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Université Mouloud Mammeri

Facultés des lettres et langues


Département de français
Ecole doctorale

La place du français dans le discours épilinguistique


de lycéens tizi-ouzouèns:
approche praxématique

Thèse de doctorat
En sciences du langage

Réalisée par Rabiha Ait Hamou Ali


Codirigée par Monsieur le Professeur Yacine Derradji
Monsieur le Professeur Jean-François Sablayrolles

Présentée devant le jury:


Karima Ait Dahmane, Présidente, université Alger 2, Professeure
Yacine Derradji, Rapporteur, université Med Mentouri de Constantine, Professeur
Jean-François Sablayrolles, rapporteur, université Paris XIII, Professeur
Christine Jacquet-Pfau, Examinatrice, Collège de France, Paris, Maître de conférences
Ahmed Boualili, Examinateur, université M. Mammeri, Maitre de conférences classe A
Aldjia Outaleb-Pellé, Examinatrice, université M. Mammeri, Maitre de conférences classe A

Soutenue le 8 septembre 2014


Remerciements

Je vous remercie Messieurs les Professeurs Yacine Derradji et Jean-


François Sablayrolles pour vos remarques, suggestions et votre soutien. Je
vous remercie de m’avoir dirigée à distance
et corrigé les versions électroniques
de mes travaux.

Je remercie les membres du jury


d’avoir accepté d’évaluer
cette modeste
étude.

Merci Chérif pour ton soutien


et ta disponibilité.

Je remercie chaleureusement les élèves et leurs parents


qui ont accepté de discuter avec moi
la problématique au cœur
de la présente
thèse.
Pour mon beau-frère Salem

Pour mes parents et beaux-parents

Pour Chérif, Samy et Yani


Sommaire

Introduction générale……………………………………………………………………….. 02

Chapitre 1: Le cadre théorique et méthodologique…………………………………………….… 07

Introduction………………………………………………………………………………...… 07
Le cadre théorique………………………………………………………………………...… 08
Le cadre méthodologique…………………………………………………………… 26
Conclusion………………………………………………………………………………….… 47

Chapitre 2 : Le français et les langues nationales…………………………………………….……49

Chapitre 3: Le français, une langue de savoir, de technologie et d’avenir?........................... 90

Chapitre 4: Le français, une langue dépassée par l’anglais?................................................ 130

Chapitre 5: Le français, une belle langue?............................................................................ 171

Chapitre 6: Le français, une langue-visa?............................................................................. 206

Conclusion générale……………………………………………………………………………….... 243

Bibliographie…………………………………………………………………………………………. 251

Annexes……………………………………………………………………………………………… 261

Table des matières………………………………………………………………………………... 403


Introduction générale
La problématique:
En m’appuyant sur les principes de la linguistique praxématique, je me propose, dans la
présente étude, de recueillir et d’analyser les procédés linguistiques d’élaboration des
représentations du français dans des discours épilinguistiques que je sollicite auprès de
lycéens tizi-ouzouéens1 candidats au baccalauréat de l’année 2011. Ces lycéens évoluent, d’un
côté, dans un univers pédagogique et didactique plutôt arabisant, la langue de l’école étant
l’arabe et, de l’autre côté, dans un espace social plurilingue où le kabyle, langue majoritaire
dans la région de Tizi-Ouzou, l’arabe ‘’dialectal’’ ainsi que le français sont en concurrence.
Ils s’apprêtent à poursuivre des études universitaires dont les filières scientifiques et
techniques sont enseignées en français.

En allant à leur rencontre pour discuter avec eux des langues à l’école, en général, et du
français, en particulier, sans jamais perdre de vue l’impact que pourrait avoir sur eux ce qui se
dit ou s’entend à propos de ces langues autour d’eux, c'est-à-dire dans leur vie quotidienne en
rapport avec le bilinguisme social en cours, je me situe donc dans un cadre théorique global
qui est celui de la sociolinguistique. En effet, je pars de l’hypothèse selon laquelle les
fonctions de langues vernaculaires, véhiculaires, de réussite ou d’échec social, etc., qu’on
attribue à chacune de ces langues tout comme les sentiments qu’on éprouve à leur égard, ont
un ancrage social. Les discours qui les concernent le sont aussi. Mais en choisissant le milieu
scolaire et plus précisément des candidats au baccalauréat, je souligne combien il est
important, pour moi, enseignante dans un département universitaire de français, de
comprendre le fondement social des imaginaires autour du français dont témoigne la parole de
ces élèves finissant un parcours scolaire essentiellement en arabe et se préparant à un cursus
universitaire en français. La préoccupation du pédagogue et du didacticien n’est donc pas
lointaine même si elle est ici en amont puisque la recherche cible la compréhension des
mécanismes de fonctionnement à la base des attitudes exprimées à l’égard du français par des
locuteurs engagés dans un examen en arabe pour entreprendre des études en français ou de
français2.

Le cadre théorique de la recherche:

1
De Tizi-Ouzou, une des principales villes kabylophones.
2
Il y a bien sûr ceux qui seront orientés vers des filières enseignées en arabes (psychologie, droit…) vers les
langues arabe, française, anglaise…
Je précise, toutefois, que ces discours bien qu’authentiques ne sont pas tout à fait spontanés
puisque je les provoque et je pourrai même dire qu’en les (re)centrant sur les langues, en
relançant leurs auteurs, etc., je participe à leur élaboration sans avoir l’intention de faire
produire telle parole ou telle mise en mots ou en discours. Par conséquent, ce sont des
discours co-produits dans des échanges intersubjectifs sur ces langues. Ce qui exige la
praxématique comme mode de recueil et d’analyse de ces discours car ce qui est recherché ce
sont surtout les manières avec lesquelles les représentations autour du français s’y élaborent
en tant que processus et non pas en tant que produit, c'est-à-dire définitif et figé.
Il n’est pas non plus, en effet, question de mises en mots ou en discours spontanées telle
que, par exemple, les productions écrites dont le sujet principal ne concerne pas la façon avec
laquelle on voit le français parmi les langues présentes dans l’univers social et pédagogique
des élèves ‘’interrogés’’: lettres, compositions sur table, devoirs de maison… Sans doute, ce
type de productions discursives contient des éléments épilinguistiques pouvant renseigner sur
l’imaginaire des auteurs en ce qui concerne cette langue. Toutefois, ces mises en mots du fait
qu’elles sont beaucoup plus produites (bien qu’elles constituent des réponses à une question
en situation pédagogique) que co-produites dans un cadre d’échanges directs, elles sont plutôt
à soumettre aux procédés de l’analyse du contenu. Et c’est, de ce fait, tout l’aspect interactif,
intersubjectif, dialogal et dialogique/polyphonique, à la base du processus de la construction
linguistique de ces représentations, qui est évacué. Or, l’inscription du sujet dans sa parole
tout comme la gestion et la négociation du sens en train de se produire constituent, pour moi,
ce qui fait de ce projet un sujet de sciences du langage. Autrement dit, ce n’est pas
uniquement ce qui est dit à propos du français, en compétition avec l’arabe, le kabyle et
l’anglais qui m’intéresse. Les modalités de sa mise en discours sont encore plus importantes.
Ce que cible la présente étude réside aussi dans ce qui est passé sous silence sous forme de
non-dits, d’autocensures, de camouflages et d’évitements stratégiques ou inconscients; car
dans les deux cas il faut y dégager les indices et les ingrédients linguistiques dans la
perspective de reconstituer les processus qui sous-tendent ces représentations. Il est donc
plutôt question de provoquer la parole de ces lycéens dans le cadre d’entretiens centrés sur la
manière avec laquelle ils perçoivent le français ou, pour être précis, sur ce qu’ils acceptent de
(me) dire à propos du français dans cet univers scolaire et social.

Ici, la démarche praxématique semble adéquate. En adoptant ses principes, les entretiens
dépassent l’échange classique questions/ réponses pour faire de l’investigation verbale:
interroger ce qu’on présente comme des vérités générales souvent perçues comme inutiles à
démontrer comme le français est une langue de sciences et de culture, une belle langue ou
une langue dépassée par l’anglais… Il s’agit, en partie, de préciser ce qu’il y aurait de beau
dans cette langue qui, faut-il le rappeler, est évaluée en rapport avec l’arabe, le kabyle et
l’anglais. En quoi le français est-il scientifique ? Qu’est-ce qu’il y a de scientifique et de
culturel dans cette langue? Pourquoi la considère-t-on ainsi ? Les autres langues (pas
seulement l’arabe et le kabyle) ne seraient-elles pas scientifiques et/ou culturelles alors? Bref,
comment catégorise-t-on ces notions parmi d’autres?

Le contenu des chapitres:

Six chapitres composent la rédaction de cette thèse


Dans le premier, j’explicite le cadre théorique et méthodologique dans lequel j’ai recueilli
et décrit les processus linguistiques d’élaboration des représentations du français dans les
discours épilinguistiques suscités. Dans les cinq autres chapitres, je présente les analyses des
discours recueillis en y faisant ressortir, d’un côté, la place du français respectivement vis-à-
vis des langues nationales et de l’anglais, et, de l’autre côté, les catégorisations que l’on se
fait du français tour à tour comme une langue de savoir, de technologie et d’avenir; comme
une belle langue et/ou une langue pour voyager.
Voici les intitulés des ces six chapitres:

Chapitre 1: Le cadre théorique et méthodologique

Chapitre 2: Le français et les langues nationales

Chapitre 3: Le français, une langue de savoir, de technologie et d’avenir?

Chapitre 4: Le français, une langue dépassée par l’anglais?

Chapitre 5: Le français, une belle langue?

Chapitre 6: Le français, une langue-visa?

Après la bibliographie, figurent les annexes et le corpus: le questionnaire de la pré-enquête, le


guide d’entretien ayant servi l’enquête proprement dite et les entretiens.
Impliquée à la fois en tant qu’enseignante mais aussi en tant que citoyenne dans le débat
suscité dans le cadre de cette thèse sur les langues à l’école et dans la vie sociale, en général,
je considère inutile de rappeler que ce travail n’est pas la seule façon d’aborder la construction
des représentations dans l’activité langagières intersubjectives des locuteurs. Les situations
tout comme les partenaires des échanges langagiers sont si variés qu’il est évident que ce qui
est recevable ici ne l’est pas forcément ailleurs. Peut-être qu’en attirant une fois de plus
l’attention sur la motivation socio-didactique à sa base, son interprétation ne dépassera pas le
cadre de son élaboration.
Chapitre 1

Le cadre théorique et méthodologique

1.1. Introduction:
En m’inscrivant dans l’orientation sociolinguistique de langues en contact, je fais mienne
l’affirmation selon laquelle les langues sont égales de principe: elles sont toutes doublement articulées.
Mais elles n’ont pas les mêmes fonctions sociales. Cette inégalité, dans les fonctions sociales qu’elles
remplissent, a des répercussions sur les façons de les percevoir, d’en parler, sur les façons d’adopter
des attitudes à leur égard, à l’égard de leurs locuteurs, et même des comportements faisant que
certaines sont recherchées et considérées plus faciles à connaître, à apprendre quand d’autres sont
fuies et dites «difficiles» ou «compliquées». En effet, parler une langue inconnue ou parler mal un
français ou un anglais, par exemple, est de moins en moins qualifié, comme autrefois, de chinois ou
encore de chinoiserie. Cela a sans doute un rapport avec le poids économique de la Chine dans la
mondialisation en cours qui fait que le chinois devient petit-à-petit une langue ‘’désirée’’. C’est
pourquoi on relativise la complexité et les difficultés de son apprentissage liées, entre autres, au grand
nombre d’idéogrammes qui lui sert d’écriture.

C’est dire que les langues en elles mêmes sont ‘’pour rien’’ dans ce qu’on leur attribue comme
valeurs ou vices. Ce sont les locuteurs qui les utilisent aussi bien dans la vie de tous les jours que dans
le cadre de la parole élaborée (à l’écrit plus qu’à l’oral) qui sont à la base des façons de les voir, de les
classer, de les rechercher ou de les abandonner…

Ainsi, les fonctions sociales des langues ont un rôle déterminant dans les façons avec lesquelles ces
dernières sont catégorisées par les locuteurs. C’est pourquoi il me semble nécessaire de prendre en
considération le statut du français dans l’espace social où évoluent les élèves auprès de qui je sollicite
des discours épilinguistiques justement, mais aussi ceux de l’arabe et du kabyle avec qui cette langue
partage des domaines sociaux mais surtout scolaire pour ce qui concerne, en premier lieu, la présente
étude.

Je fais également mienne l’idée selon laquelle contourner ou évacuer ma subjectivité dans le
traitement d’un objet aussi politique, car il est géré institutionnellement, que polémique, car il fait
partie de l’ensemble social (auquel j’appartiens d’ailleurs), ne relève pas de l’objectivité mais, bien au
contraire, ressemble à une abstraction des enjeux de la réalité complexe et dont la saisie est encore
plus complexe.

Voilà qui m’amène donc à m’interroger sur les voies et les moyens de recueillir et d’analyser des
paroles auxquelles je participe. Ce n’est pas que j’ignore que ces voies et ces moyens constituent en
réalité un bloc: c’est pourquoi je les mets dans le même chapitre. Tout juste que pour un besoin de
clarté, je les présente sous forme de deux sous-chapitres complémentaires.

1.2. Le cadre théorique

Je m’interroge donc, dans ce chapitre, successivement sur le cadre théorique et méthodologique


avec ce souci de faire ressortir, comme cela est formulé en «linguistique du désordre et de la
complexité» (L. J. Calvet, 2007: 3, Ph. Blanchet, 2012: 16), le point à partir duquel je décris
l’élaboration des représentations linguistiques de lycéens tizi-ouzouéens avec qui j’échange autour du
français, tout en sachant qu’il y a d’autres façons d’aborder ce thème: les représentations du français en
milieu scolaire. Je me situe donc dans l’activité langagière que je provoque et conduis avec eux.
Autrement dit, je me propose de faire ressortir l’élaboration de ces représentations dans ces activités
interactives en m’appuyant sur les principes de la linguistique praxématique. D’où l’utilité de préciser
en quoi consiste cette linguistique et ce que son adoption ici implique comme dispositif théorique et
méthodologique à la base de la présente étude. Qu’est-ce que donc la linguistique praxématique? Quels
sont ses sources, ses fondements et ses principes? Qu’est-ce que son adoption implique sur la collecte
et l’étude des discours épilinguistiques? Qu’est-ce qu’un discours épilinguistique? S’agit-il de simples
mises en mots des représentations que l’on se ferait des langues? Qu’est-ce qu’on entend au juste par la
notion de représentations? Pourquoi le pluriel? Quel est le statut des représentations dans les sciences
du langage? Comment ces dernières y sont-elles étudiées? Sont-elles de même nature selon qu’on les
décrit à partir d’une interaction verbale ou dans des productions à caractère plutôt ‘’mono-énonciatif’’?
Qu’est-ce que l’interaction verbale? A quoi renvoient les notions de co-construction, de dialogisme et
de polyphonie, celle de l’un et du multiple, celle du Même et de l’Autre, de l’Ici et de l’Ailleurs de la
personne, etc., dans les échanges langagiers? Qu’est-ce qu’on entend par réglage et négociation sociaux
du sens durant un échange langagier ou une interaction verbale?

1.2.1. La praxématique: théorie de la production du sens dans le langage


1.2.1.1. Qu’est-ce que la praxématique?
Théorie de la production dynamique du sens en langage qui se propose d’expliquer la parole en
action, la praxématique est fondée, durant les années soixante-dix, à l’université Paul Valéry III de
Montpellier, par Robert Lafont. Autour de celui-ci, il y a Françoise-Gardes Madray, Paul Siblot,
Jeanne-Maris Barbéris, etc. Parmi les universitaires qui inscrivent leurs recherches dans cette
perspective, il y a notamment J. Bres, B. Maurer, M. Sandré, A. Salazar Orvig, M. Grossen…
Cette théorie est d’inspiration marxiste. Ces chercheurs s’appuient sur la matérialité verbale des
discours pour proposer une modélisation du sens en train d’émerger. En reprenant la théorie
bakhtinienne du signe linguistique à laquelle ils intègrent la notion du temps opératif de la
psychomécanique du langage de Gustave Guillaume, ils se fondent sur la redéfinition du sujet parlant
à partir de l’Inconscient comme le suggère la psychanalyse.

R. Lafont (1976: 71) la définit comme étant «une théorie post-structuraliste basée sur l’étude des
phénomènes dynamiques du langage: production du sens en discours, production des niveaux de
réalité dans la représentation du monde». C’est, selon P. Siblot (1988: 73), une «théorie de la
production linguistique de sens qui a explicitement posé les principes à partir desquels elle s’applique
à élaborer des modélisations de la signifiance en langage». De ce fait, comme le soulignent J.M.
Barberis et F. Gardes-Madray (1986: 37), elle dépasse et rompt avec «la dichotomie saussurienne
langue/parole dans laquelle s’ancrent les développements structuralistes […] d’une conception qui
traite le sens en produit et omet la question du comment ce sens est-il produit? Selon quelle
dynamique discursive?»

Durant les premières années de la formulation de cette théorie, ces chercheurs l’ont appliquée à
des œuvres littéraires (écrites) ; mais très vite ils élargiront leurs corpus aux productions orales co-
construites dans l’esprit d’analyser le dire en actes, en même temps que paraissaient les premières
publications liées aux théories de l’énonciation, des actes du langage, de la pragmatique, de l’analyse
du discours, de l’analyse conversationnelle, des interactions verbales et de la sociolinguistique, co-
variationniste d’abord, interactionnelle, ensuite, et urbaine, enfin.

1.2.1.2. Les fondements de la praxématique:


En insistant sur l’aspect dynamique de la production du sens en langage, les théoriciens de la
praxématique provoquent une rupture avec la vision statique, voire figée du rapport entre le signifiant
et le signifié postulé par la linguistique synchronique. Une vision que la linguistique diachronique
reprend pour repérer ce qui a évolué dans le système, en procédant par la comparaison dans le temps
entre des états d’une langue non pas comme un ensemble de conventions adoptées par le corps social,
car cela exigerait la prise en considération de ce que les rédacteurs du Cours de linguistique générale
appellent «les éléments externes», mais entre ceux du «système», au singulier. En effet, ce qui
intéresse la diachronie dans la logique du Cours de linguistique générale c’est toujours le système,
c'est-à-dire sans prendre en considération ses éléments externes… A la différence, les praxématiciens
se proposent de rechercher l’élaboration du sens dans ce que je pourrais appeler, pour le moment, le
passage du signifiant vers le signifié. Il ne s’agit pas, en fait, de la traduction verbale d’une pensée
comme si, disons le simplement, il y aurait à la base la pensée dont la formulation serait achevée et
qu’il faut extérioriser telle qu’elle au moyen de mots. Quand bien même le praxématicien travaille sur
la matérialité du langage pour faire ressortir les procédés de construction du sens essentiellement dans
le verbal mais en prenant en considération, quand cela ne contredit pas les principes de sa théorie, tout
ce sur quoi travaillent les analystes de la conversation, de l’énonciation dans le discours, de
l’interaction verbale, les pragmaticiens, etc., il n’est pas question dans sa logique de rechercher
comment se traduit verbalement la pensée qui pré-existerait à la parole. Ce n’est pas seulement que
pensée et langage sont liés. C’est aussi parce que l’extériorisation du flux verbal est, en réalité et à la
différence de l’hypothèse structurale, problématique y compris dans la parole élaborée dont les œuvres
littéraires constituent le prototype. En effet, cette matérialité mise sur le marché de la lecture, si on doit
rester dans la parole élaborée et éditée, est en réalité une des versions de cette extériorisation. Une
version plusieurs fois travaillée, ajustée, etc., dont il est difficile de ne pas percevoir la recherche d’un
réglage de sens répondant à des exigences d’innovations littéraires, éditoriale, etc. C’est donc au final,
même dans le cas de cette parole élaborée, un processus dans lequel le sens est en action. Et pour saisir
ce sens en action, les théoriciens de la praxématique ont proposé de substituer au concept de signe
linguistique celui de praxème pour justement sortir de l’idée de l’antériorité figée du sens et (re)mettre
celui-ci dans la discursivité forcément dialogique et dialogale de la parole en activité, c’est à dire en
interaction. Qu’est-ce que donc le praxème? Qu’est-ce que sa substitution au signe linguistique
implique-t-elle en théorie de la production du sens en langage?

2.1.2.1. Le praxème

La praxématique remet en question la conception saussurienne du signe qui le limite à la simple


relation signifiant/signifié. Pour les fondateurs de cette théorie, il n’y a pas d’existence de signifié
comme une donné ou comme un élément figé. Pour eux, le processus de production de sens prend
place dans l’interaction où le réglage de sens obéit à un ordonnancement syntaxique particulier des
unités du discours, comme le montrent d’ailleurs les travaux d’Emile Benveniste.

Le praxème est l’«unité substituée au signe pour marquer le déplacement de la problématique du


sens produit, du résultat vers le procès de production de sens, la signifiance. A partir du couplage
entre une forme du langage et une forme du réel appréhendée de façon pratique, l’outil de production
de sens est actualisé en discours selon un réglage social du sens», écrivent F. Gardes-Madray et P.
Siblot (1986: 42).

Le praxème n’a donc pas un sens déterminé, figé. Il est actualisé en discours. C’est en fonction de
cette actualisation qu’il produit tel ou tel sens. Pour R. Lafont, que cite F. Tollis (1990: 136), le
praxème est l’ «objet linguistique présent au lieu [x] de la communication, qui symbolise l’agir concret
et l’objet extérieur». Il propose d’appeler praxème «ce qui a en charge la dénomination de l’acte et de
l’objet […] », et parapraxème ce qui sert à «leur inscription dans l’espace et le temps».

1.2.1.2.2. La signifiance et l’actualisation:


Employé par J. Kristeva et par E. Benveniste, le mot «signifiance» devient un des concepts clés de
la théorie praxématique: c’est le procès de production de sens en langage. «La signifiance, écrit
Catherine Détrie (2001: 315), renvoie ainsi à une productivité toujours à l’œuvre, un champ de
possibles sur lequel la signification opère une restriction. Elle est donc la condition même de la
production de sens, production de sens qui ne peut advenir que dans l’interaction des voix qui la sous-
tendent. Le monolinguisme du sens est donc totalement illusoire, la signifiance en travail, en tant
qu’illimitation du sens, sapant l’univocité construite par le discours. L’activité de production du sens
consiste à restreindre la signifiance, à la transformer en communication qui fasse sens et permette de
dire le monde extérieur. Tout travail de nomination est ainsi pris entre deux pressions contraires: celle,
en amont, de la signifiance, que le travail de nomination réactive, du tout pour tout; celle, en aval, des
significations reconduites, du réglage pratique, de la pression de l’énonciataire. Le mot, qui se donne
comme un produit-sens isolable, masque le travail dialectique de la signifiance. Or la présence même
du mot dans le discours manifeste l’absence (l’exclu, le rejeté, le reversé en inconscient, etc.).

Le mot dans le discours reste ainsi lourd de toutes absences, qui continuent à peser sur son sens,
chaque communication nouvelle rejouant le sens construit antérieurement.»

Pour la praxématique, continue Catherine Détrie (2001: 315), «la signifiance est ainsi une somme
de potentialités signifiantes, elles-mêmes constituées à partir de pratiques signifiantes (sociales,
politiques, idéologiques). Le réglage du praxème travaille en restriction la signifiance: parler, c’est
choisir, sélectionner des potentialités, en récusation d’autres discursivement possibles. Il peut travailler
aussi en dérèglement du rapport conventionnel. La praxématique se donne pour tâche d’analyser
comment les réglages intersubjectivement stables (ce qu’on considère naïvement comme des
significations objectives) restreignent la signifiance, comment aussi, par quelles stratégies, la
signifiance resurgit dans les marges de la signification (ratages de parole, figure, etc.)»

Pour la praxématique donc, ce qui est observé c’est à la fois le sens et son processus de production,
processus de production illimité de sens, c'est-à-dire de la signifiance.

Il faut donc insister sur le principe que le praxème n’a pas de sens prédéterminé. Actualisé en
discours (inévitablement interactionnel sous forme de co-construction, de polyphonie ou de
dialogisme: je reviendrai sur cette nuance), il produit du sens: tel ou tel sens. Au cœur d’un échange, il
se trouve entre deux instances: l’une est illimitée (à peu près celle de la langue) et l’autre est celle du
réglage social du sens. Autrement dit, pour qu’il y ait échange (social), c'est-à-dire
intercompréhension, l’aspect illimité (la signifiance) est restreint par ce réglage social du sens, lui-
même pouvant être une multitude d’autres sens dans une nouvelle ou une autre actualisation d’un
‘’même praxème’’.
R. Lafont et F. Madray (1976: 73) définissent la notion d’actualisation comme étant «le mouvement
par lequel la langue devient parole, l’usager passe du système qu’il possède à la réalisation effective de
ce système.»

L’actualisation est, en fait, un processus, c'est-à-dire un mouvement dynamique: c’est le temps


opératif de l’actualisation que la praxématique a hérité de la linguistique guillaumienne et à partir
duquel elle a élaboré son modèle de production du sens en langage.

En s’inspirant des propositions de la linguistique psychomécanique ou psychosystématique du


langage, dont l’idée maitresse est «que les mécanismes de langue sont sous-entendus par des
mouvements de pensée propre» (S. Sarazin, 2001: 285), la linguistique praxématique dans son analyse
du temps linguistique, c'est-à-dire le temps de l’actualisation ou de procès de signifiance, retient les
trois instances l’à-dire, le dire et le dit que J. M. Barberis et J. Bres (2001: 22) décrivent de la façon
suivante:

- «L’instance de l’à-dire est occupée par la programmation praxémique, parapraxémique,


phrastique et au-delà, textuelle, qui précède en inconscience la réalisation effective des unités
linguistiques.
- L’instance du dire est occupée par la réalisation effective de ces unités.
- L’instance du dit est occupée par la capitalisation de ces unités en mémoire syntaxique,
capitalisation qui rend possible la cohérence dans les enchaînements discursifs.

Entre ces trois instances, écrivent les deux auteurs, il n’y a pas succession linéaire, mais tuilage,
superposition décalée et souvent conflictuelle, comme le signalent les ratages. L’à-dire peut être
représenté comme un chantier où se concurrencent, se télescopent différents programmes vers le
défilés du dire. Le seuil d’actualisation élimine, autant faire se peut, les brouillons, mais la bousculade
au portillon est telle que le travail de sélection est rarement parfait. Se signifie alors, sous forme de
ratages sur le fil du dire et du dit, le travail de l’à-dire. D’autre part, tandis que le dire programmé
s’extériorise, l’à-dire, sous-entend les instances du dire et du dit, continue de construire, en
anticipation, les programmes de phrase, et contrôle la production du dire dans son cours, qu’il peut
interrompre, ou faire bifurquer. Mais l’à-dire est, en même temps, soumis aux paroles déjà prononcées,
qui pèsent de leur matérialité sur le déroulement irréversible du flux verbal. Le rapport entre mémoire
du dit et prévision de l’à-dire assure la cohésion du discours en train de se faire, et, lorsque nous
perdons le fil, montre la nécessaire solidarité des trois instances dans le dysfonctionnement même
(perte entre le déjà dit et la suite en cours de programmation)»

En paraphrasant les deux auteurs, je pourrai dire qu’il faudra retenir que durant une production
verbale quelconque, l’à-dire en élaboration du locuteur est à la fois insaisissable et imperceptible, se
trouvant dans l’inconscience. En même temps, il détermine le dire tout en demeurant suspendu à lui.
Alors que le dire déjà programmé s’extériorise ou se déroule, l’à-dire poursuit la programmation à
venir. Au même instant, le dit, matériellement perceptible, définira l’à-dire pour la suite de la
production discursive. A ce sujet, A. Ait Sahlia (1999: 28), souligne l’importance de cette relation
dynamique et conflictuelle: «cette dynamique de la production langagière est le lieu d’un conflit qui se
joue en permanence entre la pulsion communicative du locuteur et les contraintes qui sont imposées à
sa parole par le réglage social du sens (valeurs capitalisées en langue et stockées dans la mémoire,
co-construction interactive de sa parole). L’à-dire, en programmant les phrases à venir, a une
fonction de contrôle du dire. De ce fait, le dit ne doit jamais être considéré comme un texte
définitivement clos».

Toute activité langagière suppose donc un temps de production et un sujet parlant. Celui-ci est, sans
cesse, soumis à une pulsion communicative et une volonté de dire, c'est-à-dire en tenant compte du
réglage social du sens bien que parfois il est aussi question de réglage individualisé du sens engendrant
ainsi d’autres occurrences de significations pouvant conduire à des fractures dialogales. En effet, tout
acte de parole est, selon J.M. Barberis et F. Gardès-Madray (1986: 40), «porté dans son temps de
production par une pulsion communicative, une intentionnalité de dire. Pour se décharger, cette
pulsion met en œuvre des programmes de phrases où la signifiance doit passer, de façon toujours
conflictuelle, à travers le filtre que constitue le réglage social du sens» dont les éléments relevant de
l’interaction verbale constituent l’objet des publications de Catherine Kerbrat-Orecchioni (1998, 2000,
2008, 2009, 2012, 2013).

Ainsi, au cours de l’acte conversationnel surtout et locutoire en général, il n’y a pas une
successivité mais une superposition entre ces trois instances de l’actualisation. Dans une réalisation
langagière, l’à-dire, élaboré par le locuteur, est un temps établi en inconscience, donc imperceptible et
inconnaissable. Il détermine le dire et poursuit la programmation des phrases à venir, quand le dire
déjà programmé s’actualise. L’à-dire contrôle donc le dire et dépend du dit pour la programmation
(de l’à-dire). Et c’est dans cette dynamique langagière que se joue le conflit entre la pulsion
communicative du locuteur et les contraintes permanentes dictées à son discours par un réglage social
et culturel du sens en rapport avec un certain nombre de déterminations psychologiques et
psychanalytiques des interlocuteurs associées à leurs compétences culturelles et à leurs savoirs
implicites, en général, comme le montrent les travaux en Analyse conversationnelle et en Interactions
verbales dont ceux de Catherine Kerbrat-Orecchioni (1998, 2000, 2008, 2009, 2012, 2013). En effet, la
censure qu’apporte le locuteur à certaines réalisations verbales programmées par l’à-dire, affecte le
dit qui porte des traces de perturbation saisissables à travers les diverses formes de ratages. D’une
manière générale, écrit A. Ait Sahlia (1999: 29 ), «il est très rare que le dit d’un locuteur soit en total
adéquation avec sa pulsion communicative». Ce conflit se traduit particulièrement dans les
phénomènes de ratages, habituellement considérés comme des scories, notamment dans l’analyse
conversationnelle, mais qui sont en fait porteurs de sens; de sens en train de se construire, d’émerger et
qui est en même temps de nature à renseigner sur les relations entre les partenaires de l’échange en
cours. (Je reviendrai plus bas sur cette question).

1.2.1.3. Les principes de la praxématique


1.2.1.3.1. Le dialogisme, la polyphonie et la co-construction:
Le dialogisme, écrit Jacques Bres (2001: 83-84), est la «capacité de l’énoncé à faire entendre, outre
la voix de l’énonciateur, une (ou plusieurs) autre(s) voix qui le feuillettent énonciativement. Le terme
de dialogisme, poursuit ce linguiste, procède des écrits du cercle de Bakhtine qui, dès les années 1930,
défendent la thèse que la réalité des pratiques langagières, c’est l’interaction verbale; sa forme
prototypique, le dialogue de la conversation, et que ces faits évidents doivent être mis au centre, voire
au départ, de l’analyse linguistique. Commençons par distinguer dialogal et dialogique […]. Alors que
le dialogal se manifeste comme dialogue externe, le dialogique relève du dialogue interne: dans le
cadre d’un énoncé appartenant à un seul et même tour de parole, un même locuteur fait interagir, plus
ou moins explicitement, deux (ou plusieurs) énonciateurs dont les voix sont parfois clairement
distinctes, parfois superposées, entremêlées jusqu’à l’inextricable. Le dialogisme est cette dimension
constitutive qui tient à ce que le discours, dans une production, rencontre (presque obligatoirement)
d’autres discours et ceci doublement:

- Par dialogisation interdiscursive: l’énonciateur, dans sa saisie d’un objet de discours,


rencontre les discours précédemment tenus par d’autres sur ce même objet, discours avec
lesquels il ne peut manquer d’entrer en interaction. Par cet aspect, dialogisme est quasi-
synonyme d’intertextualité. («Le discours, [écrit M. Bakhtine-1978: 92], rencontre le discours
d’autrui sur tous les chemins qui le mènent vers son objet, et il ne peut pas ne pas entrer avec
lui en interaction vive et intense»).
- Par dialogisation interlocutive: l’énonciateur s’adresse à un énonciataire sur la
compréhension-réponse duquel il ne cesse d’anticiper: «tout discours [écrit M. Bakhtine,
1978: 103] est dirigé sur une réponse et ne peut échapper à l’influence profonde du discours
réplique prévu. […] Se constituant dans l’atmosphère du déjà-dit [= dialogisme
interdiscursif], le discours est déterminé en même temps par la réplique non encore dite, mais
sollicité et déjà prévue.
Bakhtine mentionne latéralement un troisième type de dialogisme – l’autodialogisation:
l’énonciateur dialogue avec son propre discours- qui n’a pas jusqu’ici retenu l’attention des
chercheurs.

Le dialogisme vaut pour l’énoncé relevant d’un genre du discours dialogal comme pour l’énoncé
relevant d’un genre de discours monologal. Pour M. Bakhtine (1977: 105), toute énonciation, même
sous forme écrite figée, est une réponse à quelque chose et est construite comme telle. Elle n’est qu’un
maillon de la chaine des actes de paroles. Toute inscription prolonge celles qui l’ont précédé, engage
une polémique avec elles, s’attend à des réactions actives de compréhension, anticipe sur celles-ci, etc.

Un énoncé, quel qu’il soit, répond à des énoncés qui l’ont précédé et suscite et anticipe sur des
énoncés ultérieurs qu’il suscite.»

Après avoir distingué entre les concepts de dialogique, dialogal et dialogue, dans un article sous
forme d’une mise au point épistémologique élaborée à partir des trois textes de M. Bakhtine
(Problèmes de la poétique de Dostoïevski, «Du discours romanesque» dans Esthétique et théorie du
roman, et «Les genres du discours» dans Esthétique de la création verbale), J. Bres (2005: 47-61)
justifie la nécessité de ne pas confondre entre le dialogisme et la polyphonie. En effet, constatant un
usage «abusif de dialogique comme d’un équivalent de dialogue» et partant des définitions qu’en offre
le Petit Robert ainsi que de la traduction des textes de M. Bakhtine associée aux travaux sémiotiques
de T. Todorov, il entreprend, en s’appuyant sur le dictionnaire de Détrie C., Siblot P., etc. (2001) et de
celui de Charaudeau P. et Maingueneau D. (2002), de distinguer les deux notions dialogal et
dialogique: «dialogal, écrit-il (2005: 49), pour prendre en charge tout ce qui a trait au dialogue en tant
qu’alternance de tours de parole, disons le dialogue externe pour parler comme Bakhtine; dialogal est
opposé à monologal. Dialogique, poursuit-il, pour prendre en charge la problématique de l’orientation
de l’énoncé vers d’autres énoncés, disons pour faire vite le dialogue interne; dialogique est opposé à
monologique.» Il fait remarquer que cette répartition de domaines n’a pas fait l’objet de travaux: «les
spécialistes du dialogal (l’analyse conversationnelle) tendent à ignorer la problématique du dialogique;
et réciproquement, les spécialistes du dialogique- ou de la polyphonie- tendent à ignorer la
problématique du dialogal» (2005: 50). Il tente alors d’expliciter le lien étroit qui les unie et se
démarque des positionnements théoriques de Todorov et la ScaPoline qui, selon lui, substituent au
concept de dialogisme celui de polyphonie pour remettre en question l’unicité du sujet parlant et en
faire ainsi un metteur en scène, un chef d’orchestre de plusieurs voix distinctes et, du coup, ne pas
prendre en charge la problématique du dialogal (puisque l’énoncé n’est pas dialogique mais
polyphonique, selon eux). Alors que lui préfère celui de dialogisme essentiellement parce que, pour lui
et suivant en cela M. Bakhtine, l’énoncé est toujours une réponse. Il est toujours orienté vers d’autres
énoncés antérieurs ou qu’il suscite, qu’il prévoit, qu’il rencontre, etc. sans le savoir toujours. Il est
aussi porteur des traces de ceux avec qui il est en interaction, c'est-à-dire la réalité première du langage
selon M. Bakhtine. Ces énoncés constituent, en fait, dans la logique de M. Bakhtine, les voix et les
rapports dialogiques tissés dans une performance d’apparence monologale. Les traces de ces voix
peuvent concerner «le discours rapporté bien sûr, la parodie, la bivocalité, l’hybride, l’ironie,
l’interrogation, mais aussi les paragraphes, la division du discours en parties, les points de suspension,
le mot lui-même, ‘’l’insistance sur certains points, la réitération, le choix d’expressions plus tranchées
(ou au contraire moins tranchées), la tonalité provocante, ou au contraire concessive, etc.’’ » (2005:
54). Ainsi, si les marques du dialogal sont explicites celle du dialogique sont souvent implicites, c'est-
à-dire peu visibles, car «les phénomènes dialogiques, précise-t-il (2005: 55), tiennent à l’interaction de
l’énoncé avec d’autres énoncés». Alors que «les phénomènes dialogaux tiennent à l’alternance in
presentia des locuteurs et sont décrits par l’analyse conversationnelle dans leur liaison à l’alternance
de tours de parole. Citons, poursuit-il (2005: 55), parmi les principaux: la gestion des places
transitionnelles, les pauses, les pathétiques et régulateurs, la complétion, le lien de dépendance
conditionnelle, etc. ; les enchaînements syntaxiques comme les anaphores, la continuité thématique,
des actes de parole (une question sollicite une réponse, etc.)». Conclusion: «les phénomènes
dialogaux affectent donc la structure externe, manifeste, de surface de l’énoncé; les phénomènes
dialogiques, sa structure interne, profonde, secrète. Et tous les deux concernent le niveau de l’énoncé
(entendu comme tour de parole dans le dialogal, texte ou discours dans le monologal), même si ces
phénomènes peuvent se marquer bien sûr à des niveaux inférieurs. Les phénomènes dialogaux sont à
rapporter à l’interaction dialogale, qui tient à ce que deux (ou plusieurs) locuteurs partagent un même
élément: le fil du discours, du dire, de l’interaction. Les phénomènes dialogiques sont à rapporter à
l’interaction dialogique, qui tient à ce que le locuteur partage avec d’autres discours, dont celui de son
interlocuteur dans le dialogal, un même objet de discours; plus fondamentalement […] à ce que
l’énoncé ne fait de sens que dans et de cet interdiscours». (2005: 55-6)

S’il est donc évident que le sens est toujours co-construit, cette co-construction pourrait être une
pluralité de voix sans qu’il y ait forcément de tension entre elles, c’est la polyphonie. Mais elle
pourrait aussi être une réplique, c'est-à-dire une (ou des) voix qui répond (répondent) à une (ou à
d’autres): c’est le dialogisme.

1.2.1.3.2. La pulsion communicative et le réglage social du sens


Le caractère conflictuel du rapport entre les instances du temps linguistique, c'est-à-dire de
l’actualisation, traduit celui entre la pulsion communicative et le réglage social du sens. A ce sujet, A.
Ait Sahlia (1999: 29) écrit: «lorsque le locuteur réprime sa pulsion communicative [«la dynamique
tout à fait primitive qui permet l’émergence de je», C. Déterie, 2001: 287]3, ce qui est généralement le
cas, le dit porte les traces des perturbations de l’à-dire. Le locuteur est amené à des reformulations, il
accumule parfois les ratages, sous les formes les plus diverses, autant d’accrocs du dire qui ouvre sur
le non-dit. J’aurai maintes fois l’occasion de montrer à quel point ces bribes inachevées ou
reformulées, presque toujours traitées en scories négligeables par les analystes de conversation, sont
porteuses de sens.»

3
C’est moi qui rapporte l’éclairage entre les deux crochets.
Voici un long paragraphe de B. Maurer (1999: 150) autour de ce phénomène qu’il considère faire
partie du signifiant en discours: «Le locuteur peut se rendre compte au moment de réaliser un
programme que l’Autre risque de réagir négativement, qu’il n’acceptera pas les termes du dire : il ne
finit pas une phrase, un mot, ou bien encore allonge son dire d’une pause pour laisser à l’activité de
programmation un temps supplémentaire. Le ratage peut être considéré comme tel d’un point de vue
syntaxique en ce sens qu’une phrase programmée en à-dire n’est que partiellement versée dans le dire;
le fonctionnement de la mémoire-prévision de l’à-dire en est ici responsable car le sujet tient compte
de ce qu’il sait de l’Autre et de ses réactions (mémoire) et il s’aperçoit qu’il ne peut réaliser
entièrement le programme par prévision d’éventuelles réactions négatives. La dimension interactive et
dialogique du ratage apparait donc très nettement. Quant au lapsus, il est parfois la trace qu’en à-dire
un autre praxème avait été envisagé: le fait qu’il arrive tout de même au seuil de l’actualisation, se
laisse tout de même entrevoir, dévoile les conflits du sujet qui produit son discours sous la pesée de
l’autre. Outre ces aspects ‘’palliatifs’’ du ratage, assez souvent interprétables donc pour remonter vers
l’activité cognitive des sujets communicants, il faut aussi les considérer comme des moyens utilisés
par les interactants, certes de manière relativement non consciente, pour assurer la cohésion du dire, et
ce à un double niveau. Sur le plan de la cohésion syntaxique des énoncés, ils fonctionnent comme
signaux soulignant l’articulation des discours; on peut remarquer la fréquence importante des
bégaiements, des reprises, des répétitions portant sur des éléments grammaticaux (prépositions,
pronoms, déterminants, conjonctions). Celles-ci, on le sait, jouent un rôle important dans la
construction de la phrase. La répétition aurait pour fonction d’assurer une meilleure cohésion
syntaxique, en mettant en valeur un des éléments importants de l’architecture de la phrase. Ce type
d’hésitation offre donc une possibilité de synchronisation-locuteur et permet la cohésion de
l’interaction verbale. L’incohérent n’est donc tel qu’en apparence; le ratage est en réalité signifiant,
dès lors qu’on se donne les moyens de le penser en relation avec les processus de production de sens,
qu’on le relie à la tension interdiscursive, au dialogisme interpersonnel et aux activités de
programmation qui sous-tendent le dire. »

Bégaiements, répétitions, autocensures, évitements, camouflages, prolongement vocaliques,


intonations ascendantes/descendantes, interruptions de programme de sens, etc., témoignent du rapport
entre la pulsion communicative et le réglage social du sens. S’il est certain que ceux-là sont parfois à
analyser comme des produits de l’extériorisation conflictuelle de tensions aussi bien en terme de
relations dialogiques que dialogales, souvent ils traduisent aussi des formes de négociation dans le
sens qui émerge dans le rapport à l’Autre, aux Autres et dans des logiques de mêmeté4 et d’altérité, de
l’un et du multiple, du subjectif et de l’intersubjectif, et enfin, de l’Ici et de l’Ailleurs de la personne,
c’est à dire de la parole.

4
«Mêmeté» par opposition «altérité», notamment dans la thèse de A. Ait Sahlia-BenAissa (1999).
1.2.1.3.3. L’Ici et l’Ailleurs de la personne
Toute personne produisant un discours manifeste par cet acte son existence et son appartenance à
un espace social et géographique. Toute interaction verbale suppose donc un sujet parlant qui
manifeste sa présence au monde et procure de la réalité à son discours par une marque linguistique
« je ». Ce « je », marque de présence du locuteur, est, selon R. Lafont et F. Gardès-Madray (1976: 90),
«le critère absolu que le monde existe, et que le langage est ancré, comme locution, dans cette
existence ». En effet, toutes les langues sont dotées de marques linguistiques qui montrent l’existence
au monde de celui qui parle.

La construction de ce «je» ou la constitution du moi de la personne, passe par différentes étapes


comme le montrent les études en psychanalyse. C’est à partir du «stade de miroir» que l’enfant
commence d’abord à reconnaître son existence et, par là, la constitution du moi. Ensuite, il se
désignera tel que son entourage le nomme (par son nom propre). Enfin, quelques temps plus tard, il se
désignera en «je».

C’est donc à partir du «je», marque de la présence du sujet au monde, que l’Ici et l’Ailleurs de sa
parole se dessinent. Et par là même, se déterminent les fréquences temporelles, envisagées en
«ascendance» ou en «descendance»: notions empruntées à la linguistique guillaumienne par la
praxématique où le temps ascendant «correspond à un flux temporel qui tend vers l’avenir du sujet, et
le temps descendant à un flux qui tend vers son passé» (A. Ait Sahlia, 1999: 31).

Toute interaction suppose donc un «je» qui s’adresse à un «tu». Ces deux marques linguistiques
sont interchangeables selon les besoins de l’interaction. «Je» et «tu» sont, selon le propos de A. Ait
Sahlia (1999: 32) «deux formes d’une même personne: le couple je/tu est une fracture dans la
personne qui correspond à l’inscription de celle-ci dans l’ici de l’espace discursif qu’elle dessine.
L’ailleurs de la personne, ou non- personne, est rejeté en ça ».

Dans une interaction verbale, «je» et «tu» sont en mouvement puisqu’ils peuvent être permutables.
Cette dynamique verbale amène à envisager le Même et l’Autre en discours et à rendre compte donc
de l’Ici et l’Ailleurs de la personne avec tout ce que cela suppose comme stratégie de promiscuité ou,
au contraire, de distanciation sémantique que traduit, par exemple, l’emploi de marques inclusives ou
exclusives, endogroupales ou exogroupales. En effet, précise M. Bakhtine (1977: ), « le discours
n’émerge que dans un processus d’interaction entre une conscience individuelle et une autre, qui
l’inspire et à qui elle répond»

Ainsi, dans un échange, chacun des partenaires tente d’agir sur son ou ses vis-à-vis en mettant en
œuvre ses stratégies d’influence. En effet, insiste M. Bakhtine, parler c’est communiquer et
communiquer c’est interagir. D’où l’inévitable caractère dialogique des contenus des échanges
dialogaux: c’est pourquoi, pour O. Ducrot (1981: 82), il y a dialogisme dès que deux ou plus de deux
voix se disputent un seul acte de locution. Ainsi, les formes de la présence de l’Autre dans le discours
participent de façon déterminante à la constitution du sujet parlant en reconfigurant à chaque fois les
paramètres du rapport à l’Autre, de l’Ici à l’Ailleurs de sa personne. A ce propos, M. Bakhtine (1977:),
écrit: « je ne peux me percevoir moi-même dans mon aspect extérieur, sentir qu’il m’englobe,
m’exprime…en ce sens, on peut parler du besoin esthétique que l’homme a d’autrui, de cette activité
d’autrui qui consiste à voir, retenir, rassembler et unifier et qui seule peut créer la personnalité
extérieurement finie; si autrui ne l’a pas crée, cette personnalité n’existera pas».

1.2.2. Représentations et discours épilinguistiques:


L’hypothèse de l’existence d’une représentation partagée au sein d’un groupe social a précédé son
émergence en tant que concept qui connaitra le succès qu’on lui connait en psychologie sociale à partir
des années 1960 pour, ensuite, être adopté par d’autres disciplines dont la linguistique… sociale.
Depuis au moins Emile Durkheim, on admet l’existence dans la société de formes de «pensée
collective» qui «reçoit sa caution du groupe par accord spontané de chacun de ses membres [et]
acquiert une espèce d’évidence qui s’impose à la connaissance et tient lieu de toute délibération» (P.
Mannoni, 1998: 21). Cette forme de connaissance du réel social, élaborée collectivement, est la base
de la socialisation. Elle est constituée d’ensembles de croyances, de préjugés, de stéréotypes et autres
idées reçues qui orientent la perception de l’environnement social, culturel, etc., et prédisposent les
actions individuelles et collectives.

Ces ensembles fonctionnent comme une espèce de régulateurs sociaux à la base des attitudes et des
comportements adoptés aussi bien à l’égard des membres du groupe d’appartenance sociale, culturelle,
etc., que des objets et autres enjeux d’intérêts matériels et symboliques. Ils sont, par conséquent,
étroitement liés aux attitudes dont ils sont la base et des comportements à partir desquelles ils sont, en
partie, forgés. Voilà trois instances constitutives d’une boucle. Une boucle en évolution car elle est
sociale. Et comme tout objet social, elle est sujet à mutation bien que le commun des membres du
groupe ne s’en rend pas toujours compte car, justement, cette évolution fait partie de la mutation
sociale dans sa globalité.

Définies en psychologie sociale comme «outils d’interprétation et de compréhension du monde qui


permettent d’identifier, d’expliquer et de comprendre l’environnement» (J. C. Abric, 1994: 15-16), les
représentations «permettent aux acteurs sociaux d’acquérir des connaissances et de les intégrer dans
un cadre assimilable et compréhensible pour eux, en cohérence avec leur fonctionnement cognitif et
les valeurs auxquelles ils adhèrent» (J. C. Abric, 1994: 15-16). Mais si par outil on entend un objet,
concret ou symbolique/existant ou crée (inventé), dont on se sert pour obtenir, réaliser, atteindre, etc.,
quelque chose d’autre, il faut reconnaitre alors, tout en adoptant la posture de P. Mannoni (1998: 4)
pour qui «tout peut être représenté, tout est objet de représentation», que tout est question du point de
vue à partir duquel l’observateur décrit le fonctionnement de cet outil que constitue cet ensemble de
connaissances sociales dont les pratiques langagières, en rapport avec le statut des locuteurs et de leurs
langues dans un ensemble social et institutionnel, etc., constituent un des objets. En effet, les pratiques
langagières sont à la fois sujet de représentations sociales et porteuses de modèles sociaux qui tantôt
encouragent tantôt découragent leur pratique en société. Ainsi, elles participent à leur propre devenir
(social). Mais en définissant les représentations comme un outil, n’y a-t-il pas de risque de comprendre
qu’elles seraient conscientes et volontaire comme le suggère l’idée d’outil ou d’instrument, de moyen,
etc.? Car si on admet comme telle la force mobilisatrice, par exemple, des préjugés (ces «activateurs
épistémologiques de la pensée vulgaire», pour reprendre P. Mannoni, 1998: 21), ceux-ci seraient-ils
aussi conscients? Et les autres croyances sociales le seraient elles alors?

A mon avis, par outil, il faut retenir l’idée de saisie d’un objet matériel ou immatériel de manière
consciente ou pas pour s’en servir à des fins personnelles et/ou sociales. Ces fins peuvent être celles de
réussite ou de survies sociales, culturelle, économiques, etc. Se servir d’une arme pour survivre dans
une lutte meurtrière serait-il de l’ordre du conscient ou de l’inconscient, motivé par l’instinct de
survie? Comme outil, les représentations sociales pourraient donc être un outil soit d’intérêt social
(pour une meilleure socialisation, une meilleure réussite ou survie sociale, etc.), soit de description de
leurs fonctionnements dans les groupes qui les forgent, les adoptes/adaptent: c’est ce dont se chargent
les scientifiques de diverses disciplines liées aux sciences sociales et humaines. Et dans ce dernier cas,
dans lequel je me situe, la question se posera différemment selon que je m’occupe de leur structure
psychique ou de leurs manifestations sociales, en général, et linguistiques, en particulier. Ma posture
étant celle d’étudiante en sciences du langage, il est évident que le point de vue à partir duquel je me
propose de décrire ici les représentations sociales du français dans les discours épilinguistiques de
Tizi-Ouzouéens, candidats au baccalauréat de 2011, est celui de leurs élaborations linguistiques dans
le cadre des échanges réalisés avec eux. Des élaborations auxquelles je prends part et qui, de ce fait,
constituent une co-élaboration avec tout ce que cela pourrait impliquer comme co-construction mais
aussi tension dans le réglage du sens dans les propos extériorisés dans des conditions particulières de
production liées au contexte social, politique, culturel et économique dans lequel nous évoluons, mes
interlocuteurs et moi. Voilà une autre nuance à préciser car s’il est possible 5 , en effet, que ces
représentations en tant qu’organisation psychique existent comme catégorisation du français, elles
peuvent prendre des formes discursives et significatives différentes, voire non soupçonnées au fur et à
mesure des tours de paroles échangées et révéler des lieux de partage, de désaccord ou de
malentendus discursifs porteurs de traces des perturbations de nos activités signifiantes respectives.

L’organisation du discours est donc porteuse de sens puisqu’elle pourrait engendrer du sens.
J’aurai, en effet, à le montrer plusieurs fois, au moins au niveau dialogal des échanges enregistrés,
comment les interprétations rétroactives de propos antérieurs pourrait me conduire à reformuler, sous

5
En s’étonnant du sujet de certaines de mes questions, certaines élèves en disant en même temps qu’ils ne se
sont jamais posés ce genre de questions, n’ont-ils pas a priori de représentations en tant que structure?
l’effet dialogique de l’interdiscours, mes questions, mes suggestions et projets de (re) prise de parole
dans l’interactivité langagière qui me lie avec mes partenaires des échanges verbaux.

Il s’agit donc pour moi des représentations, au pluriel, c'est-à-dire comme forme et moyen de
communication qui, en portant les traces de l’activité épilinguistique des interactants et en prenant
appui sur la représentation comme structure cognitive, rend compte du processus interactif de la co-
construction du sens à propos du français en compétition avec l’arabe, le kabyle, l’anglais, voire
l’allemand, l’espagnol… Ce sens est donc à saisir dans cette double dimension que constituent, d’un
côté, la représentation et, de l’autre côté, les représentations que les marques dialogales et dialogiques
des discours échangés font ressortir sous une forme dynamique et temporairement achevées.

Au sujet de cette distinction théorique relative au singulier et au pluriel dans représentation(s), B.


Maurer (1999: 87) remarque qu’une «étude rapide des contextes d’emploi de ces deux constructions
révélerait très vite que le singulier est le plus souvent utilisé en psychologie cognitive et avec le sens
d’activité du sujet, de processus d’analyse de l’environnement, de simplification de l’univers en un
monde plus maniable, en un monde ‘’épistémique’’; la linguistique en use également dont un des
objectifs est de comprendre comment l’activité langagière livre une représentation du monde; par
contraste, le pluriel -les représentations- désigne les résultats du processus, parfois équivalent d’image,
allant des mots que l’on emploi pour désigner son entourage aux plans produits à partir de l’analyse
d’un territoire: l’emploi du pluriel me semble l’emporter sur le singulier chez les anthropologues, les
ethnologues, les pyschosociologues et les sociolinguistes». Continuant son raisonnement, B. Maurer
(1999 : 90) précise que «l’analyse de discours, même comme les traces observables d’opérations de
pensée, comporte ses limites et ne peut à elle seule fournir une représentation satisfaisante de la
complexité des processus représentationnels». En effet, pour lui (1999: 90) «la représentation se
présente au moins sous deux dimensions: en tant qu’opération d’analyse de l’environnement, elle peut
être décrite en termes de structure; en tant que moyen de communication, elle doit être ressaisie dans
son dynamisme, comme forme d’actualisation de cette structure». On voit l’intérêt théorique mais
aussi l’efficacité méthodologique de me situer dans la saisie du processus co-constructif ou dialogique
du sens autour du français en train de se faire dans le flux de la parole échangée et parfois, peut être,
disputée entre mes partenaires d’échange et moi-même. J’aurai, en effet, à revenir dans les analyses
sur mes erreurs d’interprétation des catégorisations de mes interlocuteurs et à partir desquelles j’ai
échoué à relancer la discussion ainsi que de leurs répliques en sous ou surestimant les tensions
interlocutives qu’elles induisent, mais aussi sur mon rendement dialogal pour libérer la pulsion
communicative et saisir hic ad nunc les enjeux conflictuels ou complémentaires des réglages de sens
en cours; car, comme l’écrit B. Maurer (1999: 121), «les discours qui s’offrent à l’analyse ne sont pas
[…] l’expression d’une subjectivité mais d’une intersubjectivité. Il est donc nécessaire de ressaisir
l’interaction sujet-objet-autre sujet pour analyser en discours les représentations dans les processus de
production». En effet, poursuit-il plus loin (1999: 148), «le discours n’est pas la transparence
d’opinions, d’attitudes, de représentation existant de manière achevée avant la mise en forme du
langage. Le discours est un moment dans le processus d’élaboration avec tout ce que cela comporte de
contradictions, d’incohérences, d’inachèvements. Le discours est parole en acte. C’est en étudiant les
efforts de maitrise de la parole, mais aussi ses lacunes et ses manques que l’analyste peut reconstruire
l’investissement, les attitudes, les représentations réelles.»

Inutile donc de rappeler, au risque de me répéter, qu’à la lumière de ces précisions, l’objectif dans
la présente étude est de saisir dans la matérialité verbale des discours sollicités, les traces dialogale et
dialogique de nos activités épilinguistiques (mes partenaires de l’échange et moi-même) concernant le
français en rapport à l’arabe, au kabyle, à l’anglais… Il ne s’agit pas en fait des représentations du
français comme produit fini mais de ces représentations en train de se construire dans les aléas des
échanges avec mes partenaires. En déconstruisant cette construction finie/enregistrée et transcrite (je
reviendrai plus loin ces aspects méthodologiques de recueil et d’analyse de mon corpus), l’analyse
consiste à faire ressortir son fonctionnement épilinguistique. Qu’est-ce qu’on entend donc par discours
et activité éplinguistique?

Généralement, on qualifie d’épilinguistiques les discours que tient un locuteur non averti sur les
langues et les pratiques langagières le plus souvent d’autrui mais aussi le concernant. Ainsi dit, cela
pourrait faire croire que seuls les non-avertis serait des auteurs de discours épilinguistiques. Et on
pourrait s’interroger sur l’identité de ces non-avertis: qui sont-ils? Les non spécialisés dans l’étude des
langues? Les discours sur les langues et les pratiques de langues que tiennent les autres scientifiques
seraient-ils épilinguistiques? Pourquoi ne le seraient-ils pas?

La notion d’activité épilinguistique est introduite par A. Culioli (1968-1990). Celui-ci la définit
comme une activité métalinguistique non consciente qui laisse des traces de subjectivité d’inspiration
culturelle ou autres et des prises de position idéologique dont l’auteur n’est pas toujours conscient ou
qu’il range dans des logiques partisanes. Il la distingue de l’activité métalinguistique délibérée et
consciente dans laquelle la langue ou les langues sont des objets d’analyse fondée théoriquement et
constituée méthodologiquement. Dans la théorie de A. Culioli, la première relève du domaine du
‘’formulable’’, la seconde du ‘’formulé’’. En effet, l’activité épilinguistique est invisible puisqu’elle
est mentale et non consciente. N’en est visible linguistiquement que les marques de cette activité,
observable dans la pratique langagière du sujet énonciateur dans l’interaction sociale avec autrui. En
effet, écrit C. Canut (1998: 70), les discours épilinguistiques qui «émergent de manière singulière en
interaction, ne sont pas des produits ‘’finis’’ mais s’inscrivent dans une dynamique, une activité
épilinguistique, propre à chaque sujet, dans son rapport à l’autre en discours». Et l’activité
épilinguistique, poursuit-elle (1998: 71), permet «de rendre compte d’une manière dynamique du
rapport du sujet au lecte (s), le sien ou celui des autres».
Les activités épilinguistique et métalinguistique ne s’opposent donc pas en termes de position
subjective dans le premier cas et de position objective dans le second. La difficulté de préciser les
critères définitoires des deux cas possibles fait que théoriquement il est plus prudent et même plus
proche de la réalité de s’en tenir à la proposition d’A. Culioli car elle distingue non pas entre les
locuteurs mais entre les types de discours.

En effet, bien que supposée être avertie, au moins du fait que je suis titulaire d’un magister en
sciences du langage, on verra que mon discours, en dépit de ma feuille de route établie sur le principe
de la neutralité dans le traitement de la question que je me propose de débattre avec mes partenaires
d’échange, est aussi traversé de traces indicatrices de supposés culturels, collectifs et individuels qui
ne sont pas recevables pour certains de mes partenaires et dont le fonctionnement sémantique n’est pas
toujours celui que je crois avoir conçu, formulé, extériorisé…

Les frontières entre les discours épilinguistique et métalinguistique sont en réalité difficiles à établir
quand on se positionne dans la perspective théorique de la linguistique de la complexité et quand on
admet l’importance et l’implication du temps aussi bien dans l’observation d’un objet social comme la
ou les langues que l’évolution de l’objet lui-même. Autant préciser alors le point à partir duquel je
provoque, recueille, transcris et analyse la parole de ces élèves qui ont accepté de discuter avec moi au
sujet du français à l’école et à l’université ; car tout me parait être aussi une question de pratiques
discursives. Ce sont d’ailleurs ces pratiques discursives que je propose de déconstruire pour faire
ressortir les procédées d’élaboration des représentations du français en rapport avec l’arabe, le kabyle,
l’anglais, l’allemand…

1.3. Le cadre méthodologique


J’insiste donc sur le fait qu’il ne s’agit pas ici de simples mises en mots comme si le langage
(verbal) servirait de moyen pour rendre audible et visible la pensée qui serait donc définitivement
élaborée et donc préexistante à sa version verbale. En effet, ainsi souligné plus haut, le langage
participe à son élaboration. Une élaboration d’ailleurs tumultueuse. Et, rien qu’à considérer les
rapports entre les temps du dit, de l’à-dire et du dire, associés de façon permanente à l’Ici et à
l’Ailleurs de la personne aussi bien au niveau monologal que dans ses relations réelles ou supposées
avec l’Autre, un ou multiple, etc., je ne peux pas ne pas y voir l’intérêt de situer mon objet d’étude
dans l’activité langagière des lycéens pour y décrire les procédés linguistique de l’élaboration des
représentations qu’ils se font du français en contact avec l’arabe, le kabyle, l’anglais et, parfois,
l’allemand dans l’espace social et culturel tizi-ouzouéen et algérien, en général.

Or, comme le souligne P. Moliner (1996: 96), « quiconque s’est intéressé aux représentations
sociales au point d’aller enregistrer les discours, observer les pratiques, aura sans doute été frappé de
la diversité et de l’homogénéité des corpus recueillis. Chaque individu nous rapporte une histoire
différente, avec des mots différents et une logique différente. Dans le même temps, toutes ces histoires
se ressemblent, tous ces mots se rejoignent, toutes ces logiques se retrouvent».

Dans la même logique B. Maurer (1999: 86) écrit: «Quiconque a procédé à des enquêtes sur les
représentations des langues aura par exemple remarqué qu’au-delà d’un nombre finalement peu élevé
de témoins interrogés, une ou deux douzaines à peine, les discours se répètent, les images se rejoignent
et, parfois même, des formules identiques reviennent. Derrière la diversité de leurs discours, les sujets
se prêtant de bonne grâce aux enquêtes ne s’appuient-ils pas sur des visions du monde souvent assez
proches, relativement partagés, sur des représentations communes à des groupes plus larges?
L’hypothèse d’une dimension sociale des représentations que nous construisons est une hypothèse au
moins… raisonnable, sinon définitivement fondée. Mais derrière ce que disent les gens, comment être
sûr de ce qu’ils disent, conçoivent, se représentent? Ne racontent-ils pas un peu ce qu’ils veulent, ce
qu’ils sont prêts à dire, voire même ce qu’ils pensent que le chercheur attend d’eux?»

En effet, consciente de ces limites et de ces difficultés dont rendent comptes les chercheures en
sciences sociales, en sciences du langage, etc., et sur lesquelles s’appuient les théoriciens de la
linguistique de la complexité et dont les précurseurs sont des sociolinguistiques de renom (L. J. Calvet,
2002, 2004, 2007; Ph. Blanchet, 2000, 2007, 2012 ; D. de Robillard, 2007, etc.,), j’ai construit un
cadre théorique qui appelle ainsi une méthodologie appropriée allant de l’analogique au digital, selon
la formule de L.-J. Calvet (2004).

La construction de mon corpus passe, de ce fait, par deux étapes. La première est analogique. C’est
ma pré-enquête. J’y adopte, en effet, le questionnaire ouvert associant des questions d’identification ou
objectives pour classer les auteurs des réponses selon leur appartenance sexuelle, la filière dans
laquelle ils sont inscrits, etc., et des questions d’opinion visant à faire mettre en mots (écrits6) ce qu’on
penserait du français dans le contexte scolaire des élèves qui ont accepté de me répondre. Dans mon
enquête proprement dite, je sollicite des discussions avec des élèves sélectionnés selon leur
disponibilité et le profil retenu dans la pré-enquête pour désambiguïser ces ‘’mises en mots’’ en
m’appuyant sur un guide d’entretien élaboré en fonction des résultats des analyses (du contenu) des
données fournies par la pré-enquête. C’est une démarche digitale durant laquelle ces discussions, en
dépassant le classique question-réponse, sont conduites de telle manière à libérer la parole en
choisissant de demander des clarifications autour des mots et des tournures employées par mes

6
Comme je l’ai mentionné plus haut, ces réponses écrites comme d’ailleurs toutes les productions écrites sont,
en réalité, travaillées silencieusement selon les logiques du rapport entre la signifiance et le réglage social (qui
peut être scolaire, éditorial…) du sens. L’idée de mise en mots ici implique la présence dialogique de l’autre
mais exclue celle qui relève du dialogal (avec moi car, comme je l’ai précisé aussi, je n’ignore pas les retombées
éventuelles sur les réponses aux questions du contact avec les parents…)
interlocuteurs, de contredire, preuve à l’appui, de relancer, de recentrer…. Les données verbales
enregistrées de ces échanges constituent donc mon corpus. On voit bien que l’investigation
quantitative dans la pré-enquête sert l’investigation qualitative de l’enquête. En effet, les partenaires
des échanges conduits dans ce cadre ont pris part à la pré-enquête et qu’ici il est attendu d’eux des
éclairages, des explications, des explicitations; bref, une désambiguïsation des propos déclarés en
réponse au questionnaire. Ce n’est naturellement pas une espèce d’interrogatoire à vocation de faire
expliquer ces propos comme si ces derniers sont retenus contre chacun d’eux. Ces propos permettent
de personnaliser en quelque sorte le guide d’entretien commun à l’ensemble des participants aux
échanges.

1.3.1. La pré-enquête:
Depuis que j’enseigne au département de français, j’ai toujours profité de la séance de prise de
contact, au début de l’année universitaire, pour demander à mes étudiants de première année, d’abord si
leur inscription en licence de français relève de leur choix (premier, deuxième, troisième, etc.) ou non
et, ensuite, les raisons à la base de celui-ci lorsqu’il est confirmé ainsi que pour lesquelles le français ne
figure pas du tout dans la fiche de vœux. Selon qu’on ait choisi le français en premier, en deuxième, en
troisième lieu, etc., ou pas du tout, les justifications exprimées traduisent les opinions des uns et des
autres en renvoyant parfois aux référents culturels et civilisationnels de cette langue, parfois à la façon
avec laquelle celle-ci a été enseignée indiquant en même temps son poids dans la scolarité pré-
universitaire. A mes questions, sollicitant l’expression des raisons du choix de cette langue comme
licence de formation universitaire, souvent les réponses se répètent et sont concentrées sur des
praxèmes qualifiant le français de «langue de (la) sciences» ou de «(plus) belle», d’ «internationale»,
de «langue d’ouverture», etc., ou sur ceux concernant le rapport à cette langue dans le pré-universitaire.
Quasi-systématiquement, ceux qui choisissent cette licence soulignent «les bonnes notes obtenues en
français» ou encore le «plaisir du cours de français» car l’enseignant(e) de la matière est «cool»,
«sympathique», «décontracté(e)» le plus souvent cités en comparaison à des enseignants d’autres
matières considérés, selon les cas, «lourds», «rigides», «strictes» «renfermés»… L’impact auprès de
l’apprenant de l’image de l’enseignant sur la matière enseignée n’est plus à démontrer. Mais ce n’est
pas le seul argument en faveur ou en défaveur du français qui est, dans la bouche des nouveaux
bacheliers inscrits en licence de français, en concurrence avec l’anglais, lorsqu’il est question du statut
international des langues et avec l’arabe pour ce qui est des études effectuées jusqu’ici. Bien sûr les
arguments sont autres quand il est question des études universitaires d’autant plus qu’on découvre ou
confirme, au fur et à mesure, que leurs camarades, inscrits dans des filières scientifiques ou technique
(biologie, mathématiques, physique, chimie, électronique, etc.), étudient exclusivement en français.
Ainsi, on soulève, sous forme presque de protestation, cette rupture dans la langue d’acquisition des
savoirs sans se soucier des difficultés d’adaptation des nouveaux bacheliers appelés à fournir un double
effort pour acquérir en même temps les savoirs et la langue avec laquelle ces derniers sont dispensés,
comme si celle-ci est totalement étrangère aux nouveaux étudiants! Cela témoigne au moins du statut
attribué au français à l’école faisant de son enseignement peu d’importance; lorsque l’idéologie
ultraconservatrice n’est pas mêlée pour diaboliser son acquisition par le jeune musulman et révéler du
coup non seulement le lourd fardeau du passé colonial, dont il est chargé, mais aussi son lien à la fois
philosophique et politique avec la laïcité perçue ou dite ennemie de la religion… musulmane.

Ainsi, en m’inscrivant dans la logique méthodologique de Ph. Blanchet7 (2000/2012 et 2007) pour
qui, faut-il le rappeler, être scientifique dans notre domaine, celui des langues, des cultures et des
sociétés, c’est dire de quel point de vue on décrit, je peux donc dire que ma pré-enquête a, en effet,
commencé de cette manière. Les implications théoriques de la problématisation de mon sujet ont alors
débouché sur une série de questions liées à la méthodologie à adopter pour construire un corpus qui,
sans prétendre à une quelconque représentativité sociale, sera l’objet d’analyse pour prétendre apporter
des éléments de réponse à la question à la base de la présente thèse: quelles représentations s’élaborent
à propos du français dans les échanges langagiers que je sollicite auprès d’élèves tizi-ouzouèens
candidats au baccalauréat de l’année 2011? Ces questions concernent aussi bien l’échantillonnage, la
ou les langues à utiliser, la ou les méthodes d’interrogations, etc., que la saisie du matériau recueilli et
le mode des analyses à entreprendre.

1.3.1.1. Un échantillon? Pourquoi?


Optimiser les chances pour une diversité d’opinions et de formes d’énonciation de ces opinions
implique la prise en considération de l’ensemble des établissements du secondaire de la ville de Tizi-
Ouzou. Ces établissement sont au nombre de sept: Amirouche, autrefois Polyvalent, El Khensa, Fatma
N’Soumer, Abane Ramdane, encore dit Nouveau Lycée, Technicum (Nouvelle Ville), Stambouli et 20
Août. Il faut toutefois immédiatement préciser que ce n’est pas la représentativité, en tant que mode
de représentation universelle, qui est ici ciblée. Autrement dit, les hypothèses de réponses recherchées
ne concernent pas le nombre d’élèves pour ou contre le français comme langue d’examen au
baccalauréat, langue des études universitaires, etc., ou celui de ceux qui disent ceci ou cela… L’intérêt
du nombre concerne la fréquence des arguments avancés ainsi que les façons de les avancer. En pré-
enquêtant auprès d’un maximum d’élèves dans chacun des sept établissements du secondaire de la
ville de Tizi-Ouzou, j’ai nourri l’espoir d’obtenir des fréquences argumentaires pour constituer la base
du guide d’entretien ayant servi d’instrument dans mon enquête proprement dite.

7
Dans son ouvrage intitulé La linguistique de terrain. Méthode et théorie. Une approche éthnosociolinguistique
… (2000/2012), Ph. Blanchet écrit à la page 16 ceci: ««Il est plus honnête- et aussi plus modeste- de dire de quel
point de vue l’on parle que de neutraliser l’énonciation et de faire comme si l’on exposait une –voire la vérité
universelle.»
En effet, malgré cette précaution seuls trente-huit questionnaires ont été récupérés des soixante-
trois engagés. Au-delà de cette déperdition attribuable, entre autres raisons, à la situation globale du
pays, faite de méfiance et de peur, et au malaise dû aux mouvements sociaux cycliques dans le secteur
de l’Education nationale, etc., je note surtout la pertinence d’opérer avec des questions d’opinion
ouvertes. Le hasard au rendez-vous, dans les questionnaires récupérés les sept lycées sont représentés
avec plus de réponses produites des filles que des garçons sans remettre en cause la variable sexuelle.
Ce qui m’autorise à penser qu’un échantillonnage par quota, par exemple, m’aurait posé des difficultés
de calcul si le nombre requis de questionnaires récupérés par variables n’est pas atteint. Je pourrais en
soumettre d’autres. Soumettrais-je alors d’autres pour atteindre le nombre comme si je cherchais à
obtenir des tableaux chiffrés comparant les lycées entre eux et à l’intérieur de chacun d’eux les
réponses selon les filles et les garçons croisées à chaque fois avec les filières: Langues étrangères,
Lettres et philosophie, Gestion & économie, Sciences expérimentales, Techniques & maths et
Mathématiques? Ce n’est pas qu’un tableau récapitulatif croisant les trois variables dans l’ordre lycée,
filière et sexe ou dans l’ordre filière, lycée et sexe ou encore sexe, filière et lycée serait sans
renseignement: la distribution des arguments selon les variables intéresserait une description en
quelque sorte synchronique telle que définie par la linguistique des éléments internes. Et pour ce faire,
il faudrait élargir l’échantillon avec toutes les difficultés liées justement à l’homogénéité de la
représentativité des sous-ensembles… Mais le plus difficile est aussi en rapport direct avec la nature
des questions à poser et qui ressemblerait dans ce cas à des choix parmi lesquels le lycéen choisit…
parfois sans comprendre. Les données à obtenir seront quantifiables et peut-être même systématisables
mais ne contiendront pas d’éléments intéressant mon hypothèse de travail et mon positionnement
théorique: les représentations du français s’élaborent dans l’activité langagière échangée avec des
lycéens dans cet espace social où cette langue est en concurrence avec l’arabe, le kabyle et à un degré
moindre l’anglais...

Le questionnaire que j’ai adopté n’est pas structuré, en ce sens que l’ordre des questions ne conduit
pas à un objectif recherché (R. Ghiglione et B. Matalon, 1985). L’ordre établi répond au besoin de
faire mettre en mots ce qu’on penserait du français dans cet univers de sorte que les éléments
épilinguistiques obtenus me servent dans l’élaboration d’un guide d’entretien que je personnalise selon
justement les réponses émises des candidats retenus pour l’entretien.

1.3.1.2. Les langues du questionnaire:


Après avoir conçu le questionnaire en français, ma principale langue de travail, je l’ai moi-même
traduit en arabe scolaire pour éviter une terminologie peu compréhensible. Avant de l’administrer, j’ai
sollicité la compétence d’un collègue universitaire interprète et traducteur pour réduire au minimum le
risque de l’ambiguïté dans la compréhension8.

8
Je remercie M. Belkheir Omar pour sa traduction.
Ainsi, selon qu’on lise le questionnaire de droite à gauche ou de gauche à droite, on aura la version
arabe ou bien la version française. Evidemment, ce n’est pas seulement la lisibilité des questions qui a
motivé ce choix bilingue. Il y a aussi une espèce de test de langue auquel est soumis celui qui choisira
de répondre en français et un test de cohérence pour celui qui prétend maîtriser cette langue sans
l’utiliser dans ses réponses… Bref, le choix de la langue par l’enquêté pourrait être mis en rapport
avec ses réponses.

1.3.1.3. Le questionnaire9:
Les questions sont étalées sur deux feuilles. Au verso de la première page de la version française,
se trouve la seconde page de la version arabe. Et au verso de la première page de la version arabe,
figure la deuxième page de la version française. Cela dépendra de la langue choisie: de gauche à droite
pour le français et de droite à gauche pour l’arabe.

Pour éviter tout soupçon autour de l’origine du questionnaire ainsi que de la destination des
réponses sollicitées, j’ai intentionnellement mentionné, en haut du début du questionnaire, l’institution
où je travaille pour rassurer, du fait de l’idée que l’on se fait de l’université comme le lieu par
excellence de l’objectivité et du savoir. En revanche et avec le même souci, l’intitulé de mon
département n’y figure pas pour, justement, éviter toute focalisation positive ou négative et espérer ne
pas biaiser ou au moins influencer les réponses.

C’est aussi pour rassurer que le questionnaire porte, en gras et en caractères italiques, la mention:
inutile de préciser votre nom.

Après avoir entouré un élément se rapportant à son statut (fille ou garçon) et à sa filière (Lettres et
philosophie, Langues étrangères, Mathématiques, Sciences expérimentales ou Techniques & maths), le
candidat est invité à répondre aux questions suivantes:

1- Dans quelle langue voulez-vous être examiné(e) au baccalauréat? Pourquoi?


2- Pensez-vous maîtriser les langues que vous apprenez à l’école? (Justifiez votre réponse)
3- Pouvez-vous rédiger en français, par exemple, une demande pour vous inscrire dans une filière
à l’université?
4- Pensez-vous que cette langue est difficile à apprendre? Si c’est oui, dîtes ce qui vous parait
difficile dans cet apprentissage.
5- Pensez-vous qu’il faut maîtriser cette langue pour réussir dans vos études? Pourquoi?
6- Pensez-vous qu’il faut maîtriser le français pour réussir dans la vie en général? Pourquoi?
7- Avec quelles expressions pouvez-vous qualifier le français?

9
Deux spécimens de questionnaire renseignés (en arabe et en français) figurent dans le volume II.
8- Quelle(s) autre(s) langue(s) faut-il maîtriser pour réussir dans vos études? Dites pourquoi pour
chacune des langues que vous citez.
9- Faut-il maîtriser ces langues
a- Autant que le français? Pourquoi?
b- Mieux que le français? Pourquoi?
c- Moins que le français? Pourquoi?
10- Dites, tout ce que vous voulez, à propos des langues.

1.3.1.4. Passation du questionnaire:


Il est d’autant plus difficile de recevoir d’un inconnu un questionnaire, malgré les assurances citées
en haut, et de le lui restituer ‘’rempli’’ impliquant ne serait-ce que la prise d’un rendez-vous, qu’on
évolue dans une atmosphère globalement inquiétante de par le passé récent violent/meurtrier et
l’actualité peu reluisante à tous les niveaux de la vie de la collectivité nationale et régionale. Recevoir
ce questionnaire de son enseignant (e) (de quelle matière ? et pourquoi lui ou elle ?) pourrait être
interprété comme une obligation ou faisant partie de l’évaluation: cela donnera des réponses motivées
au moins en partie par cette relation enseignant/enseigné. Opter pour un élève comme enquêteur
contient le risque de choix d’enquêtés plutôt que d’autres… Je pourrai continuer à énumérer les
inconvénients de chacune des démarches. Pourtant il faut en choisir une. Et celle qui m’a semblé
contenir moins de risque de biaiser les réponses consiste à entrer en contact avec des parents d’élèves à
qui me présenter en tant que chercheure en langues à l’école et après les avoir suffisamment rassurés,
les ‘’mobiliser’’ de sorte qu’ils soumettent eux mêmes le questionnaire à leur fils ou fille candidat(e)
au baccalauréat. Bien que ces derniers aient promis d’éviter d’influencer leur progéniture, d’écrire à
leur place, etc., je sais que d’une manière ou d’une autre les réponses comporteront aussi le point de
vue des parents… et peut-être celui de l’entourage social immédiat. Voilà qui me ramène à mon choix
théorique qui consiste à ne pas chercher à contourner la subjectivité puisque c’est d’elle qu’il s’agit
lorsqu’on aborde le discours sur les langues, sur l’usage et les formes des langues… Par contre,
intégrer ces éléments subjectifs dans les analyses à y conduire est déterminant puisque celles-ci me
serviront dans l’élaboration du guide d’entretien. Ce qui implique d’autres nécessités méthodologiques
dans la passation du questionnaire: noter sur chaque questionnaire récupéré un prénom fictif dont il
faut me rappeler pour éventuellement solliciter du même enquêté un entretien.

Comment donc contacter des parents et comment les convaincre pour me servir d’enquêteur auprès
de leur(s) enfant(s)? C’est à un réseau social, connu en pareil cas de recherche, que je me suis attelée
avec plus ou moins de difficultés puisque si certains, à travers mes intermédiaires, m’ont affiché un
refus catégorique, d’autres ont largement contribué non seulement à cette pré-enquête mais à la
problématique à laquelle se réfère mon questionnaire et aux langues à l’école, à l’université et dans la
vie de tous les jours.
De septembre à décembre 2010, près d’une centaine de parents ont été contactés. Soixante-trois
d’entre eux ont accepté de répondre à mon questionnaire. Seuls trente-huit l’ont fait. Chaque
questionnaire récupéré est codé en lui donnant un prénom de fille ou de garçon selon le sexe de
l’auteur(e) supposé(e) des réponses, le nom du lycée où ce dernier est inscrit ainsi que sa filière. On
voit tout de suite pointer l’analyse de contenu comme grille de lecture des réponses: qui dit quoi? Avec
quels mots? La première question permet en fait de repérer l’auteur(e) des mots pour le sélectionner en
vue d’un entretien centré durant lequel je soumettrai ces mots à discussion. La seconde, elle, fait
ressortir les éléments de catégorisation du français à l’école et dans la vie en rapport avec les autres
langues: les éléments qui constitueront la base du guide d’entretien dont l’objectif est justement de les
désambigüiser.

1.3.2. Ce qu’il faut désambiguïser:


A la lecture des trente-huit réponses récupérées, il ressort une distribution non systématique des
auteurs selon les filières car, en gros et indépendamment aussi bien des lycées que de l’appartenance
sexuelle, ceux de Sciences expérimentales comme ceux de mathématiques sont plus prolixes que ceux
des autres matières. Ce caractère concerne les réponses aux questions suivies d’un «Pourquoi ?»
invitant à la justification, l’argumentation…

L’arabe, souvent respectueux des normes autorisées à l’école, est la langue de 29 réponses quand
les 09 réponses en français relèvent plutôt du registre de l’oral avec toutefois quelques constructions
syntaxiques soutenues et choix de vocabulaires précis. Là aussi la distribution du choix de la langue
des réponses n’est pas systématique et ne dépend pas du critère de filière d’inscription des auteurs car
ce ne sont pas, par exemple, toujours les candidats au baccalauréat Langues étrangères qui optent pour
le français: trois d’entre eux seulement l’ont fait… (Je reviendrai plus bas sur cette difficulté liée à la
langue à adopter dans l’enquête proprement dite).

Quant au contenu des réponses obtenues, il apparait un certain nombre de formulations ambiguës
qui nécessitent des discussions avec leurs auteurs en vue justement de les désambigüiser car elles
semblent fonctionner comme des vérités générales, des évidences inutiles à démontrer pour les
auteur(e)s. Ces ambiguïtés constituent en fait le fil conducteur du guide des entretiens avec ceux parmi
ces auteurs qui ont accepté d’échanger avec moi dans les règles de confidentialité que je leur ai
proposées et autour des propos que chacun à écrit dans sa réponse. Il faut tout de suite préciser que la
conduite des entretiens a montré que souvent les auteur(e)s, dans les explications qu’ils donnent au
cours des entretiens, changent parfois complètement de logique argumentaire tout en restant sur le
même regard, évaluation et jugement du français toujours en comparaison au moins à l’une des
langues de sa scolarité.

