, et se manifester par une perte de connaissance ou collapsus.
Chez les humains, cet état peut être associé à la dissociation*. Ce
système de shutdown* est efficace pour les reptiles, car leur cerveau
de petite taille a des besoins en oxygène peu conséquents. Les reptiles
peuvent survivre plusieurs heures sans respirer. En revanche, les
mammifères, même aquatiques, ne sont pas capables de retenir leur
respiration plus de 20 minutes.
Le système vagal reptilien est un système phylogénétiquement
ancien, non myélinisé. Contrairement aux reptiles, les mammifères
disposent de deux circuits vagaux, un circuit vagal non myélinisé que
l’on retrouve chez les reptiles, et un circuit vagal myélinisé exclusi-
vement mammalien. Les deux circuits vagaux prennent origine dans
des aires différentes du tronc cérébral. Les voies myélinisées four-
nissent des réponses plus rapides et plus finement organisées.
L’évolution du système nerveux autonome* des vertébrés débute
avec le nerf vague non myélinisé, lequel soutient les comportements
d’immobilisation. Même les poissons cartilagineux, tels que les
requins et les raies, ont des voies vagales non myélinisées.
Au cours de l’évolution et à partir des poissons osseux, est apparu
le système nerveux sympathique*. Ce système a une action antago-
niste de celle du nerf vague non myélinisé. Dans la plupart des cas,
le système nerveux sympathique* accroît l’activité des organes viscé-
raux, alors que le système nerveux vagal non myélinisé la diminue.
Un système nerveux autonome* caractérisé par l’action antagoniste
de ces deux systèmes rend les poissons osseux capables de nager en
groupe, de plonger et de s’immobiliser.
Successivement est apparu, exclusivement chez les mammifères,
un nouveau circuit, celui du nerf vague myélinisé. Avec ce nouveau
circuit vagal, les fonctions adaptatives du système nerveux autonome*
se sont étendues. Tout d’abord, les rôles attribués aux deux voies
vagales dans la régulation des fonctions organiques sont distincts.
Les fonctions du nerf vague non myélinisé constituent la principale

76 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

régulation parasympathique des organes sous-diaphragmatiques.


Chez les nouveau-nés mammifères et les enfants prématurés, il existe
suffisamment de voies vagales non myélinisées innervant le cœur pour
induire une bradycardie, du fait de l’absence de l’influence protectrice
des voies vagales myélinisées. Les fonctions des voies vagales myélini-
sées sont celles de la régulation parasympathique des organes situés
principalement au-dessus du diaphragme. De plus, les aires du tronc
cérébral régulant l’action du nouveau nerf vague myélinisé sont liées
à d’autres aires du tronc cérébral régulant la face et la tête.
Les praticiens, en prêtant attention aux expressions faciales et à la
voix de leurs patients, toutes deux contrôlées par les muscles de la
face et de la tête, peuvent intuitivement évaluer leur état physiolo-
gique. Ils utilisent ces informations pour comprendre les difficultés
de leurs patients. Ils savent que la voix d’une personne traumatisée
manque de prosodie* et que le haut de son visage est peu expressif.
Ces patients ont fréquemment des difficultés de régulation émotion-
nelle, et peuvent passer très facilement du calme à un état hautement
réactif. Nous pouvons maintenant commencer à mieux comprendre
le rôle de la physiologie dans différents contextes.
La théorie polyvagale décrit un système nerveux autonome* se
constituant non seulement d’une dualité antagoniste, mais encore
d’un système hiérarchisé, composé des trois sous-systèmes précé-
demment décrits. Ce modèle hiérarchisé correspond au modèle de
dissolution* jacksonienne, proposé par John Hughlings Jackson
(1884) pour expliquer le processus de recrutement séquentiel des
circuits cérébraux, consécutivement à un traumatisme cérébral ou à
une maladie.
La vraie question est de comprendre comment et pourquoi,
lorsque nous sommes soumis à un défi, nous basculons sur ces diffé-
rents circuits. Lorsqu’elle est contrée, dans un mécanisme adaptatif de
survie, la régulation du système nerveux autonome s’oriente séquen-
tiellement des circuits les plus récents aux circuits les plus anciens.
Quelles sont les causes ou les éléments déclencheurs de ces processus ?

77
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Nous vivons dans un monde très centré sur l’aspect cognitif et qui
croit nos actions volontaires. On nous demande d’être compétitifs,
productifs, d’évaluer des coûts, des risques, des bénéfices. Cependant,
tout en ayant un impact profond sur le comportement, les varia-
tions de l’état autonomique* sont habituellement involontaires. Elles
se produisent d’une façon réflexe lorsque nous sommes confrontés
à certaines situations. Et bien que les patients soient généralement
conscients de leurs réactions corporelles (telles que l’élévation de la
fréquence cardiaque, la sudation, par exemple), ils sont généralement
incapables de désigner les causes de ces changements d’état. Tout ceci
est involontaire, en dehors du contrôle conscient.
On peut décrire des changements d’état similaires dans le cadre
d’une phobie sociale, comme la glossophobie (peur de s’exprimer
en public). Les personnes touchées, lorsqu’elles sont confrontées à
leur public, craignent de s’évanouir malgré elles. Certains facteurs
environnants déclenchent en effet dans leur système nerveux le
recrutement du circuit vagal archaïque, non myélinisé.

NEUROCEPTION* : DÉTECTION INCONSCIENTE


Dr Buczynski : Comment nos circuits neuraux détectent-ils la
sécurité ?
Dr Porges : Nous ne connaissons pas précisément les voies
neurales impliquées dans ce processus, mais nous savons cepen-
dant que les structures cérébrales « hautes » inhibent les systèmes
limbiques de défense. Nous savons que cette inhibition implique
des aires corticales, dont les aires du cortex temporal, qui évaluent
l’intentionnalité du mouvement « biologique ». Le mouvement
« biologique » inclut les expressions faciales, l’intonation de la voix,
les mouvements corporels dont ceux des mains et de la tête. Nous
connaissons tous l’importance de la prosodie* de la voix d’une mère
pour calmer son enfant. Cependant, nous connaissons mieux les
voies neurales qui détectent la menace que celles qui repèrent les
situations de sécurité.

78 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

La recherche ayant progressé, nous savons combien les expé-


riences précoces jouent un rôle important dans la modification
du seuil de vulnérabilité déclenchant des réactions apparemment
« maladaptées ». Si nous sommes protégés par le nouveau circuit
vagal, alors tout se passe bien. Cependant, en l’absence de régulation
des états physiologiques par ce circuit neural le plus récent, nous
devenons des machines vouées à la fuite ou à la lutte. Lorsqu’ils se
trouvent fonctionnellement dans ce système de défense, les humains
ou les autres mammifères cherchent à fuir. Si nous sommes confinés,
isolés ou contraints, notre système nerveux, en détectant les signaux
environnementaux, cherche alors à s’immobiliser. Je peux donner
deux exemples intéressants de déclenchement des deux systèmes de
défense. Le premier concerne un clip que j’ai vu sur la chaîne télévisée
CNN et le second est une expérience personnelle.
Il y a quelques années, je suis tombé sur un reportage diffusé par
la CNN, expliquant comment un avion s’était trouvé en difficultés
lors de son atterrissage. Les ailes se déplaçaient de haut en bas, l’avion
était secoué par le vent. Finalement, l’avion a pu se poser sans dégâts,
malgré des conditions extrêmement périlleuses. Lors du débarque-
ment, un reporter s’est approché de certains passagers, imaginant
par avance la description de la scène, de leur panique, de leur effroi,
leurs sursauts, leurs hurlements. Il interrogea alors une passagère
sur son ressenti au cours de ce difficile atterrissage. Sa réponse laissa
le reporter sans voix. Elle lui dit : « Le ressenti ? En fait, j’ai perdu
connaissance ! » Cette menace pesant sur sa vie a mobilisé, chez elle,
l’ancien circuit vagal. Nous n’avons aucun contrôle sur l’activation
de ce circuit. Cependant, une perte de connaissance présente certains
avantages, comme celui de nous éviter l’expérience d’un événement
traumatique, en induisant notamment l’élévation du seuil de la
douleur.
Les thérapeutes sont conscients que beaucoup de victimes d’abus,
spécialement d’abus sexuels et d’abus physiques sous la contrainte,
décrivent souvent une expérience psychologique comme celle de

79
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

ne plus être vraiment là. Leur corps semble pétrifié. Elles subissent
une dissociation* ou s’évanouissent. Chez ces individus, les abus
induisent des réponses adaptatives qui les protègent des effets senso-
riels et psychologiques de l’événement traumatisant. Le problème
est de savoir, bien évidemment, comment ces individus retournent à
nouveau « dans leur corps », une fois qu’ils ont vécu la dissociation*
et cette perte adaptative de conscience.
L’autre exemple est personnel. J’ai vécu un changement d’état
physiologique inattendu en passant une IRM. J’étais vraiment inté-
ressé et curieux de faire cette expérience, car beaucoup de mes
collègues conduisaient leur recherche avec cet outil. J’étais enthou-
siaste et j’avais hâte de vivre l’expérience. Pour passer une IRM, il faut
s’étendre à plat sur une plateforme qui nous entraîne dans le corps de
la machine. J’étais bien installé. Je n’avais aucun stress. Lentement, la
plateforme s’est déplacée à l’intérieur de l’appareil. Alors que ma tête
commençait à pénétrer dans le tunnel, j’ai demandé s’il était possible
d’arrêter et de me donner un verre d’eau. On m’a sorti et donné
le verre d’eau. Je me suis allongé à nouveau et la plateforme s’est
­déplacée jusqu’à ce que mon nez atteigne l’entrée du tunnel. J’ai dû
alors leur demander de me sortir de là. Je ne pouvais m’adapter à cet
espace confiné, car ceci déclenchait en moi une attaque de panique.
Dans cet exemple, ma perception et mon mental étaient à l’op-
posé de ma réaction corporelle. Je souhaitais tellement cet examen.
Je n’avais aucune appréhension. L’examen ne présentait aucun
danger. Mais quelque chose se passait physiquement en moi quand
je pénétrais dans le tunnel de l’appareil. Mon système nerveux devait
probablement détecter quelque chose qui déclenchait en moi une
attitude défensive, un désir de fuir.
Pour décrire ces interactions avec notre environnement, il est néces-
saire de donner une description plus précise du processus qui évalue
le danger ou la sécurité environnementale et active les voies neurales
capables de modifier l’état autonomique*. J’ai appelé ce processus, la
neuroception*. J’ai accordé une grande attention à la façon dont j’ai

80 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

défini ce terme, car c’est quelque chose de différent d’une perception.


Nous sommes en effet conscients de nos perceptions, alors que la
neuroception se produit de façon réflexe, inconsciente.
Dr Buczynski : Est-il possible d’en avoir une définition ? Est-ce
que la neuroception est une perception neurologique de ce qu’il se
passe ?
Dr Porges : Il faut faire très attention ici ! Il est très important de
bien savoir différencier la « neuroception* » de la « perception ». La
neuroception est une évaluation inconsciente du risque environne-
mental. La perception est un processus conscient, nécessitant une
certaine vigilance. La neuroception n’est pas un processus cognitif
mais un processus neural, ne nécessitant à l’opposé aucune vigilance.
La neuroception dépend d’un circuit neural qui évalue le risque
environnemental, en fonction de différents stimuli déclenchant et
entraînant des modifications de l’état autonomique* pour donner
une réponse adaptative. Dans la théorie polyvagale, la neuroception
est un mécanisme qui oriente le système nerveux autonome* vers les
trois états spécifiques décrits par la théorie (sécurité, danger, menace
vitale), et potentialise le système d’engagement social* mammalien
(via le nerf vague myélinisé) en neutralisant les comportements de
lutte ou de fuite, ou la perte de conscience.
Lorsque le système d’engagement social* est efficient, il atténue
les réactions défensives et nous demeurons calmes, nous témoignons
nos sentiments aux gens, nous leur accordons de l’attention, et nous
nous sentons bien et sereins. En revanche, en présence d’un risque,
les deux autres systèmes deviennent prioritaires. En cas de danger,
notre système nerveux sympathique* prend le contrôle et accroît les
ressources métaboliques, permettant la mobilisation des comporte-
ments de fuite ou de lutte. Si cela ne suffit pas à assurer notre sécurité,
nous recrutons l’ancien système vagal, et nous perdons connaissance.
Un aspect important et cliniquement pertinent du modèle polyva-
gal est qu’il fournit des éléments sur lesquels se baser pour développer
des thérapeutiques visant l’inhibition de ces stratégies défensives.

81
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Nous savons qu’une neuroception* recrutant l’activation du système


d’engagement social* (innovation neurale spécifique des mammi-
fères, régulant le système nerveux autonome* et rendant possible les
interactions sociales) permet d’obtenir le calme physiologique, et de
favoriser ainsi la santé, la croissance et la restauration.
Dr Buczynski : Votre expérience et votre réponse lors de l’IRM
étaient-elles dues à la neuroception* ?
Dr Porges : Oui, tout à fait ! De la même façon que cette femme
ayant perdu connaissance dans l’avion, je ne contrôlais rien !
Dr Buczynski : Vous ne saviez comment vous en sortir.
Dr Porges : Pas du tout ! Je ne pouvais ni fermer les yeux, ni
trouver une issue ! J’ai compris maintenant la nécessité pour moi de
prendre une prémédication si je dois passer une IRM. J’ai constaté
que cela me permet de faire cet examen sans provoquer ces réactions.
Je ne suis pas un grand fan de médicaments, mais ils sont très utiles
dans certains cas.
Je tiens à signaler que dans les deux cas, celui de cette femme dans
l’avion et le mien, les réactions étaient involontaires. Les conditions
instables de l’atterrissage et mon examen ont provoqué des réponses
involontaires et, dans mon cas, ceci a déclenché une mobilisation, un
désir de fuir. Si d’autres passagers de cet avion avaient été interrogés,
certains auraient peut-être décrit des cris, des tentatives de fuir cette
situation. D’autres passagers auraient pu simplement saisir la main
de leur voisin et rester impassibles pendant l’atterrissage.
Le point important ici, c’est que le même événement peut déclen-
cher différentes neuroceptions*, différentes réactions suivant les
individus, en fonction de leurs états physiologiques respectifs.
Dr Buczynski : Si vous aviez demandé que l’on vous sorte de là
lors de l’IRM et que personne n’ait agi, ceci aurait-il pu déclencher
le recrutement de défenses plus primitives ?
Dr Porges : Probablement. Je suis bloqué dans une situation et je
ne peux m’en sortir. Je suis dans un espace confiné. Cette expérience
est la même que si j’avais été immobilisé et physiquement abusé.

82 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Nous oublions souvent que les procédures médicales peuvent trans-


mettre à notre corps des signaux similaires à ceux d’une violence
physique. Nous devons être très attentifs à la façon dont nous trai-
tons les autres. Même si des interventions sont pratiquées avec les
intentions les plus positives, ceci peut être vécu par certains comme
une contrainte, déclencher un traumatisme et peut-être même un
syndrome de stress post-traumatique*.

DÉCLENCHEMENT D’UN SYNDROME DE STRESS POST-TRAUMATIQUE*


Dr Buczynski : Quels événements peuvent selon vous déclencher
un syndrome de stress post-traumatique ?
Dr Porges : Je pense que la contrainte physique en fait partie, de
même que l’administration d’une anesthésie. Dans l’histoire de la
médecine, si l’on se retourne sur le passé, et plus spécialement sur le
traitement des maladies mentales, la contrainte était fréquemment
utilisée. On disait vouloir protéger le patient, mais l’on induisait par
ces pratiques des réactions liées à un ressenti de danger ou de menace.
La contrainte était utilisée chez les malades mentaux pour éviter les
agressions ou les automutilations. Lors d’interventions chirurgicales,
à l’époque où les anesthésies n’existaient pas ou étaient peu efficaces,
les patients étaient immobilisés.
Mais rappelons-le, beaucoup d’éléments dans l’environnement
médical sont susceptibles de déclencher un sentiment de vulnérabi-
lité et une neuroception* de défense. Par exemple, l’environnement
médical limite très souvent l’accès aux soutiens habituels sécurisants
de la vie courante. Nous nous retrouvons dans un lieu public, privés
de nos vêtements, incertains des issues cliniques. Un grand nombre
d’éléments nécessaires au système nerveux pour s’autoréguler sont
absents, et nous ne nous sentons plus en sécurité.
Dr Buczynski : Ils nous faut enlever lunettes et lentilles, et nous
n’y voyons plus grand-chose.
Dr Porges : Oui, et l’environnement visuel et acoustique jouent
un rôle important en déterminant la façon dont la neuroception*

83
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

influence notre état physiologique. L’un des éléments les plus


puissants induisant une neuroception*, ou tout au moins une neuro-
ception de sécurité, provient des stimuli acoustiques.
Si vous pensez à une mère chantant une berceuse à son enfant,
ou à l’écoute* d’une musique populaire, ou encore à des chansons
d’amour, on retrouve là des caractéristiques acoustiques similaires.
Ces musiques sont dépourvues de sons de basse fréquence, et les
hautes fréquences perçues sont activement modulées. Une berceuse
n’aurait pas les mêmes effets calmants sur un enfant si elle était chan-
tée avec les fréquences basses d’une voix masculine, spécialement
dans le registre d’une voix basse. Notre système nerveux répond à
la fois à la bande fréquentielle et aux modulations acoustiques de la
même bande fréquentielle.
Dans mes conférences, j’aime bien citer l’exemple de Pierre et le
Loup pour montrer comment les bandes de fréquences et les modula-
tions de ces fréquences peuvent influencer une neuroception*. Dans
Pierre et le Loup, les personnages sympathiques sont représentés
par des violons, des clarinettes, des flûtes et des hautbois, alors que
la proximité du prédateur est suggérée par les sonorités de basse
fréquence. Prokofiev avait compris l’efficacité d’une stimulation
acoustique pour déclencher un processus de neuroception*, et il a
utilisé cette intuition pour construire sa narration.
Dr Buczynski : Quelles sont les caractéristiques acoustiques
d’une IRM ?
Dr Porges : L’IRM produit un apport massif de basses fréquences.
En général, l’ambiance acoustique des hôpitaux est dominée par des
sons de basse fréquence comme les sons produits par les systèmes
de ventilation, les équipements médicaux… Notre système nerveux
répond de façon inconsciente à ces caractéristiques acoustiques et
les interprète comme si elles provenaient d’un prédateur, orientant
notre état physiologique sur des comportements de fuite ou de lutte
ou même sur la perte de conscience.

84 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

ENGAGEMENT SOCIAL ET ATTACHEMENT*


Dr Buczynski : Parlons un peu maintenant de l’attachement et du
rôle d’un attachement précoce.
Dr Porges : En étudiant la littérature sur l’attachement, j’ai noté
l’absence d’un point important. Il s’agit du « préambule de l’attache-
ment ». Dans la théorie polyvagale, ce point est décrit sous le terme
d’engagement social. J’ai pensé séquencer le développement de liens
sociaux solides en deux phases : l’engagement social, puis l’établis-
sement de liens.
Commençons par l’engagement social. C’est un processus qui
utilise les vocalisations, l’écoute* des intonations d’une voix, l’obser-
vation des expressions faciales et de la gestuelle d’un interlocuteur. Il
y a aussi les comportements ingestifs, comme ceux d’un enfant que
l’on nourrit ou ceux des adultes partageant un bon repas, ou organi-
sant par exemple dans un but convivial une soirée, ou un apéritif. Les
comportements ingestifs utilisent les mêmes voies neurales que celles
du comportement social. En un sens, les comportements ingestifs
nous apaisent ou créent un contexte engageant et agréable. Quand
l’engagement social est effectif, la distance psychologique se réduit,
et la distance physique aussi.
Lorsque nous étudions le développement du jeune enfant, nous
pouvons constater qu’il est peu sélectif tôt dans sa vie, vis-à-vis des
personnes avec lesquelles il interagit. Il s’adapte facilement, ce qui lui
permet d’être porté par différentes personnes. Mais tout en grandis-
sant, sa neuroception* de la sécurité devient de plus en plus sélective
dans les identifications familières, ce qui le protège et assure sa survie.
Je travaille avec des enfants autistes, et leurs parents rapportent
souvent que ces enfants sont effrayés par leur père. Qu’est-ce que
cela signifie ? Cela veut dire qu’ils sont effrayés par la voix de leur
père. Pourquoi ? Parce qu’il y a dans une voix masculine des sons
de basse fréquence qui nous évoquent les sons émis par un éven-
tuel prédateur. Donc, nous pouvons comprendre que de nombreux
comportements observés dans certains troubles sont en réalité des

85
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

comportements adaptatifs, déclenchés par une neuroception* erro-


née due à une mauvaise interprétation des intentions d’un autre.
Revenons maintenant à votre question sur l’attachement*. Je
pense que la sécurité ressentie précocement conditionne l’aptitude
à développer par la suite des attachements sécures. Un ressenti de
sécurité précoce en présence de la famille, de soignants ou autres
induira plus tard une moindre vulnérabilité face à un traumatisme.
(Approfondissements au chapitre 12, La théorie polyvagale).

QUELS SONT LES POINTS COMMUNS ENTRE AUTISME*


ET TRAUMATISME ?
Dr Buczynski : Vous venez de soulever la question de l’autisme
et des traumatismes. Lorsque je préparais notre interview, j’ai trouvé
beaucoup de points communs entre l’autisme et les traumatismes, en
ce qui concerne l’audition.
Dr Porges : Oui, il y a des points communs dans différentes caté-
gories diagnostiques, non dans le sens d’une origine commune, mais
dans le partage des symptômes. C’est un vaste sujet où la science
et la pratique clinique ont des approches différentes de la santé et
de la maladie. La science s’intéresse aux processus, tandis que la
pratique clinique se penche sur la pathologie ou sur la spécificité
d’un diagnostic. Nous avons cru pendant longtemps que nommer
un désordre permettrait d’en améliorer la compréhension et le trai-
tement. Il semblerait cependant que, spécialement dans le domaine
de la santé mentale, le diagnostic ait un plus grand impact sur les
finances du praticien que sur la compréhension des mécanismes
sous-jacents à une pathologie, ce qui conditionne pourtant la qualité
d’un traitement. Bien souvent, l’établissement d’un diagnostic permet
au clinicien d’indiquer les codes de facturation pour les assurances,
mais a peu d’impact sur la connaissance des mécanismes neuro­
physiologiques sous-jacents.
Les chercheurs, en revanche, s’intéressent plus aux processus
sous-jacents qu’aux étiquettes posées sur un diagnostic. Plusieurs

86 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

de ces processus se retrouvent dans différents troubles. Les orga-


nismes de financements et les fondations se consacrant à une
pathologie spécifique ne s’intéressent pas à ces processus communs.
Malheureusement encore, les financements s’intéressant à ces
processus communs sont limités ou inexistants, puisque les subven-
tions sont accordées en fonction de l’identification de biomarqueurs
spécifiques à un diagnostic clinique. Bien que théoriquement tout
trouble mental soit censé être biologique et souvent impliquer la
génétique ou des structures cérébrales, l’aboutissement de dizaines
d’années de recherches en quête d’une signature biologique est loin
d’être impressionnant.
Un élément commun fréquemment constaté dans les différentes
perturbations mentales est l’hypersensibilité auditive ou hyperacousie.
Celle-ci n’étant pas spécifique à un trouble clinique précis, et n’étant
pas un critère diagnostique, elle n’a malheureusement pas suscité
d’intérêt dans la communauté de recherche sur la santé mentale.
Cependant, tout en comprenant les mécanismes sous-jacents à une
hyper­sensibilité auditive, nous découvrons l’existence d’un réseau
neural liant les hypersensibilités auditives à un appauvrissement des
expressions faciales, un manque de prosodie* et un contrôle vagal
du cœur atténué.
En observant attentivement des individus traumatisés, nous
constatons vite qu’ils n’aiment pas être en public, qu’ils sont déran-
gés par les bruits et certains sons, et ont fréquemment des difficultés
à extraire la voix humaine du fond sonore. Beaucoup d’individus
touchés par l’autisme* ont les mêmes difficultés. Les autistes souffrent
fréquemment d’un contraste entre leur audition et leurs capacités
d’écoute*, car ils sont hypersensibles aux sons, mais ont de grandes
difficultés à extraire et à comprendre la voix humaine.
Si nous observons des individus touchés par d’autres troubles,
comme la dépression* ou la schizophrénie, nous constatons souvent
les mêmes problèmes. Non seulement ces individus ont des troubles
liés à une hypersensibilité auditive, mais ils ont encore des difficultés

87
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

de régulation des états comportementaux, une expressivité faciale


appauvrie, un manque de prosodie*, et un état autonomique* carac-
térisé par une fréquence cardiaque élevée et une régulation vagale
du cœur réduite, ce qui favorise des comportements défensifs.
L’ensemble de ces processus, lié à l’expression et à la détection des
émotions, est intégré dans le système d’engagement social*, régulé en
partie par le tronc cérébral, lequel régule, à son tour, le nouveau nerf
vague ou système vagal mammalien.
Une personne ayant une expressivité faciale spontanée et une
belle prosodie* contracte également de façon efficace les muscles de
l’oreille moyenne*, ce qui lui permet d’extraire la voix humaine dans
un bruit de fond. Quand les personnes sourient et regardent leurs
interlocuteurs, les muscles de leurs oreilles moyennes se contractent.
Ainsi, elles peuvent plus facilement extraire la voix humaine d’un
bruit de fond.
Mais cela a un coût adaptatif, et, en tant qu’humains, ce coût
adaptatif nous le payons dans le comportement social. Le prix à
payer se traduit par une diminution de notre aptitude à entendre
les sons associés à la présence de prédateurs, c’est-à-dire les sons
de basse fréquence. Dans cette perspective, le comportement social
nous permet de mieux comprendre les troubles psychiatriques.
Chez les autistes ou chez les individus souffrant d’un syndrome de
stress post-traumatique* ou d’autres troubles, le système d’engage-
ment social* et la capacité d’atténuer les systèmes de défense sont
compromis. Un système d’engagement social compromis oriente
l’attention sur la détection de prédateurs, et permet par exemple à
un individu de mieux percevoir les pas de quelqu’un derrière lui.
Dans cet état bio-comportemental, le système d’écoute* oriente
l’attention sur l’environnement sonore de basse fréquence, et il
devient difficile alors d’extraire les hautes fréquences de la voix
humaine.
Dr Buczynski : Y a-t-il une différence dans les structures de leur
oreille moyenne ?

88 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Dr Porges : Oui, d’une certaine façon, mais ce n’est pas quelque


chose de permanent. Par exemple, dans quelle ville habitez-vous ?
Dr Buczynski : J’habite à Storrs, dans le Connecticut.
Dr Porges : D’accord. Si vous étiez dans le New Haven, dans un
lieu dangereux et que vous marchiez à côté de quelqu’un, et que cette
personne s’adresse à vous, prêteriez-vous attention à ses paroles, ou
chercheriez-vous plutôt à identifier d’éventuels bruits de pas derrière
vous ?
Dr Buczynski : Je resterais prudente.
Dr Porges : Rester prudente signifie que vous ne seriez pas restée
attentive aux propos de votre interlocuteur, mais que vous vous seriez
plutôt concentrée sur l’écoute des bruits des pas derrière vous. Quand
vous entrez dans un environnement inconnu, potentiellement dange-
reux, vous basculez du système d’engagement social* dans un système
de vigilance. Dans une perspective cognitive, nous dirions, par exemple,
que nous prêtons attention. Mais dans un modèle neurophysiologique,
il ne s’agit pas simplement de « prêter attention ». Nous avons changé
d’état physiologique ! Nous avons réduit le tonus neural des muscles
de l’oreille moyenne* en favorisant ainsi l’écoute* des sons de basse
fréquence émis par des prédateurs. Mais tout en faisant cela, nous
perturbons alors l’écoute et la compréhension de la voix humaine.
Dr Buczynski : Ceci se fait-il involontairement ?
Dr Porges : Oui ! Je l’espère, car si vous vous focalisiez sur une
voix, vous pourriez négliger des événements qui pourraient mettre
réellement votre vie en danger.
Dr Buczynski : Vous voulez dire que les gens ne prêteraient pas
attention au danger quand ils le devraient ? Que se passe-t-il struc-
turellement, physiologiquement ?
Dr Porges : S’ils ne se focalisent pas sur le danger et qu’ils se
focalisent sur la voix humaine, c’est que le système nerveux a donné
la priorité aux interactions sociales plutôt qu’à l’identification de
dangers éventuels.
Vous pouvez observer une grande variabilité dans la façon dont
le système nerveux de chacun accorde la priorité à la sécurité, ou

89
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

aux facteurs de risque. Lorsqu’un groupe d’individus arrive dans


un nouvel environnement, certains deviennent d’une façon réflexe
hypervigilants et stoppent leur participation à toute discussion, alors
que d’autres continuent leurs conversations, jusqu’à ce que quelqu’un
surgisse derrière eux et que quelque chose de dangereux se produise.
Si nous nous basons sur un modèle soulignant le côté adaptatif
de la régulation neurale des muscles de l’oreille moyenne*, nous
pouvons nous interroger sur le rôle potentiel de la régulation
neurale de ces muscles dans le retard d’acquisition du langage dans
différentes sous-populations. Si un enfant a un voisinage inquiétant
ou une famille non sécurisante, aura-t-il des retards de langage ?
Les enfants qui vivent dans ce type d’environnements sont habi-
tués à détecter des situations comme dangereuses et leur système
nerveux n’abandonne pas facilement cette aptitude. Leur retard de
langage serait-il dû à une véritable incapacité à « entendre » claire-
ment la voix humaine ? Lorsque les muscles de l’oreille moyenne*
ne se contractent pas de façon appropriée, les individus ont des
difficultés à comprendre la signification des mots. Quand le tonus
des muscles de l’oreille moyenne* est faible, les harmoniques des
hautes fréquences associées aux consonnes sont étouffées. Les indi-
vidus comprennent qu’on leur parle, mais ils ne comprennent pas
la signification des mots.
Dr Buczynski : Ils peuvent entendre les gens parler, mais ils ne
peuvent comprendre ?
Dr Porges : Oui, parce que la compréhension de la voix humaine
dépend de la détection des consonnes, à la fin des mots, qui sont
caractérisées par des fréquences plus hautes que la fréquence fonda-
mentale des voyelles. Je vais vous donner un autre exemple. En
vieillissant, nous perdons la capacité d’entendre précisément les très
hautes fréquences, et ceci nous empêche de comprendre ce que les
autres nous disent, spécialement lorsque l’on est dans une ambiance
bruyante.
Dr Buczynski : Certains d’entre nous, oui !

90 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Dr Porges : Certains, mais pas tous ! En tant qu’adultes matures,


lorsque nous entrons dans un bar ou un restaurant bruyant,
­entendons-nous la fin des mots lorsque l’on s’adresse à nous ? Nous
savons qu’on nous parle, nous entendons des mots, mais compre-
nons-nous ce qui est dit ? Lorsque nous nous retournons sur le passé,
lorsque nous étions adolescents, ou à l’Université, nous pouvions
faire des connaissances, écouter et parler dans des environnements
que nous percevons maintenant comme bruyants.
Dans notre jeunesse, nous ne cherchions pas nos mots, nous
entendions tout. Nous comprenions les propos des autres, parce
que nous avions un système nerveux qui régulait efficacement les
structures de l’oreille moyenne, mais ceci évolue avec l’âge. Que
deviendraient notre langage et nos relations sociales en l’absence de
régulation neurale de l’oreille moyenne ? Si notre régulation neurale
de l’oreille moyenne était compromise, comme c’est le cas chez les
personnes âgées, et que nous devions apprendre une nouvelle langue
comme un enfant, nous aurions alors de grandes difficultés. Nous
aurions du mal à extraire les mots d’un fond sonore. Je pense que c’est
le monde sensoriel expérimenté par de nombreux enfants autistes.
(Approfondissements au chapitre 17, La théorie polyvagale.)

TRAITEMENT DE L’AUTISME*
Dr Buczynski : Je voudrais revenir sur ce que cela signifie en termes
de traitement. Puisque nous parlons d’enfants autistes, commençons
par là et nous reviendrons ensuite au traitement du syndrome de
stress post-traumatique*.
Dr Porges : Nous pouvons regrouper le syndrome de stress post-
traumatique* et l’autisme*, puisque le point central est celui de savoir
si nous pouvons aider ou non les autres à se sentir en sécurité. La sécu-
rité est une notion importante, car elle touche différents domaines
comme le contexte, le comportement, les processus mentaux et l’état
physiologique. Si nous nous sentons en sécurité, nous avons alors accès
au circuit vagal myélinisé qui permet de contenir les comportements

91
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

de lutte-fuite* et les réponses de stress, mais nous avons aussi accès


à la régulation neurale des muscles faciaux véhiculant les émotions.
Ceci nous permet de baisser nos systèmes de défense, de nous impli-
quer dans le jeu* et de profiter agréablement de notre vie sociale.
Je voudrais développer dans cette discussion ce que l’on entend
par « jeu* ». L’incapacité de jouer avec les autres caractérise de
nombreuses personnes ayant une pathologie psychiatrique. Pourtant,
l’incapacité à jouer avec les autres ou à s’exprimer spontanément
et réciproquement avec de l’humour ne fait pas partie des critères
diagnostiques.
Je ne considère pas comme « jeux » les activités individuelles telles
que les jeux vidéo, l’ordinateur, ou l’utilisation de jouets. Je parle
plutôt de « jeu » en termes d’interaction sociale. Le jeu* implique une
mobilisation, via le système nerveux sympathique, des interactions
en face à face et l’activation du système d’engagement social* pour
contenir l’excitation sympathique. Vu ainsi, un jeu* interactif est
un exercice neural* efficace utilisant les interactions sociales, pour
co-réguler l’état physiologique et comportemental. Au contraire, les
jeux individuels, comme les jeux vidéo et informatiques, ne sont que
des tentatives d’autorégulation*.
Dr Buczynski : Pourriez-vous développer un peu plus ? J’aimerais
que tous puissent saisir ce que nécessite le jeu*.
Dr Porges : Je peux vous décrire, par exemple, la façon de jouer
de mes chiens. J’ai deux petits épagneuls japonais. Fréquemment ils
courent l’un derrière l’autre dans toute la maison, jouant à se chas-
ser. Dans ce jeu*, ils essayent de se mordre mutuellement les pattes
arrière. Lorsqu’ils y parviennent, celui qui a été attrapé se retourne et
regarde l’autre. Ces interactions en face à face sont importantes pour
différencier le jeu* d’un comportement agressif. Les interactions en
face à face donnent au chien mordu les moyens de comprendre qu’il
s’agit d’un jeu, et non pas d’une agression. Dans ce cas, le système
d’engagement social*, à travers les interactions en face à face, contient
fonctionnellement les comportements de mobilisation, pour éviter

92 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

qu’ils ne s’amplifient et ne se transforment en comportements de


fuite et de lutte agressifs.
Dans mes conférences, je montre souvent la vidéo de deux joueurs
célèbres de basket, Dr. J et Larry Bird, qui sont de bons amis. On les
voit participer à la réalisation d’une publicité pour des chaussures
de basket. Ils jouent l’un contre l’autre avec de nombreux contacts
physiques, beaucoup de heurts et de chocs. Au cours de cette activité
physique, Dr. J a blessé accidentellement Larry Bird au visage. Larry
Bird est tombé à terre et Dr. J est parti sans le regarder. Dr. J n’a donné
ainsi à Larry aucune excuse, aucun signe permettant de distinguer
la mobilisation ludique des comportements agressifs typiques de la
fuite et de la lutte. Larry Bird a violemment réagi, a rattrapé Dr. J, l’a
bousculé et ils ont commencé à se battre.
Ces deux exemples nous permettent de comprendre l’importance
des interactions en face à face chez les humains ou tout autre mammi-
fère pour réparer une maladresse. Lorsque nous jouons, nous nous
mobilisons avec des changements d’état physiologique qui pourraient
devenir potentiellement des comportements défensifs de fuite ou de
lutte. Nous modérons nos réactions défensives en nous regardant.
Si nous blessons quelqu’un par maladresse, nous nous excusons.
Nous utilisons notre voix et nos expressions faciales pour diminuer
le risque que ce geste puisse être interprété comme agressif.
Le jeu* implique la mobilisation, mais rien ne dit que cette mobili-
sation ne puisse pas se transformer en agressivité. C’est pourquoi le jeu
nécessite des interactions en face à face. Pendant le jeu, nous ajustons
réciproquement des comportements ressemblant aux comportements
de fuite-lutte, mais s’accompagnant d’interactions en face à face. On
retrouve cette dynamique dans les jeux d’autres mammifères.
La danse entre adultes est une autre forme d’interaction où le
mouvement et le contrôle du mouvement sont guidés par les inter­
actions en face à face. La plupart des sports d’équipe nécessitent des
interactions en face à face, au moins du regard, et le cas échéant,
avec la voix.

93
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Courir sur un tapis roulant n’est pas un jeu*. Le jeu, dans une pers-
pective polyvagale, n’est pas un exercice individuel. C’est plutôt une
dynamique interactive qui nécessite, parmi les moyens du système
d’engagement social*, des interactions en face à face et une voix
prosodique.
Dans cette perspective, le jeu* ne constitue pas un entraînement à
l’agressivité. C’est plutôt un exercice neural* utilisant le système d’en-
gagement social* propre aux mammifères pour s’entraîner à contenir
les comportements de fuite ou de lutte, et apprendre à neutraliser et
« sociabiliser » ce système défensif. Le jeu est un exercice neural dans
lequel nous régulons un système de mobilisation, phylogénétiquement
ancien et basé sur le système nerveux sympathique*, avec un système
plus récent, celui du système d’engagement social* comportant les voies
du nerf vague myélinisé. Il est important de noter que les personnes
victimes de troubles sévères expriment des difficultés dans le jeu*.
Dr Buczynski : Pouvons-nous parler du traitement ?
Dr Porges : Le but est de pouvoir préalablement induire un
ressenti de sécurité chez le patient, ressenti nécessaire à l’efficacité du
traitement. Le succès d’un traitement résulte souvent de la pratique
d’exercices neuraux induisant un état de sérénité, permettant au
patient qui en a les ressources de baisser ses stratégies défensives
et de réguler son état à travers le système d’engagement social*. Le
recrutement du système d’engagement social, par des interactions en
face à face, fonctionne comme un exercice neural*, recrutant les voies
vagales myélinisées, tout en atténuant l’activité du système nerveux
sympathique. Le jeu* devient littéralement un modèle fonctionnel
thérapeutique entraînant la régulation neurale de l’état autono-
mique*, grâce à la réciprocité des interactions. Les groupes de parole
peuvent être considérés également comme un exercice neural*.
Une autre méthode pour que le patient puisse se sentir en sécurité
est de modifier l’environnement sonore des espaces thérapeutiques. Il
s’agit de supprimer les nuisances sonores qui induisent des états défen-
sifs, et de favoriser des sons qui apaisent et augmentent le sentiment de

94 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

sécurité. Supprimer les basses fréquences peut être très utile, puisque
notre système nerveux les identifie comme provenant d’un prédateur.
Diffuser une musique vocale douce ou des vocalisations prosodiques
peut favoriser l’apaisement d’un patient. Le clinicien doit s’adresser à
son patient avec une voix prosodique caractérisée par des variations
de l’intonation. Il faut moduler les intonations et non la force d’une
voix pour calmer, rassurer et induire un sentiment de sécurité. Si l’on
fait varier l’intensité de la voix, alors le patient peut se sentir agressé
et, d’une façon réflexe, s’orienter sur un état physiologique défensif.
Comme l’état physiologique contribue aux réactions des patients et
donc à leur ressenti, le clinicien doit respecter ce rôle important joué
par la neuroception* et essayer de trouver quels moyens, dans le
contexte d’une consultation, permettront de sécuriser le patient et
d’induire un climat de confiance. Quand le thérapeute a compris ce
rôle de la sensibilité neuroceptive qui conduit à un état défensif, il
peut trouver alors des indices pour comprendre comment aider un
patient et comment le conduire à la résilience, à travers des exer-
cices neuraux impliquant le système d’engagement social*. Au cours
de ces exercices neuraux, le thérapeute et le patient acquièrent une
meilleure compréhension de ce qui déclenche « réflexivement » la
défense. Cette approche permet au clinicien de comprendre le rôle
important des états physiologiques dans les comportements proso-
ciaux, mais aussi dans les réponses à un traumatisme. Cette nouvelle
compréhension des faits permet aux patients de diminuer la honte
ressentie à l’idée que leur trouble dépende de leur propre volonté, ou
corresponde à une certaine étiquette.
Je ne parle pas forcément de guérison. Je parle de chercher à réduire
un certain nombre de symptômes pour améliorer la qualité de vie des
personnes en souffrance. Si nous comprenons qu’un état physio-
logique est une plateforme fonctionnelle favorisant l’émergence de
différents types de comportements, alors nous prenons conscience
qu’un patient, dans un état physiologique défensif de fuite ou de
lutte, ne pourra avoir de comportements prosociaux. Le but essentiel

95
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

du traitement du traumatisme est de donner au patient la possibilité


d’accéder à un état physiologique ouvrant la voie à l’engagement
social. En développant ses aptitudes, le patient réalise que du fait de sa
neuroception*, ses opportunités d’engagement social n’existent que
dans des environnements sécurisants. Il est nécessaire de supprimer
les causes de déclenchement d’une neuroception* de danger ou de
menace. La suppression des basses fréquences peut être un bon point
de départ.
Dr Buczynski : Les hôpitaux devraient-ils insonoriser leurs locaux ?
Dr Porges : Oui, ils devraient créer des « zones protégées », à partir
desquelles la neuroception* favoriserait un état physiologique de
sécurité. Les hôpitaux ont besoin de ces zones, et non pas de zones de
vulnérabilité. Dans un hôpital, il y a peu d’endroits où se sentir bien
et en sécurité. L’espace personnel est vite envahi. Beaucoup d’entre
nous ont fait cette expérience.
Dr Buczynski : Oui, mais qu’est-ce que cela signifie ?
Dr Porges : Cela signifie que nous ne nous sentons pas en sécurité
à l’hôpital. Cela signifie que notre corps est vite dans un état défensif,
et non dans celui de la croissance et de la restauration. Être dans un
état défensif interfère négativement sur les processus de guérison.
Psychologiquement, on remplace la confiance par de l’hypervigilance,
ce qui veut dire que notre système d’engagement social* va être désac-
tivé, puisqu’il est inaccessible dans des environnements dans lesquels
les gens peuvent, par exemple, « vous faire n’importe quoi ».
Dr Buczynski : Oui. Un calendrier des interventions pourrait être
fourni pour permettre aux patients de s’organiser.
Dr Porges : Le système nerveux aime le prévisible.
Dr Buczynski : Que dire à propos des traumatismes et du syndrome
de stress post-traumatique* ?
Dr Porges : Dans mes conférences, je commence par dire aux théra-
peutes : « Tentez quelque chose de différent avec vos patients. » Je leur
demande d’expliquer à leurs patients qu’ils devraient se réjouir de
leurs propres réponses corporelles, même si les états physiologiques

96 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

et comportementaux qu’ils expérimentent régulièrement limitent


leurs possibilités d’interactions sociales. Ils devraient être fiers de ces
réponses corporelles, car ces réactions sont des réactions de survie qui
leur ont sauvé la vie et ont minimisé leurs souffrances. S’ils avaient
lutté lors d’une agression potentiellement traumatisante, comme un
viol, ils auraient pu être tués. « Dites-leur de se réjouir de leurs propres
réactions corporelles plutôt que de se sentir coupables de ne pas avoir
été socialement capables de réagir, et observez leurs réactions. »
Ayant transmis ce message simple à leurs patients, les thérapeutes
m’ont envoyé par la suite des mails témoignant de nombreuses
améliorations spontanées. Ces mails montraient que les patients
avaient enfin commencé à se déculpabiliser.
Cet aspect coïncide avec un autre point fréquemment souligné :
il n’y a rien de tel que ces réponses que l’on qualifie de « mauvaises
réponses ». Ce sont simplement des réponses adaptatives. Tout
d’abord, notre système nerveux fait de son mieux pour assurer notre
survie, et nous devons le respecter. Lorsque nous acceptons nos
réponses corporelles, nous cessons de nous juger et nous devenons
plus respectueux de nous-mêmes. Cette attitude contribue fonction-
nellement au processus de guérison.
Maintenant, dans la plupart des thérapies, les patients se main-
tiennent dans l’idée que quelque chose ne va pas, corporellement
parlant. Les patients pensent qu’ils devraient changer, mais peuvent
aussi se sentir évalués au cours de la thérapie, et, étant évalués, ils ne
se sentent plus en sécurité et tombent par conséquent dans un état
défensif.
Dr Buczynski : Et c’est souvent le cas dans l’enseignement aussi.
Dr Porges : Oui. Je me suis documenté sur la pleine conscience
et j’ai compris que sa pratique exigeait un sentiment de sécurité.
Si nous ne nous sentons pas en sécurité, nous sommes neuro­
physiologiquement dans un état d’évaluation, ce qui s’oppose à un
ressenti de sécurité. Et si nous sommes dans un état défensif, nous ne
pouvons nous engager avec les autres et nous ne pouvons recruter ces

97
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

merveilleux circuits neuraux nous permettant d’exprimer les grandes,


créatives et bénéfiques potentialités d’un être humain. Si nous créons
des environnements de sécurité*, nous avons alors accès aux circuits
neuraux qui nous ouvrent les portes de la sociabilité, de l’apprentis-
sage et du bien-être.

