Tarrago Probabilités Libres
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Tarrago Probabilités Libres
Pierre Tarrago
November 27, 2012
Introduction
Dans ce court exposé nous allons revoir les principaux constituants de la théorie
des probabilités libres jusqu’à la construction du calcul stochastique libre. Cette
théorie a été initiée dans les années 80 par Dan Voiculescu [7] pour résoudre des
problèmes de théorie des operateurs. Elle s’est beaucoup développée par la suite
avec la découverte d’exemples concrets en lien avec des matrices aléatoires.
L’accent sera mis sur le parallèle qui existe entre la théorie libre et la théorie
classique et aucune démonstration ne sera donnée ici (se référer au citations
données en bibliographie).
Contents
1 Espace de probabilité non-commutatif 1
2 R-transformé et combinatoire 4
1
Définition 1 Un espace de probabilité non commutatif (e.p.n.c) est la donnée
d’un couple (A, φ), avec A une algèbre de von Neumann et φ une forme linéaire
continue sur A telle que
si a ∈ A, φ(aa∗ ) ≥ 0
1 ∈ A et φ(1) = 1
Une telle forme linéaire est appelée un état.
Une fois un tel espace défini, on peut redéfinir la loi d’un élément normal a ∈ A
par l’application
C[X] −→ C
P 7→ φ(P (a))
On vérifie aisément par le théorème spectral que cette application résulte en
une mesure µa sur C à support borné par kak. De cette manière on peut dire
qu’une suite an d’éléments de A converge en loi vers a ∈ A, ou µan −→ µa si
∀P ∈ C[X], φ(P (an )) −→ φ(P (a))
Exemples :
• Si on suppose que P est une mesure à support bornée, l’espace (L∞ (Ω, C), E)
est un espace de probabilité non commutatif qui est ... commutatif.
• L’espace (Mn (L∞ (Ω, C)), E[Tr()]) est également un espace de probabilité
non-commutatif. Cette classe d’exemple est l’une des plus importantes et
justifie le lien fort entre les matrices aléatoires et les probabilités libres.
• [7] Soit G un groupe discret, e son élément neutre et l2 (G) l’espace de
Hilbert des fonctions complexes de carré intégrable sur G muni de la
mesure de comptage. l2 (G) admet comme base orthonormale les fonc-
tions
δg : g 0 7→ δg,g0
Pour g ∈ G on définit à partir de cette base l’opérateur unitaire
ug (δg0 ) = δgg0
On note que g 7→ ug est un morphisme de groupe. Notons vN (G) l’algèbre
de von Neumann engendrée par les ug et définissons sur vN (G) l’état φG
par
φG (a) = (a(δe ), δe ), a ∈ vN (G)
Alors (vN (G), φG ) est un espace de probabilité non commutatif. C’est
cet exemple qui a motivé la construction du concept de probabilité libre
par Voiculescu. En effet supposons que le groupe initial G est le groupe
libre à n générateurs a1 , . . . , an et nommons A1 , . . . , An les algèbres de von
Neumann générées respectivement par ua1 , . . . , uan . Maintenant prenons
un éléments x ∈ vN (G) qui s’écrit x = b1 b2 . . . bp avec bj ∈ Aij , ij 6=
ij+1 et supposons que φG (bj ) = 0 pour tout 1 ≤ j ≤ p. Nous pouvons
montrer que dans ce cas φG (x) = 0 également. Pour le voir facilement sans
s’encombrer avec le cadre des algèbres de von Neumann, restreignons-nous
au cas où
rj rj
X X
bj = cj,k ukai = cj,k uaki
j j
k=−sj k=−sj
2
Comme φG (bj ) = 0 on a c0,j = 0 et finalement
X X
φG (x) = c1,k ukai1 . . . cp,k ukaip δe , δe
k6=0 k6=0
X
= c1,k1 . . . cp,kp δak1 ...akp , δe =0
i1 ip
k1 ,...,kp 6=1
φ(x) = 0
Deux éléments a et b de A sont dits libres entre eux si les algèbres engendrées
par ces deux éléments sont libres entre elles.
Ce concept est à mettre en parallèle avec le concept d’indépendance dans le cas
commutatif que nous rappelons ici.
Définition 3 Indépendance : Soit (A, φ) un espace de variables aléatoires clas-
siques, (Ai )i∈I des sous-algèbres de A contenant l’identité. Les sous-algèbres
sont dites indépendantes si pour tout élément x = ai1 . . . aip avec aij ∈ Aij , φ(aij ) =
0 et ii 6= ij pour tout 0 ≤ i < j ≤ p on a
φ(x) = 0
µa+b = µa µb
1 1
De même si a, b ≥ 0, la loi de a 2 ba 2 est uniquement déterminée par µa et µb .