Parmi les mots et les idées, dans les réponses formulées dans les questionnaires récupérés, qui
nécessitent des éclairages et des détails dans une perspective de les désambigüiser, il y a surtout des
qualificatifs, des jugements et une hiérarchisation principalement des quatre langues française, arabe,
kabyle et anglaise auxquelles sont rajoutés, dans certains cas, l’allemand, le chinois, le russe et même
le japonais dont la présence discursive est confirmée dans les entretiens avec les mêmes auteurs qui les
citent dans la réponse au questionnaire. Cela concerne, en particulier, les segments discursifs qualifiant
le français de «belle langue», «de langue de savoir» et/ou «de science», «de culture», de «culture
universelle» (pour ceux qui ont répondu en français). Ces réponses émanent presque de tous et
l’analyse des trente-huit réponses dans la perspective qui dit quoi? à propos de quoi? ne montrent pas
de distribution systématique aussi bien à partir des questions d’identification que de celles relevant des
opinions.

1.3.3. L’enquête:
1.3.3.1. Avec quels élèves discuter? Pourquoi?
Pour rester dans la logique allant de l’analogique au digital, les élèves à sélectionner allaient être
parmi ceux qui auront répondu au questionnaire (écrit): au cours des échanges discursifs je devais
avec eux désambigüiser certaines de leur réponse ou mon interprétation de certaines de leurs réponses
au questionnaire. Mais compte tenu du nombre de réponses obtenues, trente-huit, j’ai choisi
d’enregistrer des discussions avec tous. Là aussi, hélas, l’accord de principe donné par les trente-huit
élèves ou de leurs parents, au moment de la récupération des questionnaires, pour organiser des
échanges avec chacun d’eux autour de «la même question que celle du questionnaire» n’a débouché
que sur vingt-neuf échanges parfois en présence d’un parent, toujours la maman. Je suppose que la
principale raison pour laquelle les dix autres se sont rétractés réside dans l’enregistrement prévu des
échanges: ce qui pourrait aussi justifié le choix de parents d’assister et, pour certains d’entre eux, de
prendre part aux échanges enregistrés. Voilà qui indique la sensibilité du sujet malgré toutes les
précautions prises, notamment l’anonymat. D’autres raisons peuvent aussi justifier cette attitude
comme l’approche de la date de l’examen du baccalauréat exigeant une concentration et la cadence
des cours de soutien chez des particuliers ou à domicile, etc.

Voici comment sont répartis les vingt neuf enregistrements:

Filière Lettres/lgues Lettres et Sciences Economie/gestion Techniques/ Mathématiqu


étrangères expérimentales es
Genre philosophie Mathématiques
10

Garçon 01 04 01 01 04 (02 GC, 01 02


GE, 01GM)

10
Il y a trois options de baccalauréat Techniques mathématiques: génie mécanique (GM), génie électrique (GE)
et génie civil (GC).
Fille 07 01 05 02 00 01

1.3.3.2. Langues des discussions:


Quelque soit la langue adoptée par le candidat dans sa réponse au questionnaire, j’ai fait en sorte
que l’entretien ait lieu dans la langue de son choix au moment de l’échange car j’ai appris qu’en
pareilles circonstances (R. Ait Hamou Ali, 2005, 2013a, b), la fluidité des échanges-discussions
imposent les habitudes langagières auxquelles les interactants sont accoutumés. C’est pourquoi mes
précautions dans le choix de la langue choisie pour entamer chacun des entretiens en partant aussi bien
de la langue adoptée pour répondre au questionnaire que de celle pratiquée avant l’entame de
l’entretien: généralement, j’ai adopté celle que j’ai entendue employer par le ou la candidat(e) avec
un(e) amie, un(e) parent(e)… Comme avec Farès, il m’est arrivé parfois de demander explicitement au
candidat(e), la langue dans laquelle il voudrait échanger et à l’issue de quelques tours de parole, les
langues française, arabe et kabyle s’alternent avec la prédominance de la première avec, par exemple,
Amayas, Smaïl, Kamélia, Saliha, Mélissa, Lotfi, etc., de la seconde avec Amel, Ouerdia, Chabane,
etc., et la dernière avec Farida, Souad, Marzouk, Mounir, Sabrina, etc.

Ce n’est donc pas un excès de prudence dans le choix de la langue de l’entretien. Tout juste que je
n’ignore pas la difficulté pour moi de réduire au minimum les implications de mon statut non
seulement de celle qui pose les questions et qui, donc, commande en quelque sorte, mais aussi et au
même temps de celle qui représente la norme académique au moins du français. Je n’ignore pas non
plus que l’expression dans certains domaines -scolaires par exemple- se fera plutôt dans la langue des
acquisitions scolaires, l’arabe; car l’exercice consistait à provoquer la pulsion communicative des mes
interlocuteurs. Il était donc impératif de faire en sorte que les échanges prennent l’allure de
discussions… familières pour, en effet, permettre aux habitudes langagières de mes interlocuteurs de
réduire les crispations et autres inhibitions des situations ‘’artificielles’’. Et adopter dans chacun des
entretiens la langue ou la forme de la langue de mes interlocuteurs, participe de ma stratégie d’enquête
rendant la situation ordinaire, de tous les jours, et réduisant aussi les impacts possibles de mon statut
pour une meilleure libération de la parole: la matière à partir de laquelle je me propose ici de faire
ressortir les procédés d’élaboration des représentations du français.

1.3.3.3. Le guide des entretiens


L’analyse des contenus des réponses au questionnaire (écrit) n’ayant pas montré de systématicité
aussi bien dans la distribution des positions, selon les filières ou l’appartenance sexuelle des élèves,
que dans les types de catégorisation mais plutôt une redondance de discours idéalisant le français sous
forme de représentations de référence (B. PY, 2004) en comparaison avec l’arabe et le kabyle qui, sous
forme de représentations d’usage (B. Py, 2004), sont catalogués (en rapport bien sûr avec le français et
même l’anglais, l’allemand, le japonais…) parmi les langues qui «ne garantissent pas d’avenir», aux
dires d’Amayas, par exemple, l’idée de construire des guides personnalisée prend une dimension
particulière car il s’agit de conception selon non pas les personnes mais le type de position et de
discours tenu. Ainsi, j’ai été amenée à élaborer un guide souple intégrant chacun des praxèmes et des
constructions praxématiques redondants dans les réponses aux questionnaires de la pré-enquête. Un
guide dont la conduite des entretiens montrera les limites puisqu’il est vrai, comme je l’ai
précédemment signalé, souvent les logiques dans les questionnaires changent dans les entretiens avec,
cependant, le même regard de catégorisation. Ce qui rend ma responsabilité plus grande dans les
discours oraux co-construits avec moi et au moyen du guide d’entretien suivant:

- Dans quelle filière s’inscrire à l’université?


- (avec) quelle langue étudier? Pourquoi?
A- En arabe:
a- pourquoi?
- langue maitrisée car de scolarité actuelle?
- langue du pays?
- non maitrise du français?
- c’est la langue des études, s’il s’agit de s’inscrire en lettres arabes?
- etc.
b- pourquoi pas?
- langue déjà connue et il faut connaitre d’autres langues, essentiellement le français?
en quoi cela est-il important?
- en rapport avec le kabyle?
- etc.
B- En français:
a- pourquoi?
- langue plus ou moins pratiquée?
- langue présente dans l’environnement?
- langue de la documentation universitaire disponible?
- langue de savoir, de science ou scientifique? en quoi l’est-elle (par rapport à l’arabe)?
- langue internationale? en quoi cela est-il important?
- langue de culture universelle? en quoi cela est-il important?
- langue esthétique? en quoi l’est-elle? cela est-il important pour la formation
souhaitée? pourquoi et en quoi?
- etc.
b- pourquoi pas?
- langue peu maitrisée?
- langue dépassée par l’anglais?
- langue de l’ancien colonisateur? si c’est oui, faut-il l’arabe ou l’anglais? cela est-il
possible? pourquoi (documentation et enseignants universitaires en arabe, enseignants
universitaires en anglais, etc.)?
- etc.
C- En anglais?
a- pourquoi?
- première langue internationale? en quoi cela est-il important?
- langue de technologies modernes?
- pour en finir avec le débat francisants/arabisants? mais l’anglais est plutôt une
exigence d’arabisants?
- etc.
b- pourquoi pas?
- langue peu maitrisée (comme langues d’études)? mais le français aussi (!?)
- peu ou pas de documentation universitaire disponible?
- l’environnement linguistique national ne s’y prête pas?
- etc.
D- En berbère:
a- pourquoi? langue maternelle du candidat?
b- pourquoi pas? langue peu outillée et plutôt orale (pas de documentation scientifiques,
technologique, etc., ni d’enseignants universitaires)

1.3.4. Présentations des partenaires des entretiens


1.3.4.1. Inscrits en Langues étrangères
Selon Amélia les langues étrangères (comme le français, l’anglais, l’allemand et l’espagnol)
permettent « de voyager » et surtout « de sortir un jour de ce pays ». Partisane de l’apprentissage de
plusieurs langues (même le chinois qu’elle considère une puissance mondiale), elle projette de
s’inscrire en licence de français car, selon elle, cela lui permettra de partir «à l’étranger», c'est-à-dire
en France.

Wiza11 qualifie la langue française de « belle », « riche », « utile » et l’anglais de «première langue
mondiale, internationale ». Sa préférence affirmée du français est en fait fragile: dans ses dires,
émerge, au fur et à mesure de l’échange, l’expression d’une attitude indécise.

11
Traditionnellement écrit Ouiza. J’écris avec W uniquement pour assouplir la transcription.
Melissa pense qu’elle s’exprime plutôt bien en français à l’oral, mais mieux en arabe à l’écrit. A
propos du français, elle déclare qu’il «est naturel, simple, élégant, beau et tout » mais « dépassé par
l’anglais» qu’elle juge « plus cool » et nécessitant «une gymnastique de la bouche».

Hind pratique un bon français et possède une bonne culture liée à la littérature française. Elle
souhaite préparer une licence de français et poursuivre ses études, plus tard, en France.

Leila dit être prête à apprendre plusieurs langues étrangères. Elle s’exprime aisément en langue
française. C’est une langue qu’elle apprécie. C’est pourquoi envisage-t-elle de s’inscrire en licence de
français sans avoir l’intention d’en faire un moyen pour obtenir un visa, à la différence des autres
candidats enregistrés.

L’entretien avec Farida s’est déroulé en présence de sa camarade de classe Saliha, sa complice
avec qui elle partage à peu près les mêmes opinions. Elle préfère au français l’anglais qu’elle trouve
« facile » et « dominant » actuellement dans le monde. A l’instar de beaucoup d’autres, elle voit dans
un diplôme à obtenir dans une de ces deux langues un moyen pour partir en Europe.

Chabane produit un discours alternant entre l’arabe de tous les jours (en grande partie) et le
français. Il souhaite s’inscrire en licence de français à l’université. Il motive ce choix d’abord par
amour pour cette langue. Un amour qu’il dit éprouvé aussi à propos de l’anglais et de l’espagnol. Ce
n’est que vers la fin de l’entretien qu’il reconnait ses intentions de voyage dans le choix de cette
licence.

Pour Ibtissem le français est «une belle langue». Elle dit avoir toujours apprécié ses enseignantes
de français depuis son jeune âge. Elle souhaite préparer une licence de français mais dans la
justification de son souhait, l’argument du français langue de littérature et/ou de culture, n’apparait
pas! Elle veut s’inscrire en français car, pour elle, celui-ci «est la langue de la science, de la médecine,
c’est une langue internationale».

1.3.4.2. Inscrits en lettres et philosophie


Mounir qualifie la langue française de «facile» mais se découvre incapable de (main) tenir la
discussion en cette langue et préfère parler en kabyle. Il souhaite poursuivre, après le bac, des études
de philosophie et prône l’usage du français et de l’anglais à l’université.
Dans ses propos, Farès laisse entendre qu’il se considère comme «condamné» du fait que les
études de philosophie qu’il souhaite poursuivre sont dispensées en arabe. Il réitère plusieurs fois sa
volonté de se perfectionner en langue française qu’il qualifie tour à tour de « belle », « vieille» et
« dépassée » par l’anglais et même par le japonais dans le monde actuel. Sa volonté d’apprendre le
français est, en fait, motivée par son désir de «partir en France». En effet, pour lui la science et à la
technologie se font en anglais.

Sofiane tient des propos méprisants à l’égard de la langue arabe et idéalisant des langues anglaise
et française qu’il qualifie de «langues d’avenir» et surtout qui offrent, selon ses dires, la possibilité de
«partir en Europe». Pour lui, la langue française et « belle mais difficile», quant à la langue anglaise,
elle est plutôt la «plus puissante», «internationale» et «langue de la technologie».

Le discours de Smail révèle sa désespérance et sa perte de confiance aussi bien dans les études
que dans son pays. Se déclarant intéressé par les études de philosophie, il regrette de ne pas pouvoir
poursuivre des études de philosophie en langue française, car en français, selon ses dires «c’est
moderne… c’est beau… c’est pas mort comme l’arabe» (S151) alors qu’en arabe, c’est le cas
actuellement, c’est, selon lui, ‘’de la tromperie’’ (S155, S157). De plus, insiste-il plusieurs fois dans
l’échange, la pratique de cette langue lui facilitera les études de philosophie qu’il souhaite poursuivre
en France.

Wissem produit un discours dans lequel elle exprime son attirance par les langues étrangères,
particulièrement la langue française. Celle-ci a bercé la candidate dès le jeune âge, surtout à travers la
télévision. Cette catégorisation se construit dans son discours en rapport avec l’anglais que Wissem
qualifie de «première langue internationale» et qu’elle dit apprécier en deuxième position, après le
français.

1.3.4.2. Inscrits en Sciences expérimentales


Kamélia pratique un bon français dont elle est passionné et qu’elle considère «belle», «douce» » et
« scientifique» tout en faisant remarquer, vers la fin de l’échange, que la langue anglaise se superpose
à la langue française pour s’accaparer « actuellement » de cette scientificité.
Samia souhaite poursuivre des études universitaires dans une branche technique car, celles-ci sont
dispensées en français. Ce qui pourrait expliquer la profusion dans l’entretien d’éloges envers le
français qu’elle qualifie tour à tour de langue «de savoir», «de science», «de technologie», «de
culture», etc.

Pour Saïd, les langues étrangères sont d’avenir et «permettent de connaître plusieurs cultures et
civilisations ». A l’anglais, il attribue le statut de langue «internationale et de technologie», au français
celui des études universitaires auxquelles il dit se préparer lui-même. En effet, le français est pour lui
une «langue de savoir, parlée dans plusieurs pays du monde, notamment chez nous».

Amel, dans l’expression de son souhait de poursuivre des études de pharmacie, produit un discours
qualifiant la langue française de «belle» et lui attribuant le statut de langue de sciences tout en
soulignant la dominance de l’anglais dans le monde. Tout en affirmant qu’il est «facile» de suivre des
études de pharmacie, elle avoue que c’est «plus facile en arabe» mais ne souhaite pas étudier avec
cette langue!

Se disant «faible en français», Souad produit son discours en arabe de tous les jours. En raison de
son inscription dans une branche scientifique, c’est pour elle logique que de souhaiter de poursuivre
des études universitaires de physique. Elle se déclare très ouvertes aux langues étrangères, notamment
le français et l’anglais dont elle se dit être faible et prédisposée à fournir des efforts pour les acquérir.

Pour Saliha, la langue française «c’est l’élégance», «c’est une langue internationale», «c’est la
langue de la science».

1.3.4.3. Inscrits en Gestion et économie


Marzouk considère le français comme une « langue acquise » et la langue anglaise comme étant
«la langue du monde entier ». Selon ses dires, la recherche scientifique ne s’effectue pas en arabe mais
plutôt en français.

Tout en méprisant la langue arabe, Ouerida produit des séquences entièrement en arabe
classique/scolaire pour qualifier le français de «langue internationale», «de langue de science». Elle
souligne son attachement à la langue française (qu’elle ne maitrise pas parfaitement, selon ses dires),
sous prétexte que celle-ci est la plus pratiquée « chez nous », à la différence de l’anglais, plus utilisé
«ailleurs»
Dès les premiers tours de parole, Lydia affiche sa position: pour elle, s’il est vrai que l’anglais
domine dans le monde, le français est à la fois une langue pratiquée «chez nous» et «une langue de
l’avenir, de la technologie, du savoir et de la science ». Aussi, souhaite-t-elle préparer une licence de
français pour mieux maitriser cette langue et« se cultiver, s’informer et surtout voyager»

1.3.4.4. Inscrits en Mathématiques


Pour Tarik, les langues étrangères (surtout le français et l’anglais) sont les langues de l’avenir.
Rejetant catégoriquement la langue arabe, il fait éloge de la langue française en la catégorisant comme
une langue «riche» et véhicule de «savoir et de technologie ». Pratiquer cette langue, selon ses dires,
c’est se «valoriser» en tant que personne «cultivée et forte».

De mère enseignante de mathématiques, Sabrina compare entre les deux langues étrangères (le
français et l’anglais) et l’arabe qui, selon elle, est une langue «non scientifique». Elle est pour l’usage
du français car, affirme-t-elle, c’est «une langue internationale» et surtout «belle».

De mère enseignante de français, Amayas possède une bonne culture générale et pratique un
excellent français, langue qu’il apprécie, qu’il juge «belle», «scientifique», «universelle» mais qu’il
trouve aussi «dépassée» par «l’anglais qui domine maintenant».

1.3.4.5. Inscrits en Techniques et mathématiques


Omar, candidat au baccalauréat génie civil, produit un discours dans lequel il estime que le
français est une langue de savoir et de technologie. Il souhaite donc poursuivre ses études
universitaires en français, même s’il évalue son niveau de compétence dans cette matière «moyen».
Par ailleurs, il produit un discours virulent à l’égard de la langue arabe en soulignant sa fierté d’être
«Berbère». Selon ses dires, dans quelques temps, «le chinois sera la première langue mondiale» et
qu’il est important «de connaître le maximum de langues possible».

Candidat au baccalauréat, série génie mécanique, Lotfi ne s’exprime pas aisément en langue
française, mais souhaite échanger avec l’interlocutrice, que je suis, en cette langue dans le but de la
pratiquer. Il estime que chaque élève, candidat au baccalauréat, doit maitriser plusieurs langues
comme l’allemand, le japonais et même le chinois au côté du français et de l’anglais, les deux
principales langues de sciences, selon lui. Ces langues, selon ses dires, serviront de moyen pour
pouvoir quitter le pays.

Pour Hacène, candidat au baccalauréat série génie civil, s’inscrire dans une branche technique à
l’université implique la poursuite des études exclusivement en langue française, même s’il se dit d’un
niveau juste moyen dans cette langue. Admiratif de la montée en puissance du Japon dans le monde,
surtout dans le domaine de l’électronique et de l’automobile, il souligne l’importance de leur langue
comme pour dire cette importance se mesure à cette montée.

Candidat au baccalauréat, série génie électrique, Nacer souligne, dès ses premiers tours de parole,
sa volonté de poursuivre des études universitaires enseignées en français pour «obtenir un visa» et
«partir à l’étranger», c'est-à-dire en France.

1.3.5. Mode de saisie des entretiens


Je n’ignore pas que les échanges que j’ai provoqués, conduits et enregistrés font partie intégrante de
l’interaction verbale telle que décrite dans les travaux de C. Kerbrat-Orrechioni et des analystes de la
conversation. Le verbal est un aspect de cette interaction aux composants et composition dynamiques:
nombre variable d’actants, position face à face ou autres au moment de l’interaction, connaissance
mutuelle ou non, lieu et objet de l’interaction, etc. Une complexité qui nécessite un appareillage
sophistiqué et lourd dont la caméra-vidéo qui, en réalité, offre des séquences de l’interaction filmée
d’angles différents…

S’il m’arrive de prendre en considération la mimique, la gestuelle, le facial, l’intonation montante


ou descendante, les ruptures de programmes, les bégaiements, les répétitions, les prolongements
vocaliques, la superposition et l’alternance des voix dialogales, etc., parce qu’ils participent à la co-
construction du sens, je n’ai pas prévu de noter ces éléments constitutifs de l’interaction qui auraient
sans doute permis d’autres lectures possibles de l’émergence du sens en train de s’élaborer dans
l’échange, essentiellement en raison du refus prévisible des candidats et de leurs parents d’être filmés;
leur consentement serait d’ailleurs contradictoire avec les garanties de l’anonymat…

La saisie du corpus est limitée à l’aspect verbal des échanges en mentionnant toutefois les éléments
para-verbaux et non verbaux qui m’ont paru, au moment de la transcription, prendre part au sens et au
déroulement de l’échange, en général. On voit bien, qu’en réalité, l’analyse commence ici dans le
choix de noter tels ou tels éléments, comme le souligne souvent L. Mandada (1995, 1996, 2002), mais
aussi conformément à mon choix théorique de faire ressortir de la matérialité verbale de la parole
échangée avec mes interlocuteurs le sens en action, autour du français en rapport avec l’arabe, le
kabyle, l’anglais…

De ce fait, la saisie consiste moins à transcrire qu’à écrire car l’objet d’analyse est moins les aspects
phonétique/phonologique des échanges (même si parfois ces derniers prennent part à l’élaboration du
sens, c’est pourquoi d’ailleurs certains sont notés) que le sens au niveau du discours. J’ai donc saisi
mon corpus au moyen de l’écriture en français quand il s’agit des échanges en cette langue. J’ai
également utilisé cette écriture en adoptant souvent son orthographe pour rendre des sons complexes
kabyles et/ou arabes comme en associant t et h pour avoir la fricative, sourde arabe et kabyle dans
/mithaq/ (charte) /thamourth/ (pays), d et j pour l’explosive, sonore, etc. Bref, j’ai d’un côté privilégié
la lisibilité du message au pointillisme phonétique et, de l’autre côté, systématiquement donné dans
mes analyses12, entre crochets, la version française des propos tenus en kabyle ou en arabe, le français
étant la langue de mon compte-rendu.

Une convention de saisie est donnée en annexe.

1.3.6. Mode d’analyse du corpus:


Les analyses s’appuient sur les principes de la praxématique et ont pour vocation de montrer
comment s’élaborent linguistiquement les représentations du français aussi bien au niveau dialogal que
dialogique. S’il est évident que dans le dialogal certains phénomènes facilement repérables, comme
celui de reprise en échos (J. M. Barbéris, 2005), de tonalité montante ou descendante, etc., donnent à
voir ces représentations en action, il n’en est pas autant au niveau dialogique où il sera aussi question
de distinguer les moments de tension, renvoyant au dialogisme proprement dit avec ce que cela
implique comme problématique et construction collective et problématique d’une idée, d’une opinion,
d’un jugement, etc., de ceux relevant de la polyphonie comme pluralité de voix sans tension spéciale
quelconque (Jaques Bres, 2005: 58; A.Salazar Orvig et M. Grossen, 2010: 4). En plus, comme le note
B. Maurer (1999: 129), «avec les discours épilinguistiques, le chercheur ramène dans son filet du
social, du psychologique, de l’ethnologique, des discours sur la ville, sur la politique, sur l’évolution
des mœurs. Les images de la vie surgissent, multiples, riches, complexes. C’est que le sujet que l’on
interroge est un sujet plein, et pas seulement ‘’un homme de parole’’13. Faut-il évacuer ou garder ces
représentations? Est-on toujours dans du linguistique?»

En effet, ainsi qu’il répond lui-même (1999: 129), «l’hétérogénéité des matériaux n’est ni
réductible ni fortuite: c’est celle de la vie elle –même dans la complexité». Voilà qui justifie mes choix
théoriques annoncés au début de ce chapitre: les langues ne sont pas de simples instruments de

12
Dans le corpus en annexes, j’ai ‘’reproduit’’ tels quels les mélanges et alternances de langues…
13
En référence au livre intitulé justement L’homme de parole du célèbre linguiste français Claude Hagège.
communication et leur acquisition/apprentissage dépend aussi bien des réalités sociales, économiques,
politiques que des motivations individuelles qui, elles aussi, sont indissociables du social, de
l’économique, du politique et de la façon de les percevoir. En d’autres termes, la perception d’une
langue ou des langues en société est aussi celle de la société dans son fonctionnement, dans la
hiérarchie qu’elles peuvent induire, des statuts qu’elles confèrent, des images qu’elles donnent des uns
et des autres. Ainsi, j’aurai à montrer en quoi, pour mes interlocuteurs, le français est perçu comme
étant une belle langue, la langue du savoir, de la science, de l’avenir, etc. J’aurai à montrer à quel point
ces catégorisations sont liées au quotidien de leurs auteurs et qu’au fond ce sont les représentations
que l’on se fait de la beauté, du savoir, de la science, de l’avenir, de la réussite… universitaire, etc.,
qui sont au cœur de leur élaboration. Je montrerai aussi comment ces notions évoluent le long de
l’échanges dialogal avec moi mais aussi renvoient à des clichés et des raccourcis en cours dans la
société algérienne, en général, et tizi-ouzouèenne, en particulier. J’aurai également à rendre compte
des comparaisons quasi-systématique du français soit à l’arabe et au kabyle dans un rapport de
domination du premier sur les deux autres, soit à l’anglais dans un rapport de dépassement en faveur
de ce dernier et laissant transparaitre des attitudes de recherche de valorisation sociale à travers le désir
de pratiquer la langue de cette valorisation: le français par rapport aux langues nationales et l’anglais
par rapport au français…

1.4. Conclusion:
En m’appuyant sur les principes de l’analyse praxématique, je m’emploie, dans les chapitres
suivants, à rendre compte, dans les matérialités verbales recueillies, de l’élaboration de ce sens autour
du français en rapport avec l’arabe, le berbère et l’anglais, au niveau à la fois de dialogisme
interlocutif et du dialogisme interdiscursif. Lapsus, bégaiements, prolongement vocaliques, ruptures de
programme de sens et autres phénomènes d’échanges verbaux, catégorisés ailleurs en termes de
ratages conversationnels, me serviront de traces du travail de la signifiance qu’outre les régalages
sociaux habituels du sens, les contraintes ou les motivations de chacun des échanges analysés,
permettent d’aboutir ou non sous forme de praxèmes actualisés selon des logiques internes à chacun de
ces échanges. Ce sont donc des hypothèses d’analyse du sens en train de s’élaborer autour de la place
du français dans ces discours épilinguistiques.

Je précise, enfin, que c’est parce que je me propose de faire ressortir ces représentations du
français dans la matérialité verbale des échanges, que ces derniers ont été analysés dans leurs formes
de langue originelle et ce n’est que pour les besoins de la lecture que les extraits, servant mes
démonstrations, ont été traduits en français dans le respect des logiques argumentatives respectives. En
effet, privilégiant la lecture en français, puisque c’est ma langue de travail et celle de l’institution
académique où est inscrit ce sujet, j’ai sciemment adopté, dans ces extraits, la logique grammaticale
française en y adaptant celle du kabyle ou de l’arabe selon les cas, par souci exclusif d’intelligibilité.
Chacun des tours de parole des extraits est donc à lire en français, mis entre crochets. Et lorsque la
quasi-totalité est en kabyle ou en arabe, il faut lire la version française mise entre crochets aussi.

Quand, dans le corps de mon texte, il m’arrive de solliciter, pour les besoins de ma démonstration,
un mot, une expression ou une tournure d’un de mes interlocuteurs ou parfois de moi-même, j’utilise
les guillemets sur la ligne d’écriture (« ») pour rapporter le propos tel qu’il est produit lors de
l’échange ou les guillemets au-dessus de la ligne d’écriture (’’ ‘’) pour donner l’équivalent du propos
en français. Cependant, dans le corpus qui figure en annexe, les échanges sont‘’ reproduits’’ dans leur
forme d’origine avec tout ce que cela contient comme alternance et mixité langagières.
Chapitre 2

Le français et les langues nationales

2.1.Introduction:
J’entreprends dans ce chapitre la saisie, dans la matérialité verbale des discours sollicités,
les traces dialogales et dialogique des procédés d’élaboration des représentations du français
en rapport avec l’arabe et l’amazigh, dans sa variante kabyle. Comment est catégorisé donc le
français en comparaison à l’arabe et au kabyle? Quelle place et quelle fonction lui attribue-t-
on dans cette mise en face à face? Quelle relation établit-on entre le français et l’arabe, entre
le français et le kabyle? S’agit-il de relation de domination? de complémentarité avec ou sans
distribution fonctionnelle derrière laquelle se profileraient des choix et des positions en
rapport justement avec la mesure que l’on croit avoir du poids du français dans
l’environnement scolaire de ces langues mais aussi social, régional, national, voire
international?

2.2. Les élèves inscrits en Lettres et philosophie:


2.2.1. «/mais s l(e) français c’est moderne euh:: c’est c’est amek ad inigh?[comment
dire?]/ c’est beau quoi c’est pas mort comme s [en] l’arabe//” (Smail151)
Des silences, des sourires et surtout des éclats de rire, qui ponctuent l’échange avec Smaïl
(S1, S19, S47, S53, S57, E58, S59, S61, E62, S63, S65, S71, S115, S119, S121), il ressort un
humour noir et une subtilité à la fois expressive et communicative du candidat au baccalauréat
série Lettres et philosophie. Le désespoir (S77, S157) que cet humour lie à la perte de la
confiance dans tout ce qui renvoie à l’honnêteté (S31, S33, S71, S153), à l’effort (S75, S137)
et au sérieux (S45, S155), leur substituant le pouvoir de l’argent (S67), prend petit à petit la
forme de reconquête de possibilités de s’en sortir pour partir ailleurs (S161), au moyen du
français (S169).

Dès ses premiers tours de parole, Smaïl paraît mettre à l’écart les deux langues nationales,
principalement l’arabe qui est la langue de sa scolarité actuelle, et choisit le français tout en
exprimant une attitude favorable vis-à-vis de l’anglais:

S15/moi euh :: nkini [moi] euh ::/ pour moi s l français negh s [ou en] l’anglais akhir
[c’est mieux] pa(r)ce que euh :: pa(r)ce qu’euh :/ c’est plus s l’anglais euh:://
E16/ mais s l’arabe i t qarem non?[mais c’est en arabe que vous étudiez non ?]//
S17/ i bien sûr/ bien sûr/ mais mais loukan s l français loukan s l français euh :: s l
français akhir/ puis qu’euh :: puisqu’euh ::/ s l français s l français international
yernou yifith s l français pa(r) ce que pa(r) ce s l’arabe oulach/ ar waâraven ken//
[i bien sûr/ bien sûr/ mais mais si c’est en français si c’est en français euh:: en
français c’est mieux/ puisqu’euh:: puisqu’euh::/en français en français
international en plus c’est meilleure en français parce qu’en arabe il n’y a rien/
c’est chez les Arabe seulement//
E18/ yaah! [ah bon !]
S19/ bien sûr/ en plus s thaârabt dakalakh kan// [sourire] [/bien sûr/en plus en arabe
c’est juste pour tromper]
E20/yaah!/[ah bon !]
S21/bien sûr koulach euh :: d abalaât/ surtout di les matières euh :: di les matières agui
euh :: di les matières agui importantes// [/bien sûr tout euh :: c’est du bavardage/
surtout dans les matières euh:: dans les matières euh:: dans ces matières
importantes//]

Ses hésitations, ses allongements vocaliques et sa forte auto-focalisation (trois occurrences


dont deux en français et une en arabe), dans son tour de parole S15, sont à mettre en rapport
avec mes répliques précédentes (E12, E14) qui le surprennent en l’invitant, avec insistance, à
aborder la question des langues à l’école non pas dans l’absolu, mais par rapport à lui-même,
à sa propre expérience et à ses choix à venir.

A cette perturbation succède (S17), en effet, une parole sûre malgré ses formes bégayantes
et en dépit de mon choix d’opposer à sa préférence du français, que semble supplanter
l’anglais mais qu’il abandonne tout de suite après, le fait qu’il étudie, comme ses camarades,
en arabe. Une certitude que porte la double actualisation «bien sûr» dans une stratégie
contournant mon insistance auprès de lui à aborder la question en rapport à lui, puisqu’il
entreprend un discours opposant les deux langues en audience qu’il définit, en ce qui concerne
le français, par le caractère international, et en ce qui concerne l’arabe, par le caractère
ethnique: les Arabes. Une opposition doublement réductrice de l’arabe, qui non seulement
dénie à ce dernier le caractère international, puisque les Arabes, dans cette logique,
constituent la même et unique nation, mais, en plus et malgré l’expression de mon étonnement
(E18, E19), il lui (S19, S21) associe le ‘’mensonge’’ et la ‘’tromperie’’, deux vices
exactement à l’opposée de la vertu de l’école censée répandre la vérité. Une vérité qui, selon
la logique argumentaire impliquée de Smaïl qu’il explicitera plusieurs fois après en S29, S31,
S151, S155, ne peut se faire qu’en français. Cette double réduction est d’autant plus lourde de
sens que Smaïl rappelle, sans le dire, la série de baccalauréat qu’il aura à présenter, Lettres et
philosophie, en ne retenant que le second élément de l’intitulé (c’est à dire la philosophie)
pour rester dans sa logique de non considération des lettres qu’il semble associer à la langue
arabe. Or, ainsi qu’il l’explicitera en S37 et S41, cette philosophie dont il dira en S133 obtenir
une note de 14 sur 20 à l’issue des devoirs surveillés et des compositions du premier trimestre,
il ne la conçoit pas en tant que telle en arabe (S19, S21) mais en français. D’où son refus de
poursuivre des études de philosophie à l’université tout simplement parce que cette filière est
enseignée en arabe justement (S139).

S29/dessah/ dessah/ mais ghouri nkini même euh :: même euh ::/ ghouri nkini ilaq les
matières agui essentielles am la philosophie et tout illaq s l(e) français//
[/c’est vrai/ c’est vrai/ mais pour moi moi-même euh:: même euh::/ pour moi moi
il faut que ces matières là essentielles comme la philosophie et tout soient
enseignées en français]
E30/ achoughar s l(e) français?/ [pourquoi en français ?/]
S31/akhatar s l(e) français au moins nezra belli euh ::/ yella wamour tidhets/ matchi am
thoura// [parce qu’en français au moins je sais que euh ::/ il y a une part de vérité/
c’est pas comme maintenant//]
E32/ thoura oulach ah?/[/maintenant il n’y a rien ah !/]
S33/ awah koulach d lakdhev/ même les enseignants negh zran mais::// [Ah non tout est
mensonge/ même nos enseignants le savent mais:://]
E34/ ah oui ah!/
S35/yernou lan euh :: lan wid ighran s l(e) français am monsieur X/ mais thoura
damghar dayen/ iqars akw/ d’ailleurs d’ailleurs ad irouh à la retraite aseggwas
agui//
[Pourtant il y en a euh :: il y en qui ont étudié en français comme monsieur X/ mais
il est vieux maintenant/ il est complètement fatigué/ d’ailleurs d’ailleurs il partira
à la retraite cette année/]
E36/ d’achou ikwen isghar monsieurX aâni?/ [Il vous enseigne quoi monsieur X ?/]
S37/monsieur X?/ philo/ mais mais s thaârabth/ thoughal ar din//[/…/ mais mais en
arabe/ ça revient au même]
E38/ ah oui?//
S39/ akhatar s thaârabth// [/parce que c’est en arabe//]
E40/ yernou yaghra s l(e) français!//[pourtant il a étudié en français//]
S41/ bien sûr yaghra s l(e) français/ mais mais oulamek s thaârabth ighisghar// en plus
netsa ourihamel ara akw//
[/bien sûr qu’il a étudié en français/ mais mais nous c’est pas possible puisque c’est
en arabe qu’il nous enseigne// en plus il n’aime pas du tout//]
E42/ d’achou our ihamel ara ?/[/qu’est-ce qu’il n’aime pas? /]
S43/thaârabht bien sûr/ our ihamel ara akw adishgar s thaârabth/ [/l’arabe bien sûr/il
n’aime pas du tout enseigner en arabe/]

En reprenant en écho interrogatif (E32) son praxème «thoura» (‘’maintenant’’, S31) qu’il
actualise non pas pour comparer entre deux périodes mais entre deux situations (dont l’une y
est, celle de l’enseignement de la philosophie en arabe, l’autre, c'est-à-dire l’enseignement de
la philosophie en français, est souhaitée), j’accepte en même temps l’orientation de l’échange
qu’il implique en abordant la question non pas de l’enseignement des langues mais de la
langue des enseignements. Une implication prévisible dans ses propos S29 en réplique à ma
remarque liée au fait qu’ils, ses camarades et lui, étudient aussi les langues étrangères et pas
seulement l’arabe comme ses dires antérieurs semblent le signifier. La valeur interlocutive de
la double occurrence approbative en ouverture à son tour S29 (‘’c’est vrai c’est vrai’’) signe,
en effet, l’amorce d’une contre argumentation doublement spécifique de par l’instance de
l’énonciation, puisque c’est en son nom uniquement qu’il réplique alors que ma réplique
précédente implique ces camarades, et par l’enjeu discursif de son énonciation: non pas
l’enseignement des langues mais la langue des enseignements qu’il qualifie d’importants mais
dont il ne cite que la philosophie. Les autres enseignements, que je suis censée savoir, sont
mis en vrac dans son praxème «et tout» (S31) d’apparence à la fois inclusif et ambigu.
D’apparence parce que tout l’interdiscours, antérieur et ultérieur à cette séquence
interlocutive, le donne pour être exclusif et précis. En effet, seule la philosophie occupe la
parole de Smaïl. Les autres matières, y compris celles ayant un coefficient élevé comme
l’histoire-géographie et l’arabe, ne constituent pour lui que ‘’mensonges’’ (S19) et
‘’tromperie’’ (S21) faisant qu’elles sont pour lui en marge de la philosophie.

Ainsi, le fonctionnement discursif du praxème adjectival «et tout» s’apparente plus à celui
de ‘’et le reste’’ car ces autres matières ne comptent pas ou comptent peu aux yeux de Smaïl
qui, pour se faire comprendre, convoque justement les voix des enseignants de ces matières
pour garantir la recevabilité de ce réglage de sens. Une convocation en appui à son propre
discours bien que ces voix soient celles qui répandent ces «mensonges» (S19) et «tromperies»
(S21) mais dont Smaïl distingue subtilement entre elles qui ‘’savent’’ (S33) qu’il s’agit de
‘’mensonges’’ et de ‘’tromperies’’ et la langue qui leur est imposée et qui fait qu’elles sont
devenues impuissantes à réagir (S33, S71). Ainsi, pour lui c’est à l’arabe, langue des
enseignements, et non pas à ces voix qu’incombe la responsabilité de ces mensonges et
tromperies. En effet, même avec son enseignant de philosophie de formation française et qu’il
apprécie, la philosophie est perçue comme les autres matières car c’est enseigné en arabe
justement (S37, S39).

En réalité, c’est là un commentaire qu’il fonde sur la voix de son enseignant de philosophie
lui faisant signifier ce que lui veut dire tout en se présentant comme étant son adepte. Et la
relecture de l’ensemble de l’échange, à partir de l’idée que Smail reproduirait l’attitude de son
enseignant de philosophie, révèle mon erreur d’interprétation. Smail se sert plutôt de cette
voix qui, à la différence de ce que j’avais compris jusque-là et selon les mises en discours de
Smail, ne défend pas le français. Et ce n’est pas parce que Smaïl dit que son enseignant de
philosophie n’aime pas l’arabe et n’aime pas enseigner en arabe (S43) que celui-ci serait
contre cette langue. L’une et l’autre interprétation sont erronées et deux fois remises en cause
juste après avoir extériorisé ces programmes de sens (E44, E46) ayant pour cible cet
enseignant qui, de l’aveu même de Smail (S45), les (ses camardes de classe et lui) conseille
de se mettre à l’anglais parce que ‘’même le français est dépassé’’. Ce que je ne saisissais pas
sur le champ. En effet, révoltée devant cette idée non pas de hiérarchisation des langues arabe,
française et anglaise, qui est un fait sociolinguistique, mais du fait que cet enseignant veut
l’inculquer à ce candidat au baccalauréat dont la langue des épreuves est l’arabe, je produis en
E46 un discours en rupture avec l’enchainement interlocutif. Smaïl (S47) adopte un silence à
la fois de désapprobation et de temporisation d’un à-dire dont la forme d’extériorisation est à
la mesure de l’inquiétude que je réitère en E48 sous forme d’explicitation de mon tour
précédent, ne comprenant pas les raisons du silence de Smaïl:

E46/ d’accord mais illaq ad awidh l bac//[/d’accord mais il faut que tu obtiennes le
bac//]
S47/ [silence]/
E48/ i lbac ilaq s thaârabth//[et l’examen du bac c’est en arabe//]
S49/ a t id awigh ih/ bien sûr comme tout le monde/ dachou ig waâren il bac ?/ ilaq
atsinadh ats khwartad chwiya i la philo/ atas i l’arabe/ chwiya ithawra l
djazairia//[je l’obtiendrai oui/ bien sûr comme tout le monde/ que y a-t-il de
difficile dans le bac ? il faut que tu saches baratiner un peu en philo/ beaucoup en
arabe/ un peu dans la révolution algérienne/]

Son programme de sens S49 autorise à interpréter son silence désapprobateur en S47
comme une espèce d’étonnement, comme l’interrogation d’une évidence: son succès au
baccalauréat. L’assurance avec laquelle il l’extériorise ne ressemble pas à une expulsion d’un
dire difficile à contenir ou à assumer comparé à mon inquiétude exprimée en E46 et E48 en
rapport avec ce que Smaïl dit des conseils de son enseignant de philosophie. La valeur de
certitude dans sa première séquence fonctionne dialogalement comme une assurance sans
ambigüité en réaction à mon souci (E46, E48) dont il accuse réception par l’affirmatif qu’il
nuance dans la suite de son tour de parole d’abord par l’atténuant «bien sûr comme tout le
monde» qui règle discursivement sa certitude non pas comme un orgueil ou une fierté d’avoir
tous les moyens, intellectuels s’entend, d’obtenir le bac mais plutôt d’être logé à la même
enseigne que «tout le monde». Ensuite, par son programme de forme interrogative et de fond
discursif dans lequel sa demande est d’apparence car elle signifie en profondeur que le bac est
à la portée de tous. D’ailleurs tout de suite après, il entame sa dernière séquence à la fois
dialogale, puisqu’il s’adresse à moi, et autodialogique puisqu’il fait écho à son interrogation
immédiatement précédente pour établir cet espèce de peu de choses exigées au bac, de sa série
sans doute. Dans cette séquence, l’impersonnel «ilaq» (‘il faut’’) a plutôt la valeur de ‘’il
suffit’’. Plus qu’une insouciance, il s’agit bien d’un mépris à l’égard du bac. Un mépris qu’il
condense dans l’actualisation du praxème ‘’baratiner’’ avec des doses différentes selon qu’on
est en philosophie, en arabe ou en histoire. Un mépris qu’il accentue lorsqu’il s’agit de l’arabe
comparé à la philosophie et à l’histoire de la révolution algérienne. Mais pourquoi cette
différence de dosage selon les trois matières? parce que la philosophie est sa matière préférée?
parce qu’il sait au moins que dans la recherche de la vérité, que se donne comme objet la
philosophie, on ne baratine pas? parce que, dans l’histoire de la révolution algérienne, on n’a
pas besoin de ‘’baratiner’’ puisque tout est censé être connu de tous ou on ne peut pas
‘’baratiner’’ sans risquer la sanction? parce qu’en langue et littérature arabes tout est permis,
l’essentiel étant de remplir les feuillets d’examen en arabe? Ne s’agit-il pas là aussi de
distinguer l’arabe dans le degré de mépris de l’examen du bac en signifiant que dans cette
matière ce n’est pas sérieux et donc il suffit de beaucoup baratiner pour être déclaré admis?

Saisissant ces nuances mais surtout leur portée idéologique insoutenable pour moi,
étudiante en sciences du langage, j’ai choisi de ne pas les soumettre à Smaïl. C’est pourquoi,
dans le tour de parole suivant, j’ai fait comme s’il avait oublié que les langues étrangères font
partie des épreuves du baccalauréat, quitte à provoquer une seconde rupture dans
l’enchainement dialogal de l’échange:

E50/ I l’anglais euh l(e) français::/


S51/ chiwya mais euh loukan l bac langues étrangères!/ langues étrangères oui
ilaq l français d l’anglais d l’allemand//
[/un peu mais si c’était le bac langues étrangères/langues étrangères oui il
faut l(e) français et l’anglais et l’allemand//]
E52/ yaah! [ah bon !]
S53/ mais en vérité oulah ar kif kif même les L E qarsen/ [éclat de rire]/
[mais en vérité je jure que c’est même chose même les LE sont en lambeaux/]
E54/ a bon ! pourtant l bac langues euh::/ bach bach ad awid l bac langues
étrangères ilaq ilaq atzawrad euh ilaq atsilid fort i l(e) français l’anglais
akwid l’allemand//
[a bon ! pourtant le bac langues euh ::/ pour pour obtenir le bac langues
étrangères il faut il faut être bon euh il faut être fort en français en anglais et
en allemand]
S55/ ilaq ih//[il faut oui//]
E56/ achoughar ihi id qarad ihi belli qarsen### [/pourquoi dis-tu alors qu’ils sont
en lambeaux ###]
S57/ [éclat de rire]/ d sah ih/ naqras akw di koulach/mais noutni sâan zhar i
l’université euh/ i l’université ad awin dipôme n sen ad rouhen el kharedj/
ihargouha [éclat de rire]/
[/éclat de rire/c’est vrai oui/ nous sommes tous et en tout en lambeaux/mais
eux au moins ils ont la chance à l’université euh/ à l’université ils
obtiendront leur diplôme et partiront à l’étranger/ ils brûleront les frontières/
éclat de rire/]
E58/ [rire]/ i kounwi?/ [et vous ?]
S59/ ah nekwni hna imout Qasi/ [éclat de rire] [/ah nous ici mourra Qassi/]
E60/ ah bon!
S61/ anda adrouhagh s l’arabe?/ ar Somali/ [éclat de rire]/ [où partir avec
l’arabe?/en Somalie/éclat de rire/]
E62/ [rire]/ at tatsadhsadh yah?/ [/tu ris?/]
S63/ anda ih/ awah ala/ alla tskelikhagh ken/ ad qimagh dagi/ houb el watan
mina el iman/ [éclat de rire jusqu’à tousser et à ‘’pleurer’’]
[/où alors/ non non/ non je plaisante/ je resterai ici/ l’amour de la patrie fait
partie de la foi/ éclat de rire jusqu’à tousser et à ‘’pleurer’’/]
E64/ oulah ar staâarfagh/ à deux mois du bac ### [je jure que tu me séduis/ à
deux mois du bac###]
S65/ ih yikhi aka ! houb el watan mina el iman/ [rire]/[oui c’est ça non! L’amour
de la ptrie fait partie de la foi/rire/]
E66/ c’est vrai mais::/
S67/ a walah ar koulach d idrimen/ idrimen kan/ ayen nadan akw d akalakh/ agh
sganeyen dagi nouthini ad tsâichine nekwni nekwni akhem atchem tâaravt//
/je jure que tout est une question d’argent/que de l’argent/ tout le reste est
tremperie/ ils nous endorment ils vivent et pour nous pour nous: mangez de
l’arabe//]

Le mépris et l’ironie, que traduisent les éclats de rire, dans lesquels m’entraine Smaïl,
portent les traces de son malaise en tant qu’élève scolarisé en arabe qui, de surplus, a un sens
politique aigu rappelant, par endroit, le discours des culturalistes et défenseurs du kabyle dont
il m’est difficile d’apporter ici la preuve verbale de la conscience de Smaïl de cette dimension
dialogique à valeur au même temps polyphonique et co-constructive. Ce malaise est lisible
dans la distinction très nette qu’il opère entre les matières ‘’importantes’’ dans sa filière,
toutes enseignées en arabe, et celles de la filière langues étrangères qu’il cite de son propre
chef déplaçant ainsi les implications dialogales de ma question dans le but, je rappelle, est
aussi de signifier à Smaïl qu’il a tort de vouloir me faire comprendre que dans sa filière il n’y
a que des matières enseignées en arabe (dont il aborde la philosophie, cite l’arabe et fait
référence à l’histoire dans son tour de parole S49). Ce n’est d’ailleurs pas innocent qu’il limite
les matières de la filière Langues étrangères aux langues française, anglaise et allemande
comme si l’arabe, dont le coefficient y est parmi les plus élevés, la philosophie, l’histoire et la
géographie n’y figurent pas: parce qu’elles sont justement dispensées en arabe. Cette espèce
de désir inconscient de fuir l’arabe est aussi visible dans cette autocritique aux frontières de
l’anéantissement de soi que rend l’actualisation du praxème «qarsen» (S53), c'est-à-dire
qu’on ne peut rien récupérer de ces élèves inscrits en Langues étrangères, puis «nqars akw»
(S55), c'est-à-dire qu’on ne peut rien récupérer de l’ensemble des élèves de toutes les filières
confondues y compris lui, Smaïl. En effet, le bonheur dont il voit se réjouir les élèves inscrits
dans la filière Langues étrangères et qui consiste à pouvoir fuir le pays après avoir obtenu
leurs diplômes respectif, qui seront donc, selon sa logique, de langues étrangères, est en fait
une chimère parce qu’«en vérité» (S53) ces élèves ne maitrisent pas ces langues et en
s’associant à eux, il dit que l’ensemble, lui et les autres élèves, ne maitrise rien du tout (S57).

Je remarque que dans cette atmosphère d’éclats de rire déclenchée par la première
actualisation du praxème «qarsen» en S53, la ligne de démarcation, entre Smaïl et ces élèves
inscrits en Langues étrangères, concerne exclusivement la possibilité pour ceux-ci de fuir le
pays, et que Smail met en discours en faisant entendre, dans l’actualisation du programme
phrastique «ihargouha» (S57), c’est à dire qu’‘’ils [ces élèves] brûleront les frontières pour
aller ailleurs’’, à la fois la voix de la doxa faisant écho, de cette manière, au phénomène de
départ en mer sur des embarcations de fortune, la voix de Matoub Lounès, ce chanteur kabyle
populaire assassiné pour ses opinions et engagement politiques contre l’arabo-islamisme dont
le praxème «n âarbouha» («on va l’arabiser») constitue le sésame de son dernier album, et la
voix de ligne idéologique au pouvoir, en Algérie, vis-à-vis de ce qui n’est pas arabe et qu’elle
projette d’arabiser quel qu’en soit le prix. De par leur discordance, ces voix entretiennent ainsi
au sein de ce même praxème une relation dialogique non pas de co-construction mais de
tension permettant à Smail de faire l’économie discursive aussi bien autour de ce débat entre
les projets de société en cours que de son rejet de l’arabe plusieurs fois signifié. Et c’est donc
la voix de Matoub qu’il adopte sans jamais prononcer ce nom: comme lui, dont le parcours
d’artiste-compositeur-interprète et d’opposant politique au verbe tranchant et brûlant, ces
élèves vont brûler les frontières pour fuir ‘’les mensonges’’(S19) et la ‘’tromperie’’(S21).

Ayant saisi, dans ses propos, l’incohérence entre le fait d’envier ces élèves, futurs
diplômés en langues étrangères et, par conséquents et selon lui, futurs émigrants légaux, et le
fait de les considérer comme des clandestins (car, selon sa propre logique, le clandestin serait
lui, ne pouvant pas obtenir un diplôme en langues étrangères qui lui ouvrirait les portes de
l’émigration), je l’ai immédiatement apostrophé mais sans compter sur sa faculté
humoristique à vocation dialogique. En effet, en s’énonçant dans une perspective
endogroupale (S59), suscitée par la forme même de ma réplique (E58), il fait entendre la voix
de la doxa mais aussi celle de la Résistance dont l’auteur pourrait être lui et ceux qui voient
les choses comme lui: on résisterait donc à quoi sinon à ce à quoi renvoie partiellement
l’écho du praxème «n âarbouha»? Mais son éclat de rire en clôture de son tour de parole
indique qu’il s’agirait plutôt de la résignation à ‘’mourir ici’’, c'est-à-dire à vivoter dans les
conditions de ‘’mensonges’’ et de ‘’tromperie’’ qu’il lie, en effet, dans son tour de parole
suivant (S61) à l’arabe puisqu’en s’interrogeant sur les possibilités de départ avec un diplôme
en arabe, non seulement il les réduit mais surtout il les présente comme étant pire dans cet
ailleurs (la Somalie) comparé à l’ici de sa personne. Là aussi, son éclat de rire à l’actualisation
du praxème «Somalie» dit sans dire que, formé en arabe, il ne peut être utile que dans ce pays
tristement célèbre sur tous les plans, en proie à toutes les formes de barbarie et auquel a
conduit, selon lui, l’arabo-islamisme imposé par les tenants de l’arabisation et dénoncé par
Matoub et… lui-même. Et quand, tout en accompagnant son éclat de rire, je lui signifie son
mépris de la valeur humaine dans le traitement discursif qu’il vient de donner du praxème
«Somalie» (E62), il redouble d’humour noir, éclate en rire au point de tousser et de pleurer
dans une énonciation non plus en ‘’nous’’ mais en ‘’je’’ pour, encore une fois, ridiculiser et
ironiser en faisant entendre la voix de l’idéologie scolaire qui, elle-même, fait écho à ce qu’il
considère être un nationalisme verbal ‘’mensonger’’ et ‘’trompeur’’ qu’il réitère avec
insistance en réponse à mon admiration devant son humour à deux mois de l’examen du
baccalauréat: « /[..]/non je reste ici/ l’amour de la patrie fait partie de la foi/» (S63, S65).

Prenant conscience de la nécessité de changer de stratégie dialogale en perspective de le


recentrer sur notre fil du discours (J. Bres, 2005: 56), j’entreprends sans succès mon tour de
parole E66 car il reprend tout de suite après la parole avec un ton grave et sérieux m’invitant
discrètement à faire partie de son nous endogroupal que son discours donne pour être la
victime de l’exogroupal eux, détenteur des moyens financiers pour vivre et du pouvoir
d’endormir ce nous endogroupal, dont il fait partie et auquel il m’associe, en lui faisant
‘’manger de l’arabe’’. Devant ce réglage praxémique de l’arabe comme étant la langue non
seulement du ridicule et de l’ignorance auxquels ont fait écho ses propos antérieurs mais aussi
de la non vie, de la somnolence et de l’obéissance tout simplement, j’ai tenté de lui rappeler le
cadre de notre entretien mais, encore une fois, il se saisit de mon programme de sens ‘’c’est
de la politique’’ (E68) pour accentuer le rejet de ce eux exogroupal qui, selon lui, impose au
nous endogroupal l’arabe mais lui étudie en français et en anglais (S69). Ce rejet passe cette
fois-ci par la convocation de la voix et du nom de l’humoriste Fellag en actualisant ou plutôt
en réactualisant sa célèbre interlocution à valeur impérative «dégage!» de son monologue
intitulé Babour l’Australie et dont l’objet discursif est justement la fuite du pays. L’idée de la
fuite constitue, en effet, la toile de fond de la parole de Smail avant de s’extérioriser à partir
de S75 comme son principal objectif: avec ou sans le bac il fuira ce pays qu’il dit, en kabyle,
‘’être gagné ou usurpé par Aâmara’’, ce personnage kabyle à qui il emprunte la débilité pour
qualifier les dirigeants politiques de ce même pays. Mon invitation discrète (E76) à la retenue
ne suffira pas pour contenir sa colère dont l’évacuation discursive passe, heureusement pour
l’objet de l’entretien, par l’exemple que je représente à ses yeux pour justement se le donner
comme preuve justifiant son attitude: ‘’c’est comme si tu as étudié en arabe?’’ (S78). S’en est
suivi alors un échange dans lequel Smail découvre la possibilité de poursuivre des études de
français au moyen desquelles il nourrit l’espoir de partir. A partir de cette lueur d’espoir, il se
focalise sur les modalités d’admission en licence de français tout en opposant diamétralement
l’arabe au français particulièrement dans les tours de parole S83 et S151:

S83/mais taâravt nni soufla ken/ d l(e) français id sah/ [/mais cet arabe là c’est en
décor/ c’est le français qui est le plus important/]
S151/mais s l(e) français c’est moderne euh c’est c’est amek ad inigh c’est beau
quoi c’est pas mort comme s l’arabe// [Mais en français c’est moderne euh
c’est c’est comme dire c’est beau quoi c’est pas mort comme en arabe//]

C’est donc un rejet de l’arabe derrière lequel se profile, pour lui, l’attitude d’obéissance et
d’absence de tout raisonnement philosophique (S153). Un rejet des défenseurs de cet arabe
qui l’imposent ici (S67, S69) comme langue du mensonge et de la tromperie à l’école alors
qu’eux étudient en français et en anglais comme là-bas, en France où veut partir Smail (S161,
S163) et où on étudie et on comprend (S155), loin des tromperies d’ici (S157).

2.2.2. «/ilaq s l(e) [il faut en] français i l’université// mais pas d(e) problème/les les ex-
les examens ad a répondigh s [je répondrai en] l’arabe mais sah s l(e) [l’essentiel
c’est en] français/» (Mounir111)
Bien que peu formulé, il ressort du discours de Mounir que la valeur d’usage des langues
est relative au besoin des utilisateurs dont lui-même. En effet, tout en considérant que les
ouvrages de ‘’la vraie philosophie, c'est-à-dire l’effort de réflexion et non le ‘’parcoeurisme’’
(M81, M89) sont produits en français (M63), il affirme qu’aussi bien pour le moment, c'est-à-
dire à l’occasion du baccalauréat (M45, M47, M51), qu’une fois à l’université, inscrit en
licence de philosophie, c’est en arabe qu’il répondra (M51, M81, M111). La nuance est de
taille car il établit en même temps une distribution de ces langues: l’arabe pour répondre aux
exigences de l’institution scolaire et universitaire, et le français pour apprendre (M111) à se
concentrer (M93) autour de ‘’questions complexes’’ (M91). A travers cette distribution,
Mounir parait ne pas reconnaitre à l’arabe, sa langue de scolarité (M53, M81), le statut de
langue de philosophie. En réalité, c’est l’enseignement de la philosophie tel qu’il le reçoit
actuellement mais aussi tel qu’il semble l’imaginer à l’université qu’il remet en cause et, par
ricochet, l’arabe qui lui sert de support pédagogique et didactique. En effet, la redondance du
praxème «d ahfad» (‘’c’est du parcoeurisme’’, M81, M83, M87, M89) qu’il lui associe est
systématiquement lié à la langue arabe alors que la définition qu’il donne, en arabe, de la
philosophie (‘’capacité dans la concentration autour de sujets complexes’’ M91), renvoie au
français (M91, M93, M111, M115). Mounir semble transférer à la langue arabe le reproche
qu’il formule à l’égard de cet enseignement de la philosophie qu’il qualifie de «laf wa
addawara kan» (M101), c'est-à-dire de simples circonvolutions sans dire quoi que ce soit
d’important. Et c’est dans la voix de son père, modestement lettré en français justement, qu’il
fait entendre le statut de langue de philosophie, telle qu’il la définit (M91), qu’il attribue au
français:

E76/ i i [mais mais] la philosophie i [à] l’université c’est en en arabe//


M77/ zrigh/ zrigh [je sais / je sais]/ mais mais nkini[moi]/ nkini ad ghragh i
imaniw s [moi je vai étudier pour moi en]l(e) français/ bien sûr s l(e)
français euh/ voilà donc/ ilaq ilaq[il faut il faut]//
E78/ mais euh les les examens euh les les comment dire?/
M79/ ih les examens ih/
E80/ les examens s [en] l’arabe/ s [en] l’arabe i [à] l’université/
M81/ i zrigh[mais je sais]/ zrigh [je sais]/ mais c’est facile/ c’est facile/ pour moi i
nkni [pour moi]/ pa(r)ce achouaghar?[pourquoi?]/ c’est facile/
achoughar[pourquoi] c’est facile?/ pa(r)ce que nkini dayen s nagh [moi ça y
est je connais] l’arabe donc dayen[ça y est]/ les examens ad répondigh s [je
répondrai aux examen en]l’arabe bien sûr/ bien sûr pas de problème// mais
mais ilaq daghan [il faut aussi]l(e) français/ ilaq [il faut]l(e) français/
pa(r)ce que la vraie einh? la vraie philosophie einh?/ la vrai philosophie
matchi d ahfadh [c’est pas du ‘’parcoeurisme’’]/ c’est faut/ la vrai philo d el
idjtihad el fikri [c’est l’effort intellectuel]/ donc ilaq [il faut]l(e) français/
bien sûr ilaq ad iligh fort i l(e) français [il faut que je sois fort en français]//
E82/attends ! attends ! là je ne te suie pas bien// tu veux dire einh! si j’ai bien
compris einh! tu veux dire qu’en arabe euh d ahfadh [c’est du
‘’parcoeursisme’’] et###
M83/ mais bien sûr d’ahfadh [c’est du ‘’parcoeurisme’’]/ bien sûr//
E84/ mais c(e n’) est pas comme les éléments euh les les évènements en
histoire/[rire]//
M85/ amek amek?/[comment comment?]
E86/Je dis que ah- ahafadh/ ahfadh i [le ‘’parcoeurisme’’/ le‘’parcoeursime’’
mais] la philo c (e n’) est quand même pas am i [comme en] la géo-//
M87/ i:: mais euh ahfadh d ahfadh [le parcoeurisme c’est du parcoeurisme]//
E88/c'est-à-dire?/
M89/ i:: ahfadh d ahfadh[le parcoeurisme c’est du parcoeurisme]// ahfadh d
ahfadh [le parcoeurisme c’est du parcoeurisme] du moment que d [c’est]l(e)
par cœurisme//
E90/ mais même ailleurs ila ayen [il y a ce] qu’on doit retenir par cœur//
M91/ i:: illa/ mais mais normalement la philo d’abord atsfahmadh [comprendre]
et et euh/ et en plus ilaq[il faut] la philo atas la [beaucoup de] concentration
pa(r)ce que la philo euh la philo t tsétudier el oumour el mouâqada [tu
étudies des questions complexes]/ donc ilaq laεqal ilaq atas n tefkkir [il faut
la pensée et beauocup de réflexion]/ atas atas n tamyiz [beaucoup beaucoup
de méditation] / donc ilaq logiquement ilaq anconcentrer[il faut
logiquement il faut qu’on se concentre]//
E92/ i mais a concentrer illa [la concentration existe] dans toutes les langues je
veux dire avec toutes les langues//
M93/ our ouminagh ara/ mon père malgré chitouh kan ig ghra s l(e) français/
malgré chitouh kan ig ghra/ itsconcentrer kiriw/ en plus its khamim loin/ il
pense voilà//
[/je ne pense pas/ mon père malgré qu’il ait peu étudié en français/malgré
qu’il ait si peu étudié/il se concentre mieux que moi/en plus il pense loin/ il
pense voilà//]

La comparaison dans ce dialogisme interdiscursif est en filigrane et ne mentionne que le


français alors que l’autre élément de la comparaison, c’est à dire l’arabe, est volontairement
gommé comme pour rappeler sa position vis à vis de la politique d’arabisation dans le
réglage intonatif du sens de son praxème «ANAÄRBOUHA» (M53) qu’il reprendra, d’une
part, dans une dynamique de dialogisation interlocutive en M117, avouant l’ opinion qu’il se
fait de l’arabe qu’il juge ‘’dérisoire’’ et, d’autre part, dans un dialogisme interdiscursif en
appui à son attitude, faisant parler, exactement comme Lotfi (L95), Ibn Khaldoun qu’il cite
nommément: «amaken is yenna ibn khaldoun ida ouribet khouribet», ‘’ainsi qu’a dit Ibn
Khaldoun: si arabisé ce sera anarchisée’’ (M119)

2.3. Les élèves inscrits en Gestion et économie:


2.3.1. « s l [en] français bien sûr/ l’arabe tarnad kan soufla [est en plus]/ l(e) kabyle
dgha oulach madhi/ala itmouchouha [/le kabyle ne représente rien/ que dans les
contes]/ [rire] […]» (Ouerida119)

Beaucoup moins politisée que Smaïl, Ouerida accompagne, comme lui, son discours aussi
bien sur l’arabe que sur le kabyle de rires et de sourires moqueurs et dévalorisants,
systématiquement en comparaison au français et souvent à l’anglais (O21, O31, O67, O69,
O77, O95, O129). Le fonctionnement discursif du praxème «normal» (O23, O27, O29, O31,
O43) banalise son mépris de la langue arabe, réduite à un instrument de formalité pour
l’obtention du baccalauréat (O33, O35, O65); un baccalauréat qu’elle dit être à la portée de
tous (O67, O69) comme les études universitaires (O79). Même si son expression syntaxique,
tantôt kabyle tantôt française, est lourdement imprégné de l’arabe classique (particulièrement
O47, O57, O115), elle ne voit aucun intérêt dans la langue arabe (O25) puisque, dit elle (O45,
O47, O53), même au lycée les opérations de comptabilité et de mathématiques, essentielles
dans la série du bac qu’elle prépare (Sciences de gestion), sont en réalité en français et que
l’arabe n’est employé que pour «Eecharh», ‘’l’explication’’ (O51).

Ce qui explique probablement sa focalisation, dès le début de l’échange, sur le français et


l’anglais:

O7/ mahsouv [c’est à dire] l(e) français euh :: l’anglais euh ::/ c’est ça?/
E8/euh:/ daya kan?/// i l’arabe l(e) kabyle euh :: matchi d les langues?// [euh:/
c’est tout ?/// qu’en est-il de l’arabe du kabyle euh :: ce ne sont pas des
langues?//]
O9/ si si mais euh::###
E10/ mais euh::/ mais matchi am [c’est pas comme] l(e) français d l’anglais?//
c’est ça?/
O11/ i ::/ matchi kif kif bien sûr//[/i ::/ c’est pas comme bien sûr//]
E12/ achoughar matchi kif kif?/[/pourquoi ce n’est pas la même chose?]
O13/ I matchi kif kif kif bien sûr// bien sûr matchi kif kif// [/I c’est pas la même
chose bien sûr// bien sûr c’est pas la même chose//]
E14/ mais achoughar?/[/mais pourquoi?/]
O15/ achoughar?/[/pourquoi?/]
E16/ achoughar it hasvadh l(e) français d l’anglais### [/pourquoi considère-tu le
français et l’anglais ###]
O17/ I bien sûr l(e) français d l’anglais euh::/ i bien sûr bien sûr/ matchi kif kif
[c’est pas la même chose]/ d les langues c’est vrai/ l(e) kabyle d l’arabe
euh ::/ mais mais matchi kif kif// [/mais mais c’est pas la même chose//]
E18/ mais achoughar it hasvadh l’anglais d l(e) français matchi kif kif am euh###
[/mais pourquoi tu ne considères pas l’anglais et le français comme euh###]
O19/ akhatar// akhatar euh :: akhatar aka igla l hal/ en plus l’arabe euh::###
[/parce que// parce que euh::parce qu’ainsi est la réalité/en plus l’arabe euh::
###]
E20/ ih l’arabe/ d’achou it vghidh ad inidh af l’arabe?/[ih l’arabe/ que veux-tu
dire à propos de l’arabe?]
O21/ ih mahsouv même l’arabe kif kif ihwayassen ken/ c’est mort/ d’ailleurs les
élèves our atsqaren-ara akw/ [éclat de rire]/
[/ih c’est à dire même l’arabe c’est la même chose ils ont tort d’insister/ c’est
mort/d’ailleurs les élèves l’étudient pas/[éclat de rire]/
E22/ yaah !//[ah bon !//]
O23/ normal/ normal//
E24/ yaah !//[ah bon !//]
O25/ I woumits?/ puisqu’i l’université s l(e) français koulech/ en plus naâya degs/
koul as d akhworat d lakdev/ euh:: c’est pour ça our katchmen ara les
élèves ar l’arabe//
[Qu’elle est son utilité?/puisqu’à l’université tout est en français/en plus on
est fatigué de cette langue/chaque jour du baratin et du mensonge/euh:: c’est
pour ça que les élèves n’entrent plus en classe d’arabe//]

Le statut de langue qu’elle dit reconnaitre à l’arabe et au kabyle parait fonctionner comme
un principe général sans une grande importance comparé au français et à l’anglais.
L’actualisation du praxème oppositionnel «mais», suivi de la marque d’hésitation prolongée,
portent les traces à la fois de gêne et de déstabilisation de mon interlocutrice vis à vis des
implications de mon programme de sens (E8) dans lequel je lui reproche discrètement la
déconsidération de l’arabe et du kabyle. L’ayant ressentie hésitante, je la reprends en écho
dans un enchainement dialogal non pertinent puisque je mobilise son propre praxème «mais»
pour faire écho à mon reproche. Elle interrompt son hésitation en ouverture du tour (O11) et
confirme avec certitude l’hypothèse de mon interprétation de son propos précédent (O7). Elle
réitère l’expression de sa certitude « c’est pas la même chose bien sûr», maintenant son point
de vue en O11 et temporisant en O13 la programmation d’un dire explicatif que je provoque
en E12 mais qui s’avère être peu évident pour elle. Dans ses tours de parole suivants, cette
expression est systématiquement réitérée à chaque fois avec la même tonalité montante et sans
explication ni explicitation en dépit de ma requête insistante (E14, E16, E18) à laquelle
Ouerida oppose sa stratégie d’évitement me reprenant à chaque fois comme pour s’assurer du
sens. Elle entame en O19 un discours dans lequel elle apparait libérer sa pulsion
communicative en l’ouvrant par le triple causatif kabyle akhatar (parce que) mais bifurque
immédiatement après sur un sens à la fois inattendu pour moi et générique pour elle. En effet,
en affirmant que ‘’la réalité est ainsi’’, elle répond sans prendre de risque discursif sans doute
parce qu’elle soupçonne un rebondissement de ma part sur ses propos. Elle marque une pause
très courte et enchaine tout de suite après, sans succès, pour dire quelque chose de l’arabe
dont elle implique des reproches préalables sans les dire sinon dans le fil du praxème
prépositionnel «en plus». A l’interruption de son programme de sens, que prolonge sa longue
hésitation, je réagis et provoque sa parole en E20 exclusivement autour de l’arabe. Sa réplique
sur l’arabe, qualifié de langue «morte» que les élèves ‘’n’étudient pas’’, implique le kabyle
présent dans et par le comparatif «même» qui le catégorise plus négativement encore. Ainsi,
en le passant quasiment sous silence, Ouerida l’épargne-t-il de la moquerie de son éclat de rire
en fin de ce tour de parole? Ou l’ignore-t-elle tout simplement comme langue à l’école et à
l’université? Car, à partir de ce tour, rien ne renvoie au kabyle dans la bouche de mon
interlocutrice avant son tour de parole O119 où le kabyle réapparait encore plus insignifiant
que l’arabe et comparé au français. Et l’expression de mon étonnement dans mes deux tours
de parole E22 et E24 ne suffiront pas à la faire revenir sur cette ambiguïté que supplante
l’irruption inattendue d’un discours, physiquement absent, auquel elle donne la voix dans
l’actualisation «ihwayasent kan» (‘’ils insistent pour rien’’) pour se situer en opposition ou
bien aux défenseurs de cette langue, et à travers eux à la politique d’arabisation, ou bien aux
enseignants de/avec cette langue. Dans les deux cas de figure, l’arabe n’a aucune utilité à ses
yeux non pas seulement parce que ce n’est pas la langue des études à l’université mais surtout
parce qu’’’on est fatigué d’elle, du baratin et du mensonge‘’ (O25). Trois aspects d’un rejet
qui rappelle celui de Smaïl avec la même vocation endogroupale que rend ici l’indéfini ‘’on’’
pour faire entendre les voix polyphoniques, c'est-à-dire concordantes, des élèves, à ce sujet,
dans une relation de mêmeté avec elle que concrétise le refus de tous de prendre part aux
cours d’arabe. C’est un rejet sur fond de mépris que banalise l’obtention de bonnes notes aux
compositions sans avoir assisté aux cours (O27, O29, O31, 033). L’arabe est ainsi perçu
comme une formalité dont l’exigence se limite à l’obtention des notes supérieures à dix sur
vingt et peu importe qu’on les mérite ou non (E30, O31, E32, O33). Et l’expression de mon
étonnement (E28, E32, E34) n’aura aucun écho dans la discursivité autosuffisante du praxème
«normal» qu’Ouerida saisit pour banaliser, justifier et expliquer ce qui est pour moi
incompréhensible mais, pour elle, évident, réel et inutile à démontrer car ‘’ainsi est la
réalité’’, «akka igla l hal» (O19).

Ainsi jugé inutile, l’arabe est opposé au français, langue essentielle et utile pour les études
universitaires d’économie qu’Ouerida projette de poursuivre. Ainsi, la fonction de l’arabe ou
l’arabe tout court prend fin dès l’obtention du baccalauréat.

O35/ i c’est pas important euh ::/ di l bac/ oumbaâd i l’université s l(e) français
koulech/ donc twaladh amek/ c’est pas important/ c’est pas important/[i
c’est pas important euh::/ dans le bac/après à l’université tout est en
français/ donc tu vois comment/ c’est important c’est important/] ]

Candidate au baccalauréat dans la filière Gestion et économie, Ouerida conçoit mal des
études universitaires de finances en arabe, quand bien même elle admet recevoir avec cette
langue les enseignements de comptabilité actuellement, au lycée.
O45/oulamek/ oulamek akhatar ilaq euh :: ilaq euh ::/ nekkni je (ne) vois pas
amek euh :: les les finances s taâravth/ negh euh :: la comptabilité s
thaârvath//
[/c’est pas possible/ c’est pas possible parce qu’il faut euh :: il faut
euh ::/moi je ne vois pas comment euh:: les finances en arabe/ ou euh :: la
comptabilité en arabe//]
E46/ mais thoura theqqarem la comptabilité s thâravth !/ [/mais pour le moment
vous étudiez en arabe!/]
O47/ ih mais euh::/ c’est vrai sthaâravth/ sthaâravht/ mais les les les l aâmaliat et
tout s l(e) français//[oui mais euh ::/ c’est vrai c’est en arabe/ c’est en
arabe/mais les les les opérations et tout c’est en français//]
E48/ yaah!/ [ah bon!]
O49/ s l (e) français ih//[c’est en français oui]
E50/ d achou ihi it khadmam s thaâravth magla l aâmaliat s l(e) français ?//
[qu’est-ce que vous faites alors en arabe si les opérations sont en français?//]
O51/ euh ::/ charh euh :://[/euh::/l’explication euh:://]
E52/ mais euh ::/ charh l aâmaliat non?/ [/mais euh::/l’explication concerne les
opérations non?/]
O53/ah ! non/ les exercices bien sûr/ les exercices euh :: mais en vérité on on
réfléchit s l(e) français/ donc s[en] l(e) français akhir [c’est mieux]//
E54/ s l(e) français akhir?//[/en français c’est mieux?]
O55/ i:::/ bien sûr//
E56/ yaah/ s l(e) français akhir//[ah bon/en français c’est mieux//]
O57/ ih au moins s l(e) français anili wadjdin mi nebbadh ar l’université//[/oui au
moins en français on sera prêt une fois à l’université//]
E58/ c’est pour ça i s l(e) français akhir?/[/c’est pour ça que c’est mieux en
français?]
O59/ ih/ moulach agh taâar l’université//[/oui sinon on aura des difficultés à
l’université//]

Dans l’expression de son opposition à l’idée même d’étudier à l’université en arabe (O45,
O61) et de sa préférence du français (O53, O55, O57, O59), Ouerida attribue aux deux
langues deux fonctions didactiques d’apparence complémentaires mais qui sont, en réalité,
aussi hiérarchisées qu’hiérarchisantes: alors que le français serait la langue des exercices, des
opérations et de la réflexion, l’arabe servirait uniquement l’explication, l’extériorisation…. Ce
qui est difficile de vérifier car, officiellement, la langue des enseignements à l’école est
l’arabe quelle que soit la filière. Peut-être que, pour Ouerida, le fait d’adopter la symbolique
mathématique, physique et chimique universelle et son orientation graphique de gauche à
droite, à la différence de l’arabe (de droite à gauche), constitue le signe de la présence en
profondeur du français, laissant l’apparence à l’arabe, c'est-à-dire l’explication avec tout ce
que cela pourrait sous-entendre comme profusion de paroles dont se passent justement les
exercices et les opérations dont elle parle en O47 et O53 et qui relèvent du domaine
individuel.
La dimension motivationnelle de cette idée du français, comme étant la langue de la
réflexion (O53) et des études universitaires (de finances et de comptabilité), est exprimée en
amont et en aval de l’échéance que représente ici le bac. En effet, de l’exigence que s’impose
Ouerida d’étudier dès à présent en français, il ressort son souci d’être en mesure d’étudier, en
français, la comptabilité et les finances une fois à l’université (O57, O59). Ce qui ferait du
français et, à travers ce dernier, de l’université respectivement un outil et un lieu de
«réflexion» qui exigeraient des efforts à la différence de ce qui, selon elle, se fait au lycée et
même au bac (O67, O69, O73, O75). Ce qu’elle semble remettre complètement en cause dans
son tour de parole suivant (O77) où elle explicite (O79, 081) la facilité non seulement du bac
mais aussi des études universitaires du fait des moyens électroniques, particulièrement, qui,
justement, donnent un réglage de sens spécifique à son praxème «facile» et à ses implications
discursives (O109). Car cette facilité est liée à l’attitude même de Ouerida à l’égard du
français (O111, O113, O125) et de l’arabe ainsi que du kabyle (O115, O119).Tout porte à
croire qu’Ouerida est consciente des enjeux de langues aussi bien dans son entourage
immédiat que dans le monde. Et c’est à partir de cette conscience qu’elle se positionne vis-à-
vis du kabyle, sa langue maternelle, de l’arabe, la langue de sa scolarité, du français, la langue
avec laquelle elle veut étudier à l’université mais qu’elle parle souvent avec l’emprise du
lexique scolaire de l’arabe, et de l’anglais dont elle dit la nécessité de maitriser pour l’utiliser
ailleurs:

O115/ ih l’arabe toura ivan am l(e) kabyle/ mais di l iqtissad ilaq l(e) français
ilaq l’anglais/ akhatar toura s l âawlama ilaq les langues lmaâmoula biha
âalamiyan am l(e) français parce que nekni ntsiki di l mouhit n la
francophonie/ mais mais ilaq ilaq dighan l’anglais puisqu(e) anda nidhan d
l’anglais iglahoun//
[/oui l’arabe c’est clair comme le kabyle/mais en économie il faut le
français il faut l’anglais/ parce qu’actuellement avec la mondialisation il faut
les langues en usages dans le monde comme le français parce que moi je fais
partie de l’environnement de la francophonie/ mais mais il faut il faut aussi
l’anglais puisqu’ailleurs c’est l’anglais qui marche//]
O119/s l(e) français bien sûr/ l’arabe tarnad kan soufla/ l(e) kabyle dgha oulach
madhi/ ala it mouchouha/ [rire]/ euh c’est vrai toura lan les cd euh les les
films s l kabyle et tout/ c’est vrai lan même les les euh amek isqaren l qisa
euh//
[en français bien sûr/ l’arabe c’est en plus/ le kabyle c’est encore
insignifiant/ que dans les contes/[rire]/euh c’est vrai maintenant il y a les cd
euh les films en kabyle et tout/ c’est vrai il y a même les les euh comment
dit-on le conte euh//]
A la différence de Smaïl qui, en s’opposant aux défenseurs de l’arabe et de la politique
d’arabisation, fait entendre sa langue maternelle, le kabyle, tour à tour à travers le récit de
souvenirs d’enfance, à travers la voix de la doxa, de Matoub et de Fellag, Ouerida se contente
de déplorer le retard de la langue kabyle dont elle considère la valeur insignifiante même en
comparaison à l’arabe qu’elle juge, plusieurs fois dans l’entretien, inutile. Son rire en clôture à
sa séquence qualifiant le kabyle de langue ne servant qu’à conter est moqueur, quand bien
même elle semble être au courant des efforts consentis pour lui redonner du souffle: ne pas
connaitre l’équivalent en kabyle du mot «roman», qu’elle dit pourtant avoir appris en cours de
langue kabyle, est aussi synonyme de l’intérêt qu’elle porte à cette langue et son
enseignement!

2.3.2. «/i pa(r)ce que nkni d l [pour moi c’est le] français id sah [qui est important]/ s
l’arabe oulach [en arabe il n’y a rien]//» (Marzouk127)

Sachant qu’une fois bachelier, il sera orienté logiquement vers les sciences économiques,
du fait qu’il est candidat au baccalauréat de série Sciences de gestion (M17, M19, M27),
Marzouk laisse clairement entendre, dès ses premiers tours de parole, son espoir de faire
«autre chose» (M21). Par ricochet, il exprime un sentiment de regret d’avoir à poursuivre des
études universitaires d’économie alors qu’il souhaite étudier les langues (M39) française et
anglaise (M45) pour devenir traducteur-interprète (M47, M49).

M27/ mais oulamek [c’est pas possible]/ oulamek puisque l(e) bac d l [est un] bac
Gestion//
E28/ alla parfois lan [non parfois il y en a] // oui oui il y en qui font ###

En apprenant de moi, dont il connait le métier d’enseignante à l’université, la possibilité


pour lui de concrétiser son projet, comme d’autres bacheliers l’ont fait avant lui (E28), en
satisfaisant aux critères de sélection liés aux notes à obtenir au baccalauréat (M29, E30, E32,
E34, M57, E58), Marzouk libère sa pulsion communicative. Il met en mots son enthousiasme
vis-à-vis des langues (M39, M41), particulièrement le français et l’anglais (M45) qu’il choisit
parmi celles que je lui propose en E44 dont l’arabe et l’allemand. Bien qu’il approuve (M49)
sans la moindre hésitation le fait que le diplôme d’interprétariat-traduction implique
obligatoirement l’arabe en plus de deux langues étrangères (E48, M143), d’autant plus qu’il
affirme que «l’arabe pas de problème» (M59), Marzouk adopte, au fur et à mesure des
échanges, une attitude d’exclusion de l’arabe en tant que langue des études à l’université
(M93, M95, M111, M115, M117, M119, M121), en tant que langue de science (M125, M127,
M135). Il lui préfère le français d’abord comme la langue des études universitaires et de
science (M85, M87, M91, M89, M97, M107, M109, M151, M153, M155) puis de
communication dans le monde (M133, M135, M137). Il souligne plusieurs fois la nécessité de
pratiquer l’anglais (M149, M165, M167).