LE LISTENING PROJECT PROTOCOL* : THÉORIE ET TRAITEMENT


Dr Buczynski : Vous êtes porteur d’un projet d’intervention théra-
peutique qui pourrait intéresser de nombreuses personnes.
Dr Porges : Oui, dans les années 1990, je recherchais un moyen
technique me permettant d’exploiter les potentialités de la théorie
polyvagale. Spécialement en ce qui concerne le système d’engagement
social*, la théorie indique que si nous utilisons une voix prosodique
pour solliciter les muscles de l’oreille moyenne* (ces muscles qui nous
permettent d’extraire la voix humaine dans un bruit de fond via un
feedback neural), alors cette écoute* modifiera l’état physiologique
et rendra les individus plus spontanément prosociaux. C’est avec
une voix extrêmement prosodique qu’une mère calme son enfant et
c’est ce qui devrait se produire lorsque nous écoutons des voix forte-
ment prosodiques, avec de grandes modulations tonales. Il s’agit d’un
moyen permettant de fournir au système nerveux des stimulations
acoustiques capables de provoquer une neuroception* de sécurité.
Nous avons obtenu des effets surprenants avec les enfants autistes
dans nos essais cliniques (Porges et al. 2013, Porges et al. 2014). Au
cours des dix dernières années, plus de 200 enfants et adultes ont
participé à nos recherches avec le Listening Project Protocol*. Nous
avons constaté une diminution des hypersensibilités auditives, une
amélioration des processus auditifs, du comportement social spon-
tané et de la régulation vagale du cœur.
Dr Buczynski : Ces 200 personnes étaient autistes ?
Dr Porges : Oui, la plupart présentaient les critères d’un trouble
du spectre autistique. Cependant, votre question en appelle d’autres,
notamment sur la façon de conduire la recherche avec des individus

98 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

autistes. Après avoir travaillé avec des enfants autistes, j’ai réalisé
qu’il y avait de nombreuses différences dans leurs symptômes et dans
leur façon d’agir. J’ai décidé de me centrer sur les hypersensibilités
auditives, car ceci me permettait d’intervenir dans un domaine utile
et peu controversé, surtout si l’on considère que les critères défi-
nissant l’autisme* sont peu organisés et peu conformes aux bases
­neurophysiologiques communes.
L’autisme* est un trouble très complexe qui ne touche pas
seulement l’individu autiste, mais toute une famille. Lorsqu’il est
question de traiter l’autisme, ceci soulève souvent de nombreuses
polémiques dans la communauté scientifique. Ce diagnostic s’ac-
compagne en effet d’un handicap tout le long d’une vie et repose sur
des causes génétiques et des fonctions cérébrales spécifiques non
identifiées. La communauté psychiatrique interprète facilement la
disparition de certains symptômes comme une erreur de diagnos-
tic, plutôt que comme une guérison. Afin de rester en dehors de ces
controverses, j’ai orienté mes recherches sur les hypersensibilités
auditives.
Pour expliquer le principe de fonctionnement de mon projet
thérapeutique, mon équipe de recherche avait besoin de trouver
une mesure objective du fonctionnement des structures de l’oreille
moyenne. Pendant les années 2000, avec Greg Lewis, un ancien
étudiant alors diplômé, nous avons conçu un appareil mesurant la
fonction de transfert de l’oreille moyenne*, en identifiant le plus
précisément possible les sons qui, à partir de l’oreille moyenne, attei-
gnaient le cerveau.
Nous avons appelé ce système le « middle ear sound absorption
system » ou MESAS (Porges & Lewis, 2011). Pour évaluer le Listening
Project Protocol*, nous avons utilisé le MESAS dans trois essais
cliniques. Grâce au MESAS, nous sommes en mesure ­d’évaluer si
notre intervention peut ou non modifier les caractéristiques acous-
tiques des sons qui vont jusqu’au cerveau ou rebondissent sur le
tympan. Lorsque les muscles de l’oreille moyenne* se contractent

99
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

convenablement, les harmoniques les plus aiguës de la voix humaine


passent à travers les structures de l’oreille moyenne et atteignent le
cerveau via le nerf auditif, alors que la plus grande partie de l’éner-
gie acoustique des sons de plus basse fréquence rebondissent sur le
tympan. Le tympan est comme une timbale. Si les muscles de l’oreille
moyenne* tendent convenablement le tympan, les sons plus doux,
plus aigus atteignent alors le cerveau. Si en revanche les muscles de
l’oreille moyenne* perdent leur tonus, le tympan devient plus flasque,
les sons les plus forts des fréquences graves atteignent le cerveau,
tandis que les sons aigus se perdent dans le fond sonore. En percevant
une majorité de sons de basse fréquence, notre système nerveux se
focalise sur ces sons, comme s’il cherchait à se préparer à la survenue
d’un éventuel prédateur. L’avantage de pouvoir identifier un préda-
teur devient malheureusement un inconvénient pour percevoir la
voix humaine.
Le dispositif MESAS permet de mesurer objectivement l’impact
fonctionnel des muscles de l’oreille moyenne* dans les processus
auditifs. Ce dispositif peut être utilisé à la fois pour quantifier les
différences individuelles dans les fonctions de transfert de l’oreille
moyenne, et pour identifier les difficultés de perception d’une voix
humaine dans un fond sonore. Même avec des individus en bonne
santé, nous pouvons en voir les effets. Le dispositif est capable de
mesurer objectivement les modifications de ces fonctions en réponse
au traitement. C’est un grand pas, puisqu’avant la réalisation de ce
dispositif, l’évaluation de l’hypersensibilité auditive était basée sur
une évaluation subjective du patient. Lorsque nous nous adressons à
des enfants, nous avons souvent des problèmes de compréhension,
et l’intervention des parents devient nécessaire pour « traduire » les
expériences subjectives de leurs enfants. Ils doivent être des obser-
vateurs attentifs de leur enfant, et être précis pour donner des
informations valides.
Un père m’a relaté une histoire intéressante concernant son fils
autiste, qui avait bénéficié du Listening Project Protocol*. Avant le

100 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

traitement, l’enfant se bouchait des doigts les oreilles pour se préser-


ver des sons qui le dérangeaient. C’est un geste fréquent chez les
enfants autistes. Un an après le traitement, l’enfant avait participé
aux Special Olympics. Le départ ayant été lancé d’un coup de pistolet,
tous les enfants sur la ligne de départ avaient stoppé brusquement et
s’étaient bouché les oreilles, mais lui non. Il était simplement parti
et avait ainsi gagné.
Il est établi que notre méthode soigne les hypersensibilités
auditives de nombreux enfants autistes. Mais un autre bénéfice
très important qui accompagne habituellement la réduction des
hypersensibilités auditives est l’amélioration du traitement cérébral
du son. En effet, avec la réduction de l’hypersensibilité auditive,
l’individu perçoit mieux la voix humaine et progresse dans l’acqui-
sition du langage. Bien que je n’aie pas essayé ce traitement dans
le syndrome de stress post-traumatique*, notre protocole est testé
actuellement sur des enfants victimes d’abus. Les premiers résultats
sont positifs.
Dr Buczynski : Vous disposez donc d’un moyen de mesurer l’hy-
peracousie chez ces enfants, mais comment les traitez-vous ?
Dr Porges : C’est vrai, je ne vous ai pas encore expliqué le proto-
cole, merci de me remettre sur les rails ! Le Listening Project Protocol*
est relativement simple. Il s’agit d’une stimulation acoustique particu-
lière. Dans ce protocole nous utilisons de la musique vocale parce que
nous cherchons à accentuer l’aspect prosodique de la voix humaine.
Rappelez-vous ce que je vous disais précédemment sur la proso-
die* de la voix. Lorsque nous écoutons une voix caractérisée par de
grandes modulations tonales, notre système nerveux nous plonge
fonctionnellement dans un état identique à celui ressenti lorsque
nous nous sentons en sécurité.
Partant de cette base, nous procédons à l’accentuation et à la
modulation des caractéristiques prosodiques de la voix contenue
dans les musiques par un algorithme conçu à cette fin. À l’écoute*,
c’est comme si, par moments, la musique disparaissait, puis revenait.

101
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Les sonorités sont très faibles pendant quelques instants, puis rede-
viennent plus riches, et ensuite plus faibles à nouveau. Alors que le
son s’affaiblit, nous avons des difficultés à entendre et ressentons
aussi une sensation de manque, mais dès que le son revient, nous
retrouvons une sorte de plénitude, de satisfaction. En modulant les
bandes de fréquence, nous nous sentons comme sortis et réintro-
duits dans un environnement acoustique. L’intervention consiste à
amplifier la prosodie* et non le volume. Ceci contribue à donner des
qualités plus mélodiques aux vocalisations, avec plus de variations
dans les intonations. Les sons de basse fréquence, qui généralement
déclenchent une réaction de défense, sont supprimés.
L’objectif de cette intervention est de mobiliser les voies neurales
impliquées dans la détection de la sécurité, normalement recrutées
pendant l’écoute* de voix prosodiques, comme celle d’une mère
calmant son enfant. L’enfant écoute ces stimuli acoustiques modi-
fiés dans une pièce tranquille. Ainsi, ses difficultés d’interaction avec
autrui sont respectées.
Deux choses sont prioritaires : l’une, que l’enfant se trouve
dans un état de calme physiologique favorisant le sentiment de
sécurité, et la seconde, exposer l’enfant à des stimulations acous-
tiques modulées. C’est seulement quand le système nerveux n’est ni
hypervigilant, ni sur un mode défensif, que les muscles de l’oreille
moyenne* peuvent être régulés efficacement et permettre à l’enfant
de ressentir les bénéfices des musiques modulées. Il s’agit d’un
exercice neural* basé sur une écoute* passive présentant un intérêt
intrinsèque pour le système nerveux, « pré-câblé » pour les vocali-
sations prosodiques.
L’observation des enfants bénéficiant de ce type de t­raitement
permet de voir se concrétiser, dans un visage, la « mise en place »
du système d’engagement social*. Les muscles faciaux commencent
à s’animer, la prosodie* augmente d’autant plus que les enfants
acquièrent la possibilité d’écouter leur propre voix. Fonctionnelle­
ment, l’intervention améliore aussi la régulation vagale du cœur,

102 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

ce qui calme l’état physiologique et rend les voix plus prosodiques.


[Le Listening Project Protocol* est aujourd’hui disponible pour les
cliniciens à travers les Integrated Listening Systems en tant que Safe
and Sound Protocol : un portail pour l’engagement social. http://
integratedlistening.com/ssp-safe-sound-protocol/].

MUSIQUE, SÉCURITÉ* ET INTIMITÉ


Dr Porges : Vous souvenez-vous du chanteur Johnny Mathis ?
Dr Buczynski : Oui, bien sûr !
Dr Porges : Vous l’avez dit sur un ton nostalgique. Dites-moi, que
pensez-vous de la voix de Johnny Mathis ?
Dr Buczynski : C’était pour moi une voix douce et mélodique.
Dr Porges : Oui et physiologiquement, lorsque vous entendiez sa
voix, comment vous sentiez-vous ?
Dr Buczynski : Calme, et sa voix tournait en boucle dans ma tête.
Dr Porges : L’écoutiez-vous dans des contextes particuliers ?
Dr Buczynski : Cela aurait pu !
Dr Porges : Les adolescents écoutaient volontiers Johnny Mathis
dans les moments d’intimité, n’est-ce pas ?
Dr Buczynski : Exactement !
Dr Porges : Nous ne savions pas à l’époque que c’était la prosodie*
de la voix de Johnny Mathis qui déclenchait en nous une neurocep-
tion* de sécurité. En nous sentant en sécurité, nous ne craignions
plus le contact physique. En un sens, Johnny Mathis a largement
diffusé le sentiment de sécurité. Si vous portez attention à votre
ressenti et à vos réponses corporelles pendant l’écoute* de Johnny
Mathis, vous comprendrez intuitivement le fonctionnement des
thérapies basées sur la rééducation de l’écoute. Les modulations de
la voix dans les chansons de Johnny Mathis, comme celles d’une
mère chantant une berceuse à son bébé, activent le circuit neural qui
permet à tous de se sentir en sécurité. Le simple fait de visualiser et
de penser aux chansons de Johnny Mathis transforme les intonations
de notre voix.

103
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Le Listening Project Protocol* n’est pas un traitement à long


terme. Il suffit de cinq sessions d’une heure sur cinq jours consé-
cutifs. Les effets, s’ils se produisent, débutent et commencent à être
observés normalement après le troisième jour. Les deux premiers
jours sont vraiment pour l’enfant l’occasion de se familiariser avec
l’environnement.
Pour imager les choses, je dirais que notre système nerveux attend
que Johnny Mathis fasse tomber nos défenses. Nous sommes simple-
ment assis et dès que nous entendons une voix prosodique, une
réponse neurale modifie notre état physiologique.
Contrairement à l’impact séduisant de la prosodie* d’une belle
voix, la voix monotone d’un professeur universitaire nous ennuie,
et c’est un autre exemple de la façon dont la neuroception* oriente
notre état physiologique. Une voix monotone ne stimule pas notre
intérêt et bien au contraire, elle nous endort. Lorsque quelqu’un
parle d’une voix monotone, il est difficile de comprendre ce qu’il dit.
Beaucoup pourraient se souvenir du rôle joué par Ben Stein, il en
était la caricature.
Un interlocuteur n’engage pas la conversation si une voix n’est
ni engageante, ni motivante. L’importance du pouvoir attractif de la
voix est souvent sous-estimée, spécialement dans le monde éducatif.
Nous sommes plutôt portés à nous intéresser à la signification des
mots, et non à l’intonation avec laquelle ils sont prononcés.
Les thérapeutes doivent comprendre que la qualité du cadre
thérapeutique est extrêmement importante pour assurer le succès
d’une thérapie. Un fond sonore bruyant peut changer l’état physio-
logique du patient et limiter son investissement dans la thérapie. De
plus, ce ne sont pas seulement les mots utilisés par le thérapeute,
mais aussi l’intonation de sa voix qui déclenchent chez le patient
une neuroception* de sécurité. La perspicacité et l’intuition d’un
thérapeute sont moins puissantes que les propriétés acoustiques
de l’environnement thérapeutique et les intonations vocales du
thérapeute.

104 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Dr Buczynski : Avez-vous testé sur des personnes âgées cette


méthode d’entraînement des muscles de l’oreille moyenne* pratiquée
chez les enfants autistes, pour voir s’il était possible d’améliorer leur
capacité d’écoute* ?
Dr Porges : J’y ai songé. Votre intuition est bonne. Avancer en
âge contribue à une détérioration fonctionnelle du système auditif.
J’ai eu envie de tester sur moi-même les effets d’une prolongation de
la durée du Listening Project Protocol*. Je voulais connaître les effets
d’une overdose. C’était la fatigue qui m’inquiétait le plus, puisque les
contractions très rapides des muscles de l’oreille moyenne* peuvent
fatiguer rapidement.
J’ai écouté le programme d’écoute* 6 à 8 heures par jour pendant
quelques jours. Je suis devenu si sensible aux hautes fréquences que
je ne pouvais même plus rester à mon bureau avec un ordinateur en
marche, le ventilateur étant devenu trop fort pour moi. Je devenais
même capable de percevoir les très hautes fréquences, alors qu’elles
se dissipent normalement sur une courte distance. J’entendais mes
enfants parler même s’ils étaient dans une pièce à l’autre bout de la
maison. J’étais tellement sensible à la bande fréquentielle de la voix
humaine, que je ne pouvais l’ignorer. J’ai mis deux semaines pour
rétablir une sensibilité auditive normale. Maintenant, je me montre
très prudent et très respectueux des sensibilités auditives de chacun
et des vulnérabilités de mes patients.
En formulant les paramètres acoustiques du protocole d’écoute, j’ai
compris que l’entraînement des petits muscles de l’oreille moyenne*
induit rapidement de la fatigue. Quand ces muscles fatiguent, le corps
s’épuise. Beaucoup de patients se sont sentis épuisés pendant les
séances d’écoute, même s’ils ne faisaient qu’une heure de traitement
par jour. Certains patients nous ont dit dormir profondément après
les sessions. J’ai émis l’hypothèse que leur épuisement était consécutif
à la fatigue de ces très petits muscles et à l’envoi d’un feedback de cette
fatigue au système nerveux. Il semble que le feedback envoyé par ces
muscles minuscules soit plus puissant que celui des muscles sollicités
pendant une course de plusieurs kilomètres.

105
Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

Dr Buczynski : Un grand entraînement de ces muscles les rend-il


plus endurants ?
Dr Porges : Oui. Pour certaines personnes ayant une bonne
écoute* et un bon engagement social le tonus des muscles de l’oreille
moyenne* s’accroît. Cependant, pour d’autres, le tonus neural de ces
muscles peut se trouver réduit en réaction à une maladie ou à un
événement traumatisant, comme l’exposition à un danger ou à une
menace vitale, ce qui entraîne un accroissement de la sensibilité aux
sons de basse fréquence, évoquant la présence d’un danger potentiel.
Cependant, une fois que le tonus neural de ces muscles est conve-
nablement rétabli, dans un environnement sûr, les aspects positifs
de l’engagement social fournissent une récompense, et le système se
perpétue. En un sens, la réactivation des muscles de l’oreille moyenne*
enrichira les bénéfices des échanges mutuels. Lorsqu’un enfant parle
à ses parents et que ses parents le regardent, lui prêtent attention et
l’écoutent, se créent au sein de la famille des interactions réciproques
permettant à l’enfant de s’impliquer, de parler et ­d’écouter toujours
plus.
Malheureusement, beaucoup de parents ne répondent pas aux
sollicitations de leurs enfants. De nombreux enfants sont venus dans
mon laboratoire pour suivre le traitement. Rencontrant le père d’un
enfant qui avait participé à l’une de mes recherches, je lui ai demandé
des nouvelles de son enfant. Il a détourné la tête tout en me répondant
que son enfant allait très bien. Son comportement m’a déconcerté, a
déçu mes attentes et perturbé mon engagement. Je lui ai dit alors : « Si
vous tournez la tête quand vous vous adressez à lui, votre enfant aura
rapidement des problèmes. Vous ne pouvez tourner la tête quand
vous vous adressez à lui. Si c’est involontaire, vous devez vous surveil-
ler. » Si ce père avait continué ainsi, il aurait pu freiner l’engagement
social de son fils.
En tant qu’espèce, nous sommes très adaptables. Si nous sommes
issus de familles où les parents sont dépressifs ou chaotiques, nous
nous « adapterons » à l’absence d’engagement familial, et notre

106 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Théorie polyvagale et traitement des traumatismes

système d’engagement social sera déprimé. Si le système d’engage-


ment social est ainsi contré, nous risquons de subir nous-mêmes
d’autres troubles. Cela ne signifie pas que nous serons bloqués dans
ces troubles à vie, mais que ce système, bien ­qu’insuffisamment solli-
cité, pourra devenir à nouveau disponible, à condition d’être stimulé
d’une façon appropriée. Le Listening Project Protocol* a été développé
pour stimuler un système d’engagement social déprimé et pour en
optimiser les fonctions même s’il semble compromis.
Dr Buczynski : Stephen, merci pour votre travail qui changera la
vie de beaucoup de personnes, j’en suis sûre. C’est un changement
de paradigme et je vous en remercie, j’ai beaucoup de respect pour
votre travail.

107
3
Autorégulation et engagement social

Stephen W. Porges et Ruth Buczynski

VARIABILITÉ DE LA FRÉQUENCE CARDIAQUE*


ET AUTORÉGULATION* : QUELLE RELATION ?
Dr Buczynski : Nous pouvons comprendre maintenant comment
des fonctions inconscientes comme la fréquence cardiaque et la
respiration sont liées à l’environnement social, la confiance et
l’intimité. Ces fonctions jouent un rôle important dans le traite-
ment de l’anxiété*, de la dépression*, des traumatismes et même
de l’autisme*.
Mais si notre système nerveux interfère dans nos relations avec
autrui, la réciproque est vraie aussi. La qualité de nos relations avec
les autres influence notre propre système nerveux. Stephen, vous
avez remarqué que certains individus ayant une grande variabilité
de la fréquence cardiaque* (donc doués pour s’autoréguler) semblent
être différents, dans leurs réponses à un traumatisme ou à d’autres

109
Autorégulation et engagement social

expériences, des personnes ayant une faible variabilité de la fréquence


cardiaque*, et qui sont incapables de s’autoréguler.
Dr Porges : L’observation de la périodicité de notre fréquence
cardiaque nous permet de voir précisément comment notre système
nerveux régule notre propre corps. Lorsque la courbe de notre
fréquence cardiaque montre de belles oscillations périodiques, c’est
un signe de bien-être et d’un état homéostatique bien régulé.
Lors d’une perturbation, le feedback neural de la périphérie
– ­c’est-à-­dire de nos viscères, de notre cœur – sur notre cerveau
change, témoignant de la régulation vagale de notre cœur. Cette
régulation vagale sur le cœur est représentée dynamiquement par l’am-
plitude de la composante périodique de la variabilité de la fréquence
cardiaque*, connue sous le nom d’arythmie sinusale respiratoire*.
Plutôt que de parler de corrélations physiologiques avec des états
psychologiques, il faudrait considérer les réponses physiologiques
face aux défis comme le reflet d’une capacité d’adaptation dynamique
de notre système nerveux, et l’aptitude de notre organisme à traduire
ces ajustements.

LES PRINCIPES ORGANISATEURS DE LA THÉORIE POLYVAGALE


Dr Buczynski : Votre théorie fournit les principes organisateurs de
l’expérience affective humaine, et je dirais que dans votre démarche,
vous intégrez deux domaines en quelque sorte très différents, science
et thérapie. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Dr Porges : Il m’a été difficile de comprendre comment notre
état physiologique était lié à notre mental et à nos états compor-
tementaux. Ceci a constitué une expérience magnifique pour moi
de pouvoir mêler la recherche et mon activité professionnelle pour
comprendre les fonctions de notre système nerveux et notre mode
de fonctionnement réel.
Les concepts de la théorie polyvagale sont relativement simples,
mais ils sont restés insaisissables pendant des décennies, voire même
des siècles. Ils ont été identifiés grâce à la compréhension des réponses

110 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

du système nerveux aux défis environnants depuis une perspective


évolutive, et en considérant les modifications de la physiologie et
du comportement comme des stratégies adaptatives liées à la survie.
Pour les mammifères, les stratégies fonctionnellement adaptatives
sont comme une récapitulation de notre histoire phylogénétique.
Elles résultent de la façon dont notre système nerveux autonome* a
évolué, au cours de l’évolution des vertébrés, dans la transition des
reptiles disparus aux mammifères.
Dr Buczynski : Cette évolution n’est pas seulement une évolution
biologique, mais une évolution génétique.
Dr Porges : Oui, le système a changé et a donné celui des mammi-
fères, dont nous faisons partie, avec différentes fonctions adaptatives.
Donc, la clé pour saisir la théorie polyvagale est de comprendre que
les humains, en tant que mammifères, ont besoin d’interactions avec
d’autres humains.
L’élément essentiel est d’être en capacité d’interagir, pour réguler
réciproquement nos états physiologiques, et de créer des attache-
ments réciproques permettant un ressenti de sécurité.
Si nous considérons ces éléments comme un besoin constant
dans tous les aspects du développement humain et même lors du
vieillissement, alors les différentes manifestations de l’attachement*
(amitié, amour, intimité) prendront un sens. Mais, le harcèlement,
les problèmes et les conflits entre individus prennent aussi leur sens.
Notre système nerveux a impérativement besoin d’interactions réci-
proques pour ressentir la sécurité. L’interruption des interactions
réciproques est un facteur de développement dysfonctionnel.
Généralement, les gens pensent que ce qui relève du comportement
n’est pas physiologique. Mais la théorie polyvagale met en évidence,
bien au contraire, que le comportement relève de la physiologie et
que les voies neurales qui soutiennent l’interaction et le comporte-
ment social sont communes aux voies neurales soutenant la santé, la
croissance et la restauration. Ce sont les mêmes voies. Les sciences
corps-esprit et corps-cerveau ne sont pas corrélatives mais sont les
mêmes choses vues dans des perspectives différentes.

111
Autorégulation et engagement social

Dr Buczynski : J’aimerais que vous développiez ceci : « les voies


neurales sont partagées ».
Dr Porges : Il existe des voies neurales de soutien social. À
nouveau, dans le domaine de la psychologie sociale et de la méde-
cine comportementale, les gens s’intéressent à la façon dont l’amitié
ou la proximité favorisent la santé, la guérison d’une blessure, d’une
maladie, ou d’expériences perturbantes.
On considère souvent qu’il s’agit simplement d’un problème
d’éthique sociale : « Il faut soutenir les autres, il faut les traiter avec
humanité. » Ce n’est pas vraiment le problème. En réalité, les interac-
tions sociales appropriées utilisent les mêmes voies neurales que celles
assurant la santé, la croissance et la restauration. Placer un malade
dans un lieu où il ne se sent pas en sécu­rité ne l’aidera pas. Il faut
comprendre que le système nerveux humain, comme celui de tous
les mammifères, est en quête permanente de sécurité, et « nous avons
réellement besoin des autres » pour la ressentir. (Approfondissements
au chapitre 2, La théorie polyvagale.)

ALTÉRITÉ ET SENTIMENT DE SÉCURITÉ


Dr Buczynski : Il y a trois ou quatre ans de cela, ont été conduites
des recherches sur les échecs thérapeutiques. Un groupe de personnes
malades a été recruté et on les a réparties dans deux groupes au hasard.
Les unes étaient chaudement entourées et bénéficiaient d’une écoute*
empathique, les autres ont reçu leur traitement sans aucune chaleur,
ni gentillesse. Le groupe ayant bénéficié d’empathie et de gentillesse
a récupéré plus vite.
Dr Porges : Oui, cela a un sens physiologiquement parlant, et nous
n’en comprenons pas assez l’importance en thérapie.
Dr Buczynski : Quel est le rapport avec la physiologie ?
Dr Porges : Notre comportement social a un impact sur notre état
physiologique, c’est-à-dire sur notre système nerveux autonome*. La
sécurité ressentie permet à une personne malade ou affaiblie de ne
pas être sur la défensive. Quand nous sommes dans un état défensif,

112 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

nous consacrons nos ressources métaboliques à la défense. Lorsque


nous ressentons de la peur, ceci retentit non seulement sur nos capa-
cités à être créatif et à aimer, mais aussi sur nos opportunités de
guérison.
Les voies neurales de la restauration et de la santé se chevauchent
avec les voies du système d’engagement social. Pour être plus précis,
il s’agit des voies vagales qui convoient l’information du cerveau à la
périphérie nous signalant la sécurité et nous apaisant. Si nos voies
nerveuses supérieures détectent un risque ou un danger, alors cette
réponse apaisante des voies vagales s’annule et nous nous préparons
alors au combat ou à la fuite et ceci à travers un circuit phylogénéti-
quement plus ancien, le système nerveux sympathique* qui permet
de se défendre grâce à la mobilisation.
Selon la théorie polyvagale, le circuit neural le plus récent n’est
disponible que lorsque le corps détecte la sécurité. Favorisant le
calme de l’état viscéral, ce circuit améliore nos expressions faciales,
notre visage devient grâce à lui expressif, et notre voix prosodique.
Lorsque nous recevons ces signaux de la part des autres, notre corps
les intègre, se calme et nos expressions faciales deviennent positives.
Notre cortex temporal intègre ces informations transmises par la
voix et le visage des autres. Cette région cérébrale détecte les mouve-
ments biologiques et interprète les intentions d’une façon réflexe,
inconsciente. Si vous posez la main sur la tête d’un chien inconnu,
que peut-il se passer ? Le chien peut bondir et tenter de vous mordre.
Mais si vous approchez lentement votre main de son museau, il la
flairera, analysera vos mouvements comme un geste neutre d’enga-
gement, et ne sera pas sur la défensive. Le cortex temporal contribue
à l’interprétation des expressions faciales, de l’intonation de la voix et
de la gestuelle. Ces processus conduisent à une décision « neurale »
quant aux indices de sécurité et de danger environnants, et non à une
décision cognitive.
Dr Buczynski : Que se passe-t-il pour les personnes incapables de
détecter correctement ces indices ?

113
Autorégulation et engagement social

Dr Porges : Selon la théorie polyvagale, la capacité ou non d’inter-


préter correctement un contexte dépend de notre état physiologique.
Une personne mobilisée et dans un état défensif aura des difficultés
à détecter des indices de sécurité. Si cette personne est victime d’un
collapsus ou d’une dissociation*, il lui sera très difficile, pour ne pas
dire impossible, de détecter ces indices de sécurité.
Je voudrais développer cette notion et parler aussi des raisons qui
ont déterminé le développement de la théorie polyvagale. Les scien-
tifiques ont finalement compris et accepté l’existence des systèmes de
lutte-fuite* et des systèmes d’apaisement. Mais ils n’ont pas réalisé
que le système d’apaisement résultant de l’intervention du système
vagal myélinisé était lié à la régulation neurale des muscles de la
face et de la tête. Ceci constitue un élément capital de la théorie
polyvagale. Il est important de comprendre que le système nerveux
autonome* répond d’une façon prévisible et hiérarchisée, dans
laquelle seulement le nerf vague myélinisé peut amortir l’action du
système nerveux sympathique*. Et ce qui manquait, ou qui avait été
minimisé dans la littérature scientifique, c’est l’existence d’un ancien
système de défense entraînant un collapsus ou une mort simulée, tout
juste comme le ferait une souris dans la gueule d’un chat.
Notre éducation et notre culture nous ont conditionnés pour ne
pouvoir concevoir qu’un unique système de défense, à travers une
mobilisation accrue dans des comportements de fuite ou de lutte.
Notre vocabulaire limite aussi notre compréhension de la défense,
et nous utilisons le mot « stress » même dans le cas d’une violente
mobilisation défensive.
Comment les victimes de traumatisme décrivent-elles leurs réac-
tions ? Si vous êtes stressée, votre cœur s’accélère et vous vous sentez
tendue. Mais ces réactions ne sont pas toujours celles décrites par
les victimes de traumatisme ou d’abus. Interrogées, elles décrivent
aussi une perte de connaissance, une chute de tonus musculaire, un
collapsus, ou une dissociation*. Évoquant ces réactions à leurs théra-
peutes, ceux-ci interprètent que l’expérience traumatique de leurs

114 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

patients provoque une activation sympathique, pourtant dévolue à


la fuite ou à la lutte. Ce décalage, entre les explications du patient et
l’interprétation du thérapeute, peut perturber l’efficacité du proces-
sus thérapeutique, le patient se sentant incompris. Ceci reflète toutes
les difficultés que les personnes victimes d’abus et de traumatismes
rencontrent pour être comprises, car les cliniciens, la famille et les
amis ne disposent pas dans leur vocabulaire des mots décrivant préci-
sément ce concept d’immobilisation défensive.
Lorsque l’on parle des thérapies psychobiologiques (neuro­
sciences comportementales) ou des modèles étudiant le stress et
la peur, certains me demandent : « Vous êtes en train d’étudier la
peur ? » Je leur réponds alors : « De quelle peur me parlez-vous,
celle qui provoque une fuite, ou celle qui provoque l’évanouisse-
ment ? » Nous adoptons des représentations mentales et des concepts
psychologiques qui ne correspondent pas à nos réponses adaptatives
bio-comportementales.
Aujourd’hui, les psychotraumatologues considèrent que la théorie
polyvagale explique un certain nombre d’éléments cliniques rencon-
trés chez leurs patients. Avant la théorie polyvagale, certains éléments
demeuraient incompris. J’ai eu la surprise de voir que mes idées, nées
de l’explication de la bradycardie et de l’apnée chez les nouveau-nés,
puissent être transposées à des victimes d’abus ou de traumatisme. Je
suis heureux si les cliniciens et les patients trouvent dans la théorie
polyvagale un moyen de faire correspondre leurs récits personnels
avec les réactions corporelles leur ayant permis de survivre héroïque-
ment à un traumatisme.

NOS TROIS SYSTÈMES DE RÉPONSE AU MONDE


Selon moi, l’un des apports majeurs de la théorie polyvagale réside
dans la description des trois modalités de réponse autonomiques,
hiérarchi­quement organisées pour répondre séquentiellement à un
défi.
Dans un environnement sécurisant, nous pouvons détecter effi-
cacement et instantanément tous les indices sociaux, comme les

115
Autorégulation et engagement social

expressions faciales, la gestuelle et la prosodie*. Il est nécessaire de


souligner l’importance de l’environnement pour développer ces apti-
tudes. Assis dans un environnement clos, comme nous le sommes
tous les deux, dans une pièce avec quatre murs et une porte, aucun
de nous deux ne se soucie de ce qui se passe derrière lui. Nous nous
regardons mutuellement, sans éprouver le besoin de nous protéger
d’un danger potentiel. Si nous étions par contre dans un espace ouvert,
notre système nerveux serait constamment à l’affût d’un événement
pouvant survenir à notre insu ; nous chercherions à identifier les
risques potentiels. Mais il n’y a aucun danger ici.
Nous avons créé des environnements définis comme sûrs. Nous
répondons ainsi à un besoin de notre système nerveux. Il peut y
avoir des malentendus dans nos interactions en face à face, mais ces
­interactions sont cependant très utiles pour désamorcer ou résoudre
des conflits, d’autant plus que l’environnement y est favorable.
Nous apprécions que notre système nerveux sympathique* nous
permette le mouvement, l’alerte, l’exubérance. Mais utilisé comme
système de défense primaire, il devient dangereux pour les autres et
pour nous-mêmes. Lorsque notre système nerveux sympathique est
trop stimulé, nous devenons inquiets, nous risquons d’agresser dange-
reusement les autres, ou de mal interpréter leurs signaux. La théorie
polyvagale nous enseigne que si le système nerveux sympathique n’est
pas modulé par le circuit vagal myélinisé, il devient alors un système
de défense rendant difficiles toutes tentatives d’interactions.
Mais il existe un autre système de défense, le système d’immobili-
sation*, qui est aussi un système adaptatif. Il augmente le seuil de la
douleur et permet de supporter la violence d’un abus sans la ressen-
tir consciemment, ce qui permet de survivre. Mais cette stratégie
de survie entraîne certaines conséquences. Bien que l’évolution des
mammifères nous permette un passage très rapide de l’engagement
social à la mobilisation défensive, la façon dont nous avons évolué ne
nous permet pas de passer de façon efficace de l’immobilisation à la
mobilisation, ni de l’immobilisation à l’engagement social.

116 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

Si elles peuvent se défendre, les victimes d’abus se dégagent de


l’emprise de quelqu’un et fuient. Quant à l’immobilisation, lorsqu’elle
est utilisée en tant que stratégie défensive, c’est que notre système
nerveux ne peut pas se servir efficacement des deux autres systèmes,
celui de la lutte-fuite* ou celui de l’engagement social. Il est utile
de considérer ces réponses hiérarchisées comme des réponses adap-
tatives, chacune correspondant à un circuit particulier et ayant sa
propre utilité. Beaucoup de personnes vont en thérapie car elles ne
peuvent pas « sortir » du circuit vagal de l’immobilisation, elles n’ar-
rivent pas « à s’en sortir ».

LE PARADOXE DU VAGUE*
Il ne faut pas oublier que si le nerf vague intervient dans les
différentes manifestations du shutting-down (syncope, bradycardie,
apnée…), il intervient aussi dans l’engagement social et dans l’apaise-
ment. Ces manifestations vagales sont en effet paradoxales. La théorie
polyvagale est née de ma volonté de comprendre ce paradoxe.
Comment est-il possible que ces deux processus se produisent
sous l’action du même nerf ? Peut-on penser que le trop est l’ennemi
du bien ? Ceci n’avait pas de sens pour moi. Mes recherches sur les
nouveau-nés montraient que la bradycardie ne se manifestait qu’en
l’absence de variabilité de la fréquence cardiaque*. J’étais perplexe,
car la bradycardie et la variabilité de la fréquence cardiaque dépen-
daient toutes deux des voies vagales.
La bradycardie ne survenait que lorsque la variabilité de la
fréquence cardiaque avait une valeur minime. Cette observation a
stimulé ma curiosité. La recherche est un domaine fabuleux, car en
dehors des connaissances, elle nous conduit à nous interroger et à
formuler des hypothèses vérifiables.
Je me suis donc penché sur ce paradoxe* du nerf vague, en étudiant
les variations de la régulation neurale du cœur, et plus spécifiquement
en recherchant comment les fonctions du nerf vague ont changé au
cours de l’évolution dans l’embranchement des vertébrés. C’est un

117
Autorégulation et engagement social

domaine très intéressant dans lequel les recherches se poursuivent


toujours. On pourrait facilement penser que des recherches dans le
domaine de l’évolution de la régulation autonomique sont un travail
rébarbatif. Mais j’étais très désireux d’identifier les évolutions neurales,
dans cette transition des reptiles les plus primitifs aux mammifères.
Quel est le principal moyen de défense d’une tortue au-delà du fait
de rentrer sa tête ? L’immobilisation ! Nos ancêtres communs avaient
donc probablement un système nerveux autonome* comparable à
celui d’une tortue.
Les mammifères ont hérité de cet ancien système neural de
shutdown*, profondément ancré dans notre système nerveux, mais
rarement recruté, puisqu’il présente des risques. En tant que mammi-
fères, nous sommes tributaires de l’oxygène, et ralentir la fréquence
cardiaque ou stopper la respiration peut être dangereux. Cependant,
si la mobilisation ne nous sort pas du danger, notre système nerveux
peut automatiquement basculer sur ce système.
L’essentiel est de comprendre que les circuits physiologiques ou
les états que nous expérimentons ne sont pas sélectionnés volontai-
rement. Notre système nerveux évalue le risque et nous en sommes
inconscients. J’ai créé ce terme de neuroception* pour décrire la
capacité de notre système nerveux d’évaluer de façon inconsciente le
risque dans l’environnement.
Si par exemple vous vous sentez bien en ma compagnie, si la proso-
die* de ma voix est agréable, si mes gestes sont accueillants, si je ne
parle pas d’une voix profonde, si je ne vous donne pas de force ces
informations, alors vous n’aurez pas envie de fuir. Bien au contraire,
vous vous sentirez bien, vous écouterez mieux et vous resterez calme.
Si par contre j’adoptais le ton monocorde d’un professeur universi-
taire, vous lèveriez les yeux au ciel, vous perdriez tout intérêt, et vous
vous diriez que j’ai bien fait de ne pas devenir un clinicien !
Nous devons comprendre que si nous passons plus de temps à
rêvasser et à « interagir » avec des objets plutôt qu’avec les gens, nous
perdons progressivement nos capacités d’échanger et d’interagir avec

118 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

eux. Je vais y revenir bientôt. Mais je souhaiterais tout d’abord souli-


gner que la théorie polyvagale se sert de l’évolution comme un principe
organisateur pour déchiffrer et comprendre les dynamiques des
circuits neurophysiologiques régulant les états bio-comportementaux.
Phylogénétiquement, les premiers vertébrés ont hérité d’un nerf
vague non myélinisé, moins efficace pour réguler les états physio-
logiques que ne le fait le nerf vague myélinisé. Ce circuit vagal non
myélinisé a permis aux vertébrés les plus anciens de se défendre par
l’immobilisation, c’est-à-dire par la réduction de la demande méta-
bolique, la réduction de la demande en oxygène, la réduction des
besoins alimentaires.
Ensuite, avec l’évolution des vertébrés est apparu un système
nerveux sympathique* spinal chez les poissons osseux. Ce système
permet la mobilisation, la coordination des mouvements dans un
groupe, comme dans un banc de poissons. Lors d’une mobilisation
puissante, ce système devient un système de défense et s’oppose au
circuit de l’immobilisation.
Avec l’évolution des mammifères, sont apparues des modifica-
tions du nerf vague. Les mammifères ont une voie vagale myélinisée
différente de celle de leurs ancêtres. Ce circuit vagal récent permet
de contrer le système nerveux sympathique*. En inhibant activement
le système nerveux sympathique, le système vagal mammalien atté-
nue les comportements de défense, comme la fuite ou la lutte ; et
ceci suffisamment pour favoriser les comportements sociaux spon-
tanés, et l’optimisation des ressources métaboliques et des processus
homéostatiques. Lorsque nous nous montrons sociables et engagés,
nous réduisons nos demandes métaboliques, pour favoriser plutôt la
santé, la croissance et la restauration.
Il y a un autre élément important à souligner. Lorsque ce nerf
vague récent « apaisant » a émergé chez les mammifères, les aires du
tronc cérébral destinées à sa régulation se sont liées aux aires du tronc
cérébral qui contrôlent les muscles de la face et de la tête. Ces aires
du tronc cérébral gèrent à la fois notre aptitude à entendre à travers

119
Autorégulation et engagement social

l’action des muscles de l’oreille moyenne*, notre capacité d’articuler


grâce aux muscles laryngés et pharyngés, et notre capacité d’exprimer
nos émotions et nos intentions grâce aux muscles faciaux.
En tant que psychologue clinicienne, je sais qu’en regardant le
visage de patients, en écoutant leurs voix, on devine leur état physio-
logique, les aires contrôlant la face et le cœur étant interconnectées
dans le tronc cérébral. Une observation clinique importante, spécia-
lement chez les individus traumatisés, est la covariation entre une
inertie apparente du haut du visage et le manque de prosodie* de
la voix. Dans un tel contexte, il peut devenir difficile pour le patient
d’extraire la voix de son interlocuteur de l’ambiance sonore du fait
de sa sensibilité accrue aux bruits de fond.
Lorsque nous écoutons attentivement l’intonation et la prosodie*
d’une voix, nous comprenons l’état physiologique d’un interlocu-
teur. Si son état physiologique est calme, ceci se traduit par une voix
mélodique, et l’écoute* de cette voix nous apaise. Une autre façon de
voir le lien entre les vocalisations et l’écoute est de comprendre qu’il
y a longtemps, chez les mammifères, il existait une syntaxe et un
langage à travers les vocalisations. Les vocalisations constituaient une
composante importante des interactions sociales. Elles indiquent, aux
membres d’une même espèce, si un individu constitue un danger
ou non en s’approchant ou en pénétrant dans leur communauté.
(Approfondissements au chapitre 13, La théorie polyvagale.)

