Introduction Alcools PDF

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d) Un ultime écho des souvenirs (« Rhénanes »)


Les échos réalistes et mélancoliques d’une saison et d’un lieu d’amour que le feu du brasier a vivifiés avant
que le poète ne s’en détache.

Ces poèmes particulièrement complexes d’Alcools acceptent la ligne directrice d’une progressive et
difficile renaissance du poète, phénix vivifié au milieu des cendres de la solitude et de son passé amer. Cette
ligne directrice n’épuise pas leurs significations, mais elle permet de mieux appréhender un processus
d’écriture : les masques divers de la légende et le recours aux symboles multiples permettent à l’artiste de
dérouler la ronde de ses tourments et des obsessions, que seuls le feu de la création et l’ivresse de poésie
peuvent apaiser. Le poète évolue du lyrisme à une ambition plus universelle, devenir l’homme du Beau et du
Vrai.

3) De la connaissance de soi à la connaissance du monde


Les poèmes qui achèvent le recueil poétique présentent deux thèmes essentiels.
-­‐ Apollinaire confirme dans un premier temps sa vision du monde et de l’homme : l’incertitude et la
précarité dominent les sentiments, les souvenirs d’amour engendrent des souffrances que rien
n’apaise, et le monde est à l’image de la tour de Babel dans laquelle les êtres errent incompris et
solitaires. (« 1909 », Automne malade », « Hôtels »)
-­‐ Le poète fonde la dignité de la poésie : voyageur mélancolique dans le cours du temps et des
émotions, le poète, dans l’ivresse des mots, les enchantements des images nocturnes et sous
l’impulsion de ses rêveries, peut accéder à la connaissance universelle des choses, des êtres et des
lieux.
-­‐ Le dernier poème, « Vendémiaire », au titre symbolique, évoque l’issue de ce parcours qui intègre
toutes les expériences et tous les souvenirs. L’écriture est moyen d’accès à la connaissance, figure de
ce qui reste la part active de l’homme : la surprise, l’ivresse, l’instantané, l’émotion, le souvenir…
Actions belles journées sommeils terribles
Végétation Accouplements musiques éternelles
Mouvements Adorations douleur divine
Mondes qui vous rassemblez et qui vous ressemblez
Je vous ai bus et ne fus pas désaltéré

Mais je connus dès lors quelle saveur a l’univers

Conclusion
-­‐ Deux thèmes importants, le voyage et la diversité : excursion dans les souvenirs et à travers les lieux
(modernes ou légendaires) ; mélange du rêve et de la réalité, du monde contemporain et des légendes
les plus anciennes.
-­‐ Lyrisme et « Art nouveau » : expression de ses sentiments à travers le spectacle des choses et des
images de la vie ; volonté de renouveler la poésie dans ses thèmes et ses procédés d’écriture.
-­‐ Images essentielles : poésie = chant d’ivresse capable d’apaiser toutes les soifs du poète ; femme =
sirène ou sorcière, inspire amour douloureux générateur d’obsessions ; automne = saison symbolique
du poète, mais aussi du monde et de l’homme, définis comme précaires, incertains, mobiles.
-­‐ L’image du poète : un être incertain, sollicité par l’angoisse d’un passé douloureux et par la fragilité
d’un présent mouvant ; un artiste inventeur et aventurier fasciné par le surgissement de la modernité.
 
