Thèse
Thèse
Thèse
Thèse de doctorat
En sciences du langage
Introduction générale……………………………………………………………………….. 02
Introduction………………………………………………………………………………...… 07
Le cadre théorique………………………………………………………………………...… 08
Le cadre méthodologique…………………………………………………………… 26
Conclusion………………………………………………………………………………….… 47
Bibliographie…………………………………………………………………………………………. 251
Annexes……………………………………………………………………………………………… 261
En allant à leur rencontre pour discuter avec eux des langues à l’école, en général, et du
français, en particulier, sans jamais perdre de vue l’impact que pourrait avoir sur eux ce qui se
dit ou s’entend à propos de ces langues autour d’eux, c'est-à-dire dans leur vie quotidienne en
rapport avec le bilinguisme social en cours, je me situe donc dans un cadre théorique global
qui est celui de la sociolinguistique. En effet, je pars de l’hypothèse selon laquelle les
fonctions de langues vernaculaires, véhiculaires, de réussite ou d’échec social, etc., qu’on
attribue à chacune de ces langues tout comme les sentiments qu’on éprouve à leur égard, ont
un ancrage social. Les discours qui les concernent le sont aussi. Mais en choisissant le milieu
scolaire et plus précisément des candidats au baccalauréat, je souligne combien il est
important, pour moi, enseignante dans un département universitaire de français, de
comprendre le fondement social des imaginaires autour du français dont témoigne la parole de
ces élèves finissant un parcours scolaire essentiellement en arabe et se préparant à un cursus
universitaire en français. La préoccupation du pédagogue et du didacticien n’est donc pas
lointaine même si elle est ici en amont puisque la recherche cible la compréhension des
mécanismes de fonctionnement à la base des attitudes exprimées à l’égard du français par des
locuteurs engagés dans un examen en arabe pour entreprendre des études en français ou de
français2.
1
De Tizi-Ouzou, une des principales villes kabylophones.
2
Il y a bien sûr ceux qui seront orientés vers des filières enseignées en arabes (psychologie, droit…) vers les
langues arabe, française, anglaise…
Je précise, toutefois, que ces discours bien qu’authentiques ne sont pas tout à fait spontanés
puisque je les provoque et je pourrai même dire qu’en les (re)centrant sur les langues, en
relançant leurs auteurs, etc., je participe à leur élaboration sans avoir l’intention de faire
produire telle parole ou telle mise en mots ou en discours. Par conséquent, ce sont des
discours co-produits dans des échanges intersubjectifs sur ces langues. Ce qui exige la
praxématique comme mode de recueil et d’analyse de ces discours car ce qui est recherché ce
sont surtout les manières avec lesquelles les représentations autour du français s’y élaborent
en tant que processus et non pas en tant que produit, c'est-à-dire définitif et figé.
Il n’est pas non plus, en effet, question de mises en mots ou en discours spontanées telle
que, par exemple, les productions écrites dont le sujet principal ne concerne pas la façon avec
laquelle on voit le français parmi les langues présentes dans l’univers social et pédagogique
des élèves ‘’interrogés’’: lettres, compositions sur table, devoirs de maison… Sans doute, ce
type de productions discursives contient des éléments épilinguistiques pouvant renseigner sur
l’imaginaire des auteurs en ce qui concerne cette langue. Toutefois, ces mises en mots du fait
qu’elles sont beaucoup plus produites (bien qu’elles constituent des réponses à une question
en situation pédagogique) que co-produites dans un cadre d’échanges directs, elles sont plutôt
à soumettre aux procédés de l’analyse du contenu. Et c’est, de ce fait, tout l’aspect interactif,
intersubjectif, dialogal et dialogique/polyphonique, à la base du processus de la construction
linguistique de ces représentations, qui est évacué. Or, l’inscription du sujet dans sa parole
tout comme la gestion et la négociation du sens en train de se produire constituent, pour moi,
ce qui fait de ce projet un sujet de sciences du langage. Autrement dit, ce n’est pas
uniquement ce qui est dit à propos du français, en compétition avec l’arabe, le kabyle et
l’anglais qui m’intéresse. Les modalités de sa mise en discours sont encore plus importantes.
Ce que cible la présente étude réside aussi dans ce qui est passé sous silence sous forme de
non-dits, d’autocensures, de camouflages et d’évitements stratégiques ou inconscients; car
dans les deux cas il faut y dégager les indices et les ingrédients linguistiques dans la
perspective de reconstituer les processus qui sous-tendent ces représentations. Il est donc
plutôt question de provoquer la parole de ces lycéens dans le cadre d’entretiens centrés sur la
manière avec laquelle ils perçoivent le français ou, pour être précis, sur ce qu’ils acceptent de
(me) dire à propos du français dans cet univers scolaire et social.
Ici, la démarche praxématique semble adéquate. En adoptant ses principes, les entretiens
dépassent l’échange classique questions/ réponses pour faire de l’investigation verbale:
interroger ce qu’on présente comme des vérités générales souvent perçues comme inutiles à
démontrer comme le français est une langue de sciences et de culture, une belle langue ou
une langue dépassée par l’anglais… Il s’agit, en partie, de préciser ce qu’il y aurait de beau
dans cette langue qui, faut-il le rappeler, est évaluée en rapport avec l’arabe, le kabyle et
l’anglais. En quoi le français est-il scientifique ? Qu’est-ce qu’il y a de scientifique et de
culturel dans cette langue? Pourquoi la considère-t-on ainsi ? Les autres langues (pas
seulement l’arabe et le kabyle) ne seraient-elles pas scientifiques et/ou culturelles alors? Bref,
comment catégorise-t-on ces notions parmi d’autres?
1.1. Introduction:
En m’inscrivant dans l’orientation sociolinguistique de langues en contact, je fais mienne
l’affirmation selon laquelle les langues sont égales de principe: elles sont toutes doublement articulées.
Mais elles n’ont pas les mêmes fonctions sociales. Cette inégalité, dans les fonctions sociales qu’elles
remplissent, a des répercussions sur les façons de les percevoir, d’en parler, sur les façons d’adopter
des attitudes à leur égard, à l’égard de leurs locuteurs, et même des comportements faisant que
certaines sont recherchées et considérées plus faciles à connaître, à apprendre quand d’autres sont
fuies et dites «difficiles» ou «compliquées». En effet, parler une langue inconnue ou parler mal un
français ou un anglais, par exemple, est de moins en moins qualifié, comme autrefois, de chinois ou
encore de chinoiserie. Cela a sans doute un rapport avec le poids économique de la Chine dans la
mondialisation en cours qui fait que le chinois devient petit-à-petit une langue ‘’désirée’’. C’est
pourquoi on relativise la complexité et les difficultés de son apprentissage liées, entre autres, au grand
nombre d’idéogrammes qui lui sert d’écriture.
C’est dire que les langues en elles mêmes sont ‘’pour rien’’ dans ce qu’on leur attribue comme
valeurs ou vices. Ce sont les locuteurs qui les utilisent aussi bien dans la vie de tous les jours que dans
le cadre de la parole élaborée (à l’écrit plus qu’à l’oral) qui sont à la base des façons de les voir, de les
classer, de les rechercher ou de les abandonner…
Ainsi, les fonctions sociales des langues ont un rôle déterminant dans les façons avec lesquelles ces
dernières sont catégorisées par les locuteurs. C’est pourquoi il me semble nécessaire de prendre en
considération le statut du français dans l’espace social où évoluent les élèves auprès de qui je sollicite
des discours épilinguistiques justement, mais aussi ceux de l’arabe et du kabyle avec qui cette langue
partage des domaines sociaux mais surtout scolaire pour ce qui concerne, en premier lieu, la présente
étude.
Je fais également mienne l’idée selon laquelle contourner ou évacuer ma subjectivité dans le
traitement d’un objet aussi politique, car il est géré institutionnellement, que polémique, car il fait
partie de l’ensemble social (auquel j’appartiens d’ailleurs), ne relève pas de l’objectivité mais, bien au
contraire, ressemble à une abstraction des enjeux de la réalité complexe et dont la saisie est encore
plus complexe.
Voilà qui m’amène donc à m’interroger sur les voies et les moyens de recueillir et d’analyser des
paroles auxquelles je participe. Ce n’est pas que j’ignore que ces voies et ces moyens constituent en
réalité un bloc: c’est pourquoi je les mets dans le même chapitre. Tout juste que pour un besoin de
clarté, je les présente sous forme de deux sous-chapitres complémentaires.
R. Lafont (1976: 71) la définit comme étant «une théorie post-structuraliste basée sur l’étude des
phénomènes dynamiques du langage: production du sens en discours, production des niveaux de
réalité dans la représentation du monde». C’est, selon P. Siblot (1988: 73), une «théorie de la
production linguistique de sens qui a explicitement posé les principes à partir desquels elle s’applique
à élaborer des modélisations de la signifiance en langage». De ce fait, comme le soulignent J.M.
Barberis et F. Gardes-Madray (1986: 37), elle dépasse et rompt avec «la dichotomie saussurienne
langue/parole dans laquelle s’ancrent les développements structuralistes […] d’une conception qui
traite le sens en produit et omet la question du comment ce sens est-il produit? Selon quelle
dynamique discursive?»
Durant les premières années de la formulation de cette théorie, ces chercheurs l’ont appliquée à
des œuvres littéraires (écrites) ; mais très vite ils élargiront leurs corpus aux productions orales co-
construites dans l’esprit d’analyser le dire en actes, en même temps que paraissaient les premières
publications liées aux théories de l’énonciation, des actes du langage, de la pragmatique, de l’analyse
du discours, de l’analyse conversationnelle, des interactions verbales et de la sociolinguistique, co-
variationniste d’abord, interactionnelle, ensuite, et urbaine, enfin.
2.1.2.1. Le praxème
Le praxème n’a donc pas un sens déterminé, figé. Il est actualisé en discours. C’est en fonction de
cette actualisation qu’il produit tel ou tel sens. Pour R. Lafont, que cite F. Tollis (1990: 136), le
praxème est l’ «objet linguistique présent au lieu [x] de la communication, qui symbolise l’agir concret
et l’objet extérieur». Il propose d’appeler praxème «ce qui a en charge la dénomination de l’acte et de
l’objet […] », et parapraxème ce qui sert à «leur inscription dans l’espace et le temps».
Le mot dans le discours reste ainsi lourd de toutes absences, qui continuent à peser sur son sens,
chaque communication nouvelle rejouant le sens construit antérieurement.»
Pour la praxématique, continue Catherine Détrie (2001: 315), «la signifiance est ainsi une somme
de potentialités signifiantes, elles-mêmes constituées à partir de pratiques signifiantes (sociales,
politiques, idéologiques). Le réglage du praxème travaille en restriction la signifiance: parler, c’est
choisir, sélectionner des potentialités, en récusation d’autres discursivement possibles. Il peut travailler
aussi en dérèglement du rapport conventionnel. La praxématique se donne pour tâche d’analyser
comment les réglages intersubjectivement stables (ce qu’on considère naïvement comme des
significations objectives) restreignent la signifiance, comment aussi, par quelles stratégies, la
signifiance resurgit dans les marges de la signification (ratages de parole, figure, etc.)»
Pour la praxématique donc, ce qui est observé c’est à la fois le sens et son processus de production,
processus de production illimité de sens, c'est-à-dire de la signifiance.
Il faut donc insister sur le principe que le praxème n’a pas de sens prédéterminé. Actualisé en
discours (inévitablement interactionnel sous forme de co-construction, de polyphonie ou de
dialogisme: je reviendrai sur cette nuance), il produit du sens: tel ou tel sens. Au cœur d’un échange, il
se trouve entre deux instances: l’une est illimitée (à peu près celle de la langue) et l’autre est celle du
réglage social du sens. Autrement dit, pour qu’il y ait échange (social), c'est-à-dire
intercompréhension, l’aspect illimité (la signifiance) est restreint par ce réglage social du sens, lui-
même pouvant être une multitude d’autres sens dans une nouvelle ou une autre actualisation d’un
‘’même praxème’’.
R. Lafont et F. Madray (1976: 73) définissent la notion d’actualisation comme étant «le mouvement
par lequel la langue devient parole, l’usager passe du système qu’il possède à la réalisation effective de
ce système.»
Entre ces trois instances, écrivent les deux auteurs, il n’y a pas succession linéaire, mais tuilage,
superposition décalée et souvent conflictuelle, comme le signalent les ratages. L’à-dire peut être
représenté comme un chantier où se concurrencent, se télescopent différents programmes vers le
défilés du dire. Le seuil d’actualisation élimine, autant faire se peut, les brouillons, mais la bousculade
au portillon est telle que le travail de sélection est rarement parfait. Se signifie alors, sous forme de
ratages sur le fil du dire et du dit, le travail de l’à-dire. D’autre part, tandis que le dire programmé
s’extériorise, l’à-dire, sous-entend les instances du dire et du dit, continue de construire, en
anticipation, les programmes de phrase, et contrôle la production du dire dans son cours, qu’il peut
interrompre, ou faire bifurquer. Mais l’à-dire est, en même temps, soumis aux paroles déjà prononcées,
qui pèsent de leur matérialité sur le déroulement irréversible du flux verbal. Le rapport entre mémoire
du dit et prévision de l’à-dire assure la cohésion du discours en train de se faire, et, lorsque nous
perdons le fil, montre la nécessaire solidarité des trois instances dans le dysfonctionnement même
(perte entre le déjà dit et la suite en cours de programmation)»
En paraphrasant les deux auteurs, je pourrai dire qu’il faudra retenir que durant une production
verbale quelconque, l’à-dire en élaboration du locuteur est à la fois insaisissable et imperceptible, se
trouvant dans l’inconscience. En même temps, il détermine le dire tout en demeurant suspendu à lui.
Alors que le dire déjà programmé s’extériorise ou se déroule, l’à-dire poursuit la programmation à
venir. Au même instant, le dit, matériellement perceptible, définira l’à-dire pour la suite de la
production discursive. A ce sujet, A. Ait Sahlia (1999: 28), souligne l’importance de cette relation
dynamique et conflictuelle: «cette dynamique de la production langagière est le lieu d’un conflit qui se
joue en permanence entre la pulsion communicative du locuteur et les contraintes qui sont imposées à
sa parole par le réglage social du sens (valeurs capitalisées en langue et stockées dans la mémoire,
co-construction interactive de sa parole). L’à-dire, en programmant les phrases à venir, a une
fonction de contrôle du dire. De ce fait, le dit ne doit jamais être considéré comme un texte
définitivement clos».
Toute activité langagière suppose donc un temps de production et un sujet parlant. Celui-ci est, sans
cesse, soumis à une pulsion communicative et une volonté de dire, c'est-à-dire en tenant compte du
réglage social du sens bien que parfois il est aussi question de réglage individualisé du sens engendrant
ainsi d’autres occurrences de significations pouvant conduire à des fractures dialogales. En effet, tout
acte de parole est, selon J.M. Barberis et F. Gardès-Madray (1986: 40), «porté dans son temps de
production par une pulsion communicative, une intentionnalité de dire. Pour se décharger, cette
pulsion met en œuvre des programmes de phrases où la signifiance doit passer, de façon toujours
conflictuelle, à travers le filtre que constitue le réglage social du sens» dont les éléments relevant de
l’interaction verbale constituent l’objet des publications de Catherine Kerbrat-Orecchioni (1998, 2000,
2008, 2009, 2012, 2013).
Ainsi, au cours de l’acte conversationnel surtout et locutoire en général, il n’y a pas une
successivité mais une superposition entre ces trois instances de l’actualisation. Dans une réalisation
langagière, l’à-dire, élaboré par le locuteur, est un temps établi en inconscience, donc imperceptible et
inconnaissable. Il détermine le dire et poursuit la programmation des phrases à venir, quand le dire
déjà programmé s’actualise. L’à-dire contrôle donc le dire et dépend du dit pour la programmation
(de l’à-dire). Et c’est dans cette dynamique langagière que se joue le conflit entre la pulsion
communicative du locuteur et les contraintes permanentes dictées à son discours par un réglage social
et culturel du sens en rapport avec un certain nombre de déterminations psychologiques et
psychanalytiques des interlocuteurs associées à leurs compétences culturelles et à leurs savoirs
implicites, en général, comme le montrent les travaux en Analyse conversationnelle et en Interactions
verbales dont ceux de Catherine Kerbrat-Orecchioni (1998, 2000, 2008, 2009, 2012, 2013). En effet, la
censure qu’apporte le locuteur à certaines réalisations verbales programmées par l’à-dire, affecte le
dit qui porte des traces de perturbation saisissables à travers les diverses formes de ratages. D’une
manière générale, écrit A. Ait Sahlia (1999: 29 ), «il est très rare que le dit d’un locuteur soit en total
adéquation avec sa pulsion communicative». Ce conflit se traduit particulièrement dans les
phénomènes de ratages, habituellement considérés comme des scories, notamment dans l’analyse
conversationnelle, mais qui sont en fait porteurs de sens; de sens en train de se construire, d’émerger et
qui est en même temps de nature à renseigner sur les relations entre les partenaires de l’échange en
cours. (Je reviendrai plus bas sur cette question).
Le dialogisme vaut pour l’énoncé relevant d’un genre du discours dialogal comme pour l’énoncé
relevant d’un genre de discours monologal. Pour M. Bakhtine (1977: 105), toute énonciation, même
sous forme écrite figée, est une réponse à quelque chose et est construite comme telle. Elle n’est qu’un
maillon de la chaine des actes de paroles. Toute inscription prolonge celles qui l’ont précédé, engage
une polémique avec elles, s’attend à des réactions actives de compréhension, anticipe sur celles-ci, etc.
Un énoncé, quel qu’il soit, répond à des énoncés qui l’ont précédé et suscite et anticipe sur des
énoncés ultérieurs qu’il suscite.»
Après avoir distingué entre les concepts de dialogique, dialogal et dialogue, dans un article sous
forme d’une mise au point épistémologique élaborée à partir des trois textes de M. Bakhtine
(Problèmes de la poétique de Dostoïevski, «Du discours romanesque» dans Esthétique et théorie du
roman, et «Les genres du discours» dans Esthétique de la création verbale), J. Bres (2005: 47-61)
justifie la nécessité de ne pas confondre entre le dialogisme et la polyphonie. En effet, constatant un
usage «abusif de dialogique comme d’un équivalent de dialogue» et partant des définitions qu’en offre
le Petit Robert ainsi que de la traduction des textes de M. Bakhtine associée aux travaux sémiotiques
de T. Todorov, il entreprend, en s’appuyant sur le dictionnaire de Détrie C., Siblot P., etc. (2001) et de
celui de Charaudeau P. et Maingueneau D. (2002), de distinguer les deux notions dialogal et
dialogique: «dialogal, écrit-il (2005: 49), pour prendre en charge tout ce qui a trait au dialogue en tant
qu’alternance de tours de parole, disons le dialogue externe pour parler comme Bakhtine; dialogal est
opposé à monologal. Dialogique, poursuit-il, pour prendre en charge la problématique de l’orientation
de l’énoncé vers d’autres énoncés, disons pour faire vite le dialogue interne; dialogique est opposé à
monologique.» Il fait remarquer que cette répartition de domaines n’a pas fait l’objet de travaux: «les
spécialistes du dialogal (l’analyse conversationnelle) tendent à ignorer la problématique du dialogique;
et réciproquement, les spécialistes du dialogique- ou de la polyphonie- tendent à ignorer la
problématique du dialogal» (2005: 50). Il tente alors d’expliciter le lien étroit qui les unie et se
démarque des positionnements théoriques de Todorov et la ScaPoline qui, selon lui, substituent au
concept de dialogisme celui de polyphonie pour remettre en question l’unicité du sujet parlant et en
faire ainsi un metteur en scène, un chef d’orchestre de plusieurs voix distinctes et, du coup, ne pas
prendre en charge la problématique du dialogal (puisque l’énoncé n’est pas dialogique mais
polyphonique, selon eux). Alors que lui préfère celui de dialogisme essentiellement parce que, pour lui
et suivant en cela M. Bakhtine, l’énoncé est toujours une réponse. Il est toujours orienté vers d’autres
énoncés antérieurs ou qu’il suscite, qu’il prévoit, qu’il rencontre, etc. sans le savoir toujours. Il est
aussi porteur des traces de ceux avec qui il est en interaction, c'est-à-dire la réalité première du langage
selon M. Bakhtine. Ces énoncés constituent, en fait, dans la logique de M. Bakhtine, les voix et les
rapports dialogiques tissés dans une performance d’apparence monologale. Les traces de ces voix
peuvent concerner «le discours rapporté bien sûr, la parodie, la bivocalité, l’hybride, l’ironie,
l’interrogation, mais aussi les paragraphes, la division du discours en parties, les points de suspension,
le mot lui-même, ‘’l’insistance sur certains points, la réitération, le choix d’expressions plus tranchées
(ou au contraire moins tranchées), la tonalité provocante, ou au contraire concessive, etc.’’ » (2005:
54). Ainsi, si les marques du dialogal sont explicites celle du dialogique sont souvent implicites, c'est-
à-dire peu visibles, car «les phénomènes dialogiques, précise-t-il (2005: 55), tiennent à l’interaction de
l’énoncé avec d’autres énoncés». Alors que «les phénomènes dialogaux tiennent à l’alternance in
presentia des locuteurs et sont décrits par l’analyse conversationnelle dans leur liaison à l’alternance
de tours de parole. Citons, poursuit-il (2005: 55), parmi les principaux: la gestion des places
transitionnelles, les pauses, les pathétiques et régulateurs, la complétion, le lien de dépendance
conditionnelle, etc. ; les enchaînements syntaxiques comme les anaphores, la continuité thématique,
des actes de parole (une question sollicite une réponse, etc.)». Conclusion: «les phénomènes
dialogaux affectent donc la structure externe, manifeste, de surface de l’énoncé; les phénomènes
dialogiques, sa structure interne, profonde, secrète. Et tous les deux concernent le niveau de l’énoncé
(entendu comme tour de parole dans le dialogal, texte ou discours dans le monologal), même si ces
phénomènes peuvent se marquer bien sûr à des niveaux inférieurs. Les phénomènes dialogaux sont à
rapporter à l’interaction dialogale, qui tient à ce que deux (ou plusieurs) locuteurs partagent un même
élément: le fil du discours, du dire, de l’interaction. Les phénomènes dialogiques sont à rapporter à
l’interaction dialogique, qui tient à ce que le locuteur partage avec d’autres discours, dont celui de son
interlocuteur dans le dialogal, un même objet de discours; plus fondamentalement […] à ce que
l’énoncé ne fait de sens que dans et de cet interdiscours». (2005: 55-6)
S’il est donc évident que le sens est toujours co-construit, cette co-construction pourrait être une
pluralité de voix sans qu’il y ait forcément de tension entre elles, c’est la polyphonie. Mais elle
pourrait aussi être une réplique, c'est-à-dire une (ou des) voix qui répond (répondent) à une (ou à
d’autres): c’est le dialogisme.
3
C’est moi qui rapporte l’éclairage entre les deux crochets.
Voici un long paragraphe de B. Maurer (1999: 150) autour de ce phénomène qu’il considère faire
partie du signifiant en discours: «Le locuteur peut se rendre compte au moment de réaliser un
programme que l’Autre risque de réagir négativement, qu’il n’acceptera pas les termes du dire : il ne
finit pas une phrase, un mot, ou bien encore allonge son dire d’une pause pour laisser à l’activité de
programmation un temps supplémentaire. Le ratage peut être considéré comme tel d’un point de vue
syntaxique en ce sens qu’une phrase programmée en à-dire n’est que partiellement versée dans le dire;
le fonctionnement de la mémoire-prévision de l’à-dire en est ici responsable car le sujet tient compte
de ce qu’il sait de l’Autre et de ses réactions (mémoire) et il s’aperçoit qu’il ne peut réaliser
entièrement le programme par prévision d’éventuelles réactions négatives. La dimension interactive et
dialogique du ratage apparait donc très nettement. Quant au lapsus, il est parfois la trace qu’en à-dire
un autre praxème avait été envisagé: le fait qu’il arrive tout de même au seuil de l’actualisation, se
laisse tout de même entrevoir, dévoile les conflits du sujet qui produit son discours sous la pesée de
l’autre. Outre ces aspects ‘’palliatifs’’ du ratage, assez souvent interprétables donc pour remonter vers
l’activité cognitive des sujets communicants, il faut aussi les considérer comme des moyens utilisés
par les interactants, certes de manière relativement non consciente, pour assurer la cohésion du dire, et
ce à un double niveau. Sur le plan de la cohésion syntaxique des énoncés, ils fonctionnent comme
signaux soulignant l’articulation des discours; on peut remarquer la fréquence importante des
bégaiements, des reprises, des répétitions portant sur des éléments grammaticaux (prépositions,
pronoms, déterminants, conjonctions). Celles-ci, on le sait, jouent un rôle important dans la
construction de la phrase. La répétition aurait pour fonction d’assurer une meilleure cohésion
syntaxique, en mettant en valeur un des éléments importants de l’architecture de la phrase. Ce type
d’hésitation offre donc une possibilité de synchronisation-locuteur et permet la cohésion de
l’interaction verbale. L’incohérent n’est donc tel qu’en apparence; le ratage est en réalité signifiant,
dès lors qu’on se donne les moyens de le penser en relation avec les processus de production de sens,
qu’on le relie à la tension interdiscursive, au dialogisme interpersonnel et aux activités de
programmation qui sous-tendent le dire. »
4
«Mêmeté» par opposition «altérité», notamment dans la thèse de A. Ait Sahlia-BenAissa (1999).
1.2.1.3.3. L’Ici et l’Ailleurs de la personne
Toute personne produisant un discours manifeste par cet acte son existence et son appartenance à
un espace social et géographique. Toute interaction verbale suppose donc un sujet parlant qui
manifeste sa présence au monde et procure de la réalité à son discours par une marque linguistique
« je ». Ce « je », marque de présence du locuteur, est, selon R. Lafont et F. Gardès-Madray (1976: 90),
«le critère absolu que le monde existe, et que le langage est ancré, comme locution, dans cette
existence ». En effet, toutes les langues sont dotées de marques linguistiques qui montrent l’existence
au monde de celui qui parle.
C’est donc à partir du «je», marque de la présence du sujet au monde, que l’Ici et l’Ailleurs de sa
parole se dessinent. Et par là même, se déterminent les fréquences temporelles, envisagées en
«ascendance» ou en «descendance»: notions empruntées à la linguistique guillaumienne par la
praxématique où le temps ascendant «correspond à un flux temporel qui tend vers l’avenir du sujet, et
le temps descendant à un flux qui tend vers son passé» (A. Ait Sahlia, 1999: 31).
Toute interaction suppose donc un «je» qui s’adresse à un «tu». Ces deux marques linguistiques
sont interchangeables selon les besoins de l’interaction. «Je» et «tu» sont, selon le propos de A. Ait
Sahlia (1999: 32) «deux formes d’une même personne: le couple je/tu est une fracture dans la
personne qui correspond à l’inscription de celle-ci dans l’ici de l’espace discursif qu’elle dessine.
L’ailleurs de la personne, ou non- personne, est rejeté en ça ».
Dans une interaction verbale, «je» et «tu» sont en mouvement puisqu’ils peuvent être permutables.
Cette dynamique verbale amène à envisager le Même et l’Autre en discours et à rendre compte donc
de l’Ici et l’Ailleurs de la personne avec tout ce que cela suppose comme stratégie de promiscuité ou,
au contraire, de distanciation sémantique que traduit, par exemple, l’emploi de marques inclusives ou
exclusives, endogroupales ou exogroupales. En effet, précise M. Bakhtine (1977: ), « le discours
n’émerge que dans un processus d’interaction entre une conscience individuelle et une autre, qui
l’inspire et à qui elle répond»
Ainsi, dans un échange, chacun des partenaires tente d’agir sur son ou ses vis-à-vis en mettant en
œuvre ses stratégies d’influence. En effet, insiste M. Bakhtine, parler c’est communiquer et
communiquer c’est interagir. D’où l’inévitable caractère dialogique des contenus des échanges
dialogaux: c’est pourquoi, pour O. Ducrot (1981: 82), il y a dialogisme dès que deux ou plus de deux
voix se disputent un seul acte de locution. Ainsi, les formes de la présence de l’Autre dans le discours
participent de façon déterminante à la constitution du sujet parlant en reconfigurant à chaque fois les
paramètres du rapport à l’Autre, de l’Ici à l’Ailleurs de sa personne. A ce propos, M. Bakhtine (1977:),
écrit: « je ne peux me percevoir moi-même dans mon aspect extérieur, sentir qu’il m’englobe,
m’exprime…en ce sens, on peut parler du besoin esthétique que l’homme a d’autrui, de cette activité
d’autrui qui consiste à voir, retenir, rassembler et unifier et qui seule peut créer la personnalité
extérieurement finie; si autrui ne l’a pas crée, cette personnalité n’existera pas».
Ces ensembles fonctionnent comme une espèce de régulateurs sociaux à la base des attitudes et des
comportements adoptés aussi bien à l’égard des membres du groupe d’appartenance sociale, culturelle,
etc., que des objets et autres enjeux d’intérêts matériels et symboliques. Ils sont, par conséquent,
étroitement liés aux attitudes dont ils sont la base et des comportements à partir desquelles ils sont, en
partie, forgés. Voilà trois instances constitutives d’une boucle. Une boucle en évolution car elle est
sociale. Et comme tout objet social, elle est sujet à mutation bien que le commun des membres du
groupe ne s’en rend pas toujours compte car, justement, cette évolution fait partie de la mutation
sociale dans sa globalité.
A mon avis, par outil, il faut retenir l’idée de saisie d’un objet matériel ou immatériel de manière
consciente ou pas pour s’en servir à des fins personnelles et/ou sociales. Ces fins peuvent être celles de
réussite ou de survies sociales, culturelle, économiques, etc. Se servir d’une arme pour survivre dans
une lutte meurtrière serait-il de l’ordre du conscient ou de l’inconscient, motivé par l’instinct de
survie? Comme outil, les représentations sociales pourraient donc être un outil soit d’intérêt social
(pour une meilleure socialisation, une meilleure réussite ou survie sociale, etc.), soit de description de
leurs fonctionnements dans les groupes qui les forgent, les adoptes/adaptent: c’est ce dont se chargent
les scientifiques de diverses disciplines liées aux sciences sociales et humaines. Et dans ce dernier cas,
dans lequel je me situe, la question se posera différemment selon que je m’occupe de leur structure
psychique ou de leurs manifestations sociales, en général, et linguistiques, en particulier. Ma posture
étant celle d’étudiante en sciences du langage, il est évident que le point de vue à partir duquel je me
propose de décrire ici les représentations sociales du français dans les discours épilinguistiques de
Tizi-Ouzouéens, candidats au baccalauréat de 2011, est celui de leurs élaborations linguistiques dans
le cadre des échanges réalisés avec eux. Des élaborations auxquelles je prends part et qui, de ce fait,
constituent une co-élaboration avec tout ce que cela pourrait impliquer comme co-construction mais
aussi tension dans le réglage du sens dans les propos extériorisés dans des conditions particulières de
production liées au contexte social, politique, culturel et économique dans lequel nous évoluons, mes
interlocuteurs et moi. Voilà une autre nuance à préciser car s’il est possible 5 , en effet, que ces
représentations en tant qu’organisation psychique existent comme catégorisation du français, elles
peuvent prendre des formes discursives et significatives différentes, voire non soupçonnées au fur et à
mesure des tours de paroles échangées et révéler des lieux de partage, de désaccord ou de
malentendus discursifs porteurs de traces des perturbations de nos activités signifiantes respectives.
L’organisation du discours est donc porteuse de sens puisqu’elle pourrait engendrer du sens.
J’aurai, en effet, à le montrer plusieurs fois, au moins au niveau dialogal des échanges enregistrés,
comment les interprétations rétroactives de propos antérieurs pourrait me conduire à reformuler, sous
5
En s’étonnant du sujet de certaines de mes questions, certaines élèves en disant en même temps qu’ils ne se
sont jamais posés ce genre de questions, n’ont-ils pas a priori de représentations en tant que structure?
l’effet dialogique de l’interdiscours, mes questions, mes suggestions et projets de (re) prise de parole
dans l’interactivité langagière qui me lie avec mes partenaires des échanges verbaux.
Il s’agit donc pour moi des représentations, au pluriel, c'est-à-dire comme forme et moyen de
communication qui, en portant les traces de l’activité épilinguistique des interactants et en prenant
appui sur la représentation comme structure cognitive, rend compte du processus interactif de la co-
construction du sens à propos du français en compétition avec l’arabe, le kabyle, l’anglais, voire
l’allemand, l’espagnol… Ce sens est donc à saisir dans cette double dimension que constituent, d’un
côté, la représentation et, de l’autre côté, les représentations que les marques dialogales et dialogiques
des discours échangés font ressortir sous une forme dynamique et temporairement achevées.
Inutile donc de rappeler, au risque de me répéter, qu’à la lumière de ces précisions, l’objectif dans
la présente étude est de saisir dans la matérialité verbale des discours sollicités, les traces dialogale et
dialogique de nos activités épilinguistiques (mes partenaires de l’échange et moi-même) concernant le
français en rapport à l’arabe, au kabyle, à l’anglais… Il ne s’agit pas en fait des représentations du
français comme produit fini mais de ces représentations en train de se construire dans les aléas des
échanges avec mes partenaires. En déconstruisant cette construction finie/enregistrée et transcrite (je
reviendrai plus loin ces aspects méthodologiques de recueil et d’analyse de mon corpus), l’analyse
consiste à faire ressortir son fonctionnement épilinguistique. Qu’est-ce qu’on entend donc par discours
et activité éplinguistique?
Généralement, on qualifie d’épilinguistiques les discours que tient un locuteur non averti sur les
langues et les pratiques langagières le plus souvent d’autrui mais aussi le concernant. Ainsi dit, cela
pourrait faire croire que seuls les non-avertis serait des auteurs de discours épilinguistiques. Et on
pourrait s’interroger sur l’identité de ces non-avertis: qui sont-ils? Les non spécialisés dans l’étude des
langues? Les discours sur les langues et les pratiques de langues que tiennent les autres scientifiques
seraient-ils épilinguistiques? Pourquoi ne le seraient-ils pas?
La notion d’activité épilinguistique est introduite par A. Culioli (1968-1990). Celui-ci la définit
comme une activité métalinguistique non consciente qui laisse des traces de subjectivité d’inspiration
culturelle ou autres et des prises de position idéologique dont l’auteur n’est pas toujours conscient ou
qu’il range dans des logiques partisanes. Il la distingue de l’activité métalinguistique délibérée et
consciente dans laquelle la langue ou les langues sont des objets d’analyse fondée théoriquement et
constituée méthodologiquement. Dans la théorie de A. Culioli, la première relève du domaine du
‘’formulable’’, la seconde du ‘’formulé’’. En effet, l’activité épilinguistique est invisible puisqu’elle
est mentale et non consciente. N’en est visible linguistiquement que les marques de cette activité,
observable dans la pratique langagière du sujet énonciateur dans l’interaction sociale avec autrui. En
effet, écrit C. Canut (1998: 70), les discours épilinguistiques qui «émergent de manière singulière en
interaction, ne sont pas des produits ‘’finis’’ mais s’inscrivent dans une dynamique, une activité
épilinguistique, propre à chaque sujet, dans son rapport à l’autre en discours». Et l’activité
épilinguistique, poursuit-elle (1998: 71), permet «de rendre compte d’une manière dynamique du
rapport du sujet au lecte (s), le sien ou celui des autres».
Les activités épilinguistique et métalinguistique ne s’opposent donc pas en termes de position
subjective dans le premier cas et de position objective dans le second. La difficulté de préciser les
critères définitoires des deux cas possibles fait que théoriquement il est plus prudent et même plus
proche de la réalité de s’en tenir à la proposition d’A. Culioli car elle distingue non pas entre les
locuteurs mais entre les types de discours.
En effet, bien que supposée être avertie, au moins du fait que je suis titulaire d’un magister en
sciences du langage, on verra que mon discours, en dépit de ma feuille de route établie sur le principe
de la neutralité dans le traitement de la question que je me propose de débattre avec mes partenaires
d’échange, est aussi traversé de traces indicatrices de supposés culturels, collectifs et individuels qui
ne sont pas recevables pour certains de mes partenaires et dont le fonctionnement sémantique n’est pas
toujours celui que je crois avoir conçu, formulé, extériorisé…
Les frontières entre les discours épilinguistique et métalinguistique sont en réalité difficiles à établir
quand on se positionne dans la perspective théorique de la linguistique de la complexité et quand on
admet l’importance et l’implication du temps aussi bien dans l’observation d’un objet social comme la
ou les langues que l’évolution de l’objet lui-même. Autant préciser alors le point à partir duquel je
provoque, recueille, transcris et analyse la parole de ces élèves qui ont accepté de discuter avec moi au
sujet du français à l’école et à l’université ; car tout me parait être aussi une question de pratiques
discursives. Ce sont d’ailleurs ces pratiques discursives que je propose de déconstruire pour faire
ressortir les procédées d’élaboration des représentations du français en rapport avec l’arabe, le kabyle,
l’anglais, l’allemand…
Or, comme le souligne P. Moliner (1996: 96), « quiconque s’est intéressé aux représentations
sociales au point d’aller enregistrer les discours, observer les pratiques, aura sans doute été frappé de
la diversité et de l’homogénéité des corpus recueillis. Chaque individu nous rapporte une histoire
différente, avec des mots différents et une logique différente. Dans le même temps, toutes ces histoires
se ressemblent, tous ces mots se rejoignent, toutes ces logiques se retrouvent».
Dans la même logique B. Maurer (1999: 86) écrit: «Quiconque a procédé à des enquêtes sur les
représentations des langues aura par exemple remarqué qu’au-delà d’un nombre finalement peu élevé
de témoins interrogés, une ou deux douzaines à peine, les discours se répètent, les images se rejoignent
et, parfois même, des formules identiques reviennent. Derrière la diversité de leurs discours, les sujets
se prêtant de bonne grâce aux enquêtes ne s’appuient-ils pas sur des visions du monde souvent assez
proches, relativement partagés, sur des représentations communes à des groupes plus larges?
L’hypothèse d’une dimension sociale des représentations que nous construisons est une hypothèse au
moins… raisonnable, sinon définitivement fondée. Mais derrière ce que disent les gens, comment être
sûr de ce qu’ils disent, conçoivent, se représentent? Ne racontent-ils pas un peu ce qu’ils veulent, ce
qu’ils sont prêts à dire, voire même ce qu’ils pensent que le chercheur attend d’eux?»
En effet, consciente de ces limites et de ces difficultés dont rendent comptes les chercheures en
sciences sociales, en sciences du langage, etc., et sur lesquelles s’appuient les théoriciens de la
linguistique de la complexité et dont les précurseurs sont des sociolinguistiques de renom (L. J. Calvet,
2002, 2004, 2007; Ph. Blanchet, 2000, 2007, 2012 ; D. de Robillard, 2007, etc.,), j’ai construit un
cadre théorique qui appelle ainsi une méthodologie appropriée allant de l’analogique au digital, selon
la formule de L.-J. Calvet (2004).
La construction de mon corpus passe, de ce fait, par deux étapes. La première est analogique. C’est
ma pré-enquête. J’y adopte, en effet, le questionnaire ouvert associant des questions d’identification ou
objectives pour classer les auteurs des réponses selon leur appartenance sexuelle, la filière dans
laquelle ils sont inscrits, etc., et des questions d’opinion visant à faire mettre en mots (écrits6) ce qu’on
penserait du français dans le contexte scolaire des élèves qui ont accepté de me répondre. Dans mon
enquête proprement dite, je sollicite des discussions avec des élèves sélectionnés selon leur
disponibilité et le profil retenu dans la pré-enquête pour désambiguïser ces ‘’mises en mots’’ en
m’appuyant sur un guide d’entretien élaboré en fonction des résultats des analyses (du contenu) des
données fournies par la pré-enquête. C’est une démarche digitale durant laquelle ces discussions, en
dépassant le classique question-réponse, sont conduites de telle manière à libérer la parole en
choisissant de demander des clarifications autour des mots et des tournures employées par mes
6
Comme je l’ai mentionné plus haut, ces réponses écrites comme d’ailleurs toutes les productions écrites sont,
en réalité, travaillées silencieusement selon les logiques du rapport entre la signifiance et le réglage social (qui
peut être scolaire, éditorial…) du sens. L’idée de mise en mots ici implique la présence dialogique de l’autre
mais exclue celle qui relève du dialogal (avec moi car, comme je l’ai précisé aussi, je n’ignore pas les retombées
éventuelles sur les réponses aux questions du contact avec les parents…)
interlocuteurs, de contredire, preuve à l’appui, de relancer, de recentrer…. Les données verbales
enregistrées de ces échanges constituent donc mon corpus. On voit bien que l’investigation
quantitative dans la pré-enquête sert l’investigation qualitative de l’enquête. En effet, les partenaires
des échanges conduits dans ce cadre ont pris part à la pré-enquête et qu’ici il est attendu d’eux des
éclairages, des explications, des explicitations; bref, une désambiguïsation des propos déclarés en
réponse au questionnaire. Ce n’est naturellement pas une espèce d’interrogatoire à vocation de faire
expliquer ces propos comme si ces derniers sont retenus contre chacun d’eux. Ces propos permettent
de personnaliser en quelque sorte le guide d’entretien commun à l’ensemble des participants aux
échanges.
1.3.1. La pré-enquête:
Depuis que j’enseigne au département de français, j’ai toujours profité de la séance de prise de
contact, au début de l’année universitaire, pour demander à mes étudiants de première année, d’abord si
leur inscription en licence de français relève de leur choix (premier, deuxième, troisième, etc.) ou non
et, ensuite, les raisons à la base de celui-ci lorsqu’il est confirmé ainsi que pour lesquelles le français ne
figure pas du tout dans la fiche de vœux. Selon qu’on ait choisi le français en premier, en deuxième, en
troisième lieu, etc., ou pas du tout, les justifications exprimées traduisent les opinions des uns et des
autres en renvoyant parfois aux référents culturels et civilisationnels de cette langue, parfois à la façon
avec laquelle celle-ci a été enseignée indiquant en même temps son poids dans la scolarité pré-
universitaire. A mes questions, sollicitant l’expression des raisons du choix de cette langue comme
licence de formation universitaire, souvent les réponses se répètent et sont concentrées sur des
praxèmes qualifiant le français de «langue de (la) sciences» ou de «(plus) belle», d’ «internationale»,
de «langue d’ouverture», etc., ou sur ceux concernant le rapport à cette langue dans le pré-universitaire.
Quasi-systématiquement, ceux qui choisissent cette licence soulignent «les bonnes notes obtenues en
français» ou encore le «plaisir du cours de français» car l’enseignant(e) de la matière est «cool»,
«sympathique», «décontracté(e)» le plus souvent cités en comparaison à des enseignants d’autres
matières considérés, selon les cas, «lourds», «rigides», «strictes» «renfermés»… L’impact auprès de
l’apprenant de l’image de l’enseignant sur la matière enseignée n’est plus à démontrer. Mais ce n’est
pas le seul argument en faveur ou en défaveur du français qui est, dans la bouche des nouveaux
bacheliers inscrits en licence de français, en concurrence avec l’anglais, lorsqu’il est question du statut
international des langues et avec l’arabe pour ce qui est des études effectuées jusqu’ici. Bien sûr les
arguments sont autres quand il est question des études universitaires d’autant plus qu’on découvre ou
confirme, au fur et à mesure, que leurs camarades, inscrits dans des filières scientifiques ou technique
(biologie, mathématiques, physique, chimie, électronique, etc.), étudient exclusivement en français.
Ainsi, on soulève, sous forme presque de protestation, cette rupture dans la langue d’acquisition des
savoirs sans se soucier des difficultés d’adaptation des nouveaux bacheliers appelés à fournir un double
effort pour acquérir en même temps les savoirs et la langue avec laquelle ces derniers sont dispensés,
comme si celle-ci est totalement étrangère aux nouveaux étudiants! Cela témoigne au moins du statut
attribué au français à l’école faisant de son enseignement peu d’importance; lorsque l’idéologie
ultraconservatrice n’est pas mêlée pour diaboliser son acquisition par le jeune musulman et révéler du
coup non seulement le lourd fardeau du passé colonial, dont il est chargé, mais aussi son lien à la fois
philosophique et politique avec la laïcité perçue ou dite ennemie de la religion… musulmane.
Ainsi, en m’inscrivant dans la logique méthodologique de Ph. Blanchet7 (2000/2012 et 2007) pour
qui, faut-il le rappeler, être scientifique dans notre domaine, celui des langues, des cultures et des
sociétés, c’est dire de quel point de vue on décrit, je peux donc dire que ma pré-enquête a, en effet,
commencé de cette manière. Les implications théoriques de la problématisation de mon sujet ont alors
débouché sur une série de questions liées à la méthodologie à adopter pour construire un corpus qui,
sans prétendre à une quelconque représentativité sociale, sera l’objet d’analyse pour prétendre apporter
des éléments de réponse à la question à la base de la présente thèse: quelles représentations s’élaborent
à propos du français dans les échanges langagiers que je sollicite auprès d’élèves tizi-ouzouèens
candidats au baccalauréat de l’année 2011? Ces questions concernent aussi bien l’échantillonnage, la
ou les langues à utiliser, la ou les méthodes d’interrogations, etc., que la saisie du matériau recueilli et
le mode des analyses à entreprendre.
7
Dans son ouvrage intitulé La linguistique de terrain. Méthode et théorie. Une approche éthnosociolinguistique
… (2000/2012), Ph. Blanchet écrit à la page 16 ceci: ««Il est plus honnête- et aussi plus modeste- de dire de quel
point de vue l’on parle que de neutraliser l’énonciation et de faire comme si l’on exposait une –voire la vérité
universelle.»
En effet, malgré cette précaution seuls trente-huit questionnaires ont été récupérés des soixante-
trois engagés. Au-delà de cette déperdition attribuable, entre autres raisons, à la situation globale du
pays, faite de méfiance et de peur, et au malaise dû aux mouvements sociaux cycliques dans le secteur
de l’Education nationale, etc., je note surtout la pertinence d’opérer avec des questions d’opinion
ouvertes. Le hasard au rendez-vous, dans les questionnaires récupérés les sept lycées sont représentés
avec plus de réponses produites des filles que des garçons sans remettre en cause la variable sexuelle.
Ce qui m’autorise à penser qu’un échantillonnage par quota, par exemple, m’aurait posé des difficultés
de calcul si le nombre requis de questionnaires récupérés par variables n’est pas atteint. Je pourrais en
soumettre d’autres. Soumettrais-je alors d’autres pour atteindre le nombre comme si je cherchais à
obtenir des tableaux chiffrés comparant les lycées entre eux et à l’intérieur de chacun d’eux les
réponses selon les filles et les garçons croisées à chaque fois avec les filières: Langues étrangères,
Lettres et philosophie, Gestion & économie, Sciences expérimentales, Techniques & maths et
Mathématiques? Ce n’est pas qu’un tableau récapitulatif croisant les trois variables dans l’ordre lycée,
filière et sexe ou dans l’ordre filière, lycée et sexe ou encore sexe, filière et lycée serait sans
renseignement: la distribution des arguments selon les variables intéresserait une description en
quelque sorte synchronique telle que définie par la linguistique des éléments internes. Et pour ce faire,
il faudrait élargir l’échantillon avec toutes les difficultés liées justement à l’homogénéité de la
représentativité des sous-ensembles… Mais le plus difficile est aussi en rapport direct avec la nature
des questions à poser et qui ressemblerait dans ce cas à des choix parmi lesquels le lycéen choisit…
parfois sans comprendre. Les données à obtenir seront quantifiables et peut-être même systématisables
mais ne contiendront pas d’éléments intéressant mon hypothèse de travail et mon positionnement
théorique: les représentations du français s’élaborent dans l’activité langagière échangée avec des
lycéens dans cet espace social où cette langue est en concurrence avec l’arabe, le kabyle et à un degré
moindre l’anglais...
Le questionnaire que j’ai adopté n’est pas structuré, en ce sens que l’ordre des questions ne conduit
pas à un objectif recherché (R. Ghiglione et B. Matalon, 1985). L’ordre établi répond au besoin de
faire mettre en mots ce qu’on penserait du français dans cet univers de sorte que les éléments
épilinguistiques obtenus me servent dans l’élaboration d’un guide d’entretien que je personnalise selon
justement les réponses émises des candidats retenus pour l’entretien.
8
Je remercie M. Belkheir Omar pour sa traduction.
Ainsi, selon qu’on lise le questionnaire de droite à gauche ou de gauche à droite, on aura la version
arabe ou bien la version française. Evidemment, ce n’est pas seulement la lisibilité des questions qui a
motivé ce choix bilingue. Il y a aussi une espèce de test de langue auquel est soumis celui qui choisira
de répondre en français et un test de cohérence pour celui qui prétend maîtriser cette langue sans
l’utiliser dans ses réponses… Bref, le choix de la langue par l’enquêté pourrait être mis en rapport
avec ses réponses.
1.3.1.3. Le questionnaire9:
Les questions sont étalées sur deux feuilles. Au verso de la première page de la version française,
se trouve la seconde page de la version arabe. Et au verso de la première page de la version arabe,
figure la deuxième page de la version française. Cela dépendra de la langue choisie: de gauche à droite
pour le français et de droite à gauche pour l’arabe.
Pour éviter tout soupçon autour de l’origine du questionnaire ainsi que de la destination des
réponses sollicitées, j’ai intentionnellement mentionné, en haut du début du questionnaire, l’institution
où je travaille pour rassurer, du fait de l’idée que l’on se fait de l’université comme le lieu par
excellence de l’objectivité et du savoir. En revanche et avec le même souci, l’intitulé de mon
département n’y figure pas pour, justement, éviter toute focalisation positive ou négative et espérer ne
pas biaiser ou au moins influencer les réponses.
C’est aussi pour rassurer que le questionnaire porte, en gras et en caractères italiques, la mention:
inutile de préciser votre nom.
Après avoir entouré un élément se rapportant à son statut (fille ou garçon) et à sa filière (Lettres et
philosophie, Langues étrangères, Mathématiques, Sciences expérimentales ou Techniques & maths), le
candidat est invité à répondre aux questions suivantes:
9
Deux spécimens de questionnaire renseignés (en arabe et en français) figurent dans le volume II.
8- Quelle(s) autre(s) langue(s) faut-il maîtriser pour réussir dans vos études? Dites pourquoi pour
chacune des langues que vous citez.
9- Faut-il maîtriser ces langues
a- Autant que le français? Pourquoi?
b- Mieux que le français? Pourquoi?
c- Moins que le français? Pourquoi?
10- Dites, tout ce que vous voulez, à propos des langues.
Comment donc contacter des parents et comment les convaincre pour me servir d’enquêteur auprès
de leur(s) enfant(s)? C’est à un réseau social, connu en pareil cas de recherche, que je me suis attelée
avec plus ou moins de difficultés puisque si certains, à travers mes intermédiaires, m’ont affiché un
refus catégorique, d’autres ont largement contribué non seulement à cette pré-enquête mais à la
problématique à laquelle se réfère mon questionnaire et aux langues à l’école, à l’université et dans la
vie de tous les jours.
De septembre à décembre 2010, près d’une centaine de parents ont été contactés. Soixante-trois
d’entre eux ont accepté de répondre à mon questionnaire. Seuls trente-huit l’ont fait. Chaque
questionnaire récupéré est codé en lui donnant un prénom de fille ou de garçon selon le sexe de
l’auteur(e) supposé(e) des réponses, le nom du lycée où ce dernier est inscrit ainsi que sa filière. On
voit tout de suite pointer l’analyse de contenu comme grille de lecture des réponses: qui dit quoi? Avec
quels mots? La première question permet en fait de repérer l’auteur(e) des mots pour le sélectionner en
vue d’un entretien centré durant lequel je soumettrai ces mots à discussion. La seconde, elle, fait
ressortir les éléments de catégorisation du français à l’école et dans la vie en rapport avec les autres
langues: les éléments qui constitueront la base du guide d’entretien dont l’objectif est justement de les
désambigüiser.
L’arabe, souvent respectueux des normes autorisées à l’école, est la langue de 29 réponses quand
les 09 réponses en français relèvent plutôt du registre de l’oral avec toutefois quelques constructions
syntaxiques soutenues et choix de vocabulaires précis. Là aussi la distribution du choix de la langue
des réponses n’est pas systématique et ne dépend pas du critère de filière d’inscription des auteurs car
ce ne sont pas, par exemple, toujours les candidats au baccalauréat Langues étrangères qui optent pour
le français: trois d’entre eux seulement l’ont fait… (Je reviendrai plus bas sur cette difficulté liée à la
langue à adopter dans l’enquête proprement dite).
Quant au contenu des réponses obtenues, il apparait un certain nombre de formulations ambiguës
qui nécessitent des discussions avec leurs auteurs en vue justement de les désambigüiser car elles
semblent fonctionner comme des vérités générales, des évidences inutiles à démontrer pour les
auteur(e)s. Ces ambiguïtés constituent en fait le fil conducteur du guide des entretiens avec ceux parmi
ces auteurs qui ont accepté d’échanger avec moi dans les règles de confidentialité que je leur ai
proposées et autour des propos que chacun à écrit dans sa réponse. Il faut tout de suite préciser que la
conduite des entretiens a montré que souvent les auteur(e)s, dans les explications qu’ils donnent au
cours des entretiens, changent parfois complètement de logique argumentaire tout en restant sur le
même regard, évaluation et jugement du français toujours en comparaison au moins à l’une des
langues de sa scolarité.
Parmi les mots et les idées, dans les réponses formulées dans les questionnaires récupérés, qui
nécessitent des éclairages et des détails dans une perspective de les désambigüiser, il y a surtout des
qualificatifs, des jugements et une hiérarchisation principalement des quatre langues française, arabe,
kabyle et anglaise auxquelles sont rajoutés, dans certains cas, l’allemand, le chinois, le russe et même
le japonais dont la présence discursive est confirmée dans les entretiens avec les mêmes auteurs qui les
citent dans la réponse au questionnaire. Cela concerne, en particulier, les segments discursifs qualifiant
le français de «belle langue», «de langue de savoir» et/ou «de science», «de culture», de «culture
universelle» (pour ceux qui ont répondu en français). Ces réponses émanent presque de tous et
l’analyse des trente-huit réponses dans la perspective qui dit quoi? à propos de quoi? ne montrent pas
de distribution systématique aussi bien à partir des questions d’identification que de celles relevant des
opinions.
1.3.3. L’enquête:
1.3.3.1. Avec quels élèves discuter? Pourquoi?
Pour rester dans la logique allant de l’analogique au digital, les élèves à sélectionner allaient être
parmi ceux qui auront répondu au questionnaire (écrit): au cours des échanges discursifs je devais
avec eux désambigüiser certaines de leur réponse ou mon interprétation de certaines de leurs réponses
au questionnaire. Mais compte tenu du nombre de réponses obtenues, trente-huit, j’ai choisi
d’enregistrer des discussions avec tous. Là aussi, hélas, l’accord de principe donné par les trente-huit
élèves ou de leurs parents, au moment de la récupération des questionnaires, pour organiser des
échanges avec chacun d’eux autour de «la même question que celle du questionnaire» n’a débouché
que sur vingt-neuf échanges parfois en présence d’un parent, toujours la maman. Je suppose que la
principale raison pour laquelle les dix autres se sont rétractés réside dans l’enregistrement prévu des
échanges: ce qui pourrait aussi justifié le choix de parents d’assister et, pour certains d’entre eux, de
prendre part aux échanges enregistrés. Voilà qui indique la sensibilité du sujet malgré toutes les
précautions prises, notamment l’anonymat. D’autres raisons peuvent aussi justifier cette attitude
comme l’approche de la date de l’examen du baccalauréat exigeant une concentration et la cadence
des cours de soutien chez des particuliers ou à domicile, etc.
10
Il y a trois options de baccalauréat Techniques mathématiques: génie mécanique (GM), génie électrique (GE)
et génie civil (GC).
Fille 07 01 05 02 00 01
Ce n’est donc pas un excès de prudence dans le choix de la langue de l’entretien. Tout juste que je
n’ignore pas la difficulté pour moi de réduire au minimum les implications de mon statut non
seulement de celle qui pose les questions et qui, donc, commande en quelque sorte, mais aussi et au
même temps de celle qui représente la norme académique au moins du français. Je n’ignore pas non
plus que l’expression dans certains domaines -scolaires par exemple- se fera plutôt dans la langue des
acquisitions scolaires, l’arabe; car l’exercice consistait à provoquer la pulsion communicative des mes
interlocuteurs. Il était donc impératif de faire en sorte que les échanges prennent l’allure de
discussions… familières pour, en effet, permettre aux habitudes langagières de mes interlocuteurs de
réduire les crispations et autres inhibitions des situations ‘’artificielles’’. Et adopter dans chacun des
entretiens la langue ou la forme de la langue de mes interlocuteurs, participe de ma stratégie d’enquête
rendant la situation ordinaire, de tous les jours, et réduisant aussi les impacts possibles de mon statut
pour une meilleure libération de la parole: la matière à partir de laquelle je me propose ici de faire
ressortir les procédés d’élaboration des représentations du français.
Wiza11 qualifie la langue française de « belle », « riche », « utile » et l’anglais de «première langue
mondiale, internationale ». Sa préférence affirmée du français est en fait fragile: dans ses dires,
émerge, au fur et à mesure de l’échange, l’expression d’une attitude indécise.