Cette attitude vis à vis de l’arabe commence par une espèce de banalisation en rapport
avec son statut de langue de scolarité de Marzouk pour prendre petit à petit la forme de mépris
et de rejet lié au statut que Marzouk lui attribue comme langue d’études au lycée, avec tout ce
que cela implique, selon lui, comme lenteur dans l’usage de la craie au tableau, et impossible
à adopter à l’université où, justement, c’est la rapidité dans la prise de notes qui prime sur
l’exercice de recopiage en arabe au lycée. Selon cette logique, c’est le français que Marzouk
dit être cette langue de la rapidité et de la science, ainsi que je l’ai fait ressortir, dans l’extrait
conversationnel suivant, pour les besoins argumentaires du chapitre réservé au français perçu
comme la langue du savoir, de la technologie et d’avenir

E78/ mais c’est très bien/ tu es aussi bon en anglais// et et je suppose en arabe
aussi//
M79/ en arabe? normal/ normal/ de toute façon neqqar s [on étudie en]l’arabe
ah ! donc normal//
E80/ comment normal ?/
M81/ normal anili fort i [qu’on soit fort en]l’arabe du moment qu’neqqar s [on
étudie en] l’arabe/ mais euh ::/ mais euh:::###
E82/ mais quoi?/ mais quoi ?/ continue j’ai pas suivi//
M83/ ih s l’arabe ivan/ mais ssah s l français bien sûr//
[oui en arabe c’est évident/ mais le plus important c’est en français bien sûr//]
E84/ ah bon!/
M85/ i bien sûr/ du moment qu’i l’université d l français/ donc d l français i
dessah [le plus important c’est le français]//
E86/ comment ça d l français id essah?// [comment ça le plus important c’est le
français ?//]
M87/ i :: du moment que s l français qu’on va euh :: qu’on va euh :: qu’on ###
E88/ étudier?/
M89/ i voilà/ donc du moment que donc du moment que s l [en] français qu’on va
qu’on va étudier i l’université/ donc normal d l [c’est] français i d essah [le
plus important]/ il faut euh :: oui/ ilaq anili [il faut qu’on soit] fort pa(r)ce
que pa(r)ce que par euh :: i i l’université/ d l’université c’est pas am i
[comme au] lycée/ i l’université il faut faire vite/ c’est pas am i [comme
au]lycée/ c’est pas am thoura [comme maintenant]/ les professeurs/ a
tableau/ la craie et tout/ i l’université debbar mahaynek [débrouille toi] /
vite/ kouleche [tout est] vite/ mais dighen [en réalité] c’est normal/ c’est
normal/ du moment que :: normalement dayen[ça y est]/ on est prêt/donc les
professeurs dinna oulach a [là-bas pas de ] tableau et tout/ah oulach [il n’y
en a pas]//
En reprenant en écho mon praxème «arabe» (M79) sur un ton interrogatif, Marzouk
n’attend pas de réponse mais met en discours son étonnement d’entendre cette question posée.
En effet, il enchaine tout de suite après dans le même tour de parole en réitérant deux fois le
praxème adverbial «normal» avec lequel il clôt aussi son tour de parole, à la fois en banalisant
les implications de ma question et en faisant de sa maitrise de l’arabe une évidence qui ne
peut en être autrement car c’est la langue de ses études jusqu’ici. Pour cela, Marzouk mobilise
le collectif endogroupal «nous» pour rendre plus visible cette évidence, cette réalité. Ce qui,
avec le recul, n’autorise pas de voir dans cet emploi lié à l’arabe le symbole du collectif au
sens négatif, c'est-à-dire comme tout le monde, opposable au singulier, à l’initiative et à
l’effort intellectuel qui ne peut être qu’individuel et qui ne serait qu’à l’université et surtout
qu’en français. Cela est d’autant plus vrai que cette énonciation est reconduite dans le cas du
français, dans plusieurs tour de parole notamment en M89: /’’il faut que nous soyons fort’’
[en français]. Mais en associant à la banalisation de la maitrise de l’arabe la lenteur, la
reproduction à partir du tableau, etc., dans l’activité scolaire au lycée et à l’esprit
‘’débrouillard’’ et rapide au français dans les études universitaires (M107), Marzouk ne se
contente pas de distinguer entre les deux langues. Son positionnement en faveur du français
ne souffre d’aucune ambiguïté. En s’énonçant avec l’endogroupal inclusif «nous», il entend se
dire et dire ses camardes qui, dans cette logique, nécessitent la maitrise du français car la
langue de leur scolarité, comme lui, c’est l’arabe. Ce discours polyphonique qui, au sens
premier de ce concept, sous-entend les voix concordantes de ses camardes, c'est-à-dire sans
tension ni co-construction puisqu’elles disent la même chose et de la même manière telle une
chorale mono-vocale ou un orchestre dont Marzouk est le chef, porte-t-il aussi les
implications préférentielles du positionnement de Marzouk vis-à-vis des deux langues arabe et
française? Du point de vue de Marzouk, cela est évident mais pas banal car cela implique
beaucoup d’efforts, comparé à la reproduction qui se fait actuellement au lycée, en arabe.

Dans le but de le faire parler davantage à propos de cette distinction qu’il opère entre les
deux langues, je lui fais savoir que cet argument reposant sur les cours dispensés à
l’université en langue française s’applique également aux cours dispensés en langue arabe.

E110/ mais s [en]l’arabe dighen [aussi]on peut//


M111/ amek? s l’arabe?/ [comment? en arabe?]
E112/ du moment que toi hein/ toi tu as étudié en arabe/ donc tu maitrises
l’arabe/ d’accord ?/
M113/ d’accord mais ###
E114/ donc en arabe tu seras à l’aise// c’est à dire que tu suivras facilement//
M115/ i d’accord mais s l’arabe?/
E116/ s l’arabe zaâma on (ne) peut pas?/
M117/ ah wah[ah NON!]/ impossible/ s[en] l’arabe//
E118/ pourquoi pas?//
M119/ pa(r)ce que/ pa(r)ce qu’euh::/ pa(r)ce- de toute façon s [en] l’arabe c’est
pas possible//
E120/ pourtant tu fais de la comptabilité/ des mathématiques et tout en arabe
non?//
M121/ ih mais c’est pas euh :: c’est pas comme l’université// i l’université euh::/
c’est pas la même chose///
E122/ ah bon/ mais les maths d[c’est] les maths/ la comptabilité d ###
M123/ mais i[à] l’université d[c’est de] la recherche/ d [c’est de] la recherche
scientifique/ donc match i kif kif [donc c’est pas la même chose]// c’est
différent//

Marzouk fait semblant, en M109, de ne pas saisir ma réflexion et tente de gagner du temps
pour programmer son dire. J’insiste, en E110 et E112, en lui expliquant qu’en langue arabe
c’est plutôt plus abordable pour lui qui reçoit la formation entièrement avec cette langue.
N’approuvant pas mon opinion, il me retourne la question comme s’il veut s’assurer de son
contenu mais aussi et même surtout pour signifier son désaccord sans avoir à le dire. Ne le
laissant pas me dessaisir de mon rôle d’enquêtrice qui conduit et oriente l’échange, je refuse
de répondre par l’affirmative évidente qu’implique sa réplique (M115) et rebondis dans une
séquence (E116) à la fois interrogative et discursive l’appelant au bon sens et surtout à la
raison dans l’actualisation du praxème d’évidence «zâama» rendant complètement irrecevable
son attitude compte tenu de la banalisation même qu’il a faite de la maitrise de l’arabe dans
ses tours de parole précédents. Ne saisissant pas la portée sémantique de son interjection à
tonalité ascendante à laquelle succède l’actualisation du praxème «impossible», je l’accule
davantage car je croyais que ce qui relève de l’ordre de l’impossible à réaliser en arabe, est en
rapport avec l’idée de la rapidité dans le déroulement des cours à l’université qu’il a associée
au français, dans ses tours de paroles précédents (M91, M93, M95, M97, M99, M107, M109).
Très perturbé, il redouble le causatif «parce que» sans achever le programme de sens qui
devait aller avec et reconduit son affirmation précédente. Ignorant involontairement cet appel
de détresse, que la lecture ultérieure de l’échange décèle et met en rapport avec la différence
de nos objets de discours respectifs, lui parlant de l’arabe comme outil de connaissances
scientifiques et moi de la rapidité dans l’exercice pédagogique à l’université, je l’enfonce un
peu plus sans avoir l’intention sinon de contredire l’idée de l’impossibilité d’être rapide en
arabe même dans l’enseignement des matières comme les mathématiques et la comptabilité
qui exigent pourtant l’écriture et donc imposent un certain rythme moins rapide que ce que
sous-entend Marzouk. Il m’interrompt brusquement et me fait prendre conscience de la
différence dans nos deux objets de discours en M123. Les trois barres obliques à la fin de son
tour de parole portent la trace de la longueur du temps écoulé entre son arrêt de parole et ma
décision à la reprendre d’autant plus qu’il s’agit là de son deuxième arrêt m’invitant à
reprendre la parole après celui que marquent les deux barres qui suivent «/c’est pas la même
chose//». C’est aussi la trace de mon besoin de programmer et d’extérioriser du sens en tenant
compte de cette orientation discursive, nouvelle pour moi doublement car je dois en même
temps réviser mon interprétation des répliques antérieures de Marzouk et repérer ses
intentions communicatives. Comme pour gommer ce temps, c'est-à-dire me rattraper et
surtout me replacer dans la logique de mon interlocuteur, j’entame ma réplique E124 avec le
coordinateur «et» à valeur à la fois de conséquence, puisque je m’inscris dans sa logique qui
est celle du rapport entre le français de la recherche scientifique, et de remise en cause lui
disant sous forme interrogative un fond affirmatif : on peut faire de la recherche en arabe et
pas seulement en français, comme il le soutient. Il adopte alors une espèce de retrait, tout en
maintenant son désaccord avec moi. Le redoublement de son programme de sens «/je (ne) sais
pas/ je (ne) sais pas» (M125) étant séparé d’une pause courte, montre, en effet, qu’il s’agit
bien d’une temporisation/ obtempération par laquelle à la fois il gagne du temps et réduit
l’opposition diamétrale de nos propos sans pour autant adopter mon point de vue. C’est donc
une hésitation à maintenir son attitude maintenant que nous sommes bien autour du même
objet de discours: l’arabe en tant que langue de la recherche scientifique. D’où la nécessité
pour moi de le relancer en le ménageant (E126) pour éviter la rupture dans l’échange. Il
accepte de réagir et opère modestement puisqu’il précise bien qu’il s’agit de son point de vue,
contournant soigneusement la généralisation de ses propos antérieurs: «i pa(r) ce que nkni
[moi] pour moi d l [c’est le] français id sah [qui est essentiel]/ s [en] l’arabe oulach [il n’y a
rien// » (M127). S’en suit alors un échange autour de cette restriction de la scientificité au
français dont la disponibilité de moyens pour acquérir les connaissances modernes semble
constituer le sésame à côté de son audience internationale et de sa vocation universaliste. Des
aspects abordés dans le chapitre réservé au français perçu comme la langue de savoir, de
technologie et d’avenir et où l’arabe est lié à la politique et au retard, sur tous les plans, des
pays arabes. Ce qui fait que Marzouk, soucieux de mobilité que lui offrent le français et
l’anglais, se dit obligé d’accepter l’arabe comme troisième langue dans la formation
d’interprète-traducteur qu’il veut poursuivre.
2.4. Une élève inscrite en Mathématiques: «i :: bien sûr s l [en] français/en arabe?/ ça
va pas! d achou ara khadmagh yis? [que ferais-je avec?]» (Sabrina86)

L’entretien réalisé avec Sabrina se caractérise par la présence de sa mère, Karima, PES de
mathématiques, qui prend part par moments à l’entretien, et surtout par les innombrables
éclats de rire (S43, K47, K+S+E 51, S53, E72, K+S73, E+K81, K+E89, E105, S+K106,
S115, K+E131, K+E136, E+K139, E+K148) rendant l’atmosphère conviviale et l’échange
assez fluide. A l’exception de notre éclat de rire (sa mère et moi) provoqué par l’actualisation
du praxème kabyle «alatif» dans le tour de parole de Sabrina (S88), aucun des autres ne
concerne l’arabe. Tous sont d’ordre dialogale et rendent compte à la fois de la subtilité
conversationnelle de Sabrina et de sa modestie, d’abord, à prétendre «avoir un point de vue»
(S4, S6, S8, S10, S51), ensuite, à l’exprimer en français (S71, S74, S76, S100, S102) et, enfin,
en parler avec précision (S138, S147, S150, S154, S156). En réalité, même le nôtre, sa mère
et moi en K+E89, est d’un rapport très lointain avec l’arabe car le praxème de Sabrina «alatif»
est actualisé en réaction à mon hypothèse du besoin de maitriser l’arabe dans le cas où elle
devenait enseignante de mathématiques ou de physique au lycée. Cela est d’autant plus vrai
que, d’un côté, elle m’interrompt avant que j’eusse établi l’importance pour elle de maitriser
l’arabe (la langue des enseignements au lycée) et, de l’autre côté, elle enchaine juste après
ledit éclat et règle le sens de son propos justement («alatif») en mettant l’accent
explicitement, en effet, non pas sur la langue des enseignements mais sur la fonction de
l’enseignement au lycée («ça suffit ma mère et mon père//», S90). Une attitude qu’elle
justifie tout de suite après (S92) par les difficultés actuelles dans l’exercice de ce métier très
mal rémunéré «en plus» (S92).

Néanmoins, Sabrina n’est pas favorable à l’idée de poursuivre des études universitaires en
arabe. Bien que par instant son attitude vis-à-vis de cette langue ressemble à un rejet, voire un
mépris, dans l’ensemble, elle fait preuve de retenue et de logique fondée sur une certaine
répartition fonctionnelle des langues arabe, française et anglaise selon les statuts qu’elle
attribue à chacune d’elle. L’absence du kabyle dans son discours épilinguistique est plus à
mettre en rapport avec la logique du déroulement de l’entretien, focalisé sur l’école et
l’université, qu’avec l’ignorance ou la déconsidération de Sabrina de cette langue dont la
présence durant l’entretien est limitée à quelques expressions, l’essentiel étant fait en français.
Je saisis le moment où Sabrina déclare son souhait de s’inscrire en «math info bien sûr»
(S53) pour introduire la problématique de langue(s) d’études:

E59/mais euh :: mais i [à] l’université/ i [à]l’université les sciences exactes c’est
c’est en français###
S60/ aken akhir [ainsi est meilleur]/ tant mieux!/
E61/ aken akhir?/[ainsi est meilleur?]
S62/ c’est sûr aken akhir//[c’est sûr que c’est meilleur]
E63/ mais kounwi thaghram en arabe!/ [mais vous, vous avez étudié en rabe!]
S64/ i justement/ justement///
E65/ amek justement?//[comment justement ?]
S66/ justement pa(r) ce’qu’on est un peu faible I l [en] français euh :: surtout
I[en] l’anglais// donc justement ilaq s l [il faut le ] français iwakan
anemaitriser l français [pour que nous maitrisions le français]//

Sabrina est rassurée (S61) non pas d’apprendre que le français est la langue des études à
l’université mais de m’entendre le confirmer, car au vu de ce qu’elle sait de l’organisation de
l’université, y compris ce qui concerne les nouveaux dispositifs liés à la formation Licence-
Master-Doctorat (S41, S43, S45, S49), elle est sans doute aussi au courant de l’usage des
langues à l’université. L’assurance dans la tonalité de sa voix en S60, S62 et surtout en S64 et
S66 où elle voit cet usage comme une opportunité, pour elle et ses camarades, de maitriser «le
français» me rappelle la convocation en S26 de la voix de l’élève Mélissa, candidate
malheureuse au baccalauréat en raison de sa maladie (K19, S23), et dont elle retient surtout le
«très très bon français et même l’anglais d’ailleurs» (S26). Il émerge, en effet, de son
discours à propos du français et de sa maitrise à elle de cette langue un critère de mérite et de
‘’classabilité’’ parmi les bons élèves à l’instar de Mélissa et de ses frères, Sofiane et Rima
(S29), justement bacheliers et partis en France (K28, S29). C’est donc une opportunité pour
Sabrina de maitriser le français dont elle dit être «un peu faible» (S66, S71) bien que le long
de l’échange, elle montre d’assez importantes habilités non seulement à parler mais aussi à
négocier en français, avec ce que cela implique comme compétences communicatives dans
cette langue, et que j’encourage explicitement au moins dans mes tours de parole E2 et E75.
Elle réitère la nécessité de maitriser cette langue en S100, S102 et S107 dont elle liera, par la
suite, les raisons à son statut de langue internationale et de la recherche scientifique
systématiquement en comparaison à l’anglais, dont elle souhaite également l’acquisition, et à
l’arabe qu’elle dit connaitre mais à qui elle accorde peu d’importance parce qu’elle juge
qu’elle n’ a ‘’rien à faire avec’’ (S86) après le baccalauréat d’autant plus que même au lycée,
pour elle, l’arabe a produit «la catastrophe» (S109). Elle craint qu’’’à l’université ce sera
pire’’ (S109). Une ‘’catastrophe’’ que soutient sa mère, sans en avoir l’intention, dans son
tour de parole (K149) quand sa fille me reproche (S147) ma tendance à lui demander de
m’expliquer tout, même ce qui lui semble être évident, alors que, dit-elle, cela exige des
compétences d’élèves en lettres et philosophie (S154). S’agit-il là de sa façon à elle de
contourner le fond de mes questions en catégorisant de ‘’difficile le sujet’’ (S156) que nous
abordons et en me reprochant, à moi la littéraire, ma recherche de la précision (S158) au point
d’actualiser à mon encontre le praxème définitoire de sa discipline, qui est aussi celle de sa
mère: les sciences exactes? C’est en effet sur sa doléance que je décide de la remercier: ‘’en
plus il faut tout avec précision’’ (S158).

2.5. Un élève inscrit en Techniques et mathématiques: « /le français quand même


akyezziz gher zath [va te propulser vers l’avant]/oukyettarara gher deffir am l’arabe/
[il ne te fera pas reculer en arrière comme l’arabe/]» (Omar99)

Dans l’échange avec Omar, il ressort une attitude de préférence du français (091, 093,
O97, O113, O115, O117) qu’il qualifie de langue de science et de technologie (O95, O101) et
dont la maitrise, qu’il n’a pas au vu de sa performance durant l’échange, malgré sa déclaration
en comparaison à l’anglais en O145, constitue pour lui un atout pour concrétiser son projet de
départ à l’étranger (O125, O127, O129, O131). Cette préférence est essentiellement au
détriment de l’arabe (047, 049, O53, O55, O69, 071, O75, O77, 079, O81) car la langue
amazighe ici dans sa variante kabyle, qu’il défend contre l’arabe (O63, 065, O85, 087, O109,
O119, O121), n’est jamais opposée au français (O45).

La relecture de l’échange avec Omar donne à voir une espèce d’idéalisation du français du
fait justement que mon interlocuteur ne le maitrise pas. En effet, avant d’entamer le vif de
notre sujet, c'est-à-dire les langues à l’école et à l’université, Omar a explicité sa crainte de se
voir imposé le français comme la langue de l’échange (O39, O41, 043). Plusieurs fois rassuré
de sa liberté à s’exprimer avec la ou les langues de son choix comme il a l’habitude de le
faire dans son quotidien (E42, E44, E46), il interrompt subitement mon tour de parole E48
juste au moment où j’actualise le praxème «arabe» comme une langue parmi les différentes
possibilités d’expression à sa disposition.

E48/ akken ikyahwa/ / sthroumith/ sthaâravth ### [/c’est comme tu veux/en français/en
arabe####]
O49/ ahves/ thaâravth outhtsekkara/ [/stop/ l’arabe ne fait pas partie/]
E50/ ah oui!/
O51/ ah oui/ désolé/
E52/ achoughar aâni?/ [pourquoi?]
O53/ achoughar [pourquoi?] euh :: tout simplement j’aime pas l’arabe/

Avec le praxème « ahvès » (lit. arrête!, stop!), Omar refuse le recours à la langue arabe
pour échanger avec moi. Le réglage de sens de ce praxème «ahvès» s’apparente plutôt à une
espèce d’interdiction qu’il explicitera tout de suite après: «thaâravth outhtsekkara», ‘’l’arabe
ne fait pas partie’’ des langues de l’échange.

L’étonnement dans ma réaction immédiate (E50) devant cette animosité, inattendue pour
moi, à l’égard de la langue arabe, n’a produit aucun effet sur son attitude. Il accentue, en O51,
l’expression de son hostilité à l’encontre de cette langue par l’interjection «ah» suivie de
l’élément approbateur «oui» avec une tonalité qui rappelle à bien des égards l’air de revanche
dont il semble saisir l’occasion pour assouvir un sentiment de mépris ou de règlement de
compte. Son ironie, en clôturant son tour de parole par le praxème «désolé», règle un sens
ambigu car il ne cible pas cette langue mais moi qui la lui suggère parmi les autres possibilités
d’expression que je considère faisant partie de son répertoire verbal quotidien et surtout
scolaire, pour rester dans les termes de notre accord préalable: discuter des langues à l’école
et à l’université.

Son hésitation (O53), relativement prolongée, à justifier son rejet de l’arabe, porte la trace
d’un dire refoulé qu’il expulsera dans son tour de parole suivant (O55) quand je lui repose la
même question que celle (E52) pour laquelle il observe une certaine retenue. En effet, entre ne
pas aimer une langue (O53), dont les locuteurs se profilent ici derrière à plusieurs répliques
(O61, O63, O79, O81), et la considérer comme étant «delmardh» (O55), c'est-à-dire ‘’la
maladie’’ dont le sens en kabyle concerne à la fois l’incurable et la contagion, il y a cette
nuance à effet de sens dialogique que recherche Omar pour, d’un côté, accabler cette langue et
la politique d’arabisation (O61), dont il ne prononce jamais le vocable, et, de l’autre côté,
plaider la cause de sa langue maternelle en s’engageant dans un discours faisant entendre les
voix de militants de cette langue décrite comme une victime de cette maladie (O61, O63,
O65).

E54/ et pourquoi ?/
O55/ l’arabe delmardh/ [/l’arabe c’est l’incurable/]
E56/ ah oui !/
O57/ ilanayam! qvarnagh yis ach hal isseggassen aya/ bezzaf!/ normalement thoura
stop!/ barka!/ naâya!/[s’il te plait!/ qvarnagh [ils nous ont gavés] depuis combien
d’année?/ c’est trop !/ normalement maintenant stop !/ ça suffit/ y en a marre!/]
E58/ anwi ikiqwavran yis?/ [qui vous ont gavés?]
O59/ la politique agui netmourrth agui nelhif/ [la politique de ce pays de misère/]
E60/ yah/ [ah bon !/]
O61/ ih/ segwasmi idechfigh euh :: staâravth/ wellah arechfigh am assa asmi kechmagh
gher lakoul/ bdhaghd sakham qarghas i yemma euh :: achoughar machi
sthaqvaylith aâni lakoul/ wehmegh/ déjà l(e) début ça va pas/ thennak ah :: di
lakoul ammi tsaâravth/ thaqvaylith goukham ken/ thezridh/ euh :: je trouve ça
dégoutant/ c’est pas juste/ thamourth agui euh :: normalement n les berbères/
machi les arabes/ c’est des envahisseurs/ tchan thamourth/ thoura qriv aghetchen
oula d noukni/ ya latif/
[oui/ aussi loin que remontent mes souvenirs c’est en arabe/je jure que je me
souviens comme si c’est aujourd’hui quand je suis entré à l’école/ de retour à la
maison j’ai dit à ma mère euh :: pourquoi ce n’est pas en kabyle à l’école/ je suis
étonné/ déjà le début ça va pas/ elle m’a dit ah :: à l’école mon fils c’est l’arabe/ le
kabyle à la maison seulement/ tu sais/ euh :: je trouve ça dégoutant/ c’est pas
juste/ ce pays euh :: normalement est aux Berbères/ ce n’est pas aux Arabes/ ce
sont des envahisseurs/ ils ont tout mangé et à présent ils projettent de nous
manger/ espèce de maudits/]
E62/ thekerhedh taâravth hein !/[tu n’aimes pas l’arabe (la langue) !]
O63/ ah oui/ mlih/ de plus dnouthni ightiskarhen plus/ nghanagh tamazighth/ [ah
oui/beaucoup/ de plus ce sont eux qui nous l’ont fait détesté/ ils ont tué notre
amazigh (langue berbère)/]
E64/ nigh thoura theqqarem thamazighth/ [pourtant maintenant vous étudiez l’amazigh]
O65/ ih alami trop tard/ alami yemmouth ach hal darouh/ et en plus/ achoughar machi
première année itheveddou thmazighth am thaâravth/[oui/ après quoi/ après tant de
morts/ et en plus/ pourquoi on en commence pas l’amazigh dès la première année
comme l’arabe/]

Devant cette attitude excessive et exagérée, mon ébahissement (E56) l’interpelle certes,
puisqu’il tempère au moyen du conatif «ilanayem» (‘’s’il te plait’’). En réalité, il s’en sert
pour prendre de l’élan tout en m’associant à son point de vue qu’il généralise tout de suite
après à ceux des locuteurs kabyles que rend l’emploi de l’indéfini (O57) dans une logique
endogroupale de mêmeté, à perspective de véridiction, et d’altérité qu’explicite la convocation
polyphonique de la voix plaintive de la mère d’Omar (O61) sans doute pour faire entendre sa
«langue maternelle» (O87).

Le dialogisme intralocutif dans sa réplique O57, où Omar interagit avec ses propos
antérieurs en actualisant les praxèmes «bezzaf !» (‘’c’est trop !’’), «stop !», «barakat!» (‘’ça
suffit!’’), «naâya !» (‘’y en a marre!’’), faisant écho autodialogique à son praxème «ahvès !»
de O49, annonce une pulsion communicative des plus bouillonnantes. Celle-ci culmine en
O75, après avoir déclenché tour à tour l’actualisation de praxèmes porteurs de traces de
sentiments d’opprimés (057, 065) qui impliquent des oppresseurs, tantôt non définis comme
en O59 tantôt définis comme en O61, et le récit de souvenirs d’écolier frustré de se voir
imposé l’arabe et de ne pas étudier en kabyle (O61).

Le rejet de l’arabe se fait donc en rapport au kabyle. Il se traduit aussi par le choix de mon
interlocuteur de réduire au «minimum» (O69) son assiduité aux cours d’arabe. Mais en
précisant qu’il s’agit bien de l’enseignement de l’arabe en tant que langue et culture, car son
choix de 069 ne concerne pas les autres matières de son cursus de candidat au baccalauréat de
série Techniques et Mathématiques (O71, O73) et qu’il reçoit en arabe, j’ai voulu interroger
(E74) la distinction qu’il a établie:

O67/ en tout cas nek dayen oufighazd ikhfis/ [/en tout cas moi ça y est j’ai trouvé la
solution/]
E68/ amek ?/ [/comment?]
O69/ outseqqarghara [je ne l’étudie plus]/ juste le minimum nni/
E70/ c'est-à-dire ?/
O71/ qqaregh juste lahq nni iglaqen juste bach adawigh l bac/ c’est tout/ ayen nnidhen
je ne m’intéresse pas du tout/ [/j’étudie juste ce qu’il me faut pour avoir le bac/
c’est tout/ au reste je ne m’y intéresse pas du tout/]
E72/ mais toutes les matières c’est en arabe /
O73/ zrigh/ wina maâlich/ mi oulach tmeskhir nni yakw netaâbir/ iîrab éccétéra/[ /je
sais/ cela ça ne fait rien/ mais pas ces plaisanteries de dissertation/ iîrab etc./]
E74/ danechthagui ken ikyegginin/[ c’est ce qui te gêne/]
O75/ beaucoup plus/ thezridh [tu sais !]// taâravth yakw tegginiyi [tout ce qui est arabe
me gêne]/vedel a sujet moulach aqli la rekmagh/[il faut changer de sujet parc que
là je bouillonne»]

L’arabe provoque donc la révolte de mon interlocuteur qui, en explicitant son souhait de
changer d’objet de discussion, met, en réalité, en sens une attitude vis-à-vis de cette langue
sans avoir à la mettre en discours et qui consiste à accentuer davantage l’idée de l’incurable et
de la contagion qu’il en a donnée comme image de l’arabe: cette fois-ci il en est carrément
allergique…

Je consens à sa volonté (E76) et décide dans le même tour de parole, après une légère pause
(que marquent les deux barres obliques), d’entamer la problématique du français en rapport
avec le kabyle. Il réplique, en m’interrompant, pour compléter ses propos précédents dans la
même logique de mépris de l’arabe:
E76/ yah[ah bon] !/ d’accord//###
O77/ en plus hein/ staâravth semmal gher deffir[en arabe c’est toujours an arrière]/
oulach avancé [on n’avance pas]
E78/ yah [ah bon] !/
O79/ iniyid ilanayem dachou iguelhan ghour waâraven?[dites moi je vous prie ce qu’il
y a de bon chez les Arabes?]/ dachou idesnoulfan [qu’ont-ils inventé] par
exemple?/ hein?/ dachou [quoi ?]/
E80/ [sourire]
O81/ hacha [que] zéro// dnouthni I d zéro [ce sont eux zéro] justement/ harchen aâqlen
imanenssen [il sont si intelligents qu’ils se reconnaissent]/ [rire]/
E82/ ou:la###
O83/ ih/ dessah machi d lekdev/ [/oui/ c’est vrai c’est pas un mensonge/]

Ainsi, Omar m’impose exactement le contraire de ce qu’il dit souhaiter en 075, quitter
l’arabe comme objet de discussion. Même après E88 où je réussis à l’amener à centrer
l’échange sur les langues étrangères, il adopte la comparaison du français à l’arabe comme
mode d’expression, dans une logique oppositionnelle faisant, notamment dans son tour de
parole O99, du français la langue qui fait avancer et de l’arabe celle qui fait reculer :

O99/ le français quand même akyezziz ghar zdath [va te propulser vers l’avant]/ oukyettarara
gher deffir am l’arabe/[il ne te fera pas reculer en arrière comme l’arabe]/

C’est à un «tu» indéfini équivalent du ‘’on’’ français qu’Omar s’adresse dans un


programme d’autodialogisation faisant écho à ses propos de O77: « staâravth semmal gher
deffir/ oulach avancer », c'est-à-dire qu’‘’en arabe, c’est de plus en plus vers l’arrière; on
n’avance pas’’. Cette démarche dialogale de surface et dialogique de fond lui réussit
doublement car en même temps qu’il m’implique, il donne à son programme de sens un
aspect incontestable, voire historique. Ainsi, il n’a plus besoin de dire son choix du français: il
laisse à ce ‘’tu’’ le soin de le déduire, au niveau dialogal, c'est-à-dire moi, et de le faire
entendre sans le dire, au niveau dialogique. Les explications qu’il apporte à chacune de mes
répliques (E100, E102, E106, E108, E114, E116, E118 et E120) confirment, on ne peut plus,
sa préférence du français et surtout son rejet de l’arabe si bien qu’il déclare en O121:/bien sûr
outkheddemghara[je ne le ferai pas]/ je ne veux pas faire des études supérieures en arabe/ je
veux faire en français/ et c’est ça c’est important pour moi/ akka negh moulach adetikhragh si
laqraya/ [/ce sera en français sinon je quitterai les études/]

2.6. Un élève inscrit en Sciences expérimentales: «/ça c’est sûr/c’est sûr c’est plus
grand d’ailleurs l’arabe oulach [il n’ya rien, c’est nul] c’est toujours les mêmes ala
[que] euh/ c’est mort// voilà oulach la culture/dayman d aqdim negh d l(e) passé
[toujours c’est ancien ou concerne le passé]//» (Lotfi63)

Dans ses premiers tours de parole (L3, L7, L13, L15, L17, L25), Lotfi s’attarde sur ses
difficultés à parler en français et sur son souci de l’image qu’il donnerait de lui à travers son
français aussi bien à ses camarades qu’à tous ceux qui accèderont à l’entretien. Rassuré de la
restriction totale dans l’exploitation dudit entretien (E4, E6, E8), il choisit (L35) de s’imposer
le français pour, dit-il, «apprendre» (L37) sur le tas et ce malgré ma proposition, plusieurs
fois renouvelée (E14, E16, E18, E26, E28, E34, E40), de s’exprimer en arabe, en kabyle ou en
mélangeant les langues comme il le suggère lui-même en L27.

Ambivalente, cette attitude porte les traces de la frustration de Lotfi (L25, L29, L31, L33)
et implique sa détermination à maitriser le français pour, dit-il, s’en servir une fois à
l’université (L39, L41, L43). En effet, son expression en français est si limitée que la
fréquence de ses passages aussi bien au kabyle qu’à l’arabe rappelle le caractère hybride de la
parole quotidienne, surtout urbaine, dans l’espace kabyle actuel. Son effort à se dire en
français ne masque cette hétérogénéité langagière que dans de rares séquences, toujours très
courtes comme en L17, L23, L51, L53 et L105.

Lotfi est donc conscient de son niveau de français. Mais il contourne sa responsabilité
personnelle dans cet état de fait. Il justifie ce dernier en passant par la convocation d’une
tierce personne, les élèves, à qui il s’intègre discrètement. Ces derniers n’étudient pas le
français parce que, approuve-il en L39, cette matière n’est pas essentielle pour le baccalauréat
Sciences expérimentales qu’ils préparent mais qui le sera dans un futur très proche: à
l’université (L39, L41, L43). Ainsi, l’effet de cet entrainement négatif sonne dans la bouche
de Lotfi sous forme de conseil à ses amis de ne pas ‘’brûler le français’’ (L45) car ‘’à
l’université tout est en français’’ (L47). A mon approbation réitérée de son conseil (E44, E46
E48), dont je précise quelques filières enseignées à l’université en français (chimie, biologie,
agronomie, mathématiques) pour lui signifier en même temps l’existence de filières assurées
en arabe, il rebondit dans une réplique inattendue, au vu de ce qu’il a déclaré auparavant
concernant son intérêt à la physique et aux mathématiques (L39):

L49/ en plus il faut dighan [en plus] un peu de culture/ un peu de culture/
E50/un peu seulement?/
L51/au moins un peu//
Entrainée dans cette perspective où le français me parait constituer, pour Lotfi, la langue
de ce nécessaire «peu de culture» (deux fois réitéré) à sa formation, je rebondis non pas sur le
réglage de sens du prépositionnel «en plus» impliquant l’essentialisation du français en tant
qu’instrument technique ou d’acquisition des savoirs scientifiques que Lotfi distingue de la
«culture générale», mais sur le praxème de quantification «un peu» (E50). Je voulais, en
effet, interroger la place de ce «peu de culture générale» dans la formation voulue par Lotfi et
dont le propos la situe en lisière, c'est-à-dire comme un complément… à ce qui est essentiel, à
savoir les sciences naturelles, la physique et les mathématiques (L39). Sans hésitation, il
réplique pour régler rétrospectivement le sens de ce quantificateur, pour moi réducteur, en un
minimum requis et impliquant l’illimitation des connaissances culturelles à acquérir.
Déstabilisée par cette prouesse, je formule maladroitement une nouvelle requête qui aurait dû
être, en fait, en E50 à la place de celle ayant pour objet la quantité de la culture générale à
acquérir: celle qui concerne le lien entre la nécessité d’acquérir une culture générale et le
français. S’ensuit alors un échange autour du sens de ma demande que je ne parviens à rendre
explicite qu’en E60:

E58/ tu dis qu’il faut connaître le français puisqu’à l’université etcetera/ ça j’ai
compris/ mais quand tu dis qu’il faut aussi un peu de culture euh/ je ne
comprends pas bien//
L59/ pourtant c’est simple// c’est simple simple/ je veux parler des connaissances
dans la culture af ayen nidhan matchi ayen iânan les microbes ectcéera [sur
autre chose par seulement ce qui concerne les microbes etcétéra]/ ilaq [il
faut] un peu euh la poésie euh les les livres euh af [sur] la culture ainsi d(e)
suite//
E60/ oui ça tu peux le faire s [en ou avec] l’arabe aussi matchi alama s [pas
obligatoirement en ou avec] l(e) français//
L61/ i:: c’est vrai mais en français amek ad ingh? [comment dire?]/c’est plus
c’est plus euh c’est plus grand/ voilà c’est plus grand bien sûr//
E62/ yaah!/ [ah bon !]
L63/ ça c’est sûr/ c’est sûr c’est plus grand d’ailleurs l’arabe oulach [il n’y a
rien] c’est toujours les mêmes ala [que] euh/c’est c’est mort// voilà oulach
[il n’y a pas]la culture/ daymen daqdim negh d l(e) passé [toujours c’est
ancien ou concerne le passé]//

L’assez long prolongement vocalique d’hésitation en ouverture à son tour de parole L61,
que confirme son auto-interrogatif suivant (‘’comment dire?’’), prouve que Lotfi temporise
depuis son tour de parole L53 comme s’il se garde d’extérioriser un dire exclusif que je ne
partagerais pas avec lui car contraire à l’esprit inclusif de mes propos antérieurs et relatifs à sa
liberté totale de s’exprimer dans la langue de son choix. Parce qu’en effet la ‘’poésie et les
livres sur la culture’’ (L59) existent en arabe! Cela ne relèverait-il donc pas de la culture
générale ou du sens qu’il (se) donne de la culture générale? Ses deux tours de parole
complémentaires L61 et L63 sont affirmatifs à ce sujet. Ce qui, en arabe, n’est pas aussi
grand qu’en français dans L61, est carrément néant en L63 où justement à l’univocité et au
passéisme Lotfi oppose implicitement la diversité et l’actualité. Ainsi, sans le dire, l’arabe
serait la langue de cette univocité, ce passéisme ‘’morts’’ et le français celle la diversité et de
l’actualité. Pourtant, tout de suite après et dans un élan d’illustration de sa comparaison, Lotfi
apporte des exemples relevant aussi du passé pour sa génération mais qu’il considère actuels
pour les besoins de sa comparaison: Léo (Ferret?), J. Brel, Jaurès et Taous Amrouche; car le
passéisme culturel qu’il associe à l’arabe est trop loin dans l’histoire par rapport à son époque
à lui.

E64/ yaah! [Ah bon !]/


L65/ i l(e) français monsieur X ikhadmagh [nous fait] les chansons s l(e) français
am tina n [comme celle de] Léo euh am tina n [comme celle de] Jaques Brel
et tous les élèves iâadjvasen lahal [ça leur a plu]/ iâadjvasen lahal imi la
chansonni af les les droits euh [ça leur a plu que la chanson traite des droits
euh]/ d’ailleurs même imi inwala imi nasla iâdjvagh la leçon [quand nous
avons vu quand nous avons entendu la leçon nous plu]/ ilha l(e) français
aken [ainsi, le cours de français est bien]//
E66/ et tu te rappelles du titre de la chanson//
L67/ ih ! puisque n katvits qaval/ naslays plusieurs fois/ monsieur X
esfahamighed ayen ournafihim ara//
/oui ! puisque nous l’avons écrite d’abord/ nous l’avons écouté plusieurs fois/
monsieur X nous a expliqué ce que nous n’avons pas compris//
E68/ c’est bien/ balac d achna kan ithamlam/[rire]/ [peut être que c’est juste parce
vous aimez le chant/rire]
L69/ ça c’est sûr/ la voix n [de]Jaques Brel euh/ mais nkini hafdhats [mais je l’ai
apprise] par cœur surtout à la fin anda is iqar [là où il dit] rappelez vous
belle jeunesse le temps de l’ombre d’un soupire pourquoi on tué Jaurès/
voilà ismis Jaurès// [voilà la chanson s’appelle Jaurès]
E70/ i: tazridh anwa id Jaurès?/ [i :: tu sais c’est qui Jaurès?]
L71/ niqal non bien sûr/ mais après euh : après euh/ d’abord inayaghid Monsieur
X bli Jaurès assassinit/ imut i França af euh/ mais après moi moi moi
rouhagh ar l’internet téléchargighd koulach// [rire]
[/au début non bien sûr/mais après euh : après euh/ d’abord monsieur X nous
dit que Jaurès a été assassiné/ il est mort en France pour euh/ après moi moi
j’ai été télécharger tout de l’internet// rire/]
E72/ c’est bien c’est bien//
L73/ donc voilà pour moi amek euh achou id la culture par exemple bien sûr pa(r)
ce qu’euh ila attas nidhan/ yiwen w as dighan af Taous Amrouche af euh af
attas nidhan/ d’ailleurs n hamal atas le cours l(e) français achki in khadem
aka la culture générale// même les élèves//
[/donc voilà pour moi comment euh c’est quoi la culture par exemple bien
sûr parce qu’euh il y a aussi beaucoup d’autres choses/ un jour sur Taous
Amrouche euh sur beaucoup d’autres choses/ d’ailleurs nous aimons
beaucoup le cours de français quand nous faisons comme ça de la culture
générale// même les élèves//]

A la différence de l’arabe, associé au passé lointain de Lotfi qui fait entendre cette
association dans la convocation de ses camarades élèves, le français n’est pas perçu comme
tel bien qu’à travers les exemples donnés il renvoie aussi au passé, il est vrai récent comparé
à l’arabe. C’est qu’au français est associé, du moins dans les arguments illustratifs, l’idée de
combat pour la liberté et les droits de l’Homme que symbolisent Jaurès (L69) et Taous
Amrouche (L73). Une idée à travers laquelle il est très difficile de ne pas voir planer
l’atmosphère générale qui prévaut dans la région de Tizi-Ouzou et dont chacun connait un
bout. L’intérêt de Lotfi concerne, en effet, Jaurès plus que J. Brel. Celui-ci semble être ici une
occasion ou un moyen. Les informations que retient Lotfi à propos de Jaurès et qu’il complète
en téléchargeant de l’internet, le lexique, dont il se sert pour les exprimer (‘’assassiné’’,
‘’mort’’, ‘’les droits’’), et, surtout, la citation du segment du texte de Brel qui sonne comme
un véritable écho à l’appel du chanteur, constituent autant d’éléments indicateurs de l’attitude
politique de Lotfi travaillée par la problématique régionale dont la dimension dialogique passe
ici par la voix de Taous Amrouche, cette figure du combat pour la liberté, et non pas par
celles des autres militants, écrivains ou chanteurs de même combat et audience car c’est
justement avec son enseignant de français que Lotfi dit avoir étudié cela.

La tendance endogroupale dans l’énonciation de Lotfi lui permet ici de s’effacer en tant
que sujet, en tant individu, pour se re-placer dans le groupe de cette «jeunesse» (L69), celle de
ses camarades. Pour ces derniers, le cours de français, quand il est ainsi assuré, c'est-à-dire
quand on y aborde des problématiques de ce genre, est vécu comme un véritable espace de
détente aux sentiments partagés entre l’enseignant, qui se profile dans le contenu du cours, et
les élèves. A l’opposé, l’arabe ou le cours d’arabe serait celui de la crispation ou de
l’impossible détente et dont il faut s’enfuir coûte que coûte ainsi qu’il le dira plus loin en L99.

A l’émergence, dans son discours, de cette idée de la culture générale associée à la détente
qui est, pour Lotfi, possible en français non en arabe, je réagis en E74 dans l’espoir d’un
réglage dans la distribution des fonctions qu’il semble attribuer aux langues, particulièrement
à l’arabe que je camoufle comme cible de mon intervention par le rajout immédiat de l’anglais
pour éviter d’éveiller tout soupçon de défense de l’arabe de ma part. Il m’interrompt (L75) en
se focalisant sur l’anglais avec un ton exprimant à la fois l’impossibilité de le faire et le regret
de ne pas pouvoir le faire car ne comprenant pas cette langue. Ce double sens me fait rappeler
et dire ses propos de L37 au sujet du français que j’adopte ici à l’anglais (E76) mais qu’il
repousse avec un argument explicitement justificatif (‘’nous n’avons pas de base’’, L77) et
implicitement accusateur: l’arabe a pris tout. En effet, saisissant cette opportunité dialogale au
cours de laquelle je signifie la bonne base en langue arabe qui leur offre, à lui et à ses
camarades, la facilité d’acquérir cette culture générale en arabe, Lotfi produit un discours
assumé avec le nous inclusif qui rappelle en profondeur celui des autres interviewés:

E78/ mais s l’arabe tasâam// [mais en arabe vous en avez//]


L79/ ih nasâa mais tazridh amek nekwni d l’arabe/ on est allergique/ donc
oulamek//
[oui nous en avons mais tu sais comment nous sommes avec l’arabe/ nous
sommes allergiques/ donc c’est pas possible/]
E80/ i i tmazight?/[et en amazigh?]
L81/ ih s t(a)mazight chwiya mais euh::/ s l(e) français akhir/ s l(e) français akhir
puisque nesan déjà yernou ar zat nazra bli i l’université s l(e) français//
[oui en amazigh un peu mais euh ::/ en français c’est mieux/ en français c’est
mieux parce que nous avons déjà en plus nous savons que dans l’avenir à
l’université c’est en français//]

L’arabe relève donc déjà du passé de Lotfi pour qui seul compte le français car ce sera la
langue des études universitaires qu’il aura à poursuivre même si la forme de son discours est
systématiquement imprégnée de l’arabe scolaire comme particulièrement en L89. Et lorsque,
sous forme hypothétique, je lui suggère l’idée d’étudier à l’université en arabe, parce que
justement c’est plus facile pour lui qui a étudié jusqu’ici en arabe, il redouble de procédés
langagiers dans le rejet de l’arabe:

E92/ ketch tavighidh ats aghradh s l’arabe negh s l (e) français? I l’université
bien sûr ah//
[/toi tu veux étudier en arabe ou en français ? à l’université bien sûr//]
L93/ s l’arabe? Haay! [/en arabe? Haay!]
E94/ s l(e) français ihi// [/en français alors//]
L95/ bien sûr/ ida âouribat khouribat/[rire]/ [I bien sûr/ si arabisée, ce serait
anarchisé/ rire/]
E96/ pourtant s l’arabe ik ishal puisque tasεidh la base/ ###
[pourtant c’est plus simple pour toi en arabe puisque tu en as la base/###]
L97/ ala::! ala ala ala! Asendjagh dagi la base ni achki arasnasragh//
[/non::! non non non ! je leur laisserai cette base ici quand je me délivrerai//]
E98/ mais s [en] l(e) français ça va être difficile puisqu’our tasεidh ara [tu n’as
pas] la base//
L99/ khas/ khas mais au moins s l français yella l’espoir anesenser i tmourta//
mais s l’ARABE/// de tout les façons l’arabe c’est pas une langue de
sciences//
[/même si/même si mais au moins en français il y a l’espoir de me délivrai de
ce pays// mais en ARABE/// de toutes les façons l’arabe c’est pas une
langue de sciences//]
E100/ yaah![ah bon !]
L101/ c’est une langue morte aghtsakalikhan dagi yis [ils nous trompent ici
avec]//

Lotfi passe du mépris au rejet de l’arabe respectivement en tant que langue d’acquisition
des connaissances universitaires et de lien avec son pays. Plutôt que de le recentrer sur les
implications sous-entendues dans le mépris de l’arabe que porte son interjection «haay!»
(L93), malheureusement intraduisible, je reprends le second élément du choix de langues
contenu dans mon tour de parole précédent (E92) dans l’espoir de l’entendre justifier son
attitude favorable à l’égard du français. Il se contente d’actualiser «bien sûr» comme pour me
dire que cela relève de l’évidence, inutile ou impossible à démonter ou à justifier. Et revient
immédiatement, après une très courte pause, à l’arabe dans une énonciation aux allures
polyphoniques qu’il clôt avec un éclat de rire pour, en même temps, dire son adhésion à la
voix d’Ibn Khaldoun, dans le segment qui lui est attribué sans le citer (‘’si arabisée, ce serait
anarchisée’’, L95), et signifier l’instrumentalisation dialogale qu’il en fait mettant ainsi en
valeur ses propres compétences argumentaires. Là aussi, plutôt que d’aborder avec lui le
glissement phonétique dans l’expression d’Ibn Khaldoun (non pas ida âouridabt mais ida
âouraïbat, du nom de populations dévastatrices âouraïbia), je tente de lui opposer sa propre
logique concernant la nécessité d’avoir une base dans la maitrise d’une langue pour acquérir
avec une culture générale, ici l’arabe en tant que langue de sa scolarité. Avant même que j’aie
fini mon propos (E96), il rebondit (L97) d’abord en allongeant la finale vocalique de son
interjection négative (ala::!) comme pour me signifier l’inutilité de continuer dans cette voie
et, ensuite, en doublant en rafale cette même interjection et en produisant un discours adressé,
à travers moi, à un ils et en prenant soin de ne pas m’y intégrer, marquant ainsi une ligne de
démarcation entre lui et cette présence-absente à laquelle renvoie ‘’ils’’ et à laquelle il associe
dans son tour de parole suivant «ce pays» (L99) dont l’actualisation insinue les dirigeants de
ce dernier qui les trompent: lui, ses camarades et tous ceux qui se reconnaitraient dans son
discours (L101). Mon insistance, en E98, sur les éventuelles conséquences négatives à adopter
le français comme langue d’études à l’université, puisqu’il dit lui-même en éprouver des
difficultés, n’est d’aucun poids devant l’urgence pour lui de «se délivrer» (L97) de «ce pays»
(L99). Ces conséquences ne lui font pas peur ou plutôt il ne les mesure pas car le français est
pour lui plus une langue ‘’d’espoir de se délivrer de ce pays’’ (L99) que d’études
universitaires. Alors que l’arabe, dans ce sillage, est celle du désespoir que fait entendre sans
le prononcer, dans la seconde séquence de ce même tour L99, l’interruption dans son
programme de sens, à très forte tonalité montante dans l’actualisation praxémique «/mais
l’ARABE///». Même mon hésitation à reprendre la parole que Lotfi me cède (les trois barres
obliques le montrent), lui signifiant justement que j’attends l’aboutissement de sa logique, ne
réussit pas à la lui faire extérioriser. Ainsi, il me laisse la responsabilité de déduire ce que
l’arabe représente pour lui dans ce face à face avec le français. Et brisant le long silence que
mentionnent les trois barres obliques, il enchaine sur la critique de l’arabe certes. Mais il
change complètement de ton, passant vers ce qu’il présente comme étant une évidence
(«l’arabe de toutes les façons c’est pas une langue de sciences») dont il semble décliner ou
contourner mon invitation à en parler plus explicitement (E100). En effet, il choisit juste après
(L101) de revenir à eux, cet Autre qui instrumentalise cette «langue morte» (L101), pour
faire de même de ce nous inclusif faisant écho ainsi à son discours antérieur (L99) en rapport
avec le français, cette langue avec laquelle il nourrit l’espoir de se délivrer de ce pays, de cette
instance à laquelle renvoie le praxème eux, plusieurs fois actualisé dans l’échange mais sans
forme d’identification précise comme si lui et moi partagions cette espèce d’entente secrète à
ce sujet.

Consciente des risques d’éloignement du sujet de notre échange en interrogeant son rejet
de l’arabe, je choisis, à partir de E102, de le recentrer sur ce qu’il entend quand il qualifie
l’arabe de langue non scientifique (L99) en comparaison bien sûr avec le français. Evasif en
L103 et L105, Lotfi parait acculé à justifier ce qu’il conçoit jusqu’ici comme une évidence. Il
minimise l’importance de mon argument de scientificité de cette langue dans le fait qu’il dit
lui-même être sa langue actuelle d’acquisition des mathématiques, de la physique, de la
chimie, etc. Pour lui, cela relève ‘’uniquement de la traduction sans de vraies recherches
scientifiques’’ (L107) et ‘’une traduction toujours tardive’’ (L145) qui, elles, selon lui, se font
en français et en anglais (L121, L129, 143). Pour lui, la preuve que l’arabe n’admet pas la
science, réside dans ‘’l’assassinat d’Ibn Rochd et des savants durant la civilisation arabo-
islamique’’ (L121). Et à la différence de l’arabe, en français, en anglais, en allemand, etc.,
ces langues qui ont aussi connu des périodes de ce genre de violences, ‘’on reconnait la valeur
de la science pas comme les Etats arabes où ce n’est pas encore le cas et où de plus en plus on
recule’’ (L123). Au-delà des rires (L09, L117) qui accentuent le délire de mon interlocuteur
pour qui les Arabes ont découvert non pas l’idée mais la forme de zéro dans laquelle ils y sont
définitivement tombés (L117), il y a cette idée non formulée que l’arabe en tant que langue,
comme les autres, n’est en réalité pour rien dans ce que Lotfi lui reproche et à partir de quoi il
adopte une attitude de mépris et de rejet en vérité à l’égard de ceux qu’il voit se profiler
derrière cette langue à savoir ce eux, ces Etats arabes en recul, ces assassins des scientifiques
arabes... Ce transfert d’attitude se traduit donc sous forme de non reconnaissance des moyens
dont disposerait l’arabe pour enseigner ou faire la science et culmine dans son tour de parole
L129 pour ne plus représenter le moindre intérêt pour mon interlocuteur:

L129/voilà/ d’ailleurs les vrais scientifiques di l [dans le] monde s [c’est en]
l’anglais awkid [et en ] l(e) français/ mais s [en] l’arabe oulach [il y en a
pas]/ donc d achou ar akhadmagh s yis? [qu’est-ce que je fais faire avec ?]//
E130/ c’est quand même une langue internationale//
L131/ am l français nagh am l’anglais?// [comme le français ou l’anglais ?]
E132/ pas tout à fait mais quand même//
L133/ oula tamazight ihi c’est international//[dans ce cas même l’amazigh est
international]
E134/ amek?/ [comment]
L135/ ih puisque tella i lybia i mali i maroc dagi et tout// [oui puisqu’elle existe
en Lybie au Mali au Maroc et tout// ]

Lotfi n’a ‘’donc rien à faire avec l’arabe’’ (L129) du moment qu’en qualité de futur
étudiant en sciences il n’en aura pas besoin et même partout ailleurs c’est en français et en
anglais que les «vrais scientifiques» (L129) travaillent. La discrète défense de l’arabe (ou de
la réalité tout court) que j’adopte en E130 et malgré l’évidence impliquée dans l’actualisation
praxémique «quand même», ne suffiront pas à amener Lotfi à relativiser la portée négativiste
de ses propos vis-à-vis de l’arabe. Bien au contraire, il se saisit du statut de langue
internationale, que je fais valoir au profit de l’arabe (E130), pour établir une comparaison de
forme interrogative mais de fond affirmative mettant l’arabe justement loin au niveau
international des deux langues, qu’il dit être celles dont il aura besoin à l’avenir, celles
qu’utilisent les «vrais scientifiques» dans le monde: le français et l’anglais. Ainsi, piégée par
ma propre actualisation de l’adjectival «langue internationale», je ne pouvais qu’acquiescer le
fond de la hiérarchie avec laquelle Lotfi enfonce davantage l’arabe. En effet, en renouvelant,
sans le dire, le statut international de l’arabe en E132, j’agace Lotfi qui redouble de virulence
cette fois-ci vis-à-vis du réglage habituel du sens dans l’idée même de langue internationale
pour signifier que cela ne veut rien dire sur le plan de la comparaison qu’il établit, lui, autour
de la scientificité qu’il voit dans les langues française et anglaise car utilisées, dans le monde
entier par les «vrais scientifiques», et non pas autour de la présence d’une langue dans des
pays différents. Sinon, affirme-t-il, la langue amazighe serait, elle aussi, comparable non
seulement à l’arabe puisqu’elle est pratiquée ‘’en Lybie, au Mali, au Maroc, et tout’’ (L135),
mais également au français et à l’anglais. Ce qui relève pour lui de l’inacceptable: le statut de
langues de science étant, selon lui, propre au français et à l’anglais (L143, L145).

2.7. Conclusion:
Que retenir du fait que le kabyle n’apparait que timidement dans cette mise en face à face
entre le français et les langues nationales? que le kabyle a si peu de poids pour être mesuré au
français? qu’il n’est pas situé, par mes interlocuteurs, dans la même logique compétitive
comme c’est le cas de l’arabe parce que la provocation et la conduite des entretiens concerne
l’école et l’université où le kabyle a peu de poids en dépit de l’importance de la matière
Tamazight dans la compensation au baccalauréat?

L’évidence de la présence du kabyle ne concerne pas seulement la forme de la majorité des


entretiens. C’est aussi dans le fond des logiques, particulièrement celle d’Ouerida, qui le
défendent contre l’arabe, symbole pour elles du pouvoir politique et de l’arabisation, et non
pas contre le français. Le kabyle serait-il alors perçu comme un non concurrent du français
comparé à l’arabe que même les arabophones parmi mes interlocuteurs déconsidèrent par
rapport au français?

Cette déconsidération de la langue arabe est liée à l’enseignement scolaire et au peu de


confiance et donc d’espoir des élèves dans leur pays. Jugé archaïque par certains, comme
Lotfi, car l’enseignement de la culture générale, par exemple, concerne toujours le passé alors
que, comme avec Lotfi, dans le français on voit l’actualité et l’avenir, l’enseignement en
arabe, et, par ricochet, la langue arabe, est synonyme de mensonge et de tromperie: même le
baccalauréat et les études universitaires sont considérés faciles maintenant comparé au passé
où justement c’est en français qu’on étudiait et qu’on présentait le baccalauréat auquel seuls
les meilleurs pouvaient accéder. Ainsi, le français est associé au sérieux (philosophique pour
Lotfi), mais surtout à l’espoir de partir en fuite du pays, du mensonge, de la tromperie et de…
l’arabe.

Pourtant, le français n’est perçu comme langue de l’actualité et de l’avenir que dans la
comparaison à l’arabe car il est presque inévitablement accompagné de l’anglais avec un
partage d’espace et de fonction il est vrai. Le français pour les études universitaires et, on le
verra dans le quatrième chapitre, de départ pour la France, alors que l’anglais pour les
nouvelles sciences et technologies et pour la communication internationale. Ainsi, le français
apparait, dans ces discours, plutôt comme une exigence intermédiaire. En admettant la
nécessité de le maitriser pour réussir les études universitaires, tout en soulignant qu’il est
dépassé par l’anglais14 essentiellement dans le domaine des nouvelles technologies et dans les
relations internationales, ces élèves disent aussi leurs prédispositions à fournir des efforts pour
acquérir l’anglais dans la perspective justement d’accéder à ces technologies et à cette
audience internationale. Bien sûr, on pourrait discuter du réglage potentiel de sens que
donneraient ces élèves aux praxèmes renvoyant à ces nouvelles sciences, technologies et
même à cette audience internationale car le français mais aussi l’allemand, l’espagnol, etc. ne
sont absents ni du domaine des innovations technologiques ni des découvertes scientifiques ni
dans la communication internationale…

Dans ce regard comparatif, l’arabe est donc perçu comme une langue du passé sans doute
en raison des programmes scolaires, en particulier ceux de culture, où ce sont souvent des
auteurs, et donc des thématiques, de ce qui est appelé l’âge d’or de la civilisation arabo-
islamique ou ceux de la Renaissance arabe, qui sont enseignés et dont l’importance, en
rapport au centre de motivations et d’intérêts de ces élèves, est loin d’être le cas. Il y a, me
semble-il, une interrogation que ces élèves ont du mal à formuler, en raison du cadre des
exigences des entretiens que j’ai orientés en fonction des besoins de la présente étude, et qui
est liée aux contenus des enseignements. Ce qui fait que l’arabe en est souvent confondu au
point de provoquer des éclats de rire moqueurs avec Smail, Ouerida et Lotfi. Ce qui donne à
entendre aussi un humour noir banalisé par la redondance dans l’actualisation du praxème ‘’
normal’’ comme pour dire qu’on y peut rien, que c’est une fatalité, que c’est ainsi et cela ne
peut en être autrement. En face, le français est associé justement à l’effort individuel, à la
concentration philosophique et à l’abstraction mathématiques…

A l’issue des lectures de ces échanges, il m’apparait difficile de voir dans cette attitude
vis-à-vis de la langue arabe autre chose que le rejet, au sens le plus négatif de ce mot, et une
espèce d’idéalisation du français du fait qu’il n’est pas maitrisé et il n’est pas exclu qu’il ne
soit pas réellement recherché si l’on considère l’intérêt de nos étudiants de licence. En tout
cas, s’il y a désir de maitriser cette langue, l’effort que cela exige ne semble pas suivre.

14
Le français, une langue dépassée par l’anglais? est l’intitulé du chapitre 4.
Chapitre 3

Le français
Langue de savoir, de technologie et d’avenir?

3.1.Introduction:
Douze des vingt-neuf lycéens interrogés qualifient le français de langue de savoir, de technologie
et d’avenir. Dans ce chapitre, je rends-compte des catégorisations que chacun d’eux opère dans
l’actualisation de ces praxèmes. En faisant ressortir les nuances et les réglages de sens, en partie
induits à la fois par ma relation dialogale avec eux et les rapports dialogiques que la parole de chacun
tisse avec d’autres discursivités, j’entreprends ici en aval l’analyse du processus de ces catégorisations
pour saisir matériellement ce à quoi revoient, dans leur bouche, ces qualificatifs et en quoi, selon leur
parole, le français serait-il cette langue de savoir, de technologie et d’avenir.

3.2. Les élèves inscrits en Sciences expérimentales:


3.2.1. «/C’est donc euh : la langue de l’université/» (Samia30)
La catégorisation du français comme une langue de savoir, de science et de technologie n’est pas
spontanée dans le discours de Samia. C’est une implication interlocutive: elle vient en réplique à mon
insistance auprès d’elle pour qu’elle m’explique ce qu’elle entend quand elle (S18) qualifie le français
de ‘’bonne langue’’ («talha»). Elle semble même secondaire puisqu’elle arrive après «Kul chi»
(‘’tout’’, S20) et surtout précédé du distinctif «de plus» (S20) qui la classe en dernière position loin de
ce qu’elle a, jusqu’ici, trouvé d’attirant dans la langue française: sa beauté.

E18/ini yid/ dachou iguelhan di tafrancisth agui [dis moi ce qu’il y a de bon en français]
au juste ?/

S19 /kul chi yelha [tout est bon]/ de plus c’est une langue de science hein/

E20/amek mahsouv [c'est-à-dire]?/

S21/amek mahsouv [c'est-à-dire]?/ euh :: c’est une langue de savoir/ de science/ de


technologie/

E22/par exemple/
S23/par exemple euh :: la médecine par exemple euh ::/ nkhedmit [on l’étudie] en
français/ l’informatique dighen [aussi] euh :: eccétéra/

Visiblement déstabilisée par mon insistance, en lui demandant de désambiguïser des propos qu’elle
(S18) considère évidents et inutiles à expliquer, elle me reprend comme si elle veut, d’un côté, me
signifier son étonnement vis-à-vis des précisions que je lui demande, me faisant ressentir ainsi, au
moment de l’échange, sa position d’acculée, et, de l’autre côté, gagner du temps et reprogrammer du
sens qu’elle semble convoqué au fur et à mesure de mes sollicitations de E18, E20 et E22.

Ces reprises sont donc de nature dialogique puisqu’elles contiennent un certain dissensus
interlocutif. Dans les deux tours S21 et S23, elle ré-énonce intégralement mes propos. Dans les deux
cas, la marque d’hésitation, relativement longue «euh::», est une trace du travail dialectique de la
signifiance. Un travail de réinterprétation, de révision, de correction et de programmation en devenir
qui a abouti, dans les deux cas, à une extériorisation la replaçant dans son statut, au moment de
l’échange, de détentrice des moyens d’explication et d’illustration que je sollicite auprès d’elle. Dans
ce sillage, le français n’est pas uniquement une belle langue, c’est aussi, pour elle, «une langue de
savoir, de science, de technologie» (S21), de «la médecine» et de «l’informatique» (S23).

Interrogée nouvellement sur la filière dans laquelle elle souhaite s’inscrire plus tard à l’université,
elle répond:

S25/et ben euh:::/ j’(e ne) sais pas euh :://une branche technique peut être/ architecture
euh : ou informatique// au moins là adkhedmagh [je ferai] une chose/ c’est que ça
se fait en français//

E26/ah oui/##

S27/oui bien sûr/ je n’imagine pas une seconde adaghragh s thaârabth [que je parlerai en
arabe]//non/ wallah ar da [je jure que c’est un] cauchemar loukan adyedhou
adaghragh s thaârabth [si jamais je via devoir étudier en arabe]/ je (ne)
supporterai pas/ wallah maghright [je jure que je n’étudierai pas] sinon/ quitte
asiîwdegh i l bac wala thaârabth [à refaire le bac que d’étudier en arabe]// yak
nighamd sguilin[je t’avais prévenu tout à l’heure]/ tharoumith[le français]/ nek
ghouri [pour moi] hein/ thzad [est meilleur]/
E28/deg wachou[en quoi]?/ dachou ig zaden dges [qu’est-ce qu’il y a de meilleur en
français] au juste/

S29/pour moi euh ::/ le français est une langue de savoir/ de culture/ c’est en français
qu’on fait la plupart des branches à l’université/ n’est-ce pas ?/ c’est donc euh ::
la langue de l’université si on peut dire ça comme ça/ en plus euh : ( il) y a des
choses euh:/ je (ne) sais pas moi euh ::/ (il) y a des choses qu’on :: qu’on (ne) peut
pas dire dans une autre langue tu vois?/

Avec hésitation ponctuée d’allongements syllabiques, pauses assez longues et praxèmes de doute
«peut être, j(e ne) sais pas », Samia entreprend l’extériorisation d’un programme de sens visiblement
difficile à mettre en mots. En effet, au même temps que ma question est relativement nouvelle
comparée à la précédente (E22) et à laquelle elle répond en qualifiant le français de langue de la
«médecine» et de «l’informatique» (S23), poursuivant ainsi sa logique de S21, elle la met aussi, avec
cette arrière-pensée à peine voilée et liée au choix du français comme la langue des études
universitaires, devant ses propres propos: choisira-t-elle alors une de ces filières? A l’hésitation en
début de son tour de parole S25 et au peut-être fermant la seconde pause et introduisant le choix entre
l’architecture et l’informatique, succède un programme de sens tranché mais traversé de doutes sur le
vrai souhait de Samia. L’importance de la longueur de la pause entre le premier et le second
programme indique bien qu’au même temps qu’elle cherche à préciser sa pensée, elle ne me laisse pas
non plus reprendre la parole, sans doute prévoie-t-elle un éventuel « pourquoi?» de ma part. Elle
enchaine alors en actualisant le praxème propositionnel «au moins» pour introduire la langue des
études universitaires comme le critère de son choix de filière me faisant soupçonner son souhait d’une
autre filière dont elle n’évoque pas le nom, justement parce qu’elle ne serait pas enseignée en français.
L’essentialisation qui suit le présentatif «c’est» en clôture à son tour de parole S25 me fait réagir si
timidement («ah oui», E26) que même ma tonalité vocale lui donne l’ascendance d’une approbation.
Si bien que mon interlocutrice, le prenant ainsi, reprend immédiatement la parole, sans même me
laisser le temps de réagir à ses propos, et s’engage dans un discours virulent contre la langue arabe,
jusqu’ici, absente explicitement de l’échange où plutôt refoulée dans des non-dits accumulés auxquels
je viens de donner, par la timidité de la tonalité de ma réaction, en E26, l’occasion de s’extérioriser. La
cadence et le rythme en cascade des pauses réduites et régulières de Samia dans son tour de parole
suivant montrent bien qu’elle avait, en effet, interprété la tonalité vocale de mon tour E26 à la fois
comme une approbation et un encouragement à aller dans le sens du non-dit lourd de sens qu’elle a
entretenu dans son tour de parole S25 pour s’attaquer à l’arabe, sa langue actuelle d’acquisition des
connaissances, sans la nommer sinon dans l’ombre du français avec lequel elle aurait voulu étudier. La
langue arabe s’invite alors dans une discursivité qui dépasse largement une simple relation d’altérité.
Son tour de parole S27 passe de tout commentaire. Le praxème nominal «cauchemar» et la
redondance du verbe «jurer» y concentrent, à eux seuls, l’essentiel d’un rejet d’une ampleur
inattendue et que même mon intervention en E28 pour recentrer l’échange sur le français ne parvient
pas réellement; car Samia, partie en guerre de revanche contre cette langue, va jusqu’à ne pas
reconnaitre à la langue arabe, sans la citer, la possibilité de «dire des choses» (S29), en prenant le soin
à chaque fois de convoquer mon adhésion à ses propos en actualisant en ma direction des formules à
valeur conative («n’est-ce pas?», «tu vois?»). Une convocation embarrassante pour moi, l’enquêtrice
et l’étudiante en sciences du langage dont la ligne de conduite est justement l’observation de la retenue
et du respect de l’égalité de principe entre les langues, entre les locuteurs des langues… Mon silence
réprobateur ne capte pas son attention. Elle poursuit son rejet de ce qui n’est pas dit en français, en
substituant cette fois-ci au «nous» inclusif, auquel elle m’a associée, le «on» indéfini dans une logique
de généralisation à vocation universaliste faisant adopter ses propos à tous, c'est-à-dire à tous ceux qui
ne sont pas présents/ne participent pas à notre échange, pour en faire une vérité incontestable: la vérité
tout court.

3.2.2. «/ Bien sûr Pasteur/ c’est un Français/ Marie Curie et tout/» (Kamélia145)
La polémique avec sa mère Dehbia, hospitalo-universitaire, sur le mélange des langues que cette
dernière reproche à sa fille, candidate au baccalauréat série Sciences expérimentales pour poursuivre
des études de médecine, a servi de déclic libérant la parole de Kamélia. Celle-ci reproche à sa mère
son monolinguisme français et se considère plurilingue kabyle, arabe, français et aspire à pratiquer
l’anglais dont elle cite le nom à chaque fois en rapport de domination avec français. La focalisation de
l’échange entre les deux sur le mélange de langues et sur le niveau de français des étudiants, pour la
maman, et de certains médecins, selon la fille, n’a pas débouché sur des catégorisations spécifiques
aux langues de la discussion, en général, et du français, en particulier. Entrainée dans ce débat
passionnant sur la langue que pratique la génération de Kamélia, je n’ai réussi à recentrer l’échange
sur le français qu’à partir de mon tour de parole E113. En effet, même après le retrait de Dehbia pour
nous «laisser avancer» (D71), je me suis laissé intéresser par les explications de Kamélia concernant
ses pratiques langagières au lycée, dans la rue avec ses ami(e)s et à la maison avec ses parents. Ces
pratiques constituent une habitude (K90, K92) dont elle dit avoir des difficultés à s’en défaire car elle
se sent obligée de les adopter dans les échanges avec les autres (K104, K106). En revanche, précise-t-
elle en K112, pour ce qui est des études de médecine, objet de mon tour de parole E111, ce sera «en
français c’est sûr».

C’est à ce moment de l’échange que je lui demande ce qu’elle pense de cette langue:
E113/et et euh ::/ toi toi/ hein toi/ toi comment tu peux euh :::/ qu’est-ce que tu peux dire
de de la langue française?//

K114/ la langue française?/

E115/ ih[oui]/ si on te demande de dire ce que tu penses//

K116/ c’est euh :: c’est euh ::/ c’est d’abord une langue scientifique bien sûr// d’abord
donc c’est une langue scientifique/ euh :: c’est une belle langue/ une très belle
langue// voilà/ la littérature et tout c’est clair/ les écrivains euh :: les écrivains et
tout/ c’est clair/ comme euh ::/ voilà le français/ mais thoura [maintenant]/ thoura
[maintenant] je pense que l’anglais euh ::/ ih [oui] c'est-à-dire dans euh :: dans le
monde entier thoura d [maintenant c’est] l’anglais/ l’anglais/ aussi est scientifique
les génies et tout en informatique/ et tout/ les médicaments/ les sciences et tout/
thoura [maintenant]surtout les grands savants tous euh :: bien sûr ils font tout en
anglais c’est sûr/ d’ailleurs papa me dit toujours que maintenant c’est l’anglais/
donc voilà/ voilà voilà/ mais le français aussi//mais l’anglais plus///

K114 est une reprise en écho interrogative. S’agit-il d’un procédé discursif déployé dans le but de
se procurer plus de temps de programmation de sens à une demande vraisemblablement inattendue?
Ou plutôt d’une incompréhension nécessitant plus d’éclaircissement de ma part? Je réitère ma
demande de manière plus explicite. Mais Kamélia entreprend une réponse avant même que j’aie fini
mon programme de sens m’indiquant, par ce procédé, qu’elle avait saisi le sens de mon tour de parole
précédent (E113) mais qu’elle avait besoin de temps. Ses hésitations, allongements syllabiques et
répétitions marquent en effet un discours en construction et en réponse à une question nouvelle
comparé à ce qui est abordé jusqu’ici. C’est une mise en discours en deux étapes nettement séparée par
le praxème kabyle «thoura» quatre fois redondant dans ce même tour de parole et qui renvoie au
présent, en rupture avec le passé: maintenant, actuellement, aujourd’hui... Dans la première, il est
question du français, dans la seconde de l’anglais.

Le français est qualifié de «scientifique» et de «belle langue». La double actualisation du praxème


«d’abord», dans son tour de parole K116, donne à cette catégorisation une certaine hiérarchisation
selon laquelle, pour Kamélia, ce qui est scientifique dans cette langue est premier, sa beauté est
seconde; en dépit du superlatif «très» dans la deuxième occurrence adjectivale «très belle langue».
Evidente pour elle, cette scientificité est dans le praxème «bien sûr». Par contre, cette beauté est liée à
la littérature et aux écrivains dont elle ne donne aucun nom. C’est à une espèce de balayage que se
livre Kamélia pressée d’en finir avec le français pour aborder l’anglais. J’ai eu en effet l’impression
qu’il s’agissait pour elle comme d’un principe général que d’évoquer la scientificité et la beauté du
français pour ensuite passer à l’anglais sur lequel elle s’attarde en donnant des détails révélant son
penchant que sa comparaison entre le français et l’anglais donne à voir, en clôture à son tour de parole.
Et la voix de son père donne à son discours, à elle, un caractère polyphonique dont il est difficile de
distinguer ce qui relève d’un appui sur ce dernier pour construire son opinion à elle et ce qui serait
plutôt celle de son père tout simplement.

Ainsi marqué par le praxème «thoura», ce passage du français à l’anglais est aussi celui d’une
époque à une autre.

Un peu plus loin, je reviens à cet aspect scientifique du français:

E145/ euh ::/ tu m’avais dit tout à l’heure/ tout à l’heure tu m’avais dit que que le
français c’est c’est scientifique###

K146/ ih[oui]/ matchi am [c’est pas comme] l’anglais/ mais c’est scientifique/// déjà les
médicaments euh :: les les vaccins et tout d les Français// bien sûr Pasteur/ c’est
un Français/ Marie Curie et tout/ donc c’est pas euh :: c’est pas oui c’est vrai
thoura s [maintenant c’est en] l’anglais partout/ mais au moins hein pour nous/
pour nous au moins l(e) français/ parce qu’après ilaq daghan [il faut aussi]
l’anglais// mais mais amek [comment]?/ chez nous euh :: les livres et tout les CD
et tout hein/ la médecine et tout sl [c’est en] français donc ilaq[il faut]/ voilà/ mais
après bien sûr l’anglais/ mais l’anglais on n’a pas la base/ en plus en plus les les
enseignants/ je sais pas moi/ les enseignants et tout c’est c’est en français ighran
[qu’ils sont formés]/ ighran[qu’ils sont formés]/ donc amek[comment]?/
aghsaghran s l’anglais [vont-ils nous former en anglais]?/ amek [comment]?//
donc voilà/

Mon hésitation en ouverture de mon tour de parole E145 est à la fois volontaire et stratégique:
placer ou replacer Kamélia devant ses propos et l’inviter ainsi discrètement à les désambigüiser ou, au
moins, à les commenter. La redondance du programme aussi bien de mots que de sens dans la
seconde et la troisième séquences de ce tour de parole s’inscrit dans cette logique dialogale que je
convoque intentionnellement pour m’assurer son écoute, c’est à dire son entente/accord du réglage de
sens de mon propos, et la conduire dans une espèce d’autodialogisation autour de l’adjectival
«scientifique» qu’elle a associé furtivement au français, en K116, sans la moindre explicitation me
faisant ainsi douter de son adhésion au contenu, même vague, de ce praxème. Sans hésitation, elle
réplique par l’interjection positive kabyle «ih», qui veut dire ‘’oui’’, suivie immédiatement d’un
programme de sens négatif en kabyle signifiant que ‘’ce n’est pas comme l’anglais’’; un programme
auquel succède juste après un autre programme de même nature, introduit cette fois-ci par
l’oppositionnel «mais» qui, d’un côté, annule la première négation et, de l’autre, marque
discursivement la supériorité scientifique de l’anglais sur le français. Interprétant ma réticence à
reprendre la parole, qu’elle me cède à ce moment de l’échange (les trois barres marquent un arrêt trop
long pour ne pas être une invitation à parler), comme une non adhésion à la hiérarchie qu’elle a établie
entre les deux langues, elle enchaine dans le même tour sur un autre programme de sens focalisé sur le
français, sur ce qu’elle semble entendre par «scientifique» et qui renvoie au domaine médical:
médicaments, Pasteur et Marie-Curie. Tout de suite après, elle exprime presqu’un regret d’avoir mal
mis en mots un sens qui lui parait pourtant clair et que rend, dans cette même séquence, encore une
fois, le praxème kabyle «thoura», c'est-à-dire ‘’ maintenant’’. Ce n’est donc pas une hiérarchie au sens
du plus au moins scientifique mais une évolution dans le temps ainsi qu’elle l’avait déjà souligné en
K116.

En cohérence avec ses dires concernant la domination actuelle de l’anglais dans le monde, elle
amorce alors l’extériorisation d’un discours pragmatique dans lequel elle ne cache pas son souhait
d’étudier en anglais tout en admettant qu’il s’agit là d’un idéal ; car ses camarades et elle ne sont pas
suffisamment formés en anglais, les enseignants de médecines à l’université sont formés en français,
les livres et les CD en rapport avec les études de médecine qu’elle veut réaliser sont aussi en français...
Consciente de l’environnement local, elle règle le sens du praxème «scientifique» en rapport aux
données de la réalité dans laquelle elle projette étudier.

3.2.3. Le français est la «/langue des savants […] kima Pasteur kima Newton Euclide//»
(Amel125)
Tout en s’exprimant en arabe de tous les jours, Amel rejette avec mépris l’arabe comme langue de
formation à l’université (A87, A89, A91, A93, A95, A97). Elle prône, pour ses études de pharmacie,
le français (A99, A103, A105) qu’elle trouve «khir m l’arabe» (A137), c'est-à-dire ‘’mieux que
l’arabe’’, tout en soulignant la supériorité de l’anglais «f [dans] le monde entier » (A133) mais sans le
souhaiter comme la langue de ses études universitaires (A135).

En apprenant d’elle son choix de devenir pharmacienne, j’ai tout de suite décidé de l’interroger sur
ses capacités à pratiquer le français car les études de pharmacie sont en français.
E48/euh : mais tu tu euh :: tu sais qu’euh::/ tu sais qu’euh : que pharmacie/ pharmacie
euh : pharmacie euh :: c’est c’est en c’est c’est en français/

A49/ bien sûr en français/ normal normal gaa b l [tout est en] français/ normal/ gaa b l
[tout est en] français f [à] l’université/ normal normal//

Sans la moindre hésitation, sa réplique dans l’actualisation du praxème «bien sûr» lui donne un
caractère certain qu’appuient les cinq occurrences du praxème adverbial «normal» dans son même
tour de parole A49. La relecture de cet échange fait découvrir que le réglage de sens de ce praxème
s’apparente à une espèce de banalisation et d’insouciance.

En effet, s’il est vrai que dans la séquence réitérée «normal normal gaa b l [tout en] français», mon
interlocutrice semble être soulagée et même rassurée par le fait que le français (comme langue
d’enseignement à l’université) soit généralisé à d’autres branches que celle souhaitée, la réitération de
ce même praxème adverbial, en fin de ce programme, souligne son insouciance, comme si elle ne voit
aucun inconvénient face à cette réalité alors qu’elle n’arrive pas à tenir un tour de parole en français!
L’actualisation répétée de ce praxème est, en réalité, une manière à elle de fuir d’autres éventuels
commentaires à ce sujet de ma part en rapport avec ses propres compétences en français. C’est donc
un procédé d’évitement, un subterfuge dont elle se saisie pour ‘’se tirer de l’échange’’ sans avoir à
extérioriser un à-dire, peut être difficile à mettre en mot et à assumer.

J’insiste auprès d’elle:

E50/ ah tu le sais//

A51/normal/ de toute façon euh :: ana ana [moi moi]/ je veux je veux euh :: je veux faire
pharmacie même b l’anglais// [rire]

E52/ ah bon ! même b l’anglais?/

A53/normal waalah lala [pourquoi pas]?/ mais b l’[en] français c’est plus facile/
normal//

E54/ c’est plus facile en français/ tu dis?/


A55/ bien sûr/ normal normal l’[en]français on l(e) parle bien euh :: normal on parle
français même à la maison/ normal bl [en] français//

E56/ oui/ pharmacie c’est en français/ c’est sûr//

F57/ normal normal//

Amel n’arrive plus à se passer de ce praxème «normal». Elle l’actualise dans chacune de ses
répliques. Produit en ouverture à A51, il n’a aucune valeur communicative. Il ne sert même pas
comme élément de réponse puisque je ne sollicite d’elle aucun détail (E50). C’est une manière pour
elle d’introduire ses propos pour, d’abord, assumer pleinement son choix de faire pharmacie plus tard
et, ensuite, se montrer ouverte à tout autre choix de langues, «même b [en] l’anglais» (A51). En
vérité, dans cette séquence Amel glisse un non-dit vis-à-vis de l’arabe dont elle explicitera, plusieurs
fois plus loin en A87, A89, A91, A93, A95, et A97, le refus comme langue d’étude à l’université bien
qu’elle admet qu’en arabe «c’est plus facile» pour elle (A69). C’est, en effet, le sens que suggèrent
conjointement aussi bien l’actualisation du praxème «même» que le rire de mon interlocutrice en
clôture à son tour de parole. La tentative de la faire parler à ce sujet se solde par un discours de nuance
liée à sa prédisposition à étudier en anglais et d’explication en rapport à ses possibilités d’acquisition
du français à la maison faisant que celui-ci est la langue la «plus facile» pour ses études de pharmacie.
C’est pourquoi je la relance au sujet de ce qu’elle entend par cette facilité:

E68/ c’est facile donc euh pour pour toi einh ? c’est c’est facile l(e) français/

A69/Oui oui d’ailleurs euh::/ khir euh::[c’est mieux euh ::]// non non en arabe c’est plus
facile euh :: mais mais même b l [en] français c’est facile// d’ailleurs euh :: mes
notes euh :: f l [en] français c’est bon/ normal//

Amel ne s’arrête pas à sa double confirmation «oui oui». En entamant l’explication de ce qui parait
être une certitude, elle produit une série d’interruptions de programme de sens et de prolongements
vocaliques, porteurs de traces de perturbation de programmation d’un dire dont elle est le centre de
mon interpellation: «pour toi einh ?». Elle admet alors au moyen du superlatif qu’en arabe «c’est plus
facile» sans préciser, toutefois, l’autre terme de la comparaison, le français; car, tout de suite après,
elle réitère la facilité pour elle du français qu’elle prouve par ses «notes» comparées, dans les tours de
parole suivants, à celles de ses camarades (A73) mais qu’elle évite de comparer à celles obtenues dans
les autres matières malgré ma question en E72. Ses notes de français sont pour elle d’autant plus la
preuve de cette facilité que son enseignante est réputée pour être sévère (A75, A77). Dans cet ordre
d’idées, elle insinue le gage de sérieux et de compétence que confère à son enseignante le fait que
celle-ci exerce à l’université (A77) faisant qu’elle «parle le français khir m [mieux que] les Français»
(A79).