LE NERF VAGUE : UN CONDUIT DE VOIES MOTRICES


ET SENSITIVES
Dr Buczynski : Le nerf vague, prenant origine dans le tronc céré-
bral, constitue-t-il une famille de nerfs ou une voie neurale unique ?
Dr Porges : Vous pouvez voir cela sous différents aspects et vous
poser différentes questions : « D’où vient le nerf vague ? » Ou encore :
« Où va le nerf vague ? »
Les fibres vagales motrices vont du cerveau jusqu’aux organes, et
les fibres vagales sensitives aboutissent dans le tronc cérébral dans

120 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

différentes aires, mais émergent du cerveau dans un nerf commun,


une sorte de conduit. Imaginez le nerf vague comme une sorte de
conduit, ou encore un câble contenant de nombreuses fibres. Le nerf
vague n’est pas seulement un nerf moteur, c’est-à-dire un conduit
reliant le cerveau aux viscères, mais aussi un nerf sensitif, allant des
viscères au cerveau.
Vous connaissez maintenant les voies neurales expliquant beau-
coup de relations esprit-corps ou corps-esprit, cerveau-corps ou
corps-cerveau. Quatre-vingt pour cent des fibres du nerf vague sont
des fibres sensitives. Environ une fibre sur six des fibres motrices
est myélinisée. Ce peu de fibres vagales motrices myélinisées (envi-
ron 3 %) est extrêmement important pour fournir le premier
influx vagal moteur aux organes situés au-dessus du diaphragme.
La plupart des fibres vagales non myélinisées régulent les organes
sous-diaphragmatiques.
Il y a trois voies vagales* constituant les fibres sensitives, et deux
types de fibres motrices, les fibres motrices voyageant à travers le
nerf vague non myélinisé à destination des organes sous-diaphrag-
matiques, comme l’intestin, et les fibres motrices du nerf vague
myélinisé à destination des organes supra-diaphragmatiques, tels que
le cœur. Dans le tronc cérébral, les fibres sensitives (corps-cerveau)
aboutissent dans une aire connue sous le nom de noyau du tractus
solitaire* ; les voies motrices vagales myélinisées partent essentielle-
ment du noyau ambigu*, et les voies motrices vagales non myélinisées
partent principalement du noyau moteur dorsal du vague.
Pour pouvoir faire le lien entre ces voies et les symptômes cliniques,
il suffit de penser à l’état de santé et aux problèmes des patients. Ils
peuvent souffrir par exemple de problèmes gastriques et intestinaux,
dus potentiellement à l’action du nerf vague non myélinisé, recruté
comme un système d’immobilisation* défensive. Des problèmes
sous-diaphragmatiques peuvent apparaître aussi lorsque l’individu
utilise chroniquement le système d’alerte et de mobilisation lutte-
fuite* pour se défendre. Dans ce cas, l’activation du système nerveux

121
Autorégulation et engagement social

sympathique* réduit l’action du nerf vague non myélinisé favorisant


les fonctions homéostatiques, comme la digestion.
Dr Buczynski : La hiérarchie polyvagale signifierait que diffé-
rents circuits pourraient être affectés par un traumatisme. Est-ce
correct ?
Dr Porges : Selon la théorie polyvagale, lorsque nous sommes
confrontés à un défi, notre système nerveux s’oriente sur les voies
nerveuses les plus récentes utilisant, pour rétablir la sécurité, certaines
expressions faciales ou vocalisations. Si ces actions sont insuffisantes,
le système d’engagement social sera déprimé en même temps que
se développera une inhibition du tonus vagal*, c’est-à-dire du frein
vagal* sur le cœur, se traduisant par un accroissement de la fréquence
cardiaque favorisant une mobilisation dans le but d’anticiper une
éventuelle fuite ou lutte. Si cette démarche ne peut aboutir, le système
nerveux sympathique* montera en puissance pour potentialiser le
combat ou la fuite. Dans le cas d’une impossibilité de fuite, une perte
de connaissance peut alors survenir de façon réflexe, automatique.
Cette séquence d’événements correspond à la description de
nombreux récits de traumatismes spécialement chez les jeunes
enfants, ou dans des situations où il y a de grandes différences de
taille, ou encore dans une confrontation avec un agresseur armé.
Au fond, les indices de risque peuvent être transmis par différentes
voies neurales et aboutir à différents états physiologiques et compor-
tementaux. Ces réponses différentes, face à un déclencheur commun,
mettent en lumière le problème le plus délicat dans le traitement
des traumatismes. Le diagnostic d’un traumatisme et son traitement
sont malheureusement basés sur l’événement, et non sur les réactions
individuelles à un traumatisme, qui en constituent pourtant l’élément
le plus important.

TRAUMATISME ET ENGAGEMENT SOCIAL


L’immobilisation par la peur témoigne du recrutement du circuit
vagal ancien. Le système nerveux a subi des modifications au cours de

122 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

l’évolution, et ces modifications rendent difficile, chez les humains, la


possibilité de passer d’un état d’immobilisation dû à la peur à un état
de sécurité caractérisé par des comportements prosociaux.
Lorsqu’ils se retrouvent dans un état n’autorisant ni les compor-
tements prosociaux, ni un ressenti de sécurité, certains individus
tentent d’expliquer et de justifier pourquoi ils fuient les interactions
sociales et manquent tant de confiance dans leur entourage. Leur
système nerveux détecte un risque alors qu’il n’y en a pas et leur
narration justifie pourquoi ne pas aimer, faire confiance et s’engager
spontanément.
Comment aider alors ces individus à se sortir de ce cercle infernal
de défense et de justifications ? Comment inhiber les comportements
de mobilisation défensive ou les aider à se sortir d’un dangereux état
d’immobilisation, de sidération ?
La théorie polyvagale aborde ce problème en prenant en considé-
ration le cadre clinique. Dans une perspective polyvagale, le patient
doit pouvoir s’adapter et naviguer dans n’importe quel environne-
ment en ressentant physiologiquemet la sécurité. Pour y parvenir, il
a souvent besoin de l’aide d’un thérapeute, mais il peut cependant
rencontrer des craintes en sa présence. Le clinicien doit pouvoir
induire et potentialiser chez le patient un état de sécurité physique
et psychologique. Ce ressenti de sécurité étant acquis pour le patient,
alors pourra s’opérer un basculement de l’état physiologique suivi
de comportements prosociaux et d’une amélioration de la prosodie*
et des expressions faciales.
Je suggère aux cliniciens de procéder en deux étapes. Tout d’abord
sécuriser le patient. Ensuite, se souvenir que la neuroception*, dans
des environnements sûrs, diffère d’une neuroception* dans une situa-
tion dangereuse. Les environnements bruyants contiennent des basses
fréquences et ces sons orientent le système nerveux sur la détection
de prédateurs ; supprimer les basses fréquences et le bruit de fond
optimise le potentiel de guérison dans un espace clinique. Le calme
est important. Beaucoup de victimes de traumatismes se sentent

123
Autorégulation et engagement social

extrêmement mal dans les espaces publics. Elles refusent souvent


d’aller dans les restaurants, au cinéma, ou au théâtre. Lorsqu’elles
vont dans des centres commerciaux, elles se sentent paniquées, enva-
hies par les sons, les vibrations, la proximité des autres. Les sons
de basse fréquence et les vibrations des escalators les dérangent. En
sachant ceci, pourquoi ne pas créer des environnements où elles se
sentiraient plus en sécurité ?
Une fois que le patient est sécurisé, la stratégie thérapeutique
peut trouver son efficacité. Mais comment permettre l’accès au
système d’engagement social et s’assurer que le patient se sente en
sécurité ? Certaines opportunités de guérison sont ancrées dans
notre système nerveux. Écouter une voix prosodique, une musique
vocale dans l’intimité d’un cabinet, pourrait leur faire ressentir la
sécurité.

MUSIQUE ET RÉGULATION VAGALE


L’écoute* de musiques vocales fait partie des outils du Listening
Project Protocol* (voir chapitre 2), qui au départ a été mis en œuvre
pour les personnes autistes. L’intervention « entraîne » un exercice
des muscles de l’oreille moyenne* grâce à une exagération des modu-
lations de l’intonation de la voix, laquelle renvoie par rétro-action au
système nerveux une sensation de sécurité, qui modifie, à son tour,
l’impact vagal sur le cœur.
Dr Buczynski : Qu’avez-vous concrétisé dans ce projet thérapeu-
tique musical ?
Dr Porges : J’ai informatiquement modifié des musiques vocales.
Les musiques vocales, spécialement celles des voix féminines, sont
généralement dépourvues de sons de basse fréquence. Le traitement
informatique de la musique se base sur l’amplification et l’exagération
des modulations vocaliques. L’exagération de la prosodie* de la voix
déclencherait efficacement l’implication du circuit neural décelant et
répondant à une voix prosodique.

124 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

Ce traitement a été conçu pour recruter et exercer les circuits


neuraux qui détectent la prosodie*, laquelle, en recrutant les voies
neurales descendantes, augmenterait le tonus neural des muscles de
l’oreille moyenne*, ce qui permettrait l’atténuation de la perception
du bruit de fond et, de ce fait, une meilleure compréhension de la
voix humaine. Étant donné que les aires du tronc cérébral régulant les
muscles de l’oreille moyenne sont impliquées aussi dans la régulation
des expressions faciales, de la prosodie et des influences vagales sur
le cœur, ce traitement permet de stimuler le réseau neural de l’enga-
gement social dans sa globalité.
Pendant 15 années, j’ai traité l’hyperacousie en me basant sur une
hypothèse tout à fait plausible liant la régulation neurale des muscles
de l’oreille moyenne* aux processus de l’écoute* et à l’hypersensibilité
auditive. J’ai pensé que des modifications de la régulation neurale des
muscles de l’oreille moyenne pourraient avoir un impact sur les fonc-
tions de transfert de l’oreille moyenne, ce qui expliquerait le lien entre
les hypersensibilités auditives et les troubles du langage. Cependant,
bien que le Listening Project Protocol* ait réduit les hypersensibilités
auditives, et parallèlement amélioré les processus d’écoute*, il n’existait
pas encore d’appareil ou de test permettant de mesurer les fonctions de
transfert de l’oreille moyenne et de tester cette hypothèse. Ce problème
a été résolu par un ancien étudiant diplômé, Greg Lewis. En 2011, Greg
a terminé sa recherche doctorale dans mon laboratoire en dévelop-
pant un appareil mesurant la fonction de transfert des structures de
l’oreille moyenne*. C’était un concept qui manquait à la linguistique
et à l’audition. Nous appelons maintenant ce système le Middle Ear
Sound Absorption System, ou MESAS (Porges & Lewis, 2011).
Nous sommes maintenant capables d’évaluer objectivement quels
sons atteignent le cerveau, ou rebondissent sur le tympan. Le MESAS
(voir chapitre 2) analyse le degré d’absorption de la voix humaine à
travers le tympan, ou si ces sons sont occultés par l’absorption des
sons de basse fréquence que notre système nerveux interprète, d’un
point de vue phylogénétique, comme un son émis par un prédateur.

125
Autorégulation et engagement social

On peut s’imaginer le tympan comme un tambour. Lorsque la peau


du tambour est tendue, le son monte en hauteur, c’est-à-dire que les
hautes fréquences sont absorbées sélectivement, malgré la présence
des basses fréquences dans l’environnement.
Le MESAS permet une mesure objective des hypersensibilités audi-
tives. Nous avons testé le MESAS sur de nombreux enfants autistes.
Nous avons aussi testé d’autres patients ayant subi un traumatisme,
qui souvent présentent des hypersensibilités auditives. Dans nos
premières recherches, nous avons mis en évidence que l’absorp-
tion de la bande de fréquence de la voix humaine était diminuée, et
plus précisément les bandes correspondant au second et troisième
formants. Les formants concentrent l’énergie sonore sur des bandes
fréquentielles spécifiques, correspondant aux fréquences de réso-
nance du tractus vocal. Les personnes hyperacousiques absorbent
plus de basses fréquences, pendant que les formants les plus aigus,
qui nous permettent de distinguer la voix humaine, sont déformés. La
capacité d’intégrer ces formants permet de distinguer les consonnes
et d’intégrer convenablement la fin des mots.
Nous avons testé de nombreux participants avant et après le Listening
Project Protocol*. La fonction de transfert de l’oreille moyenne s’est
normalisée pour une bonne partie d’entre eux. Ceci prouve qu’il est
possible de réhabiliter la régulation neurale des muscles de l’oreille
moyenne*. Le MESAS a mis en évidence un changement dans la
courbe de l’absorption sonore, ce qui signifie que les fréquences de
la voix humaine étaient mieux intégrées. Avant ces observations, les
cliniciens pensaient que l’hyperacousie et d’autres troubles auditifs
résultaient de processus neuraux localisés dans le cortex. Ils ne compre-
naient ni le rôle de filtrage des structures de l’oreille moyenne, ni leur
rôle dans leur système d’engagement social qui lie les troubles auditifs
et l’hyperacousie aux difficultés de régulation des états comportemen-
taux, et d’autres fonctionnalités du système d’engagement social.
Environ 50 % des participants à notre protocole, entrés dans
l’étude avec des hypersensibilités auditives, n’en avaient plus après

126 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

le traitement (Porges et al., 2014). Une amélioration des compor-


tements d’engagement social a été observée dans la plupart des cas.
Dans une autre étude, nous avons montré que l’amélioration des
comportements d’engagement social était parallèle à l’accroissement
de la régulation vagale de l’état autonomique*. Ce qui permet d’avan-
cer l’hypothèse que le changement d’état autonomique obtenu avec
notre traitement modifie fonctionnellement la plateforme neurale
favorisant les comportements d’engagement social et réduisant les
comportements défensifs.
Dr Buczynski : Que dire de la musicothérapie, est-ce efficace ?
Dr Porges : Oui. Il existe deux formes de musicothérapies qui
pourraient être utiles à beaucoup. Cependant, les mécanismes par
lesquels la musicothérapie agit ne sont pas encore bien définis. Malgré
le constat indéniable d’effets positifs, il n’y a pas de théorie solide
expliquant pourquoi ou comment la musique se montre si efficace.
Cependant la théorie polyvagale, en établissant des liens fonctionnels
entre les muscles de l’oreille moyenne* et les muscles du larynx et du
pharynx permettant de chanter, pourrait expliquer son mode d’action
et les bénéfices que l’on peut en retirer.
Lorsque les gens chantent, ils contrôlent leur respiration. Le chant*
nécessite des expirations prolongées. Durant la phase d’expiration,
il y a une augmentation de l’influence des voies vagales myélinisées
efférentes sur le cœur. Ceci explique comment chanter ou jouer d’un
instrument à vent peuvent induire un état de calme physiologique,
et permettre un plus grand accès au système d’engagement social.
Chanter, c’est bien plus qu’une simple expiration. Que faites-vous
d’autre, lorsque vous chantez ? Vous écoutez votre propre voix et
augmentez ainsi le tonus neural des muscles de l’oreille moyenne*. Que
faites-vous encore ? Vous utilisez la régulation neurale des muscles du
larynx et du pharynx. Et quoi encore ? Vous mobilisez les muscles de la
bouche et du visage à travers l’action du nerf facial et du nerf trijumeau.
Si vous chantez en groupe, alors vous entrez en interaction avec
les autres. Donc chanter, et mieux encore chanter en groupe, est un

127
Autorégulation et engagement social

formidable exercice neural* du système d’engagement social. Jouer


d’un instrument à vent agit d’une façon très voisine grâce à l’écoute*,
au souffle et aux interactions avec le chef d’orchestre, par exemple.
Le Pranayama yoga* est une autre stratégie utilisant des processus
analogues. Ce style de yoga est fonctionnellement le « yoga du système
d’engagement social », le yoga de la respiration et des muscles striés
de la face et de la tête.

SIGNAUX D’ENGAGEMENT SOCIAL : CO-RÉGULATION*


OU AUTORÉGULATION
Dr Buczynski : Nous avons parlé précédemment d’individus qui
ont besoin de signes d’engagement social, ou d’autres qui ne les
comprennent pas, restent perplexes comme s’ils se trouvaient dans un
pays étranger, en face d'individus leur parlant une langue inconnue.
Dr Porges : Commençons tout d’abord par oublier les catégo-
ries diagnostiques complexes. Si nous nous servons des catégories
diagnostiques, nous finissons par ne parler que de comorbidités et
de critères qui ne sont d’aucune aide dans la compréhension des
fonctions et processus sous-jacents aux troubles.
Imaginons un modèle très simple du comportement humain.
Classons les individus en fonction de leurs capacités de co-régulation*
avec les autres sur un long continuum. Nous constatons facilement
que certains individus restent indifférents ou du moins perplexes face
aux signaux sociaux qui leur sont adressés par leur entourage, ce qui
met en évidence l’insuffisance de leurs capacités physiologiques de
co-régulation* avec les autres.
Passons maintenant à une autre dimension. Interrogeons-
nous sur le comportement des individus s’autorégulant avec des
objets. Rappelons-nous que dans notre société contemporaine, les
technologies destinées à la communication sociale nous ont été
littéralement imposées par des gens à qui l’on demande d’exploiter
au maximum leurs capacités de communication et de co-régula-
tion* avec les autres. Nous appelons ces nouvelles technologies

128 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

réseaux sociaux. Nous utilisons des ordinateurs, nous envoyons des


messages via nos smartphones. En un sens, nous nous coupons de
l’essence même de l’interaction humaine, à savoir des interactions
en face à face. Nous passons d’une stratégie d’interaction synchrone
à une stratégie dans laquelle nous laissons des messages et nous nous
rencontrons ensuite. Nous sommes en train d’édifier un monde
constitué d’individus qui auront des difficultés à réguler leur état
bio-comportemental avec les autres, mais qui seront capables de
le faire, par contre, par l’intermédiaire de certains outils ou de
certaines technologies.
Dans une perspective clinique globale, beaucoup des désordres
auquels les thérapeutes sont confrontés concernent les difficultés
de régulation des états en présence d’autrui. Lorsque les individus
présentent ces difficultés de co-régulation*, ils ont tendance à se tour-
ner vers des moyens technologiques ou des objets.
Ces tendances peuvent être parfois « étiquetées » d’autisme* ou de
phobie sociale, mais cela n’a pas vraiment d’importance pour nous
ici. Ce que nous savons, c’est que le système nerveux de ces individus
ne permet pas d’engager des interactions sociales réciproques. Ils se
sentent rarement en sécurité avec les autres et atteignent rarement
un état physiologique bénéfique permettant au comportement social
d’assurer une santé optimale, la croissance et la restauration. Les
inter­actions sociales sont plutôt perturbantes et décourageantes pour
eux. C’est comme si l’on pouvait classer les individus en deux groupes
distincts : ceux pour lesquels l’autorégulation* est rendue possible à
travers l’interaction sociale, et les autres, à travers l’usage d’outils ou
d’objets.
Un second problème réside dans l’usage que nous faisons de ces
deux types de stratégies dans le domaine de l’éducation et de la socia-
bilisation des enfants. Les interactions en face à face disparaissent
progressivement de l’enseignement. On met maintenant des iPads
dans les mains des enfants dès la maternelle et l’école élémentaire.
Ces établissements scolaires sont très fiers de leurs installations et
de l’utilisation de ces nouvelles technologies. Mais si l’on filmait ces

129
Autorégulation et engagement social

classes, on constaterait que les enfants ne regardent plus leurs ensei-


gnants ou leurs camarades, mais leurs iPads.
Le système nerveux n’a plus alors l’opportunité d’exercer la régu-
lation des circuits neuraux de l’engagement social, ce qui permettrait
pourtant le développement de capacités d’autorégulation* avec les
autres, face à certains défis.
Un autre élément important intervient dans ce type d’enseigne-
ment : obnubilés comme nous le sommes par les centres cognitifs
corticaux, nous ne réalisons pas que notre cortex est littéralement
bombardé d’un nombre toujours croissant d’informations. Nous ne
réalisons pas ce besoin de notre système nerveux d’être dans un état
physiologique régulé par le nerf vague myélinisé pour intégrer effi-
cacement les informations, pour générer de nouvelles idées, être tout
simplement créatifs et pour expérimenter des échanges sociaux posi-
tifs. Plutôt que de développer ces attributs précieux de notre système
nerveux, par des comportements nécessitant une co-­régulation*
comme chanter dans une chorale, jouer d’un instrument dans un
orchestre, ou jouer avec quelqu’un pendant les récréations (ces activi-
tés constituant des chances d’exercer le système d’engagement social
et les voies myélinisées), nous négligeons ces opportunités d’entraîne-
ment neural, les considérant comme des distractions ou des futilités
par rapport à l’habitude de rester sagement assis et sérieux en classe.
C’est une vision naïve et discutable des processus éducatifs et déve-
loppementaux. Les élèves ont accès à plus d’informations, bien sûr,
mais ces informations ne sont pas suffisamment intégrées et des
comportements oppositionnels émergent.
Ces quelques lignes devraient soulever la question des conséquences
de ces expériences précoces et comment elles peuvent conduire à des
risques différents. Nous devrions aborder ces questions dans une
perspective d’entraînement neural et développemental. Par exemple,
si nous n’utilisons pas les circuits neuraux spécifiques régulant le
comportement et la physiologie, ils ne se développeront pas correc-
tement. Ceci ne signifie pas, d’une façon pessimiste, que nous ne

130 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

pourrons plus les recruter plus tard, mais que le fait de ne pas les
avoir développés assez tôt aura des conséquences.

RECRUTER LA RÉGULATION NEURALE


Dr Buczynski : Comment aider quelqu’un qui n’a jamais appris à
développer ces aptitudes ?
Dr Porges : La première chose touche le contexte, le sentiment de
sécurité. Cela dépend de l’âge du patient, mais la première chose à
faire est de lui transmettre l’idée qu’il n’a rien fait de mauvais.
Si nous demandons un changement à quelqu’un, celui-ci peut
comprendre que nous jugeons son comportement comme insatisfai-
sant. Ayant atteint ses limites, l’individu tombe dans un état défensif,
et garde difficilement son calme.
Il existe une réelle contradiction entre la façon dont fonctionne
notre système nerveux et la façon dont nous élevons nos enfants, dont
nous enseignons à nos étudiants et traitons nos patients.
Si nous voulons que les autres puissent se sentir en sécurité, nous
ne devons pas les accuser de mal faire. Nous devons leur expliquer,
au contraire, que leur corps répond de façon adaptative, qu’il faut
comprendre et accepter ce type de réaction, sachant que ces fonctions
adaptatives sont flexibles, réversibles et dépendent du contexte.
Nous pouvons alors utiliser les merveilleuses capacités créatives et
intégratives de notre cerveau pour expliquer d’une façon appropriée
que les comportements atypiques ne sont pas mauvais, mais qu’on
doit les considérer au contraire comme des fonctions adaptatives,
souvent héroïques.

QUEL LIEN ENTRE ATTACHEMENT* ET FONCTIONS ADAPTATIVES ?


Dr Buczynski : Quel est le lien entre l’attachement et la théorie
polyvagale ?
Dr Porges : C’est une question fréquemment posée et la réponse se
trouve en partie dans les recherches de Sue Carter. Sue est ma colla-
boratrice et mon épouse. Elle a découvert le lien entre l’ocytocine*

131
Autorégulation et engagement social

et les liens sociaux. Pendant plusieurs années, l’étude du comporte-


ment social (notamment les liens sociaux et l’attachement*) était son
domaine de recherche et non le mien. Elle a développé ses concepts sur
les liens sociaux en conduisant des recherches sur l’arvicole des prairies,
un petit rongeur qui a un comportement social très intéressant, comme
des liens de couple durables, et un comportement maternel ou paternel
analogue au nôtre. Ce sont des animaux tout à fait extraordinaires.
L’arvicole des prairies possède un niveau élevé d’ocytocine*, et ces
dernières années, nous avons conduit des recherches sur la régulation
vagale du cœur. Ce petit mammifère, pesant environ 50 grammes, a
une régulation vagale du cœur proche de celle des humains, ce qui
est atypique pour des rongeurs et des petits mammifères.
Grâce à ma collaboration avec Sue, je me suis senti plus à l’aise
dans la compréhension du comportement social et dans le domaine
de l’attachement*. Mais, dès le début de notre collaboration, j’ai
réalisé qu’une condition importante conditionnant l’attachement
était omise. L’élément manquant, c’est ce que j’ai appelé « le préam-
bule de l’attachement », dont le bon développement dépend des
indices de sécurité perçus. J’étais persuadé que l’on ne pouvait parler
de l’attachement sans parler de sécurité et des facteurs favorisant l’en-
gagement social. Selon moi, le système d’engagement social, avec ses
voies vagales myélinisées, fournit une plateforme neurale sur laquelle
peuvent s’initier les processus d’attachement*. Il est nécessaire cepen-
dant d’assurer préalablement la sécurité pour que puissent se créer
ensuite naturellement des liens sains et durables.
Nous avons travaillé, Sue et moi, sur une notion que nous avons
dénommée « le code neural de l’amour ». Le code neural de l’amour
comprend deux phases. La première est celle de l’engagement social
qui s’appuie sur un ressenti de sécurité lors d’une approche pour
permettre la proximité. La seconde phase comprend le contact
physique et l’intimité. Pour expliquer ce code, je dirais que si les
deux processus ne s’accomplissent pas selon cet ordre, surgiront par
la suite des problèmes liés à la qualité de l’attachement* et des liens.

132 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Autorégulation et engagement social

Cliniquement parlant, je dirais que l’insuffisance de sécurité entre


deux partenaires devrait être un élément moteur pour conduire
le couple en thérapie. La notion d’attachement* ne devrait jamais
être remise en question sans une réelle compréhension du contexte,
­c’est-à-dire des conditions de sécurité et d’engagement social.

DES HÔPITAUX PLUS SÉCURISANTS


Dr Buczynski : J’aimerais voir avec vous comment transformer
les hôpitaux en lieux psychologiquement plus sécurisants. La finalité
d’une hospitalisation est la guérison grâce à l’organisation de soins,
tout en préservant notre immunité. Mais je crains que cela ne se fasse
pas toujours dans des conditions optimales, car l’attention est portée
sur d’autres priorités.
Dr Porges : C’est une question importante et je pense en effet que
peu d’efforts sont faits en ce sens. Ceux qui ont vécu une hospita-
lisation peuvent témoigner de leur sentiment d’alerte quotidien, se
retrouvant dénudés dans une ambiance sonore donnant l’envie de
fuir et loin d’être sécurisante.
Le problème concerne fondamentalement l’organisation et la
politique hospitalière. Quel est le but de l’hôpital et des soignants ?
C’est la guérison des patients et la protection du personnel. Ainsi, la
santé et la propreté sont priorisées. Le support social en revanche est
complètement éludé, ce qui est tragique.
Étant admis à l’hôpital, notre système nerveux peut nous orien-
ter sur l’idée suivante : « Je suis dans une situation que je ne peux
contrôler. Je ne peux me protéger. J’ai besoin de quelqu’un qui me
rassure, me sécurise, j’ai besoin d’être entre de bonnes mains. »
Malheureusement, la majorité des patients ne ressentent aucune
sécurité à l’hôpital.
C’est réellement tragique. C’est vraiment dommage, car beaucoup
de cliniciens compétents et sensibles et de professionnels du domaine
paramédical pourraient créer une autre forme d’intelligence relation-
nelle et d’intervention.

133
Autorégulation et engagement social

Plutôt que de rester noyés sous des tonnes de documents à signer,


qui dégagent l’hôpital de ses responsabilités, puisque nous ne béné-
ficions d’aucuns soins sans cette signature, pourquoi n’y aurait-il
pas un personnel spécialement dédié à notre prise en charge, pour
nous aider dans nos démarches, au sein de l’hôpital. Cette personne
pourrait ainsi nous sécuriser et nous libérer de toute hypervigilance.
Une fois libérés de nos soucis et de nos incertitudes, notre corps
pourrait, comme un « coopérateur volontaire », mieux bénéficier des
traitements prodigués au lieu de rester prostré dans un état défensif
de peur et d’insécurité.
Comme nous l’avons dit plus haut, la peur et la frayeur interfèrent
négativement sur l’efficacité thérapeutique. Pourquoi ne pas optimi-
ser alors au mieux un ressenti de sécurité ? Nous devons vraiment
réaliser qu’en tant qu’êtres humains nous avons un besoin impératif
de réciprocité et de sécurité.
Dr Buczynski : Avant de terminer, je voulais vous demander,
Stephen, quelle suite envisagez-vous ?
Dr Porges : Je me vois comme un scientifique ayant mûri, qui a fait
des recherches intéressantes, et ayant l’intention d’en faire encore. Je
souhaite inclure mes recherches dans la pratique clinique. Et plutôt
que d’utiliser exclusivement des thérapies pharmaceutiques ou
chirurgicales, je souhaite accroître parallèlement le développement
d’interventions fonctionnelles recrutant ces « circuits de la santé, de
la croissance et de la restauration ».

134 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


4
Conséquences
d’un traumatisme sur le cerveau,
le corps et le comportement
selon l’approche polyvagale

Stephen W. Porges et Ruth Buczynski

LES ORIGINES DE LA THÉORIE POLYVAGALE


Dr Buczynski : Aujourd’hui, nous allons aborder le lien entre la
théorie polyvagale et l’autisme*, le trouble de la personnalité limite
et d’autres troubles du comportement. Mais il faut commencer par
savoir à quoi correspond plus précisément le nerf vague.
Dr Porges : Je commencerai tout d’abord par décrire les grandes
lignes de la théorie polyvagale. Au cours de l’évolution, de grandes
différences sont apparues entre le répertoire comportemental de
nos ancêtres les reptiles et celui de nos cousins les mammifères. Les
mammifères ont besoin de tisser des liens sociaux, besoin de parents,

135
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

besoin d’entraide, besoin de se protéger les uns les autres, alors que
les reptiles sont des solitaires. La notion de comportement social
est basée sur les adaptations comportementales qui différencient les
reptiles des mammifères. Lors de la transition évolutive des reptiles
aux mammifères, la structure et les fonctions du système nerveux
autonome* se sont modifiées.
Notre système nerveux autonome* a commencé son évolution à
partir d’un système nerveux qui offrait à nos ancêtres vertébrés la
possibilité de se mobiliser et de simuler la mort. Ils disposaient ainsi
de deux types de défense possibles, c’est-à-dire la fuite et la lutte, et
l’immobilisation, cette dernière étant fréquente chez de nombreux
reptiles. Mais avec l’évolution des mammifères est apparue une
nouvelle branche du système nerveux autonome* agissant comme
un « animateur » pour activer les deux circuits les plus primitifs et
comme un « coordinateur » pour en coordonner les fonctions. Les
réponses bio-comportementales primitives de mobilisation sympa-
thique et d’immobilisation vagale ont pu alors se coordonner pour
optimiser la santé, la croissance et la restauration, mais exclusive-
ment en situation de sécurité.
Dr Buczynski : Pourriez-vous décrire un peu plus précisément
votre vision de l’« animateur » et du « coordinateur » ?
Dr Porges : Il est plus facile de commencer par décrire le « coor-
dinateur ». La nouvelle composante du système nerveux autonome*
est liée à des structures neurales qui « créent » le contexte social.
Les hautes structures cérébrales influencent les structures du tronc
cérébral qui régulent les plus anciennes parties du système nerveux
autonome, pour neutraliser les réactions de défense au bénéfice de
la santé, la croissance et la restauration. C’est comme si nos struc-
tures cérébrales plus hautes constituaient un détecteur de danger
inhibant fonctionnellement les systèmes de défense plus archaïques
en l’absence de risque. Le coordinateur assure des réactions suivant
un ordre hiérarchique bien déterminé, selon lequel les circuits les
plus récents régulent et contrôlent les circuits les plus anciens. C’est

136 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

ainsi que l’on peut dire que le cerveau est phylogénétiquement


organisé.
Notre système nerveux autonome* ne contient pas que des struc-
tures qui se situent dans nos viscères. Les régions du tronc cérébral
régulant les structures autonomiques sont aussi d’une grande impor-
tance, de même que les structures cérébrales supérieures, dont le
cortex, influençant à leur tour les régions du tronc cérébral.
Notre coordinateur pourrait dire : « OK, les systèmes de défense
n’ont pas besoin d’être recrutés ; ils peuvent être utilisés en syner-
gie afin d’assurer la santé, la croissance, la restauration et même le
plaisir. »
Le rôle de « l’animateur » est similaire aux actions d’un cheerleader
lors d’un match de football.
L’animateur se mobilise, mais empêche le comportement de
mobilisation d’être agressif en utilisant les expressions faciales, la
prosodie*, les vocalisations, tous outils du système d’engagement
social. L’animateur utilise fonctionnellement la mobilisation, mais
pas dans un but de défense ou d’agression. En intégrant la mobilisa-
tion au système d’engagement social, le système dévolu à la fuite et
à la lutte peut être utilisé alors dans des comportements prosociaux
que l’on appelle « jeux ».
La différence entre la fuite ou la lutte et le jeu*, c’est que lors de
la mobilisation, nous nous regardons et échangeons les uns avec les
autres. Nous mélangeons menace et sociabilité, et nous pouvons utiliser
le système nerveux sympathique* pour nous permettre le mouvement
sans tomber cependant dans des comportements défensifs.
Grâce au recrutement du système d’engagement social, nous
pouvons même utiliser le système le plus ancien, celui de l’immobi-
lisation, et rester sans bouger, immobiles dans les bras de quelqu’un,
si nous nous y sentons en sécurité.
La théorie polyvagale, c’est ça. Je vais vous en expliquer le nom.
Dans « Théorie polyvagale », il y a le préfixe « poly » qui signifie
« plusieurs », car il existe différentes voies vagales. J’ai choisi ce titre

137
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

pour rappeler les transitions phylogénétiques, et les évolutions dans


la régulation neurale du système nerveux autonome*, avec l’accrois-
sement du nombre de voies vagales.

LE VAGUE VÉGÉTATIF* ET LE VAGUE INTELLIGENT


Dr Buczynski : Dans votre livre, vous parlez de « deux systèmes
moteurs vagaux », le « Vague végétatif » associé à une régulation plus
passive des fonctions viscérales et le « Vague intelligent ».
Dr Porges : Un paradoxe réside dans l’étude du système nerveux
parasympathique*. Le nerf vague est le nerf le plus important du
système nerveux parasympathique. Pendant tous nos échanges,
nous allons utiliser indifféremment la notion de nerf vague et de
système nerveux parasympathique, même si pour être plus précis,
les voies vagales ne constituent pas l’intégralité du système nerveux
­parasympathique*. Le système nerveux parasympathique dont on
parle en littérature est toujours associé à la santé, la croissance et la
restauration – c’est le « bon gars ».
Le système nerveux sympathique* est toujours présenté comme
l’élément à contrôler, le « mortel ennemi ». C’est en partie vrai, mais
cette distinction ne nous aide pas vraiment à comprendre certaines
conditions cliniques.
Mais si vous étiez immobilisée par la peur et que votre cœur s’ar-
rêtait suite à une syncope vagale, ou si vous étiez paralysée par la
peur et que vous déféquiez du fait des voies vagales, ou si vous ne
pouviez plus respirer parce que vous étiez victime d’une constriction
des bronches contrôlée par les voies vagales, vous ne pourriez en
conclure que c’est « bien » !
Il y a donc un réel paradoxe dans notre façon de comprendre
le fonctionnement du système nerveux parasympathique*, et dans
ce paradoxe, toutes les fonctionnalités concernant l’implication
des voies vagales, en tant que système de défense, sont exclues des
modèles généraux définissant le système nerveux autonome*. Le
système de base de défense des reptiles correspond à l’immobilisation,

138 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

à l’inhibition de la respiration, à un ralentissement important de la


fréquence cardiaque, et à une « mort simulée », qui est en fait une
feinte, une solution pour survivre en faisant croire à la mort.
Dans la gueule d’un chat, que fait la souris ? La seule solution
pour elle, c’est de feindre la mort ou de feindre d’être sur le point
de mourir par une cessation de la respiration et le ralentissement du
cœur. Ceci se produit d’une façon absolument involontaire, et donc
si nous ne voyons que des aspects bénéfiques dans le système nerveux
parasympathique*, c’est une grave erreur !
Ce paradoxe* concernant le système nerveux parasympathique* a
suscité ma curiosité. J’ai travaillé plus de 20 ans pour l’expliquer. Le
problème s’est trouvé résolu lorsque je me suis penché sur l’évolution,
et plus précisément sur l’évolution de la régulation neurale du système
nerveux autonome*. Si l’on étudie l’évolution, on voit apparaître une
seconde voie vagale lors de l’émergence de l’embranchement des
mammifères. Nous observons les mêmes modifications en embryo-
logie, dans l’étude du développement fœtal des mammifères.
À leur naissance, les enfants prématurés ne disposent pas encore
du nerf vague récent, le nerf vague social mammalien. Et malheu-
reusement pour eux, les réponses vagales peuvent être terribles en
soin intensif, car elles sont sources d’apnée et de bradycardie (leur
respiration se bloque et leur cœur ralentit puissamment).
Mais nous avons tous appris paradoxalement les effets béné-
fiques du système nerveux parasympathique*, notamment sur la
santé. Ceci n’est pas vrai pour les enfants prématurés, car ils ne
peuvent encore bénéficier de l’action de ce nerf vague récent myéli-
nisé, qui ne devient fonctionnel que plus tardivement au cours de
la gestation. Les enfants prématurés, nés avant la 32e semaine de
gestation, naissent avec un système nerveux qui a les fonctionnalités
de celui des reptiles. Les vulnérabilités vis-à-vis de l’apnée et de la
brady­cardie sont des manifestations de défense des reptiles. Le nerf
vague myélinisé est fonctionnel seulement chez les nouveau-nés nés
à terme, et il coordonne à la fois l’ancien circuit vagal et le système

139
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

nerveux sympathique*, dans le but d’optimiser l’homéostasie* et la


santé.
Dr Buczynski : C’est le « vague intelligent ».
Dr Porges : Oui, et nous pouvons utiliser indifféremment les quali-
ficatifs de mammalien, intelligent et myélinisé pour décrire cette voie
vagale qui existe exclusivement chez les mammifères.
L’action de cette voie vagale peut être contrée par l’autre voie
vagale, plus végétative et non myélinisée. Nous pouvons faire encore
une autre distinction entre ces deux voies vagales : une voie est
principalement sous-diaphragmatique et l’autre principalement
supra-diaphragmatique.
Le nerf vague supra-diaphragmatique* est essentiellement myéli-
nisé et va jusqu’aux organes situés au-dessus du diaphragme, comme
le cœur et les bronches, et le nerf vague sous-diaphragmatique est
essentiellement non myélinisé et innerve les organes situés sous le
diaphragme comme l’intestin. Il est partagé avec les reptiles, les pois-
sons et les amphibiens.
Lorsque nous parlons de certains désordres cliniques, nous parlons
de « sensations viscérales » comme un « ventre serré ». Lorsque nous
décrivons les voies vagales supra-diaphragmatiques, nous parlons de
la régulation neurale des bronches et du cœur. Le contrôle vagal des
organes situés au-dessus du diaphragme se fait essentiellement sous
l’action du nerf vague myélinisé. Lorsque les voies vagales myélinisées
perdent leur contrôle sur le cœur, on peut ressentir des palpitations
(sous le contrôle du système nerveux sympathique*), ou encore une
chute massive de la fréquence cardiaque (sous l’action du nerf vague
non myélinisé). Il faut noter que, bien que le nerf vague non myéli-
nisé régule essentiellement les organes sous-diaphragmatiques, il
existe des fibres non myélinisées qui vont jusqu’au cœur et peuvent
entraîner une bradycardie. Les alertes de notre corps nous en disent
beaucoup sur l’action de ce système ! Il est important d’évoquer le
rôle du cerveau, puisque chacune de ces voies vagales vient d’une
aire précise du tronc cérébral. En y incorporant les structures et les

140 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

fonctions cérébrales, la théorie polyvagale devient alors bien plus


qu’une théorie d’un nerf périphérique. Le nerf vague, bien qu’il soit
un nerf périphérique, prend origine dans le cerveau et se termine dans
les organes périphériques. Les deux voies vagales motrices prennent
origine dans deux noyaux différents du tronc cérébral (c’est-à-dire
le noyau ambigu* et le noyau moteur dorsal du vague). Les voies
sensitives du nerf vague se terminent dans un troisième noyau du
tronc cérébral, le noyau du tractus solitaire*.
Il est important de souligner que le nerf vague social myélinisé
vient d’une aire du tronc cérébral qui contrôle aussi les muscles de la
face et de la tête. Nous pouvons détecter et interpréter comment « se
sent » un autre, parce que les nerfs contrôlant les muscles striés de la
face et de la tête sont liés, dans le tronc cérébral, au nerf vague myéli-
nisé. Les praticiens de santé et les éducateurs observent les personnes
avec qui ils interagissent. Le simple fait d’observer son interlocuteur
permet d’évaluer son état. Cette faculté de ressentir ce que d’autres
peuvent éprouver relève de notre neurophysiologie. Le rythme de
notre cœur « s’affiche » sur notre visage. Notre cerveau interprète
ces informations et notre corps répond. Intuitivement, beaucoup de
cliniciens le comprennent, mais la théorie polyvagale l’explique.
Les processus évolutifs ont donné aux congénères (les membres
d’une même espèce) les outils leur permettant de détecter si l’ap-
proche d’autres individus était possible ou non. Des signaux de
sécurité et de menace sont convoyés non seulement par les muscles
de la face et de la tête, mais aussi par les muscles contrôlant les
vocalisations. Si l’approche d’un mammifère est orientée sur un état
d’agressivité, alors son état physiologique s’affichera sur son visage
et dans sa voix.
Lorsque nous parlons à quelqu’un au téléphone, nous pouvons
détecter au ton de sa voix si quelque chose ne va pas. Si la voix
manque de prosodie*, si elle est moins modulée et plus monotone,
nous comprenons encore plus facilement qu’il y a un problème. La
prosodie dépend de la régulation neurale des muscles du larynx et

141
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

du pharynx, lesquels dépendent d’une aire du tronc cérébral régulant


le nerf vague myélinisé. En fait, les voies vagales myélinisées sont
impliquées aussi dans la prosodie* et la régulation vagale du cœur.