11
Traditionnellement écrit Ouiza. J’écris avec W uniquement pour assouplir la transcription.
Melissa pense qu’elle s’exprime plutôt bien en français à l’oral, mais mieux en arabe à l’écrit. A
propos du français, elle déclare qu’il «est naturel, simple, élégant, beau et tout » mais « dépassé par
l’anglais» qu’elle juge « plus cool » et nécessitant «une gymnastique de la bouche».
Hind pratique un bon français et possède une bonne culture liée à la littérature française. Elle
souhaite préparer une licence de français et poursuivre ses études, plus tard, en France.
Leila dit être prête à apprendre plusieurs langues étrangères. Elle s’exprime aisément en langue
française. C’est une langue qu’elle apprécie. C’est pourquoi envisage-t-elle de s’inscrire en licence de
français sans avoir l’intention d’en faire un moyen pour obtenir un visa, à la différence des autres
candidats enregistrés.
L’entretien avec Farida s’est déroulé en présence de sa camarade de classe Saliha, sa complice
avec qui elle partage à peu près les mêmes opinions. Elle préfère au français l’anglais qu’elle trouve
« facile » et « dominant » actuellement dans le monde. A l’instar de beaucoup d’autres, elle voit dans
un diplôme à obtenir dans une de ces deux langues un moyen pour partir en Europe.
Chabane produit un discours alternant entre l’arabe de tous les jours (en grande partie) et le
français. Il souhaite s’inscrire en licence de français à l’université. Il motive ce choix d’abord par
amour pour cette langue. Un amour qu’il dit éprouvé aussi à propos de l’anglais et de l’espagnol. Ce
n’est que vers la fin de l’entretien qu’il reconnait ses intentions de voyage dans le choix de cette
licence.
Pour Ibtissem le français est «une belle langue». Elle dit avoir toujours apprécié ses enseignantes
de français depuis son jeune âge. Elle souhaite préparer une licence de français mais dans la
justification de son souhait, l’argument du français langue de littérature et/ou de culture, n’apparait
pas! Elle veut s’inscrire en français car, pour elle, celui-ci «est la langue de la science, de la médecine,
c’est une langue internationale».
Sofiane tient des propos méprisants à l’égard de la langue arabe et idéalisant des langues anglaise
et française qu’il qualifie de «langues d’avenir» et surtout qui offrent, selon ses dires, la possibilité de
«partir en Europe». Pour lui, la langue française et « belle mais difficile», quant à la langue anglaise,
elle est plutôt la «plus puissante», «internationale» et «langue de la technologie».
Le discours de Smail révèle sa désespérance et sa perte de confiance aussi bien dans les études
que dans son pays. Se déclarant intéressé par les études de philosophie, il regrette de ne pas pouvoir
poursuivre des études de philosophie en langue française, car en français, selon ses dires «c’est
moderne… c’est beau… c’est pas mort comme l’arabe» (S151) alors qu’en arabe, c’est le cas
actuellement, c’est, selon lui, ‘’de la tromperie’’ (S155, S157). De plus, insiste-il plusieurs fois dans
l’échange, la pratique de cette langue lui facilitera les études de philosophie qu’il souhaite poursuivre
en France.
Wissem produit un discours dans lequel elle exprime son attirance par les langues étrangères,
particulièrement la langue française. Celle-ci a bercé la candidate dès le jeune âge, surtout à travers la
télévision. Cette catégorisation se construit dans son discours en rapport avec l’anglais que Wissem
qualifie de «première langue internationale» et qu’elle dit apprécier en deuxième position, après le
français.
Pour Saïd, les langues étrangères sont d’avenir et «permettent de connaître plusieurs cultures et
civilisations ». A l’anglais, il attribue le statut de langue «internationale et de technologie», au français
celui des études universitaires auxquelles il dit se préparer lui-même. En effet, le français est pour lui
une «langue de savoir, parlée dans plusieurs pays du monde, notamment chez nous».
Amel, dans l’expression de son souhait de poursuivre des études de pharmacie, produit un discours
qualifiant la langue française de «belle» et lui attribuant le statut de langue de sciences tout en
soulignant la dominance de l’anglais dans le monde. Tout en affirmant qu’il est «facile» de suivre des
études de pharmacie, elle avoue que c’est «plus facile en arabe» mais ne souhaite pas étudier avec
cette langue!
Se disant «faible en français», Souad produit son discours en arabe de tous les jours. En raison de
son inscription dans une branche scientifique, c’est pour elle logique que de souhaiter de poursuivre
des études universitaires de physique. Elle se déclare très ouvertes aux langues étrangères, notamment
le français et l’anglais dont elle se dit être faible et prédisposée à fournir des efforts pour les acquérir.
Pour Saliha, la langue française «c’est l’élégance», «c’est une langue internationale», «c’est la
langue de la science».
Tout en méprisant la langue arabe, Ouerida produit des séquences entièrement en arabe
classique/scolaire pour qualifier le français de «langue internationale», «de langue de science». Elle
souligne son attachement à la langue française (qu’elle ne maitrise pas parfaitement, selon ses dires),
sous prétexte que celle-ci est la plus pratiquée « chez nous », à la différence de l’anglais, plus utilisé
«ailleurs»
Dès les premiers tours de parole, Lydia affiche sa position: pour elle, s’il est vrai que l’anglais
domine dans le monde, le français est à la fois une langue pratiquée «chez nous» et «une langue de
l’avenir, de la technologie, du savoir et de la science ». Aussi, souhaite-t-elle préparer une licence de
français pour mieux maitriser cette langue et« se cultiver, s’informer et surtout voyager»
De mère enseignante de mathématiques, Sabrina compare entre les deux langues étrangères (le
français et l’anglais) et l’arabe qui, selon elle, est une langue «non scientifique». Elle est pour l’usage
du français car, affirme-t-elle, c’est «une langue internationale» et surtout «belle».
De mère enseignante de français, Amayas possède une bonne culture générale et pratique un
excellent français, langue qu’il apprécie, qu’il juge «belle», «scientifique», «universelle» mais qu’il
trouve aussi «dépassée» par «l’anglais qui domine maintenant».
Candidat au baccalauréat, série génie mécanique, Lotfi ne s’exprime pas aisément en langue
française, mais souhaite échanger avec l’interlocutrice, que je suis, en cette langue dans le but de la
pratiquer. Il estime que chaque élève, candidat au baccalauréat, doit maitriser plusieurs langues
comme l’allemand, le japonais et même le chinois au côté du français et de l’anglais, les deux
principales langues de sciences, selon lui. Ces langues, selon ses dires, serviront de moyen pour
pouvoir quitter le pays.
Pour Hacène, candidat au baccalauréat série génie civil, s’inscrire dans une branche technique à
l’université implique la poursuite des études exclusivement en langue française, même s’il se dit d’un
niveau juste moyen dans cette langue. Admiratif de la montée en puissance du Japon dans le monde,
surtout dans le domaine de l’électronique et de l’automobile, il souligne l’importance de leur langue
comme pour dire cette importance se mesure à cette montée.
Candidat au baccalauréat, série génie électrique, Nacer souligne, dès ses premiers tours de parole,
sa volonté de poursuivre des études universitaires enseignées en français pour «obtenir un visa» et
«partir à l’étranger», c'est-à-dire en France.
La saisie du corpus est limitée à l’aspect verbal des échanges en mentionnant toutefois les éléments
para-verbaux et non verbaux qui m’ont paru, au moment de la transcription, prendre part au sens et au
déroulement de l’échange, en général. On voit bien, qu’en réalité, l’analyse commence ici dans le
choix de noter tels ou tels éléments, comme le souligne souvent L. Mandada (1995, 1996, 2002), mais
aussi conformément à mon choix théorique de faire ressortir de la matérialité verbale de la parole
échangée avec mes interlocuteurs le sens en action, autour du français en rapport avec l’arabe, le
kabyle, l’anglais…
De ce fait, la saisie consiste moins à transcrire qu’à écrire car l’objet d’analyse est moins les aspects
phonétique/phonologique des échanges (même si parfois ces derniers prennent part à l’élaboration du
sens, c’est pourquoi d’ailleurs certains sont notés) que le sens au niveau du discours. J’ai donc saisi
mon corpus au moyen de l’écriture en français quand il s’agit des échanges en cette langue. J’ai
également utilisé cette écriture en adoptant souvent son orthographe pour rendre des sons complexes
kabyles et/ou arabes comme en associant t et h pour avoir la fricative, sourde arabe et kabyle dans
/mithaq/ (charte) /thamourth/ (pays), d et j pour l’explosive, sonore, etc. Bref, j’ai d’un côté privilégié
la lisibilité du message au pointillisme phonétique et, de l’autre côté, systématiquement donné dans
mes analyses12, entre crochets, la version française des propos tenus en kabyle ou en arabe, le français
étant la langue de mon compte-rendu.
En effet, ainsi qu’il répond lui-même (1999: 129), «l’hétérogénéité des matériaux n’est ni
réductible ni fortuite: c’est celle de la vie elle –même dans la complexité». Voilà qui justifie mes choix
théoriques annoncés au début de ce chapitre: les langues ne sont pas de simples instruments de
12
Dans le corpus en annexes, j’ai ‘’reproduit’’ tels quels les mélanges et alternances de langues…
13
En référence au livre intitulé justement L’homme de parole du célèbre linguiste français Claude Hagège.
communication et leur acquisition/apprentissage dépend aussi bien des réalités sociales, économiques,
politiques que des motivations individuelles qui, elles aussi, sont indissociables du social, de
l’économique, du politique et de la façon de les percevoir. En d’autres termes, la perception d’une
langue ou des langues en société est aussi celle de la société dans son fonctionnement, dans la
hiérarchie qu’elles peuvent induire, des statuts qu’elles confèrent, des images qu’elles donnent des uns
et des autres. Ainsi, j’aurai à montrer en quoi, pour mes interlocuteurs, le français est perçu comme
étant une belle langue, la langue du savoir, de la science, de l’avenir, etc. J’aurai à montrer à quel point
ces catégorisations sont liées au quotidien de leurs auteurs et qu’au fond ce sont les représentations
que l’on se fait de la beauté, du savoir, de la science, de l’avenir, de la réussite… universitaire, etc.,
qui sont au cœur de leur élaboration. Je montrerai aussi comment ces notions évoluent le long de
l’échanges dialogal avec moi mais aussi renvoient à des clichés et des raccourcis en cours dans la
société algérienne, en général, et tizi-ouzouèenne, en particulier. J’aurai également à rendre compte
des comparaisons quasi-systématique du français soit à l’arabe et au kabyle dans un rapport de
domination du premier sur les deux autres, soit à l’anglais dans un rapport de dépassement en faveur
de ce dernier et laissant transparaitre des attitudes de recherche de valorisation sociale à travers le désir
de pratiquer la langue de cette valorisation: le français par rapport aux langues nationales et l’anglais
par rapport au français…
1.4. Conclusion:
En m’appuyant sur les principes de l’analyse praxématique, je m’emploie, dans les chapitres
suivants, à rendre compte, dans les matérialités verbales recueillies, de l’élaboration de ce sens autour
du français en rapport avec l’arabe, le berbère et l’anglais, au niveau à la fois de dialogisme
interlocutif et du dialogisme interdiscursif. Lapsus, bégaiements, prolongement vocaliques, ruptures de
programme de sens et autres phénomènes d’échanges verbaux, catégorisés ailleurs en termes de
ratages conversationnels, me serviront de traces du travail de la signifiance qu’outre les régalages
sociaux habituels du sens, les contraintes ou les motivations de chacun des échanges analysés,
permettent d’aboutir ou non sous forme de praxèmes actualisés selon des logiques internes à chacun de
ces échanges. Ce sont donc des hypothèses d’analyse du sens en train de s’élaborer autour de la place
du français dans ces discours épilinguistiques.
Je précise, enfin, que c’est parce que je me propose de faire ressortir ces représentations du
français dans la matérialité verbale des échanges, que ces derniers ont été analysés dans leurs formes
de langue originelle et ce n’est que pour les besoins de la lecture que les extraits, servant mes
démonstrations, ont été traduits en français dans le respect des logiques argumentatives respectives. En
effet, privilégiant la lecture en français, puisque c’est ma langue de travail et celle de l’institution
académique où est inscrit ce sujet, j’ai sciemment adopté, dans ces extraits, la logique grammaticale
française en y adaptant celle du kabyle ou de l’arabe selon les cas, par souci exclusif d’intelligibilité.
Chacun des tours de parole des extraits est donc à lire en français, mis entre crochets. Et lorsque la
quasi-totalité est en kabyle ou en arabe, il faut lire la version française mise entre crochets aussi.
Quand, dans le corps de mon texte, il m’arrive de solliciter, pour les besoins de ma démonstration,
un mot, une expression ou une tournure d’un de mes interlocuteurs ou parfois de moi-même, j’utilise
les guillemets sur la ligne d’écriture (« ») pour rapporter le propos tel qu’il est produit lors de
l’échange ou les guillemets au-dessus de la ligne d’écriture (’’ ‘’) pour donner l’équivalent du propos
en français. Cependant, dans le corpus qui figure en annexe, les échanges sont‘’ reproduits’’ dans leur
forme d’origine avec tout ce que cela contient comme alternance et mixité langagières.
Chapitre 2
2.1.Introduction:
J’entreprends dans ce chapitre la saisie, dans la matérialité verbale des discours sollicités,
les traces dialogales et dialogique des procédés d’élaboration des représentations du français
en rapport avec l’arabe et l’amazigh, dans sa variante kabyle. Comment est catégorisé donc le
français en comparaison à l’arabe et au kabyle? Quelle place et quelle fonction lui attribue-t-
on dans cette mise en face à face? Quelle relation établit-on entre le français et l’arabe, entre
le français et le kabyle? S’agit-il de relation de domination? de complémentarité avec ou sans
distribution fonctionnelle derrière laquelle se profileraient des choix et des positions en
rapport justement avec la mesure que l’on croit avoir du poids du français dans
l’environnement scolaire de ces langues mais aussi social, régional, national, voire
international?
Dès ses premiers tours de parole, Smaïl paraît mettre à l’écart les deux langues nationales,
principalement l’arabe qui est la langue de sa scolarité actuelle, et choisit le français tout en
exprimant une attitude favorable vis-à-vis de l’anglais:
S15/moi euh :: nkini [moi] euh ::/ pour moi s l français negh s [ou en] l’anglais akhir
[c’est mieux] pa(r)ce que euh :: pa(r)ce qu’euh :/ c’est plus s l’anglais euh:://
E16/ mais s l’arabe i t qarem non?[mais c’est en arabe que vous étudiez non ?]//
S17/ i bien sûr/ bien sûr/ mais mais loukan s l français loukan s l français euh :: s l
français akhir/ puis qu’euh :: puisqu’euh ::/ s l français s l français international
yernou yifith s l français pa(r) ce que pa(r) ce s l’arabe oulach/ ar waâraven ken//
[i bien sûr/ bien sûr/ mais mais si c’est en français si c’est en français euh:: en
français c’est mieux/ puisqu’euh:: puisqu’euh::/en français en français
international en plus c’est meilleure en français parce qu’en arabe il n’y a rien/
c’est chez les Arabe seulement//
E18/ yaah! [ah bon !]
S19/ bien sûr/ en plus s thaârabt dakalakh kan// [sourire] [/bien sûr/en plus en arabe
c’est juste pour tromper]
E20/yaah!/[ah bon !]
S21/bien sûr koulach euh :: d abalaât/ surtout di les matières euh :: di les matières agui
euh :: di les matières agui importantes// [/bien sûr tout euh :: c’est du bavardage/
surtout dans les matières euh:: dans les matières euh:: dans ces matières
importantes//]
A cette perturbation succède (S17), en effet, une parole sûre malgré ses formes bégayantes
et en dépit de mon choix d’opposer à sa préférence du français, que semble supplanter
l’anglais mais qu’il abandonne tout de suite après, le fait qu’il étudie, comme ses camarades,
en arabe. Une certitude que porte la double actualisation «bien sûr» dans une stratégie
contournant mon insistance auprès de lui à aborder la question en rapport à lui, puisqu’il
entreprend un discours opposant les deux langues en audience qu’il définit, en ce qui concerne
le français, par le caractère international, et en ce qui concerne l’arabe, par le caractère
ethnique: les Arabes. Une opposition doublement réductrice de l’arabe, qui non seulement
dénie à ce dernier le caractère international, puisque les Arabes, dans cette logique,
constituent la même et unique nation, mais, en plus et malgré l’expression de mon étonnement
(E18, E19), il lui (S19, S21) associe le ‘’mensonge’’ et la ‘’tromperie’’, deux vices
exactement à l’opposée de la vertu de l’école censée répandre la vérité. Une vérité qui, selon
la logique argumentaire impliquée de Smaïl qu’il explicitera plusieurs fois après en S29, S31,
S151, S155, ne peut se faire qu’en français. Cette double réduction est d’autant plus lourde de
sens que Smaïl rappelle, sans le dire, la série de baccalauréat qu’il aura à présenter, Lettres et
philosophie, en ne retenant que le second élément de l’intitulé (c’est à dire la philosophie)
pour rester dans sa logique de non considération des lettres qu’il semble associer à la langue
arabe. Or, ainsi qu’il l’explicitera en S37 et S41, cette philosophie dont il dira en S133 obtenir
une note de 14 sur 20 à l’issue des devoirs surveillés et des compositions du premier trimestre,
il ne la conçoit pas en tant que telle en arabe (S19, S21) mais en français. D’où son refus de
poursuivre des études de philosophie à l’université tout simplement parce que cette filière est
enseignée en arabe justement (S139).
S29/dessah/ dessah/ mais ghouri nkini même euh :: même euh ::/ ghouri nkini ilaq les
matières agui essentielles am la philosophie et tout illaq s l(e) français//
[/c’est vrai/ c’est vrai/ mais pour moi moi-même euh:: même euh::/ pour moi moi
il faut que ces matières là essentielles comme la philosophie et tout soient
enseignées en français]
E30/ achoughar s l(e) français?/ [pourquoi en français ?/]
S31/akhatar s l(e) français au moins nezra belli euh ::/ yella wamour tidhets/ matchi am
thoura// [parce qu’en français au moins je sais que euh ::/ il y a une part de vérité/
c’est pas comme maintenant//]
E32/ thoura oulach ah?/[/maintenant il n’y a rien ah !/]
S33/ awah koulach d lakdhev/ même les enseignants negh zran mais::// [Ah non tout est
mensonge/ même nos enseignants le savent mais:://]
E34/ ah oui ah!/
S35/yernou lan euh :: lan wid ighran s l(e) français am monsieur X/ mais thoura
damghar dayen/ iqars akw/ d’ailleurs d’ailleurs ad irouh à la retraite aseggwas
agui//
[Pourtant il y en a euh :: il y en qui ont étudié en français comme monsieur X/ mais
il est vieux maintenant/ il est complètement fatigué/ d’ailleurs d’ailleurs il partira
à la retraite cette année/]
E36/ d’achou ikwen isghar monsieurX aâni?/ [Il vous enseigne quoi monsieur X ?/]
S37/monsieur X?/ philo/ mais mais s thaârabth/ thoughal ar din//[/…/ mais mais en
arabe/ ça revient au même]
E38/ ah oui?//
S39/ akhatar s thaârabth// [/parce que c’est en arabe//]
E40/ yernou yaghra s l(e) français!//[pourtant il a étudié en français//]
S41/ bien sûr yaghra s l(e) français/ mais mais oulamek s thaârabth ighisghar// en plus
netsa ourihamel ara akw//
[/bien sûr qu’il a étudié en français/ mais mais nous c’est pas possible puisque c’est
en arabe qu’il nous enseigne// en plus il n’aime pas du tout//]
E42/ d’achou our ihamel ara ?/[/qu’est-ce qu’il n’aime pas? /]
S43/thaârabht bien sûr/ our ihamel ara akw adishgar s thaârabth/ [/l’arabe bien sûr/il
n’aime pas du tout enseigner en arabe/]
En reprenant en écho interrogatif (E32) son praxème «thoura» (‘’maintenant’’, S31) qu’il
actualise non pas pour comparer entre deux périodes mais entre deux situations (dont l’une y
est, celle de l’enseignement de la philosophie en arabe, l’autre, c'est-à-dire l’enseignement de
la philosophie en français, est souhaitée), j’accepte en même temps l’orientation de l’échange
qu’il implique en abordant la question non pas de l’enseignement des langues mais de la
langue des enseignements. Une implication prévisible dans ses propos S29 en réplique à ma
remarque liée au fait qu’ils, ses camarades et lui, étudient aussi les langues étrangères et pas
seulement l’arabe comme ses dires antérieurs semblent le signifier. La valeur interlocutive de
la double occurrence approbative en ouverture à son tour S29 (‘’c’est vrai c’est vrai’’) signe,
en effet, l’amorce d’une contre argumentation doublement spécifique de par l’instance de
l’énonciation, puisque c’est en son nom uniquement qu’il réplique alors que ma réplique
précédente implique ces camarades, et par l’enjeu discursif de son énonciation: non pas
l’enseignement des langues mais la langue des enseignements qu’il qualifie d’importants mais
dont il ne cite que la philosophie. Les autres enseignements, que je suis censée savoir, sont
mis en vrac dans son praxème «et tout» (S31) d’apparence à la fois inclusif et ambigu.
D’apparence parce que tout l’interdiscours, antérieur et ultérieur à cette séquence
interlocutive, le donne pour être exclusif et précis. En effet, seule la philosophie occupe la
parole de Smaïl. Les autres matières, y compris celles ayant un coefficient élevé comme
l’histoire-géographie et l’arabe, ne constituent pour lui que ‘’mensonges’’ (S19) et
‘’tromperie’’ (S21) faisant qu’elles sont pour lui en marge de la philosophie.
Ainsi, le fonctionnement discursif du praxème adjectival «et tout» s’apparente plus à celui
de ‘’et le reste’’ car ces autres matières ne comptent pas ou comptent peu aux yeux de Smaïl
qui, pour se faire comprendre, convoque justement les voix des enseignants de ces matières
pour garantir la recevabilité de ce réglage de sens. Une convocation en appui à son propre
discours bien que ces voix soient celles qui répandent ces «mensonges» (S19) et «tromperies»
(S21) mais dont Smaïl distingue subtilement entre elles qui ‘’savent’’ (S33) qu’il s’agit de
‘’mensonges’’ et de ‘’tromperies’’ et la langue qui leur est imposée et qui fait qu’elles sont
devenues impuissantes à réagir (S33, S71). Ainsi, pour lui c’est à l’arabe, langue des
enseignements, et non pas à ces voix qu’incombe la responsabilité de ces mensonges et
tromperies. En effet, même avec son enseignant de philosophie de formation française et qu’il
apprécie, la philosophie est perçue comme les autres matières car c’est enseigné en arabe
justement (S37, S39).
En réalité, c’est là un commentaire qu’il fonde sur la voix de son enseignant de philosophie
lui faisant signifier ce que lui veut dire tout en se présentant comme étant son adepte. Et la
relecture de l’ensemble de l’échange, à partir de l’idée que Smail reproduirait l’attitude de son
enseignant de philosophie, révèle mon erreur d’interprétation. Smail se sert plutôt de cette
voix qui, à la différence de ce que j’avais compris jusque-là et selon les mises en discours de
Smail, ne défend pas le français. Et ce n’est pas parce que Smaïl dit que son enseignant de
philosophie n’aime pas l’arabe et n’aime pas enseigner en arabe (S43) que celui-ci serait
contre cette langue. L’une et l’autre interprétation sont erronées et deux fois remises en cause
juste après avoir extériorisé ces programmes de sens (E44, E46) ayant pour cible cet
enseignant qui, de l’aveu même de Smail (S45), les (ses camardes de classe et lui) conseille
de se mettre à l’anglais parce que ‘’même le français est dépassé’’. Ce que je ne saisissais pas
sur le champ. En effet, révoltée devant cette idée non pas de hiérarchisation des langues arabe,
française et anglaise, qui est un fait sociolinguistique, mais du fait que cet enseignant veut
l’inculquer à ce candidat au baccalauréat dont la langue des épreuves est l’arabe, je produis en
E46 un discours en rupture avec l’enchainement interlocutif. Smaïl (S47) adopte un silence à
la fois de désapprobation et de temporisation d’un à-dire dont la forme d’extériorisation est à
la mesure de l’inquiétude que je réitère en E48 sous forme d’explicitation de mon tour
précédent, ne comprenant pas les raisons du silence de Smaïl:
E46/ d’accord mais illaq ad awidh l bac//[/d’accord mais il faut que tu obtiennes le
bac//]
S47/ [silence]/
E48/ i lbac ilaq s thaârabth//[et l’examen du bac c’est en arabe//]
S49/ a t id awigh ih/ bien sûr comme tout le monde/ dachou ig waâren il bac ?/ ilaq
atsinadh ats khwartad chwiya i la philo/ atas i l’arabe/ chwiya ithawra l
djazairia//[je l’obtiendrai oui/ bien sûr comme tout le monde/ que y a-t-il de
difficile dans le bac ? il faut que tu saches baratiner un peu en philo/ beaucoup en
arabe/ un peu dans la révolution algérienne/]
Son programme de sens S49 autorise à interpréter son silence désapprobateur en S47
comme une espèce d’étonnement, comme l’interrogation d’une évidence: son succès au
baccalauréat. L’assurance avec laquelle il l’extériorise ne ressemble pas à une expulsion d’un
dire difficile à contenir ou à assumer comparé à mon inquiétude exprimée en E46 et E48 en
rapport avec ce que Smaïl dit des conseils de son enseignant de philosophie. La valeur de
certitude dans sa première séquence fonctionne dialogalement comme une assurance sans
ambigüité en réaction à mon souci (E46, E48) dont il accuse réception par l’affirmatif qu’il
nuance dans la suite de son tour de parole d’abord par l’atténuant «bien sûr comme tout le
monde» qui règle discursivement sa certitude non pas comme un orgueil ou une fierté d’avoir
tous les moyens, intellectuels s’entend, d’obtenir le bac mais plutôt d’être logé à la même
enseigne que «tout le monde». Ensuite, par son programme de forme interrogative et de fond
discursif dans lequel sa demande est d’apparence car elle signifie en profondeur que le bac est
à la portée de tous. D’ailleurs tout de suite après, il entame sa dernière séquence à la fois
dialogale, puisqu’il s’adresse à moi, et autodialogique puisqu’il fait écho à son interrogation
immédiatement précédente pour établir cet espèce de peu de choses exigées au bac, de sa série
sans doute. Dans cette séquence, l’impersonnel «ilaq» (‘il faut’’) a plutôt la valeur de ‘’il
suffit’’. Plus qu’une insouciance, il s’agit bien d’un mépris à l’égard du bac. Un mépris qu’il
condense dans l’actualisation du praxème ‘’baratiner’’ avec des doses différentes selon qu’on
est en philosophie, en arabe ou en histoire. Un mépris qu’il accentue lorsqu’il s’agit de l’arabe
comparé à la philosophie et à l’histoire de la révolution algérienne. Mais pourquoi cette
différence de dosage selon les trois matières? parce que la philosophie est sa matière préférée?
parce qu’il sait au moins que dans la recherche de la vérité, que se donne comme objet la
philosophie, on ne baratine pas? parce que, dans l’histoire de la révolution algérienne, on n’a
pas besoin de ‘’baratiner’’ puisque tout est censé être connu de tous ou on ne peut pas
‘’baratiner’’ sans risquer la sanction? parce qu’en langue et littérature arabes tout est permis,
l’essentiel étant de remplir les feuillets d’examen en arabe? Ne s’agit-il pas là aussi de
distinguer l’arabe dans le degré de mépris de l’examen du bac en signifiant que dans cette
matière ce n’est pas sérieux et donc il suffit de beaucoup baratiner pour être déclaré admis?
Saisissant ces nuances mais surtout leur portée idéologique insoutenable pour moi,
étudiante en sciences du langage, j’ai choisi de ne pas les soumettre à Smaïl. C’est pourquoi,
dans le tour de parole suivant, j’ai fait comme s’il avait oublié que les langues étrangères font
partie des épreuves du baccalauréat, quitte à provoquer une seconde rupture dans
l’enchainement dialogal de l’échange:
Le mépris et l’ironie, que traduisent les éclats de rire, dans lesquels m’entraine Smaïl,
portent les traces de son malaise en tant qu’élève scolarisé en arabe qui, de surplus, a un sens
politique aigu rappelant, par endroit, le discours des culturalistes et défenseurs du kabyle dont
il m’est difficile d’apporter ici la preuve verbale de la conscience de Smaïl de cette dimension
dialogique à valeur au même temps polyphonique et co-constructive. Ce malaise est lisible
dans la distinction très nette qu’il opère entre les matières ‘’importantes’’ dans sa filière,
toutes enseignées en arabe, et celles de la filière langues étrangères qu’il cite de son propre
chef déplaçant ainsi les implications dialogales de ma question dans le but, je rappelle, est
aussi de signifier à Smaïl qu’il a tort de vouloir me faire comprendre que dans sa filière il n’y
a que des matières enseignées en arabe (dont il aborde la philosophie, cite l’arabe et fait
référence à l’histoire dans son tour de parole S49). Ce n’est d’ailleurs pas innocent qu’il limite
les matières de la filière Langues étrangères aux langues française, anglaise et allemande
comme si l’arabe, dont le coefficient y est parmi les plus élevés, la philosophie, l’histoire et la
géographie n’y figurent pas: parce qu’elles sont justement dispensées en arabe. Cette espèce
de désir inconscient de fuir l’arabe est aussi visible dans cette autocritique aux frontières de
l’anéantissement de soi que rend l’actualisation du praxème «qarsen» (S53), c'est-à-dire
qu’on ne peut rien récupérer de ces élèves inscrits en Langues étrangères, puis «nqars akw»
(S55), c'est-à-dire qu’on ne peut rien récupérer de l’ensemble des élèves de toutes les filières
confondues y compris lui, Smaïl. En effet, le bonheur dont il voit se réjouir les élèves inscrits
dans la filière Langues étrangères et qui consiste à pouvoir fuir le pays après avoir obtenu
leurs diplômes respectif, qui seront donc, selon sa logique, de langues étrangères, est en fait
une chimère parce qu’«en vérité» (S53) ces élèves ne maitrisent pas ces langues et en
s’associant à eux, il dit que l’ensemble, lui et les autres élèves, ne maitrise rien du tout (S57).
Je remarque que dans cette atmosphère d’éclats de rire déclenchée par la première
actualisation du praxème «qarsen» en S53, la ligne de démarcation, entre Smaïl et ces élèves
inscrits en Langues étrangères, concerne exclusivement la possibilité pour ceux-ci de fuir le
pays, et que Smail met en discours en faisant entendre, dans l’actualisation du programme
phrastique «ihargouha» (S57), c’est à dire qu’‘’ils [ces élèves] brûleront les frontières pour
aller ailleurs’’, à la fois la voix de la doxa faisant écho, de cette manière, au phénomène de
départ en mer sur des embarcations de fortune, la voix de Matoub Lounès, ce chanteur kabyle
populaire assassiné pour ses opinions et engagement politiques contre l’arabo-islamisme dont
le praxème «n âarbouha» («on va l’arabiser») constitue le sésame de son dernier album, et la
voix de ligne idéologique au pouvoir, en Algérie, vis-à-vis de ce qui n’est pas arabe et qu’elle
projette d’arabiser quel qu’en soit le prix. De par leur discordance, ces voix entretiennent ainsi
au sein de ce même praxème une relation dialogique non pas de co-construction mais de
tension permettant à Smail de faire l’économie discursive aussi bien autour de ce débat entre
les projets de société en cours que de son rejet de l’arabe plusieurs fois signifié. Et c’est donc
la voix de Matoub qu’il adopte sans jamais prononcer ce nom: comme lui, dont le parcours
d’artiste-compositeur-interprète et d’opposant politique au verbe tranchant et brûlant, ces
élèves vont brûler les frontières pour fuir ‘’les mensonges’’(S19) et la ‘’tromperie’’(S21).
Ayant saisi, dans ses propos, l’incohérence entre le fait d’envier ces élèves, futurs
diplômés en langues étrangères et, par conséquents et selon lui, futurs émigrants légaux, et le
fait de les considérer comme des clandestins (car, selon sa propre logique, le clandestin serait
lui, ne pouvant pas obtenir un diplôme en langues étrangères qui lui ouvrirait les portes de
l’émigration), je l’ai immédiatement apostrophé mais sans compter sur sa faculté
humoristique à vocation dialogique. En effet, en s’énonçant dans une perspective
endogroupale (S59), suscitée par la forme même de ma réplique (E58), il fait entendre la voix
de la doxa mais aussi celle de la Résistance dont l’auteur pourrait être lui et ceux qui voient
les choses comme lui: on résisterait donc à quoi sinon à ce à quoi renvoie partiellement
l’écho du praxème «n âarbouha»? Mais son éclat de rire en clôture de son tour de parole
indique qu’il s’agirait plutôt de la résignation à ‘’mourir ici’’, c'est-à-dire à vivoter dans les
conditions de ‘’mensonges’’ et de ‘’tromperie’’ qu’il lie, en effet, dans son tour de parole
suivant (S61) à l’arabe puisqu’en s’interrogeant sur les possibilités de départ avec un diplôme
en arabe, non seulement il les réduit mais surtout il les présente comme étant pire dans cet
ailleurs (la Somalie) comparé à l’ici de sa personne. Là aussi, son éclat de rire à l’actualisation
du praxème «Somalie» dit sans dire que, formé en arabe, il ne peut être utile que dans ce pays
tristement célèbre sur tous les plans, en proie à toutes les formes de barbarie et auquel a
conduit, selon lui, l’arabo-islamisme imposé par les tenants de l’arabisation et dénoncé par
Matoub et… lui-même. Et quand, tout en accompagnant son éclat de rire, je lui signifie son
mépris de la valeur humaine dans le traitement discursif qu’il vient de donner du praxème
«Somalie» (E62), il redouble d’humour noir, éclate en rire au point de tousser et de pleurer
dans une énonciation non plus en ‘’nous’’ mais en ‘’je’’ pour, encore une fois, ridiculiser et
ironiser en faisant entendre la voix de l’idéologie scolaire qui, elle-même, fait écho à ce qu’il
considère être un nationalisme verbal ‘’mensonger’’ et ‘’trompeur’’ qu’il réitère avec
insistance en réponse à mon admiration devant son humour à deux mois de l’examen du
baccalauréat: « /[..]/non je reste ici/ l’amour de la patrie fait partie de la foi/» (S63, S65).
S83/mais taâravt nni soufla ken/ d l(e) français id sah/ [/mais cet arabe là c’est en
décor/ c’est le français qui est le plus important/]
S151/mais s l(e) français c’est moderne euh c’est c’est amek ad inigh c’est beau
quoi c’est pas mort comme s l’arabe// [Mais en français c’est moderne euh
c’est c’est comme dire c’est beau quoi c’est pas mort comme en arabe//]
C’est donc un rejet de l’arabe derrière lequel se profile, pour lui, l’attitude d’obéissance et
d’absence de tout raisonnement philosophique (S153). Un rejet des défenseurs de cet arabe
qui l’imposent ici (S67, S69) comme langue du mensonge et de la tromperie à l’école alors
qu’eux étudient en français et en anglais comme là-bas, en France où veut partir Smail (S161,
S163) et où on étudie et on comprend (S155), loin des tromperies d’ici (S157).
2.2.2. «/ilaq s l(e) [il faut en] français i l’université// mais pas d(e) problème/les les ex-
les examens ad a répondigh s [je répondrai en] l’arabe mais sah s l(e) [l’essentiel
c’est en] français/» (Mounir111)
Bien que peu formulé, il ressort du discours de Mounir que la valeur d’usage des langues
est relative au besoin des utilisateurs dont lui-même. En effet, tout en considérant que les
ouvrages de ‘’la vraie philosophie, c'est-à-dire l’effort de réflexion et non le ‘’parcoeurisme’’
(M81, M89) sont produits en français (M63), il affirme qu’aussi bien pour le moment, c'est-à-
dire à l’occasion du baccalauréat (M45, M47, M51), qu’une fois à l’université, inscrit en
licence de philosophie, c’est en arabe qu’il répondra (M51, M81, M111). La nuance est de
taille car il établit en même temps une distribution de ces langues: l’arabe pour répondre aux
exigences de l’institution scolaire et universitaire, et le français pour apprendre (M111) à se
concentrer (M93) autour de ‘’questions complexes’’ (M91). A travers cette distribution,
Mounir parait ne pas reconnaitre à l’arabe, sa langue de scolarité (M53, M81), le statut de
langue de philosophie. En réalité, c’est l’enseignement de la philosophie tel qu’il le reçoit
actuellement mais aussi tel qu’il semble l’imaginer à l’université qu’il remet en cause et, par
ricochet, l’arabe qui lui sert de support pédagogique et didactique. En effet, la redondance du
praxème «d ahfad» (‘’c’est du parcoeurisme’’, M81, M83, M87, M89) qu’il lui associe est
systématiquement lié à la langue arabe alors que la définition qu’il donne, en arabe, de la
philosophie (‘’capacité dans la concentration autour de sujets complexes’’ M91), renvoie au
français (M91, M93, M111, M115). Mounir semble transférer à la langue arabe le reproche
qu’il formule à l’égard de cet enseignement de la philosophie qu’il qualifie de «laf wa
addawara kan» (M101), c'est-à-dire de simples circonvolutions sans dire quoi que ce soit
d’important. Et c’est dans la voix de son père, modestement lettré en français justement, qu’il
fait entendre le statut de langue de philosophie, telle qu’il la définit (M91), qu’il attribue au
français:
Beaucoup moins politisée que Smaïl, Ouerida accompagne, comme lui, son discours aussi
bien sur l’arabe que sur le kabyle de rires et de sourires moqueurs et dévalorisants,
systématiquement en comparaison au français et souvent à l’anglais (O21, O31, O67, O69,
O77, O95, O129). Le fonctionnement discursif du praxème «normal» (O23, O27, O29, O31,
O43) banalise son mépris de la langue arabe, réduite à un instrument de formalité pour
l’obtention du baccalauréat (O33, O35, O65); un baccalauréat qu’elle dit être à la portée de
tous (O67, O69) comme les études universitaires (O79). Même si son expression syntaxique,
tantôt kabyle tantôt française, est lourdement imprégné de l’arabe classique (particulièrement
O47, O57, O115), elle ne voit aucun intérêt dans la langue arabe (O25) puisque, dit elle (O45,
O47, O53), même au lycée les opérations de comptabilité et de mathématiques, essentielles
dans la série du bac qu’elle prépare (Sciences de gestion), sont en réalité en français et que
l’arabe n’est employé que pour «Eecharh», ‘’l’explication’’ (O51).
O7/ mahsouv [c’est à dire] l(e) français euh :: l’anglais euh ::/ c’est ça?/
E8/euh:/ daya kan?/// i l’arabe l(e) kabyle euh :: matchi d les langues?// [euh:/
c’est tout ?/// qu’en est-il de l’arabe du kabyle euh :: ce ne sont pas des
langues?//]
O9/ si si mais euh::###
E10/ mais euh::/ mais matchi am [c’est pas comme] l(e) français d l’anglais?//
c’est ça?/
O11/ i ::/ matchi kif kif bien sûr//[/i ::/ c’est pas comme bien sûr//]
E12/ achoughar matchi kif kif?/[/pourquoi ce n’est pas la même chose?]
O13/ I matchi kif kif kif bien sûr// bien sûr matchi kif kif// [/I c’est pas la même
chose bien sûr// bien sûr c’est pas la même chose//]
E14/ mais achoughar?/[/mais pourquoi?/]
O15/ achoughar?/[/pourquoi?/]
E16/ achoughar it hasvadh l(e) français d l’anglais### [/pourquoi considère-tu le
français et l’anglais ###]
O17/ I bien sûr l(e) français d l’anglais euh::/ i bien sûr bien sûr/ matchi kif kif
[c’est pas la même chose]/ d les langues c’est vrai/ l(e) kabyle d l’arabe
euh ::/ mais mais matchi kif kif// [/mais mais c’est pas la même chose//]
E18/ mais achoughar it hasvadh l’anglais d l(e) français matchi kif kif am euh###
[/mais pourquoi tu ne considères pas l’anglais et le français comme euh###]
O19/ akhatar// akhatar euh :: akhatar aka igla l hal/ en plus l’arabe euh::###
[/parce que// parce que euh::parce qu’ainsi est la réalité/en plus l’arabe euh::
###]
E20/ ih l’arabe/ d’achou it vghidh ad inidh af l’arabe?/[ih l’arabe/ que veux-tu
dire à propos de l’arabe?]
O21/ ih mahsouv même l’arabe kif kif ihwayassen ken/ c’est mort/ d’ailleurs les
élèves our atsqaren-ara akw/ [éclat de rire]/
[/ih c’est à dire même l’arabe c’est la même chose ils ont tort d’insister/ c’est
mort/d’ailleurs les élèves l’étudient pas/[éclat de rire]/
E22/ yaah !//[ah bon !//]
O23/ normal/ normal//
E24/ yaah !//[ah bon !//]
O25/ I woumits?/ puisqu’i l’université s l(e) français koulech/ en plus naâya degs/
koul as d akhworat d lakdev/ euh:: c’est pour ça our katchmen ara les
élèves ar l’arabe//
[Qu’elle est son utilité?/puisqu’à l’université tout est en français/en plus on
est fatigué de cette langue/chaque jour du baratin et du mensonge/euh:: c’est
pour ça que les élèves n’entrent plus en classe d’arabe//]
Le statut de langue qu’elle dit reconnaitre à l’arabe et au kabyle parait fonctionner comme
un principe général sans une grande importance comparé au français et à l’anglais.
L’actualisation du praxème oppositionnel «mais», suivi de la marque d’hésitation prolongée,
portent les traces à la fois de gêne et de déstabilisation de mon interlocutrice vis à vis des
implications de mon programme de sens (E8) dans lequel je lui reproche discrètement la
déconsidération de l’arabe et du kabyle. L’ayant ressentie hésitante, je la reprends en écho
dans un enchainement dialogal non pertinent puisque je mobilise son propre praxème «mais»
pour faire écho à mon reproche. Elle interrompt son hésitation en ouverture du tour (O11) et
confirme avec certitude l’hypothèse de mon interprétation de son propos précédent (O7). Elle
réitère l’expression de sa certitude « c’est pas la même chose bien sûr», maintenant son point
de vue en O11 et temporisant en O13 la programmation d’un dire explicatif que je provoque
en E12 mais qui s’avère être peu évident pour elle. Dans ses tours de parole suivants, cette
expression est systématiquement réitérée à chaque fois avec la même tonalité montante et sans
explication ni explicitation en dépit de ma requête insistante (E14, E16, E18) à laquelle
Ouerida oppose sa stratégie d’évitement me reprenant à chaque fois comme pour s’assurer du
sens. Elle entame en O19 un discours dans lequel elle apparait libérer sa pulsion
communicative en l’ouvrant par le triple causatif kabyle akhatar (parce que) mais bifurque
immédiatement après sur un sens à la fois inattendu pour moi et générique pour elle. En effet,
en affirmant que ‘’la réalité est ainsi’’, elle répond sans prendre de risque discursif sans doute
parce qu’elle soupçonne un rebondissement de ma part sur ses propos. Elle marque une pause
très courte et enchaine tout de suite après, sans succès, pour dire quelque chose de l’arabe
dont elle implique des reproches préalables sans les dire sinon dans le fil du praxème
prépositionnel «en plus». A l’interruption de son programme de sens, que prolonge sa longue
hésitation, je réagis et provoque sa parole en E20 exclusivement autour de l’arabe. Sa réplique
sur l’arabe, qualifié de langue «morte» que les élèves ‘’n’étudient pas’’, implique le kabyle
présent dans et par le comparatif «même» qui le catégorise plus négativement encore. Ainsi,
en le passant quasiment sous silence, Ouerida l’épargne-t-il de la moquerie de son éclat de rire
en fin de ce tour de parole? Ou l’ignore-t-elle tout simplement comme langue à l’école et à
l’université? Car, à partir de ce tour, rien ne renvoie au kabyle dans la bouche de mon
interlocutrice avant son tour de parole O119 où le kabyle réapparait encore plus insignifiant
que l’arabe et comparé au français. Et l’expression de mon étonnement dans mes deux tours
de parole E22 et E24 ne suffiront pas à la faire revenir sur cette ambiguïté que supplante
l’irruption inattendue d’un discours, physiquement absent, auquel elle donne la voix dans
l’actualisation «ihwayasent kan» (‘’ils insistent pour rien’’) pour se situer en opposition ou
bien aux défenseurs de cette langue, et à travers eux à la politique d’arabisation, ou bien aux
enseignants de/avec cette langue. Dans les deux cas de figure, l’arabe n’a aucune utilité à ses
yeux non pas seulement parce que ce n’est pas la langue des études à l’université mais surtout
parce qu’’’on est fatigué d’elle, du baratin et du mensonge‘’ (O25). Trois aspects d’un rejet
qui rappelle celui de Smaïl avec la même vocation endogroupale que rend ici l’indéfini ‘’on’’
pour faire entendre les voix polyphoniques, c'est-à-dire concordantes, des élèves, à ce sujet,
dans une relation de mêmeté avec elle que concrétise le refus de tous de prendre part aux
cours d’arabe. C’est un rejet sur fond de mépris que banalise l’obtention de bonnes notes aux
compositions sans avoir assisté aux cours (O27, O29, O31, 033). L’arabe est ainsi perçu
comme une formalité dont l’exigence se limite à l’obtention des notes supérieures à dix sur
vingt et peu importe qu’on les mérite ou non (E30, O31, E32, O33). Et l’expression de mon
étonnement (E28, E32, E34) n’aura aucun écho dans la discursivité autosuffisante du praxème
«normal» qu’Ouerida saisit pour banaliser, justifier et expliquer ce qui est pour moi
incompréhensible mais, pour elle, évident, réel et inutile à démontrer car ‘’ainsi est la
réalité’’, «akka igla l hal» (O19).
Ainsi jugé inutile, l’arabe est opposé au français, langue essentielle et utile pour les études
universitaires d’économie qu’Ouerida projette de poursuivre. Ainsi, la fonction de l’arabe ou
l’arabe tout court prend fin dès l’obtention du baccalauréat.
O35/ i c’est pas important euh ::/ di l bac/ oumbaâd i l’université s l(e) français
koulech/ donc twaladh amek/ c’est pas important/ c’est pas important/[i
c’est pas important euh::/ dans le bac/après à l’université tout est en
français/ donc tu vois comment/ c’est important c’est important/] ]
Candidate au baccalauréat dans la filière Gestion et économie, Ouerida conçoit mal des
études universitaires de finances en arabe, quand bien même elle admet recevoir avec cette
langue les enseignements de comptabilité actuellement, au lycée.
O45/oulamek/ oulamek akhatar ilaq euh :: ilaq euh ::/ nekkni je (ne) vois pas
amek euh :: les les finances s taâravth/ negh euh :: la comptabilité s
thaârvath//
[/c’est pas possible/ c’est pas possible parce qu’il faut euh :: il faut
euh ::/moi je ne vois pas comment euh:: les finances en arabe/ ou euh :: la
comptabilité en arabe//]
E46/ mais thoura theqqarem la comptabilité s thâravth !/ [/mais pour le moment
vous étudiez en arabe!/]
O47/ ih mais euh::/ c’est vrai sthaâravth/ sthaâravht/ mais les les les l aâmaliat et
tout s l(e) français//[oui mais euh ::/ c’est vrai c’est en arabe/ c’est en
arabe/mais les les les opérations et tout c’est en français//]
E48/ yaah!/ [ah bon!]
O49/ s l (e) français ih//[c’est en français oui]
E50/ d achou ihi it khadmam s thaâravth magla l aâmaliat s l(e) français ?//
[qu’est-ce que vous faites alors en arabe si les opérations sont en français?//]
O51/ euh ::/ charh euh :://[/euh::/l’explication euh:://]
E52/ mais euh ::/ charh l aâmaliat non?/ [/mais euh::/l’explication concerne les
opérations non?/]
O53/ah ! non/ les exercices bien sûr/ les exercices euh :: mais en vérité on on
réfléchit s l(e) français/ donc s[en] l(e) français akhir [c’est mieux]//
E54/ s l(e) français akhir?//[/en français c’est mieux?]
O55/ i:::/ bien sûr//
E56/ yaah/ s l(e) français akhir//[ah bon/en français c’est mieux//]
O57/ ih au moins s l(e) français anili wadjdin mi nebbadh ar l’université//[/oui au
moins en français on sera prêt une fois à l’université//]
E58/ c’est pour ça i s l(e) français akhir?/[/c’est pour ça que c’est mieux en
français?]
O59/ ih/ moulach agh taâar l’université//[/oui sinon on aura des difficultés à
l’université//]
Dans l’expression de son opposition à l’idée même d’étudier à l’université en arabe (O45,
O61) et de sa préférence du français (O53, O55, O57, O59), Ouerida attribue aux deux
langues deux fonctions didactiques d’apparence complémentaires mais qui sont, en réalité,
aussi hiérarchisées qu’hiérarchisantes: alors que le français serait la langue des exercices, des
opérations et de la réflexion, l’arabe servirait uniquement l’explication, l’extériorisation…. Ce
qui est difficile de vérifier car, officiellement, la langue des enseignements à l’école est
l’arabe quelle que soit la filière. Peut-être que, pour Ouerida, le fait d’adopter la symbolique
mathématique, physique et chimique universelle et son orientation graphique de gauche à
droite, à la différence de l’arabe (de droite à gauche), constitue le signe de la présence en
profondeur du français, laissant l’apparence à l’arabe, c'est-à-dire l’explication avec tout ce
que cela pourrait sous-entendre comme profusion de paroles dont se passent justement les
exercices et les opérations dont elle parle en O47 et O53 et qui relèvent du domaine
individuel.
La dimension motivationnelle de cette idée du français, comme étant la langue de la
réflexion (O53) et des études universitaires (de finances et de comptabilité), est exprimée en
amont et en aval de l’échéance que représente ici le bac. En effet, de l’exigence que s’impose
Ouerida d’étudier dès à présent en français, il ressort son souci d’être en mesure d’étudier, en
français, la comptabilité et les finances une fois à l’université (O57, O59). Ce qui ferait du
français et, à travers ce dernier, de l’université respectivement un outil et un lieu de
«réflexion» qui exigeraient des efforts à la différence de ce qui, selon elle, se fait au lycée et
même au bac (O67, O69, O73, O75). Ce qu’elle semble remettre complètement en cause dans
son tour de parole suivant (O77) où elle explicite (O79, 081) la facilité non seulement du bac
mais aussi des études universitaires du fait des moyens électroniques, particulièrement, qui,
justement, donnent un réglage de sens spécifique à son praxème «facile» et à ses implications
discursives (O109). Car cette facilité est liée à l’attitude même de Ouerida à l’égard du
français (O111, O113, O125) et de l’arabe ainsi que du kabyle (O115, O119).Tout porte à
croire qu’Ouerida est consciente des enjeux de langues aussi bien dans son entourage
immédiat que dans le monde. Et c’est à partir de cette conscience qu’elle se positionne vis-à-
vis du kabyle, sa langue maternelle, de l’arabe, la langue de sa scolarité, du français, la langue
avec laquelle elle veut étudier à l’université mais qu’elle parle souvent avec l’emprise du
lexique scolaire de l’arabe, et de l’anglais dont elle dit la nécessité de maitriser pour l’utiliser
ailleurs:
O115/ ih l’arabe toura ivan am l(e) kabyle/ mais di l iqtissad ilaq l(e) français
ilaq l’anglais/ akhatar toura s l âawlama ilaq les langues lmaâmoula biha
âalamiyan am l(e) français parce que nekni ntsiki di l mouhit n la
francophonie/ mais mais ilaq ilaq dighan l’anglais puisqu(e) anda nidhan d
l’anglais iglahoun//
[/oui l’arabe c’est clair comme le kabyle/mais en économie il faut le
français il faut l’anglais/ parce qu’actuellement avec la mondialisation il faut
les langues en usages dans le monde comme le français parce que moi je fais
partie de l’environnement de la francophonie/ mais mais il faut il faut aussi
l’anglais puisqu’ailleurs c’est l’anglais qui marche//]
O119/s l(e) français bien sûr/ l’arabe tarnad kan soufla/ l(e) kabyle dgha oulach
madhi/ ala it mouchouha/ [rire]/ euh c’est vrai toura lan les cd euh les les
films s l kabyle et tout/ c’est vrai lan même les les euh amek isqaren l qisa
euh//
[en français bien sûr/ l’arabe c’est en plus/ le kabyle c’est encore
insignifiant/ que dans les contes/[rire]/euh c’est vrai maintenant il y a les cd
euh les films en kabyle et tout/ c’est vrai il y a même les les euh comment
dit-on le conte euh//]
A la différence de Smaïl qui, en s’opposant aux défenseurs de l’arabe et de la politique
d’arabisation, fait entendre sa langue maternelle, le kabyle, tour à tour à travers le récit de
souvenirs d’enfance, à travers la voix de la doxa, de Matoub et de Fellag, Ouerida se contente
de déplorer le retard de la langue kabyle dont elle considère la valeur insignifiante même en
comparaison à l’arabe qu’elle juge, plusieurs fois dans l’entretien, inutile. Son rire en clôture à
sa séquence qualifiant le kabyle de langue ne servant qu’à conter est moqueur, quand bien
même elle semble être au courant des efforts consentis pour lui redonner du souffle: ne pas
connaitre l’équivalent en kabyle du mot «roman», qu’elle dit pourtant avoir appris en cours de
langue kabyle, est aussi synonyme de l’intérêt qu’elle porte à cette langue et son
enseignement!
2.3.2. «/i pa(r)ce que nkni d l [pour moi c’est le] français id sah [qui est important]/ s
l’arabe oulach [en arabe il n’y a rien]//» (Marzouk127)
Sachant qu’une fois bachelier, il sera orienté logiquement vers les sciences économiques,
du fait qu’il est candidat au baccalauréat de série Sciences de gestion (M17, M19, M27),
Marzouk laisse clairement entendre, dès ses premiers tours de parole, son espoir de faire
«autre chose» (M21). Par ricochet, il exprime un sentiment de regret d’avoir à poursuivre des
études universitaires d’économie alors qu’il souhaite étudier les langues (M39) française et
anglaise (M45) pour devenir traducteur-interprète (M47, M49).
M27/ mais oulamek [c’est pas possible]/ oulamek puisque l(e) bac d l [est un] bac
Gestion//
E28/ alla parfois lan [non parfois il y en a] // oui oui il y en qui font ###
Cette attitude vis à vis de l’arabe commence par une espèce de banalisation en rapport
avec son statut de langue de scolarité de Marzouk pour prendre petit à petit la forme de mépris
et de rejet lié au statut que Marzouk lui attribue comme langue d’études au lycée, avec tout ce
que cela implique, selon lui, comme lenteur dans l’usage de la craie au tableau, et impossible
à adopter à l’université où, justement, c’est la rapidité dans la prise de notes qui prime sur
l’exercice de recopiage en arabe au lycée. Selon cette logique, c’est le français que Marzouk
dit être cette langue de la rapidité et de la science, ainsi que je l’ai fait ressortir, dans l’extrait
conversationnel suivant, pour les besoins argumentaires du chapitre réservé au français perçu
comme la langue du savoir, de la technologie et d’avenir
E78/ mais c’est très bien/ tu es aussi bon en anglais// et et je suppose en arabe
aussi//
M79/ en arabe? normal/ normal/ de toute façon neqqar s [on étudie en]l’arabe
ah ! donc normal//
E80/ comment normal ?/
M81/ normal anili fort i [qu’on soit fort en]l’arabe du moment qu’neqqar s [on
étudie en] l’arabe/ mais euh ::/ mais euh:::###
E82/ mais quoi?/ mais quoi ?/ continue j’ai pas suivi//
M83/ ih s l’arabe ivan/ mais ssah s l français bien sûr//
[oui en arabe c’est évident/ mais le plus important c’est en français bien sûr//]
E84/ ah bon!/
M85/ i bien sûr/ du moment qu’i l’université d l français/ donc d l français i
dessah [le plus important c’est le français]//
E86/ comment ça d l français id essah?// [comment ça le plus important c’est le
français ?//]
M87/ i :: du moment que s l français qu’on va euh :: qu’on va euh :: qu’on ###
E88/ étudier?/
M89/ i voilà/ donc du moment que donc du moment que s l [en] français qu’on va
qu’on va étudier i l’université/ donc normal d l [c’est] français i d essah [le
plus important]/ il faut euh :: oui/ ilaq anili [il faut qu’on soit] fort pa(r)ce
que pa(r)ce que par euh :: i i l’université/ d l’université c’est pas am i
[comme au] lycée/ i l’université il faut faire vite/ c’est pas am i [comme
au]lycée/ c’est pas am thoura [comme maintenant]/ les professeurs/ a
tableau/ la craie et tout/ i l’université debbar mahaynek [débrouille toi] /
vite/ kouleche [tout est] vite/ mais dighen [en réalité] c’est normal/ c’est
normal/ du moment que :: normalement dayen[ça y est]/ on est prêt/donc les
professeurs dinna oulach a [là-bas pas de ] tableau et tout/ah oulach [il n’y
en a pas]//
En reprenant en écho mon praxème «arabe» (M79) sur un ton interrogatif, Marzouk
n’attend pas de réponse mais met en discours son étonnement d’entendre cette question posée.
