Les Cahiers Du Management 49 - Le Marketing Joue Multicanal
Les Cahiers Du Management 49 - Le Marketing Joue Multicanal
Les Cahiers Du Management 49 - Le Marketing Joue Multicanal
Les cahiers du
49 Le marketing
joue multicanal
Sommaire
Le marketing
joue multicanal
page 113
P
se substituer totale- arallèlement aux promesses brables auteurs. En revanche, les entre-
ment au contact phy- d’eldorado publicitaire qui prises doivent évaluer leur influence et la
sique. font saliver les titans, tels nécessité de tenir compte des opinions
page 114 Microsoft, Google et Rupert émises. Mais le Web 2.0 n’introduit pas
Murdoch, devenus respecti- seulement la mise au point d’un nouveau
Limites et vement propriétaires de Face- langage, il coïncide avec un réexamen
avantages du book, YouTube et MySpace, c’est bien global du marketing et un rappel de la
marketing ouvert l’influence croissante des légions d’in- valeur stratégique du marketing relation-
La démarche ternautes fréquentant les sites commu- nel, comme en témoignent les plus récents
multicanal, même nautaires en ligne qui explique la convoi- outils de mesure (R.Scan, par exemple,
si elle offre des tise et le montant record des rachats de CRM Company Group).
opportunités, (1 milliard d’euros pour YouTube). Autant L’utopie de la gestion 100 % à distance
implique un coût de grandes manœuvres qui jettent une de la relation client a vécu. Pour des rai-
et exige d’être par- lumière crue sur la mutation d’Internet. sons de viabilité économique et d’effica-
faitement maîtrisée. Le développement du Web 2.0 en est une cité. Mais aussi, soulignent Pierre Volle
page 115 illustration, comme le rappelle ci-après (professeur à l’université Paris-Dauphine)
Christophe Pelletier, d’Unilog et Christophe Bouguereau (maître
Etude de cas Management Groupe Logica- de conférences associé à l’u-
Bouygues Télécom CMG. Toutefois, le nouvel niversité de Bretagne Sud),
canalise la valeur. âge d’or d’Internet est parce que le « marketing
page 116 moins le fruit d’une rupture ouvert » introduit par le
technologique que d’une multicanal signale un
révolution des usages et changement de nature de
d’un rééquilibrage des for- l’acte commercial. De
ces en présence. Car il n’y a l’ère de la transaction, il
pas que les mots-clefs qui se est entré dans celle du
négocient cher, la parole des « processus relationnel »
internautes et les chambres d’é- entre la marque et son client.
cho que constituent les sites commu- Le rééquilibrage des canaux joue
nautaires prennent aussi de la valeur. en faveur des sites physiques. Naguère
Toujours plus d’internautes cherchent à 100 % Web, les compagnies aériennes à
s’orienter dans la vie pratique. Compa- bas prix guignent les réseaux physiques.
gnies aériennes, tour-opérateurs, secteur Un maître mot guide cette évolution :
Avec le concours de automobile, habitat, santé, cinéma : des- simplification. Directeur relation client
cription, comparaison, notation, tout y multicanal de Bouygues Télécom, Pierre
passe ! Fragmenté, parfois anonyme, ce Schaller l’associe volontiers à un objectif
contre-pouvoir a d’autres limites. Il ne de complémentarité des canaux et d’a-
L’EXPANSION
à bonne distance
›Par Christophe Pelletier*
mobile pour aider l’internaute à choisir
le package idéal. C’est un personnel
Orange qui l’accueille et qui lui pose les
questions adéquates, pour finalement lui
proposer la meilleure offre, tout comme
dans une agence physique.
Orienter les clients vers les seuls
L’entreprise doit trouver la juste mesure entre canaux distants ou de traitement auto-
matisé est exclu. Banques et assurances
virtuel et réel, car, pour l’acheteur, rien ne peut implantent ainsi de nouvelles agences,
reconnaissant le caractère indispensable
se substituer totalement au contact physique. de la relation humaine. Les réductions de
coûts ont beau être de mise au sein des
entreprises, elles ne devront sous aucun
H
ier, le Web était le pre- munication en général, mais aussi les prétexte entraver la relation avec le client,
mier réseau où cher- consoles de jeux, les nouveaux récepteurs qui s’intensifie à mesure que le nombre
cheurs et experts de télévision à écrans plasma ou LCD) de canaux mis à la disposition de ce der-
pouvaient échanger que se manifeste avec éclat le pouvoir des nier augmente. Des sites physiques aux
instantanément et libre- consommateurs. Les 18-40 ans mènent sites virtuels en passant par les centres
ment, d’un point du ce combat. Parmi les Européens, ces der- d’appels, par les kiosques, par les bornes
globe à l’autre et pour un coût insigni- niers sont 40 % à consulter Internet avant et par les automates, le client vit une
fiant, des informations ou des requêtes d’effectuer un achat, quel qu’il soit. In réelle expérience « multicanal ».