LE NERF VAGUE : UN ENSEMBLE DE VOIES NEURALES


Dr Buczynski : Avant de poursuivre, il faut préciser une notion
fondamentale. Le nerf vague n’est pas un simple nerf, mais une
famille de voies neurales prenant origine dans différentes aires du
tronc cérébral et se divisant en différentes branches.
Dr Porges : Le nerf vague est un nerf crânien qui émerge du tronc
cérébral. Nous avons douze nerfs crâniens* et certains d’entre eux
contrôlent les muscles de la face et de la tête. En général, quand nous
parlons du contrôle neural des muscles, nous pensons aux muscles
squelettiques impliqués dans la mobilisation de nos membres, qui
sont contrôlés par les nerfs spinaux émergeant de la moelle épinière.
Cependant, les nerfs crâniens*, régulant les muscles striés de la
face et de la tête, sont différents des nerfs spinaux qui régulent les
muscles striés des membres. Les expressions faciales sont contrôlées
par des nerfs crâniens* émergeant du cerveau, et sont régulées d’une
façon distincte de la régulation spinale des muscles du tronc et des
membres. Quant au nerf vague, il est impliqué dans la régulation des
muscles striés de la face et de la tête, mais aussi dans celle des muscles
lisses et du muscle cardiaque.
La théorie polyvagale s’est centrée sur l’étude de 5 nerfs crâniens*.
Nous pouvons représenter le cerveau comme un triangle inversé,
avec un cortex développé en haut et le tronc cérébral à la pointe. La
plus grande partie des recherches sur le cerveau, spécialement avec
des techniques d’imagerie, se concentre sur le cortex, et m ­ inimise
l’importance du tronc cérébral. Cependant, le tronc cérébral est un
carrefour, un lieu commun où passent les informations qui viennent
du cerveau ou y retournent. On peut voir aussi le tronc cérébral
comme un immeuble au sommet duquel d’autres processus sont
échafaudés. Si nous ne pouvons pas réguler notre état physiologique

142 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

sous la dépendance du tronc cérébral, alors nous aurons des difficul-


tés à accéder aux fonctions cognitives supérieures.
D’un point de vue anatomique, l’étude du tronc cérébral offre
l’opportunité de comparer les différentes espèces de vertébrés et
les modifications adaptatives survenues au cours de l’évolution.
Fonctionnellement, le tronc cérébral est le régulateur majeur de
l’état physiologique. Étant donné que la régulation physiologique
nous permet toute une gamme de comportements, le tronc cérébral
interfère dans tous les aspects de ces comportements, ainsi que dans
le maintien des processus homéostatiques préservant la vie et opti-
misant la santé.
Un problème clinique majeur systématiquement observé dans
toutes les catégories diagnostiques est la difficulté de régulation de
l’état comportemental. Selon la théorie polyvagale, les difficultés de
régulation de l’état comportemental sont les témoins des difficultés
de régulation de l’état autonomique*. La régulation de l’état compor-
temental est un processus très important cliniquement, agissant sur
tout un ensemble de troubles, comme le trouble borderline*, la schi-
zophrénie, la dépression*, l’anxiété*, l’autisme*. Dans un monde où
les contextes et les sollicitations changent très rapidement, la capacité
de régulation de l’état physiologique devient un élément clef pour
permettre la résilience.
Pour comprendre l’importance de la théorie polyvagale, il faut
se représenter le nerf vague comme un conduit bidirectionnel liant
corps et cerveau. Ce conduit vagal se constitue de voies motrices,
allant du cerveau aux organes, et de voies sensitives, allant des
organes au cerveau.
La théorie polyvagale concerne précisément cette communication
corps-cerveau, assurée par le nerf vague. Le modèle polyvagal nous
invite à considérer l’action des organes périphériques sur les proces-
sus cérébraux, et inversement, l’action des processus cérébraux sur
les organes viscéraux. La théorie polyvagale nous permet de revoir
le concept de la régulation des organes viscéraux, et nous oblige à

143
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

renoncer à considérer ces organes comme des structures indépen-


dantes, déconnectées des processus cérébraux et flottant dans une
mer viscérale.
Les fibres vagales prennent naissance et se terminent dans diffé-
rentes aires du tronc cérébral et ont des fonctions différentes.
Certaines viennent du cerveau en direction d’organes viscéraux
spécifiques, mais de nombreuses fibres proviennent également des
organes, en direction du cerveau. Ce système sensitif sert de moyen
de surveillance pour maintenir une régulation vagale optimale des
organes viscéraux. Environ 80 % des fibres vagales sont sensitives, et
ces fibres ont un impact énorme sur l’accessibilité aux fonctions de
certaines structures cérébrales.
La théorie polyvagale met l’accent sur les transformations du
nerf vague au cours de l’évolution. L’une de ces modifications s’est
produite lors de l’émergence des mammifères. Chez les mammifères,
la régulation par le tronc cérébral de certaines voies vagales s’est inté-
grée à celle de la face. Il en résulte que notre état physiologique peut
s’afficher dans nos expressions faciales et notre voix. La fonction
adaptative de cette modification est évidemment qu’un mammifère
ne s’engagera pas face à un autre mammifère si ce dernier affiche
un état de rage.
Si nous nous trouvons dans un espace restreint en présence d’un
individu qui est dans un état physiologique de rage, et si nous empié-
tons sur son territoire, il se défendra. Chez certains mammifères
cet état peut se manifester par des menaces pour tenter de chas-
ser l’intrus telles qu’un grognement, un sifflement, une capture ou
une morsure. Mais les mammifères tenteront d’éviter la blessure,
en signalant par différents indices si un rapprochement est possible.
Les mammifères donnent cette information grâce à leurs expressions
faciales et à travers les éléments prosodiques de leurs vocalisations.
Les muscles régulant ces fonctions sont liés au nerf vague myélinisé
régulant la fréquence cardiaque. Ces signaux de sécurité émanent de
notre système nerveux.

144 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

Ce lien, entre la régulation vagale du cœur et la régulation des


muscles de la face et de la tête, nous permet d’obtenir des indices
sur l’état physiologique d’un individu à travers l’expression de
son visage et l’écoute* de sa voix. Lors d’une perte de tonicité des
muscles du visage et de la tête, les muscles de l’oreille moyenne*
perdent aussi leur tonus neural, et nous rendent hypersensibles aux
sons de basse fréquence, qui sont évolutivement associés aux sons
émis par les prédateurs. Il devient alors difficile d’extraire correc-
tement la voix humaine, puisque sa compréhension nécessite de
pouvoir sélectionner et extraire les harmoniques plus subtils des
hautes fréquences.
La recherche a mis en évidence l’association d’une diminution
de la régulation vagale sur le cœur avec une diminution parallèle-
ment de la régulation neurale des muscles de la face et de la tête
dans de nombreux troubles. Cette altération de la régulation vagale
se manifeste par un appauvrissement des expressions faciales, un
manque de prosodie*, des hypersensibilités auditives et des difficul-
tés de compréhension de la parole humaine dans un bruit de fond.
Globalement, comme nous l’avons mentionné précédemment, le
système face-cœur forme un système d’engagement social intégré
qui est fonctionnellement diminué dans de nombreux désordres
touchant l’affect, avec une réduction sous-jacente de la régulation
vagale, et un abaissement du seuil de déclenchement de l’activation
sympathique, nécessaire à la fuite ou à la lutte. Quand ce système est
appauvri tôt dans la vie, il peut entraîner des difficultés d’acquisition
du langage.
Nous pouvons lier maintenant ces troubles à la régulation des
états physiologiques et à une régulation vagale atypique. Plutôt que
de chercher à poser un diagnostic spécifique, nous pourrions cher-
cher à identifier les points communs partagés dans les différents
troubles.
En adoptant cette approche, nous découvrons alors que la
régulation des états (c’est-à-dire la capacité de régulation du

145
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

comportement) est une problématique commune retrouvée dans


de nombreux troubles. Nous observons aussi que la compromis-
sion de la régulation des états comportementaux s’associe à d’autres
manifestations observables à travers le contrôle neuromusculaire
de la face. Dans ce cas, le haut du visage pourrait être inexpressif,
comme sous l’effet du Botox. Le muscle orbiculaire de l’œil, appelé
orbicularis oculi, est contrôlé par une branche du nerf facial, un des
nerfs crâniens*. Cette branche du nerf facial est aussi impliquée
dans la régulation du tonus neural du muscle stapédien, un petit
muscle de l’oreille moyenne*. Lorsque ce muscle perd sa tonicité,
nous pouvons développer facilement une hypersensibilité auditive
et des difficultés dans l’extraction de la voix humaine d’un fond
sonore (Borg & Counter, 1989).
Les muscles de l’oreille moyenne* contrôlent les os les plus petits
de notre corps. Ils influencent l’impact de l’énergie sonore sur le
tympan et la façon dont les sons sont transmis à l’oreille interne et
par la suite au cerveau. Si les muscles de l’oreille moyenne* ne sont
pas contractés de façon appropriée, nous sommes bombardés alors
par les sons et grondements de basse fréquence, ce qui nous empêche
de comprendre la voix humaine.
Lorsque c’est le cas, nous nous éloignons de la source sonore, ce
qui peut nous conduire, du fait de notre sensibilité aux sons, à nous
retirer de la vie sociale.
J’insiste sur l’importance des informations transmises par notre
voix et les expressions de notre visage, qui sont des véritables mani-
festations de notre physiologie et témoignent de ce qu’il se passe
corporellement parlant. Ces indices autorisent des approches en
toute sécurité et traduisent en partie l’aboutissement de l’histoire
évolutive des mammifères.
Nous avons mené dans mon laboratoire des études sur les carac-
téristiques acoustiques des cris des enfants parallèlement à leur
fréquence cardiaque, et nous avons trouvé des corrélations signifi-
catives (Stewart et al., 2013). Les cris les plus aigus étaient associés

146 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

aux fréquences cardiaques les plus élevées. Nous avons aussi étudié
un petit rongeur, l’arvicole des prairies, dans le laboratoire de mon
épouse Sue Carter (qui est la scientifique ayant découvert l’impor-
tance du rôle de l’ocytocine*). Nous avons mesuré leur fréquence
cardiaque au cours de leurs échanges vocaux avec leurs congénères.
Nous avons abouti aux mêmes conclusions dans les deux cas, à
savoir que la fréquence cardiaque des mammifères est corrélée avec
les caractéristiques acoustiques de leurs vocalisations (Stewart et al.,
2015).
Dans les deux études, les vocalisations étaient le reflet de la régu-
lation vagale cardiaque et permettaient aux enfants et à l’arvicole des
prairies de communiquer à leurs congénères l’état dans lequel ils « se
sentaient ». Ces deux exemples sont représentatifs de ce qu’il se passe
au cours de nos interactions, car nous utilisons la prosodie* de notre
voix pour indiquer à la biologie de nos interlocuteurs (et non à leur
cognition) si nous sommes suffisamment calmes, ou trop stressés et
réactifs pour pouvoir les laisser s’approcher en toute sécurité.
Si nous parlions en termes de relations sociales ou de possibilités
de rencontres, nous pourrions dire de quelqu’un par exemple, qu’il a
de bonnes références, qu’il semble brillant, mais qu’il ne nous inspire
pas confiance. Cette réserve dans l’acceptation d’une autre personne
est basée sur les différents indices perçus par notre système nerveux,
lesquels ne nous permettent pas de ressentir la sécurité.
L’un des aboutissements les plus importants de l’évolution, ancré
en nous, est un système nerveux capable d’analyser la prosodie* d’une
voix, nous orientant sur la nécessité ou non de neutraliser nos réac-
tions défensives. Ce processus de neutralisation de la défense se fait
grâce à l’intervention de ce nouveau nerf vague myélinisé.

NERF VAGUE ET FONCTIONS CARDIOPULMONAIRES


Dr Buczynski : Vous avez beaucoup à nous apprendre sur les fonc-
tions cardiopulmonaires et le nerf vague. Pourrions-nous voir cela
ensemble ?

147
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

Dr Porges : Oui, le point le plus simple à retenir est que l’utilité


fonctionnelle du système cardiopulmonaire est l’oxygénation du sang.
L’oxygène est essentiel aux mammifères, notamment aux humains.
Sans un apport suffisant en oxygène, nous ne pouvons vivre. Le nerf
vague joue un rôle important dans l’oxygénation du sang. Il facilite
la diffusion de l’oxygène dans le sang en modifiant rythmiquement
le flux sanguin et la résistance des bronches.
Si nous retrouvons chez un individu un ensemble de problèmes
comme l’hypertension, l’apnée du sommeil et le diabète, ceci reflète
souvent un dysfonctionnement du nerf vague myélinisé.
Il y a toujours des corrélations psychiatriques ou psychologiques
avec ces désordres, parce que le système régulant la physiologie
(incluant le nerf vague myélinisé) est grandement impacté par les
interactions avec l’environnement. Le point important est que le
circuit neural régulant les interactions sociales et les comportements
d’engagement social, et le circuit neural favorisant la santé, la crois-
sance et la restauration, ne constituent qu’un seul et même circuit.
Il n’y a pas deux types de troubles, ou deux types de maladies,
ou deux disciplines. Il n’y a pas une médecine clinique d’un côté
et psychologique ou psychiatrique de l’autre, mais une physiologie
intégrée qui non seulement favorise la santé, la croissance et la restau-
ration, mais permet encore les interactions sociales donnant accès à
un ressenti individuel de sécurité.
Nous n’avons pas encore parlé de sécurité dans cette interview,
mais la notion de sécurité est capitale ici. Si notre système nerveux
s’oriente sur la sécurité, il n’est plus sur la défensive. N’étant plus
sur la défensive, il s’oriente alors vers la santé, la croissance et la
restauration. Il s’agit d’une hiérarchie de fonctionnement de notre
système nerveux, et l’élément le plus important pour notre système
nerveux est la sécurité. En sécurité la magie s’opère et ceci à différents
niveaux, non seulement en termes de relations sociales, mais aussi
dans l’accès à certaines aires cérébrales ouvrant la voie à la positivité,
à l’expansivité, à la créativité et au plaisir.

148 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

Dr Buczynski : Qu’est-ce que cela voudrait dire par rapport à votre


définition de stress ?
Dr Porges : Le « stress » est selon moi l’un des mots le plus mal
utilisés de notre vocabulaire et il y a une confusion entre ce que l’on
appelle « le bon stress » et le « mauvais stress ». Je n’aime pas utiliser
ce mot. Lorsque nous utilisons le mot « stress », ce dont on parle
vraiment fréquemment c’est de la mobilisation, et la mobilisation
n’est pas forcément mauvaise.
La mobilisation est ancrée dans la nature des mammifères, elle
est ancrée dans la nature humaine. Ainsi, quand la mobilisation n’a
pas de résultat fonctionnel, on peut parler de mobilisation « mala-
daptative » et c’est cela le stress. Par exemple, si vous n’aimez pas
interviewer ou être interviewée alors votre physiologie va changer,
votre cœur va commencer à s’accélérer, vous allez c­ hercher à fuir
cette situation, mais en cas d’impossibilité de fuite, l’état physio­
logique qui en résultera sera inadapté.

LE SIXIÈME SENS : L’INTÉROCEPTION*


L’intérêt porté à nos sensations corporelles a été souvent négligé
et n’a que peu d’intérêt dans notre société contemporaine. On nous
a souvent appris à contrôler notre comportement et à rejeter le feed­
back de nos réactions corporelles.
Pour répondre à certaines contraintes sociales, nous nous effor-
çons de contenir nos besoins corporels. Nous restons plus longtemps
assis, même si nous ressentons le besoin de nous lever et de bouger.
Nous retardons un repas malgré la faim, nous retardons l’accès aux
toilettes malgré l’urgence. Lorsque nous rejetons ces urgences ou ces
ressentis, nous stoppons, ou tout au moins nous tentons d’atténuer,
la composante sensorielle d’un feedback visant à réguler des processus
physiologiques.
L’intéroception* reflète l’influx nerveux allant des viscères au
cerveau. Si nous comprenons la notion d’intéroception, nous pouvons
comprendre aussi que la disponibilité de différentes aires cérébrales,

149
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

influençant la prise de décision, la mémoire et d’autres processus


cognitifs, puisse dépendre du feedback résultant de nos différents
états physiologiques.
Dr Buczynski : Cela touche-t-il les processus de plus haut niveau ?
Dr Porges : Oui, en un sens. Si vous aviez des maux d’estomac
sévères, pourriez-vous être efficace dans un travail intellectuel de haut
niveau ? Dans le cas de douleurs gastriques, le feedback provenant de
notre estomac limite nos capacités de concentration et nous empêche
de résoudre des tâches complexes. Notre culture ne laisse pas de place
à ce ressenti et tente de résoudre les choses ainsi : « Si vous avez des
douleurs, prenez des antalgiques. » Mais pourquoi ne pas considérer
que ce ressenti d’une douleur corporelle constitue une information
susceptible de nous aider, de nous informer sur notre état ?
L’intéroception* se fond pour moi dans une autre notion que j’uti-
lise fréquemment et que j’appelle la neuroception*. La neuroception
est une estimation inconsciente du risque environnemental, évalué
pas le système nerveux. Lorsque la neuroception a lieu, nous cher-
chons alors la cause de ce ressenti. Ce qu’il y a d’intéressant ici, c’est
que bien que nous ne soyons pas conscients des causes qui ont déclen-
ché cette neuroception*, nous sommes fréquemment conscients (via
l’intéroception) des réactions physiologiques qui en résultent.
La neuroception peut être illustrée par cet exemple : vous rencon-
trez quelqu’un, une personne semblant brillante et attirante, mais
quelque chose vous repousse en elle, car sa voix manque de prosodie*
et ses expressions faciales sont pauvres. Vous ne savez pas vraiment
pourquoi, mais à travers le processus de la neuroception* votre
corps répond : « Méfiance ! » Et vous traduisez ainsi par des mots
votre ressenti et vos réponses corporelles. (Approfondissements au
chapitre 5, La théorie polyvagale.)

TONUS VAGAL ET ÉMOTION


Parlons du tonus vagal* et plus précisément du tonus vagal
cardiaque. Le tonus vagal est utilisé en littérature comme une notion

150 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

reflétant l’impact fonctionnel des voies vagales myélinisées sur le


cœur. Il est évalué à partir de l’amplitude des oscillations de la
fréquence cardiaque, battement par battement, se produisant avec
une périodicité suivant celle de la respiration spontanée. Lorsque
la variabilité de la fréquence cardiaque montre des oscillations se
répétant avec une certaine périodicité, on parle d’arythmie sinusale
respiratoire*. Les profondes influences de la respiration, en dimi-
nuant les influences vagales sur le cœur pendant l’inspiration, et
en les augmentant pendant l’expiration, fournissent la base physio­
logique de cette métrique. D’autres estimations du tonus vagal ont
été faites se basant sur une description statistique plus globale de la
variabilité de la fréquence cardiaque*.
Maintenant, pour faire le lien entre le tonus vagal* et la régulation
des émotions, je dirais que le terme d’émotion est un terme compliqué
et ambigu, parce qu’il correspond à toute une variété d’expressions
et de ressentis, qui sont régulés par différents systèmes. L’émotion
représente un ensemble de concepts psychologiques. Toutes les
émotions ne relèvent pas des mêmes voies physiologiques.
Les vocalisations et les expressions faciales, éléments importants
de l’expression émotionnelle, sont contrôlées par une aire du tronc
cérébral qui régule le nerf vague myélinisé mammalien. En effet, les
voies vagales myélinisées sont directement impliquées dans la régu-
lation des éléments prosodiques de la voix.
Sans le contrôle du nerf vague myélinisé, nous ne transmettons plus
les mêmes émotions. Le tonus des muscles de la partie haute du visage
s’atténue, pendant que le tonus musculaire de la partie inférieure du
visage s’accroît. En effet, la partie haute du visage transmet plutôt
les signaux de sécurité, alors que la partie basse est impliquée dans
le « mordant » et dans les comportements défensifs de lutte-fuite*.
L’activité vagale et les émotions sont liées, mais il existe une
seconde dimension dans l’émotion. La première dimension, dont je
viens de parler, concerne le lien entre la régulation des muscles striés
de la face et de la tête, l’intonation de la voix et le contrôle vagal du

151
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

cœur. Alors qu’une autre dimension, plus dépendante du système


nerveux sympathique*, reflète la relation entre le mouvement et l’état
physiologique. Si nous nous trouvons dans un état de mobilisation,
la gamme d’émotions que l’on peut transmettre est très réduite. Si
nous nous mobilisons, nous réduisons les influences des voies vagales
myélinisées, se manifestant par une réduction du tonus vagal* sur le
cœur.
Un exemple : imaginez deux personnes dans une salle de sport,
échangeant entre elles sur des tapis roulants et en train de courir rapi-
dement. Leur état physiologique va s’orienter vers une plus grande
implication du système nerveux sympathique* au fur et à mesure
de leur entraînement. Dans cet état de mobilisation, la gamme
d’émotions possibles devient très limitée et leurs seuils de réactivité
baissent. Vous comprendrez facilement que physiologiquement, lors
de la course, la régulation des expressions faciales et de la prosodie*
est impossible.
Dr Buczynski : Si la régulation vagale est en partie la clé de la
régulation émotionnelle, alors les interférences avec ce processus
pourraient conduire à des désordres affectifs.
Dr Porges : Ou à une mauvaise interprétation des intentions.
Nous pouvons bloquer l’expressivité d’un visage. Suite à l’injection
de Botox par exemple, dans la partie haute du visage, l’expression de
la joie ou de l’enthousiasme sera réduite. L’enthousiasme et la joie
sont exprimés grâce à l’orbicularis oculi, le muscle orbiculaire de l’œil.
Nous observons la partie haute du visage pour saisir les indices de
l’affect. En l’absence de ces indices, il devient difficile d’interpréter
correctement les réponses émotionnelles des autres. Si nous bloquons
le contrôle vagal sur le cœur, en bloquant l’aire du tronc cérébral
régulant le nerf vague et les muscles de la face, alors surgiront des
problèmes dans les interactions sociales.
D’autres problèmes peuvent survenir encore lors de la prise de
certains médicaments. Beaucoup de médicaments ont une action
anticholinergique (c’est-à-dire que le traitement bloque les voies

152 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

cholinergiques). Le nerf vague est une voie cholinergique majeure


et donc ces médicaments perturbent l’état physiologique en même
temps que l’expression émotionnelle. (Approfondissements au
chapitre 9, La théorie polyvagale.)

LE FREIN VAGAL*
Le « frein vagal » c’est ce qui nous permet, à vous comme à moi, de
rester assis ici sans ressentir le besoin de fuir. Le frein vagal constitue
l’une des fonctions du nerf vague myélinisé. Le rôle du frein vagal
est de ralentir la fréquence cardiaque à travers l’action du nerf vague
myélinisé sur le pacemaker cardiaque (le nœud sino-atrial).
Nous oublions très souvent que sans l’action du nerf vague, notre
cœur battrait à une fréquence augmentée de 20 à 30 battements
par minute. Sans le « freinage vagal », notre fréquence cardiaque
serait supérieure à 90 battements par minute, du fait de l’action du
­pacemaker cardiaque conditionnant la fréquence intrinsèque du
cœur.
Le nerf vague fournit le « frein » capable d’inhiber le pacemaker
du cœur et permet l’orientation sur différentes options adaptatives.
Cela signifie que pour augmenter notre fréquence cardiaque de 10
ou 20 battements par minute, il suffit que le tonus du frein vagal soit
diminué, sans pour autant nécessiter une stimulation du système
nerveux sympathique*. Une accélération du cœur sous l’action du
système nerveux sympathique, en revanche, est moins précise et plus
massive, et risque de nous faire tomber dans la colère ou la panique.
Les mammifères ont acquis ce pouvoir magnifique d’accroître la
fréquence cardiaque, pour favoriser la mobilisation, sans impliquer
nécessairement le système nerveux sympathique. Une simple levée du
frein vagal* leur permet les ajustements les plus fins.

MODE DE FONCTIONNEMENT DE LA NEUROCEPTION*


L’évolution a modifié notre système nerveux pour nous permettre
de détecter les caractéristiques d’un environnement. Qu’il s’agisse de

153
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

l’acoustique environnante ou de la gestuelle des autres, le système


nerveux interprète instantanément ces éléments. Dans la mesure où
la plupart de ces évaluations se font d’une façon inconsciente, le mot
« perception » n’est pas le plus adapté pour décrire ce processus. J’ai
donc créé le terme de « neuroception* » qui constitue le processus
neural de base de l’évaluation inconsciente du risque environne-
mental. Et, tout en évaluant ce risque, le système nerveux négocie,
navigue et recrute la composante neurale correspondant au contexte
environnant.
La présence à nos côtés de quelqu’un qui se montre engageant,
souriant, avec de belles intonations de voix, peut nous inciter à nous
en rapprocher, car nous ressentons du bien-être en sa compagnie.
Nous écoutons ses propos, ressentant de l’intérêt, tout en oubliant
le fond sonore et en restant corporellement parlant dans un état de
calme. Cette succession d’évènements résulte d’une neuroception* de
sécurité déclenchée en nous par l’engagement ou le système d’enga-
gement social de notre interlocuteur.
Au contraire, si nous étions en face d’une personne parlant d’une
façon saccadée, avec des phrases très courtes et une voix non proso-
dique, notre système nerveux réagirait très vite en induisant en nous
le besoin d’établir concrètement une distance, notre interlocuteur ne
nous apportant aucun indice de sécurité. Ce sont des exemples de
neuroception*.
Certains hommes, avec une voix riche en basses fréquences, ont
fréquemment ce problème, car ils suscitent la peur, plus spécifique-
ment chez les femmes et les enfants. Le système nerveux fait toutes
ces interprétations à travers le processus de la neuroception, sans que
nous en soyons conscients.
Dr Buczynski : Est-ce que la neuroception est la part physiologique
de l’intuition ?
Dr Porges : J’aimerais vous dire oui ! La neuroception* donne lieu
à une réponse physiologique à des facteurs de risque environnants.
Cependant, il y a encore un second niveau. Nous sommes souvent

154 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

conscients de nos réponses physiologiques, bien que nous puissions


ne pas être conscients des facteurs environnants qui déclenchent la
neuroception*. Ces ressentis physiologiques influencent notre narra-
tion. Nous cherchons à adapter notre récit, qui se traduit souvent
en termes irrationnels : « j’aime cette personne/je n’aime pas cette
personne/cette personne me traite mal/je n’aime pas aller dans les
centres commerciaux… ». Nous tentons de donner un sens ration-
nel à notre narration, essayant de traduire une réaction chaotique
qui pourrait paraître insensée à d’autres, mais cependant tout à fait
logique pour nous.
Dr Buczynski : C’est ce que l’on peut entendre, bien souvent,
lorsqu’on traite un traumatisme ou d’autres troubles, et même dans
nos relations interpersonnelles.
Dr Porges : Oui. Il faut que nous réalisions que les individus
ayant des réactions défensives, que ce soit une mobilisation ou un
shutdown*, vont développer des narrations élaborées pour expli-
quer leurs réactions corporelles. Il est important d’être à l’écoute
de nos réactions corporelles et de comprendre que ces réactions
constituent non seulement une modification de notre état physio-
logique, mais aussi de notre perception du monde. Comprendre que
notre état physiologique peut influencer notre perception des autres
peut nous être utile pour nous permettre de revoir une narration
personnelle.
Imaginez-vous avec de violentes douleurs abdominales. Comment
vous comporteriez-vous avec les autres ? Seriez-vous patiente, enga-
geante ? Ou seriez-vous susceptible et grincheuse ? Victime de maux
d’estomac, vous ne seriez pas très « efficiente » dans des événements
sociaux. Mais que se passerait-il, si vous n’êtes pas consciente que
l’activation de votre système nerveux est déclenchée in fine par le
contexte, et que la source du malaise ne résulte pas seulement d’une
distension de l’estomac, mais de quelque chose d’autre ? Soudain,
vous deviendriez très grognon. Chercheriez-vous votre entourage ?
Ou chercheriez-vous plutôt un lieu tranquille loin des tracas ?

155
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

J’aime souvent dire que lorsque notre système nerveux nous fait
défaut, alors nos réactions corporelles nous sauvent. Lorsque notre
système nerveux induit une neuroception* de danger, de risque, ou
de peur, nous sommes assez intelligents pour essayer de trouver une
solution pour « nous en sortir », plutôt que de lutter contre nous-
mêmes et de nous forcer à « rester là quand même ». L’intelligence
est de rester à l’écoute de nos ressentis corporels. Mais si ce n’est pas
le cas, notre système nerveux ne pourra pas nous apaiser et nous
« éclaterons ». C’est réellement le terme, comme un enfant qui pique
une colère, nous éclaterons. L’incapacité de modérer nos réactions
défensives dans un certain contexte social témoigne de l’échec de
notre système nerveux et ainsi nous « éclatons ». Mais d’une façon
plus mature – nous l’espérons – et comprenant la nature de ces réac-
tions défensives, nous nous réfugierons plutôt dans un endroit plus
apaisant.
La plupart des gens cherchent à se sécuriser par la présence d’un
proche ou d’un ami. Cependant, dans les mêmes conditions, mais
à proximité d’un inconnu, leur système nerveux peut s’orienter sur
un autre état qui les pousse à fuir, car ils ne se sentent ni bien, ni en
sécurité.

NEUROCEPTION* : SENTIMENT DE MENACE OU DE SÉCURITÉ ?


Dr Buczynski : Vous avez émis l’hypothèse que des patients
présentant un trouble de la personnalité borderline* pourraient avoir
des difficultés dans le maintien du frein vagal*.
Dr Porges : Oui, et l’on en revient à la neuroception, et à ce que
notre corps détecte en évaluant le risque environnemental. Les indivi-
dus borderline ont une neuroception très préservatrice et je voudrais
faire une analogie.
Pour voyager en avion, par exemple, nous allons dans un aéro-
port où nous passons des contrôles de sécurité et nous sommes
interrogés par les services de contrôles aériens. Le système nerveux
d’une personne borderline* opère fonctionnellement comme si elle

156 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

disposait d’un système de sécurité privé, scrutant attentivement les


autres pour déterminer le risque et décidant qui peut ou non monter
à bord. Si un agent de la sécurité voulait être sûr à 100 % qu’aucun
terroriste ne puisse se retrouver dans l’avion, personne n’y monte-
rait. Dans mon exemple, l’avion représente le corps de l’individu
borderline*, et l’agent de sécurité la neuroception. Donc, de la même
façon que l’agent de sécurité doit avoir la certitude de l’absence de
terroristes à bord, le système nerveux de cet individu n’accorde plus
sa confiance à personne.
Maintenant, nous allons nous pencher sur la neuroception de la
personne borderline*. Il faut savoir que le seuil de déclenchement
d’une neuroception de danger est vraiment très bas chez un individu
borderline. Il pense facilement que son entourage est dangereux, et il
choisira d’établir des distances. Chez un individu atteint d’un trouble
de la personnalité borderline*, n’importe qui peut facilement déclen-
cher une réponse défensive, alors que ce n’est pas le cas pour la plus
grande majorité des individus.
Dr Buczynski : Où voulez-vous en venir ?
Dr Porges : Tout d’abord nous n’irons pas plus loin avant d’avoir
compris ce point. Il faut avant tout comprendre avant d’intervenir.
Si nous comprenons et informons les patients et les thérapeutes de
l’importance de ces éléments contextuels et relationnels, alors ceci
aura un effet positif sur la réactivité de ces personnes. La régulation
descendante cerveau-corps peut se normaliser plus facilement en
étant plus conscients et plus avertis.
Laissez-moi orienter un moment la discussion sur le trauma-
tisme. Ensuite nous en reviendrons au trouble de la personnalité
borderline*. Je donne fréquemment des conférences à des théra-
peutes suivant des individus traumatisés. Je cherche d’abord à faire
comprendre et reconnaître que ce basculement du corps dans un
état particulier, lié au traumatisme, est un acte héroïque. Notre corps
nous aide, notre corps nous sauve, il ne nous abandonne pas, il nous
aide à survivre.

157
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

Le problème, c’est que lorsque notre corps nous place d’une façon
réflexe dans un état de survie, comme dans le cas d’un collapsus,
nous avons ensuite des difficultés à quitter cet état pour passer à
un état d’engagement social. Il est important de comprendre que
nos réactions corporelles qui modifient fonctionnellement notre
état physiologique ne sont pas volontaires. Et lorsque nous sommes
victimes d’un collapsus d’une façon réflexe, tout comportement
volontaire nous devient totalement interdit. Notre corps a changé, il
est différent et nous guide alors vers une auto-préservation, mais ne
laisse plus de place aux comportements d’engagement social.
J’encourage les thérapeutes à expliquer aux patients les choses
merveilleuses que leur corps a réalisées pour leur permettre de
survivre. Il faut que les patients comprennent que la survie était
la seule chose importante, et que s’ils ont réussi à survivre à une
expérience horrible, ils doivent commencer déjà par se considérer
eux-mêmes comme de véritables héros.
Les thérapeutes qui ont mis en pratique ces conseils m’ont confirmé
les résultats positifs de cette démarche. Les patients le confirment
aussi par leurs témoignages tels que : « Je ne comprenais pas, et en
évoquant mon cas, je critiquais ces réactions corporelles qui m’in-
terdisaient toute vie sociale… mais le simple fait d’en comprendre
l’utilité et d’accepter ces réactions corporelles m’a soudain rendu les
choses plus faciles. »
Certaines approches thérapeutiques utilisent l’exposition
progressive pour désensibiliser le patient aux stimuli traumati-
sants. Cette approche comportementaliste ne tient pas compte de
la physiologie du patient, ni de la nature défensive de son état.
Ces procédures, du fait de l’état physiologique du patient, plutôt
que de diminuer la réactivité, augmentent au contraire sa sensibi-
lité aux stimuli associés à l’événement traumatique. Plutôt que de
confronter le système de défense aux causes du traumatisme, il est
nécessaire de maîtriser le système de défense grâce aux influences
descendantes (top-down). Il nous faut comprendre et respecter

158 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

notre corps pour pouvoir diminuer nos réactions de défense. Plutôt


que de recruter les défenses, nous devons absolument comprendre
que notre corps a fait l’impossible pour nous, et que cela devrait
nous rendre fiers plutôt qu’embarrassés. Donc, à travers ces
influences top-down, résultant d’une prise de conscience et donc
d’une nouvelle narration personnelle, une transformation peut se
produire. Cette stratégie va dans le même sens que les thérapies qui
prônent l’auto-compassion.
Je pense que quelque chose de similaire pourrait se produire
dans le trouble borderline*, si nous considérons comme caracté-
ristique de ce trouble un seuil bas de déclenchement de réponse
défensive vis-à-vis d’autrui. Il est sûr que l’histoire clinique d’une
personne borderline* est souvent difficile, déplaisante. Souvent,
dans ces parcours de vie, nous pouvons voir une continuité entre
les expériences traumatiques précoces et l’aboutissement au trouble
de la personnalité borderline. Le traumatisme ou un abus orientent
le patient dans un état fonctionnel dans lequel le système nerveux
agit comme un agent de sécurité, qui serait orienté sur la méfiance,
la surveillance, et ferait en sorte que « personne ne monte dans
l’avion ». Lorsqu’un patient prend conscience et accepte les fonc-
tions adaptatives défensives de ses réponses corporelles, il peut
en être fier car c’est ainsi qu’il a pu survivre. Il peut ainsi voir ses
propres limites avec plus d’indulgence et tempérer cette colère et
cette désapprobation de lui-même.
Dr Buczynski : Ceci me rappelle la recherche sur la compassion,
ceux qui pratiquent la compassion et l’auto-compassion, et l’impact
bénéfique de cette pratique sur le comportement, la dépression* et
l’anxiété*. Vos explications auront sûrement une grande influence
sur l’importance que l’on apporte à l’auto-compassion pour modifier
notre état cérébral.
Dr Porges : Oui, et dans nos propos il y a cette idée de placer
la totalité du système nerveux, dont le cerveau, dans un état de
sécurité.

159
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

En effet, nous pouvons adapter cette idée à la pleine conscience, car


lorsque nous évoquons la compassion, nous parlons souvent aussi de
pleine conscience, et être en pleine conscience c’est être dans un état
de sécurité. Être en pleine conscience implique un état qui n’est ni
évaluatif, ni critique. Tant que nous sommes dans cet état de sécurité,
il nous est difficile de recruter nos systèmes de défense.
Lorsque les gens sont sur la défensive, ils sont mal « dans leur
corps », se mettent en colère, et recrutent d’anciennes structures
neurales. Il y a un chevauchement entre réponse de défense et
réponse d’évaluation, et nous recrutons les systèmes de défense à
chaque fois que nous sommes évalués. Probablement, au cœur de
la problématique borderline* demeure la sensation d’être chroni-
quement évalué, ce qui déclenche une neuroception* de danger. Ce
sentiment de danger induit un état défensif chronique qui distord la
perception d’autrui.

RÉPONSES REPTILIENNES ET MAMMALIENNES FACE À L’IMPRÉVU


Dr Buczynski : J’aimerais parler maintenant de l’imprévu. Vous
avez évoqué une différence entre les réponses reptiliennes et mamma-
liennes face à des événements imprévus. Les mammifères fixent leur
attention sur l’événement imprévu et le communiquent aux autres,
tandis que les reptiles n’en font pas autant.
Dr Porges : Les mammifères aiment la nouveauté, mais la nouveauté
dans un environnement sûr. Regardez simplement des chiots ou des
chatons ou encore de jeunes rats en train de jouer. La nouveauté
les attire, les éloignant de leurs mères. Mais, dès que survient un
événement imprévu leur semblant dangereux ou effrayant, ils se
rapprochent instantanément d’elle.
Ceci peut sembler paradoxal, mais les plus audacieux et les plus
curieux d’entre eux sont aussi ceux qui ont reçu ou qui renvoient le
feedback de sécurité le plus efficace. Il ne s’agit pas de rechercher la
nouveauté juste pour le plaisir de la nouveauté. Dans la vie courante,
les plus audacieux aiment prendre des risques. Ils ne se sentent pas en

160 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

insécurité dans des situations nouvelles. Mais ce sont aussi des gens
qui bénéficient d’un support social solide, et qui ne voient pas dans
le risque une véritable menace vitale.
Nous pourrions envisager de créer des structures urbaines et envi-
ronnementales qui correspondent plus à un modèle mammalien qu’à
un modèle reptilien. Un modèle mammalien va conforter les indi-
vidus, offrir plus de place à un environnement partagé, et créer un
contexte permettant de donner plus d’attention et de ressentir plus
d’empathie à l’égard d’autrui. Un modèle reptilien, au contraire, est
générateur d’isolement, il ne facilite ni la recherche de la nouveauté
ni la témérité.
Dr Buczynski : Je comprends très bien, cependant certains types
de personnalités adorent la nouveauté, prennent des risques, et sont
en quête perpétuelle de danger.
Dr Porges : J’y pensais, tout en vous parlant. Si nous créons un
modèle induisant un comportement optimal dans la majeure partie
des cas, nous savons aussi qu’à l’extrême, nous décrivons des socio-
pathes, ou d’autres formes de comportements atypiques. Ce que je
voudrais faire comprendre est différent, c’est-à-dire qu’un compor-
tement, pour être le plus bénéfique possible à la santé de chacun,
nécessite des interactions avec les autres.
Lorsque l’on recherche la nouveauté en pratiquant le saut à l’élas-
tique, il y a une différence fondamentale entre l’expérience pratiquée
avec un ami vous regardant en face à face pendant que vous sautez
avec lui et le choix de vivre une série d’événements ponctuels qui
incitent continuellement le système nerveux à se mobiliser et à rester
en dehors des états d’immobilisation.
Dr Buczynski : Donc, ceci mis à part, les individus audacieux
aimant la nouveauté sont les plus à même de retourner à un état de
sécurité.
Dr Porges : Oui, et l’une des conséquences d’un traumatisme
c’est que les individus traumatisés n’aiment pas la nouveauté et ne
connaissent pas la « voie » de la sécurité.