A partir de ce tour, elle s’engage dans un discours hostile à l’arabe. Un discours où elle convoque
systématiquement la voix de son père pour justifier, d’un côté, son mépris de l’arabe en tant que
langue d’études en pharmacie et, de l’autre, son choix du français. Je l’interroge alors à propos de ce
qu’elle penserait du français:

E116/et comment euh qu’est-ce que tu euh comment euh/ qu’est ce que tu penses euh :
qu’est-ce que tu penses de la langue française?/

A117/ qui ? ana [moi]? [rire]///

E118/ oui oui nti [toi]/

A119/ euh :: belle euh :: c’est euh :: on peut euh :: nhadrou biha [parler avec] partout/
mais normal euh ::/

Surprise par ma demande, Amel temporise en A117 dans le but de gagner plus de temps afin de
programmer et de mettre en mots son dire. Elle répond par une double interrogation faisant comme si
elle n’a pas saisi ma question. Puis, elle rit pour clôturer son tour et m’inviter à reprendre la parole.
Bien que sensible à sa gêne, je confirme qu’il s’agit bien d’elle. Elle consent avec plusieurs hésitations
à répondre en qualifiant d’abord le français de langue «belle» et, ensuite, de langue parlée «partout».
Deux praxèmes que j’allais lui soumettre mais c’est en vain car, encore une fois, elle impose à
l’échange une orientation inattendue au vu de ses propos précédents:

E124/ oui comment euh :: qu’est-ce tu trouves beau dans la langue française/
A125/ euh :: tout bien sûr/ normal l français euh :: langue euh :: langues des savants
euh :: kima [comme] euh :: Pasteur kima [comme] newton euh :: Euclide//
E126/ oui oui###
A127/ kima [comme] Jean Jacques Rousseau/ Marie-Curie et tout//
E128/ et c’est ce qui te plait dans la langue française?//
A129/ b l [en] français aussi euh ::/ c’est c’est une langue taa [de] la science mais
aujourd’hui c’est pas l(e) français c’est l’anglais/ donc euh ::/
La beauté dont parle Amel réside dans le fait qu’il s’agit de la langue des savants parmi lesquels
elle cite Euclide et Newton qui ne sont même pas des Français! Aurait-il été dialogalement meilleur
de relever cette confusion au moment de l’échange? En quoi? en rapport avec mon sujet, la
scientificité du français en adoptant la logique de certains d’autres élèves qui associent cette
scientificité à des sommités scientifiques? en rapport avec les études de pharmacie qu’elle veut
entreprendre alors qu’elle met le célèbre philosophe Jean-Jacques Rousseau dans le même registre des
célèbres scientifiques Pasteur et Marie-Curie? Ma double approbation en E126 allait, en effet,
introduire un programme de sens lié à la langue de Newton et d’Euclide. Mais Amel reprend
immédiatement la parole et produit l’insoutenable confusion faisant de J. J. Rousseau un scientifique!
Je tente alors (E128) de procéder autrement pour la ramener à prendre conscience des confusions dans
ses affirmations et cela en provoquant chez elle une autodialogisation. Mais Amel, encore une fois,
change de sujet et m’entraine dans la comparaison du français à l’anglais (A129) dans laquelle elle dit
préférer le dernier (A131)…

3.2.4. Une «langue de science» (Saliha93)


Comme Amel, Saliha réalise un discours en arabe de tous les jours. Elle souhaite suivre des études
de pharmacie à l’université. Elle commence son discours par souligner le niveau assez faible de ses
camarades et elle. Cela est dû, selon ses dires, à l’enseignante de la matière qui ne parvient pas à
établir l’ordre et le silence dans sa classe. Je l’interroge alors sur ce qu’elle pense de la langue
française:

E86/ kifach t choufi l français?/ [/comment tu vois le français?/]


S87/ l français?/
E88/ ih/ loukan wahad yetleb mennek taâbir hawla al français ### [/si on te
demande disserter sutour du français ###]
S89/ ah zaâma n aâbar aâla l français français et tout// [/ah disserter sur le
français français et tout//]
E90/ ih voilà aâla l français// [/oui voilà sur le français//]
S91/ euh :: il faut euh :: [rire]/ il faut n khamem// [/il faut que je réflechisse//]
E92/ ih khemmi/ [oui réfléchis/]
S93/ l français/ l français euh :: j(e ne) sais pas moi euh :: normal euh :: l
français je je/ lougha [langue] euh :: kabira [grande] bien sûr/ euh :: euh ::
maâmoul biha fi l kharedj[elle est utilisée à l’étranger]/ l français euh ::/ l
français euh :: Victor Hugo euh ::/ l français c’est c’est aussi loughat
[langue] de la science/ de la science oui//
Saliha parait être embarrassée par ma question. Elle tente de gagner du temps pour préparer son
dire et se décider à le dire. Ce n’est qu’après trois tours de parole et après avoir sollicité un moment de
réflexion qu’elle extériorise un programme de sens dont les séquences sont truffées d’hésitations, de
bégaiements et de pauses. Ces ratages d’actualisation constituent moins un signe de déstabilisation,
bien que la question lui semble surprenante, que des indicateurs de difficultés d’expression aussi bien
en français qu’en arabe: c’est pourquoi le mélange et l’alternance de ces deux langues

En effet, pour qualifier la langue française, Saliha actualise des praxèmes en langue arabe comme
pour mieux faire passer sa réflexion. Cette langue est pour elle «lougha kabira » [une grande langue],
« maâmoul biha fil kharedj » [pratiquée à l’étranger] et c’est aussi «loughat de la science » [langue de
la science].

Je reprends immédiatement en écho «cette langue de science » pour susciter auprès de mon
interlocutrice plus de détails à ce sujet:

E94/ une langue de science/


S95/ bien sûr kima [comme] Pasteur/ Marie-Curie/ Jules Vernes enf/-/ [rire]/

Par le praxème «science», Saliha fait référence aux deux scientifiques Pasteur et Marie Curie,
comme si la science se limite à ces deux figures. Elle a même cité une figure de la littérature
française, l’écrivain Jules Verne, mais elle a interrompu son programme en le camouflant par son rire
final qui cache mal cette volonté d’éviter de citer d’autres figures de la littérature car ne représentant
pas à ses yeux la science. J’en conclus donc que le caractère scientifique de la langue française est,
dans l’inconscient de mon interlocutrice, lié aux seules figures de la science expérimentale.

3.3. Les élèves inscrits en Gestion et économie:


3.3.1. «/Les vrai profs s l(e) français/ s l(e) français ighran [Les vrais profs ont étudié
en français]// ça c’est sûr/» (Ouerida89)
Candidate au baccalauréat série Gestion et économie, Ouerida établit dès les premiers propos
échangés avec moi, une comparaison entre les langues étrangères (le français et l’anglais) et les
langues nationales (l’arabe surtout et l’amazigh).

O11/ i::/ matchi kif kif bien sûr// [i::/ce n’est pas la même chose bien sûr]
E12/ achoughr matchi kif kif?/ [pourquoi ce n’est pas la meme chose?]

O13/I matchi kif kif kif bien sûr// bien sûr matchi kif kif//[ I ce n’est pas la même chose
bien sûr// bien sûr ce n’est pas la même chose//]

E14/ mais achoughar?/ [mais pourquoi ?]

O15/ achoughar?/[pourquoi?]

E16/achoughar it hasvadh l(e) français d l’anglais### [pourquoi considères-tu le français


et l’anglais###]

O17/ I bien sûr l(e) français d l’anglais euh::/ i bien sûr bien sûr/ matchi kif kif/ d les
langues c’est vrai/ l(e) kabyle d l’arabe euh ::/ mais mais matchi kif kif//

E18/mais achoughar it hasvadh l’anglais d l(e) français matchi kif kif am euh###

O19/akhatar// akhatar euh :: akhatar aka igla l hal/ en plus l’arabe euh::###[/parce que//
parce que euh :: parce que c’est ainsi/ en plus l’arabe euh// ###]

E20/ih l’arabe/ d’achou it vghidh ad inidh af l’arabe?/[/oui l’arabe/ que veux tu dire à
propos de l’arabe]

O21/ih mahsouv même l’arabe kif kif ihwayassen kan/ c’est mort/ d’ailleurs les élèves our
atsqaren-ara akw/ [éclat de rire]/ [oui c’est dire même l’arabe c’est la même chose
qu’ils le veuillent ou pas/ c’est mort/ d’ailleurs les élèves ne s’y intéressent pas du
tout/]

E22/ yaah//[ah bon !]

O23/ normal/ normal//

E24/ yaah//[ah bon !]

O25/ I woumits?/ Puisqu’i l’université s l(e) français koulech/ en plus naâya degs/ koul
as d akhworat d lakdev/ euh:: c’est pour ça our katchmen ara les élèves ar
l’arabe// [Qu’en faire?/ puisqu’à l’université tout est en français/ en plus nous en
sommes fatigués/ chaque jour des fourberies et des mensenges/ euh :: c’est pour ça
les élèves ne rentrent pas en classe d’arabe//]

Ses programmes de sens sont marqués par des séquences de réitération et de reprise en écho. Elle
semble avoir du mal à extérioriser un à-dire refoulé car, probablement, difficile à assumer toute seule.
Cette difficulté de dire est, en fait, liée à son jugement dévalorisant et méprisant de la langue arabe: en
sont les preuves matérielles, l’actualisation du praxème «mort», précédé du présentatif «c’est» sans
que cela ne concerne explicitement l’arabe, et l’éclat de rire en clôture à son tour O21. Devant mon
«yaah» de E22 (ah bon!) dont l’interjection est à peine audible, lui signifiant ma réticence à adhérer à
son programme de sens qu’elle appuie en convoquant la position de ses camardes qui partageraient son
opinion, elle atténue le choix de ses propos en actualisant, tout de suite après, le praxème «normal».
Elle réitère cette actualisation pour régler en banalisant, dans un premier temps, un sens que la
faiblesse de la tonalité de ma réplique E22 lui renvoie comme flou, et, dans un second temps, pour
changer de stratégie énonciative devant mon second «yaah» (ah bon!) de E24: elle passe alors à
«nous» indéfini «naâya» (‘’nous sommes fatigués’’, O25) pour non plus ne pas assumer seule ses
propos mais surtout pour me faire comprendre qu’elle n’est pas seule justement à avoir cette attitude.
D’où la seconde convocation de la position de ses camarades élèves qui consiste à refuser
volontairement de ‘’rentrer en cours d’arabe’’ (O25).

Plus loin dans l’échange quand, en E82, je lui demande explicitement la langue dans laquelle elle
souhaite étudier à l’université, elle déclare sans hésitation sa préférence du français sous prétexte que
cette langue est ‘’facile’’ et ‘’connue’’ (083, O87 et O89). Pourtant, comme l’attestent ses
performances, elle ne semble guère à l’aise dans cette langue. En effet, tout au long de l’entretien, le
kabyle et même l’arabe qu’elle y rejette plusieurs fois, dominent son discours. De ce fait, elle me les
impose en quelque sorte puisque dans ma démarche, je cherche à la faire parler à propos du français
en adoptant sa langue d’expression où le kabyle, l’arabe et le français s’alternent et se mélangent selon
des logiques qui rappellent souvent les langues mixtes.

083/ i: bien sûr s l(e) français// s l(e) français akhir/// [c’est mieux]

E84/ achoughar s l(s) français akhir?// [pourquoi en français c’est mieux?]

O85/ amek?/ [quoi?]

E86/ thenidhed s l(e) français akhir### [tu as dit en français c’est mieux]

O87/ i:: bien sûr bien sûr/ au moins s l(e) français s l (e) français::/ c’est c’est amek ad
inigh?[comment dire?]/ c’est euh :: ih voilà/ l(e)/-/ itswasen[c’est connu]/ l(e)
français itswasen[c’est connu]/ itswasen yernou ishal [c’est connu en plus c’est
facile] puisqu(e) llan [il y a ]les moyens/ les livres et tout//

E88/ yaah! [ah bon!]

O89/ bien sûr/ l(e) français c’est international bien sûr/ puisqu(e) yernou llan [en plus il
y a ] les moyens n l’internet idenigh [comme je l’ai dit]/ les livres yernou les profs
euh ::/ les profs/ les vrai profs s l(e) français/ s l(e) français ighran/ ça c’est sûr/
c’est sûr même di la zéro achki arahadran ivan belli s l(e) français i snan [c’est sûr
même à travers la télévision algérienne quand ils parlent ça se voient que c’est en
français qu’ils sont compétents]/ donc pour moi c’est sûr bien sûr//
Les répliques d’Ouerida en O87 et O89 sont d’apparence explicative au moins de par leur taille,
plus ou moins longue, comparées aux précédentes. En réalité, elle ne répond pas à ma demande de
connaitre les raisons pour lesquelles elle dit préférer le français comme langue des études à
l’université. Elle y adopte un contournement aux frontières d’un évitement que la régularité du rythme
de son débit verbal atteste (pauses courtes avec peu d’allongements vocaliques) et la multiplication de
marqueurs dialogaux, tantôt à valeur interlocutive («comment dire?») tantôt à valeur co-
constructive («bien sûr», «ça c’est sûr»), fait ressortir comme si mes propos lui suggéraient les siens.
Ce qui est loin d’en être le cas... Son débit et son habilité interlocutive à mon égard donnent, en effet,
une assurance à son discours. Les quelques formes d’hésitation qui le traversent participent aussi de
cette interlocution pour m’amener dans un sujet très proche de notre objet d’échange en E82, O83,
E84, 085 et E86 mais qui n’est pas tout à fait celui de ses deux tours de parole (O87 et O89).

Il est évident, qu’au moment de l’échange, j’ai lié déjà cet évitement de répondre à la question de la
préférence du français, à la difficulté qu’elle éprouve à parler en français car cela serait en
contradiction que de prétendre vouloir étudier avec une langue qu’on ne maîtrise pas. Ce dont elle
semble se rendre compte puisqu’elle choisit de parler non pas des raisons pédagogiques pour
lesquelles elle veut étudier en français mais du français en tant que langue porteuse de valeurs qu’elle
souhaite discrètement acquérir. Des valeurs qu’elle annonce en comparaison à l’arabe, sans le
désigner explicitement. Cela relève d’une évidence pour elle à partir de l’instant où elle a introduit son
discours, à propos du français, au moyen du comparatif kabyle «akhir» (litt. est meilleur; c’est mieux)
indiquant implicitement la langue actuelle de l’acquisition des connaissances scolaires, comme l’autre
élément de la comparaison. Ces valeurs sont, dans un premier temps, condensées dans les praxèmes
adjectivaux «connu» et «facile» au réglage de sens si flou pour moi qu’à son appel à reprendre la
parole, en arrêtant son tour de parole O87 avec une pause longue, je me contente de réitérer mon
interjection peu audible de mon tour de parole (E22) espérant avoir sur elle les mêmes effets
incitateurs à plus de discours pour gagner mon adhésion à sa logique et pour me donner le temps
d’interpréter son dire. En effet, je ne saisis pas si elle connait le français et qu’elle le trouve facile. Ce
qui n’est pas le cas et qu’elle confirmera en O109. Ou s’il s’agit d’une valeur intrinsèque qu’elle
attribue au français que d’être facile et connu, même si j’ai repéré aussi son habilité dilatoire dans le
deuxième réglage de sens pour impliquer le premier: ‘’le français étant connu et facile, je le connais et
je le trouve facile’’. Son rebondissement en O89, sous forme presque de reproche à moi de ne pas
avoir saisi la deuxième partie de son tour de parole précédent où elle introduit, en effet, au moyen du
grammatical «puisque» des éléments désambiguïsant l’adjectival «facile» comme «il y a les moyens,
les livres et tout», est à la fois une autodialogisation, une réitération et une explicitation. En effet, les
six occurrences à valeur argumentative du praxème de certitude «sûr», parfois précédé du présentatif
«c’est» parfois du qualificatif «bien», donnent à entendre comme autant de preuves, selon elle, pour
me faire basculer dans sa catégorisation aussi bien des praxèmes «connu» et «facile» que de
l’implication du second dans le premier, ainsi que je l’ai soupçonné moi-même. Elle concrétise son
reproche dans un élan d’explication et de démonstration en substituant au praxème «c’est connu» celui
de «international», en explicitant celui de «les livres et tout» par celui de «l’internet» et surtout en
liant cette connaissance et cette facilité aux professeurs dont elles distinguent soigneusement «les
vrais» d’entre eux. Ceux dont la compétence est à la fois visible et reconnaissable quand ils
s’expriment en français. Surtout quand ils sont interrogés par la télévision algérienne, que mon
interlocutrice désigne par «la zéro» au même temps pour faire entendre les voix des opposants
politiques aux détenteurs du pourvoir de gérer le pays, ici les langues à l’école et à l’université, et pour
aller au bout de sa logique: sa préférence du français à l’arabe, qu’elle ne cite pas explicitement dans
cette séquence sinon par le non-dit dans l’actualisation du praxème de la doxa «la zéro» pour dire sans
dire qu’habituellement on y dit des nullités en arabe de cette chaine de télévision, mais ces vrais
professeurs, eux, s’y expriment en français pour dire «des savoirs» parce que eux c’est en français
isnan, qu’ils savent.

Plus loin, je relance Ouerida sur le rapport entre sa préférence à poursuivre des études universitaires
de comptabilité en français et le statut international de cette langue qu’elle a avancé pour se justifier.
En effet, j’ai soupçonné qu’elle passait sous silence, dans ses tours de parole précédents, son projet de
départ pour la France.

E108/ ih ih[oui oui]/ thenidhed akhatar [tu disais parce que] l(e) français c’est c’est
international###

O109/ ih[oui]/ en plus c’est facile/ matchi am- [c’est pas comme-]/yernou am dinigh
essah [en plus je te dis le vérité]/ nkini zrigh oursinaghara [moi je ne connais pas]
l(e) français mlih[assez]/ mais zrigh theshel [je sais que c’est faicle] puis que
vighigh [je veux]/ matchi am thoura tharayi thmara[c’est pas comme c’est le cas
maintenant je suis contrainte]//mais i[à] l’université/ la comptabilité et tout/ s [c’est
en] l(e) français euh :: je veux dire atshousadh belli d laqraya [qu’on sent que ce
sont des études] / je (ne) sais pas/ c’est vrai ilaq atshousadh belli theqaredh[il faut
sentir qu’on étudie] /// newkni [nous]euh ::/ thezridh [tu sais]/ il faut atswalidh
amek ihasven [voir comment se sentent] les élèves les enseignants/ euh :: mais win
[celui de] l(e) français tsqadarent[ils le respectent]/ même win [celui de] l’anglais
d [et] les :: euh :: la comptabilité mais matchi kif kif [ce n’est pas la même
chose]//
Elle refuse de s’attarder sur le rapport que j’ai cru voir entre sa préférence du français et le statut de
langue internationale de celui-ci. Elle reprend son autodialogisation de O89 et extériorise un dire
discontinu truffé d’hésitations, de prolongement vocaliques, d’interruptions et de reformulations de
programmes d’où émerge un discours quasi affectif faisant du français la langue de la valorisation, du
respect et du sentiment d’être en train d’étudier, en général, et la comptabilité, en particulier. En
avouant «our sinagh ara l (e) français mlih» (’’je maitrise mal le français’’), mon interlocutrice
reconnait sa contradiction dans le fait de qualifier cette langue de «facile» comparée à l’arabe qu’elle
se refuse de prononcer mais que l’interruption de son programme «matchi am» (‘’ce n’est pas
comme’’) laisse deviner. Elle situe cette facilité non pas dans la langue française mais dans son
«désir» à elle : «puisque vighigh matchi am thoura tharayi thmara» (‘’puisque je veux, ce n’est pas
comme maintenant je n’ai pas de choix’’). A la lourdeur de sens du praxème «thamara»
(‘’l’obligation‘’) conjugué au présent, c'est-à-dire maintenant que Ouerida est encore au Lycée où elle
doit étudier en arabe, elle substitue celle du bonheur d’étudier une fois à l’université: ‘’mais à
l’université, la comptabilité et tout c’est en français, je veux dire que tu vas ressentir le bonheur
d’étudier la comptabilité’’(O109). La réitération, dans ce même tour de parole, de l’expression de ce
sentiment lié au bonheur d’étudier à l’université la comptabilité traduit à la fois une espèce de
sentiment de libération et une conception des études: «/c’est vrai ilaq atshousadh belli theqaredh/»
(‘’c’est vrai il faut se sentir en train d’étudier’’). Mon embarras à entendre de telles doléances se
traduit, malgré moi, par un silence d’hébétement au moment où elle observe une très longue pause
(mentionnée avec trois barres obliques) pour m’appeler à reprendre la parole. Elle enchaine en
interpellant justement mon hébétement, qu’elle a dû constaté, dans une configuration me mettant face
à elle et à ceux qu’elle considère faire partie de son nous endogroupal duquel je suis exclue: « ‘’nous
euh ::/ il faut que tu voies comment pensent les élèves des enseignants/ euh ::/ celui de français est
respecté/ même celui de l’anglais’’/[…]». Ses tours de parole ultérieurs, notamment O111, O113 et
O115, montrent bien qu’il ne s’agit pas en fait d’une opposition entre elle et moi mais plutôt une
distinction à laquelle elle souhaite accéder: maitriser le français qu’elle voit en moi ou à travers
moi.

3.3.2. «/Le français c’est scientifique et tout/» (Marzouk127)


Il ressort à la première lecture du discours de Marzouk autour des langues une certaine prise de
conscience liée à la réalité des langues à l’école, à l’université et dans le monde. D’esprit pragmatique,
il construit une logique à partir de ce qu’il dit avoir reçu en matière d’enseignement des langues à
l’école et de ce qu’il souhaite réaliser à l’université. Dans cette logique, le français tient la place de
langue de l’enseignement à l’université. D’où, selon ses dires, la nécessité pour lui mais aussi pour les
élèves dans son cas, de le maitriser. Cela est d’autant plus exigeant que l’enseignement universitaire
est caractérisé, selon ses propos, par la rapidité (M91, M93, M107) comparativement au lycée.

Cependant, la relecture de ses propos donne à y voir aussi des positions subjectives rappelant celle
des autres élèves interviewés et sous-estimant l’arabe. Le français, dans la bouche de Marzouk, est
ainsi la langue de cette rapidité et, conséquemment, un prérequis pour poursuivre cet enseignement
par les futurs étudiants. L’expression de l’évidence de sa maitrise de l’arabe «du moment que neqqar s
l’arabe [on étudie en arabe]» (M83) amorce, dans le même tour de parole, son jugement dépréciatif de
cette langue (mais euh ::) qu’il peine à extérioriser sans mon intervention en réponse à son appel de
reprendre la parole (et que mentionnent les trois barres obliques à la fin de ce tour). A la banalisation
de la maitrise de l’arabe que rend l’actualisation du praxème «s l l’arabe ivan [en arabe c’est évident]»
(M85) et qu’il a plusieurs fois signifiée dans les tours de parole précédents par les praxèmes «normal»
et «normalement», il oppose dans ce même tour de parole, la distinction et surtout l’importance du
français («sah s l français [l’important c’est en français]»). A peine voilée, l’insinuation excluant
l’arabe de ce qui est «important» me fait réagir (E85). Subtilement Marzouk m’impose sa propre
logique et esquive, au moins à deux reprises, l’objet de mon étonnement (E86 et E88) en me faisant
comprendre que ce qui est important le concerne lui et non l’arabe: le français étant la langue des
enseignements à l’université, il est important pour lui de le manier. En effet, en lui suggérant le
praxème «étudier» (E90) qu’il me semblait chercher en M89 et qu’il approuvera d’ailleurs en
ouverture de son tour suivant, il (M91) entame l’extériorisation d’un programme de sens explicatif:
étudiant, il doit maitriser le français pour recevoir cet enseignement universitaire «rapide» pour lequel
on n’utilise pas de « tableau» ni de «craie» et qu’il trouve «normal du moment qu’on est prêt»(M91),
c'est-à-dire qu’on est censé, lui et ses camarades, être prêt; prêt à recevoir cet enseignement en
français. Ce que dément le réglage de sens négatif de la réitération, sous différentes formes, de son
expression «sah s l français [l’important c’est en français]». Ce statut de langue d’acquisition des
enseignements à l’université semble d’autant plus déterminant dans la position de Marzouk que celui-
ci voit dans l’emploi pédagogique du tableau un obstacle au parachèvement de la dispense/acquisition
des enseignements au programme qui se font, selon lui, sous forme de conférences que mes
explications (notamment en E106) ne parviennent pas à lui faire apprécier à leur juste valeur
organisationnelle. En effet, il réitère, presque à chaque réplique, la comparaison avec le lycée où, faut-
il le rappeler, on étudie en arabe («nqar s l’arabe» (M81) sous entendant l’usage de la craie, du tableau
et impliquant insidieusement la lenteur qui, au fil des répliques, est associée à l’arabe.
Soupçonnant cette association, je reviens, en E108, sur son expression «l’important c’est en/le
français» et engage, à partir de E110, la comparaison avec l’arabe qu’il dit justement maitriser du fait
que c’est la langue de sa scolarité jusqu’ici, comme il l’affirme à plusieurs occasions.

E110/ mais s l’arabe dighan on peut// [/Mais en arabe aussi on peut//]


M111/ amek s l’arabe?/ [/comment en arabe?/]
E112/ du moment que toi einh? toi tu as étudié en arabe/ donc tu maitrise l’arabe/
d’accord ?/
M113/d’accord mais ###
E114/ donc en arabe tu seras à l’aise// c’est à dire que tu suivras facilement//
M115/ i d’accord mais s [en] l’arabe?/
E116/ s l’[en] arabe zaâma on (ne) peut pas?/
M117/ ah wah [non]/ impossible/ s l’[en]arabe//
E118/ pourquoi pas?//
M119/ pa(r)ce que/ pa(r)ce qu’euh::/ pa(r)ce- de toute façon s l’ [en] arabe c’est pas
possible//
E120/ pourtant tu fais de la comptabilité des mathématiques et tout en arabe non//
M121/ ih [oui] mais c’est pas euh c’est pas comme l’université// i[à] l’université euh::/
c’est pas la même chose//
E122/ ah bon/ mais les maths d [sont] les maths la comptabilité d [est]###
M123/ mais i l’université d la recherche/ d la recherche scientifique/ donc matchi kif kif
[ce n’est pas la même chose]// c’est différent///
E124/ et on (ne) peut pas faire la recherche scientifique en arabe?/
M125/ je sais pas/ je sais pas//
E126/ mais si jE sais que tu sais/ tu sais//
M127/ i pa(r)ce que nkni [moi] pour moi d l [c’est le] français id sah [qui importe]/ s
l’arabe oulach [en arabe il n’y a rien]//
E128/ s l français kan### [uniquement en français###]
M129/ l français est c’est scientifique et tout//
E130/ c’est scientifique?/
M131/ scientifique donc automatiquement euh c’est euh amek auh εalami [comment auh
mondial]/
E132/ euh mondial negh universel// [/euh mondial ou universel//]
M133/voilà c’est universel/ donc automatiquement agh tishil [nous seront faciles] les
études après//
E134/ quelles études?/
M135/ quelles études? les études euh la science et tout/ mais s l’arabe euh/ s l’arabe di
[dans] les pays arabes mais kif kif oulach am dagi [mais c’est la même chose il n’y
a rien c’est comme ici]/ [rire]/

En lui retournant sa logique argumentaire (E112 et E114), dans laquelle je substitue sciemment
l’arabe au français, j’ai volontairement provoqué sa pulsion communicative en soulevant une espèce
d’incohérence dans son raisonnement: dans son intérêt, l’arabe, dont il a la maitrise, est le plus indiqué
pour suivre le rythme rapide des enseignements universitaires. A la forme interrogative de ses
répliques M111 et M115, que semble reproduire aussi celle en M113, déniant à l’arabe le statut de
langue d’enseignements à l’université, je réponds, d’abord, en le questionnant en E116 de manière
ironique en actualisant le praxème «zaâma», dont le réglage de sens prend l’allure de défi (démonter le
contraire de ce qui est soutenu), et, ensuite (E118), en poussant la logique à l’évidence qu’implique ce
réglage de sens justement du praxème «zaâma»: c’est plus facile pour lui d’étudier en arabe. C’est
alors qu’il entame une série de nuances par rapport à ce qu’il a soutenu dans ses tours de parole
précédents (M83, M85, M87, M89 et M91) et relatives à l’importance pour lui de maitriser le français,
langue des enseignements à l’université. A présent, l’importance réside dans ce qu’on apprend ou ce
qu’on fait à l’université. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas des mathématiques et de la comptabilité
comme il en a étudiées au lycée en arabe (E120 et E122). Il s’agit de la «recherche scientifique»
(M123) «impossible» (M117, M119) à réaliser en arabe; car en arabe «oulach» (M127) ‘’il n’y a
rien’’. Mais c’est en français, cette langue «scientifique et tout» (M129). Cette langue dont je reprends
en écho (E130) le qualificatif «scientifique» pour le discuter avec Marzouk. Mais celui-ci lui substitue
celui de «mondial» et d’«universel» pour régler deux sens loin l’un de l’autre. Le premier concerne,
les possibilités de mobilités que cette langue assure, mais dont il reconnait, quelques tours de parole
après, les limites par rapport à celles de l’anglais. Le second est relatif à la facilité qu’elle offre pour
faire la science et qu’il compare immédiatement à l’arabe dont il réitère le vide «scientifique» en
convoquant cette fois-ci les pays arabes qu’il identifie au vide d’ici, celui de l’école algérienne. Mais
qu’est-ce qu’il y aurait de scientifique en français et pas en arabe ? Il n’en dit rien. Mes tentatives de le
recentrer sur cette thématique n’aboutissent pas car je me suis moi-même piégée par ma comparaison
du français à l’anglais pour régler le sens des praxèmes «universel» et «mondial» actualisé pour le
compte du français. Ainsi, Marzouk saisit cette occasion pour réitérer son souhait de suivre une
formation de traduction englobant le français, l’anglais et l’arabe dont il dit ne pas vouloir sauf «que
c’est obligé» (M145).

3.3.3. «/Le français est une langue de la technologie/ […] /du savoir de la science/ […]
du développement du monde/» (Lydia L145)
L’attitude favorable vis-à-vis du français et hostile à l’égard de l’arabe parcourt l’ensemble de
l’échange avec Lydia. L’élément déclencheur de la mise en discours de cette attitude est le souvenir à
la fois de son choix du français pour répondre au questionnaire de la pré-enquête et du désir
impossible de sa camarade, Kahina, de faire autant parce qu’elle ne maitrise pas le français (L11, L17,
L19, L21, L27). En qualifiant sa camarade, qui lui demande d’écrire en français à sa place, de
«complexée» (L27), Lydia produit un discours dans lequel elle annonce son propre complexe que je
n’avais pas soupçonné en ce début de l’échange car elle présentait cela comme un avantage sur sa
camarade. Ce n’est que plus loin dans l’échange qu’elle révèle explicitement que son attitude découle,
au moins en partie, du discours épilinguistique que tient son père sur l’arabe (L131, L133, L135,
L137) et que sa mère relaie à sa manière (L141, L143). La relecture de l’échange avec elle donne à
voir l’effet de ce discours sur elle dont la saisie au moment de l’échange m’aurait permis peut-être de
la recentrer sur les praxèmes qu’elle a actualisés pour distinguer le français de langue de technologie,
de savoir et de développement, et d’éviter ainsi aussi bien sa logique binaire opposant le français à
l’arabe que son vocabulaire si hostile vis-à-vis de l’arabe qu’il frôle par moment la haine et le rejet
(L35, L37, L45, L53, L63).

L15/ euh :: moi je préfère faire tout en français/ j’aime écrire en français/ lire en
français/ regarder la télé euh :: les chaînes françaises/ les journaux en français/
euh :: même si euh :: je sais quand j’écris euh :: je fais des fautes et tout/ des
fautes euh :: d’orthographe et tout/ mais je pense que ::: à force à force à force je
vais écrire mieux/

Le choix du français comme langue de réponse au questionnaire de la pré-enquête participe donc


de l’expression de sa préférence du français, en dépit de ses modestes compétences en matière
d’orthographe française qu’elle projette améliorer en s’exerçant de façon continue à l’écriture
justement. Mon insistance (E34, E36, E38) pour qu’elle m’explique son refus (L31) de répondre en
arabe, sa langue de scolarité, bute à chaque fois sur des répliques de rejet (L35, L45, L53, L63)
déniant à l’arabe toute valeur et tout avenir (L37, L41). Elle va jusqu’à ne pas la considérer comme
une langue dans sa réponse L43 à ma question sur sa réplique L41 considérant l’arabe sans intérêt:

L41/ mais ou thenfiaâra/ [ /mais elle est sans intérêt/]


E42/ d achou ignefaân ihi ?/ [qui est-ce qui a alors de l’intérêt]
L43/ pour moi d les langues/ [pour moi ce sont les langues]

Ces langues sont «/le français/l’anglais/» (L47). Sachant inutile l’interrogation de ce déni, j’ai
choisi de l’arrêter sur la première des langues citée qui, pour moi, constitue le sujet principal de cet
échange.

L49/ c’est une langue euh :: de l’avenir/


E50/ c'est-à-dire ?/
L51/ c'est-à-dire euh :: c’est une langue de l’avenir euh :: c’est une langue qui permet
de faire euh :: de voyager/ de connaître les pays du monde euh ::: de s’informer/
de se cultiver/tout ça euh :: par euh :: quand on voit euh :: leur culture euh :: leur
mode de vie/ oui [à voix basse]/ tout ça euh :: grâce euh :: au français/ à la langue
française/
La valeur dialogale de la reprise en écho du marqueur habituellement dialogique «c’est-à-dire »
indique que Lydia, au même temps qu’elle veut s’assurer de mon programme de sens interrogatif,
établit un lien entre son dire déjà actualisé en L49 et son à-dire en cours de programmation pour L51.
Dans la réalisation effective de ce dernier, Lydia met en scène interruptions et hésitations. Son
discours porte ainsi les traces d’une recherche d’illustrations et de réglage du sens du praxème
«avenir» qu’elle a associé au français et que je lui demande d’expliquer. C’est à l’autodialogisation
qu’elle se livre avant de se lancer dans une juxtaposition de programmes de sens liés à cette
autodialogisation. Sa reprise en écho de sa séquence «c’est une langue de l’avenir», émise en L49, est
suivie d’une multitude d’actualisations d’apparence illustratives du rapport qu’elle établit entre le
français et l’avenir: voyager, connaître les pays du monde, s’informer et se cultiver. C’est, en fait, de
son propre avenir qu’il s’agit. Un avenir qui consiste à voyager, à connaître le monde, à s’informer et à
se cultiver au moyen du français auquel elle substitue le possessif, ici jamais défini, «leur» (culture et
mode de vie) qu’elle actualise dans une relation de mêmeté recherchée avec l’indéfini «on». Celui-ci,
bien que fonctionnant sur le mode inclusif/endogroupal, renvoie en réalité à son énonciateur, Lydia,
dont le projet de départ en France motive son désir de s’inscrire en licence de français (L69).

Peu satisfaite de son explication, je tente de la relancer sur le non-dit dans la généralisation que son
discours induit. Elle réplique immédiatement sans même me laisser finir mon propos. Elle engage
l’échange dans une nouvelle perspective qu’elle m’impute, en entamant la première séquence de son
propos avec le «oui» d’approbation ambigu auquel elle oppose, en ouverture de la seconde séquence
du même tour de parole, le «mais» oppositionnel, comme si c’est moi qui suis à l’origine de la
comparaison qu’elle établit et de l’apparition compétitive de l’anglais:

E54/quand tu dis que c’est une langue de l’avenir/###

L55/ oui c’est vrai euh :: je sais maintenant que :: c’est l’anglais la première langue
internationale et tout/ je sais/ mais euh :: je veux dire euh ::/ ce que je veux dire
euh ::: l’anglais euh :: plutôt le français est une langue de technologie/ c’est c’est
euh : c’est la langue du savoir euh ::: de la science et tout/ c’est la langue euh ::
du développement du monde/ ça c’est vrai/ enfin euh :: moi hein !/ moi
personnellement tu sais euh ::/ moi j’aime bien tout ce qui est langue étrangères/ tu
sais/ mais uniquement euh :: mais seulement euh :: pas l’arabe/

La valeur communicationnelle habituelle dans l’enchainement dialogal du «oui» d’approbation et


du marqueur dialogique «c’est vrai» est ici nulle. Car elle fonctionne sur un programme de sens
supposé être tenu dans la seconde séquence de E54. Cet enchainement est, en réalité, de forme car, au
fond, il y a une rupture dialogale du fait que Lydia enchaine sur une supposition de sens que je n’ai pas
tenu en E54. Qu’est-ce qui est donc vrai pour Lydia? Le français est une langue d’avenir comme je la
reprends en E54? Ou ce qu’elle pense avoir entendu en seconde séquence de E54 et qui serait
l’anglais, la domination de l’anglais comme elle dira tout de suite après? Annoncé dans l’actualisation
du praxème «maintenant» associé à l’anglais et non au français, le rétablissement de l’enchainement
dialogal est assuré par le lapsus que produira Lydia à partir de sa seconde séquence: / ce que je veux
dire euh ::: l’anglais euh :: plutôt le français est une langue de technologie/ c’est […]/. Il s’agit bien
d’un lapsus car au praxème maintenant de la première séquence fait écho l’emploi réitéré de la
première personne du singulier (3 occurrences de moi) adressé à un tu (3 occurrences) pour me dire
subtilement qu’il s’agit bien de son point de vue personnel. Le français est, en effet, noyé dans les
langues étrangères qu’elle aime à l’exclusion de l’arabe qu’elle situe ainsi parmi les langues
étrangères.

3.4. Les élèves inscrits en Mathématiques:


3.4.1. «/C’est la langue du savoir/ c’est la langue de la technologie/» (Tarik112)
Bien qu’il ait fini par distinguer le français comme la langue des études universitaires en Algérie,
notamment en T99, Tarik en parle, dans plusieurs tours de parole, dans le sillage de l’anglais, de
l’allemand, du chinois, etc., qu’il qualifie en T65 et T85 respectivement de langues étrangères igsaân
(litt. qui ont de) l’avenir, de langues «de technologie […] de savoir […] de culture».

T55/ les langues étrangères bien sûr/


E56/ par exemple/
T57/ les langues étrangères euh ::/ le français/ l’anglais/ l’allemand/ le chinois/
E58/ achoughar [pourquoi]?/
T59/ amek achoughar [comment pourquoi]?/
E60/ je veux dire euh:: achoughar [pourquoi] les langues agui précisément?/
T61/ yella daghen [il y a aussi] l’espagnol/ le russe/ le portugais//
E62/ donc i marra [toutes]?/
T63/ i marra ma yahwa yam [toutes si tu veux]/
E64/ amek ma yahwayi?/ ourfhimghara/[comment ça si je veux ?/ je n’ai pas compris]
T65/ vghigh ad ini gh les langues étrangères iguessaân l’avenir/[/je veux dire les langues
étrangères qui ont de l’avenir]
E66/ comme###
T67/ surtout comme le français/ l’anglais/ le chinois/
E68/le chinois/
Ma tentative en E56 d’amener Tarik à discourir autour du français échoue partiellement.
Probablement en raison de ma démarche qui, en cherchant à camoufler mon objectif, c'est-à-dire le
faire parler essentiellement à propos du français, lui a suggéré, surtout en E54, l’idée de pluralité de
langues étrangères comme si j’attendais de lui de situer le français parmi les langues étrangères dont il
cite quatre en rafale justement dans son tour de parole T57. C’est ainsi en tous les cas que j’avais
interprété sa reprise en écho à valeur interrogative en T59 de ma demande (E58) de justification des
quatre langues énoncées. Malheureusement pour moi, mon «précisément» de E60 a provoqué la
pulsion communicative de Tarik non pas pour justifier son choix des quatre langues qu’il cite en T57
comme je le voulais en effet, mais plutôt pour répondre à une évaluation de ma part concernant sa
connaissance des noms de langues ayant le statut de langues étrangères internationales. Il élargit alors
sa liste des quatre langues en y rajoutant l’espagnol, le russe et le portugais. Même ma réplique de E62
volontairement provocatrice, en lui signifiant qu’il était en train de citer toutes langues dont il connait
le nom, ne suffira pas à le recentrer sur ce à quoi renvoie la notion de langues étrangères dans notre
échange que nous avons, lui et moi, pourtant délimité au préalable: les langues étrangères à l’école. La
reprise en T63 de mes propos de E62 dont il transforme la valeur interrogative en affirmative et
immédiatement suivis du dialogal «si tu veux» me déstabilise et me fait ressentir, quelques secondes
durant, que Tarik cherchait à s’imposer en meneur de l’entretien. Je réagis dans le tour de parole
suivant (E64) en interrogeant explicitement non seulement son propos, sans quoi il aurait
probablement procéder comme dans les tours de parole antérieurs, mais aussi en le situant comme
étant le détenteur des informations nécessaires à ma compréhension. Ainsi, je l’ai amené à
reconsidérer son choix de diluer le français dans le syntagme «langues étrangères». Il accepte
d’entreprendre un premier classement entre les langues étrangères qu’il a citées jusqu’ici en
distinguant uniquement celles qui ont un avenir (T65) et un deuxième classement de trois langues où
le français précède l’anglais et le chinois, mais refuse encore de discourir à propos du français
préférant de se focaliser cette fois-ci sur le chinois. En dépit de mes répliques à vocation de l’amener à
parler du français, Tarik persiste à en parler en le juxtaposant aux autres langues dont il réitère la
catégorisation émise à leur sujet en T65. Il les y considère comme des langues qui ont de l’avenir et,
par ricochet, leurs locuteurs aussi. Mais il inverse la logique en T83 puisque cette fois-ci l’avenir
dépendra de ces langues; autrement dit, elles seront l’avenir, celui de la technologie, du savoir et de la
culture tel qu’il le dit en T85. Dans un élan d’opportunisme dialogal, je profite (en E86) pour l’amener
à réduire le nombre de langues étrangères qu’il dit être celles de l’avenir en lui suggérant d’appliquer
sa propre définition des langues de l’avenir à celles qu’il a citées de son propre chef. Ainsi, il consent,
particulièrement à partir de son tour de parole T89, à parler des langues étrangères en Algérie:

E80/et thoura anti [quelles sont] les langues aâni iglahoun di [qui marchent dans] l(e)
monde actuel ?/
T81/euh :: le français/ l’anglais/ l’allemand chitouh [un peu] l’espagnol/
E82/et que penses-tu de ces langues ?/
T83/euh :: c’est des langues de l’avenir/
E84/c’est à dire?/
T85/c'est-à-dire euh :: c'est-à-dire c’est des des langues euh :: de technologie/ de savoir
euh : voilà euh : j ( e ne) sais pas moi euh :: c’est des langues euh :: enfin euh :: je
veux dire euh :: y a le savoir euh :: dans ces langues y a :: y a :: y a le savoir/ y
a :: y a :: la culture/ j( e ne) sais pas moi/ je je pense que c’est c’est riche/ voilà//
E86/ tu veux parler de ces quatre langues que tu viens de citer/
T87/ oui bien sûr/ mais mais beaucoup plus du français et de l’anglais/
E88/d’accord/
T89/ yaâni [c’est à dire] euh :: le français ilahou atas dagui ghournagh [marche
beaucoup ici chez nous]/ et euh :: l’anglais euh:::###
E90/ et que penses-tu de ces deux langues ?/
T91/ c’est c’est c’est des langues euh :: iguerzen atas atas[en très bonne position]/
E92/ et euh:: si tu as à choisir entre ces deux langues ?/
T93/ euh :: je n’ (e ne) sais pas/ franchement je n’(e ne) sais pas/
E94/et si on te demande euh:: si on te demande dans dans quelle langue tu souhaites
poursuivre tes études universitaires par exemple ?/
T95/ je dirai bien sûr en français/
E96/ et pourquoi ?/
T97/tout simplement euh :: parce que chez nous euh :: enfin :: ici/ici en Algérie euh :: d l
[c’est le] français quand même[qui est pratiqué] ig lahoun/ euh :: par rapport à
l’anglais bien sûr/
E98/ et###
T99/ de plus euh :: nekkini [moi] euh :: je suis un mathélème donc euh :: les branches
nagh yakw [toutes nos branches sont] en français/ donc euh :: khas akken
oussinghara mlih l [même si je ne suis pas très bon en] français mi ar ghournagh
machi [mais chez nous ce n’est pas] euh :: d[e] la littérature aken adahkough[pour
raconter]/ ça c’est euh:: c’est difficile euh::[rire] zrigh ad khedmagh atas n [je sais
que je ferai beaucoup de]les fautes/ mais :: nekwni s [nous] les mathélèmes euh ::
c’est beaucoup plus d les chiffres [qui jouent] itilaâven/ oulach [il n’y a pas]
normalement atas b awal [beaucoup de littérature]/

En réponse à ma demande d’explication en E85, mon interlocuteur réactualise le marqueur


dialogique «c'est-à-dire» dont le but parait être, d’un côté, l’établissement d’un lien entre ses propos
et, de l’autre côté, la reconstruction de son énoncé. Un énoncé dont les hésitations, les allongements
vocaliques ainsi que la redondance des marqueurs dialogique «c'est-à-dire» et «je n(e) sais pas moi»,
respectivement à valeur explicative et conative, sont les traces de l’intensité de l’activité de la
signifiance de Tarik, de son insécurité discursive et de sa recherche à donner sens et cohérence à sa
pensée en suspens.

C’est dans cette espèce de turbulence énonciative que le programme de sens de Tarik relatif à ces
langues d’avenir prend forme dans la matérialité de sa parole pour préciser ce à quoi renvoie la notion
de richesse de ces langues, c'est-à-dire le savoir, la technologie et la culture.
Saisissant son invitation en clôture de son tour T85 (/voilà//) à (re) prendre la parole, je produis un
discours de forme affirmative mais de fond interrogatif l’encourageant discrètement à recentrer
l’échange autour des langues en Algérie. Ce qu’il fera en appréciant, dans un premier temps, le fait
que j’aie repris son point de vue (les quatre langues dont il parlait) et, dans un second temps, en
précisant qu’il ne s’agit plus pour lui de ces langues mais plutôt du français et de l’anglais. Ce qui
m’offre la possibilité de l’interroger sur ces deux langues mais avec peu de succès. En effet, bien qu’il
ait produit un discours (T89), entamé avec cette nuance (/yaâni/ [c'est-à-dire]), que la suite du tour
révèle être de taille du moment qu’il affirme que, dans la réalité, qu’il ne définit pas pour le moment
sinon par le praxème «dagui», c’est à dire ici, c’est le français qui est ciblé par ses propos lorsque
l’anglais l’est aussi mais ailleurs, il n’en demeure pas moins qu’il reste vague et m’incite
involontairement à le relancer en centrant ma question cette fois-ci exclusivement sur les deux langues
française et anglaise.

Prenant conscience de ma formulation maladroite (E90) à l’origine de sa réponse (T91) aussi


hésitante qu’évasive, je rebondis en E92 pour éviter de retomber dans les généralités des tours
précédents mais, à mes dépens, j’aggrave la situation puisque je le mets davantage dans l’embarras:
choisir entre les deux langues. La double occurrence négative (/je (ne) sais pas/) précédée de
l’hésitation prolongée en début du tour mais surtout appuyée par le praxème adverbial (/franchement/),
me font prendre conscience de mon erreur. C’est pourquoi je me corrige immédiatement en E94 et
mets l’alternative entre les deux langues en rapport avec les études de Tarik pour l’impliquer
directement. Son «bien sûr» en T95 me rassure et m’encourage à oser interroger ce qui est pour lui une
évidence: le français. Immédiatement, il réplique dans le sens de ma question mais pour me faire
comprendre que pour lui, à la différence de ma prestation pour qui tout est, selon lui, sujet à
interrogation, le choix du français ne nécessite pas d’hésitation puisqu’«ici en Algérie c’est le français
qui marche» (T97). Mais en rajoutant tout de suite après, dans le même tour de parole, «par rapport à
l’anglais bien sûr», Tarik me relance mais cette fois-ci il ne me laisse pas le temps de rebondir sur
cette nuance puisqu’il reprend la parole (T99) pour poursuivre sa logique de T97 dominant
complètement ma voix dans ce qui allait être mon tour de parole E98. Pourtant, je saisissais bien, au
moment de l’échange, le passage de Tarik à l’endogroupal «chez nous» m’invitant discrètement à
adopter, au moins, le point de départ de son raisonnement. Et c’est justement ce nous inclusif auquel il
substitue, après le praxème d’hésitation «enfin» précédé et suivi d’un rallongement vocalique
d’hésitation, le déictique de l’espace ici (deux occurrences, la seconde fonctionnant comme un indice
de redémarrage du flux de la parole) mais surtout celui de «Algérie», que j’allais reprendre en écho
pour tenter de le faire réagir sur le contenu qu’il lui donnerait en rapport avec son «par rapport à
l’anglais bien sûr» (T97). J’avais soupçonné, en effet, à partir de son besoin d’introduire cette
comparaison (d’un côté entre le français et l’anglais et de l’autre entre ici –l’Algérie- et ailleurs
indéfini), qu’il serait plutôt pour l’anglais contrairement à ce qu’il a affirmé dans son tour de parole
T95 malgré le «bien sûr» de certitude en clôture à ce tour. Comme s’il se rendait compte de mon
intention de revenir sur cette nuance, Tarik enchaine donc en T99 et ignore complètement ma tentative
de parler en E98. La lecture que je fais, à présent, de cette séquence dialogale confirme mes soupçons.
Tarik a procédé, dans son tour de parole T99, à un autre glissement sémantique qu’il annonce en début
de son tour T99 par le praxème «de plus» pour justifier, d’un côté, son choix de ne pas me laisser
parler en E98, puisque ce praxème en renvoyant à ce qu’il venait tout juste de dire, lui offre la
possibilité de demander, implicitement, de continuer ou, au moins, de finir son propos, et, de l’autre
côté, l’abandon qu’il fera tout de suite après de son nous inclusif, que j’allais interroger, en effet. Le
tour lui réussit bien car c’est ce à quoi je voulais le conduire: me parler de sa façon de voir la chose.
Sans doute, ayant compris cela, il entame son tour de parole T99 en s’assumant en ‘’je’’. Il rappelle
qu’il est candidat au baccalauréat série mathématiques comme pour franchir définitivement le passage
de ‘’nous’’ à ‘’je’’ et s’engager, ensuite, dans une espèce de descriptif opposant les mathématiques
(c’est à dire lui) et la littérature (c'est-à-dire moi). Le but de cette mise en opposition n’est
naturellement pas une façon à lui de s’opposer frontalement à moi, comme le suggérerait la lecture de
ce seul tour de parole (T99), mais plutôt sa manière de minimiser les conséquences, sur ses études
universitaires, de son niveau de français dont il admet lui-même la faiblesse. J’avais tout de suite
interprété sa préférence de l’anglais, qu’il laissait planer sur ses propos sans le dire clairement, comme
d’abord une échappatoire à ces difficultés de français et une espèce d’auto-valorisation en se déclarant
pour l’anglais car il insinue en même temps la maîtrise de l’anglais (qu’en réalité il n’a pas) et
l’appropriation de sa valeur communicative que lui confère son taux de ‘’véhicularité‘‘ dans le monde:
la plus pratiquée comme langue seconde… Les tours de parole ultérieurs, conduits avec cette
interprétation, confirmeront sa recherche de la valorisation dans l’adoption d’une langue étrangère y
compris du français qu’il qualifiera, en effet, de langue «riche»(T111), de «savoir et de technologie»
(T111), etc., qui «donne une valeur à la personne» (T113), «la valeur d’une personne cultivée»
(T113), d’«une personne forte quand même» (T113):

T111/ sinon euh :: akhir [c’est mieux] l(e) français amek i tetsellikagh[comme je me
débrouille]/ et :: pour moi cette langue est :: riche/ c’est la langue de savoir/ c’est
la langue de la technologie/ c’est c’est la la la langue qui donne un certain :::
c’est la langue iguetsaken [qui procure] euh ::/ nek ar ghouri [pour moi]euh ::
yessaâ atas nelqima wina ihedren [est d’une grande valeur qui parle] en français
negh ala [ou non]?/ ça donne euh :: une valeur à la personne/

E112/ et quelle valeur ça lui donne d’après toi/


T113/euh :: la valeur d’une personne cultivée/ euh :: je/ ne sais pas moi/ instruite/ une
personne euh :: une personne igjahden [forte]/ une personne forte quand même/

3.4.2. «/La langue des sciences et de de/ le vaccin et tout/ les maladies microbienne et
c’est en France//» (AmayasA103)
Amayas se distingue par sa pratique du français et ses connaissances. Souhaitant
poursuivre des études en informatique, il se distingue aussi par le principe de non mélange des
langues dans la pratique (A7, A11, A15, A23, A33) qu’il dira, plus loin dans l’échange, être
une exigence de ses parents et grands-parents (A41, A45, A47). Bien qu’il affirme sa
disponibilité à échanger avec moi en kabyle, en arabe ou en français (A5, A39), il tient un
discours vis-à-vis de l’arabe qui rappelle celui des autres élèves. De l’échange avec lui sur
les pratiques des langues dans sa famille et les études à l’université, émerge un discours dans
lequel l’arabe, qu’il déclare maitriser (A75), est exclu (A73): il est qualifié de langue «du
passé» (A81, A97) et de mémorisation mécanique (A81) incomparable au français (A91,
A93) qui est «même à l’école [la langue] des formules, des symboles en maths et tout» (A83).
Sa préférence du français (A85) «par rapport à l’arabe» (A89) ne fait aucun doute mais elle
est systématiquement mise à l’épreuve dès que je lui demande de la justifier car «le
maintenant» duquel est exclu l’arabe est associé au français systématiquement mis face à
l’anglais (A99, A103) faisant du français une langue «maintenant» «dépassée» (A97). En
dépit de cela et des conseils de son père (A109) relatifs à l’acquisition de l’anglais dont il
reconnait l’importance pour les études de mathématiques-informatique qu’il veut poursuivre à
l’université, Amayas dit être «encore attaché au français» (A109) mais refuse d’aborder les
raisons de cet attachement que je lui demande E110 en m’apostrophant: «et pourquoi vous me
demandez tout ça?» (A113). Je dois donc me contenter, pour cela, des référents qu’il a cités,
quelques tours auparavant, en réponse à ma suggestion d’explicitation du praxème adjectival
«scientifique» qu’il a actualisé en A99 pour le distinguer de l’arabe:

E102/ et qu’est-ce que qu’est-ce que tu tu disais euh le français est est scientifique euh//

A103/ bien sûr c’est la langue des sciences et de de/ le vaccin et tout les les maladies
microbiennes et tout ce c’est c’est en France euh/ oui oui c’est en France mais
mais maintenant euh maintenant c’est plus euh comme comme à l’époque de de
Louis Pasteurs et les les autres// et puis les les droits les droits des gens et tout//

E104/ c’est donc ça c’est ça que que tu qualifies de de scientifique ?/

A105/ en maths aussi en physique et tout/ il y a aussi la la littérature euh Germinal Les
misérables Rousseau Jules Verne Victor Hugo Sartres L’étranger d’Albert Camus//
L’explication de la scientificité du français se fait, comme à chaque fois que j’aborde ce qui
distinguerait cette langue, en comparaison avec l’anglais dont l’écho ici se fait ressentir dans
l’actualisation du praxème «maintenant» (2 occurrences) et du syntagme négatif «c(e n)’est plus» par
lesquels Amayas souligne l’évolution dans ce statut de langue de sciences qu’occupe à présent
l’anglais. L’emploi de l’imparfait ou du passé simple aurait réglé syntaxiquement le sens de cet
adjectif auquel s’est mêlé dans la bouche d’Amayas (A99) celui d’universalité qu’il illustre avec le
même procédé, c'est-à-dire en citant des noms de savants, de romanciers, de penseurs et du titre du
célèbre roman d’Emile Zola dont il n’avait sans doute pas le nom au bout de la langue au moment de
l’échange sinon il aurait procédé comme avec L’étranger… Ces noms ont, en effet, largement
contribué au rayonnement planétaire de la France. «Les droits des gens», les découvertes des maladies
microbiennes et du vaccin (antirabique, puisque c’est lié au nom de Louis Pasteur ?) ont en commun
avec les noms des romanciers le fait qu’ils font tous partie du passé auquel succède «maintenant» les
maths-informatique (A77) en anglais.

La scientificité et l’universalité du français sont liées, d’un côté, aux hommes de sciences (ici
Pasteur), de culture (ici les romanciers et les penseurs), des droits de l’Homme et, de l’autre côté, au
passé de la France.

3.5. Un élève inscrit en Techniques et mathématiques: «/C’est une langue de savoir/ de


technologie/» (Omar95)
Omar catégorise le français de langue de savoir et de technologie dans sa réponse à ma demande de
préciser ce qu’il entend quand, en O93, il qualifie, en kabyle, le français de «d laâlith» qui veut dire
littéralement «il est bon».

E88/ dachou ara thenidh di le [que dirais tu des] langues étrangères?/


O89/ par exemple↑/
E90/ le français par exemple/
O91/ c’est une langue s w azal is [qui a son importance]/
E92/ c'est-à-dire/
O93/ c'est-à-dire/ c'est-à-dire euh :: que le français d laâlith [est bien]/
E94/ degw achou [en quoi]?/
O95/degw achou[en tout]?/di koulech[en tout]/ c’est une langue de savoir/ de
technologie/ ghas akken ouqfizghara mlih degs[même si je n’y suis pas si
bon]/
E96/ et tu aimes cette langue ?/
O97/ bien sûr/ oui/
E98/ achoughar [pourquoi]?/
O99/ le français quand même akyezziz ghar zdath/ oukyettarara gher deffir am
l’arabe/[le français quand même fait avancer/ il ne fiat pas reculer en arabe]
E100/ amek mahsouv [c'est-à-dire]?/
O101/amek mahsouv [comme ça c’est à dire]?/ euh :: le français yesaâ atas
netmousni [a beaucoup de connaissances]/ les découvertes c’est en français/
la technologie c’est en français/ la science c’est en français/
E102/ achimi ihi outheqfizdhara degs aken theqqaredh ?/ [pourquoi alors n’en es-
tu bon comme tu le dis?]
O103/ allah ghaleb[Dieu est suprême]/ khoussagh chitt [je manque un peu]/
dommage/ mais euh :: j(e ne) suis pas yaâni [en fait] euh :: nul hein/
tsellikaghst [je me débrouille] quand même/
E104/ ah oui/ et ben c’est bien/
O105/ obligé/
E106/ achoughar obligé ?/[pourquoi c’est obligé?]
O107/achoughar obligé? [/pourquoi c’est obligé?/]/d’abord euh :: akhatar [parce
que] euh :: déjà di [à] l’université euh :: presque les filières euh :: c’est en
français/ donc euh :: ilaq [il faut] au moins ad issinagh [que je connaisse]
euh :: chwitt [un] peu euh :: enfin euh :: ilaq atselkagh chitoh di throumith
moulach tharwi [il faut que je me débrouille un peu en français sinon ce sera
la catastrophe]/

A la thématique relative aux langues étrangères que j’introduis en kabyle, Omar réagit en français
(O90/par exemple/) avec une tonalité montante sollicitant une précision. Il m’entraine ainsi dans son
choix du français puisque je réponds en français en E89: «/le français par exemple/». C’est alors qu’il
actualise des praxèmes en kabyle, en O91 et O93, pour dire du français, respectivement, c’est «une
langue s w azal is» (qui a son importance), «d laâlith» (litt. «il est bien»). Il clôt son tour de parole par
cette auto-évaluation se déclarant «pas très bon» (095) en français comme s’il ressentait la nécessité
de justifier son passage du français au kabyle dans ce même tour de parole.

A mes invitations respectives à désambigüiser ses propos tenus en O99, O101 et O107, il réplique à
chaque fois par une reprise en écho interrogative à valeur à la fois discursive, puisqu’il me reprend
pour s’assurer d’avoir compris ma question, et interlocutive: gagner suffisamment de temps pour
programmer et extérioriser du sens. Ce qui se traduit, par exemple, sous forme d’hésitation dans ses
tours de parole O101 et 0107 extériorisant un programme de sens attribuant au français le statut de
langue de découvertes, de technologies, de sciences dans son tour O101 et d’université en O107 qui
est, en fait, une reprise en confirmation des propos tenus en 0101.
Ce procédé caractérise aussi l’actualisation du praxème «obligé» en O105. Ce réglage de sens,
plutôt contraignant pour ce lycéen, suscite mon interrogation en E106. Il me reprend en écho
immédiatement dans le but de bénéficier d’un temps supplémentaire afin de construire son énoncé
qui, de ce fait, porte des traces de perturbation soulignant sa déstabilisation. Omar est donc contraint
d’apprendre le français puisqu’il se considère lui-même «pas très bon» (O95) en la matière d’autant
plus qu’il sait, puisqu’il l’affirme, que les filières justement de technologie et de sciences sont
enseignées à l’université avec cette langue. Il y a donc un double réglage de sens du praxème «obligé»
(O105). La connaissance du français est, pour Omar, à la fois une contrainte, car il s’en auto-évalue
«pas très bon» (O95) malgré toutes ces années d’école, et une crainte puisqu’il admet que sans cette
connaissance son avenir (à l’université du moins) est incertain. D’où cet aveu d’impuissance qui
semble devenir, en clôture à son tour de parole 107, une alerte au couleur d’un défi qu’il aura à
relever: ‘’je dois me débrouiller un peu en français sinon ce sera la catastrophe’’15

3.6. Un élève inscrit en Lettres et philosophie: «/C’est une langue de savoir […] de
culture […] de technologie/» (Sofiane71)

Saisissant l’instant où Sofiane relate les difficultés que ses camarades de classe et lui
rencontrent en classe de français et d’anglais, je l’interroge sur ce qu’il penserait de ces deux langues:

E50/n challah / ihi iniyid d achou i thennid di les langues agui ?/ [/Si Dieu le veut/alors
dis-moi ce que tu dirais de ces langues-là]
S51/ le français d l’anglais ?/
E52/ ih/[oui]
S53/d achou ara minigh ?/// tsouthlayin igarzen atas atas/ [qu’est-ce que tu veux que je
te dise?/// ce sont des langues très très bonnes]
E54/ c'est-à-dire ?/
S55/c'est-à-dire euh :: vghigh adinigh euh ::/// garzent atas euh :: saânt l’avenir/
thfahmedh ?/[c'est-à-dire euh :: je veux dire euh ::/// elles sont bonnes euh :: elles
ont l’avenir/ tu comprends ?/]
E56/ oufhimghara/ [je n’ai pas compris]
S57/c'est-à-dire euh :: l français d l’anglais euh :: c’est des langues de l’avenir/ des
langues internationales/ mondiales/ c’est toujours bénéfiques de les connaître/
machi euh :: machi euh :: am thaârabth mahsouv/ [c’est pas euh :: c’est pas euh ::
comme l’arabe quoi]

Pour s’assurer de la cible de ma question, Sofiane me reprend en S51. La forme de son


interrogation en ouverture à son tour de parole S53 n’a de valeur phatique que la forme. En effet, il me

15
«ilaq atselkagh chitoh di throumith moulach tharwi» (O107)
reprend mais n’enchaîne pas tout juste après sur un programme de sens en réponse à la dite
interrogation. Les trois barres obliques indiquent clairement qu’il s’agit plutôt d’un aveu de non-
réponse. Et le programme «ce sont des langues très très bonnes» ressemble à une expulsion de sens
dictée par un besoin d’occuper le temps que ma lenteur à reprendre la parole prolonge et rend lourd à
supporter tant qu’il sent la responsabilité de parler. C’est donc une espèce de remplissage dialogale de
sens vague auquel il n’adhère pas forcément ou qu’il extériorise moins parce qu’il l’admet que pour
maintenir le dialogue et/ou pour honorer son engagement à discuter avec moi.

En réponse aux explications que je sollicite tout de suite après (E54), à propos de sa catégorisation
des deux langues, il reprend en écho mon propos (E54). Mais il substitue à sa valeur interrogative son
intention explicative (à lui) ainsi que l’explicite l’actualisation du marqueur dialogal «je veux dire»
que précède et suit cette assez longue hésitation, indice d’une activité de signifiance intense que la trop
longue pause, en clôture à cette hésitation, donne à voir aussi comme étant en panne de réponse. C’est
pourquoi il se reprend lui-même immédiatement après pour r-établir la cohérence entre ses propos
antérieurs et ceux en cours de programmation/extériorisation. Ainsi, il donne l’impression
d’autodialogisation que, cependant, la trajectoire discursive à valeur explicative de son discours
(‘’elles ont l’avenir’’) rompt en faveur du marquage interrogatif clairement dialogal «tu comprends?»
dont l’expulsion ressemble plus à un désir ardent de me rendre la parole que de s’assurer de la
réception de son programme explicatif de son autre programme de sens «des langues très très bonnes»
(S53). Au final, il ne fait que remplacer le premier par le second comme s’il s’agissait de deux
synonymes. Ce que je lui fais savoir en répliquant négativement en E56 dans le but, à peine voilé, de
l’amener à désambiguïser ses actualisations praxémiques catégorisant le français et l’anglais. Sans
toutefois réussir car, encore une fois, il adopte le même procédé de reprise en écho d’apparence
autodialogique auquel succèdera la substitution au praxème nominal «langues de l’avenir», au sujet
duquel je le sollicite, ceux adjectivaux de «langues internationales/mondiales» pour signifier
l’importance de connaitre ces deux langues «toujours bénéfique» en comparaison à l’arabe. Une
comparaison que j’interroge immédiatement, sans compter sur le risque de me faire perdre le fil de
notre objet de discours: ce qu’il entend en qualifiant le français et l’anglais, d’abord, de très bonnes
langues (S53), ensuite, de langues qui ont de l’avenir (S55) et, enfin, des langues de l’avenir,
internationales et mondiales (S57). Prenant conscience de cette orientation de l’échange, je tente
quelques tours après, en E62, de le centrer cette fois-ci uniquement sur le français:

E62/ i ketch/ amek ithetswalidh la langue française/[et toi/ comment tu vois la langue
française?]
S63/ amek ?/[comment?]
E64/ ih [oui]que penses-tu de cette langue ?/
S65/ euh :: j’ sais pas moi euh ::/ c’est une langue euh : c’est une langue c’est une belle
langue/ voilà par exemple/

Bien qu’il (S63) m’ait fait savoir son étonnement de mon choix de quitter l’objet de son discours,
qui est l’arabe, pour l’inviter à aborder le français, je persiste dans ma sollicitation. Ignorant
volontairement le reproche à mon égard lisible dans son interrogatif ‘’comment?’’, faisant référence à
ses précédents tours de parole dans lesquels il semble croire s’être suffisamment expliqué à propos du
français dans le sillage de l’anglais, je reformule ma question sans reprendre le praxème «français»
(E64). Les hésitations avant et après l’expression de son ignorance de réponse à me proposer
traduisent son embarras au même temps que sa confusion vis-à-vis d’une question que, pourtant, son
interrogation immédiatement précédente suggérait comme étant suffisamment abordée. Il finit quand
même par trouver la réponse «/c’est une belle langue/voilà par exemple» dont le praxème
prépositionnel «par exemple» suggère d’autres qui ne viendront pas et qu’il faut donc faire venir en
provoquant à chaque fois sa propre parole en la reprenant ou en mettant en mots l’interprétation que
j’en fais comme en E70. En effet, il ne fait, à aucun moment, référence à cette mondialité et
internationalité auxquelles il a associé les deux langues française et anglaise. Si bien que se profile la
possibilité de comprendre que ces deux qualificatifs s’appliqueraient plutôt à l’anglais et non au
français:

E70/ c’est pour ça que tu la trouves belle ?/

S71/ non non euh :: c’est à dire que :: moi je pense qu’euh ::: enfin elle est :: belle euh ::
sur le plan de son vocabulaire par exemple// euh :: c’est aussi dans la
prononciation euh :: c'est-à-dire que c’est c’est c’est toujours bon euh :: enfin moi
euh :: ça m’(e) fait plaisir euh :: j’aime bien euh :: comment dire euh :: j’aime
bien euh :: quand quelqu’un euh ::: quand j’écoute quelqu’un qui parle le
français/ euh : j’aime bien ça/ c’est beau à entendre si on peut dire ça comme ça//
le français c’est une langue de savoir euh :: de culture euh :: de technologie/ elle a
tout ::: elle est ::: elle :::/-/c’est formidable/ c’est dommage euh :: seulement euh ::
c’est dommage j’(e n’ai) ai pas une bonne base/ depuis l primaire euh :: on a
pratiquement pas de prof de français/ et c’est mon problème aujourd’hui/ même si
euh :: je vois que le français euh :: que la langue française est une belle langue et
tout hein/ je la trouve aussi difficile tu sais/

C’est un discours émaillé de programmes interrompus, d’hésitations, de prolongements syllabiques,


de bégaiements, de pauses plus ou moins longues dans lequel Sofiane peine à expliquer ce qu’il entend
par la beauté du français. Tour à tour, il lui associe le vocabulaire et la prononciation du français, le
savoir, la culture et la technologie mais sans donner le moindre exemple. Il met le tout dans un rapport
de mêmeté à cette langue que consolide l’expression de son regret quant à son « problème» de
compétence qu’ici règle le praxème «dommage» lié aux dimensions didactiques et pédagogiques de
son marqueur dialogique «tu sais», en clôture à une parole déçue m’invitant, moi l’enseignante de
français, à compatir avec sa douleur …

3.7. Un élève inscrit en Langues étrangères: «/lamkhakh akw s l français iy ghran/» [/ tous
les ‘’cerveaux’’ ont étudié en français/](Ibtissem97)

Dès les premiers tours de parole, Ibtissem, candidate au baccalauréat série Langues étrangères,
exprime son souhait de poursuivre des études de français à l’université. Interrogée sur la raison de ce
choix, elle répond:

E42/euh::/ euh :/ tu peux euh :/ tu peux me dire pourquoi euh ::/ pourquoi tu veux faire
français//
I43/ pourquoi?/
E44/ ih[oui]/ pourquoi tu veux faire français à l’université?/
I45/ euh ::/ d’abord j’ai des ami(e)s ig khadmen [qui font] français/ mais i [à]Alger
matchi dagui i [et non pas à] Tizi-Ouzou// d’accord ? j’ai des ami(e)s/ en plus###
E46/ et que te disent tes ami(e)s de euh::/ c’est mieux à Alger ?///
I47/ euh ::/ ça va ça va/ ça leur plait/ ça leur plait c’est ça l’essentiel// mais mais daghen
[en plus] il parait que c’est difficile//c’est difficile puisqu’euh :: puisque nekwni
[nous] on a étudié en arabe// donc c’est normal/ c’est difficile///
E48/ c’est difficile ?//
I49/ih [oui]/ mais mais normal/ normal au début/ mais après ats sarhedh dayen [tu te
familiariseras]// donc normal//
E50/ i pourquoi toi tu veux faire français?//
I51/ pa(r) ce que j’aime bien//
E52/ tu aimes bien?//
I53/ oui oui/###
M54/depuis qu’elle était petite/ si zik [depuis longtemps]/ si zik thammel atsahdhar s
throumith [depuis longtemps elle aime parler en français]// en plus asmi thella i l
primaire daghen [quand elle était au primaire] elle joue euh :: elle fait
l’enseignante de français//[rire partagé avec Ibtissem]// ça je me souviens bien de
ça/ si si je me souviens//

Le prolongement vocalique de l’hésitation, en ouverture à son tour de parole I45 immédiatement


suivi du grammatical «d’abord», confirme la fonction plus temporisatrice de l’interrogatif
«pourquoi?», actualisé sans l’accentuation habituelle de l’interrogation, que discursive. C’est moins
pour s’assurer de notre réglage respectif du sens de mon «pourquoi» (deux occurrences) en E42
qu’elle le reprend ici que pour se donner le temps pour programmer un à-dire dont l’extériorisation
implique une organisation argumentative visible. Elle introduit celle-ci, en effet, au moyen de
«d’abord», auquel elle fera écho dans le même tour de parole et plus loin dans l’échange, malgré les
digressions/bifurcations dialogales que lui imposeront mes répliques ultérieures, en actualisant «en
plus», en I55, pour mettre en mots l’autre argument pour justifier son choix du français comme filière
de son avenir universitaire. Ce recul pour prendre un élan énonciatif n’aboutira malheureusement pas,
comme elle semble le programmer. Son second programme de sens, introduit par le praxème
oppositionnel «mais», et, surtout, son interrogatif phatique d’insistance à tonalité montante
«d’accord?», qu’elle réalise sans doute pour s’assurer que j’ai bien compris que les ami(e)s en
question sont à l’université d’Alger et non pas à l’université de Tizi-Ouzou, excitent ma curiosité à
l’inviter ipso facto à s’arrêter sur les propos de ses ami(e)s dont l’inscription en français parait la
motiver. Malgré ma reprise dialogique interlocutive (E46) de la distinction qu’elle établit sans
discrétion préférentielle, elle fait fi de ne pas saisir les nuances en écho à sa propre insistance. Elle
hésite à reprendre la parole que sollicitent d’elle mon interrogation explicite et mon silence, mentionné
dans le corpus par les trois barres obliques. Elle entame son tour de parole suivant en exprimant
d’abord son hésitation (euh::) et, ensuite, en se contentant de l’essentialisation que marquent les cinq
occurrences de «ça» dans ce même tour refusant ainsi de discuter de la préférence sur laquelle elle
insistait pourtant dans son tour de parole précédent. Ainsi, elle choisit de rester dans le général, dans le
superficiel «ça va ça va», par lequel elle semble introduire l’expression de son regret d’avoir insinué
des implications dans l’insistance sur sa préférence de l’université d’Alger à celle de Tizi-Ouzou mais
qu’elle n’arrive pas ou ne veut pas assumer. En effet, en actualisant, dans la même séquence du même
tour de parole, le présentatif «c’est ça l’essentiel» pour confirmer sa double essentialisation «ça leur
plait/ ça leur plait», elle esquive ma question à propos des dires de ses amis sur lesquels elle s’appuie
pour préférer l’université d’Alger à celle de Tizi-Ouzou, et me signifie en même temps son refus ou
son impossibilité d’aborder les termes du comparatif «mieux» que m’a suggéré son insistance
préférentielle antérieure.

La triple redondance de l’adjectival «difficile» à chaque fois précédé du présentatif «c’est», dans la
seconde séquence de son même tour de parole (I47), me fait saisir son appel à abandonner l’échange
sur les non-dits impliqués dans l’expression de son instance en I45 et à s’engager avec elle dans ce qui
pourrait paraître aller dans le sens de l’expression de son regret mais qui serait aussi une subtilité
communicative rendant sa préférence de l’université d’Alger justifiée. L’ambigüité dans cette
actualisation m’incite à la reprendre pour center mon interlocutrice sur le sens qu’elle lui donne: la
difficulté serait-elle liée au fait que ses amis (et elle d’ailleurs) ont étudié en arabe alors que la licence
de français exige d’eux des études de français ou serait-elle justement à l’origine de sa préférence de
l’université d’Alger où les études seraient difficiles parce que c’est ‘’sérieux’’ impliquant qu’ailleurs
ce ne serait pas le cas? En effet, s’il s’agissait d’une difficulté de langue, elle n’aurait pas établi,
encore moins insisté sur la différence entre les deux universités! Et l’actualisation du générique
«normal» rend son discours volatile puisqu’ici ce qui est «normal» concerne la situation de ses amis
qui, ayant le parcours linguistique arabisé, s’inscrivent en licence de français. «Normal» banalise une
situation anormale qui consiste à considérer ordinaire, «normale», que ces bacheliers inscrits en
français éprouvent des difficultés. Consciente du glissement sémantique généré par l’association des
deux praxèmes adjectivaux «difficile» et «normal» en rapport avec sa préférence de l’université
d’Alger, je tente une reprise en écho à valeur interrogative (E48). Elle abandonne définitivement la
comparaison en réitérant par deux fois l’oppositionnel «mais» pour atténuer la portée sémantique du
praxème «difficile», encore une fois, au moyen du générique «normal» et lier ce dernier à la réalité, à
l’effort à fournir pour réussir les études de français: des efforts dont elle semble consciente et pour
lesquels elle parait être motivée au point de s’adresser à moi, enseignante de français à l’université,
comme on s’adresserait à un élève appréhendant des études de français qu’il n’a pas choisi de suivre…
Je lui retourne sa propre manœuvre (E50) en lui rappelant ma question antérieure (E44) à laquelle elle
n’a pas répondu sinon par le truchement du choix de ses ami(e)s. Sans hésitation, elle actualise un
autre générique (/pa(r)ce que j’aime bien/) que je reprends immédiatement sous forme interrogative
pour l’inciter à le désambigüiser. L’intervention inattendue de sa mère, saisissant l’hésitation de sa
fille, interrompt sa réplique et me vient en aide pour libérer la pulsion communicative d’Ibtissem dont
les tours de parole ultérieurs constituent un véritable récit sentimental où le rapport au français est lié à
celui avec l’enseignante de cette langue, le regard porté sur cette langue étant largement imprégné de
celui porté sur cette femme. Même, plus loin dans l’échange, lorsque je la relance au sujet des raisons
pour lesquelles elle souhaite s’inscrire en licence de français, elle réitère d’abord ce critère de beauté
dont elle reconnait la difficulté à définir16; elle avance, après et en comparaison au kabyle le statut
international du français qu’elle explicite, d’une part, par l’audience internationale de Victor Hugo,
Emile Zola, Jean-Jacques Rousseau, Albert Camus et, d’autre part, par le rayonnement dans le monde
essentiellement de la France, du Canada, de la Belgique et de la Suisse. Et c’est en réaction à ma
reprise en écho, de forme affirmative mais de fond interrogative, de ces propos concernant ce statut
international, qu’elle produit un discours auquel donnera écho sa mère et dans lequel elle établit un
rapport de causalité entre le français et la connaissance, la science, la politesse, la discipline que
malheureusement la tournure qu’a pris l’échange à partir de I111 n’a pas permis de soumettre à la
discussion.

I97/ i::h/ matchi kan/ lamkhakh akw s l français iy ghran/ donc s l français / d l français
euh la sciences et tout/ la médecine et tout/ même ayen nidhan/ enf-/ awldi même
lafhama s l français// walikan yiwen ma yafham yahdaq atafadh ighra s l français//
ivan ivan//

16
Cette difficulté ressort dans les analyses présentées dans le chapitre intitulé Le français, une belle langue?
[/i::h/ pas seulement/ tous les ‘’cerveaux’’ ont étudié en français/ donc c’est en
français/ c’est le français euh la science et tout/ la médecine et tout/même autre
chose/enf-/ et même la politesse c’est en français/ quelqu’un de cultivé et poli a
sans doute étudié en français//c’est clair c’est clair]

M98/i ::h/ widakh trabaten França matchi sakarchiw itsaren aqarun nsen/ ghran ou
fahman// [i::h/ ceux-là ont été éduqués par la France ils n’ont pas le cerveau dans
l’estomac/ils ont le savoir et l’éducation//

I99/ tu as vu les enfants de madame X a yemma/ yekha::h/ ils ont une éducation! C’est
c’est des anges/ mais di l’école privé ighran/ ghran s l français// [mais ils ont fait
l’école privée/ ils ont étudié en français//]

M100/ widakh if kayassen Rebbi lafhama tarnayasen tsravga l’école X// akw les élèves
l’école X fahman/###

[/Dieu les as dotés de politesse et l’école X d’éducation// tous les élèves de l’école
X sont éduqués/###]

I101/i pa(r) ce que s l français/ allah ghalab! ayen ilan illa/ l français c’est une langue n
l’éducation/ oulach tskaârir/ ghar negh rouh///

[i pa(r) ce que c’est en français/ Dieu est supérieur! On ne peut pas nier la réalité/
le français est une langue d’éducation/ On ne plaisante pas/ étudies ou va-t-en///

E102/ la discipline/

I103/ exactement la discipline/ oulach tmaskhir dina// [on ne plaisante pas là]

La spontanéité dans l’échange entre la fille et sa mère et la fluidité interlocutive dans le réglage du
sens des praxèmes actualisés donnent l’impression que le sujet a déjà été plusieurs fois discuté.
L’image positive du français est ici renforcée par celle que les deux interlocutrices se font de
l’enseignement dans le secteur privé, apprécié justement car il est porteur, à leurs yeux, d’une morale
et d’un sérieux irréprochables qu’elles attribuent en réalité moins à cet enseignement qu’au français.

3.8. Conclusion:
L’effort de désambiguïsation sollicité auprès des douze élèves ayant associé le français, selon les
cas, à la science, à la technologie et/ou au savoir révèle l’étendue des confusions entre des noms de
scientifiques, dont certains ne sont même pas des Français, et des noms de penseurs, de culture, de
littérature. Les noms cités sont tous du passé. Il se dégage, en effet, des séquences dialogales relatives
à cette association, l’impression que le français est, pour ces élèves, une langue du passé. Une langue
de science, de technologie et de savoir, certes. Mais une science, une technologie et un savoir révolus.

Peut-il en être autrement quand on sait que ces rares élèves qui citent ces noms les tiennent rarement
de l’école? Peut-il en être autrement alors que ces mêmes élèves rencontrent probablement en classe
des noms de scientifiques contemporains sans savoir qu’ils sont Français parce qu’on ne leur a pas
appris? En effet, au moins en littérature, en philosophie, en psychologie et/ou en sociologie, des
théories d’auteurs français sont au programme…

Au français, ainsi perçu comme une langue du passé, succède systématiquement l’anglais,
catégorisé parfois comme la langue de l’informatique et des nouvelles technologies mais souvent
comme la langue pratiquée partout dans le monde entier. Les termes de la comparaison ne sont donc
pas les mêmes. Si au français on attribue la valeur de langue de science, bien que les auteurs sont
généralement des siècles passés, à l’anglais on associe surtout l’audience internationale.

Cette valeur de langue de science est liée au statut de langue des études universitaires dont jouit le
français en Algérie (Samia, Ouerida, Marzouk et Omar). Elle englobe souvent celle de sérieux et de
compétence que les programmes de sens actualisés règlent systématiquement en comparaison à l’arabe
dont les discours épilinguistiques, y compris dans la bouche des candidats arabophones (Saliha et
Amel), révèlent une attitude de déconsidération, voire de mépris. Une attitude qui découle sans doute
de l’idée très négative que rend l’environnement social de l’école et à laquelle ces élèves veulent
échapper (Kamélia, Amel et Lydia). Cela passe ainsi par l’expression de leur choix du français qu’ils
ne maitrisent souvent pas mais qu’ils catégorisent comme la langue à substituer à cette langue de
l’école, l’arabe.
Chapitre 4
Le français, une langue dépassée par l’anglais ?

4.1. Introduction:
Dans ce chapitre, il s’agit de saisir, dans sa matérialité verbale, le rapport que mes
interlocuteurs établissent entre le français et l’anglais. Comment catégorisent-ils ce rapport?
Que signifie-t-on quand certains d’entre eux considèrent que le français est dépassé par
l’anglais? En quoi le français est-il dépassé par l’anglais, selon eux? Sur quoi se fondent-ils
pour soutenir cela? La perception de ce rapport de cet angle, a-t-elle des implications sur leurs
attitudes vis-à-vis du français? Lesquelles? Comment sont-elles mises en discours?

4.2. Les élèves inscrits en Langues étrangères:


4.2.1. «/L(e) français maintenant c’est dépassé/oui/ maintenant c’est l’anglais/» (Melissa
110)
La qualité du français que pratique Melissa renseigne sur l’exigence parentale en matière
de langues à la maison en rapport avec le projet familial de s’installer au Canada ainsi que
cela est noté en commentaire supplémentaire à la fin de l’entretien avec elle. Bien qu’elle ait
passé sous silence ce projet, qu’elle m’apprendra plus tard à l’université, c’est tout a fait
logique, compte tenu de ce projet familial, qu’elle ait déclaré vouloir s’inscrire en licence
d’anglais plutôt qu’en français qu’elle maitrise déjà suffisamment. Le bilinguisme français-
anglais étant perçu, sans doute par ses parents, comme une des exigences d’installation au
Canada, sa maitrise par l’ensemble de la famille devient un atout pour concrétiser ce projet.
C’est du moins ce que Mélissa fera, en effet, une fois bachelière.