En effet, il enchaine tout de suite après dans le même tour de parole en réitérant deux fois le
praxème adverbial «normal» avec lequel il clôt aussi son tour de parole, à la fois en banalisant
les implications de ma question et en faisant de sa maitrise de l’arabe une évidence qui ne
peut en être autrement car c’est la langue de ses études jusqu’ici. Pour cela, Marzouk mobilise
le collectif endogroupal «nous» pour rendre plus visible cette évidence, cette réalité. Ce qui,
avec le recul, n’autorise pas de voir dans cet emploi lié à l’arabe le symbole du collectif au
sens négatif, c'est-à-dire comme tout le monde, opposable au singulier, à l’initiative et à
l’effort intellectuel qui ne peut être qu’individuel et qui ne serait qu’à l’université et surtout
qu’en français. Cela est d’autant plus vrai que cette énonciation est reconduite dans le cas du
français, dans plusieurs tour de parole notamment en M89: /’’il faut que nous soyons fort’’
[en français]. Mais en associant à la banalisation de la maitrise de l’arabe la lenteur, la
reproduction à partir du tableau, etc., dans l’activité scolaire au lycée et à l’esprit
‘’débrouillard’’ et rapide au français dans les études universitaires (M107), Marzouk ne se
contente pas de distinguer entre les deux langues. Son positionnement en faveur du français
ne souffre d’aucune ambiguïté. En s’énonçant avec l’endogroupal inclusif «nous», il entend se
dire et dire ses camardes qui, dans cette logique, nécessitent la maitrise du français car la
langue de leur scolarité, comme lui, c’est l’arabe. Ce discours polyphonique qui, au sens
premier de ce concept, sous-entend les voix concordantes de ses camardes, c'est-à-dire sans
tension ni co-construction puisqu’elles disent la même chose et de la même manière telle une
chorale mono-vocale ou un orchestre dont Marzouk est le chef, porte-t-il aussi les
implications préférentielles du positionnement de Marzouk vis-à-vis des deux langues arabe et
française? Du point de vue de Marzouk, cela est évident mais pas banal car cela implique
beaucoup d’efforts, comparé à la reproduction qui se fait actuellement au lycée, en arabe.
Dans le but de le faire parler davantage à propos de cette distinction qu’il opère entre les
deux langues, je lui fais savoir que cet argument reposant sur les cours dispensés à
l’université en langue française s’applique également aux cours dispensés en langue arabe.
Marzouk fait semblant, en M109, de ne pas saisir ma réflexion et tente de gagner du temps
pour programmer son dire. J’insiste, en E110 et E112, en lui expliquant qu’en langue arabe
c’est plutôt plus abordable pour lui qui reçoit la formation entièrement avec cette langue.
N’approuvant pas mon opinion, il me retourne la question comme s’il veut s’assurer de son
contenu mais aussi et même surtout pour signifier son désaccord sans avoir à le dire. Ne le
laissant pas me dessaisir de mon rôle d’enquêtrice qui conduit et oriente l’échange, je refuse
de répondre par l’affirmative évidente qu’implique sa réplique (M115) et rebondis dans une
séquence (E116) à la fois interrogative et discursive l’appelant au bon sens et surtout à la
raison dans l’actualisation du praxème d’évidence «zâama» rendant complètement irrecevable
son attitude compte tenu de la banalisation même qu’il a faite de la maitrise de l’arabe dans
ses tours de parole précédents. Ne saisissant pas la portée sémantique de son interjection à
tonalité ascendante à laquelle succède l’actualisation du praxème «impossible», je l’accule
davantage car je croyais que ce qui relève de l’ordre de l’impossible à réaliser en arabe, est en
rapport avec l’idée de la rapidité dans le déroulement des cours à l’université qu’il a associée
au français, dans ses tours de paroles précédents (M91, M93, M95, M97, M99, M107, M109).
Très perturbé, il redouble le causatif «parce que» sans achever le programme de sens qui
devait aller avec et reconduit son affirmation précédente. Ignorant involontairement cet appel
de détresse, que la lecture ultérieure de l’échange décèle et met en rapport avec la différence
de nos objets de discours respectifs, lui parlant de l’arabe comme outil de connaissances
scientifiques et moi de la rapidité dans l’exercice pédagogique à l’université, je l’enfonce un
peu plus sans avoir l’intention sinon de contredire l’idée de l’impossibilité d’être rapide en
arabe même dans l’enseignement des matières comme les mathématiques et la comptabilité
qui exigent pourtant l’écriture et donc imposent un certain rythme moins rapide que ce que
sous-entend Marzouk. Il m’interrompt brusquement et me fait prendre conscience de la
différence dans nos deux objets de discours en M123. Les trois barres obliques à la fin de son
tour de parole portent la trace de la longueur du temps écoulé entre son arrêt de parole et ma
décision à la reprendre d’autant plus qu’il s’agit là de son deuxième arrêt m’invitant à
reprendre la parole après celui que marquent les deux barres qui suivent «/c’est pas la même
chose//». C’est aussi la trace de mon besoin de programmer et d’extérioriser du sens en tenant
compte de cette orientation discursive, nouvelle pour moi doublement car je dois en même
temps réviser mon interprétation des répliques antérieures de Marzouk et repérer ses
intentions communicatives. Comme pour gommer ce temps, c'est-à-dire me rattraper et
surtout me replacer dans la logique de mon interlocuteur, j’entame ma réplique E124 avec le
coordinateur «et» à valeur à la fois de conséquence, puisque je m’inscris dans sa logique qui
est celle du rapport entre le français de la recherche scientifique, et de remise en cause lui
disant sous forme interrogative un fond affirmatif : on peut faire de la recherche en arabe et
pas seulement en français, comme il le soutient. Il adopte alors une espèce de retrait, tout en
maintenant son désaccord avec moi. Le redoublement de son programme de sens «/je (ne) sais
pas/ je (ne) sais pas» (M125) étant séparé d’une pause courte, montre, en effet, qu’il s’agit
bien d’une temporisation/ obtempération par laquelle à la fois il gagne du temps et réduit
l’opposition diamétrale de nos propos sans pour autant adopter mon point de vue. C’est donc
une hésitation à maintenir son attitude maintenant que nous sommes bien autour du même
objet de discours: l’arabe en tant que langue de la recherche scientifique. D’où la nécessité
pour moi de le relancer en le ménageant (E126) pour éviter la rupture dans l’échange. Il
accepte de réagir et opère modestement puisqu’il précise bien qu’il s’agit de son point de vue,
contournant soigneusement la généralisation de ses propos antérieurs: «i pa(r) ce que nkni
[moi] pour moi d l [c’est le] français id sah [qui est essentiel]/ s [en] l’arabe oulach [il n’y a
rien// » (M127). S’en suit alors un échange autour de cette restriction de la scientificité au
français dont la disponibilité de moyens pour acquérir les connaissances modernes semble
constituer le sésame à côté de son audience internationale et de sa vocation universaliste. Des
aspects abordés dans le chapitre réservé au français perçu comme la langue de savoir, de
technologie et d’avenir et où l’arabe est lié à la politique et au retard, sur tous les plans, des
pays arabes. Ce qui fait que Marzouk, soucieux de mobilité que lui offrent le français et
l’anglais, se dit obligé d’accepter l’arabe comme troisième langue dans la formation
d’interprète-traducteur qu’il veut poursuivre.
2.4. Une élève inscrite en Mathématiques: «i :: bien sûr s l [en] français/en arabe?/ ça
va pas! d achou ara khadmagh yis? [que ferais-je avec?]» (Sabrina86)
L’entretien réalisé avec Sabrina se caractérise par la présence de sa mère, Karima, PES de
mathématiques, qui prend part par moments à l’entretien, et surtout par les innombrables
éclats de rire (S43, K47, K+S+E 51, S53, E72, K+S73, E+K81, K+E89, E105, S+K106,
S115, K+E131, K+E136, E+K139, E+K148) rendant l’atmosphère conviviale et l’échange
assez fluide. A l’exception de notre éclat de rire (sa mère et moi) provoqué par l’actualisation
du praxème kabyle «alatif» dans le tour de parole de Sabrina (S88), aucun des autres ne
concerne l’arabe. Tous sont d’ordre dialogale et rendent compte à la fois de la subtilité
conversationnelle de Sabrina et de sa modestie, d’abord, à prétendre «avoir un point de vue»
(S4, S6, S8, S10, S51), ensuite, à l’exprimer en français (S71, S74, S76, S100, S102) et, enfin,
en parler avec précision (S138, S147, S150, S154, S156). En réalité, même le nôtre, sa mère
et moi en K+E89, est d’un rapport très lointain avec l’arabe car le praxème de Sabrina «alatif»
est actualisé en réaction à mon hypothèse du besoin de maitriser l’arabe dans le cas où elle
devenait enseignante de mathématiques ou de physique au lycée. Cela est d’autant plus vrai
que, d’un côté, elle m’interrompt avant que j’eusse établi l’importance pour elle de maitriser
l’arabe (la langue des enseignements au lycée) et, de l’autre côté, elle enchaine juste après
ledit éclat et règle le sens de son propos justement («alatif») en mettant l’accent
explicitement, en effet, non pas sur la langue des enseignements mais sur la fonction de
l’enseignement au lycée («ça suffit ma mère et mon père//», S90). Une attitude qu’elle
justifie tout de suite après (S92) par les difficultés actuelles dans l’exercice de ce métier très
mal rémunéré «en plus» (S92).
Néanmoins, Sabrina n’est pas favorable à l’idée de poursuivre des études universitaires en
arabe. Bien que par instant son attitude vis-à-vis de cette langue ressemble à un rejet, voire un
mépris, dans l’ensemble, elle fait preuve de retenue et de logique fondée sur une certaine
répartition fonctionnelle des langues arabe, française et anglaise selon les statuts qu’elle
attribue à chacune d’elle. L’absence du kabyle dans son discours épilinguistique est plus à
mettre en rapport avec la logique du déroulement de l’entretien, focalisé sur l’école et
l’université, qu’avec l’ignorance ou la déconsidération de Sabrina de cette langue dont la
présence durant l’entretien est limitée à quelques expressions, l’essentiel étant fait en français.
Je saisis le moment où Sabrina déclare son souhait de s’inscrire en «math info bien sûr»
(S53) pour introduire la problématique de langue(s) d’études:
E59/mais euh :: mais i [à] l’université/ i [à]l’université les sciences exactes c’est
c’est en français###
S60/ aken akhir [ainsi est meilleur]/ tant mieux!/
E61/ aken akhir?/[ainsi est meilleur?]
S62/ c’est sûr aken akhir//[c’est sûr que c’est meilleur]
E63/ mais kounwi thaghram en arabe!/ [mais vous, vous avez étudié en rabe!]
S64/ i justement/ justement///
E65/ amek justement?//[comment justement ?]
S66/ justement pa(r) ce’qu’on est un peu faible I l [en] français euh :: surtout
I[en] l’anglais// donc justement ilaq s l [il faut le ] français iwakan
anemaitriser l français [pour que nous maitrisions le français]//
Sabrina est rassurée (S61) non pas d’apprendre que le français est la langue des études à
l’université mais de m’entendre le confirmer, car au vu de ce qu’elle sait de l’organisation de
l’université, y compris ce qui concerne les nouveaux dispositifs liés à la formation Licence-
Master-Doctorat (S41, S43, S45, S49), elle est sans doute aussi au courant de l’usage des
langues à l’université. L’assurance dans la tonalité de sa voix en S60, S62 et surtout en S64 et
S66 où elle voit cet usage comme une opportunité, pour elle et ses camarades, de maitriser «le
français» me rappelle la convocation en S26 de la voix de l’élève Mélissa, candidate
malheureuse au baccalauréat en raison de sa maladie (K19, S23), et dont elle retient surtout le
«très très bon français et même l’anglais d’ailleurs» (S26). Il émerge, en effet, de son
discours à propos du français et de sa maitrise à elle de cette langue un critère de mérite et de
‘’classabilité’’ parmi les bons élèves à l’instar de Mélissa et de ses frères, Sofiane et Rima
(S29), justement bacheliers et partis en France (K28, S29). C’est donc une opportunité pour
Sabrina de maitriser le français dont elle dit être «un peu faible» (S66, S71) bien que le long
de l’échange, elle montre d’assez importantes habilités non seulement à parler mais aussi à
négocier en français, avec ce que cela implique comme compétences communicatives dans
cette langue, et que j’encourage explicitement au moins dans mes tours de parole E2 et E75.
Elle réitère la nécessité de maitriser cette langue en S100, S102 et S107 dont elle liera, par la
suite, les raisons à son statut de langue internationale et de la recherche scientifique
systématiquement en comparaison à l’anglais, dont elle souhaite également l’acquisition, et à
l’arabe qu’elle dit connaitre mais à qui elle accorde peu d’importance parce qu’elle juge
qu’elle n’ a ‘’rien à faire avec’’ (S86) après le baccalauréat d’autant plus que même au lycée,
pour elle, l’arabe a produit «la catastrophe» (S109). Elle craint qu’’’à l’université ce sera
pire’’ (S109). Une ‘’catastrophe’’ que soutient sa mère, sans en avoir l’intention, dans son
tour de parole (K149) quand sa fille me reproche (S147) ma tendance à lui demander de
m’expliquer tout, même ce qui lui semble être évident, alors que, dit-elle, cela exige des
compétences d’élèves en lettres et philosophie (S154). S’agit-il là de sa façon à elle de
contourner le fond de mes questions en catégorisant de ‘’difficile le sujet’’ (S156) que nous
abordons et en me reprochant, à moi la littéraire, ma recherche de la précision (S158) au point
d’actualiser à mon encontre le praxème définitoire de sa discipline, qui est aussi celle de sa
mère: les sciences exactes? C’est en effet sur sa doléance que je décide de la remercier: ‘’en
plus il faut tout avec précision’’ (S158).
Dans l’échange avec Omar, il ressort une attitude de préférence du français (091, 093,
O97, O113, O115, O117) qu’il qualifie de langue de science et de technologie (O95, O101) et
dont la maitrise, qu’il n’a pas au vu de sa performance durant l’échange, malgré sa déclaration
en comparaison à l’anglais en O145, constitue pour lui un atout pour concrétiser son projet de
départ à l’étranger (O125, O127, O129, O131). Cette préférence est essentiellement au
détriment de l’arabe (047, 049, O53, O55, O69, 071, O75, O77, 079, O81) car la langue
amazighe ici dans sa variante kabyle, qu’il défend contre l’arabe (O63, 065, O85, 087, O109,
O119, O121), n’est jamais opposée au français (O45).
La relecture de l’échange avec Omar donne à voir une espèce d’idéalisation du français du
fait justement que mon interlocuteur ne le maitrise pas. En effet, avant d’entamer le vif de
notre sujet, c'est-à-dire les langues à l’école et à l’université, Omar a explicité sa crainte de se
voir imposé le français comme la langue de l’échange (O39, O41, 043). Plusieurs fois rassuré
de sa liberté à s’exprimer avec la ou les langues de son choix comme il a l’habitude de le
faire dans son quotidien (E42, E44, E46), il interrompt subitement mon tour de parole E48
juste au moment où j’actualise le praxème «arabe» comme une langue parmi les différentes
possibilités d’expression à sa disposition.
E48/ akken ikyahwa/ / sthroumith/ sthaâravth ### [/c’est comme tu veux/en français/en
arabe####]
O49/ ahves/ thaâravth outhtsekkara/ [/stop/ l’arabe ne fait pas partie/]
E50/ ah oui!/
O51/ ah oui/ désolé/
E52/ achoughar aâni?/ [pourquoi?]
O53/ achoughar [pourquoi?] euh :: tout simplement j’aime pas l’arabe/
Avec le praxème « ahvès » (lit. arrête!, stop!), Omar refuse le recours à la langue arabe
pour échanger avec moi. Le réglage de sens de ce praxème «ahvès» s’apparente plutôt à une
espèce d’interdiction qu’il explicitera tout de suite après: «thaâravth outhtsekkara», ‘’l’arabe
ne fait pas partie’’ des langues de l’échange.
L’étonnement dans ma réaction immédiate (E50) devant cette animosité, inattendue pour
moi, à l’égard de la langue arabe, n’a produit aucun effet sur son attitude. Il accentue, en O51,
l’expression de son hostilité à l’encontre de cette langue par l’interjection «ah» suivie de
l’élément approbateur «oui» avec une tonalité qui rappelle à bien des égards l’air de revanche
dont il semble saisir l’occasion pour assouvir un sentiment de mépris ou de règlement de
compte. Son ironie, en clôturant son tour de parole par le praxème «désolé», règle un sens
ambigu car il ne cible pas cette langue mais moi qui la lui suggère parmi les autres possibilités
d’expression que je considère faisant partie de son répertoire verbal quotidien et surtout
scolaire, pour rester dans les termes de notre accord préalable: discuter des langues à l’école
et à l’université.
Son hésitation (O53), relativement prolongée, à justifier son rejet de l’arabe, porte la trace
d’un dire refoulé qu’il expulsera dans son tour de parole suivant (O55) quand je lui repose la
même question que celle (E52) pour laquelle il observe une certaine retenue. En effet, entre ne
pas aimer une langue (O53), dont les locuteurs se profilent ici derrière à plusieurs répliques
(O61, O63, O79, O81), et la considérer comme étant «delmardh» (O55), c'est-à-dire ‘’la
maladie’’ dont le sens en kabyle concerne à la fois l’incurable et la contagion, il y a cette
nuance à effet de sens dialogique que recherche Omar pour, d’un côté, accabler cette langue et
la politique d’arabisation (O61), dont il ne prononce jamais le vocable, et, de l’autre côté,
plaider la cause de sa langue maternelle en s’engageant dans un discours faisant entendre les
voix de militants de cette langue décrite comme une victime de cette maladie (O61, O63,
O65).
E54/ et pourquoi ?/
O55/ l’arabe delmardh/ [/l’arabe c’est l’incurable/]
E56/ ah oui !/
O57/ ilanayam! qvarnagh yis ach hal isseggassen aya/ bezzaf!/ normalement thoura
stop!/ barka!/ naâya!/[s’il te plait!/ qvarnagh [ils nous ont gavés] depuis combien
d’année?/ c’est trop !/ normalement maintenant stop !/ ça suffit/ y en a marre!/]
E58/ anwi ikiqwavran yis?/ [qui vous ont gavés?]
O59/ la politique agui netmourrth agui nelhif/ [la politique de ce pays de misère/]
E60/ yah/ [ah bon !/]
O61/ ih/ segwasmi idechfigh euh :: staâravth/ wellah arechfigh am assa asmi kechmagh
gher lakoul/ bdhaghd sakham qarghas i yemma euh :: achoughar machi
sthaqvaylith aâni lakoul/ wehmegh/ déjà l(e) début ça va pas/ thennak ah :: di
lakoul ammi tsaâravth/ thaqvaylith goukham ken/ thezridh/ euh :: je trouve ça
dégoutant/ c’est pas juste/ thamourth agui euh :: normalement n les berbères/
machi les arabes/ c’est des envahisseurs/ tchan thamourth/ thoura qriv aghetchen
oula d noukni/ ya latif/
[oui/ aussi loin que remontent mes souvenirs c’est en arabe/je jure que je me
souviens comme si c’est aujourd’hui quand je suis entré à l’école/ de retour à la
maison j’ai dit à ma mère euh :: pourquoi ce n’est pas en kabyle à l’école/ je suis
étonné/ déjà le début ça va pas/ elle m’a dit ah :: à l’école mon fils c’est l’arabe/ le
kabyle à la maison seulement/ tu sais/ euh :: je trouve ça dégoutant/ c’est pas
juste/ ce pays euh :: normalement est aux Berbères/ ce n’est pas aux Arabes/ ce
sont des envahisseurs/ ils ont tout mangé et à présent ils projettent de nous
manger/ espèce de maudits/]
E62/ thekerhedh taâravth hein !/[tu n’aimes pas l’arabe (la langue) !]
O63/ ah oui/ mlih/ de plus dnouthni ightiskarhen plus/ nghanagh tamazighth/ [ah
oui/beaucoup/ de plus ce sont eux qui nous l’ont fait détesté/ ils ont tué notre
amazigh (langue berbère)/]
E64/ nigh thoura theqqarem thamazighth/ [pourtant maintenant vous étudiez l’amazigh]
O65/ ih alami trop tard/ alami yemmouth ach hal darouh/ et en plus/ achoughar machi
première année itheveddou thmazighth am thaâravth/[oui/ après quoi/ après tant de
morts/ et en plus/ pourquoi on en commence pas l’amazigh dès la première année
comme l’arabe/]
Devant cette attitude excessive et exagérée, mon ébahissement (E56) l’interpelle certes,
puisqu’il tempère au moyen du conatif «ilanayem» (‘’s’il te plait’’). En réalité, il s’en sert
pour prendre de l’élan tout en m’associant à son point de vue qu’il généralise tout de suite
après à ceux des locuteurs kabyles que rend l’emploi de l’indéfini (O57) dans une logique
endogroupale de mêmeté, à perspective de véridiction, et d’altérité qu’explicite la convocation
polyphonique de la voix plaintive de la mère d’Omar (O61) sans doute pour faire entendre sa
«langue maternelle» (O87).
Le dialogisme intralocutif dans sa réplique O57, où Omar interagit avec ses propos
antérieurs en actualisant les praxèmes «bezzaf !» (‘’c’est trop !’’), «stop !», «barakat!» (‘’ça
suffit!’’), «naâya !» (‘’y en a marre!’’), faisant écho autodialogique à son praxème «ahvès !»
de O49, annonce une pulsion communicative des plus bouillonnantes. Celle-ci culmine en
O75, après avoir déclenché tour à tour l’actualisation de praxèmes porteurs de traces de
sentiments d’opprimés (057, 065) qui impliquent des oppresseurs, tantôt non définis comme
en O59 tantôt définis comme en O61, et le récit de souvenirs d’écolier frustré de se voir
imposé l’arabe et de ne pas étudier en kabyle (O61).
Le rejet de l’arabe se fait donc en rapport au kabyle. Il se traduit aussi par le choix de mon
interlocuteur de réduire au «minimum» (O69) son assiduité aux cours d’arabe. Mais en
précisant qu’il s’agit bien de l’enseignement de l’arabe en tant que langue et culture, car son
choix de 069 ne concerne pas les autres matières de son cursus de candidat au baccalauréat de
série Techniques et Mathématiques (O71, O73) et qu’il reçoit en arabe, j’ai voulu interroger
(E74) la distinction qu’il a établie:
O67/ en tout cas nek dayen oufighazd ikhfis/ [/en tout cas moi ça y est j’ai trouvé la
solution/]
E68/ amek ?/ [/comment?]
O69/ outseqqarghara [je ne l’étudie plus]/ juste le minimum nni/
E70/ c'est-à-dire ?/
O71/ qqaregh juste lahq nni iglaqen juste bach adawigh l bac/ c’est tout/ ayen nnidhen
je ne m’intéresse pas du tout/ [/j’étudie juste ce qu’il me faut pour avoir le bac/
c’est tout/ au reste je ne m’y intéresse pas du tout/]
E72/ mais toutes les matières c’est en arabe /
O73/ zrigh/ wina maâlich/ mi oulach tmeskhir nni yakw netaâbir/ iîrab éccétéra/[ /je
sais/ cela ça ne fait rien/ mais pas ces plaisanteries de dissertation/ iîrab etc./]
E74/ danechthagui ken ikyegginin/[ c’est ce qui te gêne/]
O75/ beaucoup plus/ thezridh [tu sais !]// taâravth yakw tegginiyi [tout ce qui est arabe
me gêne]/vedel a sujet moulach aqli la rekmagh/[il faut changer de sujet parc que
là je bouillonne»]
L’arabe provoque donc la révolte de mon interlocuteur qui, en explicitant son souhait de
changer d’objet de discussion, met, en réalité, en sens une attitude vis-à-vis de cette langue
sans avoir à la mettre en discours et qui consiste à accentuer davantage l’idée de l’incurable et
de la contagion qu’il en a donnée comme image de l’arabe: cette fois-ci il en est carrément
allergique…
Je consens à sa volonté (E76) et décide dans le même tour de parole, après une légère pause
(que marquent les deux barres obliques), d’entamer la problématique du français en rapport
avec le kabyle. Il réplique, en m’interrompant, pour compléter ses propos précédents dans la
même logique de mépris de l’arabe:
E76/ yah[ah bon] !/ d’accord//###
O77/ en plus hein/ staâravth semmal gher deffir[en arabe c’est toujours an arrière]/
oulach avancé [on n’avance pas]
E78/ yah [ah bon] !/
O79/ iniyid ilanayem dachou iguelhan ghour waâraven?[dites moi je vous prie ce qu’il
y a de bon chez les Arabes?]/ dachou idesnoulfan [qu’ont-ils inventé] par
exemple?/ hein?/ dachou [quoi ?]/
E80/ [sourire]
O81/ hacha [que] zéro// dnouthni I d zéro [ce sont eux zéro] justement/ harchen aâqlen
imanenssen [il sont si intelligents qu’ils se reconnaissent]/ [rire]/
E82/ ou:la###
O83/ ih/ dessah machi d lekdev/ [/oui/ c’est vrai c’est pas un mensonge/]
Ainsi, Omar m’impose exactement le contraire de ce qu’il dit souhaiter en 075, quitter
l’arabe comme objet de discussion. Même après E88 où je réussis à l’amener à centrer
l’échange sur les langues étrangères, il adopte la comparaison du français à l’arabe comme
mode d’expression, dans une logique oppositionnelle faisant, notamment dans son tour de
parole O99, du français la langue qui fait avancer et de l’arabe celle qui fait reculer :
O99/ le français quand même akyezziz ghar zdath [va te propulser vers l’avant]/ oukyettarara
gher deffir am l’arabe/[il ne te fera pas reculer en arrière comme l’arabe]/
2.6. Un élève inscrit en Sciences expérimentales: «/ça c’est sûr/c’est sûr c’est plus
grand d’ailleurs l’arabe oulach [il n’ya rien, c’est nul] c’est toujours les mêmes ala
[que] euh/ c’est mort// voilà oulach la culture/dayman d aqdim negh d l(e) passé
[toujours c’est ancien ou concerne le passé]//» (Lotfi63)
Dans ses premiers tours de parole (L3, L7, L13, L15, L17, L25), Lotfi s’attarde sur ses
difficultés à parler en français et sur son souci de l’image qu’il donnerait de lui à travers son
français aussi bien à ses camarades qu’à tous ceux qui accèderont à l’entretien. Rassuré de la
restriction totale dans l’exploitation dudit entretien (E4, E6, E8), il choisit (L35) de s’imposer
le français pour, dit-il, «apprendre» (L37) sur le tas et ce malgré ma proposition, plusieurs
fois renouvelée (E14, E16, E18, E26, E28, E34, E40), de s’exprimer en arabe, en kabyle ou en
mélangeant les langues comme il le suggère lui-même en L27.
Ambivalente, cette attitude porte les traces de la frustration de Lotfi (L25, L29, L31, L33)
et implique sa détermination à maitriser le français pour, dit-il, s’en servir une fois à
l’université (L39, L41, L43). En effet, son expression en français est si limitée que la
fréquence de ses passages aussi bien au kabyle qu’à l’arabe rappelle le caractère hybride de la
parole quotidienne, surtout urbaine, dans l’espace kabyle actuel. Son effort à se dire en
français ne masque cette hétérogénéité langagière que dans de rares séquences, toujours très
courtes comme en L17, L23, L51, L53 et L105.
Lotfi est donc conscient de son niveau de français. Mais il contourne sa responsabilité
personnelle dans cet état de fait. Il justifie ce dernier en passant par la convocation d’une
tierce personne, les élèves, à qui il s’intègre discrètement. Ces derniers n’étudient pas le
français parce que, approuve-il en L39, cette matière n’est pas essentielle pour le baccalauréat
Sciences expérimentales qu’ils préparent mais qui le sera dans un futur très proche: à
l’université (L39, L41, L43). Ainsi, l’effet de cet entrainement négatif sonne dans la bouche
de Lotfi sous forme de conseil à ses amis de ne pas ‘’brûler le français’’ (L45) car ‘’à
l’université tout est en français’’ (L47). A mon approbation réitérée de son conseil (E44, E46
E48), dont je précise quelques filières enseignées à l’université en français (chimie, biologie,
agronomie, mathématiques) pour lui signifier en même temps l’existence de filières assurées
en arabe, il rebondit dans une réplique inattendue, au vu de ce qu’il a déclaré auparavant
concernant son intérêt à la physique et aux mathématiques (L39):
L49/ en plus il faut dighan [en plus] un peu de culture/ un peu de culture/
E50/un peu seulement?/
L51/au moins un peu//
Entrainée dans cette perspective où le français me parait constituer, pour Lotfi, la langue
de ce nécessaire «peu de culture» (deux fois réitéré) à sa formation, je rebondis non pas sur le
réglage de sens du prépositionnel «en plus» impliquant l’essentialisation du français en tant
qu’instrument technique ou d’acquisition des savoirs scientifiques que Lotfi distingue de la
«culture générale», mais sur le praxème de quantification «un peu» (E50). Je voulais, en
effet, interroger la place de ce «peu de culture générale» dans la formation voulue par Lotfi et
dont le propos la situe en lisière, c'est-à-dire comme un complément… à ce qui est essentiel, à
savoir les sciences naturelles, la physique et les mathématiques (L39). Sans hésitation, il
réplique pour régler rétrospectivement le sens de ce quantificateur, pour moi réducteur, en un
minimum requis et impliquant l’illimitation des connaissances culturelles à acquérir.
Déstabilisée par cette prouesse, je formule maladroitement une nouvelle requête qui aurait dû
être, en fait, en E50 à la place de celle ayant pour objet la quantité de la culture générale à
acquérir: celle qui concerne le lien entre la nécessité d’acquérir une culture générale et le
français. S’ensuit alors un échange autour du sens de ma demande que je ne parviens à rendre
explicite qu’en E60:
E58/ tu dis qu’il faut connaître le français puisqu’à l’université etcetera/ ça j’ai
compris/ mais quand tu dis qu’il faut aussi un peu de culture euh/ je ne
comprends pas bien//
L59/ pourtant c’est simple// c’est simple simple/ je veux parler des connaissances
dans la culture af ayen nidhan matchi ayen iânan les microbes ectcéera [sur
autre chose par seulement ce qui concerne les microbes etcétéra]/ ilaq [il
faut] un peu euh la poésie euh les les livres euh af [sur] la culture ainsi d(e)
suite//
E60/ oui ça tu peux le faire s [en ou avec] l’arabe aussi matchi alama s [pas
obligatoirement en ou avec] l(e) français//
L61/ i:: c’est vrai mais en français amek ad ingh? [comment dire?]/c’est plus
c’est plus euh c’est plus grand/ voilà c’est plus grand bien sûr//
E62/ yaah!/ [ah bon !]
L63/ ça c’est sûr/ c’est sûr c’est plus grand d’ailleurs l’arabe oulach [il n’y a
rien] c’est toujours les mêmes ala [que] euh/c’est c’est mort// voilà oulach
[il n’y a pas]la culture/ daymen daqdim negh d l(e) passé [toujours c’est
ancien ou concerne le passé]//
L’assez long prolongement vocalique d’hésitation en ouverture à son tour de parole L61,
que confirme son auto-interrogatif suivant (‘’comment dire?’’), prouve que Lotfi temporise
depuis son tour de parole L53 comme s’il se garde d’extérioriser un dire exclusif que je ne
partagerais pas avec lui car contraire à l’esprit inclusif de mes propos antérieurs et relatifs à sa
liberté totale de s’exprimer dans la langue de son choix. Parce qu’en effet la ‘’poésie et les
livres sur la culture’’ (L59) existent en arabe! Cela ne relèverait-il donc pas de la culture
générale ou du sens qu’il (se) donne de la culture générale? Ses deux tours de parole
complémentaires L61 et L63 sont affirmatifs à ce sujet. Ce qui, en arabe, n’est pas aussi
grand qu’en français dans L61, est carrément néant en L63 où justement à l’univocité et au
passéisme Lotfi oppose implicitement la diversité et l’actualité. Ainsi, sans le dire, l’arabe
serait la langue de cette univocité, ce passéisme ‘’morts’’ et le français celle la diversité et de
l’actualité. Pourtant, tout de suite après et dans un élan d’illustration de sa comparaison, Lotfi
apporte des exemples relevant aussi du passé pour sa génération mais qu’il considère actuels
pour les besoins de sa comparaison: Léo (Ferret?), J. Brel, Jaurès et Taous Amrouche; car le
passéisme culturel qu’il associe à l’arabe est trop loin dans l’histoire par rapport à son époque
à lui.
A la différence de l’arabe, associé au passé lointain de Lotfi qui fait entendre cette
association dans la convocation de ses camarades élèves, le français n’est pas perçu comme
tel bien qu’à travers les exemples donnés il renvoie aussi au passé, il est vrai récent comparé
à l’arabe. C’est qu’au français est associé, du moins dans les arguments illustratifs, l’idée de
combat pour la liberté et les droits de l’Homme que symbolisent Jaurès (L69) et Taous
Amrouche (L73). Une idée à travers laquelle il est très difficile de ne pas voir planer
l’atmosphère générale qui prévaut dans la région de Tizi-Ouzou et dont chacun connait un
bout. L’intérêt de Lotfi concerne, en effet, Jaurès plus que J. Brel. Celui-ci semble être ici une
occasion ou un moyen. Les informations que retient Lotfi à propos de Jaurès et qu’il complète
en téléchargeant de l’internet, le lexique, dont il se sert pour les exprimer (‘’assassiné’’,
‘’mort’’, ‘’les droits’’), et, surtout, la citation du segment du texte de Brel qui sonne comme
un véritable écho à l’appel du chanteur, constituent autant d’éléments indicateurs de l’attitude
politique de Lotfi travaillée par la problématique régionale dont la dimension dialogique passe
ici par la voix de Taous Amrouche, cette figure du combat pour la liberté, et non pas par
celles des autres militants, écrivains ou chanteurs de même combat et audience car c’est
justement avec son enseignant de français que Lotfi dit avoir étudié cela.
La tendance endogroupale dans l’énonciation de Lotfi lui permet ici de s’effacer en tant
que sujet, en tant individu, pour se re-placer dans le groupe de cette «jeunesse» (L69), celle de
ses camarades. Pour ces derniers, le cours de français, quand il est ainsi assuré, c'est-à-dire
quand on y aborde des problématiques de ce genre, est vécu comme un véritable espace de
détente aux sentiments partagés entre l’enseignant, qui se profile dans le contenu du cours, et
les élèves. A l’opposé, l’arabe ou le cours d’arabe serait celui de la crispation ou de
l’impossible détente et dont il faut s’enfuir coûte que coûte ainsi qu’il le dira plus loin en L99.
A l’émergence, dans son discours, de cette idée de la culture générale associée à la détente
qui est, pour Lotfi, possible en français non en arabe, je réagis en E74 dans l’espoir d’un
réglage dans la distribution des fonctions qu’il semble attribuer aux langues, particulièrement
à l’arabe que je camoufle comme cible de mon intervention par le rajout immédiat de l’anglais
pour éviter d’éveiller tout soupçon de défense de l’arabe de ma part. Il m’interrompt (L75) en
se focalisant sur l’anglais avec un ton exprimant à la fois l’impossibilité de le faire et le regret
de ne pas pouvoir le faire car ne comprenant pas cette langue. Ce double sens me fait rappeler
et dire ses propos de L37 au sujet du français que j’adopte ici à l’anglais (E76) mais qu’il
repousse avec un argument explicitement justificatif (‘’nous n’avons pas de base’’, L77) et
implicitement accusateur: l’arabe a pris tout. En effet, saisissant cette opportunité dialogale au
cours de laquelle je signifie la bonne base en langue arabe qui leur offre, à lui et à ses
camarades, la facilité d’acquérir cette culture générale en arabe, Lotfi produit un discours
assumé avec le nous inclusif qui rappelle en profondeur celui des autres interviewés:
L’arabe relève donc déjà du passé de Lotfi pour qui seul compte le français car ce sera la
langue des études universitaires qu’il aura à poursuivre même si la forme de son discours est
systématiquement imprégnée de l’arabe scolaire comme particulièrement en L89. Et lorsque,
sous forme hypothétique, je lui suggère l’idée d’étudier à l’université en arabe, parce que
justement c’est plus facile pour lui qui a étudié jusqu’ici en arabe, il redouble de procédés
langagiers dans le rejet de l’arabe:
E92/ ketch tavighidh ats aghradh s l’arabe negh s l (e) français? I l’université
bien sûr ah//
[/toi tu veux étudier en arabe ou en français ? à l’université bien sûr//]
L93/ s l’arabe? Haay! [/en arabe? Haay!]
E94/ s l(e) français ihi// [/en français alors//]
L95/ bien sûr/ ida âouribat khouribat/[rire]/ [I bien sûr/ si arabisée, ce serait
anarchisé/ rire/]
E96/ pourtant s l’arabe ik ishal puisque tasεidh la base/ ###
[pourtant c’est plus simple pour toi en arabe puisque tu en as la base/###]
L97/ ala::! ala ala ala! Asendjagh dagi la base ni achki arasnasragh//
[/non::! non non non ! je leur laisserai cette base ici quand je me délivrerai//]
E98/ mais s [en] l(e) français ça va être difficile puisqu’our tasεidh ara [tu n’as
pas] la base//
L99/ khas/ khas mais au moins s l français yella l’espoir anesenser i tmourta//
mais s l’ARABE/// de tout les façons l’arabe c’est pas une langue de
sciences//
[/même si/même si mais au moins en français il y a l’espoir de me délivrai de
ce pays// mais en ARABE/// de toutes les façons l’arabe c’est pas une
langue de sciences//]
E100/ yaah![ah bon !]
L101/ c’est une langue morte aghtsakalikhan dagi yis [ils nous trompent ici
avec]//
Lotfi passe du mépris au rejet de l’arabe respectivement en tant que langue d’acquisition
des connaissances universitaires et de lien avec son pays. Plutôt que de le recentrer sur les
implications sous-entendues dans le mépris de l’arabe que porte son interjection «haay!»
(L93), malheureusement intraduisible, je reprends le second élément du choix de langues
contenu dans mon tour de parole précédent (E92) dans l’espoir de l’entendre justifier son
attitude favorable à l’égard du français. Il se contente d’actualiser «bien sûr» comme pour me
dire que cela relève de l’évidence, inutile ou impossible à démonter ou à justifier. Et revient
immédiatement, après une très courte pause, à l’arabe dans une énonciation aux allures
polyphoniques qu’il clôt avec un éclat de rire pour, en même temps, dire son adhésion à la
voix d’Ibn Khaldoun, dans le segment qui lui est attribué sans le citer (‘’si arabisée, ce serait
anarchisée’’, L95), et signifier l’instrumentalisation dialogale qu’il en fait mettant ainsi en
valeur ses propres compétences argumentaires. Là aussi, plutôt que d’aborder avec lui le
glissement phonétique dans l’expression d’Ibn Khaldoun (non pas ida âouridabt mais ida
âouraïbat, du nom de populations dévastatrices âouraïbia), je tente de lui opposer sa propre
logique concernant la nécessité d’avoir une base dans la maitrise d’une langue pour acquérir
avec une culture générale, ici l’arabe en tant que langue de sa scolarité. Avant même que j’aie
fini mon propos (E96), il rebondit (L97) d’abord en allongeant la finale vocalique de son
interjection négative (ala::!) comme pour me signifier l’inutilité de continuer dans cette voie
et, ensuite, en doublant en rafale cette même interjection et en produisant un discours adressé,
à travers moi, à un ils et en prenant soin de ne pas m’y intégrer, marquant ainsi une ligne de
démarcation entre lui et cette présence-absente à laquelle renvoie ‘’ils’’ et à laquelle il associe
dans son tour de parole suivant «ce pays» (L99) dont l’actualisation insinue les dirigeants de
ce dernier qui les trompent: lui, ses camarades et tous ceux qui se reconnaitraient dans son
discours (L101). Mon insistance, en E98, sur les éventuelles conséquences négatives à adopter
le français comme langue d’études à l’université, puisqu’il dit lui-même en éprouver des
difficultés, n’est d’aucun poids devant l’urgence pour lui de «se délivrer» (L97) de «ce pays»
(L99). Ces conséquences ne lui font pas peur ou plutôt il ne les mesure pas car le français est
pour lui plus une langue ‘’d’espoir de se délivrer de ce pays’’ (L99) que d’études
universitaires. Alors que l’arabe, dans ce sillage, est celle du désespoir que fait entendre sans
le prononcer, dans la seconde séquence de ce même tour L99, l’interruption dans son
programme de sens, à très forte tonalité montante dans l’actualisation praxémique «/mais
l’ARABE///». Même mon hésitation à reprendre la parole que Lotfi me cède (les trois barres
obliques le montrent), lui signifiant justement que j’attends l’aboutissement de sa logique, ne
réussit pas à la lui faire extérioriser. Ainsi, il me laisse la responsabilité de déduire ce que
l’arabe représente pour lui dans ce face à face avec le français. Et brisant le long silence que
mentionnent les trois barres obliques, il enchaine sur la critique de l’arabe certes. Mais il
change complètement de ton, passant vers ce qu’il présente comme étant une évidence
(«l’arabe de toutes les façons c’est pas une langue de sciences») dont il semble décliner ou
contourner mon invitation à en parler plus explicitement (E100). En effet, il choisit juste après
(L101) de revenir à eux, cet Autre qui instrumentalise cette «langue morte» (L101), pour
faire de même de ce nous inclusif faisant écho ainsi à son discours antérieur (L99) en rapport
avec le français, cette langue avec laquelle il nourrit l’espoir de se délivrer de ce pays, de cette
instance à laquelle renvoie le praxème eux, plusieurs fois actualisé dans l’échange mais sans
forme d’identification précise comme si lui et moi partagions cette espèce d’entente secrète à
ce sujet.
Consciente des risques d’éloignement du sujet de notre échange en interrogeant son rejet
de l’arabe, je choisis, à partir de E102, de le recentrer sur ce qu’il entend quand il qualifie
l’arabe de langue non scientifique (L99) en comparaison bien sûr avec le français. Evasif en
L103 et L105, Lotfi parait acculé à justifier ce qu’il conçoit jusqu’ici comme une évidence. Il
minimise l’importance de mon argument de scientificité de cette langue dans le fait qu’il dit
lui-même être sa langue actuelle d’acquisition des mathématiques, de la physique, de la
chimie, etc. Pour lui, cela relève ‘’uniquement de la traduction sans de vraies recherches
scientifiques’’ (L107) et ‘’une traduction toujours tardive’’ (L145) qui, elles, selon lui, se font
en français et en anglais (L121, L129, 143). Pour lui, la preuve que l’arabe n’admet pas la
science, réside dans ‘’l’assassinat d’Ibn Rochd et des savants durant la civilisation arabo-
islamique’’ (L121). Et à la différence de l’arabe, en français, en anglais, en allemand, etc.,
ces langues qui ont aussi connu des périodes de ce genre de violences, ‘’on reconnait la valeur
de la science pas comme les Etats arabes où ce n’est pas encore le cas et où de plus en plus on
recule’’ (L123). Au-delà des rires (L09, L117) qui accentuent le délire de mon interlocuteur
pour qui les Arabes ont découvert non pas l’idée mais la forme de zéro dans laquelle ils y sont
définitivement tombés (L117), il y a cette idée non formulée que l’arabe en tant que langue,
comme les autres, n’est en réalité pour rien dans ce que Lotfi lui reproche et à partir de quoi il
adopte une attitude de mépris et de rejet en vérité à l’égard de ceux qu’il voit se profiler
derrière cette langue à savoir ce eux, ces Etats arabes en recul, ces assassins des scientifiques
arabes... Ce transfert d’attitude se traduit donc sous forme de non reconnaissance des moyens
dont disposerait l’arabe pour enseigner ou faire la science et culmine dans son tour de parole
L129 pour ne plus représenter le moindre intérêt pour mon interlocuteur:
L129/voilà/ d’ailleurs les vrais scientifiques di l [dans le] monde s [c’est en]
l’anglais awkid [et en ] l(e) français/ mais s [en] l’arabe oulach [il y en a
pas]/ donc d achou ar akhadmagh s yis? [qu’est-ce que je fais faire avec ?]//
E130/ c’est quand même une langue internationale//
L131/ am l français nagh am l’anglais?// [comme le français ou l’anglais ?]
E132/ pas tout à fait mais quand même//
L133/ oula tamazight ihi c’est international//[dans ce cas même l’amazigh est
international]
E134/ amek?/ [comment]
L135/ ih puisque tella i lybia i mali i maroc dagi et tout// [oui puisqu’elle existe
en Lybie au Mali au Maroc et tout// ]
Lotfi n’a ‘’donc rien à faire avec l’arabe’’ (L129) du moment qu’en qualité de futur
étudiant en sciences il n’en aura pas besoin et même partout ailleurs c’est en français et en
anglais que les «vrais scientifiques» (L129) travaillent. La discrète défense de l’arabe (ou de
la réalité tout court) que j’adopte en E130 et malgré l’évidence impliquée dans l’actualisation
praxémique «quand même», ne suffiront pas à amener Lotfi à relativiser la portée négativiste
de ses propos vis-à-vis de l’arabe. Bien au contraire, il se saisit du statut de langue
internationale, que je fais valoir au profit de l’arabe (E130), pour établir une comparaison de
forme interrogative mais de fond affirmative mettant l’arabe justement loin au niveau
international des deux langues, qu’il dit être celles dont il aura besoin à l’avenir, celles
qu’utilisent les «vrais scientifiques» dans le monde: le français et l’anglais. Ainsi, piégée par
ma propre actualisation de l’adjectival «langue internationale», je ne pouvais qu’acquiescer le
fond de la hiérarchie avec laquelle Lotfi enfonce davantage l’arabe. En effet, en renouvelant,
sans le dire, le statut international de l’arabe en E132, j’agace Lotfi qui redouble de virulence
cette fois-ci vis-à-vis du réglage habituel du sens dans l’idée même de langue internationale
pour signifier que cela ne veut rien dire sur le plan de la comparaison qu’il établit, lui, autour
de la scientificité qu’il voit dans les langues française et anglaise car utilisées, dans le monde
entier par les «vrais scientifiques», et non pas autour de la présence d’une langue dans des
pays différents. Sinon, affirme-t-il, la langue amazighe serait, elle aussi, comparable non
seulement à l’arabe puisqu’elle est pratiquée ‘’en Lybie, au Mali, au Maroc, et tout’’ (L135),
mais également au français et à l’anglais. Ce qui relève pour lui de l’inacceptable: le statut de
langues de science étant, selon lui, propre au français et à l’anglais (L143, L145).
2.7. Conclusion:
Que retenir du fait que le kabyle n’apparait que timidement dans cette mise en face à face
entre le français et les langues nationales? que le kabyle a si peu de poids pour être mesuré au
français? qu’il n’est pas situé, par mes interlocuteurs, dans la même logique compétitive
comme c’est le cas de l’arabe parce que la provocation et la conduite des entretiens concerne
l’école et l’université où le kabyle a peu de poids en dépit de l’importance de la matière
Tamazight dans la compensation au baccalauréat?
Pourtant, le français n’est perçu comme langue de l’actualité et de l’avenir que dans la
comparaison à l’arabe car il est presque inévitablement accompagné de l’anglais avec un
partage d’espace et de fonction il est vrai. Le français pour les études universitaires et, on le
verra dans le quatrième chapitre, de départ pour la France, alors que l’anglais pour les
nouvelles sciences et technologies et pour la communication internationale. Ainsi, le français
apparait, dans ces discours, plutôt comme une exigence intermédiaire. En admettant la
nécessité de le maitriser pour réussir les études universitaires, tout en soulignant qu’il est
dépassé par l’anglais14 essentiellement dans le domaine des nouvelles technologies et dans les
relations internationales, ces élèves disent aussi leurs prédispositions à fournir des efforts pour
acquérir l’anglais dans la perspective justement d’accéder à ces technologies et à cette
audience internationale. Bien sûr, on pourrait discuter du réglage potentiel de sens que
donneraient ces élèves aux praxèmes renvoyant à ces nouvelles sciences, technologies et
même à cette audience internationale car le français mais aussi l’allemand, l’espagnol, etc. ne
sont absents ni du domaine des innovations technologiques ni des découvertes scientifiques ni
dans la communication internationale…
Dans ce regard comparatif, l’arabe est donc perçu comme une langue du passé sans doute
en raison des programmes scolaires, en particulier ceux de culture, où ce sont souvent des
auteurs, et donc des thématiques, de ce qui est appelé l’âge d’or de la civilisation arabo-
islamique ou ceux de la Renaissance arabe, qui sont enseignés et dont l’importance, en
rapport au centre de motivations et d’intérêts de ces élèves, est loin d’être le cas. Il y a, me
semble-il, une interrogation que ces élèves ont du mal à formuler, en raison du cadre des
exigences des entretiens que j’ai orientés en fonction des besoins de la présente étude, et qui
est liée aux contenus des enseignements. Ce qui fait que l’arabe en est souvent confondu au
point de provoquer des éclats de rire moqueurs avec Smail, Ouerida et Lotfi. Ce qui donne à
entendre aussi un humour noir banalisé par la redondance dans l’actualisation du praxème ‘’
normal’’ comme pour dire qu’on y peut rien, que c’est une fatalité, que c’est ainsi et cela ne
peut en être autrement. En face, le français est associé justement à l’effort individuel, à la
concentration philosophique et à l’abstraction mathématiques…
A l’issue des lectures de ces échanges, il m’apparait difficile de voir dans cette attitude
vis-à-vis de la langue arabe autre chose que le rejet, au sens le plus négatif de ce mot, et une
espèce d’idéalisation du français du fait qu’il n’est pas maitrisé et il n’est pas exclu qu’il ne
soit pas réellement recherché si l’on considère l’intérêt de nos étudiants de licence. En tout
cas, s’il y a désir de maitriser cette langue, l’effort que cela exige ne semble pas suivre.
14
Le français, une langue dépassée par l’anglais? est l’intitulé du chapitre 4.
Chapitre 3
Le français
Langue de savoir, de technologie et d’avenir?
3.1.Introduction:
Douze des vingt-neuf lycéens interrogés qualifient le français de langue de savoir, de technologie
et d’avenir. Dans ce chapitre, je rends-compte des catégorisations que chacun d’eux opère dans
l’actualisation de ces praxèmes. En faisant ressortir les nuances et les réglages de sens, en partie
induits à la fois par ma relation dialogale avec eux et les rapports dialogiques que la parole de chacun
tisse avec d’autres discursivités, j’entreprends ici en aval l’analyse du processus de ces catégorisations
pour saisir matériellement ce à quoi revoient, dans leur bouche, ces qualificatifs et en quoi, selon leur
parole, le français serait-il cette langue de savoir, de technologie et d’avenir.
E18/ini yid/ dachou iguelhan di tafrancisth agui [dis moi ce qu’il y a de bon en français]
au juste ?/
S19 /kul chi yelha [tout est bon]/ de plus c’est une langue de science hein/
E22/par exemple/
S23/par exemple euh :: la médecine par exemple euh ::/ nkhedmit [on l’étudie] en
français/ l’informatique dighen [aussi] euh :: eccétéra/
Visiblement déstabilisée par mon insistance, en lui demandant de désambiguïser des propos qu’elle
(S18) considère évidents et inutiles à expliquer, elle me reprend comme si elle veut, d’un côté, me
signifier son étonnement vis-à-vis des précisions que je lui demande, me faisant ressentir ainsi, au
moment de l’échange, sa position d’acculée, et, de l’autre côté, gagner du temps et reprogrammer du
sens qu’elle semble convoqué au fur et à mesure de mes sollicitations de E18, E20 et E22.
Ces reprises sont donc de nature dialogique puisqu’elles contiennent un certain dissensus
interlocutif. Dans les deux tours S21 et S23, elle ré-énonce intégralement mes propos. Dans les deux
cas, la marque d’hésitation, relativement longue «euh::», est une trace du travail dialectique de la
signifiance. Un travail de réinterprétation, de révision, de correction et de programmation en devenir
qui a abouti, dans les deux cas, à une extériorisation la replaçant dans son statut, au moment de
l’échange, de détentrice des moyens d’explication et d’illustration que je sollicite auprès d’elle. Dans
ce sillage, le français n’est pas uniquement une belle langue, c’est aussi, pour elle, «une langue de
savoir, de science, de technologie» (S21), de «la médecine» et de «l’informatique» (S23).
Interrogée nouvellement sur la filière dans laquelle elle souhaite s’inscrire plus tard à l’université,
elle répond:
S25/et ben euh:::/ j’(e ne) sais pas euh :://une branche technique peut être/ architecture
euh : ou informatique// au moins là adkhedmagh [je ferai] une chose/ c’est que ça
se fait en français//
E26/ah oui/##
S27/oui bien sûr/ je n’imagine pas une seconde adaghragh s thaârabth [que je parlerai en
arabe]//non/ wallah ar da [je jure que c’est un] cauchemar loukan adyedhou
adaghragh s thaârabth [si jamais je via devoir étudier en arabe]/ je (ne)
supporterai pas/ wallah maghright [je jure que je n’étudierai pas] sinon/ quitte
asiîwdegh i l bac wala thaârabth [à refaire le bac que d’étudier en arabe]// yak
nighamd sguilin[je t’avais prévenu tout à l’heure]/ tharoumith[le français]/ nek
ghouri [pour moi] hein/ thzad [est meilleur]/
E28/deg wachou[en quoi]?/ dachou ig zaden dges [qu’est-ce qu’il y a de meilleur en
français] au juste/
S29/pour moi euh ::/ le français est une langue de savoir/ de culture/ c’est en français
qu’on fait la plupart des branches à l’université/ n’est-ce pas ?/ c’est donc euh ::
la langue de l’université si on peut dire ça comme ça/ en plus euh : ( il) y a des
choses euh:/ je (ne) sais pas moi euh ::/ (il) y a des choses qu’on :: qu’on (ne) peut
pas dire dans une autre langue tu vois?/
Avec hésitation ponctuée d’allongements syllabiques, pauses assez longues et praxèmes de doute
«peut être, j(e ne) sais pas », Samia entreprend l’extériorisation d’un programme de sens visiblement
difficile à mettre en mots. En effet, au même temps que ma question est relativement nouvelle
comparée à la précédente (E22) et à laquelle elle répond en qualifiant le français de langue de la
«médecine» et de «l’informatique» (S23), poursuivant ainsi sa logique de S21, elle la met aussi, avec
cette arrière-pensée à peine voilée et liée au choix du français comme la langue des études
universitaires, devant ses propres propos: choisira-t-elle alors une de ces filières? A l’hésitation en
début de son tour de parole S25 et au peut-être fermant la seconde pause et introduisant le choix entre
l’architecture et l’informatique, succède un programme de sens tranché mais traversé de doutes sur le
vrai souhait de Samia. L’importance de la longueur de la pause entre le premier et le second
programme indique bien qu’au même temps qu’elle cherche à préciser sa pensée, elle ne me laisse pas
non plus reprendre la parole, sans doute prévoie-t-elle un éventuel « pourquoi?» de ma part. Elle
enchaine alors en actualisant le praxème propositionnel «au moins» pour introduire la langue des
études universitaires comme le critère de son choix de filière me faisant soupçonner son souhait d’une
autre filière dont elle n’évoque pas le nom, justement parce qu’elle ne serait pas enseignée en français.
L’essentialisation qui suit le présentatif «c’est» en clôture à son tour de parole S25 me fait réagir si
timidement («ah oui», E26) que même ma tonalité vocale lui donne l’ascendance d’une approbation.
Si bien que mon interlocutrice, le prenant ainsi, reprend immédiatement la parole, sans même me
laisser le temps de réagir à ses propos, et s’engage dans un discours virulent contre la langue arabe,
jusqu’ici, absente explicitement de l’échange où plutôt refoulée dans des non-dits accumulés auxquels
je viens de donner, par la timidité de la tonalité de ma réaction, en E26, l’occasion de s’extérioriser. La
cadence et le rythme en cascade des pauses réduites et régulières de Samia dans son tour de parole
suivant montrent bien qu’elle avait, en effet, interprété la tonalité vocale de mon tour E26 à la fois
comme une approbation et un encouragement à aller dans le sens du non-dit lourd de sens qu’elle a
entretenu dans son tour de parole S25 pour s’attaquer à l’arabe, sa langue actuelle d’acquisition des
connaissances, sans la nommer sinon dans l’ombre du français avec lequel elle aurait voulu étudier. La
langue arabe s’invite alors dans une discursivité qui dépasse largement une simple relation d’altérité.
Son tour de parole S27 passe de tout commentaire. Le praxème nominal «cauchemar» et la
redondance du verbe «jurer» y concentrent, à eux seuls, l’essentiel d’un rejet d’une ampleur
inattendue et que même mon intervention en E28 pour recentrer l’échange sur le français ne parvient
pas réellement; car Samia, partie en guerre de revanche contre cette langue, va jusqu’à ne pas
reconnaitre à la langue arabe, sans la citer, la possibilité de «dire des choses» (S29), en prenant le soin
à chaque fois de convoquer mon adhésion à ses propos en actualisant en ma direction des formules à
valeur conative («n’est-ce pas?», «tu vois?»). Une convocation embarrassante pour moi, l’enquêtrice
et l’étudiante en sciences du langage dont la ligne de conduite est justement l’observation de la retenue
et du respect de l’égalité de principe entre les langues, entre les locuteurs des langues… Mon silence
réprobateur ne capte pas son attention. Elle poursuit son rejet de ce qui n’est pas dit en français, en
substituant cette fois-ci au «nous» inclusif, auquel elle m’a associée, le «on» indéfini dans une logique
de généralisation à vocation universaliste faisant adopter ses propos à tous, c'est-à-dire à tous ceux qui
ne sont pas présents/ne participent pas à notre échange, pour en faire une vérité incontestable: la vérité
tout court.