161
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

LE JEU*, UN EXERCICE NEURAL*


Je voudrais maintenant orienter la discussion sur le jeu, puisque
je pense que mieux comprendre le jeu nous permet de mieux
comprendre aussi les conséquences d’un traumatisme. Dans le jeu,
nous adoptons les attitudes d’un état défensif en même temps que
celles de l’engagement social ; nous nous mobilisons mais nous ne
blessons pas l’autre, et considérons les interactions en face à face
comme un élément définissant le jeu. En jouant, les mammifères
envoient continuellement des signaux de sécurité, se fiant aux expres-
sions faciales et aux vocalisations lorsque les interactions en face à
face ne peuvent être maintenues. Ils transmettent ainsi des messages
de confiance et de sécurité. Nous pouvons observer ceci chez de
nombreuses espèces de mammifères.
En cas d’absence d’interactions en face à face dans le jeu*, les
enfants peuvent facilement se blesser. Sur un terrain de jeu, on trouve
des enfants avec qui personne ne veut jouer. Ces enfants ont souvent
des problèmes de régulation des états. Ils se « mobilisent » quand les
autres s’engagent, et ne saisissent pas les indices importants condi-
tionnant la qualité de l’interaction sociale. Souvent leurs stratégies de
mobilisation entraînent des blessures chez leurs camarades, même
s’ils n’ont aucune intention de blesser. Ils restent dans l’ignorance
plutôt, ou n’interprètent pas bien les signaux de leurs camarades.
Le retour à une santé mentale optimale peut se faire par le biais
du jeu*. Le jeu implique à la fois la mobilisation et l’inhibition de
la mobilisation. En accord avec la hiérarchie décrite dans la théorie
polyvagale, le système d’engagement social suffit à inhiber efficace-
ment la mobilisation défensive.
Quand j’étais étudiant, on considérait que la fonction adaptative
du jeu* résidait dans l’entraînement aux compétences de lutte et de
fuite. C’est ce que nous avons appris concernant les comportements
ludiques de tout jeunes mammifères. Nous pouvons aujourd’hui
compléter ce concept par l’explication de la hiérarchie des états auto-
nomiques décrite dans la théorie polyvagale. Dans cette perspective,

162 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

l’intérêt adaptatif principal des comportements ludiques n’est pas


celui du développement des compétences de fuite ou de lutte, mais
celui du développement des compétences de régulation des états.
Le jeu* est fonctionnellement un exercice neural* permettant aux
mammifères de se mobiliser sans crainte, à travers les trois états de la
théorie polyvagale : engagement social, mobilisation, immobilisation.
Cet exercice neural facilite les transitions d’un état physiologique à
l’autre, favorisant la résilience et permettant de s’immobiliser sans
crainte, à proximité des autres.
Au cours de leurs jeux, des chatons ou des chiots maintiennent
toujours un contact visuel en face à face. Ils sont suffisamment
en confiance avec le reste de leur portée pour s’endormir à leurs
côtés, sans aucune vigilance. Il n’y a aucun danger pour eux, car les
interactions en face à face, grâce au système d’engagement social,
contiennent la mobilisation défensive. Dans le contexte de la théorie
polyvagale, c’est l’intervention du nerf vague myélinisé qui atténue
et contient l’excitation sympathique.
Les jeux électroniques, ne nécessitant aucune mobilisation, sont
des exercices individuels qui ne doivent pas être confondus avec un
jeu* interactif. Le jeu individuel est dépourvu d’interactions en face à
face, bien que cette activité mime l’état physiologique de la fuite et de
la lutte, sans utiliser les ressources du système d’engagement social.
Dr Buczynski : Si le tonus vagal* est responsable de la régulation de
l’organisme lors de périodes de stress intense, comment est-il possible
que le nerf vague puisse réellement porter atteinte à l’organisme,
notamment lors d’une expérience traumatisante ou d’un événement
perturbateur ?
Dr Porges : « L’atteinte » est une notion complexe. Encore une
fois, l’une des idées que j’essaie de faire passer dans la théorie poly-
vagale est que les réponses physiologiques à l’environnement ne sont
ni bonnes ni mauvaises, mais sont des réponses adaptatives. Nous
devons nous demander plutôt si ces réponses adaptatives sont adap-
tées ou non à un certain contexte, ce qui nous permet de gommer

163
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

les a priori de bonne ou de mauvaise réponse, spécialement lorsque


les réponses sont essentiellement dictées par des changements d’état
autonomique*.
On dit souvent qu’après un traumatisme quelque chose ne va plus,
et que le système nerveux autonome* d’un individu ne peut plus être
qualifié de « social ». Je pense plutôt qu’il faudrait voir ces change-
ments d’état comme des changements adaptatifs, voire comme une
stratégie quasiment miraculeuse utilisée par leur propre corps pour
les protéger de la douleur, de la blessure ou de la mort.
L’idée d’une potentielle nocivité du nerf vague prend forme
lorsque l’on considère que le nerf vague sous-diaphragmatique*
peut être recruté dans la défense. Dans ce cas, il peut entraîner des
retentissements dans les fonctions physiologiques des organes sous-
diaphragmatiques, se manifestant souvent par des perturbations
digestives et d’autres symptômes plus importants qui pourraient
même justifier une hospitalisation. Les individus ayant vécu un
traumatisme peuvent être affectés par des perturbations potentielle-
ment graves résultant de l’activation du système vagal archaïque. Si
nous nous intéressons aux symptômes cliniques de ces sujets, nous
constatons alors un grand impact sur les organes sous-diaphragma-
tiques favorisant par exemple l’obésité, des perturbations digestives
ou d’autres conséquences neurophysiologiques.
Dr Buczynski : Revenons-en à l’implication du nerf vague.
Dr Porges : L’ancienne conception du système nerveux autonome*
ne prenait pas en compte le fait que le nerf vague non myélinisé (le
plus ancien au cours de l’évolution), au-delà d’innerver majoritaire-
ment les organes situés en dessous du diaphragme, peut intervenir
aussi comme un système de défense.
Vous pouvez facilement comprendre l’impact sur la survie
des comportements d’immobilisation, tels que l’évanouissement
et la dissociation*. Mais on oublie souvent les conséquences sur
la santé du recrutement de ce système. Lorsqu’il y a une immo-
bilisation défensive et une perte de connaissance, l’influx du nerf

164 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

vague non myélinisé peut rompre l’homéostasie*, et induire une


cascade de conséquences se manifestant dans les organes sous-­
diaphragmatiques. Permettez-moi de l’expliquer de cette façon : la
régulation neurale de ce nerf vague ancien sous-diaphragmatique*
pourrait être impliquée dans de nombreux symptômes en comorbi-
dité avec un traumatisme. Ces symptômes peuvent prendre la forme
d’un syndrome du côlon irritable, d’une fibromyalgie, d’une obésité
et d’autres problèmes intestinaux.
Dans les années 1950, la vagotomie était une solution très répandue
pour soigner certains troubles gastriques. Il s’agit d’une intervention
chirurgicale dans laquelle on coupe la branche sous-diaphragmatique
du nerf vague. La vagotomie était la solution chirurgicale apportée
pour traiter les ulcères de l’estomac, étant donné que la branche sous-
diaphragmatique du nerf vague intervient dans la régulation et la
libération des sécrétions digestives dans l’intestin. Les vagotomies ne
sont plus une procédure commune aujourd’hui.
Dr Buczynski : Après une vagotomie, quelles conséquences pour
le patient ?
Dr Porges : Les bénéfices de cette chirurgie n’ont pas été probants
et personne, autant que je le sache, n’a jamais étudié les conséquences
psychologiques ou physiologiques de la suppression du feedback
neural de l’intestin sur le cerveau.
Les chirurgiens ne coupaient pas seulement des voies motrices,
mais également les composantes sensitives de cette branche
vagale. En agissant ainsi, ils ont entraîné un impact sur d’autres
organes aussi, qui recevaient l’influx nerveux du nerf vague
sous-­diaphragmatique*.
Le modèle médical adopte la démarche suivante : « J’ai un organe
cible ; si cet organe est dysfonctionnel, concentre-toi sur lui ; s’il est
sur-stimulé, alors bloque les influences neurales sur celui-ci ; fais-le
avec des médicaments. » Mais voilà, on a choisi la chirurgie, alors
qu’il aurait été plus judicieux de chercher à comprendre le feedback
neural de ces systèmes et de monitorer les réponses.

165
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

Dr Buczynski : Bien sûr. Les médicaments auraient constitué peut-


être quelque chose de plus approprié que la section du nerf vague,
mais la meilleure solution aurait été l’étude de l’aspect fonctionnel
du trouble.
Dr Porges : Oui. Après ma réaction de panique lors de l’IRM (voir
chapitre 2), j’ai pu juger de l’utilité des médicaments en traitement
aigu et dans des circonstances précises, lorsqu’une composante du
système nerveux est dysfonctionnelle ou déprimée.
Dr Buczynski : C’était une situation ponctuelle, car vous ne passez
des IRM qu’une fois de temps en temps. Mais si vous deviez prendre
quotidiennement un ascenseur pour aller travailler au 25e étage et
que vous deviez prendre des médicaments tous les jours pour aller
travailler…
Dr Porges : Vous êtes en train de souligner la différence impor-
tante entre l’usage de médicaments dans le traitement des pathologies
aiguës et dans le traitement des pathologies chroniques. Nous en
savons plus sur l’usage des médicaments en traitement aigu qu’en
traitement chronique, mais on applique actuellement aux patholo-
gies chroniques les résultats positifs obtenus dans les traitements des
pathologies aiguës. Par exemple, certaines personnes peuvent prendre
des bêtabloquants pour limiter leur anxiété* pour pouvoir parler en
public, ou pour prendre un ascenseur. Les bêtabloquants inhibent
en partie l’action du système nerveux sympathique* en neutralisant
la mobilisation défensive et l’hypervigilance. Comme l’anxiété* est le
produit d’un état neural favorisant la mobilisation et l’hypervigilance,
les bêtabloquants permettent de vivre des expériences qui auraient
déclenché autrement un état défensif lié à l’activation du système
nerveux sympathique*.
Beaucoup de gens se voient prescrire des traitements pharma-
ceutiques sans se rendre compte qu’ils bloquent parallèlement une
fonction adaptative d’une des composantes de leur système nerveux.
Prendre des bêtabloquants signifie bloquer en partie notre système
nerveux sympathique*. Quels sont les effets à long terme sur la

166 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

santé et le comportement de l’usage devenu si répandu de ce type


de traitement ?

NERF VAGUE ET DISSOCIATION*


Dr Buczynski : Vous disiez précédemment que vous vouliez abor-
der le thème du nerf vague et des différentes formes de dissociation.
Dr Porges : C’est un nouveau domaine de recherche pour moi.
Nous sommes tous un peu comme des étudiants, tentant d’explo-
rer de nouveaux domaines et d’en comprendre les applications. Je
n’avais pas vraiment réalisé à quel point les états dissociatifs étaient
prévalents dans la population. Je n’en avais pas encore compris le
processus, en particulier chez les individus traumatisés.
Un processus dissociatif peut être décomposé en différents niveaux.
À un premier niveau, le traumatisme déclenche une dissociation* qui
est la conséquence d’une réaction adaptative phylogénétiquement
ancienne, impliquant le circuit vagal archaïque, capable d’induire un
collapsus bio-comportemental.
Lors d’un collapsus, la fréquence cardiaque ralentit drastiquement.
Bien qu’utile aux reptiles, la survenue d’un collapsus est plus déli-
cate chez les mammifères qui doivent maintenir un apport sanguin
constant en oxygène au cerveau. Le collapsus induit une réduction
massive de cet apport, ce qui compromet les fonctions cérébrales
allant jusqu’à induire une perte de conscience.
Qu’en est-il de nos fonctions cognitives dans ce cas ? Même si le
collapsus ne suffit pas à induire une perte de conscience, il modifie
notre sensibilité et réduit massivement les ressources cognitives. La
prise de décisions et même l’évaluation de la situation peuvent être
compromises. C’est ce qui se produit lors d’une dissociation*.
On peut se poser la question des effets résiduels sur le système
nerveux après un traumatisme. Après avoir subi un traumatisme,
notre système nerveux s’oriente-t-il plus facilement sur un état
dissociatif ? Y a-t-il un changement dans le seuil déclenchant un état
dissociatif ? Et il reste encore cette interrogation pour les praticiens

167
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

et les survivants d’un traumatisme qui est de savoir, comment arriver


à se sortir d’une tendance à la dissociation* ?
Les méthodes dont nous disposons sont extraordinairement limi-
tées. Historiquement, les modèles thérapeutiques utilisés dans le
traitement des traumatismes étaient des modèles comportementaux
(désensibilisation, visualisation, thérapies cognitives et comporte-
mentales). Mais nous n’avons jamais utilisé ou pensé à un modèle de
traitement qui serait très proche de celui de l’aversion gustative*, un
conditionnement à expérience unique (one-trial conditioning model)
dans lequel, suite à une seule exposition, quelque chose s’associerait
et se déclencherait en nous, et nous placerait dans un état physio­
logique spécifique.
Nous devons nous rappeler que l’aversion gustative* dépend du
nerf vague sous-diaphragmatique*, la voie vagale la plus ancienne non
myélinisée, et non de la voie vagale supra-diaphragmatique myéli-
nisée. L’aversion gustative induit des vomissements qui constituent
une réponse adaptative suite à l’ingestion d’aliments contaminés.
L’aversion gustative, de la même façon que l’immobilisation ou la
dissociation*, tend à minimiser le risque vital et les dégâts internes.
J’essaie de comprendre maintenant si les connaissances scienti-
fiques des années 1940 et 1950, étudiant le concept de single-trial
learning*, pourront donner des pistes sur le processus à travers lequel
un seul événement traumatique peut changer un comportement et
rendre ce changement très résistant à la modification. L’aversion
gustative* est un exemple de single-trial learning*, qui lie un événe-
ment à une réaction vagale sous-diaphragmatique.
Je veux étudier tout ce qui a été fait dans la recherche animale
concernant le single-trial learning*, et notamment l’aversion gusta-
tive*. Je veux apprendre les méthodes qui ont été utilisées pour
annuler l’effet de ce conditionnement et à quel point elles ont réussi.
Nous pourrions alors trouver des pistes pour que les survivants
d’un traumatisme s’orientent vers des comportements sociaux plus
adaptés. Des indices nous orientent sur l’idée que les différentes

168 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

conséquences d’un traumatisme peuvent être le produit du nerf


vague sous-diaphragmatique*, recruté adaptativement dans la
défense.
Où se localise, dans notre système nerveux, le lien entre
la mémoire de ce single-trial learning* et la réponse sous-­
diaphragmatique ? Que fait notre système nerveux de ces mémoires
stockées ? Ces questions sont encore sans réponse.
Dr Buczynski : Stephen, comment vous êtes-vous intéressé à cela ?
Dr Porges : En fait, toutes les caractéristiques de ce phénomène
concernent l’immobilisation, et je pense que ceci ressemble au para-
doxe* vagal. Il s’agit de l’usage que nous faisons des mots. Par exemple,
sans décrire les mots comme « vague » ou « comportement » par des
éléments tangibles, nous sommes très limités dans notre compré-
hension. Lorsque nous commençons à faire correspondre ces mots à
des processus de régulation dynamique, leur compréhension devient
plus facile.
Réfléchissons à certaines formes d’apprentissage. Ceux d’entre
nous qui ont fait des études supérieures à la fin des années 1960 s’at-
tendaient à ce que les modèles théoriques de la psychologie soient
des modèles comportementaux pouvant trouver application dans
les processus corporels internes et avoir ainsi le contrôle sur les
organes viscéraux. Il s’agit en fait des mêmes modèles utilisés pour
contrôler le comportement volontaire des muscles squelettiques.
Entre les années 1960 et 1970, les scientifiques ont commis une
erreur : ils voulaient traiter la régulation neurale des organes viscé-
raux avec les mêmes modèles que ceux expliquant l’apprentissage
par des conditionnements opérants conscients. Ayant réalisé que les
deux types de régulation suivaient des « règles » différentes, ils ont
perdu tout intérêt dans la compréhension du contrôle neural des
organes viscéraux.
Par exemple, le biofeedback est une discipline visant à améliorer
la santé en appliquant des principes d’apprentissage et de condition-
nement pour améliorer la régulation neurale du cœur ou d’autres

169
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

organes. Toutefois, les chercheurs en biofeedback ne prennent pas


en compte l’influence des voies neurales régulant le système nerveux
autonome*. Ils ne parlent même pas dans ces termes. Ils décrivent
seulement le résultat de leurs traitements comme bénéfique, amélio-
rant la santé, sans l’attribuer aux processus directement impliqués.
Dans les premières recherches sur le biofeedback et le condition-
nement opérant de l’activité physiologique, les chercheurs tentaient
d’expliquer comment contrôler les organes viscéraux (muscle
cardiaque et musculature lisse) sans l’implication des muscles sque-
lettiques. Mais les mouvements volontaires utilisent les muscles
squelettiques, qui influencent indirectement l’état autonomique*.
Une des grandes questions scientifiques au début des années 1970
était de savoir si les principes de l’apprentissage opérant pouvaient
influencer le cœur sans l’implication des muscles squelettiques. Le
cerveau, pourrait-il contrôler directement le cœur grâce à un modèle
d’apprentissage ? Bien que des scientifiques aient initialement publié
des résultats prometteurs, leurs résultats n’ont pu être reproduits. Des
résultats négatifs évidents ont finalement confirmé que les organes du
système nerveux autonome* ne peuvent être contrôlés par les straté-
gies de l’apprentissage opérant, qui sont efficaces seulement pour le
conditionnement des comportements dépendant des muscles sque-
lettiques. Et malheureusement, cette piste de recherche qui voulait
comprendre les lois de l’apprentissage susceptibles d’influencer la
régulation des organes viscéraux a été perdue.
L’approche scientifique qui étudie la nature involontaire des
réponses viscérales est capitale pour comprendre les séquelles des
traumatismes et surtout la façon dont nous expliquons qu’un seul
événement traumatisant suffit à « re-syntoniser » fonctionnellement
le système nerveux autonome*. Le traumatisme fournit un exemple
très pertinent de réaction adaptative, mais qui devient flou lorsque
nous commençons à parler des critères diagnostiques constitutifs
du syndrome de stress post-traumatique* ou d’autres désordres.
Certaines personnes à qui l’on a diagnostiqué un syndrome de stress

170 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

post-traumatique n’ont jamais fait de collapsus, tandis que d’autres


chez qui ce syndrome n’a pas été diagnostiqué en ont été victimes.
Certaines réactions aux événements traumatiques sont des réactions
de grande mobilisation défensive et d’anxiété tandis que d’autres
réactions se manifestent exclusivement par l’immobilisation. Pour
clarifier ce diagnostic, je pense qu’il faut comprendre la nature des
mécanismes physiologiques médiant ces différentes réactions, et le
diagnostic ne doit pas se baser sur les événements, mais sur les réac-
tions aux événements.
Dr Buczynski : À quoi pensez-vous ?
Dr Porges : Personnellement j’établirais des sous-catégories. Par
exemple, je mettrais dans la même catégorie les réponses d’immobi-
lisation, de dissociation* ou d’évanouissement, et les autres réponses
dans une autre catégorie.
Dr Buczynski : Vous avez parlé tout à l’heure d’une réaction trau-
matique à expérience unique.
Dr Porges : Oui, ce serait un événement unique qui déclencherait
un traumatisme plutôt qu’une accumulation de nombreux événe-
ments. Je pense que les mécanismes sous-jacents à une réaction
traumatique à un événement unique sont différents des effets cumu-
lés et répétés qui définissent un traumatisme complexe. D’un point
de vue scientifique, il est plus facile d’étudier les mécanismes d’un
traumatisme à événement unique, et de créer un modèle animal qui
fournira des informations sur la compréhension et le traitement des
traumatismes chez l’Homme.
Le modèle à événement unique nous amènerait à rechercher de
façon très détaillée les antécédents cliniques des patients. Il nous faut
en effet demander aux patients de décrire leurs réponses et leurs
ressentis plutôt que la description de l’événement. C’est-à-dire que
ce sont les informations sur leurs expériences personnelles, leurs
comportements et leurs ressentis qui sont cruciaux (s’ils se sont
évanouis ou dissociés, ce qui s’est passé pendant un abus et ce qui
s’est passé après l’événement). Ensuite, nous pourrons commencer

171
Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

à travailler sur un type d’intervention qui sortira le système nerveux


des états défensifs.
Ma stratégie personnelle, ou du moins ma stratégie initiale (mais
ce n’est peut-être pas la meilleure) serait de placer le sujet dans un
environnement sécurisant en utilisant les propriétés du système d’en-
gagement social, comme l’action d’une voix prosodique et modulée.
De cette façon, on augmenterait les chances de sortir la personne de
son immobilisation défensive. Notre système d’engagement social,
via le nerf vague myélinisé (notre visage, notre voix, notre capacité à
émettre une voix prosodique et notre capacité à écouter les voix proso-
diques des autres), nous permet d’agir sur notre état physiologique
et sur celui des autres. Fonctionnellement, le système d’engagement
social fournit un tremplin pour le traitement.
Si nous pouvons ramener l’état physiologique d’un sujet dans un
état incompatible avec le collapsus, alors je pense que nous pour-
rons efficacement aider la personne à sortir de son « immobilisme ».
Les psychotraumatologues qui réussissent le mieux sont ceux qui
parviennent à faire évoluer leurs patients dans un état de sécurité.
En orientant le patient vers un ressenti de sécurité, il devient libéré
de ses systèmes défensifs.

APPRENTISSAGE PAR EXPÉRIENCE UNIQUE*


(SINGLE-TRIAL LEARNING*)
Dr Buczynski : Pouvez-vous nous expliquer précisément la notion
de single-trial learning ?
Dr Porges : L’exemple le plus répandu de single-trial learning* est
celui de l’acquisition d’une aversion gustative consécutivement à un
traitement par radiothérapie ou par chimiothérapie.
Lorsque les patients reçoivent des traitements de chimiothéra-
pie ou de radiothérapie, les aliments consommés avant la thérapie
peuvent devenir suffisamment aversifs pour déclencher des nausées,
même longtemps après la thérapie. C’est le nerf vague non myélinisé
qui est impliqué dans la nausée. Que faire pour sortir les patients de
ces réactions aversives ?

172 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Conséquences d’un traumatisme sur le cerveau …

Je voudrais souligner tout d’abord que dans les réactions de


shutdown* consécutives à une expérience traumatique unique, une
personne préalablement normale devient incapable, par la suite, de
pénétrer dans des lieux publics, de supporter la proximité des autres.
Elle commence à souffrir de lourdeurs digestives, d’hypersensibilité
auditive, de fibromyalgie et d’instabilité de la pression artérielle.
Suivre des individus présentant ces symptômes peut nous
permettre d’en comprendre les mécanismes sous-jacents. Nous
avons des indices à ce sujet, puisque la plupart de ces symptômes
sont médiés par le nerf vague sous-diaphragmatique* non myélinisé.
Et ce qui se passe là est le reflet d’une action vagale massive recrutée
dans la défense, celle du nerf vague non myélinisé.
Je pense que si le nerf vague non myélinisé est recruté dans un rôle
défensif pour répondre à un événement traumatique, son action se
traduit fonctionnellement par un single-trial learning*. Une fois que
le nerf vague non myélinisé a été recruté en défense, la régulation
neurale de l’individu se modifie et se réorganise de façon à résister à
toute modification permettant un retour à l’homéostasie* précédente.
Les réponses à un traumatisme semblent donc être très proches d’un
modèle d’aversion gustative*. Ces spéculations vont nous permettre
de comprendre les mécanismes sous-jacents à l’immobilisation en
réaction à un traumatisme.
Dr Buczynski : J’aime beaucoup cette façon qui est la vôtre d’orien-
ter vos recherches et je vais en suivre les avancées avec intérêt.
Dr Porges : C’est vraiment une magnifique aventure, et c’est la vie
aussi. J’ai parlé d’audace et de bonnes relations sociales, mais aucune
place ne peut être faite à l’esprit, au mental, si notre corps ne trouve
pas un endroit où se sentir bien. C’est au centre de mes préoccupa-
tions et je suis heureux que vous partagiez mes idées.
Je suis étonné que le monde dans lequel nous vivons soit autant
focalisé sur le fonctionnement cognitif sans accorder d’attention à
nos ressentis corporels, ce qui nous conduit à une forme de dissocia-
tion occupant une place importante dans notre vie.

173
5
Sécurité, santé et théorie polyvagale

Stephen W. Porges et Ruth Buczynski

NERF VAGUE ET THÉORIE POLYVAGALE


Dr Buczynski : Pourrions-nous résumer les principales actions du
nerf vague sur le corps et le cerveau ?
Dr Porges : Le nerf vague est le nerf le plus important du système
nerveux parasympathique* et il connecte le cerveau au corps. Dans
ses travaux sur les émotions, Darwin a décrit le nerf vague (ou nerf
pneumogastrique) comme un nerf très important connectant les
deux organes les plus importants de l’organisme, le cerveau et le
cœur (Darwin, 1872). Le nerf vague est un nerf crânien innervant
directement le cœur et d’autres organes viscéraux, dont l’intestin, sur
lesquels il agit comme régulateur des états physiologiques. L’action
bidirectionnelle corps-cerveau du nerf vague est extrêmement impor-
tante et trop souvent négligée. Ce nerf n’envoie pas seulement des
influx du cerveau aux organes viscéraux, mais il véhicule aussi des

175
Sécurité, santé et théorie polyvagale

signaux depuis les organes viscéraux jusqu’au cerveau. Il est ainsi


impliqué à la fois dans des fonctions ascendantes et descendantes.
Quatre-vingt pour cent de ses fibres sont sensitives. Maintenant ce
qui nous intéresse dans ces relations corps-cerveau ou corps-esprit,
c’est l’importance du rôle du nerf vague.
Dr Buczynski : Votre théorie ne porte pas le nom de théorie vagale,
mais de théorie polyvagale. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Dr Porges : Je vais d’abord vous décrire l’aspect neurobiologique
qui est bien établi, et ensuite la théorie. Neurobiologiquement, le
nerf vague comprend deux voies motrices avec différentes fonc-
tions qui ont évolué en différentes étapes au cours de l’évolution
des vertébrés. Ces deux voies vagales émergent de différentes aires
du tronc cérébral et chacune joue un rôle différent. Une des deux
aires (celle du noyau ambigu*) est liée à la régulation des muscles
de la face, de l’ingestion, des muscles de l’écoute*, et des muscles
favorisant l’engagement social. Notre système nerveux social est
intimement lié au nerf vague le plus récent apparu au cours de
l’évolution.
Dr Buczynski : Le plus récent ?
Dr Porges : Oui, évolutivement parlant, le nerf vague le plus récent
est celui qui est apparu avec les mammifères. Rappelons-nous que
les mammifères sont des vertébrés très spéciaux. Ils ont besoin des
autres mammifères pour réguler leur état corporel et leur permettre
la survie. C’est ce qui va nous intéresser. Le traumatisme perturbe la
capacité de se lier aux autres et d’avoir des comportements sociaux
utiles dans la régulation des fonctions vagales, pour nous permettre
de retrouver l’apaisement.
Le second nerf vague, le plus ancien, est essentiellement sous-
diaphragmatique*, et nous le partageons avec d’autres vertébrés,
tels que les reptiles et même les poissons. Les deux circuits vagaux
agissent en harmonie avec le système nerveux sympathique*
pour nous permettre d’optimiser les processus physiologiques et
la santé, mais pour nous permettre aussi de réagir aux défis du

176 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

monde environnant quand nous les utilisons comme défense, ou


en réponse à des défis sociaux.
Je vais faire maintenant une petite parenthèse. Nous connaissons
tous le système nerveux autonome*, et nous savons que le système
nerveux sympathique* est lié à l’agressivité, aux comportements
de fuite ou de lutte, et au stress. Nous avons appris que le système
nerveux parasympathique*, grâce au nerf vague, favorise la santé, la
croissance et la restauration, et que les systèmes nerveux parasympa-
thique et sympathique ont des actions antagonistes. Ces généralités
sont vraies, mais seulement en partie.
En fait, nous devons revoir la façon dont les composantes du
système nerveux autonome* sont recrutées pour répondre aux défis
environnants. Si nous parlons tranquillement avec quelqu’un dans un
contexte sûr, ne présentant aucun danger, alors il n’y a aucune raison
de recruter notre système nerveux sympathique* pour permettre des
comportements de fuite ou de lutte.
Être dans un environnement sûr ne signifie pas désactiver le
système nerveux sympathique*. Nous avons besoin de l’activation
du système nerveux sympathique, indépendamment de la demande
d’une réaction défensive de fuite ou de lutte. Ce système a un rôle
important pour nous. Il favorise la circulation sanguine, nous permet
d’être alertes et confiants. Cependant, nous ne l’utilisons pas pour
initier des comportements prosociaux. Son activation nous ferait
tomber dans un état défensif. Et, orientés sur un état défensif, nous
interpréterions les intentions des autres plus négativement. Pour
normaliser un comportement social, nous utilisons le nerf vague le
plus récent. C’est ce nerf vague récent qui permet d’optimiser l’en-
gagement social et d’empêcher le système nerveux autonome* de
tomber dans un état défensif.
Parlons maintenant de la théorie polyvagale. Elle explique la
hiérarchie selon laquelle les circuits neuraux répondent à un envi-
ronnement. La théorie indique que, tout comme dans les fonctions
cérébrales (dans lesquelles les circuits évolutivement les plus récents

177
Sécurité, santé et théorie polyvagale

inhibent les plus anciens), de la même façon les circuits neuraux


évolutivement plus récents, régulant les organes viscéraux, inhibent
les circuits les plus anciens (voir Dissolution*).
D’après nos connaissances de l’évolution du système vagal nerveux
autonome*, le système le plus ancien chez les mammifères est le nerf
vague sous-diaphragmatique* non myélinisé, lequel, lorsqu’il est
recruté dans un mode défensif, peut entraîner une immobilisation
(analogue à la stratégie défensive des reptiles). Les reptiles s’immo-
bilisent en effet pour réduire leur activité métabolique. Ils peuvent
rester sous l’eau pendant plusieurs heures sans respirer.
L’étape suivante dans l’évolution du système nerveux autonome*
a été l’émergence d’un système nerveux sympathique* spinal permet-
tant la fuite et la lutte.
Avec l’évolution des mammifères est apparu ensuite un nouveau
circuit neural intégrant le comportement social avec la régulation
des états physiologiques. Ce nouveau système vagal permet aux
mammifères d’interagir avec les autres. Il permet, grâce au soutien
du comportement prosocial, de chorégraphier et de protéger fonc-
tionnellement les deux autres composantes du système nerveux
autonome*, pour supporter les fonctions homéostatiques.
Lorsque le nouveau système vagal mammalien est fonction-
nellement efficace, alors les systèmes nerveux sympathique et
parasympathique fonctionnent comme dans une chorégraphie
homéostatique, dans un équilibre autonomique* optimal.
Des psychotraumatologues m’ont indiqué que beaucoup de leurs
patients sont touchés par des problèmes digestifs, gastriques ou de
constipation. Selon la théorie polyvagale, le dysfonctionnement du
circuit vagal sous-diaphragmatique est lié au recrutement de ce
système dans la défense, ce qui l’empêcherait d’exploiter son rôle de
maintien de l’homéostasie*.
Lorsque nous sommes dans les états de fuite, lutte, peur ou face à
un danger, la régulation neurale de la région sous-diaphragmatique
est déprimée. Nous sommes alors fortement mobilisés, l’activation

178 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

sympathique est élevée et les fonctions des deux branches vagales sont
toutes deux déprimées. En revanche, en réponse à une menace vitale,
le nerf vague sous-diaphragmatique* est recruté, alors que le nerf
vague supra-diaphragmatique* et le système nerveux sympathique*
sont déprimés. L’aboutissement du recrutement de cet ancien système
de défense sous-diaphragmatique est l’immobilisation défensive
pouvant se manifester par un état de mort apparente, accompagné
d’une chute de la tension artérielle entraînant un évanouissement et
une émission de selles. Dans cette perspective polyvagale, il devient
facile de comprendre qu’en fonction du recrutement des différents
circuits neuraux peuvent se manifester différents types de comporte-
ments chez les mammifères, et donc chez les humains.

SANTÉ ET CONNEXION CORPS-CERVEAU


Le monde médical traite indépendamment chacun de nos organes,
comme s’ils n’appartenaient pas à un système nerveux autonome*
intégré et interactif.
Nous pourrions nous laisser aller à philosopher, mais il vaut mieux
rester pragmatique. À l’occasion de cours donnés en médecine ces
quinze dernières années, j’ai pu constater les réelles lacunes du monde
médical concernant la régulation nerveuse des organes.
Lorsque nous utilisons le terme de « système nerveux », nous
parlons implicitement d’un système qui établit des connexions entre
le corps et le cerveau. Nous n’avons pas un système nerveux auto-
nome* derrière le cou et un système nerveux central dans la tête. Nous
avons un système nerveux qui analyse notre corps et influence notre
cerveau en fonction des feedbacks provenant de notre corps ; et natu-
rellement notre cerveau peut atténuer nos réactions corporelles, qu’il
s’agisse de comportements observables ou de fonctions viscérales.
Nous pouvons classer les symptômes périphériques en
fonction de leur localisation supra-diaphragmatique ou sous-­
diaphragmatique. Retenues ou contraintes, les personnes très
anxieuses peuvent ressentir les symptômes d’une hyperactivation

179
Sécurité, santé et théorie polyvagale

du système nerveux sympathique*, qui déclenche des réactions


défensives. Le système nerveux sympathique* ne peut s’exprimer
efficacement dans la défense que lorsque l’action du nerf vague
supra-diaphragmatique* est inhibée ou tout au moins diminuée fonc-
tionnellement. Ainsi, nous pouvons relier les symptômes cliniques
– comme l’hypertension, les troubles cardiovasculaires et d’autres
désordres autonomiques des organes supra-diaphragmatiques – à
une diminution du tonus vagal* supra-diaphragmatique et à une acti-
vation concomitante du système nerveux sympathique*.
Les survivants d’un traumatisme peuvent recruter le système vagal
sous-diaphragmatique défensivement. C’est ce qui arrive dans des
états de dissociation*. Lorsque le nerf vague sous-diaphragmatique*
est recruté dans la défense, différents troubles cliniques peuvent se
manifester (fibromyalgie, troubles digestifs, des difficultés dans les
rapports et la jouissance sexuelle, bien qu’ils soient désirés). Certaines
femmes peuvent perdre des selles lors de rapports sexuels, du fait
de l’intervention du nerf vague sous-diaphragmatique* en mode
défensif.
Pour en revenir à la médecine, plusieurs symptômes cliniques
touchant les organes peuvent être, en revanche, la conséquence
d’une perturbation de la régulation neurale de ces organes. Peu de
cliniciens connaissent vraiment la régulation neurale des organes
viscéraux, et cette connaissance pourrait pourtant permettre une
clarification et une meilleure qualité de traitement de certains
désordres cliniques.
Sans une compréhension des principes qui régissent l’organisation
de la régulation neurale, et qui expliquent les mécanismes conduisant
aux troubles cliniques, certains diagnostics pourraient conduire les
patients à un sentiment de désespoir ou à une perte de contrôle.
Un des rôles importants de la théorie polyvagale est d’expliquer aux
survivants d’un traumatisme que leurs symptômes sont la consé-
quence fonctionnelle d’un système de contrôle neural qui leur a
permis de s’adapter et de survivre.

180 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

TRAUMATISME ET TRAHISON
Dr Buczynski : Vous avez évoqué la puissance de l’impact d’un
traumatisme suite à une trahison, induisant la perte de confiance et
l’anéantissement de tout sentiment de sécurité.
Dr Porges : Si quelqu’un a subi un choc émotionnel au sein d’une
relation, quel peut être le meilleur moyen pour lui de se protéger ? La
meilleure façon de se préserver c’est de ne plus accorder sa confiance
à personne. L’enjeu du système d’engagement social est d’apporter à
l’autre des indices de sécurité autorisant un rapprochement, du fait
du déclenchement d’une neuroception* de sécurité.
Mais si un individu, sans problème auparavant, a subi à un moment
donné un événement traumatisant, le système d’engagement social
sera alors désactivé, interdisant par la suite aux autres tout rapproche-
ment émotionnel et même physique. Les personnes ayant eu un choc
émotionnel au sein d’une relation ont du mal à créer de nouvelles
relations, même si sur le plan cognitif elles accordent toujours une
grande importance à l’établissement de liens. Elles désirent désespé-
rément des relations, mais leur corps les en empêche.
J’essaie d’expliquer aux victimes de traumatismes la fonction adap-
tative de leurs réactions corporelles. Dans la majorité des cas on devine
chez elles un sentiment de culpabilité, comme si elles réprouvaient les
réactions néfastes de leur corps. Mais nous devons leur expliquer le
rôle protecteur de leurs réponses corporelles. Ces stratégies de réponse
les ont immobilisées et dissociées pour minimiser l’impact physique
et la souffrance, en évitant une dispute, une contre-attaque. En effet,
l’immobilisation peut se révéler véritablement adaptative, en proté-
geant le sujet d’une agression ultérieure, peut-être plus grave encore.
L’immobilisation et la dissociation* ont différentes fonctions
adaptatives. La vraie question est la suivante : « Comment, dans
notre narration personnelle, expliquons-nous ces réponses d’im-
mobilisation ? » Quelle image ces réponses nous renvoient-elles
de nous-mêmes ? Nous considérons-nous comme des victimes ou
comme des héros ?

181
Sécurité, santé et théorie polyvagale

J’ai reçu le mail d’une femme sexagénaire me décrivant son trau-


matisme. Lorsqu’elle avait une dizaine d’années, un individu a essayé
de l’étrangler, puis l’a ensuite enlevée. De nombreuses années après,
alors qu’elle en parlait à sa fille, cette dernière lui a demandé pour-
quoi elle ne s’était pas défendue, pourquoi elle n’avait pas réagi. La
mère expliquait dans son mail qu’elle s’était sentie gênée, honteuse.
Elle avait ensuite ajouté : « J’ai lu la théorie polyvagale et mes yeux se
sont emplis de larmes lorsque j’en ai enfin compris les raisons. » J’ai
été très ému à la lecture de ce mail. Le point essentiel était qu’elle ait
compris le côté protecteur de ses réactions corporelles et qu’elle puisse
s’en réjouir. Non seulement elle n’était pas une victime passive, mais
ses réactions corporelles lui avaient sauvé la vie.
Nous oublions trop souvent que nos réactions corporelles sont
réflexes, et non volontaires. L’immobilisation face à une menace vitale
est une réponse réflexe commune à beaucoup d’espèces de mammi-
fères. Notre société considère ceux qui n’osent pas se défendre, ou qui
ne se mobilisent pas, comme des individus chez lesquels quelque chose
n’irait pas. En revanche, une société « polyvagalement informée »
dirait plutôt : « C’est vraiment la meilleure réponse neurobiologique
adaptative possible, et une chance pour nous que notre corps ait réagi
ainsi. Si nous avions choisi de combattre, nous serions probablement
morts. » Tout dépend, en effet, de la façon dont nous interprétons nos
propres comportements, et dont nous développons notre narration
personnelle.
Dr Buczynski : Oui, et les spécialistes de la santé mentale qui
sont avec nous en webinaire trouvent ainsi une explication biolo-
gique, un support à cette idée que nous essayons de faire passer aux
patients depuis des années : « Vous avez survécu de la meilleure façon
possible. » Et probablement ceci aide-t-il les patients à se sentir mieux
compris. Ils peuvent enfin s’en réjouir et ressentir du respect devant
leurs propres réactions.
Dr Porges : Oui, le tout est d’être informé. Si nous voulons rester
moralement conformistes lorsqu’on nous dit : « Ce n’était pas bien »,

182 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

alors nous admettons que peut-être nous étions mauvais. Mais si


nous nous débarrassons de cet a priori et comprenons ces réactions
neurobiologiques adaptatives, alors nous finissons par admettre les
avantages de ces réactions.