E106/ et tu comptes faire quoi après//


M107/ anglais bien sûr//
E108/ pas français//
M109/ non/ le français je pense que c’est bon en plus euh :::###
E110/ en plus/ en plus quoi?/
M111/ l (e) français maintenant c’est dépassé/ oui/ maintenant c’est l’anglais//
E112/pourtant tu feras une bonne étudiante de français//
M113/mais l(e) français euh ::// mais l(e) français euh ::/ même la littérature euh ::/
c’est vrai c’est beau et tout mais mais euh :://
E114/qu’est-ce qui est beau?/
M115/ ih [oui] on dit que l(e) français c’(est) une belle langue/ et tout mais moi euh ::/
oui c’est vrai et tout/ mais mais l’anglais et tout/ c’est pas comme autrefois/ même
les Français d’ailleurs//
Plutôt que de la faire arrêter sur le praxème de certitude «bien sûr» (M107) à valeur
d’évidence et qui ferait de l’anglais notre principal objet discursif, je produis un discours
(E108) sous-entendant l’exclusion du français de son choix et contenant, en filigrane, ma
sollicitation des raisons de cette exclusion qu’elle n’a pas prononcée. Sur un ton ferme, elle
réitère son non-choix du français dont elle entame immédiatement une justification
d’apparence claire mais de fond ambiguë (M109). En effet, le réglage dialogal du sens «je
pense que le français c’est bon» (M109), faisant référence aux tours antérieurs de l’échange,
pourrait signifier que Mélissa maitrise cette langue, c'est-à-dire qu’elle n’a plus besoin de
l’étudier à cet effet. Cependant, dans ses propos suivants, en M111, sans interruption ou
ralentissement de débit ni de pause, elle donne une tout autre possibilité d’interprétation. En
rajoutant le prépositionnel «en plus» et surtout l’assez longue hésitation, que j’interprète
d’ailleurs comme une invitation à reprendre la parole ainsi que le mentionnent les marques de
dièses par lesquelles sont notées les situations de dédoublement vocalique, elle introduit une
confusion de sens lié au présentatif «c’est bon» qui, de ce fait, oriente vers un autre sens
qu’elle confirmera d’ailleurs après. C'est-à-dire que le français ne serait pas aussi important
que cela. Ainsi, en faisant écho à ses propos antérieurs dans un dialogisme intralocutif
enchâssant un dialogisme interdiscursif montré rappelant, à travers la voix de sa sœur Chanèz
qui s’amuse (M79, M81) à taquiner (M77) son cousin émigré Yazid, parce que celui-ci parle
un français avec «un souffle» (M59), avec «des explosions dans sa bouche» (M61), etc., son
mépris du français des «émigrés» (M53), elle refoule, en plus de son désir de ne pas avoir un
accent (M73, M75), un sens lié, en fait, au projet familial de départ pour le Canada et pour la
concrétisation duquel c’est moins le français qui compte, car celui-ci est considéré acquis, que
l’anglais. Cette ambiguïté me fait réagir maladroitement puisque, dans ma question en E110,
je lui demande de préciser ce qu’elle allait dire après «le français c’est bon» (M109) croyant
qu’elle signifie par-là qu’elle maitrise cette langue; ce que son hésitation nuance, en réalité,
bien que je ne sus pas cela au moment de l’échange. Saisissant ma mauvaise interprétation de
son hésitation, elle libère sa pulsion communicative et désambiguïse le praxème présentatif
«c’est bon» qu’elle a actualisé dans son tour de parole M109. Il s’agit bien d’une
hiérarchisation du français vis-à-vis de l’anglais. Elle introduit celui-ci (M111), comme les
autres élèves, au moyen du temporel «maintenant» dont elle exclut le français dans un
mouvement ascendant commençant par situer antérieurement le français par rapport à
«maintenant», c'est-à-dire au présent, confirmant ensuite par l’approbatif «oui» à la fois cette
antériorité du français et la montée de l’anglais auquel elle associe, enfin, le praxème
«maintenant». L’alignement praxématique dans ce tour fait donc du sens puisque «maintenant
c’est l’anglais» se substitue à «le français c’est maintenant dépassé par l’anglais» et, en
actualisant le praxème «l’anglais» à la fin des deux propositions dont l’alignement est aussi
temporelle, dit sans dire que l’anglais est la langue non seulement de «maintenant», c’est dire
du présent, mais aussi de «après», c'est-à-dire du futur. Un futur dont on ne peut pas exclure le
projet de départ pour le Canada dont Melissa ne parlera jamais dans cet échange. Ce projet ne
serait pas donc totalement absent dans le choix de cette langue comme branche d’études à
l’université, bien qu’elle préfère limiter les raisons de ce choix à la notoriété internationale
dont jouit incontestablement cette langue comparativement au français qu’elle considère être
en perte de vitesse (M115). Le français qu’elle associe d’ailleurs dans son tour de parole
M115 au praxème «autrefois» dans lequel elle situe ce qu’elle en dit de positif: sa beauté,
dont elle n’arrive pas à définir les paramètres ainsi que cela est décrit dans le chapitre réservé
à cette thématique, et sa littérature qu’elle considère être ce que cette langue a de meilleur
quand elle entame son troisième programme de sens inachevé en M113 «/même la littérature
euh::/». Et comme pour assoir définitivement son opinion, elle clôt son tour de parole M115,
où elle se distancie, en s’énonçant en «on» indéfini, de ceux qui font l’éloge de la beauté du
français. Elle exprime son opposition à eux tout de suite après dans le même tour, par évoquer
les Français qui, eux aussi, selon elle, se mettent à l’anglais.

Avec le recul vis-à-vis de la logique globale de l’échange, je me rends compte que ma


tentative de séduction de Mélissa en E112 pour la faire parler d’un éventuel avenir avec le
français, est une erreur de stratégie communicative justifiable, il est vrai, par mon ignorance
du projet familial de départ pour le Canada. Cette invitation à s’inscrire en licence de français
l’a perturbée et l’a contrainte au refoulement. Les marques discursives de cette perturbation et
refoulement sont, d’un côté, les longues hésitations, les pauses successives et les séquences
inachevée et, de l’autre côté, la redondance de l’oppositionnel «mais» sans suite sémantique
comme, particulièrement, dans la dernière séquence où elle évoque la beauté du français à
laquelle elle semble opposer immédiatement un détail qu’elle ne parvient pas à mettre en
mots, laissant ainsi son programme suspendu (M113).

C’est en réponse à ma demande de précision au sujet de la beauté du français qu’elle


extériorise du sens en M115 en distanciation, d’abord, et, en opposition, ensuite, à une
instance énonciative indéfinie comme pour dire combien cette instance est réduite
numériquement, rien que par le fait que même les Français se mettent à l’anglais.
4.2.2. «/c’est important pour vivre dans le monde d’aujourd’hui/» (Amélia 71)
Dès le début, Amélia s’excuse de ne pas vouloir parler de l’arabe qu’elle dit ‘’détester’’
(A29, A31, A33). Cela bien qu’elle le maitrise du fait que c’est la langue de sa scolarité
jusqu’ici (A31, A35), ainsi que l’attestent les tournures académiques et les proverbes qu’elle
en donne au cours de l’échange pour étayer son point de vue. Sa préférence des langues
étrangères répond à son désir de ‘’voyager’’ (A45, A71, A81), de ‘’se développer’’ (A45) et
‘’d’avancer’’ (A45) pour échapper à ‘’l’enferment’’ (A45), à la ‘’misère’’ et au ‘’vide’’ (A45)
qu’elle associe à l’arabe. Dans son discours, l’arabe est ainsi présenté, d’un côté, et les
langues étrangères, sans distinction (A47), de l’autre. Bien qu’elle ait accepté de préciser que
parmi ces langues, elle préfère le français et l’anglais (A51), elle se ressaisit tout de suite
après pour rajouter l’allemand ainsi que l’espagnol (A53) et, vers la fin de l’échange, le
chinois (A89, A91). S’agit-il d’un sentiment de frustration, d’idéalisation à l’égard de ces
langues ou d’un désir de paraitre ouverte aux langues dans cet échange avec un linguiste,
généralement, perçu comme un spécialiste de langues et surtout polyglotte? Il fallait pourtant
l’amener à discourir sur ces langues en l’invitant à préciser sa préférence (E48). Ce qu’elle
accepte en réduisant le nombre à deux (A51) tout en rappelant d’autres après (A53, A89,
A91).

Dans ma tentative de saisir la place que le français occupe face à l’anglais dans son
discours, j’ai buté à chaque fois sur son option simultanés pour les deux langues (A55, A57,
A59). Parmi les deux langues, elle dit ne pas avoir fait un choix définitif (A61) comme
branche d’études à l’université même si elle tend à choisir le français pour partir en France
(A63, A65) plutôt que l’anglais: les Etats unis et le Canada auxquels elle associe celui-ci
langue, étant trop loin pour elle (A71, A73).

A71/ anglais euh :: je veux bien aussi euh :: étant donné euh :: actuellement c’est la
première langue internationale hein ! donc tout va être en anglais/ et :: et et c’est
tu sais pas l’anglais euh :: tu vois tu ne :: tu ne suivras pas le monde/ tout tout
tout le monde parle anglais donc euh c’est important aussi pour vivre dans le
monde d’aujourd’hui negh ala [n’est-ce pas]?/ et avec ces langues étrangères tu
pourras partir ailleurs/ visiter le monde/ faire des rencontres euh :: des
connaissances eccetera/
E72/ si je te comprends bien tu es toujours indécise ?/
A73/hum::/ enfin:: je sais que:: bon je décide euh:: donc euh je pense que je vais faire
français plus tard euh :: parce que j’ai plus euh:: j’ai de la famille comme je j’ai
dit euh :: ça compte hein/ en plus euh partir en France ce n’est pas très loin de
l’Algérie/ je peux quand même rentrer pour voir mes parents/ c’est pas pareil par
exemple si tu es au Canada negh i[ou] les Etats-Unis/ tzridh[tu sais]/ y a mon
voisin qui est parti aux Etats-Unis maintenant je pense euh depuis sept negh
[ou]huit ans thoura[à présent]/ et il n’est même pas [re]venu une fois/ sa mère
meskint [la pauvre]elle dit toujours euh :: j’espère que je vais le voir au moins
une fois uqval ma mouthagh[avant de mourir]/ tu vois euh :: c’est pour ça par
exemple que je ne veux pas partir loin/ netta meskin yevgha ad yas [le pauvre veut
venir] mais thezridh achal ighlay wevoyage[tu connais la cherté du voyage] donc
meskin adyili rebbi yiddes[le pauvre que Dieu soit avec lui]/

A la différence des autres élèves, Amélia ne se projette pas dans la nécessité d’adopter
cette «première langue internationale» (A71). Curieusement, son affirmation «tout va être en
anglais» (A71) débouche sur un autre mécanisme de défense: s’installer en France pour
échapper à la domination de cette langue (A83)!

4.3. Les élèves inscrits en Lettres et philosophie:


4.3.1. «/C’est la première langue internationale c’est la langue de la technologie ça n’a
rien à voir/ [avec le français] » (Sofiane 91)

Sofiane considère le français comme une langue difficile comparativement à l’anglais.


Pour lui, cette difficulté réside dans le système français de conjugaison qu’il trouve à la fois
complexe et compliqué.

E76/andats [où est] la difficulté justement/


S77/tvan mlih [elle est très claire] normalement non ?/ di [dans] la conjugaison bien sûr/
E78/ safi thwaâr la conjugaison di throumith?/ [c’est donc difficile la conjugaison en
français]
S79/ ah oui/ mlih[très]/ atas n les [beaucoup de] temps/ atas n les [beaucoup de] modes et
tout/ le subjonctif/ le conditionnel/ l’indicatif eccétéra/ yerna wigui saân akw ach hal
n les [en plus dans chacun de ceux-ci il y a beaucoup de] temps/ walah mathqedhaât
[je jure que c’est irrattrapable] [rire]/
E80/ donc###
S81/ par rapport ar [à] l’anglais par exemple hein/ c’est pas pareil non ?/
E82/ amek?[comment ça?]/
S83/ c'est-à-dire que l’anglais par exemple machi am l [c’est pas comme le] français/
E84/ sur quel plan?/
S85/ di la conjugaison yagui [en conjugaison] bien sûr/
E86/ ah oui !/ dachou id [c’est quoi] la différence?/
S87/l’anglais euh :: par exemple on trouve trois temps ken [seulement]// présent/ futur/
passé/ contrairement au français/
E88/ que pensez-vous alors de cette langue?/
S89/ l’anglais ?/
E90/ oui bien sûr/
S91/ c’est une langue swazalis amqran [qui a une grande valeur]/ c’est la première langue
internationale/ c’est la langue de la technologie/ ça n’a rien à voir//
En m’interpellant sur un ton interrogatif (S77), Sofiane s’étonne de mon interrogation
(E76). Pour lui, la difficulté au niveau de la conjugaison de la langue française est évidente
vu le nombre de ses modes et temps, qu’il n’arrive d’ailleurs pas à énumérer tous,
probablement par ignorance (S79). La séquence «walah mathqedhaât» (lit. je jure que tu ne
la rattraperas pas», suivi d’un rire camouflant cette ignorance, souligne à quel point cet
aspect du français semble gêner mon interlocuteur du fait qu’il n’en a pas la maitrise. C’est
pourquoi il ne tarde pas à lui opposer l’anglais (S81), tout en sollicitant, sous forme
interrogative, mon approbation: « c’est pas pareil non?». Cette opposition établit discrètement
sa préférence de l’anglais, puisque dans cette langue «on trouve trois temps kan [seulement] le
présent le futur le passé contrairement au français» (S87). Par contre, il ne confirme pas cette
facilité présumée de l’anglais quand je sollicite explicitement l’expression de son attitude vis-
à-vis de cette langue (E88). En effet, la conjugaison anglaise est loin d’être réduite à ces trois
temps: le présent, le passé et le futur. Une nuance que je n’ai pas pu malheureusement
abordée car Sofiane a enchainé sur un autre argument lié aux éléments externes des deux
langues provocant mon interrogation.

En effet, aux deux arguments explicatifs de ce qu’il considère être «une langue de valeur»
(S89), à savoir c’est «la première langue internationale» (S89) et «c’est la langue de la
technologie» (S89), succède la séquence en clôture à son tour de parole dont il juge inutile
d’achever l’extériorisation de sens. Ainsi, son programme de sens «ça n’a rien avoir»
complète le réglage comparatif entre les deux langues cette fois-ci aussi au niveau des
éléments externes après celle des éléments liés à la complexité et à la simplicité (présumée
donc) respective du système de conjugaison du français et de l’anglais et qui relèvent des
éléments internes.

Cette seconde double qualité attribuée à l’anglais en comparaison au français suscite ma


curiosité:

E92/ pourquoi?/ parce que le français n’est pas une langue de technologie ?/
S93/ oui non :: mais : oui pas comme l’anglais/
E94/ et où réside la différence ?/
S95/ zik [autrefois] c’est vrai oui euh ::/ c’était le français euh :: qui domine euh :: dans
le monde mais mais mais :: ce n’est plus la même chose thoura[maintenant]/ thoura
[maintenant] euh :: thoura [maintenant] y a d’autres langues id ivanen [qui sont
apparues] hein/ l’anglais thoura ivan [c’est évident]/ nezmar adnini [je peux
dire]même le chinois thoura [maintenant] hein/ dachou ith djaledh [qu’est-ce que tu
crois?]/ les chinois bien sûr ont envahi le monde/ et :: et :: et par là bien sûr euh :
leur langue hein/ un jour euh :: ça arrivera hein/ un jour euh :: le chinois sera la
première langue internationale tu sais/ il sera la première puissance mondiale/
E96/ toi/ si tu as à choisir entre ces langues/ laquelle choisiras-tu ?/
S97/ je choisirai euh :: celle qui marche [rire] c'est-à-dire adhelhough akw d [j’évoluerai
avec] la langue ilahoun [qui marche]/ la langue la plus puissante actuellement/
E98/ et actuellement/ quelle est la langue la plus puissante ?/
S99/ l’anglais bien sûr/ c’est la première langue mondiale/ c’est la langue de la
technologie/ c’est c’est c’est :: la langue qui qui permet de rentrer en contact avec
pas mal de gens hein/ car euh : car maintenant euh :: si tu ne connais pas l’anglais
euh : c’est pas évident tu sais/ tu ne peux même pas voyager/ ni faire des
connaissances hein/ donc euh :: donc je pense euh :: moi personnellement euh :: je
pense que c’est important de connaitre cette langue/

Tout en reconnaissant au français une valeur technologique, il se garde de le mettre sur


un pied d’égalité avec l’anglais (S93). Cette inégalité explicite émerge dans l’actualisation
des temporels «zik », ‘’ autrefois’’ et «thoura», ‘’ maintenant‘’» (S95) par lesquels Sofiane
distribue cette valeur technologique aux deux langues en associant la première au passé durant
lequel elle «dominait le monde» (S95) et la seconde au présent (S95). Pour insister sur cette
inégalité, il entreprend une espèce de logique de classification des langues dans laquelle le
français n’apparait même pas après l’anglais mais après le chinois dont il dit qu’il est en voie
de devenir la langue de «la première puissance mondiale» (S95). Mais sans plus, car pour
Sofiane, c’est le présent qui importe. D’où la récurrence du praxème «thoura» ‘’maintenant’’,
dans son discours, en général, et dans son tour de parole S95, en particulier. Dans ce tour, ce
praxème est actualisé cinq fois avec la même valeur comparative avec le passé dans lequel il
renvoie le français pour dire discrètement que ce dernier est dépassé par l’anglais dont il juge
inutile de démontrer la domination tellement «ivan» (S95), ‘’c’est évident’’. C’est donc dans
l’ordre d’un dialogisme anticipatif que d’affirmer, après avoir relégué le français derrière le
chinois, qu’il est pour la langue ‘’qui marche maintenant’’ (S97, S101, S105), «la plus
puissante actuellement» (S97) et qui n’est plus le français ni encore le chinois mais «l’anglais
bien sûr» (S99). Le praxème de certitude «bien sûr» vient ainsi se déployer en conséquence
irréfutable. Son réglage de sens est antérieur à son extériorisation bien qu’il est actualisé en
ouverture du tour S99. Il y a donc dans la bouche de Sofiane comme une préparation pour
faire adopter son attitude ou, au moins, ne pas la discuter.

En effet, tout de suite après, tout en faisant l’éloge de cette «première langue mondiale»,
il m’invite, dans le même tour de parole et dans un dialogisme interlocutif à visée
collaborative et co-constructive, à le considérer en qualité de jeune adulte qui aura à voyager,
comme il l’a déjà mentionné dans son tour de parole S47. Ce qui, pour lui, implique l’anglais
comme langue de voyage mais aussi et surtout qu’il ne connait pas cette langue dont il
exprime «personnellement» l’importance de connaitre, en écho à ses propos antérieurs (S41,
S43, S47) que je tente de reprendre en centrant l’échange sur l’avenir universitaire de
Sofiane:

E100/ toi qui es en terminal/ quelle filière souhaites-tu faire à l’université ?/


S101/ moi/ j’ (e ne) sais pas euh :: moi j’aime l’informatique euh :: je suis même un peu
doué mais ::: je (ne) peux pas faire ça à la fac puisqu’euh ::: je suis un littéraire/ je
veux faire euh :: licence d’anglais euh :: uniquement pour euh :: adelhough amaken
ilahou lwaqth [j’évoluerai au rythme de l’époque]/ voilà//
E102/ pourtant tu as dis tout à l’heure que tu n’es pas fort en anglais/
S103/ oui mais thesfhamiyid nassima euh :: yiweth theqqar yidi/ thesfhamiyid mkoul mara
sinigh/ mais mais euh :: machi digh qarsagh complètement hein [sourire]/ tsellikaght
quand même/
[oui mais Nasssima m’explique euh c’est une camarade de classe/ elle m’explique à
chaque fois que je lui demande/ mais mais euh:: je ne suis pas complètement nul
hein [sourire]/ je me débrouille quand même]
E104/ achoughar [pourquoi] l’anglais ?/
S105/ c’est la langue ig lahoun thoura [qui marche actuellement]/ c’est la technologie/
hein/ dans quelque temps euh :: je pense dans quelque temps euh :: l français yagui
ad yedisparé [ce français disparaitra]/ dayen actuellement thghalbith l’anglais
amhaynek [ça y est actuellement l’anglais le dépasse]// mais nek ar ghouri les
langues étrangères yakw lhant[mais pour moi toutes les langues étrangères sont
importantes] / euh :: anglais/ français/ allemand/ espagnol/ s les langues agui at
dévlopédh/ atavancédh gher zdat/ atessoudh la chance adzouredh thimoura nmeden/
euh :: adissarah yeles ik/ negh ala?/[/c’est avec ces langues qu’on se développe/
qu’on avance/ qu’on a la chance de voyager à travers les autres pays/ euh:: que la
communication devient facile/ou non?/

Surpris par l’orientation que je donne à l’échange en l’interpellant explicitement, puisque


dans ma question il s’agit de lui uniquement, Sofiane (S101) temporise au moyen de trois
procédés avant d’organiser l’expulsion de ce qui semble être une frustration et
l’extériorisation d’un choix par défaut. Bien que, dans mon tour de parole E100, exactement
comme dans mon tour E96, j’ai insisté sur le fait que la question que j’allais formuler le
concerne lui et lui en tant qu’élève de classe de terminale s’apprêtant à rejoindre l’université,
il me reprend comme s’il veut s’assurer que c’est bien de son «/moi//» (S101) qu’il s’agit en
observant, tout juste après, une pause sollicitant ma confirmation ou, pour reprendre le propos
de Jeanne-Marie Barbéris, un accusé de réception, que j’ai jugée inutile, ayant ressenti son
besoin de temps pour programmer. Celui-ci prend tout de suite après la forme habituelle en
pareille circonstance puisqu’il enchaine «j(e) sais pas» mais avec un si important allongement
vocalique («euh:::) qu’il ressent le besoin de se reprendre en écho dans «moi j’aime
l’informatique». Il annonce, en même temps, une orientation inattendue, compte tenu aussi
bien de son profil de littéraire dont il a précisé les matières essentielles en S23 et S25 que de
ce qu’il dit réviser jusqu’ici, et une attitude mise en discours d’apparence ambigüe parce que
le réglage de sens y est lié au passage justement du français vers le kabyle. C’est, en effet, un
choix par défaut que Sofiane opèrera une fois bachelier: l’anglais «uniquement» ‘’ pour
évoluer au rythme de l’époque’’ (S101), de son époque. C’est pour moi une annonce d’autant
plus inattendue qu’il avait qualifié les langues étrangères de «problème» (S41, S45) pour lui
et que c’est sa camarade de classe, Nassima, qui lui ‘’explique’’ (S49, S103) cette matière.
Ma première réplique (E102) au sujet de cette annonce sonnant le reproche, car considérant
cela comme une incohérence de sa part au regard de ses dires antérieurs, est en réalité une
interprétation précipitée de son tour S101 dont l’actualisation du praxème adverbial
«uniquement» m’a complètement échappée alors qu’il est à la base de son énoncé. Parce que,
pour lui, avec les efforts qu’il fournit actuellement avec sa camarade Nassima, il améliorera
son niveau qui ‘’n’est pas tout à fait nul’’ (S103) puisqu’il ‘’se débrouille’’ «quand même»
(S103).

Mais c’est dans son tour de parole S105 qu’il libère sa pulsion communicative en
commençant par se reprendre en écho à propos du fondement de son attitude. C'est-à-dire
faire comme tout le monde, comme à son époque où c’est l’anglais qui ‘’marche’’ (S105) et
devant lequel ‘’ ce français disparaitra parce qu’actuellement l’anglais le surpasse’’ (S015). Il
s’engage alors dans une autre logique distinguant ,d’un côté, les langues européennes dont il
cite l’anglais, le français, l’allemand et l’espagnol qu’il considèrent être des langues ‘’pour
avancer’’ et ‘’ se développer’’, des langues faciles à pratiquer mais surtout d’audience
internationale ouvrant les portes des pays respectifs, et, de l’autre côté, sans m’y attendre,
l’arabe à qui il n’associe que des valeurs négatives en le qualifiant de langue ‘’ qui tire vers
l’arrière’’ (S107) et d’audience non pas uniquement entre Arabes, mais entre lui seulement et
les Arabes: «’’toi seulement et les Arabes’’». Outre l’idée qu’il serait parmi les rares à
pratiquer cette langue, parce qu’en effet c’est de lui qu’il s’agit et non pas de moi, le segment
étant en kabyle il aurait dit kem, c’est à dire ‘’toi’’ au féminin, c’est toute la problématique
identitaire qui émerge dans cette actualisation oppositive de ‘’je’’ et de l’Autre. Une
problématique que, malheureusement, l’arrivée d’un groupe de ses camarades pour reprendre
les cours n’a pas permis d’interroger. Cela est d’autant plus frustrant pour moi qu’en me
voyant arrêter l’enregistrement, il se lève et chante en kabyle provocant le rire de ses
camarades: ‘’qui a la possibilité de s’enfuir mais est resté dans ce pays mérite la punition’’.
Un chant du populaire défunt Matoub Lounès qui en dit long sur les véritables motivations de
Sofiane dans son parti pris pour les langues européennes déconsidérant l’arabe et dans sa
préférence de l’anglais comme langue, selon lui, la plus parlée dans le monde: élargir ses
chances d’installation ailleurs…

4.3.2. « zrigh l’anglais t dépassé l’ français » [je sais que l’anglais devance le français]
(Farès 59)
De série Lettres et philosophie, Farès dit concentrer ses efforts sur les matières
essentielles, à savoir l’arabe, la philosophie, l’histoire et la géographie sans pour autant mettre
de côté les langues étrangères: le français et l’anglais dont il juge l’importance, en termes de
coefficient au baccalauréat, secondaire et en deçà de l’effort à fournir surtout en français (F20,
F22). En effet, tout en reprochant à ces enseignements d’arabe, de philosophie, d’histoire et
de géographie, qu’il considère essentiels, l’exigence de ‘’parcoeurisme’’ (F15, F20), il se
plaint particulièrement de son enseignant de français. Il juge celui-ci imposant de part aussi
bien sa rigueur et son application aux exercices systématiques en classe (F24, F26, F53, F55)
que de sa pratique exclusive du français (F20, F22). Si bien que Farès lui reproche de prendre
ses élèves pour des «émigrés» (F20) comme si la parole de ces derniers serait la norme du
français. Ces reproches à la fois aux enseignements essentiels et à son enseignant de français
étonnent, au moins, parce qu’aux dires de Hayet (H17), sa mère, Farès travaille beaucoup! Ce
qui étonne davantage, c’est la distinction qu’il établit entre ces enseignements et cet
enseignant de français. Considère-t-il le ‘’parcoeurisme’’ comme faisant partie de ces
enseignements «essentiels» alors que le niveau exigé en français, en rapport avec la
conception de leur enseignant qui, selon Farès, ignore que cette matière est secondaire à
l’examen du baccalauréat, serait anormal? En réalité, Farès veut plus de pratique du français
en classe (F51, F53) et cela en prévision de son projet de départ pour la France (F39) où il
aura à se débrouiller (F47). Son projet consiste ainsi à poursuive des études de philosophie
(F29) et à partir, ensuite, en France F39. Quand je lui signifie d’éventuelles difficultés à
concrétiser son projet en raison de l’incompatibilité, pour moi (E44), de réaliser des études en
arabe en prévision d’un départ pour la France, il réplique en F45 pour dire, explicitement,
qu’il ‘’ changera complètement de formation là-bas’’ (F45) et, implicitement, que ses
aptitudes actuelles ne lui permettront pas de s’inscrire en licence de français pour être
cohérent avec son projet de départ ainsi que cela est impliqué dans mon interrogation en E44.
Du fait, comme une espèce de retour d’écho, j’entends la voix de sa mère quand elle affirmait,
en H27, que son fils suit des cours particuliers de français dans une formule que je réinterprète
à la lumière de cette incohérence. Le réglage de sens de «zaama» dans ce tour de parole de
Hayet (H27) est plus négatif que son équivalent français «pourtant». C’est tout simplement
insuffisant, voire très insuffisant probablement au regard des efforts financiers consentis par le
père, à qui Farès exprime une affection contrariée en F29, mais plus vraisemblablement des
résultats en français, particulièrement au plan psychologique de son fils qui dit ‘’ connaitre’’
le français (F33) et pouvoir se «débrouiller» (F47) en cette langue mais qu’en se projetant
dans une formation en arabe tout en ayant l’idée de départ en France parait fonctionner, pour
Hayet, comme un signal d’un problème de logique. La réplique de Farès à ma tentative
d’interroger son attachement à la philosophie en E30 est malheureusement dédoublée de la
voix de sa mère. En effet, Hayet intervient (H32) pour me donner en exemple à son fils dans
une discrète confidence à moi, en réponse à ma quête de sens et de bon sens en E30 que son
fils (F31) refuse d’admettre, me voyant probablement adopter un point de vue qui serait celui
des parents. Ces derniers, selon sa réplique F29, veulent qu’il ait un meilleur niveau de
français. La présence dialogique du père, physiquement absent, pèse sur l’échange. Sa
convocation par Farès est, pour sa mère, une invitation à moi d’arbitrer dans un différend
auquel je prends part à mon insu et surtout dans lequel j’adopte, sans calcul, la position
contraire de mon interlocuteur principal. Cela est d’autant préjudiciable à la suite de l’échange
que le regard de Hayet, dirigé vers moi (H32), est un appel visible à l’approbation du choix
de l’absent-présent, qui est le père. Consciente des risques de rupture dans le fil du discours
avec Farès et de détournement involontaire de l’objet de discours qu’implique l’appel de
Hayet, je choisis (E34) de relancer l’échange en rapport avec l’enjeu le plus urgent pour les
deux: la réussite au baccalauréat de Farès. Comme soulagé d’entendre la différence entre le
baccalauréat en Langues étrangères, que sa mère m’a attribué malgré moi, et le baccalauréat
Lettres et philosophie qu’il prépare, il produit un discours en faveur du français et de l’anglais
(F37). Dans un premier temps, il rappelle leurs aspects secondaires comparés aux matières à
gros coefficients (F35). Dans un second temps, il formule des critiques du cours de français. Il
souhaite plus de pratique orale de cette langue (F51) et moins de devoirs de maison (F53), en
raison du volume de travail qu’il a à accomplir dans «les matières essentielles» (F55). Il
précise, dans un premier temps, en réponse à ma réplique E56 lui reprochant sa
déconsidération non pas de cette matière mais de cette langue en rapport avec son projet de
départ, que cette importance est liée aux coefficients (F57), et, dans un second temps, en
affirmant (F59) qu’il ‘’aura justement du temps’’ (F59) pour se perfectionner en français à
l’université où «les livres et tout [sont] en français». Mais tout de suite après, dans le même
tour de parole, il entame un discours comparatif du français avec l’anglais dans lequel il
annule, au profit de l’anglais, petit à petit le regard favorable, qu’il vient de mettre en
discours à l’égard du français.

F59/ mais di[à] l’université euh :: di [à]l’université adssough lwaqth [j’aurai du temps]/
et bien sûr les livres et tout en français/ bien sûr ilaq [il faut] l(e) français/ ilaq [il
faut] l’anglais/ zrigh[je sais]/ zrigh [je sais]l’anglais t [a]dépassé l’ français//
d’ailleurs même les Français qaren atas [étudient beaucoup] l’anglais///
E60/ c’est vrai/ c’est vrai/
F61/ même le japonais et tout/ wali [regarde] partout di [dans]l(e) monde s [c’est en]
l’anglais iqaren [qu’on étudie]/ l’informatique et tout/ s l’ [en] anglais///
E62/ ah oui !/
F63/ bien sûr/ bien sûr/ c’est vrai/ yella [il y a] l(e) français mais euh :: d[c’est]
l’anglais ig [qui] dominin [domine]/ yarnou [en] l(e) français tawaâar [est
difficile]/ surtout la conjugaison/ matchi am[ce n’est pas comme] l’anglais/ l(e)
présent/ l(e) passé/ l(e) futur//
E64/ ah oui !/
F65/ enfin pour moi/ mais staaârfagh belli [mais je reconnais que] l(e) français euh ::
c’est zik nni [depuis longtemps] euh :: d [c’est] la langue n [de] la science/ zikenni
[autrefois]/ mais thoura thougarit [à présent est dépassé par] l’anglais/ l’anglais
thella i lhend [est présent en Inde]/ il [au] japon i l’[en]Afrique du sud/ i l’[en]
Australie/ matchi kan di l’[ce n’est pas uniquement en] Angleterre/ negh di l
marikan [ou en Amérique]// mais l français thoura ah![mais le français ah !]//
E66/ amek toura[comment actuellement ?]/
F67/ mahsouv thoura [c'est-à-dire actuellement]/ actuellement voilà//
E68/ mais###/
F69/ am dinigh essah [je vais te dire la vérité]/ j’aime l(e) français et tout/ mais je pense
euh :: oui l’anglais thoura ig lahoun atas di dounit [qui marche beaucoup
actuellement dans le monde]/ si on (ne) connait pas l’anglais euh: oui on est cuit//

L’affirmation qu’à l’université Farès ‘’aura du temps’’ (F59), sans doute pour lire en
français et s’en améliorer, car justement «les livres et tout» (F59) sont en français, fonctionne
dans la discursivité de mon interlocuteur comme un principe général auquel il n’adhère pas en
réalité. En fait, cela est sans importance au regard de son vrai projet: partir en France. C’est
donc par défaut qu’il s’inscrira en philosophie et non en français, n’en ayant pas un niveau
suffisant comme parait le souhaiter son père (F29). En effet, de son propre aveu, même ces
études de philosophie ne constituent pas son vrai projet puisqu’une fois ‘’là-bas’’ (F45) il
‘’changera complètement de formation, l’essentiel est de partir’’ (F45). Et dans ce tour de
parole F59, en se donnant à entendre comme un connaisseur de la réalité et des enjeux de
langues à l’université précisant que même les études de philosophie exigent la connaissance
du français parce que les ouvrages s’y afférant sont en cette langue, ce qui n’est pas tout à fait
réel puisqu’il existe quand même une assez importante documentation de philosophie en
langue arabe, il se positionne en maître de son destin, sans doute, en direction de sa mère,
représentante de son père avec qui il diverge sur la nécessité de fournir des efforts pour
maitriser le français justement. C’est donc un dialogue avec son père par sa mère interposée.
Un dialogue dans lequel Farès, en s’adressant à moi, libère sa pulsion communicative dans ce
même tour de parole tout en adoptant une logique à partir de ce que son père souhaite (la
maitrise du français par son fils) pour, ensuite, la remettre en question, selon lui, de manière
pragmatique puisqu’aussi bien dans son intérêt que dans la réalité des langues dans le monde
actuellement, il serait une espèce de perte de temps que d’adopter le point de vue de son père.
Ainsi, la première actualisation, dans ce même tour F59, du praxème «ilaq», c'est-à-dire ‘’il
faut’’ le français, est, d’un côté, exclusive à l’université, prenant l’allure d’une obligeance
repoussée par Farès qui n’en veut pas, et de, l’autre côté, révélatrice d’une superficialité dans
l’appréciation de Farès. Celui-ci marque une courte pause et réactualise le même praxème
mais avec un autre réglage de sens auquel il adhère et dont il montre qu’il est conscient: la
double récurrence de «zrigh», c'est-à-dire ‘’je sais’’, étant liée à l’anglais et non pas au
français, fonctionne comme un reproche à son père qui, selon lui, ‘’ ne sait pas’’ qu’il faut
l’anglais. En effet, pour lui, le français, que son père veut que son fils maitrise, est ‘’ dépassé
par l’anglais’’ et ‘’même les Français étudient beaucoup l’anglais’’.

En détournant mon approbation de E60 non pas du désintérêt des Français vis-à-vis de
leur langue comme il le dit sans que je saisisse ce sens sur le champ, mais de l’importance de
l’anglais pour les Français comme c’est le cas ailleurs, il enchaine en F61 en m’invitant non
pas à ouvrir les yeux sur la réalité des langues dans le monde où l’anglais domine mais surtout
à me prendre à témoin ou encore pour me demander d’expliquer à son père, à travers sa mère,
que le français n’est pas si important. A l’issue de ce qui ressemble à une véritable offensive
de sa part dans ses deux tours de parole (F59 et F61), il marque dans les deux cas une si
longue pause, qu’indiquent les trois barres obliques, qu’il est difficile de ne pas y voir un
appel, d’abord, à sa mère de reprendre la parole comme une espèce de défi à relever et,
ensuite, à moi pour arbitrer à la lumière des données qu’il vient de mettre en mots. Ainsi, il
m’arrache une seconde fois une approbation cette fois-ci sous forme d’étonnement (E62). Ce
qui l’incite à reprendre immédiatement la parole dans une perspective comparative des deux
langues. D’une part, il réitère la domination de l’anglais sur le français qu’il juge, d’autre part,
‘’difficile surtout sa conjugaison’’ qui n’est pas comme en anglais où il n’y a que trois temps
‘’le présent, le passé et le futur’’ (F62) comme si cela était aussi vrai, ainsi que le soutient
aussi et exactement dans les mêmes termes Sofiane dans son tour de parole S87. Les
ingrédients de la préférence de l’anglais sont là et moi autant que sa mère n’avons qu’à
approuver une troisième fois. Ce que je fais, en E64, pour ensuite tenter d’émettre d’autres
propos. Mais, comme le montrent les trois signes de dièse avec lesquels sont notées les voix
superposées, il me dédouble pour, dans un premier temps, me donner l’impression qu’il allait
revoir son appréciation en entamant son tour de parole F65 par cette apparence d’auto-remise
en question mais qui s’avère être, exactement comme dans son tour de parole F59, une espèce
d’introduction pour s’attacher mon (ou notre) attention et se lancer, dans un second temps,
dans une autre comparaison, cette fois-ci chronologique, en défaveur du français associé au
praxème «zik/zik nni», c'est-à-dire ‘’autrefois’’ et en faveur de l’anglais associé au praxème
«thoura», c’est à dire maintenant. C’est comme pour dire que son père à tort de vouloir que
son fils fournisse des efforts pour maitriser la langue qui appartient à son temps à lui, c'est-à-
dire à son père et qu’il qualifiera plus loin à deux reprise en F95 et F97 de «tamghart» et de
«vieille», au lieu de l’encourager à connaitre la langue du temps de son fils, celle de «thoura»,
c'est-à-dire de maintenant. Bien qu’il m’ait semblé très difficile qu’un père puisse tenir ce
langage à un fils à qui il paye des cours de soutien, j’ai préféré ne pas contrarier Farès pour
éviter qu’il ne me catégorise, une seconde fois, du côté de ses parents. Je choisis donc en E66
de le relancer à propos du praxème «thoura» dont il vient d’extérioriser un réglage de sens
impliquant la fonction véhiculaire de l’anglais dans le monde et ‘’vernaculaire’’ du français. Il
confirme, en reprenant ce praxème d’abord en kabyle puis en le traduisant en français,
exactement comme il procèdera respectivement en F95 et F97 pour qualifier la langue
français de «vieille», qu’il s’agit bien de la restriction de l’influence du français dans le
monde que supplante partout l’anglais. D’où la tonalité menaçante de son propos en clôture à
ce tour de parole F69 annoncé à l’indéfini sous forme d’un avertissement à son père à travers
moi et, surtout, sa mère: «si on (ne) connait pas l’anglais euh: oui on est cuit».

Mes tentatives, notamment en E70 et E74, de relativiser son discours de majorisation de


l’anglais et de minoration du français dans le monde, en citant d’autres Etats où le français est
pratiqué en plus de la France, comme le Canada et la Suisse, rencontrent systématiquement
des répliques immédiates comme s’il s’y attendait. Ainsi, à ma première (E70) remise en
cause de ses propos précédents, il oppose ce qu’il présente comme étant une nuance
fragilisant davantage le français car, selon lui, ‘’ même dans ces pays-là la science, la culture
et tout c’est en anglais’’ (F71). Il se sert de l’implicite de ma réplique E72 pour me défier à
trois reprises en cascade après avoir ré-approuvé deux fois sa nuance précédente. Avec le
recul, ce tour de parole F73 me parait ressembler, en effet, à une véritable saisie d’occasion
pour réduire à néant définitivement son vis-à-vis interdiscursif physiquement absent, son père,
à travers, son interlocutrice: moi. Consciente de cet enjeu dialogique, j’acquiesce un aveu
relatif à la présence mondiale de l’anglais et introduis, tout de suite après, l’idée de
plurilinguisme laissant une place au français dans ce monde mais surtout indiquant celle de
l’espagnol sur le principal territoire de l’anglais tel qu’il le dit lui-même: l’Amérique (E74).
Le dédoublement de sa voix est si faible que dans mon tour de parole F76 j’use du
grammatical «en effet» comme si ce sens venait de lui, mais c’est sans compter sur ses
aptitudes conversationnelles le faisant rebondir avant même que je finisse ce tour pour, dans
un premier temps, exclure le français mais surtout l’espagnol de l’ONU qui, selon lui,
n’admettrait comme langue de travail que l’anglais, puis dans un deuxième temps, suite à ma
réplique «pas seulement» (E78), pour diluer le poids du français à l’ONU parmi celles des
autres langues, comme l’arabe dont l’expression porte la trace de la place que cette langue
occupe, selon lui, dans la hiérarchie que Farès établit: ‘’il y a même l’arabe’’(79). Vu la
difficulté pour moi de discuter cette hiérarchisation, étant dans le fait que Farès me perçoit un
peu du côté de ses parents, je n’ai de choix que l’approbation (E80) pour éviter d’autres
ruptures. Ce qu’il n’entend pas ainsi puisqu’il redouble de critiques à l’égard du français:

F81/ mais la technologie euh :: am l [comme le] cinéma/ euh :: la musique et tout/ et
même les informations d l’[c’est en]anglais//
E82/ donc l(e) français ###
F83/ non non/ c’est vrai l français c’est une belle langue et tout ###
E84/ que veux tu dire par belle langue ?/
F85/ amek?[comment ?]/
E86/ tu as qualifié le français de belle l###
F87/ oui/// enfin je pense/ je pense parce que euh:: parce que::/ parce que/ on dit que le
français c’est une belle langue parce que parce comme ça/ [rire]
E88/ comment comme ça?/
F89/ comme ça/ et c’est tout//
E90/ comment comme ça et c’est tout ?/ qu’est ce que tu trouves de beau dans la langue
française?/
F91/ qui ?/ moi ?/
E92/ oui/ toi oui/
F93/ rien/ [éclat de rire suivi de celui de la maman et de moi-même]
E94/ tout à l’heure tu disais que le français est une belle langue//
F95/ oui oui mi zik[mais autrefois]/ thoura tamgharth [maintenant elle c’est une veille]
/ [éclat de rire suivi de celui de la maman et de moi-même]
E96/ amek tamgharth ?[comment c’est une veille?]/
F97/ elle est veille c’est tout// [rire]/ ifouthit l hal [elle est dépassée par le temps]//
E98/ ah bon!/
F99/ c’est fini/l’anglais partout même dagui [ici]/
E100/ tu penses ?/
F101/ lghachi zran thoura belli l français iwaken ken atrouhad ar França/ mais laqraya
la science et tout//
[Les gens savent que le français c’est jsute pour partir en France/ mais les études
la science et tout//]
E102/ laqraya la science et tout// [/les études la science et tout//]
F103/ ih les sciences/ la technologie et tout s l’[c’est en] anglais/ walikan [regarde]
Google/ les meilleurs sites akw s l’[sont tous en] anglais//

Dans le tour de parole F81, Farès élargit les domaines d’usage exclusif de l’anglais à la
technologie, la musique et l’information. C’est probablement une manière pour lui de
confirmer la primauté de cette langue actuellement dans le monde. Ceci me pousse à
introduire une nouvelle question au sujet de la langue française qui se voit, selon lui, dépassée
par la langue anglaise. Cependant, me soupçonnant mal interpréter son opinion à l’égard du
français, il interrompt mon interrogation pour affirmer en F83 la beauté de cette langue dans
une formule générale comme s’il est pressé de finir avec cela: «non non/ c’est vrai l(e)
français c’est une belle langue et tout».

Interrogé, sans s’y attendre, sur ce qualificatif de «belle langue», il me repend en écho
(F85) pour bénéficier de plus de temps et programmer du sens. Je suppose même qu’il
regrette d’avoir qualifié le français de «belle langue», puisque dans sa réponse F87 «oui///
enfin je pense », il tente d’atténuer son propos en le teintant de doute comme pour le remettre
en cause. Il se décharge, dans ce même tour de parole, de toute responsabilité en attribuant
cela au «on» de non personne, dans lequel Farès fait entendre la voix de la doxa qu’il dit
reprendre dans sa considération du français ainsi sans pour autant y adhérer. C’est du moins
ce que laisse comprendre ce rire moqueur, précédé de la séquence «on dit que le français c’est
une belle langue parce que parce comme ça/ [rire]»

Ma tentative de saisir le sens actualisé dans sa séquence «comme ça» échoue. Farès
m’invite discrètement à clôturer ce sujet (F89). Mon insistance en E90, E92 et E94 est en effet
sans succès. Ce n’est qu’au tour de parole F95 que Farès, dans un dialogisme intralocutif,
entrant en rapport avec ses propos précédents, émet, à l’initial de son tour de parole F95, le
double «oui» d’apparence d’approbation mais en réalité de désapprobation ; car il les nuance
par le renvoi de cette beauté à une époque révolue la comparant à une femme dont la beauté
physique de sa jeunesse a cédé la place à la vieillesse: ‘’belle autrefois et vieille aujourd’hui’’.
Une comparaison en kabyle qui provoque le rire partagé entre lui, sa mère et moi –même.
Une comparaison qui suscite mon interrogation (E96) pour mieux définir cette assertion mais
à laquelle il se contente de la comparaison en français (F97), pour ensuite signifier ce
caractère révolu du français (F99) dépassé par l’anglais dont la présence actuellement est
«partout même ‘’ici’’», c'est-à-dire en Algérie.

Dans le même ordre d’idée et dans un dialogisme interdiscursif, Farès convoque la voix de
la collectivité à qui, selon lui, la langue française ne sert plus que de moyen pour pouvoir
partir et partir uniquement en France (F101) car dans sa logique pour aller ailleurs ‘’il faut
l’anglais’’, tandis que l’anglais est en plus, selon lui, la langue de sciences, de technologies,
de communications et de connaissances car «les meilleurs sites sont tous en anglais» (F103).

Ma tentative de relativiser, encore une fois, cette catégorisation s’avère être inutile face au
poids de l’anglais, en effet, dans cet autoroute de l’information qu’est internet. D’autant plus
qu’il est difficile rationnellement de ne pas approuver Farès pour qui est perte de temps et de
moyen le passage par le français pour obtenir, traduites, des connaissances produites en
anglais (F107). L’échange serait intéressant à propos de sa propre maitrise de l’anglais pour
savoir s’il en a une ou s’il s’agit, dans l’ensemble de cet entretien, interrompu par le retour de
sport de ses deux frères rendant l’atmosphère bruyante comme je l’ai noté à la fin de la
transcription de l’entretien, d’une idéalisation et d’une survalorisation de l’anglais à travers
laquelle il se valorise dans cette équation qui l’oppose à son père ou encore pour compenser
psychologiquement sa méconnaissance du français.

4.3.3. «L’anglais euh :: s’impose mieux par rapport euh :::[au français] » (Wissem101)
Exceptionnelles, comparées à celles de l’ensemble des élèves interviewés, les déclarations
de Wissem (W27, W29, W31, W33, W111, W113, W117), notamment celles relatives à sa
faiblesse en langue arabe, alors qu’elle est candidate au baccalauréat de série lettres et
philosophie dont les enseignements sont dispensées essentiellement en arabe, sont difficiles à
vérifier hormis celles qui concernent sa maitrise du français qui ressort de sa pratique au cours
de l’échange. Issue d’une famille économiquement modeste pour prétendre à scolariser les
enfants dans le privé, où les enseignements sont en général en français, et dont les parents
mais surtout le grand frère ont fait des choix de langues particuliers (W47), Wissem avoue
être influencée et bercée par la langue française depuis son jeune âge (W39). Quand bien
même elle a déclaré, quelques tours de parole auparavant, que l’anglais et le français sont ses
langues préférées (W19) par rapport à l’arabe et au kabyle qu’elle considère à peine comme
un dialecte (W123) tout en le déclarant comme étant la principale langue pratiquée dans le
giron familial (W45). Cette attitude positive à l’égard du français est mise en valeur tout au
long de l’échange systématiquement en rapport à la télévision. Celle-ci parait être au cœur
aussi bien de son acquisition de cette langue que de son attachement qui va jusqu’à la faire
dire ne pas aimer la langue allemande en raison de l’Histoire des Allemands (W25), faisant
référence, sans le dire, au nazisme. Curieusement, elle récuse l’idée de partir pour s’installer
en France sans que je n’en aie jamais fait allusion, sous prétexte qu’elle tient à sa culture et à
ses traditions! (W81, W83, W85, W87). C’est que pour elle l’essentiel est de se cultiver pour
justement ne pas subir le point de vue des Français et des Européens sur sa propre culture
(W89). Dans ses tours de parole W35 et W37, elle a précisé son opposition à l’influence
islamique qu’elle considère être en même temps à la base de son attitude si négative à l’égard
de l’arabe qu’elle ne maitrise pas malgré ses douze années de scolarisation en cette langue
(E114, W113, W117).

C’est donc une attitude contradictoire mais originale comparée à celles des autres
candidats qui ont accepté d’échanger avec moi. En effet, même le rapport à l’anglais est situé
au niveau rationnel, communicatif quand celui au français relève plutôt de l’affectif. Ainsi,
bien que consciente du prestige «international» de l’anglais (W77), elle insiste sur son
attirance par le français.

Ces contradictions me poussent alors à l’interroger au sujet de l’anglais:

E100/pourtant tu m’as dit toute à l’heure que tu aimes la langue anglaise/ et qu’il s’agit
d’une langue internationale/
W101/ oui euh :: peut-être parce que l’anglais euh :: s’impose mieux par rapport
euh ::: à sortir d’ici/ puisque c’est une langue internationale/ elle permet de
communiquer avec tout le monde// tu connais l’anglais/ tu peux donc
communiquer avec tout le monde/
E102/ le français/ non ?/
W103/ le français c’est la deuxième langue/ mais euh :: les gens euh :: ils préfèrent
euh :: toujours la première/
E104/ et ce n’est pas ton cas/
W105/ je veux juste connaître le français/ je m’en fiche de connaître l’anglais/ c’est
bien de connaître euh :: l’anglais parce que ::: c’est une langue véhiculaire
comme on dit euh :: mais je ne suis pas du tout passionnée par elle/
E106/ même si ça reste la première langue internationale/
W107/ non/ non/ parce qu’avant c’était le français la première langue internationale/
maintenant c’est la seconde oui/ mais :: j’opte toujours pour le français/
Dans son tour de parole W101, Wissem approuve ma remarque. Mais son hésitation
«euh», suivie du doute «peut-être», cache mal sa gêne et sa confusion jusqu’à employer une
séquence suspendue par une longue hésitation, dans laquelle elle compare l’anglais «qui
s’impose mieux» par rapport au ‘’français’’; une comparaison qu’elle n’arrive pas à mettre en
mots par crainte de se contredire. C’est dans une dynamique de dialogisme interlocutif
qu’elle m’interpelle pour prouver le statut de langue «internationale» de l’anglais, c’est à dire
qui sert de moyen de communication «avec tout le monde» et qu’elle tentera de qualifier de
véhiculaire sans achever l’actualisation de ce praxème en W105. C’est alors que j’interviens
sur un ton interrogatif, lui rappelant que le français peut également accomplir la même tâche.
Celui-ci occupe, selon elle, la deuxième position, sous-entendant par la même occasion que la
première langue est bel et bien l’anglais (W103). Cette langue qui devance donc le français
est, selon ses dires, celle que la collectivité indéfinie préfère. S’agit-il d’une façon de s’auto-
distinguer de cette collectivité ou d’une manière à elle d’exprimer discrètement un certain
rapprochement avec l’enseignante de français que je suis?

Ni l’un ni l’autre. Elle réaffirme plusieurs fois dans l’ensemble de l’entretien son
attachement si passionné au français qu’elle regrette que cette langue ne soit pas comme
«avant» (W107), c'est-à-dire «la première langue internationale» (W107), ce statut
qu’occupe «maintenant» (W107) l’anglais. Un statut dont elle s’ «en fiche» (W105)
l’essentiel, pour elle, est qu’elle est passionné par le français en éprouvant autant de passion
à la littérature romanesque qu’elle juge parfois encombrante du fait des mots qu’elle contient
et que Wissem ignore (W57); ce qu’elle n’éprouve pas devant l’écran de télévision auquel elle
lie, en effet, son attitude passionnée vis-à-vis du français(W27, W55,W67, W69, W77).

4.3.4. «ilaq [il faut] l(e) français/ i bien sûr l’anglais/ l’anglais puisque maintenant d
[c’est] l’anglais iguaqwan i [qui domine dans] l(e) monde » (Mounir67)

Ainsi que j’ai eu à le décrire dans le chapitre où je traite du français en rapport avec les
langues nationales, Mounir, tout en critiquant l’arabe à qui il associe le ‘’parcoeurisme’’
dans l’enseignement de la philosophie (M81, M83, M87, M89), distingue entre le français,
qu’il dit être sa langue de lecture en philosophie (M91, M93, M111, M115), et l’anglais en
avouant la nécessité de son acquisition, étant, selon ses dires, la langue la plus parlée dans
le monde (M53).
M53/[…]/ mais euh :: en plus ilaq [il faut] l’anglais/ puisque c’est euh :: matchi am [ce
n’est pas comme] l(e) français/ l’anglais hadrants di [est parlé dans] l(e) monde/
mais même l(e) français/ mais allah ghaleb [dommage]/ dagui [ici]euh :: dagui
anaârbouha [ici on va l’arabiser]/ donc akka[c’est comme ça]//
E54/ amek akka?//[comment c’est ça?]
M55/ amek akka? [comment c’est ça?]/ akka[comme ça]/ akka[comme ça]/ s l’arabe
inaghra [on a étudié en arabe]/ c’est normal donc/ c’est normal/ normal anili
[qu’on soit] faible i[en] l(e) français euh :: normal//
E56/ faibles dighan i [aussi en] l’anglais non?/
M57/ aaah ! wina thoura yvan[ça c’est évident]/ mais l(e) français/ l(e) français/ l(e)
français normalement ats nestardhiq khir [on doit le manier mieux que]les
Français//

Mounir se désole devant cette réalité où, au moment où l’anglais est considéré comme une
langue utile et parlée dans le monde, l’arabisation exclusive bat son plein dans son pays.
L’expression de cette position passe par la mobilisation de la voix et de la formule de
Matoub « anaârbouha» que j’ai analysée dans le chapitre intitulé Le français et les langues
nationales. Cette hostilité à l’arabisation se traduit aussi sous forme de peine et de désolation
qu’intensifie l’actualisation du praxème «akka» dont le réglage de sens implique la contrainte,
voire la fatalité. En effet, poursuit-il, c’est justement cette arabisation qui a causé la faiblesse
dans le niveau de ses camarades et lui en français (M55) qu’il affirme, je rappelle, être la
langue avec laquelle il apprend (M93) et se concentre (M111) alors que l’arabe lui sert de
moyen pour répondre aux examens… (M51, M81, M111).

L’apparition de l’anglais dans son discours est curieusement liée à ma remarque (E66) sur
la nationalité de Marx qu’il cite pour appuyer son opinion consacrant le français comme étant
la langue de la philosophie ou, pour être précis, des grandes figures de la philosophie moderne
(M65).

M65/ c’est normal/ l(e) français igkhadmen [qu’on travaille] la philo am [comme] Jean
Jacques Rousseau/ am [comme] Marx euh :: Hegel et tout//
E66/ mais Marx waqila [apparemment] c’(es)t un allemand non?/
M67/ i [oui] mais s l(e) [c’est en] français ig aghra [qu’il a étudié]euh :: ig [qu’il-
]euh ::/ am [comme] euh ::/ même Freud/ mais Freud euh ::/ voilà/ donc twaladh
[tu vois] les grands akw s [tous c’est en] l(e) français/ donc ilaq[il faut] l(e)
français/ i bien sûr l’anglais/ l’anglais puisque maintenant d [c’est] l’anglais
iguaqwan i [qui domine dans] l(e) monde/ donc ilaq dighan [il faut aussi]
l’anglais// ah oui ilaq[il faut]/ d’ailleurs ilaq dighan [il faut aussi] le jap/-/euh ::
our zrigh ara amek is qaren i [je ne sias pas comment appelle-t-on] la langue n
[du] l(e) japon//
L’origine française des trois philosophes (Rousseau, Marx et Hegel) est une manière pour
lui de justifier l’importance du français. Ma nuance (E66) à propos de la nationalité
allemande et non française de Karl Marx (et d’Hegel bien sûr) ne semble pas le déstabiliser.
Il acquiesce et ajuste son propos (M67) en fonction des implications de ma nuance pour
préciser qu’il ne s’agit pas pour lui de nationalité, c'est-à-dire de politique ou d’ethnologie,
mais de la langue utilisée pour étudier et devenir philosophe: K. Marx aurait donc comme
langue de travail, c'est-à-dire de raisonnement et d’expression philosophique, le français! Il
élargit sa logique à Freud, cet autrichien de nationalité qui, pour Mounir, a étudié et fondé la
psychanalyse en français… Au bout de cet élan de démonstration du poids du français dans le
monde, particulièrement de la connaissance (philosophique et psychanalytique), Mounir
m’interpelle comme pour me prendre à témoin du fondement réel de son opinion à propos du
français: «/tu vois tous les grands ont étudié en français/». Mais tout de suite après, il
introduit, avec le praxème de certitude et d’évidence «bien sûr», l’anglais. A partir de cet
instant, ce dernier se substitue au français dans le discours de mon interlocuteur qui, comme
s’il regrette cette réalité en défaveur du français, cite le japonais comme une langue aussi
nécessaire (M67, M69); sans doute pour amortir le lourd poids de l’anglais dans le monde
destituant le français qui, pour Mounir, est la langue de la philosophie et de la concentration
(M111).

4.4. Les élèves inscrits en Sciences expérimentales:


4.4.1. « /c’est vrai c’est l’anglais la première langue internationale oui/ ça c’est vrai/
mais:: chez nous euh :: c’est le français qui marche plus/» (Saïd 117)

Le discours de Saïd sur le français, candidat au baccalauréat série Sciences expérimentales,


est construit moins par rapport à l’anglais qu’à l’arabe, objet de rejet qui rappelle, à tous les
niveaux, les entretiens avec Samia, Sofiane, Ouerida, Ibtissem, Marzouk, Lydia, Amayas,
Amel, Omar, Smaïl, Lotfi, Sabrina et Mounir. Au début de l’échange, il justifie son
appréhension de l’enregistreur par la peur ‘’qu’on retienne un jour ses propos contre lui’’
(S15). Rassuré de la discrétion totale (notamment en E54, E56, E58), il entame l’expression
de réserves autour de cet enregistrement dans plusieurs tours de parole (S11, S13, S15, S17,
S23, S27, S37, S39, S41, S47) qu’il fonde sur ses difficultés en français et sur les fautes qu’il
risquerait de commettre indiquant en même temps son souhait de se donner en bon orateur de
français (S27, S33, S35, S37, S39, S53). En effet, même en lui proposant de parler dans la
langue de son choix ou de passer d’une langue à l’autre ou encore de les mélanger comme il a
l’habitude de le faire avec ses amis (E28, E30, E32, E34, E36, E38), l’essentiel étant de parler
des langues à l’école et des langues dans l’avenir universitaire pour lequel il se prépare, il
refuse de s’exprimer en arabe (S61, S63, S71, S73, S77, S79, S81, S83, S85, S87, S89, S91,
S93) et nuance ses difficultés en français (S39, S45) comme pour dire son attachement à cette
langue qu’il ne semble pas comparer à l’anglais du même point de vue que les autres élèves.
Cet attachement ressort vers la fin de l’échange où Saïd exprime son souhait d’étudier à
l’université «une branche scientifique […] en français bien sûr» (S113). La valeur
comparative de «bien sûr» est à saisir à la fois dans le fait qu’il «s’ [y] débrouille mieux par
rapport à l’anglais» (S111), que dans le fait que le français est la langue des études à
l’université (S117). Pour lui, cette langue constitue le salut (S117) ayant permis, selon lui, de
se sauver de la «mort» (S73), de ‘’l’inutilité’’ (S75), du ‘’néant’’ (S81) mais aussi de
‘’l’obligation’’ (S79), etc., que véhicule, selon lui, la langue arabe. Ainsi, tout en admettant
que l’anglais est la première langue internationale (S105) dont il est difficile de s’en passer et
tout en s’opposant au discours limitant le français à la langue du colonisateur (S117) y voyant
aussi celle pour s’en sortir (S117), Saïd insiste sur le statut du français comme étant la langue
de l’informatique, de la médecine, de l’internet ‘’ chez nous’’ (S119). Mais il rappelle
qu’ailleurs c’est l’anglais qui occupe cette fonction (S119). Toutefois, il refuse d’admettre la
possibilité à l’arabe d’en être autant (S121).

Il faut préciser que son discours s’élabore contre l’arabe. A ce dernier, il préfère, sans
pour autant les connaitre comme il le dit en S99, les langues étrangères (S95, S97, S99, S101)
dont je lui suggère, pour les besoins de l’étude, le français (E110) et l’anglais (E104). Et c’est
en alternant l’indéfini «on» et le collectif «nous» dans la même logique endogroupale, à la
laquelle il m’invite à adhérer, qu’il associe les langues étrangères au développement (S93)
sous-entendant l’inverse dans sa catégorisation de l’arabe (S61, S63, S71, S73, S77, S79, S81,
S83, S85, S87, S89, S91, S93):

S93/[…]on veut les langues qui qui qui nous développent/ […] nevgha ayen iglahoun
thoura [on veut ce qui marche maintenant]/
E94/ i dachou iglahoun thoura?/[et qu’est-ce qui marche maintenant?]
S95/ les langues étrangères/
E96/ par exemple/
S97/ français/ anglais/ allemand/ espagnol/ portugais/ russe/ japonais/ chinois/ ouqant
[il y en a beaucoup]/ khtina ken i thaâravth[qu’on nous débarrasse juste de
l’arabe]/ dayen [ça y est] ça suffit/
E98/ et parmi ces langues/ laquelle tu préfères/
S99/ hamlaghthent akw ghas akken outhentissinghara yakw [je les apprécie toutes
même si je ne les connais pas toutes]/
E100/ mais tu as une préférence quand même/
S101/ wellah ar walou [je jure que non]/ l’essentiel c’est une langue étrangère/
E102/ si on te fait choisir/
S103/ ah wellah ar [je jure que] c’est difficile/ le monde actuel euh :: dans le monde
actuellement euh :: il faut connaître beaucoup de langues étrangères/ les langues
étrangères c’est c’est c’est l’avenir je pense/ nagh ala ![ou non!]/ sinon euh :: tu
seras limité/ tu (ne) pourras pas voyager/ tu (ne) pourras pas faire des
connaissances/ euh :: connaitre plusieurs cultures/ plusieurs civilisations/tu vois/
euh :: tout ça ça va avec les langues je pense/ mayella sthaâvth euh :: oulach
anechtha [en arabe il n’y a rien de tout ça]/ aâraven ken oussefrahanara [les
Arabes n’inspirent pas la confiance]/ tu n’avanceras pas/ tu (ne) connaitras pas
grand-chose/ c’est mon avis bien sûr/ chacun est libre je pense/

Je sollicite mon interlocuteur pour préciser ce qu’il catégorisait par «langues étrangères»
(E96). A ma surprise, il cite (S97) en rafale huit langues étrangères, comme pour éviter une
éventuelle question soupçonnée, s’il venait à en citer une ou deux langues seulement. C’est
sans doute la raison pour laquelle il maintient sa liste de langues étrangères ouverte par
l’actualisation du praxème «ouqant», signifiant qu’il ‘’y en a beaucoup’’. Ainsi, il m’accule
à l’interroger sur sa langue préférée (E98) mais sans qu’il n’accepte encore de faire un choix
comme s’il veut se constituer, avec les langues qu’il cite, en bloc qui avance contre l’arabe
qu’il qualifie de langue morte, inutile, etc. Mes cinq tentatives (E94, E96, E98, E100 et E102)
n’aboutissent donc pas et mon partenaire de l’échange continue à taire sa ou ses langues
préférées. Il souligne l’importance de toutes ces langues étrangères (S101). Il poursuit dans
son tour de parole S103 que les langues étrangères «c’est l’avenir». Il y fait écho à ses propos
antérieurs, reléguant l’arabe au statut de langue morte et inutile en usant du marqueur
dialogique «tu vois», en particulier, et de la convocation interlocutive, en général, pour, d’un
côté, ajuster ses propos et leur donner à la fois sens et cohérence, et, de l’autre, m’inciter à
partager son point de vue, impossible à discuter en ce qui est de l’importance des langues
qu’il cite mais en même temps irrecevable en ce qui concerne l’arabe et peu propice pour les
besoins de l’échange. En effet, Saïd m’aurait imposé sa focalisation sur l’arabe en se
contentant de le rejeter...

Devant cette véritable stratégie d’évitement de parler d’une ou deux langues, dont il est
pourtant facile de percevoir celles qui sont ciblées, à savoir le français et l’anglais, je me
décide de procéder par suggestion mais en commençant non pas par le français, objet de la
présente étude, mais par l’anglais dans la perspective de désambiguïser le rapport qui ressort
entre ces deux langues dans les données de la pré-enquête.

E104/ ça c’est sûr/ que penses- tu- hein/ toi/ que penses-tu de l’anglais par exemple?/
S105/ l’anglais/// euh :: l’anglais c’est :: c’est une langue internationale/ c’est une
langue euh :: c’est la langue de de du monde / c’est la première langue
internationale/ c’est c’est la langue de la technologie/ c’est une langue/-/ c’est
une puissance aujourd’hui/ l’anglais/ c’est la langue iglahoun mlih thoura [qui
marche bien maintenant]/
E106/ et tu aimes cette langue bien sûr/
S107/ bien sûr/
E108/ et :: tu es prêt à faire tes études supérieures en anglais ?/
S109/oui pourquoi pas/ sauf que :: nekkini [moi]dommage ouhrichghara mlih di [je ne
suis pas très bon en ]l’anglais/ ilaq adanrnou [il me faut] les cours de soutien
akken adessoûgh chitouh [pour avoir un de]niveau/ moulach tharwi [sinon ce sera
la catastrophe]/ mais ça :: math hemledh lhadja[si tu amies quelque chose]/ euh ::
math hemledh [si tu aimes]la langue atsthaghredh [tu la parleras] avec plaisir/
même si thkhossedh chit [tu en es un peu limité]/
E110/ et le français/
S111/ je pense qu’en français euh :: je me débrouille mieux par rapport ar [à] l’anglais/
E112/ donc si on t’oriente plus tard pour faire français y a pas de problème/
S113/ bien sûr y a pas de problème/ lamaana nekkini [mais moi] je veux bien euh ::
comme je suis euh :: scientifique euh :: j’aimerais bien faire une branche
scientifique et c’est :: en français bien sûr/

La préférence du français comme langue des études à l’université n’est pas une
conséquence uniquement de la connaissance de Saïd de cette langue comparativement à
l’anglais qu’il place devant le français en matière d’audience internationale et de domination
du monde. Il dit sa prédisposition à parler ce dernier moyennant des cours de soutien car,
explique-t-il, comme à l’égard de tout objet aimé, à l’instar de l’anglais ici, son attitude en est
favorable malgré ses limites. C’est surtout en raison de son statut de langue d’études dans les
branches scientifiques dans lesquelles Saïd veut s’inscrire et de son niveau en anglais qu’il
juge limité. Dans ce sillage, la comparaison avec l’anglais est virtuelle en ce sens que ce qui
intéresse Saïd c’est d’abord son avenir immédiat. Ainsi, ses propos relatifs à une éventuelle
inscription en licence d’anglais donnent l’impression de fonctionner comme un principe
général incompatible aussi bien avec son profil de candidat au baccalauréat en sciences
expérimentales destiné à poursuivre des études en sciences plutôt qu’en langues et lettres,
qu’avec la réalité des langues justement à l’université… A ce sujet, son tour de parole S117
n’appelle aucune réserve ni ne nécessite d’être désambigüiser:
S117/ le français euh :: selqimas[est de valeur]/ tsouthlayth igarzen mlih [des langues
importantes]/ pour moi euh :: pour moi le français est une langue de savoir/ c’est
une langue parlée dans euh :: plusieurs pays du monde/ chez nous euh :: /-/ c’est
vrai c’est l’anglais la première langue internationale oui/ ça c’est vrai/ mais ::
chez nous euh :: c’est le français qui marche plus/ l’informatique/ la médecine/et
tout c’est c’est en français/ pour moi euh :: je pense euh :: qu’il faut connaître
cette langue/ c’est :: il faut parler bien cette langue/ […]

4.4.2. «/L’anglais c’est une langue internationale/ chitouh chitouh euh :: [petit à petit]
elle domine le français/» (Samia 55)

Francophile, Samia assume sans ambiguïté son attitude. Elle se justifie du fait qu’elle ne
maitrise pas l’anglais mais surtout du fait que cette langue n’a pas, en Algérie, le poids du
français. Elle construit son discours en faveur du français qu’elle qualifie de «belle langue» en
S15 et de langue scientifique en S19, S29 et S53, en opposition à l’arabe qu’elle rejette à
l’instar de Marzouk, Ibtissem, Ouerdia, Lydia, Amayas, Amel, Omar, Smaïl, Lotfi, Sabrina et
Mounir.

Avec son attitude de francophile rejetant l’arabe, pour la faire parler du français, je choisis
donc de l’amener à le comparer à l’anglais. Je saisis, pour introduire l’anglais, l’occasion de
son tour de parole S53, où elle qualifie le français de «langue de savoir et de technologie». En
m’apprêtant, dans mon tour de parole E54, à évoquer ce statut de langue de sciences dont
jouit aussi l’anglais, elle m’interrompt et me devance:

S55/oui l’anglais c’est une langue internationale/ chitouh chitouh euh :: [petit à petit]
elle domine le français/ euh ::/ elle domine toute les langue du monde/ mariken
[l’Amérique] c’est la première puissance/ donc l’anglais commence petit à petit à
devenir la première langue internationale/ c’est normal thedjhed [elle est forte]/
E56 /donc c’est aussi une langue de savoir et de technologie/
S57 /oui je sais/ je n’ai pas dit le contraire/ mais chez nous c’est : c’est : c’est toujours
et c’est encore le français qui fonctionne/ les médecins nagh [nos médecins] euh :
tswanyin euh:[soignent] tmarkin d dwa s throumith nagh ala? [prescrivent les
médicaments en français ou non?]/ l’informatique ghournagh euh:[chez nous]
dagui di tizi wezou mazalith s throumith [ici à Tizi-Ouzou demeure en français]/
pharmacie mazalit sthroumith [demeure en français]/
E58/ donc euh:::/ donc ghas aken [même si] l’anglais est la première langue
internationale aken denidh [comme tu l’as affirmé]/ et même si elle est aussi une
langue de savoir et de technologie dans le monde actuel/ tu optes pour le
français ?/
S59/oui zrigh imaniw ouzadghara di langlais/ dachou ara yawin alors ar ghoures/ de
plus/ di thmourth nagh d lfrançais/ yakw bien sûr thaârabth agui nlhif/ our nenfiî
iwachemma/ nek ghouri/ pour se cultiver/ pour s’instruire/ et ::/ pour s’informer/
choisissez la langue de Molière/ chikh nagh troumith ig hamlen adyini à chaque
fois la langue de Molière/
/[oui je sais que je n’excelle pas en anglais/ pourquoi irai-je alors vers elle/ en plus/
dans notre pays c’est le français/avec bien sûr cet arabe-là de misère/ on est bon
pour rien/pour moi/ pour se cultiver/pour s’instruire/ et::/pour s’informer/
choisissez la langue de Molière/ c’est notre enseignant de français qui aime dire à
chaque fois la langue de Molière/]

Le «oui» d’approbation à l’initial de son tour de parole S55 fonctionne comme une
réaction par rapport à une réflexion dont je n’ai pas pu achever la programmation et
l’extériorisation. Mon interlocutrice tait le caractère scientifique de cette langue et se focalise
plutôt sur celui de son universalité. De cette supériorité donc à l’échelle mondiale, découle,
selon elle, le recul du français de la scène internationale, puisque, selon ses dires, l’anglais
«domine toutes les langues du monde», c'est-à-dire pas uniquement le français.

La supériorité de la langue anglaise, poursuit-elle, résulte de la suprématie de l’Amérique à


l’échelle mondiale. Ce qui confère donc à l’anglais ce caractère ‘’puissant’’, dont
apparemment la langue française semble en être dépossédée, selon elle.

Par ailleurs, consciente que l’anglais est aussi une langue de savoir et de technologie
(S57), Samia tente de défendre la langue française qu’elle dit apprécier, et qui se voit reculer
de par l’avancée de l’anglais. Elle précise que le français demeure fonctionnel «dagui», c’est
à dire ‘’ici’’ à Tizi-Ouzou, au moins en ce qui concerne le domaine de la médecine et de
l’informatique. Par cette précision, Samia marque, dans une logique spatiale et idéologique,
sa mêmeté envers cet ‘’ici’’ utilisateur du français et son altérité par rapport à un Ailleurs
non-dit où cet usage le serait moins. Un marquage que j’ai volontairement évité de discuter
sachant que cela aurait imposé à l’échange des orientations qui ne répondraient pas aux
besoins de la présente étude.

Je déduis de ses propos qu’en dépit de la suprématie de l’anglais actuellement dans le


monde, mon interlocutrice est attachée au français. Selon elle, cette langue demeure d’usage
dans son environnement et que son niveau de compétence en anglais est jugé par elle-même
insuffisant (S59). Mais quand elle déclare en S59, en faisant entendre explicitement la voix de
son enseignant de français dans un dialogisme montré à valeur co-constructif que «pour se
cultiver, s’instruire et s’informer» il faut «choisir», ne parait-elle pas douter des capacités de
résistance de «la langue de Molière» (S59) et, par conséquent, se distancier, de ce point de
vue, de la voix de son enseignant de français comme elle l’avait annoncé auparavant en S55:
«l’anglais c’est une langue internationale/ chitouh chitouh [petit à petit] euh :: elle domine le
français»?

4.4.3. «/Le français aussi// mais l’anglais plus///» (Kamélia116)


Je rappelle que les premiers tours de parole avec Kamélia sont dominés par la polémique
avec sa mère, Dahbia. Celle-ci reproche à sa fille et, à travers elle, à sa génération, de
mélanger les langues (D24, D45, D49, D51, D55, D76). Ce à quoi Kamélia réplique, dans un
premier temps, en reprochant à la génération de sa mère de ne parler qu’une seule langue, le
français (K46, K52, K58, K60, K73, K75), et, dans un second temps, en insistant sur le
rapport de domination qu’exerce l’anglais sur le français dans le monde (K116, K144, K146,
K148) sans toutefois, après le départ de sa mère à partir du tour de parole de cette dernière
D76, manquer de rappeler la nécessité pour elle, qui veut poursuivre des études de médecine
(K3), comme sa mère, de maitriser le français. En effet, s’interroge-t-elle vers la fin de
l’échange à propos de son dilemme admettant l’anglais, dont elle dit avec regret ne pas avoir
de base (K146), comme étant la langue dominante dans le monde y compris en médecine
(K146) et la réalité de l’usage du français à l’université, «mais amek [comment]?/euh/ les
livres et tout/ les CD et tout einh/ la médecine et tout sl [c’est en] français donc ilaq [il faut]/
voilà après bien sûr l’anglais/ mais l’anglais on n’a pas la base/ en plus en plus les les
enseignants je (ne) sais pas moi/ les enseignants et tout c’est c’est en français ighran [qu’ils
sont formés]/ ighran [qu’ils sont formés]/ donc amek [comment]?/ aghsaghran s l’anglais?
[Vont-ils nous former en anglais?]/ amek [comment]?// donc voilà/».

L’anglais apparait dans le discours de Kamélia sous forme moins de réplique que de
comparaison libre qu’elle introduit quand elle répond à ma question (E113, E115)
l’interrogeant sur ce qu’elle penserait du français qu’elle dit savoir avec certitude qu’il est la
langue des études de médecine (K112).

K116/ c’est euh :: c’est euh ::/ c’est d’abord une langue scientifique bien sûr// d’abord
donc c’est une langue scientifique/ euh :: c’est une belle langue/ une très belle
langue// voilà/ la littérature et tout c’est clair/ les écrivains euh :: les écrivains et
tout/ c’est clair/ comme euh ::/ voilà le français/ mais thoura[maintenant]/
thoura[maintenant] je pense que l’anglais euh ::/ ih [oui]c'est-à-dire dans euh ::
dans le monde entier thoura d [maintenant c’est] l’anglais/ l’anglais/ aussi est
scientifique les génies et tout en informatique en génétique et tout/ les
médicaments/ les sciences et tout/ thoura [maintenant] surtout les grands savants
tous euh :: bien sûr ils font tout en anglais c’est sûr/ d’ailleurs papa me dit
toujours que maintenant c’est l’anglais/ donc voilà/ voilà voilà/ mais le français
aussi//mais l’anglais plus///

Les quatre occurrences du praxème kabyle «thoura» qui signifie en français ‘’


maintenant’’, ‘’actuellement’’, ‘’à présent’’, etc., marque une rupture entre chacun des deux
discours produits respectivement à propos du français et de l’anglais. Le premier semble
constituer une espèce de principe général prononcé avec peu de conviction et dans lequel le
praxème «le français» n’apparait que deux fois. Alors que le second porte les traces de
l’adhésion de Kamélia ne serait-ce par la redondance du praxème «l’anglais», actualisé six
fois. Dans cet ordre de raisonnement, le praxème adjectival «scientifique» ne recouvre pas le
même sens selon qu’il s’agit du français ou de l’anglais. Aucune indication de nature
scientifique concernant le premier: Kamélia se contente d’affirmer, sans le moindre détail,
que le français «est une langue scientifique». En revanche, à l’anglais elle associe des
praxèmes indicatifs de cette scientificité systématiquement précédés ou suivis du temporel
«thoura»: «génies», «informatique», «médicaments», «génétique» et «grands savants». Et
même les praxèmes «littérature» et «écrivains» associés au français apparaissent avant
«thoura», c'est-à-dire au passé révolu comme si pour Kamélia le français serait plus une
langue de littérature que de sciences. Ce qui n’est pas tout à fait le cas puisque, plus loin, dans
son tour de parole K146, elle cite deux noms majeurs de la recherche médicale française
(Pasteur et Marie-Curie) mais qui, là aussi, n’appartiennent pas à «thoura», à ‘’maintenant’’,
au présent… C’est dire combien Kamélia adhère à ce partage d’époque, au moins, en ce qui
concerne le statut de langue de sciences qu’elle attribue à l’anglais en faisant entendre, à la fin
de ce tour de parole K116, en appui à son propos, la voix de son père qu’elle précède par le
praxème «maintenant» totalement en rupture avec le début de ce même tour. Bien qu’au
moyen du parapraxème d’opposition «mais», elle tente, à la fin de ce programme de sens,
d’atténuer cette rupture en affirmant «le français aussi mais l’anglais plus», en réalité et au
regard de ce qu’elle a produit auparavant, cela fonctionne comme une conclusion: le réglage
de sens du praxème «aussi» donne le français comme une ‘’survivance’’ comparé à la
domination de l’anglais que rend le praxème «plus» avec lequel elle arrête de parler et
m’invite à reprendre la parole ainsi que le montrent les trois barres obliques.
Plus loin dans l’échange et dans le sillage de son discours majorant la pratique de l’anglais
dans le monde, je relance Kamélia au sujet de la scientificité du français:

K144/enfin pour moi bien sûr// bien sûr/ mais c’est sûr c’est sûr que s l’anglais thoura
[maintenant] euh ::/ partout l’anglais/ c’est sûr ilaq [il faut]euh ::il faut
l’anglais//
E145/ euh ::/ tu m’avais dit tout à l’heure/ tout à l’heure tu m’avais dit que que le
français c’est c’est scientifique###
K146/ ih[oui]/ matchi am [ce n’est pas comme] l’anglais/ mais c’est scientifique/ déjà
les médicaments euh :: les les vaccins et tout d les Français// bien sûr Pasteur/
c’est un Français/ Marie Curie et tout/ donc c’est pas euh :: c’est pas oui c’est
vrai thoura s[c’est en] l’anglais partout/ mais au moins hein pour nous/ pour nous
au moins l français/ parce qu’après ilaq daghan [il faut aussi] l’anglais// mais
mais amek [comment]?/ chez nous euh :: les livres et tout les CD et tout hein/ la
médecine et tout sl [c’est en] français donc ilaq [il faut]/ voilà/ mais après bien
sûr l’anglais/ mais l’anglais on n’a pas la base/ en plus en plus les les
enseignants/ je sais pas moi/ les enseignants et tout c’est c’est en français
ighran[qu’ils sont formés]/ ighran[qu’ils sont formés]/ donc amek[comment] ?/
aghsaghran s l’anglais? [vont-ils nous former en anglais?]/ amek [comment] ?//
donc voilà/
E147/ c’est pas facile en effet//
K148/ i mais bien sûr l’anglais i[pour] l’avenir c’est sûr/ ça c’est sûr/ même i França
s[c’est] l’anglais// puisque euh :: ih// voilà///

Immédiatement suivi du négatif ‘’ c’est pas comme l’anglais’’, l’approbatif «oui», en


ouverture à son tour de parole K146, ne concerne pas le présentatif «c’est scientifique» que je
lui attribue en E145. C’est une auto-confirmation de ses propos tenus en K116 que
l’oppositionnel «mais», qui introduit sa séquence «c’est scientifique» (K146), règle en
comparaison à l’anglais, occupant la position si ascendante qu’il n’est pas possible de lui
égaler le français. Avec cette autodialogisation, Kamélia échappe à ma tentative de la mettre
devant ces propos relatifs à la scientificité du français. En reprenant en écho d’autres propos
qu’elle a antérieurement émis et faisant du français une langue qui ‘’n’est pas
comme’’ «l’anglais» (K146), elle se libère du cadre que je lui suggère et qui ne concerne que
le français, pour reprendre son propre cadre comparatif de K116 comme s’il est impossible de
traiter de la scientificité du français en dehors de la comparaison à l’anglais qui lui sert ainsi
de repère, voire de référence à partir de quoi elle construit son discours autour du français.
Alors oui, le français est une langue scientifique… autrefois, à l’époque de L. Pasteur, de
Marie-Curie et de la découverte du vaccin comme procédé de prévention médicale. Mais
actuellement ‘’ce n’est pas comme’’ «l’anglais» dont la scientificité, puisque ma question
concerne ce qualificatif, apparait pour Kamélia inutile à expliciter ou à démontrer, n’est pas à
prouver…

On voit bien que le pivot de cette construction réside dans l’actualisation du praxème
«déjà» pour introduire ce qui semble être une démonstration de la scientificité du français
dont, faut-il le rappeler, l’anglais n’a pas besoin pour être cette référence à laquelle est
comparé le français. En effet, à l’instar du réglage discursif du praxème «déjà», Pasteur,
Marie-Curie et la découverte du vaccin renvoient chacun au passé. Ainsi, la scientificité de la
langue française appartient aussi à ce passé et exclut du présent ce que porte l’actualisation du
temporel «thoura», c’est dire «maintenant». C’est un véritable processus de substitution de
statut de langue scientifique que met en discours Kamélia qui, en filigrane, extériorise une
espèce de regret à la limite de la frustration vis-à-vis de la non maitrise de l’anglais avec
lequel elle aurait aimé qu’à l’université soient dispensés les enseignements de médecine. Et
tout en faisant preuve de réalisme en rapport avec la langue de formation des enseignants et
celle de la documentation disponible, elle décrit une situation de dilemme. Une situation où
son désir de l’anglais est freiné par l’usage universitaire du français. C’est pourquoi,
l’actualisation du «nous» endogroupal qui, en impliquant justement l’utilisation du français,
neutralise presque complètement le «je» personnel largement dominant dans son tour de
parole K116 où ce «je» en s’appuyant sur la voix du père, physiquement absent, défend
l’adhésion à la domination de l’anglais. Ainsi, il ne reste plus à Kamélia qu’à espérer et à se
projeter dans l’avenir, comme elle fait en K148, pour voir se concrétiser ce souhait d’étudier
en anglais comme ailleurs y compris en France, selon ses dire de K148.