3.2.2. «/ Bien sûr Pasteur/ c’est un Français/ Marie Curie et tout/» (Kamélia145)
La polémique avec sa mère Dehbia, hospitalo-universitaire, sur le mélange des langues que cette
dernière reproche à sa fille, candidate au baccalauréat série Sciences expérimentales pour poursuivre
des études de médecine, a servi de déclic libérant la parole de Kamélia. Celle-ci reproche à sa mère
son monolinguisme français et se considère plurilingue kabyle, arabe, français et aspire à pratiquer
l’anglais dont elle cite le nom à chaque fois en rapport de domination avec français. La focalisation de
l’échange entre les deux sur le mélange de langues et sur le niveau de français des étudiants, pour la
maman, et de certains médecins, selon la fille, n’a pas débouché sur des catégorisations spécifiques
aux langues de la discussion, en général, et du français, en particulier. Entrainée dans ce débat
passionnant sur la langue que pratique la génération de Kamélia, je n’ai réussi à recentrer l’échange
sur le français qu’à partir de mon tour de parole E113. En effet, même après le retrait de Dehbia pour
nous «laisser avancer» (D71), je me suis laissé intéresser par les explications de Kamélia concernant
ses pratiques langagières au lycée, dans la rue avec ses ami(e)s et à la maison avec ses parents. Ces
pratiques constituent une habitude (K90, K92) dont elle dit avoir des difficultés à s’en défaire car elle
se sent obligée de les adopter dans les échanges avec les autres (K104, K106). En revanche, précise-t-
elle en K112, pour ce qui est des études de médecine, objet de mon tour de parole E111, ce sera «en
français c’est sûr».
C’est à ce moment de l’échange que je lui demande ce qu’elle pense de cette langue:
E113/et et euh ::/ toi toi/ hein toi/ toi comment tu peux euh :::/ qu’est-ce que tu peux dire
de de la langue française?//
K116/ c’est euh :: c’est euh ::/ c’est d’abord une langue scientifique bien sûr// d’abord
donc c’est une langue scientifique/ euh :: c’est une belle langue/ une très belle
langue// voilà/ la littérature et tout c’est clair/ les écrivains euh :: les écrivains et
tout/ c’est clair/ comme euh ::/ voilà le français/ mais thoura [maintenant]/ thoura
[maintenant] je pense que l’anglais euh ::/ ih [oui] c'est-à-dire dans euh :: dans le
monde entier thoura d [maintenant c’est] l’anglais/ l’anglais/ aussi est scientifique
les génies et tout en informatique/ et tout/ les médicaments/ les sciences et tout/
thoura [maintenant]surtout les grands savants tous euh :: bien sûr ils font tout en
anglais c’est sûr/ d’ailleurs papa me dit toujours que maintenant c’est l’anglais/
donc voilà/ voilà voilà/ mais le français aussi//mais l’anglais plus///
K114 est une reprise en écho interrogative. S’agit-il d’un procédé discursif déployé dans le but de
se procurer plus de temps de programmation de sens à une demande vraisemblablement inattendue?
Ou plutôt d’une incompréhension nécessitant plus d’éclaircissement de ma part? Je réitère ma
demande de manière plus explicite. Mais Kamélia entreprend une réponse avant même que j’aie fini
mon programme de sens m’indiquant, par ce procédé, qu’elle avait saisi le sens de mon tour de parole
précédent (E113) mais qu’elle avait besoin de temps. Ses hésitations, allongements syllabiques et
répétitions marquent en effet un discours en construction et en réponse à une question nouvelle
comparé à ce qui est abordé jusqu’ici. C’est une mise en discours en deux étapes nettement séparée par
le praxème kabyle «thoura» quatre fois redondant dans ce même tour de parole et qui renvoie au
présent, en rupture avec le passé: maintenant, actuellement, aujourd’hui... Dans la première, il est
question du français, dans la seconde de l’anglais.
Ainsi marqué par le praxème «thoura», ce passage du français à l’anglais est aussi celui d’une
époque à une autre.
E145/ euh ::/ tu m’avais dit tout à l’heure/ tout à l’heure tu m’avais dit que que le
français c’est c’est scientifique###
K146/ ih[oui]/ matchi am [c’est pas comme] l’anglais/ mais c’est scientifique/// déjà les
médicaments euh :: les les vaccins et tout d les Français// bien sûr Pasteur/ c’est
un Français/ Marie Curie et tout/ donc c’est pas euh :: c’est pas oui c’est vrai
thoura s [maintenant c’est en] l’anglais partout/ mais au moins hein pour nous/
pour nous au moins l(e) français/ parce qu’après ilaq daghan [il faut aussi]
l’anglais// mais mais amek [comment]?/ chez nous euh :: les livres et tout les CD
et tout hein/ la médecine et tout sl [c’est en] français donc ilaq[il faut]/ voilà/ mais
après bien sûr l’anglais/ mais l’anglais on n’a pas la base/ en plus en plus les les
enseignants/ je sais pas moi/ les enseignants et tout c’est c’est en français ighran
[qu’ils sont formés]/ ighran[qu’ils sont formés]/ donc amek[comment]?/
aghsaghran s l’anglais [vont-ils nous former en anglais]?/ amek [comment]?//
donc voilà/
Mon hésitation en ouverture de mon tour de parole E145 est à la fois volontaire et stratégique:
placer ou replacer Kamélia devant ses propos et l’inviter ainsi discrètement à les désambigüiser ou, au
moins, à les commenter. La redondance du programme aussi bien de mots que de sens dans la
seconde et la troisième séquences de ce tour de parole s’inscrit dans cette logique dialogale que je
convoque intentionnellement pour m’assurer son écoute, c’est à dire son entente/accord du réglage de
sens de mon propos, et la conduire dans une espèce d’autodialogisation autour de l’adjectival
«scientifique» qu’elle a associé furtivement au français, en K116, sans la moindre explicitation me
faisant ainsi douter de son adhésion au contenu, même vague, de ce praxème. Sans hésitation, elle
réplique par l’interjection positive kabyle «ih», qui veut dire ‘’oui’’, suivie immédiatement d’un
programme de sens négatif en kabyle signifiant que ‘’ce n’est pas comme l’anglais’’; un programme
auquel succède juste après un autre programme de même nature, introduit cette fois-ci par
l’oppositionnel «mais» qui, d’un côté, annule la première négation et, de l’autre, marque
discursivement la supériorité scientifique de l’anglais sur le français. Interprétant ma réticence à
reprendre la parole, qu’elle me cède à ce moment de l’échange (les trois barres marquent un arrêt trop
long pour ne pas être une invitation à parler), comme une non adhésion à la hiérarchie qu’elle a établie
entre les deux langues, elle enchaine dans le même tour sur un autre programme de sens focalisé sur le
français, sur ce qu’elle semble entendre par «scientifique» et qui renvoie au domaine médical:
médicaments, Pasteur et Marie-Curie. Tout de suite après, elle exprime presqu’un regret d’avoir mal
mis en mots un sens qui lui parait pourtant clair et que rend, dans cette même séquence, encore une
fois, le praxème kabyle «thoura», c'est-à-dire ‘’ maintenant’’. Ce n’est donc pas une hiérarchie au sens
du plus au moins scientifique mais une évolution dans le temps ainsi qu’elle l’avait déjà souligné en
K116.
En cohérence avec ses dires concernant la domination actuelle de l’anglais dans le monde, elle
amorce alors l’extériorisation d’un discours pragmatique dans lequel elle ne cache pas son souhait
d’étudier en anglais tout en admettant qu’il s’agit là d’un idéal ; car ses camarades et elle ne sont pas
suffisamment formés en anglais, les enseignants de médecines à l’université sont formés en français,
les livres et les CD en rapport avec les études de médecine qu’elle veut réaliser sont aussi en français...
Consciente de l’environnement local, elle règle le sens du praxème «scientifique» en rapport aux
données de la réalité dans laquelle elle projette étudier.
3.2.3. Le français est la «/langue des savants […] kima Pasteur kima Newton Euclide//»
(Amel125)
Tout en s’exprimant en arabe de tous les jours, Amel rejette avec mépris l’arabe comme langue de
formation à l’université (A87, A89, A91, A93, A95, A97). Elle prône, pour ses études de pharmacie,
le français (A99, A103, A105) qu’elle trouve «khir m l’arabe» (A137), c'est-à-dire ‘’mieux que
l’arabe’’, tout en soulignant la supériorité de l’anglais «f [dans] le monde entier » (A133) mais sans le
souhaiter comme la langue de ses études universitaires (A135).
En apprenant d’elle son choix de devenir pharmacienne, j’ai tout de suite décidé de l’interroger sur
ses capacités à pratiquer le français car les études de pharmacie sont en français.
E48/euh : mais tu tu euh :: tu sais qu’euh::/ tu sais qu’euh : que pharmacie/ pharmacie
euh : pharmacie euh :: c’est c’est en c’est c’est en français/
A49/ bien sûr en français/ normal normal gaa b l [tout est en] français/ normal/ gaa b l
[tout est en] français f [à] l’université/ normal normal//
Sans la moindre hésitation, sa réplique dans l’actualisation du praxème «bien sûr» lui donne un
caractère certain qu’appuient les cinq occurrences du praxème adverbial «normal» dans son même
tour de parole A49. La relecture de cet échange fait découvrir que le réglage de sens de ce praxème
s’apparente à une espèce de banalisation et d’insouciance.
En effet, s’il est vrai que dans la séquence réitérée «normal normal gaa b l [tout en] français», mon
interlocutrice semble être soulagée et même rassurée par le fait que le français (comme langue
d’enseignement à l’université) soit généralisé à d’autres branches que celle souhaitée, la réitération de
ce même praxème adverbial, en fin de ce programme, souligne son insouciance, comme si elle ne voit
aucun inconvénient face à cette réalité alors qu’elle n’arrive pas à tenir un tour de parole en français!
L’actualisation répétée de ce praxème est, en réalité, une manière à elle de fuir d’autres éventuels
commentaires à ce sujet de ma part en rapport avec ses propres compétences en français. C’est donc
un procédé d’évitement, un subterfuge dont elle se saisie pour ‘’se tirer de l’échange’’ sans avoir à
extérioriser un à-dire, peut être difficile à mettre en mot et à assumer.
E50/ ah tu le sais//
A51/normal/ de toute façon euh :: ana ana [moi moi]/ je veux je veux euh :: je veux faire
pharmacie même b l’anglais// [rire]
A53/normal waalah lala [pourquoi pas]?/ mais b l’[en] français c’est plus facile/
normal//
Amel n’arrive plus à se passer de ce praxème «normal». Elle l’actualise dans chacune de ses
répliques. Produit en ouverture à A51, il n’a aucune valeur communicative. Il ne sert même pas
comme élément de réponse puisque je ne sollicite d’elle aucun détail (E50). C’est une manière pour
elle d’introduire ses propos pour, d’abord, assumer pleinement son choix de faire pharmacie plus tard
et, ensuite, se montrer ouverte à tout autre choix de langues, «même b [en] l’anglais» (A51). En
vérité, dans cette séquence Amel glisse un non-dit vis-à-vis de l’arabe dont elle explicitera, plusieurs
fois plus loin en A87, A89, A91, A93, A95, et A97, le refus comme langue d’étude à l’université bien
qu’elle admet qu’en arabe «c’est plus facile» pour elle (A69). C’est, en effet, le sens que suggèrent
conjointement aussi bien l’actualisation du praxème «même» que le rire de mon interlocutrice en
clôture à son tour de parole. La tentative de la faire parler à ce sujet se solde par un discours de nuance
liée à sa prédisposition à étudier en anglais et d’explication en rapport à ses possibilités d’acquisition
du français à la maison faisant que celui-ci est la langue la «plus facile» pour ses études de pharmacie.
C’est pourquoi je la relance au sujet de ce qu’elle entend par cette facilité:
E68/ c’est facile donc euh pour pour toi einh ? c’est c’est facile l(e) français/
A69/Oui oui d’ailleurs euh::/ khir euh::[c’est mieux euh ::]// non non en arabe c’est plus
facile euh :: mais mais même b l [en] français c’est facile// d’ailleurs euh :: mes
notes euh :: f l [en] français c’est bon/ normal//
Amel ne s’arrête pas à sa double confirmation «oui oui». En entamant l’explication de ce qui parait
être une certitude, elle produit une série d’interruptions de programme de sens et de prolongements
vocaliques, porteurs de traces de perturbation de programmation d’un dire dont elle est le centre de
mon interpellation: «pour toi einh ?». Elle admet alors au moyen du superlatif qu’en arabe «c’est plus
facile» sans préciser, toutefois, l’autre terme de la comparaison, le français; car, tout de suite après,
elle réitère la facilité pour elle du français qu’elle prouve par ses «notes» comparées, dans les tours de
parole suivants, à celles de ses camarades (A73) mais qu’elle évite de comparer à celles obtenues dans
les autres matières malgré ma question en E72. Ses notes de français sont pour elle d’autant plus la
preuve de cette facilité que son enseignante est réputée pour être sévère (A75, A77). Dans cet ordre
d’idées, elle insinue le gage de sérieux et de compétence que confère à son enseignante le fait que
celle-ci exerce à l’université (A77) faisant qu’elle «parle le français khir m [mieux que] les Français»
(A79).
A partir de ce tour, elle s’engage dans un discours hostile à l’arabe. Un discours où elle convoque
systématiquement la voix de son père pour justifier, d’un côté, son mépris de l’arabe en tant que
langue d’études en pharmacie et, de l’autre, son choix du français. Je l’interroge alors à propos de ce
qu’elle penserait du français:
E116/et comment euh qu’est-ce que tu euh comment euh/ qu’est ce que tu penses euh :
qu’est-ce que tu penses de la langue française?/
A119/ euh :: belle euh :: c’est euh :: on peut euh :: nhadrou biha [parler avec] partout/
mais normal euh ::/
Surprise par ma demande, Amel temporise en A117 dans le but de gagner plus de temps afin de
programmer et de mettre en mots son dire. Elle répond par une double interrogation faisant comme si
elle n’a pas saisi ma question. Puis, elle rit pour clôturer son tour et m’inviter à reprendre la parole.
Bien que sensible à sa gêne, je confirme qu’il s’agit bien d’elle. Elle consent avec plusieurs hésitations
à répondre en qualifiant d’abord le français de langue «belle» et, ensuite, de langue parlée «partout».
Deux praxèmes que j’allais lui soumettre mais c’est en vain car, encore une fois, elle impose à
l’échange une orientation inattendue au vu de ses propos précédents:
E124/ oui comment euh :: qu’est-ce tu trouves beau dans la langue française/
A125/ euh :: tout bien sûr/ normal l français euh :: langue euh :: langues des savants
euh :: kima [comme] euh :: Pasteur kima [comme] newton euh :: Euclide//
E126/ oui oui###
A127/ kima [comme] Jean Jacques Rousseau/ Marie-Curie et tout//
E128/ et c’est ce qui te plait dans la langue française?//
A129/ b l [en] français aussi euh ::/ c’est c’est une langue taa [de] la science mais
aujourd’hui c’est pas l(e) français c’est l’anglais/ donc euh ::/
La beauté dont parle Amel réside dans le fait qu’il s’agit de la langue des savants parmi lesquels
elle cite Euclide et Newton qui ne sont même pas des Français! Aurait-il été dialogalement meilleur
de relever cette confusion au moment de l’échange? En quoi? en rapport avec mon sujet, la
scientificité du français en adoptant la logique de certains d’autres élèves qui associent cette
scientificité à des sommités scientifiques? en rapport avec les études de pharmacie qu’elle veut
entreprendre alors qu’elle met le célèbre philosophe Jean-Jacques Rousseau dans le même registre des
célèbres scientifiques Pasteur et Marie-Curie? Ma double approbation en E126 allait, en effet,
introduire un programme de sens lié à la langue de Newton et d’Euclide. Mais Amel reprend
immédiatement la parole et produit l’insoutenable confusion faisant de J. J. Rousseau un scientifique!
Je tente alors (E128) de procéder autrement pour la ramener à prendre conscience des confusions dans
ses affirmations et cela en provoquant chez elle une autodialogisation. Mais Amel, encore une fois,
change de sujet et m’entraine dans la comparaison du français à l’anglais (A129) dans laquelle elle dit
préférer le dernier (A131)…
En effet, pour qualifier la langue française, Saliha actualise des praxèmes en langue arabe comme
pour mieux faire passer sa réflexion. Cette langue est pour elle «lougha kabira » [une grande langue],
« maâmoul biha fil kharedj » [pratiquée à l’étranger] et c’est aussi «loughat de la science » [langue de
la science].
Je reprends immédiatement en écho «cette langue de science » pour susciter auprès de mon
interlocutrice plus de détails à ce sujet:
Par le praxème «science», Saliha fait référence aux deux scientifiques Pasteur et Marie Curie,
comme si la science se limite à ces deux figures. Elle a même cité une figure de la littérature
française, l’écrivain Jules Verne, mais elle a interrompu son programme en le camouflant par son rire
final qui cache mal cette volonté d’éviter de citer d’autres figures de la littérature car ne représentant
pas à ses yeux la science. J’en conclus donc que le caractère scientifique de la langue française est,
dans l’inconscient de mon interlocutrice, lié aux seules figures de la science expérimentale.
O11/ i::/ matchi kif kif bien sûr// [i::/ce n’est pas la même chose bien sûr]
E12/ achoughr matchi kif kif?/ [pourquoi ce n’est pas la meme chose?]
O13/I matchi kif kif kif bien sûr// bien sûr matchi kif kif//[ I ce n’est pas la même chose
bien sûr// bien sûr ce n’est pas la même chose//]
O15/ achoughar?/[pourquoi?]
O17/ I bien sûr l(e) français d l’anglais euh::/ i bien sûr bien sûr/ matchi kif kif/ d les
langues c’est vrai/ l(e) kabyle d l’arabe euh ::/ mais mais matchi kif kif//
E18/mais achoughar it hasvadh l’anglais d l(e) français matchi kif kif am euh###
O19/akhatar// akhatar euh :: akhatar aka igla l hal/ en plus l’arabe euh::###[/parce que//
parce que euh :: parce que c’est ainsi/ en plus l’arabe euh// ###]
E20/ih l’arabe/ d’achou it vghidh ad inidh af l’arabe?/[/oui l’arabe/ que veux tu dire à
propos de l’arabe]
O21/ih mahsouv même l’arabe kif kif ihwayassen kan/ c’est mort/ d’ailleurs les élèves our
atsqaren-ara akw/ [éclat de rire]/ [oui c’est dire même l’arabe c’est la même chose
qu’ils le veuillent ou pas/ c’est mort/ d’ailleurs les élèves ne s’y intéressent pas du
tout/]
O25/ I woumits?/ Puisqu’i l’université s l(e) français koulech/ en plus naâya degs/ koul
as d akhworat d lakdev/ euh:: c’est pour ça our katchmen ara les élèves ar
l’arabe// [Qu’en faire?/ puisqu’à l’université tout est en français/ en plus nous en
sommes fatigués/ chaque jour des fourberies et des mensenges/ euh :: c’est pour ça
les élèves ne rentrent pas en classe d’arabe//]
Ses programmes de sens sont marqués par des séquences de réitération et de reprise en écho. Elle
semble avoir du mal à extérioriser un à-dire refoulé car, probablement, difficile à assumer toute seule.
Cette difficulté de dire est, en fait, liée à son jugement dévalorisant et méprisant de la langue arabe: en
sont les preuves matérielles, l’actualisation du praxème «mort», précédé du présentatif «c’est» sans
que cela ne concerne explicitement l’arabe, et l’éclat de rire en clôture à son tour O21. Devant mon
«yaah» de E22 (ah bon!) dont l’interjection est à peine audible, lui signifiant ma réticence à adhérer à
son programme de sens qu’elle appuie en convoquant la position de ses camardes qui partageraient son
opinion, elle atténue le choix de ses propos en actualisant, tout de suite après, le praxème «normal».
Elle réitère cette actualisation pour régler en banalisant, dans un premier temps, un sens que la
faiblesse de la tonalité de ma réplique E22 lui renvoie comme flou, et, dans un second temps, pour
changer de stratégie énonciative devant mon second «yaah» (ah bon!) de E24: elle passe alors à
«nous» indéfini «naâya» (‘’nous sommes fatigués’’, O25) pour non plus ne pas assumer seule ses
propos mais surtout pour me faire comprendre qu’elle n’est pas seule justement à avoir cette attitude.
D’où la seconde convocation de la position de ses camarades élèves qui consiste à refuser
volontairement de ‘’rentrer en cours d’arabe’’ (O25).
Plus loin dans l’échange quand, en E82, je lui demande explicitement la langue dans laquelle elle
souhaite étudier à l’université, elle déclare sans hésitation sa préférence du français sous prétexte que
cette langue est ‘’facile’’ et ‘’connue’’ (083, O87 et O89). Pourtant, comme l’attestent ses
performances, elle ne semble guère à l’aise dans cette langue. En effet, tout au long de l’entretien, le
kabyle et même l’arabe qu’elle y rejette plusieurs fois, dominent son discours. De ce fait, elle me les
impose en quelque sorte puisque dans ma démarche, je cherche à la faire parler à propos du français
en adoptant sa langue d’expression où le kabyle, l’arabe et le français s’alternent et se mélangent selon
des logiques qui rappellent souvent les langues mixtes.
083/ i: bien sûr s l(e) français// s l(e) français akhir/// [c’est mieux]
E86/ thenidhed s l(e) français akhir### [tu as dit en français c’est mieux]
O87/ i:: bien sûr bien sûr/ au moins s l(e) français s l (e) français::/ c’est c’est amek ad
inigh?[comment dire?]/ c’est euh :: ih voilà/ l(e)/-/ itswasen[c’est connu]/ l(e)
français itswasen[c’est connu]/ itswasen yernou ishal [c’est connu en plus c’est
facile] puisqu(e) llan [il y a ]les moyens/ les livres et tout//
O89/ bien sûr/ l(e) français c’est international bien sûr/ puisqu(e) yernou llan [en plus il
y a ] les moyens n l’internet idenigh [comme je l’ai dit]/ les livres yernou les profs
euh ::/ les profs/ les vrai profs s l(e) français/ s l(e) français ighran/ ça c’est sûr/
c’est sûr même di la zéro achki arahadran ivan belli s l(e) français i snan [c’est sûr
même à travers la télévision algérienne quand ils parlent ça se voient que c’est en
français qu’ils sont compétents]/ donc pour moi c’est sûr bien sûr//
Les répliques d’Ouerida en O87 et O89 sont d’apparence explicative au moins de par leur taille,
plus ou moins longue, comparées aux précédentes. En réalité, elle ne répond pas à ma demande de
connaitre les raisons pour lesquelles elle dit préférer le français comme langue des études à
l’université. Elle y adopte un contournement aux frontières d’un évitement que la régularité du rythme
de son débit verbal atteste (pauses courtes avec peu d’allongements vocaliques) et la multiplication de
marqueurs dialogaux, tantôt à valeur interlocutive («comment dire?») tantôt à valeur co-
constructive («bien sûr», «ça c’est sûr»), fait ressortir comme si mes propos lui suggéraient les siens.
Ce qui est loin d’en être le cas... Son débit et son habilité interlocutive à mon égard donnent, en effet,
une assurance à son discours. Les quelques formes d’hésitation qui le traversent participent aussi de
cette interlocution pour m’amener dans un sujet très proche de notre objet d’échange en E82, O83,
E84, 085 et E86 mais qui n’est pas tout à fait celui de ses deux tours de parole (O87 et O89).
Il est évident, qu’au moment de l’échange, j’ai lié déjà cet évitement de répondre à la question de la
préférence du français, à la difficulté qu’elle éprouve à parler en français car cela serait en
contradiction que de prétendre vouloir étudier avec une langue qu’on ne maîtrise pas. Ce dont elle
semble se rendre compte puisqu’elle choisit de parler non pas des raisons pédagogiques pour
lesquelles elle veut étudier en français mais du français en tant que langue porteuse de valeurs qu’elle
souhaite discrètement acquérir. Des valeurs qu’elle annonce en comparaison à l’arabe, sans le
désigner explicitement. Cela relève d’une évidence pour elle à partir de l’instant où elle a introduit son
discours, à propos du français, au moyen du comparatif kabyle «akhir» (litt. est meilleur; c’est mieux)
indiquant implicitement la langue actuelle de l’acquisition des connaissances scolaires, comme l’autre
élément de la comparaison. Ces valeurs sont, dans un premier temps, condensées dans les praxèmes
adjectivaux «connu» et «facile» au réglage de sens si flou pour moi qu’à son appel à reprendre la
parole, en arrêtant son tour de parole O87 avec une pause longue, je me contente de réitérer mon
interjection peu audible de mon tour de parole (E22) espérant avoir sur elle les mêmes effets
incitateurs à plus de discours pour gagner mon adhésion à sa logique et pour me donner le temps
d’interpréter son dire. En effet, je ne saisis pas si elle connait le français et qu’elle le trouve facile. Ce
qui n’est pas le cas et qu’elle confirmera en O109. Ou s’il s’agit d’une valeur intrinsèque qu’elle
attribue au français que d’être facile et connu, même si j’ai repéré aussi son habilité dilatoire dans le
deuxième réglage de sens pour impliquer le premier: ‘’le français étant connu et facile, je le connais et
je le trouve facile’’. Son rebondissement en O89, sous forme presque de reproche à moi de ne pas
avoir saisi la deuxième partie de son tour de parole précédent où elle introduit, en effet, au moyen du
grammatical «puisque» des éléments désambiguïsant l’adjectival «facile» comme «il y a les moyens,
les livres et tout», est à la fois une autodialogisation, une réitération et une explicitation. En effet, les
six occurrences à valeur argumentative du praxème de certitude «sûr», parfois précédé du présentatif
«c’est» parfois du qualificatif «bien», donnent à entendre comme autant de preuves, selon elle, pour
me faire basculer dans sa catégorisation aussi bien des praxèmes «connu» et «facile» que de
l’implication du second dans le premier, ainsi que je l’ai soupçonné moi-même. Elle concrétise son
reproche dans un élan d’explication et de démonstration en substituant au praxème «c’est connu» celui
de «international», en explicitant celui de «les livres et tout» par celui de «l’internet» et surtout en
liant cette connaissance et cette facilité aux professeurs dont elles distinguent soigneusement «les
vrais» d’entre eux. Ceux dont la compétence est à la fois visible et reconnaissable quand ils
s’expriment en français. Surtout quand ils sont interrogés par la télévision algérienne, que mon
interlocutrice désigne par «la zéro» au même temps pour faire entendre les voix des opposants
politiques aux détenteurs du pourvoir de gérer le pays, ici les langues à l’école et à l’université, et pour
aller au bout de sa logique: sa préférence du français à l’arabe, qu’elle ne cite pas explicitement dans
cette séquence sinon par le non-dit dans l’actualisation du praxème de la doxa «la zéro» pour dire sans
dire qu’habituellement on y dit des nullités en arabe de cette chaine de télévision, mais ces vrais
professeurs, eux, s’y expriment en français pour dire «des savoirs» parce que eux c’est en français
isnan, qu’ils savent.
Plus loin, je relance Ouerida sur le rapport entre sa préférence à poursuivre des études universitaires
de comptabilité en français et le statut international de cette langue qu’elle a avancé pour se justifier.
En effet, j’ai soupçonné qu’elle passait sous silence, dans ses tours de parole précédents, son projet de
départ pour la France.
E108/ ih ih[oui oui]/ thenidhed akhatar [tu disais parce que] l(e) français c’est c’est
international###
O109/ ih[oui]/ en plus c’est facile/ matchi am- [c’est pas comme-]/yernou am dinigh
essah [en plus je te dis le vérité]/ nkini zrigh oursinaghara [moi je ne connais pas]
l(e) français mlih[assez]/ mais zrigh theshel [je sais que c’est faicle] puis que
vighigh [je veux]/ matchi am thoura tharayi thmara[c’est pas comme c’est le cas
maintenant je suis contrainte]//mais i[à] l’université/ la comptabilité et tout/ s [c’est
en] l(e) français euh :: je veux dire atshousadh belli d laqraya [qu’on sent que ce
sont des études] / je (ne) sais pas/ c’est vrai ilaq atshousadh belli theqaredh[il faut
sentir qu’on étudie] /// newkni [nous]euh ::/ thezridh [tu sais]/ il faut atswalidh
amek ihasven [voir comment se sentent] les élèves les enseignants/ euh :: mais win
[celui de] l(e) français tsqadarent[ils le respectent]/ même win [celui de] l’anglais
d [et] les :: euh :: la comptabilité mais matchi kif kif [ce n’est pas la même
chose]//
Elle refuse de s’attarder sur le rapport que j’ai cru voir entre sa préférence du français et le statut de
langue internationale de celui-ci. Elle reprend son autodialogisation de O89 et extériorise un dire
discontinu truffé d’hésitations, de prolongement vocaliques, d’interruptions et de reformulations de
programmes d’où émerge un discours quasi affectif faisant du français la langue de la valorisation, du
respect et du sentiment d’être en train d’étudier, en général, et la comptabilité, en particulier. En
avouant «our sinagh ara l (e) français mlih» (’’je maitrise mal le français’’), mon interlocutrice
reconnait sa contradiction dans le fait de qualifier cette langue de «facile» comparée à l’arabe qu’elle
se refuse de prononcer mais que l’interruption de son programme «matchi am» (‘’ce n’est pas
comme’’) laisse deviner. Elle situe cette facilité non pas dans la langue française mais dans son
«désir» à elle : «puisque vighigh matchi am thoura tharayi thmara» (‘’puisque je veux, ce n’est pas
comme maintenant je n’ai pas de choix’’). A la lourdeur de sens du praxème «thamara»
(‘’l’obligation‘’) conjugué au présent, c'est-à-dire maintenant que Ouerida est encore au Lycée où elle
doit étudier en arabe, elle substitue celle du bonheur d’étudier une fois à l’université: ‘’mais à
l’université, la comptabilité et tout c’est en français, je veux dire que tu vas ressentir le bonheur
d’étudier la comptabilité’’(O109). La réitération, dans ce même tour de parole, de l’expression de ce
sentiment lié au bonheur d’étudier à l’université la comptabilité traduit à la fois une espèce de
sentiment de libération et une conception des études: «/c’est vrai ilaq atshousadh belli theqaredh/»
(‘’c’est vrai il faut se sentir en train d’étudier’’). Mon embarras à entendre de telles doléances se
traduit, malgré moi, par un silence d’hébétement au moment où elle observe une très longue pause
(mentionnée avec trois barres obliques) pour m’appeler à reprendre la parole. Elle enchaine en
interpellant justement mon hébétement, qu’elle a dû constaté, dans une configuration me mettant face
à elle et à ceux qu’elle considère faire partie de son nous endogroupal duquel je suis exclue: « ‘’nous
euh ::/ il faut que tu voies comment pensent les élèves des enseignants/ euh ::/ celui de français est
respecté/ même celui de l’anglais’’/[…]». Ses tours de parole ultérieurs, notamment O111, O113 et
O115, montrent bien qu’il ne s’agit pas en fait d’une opposition entre elle et moi mais plutôt une
distinction à laquelle elle souhaite accéder: maitriser le français qu’elle voit en moi ou à travers
moi.
Cependant, la relecture de ses propos donne à y voir aussi des positions subjectives rappelant celle
des autres élèves interviewés et sous-estimant l’arabe. Le français, dans la bouche de Marzouk, est
ainsi la langue de cette rapidité et, conséquemment, un prérequis pour poursuivre cet enseignement
par les futurs étudiants. L’expression de l’évidence de sa maitrise de l’arabe «du moment que neqqar s
l’arabe [on étudie en arabe]» (M83) amorce, dans le même tour de parole, son jugement dépréciatif de
cette langue (mais euh ::) qu’il peine à extérioriser sans mon intervention en réponse à son appel de
reprendre la parole (et que mentionnent les trois barres obliques à la fin de ce tour). A la banalisation
de la maitrise de l’arabe que rend l’actualisation du praxème «s l l’arabe ivan [en arabe c’est évident]»
(M85) et qu’il a plusieurs fois signifiée dans les tours de parole précédents par les praxèmes «normal»
et «normalement», il oppose dans ce même tour de parole, la distinction et surtout l’importance du
français («sah s l français [l’important c’est en français]»). A peine voilée, l’insinuation excluant
l’arabe de ce qui est «important» me fait réagir (E85). Subtilement Marzouk m’impose sa propre
logique et esquive, au moins à deux reprises, l’objet de mon étonnement (E86 et E88) en me faisant
comprendre que ce qui est important le concerne lui et non l’arabe: le français étant la langue des
enseignements à l’université, il est important pour lui de le manier. En effet, en lui suggérant le
praxème «étudier» (E90) qu’il me semblait chercher en M89 et qu’il approuvera d’ailleurs en
ouverture de son tour suivant, il (M91) entame l’extériorisation d’un programme de sens explicatif:
étudiant, il doit maitriser le français pour recevoir cet enseignement universitaire «rapide» pour lequel
on n’utilise pas de « tableau» ni de «craie» et qu’il trouve «normal du moment qu’on est prêt»(M91),
c'est-à-dire qu’on est censé, lui et ses camarades, être prêt; prêt à recevoir cet enseignement en
français. Ce que dément le réglage de sens négatif de la réitération, sous différentes formes, de son
expression «sah s l français [l’important c’est en français]». Ce statut de langue d’acquisition des
enseignements à l’université semble d’autant plus déterminant dans la position de Marzouk que celui-
ci voit dans l’emploi pédagogique du tableau un obstacle au parachèvement de la dispense/acquisition
des enseignements au programme qui se font, selon lui, sous forme de conférences que mes
explications (notamment en E106) ne parviennent pas à lui faire apprécier à leur juste valeur
organisationnelle. En effet, il réitère, presque à chaque réplique, la comparaison avec le lycée où, faut-
il le rappeler, on étudie en arabe («nqar s l’arabe» (M81) sous entendant l’usage de la craie, du tableau
et impliquant insidieusement la lenteur qui, au fil des répliques, est associée à l’arabe.
Soupçonnant cette association, je reviens, en E108, sur son expression «l’important c’est en/le
français» et engage, à partir de E110, la comparaison avec l’arabe qu’il dit justement maitriser du fait
que c’est la langue de sa scolarité jusqu’ici, comme il l’affirme à plusieurs occasions.
En lui retournant sa logique argumentaire (E112 et E114), dans laquelle je substitue sciemment
l’arabe au français, j’ai volontairement provoqué sa pulsion communicative en soulevant une espèce
d’incohérence dans son raisonnement: dans son intérêt, l’arabe, dont il a la maitrise, est le plus indiqué
pour suivre le rythme rapide des enseignements universitaires. A la forme interrogative de ses
répliques M111 et M115, que semble reproduire aussi celle en M113, déniant à l’arabe le statut de
langue d’enseignements à l’université, je réponds, d’abord, en le questionnant en E116 de manière
ironique en actualisant le praxème «zaâma», dont le réglage de sens prend l’allure de défi (démonter le
contraire de ce qui est soutenu), et, ensuite (E118), en poussant la logique à l’évidence qu’implique ce
réglage de sens justement du praxème «zaâma»: c’est plus facile pour lui d’étudier en arabe. C’est
alors qu’il entame une série de nuances par rapport à ce qu’il a soutenu dans ses tours de parole
précédents (M83, M85, M87, M89 et M91) et relatives à l’importance pour lui de maitriser le français,
langue des enseignements à l’université. A présent, l’importance réside dans ce qu’on apprend ou ce
qu’on fait à l’université. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas des mathématiques et de la comptabilité
comme il en a étudiées au lycée en arabe (E120 et E122). Il s’agit de la «recherche scientifique»
(M123) «impossible» (M117, M119) à réaliser en arabe; car en arabe «oulach» (M127) ‘’il n’y a
rien’’. Mais c’est en français, cette langue «scientifique et tout» (M129). Cette langue dont je reprends
en écho (E130) le qualificatif «scientifique» pour le discuter avec Marzouk. Mais celui-ci lui substitue
celui de «mondial» et d’«universel» pour régler deux sens loin l’un de l’autre. Le premier concerne,
les possibilités de mobilités que cette langue assure, mais dont il reconnait, quelques tours de parole
après, les limites par rapport à celles de l’anglais. Le second est relatif à la facilité qu’elle offre pour
faire la science et qu’il compare immédiatement à l’arabe dont il réitère le vide «scientifique» en
convoquant cette fois-ci les pays arabes qu’il identifie au vide d’ici, celui de l’école algérienne. Mais
qu’est-ce qu’il y aurait de scientifique en français et pas en arabe ? Il n’en dit rien. Mes tentatives de le
recentrer sur cette thématique n’aboutissent pas car je me suis moi-même piégée par ma comparaison
du français à l’anglais pour régler le sens des praxèmes «universel» et «mondial» actualisé pour le
compte du français. Ainsi, Marzouk saisit cette occasion pour réitérer son souhait de suivre une
formation de traduction englobant le français, l’anglais et l’arabe dont il dit ne pas vouloir sauf «que
c’est obligé» (M145).
3.3.3. «/Le français est une langue de la technologie/ […] /du savoir de la science/ […]
du développement du monde/» (Lydia L145)
L’attitude favorable vis-à-vis du français et hostile à l’égard de l’arabe parcourt l’ensemble de
l’échange avec Lydia. L’élément déclencheur de la mise en discours de cette attitude est le souvenir à
la fois de son choix du français pour répondre au questionnaire de la pré-enquête et du désir
impossible de sa camarade, Kahina, de faire autant parce qu’elle ne maitrise pas le français (L11, L17,
L19, L21, L27). En qualifiant sa camarade, qui lui demande d’écrire en français à sa place, de
«complexée» (L27), Lydia produit un discours dans lequel elle annonce son propre complexe que je
n’avais pas soupçonné en ce début de l’échange car elle présentait cela comme un avantage sur sa
camarade. Ce n’est que plus loin dans l’échange qu’elle révèle explicitement que son attitude découle,
au moins en partie, du discours épilinguistique que tient son père sur l’arabe (L131, L133, L135,
L137) et que sa mère relaie à sa manière (L141, L143). La relecture de l’échange avec elle donne à
voir l’effet de ce discours sur elle dont la saisie au moment de l’échange m’aurait permis peut-être de
la recentrer sur les praxèmes qu’elle a actualisés pour distinguer le français de langue de technologie,
de savoir et de développement, et d’éviter ainsi aussi bien sa logique binaire opposant le français à
l’arabe que son vocabulaire si hostile vis-à-vis de l’arabe qu’il frôle par moment la haine et le rejet
(L35, L37, L45, L53, L63).
L15/ euh :: moi je préfère faire tout en français/ j’aime écrire en français/ lire en
français/ regarder la télé euh :: les chaînes françaises/ les journaux en français/
euh :: même si euh :: je sais quand j’écris euh :: je fais des fautes et tout/ des
fautes euh :: d’orthographe et tout/ mais je pense que ::: à force à force à force je
vais écrire mieux/
Ces langues sont «/le français/l’anglais/» (L47). Sachant inutile l’interrogation de ce déni, j’ai
choisi de l’arrêter sur la première des langues citée qui, pour moi, constitue le sujet principal de cet
échange.
Peu satisfaite de son explication, je tente de la relancer sur le non-dit dans la généralisation que son
discours induit. Elle réplique immédiatement sans même me laisser finir mon propos. Elle engage
l’échange dans une nouvelle perspective qu’elle m’impute, en entamant la première séquence de son
propos avec le «oui» d’approbation ambigu auquel elle oppose, en ouverture de la seconde séquence
du même tour de parole, le «mais» oppositionnel, comme si c’est moi qui suis à l’origine de la
comparaison qu’elle établit et de l’apparition compétitive de l’anglais:
L55/ oui c’est vrai euh :: je sais maintenant que :: c’est l’anglais la première langue
internationale et tout/ je sais/ mais euh :: je veux dire euh ::/ ce que je veux dire
euh ::: l’anglais euh :: plutôt le français est une langue de technologie/ c’est c’est
euh : c’est la langue du savoir euh ::: de la science et tout/ c’est la langue euh ::
du développement du monde/ ça c’est vrai/ enfin euh :: moi hein !/ moi
personnellement tu sais euh ::/ moi j’aime bien tout ce qui est langue étrangères/ tu
sais/ mais uniquement euh :: mais seulement euh :: pas l’arabe/
E80/et thoura anti [quelles sont] les langues aâni iglahoun di [qui marchent dans] l(e)
monde actuel ?/
T81/euh :: le français/ l’anglais/ l’allemand chitouh [un peu] l’espagnol/
E82/et que penses-tu de ces langues ?/
T83/euh :: c’est des langues de l’avenir/
E84/c’est à dire?/
T85/c'est-à-dire euh :: c'est-à-dire c’est des des langues euh :: de technologie/ de savoir
euh : voilà euh : j ( e ne) sais pas moi euh :: c’est des langues euh :: enfin euh :: je
veux dire euh :: y a le savoir euh :: dans ces langues y a :: y a :: y a le savoir/ y
a :: y a :: la culture/ j( e ne) sais pas moi/ je je pense que c’est c’est riche/ voilà//
E86/ tu veux parler de ces quatre langues que tu viens de citer/
T87/ oui bien sûr/ mais mais beaucoup plus du français et de l’anglais/
E88/d’accord/
T89/ yaâni [c’est à dire] euh :: le français ilahou atas dagui ghournagh [marche
beaucoup ici chez nous]/ et euh :: l’anglais euh:::###
E90/ et que penses-tu de ces deux langues ?/
T91/ c’est c’est c’est des langues euh :: iguerzen atas atas[en très bonne position]/
E92/ et euh:: si tu as à choisir entre ces deux langues ?/
T93/ euh :: je n’ (e ne) sais pas/ franchement je n’(e ne) sais pas/
E94/et si on te demande euh:: si on te demande dans dans quelle langue tu souhaites
poursuivre tes études universitaires par exemple ?/
T95/ je dirai bien sûr en français/
E96/ et pourquoi ?/
T97/tout simplement euh :: parce que chez nous euh :: enfin :: ici/ici en Algérie euh :: d l
[c’est le] français quand même[qui est pratiqué] ig lahoun/ euh :: par rapport à
l’anglais bien sûr/
E98/ et###
T99/ de plus euh :: nekkini [moi] euh :: je suis un mathélème donc euh :: les branches
nagh yakw [toutes nos branches sont] en français/ donc euh :: khas akken
oussinghara mlih l [même si je ne suis pas très bon en] français mi ar ghournagh
machi [mais chez nous ce n’est pas] euh :: d[e] la littérature aken adahkough[pour
raconter]/ ça c’est euh:: c’est difficile euh::[rire] zrigh ad khedmagh atas n [je sais
que je ferai beaucoup de]les fautes/ mais :: nekwni s [nous] les mathélèmes euh ::
c’est beaucoup plus d les chiffres [qui jouent] itilaâven/ oulach [il n’y a pas]
normalement atas b awal [beaucoup de littérature]/
C’est dans cette espèce de turbulence énonciative que le programme de sens de Tarik relatif à ces
langues d’avenir prend forme dans la matérialité de sa parole pour préciser ce à quoi renvoie la notion
de richesse de ces langues, c'est-à-dire le savoir, la technologie et la culture.
Saisissant son invitation en clôture de son tour T85 (/voilà//) à (re) prendre la parole, je produis un
discours de forme affirmative mais de fond interrogatif l’encourageant discrètement à recentrer
l’échange autour des langues en Algérie. Ce qu’il fera en appréciant, dans un premier temps, le fait
que j’aie repris son point de vue (les quatre langues dont il parlait) et, dans un second temps, en
précisant qu’il ne s’agit plus pour lui de ces langues mais plutôt du français et de l’anglais. Ce qui
m’offre la possibilité de l’interroger sur ces deux langues mais avec peu de succès. En effet, bien qu’il
ait produit un discours (T89), entamé avec cette nuance (/yaâni/ [c'est-à-dire]), que la suite du tour
révèle être de taille du moment qu’il affirme que, dans la réalité, qu’il ne définit pas pour le moment
sinon par le praxème «dagui», c’est à dire ici, c’est le français qui est ciblé par ses propos lorsque
l’anglais l’est aussi mais ailleurs, il n’en demeure pas moins qu’il reste vague et m’incite
involontairement à le relancer en centrant ma question cette fois-ci exclusivement sur les deux langues
française et anglaise.
T111/ sinon euh :: akhir [c’est mieux] l(e) français amek i tetsellikagh[comme je me
débrouille]/ et :: pour moi cette langue est :: riche/ c’est la langue de savoir/ c’est
la langue de la technologie/ c’est c’est la la la langue qui donne un certain :::
c’est la langue iguetsaken [qui procure] euh ::/ nek ar ghouri [pour moi]euh ::
yessaâ atas nelqima wina ihedren [est d’une grande valeur qui parle] en français
negh ala [ou non]?/ ça donne euh :: une valeur à la personne/
3.4.2. «/La langue des sciences et de de/ le vaccin et tout/ les maladies microbienne et
c’est en France//» (AmayasA103)
Amayas se distingue par sa pratique du français et ses connaissances. Souhaitant
poursuivre des études en informatique, il se distingue aussi par le principe de non mélange des
langues dans la pratique (A7, A11, A15, A23, A33) qu’il dira, plus loin dans l’échange, être
une exigence de ses parents et grands-parents (A41, A45, A47). Bien qu’il affirme sa
disponibilité à échanger avec moi en kabyle, en arabe ou en français (A5, A39), il tient un
discours vis-à-vis de l’arabe qui rappelle celui des autres élèves. De l’échange avec lui sur
les pratiques des langues dans sa famille et les études à l’université, émerge un discours dans
lequel l’arabe, qu’il déclare maitriser (A75), est exclu (A73): il est qualifié de langue «du
passé» (A81, A97) et de mémorisation mécanique (A81) incomparable au français (A91,
A93) qui est «même à l’école [la langue] des formules, des symboles en maths et tout» (A83).
Sa préférence du français (A85) «par rapport à l’arabe» (A89) ne fait aucun doute mais elle
est systématiquement mise à l’épreuve dès que je lui demande de la justifier car «le
maintenant» duquel est exclu l’arabe est associé au français systématiquement mis face à
l’anglais (A99, A103) faisant du français une langue «maintenant» «dépassée» (A97). En
dépit de cela et des conseils de son père (A109) relatifs à l’acquisition de l’anglais dont il
reconnait l’importance pour les études de mathématiques-informatique qu’il veut poursuivre à
l’université, Amayas dit être «encore attaché au français» (A109) mais refuse d’aborder les
raisons de cet attachement que je lui demande E110 en m’apostrophant: «et pourquoi vous me
demandez tout ça?» (A113). Je dois donc me contenter, pour cela, des référents qu’il a cités,
quelques tours auparavant, en réponse à ma suggestion d’explicitation du praxème adjectival
«scientifique» qu’il a actualisé en A99 pour le distinguer de l’arabe:
E102/ et qu’est-ce que qu’est-ce que tu tu disais euh le français est est scientifique euh//
A103/ bien sûr c’est la langue des sciences et de de/ le vaccin et tout les les maladies
microbiennes et tout ce c’est c’est en France euh/ oui oui c’est en France mais
mais maintenant euh maintenant c’est plus euh comme comme à l’époque de de
Louis Pasteurs et les les autres// et puis les les droits les droits des gens et tout//
A105/ en maths aussi en physique et tout/ il y a aussi la la littérature euh Germinal Les
misérables Rousseau Jules Verne Victor Hugo Sartres L’étranger d’Albert Camus//
L’explication de la scientificité du français se fait, comme à chaque fois que j’aborde ce qui
distinguerait cette langue, en comparaison avec l’anglais dont l’écho ici se fait ressentir dans
l’actualisation du praxème «maintenant» (2 occurrences) et du syntagme négatif «c(e n)’est plus» par
lesquels Amayas souligne l’évolution dans ce statut de langue de sciences qu’occupe à présent
l’anglais. L’emploi de l’imparfait ou du passé simple aurait réglé syntaxiquement le sens de cet
adjectif auquel s’est mêlé dans la bouche d’Amayas (A99) celui d’universalité qu’il illustre avec le
même procédé, c'est-à-dire en citant des noms de savants, de romanciers, de penseurs et du titre du
célèbre roman d’Emile Zola dont il n’avait sans doute pas le nom au bout de la langue au moment de
l’échange sinon il aurait procédé comme avec L’étranger… Ces noms ont, en effet, largement
contribué au rayonnement planétaire de la France. «Les droits des gens», les découvertes des maladies
microbiennes et du vaccin (antirabique, puisque c’est lié au nom de Louis Pasteur ?) ont en commun
avec les noms des romanciers le fait qu’ils font tous partie du passé auquel succède «maintenant» les
maths-informatique (A77) en anglais.
La scientificité et l’universalité du français sont liées, d’un côté, aux hommes de sciences (ici
Pasteur), de culture (ici les romanciers et les penseurs), des droits de l’Homme et, de l’autre côté, au
passé de la France.
A la thématique relative aux langues étrangères que j’introduis en kabyle, Omar réagit en français
(O90/par exemple/) avec une tonalité montante sollicitant une précision. Il m’entraine ainsi dans son
choix du français puisque je réponds en français en E89: «/le français par exemple/». C’est alors qu’il
actualise des praxèmes en kabyle, en O91 et O93, pour dire du français, respectivement, c’est «une
langue s w azal is» (qui a son importance), «d laâlith» (litt. «il est bien»). Il clôt son tour de parole par
cette auto-évaluation se déclarant «pas très bon» (095) en français comme s’il ressentait la nécessité
de justifier son passage du français au kabyle dans ce même tour de parole.
A mes invitations respectives à désambigüiser ses propos tenus en O99, O101 et O107, il réplique à
chaque fois par une reprise en écho interrogative à valeur à la fois discursive, puisqu’il me reprend
pour s’assurer d’avoir compris ma question, et interlocutive: gagner suffisamment de temps pour
programmer et extérioriser du sens. Ce qui se traduit, par exemple, sous forme d’hésitation dans ses
tours de parole O101 et 0107 extériorisant un programme de sens attribuant au français le statut de
langue de découvertes, de technologies, de sciences dans son tour O101 et d’université en O107 qui
est, en fait, une reprise en confirmation des propos tenus en 0101.
Ce procédé caractérise aussi l’actualisation du praxème «obligé» en O105. Ce réglage de sens,
plutôt contraignant pour ce lycéen, suscite mon interrogation en E106. Il me reprend en écho
immédiatement dans le but de bénéficier d’un temps supplémentaire afin de construire son énoncé
qui, de ce fait, porte des traces de perturbation soulignant sa déstabilisation. Omar est donc contraint
d’apprendre le français puisqu’il se considère lui-même «pas très bon» (O95) en la matière d’autant
plus qu’il sait, puisqu’il l’affirme, que les filières justement de technologie et de sciences sont
enseignées à l’université avec cette langue. Il y a donc un double réglage de sens du praxème «obligé»
(O105). La connaissance du français est, pour Omar, à la fois une contrainte, car il s’en auto-évalue
«pas très bon» (O95) malgré toutes ces années d’école, et une crainte puisqu’il admet que sans cette
connaissance son avenir (à l’université du moins) est incertain. D’où cet aveu d’impuissance qui
semble devenir, en clôture à son tour de parole 107, une alerte au couleur d’un défi qu’il aura à
relever: ‘’je dois me débrouiller un peu en français sinon ce sera la catastrophe’’15
3.6. Un élève inscrit en Lettres et philosophie: «/C’est une langue de savoir […] de
culture […] de technologie/» (Sofiane71)
Saisissant l’instant où Sofiane relate les difficultés que ses camarades de classe et lui
rencontrent en classe de français et d’anglais, je l’interroge sur ce qu’il penserait de ces deux langues:
E50/n challah / ihi iniyid d achou i thennid di les langues agui ?/ [/Si Dieu le veut/alors
dis-moi ce que tu dirais de ces langues-là]
S51/ le français d l’anglais ?/
E52/ ih/[oui]
S53/d achou ara minigh ?/// tsouthlayin igarzen atas atas/ [qu’est-ce que tu veux que je
te dise?/// ce sont des langues très très bonnes]
E54/ c'est-à-dire ?/
S55/c'est-à-dire euh :: vghigh adinigh euh ::/// garzent atas euh :: saânt l’avenir/
thfahmedh ?/[c'est-à-dire euh :: je veux dire euh ::/// elles sont bonnes euh :: elles
ont l’avenir/ tu comprends ?/]
E56/ oufhimghara/ [je n’ai pas compris]
S57/c'est-à-dire euh :: l français d l’anglais euh :: c’est des langues de l’avenir/ des
langues internationales/ mondiales/ c’est toujours bénéfiques de les connaître/
machi euh :: machi euh :: am thaârabth mahsouv/ [c’est pas euh :: c’est pas euh ::
comme l’arabe quoi]
15
«ilaq atselkagh chitoh di throumith moulach tharwi» (O107)
reprend mais n’enchaîne pas tout juste après sur un programme de sens en réponse à la dite
interrogation. Les trois barres obliques indiquent clairement qu’il s’agit plutôt d’un aveu de non-
réponse. Et le programme «ce sont des langues très très bonnes» ressemble à une expulsion de sens
dictée par un besoin d’occuper le temps que ma lenteur à reprendre la parole prolonge et rend lourd à
supporter tant qu’il sent la responsabilité de parler. C’est donc une espèce de remplissage dialogale de
sens vague auquel il n’adhère pas forcément ou qu’il extériorise moins parce qu’il l’admet que pour
maintenir le dialogue et/ou pour honorer son engagement à discuter avec moi.
En réponse aux explications que je sollicite tout de suite après (E54), à propos de sa catégorisation
des deux langues, il reprend en écho mon propos (E54). Mais il substitue à sa valeur interrogative son
intention explicative (à lui) ainsi que l’explicite l’actualisation du marqueur dialogal «je veux dire»
que précède et suit cette assez longue hésitation, indice d’une activité de signifiance intense que la trop
longue pause, en clôture à cette hésitation, donne à voir aussi comme étant en panne de réponse. C’est
pourquoi il se reprend lui-même immédiatement après pour r-établir la cohérence entre ses propos
antérieurs et ceux en cours de programmation/extériorisation. Ainsi, il donne l’impression
d’autodialogisation que, cependant, la trajectoire discursive à valeur explicative de son discours
(‘’elles ont l’avenir’’) rompt en faveur du marquage interrogatif clairement dialogal «tu comprends?»
dont l’expulsion ressemble plus à un désir ardent de me rendre la parole que de s’assurer de la
réception de son programme explicatif de son autre programme de sens «des langues très très bonnes»
(S53). Au final, il ne fait que remplacer le premier par le second comme s’il s’agissait de deux
synonymes. Ce que je lui fais savoir en répliquant négativement en E56 dans le but, à peine voilé, de
l’amener à désambiguïser ses actualisations praxémiques catégorisant le français et l’anglais. Sans
toutefois réussir car, encore une fois, il adopte le même procédé de reprise en écho d’apparence
autodialogique auquel succèdera la substitution au praxème nominal «langues de l’avenir», au sujet
duquel je le sollicite, ceux adjectivaux de «langues internationales/mondiales» pour signifier
l’importance de connaitre ces deux langues «toujours bénéfique» en comparaison à l’arabe. Une
comparaison que j’interroge immédiatement, sans compter sur le risque de me faire perdre le fil de
notre objet de discours: ce qu’il entend en qualifiant le français et l’anglais, d’abord, de très bonnes
langues (S53), ensuite, de langues qui ont de l’avenir (S55) et, enfin, des langues de l’avenir,
internationales et mondiales (S57). Prenant conscience de cette orientation de l’échange, je tente
quelques tours après, en E62, de le centrer cette fois-ci uniquement sur le français:
E62/ i ketch/ amek ithetswalidh la langue française/[et toi/ comment tu vois la langue
française?]
S63/ amek ?/[comment?]