On la note a b.
3
Proposition 3 Version libre du théorème central limite [7]: Soit (an )n≥0 une
suite de variables libres entre elles et de même loi µ telle que µ(X) = 0. Alors
Pn
i=0 ak
√ −→ SC(0, µ(X 2 ))
n
La démonstration de ces trois propositions repose sur la construction d’une fonc-
tion analytique jouant le même rôle que la fonction génératrice des cumulants
dans le cas classique. Nous verrons plus en détail ceci dans la prochaine section.
Terminons juste ce paragraphe sur deux résultats importants qui établissent le
lien entre matrices aléatoires et probabilités libres en rendant concrète la notion
de liberté.
Théorème 1 [2] Soit An , Bn une suite de matrices hermitiennes bornées de
taille n × n telles que µAn 7→ µ1 et µBn 7→ µ2 dans la topologie faible-?, avec µ1
et µ2 à support compact. Soit Un , Vn deux matrices unitaires aléatoires suivant
la mesure de Haar. Alors si on pose A0n = Un An Un∗ et Bn0 = Vn Bn Vn∗ , on a
µA0n +Bn0 7−→ µ1 µ2
2 R-transformée et combinatoire
Revenons un instant au cas classique. La loi de la somme de deux variables
aléatoires a et b indépendantes de loi respectives ν1 et ν2 est uniquement
déterminée par ces deux lois : c’est la convolution de ν1 et ν2 , notée ν1 ∗ ν2 . Il
est donc possible de calculer les moments de ν1 ∗ ν2 à partir de ceux de ν1 et
ν2 . Cependant la formulation est compliquée et il est plus simple de passer par
des quantités alternatives. Notons ΦX la fonction caractéristique d’une variable
aléatoire X. Alors l’indépendance de a et b garantit que
log Φa+b (ξ) = log (Φa (ξ)Φb (ξ)) = log Φa (ξ) + log Φb (ξ)
1
cn (X)ξ n pour a, b et a + b,
P
Donc si il est possible d’écrire log ΦX (ξ) = n≥1 n!
alors on a cn (a + b) = cn (a) + cn (b). cn (a) est appelé le n−ième cumulant de a.
De la même manière si (ai )0≤i≤p est une famille de variables aléatoires, on peut
définir la fonction
X
Ga1 ,...,ap (X1 , . . . , Xp ) = log E exp ai Xi
4
On peut inverser cette formule grace à la fonction de Moebius associée à l’ordre
naturel sur Part(n) (induit par l’inclusion des blocs) pour obtenir les cumu-
lants généralisés à partir des moments du n−uplet. Ceci donne une définition
alternative de ces cumulants généralisés ne faisant pas intervenir la fonction
caractéristique.
Il se trouve que l’on peut recommencer exactement la même construction dans
le cas d’un e.p.n.c en utilisant les partitions non-croisées à la place des partitions
[6].
Définition 4 Une partition P ∈ Part(n) est dite non croisée si pour tous blocs
B, B 0 ∈ P , {i1 < i2 } ⊂ B et {j1 < j2 } ⊂ B 0 avec i1 < j1 < i2 on a la relation
kn (a + b) = kn (a) + kn (b)
n
Pour a ∈ A posons Ga (z) = n≥0 φ(a ) n
P P
z n+1 et Ra (z) = n≥0 kn+1 (a)z . Nous
avons notamment que si a et b sont libres entre eux, Ra+b = Ra + Rb . De plus
la construction des kn (a) donnée auparavant implique la formule d’inversion [6]
1
Ga (Ra (z) + ) = z
z
Or il se trouve que
R G1a est juste la transformée de Cauchy de la mesure µa , c’est
à dire Ga (z) = R z−x dµa (x) (z 6∈ Supp(µ)). Ceci donne une machinerie [7]
pour calculer la somme libre de deux lois µ et ν (à condition que ce soit une loi
à densité):
• Calculer la transformée de Cauchy de µ et ν
5
• Calculer Gµν en appliquant Rµ + Rν dans la formule d’inversion.
• Retrouver la densité de µ ν grace à la formule générale pour λ mesure
réelle à densité
dλ(x) = lim Im[Gλ (x + it)]
t→0
Dans les faits l’algorithme n’est souvent pas facile à réaliser car la formule
d’inversion est difficile à utiliser. Il permet cependant par exemple de calculer la
somme libre de deux mesures de Dirac, ou bien de deux mesures semi-circulaires
[2].