ayant trait à leurs travaux. Vingt ans ont fine, 10 à 20 % seulement achèteront en Les enjeux forts des entreprises seront
passé. Aujourd’hui, après la conquête ligne, rappelant aux entreprises qu’elles donc d’évaluer les interactions entre ces
de la Toile par l’univers marchand, le ne sauraient dépendre d’un seul canal de différents canaux, d’identifier les prio-
Web 2.0 marque une prise de pouvoir du vente. Les évolutions technologiques n’y rités et de valoriser cette expérience.
citoyen consommateur, et, par là même, changeront rien : selon la nature ou l’en- Organisation, système d’information, pro-
un certain retour à l’esprit des origines. jeu du produit, bien des internautes conti- motion des canaux, mesure des perfor-
Les forums et blogs de consommateurs, nueront de vouloir voir et toucher avant mances…, large est la palette des leviers
les comparateurs et les wikis font tache de passer à l’achat. et des directions permettant d’atteindre
d’huile. Avec eux s’étend un territoire l’objectif. Les entreprises doivent donc
contigu à celui des offres de services et Toujours plus d’expériences orchestrer un plan d’évolution – consti-
des informations mises en ligne par les « multicanal » tué de mesures à résultat rapide et d’in-
entreprises. Plus volontiers le client rend Outre le partage, le Web 2.0 intègre de vestissements à long terme – qui leur per-
publiques son expérience et son opinion nouvelles technologies, comme les rich mettra d’atteindre le niveau optimal dans
(sur tel produit ou tel service), plus for- Internet applications, permettant à l’in- la relation client multicanal.
tement la voix du consommateur se fait ternaute de retrouver en ligne une expé-
entendre. Si la sincérité et la neutralité rience s’apparentant à celle du magasin * Senior manager, Unilog Management,
Groupe LogicaCMG.
des blogs et forums ne font aujourd’hui physique. Ikea a été un précurseur avec
l’objet d’aucune certification, cette
volonté de partager une connaissance
expérimentale des produits et services
sonne le glas du ton convenu – sinon
autosatisfait – des sites de marque.
Pour en savoir plus
La méfiance ne disparaîtra pas d’un « Comportements détaillée d’experts le renfort attendu.
coup pour autant. Il incombe désormais du consommateur » de la relation client, Comment parer au
aux entreprises de concevoir la contre- Quelles sont les in- tous deux professeurs risque de confusion ou
attaque, en commençant par recueillir les fluences respectives de à Paris-Dauphine. de cannibalisation des
réactions de cette clientèle – exigeante, l’environnement, de l’é- rt Denis Darpy canaux traditionnels ?
et donc prescriptrice – puis en les analy- motion ou de l’analyse et Pierre Volle, Un panorama des
sant et en s’inspirant d’elles. Certaines rationnelle chez 370 pages, Dunod. critères d’optimisation
entreprises proposent même à des blo- le consommateur ? des canaux et de me-
gueurs influents de tester leurs nouveaux Comment arbitre-t-il « Le Marketing sure de la performance.
produits ou services pour mieux nourrir le ses dépenses ? A quelle direct multicanal » rt Y. Claeyssen,
buzz indispensable à leur lancement. condition manifeste-t-il Le service en ligne A. Deydier, Y. Riquet,
Sans surprise, c’est autour des nou- sa fidélité ? La réponse n’apporte pas toujours 328 pages, Dunod.
veaux produits technologiques (la com-
Limites et avantages
du marketing ouvert
›Par Pierre Volle et Christophe Bouguereau *
L
’introduction du multicanal « simple », la cohérence des canaux passant
dans la stratégie relation- avant l’enrichissement des opportunités d’in-
nelle bouscule la théorie des teraction. Car la fragmentation de la relation
trois unités chère au théâtre client-entreprise constitue un facteur de com-
classique. Si l’on a pu long- plexité croissante... et un facteur de fragilité
temps considérer que le pour les entreprises.