4.4.4. «/zrigh [je sais que] l’anglais akhir [est meilleur]/» (Lotfi 125)
Le discours de Lotfi au sujet du français en rapport avec l’anglais se caractérise par sa
brièveté. En effet, celui-ci préfère s’attarder sur la langue arabe, en dépit de mes tentatives à
orienter ou à réorienter notre discussion autour de cette thématique.

Je saisi l’opportunité où Lotfi discute des langues de sciences pour introduire ma question:

E124/ donc pour toi/ pour toi d l [c’est le] français i d [qui est] la langue de la science//
L125/ i nakwni ih [pour nous oui]/ zrigh[je sais que] l’anglais akhir[est meilleur]/ mais
l’anglais on (n’) a pas la base/ win iyichvan vghigh s [moi je veux] l (e) français
akhatar [parce qu’] en plus aken vghoun inind s l(e) [quoi qu’on dise en] français
nessen chitouh [on connait un peu]/ après ilaq [il faut]l’anglais bien sûr//
Lotfi fait preuve de réalisme bien qu’il n’assume pas son discours individuellement et
préfère m’impliquer en mobilisant ceux à quoi renvoie le parapraxème endogroupal kabyle
«nakwni», c'est-à-dire nous. C’est l’incontestabilité du statut de langue de sciences dont jouit
le français en Algérie qu’il affirme, sans nier la plus grande importance de l’anglais dans le
monde, par rapport au français, et dont il regrette la non maitrise. Et c’est parce que l’anglais
est peu maitrisé par ce nous endogroupal, auquel il s’identifie, qu’il dit vouloir le français,
actualisant un réglage de sens particulier au praxème verbal kabyle «vghigh», pour signifier
non pas ‘’je veux’’ affectivement le français mais je préfère rationnellement, pour le
moment, le français en attendant d’acquérir l’anglais. C’est donc en tant qu’outil de travail, de
réception et d’émission qu’il opte pour le français car, dit-il, dans un dialogisme interdiscursif
faisant allusion aux partisans de l’arabisation totale pour qui l’anglais doit se substituer
immédiatement au français, au moins, cette langue, c'est-à-dire le français, ‘’nous’’ le
maitrisons. En effet, dans son discours, tout porte à comprendre que Lotfi admet,
discrètement, l’importance grandissante de la langue anglaise par rapport à la langue
française. Mais son incompétence, non dite, en cette matière l’incite à choisir le français,
probablement en raison de son aisance à apprendre et à s’exprimer avec cette langue. C’est
pourquoi l’acquisition de l’anglais est située dans le futur presque comme un projet d’avenir
que lui aussi doit concrétiser.

4.4.5. «/Aujourd’hui c’est [ce n’est] pas le français c’est l’anglais/ » (Amel 129)
Dans un discours de mixité langagière à dominance arabe et à très forte redondance du
praxème de banalisation, «normal», Amel, qui souhaite poursuivre en français des études de
pharmacie comme son père, fait l’éloge de cette langue au mépris insoutenable de l’arabe,
notamment en A87, A89, A91, A93, A95 et A97. Ce n’est que vers la fin de l’échange avec
elle que l’anglais apparait, dans sa bouche, en comparaison au français qu’elle trouve
«facile» (A53, A55, A63, A69, A81), «belle» (A101, A119) et «scientifique» (A129)
systématiquement en référence à des noms de savants: Rousseau, Pasteur, Marie-Curie17 mais
aussi Newton et Euclide à qui elle attribue la nationalité française ou, au moins, qu’elle prend
pour des auteurs d’expression francophone pour expliciter ce qu’elle entend quand elle
qualifie le français de langue de «sciences» (A129) mais qu’elle remet tout de suite après en
cause, selon la même logique chronologique que les autres élèves.

17
Inutile de préciser son origine polonaise que le lieu d’exercice de sa profession semble effacer au profit de son
pays d’accueil, la France.
A129/ b l [en] français aussi euh ::/ c’est c’est une langue taa [de] la science mais
aujourd’hui c’est pas l(e) français c’est l’anglais/ donc euh ::/
E130/ donc si tu as le choix entre le français et l’anglais ###
A131/ comment?/ ah oui bien sûr l’anglais/ bien sûr l’anglais/ mais b l(e) [en] français
euh :: c’est euh:: c’est pas c’est pas comme l’anglais//
E132/comment ça ?/
A133/b l’[en] anglais euh :: c’est plus euh :: b l’[en] anglais khir [c’est mieux]c’est
dans l(e) monde entier/ b l(e) [en] français f [en] França f [au]Canada/

Comme dans les échanges avec les autres élèves, le prestige et la scientificité du français
sont lié aux grands savants et lettrés français des temps révolus, circonscrit à la France et au
Canada (A133) alors que l’anglais, lui, appartient à «aujourd’hui» (A129) et il est «dans le
monde entier» (A133). En effet, Amel ne reconnait pas le caractère scientifique au français
parce que pour elle une seule langue peut prétendre à ce statut: l’anglais. Pourtant, mise
devant le choix entre les deux langues, elle finit par revenir au français (A135), comme la
langue des études qu’elle veut poursuivre. C’est sans doute parce qu’elle n’a pas les capacités
nécessaires en anglais, qu’elle semble avoir choisi précipitamment dans le sillage de la
comparaison virtuelle entre les deux langues et où le réglage de sens du praxème comparatif
«c’est mieux» (A133) est flou d’autant plus qu’en le lui soumettant en E136, elle change
complètement les paramètres de la comparaison substituant le français à l’anglais et l’arabe au
français. Pressée de partir, Amel laisse cette question en suspens.

4.5. Les élèves inscrits en Gestion et économie:


4.5.1. «/L’anglais c’est […] dans le monde entier le français ça y est snagh [je connais]»
(Marzouk 163)
Etre en classe de gestion et économie conduit, selon Marzouk, à des études universitaires
dans ce domaine (M19, M27). Cela est en théorie, car mon interlocuteur souhaite s’inscrire
plus tard dans une filière de langues où le français et l’anglais sont enseignés (M39, M47,
M169). Conscient de l’universalité grandissante de la langue anglaise, Marzouk appréhende la
difficulté d’apprentissage de cette langue comparativement à la langue française:

M137/ ça c’est sûr/ ça c’est sûr/ mais ma nezmar [si on peut]/ c’est difficile matchi am l
[c’est pas comme le]français/ c’est facile du moment que l(e) français on connait/
tout l(e) monde parle s l(e) [en]français même wid our n aghrara [ceux qui n’ont
pas été à l’école]/donc automatiquement agh dasse theshel[ce sera facile pour
nous]//
E138/ i s l’anglais?/[/qu’en est-il en anglais ?/]
M139/ i :: s[en] l’anglais ilaq [il faut] des efforts/ atas [beaucoup] les efforts/ donc
automatiquement agh dasse difficile [ce sera difficile pour nous]//
E140/ difficile?//
M141/ difficile euh :: puisque euh :: puis que tout ce j’ai dit et tout/ automatiquement
donc euh ::/ voilà/ voilà c’est comme ça//

Le parapraxème «ça c’est sûr» réitéré en M137 répond à ma réflexion portant sur
l’universalité de la langue anglaise (E136). En approuvant cette caractéristique, il juge
cependant cette langue difficile, inaccessible à «tout le monde» et exigeant des efforts pour
l’acquérir (M139) comparativement à la langue française qui, selon lui, ne nécessite pas
d’effectuer des études pour pouvoir la pratiquer; car , selon lui, de toutes les façons tout le
monde la parle même ceux qui n’ont pas été à l’école (M137), distinguant ainsi entre le
français, qu’il considère faire partie des langues de socialisation autour de lui, et l’anglais à
qui il attribue le statut de langue étrangère.

Je saisis, de ces propos, que Marzouk ne souhaite pas fournir d’efforts pour surmonter la
difficulté qu’il dit éprouver dans sa pratique de l’anglais. Ce qui est en contradiction avec ses
vœux et révélations précédentes (M39, M41, M45, M47, M57) quand il déclare vouloir
poursuivre des études de traduction/ interprétariat qui impliquent cette langue. C’est pourquoi,
je le relance deux tours de parole après. Une relance à laquelle il réagit en précisant qu’il
s’agit bien de lui:

M145/ moi je veux l(e) français et l’anglais// l(e) français d l’anglais plus bien sûr
l’arabe du moment que ::/ du moment euh :: c’est obligé//

Avec une forte focalisation sur soi «moi je veux» (M142), Marzouk insiste sur les deux
langues française et anglaise, en dépit de la difficulté qu’il dit éprouver dans la pratique de
cette dernière, mais sans pour autant omettre la langue arabe, probablement, parce qu’il sait,
maintenant que je le lui ai dit, qu’elle est la principale langue exigée dans la préparation du
diplôme de traduction.

Dans le même ordre d’idée, Marzouk explicite son opinion :

M151/ moi/ ma sakhtarninyi d l [si on m’offre de choisir ce sera le] français mais
zrigh[je sais]/ je sais que/ zrigh belli i [je sais qu’à]l’université s [c’est]l(e)
français/ zrigh[je sais]//
E152/ et donc###
M153/ et donc s l[en] français akhir [c’est mieux]//[rire]
E154/ yaah [ah bon!]/###
M155/ i:: du moment qu’euh:: les livres et tout/ l’internet i et même euh::/ tout s l[c’est
en] français donc voilà/ voilà//
En affirmant que le français n’est donc pas tout à fait un choix puisque de toutes les
façons, précise-t-il en M151, c’est la langue des études universitaires, Marzouk semble
souhaiter un autre choix. Mais quand je l’invite à le formuler, il qualifie le français de
meilleur choix (M153) provoquant mon étonnement en E154 qu’il semble avoir vu venir
puisque son tour de parole M155 se prolonge dans son rire après sa relative longue pause
m’invitant à reprendre la parole mais que je tarde justement à exécuter. C’est en fait un rire
de camouflage d’une incohérence dont il se rend compte aussitôt, d’autant plus que dans la
simultanéité de mon étonnement (E154) et de son rire (M153), c’est lui qui l’emporte en me
doublant ainsi que le mentionnent les marques graphiques de dédoublement vocalique en
E154. Il engage alors un discours justificatif non pas de son choix du français mais de
l’emploi de ce dernier à l’université. Il présente cet emploi comme une évidence au vu de la
disponibilité des moyens et de la documentation universitaires avec cette langue et non avec
d’autres langues, ici principalement l’arabe mais aussi l’anglais pour lequel il dit, pourtant,
opter en cas de choix libre même en compétition avec le français.

E164/ on suppose on suppose/ on suppose que tu n’as pas d’autres choix/ soit faire
français ou faire anglais//
M165/ anglais bien sûr//
E166/ anglais ?//
M167/ ih[oui]/ du moment que l(e) français snagh[je connais]/ et euh::/ euh::/ en plus
du moment que l’anglais euh :: c’est plus euh :: c’est plus euh ::/ voilà c’est dans
le monde entier/ donc automatiquement d [c’est] l’anglais/ puis que l(e) français
sayi snagh[ça y est]/// donc voilà/ yak akka [c’est bien ça]?/ c’est ça?/ c’est
logique?//

L’évidence dans l’option de Marzouk pour l’anglais tient à son désir de plurilinguisme
(M39, M47, M57) et elle n’est pas au détriment du français. En effet, c’est tout à fait cohérent
qu’il affirme cela sans ambiguïté au regard de ces propos antérieurs relatifs aux efforts
nécessaires à fournir pour apprendre cette langue (M139, M141), exprimant ainsi son besoin
de la maitriser aussi bien parce qu’il ‘’connait’’ maintenant le français (M167) que l’anglais
est, « en plus» (M167), pratiqué «dans le monde entier» (M167). Cette double occurrence du
praxème kabyle «snagh» qui signifie ‘’ je connais’’, c'est-à-dire ‘’je connais le français’’
enchâsse la triple occurrence «plus» qui, elle, concerne l’anglais, pour dire tout simplement
que Marzouk est conscient des enjeux de langues à la fois au niveau de l’université, pour
laquelle il se prépare, et au niveau mondial. Ainsi, il rend impossible toute réplique à la
cohérence de son discours dont il contrôle si bien l’extériorisation qu’il se permet de marquer
une pause assez longue (que mentionnent dans le corpus les trois barres obliques après le
second «snagh») comme pour me défier de discuter sa parole. Ce que je ne fais pas justement.
C’est pourquoi il poursuit son tour de parole d’abord avec un double conclusif (/donc voilà/)
puis avec une triple interrogation à vocation affirmative annoncée en rafale et allant de la
constatation («/c’est bien ça?/ c’est ça/?) à la construction intellectuelle (/c’est logique?/),
rendant mon adhésion à son discours inévitable (E168).

4.5.2. «/Maintenant c’est l’anglais la première langue internationale/» (Lydia45)


Catégorisée «langue de l’avenir» (L41), le français préféré à l’arabe occupe la place la
plus importante dans le discours de Lydia. Sollicitée pour plus de précisions au sujet de ce
qualificatif, Lydia déclare :

L55/oui c’est vrai euh:: je sais maintenant que:: c’est l’anglais la première langue
internationale et tout/ je sais/ mais euh:: je veux dire euh::/ ce que je veux dire
euh::: l’anglais euh:: plutôt le français est une langue de technologie/ c’est c’est
euh: c’est la langue du savoir euh::: de la science et tout/ c’est la langue euh :: du
développement du monde/ ça c’est vrai/ enfin euh :: moi hein !/ moi
personnellement tu sais euh::/ moi j’aime bien tout ce qui est langue étrangères/
tu sais/ mais uniquement euh:: mais seulement euh:: pas l’arabe/

Par la séquence «oui c’est vrai», elle confirme son opinion au sujet du français comme
«langue d’avenir» (L49). Mais l’hésitation prolongée révèle qu’elle doute de la recevabilité
de ses propos et cherche à les ajuster pour laisser la plus grande place à la mondialité de
l’anglais. Ainsi, en se rendant compte de ce désordre discursif, elle tente d’y remédier. D’où
cette répétition du marqueur dialogique «je veux dire» à valeur explicative par lequel elle
occupe le temps en attendant de redonner sens et cohérence à ses propos. Déstabilisée par sa
propre désorganisation, elle essaie de maintenir sa position à l’égard du français. Mais, par
lapsus, l’actualisation du praxème «anglais» devance celui de «français» et révèle ainsi une
situation de refoulement que Lydia expliquera particulièrement dans ses tours de parole L129,
L131, L133, L135, L139, L141, L143 en rapport avec l’attitude de son père surtout mais aussi
de sa mère vis-à-vis de la langue de sa formation (et de celle de ses frères et sœur aussi) qui
est l’arabe et à travers laquelle elle est jugée et infériorisée.
Plus loin dans l’échange, en saisissant l’instant où Lydia, qui souhaite suivre des études de
français à l’université, énumère ce qu’elle considère être les mérites de cette langue, dont les
possibilités de «visiter les pays français» (L79) et «voyager» (L79), je lui suggère «l’anglais
aussi» (E80) pour cet objectif, elle m’interrompt brutalement:

L71/ oui je sais/ avec l’anglais euh :: c’est plus facile/ ma thesnedh[si tu connais]
l’anglais outsagwadara[tu n’auras plus à craindre]/ c’est c’est vrai/ c’est la
langue qui marche maintenant/ oui ça je sais/ mais euh :: moi euh :: je (ne) sais
pas/ ouhrichghara [je ne suis pas bonne] vraiment di [en] l’anglais/

La séquence initiale («oui je sais») atteste donc que mon interlocutrice adhère à l’idée que
l’anglais «est la langue qui marche maintenant» et qui, par conséquent, offre également la
possibilité d’exaucer ce souhait de voyager au même titre que la langue française. Inutile de
revenir sur le praxème «maintenant» qui, rien que par sa présence liée à l’anglais, rappelle le
français, absent dans cet énoncé, et le renvoie dans ce qui n’appartient plus à «maintenant» et
au présent, mais au passé. C’est donc un aveu de frustration que Lydia extériorise en clôture à
son tour de parole: elle aurait aimé ‘’être bonne’’ en anglais. Ce qui peut justifier aussi son
passage au kabyle pour, justement, exprimer la profondeur de cette frustration dont
l’actualisation du praxème ‘’la crainte’’ frôle celui de ‘’la peur’’ que la maitrise de l’anglais
réduirait à néant. Ce qui donne à comprendre le sens de son tour de parole, aussi réaliste qu’il
est, comme une espèce de consolation, un repli, voire un abandon du rêve de voyager qui
implique l’anglais.

L85/ ouyarna thezridh [en plus tu sais]/ dagui ghounagh [ici chez nous] euh:: ghas aken
[même si] l’anglais euh :: langue internationale/ euh :: mondiale et tout/ mais
euh :: chez nous euh : mazal d l [c’est encore le] français toujours iglahoun [qui
marche]/

4.6.Un élève inscrit en Mathématiques: «/C’est dépassé/ même le français/» (Amayas


97)
Avec Amayas, l’anglais apparait dans son tour de parole A77 concomitamment avec le
français comme langues des études de maths-informatique qu’il projette poursuivre à
l’université. C’est, en fait, une apparition inattendue puisqu’elle intervient au cours des tours
de parole à propos de son rapport avec la langue arabe et de l’attitude qu’il adopterait en cas
d’orientation vers une filière universitaire arabisée.
A77/et donc euh euh::/ moi euh moi je veux faire des des euh :: je veux maths-
info[rmatique]/ et c’est c’est en français et et bien sûr en en anglais//

Il faut, en effet, préciser tout de suite que dans ce tour de parole, l’anglais vient juste après
le français et précédé du praxème d’évidence «bien sûr», comme si Amayas n’avait pas
besoin de mentionner cela ou, à la limite, je suis censée savoir que cette filière exige, de
toutes les façons, l’anglais. Ce qui rend ainsi le statut du français en tant que langue d’études,
dans cette filière, incertain et fragile du fait que, dans cet énonciation, l’anglais vient
chronologiquement après le français, comme si Amayas veut dire qu’il est vrai que ces études
sont entamées en français mais, en réalité, c’est en anglais qu’elles sont réalisées... Il suspend
donc ce statut de langue d’études à l’anglais dont la présence plane même dans la
comparaison qu’il choisit comme procédé pour répondre à ma question relative au français:

E86/ et que penses-tu du français?/


A87/ du français?/
E88/ oui oui c’est euh c'est-à-dire qu’euh::/
A89/ par rapport à à l’arabe?//

En effet, selon la logique globale de l’opinion d’Amayas sur les langues, son interrogation
en A89 devrait concerner l’anglais et non pas le français! Ici, en choisissant le cadre
comparatif avec l’arabe, alors que l’échange porte sur la ou les langues des études dans sa
filière préférée, c'est-à-dire maths-informatique, dont il a exclu toute éventualité de l’arabe, il
signifie sans dire l’impossibilité de comparer le français à l’anglais, concernant cette filière.
Impossibilité qu’il dit sans ambiguïté à propos de l’arabe vis-à-vis du français dans ses tours
de parole A91, A93 et A95 et cela dans tous les domaines. Et quand je lui demande
d’expliciter ce qu’il entend lorsqu’il affirme qu’entre le français et l’arabe, il n’y a «pas de
comparaison» (A93), il généralise cette opinion en la situant dans le temps à l’instar des
autres élèves qui ont accepté d’échanger avec moi autour des langues pour les besoins de la
présente étude, mais en observant, dans un premier temps, une totale discrétion évitant
l’actualisation du praxème «anglais» et, dans un second temps, un étalage de ses
connaissances en rapport avec le français à qui il fera succédé l’anglais en actualisant,
comme les autres élèves, le praxème «maintenant» pour justifier son actualisation du praxème
présentatif «c’est dépassé» à propos de l’arabe qu’il transfère tout de suite après au français,
le tout dans un dialogisme convergent avec son père qu’il convoque justement pour parler de
l’avenir ; alors que les autres voix en rapport avec le français appartiennent toutes au passé.
Alors oui, pour Amayas, le français est «dépassé»
A97/ c’est dépassé/ même l(e) français/ même l(e) français//
E98/ qu’est-c(e) qu’il a l(e) français?/
A99/ [sourire] mais mais il euh :: mais maintenant c’est comment dire?/ Oui c’est vrai
c’est beau et tout/ c’est euh :: c’est scientifique euh : c’est universel et tout/ mais
mais l’anglais avec euh :: avec//
E100/ l’anglais domine maintenant//
A101/ exactement/ exactement//
E102/ et qu’est-ce que qu’est-ce que tu tu disais euh le français est est scientifique euh//
A103/ bien sûr c’est la langue des sciences et de de/ le vaccin et tout les les maladies
microbiennes et tout ce c’est c’est en France euh/ oui oui c’est en France mais
mais maintenant euh maintenant c’est plus euh comme comme à l’époque de de
Louis Pasteur et les les autres// et puis les les droits les droits des gens et tout//
E104/ c’est donc ça c’est ça que que tu qualifies de de scientifique ?/
A105/ en maths aussi en physique et tout/ il ya aussi la la littérature euh Germinal Les
misérables Rousseau Jules Verne Victor Hugo Sartre L’étranger d’Albert
Camus//
E106/ mais où est-ce que tu as appris tout ça?/
A107/ [sourire]/ enfin un peu de tout euh/ mon grand-père ma mère/ euh/ mon père un
peu/ mes sœurs et frères euh/ mes tantes aussi enf- maintenant euh il y a l’internet
et tout//
E108/ vraiment chapeau pour tant de connaissances et euh//
A109/ [sourire] c’est comme ça mais mais mon père dit à chaque fois qu’il faut
beaucoup d’anglais/ moi je suis encore attaché au français//

4.7. Conclusion:
Dans l’ensemble de ces discursivités, la récurrence de l’actualisation du marqueur
chronologique kabyle «thoura», ou d’un de ses équivalents en français «maintenant»,
«actuellement», «aujourd’hui», «à présent», concentre le réglage de sens comparatif du
français et de l’anglais en ce sens que chacun de mes partenaires des échanges se contente de
renvoyer au passé le français, à travers les références intellectuelles, scientifiques et littéraires,
qui lui sont associées, comme preuve de statut de langue de sciences, de savoir et de culture
pendant la période durant laquelle ont vécu ces références. Alors que l’anglais est affirmé
comme étant la langue du présent en évoquant, dans le meilleur des cas d’argumentation, la
domination américaine dans le monde actuellement.

Ce statut de langue de la planète qu’occupe l’anglais dans leurs discursivité y parait


comme une substitution au français si avancée qu’il serait de l’intérêt de la plus part d’entre
eux de s’y mettre avec souvent cette arrière-pensée de quitter leur pays pour aller… en
France! Un sentiment que contredit le statut du français à l’université pour laquelle ils se
préparent et qu’ils savent puisqu’ils l’affirment. Farès va jusqu’à reprocher à son père
d’exiger de lui un bon niveau de français alors que, dit-il, les connaissances et les sciences
diffusées avec cette langue sont élaborées en anglais.

A l’exception de Sofiane, les deux langues ne sont pas comparées au niveau de leurs
éléments internes ni des moyens, didactiques s’entend puisque nous sommes en milieu
scolaire, mis à la disposition de chacun d’eux pour les acquérir. La comparaison s’appuie sur
des arguments généraux qui parcourent les paroles quotidiennes, qu’elles soient élaborées
comme dans les médias ou non, comme dans les discussions conviviales sans enjeux ni
tension spéciale.

L’élément humain dans la relation pédagogique ressort en faveur du français chez


l’ensemble des élèves à l’exception de Farès qui, dans sa logique contradictoire projetant
d’aller en France tout en choisissant de s’inscrire par défaut en licence de philosophie (en
arabe), reproche à son enseignant la rigueur, l’application et surtout la pratique exclusive du
français en classe.

Il faut souligner, enfin, la convocation quasi-systématique de la voix parentale,


essentiellement du père, pour exprimer la nécessité de maitriser l’anglais car, selon cette voix
à laquelle adhèrent mes interlocuteurs, cette langue est celle de la communication
internationale et des nouvelles technologies même si la formation scientifique à l’université
ici, en Algérie, se fait en français: les enseignants, la documentation, etc. étant en français…
C’est donc vers ce bilinguisme universitaire français-anglais que cette voix parentale semble
orienter ces élèves tenant compte en même temps des données pédagogiques et didactiques
disponibles en Algérie et du rapport du français à l’anglais dans le monde actuellement.

Ce qui rappelle l’évidence de l’interrogation dans l’intitulé même de ce chapitre: le


français, une langue dépassé par l’anglais? En effet, au fond, il est difficile de ne pas situer
cela dans ce qu’on appellera après Dominique Huch (2010) un discours de majoration. Un
discours qui pourrait avoir, il est vrai, des retombées sur les représentations que se font ces
élèves de ce rapport entre le français et l’anglais dans le monde, mais qu’on pourrait élargir
aux autres langues. Des représentations qui ne les prédisposeraient pas à fournir
suffisamment d’efforts pour acquérir le français d’autant plus que leur cursus scolaire les y
préparent déjà. D’où la nécessité d’un discours pédagogique et didactique de clarification de
ce rapport pour replacer l’acquisition du français dans une perspective plurilingue à même de
multiplier les chances de réussir professionnellement ici en Algérie mais aussi dans les pays
francophones en insistant sur la présence française dans les quatre coins du monde que l’idée
de l’hégémonie de l’anglais tend à occulter en effaçant du même coup la dynamique d’autres
langues comme l’espagnol dans le continent sud-américain et surtout au cœur des Etats unis
d’Amérique. Un discours donc pour nuancer, pour revaloriser la différence, c'est-à-dire la
diversité dans la perception des rapports entre les hommes et les nations, et pour un monde
culturellement pluriel car, dans les discours recueillis, l’anglais est, certes, survalorisé
comparativement au français mais systématiquement les élèves y regrettent le fait qu’en
réalité il ne le parle pas. Cela implique-t-il des prédispositions à consentir des efforts
nécessaires pour l’acquérir? Théoriquement, oui. Mais dans la pratique, c'est-à-dire dans la
réalité pédagogique, les doléances des collègues anglicistes sont celles des autres collègues
enseignants de langues, de sciences… Ce qui nuance davantage aussi bien la portée
sémantique des discours recueillis, que la pertinence des analyses qu’ils inspirent.
Chapitre 5
Le français, une belle langue ?

5.1.Introduction:
Considérer le français comme une langue belle, élégante, attirante est l’une des
thématiques qui émerge des entretiens recueillis. Je rends compte, dans ce chapitre, des
réglages de sens dans l’actualisation de ces praxèmes qu’opèrent les neuf des vingt-neuf
entretenus qui ont qualifié ainsi le français. Il s’agit donc de saisir dans la matérialité verbale
de leur propos ce à quoi renvoient ces qualificatifs. Qu’y a-t-il, donc, selon chacun d’eux, de
beau, d’élégant et d’attirant dans la langue française? En quoi cela est-il beau, élégant et
attirant? Comment mettent-ils cela en discours dans l’échange dialogal avec moi?

5.2. Les élèves inscrits en Langues étrangères:


5.2.1. «/Peut-être la la France/ euh oui la France c’est beau surtout les villages/»
(Mélissa127)
Je rappelle que l’aisance à parler en français de Mélissa, candidate au baccalauréat de
série Lettres et langues étrangères, est liée à la pratique en famille (M31) de cette langue en
prévision du départ familial pour le Canada, ainsi que cela est mentionné à la fin de la
transcription de l’entretien avec elle mais dans lequel elle n’en dit pas un mot.

C’est dans la mise en discours justificatif de sa perspective universitaire en licence


d’anglais plutôt qu’en licence de français, pour laquelle je l’ai discrètement invitée (E112)
dans le sillage de ses explications relatives à son aisance en arabe (M103, M105) mais surtout
en français qu’elle dit (M97) avoir choisi comme langue de ses réponses au questionnaire de
la pré-enquête pour apporter la preuve de ses déclarations en rapport avec ses capacités en
cette langue, qu’elle actualise le praxème «beauté» (M113) qualifiant le français de «belle
langue» (M115) mais «dépassée» (M111) par l’anglais.

Mes tentatives de l’amener à désambiguïser le réglage de sens de ce praxème semblent


la surprendre bien que je lui aie précisé, en E16, que l’objectif de l’entretien est l’explication
de ce que «je n’ai pas compris […] dans certaines de ses réponses». Cette surprise ressort,
malgré sa performance langagière d’apparence dissimulatrice de tout indice de
déstabilisation, dans la récurrence des tournures «je (ne) sais pas» (M125, M127, M129,
M133), «c’est comme ça» (M117: deux occurrences) / «c’est comme ça qu’on dit» (M115,
M117, M119, M133, M137), «comme tout le monde» (M123: deux occurrences), «peut-être»
(M127: deux occurrences) et dans le choix énonciatif du présentatif «c’est» (M113, M115,
M117, M125, M127, M129, M133, M137), pour éviter son implication, et/ou du pronom de
non-personne ‘’on’’ (M115, M117, M119, M137). Pourtant, non seulement je l’interpelle
systématiquement par le phatique «tu» (E112, E116, E120, E122, E124, E128) mais aussi je
lui demande explicitement que ce que je veux entendre c’est son point de vue (E116). Ce dont
elle accuse réception d’ailleurs en ouverture à son tour de parole M117 dans sa reprise en
écho à valeur d’apparence collaborative.

M113/mais l(e) français euh// mais l(e) français euh même la littérature euh/ c’est vrai
c’est beau et tout mais mais euh//
E114/ qu’est-ce qui est beau?/
M115/ih [oui] on dit que l(e) français c(est) une belle langue est tout mais moi euh/ oui
c’est vrai et tout/ mais mais l’anglais et tout c’est pas comme autrefois/ même les
Français d’ailleurs//
E116/ mais mais euh/ mais qu’est-ce qu- enf-/ pour toi/ pour toi einh?/ qu’e(st)-ce que
euh qu’e(st)-ce que tu trouves de beau euh/ pourquoi tu dis que le français c’est
une belle langue? voilà ma question//
M117/ pourquoi j(e) dis euh:/ et pa(r)ce que euh:/ pa- pa-euh c’est comme ça c’est
comme c’est comme ça qu’on dit/ comme on dit c’est//
E118/ ah oui !/
M119/ c’est comme ça qu’on dit///
E120/ et tu penses que le français est une belle langue?///
M121/ oui oui bien sûr//
E122/ tu penses?/
M123/ enfin je pense comme tout l(e) monde bien sûr/ comme tout l(e) monde//

Le flou dans l’objet qualifié de «beau», dans son tour de parole M113, ne confond pas
innocemment le français et la littérature française. En effet, dans sa comparaison à l’anglais,
particulièrement en M111 et M115, et dans l’évidence avec laquelle elle annonce son choix de
s’inscrire en licence d’anglais (M107), elle établit sa préférence de l’anglais qu’elle valorise,
ne serait-ce qu’en affirmant que son acquisition nécessite des efforts, à la différence du
français dont elle dira que sa pratique est «habituelle» (M139), «naturelle» (M133), «simple»
(M133) et qu’elle dit dépasser le français «maintenant» (M111) y compris en littérature à
laquelle elle semble, justement, confiner celui-ci même «autrefois» (M115). D’où ma
réplique E114 sollicitant d’elle de préciser le praxème nominal que qualifie l’adjectival
«beau»: le français ou la littérature?
Son approbation en ouverture à son tour de parole M115 est de principe. Elle est surtout
sans conviction comme le montre aussi l’actualisation de «et tout» aussi bien dans la tournure
«c’est une belle langue et tout» que dans celle «oui c’est vrai et tout» qu’elle abandonne
d’ailleurs immédiatement en trois temps. D’abord, en adoptant l’indéfini «on» duquel elle
s’auto-exclut et se distancie ainsi de ceux qui, selon elle, considèrent que le français est beau,
et peu importe que cela concerne la littérature ou la langue française. Ensuite, en explicitant
cette prise de position en entamant un programme de sens non achevé qu’elle introduit par
l’oppositionnel «/mais moi euh/». Ce qu’elle reprend au profit de l’anglais détournant de cette
manière, en dernier temps, à la fois l’objet et le fil de notre discours qui étaient
respectivement la beauté du français et la place qu’elle attribue à la littérature dans cette
beauté. C’est donc une véritable stratégie d’évitement de ma question que Mélissa tente en
faisant appel à la comparaison à l’anglais. Au moyen de cette comparaison, elle justifie
l’actualisation de son approbation à l’initiale de son tour de parole et sa double tournure «et
tout» par laquelle elle évacue ce qu’elle sous-entend dans son «oui» d’approbation (bien que
ma question en E114 n’appelle pas du tout ce genre de réponse en oui ou en non), en
renvoyant dans «autrefois», dans le passé, ce qui est sous –entendu être contenu dans la
proposition qu’elle approuve et qu’elle m’attribue alors que c’est justement l’objet de ma
question! Et comme pour prouver le caractère définitivement dépassé du français ou de la
beauté du français, Mélissa clôture son tour de parole en convoquant la position des Français
non pas vis-à-vis de cette beauté, objet de ma question, mais carrément de la pratique de leur
langue, dans une tournure où les deux praxèmes, respectivement, introductif «même» et
conclusif «d’ailleurs», en font l’argument irréfutable du statut du français comme une langue
dépassée par l’anglais mais sans savoir si cela concerne la beauté qu’elle-même a attribuée au
français, en M113, et en m’incitant à l’y interroger, en E114.

Dans M115, Melissa contourne donc l’objet de mon E114.Ce qui explique la redondance
de l’oppositionnel «mais» dans, ce qui convient d’appeler ma réplique, E115 à la façon dont
Mélissa détourne l’objet de ma question E114. Hésitantes, les trois occurrences de
l’oppositionnel «mais» font entendre en même temps mon désaccord avec Mélissa et mon
embarras à le lui faire comprendre. Mes dires inachevés dans mon second programme de sens
dans ce même tour de parole, en portant les traces de mon à-dire en difficulté
d’extériorisation, indiquent mon souci de sauvegarder l’allure de l’échange tout en recentrant
Mélissa sur l’objet de ma question en E114 comme cela est explicitement avoué à la fin de ma
réplique: «/voilà ma question//» qui est, en fait, l’aboutissement de formulations et de
reformulations de l’objet de ma question insistant auprès de Mélissa pour qu’elle comprenne
que c’est son avis seulement que je sollicite. Et que je sollicite uniquement à propos de ce
qu’elle «trouve beau» quand elle dit que le français est une belle langue et peu importe
l’époque et les autres langues. L’accusé de réception de sa reprise en écho de ma voix en
ouverture à son tour M117 rétablit notre fil de discours, tel qu’exigé par mon affirmatif et
conclusif aux implications interrogatives «voilà ma question». Mais cet accusé de réception
accule Mélissa à produire un discours, c'est-à-dire un commentaire centré sur un objet
discursif qu’elle a émis, il est vrai, mais dont elle ne semble pas avoir de quoi dire,
probablement parce que la beauté du français est, pour elle, une évidence qu’elle n’a pas eu
l’occasion de discuter. La preuve est, d’une part, dans l’hésitation qui suit immédiatement son
accusé de réception et sursoit à l’extériorisation d’une hypothétique raison censée venir après
le grammatical «parce que», reproduit sans être achevé à deux reprises. Elle est, d’autre part,
dans la redondance du présentatif essentialisant «c’est comme ça» (quatre occurrences).
Comme si la beauté du français est un fait. Mais un fait dont Mélissa n’a pas la preuve sinon
la bouche de «on» commentateur à valeur absolue à laquelle Mélissa ne semble pas s’être
essayée à interroger. «On» a donc la fonction de voie échappatoire que Mélissa emprunte en
faisant entendre les voix dialogiques qu’elle implique et desquelles elle avait annoncé sa
distanciation au profit de l’anglais dans son tour de parole M115. La valeur incitative de mon
interjection en E118 est insuffisante pour la faire parler davantage. En effet, elle se contente,
comme le mentionnent les trois barres obliques qui ferment son tour, de réaffirmer le même
procédé discursif en refusant de s’impliquer (M119), préférant une espèce d’adoption des
propos d’autrui sans vraiment les adopter au point de les défendre ou, au moins, les expliquer.

Avec le recul, tout porte à croire que Melissa n’a pas mesuré le poids ou les implications
de ce qualificatif au moment de son actualisation en M113. Si bien qu’elle apparait de plus en
plus gênée de me renvoyer, à chaque fois, à cette voix dialogique quasi-inidentifiable parce
qu’elle-même ne semble pas l’entendre, en tous cas pas suffisamment, pour au moins
reproduire ses arguments. C’est pourquoi, il me parait vain aussi mon renouvellement de la
question en E120 dans l’espoir de l’entendre produire son propre discours au sujet de la
beauté du français. Un discours qui ne serait pas celui de ce «tout le monde», de cette voix à
laquelle est référé cet indéfini «on». En effet, même avec mon «et» suggestif en ouverture à
mon tour E120, après quoi elle observe un assez long temps pour reprendre la parole, je n’ai
pas réussi à susciter chez elle la moindre auto-dialogisation. Comme si elle tient, par
principe, à être fidèle à ce «tout le monde», à cet indéfini «on» pour qui elle n’aura pas à
rendre de comptes à la différence de mes propos qu’elle semble assimiler à des reproches.
Elle confirme donc avec force que le français «est une belle langue» (M121). Mais sans plus.
Ce qui m’incite à la relancer (E122) sans succès puisqu’elle revient, encore une fois, à son
‘’port d’attache’’ («comme tout le monde bien sûr», M123) à partir duquel je choisis de me
positionner pour provoquer son affecte. Mon oppositionnel «mais», en ouverture de mon tour
de parole E124, n’implique pas, en effet, la beauté du français, sujet de notre échange
jusqu’ici, mais elle-même. Elle réagit en rafale (M125) avant même que je n’aies fini de
reformuler ma remarque, comme le montrent les marques de dièse par lesquelles est transcrit
le dédoublement vocalique (E124).

E124/ mais tu (ne) sais pas ce qu’il y a de beau/ ce qu###


M125/ si si mais c’est pas c’est comment dire ? c’est pas physique/ c’est pas physique/
je sais pas moi/ c’est pas physique//
E126/ c’est quoi alors?/
M127/ je (ne) sais pas moi/ je (ne) nais pas/ peut-être la la France/ euh oui La France
c’est beau surtout les villages/ à la maison euh mon mon père a acheté un livre/
quand il est parti en France il a acheté un livre sur sur les villages en France/
c’est vrai c’est très beau/ peut-être pour ça/ je (ne) sais pas/ mais c’est pas
physique/ c’est élégant de parler avec le français c’est vrai/ mais euh/ mais je (ne)
sais pas///
E128/ tu dis que c’est élégant###
M129/OUI::/ c’est plus beau/ je sais pas comment expliquer ça mais c’est plus beau/ ça
c’est sûr//
E130/c’est plus beau/
M131/oui bien sûr//
E132/ par rapport à quoi?//
M133/euh:: par rapport à quoi?/ euh par rapport euh par exemple quand je euh::/ pour
moi c’est plus cool en anglais c’est vrai mais mais euh// mais en français euh en
français je sais pas c’est c’est naturel voilà/ c’est comme simple euh//
E134/ c’est simple?//
M135/enfin/ pour moi bien sûr//
E136/ et l’anglais?/
M137/c’est pas pareil/ l’anglais c’est pas pareil/ en anglais euh il faut faut euh comme
on dit avoir an english maouth/[rire]/ il faut une gymnastique di [dans]la bouche/
[rire]//
E138/ mais en français aussi en arabe en kabyle et ###
M139/ oui mais c’est l’habitude/
E140/mais en anglais aussi c’est euh c’est c’est une question///

Confuse, Melissa produit un discours contradictoire en affirmant, d’une part, que la beauté
du français ne relève pas du physique et, d’autre part, en liant cette beauté à celle de la France,
à celle des villages de France qui, non seulement, concernent le physique mais que Melissa dit
connaitre à travers un support physique: un livre que son père a ramené de France! Consciente
de cette confusion, elle se ressaisit dans le même tour de parole M127. D’un côté, elle
multiplie les deux tournures «je (ne) sais pas» (à l’ouverture et à la clôture) et «peut être»
(deux occurrences) parallèlement au récurrent présentatif «c’est». De l’autre côté, elle glisse
vers le praxème adjectival «élégant» dans la perspective de le substituer à celui de «beau»
dont le réglage intralocutif du sens, c'est-à-dire au physique que Melissa vient d’écarter
comme aspect définitoire de la beauté du français! Pourtant, en la relançant au sujet de ce
praxème «élégant» (E128), elle (M129) m’interrompt. D’abord, avec une telle intonation
montante à valeur d’approbation qu’elle donne l’impression d’exprimer sa joie de trouver la
voie à sa voix. Mais tout de suite après, elle réactualise, contre toute attente, le praxème
«beau», avec ce superlatif comparatif «plus» que j’interroge tout de suite après, comme si elle
veut aussi me faire admettre ce praxème considérant acquis celui de l’adjectival «élégant», du
fait sans doute que je ne l’interroge pas à ce sujet comme je le fais avec le praxème «beau»!
Devant ce véritable volte-face, j’observe, prends acte de son propos renvoie, dans ce tour,
exclusivement à la France et ses villages et la reprends en écho avec une arrière-pensée qui
consiste à l’amener à désambiguïser le comparatif «plus» (E130, E132) qu’elle n’hésitera pas
à faire. D’abord, en accusant réception de ma requête (M133). Ensuite, en s’énonçant cette
fois-ci en «je», à la différence de ses tours de parole précédents où, tantôt, elle s’identifie au
«on» de non-personne (M115, M117, M119), c'est-à-dire à «tout le monde» (M123), tantôt
elle s’exprime au moyen du présentatif, comme si ce qu’elle dit est une vérité générale et
admise par tous (M111, M117, M119, M125, M127, M129). La désambiguïsation du
comparatif «plus» passe donc par le «moi» (M133) énonciatif non pas d’une subjectivité mais
d’un point de vue; comme si Mélissa ne souhaite pas que je retienne ces propos contre elle,
ainsi qu’elle parait vivre le fait que j’insiste pour qu’elle m’explique ce qu’elle entend par
«beau» dans son tour de parole M113. Cette prudence est encore plus remarquable dans son
hésitation à approuver un propos qu’elle émet au sujet du français et que je reprends sous
forme interrogative en E134. Aussi, son discours en M135 («/enfin/pour moi bien sûr») est en
réalité une réplique non pas au sens explicite de ma reprise en écho E134 mais à toute
intention de ma part de la comprendre mal, c'est-à-dire d’entendre dans son propos autre
chose que son rapport à elle, et à elle seule, au français. Le réglage dialogal du praxème
«simple» (M133) est donc personnel, relatif à Mélissa. Celle-ci insiste pour qu’il ne soit pas
généraliser. Ainsi, elle m’amène à adopter la comparaison à l’anglais qu’elle a entamée dans
son tour M133 où, en qualifiant le français de «naturel» et de «comme simple» tout en
précisant que l’anglais «/c’est cool c’est vrai mais mais euh/», elle sous-entend dans son
hésitation (euh) que l’anglais n’est ni «naturel» ni «simple». En effet, son hésitation
débouchera non pas sur un programme d’enchainement sur l’anglais mais sur une rupture de
programmation changeant d’objet de discours: le français. C’est pourquoi dans ses
explications en M137, nourries de deux rires signifiant son humeur joyeuse maintenant
qu’elle ne se sent plus aculée, elle reprend l’énonciation avec l’impersonnel «il faut»,
l’indéfini «on» et le présentatif «c’est», moins pour ne pas assumer ses propos que pour dire,
justement, que cela est connu de «tout le monde», à la différence de ce qu’elle dit penser du
français et de l’anglais dans ses tours précédents. L’anglais présente donc une exigence, c'est-
à-dire un effort pour «avoir an english maouth» et une «gymnastique [dans] la bouche». Alors
que le français «c’est naturel», «c’est comme simple»! Melissa est si sûre d’elle qu’elle
interrompt ma réplique E138 où je tente de lui faire remarquer que l’effort dans l’articulation
concerne aussi le français, l’arabe et le kabyle, c'est-à-dire comme pour toutes les langues.
Tout en approuvant cela, elle introduit immédiatement une nuance, au moyen de
l’oppositionnel «mais», pour écarter insidieusement l’idée de l’effort, en ce qui concerne ces
trois langues, et le réserver à l’anglais, justement, qu’elle préfère au français dont elle dit être
une langue «dépassé par l’anglais» (M111).

L’entretien est interrompu à cet instant car Melissa doit repartir avec son père, venu pour la
récupérer. Elle part et me laisse un peu frustrée, n’ayant pas obtenu la matérialisation verbale
de l’ambiguïté dans l’expression de son attitude vis à vis de la beauté du français, de la beauté
de parler en français (M127) qu’elle refuse de lier au physique (M125). Alors que pour ce qui
est de l’anglais, c’est exclusivement par le physique qu’elle le distingue (M137)! En effet,
j’allais juste faire remarquer que la pratique de l’anglais est aussi une question d’habitudes,
dans l’espoir de l’entendre régler le sens du praxème «habitudes», que le téléphone de
Melissa retentit…

5.2.2. «/ C’est beau et c’est tout/» (Ibtissem 90)


Je rappelle que l’échange réalisé avec Ibtissem se caractérise par la présence de sa mère
qui prend part à l’interaction, tantôt en complétant les propos de sa fille tantôt en échangeant
avec elle, ou encore en exprimant son propre point de vue.

Dès les premiers tours de parole, Ibtissem déclare vouloir se spécialiser en langue
française à l’université (I1). Ce choix semble être motivé par les bons résultats obtenus dans
cette matière (I15, I35, I37). Ce qui n’est pas ce qu’elle affirme en réponse à ma question
portant sur les raisons à l’origine de ce choix:
E42/ euh::/ euh :/ tu peux euh :/ tu peux me dire pourquoi euh ::/ pourquoi tu veux faire
français//
I43/ pourquoi?/
E44/ ih/ pourquoi tu veux faire français à l’université?/
I45/ euh ::/ d’abord j’ai des ami(e)s ig khadmen [qui font] français/ mais i Alger matchi
dagui i [à Alger et non pas ici à] Tizi-Ouzou// d’accord ? j’ai des ami(e)s/ en
plus###
E46/ et que te disent tes ami(e)s de euh::###
I47/ euh ::/ ça va ça va/ ça leur plait/ ça leur plait c’est ça l’essentiel// mais mais
daghen [néanmoins] il parait que c’est difficile//c’est difficile puisqu’euh ::
puisque nekwni [nous] on a étudié en arabe// donc c’est normal/ c’est difficile///
E48/ c’est difficile ?//
I49/ ih/ mais mais normal/ normal au début/ mais après mi ats sarhen dayen [tu te
libères et ça y est]// donc normal//
E50/ i pour quoi toi tu veux faire français?//
I51/ pa(r) ce que j’aime bien//
E52/ tu aimes bien?//
I53/ oui oui/###

La reprise en écho interrogative du praxème «pourquoi » (I43) lui permet de gagner plus
de temps afin de programmer ses dires. Et comme pour fuir ma demande de mise en mots de
ses motivations, elle fait appel à l’expérience de ses amis, orientés vers la même branche à
Alger. Cette précision du lieu de formation «i Alger matchi dagui i Tizi-Ouzou» (I145), c’est à
dire ‘’ à Alger et non pas ici à Tizi-Ouzou’’, révèle que mon interlocutrice compte, d’une
part, suivre la même trajectoire. D’autre part, il semble qu’elle n’est pas convaincue de la
formation dispensée à Tizi-Ouzou ainsi que cela est largement montré dans le chapitre réservé
au français, langue de savoir, de technologie et d’avenir. C’est dans une dimension dialogique
interdiscursive qu’elle transpose l’opinion de ses amis qui s’y plaisent dans cette discipline,
mais qu’ils considèrent au même temps «difficile», un praxème dont l’ambigüité est abordée
dans le chapitre réservé au français perçue comme une langue de savoir, de technologie et
d’avenir.

Je rappelle que ma question initiale a pour objectif de saisir auprès d’Ibtissem les raisons
à l’origine de son choix. Mais jusqu’ici, il semblerait qu’il est plutôt facile pour elle de parler
des autres que d’elle-même. Je la relance alors une nouvelle fois à propos de ses motivations à
la base de son choix de cette branche (E50). C’est, selon ses dires, son appréciation de cette
langue qui motive son choix (I51) sur lequel elle insiste d’ailleurs juste après en I53 par un
«oui» d’approbation réitéré. Ses réponses succinctes et laconiques convoquées comme pour
fuir d’autres détails, peut être difficiles à mettre en mots, interpellent sa mère Malika, qui
intervient pour compléter les dires de sa fille donnant ainsi l’air de lui venir en aide:

M54/ depuis qu’elle était petite/ si zik [depuis longtemps]/ si zik th hammel atsahdhar s
throumith [depuis longtemps elle aime parler en français]// en plus asmi thella i l
primaire dayem [quand elle était au primaire toujours] elle joue euh :: elle fait
l’enseignante de français//[rire partagé ave Ibtissem)// ça je me souviens bien de
ça/ si si je me souviens//
E54. Yah ! [ah bon!]/ donc ça remonte loin//
I55/ enf/-/ oui/ mais euh :: en plus le français c’est quand même une belle langue/ oui/
une belle langue n’est-ce pas ?/une langue universelle scientifique et tout/
d’ailleurs moi quand madame X nous parle j’aime bien/ je sais pas comment/ je
sais pas/ il ya quelque chose euh ::/ je sais pas/ peut-être akhatar [parce qu’]elle
est belle/ i dhessah [et c’est vrai que] madame x thazyen [est belle]//

L’intervention de Malika parait faire plaisir à sa fille qui se réjouit (le rire partagé avec sa
mère en M54) à l’idée d’écouter le récit de son enfance. Selon Malika, Ibtissem a toujours
été passionnée par cette langue depuis son jeune âge, elle qui jouait la maitresse de français.
Par ce détail, une question s’impose: la jeune Ibtissem est-elle attirée par la langue française
ou par la fonction d’institutrice ou même les deux à la fois? Ne s’identifiait-elle pas
inconsciemment à son enseignante de l’époque ainsi que cela est décrit dans le chapitre
abordant la thématique du français perçu en tant que langue de savoir, de technologie et
d’avenir?

Ibtissem reprend sa place d’interlocutrice dans son tour de parole I55 en approuvant les
propos de sa mère auxquels elle intègre un détail non mentionné jusqu’ici. Celui relatif à la
beauté du français: «/c’est quand même une belle langue/». Le praxème adverbial «quand
même» est introduit comme pour montrer qu’il s’agissait d’une évidence à ne pas nier et
inutile à démontrer. Si bien qu’elle insiste sur cette beauté en m’interpellant par l’élément
«n’est-ce pas ? » à valeur interlocutive pour solliciter mon adhésion à son discours. Dans le
même tour de parole (I55), Ibtissem glisse de cette beauté de la langue française vers la beauté
physique de son enseignante de français et passe ainsi de la beauté qu’elle associe à la langue
française à celle de son enseignante de français. N’associe-t-elle pas, dans son inconscient, la
beauté physique de son institutrice à celle de la langue qu’elle enseigne: le français?

Plus loin dans l’échange, Ibtissem raconte que durant tout son cursus scolaire, ce sont des
enseignantes (femmes) qui leur (ses camarades de classes et elle) assuraient cette matière, à
l’exception d’une courte période où monsieur X devait remplacer madame Y. Ce récit n’est
pas sans importance puisque ma partenaire de l’échange opère une différence linguistique
entre le parler masculin et le parler féminin. La langue française, considérée une «belle
langue», est perçue différemment selon qu’elle s’extériorise d’une voix féminine ou
masculine. Je l’interroge alors sur ce détail afin de situer avec elle le fondement de cette
différence:

I71/ non/ netsa [lui] il (n’) est pas euh ::// mais surtout m euh ::/ amek?[comment ?] je
sais pas/ c’est pas am [comme] madame Y imir ni [en ce moment-là] elle nous
parlait et tout/ mais netsa [lui] les exercices ken [seulement]/ la dictée/ yarnou le
français ni les hommes hein ! [en plus ce français des hommes hein!]///
E72/ amek [comment]? l français les hommes ?/ [rire]/
I73/ i :: thazrid [i :: tu sais] les hommes euh :: enf/-/ matchi irkwoul[pas tous]/ llan [il y
en a]// moi j’aime pas akenni [cette façon]// je préfère les femmes//
E74/ ah bon ! pourquoi?//
I75/ je (ne) sais pas moi/ c’est comme ça/ c’est comme ça et c’est tout//

Mon interlocutrice n’apprécie pas d’abord la méthode d’enseignement de monsieur X qui


se focalise, selon ses dires, sur les exercices, comparativement à celle de madame Y, non
explicitée dans ses propos (I71). Elle clôture ce tour de parole par une séquence teintée
d’étonnement et de mépris «yarnou le français nni les hommes hein! » (‘’en plus ce français
des hommes !’’), qui règle ici un sens flou. C’est pourquoi je reprends en écho ce programme
sous une forme interrogative (E72), sollicitant auprès d’elle plus de précisions à ce sujet. La
forme de sa réponse I73, traversée d’hésitations, d’interruptions de programme, de pauses
plus ou moins longues, traduit sa difficulté de dire. Elle commence par généraliser son
opinion à l’ensemble des hommes. Mais se rendant immédiatement compte de la portée de ses
dires, elle tente de les atténuer («matchi irkoul», c’est à dire ‘’pas tous’’), pour signifier enfin
sa préférence du parler féminin.

Mon insistance sur ce sujet (E74) semble l’embarrasser. Ainsi, difficile pour elle peut être
à mettre sa pensée en mots, elle autocensure l’à-dire en lui substituant la séquence
d’ignorance «/je ne sais pas moi/» suivie d’une autre séquence en double occurrence «/c’est
comme ça et c’est tout/ », comme pour couper court avec mes interrogations.
Quelque peu embarrassée moi aussi par ses propos auxquels je ne m’attendais pas, je la
relance avec hésitation afin de saisir cette distinction effectuée entre les deux accents féminin
et masculin:

E76/ euh :: je veux dire euh ::/ qu’est qu’ euh ::/ qu’est-ce que les hommes euh ::/ les
hommes ont ont de de particulier aâni?//
I77/ ala matchi [non pas] tous les hommes/ kra [certains] bien sûr//
E78/ ih ih[oui oui]/ widak nni widak nni [ceux- là ceux-là]/ qu’est-ce qu’ils ont###
I79/ je sais pas comment euh :: amek ihadren [commentils parlent] l(e)français s[avec]
ra am [comme]euh ::/ amaken [comme si]euh :: amaken s [comme si avec] la
force/ nagh [ou] je sais pas amek[comment]//
E80/ yah ! donc pour toi###
I81/ nekini yifith [pour moi c’est meilleur] avec madame Y/ ihi :::/ skhilla [beacoup]/ en
plus elle cultivée/ wellah [je jure qu’] on dirait une vraie française/ elle parle le
français mieux que les Français// mais avec monsieur X c’est :: pas beau/ c’est
pas :: doux/ c’est comme euh :: c’est dur/ c’est fort/ c’est pas beau/ non/

Adoptant une attitude d’évitement de discourir au sujet de cette particularité opérée dans le
parler masculin, Ibtissem reprend son autodialogisation de I73 où elle atténuait ses propos,
refusant de généraliser son opinion à l’ensemble des hommes. Cette réponse est peut-être
stratégique car elle lui permet de bénéficier de plus de temps afin de préparer et d’extérioriser
ses dires. Ainsi, suite à mon insistance, elle hésite puis souligne ce qu’elle entend: la virilité
du parler masculin passe par «la force » (I79) dans la réalisation, par exemple, de la syllabe
/ra/, me laissant le soin de déduire ce à quoi elle veut en venir: les hommes roulent les /r/ alors
que les femmes les grasseyent. Dans ce même tour de parole, Ibtissem semble mal à l’aise à
l’idée de mettre en discours ses reproches: d’où cette séquence «je (ne) sais pas amek » (‘’je
ne sais pas comment’’) dans laquelle elle condense justement sa difficulté de dire. Ce n’est
que dans son tour de parole I81 qu’elle libère sa pulsion communicative et laisse libre cours à
l’extériorisation d’un dire difficile lié à la différence qu’elle établit entre le parler de ses deux
anciens enseignants. Celui de l’enseignant homme est «dur», «fort », «pas doux» et «pas
beau». Ces propos débouchent sur un énoncé enchâssé qui suppose l’existence d’un parler pas
dur, pas fort, doux et beau qui serait probablement celui de ses enseignantes femmes.

Je déduis de ces propos que cette «belle langue» est, en fait, liée à la beauté physique de
ses enseignantes qui l’ont marquée par, entre autres, leur prononciation du français devenant
ainsi son modèle.
Ce qui m’autorise aussi à supposer que même le choix d’Ibtissem à suivre des études de
français à l’université serait, au moins, partiellement déterminé par ce réglage de sens du
qualificatif «belle langue» en rapport avec cette opinion valorisante qu’elle se fait de ses
enseignantes de la matière.

Je la relance alors au sujet de ce qualificatif de «belle langue»:

E90/ comment c’est une belle langue?/ tu peux m’expliquer cela?/


I91/ c’est une belle langue pa(r) ce c’est une belle langue/ i thoura [i maintenant] je ne
sais pas moi/ on l’appelle comme ça/ et c’est vrai bien sûr/ c’est une belle
langue// de toute façon moi euh :: quand quand je ::: achki ara sellagh [quand
j’entends] l’anglais euh :: l’anglais surtout les Américains/ surtout les Américain/
a:: non/ l français euh :: je sais pas c’est doux/ euh :: je sais pas moi isâa [il a ]
une musique/ je sais pas c’est beau/ je sais pas euh :: je peux nekkini amek[moi
comment]/ je peux pas nekkni adinigh amek [moi dire comment]/ c’est beau et
c’est tout///

Difficile pour elle d’assumer en «je» cette beauté précédemment annoncée «on l’appelle
comme ça» et difficile pour elle de la définir « je (ne) sais pas moi », Ibtissem produit un
discours traversé d’hésitations et d’allongements vocaliques qui traduit un sentiment
d’incertitude vis-à-vis de son propos en réponse à ma demande. L’introduction de l’anglais
dans ce programme sème la confusion: s’agit-il d’un lapsus ou d’une comparaison entre ces
deux langues? Ce qu’elle n’élucide pas. En effet, elle plonge plutôt dans une intralocution où
la reprise de ce praxème «beauté» est détournée pour lui associer la douceur et la musicalité
qui caractériseraient la langue française, faisant entendre ainsi son autre voix autour de
l’anglais comme une langue dépourvue de ces deux qualités.

5.2.3. «/Je trouve ça beau/ » (Wiza73)


Je profite du moment de l’interaction où Wiza exprime sa préférence de l’anglais et du
français, au détriment de l’arabe, pour l’inviter à préciser davantage son attitude vis-à-vis de
chacune de ces deux langues.

E54/ fahmagh [j’ai compris]/ et si tu as à choisir ?/ laquelle choisiras-tu en premier


lieu/
W55/ c’est euh :: je (ne) sais pas/ euh :: peut-être euh :: je pense que :: je (ne) sais pas
wellah [je jure] euh :: [sourire] que c’est difficile de faire euh :: le choix/
E56/ et si tu dois faire le choix ?/
W57/ euh :: je dirai euh :: que je vais opter euh :: peut-être que je vais euh :: je vais
choisir euh :: français je crois/
En réponse à ma question, Wiza expulse un programme de phrases truffé d’hésitations
(«euh»), de séquences de doute («peut-être, je pense ») qu’elle parait mobiliser pour les
besoins d’une stratégie d’évitement («je ne sais pas») et pour avouer, sans le dire, sa difficulté
à faire un tel choix. Et pour certifier son dire, elle engage sa parole par le praxème «wellah»,
c'est-à-dire ‘’je jure’’. Ce procédé parait pour elle un moyen d’affirmer sa difficulté à choisir
une des langues en question. C’est pourquoi je renouvelle ma demande insistant discrètement
pour qu’elle effectue ce choix. Elle réplique, après une séquence lui permettant de gagner plus
de temps et de programmer/extérioriser son dire (comme les hésitations, les programmes
inachevés), qu’elle opterait pour la langue française. Cependant, le praxème «croire» en
clôture à sa réponse teinte ses propos de doute et porte des traces d’incertitude. C’est ce qui
me permet d’insister au sujet de cette langue dans le but de saisir son opinion. Elle finit dans
son tour de parole W59 par confirmer son choix de la langue française:

E58/ français/
W59/ français/ oui/ je pense que je vais choisir français/

Malgré la persistance du doute par l’emploi du praxème «penser», Wiza parait confiante
en opérant ce choix.

E60/ et pourquoi ?/
W61/ euh :: je (ne) sais pas euh :: je sais une chose c’est qu’euh :: j’aime le français/
c’est tout / j’aime bien cette langue/
E62/ pourquoi ?/
W63/ pourquoi ?/
E64/ ih [oui]/ pourquoi tu aimes cette langue ?/
W65/ je (ne) sais pas/ comme ça/
E66/ comment comme ça ?/
W67/comme ça/ le le français euh :: c’est une langue qui qui me plaît beaucoup voilà/
c’est une langue qui me plaît/ voilà/

La réponse de mon interlocutrice en W61 révèle que celle-ci ne s’attendait pas à mon
interrogation. D’où son hésitation avant de déclarer son estime pour cette langue. Je réitère
alors ma demande. Elle la reprend immédiatement en écho (en W63) pour s’assurer de ce
réglage interrogatif qui ouvre sur un tour supplémentaire dans lequel je reformule mon
interrogation en reprenant son objet annoncé dans son tour W61. En dépit de mon insistance,
elle produit le programme ambigu «comme ça» car relevant d’une essentialisation mais aussi
parce que c’est présenté comme une hypothèse parmi d’autres éventuelles. En effet, cela vient
après son «je (ne) sais pas» qu’elle m’oppose presqu’à chaque requête comme une fin de
non-recevoir. Je présume donc que par cette stratégie d’évitement frôlant le refoulement, elle
a du mal à extérioriser son dire. D’où la réalisation de cette ambigüité, sur laquelle je fonde
ma question suivante (E66). Hélas, et encore une fois, ma partenaire de l’échange s’obstine à
toute réplique claire et réactualise à nouveau cette ambigüité (en W67) pour se contenter d’un
programme dans lequel elle affiche simplement sa préférence de la langue française.

Je ne me contente pas de ces déclarations. Je tente de faire surgir un réglage de sens plus
précis de ce qu’elle essayait de passer sous silence, en l’interrogeant autour des raisons à la
base de cette préférence:

E68/ pourquoi justement ?/


W69/je (ne) sais pas justement/ euh :: c’est une langue euh :: pour moi euh :: c’est
beau euh :: moi je pense euh :: c’est une langue belle euh :: je (ne) sais pas/

Cette réponse cache mal cette difficulté de dire qu’éprouve mon interlocutrice qui semble
confuse et embarrassée. Elle hésite, évite et doute avant de mettre en discours ce dire difficile
dans lequel elle affirme la beauté de la langue française. En revanche, elle remet, tout de suite
après, ses propos en doute comme par manque d’assurance et de confiance en elle-même, en
clôturant ce tour de parole par la séquence «je (ne) sais pas».

Je me focalise, à présent, sur ce praxème adjectival «belle» langue, sollicitant auprès de ma


partenaire de l’échange plus de détails et de précisions :

E70/ c’est une langue belle/ c'est-à-dire ?/


W71/ c'est-à-dire euh :: je (ne) sais pas euh ::/ c’est une langue euh :: c’est une belle
langue euh :::// [rire] elle est belle c’est vrai/

La reprise en écho du marqueur dialogique «c'est-à-dire », au début de son tour de parole


W71, est, pour Wiza, un moyen d’établir un lien entre ses propos précédents et ceux à venir.
En effet, je m’attends à ce qu’elle reconstruise son opinion en apportant des exemples ou des
précisions qui permettent de saisir le sens qu’elle attribue au praxème «belle» langue. Elle
replonge simplement et après hésitations, dans la répétition de ce qualificatif, auquel s’ajoute
ce rire qui démasque sa gêne face à ma demande de clarification. La séquence finale de ce
tour de parole, «c’est vrai», est, par ailleurs, glissée comme pour signifier que cette
caractéristique fonctionne comme une vérité générale qui n’a pas besoin d’être démontrée et
à laquelle mon interlocutrice m’invite discrètement à m’y contenter.
Insatisfaite de ce raccourci, je reformule ma requête dans l’espoir de l’amener à produire
d’autres éléments susceptibles de régler le sens de ce praxème adjectival à la base de la
tournure: le français est une belle langue.

E72/ comment ça ?/
W73/ [rire] ce n’est pas euh :: je veux dire euh :: ce n’est pas euh :: belle euh :: comme
pour euh :: une personne euh :: je (ne) sais pas moi/ mais euh :: je pense euh ::
pour moi euh :: c’est beau/ je trouve ça beau/
E74/ et qu’est-ce que tu trouves beau en fait ?/
W75/ qu’est-ce que je trouve beau ?/ [rire]
E76/ ih[oui]/
W77/ je (ne) sais pas euh ::/ déjà euh :: le fait de parler comme ça français euh :: moi
je pense que pour moi euh :: c’est beau/ c’est beau à entendre/
E78/ c’est ###
W79/c’est beau à entendre/ c’est une langue euh :: je (ne) sais pas moi/ c’est une
langue euh :: pour moi c’est beau de parler français/ la prononciation euh :: les
mots/ euh :: je (ne) sais pas/ son vocabulaire [rire] je (ne) sais pas/ je trouve tout
ça beau dans cette langue/ je (ne) sais pas/ déjà quand j’entends quelqu’un parler
en français euh ::/ ça euh :: déjà euh :: ça donne envie de l’écouter/ c’est une
langue tellement euh :: je (ne) sais pas comment dire euh :: je (ne) sais pas euh ::
thesaâ sser [elle contient un mystère]/ c’est une langue euh :: vivante et tout/ elle
est belle/ elle est belle/ c’est aussi de cette beauté/ c’est aussi parce qu’elle est
euh :: riche/ elle est parlée par tout le monde/ je pense/

En ouverture à son tour W73, Wiza rit pour se procurer du temps nécessaire à la
programmation de son dire. Le marqueur dialogique «je veux dire» est introduit dans le but de
vouloir reconstruire et agencer son dit et son à-dire pour plus de précision. Cependant, elle
bute sur des ratages qui traduisent son embarras (hésitations, allongements syllabiques,
programmes interrompus) et finit simplement par réitérer la beauté avec laquelle elle qualifie
le français. Beauté qu’elle tente de comparer à celle (sans doute physique) d’une personne.
Mais elle ne parvient pas. En effet, se rendant compte tout de suite de l’inefficacité de cette
comparaison, elle interrompt sa séquence.

Jusqu’à présent, mon interlocutrice n’arrive pas à mettre en discours ce qu’elle signifiait
par cette «belle langue». Je l’interpelle alors en E74 espérant qu’elle parvienne enfin, cette
fois-ci, à extérioriser l’à-dire refoulé. Encore une fois, elle temporise et retarde de plus en plus
l’extériorisation de son dire par cette reprise en écho de ma question et ce rire final (W75) par
lequel elle dissimule cette gêne face à ma demande. Cette reprise en écho débouche sur un
autre tour de parole (W77) dans lequel elle laisse comprendre, timidement, que cette
«beauté» attribuée au français est, en fait, liée à l’aspect oral de cette langue. En effet, selon
ses dires, «c’est beau à entendre».

Ce n’est qu’en W79 qu’elle parvient au bout de sa réflexion et laisse libre cours à sa
pulsion communicative réprimée jusqu’ici. De ce programme jaillit une série de ratages
d’actualisation qui reflètent l’embrouillement et l’embarras de Wiza, en dépit de ce rire par
lequel elle tente de dissimuler sa perturbation.

En effet, elle souligne, après une série d’hésitations et de séquences traduisant une
situation inconfortable dans laquelle elle se trouve (tel que « je ne sais pas moi »), que cette
beauté relève de cet aspect oral dont jouit la langue française: sa prononciation, son
vocabulaire, son charme, sa richesse pour enfin la proclamer langue vivante, belle et «parlée
par tout le monde».

5.3.Les élèves inscrits en Lettres et philosophie:


5.3.1. «/c’est une belle langue et tout ### » (Farès83)
En présence de sa mère Hayet qui participe parfois à l’échange, Farès produit un discours
dans lequel il qualifie le français de «belle langue» (F83) tout en affirmant la difficulté, pour
lui, de l’apprendre. Une difficulté accentuée par le fait que Farès le considère dépassé par
l’anglais. Ce qui rend, à ses yeux, les efforts à fournir pour le maitriser lourds et inutiles
d’autant plus que, selon lui, le savoir est, actuellement, produit en anglais (F103, F105) et
qu’en français on ne fait que traduire... (F107). C’est dans l’ordre de cette comparaison qu’il
actualise le praxème lié à la beauté du français. Un praxème dont le fonctionnement discursif
ressemble à un principe général qu’il évoque sans se soucier de son réglage de sens, car son
objectif argumentatif est de réduire justement les atouts du français à cette beauté qui, en plus,
est révolue, selon ses dires:

E82/ donc l(e) français ###


F83/ non non/ c’est vrai l(e) français c’est une belle langue et tout ###
E84/ que veux-tu dire par belle langue?/
F85/ amek?/[comment ?]
E86/ tu as qualifié le français de belle l###
F87/oui/ en fin je pense/ je pense parce que euh:: parce que::/ parce que/ on dit
que le français c’est une belle langue parce que parce comme ça/ [rire]
E88/ comment comme ça?/
F89/ comme ça/ et c’est tout//
E90/comment comme ça et c’est tout ?/ qu’est ce que tu trouves de beau dans la
langue française?/
F91/ qui?/ moi?/
E92/ oui/ toi oui/
F93/ rien/ [éclat de rire suivi de celui de la maman et de moi-même]
E94/ tout à l’heure tu disais que le français est une belle langue//
F95/oui oui mi [mais] zik [autrefois]/ thoura tamgharth [maintenant elle est
veille]/ [éclat de rire suivi de celui de la maman et de moi-même]
E96/ amek tamgharth?/[comment ça elle est veille?]
F97/elle est veille c’est tout// [rire]/ ifouthit l hal[elle est dépassée]//
E98/ ah bon!/
F99/c’est fini/l’anglais partout même dagui [ici]/
E100/ tu penses?/
F101/ lghachi zran thoura belli l français iwaken ken atrouhad ar França [tout le
monde sait que maintenant le français c’est juste pour partir en France]/
mais laqraya [les études]la science et tout//
E102/ laqraya [les études] la science et tout//
F103/ih [oui] les sciences/ la technologie et tout s [c’est en] l’anglais/ walikan
[regarde] Google/ les meilleurs sites akw s [tous sont en] l’anglais//

En rupture dialogale dans l’objet du co-discours, comme le montrent les marques de dièse
par lesquelles sont mentionnés les dédoublements vocaliques (F83), ma requête en E84
surprend Farès. En effet, à ce moment de l’échange, il est question de la comparaison du poids
du français et de l’anglais dans le monde. En même temps qu’il exprime sa surprise dans sa
réplique immédiate (F85), il s’en sert pour gagner du temps sans doute nécessaire à la
programmation d’un sens que ma requête appelle sous forme de désambiguïsation d’un
propos qu’il vient tout juste d’actualiser, sous forme d’un retour sur son propre propos auquel
il ne semble pas avoir prêter attention avant de l’extérioriser comme une vérité dont il ne
parait pas douter. A ce sujet, ses tours de parole suivants (F87, F89, F93) révèlent que cette
attention est si réduite que Farès, en difficulté de formulation, se voit obligé de reprendre la
comparaison à l’anglais (qu’il ne qualifie pas de beau) dans une perspective temporelle pour
renvoyer cette «beauté» au passé (F95) et recentrer le débat entre les deux langues au plan des
«études» (F101), de la «science» (F103) et de la communication internationale (F101) et
électronique (F103), dans lequel Farès réduit au minimum la présence du français au profit de
l’anglais.

Par son approbation (F87), en interrompant mon explication en E86 de ma question en


E84, il se repositionne comme un interlocuteur qui comprend très vite, sans qu’on ait à lui
tout expliquer ainsi qu’il parait interpréter rétroactivement son tour de parole F85. Ensuite, il
entame l’extériorisation d’un discours en élaboration incertaine. Un discours portant les traces
de l’intensité de son activité signifiante comme le montrent les ruptures dans les programmes
de sens, les redondances et les allongements vocaliques. Ces ratages le donnent à voir comme
un interlocuteur à la recherche de propos pour, en même temps, assumer son choix de vouloir
toujours prendre le dessus. Ce qui exige de lui de répondre avec ‘’je’’, puisqu’il est interpellé
(E84, E86, E90, E92, E94), et de maintenir son opinion à l’égard du français quitte à
abandonner son ‘’je’’ pour se dire avec le ‘’on’’ de non-personne dans une perspective qui
n’est pas celle de généraliser à tous l’idée que le français est beau, mais celle que personne ne
sait ce qu’il y a de beau dans cette langue, comme pour anéantir cet unique argument qu’il
cite en faveur du français. Ainsi, la reformulation précise de ma question et mon insistance,
particulièrement en E90 et E94, aboutissent au contraire de ce que je cible, à savoir
l’explicitation par Farès de ce qu’il entend quand il déclare que le français est «une belle
langue» (F83, F87). Farès se saisit de mes questions pour faire comprendre à son père à
travers sa mère et surtout moi, sa principale interlocutrice, que même la beauté du français
n’est qu’une idée que personne ne peut prouver et que cette langue ne mérite pas toute
l’attention qu’on lui accorde et l’effort que son père exige de lui à l’apprendre (H27, F29). En
réalité, son rire en clôture à son tour de parole F87 dans lequel, à court d’argument, il
essentialise cette beauté ne serait-ce par l’actualisation de «comme ça», en fermeture à son
programme de sens, annonce une succession de banalisations et de ridiculisations (F89, F91,
F93, F95, F97, F101). Une annonce en écho à la visée réductrice des atouts du français dans
son propos en F83 où la double négation «non non», en introduisant le programme présentatif
«c’est vrai que l(e) français c’est une belle langue et tout», fonctionne dans la logique de son
tour de parole F81, dans lequel le français est implicitement réduit à rien au profit de
l’anglais dans tous les domaines: «la technologie», «le cinéma», «la musique et tout», «et
même les informations». Cette offensive est dialogalement si subtile qu’elle procède par la
provocation du rire auquel nous prenons part sa mère et moi (F93, F95), dans cette ambiance
libératrice de sa pulsion communicative défiant tout réglage polémique du sens et toute
autocensure dans l’extériorisation verbale de Farès pour qui le français n’a «rien» (F93)
« thoura» (F95), c'est-à-dire maintenant, même pas cette beauté d’‘’autrefois’’ (F95).

5.3.2. «/Belle sur le plan de son vocabulaire par exemple/» (Sofiane71)


Je saisis l’occasion où Sofiane discute des langues en présence dans son milieu scolaire et
social à la fois et où il établit une comparaison surtout entre les deux langues étrangères (le
français et l’anglais) et la langue officielle du pays (l’arabe), pour introduire ma question:
E62/ i ketch/ amek ithetswalidh la langue française/ [et toi/ comment vois-tu la langue
française?]
S63/ amek ?/[comment ?]
E64/ ih [oui] que penses-tu de cette langue ?/
S65/ euh :: j(e) sais pas moi euh ::/ c’est une langue euh : c’est une langue c’est une belle
langue/ voilà par exemple/

Dans sa réponse initiale, Sofiane reprend en écho l’élément interrogatif «amek», c’est à
dire ‘’comment ?’’, pour se donner le temps de réflexion, de programmation et de mise en
discours. Par ce procédé, il fait semblant de ne pas saisir le sens de mon interrogation quand
bien même celle-ci est réalisée dans sa langue maternelle, la principale langue de notre
échange. Je réitère alors ma question et cette fois-ci en choisissant volontairement de le faire
en langue française, supposant que mon interlocuteur a peut-être du mal à exprimer sa pensée
au sujet du français en kabyle. En effet, suite à ma seconde interrogation, et après hésitations
assez longues accompagnées d’une séquence de doute, il laisse enfin libre cours à sa pulsion
communicative pour mettre en mot la beauté de cette langue. Il conclut son programme par
l’actualisation du praxème adverbial «voilà», signe d’un souhait non-dit espérant par-là
couper avec mes questions ou, peut-être, changer de sujet de discussion. Ce qui ne
m’empêche pas de poursuivre dans la même optique visant à le faire parler davantage de ce
qualificatif : «belle langue».

E66/ une belle langue?/ c'est-à-dire?/ qu’est-ce qu’il y a de beau dans cette langue ?/
S67/ euh :: j’ (e ne) sais pas trop euh ::/ c’est la langue de Molière euh :: de Victor
Hugo euh :::###
E68/ donc c’est la langue de la littérature?/
S69/ oui si tu veux/

Cette courte séquence (S67) est marquée de quatre occurrences d’hésitation assez longues
qui montrent que mon interlocuteur est déstabilisé face à une question à laquelle il ne s’y
attendait sûrement pas. Il associe cette beauté du français aux deux grandes figures de la
littérature française: Molière et Victor Hugo. Dans sa référence à la littérature pour marquer la
beauté de cette langue, il tente discrètement de m’impliquer dans son discours, voire même de
me rendre quelque peu à l’origine de son opinion par cette réplique en S69 : «oui si tu veux».

Je ne me contente pas de ces réponses qui me laissent croire que les arguments avancés
au sujet de cette «belle langue» ne sont qu’une manière pour lui d’éviter plus de détails,
peut-être difficile à mettre en discours, voire à assumer. Ce qui me pousse à essayer encore
une fois de comprendre ce qu’il refoule et passe sous silence:

E70/ c’est pour ça que tu la trouves belle?/


S71/ non non euh :: c’est à dire que :: moi je pense qu’euh ::: enfin elle est :: belle
euh :: sur le plan de son vocabulaire par exemple// euh :: c’est aussi dans la
prononciation euh :: c'est-à-dire que c’est c’est c’est toujours bon euh :: enfin
moi euh :: ça m’(e) fait plaisir euh :: j’aime bien euh :: comment dire euh ::
j’aime bien euh :: quand quelqu’un euh ::: quand j’écoute quelqu’un qui parle le
français/ euh : j’aime bien ça// c’est beau à entendre si on peut dire ça comme ça/
le français c’est une langue de savoir euh :: de culture euh :: de technologie/ elle
a tout ::: elle est ::: elle :::/-/c’est formidable/ c’est dommage euh :: seulement
euh :: c’est dommage j’(e n’ai) ai pas une bonne base/ depuis l(e) primaire euh ::
on a pratiquement pas de prof de français/ et c’est mon problème aujourd’hui/
même si euh :: je vois que le français euh :: que la langue française est une belle
langue et tout hein/ je la trouve aussi difficile tu sais/

Traversé par une série de ratages d’actualisation discursive, la performance de Sofiane


porte les traces de son attitude à la fois gênée et inconfortable. En effet, la séquence «non non
euh :: c’est à dire que :: moi je pense qu’euh ::: enfin elle est :: belle » traduit une attitude
controversé. Il y tente au début de remettre en cause ses dires précédents (où il associait «belle
langue» à littérature) par un «non» de désapprobation, suivi immédiatement, et après s’être
rendu compte de ses propres contradictions, du marqueur dialogique «c'est-à-dire» par lequel
il cherche à établir un lien entre ses discours en essayant de reconstruire ses dires, pour enfin
revenir à la séquence de «belle langue», la dissociant implicitement de la littérature. En effet,
il fait intervenir, cette fois-ci, d’autres éléments caractérisant la beauté de cette langue: son
vocabulaire et sa prononciation. Dans le même ordre d’idées et pour certifier ses dires, il
produit un discours qu’il assume pleinement, mais où il laisse paraître cette difficulté de dire
(dans ses hésitations, ses répétions) ce sentiment appréciatif face à la prononciation que
réalise l’Autre en langue française. Ceci dit, il paraît que mon interlocuteur, qui se plaît à
écouter autrui parler en français, regrette de ne pas pouvoir le faire lui-même. Effectivement,
c’est ce qu’il ne tarde pas à mettre en discours quand il produit une séquence qui traduit sa
désolation par l’actualisation du praxème «dommage» de se voir d’un niveau moyen en cette
langue. C’est la raison pour laquelle il la juge «difficile». Il conclut ce tour de parole en
m’interpellant «tu sais» comme s’il cherchait en moi une complicité ou, au moins, une
compréhension.
A ce stade de l’interaction, je peux dire que Sofiane est lui-même confus par rapport à ce
qualificatif de «belle langue». En effet, il juge cette beauté, au début, en faisant référence aux
deux figures de la littérature (peut être les plus connues pour lui ou les seules qu’il connait),
puis il fait référence au vocabulaire de cette langue, sur lequel il ne s’étale pas d’ailleurs, pour
toucher ensuite à l’aspect oral de cette langue (sa prononciation), et enfin témoigner de sa
difficulté. A cet effet, il fait intervenir d’autres voix pour exprimer, dans un dialogisme
interdiscursif, le caractère difficile de cette langue sans pour autant apporter quelques détails
de cette difficulté car, pour lui, cela relève de la notoriété publique; du moins dans son
environnement scolaire.