EB : A −→ B
Cette définition pose un problème d’existence qui est résolu par le théorème
suivant [3]:
Théorème 2 Soit A une algèbre de von Neumann munie d’une trace finie et
fidèle φ et soit B une sous-algèbre de von Neumann de A. Il existe une appli-
cation
EB : A −→ B
vérifiant la condition de la définition précédente. De plus on a pour b ∈ B et
a∈A
φ (EB [a]b) = φ(ab)
En particulier si a est libre avec B, EB (a) = φ(a). En revanche l’implication
inverse n’est pas garantie. Il est donc plus sûr de construire le mouvement
Brownien libre sans faire appel à l’espérance conditionnelle.
Définition 6 Un mouvement Brownien libre dans (A, φ), avec φ tracial et
fidèle, est la donnée de:
6
• une famille d’opérateurs auto-adjoints (St )t≥0 avec St ∈ At et telle que
∀0 ≤ s < t, St − Ss ∼ SC(0, t − s) et St − Ss est libre avec As
7
Définition 7 Un biprocessus simple adapté (Ut )t≥0 est une application de [0, ∞)
dans A ⊗ Aop (Aop est l’algèbre A avec l’opération multiplication a ×op b = ba)
telle qu’il existe 0 = t0 < t1 < · · · < tn < ∞ et pour tout 0 ≤ i ≤ n − 1
Ai , Bi ∈ Ati avec
Ai ⊗ Bi ti ≤ t < ti+1
Ut =
0 tn ≤ t
Pour un tel processus on définit l’intégral stochastique
Z n−1
X
Ut ]dSt = Ai (Sti+1 − Sti )Bi
i=0
21
√
Z Z
2 2
k Ut ]dSt k ≤ 2 2 kAt k kBt k dt
8
Formule d’Itô [1] Pour établir la formule d’Itô dans le cas libre, il faut définir
des opérateurs différentiels qui prennent en compte la non-commutativité.
f (x) − f (y)
Z
∂
∆t f (x) = dµSt (y)
∂x x−y
avec µSt ∼ SC(0, t).
Supposons maintenant que f est assez régulière (analytique par exemple). Alors
on a la formule d’Itô libre
Z t
1 t
Z
f (St ) = f (S0 ) + ∂f (Ss )]dSs + ∆s f (Ss )ds
0 2 0
Nous allons terminer cette introduction en donnant deux opérations qui s’apparentent
à une définition libre du calcul de Malliavin [4]. Nous nous plaçons sur l’algèbre
S(H) engendrée par les opérateurs (lh + lh∗ )h∈H . Cette algèbre présente la pro-
priété de pouvoir être injectée dans l’espace de Fock F(H) :
Proposition 6 L’application
A ∈ S(H) 7→ AΩ ∈ F(H)
est une application injective. C’est même une isométrie si on munit S(H) du
produit scalaire h, i. On peut donc l’étendre en une isométrie
avec ∇Ω = 0.
L’opérateur divergence est l’opérateur densément défini par
9
Proposition 7 L’opérateur gradient rapporté à Salg (H) est une dérivation.
C’est à dire pour A, B ∈ Salg (H)
Ces opérateurs présentent une forme beaucoup plus explicite dans le cadre de
l’expansion par chaos des processus libres, que nous ne présenterons pas ici.
Ils permettent d’obtenir des théorèmes de comparaison entre la loi de variables
aléatoires non commutatives engendrées par un mouvement Brownien libre et
une loi semi-circulaire [4] ( de manière analogue au théorème de Nualart et
Peccati dans le cas classique [5]).
En particulier pour tout espace de probabilité (Ω, F, P), L∞ (Ω) est une algèbre
de von Neumann, comme sous-algèbre fortement fermée de B(L2 (Ω)). On peut
montrer que dans ce cas la topologie forte est équivalente à la convergence sim-
ple (alors que la topologie norme est équivalente à la topologie convergence
10
uniforme).
La propriété importante des algèbres de von Neumann est qu’une algèbre de
von Neumann A est engendrée par les projections contenues dans A [3] (au sens
que c’est la fermeture forte de l’espace engendré algébriquement par ces projec-
tions). C’est justement la généralisation de l’espace des fonctions mesurables
bornées sur un espace de probabilité, qui sont engendrées comme limite simple
de combinaisons linéaires d’indicatrices d’événements mesurables.
References
[1] P. Biane and R. Speicher. Stochastic calculus with respect to free brownian
motion and analysis on wigner space. Probability theory and related fields,
112(3):373–409, 1998.
[5] D. Nualart and G. Peccati. Central limit theorems for sequences of multiple
stochastic integrals. The Annals of Probability, 33(1):177–193, 2005.
[6] R. Speicher. Free calculus. arXiv preprint math/0104004, 2001.
[7] D.V. Voiculescu, K.J. Dykema, and A. Nica. Free random variables, vol-
ume 1. Amer Mathematical Society, 1992.
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