COMMENT FONCTIONNE LA NEUROCEPTION*


L’idée d’une réponse neurobiologique adaptative, face à des
événements traumatisants, a un impact important sur notre vision
du traumatisme. Fonctionnellement, notre système nerveux évalue
en permanence le risque environnant sans que nous en soyons
conscients, et s’oriente d’une façon réflexe sur des états physiolo-
giques optimisant les différents comportements tels que l’engagement
social, la fuite et la lutte, et l’immobilisation. En un sens, le système
nerveux cherche à s’orienter sur l’état physiologique qui favorise le
comportement le plus adapté, et in fine, le plus adaptatif. J’ai nommé
ce processus la « neuroception ». Parfois, nous ne sommes pas prépa-
rés à ces réactions adaptatives et ceci nous surprend. Nous pourrions
avoir ainsi une attaque de panique dans le tunnel d’une IRM ou dans
tout autre espace confiné, un étourdissement lors d’une réprimande,
ou un évanouissement en faisant un discours.
Nous pouvons être victimes aussi d’une neuroception* erronée,
lorsque notre système nerveux détecte la sécurité en présence d’un
danger réel, ou au contraire un danger en son absence. Par exemple,
certaines personnes craignent de s’évanouir lorsqu’elles doivent
s’exprimer publiquement, elles ne sont pas vraiment anxieuses, mais
elles ressentent un malaise, puis s’évanouissent. L’évanouissement
est dénommé cliniquement syncope vagale. Celle-ci est due à une
chute rapide et massive de la pression sanguine, ce qui entraîne un
apport insuffisant d’oxygène au cerveau. Cette réaction est souvent
la conséquence de la détection par le système nerveux d’une menace
vitale. Suite à cette réponse neurophysiologique, grâce à notre
cerveau conscient, nous élaborons une narration plausible donnant
un sens aux évènements. Souvent cette narration se focalise sur

183
Sécurité, santé et théorie polyvagale

l’estime de soi, mais il est peu probable que cette réaction soit la
conséquence d’un manque de confiance en soi, mais plutôt celle de
l’impact d’un facteur de l’environnement, comme le confinement
ou l’isolement.
J’ai vécu personnellement une attaque de panique dans l’espace
restreint d’un tunnel d’une IRM (voir chapitre 2). J’ai été surpris
et même choqué de ce basculement de mes réactions corporelles
sur un mode défensif. Je n’aime pas être enfermé, c’est vrai, mais
je n’imaginais pas que le simple fait de passer une IRM déclenche-
rait en moi une attaque de panique. Je suis fréquemment dans des
espaces relativement confinés. Je prends souvent l’avion. Je n’aime
pas être placé dans les sièges du milieu, bien que je le tolère, mais
c’est le cas de beaucoup de gens. Si je me base sur mes propres
réactions corporelles depuis des décennies, cette réaction était tota-
lement imprévisible.
Les mammifères n’aiment pas le confinement, l’enfermement.
Pour la plupart des espèces de mammifères, les déclencheurs de
stress les plus importants sont l’isolement et la contrainte. Imaginez
simplement la place que prennent ces deux vecteurs de stress dans le
monde actuel, et imaginez l’impact aussi en termes de consommation
de médicaments. Réfléchissez encore aux conséquences qui peuvent
résulter d’un confinement ou d’une contrainte dans les soins prodi-
gués aux patients.
Dr Buczynski : Oui, et à travers votre expérience personnelle, vous
l’avez expérimenté de très près.
Dr Porges : Oui, et je vais partager quelque chose avec vous.
On m’a annoncé en avril dernier le diagnostic d’un cancer de la
prostate. Je ne pouvais pas rester sans rien faire, car la biopsie révélait
un cancer agressif, et je devais choisir entre une radiothérapie ou une
ablation de la prostate.
Je tiens à souligner deux choses. Tout d’abord, je me porte très
bien actuellement. Mais je voulais souligner aussi qu’au moment où
l’on vous annonce un tel diagnostic, même si vous êtes prévenu, votre

184 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

corps peut facilement réagir par un collapsus. Si je devais décrire


mes réactions corporelles suite à l’annonce de ce diagnostic, je dirais
avoir ressenti une grande faiblesse dans les jambes. Il est facile de
comprendre ce que je veux dire : je craignais alors d’être sur la voie
d’une perte de connaissance.
Même bien informé, il me restait toujours des incertitudes concer-
nant le diagnostic mais aussi l’efficacité du traitement, et j’étais inquiet.
Les réponses de notre corps sont imprévisibles. Indépendamment de
ce que nous savons de la maladie, de son traitement et des probabi-
lités de guérison, il demeurera toujours des incertitudes.
J’ai développé ma propre stratégie pour affronter cette maladie
potentiellement mortelle. En premier lieu, j’ai demandé que l’in-
tervention chirurgicale soit déplacée au mois d’août. En prenant
connaissance d’un tel diagnostic de nombreux patients sont pres-
sés d’entreprendre un traitement, et reporter une intervention les
inquiète terriblement, même si le cancer progresse lentement.
J’ai personnellement souhaité reporter mon intervention au mois
d’août pour deux raisons : premièrement, j’aurais dû annuler de
nombreux déplacements et ceci aurait été trop compliqué. Aussi
désagréable qu’ait été le diagnostic, l’idée d’annuler les déplacements
prévus me perturbait plus encore. J’ai dû décaler de trois mois toutes
mes obligations afin d’avoir le temps de me préparer à cette inter-
vention, et pour ma convalescence. Je souhaitais acquérir la forme
physique me permettant d’affronter l’intervention chirurgicale et
d’améliorer mes capacités de récupération. J’ai donc fait du sport et
perdu environ 5 kilos.
J’ai encore poursuivi mes conférences et animé des ateliers
avant l’intervention. Ces activités m’ont fourni des opportunités de
rencontres et d’interaction avec beaucoup de monde. J’appliquais
à moi-même, et je me soignais selon ce que j’enseignais dans mes
conférences et selon mes propres méthodes. À la fin de cette série
de conférences (8 ou 10 dont deux voyages en Europe), je me
sentais bien et parfaitement « connecté » au monde. J’étais prêt pour

185
Sécurité, santé et théorie polyvagale

l’intervention, et me disais que si cela devait être la fin de ma vie,


cela ne serait pas un problème, car j’avais fait l’expérience de cette
connexion* aux autres. J’étais en accord avec ma famille, avec ma vie.
J’étais réellement calme et serein vis-à-vis de l’intervention, l’affron-
tant avec un minimum de stress, sans panique. J’ai bénéficié aussi de
l’écoute de bandes audio d’imagerie mentale guidée pendant les deux
semaines précédant l’intervention.
L’intervention devait avoir lieu à quelques kilomètres de chez moi,
et je pouvais voir l’hôpital depuis la fenêtre de mon bureau. Je me
sentais en terrain connu, amical presque. Me rendant à l’hôpital pour
l’intervention, j’ai visualisé des choses agréables, j’ai eu des pensées
positives.
Dans le bloc opératoire, j’ai fait cette remarque à l’anesthésiste :
« Ma vie est entre vos mains. »
Dr Porges : Il m’a répondu : « C’est notre rôle à tous de vous
maintenir en vie. » Alors que j’étais sur le point d’être opéré, j’ai
demandé à l’anesthésiste quelle était ma fréquence cardiaque. Il m’a
répondu aux environs de 60, alors qu’elle était entre 73 et 78 dans
la matinée. Sans aucune prémédication, j’étais pourtant détendu. À
la suite de l’intervention, qui a duré environ 5 heures, j’ai ressenti
quelques douleurs et un peu d’inconfort du fait de ma position sur
la table opératoire, mais d’une façon générale, je me sentais plutôt
bien.
Deux choses réellement m’ont aidé : premièrement, le fait de consi-
dérer l’intervention comme une chose positive et non traumatisante,
et en second lieu, une confiance totale et une absence de peur de
perdre la vie. Ces deux choses m’ont permis de revoir ma conception
de la vie et mon rôle en tant qu’être humain. J’ai finalement appris, à
travers mes conférences et tous les échanges que j’ai pu avoir, que la
vraie richesse de la vie, c’est justement cette connexion* aux autres.
Je me sentais bien, voilà, c’est mon histoire personnelle.
Dr Buczynski : Je suis réellement heureuse de vous voir si
bien. Merci pour ce partage, Stephen. Parfois nous définissons le

186 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

traumatisme d’une façon trop limitée. Nous avons l’habitude d’asso-


cier le traumatisme à une guerre ou au crash d’un avion, ou encore
à un viol, à des violences sexuelles, à une défaite. Mais il y a beau-
coup plus de situations traumatisantes qu’on ne l’imagine. Je pense
qu’il serait important que, dans le monde médical, les infirmiers et
les médecins se demandent si cela ne serait pas une bonne chose de
comprendre ce que représente pour le patient, en termes de trauma-
tisme, l’annonce de la nécessité d’une opération, ou le diagnostic d’un
cancer, ou d’un infarctus.

INCERTITUDE ET IMPÉRATIF BIOLOGIQUE* DE CONNEXION*


AUX AUTRES
L’incertitude fait partie de la vie, mais entraîne des conséquences
comme celles de difficultés de connexion avec notre entourage et
d’interactions avec les autres. Lorsque j’ai commencé à utiliser le
terme de « connexion », il faisait déjà partie du vocabulaire de la
biologie. La connexion est pour moi un impératif biologique*. Et
quel est le premier impératif d’un être humain ? Celui de se trouver
constamment en lien, en connexion* avec ses congénères.
Lors d’une intervention chirurgicale ou d’une quelconque procé-
dure médicale, nous oublions souvent que nous ne sommes pas une
simple machine, une simple voiture, et que les thérapeutes ne sont pas
des mécaniciens. Nous ne sommes pas une simple mécanique néces-
sitant le remplacement ou la réparation d’une pièce. L’organisme
humain n’est pas une machine, mais un système biologique dyna-
mique et interactif. Si nous touchons à quelque chose dans notre
organisme, nous touchons à tout en nous, et nous touchons aussi
à notre entourage. Les médecins devraient être plus en connexion*
avec leurs patients.
La médecine est très expéditive, les traitements sont peu flexibles,
non personnalisés, et ceci même en psychiatrie. Dès l’établissement
de son dossier, un patient dans un cabinet médical ne peut bénéficier
du regard apaisant de son médecin qui souvent ne le regarde pas,

187
Sécurité, santé et théorie polyvagale

mais se tourne de côté, accaparé par son ordinateur. Le médecin


centre son attention sur l’écran de l’ordinateur, tape sur son clavier,
plutôt que d’engager avec son patient ces interactions en face à face
qui le rassureraient pourtant.
En ce qui me concerne cependant, j’ai été très satisfait des soins qui
m’ont été apportés dans l’unité de soins de l’université de la Caroline
du Nord. Les soignants étaient magnifiques et concernés. Je me
sentais en totale connexion* et à l’aise au sein de cette communauté
médicale. Mais devant subir des traitements à Chicago, qui dispose
pourtant de bons services médicaux, je n’ai jamais eu ce sentiment
d’être accueilli au sein d’une communauté ; le personnel avait une
attitude efficace mais dépersonnalisée et détachée, typique d’un « in
and out » des structures médicales.
J’ai toujours eu des amis à Chicago, professeurs, médecins, gens
d’affaires, disant s’y être sentis seuls, soumis à des traitements. Ils ne
pouvaient rencontrer ou parler à leur médecin ou leur chirurgien
avant les interventions. Le fait de me retrouver personnellement dans
une plus petite communauté et de pouvoir rencontrer les praticiens
hospitaliers avant l’intervention m’a été très bénéfique.

TRAUMATISME ET ATTACHEMENT*
Dr Buczynski : Continuons à parler de l’engagement et de cette
connexion* aux autres car, j’en suis intimement convaincue, c’est très
important ! Que peut nous apporter la théorie polyvagale concernant
le lien entre le traumatisme et l’attachement ?
Dr Porges : Si un traumatisme peut empêcher quelqu’un de se sentir
en sécurité en présence des autres, alors les racines mêmes de l’atta-
chement* ont été atteintes. Je pourrais le formuler ainsi : si quelqu’un
a reçu une base solide d’attachement au cours de son enfance, alors
cette personne sera capable d’« encaisser » un traumatisme.
Je ne sais pas si cela a été étudié, mais nous pouvons tirer des
conclusions de certains modèles de vie. Nous connaissons le parcours
de vie de certaines personnes depuis leur enfance. Certaines d’entre

188 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

elles ne sont plus parmi nous, mais nous pouvons toujours voir les
éléments constitutifs de leur vie, 50 ou 60 ans plus tard. Ce qui est
remarquable, c’est que certaines des stratégies qu’elles utilisaient
pendant leur enfance sont toujours d’actualité, qu’elles aient pris
conscience ou non de leur façon de fonctionner, ou qu’elles aient eu
ou non l’opportunité de la modifier ou de la réorganiser.
Je pense que ce qui nous est réellement nécessaire est d’identi-
fier les événements perturbants que nous avons pu rencontrer dans
notre vie, non pour en ressentir de la colère, pour nous auto-­accuser
ou pour nous reprocher quoi que ce soit, mais plutôt pour essayer
de comprendre les stratégies mises en place par notre corps pour
s’adapter et survivre. C’est ainsi que nous pourrons vraiment évaluer
la qualité de ces stratégies.
C’est ce qui nous ramène à notre parcours de vie et à l’utilité que
nous en tirons. Dans une certaine mesure, cela dépend de nous, c’est
notre propre choix. Nous pouvons nous comporter comme des êtres
humains sereins et réalisés, en modifiant nos comportements pour
nous montrer plus compatissants et plus aimables, ou au contraire
rester coincés, agressifs ou plus ou moins égocentriques. En connais-
sance de cause, nous pourrons alors développer les stratégies qui nous
permettront de nous sentir plus en sécurité.
Dr Buczynski : Mais ces stratégies ne se mettent pas en place simple-
ment en choisissant volontairement de se sentir plus en sécurité.
Dr Porges : Votre remarque est extrêmement pertinente car ce
ne sont pas des décisions volontaires, bien que cela soit une action
volontaire de trouver les outils psychiques nécessaires à la résilience
et à un sentiment de sécurité plus global.
Laissez-moi développer une idée. Imaginons que nous soyons des
professeurs d’université, submergés par nos obligations, en quête
de subventions, auteurs de publications, et n’ayant pas une minute
pour échanger avec les autres. Il nous faut absolument obtenir la
prochaine subvention et nous sommes brutalement, et comme par
hasard, terrassés par une crise cardiaque. Ce n’est pas surprenant !

189
Sécurité, santé et théorie polyvagale

Soudain quelque chose se passe : c’est là que nous prenons


conscience de l’existence de connexions neurales entre notre cerveau
et notre corps. Lorsque nous comprenons mieux comment notre
système nerveux autonome* régule nos viscères, nous réalisons que
bien souvent nous adoptons des stratégies inadaptées en éludant
notre feedback corporel.
En réfléchissant, nous réalisons alors qu’éluder le feedback corpo-
rel limite nos expériences de vie. Peut-on guérir ? Pouvons-nous
établir de nouveaux circuits neuraux nous rendant la vie plus agréable
et socialement plus enrichissante ? Ces considérations nous mettent
sur la piste de traitements possibles, et la réponse est que nous dispo-
sons effectivement de stratégies thérapeutiques.
Nous pourrions nous dire : « Ce serait vraiment bien si le système
d’engagement social, grâce au nerf vague myélinisé, prenait les
commandes pour atténuer ma tendance naturelle à l’agressivité, la
défense, la colère… Je commence à comprendre que mes comporte-
ments défensifs sont adaptatifs et me protègent d’un collapsus, ce qui
par ailleurs m’est déjà arrivé. »
En un sens, nous établissons toute une hiérarchie : « J’ai fait une
syncope ; dans mon enfance j’ai été enfermé, j’ai subi des abus et ma
façon de m’adapter, ma bouée de sauvetage c’est de me mobiliser, car
aussi longtemps que je me mobilise, je ne perds pas connaissance.
Mais dans cette agitation, je ne peux parler, je ne peux profiter, je ne
peux créer des relations sociales, et j’ai tellement besoin de relations
sociales !… »
La suppression d’une action défensive ou son atténuation ont
des effets neurobiologiques et dépendent du système d’engagement
social, et donc du nerf vague myélinisé. Nous pouvons faire des
choses très simples mais très importantes, comme des exercices de
respiration. Apprendre à respirer différemment est très utile, car de
lentes et profondes expirations peuvent nous apaiser par la stimu-
lation du frein vagal*, en favorisant ainsi l’inhibition du système
nerveux sympathique*. Les vocalisations émises pendant le chant*

190 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

constituent un autre exemple d’expirations lentes, comme d’ailleurs


la pratique d’un instrument à vent. Si nous prononçons de longues
phrases sans nous arrêter, nous faisons de lentes expirations aussi.
Nous pouvons ainsi efficacement modifier notre physiologie à
travers notre comportement en jouant d’un instrument de musique,
et même en écoutant de la musique. Ces activités vont, à travers un
feedback neural, modifier la régulation vagale du cœur et influen-
cer l’intégralité du système d’engagement social en améliorant la
capacité d’écoute* (via les muscles de l’oreille moyenne*) et l’expres-
sion de sentiments positifs (à travers les expressions faciales et la
prosodie*).

COMMENT LE CHANT* ET L’ÉCOUTE* NOUS CALMENT-ILS ?


Dr Buczynski : Il est facile de comprendre qu’à travers la pratique
du chant nous faisons de lentes expirations, mais comment l’écoute*
agit-elle ?
Dr Porges : L’écoute* est très spéciale. L’écoute recrute la totalité
du système d’engagement social.
Réfléchissez à la façon dont vous parlez à votre enfant, à vos amis, à
votre animal. Si vous parlez avec une voix prosodique, alors les modu-
lations de la hauteur de votre voix déclencheront dans le système
nerveux de votre interlocuteur une neuroception* de sécurité.
Une façon de modifier la physiologie passe par la respiration, mais
ceci peut se faire aussi à travers l’écoute*.
Nous avons évoqué précédemment certains types de musique
induisant un sentiment de sécurité. Dans un webinaire, nous
parlions de Johnny Mathis (voir chapitre 2). J’ai regardé récemment
une vidéo sur Harry Nilsson, qui avait une belle voix de ténor. Il
n’était pas la personne la plus sécurisante, mais sa voix était telle-
ment belle et mélodique que ses chansons induisaient un véritable
état de relaxation. En effet, notre système nerveux a évolué pour
nous permettre de détecter, dans ces modulations de la voix, des
indices de sécurité.

191
Sécurité, santé et théorie polyvagale

Si nous reconnaissons l’importance des vocalisations pour nous


sentir en sécurité, nous pouvons alors envisager de créer des contextes
permettant aux autres de la ressentir aussi.
Se sentir en sécurité est la base du traitement, et constitue déjà en
soi un exercice neural*.
Dr Buczynski : Ce que vous venez d’évoquer est vraiment impor-
tant. C’est le fait de se sentir en sécurité qui constitue le traitement !
C’est peut-être une façon de simplifier, mais ceci reste une notion très
importante, que l’on soit un professionnel de la santé mentale ou un
médecin au chevet d’une personne malade.
Dr Porges : C’est un concept puissant. Pour illustrer mes confé-
rences, j’utilise une diapositive montrant comment notre système
nerveux définit la sécurité d’une façon bien différente de celle des
standards légaux et culturels. Par exemple, un contexte scolaire dans
lequel on peut voir un enseignant portant une arme, ou un directeur
armé faisant des rondes autour d’une école, évoque un danger poten-
tiel que le système nerveux n’apprécie pas, même si c’est un moyen
(aux États-Unis) de sécuriser les lieux d’un point de vue légal. Notre
corps est à l’affût des indices de sécurité et de danger, et nous devons
le comprendre.
Nous devons aussi nous rappeler que nous vivons dans une culture
où l’on considère que ce qui est important, c’est ce qui est dit, et non
la façon dont on le dit. Mais notre système nerveux nous oriente sur
une tout autre interprétation : ce n’est pas « ce que » nous disons qui
est le plus important, mais plutôt « comment » nous le disons.
Dr Buczynski : Si l’on en revient à la musique, comment un prati-
cien de la santé mentale pourrait-il incorporer la musique dans le
suivi d’un patient ayant vécu un traumatisme ?
Dr Porges : Il serait bien tout d’abord de réfléchir à ce qu’il faudrait
éliminer de l’environnement acoustique, avant de parler de ce qu’il
faudrait y intégrer.
Les basses fréquences adressent à notre système nerveux des
signaux intenses de danger et de menace imminente et il n’est pas
agréable d’avoir un système nerveux orienté sur l’hypervigilance.

192 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

Avant tout, nous apprécions les salles de soins et les salles de


consultations silencieuses. Nous fuyons les basses fréquences des
ascenseurs, des climatiseurs et du trafic, les chambres proches
des ascenseurs, de couloirs bruyants ou de salles de garde. Nous
souhaitons des chambres calmes, nous préservant des sons de basse
fréquence, indicateurs de catastrophes imminentes ou d’événements
indésirables pouvant subitement survenir.
Tous ces aspects acoustiques sont bien connus des compositeurs
de musique classique qui détendent leur audience dans le premier
mouvement des symphonies, en utilisant la mélodie des berceuses,
des comptines, des violons ou d’une voix féminine. L’audience ainsi
sécurisée, le compositeur oriente la mélodie vers les sonorités plus
graves d’autres instruments auxquelles les auditeurs s’habitueront.
Dans la plupart des compositions, le premier mouvement entraîne la
détente, la mélodie traversant toute la gamme tonale de l’orchestre.
C’est l’inverse lors du second mouvement, souvent caractérisé par des
éléments mélodiques suggérant l’imminence d’un danger avec des
sonorités de basse fréquence. Les compositeurs de musique classique
ont compris l’impact d’une stimulation acoustique sur nos ressentis,
nos sentiments et notre état physiologique. Ils créent leurs propres
scénarios, leur propre narration avec la musique.
Un clinicien intuitif pourrait commencer par supprimer les basses
fréquences suggérant un danger imminent, et faire écouter ensuite à
son patient des voix, spécialement des voies féminines, pour l’aider à
se relaxer et pour stimuler le système d’engagement social.
La stimulation acoustique dans une certaine bande fréquentielle
peut être très apaisante et relaxante. Vous rappelez-vous la musique
des années soixante ? C’était de la musique populaire, extrêmement
prosodique. Pete Seeger, mort récemment, était à l’avant-garde de
ce mouvement de chansons engagées et de contestation sociale. Les
textes étaient chantés avec des musiques gaies et lumineuses, que les
gens pouvaient entonner facilement, se sentant bien à leur écoute*.
Cela faisait partie de la tradition, dans la musique populaire, de
convoyer des idées importantes sans effrayer les gens.

193
Sécurité, santé et théorie polyvagale

La musique peut être utilisée comme instrument thérapeutique.


Le plus important, pour le clinicien, est de supprimer toutes sources
de sons de basse fréquence, d’utiliser une voix prosodique et de ne
pas forcer un patient dont le regard fuit celui du praticien, pour
éviter de le perturber. Les individus angoissés ou paniqués vivent
mal le regard des autres, bien qu’ils puissent soutenir à nouveau
spontanément le regard, face à leurs interlocuteurs, dès qu’ils vont
mieux.
Dr Buczynski : Si vous étiez médecin et sans aucun moyen de
contrôle relativement à la ventilation dans un immeuble, ou aux
nuisances sonores du trafic routier, que recommanderiez-vous ?
Dr Porges : La première chose que je recommanderais serait de
changer de lieu de travail.
Dr Buczynski : Mais si vous travailliez à l’hôpital ou…
Dr Porges : Je pense que nous ne portons pas assez attention aux
caractéristiques physiques des lieux où nous délivrons nos soins, et
ceci a des conséquences en thérapie. Si les nuisances acoustiques, au
milieu desquelles nous voyons nos patients, sont si manifestement
envahissantes pour notre système nerveux, c’est qu’elles vont inter-
férer sur la qualité de nos soins.
Parfois, les cliniciens utilisent des bruits blancs pour masquer ces
sons, le plus souvent sans succès, car ceci ne fait qu’augmenter les
informations de fond que le système nerveux doit traiter. Les gens
peuvent se montrer très réactifs dans de tels environnements, et
parfaitement calmes dans un environnement silencieux.
J’ai souvent évoqué ce problème avec des architectes, lors de
meetings architecturaux, ainsi que l’idée de la conception d’un espace
qui, au-delà de l’esthétique, serait thérapeutique pour les patients. Les
architectes se focalisent habituellement sur l’esthétique, la propreté
et le côté pratique des établissements. Si vous faisiez le design d’un
hôpital, vous chercheriez à ce que l’espace vous permette de dispen-
ser des soins d’une façon pratique, et qu’il soit facilement nettoyé
et aseptisé. Pour ma part, je suis beaucoup moins concerné par ces

194 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

aspects que par le souci de l’insonorisation, pour induire plus de


calme et d’apaisement.
Donc, pour en revenir à votre question sur les améliorations
possibles, la plupart des salles de soins ont des murs et des sols avec
des surfaces dures, résonnantes, et les sons rebondissent sur ces
surfaces, engendrant souvent des ambiances de travail bruyantes.
En insonorisant les murs et en posant des moquettes ou des tapis au
sol, il serait facile d’absorber tous ces bruits, tout en rendant ces lieux
plus confortables et plus agréables à vivre. Ceci pourrait être une idée
d’investissement pour les cliniciens.

EXERCICES ACTIVANT LE SYSTÈME D’ENGAGEMENT SOCIAL


Dr Buczynski : Pour ceux qui seraient réticents vis-à-vis de
certaines thérapies traditionnelles, existe-t-il d’autres façons d’activer
le système d’engagement social en évitant le face-à-face ?
Dr Porges : Oui, c’est une excellente question. J’ai réfléchi à ceci
depuis des années, et c’est pourquoi j’ai eu l’idée des stimulations
acoustiques. Je préfère éviter les thérapies intrusives, c’est mon point
de vue. J’ai un profond respect pour les individus, et lorsqu’ils sont en
mesure de s’engager spontanément, alors j’aime échanger avec eux.
J’aime la réciprocité, qui est une opportunité d’exercice neural*. Si
vous voyez quelqu’un qui éprouve des difficultés à s’engager spon-
tanément, alors vous pouvez favoriser l’engagement social avec une
voix prosodique. Les voies prosodiques caractérisent la musique
vocale, et leur écoute* peut être très utile.
Je vais vous donner un exemple. Une amie, médecin, devait faire
ma présentation lors d’une conférence devant plusieurs centaines de
personnes. Elle était très tendue, dans un état d’anxiété* sévère. Elle
m’avoua la veille au soir son anxiété à l’idée de se retrouver devant
un public aussi nombreux. C’est intéressant de voir comment un
verre ou deux, lors d’une soirée, délient les langues et rendent les
gens capables de parler. Je lui dis alors de ne pas s’inquiéter, et que
j’allais l’aider.

195
Sécurité, santé et théorie polyvagale

Le jour suivant, à 9 heures moins dix, la conférence commençant


à 9 heures, elle me demanda : « Steve, comment peux-tu m’aider ? »
Je l’ai regardée, étudiant sa façon de s’adresser à moi. Elle parlait avec
des phrases très courtes et des inspirations rapides pour reprendre
son souffle entre chaque phrase. Une respiration haletante transmet
de l’anxiété. De longues expirations en revanche favorisent le calme,
contrairement à des expirations courtes génératrices d’anxiété.
Je lui ai répondu alors : « Allonge la longueur de tes phrases, ajoute
un maximum de mots avant de reprendre ta respiration. » Au début
elle n’y parvenait pas, puis progressivement elle arriva à ajouter un
mot, puis un autre, puis fut enfin capable de prendre une seule respi-
ration au milieu de grandes phrases. Nous avons commencé à parler
d’une façon plus engageante. Elle a fait une présentation magnifique
et intéressante, d’une voix permettant d’établir une belle connexion*
avec les auditeurs. Alors qu’elle craignait beaucoup de parler en
public auparavant, elle utilise maintenant cette méthode pour aider
ses patients, victimes d’anxiété* sociale.
L’application de principes physiologiques spécifiques fournit des
outils d’apaisement efficaces. Chez mon amie, ce principe consis-
tait simplement à allonger la durée de ses phrases au cours de son
discours. D’un point de vue neurophysiologique, le nerf vague a un
puissant effet calmant sur le cœur au cours de l’expiration. Mais les
expirations lentes ont un effet sur la communication sociale aussi :
alors que la régulation vagale du cœur s’accroît, les influences vagales
exercées sur le larynx et le pharynx rendent la voix plus mélodieuse et
transmettent alors aux autres un sentiment de sécurité. Ce médecin
est maintenant capable de parler calmement, d’une voix prosodique,
en face de neuf cents personnes.
Cet exemple illustre l’existence de techniques thérapeutiques très
simples. Même si les patients ont des difficultés de communication,
si vous êtes capables de déclencher en eux l’état physiologique qui
induit le calme et une communication paisible, alors de nombreux
comportements sociaux émergeront spontanément depuis la

196 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

plateforme neurale correspondante. Ceci se fait simplement sans


aucune nécessité d’entraîner ou de contrôler un comportement
social. C’est vraiment différent des stratégies thérapeutiques
traditionnelles.
Dr Buczynski : Quelle stratégie votre amie a-t-elle adoptée face à
ses patients touchés par une anxiété* sociale ? Comment a-t-elle pu
appliquer votre stratégie ?
Dr Porges : Fondamentalement, elle demande aux patients d’al-
longer la durée de leurs phrases avant de reprendre leur souffle.
De cette façon, ils gomment un état d’anxiété* physiologique tout
simplement en modifiant leur élocution. Encore une fois, si vous
allongez progressivement le nombre des mots dans chacune de vos
phrases, vous retrouvez le calme physiologique. De plus, paradoxale-
ment, l’anxiété de parler en public se transforme en une opportunité
de retrouver le calme. Une autre composante du système d’enga-
gement social est modifiée lorsque vous agissez ainsi. Votre voix
se transforme, elle n’est plus saccadée, mais devient au contraire
mélodique et plaisante.
Dr Buczynski : Est-il nécessaire de parler à voix haute, ou peut-on
murmurer les phrases seulement ?
Dr Porges : Ayant été clarinettiste dans ma jeunesse, je dirais que
l’on peut faire beaucoup de choses simplement en les visualisant,
sans obligatoirement les mettre en pratique. Je pourrais pratiquer
ou répéter sans utiliser l’instrument. Si je devais donner un concert
en tant que soliste, pendant mon exécution, je visualiserais et joue-
rais la musique dans ma tête. De nombreuses activités peuvent être
mentalement visualisées et se manifester en même temps dans le
comportement.
Dr Buczynski : En ce qui concerne l’anxiété* sociale, je me deman-
dais, lorsque l’on se trouve dans un tel état de peur que le cerveau est
comme bloqué et qu’il nous est impossible de réfléchir à ce que l’on
va dire, comment faire pour allonger la longueur de nos phrases si
nous avons perdu le fil de nos idées ? Que diriez-vous de compter ?

197
Sécurité, santé et théorie polyvagale

Nous conseilleriez-vous de compter le plus longtemps possible avant


de reprendre notre souffle ?
Dr Porges : En comptant, tout en me donnant cet exemple, vous
étiez comme essoufflée. Vous êtes en fait entrée dans un état physiolo-
gique similaire à celui que vous venez de me décrire. Si vous comptez
lentement tout au long d’une expiration, ceci peut par contre devenir
beaucoup plus efficace. Mais si vous avez au contraire une respiration
saccadée, comme si vous étiez essoufflée, vous risqueriez de vous
retrouver mentalement bloquée, avec une modification de votre état
physiologique.
Le modèle est simple : la difficulté surgit quand le système vagal
myélinisé s’éteint, ce qui ouvre la porte à la mobilisation sympathique
nous préparant à la fuite ou à la lutte, et non à l’engagement social.
Je vais vous donner un autre exemple. Je devais donner une confé-
rence sur le thème de la compassion. J’étais en face de centaines de
personnes et les éclairages dans la salle se sont éteints. J’ai commencé
mon discours, sans pouvoir distinguer les visages de mes auditeurs,
et c’était pour moi comme tomber dans un abysse. Il m’était impos-
sible de voir leurs réactions. Je me suis senti totalement déconcerté,
déconnecté, ce qui était totalement paradoxal, puisque le thème de la
conférence était la compassion. J’ai demandé à ce que l’éclairage soit
rétabli en expliquant qu’il n’y avait pour moi aucun intérêt à faire
cette conférence si je ne pouvais voir les visages de mes auditeurs.
Ce que je veux dire c’est qu’une partie essentielle des interactions
est perdue lorsque les individus les expérimentent dans un état de
peur, car, dans un tel état, ces individus n’en retirent rien, alors qu’ils
auraient tant à y gagner.
Les difficultés des personnes ayant subi un traumatisme, j’ima-
gine, correspondent à l’acquisition de difficultés à tirer un bénéfice
quelconque d’interactions avec d’autres personnes, pour réguler leur
propre état physiologique. Les individus anxieux, notamment. Ce
n’est pas quelque chose de cognitif ou rationnel. Ils ne peuvent y
arriver puisque les stratégies qu’ils utilisent – notamment leur façon

198 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

de parler et de respirer – traduisent des comportements de fuite ou


de lutte, et il leur devient difficile de pouvoir bénéficier alors d’inte-
ractions réciproques favorisant l’engagement social.

LE FUTUR DU TRAITEMENT DU TRAUMATISME


Dr Buczynski : Stephen, comment voyez-vous le traitement du
traumatisme dans l’avenir ? Que projetez-vous ou qu’attendez-vous
de plus intéressant ? Qu’en sera-t-il pour vous dans cinq ans ?
Dr Porges : Les traitements seront clairement orientés sur le corps,
comme vous pouvez déjà le voir chez la plupart des cliniciens. Je suis
dans une position particulière, car je ne suis pas médecin, mais un
scientifique qui tente d’expliquer ce que font les médecins, ce qui m’a
permis de m’intéresser aux différentes approches thérapeutiques du
traumatisme dont les expériences somatiques de Peter Levine, les
psychothérapies sensorimotrices développées par Pat Ogden et Bessel
van der Kolk. Ces scientifiques de renom ont reconnu l’utilité de la
théorie polyvagale pour expliquer et donner des arguments neuro-
biologiques à leur travail.
La théorie polyvagale explique les liens neurobiologiques entre le
corps et le cerveau, mais aussi entre le corps et les processus psycholo-
giques. Nous commençons ainsi à considérer le traumatisme comme
une réaction adaptative. Le problème c’est que cette réaction, adap-
tative au moment de l’événement traumatique, peut resurgir et se
reproduire par la suite dans des situations inappropriées. Les diffé-
rents modèles thérapeutiques du traumatisme semblent modifier le
seuil de déclenchement du shutting-down et permettre au patient de
s’engager plus amplement dans la vie sociale. Le succès de la thérapie
semble résulter de la modification de l’état physiologique.
À la racine de tout ceci – et c’est le but de la théorie polyvagale –
il faut comprendre que nos relations avec les autres permettent une
co-régulation* des états physiologiques. Cette co-régulation est un
impératif biologique*, puisqu’elle induit un sentiment de sécurité.
Nous ne pouvons survivre sans interactions sociales appropriées.

199
Sécurité, santé et théorie polyvagale

Le traitement du traumatisme peut se faire encore sous la forme


d’un contact avec des animaux de compagnie comme les chiens, les
chevaux ou n’importe quel mammifère. Mais l’essentiel est de savoir
comment orienter spontanément le système nerveux dans un enga-
gement avec d’autres, celui-ci étant indispensable aux humains pour
se maintenir en bonne santé.
Dans l’avenir, l’usage de médicaments dans le traitement d’un
traumatisme psychique deviendra progressivement de plus en plus
limité. Ces médicaments seront plutôt destinés au traitement des
phases aiguës d’un traumatisme. Modifier ce recours systématique
aux traitements pharmacologiques sera certainement difficile, car les
professions médicales sont puissamment orientées sur ceux-ci. Les
psychiatres pratiquent une psychopharmacologie appliquée, avec la
croyance erronée que certains principes actifs sont capables de cibler
un désordre spécifique, sans réaliser qu’ils affectent le feedback neural
et les organes périphériques.
Je pense que dans l’avenir l’usage de médicaments dans les patho-
logies chroniques sera progressivement restreint. Leur usage sera
plutôt destiné au traitement des pathologies aiguës. Il faudrait une
plus grande prise en compte et une meilleure compréhension des
grandes boucles de rétroaction neurales ; ces boucles de rétroaction
corps-cerveau régulent non seulement le corps et le cerveau chez un
individu, mais aussi entre les individus.
Dr Buczynski : Le traitement d’un traumatisme ne peut se faire
sans l’établissement de liens de confiance, et la connexion* décrite
dans la théorie polyvagale aide vraiment beaucoup à se sécuriser. Je
me demandais si votre travail pouvait être applicable dans les théra-
pies familiales ou de couple.
Dr Porges : C’est une question intéressante. J’ai eu la surprise d’être
invité récemment à intervenir lors de l’Erickson Foundation Couples
Conference. Et la semaine prochaine, je ferai la session plénière d’ou-
verture pour l’American Group Psychotherapy Association. Ce sont
des nouveautés pour moi.

200 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Sécurité, santé et théorie polyvagale

Dr Buczynski : Parfois, l’un des partenaires d’un couple peut être


sévèrement touché d’une manière ou d’une autre et finir par fuir face
à des situations stressantes. Son conjoint ressent alors en retour une
anxiété* croissante, et c’est l’escalade. Disons que c’est quelque chose
de classique que nous rencontrons souvent. Comment apprendre
à l’un des deux conjoints à se comporter de telle façon qu’il puisse
apaiser l’autre ?
Dr Porges : C’est très difficile, et je dis ça en tant qu’époux, père et
mentor. Contrôler son propre comportement, quand on est provoqué
ou contraint, est extraordinairement difficile. C’est dur d’être obser-
vateur en même temps que participant, et ceci rend vraiment difficile
les échanges dans un couple. Des collègues comme Stanley Tatkin ont
l’habitude de filmer et de faire le monitoring physiologique pendant
des thérapies de couple. Tatkin pense que comprendre nos propres
réactions autonomiques, tout en observant notre comportement,
pourrait nous permettre de comprendre notre réactivité et les diffé-
rentes neuroceptions*.
Le monitoring physiologique permet de visualiser les modifications
dynamiques de l’état physiologique chez un individu. Actuellement
nous sommes encore centrés sur l’aspect cognitivo-comportemen-
tal, qui ne traduit pas complètement ce qu’il se passe quand notre
physiologie dévie.
Lors d’une thérapie de couple, si l’un des deux partenaires est
blessé par une remarque de son conjoint, on peut constater, en
contrôlant l’état physiologique, une élévation brusque de sa pres-
sion artérielle et de sa fréquence cardiaque. Si son conjoint tente
de le calmer, le partenaire vexé, en raison de son état physiologique
de mobilisation, ne sera probablement pas capable d’écouter cette
suggestion de retour au calme et sa neuroception*, à ce moment
précis, pourrait même lui faire interpréter toute suggestion de
retour au calme comme blessante ou agressive.
Lorsqu’on s’imagine pouvoir calmer un individu mobilisé et
orienté sur une attitude défensive, on ne prend pas en considération

201
Sécurité, santé et théorie polyvagale

les limites qu’un tel état physiologique peut donner à son compor-
tement. C’est, en fait, mal comprendre la façon dont la physiologie
impacte à la fois notre comportement et celui de notre partenaire.
Dr Buczynski : Tout ce que vous venez de nous dire, notamment
sur l’anxiété* sociale et son traitement, est vraiment fascinant.

202 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


6
L’avenir du traitement
du traumatisme

Stephen W. Porges et Lauren Culp

Lauren Culp : Comment va évoluer, selon vous, le traitement des


traumatismes et quels changements pourraient y être apportés dans
les cinq prochaines années ?
Dr Porges : La notion de traumatisme est mal comprise dans les
modèles thérapeutiques traditionnels. Ces modèles supposent en
effet que la plupart des troubles psychiatriques relèvent d’un substrat
neurobiologique commun, lié aux mécanismes augmentant le stress,
aux comportements de lutte ou de fuite, et à l’activation sympathique.
Tout ceci reflète des états d’hyperexcitation qui se traduisent par
une régulation comportementale atypique. Cependant, les cliniciens
ont compris que l’expression neurobiologique des traumatismes
ne s’exprime pas seulement par ce long continuum d’une défense
hautement mobilisée (dans les réactions de combat ou de fuite), mais

203
L’avenir du traitement du traumatisme

s’exprime souvent aussi par des phénomènes liés à l’immobilisation.


Dans ce cas, on ne vit pas une hyperexcitation suivie de comporte-
ments de mobilisation accrue, mais quelque chose qui ressemblerait
à une inhibition comportementale totale, couplée à des expériences
subjectives de désespoir et de dissociation*, pouvant refléter un désir
de disparaître.
Ces symptômes, à la fois physiques et psychiques, ne corres-
pondent pas aux modèles classiques de défense et de stress, ni aux
critères diagnostiques classiques de l’anxiété* et de la dépression*.
Ce manque de concordance entre les théories dominantes et les
diagnostics m’a poussé à développer la théorie polyvagale, afin
d’améliorer la compréhension des réactions bio-­comportementales
consécutives à un traumatisme. En développant ma théorie, j’ai
souligné l’existence d’un autre système de défense utilisé par les
mammifères dans des situations de menace vitale : le système
d’immobilisation et le collapsus (shutdown). En s’immobilisant, les
mammifères diminuent les chances d’être repérés par des préda-
teurs. Cette stratégie de défense peut se manifester par une chute
de la fréquence cardiaque pouvant provoquer un évanouissement,
ou mener les individus à des états de dissociation*. Ce système de
défense est potentiellement efficace pour différentes espèces de
mammifères.
Je n’avais jamais considéré auparavant cette stratégie comme une
réaction défensive à un traumatisme. Je voyais plutôt cette réaction
comme une régression vers une réponse adaptative plus primitive,
que les mammifères partagent avec les reptiles, et que les reptiles
utilisent comme système de défense principal. Lorsque j’ai commencé
à l’évoquer dans le modèle polyvagal, la communauté des psycho-
traumatologues s’est beaucoup intéressée à l’aspect défensif de
l’immobilisation. S’il existe une classe de professionnels pouvant
comprendre intuitivement les applications cliniques de la théorie
polyvagale, c’est bien celle des psychotraumatologues. Ils trouvent
dans la théorie polyvagale une ressource utile pour expliquer les
symptômes d’un stress post-traumatique.