marketing respectait ces canons, c’est La multiplication des canaux et les consé-
qu’il demeurait dans l’ordre de la trans- quences organisationnelles de ce marketing
action. Sa démarche visait à déclencher ouvert ont un coût économique qu’il faut
un acte d’achat (unité d’action), dans un mettre en rapport avec le chiffre d’affaires
magasin (unité de lieu), à un moment pré- généré et la croissance obtenue. Le consom-
cis et en une fois (unité de temps). mateur gagne plus de liberté d’action, mais
Qu’en est-il aujourd’hui ? L’acte com- il perd ses repères ; il est l’objet de plus d’of-
mercial ne peut être réduit à une tran- fres, mais au prix de plus de sollicitations et
saction. Si celle-ci reste la finalité, il resse à la communication, aux services, de stress. L’entreprise, elle, opère sur plus
s’efforce d’orchestrer un processus rela- à la commercialisation de l’offre. Autant de canaux, mais en retour voit ses investis-
tionnel qui constitue une histoire entre la dans le cadre d’un service après vente sements augmenter, comme les difficultés
marque et son client. Le point de vente (SAV) il est indispensable d’assurer une de pilotage ; elle profite de plus d’interac-
physique demeure à bien des égards le prestation permanente, autant il est pos- tions, mais augmente les risques
centre névralgique, mais il doit désormais sible, dans d’autres situations, d’éduquer d’insatisfaction.
partager avec le site marchand, le télé- le consommateur. Lui faire admettre, par Le bon sens commande de distinguer l’es-
phone mobile, etc. L’unité de temps a exemple, qu’au-delà d’une certaine plage sentiel de l’accessoire. La fiabilité prime sur
disparu au profit d’une simultanéité crois- horaire le service crée un surcoût qu’il la complexité. Un modèle monocanal effi-
sante des tâches... Les services de marke- devra prendre en charge. Gare ! si l’en- cace est préférable à un modèle multicanal
ting doivent donc reconsidérer la relation treprise ne le lui fait pas supporter et mal maîtrisé. Il vaut mieux résoudre le pro-
client selon un processus cohérent et effi- qu’elle compense par un dispositif de blème du client au premier appel que réduire
cace. Cependant, plus elles s’appuient sur qualité dégradée, son image en souffrira. davantage le temps d’attente. L’exemple du
les nouvelles technologies, plus les stra- loueur de véhicules Avis, qui a travaillé à
tégies commerciales se heurtent à l’in- Maintenir une relation une simplification drastique de son proces-
flation des canaux de communication et à « simple » avec le client sus de restitution de la voiture, en est un par-
l’exigence croissante des utilisateurs. Dans ces conditions, est-il utile pour la fait exemple : mettre en œuvre des techno-
Nous sommes entrés dans l’ère du mar- marque d’élargir son spectre relationnel et logies de plus en plus sophistiquées pour
keting ouvert. Ouvert à tous les sens. de multiplier les canaux ? Est-il écono- fluidifier plus encore la relation avec les
Cette complexification a des consé- miquement justifié de proposer l’ensem- clients. Dans les années qui viennent, la ges-
quences en interne (les systèmes d’in- ble des fonctions (information, services, tion de cette relation obéira très certaine-
formation doivent, par exemple, syn- vente) sur l’ensemble des canaux, vingt- ment à un nouveau modèle. La simplifica-
chroniser les multiples points de contact) quatre heures sur vingt-quatre et sept jours tion engendre un sentiment de transparence
et en externe (le consommateur exige sur sept ? Dans une relation commer- et, finalement, de confiance.
l’immédiateté des réponses, quels que ciale tant décriée, il faut avoir le courage
soient le jour et l’heure). Le marketing d’analyser les raisons du désamour des
* Professeur à l’université Paris-Dauphine,
ouvert offre des opportunités, mais à quel consommateurs et d’accepter la remise Pierre Volle dirige le master distribution et
coût et d’après quelle rationalité écono- en cause de pratiques de marketing relation client. Maître de conférences associé à
mique ? devenues si complexes. Une des clefs du l’université de Bretagne Sud, IUT de Vannes,
L’EXPANSION
L’ouverture multicanal ne peut s’inter- succès consiste à œuvrer de façon que le Christophe Bouguereau a fondé MDC
Partenaire-La Maison du client.
préter de la même façon si l’on s’inté- client accepte de maintenir une relation
l’étude de cas
Bouygues Télécom
canalise la valeur
Récemment créée par la direction commerciale, la « relation
client multicanal » repose sur quatre services. Elle est destinée
à optimiser la fidélisation et l’accompagnement de la clientèle.