J’insiste alors sur cette difficulté en introduisant une nouvelle question à laquelle il met du
temps à confirmer ce que la collectivité penserait: le français serait une langue difficile par
rapport à l’anglais:

E72/ qu’est-ce qui est difficile au juste ?/


S73/ c'est-à-dire que :: quand je lis des textes comme ça en français euh :: c'est-à-dire
euh :: je ne comprends pas tout/
E74/ c’est normal/ c’est le cas de tout le monde/ mais petit à petit###
S75/ awah [ah non]/ c’est vrai c’est une langue riche/ beaucoup de synonymes et tout/
mais :: moi c’est difficile mlih [beaucoup]/
E76/ andats [où est] la difficulté justement/
S77/ tvan mlih [c’est assez évident] normalement non ?/ di la [en] conjugaison bien sûr/
E78/ safi thwaâr [donc c’est difficile] la conjugaison di throumith [en français]?/
S79/ah oui/ mlih[assez]/ atas n les [beaucoup de] temps/ atas n les [beaucoup de] modes
et tout/ le subjonctif/ le conditionnel/ l’indicatif eccétéra/ yerna wigui saân akw
ach hal n les temps [en plus chacun de ceux-ci contient plusieurs temps]/ walah
mathqedhaât [je jure que tu ne la rattraperas jamais] (rire)/
E80/ donc###
S81/ par rapport ar [à] l’anglais par exemple hein/ c’est pas pareil non?/
E82/ amek ?/[comment ?]
S83/ c'est-à-dire que l’anglais par exemple machi am [c’est pas comme] l(e) français/
E84/ sur quel plan/
S85/ di la conjugaison yagui [en conjugaison] bien sûr/
E86/ ah oui !/ dachou id [c’est quoi] la différence ?/
S87/l’anglais euh :: par exemple on trouve trois temps ken [seulement]// présent/ futur/
passé/ contrairement au français/

Au début de son tour de parole S73, Sofiane considère la difficulté de la langue française
dans les textes dont il dit ne pas saisir le sens. J’en déduis par-là que son problème est lié à la
sémantique des mots. C’est pourquoi je tente de le rassurer en généralisant cette difficulté à
l’ensemble de ses semblables. Mais sans succès. En effet, il focalise cette difficulté sur lui-
même (S75), soulignant son incapacité à comprendre tant de «synonymes» de cette «langue
riche». Et comme pour accentuer ses dires, il actualise en clôture à ce tour de parole (S75), le
praxème «mlih», c’est à dire ‘’assez’’ dramatisant l’intensité de cette difficulté ressentie à
l’égard du français. Devant mon insistance sur le réglage qu’il donne du praxème kabyle
‘’difficile’’ dont il qualifie le français, il introduit un paramètre autre que la sémantique: la
conjugaison. Son tour de parole S77 est une manière de se montrer à la fois sûr de ce qu’il
avance et étonné par ma question. En effet, la complexité de la conjugaison de la langue
française est, pour lui, si évidente qu’il est inutile, voire décalé de l’interroger à ce propos. Il
accentue, en ouverture à son tour de parole S79, le degré de cette difficulté dans la
conjugaison française puis entame en rafale les modes puis les temps du français pour dire
qu’il les connait C’est à dire qu’il sait de quoi il parle. Mais aussi pour expliciter, en fait, non
pas la difficulté de cette conjugaison mais sa complexité qu’il faut connaitre pour saisir le
sens des textes (S73). Cependant, dans le fait de citer seulement les trois modes indicatif,
subjonctif et conditionnel et mettre les autres dans le praxème «eccétéra» ouvert et indéfini, il
laisse déduire que mon partenaire de l’échange ignore en réalité les autres modes de la
conjugaison du français. Dans ce sillage, son rire final lui sert de moyen pour camoufler cette
incompétence qu’il lie lui-même à sa difficulté de saisir le sens quand il lit. Et pour se
défendre de toute incompétence justement, il adopte la différence par rapport à la langue
anglaise, dotée de trois temps de conjugaison ‘’uniquement’’ (S87), pour dire sans dire que le
problème est dans la langue et non pas en lui.

5.3.3. «/ le français […] c’est beau quoi/ » (Smaïl 150)


Candidat au baccalauréat, série Lettres et philosophie, Smaïl produit un discours dans
lequel se mêlent gaieté, plaisanterie et vérité. Passionné par la philosophie, branche qu’il
souhaite poursuivre à l’université, il regrette cependant le fait que celle-ci s’effectue
essentiellement en langue arabe au sein des universités algériennes et aurait aimé apprendre,
comme il le dit plusieurs fois dans l’échange, à se concentrer en français:

S31/ akhatar s l(e) [parce qu’en] français au moins nezra belli [on sait qu’] euh ::/ yella
wamour tidhets [il y a une part de vérité]/ matchi am thoura [c’est pas comme
maintenant]//

Smaïl produit une séquence en kabyle, sa langue maternelle, comme pour mieux exprimer
sa pensée. Il ne s’implique pas directement dans son discours puisqu’il se met en retrait
derrière un ‘’on’’ indéfini ou, au mieux, un nous endogroupal dans lequel il intègre
discrètement l’ensemble de ses semblables comme pour ne pas assumer seul cette déclaration
pour caractériser de véridique ce qui se fait en langue française: «yella w amour tidhets» ( il y
a une part de vérité). Cette séquence suppose un énoncé enchâssé, non-dit, qui présume
qu’avec d’autres langues, cette authenticité disparaît. Et c’est naturellement à la langue arabe
qu’il fait allusion puisque c’est d’elle qu’il s’agit ici comme langue des études de philosophie
à l’université. C’est du moins le sens qu’implique sa séquence en clôture à son tour de parole
S31: «matchi am thoura», qui signifie ‘’ce n’est pas comme maintenant’’ dont le praxème
temporelle règle ce sens comparatif à l’arabe. Ainsi, il se positionne clairement en Autre par
rapport à l’arabe et en même temps par rapport au français.

Dans la même optique, et plus loin dans l’échange, Smaïl semble volontairement laisser
paraître cette mêmeté et cette altérité:

S150/ mais s l(e) [en] français c’est moderne euh :: c’est c’est amek ad inigh [comment
je vais dire]/ c’est beau quoi c’est pas mort comme s l’[en]arabe//
E151/ donc s l(e) français c’est beau/
S152/mahsouv [c'est-à-dire que] c’est euh :: je (ne) sais pas moi euh::/ amek ad inigh
[comme je vais dire] euh:: la liberté et la personnalité et tout/ c’est faux/ s
l’[en]arabe ça n’existe pas qaren negh aka [on nous comme ça ] mais di l waqiî
oulach [en réalité il y en a pas]//

Dans son tour de parole S150, Smaïl commence par faire l’éloge de la langue française en
la qualifiant de «moderne ». Il tente immédiatement, et sans y être sollicité, d’expliquer cette
modernité en cherchant par cette séquence «euh :: c’est c’est amek ad inigh»
(‘’comment je vais dire?’’) à gagner du temps pour organiser et extérioriser sa pensée. Ainsi,
il semblerait que pour mon interlocuteur, le praxème «moderne» rime avec ‘’beauté’’ de la
langue française, et sous-entend que celle-ci est vivante, comparativement à la langue arabe
qui ne le serait pas.

Cette caractéristique de «beauté» attribuée à la langue française attire mon attention et


m’engage à insister auprès de lui afin qu’il développe davantage ce trait. Cependant, il
semble que Smail est embarrassé par la précision de ma requête, puisqu’il hésite d’abord,
puis essaie d’éviter de répondre («je ne sais pas moi»), pour enfin avouer sa difficulté de dire
dans la séquence «amek ad inigh» (‘’comment je vais dire?’’). De ces stratégies d’évitement,
il actualise des séquences confuses et désordonnées par lesquelles il refoule son dire peut être
pas facile à assumer car soupçonnant des questions de ma part le concernant, comme c’est le
cas de cette séquence «la liberté et la personnalité et tout, c’est faux». C’est pourquoi il
préfère s’attarder sur la langue arabe, quand bien même cela ne fait pas l’objet de ma
sollicitation. Je déduis de cette attitude qu’il est difficile pour Smail de parler de la langue
française et c’est plutôt plus aisé pour lui d’aborder négativement la langue arabe. Je suspecte
donc que mon interlocuteur, qui tente par différents procédés d’éviter d’actualiser son à-dire,
cache un discours qui n’est probablement pas facile à extérioriser. C’est peut-être aussi cette
crainte de subir mes interrogations futures qui le maintient si réticent et si prudent dans ses
propos. Toutefois, et comme pour me confier son secret, il avoue:

S160/mais am dinigh essah/ essah vghigh ad rouhagh// [/ mais je vais te dire la


vérité/ la vérité est que je veux partir//]

Cette confession me laisse perdue et confuse: s’agit-il en fait de cet à-dire refoulé qu’il
souhaitait passer sous silence durant les tours de parole précédents ou c’est plutôt ce dont il
espérait discourir, en cherchant à détourner mon attention?

5.4. Les élèves inscrits en Sciences expérimentales:


5.4.1. «/En français c’est plus doux//» (Kamélia142)
Comme Sofiane, Farès, Ibtissem, SmaïI, etc., Kamélia qualifie le français de «belle
langue» plusieurs fois dans l’entretien.

K116/ […] euh :: c’est une belle langue/ une très belle langue// voilà/ la littérature et
tout c’est clair/ les écrivains euh :: les écrivains et tout/ c’est clair/ comme euh ::/
voilà le français/[…]

Kamélia associe la beauté de la langue française à la littérature et aux écrivains.


Cependant, elle a du mal à aller au bout de sa réflexion puisqu’elle ne met pas en mots cette
concordance unissant beauté, littérature et écrivains. Elle choisit le praxème adverbial «tout »
comme pour dire que la beauté de la langue française s’étend à d’autres domaines, qu’elle
n’indique pas dans ce programme. Les hésitations, les allongements syllabiques ainsi que les
pauses, plus ou moins longues, sont des signes qui laissent croire que mon interlocutrice a du
mal à extérioriser son dire. Ceci est intensifié, en clôture de ce programme, par le praxème
«voilà», en guise de conclusion, alors qu’elle ne s’est vraiment pas étalée à ce sujet.
Je la relance alors à propos du français perçu comme une «belle langue» dans le but de
saisir ce qu’elle tente de dissimuler ou, peut-être, qu’elle ne parvient pas à extérioriser:

E116/ euh :: tu disais que le français est est une belle langue//
K117/ i euh::/ comme ça on dit/ comme ça on dit/ c’est sûr///

Comme pour se décharger de toute responsabilité, Kamélia attribue ses propos à un «on»
indéfini. Et par crainte d’assumer seule ses dires, elle laisse entendre que ses révélations
précédentes relèvent de la doxa. Ainsi, comme pour confirmer la popularité de cette
expression, elle use du marqueur dialogique à valeur co-constructive «c’est sûr», sous-
entendant par-là, qu’elle refuse tout commentaire émanent de ma bouche à ce sujet. Toutefois
j’insiste auprès d’elle afin de saisir le réglage dissimulé du sens de ce qualificatif «belle
langue».

E118/ mais tu ne sais pas pourquoi//


K119/ si si mais ::/ mais c’est euh ::/ oui c’est une belle langue/ c’est sûr c’est sûr/ je
crois euh :: enf/-/ c’est par rapport aux écrivains?/ il y a en plus les grands
chanteurs am Jacques Brel/ Céline Dion/ Lara fa/-/ et tout// je pense je pense/
c’est vrai c’est une question/ ça c’est vrai/ neki[moi] je pense daghen [aussi]euh ::
l(e) français euh ::: je (ne) sais pas/ je (ne) sais pas/ mais quand on parle euh ::
quand on parle euh :: je veux dire quand je je quand j’entends le français// c’est
c’est comment euh :: amek ad inigh [comment dire] euh :: c’est doux quoi/[rire]/
oui oui s l’[en] anglais euh :: c’est ghouri [pour moi] ah! ghouri [pour moi]/
ghouri s l’[pour moi en] anglais c’est c’est comme euh comme ag/-/ ag/-/
agressif///

Traversé par une série de ratages d’actualisation, ce discours cache mal cette situation
embarrassante dans laquelle sombre mon interlocutrice. Témoignent de ce malaise ces
séquences de doute «je pense», «je crois», d’ignorance «je ne sais pas», cette interrogation
«c’est par rapport aux écrivains?» par laquelle elle m’interpelle, ces interruptions, ce
marqueur dialogique «je veux dire» par lequel elle cherche à établir un lien entre son déjà dit
et son à-dire et à reconstruire ses propos.

Par cet aspect, Kamélia rejoint quelque peu l’attitude d’Ibtissem. En effet, elle aussi lie
cette beauté de la langue française à un domaine artistique: la musique et le chant avec
jacques Brel et Céline Dion.
D’autre part, il semblerait que pour elle, cette beauté rime également avec douceur. Ceci
en comparant la langue française à la langue anglaise qu’elle qualifie d’agressive. Ce praxème
adjectival «agressif» à forte signification suscite mon interrogation:

E120/ agressif ?//


K121/ ih enfin euh ::/ c’est c’est pas am [comme] l’(e) français/ s l’[en] anglais euh ::
d’ailleurs euh :: enf/-/ mais moi moi hein!/ moi je préfère euh :: [rire]/ ih [oui]
c’est vrai/ dessah [c’est vrai]/ je je préfère les femmes euh :: les femmes quand
elles parlent s l[en] français// je préfère/ les hommes euh :: s l’[en] anglais peut
être mais euh ::###

En K121, Kamélia produit un programme marqué par des hésitations, des répétitions, des
interruptions de programme et surtout une focalisation sur soi. Elle assume pleinement ses
propos surtout en évoquant elle aussi, tout comme Ibtissem, le plaisir éprouvé à l’écoute de
l’accent féminin. Fait-elle référence, à l’instar d’Ibtissem, à cette douceur non dite qui se
dégage du parler féminin? Effectivement, c’est ce qu’elle souligne plus loin dans son tour de
parole K123. Mais à la différence d’Ibtissem, qui compare entre l’accent masculin et l’accent
féminin, Kamélia compare plutôt entre deux langues:

E122/ tu veux dire les garçons/[rire]/


K123/ ih [oui] bien sûr mais oula [même] les grands/ euh :: je je pense akka [comme
ça]/ le français c’est doux mais l’anglais c’est vrai/ c’est vrai c’est fort// et donc
euh ::###

Aux yeux de mon interlocutrice, il émane de la langue française une douceur alors que de
la langue anglaise il découle une agressivité. Cependant, jugé sans doute lourd de
signification, ce praxème «agressif» a été revu dans l’intention d’atténuer sa portée
significative, en lui substituant cette fois-ci celui de «fort». Cette distinction effectuée entre
ces deux langues m’amène à l’interroger à propos de sa chanteuse préférée, précédemment
citée et dont la voix artistique alterne entre ces deux langues:

E136/ et tu trouves que Céline Dion quand elle chante euh :: quand elle chante en
anglais/ en anglais/ elle est ag/-/ agressive ?//
K137/ NON/ Céline Dion? jamais/ je l’adore/ j’ai tous les CD ines [ses]/ akw[tous]//
E138/ mais tu la préfères chanter en français//
K139/[silence]/ oui/ c’est vrai// c’est vrai j’aime bien euh ::/ oui oui//
E140/ peut-être que tu comprends mieux//
K141/ non non/ je comprends aussi mais euh ::: mais/ je (ne) sais pas je sais pas// en
français en français c’est plus doux//
Kamélia contredit ses propos. En effet, elle, qui soulignait le caractère agressif de la
langue anglaise, n’admet pas de qualifier de tel son idole Céline Dion, chantant en anglais.
Mais elle déclare tout de même son plaisir à l’écouter chanter en français, puisque «c’est
plus doux» (K141) en cette langue, selon ses dires.

Ainsi, à travers l’analyse du discours de Kamélia, je déduis que qualifier le français de


«belle langue» est, pour mon interlocutrice, lié à cette douceur qui résonne dans la voix
féminine. «Belle langue» rime donc avec douceur, du moins pour les deux interlocutrices
Ibtissem et Kamélia.

Il serait intéressant de voir à partir d’une approche psychanalytique du discours de


Kamélia, pourquoi à la qualification du français comme une langue douce (K120, K124,
K130, K142), Kamélia associe la pratique féminine de cette langue (K122) dont elle dit
préférer entendre la pratique, quand à la catégorisation de l’anglais comme une langue
«agressive» (K120) et «forte» (K124) elle associe la pratique masculine (K122) dont elle dit
aussi préférer la pratique (K22)?

5.4.2. «/c’est l’élégance bien sûr/ » (Saliha149)


L’élégance du français apparait dans le discours de Saliha comme une des raisons pour
lesquelles elle le préfère à l’arabe bien qu’au cours de l’échange c’est en arabe qu’elle
s’exprime. Ses hésitations à s’exprimer en français pourraient expliquer sa difficulté à
désambiguïser le praxème aussi bien en tant que substantif qu’adjectif. Si bien qu’elle choisit,
pour ce faire, comme c’est le cas pour expliciter la notion de scientificité du français, de
passer par deux noms de deux artistes célèbres de surcroit féminin comme si Saliha veut
signifier l’exclusivité féminine de l’élégance.

E146/ oui tu (ne) m(e) dis pas ce que ce que tu aimes du français//
S147/ kifach?/ kifach?/[comment?/ Comment?]
E148/ ce qui te plait f l [en]français/
S149/ l’élégance bien sûr/
E150/ qu’est ce qui est élégant/
S151/ l (e) français bien sûr/
E152/ et tu peux préciser ce que tu dis là/
S153/ kifach?/[/comment ?/]
E154/ qu’est-ce qu’il y a d’élégant###
S155/ koulach[tout]/ surtout la France et tout/ j’aime bien euh :: Lara fab/-/
Céline Dion euh ::/ aâla bali [je sais aussi]Célion Dion taâ [de]Canada/
mais mais elle chante b l [en] français// ih b l [en] français euh :: b [en]
l’anglais aussi//
E156/ et c’est ça que tu trouves d’élégant ###
S157/ elle a :: elle a une belle voix/ sentimentale/ mais moi moi khir ki:: [c’est
mieux quand::] elle chante b l [en] français/ khir m [mieux que] l’anglais/
E158/ aâlah [pourquoi]?/ b l [en]anglais aussi elle ###
S159/ sah [c’est vrai] mais b l[en] français euh ::/ j(e ne) sais pas euh ::/ t ban li
ki euh :: t ban li chwghal euh :: t ban li sentimentale [elle me parait comme
euh:: elle me parait comme euh :: elle me parait comme sentimentale]//
sentimentale kima kima hata wahad [comme aucune autre personne]/

Au moyen de sa double réplique à vocation interrogative en S147, Saliha temporise en


faisant semblant de ne pas saisir ma demande. Elle m’incite implicitement à la lui expliquer.
Ce que je fais en E148. Elle laisse entendre, d’une manière confiante, que c’est «l’élégance
bien sûr» de la langue française qui motive son appréciation. Cette réponse me paraît vague
et ambiguë. C’est pourquoi je tente d’en savoir plus sur le réglage de sens qu’elle donne à ce
praxème, et surtout ce qu’elle trouve d’élégant dans la langue française. A ma surprise, elle
n’apporte aucun détail (S151). Elle se contente simplement de lier les deux praxèmes: celui de
«l’élégance» et celui du «français». Cette réponse ne me satisfait pas car j’ignore, en effet, si
Saliha tait volontairement sa pensée ou cherche-t-elle à détourner mon attention ou encore
tente-t-elle de se procurer du temps supplémentaire afin de pouvoir programmer et mettre en
discours son dire ? Ce qui me conduit à renouveler ma requête en E152 sollicitant auprès
d’elle plus de précisions. Encore une fois, elle réitère en arabe algérois le même procédé
interrogatif que celui du tour de parole S147, pour faire semblant de ne pas me comprendre.
Ce n’est qu’en S155 qu’elle entame la formulation d’une réponse en associant le praxème
«élégance» à un autre praxème «la France»; mais sans donner de détails de cette association.
Ainsi, elle la rend aussi opaque que le générique «koulech», c’est à dite ‘’tout’’ par lequel
elle interrompt subitement mon programme interrogatif de E154 comme si elle ne souhaite
pas entendre ma requête ou comme si elle est pressée de personnaliser le praxème lui-même
pour lui donner un aspect concret et indiscutable. En effet, à la précision impersonnelle
qu’implique le parapraxème «surtout» et qu’annule tout de suite après le généralisant «et
tout», succède son programme de sens assumé avec «je» par lequel Saliha marque une
distanciation vis-à-vis de ma question. Elle me signifie que cela relève du subjectif, voire du
privé. Je ne l’entends pas ainsi au moment de l’échange puisque je ‘’récidive’’ tout de suite
après en E156.
Ainsi, pour expliciter son propos, Saliha cite dans un premier temps Lara Fabian dont elle
tronque le nom révélant la bousculade au portillon de l’extériorisation de celui de Céline
Dion, plus connu dans le monde et qui, en plus, n’est pas de France mais du Canada comme
elle le précise, sans doute, pour clarifier ce à quoi renvoie son «et tout» actualisé juste après le
praxème «la France». Dans un deuxième temps, elle se focalise justement sur le nom de
Céline Dion pour, d’une part, signifier sans dire qu’elle n’est pas de France et, d’autre part,
souligner son bilinguisme français-anglais mais dont elle ne retient, dans un troisième temps,
que le français auquel elle associe la beauté de la voix et du sentiment du chant de l’artiste.
Elle interrompt ma réplique E158, où je tente de lui faire entendre la beauté du chant en
anglais de Céline Dion, et pointe, dans son tour de parole S159, la présence non dite d’un
énoncé enchâssé qui suppose que ce caractère «sentimental» disparait chez la même
chanteuse quand elle se met à chanter en anglais!

5.5. Un élève inscrit en Mathématiques: «/C’est beau et tout/» (Sabrina124)


Karima, la mère de Sabrina, était présente lors de la réalisation de l’échange. Une PES de
mathématique qui n’hésite pas à intervenir, même sans y être sollicitée, tantôt pour plus de
précisions, tantôt pour appuyer les propos de sa fille ou pour les ajuster.

En discutant avec Sabrina des langues, en général, celle-ci déclare sa préférence des
langues anglaise et française. Je m’attarde sur celle-ci en l’interrogeant sur les raisons à
l’origine de cette appréciation.

S124/ oui oui j’ai j’ai euh ::/ pa(r) ce euh :/ je (ne) sais pas/ je (ne) sais pas/ c’est beau et
tout/ international/ en plus c’est facile puisque euh :: puisque tout le monde dagui
[ici] connait l(e) français//

Sabrina débute son programme par un «oui» d’approbation et confirme son attirance
envers la langue française. Mais elle produit également des séquences d’ignorance «je ne sais
pas», des séquences inachevées comme «j’ai euh ::», des hésitations pour se procurer du
temps afin de programmer l’à-dire et se décider à le dire. Elle finit par exprimer brièvement
son idée sur un ton qui rappelle celui d’une personne pressée de finir avec la question: «c’est
beau et tout». En effet, dans l’actualisation de ce praxème adverbial «tout», elle dissimule un
non-dit qu’elle a, peut-être, du mal à extérioriser. Qu’entend-t-elle par ce praxème? Est-il
vraiment réglé dans le but d’élargir le champ de la ‘’beauté’’ de cette langue? En plus, le
statut de langue «international», l’adjectif de langue «facile» et populaire sont en fait d’autres
traits définitoires du français selon Sabrina et ils n’en constituent ni une explication ni une
illustration. Par contre, ils s’offrent à elle comme un moyen de contourner le fond de ma
question qui, elle, cible le contenu, c'est-à-dire le réglage de sens du praxème «beauté» avec
lequel elle distingue le français. C’est pourquoi, j’insiste davantage sur le fonctionnement
discursif que ses propos donnent à entendre:

E125/ euh :: tu dis que c’est beau///


S126/ ih// euh :: tu vas me dire daghen [encore] qu’est-ce que ça veut dire ?/
K+E127/ [éclat de rire]
E128/ c’est c’est c’est sûr//
S129/ j’étais sûr/ j’étais sûr/ pourquoi toutes les précisions agui [ces]?/ tsagui id [c’est
ça]la rech###
E130/ pour que je comprenne//
S131/ mahsouv [comme si] tu (ne) sais pas ce que ça veut dire ça?/
K+E132/ [éclat de rire]/
E133/ si mais :: je veux euh :: je veux que que euh :: que toi/ que toi###
S134/ mais c’est toi/ c’est toi/ puisqu’i l’université ###
K+E145/ [éclat de rire]/
E146/ ih d’accord/ mais chacun ce qu’il voit de beau di l [en]français/ /
S147/ ce qui est beau est beau/ sauf euh :: sauf les :: enf/-/ sauf les méch/-/ les jaloux/
les jaloux sont aveugles/ ils ne voient pas la beauté/ tswalin kan [ils ne voient
que] les défauts//
E148/oui d’accord/ mais dis- moi maintenant ce que toi hein ! ce que toi tu vois de beau
dans dans la langue française///
S149/[silence]/// moi euh :: pour moi/ je (ne) sais pas/ on dit comme ça et c’est tout/
voilà/
E150/ et tu l’aimes comme ça/
S151/ NON/ je veux dire que c’est une belle langue/ voilà/ ih [oui] c’est vrai c’est une
belle langue//
E152/et tu peux/ tu peux décrire cette beauté/ wasf hadha el djamal [décrire cette
beauté]//
S153/zrigh [autrefois]!/ akken id nigh ilaq ad sfahmagh [tout ce que je dis je dois
l’expliquer]/ pour moi c’est simple/
E+K154/ [éclat de rire]/
K155/euh :: c’est vrai que euh ::/ c’est un peu difficile euh :: en expression// euh :
même en arabe/ on ne leur a pas appris ça//

En E125, je reprends simplement l’affirmation précédente de Sabrina. Celle-ci se sent


‘’attaquée’’ et me répond par une question dans laquelle elle semble prévoir ma question à
venir, en me reprochant discrètement ma curiosité à vouloir tout comprendre. L’introduction
du praxème ‘’encore’’ dans son interrogation montre à quel point ma partenaire est agacée par
mes interrogations. J’essaie alors de détendre l’atmosphère par ce rire auquel sa mère
participe, sans doute pour la même raison. Je lui confirme juste après (E128) son présage, la
sollicitant, par conséquent, de définir ce qui serait beau dans la langue française. Et comme
par mécontentement, elle enchaîne une nouvelle interrogation (S129) dans laquelle elle
reproche mon exagération à trop vouloir comprendre, c'est-à-dire à l’interroger dans le
détail… Elle tente même discrètement de ridiculiser la recherche (‘’c’est ça la recherche’’),
mais ne parvient pas au bout de sa réflexion puisqu’elle interrompt volontairement son
programme final.

Je tente alors de la rassurer en lui signifiant que mon insistance répond à un simple désir de
comprendre. Mais mon argument ne semble pas convaincant pour elle. Elle ironise en
m’accusant subtilement de jouer à l’ignorante pour susciter une parole explicative: «’’comme
si’’ tu (ne) sais pas ce que ça veut dire ça?» (S131). Je ‘’fais la sourde oreille’’ de la portée
sémantique d’une telle réflexion, en plongeant, en compagnie de sa mère, dans un éclat de
rire avant de lui signifier à quel point son avis à ce sujet comptait pour moi.
Malheureusement, elle n’en finit pas avec ses commentaires. Mais cette fois, elle trébuche sur
un programme inachevé, donc insensé (S134) que je camoufle avec sa mère en éclatant de
rire, avant de lui signifier l’importance pour moi de la diversité des opinions des uns et des
autres. Sabrina parait reprendre confiance en elle en confirmant sa position de départ («ce qui
est beau est beau»), suivi d’une séquence marquée d’hésitation et d’interruption comme si
elle craint de mettre en discours sa pensée. Elle parvient à achever son tour de parole dans
lequel elle fait entendre d’autres voix avec qui elle entre en opposition dans un rapport
dialogique à distance (S147).

Jusqu’ici, ma partenaire de l’échange a fui tout questionnement au sujet de ce qu’elle


trouve de «beau» dans la langue française. En effet, elle a su taire son à-dire, probablement
difficile à assumer, par différents procédés d’évitement: en m’interrogeant, en me
soupçonnant, en me ridiculisant ou même en faisant intervenir d’autres voix absentes de
l’interaction. Je n’en reste tout de même pas à ce niveau puisque je la relance encore dans
l’espoir de l’entendre expliciter le sens qu’elle règle dans l’actualisation répétée de ce
praxème adjectival. Son assez long silence au début de son tour de parole S149 qu’elle brise
avec une double focalisation sur elle-même n’aboutit pas à une rupture dans la stratégie
d’évitement qu’elle a adoptée jusqu’ici. Bien au contraire, elle reproduit sa formule défensive
«je (ne) sais pas» puis engage un discours qu’elle n’assume pas directement, laissant
l’ambiguïté de l’indéfini «on» reprendre sa place avec cette nuance que porte ce sentiment
confus d’insécurité qui débouche sur cette séquence à vocation de couper court avec ce sujet:
«on dit comme ça et c’est tout/ voilà».
Peu convaincue de cet argument, j’insiste (E150). Comme acculée, elle réplique en
extériorisant une séquence dans laquelle j’eus le sentiment qu’elle voulait en finir et même
se débarrasser de mes interrogations en confirmant tout simplement la beauté de la langue
française, en S151. Pour rétablir l’échange au point de la rupture tout en sauvant ma face, en
abandonnant le réglage flou de ce praxème, je passe du français vers l’arabe croyant que
Sabrina a des difficultés de dire en français du fait de sa formation arabisée.

L’introduction du praxème «zrigh » (‘’je le sais’’) à l’initial de sa réponse S153 traduit ce


sentiment à la fois de gêne et de dégoût face à mon insistance. Mon interlocutrice semble
agacée par mes demandes auxquelles elle n’arrive pas à répondre. Elle ressent mes
interrogations comme un harcèlement puisque, selon elle, elle se voit contrainte d’expliquer
chacune de ses mises en discours qu’elle considère pourtant simple et surtout claire, voire
évidente: «akken id nigh ilaq ad sfahmagh », (‘’il faudrait que j’explique tout ce que je dis’’).
A l’issue cette réflexion, sa mère et moi éclatons de rire comme pour camoufler la gêne
qu’éprouvait mon interlocutrice et pour détendre l’atmosphère qui pèse de plus en plus
lourdement sur les enchainements dialogaux de moins en moins pertinents. C’est aussi, sans
doute pour cela, mais pour d’autres considérations que les miennes, que Karima, sa mère, qui
partageait en ma compagnie cette espèce d’hilarité, intervient, comme pour porter secours à sa
fille, en fin de ces tours de parole (K155). Après hésitation, elle détourne le sujet de
discussion pour souligner la difficulté que rencontre l’ensemble des élèves dans l’expression
de leurs idées y compris en arabe sous-entendant qu’en français c’est encore plus vrai du fait
du statut scolaire respectif des langues. Elle rejette la responsabilité sur un «on» de non
personne, souhaitant discrètement déculpabiliser sa propre fille. A ce moment, intervient
Sabrina, et cette fois, pour me reprocher de trop lui demander, ou plus précisément, de trop
parler, en qualifiant mes recherches de philosophique:

S156/ NOOON/ c’est euh :: d la philosophie// d la philosophie/ bien sûr//

Cette marque de désapprobation annoncée à l’initiale de sa réponse est comme une


manière d’introduire ce qu’elle reprochait à toutes mes interrogations. En effet, le fait de
‘’trop interroger’’, ‘’de trop polémiquer ‘’, relève, pour mon interlocutrice, de «philosophie».
Dans l’inconscient de ma partenaire de l’échange, se profile cette réalité commune et très
répandue au sein de la communauté sociale et scolaire dans laquelle évolue Sabrina. En effet,
la doxa tend à considérer philosophique, non pas la recherche de la vérité, mais tout abus de
parole et toute polémique autour d’un sujet. J’admets alors mon exagération dans mon
insistance à trop vouloir comprendre ses dires (E159). Et mon interlocutrice avoue la
difficulté éprouvée face au sujet de conversation qui nécessite, selon ses dires, trop de détails
et de précision:

S162/ mais le sujet agui iwaâr yaah// [mais ce sujet est difficile yaah//]
E163/ ya ::h!/ [ah bon !]
S164/ ah bien sûr/ en plus ilaq koulech b tadqiq [il faut tout avec de la précision]//

5.6. Conclusion:
Bien que l’actualisation «belle langue» émane de ces élèves et qu’elle n’est nullement
suscitée par mon guide d’entretien au moyen duquel, je rappelle qu’il s’agit moins de les faire
parler de tout que de désambiguïser leurs propres praxèmes, aucun d’entre eux ne produit un
discours de clarification malgré mes efforts pour les amener à considérer de plus près cette
qualification. Des efforts qui sont, dans bien des cas, notamment avec Kamélia et Sabrina,
mal appréciés, voire assimilés à un véritable harcèlement interrogatif/conversationnel sur un
sujet qu’ils ont eux-mêmes introduit sans s’attendre à de telles focalisations de ma part.
Pourtant, c’est tout l’enjeu de l’exercice auquel ils ont accepté de prendre part: m’expliquer ce
que chacun(e) entend par cette tournure, le français est une langue belle, élégante et/ou
attirante…

Le plus souvent hésitants et embarrassés, parfois volontairement réfugiés dans une


comparaison soit à l’anglais, renvoyant le français et sa beauté dans le passé (comme avec
Melissa et Farès), soit à l’arabe à propos de quoi on n’éprouve pas trop de difficultés à
expulser du sens négatif (surtout avec Saïd), ils répliquent rarement et leurs tours de parole
respectifs, au moment du traitement interactif de la beauté du français, les donnent à voir à
court d’arguments parce qu’il est vrai que le contenu que je demande est problématique, ni
simple ni facile à décrire. Ce n’est donc pas étonnant que de leurs actualisations les plus
redondantes, figurent l’essentialisation « (c’est) comme ça (qu’on dit)», l’auto-focalisation «je
(ne) sais pas (moi)» et l’interrogatif à valeur discursive «comment dire?» dont le réglage de
sens est, au niveau explicite, un aveu de difficultés à définir, à décrire ou à faire ressortir ce
qu’il y aurait de beau dans la langue française, et, au niveau implicite, une invitation à
changer d’objet de discours, particulièrement avec Sabrina, Wiza et Saïd. Même les tentatives
d’explicitation de leur opinion en liant cette beauté au chant et à la musique de J. Brel et C.
Dion, comme le fait Kamélia et Saliha, à la littérature à travers les noms de Molière et de
Hugo, comme le fait Sofiane, consistent à rendre visible cette beauté qu’Ibtissem trouve dans
la voix et la prononciation de son ancienne institutrice de français, à l’exclusion de son ancien
instituteur dans la même matière et que Kamilia se procure dans le chant en français de
Céline Dion car, selon elle, le chant de cette dernière en anglais, c’est «agressif» (K119,
K123).

Douceur de la voix féminine francophone, douceur des villages de France, pour Melissa,
etc., la beauté du français semble être, en effet, insaisissable probablement parce qu’elle
relève exclusivement du subjectif comme le signifie Saliha. Mais c’est aussi de cette
subjectivité qu’il s’agissait quand ces élèves, en accord avec leurs parents, ont accepté de
discuter avec moi des langues à l’école et à l’université…

Peut-être que c’est parce que cette thématique de la beauté du français ne figure pas dans
leur réponse au questionnaire de la pré-enquête, comme je le souligne en introduction à ce
chapitre, que ces élèves, ne s’attendant pas à rencontrer ma curiosité au bout de leur
qualification du français ainsi, n’arrivent pas à produire plus de commentaires de
désambigüisation de ce contenu! Autrement dit, ils n’auraient pas évoqué cela avec leur
entourage avec qui ils auraient eu des connaissances, des idées, etc., autour des questions que
soulèvent le questionnaire, comme c’est le cas notamment dans les discursivités comparant le
français à l’anglais d’où émerge la voix parentale, particulièrement celle du père, pour faire
entendre, à travers la parole de ces élèves celle de la société ou du moins celle du réseau de
sociabilité de ces enfants et de leurs parents… Fallait-il alors formuler cela dans le
questionnaire ayant servi la pré-enquête?
Chapitre 6
Le français, une langue-visa?

6.1. Introduction:
Il s’agit, dans ce chapitre, des séquences interlocutives où le français apparait dans la
discursivité des échanges réalisés comme le sésame de la réussite du projet de départ pour …
la France. Quels sont donc les procédés linguistiques qui président à cette mise en
discursivité? Comment ces procédés concourent-ils à signifier dans les logiques dialogales et
dialogiques ce statut de langue de départ, de langue pour voyager?

6.2. Les élèves inscrits en Langues étrangères:


6.2.1. «/B l français n djib l visa/» [/avec le français j’obtiendrai le visa/]
(Chabane115)
A la différence des autres entretiens, celui avec Chabane, candidat au baccalauréat série
Langues étrangères, est centré quasi-exclusivement sur le français. Chabane dit l’avoir choisi
comme filière à l’université, malgré son niveau si modeste qu’il s’exprime d’ailleurs en arabe
alors qu’il n’est pas du tout de l’ordre de la discrétion mon choix renouvelé de parler en
français (E8, E14, E22, E24, E34, E44, E48, E56, E58, E64, E70, E76, E78, E80, E82, E84,
E86, E92, E94, E102…) pour l’inviter à faire autant. Ce qu’il n’accepte que dans de très
courtes répliques (C3, C21, C34, C46, C71, C75, C79, C89, C111). Pour un francophile (C69,
C71, C79, C89, C95, C111) passif qui veut s’inscrire en licence de français, il n’est pas
difficile de comprendre, dans l’expression de son inquiétude vis à vis de l’absence répétée de
son enseignante de français (C5, C7, C9, C13, C15, C17, C23, C25), sa prise de conscience de
ce qui pourrait paraître, y compris pour moi, comme une incompatibilité entre son
incompétence en français dont il est conscient (C33, C35, C39, C55, C57, C59) et son choix
de cette langue comme filière à l’université, d’une part. D’autre part, il n’est pas difficile de
saisir, comme responsable de son niveau de français, sa désignation de l’institution scolaire, à
travers aussi bien les absences de son enseignante de français que du choix présumé de «eux»,
indiquant sans ambiguïté les autorités politiques (C103, C105, C107, C109), de former leurs
enfants en français/France tout en tenant un discours hostile à cette langue. Bien que vers la
fin de l’échange, il souligne le poids du statut international du français (C121) pour lequel il
«aime ça», c'est-à-dire le français (C71, C73, C79, 81), la motivation principale de son projet
d’inscription en licence de français est l’obtention du visa pour la France (C111, C115). A la
relecture de l’entretien, ce projet paraît être au centre d’une activité d’autocensure, de
refoulement et d’évitement que l’actualisation en arabe, dans mon tour de parole E114, du
praxème qualifiant le français de ‘’langue du colonisateur’’ semble avoir libéré la pulsion
communicative de Chabane. Il abandonne son rempart «j’aime ça» pour entamer des tours de
parole offensifs reprochant systématiquement aux autorités politiques de tenir un discours
contraire à leurs actes (C103, C105, C109). Si bien que, selon lui, «gaâ» (C101, C103, C105,
C107) c'est-à-dire ‘’tous’’ [les Algériens] veulent partir, y compris le président actuel (C109).

En effet, dès sa réplique C3, en réponse à mon phatique de contact (E2/ça va?/), Chabane
adopte une attitude de riposte qu’il entretiendra le long de l’échange. Une attitude qui rappelle
curieusement le statut du français à l’école. C’est comme s’il veut l’incarner en se présentant
comme une victime délaissée comme l’est, selon lui, l’enseignement du français y compris en
année de l’examen du baccalauréat de surcroit de série Langues étrangères où cette matière
est, selon lui, d’un des plus importants coefficients (C15, C17, C23, C25) et dont l’impact sur
la poursuite des études universitaires est déterminant particulièrement pour les nouveaux
bacheliers qui souhaitent faire des études de français comme lui (C25, C29, C33). Mais cette
attitude vis-à-vis du français, que confirme le fait qu’il dit recevoir des cours particuliers de
soutien en dehors de l’école (C33, C35, C37, C39, C41… C53), n’est pas assumée quand je
lui demande implicitement (E62) ou explicitement (E66, E68, E70) les raisons de son choix
du français à l’université sinon par la redondance de l’actualisation/essentialisation «j’aime
ça»:

E70/et euh :/ et euh :/ tu peux me dire/tu peux ::/ pourquoi ?/ pourquoi euh ::
pourquoi tu veux faire euh ::##
C71/ euh ::/ pa(r) ce que j’aime ça/ j’aime ça//
E72/ pa(r)ce que tu aimes ça?/
C73/ ih [oui] pa(r) ce j’aime ça///
E74/ c’est tout?//
C75/ euh:::///
E76/ euh:/ est-ce que tu peux me dire un peu plus sur ça ?/
C77/ quoi?/
E78/ je veux dire euh ::/ voilà voilà/ est-ce que tu peux me dire un peu/ un peu
plus pour/-/ pourquoi tu veux faire euh :: pourquoi tu veux t’inscrire en
licence de français ?//
C79/ j’ai dit j’ai dit/ j’ai dit j’aime ça/
E80/ tu aimes quoi?/
C81/ l(e) français bien sûr/ l(e) français//
E82/ et euh: et euh/ est-ce qu’euh::/ peux-tu peux-tu m(e) dire qu’est-ce que tu
euh qu’est-ce que tu aimes f l[dans le] français ?/
C83/qu’est-ce j’aime f l [dans le] français?/
E84/ exactement !/ tu as bien compris?/
C85/ qu’est-ce que j’aime f l [dans le] français qu’est-ce que j’aime?/
E86/ oui oui/ c’est ça//
C87/ [souire]/ hadi waâra [celle-là est dificile]/ waâra [difficile]// loukan tadji f l
[si jamais on la posait au] bac baye baye l(e) bac//
E88/ihemala hadar rouhak [alors prétoire toi]/ imaginer hada houwa soual euh f
[c’est celle-là la question dans] la la rédaction/ imagine/ comment tu vas
répondre ?//
C89/oullah ghir waâra hadi// kifash kifash âawad âawad la question↑// [/je jure
que celle-là est difficile// comment comment répète répète la question↑//]
E90/euh je je te demandais euh je je te te d- euh pourquoi euh enf- je te
demandais c’est quoi euh qu’est-ce que tu aimes f l [dans le] français?
voilà/ c’est ça la question/ qu’est-ce que tu aimes f l[dans le] français?//
C91/ euh tout/ tout/ j’aime tout//
E92/ tout?//
C93/oui tout/ j’aime koulesh [tout] f l[dans le] français/ mais j’aime aussi
l’anglais l’espagnol et tout//
E94/ d’accord/ d’accord on va arriver à l’anglais et à l’espagnol/ on va arriver
d’accord/ mais maintenant je veux euh je te demande de m(e) dire euh de
m(e) dire un peu plus sur le le français//
C95/euh mais j’ai j’ai euh/ par exemple par exemple je vais dire wash [quoi] par
exemple?//
E96/ NON/ tu m’as dit tu m’as dit que tu aimes tout/ tout f l [dans le] français###
C97/ ih [oui]/ bien sûr//
E98/ justement euh justement/ je te demande de m(e) dire euh de euh/ voilà voila/
wash wash taqsad b tout b koulach? [qu’est-ce que tu veux dire par tout ?]//
C99/ koulach koulach[tout tout]// c’est tout// tout c’est tout/ hada makan [c’est
tout ce qu’il y a]//

S’agit-il pour lui d’éviter un à-dire difficile à extérioriser qu’il s’abstient de s’étaler au
sujet de son choix de la filière universitaire et de son appréciation du français si bien que
«j’aime ça» prend, dans sa bouche (C73, C75), la forme d’une espèce de rempart à mes
tentatives (E72, E74) de l’amener à désambiguïser ce qu’il entend par là? Ou bien, Chabane,
ne s’attendant pas à cette requête, serait-il en panne de propos? Ce qui est vérifiable dans la
matérialité verbale de son discours, c’est son aptitude à contourner l’objet de mon discours
malgré ses difficultés d’expression en français ainsi qu’il montre cela en exigeant de moi
subtilement l’occupation du temps de l’interaction en sollicitant de moi la formulation et la
reformulation de ma question si bien que de par leur taille, mes tours de parole, c'est-à-dire
mes questions, sont nettement plus grands que ses réponses! Il n’est pas exclu que par ce
procédé, Chabane cherche à gagner du temps que la relecture de l’échange fait ressortir
comme un moyen pour lui de m’amener sur son terrain préféré et qu’il a, à vrai dire, annoncé
dès son deuxième tour de parole (C3): accuser l’institution scolaire et, à travers elle, les
autorité politiques du pays, d’être à l’origine de son modeste niveau de français et, par
ricochet, de constituer un obstacle à la réalisation de son projet de départ pour la France.
N’ayant pas ressenti cela au moment de l’échange, j’ai cru naïvement à la possibilité de le
pousser à désambiguïser le sens de son actualisation/ essentialisation «j’aime ça» pour les
besoins de l’étude. Une désambiguïsation à laquelle il oppose tour à tour temporisation (C79,
C81, C85, C87), retournement de ma question (C77, C83, C95) et ‘’surambiguïsation’’ dans
l’actualisation de l’adjectival «tout» pour couper court avec mes projets d’interrogation
rendant la discussion impossible autour de ce qu’il aime dans la langue française (C91, C93,
C97, C99). Marque de son embarras vis-à-vis d’une question inhabituelle, sa longue hésitation
en C75, achevée sans le moindre mot, malgré le temps qu’il a pris, ainsi que le prouvent les
trois barres obliques par lesquelles sont mentionnées, dans le corpus, les longues pauses
servant le plus souvent à inviter à reprendre la parole, est mise en discursivité dans ses deux
tours de parole C87 et C89 qui renseignent sur la panne d’arguments dont souffre Chabane
bien qu’elle donne l’impression qu’il veut gagner du temps. En effet, de par le traitement
discursif qu’il y entame en rapport avec le baccalauréat, il fait preuve de sincérité en
considérant le caractère difficile de la question à laquelle il ne répond pas sinon en produisant
un autre commentaire métalinguistique d’apparence de refus de clarifier le sens de «tout» ce
qu’il aime dans le français, mais de fond d’aveu d’impossibilité pour lui d’accéder à ma
demande. C’est pourquoi sa double tentative de le diluer, d’abord, en le traduisant en arabe et,
ensuite, tout juste après, dans le même tour de parole C93, en m’invitant explicitement à
abandonner ce qu’il aime dans le français pour aborder l’anglais et l’espagnol qu’il dit aimer
«aussi» (C93). Une invitation que j’approuve sans y adhérer immédiatement car en lui
annonçant que nous allions aborder les autres langues, je veux lui faire accepter, en contre
partie, le retour sur ce qu’il aime dans la langue française, mais sans être suffisamment
attentive à ses alertes précédentes concernant son aveu d’impossibilité pour lui d’aller plus
loin. D’où son changement d’attitude moins pour occuper le rôle du ‘’questionneur’’ (que je
suis) mais plus pour me défier de lui suggérer un exemple de réponse que j’attendrais de lui
(C97). Ce qui est en soi une façon de reconnaitre qu’il n’a pas d’exemple de ce qu’il aime
dans le français et que l’actualisation redondante de l’adjectival «tout» camoufle en faisant
croire à la pluralité de l’illustration de ce qu’il aimerait dans le français alors qu’il n’en est
rien. Ce qui justifie la virulence dans sa réplique suivante (C99) dont il est difficile de ne pas
y voir, d’une part, une fin de non-recevoir et, d’autre part, surtout une certaine exaspération
me reprochant explicitement mon insistance comme si celle-ci le démasque et ne lui offre pas
la possibilité de sauver la face alors qu’il en a signifié la demande à plusieurs reprises (C85,
C87, C89, C91, C93, 95). C’est pourquoi le changement brutal du sujet de discussion dans
mon tour de parole suivant. En effet, dans une formule dialogique faisant entendre les voix
des autorités politiques du pays (E100), je lui suggère son sujet préféré qu’il a annoncé dès
son deuxième tour de parole (C3) et qu’il saisit aussitôt avec la même véhémence avec
laquelle il me reproche d’insister sur ce qu’il entend par «tout» en me tenant ainsi à distance.
C'est-à-dire en me confondant presque avec ceux qu’il désignera plus tard par «eux». Comme
si moi aussi je veux le maintenir dans son niveau de français et l’empêcher ainsi de
concrétiser son unique projet dans son choix futur du français comme filière à l’université: se
servir du diplôme de français pour obtenir le visa (C115, C117).

E100/mais l(e) français euh l(e) français euh la langue euh f- el istiîmar
[colonisateur] ###
C101/ ih oumbaâd [et alors]?/ l(e) français loughat el istiîmar [la langue du
colonisateur]?/
E102/ c’est juste que euh juste###
C103/ bon l(e) français loughat el istiîmar oumaâd [c’est la langue du
colonisateur et alors]?/ houma les qraw b l français b l’anglais [ce sont eux
qui ont étudié en français en anglais]// même les enfants euh ih gaâ qraw b
roumiya [oui tous ont étudié en français]/ hanaya iqoulou lala haramat hadi
loughat faroôun [et pour nous ils nous disent c’est pêché c’est la langue du
Pharaon]/
E104/ [éclat de rire]/
C105/ iouh ! aw faqou! [aw nul n’est dupe !]/ hata hnaya [même nous]/ même
nous on est des Algériens kima gaâ [comme tous]/ houma qraw f l privé
[eux ont étudié dans le privé]/ qraw b l [ils ont étudié en] français et tout/
mais nous lala [non]/ aouh faqou [ah non nul n’est dupe]//
E106/ et d’accord/ mais c’est la langue du colonisateur//
C107/ i oumbâad [et alors]?/ en plus hada bakri[ça c’est autrefois]/ main(te)nant
gaâ [tous] ils vont partir l frança [en France]/ gaâ[tous]//
E108/ ah oui ah !/
C109/ih bien sûr/ hna ma bqa walou/ klaw koulach// klaw koulach/ ou habou
yaklou na hna / aouh faqou!/ c’est fini nas gaâ fayqa//
[/oui bien sûr/ici il ne reste plus rien/ ils sont tout mangé// tout mangé/ et ils
veulent nous manger nous/ mais nul n’est dupe !/ c’est fini les gens savent
maintenant//]
E110/ ah: tu veux partir en France?/
C111/ i bien sûr/ chkoun li ma bghach i rouh ?/ gaâ même euh/ même Bouteflika
bgha i rouh//
[i bien sûr/ qui ne veut pas partir ?/ tous même euh/même Bouteflika veut
partir//]
E112/ c’est pour ça tu veux faire donc français/
C113/ ih [oui] mais mais j’aime aussi//
E114/ oui mais tu as dit aussi que tu aimes aussi l’anglais l’espagn-###
C115/ ih mais matchi kif kif/ par(r) ce que b la licence f l(e) français/ b l(e)
français n djib l(e) visa/ l(e) visa bien sûr/ matchi kima l’anglais/ en plus
anaya bghit frança//
[/oui mais ce n’est pas la même chose/parce qu’avec la licence de français/
avec le français j’obtiendrai le visa/ le visa bien sûr/ c’est comme
l’anglais/en plus moi je veux la France//]
E116/et donc euh/ et donc euh si si/ si j’ai bien compris/ si j’ai j’ai bien compris
einh?/ si j’ai bien compris tu veux t’inscrire en français pour te euh pour
te te faciliter euh le le visa###
C117/ oui bien sûr mais i(l) y a aussi hadja (ou) khra [autre chose]//

Ce n’est pas seulement que Chabane est encore sous l’effet fougueux avec lequel il a
extériorisé du sens pour me reprocher de trop insister sur ce qu’il entend par l’adjectival
‘’tout’’. En refusant la logique défensive qu’implique ma remarque, puisque mon tour de
parole E100 est ainsi construit, Chabane s’engage dans un discours d’affirmation bien qu’il
ne l’assume pas individuellement. En effet, il ne s’énonce en ‘’je’’ que pour l’obtention du
visa et dans le choix de la France comme pays d’accueil (C115). Il adopte le collectif
endogroupal arabe ‘’ nous’’ (C103) ou français «on» et «nous» (C105) ou son équivalent
‘’tous’’ (C105, C107, C109, C111) ou encore le pluriel ‘’Algériens’’ (C105) et «nas» (C109),
c’est à dire les ‘’gens’’ pour se dire et se dire faire partie du bloc de ceux qui sont, selon lui,
révoltés vis-à-vis des insinuations dans ma remarque E100. La véhémence avec laquelle il
interrompt mon tour de parole E100, lui-même soumis à celle du tour précédent de Chabane
(C99) et porte les traces de ma perturbation liée à ma prise de conscience des risques de
rupture dans l’échange du fait que je l’ai trop acculé, donne en effet à sa réplique l’aspect
d’une véritable révolte qui prend une forme discursive offensive pour devenir, après la pause
de l’interrogation à valeur de défi, l’unique réglage de sens que j’ai raté en E100 mais
qu’implique le sens de ma remarque. Oui, Chabane ne refuse pas seulement de se faire
prendre dans la défensive, voire l’auto-culpabilisation habituelle de locuteurs francophones
vis-à-vis du statut de langue de l’ancien colonisateur. Il accuse-réception du sens de mon
insinuation dans une reprise en écho à valeur à la fois collaborative et polémique. En
associant, en arabe, à l’unique mot arabe de ma remarque (E100) celui de «lougha», c'est-à-
dire ‘’la langue’’, il me défie de parler à visage découvert, c'est-à-dire sans détour. C’est
comme si dans mon propos résonne celui auquel il est habitué et auquel non seulement il
n’adhère pas, mais auquel il associe la tromperie et le mensonge qu’il reproche à «houma»,
c'est-à-dire ‘’eux’’, cette instance absente physiquement de l’échange mais qui prend part à la
co-construction du sens. Par cet aspect, la réplique de Chabane est un dialogue à distance avec
Smaïl, Omar et Marzouk dont le discours sur l’arabe est un condensé de dénonciations de
l’hypocrisie des défenseurs de la politique d’arabisation qui forment leurs enfants en français
et en anglais... Et c’est justement cet aspect de l’équation que Chabane mobilise dans le défi
qu’il me lance sous forme interrogative dans son ‘’ et alors ?’’ (C101, C103, C107) pour me
situer dans une logique d’altérité sans doute liée à mon statut d’enseignante de français en
dépit duquel, selon lui, je me donne le droit de lui reprocher son choix de la langue du
colonisateur français! Il me retourne donc le sens de mon propos presque sous forme d’une
dénonciation à la manière de Marzouk, Omar, Ouerdia, Smaïl… Il n’entendra même pas le
réajustement dialogale que je tente d’introduire en E102 en actualisant «c’est juste que». Il
m’interrompt une seconde fois, comme si depuis que j’ai insinué que le français est la langue
du colonisateur, je l’ai si profondément provoqué qu’il refuse de me céder la parole avant
d’avoir dit ce qu’il a sur le cœur. En effet, il ne semble pas avoir entendu mon propos E102,
occupé qu’il est à programmer du sens en continuité avec son tour de parole précédent
(C101). Dans sa nouvelle réplique, il met face à face deux camps: celui de ceux, parmi
lesquels il semble me mettre, qu’il désigne par «houma», c’est à dire ‘’eux’’ mais aussi leurs
enfants ainsi que le président algérien actuel (C111) et celui auquel il prend part et qu’il
désigne par l’endogroupal «hna», c'est-à-dire ‘’nous’’. Entre les deux, il y a une histoire de
ruse et de tromperie qui a trop duré. Selon Chabane, les premiers ont subtilisé le sentiment
nationaliste des seconds pour les éloigner de la pratique du français alors qu’eux-mêmes et,
surtout leurs enfants, en sont formés (C103). Détendu, Chabane ne produit dans ce tour de
parole aucun ratage et ses propos donnent l’impression d’être déjà programmés et prêts pour
être extériorisés au moment opportun. Sans hésitation, ni bégaiement ni prolongement
vocalique ou autre indice de l’action d’un à-dire sur son dire, il enchaine ripostes et attaques à
travers une parole à la fois dialogale, puisqu’elle m’est adressée, et dialogique/polyphonique.
En effet, il y met en discours, avec humour mais aussi une prise de position claire, les deux
projets de sociétés en cours dans le pays auquel renvoient, d’un côté, le français,
explicitement désigné par le praxème ‘’roumiyya’’ avec lequel ‘’eux’’ ont étudié ainsi que
leurs enfants, et, de l’autre côté, l’arabe non-dit mais auquel est associé le contraire du
Pharaon, c’est dire du mécréant, de l’injuste et celui qu’il ne faut pas suivre parce qu’il est
justement dans ce que le français comporte et enseigne. Ainsi, à travers moi, Chabane se livre
à un véritable réquisitoire contre ceux-là même qui font croire à lui et à ses semblables que le
français serait la langue de ce Pharaon, c'est-à-dire celle du pêché alors qu’eux-mêmes s’en
servent et en forment leurs enfants!
Il se saisit de mon éclat de rire en E104, signe de mon admiration de sa cascade verbale
sans la moindre perturbation, pour, d’un côté, confirmer dans la forme et dans le fond cette
cascade, puisque son tour de parole C105 ressemble aussi à du déjà préparé et donc à une
espèce d’‘’oralisation’’, ne comportant pas de ratage, et, de l’autre côté, pour enfoncer
davantage ce ‘’eux’’ dans le péché justement. En effet, par l’interjection «aw faqou!» (02
occurrences) Chabane désigne ‘’eux’’ comme à la fois des menteurs et des gens de mauvaise
foi de longue date. Mais des monteurs et des gens de mauvaise foi aujourd’hui démasqués
(C109) et en qui lui et ses semblables n’ont plus confiance. Parce qu’eux les ont exclus
(Chabane et se semblables) des bienfaits de l’Algérie qu’ils se sont accaparés tout en exigeant,
moralement du moins, de Chabane et de ses semblables de suivre une autre voie qu’eux
n’empruntent pas (C109). C’est donc un sentiment de déception, de tromperie très proche de
la trahison qui émerge de cette alternance de l’arabe et du français comme pour dire, à
l’encontre de mon français souvent peu ou pas mélangé à l’arabe, que la réalité langagière du
pays est plurilingue et que tout ce qui lui a été dit à propos du français comme langue du
colonisateur n’est plus pertinent. Selon lui, non seulement les auteurs de ce qui est attendu
derrière ce discours font le contraire, mais quand bien même le français est la langue du
colonisateur, cela relève du passé («hadi bakri», c'est-à-dire ‘’autrefois’’, C107) car, semble-t-
il signifier, actuellement même les tenants de ces propos partent en France (C107, C109). La
déception est si grande que Chabane ne voit plus aucun Algérien tenir à rester ici, en Algérie,
y compris celui qui est censé représenter la source et le garant de ces propos, c'est-à-dire le
président actuelle de la nation (C111). Comment pourrait-il alors ne pas prétendre à ce départ
d’autant plus qu’il aura, en tant que bachelier en langues étrangères, la possibilité de s’inscrire
en licence non pas d’anglais ou d’espagnol qu’il dit «aimer aussi» (C93) mais de français car,
selon lui, cela lui facilitera l’obtention du visa pour aller en France (C115, C117) et non pas
ailleurs comme il le dit clairement dans le même tour de parole?

6.2.2. «/avec ce diplôme ad nawi [on obtiendra] facilement l(e) visa/» (Farida51)
En présence de son amie Saliha qui prend part, de temps en temps, à l’échange, Farida
produit un discours fondé sur le rejet de l’arabe en faveur essentiellement du français mais
aussi de l’anglais dans une perspective de départ pour la France. Surélevé par rapport à ceux
respectivement attribué au français, à l’anglais et à l’allemand, le coefficient accordé à
l’arabe, pour un baccalauréat intitulé Langues étrangères, fait l’objet d’éclats de rire (F17,
F19) au moyen desquels les deux amies soulèvent l’incohérence entre cet intitulé et le fait que
ce coefficient encourage les candidats à travailler plutôt l’arabe beaucoup plus que ces
langues étrangères (F21, F23, F25, S27, F29). Si bien que, dans son tour de parole F31, Farida
affirme que cet intitulé est trompeur puisqu’en réalité c’est à la langue nationale, l’arabe,

qu’est accordée la plus grande importance, rappelant les propos de Hind, Marzouk, d’Ouerida

et d’Ibtissem pour qui ce coefficient signifie aussi que l’arabe serait la plus étrangère des
langues enseignées dans le cadre de ce baccalauréat!

L’évidence de la préférence du français, pour Farida, et de l’anglais, pour Saliha, émerge


de notre échange à trois et fait ressortir cette perspective lointaine sous forme d’un
programme auquel semble tenir Farida qui compte partir une fois le diplôme de licence de
français acquis (F45).

E36 /ah oui/ et pourquoi le français?/


F37/euh :: comme ça/ je (ne) sais pas/ je (ne) sais pas si zik vγiγ adruhaγ ar
frança [depuis longtemps que je veux partir en France]/
E38/amek? adawid l bac a tsruhad ar frança!/ [comment? tu obtiens le bac et tu
pars en France!]
F39 /non non/ ul amek/ a wi yufan aken/ maεna ul amek [ce n’est pas possible/ si
seulement cela est possible/ mais ce n’est pas le cas]//
E40 /ihi amek?/[comment alors?]
F41/ amek?/ [comment?]
E42 ###
F43 /euh euh/ mi dabwiγ lbac a dkamleγ français/ mi fukaγ la licence ad ruhaγ ar
frança am wiyid/
[/euh euh/ quand j’aurai le bac je poursuivrai des études de français/ quand
j’aurai la licence je partirai en France comme les autres/]

Malgré sa double négation «/non non/» en ouverture à son tour de parole F39, la nuance
interlocutive que Farida y introduit renforce davantage le statut de langue pour partir, qu’elle
attribue au français sans qu’elle n’apporte d’éléments explicites de désambigüisation que je
lui demande en rapport avec son propos de F37. En fait, comme le mentionnent les deux
barres obliques en clôture à son tour de parole, Farida m’invite à reprendre la parole en se
contentant d’infirmer mon hypothèse de E38 qui est au fond un étonnement. Mais en y
glissant aussi des éléments de sens implicite à la fois en appui à ses propos précédents (F37)
et en ma direction, elle me laisse la responsabilité de déduire qu’elle est pressée de partir,
comme elle le dit en F37, bien que cela relève de l’impossible comme elle le précise, à deux
reprises, dans ce même tour de parole pourtant très court! En me faisant comprendre que pour
elle c’est presqu’un désespoir que le départ en France, une fois le baccalauréat obtenu, est
impossible, elle réaffirme son propos F37, sans que cela n’implique explicitement le statut de
langue de départ qu’elle attribue au français, puisque rien n’indique, dans la matérialité
verbale de sa réponse, ce statut que ma requête cible pourtant, l’essentiel étant pour elle le
départ… Déstabilisée par sa prouesse mais consciente de l’enjeu dialogal de lui apprendre la
possibilité de s’inscrire ailleurs avec le baccalauréat algérien, je tente de la relancer selon cette
impossibilité qu’elle vient d’affirmer en lui demandant la solution de rechange qu’elle aurait
prévue (E40). Ce qu’elle ne comprend pas, dans un premier temps, puisqu’elle me renvoie la
question (F41) avant de se décider, en F43, à produire un discours d’explication qu’elle aurait
pu ou dû produire en F39 car son contenu est à la fois une réponse à mon étonnement E38 et
une suite logique à son discours de F37. Ainsi, elle confirme l’idée d’un plan d’action qu’elle
a en tête. Un plan qui consiste à obtenir le baccalauréat en Langues étrangères en vue de
s’inscrire en licence de français moins pour des études de français à l’université que pour se
servir de ce diplôme comme un moyen afin d’atteindre l’objectif qu’elle dit avoir «depuis
longtemps» (F37): «partir en France»! (F37) Voulant confirmer ou nuancer cette idée, je
produis un tour de parole (E44) d’apparence interrogatif mais de fond de reproche et qu’elle
signifie avoir saisi comme tel au moyen d’un sourire en ouverture à son tour de parole F45
révélant ce qu’elle pense du statut du français ici, en Algérie:

E44 /safi mačči tarumit kan i tavγid?//[donc ce n’est pas le français que tu veux?]
F45/[sourire] /si mais dacu ara xadmaγ yis dagi? ulac/ maqqar ad ruha-γ/
[si mais qu’est-ce je vais faire avec ici? rien/ au moins je vais partir]
S46 /comme tout le monde//
E47 /comment ça comme tout l(e) monde?
F48/[rire] bien sûr tout le monde fait euh euh/ oui on fait français pour partir/
c’est clair non?/
E49 /ce n’est pas le diplôme qui vous intéresse donc?/
S50 /Si mais euh:: mais euh si c’est pour euh c’est pour partir avec###
F51 /avec ce diplôme ad nawi [on obtiendra] facilement le visa/
E52/c’est donc pour ça que vous voulez obtenir une licence de français//
F+S63 (rire et échange de regards complices)

Inutile de commenter l’ambigüité de la valeur dialogale (de politesse ou d’hésitation ?) de


sa nuance «si» (F45). Par celle-ci, Farida entreprend d’infirmer, mais avec très peu de
conviction, les implications interrogatives de mon tour de parole précédent. Ce qu’elle a
d’ailleurs initié par son sourire et qu’elle a annulé tout de suite après en lui opposant une
réplique de forme interrogative qui, en réalité, n’appelle pas de réponse puisqu’elle l’implique
en la contenant. Une réplique qu’elle introduit par le parapraxème grammatical d’opposition
«mais» comme pour signifier l’aspect tout juste diplomatique de son affirmation ‘’si’’ après
quoi, sans observer de pause, elle engage un programme de sens lié à la représentation
qu’elle se fait de la fonction sociale du français ici en rapport direct avec la survalorisation de
l’arabe qu’elle et son camarade ont abordée plusieurs fois au début de l’échange (F19, F21,
F23, F25, S27) pour signifier qu’avec un diplôme de français, il n’y a «rien» (F45) à faire ici.
Ce qui lui donne, sous forme de conséquence qui découlerait de cette fonction sociale du
français ici, l’opportunité de justifier son choix de partir. Une justification d’autant plus
ambigüe que Farida laisse entendre qu’elle partira à cause de ce statut de langue dévalorisée.
Alors qu’en réalité ce statut ne constitue nullement sa préoccupation puisque partir et partir en
France a toujours été son objectif ainsi qu’elle l’a annoncé sans ambiguïté en F37. Sans doute,
mesurant la portée dialogale mais aussi diaolgique du reproche que je lui fais (E44), moi
enseignante de français à l’université, elle opte pour une espèce de victimisation incarnant
cette fonction sociale du français plutôt que d’aller au bout de sa logique qui consiste à utiliser
le diplôme de français pour concrétiser son vrai projet ainsi qu’elle le dira, en F48, reprenant
en écho son amie Saliha (S46) dans un enchainement collaboratif qu’elle clôture, en
m’invitant sans discrétion à arrêter de faire la naïve dans une formule d’allure interrogative et
de fond affirmative: «c’est clair non?». Ce qui rend presque caduc ma réplique E49 que je
construis à partir de cette invitation et dont se saisissent successivement Saliha (S50) et Farida
(F51), en adoptant le même procédé qu’en F45, pour avouer qu’en effet c’est moins les études
universitaires de français qui les intéressent comme telles que le diplôme auquel celles-ci
donnent accès pour s’en servir de document facilitant l’obtention du visa, ainsi que le
montrent aussi bien leur échange de regard que leur rire commun en S63 et F63.

Déstabilisée à la fois par les répliques sans ambiguïté de Saliha (S46, S51, S63), qui veut
s’inscrire en licence d’anglais, et par la complicité des deux amies, particulièrement dans leur
tour S63 et F63, je tente de les relancer en m’adressant implicitement à Saliha en E64. Mais
c’est Farida (F65) qui répond la première avant que Saliha (S66) ne vienne immédiatement
confirmer son propos qu’elle appuie avec un autre argument pour signifier qu’elle aussi veut
partir en France et non pas dans un pays anglophone auquel, selon mon propos E55, le
prédisposerait un diplôme d’anglais:

E64/Mais avec un diplôme d’anglais c’est plus large comme perspective/


l’Angleterre Marikan l’Australie ###
F65 /oui c’est vrai mais on veut euh/ França axir [c’est mieux]/ tazrid amek[tu
sais comment ça se passe]/la famille et tout//
S66/ yarnu dina lant amdukal nteγ+++ [/en plus là-bas il nos amies+++]
F67/ iiih [ouuui]/Samia Ka[…] Melissa Ti[…]//
6.2.3. «/oui le français c’est le visa non?/» (Hind154)
Candidate au baccalauréat de série Langues étrangères, Hind produit un discours dans
lequel la voix de son père se fait entendre comme sa principale référence (H21, H23, H35,
H41, H43, M52, H80). Alors que celle de sa mère Malha, participante à notre échange, y tient
le rôle de véritable partenaire avec qui elle entre parfois en conflit sur le sens moins de la
valeur du français dont Hind veut poursuivre des études universitaires que de celle du niveau
de français et de la moyenne qu’elle veut que sa fille obtienne aussi bien au baccalauréat, en
général, qu’en français au baccalauréat, en particulier (M50, M109, M117, M120, M124).
Préférant le français à l’anglais (H45, H47, H64) car, dit-elle, le français c’est comme le
kabyle (H49), en référence à la pratique de cette langue dans son environnement social
immédiat, elle apporte les preuves de cette préférence de deux manières. D’un côté, à travers
la voix de son père quand elle dit, à propos de la langue que nous allions adopter pour
échanger, «faire un bouillon de langues» (H19) en référence à l’émission «Bouillon de
culture» de Bernard Pivot que son père, dit-elle, a systématiquement enregistrée. De l’autre
côté, à travers des noms, dans un premiers temps de chanteurs (Hélène Ségara, Céline Dion,
Halliday, H70) et, dans un deuxième temps, d’écrivains de France mondialement connus
(Victor Hugo, Balzac, Jean Jacques Rousseau, Saint Exupéry, H76) qui, justement,
symbolisent ce pays que son père, selon les dires de Hind, qualifie de «civilisation des droits
de l’homme» (H80) et dont elle trouve la raison pour laquelle elle veut y aller et y poursuivre
des études (H59, M61, H62).

C’est donc à partir de son tour de parole H80 que le français prend, au fil des tours de
parole suivants, la forme de moyen pour partir en France.

H80/mon père me dit toujours que la civilisation française c’est c’est la


civilisation euh c’est la civilisation des des droits de l’homme// c’est pour ça
que je veux faire français pour aller ensuite étudier en France//
E81/ ah ! c’est bien tu as pensé à tout//
M82/si zikh taqare adruhagh ar França// [depuis longtemps elle dit partir en
France]
H83/ih d achou ar adkhadmagh ma qimagh dagi?/ en plus les sœurs a kwid les
frères n les copines inou akw tsrouhoun// adrouhagh kan//
[oui que ferais-je si je reste ici ?/ en plus les sœurs et les frères de mes
copines partent tous// je partirai sûrement//]
Ainsi, le départ de Hind en France fait partie d’un programme en devenir. Un départ
auquel elle a songé depuis longtemps selon sa mère (M82). Mais qu’elle ne veut pas présenter
comme un exploit individuel (H83), non pas par modestie, mais pour se justifier auprès de sa
mère justement qui paraît en être réticente, à en juger la tonalité de ses propos en M82, M84,
M86, M89 et M91. En effet, en se situant parmi les sœurs et les frères de ses copines, dont
elle ne dit pas si elles aussi sont concernées par ce projet bien qu’on ne peut pas ne pas
comprendre cela, ne serait-ce que pare ce que ce sont ses copines avec qui elle partage sans
doute cela, Hind banalise son projet aux yeux de sa mère après avoir signifié les risques de
chômage qu’elle encourt si elle reste ici. Ce que sa mère reprendra en écho en M91 comme
pour consentir un accord avec le projet de sa fille, orientant définitivement et exclusivement
l’entretien sur les impératifs liés à ce projet: une bonne moyenne au bac (H93, H97, H99,
M117, M125) pour s’inscrire en français (H101, H125) et obtenir ce diplôme en vue de partir
pour s’installer là-bas ainsi que Hind le dit sans ambiguïté dans son tour de parole H87:

H87/mais mi sεigh l diploma/ akhatar euh c’est pour l(e) visa bien sûr/ yernou
bachi euh/ ihih i la carte d(e) séjour//
[/mais quand j’aurai le diplôme/ parce que euh c’est le visa bien sûr/ en plus
pour euh/ oui oui pour la carte de séjour/]

Malha est si acquise au projet de sa fille que dans les séquences interlocutives autour
des notes exigées des candidats aux études universitaires de français, elle se révèle
insistante (M122) et montre des signes de soucis en rapports avec ce projet (M117,
M124). Mes propos (E114, E116, E119, E121) liés aux conditions pédagogiques
d’inscription en licence de français comporteraient des indications à la fois inattendues
et surtout défavorables à la concrétisation dudit projet.

A la différence, les propos de Hind dégagent une certaine sérénité qui montre qu’elle
connait le sujet et accepte aussi bien la compétition (H145, H147), comme le montrent
ses éclats de rire dans ses tours de parole H133, H147 et H152, que la sélection (H141,
H156) qu’implique le nombre grandissant (H133, H135) de candidats à l’émigration par
le biais de l’université, c'est-à-dire qui se servent du diplôme de français pour obtenir le
visa. En tout cas, cette sérénité se profile derrière l’actualisation redondante du praxème
«normal» dont le réglage de sens atteste de son accord avec les autorités françaises de
durcir les conditions de l’octroi du visa d’entrée sur le territoire français en exigeant des
candidats notamment un bon niveau en langue française. Sans doute parce que cela
pourrait l’arranger, elle qui veut de toutes les façons s’inscrire en licence en français à
cet effet justement.

H133/ih[oui]/ mais normal/ normal parce que dighan [en plus] euh :: ih
[oui]normal normal/ tout l(e) monde vghan euh vghan frança [veut le
France]//[rire]
E134/ yah!// [ah bon !]
H135/ bsif/ bsif [c’est une obligation] l(e) français/ normal/ normal puisqu’ils ils
euh ils veulent tous partir// même pas euh ils veulent tous/ donc normal//
E136/ normal de partir ?/ c’est ça ?/
H137/ NON/ enf-oui/ c’est pas ça//
M138/ tamourt isnajlan arawis [le pays qui chasse ses enfants]// [en haussant les
épaules et balançant la tête de gauche à droite]
H139/ c’est pas ça// c’est pas ça que je veux dire/ c’est pas ça//
E140/euh ###
H141/moi euh moi euh ::/ j(e) pense que euh/ oui normal/ comment alors/
comment faire/ amek [comment]? normal la sélection// en plus la sélection
de toute façon ilaq [il en faut]/ ilaq [il en faut] puisque le niveau et tout//
E142/ah oui !/
H143/i d’ailleurs puisque du moment que euh vghan ad rouhan ar frança [ils
veulent partir en France] donc normal/ normal ilaq [il faut] un bon
français###
E144/comme toi einh/en plus ###
H145/oui c’est la concurrence alors//
E146/euh on va dire euh on va dire compétition oui compétition//
H147/ oui compétition// compétition/ compétition ar l [pour le ] visa [éclat de
rire]/

Inutile d’insister sur l’élision systématique du présentatif «c’est» qui précède le nominal
«normal» pour donner «c’est normal». Une élision remarquable dans les pratiques langagières
orales des jeunes générations y compris quand la langue principale de l’échange est l’arabe ou
le kabyle. Tout se passe comme si, par tendance au moindre effort ou par imitation des
habitudes langagières d’autrui, le présentatif «c’est» n’est pas nécessaire pour signifier, ‘’c’est
évident’’, ‘’cela ne peut pas être autrement’’, ou encore, ‘’c’est logique’’, ‘’c’est une
conséquence inévitable qui découle d’une relation de cause à effet’’… Tel est aussi le réglage
de sens qu’en extériorise Hind qui le répète plusieurs fois comme pour dire que la maitrise du
français en tant que critère à la base de la sélection, c'est-à-dire comme un principe, ne relève
pas de l’exclusion arbitraire aux frontières de ce que la doxa appelle ‘’la hogra’’, comme
semble l’impliquer la plainte de sa mère en M138 et à qui Hind réplique avec véhémence
d’ailleurs immédiatement (H139). Pourtant, le régalage de sens qu’elle donne de ce praxème
n’est pas spécialement celui d’élimination pour carence, c'est-à-dire pour non satisfaction
d’un critère: la maitrise du français. En associant ce critère à celui du nombre grandissant de
candidats à l’émigration (H133, H135, H143), Hind l’assimile à l’idée d’une course qu’elle
explicite tout de suite après (H145) dans l’actualisation approbative du praxème
«concurrence» qu’elle fait suivre du parapraxème «alors» comme pour dire que ‘’cela ne peut
en être autrement’’, mais aussi pour sous-entendre l’idée du classement des candidats et donc
celle du quota. C’est pourquoi elle adopte immédiatement (H147) ma proposition de
substituer à son praxème de «concurrence» celui de «compétition» (E146) en l’ajustant à son
projet de sens, qui est en fait lié à son projet de départ. En effet, elle précise qu’il s’agit d’une
compétition non pas pour la maitrise du français dans l’absolu mais dans la perspective du
visa. Un ajustement qu’elle clôt en éclat de rire dont le sens me paraît fonctionner comme un
rappel de son choix de s’inscrire en licence de français pour justement se préparer à cette
compétition et ainsi arriver parmi les premiers.

En définitive, en approuvant la sélection et la sélection sur la base du français, Hind


s’auto-sert puisqu’en s’inscrivant en licence de français, elle entend l’acquisition d’une
meilleure maîtrise de cette langue qui la qualifiera à la phase de l’obtention du visa. Elle
radicalise sa position, dans ses tours de parole ultérieurs, en limitant, sans doute pour elle et
aux candidats de sa génération, la possibilité d’obtention du visa au motif de poursuivre des
études universitaires. Un motif qu’elle conditionne par un justificatif: le diplôme de français.
En effet, tout porte à croire que l’obsession «depuis longtemps» de partir, annoncée par sa
mère en M80 et que Hind a confirmé plusieurs fois dans l’échange notamment en H82, la
prédispose à accepter toutes les conditions d’autant plus que celle qui relève du français
l’arrange. C’est sans doute la raison pour laquelle elle allait qualifier beaucoup de ceux qui
sont partis de ‘’bras cassés’’, comme l’atteste la rupture de son programme de sens H156 en
autodialogisation avec ses propos en H85 («je ne suis pas un bras cassé»). Telle semble être
sa manière de se distinguer d’eux justement parce qu’elle pense apporter dans ses bagages
une justification irréfutable de son mérite: le diplôme de français pour demander un visa
d’études, seule perspective selon elle pour ne pas ‘’rester ici’’ (H83).

H150/ eh bien sûr/ bien sûr/ mais normal normal//


E151/ qu’est-ce qui est normal ?/
H152/ la compétition/ [éclat de rire partagé]/
E153/ça c’est bien dit/ mais enfin euh mais je je ne comprends toujours pas ce que
###
H154/ oui le français c’est le visa non?/
E155/ tu penses?//
H156/ bien sûr/ mais normal/ en plus même euh mêmes les bras c- euh ih tout le
monde rouhan [est parti]/ donc normal la sélection puisque d l visa//
E157/ NON c’est pas ça/ non/je veux dire euh je je ne comprends pas euh je ne
comprends pas le lien l(e) français d[et] l(e) visa/ c’est ça amek l(e) français
d[et] l(e) visa?//
H158/bien sûr/ NON/ non non on parle pas euh oui on parle du français
kan[seulement]//
E159/ yah/[ah bon!]
H160/ je veux dire euh c’est l(e) diplôme/ voilà c’est l(e) diplôme//
E161/ quel diplôme?
H162/ l (e) diplôme d(e) français bien sûr/ ivan c’est [clair] non? normalement
c’est clair je pense//
E163/ euh/ oui/ un peu ###
H164/ amek[comment]? on peut partir ar frança [en France] comme touriste?//
jamais ! makanch menha [ce n’est pas vrai]/ jamais oulach [il n’y a]
personne qui va croire ça/ un Algérien touriste?/ touriste?/ non/ non ça
colle pas/ non ça colle pas///
E165/ yah !
H166/ donc l(e) visa d’études kan [seulement]/ c’est tout/ l(e) visa d’études//

N’est-ce pas cette idée liée à l’impossibilité d’obtenir un visa en dehors des études qui
motiverait Hind à opter pour la licence de français? En effet, contrairement à ses
affirmations ultérieures à mes informations relatives aux critères pédagogiques
d’inscription en licence de français, elle ne semble pas avoir des prédispositions à fournir
des efforts pour maitriser le français (H35, H51) comme elle le signifie dans ses
commentaires sur le français de son père qui parait pourtant être sa principale référence; un
français qu’elle juge d’un «niveau fort» (H43) , «très haut» (H39) reprochant à son père
le refus de le mélanger à l’arabe et/ou au kabyle (H41, H49, M50).

6.3. Les élèves inscrits en Lettres et philosophie:


6.3.1. «/l(e) français iwaken ken at rouhedh ar frança/» [le français, c’est juste pour partir
en France] (Farès101)
Ni le diplôme de français ni même la maitrise du français n’apparaissent, comme un atout
pour l’obtention du visa, dans la discursivité de l’échange réalisé avec Farès. Pourtant, celui-
ci ambitionne de partir, lui aussi, en France ou, dit-il, dans un autre pays européen! Et quand
je lui signifie, en E44, d’éventuelles difficultés à concrétiser son projet de départ pour la
France en raison de l’incompatibilité de ce dernier avec le vœu de Farès de poursuivre des
études universitaires de philosophie, dont la langue aussi bien des enseignements que de
contrôle est exclusivement l’arabe, il réplique, en F45, pour dire explicitement qu’il
‘’changera complètement de formation là-bas’’ (F45) et implicitement que ses aptitudes
actuelles ne lui permettent pas de s’inscrire en licence de français. Ainsi, bien que
d’apparence différent des discours des autres candidats, pour qui la maitrise du français et/ou
le diplôme de français est un atout pour l’obtention du visa d’entrée sur le territoire français,
celui de Farès comporte dans le fond les indices de ce projet que son auteur a énoncé dans son
tour de parole F37 en mêlant le français aux autres langues étrangères, car il n’exclut pas la
possibilité de partir dans un autre pays européen. Mieux, dans son discours, Farès limite
même l’utilité du français, c’est à dire la maitrise du français, uniquement pour l’obtention du
visa. Pour ce qui est pour lui l’essentiel comme les sciences, la technologie et même la culture
et la communication dans le monde, c’est l’anglais qu’il faut. Parce que selon ses dires, que
j’ai analysés dans le chapitre intitulé Le français, une langue dépassée par l’anglais?, c’est
une perte de temps que de continuer de passer par le français pour acquérir ces connaissances
et ces technologies produites en anglais (F105, F107).