204 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


L’avenir du traitement du traumatisme

Les échanges avec des cliniciens et des survivants de traumatismes


sévères ont nourri mes recherches. J’ai compris que les survivants de
traumatismes vivaient souvent des expériences que les modèles de
référence traditionnels ne pouvaient expliquer. Certains d’entre eux
se sont même sentis victimes des thérapies qu’ils se sont vus propo-
ser ! J’ai constaté que leurs symptômes étaient pour eux inexplicables,
insensés, et que les interprétations des cliniciens n’avaient pas vrai-
ment été efficaces pour les rassurer. Beaucoup se croyaient fous et ne
comprenaient ni leurs ressentis, ni les conséquences psychologiques
de leur traumatisme. Me basant sur ce que m’ont appris les cliniciens
et les victimes de traumatisme, j’ai commencé à partager dans mes
conférences des témoignages de survivants ayant appris à apprécier
la valeur de leurs réactions corporelles, face à des situations extrê-
mement dangereuses pour leur vie. Au fond, je voulais insuffler dans
leur récit personnel une idée de respect pour les réactions réflexes et
involontaires de leur système nerveux, qui les avaient apparemment
« trahis », certes, mais qui les avaient mis dans un état physiologique
leur permettant de survivre.
Cependant, bien que cette réaction face à la menace de mort leur
ait permis de survivre, ceci a créé un problème. Il leur est devenu
alors très difficile de se sortir de cet état qui les avait pourtant sauvés.
Une fois entrés dans cet état de « paralysie fonctionnelle », il leur est
devenu très difficile de retrouver cette flexibilité de l’état comporte-
mental définissant la résilience.
Ces difficultés semblent évidentes lorsque l’on voit des rescapés
confrontés à des demandes d’interaction sociale. Ils s’en sentent
souvent incapables et les évitent, alors qu’ils les assuraient aisément
avant le traumatisme. Une fois que nous avons réalisé que cet état
limitant nos interactions sociales et notre capacité à nous sentir bien
est cependant un état qui nous a sauvé, alors nous nous félicitons de
l’efficacité de nos réactions corporelles.
Lorsque je m’adresse aux cliniciens, je leur demande générale-
ment : que se passerait-il si vous demandiez à vos patients (au lieu

205
L’avenir du traitement du traumatisme

d’exiger d’eux qu’ils soient plus sociaux, plus interactifs) de prendre


le temps d’apprécier leurs réactions corporelles ? Ayant suggéré ceci
en conférence, j’ai commencé à recevoir des courriels de cliniciens
me confirmant combien la démystification de ces réactions au trau-
matisme devenait alors porteuse de guérison. Certains disaient que
leurs patients se remettaient réellement, ou du moins amélioraient
leurs symptômes, dès qu’ils avaient supprimé cette peur de leurs
réactions corporelles qu’ils ne pouvaient comprendre. Je constate
que les professionnels du traumatisme cessent de classer maintenant
tous les comportements de défense dans la catégorie de la mobili-
sation et prennent beaucoup plus en considération ce système de
défense archaïque de l’immobilisation, extraordinairement efficace
pour nous préserver des blessures et de la douleur. Une fois que sont
acceptés les bénéfices des fonctions adaptatives d’une immobilisa-
tion défensive, la thérapie doit répondre à une question importante :
comment faire passer quelqu’un d’un état défensif à un état favorisant
les interactions sociales et un sentiment de sécurité* ?
Lauren Culp : Un proche de ma famille a subi un choc suite à une
intrusion dans son domicile alors qu’il était endormi. Il souffre main-
tenant d’un syndrome de stress post-traumatique*. En complément
du travail sur l’aspect cognitif de l’expérience avec des professionnels,
je me suis servi de mon expérience de masseur pour utiliser le toucher
comme technique d’enracinement. Que pensez-vous de l’utilisation
du toucher en thérapie ?
Dr Porges : En général, après un traumatisme, on devient difficile-
ment réceptifs aux autres et l’on accepte difficilement d’être touchés.
En tant que clinicien, il faut se montrer très attentif aux vulnérabilités
et aux réactions du patient, et rechercher des opportunités d’enga-
gement. Il faut se montrer attentif et réceptif aux signaux indiquant
une faille dans les capacités de résilience du patient. Lorsque c’est
le cas, le thérapeute doit faire marche arrière, plutôt que de pousser
le patient dans ses retranchements, ce qui fait cependant partie de
certaines thérapeutiques.

206 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


L’avenir du traitement du traumatisme

Lauren Culp : Vous dites qu’il est important de rester très attentif
aux signes de traumatisme vécu par un patient et de respecter l’expé-
rience exceptionnelle de cet individu. Dans ma démarche clinique,
j’essaie de repérer les domaines les plus pertinents dans lesquels mes
patients ont pu puiser leurs forces et trouver les outils pour pouvoir
se réorganiser et se reconstruire.
Dr Porges : Dans un traumatisme, ce n’est pas l’événement, mais
la réponse à l’événement qui est importante. Pour m’en souvenir,
j’utilise souvent la phrase suivante : « L’enfer de chacun est le sien. »
Ce qui veut dire que le jugement que je peux porter sur l’événement
traumatique n’a aucune importance pour le patient, mais que c’est
sa réponse au traumatisme qui l’est. Dans des situations que nous
pourrions personnellement considérer comme anodines, le système
nerveux d’un autre individu pourrait répondre comme s’il s’agissait
d’une situation de vie ou de mort. Et, bien sûr, suite à cette intrusion
dans un domicile, nous pourrions être tentés de dire : « Eh bien, vous
êtes vivant et indemne, alors qu’est-ce qui vous inquiète ? » Dans
ce type de déclaration, la réaction corporelle de la victime face à la
violation de son monde intime reste incomprise, ignorée. C’est vrai
que notre système nerveux réagit la plupart du temps selon notre
volonté, mais parfois, en essayant de nous sauver, il peut trahir fonc-
tionnellement nos intentions.
Je vais vous décrire ce que je pourrais appeler mon expérience
personnelle de « trahison corporelle ». Il y a plusieurs années, j’ai dû
être perfusé avant un bilan cardiaque et le cathéter de perfusion est
sorti de la veine. Je l’ai alors signalé à l’infirmier, qui l’a déplacé pour
l’insérer à nouveau correctement.
Ce geste a provoqué cependant une stimulation des voies affé-
rentes (régulant la pression artérielle) et j’ai perdu connaissance.
Selon l’interprétation de l’infirmier, j’avais eu peur. Mais ceci n’avait
absolument rien à voir avec la peur. C’était plutôt la conséquence
d’une stimulation de capteurs sensoriels. Dans le milieu médical, on
attribue fréquemment ces événements à des facteurs psychologiques,

207
L’avenir du traitement du traumatisme

alors que l’évanouissement peut résulter, comme dans une mort


simulée, de réflexes physiologiques.
Il ne faut pas croire cependant que tout ce qui influence notre
cerveau et notre conscience passe par un modèle ascendant (système
bottom-up). Des circuits descendants (système top-down) nous
permettent d’utiliser nos fonctions cognitives pour nous reconstruire
et nous aider à progresser, si nous avons subi des traumatismes ou
des perturbations dans notre vie.
Nous avons la chance de bénéficier dans notre espèce d’un
cerveau très développé nous permettant d’engranger des informa-
tions et devenir notre propre parent, enseignant ou thérapeute. Au
fur et à mesure de l’acquisition de nouvelles connaissances nous
modifions notre comportement et nos pensées. Cette flexibilité
cognitivo-comportementale nous permet d’être beaucoup plus rési-
lients, flexibles et adaptatifs que si nous restions assujettis à nos
déficits de la petite enfance, et traitions les perturbations et les trau-
matismes précoces comme des influences déterministes menant à
l’échec. Nous comprenons ainsi toute l’importance de la complé-
mentarité et de l’interdépendance des mécanismes ascendants et
descendants, dans lesquels les actions et les décisions émanant du
cerveau peuvent être conditionnées par des changements d’états
corporels et inversement.
Notre cerveau est capable de réorganiser notre ressenti corporel.
Nous pouvons réinterpréter, reformuler et transformer la déception
et la colère en une plus grande compréhension envers ceux qui nous
ont déçus, mais qui essayaient peut-être eux-mêmes tout simplement
de s’adapter à des circonstances très douloureuses. Beaucoup de gens
ne peuvent oublier leur passé et attribuent souvent bon nombre de
problèmes à leurs expériences précoces avec des parents déficients.
Ils oublient que leurs parents ont pu être aussi des enfants exposés à
des carences, à des violences parentales, ou à des événements trau-
matisants. Souvent, les individus qui blâment leurs parents oublient
qu’eux-mêmes sont aussi des parents. Ils peuvent être alors à l’origine

208 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


L’avenir du traitement du traumatisme

de pathologies trans-générationnelles, dans lesquelles leur parenta-


lité est également compromise. Nos capacités intellectuelles nous
permettent de comprendre que bon nombre de choses qui ont pu
nous blesser dans le passé ont peut-être été faites en toute innocence,
dans une démarche adaptative.
Nous sommes tous extrêmement sensibles aux perturbations dans
les interactions sociales. Par exemple, nous ressentons de puissantes
réactions viscérales si, en pleine conversation, notre interlocuteur
s’éloigne sans mettre fin à la discussion. Lorsque c’est le cas, notre
corps s’insurge pour nous dire que quelque chose ne va pas. C’est
une situation que nous ne pouvons pas tolérer – c’est une frustration
devant une attente sociale.
Je n’ai jamais entendu quelqu’un se demander : « C’est vraiment
curieux ça ! Pourquoi devrais-je être si déçu ? » Même les scien-
tifiques et les plus grands intellectuels ne s’expliquent pas que les
comportements d’un individu puissent résulter d’un changement
d’état physiologique, induisant potentiellement des comportements
de type autistique. Ils pensent plutôt à une forme d’insensibilité
devant le comportement de la personne qui s’éloigne. Nous pour-
rions par exemple imaginer que la personne qui nous a laissé en
plein milieu d’une conversation ne nous supporte pas, qu’elle ne
nous apprécie pas, ou que nous n’avons que peu d’intérêt pour elle.
Nous commencerions alors à chercher une explication plausible
motivant ce type de comportement. Mais nous ne faisons jamais
marche arrière pour nous dire : peut-être que cette personne a tenté
sans succès de s’adapter à un contexte complexe, et qu’elle n’avait
pas les ressources nécessaires pour avoir un comportement social
adapté.
C’est pourquoi je pense que cette notion de stratégies ascendantes
et descendantes est extrêmement importante. Nous avons des straté-
gies ascendantes par lesquelles notre corps influence notre cerveau et
transmet des ressentis, correspondant à nos adaptations au stress et
au danger, ce qui impacte notre façon de voir le monde. Mais nous

209
L’avenir du traitement du traumatisme

disposons également de stratégies descendantes que nous pouvons


utiliser, par exemple, pour trouver des environnements sûrs. Nous
pouvons alors nous servir de ces connaissances pour démystifier les
événements qui ont pu nous blesser.
Lauren Culp : Dans ma pratique, je travaille avec des adultes qui
ont depuis leur enfance des difficultés allant du trouble du déficit
de l’attention au syndrome d’Asperger. Dans cette nouvelle optique,
ils pourraient vivre et comprendre différemment leurs expériences.
Dr Porges : Oui ! En racontant notre passé, nous ne sommes plus
l’enfant. Nous sommes l’adulte. C’est une approche très intéressante
et enrichissante. C’est essentiel pour les personnes de ma généra-
tion dont les parents ont connu les guerres mondiales, et des choses
auxquelles nous ne pensons jamais dans notre monde actuel. Nous
nous disons simplement que ces gens ont survécu sans cependant
réaliser qu’aucun sentiment de sécurité* ne leur avait été laissé avec
cette survie.
Lauren Culp : Je m’interroge sur votre travail dans les écoles et
dans le domaine de l’autisme*.
Dr Porges : J’ai participé à la conception du bâtiment d’une
école pour autistes dirigée par l’Easter Seals Foundation, à Chicago.
L’école devait répondre à certaines caractéristiques dont une des
plus importantes était l’insonorisation des salles. Nous avons posé,
pour réduire le bruit de fond, de la moquette au sol et insonorisé les
plafonds. Nous nous sommes occupés également de l’éclairage pour
fournir une ambiance lumineuse mais non éblouissante, en utilisant
des éclairages indirects. Les fenêtres ont été placées à un mètre et
demi du sol, sans vis-à-vis. Ce projet a été réalisé pour remédier
à l’hypersensibilité de nombreux élèves autistes. Leurs seuils de
réactivité au son et à la lumière sont très bas. Certains ont même
un réflexe pupillaire atténué, leurs pupilles étant plus dilatées et ne
pouvant se contracter rapidement en cas d’augmentation soudaine
de la lumière. Fondamentalement, de nombreux enfants autistes sont
dans un état physiologique chronique de mobilisation. Dans cet état,

210 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


L’avenir du traitement du traumatisme

leurs pupilles sont plus dilatées et leurs muscles de l’oreille moyenne*


moins efficaces. La dilatation de la pupille nous rend hypersensibles à
la lumière. Lorsque les muscles de l’oreille moyenne ne fonctionnent
pas efficacement, nous devenons hypersensibles aux sons.
Tout en prenant en compte leurs sensibilités, nous avons aussi
essayé de changer l’approche éducative. C’est un point très impor-
tant. Dans la plupart des systèmes scolaires, les enfants autistes
sont confiés à des professionnels de l’éducation. Il existe d’autres
soutiens tels que l’orthophonie, l’ergothérapie et la kinésithérapie,
mais ce sont plutôt des enseignants spécialisés qui s’occupent de cas
d’autisme, comme d’autres troubles développementaux. En géné-
ral, les stratégies d’éducation spéciale n’ont pas été conçues pour
l’accompagnement des enfants autistes. Elles ont été conçues pour
des personnes ayant des retards d’apprentissage mais qui n’ont pas
forcément d’hypersensibilités, ni de problèmes de régulation des
états. L’imposition de ce personnel spécialisé, mais peu habitué
à des enfants hyper-réactifs, comme les autistes, est un problème
majeur car leur modèle éducatif suppose que le comportement de
ces enfants résulte d’une volonté plutôt que d’être la conséquence
intrinsèque d’un état physiologique.
J’aimerais voir appliquer de nouvelles méthodes dans ces établis-
sements pour améliorer la prise en charge de la composante
émotionnelle, comportementale et cognitive des enfants autistes. Au
lieu de stratégies d’éducation spéciale conventionnelles, j’aimerais
voir appliquer des méthodes qui proposent des exercices neuraux
visant l’amélioration de la régulation de l’état bio-comportemental.
En premier lieu, j’aimerais voir pratiquer pour eux le Listening
Project Protocol* (voir chapitres 2 et 3) mis en œuvre avec succès
dans notre laboratoire. Ce protocole utilise de la musique modi-
fiée par ordinateur afin de réduire les hypersensibilités auditives,
calmer la physiologie et améliorer le comportement (voir Porges et
al., 2013, 2014). Cette intervention permet d’induire chez l’enfant un
état physiologique à partir duquel des comportements d’engagement

211
L’avenir du traitement du traumatisme

social peuvent émerger spontanément. Deuxièmement, j’aimerais


voir proposées des procédures de biofeedback utilisant des tech-
niques respiratoires pour calmer et améliorer la régulation du rythme
cardiaque. En améliorant la régulation du rythme cardiaque, l’enfant
pourra disposer de ressources calmant et atténuant les changements
brusques d’état physiologique se traduisant par des comportements
perturbateurs, tels que des crises de colère et des comportements
d’opposition. Les résultats positifs de ces deux méthodes nous
permettent de faire l’hypothèse que si l’enfant est plus calme, moins
réactif et moins défensif, les dynamiques de l’environnement éducatif
changeront aussi, et l’enfant deviendra plus disponible pour l’ap-
prentissage et la gestion de son comportement.
Les hypersensibilités auditives constituent un problème majeur
dans la prise en charge de l’autisme*. Environ 60 % des personnes
autistes présentent des hypersensibilités auditives. Ce nombre est
probablement sous-estimé, car les parents concluent souvent que
si leurs enfants ne se bouchent pas les oreilles, alors ils n’ont pas
d’hypersensibilité auditive. J’ai posé un jour la question de cette
hypersensibilité auditive au père d’un enfant autiste. Il m’a répondu
que son fils avait eu l’habitude de se boucher les oreilles, mais que
ce problème avait été réglé. Curieux, j’ai demandé : comment ? Il
m’a dit qu’il avait interdit ce geste à son fils. En fait, le père avait
supprimé un comportement qui mettait en évidence une réponse
adaptative de l’enfant, relativement à la gêne ou à la douleur ressen-
ties en entendant certains sons ou certains bruits. Sans ce geste, le
père ne pouvait plus estimer l’inconfort et la douleur de l’enfant. Ce
dernier, hypersensible aux sons, atténuait les stimulations sonores
en se bouchant les oreilles, mais ceci perturbait les parents et les
enseignants qui interprétaient dans ce geste une volonté de ne pas
les écouter. Les parents et les enseignants ne comprenaient pas
que les sons puissent perturber l’enfant, puisque ces sons n’étaient
pas gênants pour eux-mêmes. Encore une fois, il s’agit de respec-
ter l’état physiologique de l’autre et de comprendre que le monde

212 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


L’avenir du traitement du traumatisme

sensoriel d’autrui puisse différer du nôtre. Le respect de la sensibi-


lité d’autrui semble être limité dans les environnements médicaux
et éducatifs. Si l’on tenait compte de ces différences individuelles
dans la réactivité à l’environnement, alors les trajectoires dévelop-
pementales pourraient être améliorées.
Un autre problème important réside dans le fait que les écoles,
d’une certaine manière, mettent les enfants au défi. Même si
d’énormes sommes d’argent sont dépensées avec les meilleures inten-
tions possibles pour le traitement et l’éducation des enfants autistes
et même d’autres troubles du développement, ces investissements ne
permettent pas le développement de leurs aptitudes, de leurs compé-
tences et leur intégration dans la société. Ceci ne signifie pas que les
résultats des enfants autistes soient toujours médiocres, mais que
l’expérience éducative est généralement stressante pour eux-mêmes,
comme pour leurs familles et leurs éducateurs. Je souhaiterais pour
eux un environnement où non seulement la science informe la
pratique, mais où la pratique informe la science aussi. Et la pratique
nous informe que l’expérience éducative des enfants autistes est
neurophysiologiquement stressante.
Les universitaires, les scientifiques et les cliniciens ont chacun leur
propre vision de l’autisme*. Cependant, ces professionnels sont peu
sensibles au fait que les symptômes associés à l’autisme perturbent la
vie de familles entières. Les hypersensibilités auditives d’un autiste,
par exemple, sont perturbantes dans la vie familiale courante, car
elles limitent les endroits accessibles à un enfant hypersensible, ce
qui perturbe les activités quotidiennes de la maison. Ceci perturbe
la vie de familles entières, mais, malheureusement ne semble pas
interpeller les experts de l’autisme*. Ils ne s’y intéressent pas, notam-
ment parce que les organismes de financement ne soutiennent pas la
recherche dans ce domaine. Et les organismes de financement ne la
soutiennent pas, car l’hypersensibilité n’est pas spécifique à l’autisme.
Les organismes de financement recherchent plutôt une signature
neurobiologique ou génétique de l’autisme*, mais ils ne la trouveront

213
L’avenir du traitement du traumatisme

pas, puisque le diagnostic repose sur des facteurs comportementaux


et neurophysiologiques hétérogènes.
Des hypersensibilités auditives sont également observées chez les
personnes ayant subi un traumatisme. En effet, il peut y avoir des
points communs entre différents troubles psychiatriques, puisqu’une
atténuation de la régulation neurale du système d’engagement social
se produit lorsque l’état physiologique est en mode défensif. Un
retrait du système d’engagement social peut entraîner non seulement
des hypersensibilités auditives, mais aussi des expressions faciales
appauvries, que l’on retrouve d’ailleurs dans de nombreux troubles.
Un autre problème concernant la recherche sur l’autisme* résulte
du fait que la quasi-totalité de la recherche est effectuée en labo-
ratoire. Et où se font les diagnostics ? Dans le domaine clinique.
Un environnement clinique semblable à celui d’un laboratoire peut
déclencher des comportements défensifs chez un individu autiste
pouvant limiter la gamme fonctionnelle de ses comportements. De
ce fait, que l’on soit en clinique ou en laboratoire, on ne sait pas si les
différences observées entre les individus autistes et les non-autistes
sont dues à des réactions défensives vis-à-vis de l’environnement, ou
bien à des caractéristiques individuelles.
La meilleure façon de comprendre les personnes autistes est de
les observer dans un environnement familier. J’ai donc décidé de
déplacer mes recherches sur l’autisme* de mon laboratoire au sein
d’une école pour autistes. L’inquiétude est considérablement dimi-
nuée, lorsque les enfants se retrouvent au sein d’un laboratoire avec
lequel ils se sont familiarisés.
Des choses merveilleuses se produisent pendant le Listening
Project Protocol*. De nombreux enfants à la fin du cycle thérapeu-
tique embrassent spontanément le personnel, devenant beaucoup
plus câlins, tout en demandant de revenir. Le contexte du labora-
toire au sein de l’école pour enfants autistes est bénéfique, amical
et apaisant et n’a rien de comparable avec celui d’une salle d’IRM
en milieu hospitalier. Je me suis d’ailleurs toujours demandé quelles

214 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


L’avenir du traitement du traumatisme

personnes autistes pouvaient passer une IRM, car beaucoup d’entre


elles ont des hypersensibilités auditives et, bien sûr, n’aimeraient pas
être contraintes. Serions-nous mal informés sur la recherche IRM
fonctionnelle relativement à l’autisme*, et sur les critères de sélection
de catégories d’autistes capables de supporter une IRM ?
Lauren Culp : Un de mes patients, maintenant adolescent, avait
l’habitude de tourner en rond quand il était petit et maintenant il bat
des mains, lorsqu’il est stressé. Qu’en pensez-vous ?
Dr Porges : Se balance-t-il, se secoue-t-il ? Se balancer de la tête
aux pieds stimule les récepteurs impliqués dans la régulation de la
pression artérielle, ce qui stimule le système vagal, et aurait un effet
calmant qui pourrait réduire les battements des mains. En battant
des mains, l’enfant se mobilise, mais il ne s’enfuit pas. Il ne fait que
battre des mains. Souvent, les parents s’énervent lorsqu’un enfant fait
ce geste et essaient de l’en empêcher. Mais au lieu de ce battement des
mains, l’enfant pourrait faire les cent pas. Un enfant que j’ai connu
a usé le tapis de sa chambre parce que sa mère ne voulait pas qu’il
batte des mains. Je considère ce geste comme un comportement de
mobilisation lui permettant de s’adapter à un certain contexte social.
Plutôt que d’être complètement hors de contrôle, il se limite à battre
des mains.
L’une des techniques les plus simples pour se calmer et s’autoré-
guler est le balancement sur une balançoire de porche ou un fauteuil
à bascule, par exemple. Les balançoires de porche étaient courantes
dans la première moitié du xxe siècle ; les couples aimaient s’y balan-
cer dans un but d’engagement réciproque. Elles ne sont plus très
populaires, mais en modifiant l’état physiologique, elles agissaient
comme un soutien bio-comportemental. Se balancer est apaisant. Les
balançoires peuvent aider un enfant autiste à s’autoréguler. Se balan-
cer sur un ballon d’exercice peut constituer une méthode efficace
pour stimuler les afférences* sacrées du système nerveux parasym-
pathique*. Ces afférences transmettent des informations au tronc
cérébral et augmentent le tonus parasympathique. Ainsi, se balancer

215
L’avenir du traitement du traumatisme

sur un ballon d’exercice peut constituer une méthode alternative pour


stimuler la régulation centrale du nerf vague.
Lauren Culp : Où en sommes-nous depuis cinq ans, et qu’en sera-
t-il dans les cinq prochaines années concernant la neurobiologie
interpersonnelle – le cerveau, l’esprit, les relations ?
Dr Porges : Le premier point c’est qu’il est extrêmement impor-
tant pour les scientifiques qui étudient le système nerveux d’être
informés par la communauté clinique. Il y a trop de décalage entre
les résultats scientifiques de laboratoire et la pratique clinique. Les
modèles de recherche manquent souvent des données cliniques
concrètes. Ce décalage entre la recherche et la clinique touche même
la recherche clinique. Dans les facultés de médecine, les scienti-
fiques, qui sont également des praticiens agréés, font de la recherche
clinique. Ces chercheurs passent la majeure partie de leur temps à
mener des recherches sans voir de patients. Or, les caractéristiques
cliniques observées en laboratoire sont souvent différentes de celles
observées dans la pratique clinique. Personnellement, j’ai toujours
pensé qu’échanger avec les cliniciens était un moyen de s’informer
des vrais problèmes pour établir une façon concrète de superviser
le patient.
Qu’en sera-t-il dans les cinq prochaines années ? Je vais vous dire
quelque chose d’inattendu peut-être. Dans le but d’optimiser le trai-
tement des pathologies mentales et l’expérience humaine dans sa
globalité, nous sommes passés d’un monde centré sur le cerveau à
un monde centré sur les gènes. Je pense qu’en se concentrant autant
sur les structures et les fonctions cérébrales, nous éludons un élément
majeur dont les cliniciens sont très conscients, à savoir l’importance
des sensations corporelles et la manière dont elles régulent, et souvent
conditionnent l’accès aux processus cérébraux et psychologiques
impliqués dans la pensée, l’amour et les interactions sociales. Nous
sommes victimes des technologies qui quantifient la génétique et
les fonctions cérébrales. Nous avons négligé le domaine important
des comportements pathologiques qui atteignent le corps, pour nous

216 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


L’avenir du traitement du traumatisme

concentrer sur des zones cérébrales spécifiques ou sur des polymor-


phismes génétiques.
En termes de symptomatologie, que nous parlions de symptômes
psychiatriques, de troubles du comportement, ou même simplement
de symptômes physiques, la plupart de ces symptômes se situent en
fait à la périphérie. Le système nerveux n’est pas un cerveau indépen-
dant du corps, mais un système nerveux corps-cerveau. Dans l’avenir,
la neurobiologie interpersonnelle nous permettra de comprendre que
notre système nerveux, dans tout notre corps, répond de manière
fonctionnelle aux interactions avec d’autres êtres humains. Dans
l’avenir, la neurobiologie interpersonnelle conduira à une meilleure
compréhension de la façon dont les interactions sociales et le soutien
social (par l’intermédiaire d’un thérapeute, d’un membre de la famille
ou d’un ami) peuvent améliorer la santé physique et mentale.
Lauren Culp : Vous avez partagé avec nous tellement de choses.
Merci d’avoir pris ce temps pour nous et avec nous.

217
7
Soma et psychothérapie

Stephen W. Porges et Serge Prengel

Serge Prengel : Si l’on s’en réfère à vos publications, vous semblez


avoir porté un grand intérêt au système nerveux.
Dr Porges : Mes recherches se sont centrées sur l’impact de
la régulation de l’état physiologique sur le comportement, et sur
­l’importance de ces mécanismes dans notre façon d’interagir avec
les autres. En réalité, j’ai toujours cherché à comprendre pourquoi
et comment notre comportement se modifiait en présence d’autrui.
Bien que je me sois posé cette question très tôt, ce n’est qu’au cours
des deux dernières décennies que j’ai réalisé combien ceci jouait un
rôle central dans de nombreux aspects de la santé mentale, et l’impact
qui en résultait sur la qualité de vie.
Serge Prengel : Il ne s’agit donc pas simplement d’une recherche
personnelle.

219
Soma et psychothérapie

Dr Porges : Eh bien, ceci a peut-être commencé comme une


recherche personnelle mais s’est intégré ensuite, d’une manière ou
d’une autre, à mon domaine de compétences. Mes recherches ont
commencé par une question un peu plus « occulte », orientée sur les
paramètres des réactions physiologiques les plus pertinents dans le
traitement de l’information. Puis, au fur et à mesure, j’ai commencé à
réfléchir aux processus physiologiques sous-jacents au traitement de
l’information. Mon intérêt ne portait pas seulement sur des indica-
teurs physiologiques ou des corrélats de processus cognitifs. J’ai plutôt
commencé par m’interroger sur le ressenti corporel et les émotions.
Ensuite, petit à petit, je me suis penché sur la régulation du ressenti
corporel et des émotions en présence des autres, et j’ai entrepris enfin
des recherches sur la façon dont notre système nerveux médie nos
ressentis viscéraux et sur l’importance des interactions sociales sur
ces ressentis viscéraux.
Serge Prengel : Comment notre système nerveux interfère-t-il sur
notre ressenti viscéral ?
Dr Porges : Bien que le rôle joué par le système nerveux dans la
régulation de notre état viscéral soit très important pour tous ceux
qui s’intéressent aux psychothérapies corporelles, il n’est pas reconnu
dans les modèles théoriques et thérapeutiques prépondérants de la
psychologie et de la psychiatrie. La psychologie et la psychiatrie
utilisent principalement des modèles considérant les émotions et les
processus affectifs comme des phénomènes centraux et minimisent
le rôle du corps dans ces expériences. Suivant ces modèles, même
l’anxiété* pourrait être considérée comme un processus limité à
la sphère « cérébrale ». Heureusement, certains cliniciens, dont de
nombreux psychothérapeutes corporels, reconnaissent l’importance
de la communication bidirectionnelle entre le corps et le cerveau.
Les informations sensitives allant du corps au cerveau influencent la
façon dont nous réagissons au monde. En retour, par le moyen de
notre cognition, de notre affect, de notre vision du monde et de notre
propre façon de réagir à l’environnement, les processus cérébraux

220 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

influencent nos viscères. Cette action bidirectionnelle et i­nteractive,


par laquelle notre système nerveux régule nos viscères dans un
environnement social complexe, est minimisée, voire négligée, en
médecine clinique et même en psychiatrie.
Serge Prengel : Les sentiments ne surgissent pas d’eux-mêmes
dans une sorte de sphère isolée, mais il existe une continuité bidirec-
tionnelle entre nos ressentis corporels et nos pensées.
Dr Porges : Absolument. La prééminence des processus cognitifs
s’inscrit dans une longue tradition de la culture occidentale, consis-
tant à privilégier la pensée au détriment du ressenti. Descartes nous
a imposé, par exemple, la vision d’une dualité corps-esprit dans sa
célèbre citation « Je pense, donc je suis » (« I think, therefore I am »).
Imaginons quel aurait été le résultat s’il avait dit « Je me sens, donc
je suis » ou « Je ressens, donc je suis ». Noter l’utilisation de la forme
réflexive du verbe « se sentir », qui se traduirait littéralement par
« I feel myself, therefore I am ».
S’il avait choisi ce dicton, l’accent aurait été porté dans la langue
française sur les ressentis corporels, sans évoquer cependant la sensa-
tion que l’on éprouve en touchant un objet. En anglais, nous utilisons
le même mot pour décrire à la fois nos ressentis internes et les sensa-
tions tactiles éprouvées en touchant un objet.
Malheureusement, l’expérience personnelle subjective du ressenti
corporel ne faisait pas partie de l’équation de Descartes. Mais imagi-
nez cependant comment aurait évolué notre façon de traiter les
autres si c’était ce ressenti que Descartes avait voulu évoquer ? Où
en serions-nous aujourd’hui dans notre conceptualisation de l’être
humain ? Descartes a laissé derrière lui toute une culture occidentale
dans laquelle les sensations corporelles se retrouvent négligées ou
réprimées au bénéfice exclusif de notre cerveau intelligent, seul légi-
timé dans l’expression de son potentiel.
Certaines maladies physiques et mentales peuvent être aussi une
conséquence de cette vision dichotomique cartésienne de l’être
humain. Ainsi, le fait de négliger nos propres réponses corporelles et

221
Soma et psychothérapie

de « filtrer » le ressenti viscéral (avec une minimisation du feedback


neural bidirectionnel corps-cerveau) peut nous amener progressive-
ment à tomber malade.
Serge Prengel : Il est peut-être utile de parler de la façon dont nous
vivons les sensations corporelles et dont nous en prenons conscience,
ainsi que de ce qui peut arriver lorsque nous avons du mal à exprimer
notre ressenti corporel, ou lors d’une déconnexion entre la cognition
et le corps.
Dr Porges : Eh bien, c’est vraiment très intéressant. J’ai étudié
l’impact d’un ressenti de sécurité sur notre capacité d’accès à
certaines fonctionnalités de notre système nerveux. Il est important
de comprendre que le fait de se sentir en sécurité est une condition
préalable pour accéder à la créativité et pour trouver des solutions
face aux difficultés. Notre culture a une vision paradoxale de la défini-
tion du sentiment de sécurité*. Nous nous focalisons, pour définir la
sécurité, sur les mots et les représentations mentales, en minimisant
les réponses et les ressentis corporels. En tant que professionnels
et universitaires, nous croyons pouvoir définir la sécurité par des
compétences cognitives. Pourtant, être en sécurité relève d’une
réponse du corps à l’environnement.
L’éducation et l’entourage, dans notre culture, tendent puissam-
ment à réprimer nos réponses corporelles. En observant des enfants
dans une classe, nous voyons se manifester toute une variété de
comportements. Certains enfants se sentent totalement en sécurité*
et restent calmes, alors que d’autres, dans ce même environnement,
affichent un état d’hypervigilance caractéristique d’un manque de
sécurité*. De plus, les enfants continuellement surveillés au sein
d’une classe, considérés comme des éléments perturbateurs, ont
très souvent des difficultés d’apprentissage, tandis que ceux qui se
sentent en sécurité* suivent tranquillement les cours et apprennent
efficacement. Malheureusement, le modèle éducatif traditionnel
considère que si certains enfants ont de bons résultats, alors tous en
sont capables.

222 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

Notre société qualifie de mauvais ou de défectueux le compor-


tement des individus viscéralement très réactifs à de subtils
changements dans leur environnement. En fait, nous renforçons
cette connotation « mentale » par des étiquettes telles qu’un « retard
de développement » ou « retard mental » ou encore « déficit d’at-
tention ». La société considère les enfants comme des individus
capables de gérer volontairement leurs comportements, et si ce n’est
pas le cas, alors on en déduit l’existence d’un problème. Plutôt que
de chercher à identifier la cause de certains comportements dans
un substrat neural sous-jacent, nous culpabilisons ces enfants, en
qualifiant de « mauvais » des comportements en fait involontaires. Le
système éducatif pourrait en revanche valoriser certaines sensibilités
individuelles, mais ceci se produit malheureusement très rarement,
même dans le domaine du traitement du traumatisme, dans lequel
travaillent nombre de collègues.
Le monde des traumatismes concerne principalement la réac-
tivité et les réactions corporelles. Dans certains cas, le schéma
comportemental et la régulation neurale de l’état autonomique*
sont grandement modifiés après un traumatisme. Ces changements
peuvent être si importants que les caractéristiques comportementales
semblent émaner d’un individu différent, qui ne peut plus avoir les
mêmes rapports ou interactions avec les autres. Étant donné que les
comportements des personnes traumatisées ne sont pas conformes
aux attentes classiques des interactions sociales, ces personnes ont
souvent le sentiment d’être inadéquates. Ce sentiment d’inadéqua-
tion peut provenir du sentiment de ne pas répondre aux attentes de la
société, mais aussi du feedback évaluatif en thérapie. En effet, les stra-
tégies thérapeutiques sont souvent évaluatives, soulignant certaines
déficiences des patients dans le but de modifier volontairement leur
comportement, pour aboutir à une attitude plus adéquate sociale-
ment parlant. Cependant, cette attitude évaluative du comportement
risque de pousser les patients à se retrancher de plus en plus dans
leurs stratégies défensives.

223
Soma et psychothérapie

Serge Prengel : J’aimerais insister un peu sur ce sujet, car vous nous
apportez beaucoup d’informations. Les enfants sont soumis à l’école
à des modèles éducatifs que l’on pourrait comparer à des « modes
d’emploi ». Ils sont souvent considérés comme des machines. Si une
machine fonctionne d’une certaine manière, alors toutes les machines
du même modèle seront censées fonctionner de la même façon,
quelles que soient les réactions individuelles à l’environnement.
Dr Porges : Pour compléter votre rapide description, je dirais que
nous traitons les enfants à l’école comme s’ils étaient des machines,
et comme si la réussite scolaire dépendait des informations que nous
sommes capables de programmer dans ces machines. Nous ne réali-
sons pas l’importance de la régulation viscérale dans l’acquisition
des compétences qui constitue cependant une condition préalable
ou une plateforme neurophysiologique, dont dépendent l’apprentis-
sage et le comportement social. Le développement de compétences
axées sur l’amélioration de la régulation viscérale ne fait pas partie
du programme éducatif. Ainsi, dans les modèles éducatifs courants,
aucune opportunité n’est offerte (ou alors ces opportunités sont mini-
misées) pour exercer les systèmes neuraux et améliorer la régulation
de l’état physiologique, ce qui favoriserait à son tour l’engagement
social.
Ces points deviennent évidents lorsque l’on se penche sur le cas
d’individus en difficulté, comme les enfants autistes. Fait intéressant,
avec les enfants autistes, le modèle de traitement de base est un
modèle éducatif spécial. Ce modèle s’appuie sur la théorie de l’ap-
prentissage et utilise le renforcement et la répétition pour améliorer
les compétences. Malheureusement, ce « modèle d’apprentissage »
ne tient pas compte d’une caractéristique importante de l’autisme*
qui est partagée avec d’autres troubles cliniques, c’est-à-dire d’une
incapacité pour ces enfants de réguler leur état viscéral en présence
d’autrui. En revanche, les modèles de traitement classiques les
obligent à se réguler dans un contexte leur rendant paradoxalement
l’apprentissage difficile.

224 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

Serge Prengel : Les thérapeutes sensibles et efficaces sont très


attentifs à l’impossibilité pour les patients de changer sans une régu-
lation correcte des états. Malheureusement, les thérapeutiques les
plus répandues imposent souvent des modèles peu respectueux des
enfants, qui les mènent à la saturation, alors qu’ils n’ont pas acquis
les bases de la régulation.
Dr Porges : De plus, le système nerveux de l’enfant peut ne pas
être suffisamment développé pour se réguler dans un environnement
complexe. Ainsi, plutôt que de chercher à comprendre comment
le système nerveux de ces enfants peut réguler le comportement,
nous tentons d’augmenter leur motivation par la punition ou la
récompense, alors que les mécanismes neuraux sont insuffisam-
ment développés ou atypiques. Ainsi, ces stratégies sont, au mieux,
inefficaces.
Dans mes conférences, j’explique souvent comment notre état
viscéral biaise notre réactivité au monde environnant. Je présente une
diapositive montrant un feu de circulation routière avec les feux vert,
orange et rouge. Chaque couleur représente un état physiologique
différent. Le feu vert représente l’état physiologique lié à la sécurité*,
le feu orange celui du danger et le rouge celui d’une menace vitale.
À gauche du feu se trouve un « S » pour le stimulus environnemen-
tal. À droite du feu, je mets un « R » pour la réponse de l’individu
au stimulus. Ainsi, nous comprenons que la réponse à un stimulus
commun dépend de l’état physiologique d’un individu. Le même
stimulus dans l’environnement peut produire des réponses qualita-
tivement différentes en fonction de l’état physiologique de l’individu
au moment où le stimulus est présenté.
Serge Prengel : Lorsque vous décrivez cette interaction entre
processus cognitifs, réactions physiologiques et capacité de régulation
des émotions et de gestion de la peur, il semble que vous illustrez bien
ce que vous avez dit plus haut, concernant l’être humain.
Dr Porges : Finalement, ce que je remets en question ce sont les
objectifs éducatifs de nos institutions. Nos institutions tendent-elles

225
Soma et psychothérapie

à nous gaver de notions ou nous apprennent-elles à être plus facile-


ment capables d’interactions réciproques et de co-régulation* pour
nous sentir bien ? Cela nous ramène au dicton de Descartes qui nous
a conduits à nous focaliser sur la pensée et l’expansion des compé-
tences rationnelles et cognitives pour définir les « bons éléments ».
Cependant, malgré le développement de ces qualités, nous sommes
finalement devenus ignorants des besoins réels de notre corps, pour
qu’il « se sente bien ».
Serge Prengel : De quoi notre corps aurait-il besoin pour que
nous nous sentions bien ? D’où viennent les réactions viscérales,
et quels sont les circuits neuraux reliant les viscères et le système
nerveux ? Les gens parlent souvent d’eux-mêmes comme de leur
corps, mais attribuent presque un sens mystique, voire métaphy-
sique, au rapport entre le corps et la pensée. Et comme vous l’avez
décrit dans le processus lui-même, il y a une influence ascendante
allant de la périphérie au cerveau.
Dr Porges : L’un des objectifs de notre société est « l’immobili-
sation sans peur ». (Approfondissements au chapitre 11, La théorie
polyvagale). Cette affirmation peut sembler étrange au premier
abord. Pourtant, lorsqu’on y réfléchit, l’immobilisation sans peur
n’est-elle pas vraiment un objectif thérapeutique ? Nous ne souhai-
tons pas voir nos patients rester crispés, anxieux et sur la défensive.
Nous cherchons à ce qu’ils puissent dans leur vie quotidienne s’as-
seoir tranquillement, qu’ils puissent être approchés, même enlacés
et capables d’intentions réciproques. Si un individu reste crispé,
dans un état de tension musculaire et dans une activation sympa-
thique importante, il transmet cet état défensif à son entourage.
Un état de tension et de grande excitation sympathique est un état
adaptatif qui prépare un individu à fuir ou à se battre. Cet état
transmet sans aucune ambiguïté aux autres le danger qu’il peut lui-
même ressentir. C’est peut-être le moment maintenant de mettre
l’accent sur des circuits neuraux qui régulent le système nerveux
autonome*.

226 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

Un premier point concerne la communication bidirectionnelle


entre le corps et le cerveau. Le système nerveux autonome* est parti-
culièrement important dans la transmission d’informations allant des
organes viscéraux au cerveau. Le nerf vague, le nerf le plus étendu du
système nerveux autonome, est le nerf principal du système nerveux
parasympathique*. C’est principalement un nerf sensitif, avec envi-
ron 80 % de fibres sensitives. Le nerf vague transmet en permanence
une énorme quantité d’informations concernant l’état des organes
périphériques à des noyaux spécifiques du tronc cérébral. Ces infor-
mations sensitives provenant des viscères diffèrent du toucher ou
d’autres informations sensitives remontant la moelle épinière. Les
sensations viscérales sont généralement diffuses, et les caractéris-
tiques de ces sensations sont difficiles à décrire. Elles « colorent »
plutôt nos perceptions et nos réactions dans nos interactions sociales.
Le second point concerne le contrôle moteur du système nerveux
autonome*. La définition traditionnelle de système nerveux auto-
nome se centre uniquement sur les composantes motrices, c’est-à-dire
les voies neurales qui ciblent l’activité de l’organe à la périphérie et
dans les viscères. Des fonctionnalités importantes du nerf vague ont
été négligées, du fait de cette focalisation sur la branche motrice du
nerf vague, et de l’absence de connaissances minutieuses des aires du
tronc cérébral, à l’origine des voies vagales. Ce qui a été négligé plus
précisément, c’est l’existence de deux branches vagales fonctionnel-
lement distinctes et avec des rôles différents.
Nous avons tous appris que le système nerveux autonome* a deux
composantes : le système nerveux sympathique*, associé entre autres
choses à des comportements de fuite-lutte, et le système nerveux
parasympathique*, principalement lié à la dixième paire de nerfs
crâniens* (nerf vague) favorisant la croissance, la santé et la restau-
ration. Une telle vision du système nerveux autonome* sous-entend
un antagonisme entre les composantes sympathique* et parasympa-
thique*. Bien qu’il soit parfois utile de le présenter de cette façon, ceci
n’est pas tout à fait exact.