O
nze ans après l’inven- mais aussi de relever l’objet de la récla-
tion du forfait et de la Premières mation. Des équipes dédiées en isolent
consultation gratuite de
la messagerie, Bouy- offres fixes ensuite les causes pour pouvoir les cor-
riger. C’est notamment cette mécanique
gues Télécom continue
à tirer parti des évolu-
en 2008 d’amélioration continue qui a valu à
Bouygues Télécom le premier prix de la
tions technologiques. Ainsi, la direction L’ouverture de son réseau relation client TNS Sofres-BearingPoint
commerciale clients, créée au début de de téléphonie mobile pour la téléphonie. »
2007 et mobilisant plus de 3 000 person- remonte à mai 1996.
nes, a appelé Pierre Schaller, un ingénieur Aujourd’hui, Bouygues Eviter la compétition
télécoms de 44 ans, à la tête d’une nou- Télécom emploie 7 400 per- entre canaux
velle direction : la « relation client mul- sonnes, dont 2 000 Chaque mois, les différents personnels
ticanal ». Le réseau Club Bouygues Télé- conseillers de clientèle ré- des centres de relation client témoignent
com (plus de 530 boutiques), les six partis parmi ses six centres des difficultés lors d’une journée de la
centres de relation client, Internet et la de relation client, tous in- conformité. « Une des manières d’éva-
grande distribution représentent les qua- stallés en France. L’opéra- luer si vos clients sont contents, souligne
tre canaux principaux de vente. « L’orga- teur est contrôlé à 89,5 % Pierre Schaller, c’est de savoir si vos
nisation de la direction reflète les par le Groupe Bouygues, et conseillers en boutique comme en centre
moments de vie, explique Pierre Schal- à 10,5 % par JCDecaux. le sont. Ils font part de l’embarras du
ler. Pendant ses trois premiers mois, un Il sert 9 millions de clients, client d’autant plus volontiers qu’eux-
client a des attentes particulières. Idem dont plus de 6,5 millions mêmes en ont souffert. »
dans une situation d’urgence ou avant l’é- sous forfait. Il couvre 93 % Deux écueils sont à éviter. « Attention
chéance de l’abonnement. » de la population en France. à une démarche trop commerciale, aver-
Il lancera ses premières off- tit Pierre Schaller. Elle peut surprendre
A chaque canal sa res fixes en 2008. Son chif- un client en situation difficile. Autre point
vocation et son efficacité fre d’affaires 2006 s’élève à de vigilance : la compétition entre canaux.
La direction travaille selon la politique 4,5 milliards d’euros. Un dialogue permanent est nécessaire
client définie avec le marketing. Sa pro- pour rechercher l’intérêt général. Il faut
blématique : l’efficacité. « C’est le cas jouer la complémentarité, pas l’opposi-
de toutes les entreprises de services, tion. Par exemple, Internet est un excel-
poursuit Pierre Schaller. Après la sollicitations les plus fréquentes. Si lent outil pour préparer le lancement
conquête, il faut fidéliser le client, l’ac- nécessaire, elles font appel à leurs collè- d’un produit. Il a fallu un travail d’édu-
compagner et développer sa valeur. A gues experts des centres, c’est un exem- cation pour mettre en valeur le trafic
nous de jouer des complémentarités. Cer- ple de multicanalité. » apporté par Internet aux boutiques, et
tains canaux sont moins onéreux, comme Au titre du développement durable, gommer le sentiment qu’Internet pouvait
Internet, mais s’il est satisfaisant pour Bouygues Télécom a plaidé pour la détourner des ventes. »
un acte simple, comme la souscription dématérialisation de la facture. Un quart Philippe Delaroche
d’un forfait SMS, il est moins indiqué des clients forfait a accepté de ne plus en
pour des actes complexes, qui réclament être avisé que via Internet. La facture
une relation humaine. Nous réservons les détaillée papier est payante ; sur Inter-
canaux qui coûtent cher à la création de net, elle est gratuite. prochain numéro
valeur. Multicanal ne signifie pas que Comment réagissent les conseillers face Assurance
vous pouvez tout faire partout ! Nous à des clients qui estiment avoir été mal Les implications opérationnelles
réservons aux boutiques un certain nom- renseignés ? « Les conseillers sont char- de Solvabilité II
bre d’actes. Elles répondent seules aux gés non seulement de répondre au client,