F37/[…] hamlagh l[j’aime le] français euh :: les langues// hamlagh l [j’aime le ]
français yarnou yarnou [de plus de plus] après euh :: mid bwigh diplôme
inou ad rouhagh [quand j’aurai mon diplôme, je partirai]/ [sourire suivi d’un
léger rire]/ ad rouhagh lhih/ [je partirai là-bas]
F38/ sani lhih [où là-bas?]?/
F39/ frança [en France] euh :: negh abaâdh n les pays n l’Europe [ou un autre
pays de l’Europe]/
E40/achoughar ? [pourquoi?]/
F41/ achoughar ar l’Europe ?[pourquoi l’Europe ?] /
E42/ non/ achoughar ithevgidh at rouhedh?[pourquoi veux-tu partir?] /
F43/ euh:: je pense euh : y a pas d’avenir dans ce pays/
E44/ mais tu veux suivre des études en langue arabe/ comment penses-tu t’établir
en Europe si euh : si euh ::/
F45/c’est pas un problème/ matchi alama s [ce n’est pas qu’avec] l(e) français
ara rouhagh [que je partirai]non ?/ y a des gens euh :: ils ont un diplôme de
droit eu :: de lettres arabes euh :: ouyerna athnad dihin [en plus ils sont là-
bas]/ alors pourquoi pas moi/khas [même avec la] philo je peux partir/ s’il
faut euh après advedlagh akw [je referai entièrement] la formation dina [là-
bas]/ ih [oui]/ l’essentiel ad rouhagh [est que je parte]/

Le prolongement vocalique dans sa première hésitation en L37 (euh::) en clôture à son


premier programme de sens (/j’aime le français/) introduit son autodialogisation remettant en
cause ce sens en substituant au praxème «le français» celui, juste après l’hésitation et sans
pause, de «les langues». Comme si Farès regrette d’avoir distingué le français, alors que la
maitrise de cette langue ainsi que les efforts qu’elle implique constituent un objet de discorde
avec ses parents notamment son père (F29), ainsi que je l’ai mentionné dans le chapitre Le
français, une langue dépassée par l’anglais? Après son assez longue pause, que rendent les
deux barres obliques et durant laquelle il semble se rendre compte que mon silence, puisque je
ne manifeste pas de signes de désir de reprendre la parole malgré son assez longue pause,
synonyme en pareil cas d’invitation à parler, est lié à cette substitution (du praxème «le
français» par celui de «les langues»), Farès reprend son programme de sens initial. Il y
réactualise sa tournure ‘’j’aime le français’’, mais en la faisant suivre immédiatement par la
double actualisation à valeur d’insistance du parxème «yarnou», c'est-à-dire ‘’en plus’’, il
donne l’impression qu’il veut attirer mon attention plutôt sur la suite de son programme de
sens (son départ à l’étranger) et qu’il ne reprend son ‘’j’aime le français’’ que pour m’inviter
à revoir l’interprétation de son premier programme de sens que mon silence vis-à-vis de sa
première pause laisse voir, en effet, comme une réserve ou, au moins, un repérage de la
subtilité de son association. Sa seconde hésitation débouche sur une précision de taille
puisque Farès change complètement de registre de sens abandonnant carrément l’idée ‘’j’aime
le français’’ en adoptant celle du voyage vers «lhih», c'est-à-dire ‘’là-bas’’ sans dire qu’il
s’agit de la France, sans doute parce que cela rappelle sa première idée (j’aime le français),
mais en précisant que cela se fera, justement, après avoir obtenu son diplôme de
philosophie… en arabe. Bien qu’à peu près sûre du réglage de sens de son praxème «lhih»,
j’ose (E38) lui demander de confirmer cela dans la perspective de revenir sur son hésitation à
se mettre sérieusement au français, comme le lui demandent ses parents et sur
l’incompatibilité de son projet de partir en France, tout en se projetant de poursuivre des
études universitaires non pas de ou en français mais de philosophie, dispensées entièrement en
arabe. Sa confirmation en ouverture à son tour de parole F39 est tout de suite après nuancée,
dans le même tour de parole, moyennant un prolongement vocalique d’hésitation (euh::)
identique à celui de son tour de parole précédent et débouchant sur le même objet, bien qu’ici
il est question d’autres pays d’Europe, là-bas de langues, au pluriel. S’agit-il d’une tendance à
éviter tout ce qui a trait au français et à la France en raison du rapport conflictuel qu’il
entretient avec son père au sujet de l’acquisition de cette langue, qu’il dit être dépassée par
l’anglais, tout en exprimant, dans les reproches qu’il fait à son enseignant de français à qui il
reconnait beaucoup de rigueur et d’exigences (F22, F24, F26, F53), son désir de pratiquer
oralement (F51) un peu plus cette langue en classe au lieu de se contenter des exercices
écrits? C’est en tout cas une attitude d’autant plus ambigüe que Farès ne choisit pas une terre
d’anglophones comme pays d’accueil même dans son alternative, aussi vague que générale,
‘’ou un autre pays d’Europe’’ comme s’il veut dire que de toutes les façons le point de chute
final sera la France, quand bien même il devra passer par un autre pays européen, comme il
n’est pas rare d’entendre cela chez ces jeunes candidats à l’émigration. Ainsi, absent ou plutôt
masqué au niveau dialogal, le français est présent, voire dominant, au niveau dialogique tout
simplement parce que Farès adopte l’attitude que porte l’incursion des voix de ces jeunes dans
notre échange. Et même quand j’adopte en E44 ce qui me parait être sa stratégie discursive,
en parlant d’Europe au lieu de la France, comme il semble préférer le faire, pour lui signifier
ce qui me parait incohérent dans son discours, en évitant soigneusement de parler de français,
ainsi que le montre ma double hésitation finale à laquelle il met fin en reprenant la parole,
Farès réplique en ciblant le français. Mais, paradoxalement, ce n’est pas pour lui opposer
l’anglais ou une autre langue européenne, mais juste pour faire entendre d’autres exemples de
candidats à l’émigration qui, formés en arabe comme lui, ont réussi à s’installer ‘’là-bas’’
(F45). Cependant, en rajoutant tout de suite après dans ce même tour de parole, qu’il est prêt à
refaire sa formation une fois ‘’là-bas’’, il signifie aussi, en disant qu’il va se «débrouiller»
(F45), qu’il est prêt à se (re)mettre au français, puisque quelque soit le pays d’entrée en
Europe, Farès finira en France! En effet, dans ses tours de paroles ultérieurs, il reproche à son
professeur de français de délaisser la pratique orale de la langue au profit de l’écrit et laisse
transparaître, d’un côté, sa frustration du fait qu’il ne parle pas le français comme les
«émigrés» (F20) et, de l’autre côté, son idéalisation de l’anglais qu’il considère, dans
l’ensemble de l’échange et dans tous les domaines, supérieure au français qui, lui, serait juste
un moyen pour partir, justement, en France, comme il dit cela en convoquant la voix de la
doxa dans son tour de parole F101.

F101/ lghachi zran thoura belli l français iwaken ken atrouhad ar França/ mais
laqraya la science et tout//
/les gens savent maintenant que le français c’est juste pour partir en France/
mais la connaissance la science et tout//

L’idéalisation, par Farès, de la suprématie de l’anglais semble fonctionner comme un


moyen de consolation pour lui qui, non seulement, ne maitrise pas cette langue (ce qui rend
plausible l’hypothèse du sentiment d’infériorité qu’il semble compenser psychologiquement
en optant pour l’anglais) mais pour qui l’acquisition est un objet de conflit opposant
l’adolescent, qu’il est, à son père.

6.3.2. «/je vais avoir plus de chance akken ad rouhagh ar lkharedj/ [pour partir à
l’étranger]/» (Smail173)
En dépit de l’humour que manifeste ce candidat au baccalauréat, série Lettres et
philosophie, ses propos traduisent un sentiment de désespoir et de perte de confiance (S33,
S67, S71, S75, S77, S153, S157) en l’école algérienne. C’est pourquoi il cherche des
possibilités pour partir ailleurs. Ainsi, le français est, selon ses dires, un de ces moyens bien
qu’il dit qu’il ne le maitrise pas.

Smail, qui s’estime fort en philosophie se dit condamné à suivre des études universitaires
en arabe, bien qu’il juge cette formation, plusieurs fois, de «’’mensongères’’ («d akellakh»)
notamment dans ses tours de parole S19, S21, S25, S67, S77, S157, ainsi que je le montre
dans le chapitre qui comporte les analyses des discours où le français est mis face aux langues
nationales. C’est à partir du tour de parole S93, quand je lui apprends en E92 que le
baccalauréat qu’il prépare pourrait lui permettre de poursuivre des études universitaires de
français moyennant une bonne note aussi bien au baccalauréat qu’en français (au bac), qu’il
entreprend de m’interroger sur ses chances d’accéder à la licence de français. Dès lors, la
focalisation sur ce sujet prend l’allure de véritable obsession (S171) au discours porteur de
traces d’une surévaluation du français. Ce qui indique par la même occasion son désir d’en
faire sa filière de spécialité à l’université.

E158/ achoughar ihi i thavghidh [pourquoi alors veux-tu] l(e) français di [à]
l’université?/
S159/ am dinigh essah[je vais te dire la vérité]/ am dinigh essah[je vais te dire la
vérité]/ hamlagh [j’aime]l(e) français/ c’est vrai et tout/ hamlagh
[j’aime]l(e) français//
E160/ ihi [et alors]?/
S161/ mais am dinigh essah[je vais te dire la vérité]/ essah vghigh ad rouhagh [la
vérité est que je veux partir]//
E162/ anda [où]?/
S163/ ar frança [en France] bien sûr//

Son programme de sens S157 est inachevée. Smail y tait la vraie raison à l’origine du
choix du français; la raison qu’il révélera dans son tour de parole suivant (S159) en réponse à
mon insistance (E158). En réitérant, en S157, «am d inigh essah », qui veut dire ‘’je vais te
dire la vérité’’, il produit un discours de temporisation. Tout de suite après, il se contente de
l’affirmation générale ‘’j’aime le français’’ sans apporter de détails qui pourraient relever du
secret qu’implique sa double promesse en ouverture à son tour de parole. L’actualisation de
l’adverbial «tout» montre qu’il s’apprête à me révéler un secret. Mais ce secret persiste et sa
tournure «c’est vrai et tout » laisse sa réponse suspendue. C’est dans le tour de parole suivant
S159 qu’il extériorise son dire refoulé jusque-là: se servir du français (S157) pour partir
(S159) en France (S161). Et quand je lui signifie que ce départ est irréalisable du moment
qu’il n’est même pas bachelier, Smail dévoile un programme en étapes rappelant par cet
aspect le projet de départ des autres interviewés qui voient dans la langue française, c’est à
dire le diplôme de français, un atout pour l’obtention du visa d’entrée sur le territoire
français.
E164/ mais amek ar trouhadh ar França mazal même pas our debwidh ara l bac?/
[/mais comment partirais-tu en France alors que tu n’as même obtenu le bac?]
S165/ NON/ matchi thoura [c’est pas maintenant]/ matchi thoura [c’est pas
maintenant]/ après après//
E166/ après l(e) bac?/
S167/ après euh :: après m id bwigh [quand j’aurai] l(e) diplôme/ l(e) diplôme/
E168/ quel diplôme?/
S169/ français bien sûr/ mais mais zrigh [je sais] c’est (e n’est) pas facile/ zrigh
[je sais]//
E170/ qu’est-ce qui n’est pas facile?/
S171/ zrigh ouryid tssih ara l(e) français ghas bwighd l (e) bac/ zrigh//
[/je sais que que je ne serai pas reçu en français meme si j’obtiens le bac/ je
sais/]
E172//
S173/je vais avoir plus de chance akken ad rouhagh ar lkharedj/ [pour partir à
l’étranger]/»

C’est donc un départ programmé. Smail ne compte pas l’entreprendre après son succès au
baccalauréat mais à l’issue de son diplôme universitaire qu’il veut être «de français». En
effet, il sait que les chances d’obtenir le visa sont plus sûres que ne le permet le diplôme du
baccalauréat d’autant plus que le sien sera non pas de langue étrangères mais de lettres et
philosophie, c'est-à-dire en arabe.

E174/ donc tu veux faire français plus tard euh ::/-/


S175/ oui euh :: vghigh [je veux] français / euh :: je sais pas si je suis capable/
mais mais vghigh [je veux] français/ au moins euh :: au moins euh:/
ou(r)zirghara[je ne sais pas]/euh: ahath [peut être] je vais avoir plus de
chance pour me ::/ akken adrouhagh ar lkharedj nchallah [pour partir à
l’étranger si Dieu le veut]/

Avant même d’achever ma demande, Smail m’interrompt par un «oui» d’approbation


pressé de confirmer sa volonté de poursuivre des études de français à l’université, quand bien
même il s’auto-évalue (S103, S117, S119, S121) modeste en cette langue. Après hésitations,
prolongements vocaliques et séquences de doute comme dans « ou(r) zrigh-ara», qui veut
dire ‘’ je ne sais pas’’ et dans «ahath», qui signifie ‘’peut-être’’, il laisse libre cours à sa
pulsion communicative. Ce désir d’effectuer des études de français est, en fait, alimenté par
cette ambition de partir en France. Une ambition qui se précise puisqu’elle est évoquée dans
l’expression de son malaise et son désespoir mis en discours contre l’arabe notamment en
S75. Ainsi, le français serait pour lui un moyen, à l’instar de Chabane, Lotfi, Farès, Farida,
Hind et Lydia:

E180/ tu sais euh : tu peux partir où tu veux et quand tu veux/ pas spécialement en
ayant un diplôme de français/
S181/ ah si ::/avoir un diplôme euh ::licence de français je pense que ::/ je pense
que ::/ je pense que j’ai plus de chance non ?/ pour demander un visa
d’études/ je pense que c’est plus facile akken aythidakordin[pour qu’on me
l’accorde]/ euh :: français negh [ou] euh :: anglais/ l’essentiel euh :: les
langues étrangères/

En quête d’une complicité discursive, il m’interpelle dans une stratégie dialogale « je


pense que j’ai plus de chance non?» dans le but de me faire adhérer à son raisonnement et
d’approuver sa démarche. Par ce processus de dialogisation interlocutif, Smaïl essaie d’ajuster
des informations afin de donner cohérence à son discours. Cependant, le passage du praxème
«chance» au praxème «facile» respectivement dans «je pense que j’ai plus de chance non?»
et dans «je pense que c’est plus facile ‘’pour qu’on l’accorde’’», souligne que Smail est
quelque peu mal à l’aise. En effet, d’un côté, il sollicite ma complicité. Mais, de l’autre, il
aspire à un avis favorable de la part d’un «ils» sous-entendu et indéfini. Cette situation
inconfortable dans laquelle il se trouve se traduit également dans la séquence finale (« euh ::
français negh [ou] euh :: anglais l’essentiel euh :: les langues étrangères») où Smail
minimise l’exclusivité du français dans la réussite de son projet mais en cohérence avec ses
propos antérieurs rejetant l’arabe et les enseignements en arabe (S19, S25, S33, S37…) en
faveur des langues étrangères, en général, et du français ainsi que de l’anglais, en particulier
(S15, S17, S29, S31, S45…).

6.4.Un élève inscrit en Sciences expérimentales: «/mais au moins s [avec] l (e)


français yella [il y a] l’espoir anesenser i thmourtha [de se sauver de ce pays]//
(Lotfi99)
Le premier lien que Lotfi établit entre le français, c'est-à-dire la connaissance du français,
et le voyage, apparaît dans son tour de parole L99 dans le sillage de notre échange à propos de
la langue avec laquelle il souhaite étudier à l’université.

E96/ pourtant s l’arabe ik ishal puisque tasεidh [[en arabe c’est plus facile pour
toi puisque tu en as] la base###
L97/ ala::! ala ala ala! Asendjagh dagi la base ni achki arasnasragh18 [Non::!
Non non non/ je leur laisserai ici cette base là quand je serai filé (ailleurs)]//

18
Senser: se délivrer. Ici, le sens est se délivrer pour s’enfuir ailleurs. D’où, l’idée de filer…
E98/ mais l (e) français ça va être difficile puisqu’our tasεidh ara la base [puisque
tu n’en pas la base]//
L99/khas [malgré]/ khas [malgré]/ mais au moins s [avec] l (e) français yella [il y
a] l’espoir anesenser i tmourta [de me délivrer de ce pays]// mais s [avec]
l’ARABE/// de toutes les façons l’arabe c’est pas une langue de sciences//

En dépit de ma discrétion, à l’initiale de mon tour de parole E96, dans la remise en cause
de son choix qui n’est pas l’arabe, la langue de sa scolarité jusqu’ici, mais le français comme
langue des études à l’université dont il dit plusieurs fois, dans l’échange, ne pas avoir une
bonne maitrise (L3, L7, L13, L15, L17, L25) et qui ressort de toutes les façons de ses
performances puisqu’il ne s’exprime en français que dans de courtes séquences comme en
L17, L23, L51, L53 et L105, Lotfi réagit avec beaucoup d’énergie. D’abord, en
m’interrompant, comme s’il ne veut pas entendre la suite de ma logique, probablement parce
qu’il anticipe sur mon programme de sens. Ensuite, en allongeant sa première interjection à
valeur aussi négative qu’elle vient en interruption de mon tour de parole, comme pour me dire
au moyen même de ce prolongement vocalique que je fais fausse route et qu’il ne sert à rien
de continuer. Enfin, en répétant en rafale trois fois le praxème de négation ‘’non’’. Sans
observer de pause, il enchaine tout de suite après comme pour ne pas perdre le fil de notre
discours. Celui-ci concerne la base qu’il est censé avoir acquise en arabe et que je lui présente
comme étant la raison pour laquelle il aurait tout à gagner en optant en faveur de cette langue
pour ses études universitaires. Mais plutôt que d’adopter la relation dialogale à laquelle je
l’invite, ne serait-ce que par l’actualisation du phatique «tu» et du possessif correspondant
aussi bien dans ce tour de parole que dans le suivant (E98), il choisit le dialogique en
convoquant cette instance énonciative physiquement absente qui est «eux». A cette instance, il
dit être prêt à lui ‘’laisser’’ cette base-là sur laquelle repose mon «pourtant» (E96). Ce qui
signifie qu’il ne conteste pas cette base. Cependant, il y voit moins l’utilité que la difficulté,
particulièrement dans la concrétisation de son projet: ‘’se délivrer de ce pays’’ (L99) que
dirige ce ‘’eux’’. Par conséquent, ce n’est pas par rapport aux études universitaires qu’il
choisit le français comme langue, mais d’abord pour son projet de départ, ainsi qu’il formule
cela sans ambiguïté dans son tour de parole L165. Ainsi, il associe au français «l’espoir»:
celui de partir vers cet Ailleurs impossible en arabe dont il me laisse le soin de deviner, dans
la tonalité ascendante de la réalisation phonique du praxème ‘’L’ARABE’’, l’immensité du
négatif qu’il y voit car cette langue le condamne à rester ici, dans son pays. C’est en se
rendant compte, au cours du temps écoulé durant la très longue pause que rendent les trois
barres obliques, de ce glissement de sens et d’objet d’échange (passant des études ou départ),
qu’il amorce un retour à l’objet de mes programmes interrogatifs précédents liés aux études
universitaires et qu’il fait reconnaître au français en actualisant, bien que négativement, le
praxème «sciences» tout en restant dans la même logique de rejet de l’arabe que j’ai montrée
dans le chapitre réservé au français mis face aux langues nationales dans les discours
recueillis.

En me saisissant de son actualisation du praxème «sciences», j’aborde avec lui le réglage


de sens de sa tournure «l’arabe n’est pas une langue de sciences», dont je rends compte dans
le chapitre intitulé Le français et les langues nationales. Le rapport du français à son projet de
départ s’éclipse pour réapparaître à sa propre initiative dans son tour de parole L151 quand,
subitement, Lotfi passe de ce qu’il considère être un pré-requis pour un candidat au
baccalauréat, et qui consiste en la maîtrise de plusieurs langues en plus du français et de
l’anglais, au voyage et au voyage sans prévenir ni avertir comme pour signifier, encore une
fois, sa prédisposition à partir à tout moment.

L149/ normalement mi id nebadh ar l bac ilaq ansafag matchi kan l(e) français d
l’anglais/ ilaq oula d l’allemand le japonais/ en plus thoura ternad la
Chine//
[Normalement comme on est arrivé au bac on doit exceller non pas
uniquement en français et en anglais/ il faut aussi l’allemand le japonais/ en
plus maintenant il y a aussi la Chine//]
E150/ et donc ?/
L151/ et donc kan hna ou rah// [/et bien il était ici et hop ! il est parti !/]
E152/ yah! déjà?/ [/ah bon ! déjà !]
L153/ a loukan oufigh aqli rouhagh// [si j’avais la possibilité je serais déjà parti/]
E154/ sani?[où ?]
L155/ la France bien sûr/ negh [ou] n’importe euh partout l’essentiel an rouh [est
de partir]//
E156/ Même anda nidhan am Masar ### [même ailleurs comme l’Egypte###]
L157/ alaaa! Masar [l’Egypte]? jamais//

Sa reprise en écho en L151 de mon propos (E150) à valeur interrogative à la fois vis-à-vis
du dialogisme intralocutif qu’il établit avec ses propos de L147, où il n’admet aucune
scientificité à la langue arabe, et vis-à-vis des implications de la pluralité de langues dont il dit
lui-même ne pas disposer, est une véritable volte-face conversationnelle. Elle n’est ni
collaborative/co-constructive ni polémique. Lotfi produit un sens en rupture totale avec notre
fil du discours. Il me renvoie ainsi à des dizaines de tours de parole antérieurs (L97, L99) où il
est question de la nécessité pour lui de maitriser le français moins pour les études
universitaires que pour partir. Une nécessité que j’ai qualifiée, dans le chapitre où j’analyse la
mise en discursivité des représentations du français par rapport à l’arabe et au kabyle, de
frustration de mon partenaire de l’échange. En effet, partir parait être, en tous les cas, à partir
de ce tour de parole, l’unique sujet de l’entretien si bien que lorsque, supposant Lotfi là-bas, je
lui demande comment il se prendra, compte –tenu de son modeste niveau de français, celui-ci
ne semble pas se soucier (L187) d’autant plus que pour lui s’il obtient le visa cela implique sa
réussite, car là-bas ‘‘tout est facile’’ (L189). Par la même logique, en convoquant la tournure
populaire «kan hna ou rah» (c'est-à-dire qu’’’il était ici et hop ! il est parti !’’/), il fait
entendre plus que la voix de la doxa mais aussi la prédisposition de celle-ci, comme lui, à
quitter le pays à tout instant. Une prédisposition qu’il aurait aimé avoir déjà concrétisée
(L153) mais pas à n’importe quelle destination en dépit de sa déclaration de L155 («partout
l’essentiel ‘’est de partir’’») car la maitrise de la langue pour cela n’a pas la même
signification ni la même valeur. En effet, la maitrise de l’arabe n’implique pas le départ pour
l’Egypte, par exemple, qui, faut-il le préciser, venait de connaitre sa révolution contre la
dictature de Moubarek, au moment de l’échange (mars 2011). Et la véhémence aussi bien
dans le prolongement vocalique de la négation à l’initiale de son tour de parole L157 que dans
l’actualisation du praxème «jamais» en réaction à ma supposition d’un éventuel départ pour
l’Egypte (E156), compte tenu de sa formation en arabe (E158), indiquent clairement que Lotfi
ne met pas du tout sur un pied d’égalité la valeur de voyage du français et celle de l’arabe. A
celui-ci, Lotfi n’accorde rien. Alors qu’à celui-là il attribue toutes les fonctions et
particulièrement celle de voyage. Et pas seulement en France, mais aussi en Espagne en Italie
(L159) sans ignorer que le français n’y est pas parlé. Sait-il que son entrée dans ces pays-là
est un pas pour rejoindre la France comme les autres (L161) dont la pratique du français avant
de s’y installer serait comme la sienne?

E158/ anada ihi [où alors]? Puisque s l’arabe i thaghridh [puisque c’est en arabe
que tu as étudié]
L159/ ar l’Espagne l’Italie/ ar França bien sûr// c’est sûr ar França/ ih ça c’est
sûr ar França///
E160/ ar França ?
L161/ ih am wiyidh/ am euh yarnou puisque bien sûr illa l(e) français snagh
chwiya kadalik// akka///
[/ oui comme les autres/ comme euh en plus puisque bien sûr il y a le
français je connais un peu en plus// c’est comme ça/]
E162/ mais tazrid bli### [Mais tu sais que ###]
L163/ c’est pour ça ig laq atas n l français/ ah oui/ ilaq ghas aka yaâni s nagh
chwiya/ mais ilaq atas//
[/ c’est pour ça qu’il faut beaucoup de français/ ah oui/ il faut même si en fait
je connais un peu/mais il en faut beaucoup//]
E164/ ah oui/ pour l’université?//
L165/ non/ oui bien sûr i l’univeristé aken id nigh lina/mais mais mais même
oubâad// oubaâd/ oubâa dihin// ça c’est sûr/
[/non/oui bien sûr pour l’université comme je l’ai dit tout à l’heure/ mais
mais même pour après// pour après/ pour là-bas// ça c’est sûr/]

Entrainée dans sa logique argumentaire liée à la nécessité pour lui de maitriser le français
dans l’unique but est de partir, essentiellement en France, je tente en E162 d’initier les
éventuelles difficultés qu’il pourrait rencontrer là-bas en raison de son niveau de français, que
je ne dis pas dans ce tour de parole, mais que j’évoquais discrètement dans mon tour
précédent (E158) en liant sa formation en arabe à un éventuel départ dans un pays arabe
(l’Egypte). Dans un dialogisme anticipatif, il me dédouble, m’interrompt, comme s’il craint
de m’entendre parler encore une fois de l’arabe. Il produit un sens selon la logique
introductive de mon propos mais dans laquelle il fait vite pour préciser qu’il s’agit bien du
français en insistant sur la nécessité de maitriser cette langue. Mais l’ambiguïté de son «ilaq
[il faut] beaucoup de français» me fait réagir de manière si inattendue (E164) qu’il est
déstabilisé dans sa certitude (L165), car pour moi la maitrise du français concernerait ses
futures études universitaires. En réalité, ma question en E164 est un piège dont il se rend
compte tardivement comme l’indique son hésitation initiale entre la négation et l’affirmation;
car même si pour lui, le projet est le départ, cela n’exclut pas en effet ce départ après les
études universitaires… de français.

A la relecture de l’échange, Lotfi ne me parait intéressé par les études de français et même
du français que pour s’en servir d’abord et avant tout comme un moyen d’obtention du visa.
Sa projection dans un avenir en France est si peu réfléchie en ce qui concerne la pratique de
la langue qu’il ne me semble pas s’en soucier. Il lie en fait cette pratique, non pas à un
minimum d’exigence pour évoluer ‘’là-bas’’, mais à cette exigence imposée pour obtenir le
visa. A aucun moment de l’échange, il n’actualise le moindre praxème à propos du français
dont il aura besoin une fois ‘’là-bas’’, comme si ce besoin se limite à la demande du visa. En
dépit de la formulation explicite de ma demande à ce sujet, Lotfi lie tout à l’obtention du visa
ainsi qu’il le souligne, sans la moindre ambiguïté, dans la suite de l’échange, en général, mais
particulièrement dans ses tours de parole L177, L179 et L185:
E166/ amek dihin?/ amek?/[comment ça pour là-bas? comment ?/]
L167/ i:: Sarkozy et tout/ ah oui ilaq [il faut] l(e) français normal// normal
moulach dagi kan [sinon ce sera ici uniquement]//
E168/ yah// [ah bon !]
L169/ ah oui/ moulach oulach l visa oulach walou// [/ah oui/ sinon pas de visa ni
rien du tout]
E170/ amek l visa?/ ourfimagh ara/ l(e) visa?/[comment ça le visa?/ je n’ai pas
compris/ le visa ?/]
L171/ i :: thoura ilaq euh bien sûr moulach ouradatsakenara l(e)visa/ ilaq le
français moulach oulach l visa/ d’ailleurs thoura khadmand l test l français/
l test l français auqval// adzran qaval euh qaval niveau l français inek//
[/i :: maintenant il faut euh bien sûr sinon on ne donnera pas le visa/il faut le
français sinon pas de visa/ d’ailleurs maintenant on soumet [les demandeurs
de visa, ndlr] au test de français/ le test de français d’abord// ils veulent
d’abord connaitre ton niveau de français//]
E172/ sinon?/
L173/ amek sinon?/ [comment sinon ?]
E174/ euh::/ c'est-à-dire euh magla[si] euh magla [si]###
L175/ oulach l visa/ rayyah dagi !// [/pas de visa/reste ici !//]
E176/ ah oui/ c’est normal non?/
L177/ bien sûr/ bien sûr même c’est euh c’est pour ça euh c’est pour ça ilaq l [il
faut le] français ilaq [il faut]//
E178/ c’est pour cela que tu insistais tout à l’heure pour parler euh pour pour
pratiquer le français###
L179/ i bien sûr/ bien sûr/ il faut il faut//
E180/ ma oulach oulach l bac oulach ### [sinon pas de bac pas###]
L181/ ih oulach l visa oui// [oui pas de visa oui//]

En évoquant, dans son tour de parole L167, le nom de Sarkozy, Lotfi règle un sens flou
pour une réponse à une requête de désambigüisation des trois occurrences successives du
praxème ‘’après’’ dans son programme de sens précédent (L165). Un programme de sens
qu’il a, de surcroit, nettement distingué par les trois occurrences également successives du
grammatical d’opposition «mais», comme pour minimiser l’importance du sens lié à son
«oui» (L165) et ne retenir, au final, que ce qu’implique son «non» en ouverture à ce même
tour: le français est moins pour les études universitaires que pour ‘’là-bas’’. Cependant, dans
ce tour de parole L167 et dans la suite de l’échange, il ne confirme pas l’importance du
français une fois ‘’là-bas’’ que je lui demande pourtant d’expliciter. Le second programme de
sens, c’est à dire après la pause plus au moins longue que marquent les deux barres obliques,
relativise pour ne pas dire remet en cause le premier dans lequel l’évocation de «Sarkozy et
tout» semble renvoyer à l’exigence de la pratique du français à l’intérieur de l’hexagone que
Lotfi trouve «normale». En effet, en renvoyant à «dagui», c'est-à-dire ici dans son pays, le
second «normal» concerne plutôt le visa. Ainsi, par ce second réglage de sens du praxème
«normal», Lotfi confirme davantage que son souci premier est l’obtention du visa. Il ne se
soucie pas de là-bas’’. Une nuance qu’il réaffirme en réponse à mon interjection E168. En
effet, à l’actualisation du praxème «visa», dans son tour de parole L169, succède celui de
«oualou», c’est dire ‘’rien du tout’’, comme si Lotfi traduit avec ses termes la politique
migratoire de N. Sarkozy et qui consiste à maintenir les candidats chez eux en faisant de la
maitrise du français un des critères de l’émigration choisie. Une opinion qui émerge
clairement dans le fonctionnement discursif des praxèmes kabyles ‘’maintenant’’ (deux
occurrences) et ‘’d’abord’’’ (trois occurrences) qui portent l’idée de rupture avec un passé
non-dit et pendant lequel la maitrise du français n’était pas un critère de sélection. Une
sélection au moyen du test de langue que pratiquent ‘’ils’’ (L171), les partisans de «Sarkozy et
tout» (L167), pour connaitre le niveau de français du candidat sans quoi ‘’pas de visa’’
(L175). Ce qui est synonyme de ‘’reste ici!’’ à qui le mode impératif de l’énonciation donne
un caractère si ferme que Lotfi donne l’impression de rendre par-là en exagérant un des
reproches que la gauche fait à Sarkozy: son autoritarisme en tant que Ministre de l’intérieur
face aux émeutes dans les banlieues en 2005 et son omni-présidence à l’Elysée. Mais
curieusement, Lotfi ne s’oppose pas à cette fermeté. Il l’approuve en la déclarant normale et
en exigeant (de?) lui aussi la maitrise du français (L177) qu’il n’a pas. C’est sans doute pour
se montrer respectueux des lois de la République en bon candidat et comme pour faire
entendre encore une fois la voix de l’autorité de … «Sarkozy et tout» (L167)! Ce qu’il
confirme en L79 en réitérant à deux reprises cette réaffirmation sous forme de condition sine
qua none et en L181 dans l’enchainement dialogique en interrompant mon programme de
sens E180 pour refuser de limiter la maitrise du français à l’obtention du baccalauréat. Ainsi il
y substitue à mon praxème «bac» (E180) celui de «visa» (L181) qu’il précède et suit de
l’approbatif «oui» d’abord en kabyle, probablement parce que ma réplique précédente est en
cette langue (E180), ensuite en français comme si en usant des deux langues il s’accorde
toutes les chances de me faire comprendre son insistance. Ce qu’il réussit si bien puisqu’à
partir de ce tour, moi aussi, je me focalise sur le visa auquel Lotfi rapporte tout ce qui a trait
au français en vue, justement, de réussir ce test (L185) car, selon lui, une fois ‘’ là-bas’’ ‘’
tout est facile’’ (L187, L189):

E182/ irhak l visa ah!/ [rire][tu es obsédé par le visa!/rire]


L183/ i :: bien sûr/ bien sûr/
E184/ yarnou ar França/ [en plus pour aller en France]
L185/ ih c’est pour ça ilaq l français/ l français i l test nni/
[oui c’est pour ça qu’il faut le français/ le français pour ce test-là/]
E186/ i l test ni kan?/ [et pour ce test seulement?]
L187/ i:: mi euh mi euh::/ mi nabdh ar dihin anwali//
[i:: une fois euh une fois euh ::/une fois là-bas on verra//]
E188/ yah![ah bon!]
L189/ mi dihin ishal/ ishal koulach// [mais là-bas c’est facile/ tout est facile//]

6.5. Une élève inscrite en Gestion et économie: «/Peut être un jour je vais m’installer
là-bas/» (Lydia61)
Lydia produit un discours de rejet de l’arabe qu’elle qualifie plusieurs fois de ‘’médiocre’’
(L31, L33, L35, L37, L41, L45, L53, L57, L59, L61, L119, L121) comparé aux langues
étrangères, en général, et au français ainsi qu’à l’anglais, en particulier. Par cette précision,
Lydia préfère discourir autour de ces deux langues (L35). Elle réussit ainsi à m’entraîner
dans son choix. Je suis, en effet, son orientation en l’interrogeant sur ce qu’elle pense
justement du français:

E48/ que penses-tu alors du français ?/


L49/ c’est une langue euh :: de l’avenir/
E50/ c'est-à-dire ?/
L51/ c'est-à-dire euh :: c’est une langue de l’avenir euh :: c’est une langue qui
permet de faire euh :: de voyager/ de connaître les pays du monde euh :::
de s’informer/ de se cultiver/tout ça euh :: par euh :: quand on voit euh ::
leur culture euh :: leur mode de vie/ oui ( à voix basse)/ tout ça euh :: grâce
euh :: au français/ à la langue française/

Lydia considère le français comme une langue d’avenir. Interrogée sur la sémantique de ce
praxème, elle reprend en écho le marqueur dialogique «c'est-à-dire» suivi d’une longue
hésitation, pour signifier les mérites de cette langue, à savoir voyager, s’informer, se cultiver.
Cette attitude favorable à l’égard du français s’élucide également quand Lydia se plaint de
vivre ‘’ici’’, où « l’arabe ‘’est proclamé’’ langue nationale » (L61), préférant Ailleurs « en
France par exemple » (L65).

E66/ pourquoi spécialement en France ?/


L67/parce que j’aime beaucoup la langue/ j’aime beaucoup le français/ d’ailleurs
ma bwighd l bac nchallah/ bghigh ad khedmagh licence de français
[d’ailleurs si j’obtiens le bac si Dieu le veut/ je veux faire (une) licence de
français/]
E68/ nchallah athidawid[si Dieu le veut tu l’aura]/ achoughar licence de français
ithakhthared [pourquoi choisis-tu la licence de français]?/
L69/ akken/// hamlagh lfrançais/ bghigh euh :: adamiliorigh niveau inou euh ::
encore plus : comme ça euh :: je (ne) sais pas euh :: ahath adoughalagh
adestardiqagh tharoumith am iroumyen/ nagh ahath khir nsen/ [rire]/
[comme ça/ j’aime le français/ je veux euh:: améliorer mon niveau euh::
encore plus: comme ça euh:: je ne sais pas euh :: peut être que je finirai par
maitriser le français comme les Français/ ou probablement mieux qu’eux/
rire]
E70/ donc c’est beaucoup plus pour une meilleure maitrise de la langue/
L71/ oui/ pour une bonne maitrise de la langue euh :: aussi euh :: je (ne) sais pas
euh ::/peut être euh :: un jour euh je vais m’installer là-bas/ euh :: nchallah
d’ailleurs [rire]/

Le choix de ce pays est lié, selon ses dires en L67, à son attachement au français et par le
désir de se spécialiser dans les études de cette langue. En réponse à ma question sur les
raisons de son choix, Lydia entame sa réplique L69 par le praxème essentialisant «akken»,
qui veut dire ‘’comme ça’’, et règle un sens triplement flou. Soit pour signifier que cela est si
évident, au moins pour elle, que ma question ne valait pas la peine d’être posée. Soit pour
temporiser et gagner du temps pour programmer ses dires ou, encore, pour me reprocher ma
curiosité. Toutefois, en se rendant compte de ce flou que j’exprime par le silence en
m’abstenant de reprendre la parole qu’elle me cède juste après ce praxème, ainsi que le
montrent les trois barres obliques, elle enchaine en L69 un programme de confirmation et
d’explicitation du sens extériorisé en L67 exactement avec la même logique chronologique
qu’elle clôt en riant comme pour nuancer son propos et éviter une nouvelle interrogation: son
amour du français appelle son désir de le maitriser ‘’comme les Français ou probablement
mieux qu’eux’’ (L69). Ayant perçu dans son rire une certaine volonté de dissimuler une autre
raison, celle à laquelle me font penser ses propos en L61, L63 et surtout L65, je la relance à la
fois pour la mettre devant son propre discours et pour introduire une nuance à vocation de la
faire parler davantage des motivations qui animeraient son choix du français comme filière
d’études universitaires. Le réglage du sens que j’actualise aussi bien dans la conjonction de
coordination à valeur conclusive (donc) que dans le comparatif «beaucoup plus», suggérant
d’autres raisons en plus de celle que Lydia a avancée, ne lui a pas échappé et parait lui offrir
une occasion pour extérioriser un autre sens qu’elle a, en effet, initié dans ses tours de paroles
précédents (L61, L63, L67). Une occasion dont elle se saisit en même temps pour confirmer
sa volonté d’aller à l’université pour acquérir une meilleure maitrise du français et, surtout,
pour introduire un autre motif lié, il est vrai, au premier mais qui parait en être plus important
au vu du temps qu’elle s’accorde pour le programmer et des prolongements vocaliques ainsi
que des hésitations qui accompagnent l’aveu de Lydia. Elle éclate de rire pour clôturer son
tour de parole avec une note de détente, sans doute, pour adoucir l’extériorisation et la
réception de cet élément, présent de manière latente dans ses tours précédents, mais nouveau
du point de vue dialogal: «m’installer là-bas» (L71).
E76/donc euh :: dans le désir de faire plus tard une licence de français euh ::
c’est pour partir en France/
L77/ oui/ à peu près/
E78/ donc c’est pour toi un moyen ?/
L79/ oui euh :: oui c’est un moyen euh/ d’abord euh :::/ moi euh :: j’aime euh ::
déjà le français c’est une langue que j’aime bien/ j’aime beaucoup lire
euh :: les romans euh :: mais en français bien sûr/ j’aime euh :: je veux
visiter les pays français/ euh :: voyager/

Lydia confirme sans ambiguïté, malgré les hésitations et autres prolongements


vocaliques ci-dessus, ses ambitions de faire du diplôme de français un tremplin pour
«visiter les pays français» tout en refusant de réduire cette langue à cela. En effet, le
français est sa langue de lecture. Sa préférence de cette langue par rapport à l’arabe est
plusieurs fois réitérée dans l’échange. Elle la rappelle en L119 et L121. Alors que vis-à-
vis de l’anglais, elle exprime ses regrets de ne pas l’avoir suffisamment étudié au
collège (L83, L87, L123) comme pour insister sur l’importance pour elle de s’en tenir
au moins au français (L89) dont elle dit, paradoxalement et à juste titre, que c’est la
langue non seulement de la gouvernance (L97, L99) mais aussi celle que tout le monde
pratique ici (L103, L105); la langue dont certains se servent pour se valoriser et/ou se
montrer socialement distincts (L107, L109, L111, L113).

6.6. Un élève inscrit en Techniques et mathématiques: «/ih[oui] c’est un moyen pour


euh un moyen euh aken [pour qu’] on va fuir thamourth agui [ce pays]/» Nacer (N69)
Bien que candidat au baccalauréat de série Techniques & Mathématiques, option génie
électrique, Nacer nourrit l’espoir, dans une perspective migratoire (N31, N35, N37, N41), de
préparer le diplôme de licence de français (N43, 49, N55) à défaut d’un diplôme dans une
branche (scientifique) dispensée en français (N43, 49). Il rejette l’arabe (N11, N13, N15, N17,
N19) au point de déchirer, comme il le dit en N45, son titre de baccalauréat en cas d’une
orientation vers une filière universitaire enseignée en arabe. Sa défense, bien que modérée, du
kabyle, sa langue maternelle (N21, N23), place son discours épilinguistique parmi ceux des
Smaïl, Sabrina, Lotfi, Ouerida, Omar, etc. Il lie sa position vis-à-vis des langues aux
possibilités, essentiellement de voyage, qu’elles offriraient dès son tour de parole N29 où il
nuance sa défense du kabyle, cette-fois non pas contre l’arabe, comme il le fait dans ses tours
précédents, mais par rapport au français:
N29/outhetselikara/ euh: mahsouv/ our thenfiaâra anefagh yis a l’étranger par
exemple/[il19 n’est pas salutaire /euh c'est-à-dire/ ce n’est pas bénéfique de
sortir avec à l’étranger par exemple/]
E30/ah oui/ thoura fahmagh/[/maintenant je comprends/]
N31/mad [mais] l(e) français par exemple hein###
E32 /ih/###[oui]
N33 /l(e) français par exemple machi kifkif/ [ce n’est pas la même chose]
E34 / c'est-à-dire?/
N35/c'est-à-dire euh ::/ avec le français euh :: ça nous permet de::// (un geste
avec les mains qui signifie partir)
E36/ [silence]/
N37/oui// le français euh : nous aide euh :: peut être aken on va on va à partir//an
quitter l(e) pays yiwen w as/ [on va quitter ce pays un jour/]
E38/pour aller où ?/
N39/(sourire) /ar frança [en France] bien sûr/

A l’issue de la relecture de l’échange, je me rends compte que l’actualisation du praxème


verbale «voyager» annonce un discours épilinguistique dans lequel, d’un côté, Nacer ramène
tout, de manière explicite (N35, N37, N39, N55, N61, N63, N69, N77, N81, N83) ou
implicite (N41, N49, N51, N53, N59), à son désir de partir. De l’autre côté, il fait du français,
de la maitrise du français et même du diplôme de licence de français la clef de la réussite de
son projet de départ pour la France justement (N39). Une clef, dit-il, que ne lui procure pas le
kabyle, sa langue maternelle (N29), encore moins l’arabe qu’il rejette de manière inacceptable
pour qui admet que les langues sont pour rien dans ce que certains leur attribuent comme
responsabilité dans leur propre échec puisqu’elles sont l’émanation des locuteurs dont elles
portent les traces de mode de vie, d’organisation, de culture, de pensée, etc. Ce qui fait que le
réglage de sens du praxème prépositionnel «par exemple», dans ce tour N29, le rapproche
plutôt de modèle de bénéfice que Nacer attend d’une langue, c'est-à-dire voyager, et dans son
tour de parole suivant (N31) celui de modèle de langue: le français. Celui-ci est donc pour
Nacer la langue de voyage pour laquelle il se perfectionne en prenant des «cours
supplémentaires» (N41) et que même l’anglais, que je lui suggère (E64, E66) comme tel, ne
détrône pas (N65, N67) au sujet de cette fonction de langue pour voyager tout simplement
parce que la destination de Nacer est la France (N39). Au regard de ses performances très
modestes en français, je pense que même les enseignements, en soutien à son niveau de
français, ont pour but moins la réussite de ses études à venir (N57) que la concrétisation de
son projet de départ en préparant un diplôme universitaire de ou en français pour l’utiliser
dans sa future demande de visa d’études comme il le dit dans son tour de parole N55. L’espoir
d’obtenir le visa au moyen du diplôme de français est si fort que Nacer refuse l’éventualité

19
Le kabyle.
d’un refus de sa demande en qualité de diplômé de français (N75). Et quand je lui soumets
cette possibilité, il réplique d’abord en récusant cette idée (N77, N79), sous prétexte que le
français étant la langue des Français, ces derniers encourageraient les utilisateurs non français,
comme semble se présenter Nacer (N77), en leur accordant des facilités d’octroi de visa de
séjour en France. Ensuite, il affirme avec force que, de toutes les façons, il partira sinon avec
un diplôme en français comme l’a fait, avant lui, son camarade de génie-civil (N87), un
diplôme auquel donne accès le même baccalauréat que prépare Nacer puisqu’il l’inclut
comme option au côté du génie- électrique et du génie- mécanique.

Tenace dans son attitude vis-à-vis de son projet de départ, Nacer produit ainsi dans la
discontinuité de son discours une espèce d’acharnement mêlé de certitude quant à
l’aboutissement de son projet. Si bien que, dans certains de ses tours de parole, il tire des
conclusions discursivement si inattendues qu’il m’embrouille n’ayant pas suffisamment
repéré, au moment de l’échange, sa tendance à ramener tout à son projet de départ. En voici
un exemple:

N49/ma khedmagh [si je fais] une branche en français euh: nagh [ou] peut être
ad khedmagh ahath [je ferai probablement]licence de français/ euh :: à ce
moment là c’est simple je pense/ non ?/
E50/euh :: qu’est- ce qui est simple ?/
N51/c’est simple tharoumith [le français]/ donc c’est simple/
E52/ah oui/ tu penses que c’est simple/ mahsouv theshel throumith [c'est-à-dire
que le français est facile]?/ c’est ça?/
N53/ALA/ machi danechthen id qesdegh/[/NON/c’est pas ça que je veux dire/]
E54/d achou ihi?/ ou(r)fhimghara// [quoi alors ? je n’ai pas compris//]
N55/bghigh adinigh euh ::/ bghigh kan adinigh euh :: belli euh ::/ voilà euh :: ma
bwighed lbac/ adaghragh français di la fac/ oumbaâd/ mi debwigh la
licence ad khedmagh l visa d’études/ euh: normalement ttaccordintid/ enfin
euh:: je pense que :: tu as plus de chance/ ih voilà voilà/ mayili euh :
thkhadmedh français/
[/je veux dire euh::/ je veux juste dire euh:: que euh::/ voilà euh:: si
j’obtiens le bac/ j’étudierai (en? le?) français à la fac/ ensuite/ quand j’aurai
la licence je demanderai le visa d’études/ euh: normalement on l’accorde/
enfin euh:: je pense que:: tu as plus de chance/ oui voilà/ quand euh: tu as
fais français/]

Au regard de ma question E48, en écho à son rejet d’étudier en arabe (N45) et relative au
français comme langue des études à l’université, l’actualisation de l’adjectival «simple» dans
son tour de parole N49 est ambigüe. Elle ne concerne ni les études en français ni les études de
français, comme le suggérerait l’essentiel de son énoncé précédent dans ce même tour de
parole, d’autant plus que Nacer clôt son tour de parole par un appel de forme interrogative
mais de fond affirmatif donnant l’impression de me rappeler une espèce de principe ou
d’évidence. Surprise par cet appel, car occupée à réfléchir au réglage de sens du praxème
«simple», je prolonge mon hésitation pour, d’abord, me remémorer l’objet de son appel et,
ensuite, programmer et extérioriser du sens. N’ayant retenu réellement que ce praxème avec
l’ambiguïté du réglage que Nacer en a fait, je rebondis dessus (E50) et sollicite de lui de
préciser ce qu’il considère ainsi. En reprenant le même praxème avec le même présentatif
«c’est» qu’il lie clairement au français en le confirmant par sa redondance (N51), il me
renvoie à ses tours de paroles précédents (N41, N43, N45) où il soutient son choix d’étudier à
l’université en français. Peu sûre d’avoir correctement interprété son propos, je lui demande,
en E52 avec quatre manières différentes, ponctuées de pauses courtes, de confirmer que notre
objet de discours est bien le français. Il réplique en accentuant son interjection à valeur
négative. Ensuite, il enchaine pour expliciter cette valeur: j’ai tort de comprendre que par
«simple» Nacer qualifie le français car le plus important, du point de vue du réglage de sens
de cet adjectival, qu’il fallait retenir était surtout le présentatif «c’est» pour comprendre qu’il
ne s’agissait pas pour lui de qualifier un objet, c'est-à-dire le français, mais une procédure que
rend possible cet objet, à savoir l’obtention du visa. Une procédure que Nacer entreprend
d’expliciter dans son tour de parole N55 en prenant soin de me cibler, à deux reprises, au
moyen du phatique «tu» substituable, en réalité, à n’importe quelle personne détentrice du
diplôme de français, comme il le dit précédemment dans ce même tour de parole. S’en suit
alors un échange autour de l’intérêt que Nacer accorderait au diplôme de français et au
français, en général:

E56/donc ou(r) kid ouqiî ara di la licence nni idebwidh/


[/donc tu ne te préoccupe pas de cette licence obtenue/]
N57/non euh ::/ mais euh:: enfin en quelque sorte/ en quelque sorte//
E58/youghal donc euh/ d l visa idebwidh/ [c’est comme si donc euh/ tu as obtenu
le visa/
N59/oui euh:: on peut dire ça comme ça/ euh:: tu sais mes camarades euh::
presque euh ::: ils pensent tous la même chose/ c'est-à-dire tharewla si
thmourtha [la fuir ce pays] /
E60/et par tous les moyens?/
N61/euh :: pour nous euh :: s l [en] français ken [seulement]/ machi delharraga
[nous ne sommes pas des brûleurs de frontières]/ sethroumith yechvah
atrewledh [fuir au moyen du français c’est propre]/
E62/donc theqarem tharoumith [vous étudiez le français] dans le but de partir à
l’étranger c’est ça/
N63/yella w aya [il y a cela] oui/ ça c’est sûr/
Hésitant en N57, Nacer libère sa pulsion communicative, timidement en N59 et N61, pour
s’assumer ouvertement en N63 où il confirme de trois manières successives et différentes mon
interprétation des raisons de son choix d’étudier le ou en français à l’université: fuir son pays
et émigrer. En lui suggérant, dans la suite de l’entretien, que pour élargir ses chances de partir
ailleurs, il pourrait suivre des cours de soutien en anglais (E64), comme il le fait pour
s’améliorer en français (E66), il explique qu’il ne s’agit pas seulement de son niveau d’anglais
(N65, N67), mais que cela concerne aussi l’éloignement du pays que sous-entend cette langue
(l’anglais) mais qu’il ne cite pas sinon à travers la voix de sa «pauvre mère» (N67) qui, selon
les dires de Nacer, ne voudrait pas voir son fils partir, mais accepterait s’il s’agit de la France,
ce pays «sur le seuil de la porte» (N67) de la maison de Nacer et de sa mère. En plus, dit-il,
en France, il ne sera pas dépaysé puisqu’il a de la famille (N67). En le pressentant, en train
de dévoiler, inconsciemment, pourquoi il ne sent pas réellement la nécessité de maitriser le
français sinon pour obtenir le diplôme et l’utiliser comme justificatif de demande de visa
d’études, je tente de le relancer dans ce sens (E68) mais, comme s’il soupçonnait ma
démarche, il m’interrompt subitement et décide de livrer le fond de sa pensée:

E68/ iniyid/-/[/dis-moi/-/]
N69/am d inigh yeweth n lhadja/ nek euh :: ghouri tharoumith c’est un moyen
euh::/ ih c’est un moyen pour euh un moyen euh aken on va fuir thamourth
agui/ dommage mais akka//
[/je vais te dire une chose/ moi euh:: pour moi le français c’est un moyen
euh::/ oui c’est un moyen pour euh un moyen [pour] fuir ce pays/ dommage
mais c’est comme ça//]

En effet, dans la suite de l’échange, Nacer réitère avec insistance sa décision de partir et
refuse d’admettre les possibilités de refus de visa. Selon lui, beaucoup sont partis avant lui et
sont installés là-bas, notamment Samir, un de ses amis titulaire du diplôme d’études
universitaires appliquées en génie-civil auquel donne accès le baccalauréat Technique et
mathématiques que prépare Nacer. Ainsi, il parait croire réellement à ses chances car, dit-il en
N79, là-bas, c'est-à-dire en France, on a besoin des gens comme lui pour peu qu’il obtienne
«le bac et la licence» (N79). Il joue, d’une part, sur l’argument de langue pour obtenir le visa
qu’implique la licence de français et, d’autre part, sur les compétences d’études appliquées
avec lesquelles son ami Samir semble réussir là-bas (N87)...

6.7. Conclusion:
Des huit entretiens où émerge la problématique du français en rapport avec le voyage, il
ressort que le français est perçu comme une langue de visa pour un seul pays, la France. Il ne
s’agit donc pas de langue pour voyage qui impliquerait sa dimension communicative et
surtout véhiculaire. Voilà qui justifie donc l’intitulé de ce chapitre: le français, une langue-
visa? et non pas une langue-voyage? En effet, tous ceux qui y voient un moyen pour
concrétiser un projet de départ, mentionnent toujours la France, y compris Farès pour qui
l’essentiel est de gagner l’Espagne ou l’Italie pour, dit-il, finir en France, sans doute parce
qu’il est informé des implications des règles d’entrée dans l’espace Schengen.

Ainsi, dans ces huit discursivités, le diplôme universitaire surtout de français mais aussi
en français apparait comme un moyen facilitant l’obtention du visa d’entrée sur le territoire
français. C’est bien du diplôme en tant que document administratif qu’il s’agit, dans la
perspective d’une inscription dans une université française et donc d’obtention de visa
d’études, que du français et des études de français. Par conséquent, au fond, ce n’est pas d’un
voyage ordinaire qu’il est question. Mais d’une fuite vers un ailleurs dont la difficulté
d’accès ne parait pas être étrangère à ces élèves qui semblent s’accrocher à l’opportunité que
leur offre ce diplôme pour aller dans le respect des règles de l’émigration légale. Ce que
signifie particulièrement Hind, dans son discours, en approuvant le durcissement, par les
autorités françaises, des conditions de l’octroi du visa d’entrée sur le territoire français et en
souhaitant subordonner cela à des études de français, c'est-à-dire au diplôme de français. Un
diplôme qu’elle projette réaliser dans cette perspective de départ pour la France justement!

Dans cet ordre d’idées, Nacer, Chabane et Smail souhaitent même se spécialiser à
l’université en français dans le souci d’augmenter, en effet, leur chance de partir. Ils voient, en
effet, dans le diplôme de licence de français un atout garantissant l’obtention du visa, voire
une espèce de document-substitut au visa. Bien que non avoué au début des entretiens, le
statut de langue pour l’obtention du visa d’études en France se construit au fil des échanges
pour se donner à s’entendre comme l’unique intérêt de ces élèves qui, au fond, semblent peu
intéressés par les études de français et des études en général…
Conclusion générale:
Pour faire ressortir les procédés linguistiques d’élaboration des représentations (linguistiques) que
des candidats tizi-ouzouéens au baccalauréat de l’année 2011 se font du français en concurrence,
essentiellement, avec le kabyle et l’arabe, j’ai opté pour la théorie de la production dynamique du sens
en langage, intégrée à la conception sociale de l’étude de la langue ou, pour plus de précisions, des
langues en contact. Les implications méthodologiques de ce cadre théorique concernent les modalités
à la fois de constitution et d’analyse du corpus. Pour les avoir adoptées, je me suis exposée donc à des
difficultés particulièrement d’interprétation des discours que j’ai provoqués en situation d’échanges
intersubjectifs suscités, c’est à dire préparés, et auxquels j’ai participé. En effet, ainsi que je l’ai
souligné plusieurs fois aussi bien dans le cadre théorique et méthodologique que dans les chapitres
comportant les analyses, il s’agit d’interdiscours dont les dimensions dialogales, sous forme de
répliques comportant celles relevant du dialogique, indiquent l’aspect forcément hétérogène de
l’énonciation et invitent à la prudence à la fois dans la reconstitution du sens en train d’émerger dans
cette relation et dans l’identification de l’auteur du sens. Il s’agit bien de co-énonciations. De co-
énonciations dont il est difficile de quantifier la part exacte qui revient à chacun. Mais, je mesure
aussi, au terme de ce compte-rendu, l’importance du fait que c’est moi-même qui ai conduit les
entretiens constitutifs de mon corpus plutôt que les avoir fait faire par une tierce personne au nom
d’une neutralité qui garantirait l’objectivité des analyses. Cela aurait, en effet, minimisé les risques
d’impliquer ma subjectivité dans les énoncés recueillis, par exemple. Il est aussi plus commode de
traiter des paroles d’autrui même en ayant à l’esprit que c’est moi-même qui ai demandé, avec des
orientations précises dans le questionnaire, d’interroger tel ou tel aspect des catégorisations issues de
la pré-enquête (le français est une langue de sciences, une belle langue….). Cette façon de procéder
permet d’éviter les écueils dans les analyses que j’ai eu à surmonter en montrant à chaque fois ma part
de responsabilité autant dans la construction dialogale du sens que des analyses qu’elle m’inspire. Une
responsabilité qu’un(e) enquêteur (trice), à qui je demanderais donc de poser mes questions (à ma
place), n’engagera sans doute pas, sinon par erreur, cela ne faisant pas partie de sa mission.

Pourtant, ainsi que le montrent à la fois la transcription des échanges et les analyses à partir de
l’élaboration dialogale et dialogique du sens, c’est là tout l’enjeu. Aussi bien pour désambiguïser des
praxèmes actualisés par les élèves interrogés (qu’on se contenterait de noter comme tels, c’est-à-dire
sans que ces derniers ne deviennent objet d’échange et tant pis si, dans la réalité, les pratiques
langagières évoluent ainsi !) que pour saisir ce sens dans cet interdiscours, dans cet investissement
verbal forcément subjectif mais jamais intentionnel. C’est évidemment de cette désambiguïsation qu’il
s’agit dans cet univers tantôt dialectique tantôt conventionnel impliquant des représentations enfouies
et des entités sémantiques porteuses de sens en perpétuel réglage social, comme le note la
sociolinguistique critique et interprétiviste 20 . En effet, pour celle-ci la langue n’est pas un objet
construit mais une pratique sociale en construction ayant des retombées sémantique et donc politique
sur les usagés. Elle exige de l’étudier dans ce cadre social d’interactions générées par la vie en société
qui est elle-même au cœur de l’élaboration du sens en circulation hétérogène et donc problématique...

En définitive, il n’est pas sûr qu’un(e) enquêteur (trice), sauf de formation sociolinguistique et
praxématique, s’inspire des réglages de sens des propos qui lui sont tenus, particulièrement ceux dans
le cadre interactif comprenant la maman du vis-à-vis, pour les relancer en les interrogeant, en les
contredisant; c’est-à-dire en montrant une des éventuelles interprétations de chacun de mes
interlocuteurs, comme j’ai voulu le faire parce que j’ai voulu comprendre et comprendre pour une
meilleure gestion de mon attitude envers certains de mes interactants d’aujourd’hui qui deviendraient
mes étudiants, demain. Totalement désintéressée ou libérée de ce souci didactique, la mission serait
moins risquée. En effet, les analyses porteraient sur des objets construits, c’est à dire non pas en
construction comme je voulais le montrer dans l’évolution du sens au fur et à mesure qu’avance
l’échange avec mes partenaires, au fur et à mesure de la discussion qui, avec le recul, me parait
contenir, en plus de question de statuts respectifs, dont l’implication sur le sens est largement décrite
dans la présentation linéaire des analyses, celle relative aux projets d’avenir en vue, aux possibilités et
contraintes de la réalisation de ces projets. En réalité, c’est aussi de cela qu’il s’agit: la place et, peut
être aussi, le rôle du français dans cet avenir… Il ne me parait pas donc objectif de laisser sous silence
cette référence à la réalité sans l’interroger à partir de ma relation avec ces élèves et de notre
environnement respectif qui font que les lectures que j’ai proposées de ces échanges comportent
évidemment des prises de positions révélatrices de mon statut d’universitaire à la recherche de
l’objectivité mais aussi de citoyenne évoluant dans le milieu à partir duquel je me propose d’expliquer
ou, au moins, d’expliciter les mécanismes linguistiques d’élaboration des représentations que ces
candidats se font du français au moment de ma rencontre avec eux.

En effet, il ressort de l’ensemble des échanges recueillis, dans les conditions de l’intersubjectivité
qui m’a liée à mes interlocuteurs lors de mes enquêtes, que les discours épilinguistiques y sont
construits selon un mode comparatif du français, essentiellement, à l’arabe et à l’anglais et à un degré,
de loin, moindre au kabyle qui y apparait dans une relation de dominé par rapport à l’arabe. Il ressort
surtout la recherche du bilinguisme à travers, d’un côté, la nécessité de maitriser le français pour les
besoins des études universitaires derrières lesquelles se profilent quasi-systématiquement le projet de
départ pour des études en France, et, de l’autre côté, l’aspiration à connaître l’anglais aussi bien pour
les impératifs de la communication internationale que pour l’idée souvent commune aux élèves ayant

20
Initiée en Amérique du Nord (M. Heller, 2002), elle semble inspirer les propositions théoriques de LJ. Calvet,
D. de Robillard et Ph. Blanchet (2007) pour un recadrage sociolinguistique.
pris part aux échanges et pour qui cette langue est en avance par rapport au français qui est, de moins
en moins, perçu comme une langue de l’actualité, de l’invention particulièrement dans les domaines
technique et scientifique, mais plutôt celle par laquelle cette modernité tout comme cette technicité,
notamment électronique, parviennent aux locuteurs francophones 21 . D’où ce regard à la fois
pragmatique, admettant la nécessité de maitriser cette langue car c’est celle des études scientifiques à
l’université, et conscients des rapports au moins entre le français et l’anglais dans le monde qui fait
que ces élèves aspirent donc à maitriser aussi cette langue et de ce fait cultivent le plurilinguisme
comme l’explicite Kamélia dans son échange avec sa mère, universitaire de formation plutôt
francophone.

Quels sont donc les procédés linguistiques à la base de l’élaboration de ces représentations que se
font ces élèves du français en compétition avec l’arabe, l’anglais et, à un degré moindre, le kabyle?
Inutile d’insister encore sur le caractère à la fois hétérogène et constitutif de l’énonciation dans les
discours recueillis en situation d’échanges provoqués avec cette intention de discuter, c’est à dire de
contredire, en vue de désambigüiser ce qui est habituellement perçu comme une évidence. Une
hétérogénéité constitutive qui fait largement écho aux discours qui traversent l’espace social dans
lequel ces énonciateurs évoluent. Le plus souvent, ces derniers sont hésitants et même en panne de
parole désambigüisante. Cependant parfois, ils font preuve à la fois de subtilité et de finesse aussi
bien dans la relation dialogale avec moi que dialogique et/ou polyphonique avec les voix qu’ils
convoquent respectivement pour décharger déception et colère et pour insinuer, signifier et se dire à
travers des célébrités kabyles, notamment Matoub, Fellag et Amrouche, ou d’expression française
(Dion, Brel, Ségara, Fabian, etc.), à travers les noms d’écrivains (Rousseau, Molière, Verne, Hugo,
Camus, Sartre, Balzac, Zola ), de scientifiques (Pasteur) et même de politiques (Jaurès) souvent
français ou pris pour tels (Marx, Freud, Hegel, Newton, Euclide). Ces célébrités, du fait qu’elles sont
toutes du passé, donnent l’impression que le français serait déjà une langue, intellectuellement et
scientifiquement, du passé auquel il est difficile, en effet, de ne pas associer ces noms d’autant plus
que ces mêmes élèves considèrent le français comme une langue dépassée par l’anglais!

En effet, les discours comparatif du français à l’anglais procèdent tous de la même façon: le
praxème kabyle «thoura» et ses équivalents français «maintenant» et «aujourd’hui» établissent une
espèce de frontière chronologique entre le français et l’anglais aussi bien dans les discours avec les
élèves inscrits en Lettres et philosophie, en Langue étrangères que dans ceux des élèves candidats au
baccalauréat Sciences expérimentales, Mathématiques, Techniques ou Gestion et économie.

21
La modélisation des langues que propose L. J. Calvet dans son ouvrage Pour une écologie des langues du
monde (2002) semble se vérifier ici au niveau des représentations discursives.
Paradoxalement, des discours comparatifs du français à l’arabe, il émerge l’idée d’une langue
d’avenir, de culture, de savoir et surtout de sérieux et de compétence associée à un sentiment de
respect de celui qui la pratique et surtout de confiance que les discours, faisant de cette langue un
moyen pour obtenir le visa d’études en France, donnent à ressentir comme un retour d’écho de la crise
de confiance à la base de la rupture de ces jeunes avec les autorités de leur pays à travers l’institution
scolaire, en général, et de la langue arabe, en particulier. Si bien que les discours de soutien au kabyle,
leur langue maternelle, paraissent fonctionner plutôt comme une réaction qu’une réelle défense parce
que souvent sans arguments. Des arguments qu’offre pourtant l’avancée du kabyle aussi bien au
niveau politique et institutionnel (constitutionnalisation, enseignement, médias télévisuels, etc.) qu’au
niveau intellectuel (production livresque…).

Aussi bien du point de vue du contenu que des procédés argumentatifs, qui les sous-tendent, ces
discours ne se distribuent pas selon l’appartenance sexuelle ni le type de baccalauréat préparé même si
en termes de thématiques cette distribution se dessine: dix des douze élèves, ayant abordé le français
comme une langue de savoir, sont en sciences, six des neuf qui ont qualifié le français de «belle
langue» sont en lettres… Evitement ou contournent des questions, étonnement pour gagner du temps
de programmation et d’extériorisation, reprise en écho à vocation surtout interrogative mais parfois
consensuelle, éclats de rire de mépris et/ou de banalisation, appels à des voix de chanteurs, de
scientifiques, de penseurs comme Ibn Khaldoun, etc., sont caractéristiques des stratégies adoptées et
adaptées selon les réglages de sens actualisés dans ma relation dialogale avec chacun d’eux et selon les
programmes de sens attribués à un tel ou un tel pour dire sans dire ou pour partager dans une visées
collectiviste à valeur endogroupale.

A l’issue de ce parcours doctoral, je m’interroge à présent, en qualité d’enseignante dans un


département de français, d’un côté, impliquée dans les échanges ici recueillis et analysés et, de l’autre
côté, censée accueillir, au moins, certains de ces élèves, sur l’attitude à cultiver et à adopter pour les
amener à relativiser leurs catégorisations vis-à-vis des langues, en général, et du français, en
particulier, en leur faisant prendre conscience du danger des raccourcis qu’offrent les clichés, les
préjugés et tous les préconstruits et prêts à porter ‘’intellectuels’’ relatifs aux langues et à travers
lesquels sont évalués les locuteurs. C’est donc autour de ce souci didactique, souligné dans
l’introduction générale, que je m’invite à tirer sinon les leçons, au moins, les conclusions auxquelles je
suis parvenue au terme de mes enquêtes et des analyses que m’inspirent les données verbales
recueillies.
Faut-il rappeler que les thématiques discursives de chacun des chapitres contenant les analyses
émergent des données de la pré-enquête qu’il fallait désambiguïser au cours d’entretiens directs? Faut-
il aussi rappeler que les élèves entretenus nuancent leur position et parfois la changent,
comparativement à celle exprimée dans la pré-enquête si bien que par moment ils imposent à
l’échange des orientations imprévues, particulièrement avec ceux qui se sont saisis de l’occasion, que
leur offre l’échange, pour porter la responsabilité, de ce qu’ils semble vivre déjà comme un échec, à
l’arabe comme si une langue serait intrinsèquement porteuse d’ingrédients de réussite ou d’échec alors
qu’historiquement ce sont les hommes qui en font des instruments de réussite ou d’échec et surtout qui
définissent, d’abord et avant tout, par leurs pratiques sociales et bien sûr politiques, les critères de la
réussite et de l’échec?

C’est donc toute cette question de catégorisation qui se trouve être posée dans la problématique que
soulèvent les discours recueillis. En effet, tout dépend de ce qu’on entend par réussite et par avenir.
La notion de beauté est encore plus difficile à cerner mais aussi à discuter quand celle de langue de
voyage ou, pour être précis, de visa, s’offre à lire comme un condensé de l’appréhension de la réalité
sociale et de l’avenir qu’expriment ces élèves dans l’instrumentalisation moins du français, en tant que
langue, que du diplôme de français pour partir essentiellement vers la France. Car même ceux qui
projettent de poursuivre des études d’anglais et d’/ en arabe nourrissent l’espoir de s’enfuir non pas
vers un pays anglo-saxon ou arabe mais vers cette France qui est aussi le point de chute finale pour
ceux qui comme Farès n’ont de possibilité que pour aller ailleurs. Il y a donc un glissement
sémantique de langue-voyage, qui apparait dans la pré-enquête, vers celui langue-visa pour la France
qui ressort des co-discours de l’enquête. Un glissement qui cache mal l’idée que ces élèves se font du
français comme langue de voyage et qu’ils disent dans le sillage de la comparaison à l’anglais, déclaré
dominant le monde et donc le français aussi bien au niveau de la communication, sans doute
véhiculaire, c’est à dire qui sert de moyen de communication à des locuteurs de langues différentes,
que de la connaissance, en général, et scientifique / technique, en particulier. La position de Farès est
sans doute la plus explicite à ce sujet quand il s’interroge sur les raisons pour lesquelles son père lui
impose de passer par le français pour recevoir ce savoir et cette technologie produits en anglais alors
que pour lui il suffit de les acquérir directement en anglais. On ne peut pas ne pas voir poindre ici la
fonction de langue de savoir et de technologie échappée au français au profit de l’anglais au niveau
représentationnelle dont l’impact sur les motivations et les prédispositions à acquérir le français est si
important qu’il y a urgence de les nuancer pour de meilleurs résultats didactiques.

Quelle attitude et quel discours didactiques tenir donc en vue de modifier cette perception du
rapport au français dans cette compétition avec l’anglais, essentiellement, mais plus largement avec
l’arabe et le kabyle, respectivement la langue de scolarité de ces élèves, et celle de leur socialisation?
L’erreur serait de situer le débat entre le poids des langues dans le monde et de vouloir opposer à la
domination de l’anglais dans le monde la menace de l’espagnol au cœur même du principal pays de
référence, les Etats –unis dont les citoyens des Etats du Sud sont des locuteurs de l’espagnol… Et
même si cela pouvait être abordé, ne risque-t-on pas de buter sur d’autres types de questions
directement liées aux données statistiques difficiles à avoir et à interpréter? Parce que cela suppose des
connaissances solides autour du statut aussi bien social que juridique des langues en question et autour
du type des locuteurs surtout de l’espagnol: des monolingues ou des bilingues? Dans le second cas, qui
parait le plus plausible, laquelle des langues est plus pratiquée et dans quelles situations? Etc. En plus,
qu’est-ce que cela apporterait à l’enseignement du français ici, à l’université, et à travers celui-ci à
l’école? Autrement dit, qu’importerait à cet enseignement le fait de minimiser ou de nuancer le poids
de l’anglais dans le monde? N’est-ce pas adopter une attitude monolinguistique que de se situer dans
cette concurrence utilitariste: acquérir une langue uniquement pour son utilité communicationnelle,
c'est-à-dire véhiculaire en marginalisant ce qui relèverait du sens, c’est à dire du culturel, du
représentationnel et donc de la vision du monde? Ne faudrait-il pas cultiver l’idée de l’importance de
la diversité et qu’un locuteur francophone qui pratique aussi l’anglais véhiculaire, mais aussi
l’espagnol, l’arabe, etc., est plus à même de voir et d’entendre la complexité qu’un monolingue? On
voit bien que l’enjeu concerne, en réalité, les offres de formation, la formation des formateurs et les
programmes scolaires mais aussi le livre du maitre et autres supports didactiques. Au final, c’est de la
refondation de la vision de cet enseignement qu’il s’agit pour situer ce dernier dans le sillage du
bilinguisme et de la multiculturalité encourageant la culture de la différence et de la diversité. Et dans
ce cadre, les enseignements du français gagneraient à favoriser les éléments culturels qui établissent la
spécificité aussi bien de la civilisation française mais aussi et surtout sa complexité du fait de la
multiplicité des apports qui l’enrichissent et que semble résumer et même cultiver le volet culturel de
la francophonie.

D’où, me semble-t-il, la nécessité d’actualiser les supports didactiques pour l’enseignement de cette
langue dans le cadre du bilinguisme social, dans lequel évoluent ces élèves, en vue d’une formation
plurilingue dans laquelle le français s’acquiert au moyen de textes récents comprenant les
découvertes, les inventions, etc., réalisées en français ou en contexte francophone. L’enjeu concerne
donc les spécificités de cet enseignement et l’urgence d’une réponse convaincante à la question que se
posent chacun des élèves: quel intérêt pour moi d’acquérir le français?
Bibliographie:

L’organisation tient compte du procédé de référence adopté dans le corps du texte de la thèse:
nom de l’auteur suivi de la date de l’ouvrage, de l’article, etc., et de la page. En effet, la
distinction articles, ouvrages, thèses, dictionnaires, etc., est incompatible avec ce procédé (B.
Maurer, 1999a : 121). Elle exige de savoir d’abord dans quelle liste il faut chercher: celle des
ouvrages ? celle des articles ? des thèses? Ce n’est qu’à partir de ce repérage que la
recherche des références dans un ordre chrono- alphabétique est possible. L’organisation
adoptée ici facilite donc la lecture puisqu’il suffit d’aller vers le nom puis le prénom de
l’auteur (ou du premier auteur) et la date (éventuellement avec la précision a, b ou c) pour
repérer la référence.

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- Truchot Claude, 2005, « L’anglais comme «lingua franca»: observations sur un mode de
majoration», dans Cahiers de sociolinguistique n°10, P.U. de Rennes, pp.167-178.
- Vignaux Georges, 1992, Les sciences cognitives. Une introduction, éditons La
découverte, Paris, 359 p.

2- Les revues:
- (Les) Cahiers de praxématique, revue du laboratoire de sciences du langage de
l’université de Montpellier III, les numéros 7, 17, 31, 39 et particulièrement 43
- (Les) Cahiers de linguistique sociale n°28/29, 1996, Université de Rouen.
- Carnets d’atelier de sociolinguistique n°1, 2007, (pdf)
- Glottopol, revue de sociolinguistique en ligne consultable sur http://www.univ-
rouen.fr/dyalang/glottopol/
- Langage et société 55, 1991, Questionnaires, questions, réponses, Maison des Sciences
de l’Homme, Paris,
- Recherches linguistiques n°1, La question polyphonique ou dialogue en sciences du
langage, octobre 2010.
- Le français dans le monde, numéro spécial, 2001.
- Le français en Afrique. Revue du réseau des observatoires du français en Afrique, n°25.
- Lalies n°20.
- Langages n°154.
- Langage est société n° 69.
- SEMEN n° 23, Sémiotique et communication.
- Sciences humaines n°27, 1993.
- (La) Revue Romane n°41.
- Synergies Algérie n°17

3- Sitographie:
- http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/
- http://id.erudit.org/iderudit/500868ar/
- http://www.persee.fr
- http://asl.univ-montp3.fr/masterRECHERCHE/M2/j.bres/V32.pdf
- http://www.praxiling.fr/dialogisme-langue-discours.html
- http://recherche.univ-montp3.fr/praxiling/spip.php?article264
- http://www.hum.au.dk/romansk/polyfoni/frapolyphonie.htm
- http://semen.revues.org/8793
- http://gerflint.eu/publications/synergies-algerie.html
Table des matières
Introduction générale……………………………………………………………………… 02

1. Chapitre 1: Le cadre théorique et méthodologique…………...……………………… 07


1.1. Introduction…………………………………………………………………………. 07

1.2. Le cadre théorique…………………………………………………………………. 08


1.2.1. La praxématique: théorie de la production du sens dans le langage ……………...….09
1.2.1.1. Qu’est-ce que la praxématique…………………………………………………...… 09
1.2.1.2. Les fondements de la praxématiques…………………………………………….… 10
1.2.1.2.1. Le praxème ...………………………………………………………………….…. 11
1.2.1.2.2. La signifiance et l’actualisation …………………………………..……………… 11
1.2.1.3. Les principes de la praxématique………………………………………………… 15
1.2.1.3.1. Le dialogisme, la polyphonie et la co-construction …………………………….…15
1.2.1.3.2. La pulsion communicative et le réglage social du sens ………………………….. 18
1.2.1.3.3. L’Ici et l’Ailleurs de la personne ………………………………………………… 19
1.2.2. Représentations et discours épilinguistique…………………………………………. 21

1.3. Le cadre méthodologique……………………………………...…………………….. 26


1.3.1. La pré-enquête ………………………………………………………………………... 28
1.3.1.1. Un échantillon ? Pourquoi ? ………………………………………………… …… 30
1.3.1.2.Les langues du questionnaire ……………………………………………………….. 31
1.3.1.3. Le questionnaire ………………………………………………………………….. 32
1.3.1.4. Passation du questionnaire …………………………………………………………. 33
1.3.2. Ce qu’il faut désambigüiser …………………………………………………………....34
1.3.3. L’enquête ……………………………………………………………………………... 35
1.3.3.1. Avec quels élèves discuter ? pourquoi ? …………………………………………… 35
1.3.3.2.Langues des discussions ………………………………………………………….... 36
1.3.3.3. Le guide des entretiens ……………………………………………………….…… 37
1.3.4. Présentation des partenaires des entretiens ………………………………………….. .39
1.3.4.1. Inscrits en Langues étrangères …………………………………………………….. .39
1.3.4.2. Inscrits en Lettres et philosophie ……………………………………………..……..40
1.3.4.3. Inscrits en Sciences expérimentales ………………………………………………. 41
1.3.4.4. Inscrits en Gestion et économie ……………………………………………………. 42
1.3.4.5. Inscrits en Mathématiques ………………………………………………………..… 43
1.3.4.6. Inscrits en Techniques / Mathématiques …………………………………………… 43
1.3.5. Mode de saisie des entretiens ………………………………………………………... 44
1.3.6. Mode d’analyse du corpus ……………………………………………………………. 45

1.4. Conclusion ………………………………………………………………………………47

2. Chapitre 2: Le français et les langues nationales …………………………………… 49


2.1. Introduction…………………………………………………………………………..…. 49
2.2. Les élèves inscrits en Lettres et philosophie ………………………………………….....49
2.3. Les élèves inscrits en Gestion et économie ………………………………………..…...60
2.4. Une élève inscrite en Mathématique …………………………………………………...71
2.5. Un élève inscrit en Techniques et Mathématiques …………………………………… 73
2.6. Un élève inscrit en Sciences expérimentales ……………………………………..…… 78
2.7. Conclusion…………………………………………………………………………..…. 86

3. Chapitre 3: Le français, une langue de savoir, de technologie et d’avenir ?…….….. 90

3.1. Introduction……………………………………………………………………………... 90
3.2. Les élèves inscrits en Sciences expérimentales………………………………………... 90
3.3. Les élèves inscrits en Gestion et économie …… ……………………………………...101
3.4. Les élèves inscrits en Mathématiques … ……………………………………………..112
3.5. Un élève inscrit en techniques et Mathématiques…………………………………….. 118
3.6. Un élève inscrit en Lettres et philosophie ……………………………………………. 120
3.7. Un élève inscrit en Langues étrangères………………………………………………... 123
3.8. Conclusion …………………………………. ………………………………………...127

4. Chapitre 4: Le français, une langue dépassée par l’anglais ? …………………….... 130

4.1. Introduction…………………………………………………………………………… 130


4.2. Les élèves inscrits en Langues étrangères ……………………………………………. 130
4.3. Les élèves inscrits en Lettres et philosophie …………………………………….…… 134
4.4. Les élèves inscrits en Sciences expérimentales …………………………………….... 150
4.5. Les élèves inscrits en gestion et économie …………………. ………………………...161
4.6. Un élève inscrit e Mathématiques…………………………………………………….. 165
4.7. Conclusion……………………………………………………………………………. 167

5. Chapitre 5: Le français, une belle langue ?...................................................................171

5.1. Introduction ………………………………………… …………………………………171


5.2. Les élèves inscrits en Langues étrangères ……………………………………………. 171
5.3. Les élèves inscrits en Lettres et philosophie …………………………………………. 186
5.4. Les élèves inscrits en Sciences expérimentales ……………….. ……………………..194
5.5. Un élève inscrit en Mathématique ………………………………………………..….. 199
5.6. Conclusion……………………………………………………………………………..203

6. Chapitre 6 : Le français, une langue-visa ?.................................................................. 206

6.1. Introduction……………………………………………… ……………………………206


6.2. Les élèves inscrits en Langues étrangères ……………………………………………. 206
6.3. Les élèves inscrits en Lettres et philosophie …………………………………….…… 221
6.4. Un élève inscrit en Sciences expérimentales ……………………. …………………...227
6.5. Une élève inscrite en Gestion et économie ………………………………………...… 234
6.6. Un élève inscrit en Techniques/mathématiques ….. …………………………………...236
6.7. Conclusion ………………………………… ………………………………………….240
Conclusion générale…………………………………………………. ……………………243

Bibliographie…………………………………………………………………..…………...251

Les annexes ……………………………………………………………………………….. 261

Les questionnaires de la pré-enquête …………………………………………………… 262

La convention de transcription ……………………………………………………………. 267

Les entretiens …………………………………………………………….. ……………….268

Avec les candidats au baccalauréat série Lettres et langues étrangères……………… 269

Avec Amélia ………………………………………………………………………………. 270


Avec Wiza …………………………… ……………………………………………………274
Avec Mélissa …………………………. ……………………………………………………279
Avec Hind ……………………………………………………………………….………… 283
Avec Leila …………………………….. …………………………………………………...288
Avec Farida ………………………… ……………………………………………………...293
Avec Chabane …………………………….. ……………………………………………….296
Avec Ibtissem ………………………… ……………………………………………………300

Avec Les candidats au baccalauréat série Lettres philosophie ………….. …………... 304

Avec Mounir ………………………………………………………………………………. 305


Avec Farès ….. ……………………………………………………………………………...309
Avec Sofiane ………………………………………………………………………………. 313
Avec Smaïl ………….. ……………………………………………………………………..317
Avec Wissem ………………………….. …………………………………………………. 322

Avec les candidats au baccalauréat série Gestion et économie ……………… ……… 327

Avec Marzouk …………………………………………………………………………….. .328


Avec Ouerida ………………………… ……………………………………………………333
Avec Lydia …………………… ……………………………………………………………337

Avec Les candidats au baccalauréat série Sciences expérimentales ………. ………… 342

Avec Kamélia ……………………………………………………………………………… 343


Avec Samia ………………………………. ………………………………………………..349
Avec Saïd ………………………………………………………………………………….. 352
Avec Amel …………………….. …………………………………………………………..356
Avec Souad ………………………… ………………………………………………… …..360
Avec Saliha ……………………….. ……………………………………………………….365
Avec les candidats au baccalauréat série Mathématiques …………………………… …….370

Avec Amayas ………………………………………………………….. …………………..371


Avec Sabrina ………………………….. …………………………………………………...375
Avec Tarik ……………………………………….. ………………………………………..380

Avec les candidats au baccalauréat série Techniques/mathématiques ……………… 384


Avec Hacène (Option génie-civil) ……………………………… …………………………385
Avec Lotfi (Option génie-mécanique) …………………….. ………………………………389
Avec Nacer (Option génie-électrique) ……………………. ……………………………….395
Avec Omar (Option génie-civil) ………………………… ………………………………...398

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