 
À l’empoisonnement morbide de l’amour répond l’effusion onirique et imaginaire ( « Palais », « Chantre »,
« Crépuscule », « Annie », « La Maison des morts », « Clotilde ») et, dans le palais du rêve, vivants et morts
se prodiguent des serments éphémères, plus vrais que ceux du faux amour :
Les amoureux s’entr’aimaient […]
Les morts avaient choisi les vivantes
Et les vivants
Des mortes (« La Maison des morts »)
Mais la réalité de la mélancolie et du dédain contraint le poète à poursuivre plus loin son idéal :
Passe il faut que tu poursuives
Cette belle ombre que tu veux (« Clotilde »)
c) Le poète et l’homme ne se définissent que par le voyage et l’errance
La fuite du temps, l’infidélité des êtres conduisent l’artiste à la recherche douloureuse de son identité et au
constat de la seule réalité des choses : l’errance (« Cortège », « Marizibil », « Le Voyageur », « Marie », « La
Blanche Neige », « Poème lu au mariage d’André Salmon », « L’Adieu »). En abandonnant à son ami Salmon
la réalisation de l’amour heureux, le poète dit un adieu définitif au rêve sentimental et n’accepte de renaître
que dans le feu et le sang de la Poésie :
La vie est variable aussi bien que l’Euripe (« Le Voyageur »)
Je sais que seuls le [le monde] renouvellent ceux qui sont fondés en poésie
(« Poème lu au mariage d’André Salmon »)

2) Le difficile chemin de la quête poétique


a) La quête de l’idéal poétique à travers des figures mythiques de l’aventure
(« Salomé », « la Porte », « Merlin et la Vieille Femme », « Saltimbanque », « Le Larron »)
Salomé (autant dire la femme) enterre saint Jean Bouche d’Or (le poète), autrefois poète miraculeux, tout
comme la femme infidèle conduisit à la mort le poète-amant des textes précédents. Abandonné et moribond, le
poète commence sa renaissance par la conscience douloureuse de l’incertitude :
J’entends mourir et remourir un chant lointain
Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille (La Porte »)
Sous la figure de Merlin l’Enchanteur, le poète qui sacrifie l’Amour à la mémoire de l’Amour rejoint en
promesse les chants mélodieux d’Orphée :
La Dame qui m’attend se nomme Viviane […]
Je m’éterniserai sous l’aubépine en fleurs (« Merlin et la Vieille Femme »)
Le poète, homme du voyage et de la douleur, voleur de mots qui ne surent pas convaincre, abandonné au seul
recours de la religion, part au moins sur la route à la rencontre de nouveaux fruits :
Va-t-en errer crédule et roux avec ton ombre […]
Tu n’as de signe que le signe de la croix (« Le Larron »)
b) Les dangers qui menacent le poète : solitude, mort, amour
(« Le Vent nocturne », « Lul de Faltenin », « La Tzigane », « L’Ermite »)
Solitude et mort de l’inspiration :
C’est ton nom qu’en la nuit les elfes ont raillé (« Le Vent nocturne »)
Obsessions de l’amour et tentations de la perdition :
J’attends qu’elle les dresse
Ses mains enamourées devant moi l’Inconnue (« L’Ermite »)
Charmes dangereux des paroles illusoires et mortelles des sirènes, femmes et rivales en poésie :
Sirènes j’ai rampé vers vos grottes […]
Et j’écoutais ces chœurs rivaux (« Lul de Faltenin »)
c) Le feu, symbolique de la purification
(« Automne », « L’Emigrant de Landor Road », « Rosemonde », « Le Brasier »)
En acceptant d’entrer dans l’automne de la solitude et en sachant s’éloigner des souvenirs obsessionnels, le
poète se purifie dans le feu de l’oubli et se défait de l’angoisse des souvenirs maudits :
Oh ! l’automne l’automne a fait mourir l’été (« Automne »)
Par l’exil, il échappe aux obsessions :
Gonfle-toi vers la nuit ô Mer… (« L’Emigrant de Landor Road »)
Par le feu, le passé s’abolit :
J’ai jeté dans le noble feu
Que je transporte et que j’adore […]
Ce passé ces têtes de morts
Flamme je fais ce que tu veux (« Le Brasier »)
 
thèmes négatifs qui parcourent Alcools : amour-poison, voyage-errance, mémoire-infidélité, vie-automne,
autant de motifs qui expriment le malaise et la souffrance plus que la libération attendue dans l’ivresse.
Ivre du désir de vivre une vie aux couleurs attirantes de l’alcool, le poète est obligé à travers ses
parcours multiples de conclure aux désenchantements meurtris :
Actions belles journées sommeils terribles
Végétation Accouplements musiques éternelles
Mouvements Adorations douleur divine
Mondes qui vous rassemblez et qui vous ressemblez
Je vous ai bus et ne fus pas désaltérés (« Vendémiaire »)