E64/ ih [oui]que penses-tu de cette langue ?/
S65/ euh :: j’ sais pas moi euh ::/ c’est une langue euh : c’est une langue c’est une belle
langue/ voilà par exemple/
Bien qu’il (S63) m’ait fait savoir son étonnement de mon choix de quitter l’objet de son discours,
qui est l’arabe, pour l’inviter à aborder le français, je persiste dans ma sollicitation. Ignorant
volontairement le reproche à mon égard lisible dans son interrogatif ‘’comment?’’, faisant référence à
ses précédents tours de parole dans lesquels il semble croire s’être suffisamment expliqué à propos du
français dans le sillage de l’anglais, je reformule ma question sans reprendre le praxème «français»
(E64). Les hésitations avant et après l’expression de son ignorance de réponse à me proposer
traduisent son embarras au même temps que sa confusion vis-à-vis d’une question que, pourtant, son
interrogation immédiatement précédente suggérait comme étant suffisamment abordée. Il finit quand
même par trouver la réponse «/c’est une belle langue/voilà par exemple» dont le praxème
prépositionnel «par exemple» suggère d’autres qui ne viendront pas et qu’il faut donc faire venir en
provoquant à chaque fois sa propre parole en la reprenant ou en mettant en mots l’interprétation que
j’en fais comme en E70. En effet, il ne fait, à aucun moment, référence à cette mondialité et
internationalité auxquelles il a associé les deux langues française et anglaise. Si bien que se profile la
possibilité de comprendre que ces deux qualificatifs s’appliqueraient plutôt à l’anglais et non au
français:
S71/ non non euh :: c’est à dire que :: moi je pense qu’euh ::: enfin elle est :: belle euh ::
sur le plan de son vocabulaire par exemple// euh :: c’est aussi dans la
prononciation euh :: c'est-à-dire que c’est c’est c’est toujours bon euh :: enfin moi
euh :: ça m’(e) fait plaisir euh :: j’aime bien euh :: comment dire euh :: j’aime
bien euh :: quand quelqu’un euh ::: quand j’écoute quelqu’un qui parle le
français/ euh : j’aime bien ça/ c’est beau à entendre si on peut dire ça comme ça//
le français c’est une langue de savoir euh :: de culture euh :: de technologie/ elle a
tout ::: elle est ::: elle :::/-/c’est formidable/ c’est dommage euh :: seulement euh ::
c’est dommage j’(e n’ai) ai pas une bonne base/ depuis l primaire euh :: on a
pratiquement pas de prof de français/ et c’est mon problème aujourd’hui/ même si
euh :: je vois que le français euh :: que la langue française est une belle langue et
tout hein/ je la trouve aussi difficile tu sais/
3.7. Un élève inscrit en Langues étrangères: «/lamkhakh akw s l français iy ghran/» [/ tous
les ‘’cerveaux’’ ont étudié en français/](Ibtissem97)
Dès les premiers tours de parole, Ibtissem, candidate au baccalauréat série Langues étrangères,
exprime son souhait de poursuivre des études de français à l’université. Interrogée sur la raison de ce
choix, elle répond:
E42/euh::/ euh :/ tu peux euh :/ tu peux me dire pourquoi euh ::/ pourquoi tu veux faire
français//
I43/ pourquoi?/
E44/ ih[oui]/ pourquoi tu veux faire français à l’université?/
I45/ euh ::/ d’abord j’ai des ami(e)s ig khadmen [qui font] français/ mais i [à]Alger
matchi dagui i [et non pas à] Tizi-Ouzou// d’accord ? j’ai des ami(e)s/ en plus###
E46/ et que te disent tes ami(e)s de euh::/ c’est mieux à Alger ?///
I47/ euh ::/ ça va ça va/ ça leur plait/ ça leur plait c’est ça l’essentiel// mais mais daghen
[en plus] il parait que c’est difficile//c’est difficile puisqu’euh :: puisque nekwni
[nous] on a étudié en arabe// donc c’est normal/ c’est difficile///
E48/ c’est difficile ?//
I49/ih [oui]/ mais mais normal/ normal au début/ mais après ats sarhedh dayen [tu te
familiariseras]// donc normal//
E50/ i pourquoi toi tu veux faire français?//
I51/ pa(r) ce que j’aime bien//
E52/ tu aimes bien?//
I53/ oui oui/###
M54/depuis qu’elle était petite/ si zik [depuis longtemps]/ si zik thammel atsahdhar s
throumith [depuis longtemps elle aime parler en français]// en plus asmi thella i l
primaire daghen [quand elle était au primaire] elle joue euh :: elle fait
l’enseignante de français//[rire partagé avec Ibtissem]// ça je me souviens bien de
ça/ si si je me souviens//
La triple redondance de l’adjectival «difficile» à chaque fois précédé du présentatif «c’est», dans la
seconde séquence de son même tour de parole (I47), me fait saisir son appel à abandonner l’échange
sur les non-dits impliqués dans l’expression de son instance en I45 et à s’engager avec elle dans ce qui
pourrait paraître aller dans le sens de l’expression de son regret mais qui serait aussi une subtilité
communicative rendant sa préférence de l’université d’Alger justifiée. L’ambigüité dans cette
actualisation m’incite à la reprendre pour center mon interlocutrice sur le sens qu’elle lui donne: la
difficulté serait-elle liée au fait que ses amis (et elle d’ailleurs) ont étudié en arabe alors que la licence
de français exige d’eux des études de français ou serait-elle justement à l’origine de sa préférence de
l’université d’Alger où les études seraient difficiles parce que c’est ‘’sérieux’’ impliquant qu’ailleurs
ce ne serait pas le cas? En effet, s’il s’agissait d’une difficulté de langue, elle n’aurait pas établi,
encore moins insisté sur la différence entre les deux universités! Et l’actualisation du générique
«normal» rend son discours volatile puisqu’ici ce qui est «normal» concerne la situation de ses amis
qui, ayant le parcours linguistique arabisé, s’inscrivent en licence de français. «Normal» banalise une
situation anormale qui consiste à considérer ordinaire, «normale», que ces bacheliers inscrits en
français éprouvent des difficultés. Consciente du glissement sémantique généré par l’association des
deux praxèmes adjectivaux «difficile» et «normal» en rapport avec sa préférence de l’université
d’Alger, je tente une reprise en écho à valeur interrogative (E48). Elle abandonne définitivement la
comparaison en réitérant par deux fois l’oppositionnel «mais» pour atténuer la portée sémantique du
praxème «difficile», encore une fois, au moyen du générique «normal» et lier ce dernier à la réalité, à
l’effort à fournir pour réussir les études de français: des efforts dont elle semble consciente et pour
lesquels elle parait être motivée au point de s’adresser à moi, enseignante de français à l’université,
comme on s’adresserait à un élève appréhendant des études de français qu’il n’a pas choisi de suivre…
Je lui retourne sa propre manœuvre (E50) en lui rappelant ma question antérieure (E44) à laquelle elle
n’a pas répondu sinon par le truchement du choix de ses ami(e)s. Sans hésitation, elle actualise un
autre générique (/pa(r)ce que j’aime bien/) que je reprends immédiatement sous forme interrogative
pour l’inciter à le désambigüiser. L’intervention inattendue de sa mère, saisissant l’hésitation de sa
fille, interrompt sa réplique et me vient en aide pour libérer la pulsion communicative d’Ibtissem dont
les tours de parole ultérieurs constituent un véritable récit sentimental où le rapport au français est lié à
celui avec l’enseignante de cette langue, le regard porté sur cette langue étant largement imprégné de
celui porté sur cette femme. Même, plus loin dans l’échange, lorsque je la relance au sujet des raisons
pour lesquelles elle souhaite s’inscrire en licence de français, elle réitère d’abord ce critère de beauté
dont elle reconnait la difficulté à définir16; elle avance, après et en comparaison au kabyle le statut
international du français qu’elle explicite, d’une part, par l’audience internationale de Victor Hugo,
Emile Zola, Jean-Jacques Rousseau, Albert Camus et, d’autre part, par le rayonnement dans le monde
essentiellement de la France, du Canada, de la Belgique et de la Suisse. Et c’est en réaction à ma
reprise en écho, de forme affirmative mais de fond interrogative, de ces propos concernant ce statut
international, qu’elle produit un discours auquel donnera écho sa mère et dans lequel elle établit un
rapport de causalité entre le français et la connaissance, la science, la politesse, la discipline que
malheureusement la tournure qu’a pris l’échange à partir de I111 n’a pas permis de soumettre à la
discussion.
I97/ i::h/ matchi kan/ lamkhakh akw s l français iy ghran/ donc s l français / d l français
euh la sciences et tout/ la médecine et tout/ même ayen nidhan/ enf-/ awldi même
lafhama s l français// walikan yiwen ma yafham yahdaq atafadh ighra s l français//
ivan ivan//
16
Cette difficulté ressort dans les analyses présentées dans le chapitre intitulé Le français, une belle langue?
[/i::h/ pas seulement/ tous les ‘’cerveaux’’ ont étudié en français/ donc c’est en
français/ c’est le français euh la science et tout/ la médecine et tout/même autre
chose/enf-/ et même la politesse c’est en français/ quelqu’un de cultivé et poli a
sans doute étudié en français//c’est clair c’est clair]
M98/i ::h/ widakh trabaten França matchi sakarchiw itsaren aqarun nsen/ ghran ou
fahman// [i::h/ ceux-là ont été éduqués par la France ils n’ont pas le cerveau dans
l’estomac/ils ont le savoir et l’éducation//
I99/ tu as vu les enfants de madame X a yemma/ yekha::h/ ils ont une éducation! C’est
c’est des anges/ mais di l’école privé ighran/ ghran s l français// [mais ils ont fait
l’école privée/ ils ont étudié en français//]
M100/ widakh if kayassen Rebbi lafhama tarnayasen tsravga l’école X// akw les élèves
l’école X fahman/###
[/Dieu les as dotés de politesse et l’école X d’éducation// tous les élèves de l’école
X sont éduqués/###]
I101/i pa(r) ce que s l français/ allah ghalab! ayen ilan illa/ l français c’est une langue n
l’éducation/ oulach tskaârir/ ghar negh rouh///
[i pa(r) ce que c’est en français/ Dieu est supérieur! On ne peut pas nier la réalité/
le français est une langue d’éducation/ On ne plaisante pas/ étudies ou va-t-en///
E102/ la discipline/
I103/ exactement la discipline/ oulach tmaskhir dina// [on ne plaisante pas là]
La spontanéité dans l’échange entre la fille et sa mère et la fluidité interlocutive dans le réglage du
sens des praxèmes actualisés donnent l’impression que le sujet a déjà été plusieurs fois discuté.
L’image positive du français est ici renforcée par celle que les deux interlocutrices se font de
l’enseignement dans le secteur privé, apprécié justement car il est porteur, à leurs yeux, d’une morale
et d’un sérieux irréprochables qu’elles attribuent en réalité moins à cet enseignement qu’au français.
3.8. Conclusion:
L’effort de désambiguïsation sollicité auprès des douze élèves ayant associé le français, selon les
cas, à la science, à la technologie et/ou au savoir révèle l’étendue des confusions entre des noms de
scientifiques, dont certains ne sont même pas des Français, et des noms de penseurs, de culture, de
littérature. Les noms cités sont tous du passé. Il se dégage, en effet, des séquences dialogales relatives
à cette association, l’impression que le français est, pour ces élèves, une langue du passé. Une langue
de science, de technologie et de savoir, certes. Mais une science, une technologie et un savoir révolus.
Peut-il en être autrement quand on sait que ces rares élèves qui citent ces noms les tiennent rarement
de l’école? Peut-il en être autrement alors que ces mêmes élèves rencontrent probablement en classe
des noms de scientifiques contemporains sans savoir qu’ils sont Français parce qu’on ne leur a pas
appris? En effet, au moins en littérature, en philosophie, en psychologie et/ou en sociologie, des
théories d’auteurs français sont au programme…
Au français, ainsi perçu comme une langue du passé, succède systématiquement l’anglais,
catégorisé parfois comme la langue de l’informatique et des nouvelles technologies mais souvent
comme la langue pratiquée partout dans le monde entier. Les termes de la comparaison ne sont donc
pas les mêmes. Si au français on attribue la valeur de langue de science, bien que les auteurs sont
généralement des siècles passés, à l’anglais on associe surtout l’audience internationale.
Cette valeur de langue de science est liée au statut de langue des études universitaires dont jouit le
français en Algérie (Samia, Ouerida, Marzouk et Omar). Elle englobe souvent celle de sérieux et de
compétence que les programmes de sens actualisés règlent systématiquement en comparaison à l’arabe
dont les discours épilinguistiques, y compris dans la bouche des candidats arabophones (Saliha et
Amel), révèlent une attitude de déconsidération, voire de mépris. Une attitude qui découle sans doute
de l’idée très négative que rend l’environnement social de l’école et à laquelle ces élèves veulent
échapper (Kamélia, Amel et Lydia). Cela passe ainsi par l’expression de leur choix du français qu’ils
ne maitrisent souvent pas mais qu’ils catégorisent comme la langue à substituer à cette langue de
l’école, l’arabe.
Chapitre 4
Le français, une langue dépassée par l’anglais ?
4.1. Introduction:
Dans ce chapitre, il s’agit de saisir, dans sa matérialité verbale, le rapport que mes
interlocuteurs établissent entre le français et l’anglais. Comment catégorisent-ils ce rapport?
Que signifie-t-on quand certains d’entre eux considèrent que le français est dépassé par
l’anglais? En quoi le français est-il dépassé par l’anglais, selon eux? Sur quoi se fondent-ils
pour soutenir cela? La perception de ce rapport de cet angle, a-t-elle des implications sur leurs
attitudes vis-à-vis du français? Lesquelles? Comment sont-elles mises en discours?
Dans ma tentative de saisir la place que le français occupe face à l’anglais dans son
discours, j’ai buté à chaque fois sur son option simultanés pour les deux langues (A55, A57,
A59). Parmi les deux langues, elle dit ne pas avoir fait un choix définitif (A61) comme
branche d’études à l’université même si elle tend à choisir le français pour partir en France
(A63, A65) plutôt que l’anglais: les Etats unis et le Canada auxquels elle associe celui-ci
langue, étant trop loin pour elle (A71, A73).
A71/ anglais euh :: je veux bien aussi euh :: étant donné euh :: actuellement c’est la
première langue internationale hein ! donc tout va être en anglais/ et :: et et c’est
tu sais pas l’anglais euh :: tu vois tu ne :: tu ne suivras pas le monde/ tout tout
tout le monde parle anglais donc euh c’est important aussi pour vivre dans le
monde d’aujourd’hui negh ala [n’est-ce pas]?/ et avec ces langues étrangères tu
pourras partir ailleurs/ visiter le monde/ faire des rencontres euh :: des
connaissances eccetera/
E72/ si je te comprends bien tu es toujours indécise ?/
A73/hum::/ enfin:: je sais que:: bon je décide euh:: donc euh je pense que je vais faire
français plus tard euh :: parce que j’ai plus euh:: j’ai de la famille comme je j’ai
dit euh :: ça compte hein/ en plus euh partir en France ce n’est pas très loin de
l’Algérie/ je peux quand même rentrer pour voir mes parents/ c’est pas pareil par
exemple si tu es au Canada negh i[ou] les Etats-Unis/ tzridh[tu sais]/ y a mon
voisin qui est parti aux Etats-Unis maintenant je pense euh depuis sept negh
[ou]huit ans thoura[à présent]/ et il n’est même pas [re]venu une fois/ sa mère
meskint [la pauvre]elle dit toujours euh :: j’espère que je vais le voir au moins
une fois uqval ma mouthagh[avant de mourir]/ tu vois euh :: c’est pour ça par
exemple que je ne veux pas partir loin/ netta meskin yevgha ad yas [le pauvre veut
venir] mais thezridh achal ighlay wevoyage[tu connais la cherté du voyage] donc
meskin adyili rebbi yiddes[le pauvre que Dieu soit avec lui]/
A la différence des autres élèves, Amélia ne se projette pas dans la nécessité d’adopter
cette «première langue internationale» (A71). Curieusement, son affirmation «tout va être en
anglais» (A71) débouche sur un autre mécanisme de défense: s’installer en France pour
échapper à la domination de cette langue (A83)!
En effet, aux deux arguments explicatifs de ce qu’il considère être «une langue de valeur»
(S89), à savoir c’est «la première langue internationale» (S89) et «c’est la langue de la
technologie» (S89), succède la séquence en clôture à son tour de parole dont il juge inutile
d’achever l’extériorisation de sens. Ainsi, son programme de sens «ça n’a rien avoir»
complète le réglage comparatif entre les deux langues cette fois-ci aussi au niveau des
éléments externes après celle des éléments liés à la complexité et à la simplicité (présumée
donc) respective du système de conjugaison du français et de l’anglais et qui relèvent des
éléments internes.
E92/ pourquoi?/ parce que le français n’est pas une langue de technologie ?/
S93/ oui non :: mais : oui pas comme l’anglais/
E94/ et où réside la différence ?/
S95/ zik [autrefois] c’est vrai oui euh ::/ c’était le français euh :: qui domine euh :: dans
le monde mais mais mais :: ce n’est plus la même chose thoura[maintenant]/ thoura
[maintenant] euh :: thoura [maintenant] y a d’autres langues id ivanen [qui sont
apparues] hein/ l’anglais thoura ivan [c’est évident]/ nezmar adnini [je peux
dire]même le chinois thoura [maintenant] hein/ dachou ith djaledh [qu’est-ce que tu
crois?]/ les chinois bien sûr ont envahi le monde/ et :: et :: et par là bien sûr euh :
leur langue hein/ un jour euh :: ça arrivera hein/ un jour euh :: le chinois sera la
première langue internationale tu sais/ il sera la première puissance mondiale/
E96/ toi/ si tu as à choisir entre ces langues/ laquelle choisiras-tu ?/
S97/ je choisirai euh :: celle qui marche [rire] c'est-à-dire adhelhough akw d [j’évoluerai
avec] la langue ilahoun [qui marche]/ la langue la plus puissante actuellement/
E98/ et actuellement/ quelle est la langue la plus puissante ?/
S99/ l’anglais bien sûr/ c’est la première langue mondiale/ c’est la langue de la
technologie/ c’est c’est c’est :: la langue qui qui permet de rentrer en contact avec
pas mal de gens hein/ car euh : car maintenant euh :: si tu ne connais pas l’anglais
euh : c’est pas évident tu sais/ tu ne peux même pas voyager/ ni faire des
connaissances hein/ donc euh :: donc je pense euh :: moi personnellement euh :: je
pense que c’est important de connaitre cette langue/
En effet, tout de suite après, tout en faisant l’éloge de cette «première langue mondiale»,
il m’invite, dans le même tour de parole et dans un dialogisme interlocutif à visée
collaborative et co-constructive, à le considérer en qualité de jeune adulte qui aura à voyager,
comme il l’a déjà mentionné dans son tour de parole S47. Ce qui, pour lui, implique l’anglais
comme langue de voyage mais aussi et surtout qu’il ne connait pas cette langue dont il
exprime «personnellement» l’importance de connaitre, en écho à ses propos antérieurs (S41,
S43, S47) que je tente de reprendre en centrant l’échange sur l’avenir universitaire de
Sofiane:
Mais c’est dans son tour de parole S105 qu’il libère sa pulsion communicative en
commençant par se reprendre en écho à propos du fondement de son attitude. C'est-à-dire
faire comme tout le monde, comme à son époque où c’est l’anglais qui ‘’marche’’ (S105) et
devant lequel ‘’ ce français disparaitra parce qu’actuellement l’anglais le surpasse’’ (S015). Il
s’engage alors dans une autre logique distinguant ,d’un côté, les langues européennes dont il
cite l’anglais, le français, l’allemand et l’espagnol qu’il considèrent être des langues ‘’pour
avancer’’ et ‘’ se développer’’, des langues faciles à pratiquer mais surtout d’audience
internationale ouvrant les portes des pays respectifs, et, de l’autre côté, sans m’y attendre,
l’arabe à qui il n’associe que des valeurs négatives en le qualifiant de langue ‘’ qui tire vers
l’arrière’’ (S107) et d’audience non pas uniquement entre Arabes, mais entre lui seulement et
les Arabes: «’’toi seulement et les Arabes’’». Outre l’idée qu’il serait parmi les rares à
pratiquer cette langue, parce qu’en effet c’est de lui qu’il s’agit et non pas de moi, le segment
étant en kabyle il aurait dit kem, c’est à dire ‘’toi’’ au féminin, c’est toute la problématique
identitaire qui émerge dans cette actualisation oppositive de ‘’je’’ et de l’Autre. Une
problématique que, malheureusement, l’arrivée d’un groupe de ses camarades pour reprendre
les cours n’a pas permis d’interroger. Cela est d’autant plus frustrant pour moi qu’en me
voyant arrêter l’enregistrement, il se lève et chante en kabyle provocant le rire de ses
camarades: ‘’qui a la possibilité de s’enfuir mais est resté dans ce pays mérite la punition’’.
Un chant du populaire défunt Matoub Lounès qui en dit long sur les véritables motivations de
Sofiane dans son parti pris pour les langues européennes déconsidérant l’arabe et dans sa
préférence de l’anglais comme langue, selon lui, la plus parlée dans le monde: élargir ses
chances d’installation ailleurs…
4.3.2. « zrigh l’anglais t dépassé l’ français » [je sais que l’anglais devance le français]
(Farès 59)
De série Lettres et philosophie, Farès dit concentrer ses efforts sur les matières
essentielles, à savoir l’arabe, la philosophie, l’histoire et la géographie sans pour autant mettre
de côté les langues étrangères: le français et l’anglais dont il juge l’importance, en termes de
coefficient au baccalauréat, secondaire et en deçà de l’effort à fournir surtout en français (F20,
F22). En effet, tout en reprochant à ces enseignements d’arabe, de philosophie, d’histoire et
de géographie, qu’il considère essentiels, l’exigence de ‘’parcoeurisme’’ (F15, F20), il se
plaint particulièrement de son enseignant de français. Il juge celui-ci imposant de part aussi
bien sa rigueur et son application aux exercices systématiques en classe (F24, F26, F53, F55)
que de sa pratique exclusive du français (F20, F22). Si bien que Farès lui reproche de prendre
ses élèves pour des «émigrés» (F20) comme si la parole de ces derniers serait la norme du
français. Ces reproches à la fois aux enseignements essentiels et à son enseignant de français
étonnent, au moins, parce qu’aux dires de Hayet (H17), sa mère, Farès travaille beaucoup! Ce
qui étonne davantage, c’est la distinction qu’il établit entre ces enseignements et cet
enseignant de français. Considère-t-il le ‘’parcoeurisme’’ comme faisant partie de ces
enseignements «essentiels» alors que le niveau exigé en français, en rapport avec la
conception de leur enseignant qui, selon Farès, ignore que cette matière est secondaire à
l’examen du baccalauréat, serait anormal? En réalité, Farès veut plus de pratique du français
en classe (F51, F53) et cela en prévision de son projet de départ pour la France (F39) où il
aura à se débrouiller (F47). Son projet consiste ainsi à poursuive des études de philosophie
(F29) et à partir, ensuite, en France F39. Quand je lui signifie d’éventuelles difficultés à
concrétiser son projet en raison de l’incompatibilité, pour moi (E44), de réaliser des études en
arabe en prévision d’un départ pour la France, il réplique en F45 pour dire, explicitement,
qu’il ‘’ changera complètement de formation là-bas’’ (F45) et, implicitement, que ses
aptitudes actuelles ne lui permettront pas de s’inscrire en licence de français pour être
cohérent avec son projet de départ ainsi que cela est impliqué dans mon interrogation en E44.
Du fait, comme une espèce de retour d’écho, j’entends la voix de sa mère quand elle affirmait,
en H27, que son fils suit des cours particuliers de français dans une formule que je réinterprète
à la lumière de cette incohérence. Le réglage de sens de «zaama» dans ce tour de parole de
Hayet (H27) est plus négatif que son équivalent français «pourtant». C’est tout simplement
insuffisant, voire très insuffisant probablement au regard des efforts financiers consentis par le
père, à qui Farès exprime une affection contrariée en F29, mais plus vraisemblablement des
résultats en français, particulièrement au plan psychologique de son fils qui dit ‘’ connaitre’’
le français (F33) et pouvoir se «débrouiller» (F47) en cette langue mais qu’en se projetant
dans une formation en arabe tout en ayant l’idée de départ en France parait fonctionner, pour
Hayet, comme un signal d’un problème de logique. La réplique de Farès à ma tentative
d’interroger son attachement à la philosophie en E30 est malheureusement dédoublée de la
voix de sa mère. En effet, Hayet intervient (H32) pour me donner en exemple à son fils dans
une discrète confidence à moi, en réponse à ma quête de sens et de bon sens en E30 que son
fils (F31) refuse d’admettre, me voyant probablement adopter un point de vue qui serait celui
des parents. Ces derniers, selon sa réplique F29, veulent qu’il ait un meilleur niveau de
français. La présence dialogique du père, physiquement absent, pèse sur l’échange. Sa
convocation par Farès est, pour sa mère, une invitation à moi d’arbitrer dans un différend
auquel je prends part à mon insu et surtout dans lequel j’adopte, sans calcul, la position
contraire de mon interlocuteur principal. Cela est d’autant préjudiciable à la suite de l’échange
que le regard de Hayet, dirigé vers moi (H32), est un appel visible à l’approbation du choix
de l’absent-présent, qui est le père. Consciente des risques de rupture dans le fil du discours
avec Farès et de détournement involontaire de l’objet de discours qu’implique l’appel de
Hayet, je choisis (E34) de relancer l’échange en rapport avec l’enjeu le plus urgent pour les
deux: la réussite au baccalauréat de Farès. Comme soulagé d’entendre la différence entre le
baccalauréat en Langues étrangères, que sa mère m’a attribué malgré moi, et le baccalauréat
Lettres et philosophie qu’il prépare, il produit un discours en faveur du français et de l’anglais
(F37). Dans un premier temps, il rappelle leurs aspects secondaires comparés aux matières à
gros coefficients (F35). Dans un second temps, il formule des critiques du cours de français. Il
souhaite plus de pratique orale de cette langue (F51) et moins de devoirs de maison (F53), en
raison du volume de travail qu’il a à accomplir dans «les matières essentielles» (F55). Il
précise, dans un premier temps, en réponse à ma réplique E56 lui reprochant sa
déconsidération non pas de cette matière mais de cette langue en rapport avec son projet de
départ, que cette importance est liée aux coefficients (F57), et, dans un second temps, en
affirmant (F59) qu’il ‘’aura justement du temps’’ (F59) pour se perfectionner en français à
l’université où «les livres et tout [sont] en français». Mais tout de suite après, dans le même
tour de parole, il entame un discours comparatif du français avec l’anglais dans lequel il
annule, au profit de l’anglais, petit à petit le regard favorable, qu’il vient de mettre en
discours à l’égard du français.
F59/ mais di[à] l’université euh :: di [à]l’université adssough lwaqth [j’aurai du temps]/
et bien sûr les livres et tout en français/ bien sûr ilaq [il faut] l(e) français/ ilaq [il
faut] l’anglais/ zrigh[je sais]/ zrigh [je sais]l’anglais t [a]dépassé l’ français//
d’ailleurs même les Français qaren atas [étudient beaucoup] l’anglais///
E60/ c’est vrai/ c’est vrai/
F61/ même le japonais et tout/ wali [regarde] partout di [dans]l(e) monde s [c’est en]
l’anglais iqaren [qu’on étudie]/ l’informatique et tout/ s l’ [en] anglais///
E62/ ah oui !/
F63/ bien sûr/ bien sûr/ c’est vrai/ yella [il y a] l(e) français mais euh :: d[c’est]
l’anglais ig [qui] dominin [domine]/ yarnou [en] l(e) français tawaâar [est
difficile]/ surtout la conjugaison/ matchi am[ce n’est pas comme] l’anglais/ l(e)
présent/ l(e) passé/ l(e) futur//
E64/ ah oui !/
F65/ enfin pour moi/ mais staaârfagh belli [mais je reconnais que] l(e) français euh ::
c’est zik nni [depuis longtemps] euh :: d [c’est] la langue n [de] la science/ zikenni
[autrefois]/ mais thoura thougarit [à présent est dépassé par] l’anglais/ l’anglais
thella i lhend [est présent en Inde]/ il [au] japon i l’[en]Afrique du sud/ i l’[en]
Australie/ matchi kan di l’[ce n’est pas uniquement en] Angleterre/ negh di l
marikan [ou en Amérique]// mais l français thoura ah![mais le français ah !]//
E66/ amek toura[comment actuellement ?]/
F67/ mahsouv thoura [c'est-à-dire actuellement]/ actuellement voilà//
E68/ mais###/
F69/ am dinigh essah [je vais te dire la vérité]/ j’aime l(e) français et tout/ mais je pense
euh :: oui l’anglais thoura ig lahoun atas di dounit [qui marche beaucoup
actuellement dans le monde]/ si on (ne) connait pas l’anglais euh: oui on est cuit//
L’affirmation qu’à l’université Farès ‘’aura du temps’’ (F59), sans doute pour lire en
français et s’en améliorer, car justement «les livres et tout» (F59) sont en français, fonctionne
dans la discursivité de mon interlocuteur comme un principe général auquel il n’adhère pas en
réalité. En fait, cela est sans importance au regard de son vrai projet: partir en France. C’est
donc par défaut qu’il s’inscrira en philosophie et non en français, n’en ayant pas un niveau
suffisant comme parait le souhaiter son père (F29). En effet, de son propre aveu, même ces
études de philosophie ne constituent pas son vrai projet puisqu’une fois ‘’là-bas’’ (F45) il
‘’changera complètement de formation, l’essentiel est de partir’’ (F45). Et dans ce tour de
parole F59, en se donnant à entendre comme un connaisseur de la réalité et des enjeux de
langues à l’université précisant que même les études de philosophie exigent la connaissance
du français parce que les ouvrages s’y afférant sont en cette langue, ce qui n’est pas tout à fait
réel puisqu’il existe quand même une assez importante documentation de philosophie en
langue arabe, il se positionne en maître de son destin, sans doute, en direction de sa mère,
représentante de son père avec qui il diverge sur la nécessité de fournir des efforts pour
maitriser le français justement. C’est donc un dialogue avec son père par sa mère interposée.
Un dialogue dans lequel Farès, en s’adressant à moi, libère sa pulsion communicative dans ce
même tour de parole tout en adoptant une logique à partir de ce que son père souhaite (la
maitrise du français par son fils) pour, ensuite, la remettre en question, selon lui, de manière
pragmatique puisqu’aussi bien dans son intérêt que dans la réalité des langues dans le monde
actuellement, il serait une espèce de perte de temps que d’adopter le point de vue de son père.
Ainsi, la première actualisation, dans ce même tour F59, du praxème «ilaq», c'est-à-dire ‘’il
faut’’ le français, est, d’un côté, exclusive à l’université, prenant l’allure d’une obligeance
repoussée par Farès qui n’en veut pas, et de, l’autre côté, révélatrice d’une superficialité dans
l’appréciation de Farès. Celui-ci marque une courte pause et réactualise le même praxème
mais avec un autre réglage de sens auquel il adhère et dont il montre qu’il est conscient: la
double récurrence de «zrigh», c'est-à-dire ‘’je sais’’, étant liée à l’anglais et non pas au
français, fonctionne comme un reproche à son père qui, selon lui, ‘’ ne sait pas’’ qu’il faut
l’anglais. En effet, pour lui, le français, que son père veut que son fils maitrise, est ‘’ dépassé
par l’anglais’’ et ‘’même les Français étudient beaucoup l’anglais’’.
En détournant mon approbation de E60 non pas du désintérêt des Français vis-à-vis de
leur langue comme il le dit sans que je saisisse ce sens sur le champ, mais de l’importance de
l’anglais pour les Français comme c’est le cas ailleurs, il enchaine en F61 en m’invitant non
pas à ouvrir les yeux sur la réalité des langues dans le monde où l’anglais domine mais surtout
à me prendre à témoin ou encore pour me demander d’expliquer à son père, à travers sa mère,
que le français n’est pas si important. A l’issue de ce qui ressemble à une véritable offensive
de sa part dans ses deux tours de parole (F59 et F61), il marque dans les deux cas une si
longue pause, qu’indiquent les trois barres obliques, qu’il est difficile de ne pas y voir un
appel, d’abord, à sa mère de reprendre la parole comme une espèce de défi à relever et,
ensuite, à moi pour arbitrer à la lumière des données qu’il vient de mettre en mots. Ainsi, il
m’arrache une seconde fois une approbation cette fois-ci sous forme d’étonnement (E62). Ce
qui l’incite à reprendre immédiatement la parole dans une perspective comparative des deux
langues. D’une part, il réitère la domination de l’anglais sur le français qu’il juge, d’autre part,
‘’difficile surtout sa conjugaison’’ qui n’est pas comme en anglais où il n’y a que trois temps
‘’le présent, le passé et le futur’’ (F62) comme si cela était aussi vrai, ainsi que le soutient
aussi et exactement dans les mêmes termes Sofiane dans son tour de parole S87. Les
ingrédients de la préférence de l’anglais sont là et moi autant que sa mère n’avons qu’à
approuver une troisième fois. Ce que je fais, en E64, pour ensuite tenter d’émettre d’autres
propos. Mais, comme le montrent les trois signes de dièse avec lesquels sont notées les voix
superposées, il me dédouble pour, dans un premier temps, me donner l’impression qu’il allait
revoir son appréciation en entamant son tour de parole F65 par cette apparence d’auto-remise
en question mais qui s’avère être, exactement comme dans son tour de parole F59, une espèce
d’introduction pour s’attacher mon (ou notre) attention et se lancer, dans un second temps,
dans une autre comparaison, cette fois-ci chronologique, en défaveur du français associé au
praxème «zik/zik nni», c'est-à-dire ‘’autrefois’’ et en faveur de l’anglais associé au praxème
«thoura», c’est à dire maintenant. C’est comme pour dire que son père à tort de vouloir que
son fils fournisse des efforts pour maitriser la langue qui appartient à son temps à lui, c'est-à-
dire à son père et qu’il qualifiera plus loin à deux reprise en F95 et F97 de «tamghart» et de
«vieille», au lieu de l’encourager à connaitre la langue du temps de son fils, celle de «thoura»,
c'est-à-dire de maintenant. Bien qu’il m’ait semblé très difficile qu’un père puisse tenir ce
langage à un fils à qui il paye des cours de soutien, j’ai préféré ne pas contrarier Farès pour
éviter qu’il ne me catégorise, une seconde fois, du côté de ses parents. Je choisis donc en E66
de le relancer à propos du praxème «thoura» dont il vient d’extérioriser un réglage de sens
impliquant la fonction véhiculaire de l’anglais dans le monde et ‘’vernaculaire’’ du français. Il
confirme, en reprenant ce praxème d’abord en kabyle puis en le traduisant en français,
exactement comme il procèdera respectivement en F95 et F97 pour qualifier la langue
français de «vieille», qu’il s’agit bien de la restriction de l’influence du français dans le
monde que supplante partout l’anglais. D’où la tonalité menaçante de son propos en clôture à
ce tour de parole F69 annoncé à l’indéfini sous forme d’un avertissement à son père à travers
moi et, surtout, sa mère: «si on (ne) connait pas l’anglais euh: oui on est cuit».
F81/ mais la technologie euh :: am l [comme le] cinéma/ euh :: la musique et tout/ et
même les informations d l’[c’est en]anglais//
E82/ donc l(e) français ###
F83/ non non/ c’est vrai l français c’est une belle langue et tout ###
E84/ que veux tu dire par belle langue ?/
F85/ amek?[comment ?]/
E86/ tu as qualifié le français de belle l###
F87/ oui/// enfin je pense/ je pense parce que euh:: parce que::/ parce que/ on dit que le
français c’est une belle langue parce que parce comme ça/ [rire]
E88/ comment comme ça?/
F89/ comme ça/ et c’est tout//
E90/ comment comme ça et c’est tout ?/ qu’est ce que tu trouves de beau dans la langue
française?/
F91/ qui ?/ moi ?/
E92/ oui/ toi oui/
F93/ rien/ [éclat de rire suivi de celui de la maman et de moi-même]
E94/ tout à l’heure tu disais que le français est une belle langue//
F95/ oui oui mi zik[mais autrefois]/ thoura tamgharth [maintenant elle c’est une veille]
/ [éclat de rire suivi de celui de la maman et de moi-même]
E96/ amek tamgharth ?[comment c’est une veille?]/
F97/ elle est veille c’est tout// [rire]/ ifouthit l hal [elle est dépassée par le temps]//
E98/ ah bon!/
F99/ c’est fini/l’anglais partout même dagui [ici]/
E100/ tu penses ?/
F101/ lghachi zran thoura belli l français iwaken ken atrouhad ar França/ mais laqraya
la science et tout//
[Les gens savent que le français c’est jsute pour partir en France/ mais les études
la science et tout//]
E102/ laqraya la science et tout// [/les études la science et tout//]
F103/ ih les sciences/ la technologie et tout s l’[c’est en] anglais/ walikan [regarde]
Google/ les meilleurs sites akw s l’[sont tous en] anglais//
Dans le tour de parole F81, Farès élargit les domaines d’usage exclusif de l’anglais à la
technologie, la musique et l’information. C’est probablement une manière pour lui de
confirmer la primauté de cette langue actuellement dans le monde. Ceci me pousse à
introduire une nouvelle question au sujet de la langue française qui se voit, selon lui, dépassée
par la langue anglaise. Cependant, me soupçonnant mal interpréter son opinion à l’égard du
français, il interrompt mon interrogation pour affirmer en F83 la beauté de cette langue dans
une formule générale comme s’il est pressé de finir avec cela: «non non/ c’est vrai l(e)
français c’est une belle langue et tout».
Interrogé, sans s’y attendre, sur ce qualificatif de «belle langue», il me repend en écho
(F85) pour bénéficier de plus de temps et programmer du sens. Je suppose même qu’il
regrette d’avoir qualifié le français de «belle langue», puisque dans sa réponse F87 «oui///
enfin je pense », il tente d’atténuer son propos en le teintant de doute comme pour le remettre
en cause. Il se décharge, dans ce même tour de parole, de toute responsabilité en attribuant
cela au «on» de non personne, dans lequel Farès fait entendre la voix de la doxa qu’il dit
reprendre dans sa considération du français ainsi sans pour autant y adhérer. C’est du moins
ce que laisse comprendre ce rire moqueur, précédé de la séquence «on dit que le français c’est
une belle langue parce que parce comme ça/ [rire]»
Ma tentative de saisir le sens actualisé dans sa séquence «comme ça» échoue. Farès
m’invite discrètement à clôturer ce sujet (F89). Mon insistance en E90, E92 et E94 est en effet
sans succès. Ce n’est qu’au tour de parole F95 que Farès, dans un dialogisme intralocutif,
entrant en rapport avec ses propos précédents, émet, à l’initial de son tour de parole F95, le
double «oui» d’apparence d’approbation mais en réalité de désapprobation ; car il les nuance
par le renvoi de cette beauté à une époque révolue la comparant à une femme dont la beauté
physique de sa jeunesse a cédé la place à la vieillesse: ‘’belle autrefois et vieille aujourd’hui’’.
Une comparaison en kabyle qui provoque le rire partagé entre lui, sa mère et moi –même.
Une comparaison qui suscite mon interrogation (E96) pour mieux définir cette assertion mais
à laquelle il se contente de la comparaison en français (F97), pour ensuite signifier ce
caractère révolu du français (F99) dépassé par l’anglais dont la présence actuellement est
«partout même ‘’ici’’», c'est-à-dire en Algérie.
Dans le même ordre d’idée et dans un dialogisme interdiscursif, Farès convoque la voix de
la collectivité à qui, selon lui, la langue française ne sert plus que de moyen pour pouvoir
partir et partir uniquement en France (F101) car dans sa logique pour aller ailleurs ‘’il faut
l’anglais’’, tandis que l’anglais est en plus, selon lui, la langue de sciences, de technologies,
de communications et de connaissances car «les meilleurs sites sont tous en anglais» (F103).
Ma tentative de relativiser, encore une fois, cette catégorisation s’avère être inutile face au
poids de l’anglais, en effet, dans cet autoroute de l’information qu’est internet. D’autant plus
qu’il est difficile rationnellement de ne pas approuver Farès pour qui est perte de temps et de
moyen le passage par le français pour obtenir, traduites, des connaissances produites en
anglais (F107). L’échange serait intéressant à propos de sa propre maitrise de l’anglais pour
savoir s’il en a une ou s’il s’agit, dans l’ensemble de cet entretien, interrompu par le retour de
sport de ses deux frères rendant l’atmosphère bruyante comme je l’ai noté à la fin de la
transcription de l’entretien, d’une idéalisation et d’une survalorisation de l’anglais à travers
laquelle il se valorise dans cette équation qui l’oppose à son père ou encore pour compenser
psychologiquement sa méconnaissance du français.
4.3.3. «L’anglais euh :: s’impose mieux par rapport euh :::[au français] » (Wissem101)
Exceptionnelles, comparées à celles de l’ensemble des élèves interviewés, les déclarations
de Wissem (W27, W29, W31, W33, W111, W113, W117), notamment celles relatives à sa
faiblesse en langue arabe, alors qu’elle est candidate au baccalauréat de série lettres et
philosophie dont les enseignements sont dispensées essentiellement en arabe, sont difficiles à
vérifier hormis celles qui concernent sa maitrise du français qui ressort de sa pratique au cours
de l’échange. Issue d’une famille économiquement modeste pour prétendre à scolariser les
enfants dans le privé, où les enseignements sont en général en français, et dont les parents
mais surtout le grand frère ont fait des choix de langues particuliers (W47), Wissem avoue
être influencée et bercée par la langue française depuis son jeune âge (W39). Quand bien
même elle a déclaré, quelques tours de parole auparavant, que l’anglais et le français sont ses
langues préférées (W19) par rapport à l’arabe et au kabyle qu’elle considère à peine comme
un dialecte (W123) tout en le déclarant comme étant la principale langue pratiquée dans le
giron familial (W45). Cette attitude positive à l’égard du français est mise en valeur tout au
long de l’échange systématiquement en rapport à la télévision. Celle-ci parait être au cœur
aussi bien de son acquisition de cette langue que de son attachement qui va jusqu’à la faire
dire ne pas aimer la langue allemande en raison de l’Histoire des Allemands (W25), faisant
référence, sans le dire, au nazisme. Curieusement, elle récuse l’idée de partir pour s’installer
en France sans que je n’en aie jamais fait allusion, sous prétexte qu’elle tient à sa culture et à
ses traditions! (W81, W83, W85, W87). C’est que pour elle l’essentiel est de se cultiver pour
justement ne pas subir le point de vue des Français et des Européens sur sa propre culture
(W89). Dans ses tours de parole W35 et W37, elle a précisé son opposition à l’influence
islamique qu’elle considère être en même temps à la base de son attitude si négative à l’égard
de l’arabe qu’elle ne maitrise pas malgré ses douze années de scolarisation en cette langue
(E114, W113, W117).
C’est donc une attitude contradictoire mais originale comparée à celles des autres
candidats qui ont accepté d’échanger avec moi. En effet, même le rapport à l’anglais est situé
au niveau rationnel, communicatif quand celui au français relève plutôt de l’affectif. Ainsi,
bien que consciente du prestige «international» de l’anglais (W77), elle insiste sur son
attirance par le français.
E100/pourtant tu m’as dit toute à l’heure que tu aimes la langue anglaise/ et qu’il s’agit
d’une langue internationale/
W101/ oui euh :: peut-être parce que l’anglais euh :: s’impose mieux par rapport
euh ::: à sortir d’ici/ puisque c’est une langue internationale/ elle permet de
communiquer avec tout le monde// tu connais l’anglais/ tu peux donc
communiquer avec tout le monde/
E102/ le français/ non ?/
W103/ le français c’est la deuxième langue/ mais euh :: les gens euh :: ils préfèrent
euh :: toujours la première/
E104/ et ce n’est pas ton cas/
W105/ je veux juste connaître le français/ je m’en fiche de connaître l’anglais/ c’est
bien de connaître euh :: l’anglais parce que ::: c’est une langue véhiculaire
comme on dit euh :: mais je ne suis pas du tout passionnée par elle/
E106/ même si ça reste la première langue internationale/
W107/ non/ non/ parce qu’avant c’était le français la première langue internationale/
maintenant c’est la seconde oui/ mais :: j’opte toujours pour le français/
Dans son tour de parole W101, Wissem approuve ma remarque. Mais son hésitation
«euh», suivie du doute «peut-être», cache mal sa gêne et sa confusion jusqu’à employer une
séquence suspendue par une longue hésitation, dans laquelle elle compare l’anglais «qui
s’impose mieux» par rapport au ‘’français’’; une comparaison qu’elle n’arrive pas à mettre en
mots par crainte de se contredire. C’est dans une dynamique de dialogisme interlocutif
qu’elle m’interpelle pour prouver le statut de langue «internationale» de l’anglais, c’est à dire
qui sert de moyen de communication «avec tout le monde» et qu’elle tentera de qualifier de
véhiculaire sans achever l’actualisation de ce praxème en W105. C’est alors que j’interviens
sur un ton interrogatif, lui rappelant que le français peut également accomplir la même tâche.
Celui-ci occupe, selon elle, la deuxième position, sous-entendant par la même occasion que la
première langue est bel et bien l’anglais (W103). Cette langue qui devance donc le français
est, selon ses dires, celle que la collectivité indéfinie préfère. S’agit-il d’une façon de s’auto-
distinguer de cette collectivité ou d’une manière à elle d’exprimer discrètement un certain
rapprochement avec l’enseignante de français que je suis?
Ni l’un ni l’autre. Elle réaffirme plusieurs fois dans l’ensemble de l’entretien son
attachement si passionné au français qu’elle regrette que cette langue ne soit pas comme
«avant» (W107), c'est-à-dire «la première langue internationale» (W107), ce statut
qu’occupe «maintenant» (W107) l’anglais. Un statut dont elle s’ «en fiche» (W105)
l’essentiel, pour elle, est qu’elle est passionné par le français en éprouvant autant de passion
à la littérature romanesque qu’elle juge parfois encombrante du fait des mots qu’elle contient
et que Wissem ignore (W57); ce qu’elle n’éprouve pas devant l’écran de télévision auquel elle
lie, en effet, son attitude passionnée vis-à-vis du français(W27, W55,W67, W69, W77).
4.3.4. «ilaq [il faut] l(e) français/ i bien sûr l’anglais/ l’anglais puisque maintenant d
[c’est] l’anglais iguaqwan i [qui domine dans] l(e) monde » (Mounir67)
Ainsi que j’ai eu à le décrire dans le chapitre où je traite du français en rapport avec les
langues nationales, Mounir, tout en critiquant l’arabe à qui il associe le ‘’parcoeurisme’’
dans l’enseignement de la philosophie (M81, M83, M87, M89), distingue entre le français,
qu’il dit être sa langue de lecture en philosophie (M91, M93, M111, M115), et l’anglais en
avouant la nécessité de son acquisition, étant, selon ses dires, la langue la plus parlée dans
le monde (M53).
M53/[…]/ mais euh :: en plus ilaq [il faut] l’anglais/ puisque c’est euh :: matchi am [ce
n’est pas comme] l(e) français/ l’anglais hadrants di [est parlé dans] l(e) monde/
mais même l(e) français/ mais allah ghaleb [dommage]/ dagui [ici]euh :: dagui
anaârbouha [ici on va l’arabiser]/ donc akka[c’est comme ça]//
E54/ amek akka?//[comment c’est ça?]
M55/ amek akka? [comment c’est ça?]/ akka[comme ça]/ akka[comme ça]/ s l’arabe
inaghra [on a étudié en arabe]/ c’est normal donc/ c’est normal/ normal anili
[qu’on soit] faible i[en] l(e) français euh :: normal//
E56/ faibles dighan i [aussi en] l’anglais non?/
M57/ aaah ! wina thoura yvan[ça c’est évident]/ mais l(e) français/ l(e) français/ l(e)
français normalement ats nestardhiq khir [on doit le manier mieux que]les
Français//
Mounir se désole devant cette réalité où, au moment où l’anglais est considéré comme une
langue utile et parlée dans le monde, l’arabisation exclusive bat son plein dans son pays.
L’expression de cette position passe par la mobilisation de la voix et de la formule de
Matoub « anaârbouha» que j’ai analysée dans le chapitre intitulé Le français et les langues
nationales. Cette hostilité à l’arabisation se traduit aussi sous forme de peine et de désolation
qu’intensifie l’actualisation du praxème «akka» dont le réglage de sens implique la contrainte,
voire la fatalité. En effet, poursuit-il, c’est justement cette arabisation qui a causé la faiblesse
dans le niveau de ses camarades et lui en français (M55) qu’il affirme, je rappelle, être la
langue avec laquelle il apprend (M93) et se concentre (M111) alors que l’arabe lui sert de
moyen pour répondre aux examens… (M51, M81, M111).
L’apparition de l’anglais dans son discours est curieusement liée à ma remarque (E66) sur
la nationalité de Marx qu’il cite pour appuyer son opinion consacrant le français comme étant
la langue de la philosophie ou, pour être précis, des grandes figures de la philosophie moderne
(M65).
M65/ c’est normal/ l(e) français igkhadmen [qu’on travaille] la philo am [comme] Jean
Jacques Rousseau/ am [comme] Marx euh :: Hegel et tout//
E66/ mais Marx waqila [apparemment] c’(es)t un allemand non?/
M67/ i [oui] mais s l(e) [c’est en] français ig aghra [qu’il a étudié]euh :: ig [qu’il-
]euh ::/ am [comme] euh ::/ même Freud/ mais Freud euh ::/ voilà/ donc twaladh
[tu vois] les grands akw s [tous c’est en] l(e) français/ donc ilaq[il faut] l(e)
français/ i bien sûr l’anglais/ l’anglais puisque maintenant d [c’est] l’anglais
iguaqwan i [qui domine dans] l(e) monde/ donc ilaq dighan [il faut aussi]
l’anglais// ah oui ilaq[il faut]/ d’ailleurs ilaq dighan [il faut aussi] le jap/-/euh ::
our zrigh ara amek is qaren i [je ne sias pas comment appelle-t-on] la langue n
[du] l(e) japon//
L’origine française des trois philosophes (Rousseau, Marx et Hegel) est une manière pour
lui de justifier l’importance du français. Ma nuance (E66) à propos de la nationalité
allemande et non française de Karl Marx (et d’Hegel bien sûr) ne semble pas le déstabiliser.
Il acquiesce et ajuste son propos (M67) en fonction des implications de ma nuance pour
préciser qu’il ne s’agit pas pour lui de nationalité, c'est-à-dire de politique ou d’ethnologie,
mais de la langue utilisée pour étudier et devenir philosophe: K. Marx aurait donc comme
langue de travail, c'est-à-dire de raisonnement et d’expression philosophique, le français! Il
élargit sa logique à Freud, cet autrichien de nationalité qui, pour Mounir, a étudié et fondé la
psychanalyse en français… Au bout de cet élan de démonstration du poids du français dans le
monde, particulièrement de la connaissance (philosophique et psychanalytique), Mounir
m’interpelle comme pour me prendre à témoin du fondement réel de son opinion à propos du
français: «/tu vois tous les grands ont étudié en français/». Mais tout de suite après, il
introduit, avec le praxème de certitude et d’évidence «bien sûr», l’anglais. A partir de cet
instant, ce dernier se substitue au français dans le discours de mon interlocuteur qui, comme
s’il regrette cette réalité en défaveur du français, cite le japonais comme une langue aussi
nécessaire (M67, M69); sans doute pour amortir le lourd poids de l’anglais dans le monde
destituant le français qui, pour Mounir, est la langue de la philosophie et de la concentration
(M111).
Il faut préciser que son discours s’élabore contre l’arabe. A ce dernier, il préfère, sans
pour autant les connaitre comme il le dit en S99, les langues étrangères (S95, S97, S99, S101)
dont je lui suggère, pour les besoins de l’étude, le français (E110) et l’anglais (E104). Et c’est
en alternant l’indéfini «on» et le collectif «nous» dans la même logique endogroupale, à la
laquelle il m’invite à adhérer, qu’il associe les langues étrangères au développement (S93)
sous-entendant l’inverse dans sa catégorisation de l’arabe (S61, S63, S71, S73, S77, S79, S81,
S83, S85, S87, S89, S91, S93):
S93/[…]on veut les langues qui qui qui nous développent/ […] nevgha ayen iglahoun
thoura [on veut ce qui marche maintenant]/
E94/ i dachou iglahoun thoura?/[et qu’est-ce qui marche maintenant?]
S95/ les langues étrangères/
E96/ par exemple/
S97/ français/ anglais/ allemand/ espagnol/ portugais/ russe/ japonais/ chinois/ ouqant
[il y en a beaucoup]/ khtina ken i thaâravth[qu’on nous débarrasse juste de
l’arabe]/ dayen [ça y est] ça suffit/
E98/ et parmi ces langues/ laquelle tu préfères/
S99/ hamlaghthent akw ghas akken outhentissinghara yakw [je les apprécie toutes
même si je ne les connais pas toutes]/
E100/ mais tu as une préférence quand même/
S101/ wellah ar walou [je jure que non]/ l’essentiel c’est une langue étrangère/
E102/ si on te fait choisir/
S103/ ah wellah ar [je jure que] c’est difficile/ le monde actuel euh :: dans le monde
actuellement euh :: il faut connaître beaucoup de langues étrangères/ les langues
étrangères c’est c’est c’est l’avenir je pense/ nagh ala ![ou non!]/ sinon euh :: tu
seras limité/ tu (ne) pourras pas voyager/ tu (ne) pourras pas faire des
connaissances/ euh :: connaitre plusieurs cultures/ plusieurs civilisations/tu vois/
euh :: tout ça ça va avec les langues je pense/ mayella sthaâvth euh :: oulach
anechtha [en arabe il n’y a rien de tout ça]/ aâraven ken oussefrahanara [les
Arabes n’inspirent pas la confiance]/ tu n’avanceras pas/ tu (ne) connaitras pas
grand-chose/ c’est mon avis bien sûr/ chacun est libre je pense/
Je sollicite mon interlocuteur pour préciser ce qu’il catégorisait par «langues étrangères»
(E96). A ma surprise, il cite (S97) en rafale huit langues étrangères, comme pour éviter une
éventuelle question soupçonnée, s’il venait à en citer une ou deux langues seulement. C’est
sans doute la raison pour laquelle il maintient sa liste de langues étrangères ouverte par
l’actualisation du praxème «ouqant», signifiant qu’il ‘’y en a beaucoup’’. Ainsi, il m’accule
à l’interroger sur sa langue préférée (E98) mais sans qu’il n’accepte encore de faire un choix
comme s’il veut se constituer, avec les langues qu’il cite, en bloc qui avance contre l’arabe
qu’il qualifie de langue morte, inutile, etc. Mes cinq tentatives (E94, E96, E98, E100 et E102)
n’aboutissent donc pas et mon partenaire de l’échange continue à taire sa ou ses langues
préférées. Il souligne l’importance de toutes ces langues étrangères (S101). Il poursuit dans
son tour de parole S103 que les langues étrangères «c’est l’avenir». Il y fait écho à ses propos
antérieurs, reléguant l’arabe au statut de langue morte et inutile en usant du marqueur
dialogique «tu vois», en particulier, et de la convocation interlocutive, en général, pour, d’un
côté, ajuster ses propos et leur donner à la fois sens et cohérence, et, de l’autre, m’inciter à
partager son point de vue, impossible à discuter en ce qui est de l’importance des langues
qu’il cite mais en même temps irrecevable en ce qui concerne l’arabe et peu propice pour les
besoins de l’échange. En effet, Saïd m’aurait imposé sa focalisation sur l’arabe en se
contentant de le rejeter...
Devant cette véritable stratégie d’évitement de parler d’une ou deux langues, dont il est
pourtant facile de percevoir celles qui sont ciblées, à savoir le français et l’anglais, je me
décide de procéder par suggestion mais en commençant non pas par le français, objet de la
présente étude, mais par l’anglais dans la perspective de désambiguïser le rapport qui ressort
entre ces deux langues dans les données de la pré-enquête.
E104/ ça c’est sûr/ que penses- tu- hein/ toi/ que penses-tu de l’anglais par exemple?/
S105/ l’anglais/// euh :: l’anglais c’est :: c’est une langue internationale/ c’est une
langue euh :: c’est la langue de de du monde / c’est la première langue
internationale/ c’est c’est la langue de la technologie/ c’est une langue/-/ c’est
une puissance aujourd’hui/ l’anglais/ c’est la langue iglahoun mlih thoura [qui
marche bien maintenant]/
E106/ et tu aimes cette langue bien sûr/
S107/ bien sûr/
E108/ et :: tu es prêt à faire tes études supérieures en anglais ?/
S109/oui pourquoi pas/ sauf que :: nekkini [moi]dommage ouhrichghara mlih di [je ne
suis pas très bon en ]l’anglais/ ilaq adanrnou [il me faut] les cours de soutien
akken adessoûgh chitouh [pour avoir un de]niveau/ moulach tharwi [sinon ce sera
la catastrophe]/ mais ça :: math hemledh lhadja[si tu amies quelque chose]/ euh ::
math hemledh [si tu aimes]la langue atsthaghredh [tu la parleras] avec plaisir/
même si thkhossedh chit [tu en es un peu limité]/
E110/ et le français/
S111/ je pense qu’en français euh :: je me débrouille mieux par rapport ar [à] l’anglais/
E112/ donc si on t’oriente plus tard pour faire français y a pas de problème/
S113/ bien sûr y a pas de problème/ lamaana nekkini [mais moi] je veux bien euh ::
comme je suis euh :: scientifique euh :: j’aimerais bien faire une branche
scientifique et c’est :: en français bien sûr/
La préférence du français comme langue des études à l’université n’est pas une
conséquence uniquement de la connaissance de Saïd de cette langue comparativement à
l’anglais qu’il place devant le français en matière d’audience internationale et de domination
du monde. Il dit sa prédisposition à parler ce dernier moyennant des cours de soutien car,
explique-t-il, comme à l’égard de tout objet aimé, à l’instar de l’anglais ici, son attitude en est
favorable malgré ses limites. C’est surtout en raison de son statut de langue d’études dans les
branches scientifiques dans lesquelles Saïd veut s’inscrire et de son niveau en anglais qu’il
juge limité. Dans ce sillage, la comparaison avec l’anglais est virtuelle en ce sens que ce qui
intéresse Saïd c’est d’abord son avenir immédiat. Ainsi, ses propos relatifs à une éventuelle
inscription en licence d’anglais donnent l’impression de fonctionner comme un principe
général incompatible aussi bien avec son profil de candidat au baccalauréat en sciences
expérimentales destiné à poursuivre des études en sciences plutôt qu’en langues et lettres,
qu’avec la réalité des langues justement à l’université… A ce sujet, son tour de parole S117
n’appelle aucune réserve ni ne nécessite d’être désambigüiser:
S117/ le français euh :: selqimas[est de valeur]/ tsouthlayth igarzen mlih [des langues
importantes]/ pour moi euh :: pour moi le français est une langue de savoir/ c’est
une langue parlée dans euh :: plusieurs pays du monde/ chez nous euh :: /-/ c’est
vrai c’est l’anglais la première langue internationale oui/ ça c’est vrai/ mais ::
chez nous euh :: c’est le français qui marche plus/ l’informatique/ la médecine/et
tout c’est c’est en français/ pour moi euh :: je pense euh :: qu’il faut connaître
cette langue/ c’est :: il faut parler bien cette langue/ […]
4.4.2. «/L’anglais c’est une langue internationale/ chitouh chitouh euh :: [petit à petit]
elle domine le français/» (Samia 55)
Francophile, Samia assume sans ambiguïté son attitude. Elle se justifie du fait qu’elle ne
maitrise pas l’anglais mais surtout du fait que cette langue n’a pas, en Algérie, le poids du
français. Elle construit son discours en faveur du français qu’elle qualifie de «belle langue» en
S15 et de langue scientifique en S19, S29 et S53, en opposition à l’arabe qu’elle rejette à
l’instar de Marzouk, Ibtissem, Ouerdia, Lydia, Amayas, Amel, Omar, Smaïl, Lotfi, Sabrina et
Mounir.