227
Soma et psychothérapie

Nous utilisons souvent la notion d’équilibre autonomique*, mais


le système nerveux autonome* fonctionne rarement comme un
système d’équilibre. Il est plutôt susceptible de réagir aux défis de
l’environnement en obéissant à une hiérarchie* bien définie. C’est
cette contradiction dans la conceptualisation des composantes
autonomiques, comme un système « d’équilibre » d’un côté, et
répondant selon un « ordre, une hiérarchie » de l’autre, qui m’a servi
de motivation pour développer la théorie polyvagale. Dans la vision
traditionnelle du système nerveux autonome*, la branche sympa-
thique correspondrait à un système de défense se manifestant par des
réponses de fuite et de lutte, tandis que la branche parasympathique
serait impliquée dans le processus homéostatique favorisant la santé,
la croissance et la restauration.
En plus du système de défense de lutte-fuite*, la théorie polyvagale
décrit un second système de défense, correspondant au complexe vagal
dorsal* pouvant induire la perte de connaissance, l’évanouissement
ou la dissociation*. Son activation défensive répond à une menace
vitale. Dans de telles circonstances, ce système peut provoquer une
réaction de mort simulée, phénomène fréquemment observé chez les
petits rongeurs, comme les souris.
Lorsqu’un chat capture une souris, la souris s’immobilise et
semble morte ; ce n’est pas un comportement volontaire ; la souris
n’a pas choisi de faire la morte. La menace de mort liée à la présence
du chat active chez la souris cet ancien circuit neural de défense
fréquemment utilisé par les reptiles. Comme le cerveau de petite
taille des reptiles ne consomme pas beaucoup d’oxygène, ils peuvent
donc s’immobiliser et même retenir leur souffle pendant de longues
périodes.
En revanche, ce mode de défense est dangereux pour les mammi-
fères qui ont besoin de quantités massives d’oxygène pour subvenir
aux besoins d’un cerveau de grande taille. Il est connu que les réponses
d’immobilisation sont médiées par des mécanismes vagaux. En effet,
l’évanouissement est également appelé syncope vasovagale, ce qui

228 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

illustre l’effet perturbateur attribué à ce nerf vague ancien sur une


fonction cardiovasculaire normale.
Nous soulignons ainsi l’existence d’un modèle de réponse vagale
incompatible avec la santé, la croissance et la restauration. Bien
que ces phénomènes aient été attribués au nerf vague et au système
nerveux parasympathique* depuis des décennies, ce « système de
défense vagal » a toujours été exclu de la littérature relative au système
nerveux autonome*. Sans ce système de défense vagal, la fonction
autonomique s’intégrerait parfaitement dans un modèle simple
de dualité antagoniste dans laquelle la composante sympathique
soutiendrait les comportements de fuite-lutte, en concurrence avec
la composante parasympathique soutenant la santé, la croissance et
la restauration.
C’est donc la prise en compte de ce système de défense vagal qui
remet en question ce modèle d’antagonisme autonomique et nous
amène à voir dans les réactions adaptatives du système nerveux auto-
nome*, trois composantes s’activant dans un ordre hiérarchique.
Chez les vertébrés, cette hiérarchie* fonctionnelle reflète la phylo-
génie* de ces composantes autonomiques. Le système vagal le plus
ancien est médié par le nerf vague non myélinisé qui prend naissance
dans le tronc cérébral, au niveau du noyau moteur dorsal du vague.
Cet ancien système vagal existe pratiquement chez tous les vertébrés.
Chez les mammifères, ce système, lorsqu’il est recruté en tant que
système de défense, inhibe la respiration, ralentit le rythme cardiaque
et peut provoquer une émission réflexe des selles. En revanche, dans
des contextes sûrs, il favorise la santé, la croissance et la restaura-
tion. Le système nerveux sympathique* lorsqu’il est recruté en tant
que système de défense, inhibe fonctionnellement ce nerf vague
archaïque, bloque la digestion et oriente les ressources énergétiques
viscérales vers la mobilisation.
Les voies vagales motrices myélinisées correspondent au système
vagal phylogénétique le plus récent. Cette branche du nerf vague
est spécifique aux mammifères et trouve son origine dans le noyau

229
Soma et psychothérapie

ambigu* du tronc cérébral. Cette branche assure, entre autre, l’inner-


vation des muscles de la face et de la tête. Grâce à cette innervation,
nous comprenons maintenant que lorsque les gens sourient et sont
heureux, et lorsque leurs voix sont prosodiques, ils sont également
capables d’écouter, de comprendre et de se concentrer sur la parole de
leur interlocuteur. Fonctionnellement, le nerf vague myélinisé nous
calme, régule efficacement nos besoins cardiovasculaires et méta-
boliques, et s’oppose activement à l’activation du système nerveux
sympathique*.
Serge Prengel : Ainsi le nerf vague ou les deux branches du nerf
vague constituent à la fois la part la plus ancienne et la part la plus
récente de notre histoire évolutive.
Dr Porges : Oui, chez les vertébrés, les deux branches du nerf
vague reflètent les caractéristiques des deux extrémités de l’évolution
du système nerveux autonome*.
Serge Prengel : Et le système de lutte-fuite* se situe entre les deux.
Dr Porges : Oui, c’est le système nerveux sympathique* qui
soutient les comportements défensifs de lutte-fuite*. Les carac-
téristiques autonomiques et comportementales spécifiques des
mammifères peuvent être simplement décrites. Au fur et à mesure
de leur évolution, la survie des mammifères s’est trouvée dépendante
de la satisfaction de besoins comme l’allaitement, la reproduction et
d’autres formes d’interactions sociales, comme la chasse en groupe
pour la recherche de nourriture, ou encore le jeu* et la satisfaction
d’un besoin de sécurité*. Le nerf vague récent des mammifères est
apparu pour désamorcer les systèmes de défense. Toutefois, pour
équilibrer les besoins d’interaction sociale et de sécurité, il est néces-
saire de savoir quand désactiver la défense et quand la réactiver.
Dans notre société, c’est un enjeu majeur. Quand baissons-nous
nos défenses ? Quand sommes-nous en sécurité* dans les bras d’un
autre ? Quand pouvons-nous travailler en toute sécurité ? Quand
pouvons-nous nous endormir en toute sécurité ? Les patients ont
souvent du mal à se sentir en sécurité avec les autres. Ils ont du

230 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

mal à désactiver leurs systèmes de défense. Ils ne se laissent pas


toucher facilement. Ils ont des troubles du sommeil, des troubles
intestinaux. Tous ces symptômes, correspondant à des fonction-
nalités du système nerveux autonome*, ne peuvent survenir que
lorsque le système vagal myélinisé récent nous permet de ressentir
la sécurité, par une régulation efficace, à la fois de la composante
sympathique et de la composante vagale non myélinisée du système
nerveux autonome*.
Serge Prengel : Ainsi, pour utiliser efficacement notre héritage
évolutif, notre nouveau circuit vagal doit pouvoir réguler efficace-
ment les circuits plus anciens.
Dr Porges : Oui, nos vulnérabilités physiques et psychiques
dépendent de structures neurales différentes spécifiques ayant les
caractéristiques des reptiles et des mammifères. Au cours de cette
transition évolutive des reptiles aux mammifères, un nerf vague
myélinisé est apparu, et les stratégies de défense se sont orientées sur
la mobilisation (comportements de combat ou de fuite), alors que
le système de défense par immobilisation s’est minimisé, puisque
l’immobilisation défensive est potentiellement mortelle pour les
mammifères. Notre ancêtre commun, avec les reptiles modernes,
avait les caractéristiques d’une tortue. Le principal système de défense
de la tortue est l’immobilisation.
Lorsque l’on s’intéresse aux expériences d’individus traumatisés,
on découvre que beaucoup d’entre eux ont été victimes d’une perte
de connaissance soudaine et inattendue. En comprenant le mode
de fonctionnement du système de défense vagal et comment le nerf
vague non myélinisé soutient un système de défense archaïque, face
à une menace vitale, nous pouvons mieux comprendre et même
démystifier les réactions des individus traumatisés. Expliquer à
un patient comment une menace vitale peut recruter un circuit
archaïque, et peut réorganiser certaines réponses physiologiques,
peut aider le patient à comprendre les modifications survenues dans
sa vie quotidienne.

231
Soma et psychothérapie

Serge Prengel : D’une certaine manière, plus l’intensité du stress


est forte, plus on a tendance à régresser vers un mode de survie
archaïque.
Dr Porges : Mais cela dépend de notre définition de stress. Si
nous définissons le stress comme une menace vitale, alors le modèle
correspond parfaitement. Notre physiologie s’adapte à la nature
d’un stress, conditionnée par la dangerosité d’une situation, ce
qui, dans certains cas, entraîne des difficultés à fuir et à ressentir
la sécurité*. Ce modèle met l’accent sur le contexte, la détection et
l’interprétation par le système nerveux de la menace ressentie dans
l’environnement proche. Notre environnement physique interagit
avec notre état physiologique pour déterminer les options dont nous
disposons pour faire face aux facteurs de stress et aux défis. Nous
nous efforçons de fuir ou de nous battre si nous avons l’occasion
de nous échapper ou de nous défendre. Pour soutenir ces stratégies
de mobilisations adaptatives, nous utilisons notre système nerveux
sympathique*. Mais confinés quelque part, ou retenus de force,
nous avons peu de solutions possibles. Dans ces conditions diffi-
ciles et extrêmement dangereuses, nous pourrions, par réflexe, nous
évanouir ou rester figés par la peur, ou glisser dans un état dissociatif.
Ces comportements défensifs dépendent du circuit phylogénétique
le plus archaïque.
À titre d’exemple, un reportage sur CNN (voir chapitre 2) rela-
tait les grandes difficultés d’un avion lors de son atterrissage. Bien
que la situation ait pu être périlleuse, l’avion a finalement atterri
sans dommages. Suite à ces événements, un journaliste a inter-
viewé une passagère lui demandant comment elle s’était sentie
pendant l’atterrissage. Sa réponse a été la suivante : « En fait, j’ai
perdu connaissance ! ». Sa réaction a été neurophysiologiquement la
même que celle d’une souris dans la gueule d’un chat. Il est évident
que la réponse d’immobilisation induite par la peur a une fonction
adaptative dans laquelle l’individu n’est plus conscient, ou n’est
plus dans l’« ici et maintenant ». Bien que le déclenchement de

232 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

l’évanouissement soit associé à une légère hypoxie, due à une chute


massive de la pression artérielle, la stratégie de réponse défensive
a des caractéristiques adaptatives dans la mesure où elle augmente
le seuil de perception de la douleur, de telle sorte que si vous êtes
susceptible de blessures, vous ne la ressentirez pas. Et si vous survi-
vez, j’espère que vous irez bien, mais au moins vous serez en vie. La
véritable difficulté, pour considérer la réponse de shutdown* comme
une réaction de défense adaptative, réside dans notre méconnais-
sance des réponses automatiques de notre corps visant à nous
protéger de la douleur et in fine à nous sauver la vie. Nous devons
reconnaître le côté positif d’un shutdown et ne pas maudire ce corps
figé, immobilisé, rendant alors impossible toute éventualité de fuite
ou de combat.
Serge Prengel : Nous en revenons donc à la condition humaine et
à l’expérience incarnée.
Dr Porges : L’expérience incarnée est essentielle pour les humains,
puisque l’interaction avec les autres est essentielle à leur survie. Tout
au long de leur vie, les êtres humains auront besoin des autres. Dès sa
naissance, un nourrisson a besoin d’être protégé et nourri. La qualité
de la régulation physiologique acquise du fait d’un ressenti de bien-
être et de sécurité, dès la prime enfance, conditionnera par la suite
la régulation émotionnelle et comportementale lors des interactions
avec les amis et les proches. Le point capital est ce besoin pour les
êtres humains d’interactions avec les autres pour se développer et
optimiser leur potentiel. Différentes disciplines biologiques étudient
des processus similaires dans la « régulation symbiotique ». Je pense
que nous pouvons utiliser la notion de « régulation symbiotique »
d’un point de vue bio-comportemental pour expliquer les différents
aspects des interactions sociales humaines facilitant les processus
neurobiologiques. En généralisant cette notion, nous réalisons que
des échanges de signaux s’opèrent entre nos systèmes nerveux respec-
tifs. Les interactions sociales sont caractérisées par une transmission
continue d’indices de sécurité* ou de danger, permettant de se sentir

233
Soma et psychothérapie

en sécurité lorsque l’on est dans les bras d’un autre, ou de se retirer
et se protéger en cas de danger. J’ai adopté le terme de neuroception*
pour expliquer ce processus dynamique et interactif.
Serge Prengel : C’est ce que vous nous avez déjà expliqué sur
les mécanismes permettant de faire l’expérience de l’amour et de
l’attachement*.
Dr Porges : J’ai compris ces mécanismes auprès de populations
cliniques manifestant des difficultés d’établissement de liens sociaux.
Les patients séropositifs fournissent un très bon exemple. En étudiant
ces patients, j’ai appris que souvent leurs soignants se sentent peu
respectés et se mettent fréquemment en colère contre eux. Les parents
d’enfants autistes rapportent souvent les mêmes sentiments et les
mêmes expériences. Dans les deux exemples, bien qu’ils déclarent
souvent se sentir mal aimés, ce qu’ils expriment en réalité, c’est que la
personne séropositive ou l’enfant autiste ne répondent pas de manière
attendue par leurs expressions faciales, leur regard et l’intonation de
leur voix. Dans les deux cas, la personne soignée se comporte de
façon automatique, et les soignants ne peuvent alors que se sentir
démotivés et émotionnellement détachés. Fonctionnellement, leurs
réponses physiologiques les trahissent et ils se sentent insultés. Ainsi,
un aspect important de la thérapie est de ne pas seulement s’oc-
cuper du patient, mais de considérer également le contexte social
dans lequel il vit, en mettant l’accent sur la dyade parent-enfant ou
soignant-patient afin de permettre aux parents et aux soignants de
considérer leurs propres réactions comme une réponse physiolo-
gique naturelle.
Malheureusement, les soignants et les parents attribuent souvent
à ce type de comportements une volonté de désengagement, ce qui
engendre ainsi des malentendus. De la même façon, les enseignants
dans les écoles ressentent de la colère et de l’agressivité lorsque les
élèves se détournent et malheureusement les parents et les tuteurs
cautionnent souvent la colère et la violence portées sur l’enfant en
réalité en difficulté.

234 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

Serge Prengel : Pouvons-nous déjouer ces réactions réflexes ?


Dr Porges : On peut tenter d’éviter ces réactions, cependant, c’est
très difficile. Dans certains de mes ateliers, je propose une expérience
simple pour illustrer ce point. J’ai appelé l’expérience : « le thérapeute
évasif ». Je constitue des trios dans lesquels les participants endossent
successivement trois rôles : thérapeute, patient et observateur. Dans
cette expérience, on demande au « thérapeute » de détourner le
regard pendant que le « patient » s’adresse à lui. L’aspect intéressant
dans cette expérience, c’est que le « patient » se met systématique-
ment en colère contre le « thérapeute », même s’il sait qu’il ne s’agit
que d’un simple jeu de rôle, et qu’on lui a simplement demandé de
se détourner. Dans l’expérience, « l’observateur » ne s’implique pas.
Il doit seulement rapporter avec objectivité comment les signaux et
les intentions émis par les deux interlocuteurs observés induisent
des changements d’état physiologique et donc de comportement.
Lorsque les participants jouent les trois rôles, les mêmes réactions
sont systématiquement reproduites. Il est vraiment étonnant de voir
avec quelle facilité notre corps change d’état lorsque quelqu’un s’en-
gage ou se désengage avec nous.
Serge Prengel : C’est l’aspect le plus puissant. Même en le sachant,
même dans une situation de jeu de rôle, l’engagement social a une
telle emprise sur nous qu’il nous est impossible de nous en défaire
facilement.
Dr Porges : C’est assez incroyable. En milieu thérapeutique, les
cliniciens peuvent avoir à traiter des couples ayant des ressources
d’engagement différentes. Par exemple, si un élément du couple a des
antécédents de traumatisme pouvant se manifester par des problèmes
de régulation de l’état physiologique, qui s’accompagne d’un détour-
nement du regard lors de confrontations ou d ­ ’interactions sociales
plus positives, quelle est la réponse du partenaire à cela ? Souvent, la
réponse est simplement de la colère.
Serge Prengel : Il est utile d’avoir conscience des mécanismes
impliqués dans une interaction. Il est très important aussi d’aider les

235
Soma et psychothérapie

autres à ne pas prendre certains signaux trop personnellement, de les


aider à atténuer les blessures d’un reproche, de les aider à diminuer
les erreurs d’interprétation qui induiraient des blocages.
Dr Porges : Je suis totalement d’accord. Je pense que nous avons
facilement tendance dans notre société à croire tous les compor-
tements intentionnels et volontaires et à vouloir les étiqueter de
bons ou de mauvais. J’utilise le terme d’« étiquette morale » comme
une tendance de notre société à les juger, sans considérer la fonc-
tion adaptative du comportement régulant un état physiologique et
comportemental.
M’adressant à des cliniciens, j’ai souvent cité le cas d’un chef
­d’entreprise ou d’une personne importante qui lors d’une consulta-
tion ne regarde pas son thérapeute. Par cet exemple, je cherchais à
susciter chez mes interlocuteurs un ressenti de mépris, de margina-
lisation. Je m’attendais à ce que les cliniciens réagissent devant cette
attitude, qu’ils pouvaient considérer comme dévalorisante, comme
s’ils étaient incapables de susciter l’intérêt et de répondre aux attentes
de leur patient. J’ai remarqué, à travers l’expression de leurs visages,
que beaucoup de mes auditeurs ne me comprenaient pas. Puis, j’ai
réalisé que la plupart des cliniciens ne bénéficient pas en général
d’un bon contexte relationnel et ils considèrent souvent ces compor-
tements de désengagement comme une attitude qui ne les concerne
pas. Mais c’est ainsi et j’ai passé ma vie à l’université, dans un envi-
ronnement social dans lequel les administrateurs et de nombreux
collègues ont malheureusement tendance à avoir des qualités rela-
tionnelles limitées.
Le message que j’essaie de faire passer c’est que la plupart des
comportements que nous qualifions d’aptitudes sociales ou de socia-
bilité n’ont pas été appris. La plupart de ces comportements semblent
être davantage une propriété émergente de notre état biologique
plutôt que des compétences apprises.
Il y a des gens qui établissent un bon contact visuel, qui montrent
une curiosité sincère des autres et qui ont une large gamme

236 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

d’expressions faciales. Ces personnes tirent bénéfice de la réciprocité


de leurs échanges. Pour maintenir la réciprocité, elles lancent aux
autres des signaux évidents et très souvent subtils leur permettant
de se sentir en sécurité*. Lorsque ces signaux sont efficaces, l’inter-
locuteur répond par des expressions faciales ou un ton évocateur. Le
visage s’anime et devient plus expressif, l’intonation de la voix se fait
plus prosodique et la distance physique se réduit (d’autant plus que
la proximité physique se rapproche de la proximité psychologique).
Je suis sûr que vous avez observé ceci dans votre pratique clinique.
Serge Prengel : Tout à fait, les cliniciens le constatent fréquem-
ment, mais ils ont autant de difficultés que tout le monde à y prêter
attention.
Dr Porges : J’en ai fait personnellement l’expérience en tant que
père et en tant que mentor de mes étudiants. Quelles réactions avons-
nous face à nos enfants ou face à nos étudiants lorsqu’ils nous lancent
certaines provocations ? J’ai appris à prendre du recul et à réfléchir à
leur état physiologique. Et s’ils n’avaient pas mangé ? Et s’ils n’avaient
pas dormi ? Et s’ils avaient des problèmes sérieux chez eux ? En
réalité, si les événements et les contextes rendent difficile leur capacité
de recrutement du circuit neural favorisant un ressenti de sécurité*
et les interactions sociales, alors ces dernières leur deviennent très
difficiles. Ainsi, leurs possibilités de se montrer engageants, expressifs
et compréhensifs deviendront aussi limitées.
Cette façon de s’interroger peut être utile en toutes circonstances
pour identifier les facteurs interférant sur le circuit neural de l’en-
gagement social. Rappelons-nous que notre société ne favorise pas
facilement un ressenti de sécurité*. Elle nous incite à douter plutôt de
tout, de la pérennité de notre emploi, de la facilité de réussir, d’avoir
des ressources suffisantes, à croire en gros, sans ambiguïté, que tout
est précaire. Notre culture nous incite à penser clairement que nous
vivons dans un monde précaire, et même dangereux. J’aimerais savoir
à quoi pourrait ressembler l’humanité si nous donnions la priorité à
notre besoin de sécurité*.

237
Soma et psychothérapie

Serge Prengel : Donc, si je comprends bien, vous nous suggérez


de changer de paradigme, avec un désir réel d’engagement social,
plutôt que de chercher à modifier des tendances intellectuelles
voire émotionnelles, vis-à-vis de l’importance que l’on accorde à la
sécurité*.
Dr Porges : Oui, mais disons plutôt qu’il est important de
reconnaître qu’activer ou désactiver le circuit du système d’enga-
gement social est involontaire. Il s’agirait plutôt d’un réflexe, d’un
­automatisme déclenché par des signaux lors d’interaction sociale,
comme pourrait le faire notre environnement physique. Dans une
démarche intelligente, et c’est là que la science peut nous être utile,
nous pourrions identifier les caractéristiques environnementales
susceptibles de recruter fonctionnellement notre système de mobi-
lisation défensive, ou les signaux nous permettant de nous sentir
en sécurité* grâce au système d’engagement social, ou encore
repérer les caractéristiques environnementales déclenchant une
syncope, une immobilisation due à la peur, ou une dissociation*.
Les bruits ambiants peuvent à eux seuls induire un état de mobili-
sation défensive et perturber les interactions sociales et le sentiment
de sécurité*. J’ai remarqué que les cabinets médicaux se trouvent
souvent à l’intérieur de bâtiments bruyants, perturbants, du fait
des sonorités de basse fréquence des systèmes de ventilation et des
nuisances sonores mécaniques typiques des grands bâtiments. Ces
sons peuvent tout à fait interférer sur le potentiel de guérison d’un
patient.
Serge Prengel : Par exemple à New York ?
Dr Porges : Oui. Vous avez peut-être entendu, lors de notre appel
téléphonique, le bruit d’un train. C’était le train surélevé ou le « L »,
comme on l’appelle à Chicago. Ce train génère des sons susceptibles
d’induire dans notre système nerveux une réaction de vigilance et
d’anticipation d’un danger potentiel. Souvent, nous ne sommes
pas conscients de ce basculement dans un état de défense du fait
des i­nformations sonores qui bombardent notre système nerveux.

238 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

Concevoir d’une façon « neurobiologiquement respectueuse » l’envi-


ronnement sonore pour les humains permettrait de vivre, travailler
et jouer dans un contexte protégé de bruits. La suppression de ces
nuisances réduirait l’hypervigilance de notre système nerveux. Ayant
supprimé toutes ces nuisances sonores, nous pourrions plus faci-
lement nous détendre, nous engager et bénéficier d’interactions
sociales réussies.
Mais la vraie question est plutôt : comment se comporte-t-on et
se sent-on lorsque disparaissent ces bruits environnants déclenchant
l’hypervigilance ? Les environnements sécurisants sont importants
dans toutes nos activités et particulièrement en thérapie. Même les
exercices de méditation en pleine conscience doivent être pratiqués
dans un environnement sûr. Cela devient particulièrement évident
lorsque l’on veut se concentrer sur notre respiration. On constate
alors avec quelle facilité l’attention est détournée sur les bruits de
fond, ce qui montre à quel point nous pouvons facilement être
distraits et dans l’hypervigilance. J’ai réalisé que le recrutement de
systèmes défensifs associés à l’activation sympathique est incompa-
tible avec la pleine conscience. Pour dire les choses simplement, je
dirais que la pleine conscience n’est possible qu’en l’absence de juge-
ment, et surtout qu’elle est incompatible avec un état défensif orienté
sur la survie.
Nous retrouvons cet aspect dans la théorie polyvagale. Être évalué
conduit vraiment à ressentir de l’insécurité et une nécessité de sacri-
fier l’engagement social au profit d’une hypervigilance, nécessaire
aux comportements de fuite ou de lutte. Lorsque nous poussons nos
enfants à étudier et à s’attarder devant des écrans d’ordinateur, nous
les mettons dans des conditions induisant un état d’hypervigilance
qui, bien qu’il favorise une attention soutenue, ne favorisera ni la
santé, la croissance et la restauration, ni les comportements d’enga-
gement social nécessaires à des interactions sociales réussies.
Donc, il est très utile d’identifier les facteurs nous permettant de
nous sentir en sécurité* et de désactiver la défense. Nous en venons

239
Soma et psychothérapie

alors à des questions passionnantes sur l’avenir des traitements


cliniques. Si nous saisissions mieux les caractéristiques d’un environ-
nement désactivant les réactions défensives, les pratiques cliniques
et les traitements seraient plus efficaces. Si l’on supprimait de notre
environnement les éléments mobilisant nos systèmes défensifs, tout
en créant un environnement propice à un ressenti de sécurité*, alors
la vie serait plus saine et de meilleure qualité. Plusieurs choses pour-
raient être améliorées facilement dans nos environnements de vie
et de travail. Par exemple, nous pourrions supprimer de notre envi-
ronnement les sources d’émission de basses fréquences, et pouvoir
ainsi ressentir le plus possible la sécurité*, et tout simplement nous
entourer des gens avec lesquels nous nous sentons en sécurité*.
Serge Prengel : Donc, d’une certaine manière il faudrait traiter les
causes sous-jacentes plutôt que traiter des symptômes.
Dr Porges : Nos différents systèmes neurophysiologiques ont
évolué avec des fonctions différentes, mais toujours très impor-
tantes d’un point de vue adaptatif. Avec l’évolution de ces systèmes
neurophysiologiques ont émergé des plateformes neurales autorisant
certains comportements, chacun ayant une fonction adaptative. Je
n’aime pas qualifier les comportements de « bons » ou « mauvais »,
mais je préfère plutôt considérer ces comportements comme dépen-
dants d’une plateforme neurale qui permettrait à l’organisme
de survivre de manière adaptative. Toutefois, bien que le modèle
polyvagal permette de considérer les comportements comme adap-
tatifs, certains comportements atypiques peuvent se substituer à un
comportement et à des interactions sociales appropriés. Ainsi, un
des objectifs thérapeutiques serait celui de permettre aux patients
de réguler leur état viscéral, de s’engager et d’apprendre à apprécier
et bénéficier des interactions avec les autres. Ces comportements
sociaux nécessitent que ce soit le circuit vagal le plus récent qui régule
le système nerveux autonome*. Ce circuit le plus récent est spécifique
des mammifères et n’est disponible que lorsque nous nous sentons
en sécurité*. C’est ce système qui non seulement facilite l’interaction

240 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

sociale, la croissance, la santé et la restauration, mais qui peut égale-


ment neutraliser nos réactions et les circuits neuraux correspondants,
dédiés à la défense.
Serge Prengel : On ne parle donc plus de pathologies mais de
réponses qui, d’une certaine manière, sont des réactions inadaptées
répondant à des perceptions erronées, ou régulant basiquement notre
façon de fonctionner.
Dr Porges : Oui, mais j’ai tendance à ne pas utiliser le mot percep-
tion, puisque ce terme implique un certain degré de conscience et de
cognition. Nous réagissons aux signaux environnants par des chan-
gements d’état physiologique de façon inconsciente. Je nomme ce
processus la neuroception* pour souligner le fait qu’il se réalise sur
des bases neurales inconscientes. Notre corps fonctionne d’une façon
très proche de celle d’un polygraphe. Il répond en fonction des gens
et des lieux. Nous gagnerions beaucoup à écouter et à connaître nos
réactions corporelles. Nous devrions comprendre que lorsque nous
ressentons un inconfort, notre corps a manifestement une raison de
se sentir mal.
Serge Prengel : Pour me faire l’avocat du diable, je pourrais dire
que l’acquisition de ces informations pourrait correspondre encore
une fois à des processus cognitifs.
Dr Porges : Vous avez tout à fait raison. C’est une énigme, n’est-
ce pas ?
Serge Prengel : C’est difficile de parler de processus sans les voir.
Dr Porges : Je pense que nous pouvons résoudre ce problème en
considérant que nous devons respecter et comprendre les réactions
de notre corps plutôt que d’essayer continuellement de trouver des
raisons de rejeter ce que notre corps nous dit. Si nous respectons les
réactions de notre corps, notre conscience et notre comportement
volontaire nous porteront alors vers des endroits où nous nous senti-
rons plus à l’aise. Dans cette nouvelle optique, nous pouvons alors
devenir le partenaire de nos propres sensations corporelles et utiliser
nos fonctions cognitives pour mieux gérer notre corps.

241
Soma et psychothérapie

Serge Prengel : Ceci évoque pour moi le contraste entre le fait


d’agir d’une façon brutale, ou progressivement.
Dr Porges : Quand nous étions jeunes, nous pouvions aller dans
des endroits bruyants comme des bars ou des salles bondées. Mais
tout en vieillissant, nous rencontrons de plus en plus de difficul-
tés à écouter ou à échanger avec un interlocuteur dans des endroits
bondés et bruyants. En un sens, notre système nerveux commence
fonctionnellement à nous faire défaut. Nous commençons à fuir ces
lieux devenus pour nous inconfortables. Beaucoup de gens ressentent
la même chose. Il arrive souvent que ceux qui ont ces expériences
désagréables négligent, en un sens, leurs ressentis corporels d’incon-
fort jusqu’à ce qu’il soit trop tard et qu’ils ne puissent plus contrôler
leur comportement.
Serge Prengel : Donc, en un sens, beaucoup de nos pathologies
proviennent d’une trop grande négligence de ces signaux.
Dr Porges : Nous recevons des signaux, mais nous les négligeons.
Je pense que cette façon de renier nos réactions corporelles a beau-
coup à voir avec notre culture. Par exemple, le fameux aphorisme de
Descartes met l’accent sur les fonctions cognitives au détriment des
émotions. Les croyances religieuses dans notre culture ont contribué
à dissiper l’importance du ressenti corporel plutôt associé au monde
animal, tandis que la cognition est plus facilement attribuée à l’être
humain.
Serge Prengel : Nous nous plaçons donc dans un modèle ascen-
dant, c’est-à-dire dans un modèle dans lequel le sens de l’information
nerveuse va du corps vers le cerveau.
Dr Porges : C’est plutôt en fait un modèle à la fois ascendant et
descendant. Il est important de considérer la bidirectionnalité de
la connexion* corps-cerveau ou viscères-cerveau, puisque notre
cerveau régule nos viscères, mais les viscères, à leur tour, fournissent
aussi en permanence des informations au cerveau. Des mouvements
simples, tels que des changements de posture, entraînent une modi-
fication des signaux adressés au cerveau. Par exemple, lorsque nous

242 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

nous penchons en avant ou en arrière, nous modifions notre tension


artérielle et envoyons des informations différentes aux barocepteurs
– les récepteurs régulant la pression artérielle et communiquant avec
certaines régions du cerveau.
Penchés en arrière, nous avons tendance à nous détendre et à
devenir moins conscients de notre environnement. Lorsque nous
nous redressons et nous nous mettons en position verticale, nous
modifions notre tension artérielle, ce qui nous rend alors plus alertes
et concentrés. Ainsi de simples mouvements, agissant sur les récep-
teurs de la pression artérielle, peuvent modifier fonctionnellement
nos interactions avec le monde.
J’ai un fauteuil qui s’incline et supprime toute tension exercée
sur la région lombaire. Confortablement installé dans ce fauteuil,
il me devient difficile d’en sortir. Je suis dans un état de relaxation
totale, et sans aucune volonté de travailler, ou même de réfléchir. Je
souhaite juste être là. Mais dans mon bureau et assis, je suis en posi-
tion verticale. Ma motivation et mes perspectives changent. Quand je
suis assis dans mon bureau, je m’intéresse à mon travail et c’est une
sensation agréable. Tout se passe comme si le changement de posture
induisait deux interactions différentes avec l’environnement. C’est
un peu comme si les deux expériences reflétaient deux personnalités
différentes : l’une léthargique et l’autre engagée. Ainsi, quelque chose
d’aussi simple qu’un léger changement de posture peut, en activant
différents circuits neurophysiologiques, changer notre façon de réagir
au monde, d’organiser nos pensées et de nous motiver.
Serge Prengel : Et ce qui est intéressant ici c’est qu’un changement
de position peut aussi provoquer des modifications dans les interac-
tions entre un individu et son environnement.
Dr Porges : En fait, vous dites quelque chose d’important. Une
autre façon de voir les choses est de pouvoir passer d’un ressenti
centré sur la régulation des muscles lisses de nos viscères dans un
état de détente, à un recrutement des muscles striés du tronc et des
membres dans un état plus alerte. La position assise nécessite une

243
Soma et psychothérapie

augmentation du tonus musculaire et nous devons alors recruter


d’autres circuits neuraux que ceux d’une position allongée, ne néces-
sitant qu’un tonus des muscles striés réduit. En position allongée
nous ressentons littéralement nos fibres musculaires lisses (néces-
saires à la conservation des ressources métaboliques), alors qu’en
position verticale nous ressentons la contraction de nos fibres muscu-
laires squelettiques se tendant pour maintenir le tonus musculaire.
Ainsi, nous interagissons et nous nous engageons.
Serge Prengel : Ainsi, d’un point de vue philosophique, vous
considérez l’individu comme à travers un processus de ressenti, et
dans certaines conditions, ce processus s’oriente vers le soutien de la
musculature lisse et un état de relaxation.
Dr Porges : Lorsque vous êtes immobile dans un état de détente,
des processus physiologiques spécifiques se produisent favorisant la
santé, la croissance et la restauration. C’est un état très important
et très utile, bien qu’il ne favorise pas les interactions sociales ou la
communication.
Serge Prengel : Donc, d’une certaine manière, nous utilisons
simplement nos différents circuits neuraux pour réagir et pour nous
adapter aux changements dynamiques de l’environnement.
Dr Porges : Si nous considérons que différentes plateformes
neurales prennent en charge différents domaines du comportement,
nous pouvons commencer à interpréter les comportements et les
limites de ces comportements en fonction des différentes plateformes
neurales. Être allongé ou couché n’est pas un comportement inadapté,
mais pourrait le devenir, par contre, si j’avais invité chez moi des
amis pour une soirée. Donc, c’est le contexte qui définit vraiment ce
qui est convenablement adapté. Les comportements émergent de la
plateforme neurale, et les caractéristiques de l’adaptation dépendent
de leur pertinence dans un contexte spécifique. Conceptualiser la
notion de comportement en ces termes peut changer notre compré-
hension des troubles du comportement. Nous pourrions donc
interpréter ces troubles comme un mode de fonctionnement qui

244 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

aurait pu être adaptatif dans un certain contexte, mais qui devient


cependant inadapté, déclenché dans un autre contexte. Par exemple,
les survivants d’un traumatisme, pouvant entrer dans un état disso-
ciatif, peuvent exprimer une réaction qui serait adaptative pendant
l’événement traumatique, mais qui serait inadaptée dans un contexte
social.
Serge Prengel : Donc, en quelque sorte, vous définissez la patholo-
gie selon qu’un comportement soit adapté ou non au contexte.
Dr Porges : Exactement, et je pense qu’une fois que nous avons
compris cela, nous ne qualifions plus un comportement de bon ou
de mauvais. C’est juste un comportement qui est adapté ou non à
un contexte. Ceci nous évite de cataloguer trop rapidement certaines
personnes ayant des difficultés à adopter des comportements appro-
priés du fait de difficultés d’accès aux plateformes neurales régulant
leur état.
Serge Prengel : C’est très important, très puissant, et il est impor-
tant de supprimer cette stigmatisation, ce jugement moral perturbant.
Dr Porges : Vous entrez vraiment au cœur de la théorie poly-
vagale. En fait, la théorie peut être condensée en des notions très
simples faisant appel à notre besoin de sécurité*. Si nous ne nous
sentons pas en sécurité, nous tombons d’une façon chronique dans
un état évaluatif et défensif. Si nous parvenons toutefois à recru-
ter les circuits neuraux qui soutiennent l’engagement social, nous
devenons capables alors de réguler la plateforme neurale permettant
l’émergence de comportements spontanés d’engagement social. C’est
l’objectif d’une thérapie polyvagale.
Serge Prengel : Il suffit donc de comprendre que ce sont des proces-
sus que nous devons d’une certaine façon réapprendre et travailler
afin de développer tout leur potentiel adaptatif.
Dr Porges : Vous avez soulevé un autre point important. Autrement
dit, même si nous disposons de ces trois circuits régulant notre état,
nous ne pouvons contrôler les deux circuits défensifs que grâce au
recrutement du système d’engagement social mammalien, système

245
Soma et psychothérapie

le plus récent et disponible lorsque nous nous sentons en sécurité*.


Ainsi, une fois qu’il nous devient possible d’accéder au système
d’engagement social, nous devenons libres de nous mobiliser sans
tomber dans un état défensif. Plutôt que de nous battre ou de fuir,
nous pouvons nous déplacer et jouer. Bien que les comportements
de combat-fuite et le jeu* nécessitent tous deux une mobilisation, le
jeu désactive l’attitude défensive grâce au maintien des interactions
en face à face.
Le jeu* mobilise le système d’engagement social pour signaler à
d’autres que l’intention d’un geste n’est pas malveillante ou que l’on
n’a pas une volonté de blesser. Lorsque des chiens jouent, ils se pour-
suivent et peuvent légèrement se mordre, puis ils interagissent en
face à face et les rôles s’inversent. Les sportifs, lorsqu’ils se heurtent
en jouant, peuvent désamorcer une potentielle réaction agressive
en échangeant des regards et une communication bienveillante.
Toutefois, suite à un choc accidentel, s’ils s’éloignaient sans aucune
excuse, une bagarre pourrait survenir. De même, le circuit d’immobi-
lisation peut également être recruté avec le circuit d’engagement social
lors des ébats amoureux pouvant commencer par des interactions en
face à face et ensuite s’orienter vers un état d’immobilisation dénué de
toute peur. La confiance rend possible l’immobilisation dans les bras
d’un partenaire. Je n’insisterai jamais assez sur le rôle important de
l’immobilisation sans peur, car chez les mammifères, une immobili-
sation défensive est potentiellement mortelle. Ainsi, sans le moindre
ressenti de sécurité*, les mammifères fuiront toujours.
Serge Prengel : Parlons-nous d’une immobilisation bénéfique ?
Dr Porges : Oui, de la « bonne » réponse d’immobilisation.
L’immobilisation sans peur nécessite le recrutement des voies
neurales impliquées dans l’immobilisation avec peur, mais avec
l’implication aussi des voies du système d’engagement social, conjoin-
tement à l’action de certains neuropeptides, comme l’ocytocine*.
Fonctionnellement, l’ocytocine agit sur des récepteurs du noyau
moteur dorsal du vague, dans le tronc cérébral, régulant le nerf vague

246 Théorie polyvagale et sentiment de sécurité


Soma et psychothérapie

non myélinisé, phylogénétiquement plus ancien. L’immobilisation


sans peur permet aux femmes d’accoucher sans s’évanouir, ni mourir.
Le même « bon » système d’immobilisation* permet aux amoureux de
s’enlacer et de rester immobile dans les bras l’un de l’autre sans aucune
crainte, ni besoin de fuir. Les structures phylogénétiquement les plus
archaïques, initialement destinées à la défense, se sont ainsi destinées
au jeu*, à la reproduction et à l’intimité. (Approfondissements au
chapitre 11, La théorie polyvagale.)
Serge Prengel : Donc, ce que nous faisons en thérapie, c’est en
quelque sorte essayer de favoriser une capacité continue d’adaptation.
Dr Porges : Je pense que l’objectif de la thérapie est de permettre
aux patients de s’adapter avec la plus grande souplesse au monde
environnant, grâce à des circuits neuraux leur permettant de neutra-
liser efficacement les dynamiques défensives, et de mettre les circuits
phylogénétiques les plus archaïques au service des plus belles choses.
Serge Prengel : Merci, Stephen.

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tive study. Autonomic Neuroscience, 156(1), 60-6.
Yee, J. R., Kenkel, W. M., Frijling, J. L., Dodhia, S., Onishi, K. G.,
Tovar, S, Saber. M. J., Lewis, G.F., Liu, W., Porges, S.W., & Carter,
C. S. (2016). Oxytocin promotes functional coupling between
paraventricular nucleus and both sympathetic and parasympathe-
tic cardioregulatory nuclei. Hormones and behavior, 80, 82-91.

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CRÉDITS

Chapitre 2. Cette interview a été revue par Stephen W. Porges pour


cette édition du livre. L’interview originale a eu lieu en avril 2011.
Copyright © de Stephen W. Porges & NICABM (Institut national
pour l’application clinique de la médecine comportementale, Storrs,
CT). Site Web : www.nicabm.com
Chapitre 3. Cette interview a été revue par Stephen W. Porges pour
cette édition du livre. L’interview originale a eu lieu en avril 2012.
Copyright © de Stephen W. Porges & NICABM (Institut national
pour l’application clinique de la médecine comportementale, Storrs,
CT). Site Web : www.nicabm.com
Chapitre 4. Cette interview a été revue par Stephen W. Porges
pour cette édition du livre. L’interview originale a eu lieu en février et
mars 2013. Copyright © de Stephen W. Porges & NICABM (Institut
national pour l’application clinique de la médecine comportemen-
tale, Storrs, CT). Site Web : www.nicabm.com
Chapitre 5. Cette interview a été revue par Stephen W. Porges pour
cette édition du livre. L’interview originale a eu lieu en mars 2014.
Copyright © de Stephen W. Porges & NICABM (Institut national
pour l’application clinique de la médecine comportementale, Storrs,
CT). Site Web : www.nicabm.com

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Crédits

Chapitre 6. Cette interview a été revue par Stephen W. Porges


pour cette édition du livre. L’original a été créé pendant l’hiver 2010
et a été publié comme une interview GAINS. Copyright © Global
Association for Interpersonal Neurobiology Studies, 2010. Site Web :
www.mindgains.org
Chapitre 7. Cette interview a été revue par Stephen W. Porges
pour cette édition du livre. L’original a été créé en novembre 2011
dans le cadre de la série Somatic Perspectives (www.somaticperspec-
tives.com). Copyright © 2011 de www.somaticserspectives.com

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