2) Alcools : une définition de la poésie


L’ultime alcool qui peut apaiser le poète et lui procurer cette ivresse salutaire et libératrice que la vie
refuse, c’est l’art poétique ; lui seul autorise l’espoir et engendre le charme des promesses :
Ecoutez-moi je suis le gosier de Paris
Et je boirai encore s’il me plaît l’univers (« Vendémiaire »)
La nouveauté des images et du langage que nous propose Apollinaire prend alors un sens précis : le
tournoiement des mots est une métaphore vivante et sensible de cet univers inédit dont l’artiste ivre a besoin.
À l’instabilité décevante de la vie répond ainsi la forme définitive d’un langage qui réunit l’invention verbale
et le recours au légendaire pour produire cette ivresse précieuse et durable du discours :
Ecoutez mes chants d’universelle ivrognerie (« Vendémiaire »)
Le dernier poème d’Alcools permet de prendre la mesure de cet art poétique neuf et qui fonde, à partir
de l’ivresse maîtrisée et ordonnée du langage, son parti-pris de renouveau.

3) Genèse du recueil
Apollinaire avait pensé publier dès 1904 les poèmes composés à l’occasion du séjour en Rhénanie, et
ce sous le titre Le Vent du Rhin. Cependant, les poèmes travaillés par Apollinaire dans les années suivantes
s’inscrivent de plus en plus dans un modernisme qui l’incite à repenser ses publications. Il choisit parmi ses
poèmes les plus nouveaux, ne conserve pour la partie Rhénanes que neuf textes, et renonce à une simple
compilation chronologique au profit d’une alternance dont les lignes thématiques sont plus significatives. Il
pense d’abord intituler le recueil Eau de vie, mais en 1912, se décide pour Alcools.
C’est en 1912 également qu’il décide de supprimer toute ponctuation. Dans une lettre à Henri
Martineau, il s’en explique ainsi : « Le rythme même et la coupe des vers, voilà la véritable ponctuation et il
n’en est pas besoin d’une autre. »

III. ORGANISATION DU RECUEIL


L’analyse de l’organisation des poèmes permet de mieux appréhender le projet d’Apollinaire. En effet, la
succession des textes n’est pas arbitraire et, si elle ne suffit pas à rendre compte du sens de chacun des textes
considérés de manière autonome, elle éclaire la signification du recueil.

1) De la douleur d’amour à la destinée poétique


a) L’énoncé d’un art poétique (« Zone »)
Le premier poème, « Zone », peut se lire comme un manifeste esthétique soucieux de rendre compte du parti
pris de modernité de l’écriture :
A la fin tu es las de ce monde ancien
Il permet aussi de montrer que la phrase poétique s’alimente au cours mouvant des souvenirs :
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
Et que la confidence lyrique prendra souvent ici les teintes grises de la mélancolie :
Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Une écriture soucieuse de renouveau, marchant à la rencontre du chant nostalgique et meurtri de la vie, telle
semble bien être la démarche poétique d’Alcools.
b) La fuite du temps, l’infidélité de la femme et la douleur d’aimer
Un premier cycle (« Le Pont Mirabeau », « La Chanson du Mal-Aimé », « Les Colchiques ») s’organise
autour d’un voyage dans le temps et d’une errance dans la douleur d’amour qui fait de la femme une figure
ambiguë d’ivresse fascinante et de poison mortel :
Voie lactée ô sœur lumineuse […]
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres lumineuses (« La Chanson du Mal-Aimé »)
 

GUILLAUME APOLLINAIRE, ALCOOLS (1913)