Avec son attitude de francophile rejetant l’arabe, pour la faire parler du français, je choisis
donc de l’amener à le comparer à l’anglais. Je saisis, pour introduire l’anglais, l’occasion de
son tour de parole S53, où elle qualifie le français de «langue de savoir et de technologie». En
m’apprêtant, dans mon tour de parole E54, à évoquer ce statut de langue de sciences dont
jouit aussi l’anglais, elle m’interrompt et me devance:
S55/oui l’anglais c’est une langue internationale/ chitouh chitouh euh :: [petit à petit]
elle domine le français/ euh ::/ elle domine toute les langue du monde/ mariken
[l’Amérique] c’est la première puissance/ donc l’anglais commence petit à petit à
devenir la première langue internationale/ c’est normal thedjhed [elle est forte]/
E56 /donc c’est aussi une langue de savoir et de technologie/
S57 /oui je sais/ je n’ai pas dit le contraire/ mais chez nous c’est : c’est : c’est toujours
et c’est encore le français qui fonctionne/ les médecins nagh [nos médecins] euh :
tswanyin euh:[soignent] tmarkin d dwa s throumith nagh ala? [prescrivent les
médicaments en français ou non?]/ l’informatique ghournagh euh:[chez nous]
dagui di tizi wezou mazalith s throumith [ici à Tizi-Ouzou demeure en français]/
pharmacie mazalit sthroumith [demeure en français]/
E58/ donc euh:::/ donc ghas aken [même si] l’anglais est la première langue
internationale aken denidh [comme tu l’as affirmé]/ et même si elle est aussi une
langue de savoir et de technologie dans le monde actuel/ tu optes pour le
français ?/
S59/oui zrigh imaniw ouzadghara di langlais/ dachou ara yawin alors ar ghoures/ de
plus/ di thmourth nagh d lfrançais/ yakw bien sûr thaârabth agui nlhif/ our nenfiî
iwachemma/ nek ghouri/ pour se cultiver/ pour s’instruire/ et ::/ pour s’informer/
choisissez la langue de Molière/ chikh nagh troumith ig hamlen adyini à chaque
fois la langue de Molière/
/[oui je sais que je n’excelle pas en anglais/ pourquoi irai-je alors vers elle/ en plus/
dans notre pays c’est le français/avec bien sûr cet arabe-là de misère/ on est bon
pour rien/pour moi/ pour se cultiver/pour s’instruire/ et::/pour s’informer/
choisissez la langue de Molière/ c’est notre enseignant de français qui aime dire à
chaque fois la langue de Molière/]
Le «oui» d’approbation à l’initial de son tour de parole S55 fonctionne comme une
réaction par rapport à une réflexion dont je n’ai pas pu achever la programmation et
l’extériorisation. Mon interlocutrice tait le caractère scientifique de cette langue et se focalise
plutôt sur celui de son universalité. De cette supériorité donc à l’échelle mondiale, découle,
selon elle, le recul du français de la scène internationale, puisque, selon ses dires, l’anglais
«domine toutes les langues du monde», c'est-à-dire pas uniquement le français.
Par ailleurs, consciente que l’anglais est aussi une langue de savoir et de technologie
(S57), Samia tente de défendre la langue française qu’elle dit apprécier, et qui se voit reculer
de par l’avancée de l’anglais. Elle précise que le français demeure fonctionnel «dagui», c’est
à dire ‘’ici’’ à Tizi-Ouzou, au moins en ce qui concerne le domaine de la médecine et de
l’informatique. Par cette précision, Samia marque, dans une logique spatiale et idéologique,
sa mêmeté envers cet ‘’ici’’ utilisateur du français et son altérité par rapport à un Ailleurs
non-dit où cet usage le serait moins. Un marquage que j’ai volontairement évité de discuter
sachant que cela aurait imposé à l’échange des orientations qui ne répondraient pas aux
besoins de la présente étude.
L’anglais apparait dans le discours de Kamélia sous forme moins de réplique que de
comparaison libre qu’elle introduit quand elle répond à ma question (E113, E115)
l’interrogeant sur ce qu’elle penserait du français qu’elle dit savoir avec certitude qu’il est la
langue des études de médecine (K112).
K116/ c’est euh :: c’est euh ::/ c’est d’abord une langue scientifique bien sûr// d’abord
donc c’est une langue scientifique/ euh :: c’est une belle langue/ une très belle
langue// voilà/ la littérature et tout c’est clair/ les écrivains euh :: les écrivains et
tout/ c’est clair/ comme euh ::/ voilà le français/ mais thoura[maintenant]/
thoura[maintenant] je pense que l’anglais euh ::/ ih [oui]c'est-à-dire dans euh ::
dans le monde entier thoura d [maintenant c’est] l’anglais/ l’anglais/ aussi est
scientifique les génies et tout en informatique en génétique et tout/ les
médicaments/ les sciences et tout/ thoura [maintenant] surtout les grands savants
tous euh :: bien sûr ils font tout en anglais c’est sûr/ d’ailleurs papa me dit
toujours que maintenant c’est l’anglais/ donc voilà/ voilà voilà/ mais le français
aussi//mais l’anglais plus///
K144/enfin pour moi bien sûr// bien sûr/ mais c’est sûr c’est sûr que s l’anglais thoura
[maintenant] euh ::/ partout l’anglais/ c’est sûr ilaq [il faut]euh ::il faut
l’anglais//
E145/ euh ::/ tu m’avais dit tout à l’heure/ tout à l’heure tu m’avais dit que que le
français c’est c’est scientifique###
K146/ ih[oui]/ matchi am [ce n’est pas comme] l’anglais/ mais c’est scientifique/ déjà
les médicaments euh :: les les vaccins et tout d les Français// bien sûr Pasteur/
c’est un Français/ Marie Curie et tout/ donc c’est pas euh :: c’est pas oui c’est
vrai thoura s[c’est en] l’anglais partout/ mais au moins hein pour nous/ pour nous
au moins l français/ parce qu’après ilaq daghan [il faut aussi] l’anglais// mais
mais amek [comment]?/ chez nous euh :: les livres et tout les CD et tout hein/ la
médecine et tout sl [c’est en] français donc ilaq [il faut]/ voilà/ mais après bien
sûr l’anglais/ mais l’anglais on n’a pas la base/ en plus en plus les les
enseignants/ je sais pas moi/ les enseignants et tout c’est c’est en français
ighran[qu’ils sont formés]/ ighran[qu’ils sont formés]/ donc amek[comment] ?/
aghsaghran s l’anglais? [vont-ils nous former en anglais?]/ amek [comment] ?//
donc voilà/
E147/ c’est pas facile en effet//
K148/ i mais bien sûr l’anglais i[pour] l’avenir c’est sûr/ ça c’est sûr/ même i França
s[c’est] l’anglais// puisque euh :: ih// voilà///
On voit bien que le pivot de cette construction réside dans l’actualisation du praxème
«déjà» pour introduire ce qui semble être une démonstration de la scientificité du français
dont, faut-il le rappeler, l’anglais n’a pas besoin pour être cette référence à laquelle est
comparé le français. En effet, à l’instar du réglage discursif du praxème «déjà», Pasteur,
Marie-Curie et la découverte du vaccin renvoient chacun au passé. Ainsi, la scientificité de la
langue française appartient aussi à ce passé et exclut du présent ce que porte l’actualisation du
temporel «thoura», c’est dire «maintenant». C’est un véritable processus de substitution de
statut de langue scientifique que met en discours Kamélia qui, en filigrane, extériorise une
espèce de regret à la limite de la frustration vis-à-vis de la non maitrise de l’anglais avec
lequel elle aurait aimé qu’à l’université soient dispensés les enseignements de médecine. Et
tout en faisant preuve de réalisme en rapport avec la langue de formation des enseignants et
celle de la documentation disponible, elle décrit une situation de dilemme. Une situation où
son désir de l’anglais est freiné par l’usage universitaire du français. C’est pourquoi,
l’actualisation du «nous» endogroupal qui, en impliquant justement l’utilisation du français,
neutralise presque complètement le «je» personnel largement dominant dans son tour de
parole K116 où ce «je» en s’appuyant sur la voix du père, physiquement absent, défend
l’adhésion à la domination de l’anglais. Ainsi, il ne reste plus à Kamélia qu’à espérer et à se
projeter dans l’avenir, comme elle fait en K148, pour voir se concrétiser ce souhait d’étudier
en anglais comme ailleurs y compris en France, selon ses dire de K148.
4.4.4. «/zrigh [je sais que] l’anglais akhir [est meilleur]/» (Lotfi 125)
Le discours de Lotfi au sujet du français en rapport avec l’anglais se caractérise par sa
brièveté. En effet, celui-ci préfère s’attarder sur la langue arabe, en dépit de mes tentatives à
orienter ou à réorienter notre discussion autour de cette thématique.
Je saisi l’opportunité où Lotfi discute des langues de sciences pour introduire ma question:
E124/ donc pour toi/ pour toi d l [c’est le] français i d [qui est] la langue de la science//
L125/ i nakwni ih [pour nous oui]/ zrigh[je sais que] l’anglais akhir[est meilleur]/ mais
l’anglais on (n’) a pas la base/ win iyichvan vghigh s [moi je veux] l (e) français
akhatar [parce qu’] en plus aken vghoun inind s l(e) [quoi qu’on dise en] français
nessen chitouh [on connait un peu]/ après ilaq [il faut]l’anglais bien sûr//
Lotfi fait preuve de réalisme bien qu’il n’assume pas son discours individuellement et
préfère m’impliquer en mobilisant ceux à quoi renvoie le parapraxème endogroupal kabyle
«nakwni», c'est-à-dire nous. C’est l’incontestabilité du statut de langue de sciences dont jouit
le français en Algérie qu’il affirme, sans nier la plus grande importance de l’anglais dans le
monde, par rapport au français, et dont il regrette la non maitrise. Et c’est parce que l’anglais
est peu maitrisé par ce nous endogroupal, auquel il s’identifie, qu’il dit vouloir le français,
actualisant un réglage de sens particulier au praxème verbal kabyle «vghigh», pour signifier
non pas ‘’je veux’’ affectivement le français mais je préfère rationnellement, pour le
moment, le français en attendant d’acquérir l’anglais. C’est donc en tant qu’outil de travail, de
réception et d’émission qu’il opte pour le français car, dit-il, dans un dialogisme interdiscursif
faisant allusion aux partisans de l’arabisation totale pour qui l’anglais doit se substituer
immédiatement au français, au moins, cette langue, c'est-à-dire le français, ‘’nous’’ le
maitrisons. En effet, dans son discours, tout porte à comprendre que Lotfi admet,
discrètement, l’importance grandissante de la langue anglaise par rapport à la langue
française. Mais son incompétence, non dite, en cette matière l’incite à choisir le français,
probablement en raison de son aisance à apprendre et à s’exprimer avec cette langue. C’est
pourquoi l’acquisition de l’anglais est située dans le futur presque comme un projet d’avenir
que lui aussi doit concrétiser.
4.4.5. «/Aujourd’hui c’est [ce n’est] pas le français c’est l’anglais/ » (Amel 129)
Dans un discours de mixité langagière à dominance arabe et à très forte redondance du
praxème de banalisation, «normal», Amel, qui souhaite poursuivre en français des études de
pharmacie comme son père, fait l’éloge de cette langue au mépris insoutenable de l’arabe,
notamment en A87, A89, A91, A93, A95 et A97. Ce n’est que vers la fin de l’échange avec
elle que l’anglais apparait, dans sa bouche, en comparaison au français qu’elle trouve
«facile» (A53, A55, A63, A69, A81), «belle» (A101, A119) et «scientifique» (A129)
systématiquement en référence à des noms de savants: Rousseau, Pasteur, Marie-Curie17 mais
aussi Newton et Euclide à qui elle attribue la nationalité française ou, au moins, qu’elle prend
pour des auteurs d’expression francophone pour expliciter ce qu’elle entend quand elle
qualifie le français de langue de «sciences» (A129) mais qu’elle remet tout de suite après en
cause, selon la même logique chronologique que les autres élèves.
17
Inutile de préciser son origine polonaise que le lieu d’exercice de sa profession semble effacer au profit de son
pays d’accueil, la France.
A129/ b l [en] français aussi euh ::/ c’est c’est une langue taa [de] la science mais
aujourd’hui c’est pas l(e) français c’est l’anglais/ donc euh ::/
E130/ donc si tu as le choix entre le français et l’anglais ###
A131/ comment?/ ah oui bien sûr l’anglais/ bien sûr l’anglais/ mais b l(e) [en] français
euh :: c’est euh:: c’est pas c’est pas comme l’anglais//
E132/comment ça ?/
A133/b l’[en] anglais euh :: c’est plus euh :: b l’[en] anglais khir [c’est mieux]c’est
dans l(e) monde entier/ b l(e) [en] français f [en] França f [au]Canada/
Comme dans les échanges avec les autres élèves, le prestige et la scientificité du français
sont lié aux grands savants et lettrés français des temps révolus, circonscrit à la France et au
Canada (A133) alors que l’anglais, lui, appartient à «aujourd’hui» (A129) et il est «dans le
monde entier» (A133). En effet, Amel ne reconnait pas le caractère scientifique au français
parce que pour elle une seule langue peut prétendre à ce statut: l’anglais. Pourtant, mise
devant le choix entre les deux langues, elle finit par revenir au français (A135), comme la
langue des études qu’elle veut poursuivre. C’est sans doute parce qu’elle n’a pas les capacités
nécessaires en anglais, qu’elle semble avoir choisi précipitamment dans le sillage de la
comparaison virtuelle entre les deux langues et où le réglage de sens du praxème comparatif
«c’est mieux» (A133) est flou d’autant plus qu’en le lui soumettant en E136, elle change
complètement les paramètres de la comparaison substituant le français à l’anglais et l’arabe au
français. Pressée de partir, Amel laisse cette question en suspens.
M137/ ça c’est sûr/ ça c’est sûr/ mais ma nezmar [si on peut]/ c’est difficile matchi am l
[c’est pas comme le]français/ c’est facile du moment que l(e) français on connait/
tout l(e) monde parle s l(e) [en]français même wid our n aghrara [ceux qui n’ont
pas été à l’école]/donc automatiquement agh dasse theshel[ce sera facile pour
nous]//
E138/ i s l’anglais?/[/qu’en est-il en anglais ?/]
M139/ i :: s[en] l’anglais ilaq [il faut] des efforts/ atas [beaucoup] les efforts/ donc
automatiquement agh dasse difficile [ce sera difficile pour nous]//
E140/ difficile?//
M141/ difficile euh :: puisque euh :: puis que tout ce j’ai dit et tout/ automatiquement
donc euh ::/ voilà/ voilà c’est comme ça//
Le parapraxème «ça c’est sûr» réitéré en M137 répond à ma réflexion portant sur
l’universalité de la langue anglaise (E136). En approuvant cette caractéristique, il juge
cependant cette langue difficile, inaccessible à «tout le monde» et exigeant des efforts pour
l’acquérir (M139) comparativement à la langue française qui, selon lui, ne nécessite pas
d’effectuer des études pour pouvoir la pratiquer; car , selon lui, de toutes les façons tout le
monde la parle même ceux qui n’ont pas été à l’école (M137), distinguant ainsi entre le
français, qu’il considère faire partie des langues de socialisation autour de lui, et l’anglais à
qui il attribue le statut de langue étrangère.
Je saisis, de ces propos, que Marzouk ne souhaite pas fournir d’efforts pour surmonter la
difficulté qu’il dit éprouver dans sa pratique de l’anglais. Ce qui est en contradiction avec ses
vœux et révélations précédentes (M39, M41, M45, M47, M57) quand il déclare vouloir
poursuivre des études de traduction/ interprétariat qui impliquent cette langue. C’est pourquoi,
je le relance deux tours de parole après. Une relance à laquelle il réagit en précisant qu’il
s’agit bien de lui:
M145/ moi je veux l(e) français et l’anglais// l(e) français d l’anglais plus bien sûr
l’arabe du moment que ::/ du moment euh :: c’est obligé//
Avec une forte focalisation sur soi «moi je veux» (M142), Marzouk insiste sur les deux
langues française et anglaise, en dépit de la difficulté qu’il dit éprouver dans la pratique de
cette dernière, mais sans pour autant omettre la langue arabe, probablement, parce qu’il sait,
maintenant que je le lui ai dit, qu’elle est la principale langue exigée dans la préparation du
diplôme de traduction.
M151/ moi/ ma sakhtarninyi d l [si on m’offre de choisir ce sera le] français mais
zrigh[je sais]/ je sais que/ zrigh belli i [je sais qu’à]l’université s [c’est]l(e)
français/ zrigh[je sais]//
E152/ et donc###
M153/ et donc s l[en] français akhir [c’est mieux]//[rire]
E154/ yaah [ah bon!]/###
M155/ i:: du moment qu’euh:: les livres et tout/ l’internet i et même euh::/ tout s l[c’est
en] français donc voilà/ voilà//
En affirmant que le français n’est donc pas tout à fait un choix puisque de toutes les
façons, précise-t-il en M151, c’est la langue des études universitaires, Marzouk semble
souhaiter un autre choix. Mais quand je l’invite à le formuler, il qualifie le français de
meilleur choix (M153) provoquant mon étonnement en E154 qu’il semble avoir vu venir
puisque son tour de parole M155 se prolonge dans son rire après sa relative longue pause
m’invitant à reprendre la parole mais que je tarde justement à exécuter. C’est en fait un rire
de camouflage d’une incohérence dont il se rend compte aussitôt, d’autant plus que dans la
simultanéité de mon étonnement (E154) et de son rire (M153), c’est lui qui l’emporte en me
doublant ainsi que le mentionnent les marques graphiques de dédoublement vocalique en
E154. Il engage alors un discours justificatif non pas de son choix du français mais de
l’emploi de ce dernier à l’université. Il présente cet emploi comme une évidence au vu de la
disponibilité des moyens et de la documentation universitaires avec cette langue et non avec
d’autres langues, ici principalement l’arabe mais aussi l’anglais pour lequel il dit, pourtant,
opter en cas de choix libre même en compétition avec le français.
E164/ on suppose on suppose/ on suppose que tu n’as pas d’autres choix/ soit faire
français ou faire anglais//
M165/ anglais bien sûr//
E166/ anglais ?//
M167/ ih[oui]/ du moment que l(e) français snagh[je connais]/ et euh::/ euh::/ en plus
du moment que l’anglais euh :: c’est plus euh :: c’est plus euh ::/ voilà c’est dans
le monde entier/ donc automatiquement d [c’est] l’anglais/ puis que l(e) français
sayi snagh[ça y est]/// donc voilà/ yak akka [c’est bien ça]?/ c’est ça?/ c’est
logique?//
L’évidence dans l’option de Marzouk pour l’anglais tient à son désir de plurilinguisme
(M39, M47, M57) et elle n’est pas au détriment du français. En effet, c’est tout à fait cohérent
qu’il affirme cela sans ambiguïté au regard de ces propos antérieurs relatifs aux efforts
nécessaires à fournir pour apprendre cette langue (M139, M141), exprimant ainsi son besoin
de la maitriser aussi bien parce qu’il ‘’connait’’ maintenant le français (M167) que l’anglais
est, « en plus» (M167), pratiqué «dans le monde entier» (M167). Cette double occurrence du
praxème kabyle «snagh» qui signifie ‘’ je connais’’, c'est-à-dire ‘’je connais le français’’
enchâsse la triple occurrence «plus» qui, elle, concerne l’anglais, pour dire tout simplement
que Marzouk est conscient des enjeux de langues à la fois au niveau de l’université, pour
laquelle il se prépare, et au niveau mondial. Ainsi, il rend impossible toute réplique à la
cohérence de son discours dont il contrôle si bien l’extériorisation qu’il se permet de marquer
une pause assez longue (que mentionnent dans le corpus les trois barres obliques après le
second «snagh») comme pour me défier de discuter sa parole. Ce que je ne fais pas justement.
C’est pourquoi il poursuit son tour de parole d’abord avec un double conclusif (/donc voilà/)
puis avec une triple interrogation à vocation affirmative annoncée en rafale et allant de la
constatation («/c’est bien ça?/ c’est ça/?) à la construction intellectuelle (/c’est logique?/),
rendant mon adhésion à son discours inévitable (E168).
L55/oui c’est vrai euh:: je sais maintenant que:: c’est l’anglais la première langue
internationale et tout/ je sais/ mais euh:: je veux dire euh::/ ce que je veux dire
euh::: l’anglais euh:: plutôt le français est une langue de technologie/ c’est c’est
euh: c’est la langue du savoir euh::: de la science et tout/ c’est la langue euh :: du
développement du monde/ ça c’est vrai/ enfin euh :: moi hein !/ moi
personnellement tu sais euh::/ moi j’aime bien tout ce qui est langue étrangères/
tu sais/ mais uniquement euh:: mais seulement euh:: pas l’arabe/
Par la séquence «oui c’est vrai», elle confirme son opinion au sujet du français comme
«langue d’avenir» (L49). Mais l’hésitation prolongée révèle qu’elle doute de la recevabilité
de ses propos et cherche à les ajuster pour laisser la plus grande place à la mondialité de
l’anglais. Ainsi, en se rendant compte de ce désordre discursif, elle tente d’y remédier. D’où
cette répétition du marqueur dialogique «je veux dire» à valeur explicative par lequel elle
occupe le temps en attendant de redonner sens et cohérence à ses propos. Déstabilisée par sa
propre désorganisation, elle essaie de maintenir sa position à l’égard du français. Mais, par
lapsus, l’actualisation du praxème «anglais» devance celui de «français» et révèle ainsi une
situation de refoulement que Lydia expliquera particulièrement dans ses tours de parole L129,
L131, L133, L135, L139, L141, L143 en rapport avec l’attitude de son père surtout mais aussi
de sa mère vis-à-vis de la langue de sa formation (et de celle de ses frères et sœur aussi) qui
est l’arabe et à travers laquelle elle est jugée et infériorisée.
Plus loin dans l’échange, en saisissant l’instant où Lydia, qui souhaite suivre des études de
français à l’université, énumère ce qu’elle considère être les mérites de cette langue, dont les
possibilités de «visiter les pays français» (L79) et «voyager» (L79), je lui suggère «l’anglais
aussi» (E80) pour cet objectif, elle m’interrompt brutalement:
L71/ oui je sais/ avec l’anglais euh :: c’est plus facile/ ma thesnedh[si tu connais]
l’anglais outsagwadara[tu n’auras plus à craindre]/ c’est c’est vrai/ c’est la
langue qui marche maintenant/ oui ça je sais/ mais euh :: moi euh :: je (ne) sais
pas/ ouhrichghara [je ne suis pas bonne] vraiment di [en] l’anglais/
La séquence initiale («oui je sais») atteste donc que mon interlocutrice adhère à l’idée que
l’anglais «est la langue qui marche maintenant» et qui, par conséquent, offre également la
possibilité d’exaucer ce souhait de voyager au même titre que la langue française. Inutile de
revenir sur le praxème «maintenant» qui, rien que par sa présence liée à l’anglais, rappelle le
français, absent dans cet énoncé, et le renvoie dans ce qui n’appartient plus à «maintenant» et
au présent, mais au passé. C’est donc un aveu de frustration que Lydia extériorise en clôture à
son tour de parole: elle aurait aimé ‘’être bonne’’ en anglais. Ce qui peut justifier aussi son
passage au kabyle pour, justement, exprimer la profondeur de cette frustration dont
l’actualisation du praxème ‘’la crainte’’ frôle celui de ‘’la peur’’ que la maitrise de l’anglais
réduirait à néant. Ce qui donne à comprendre le sens de son tour de parole, aussi réaliste qu’il
est, comme une espèce de consolation, un repli, voire un abandon du rêve de voyager qui
implique l’anglais.
L85/ ouyarna thezridh [en plus tu sais]/ dagui ghounagh [ici chez nous] euh:: ghas aken
[même si] l’anglais euh :: langue internationale/ euh :: mondiale et tout/ mais
euh :: chez nous euh : mazal d l [c’est encore le] français toujours iglahoun [qui
marche]/
Il faut, en effet, préciser tout de suite que dans ce tour de parole, l’anglais vient juste après
le français et précédé du praxème d’évidence «bien sûr», comme si Amayas n’avait pas
besoin de mentionner cela ou, à la limite, je suis censée savoir que cette filière exige, de
toutes les façons, l’anglais. Ce qui rend ainsi le statut du français en tant que langue d’études,
dans cette filière, incertain et fragile du fait que, dans cet énonciation, l’anglais vient
chronologiquement après le français, comme si Amayas veut dire qu’il est vrai que ces études
sont entamées en français mais, en réalité, c’est en anglais qu’elles sont réalisées... Il suspend
donc ce statut de langue d’études à l’anglais dont la présence plane même dans la
comparaison qu’il choisit comme procédé pour répondre à ma question relative au français:
En effet, selon la logique globale de l’opinion d’Amayas sur les langues, son interrogation
en A89 devrait concerner l’anglais et non pas le français! Ici, en choisissant le cadre
comparatif avec l’arabe, alors que l’échange porte sur la ou les langues des études dans sa
filière préférée, c'est-à-dire maths-informatique, dont il a exclu toute éventualité de l’arabe, il
signifie sans dire l’impossibilité de comparer le français à l’anglais, concernant cette filière.
Impossibilité qu’il dit sans ambiguïté à propos de l’arabe vis-à-vis du français dans ses tours
de parole A91, A93 et A95 et cela dans tous les domaines. Et quand je lui demande
d’expliciter ce qu’il entend lorsqu’il affirme qu’entre le français et l’arabe, il n’y a «pas de
comparaison» (A93), il généralise cette opinion en la situant dans le temps à l’instar des
autres élèves qui ont accepté d’échanger avec moi autour des langues pour les besoins de la
présente étude, mais en observant, dans un premier temps, une totale discrétion évitant
l’actualisation du praxème «anglais» et, dans un second temps, un étalage de ses
connaissances en rapport avec le français à qui il fera succédé l’anglais en actualisant,
comme les autres élèves, le praxème «maintenant» pour justifier son actualisation du praxème
présentatif «c’est dépassé» à propos de l’arabe qu’il transfère tout de suite après au français,
le tout dans un dialogisme convergent avec son père qu’il convoque justement pour parler de
l’avenir ; alors que les autres voix en rapport avec le français appartiennent toutes au passé.
Alors oui, pour Amayas, le français est «dépassé»
A97/ c’est dépassé/ même l(e) français/ même l(e) français//
E98/ qu’est-c(e) qu’il a l(e) français?/
A99/ [sourire] mais mais il euh :: mais maintenant c’est comment dire?/ Oui c’est vrai
c’est beau et tout/ c’est euh :: c’est scientifique euh : c’est universel et tout/ mais
mais l’anglais avec euh :: avec//
E100/ l’anglais domine maintenant//
A101/ exactement/ exactement//
E102/ et qu’est-ce que qu’est-ce que tu tu disais euh le français est est scientifique euh//
A103/ bien sûr c’est la langue des sciences et de de/ le vaccin et tout les les maladies
microbiennes et tout ce c’est c’est en France euh/ oui oui c’est en France mais
mais maintenant euh maintenant c’est plus euh comme comme à l’époque de de
Louis Pasteur et les les autres// et puis les les droits les droits des gens et tout//
E104/ c’est donc ça c’est ça que que tu qualifies de de scientifique ?/
A105/ en maths aussi en physique et tout/ il ya aussi la la littérature euh Germinal Les
misérables Rousseau Jules Verne Victor Hugo Sartre L’étranger d’Albert
Camus//
E106/ mais où est-ce que tu as appris tout ça?/
A107/ [sourire]/ enfin un peu de tout euh/ mon grand-père ma mère/ euh/ mon père un
peu/ mes sœurs et frères euh/ mes tantes aussi enf- maintenant euh il y a l’internet
et tout//
E108/ vraiment chapeau pour tant de connaissances et euh//
A109/ [sourire] c’est comme ça mais mais mon père dit à chaque fois qu’il faut
beaucoup d’anglais/ moi je suis encore attaché au français//
4.7. Conclusion:
Dans l’ensemble de ces discursivités, la récurrence de l’actualisation du marqueur
chronologique kabyle «thoura», ou d’un de ses équivalents en français «maintenant»,
«actuellement», «aujourd’hui», «à présent», concentre le réglage de sens comparatif du
français et de l’anglais en ce sens que chacun de mes partenaires des échanges se contente de
renvoyer au passé le français, à travers les références intellectuelles, scientifiques et littéraires,
qui lui sont associées, comme preuve de statut de langue de sciences, de savoir et de culture
pendant la période durant laquelle ont vécu ces références. Alors que l’anglais est affirmé
comme étant la langue du présent en évoquant, dans le meilleur des cas d’argumentation, la
domination américaine dans le monde actuellement.
A l’exception de Sofiane, les deux langues ne sont pas comparées au niveau de leurs
éléments internes ni des moyens, didactiques s’entend puisque nous sommes en milieu
scolaire, mis à la disposition de chacun d’eux pour les acquérir. La comparaison s’appuie sur
des arguments généraux qui parcourent les paroles quotidiennes, qu’elles soient élaborées
comme dans les médias ou non, comme dans les discussions conviviales sans enjeux ni
tension spéciale.
5.1.Introduction:
Considérer le français comme une langue belle, élégante, attirante est l’une des
thématiques qui émerge des entretiens recueillis. Je rends compte, dans ce chapitre, des
réglages de sens dans l’actualisation de ces praxèmes qu’opèrent les neuf des vingt-neuf
entretenus qui ont qualifié ainsi le français. Il s’agit donc de saisir dans la matérialité verbale
de leur propos ce à quoi renvoient ces qualificatifs. Qu’y a-t-il, donc, selon chacun d’eux, de
beau, d’élégant et d’attirant dans la langue française? En quoi cela est-il beau, élégant et
attirant? Comment mettent-ils cela en discours dans l’échange dialogal avec moi?
M113/mais l(e) français euh// mais l(e) français euh même la littérature euh/ c’est vrai
c’est beau et tout mais mais euh//
E114/ qu’est-ce qui est beau?/
M115/ih [oui] on dit que l(e) français c(est) une belle langue est tout mais moi euh/ oui
c’est vrai et tout/ mais mais l’anglais et tout c’est pas comme autrefois/ même les
Français d’ailleurs//
E116/ mais mais euh/ mais qu’est-ce qu- enf-/ pour toi/ pour toi einh?/ qu’e(st)-ce que
euh qu’e(st)-ce que tu trouves de beau euh/ pourquoi tu dis que le français c’est
une belle langue? voilà ma question//
M117/ pourquoi j(e) dis euh:/ et pa(r)ce que euh:/ pa- pa-euh c’est comme ça c’est
comme c’est comme ça qu’on dit/ comme on dit c’est//
E118/ ah oui !/
M119/ c’est comme ça qu’on dit///
E120/ et tu penses que le français est une belle langue?///
M121/ oui oui bien sûr//
E122/ tu penses?/
M123/ enfin je pense comme tout l(e) monde bien sûr/ comme tout l(e) monde//
Le flou dans l’objet qualifié de «beau», dans son tour de parole M113, ne confond pas
innocemment le français et la littérature française. En effet, dans sa comparaison à l’anglais,
particulièrement en M111 et M115, et dans l’évidence avec laquelle elle annonce son choix de
s’inscrire en licence d’anglais (M107), elle établit sa préférence de l’anglais qu’elle valorise,
ne serait-ce qu’en affirmant que son acquisition nécessite des efforts, à la différence du
français dont elle dira que sa pratique est «habituelle» (M139), «naturelle» (M133), «simple»
(M133) et qu’elle dit dépasser le français «maintenant» (M111) y compris en littérature à
laquelle elle semble, justement, confiner celui-ci même «autrefois» (M115). D’où ma
réplique E114 sollicitant d’elle de préciser le praxème nominal que qualifie l’adjectival
«beau»: le français ou la littérature?
Son approbation en ouverture à son tour de parole M115 est de principe. Elle est surtout
sans conviction comme le montre aussi l’actualisation de «et tout» aussi bien dans la tournure
«c’est une belle langue et tout» que dans celle «oui c’est vrai et tout» qu’elle abandonne
d’ailleurs immédiatement en trois temps. D’abord, en adoptant l’indéfini «on» duquel elle
s’auto-exclut et se distancie ainsi de ceux qui, selon elle, considèrent que le français est beau,
et peu importe que cela concerne la littérature ou la langue française. Ensuite, en explicitant
cette prise de position en entamant un programme de sens non achevé qu’elle introduit par
l’oppositionnel «/mais moi euh/». Ce qu’elle reprend au profit de l’anglais détournant de cette
manière, en dernier temps, à la fois l’objet et le fil de notre discours qui étaient
respectivement la beauté du français et la place qu’elle attribue à la littérature dans cette
beauté. C’est donc une véritable stratégie d’évitement de ma question que Mélissa tente en
faisant appel à la comparaison à l’anglais. Au moyen de cette comparaison, elle justifie
l’actualisation de son approbation à l’initiale de son tour de parole et sa double tournure «et
tout» par laquelle elle évacue ce qu’elle sous-entend dans son «oui» d’approbation (bien que
ma question en E114 n’appelle pas du tout ce genre de réponse en oui ou en non), en
renvoyant dans «autrefois», dans le passé, ce qui est sous –entendu être contenu dans la
proposition qu’elle approuve et qu’elle m’attribue alors que c’est justement l’objet de ma
question! Et comme pour prouver le caractère définitivement dépassé du français ou de la
beauté du français, Mélissa clôture son tour de parole en convoquant la position des Français
non pas vis-à-vis de cette beauté, objet de ma question, mais carrément de la pratique de leur
langue, dans une tournure où les deux praxèmes, respectivement, introductif «même» et
conclusif «d’ailleurs», en font l’argument irréfutable du statut du français comme une langue
dépassée par l’anglais mais sans savoir si cela concerne la beauté qu’elle-même a attribuée au
français, en M113, et en m’incitant à l’y interroger, en E114.
Dans M115, Melissa contourne donc l’objet de mon E114.Ce qui explique la redondance
de l’oppositionnel «mais» dans, ce qui convient d’appeler ma réplique, E115 à la façon dont
Mélissa détourne l’objet de ma question E114. Hésitantes, les trois occurrences de
l’oppositionnel «mais» font entendre en même temps mon désaccord avec Mélissa et mon
embarras à le lui faire comprendre. Mes dires inachevés dans mon second programme de sens
dans ce même tour de parole, en portant les traces de mon à-dire en difficulté
d’extériorisation, indiquent mon souci de sauvegarder l’allure de l’échange tout en recentrant
Mélissa sur l’objet de ma question en E114 comme cela est explicitement avoué à la fin de ma
réplique: «/voilà ma question//» qui est, en fait, l’aboutissement de formulations et de
reformulations de l’objet de ma question insistant auprès de Mélissa pour qu’elle comprenne
que c’est son avis seulement que je sollicite. Et que je sollicite uniquement à propos de ce
qu’elle «trouve beau» quand elle dit que le français est une belle langue et peu importe
l’époque et les autres langues. L’accusé de réception de sa reprise en écho de ma voix en
ouverture à son tour M117 rétablit notre fil de discours, tel qu’exigé par mon affirmatif et
conclusif aux implications interrogatives «voilà ma question». Mais cet accusé de réception
accule Mélissa à produire un discours, c'est-à-dire un commentaire centré sur un objet
discursif qu’elle a émis, il est vrai, mais dont elle ne semble pas avoir de quoi dire,
probablement parce que la beauté du français est, pour elle, une évidence qu’elle n’a pas eu
l’occasion de discuter. La preuve est, d’une part, dans l’hésitation qui suit immédiatement son
accusé de réception et sursoit à l’extériorisation d’une hypothétique raison censée venir après
le grammatical «parce que», reproduit sans être achevé à deux reprises. Elle est, d’autre part,
dans la redondance du présentatif essentialisant «c’est comme ça» (quatre occurrences).
Comme si la beauté du français est un fait. Mais un fait dont Mélissa n’a pas la preuve sinon
la bouche de «on» commentateur à valeur absolue à laquelle Mélissa ne semble pas s’être
essayée à interroger. «On» a donc la fonction de voie échappatoire que Mélissa emprunte en
faisant entendre les voix dialogiques qu’elle implique et desquelles elle avait annoncé sa
distanciation au profit de l’anglais dans son tour de parole M115. La valeur incitative de mon
interjection en E118 est insuffisante pour la faire parler davantage. En effet, elle se contente,
comme le mentionnent les trois barres obliques qui ferment son tour, de réaffirmer le même
procédé discursif en refusant de s’impliquer (M119), préférant une espèce d’adoption des
propos d’autrui sans vraiment les adopter au point de les défendre ou, au moins, les expliquer.
Avec le recul, tout porte à croire que Melissa n’a pas mesuré le poids ou les implications
de ce qualificatif au moment de son actualisation en M113. Si bien qu’elle apparait de plus en
plus gênée de me renvoyer, à chaque fois, à cette voix dialogique quasi-inidentifiable parce
qu’elle-même ne semble pas l’entendre, en tous cas pas suffisamment, pour au moins
reproduire ses arguments. C’est pourquoi, il me parait vain aussi mon renouvellement de la
question en E120 dans l’espoir de l’entendre produire son propre discours au sujet de la
beauté du français. Un discours qui ne serait pas celui de ce «tout le monde», de cette voix à
laquelle est référé cet indéfini «on». En effet, même avec mon «et» suggestif en ouverture à
mon tour E120, après quoi elle observe un assez long temps pour reprendre la parole, je n’ai
pas réussi à susciter chez elle la moindre auto-dialogisation. Comme si elle tient, par
principe, à être fidèle à ce «tout le monde», à cet indéfini «on» pour qui elle n’aura pas à
rendre de comptes à la différence de mes propos qu’elle semble assimiler à des reproches.
Elle confirme donc avec force que le français «est une belle langue» (M121). Mais sans plus.
Ce qui m’incite à la relancer (E122) sans succès puisqu’elle revient, encore une fois, à son
‘’port d’attache’’ («comme tout le monde bien sûr», M123) à partir duquel je choisis de me
positionner pour provoquer son affecte. Mon oppositionnel «mais», en ouverture de mon tour
de parole E124, n’implique pas, en effet, la beauté du français, sujet de notre échange
jusqu’ici, mais elle-même. Elle réagit en rafale (M125) avant même que je n’aies fini de
reformuler ma remarque, comme le montrent les marques de dièse par lesquelles est transcrit
le dédoublement vocalique (E124).
Confuse, Melissa produit un discours contradictoire en affirmant, d’une part, que la beauté
du français ne relève pas du physique et, d’autre part, en liant cette beauté à celle de la France,
à celle des villages de France qui, non seulement, concernent le physique mais que Melissa dit
connaitre à travers un support physique: un livre que son père a ramené de France! Consciente
de cette confusion, elle se ressaisit dans le même tour de parole M127. D’un côté, elle
multiplie les deux tournures «je (ne) sais pas» (à l’ouverture et à la clôture) et «peut être»
(deux occurrences) parallèlement au récurrent présentatif «c’est». De l’autre côté, elle glisse
vers le praxème adjectival «élégant» dans la perspective de le substituer à celui de «beau»
dont le réglage intralocutif du sens, c'est-à-dire au physique que Melissa vient d’écarter
comme aspect définitoire de la beauté du français! Pourtant, en la relançant au sujet de ce
praxème «élégant» (E128), elle (M129) m’interrompt. D’abord, avec une telle intonation
montante à valeur d’approbation qu’elle donne l’impression d’exprimer sa joie de trouver la
voie à sa voix. Mais tout de suite après, elle réactualise, contre toute attente, le praxème
«beau», avec ce superlatif comparatif «plus» que j’interroge tout de suite après, comme si elle
veut aussi me faire admettre ce praxème considérant acquis celui de l’adjectival «élégant», du
fait sans doute que je ne l’interroge pas à ce sujet comme je le fais avec le praxème «beau»!
Devant ce véritable volte-face, j’observe, prends acte de son propos renvoie, dans ce tour,
exclusivement à la France et ses villages et la reprends en écho avec une arrière-pensée qui
consiste à l’amener à désambiguïser le comparatif «plus» (E130, E132) qu’elle n’hésitera pas
à faire. D’abord, en accusant réception de ma requête (M133). Ensuite, en s’énonçant cette
fois-ci en «je», à la différence de ses tours de parole précédents où, tantôt, elle s’identifie au
«on» de non-personne (M115, M117, M119), c'est-à-dire à «tout le monde» (M123), tantôt
elle s’exprime au moyen du présentatif, comme si ce qu’elle dit est une vérité générale et
admise par tous (M111, M117, M119, M125, M127, M129). La désambiguïsation du
comparatif «plus» passe donc par le «moi» (M133) énonciatif non pas d’une subjectivité mais
d’un point de vue; comme si Mélissa ne souhaite pas que je retienne ces propos contre elle,
ainsi qu’elle parait vivre le fait que j’insiste pour qu’elle m’explique ce qu’elle entend par
«beau» dans son tour de parole M113. Cette prudence est encore plus remarquable dans son
hésitation à approuver un propos qu’elle émet au sujet du français et que je reprends sous
forme interrogative en E134. Aussi, son discours en M135 («/enfin/pour moi bien sûr») est en
réalité une réplique non pas au sens explicite de ma reprise en écho E134 mais à toute
intention de ma part de la comprendre mal, c'est-à-dire d’entendre dans son propos autre
chose que son rapport à elle, et à elle seule, au français. Le réglage dialogal du praxème
«simple» (M133) est donc personnel, relatif à Mélissa. Celle-ci insiste pour qu’il ne soit pas
généraliser. Ainsi, elle m’amène à adopter la comparaison à l’anglais qu’elle a entamée dans
son tour M133 où, en qualifiant le français de «naturel» et de «comme simple» tout en
précisant que l’anglais «/c’est cool c’est vrai mais mais euh/», elle sous-entend dans son
hésitation (euh) que l’anglais n’est ni «naturel» ni «simple». En effet, son hésitation
débouchera non pas sur un programme d’enchainement sur l’anglais mais sur une rupture de
programmation changeant d’objet de discours: le français. C’est pourquoi dans ses
explications en M137, nourries de deux rires signifiant son humeur joyeuse maintenant
qu’elle ne se sent plus aculée, elle reprend l’énonciation avec l’impersonnel «il faut»,
l’indéfini «on» et le présentatif «c’est», moins pour ne pas assumer ses propos que pour dire,
justement, que cela est connu de «tout le monde», à la différence de ce qu’elle dit penser du
français et de l’anglais dans ses tours précédents. L’anglais présente donc une exigence, c'est-
à-dire un effort pour «avoir an english maouth» et une «gymnastique [dans] la bouche». Alors
que le français «c’est naturel», «c’est comme simple»! Melissa est si sûre d’elle qu’elle
interrompt ma réplique E138 où je tente de lui faire remarquer que l’effort dans l’articulation
concerne aussi le français, l’arabe et le kabyle, c'est-à-dire comme pour toutes les langues.
Tout en approuvant cela, elle introduit immédiatement une nuance, au moyen de
l’oppositionnel «mais», pour écarter insidieusement l’idée de l’effort, en ce qui concerne ces
trois langues, et le réserver à l’anglais, justement, qu’elle préfère au français dont elle dit être
une langue «dépassé par l’anglais» (M111).
L’entretien est interrompu à cet instant car Melissa doit repartir avec son père, venu pour la
récupérer. Elle part et me laisse un peu frustrée, n’ayant pas obtenu la matérialisation verbale
de l’ambiguïté dans l’expression de son attitude vis à vis de la beauté du français, de la beauté
de parler en français (M127) qu’elle refuse de lier au physique (M125). Alors que pour ce qui
est de l’anglais, c’est exclusivement par le physique qu’elle le distingue (M137)! En effet,
j’allais juste faire remarquer que la pratique de l’anglais est aussi une question d’habitudes,
dans l’espoir de l’entendre régler le sens du praxème «habitudes», que le téléphone de
Melissa retentit…
Dès les premiers tours de parole, Ibtissem déclare vouloir se spécialiser en langue
française à l’université (I1). Ce choix semble être motivé par les bons résultats obtenus dans
cette matière (I15, I35, I37). Ce qui n’est pas ce qu’elle affirme en réponse à ma question
portant sur les raisons à l’origine de ce choix:
E42/ euh::/ euh :/ tu peux euh :/ tu peux me dire pourquoi euh ::/ pourquoi tu veux faire
français//
I43/ pourquoi?/
E44/ ih/ pourquoi tu veux faire français à l’université?/
I45/ euh ::/ d’abord j’ai des ami(e)s ig khadmen [qui font] français/ mais i Alger matchi
dagui i [à Alger et non pas ici à] Tizi-Ouzou// d’accord ? j’ai des ami(e)s/ en
plus###
E46/ et que te disent tes ami(e)s de euh::###
I47/ euh ::/ ça va ça va/ ça leur plait/ ça leur plait c’est ça l’essentiel// mais mais
daghen [néanmoins] il parait que c’est difficile//c’est difficile puisqu’euh ::
puisque nekwni [nous] on a étudié en arabe// donc c’est normal/ c’est difficile///
E48/ c’est difficile ?//
I49/ ih/ mais mais normal/ normal au début/ mais après mi ats sarhen dayen [tu te
libères et ça y est]// donc normal//
E50/ i pour quoi toi tu veux faire français?//
I51/ pa(r) ce que j’aime bien//
E52/ tu aimes bien?//
I53/ oui oui/###
La reprise en écho interrogative du praxème «pourquoi » (I43) lui permet de gagner plus
de temps afin de programmer ses dires. Et comme pour fuir ma demande de mise en mots de
ses motivations, elle fait appel à l’expérience de ses amis, orientés vers la même branche à
Alger. Cette précision du lieu de formation «i Alger matchi dagui i Tizi-Ouzou» (I145), c’est à
dire ‘’ à Alger et non pas ici à Tizi-Ouzou’’, révèle que mon interlocutrice compte, d’une
part, suivre la même trajectoire. D’autre part, il semble qu’elle n’est pas convaincue de la
formation dispensée à Tizi-Ouzou ainsi que cela est largement montré dans le chapitre réservé
au français, langue de savoir, de technologie et d’avenir. C’est dans une dimension dialogique
interdiscursive qu’elle transpose l’opinion de ses amis qui s’y plaisent dans cette discipline,
mais qu’ils considèrent au même temps «difficile», un praxème dont l’ambigüité est abordée
dans le chapitre réservé au français perçue comme une langue de savoir, de technologie et
d’avenir.
Je rappelle que ma question initiale a pour objectif de saisir auprès d’Ibtissem les raisons
à l’origine de son choix. Mais jusqu’ici, il semblerait qu’il est plutôt facile pour elle de parler
des autres que d’elle-même. Je la relance alors une nouvelle fois à propos de ses motivations à
la base de son choix de cette branche (E50). C’est, selon ses dires, son appréciation de cette
langue qui motive son choix (I51) sur lequel elle insiste d’ailleurs juste après en I53 par un
«oui» d’approbation réitéré. Ses réponses succinctes et laconiques convoquées comme pour
fuir d’autres détails, peut être difficiles à mettre en mots, interpellent sa mère Malika, qui
intervient pour compléter les dires de sa fille donnant ainsi l’air de lui venir en aide:
M54/ depuis qu’elle était petite/ si zik [depuis longtemps]/ si zik th hammel atsahdhar s
throumith [depuis longtemps elle aime parler en français]// en plus asmi thella i l
primaire dayem [quand elle était au primaire toujours] elle joue euh :: elle fait
l’enseignante de français//[rire partagé ave Ibtissem)// ça je me souviens bien de
ça/ si si je me souviens//
E54. Yah ! [ah bon!]/ donc ça remonte loin//
I55/ enf/-/ oui/ mais euh :: en plus le français c’est quand même une belle langue/ oui/
une belle langue n’est-ce pas ?/une langue universelle scientifique et tout/
d’ailleurs moi quand madame X nous parle j’aime bien/ je sais pas comment/ je
sais pas/ il ya quelque chose euh ::/ je sais pas/ peut-être akhatar [parce qu’]elle
est belle/ i dhessah [et c’est vrai que] madame x thazyen [est belle]//
L’intervention de Malika parait faire plaisir à sa fille qui se réjouit (le rire partagé avec sa
mère en M54) à l’idée d’écouter le récit de son enfance. Selon Malika, Ibtissem a toujours
été passionnée par cette langue depuis son jeune âge, elle qui jouait la maitresse de français.
Par ce détail, une question s’impose: la jeune Ibtissem est-elle attirée par la langue française
ou par la fonction d’institutrice ou même les deux à la fois? Ne s’identifiait-elle pas
inconsciemment à son enseignante de l’époque ainsi que cela est décrit dans le chapitre
abordant la thématique du français perçu en tant que langue de savoir, de technologie et
d’avenir?
Ibtissem reprend sa place d’interlocutrice dans son tour de parole I55 en approuvant les
propos de sa mère auxquels elle intègre un détail non mentionné jusqu’ici. Celui relatif à la
beauté du français: «/c’est quand même une belle langue/». Le praxème adverbial «quand
même» est introduit comme pour montrer qu’il s’agissait d’une évidence à ne pas nier et
inutile à démontrer. Si bien qu’elle insiste sur cette beauté en m’interpellant par l’élément
«n’est-ce pas ? » à valeur interlocutive pour solliciter mon adhésion à son discours. Dans le
même tour de parole (I55), Ibtissem glisse de cette beauté de la langue française vers la beauté
physique de son enseignante de français et passe ainsi de la beauté qu’elle associe à la langue
française à celle de son enseignante de français. N’associe-t-elle pas, dans son inconscient, la
beauté physique de son institutrice à celle de la langue qu’elle enseigne: le français?
Plus loin dans l’échange, Ibtissem raconte que durant tout son cursus scolaire, ce sont des
enseignantes (femmes) qui leur (ses camarades de classes et elle) assuraient cette matière, à
l’exception d’une courte période où monsieur X devait remplacer madame Y. Ce récit n’est
pas sans importance puisque ma partenaire de l’échange opère une différence linguistique
entre le parler masculin et le parler féminin. La langue française, considérée une «belle
langue», est perçue différemment selon qu’elle s’extériorise d’une voix féminine ou
masculine. Je l’interroge alors sur ce détail afin de situer avec elle le fondement de cette
différence:
I71/ non/ netsa [lui] il (n’) est pas euh ::// mais surtout m euh ::/ amek?[comment ?] je
sais pas/ c’est pas am [comme] madame Y imir ni [en ce moment-là] elle nous
parlait et tout/ mais netsa [lui] les exercices ken [seulement]/ la dictée/ yarnou le
français ni les hommes hein ! [en plus ce français des hommes hein!]///
E72/ amek [comment]? l français les hommes ?/ [rire]/
I73/ i :: thazrid [i :: tu sais] les hommes euh :: enf/-/ matchi irkwoul[pas tous]/ llan [il y
en a]// moi j’aime pas akenni [cette façon]// je préfère les femmes//
E74/ ah bon ! pourquoi?//
I75/ je (ne) sais pas moi/ c’est comme ça/ c’est comme ça et c’est tout//
Mon insistance sur ce sujet (E74) semble l’embarrasser. Ainsi, difficile pour elle peut être
à mettre sa pensée en mots, elle autocensure l’à-dire en lui substituant la séquence
d’ignorance «/je ne sais pas moi/» suivie d’une autre séquence en double occurrence «/c’est
comme ça et c’est tout/ », comme pour couper court avec mes interrogations.
Quelque peu embarrassée moi aussi par ses propos auxquels je ne m’attendais pas, je la
relance avec hésitation afin de saisir cette distinction effectuée entre les deux accents féminin
et masculin:
E76/ euh :: je veux dire euh ::/ qu’est qu’ euh ::/ qu’est-ce que les hommes euh ::/ les
hommes ont ont de de particulier aâni?//
I77/ ala matchi [non pas] tous les hommes/ kra [certains] bien sûr//
E78/ ih ih[oui oui]/ widak nni widak nni [ceux- là ceux-là]/ qu’est-ce qu’ils ont###
I79/ je sais pas comment euh :: amek ihadren [commentils parlent] l(e)français s[avec]
ra am [comme]euh ::/ amaken [comme si]euh :: amaken s [comme si avec] la
force/ nagh [ou] je sais pas amek[comment]//
E80/ yah ! donc pour toi###
I81/ nekini yifith [pour moi c’est meilleur] avec madame Y/ ihi :::/ skhilla [beacoup]/ en
plus elle cultivée/ wellah [je jure qu’] on dirait une vraie française/ elle parle le
français mieux que les Français// mais avec monsieur X c’est :: pas beau/ c’est
pas :: doux/ c’est comme euh :: c’est dur/ c’est fort/ c’est pas beau/ non/
Adoptant une attitude d’évitement de discourir au sujet de cette particularité opérée dans le
parler masculin, Ibtissem reprend son autodialogisation de I73 où elle atténuait ses propos,
refusant de généraliser son opinion à l’ensemble des hommes. Cette réponse est peut-être
stratégique car elle lui permet de bénéficier de plus de temps afin de préparer et d’extérioriser
ses dires. Ainsi, suite à mon insistance, elle hésite puis souligne ce qu’elle entend: la virilité
du parler masculin passe par «la force » (I79) dans la réalisation, par exemple, de la syllabe
/ra/, me laissant le soin de déduire ce à quoi elle veut en venir: les hommes roulent les /r/ alors
que les femmes les grasseyent. Dans ce même tour de parole, Ibtissem semble mal à l’aise à
l’idée de mettre en discours ses reproches: d’où cette séquence «je (ne) sais pas amek » (‘’je
ne sais pas comment’’) dans laquelle elle condense justement sa difficulté de dire. Ce n’est
que dans son tour de parole I81 qu’elle libère sa pulsion communicative et laisse libre cours à
l’extériorisation d’un dire difficile lié à la différence qu’elle établit entre le parler de ses deux
anciens enseignants. Celui de l’enseignant homme est «dur», «fort », «pas doux» et «pas
beau». Ces propos débouchent sur un énoncé enchâssé qui suppose l’existence d’un parler pas
dur, pas fort, doux et beau qui serait probablement celui de ses enseignantes femmes.
Je déduis de ces propos que cette «belle langue» est, en fait, liée à la beauté physique de
ses enseignantes qui l’ont marquée par, entre autres, leur prononciation du français devenant
ainsi son modèle.
Ce qui m’autorise aussi à supposer que même le choix d’Ibtissem à suivre des études de
français à l’université serait, au moins, partiellement déterminé par ce réglage de sens du
qualificatif «belle langue» en rapport avec cette opinion valorisante qu’elle se fait de ses
enseignantes de la matière.
Difficile pour elle d’assumer en «je» cette beauté précédemment annoncée «on l’appelle
comme ça» et difficile pour elle de la définir « je (ne) sais pas moi », Ibtissem produit un
discours traversé d’hésitations et d’allongements vocaliques qui traduit un sentiment
d’incertitude vis-à-vis de son propos en réponse à ma demande. L’introduction de l’anglais
dans ce programme sème la confusion: s’agit-il d’un lapsus ou d’une comparaison entre ces
deux langues? Ce qu’elle n’élucide pas. En effet, elle plonge plutôt dans une intralocution où
la reprise de ce praxème «beauté» est détournée pour lui associer la douceur et la musicalité
qui caractériseraient la langue française, faisant entendre ainsi son autre voix autour de
l’anglais comme une langue dépourvue de ces deux qualités.
E58/ français/
W59/ français/ oui/ je pense que je vais choisir français/
Malgré la persistance du doute par l’emploi du praxème «penser», Wiza parait confiante
en opérant ce choix.