INTRODUCTION : PRESENTATION DU RECUEIL

I. POUR COMPRENDRE L’ŒUVRE


La genèse d’un recueil poétique est toujours complexe : un projet poétique ne se mène pas à terme
comme un roman, et le poème est avant tout un texte autonome.
1) Un double voyage
L’œuvre organise un double voyage :
- voyage dans le temps de l’enfance ou des souvenirs amoureux, mais aussi dans le temps mythique de
l’histoire du monde ;
- voyage dans l’espace : espace traditionnel des cadres pittoresques, ou espace plus nouveau de la ville
moderne.
Ce double voyage, qui autorise dans le texte une accumulation d’images, est aussi un support
symbolique pour exprimer la fonction de la poésie : pour Apollinaire, la poésie est investigation, expression
des impressions multiples de l’homme moderne ; les paysages, la complexité des rencontres, les mystères de
l’esprit, dont on commence à mesurer la part d’irrationnel, l’intéressent et c’est à partir de leurs surgissements
qu’il entend fonder son œuvre.

2) Le renouvellement des formes


Apollinaire associe le renouvellement de la poésie avec le renouvellement des formes : la surprise, la
fantaisie dont il est épris s’expriment à travers le parti-pris d’audace de ses compositions ; analogue à la toile
du peintre, la page poétique est un espace dont le poète explore toutes les données, et les rencontres
inattendues des mots, la disposition des strophes, la variété des systèmes métriques font du langage un lieu
d’invention. Parallèlement, le poète rassemble des références culturelles et esthétiques multiples.
On en déduit l’importance d’Alcools : c’est une œuvre nouvelle lors de sa publication dans un
contexte culturel que se partagent encore les influences du Parnasse et du symbolisme ; c’est un texte qui sert
de point de départ pour une réflexion plus théorique sur l’art moderne.

3) Une réflexion sur l’art moderne


Intégrant toutes les influences, depuis le romantisme jusqu’aux recherches formelles du mouvement
Dada, en passant par le symbolisme, Apollinaire est en réalité celui qui construit une œuvre variée sous l’effet
d’une inspiration multiple. Ainsi, le recueil d’Alcools, qui célèbre autant l’impression symboliste et le lyrisme
romantique que l’aventure et la fantaisie modernes, qui s’appuie autant sur la musicalité et l’harmonie
imitative que sur les rythmes nouveaux d’un monde qui va s’accélérant, marque la naissance de la poésie
moderne et montre que la poésie est, depuis toujours, une parole ininterrompue. Dans le paysage poétique du
début de notre siècle, Alcools, qui paraît en 1913, brille d’un éclat particulier. Il n’est pas étonnant d’ailleurs
que le recueil s’ouvre sur le poème « Zone », poème construit sur le heurt des images du passé, du présent et
du futur. Mais cet ancrage définitif dans la modernité et les distances prises avec la poésie traditionnelle ne
doivent pas faire oublier le poète sentimental.

II. ANALYSE DU TITRE


Sous le titre Alcools, il convient de lire le parti-pris de l’ivresse, parti-pris d’existence autant que parti-
pris d’écriture, car c’est, à travers lui, une définition de la vie autant que de la poétique qui s’élabore.

1) Alcools : une définition de la vie


Pour Apollinaire, la vie est un alcool qui tout à la fois brûle et enivre, enthousiasme et meurtrit :
Et tu bois cet alcool, brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau de vie (« Zone »)
Tout le recueil est traversé par cette dimension de l’ivresse de l’existence : rêve et réel, amour et
déchirure, espoir et désespoir, tout se colore des teintes grises et envoûtantes du vin.
En réalité, cette vie est faite pour un homme de l’ivresse : la ronde des amours et des saisons, des départs et
des voyages, l’ivresse des désirs de bonheur, de nouveauté et de fidélité procurent des tournoiements
nécessaires à la soif de l’artiste.
Malheureusement, ces figures d’ivresse offertes par la vie n’apportent que le cercle fascinant mais
éphémère de leur magie enivrante. Alors la définitive instabilité du cœur, des êtres et des choses nourrit ces

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