E60/ et pourquoi ?/
W61/ euh :: je (ne) sais pas euh :: je sais une chose c’est qu’euh :: j’aime le français/
c’est tout / j’aime bien cette langue/
E62/ pourquoi ?/
W63/ pourquoi ?/
E64/ ih [oui]/ pourquoi tu aimes cette langue ?/
W65/ je (ne) sais pas/ comme ça/
E66/ comment comme ça ?/
W67/comme ça/ le le français euh :: c’est une langue qui qui me plaît beaucoup voilà/
c’est une langue qui me plaît/ voilà/
La réponse de mon interlocutrice en W61 révèle que celle-ci ne s’attendait pas à mon
interrogation. D’où son hésitation avant de déclarer son estime pour cette langue. Je réitère
alors ma demande. Elle la reprend immédiatement en écho (en W63) pour s’assurer de ce
réglage interrogatif qui ouvre sur un tour supplémentaire dans lequel je reformule mon
interrogation en reprenant son objet annoncé dans son tour W61. En dépit de mon insistance,
elle produit le programme ambigu «comme ça» car relevant d’une essentialisation mais aussi
parce que c’est présenté comme une hypothèse parmi d’autres éventuelles. En effet, cela vient
après son «je (ne) sais pas» qu’elle m’oppose presqu’à chaque requête comme une fin de
non-recevoir. Je présume donc que par cette stratégie d’évitement frôlant le refoulement, elle
a du mal à extérioriser son dire. D’où la réalisation de cette ambigüité, sur laquelle je fonde
ma question suivante (E66). Hélas, et encore une fois, ma partenaire de l’échange s’obstine à
toute réplique claire et réactualise à nouveau cette ambigüité (en W67) pour se contenter d’un
programme dans lequel elle affiche simplement sa préférence de la langue française.
Je ne me contente pas de ces déclarations. Je tente de faire surgir un réglage de sens plus
précis de ce qu’elle essayait de passer sous silence, en l’interrogeant autour des raisons à la
base de cette préférence:
Cette réponse cache mal cette difficulté de dire qu’éprouve mon interlocutrice qui semble
confuse et embarrassée. Elle hésite, évite et doute avant de mettre en discours ce dire difficile
dans lequel elle affirme la beauté de la langue française. En revanche, elle remet, tout de suite
après, ses propos en doute comme par manque d’assurance et de confiance en elle-même, en
clôturant ce tour de parole par la séquence «je (ne) sais pas».
E72/ comment ça ?/
W73/ [rire] ce n’est pas euh :: je veux dire euh :: ce n’est pas euh :: belle euh :: comme
pour euh :: une personne euh :: je (ne) sais pas moi/ mais euh :: je pense euh ::
pour moi euh :: c’est beau/ je trouve ça beau/
E74/ et qu’est-ce que tu trouves beau en fait ?/
W75/ qu’est-ce que je trouve beau ?/ [rire]
E76/ ih[oui]/
W77/ je (ne) sais pas euh ::/ déjà euh :: le fait de parler comme ça français euh :: moi
je pense que pour moi euh :: c’est beau/ c’est beau à entendre/
E78/ c’est ###
W79/c’est beau à entendre/ c’est une langue euh :: je (ne) sais pas moi/ c’est une
langue euh :: pour moi c’est beau de parler français/ la prononciation euh :: les
mots/ euh :: je (ne) sais pas/ son vocabulaire [rire] je (ne) sais pas/ je trouve tout
ça beau dans cette langue/ je (ne) sais pas/ déjà quand j’entends quelqu’un parler
en français euh ::/ ça euh :: déjà euh :: ça donne envie de l’écouter/ c’est une
langue tellement euh :: je (ne) sais pas comment dire euh :: je (ne) sais pas euh ::
thesaâ sser [elle contient un mystère]/ c’est une langue euh :: vivante et tout/ elle
est belle/ elle est belle/ c’est aussi de cette beauté/ c’est aussi parce qu’elle est
euh :: riche/ elle est parlée par tout le monde/ je pense/
En ouverture à son tour W73, Wiza rit pour se procurer du temps nécessaire à la
programmation de son dire. Le marqueur dialogique «je veux dire» est introduit dans le but de
vouloir reconstruire et agencer son dit et son à-dire pour plus de précision. Cependant, elle
bute sur des ratages qui traduisent son embarras (hésitations, allongements syllabiques,
programmes interrompus) et finit simplement par réitérer la beauté avec laquelle elle qualifie
le français. Beauté qu’elle tente de comparer à celle (sans doute physique) d’une personne.
Mais elle ne parvient pas. En effet, se rendant compte tout de suite de l’inefficacité de cette
comparaison, elle interrompt sa séquence.
Jusqu’à présent, mon interlocutrice n’arrive pas à mettre en discours ce qu’elle signifiait
par cette «belle langue». Je l’interpelle alors en E74 espérant qu’elle parvienne enfin, cette
fois-ci, à extérioriser l’à-dire refoulé. Encore une fois, elle temporise et retarde de plus en plus
l’extériorisation de son dire par cette reprise en écho de ma question et ce rire final (W75) par
lequel elle dissimule cette gêne face à ma demande. Cette reprise en écho débouche sur un
autre tour de parole (W77) dans lequel elle laisse comprendre, timidement, que cette
«beauté» attribuée au français est, en fait, liée à l’aspect oral de cette langue. En effet, selon
ses dires, «c’est beau à entendre».
Ce n’est qu’en W79 qu’elle parvient au bout de sa réflexion et laisse libre cours à sa
pulsion communicative réprimée jusqu’ici. De ce programme jaillit une série de ratages
d’actualisation qui reflètent l’embrouillement et l’embarras de Wiza, en dépit de ce rire par
lequel elle tente de dissimuler sa perturbation.
En effet, elle souligne, après une série d’hésitations et de séquences traduisant une
situation inconfortable dans laquelle elle se trouve (tel que « je ne sais pas moi »), que cette
beauté relève de cet aspect oral dont jouit la langue française: sa prononciation, son
vocabulaire, son charme, sa richesse pour enfin la proclamer langue vivante, belle et «parlée
par tout le monde».
En rupture dialogale dans l’objet du co-discours, comme le montrent les marques de dièse
par lesquelles sont mentionnés les dédoublements vocaliques (F83), ma requête en E84
surprend Farès. En effet, à ce moment de l’échange, il est question de la comparaison du poids
du français et de l’anglais dans le monde. En même temps qu’il exprime sa surprise dans sa
réplique immédiate (F85), il s’en sert pour gagner du temps sans doute nécessaire à la
programmation d’un sens que ma requête appelle sous forme de désambiguïsation d’un
propos qu’il vient tout juste d’actualiser, sous forme d’un retour sur son propre propos auquel
il ne semble pas avoir prêter attention avant de l’extérioriser comme une vérité dont il ne
parait pas douter. A ce sujet, ses tours de parole suivants (F87, F89, F93) révèlent que cette
attention est si réduite que Farès, en difficulté de formulation, se voit obligé de reprendre la
comparaison à l’anglais (qu’il ne qualifie pas de beau) dans une perspective temporelle pour
renvoyer cette «beauté» au passé (F95) et recentrer le débat entre les deux langues au plan des
«études» (F101), de la «science» (F103) et de la communication internationale (F101) et
électronique (F103), dans lequel Farès réduit au minimum la présence du français au profit de
l’anglais.
Dans sa réponse initiale, Sofiane reprend en écho l’élément interrogatif «amek», c’est à
dire ‘’comment ?’’, pour se donner le temps de réflexion, de programmation et de mise en
discours. Par ce procédé, il fait semblant de ne pas saisir le sens de mon interrogation quand
bien même celle-ci est réalisée dans sa langue maternelle, la principale langue de notre
échange. Je réitère alors ma question et cette fois-ci en choisissant volontairement de le faire
en langue française, supposant que mon interlocuteur a peut-être du mal à exprimer sa pensée
au sujet du français en kabyle. En effet, suite à ma seconde interrogation, et après hésitations
assez longues accompagnées d’une séquence de doute, il laisse enfin libre cours à sa pulsion
communicative pour mettre en mot la beauté de cette langue. Il conclut son programme par
l’actualisation du praxème adverbial «voilà», signe d’un souhait non-dit espérant par-là
couper avec mes questions ou, peut-être, changer de sujet de discussion. Ce qui ne
m’empêche pas de poursuivre dans la même optique visant à le faire parler davantage de ce
qualificatif : «belle langue».
E66/ une belle langue?/ c'est-à-dire?/ qu’est-ce qu’il y a de beau dans cette langue ?/
S67/ euh :: j’ (e ne) sais pas trop euh ::/ c’est la langue de Molière euh :: de Victor
Hugo euh :::###
E68/ donc c’est la langue de la littérature?/
S69/ oui si tu veux/
Cette courte séquence (S67) est marquée de quatre occurrences d’hésitation assez longues
qui montrent que mon interlocuteur est déstabilisé face à une question à laquelle il ne s’y
attendait sûrement pas. Il associe cette beauté du français aux deux grandes figures de la
littérature française: Molière et Victor Hugo. Dans sa référence à la littérature pour marquer la
beauté de cette langue, il tente discrètement de m’impliquer dans son discours, voire même de
me rendre quelque peu à l’origine de son opinion par cette réplique en S69 : «oui si tu veux».
Je ne me contente pas de ces réponses qui me laissent croire que les arguments avancés
au sujet de cette «belle langue» ne sont qu’une manière pour lui d’éviter plus de détails,
peut-être difficile à mettre en discours, voire à assumer. Ce qui me pousse à essayer encore
une fois de comprendre ce qu’il refoule et passe sous silence:
J’insiste alors sur cette difficulté en introduisant une nouvelle question à laquelle il met du
temps à confirmer ce que la collectivité penserait: le français serait une langue difficile par
rapport à l’anglais:
Au début de son tour de parole S73, Sofiane considère la difficulté de la langue française
dans les textes dont il dit ne pas saisir le sens. J’en déduis par-là que son problème est lié à la
sémantique des mots. C’est pourquoi je tente de le rassurer en généralisant cette difficulté à
l’ensemble de ses semblables. Mais sans succès. En effet, il focalise cette difficulté sur lui-
même (S75), soulignant son incapacité à comprendre tant de «synonymes» de cette «langue
riche». Et comme pour accentuer ses dires, il actualise en clôture à ce tour de parole (S75), le
praxème «mlih», c’est à dire ‘’assez’’ dramatisant l’intensité de cette difficulté ressentie à
l’égard du français. Devant mon insistance sur le réglage qu’il donne du praxème kabyle
‘’difficile’’ dont il qualifie le français, il introduit un paramètre autre que la sémantique: la
conjugaison. Son tour de parole S77 est une manière de se montrer à la fois sûr de ce qu’il
avance et étonné par ma question. En effet, la complexité de la conjugaison de la langue
française est, pour lui, si évidente qu’il est inutile, voire décalé de l’interroger à ce propos. Il
accentue, en ouverture à son tour de parole S79, le degré de cette difficulté dans la
conjugaison française puis entame en rafale les modes puis les temps du français pour dire
qu’il les connait C’est à dire qu’il sait de quoi il parle. Mais aussi pour expliciter, en fait, non
pas la difficulté de cette conjugaison mais sa complexité qu’il faut connaitre pour saisir le
sens des textes (S73). Cependant, dans le fait de citer seulement les trois modes indicatif,
subjonctif et conditionnel et mettre les autres dans le praxème «eccétéra» ouvert et indéfini, il
laisse déduire que mon partenaire de l’échange ignore en réalité les autres modes de la
conjugaison du français. Dans ce sillage, son rire final lui sert de moyen pour camoufler cette
incompétence qu’il lie lui-même à sa difficulté de saisir le sens quand il lit. Et pour se
défendre de toute incompétence justement, il adopte la différence par rapport à la langue
anglaise, dotée de trois temps de conjugaison ‘’uniquement’’ (S87), pour dire sans dire que le
problème est dans la langue et non pas en lui.
S31/ akhatar s l(e) [parce qu’en] français au moins nezra belli [on sait qu’] euh ::/ yella
wamour tidhets [il y a une part de vérité]/ matchi am thoura [c’est pas comme
maintenant]//
Smaïl produit une séquence en kabyle, sa langue maternelle, comme pour mieux exprimer
sa pensée. Il ne s’implique pas directement dans son discours puisqu’il se met en retrait
derrière un ‘’on’’ indéfini ou, au mieux, un nous endogroupal dans lequel il intègre
discrètement l’ensemble de ses semblables comme pour ne pas assumer seul cette déclaration
pour caractériser de véridique ce qui se fait en langue française: «yella w amour tidhets» ( il y
a une part de vérité). Cette séquence suppose un énoncé enchâssé, non-dit, qui présume
qu’avec d’autres langues, cette authenticité disparaît. Et c’est naturellement à la langue arabe
qu’il fait allusion puisque c’est d’elle qu’il s’agit ici comme langue des études de philosophie
à l’université. C’est du moins le sens qu’implique sa séquence en clôture à son tour de parole
S31: «matchi am thoura», qui signifie ‘’ce n’est pas comme maintenant’’ dont le praxème
temporelle règle ce sens comparatif à l’arabe. Ainsi, il se positionne clairement en Autre par
rapport à l’arabe et en même temps par rapport au français.
Dans la même optique, et plus loin dans l’échange, Smaïl semble volontairement laisser
paraître cette mêmeté et cette altérité:
S150/ mais s l(e) [en] français c’est moderne euh :: c’est c’est amek ad inigh [comment
je vais dire]/ c’est beau quoi c’est pas mort comme s l’[en]arabe//
E151/ donc s l(e) français c’est beau/
S152/mahsouv [c'est-à-dire que] c’est euh :: je (ne) sais pas moi euh::/ amek ad inigh
[comme je vais dire] euh:: la liberté et la personnalité et tout/ c’est faux/ s
l’[en]arabe ça n’existe pas qaren negh aka [on nous comme ça ] mais di l waqiî
oulach [en réalité il y en a pas]//
Dans son tour de parole S150, Smaïl commence par faire l’éloge de la langue française en
la qualifiant de «moderne ». Il tente immédiatement, et sans y être sollicité, d’expliquer cette
modernité en cherchant par cette séquence «euh :: c’est c’est amek ad inigh»
(‘’comment je vais dire?’’) à gagner du temps pour organiser et extérioriser sa pensée. Ainsi,
il semblerait que pour mon interlocuteur, le praxème «moderne» rime avec ‘’beauté’’ de la
langue française, et sous-entend que celle-ci est vivante, comparativement à la langue arabe
qui ne le serait pas.
Cette confession me laisse perdue et confuse: s’agit-il en fait de cet à-dire refoulé qu’il
souhaitait passer sous silence durant les tours de parole précédents ou c’est plutôt ce dont il
espérait discourir, en cherchant à détourner mon attention?
K116/ […] euh :: c’est une belle langue/ une très belle langue// voilà/ la littérature et
tout c’est clair/ les écrivains euh :: les écrivains et tout/ c’est clair/ comme euh ::/
voilà le français/[…]
E116/ euh :: tu disais que le français est est une belle langue//
K117/ i euh::/ comme ça on dit/ comme ça on dit/ c’est sûr///
Comme pour se décharger de toute responsabilité, Kamélia attribue ses propos à un «on»
indéfini. Et par crainte d’assumer seule ses dires, elle laisse entendre que ses révélations
précédentes relèvent de la doxa. Ainsi, comme pour confirmer la popularité de cette
expression, elle use du marqueur dialogique à valeur co-constructive «c’est sûr», sous-
entendant par-là, qu’elle refuse tout commentaire émanent de ma bouche à ce sujet. Toutefois
j’insiste auprès d’elle afin de saisir le réglage dissimulé du sens de ce qualificatif «belle
langue».
Traversé par une série de ratages d’actualisation, ce discours cache mal cette situation
embarrassante dans laquelle sombre mon interlocutrice. Témoignent de ce malaise ces
séquences de doute «je pense», «je crois», d’ignorance «je ne sais pas», cette interrogation
«c’est par rapport aux écrivains?» par laquelle elle m’interpelle, ces interruptions, ce
marqueur dialogique «je veux dire» par lequel elle cherche à établir un lien entre son déjà dit
et son à-dire et à reconstruire ses propos.
Par cet aspect, Kamélia rejoint quelque peu l’attitude d’Ibtissem. En effet, elle aussi lie
cette beauté de la langue française à un domaine artistique: la musique et le chant avec
jacques Brel et Céline Dion.
D’autre part, il semblerait que pour elle, cette beauté rime également avec douceur. Ceci
en comparant la langue française à la langue anglaise qu’elle qualifie d’agressive. Ce praxème
adjectival «agressif» à forte signification suscite mon interrogation:
En K121, Kamélia produit un programme marqué par des hésitations, des répétitions, des
interruptions de programme et surtout une focalisation sur soi. Elle assume pleinement ses
propos surtout en évoquant elle aussi, tout comme Ibtissem, le plaisir éprouvé à l’écoute de
l’accent féminin. Fait-elle référence, à l’instar d’Ibtissem, à cette douceur non dite qui se
dégage du parler féminin? Effectivement, c’est ce qu’elle souligne plus loin dans son tour de
parole K123. Mais à la différence d’Ibtissem, qui compare entre l’accent masculin et l’accent
féminin, Kamélia compare plutôt entre deux langues:
Aux yeux de mon interlocutrice, il émane de la langue française une douceur alors que de
la langue anglaise il découle une agressivité. Cependant, jugé sans doute lourd de
signification, ce praxème «agressif» a été revu dans l’intention d’atténuer sa portée
significative, en lui substituant cette fois-ci celui de «fort». Cette distinction effectuée entre
ces deux langues m’amène à l’interroger à propos de sa chanteuse préférée, précédemment
citée et dont la voix artistique alterne entre ces deux langues:
E136/ et tu trouves que Céline Dion quand elle chante euh :: quand elle chante en
anglais/ en anglais/ elle est ag/-/ agressive ?//
K137/ NON/ Céline Dion? jamais/ je l’adore/ j’ai tous les CD ines [ses]/ akw[tous]//
E138/ mais tu la préfères chanter en français//
K139/[silence]/ oui/ c’est vrai// c’est vrai j’aime bien euh ::/ oui oui//
E140/ peut-être que tu comprends mieux//
K141/ non non/ je comprends aussi mais euh ::: mais/ je (ne) sais pas je sais pas// en
français en français c’est plus doux//
Kamélia contredit ses propos. En effet, elle, qui soulignait le caractère agressif de la
langue anglaise, n’admet pas de qualifier de tel son idole Céline Dion, chantant en anglais.
Mais elle déclare tout de même son plaisir à l’écouter chanter en français, puisque «c’est
plus doux» (K141) en cette langue, selon ses dires.
E146/ oui tu (ne) m(e) dis pas ce que ce que tu aimes du français//
S147/ kifach?/ kifach?/[comment?/ Comment?]
E148/ ce qui te plait f l [en]français/
S149/ l’élégance bien sûr/
E150/ qu’est ce qui est élégant/
S151/ l (e) français bien sûr/
E152/ et tu peux préciser ce que tu dis là/
S153/ kifach?/[/comment ?/]
E154/ qu’est-ce qu’il y a d’élégant###
S155/ koulach[tout]/ surtout la France et tout/ j’aime bien euh :: Lara fab/-/
Céline Dion euh ::/ aâla bali [je sais aussi]Célion Dion taâ [de]Canada/
mais mais elle chante b l [en] français// ih b l [en] français euh :: b [en]
l’anglais aussi//
E156/ et c’est ça que tu trouves d’élégant ###
S157/ elle a :: elle a une belle voix/ sentimentale/ mais moi moi khir ki:: [c’est
mieux quand::] elle chante b l [en] français/ khir m [mieux que] l’anglais/
E158/ aâlah [pourquoi]?/ b l [en]anglais aussi elle ###
S159/ sah [c’est vrai] mais b l[en] français euh ::/ j(e ne) sais pas euh ::/ t ban li
ki euh :: t ban li chwghal euh :: t ban li sentimentale [elle me parait comme
euh:: elle me parait comme euh :: elle me parait comme sentimentale]//
sentimentale kima kima hata wahad [comme aucune autre personne]/
En discutant avec Sabrina des langues, en général, celle-ci déclare sa préférence des
langues anglaise et française. Je m’attarde sur celle-ci en l’interrogeant sur les raisons à
l’origine de cette appréciation.
S124/ oui oui j’ai j’ai euh ::/ pa(r) ce euh :/ je (ne) sais pas/ je (ne) sais pas/ c’est beau et
tout/ international/ en plus c’est facile puisque euh :: puisque tout le monde dagui
[ici] connait l(e) français//
Sabrina débute son programme par un «oui» d’approbation et confirme son attirance
envers la langue française. Mais elle produit également des séquences d’ignorance «je ne sais
pas», des séquences inachevées comme «j’ai euh ::», des hésitations pour se procurer du
temps afin de programmer l’à-dire et se décider à le dire. Elle finit par exprimer brièvement
son idée sur un ton qui rappelle celui d’une personne pressée de finir avec la question: «c’est
beau et tout». En effet, dans l’actualisation de ce praxème adverbial «tout», elle dissimule un
non-dit qu’elle a, peut-être, du mal à extérioriser. Qu’entend-t-elle par ce praxème? Est-il
vraiment réglé dans le but d’élargir le champ de la ‘’beauté’’ de cette langue? En plus, le
statut de langue «international», l’adjectif de langue «facile» et populaire sont en fait d’autres
traits définitoires du français selon Sabrina et ils n’en constituent ni une explication ni une
illustration. Par contre, ils s’offrent à elle comme un moyen de contourner le fond de ma
question qui, elle, cible le contenu, c'est-à-dire le réglage de sens du praxème «beauté» avec
lequel elle distingue le français. C’est pourquoi, j’insiste davantage sur le fonctionnement
discursif que ses propos donnent à entendre:
Je tente alors de la rassurer en lui signifiant que mon insistance répond à un simple désir de
comprendre. Mais mon argument ne semble pas convaincant pour elle. Elle ironise en
m’accusant subtilement de jouer à l’ignorante pour susciter une parole explicative: «’’comme
si’’ tu (ne) sais pas ce que ça veut dire ça?» (S131). Je ‘’fais la sourde oreille’’ de la portée
sémantique d’une telle réflexion, en plongeant, en compagnie de sa mère, dans un éclat de
rire avant de lui signifier à quel point son avis à ce sujet comptait pour moi.
Malheureusement, elle n’en finit pas avec ses commentaires. Mais cette fois, elle trébuche sur
un programme inachevé, donc insensé (S134) que je camoufle avec sa mère en éclatant de
rire, avant de lui signifier l’importance pour moi de la diversité des opinions des uns et des
autres. Sabrina parait reprendre confiance en elle en confirmant sa position de départ («ce qui
est beau est beau»), suivi d’une séquence marquée d’hésitation et d’interruption comme si
elle craint de mettre en discours sa pensée. Elle parvient à achever son tour de parole dans
lequel elle fait entendre d’autres voix avec qui elle entre en opposition dans un rapport
dialogique à distance (S147).
S162/ mais le sujet agui iwaâr yaah// [mais ce sujet est difficile yaah//]
E163/ ya ::h!/ [ah bon !]
S164/ ah bien sûr/ en plus ilaq koulech b tadqiq [il faut tout avec de la précision]//
5.6. Conclusion:
Bien que l’actualisation «belle langue» émane de ces élèves et qu’elle n’est nullement
suscitée par mon guide d’entretien au moyen duquel, je rappelle qu’il s’agit moins de les faire
parler de tout que de désambiguïser leurs propres praxèmes, aucun d’entre eux ne produit un
discours de clarification malgré mes efforts pour les amener à considérer de plus près cette
qualification. Des efforts qui sont, dans bien des cas, notamment avec Kamélia et Sabrina,
mal appréciés, voire assimilés à un véritable harcèlement interrogatif/conversationnel sur un
sujet qu’ils ont eux-mêmes introduit sans s’attendre à de telles focalisations de ma part.
Pourtant, c’est tout l’enjeu de l’exercice auquel ils ont accepté de prendre part: m’expliquer ce
que chacun(e) entend par cette tournure, le français est une langue belle, élégante et/ou
attirante…
Douceur de la voix féminine francophone, douceur des villages de France, pour Melissa,
etc., la beauté du français semble être, en effet, insaisissable probablement parce qu’elle
relève exclusivement du subjectif comme le signifie Saliha. Mais c’est aussi de cette
subjectivité qu’il s’agissait quand ces élèves, en accord avec leurs parents, ont accepté de
discuter avec moi des langues à l’école et à l’université…
Peut-être que c’est parce que cette thématique de la beauté du français ne figure pas dans
leur réponse au questionnaire de la pré-enquête, comme je le souligne en introduction à ce
chapitre, que ces élèves, ne s’attendant pas à rencontrer ma curiosité au bout de leur
qualification du français ainsi, n’arrivent pas à produire plus de commentaires de
désambigüisation de ce contenu! Autrement dit, ils n’auraient pas évoqué cela avec leur
entourage avec qui ils auraient eu des connaissances, des idées, etc., autour des questions que
soulèvent le questionnaire, comme c’est le cas notamment dans les discursivités comparant le
français à l’anglais d’où émerge la voix parentale, particulièrement celle du père, pour faire
entendre, à travers la parole de ces élèves celle de la société ou du moins celle du réseau de
sociabilité de ces enfants et de leurs parents… Fallait-il alors formuler cela dans le
questionnaire ayant servi la pré-enquête?
Chapitre 6
Le français, une langue-visa?
6.1. Introduction:
Il s’agit, dans ce chapitre, des séquences interlocutives où le français apparait dans la
discursivité des échanges réalisés comme le sésame de la réussite du projet de départ pour …
la France. Quels sont donc les procédés linguistiques qui président à cette mise en
discursivité? Comment ces procédés concourent-ils à signifier dans les logiques dialogales et
dialogiques ce statut de langue de départ, de langue pour voyager?
En effet, dès sa réplique C3, en réponse à mon phatique de contact (E2/ça va?/), Chabane
adopte une attitude de riposte qu’il entretiendra le long de l’échange. Une attitude qui rappelle
curieusement le statut du français à l’école. C’est comme s’il veut l’incarner en se présentant
comme une victime délaissée comme l’est, selon lui, l’enseignement du français y compris en
année de l’examen du baccalauréat de surcroit de série Langues étrangères où cette matière
est, selon lui, d’un des plus importants coefficients (C15, C17, C23, C25) et dont l’impact sur
la poursuite des études universitaires est déterminant particulièrement pour les nouveaux
bacheliers qui souhaitent faire des études de français comme lui (C25, C29, C33). Mais cette
attitude vis-à-vis du français, que confirme le fait qu’il dit recevoir des cours particuliers de
soutien en dehors de l’école (C33, C35, C37, C39, C41… C53), n’est pas assumée quand je
lui demande implicitement (E62) ou explicitement (E66, E68, E70) les raisons de son choix
du français à l’université sinon par la redondance de l’actualisation/essentialisation «j’aime
ça»:
E70/et euh :/ et euh :/ tu peux me dire/tu peux ::/ pourquoi ?/ pourquoi euh ::
pourquoi tu veux faire euh ::##
C71/ euh ::/ pa(r) ce que j’aime ça/ j’aime ça//
E72/ pa(r)ce que tu aimes ça?/
C73/ ih [oui] pa(r) ce j’aime ça///
E74/ c’est tout?//
C75/ euh:::///
E76/ euh:/ est-ce que tu peux me dire un peu plus sur ça ?/
C77/ quoi?/
E78/ je veux dire euh ::/ voilà voilà/ est-ce que tu peux me dire un peu/ un peu
plus pour/-/ pourquoi tu veux faire euh :: pourquoi tu veux t’inscrire en
licence de français ?//
C79/ j’ai dit j’ai dit/ j’ai dit j’aime ça/
E80/ tu aimes quoi?/
C81/ l(e) français bien sûr/ l(e) français//
E82/ et euh: et euh/ est-ce qu’euh::/ peux-tu peux-tu m(e) dire qu’est-ce que tu
euh qu’est-ce que tu aimes f l[dans le] français ?/
C83/qu’est-ce j’aime f l [dans le] français?/
E84/ exactement !/ tu as bien compris?/
C85/ qu’est-ce que j’aime f l [dans le] français qu’est-ce que j’aime?/
E86/ oui oui/ c’est ça//
C87/ [souire]/ hadi waâra [celle-là est dificile]/ waâra [difficile]// loukan tadji f l
[si jamais on la posait au] bac baye baye l(e) bac//
E88/ihemala hadar rouhak [alors prétoire toi]/ imaginer hada houwa soual euh f
[c’est celle-là la question dans] la la rédaction/ imagine/ comment tu vas
répondre ?//
C89/oullah ghir waâra hadi// kifash kifash âawad âawad la question↑// [/je jure
que celle-là est difficile// comment comment répète répète la question↑//]
E90/euh je je te demandais euh je je te te d- euh pourquoi euh enf- je te
demandais c’est quoi euh qu’est-ce que tu aimes f l [dans le] français?
voilà/ c’est ça la question/ qu’est-ce que tu aimes f l[dans le] français?//
C91/ euh tout/ tout/ j’aime tout//
E92/ tout?//
C93/oui tout/ j’aime koulesh [tout] f l[dans le] français/ mais j’aime aussi
l’anglais l’espagnol et tout//
E94/ d’accord/ d’accord on va arriver à l’anglais et à l’espagnol/ on va arriver
d’accord/ mais maintenant je veux euh je te demande de m(e) dire euh de
m(e) dire un peu plus sur le le français//
C95/euh mais j’ai j’ai euh/ par exemple par exemple je vais dire wash [quoi] par
exemple?//
E96/ NON/ tu m’as dit tu m’as dit que tu aimes tout/ tout f l [dans le] français###
C97/ ih [oui]/ bien sûr//
E98/ justement euh justement/ je te demande de m(e) dire euh de euh/ voilà voila/
wash wash taqsad b tout b koulach? [qu’est-ce que tu veux dire par tout ?]//
C99/ koulach koulach[tout tout]// c’est tout// tout c’est tout/ hada makan [c’est
tout ce qu’il y a]//
S’agit-il pour lui d’éviter un à-dire difficile à extérioriser qu’il s’abstient de s’étaler au
sujet de son choix de la filière universitaire et de son appréciation du français si bien que
«j’aime ça» prend, dans sa bouche (C73, C75), la forme d’une espèce de rempart à mes
tentatives (E72, E74) de l’amener à désambiguïser ce qu’il entend par là? Ou bien, Chabane,
ne s’attendant pas à cette requête, serait-il en panne de propos? Ce qui est vérifiable dans la
matérialité verbale de son discours, c’est son aptitude à contourner l’objet de mon discours
malgré ses difficultés d’expression en français ainsi qu’il montre cela en exigeant de moi
subtilement l’occupation du temps de l’interaction en sollicitant de moi la formulation et la
reformulation de ma question si bien que de par leur taille, mes tours de parole, c'est-à-dire
mes questions, sont nettement plus grands que ses réponses! Il n’est pas exclu que par ce
procédé, Chabane cherche à gagner du temps que la relecture de l’échange fait ressortir
comme un moyen pour lui de m’amener sur son terrain préféré et qu’il a, à vrai dire, annoncé
dès son deuxième tour de parole (C3): accuser l’institution scolaire et, à travers elle, les
autorité politiques du pays, d’être à l’origine de son modeste niveau de français et, par
ricochet, de constituer un obstacle à la réalisation de son projet de départ pour la France.
N’ayant pas ressenti cela au moment de l’échange, j’ai cru naïvement à la possibilité de le
pousser à désambiguïser le sens de son actualisation/ essentialisation «j’aime ça» pour les
besoins de l’étude. Une désambiguïsation à laquelle il oppose tour à tour temporisation (C79,
C81, C85, C87), retournement de ma question (C77, C83, C95) et ‘’surambiguïsation’’ dans
l’actualisation de l’adjectival «tout» pour couper court avec mes projets d’interrogation
rendant la discussion impossible autour de ce qu’il aime dans la langue française (C91, C93,
C97, C99). Marque de son embarras vis-à-vis d’une question inhabituelle, sa longue hésitation
en C75, achevée sans le moindre mot, malgré le temps qu’il a pris, ainsi que le prouvent les
trois barres obliques par lesquelles sont mentionnées, dans le corpus, les longues pauses
servant le plus souvent à inviter à reprendre la parole, est mise en discursivité dans ses deux
tours de parole C87 et C89 qui renseignent sur la panne d’arguments dont souffre Chabane
bien qu’elle donne l’impression qu’il veut gagner du temps. En effet, de par le traitement
discursif qu’il y entame en rapport avec le baccalauréat, il fait preuve de sincérité en
considérant le caractère difficile de la question à laquelle il ne répond pas sinon en produisant
un autre commentaire métalinguistique d’apparence de refus de clarifier le sens de «tout» ce
qu’il aime dans le français, mais de fond d’aveu d’impossibilité pour lui d’accéder à ma
demande. C’est pourquoi sa double tentative de le diluer, d’abord, en le traduisant en arabe et,
ensuite, tout juste après, dans le même tour de parole C93, en m’invitant explicitement à
abandonner ce qu’il aime dans le français pour aborder l’anglais et l’espagnol qu’il dit aimer
«aussi» (C93). Une invitation que j’approuve sans y adhérer immédiatement car en lui
annonçant que nous allions aborder les autres langues, je veux lui faire accepter, en contre
partie, le retour sur ce qu’il aime dans la langue française, mais sans être suffisamment
attentive à ses alertes précédentes concernant son aveu d’impossibilité pour lui d’aller plus
loin. D’où son changement d’attitude moins pour occuper le rôle du ‘’questionneur’’ (que je
suis) mais plus pour me défier de lui suggérer un exemple de réponse que j’attendrais de lui
(C97). Ce qui est en soi une façon de reconnaitre qu’il n’a pas d’exemple de ce qu’il aime
dans le français et que l’actualisation redondante de l’adjectival «tout» camoufle en faisant
croire à la pluralité de l’illustration de ce qu’il aimerait dans le français alors qu’il n’en est
rien. Ce qui justifie la virulence dans sa réplique suivante (C99) dont il est difficile de ne pas
y voir, d’une part, une fin de non-recevoir et, d’autre part, surtout une certaine exaspération
me reprochant explicitement mon insistance comme si celle-ci le démasque et ne lui offre pas
la possibilité de sauver la face alors qu’il en a signifié la demande à plusieurs reprises (C85,
C87, C89, C91, C93, 95). C’est pourquoi le changement brutal du sujet de discussion dans
mon tour de parole suivant. En effet, dans une formule dialogique faisant entendre les voix
des autorités politiques du pays (E100), je lui suggère son sujet préféré qu’il a annoncé dès
son deuxième tour de parole (C3) et qu’il saisit aussitôt avec la même véhémence avec
laquelle il me reproche d’insister sur ce qu’il entend par «tout» en me tenant ainsi à distance.
C'est-à-dire en me confondant presque avec ceux qu’il désignera plus tard par «eux». Comme
si moi aussi je veux le maintenir dans son niveau de français et l’empêcher ainsi de
concrétiser son unique projet dans son choix futur du français comme filière à l’université: se
servir du diplôme de français pour obtenir le visa (C115, C117).
E100/mais l(e) français euh l(e) français euh la langue euh f- el istiîmar
[colonisateur] ###
C101/ ih oumbaâd [et alors]?/ l(e) français loughat el istiîmar [la langue du
colonisateur]?/
E102/ c’est juste que euh juste###
C103/ bon l(e) français loughat el istiîmar oumaâd [c’est la langue du
colonisateur et alors]?/ houma les qraw b l français b l’anglais [ce sont eux
qui ont étudié en français en anglais]// même les enfants euh ih gaâ qraw b
roumiya [oui tous ont étudié en français]/ hanaya iqoulou lala haramat hadi
loughat faroôun [et pour nous ils nous disent c’est pêché c’est la langue du
Pharaon]/
E104/ [éclat de rire]/
C105/ iouh ! aw faqou! [aw nul n’est dupe !]/ hata hnaya [même nous]/ même
nous on est des Algériens kima gaâ [comme tous]/ houma qraw f l privé
[eux ont étudié dans le privé]/ qraw b l [ils ont étudié en] français et tout/
mais nous lala [non]/ aouh faqou [ah non nul n’est dupe]//
E106/ et d’accord/ mais c’est la langue du colonisateur//
C107/ i oumbâad [et alors]?/ en plus hada bakri[ça c’est autrefois]/ main(te)nant
gaâ [tous] ils vont partir l frança [en France]/ gaâ[tous]//
E108/ ah oui ah !/
C109/ih bien sûr/ hna ma bqa walou/ klaw koulach// klaw koulach/ ou habou
yaklou na hna / aouh faqou!/ c’est fini nas gaâ fayqa//
[/oui bien sûr/ici il ne reste plus rien/ ils sont tout mangé// tout mangé/ et ils
veulent nous manger nous/ mais nul n’est dupe !/ c’est fini les gens savent
maintenant//]
E110/ ah: tu veux partir en France?/
C111/ i bien sûr/ chkoun li ma bghach i rouh ?/ gaâ même euh/ même Bouteflika
bgha i rouh//
[i bien sûr/ qui ne veut pas partir ?/ tous même euh/même Bouteflika veut
partir//]
E112/ c’est pour ça tu veux faire donc français/
C113/ ih [oui] mais mais j’aime aussi//
E114/ oui mais tu as dit aussi que tu aimes aussi l’anglais l’espagn-###
C115/ ih mais matchi kif kif/ par(r) ce que b la licence f l(e) français/ b l(e)
français n djib l(e) visa/ l(e) visa bien sûr/ matchi kima l’anglais/ en plus
anaya bghit frança//
[/oui mais ce n’est pas la même chose/parce qu’avec la licence de français/
avec le français j’obtiendrai le visa/ le visa bien sûr/ c’est comme
l’anglais/en plus moi je veux la France//]
E116/et donc euh/ et donc euh si si/ si j’ai bien compris/ si j’ai j’ai bien compris
einh?/ si j’ai bien compris tu veux t’inscrire en français pour te euh pour
te te faciliter euh le le visa###
C117/ oui bien sûr mais i(l) y a aussi hadja (ou) khra [autre chose]//
Ce n’est pas seulement que Chabane est encore sous l’effet fougueux avec lequel il a
extériorisé du sens pour me reprocher de trop insister sur ce qu’il entend par l’adjectival
‘’tout’’. En refusant la logique défensive qu’implique ma remarque, puisque mon tour de
parole E100 est ainsi construit, Chabane s’engage dans un discours d’affirmation bien qu’il
ne l’assume pas individuellement. En effet, il ne s’énonce en ‘’je’’ que pour l’obtention du
visa et dans le choix de la France comme pays d’accueil (C115). Il adopte le collectif
endogroupal arabe ‘’ nous’’ (C103) ou français «on» et «nous» (C105) ou son équivalent
‘’tous’’ (C105, C107, C109, C111) ou encore le pluriel ‘’Algériens’’ (C105) et «nas» (C109),
c’est à dire les ‘’gens’’ pour se dire et se dire faire partie du bloc de ceux qui sont, selon lui,
révoltés vis-à-vis des insinuations dans ma remarque E100. La véhémence avec laquelle il
interrompt mon tour de parole E100, lui-même soumis à celle du tour précédent de Chabane
(C99) et porte les traces de ma perturbation liée à ma prise de conscience des risques de
rupture dans l’échange du fait que je l’ai trop acculé, donne en effet à sa réplique l’aspect
d’une véritable révolte qui prend une forme discursive offensive pour devenir, après la pause
de l’interrogation à valeur de défi, l’unique réglage de sens que j’ai raté en E100 mais
qu’implique le sens de ma remarque. Oui, Chabane ne refuse pas seulement de se faire
prendre dans la défensive, voire l’auto-culpabilisation habituelle de locuteurs francophones
vis-à-vis du statut de langue de l’ancien colonisateur. Il accuse-réception du sens de mon
insinuation dans une reprise en écho à valeur à la fois collaborative et polémique. En
associant, en arabe, à l’unique mot arabe de ma remarque (E100) celui de «lougha», c'est-à-
dire ‘’la langue’’, il me défie de parler à visage découvert, c'est-à-dire sans détour. C’est
comme si dans mon propos résonne celui auquel il est habitué et auquel non seulement il
n’adhère pas, mais auquel il associe la tromperie et le mensonge qu’il reproche à «houma»,
c'est-à-dire ‘’eux’’, cette instance absente physiquement de l’échange mais qui prend part à la
co-construction du sens. Par cet aspect, la réplique de Chabane est un dialogue à distance avec
Smaïl, Omar et Marzouk dont le discours sur l’arabe est un condensé de dénonciations de
l’hypocrisie des défenseurs de la politique d’arabisation qui forment leurs enfants en français
et en anglais... Et c’est justement cet aspect de l’équation que Chabane mobilise dans le défi
qu’il me lance sous forme interrogative dans son ‘’ et alors ?’’ (C101, C103, C107) pour me
situer dans une logique d’altérité sans doute liée à mon statut d’enseignante de français en
dépit duquel, selon lui, je me donne le droit de lui reprocher son choix de la langue du
colonisateur français! Il me retourne donc le sens de mon propos presque sous forme d’une
dénonciation à la manière de Marzouk, Omar, Ouerdia, Smaïl… Il n’entendra même pas le
réajustement dialogale que je tente d’introduire en E102 en actualisant «c’est juste que». Il
m’interrompt une seconde fois, comme si depuis que j’ai insinué que le français est la langue
du colonisateur, je l’ai si profondément provoqué qu’il refuse de me céder la parole avant
d’avoir dit ce qu’il a sur le cœur. En effet, il ne semble pas avoir entendu mon propos E102,
occupé qu’il est à programmer du sens en continuité avec son tour de parole précédent
(C101). Dans sa nouvelle réplique, il met face à face deux camps: celui de ceux, parmi
lesquels il semble me mettre, qu’il désigne par «houma», c’est à dire ‘’eux’’ mais aussi leurs
enfants ainsi que le président algérien actuel (C111) et celui auquel il prend part et qu’il
désigne par l’endogroupal «hna», c'est-à-dire ‘’nous’’. Entre les deux, il y a une histoire de
ruse et de tromperie qui a trop duré. Selon Chabane, les premiers ont subtilisé le sentiment
nationaliste des seconds pour les éloigner de la pratique du français alors qu’eux-mêmes et,
surtout leurs enfants, en sont formés (C103). Détendu, Chabane ne produit dans ce tour de
parole aucun ratage et ses propos donnent l’impression d’être déjà programmés et prêts pour
être extériorisés au moment opportun. Sans hésitation, ni bégaiement ni prolongement
vocalique ou autre indice de l’action d’un à-dire sur son dire, il enchaine ripostes et attaques à
travers une parole à la fois dialogale, puisqu’elle m’est adressée, et dialogique/polyphonique.
En effet, il y met en discours, avec humour mais aussi une prise de position claire, les deux
projets de sociétés en cours dans le pays auquel renvoient, d’un côté, le français,
explicitement désigné par le praxème ‘’roumiyya’’ avec lequel ‘’eux’’ ont étudié ainsi que
leurs enfants, et, de l’autre côté, l’arabe non-dit mais auquel est associé le contraire du
Pharaon, c’est dire du mécréant, de l’injuste et celui qu’il ne faut pas suivre parce qu’il est
justement dans ce que le français comporte et enseigne. Ainsi, à travers moi, Chabane se livre
à un véritable réquisitoire contre ceux-là même qui font croire à lui et à ses semblables que le
français serait la langue de ce Pharaon, c'est-à-dire celle du pêché alors qu’eux-mêmes s’en
servent et en forment leurs enfants!
Il se saisit de mon éclat de rire en E104, signe de mon admiration de sa cascade verbale
sans la moindre perturbation, pour, d’un côté, confirmer dans la forme et dans le fond cette
cascade, puisque son tour de parole C105 ressemble aussi à du déjà préparé et donc à une
espèce d’‘’oralisation’’, ne comportant pas de ratage, et, de l’autre côté, pour enfoncer
davantage ce ‘’eux’’ dans le péché justement. En effet, par l’interjection «aw faqou!» (02
occurrences) Chabane désigne ‘’eux’’ comme à la fois des menteurs et des gens de mauvaise
foi de longue date. Mais des monteurs et des gens de mauvaise foi aujourd’hui démasqués
(C109) et en qui lui et ses semblables n’ont plus confiance. Parce qu’eux les ont exclus
(Chabane et se semblables) des bienfaits de l’Algérie qu’ils se sont accaparés tout en exigeant,
moralement du moins, de Chabane et de ses semblables de suivre une autre voie qu’eux
n’empruntent pas (C109). C’est donc un sentiment de déception, de tromperie très proche de
la trahison qui émerge de cette alternance de l’arabe et du français comme pour dire, à
l’encontre de mon français souvent peu ou pas mélangé à l’arabe, que la réalité langagière du
pays est plurilingue et que tout ce qui lui a été dit à propos du français comme langue du
colonisateur n’est plus pertinent. Selon lui, non seulement les auteurs de ce qui est attendu
derrière ce discours font le contraire, mais quand bien même le français est la langue du
colonisateur, cela relève du passé («hadi bakri», c'est-à-dire ‘’autrefois’’, C107) car, semble-t-
il signifier, actuellement même les tenants de ces propos partent en France (C107, C109). La
déception est si grande que Chabane ne voit plus aucun Algérien tenir à rester ici, en Algérie,
y compris celui qui est censé représenter la source et le garant de ces propos, c'est-à-dire le
président actuelle de la nation (C111). Comment pourrait-il alors ne pas prétendre à ce départ
d’autant plus qu’il aura, en tant que bachelier en langues étrangères, la possibilité de s’inscrire
en licence non pas d’anglais ou d’espagnol qu’il dit «aimer aussi» (C93) mais de français car,
selon lui, cela lui facilitera l’obtention du visa pour aller en France (C115, C117) et non pas
ailleurs comme il le dit clairement dans le même tour de parole?
6.2.2. «/avec ce diplôme ad nawi [on obtiendra] facilement l(e) visa/» (Farida51)
En présence de son amie Saliha qui prend part, de temps en temps, à l’échange, Farida
produit un discours fondé sur le rejet de l’arabe en faveur essentiellement du français mais
aussi de l’anglais dans une perspective de départ pour la France. Surélevé par rapport à ceux
respectivement attribué au français, à l’anglais et à l’allemand, le coefficient accordé à
l’arabe, pour un baccalauréat intitulé Langues étrangères, fait l’objet d’éclats de rire (F17,
F19) au moyen desquels les deux amies soulèvent l’incohérence entre cet intitulé et le fait que
ce coefficient encourage les candidats à travailler plutôt l’arabe beaucoup plus que ces
langues étrangères (F21, F23, F25, S27, F29). Si bien que, dans son tour de parole F31, Farida
affirme que cet intitulé est trompeur puisqu’en réalité c’est à la langue nationale, l’arabe,
qu’est accordée la plus grande importance, rappelant les propos de Hind, Marzouk, d’Ouerida
et d’Ibtissem pour qui ce coefficient signifie aussi que l’arabe serait la plus étrangère des
langues enseignées dans le cadre de ce baccalauréat!
Malgré sa double négation «/non non/» en ouverture à son tour de parole F39, la nuance
interlocutive que Farida y introduit renforce davantage le statut de langue pour partir, qu’elle
attribue au français sans qu’elle n’apporte d’éléments explicites de désambigüisation que je
lui demande en rapport avec son propos de F37. En fait, comme le mentionnent les deux
barres obliques en clôture à son tour de parole, Farida m’invite à reprendre la parole en se
contentant d’infirmer mon hypothèse de E38 qui est au fond un étonnement. Mais en y
glissant aussi des éléments de sens implicite à la fois en appui à ses propos précédents (F37)
et en ma direction, elle me laisse la responsabilité de déduire qu’elle est pressée de partir,
comme elle le dit en F37, bien que cela relève de l’impossible comme elle le précise, à deux
reprises, dans ce même tour de parole pourtant très court! En me faisant comprendre que pour
elle c’est presqu’un désespoir que le départ en France, une fois le baccalauréat obtenu, est
impossible, elle réaffirme son propos F37, sans que cela n’implique explicitement le statut de
langue de départ qu’elle attribue au français, puisque rien n’indique, dans la matérialité
verbale de sa réponse, ce statut que ma requête cible pourtant, l’essentiel étant pour elle le
départ… Déstabilisée par sa prouesse mais consciente de l’enjeu dialogal de lui apprendre la
possibilité de s’inscrire ailleurs avec le baccalauréat algérien, je tente de la relancer selon cette
impossibilité qu’elle vient d’affirmer en lui demandant la solution de rechange qu’elle aurait
prévue (E40). Ce qu’elle ne comprend pas, dans un premier temps, puisqu’elle me renvoie la
question (F41) avant de se décider, en F43, à produire un discours d’explication qu’elle aurait
pu ou dû produire en F39 car son contenu est à la fois une réponse à mon étonnement E38 et
une suite logique à son discours de F37. Ainsi, elle confirme l’idée d’un plan d’action qu’elle
a en tête. Un plan qui consiste à obtenir le baccalauréat en Langues étrangères en vue de
s’inscrire en licence de français moins pour des études de français à l’université que pour se
servir de ce diplôme comme un moyen afin d’atteindre l’objectif qu’elle dit avoir «depuis
longtemps» (F37): «partir en France»! (F37) Voulant confirmer ou nuancer cette idée, je
produis un tour de parole (E44) d’apparence interrogatif mais de fond de reproche et qu’elle
signifie avoir saisi comme tel au moyen d’un sourire en ouverture à son tour de parole F45
révélant ce qu’elle pense du statut du français ici, en Algérie:
E44 /safi mačči tarumit kan i tavγid?//[donc ce n’est pas le français que tu veux?]
F45/[sourire] /si mais dacu ara xadmaγ yis dagi? ulac/ maqqar ad ruha-γ/
[si mais qu’est-ce je vais faire avec ici? rien/ au moins je vais partir]
S46 /comme tout le monde//
E47 /comment ça comme tout l(e) monde?
F48/[rire] bien sûr tout le monde fait euh euh/ oui on fait français pour partir/
c’est clair non?/
E49 /ce n’est pas le diplôme qui vous intéresse donc?/
S50 /Si mais euh:: mais euh si c’est pour euh c’est pour partir avec###
F51 /avec ce diplôme ad nawi [on obtiendra] facilement le visa/
E52/c’est donc pour ça que vous voulez obtenir une licence de français//
F+S63 (rire et échange de regards complices)
Déstabilisée à la fois par les répliques sans ambiguïté de Saliha (S46, S51, S63), qui veut
s’inscrire en licence d’anglais, et par la complicité des deux amies, particulièrement dans leur
tour S63 et F63, je tente de les relancer en m’adressant implicitement à Saliha en E64. Mais
c’est Farida (F65) qui répond la première avant que Saliha (S66) ne vienne immédiatement
confirmer son propos qu’elle appuie avec un autre argument pour signifier qu’elle aussi veut
partir en France et non pas dans un pays anglophone auquel, selon mon propos E55, le
prédisposerait un diplôme d’anglais:
C’est donc à partir de son tour de parole H80 que le français prend, au fil des tours de
parole suivants, la forme de moyen pour partir en France.
H87/mais mi sεigh l diploma/ akhatar euh c’est pour l(e) visa bien sûr/ yernou
bachi euh/ ihih i la carte d(e) séjour//
[/mais quand j’aurai le diplôme/ parce que euh c’est le visa bien sûr/ en plus
pour euh/ oui oui pour la carte de séjour/]
Malha est si acquise au projet de sa fille que dans les séquences interlocutives autour
des notes exigées des candidats aux études universitaires de français, elle se révèle
insistante (M122) et montre des signes de soucis en rapports avec ce projet (M117,
M124). Mes propos (E114, E116, E119, E121) liés aux conditions pédagogiques
d’inscription en licence de français comporteraient des indications à la fois inattendues
et surtout défavorables à la concrétisation dudit projet.
A la différence, les propos de Hind dégagent une certaine sérénité qui montre qu’elle
connait le sujet et accepte aussi bien la compétition (H145, H147), comme le montrent
ses éclats de rire dans ses tours de parole H133, H147 et H152, que la sélection (H141,
H156) qu’implique le nombre grandissant (H133, H135) de candidats à l’émigration par
le biais de l’université, c'est-à-dire qui se servent du diplôme de français pour obtenir le
visa. En tout cas, cette sérénité se profile derrière l’actualisation redondante du praxème
«normal» dont le réglage de sens atteste de son accord avec les autorités françaises de
durcir les conditions de l’octroi du visa d’entrée sur le territoire français en exigeant des
candidats notamment un bon niveau en langue française. Sans doute parce que cela
pourrait l’arranger, elle qui veut de toutes les façons s’inscrire en licence en français à
cet effet justement.
H133/ih[oui]/ mais normal/ normal parce que dighan [en plus] euh :: ih
[oui]normal normal/ tout l(e) monde vghan euh vghan frança [veut le
France]//[rire]
E134/ yah!// [ah bon !]
H135/ bsif/ bsif [c’est une obligation] l(e) français/ normal/ normal puisqu’ils ils
euh ils veulent tous partir// même pas euh ils veulent tous/ donc normal//
E136/ normal de partir ?/ c’est ça ?/
H137/ NON/ enf-oui/ c’est pas ça//
M138/ tamourt isnajlan arawis [le pays qui chasse ses enfants]// [en haussant les
épaules et balançant la tête de gauche à droite]
H139/ c’est pas ça// c’est pas ça que je veux dire/ c’est pas ça//
E140/euh ###
H141/moi euh moi euh ::/ j(e) pense que euh/ oui normal/ comment alors/
comment faire/ amek [comment]? normal la sélection// en plus la sélection
de toute façon ilaq [il en faut]/ ilaq [il en faut] puisque le niveau et tout//
E142/ah oui !/
H143/i d’ailleurs puisque du moment que euh vghan ad rouhan ar frança [ils
veulent partir en France] donc normal/ normal ilaq [il faut] un bon
français###
E144/comme toi einh/en plus ###
H145/oui c’est la concurrence alors//
E146/euh on va dire euh on va dire compétition oui compétition//
H147/ oui compétition// compétition/ compétition ar l [pour le ] visa [éclat de
rire]/
Inutile d’insister sur l’élision systématique du présentatif «c’est» qui précède le nominal
«normal» pour donner «c’est normal». Une élision remarquable dans les pratiques langagières
orales des jeunes générations y compris quand la langue principale de l’échange est l’arabe ou
le kabyle. Tout se passe comme si, par tendance au moindre effort ou par imitation des
habitudes langagières d’autrui, le présentatif «c’est» n’est pas nécessaire pour signifier, ‘’c’est
évident’’, ‘’cela ne peut pas être autrement’’, ou encore, ‘’c’est logique’’, ‘’c’est une
conséquence inévitable qui découle d’une relation de cause à effet’’… Tel est aussi le réglage
de sens qu’en extériorise Hind qui le répète plusieurs fois comme pour dire que la maitrise du
français en tant que critère à la base de la sélection, c'est-à-dire comme un principe, ne relève
pas de l’exclusion arbitraire aux frontières de ce que la doxa appelle ‘’la hogra’’, comme
semble l’impliquer la plainte de sa mère en M138 et à qui Hind réplique avec véhémence
d’ailleurs immédiatement (H139). Pourtant, le régalage de sens qu’elle donne de ce praxème
n’est pas spécialement celui d’élimination pour carence, c'est-à-dire pour non satisfaction
d’un critère: la maitrise du français. En associant ce critère à celui du nombre grandissant de
candidats à l’émigration (H133, H135, H143), Hind l’assimile à l’idée d’une course qu’elle
explicite tout de suite après (H145) dans l’actualisation approbative du praxème
«concurrence» qu’elle fait suivre du parapraxème «alors» comme pour dire que ‘’cela ne peut
en être autrement’’, mais aussi pour sous-entendre l’idée du classement des candidats et donc
celle du quota. C’est pourquoi elle adopte immédiatement (H147) ma proposition de
substituer à son praxème de «concurrence» celui de «compétition» (E146) en l’ajustant à son
projet de sens, qui est en fait lié à son projet de départ. En effet, elle précise qu’il s’agit d’une
compétition non pas pour la maitrise du français dans l’absolu mais dans la perspective du
visa. Un ajustement qu’elle clôt en éclat de rire dont le sens me paraît fonctionner comme un
rappel de son choix de s’inscrire en licence de français pour justement se préparer à cette
compétition et ainsi arriver parmi les premiers.
N’est-ce pas cette idée liée à l’impossibilité d’obtenir un visa en dehors des études qui
motiverait Hind à opter pour la licence de français? En effet, contrairement à ses
affirmations ultérieures à mes informations relatives aux critères pédagogiques
d’inscription en licence de français, elle ne semble pas avoir des prédispositions à fournir
des efforts pour maitriser le français (H35, H51) comme elle le signifie dans ses
commentaires sur le français de son père qui parait pourtant être sa principale référence; un
français qu’elle juge d’un «niveau fort» (H43) , «très haut» (H39) reprochant à son père
le refus de le mélanger à l’arabe et/ou au kabyle (H41, H49, M50).
F37/[…] hamlagh l[j’aime le] français euh :: les langues// hamlagh l [j’aime le ]
français yarnou yarnou [de plus de plus] après euh :: mid bwigh diplôme
inou ad rouhagh [quand j’aurai mon diplôme, je partirai]/ [sourire suivi d’un
léger rire]/ ad rouhagh lhih/ [je partirai là-bas]
F38/ sani lhih [où là-bas?]?/
F39/ frança [en France] euh :: negh abaâdh n les pays n l’Europe [ou un autre
pays de l’Europe]/
E40/achoughar ? [pourquoi?]/
F41/ achoughar ar l’Europe ?[pourquoi l’Europe ?] /
E42/ non/ achoughar ithevgidh at rouhedh?[pourquoi veux-tu partir?] /
F43/ euh:: je pense euh : y a pas d’avenir dans ce pays/
E44/ mais tu veux suivre des études en langue arabe/ comment penses-tu t’établir
en Europe si euh : si euh ::/
F45/c’est pas un problème/ matchi alama s [ce n’est pas qu’avec] l(e) français
ara rouhagh [que je partirai]non ?/ y a des gens euh :: ils ont un diplôme de
droit eu :: de lettres arabes euh :: ouyerna athnad dihin [en plus ils sont là-
bas]/ alors pourquoi pas moi/khas [même avec la] philo je peux partir/ s’il
faut euh après advedlagh akw [je referai entièrement] la formation dina [là-
bas]/ ih [oui]/ l’essentiel ad rouhagh [est que je parte]/
F101/ lghachi zran thoura belli l français iwaken ken atrouhad ar França/ mais
laqraya la science et tout//
/les gens savent maintenant que le français c’est juste pour partir en France/
mais la connaissance la science et tout//
6.3.2. «/je vais avoir plus de chance akken ad rouhagh ar lkharedj/ [pour partir à
l’étranger]/» (Smail173)
En dépit de l’humour que manifeste ce candidat au baccalauréat, série Lettres et
philosophie, ses propos traduisent un sentiment de désespoir et de perte de confiance (S33,
S67, S71, S75, S77, S153, S157) en l’école algérienne. C’est pourquoi il cherche des
possibilités pour partir ailleurs. Ainsi, le français est, selon ses dires, un de ces moyens bien
qu’il dit qu’il ne le maitrise pas.
Smail, qui s’estime fort en philosophie se dit condamné à suivre des études universitaires
en arabe, bien qu’il juge cette formation, plusieurs fois, de «’’mensongères’’ («d akellakh»)
notamment dans ses tours de parole S19, S21, S25, S67, S77, S157, ainsi que je le montre
dans le chapitre qui comporte les analyses des discours où le français est mis face aux langues
nationales. C’est à partir du tour de parole S93, quand je lui apprends en E92 que le
baccalauréat qu’il prépare pourrait lui permettre de poursuivre des études universitaires de
français moyennant une bonne note aussi bien au baccalauréat qu’en français (au bac), qu’il
entreprend de m’interroger sur ses chances d’accéder à la licence de français. Dès lors, la
focalisation sur ce sujet prend l’allure de véritable obsession (S171) au discours porteur de
traces d’une surévaluation du français. Ce qui indique par la même occasion son désir d’en
faire sa filière de spécialité à l’université.
E158/ achoughar ihi i thavghidh [pourquoi alors veux-tu] l(e) français di [à]
l’université?/
S159/ am dinigh essah[je vais te dire la vérité]/ am dinigh essah[je vais te dire la
vérité]/ hamlagh [j’aime]l(e) français/ c’est vrai et tout/ hamlagh
[j’aime]l(e) français//
E160/ ihi [et alors]?/
S161/ mais am dinigh essah[je vais te dire la vérité]/ essah vghigh ad rouhagh [la
vérité est que je veux partir]//
E162/ anda [où]?/
S163/ ar frança [en France] bien sûr//
Son programme de sens S157 est inachevée. Smail y tait la vraie raison à l’origine du
choix du français; la raison qu’il révélera dans son tour de parole suivant (S159) en réponse à
mon insistance (E158). En réitérant, en S157, «am d inigh essah », qui veut dire ‘’je vais te
dire la vérité’’, il produit un discours de temporisation. Tout de suite après, il se contente de
l’affirmation générale ‘’j’aime le français’’ sans apporter de détails qui pourraient relever du
secret qu’implique sa double promesse en ouverture à son tour de parole. L’actualisation de
l’adverbial «tout» montre qu’il s’apprête à me révéler un secret. Mais ce secret persiste et sa
tournure «c’est vrai et tout » laisse sa réponse suspendue. C’est dans le tour de parole suivant
S159 qu’il extériorise son dire refoulé jusque-là: se servir du français (S157) pour partir
(S159) en France (S161). Et quand je lui signifie que ce départ est irréalisable du moment
qu’il n’est même pas bachelier, Smail dévoile un programme en étapes rappelant par cet
aspect le projet de départ des autres interviewés qui voient dans la langue française, c’est à
dire le diplôme de français, un atout pour l’obtention du visa d’entrée sur le territoire
français.
E164/ mais amek ar trouhadh ar França mazal même pas our debwidh ara l bac?/
[/mais comment partirais-tu en France alors que tu n’as même obtenu le bac?]
S165/ NON/ matchi thoura [c’est pas maintenant]/ matchi thoura [c’est pas
maintenant]/ après après//
E166/ après l(e) bac?/
S167/ après euh :: après m id bwigh [quand j’aurai] l(e) diplôme/ l(e) diplôme/
E168/ quel diplôme?/
S169/ français bien sûr/ mais mais zrigh [je sais] c’est (e n’est) pas facile/ zrigh
[je sais]//
E170/ qu’est-ce qui n’est pas facile?/
S171/ zrigh ouryid tssih ara l(e) français ghas bwighd l (e) bac/ zrigh//
[/je sais que que je ne serai pas reçu en français meme si j’obtiens le bac/ je
sais/]
E172//
S173/je vais avoir plus de chance akken ad rouhagh ar lkharedj/ [pour partir à
l’étranger]/»
C’est donc un départ programmé. Smail ne compte pas l’entreprendre après son succès au
baccalauréat mais à l’issue de son diplôme universitaire qu’il veut être «de français». En
effet, il sait que les chances d’obtenir le visa sont plus sûres que ne le permet le diplôme du
baccalauréat d’autant plus que le sien sera non pas de langue étrangères mais de lettres et
philosophie, c'est-à-dire en arabe.
E180/ tu sais euh : tu peux partir où tu veux et quand tu veux/ pas spécialement en
ayant un diplôme de français/
S181/ ah si ::/avoir un diplôme euh ::licence de français je pense que ::/ je pense
que ::/ je pense que j’ai plus de chance non ?/ pour demander un visa
d’études/ je pense que c’est plus facile akken aythidakordin[pour qu’on me
l’accorde]/ euh :: français negh [ou] euh :: anglais/ l’essentiel euh :: les
langues étrangères/
E96/ pourtant s l’arabe ik ishal puisque tasεidh [[en arabe c’est plus facile pour
toi puisque tu en as] la base###
L97/ ala::! ala ala ala! Asendjagh dagi la base ni achki arasnasragh18 [Non::!
Non non non/ je leur laisserai ici cette base là quand je serai filé (ailleurs)]//
18
Senser: se délivrer. Ici, le sens est se délivrer pour s’enfuir ailleurs. D’où, l’idée de filer…
E98/ mais l (e) français ça va être difficile puisqu’our tasεidh ara la base [puisque
tu n’en pas la base]//
L99/khas [malgré]/ khas [malgré]/ mais au moins s [avec] l (e) français yella [il y
a] l’espoir anesenser i tmourta [de me délivrer de ce pays]// mais s [avec]
l’ARABE/// de toutes les façons l’arabe c’est pas une langue de sciences//
En dépit de ma discrétion, à l’initiale de mon tour de parole E96, dans la remise en cause
de son choix qui n’est pas l’arabe, la langue de sa scolarité jusqu’ici, mais le français comme
langue des études à l’université dont il dit plusieurs fois, dans l’échange, ne pas avoir une
bonne maitrise (L3, L7, L13, L15, L17, L25) et qui ressort de toutes les façons de ses
performances puisqu’il ne s’exprime en français que dans de courtes séquences comme en
L17, L23, L51, L53 et L105, Lotfi réagit avec beaucoup d’énergie. D’abord, en
m’interrompant, comme s’il ne veut pas entendre la suite de ma logique, probablement parce
qu’il anticipe sur mon programme de sens. Ensuite, en allongeant sa première interjection à
valeur aussi négative qu’elle vient en interruption de mon tour de parole, comme pour me dire
au moyen même de ce prolongement vocalique que je fais fausse route et qu’il ne sert à rien
de continuer. Enfin, en répétant en rafale trois fois le praxème de négation ‘’non’’. Sans
observer de pause, il enchaine tout de suite après comme pour ne pas perdre le fil de notre
discours. Celui-ci concerne la base qu’il est censé avoir acquise en arabe et que je lui présente
comme étant la raison pour laquelle il aurait tout à gagner en optant en faveur de cette langue
pour ses études universitaires. Mais plutôt que d’adopter la relation dialogale à laquelle je
l’invite, ne serait-ce que par l’actualisation du phatique «tu» et du possessif correspondant
aussi bien dans ce tour de parole que dans le suivant (E98), il choisit le dialogique en
convoquant cette instance énonciative physiquement absente qui est «eux». A cette instance, il
dit être prêt à lui ‘’laisser’’ cette base-là sur laquelle repose mon «pourtant» (E96). Ce qui
signifie qu’il ne conteste pas cette base. Cependant, il y voit moins l’utilité que la difficulté,
particulièrement dans la concrétisation de son projet: ‘’se délivrer de ce pays’’ (L99) que
dirige ce ‘’eux’’. Par conséquent, ce n’est pas par rapport aux études universitaires qu’il
choisit le français comme langue, mais d’abord pour son projet de départ, ainsi qu’il formule
cela sans ambiguïté dans son tour de parole L165. Ainsi, il associe au français «l’espoir»:
celui de partir vers cet Ailleurs impossible en arabe dont il me laisse le soin de deviner, dans
la tonalité ascendante de la réalisation phonique du praxème ‘’L’ARABE’’, l’immensité du
négatif qu’il y voit car cette langue le condamne à rester ici, dans son pays. C’est en se
rendant compte, au cours du temps écoulé durant la très longue pause que rendent les trois
barres obliques, de ce glissement de sens et d’objet d’échange (passant des études ou départ),
qu’il amorce un retour à l’objet de mes programmes interrogatifs précédents liés aux études
universitaires et qu’il fait reconnaître au français en actualisant, bien que négativement, le
praxème «sciences» tout en restant dans la même logique de rejet de l’arabe que j’ai montrée
dans le chapitre réservé au français mis face aux langues nationales dans les discours
recueillis.
L149/ normalement mi id nebadh ar l bac ilaq ansafag matchi kan l(e) français d
l’anglais/ ilaq oula d l’allemand le japonais/ en plus thoura ternad la
Chine//
[Normalement comme on est arrivé au bac on doit exceller non pas
uniquement en français et en anglais/ il faut aussi l’allemand le japonais/ en
plus maintenant il y a aussi la Chine//]
E150/ et donc ?/
L151/ et donc kan hna ou rah// [/et bien il était ici et hop ! il est parti !/]
E152/ yah! déjà?/ [/ah bon ! déjà !]
L153/ a loukan oufigh aqli rouhagh// [si j’avais la possibilité je serais déjà parti/]
E154/ sani?[où ?]
L155/ la France bien sûr/ negh [ou] n’importe euh partout l’essentiel an rouh [est
de partir]//
E156/ Même anda nidhan am Masar ### [même ailleurs comme l’Egypte###]
L157/ alaaa! Masar [l’Egypte]? jamais//
Sa reprise en écho en L151 de mon propos (E150) à valeur interrogative à la fois vis-à-vis
du dialogisme intralocutif qu’il établit avec ses propos de L147, où il n’admet aucune
scientificité à la langue arabe, et vis-à-vis des implications de la pluralité de langues dont il dit
lui-même ne pas disposer, est une véritable volte-face conversationnelle. Elle n’est ni
collaborative/co-constructive ni polémique. Lotfi produit un sens en rupture totale avec notre
fil du discours. Il me renvoie ainsi à des dizaines de tours de parole antérieurs (L97, L99) où il
est question de la nécessité pour lui de maitriser le français moins pour les études
universitaires que pour partir. Une nécessité que j’ai qualifiée, dans le chapitre où j’analyse la
mise en discursivité des représentations du français par rapport à l’arabe et au kabyle, de
frustration de mon partenaire de l’échange. En effet, partir parait être, en tous les cas, à partir
de ce tour de parole, l’unique sujet de l’entretien si bien que lorsque, supposant Lotfi là-bas, je
lui demande comment il se prendra, compte –tenu de son modeste niveau de français, celui-ci
ne semble pas se soucier (L187) d’autant plus que pour lui s’il obtient le visa cela implique sa
réussite, car là-bas ‘‘tout est facile’’ (L189). Par la même logique, en convoquant la tournure
populaire «kan hna ou rah» (c'est-à-dire qu’’’il était ici et hop ! il est parti !’’/), il fait
entendre plus que la voix de la doxa mais aussi la prédisposition de celle-ci, comme lui, à
quitter le pays à tout instant. Une prédisposition qu’il aurait aimé avoir déjà concrétisée
(L153) mais pas à n’importe quelle destination en dépit de sa déclaration de L155 («partout
l’essentiel ‘’est de partir’’») car la maitrise de la langue pour cela n’a pas la même
signification ni la même valeur. En effet, la maitrise de l’arabe n’implique pas le départ pour
l’Egypte, par exemple, qui, faut-il le préciser, venait de connaitre sa révolution contre la
dictature de Moubarek, au moment de l’échange (mars 2011). Et la véhémence aussi bien
dans le prolongement vocalique de la négation à l’initiale de son tour de parole L157 que dans
l’actualisation du praxème «jamais» en réaction à ma supposition d’un éventuel départ pour
l’Egypte (E156), compte tenu de sa formation en arabe (E158), indiquent clairement que Lotfi
ne met pas du tout sur un pied d’égalité la valeur de voyage du français et celle de l’arabe. A
celui-ci, Lotfi n’accorde rien. Alors qu’à celui-là il attribue toutes les fonctions et
particulièrement celle de voyage. Et pas seulement en France, mais aussi en Espagne en Italie
(L159) sans ignorer que le français n’y est pas parlé. Sait-il que son entrée dans ces pays-là
est un pas pour rejoindre la France comme les autres (L161) dont la pratique du français avant
de s’y installer serait comme la sienne?
E158/ anada ihi [où alors]? Puisque s l’arabe i thaghridh [puisque c’est en arabe
que tu as étudié]
L159/ ar l’Espagne l’Italie/ ar França bien sûr// c’est sûr ar França/ ih ça c’est
sûr ar França///
E160/ ar França ?
L161/ ih am wiyidh/ am euh yarnou puisque bien sûr illa l(e) français snagh
chwiya kadalik// akka///
[/ oui comme les autres/ comme euh en plus puisque bien sûr il y a le
français je connais un peu en plus// c’est comme ça/]
E162/ mais tazrid bli### [Mais tu sais que ###]
L163/ c’est pour ça ig laq atas n l français/ ah oui/ ilaq ghas aka yaâni s nagh
chwiya/ mais ilaq atas//
[/ c’est pour ça qu’il faut beaucoup de français/ ah oui/ il faut même si en fait
je connais un peu/mais il en faut beaucoup//]
E164/ ah oui/ pour l’université?//
L165/ non/ oui bien sûr i l’univeristé aken id nigh lina/mais mais mais même
oubâad// oubaâd/ oubâa dihin// ça c’est sûr/
[/non/oui bien sûr pour l’université comme je l’ai dit tout à l’heure/ mais
mais même pour après// pour après/ pour là-bas// ça c’est sûr/]
Entrainée dans sa logique argumentaire liée à la nécessité pour lui de maitriser le français
dans l’unique but est de partir, essentiellement en France, je tente en E162 d’initier les
éventuelles difficultés qu’il pourrait rencontrer là-bas en raison de son niveau de français, que
je ne dis pas dans ce tour de parole, mais que j’évoquais discrètement dans mon tour
précédent (E158) en liant sa formation en arabe à un éventuel départ dans un pays arabe
(l’Egypte). Dans un dialogisme anticipatif, il me dédouble, m’interrompt, comme s’il craint
de m’entendre parler encore une fois de l’arabe. Il produit un sens selon la logique
introductive de mon propos mais dans laquelle il fait vite pour préciser qu’il s’agit bien du
français en insistant sur la nécessité de maitriser cette langue. Mais l’ambiguïté de son «ilaq
[il faut] beaucoup de français» me fait réagir de manière si inattendue (E164) qu’il est
déstabilisé dans sa certitude (L165), car pour moi la maitrise du français concernerait ses
futures études universitaires. En réalité, ma question en E164 est un piège dont il se rend
compte tardivement comme l’indique son hésitation initiale entre la négation et l’affirmation;
car même si pour lui, le projet est le départ, cela n’exclut pas en effet ce départ après les
études universitaires… de français.
A la relecture de l’échange, Lotfi ne me parait intéressé par les études de français et même
du français que pour s’en servir d’abord et avant tout comme un moyen d’obtention du visa.
Sa projection dans un avenir en France est si peu réfléchie en ce qui concerne la pratique de
la langue qu’il ne me semble pas s’en soucier. Il lie en fait cette pratique, non pas à un
minimum d’exigence pour évoluer ‘’là-bas’’, mais à cette exigence imposée pour obtenir le
visa. A aucun moment de l’échange, il n’actualise le moindre praxème à propos du français
dont il aura besoin une fois ‘’là-bas’’, comme si ce besoin se limite à la demande du visa. En
dépit de la formulation explicite de ma demande à ce sujet, Lotfi lie tout à l’obtention du visa
ainsi qu’il le souligne, sans la moindre ambiguïté, dans la suite de l’échange, en général, mais
particulièrement dans ses tours de parole L177, L179 et L185:
E166/ amek dihin?/ amek?/[comment ça pour là-bas? comment ?/]
L167/ i:: Sarkozy et tout/ ah oui ilaq [il faut] l(e) français normal// normal
moulach dagi kan [sinon ce sera ici uniquement]//
E168/ yah// [ah bon !]
L169/ ah oui/ moulach oulach l visa oulach walou// [/ah oui/ sinon pas de visa ni
rien du tout]
E170/ amek l visa?/ ourfimagh ara/ l(e) visa?/[comment ça le visa?/ je n’ai pas
compris/ le visa ?/]
L171/ i :: thoura ilaq euh bien sûr moulach ouradatsakenara l(e)visa/ ilaq le
français moulach oulach l visa/ d’ailleurs thoura khadmand l test l français/
l test l français auqval// adzran qaval euh qaval niveau l français inek//
[/i :: maintenant il faut euh bien sûr sinon on ne donnera pas le visa/il faut le
français sinon pas de visa/ d’ailleurs maintenant on soumet [les demandeurs
de visa, ndlr] au test de français/ le test de français d’abord// ils veulent
d’abord connaitre ton niveau de français//]
E172/ sinon?/
L173/ amek sinon?/ [comment sinon ?]
E174/ euh::/ c'est-à-dire euh magla[si] euh magla [si]###
L175/ oulach l visa/ rayyah dagi !// [/pas de visa/reste ici !//]
E176/ ah oui/ c’est normal non?/
L177/ bien sûr/ bien sûr même c’est euh c’est pour ça euh c’est pour ça ilaq l [il
faut le] français ilaq [il faut]//
E178/ c’est pour cela que tu insistais tout à l’heure pour parler euh pour pour
pratiquer le français###
L179/ i bien sûr/ bien sûr/ il faut il faut//
E180/ ma oulach oulach l bac oulach ### [sinon pas de bac pas###]
L181/ ih oulach l visa oui// [oui pas de visa oui//]
En évoquant, dans son tour de parole L167, le nom de Sarkozy, Lotfi règle un sens flou
pour une réponse à une requête de désambigüisation des trois occurrences successives du
praxème ‘’après’’ dans son programme de sens précédent (L165). Un programme de sens
qu’il a, de surcroit, nettement distingué par les trois occurrences également successives du
grammatical d’opposition «mais», comme pour minimiser l’importance du sens lié à son
«oui» (L165) et ne retenir, au final, que ce qu’implique son «non» en ouverture à ce même
tour: le français est moins pour les études universitaires que pour ‘’là-bas’’. Cependant, dans
ce tour de parole L167 et dans la suite de l’échange, il ne confirme pas l’importance du
français une fois ‘’là-bas’’ que je lui demande pourtant d’expliciter. Le second programme de
sens, c’est à dire après la pause plus au moins longue que marquent les deux barres obliques,
relativise pour ne pas dire remet en cause le premier dans lequel l’évocation de «Sarkozy et
tout» semble renvoyer à l’exigence de la pratique du français à l’intérieur de l’hexagone que
Lotfi trouve «normale». En effet, en renvoyant à «dagui», c'est-à-dire ici dans son pays, le
second «normal» concerne plutôt le visa. Ainsi, par ce second réglage de sens du praxème
«normal», Lotfi confirme davantage que son souci premier est l’obtention du visa. Il ne se
soucie pas de là-bas’’. Une nuance qu’il réaffirme en réponse à mon interjection E168. En
effet, à l’actualisation du praxème «visa», dans son tour de parole L169, succède celui de
«oualou», c’est dire ‘’rien du tout’’, comme si Lotfi traduit avec ses termes la politique
migratoire de N. Sarkozy et qui consiste à maintenir les candidats chez eux en faisant de la
maitrise du français un des critères de l’émigration choisie. Une opinion qui émerge
clairement dans le fonctionnement discursif des praxèmes kabyles ‘’maintenant’’ (deux
occurrences) et ‘’d’abord’’’ (trois occurrences) qui portent l’idée de rupture avec un passé
non-dit et pendant lequel la maitrise du français n’était pas un critère de sélection. Une
sélection au moyen du test de langue que pratiquent ‘’ils’’ (L171), les partisans de «Sarkozy et
tout» (L167), pour connaitre le niveau de français du candidat sans quoi ‘’pas de visa’’
(L175). Ce qui est synonyme de ‘’reste ici!’’ à qui le mode impératif de l’énonciation donne
un caractère si ferme que Lotfi donne l’impression de rendre par-là en exagérant un des
reproches que la gauche fait à Sarkozy: son autoritarisme en tant que Ministre de l’intérieur
face aux émeutes dans les banlieues en 2005 et son omni-présidence à l’Elysée. Mais
curieusement, Lotfi ne s’oppose pas à cette fermeté. Il l’approuve en la déclarant normale et
en exigeant (de?) lui aussi la maitrise du français (L177) qu’il n’a pas. C’est sans doute pour
se montrer respectueux des lois de la République en bon candidat et comme pour faire
entendre encore une fois la voix de l’autorité de … «Sarkozy et tout» (L167)! Ce qu’il
confirme en L79 en réitérant à deux reprises cette réaffirmation sous forme de condition sine
qua none et en L181 dans l’enchainement dialogique en interrompant mon programme de
sens E180 pour refuser de limiter la maitrise du français à l’obtention du baccalauréat. Ainsi il
y substitue à mon praxème «bac» (E180) celui de «visa» (L181) qu’il précède et suit de
l’approbatif «oui» d’abord en kabyle, probablement parce que ma réplique précédente est en
cette langue (E180), ensuite en français comme si en usant des deux langues il s’accorde
toutes les chances de me faire comprendre son insistance. Ce qu’il réussit si bien puisqu’à
partir de ce tour, moi aussi, je me focalise sur le visa auquel Lotfi rapporte tout ce qui a trait
au français en vue, justement, de réussir ce test (L185) car, selon lui, une fois ‘’ là-bas’’ ‘’
tout est facile’’ (L187, L189):
6.5. Une élève inscrite en Gestion et économie: «/Peut être un jour je vais m’installer
là-bas/» (Lydia61)
Lydia produit un discours de rejet de l’arabe qu’elle qualifie plusieurs fois de ‘’médiocre’’
(L31, L33, L35, L37, L41, L45, L53, L57, L59, L61, L119, L121) comparé aux langues
étrangères, en général, et au français ainsi qu’à l’anglais, en particulier. Par cette précision,
Lydia préfère discourir autour de ces deux langues (L35). Elle réussit ainsi à m’entraîner
dans son choix. Je suis, en effet, son orientation en l’interrogeant sur ce qu’elle pense
justement du français:
Lydia considère le français comme une langue d’avenir. Interrogée sur la sémantique de ce
praxème, elle reprend en écho le marqueur dialogique «c'est-à-dire» suivi d’une longue
hésitation, pour signifier les mérites de cette langue, à savoir voyager, s’informer, se cultiver.
Cette attitude favorable à l’égard du français s’élucide également quand Lydia se plaint de
vivre ‘’ici’’, où « l’arabe ‘’est proclamé’’ langue nationale » (L61), préférant Ailleurs « en
France par exemple » (L65).
Le choix de ce pays est lié, selon ses dires en L67, à son attachement au français et par le
désir de se spécialiser dans les études de cette langue. En réponse à ma question sur les
raisons de son choix, Lydia entame sa réplique L69 par le praxème essentialisant «akken»,
qui veut dire ‘’comme ça’’, et règle un sens triplement flou. Soit pour signifier que cela est si
évident, au moins pour elle, que ma question ne valait pas la peine d’être posée. Soit pour
temporiser et gagner du temps pour programmer ses dires ou, encore, pour me reprocher ma
curiosité. Toutefois, en se rendant compte de ce flou que j’exprime par le silence en
m’abstenant de reprendre la parole qu’elle me cède juste après ce praxème, ainsi que le
montrent les trois barres obliques, elle enchaine en L69 un programme de confirmation et
d’explicitation du sens extériorisé en L67 exactement avec la même logique chronologique
qu’elle clôt en riant comme pour nuancer son propos et éviter une nouvelle interrogation: son
amour du français appelle son désir de le maitriser ‘’comme les Français ou probablement
mieux qu’eux’’ (L69). Ayant perçu dans son rire une certaine volonté de dissimuler une autre
raison, celle à laquelle me font penser ses propos en L61, L63 et surtout L65, je la relance à la
fois pour la mettre devant son propre discours et pour introduire une nuance à vocation de la
faire parler davantage des motivations qui animeraient son choix du français comme filière
d’études universitaires. Le réglage du sens que j’actualise aussi bien dans la conjonction de
coordination à valeur conclusive (donc) que dans le comparatif «beaucoup plus», suggérant
d’autres raisons en plus de celle que Lydia a avancée, ne lui a pas échappé et parait lui offrir
une occasion pour extérioriser un autre sens qu’elle a, en effet, initié dans ses tours de paroles
précédents (L61, L63, L67). Une occasion dont elle se saisit en même temps pour confirmer
sa volonté d’aller à l’université pour acquérir une meilleure maitrise du français et, surtout,
pour introduire un autre motif lié, il est vrai, au premier mais qui parait en être plus important
au vu du temps qu’elle s’accorde pour le programmer et des prolongements vocaliques ainsi
que des hésitations qui accompagnent l’aveu de Lydia. Elle éclate de rire pour clôturer son
tour de parole avec une note de détente, sans doute, pour adoucir l’extériorisation et la
réception de cet élément, présent de manière latente dans ses tours précédents, mais nouveau
du point de vue dialogal: «m’installer là-bas» (L71).
E76/donc euh :: dans le désir de faire plus tard une licence de français euh ::
c’est pour partir en France/
L77/ oui/ à peu près/
E78/ donc c’est pour toi un moyen ?/
L79/ oui euh :: oui c’est un moyen euh/ d’abord euh :::/ moi euh :: j’aime euh ::
déjà le français c’est une langue que j’aime bien/ j’aime beaucoup lire
euh :: les romans euh :: mais en français bien sûr/ j’aime euh :: je veux
visiter les pays français/ euh :: voyager/
19
Le kabyle.
d’un refus de sa demande en qualité de diplômé de français (N75). Et quand je lui soumets
cette possibilité, il réplique d’abord en récusant cette idée (N77, N79), sous prétexte que le
français étant la langue des Français, ces derniers encourageraient les utilisateurs non français,
comme semble se présenter Nacer (N77), en leur accordant des facilités d’octroi de visa de
séjour en France. Ensuite, il affirme avec force que, de toutes les façons, il partira sinon avec
un diplôme en français comme l’a fait, avant lui, son camarade de génie-civil (N87), un
diplôme auquel donne accès le même baccalauréat que prépare Nacer puisqu’il l’inclut
comme option au côté du génie- électrique et du génie- mécanique.
Tenace dans son attitude vis-à-vis de son projet de départ, Nacer produit ainsi dans la
discontinuité de son discours une espèce d’acharnement mêlé de certitude quant à
l’aboutissement de son projet. Si bien que, dans certains de ses tours de parole, il tire des
conclusions discursivement si inattendues qu’il m’embrouille n’ayant pas suffisamment
repéré, au moment de l’échange, sa tendance à ramener tout à son projet de départ. En voici
un exemple:
N49/ma khedmagh [si je fais] une branche en français euh: nagh [ou] peut être
ad khedmagh ahath [je ferai probablement]licence de français/ euh :: à ce
moment là c’est simple je pense/ non ?/
E50/euh :: qu’est- ce qui est simple ?/
N51/c’est simple tharoumith [le français]/ donc c’est simple/
E52/ah oui/ tu penses que c’est simple/ mahsouv theshel throumith [c'est-à-dire
que le français est facile]?/ c’est ça?/
N53/ALA/ machi danechthen id qesdegh/[/NON/c’est pas ça que je veux dire/]
E54/d achou ihi?/ ou(r)fhimghara// [quoi alors ? je n’ai pas compris//]
N55/bghigh adinigh euh ::/ bghigh kan adinigh euh :: belli euh ::/ voilà euh :: ma
bwighed lbac/ adaghragh français di la fac/ oumbaâd/ mi debwigh la
licence ad khedmagh l visa d’études/ euh: normalement ttaccordintid/ enfin
euh:: je pense que :: tu as plus de chance/ ih voilà voilà/ mayili euh :
thkhadmedh français/
[/je veux dire euh::/ je veux juste dire euh:: que euh::/ voilà euh:: si
j’obtiens le bac/ j’étudierai (en? le?) français à la fac/ ensuite/ quand j’aurai
la licence je demanderai le visa d’études/ euh: normalement on l’accorde/
enfin euh:: je pense que:: tu as plus de chance/ oui voilà/ quand euh: tu as
fais français/]
Au regard de ma question E48, en écho à son rejet d’étudier en arabe (N45) et relative au
français comme langue des études à l’université, l’actualisation de l’adjectival «simple» dans
son tour de parole N49 est ambigüe. Elle ne concerne ni les études en français ni les études de
français, comme le suggérerait l’essentiel de son énoncé précédent dans ce même tour de
parole, d’autant plus que Nacer clôt son tour de parole par un appel de forme interrogative
mais de fond affirmatif donnant l’impression de me rappeler une espèce de principe ou
d’évidence. Surprise par cet appel, car occupée à réfléchir au réglage de sens du praxème
«simple», je prolonge mon hésitation pour, d’abord, me remémorer l’objet de son appel et,
ensuite, programmer et extérioriser du sens. N’ayant retenu réellement que ce praxème avec
l’ambiguïté du réglage que Nacer en a fait, je rebondis dessus (E50) et sollicite de lui de
préciser ce qu’il considère ainsi. En reprenant le même praxème avec le même présentatif
«c’est» qu’il lie clairement au français en le confirmant par sa redondance (N51), il me
renvoie à ses tours de paroles précédents (N41, N43, N45) où il soutient son choix d’étudier à
l’université en français. Peu sûre d’avoir correctement interprété son propos, je lui demande,
en E52 avec quatre manières différentes, ponctuées de pauses courtes, de confirmer que notre
objet de discours est bien le français. Il réplique en accentuant son interjection à valeur
négative. Ensuite, il enchaine pour expliciter cette valeur: j’ai tort de comprendre que par
«simple» Nacer qualifie le français car le plus important, du point de vue du réglage de sens
de cet adjectival, qu’il fallait retenir était surtout le présentatif «c’est» pour comprendre qu’il
ne s’agissait pas pour lui de qualifier un objet, c'est-à-dire le français, mais une procédure que
rend possible cet objet, à savoir l’obtention du visa. Une procédure que Nacer entreprend
d’expliciter dans son tour de parole N55 en prenant soin de me cibler, à deux reprises, au
moyen du phatique «tu» substituable, en réalité, à n’importe quelle personne détentrice du
diplôme de français, comme il le dit précédemment dans ce même tour de parole. S’en suit
alors un échange autour de l’intérêt que Nacer accorderait au diplôme de français et au
français, en général:
E68/ iniyid/-/[/dis-moi/-/]
N69/am d inigh yeweth n lhadja/ nek euh :: ghouri tharoumith c’est un moyen
euh::/ ih c’est un moyen pour euh un moyen euh aken on va fuir thamourth
agui/ dommage mais akka//
[/je vais te dire une chose/ moi euh:: pour moi le français c’est un moyen
euh::/ oui c’est un moyen pour euh un moyen [pour] fuir ce pays/ dommage
mais c’est comme ça//]
En effet, dans la suite de l’échange, Nacer réitère avec insistance sa décision de partir et
refuse d’admettre les possibilités de refus de visa. Selon lui, beaucoup sont partis avant lui et
sont installés là-bas, notamment Samir, un de ses amis titulaire du diplôme d’études
universitaires appliquées en génie-civil auquel donne accès le baccalauréat Technique et
mathématiques que prépare Nacer. Ainsi, il parait croire réellement à ses chances car, dit-il en
N79, là-bas, c'est-à-dire en France, on a besoin des gens comme lui pour peu qu’il obtienne
«le bac et la licence» (N79). Il joue, d’une part, sur l’argument de langue pour obtenir le visa
qu’implique la licence de français et, d’autre part, sur les compétences d’études appliquées
avec lesquelles son ami Samir semble réussir là-bas (N87)...
6.7. Conclusion:
Des huit entretiens où émerge la problématique du français en rapport avec le voyage, il
ressort que le français est perçu comme une langue de visa pour un seul pays, la France. Il ne
s’agit donc pas de langue pour voyage qui impliquerait sa dimension communicative et
surtout véhiculaire. Voilà qui justifie donc l’intitulé de ce chapitre: le français, une langue-
visa? et non pas une langue-voyage? En effet, tous ceux qui y voient un moyen pour
concrétiser un projet de départ, mentionnent toujours la France, y compris Farès pour qui
l’essentiel est de gagner l’Espagne ou l’Italie pour, dit-il, finir en France, sans doute parce
qu’il est informé des implications des règles d’entrée dans l’espace Schengen.
Ainsi, dans ces huit discursivités, le diplôme universitaire surtout de français mais aussi
en français apparait comme un moyen facilitant l’obtention du visa d’entrée sur le territoire
français. C’est bien du diplôme en tant que document administratif qu’il s’agit, dans la
perspective d’une inscription dans une université française et donc d’obtention de visa
d’études, que du français et des études de français. Par conséquent, au fond, ce n’est pas d’un
voyage ordinaire qu’il est question. Mais d’une fuite vers un ailleurs dont la difficulté
d’accès ne parait pas être étrangère à ces élèves qui semblent s’accrocher à l’opportunité que
leur offre ce diplôme pour aller dans le respect des règles de l’émigration légale. Ce que
signifie particulièrement Hind, dans son discours, en approuvant le durcissement, par les
autorités françaises, des conditions de l’octroi du visa d’entrée sur le territoire français et en
souhaitant subordonner cela à des études de français, c'est-à-dire au diplôme de français. Un
diplôme qu’elle projette réaliser dans cette perspective de départ pour la France justement!
Dans cet ordre d’idées, Nacer, Chabane et Smail souhaitent même se spécialiser à
l’université en français dans le souci d’augmenter, en effet, leur chance de partir. Ils voient, en
effet, dans le diplôme de licence de français un atout garantissant l’obtention du visa, voire
une espèce de document-substitut au visa. Bien que non avoué au début des entretiens, le
statut de langue pour l’obtention du visa d’études en France se construit au fil des échanges
pour se donner à s’entendre comme l’unique intérêt de ces élèves qui, au fond, semblent peu
intéressés par les études de français et des études en général…
Conclusion générale:
Pour faire ressortir les procédés linguistiques d’élaboration des représentations (linguistiques) que
des candidats tizi-ouzouéens au baccalauréat de l’année 2011 se font du français en concurrence,
essentiellement, avec le kabyle et l’arabe, j’ai opté pour la théorie de la production dynamique du sens
en langage, intégrée à la conception sociale de l’étude de la langue ou, pour plus de précisions, des
langues en contact. Les implications méthodologiques de ce cadre théorique concernent les modalités
à la fois de constitution et d’analyse du corpus. Pour les avoir adoptées, je me suis exposée donc à des
difficultés particulièrement d’interprétation des discours que j’ai provoqués en situation d’échanges
intersubjectifs suscités, c’est à dire préparés, et auxquels j’ai participé. En effet, ainsi que je l’ai
souligné plusieurs fois aussi bien dans le cadre théorique et méthodologique que dans les chapitres
comportant les analyses, il s’agit d’interdiscours dont les dimensions dialogales, sous forme de
répliques comportant celles relevant du dialogique, indiquent l’aspect forcément hétérogène de
l’énonciation et invitent à la prudence à la fois dans la reconstitution du sens en train d’émerger dans
cette relation et dans l’identification de l’auteur du sens. Il s’agit bien de co-énonciations. De co-
énonciations dont il est difficile de quantifier la part exacte qui revient à chacun. Mais, je mesure
aussi, au terme de ce compte-rendu, l’importance du fait que c’est moi-même qui ai conduit les
entretiens constitutifs de mon corpus plutôt que les avoir fait faire par une tierce personne au nom
d’une neutralité qui garantirait l’objectivité des analyses. Cela aurait, en effet, minimisé les risques
d’impliquer ma subjectivité dans les énoncés recueillis, par exemple. Il est aussi plus commode de
traiter des paroles d’autrui même en ayant à l’esprit que c’est moi-même qui ai demandé, avec des
orientations précises dans le questionnaire, d’interroger tel ou tel aspect des catégorisations issues de
la pré-enquête (le français est une langue de sciences, une belle langue….). Cette façon de procéder
permet d’éviter les écueils dans les analyses que j’ai eu à surmonter en montrant à chaque fois ma part
de responsabilité autant dans la construction dialogale du sens que des analyses qu’elle m’inspire. Une
responsabilité qu’un(e) enquêteur (trice), à qui je demanderais donc de poser mes questions (à ma
place), n’engagera sans doute pas, sinon par erreur, cela ne faisant pas partie de sa mission.
Pourtant, ainsi que le montrent à la fois la transcription des échanges et les analyses à partir de
l’élaboration dialogale et dialogique du sens, c’est là tout l’enjeu. Aussi bien pour désambiguïser des
praxèmes actualisés par les élèves interrogés (qu’on se contenterait de noter comme tels, c’est-à-dire
sans que ces derniers ne deviennent objet d’échange et tant pis si, dans la réalité, les pratiques
langagières évoluent ainsi !) que pour saisir ce sens dans cet interdiscours, dans cet investissement
verbal forcément subjectif mais jamais intentionnel. C’est évidemment de cette désambiguïsation qu’il
s’agit dans cet univers tantôt dialectique tantôt conventionnel impliquant des représentations enfouies
et des entités sémantiques porteuses de sens en perpétuel réglage social, comme le note la
sociolinguistique critique et interprétiviste 20 . En effet, pour celle-ci la langue n’est pas un objet
construit mais une pratique sociale en construction ayant des retombées sémantique et donc politique
sur les usagés. Elle exige de l’étudier dans ce cadre social d’interactions générées par la vie en société
qui est elle-même au cœur de l’élaboration du sens en circulation hétérogène et donc problématique...
En définitive, il n’est pas sûr qu’un(e) enquêteur (trice), sauf de formation sociolinguistique et
praxématique, s’inspire des réglages de sens des propos qui lui sont tenus, particulièrement ceux dans
le cadre interactif comprenant la maman du vis-à-vis, pour les relancer en les interrogeant, en les
contredisant; c’est-à-dire en montrant une des éventuelles interprétations de chacun de mes
interlocuteurs, comme j’ai voulu le faire parce que j’ai voulu comprendre et comprendre pour une
meilleure gestion de mon attitude envers certains de mes interactants d’aujourd’hui qui deviendraient
mes étudiants, demain. Totalement désintéressée ou libérée de ce souci didactique, la mission serait
moins risquée. En effet, les analyses porteraient sur des objets construits, c’est à dire non pas en
construction comme je voulais le montrer dans l’évolution du sens au fur et à mesure qu’avance
l’échange avec mes partenaires, au fur et à mesure de la discussion qui, avec le recul, me parait
contenir, en plus de question de statuts respectifs, dont l’implication sur le sens est largement décrite
dans la présentation linéaire des analyses, celle relative aux projets d’avenir en vue, aux possibilités et
contraintes de la réalisation de ces projets. En réalité, c’est aussi de cela qu’il s’agit: la place et, peut
être aussi, le rôle du français dans cet avenir… Il ne me parait pas donc objectif de laisser sous silence
cette référence à la réalité sans l’interroger à partir de ma relation avec ces élèves et de notre
environnement respectif qui font que les lectures que j’ai proposées de ces échanges comportent
évidemment des prises de positions révélatrices de mon statut d’universitaire à la recherche de
l’objectivité mais aussi de citoyenne évoluant dans le milieu à partir duquel je me propose d’expliquer
ou, au moins, d’expliciter les mécanismes linguistiques d’élaboration des représentations que ces
candidats se font du français au moment de ma rencontre avec eux.
En effet, il ressort de l’ensemble des échanges recueillis, dans les conditions de l’intersubjectivité
qui m’a liée à mes interlocuteurs lors de mes enquêtes, que les discours épilinguistiques y sont
construits selon un mode comparatif du français, essentiellement, à l’arabe et à l’anglais et à un degré,
de loin, moindre au kabyle qui y apparait dans une relation de dominé par rapport à l’arabe. Il ressort
surtout la recherche du bilinguisme à travers, d’un côté, la nécessité de maitriser le français pour les
besoins des études universitaires derrières lesquelles se profilent quasi-systématiquement le projet de
départ pour des études en France, et, de l’autre côté, l’aspiration à connaître l’anglais aussi bien pour
les impératifs de la communication internationale que pour l’idée souvent commune aux élèves ayant
20
Initiée en Amérique du Nord (M. Heller, 2002), elle semble inspirer les propositions théoriques de LJ. Calvet,
D. de Robillard et Ph. Blanchet (2007) pour un recadrage sociolinguistique.
pris part aux échanges et pour qui cette langue est en avance par rapport au français qui est, de moins
en moins, perçu comme une langue de l’actualité, de l’invention particulièrement dans les domaines
technique et scientifique, mais plutôt celle par laquelle cette modernité tout comme cette technicité,
notamment électronique, parviennent aux locuteurs francophones 21 . D’où ce regard à la fois
pragmatique, admettant la nécessité de maitriser cette langue car c’est celle des études scientifiques à
l’université, et conscients des rapports au moins entre le français et l’anglais dans le monde qui fait
que ces élèves aspirent donc à maitriser aussi cette langue et de ce fait cultivent le plurilinguisme
comme l’explicite Kamélia dans son échange avec sa mère, universitaire de formation plutôt
francophone.
Quels sont donc les procédés linguistiques à la base de l’élaboration de ces représentations que se
font ces élèves du français en compétition avec l’arabe, l’anglais et, à un degré moindre, le kabyle?
Inutile d’insister encore sur le caractère à la fois hétérogène et constitutif de l’énonciation dans les
discours recueillis en situation d’échanges provoqués avec cette intention de discuter, c’est à dire de
contredire, en vue de désambigüiser ce qui est habituellement perçu comme une évidence. Une
hétérogénéité constitutive qui fait largement écho aux discours qui traversent l’espace social dans
lequel ces énonciateurs évoluent. Le plus souvent, ces derniers sont hésitants et même en panne de
parole désambigüisante. Cependant parfois, ils font preuve à la fois de subtilité et de finesse aussi
bien dans la relation dialogale avec moi que dialogique et/ou polyphonique avec les voix qu’ils
convoquent respectivement pour décharger déception et colère et pour insinuer, signifier et se dire à
travers des célébrités kabyles, notamment Matoub, Fellag et Amrouche, ou d’expression française
(Dion, Brel, Ségara, Fabian, etc.), à travers les noms d’écrivains (Rousseau, Molière, Verne, Hugo,
Camus, Sartre, Balzac, Zola ), de scientifiques (Pasteur) et même de politiques (Jaurès) souvent
français ou pris pour tels (Marx, Freud, Hegel, Newton, Euclide). Ces célébrités, du fait qu’elles sont
toutes du passé, donnent l’impression que le français serait déjà une langue, intellectuellement et
scientifiquement, du passé auquel il est difficile, en effet, de ne pas associer ces noms d’autant plus
que ces mêmes élèves considèrent le français comme une langue dépassée par l’anglais!
En effet, les discours comparatif du français à l’anglais procèdent tous de la même façon: le
praxème kabyle «thoura» et ses équivalents français «maintenant» et «aujourd’hui» établissent une
espèce de frontière chronologique entre le français et l’anglais aussi bien dans les discours avec les
élèves inscrits en Lettres et philosophie, en Langue étrangères que dans ceux des élèves candidats au
baccalauréat Sciences expérimentales, Mathématiques, Techniques ou Gestion et économie.
21
La modélisation des langues que propose L. J. Calvet dans son ouvrage Pour une écologie des langues du
monde (2002) semble se vérifier ici au niveau des représentations discursives.
Paradoxalement, des discours comparatifs du français à l’arabe, il émerge l’idée d’une langue
d’avenir, de culture, de savoir et surtout de sérieux et de compétence associée à un sentiment de
respect de celui qui la pratique et surtout de confiance que les discours, faisant de cette langue un
moyen pour obtenir le visa d’études en France, donnent à ressentir comme un retour d’écho de la crise
de confiance à la base de la rupture de ces jeunes avec les autorités de leur pays à travers l’institution
scolaire, en général, et de la langue arabe, en particulier. Si bien que les discours de soutien au kabyle,
leur langue maternelle, paraissent fonctionner plutôt comme une réaction qu’une réelle défense parce
que souvent sans arguments. Des arguments qu’offre pourtant l’avancée du kabyle aussi bien au
niveau politique et institutionnel (constitutionnalisation, enseignement, médias télévisuels, etc.) qu’au
niveau intellectuel (production livresque…).
Aussi bien du point de vue du contenu que des procédés argumentatifs, qui les sous-tendent, ces
discours ne se distribuent pas selon l’appartenance sexuelle ni le type de baccalauréat préparé même si
en termes de thématiques cette distribution se dessine: dix des douze élèves, ayant abordé le français
comme une langue de savoir, sont en sciences, six des neuf qui ont qualifié le français de «belle
langue» sont en lettres… Evitement ou contournent des questions, étonnement pour gagner du temps
de programmation et d’extériorisation, reprise en écho à vocation surtout interrogative mais parfois
consensuelle, éclats de rire de mépris et/ou de banalisation, appels à des voix de chanteurs, de
scientifiques, de penseurs comme Ibn Khaldoun, etc., sont caractéristiques des stratégies adoptées et
adaptées selon les réglages de sens actualisés dans ma relation dialogale avec chacun d’eux et selon les
programmes de sens attribués à un tel ou un tel pour dire sans dire ou pour partager dans une visées
collectiviste à valeur endogroupale.
C’est donc toute cette question de catégorisation qui se trouve être posée dans la problématique que
soulèvent les discours recueillis. En effet, tout dépend de ce qu’on entend par réussite et par avenir.
La notion de beauté est encore plus difficile à cerner mais aussi à discuter quand celle de langue de
voyage ou, pour être précis, de visa, s’offre à lire comme un condensé de l’appréhension de la réalité
sociale et de l’avenir qu’expriment ces élèves dans l’instrumentalisation moins du français, en tant que
langue, que du diplôme de français pour partir essentiellement vers la France. Car même ceux qui
projettent de poursuivre des études d’anglais et d’/ en arabe nourrissent l’espoir de s’enfuir non pas
vers un pays anglo-saxon ou arabe mais vers cette France qui est aussi le point de chute finale pour
ceux qui comme Farès n’ont de possibilité que pour aller ailleurs. Il y a donc un glissement
sémantique de langue-voyage, qui apparait dans la pré-enquête, vers celui langue-visa pour la France
qui ressort des co-discours de l’enquête. Un glissement qui cache mal l’idée que ces élèves se font du
français comme langue de voyage et qu’ils disent dans le sillage de la comparaison à l’anglais, déclaré
dominant le monde et donc le français aussi bien au niveau de la communication, sans doute
véhiculaire, c’est à dire qui sert de moyen de communication à des locuteurs de langues différentes,
que de la connaissance, en général, et scientifique / technique, en particulier. La position de Farès est
sans doute la plus explicite à ce sujet quand il s’interroge sur les raisons pour lesquelles son père lui
impose de passer par le français pour recevoir ce savoir et cette technologie produits en anglais alors
que pour lui il suffit de les acquérir directement en anglais. On ne peut pas ne pas voir poindre ici la
fonction de langue de savoir et de technologie échappée au français au profit de l’anglais au niveau
représentationnelle dont l’impact sur les motivations et les prédispositions à acquérir le français est si
important qu’il y a urgence de les nuancer pour de meilleurs résultats didactiques.
Quelle attitude et quel discours didactiques tenir donc en vue de modifier cette perception du
rapport au français dans cette compétition avec l’anglais, essentiellement, mais plus largement avec
l’arabe et le kabyle, respectivement la langue de scolarité de ces élèves, et celle de leur socialisation?
L’erreur serait de situer le débat entre le poids des langues dans le monde et de vouloir opposer à la
domination de l’anglais dans le monde la menace de l’espagnol au cœur même du principal pays de
référence, les Etats –unis dont les citoyens des Etats du Sud sont des locuteurs de l’espagnol… Et
même si cela pouvait être abordé, ne risque-t-on pas de buter sur d’autres types de questions
directement liées aux données statistiques difficiles à avoir et à interpréter? Parce que cela suppose des
connaissances solides autour du statut aussi bien social que juridique des langues en question et autour
du type des locuteurs surtout de l’espagnol: des monolingues ou des bilingues? Dans le second cas, qui
parait le plus plausible, laquelle des langues est plus pratiquée et dans quelles situations? Etc. En plus,
qu’est-ce que cela apporterait à l’enseignement du français ici, à l’université, et à travers celui-ci à
l’école? Autrement dit, qu’importerait à cet enseignement le fait de minimiser ou de nuancer le poids
de l’anglais dans le monde? N’est-ce pas adopter une attitude monolinguistique que de se situer dans
cette concurrence utilitariste: acquérir une langue uniquement pour son utilité communicationnelle,
c'est-à-dire véhiculaire en marginalisant ce qui relèverait du sens, c’est à dire du culturel, du
représentationnel et donc de la vision du monde? Ne faudrait-il pas cultiver l’idée de l’importance de
la diversité et qu’un locuteur francophone qui pratique aussi l’anglais véhiculaire, mais aussi
l’espagnol, l’arabe, etc., est plus à même de voir et d’entendre la complexité qu’un monolingue? On
voit bien que l’enjeu concerne, en réalité, les offres de formation, la formation des formateurs et les
programmes scolaires mais aussi le livre du maitre et autres supports didactiques. Au final, c’est de la
refondation de la vision de cet enseignement qu’il s’agit pour situer ce dernier dans le sillage du
bilinguisme et de la multiculturalité encourageant la culture de la différence et de la diversité. Et dans
ce cadre, les enseignements du français gagneraient à favoriser les éléments culturels qui établissent la
spécificité aussi bien de la civilisation française mais aussi et surtout sa complexité du fait de la
multiplicité des apports qui l’enrichissent et que semble résumer et même cultiver le volet culturel de
la francophonie.
D’où, me semble-t-il, la nécessité d’actualiser les supports didactiques pour l’enseignement de cette
langue dans le cadre du bilinguisme social, dans lequel évoluent ces élèves, en vue d’une formation
plurilingue dans laquelle le français s’acquiert au moyen de textes récents comprenant les
découvertes, les inventions, etc., réalisées en français ou en contexte francophone. L’enjeu concerne
donc les spécificités de cet enseignement et l’urgence d’une réponse convaincante à la question que se
posent chacun des élèves: quel intérêt pour moi d’acquérir le français?
Bibliographie:
L’organisation tient compte du procédé de référence adopté dans le corps du texte de la thèse:
nom de l’auteur suivi de la date de l’ouvrage, de l’article, etc., et de la page. En effet, la
distinction articles, ouvrages, thèses, dictionnaires, etc., est incompatible avec ce procédé (B.
Maurer, 1999a : 121). Elle exige de savoir d’abord dans quelle liste il faut chercher: celle des
ouvrages ? celle des articles ? des thèses? Ce n’est qu’à partir de ce repérage que la
recherche des références dans un ordre chrono- alphabétique est possible. L’organisation
adoptée ici facilite donc la lecture puisqu’il suffit d’aller vers le nom puis le prénom de
l’auteur (ou du premier auteur) et la date (éventuellement avec la précision a, b ou c) pour
repérer la référence.
1- Articles et ouvrages:
- Abric Jean-Claude (dir.), 1994, Pratiques sociales et représentations, P.U.F., Paris,
France, 251 p.
- Addisu Véronique Miguel, 2011, «Approche sociolinguistique du plurilinguisme des
élèves mahorais. Posture plurilingue et rapport aux normes du français de
scolarisation», dans F. Laroussi et F. Liénard (dir.) Plurilinguisme, politiques
linguistiques et éducation. Quel éclairage pour Mayotte ?, éditions P.U.R.H., Rouen,
pp.141-152.
- Ait Hamou Ali R., 2013a, «Rupture dans la chaine de transmission de prénom à Tizi-
Ouzou. Propos de témoins», dans Les langues dans l’espace familial algérien, éditions
du Crasc, pp.24-35.
- Ait Hamou Ali R., 2013b, «Construction interlocutives de représentations du français
dans des échanges entre des lycéens et leurs parents à Tizi-Ouzou», à paraitre dans
Synergies Algérie.
- Ait Hamou Ali Rabiha, 2005, Pour une étude de la mise en mots des représentations et
des attitudes de locuteurs à l’égard de prénoms en usage en Algérie : le cas de la région
de Tizi-Ouzou, mémoire de magister, s. d. Attika-Yasmine Kara, Ecole Nationale
Supérieure de Bouzaréah, Alger, 377 p.
- Ait Sahlia-Benaïssa Amina, 1999, La construction de l’identité dans le langage:
variations autour de l’identité algérienne, thèse de doctorat (deux volumes) dirigée par
B. Gardin et F. Madray-Lésigne, université de Rouen, France, 749 p.
- Amossy Ruth, 2008, «Argumentation et analyse du discours : perspectives théoriques et
découpages disciplinaires », in Argumentation et analyse du discours consulté sur le
site http : //aad.revues.org/200, le 17 janvier 2011.
- Authier-Revuz, Jacqueline, 2013 (1995), Ces mots qui ne vont pas de soi, éditions
Lamber Lucas, Limoges, 789 p.
- Authier Revuz Jacqueline, 1982, « Hétérogénéité montrée et hétérogénéité
constitutive », DRLAV 26, pp. 91-115.
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2- Les revues:
- (Les) Cahiers de praxématique, revue du laboratoire de sciences du langage de
l’université de Montpellier III, les numéros 7, 17, 31, 39 et particulièrement 43
- (Les) Cahiers de linguistique sociale n°28/29, 1996, Université de Rouen.
- Carnets d’atelier de sociolinguistique n°1, 2007, (pdf)
- Glottopol, revue de sociolinguistique en ligne consultable sur http://www.univ-
rouen.fr/dyalang/glottopol/
- Langage et société 55, 1991, Questionnaires, questions, réponses, Maison des Sciences
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- Recherches linguistiques n°1, La question polyphonique ou dialogue en sciences du
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- Le français dans le monde, numéro spécial, 2001.
- Le français en Afrique. Revue du réseau des observatoires du français en Afrique, n°25.
- Lalies n°20.
- Langages n°154.
- Langage est société n° 69.
- SEMEN n° 23, Sémiotique et communication.
- Sciences humaines n°27, 1993.
- (La) Revue Romane n°41.
- Synergies Algérie n°17
3- Sitographie:
- http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/
- http://id.erudit.org/iderudit/500868ar/
- http://www.persee.fr
- http://asl.univ-montp3.fr/masterRECHERCHE/M2/j.bres/V32.pdf
- http://www.praxiling.fr/dialogisme-langue-discours.html
- http://recherche.univ-montp3.fr/praxiling/spip.php?article264
- http://www.hum.au.dk/romansk/polyfoni/frapolyphonie.htm
- http://semen.revues.org/8793
- http://gerflint.eu/publications/synergies-algerie.html
Table des matières
Introduction générale……………………………………………………………………… 02
3.1. Introduction……………………………………………………………………………... 90
3.2. Les élèves inscrits en Sciences expérimentales………………………………………... 90
3.3. Les élèves inscrits en Gestion et économie …… ……………………………………...101
3.4. Les élèves inscrits en Mathématiques … ……………………………………………..112
3.5. Un élève inscrit en techniques et Mathématiques…………………………………….. 118
3.6. Un élève inscrit en Lettres et philosophie ……………………………………………. 120
3.7. Un élève inscrit en Langues étrangères………………………………………………... 123
3.8. Conclusion …………………………………. ………………………………………...127
Bibliographie…………………………………………………………………..…………...251
Avec Les candidats au baccalauréat série Lettres philosophie ………….. …………... 304
Avec les candidats au baccalauréat série Gestion et économie ……………… ……… 327
Avec Les candidats au baccalauréat série Sciences expérimentales ………. ………… 342